<..' ^< COf.'< ic:*: ' C cCt v^j C' C c«r < c <- C < CCC C« CC ^ c r ,\ccc'f' <:■ c > «. '.eO C' CO c, •f ^M^ ■>^^*<9B»««of»«*«9««|«**«0 9»9«»«)9«9<,«««B«9«4 9«9*9«^«99»«««eA»0»«»«9«^«*C* MEMOIRES DC I'ACADEMIE ROYALE DEt SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES id;£ (Siii^sirg CAEIV, CHEZ A. HARDEL, SUCCESS. DE T. CHALOPIN, IIMPniMEUR DE L'ACAD^MIE BT DES SOCIETES SAVAKTES. 1840. •«>« »•«•»*«•»•••««•««••« »^»«»4«««*«o«fr«e««*«e»«d«*«*«< mMoires DE L'ACADfiMIE ROYALE DE CAEN. p.^s^-;^'h M^MOIRES DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES iDie (Qiiigec s'^,'^ CAEN, CHEZ A. HARDEL, SUCCESS. DE T. CHALOPIN, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE ET DES SOCIETES SAVANTES. LISTE DES MEMBRES. MSITE DF.S MEMBRES HONORAIRES , TlTrLAIIlES , ASSOCl£S- RtSlDANTS ET ASSOC.lfiS - CORRESPONDANTS DE L'ACADfiMIE ROYALE DES SCIENCES, ARTS XT RELLES - LEITRES DE CAEN , AU 1". SEPTEiMBRE 1840. <>il ouwati. MM. P.EIITK.VM), president. EDO.M , vice-president. TRA\EUS , secretaire. RO(iEK , vice-secretaire, LE GRIP , trcsorier. olLctiibtc<5 bciictLxitcco. MM. LE BOUCHER , medecin , mcmbre honoraire de la Societe de mMccine de Caen. VAl'LTIER , professeur de lillerat'.iic franoaise a la Facu'.te doslcltres do Caen. SPENCER-SMITH , meiubic de la SodJlc dvs aiili- ([uaiies de Loiidics. ■vm LISTE THOMINE-DESMAZURES , peie , ancien professcur a la Faculle dc droit de Caen. GODEFROY , docteur en medecine. DA?iS LEUB ORDRE DE RECEPTIOK. MM. tt. LE grip , conscillor dc prefecture. 2. DELOGES , le jeune , direcleur de 1' Assurance muluelle centre Tincendic , pour les departe- menls du Calvados , de TOrne el de la Manche. 3. LAIR , conseiller de prefecture , secretaire de la Societe d'agriculture et de commerce dc Caen. 4. DE MAGNEYILLE , membre de la Societe d'a- griculture et de commerce de Caen. 5. PRUDHOMME , ancien professeur de navigation. 6. THIERRY , professeur de chimie a la Faculle des sciences. 7. LE SAUYAGE , chirurgien en chef des hospices. 8. JAMET ( I'abb*^ ) , direcleur de la maison du Bon- Sauveur dc Caen. 9. DAN DE LA YAUTERIE , membre de la So- ciety de medecine. 10. HERAULT , ingenieur en chef des mines. 11. RAISIN, direcleur de I'Ecole secondaire de me- decine. 12. DE LAFOYE , professeur de physique a la Fa- culle des sciences. DE MM. LES MEMBRES. IX 13. EUDES-DESLONG CHAMPS, professp.urd'hisloiie nalurelle a la FacuUe des sciences. 14. ROGER , professeur d'histoire a la Faculty des leltres. 1 5. DANIEL (I'abbe) , recteur de rAcadomic univcrsi- taire. iG. TARGET , prefet du Calvados. 17. MAILLET-LACOSTE , professeur delilleratiiic laline a la FacuUe des lellres. 18. DE CAUMONT , correspondant de I'Inslilut, se- cretaire de la Societe des antiquaires de Nor- niandie. ig. EDOM , inspecteur do I'Academie universitaire. 20. LEC1IAUD£ D'ANISY , membre de la Sociele des antiquaires de Normandie. 31 . BERTRAiS'D , doyen de la FacuUe des lottres. 22. BUNEL (Hippolyte), officier de marine en rctraite. 23. LE FLAGUAIS ( Alphonse ) , homme de leltres. 24. SUEUR-MERLIN , ancien chef de bureau de la topograpbie et de la stalistique de I'administra- tion des douanes , membre de la Commissicsn centrale de la Societe de geograpbic , et de la Societe royale academique des sciences de Paris. 25. LECERF , professeur bonorairc de droit civil , membre de la Sociele des antiquaires de Nor- mandie. 20. DE GOURNAY , avocat. 27. TRAVERS , agrege de litterature pres la FacuUe des leltres de Caen. 28. DES ESSARS , conseiller a la (^oiu- royale. 29. MASSOT , avocat general a la Cour royale. X LISTE 3o SAISSET , professeur de philosophic an college royal. 3i . VIOLLET , ing^nieiir en chef du Calvados. 32. BONNAIRE , professeur de mathemali^iues Irans- cendantes k la Faculte des sciences. 33. DESilAYES , peintre , menibre de la Sociele des anliquaires de Nonnandie. 34. SIMON , ing^n'eur , directeur du cadastre 35. VASTEL , doclcur en medecine. 36 t . . • RESIDAKTS A CAF5. MM. CIIANTEPIE , ancien inspectcur dc TAcademie uni- versilaire. THOMINE Cls , ancien professeur a la FaciiUc de droit. BOISAKD , conseiller de prefecture. BfiTOURNfi , ingenicur des ponls et chausseos. PREL , ancien verificalcur des domaincs. ROBERCiE , membre delaSociote linneenno. CASSIN , professeur de philosophic au college roval. LA TROUETTE , docteur cs-leltres. Mile. CUllPIN(Emma). I^IAXCEL (Georges) , bibliolhecaire dc la villc de Caen. BERGER , professeur de rhctorique au college royal. DE MM. LES MEMBRE?. XI SCHMIT , professeur de malhcmaliques spccialos au college royal. DESAINS , pioffssour de physi'iiic an college royal. DE FORME VILLE , conseiller A la Coiir royale. MfilllTTE LONGCIIAMP , mcmbic de la Sociele dcs antiquaiies de Norinandie. SANDR.VS , proviseiir dxi colk^ge royal. QUENAULT-DESRIVIiKES , professeur de 4". au college royal. NATION.ICX BT ETRANCEBS. MM. SURIR.VY , medecin des hopilaux civil el inililalre , a Paris. ASSELIN , directeur de la Societe royale acadc- mique de Cherbourg. DE TILLY (Adjutor) , depute , i Villy , pres ViUers- Bocage. GOULLET DE RUGGY , ancien colonel d'arlillerie , AMetz. TAILLEFER, inspecleur derAcademic universilaire , k Paris. BROXGMART ( Alexandre ) , membre de I'Inslilut , academie des sciences , a Paris. BOUILLON LA GRANGE , professeur de chimie , a Paris. DAVID , ancien consul general a Smyrnc , a Cerny , pres La Ferte-Aleps. XII LISTE LEGAGNEUR , homme de lettres , ji Saint-Aubin- d'Arquenay. CHANVALLON , homme de lettres , i Carentan. DE FRANCE , naturalislc , i Paris. DUBOIS, I'un dos conseivateurs des archives , k Paris. LE FRANCAIS-LALANDE , membre de I'lnstitiit , academic des sciences , a Paris. LESCAILLE, ing<^nieur en retraite, a Saint-Germain- en-Laye. DE LA BOUISSE ( Auguste ) , homme de lettres , k Paris. Mme. DE LA BOl'lSSE ( Eleonore ) , k Paiis. LASNON DE LA RE> Al'DltlRE , membre de la So- ciete de gi^ograpbie , a Paris. VIGN£ , docleur en medecine , a Rouen. BINET , ancien dessinateur au minislere de la marine, a Paris. FAYOLLE , homme de lettres , a Paris. JACQUELIN-DUBUISSOX , docteur en medecine , a Paris. COSTAZ I'aine , ancien prefet de la Manchc , a Paris. D'ARCET , membre de I'lnstitut , academie des sciences , a Paris. TIIIEBAULT DE BERNEAUD , natiiralisle , a Paris. LEPERE , ancien inspecteur des ponts et chaussecs , k Gisors. DE TH£IS , homme de lettres , a Laon. DE MAIMIEUX , homme de lettres , a Paris. GUITTARD , docteur eii medecine , a Bordeaux. LE PREVOST D'IRAV , membre de I'lnslilut , aca- demic des inscriptions et belles-lettres , a Paris DE MM. LES MEMBRES. XHI T)E LA RUE , juge de paix , a Brclcuil. CAILLY , ofTicier superieur d'arlinerie , a Melz. MARIE-DUMESML , homme dc IpUies , a Paris. DE ROQUEFORT , homme de letlres , a Paris. MilCHIN , ancien prefet du Calvados , a Paris. PELLETIER , ancien pharmacien , a Paris. SIGUIER (le marquis do) , correspondanl dc I'Aca- demie des inscriptions , A Paris. DE BAZOCHE , naluralislc , a Falaise. LE IlfiRICIER DE GERVILLE , homme de leltres , a Valognes. BERR ( Michel ) , homme de lellrcs , k Paris. DAWSON TURNER , naturaliste , a Yarmouth. DUMONT - D'URVILLE , capitaine de vaisseau , a Toulon. PRUDIIOMME DU IIANT-COURS , a I'lle de France. MAUiENDIE , mcmbre dc I'lnstilul , academic des sciences , A Paris. JAUFFRET , conservateur dc la bibliotheque , a Mar- seille. VIEILLARD , I'un des bibliothccaires de I'Arsenal , a Paris. LE TERTRE , bibliothecaire , A Coutanccs. DRTEU, colonel au 3''. regiment d'artilleric, a Rennes. DE SURVILLE , ingenicur. TIIURET , homme de lettrcs , a Rouen. DE HAMMER ( Joseph ) , le chevalier , orienlalistc , 4 Vienne ( Autriche). AGAARD , naturaliste , i Lundcn ( Sticde ) BOUCHARLAT , homme de leltres , a Paris. BOURDON ( Isidore ) , docteiu- en medecine , sli Paris, XIV LISTE I.ONDE , doclcur en medecine , a Paris. DELISE , naturaliste , a Vire. DUBOURG D'ISIGN'Y , ancicn president du tribunal de premiere instance , a Vire. BOYELDIEU , avocat , a Paris. POLIiS'IEHE (Isidor) , medecindes hospices, a Lyon. ARTHUR , profcsseur de malhematiques , A Paris. DE BEAUREPAIRE (le comle) , ancien secretaire d'ambassade , i Louvagny , pr^s Falaise. BRARD , ingenieur des mines , k Tarascon. JOLIMONT , peintre , A Paris. DE VAUBLA>X (le comte) , ancien ministre, a Paris. JULLIEN , homme de lettres , a Paris DIEN , graveur, j\ Paris. JOIJRDAN, doctcur en medecine , a Paris. SERRURIER , docteur en medecine , a Paris. DE VENDEL'VRE ( Ic comle ) , ancien prefet , k Vcn- deuvre. ELIE DE BEAUMONT , ingenieur des mines , k Paris. GIBON , maitre de conferences a I'Ecole normale , a Palis. DL'PLESSIS , recleur de I'Academie , a Douay. LAMBERT , conservateur de la bibliotbeque , a Bayeux. DUPIN (Charles'), membre de I'lnstitut , academic des sciences , a Paris. DE MONTLIYAULT ( le comte ) , ancien ofTicIer de marine , a Blois. DESNOYERS ( Jules ) , naturaliste , a Paris. DE LA BOUDERIE ( I'abbe ) , a Paris. COUEFFIN, ancien ingenieur geographe , a Bayeux. DE MM. LES MEMBRES. XV ODOLAM-DESNOS , Uommc do lettros, a Paris. AUDOl'IN , professeur an Jartlin des Plantes , a Paris PETITOT , statuaire , i Paris. CIIESNON , ancion principal du college , a Baycux. AMENTON, homme de lettres, au chAteau de Meudoii. GREY-JACKON , A Saint-Servan. MARCEL (J. J.),orientalisle, :\ Paris. MAILLARD DE CHAMBURES, secretaire de I'Aca- demie , a Dijon. DE MONTLIVAULT (le comle) , ancien prefet du de- parlemont da Calvados , a Montlivault , pr6s Blois. M'"^ DE SALM (la princesse) , a Paris. HERBERT-SMITH (Edouard), membrc del'Academie de Cambridge (Angleterrc). PESCHE jeune , homme do leltres , au Mans. DE LA FONTENELLE DE VAUDOR^, conseiUer a la Cour royale , k Poitiers. MANGON DE LA LANDE , membrc de plusieurs Socictes savant es , a Avranches. LA DOUCETTE (le baron) , secretaire de la Societe pbilotecbnique , i Paris. ESCIIER , sous-intendant mililaire , a Alger. M'"^ COIIEFFIN (Lucie), A Bayeux. GIRARDIX , professeur de chimie, a Rouen. GATTEAUX , graveur et sculptcur , a Paris. DE LA MARRE ( I'abbe ) , membre de la Societe des antiqxiaires de Normandie. WOLF (Ferdinand) , membre de plusieurs Socictes savantes , A Vienne. TOLLEMER ( I'abbe ) , principal du college de Va- lognes. D'OSSEVH.LE , ancien maire de la villc de Caen. XM IISTE REY , nipmbre de la Sociele roj ale des antiquaires de France , a Paris. LE >'OBLE , mcnibre de plusieurs Socieles savantcs , a Paris. SIMON , ancien bcitonnier de I'ordrc dos avocats. MARTIN , profcsseur a la Faculte des lellres de Rennes. MASSON , agrege des sciences physiques pres la Fa- culle des sciences de Paris. PILLET ( Victor-Evremont ) , regent de rlietorique au college de Bayeux. LE BRETON ( Theodore ) , a Rouen. C AUVIN , memhre de plusieurs Socieles savantes , au Mans. GUILLAUME , juge au tribunal de Besan^on. BOUCHER DE PERTHES , directeur des douanes , presidentdelaSocieteroyaledemulaliond' Abbeville. SANTAREM (Ic vicomte de), mcmbrc de la Commission centrale de la Societe de geographic , k Paris. MOLCHNEHT ( Dominique ) , sculpleur , a Paris. ROCQUANCOIIRT , directeur de I'ficole mililaire, a Saint-Cyr. SIMON-SlilSSE , professcur-suppleant de philosophic a la Faculte des lettrcs de Paris. BATTEMAN, jurisconsulte anglais. PINGEON , secretaire de rAcademie des sciences , arts et belles-lettres de Dijon. DE BR^BISSON , naturaliste , a Falaise. DE LA FRESNA YE, naturaliste, a Falaise. MOORE (Thomas), membrc de plusieurs Socieles sa- vantes , a Londres HE MM. I.ES Mr.MP.RES. XYII DE TOCQUEV ILLE (Aloxis), meinbre de I'Acadt^mie dcs sciences morales el politiques, a Paris. LE PRfiVOST (Auguste) , depute de I'Eure , membre de la Sociele des aH^jqif'aiies de Normandie , a Bernaj. VEUL SMOR , homme de lettres , a Cherbourg. LAMARTINE (Alphonse), membre de rAcaderaie fran- caise , ;\ Paris. DO^'tlRE r professetir d'histaire nalurelle au college Henri l\ , a Paris. II SOCIETES CORRESPONDAIVTES , Ql'I ADRESSENT LEURS PUBLICATIONS A l'aCADEMIE DE CAEN. Societe d'emulation et d'agricullure de I'Ain. Society indusli'ielle d' Angers. Societe royale d'Arras. Coniite bisloiique des arls et monuments , a Paris. Athenee des arts , a Paris. Society archeoIogiquG d'Avrancbes. Societe des sciences, d'agricultureelartsduBas-Khin. Society des sciences et des belles-lettres de la ville deBlois. Academic des sciences , belles-lettres et arls de Bordeaux. Societe royale d'agricultureetde commerce de Caen. Societe de medecine de Caen. Soci6t6 linncenne de Normandie. Societe des antiquaires de Normandie, Societe pbilbarmonique du Calvados. Association normande. Societe francaisc pour la conservation et la descrip- tion des monuments bistoriques. Societe veterinaire de la Mancbe et du Calvados. Societe d'emulation de Cambray. Societe d'agriculture , arts et commerce de la Cha- rentc. SOCIETiS CORBESPODANTES. XIX Sociote royale acad<^mique de Cherbourg. Academie de Dijon. Sociele d'agriculture , sciences nalurelles et arts du Doubs. Societe d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres du deparlenient de I'Eure. Societe acadcmique , agricole, industrielle et d'in- struction de Tarrondissemenl de Falaise. Academie des Jeux Floraux. Academie duGard. Society de geographie. Commissiondes monuments historiquesdelaGironde Sociele Havraise d'etudes diverses. Sociele d'agriculture , sciences, arts et belles-lettres du departemont d'lndre-et- Loire. Sociele d'emulalion du departement du Jura. Sociele royale d'agriculture , sciences et arts de Li- moges. Society d'emulalion deLisieux. Sociele academique de la Loire-Inferieure. Academic de Lyon. Sociele d'agriculture , sciences et belles-lettres de Macon. Sociele d'agriculture , d'archeologie et d'bistoire naturclle du departement de la Manche. Sociele royale d'agriculture, sciences el arts du Mans. Sociele d'agriculture, commerce, sciences et arts de la Marne. Academic do Marseille. Academic rovale deMelz. XX SOCIEltS CORRESPOXDANTES. Socicle acailemique dc Nancy, Sociele academique dc Nantes. Society generale dos naufrages. Societe d'agriculturc , sciences et arts de Poitiers. Socicte d'agriculturc , sciences ct belles-lettres de Rochefort Academic des sciences , arts et belles-lettres dc Rouen. Societe libre d'emulation de Rouen. Societe academique de la ville de Saint-Quentin. Societe centrale d'agricultupe du departement de la Seine-Inferieure. Academic des sciences , agriculture , commerce ^ belles-lettres et arts du departement de la Somme. Academic royaledes sciences, inscriptions ct belles- lettres de Toulouse. Sociele des sciences, belles-lettres et arts du depar- tement du Var. Societe d'emulatioa du departement des Vosges. SEA]\CE PUBLIQUE DV 26 NOVEMBRli 1840. ACADEMIE ROYALE DRS KOEEKreiiS, AmTB WS BHILEoES-ILJI^SMIIS DE CAEN. SEANCE PUBLIQUE DU 26 KOVEMBKE l84o. Cetle seance s'est tenue dans la grande salle dc rh6lel-de-ville , de 7 Lcures a 9 beures et demie dii soir. Le programme en avail ete arrete ainsi qu'il suit : Discours d'ouverlure, par M. Bertrand, president. Rapport sur les liavaux de la Societ^,par M. Tra\ers, secrelaivc. XXIV SEANCE PIBLIQIE. Sur Malherbe , par 1>L Edom , inspecteur. Sur les Poesies de Clo tilde de Surville, par M. VAUUUiR, professeur Ji la Faculte des Icttrcs. Le privilege de la Fierte , par M. P. -A. Vieillard, run des biblioth(5caires de I'Ai-senal. Biographie du baron Le Menuel-la-Juganniere , ancien premier president de la Cour royale de Caen , merabre de I'Acad^rale , par M. Tli. Massot, avocat- gen^ral. Poesies, par MM. Thiret et Le Breton. DISCOURS d'ouvertube PRO^ONCE Pau M. F.-G. BERTRAND, piesidont. Messieurs , Appele par votre choix a riionneur dc vous presider, j'eprouve , avant de quitter ce fauteuil , le besoin de vous exprimer uuc fois encore ma profondc recon- naissance. S'il est vrai que rien ne soil plus flatteur pour I'liomme qu'un temoignage d'estime de la part de ses conci- toyens , j'ai du me trouver honore, h un liaut point , du suffrage d'un corps oil le titre de mcmbre est dcjii d'un grand prix. Puissiez-vouspenser, Messieurs, que I'annee qui finit n'a pas ete sterile ! Pour moi, en songeantaux travaux reccnts de notre Academic , i\ la frcquenlation inac- coutumec ct a I'iulcret de sos seances , et surlout aux IXVl SKANCE PIBLIOVE nouveaux collogues qui reniplissenl les vides nombreux, trop long-temps ouverts au milieu de nous, je suis fier de ces r(5sultats , encore bien qu'ils soient en entier votre ouvrage. L'instant est venu oil celteCompagnie peut reprendre le rang qu'elle occupait autrefois dans la Province. Quelque illustres que soient certains noms dont I'Aca- d^mie de Caen s'est honoree , il est permis de croire , en considerant les services que beaucoup d'entre vous ont rendus h la science et au pays , que rarement elle reunit h la fois plus d'elements de prosp^rite , du cote de ses membres. Ce n'est pas que je pense , Messieurs , qu'il soit maintcnant donne h une Society savante , quelle qu'elle soit , quelque eminents que soient les hommes qui la composent, de reparaltre avec le role important des anciennes Academies, ni de fixer au meme degr(5 1'at- tention pulilique. Le temps des Huet et des Bochart est dejk bien loin de nous , et lors meme que ces acade- miciens faraeux reviendraient h la vie , avec leur im- mense savoir et d'autres hommes comme eux pour leur servir de cortege, leurs travaux , leur debats n'auraient plus le privilege de fournir , pour ainsi dire , seuls , un alimcnl h la curiosite des esprits. Cc n'est plus uni- BU 26 NOVEMBRE l84o. XXVll queraent dans les Academies que se traitent les questions qui s'adressent ci lapartie la plus intelligente de la so- ciete : c'est ailleurs que s'agiteut surtout les inlereLs et les iddes qui remuent fortement les ames : c'est aulre- inent que par leurs Perils de savants ou de litterateurs , que les liommes de notre epoque les plus distingues dans la science ou dans la litterature exercent sur le pays leur puissante influence. Cependant une part assez large est encore reservee aux Compagnies comme la notre , dans le grand oeuvre du bien public ; elles peuvent encore tenir une place honorable au nombre des institutions utiles d'un ordre eleve, si, comprenant I'etat nouveau de la socicte , elles approprient leurs travaux a la satisfaction de scs nouveaux besoins. Le temps n'est plus oil la solenaite des Palinods exci- lait dans la contree un interet general , et oii le moindre 6venement , pourvu qu'il se rattachat \i un grand per- sonnage , mettait en dmoi tons les poetes du jour. Le temps n'est plus des dissertations s(5rieuses sur des su- jets frivoles, ni de ces questions oiseuses dont la solu- tion , quelle qu'elle soit, ne saurait avoir d'utile ap- plication. Le dirai-je, Messieurs ? le temps n'est plusr oil les travaux d'un corps savant, en litterature, par exemple, puissent n'avoir pas encore un autre Lul que XXVm SEANCE Pl'DLIQUE lalitterature elle-meme. Si Ton perniet i im particulier de ne reconnaitre dans ses etudes d'autre loi que scs gouts , I'exigence doit fitre plus severe Ji I'^gard d'une Compagnie , surtout lorsqu'elle se pose comme une ins- titution d'utilite puljlique. A une ^poque comme la nOtre , ce n'est que par leur utilite que les Academies peuvent obtenir une consideration reelle , et meme jus- tifier leur existence. Lorsque je parle d'utilite , vous me comprenez , IMessieurs : je n'entends pas restreindre la signification (le ce mot Ji ce ^ti tient uniquement aux besoins raa- teriels. II y en a d'autres pour un 6tre intelligent, moral et sensible ; et , ces besoins de notre nature , ils n'existent pas seulement pour les individus : c'est dans leur satisfaction que consistent principalement la vie et la gloire d'un peuple. Je suis aussi bien loin de pretendre que I'inutilite soit un caractere dominant dans les productions de ceux qui nous ontpr^cedes : les anciennes Academies m(5ritcnt de notre part plus de justice et plus de respect. Clia- que ^poque appelle sp(5cialement de tel ou tel cote Tactivite de ceux qui s'occupent de travaux intellcc- tuels ; et , sans essayer de rappeler ici ce qu'ont fait nos devanciers, je dirai qu'ils ont satisfait , en general, a ce que demandait la science alors et a ce que leur DU 26 NOVEKBRE 1840. XXIX siecle r^clamait dc la science. C'est h leurs cflorls (jue nous souimcs rcdevables d'avoir nn point de de- part moins eloignc du Lut vers lequel nous devons tendrc, et c'est encore en les imitant, au moins sous un rapport , que nous pourrons I'atteindre , puisqu'il faut , pour cela, c^ue nous soyons, aussi bleu qu'eux , de notre siecle. Au reste, ce n'est pas de raoi , Messieurs, que vous devez apprendre quelle direction il convient de donner Ji vos travaux. Vous n'avez pas attendu ce jour pour entrer vous-meraes dans la voie nouvelle. Ils'agit done plutot en ce moment de proclamer ce que nous coni- prenons tous , quelle est notre pens^e Ji tous sur co que doit faire de nos jours quiconque aspire , non pas seulement b. la reputation d'liomme instruit, mais en- core au role de savant utile. Tandis que les progres des sciences mathematiques , physiques et naturelles, serviront h trouver des perfec- tionnements et des aecroissements nouveaux aux arts , h I'industrie , au bien-etre , h la surete et k la sante publique , les hommes liabitu(5s aux speculations plii- losophiques fcront porter de preference leurs medi- tations sur les graves questions d'economie sociale qui preoccupent les esprils : les verites d'application de- viendront surtout I'objet de leurs recherches. L'etude XXX STANCE PVBLIQUE (le I'histoire n'aura pas pour but , dans ncs Compagnles, de constater des fails insignifiauts, et I'importance des eveuements recevra son appreciation , bieu moins de leur fracas , que de leur influence sur la destinee des peuples et sur la marclie de la civilisation. L'antiquaire ne fouillera pas la terre , uniquement pour y trouver des tombeaux et un peu de poussiere liumaiue : quel- qucs ruines i demi enfouies sous le sol , quclques pieces demonnaierongees par le temps n'absorberont pas en- tierement les facultes de son intelligence, au point qu'il neglige les institutions et les moeurs des peuples dont il remue les cendres. Et , dans leurs investigations , ceux qui se livrent aux diverses branches des travaux his- toriques, ne tiendront pas toujours leurs yeux tournes vers le pass^ : ils se souviendront que 1' etude des sli- des ecoules n'est veritablement fructueuse , que lors- qu'elle fournit des consequences applicables au present et i I'avenir. Les ceuvres litt^raires et les autres productions des beaux -arts, n'ofTriront pas seulement des aliments Ji notre besoin individuel d'cmotions ; elles ne seront pas seulement pour nous des realisations du beau sous des formes varices : nous y chercherons encore 1' expres- sion de la vie intellectuelle, morale et politique des na- tions, et, dans les nobles jouissances qu'cUosprocurcnt, DU 26 NOVEMBRE 18i0. \X\l nous vcrroiis, en mtoie temps que la satisfaction d'un besoin comniun de Thunianite, un element puissant de moralisation et de perfectionucmcntpour notre nature. Et si quelques-uns parmi nous font entendre le Ian- gage harmonieux et passionnd de la po^sie , ils n'ou- blieront pas que nous ne soninies plus h une epcque sociale 011 cet art divin ^tait rabaiss^ au role d'un amu- sement futile pour les classes oisives; que, s'il est au pouvoir du poete de rcpanclre des fleurs sur la \ie et d'endormir les maux reels de I'homme , en le Irans- portant au milieu d'un monde ideal niieux approprie aux besoins de son cceur , 11 a aussi une mission plus scrieuse et plus noble ; qu'il ne doit pas s'abandonner uniquement h I'expression de ses sentiments intimcs et prives ; que la voix du poete est surtout I'echo de la joie , de la douleur et des autres emotions nationales ; que , lorsqu'il s'emeut des passions pubbques et qu'il s'en rend I'interprete , le plus digne emploi de son g^nie, c'est d'exalter dans les ames ce qui s'y trouve de grand, de bon , de g^nereux; c'est de rendre le citoyen plus d^vou6 h la patrie , et I'homme plus ami de I'bu- manite tout enti^re. Si c'est ainsi;, Messieurs, que cbacun de nous com- prend la tftcbe des mcmbres des Acad(5mies, nous ne regarderons pas de nul effel riuflucnce de ces corps sur XXXII SKA>CE rCBLIQlE les progies ct la diffusion des lumieres, ni sur Tame- lioration morale de la society. Lorsque Ics premiers corps savants de la capitalc , qui comptent dans leur sein ce que les sciences , les lettres et les arts ont de plus Eminent , signaleront leur exis- tence par des travaux propres i fixer I'attention du monde, nous, honimes des centres secondaires , sans songer k les 6galer , nous suivrons leurs travaux , nous coustaterons leurs precienses d^couvertes , et tandis que nos pretentions se borneront a y trouver d'utiles applications , il arrivera parfois , grace au genre d'ex- citatlon qui se faitsentir dans nos Compagnies , que des productions importantes reveleront une haute portec intellectuelle , qui autrement aurait pu demeurer ste- rile. Et quand aucune ojuvre de genie ne sui-girait du milieu de nous ; quand meme nous ne serious pas le fleuve, qui, par la seule action de son cours, feconde et enrichit les champs voisins , nous serous au moins les canaux, qui portent avec ses eaux la fertilite jus- qu'aux lieux eloignes de ses bords. II y a , sans doute , pour la circulation de la pensee . d'autres moyens , d'une activity prodigieuse , devant lesquels tous les autres paraissent d'une bicn faible puissance. Aussi ne saurait-il entrer dans men espiit de comparer ce que font nos Compagnies . pour Yin - DU 26 NOVEMBRE l84o. XXXIII filtration des id^es , avec Taction incessante de la presse , surtout de la presse p^riodique. Mais I'influence que je comprends , pour etre d'une autre sorte ct moins frappante , n'en est pas moins r^elle. II ne suffit pas, en elTet, qu'une id6e naisse ct se propage , pour qu'elle soit v^ritableraent acquise h la science : il faut encore qu'elle passe au creuset de I'examen ; que ce qu'elle a de vrai s'y degage du faux, alliage si commun de la v^rite dans les conceptions liu-. maines. Et lorsqu'elle serait pure d'erreur ou d'exa- g^ration , rarcnient elle apparait d6s I'abord avec ses consequences , c'est-k-dire , avec ce qui , d'ordinaire , offre le plus d'utilit^. Une fois echappee de la sphere sup6rieure oil elle a 6t6 congue , elle a souvcnt besoin d'etre reprise ailleurs , travaillee , ^laboree, jusqu'i ce qu'elle soit propre k devenir un aliment substantiel pour le plus grand nonibre. Or, n'est-il pas facile de concevoir combien les Academies des d^partcments sont favorablement placees pour assimilcr les id^es aux intelligences eloignees du foyer createur? D'ailleurs, Messieurs , il y a des questions , et mcme des questions vitales pour la societe , qui deraandent , pour etrc convcnablcmcnt discutees et amener unc so- lution fructucuse , des conditions de calnie ct de mo- deration , qui se rencontrent dilTicilemcnt au milieu des passions de la foulc. Trop souvent I'esprit de parti III XXXIV SEANCE PUBLIQUE envenime ce qu'il louche. Ce qu'il y a d'exclusif et d'exag6r6 dans ses pretentions provoque une resistance opiniatre et des exigences oppos(5es. Parce que les uns veulent exploiter , dans leurs alTcctions ou dans leurs interfits, une idee d' economic sociale en soi juste etsalutaire, e'en est assez pour que les autres la re-, jettent, et meme la traitent en ennemie. On comprend done la necessite d'un terrain neutre , oil (5es sortes de questions puissent se debattre Ji I'abri des preventions ; oil les idecsjde quelque cote qu'elles se produisent, n'aient k ressortir que du tribunal de la raison, etoii leur verite et I'utilite de leurs applications Solent les seuls litres qui les rendent recommandables. Mais oil trouvcrait-on , Messieurs, ailleurs qu'au sein de reunions comme les v6tres , plus de conditions d'irapartlalite reunies, plus de garanties en favour de ce qui est juste , sage et progres veritable , contre I'exa- geration de I'esprit de systeme ou I'opiniatrete de la resistance aveugle ? Mon intention n'est pas , Messieurs , de faire res- sortir tous les genres d'avantages qui resultcnt de I'cxis- tence de nos Compagnies. Aulrenient j'ajoulerais qu'avec rinfluence toujours croissante , et parfuis cxorbitante , de la Capitale sur le rcste de la France , e'en serait fait bientot de I'ancienne vie provincialc ; que bientfit il n'y aurait que Rome dans TEmpire, si, pour resister i DU 26 NOVEMDRE iS^O. XXXV reuvahissement, il n'y avail que dcs iodlvidus Isolds; si les departements 6taient d^pourvus de ces Asso- ciations , oil se rdunissent les forces locales , et qui deviennent pour eux le centre d'une vie propre et jusqu'i un certain point ind6pendante. Je montrerais encore quel stimulant au profit de I'etude, que ces reunions p^riodiques, oil chaquemembre de nos Conipagnies s'impose le devoir d'apporter sou tribut; quelle source pr^cieuse d'instruclion solide et variee , que cet ^change frequent d'idces , le plus sou- vent muries par de longues meditations , entre des hommes de sp^cialites diverses , tous occupes de la science , et offrant , la plupart , avec le fruit do leurs etudes solitaires, I'experience , qui ne s'acquiert que dans la vie active. Mais que dirais-je , en insistant sur ces points de vue, qui ne s'offre suffisamraent de soi-meme h la pensee ? Qui pourrait contester serieusement I'utilile qui doit resulter pour la science, d'institutions qui ont specia- lement la science pour objet ? .- Etd'ailleurs, Messieurs, quand il serait vrai que nos travaux , que tous nos efforts reunis n'auraient rien de fructueux , ni pour I'etude , ni pour les progres de la science , ni pour la dilfusion des lumieres , ni pour la decentralisation intellectuellc ; en un mot , lorsque les noms de nos Conipagnies ne serviraient qu'i decorer XXXVI SEANCE PUBLIQUE des pretentions stdriles , il y a d'autres raisons qui , seules , sufliraient pour Ics reconimander aux amis dclairt'S de leur pays et de rhumanit6 , k ceux qui voicnt encore quelque chose au-delc^ des sciences, des letlres et des arts , surtout dans les temps qui ne sont pas tout-Ji- fait purges du levain des discordes civilcs. Ce n'est pas uniqueraent aux idees inscrites siu" les drapcaux de diverses coulcurs ou qui s'abritcnt h leur ombre , que les partis opposes font la guerre : niallieureuscment c'estpour les liommesque se reserve ce qu'il y a de plus aclif dans la haine. 3Ieme dans les ames que la nature a le mieux disposees & la bienveil- lance , les preventions trouvent souvent alors un facile acces. Si Ton est pour les siens tout rempli d'indul- geuce , au point que la communaute de certains prin- cipes dispose ci croire cliez eux h toutes les vertus, il en est bien autrement ci I'^^gard de ceux d'une opinion contraire. Tant qu'on ne les a vus qxi'k distance , et surtout dans les luttes politiques, c'est a peine si Ton pent supposer chez eux des qualites honorablcs. On se trouve a ses proprcs yeux d'une assez large iraparlialite, quand on leur reconnait des intentions pures, avec un jugement faux et des vues retrecies , ou bien de la ca- pacite et de I'intelligence, mais sans desinteressement et sans patriotisme. On s'eloigne , on s'evite , ou , si quelqucs rapports sociaux forcent a se reunir , on s'ob DU 2G >OVEMDBE l84o. XXXTII serve avec defiance , et il suffit d'une clrconstance in- differente , pour qu'il s'ensuive une animosity declaree. Et toutes ces iniinities individuelles , fruit des diver- gences politiques,deviennent h. leur tour des obstacles h la reunion des partis. Et pourtant, Messieurs, ces hommes, qui, sans se connaitre dans ce qui constitue veritablcraent rhomme , sont devenus les objets de pr<5ventions r^ciproques , et peut-6tre de sentiments encore plus facheux , sou vent lis portent dans leur esprit et dans leur coeur tout ce qui pourrait les reliausser aux yeux I'un de I'autre et Ics unir, s'ils pouvaient se toucher, se reveler I'un 1*1 I'autre et se comprcndre. Eh blen ! ce terrain neutre dont je signalaiSjil n'y aqu'un instant, I'utilit^, pour la juste appreciation des iddes , n'est-U pas pour les hommes eux-mfimes I'occasion d'aussl heureux effets ? Oui , Messieurs : au sein de ces Compagnies , dont les merabres, soumis d'ailleurs h. des opinions et h des ailections dilTerentes, serdunissentpour un but commun, dlranger h ce qui les divise sur un autre theatre , lis ne tardent pas h s'appr^cier sous d'autres rapports que celui qui les a rapproch^s. Et quand ils ont reconnu , chez des collegues d'opinion oppos(5e , des hommes tout II la fois d'une haute raison et de nobles sentiments, des citoyens aussi devoucs au bien public qu'on pcnse I'fitre soi-meme, alors les preventions s'effacent, non XXXVin SEANCE PtBLIQUE. seulement fi regard de ceux qui les ont vaincues, mais encore envers ceux qui excitaient au meme litre la meme antipathic. De \h cet esprit de tolerance , qui , sans rendre indifferent pour ce que Ton croit juste et bon , dispose i trailer avec plus de respect les raisons de ses adversaires. De Ici cette recherche plus cons- ciencieuse de la verite, el ces reflexions, plus s^veres pour soi-meme el pour les siens, plus bienveillanles h I'e^gard des autres , qui permcttent de s'elever au-dessus de la sphtire etroite des passions. De \h ces elements , deji nombreux parmi les honimes doues d'intelligence et d'un ccEur droit , d'un parti superieur k lous les partis , parce que , sans epouser leurs haines , il s'era- pare et s'aninie de toutes leurs idees genereuses , du parti social , qui fait de la Palrie le premier , le plus Cher objet de son amour el de ses efforts , mais dont la vue ne s'arrete pas, pour les lieux, aux montagnes et aux mers qui forment nos frontiercs , ni , pour le temps, k la courte duree d'une vie humaine. C'est ainsi , Messieurs , que nos Conipagnies, meme dans ce qu'elles ont , en apparence , d' (Stranger ;\ la culture intellectuelle et aux progres des luraieres , con- courent encore h ce qui doit etre le but commun , le but final des sciences , des lettres et des arts, c'est-k-dire , le perfectionnement et le bonheur de I'humanite. RAPPORT . . :i; . .1 1'. Par M. Julie!* TRAVERS , secretaire. Messieurs , Pr^s de sept ans se sont dcoul^s depuls la dernl&re stance publique de I'Acadi^mie. Nous ne raanquerions pas de pr^textes pour pallier la faute d'un si long silence. Nous y renoncons. La franchise de I'aveu nous tiendra plutot lieu d'excuse. On ne peut le dissimuler , Messieurs : les Compagnies savanfes ne sont pas seulement tenues Ji des labeurs periodiques ; mais , comme elles reinvent de I'opinion , ellcs doivent parfois comparaitre devant I'opinion. De \h ces stances annuelles qu'ellcs ont g^neraleraent ins- titutes, stances oii elles rendent compte, et des travaux parlicullers de leurs raenibrcs, et de leurs travaux col- lectifs , et de rinipulsion donn^e par elles au dehors , soit par des concours ouvcrts , soit par d'utiles publi- cations. Aujourd'hui , Messieurs , je ne vous eutretiendrai point de votre dernier volume : il remonte in quelques XL SEAWE PUBLIQUE annees. Je ne vous parlerai point de concours : celui qui fut ouvert en 1833 a 6t^ sans r^sultat. Je vous rap- pellerai seuleracnt les principales lectures , les princi- pales communications faites h 1' Academic depuis lemois d'avril 183/i. Vous pardonnerez h la sdcheresse de mon Rapport , car vous savez tous que je ne suis point dans les conditions voulues pour le faire : je u'ai assiste h vos seances que cette annec. Pour les annees antericures, je ne puis interroger nies souvenirs ; je n'ai qu'^ com- puter les registres de vos proces-verbaux : mon role doit se borner ii peu prcs i cclui d'abr^viateur ou de copiste. Les sciences et les lettres vous out tour ^ tour paye leur tribut : je commence par les premieres. — J'ai trouve dans vos archives un Memoire de M. HeRALT sur les dermtitcs fouillcs fakes' a FciigueroLlcs pour la reclierclie d'une mine de charbon de terre. Depuis que I'industrie a pu maltriser la vapeur, cet agent docile est devenu indispensable aux besoius des societes modernes. Mais, pour produire cet agent et en tirer le parti le plus ^conoraique , il faut de toute ne- cessite, dans I'^tat actuel de la science , employer beau- coup de combustible ; et comme le bois et le charbon qui en est cxlrait dcviennent de plus en plus rares, cette decouverte de la puissance de la vapeur aurait perdu DU 26 NOVEMBRE l84o. XLI blen vite de son importance , si Ton n'eut pu trouver un autre combustible , d'un prix moins elcve, qui, sous un moindre volume , put repondre aux besoins des in- dustrlels. Ce combustible, employ^ depuis longues an- n^es dans nos forges, est la houille et I'antbracite. La possibilite de lutter sans trop de desavantage centre I'industrie (5trangere dependait done de la dccouverte des mines de houille. De lii est nee cette activite qui se deploie de toutes parts h la recherche du combustible mineral ; de \h les fouilles assez r^centcs faites k Feu- guerolles. Quelqucs annees avant la revolution de 1789, on fit des recherches dans le nieme lieu et dans le merae but : on creusa deux puits h 250 metres de I'Orne, et h. 50 ou tiO metres I'un de I'autre. II existe, au'fond de celui qui est vers le sud et qui pent avoir 65 metres de profon- deur , une galerie longue de 60 metres. Au fond de I'autre puits, qui n'a que 31 metres , on trouve cgale- mcnt une galerie de 65 metres dirig^e vers Test. Au bout de cette galerie , on a crcuse un puits de 24 a 25 metres de profondeur. Ces travaux ne mirent au jour qu'une matiere scliis- teuse noiratre , qui rougit au feu sans bruler. Les couches de ce terrain renferment aussi du gr6s siliccux , du schiste argilcux , du calcaire marbre , du mimophire et du grauwackc. EUes se dirigent dans Feu- XLII SEANCB PCBLIQUE gueroUes , du nord-ouest au sud-ouest, et sont Incli- n^es S peu pr6s de SO degr^s au nord-est. Ces recherches furent abandonn(5es en 1790, etil n'est resle de cette premiere tentative que la preuve qu'elle avail 6t6 totalement iufructueuse. Malgre la d^faveur qui a suivi I'abandon de ces fouilles, il s'est form^, sur la proposition d'un habitant d'une commune volsine, une nouvelle societe pour reprendre les tra- vaux interrompus ; mais apres avoir employd une par- tie d'un capital social qui s'^levait, dit-on,& 1 00,000 f. la nouvelle entreprise a ^t<5 abandonn^e , sans qu'on eut meme peuetr^ jusqu'au fond des premieres fosses. L'avis des hommes les plus aptes h en juger n'a pas 6i6 plus favorable aux fouilles recentes qu'aux anciennes , et iM. Herault ne peuse pas que des recherches ult6- ricurcs, avec quelque activite qu'on les dirigeat , obtiussent des resuUats plus avantageux. Le tcrrein qu'on trouve h FeugueroUes est de meme nature, il est vrai, que celui oii sont situecs les mines d'autiiracite qu'on exploitc dans les departenients de la Sarthc et de la Mayenne ; mais rien n'indique qu'on trouve cette substance dans le terrein de FeugueroUes. C'est dans cette commune que vient se terminer le ter- rein de transition modernc, qui est entourede calcaire j uassique. II resulte de cette disposition que si Ion y trouvait de rautliracitc , les fouilles n'auraicnt pas DU 26 NOVEMBRE l84o. XLIII r^tendue suffisante pour y 6tablir une exploitation avantageuse. — Quelque importante que soil la connaissance des (5tudcsmineralogiques, conuaissance qui ne s'acquiert que par un travail opiniatre , ct qui ne sera jamais le partage que des liomnies speciaux, il est pour la so- ciete tout entiere une connaissance d'un plus haut inte- ret, celle de Thomme, de scs infirmites physiques et morales , et des moyens de les guerir. M. Le Salt age vous a lu des Recherches siir le^ annexes du foetus humain ; un Memoire theorique et pra- tique sur les luxations dites spontances ou consecutives , et en particulier sur celles du femur; un autre Memoire sur I'origine etle traitement des maladies siphilitic/ues ; un autre , enfin , sur les tumcurs formees par exhalation et dont le tissu est semblable a celui des pseudo-membranes. Ces differents 3Iemoires ayant ete publics , je ne dois pas en faire ici I'analyse. Je dirai seulemeut que s'ils renferment parfois des opinions qui rencontrent plus d'un contradicteur, ils renferment aussi desfaitspre- cicux ct des apercus ncufs , qui sont ou qui doivcnt conduire ^ des decouvertes. — M. Raisin vous a prescnte plusicurs Rapports sur la maison ccntrale de Dcaulieu. Le dernier est du 15 avril XLIV SKANCE FIBLIQUE 18^0 , et a pour objet les maladies observees dans cette prison, pendant I'annee 1839. L'auteur en a fait deux categories : Tune embrasse les maladies ordinaires , dont 331 Iiomraes et 234 femmes 565 ont etc atteints, parmi lesquels 22 homnies sont morts do maladies aigues, et 43 de maladies chroniques; 8 femmes sont mortes de maladies aigues , et 9 de mala- dies chroniques. La deuxieme categorie embrasse les erysipeles et les fievres typhoides. 41 homnies et 19 femmes ont eu des erysipeles, 7 hommes et 1 femme ont succombt5 ; les fievres typhoides ont atteint 1 7 hommes et 10 femmes, 9 hommes et 2 femmes ont succombe. Le total geileral des raalades a done ete de 652, celui des morts do 101, sur une population moyenne de 1211 individus, dont 906 hommes et 305 femmes. M. Raisin , dans la dernicire partie de son Rapport , a recherche les causes auxquelles il faut attribuer I'ex- cddant de maladies et de deces sur les ann^es prece- dentcs , et il a indique les suivantes : 1". L'accroisse- mcnt de population , notammcnt en vieillards et eu individus d'une constitution deterior(5c ; 2" L'humidite constante des trois premiers mois de 1839 , de la der- DU 26 NOVEMBRE l84o. XLV niere moitid d'aout et des mois de septembre , octobre et novembre , jointe ^ une temperature assez elev(5e ct sous I'influence des vents du sud , du sud-ouest et dc I'ouest ; 3°. La stagnation des eaux pluviales ct mena- geres , stagnation qui a dure plus de 18 mois, depuis que le puits absorbant que Ton avail fait creuser pour recevoir ces eaux avait cesse de fonctionner. A I'occasion de cette derniere cause d'insalubrite , M. Raisin expose deux sjstemes d'ecoulement pour les eaux pluviales et menageres de Beaulieu. Le premier consiste ii les faire perdre dans les carrieres aban- donnees , qui sont derriere I'enceinte de la maison centrale; le second k conduirc les eaux dans la plaine, loin de toute habitation, par un canal decouvert , jus-v qu'i un bassin , d'une dimension suffisante , et qu'il serait facile de nettoyer. L'auteur du Rapport combat le premier de ces raoyens , et donne des raisons plausibles en faveur du second. II importe ^ la salubritc du pays que cette question soit examinee sans preventions , et resolue dans le sens de I'hygiene. — Plus pres de nous que la maison dc Beaulieu , il en est une autre oil se traitent avec un zele admirable des infirmites plus dignes de pitie. La maison du Bon- Sauveur a et6 I'objet dc plusieurs Memoires de M. XLVI STANCE PUBLIQUE I'abbd Jamet. Malheureiisement cesM^raoires remontent i plusieurs ann^es. Toutefols , ils soiit precieux dans I'absence de documents posterieurs , et nous en ex- Irairons quelques cliiCfres ct quelques observations utiles. En I'ann^e 1835, il est entre au Bon-Sauvenr 92 alienes , ce qui a portc leur nombre dans I'etablisse- menta/»21. La statistique comparee prouve que dans cette mai- son , un plus grand nombre de fous ont recouvre la raison que dans les autres etablissemcnts de la memo espece. II faut attribuer cet heureux rcsultat aux soins attentifs et memes minutieux des personnes qui sur- veillent ces infortunes. Quant aux sourds-muets , le nombre en etait dans cette meme annee 1835, de 8li. Vous avez appris de M. Jamet que la methode qu'il a crC'ee pour rendre la parole ices malheureux lui a reussi , et que I'un d'eux a des succes marques dans les sciences, M. Jamet est ensuite entre dans de curieux details sur les facultes intellectucUes des sourds-muets , et. sur les moyens qu'ils ont imagines pour lier entre eux une conversation qui ne pent etre connue que des initids. Au sein des tdncbres , ils ont trois moyens de communication : les mains Icur en fournisscnt deux, et les pieds un troi- si6me. DU 26 NOVEMBRE 1840. LXTU lis dcrivent avec I'index sur le dos ou dans la main de leur interlocuteur. Lorsqu'lls veulcnt abreger^l'un sesert dela main dc I'autre , pour former les signes m^thodiques et lul transmeltre ses pensees. Enfin , ils se servent de leurs pieds avec tant d'a- dresse , qu'il leur suffit dc pouvoir se les atteindre mu- tuellement, pour lier une conversation et la soutenir assez long-temps. Dans le dernier Memoire de M. Jamet sont consi- gnees diverses observations qu'il Importe de mention- ner. II a remarque , par excniple , que , dans un grand nombre de families , il existe plusieurs sourds-muets de naissance , et ses recherches lui ont fait connaltrc que, dans les seuls departements dii Calvados et de la Manche, il existe dix families qui ont 22 enfants atteints 1,1 d'un mutisme originel. M. Jamet ne confirme pas I'opinion recue , que la surdite est moins commune parmi les riches que parmi les pauvrcs; le nombre des sourds-muets lui semble proportionn^ k la population des diverses classes de la societ(5. Les sourds-muets sans fortune, sortisduBou-Sauveur avec une certaine instruction , s'appliqucnt gcn(?rale- nient : les hommes . h la mcnuiscric et au jardinage ; XLVIII SEAKcE PUBLIQUE les fcmmcs , h la couture , b. la broderie , au J)lan- chissage. II est h rcgrettcr , Messieurs , que les utiles docu- ments que renferineut les Meraoires dc M. Jamet, n'aient pas une date posterieure Ji 1836. Esp^rons que I'auteur^ne tardera pas a les completer. — M. Bi NEL vous a communique deux cahicrs d'ob- scrvations thermo-baroinctriqucs , calcul^es par lui pour determiner les hauteurs de divers points du de- partement. Ces observations vous sont parvenues assez tot pour Irouver place dans votre dernier volume. — M. 3IASS0N vous a lu un Memoire intitule : De I'action cxercee par le clilorwc de zinc sur L'alcool, et des prodmts qui en residtent. L'auleur , en s'occupant de la thcorie des ethers, s'est propose les deux questions suivantes : Sous quelles conditions I'alcool se transforme-t-il en ether ? Quel role joue dans les corps I'liydrogene carbonnc? Le Memoire se divise en deux parties, M. Masson , dans la premiere , rappcllc les theories qui ont ete donnees pour expliquer la formation de I'ether, au moycn du melange de plusieurs substances avcc I'al- cool. II demontre rinsulTisance dc cctte explication ; il DU 26 XOVEWBRE 1840. XLIX examiner les objections qu'on pourralt faire h ces theories , lesquelles n'offrent pas de solution satisfai- sante de la prdsence de tons les produits fournis dans rop(5ration de la formation de Tether. M. 3Iasson , dans la seconde partie de son M^moire, traite de Taction du cldorure de zinc sur Talcool: c'est son travail particulier. La preparation du chlorure de zinc conslste k trailer le zinc en grenaille par Tacide hydrochlorique concentr(5 du commerce , pour en ob- tenir une dissolution tres-concentr^e de chlorure de zinc. Cette preparation , par Taction de la chaleur sur la dissolution, donne beaucoup d'eauet un peu d'huile douce pendant la formation de V6thcT. II serait fasti- dieux d'entrer dans le detail des operations multiplides que M. IMasson a faites pour arriver h son but ; voici la conclusion de son M^moire : 1". L'alcool, traite par le chlorure dezinc, sc trans- forme en 6ther hydratique eten eau, Ji une tcmpt^rature de 130° centigrades. 1°. A une tempdrature entre 155" et 160°, Thuile douce commence h se former , et continue ci paraitre jusqu'i 220". 3°. La masse de chlorure de zinc reste Ji Tdtat d'hy- drate mfileed'oxide de zinc. W. II se degage , pendant Toperation , de Tacide hydrochlorique en quantite variable. IV t SEANCE PUBLIQCE — M. Eudes-Deslongchamps vous a brievement en- tretenus de la decouverte d'unc iiouvcUe cspccc'de sau- riens fossilcs , d'une grandeur considerable , qu'il a decrite dons les Memoires de la Society linn^enne. M. Deslonchamps vous a fait connaltre aussi , par une appreciation 6crite , la valcur 'de I'ouvrage de M. Brongniart, intitule : Premier Mtmoire sur Ics Kaoli7is oil argiles a porcclaine. — E Lafoye vous a lu un Memoire sur le ba~ romkre a syphon. Si les deux branches du barometre ^ sj-phon sont d'un diametre dgal , il suffira d'observer la hauteur de la colonne sup<5rieure et de doubler les variations apparontes, pour avoir les variations reelles. Cette observation, qui appartient k M. Gay-Lussac, se trouve ^nonc^e par M. Biot dans son Precis elcmen- taire , ou il conseille d'envelopper enti^rement la bran- che la plus longue , et de sc borner Ji observer la plus courte. M. De Lafoye s'est convaincu que ces assertions no sont exactes qu'autant qu'on ne se borne pas a une seule observation. II donne un calcul qui prouve ce qu'il avauce , et il conclut , en definitive , que les va- riations ne seront egales et de signes contraires dans les deux branches , qu'autant que la temperature n'aura pas vari^. Vous devez encore i M. De Lafoye un Memoire DU 26 NOVEMDRE l84o. LI intitule : Description et thcoiHe du psychrometrc du doc~ teur August , et quelques Rapports sur des ouvrages iniprim(5s et manuscrits que vous avez recus. — M. Desains vous a pr6sent6 une Analyse de la chimie de Leinery , travail utile , qui eiit (16s cette an- n<5e trouve place dansvos Meraoires, si i'auteur n'avait pas desire , en le retirant , le completer par des (Etudes sur toutes les ceuvres du grand cliimiste de Rouen. — Ce que M. Desains n'avait fait que pour I'une des ceuvres deLeraery, M. Sciimit I'a fait pour toutes celles de Varignon. L'appreciation des travaux nombreux de ce matheniaticien , ne dans notre ville , demandait un mathematicien d'une grande force. M. Schmit s'est tire avec honneur de cette tache penible , et sa notice pa- raitra dans le volume que vous avez sous presse. — M. Prudhomme , qui ne croit pas que son grand Sge I'exempte de payer son tribut , vous a lu une note int^ressante sur une trombe terrestre. — M. Deloges vous a fait connaitre un proced^ qu'il emploie pour obtenir dans ses bureaux une chaleur exempte des iucommodites des feux de poeles. Une Commission a 6te nommee par vous pour I'examen de r HI SKANCE PUBLIQITE ce precede , et le rapporteur , M. Herault , vous en a expliqu6 tous les avantages. — M. BergLs vous a soumis une decouverte , qui , s'il ne s'est pas fait illusion , sera fort honorable pour ce mathdraaticien. II croit avoir trouv6 , pour la solu- tion des Equations algdbriques, des proc(5des beaucoup plus rapidcs que ceux qui sont usites dans I'dtat actuel de la science. M. Berges vous a envoys une portion de son manuscrit, pour assurer la date de sa decouverte, en attendant qu'il ait rddige tout son ouvrage. 11 faut attcndre la suite de son travail , pour etre k nieme d'apprdcier , avec certitude , la valcur des solutions qu'il propose. I^s sciences vous ont fourni , Messieurs , bien peu de Menioires en dehors de ceux que je viens de men- tionner. Je n'ai pas dii vous entretenir d'un travail aussi sterile qu'etendu et dont M. Masson a fait justice. L'auteur croyait fermement avoir trouve la quadrature du cercle. Dieu vicune en aide h ces obstines inves- tigateurs, soit pour qu'ils atteigneut le but qu'ils pour- suivent , soit pour qu'ils renoncent i leurs rccherches ! — Entre le domaine des sciences et celui des Icttres, viennent se placer comme lien naturel les M(5uioires d'econoinie sociale et dc philosophic. DU 26 NOVEMBRE 1840. LIU — M. De Magneville vous a lu , IMrssieurs, un M6- moire qui a donne lieu h uae importante discussion. Ce Mt5moire est intitule : Qnclcjucs reflexions sur le par- tage des biens communmix. L'auteur considfire celte question dans I'interCt dc 1' agriculture, etdans celui des communes. Les iut(5rets dupauvre lui semblent 16s6spar lespar- tages op6r(5s en vertu de la lol du 10 juin 1793. En effet , qu'en est-il advenu ? la plupart des lots ^chus aux families indigentes sont vendus , et le capital est dissip^. Le droit d'usufruit u'a 6t6 change en droit de propriet(5 qu'au detriment des communes , au d(5trl- ment des races futures que ce changement d(5sherite. M. de aiagneville pense que le partage, qui a mor- cele les grandes propriet^s communales en portions trop miuimcs, n'a pas permis les ameliorations qui de- mandent un ensemble de travaux sur un plan un pen vaste , et qui exigent des capitaux un peu con- siderables. Le mcllleur moyen de mettre en valeur les bicns commuuaux , de conserver aux pauvres tous leurs droits et d'augmenter meme lours ressources , serait, dans ropiuiou de l'auteur , de louer ces biens par baux ampliyteotiques , ou ci des termes plus ou raoius longs , selon les depenscs jug(5cs nt5cessaires pour les amcliorer. On imposerait aux localaires robligation de LIX SEAXCE PUBLIQCE falre , pendant leur jouissance , ces ameliorations plus ou molns onereuses, dont lis se trouveraient indem- nis6s durant les dernieres annees de leur bail. Apres I'expiration de cliacun de ces baux , les communes ren- treraienten possession de leursbiens,qui auraient ac- quis une bicn plus grande valeur. M. de MagnevUle, pour repondre h une objection grave , trace les regies qui lui semblent les plus d' accord avec la justice pour arreter d^s h present les listes des ayant-droit. Ces listes une fois closes , on ne verrait plus de ces strangers nomadcs , qui ne changent de domicile que pour avoir part h des 'partages de biens communaux. Cette opposition legale nc serait pas re- nouvelde. La majorite de la Commission nomm(5e pour I'examen du Memoire de M. de Magneville , a partag^ son opi- nion : elle a ete, commc lui, pour les baux ^ long terrae. — M. Le Gnip vous a lu , dans une de vos dernieres SL'ances, un travail 5?arlc au Conscil dcs Anciens , seance du 19 brumaire an VIII. DC 2G NOVEMBRK 1840. I.XXXVII meme les funerailles de cette chancelante constitution de I'an III , dejii toute meurliie des coups qu'elle avail recus aux mois de fructidor et de prairial. M. Le Menuel fut vivement sollicite de prendre parti pour le coup d'Etat , qui n'dtait plus un secret pour per- sonne. Regnier,run des plus ardents conjures, celui-L'i meme qui devint, un peu plus tard, grand Juge, Ministre de la justice , alia trouver M. Le Menuet pour reutraincr au banquet que les deux Conseils donnaient h Bona- parte, le 15 brumaire, dans I'eglise St.-Sulpice. M. Le Menuet refusa... Quelle que fut ii ses yeux I'autorit^ des noms qui conspiraicnt, quelque pures que pussent etre leurs intentions et leurs esp6rances , ce n'en etait pas moins une conspiration qui dut repugner ii la cons- cience droite etpeut-etre aussi aux instincts conservateurs dc M. Le Menuet. II se tint en-dehors, et resta jusqu'au dernier moment fiddle a la constitution qui avait rccu son serment. Aprils la 18 brumaire , M. Le Menuet ne fit pas partie du Corps l^gislatif. II devait s'y attendre. Le Sen at conservateur , qui en choisissait les membres parmi ceux des anciens Conseils, dut naturellcment s'adresser aux devoumentsqui avaieut fait leurspreuves. Pourtant, U. Le Menuet n'etait pas un de ccs homnies dont on se separe sans regret et qu'on oublie. Lebrun, qui parlageait le consulal avcc Bonaparte ct Cambaceres , LXXXVin SEANCE PIRLIQIE Lebrun , conipatriote et collcgiie de M. Le Menuet , ct qui avait pu appreciv'^r ce qu'il y avail dc richesse dans son intelligence et dc veritable elevation dans son Anie, le prcssa d'acccptcr dcs fonclions publiques dans le nouveau gouvcrnemcnt. La constitution de Tan VIII venaitdecrecrles Tribunauxd'appel. On offiitJi M. Le Menuet la presidence de celui de Caen. C'etait prcsquc le rendic aux clieres occupations de sa jeunesse , h ces etudes toujours regreltees, vers lesquelles, au milieu des agitations politiques , il revait souvent de rctourner. JI. Le Menuet, apres quelque resistance, accepta. Ici, Messieurs, commence cette honorable et longuc magistrature , Ji laquelle, sauf quelques ann^es d'iuter- ruption , la mort seule devait mettre un terme. C'est dans I'excrcice de ces hautes fonctions que iM. Le Menuet donna le plus de prcuves de cc sens exquis qui voyait tout d'abord le bon cote des cboses, de cette penetration judicicuse qui devinait presque ce qu'elle n'avait pas appris, de cc rare talent d'analyse qui savait rendre toutes questions, nieme les plus abs- traitcs, facilcment intelligibles. Nul ne prononcait un arret mieux et plus clairemenl que lui; se complaisant peut-etre un peu trop dans les faciles deductions de sa logique ; s'arretaut comme h plaisir dans les details , dont aucun n'echappait a son admirable memoire ; abordant tous les moyeus, soit pour les accueillir, soil DU 26 NOVEMBRE 1840: LXXXIX pour les rejeter , prouvant ainsi qu'il avail tout (?cout<5 , tout comprlSjtout retenu ; et pourtant maixliant toujours au but, luais y marchant parfois par des voies douce- lucnt allongees; et tout cela se produisait avec des formes si largcs , si digncs ; il y avail dans sa parole taut de gravite temperee par lanl de bienveillance , dans son maiutien lanl de noblesse , non , comme on I'a dit, de cede (jii'on se donne, mats de celle qui est en soi {i) , qu'il etait impossible de voir ce majestueux vieiilard sur son siege , a la tete de sa Compagnie , sans se reporter par la pensee aux plus beaux temps de la niagistraturc. En 1811, Napol Jon voulant doancr i\ toutes les choses de son Empire la grandeur et I'eclat (2) , remplaca les Tribunauxd'appclparlesCours iraperiales.M. le Menuet fut noram^ premier president de la Cour impciriale de Caen, et en meme temps, pour qu'il put allier la no- blesse du nom a la noblesse du cceur, il fut cree baron de I'Empire. C'est vers cette epoque que la ville de Caen eul I'honneur tant envie de recevoir I'Empereur dans ses murs. Sa puissance, qui dcvait si vite decUner , etait alors a son apogt^e. Nul ici ne se souvlent d'un cnlliou- (1) Hlon portefeuille , par >,I. Couture. (2) lloedercr , discours prononc6 lors dc I'inslallation de la Cour imperiale dc Cacu , 1811. XC STANCE PLBLIQUE siasme parcll ii celui qui s'attachait aux pas de cet honime. On dit pourtant qu'au milieu de cet enivrement general, une voix osa parler dcs poignants sacrifices que la guerre imposait aux families, des plaintes que le S(5jour des garnisaires arrachait aux populations... Cette voix, c'etait celle deM. Le3Ienuet... L'Empereur, qui n'avait sans doute pas oubli^ le reprdseutant de I'arrondissement de St.-Lo au Conseil des Anciens,irrit6 peut-etre de le retrouver dans le premier president de sa Cour de Caen , tourna sur ses talons par un de ccs mouvements brusques qui lui «5taient familiers et s'eloi- gna sans repondre. Napoleon n'aimait pas les donneurs de conseils , niais il savait , h I'occasion , en profiler. Dfes le lendemain , les habitants furent dclivres des garnisaires. De tristes ev(5nements ne tarderent pas h justifier la \int6 des consciencieuses paroles que M. Le Menuct avaitos^meler au concert de louanges dont I'Empercur 6tait entoure. L'hiver de 1812 avail die mauvais; on s'effrayait , on soufTrait des pr(5paratifs de cette cam- pagne gigantesque dans laquelle I'Empire allait sc perdre ; on murmurait de la cherts des grains. Des murniures on passa aux voies de fait , et le march(5 de Caen devint le theatre de graves desordrcs. . . Le prdfetet le maire accoururent, espcrant sans doute que leur presence suffirait pour calmer les csprits; mais DU 26 NOVEMBRE l84o. XCI leur autorite fut meconnue ; lis furent insulins , frappes peut-etre , obliges enfm de cdder devant la rdvolte. Le prefct se r(5fugia dans I'hCtel du premier president. Je ne sais ce qui ce passa entr'cux; mais ce que tout le raonde sait, c'est qu'a peine quclques minutes s'etaieut ecoulees que M. Le Blenuct, calme et dignc comme il I'etait toujours, sortit dc son hotel, ayant h ses cotes M. Ic prefct... La foule ameutee, quij'l'instant d'avant, vocifcrait, poussait des cris dc mort , se tut a I'aspect de ce noble visage et s'ouvrit pour livrcr passage au couragcux magistrat... Ne vous semble-t-il pas , 3Iessieurs , que je copic , comrae h plaisir, dans le pocte romain , cette grandc image de la sedition s'apaisant devant rhomme de bien? « .... Faces ct saxa volant , furor arma ministral : « Turn, pietate gravem ac mcrilii- si forte iHrtnn qiicr.i 0. Conspcxere , silent arrcctisque aiiribiis adstant (1). » J'aurais voulu , Messieurs , pour qu'il ne manquat rien k ce tableau , que M. Le Meuuet, qui venait de montrcr une fcrmete si salutairc en presence de I'cnieute , eut ^levc la voix quand , quclques jours plus tard , le pouvoir punissait , mais punissait comme frappc la foudre , prompt comme die , inexorable comme clle , aveugle comme elle (2).... II eut cte digne du chef de (1) Virgilii jEncid. lib. 1. (2) Un general , aiilc-dc-caini) dc rEinpcreur , aniva avcc uu XCII SEANCE PIBLIQUE la maglstrature de protester , au nom des droits de la justice , contre cette commission qui vint ici , avec tout I'appareil des armcs , condamner et tuer , en quelques lieures , n'y mettant ni plus de formes ni plus de temps que s'il se fiit agi d'enlever une redoute. Les destinees de TEmpire s'etaient accomplies ; la France vaincue expiait ses victoires. La reaction triompliante, importunee des souvenirs de la revolu- tion , frappait partout et les hommes et les choses. M. LeMenuet etait un des hommes de la revolution; il n'etait pas de ceux qui savent , h certaines heures , Lriser leurs idoles d'autrefois. II cut , Messieurs , et c'est un de ses plus beaux titres au respect des gens de conur , il eut le rare merite de resterfidelCcM'amitie, quand les mauvais jours furent venus pour elle. La fameuse loi de 1816, qui devait etre une loid'amnistie, et qui , sous les haineuses inspirations de la Chambre , ^tait devenue une loi de proscription , frappait h cote de M. Le Menuet uncoUegue , un ancien ami (1)... Son regiment de cavalcrie de la Garde ; une commission mililaire se r6unit au chiUeau et condamna a mort sept ou huit pcrsonnes , pirmi Icsquelles so Irouvaieiit des femmes... Les tontlamn6s furenl executes immediatement et Ton dit qu'il y eut wnatUp , Professeur de Litterature ancienne a la FacuU6 des Leltres de Rennes. Un bon poete estbien malheureux de naitre dansun sieclede mauvaisgout. Meconnu de ses contemporains, il court grand risque d'etre inconnu de la posterite , si la vraic critique , celle qui ne cberche point le plaisir de bhimer , mais qui s'estimc bcurcuse de trouver le beau et le bien pour le comprendre , I'admirer et le monlrer c» lous les yeux , ne vientlc tirer del'obscurit^ qu'il n'apas meritee et le retablir i sa place. Mais trop souvent un jugement injuste se Iransmct de siecle en 4 S€R LES OEUVRES POETIQDES siecle , parce qu'au lieu d'examiner soi-m^'me , on trouve plus court de s"cn rapporler a la renoinmce , A I'opinion re^ue. Qui s'avise d'ouvrir un poele fran^ais aniciieur au siecle de Louis XIV , s'il n a pas ele nomme par Boileau, ou s'il Fa ele avec indifference si La Harpe n'en a pas parle , s'il a fait peu de bruit de son vivant, et a ete oublie ou neglige apres sa mort? Tel a ele le sort de plusieurs bons poetes. Au contraire , un Alain Charlier, par exemple , un mauvais faiseur de vers, se loue lui-meme, se fait louer . devient le poele de la cour , accable ses rivaux de son mepris el passe pour iingdnie :rengoueinenlpourluidevienl idqneMargue- rite d'Ecosse, fenime de Louis XI , lui donne par admi- ration, en presence de la cour, un baisor sur la boucbe pendant son sommeil : sa reputation usurpeelui survit, et , malgre le silence de Boileau , elle se perpelue , pr^cisement parce qu'on cite celte anecdote , et qu'on ne lit pas ses vers , vers assez ennuycux pour le faire oublier i jamais. On parle de Villon , grAce i Boileau , pcut-etre plus que grace A ses vers , dontquelqucs-uns pourlant nieri- teraient bicn d'etre lus , et sont pleins d"une finesse qui fait dcji pressenlir celle de Marot. Mais il n'y a pas long-lemps que Ton connait comme poele le prince Charles d'Orleans, anlerieur a Villon, auquel il est bien sup^rieur sous tousles rapports. La Harpe I'a nomme pour en ciler quelques vers assez peu roniarquables , pour lesqu( Is il secroit oblige de demander grace en faveur de leur anciennete. One ne cilail-il lajolie piece qui commence par ces mots : Tiegnc-toi d'amer qui poiirra ; ou celle qui a pour refrain , Mon cuer qui est DE DESPORTES , DE DERTAL'T , ETC. 5 maitre de nioi ; ou celle dont le refrain est De ces grands biens est ma dame garnie; ou plusieursautres quepcul- etre, il est vrai, ne connaissait-il pas! Nous ne pouvons resister au desir d'en citer une ici. Fait prisoanier k la balaille d'Azincourt,ceprince perdit sa premiere femnie pendant sa captivite en Anglelerre. II raconle dans unc piece allegorique comment il s'en plaignit k la deesse de I'Amour : En la forest d'ennuyeuse tristesse, Un jour m'aduint qu'a part moi chemlnoye; Si renconlray I'amourcuse Udesse , Qui m'appela , demandant oil J'alloyc. Je respondy que par Fortune Ctoye Mts en exil en ce bois , long-temps a, Et qu a bon droit appellor me pouuoye L'homnie esgar^ qui ne scait oil il va. En sousriant , par sa tr^s grant hiimblcsse, Me respondy : Amy , se je scavoye Pourquoi tu es mis en ceste distress? , De mon ponuoir voulontiers t'aideroyc ; Car ja pie^a je mis ton cuer en voye De tout plaisir , ne scay qui Ten osta. Or me desplait qu'a present je te voye L'homme esgar6 qui ne scait oil il va. H61as! dis-je, sonueraine princesse, Mon fait scav6s ; pourquoi vous le diroye ? C'est par la mort, qui fail h lous rudesse. Qui in'a tollu celle que tant aimoye , En.qui eslail tout I'espair que j'avoye. Qui me guydoit, si bien m'accompaigna En son vivant , que point ne me frouuoyo L'hommc osgar^ qui no scait oil il va. 6 SUB LES OEUVRES POfeTIQL'ES ESVOT. Aveugle suis , ne scay on aller dove; De men baston , de peur que ne fouruoye, Je yais tastant mon chcmin ca et Ici ; C'est grant pitie qu'il convienl que je soye L'honime esgar^ qui ne scait ou it Ta. Tonles les beaules de celte piece cliarmante sont dues au talent de Tauteur ; tous les defauts tiennent k son epoque. Voili le poete auquel Alain Cbartier elait prefere par ses conteraporains , et qui depiiis a ele si long-temps inconnu. Et Froissard , conteniporain de Charles d'Orleans , justement estime comme chroni- queur ,et dignede I'etre comme poete ! La Harpe n'en a parle sons aucun rapport. Cependant ses vers faciles et ingenienx , ses poesies souvenl pleines de grSce , ses rondeaux pour la plupart si bien tournes , auraient du seuls lui valoir une reputation superieure i celle de Villon , qui vint apres lui. Clement Marot est generalement connu et apprecie, Les eloges merites que lui ont donnes Boileau et La Harpe nedoivent cependant s'appliquer qiik la moindre partie de ses poesies. II a paye largement son tribut au mauvais gout de son epoque. Une autre renommee bien plus exurbilante que celle d' Alain Chartiep, c'est celle de Ronsard. Un siecle de mauvais gout, ou cependant la litterature est bonoree, a besoin de se creer ainsi une idole dans laquelie il puisse s'admirer lui-mcme. Ronsard s'erapara de ce r6Ie: il se loua , comme Alain Cbartier , sefit loner par sa Pleiade, passade son vivant pour le plus grand poete qui euf jamais exisle , et les etrangers memes prircut DE DE8P0RTES , DE BERTAtT , ETC. 7 part i ce conceit do loiianges qui nous etonne. Roiisard osl du i^elit nonibre des auteurs que La Ilarpe a assez bien juges, parce qu'avant d'en par'er, il a piis d'abord la peine de lire au moins une partie de leurs ceuvfes. II n'a pas connu tout Ronsard j mais cc qu'il en a ignor6 n'est pas beaucoup meilleur que le rcste, Aussi en a-t-il dit j\ peu pr^s tout le bien qu'on en peut dire, lorsqu'il a loue en lui la bonne intention de donner k notre langue plus de noblesse. C'est en vain que de nos jours , pour rehabilUer ce poete depuis long- temps juge, on a cite de lui , non pas les pieces qui font connaitrc sa maniere habituelle , celles sur lesquelles se fondait iiurtout son immense reputation , c'est-a-dire ses vers beroiques el lyrique5,cha; giJisiJe mots grecs et latins, et dans lesquels il s'imaginait imiler Pindare et les autres poetes anciens; mais des sonnets, des madrigaux et d'aulrespelitis pieces galaiites, pour la plupart invitees do I'italien, et presque loutes inferieures k celles que beaucoup d'autrespoetes faibles ont failes dans le mcme genre avant et apreslui. On y trouve de I'esprit presque toujours mal employe , de Tobscurile , deraffcclaliun, du raauvais gout, souvent derind^cente , presque ja- mais de verile ni de sentiment. Entre I'ecoLe de llonsard et Malberbe , La Harpe a aper^u Despartes , dont il a dit un mot en passant , el il a oublie Bertaut , que Boileau a seulement norame pour memoire. II est cependant important de voir la transition de Ronsard i ce Malberbe , qui vient , sui- vant Boileau, reparor a lui seul la langue poetique de notre pays. Que serait-ce si cetto langue etait deji en grand e par lie reparee avant lui par ccsdeux poeles 8 SDR LBS 0EUTRE9 POtXIQUES qu'onoublie? Que serait-ce si Tun d'eux n'avait gu^rc etc surpasse par Malherbe pour la purete de la languc , pour la versification et le style , ct lui etait superieur pour la pens6e et le sentiment ? DESP0RTE9. Philippe Desportes, ne k Chartres, oncledu satirique Regnier, s'etant faitconnailre k lacour par ses poesies, alia passer neufniois en Pologne k la suite d'Henri , frere de Charles IX, elu roi de ce pays en iSyS. Ce prince etajit devenu roi de France en 1574 , Desportes fut en faveur aupres de lui , et fut nomme abbe de Tiron, de Josaphat, des Vaux-de-Cernai , de Bon- Port et d'Aurillac , chanoine de la Sainte-Chapelle , lecteur de la chanibre du Roi et conseiller d'Etat. II mourut k Paris , sous le regne d'Henri IV , en 1606 , la meme annee que naquit le grand Corneille. Ses ceuvres poetiques se composent de 289 sonnets, 3i chansons, 3 odes , 12 pieces en stances, 5 dialogues, 4 epigrarames, 16 complainles , 23 elegies, i5 discours ou cartels, et de plusieurs fragments librement imites de I'Arioste , dont trois tres-etendus : I'un intitule Roland furieux ; I'autre , La mort de. Rodomont et aa descente aux eii/ers ; \e troisieme , Angclique , conti- nuation du sujet de I'Arioste. Quant aux pelites pieces detachees,elles sont distribuees en cinq rccucils, savoir: i". Amours de Diane en deux livresj 2°. Amours d'llip- polytej 3°, Recueilde 17 elegies, suivies d'un discours en vers ; ^°. Melanges ; 5". Pieces chreticnncs. Toutes les DE DBSPORTES , DE BERTALT , ETC. 9 poesies des trois premiers recueils et la plupart de cellos du quatrieme roulent sur Tamour ou pliU6t sur la ga- lanterie. Les Amours de Diane et d'HippoIyte sont des recueils dans le genre des Amours de Cassandre , de Marie , d'Astree , d'Helene , etc. , par Ronsard , quoique d'un peu meilleur gout, ce qui n'est pas beau- coup dire. Desportes a ete nomnie le TibuUe Francais pour deuxqualites qu'il possede ; mais qui n'auraient pas du suffire pour lui valoir un si beau surnom , la douceur et la facilite de ses vers. II a rendu un impor- tant service i la langue , en no suivant point la fausse voie qu'avait ouverte Ronsard pour le style des sujets eleves. II n'a iniite dans Ronsard que le style des poe- sies galantes , en le rendant un peu plus naturel. Mais dans cette imitation, il n'a pas eu besoin , comme le jjrctendLallarpc, d'effacer la rouille iniprimee anotre versification , eu la tirant du chaos ou I'avait plongee I'ecole de Ronsard. La Harpe aurait du savoir que les ojuvres de Joachim Dubellay , I'un des sept poetes de la Pleiade , contiennent , dans la seconde partie , dans celle qti'il composa apres avoir secoue le joug de Tecole affeclee de Petrarquecl de I'ecole p^danle de Ronsard, de charmantes poesies legeres , enjoueos et souvent satiriques, dont le style , s'il etait moins incorrect , ressemblerait assez a celui de Desportes dans les pieces du meme genre. II aurait du savoir que Ronsard lui- nieme a eu , suivant les sujets , deux styles tout diffe-" rents , quoique mauvais tous deux , et qu'il a reserve ses grands mots forges a la grecque , uniquenient pour les poesies ou il a voulu ctrc sublime. Des[tortes . qui n'a pas eu cclte pretention , n'en a pas fait usage , lO SIR LES OELVUES POETIQUES cxcople dans un scul vers , ou il dit que les eniicuiis fuyaient devaiU Roland furieux , comme dedans la plaine Fuit au-devanl du loup le mouton parte la inc. Desportes a observe ordinairement le melange des rimes masculines ol feminines , qui avail doji com- mence i prevaloir depuis Octavien do Saint-Gelais ; cependant il a fait quelques pieces ou toutes les rimes sent feminines , d'autres oii toutes les rimes sont mas- culines , d'uutres ou , par le croisement des rimes , deux rimes feminines differenles se rencontrent dans deux vers consecutifs. 11 a evile avec soiu Tenjanibe- ment; mais, quoi qu'en disc La llarpe, Y hiatus se Irouve encore souvent dans ses vers. Du reste la coupe en est assez lieureuse ; sa phrase pootique est ordinairement Larmonieuse et assez bien tournee , et ses inversions sont raremenl forcees. Get auteur a depense une grande finesse d'esprit i combiner des mots et des sons ; il a donn6 beaucoup de souplesse k un instrument dont d'autres apres lui ont su mieux ee servir. La Harpe a raison de dire en general que Desportes est faible d'idees et de style. C'est un de ces auleurs qui babillent avec une facilile desesperanle , precisement parce (ju'ils n'ont rie« i dire. Sous le rapport de la decence , Desportes a ete en general plus reserve que Marot , quil a imite dans ses meilleures pieces. II n'a guere pousse I'lndecence jusqu'i I'obscenite que dans une pi(^ce intilulee De la chasse. Mais I'affeterie italienne portee a I'exces . les DE DESPORTES , DE BERTAVT , ETC. 1 i jeiix (l'cs])rit , les jeux de mots , Ics concetti , les anti- Ihcsos ridicules , voili ce que Ton trouve , au lieu dc pensees et desentiniculs , dans toule la paiiic de s's opuvresoii il a iniile Ronsard. Ses Irop nombreux son- nets, dont les meilleurs ne sont que passables, faligucnt tellenient par leur soporifique uniforniite , qu'on est heuroux de rencontier §a et Itk pour se recreer quelques vers extravagantSjComnie ces vers d'uu sonnet spirituel • Seigneur, d'un'de tes clous je veuxfaire ma plume , Hon encre de ton sang , man papier de la croix , etc. Ou comnje ces vers d'une pi^ce galante : raniour , dit I'auteur , Iroubla men esprit , et fit De mon occur son fnurncau , ses charbons de mts veines , nies poumons ses soufflets , de mes yeux sesfontaines , Qui tans jamais larir coulenl incessamment , etc. Voyez aussi les syllogismes rimes de la 4"- elegie. II faut dire pourtant que de pareilles absurdites sont rares dans les oeuvres dc Desporles , ou il se trouve beaucoup de vers dont la faiblesse et la monotonie sont presque les seuls defauts. Quand il a eu de bonnes idees A exprimer , il V& fait quelquefois avoc bonheur. Ainsi dans son chant (famour, on trouve quelques vers assez beaux ouil imit e un passage du Banquet de Platon. Dc meme, il y a de beaux passages dans ses imitations de I'Arioste , et on reconnaitaisementtileur faiblesse ceux ou il quitte son niodele pour in\ enter lui-meme. 11 a meme assez bien reussi dans le genre Doblc et elcve en 12 sun LES OEL'VUES POETIQUES paiaphrasani iin psaumc. Voici les deux premieres strophes de cette paraphrase : Dilivre-moi , Seigneur, de la mort eternelle, Et regarde on pitie mon hme criminclle, Languissante , 6tonnee, el Iremblantcd'clTroy: Cache-la sous Ion aile au jour 6pouvanlabIo, Quand la lerreet Ics cieux s'eiifuiront devanl toy, En le voyantsi grand,. si saincl, si rcdoutable. Au jour ou tu viendras , en la majesty saincte , Pour juger ce grand tout , qui fr(5mira de crainte, te reduisant en rien par tes feux allumez: 0 jour , jour plein d'horreur , plein d'ire et de misires , De cris , d'ennuis , de plaints , de soupirs enflammei , De grincemenls de dents et de larnaes am^res I Desportes a fait quelquefois allusion aux malheurs des guerres civiles , et il a trouve sur ce sujet quelques vers plus energiques qu'on ne s'y attendrait d'apr6s le ton ordinaire de ses poesies : Durant le temps piieux que la France embras<5e Tournoit le far centre elle, en deux parts divisde ; Voyanlen tant de lieux ses champs ensanglantez Du sang de ses enfants meurtris (1) de tous costez ; Voyant estinceler tant de luisantcs armes , Les deux camps opposez , tant d'assauts , tant d'allarmes ; Voyant mes compagnons moiirir devanl racs yeux , EsmaUlanl de leur sang un lombeau glorieux , J'attendois d'heure en heure une mort asseur^e, Et voir de mille coups ma poitrine honoree ; J'attendois la prison , et lesautres hazards , Ordinaire loyer des serviteurs de Mars ; Mais le ciel rigoureus me r^serva la vie, etc. El^gie 8'. (i) Meurtrir — tuer. DE DESPOBTES , DE DERTAUT , ETC. l3 SONNRT A LA FRANCE. Du sommcil qui tc dost Ics yeux et la pens6e , Sus ! r6veille-toi , France , en celte extr6mit6 : Voy le cici contre toy par toy-m^me irril6 , Et regarde en piti6 comme tu I'es blessde. C'est assez contre toi ta vengeance exercee , C'est assez en ton sang Ion bras ensanglant^ ; El quant ton coeur felon n'en serait contents , Pourtantde t'affoler{i) lu dois estre lassde. Toy qui fus autrefois TelTroy de I'estranger , Or (2) tu es sa ris(5e , et soumise au danger, Tanitis que tu deiiens a toi meme cruelle. Qu'il sorte pour domler ton coeur em'tnime Et face comme on voit un grand loup affamd , Qui de tout un troupeau sdpare la querelle ! Ce sonnet vaut mieuxquetous Ics sonnelsdes Amours de Diane el d'Hippolyle. Dans un genre plus simple, on pent citer deDesportcs une ode au sommeil , elegamment vorsifice , et une chanson en t6 couplets sur les charmos do la vie cliam- petre, assez belle, quoique bien inferieurc aux celi-bres stances de Racan. On y trouve ce joli couplet vraiment parfait dans son genre : Que de plaisir de voir deux colombellcs Bee contre bee, en tremoussant des ailes, Mille baisers se donncr tour a tour ! Puis , lout ravi de Icur grAcc naive , Porniir au frais d'une source d'cau vlvc, Dont le doux bruit semblc parler U'amour ! (i) AffolcT — Corruinpi-« , dctruiio. (?) Or — maintc-naut. I^ SIR LES OEtvnES POETIQUES Sur le mi-me sujel on pent enooro ciler avcc cloge un (liscojirs adresse par Desportes k des amis qui vivent A la com\ Aucune de sespoesiesn exprimeun sentiment tendrc et profond ; mais quelqnes-unes sont assez gracieuses. Tels sont les sonnels 23^ et 6l^ du premier livre des Amours de Diane , le 49" sonnet du second livre , et le sons;e insere dans cc meme livre. Telle est aussi unc jolie complainte dontle refrain est Ht^las / douce riviere, ou estmon chcr Philandre? Nous en cilerons la premiere strophe , surtout pour y faire remarquer un rhythme heureux et varie , ou il est fAcheux que les rimes masculines et feminines ne soient pas melangees regulieremenl : Chcrchcz , mes Irislcs ycux , cherchez de lous costei , Vous ne troiiverez point ce que vous soiihaitez , Vous ne verrcz plus ricn qui vous soil agreable! Et vous , riches tresors du piintcmiis d(^.sirable , 0 prcz , tesmoings secrets de mon contcntemcnt , Oii, plcinc de desir, j'altcndoy mon amanf , Accusant (judquefoissa troplongue demcure, Las ! portez le regret de son esloignement, Et pleigncz de piti6 la douleur que j'endure ! Ce fust ici qu'il me dist sa pens^e, Dont je feigny me sentir olTens6e , L'appclant tcm^rairc; Mais ma feinte colere , Voyant scs pleurs, fust bien soudain pass(?e. Car cussi5-je voulu contre Amour me defendre ? Helas ! douce riviere , ou est mon chcr Philandre ? II y a plusd'esprit que de bon goiH dans les trois pieces inlitulees Le proccs d' Amour au siege de la Rai- DE DESPOHTES , DE BERTAIT, ETC. l5 son . Le tomhcau d' Amour , cl Le cnricl sur la mort fie I' Amour. Dan?, rcUe dornioro piece , on trouvcune romparaisnn saliriqiic de ramour veiifable dc I'j^ge d'or avec le faux amour qui dcpuis a usurpe sa place. Celte meiiie comparaison estmieux developpee dans les cent premiers vers de la y"". elegie. II y a de I'esprit aussi dans la protestation d'amour , dont le refrain est, avec quelques changenients,/^MSwa'o«5 nele croyezpas; dans ses stances contre le mariage , qui sont une satire contre les femmes , et dans beaucoup d'autres petites pieces , qui malheureusement pour la plupart sont loin d'etre irreprochables sous le rapport du gout. Mais lo chef-d'ojuvrc de Desportes , dans le genre sat irique , ce sont ses Adieux a la Pologne. H parait que le poele ne s'y etait pas tronve mieux que le roi. Le resscnli- nient d'un homme qui s'est beaucoup ennuye parle dans ces vers bien tournes et assez energiques : Adieu, Pologne, adieu, plaincs dcserles, Toujours do neigc ou de glare couvcrtes! Adieu , pait d'uri cUrriel ailitu (1) ! Ton air, tcs moeurs ni'onl si fortsceu desplairc, Qu'il faudra bien que lout me soil contraire, Si jamais plus jc retourne en ce lieu. Adieu , maisons d'admirable structure, I'oislcs, adieu, qui dans vosire cioslure Mille animaux peslc-m61e cntasscz, Filles , garrons , veaux et bceufs tout ensemble I Un tel mesnage i I'Age d'or ressemble , Tant regrctt^ par les sicclcs passez. (i) C'est-A (lire ou il failt >lirc a6e«, Dn laid . des pavots noirs aux testes couronnto : Veuille les ailerons en ce lieu desployer . Tant qu'Alizon la vieillc accroupke au foyer. Qui d un pouce retors , el dune deni mouiilte, Sa quenouille chargee a quasi depouiU6e , Laisse cheoir le fuzeau , cesse dc babiller , El de tonte la suit ne se puisse esveiller, Afin qu'a mon plaisir j'euibrasse ma rebelle , L'amoureuse Tsabeau . qui soupirc aupres d'elle. Nous poumons citer encore dans ce mcme genre qui est vraiment celui de Lesporles , comme celui t Marot , une autre cpigramme non moins jolie , et la tbanson qui commence par ce vers : Quand vous aurtz un ccernr plcin d'amoinet de fo^ . quelques sonnets tire* DE^DESPORTES , DE BERTAIT , ETC. '9 dps Meslangcs , et quelques autres petites pieces : mais elles ont moins de merite que les precedentes , et nous croyons avoir fait connaitre suffisamment ce quil v a de bon dans Desportes , poele spirituel . ingenieus , qui a fait un certain nombre de jolis vers , quand il a pris le ton qui lui convient , mais qui a fait beaucoup de poe- sies ennuyeuses et pleines d'lme affectation puerile , quand il a voulu prendre le ton faux de la galanterie , et qui , nial(;re ses defauts , a rendu un important ser- vice a la poesie franc^aise, en la ramenant des traces de Ronsard sur celles de Marot. DE QUELQUES POETES DE LA MEME EPOQUE. Enlre Ronsard et Desportes, mais bien au-dessous de tous deux , se place le poete Iragique Garnier , qui fut leur contemporain. Robert Garnier , ne a La Fertc- Bernard, conseillerdu roi, lieutenant-general criminel an siege presidial et senechaussee du Maine , nous a laisse un recueilde tragedies, qui seraicnt bien courles, si Ton en retranchait les monologues el les declamations de tout genre. C'est un amalgame bizarre de traduc- tions de Seneque le tragique , et plus rarement d'Eschj'le, de Sophode et d'Euripide, puisde Pindare, d'Horace , d'Ovide , des psaumes , etc. : el dans quel slyle ! Quelquefois c'est le style barbare de Ronsard avec les nicmes pretentions au sublime, mais avec plus de platitude , avec les mots bizarrement forges , les mots grecs et latins , mais pourtant avec un peu plus de reserve dans leur emploi. Quelquefois, au contraire. c'est un slylp prcsque fran^ais , mais lourd , trainanl , 2() SUR LES OEUVRES PUETIQDES etqui ne so distingue de la prose la plus triviale que par la rimeet la gone de la versification. Mieux valait encore le style extravagant du poele tragique Jodelle, disciple plus fidele de Ronsard , et par consequent jilus admire du maitrc. Ronsard declare que Jodelle et Gamier sont tons deux admirables, mais qu'en jugeant le proces de ces deux rivaux , S'il faut cspeluchcr de pres Le vieil artiGce des Grecs , Les vcrtus d'un oeuvrc el Ics vices, Le siijct el Ic parlor haul , Et les mots bien cboisis, il fiiul Que Garnicr paye les espices. Plus loin , A propos des ceuvres de Racan , nous auron« Toccasion de citer un exemple de ce parler haiu et de ces mots bien choisis, trop rares , an jugement de Ronsard , dans les ceuvres de Garnier. Ce parler haut nous semblera bien bas aupres de la noble simplicile de Racan. Laissons li I'ecolede Ronsard et sa tentative, louable en elle-meme ;, mais tres-malheurcuse , pour doniier k notre langue poetique I'elevation qui convient aux grands sujets. Disons qnelques mots d'un poete con- temporain et disciple de Desportes , Vauquelin de La Fresnaie, n^ k Falaise, et qui fut j)resident an bailliage de Caen. Nous avons delui un grand nonibre de poesies pastorales intitulees Forestcrics , des vers satiriques , des poesies legi^res, des sonnets, des chansons, des epi- grammes , etc. , pour la plupart d'un genre beaucoup trop licencieux. II avail compost un poeme epiquc sur DE DESPORTES , DE BEHTAUT , ETC. 2! David. Ce poeine , qui n'a jamais vu le jour , aurait ete dcril dans un style tres-inferieur au sujet , A en juger par les cinquante premiers vers que Vauquelin cite dans le meilleur de scs ouvrages , dans son Art poetique , compose par ordre du roi Henri III. Le style de Vau- quelin est trop diffus , peu elegant , et manque de noblesse lA ou cette quality serait necessaire ; mais en general il est correct, facile et ingenieux, commc celui do Desportes, qu'il vante beaucoup et qu'il prend evidem- ment pour modele. Commelui, Vauquelin s'estpermis V/iiatus : A cela pri's, sa versiGcation est assez reguliere, surtout dans cet Art po^lique , oil d'ailleurs il niontre assez de bon sens et de gout , et des connaissances Ir^s- vari6es. II paraphrase ordinairement I'Art po6tique d'llorace , non sans y ajouter des observations justcs qui ne manquent pas de finesse. Mais il profcssc trop d'admiration pour les genres de poesie en vogue A son epoque , el surlout pour I'^cole de Ronsard , k laquelle cependant il n'appartient pas : il emprunte menie A son devancier Ronsard quelques faux prin- cipes bien differents de ceux d'llorace. L'histoire de la poesie franijaise , disseminee dans le poeme de Vauque- lin , est loin d'etre sans interet , et continue d en faire pardonner la marcbe languissante et le style sou vent bien faiblc. L'ouvrage entier, avec ses defauls, nelaisse pas d'etre remarquable pour cette epoque. Boileau en a quelqucfois profile , sans le uommer jamais. Voici les derniers vers de I'Art poelique de Vaucpielin de La Fresnaie. lis sonl du nombre des meilleurs , et peuvent doni:er une idee de son style , certainemcnt inferieur a celui de Desportes : 22 SUR LES OEUVRES POETIQIIES Je coinposoy eel ^rt pour donner am Francois, Quand vous, Sire, quittant le parler Polonnois, Voulutcs , reposant dessous le bel ombrage De vos UunftTSgaignes, polir vostre langage , Ouir parler des vers parmi le dous loisir De CPS cloestres d(?vols , oil vous prenez plaisir ; Ayant aupres de vous , comnie Auguste un M^coene , Jojeusc, qui sfavant des Virgiles vous m6ne , Des Horaces, un Varc, un Desportesqui I'alt Composant netlenient , cet Art quasi parfait. Depuis un chant plus haul j'entrepris tout celeste , Alors que Mars arm6 du dernier manifesle Me rabaissa la voix. Je demeuray soudain Commc dans la for fois; El, nouvel astre de la guerre ,. Joindra la rose d'Anglctcrre, A«x tiges des bcaui tjs riaii?ois. 2.1 SUR LES OEUVRES I'OETIQL'ES II ne se rencontre pas d''Uialus dans les vers qu'on vient de lire ; mais en general il y en a autant dans les vers de De la Roque que dans ceux de Desporles. On en (rouve de mcme beaiicoup dans Le grand iniroir du nionde , sorte de poeme encyclopedique , ecrit en un style assez barbare , par Joseph Duchesne , sieur de La Violette , medecin ordinaire du roi Henri IV. Pour les mots bizarrement forges , Duchesne est encore de Tecole de Ronsard. Nous dironsici quelques mots d'unpoete plus reniar* quable , qui pourtant est connu surtout comme prosa- leur. Theodore Agrippa d'Aubigne , aieul de M"". de Maintenon , naquit en Saintonge en i55o. Protestant, flls d'un des conspiraleurs d'Amboise , il prit une part tres-active aux guenes de religion, il sebattit toujours pour Henri IV, et necessa d'en medire , de le caloni- nier meme ; il se relira A Geneve en 1628 , et y mourut en i63i. Ecrivain attachant,passionne,pleinde verve, de finesse , et souvent d'eloquence , dans scs 3Jemoires, ou il a donne libre cours a son esprit , A sa jactance et k ses caprices j lourd et ennuyeux dans son Hisloire universelle des evenements de son temps , oia il a voulu 6tre grave et serieux, et dont on ne peut lire avec plai- sir que la preyizcc ; pamphletaire mordant et grossier dans la Confession de Sancy , beaucoup trop vantee ; excellent satirique dans le baron de Feneste , autre pamphlet bien plus ingenieux , dont malheureusement une parlie est en patois gascon ; d'Aubigne a egalcmcnt r6ussi dans le genre qui lui convient , c'est-a-dire dans la satire. II a voulu otre poete tragiquc , coninic il a voulu C'trc grave bistoricn : sa Iragedic de Circe ne ETC. 25 vautpasiiiieux que son Ilisloireiiniverselle, Ses poesies legeres et ses vers d' amour se font remarquer par une grande facilite et quelques traits heureux : ce soiit de vrais impromptus. Mais il y a uii merile reel dans une parlie du recueil intitule T'l-agirjucs , et de ses autres poesies satiriques. L'esprit et la verve , la vivacite de ses descriptions comiques et de ses mordanles tirades font pardonner les negligences de tout genre , les hiatus frequents , lesfautes de versification et de style. Rien de plus pittoresque que ses portraits de Calhcrine de Medicis , de Charles IX , et surlout d'llenri III. II n'a pas menage non plus Henri IV : on en peut juger par ce sonnet , qu'il fit graver lui-mcrae sur le collier d'un cliien abandonne par le roi : Le lidcle Ciiron , qui couchoit autrefois Sur voire lit saer6, couche ores sur la dure. C'est ce Gdele cliien , qui apprit de nature A faire des amis et des (raitres le choix. C'est lui qui les brigands cffrajoitde sa voix , Des dents les assassins. D'oii vient done qu'il endure La faiin, le froid, les coups, les dcdains et I'injure? Payement coulumier du service des rois! Sa fierle, sa beaut6, sa jeunesse agr(5able, Le fit cherir de vous ; mais il fut redoutable A YDS fiers ennemis , pour sa dexterity. Courtisansquijelezvos dedaigncuscs vues Sur ce chien delaiss6, mort de faini paries rues, Attendez ce loyer de la fidelil(5. « Ce chien , ajoute-l-il dans ses Memoires , fut des le lendemain mene au roi , comme il passait par Agen, lequel changea de coulour el en resta confus. » Suivant d'Auhigne , Henri IV rcconipcnsail les of- fenses et punissuil leg service!-. 26 SLR LES OEl'VnES POKTIQUES A cette epoque f<^conde en paniphlels fut coinposoe la satire Menipp^e , ing^nieux libelle en assez bonne prose mel^e de quelques mauvais vers. Mais c'est une fo: I jolie pi^ce de vers , malgre bien des negligences de versification et des defauts de style , que le Regret fu- nchre sur le trepas de I'dne Ugueitr , imprime a la suite de la satire Menippee. Dans les oeuvresde Desportes et de quelques-uns des autres poetes dont nous venons do parler , nous avons signale plusieurs qualites tres-estimables. Mais aucun n'a trouv6 le ton de la haute poesie ; aucun n'a eu une versification parfaitement reguliere. Malherbe est le premier , dit-on , qui sur ces deux points mi^rite d'etre proclame le devancier des grands pontes du siecle de Louis XIV. Voyoivs si avant lui Bertaut n'aurait pas acquis quelques droits a cet honneur. behtaut. Jean Bertaut naquit k Caen vers le milieu du sei- ziime siecle. II (levint premier aum6nier de la r.eine Catherine de Medicis , merede Charles IX, lecteur dllenri III, eveque de Seez et abbe d'Aunay. H mou- rul en 1611 , apriis avoir contribue i la conversion d'Henri IV. Ses CBuvres po6tiquesse composent detrois recueils. Le premier contient des cantiques imites des psaumes, et appliques presque tous i Henri 111 ou i Henri IV , et aux destinees de la France , des discours , des son- nets sur les eveneracntspolitiques, des epitresadressees a de grands personnages , des discours funcbros , des DE DESPOUTES , DE BEUTALT , ETC. 57 coniplaiiites , des epilapbes , uii po^mc inlitiile Timandre sur une Iragiqiie a^'enlure , et la traduction du second livre de TEneide. Le second recueil est inti- tule Rccueil de quelques vers amoureux. Le frere de I'auteur, daus une preface , declare qu'il acu bien de la peine a arracher i son frere la permission de le faire imprimer, et qu'il n'y a reussi qu'en luicitant souvent le proverbe : Marie tafiUe ou elle se niariera. En effet , les libraires pubUaient , sans la permission de Bertaut, dans de mauvais recueils , des copies fautives de ses poesies inedites. L'amour paternel du pocte ne put endurer cet affront fait a ces enfants de sa jeunesse : il livra le manuscrit k son frere , qui le fit imprimer sur-le- champ, de peur de quelque remords. Lc lecteur doit de la reconnaissance au frere du pocte ; car ce recueil contient plusieu; s cbarmanles pieces de vers. Jedois ajouter qu'on y trouve vers la fin un assez long poenie intitule Panaritc , froide allegorie sur la nais- sauce du daupbin , fils d'Henri IV , qui fut plus tard Louis XIII ; et une serie depeliles pieces allegoriques pour des ballets , niascarades , telles qu'il y en a dans Desportes , dans Malherbe , dans Racan , et dans lous les poetes de cotte epoque. Le troisienie recueil con- tient uu petit nonibre de poesies du memo gem-e que celles du second , mais publiees seulenient apres la mort de I'auteur. Dans son Discours sicr le trcpas de Monsieur de Rori' sard , oil les eloges sonl presque aussi prodigues que dans I'oraison funrbrc de ce poete pronoucee par le cardinal Duperron , alors evequc d'Evi eux , Bertaut nous apprcud que , des I'i^gc de seize ans , la lecture 28 SUR LES OEUVnES POfillQlES dv's vers de Ronsard lui inspira le desir et I'espoir de marLber sur scs traces , que plus taid il eludia les beaux vers de Desportes , plus faciles A imiter , et que ce furent la ses deux modeles. Mais la traduction du second livre de I'Eneide prouve assez qu'il avail etudi6 les anciens, et ses ojuvres sonl lA pour allester que , malgre son admiration pour le grand Ronsard , il I'a heureusement fort pen imite. L'etude de Desportes au conlraire a du lui etre tres-utile pour acquerir cetle facilite et cette souplesse qu'on remarque dans son style, et pour perfectionner la versiGcation. Sous ce rappoit, il afait encore un progres bien marque sur son modele. De tous les poetes fran^ais que nous connais- sons , Bertaut est le premier qui ait observe constam- ment toutes les regies de la versification , tandis qu'il y en avait deux que Desportes , son contemporain , mort cinq ans avant lui , violait assez souvent. Seule- ment dans les vers de Bertaut , comme dans ceux de Malberbe , deux syllabes que nous separons mainte- nant n'en formentqu'une dans un petit nombre de mots, comma nieurtrkr , ouvrier , qu'ils emploient pour deux syllabes seulement. II y a moins d'expressions vieilies ou devenues Iriviales dans Bertaut que dans Desportes : il n'y en a pas beaucoup plus que dans Malberbe , a considerer I'ensemble (!es poesies de ces deux auteurs. La phrase de Bertaut est claire , exacte , reguliere. 11 s'y trouve rarcment des inversions forcees ; dans quel- ques beaux passages , c'est deja la langue poetique du grand siecle. La traduction du second livre de I'Eneide par Ber- taut est generalemcnt faible. Son poeme de Timaudre DE DESPORTES . DE DERTATIT , ETC. ig est line fiction romanesqueetnierveilleuse , longuement racnntee et de peu d'inteief. Cc genre 6tait lellenient a la mode . que Racan a pris le trait principal du Timandre pour en faire un des principaux ressorls deson dranie pastoral. L'clogc de Ronsard par Bertaul est nne longne allegoric pleine de declamations. La complainte sur la mort de Lysis presenle Ic menie caractere : c'est 1' oraison funebre d'un homme de guerre , faite en vers par Bertaut , pour complaire k un puissant ami du mort , qu'il iutroduit dans cetfe piece sous le nom de Daphnis. Beaucoup des discours en vers de Bertaut , de ses epitres , de ses eloges , de ses epitaphes , etc. , pieces de circonstances , sont sans interet pour nous et no sont que de la prose rinice. Cette grande quantite de vers faibles a sans doute nut k sa reputation. II faut de la patience pour decouvrir dans ses oeuvres des morceaux dignes d'etre admires. Beaucoup de ses pieces amoureuses ne sont que des jeux d'esprit 5 la maniere de Dcsportes. On ti ouvc dans une partie de ses ceuvres , cependant moins souvent que dans celles de Desportes , lesjcux de mots, les antitheses, lesconqjaraisoiis et les hyperboles affcctees. Mais qu'on retranche toutes ces productions sans me- rite : il reste de quoi former un petit volume digne d"un bon poete. C'est dans cette parlie vraiment poetique des oeuvres de Bertaut qu'il faut surtout I'etudier pour le connaitre et le juger. Son defaut le plus habituel , menie dans ses bonnes pieces , c'est d'affaiblir une pensee en voulant trop la developper. Aussi dans nos citations nous retrancherons souvent des passages languissants et inutiles. Ue meme, son style se fait plus 3o SIB LES OELVBES POETIQUES rcniarquor par une abondante facilite que par la con- cision. Mais Beiiaut a souvcnl do belles et nobles penseeSjqu'il exprime d'une maniere naturelle, simple, eloqiientc. H s'elevesans effort, descend avecsouplesse et se joue avcc gnlce. Mais ce qui le distingue surtout, cVst ce qui manque a Malbcr])e , c'est une scnsibilite vraie et profonde, qui donne A ses vers tani de cbarmesj c'est le langage de T^me qui va droit A TAme , celte douceur , cette bienveillance communicative , qui , en faisant aimer Thomme , fait qu'on prend plus de plaisir d admirer le poete. Peut-etre ne convenait-il pas A un eveque de publier dos poesies amoureuses ; mais du moins cellcs de Bertaut ne sont point licencieuses : elles expriment le sentiment et non la volupt^ , elles s'adrcssent a T^me et non pas aux sens ; elles respirent meme Tamour de la vertu , de la beaute morale. Seu- lement le poete s'est dit comme Virgile : Gratior cf pukhro venicns in corpore virlus 1 Mais il ne s'cslpoint complu dans la description,mcme decente, de la beauts phjsique. Les poesies erotiques de ses contemporains ne sont pour la plupart du temps que des jeux d'c sprit sans expression , ou bien n'expri- ment que le delire des sens. Bertaut, au contraire, aete spirifualisle par sentiment , sinon par systeme , et c'est ]k en partie tequi fail sa superiorile. Les citations ne nous manqiicronl pas pour justifier cet eloge. Voici les premieres strophes d'une defense de I'amour atlaque par Desportes. Le poete y montre que I'Amour est par lui-meme un sentiment pur, mais qui peut seulement se Iromper d'objet, ot alorsdevenir funeste et coiq)abic. DB DESPORTES , DE BERTAl'T , ETC. Si On nc sc souvient que du mal, L'ingralllufJe r^gne au monde: L'injurc se grave en mi^tal , Et le bienraits'escrit sur I'ondc. Amour en serl de fircuve nux sicns, Luy qui joint la peine aux d(?lices : Ceux que plus il romble de bicns N'en c6lebrent que les malices. II porte un flambeau dans sa main , Pour en ^clairer a noire 4me , El nous , d'un jugement peu sain , 1 Nous aliens brusler i sa flamme. II presle a noire entcndemenl , Pour volcr au ciel , ses deux ailcs : Nous les engluons follemenl Dedans les vanil(?s morlelles. Ainsi du plumage qu'il eut , Icare pervertit I'usage : II le recut pour son salut , 11 s'en servitpourson dommage. Etc. II y a encore un sentiment elev6 et pur dans ces stances un peu entachees d'affectation : Mon ame est de vos laqs si doucement press^e , Qu'il n'est point de tourment que je n'y Irouve doui ; El ne m'estime heureux que lorsque ma pensde Me ravit hors de moi , pour aller vivre en vous. Aussi la beauld m^'me en vous seule resserre , Pour la gloirc d'Amour , les d^lices des Dieux : Mon ame vil en moi , comme Ton vit en terre, Mais elle vit en vous comme Ton vil is cieux. 32 SUB LES OEUVEES POETIQCES A qui doy-je plustost consacrcr mon service Qu'a re divin esprit de graces rcv<5lu , DonI le servage apprend a maistriscr Ic vice, Et qu'on ne pcut aimer qu'en aimaiit la vertu ? Nous citcrons encore celtc stance d'une autre piece : Nul aussi n'cust jamais I'heur de sa cognoissance. Qui volonlairemeril ne s'en soitveucliarmer, Et qui n'ait en I'aimant senty la repentance De n'avoir pas plus tost commence' de Taimer. Que de douceur , que d'harmonie , que de charmes dans ces beaux vers d'une elegie ! On dit qu'en Idumec, ejconfinsde Syrie, Oil bien souvenl la palme au palmier se marie , II scmble , a rcgarder ces arbrcs bienhcureux , Qu'ils vivont animez d'un esprit anioiireux ; Car le male , courb^ vers sa chere femclle, Itlonstre de rcssentir le bien d'estre aupr6s d'elle : EUe fait le seinblable , et pour s'enlr'embrasscr On les voit leurs rameaux I'un vers I'autre avancer. Decesembrassements leurs branches reverdissent, Le cicl y prend plaisir, les astres les b6nissent, Et I'haleine des vents soupirants a I'entour Loue en son doux murmure une si sainte amour. Que si rimpi<5t6dcquelque main barbare Par le tranchant du ferce beau couple separe , Ou Iransplante autre \\htI\c\\ts. tiges desolez, Les rendant pour jamais I'un de I'autre exilez : Jaunissanl de I'cnnuy que chacun d'eux endure, lis font mourir le teint de leur belle verdure, Out en haine la vie , et pour Icur aliment N'altirent plus I'humeur du terreslrei^li^ment. Si vous m'aimiez, helas! autantque je vous ayme, Quand nous sorlons absents, nous en fcrions de mf'me ! DE DESPORTES, DE BEUTAUT , ETC. 33 Cette coniparaison avail deji et6 exprinn^e avec une heureuse siniplicile dans le lai du Chevrefoil, par Marie de France , poete franrais du iZ". siecle. Elle a ele developpee avec une admirable poesie dans I'elegie de Goethe , inlitulee Amyntas. Que de sentiment el de tendresse dans cos stances pastorales , ou pourtant il y a trop d' antitheses ! Quoi ! lu vis , Coridon , loin des douces lumieres , Sans qui tii le jurois nc pouvoir vivre un jour. Ah ! bergcr pcu constant dans les flammes premieres , Ta vie el ton absence accusent ton amour. Tu pcux bien , si tu vcux , sans que rien (e retienne , Revcnir voir les yeux tant baisez en partanl : Que le copur seulemenl le premier y revienne , Le corps soudainemenl s'en verra faire autant. Car que puis-je estimer d'«n quiperd ma presence Sans contrainle ou regret par effect tcsmoign6 , Sinon qu'estanl absent m^medevant I'absence, Le coeur premier que I'oeil s'en estoit estoigne? Te d^peindre accabl6 d'affaires (^ternelles, C'est me faire penser qu'Amour t'a d^laiss^ ; Car I'Amour ne scauroit compatir avec elles: 11 en chasse le soin , ou bien en est cha5s6. Cependantquel soucy tient ton esprit en peine. Qui puisse juslement empeschcr ton retour? Est-il quelque pensec ou quelquo alTaire humaine Qu'il faille qu'un amant pr(5f^re a son amour? Non , do quelquo raison dont entin Hi m'abuscs , 3 ->4 SX:u LUs OELVRES fO L TIQl'liS Til nc |)cux c\r.iisor cv vain osloignpmpnl; ( ar sculcmcnt cetn , d'allegucr Acs pxcuscs , C'esl convaincrc Ion coeur dc m'aimer froidcmcnt, Mais pourquoi m'abysm^-jc en ma philosopliic , Mes proprcs arguments nuisants h lenranlheur? HcMas ! pins je raisonne , rt plus je vc^iifie Ce que jc vouJrais bicn Irouver faux elmentcur. Non , Coridon , j'ai tort: fa flammp purp pl sainle N'a point csteint I'ardeur dont lu soulois bruslpr: Non , lu Ri'aimcs foujours Pl sans fraude Pl sans fainip ; Mais pput-eslrp ii le plaistdc le dissimulpr. II PSt vray que ton frpur Irop bipn Ic dissimiile \, Pour un vraymenl ^pris d'un vif pmhrnsriiipiil ; El jp n'cusse pas cru , quoiqup je sois ciTdiiip, Qu'on se peusl tant forcer, quand on aimp nrdpinment. Aussi scns-je apres lout ce bicn-lh mp d(?plairc , Et fairc que ma plainip en larmes se r(5soul: Car quand on faint si bien que I'on n'aiinp plus guere , II nc s'en faul qu'un peu qu'on n'aime plus du tout. 11 n'y a pasmoins de sonfimenlavcopliis d'elevation tlans ces vers d'une elegie : Pourquoi, soulTlant I'ardeur dp ma flammc inscnse'e, M'asseuras-lu jamais que yes/ois ta pensee , Et que la seule amour bruslant trop vivement Ne nous permetloit point d'aymer 6galpmpnt? Si tu ne m'aymois point , que tc servoit la fainte , Dont tu trompois I'espoir d'une amili(5 si sainle? Si vrayment tu m'aymois, pourquoi , sans mon prreur(l) As-tu pris ma conslancc el mon nom en borrcur? Qu'ay-je diet , qu'ay-je fait , digne de ce supplice 7 (i) C'eti-i,-i\r» Sam faute He mn part. DE DESPORTES, DK BEUTACT , ETC. 35 Que jesache ma faule, avant qu'on me punisse ! Qu'on no me fasse point, par une injustc loy^ Mourir sous les lourments , sans me dire pourquoy! Ce saint et chaste feude qui la pure flaniine Ardoii incessamnienl sur I'autcl de men ame, L'ay-je laisse mourir ou I'ay-je viol6 Par quelque feu prophane ou mon coeur ait brusl6? A quelques mots pr^s , ces beaux vers n'approchcnl- ils pas dejA du ton A la fois noble , tendre et passional des scenes d'amour dans les tragedies de Racine ? Ou Bertaut en avait-il trouve le modele , sinon dans Vir- gile? Cilons aussi un sonnet, don t les deux derniers vers sont charmants : J'aurai loujours au coeur le souvenir bien chcr Dujouroi'i mon devoir m'esloigna de ma belie, Bien qu'il me fust advis qu'en prenant congd d'elle, Un couteau vint mon ame en deux parts detrancher. Que de mots qui pourraient enflammer un rocher Me dist sa belle bouche a I'heure (l) moins cruelle ! Etqu'un trail Evident de peine muluelle En ce Iriste depart monstra de la toucher ! Je meurs, me souvenant que sa bouche de basme, D'un baiser redouble, qui me d6roba Tame, En me disant adieu me pria du rctour. Car , si je ne me trompe en I'ardeur qui m'allume. Si le premier baiser fust donn6 par couslume , Le second, pour le moins, fust donn(5 par amour. Le sonnet sur un baiser refuse , puis donne, n'est pas (i) C'est-i f\\VH alors 36 sun LES OEL'VRES POETIQLES moins gracieux, quoiqu'avec moins de deUcatesse. II est du nonibre des poesies que Bertaut n'a pas voulu lais- ser publier de son vivant. Pourriong-nous ne pas citer ces stances, dont la plus belle est sue de tout le monde , depuis que Leonard ot Lallarpe en ont fait chacun le refrain d'une loniance? Ce dernier dit seulement que c'est un vieux refrain , dont il no nomnie pas I'auteur, Les cieux incxorables Me sonl si rigoiireux , Que Ics plus misfirables , Se comparans h moy , se Irouveroienl heuroux. Mon lict est de mes larmes Trcmpi; toutes les nuits ; El ne peuvent ses charmes, Lors mcsme que je dors , endormir mcs ennuys. Si je fay quolque sonqe , J'en suis espouvanl6; Car mesme son niensonge Exprlmc de mes maux la Irisle v6rit#. La pitid, la justice, La Constance et la foy , Cddanta rarlilice. Dedans les coeurs humainssont csteintes pour moy. L'ingratitude paye Ma fidi'le amiti^; La calomnie essaye A rendre mes lourmenls iiidignes de pitied. Bref, il ri'esl sUr la tene, DE DESPORTES , DE BEHTAUT , ETC. 87 ' Esp6cede malheur, Qui , me faisant la guerre , N'exp^rimente en moy ce que peul la douleur. Et ce qui rend plus dure La misere oil je vy, C'est , es maux que j'endure , La m6moirc de I'heur que le ciel m'a ravy. F61icil6 pass(?« Qui nepeux revenir, Tourment dc ma pens^e. Que n'ai-je , en le perdant , perdu le souvenir ! H6las ! il ne me reste De mes conitntements Qu'un souvenir funestc Qui me les converlit i toule heure en tourmenls. Le sort plein d'injustice M'ayant eniin rendu Ce reste un pur supplice , Jc serois plus lieureux , si j'avoy plus perdu. II y a encore de bien jolis vers , quoiqu'avec un pen d'affectatioii , dans une complainte du premier recueil dont voici un fragment : Mes plaisirs s'en sonl envolez , C6dans au malheur qui m'outragc ; Mes beaux jours se sonl esioulez Comme I'eau qu'enfanle un orage; El s'escoulanl ne m'ont laiss6 Que le souvenir du pass6. Ah! regret qui/flj'j lamenter Ma vie au cercueil enfermdc, Cesse de plus me tourmcnter. 38 SDR LES OEUVRES POETIQUES Puisquc ma vie est consum6e : Ne trouble point de tes reinords La Iriste paix des pauvres morts. Assez, lorsque j'esloisvivant, J'ay senty tes dures atlaintes; Assez , tes rigueurs «?prouvant , J'ay frapp6 Ic ciel dc mcs plainfes ; Pourquoy , perp6tuant raon dueil , Me poursuis-tu dans le cercueil ? Etc. Que de gpAce , de legerete , de Cnesse , dans celte chanson, dont le rhythme est si bien trouv^ ! Celuy seul qui mesprisc Les appasts amoureux > Et garde sa franchise Est sage et bienheurcux j Et tout ainsi Que d'amour il n'espere Ny grace ny salaire , 11 n'en craintrien «aw/. II se mocque des larmes Des amants insensez ; II se rit des allarnies Dont ils sont irai'ersez; Et dans la mer , Sous Teffort de I'orage , II les voit du rivage Eux-mesmes s'abysraer. Le desir n'cst que peine, L'altentc que lourmenl ; La jouissancc est plcinc De peiir dun changcment. DJE DESPOUTES , DE BERTAUT , ETC. 3f^ Pensez quel heur S>iil la vie anioureusc , Puisqiie la plus heurciise Est ferlile en douleur. On dit qu'il n'cst poinld'ame Si rebellc ii I'aiiiour, Que I'ardeur de sa flanime N'embrase quelquc jour ; Et que porter, Dans le Cirur son ulcdre , C'esl un mal n^cessaire Qu on ne pent d viler. Mais, quoy qu'on veuille dlr^, Je croy qu'Amour ne pcut Ranger sous son empire Queteiuy qui leveul. LesenI dc^'faut D'un peu dc resistance Et non pas sa puissance , Uompte ceux qu'il assaut. Non , jamais plus , >en jure, Mon coEur n'nuru dc feu. Bienhenreux , si jc dure En reilel dc ce voeu ! Mail , nialheureux, l)e bicn loin je menace , Et crains que je ne face Un serment d'amoureux. On peut remarquer que Bcrtaut a mis de suite dans une nieme strophe deux vers masculins qui ne riraent pas ensemble , ce qui n'est pas cunforme aux regies les plusseveresdcla versification ; maisontrouveplusieurs CAomplos scniMiibles , m»"ino dans Malherbe. 4o SUR LES OEUVUES POKTIQUES 11 n'y a pas moins d'esprit , niais «n pen Irop d'affec- talion , dans la chanson dont le refrain est , avcc quel- ques changcmenls : C'est hair que cV aimer ainsi. Que de finesse encore dans ce joli sonnet '. Bien qu'un fiddle amant soil lenu d'estimer Tout ce qu'il recognoist estim6 de sa dame. El qu'il doivc pnr la commander i son anic , EUe aimant ses parents , de les vouloir aimer ; Si ne vons puis-je ouTr ce neveu siirnoinmer , Qu'un trait de d(^plaisir lout le coeur ue m'enlame; El quand vous lui ricz , mon sang presque s'enflame D'un si bruslant depit qu'on ne pent I'exprimer. Je seal bien que la loi commandant que Ton aime Le prochain, I'cstranger, voire I'ennemy mcsme, Vous devez bien cherir un parent si parfait ; Mais cela ne rend point la paix a mon courage (1). Si voire esprit I'aimoit un pen moins qu'il ne fait, Le mien , sans en mentir, I'aimeroit davantage. Bertaiit a fait pen de sonnets ; mais presque tons sent pr^ferables aux meilleurs de Desportes. Les deux que nous avons cites sont mcme bien au-dessus du sonnet d'Uranie par Voiture, et du sonnet de Job par Benserade , qui ont fait cependant tant de bruit. Quoi de plus ingenieux que ce fragment d'une elegie ? Le poete suppose que , desespere de ses malheurs en nmour , il a voulu se livrer tout entier h Tastronomio. Pendant qu'il se livre k cette etude, TAmour lui appa- rait , et lui dit d'un ton raillcur : (i) Courage t\g-a\&i caur. DE DliSPORTES , DE BERTAUT , ETC. /[l Eh bien 1 jcune astrologue , a la On la pensde Dcs liens amoiireux s'est du tout deluree ? 0 le vaillant Hercule ! il a ronipu mos laqs Pour souslenir le ciel et souiager Alias I C'cst bien fait : persevere , use ainsi ta jeunesse , T'amusant a compter , pour fufr la paressc , Lcs estoillcs du ciel; puis enfin , quol(|ue jour, Estant vieil et cadur , suy les plaisirs d'amour. Eh ! ne vois-lu pas bien , philosoplie pcu sage, Qu'aussi mal est sortable aux ans de ton jeune Age Ce vain amusement dont le soin te retient. Que le vieillard Tithon a I'Aurore convient? Laisse, laisse, imprudent, ces vaines impostures Aux faiseursdalmanachs, et diseurs d'avantures: Toy, chante de I'Amour, pendant que la vigueur Du jeune ftge amoureux vif encore en Ion coeur. Ce fust (s'il t'en souvicnt ) le roup de ma sagette, Et non I'eau d'H6licon , qui te rendit poele. Dans un genre different , ses vers sur la mort de la fille de M"'*. Delabarre n'offrent pas moins de graces : Les rayons de vertu trnp cinirs et imp luisanls Qu'on te voyoit espandre en de si lendres ans , Devoicnt estre a nos ca>urs une preuve asseur^e Qu'une bien fraislc vie et de courte durde Te tiendroit (6 belle ame) altachde icy bas Aux noeuds qui sont tranchez par la fauxdu trespas. Le froid gele les fleurs qui trop tost s'enhardissent D'annoncer la saison oil les prez s'en lapissent , Et mil fruit trop tost meur ne se voit arriver Jusquau retour des mois successcurs de I'hyver. Car la fiere rigueur du sort inexorable. Qui ne veut rien d'heurcux au mondc estre durable, Scmble avoir ordonn6 que, pour un chaslimenl D'eslrc trop lost parfait , on nc soit qu'un moment. 4? SIR I.ES OELVREs POETIQITES Qui jamais veil 6clore , en favril de ronfance , Taiil de flcursde boi!l6, de douceur , de coustance, r>'humilit(^ , d'lionneur, d'esprit , de p\6li , Dq libre modcslie, et de sage gayel(5, Comme des douces moeurs, avaut I'age polies , Mesme en les pelitsjeui s'en monlroient embellies? Etc, Malheureusenient le teste de cette piere est niau- vais , de meme qu'iine grande parlie de I'ode de Mal- lierbe i Duperrier , que ces vers rappelleiit. On retrouve le mcme charme dans ces vei's par lesqtiels se (ermine la complainte sur la niortde M™^ Lugol. lis sonl en menie temps pleins de noblesse , ot il ne s'y trouve pas un mot que Ton voulut changer. Or toy qui plains sa niorl , ne sois point estonn6 D'avoir veu ce beau jour a midi termini. Ainsi le veut la loy prescrite i la nature: Toujours le plus beau temps est celuy qui raoins dure-: Mais les llcursdc vertu rcgueiit plus d'un prinlemps ,. Etceux qui vivent bien vivent assez long-temps. Parmi les vers de I'auteur sur les evenements poli- li({ne6 , il y en a , comme nous Tavons dit , beaucoup de mediocres et meme de faibles ; ses vers sur la mort d'Henri IH offrent plus d'exageralion que d'energie , except^ quelques passages vrainient pathcliques , comme celui-ci , malgre bien des defauts de style : H6Ias ! 11 m'en souvienl que quand son paste corps Fut rais i reposeren la couche des morts, J'enlrai dedans la chanibre oi'i le plomb qui I'enscrre GUoit sansnuUc ^poDipc est enUu contra Ufre , DK DESPORTES , Dli nERTALT , ETC. 4^ Taiuiis que I'arlisan d cet ceiwrc empesche , De tnainl ais raisorinanl Tun a I'aulre allachft Furrnoitia triste chamhre oil la fatnle marque Dps fourriers de la morl logeoii ce grand monarquc. Et lors rame/itei-aiii (1) que celuy dont les os Dormoienl en Ire les vers dedans ce plonib endos N'agu^re estoit au monde el mon prince el mon maislrc , ("■eluy d'oi'i tout mon liour se prometloil de naistre, Et de qui le trespas me venoll de ravir L'espoir de lout le bien qu'a le suivrc el servir J'avoy pcu ni(?riler|d"uii coeur si ddbonnairc, Je vey perdre a mes sens leur usage ordinaire. EI1.C. Les vers de Tauleur sur la mort d'Henri IV , sans Ode mauvais , sont bien au dessous du sujet. C'est qu'il est difficile d'exprimer en beaux vers une grande (Joulcur pr^sente , surtout quand on est abatlu. Le poele le dil lui-mume , ct les vers ou il cxprime celle idee sont les meiileurs de cetfe ode. Bertaut tHait alovs bien vienx : il niourul quelqucs mois apres. Ses stances sur la conversion d'Henri IV , k laquelle il avait contribue , sont raisonnablement assez bien ver- siliees , mais peu poetiques. Au contraire , it y a beaucoup de poesie dans ses vers sur la mort de Calcrynie. Celte Caleryme , c'est (iabrielle d'Eslrees. Depuis trois jours Anaxandre , e'est-i-dire Henri IV , pleure la mort de sa mailresse. Lc sommeil susprnd un instant ses douleurs. Caleryme Uii apparait , Telle que parattrait un bel ange des cieui (0 ^i« rappelant. 44 SUB LES OEUVRES POETIQIES Qui, ilcsocndu n'aguerc en ces plaines mortellcs, Prendroit un corps visible, et cacheroitses ailes. Mais ses beaux yeux sont Irislement baisscs et la paleurde lamort est sur son visage. Anaxandre lui dit : . Rcviens-tu du cercucil, Fantosme desirable a nion ame ainig(5e , Pour voir en quels ennuis la mort I'a submergec"? Ou jouissante encor de la darl6 dcs tieux , Viens-lu pour eslanchcr les larmcs de mes yeux , Toy-tn^me leur prouvanl par la douee presence Qu'encore en ce beau corps I'anie fail residence, Et que Ics bruits courans qui , dole/is messagers, Ont publie la morl , sont faux et mensongers ? Caleryme repond : Un faux bruit de ma mort n'a point deceu Ion occur : J'ay senty du trespas la meurtriere rigueur : Mon corps n'esl plus que Icrre; cl ces yeux donl la flame Sembloit donncr la vie et le jo-ir a ton am? , D'une dternelle nuict en la lombc converts , Ne sont plus maintenanlque le repas des vers, Occident qui lesmoigne aux hostes de ce mondc Combien faux esl I'cspoir de Tame qui s'y fonde , Puisque rien n'est durable en ce Iraistre sfejonr ; Que la gloire y neurit et s'y passe en un jour ; Que la pompe et I'orgueil des beautez de la terrc , Qui luit comme de Tor , se rompl commc du verrc , Et que la mort triomphe , en le privantde moy , De ce qu'Amour faisoit Iriompher d'un grand Roi. Ce qii'ellc regrctte , dit-elle , ce ne sont point Ics richei-sos ni les grandeurs ; c'est son royal anianl , co, soul scs cnfanls. Pourlanl cUo bcnit la sainclo ct jintc DE DESi'OimiS , DE BERTACT , ETC. 45 loyqm, pour le bonheur de la France, veul qu'Anaxandie lui survive. Elle va retourncr au sejour ou reposcnt Ics ames separees delcur corps , conlcnte de lui avoir dit adieu. Mais avant de !e quitler , die lui fail uno priere. C'esl un conseil que Berlaut donnail indirecte- menl a son Roi. Pouvait-il preler a eel (e piece une autoiite plus toiicbante qu'en I'adressanl t^ Henri IV par la bouche de Gabriellc qu'il venait deperdre, el au nom de la France? Que si mes liumbles voeux en tarmes prononcei Peuvent sc voir encor dc (on anie cxauccz; Par nos feux qui brusloient d'une (lame si pure , El par ta proprc foy , je Ic prie r( conjure De ne plus engager la sainctc liberie Que ma mort I'a rendue , a nulie aulre bcaul(? , Qu'il celle que les dieux font desja deslin^e , Pour allacher ton coeur des chalnes d'hymi'nf'c. Accorde-moy ce bien, pour comble de mes vcrux , Que je sois la derniere, apres lanl d'aulres nceuds, Qui t'aye estreint des Inqs doiil la bcaul6 nous presse Au volontaircjoug d'une simple maislrcssc ; Et quand d'aulres beaulez s'olTiironl devant toy , Pour tenter ta conslance el debaucher la foy , Lorsque lu senliras ton coeur presl a se rendre , By soudain i part toy , repeusant a ma cendre: Les yeux de Caleryme en la lombe enfermez , Qui ne sent plus que terre, ct que j'ai lant aimez , Ddfendent , sans purler ^ ccste erreur a mon ame. Etc. Anaxandre rinterrompl par de lendrcsprolcslations, lui promellanl de n'ainicrjamais qu'elle el de la pleurtn- toMJours. II sc rappelle son bonheur passe : Tu m'eslois commc un port , ou mon esprit , lass6 Des Hols don! eel eslal s'ost veu lH)ulcvers6, 46 sill LES OlilVKES POETIQl'ES Pronoil quchjuc iclasrhe , et d'oii , plein de courage, II rclournoil cncor s'opposcr a I'orage. Tu scavois mes desirs , tu scavois mes desseins. > Jc lais infini.f dons cachez et manifestes Que t'avoicnt d(?partis Ics puissances c<^lestes, El diray seulemcnt que jamais icy bas Nulle beaut6 qui linst un inonarque en ses lacs IS'usa plus doucement de rcxtr^me puissance Que I'amour lui donnait sur snn oheissance ; Que CCS mains, (jui pouvaienl luainl orage emouvoir. En lien qu'en obligeant n'ont monstr6 leur pouvoir ; Que lu n'avois appris de nos vains artifices Qu'a les avoir en hayue au ])air des plus grands vices ; Et qu'cnfin ton esprit n'esloil ricn que bont6. Tout ainsi que ton corps n'csloit rien que beautfi. II ajoute que le courroux celeste le poursuit , et que (lesormais il n'y a plus pour lui de bonheur : Clciir asire des Francois, roi juste et magnanime, ( Lui rcspondit alors I'onibre de Caleryme ) Nulle hnync des cieux , poursuivant la valeur, Ne m'a ravic a loy pour t'emplir de douleur : Le ciel aime la gloire , el sans cesse conspire Avec tes saints pensers pour Theur de ton empire. Mais le bicn de I'estat conserve par les mains Vent que, cedanlaux voeux dun million d'Inimains, Tu r'engages les ans dans les noeuds d'hymi-ncie ; Et je n'eslois point celle a qui la deslin<'e Avail proniis riionncur d'esire conjointe k toy Par les sacrds liens de In nopciere hi : Bien que la France ail creu , veu Ion amour extreme, Que pour me fairc part du royal diad^me , Ton esprit embrase d'une si longue ardeur Eleverait ma vie a ce point de grandeur. DE DESPOUTKS , I)t BEBTAtT , ETC. i^n Elle hii fait I'elogc de sa future epouse , et lui re\ele ses (leslins : II sYlt've line sale an palais de la Parque Oii (les (lieux el des rois le pere el le monarque lipssirre les deslins des grands de I'univers Profque tonardentc amour, Moy vivante el voyani la lumiere dujour, 48 SIR LES OEUVRES rOETIQtES To pcrmist (I'allachcr les d<^sirs(ie Ion ame D'liii licii nuptial aux lacs d'une aulre dame; El hicn qu'cn relisant ce dur arrest dcs eieux Quclqiies goultcs de pleurs sourdissent demos ycux, Si mc reconfortay-je , au lieu d'en faire plainte, Voyant qu'au nioins ma vie avail I'heiir d'estre osleinle Pour I'ospoird'un Icl hicn, cl qu'ainsi qu' aulrcfois Un grand prince , apaisanl la d6esse desbois , Sacrifia sa fiUe aux v seigneur , rbotnine nVst rien qu'un songe. Qui de soiiges inenleurs se repaist el se rouge. En son plus ferine cstat n'ayant rien de constant ; Unc ombre que le jour dissipe i sa venue, V!n eelair allumt- dans le seiu de la nue, Donl {'eslrt et le iton eslre ont presque un m^mc instant. Seigneur , baisse tonciel , el, tout ceint de tonnerres, Descends en la fureur sur ces maudites terres , Ou niille impi(!'lez provuquenl ton couroux ; Frai>pe les plus bauts monts des amies de ton ire , Fay-les fiirner el fondre ainsi que de la cire , El luuivers trembler sous I'horreur de tes coups. Rcniply lout I'air d'^clairs, de foudres et d'orages : De tes dards enllammez eslonne les courages Dos meuhants dont I'elVort t'ollcnseen m'oulrageant. Fay grondcren la main Vire lie cent lempestes. Puis d'uu bruit dclatanl darde-la sur leurs testes, Afin qu'un inesme coup le vengc en me vengeant. Car c'est contre I'honneur dc ta puissance mesme One Icur bouchearroganle a voiny le blaspht'rac. 54 SUR LES OliUVRKS POLTIQL'ES Aiguisant conlre moy tant de trails inhiimains : Lear langue inccssammeiU ourdil les calomnies, Leur espril orgucillcux sc plaist aux tyrannies , Et tout mal fairc est I'art ou s'cxercent leurs mains. O Seigneur , continue a d^livrer mon ame • D'un gerii si superbe, et romps I'injuste trarae Dcs barbares desseins que sa rage a concus : Eslens du cicl le bras arm6 pour ma vengeance, Et pousse en ta (urcur ccste maudile engeance Dans les sanglants filets qu'elle-mdme a tissus ; Afin que sur un luth monte pour tcs louanges, Associant ma voix avec celie des anges , Je chante que c'est toy qui fais rcgner les roys ; Toy qui les garantis desmeurtrieres atlcintes, Toy qui rends leurs grandeurs v6n6rableset sainctes, Et qui fais que la terra en adore les lois. Jen sers aux ans futurs d'une preuve 6ternelle, Moy sur qui la bont6 de ta main palernelle. Seigneur , a fait du ciel mille graces pleuvoir , Centre lant d'ennemis me donnant la victoire , Que la paix de mon sceptre appartient a la gloire, Commc un nouveau miracle oil reluit ton pouvoir. 11 etait difficile d'esprinier en plus beaux vers la re- connaissance due par Henri IV A la Providence , et le poete chrelien qui a fait ces vers etait djgne de ranie- ner son roi au culte de ses ancelres. Qu'on remarque bien que parnii ces strophes , trois , savoir : la i"^. , la 7^ et la B*"., sent aussi irreprocbables, aussi exemptcs de tacbcs de vetuste , que les plus pures de Malherbe. La mcme remarque peut s'appliquer i plusieurs pas- sages des citations suivantes et menie de celles que nous avons faites plus haut. A la fin de cc mcme can- DE DESPORTES , DE BElllALT , ETC. 55 (Iquc , s'ecartant du texte dii psaume , Beitaut s'lbstilue k la peinttire de la fausse prosp^rile des niecbants celle du bonheur des contrees qui ne sont lioiiit , comme la Fiance , en proie aux guerres civiles ; La Irompctle s'y taist, et la voix des allarmcs; Et tanl li'riise en bannil les soupirs el les larmes , Que leur inoindre bonheur, cVst ccluy de la paix. Aussi loule la terre , enviant leur fortune. La nomnie bienheurcuse, el de voeux s'importune Pour de pareiis eiTels de ci^ieslc faveur; Mais quclque hcur que le ciel rerse dessus leurs testes, Plus lu'ureux est cnror , ni('ine au fort des (empestes , Ceiuy de qui Ion bras daigue eslrc le sauveun Toy done , jetlant sur nous les yenx de ta cl^mcnce , Garde-nous du naufrage , etsois noire dC'fense - Centre des ennernis si puissanls et si tiers : Rendant par ta bonte ces lempestes plus calmes, Ou nous raisant du ciel recevoir quelqucs palmes, Si nous ii'en dcvons plus esp6rer d'oliviers. Malhcibe a-t-il fail beaucoupde strophes aussi pures que ciUcs-UW Quel beau langage poelique, quel style noble et sou- tenu dans cette prierc composee pour llcnri III , et par consequent avant que Malberbe se fiil fait con- nailrc ! Donne, Dieu lout' puissant, donnc au roy ta justice, Afui qu'cw cquil6 ses peupics il regisse. El que tout icy has s'inciine a scs genoui ; AlluMiant se? dfejis d'uiie flanimo si saincle. 56 SUR LES OEt'VUES PO^TIQUES Qu'^pris de ton amour, ct guid6 par la cralntc, 11 rcgnc sur soy-mesme en r(^gnanl dessus nous. Fay que , prenant piliti du pauvrc qui souspire , Sa cl^menle rigueur serve a loul cet empire D'un bouclier favorable el d'un glaive trenchant, D'un boudicr de salul, d'un glaive de vengeance, D'un bouclier pour remplir le juste d'assurance , Et dun glaive aiguisd pour la mort du meschant. AfTranchy sur son chef sa rayale couronne ; Fay que sous ta faveur sans cesse e\\e fleuronne , Ceinte de mainte palme et de lauriers espais ; Afin que , s'appaisant nos discordes civiles, Nous voyons d6sormais el nos champs et nos villes Dormir entre les bras d'une dternelle paix. Ne vois-tu pa5, Seigneur, quels violents orages, - Quels vents d'ambilion esracuz en nos courages (1) , Soulllent de tous costez prests a nous abysmer , Si toy , de qui I'ainour el bonte palcrnetle Nous parotl sommeiller en la saincte nassellc, Ne veux par ton r6veil ces tempestes calmer (2). L'insolenle fureur des rebelles pensees, Rendanl de tout respect les btirrieres forcees , A fail I'irr^verence arriver k tcl poinct , Que ceux qui lui devroienlsacrifier leur vie, Pour sauver sa grandeur du malheur poursuivie , Le pensenl obliger de ne Tofrenser point. Rasscmblc ses sujets sous sa juste puissance ; Rens-luy I'auforit^, rens-Iuy I'ob^issance ; Redonne un heureux sccplrc a son bras valeureux ; Et fay par ton esprit a leurs ames entendre. (i1 CV'sl-a-Jitc en hos Loeun. [j) Allusiua a nn passage dc VEvungiU. DE DESPORTES , DE BERTAl 1 , ETC. 57 Qu'eslanl Icur bien comniun, ils nese scaurolcnl icndrc, Eux heiircux que par luy , ny luy grand que par eux. Quelle vraic ct ini[)osanle idee de la royaule , et du rapport naturel des princes et des siijcts ! Ces stances sont bien belles. Cependant le poele a alleint une perfection plus grande encore dans qiiehpies strophes desa paraphrase du proniierpsaunie dc David. II commence par un portrait de I'homme juste : Qui lisant jour et nuict des yenxde la pensde La loy du Tout-puissant dans son ame trac6e, Concoit de beaux desirs, produit dc beaux ff feels ; Et de qui Ic courage abhoranl la vengeance D'un volonlaire oubly noye en sa souvenancc Les torts qu'il a reccus, et les biens qu'il a fails; Qui ne pouvant, du corps, s'esloigncrdela pompe Des folles vanitez doni le lustre nous trompe , yen va , de la pens6e et de lame, esioignanf. Si bien qu'au moiidc mcsme il est absent du monde, Et n'a rien es grandeurs dont sa fortune abonde, De si grand qu'un grand cceur sans fard les dc^daignant. Cct iiomme-14 ressemble a ces belles olives Qui du fameux Jourdain bordent les vertes rives, Et de qui nul hyver la beaul6 ne destruit ; Les ruisselets d'eau vive autour d'ellcs gazouillent , Jamais leurs rameaux verds leur printemps ne despouillent, El toujours il s'y trouve ou des fleurs ou du fruit. Nul elTroy , nuUe pcur en sursaut ne I'^veille : Endorray , Dieu le garde , esveill6 , le conseille. Conduit tous ses desseins au purl de son de'sir; Puis fail qu'cn lenninant son licureuse vieillcssc, Ce qu'il scinoit en terreavcc peine et trislcsse, 11 le rccucille au cici en repos cl plaisir. 58 sua LES OELVRKS PotriQl'ES Quelle ravissaiite harmonie dans ces trois deiniers vers qui terminent si bien ce morceau ! La fin de ce oanlique est aussi d'unc grande beaute. Nous pouirions ciler encore quelques bons vers de Borlaut ; uiais nous pensonsque les citations precedentes sufiisent pour lui assigner la place qu 11 doit tenir dans Tbistoire de la poesie franraise , lui qui a vraiment fraye une route nouvelle en faisanl Ic premier ce que Konsard avait vainemcnt tente , en donnanl i notre langue la vraie noblesse qui lui coiOiient. Tel est le poete sur Icquel Boileau s'est contenle de dire , apres avoir parle de Ronsard : Cc poete orgueilleux , lr6buche de si haut , Rendil plus relcnus Desportcs el Certaul; et qne La Harpe n'a pas memenomme dans un Aner^u de rhistoire de la poesie ffancaise , ou il a trouve place pour dcs citations de Cretin , de Martial de Paris , de Chassignet et de Dabartas. Sans doute , s'il n'avait pas lu Bertaut , il a mieux fait de n'en pas parlor que d'en parler au hasard. Mais il aurait du le lire avant que d'allirmer que Malberbe futle premier modele du style noble ; que jusqu'i lui, quand il fallut s'elevcr au style soufecau,au style di-s^ grands sujets^, tousles efforts furent malheureux ; que Malhcrbe crea sa langue , qu'il debarrassa la langue francaise des inversions for- cees , qu'il purgea la poesie des hiatus , qu'il appcit A nielanger regulierement les rimes masculines et femi- nines. Dans tout ccla !\Ialherbe a ele precede par Ber- taut , ct , s'il I'a surpasse , ce n'csl que sous quclqucs DE DESl'ORTliS , Dli BliUTAUT , ETC. 5c) rapporls et dans un tres-petit nombre de vers. Mais Boileau avail dil : Enfin Malherbe vint , cl Ic premier en France Fil senlir dans les vers unc jusic cadence , D'un mot mis en sa place enscigna le pouvoir, Et r^duisit !a muse aux regies du devoir. Par ce sage ecrivain , la langiio ri'-parce N'ollrit plus rien de rude a I'oreille (!'pur6c. Les stances avec grace apprirent la lomber, Et le vers sur le vers n'osa plus enjambtr. Boileau I'avait ('it, La Ilarpe I'a lepete , el on Ic lepelera sans doule , lant qu'une bonne bisloire de la lilteraluie franraise ne sera pas venue modilier un peu eel eioge. MALHEnBE. Malherbe naqnil a Caen en i555. Son pere , qui y etail assesseur, se fil prolestant avantdc mourir. Mal- herbe en eul lant de chagrin, qu'il quitta le payset alia en Provence i la suite du grand ptieur , due d'Angou- lenie, fils nalurel d'Henri II. Ce n'est pas qu'il eut jamais cu une foi bien sincere ; mais il pensail qu'un bon citoyen doit se couCornicr cxactenient i loulos les pratiques exterieures de la religion de son roi. II se Hiuria en Provence A la fiUe d'un procurcur, veuve d'un conseiller , el en eut plusieurs enfants, tons morts avanl lui. Pendant la Ligue, Malherbe elle poeleDela Hoquc , dont nous avoiis parle plus haul , serrcrcnt dc Ires-pres Rosny , depuis due de Sully , qui leur en (Jo SITR LKS OEt'VRES POETIQUES garda rancuiie. Du nioins Malherbe disail que c'elail 1)0111- cela qu'il u'avait jamais pu tirer de faveursd'Hcnri IV. En 1601, Duperron , evdque d'Evreux .depuis car- dinal , parla de lui au roi. Cependant ce ne fut qu'cu i6o5 qu'il fut appele a la cour , et recommande par le I (ii au due de Bellegarde , qui lui donna sa table , »in cheval et mille livresd'appointements,en attendant que le roi I'eut mis sur la liste de ses pensioijaaii es. II lia connaissanc3 avec Racan , page de la cbonibrc sous !e duo de Bellegarde , et deja poete. Celte amitie dura autant queleur vie. Ala morl d'lleari IV, Malberbe rerut enfln de la reine, mere de Louis XIII, nne pension de cinq cents 6cus, et cessa d'etre a charge au due de Bellegarde. Depuis ce temps il fit tr^s-peu de vers. II fut gentilbomme ordinaire de la chambre du roi Louis XIII. 11 mourut en 1628 , peu de temps apres avoir fait I'ode sur le siege de La Uocbelle. On peut voir sur lui unefoule d'anectotes eurieuses dans sa vie ecrite par Racan, dans ledictionnaire de Bayle et dans Mcsnage. Dans les poesies de Malherbe , il y a une ode pa: fai- lement belle , en quatre strophes , sur la vanite des choses du monde , tiree du psaume i45^ Nous ne la citons pas , parce que tout le monde la connait. Apres cette ode , ce que Malherbe a fait de plus approchant de la perfection , c'est son ode sur la mort d' Henri IV. II est rcmarquable que La Ilarpe , grand admirateur de Malherbe , n'ait parle ni de I'une ni de I'autre. Le poele s'y fait Tinterprete de la douleur d'Alcippc , c'est-a-dire probablement du due de Belle- garde. Akippe commence par exprimcr son desespoir : c'est naturel. Sa ?econdepensee, qui rcnipHt la seconde DE DESPOIITKS , DE DEUTAIT , ETC. (> i strophe , cost sur I'inconslance dcs clioscs Juimaines. Cp grand roi , Comme un homme viilfiaire , csl dans la s6pullurc A la merci dcs vers I Ensuifc il dit nn motde la pcrte qu'a faite la France : r'esi trop pen. On se rappelle le lableaii si vrai . si (oudiant , que fait PereGxe de la douleur et de la cons- ternation publiqnc. « Les pores disaienl i leurs eufants: flics eufants , que deviendrez- vous ? voiis n'avez plus de pere ! » Alcippe au contraire compare sa douleur a rolle des autres Francais ct de la reine , en vers faibles ol avec plusd'esprit que de sentiment. Laconiparaison des larmes de la reine avec la Seine debordee , est du j)lus mauvais gout. La comparaison de la reine avec une flcur battue dcla pluie et dos vents, est ingenieuse, mais convient pen au sujet , ct est exprimee d'une maniere faible et languissaute. Heureusement re qui suit vaut bien mieux : Qiiiconque approrhc d'clle a pari i son inartyre , El par contagion prond sa Irisle couleur Car , pour la consolor , que lui pourrail-on dire En si juste douleur? Cesl beau , c'esl louchant : voilalo ton de la sinco- rile. Qui done consolera cctte reine . rette veuve eplo- ree?Ce ne pent etre que son epoux.enlui apparaissaut pour lui dire dc calmer son chagrin. Cetle idee vraie el naturelle est asscz bien exprimee en deux strophes. Le poete continue : 62 SIH LES OECVBK6 POETIQt'ES Qiiclque soir , en sa chambrc apparois devant die, Non Ic sang en la bouche el le visage blanc, Comme lu demeuras sous rallcinle morlelle Qui te perca le flanc. Viens-y tel que tu fus , quand au\ monts de Savoye Hymen en robe d'or te la vint amener ; Ou tel qua saint Denys, entre noscrisdejoye, Tu la fis couronner. La premiere strophe est dechirante; la scconde , par le contraste, ne fait quajouler au pathetique , en mcme temps qu'elle repose Tame par une noble ct douce image. Cependant on attend quelque chose de plus , quelqucs reflexions sur la belle vie d'Henri IV et sur les destinees de la France confiee a sa veu\e. C'est en elevant ainsi Tame qu'on pent la consoler. Au con- traire, que ne peut-on effaccr la strophe suivante , nialheureusemcnt uecessaire comme transition ! Jpres cet essay fnii , s'il demeurc inutile , Jc ne connais plus ricn qui la puisse toucher; El sans doule la France aura, comme Sypile, Quelque fameux rocher. L'autein- ne pouvait-il exprimer la mcme idee sans cette froide et obscure allusion mythologiqne? Alcippe , apres avoir airete sa pensee sur cette dou- leur plus grande encore que la sienne , revient k sa propre doulcur , mais sur un ton plus calme. Ce n est plus Taccent dn dcsespoir. On sent dans ces deux strophes une trislesse profonde, mais moinsameie, oellc qui se soulagc par dcs larmes : »K DESPOUTES , DE BERTAfT , ETC. ()3 Pour inoy , dont la foiblcssc h I'orage succombe , Quaiid nion hcur abatu pourroit 5(? redressfr, J'ai mis avtcqite toy mcs tlcsseins en la tombe ; Je les y veiix laisser. Qiioy que pour m'obligcr face la destiniJis!e , qui avail eiix'ore assez de I'aison , 6tait corai)i('lrnwMitfou , et corame lol ful siniplemcnt rclenu en prison : il so croyait roi de France. Que dire de cettc epitaplic faite pour le tombeau d'une Spouse ! J)elle aine , qui f us man flambeau , Jircnis rhonneur qii'en ce tombeau Je suis oblige' de te reiidre. Ce que je fais le sert de pcu ; Mais au mains tu vois en In cendre Comme j'en conserve fe feu. Dans Malherbe , parmi les passages ou il faudrait de Malberbo. Du reste, Malherbe etait parfaitement content de lui-meme, il se louait autant qu'il rabaissait les autres : il savait sans (1) Voyez dans Mesnagc le sens de re terme de m<'pris. DE 1>ESP0RTKS , DE BERTALT , ETC. 6t) doute qu'on reussit souveiit ainsi A sc fuire loucr de st^s contcmporains. Ici Ics citations ne nous nianque- laient pas ; niais voici une forfanlerie qui seule en vaut bien d'autres. II dil au roi : Quelle sera la hauteur De I'kymne tie ta victoire , Quand elle aura cette gloire Que Malherbe eit sitit I'uuteur! Cel homme qui , au lit dela mort , epiloguait sur la gianiinaire,et qui sevantait d'etre !c premier despoetes franf ais , affectait cepenilant de mdpriscr la po^sie. II r6pelait souventisonami Racan, quelemetierdepoele est un metier inutile au public et A ceux qui le font > qu'un bon pocte n'est pas plus utile i I'etat qu'un bon joueur de quilles, qu ils feraient eux-memes bien mieux de se donner du bon temps et de tichcr dc s'enricbir. En effet , Racan remarque qu'il travailla pour se faire donner uuc pension, et que, lorsqu'il i'eut, pendant Ics dix-huit dernieres annees de sa vie , il ne fit presque plus rien. Toute la gloire que nous en pouvons esperer, disait encoieMalherbe A Racan , c'est qu'on dira que nous avons 6te deux exccUents arrargeurs de svllabes. Assurenient, avec beaucoup d'csprit , cet homnie-li 6tait loin d' avoir ce qui constitue un grand poete. Nous avons vu quels sont ses litres 4 son immense reputation comme poete lyrique. Cependant pour lui rendre tout ce qui lui appartieiit, il nous reste encore quelques remarques i faire. Malherbe et Bertaut , s'elevant , dans quelques passages , pour ainsi dire au- dessus d'eux-mC-racs ct de Icur temps , nous font admi- 70 SUB LE8 OEL'vnES POtxiQUES ler notre laiigue dans loute sa purete , sa noblesse et son elegance. Mais il est arrive a Malherbe plus souvcnt qu'A Bertaut d'atleindre , mcme dans ses strophes faibles , la brievete et la concision , qualites si impor- tantes dans la poesie lyrique. Comnie nous Tavons vu , Bertaut a employe dcs rbythmes varies et bien cboisis pour Ics sujets legers , gracieux et tendres. Dans la haute poesie , il n'a employe que les vers alexandrins , tant6t sans croiser les rimes , tant6t en les croisant de maniere i former des stances de cinq especes.Ce rhy thme convient pour les sujets auxquels il Ta le plus souvent applique , c'est-a-dirc pour les sujets majeslueux qui ne demdudent ix)iut de mouvements tres-rapides. Ce- pendant il y a dans ses oeuvres un cantique en strophes oh il a introduit la variete dcs vers. En voicila dcrniere strophe : Tenant entre les mains la grace et le supplke^ La clemcnce et la loy , Dfploye , 6 Toiil-puissant , I'une et I'autre justice De ton siege 6ternel , et sur eux , et sur moy : Sureux, ccHe qui juge et condamne a la peine Le p6eheur endurcy ; Sur moy , celle qui , douce a la faiblcssc humainc , Le pficheurjustiQe, et leprenU a mercy. Mais cet exeraple est le seul dans Bertaut. Malherbe au con tr aire a introduit la variete des rhythmes dans les grands sujets. Avec une oreille juste et le sentiment de I'harmonie , il a cree plusieurs especes de strophes , ct a memo laisse sous cc rapport pcu de nouvellcs inventions i faire. Dans Malherbe , la poesie lyrique DE DESPOBTJJS , DE BERTAUT , ETC. ']^ franc aise a deja trouve presque loutcs Ics formes sons Icsqueilcs elle a biille plus tard avec plus d'eclat ; ot dans quelques ve:s , peu nombreux il est vrai , Mai hcrbc lui-meme a montre ce qu'ellc pouvait devcnir un jour. RAGAN. Honorat de Bucil , marquis de Racan^, naquit ^ la Rocbc-Kaoan en Touraine, I'an iSSq. 11 fiit des Ten- fance page d'Henri IV sous le due do Bellef:;anle , devint poete sans avoir elndi6 , travailla depuis TAge de seize ans, d'aprt-s les conseilsde Malhcrbe , fut im des premiers membres de TArademie frar^raise , et mourut en 1670. II so retira pendant quelqiie tem[)s A la Rocbe-Raran, avant dedonner nny premiere edition de SGS poesies i)HbliePS en 1G37. II commandait une fompagnie devant La RocbeUo en 1628 , a Tepoque de la mort de Malherbc . dont il a ecrit la vie. u Racan, dit La Harpe , dans lapnesia lyrique , est rcste bien au-dessous de son maitre ; mais , cominc po6le bucolique , il a justifie I'eloge qu'en a fail Boileau quand il a dit : Racan chante Philis , les bergers et les bois. II a le premier saisi le vrai (on de la pastorale , qu'il avait cludice dans Virgile, « Qui ne croirait (Fapres cola que les oeuvres de Racan se coinposent , d'une part de bacoliques , dans le genre de colics do yirgile , de I'autrc dc poesies l^riqucsfaites n2 SCR LES QEUVBJES POfexiQUES k rimitation de celles de Malherbe j qu'il a reussi dans les premieres et echoue dans les dernieres ? II n'en est rien. La Harpe avait-il jamais lu les oeuvres de Racan? U est per mis d'en douler. Racan a compose un drame pastoral en cinq actes , suivi d'une mauvaise 6glogue , laseule qu'il ail faite, et qui est comme I'epiloguede son drame. L'inlrigue de ce dernier est exlr^mement embrouillee. L'auteur y a fait entrer , avec quelques changemenls, une avenlure mer- veilleuse racontee dans le Timandre de Berlaut , mais en y ajoutant plusieurs autrcs intrigues compliquees et d'une invraisemblance extreme, Cette pi^ce qui forme plus de la moitie deses oeuvres est inlitul^eles Bergeries. La lecture en est i peu pres aussi soporifique que le serait la lecture continue des 289 sonnets de Desportes. Ce sor.t tantot des vers d'une platitude et d'une affecta- tion extremes, tant6t des declamations vraiment extra- vagantes , qui font un bizarre contraste avec des gros- sieretes dignes des plus stupides bouviers. Un berger parledela nuit, qui Oui're autant d'yeux au del qu'elle en ferine en la lerre , Et ou se prom^ne Mainl phantosme hideux couvert de corps sans corps. Un autre berger , voyant une bergere dans un bois ; I'appclle : line deessi en terre , el le soleil a I'ombre, DE DESPORTES , DE BKUTAUT , ETC, 78 II est vrai qu'au milieu detoutcefatras on rencontre desvers bien lournes. Au commencement du Iroisi^mc acte, il y a memeun dialogue assez toucbant sur la pais qu'une femme malheureuse pent trouver dans le silence du cloitre. Mais les ve: s los plus tendres que Racan ait fails , les voici. lis sont tires de la secondc scene du second acte : Je n'avais pas douze ans, quand la premiere flame Des beaux rewxd'Alcidor s'alluma dans mon ame. II mepassoil d'un an , et dc ses petits bras Cueilloit desja des fruits dans les branches d'embas. L'amour qu'a ce berger je portois des I'enfance Creut insensibletnent sa douce violence. I Mais, Ignorant le feu qui depuis me brusla, Je ne pouvois juger d 'oii m« veno'U tela : Soil que dans la prairie W vislses brebis palstrc. Soil que la bonne grace au bal le fit paroislre , Ou soil que dans le temple il fist priere aux dleux^ Je le suivois partout de I'esprit et des yeux. A cause de mon iigc et de mon innocence, Jc le voyois alors avec plus de licence, Et souvent tous deux seuls , libres de tout soupcon , Nous passions tout le jour a I'ombre d'un buissoo. II m'appeloit sa soeur, je I'appelois mon fr^re ; Nous mangions m^me pain au logis de mon p6re : Cependant qu'il y fut , nous vescumes alnsi ; Toutcc queje roulois, il le vouloit aussl. II m'ouvrit ses pensers jusqu'au fond de son ame ^ De baisers innocents il nourrissoit ma flamrae. Jo goutois ndantmoins avec moins de douceur Ces noms respectueux de parentcet de soetir. Combien de fois alors ay-je dit en moy-mesme, Ayant les yeux baissOs et Ic visage bicsme: ^4 SUB LES OECVRES POETIQLES Jjeau chef-d'muvre des cierix, agrCable paslcur, Qui (lu mal quP je sens estcs le seul aulheur , Avec moins de respect, soycz-moy favorable. Nfi soyez point mon frere , ou soyez moins ayraable. Mais quoy ! cet aveugld nc mc regarde pas ! Que de naturel , de giAcc. de naivelc touchante dans CCS vers, que I'on relienl pour les avoir lus unc fois! Mais qui s^avise d'allcr les cbercber dans ce drame insipid,-? Dans un autre passage, Racan a presque rencontre le ton de la bonne comedie , sans quitter la ton poetique dc la pastorale. SfLENE. Ma Slle , h quelle fm Toulez-rous aujourd'hui vous lever si matin?' Le soleil n'a pas beu \'egnil de la prairie : Cela nieUra le raal en voslre bergerie. . ARTfeMCE, Nostrc chien , qui rcsvoit dc moment en moment An loupqueson penser luy forgcoit en dormant, D'un veritable loup m'a fait naistre la cralnte. SiLENE. L'inutile soucy dont voire ame est atleinle Nem'esfque Irop cogneu ;je ne puisl'ignorer, Etc'estce qui me fail jour ct nuR'l souspirer. Je sgai ce qui vous met la puce dans I'oreille. 3e vishicr icy Ic loup qui vous reveille; Mais si tost qu'il me vil , il rebroussa ses pas , Fasch6 d'avoir Irouvd ce qu'il nc cherchoit pas. 11 nc faut point pour luy ni rougir ni sousrirc. Aktunice. Jc ne puis dcviner cc que vous voulcz dire. DE DESl'OUTJtS , Uli BliUTALT , ETC. "J^J SiLENE. A quoy vous scrt cela , de le dissimulcr? Vous sfavez bien colui de qui je vcux parler. Ne me le eel ez plus ; j'ai d^couvcrt la mine : Ce n'est pas avcc moi qu'ii faut fairela fine. Je sgay que vous aimez celuy qui , {'autre jour, Menoil le premier bransie en noire carrefour, Et soullrez sans mon sceu I'afTcclion secrelte De ce pauvre incogneu qui n'a que sa houlelfe. Ici vient un elogc de la bonne grace du berger , trop poetique ct trop pompeiise dans la boucLe du peie. Mais les vers suivants sontfovl bons : Mais ces jeunesbergcrs, si beaux et si ch^ris, Sont meilleurs pour amants qu'iis ne sont pour maris : lis n'ont aucun arrest ; ce sont esprits volages. Qui souvenl sont lous grisavant que d'dlrc sages, El doit-on souhailar pour leur ulilUe De voirflnir leur \ieat'ecqug leur beauf6: Semblablcs a ces llcurs donl Vt^nus sc couronne, De qui jamais les fruits n'enrichissent I'automne. Onbliez , oubliez I'amour de ce berger , Etprcnez en son lieu quclque bon manager, De qui la fa^on masle , a vos ycux nioins genlille,. Tesmoigne un esprit meur a rcglr sa fumille. El donl la main , robuste an metier de C6res , Fasse ploycr le soc en fcndanl les guards. Vous estcs grande assez el devriez csUe sage, Et plustosl projeter quelque bon mariage Que de vous amuser a ces folles amours. AllTENICE. Mon pere, h quelle fin tcndenl tous ces discours? Si je banlc Alcidor, en dois-jc cslrc blasnice? Ce n'csl ni pour laimcr, iiipour en cslrc aimce. 76 SUK LES OELVUK-6 POtriQlJES Ce me sera , mon pdrc , un blcn Inestimable De meurlr avec vous la fleurde mon printcmps Avant que d'en partir. SlLfeNK. C'est comme jc I'entends ; Et , certes, le seul bien a quoy je veiix pr(5lendrc Est qu'avant mon trespas vous mc donnie/ uh gendre, Dont Ic bon naturcl me venant a propos Medonnc le moyen de mourir en repos. Je n'auray plus regret de lui quiter la place , Quandje verray mon sangrevivre en voire race. Je croisque Lucidas serait bien votre fait: La fortune lul rit; tout lui vientisouhait; De vingt paires de boeufs il sillonne la plaine ; Tous les ans ses acquests augmentent son domalne ; Dans les champs d'alentour on ne voit aujourd'huy Que ch6vres et brebis qui sorlent de chez luy ; Sa maison sefait voir par dessus le village , Comme fait un grand cbesne au-dessus d'un bocage. Etc. S'il y avail dans les Beigeries de Racan beaucoup de scenes ecrites d'un ton aussi nalurel , la lecture pourrait en elre tres-interessante. Mais il n'en est pas ainsi : Artenice a ete surprise par son pere , precise- ment k la fin d'une longue et absurde declaration centre les tyranniques lois de rhonneur , qui veulent qu'uuc femme soit vertueuse. Gette declaration a paru si convenablc , si juste et si jolie k M"*. Deshoulieres , qu'elle Ta imitee , repro- duile , retournee en tous sens , je ne sais combien de fois , en ses fades idyllcs. Le rcstc des ocuvrcs de Racan sc compose d'une DB DE8P0BTKS , DB BliRTAL'T , ETC. 77 traduction faible des sept psaumes de la penitence , de sonnets , dc poesies legeres , ct surtout de stances et d'odes. Dans ccs poesies diverses, la plupart sont pleines d'affectalion et de mauvaisgout, mais quelques- unes sont fort belles ; par excniple , line ode dans le genre des poesies legeres de Bertaiit , compos6e decinq strophes charmantes , dont voici les deux premieres : Phllis, vous avcz beau jurer, Quand vous prolcstcz d'ignorer Lc dcsir dont Amour nous touctie: Les yeux , que vous avez si doux , Ddmenlant vostro belle bouche , Seront plus croyables que vous. Vous sentez lout ce que jc sens : Vos discours les plus innocents Sont pleinsde ruse ct d'artilicc. Je ne croy plus a voire foy ; Je connais trop vosire malice : Vous n'estes enfant que pour moy. Etc Trois autres odes se rapprochent du genre pastoral. Dans Tune, le berger Daphnis exhale ses plainles melan( cliques . La Harpe en cite le commencement et la fin, qui sont reniarquables par la douce harmonic des vers. Le milieu est du plus mauvais gout , et forme la parlie principale. line autre est une chanson de berger a la loiiange de la reine mere. Sur huit strophes, trois sont mauvaiscs , une est faible ; les qualre autres sont ingenieuses et tournees avee une grace charmante : Paissez , chcres brebis , jouissez de la jnic Que le cici vous envoie. 7® sun LES OEUVUES POETIQUES A la fin sa ch'inencc a pili6 dc nos plcurs. Allcz dans la canipagnc, allez dans la prairie; N'6pargnez point les fleurs: II en revient assez sous les pas de Marie. Nous Bc rcverrons plus nos campagnesd(5sertes, Au lieu d'cspics , couverles Do tant dc bataillons I'nn !\ rautie opposcz. L'innoccncc et la paix rcgncront sur la terrc. El les Dieux apaiscz Oubliront pour jamais I'usage du tonnerre. La nymphe dc la Seine incessammcnt revere Ccstc grandc bcrgere. Qui chasse de scs bords tout sujoct de soucy ; Et, pour jouir long-lcmps de I'heurcuse fortune Que Ton possede icy , Porte plus lentcment son tribut a Neptune. Paissez done, mcs brebis, prenez part aux d61ices Donf les destins propices Par un si beau remede oal^niry nos doulcurs. Allcz dans la campagnc, allez dans la prairie, N'^pargnez point Icsileurs: n en revient assez sous les pas de Marie. Enfm , la troisieme , cc sont les cclebres stances sur la letraite. II n'y a dans Malhcrbc aucunc piece de vers de cette etendue, ouil y ait si pen a reprendre. Cos quinze stances sont reniarquables par une grande douceur et un heurcux abandon , et en meme temps il y a dans plusieurs une veritable elevation avec beau- coup de siniplicite. Nous nousbornonsa regret a citer les qualre plus belles, c'est-a-dire les trois premieres et la derniere : DE DESrORTES , DE BERTAL'T , ETC. 79 Tirris , il faul pcnscr h fairc la rctraite: La course de nos jours est plus qvth demi faitc; L'Ago inscnsiblement nous coniluit i la niort. Nous avons asspz veu sur la nicr de ce monde Errcr au gi(? dcs Hots notrc ncl" vagabonde : II est temps de jouir des d6lices du port. Le bicn de la fortune est un bicn pi^rissablc ; Quand on b;\tit sur ellc , on bitil sur le sable ; Plus on est ^\o,\6 , plus on court de dangers: Les grands pins sent en buttc aux coups de la lempeste, Et la rage des vents brise plustost Ic feste Dcs maisons de nos roys , que dcs toicts des bergers. 0 bicn-heurcux celuy qui pcutde sa m6moire ElTarcr pour jamais cc vain cspoirdo gloirc, Dont rinutile soing traverse nos plaisirs , Et qui , loing rcliri de la foule imporlune , Vivant dans samaison content desa fortune, A se/on sun pouioir mesur(5 scs dCsirs. Agrdables desserts, s6jour de I'innocencc, Oil, loing des vanitez , de la magniliccnce , Commence mon reposet finit mon tourmcnt , Valons , fleuves , rochers, pldi^anie. solitude , SI vous fustes tesmoings de mon inquietude , Soyez-le d6sormais demon contentcmcnt (1). (i) n y a (jviclcmmeiit J.iiis les qiiinie stancis Ju RaiMii , commc on pent t'eu cnnv.iincie en les lisant en eiitiur , des imitations ile roJe iVHoraeo A Liii- uiiis 5111 la nie.liocrite , et ile I'l-pocle siir la vie clianlpetie. Gamier a iliiite ces ileus oiles iVlIoiace Jans le premier et le secoiiil L-luciir ile fia traj;eilie de Toreie, et uvidemnieiit Kacan a tradnit en langagc IVanrais et poeticjiie le maluvais si; le de Gamier , aiK^uel il a empmnte quehiues traitb qui ne soiit pat dans le poi^te latin. La premit>re et la dernit'-re staiiee sont prestpie les scules qui soieiit entliremsnt de Raeaii. K ous citerons seiilement quelques vcls de Gamier pour en doniier line idee: Notre coiirte felicitc Coule et rt'LOule vagabonde, Ho SIR LES OCIVUE5 POtTIQtES Racan s'cst encore eleve assez haul dans une ode au roi Louis XIII j quelques strophes sent faibles , niais aucune n'est mauvaise , et plusieurs sont fort remar- quables : Desjii la Discorde enragee Sortoit des goiifTrcs de I'enfer ; Desja la France ravag(^e Revoyait Ic siccle de fer , Et dcsji loutes les Furies, Renouvclant leurs barbarics, Rcndoient les vices triomphants Par une impi(5l6 si noire , Que la Nuicl m^me n'eusl peu crolre Avoir produit de tels cnfants. Touterois nos rages civiles Ont Irompd I'espoir des meschanls ; Comme iin gallon agitd Des vagn^a contraires tie I'onde, Celiiy qui volage iejonde Sur un si douteuj: fondement , Semhle (pi'en I'arAne ivfcconde 11 eTitreprt'jtne un haUinient, Ij.l Fortune n'outrage pas Volontien les personnes basses , Hlle n'appesantit scs bras Que stir les plus lllustres races. Les rois rraigni-nt plus ses menaces Que les durs Itzboureurs ne font , JEt lefoudre est souvent aux placet Qui se muntagnerit plus le front. VoiliV Jans ce dernier vers le haut parler etles expressions choisies qni plai- saieat A KousarJ. Dans ccs deux nii-nies rliopurs pastoraux de Gamier, on Irouve , eu fait d'epitlictes A la nianit!;re ..,. 11 est clair que les hemistiches : de I'immortalite , — je ne me souviens plus , — en se precipitant , — et , que fe ne comprends pas, sont des rhjthmes de six syllabes, ou bien qu'ils doivent se decomposer en rhythmes plus courts, ou bien encore qu'ils ne doivent etre consideres que comme une suite de syllabes sans rhythme. Si ce sont des syllabes sans rhythme , le vers est vicieux dans une de scs moitics tout enliere , et alors ce n'est plus un vers. ()2 ANALYSE UHVTU.MIQUE Les decomposer en ihylbmes plus courts parait impossible, puisqu'ils ne presenlent aucune syllabe aci entuable , si ce n'cst la derniere , aucun repos de sens praticablc, si ce n'cst colui qui en marque la fin ( i ). Les admeltre pour rhytbraes de six syllab.-s , sous Ic noni d'hexaphoncs , nous scnible la seule solution pos- sible dela difliculte. Vhexaphone admis , il n'y a aucune raison de ne pas admettre cgaleiiicnt un pentnplwnc ; nous croyons re- connaitre Texistence de ce rhytbme dans les vers: Non, — je neferai passes qu'on veul — que je fasse.... Trui — ne en pre'cipilanl z::scs flols — amoncel6s.... Elc. Oil ces passages : je neferai pas , et en precipitant , distincts de (e qui les precede et de ce qui les suit . et places enlre deux pauses naturelles , ont , selou nous , tous les caracteres d'un rhytbme distinct, analogue a tous ceux que nous avons pretendu etablir. Une difiiculte se presentc sur la nature des deux monosyllabes qui , ea s'associant aux pcntaphones , dans les deux exemples cites , en coraposent avec eux les deux premiers hemistiches. (1) Quelques-uns de ceux qui ont essaye de poser les bases de noire theorie rhylhmiquc , onl pens6 lever la difflcull^ en admcKant de pr(?tendus accents sur des monosyllal)es de sens incomplei , prf posilions , pronoms , articles , etc. ; ou bien encore sur une des syllabcs radicalcs des polysyllabos longs ( des\ntcresse , etc. ) Mais ces accents n'existent pas , ou si on les admcltait , il faudrait rccon- natlrc qu'ils sont d'une nature particiiliere , ne marqiiant aucune espece de pause de sens, et ne pouvant par cons(^(picnt determiner la Dn d'un rliyihine , dans la sipnilication qu'a pour nous ce mot. Elle se prcsenlerade nouveau siir I'emploi deniono- syllabes analogues , que nous Irouvcrons ailleuis , places en divers postcs , aver d'aulres couibinaisoiis , quelquefois ineme plusieurs de sui(e , comme dans les vers ci-apres : Cieux , — 6coulcz — ma voix , = ler-re , pre— le roreillc... Toi, — qa'U pleurait — la nuU,=s/o/, — qu'il pleurait — le jour.... Contre (ant — d'ennemis, =que vous reste-t-il? — moi.... Va — cours — vole , — Arfthusc , = amene-moi — mon fils.... II est clair que , pris a part , chacun de ces monosyl- labes n'est pas un rhytbme ; tout rhytbme suppose; rapport de parties cntr'e/les , etil n'y a point de parlies dans un monosyllabe. Mais coninic d'ailleurs en se combinanl avec d'autresrhytbmes , ces niemes mono- syllabes remplissent visiblement cette fonction , de completer, au moins sous le rapport d'effel numeriqr.e, ce qui , sans eux , eat pu clocber dansle vers , il n'y a pas nioyen dc nier qu'ils en dcvieniicnt une partie in- dispensable, un element naturel el rhjthniiejue, comme les aufres ; c'ost sousce point de vue que nous croyons devoir les considerer, ct, a ce litre , nous ne balancons pas a adjoindre encore celui-ci aux precedents, desquels ilouvrira pour nous la seriesousle titrede monoplwne. Ceci pose , si nous cberchons ([uelles sont les for- mules nouvcllos du vers alexandrin, que pourra fournir Temploi de Vhexnplume el du pentophone complete , son equivalent , dans leur combinaison propre et reciproque , et aiissi en melanj^e , avec les formes d'hemislicbes dej;i connues, nous Uouvons (prdles ne q4 ANALYSE RHKTHMIQUE vont pas A nioins de 33, qu'on peut representer, comme les prec^dentes , par les chiffres ci-apres : 5. 1. — 5. 1. 1. 5. — 1. 5. 6. — 6. 5. 1. — I. 5. 5 1. — 6. 1. 5. — 5. 1. i. 5. — 6. 6. — 6. 1. 6. — 1. 5. 5. 1. — 2. 2. 2. 5. 1. — 3. 3. 5. 1. — 2. 4. 5. I. — 4. 2. 1. 5. — 2. 2. 2, 1. 5. — 3. 3. 1. 5. — 2. 4, 1. 5, — 4. 2. 6. — 2. 2. 8. 6. — 3. 3. 6. — 2. 4. 6, — 4. a. a. 2. 2. — 5. 1. 3. 3. — 5. I. 2. 4. — 5. 1. 4. 2. — 5. 1. 2. 2. 2. — 1. 5. 3. 3. — 1. 5. 2. 4. — 1. 5. 4. 2. — 1. S. DC VERS AI.EXANDRIN. ^5 8. 3. 9. — 6. 3. 3. — 6. 9. 4. — C. 4. 2. — 0. Enspmhip. • . 33. A joindre les formes prdcedcnles. 16. Total. ... 49. Que si niaintenant , independamment du r61e qu'il joue avec le pentaphone , dans le tableau ci-dessus , introduisant d'ailleurs le monophone dans toules Ics combinaisons primitives , et le promenant seul , ou mcnie deux ou trois fois repet^ , dans tous les poslrs qu'il peut occuper dans cbaque hemisticbe , k cote dcs rhylhnies de deux , de trois et de quatre syllabes , nous essayons de decouvrir quels nouveaux cbange- ments vont en resulter dans la contexture rbytbmique du vers , nous arriverons A no plus savoir qu'en dire d'exact. Le calcul des possibles ne donnerait pas moins de 8oo modes nouveaux ; quelques-uns peut-etre seraient a rejeter , comme etrangcs , ou nicnie ridicules ; unc ceniaine sont du meilleur effet ; ceux , par cxeniple , dans lesquels entreraient les formules des hemistiches : 1. 1. 9. 8. 8. 1. 1. 9. 1. I. 1. 3. f. 1. 4. 1. 9. 3. 1. 3. S. 8. 1. 3. C)(> ANALYSE UlIYTOMIQUB 2. 3. 1. :!. i. 1. 3. 1. 2. Etc. On pent n'ctre pas d'accord siir le caraclere el la propriete des aulres ; il nous importe peu qii'on en rejette quelques-uns de plus ou de moins. En tout cas , nous voici arrives A rcconnaitrequecet alexandrin , si accuse de monolonie , ne laisse pas d'etre susceptible de tant de formes , qu'il devient era- barrassant d'en assigner le nonibre , et que dans un niorceau suivi de vers de cetle espece , tels que nos grands poetes ont su lesfaire, il doit etre rare que deux de suite aient la ineme coupe et le meme niouve- ment. On conroit que le reproche banal d'une prelendue symetrie parfaite des deux bemistiches entr'eux, n'est pas autremenl fonde. Maitre de les varier a peu pres de toutesles manieres que suppose la corabinaison des chiffres propres a represcnter le nombre six , si le poete les fait quelque- fois seniblablcs , c'esl qu'apparemment il le veut ainsi ; la nature du vers comporte tout et ne le force a rien ; jc ne pense pas que dans Tanalyse suivie d'un morceau de Racine, on trouve babilucUement un vers sur huit , dont les heniislicbes respectifs soient semblables entr'eux, el la fanieuse conqjaraison de ses vers a sa perruque , restc un mot de dcnigremenl aussi faux que pauvre , et que dorenavant rignoranre presompturuse aura seulo le droit de repelor. DU VERS ALEXANDRIN. 9^ Si Ton a suivi avec quelquc attention le d^veloppe- mcnt qui precede , on aura reniarque sans doute que chacun des rhythmes , dont nous admettons renii)!oi dans levers alejcandrin,a desproprieles tres-distincles, el que leiir combinaison doit y produire des effets d'harmonie qui ne pourraient s'expliquer que par eux. Ainsi I'effet du diplwne est grave et lent ; repete plusieurs fois de suite dans le vers , 11 y exprime par- faiteinent I'effort ct la pesanteur , surlout lorsqu'il y proccde de la breve k la longue , A la mani^rc de Yiambe metrique ; c'cst par li que s'expliquent les pro- prietes de ces vers si connus : (Quatre boeufs— attel(?s)=5rf'Mn pas — tranquilU — et lent..,, Tracdt — a pas — taidifs —( im p6nl — ble sillon).... Protee — alors — /tag^«a«<=:{ vers I'antre — . accoutum6).... Lc triphone est le plus bel element de noire versi- fication ; ses caracteres generaux sont la noblesse et rbarmonie ; repete de suite, il incline aux mouvements vifs , si sa marche n'est rallcntie par des syllabes lon- gues ; il est superbe surtout dans la forme anapestique, ou il prend beaucoup de solennite. Ces differents effets sont particnlierement rcniarquables dans les vers : Le moment— oil je parler:est d(?ja — loindc moi... Un poignard — 61amain = rimplacal)le— Alhalie... Eh ! quel temps fut jamais = pins fertile — en miracles ?.. Mis en opposition avec le diphune , dans des hemis- ticbes correspondants , il produit des contrastes de mouvementsmerveillcux dans los suivanls -. 98 ANAl.VSK ll!5YTIIMl(,H K (^ii'Ajat — soiiU'Vc — nil 101 = < / /'' hinct — de David, , =oii — le chcrckerons-nnus ?.... Je te I'fii confie zzdes I'ft — gc le plus tr/tdre... Le propre du monophonc est suiiout do delacher for- tement deloutaulreauire, rolijelsur lequel il roncenlre rallenlion , et d- faiic ressorlir avec vivacile les qua- liles imilatives du mol qui Texprime ; il communique surlout j\ Fexclaniaiion et i rai)Osliophe un caiaelere de soli nnite et d'energie remarquable ; redouble oti triple dans les comniandomcnis et les enumeralions, il y peint vivement ledesordre des senlinienls ( t celui des ehoscs ; place a deux posies correspondants, dans des pbrases correlatives , il y fait ressorlir le conlraste ou le rapport des objels , par ceux d'une sorle de cri d'aniionce. Tout cela sera sensible dans les exemples ci-apres : Out, — je vicns — dans soil temple = adorer — I'^trrnel.... Dieux .' — que ne suis-je — assises a lom- bre des forfls !.... UL VERS ALEXANDRIN. t>) fironde—'cn tigrc— irrit6 , zzglisse—e{ sirtle — en serpen!.... f^a ,— cours ,—vole , — Ar^lhuse , =am6ne-nioi— inon filsl.... Bois,~i)res,~champs,—a.n\ma.\i\, stoutest— pour son usage.... L'une •*- embrasse — n gcnou\ = scs colon — ncs sacrdes.... V autre — 'j col — lesa bouche,=cl ses mains, — el ses yeui.... Tui, — qu'il pleurait — la niiit,=:^w, — qu'i! plcurait— le Jour..,. C'est done en cffet dii melange et de rassortiment bien cntendu de ces coupes que rcsulle surtout la beaule malerielle du vers; I'essenliel est d'en appro- prier le mouvement a celui des choses , et de faire con- courir les cffcts du rhylbnie a Texpression de la pensee ot du sentiment. Dans noire theorie , tout rhythme est determine par un repos, et lout repos a la suite d'un ibylhnie est ce que nous appelons une cesure. Ainsi, A la difference de ceux qui , rcstreignant ce nom au repos de I'hernisliche, ont dit que notre alexanclrin n'a qu'une cesure , lou- jours placee apres la sixiemc svllabo , et a la difference aussi de ceux qui , pour les combattre , ont repondu qu'outre le repos oblige de Miemistiche , notre nlexan- drin avail toujours une autre cesure Hire , placee on le iK)cte le jugeail ci propos , et qui f:u(fisait pour on varier la marche ; nous dirons , nous , que beaucoup de nos vers alexandrins ont cinq cesures , qu'il y en a pen qui en aient nioins de trois , que ceiix de deux sont rares , et que ce serail presque un lour de force d'en faire qui n'en eussenl quune , puisqu'on ne pourrait les composer, chacun, que de la reunion de deux hexa- pftone*, c'est-A-dire de la repetition immediate d'un rhylbme qui , menie dans toute autre combinaison , lOO ANALYSE HmrUMiOVH est d'lin usage asscz borrs^ pour que nous n'on con- naissions guore que les exeinplcs que nous avoiis cites en leur lieu. Entre les diverses cesures qui peuvent enlrcr dans la composition du vers alexandrin , toutes ne sont pas d'une egalc importance; Ic repos qui marque la fin dc la phrase , ceux qui delermincnt La suspension de ses nienibres , ceux encore que Ton pent inlroduire entre les elements parliels de c( s memes membies , doivent naturellement diff6rer entr'eux (X! intonation et de durce; cela semble a\oir 6t6 scnti de tout temps ; mais la pratique de nos poeles consacre deux modes d'appli- cation tout opposes d'une seule et mi^me obsrrvation. Los uns , pour la regularite de la composition , ont voulu que les grands el Icsmoyens repos lombassent en general a la fin du vers ; que ceux de i'hemisliclie fussent , autant que possible , de nature moyenne , et surtout qu'aucun grand repos ne se trouvAt jamais ptace ailleurs. Les aulres , en vuc dc la varietc , ont affectd de ronipre k dessein cet accord rigourcux du sens et des mesures,etde Jeter dans levers des effets de suspension et de surprise , en arretanl brusqucmentle sens , apres les premiers mots , ou immediatemenl avant les der- niers , de Tun ou I'autre bemistiche , de manierc que les postes des pauses prcscrites fussent rarcment ceux ou se rencontrent les gramls rcpns. Le premier de ces deux modes est celui que nos grands po(itesdu 17"^. siec'e ont exclusivement employe dans leurs compositions du genre lieroique ; quelques- uns d'entr'eux ont fait usage du second dans les ou- DU VUBS ALEXANDni.V. lOI vrages du caraclere simple et faniilier ; les formes principalos de ce dernier ont 6lc transportees , depuis environ Go ans , dans la poesie la plus solenncUo, avec ci: conspeclion el intelligence par Ics uns, avec audace el bizarrerie par les autres ; une ecole loule nioderne parail disposee i pousser les cboses an point A'alterer tout-h-fail le rhythme , c'esl-i-dire ce qui conslilue I'l ssence mome du vers. Ainsi lorsque Delille a dil : Soudain — le mont — liquide = (!-lev6 — dans les airs , Retombe ; — un nolr — limon = bouillon — na sur les mcrs. Ou bien encore s L'univers — (5branl6 = s'6pouvan— te ; le DIeu-, D'un bras — 6tlncelant = dardant — un trail — de feu.... Elc. II esl clair qu'il n'a pas dispose les cesures selon I'ordre de leur inxportance relative , niais ce qu'il a fail , on sent parfaitement que'le raison il a eiie de le faire , el celte raison est assez bonne pour que per- sonne nc songe k le b'amcr de n'avoir pas fait autre- ment. On a di\ (ie mcme accueillir avec plus ou moins de faveur , ces vers de Lebriin sur la puissance de Dieu • Du char— glac6 — de I'Oursesaux fcux — deSirhis, II r(?gne ; — il rcgne — encore = oil les cieux — ne sont plus. Et ceuxd'/^Mf/re Chcriicr , sur le vicux Homcre: C'cst ainsi — qu'achevai(=:raveuslc - en soupirant. I02 ANALYSE KHYTHMIQUK Et pres des bols — marchait ssfaible, —el sur une plerrc , S'asseyait.... Ou nidme encore ceux-ci de Malfdlatre : On cntendit — au loin = retentir -►une roii Lamentable , — et des cris z: sorlis *- du fond — des bols. Dans tout cela , il y a d^placement visible de presque tous les grands repos j niais ceux qui marqucnt les hemistiches etlcs finsde vers , sent encore de nature moyenne , ou du moins paraissent tels , jusqu'a ce que Timpression en ail et6 affaiblie par cellc du repos plus fort qui les suit de si pr6s. L'effet total d'ailleurs y laisse subsister le jeu des rhythmes dans son rapport avec celui des pieds sylla- biques , et par consequent ne change rien i la consti- tution intime du vers. Nous ne pensons pas que M. Victor Hugo reclame le meme jugemont en faveur de Yalexandrin retrempe , dont il nous offre le type dans son Hernani ; il y vise d d'autres effets , et c'est un art tout nouveau qu'il se propose d'etablir. Son secret consislc surtout en ce point : Qu'i la pause de I'hemistiche , et aussi a celle qui marque la fin du vers , au lieu d'un mot de repos r6el de premiere oude seconde espece, souvent il affecle de s'arreter tout expres sur un de ceux qui semblent h. peine en comporteraccidentellement un dela troisieme; sur un do ces niols d'altenlc, dont le sens incoinplet ne sera fixe (\WQpar ce qui va le suivre; d'ou il advienl que la pause qu'il y fait, toutc de caprice, peu sensible, DU VERS ALEXANDUl.N. loj qiielquefois nuime absolunicnt impiaticable , manjufl mal la niesuie du vers , si on ne force pas le debit , ou bien en disloque le sens et les ib^thnies , si on essaie de Vy forcer. Co defaut exisle evidemment i rhemistiche des vers ci-apri>s : Je suis banni , je suit — proscrit , ]c suls funeste.... En attendant, ye aV/i — /rcft dii ciel jaloux.... Ne prenez que-cf qui — peut ilre dut- oucomlf.^.. Mais que vcux-lii ^ ma pamre — erijdiii .' quand.orf-e*il vimix.... C'esl TAJlemagne ,.c'cj/ — In Frame , c'csl rEspagiiCi... Un <5dlfice , oirc — deux homines au sommet.... On pent di e , au nioiiis cos deux deiniers , qu'il n'y a dck'id^ment aucuric apparenrc A'^fie mis l ichc , cl que pour les separer en deux parlies egales , il faudrait dans Tune ct Taulrc cooper un telraphone. par la moiti»j. De qiielque fa(j.on.qu'an lenrenne, il est diflkile c'e recevoir lout cela pour des alexandrins ,• le dernier sur- toul semble eKprossement laille sur le inodele de cclui (jti'on avail fait autrefois pour rire : Adieu , je n>'en vais d — Paris , pour mes affaires^.. Et il n'cn exisle peul-^tro d'analognes que dans la tiagedie dtt pi'rrnquier mailfc Andre. C'esl qu'i le bien prendre , le vers alexandrin est en effet un vers douh'U , ou , si on le veut absolument , un lonfi; lers itnitjue , que sa division en deux moilles rend scule bien appnciubk a I'ureilk; cellc division a besoin lo4 ANALYSE RHYTOMIQUE d'etre marquee , au moins par iin repos , commcla Gn du vers Test, ordinairement, ct par un repos et par line rime ; qu'on supprime le repos de rhemisliche , ou qu'on I'affaiblissc A certain point , la division dcvicnt insensible ; de ce moment il n'y a plus de mesure sai- sissable , par consequent plus de vers. Les pauses finales sunt de meme; un fait suit I'autre ; ct iln'y auraileuaucuneraison demarquer diversement les deux repos d'un vers double ; c'est aussi par dislo- cation que I'auteur aime i\ les falre ; et rcnjanibement que souvent elles preparent , est le plus communement de I'espece de ceux qui n'ontaucun objctde mouvement k exprimer. Tels nous seniblent ces exemples : Parce qu'on est jaloux — des autrcs , et honteux De sot.... Car sescheveux sonl noirs,-^et son ceil reluit comme Le ticn..,. Je suis Jean d'Arragon , — grand maltre d'Avis» ne Dans I'exil, fils proscrit— d'un p6re assassin^. Je vous aime , Hernani ; — je vous pardonne , et n'ai Que de I'amour pour vous.... Voila done ce qu'il est ; — moi , je suis pauvre , et Weus, Tout enfant), que les bois , — oti jc courais pieds nuds.... L'effct dece systemede dislocation est singulier dans I'espression des traits de contraste ; on dirait que I'auteur met i en eparpiller les termcs correlalifs , le soin qu'un autre prendrait a les faire correspondre dans les rhythmes : lis font et ddfonl; I'cn — delle ct I'autrb coupe.... Liri , dans son pre vert ; moi , — dans mcs noircs alle'es.,>. DU VERS ALEXANDKIN. 1 o5 A tout cela sans doufe aussi il y a des intentions, mais non pas de celles qui saisissent d'abord tous Ics esprils , ct auxquellcs on s'associe de soi-memc ; dans le noble dessein d'altcindre des cffels a<]xque!s appareninient I'art se refuse , M. Hus;o nous semblc etrealle souvent jusqu'i alterer ce dernier dans ses principes essentiels. Tout system- bien entendu de lecture ou de decla- malion d'ouvrages en vers , suppose au moins le senti- ment dela Iheorie rhytlimiquc , et ne parait pouvoir s'etablir que sur des principes qui s'y rapport ent ou en soient deduits. L'essentiel sera foujours de bien detacher tous les rhyihmes , ou ce qui rovient au meme, cVobserver soi- gneuscment tous les repos , en donnant k chacun le degre d'imporlance et do duree qui lui convient , sans forcer ceux des pauses prescrites , sans trop affecter aussi de les affaiblir , variant , autant qu'il se peut , I'intonation ct les mouvcmenls , selon la nature des choses et Ic caractere des sentiments exprimes. Dans cette operation , le lecteur peut quelqucfois aller jusqu'A corrigcr.par Ic debit, des inoonvcnanees de rhythmes echappees au poete , en reunissant en un seul ce qui partout ailleurs se com.pterait pour deux , ou en subdivisant au contraire en deux, ce qui a la rigueur scmble ne devoir en former qu'un. On concoit que ce vers de Delille : Pcigncz — en vers — legcrssranianl — leger — de Flore.... ne doit pas etre lu corame si la nature des objcts y lo6 ANALYSE KHYTIIMiyt'E niolivail I'dnploi dcs rhylhnit's graves ; ic mieux seia d'y supprimer deux repos , el d'y r^uiiir eii deux tctra- phones les mots : en vers Icgers , ct : Vamant Ic^cr , qu'on se garderait bien d'assenibler ainsi, s'ils expri- niaient des objets auxquels convinl un autre niouve- iiient. Au contraire dans ces vers de Soilcau sur les rois faineants : AucuTi soiir— n'approchail=.de Icur palsible cour.... Niille consideration ne justifismt I'emploi dcs rhylbnies rapides, il sera bon de faire sentir la fin du moipaisihlc ( de laquelle on tiendrail ailleurs pen de compte), etmenieaussi d'yeiablir un petit repos factice apres le mot d'attente: leiir , de maiiieie i decomposer en Irois rbythmesle demi vers final , que dans d'autres donnees , il eut ete plus4;ettvcnablede prononcer sans division. Deux sorles d'embarrasde&plirs graves dans le vers sont ceux qu'y produiraient d'uiie part Tabus des longs mots , et de I'autje , renlasse-ment da monosyllal/es d'effet isol6. Les premiers nepouvant se decomposer en rlnlbmes partiels , et s'emparant quelquefois de tout un hemis* tiche, tendent A precipiter le debit sur dcs syllabes sans arret, donl la signification , ordinairement loule ntetaphysique , est loin d'exiger un jwreil mode d'enon- ciation ; ceci s'applique aux vers : Les coupa - bles cffcls = (/e leurs divisions.... La (uperslilionz:qiic%a\ — Ic Ic silence....^ DV VERS ALEXANDBIX. I 07 Le defaut des autres lienl i ce que, rcfusant de se Her enihylhmes de conibinaison, ilsLatlieraionl le vers en fragments sees et brusques , dans la succession des- quels Vordre et le nombrc ne se nianifesteraicnl par aucun rapport ; telesl celui de eel excmple connu : Nez , — cou ,— sein, — port,— tefnt,— tallle,= en cl— le loal ravit.... Hors ce cas, Temploi des monosyllabes , proscrit par une critique vulgaire , n'a rien de r^ellemcnt repre- hensible en vers. Boileau a tres-bien dil r Mais moi, — qni, dans le fond,=:sais bien — ce (fue j'eu crois .„ Et flacme ( entre bcaucoup d'autres exemples ana- logues ) •- Le jour — B'est pa»— plus pur = que le fond — de mon coeur.... L'emploi et la succession des diverses cspeces de rbjthmcs dans les vers destinds au debit , n'ont ete et n'ont du etre assujetlis i aucune regie particuliere ; la variefe du mouvenienl parait devoir £'tre un des principaux ni6rites de la composition , et le poete doit resler libre du cboix des combinaisons, aOn de pouvoir toujours les assortir aux convenances variables des details de son sujet. 11 n'en est pas de mSme Jes vers destines au chant ; non sculement il est bon que la conibinaison i!es rl)} Ihnjcs y soit assujetlie a quelquc rapport de symc- trie, niais il est surlout indispensable qi:e les vers Io8 AXALVSK RHYTllMIQUE coiresponclants de f'Laquc couplet , destines au mrmc chant , aient csactcment le nieme ili^lhme , sansquoi los pauses dc I'air compose pour I'un , coupant raude A contre-teiiips, lui feraient neccssaircnient produire un effet ridicule. Le vers : Voici — les lieux — cliarmants = ou mon fi — me ravfe , ne pourrait sans dissonnance sc chanter conime cct autre : La victoire — en chantant=:nous ou— vre la barrierc; parce qu'd I'exccption des pauses prcscri les, tout est different dans leur niouvement respcctif. N. B. On comprend que les principes essentiels do cette theorie doivcnt elre applicable?, outre Valcxan- drin , a tons les autres vers francais , de fpielque ine- surc qu'ils puisscnt ctre , sauf les scules differences qui resuUent dc la condition nieme de leurs niesures ; c'est bien ce qui existe en effet ; Ic seal point important A noter k cet egard, c'est que dans les vers de sept et huit syllabes , la combinaison rhythiuique , au lieu de s'arreter kVhexaphone, comma (^an?, \e demi-alexan- drin , pent admctlrc des formes plus longues d'une ou de deux syllabes, egalantA I'occasion I'elendue tolale de ccs deux memos vers , qui , conmie on salt , ne sont soumis i aucune regie de rcpos prcstrit. On pourra done y trouver par fois des rhjihmcs de combinaison analogues anx formes suivantes : DU VKBS AI.EXA.NDBIN. 109 Sije nc Ic disais pas.... Et: Vous ne me reconnatlrez plus.... Hcptaphones el oclophoncs indivisibles, commeon voit ; ce sont la dc pauvres rhythmes , que roicillc n'appiccie guere qn'cii cLcrcbant a y saisir des appai en* es de di'coniposilionsarlificielles, qui n'y sont j)asen efi'ol. lis n'en existent pas moins eux-memcs, puisque les regies de la versification commune ne les out pas rejetes ; nous avons entendu chanter , dans une chanson de 1 793 , le vers : Pour I'indivisibilild. L'air en faisait «n dipltone et deux triplwnes factices; IVffet ctait d'autant plus grotesque qu'il aspirail a eire solennel. Nousdcvons averlir ici quel'idee principale, faisant le fonds de celte llioorie, est prise du grand travail de Tabbe Scoppa , siir les S3 slemes compares de la versifi- cation francaixe el ilaliennc, ouvrage precieux , malgre scs defauts et ses erreurs , niais que Tauteur n'a pas su meltre a la portee de tons les esprits , ni snrtout resu- mer enprincipes d'applicalioii claire , precise et melho- dique. Sa notion du rhjthnie nous a fourni noire point no AXALVSU lUIVTIIMIQUE dc (lopart ; tlans Ic roslc r.ous avons entcndu niarclier de noiis-rncmes , et sans nous allacbcr aucunement soil i le suivre , soil k revitcr. Avant nous , I'abbe Gautier avail essaye de lirer du niome fonds , sur ce sujct de la rncsure rhythmique clu vers J'rancais , un petit traile tout pratique , qui ])eat avoir eu sonulilite , mais que nous jugeons d'aillcurs insuflisant ct fautif. Plus ancienneinent , ct bien avant Scoppa , d'autres critiques , ^Olivet surtout, avaienl aussi essaye d'ela- blir des theories rhyihmiques , mais en partant d'une idee fausse du rhythmc; leurs recberches n'ont pu nous elrc d'aucun secours. SUR L'OUVRAGE IKTlTULfe : JUGEMENT DE M. DE SCHELLING SUR LA PHILO- SOPHIE DE M. VICTOR COUSIN; Par M. E. SAISSET , Frofesseur de philosophic au Collide royal do Caen. Qiiand Scbelling publia , dans ccs derniers Iem{is , i:On Jitgement snr In philosophic de fli. Cousin , ce fiit iin ftvenoment philosophique au-dela dii Rbin. La se- lieiise Alleniagne prcta I'oroille a la voix du plus illustte de scs peiiseurs , rompant un silence de pres de vingt annees , j)our jiiger la philosophie frangaise dans son phis eloquent organe. En France , dans cc torrent de publications qui , cliaque jour , flatlent les passions de la foule , le livre dp Scbelling s'est perdu et comnie englouti. Nous vivons dans nn age de politique et d'induslrie , Age de fer pour la nietapbysique. J'ai pens6 , neanmoins , que dans nne academic oi^ (ant d'csprits edaires conservenl Ic depAl du vieil 112 IIEFLEXIONS amour de nos pores pour la philosophic, dc courles reflexions siir Tecrit trop peu connu de Schelling seraieut entendues avec interet. I. M. SthelHng commence par remcrcier M. Cousin d'avoir cntrepris de former une 6{roile alliance cntre Tesprit (lerAlleniagnecl Tespril francais. l*oiir la ft^con- dif«^ et I'originalite de la pensee , M. Schelling , en bon Alleniand , parait croire que son pays est plus en me- sure do nous faire des avances qu'il n'a besoin de nous eniprur.ter ; mais il veul bien reconnailre qu'en fait de style ct de clarte , ses compatriotos ont quelque chose a gagncr dans le pays c'e Descartes. Ils'el^ve avec force contre ce ridicule jirojuge qui mesure la profondeiir dos idees par leur obscuriie , et , si Ton n'y prcnait garde , fcrait bientot de la philosophie , doniaine de I'evidencc et de la realite , je ne sais quelle region fan- tastiqiie peuplec d'onibres et dc fantfimcs. « Lcs AUemands , dit-il ( trad, franc. , p. 3) habitues i so regarder comme le peuple elu de la philosophie , avaient renonce A se faire coniprendre des autres nations , oubliant que lebut primitifde toute philoso- phie , but souvent manque , mais qu'il n'en faut pas nioins toujouis poursuivre , est d'obtenir Tassentiment universel en se rendant univorsellement intelligible. » On aime k voir un metaphysicion alleniand faire un si bel eloge de la clarte , et la recommander par dos motifs d'lin ordre si relcve. Seulement , on regret(e qiielquefois , en lisanl I'ecrit de M. Schelling , qu'apres SLR SCUELLING. Il3 unc profession dc foi si edifianle , il n'ait pas jiig6 4 propos d'ajoufer k la verite du precepte la force et I'aulorite dc Texemple. Avant d'aller plus loin , nous hasarderons une re-' flexion. CerJaines personnes inclinent A penser que le pen- chant de M. Cousin pour la philosophic allemande peut bien meriter les remcrciments de nos voisins , raais qu'il n'a pas les memes droits i la reconnaissance de notre pays. Si ce reproche n'avait d'autre fondement qu'un pa- triolisme honnctc , mais etroit et nial placdi , il ne meriterait pas un cxamen serieux. Depuis quand , en effet, le patriotisme est-il une vertu dans la republique des lettres ?Tout ami du heau et du vrai n'y a-t-il pas droit de cite ? La philosophie , comme la litterature , comme les arts , n'esl-ellc pas cosmopolite 7 Chaque jour , on fait honneur a M■"^ de Stael d'avoir appris aux amis de Corneille et de Racine c\ admirer Schiller el Goethe ; pourquoi M. Cousin serait-il si coupable d'avoir ouvert les livres de Kant aux rompatriotes de Condillac ? Mais on a fait aussi une critique plus serieuse. On a accuse rillustre ecrivaind'allerer les heureuses qualiles et les saines habitudes de Tesprit fran^ ais par Timpor- tation indiscrete de qualites et d'habitudes etrangeres , et , pour ainsi dire , de detourner le cours limpide et pur de la philosophie indigene vers cp torrent impetueux et trouble oii flolte la pensee germanique. AUons droit au prejuge on ce reproche a son origine ; ce prejuge fort invetere , mais qui n'en est pas moins 8 Il4 KEFLEXIOftS deraisonnab'e , c'est que la philosopbte doil 6lrc misc a la porlee de lout le monde. Uu temps d'Arnauld el de Malebrar.dic, on croyait on France que pours'elever A Tinlelligence des meditations d'nn grand esprit , il fallait soi-memo avoir beaucoup medite. Lo pretention de comprcndre en se jouant ces hautes pensees , fruit laborieux du genie fecond6 par la reflexion , eut semble ridicule aux bommes graves de celle epoque. Mais depuis que Voltaire devenu tout k coup grand metapbysicien apres avoir feuillete Locke , eut tant I'gaye ses amis aux depens de la Fision en Dicn el des Jdees innees, depuis surloul quel'abbe de Condillac eul decouvert en Anglelerre le merveilleux sysleme de la sensation, il fut convenu que Descartes et Leibnilz avaient decidement embrouill6 la metapbysique , et qu'avec la pierre pbilosopbale de la sensation transfor- mce , on al'ait cbanger ce vieux melal convert de rouillc en or brillant et pur. Cette illusion deplorable eut deux consequences: d'abord , un niepris universel de la sagcsse antique , et par suite une profonde ignorance des temps passes; eufiil , cequi est plus grave , ralleration du sens pbilo- sopbique. Je n'exagore rien. Qu'on veuille bien me citer en France, depuis Mallebrancbe , un seul m(''laphysicien du premier ordre. J'ai beau parcourir le siicle des philoxo/jJies . \e n'ypuis derouvrir nn sysleme original de pbilosophie. L'ecole de Condillac a voidu rendre la science facile el popuiaire; mais , comme on Ta fort biea dit , au lieu u'elever les esprits k la bsuteur de la sea SCBELLING. Il5 philosophie , elle a abaiss6 la philosophic au niveau des esprils frivoles. Au commencement du XIX''. siecle , une heureuse reaclion conimen^a a s'operer dans Ics esprils. M. Royer-Collard , avec un admirable A-propos et cclte vigueur d'inlelligence qui n'appartient qu'A lui , vint opposer la philosojihie ecossaisse, la philosophie de I'observation et du sens comraun , A cette doctrine artificielle dont I'^troite analyse mutilait I'esprit hu- main. Mais il nesuflisait pas dedetr6ner Condillac ; il fallait imprimer k la pensec un nouvel essor. M. Cousin sentit que la doctrine des sages d'Edimbourg , avec son esprit tiraide et ses perspectives bornees , (^tait inca- pable de donner le branle 4 des intelligences enervecs et comme assoupies. Ses yeux se tournerent vers TAUemagne , oil , A ce moment mome , un admirable elan emportait les esprils sous les bannieres rivales de Schelling et d'Hegel , aux plus hautes speculations de la pensee. Peut-on serieusement reprocher a M. Cousin denous avoir propose pour guides en philosophie , au lieu d'Helvelius ct Volney , Leibnitz , Kant, Fichte, Jacobi, et pour I'histoire de la science , d'avoir mis au-dessus des aper^us grossierement ignoranls du XVIII^ siecle , la critique ingenieuse , solide et profonde d'un Tenne- raann , d'un Schleiermacher , d'un Brandis? On dit que les livres allemands sont indechiffrables. Je ne les cite pas comme des niodeles de clarte ; mais j'avoue qu'en y desirant une marche plus nette , plus sAre , plus degagee , je n'y regrotte pas du tout la i)C) RKvi,i:xio?(s clarlc (In Dictionnairc philosophique , iii celle dii livre De I'esprit , ni meme celle dr; rinlroduclion Irop voiilt'-e de rEncvclopinlie, en an mot la clarle sleiile do i-^\U^ philosophic siipcrficicUe el passionnee qui a ('mousse , fausso , perveili en France le verilable esprit philoso- phiqiie. Du lesleqiron ne s'effraie pas trop devoir la France deriver vers rAllemagne. Les critiques deM. Pchclling vonl nous convaincre que -M. Cousin, dans le com- inene intiuic des genies etranpers , a s>i conserver toule rindcpendanre deson esprit , el que s'il est sou- vent allemand par la profondeur de scs vues, il reste toujours francais par sa mi^lhode. II. Voi«i Tordrc queM. Schelling s'est trace dansl'exa- nien de la doi trine frauraise : Apres une exposilion et unc critique generales de la doclrinede M. Cousin , il parcourt successivement les points que voici : i". LaMelhode ; 2". L'applicalion de la niethode ; 3°. Le passage de la Psychologic i 1 Ontologies 4". Les vues generales sur I'hisloire de la philosophic. Dans son exposition gen6rale , M. Schelling deter- nune avec beaucoup de justesse cl de precision cequ'on peut appeler avec lui rindividualilc philosophique de M. Coiisin. Conune sou siecle, M. Cousin est parli de Condillac, mais pour s'en separer bienlAt. II a pris des mains de Sl'R SCUIiLLl>C. 1 I" 1 ecole sensualiste !a mtMhode psychologiqiic dont clip ;illeiait la verUi par iinc analyse inCdcMc, it a ontropris, |»ar celfe melhodc, a la fois large el sihe , de recons- Iniire les Laiilos parties de la srieme, el dc rctroiiver dans la iiatuie humaine ces grandes veritos , foi eter- nolle du genre hiunain et elernel ubjel de la philosophic, que r6troil systenio dc la sensation s. mblait avoir t'touffees. Etd'abord, stir les Iraoes de Maine de Biran , il constate et decril, a cote du phc^ioinene dc la sensation, iin phenonieue qu'auiohjccUveoUi devienl objot, mais qui de chaque objec- tivite revient victorieux et se montre chaque fois a une plus haute puissance de ,w/yt'c8 KtFLIiXlONS avanlflge Ic roprothc d'illusion a M. Scbelling , et lui dire avec son illuslre compalriole Kant : Les esprils hardis s'imaginent que Tobservalion est \me entiave , tandis qu'clle est un soutien. « CVst ainsi que la colombe legere pourrait croire , lorsqu'cUe fend dun vol rapide et libre I'air dont elle sent la resis- tance , qu'clle volerail plus rapidement encore dans le vide. Et c'esl encore ainsi qu'en dedaignant le nionde sensible on se basarde au-dela du monde , sur les ailes des idees , dans I'espace vide de Tentendement pur. » ( Crit. de la Rais. pur. I , p. 43 ). Nous croyons avoir le droit de condure de loute cctte discussion : 1°. Que M. Cousin reconnait commeM. Scbelling et lous les pbilosojtbes , que le but final de la pbilosopbie est d'expliquer Tordre et la nature des cboses. 2". M. Cousin n'a pas un systeme coniplet de nieta- pliysique. II a une inetbode. 3". M. Cousin pense avcc Socrate, avec Descartes , avec KanI, que la nielliodc d'observalion psycbologique est I'arcbe de salut en pbilosopbie, et M. Scbelling, en niant rexccUence de celte metbode, se condamne a des embarras insurmontables. IV. Dans les deux parties qui suivcnt , Application de la metltocle , Passas^e cle la psychologic a f ontologie ^ M. Scbelling reviont sur la question precedente , mais sans ricn ajoufcr de nouveau. En outre , il altaque la doctrine franraise sur deux \ SDR M. SCIIELLING. t29 points tres- graves , Fun de psychologic , roriginc de I'idee de substance^ Tautre de theodicee, Dieu considerc comnic crealcur. Nous ne diroiis rien de la premiere critique, de crainte d'abuscr de la patience de rAcadeniie ; niais elle nous permettra de nous expliquer avec quelque etendue sur le problenie theologique. On se souvient que la publication dcs Fragments phi- losophiques en 1827 suscita un orage. Les reproches de pantbeisnie et de spinosisme ^clatercnt de toutes parts. Ces accusations passionnees pouvaient s'expliquer par des preventions hosliles et une sorte de parti pris contre la philosopbie nouveile ; mais j'avoue que c'est une chose tres-grave d'entendre M. Schelling fortiCer cclle imputation de pantheisnie du poids do son impar- tiale autorile. II dit clairement , p. 82 , qu'il n'apercoit aucune dif- ference entre le Dieu du systeme de Spii.osa et celui de la doctrine de M. Cousin. J ose dire que I'illustre critique s'est f ronipe , et en appellor de ce jugement precipile a une decision plus attentive. A quoi sc r^duisent en effel les pretondues preuves des adversaires de M . Cousin ? Le voici , si je ne me trompe : Vous n'admettez , lui disent-ils , qu'une seule subs- tance. Vous pretendez que la creation est eterncUe et ne- cessaire. Done vous 6tes pantheiste el fataliste . en un mot spinosiste. g l3o REFLEXIONS M-ais M. CoTisin ne pciit-il pas r/'pondrc : J'atlmols A!avt''rito,qiriln''y a qirunosenlcsnbslanfO; mais il fa\il hmi m'oiilendrc et ne pas me condaiiiiiei- «ur un rtiot , mal cboisi peul-ctre , raais parfailtMiKMit innocent. J'appelle substance, ce qtune suppoic rien an- delh Ae soi relattvement a iexistciK-e. Or , il esl evidenl qu'il ny a qu'iin scid E(re qui ait cecaractere et possede ceUe verlu. Est-ce \k le panlheisme? A ce comple, tons- Jes phikisopbes <^t tou-s les bommes sont pantheisles . «xcepte les manicbeons qui adn>etlcnl deux Etres ne- cessaires. Si done je merilc le reproche dp panlbeisme pom- avoir dit : II n'y a qu'une substance , en entendant par 1& , il n^y -a qu'un ctfe qui exisle par soi, I'ailes reinoii- 4cr i'accusation jusqu'aux SaintesEcriluros, ou Dieu se dc'finit lui-mrn>e : Celui qui est. Ego sum qui sum. VoilA po!!r Tuniic dc la substance. <)uant i releruite de la ereatioii , il est vrai que c'esl un article de mon symbole pbilosopbique. Mais je sou- tiens que celle opinion n'a rien de cotuniun avec le panlbeisme , ni avec le falalisme. Aucun bistorien de la pbilosopbie a-t-i! jamais range Aristotc et Platon au uombre des panlbeistes? Tun et I'autre admettenl pourtant que la creation est elernelle. J'ajouterai une autoritti non nioins iniposanle. Saint Auguslin , ce grand Ibeologien qui est aussi un grand philosopbe , dans un livre de la Cite de Dieu, examine cette question : Dieu a-t-il jamais exisle sans creatures? Le prolond docteur hesite enire les deux solutions opposees. Et lout en adoptant Topinion qui parait la 91111 M. SCHEI.LING. l3l plus orthodoxe, il ne cache pas son penchant pour I'opi- nion contrairoet montre fori bien, la et ailleurs, quVlIu ifest nuUonicnt oppos('e A la lellre et a I'esprit de la re- \elation. En cffet , de ce que Dieu a toiijours cree , il n'cn resullepas qiicles creatures luisoient co-eternelles ; car toule creature est dans le temps et Dieu est au-dessus du temps dans son indivisible etcrnile. Je laisse parler saint Augustin : « De celte maniere, si Dieu a toujoursete Seigneur, il a toujours cu des creatures qui lui out cte assujetties ct qui n'ont pas ete cngendrees de sa substance , mais qu'il a tirees du neanl , et qui par consequent ne lui sonf pas co-clcrnclles. ILi-iail avnnt dies, quoiqu'il ii'nit jamais etc sans elles , parce quil no les a pas [jrecedccs par un inlervalle de lenips, mais par une clernite fixc.» ( Cite de Dieu. Liv. xil , oha|). j5). « Erat quippe ante ilhim , quamvis nuUo tempore sine ilia ; non eani spalio transcurrenle sed ninnonla perpetuitale pr«cedons.rt(Aug. op vi,3i4- Ed. Bened.) J'ajouterai un passage dcsCiOnfossioiis, autre ouvrage plein d'une sublime pbilosopbie , oij saint Augustin fait voir avec sa profondeur ordinaire que su;»poser nn certain temps avant la creation, c'esi nepas s'entendie : Chap. i3 du liv. Xl , intihile : (,>iic c'est se irompcr que de se figurer dcs tcfiips nvnnl la cn'alion du nionile. Pour ne pas citer tout le chapiire , je me bornerai a nne courte analyse dont je puis garantir la lid^lile : « Quelques-uns demandent ce que Dieu faisail avant de creer le ciel et la terre. rotte question est deraison- nable ; car on suppose qu'avant qu'il y cut des crea- l32 REFLEXIONS lures, il y avait du temps Or, lo fomps est liii-mi^inc une creature. Ainsi. de deiix clidses rime : on bier, il y avait du lem|!S avaiit la creation du ciel et de la lerre , ot alors on ne doit pas vous demandcr , 6 nion D^cu . ce que vous faisiez avant cette creation , puisque vous t'aisiez le temps ; on bien , il n'y avail pas de lenips avanl ia c. cation du ciel et de la terre , el alors il y a contradiction a deniander ce que vous faisiez oi'nnt cette creation , puisquV?^!?;// suppose un temps ante- rieur, Ainsi done, Seifsneur , vous ne precedes pas les crea- liiics d'une pjiorite de temps, mais par votre immuabic eternile qui est superieure a toul ce qui so passe. » Quelque parti qu'on proniie sur ce myslerieux pro- bleme , toujours csl-il que rclernite de la creation nWle rien a Dicu de sa liberie , et c'est toul ce que nous voulons etablir. On nous demandera : Qu'esl-ce done que le pan- tbi'isme el Ic fatalisme de Spinosa ? Nous repondrons neltenicnt : Suivanl Spinosa , la pensee avec ses modes infinis et relenduc avec les siens, cV'sl-A-dire , la nature et I'bu- iTianile , sonl des altributs necessaires de la substance infmie. L'humanile el la nature sonl des atlributs de Dieu. Voila le pantbeisme. Cos atlributs sont necessaires el se dcveloppenl par une infuiite de modes egalcment necessaires. >()ih\ le fatalisme absolu. Or , M. Cousin repousse de toutes scs forces ces deux principes de la pbilosopLie de Spinosa. SlU M. SCIJELLIAG. l 3 j Loin qu'il absorbe rindividiialite biimaine e( la na- (ure dans la substance infinic, rbomnie , dans sa doc- trine , est par-dessiis tout unc aclivito , uue force , «n moi rcsponsabic ct librc. El suivant cette menu; doctrine, la nature corporelle n'est pas une etendue passive , niais un systeme de forces , qui toutcs fatales qu'eiles sont , n'en possedent pas inoins une cnergic qui leur est propre. Toutes ces forces , inlclligenles ou avcugles , so!it essentiellcmeiilliniileesetconlingentes. Ellcssupposent qiielque cbose au-deli d'elks-mrmes relativenient a rexislence. Eiles n'ont done qu'un etre eni{)runte , et sans une creation perpeluelle , elles s';ibinior;tionl dans le neant. Mais tout en xCctatit pas svparces de Dieu , elles en sont disUncles. Ce sent des manifestations de sa force infinie, mais non pas des attributs de sa substance. Est-ce la Spinosa et le panlbeismc? Suivant I'auteur de VEilu'ca. la pensec et Tetendue , la nalMre < t Tbumanite sont absohnnent neccssaires et residlent necessairenient , avec tous leurs modes , de la substance iuGnie. « Omnia ex necessitate divina dcterminata sunt, non tantuni ad existcnduni scd ad certo niodo exislendurn et operanduni , nullumque datur contingcns. ( Eih. pars. I. ad denionst. prop. xxix. ) Toutes choses decoulent de la substance , dit-il ailleurs , nt ex natura triaiif^uli serfniiur , ejus ires angulos ccqiutii duokis recUs. » [Fjli. p. i. Scb. ad pr. XVII. ) Mais dans un tel systeme , il ne faul pas dire que la creation est necessaire. II faiil dire avec M. Cousin quelle est impossibie. l3f RlirLEXIUNS Est-ce en effet un Dieii crealeur, une veritable cause que la substance aveugle ct fatalo de Spinosa ? Le Dieu de la doctrine francaise ne rcssemble pas plus ck celui-la que la providence au Fatum , la liberte A la necessite , la verite a Terreur. Sans doule, suivanl M. Cousin, on nc pent concevoir DIeu sans le concevoir crealeur ; niais si I'acle de la creation est , en un sens , necessairc, la creation prise en elle-menie , je veux dire , Tensemble et I'ordre des choses creees, dependent du libre choix de Dieu. Quand je parle d'un libre choix , je n'entends pas un choix arbitraire, ou capricieux, libre de cette liberte humaine, sujelte a I'erreur et au mal , mais d'une liberte souve- raine et parfaite , qui consiste ji agir avec une pleine puissance, reglee par une pleine sagesse et coinrae sanc- tifiee par une infinie bonlc. Voili le Dieu qn'adore Thumanite et celui devant qui s'incline la philosophic francaise. Je conclus que si M. Cousin est d'accord avec Spinosa sur ces deux points : i". 11 n'y a qu'un elre en soi j 2". La creation est eternelle ; c'est qu'il est d'accord pour le second , avec la plupart dis philosophes ; pour le premier, avec tous. Et quant aux principes qui constituent le pantheisme et le fatalisme de Spinosa , M. Cousin Ics repousse de bouche , d'esprit et de coeur , et il faut le dire bienhaut A ses adversaires de France et d'AUemagne. V. J'arrive au dernier chapitre de Tecrit de Schelling Viics generates sur I'hisloire de la philosophic. SIR M. SCHELLING. l3 K lei M. Scliellitig n'a ({ue des eloj;es sans r«iaeive pour Us Iravaux dii philosophe framais : « Tout ce que M. Cousin a enif sur Tbistoire dela jthilosophie-, dit-il , et sur la maniere de la trailer est dc lout point excellent , durchnus trefflich, el poi te 1 empreint© d'line coiinaissance profoiidi^, coimne on tlevait s'y attendre de I'ingenie'ix tradticfeur de Plah)n el du savan^editeur de Proclus. » (P. 33.) M. Schelling nc dit presqiie rien de reclectismc; Dans les rai bs eudroits ou il en louche quelques mots , il leconsidere , avee raison , nioins coinnie un syslemti «jue coninve une niethodebisloriqiie , et A ce dUMiS.UE. J'ai legrellc Oil faisanl ce voyaj;;e que la Sailhe , i laqiu'lle la ville du Mans vienl dc donner import, MuiTril |»as encoie une navigation [jromjUe cl comniode, (jiii ne [)eul liii manquer long-ts'mps. Anlieii de uiVn- IcMmer dans une voilnro qui m'a peniblcmcnt tiaine |UMidaii( hull licurcs. pour fairc di\ lienos sur uno niau- vaiso ioulo , j'aurair> ainfe a v«gu€'i' entre ccs jolies rives que j'ape.ccvais par inlervalles du haul des coleaux. Kn passant a Ailoncs , j aurais saiue la inodeslc babi- lalion des celebres inv(^nteu(s (i) du (elegrapbe el les dcrniers debris de Tanlique cite des Conomanes (a). Avant d'aniver A la petite ville de Sable, on est ria[)pe de I'aspect iniposant du chateau , qui en fut jadis la sauve-gaide, ct qui, gnWe an ciel , n'cn est plus (|.:c rornement. I ii nereu du grand Colbert, beritier de son nonx, ct acquereur de la siMgneuiie de Sable , rcmpla^a par un palais . au conuiieficenienl duXVIIl". siede , la forteiesse que GecrrCroi avait eloAee au XF. }\ en resic encore des jjarlies qiu forniont avoc I'archi- tecliire inoderne un curieux conlraslo. La position de ce chateau , bati sur uii rocbcr escnrpe , dominant a pic le cours de ^a Sarthe , est aussi pittoresque qu'elle Je rcndait imprenable. L'aspcct inlerieur en est triste , conime celui de (outes ces demeures abaiidonnees. Des portraits de la famdle Colbert , |)L'inls par N.ignard , rnrnent encore , a demi etfaces par le (emps. De lAon me nioiitra sur les hauteurs q-ii longcnt le nienie c6te (t) MM. Chaiipc, (2) I'lusicurs genres do prrnvcs so rcimisspnt pour atleslcr qu'il }■ nil a Ailoncs une cilc loinaine anlericurc a la viHe du Man?. VOVAGE .\ SOLtSME. l3<) dc la riviere le pclit bourg dc Jiiignc, cl plus pi es , sur la rive opposee , le village et I'abbaye de Solcsiue , ou j'arrivai en moins d'une dcmi-heurc. La courd'entree dii convent laissee ouvorle pendant le jour permel de visiter Tegiisc A (oule Leiire. Je in'adressai neanmoiiis aufrcre porlior. Son air humble et rccucilli sous ce costume que depuis long-temps nous ne vojons plus que dans les representations de nos arls , fut pour nioi la premiere des impressions que ni'a laissees celte visite. Je commen^ais a voir en roalile cetlo ^ie monaslique , dont lapeinlure m'avaif souvent inleresse , (onime interrsseriniiigc de lout ce qui n'est plus. Puis-je parler a Doai Gueranger, voire supe- rieur, dis-je au bon frere?— II n'est pas encore revenu de son voyage a Rome . me repondit-il (i). Alors , tandis qu'il alia porter mon nom a un jeune IJenediclin- poslulant, que je lui dcsigirai , j'enlrai dans Teglise , impatient d'aduiirer les chefs d'tpuvre de sculpture qu elle renfcrnie. Celte eglise n'est point celle qm fut fondee en mi'me temps que le prienre deSolesme, eiv loi o, par tleoffroi de Sable, DAlie sur le meme emplacement que Taniiennc, elle ne remonle qu'au XIV''. siecle. D'une architecture fort simple, et d'une dimension mediocre, eilepresente la forme dune croix laline. Cost diins les deux cha- l>elle» qui coupcnl les bras de celle croix que sonl pla- ces ces aduiirablcs groupcs dc statues , connus sous le (1) Dom GiK^ranger parti pour Ronir, au moistlc f^vrirr 183' , afin dc siiivrc I'airaircde I'appioltalioncaiioniqiicdc son monasleic, n'esl rcvcnu a Solcsmc qu'au niois dc iiovcmbrc dc la rii(;iiu' aiuic^c. I.JO VOYAtili A SUl-ESMt:. iioni de saints dc Solesmc An centre el on avanl du ihoDur reserve aux religietix , s'cleve le maitre-aulel , surmonle d'une enornic t i ossr toiile brillanle d'or. Jo cms voir dans eel orncnicnl , qui frappa d'aboid mos regards, un dos alUibuls dii litre (i) A\iUmbres contractes exprimont Teffort de la douleur. D'un c6te , David ceint du diademe oriental , de VOVAGIi A SOLESME. l43 I'autre Isaie , proplu'tisanl de concert sur la morl dti Chiisl. Oil apercoil encore qiiolques traces dela Icftendo dont le roi propliefe (cnaitune exiicmite dans c liaciuie de ses mains; cello que lient Isaic pent se liicaisenient et porte ces paroles du nienie propliele: Era svpulchrum ejus g/oriosum , Plusieurs ayant a la main divers instruments de la Passion completent cclte scene. Los ornemcnis d'archilectme qui accompagnent Taulel place dans cede chapellc fixereiit aiissi mon attenlion. Le style de la pure renaissance se fait reniar- quer dans les colonnes , arceaux , frise el entabl. ment qui docorcnt Tespece de grotte sous laquelle rarlislo voulul sans doule placer quelque grande scene, coauue il I'avait fail a Tautel de la cbapelle correspondanle a gaufbe ; on ignore aujourd'liui les motifs qui lui fueiil inlerronipre son travail. On lit la dale i55j sur la oolonne i droile. Les statues qui remplissenl eel enfoncemenl sont j une madone depiliejorl vener6e dans la conlree , deux personnages tronques qui raccompagneiil , un Sl.- Pierre en cliappe , la liare en lole , et un St. -Paul , ;\ longue barbe , ayanl en main une de ces epees a [)oi- gnee en croix , telles que les po: taienl lescbevaliers au moyen Age. Ces deux dernieres slalues qui prc^scnleut , snrtout le St. -Pierre, des details de costume assez curieux , sont uii ouvrage du XV". siecle. Quand on s'oi cupera , contiuua le jcui.e religieux , de la restauralion de cette cbapelle , on mettra en evi- dence I'excelleiil bas-relief qui se Iroiive acliielienu'iit masque par le tabernacle. Le sujet esl le /iutss,tcre dcs ).\\ VOYAGE A SOl.ESMK. Innocents. On ainio A y lelroiiver certains details ile mouvenienis et crattitudes , qui rappellcnt ie tableau prcsqiie coiitomporain de Rapliai'l. II y a de renergic et du sentiment dans cctle composition dont une sa- vante perspective a heurcuscmenl groupe les person- nages. Tandis que , par une forte saillic , les figures du premier plan se monlrent presque detacbeesdu fond , la Sainle Faniilleparait fuir enEgypte , danslelointain. Passons mainlenant k la chapelle de gauche ; c'est li que nous allons trouver dans toutc sa fleur Tingenieuse renaissance , dont nous avons dt''j;\ admire quelqtics con V res. Cette chapelle renferme cinq grandcs scenes de la vie de. la Sainte Vierge, La premiere , placee au-dessus de I'anlel , est dite scene de la pamoison oii Ircpasscment de la Vierge. Marie est h genoux , et va recevoir la communion de la main du Sauveur qui vient la visiter. Kilo rccueille ce qu'elle a de vie pour aller au-devanl de la nourrilure divine. Un vieillard venerable , St.- Pierre , la souticnt , et , pendant qu'il rend cet olTicc palerml a la mere de Jesus , ses yeuxchercbent respec- tueuscmcnt Iboslie que le Sauveur ticnl danssa main. A genoux. pres de sa mere d'adoplion . St.-Jean lui prodigue les snins de la lendresse Gliale. Six ap6tres , dans rallitude du respect , assistant ;\ cette grande scene. Lc porsonnage venerable , en cbappe , les mains jointcs , qu'on apercoit sur le devant et qui parait preter une si grande attention , est Saint Hierothee, disciple des apotrt s. II elait en elfet present a la mort de la Sainle Vierge , au rapport de I'auteur du livredes noms cln-inx , attribue a Dcnys Tareopagite. VOYAGE A S0LE5ME. i^5 Perriere les personnages du premier plan , on aper- 5oit deux femmes , dont la Ggure est pleine de douleur et d'expression. L'une surtout . placee k gauche, est remarquablement belle , et rappelle , par la purete du dessin et une noble simplicite, la nianiere des sculpteurs antiques. La statue du Christ que vous voyez ainsi rautilee est dans cet 6tat depuis long-temps. Les traditions du pays rapportent qu'un prieur de Solesme , honinie bizarre , choque de voir le Sau\eur donner ainsi la communion a samere.circonstance en effet que le sculpteur n'avait trouvee que dans son imagination, eut la docte barbarity de casser le bras mcme qui presentait la sainte hostie. Les details d'archilecture qui decorent la grot fe on est placee cette scene, exciterent aussi mon admiration. L'ogive capricieuse de la renaissance partage la voule en gracieux compartimenls , et en prolonge la cle par un merveilleux pendentif. Les arabesques de lafriseet des colonnes rappellent les plus riches dessins de Raphael en ce genre. Deux tetes de mort jettent une j)ensee grave au milieu de cesjeuxd'une main legere et inspiree. A droiie et a gauche de I'autel, sent places , sous de charmants baldaquins de pierre, deux personnages qui font partie de cet ensemble. Ce sont Denys I'Areopagite el St.-Timothee. Les trails austeies du dernier rap- pellent cet homme rigide a qui I'apAtre St. -Paul , dans une de ses epitres , ordonne de faire usage du vin pour remettre son estomac affaibli par le jeune. Ces deux personnages paraissent prononcer des passages de leurs ecrits , relatifs a la Sainte Vierge , et qui se trouvent places pres d'cux en inscription. lo i4<» voya<;e a soi.ksmk. Maintonant , me dil Ic jonno BtMUMlirlfii . nnvlons- nous (levanl le groiipc dc l.i sepulture de la l''ieriii-. Jiis»|n'ici nous avons onlrevu des oxlairs tic ^enie : iin liief-d'o^nvro do |)rnst''e ol d'executidn est s^ present snusnns veux. Considerez cetle Vieic;e an tombean , si donrement endormie , si graciciisemenl posee . si (hastenieni diap(W\ On a dil que celle statue rappelait I'Atala deGirodet. Oui, rommela mort rappellela vie, comine la nature rappelle Telement surnalurel. Cest tiien \k la Mere d^e Dieu , celle que. les lienx de la mort n'nni pu relenir,parce que de sa clniir divine ellcajimrni iin corps nu Fils del'Eternel. Laroniipliondn lonibeau n'ent jamais de droits sur celte celeste creature, et lame , en s'eloignanl pour quelques heures de ce corps virsjinal . Ta laisse beau , flexible, angeliqne : en un mot , il est encore le Iresor de la terre , en attendant qu'il devieiine la merveilledes cicux. St. -Pierre et St.- Jean seretrouvent presents A celte scene de denil. Le prince des A pot res , inclinantsa tolecbenneet joignant ses mains venerables, vent contempler encore unefois, avant de les conOer a la tombe , les traits divins de la Mere dn Sauveur. Son regard plein de f'oi cherche a decouvrir , i travers les ombres de la mort , quelques rayous de la gloire doiit resplendit deja la Ueine des (lieux. II y a dans ce regard nn adieu d'esperance el de n'signation , m616 k je ne sais quoi de paternel qu'on ne trouve que dans les antiques portraits de St. -Pierre, que nous ont leguos les premiers siecles du cbristia- nisme. A la gauche de St. -Pierre , rt tenant un des coins du VOYAGE A SOI.ESME. 1 4; linrciil , St. -Jean rend k la lerre celle que Jesus liii donna pour mere sur la croix. 11 porte encore un dernier regard sur le visage angeliquc dela Vierge. Un autre disciple , St-Jacqucs , frere du Seigneur , premier eveque de Jerusalem , se presente a la droile du prince des Apotres. Sa tcte peucheeindique que des pensees graves et tristes onl saisi son ame. 11 adore les volontes supremes du Tres-Haut. Par un de ces precieux anachronismes si communs dans les a?uvres de I'art a I'epoque de la renaissance , un moine Bencdiclin licnt aussi un des coins dulinceul. On considere cc beau portrait avec interct et respect , lorsqu'on apprend qu'ilreprcsenleDomBougler, prieur de Solesme. C'cst ce religieux , mort en i553 , qui fit execufer toutes les statues et decorations de cetle cha- pelle de gauche devenue un veritable musee. La posle- rite doit de la reconnaissance h Menage et h D. Ma- billon qui ont preserve de I'oubli un nom si glorieux , I'un dans son histoire de Sable , Tautre dans ses Annales ordinis sancti Bene(Ucti[\). La tete de Dom Bougler a ete scioe , ainsi que celle du personnage que Ton voit, a gauche, tenir un des coins du linceul. (-et acte de vandalismc est destine A rappeler , aussi long-temps que ce monument existera, I'incroyable barbarie des commissaires qui , pendant les premieres annees de I'empire , fureni charges , par Tadministration departementale , de sender les statues (I) Celebranlur hujus loci status insignes, ad pictatem c omposil.T. quas , medio seculo proiime elapso, Johannrs Boiiszlenis , iiltimus prior regularis , fieri (niravil(Annal. or. I. S. Ben., I. iv, p. 2tlJ. l48 VOWGE A SOLtSMt. diles Ics saints de Solcsme, afin dc voir s'il etait pru- dent de les cxposor aux dangers du transport. Ces Messieurs nepureiit acquerir la conviction du contrail e qu'en faisant jouer la scie sur la tcte meme des person- nages du premier plan. Les aulres personnages semblent preter una vivc attention k la scene qui vient d'etre decrite. On re- marque surtoul un vieillard d longue barbe , probable- ment le divin Hierolbec, el drux saintes feinmes , dont la pbysionoraie est empreinted'uneprofonde expression de trislfsse. Les elegants bas-reliefs qui ornent le tonibeau out ^le malheureusement maltraites par le timps. On dis- tingue encore Esther, qui sauve son peuple de la inort, et Judith qui inimole I'ennenii de sa race , riches em- blemes accomplis dans Marie. L'ne figure niulilce que Ton voit assise pres du lom- beau, a ete , comnie les deux soldals du St. -Sepulchre , victime de la devotion populaire. Les gens du pays s'etaient persuade que celle statue repre«entait le Diable, cberchant dans un livre Icspeches de laSainle Vierge, ct deconcertc de trouver ce livre blanc k toutes ses pages. Le malheureuxpersonnage a paye cher cette meprise , et de temps immemorial il a ete en butte aux voies de fait des trop zeles vengeurs de I'honneur de Marie. L'archlteclure severe de T^difice se trouve en harmonie avec Taction dont il est le theatre , deux cbarmanles colonnes en derorent Tentree, Tuneenlou- r^e d'un lierre charge de ses fruits , i'autre ceinte d'une vigne ornee de ses grappes. VOYAGE A SOLKSMli. l49 Au-deasus , quatre saints docteurs posaiit sur leurs niches avec une souveraine dignil^, proclamenl, coinnte du haul dii ciel , la gloire dc Mario ressuscitee , dans deslegendeslalinesou I'oa trouvc tout le genie poeliquc et metaphysique du moyen ^ge. Ces docteurs sent St. -Bernard , avec I'ancien babil de son ordre et la crosse abbatiale, ensuitc deux evcqiies que Ton croit iitre St.-Auguslia et Sl.-PieiTe-Damien , c^loquents pan^gyristes de la Mere de Dieu, enfinSt.-Bonaventure, autre mystique du moyen Age , non nioins abondanl que I'abbe de Clairvaux S4ir les grandeurs de Marie. Au-dessus des quatre docteurs , I'tBil , apres avoir parcouru les details d'une admirable frise en arabesques, arrive i un delicieux temple &uperpos6 au premier avec unegrAce ct une leg^ret^ sanscgale. Tout Tespace jusqu'A la voute est rempli par ces charmanlcs fanlai- sies d'un genre vraiment createur. La scene plac6e sous ceraagique edifice est VAssomp- tion de la M^re de Dieu ; la V icrge , que nous avons vue tout-A-l'heure descendre au tombaau , s'elcve du desert de ce raonde, versle cicl , appuy^e sur sun bien- aime. Iluit ap6tres et un raoine Bt-ncdiclin forment loute I'assistance. Ces personriages suivenl des yeux la Iriompbantc Assomption ; sur le dcvanl , David . la barpe a la main, celebre les grandeurs de son heureuse iille. Deux pelils angos soulcvent la porte d'un sarto- phage place presque sous les pieds de la Vierge j qutiiquecette scene soil inferieure , pour I'exccution , k cclles qui I'environnent , on convicnt que I'idee en est belle , el Taspect general assez frappanl. Mainlenant , me dil nion guide , pour connallre la l5o VOVACE A SOLl.SME. lin de cette merveilleuse histoire , que j'ai voulu voiis monlrer par ordrc, il ne nous resle plus a voir que la Glorificadun de Marie. Cette scene presente un luxe d' allegories et de mysteres dont rien de ce que nous avons vu jusqu'ici ne saurait donner I'idee. II sullit de dire que le sujet a ete pris dans I'Apocalypse , et que DoniBougler en donna Ic tcxteniysterieuxi ses artistes, se reservant d'en fournir lui-menie le cominentaire , dans des inscriptions elincelantes de poesie. Le grand dragon est represente avcc ses sept tfites et scs sept diad^mes , le monstre vomit le fleuve dont parle la prophetic; et , sur les flots qui tombent de sa gueule principale , on lit cette imprecation de Tenfer contre Marie , contre Teglise et centre Tame fidele : Quandb morietur , et quando peribit nomen ejus ? Sur la croupe du dragon est assise la prosliiuee de Babylone , paree de tons les alours du XVP. siecle. Marie est representee avec de longs cheveux epars et deuxailes d'aigle, conformement au texte ; di:ux petits anges, dont on admire le vol aerien, placent sur sa tele une couronne. On lit , sur le nuage nicme qui lui sert de tr6ne , les paroles (i) qu'elle adresse aux vertus sur I'aile desquelles clle s'est elevee a ce degre de gloire. €es vertus , que Ton voit dans Tattilude du triomphe , hont : la prudence , la justice , la force , la temperance, 1 humilite , la foi et lacharil6. II ne nous resle plus a examiner quun groupe curieux que nous avons reserve pour la tin , comme ne faisant (1) 0 virtutesquae ex ulcio malris mca; crcvislis meriim, draco- nis niccum capita conterentes, coronis glorix inyiccm gratulcniiir. VOYAGli A SOLtSME. j5i ])<>iiilpai'(ic neccssuire de i'ensuinble qui nous auccupes jusqu'ici, c'est un Irait de la \ie du Saiiveur. Sous un porlique du ti'njple de Jerusalem , l\'nraiit. .'»'sus , dont la sagesse vienl dejcler dans reloniunnent les docteiirs d'lsiael , se l^ve pour soniire in Marie et a Joseph , qui dans ce moment menie apparaissent eatre les cilonnes. L: s trails de la Vierge portent encore la trace de ses vives inquietiides. Par un senli- nienl d'une exquise delicalesse , le sculpteur a saisi linslanl ou Marie , dans sa mali'meSle reprimande , se non)mant a peine clle-nienie , parle de Joseph: ///oi el a'o//t;yDr/c, dit-elle, en moulrant celui-ci , dont la phjsionomie empreiuted'une joio na"i\e , fait assez \oir que Tenlant , dont Taspei t le console si vite , ne saurait etre que son fils adoplif. Mais voyez ces personnages en bonnet d'universile , el dont les niani^res doctorates , Ala facon du XVI*. hi^de , annoncent bien plut6t le gradue dans les quatre I'acultes de Bologne ou de iSalamanqiiS , que le scribe dela s^-nagogne; les^, livres des.proplietes son( enire leurs niains ; sur Tun des tesles on lit la prophetie de Jacob. An milieu de la discussion cjui parait eire fort vive . Tun desdocleurs , otant ses lunettes , parait pi<^t a emettro un avis inq)ortant : le ineme inslrumcnt repose dans un etui Ala ceintuie d'un de ses coMegues. l/obesile de plusieurs d'entre eiix , fait un conlrasle piquant avec la doclemaigreur desauties. Eu un mot , ce groupe , dont I'idee est ingiuiieiise , psesenle uiie scene deinoeurs inltMessante . mais un p eu grolcs»[i.e , a la mani^,redes tableaux de Kecole llamande. Lorsqu'on a acheve d'cxaminer toules ces scenes, l5a VOVAGE A SOLESME. dans plusieurs desquelles le plus pur spirilualisme se marie sans effort aux coaceplions les plus merveilleu- sement poetiques , on reconnait sans peine que le monument de Solesme est unique en son genre. L'art du moyen Age s'y retrouve en action, au moment nieme de son union avec celui de la renaissance ; Tatticisme de Tun n'a point encore fletri le rayslicisme de Tautrc. Calholique , comme un porlail de cathedrale , Teglise de Solesme est souvent classique aux yeux de I'amateur eclaire del'antique. Vraiment national , ce monument apparlent a une epoque ou l'art franrais ne s'elait point encore avised'aller demander A d'autres croyances les types qu'ils voulaitimmortaliser. Mais quels sent les artistes auxquels I'eglise de So- lesme doit sa gloire? On croit communement, me dit le jetme Benedictin , que ccs statues soul TceuYre du celebre sculpteur Germain Pilon ; nuiis celte opinion assez recente n'esl appuyee sur aucun lemoignage historique. EUe provient uniquement de ce que cet artiste elait ne k Loue , village distant de Solesme d'environ quatre lieues ; on se sera cru en d:oit de supposer qu'il n'a pu etre etranger aux merveilles de son art qu'on admire si prcs de son berceau. Mais , sans enlrer dans le detail des preuves lirees de ra?uvre meme , qui semblent refuter cette opinion , je me con- tenterai de vous faire connaitre une tradition plus ancienne et aussi plus vraisemblable. C'est celle qu'a transmise un venerable curede la paroisse de Solesme, qui est mort plus qu'octogenaire en i8ig. U a declare avoir entendu dire aux anciens religieux que les sculp- tures de la chapeile de gauche avaieat ^le execulces VOYAUii: A SOLESME. 1 53 par (rois I( aliens , sous la direction de Dom Bouglor. Le nicme vieillard ajoiitait , toiijours d'apres Ic dire des rcligieux , que les sculptures el les decorations de la chapelle de gauche avaient coute i5o coo livres , et que la famille seigneuriale de Sable clail venue au secours des Benddielins dans cettccirconstanee. Ce qu'il y a de certain et ce qui donne un grand degrei de vraiseinblance k ce temoignage , c'est qu'au XVI". siecle les migrations d'artistes Ilalieus qui so rendaient aux cours de Francois P"". , de Henri II et de Francois II elaient frequentes , et , tandis que les plus celebr. s d'ent: e eux allaient recevoir une hospita- lite royale , d'auties, plus obscurs , ne dedaignaient pas den demander une nioins brillante , mais nou nioins honorable , aux vieilles abbajeset aux prieures seculaires. Apresrexamenprolonge deschapelles, nous enlrAmes dans I'arriere-choDur, au fond dnquel est place un ancien portrait de St.-Benoit. Les sialics sont ornees de sculp- tures en bosse qui representent les ancelres de J. C. , suivant Tordre genealogique marque dans les evangile;--. Le caraclere de celle curieuse boiserie , Ires-bien con- servee, la fait remonter au XVI'-. siecle, epoque de la reconstruction deTeglise. Mors aussi durent eti e peinis, comme Tindique le style des edilices qui y sont re[)re- sentes , les vitraux , aux vives couleurs, qui reslent a une seulefenclre, Le pere Cellerier, me dit nion guide, a beaucoup eludie les precedes de la peinture sur verre : il se propose d'orncr dans ce gout les aulrcs croisees du choeur. Le pere abbe a aussi le projet de fairc exe cuter une restauralion iniporlanle dans le style du i!^^\ VOVAOB A SUI.KSME. sjccIl' auqiicl appartienl le monument. Voiis allezjugor s'il y a netessite el siirtout conxenance. Alois il mo laniena vers la ihapelle de droile , el m'inlroduisit dansun caveau dontla vouteel les murs soul vordiilres d'lmmidile. LA , sur un lombeaii degradt!; , je \is la statue nuililce d'lm cLevalier , qu'uiie insciiptioii dit clreGeoffroide Sable. II convienl en cffot, dis-je alors, que les nouveaux Bc'nediclins de Solesnie , dans leur zele de conservation , n'oublient pas ce qu'ils doivenl a leur premier fondateur. Dans ce moment une cloihe vint A sonner , il «^tail quatre lieurcs ; te sonl nos Vepres, nie dil !e jeune Benediclin , permellez-moi de vous quitter quelqnes instants. BientOt \e le vis reparailre avec les religieux quicnlraienl au choeur. Quelques-uns etaienl revdlus d'un court rochel k larges manches , la pluparl d'une ample robe noire appelee coule. Apres eel oilice , qui dura environ Irois qtiarls d'lieure , je fus introduil dans le couvenl et presente au soiis-prieur , Lomme simple cl bo», qui me til ua aeoueil donl je garderai le sou- venir. II n'avait plus que I'babit de travail , compose du scapulaire et de la lunique , espece de soutane non fendue par le bas et serree au milieu du corps par urie C( intare d'un cuir grossier. Moii pere, lui dis-je, sans avoir rbomieur d\■^^•e Benedicfin ni m^me prelie, j'ai habile cinq ans une aUbaye assez celebre de voire ordre avec le dernier sous-prieur ( i ) qu'elle ait eu. J'ai (1) Dom Ribard , anci'en sous-prieur de I'ahbc.ye aii.x hnmme% de Caen, morion 1827, rcnfenr honoraire du colk^i;? royal dc la iik'iiic viile.. VOVAGIi A Sdl.tSMK. I,')f» reciicilli de $a buMiche des tr.iditionseldes souvenirs qui pounont vous inleressor, Jc les ai consigii6s dans ret opnscule (i) queje vous prie d'acceptor. Vous concevcz des-lois quel prix lout paiiicidier auronl pour nioi les details que vous voudrez bien me donner sur voti « niaison. L'hisloire de I'ancicn pricure dc Solesme , me repon- dil-il , n'est ni longue ni variee , comme le dit noire pere abbe dans cette notice (2) queje vous piie a nion lour d'accepter. Deux circonstanccs seulement y re- pandent qi:e!que«^clat: c'esl le sejour prolonged que fit parmi Ics religieux I'eveque duMaiis , Iloel, luyant de sa ville opiscopale pour se soustraire aux violences de Hugues III , conite du Maine, et vers la meme epoque, la visile du pape I'rbain II precbant la croisade , ot passant par Sable. Uu rcste , Solesme doit sa cclebrile uniquement aux arts qui out decor^ son 6glise. Vous venez de la visiter, il ne vous rcste plus i connaitre que notre vie interieure. La regie que nous suivons n est que provisoire (3). Le p(^re siiperieur doit la rap- (1) ri.iite nil college royal de Caen, ancienne nbbaje-aiix- liornnies,fond('e dans Ic XP. siccio, par GuillauniL'-le-Conqu<'rai)l; bioch. iii-8°. avcc gravuies, a Caen, chcz ManccI , librairo; a Paris , iihoi Ilachellc , nic ricrre-Sarrasin , 12. (2) Notice sur le prieure de Sulesme , au 3Ians , chcz Belon , librairc, (3) Voici itUc regie : A 4 heurcs le Icvit. ImmdiJialcment aprcs, on thante au chci'ur .Va/ifiesel Lander , puis , aux heurcs niarqut'es, Prime, Tierce et la rncssea 9 lieures. Knsuile elude jiisqu'ii mldi. Diner el rt'iri^a- liou jusqu'a 1 beure l\2. Elude jusqu'aux VC'pres, a 4 heures. l>e 4 lieurcs 3|4 a 6 heures Ii2, iMude. Lt( lure spiriluelle en loiuuiun I 56 VOYAliK A 60LESME. imiter de Rome approuvde par le Saint Si^ge, avec le bief qui 6rige notre pricure en abbaye. Nos exercices religieux sont distribiK^s de manieie k nous laisser au moins hui t houres par jour pour Telude. Sur nos moments de recreation , une domi-beure est consacree k la culture de la terre , c'est-a-dire , ici , 4 telle du jardin , afin de nous rappeler au moins le souvenir de cet humble travail des mains auquel les premiers religieux se livraienl avec tant d'assiduile. En general, I'ancienne regie est bien adoucie. Nous n'avons point d'oflice au milieu de la nuit , pas d'absli- ncnce perpetuelle ik pratiquer , seulemenl qtielques observances, quelquesjeunes particuliers, pour lesquels dcs motifs de dispense sont prompteraent accueillis. En conversant ainsi , nous avions fait le lour du cloitre , espece de galerie couverte qui regne autour d'une cour carree, au centre de laquelle est un petit par- terre soigneusenientculfive. LavoiiteA moitie demolie de I'un des c6les ayant fix6 mon attention, j'appris que tel aurait etele sort de la niaison lout entieic , il y a quelques annees, si les nouveaux Benedictins n'elaieut venus I'occuper. Leprieurede Solesme etait condamne h elre detruit. Les pierres en etaieut vendues , et dejA ellescommencaient atombe • sous le mar lean, lorsqu'un prelre de Sable s'en emut et accourut au Mans aupres de Dom Gueranger , originaire de Sable, qu'il habila long- temps avec sa famille. L'antique prieure fut ra- cbele , et le projet concu de le rendre k sa destination jnsqii'h 7 heures. Souper et r^cr^ation jusqu'a 8 ll2. Complies jusqu'i 9. Eiillii Ic couchcr. VOYAGE A SOLESME. I "^7 primilive. Sousl'auloril^ de Mg"". Caron , alors ev^iqiie (111 Mans , les rcligieux y furent installes le 1 1 juillet 1 833. jour de la translation de St. -Benoit. Depuis ce moment , les exerciccs reguliers n'ont cesse d'j 6lve exactenienl suivis. Arrives A une petite salle de reception fort simple , le bon sows-prieur voiilut bieu me presenter le premier volume dejA public des Iravaux de la oommunaute. C'est le commencement dun ouvrage important , intitule Origines de l\'glise romainc. Je deniandai la permission d'en lire les premieres pages. Elles con- tiennentla dedicace adressee k Mg"". Bouvier , eveque actuel du Mans. Ce morceau m'a paru por(er le carac- lere d'une eloquence douce ct grave, d'une imaginalion viveet brillanle. Les sentiments d'une tendre affection, d'une reconnaissance toule filiale envers un prelat qui en est si digne, sont habilement meles i de hautes con- siderations , a des fails histo; iques eclatants. C'est le frontispice majestueux d'un imposant edifice , et pour les nouveaux Benedictins un dehul qui donne de belles esperances. lis s'occupenl , en ou(re,de continuer le Gallia Christiana , selon le vu?u du gouvernement , qui leur accorde A ce tilre un encouragement bonorable. Les cbambresdesreligieuxsontagreablementsiluees au premier etage , ayant vue sur la campagne , qui est delicieuse k Solesme. Ellos correspondent a un corridor oil se trouve plac^e la bibliolbequc , deja composee de cinqmille volumes bien choisis. Les cellules desnovices sont releguees k Telage superieiir , c'esl-a dire dans les comb'es. Celle ouj'entrai me parut elre unobservatoire moins fait pour la (erre que pour les cieux. Le jour y i58 voyA(;E a ^oi.esme. iW'iiolro par nnc petite hioarno praliquee dans la loifuro. Co n'osl pas avoc intonlion , niais par neocssit^ , qu'on los Iraito ainsi. Qiioiqiie le couvcnt , primilivcnient fonde pour six religieux , ait etc rcbAti en 178 1 siir un plan plus etcndu , et que Ton soil avec raison difficile danslc choix des sujcts a adnicltre, neanmoins on est oblige dt'ja d'y nienager I'espace (i). Redescendii an rez-dc-t haussee, je visitai le refecloire. Tl est garni do son ancienne boiserie ct de tables etroites, a qiialre converts , ranges sur une seule ligne , suivant Fusagc des comnuinaules , ou la lecture pendant !e repas remplace la conversation. Dc li , j'entrai dans line petite piece appelee sallc du Chapitre. J'y reniar- quai sur un pupitre un livre ouvert qui contenait la regie de St.-Benoit , donl on fait chaque jour une lec- ture en conimun. Enfin on me niontra Tappartemont niodeste qu'occupe Mg'. Teveque du Mans dans ses visiles A Solesme. J'appris aussi que des personnagcs de distinction n'avaienl pas dedaigne Thumble hospi- talile des nouveaux Benediclins , et que le noble et savant auteur de la vie de S". -Elisabeth de Ilongrie (2) avait compose en partie a Solesme , pendant un sejour de plusieurs mois , ccs recitsempreints de lant de foi ct de candeur, celte fraiche el naive peinture d'une vie si remplie de merveilles. (1) J'ai compl^ en loul 20 religieux ; 8 peres, 5 novices, 2 postulants , 2 I'reres convers , 3 freres postulants. ;2) M. Ic C". deMnnlalcmbert. VOVAGli A SdLESMI!. Ki) Lc monastere offro par tlcliors uii Piisoiiiblo n'-g'ilier, UIE. l6l prisonnier , pourvu que celui-ci ne fiit point criminel (!e 16se-majest(i. Sur le rapport de ces conimissaires , Pliilippe-Auguste conflrma le privilege. Ces t6moins r;ipport6rent meme une circonstance curieuse , qui en attostait I'existence ant^rieure : c'est qu'en 1192, ann^e 011 Rithard-Coeur-de-Lion , roi d'Aiigleterre et due de Normandie, fut arrele Iraitreusement par ordre de Leopold d'Autriche , en revenant de Palestine , le thapitre ne jioursuivit la delivrance d'ancun prisonnier; maia Tannic suivante , Richard ajant ete remts en liberte , pour conipenser cetle omission , deux captifs furent delivres a Rouen. Depuis celte epoque , les baillis ont plusicurs fois rcuouvele leur opposition i I'exercice du droit du Chapitre , non plus A la verite par ignorance , mais par esprit de jalousie el de rivalite. Cependant , d'accord avec les cours sou vcraines, nos rois ont toiijours souteitu , contre ces abusives pretentions, Ic privilege de rhunia- nile. A la suite d'une nouvello enquote , il fut en 1425, confirm^ par Charles VI , et apres lui , par lous ses successeurs , jusqu'i Henri IV , qui en excv pta , outre \e crime de lese-niajeste , ceux de fuusse nioiinaie , d'assassinat preniedite , de viol et d'lieresie. Relative- nient i ce dernier chef, il est perrais de croire que la necessitc de donner aux catholi(iues niefians un nou- \eau gage de la sinci^rile de son abjuration , put seule engager le bon roi A faire aux exigences dc Tcspril de secte , le sacrifice de ses penchants, et pjul-etro de scs convictions. Quoi qu'il en soit de son motif , les circonstances ou il fut appele a confirmer ce privilege tcmoigneut encore l62 TRADITIONS ET LSAGES ill' celte longanimile decaraclere, quil'afail suinonniiiT le bon, aussi bien que le grand. En i 'JyS , Kouoii elaiit sous le jong des chefs de la ligiie , ccux-ci obligereiit le rbapiire k conferer le benefice de la Fierle i Lamolbc Pecbii, assassin de Ilallol de Monlnioiency, lieiilenanl- general du roi, en Noniiandie. Loisqu'en iSg i, Tainiral de Villars Lrancas , qui cominandail a Rouon pour la ligue, eut rendu celle ville i Henri IV , la dame d'Os- sonvilliers , veuve du due Hallot, reclania , en justice, centre I'applicalion de ce privilege au nieurtiier de son mari. L'aulbenlicite des litres de la Fierle ful alors atlaquee par ses adversaires , avec une nouvelle vio- lence. Le cardinal de Joyeuse , archeveque de Rouen , et le chapitre inlervinrcnl an proces , en faveur de la Fierte ; et Henri , lout en reprouvanl Tusage qui en avail ete fail au profit d'lin grand coupable , n'en res- pccla pas moinsla cbosejugeejet, de I'avisdes notables assembles a Rouen, il confirma , par lellrcs-patentos expediees le 25 Janvier iS^y , le privilt-ge de saint Roniain. Cent ans avanl Henri IV , Charles VllI ne s'etail pas moins honore , par un fail comparable ci celui-ci. Ce prince etant h Rouen, en 14535, les cha- noines oblinrent son agrenicnt , pour lui faire direcle- nienl Tinsinuation du droit do la Fierte. On approchait alors de I'epoquc de cclfe solennite. Or, un des homnies (Farmes du roi ajanl ele tue dans une rixe par xn\ habitant , le prevot de I'hijtel , sans doule pour faire sa cour, voulail faire transporter le nieurlrier , hors dL^s prisons de la ville , afin dc le souslraire a loute chance de salul. Le Chapitre dcnonca cet abus de pouvoir au roi , qui ordonna quo le prisonnier scrait , DE LA NOUMANDIK. l(>;5 (■ >uiine tons les aiities , ailmis i re\anieti. C.c fill stir lui pr6ciseineiit que tomba le choiv du Chapitre ; el bieii loin tie s'y opposer , ('.liailes le saiictionna , cii oinant dc la pompe royale, la cereiiioiiic du pardon : Irail qui senible caracteiiser pluUM !e pi edecesseur de I.oiiis XII , (|ue le successeiir de Louis XI. Passons maiiUeiiaiil au retil des loinialiles qui ac- roinpagnaieiit reieclion et la delivrance dit candidal de la Fierle. Quinze jours avant les Rogations , le Ckipilie n»e- liopolil£)in de Rouen designail quatre chanoincs qui , levelus de Tauniusse el du surplis , et precedes de riiuissier, niossager duCbapili-e,porlanlla verge baiile, se rendaienl au Parlenienl, A la cour des A) des el au IVesidial , ou le do\en d'enlre eux portail la parole en ces terines « Messieurs , nous sonnnes deputes i)ar les « doyen , chanoincs et chapitre de Tegiise de Rouen , « pour vous supplier d'avoir agreabie Tiiisinuation du « privilege de saint Komaiu . (jui c^l tcl q!!« nul |)ri- « sonnier criniinel , etant dai;s les prisons^du roi , y « sera amene , s'y viendra rendre, ou aulrenient, ne « soil transporte de lieu a autre , nioleste , interroge , « questionne ni execute , en quelqtie nianiere que ce « soil, jusqu'A ce que le privilege ail sort! son plein « v.[ enlier effet. » Ce qui d'ordinaire elail octroye au moment nieme de la requisition. Pendant les Rogations, le Chapitre nonunait df^nx cliaiioines pretres qui , acconq)ag»es de leur greflier el deux chapelains , se transportaienl dans les pri.sous pour y entendre la confession des criiiHiiels,el recevoir leins declarations siu- les fails du proces i[u\ letu el.ul 1G4 TRADITIONS ET I SAGES iiilcnle. Lejoiir de I'Ascension , leChapilre , compose seulement dcs chanoines pretres , s'asseniblait pour releclion de Taccuse, admis k lever la Fierte ; on faisait lecture desdiverses confessions , et elles etaienl bruises sur place , aussilAt apros I'election , qui avail lieu a la pluralile dcs voix. Lc nom du candidal clait porle dans un cartel , par le chapelain de la confierie de St.- Uomaiii , au Parlement assemble en robes rouges , au palais, oij il entendail la messe. Rentre dans la grande chambre , le Parlement ouvrait le cartel , envoyait prendre dans les prisons celui dont lo noin y clait porle , rinterrogeait sur la sellelle, ayanl les fers aux picds ; et , apres une instruction sommaire , rcndait un arret solennel , par lequel sa remission clait admise. Le premier president lui faisait une admonition severe, apres quoi il le rcnvoyait au Chapilre , jioiir y jouir du privilegv; de St. -Remain. Conduit au Ilallage , sous I'escorfe de la cinquanlaine et des arqsK'busiers , on lui 6tait les fers des picds , pour les remetlre aux bras ; il montait ensuite i la vicille tour , ancmi [lalais des dues de Normandie , par un cscalier , en haul duquel se trouvait la chapelle de St.-Romain. C'est la que le pri- sonnier etait depose , jusqu'^ I'arrivee du Chapilre. Alors toutes les cloches des quatre-vingt-dix paroisses el couvenls de la ville elanl mises en branle ci la fois, la procession sorlait de la callicdrale, i trois heurcs apres midi. On y voyait Ggurer toutes Icschasses desreliques, qui se conservaient dans les nombreuses eglises de Rouen. Celle de St.-Romain venait en dernier lieu , porlee immediatemL'nt derriere Tarchevcque , par deux pretres , revctusd'aubcs. A la vieillc lour , on montait DK LA N(JBMAi>DlIi. j65 la Ficite dans la thaiiclle Si -Romaiii , on pUilot sous le porche qui se tiouvait en haul du double escalier , par lecpiel on anivait A celle chapelle. LJi , le criininel ♦ilanl i genoux , tele nue el les fers aux bras , Tarche- vi'que lui faisail une nouvclle repriniande , robligcait a dire son confiteor , puis , lui imposanl les mains siir la lele , prononcail la formule de Pabsolution, Mors le prisonnier , loujours i genoux , soulevail trois fois la Ficrte, garant el symbole de sa delivrance ; relcv6, on pla^ail sur ses 6paules ce fardcau, pour lui si precieux, el, assisle d'un diacre, il le porlait proccssionncllement jusque sur le niaitrc-autel de la cathedrale ; ses com- plices, s'il en avail, marcbaienl j\ sa suite, d«Hi\res comme lui , car la grace pouvail etrc coliecdve : (oiis etaicnl couronnes de narcisses ou de jatinlLes blanches, emblomede I'innocence, qui devenail ici celui du re- pen I ir. Apres s'clre prosterne aux pieds de cliaqtiecbanoine, raflVancbi se rendait dans une cbapi'lle de la calhedrale dediee i Sl.-Uoniain , ou ses fers lui elaient oles. II assistail ensuite dans le cba>ur a la mcsse , qui n'etail jamais celebree qu'apres la cercmonie , el furl avant dans la soiree. Apres quelques autres formalites de peu d'inlerdl , il revenait souper el coucber cbez le maitre de la confrerie de St.-Romain , son liberaleur. Enlin , le lendemain i buil beures , devant loul le peuple , il recevail une derniere semonce , en plein Cbapilre , lele nue el a genoux : de la, il elait conduit an confes- sionnal du grand penilencier ; el apres celte expiation, ou plul^l cetle amende honorable , il s'en alluil en paix el juslille. li')G TllADlTlOJNs liT ISAGKS C'elail lino Lien aiigiislo el loucbanlo rt'n^nioniL' andue dans le parvis de la vieille lour , se mcler a la triple f;\nfare qui sigualait les Irois genuflexions du prisonnier ! Je le vois enfin , la tele ceinle de fraichcs fleurs , libre et juslille , mais couvert encore dc lalivree des caplifs , dcscendre, i la suite du venerable arcbeveque el de tout son clerge , les degres de Tantique palais des dues de Normandie , lui qui semblail destine a monler les degres u'un echataud ! jMe permellra-t-on d'ajouter qu'un sentiment lilial ajoute encore pour moi au prestige de ces impressions, puis(piemon pere, membredu barreau de lloueii, eut, I'annee meme de ma naissance , le bonbeur de faire admeltre au benefice de la Fierte , un pere de I'amille el ses deux domestiques (pii , daus la cbalcin tPune querelle , avaienl {uc un malbcureux? Ainsi . grace a 1 VE LA NOUMA.NDIE. 167 rclle noble iiislitulion , mon entree dans la sie a ele marquee du souvenir d'un bienfait ! Si , ccssanl d'envisager celte coulunie sous iin point de vue poetique , nous essayons de Tapprerier dans scs rapports avec les nioeurs de I'epoque oii elle prit naissancc et avec noire ancieiine legislation criniinelle, ne doit-elle pas nous apparailre , coninie une conquete de la religion ct de rbunianite , sur cette legislation , inon-.inient odieiix des siecles feodaux , bien dignc de telle barbare origine, et dont le pouvoir royal aurait Zl^)'Ss idets de la galanlerie chevaleresque etail epuise ; la cbcvalerie , nienie en la snpposant egalemont floiissanle , eul pii difficilemenf en conlinuer rexploilalion, sans \v niodilior en plu^ieins (1) Ce ni('-nioiro est la suite et le conipli^fneiil tie celiii qui a t?(i5 impriiiK^ dans lo prt-rt^donl volume des Memoires de I'Acadt^niie , sous le lilir : \)k i.a poisii'. i.yrique kn Fkam.k. Origtnr d pre- niicr ilt\rti>j>iieiiiriit iiis(iii'n la fin dii \l/l". sirclc. 17? DE I.V I'OtSlE LYBIQUE points pssenlicls , n'cut-cc ete que pour le variov ci le rajeuiiir. Mais il 6tait arrive bicn autre chose. La chevalerie , deja degeneree de ses attributions ol dc son objef , avail laisse ecbapper de ses mains quel- ques-unes de ses plus belles prerogatives , el etait tonibee dans le desordre des nia?urs et I'ignorance des leltres. Les Trouveres de Condi lion inferieure, qu'elle s'e tail associes d'abord , faisanl de la poesie un metier de ba- ladinx nmhulanls , s'etaienl generalement montres pen capables d'cn soulenir I'ancien eclat. D'autre part , Tetablissement des communes , et les nombreux affrancbissemcnts de serfs , avaient cree des professions independanles, danslesquelles les habitudes honorables n'avaient pas manque de s'introduire avec Taisance et la liberte. L'Universite, dejA florissante, repandait de tout cote le gout des bonnes etudes , et I'instruclion regagnait par tout au decuple , ce qu'elle avail perdu chez les chei'alicrs. Dans ce nouvel elal de la societe , que faire de Tan- cienne chanson clievaleresque ? Le nouvel age dut se faire un autre lyrique , appro- prie k d'autres idccs el h d'aulrcs mocurs. II le produisil sous des formes nouvelles , lui assigna d'aulres caracleres , et Telendil nalurellemenl A dis objels plus nombreux cl plus divers. C'esl au sein des cours , qu'on le voil d'abord se produire , et il s'y prescnle surtout comme rocuvre de quelques clercs , secrefai/es, musiciens et xcrvitciii'! , at- EN FRANCE. 1^3 faches 4 la personnedu prince , rempHssant en quolqiie sorle aiipres de lui , une parlie de I'ancien emploi drs menestrds d'office^ mais seulement celle qui se rapporlo aux obj'ets depur agrement. Deja quelque chose de pareil avail commence d'exis- ter vers la fin du XIP, siecle , a la cour de Phil.ppe- Auguste, ou le moine Helinand avail Temploi d'esba- noyer les fcstins du roi , el s'elail fait une grande re- nommee pour la beaute des vers qu'il avail accoulurae d'y chanter. Les premiers monumenls un peu connus de ceUe poesie au XIV^ , sonl les oeuvres de Guillaame de Machau , existanl en 2 vol. nianuscrils , in-fol. , a la bibliotheque du Roi , donl il n'a ele publie jusqu'a present qu'un tres-petit nonibre de fragments detaches. Guillauine de Machau fut Champenois d'origine , el naquit vers Tan 1282 ou 1284 : on le trouye valet de chambre du roi Philippe-le-Bcl, on iSo; ; il dovint plus fard secretaire des rois/e^w el Cliarlps F , el vivait encore en iSyo. Machau fut trouvcre el grand musicien ; il etait gentilhomme, et fut lie d'amilie avec le roi de Navarre, Charles , surnomme plus tard le .IJauvais. II se doime dans le prologue de sos fpuvres , comme un poete choisi par Nature, qui le fait aider de trois d« ses enfanls, i^ens , Musique et Rlietorique , pour exalter la puissance et les bienfaits de V Amour, ■ La parlie lyrique de ses poesies sc compose de lais , motets , complaintes , ballades , rondeaux el chanwiis halladees , le lout en nombre considerable , et sou^enl avec notes des airs composes expics, .' 12 )-4 DB LA P()i:SlK l.\UK>iU' l^rs a?uvros lyriqiios UK LA I'OKSIK I.YKlniK (liiillaume itr Machnult . ainsi avojc nom , >(!' en Champogrie fus , el si oiis grand rcnom , D'^lrr fort embiasti du pcnser amoureux , "Pour I'amour d'unc voir, dont pas ne fus eureux; Ma vip sciilemenl , tani que la pcussc voir ; Mais ponr-ce ne laissai , pour vous dire le voir, Faire diets et chansons, tant que dura ma vie, Tanl avoyp forment de liii conipiaire envic , El lanl que cuer et corps asprenienl lui donnai, Et fis mainteA)alladc , complainle et virclay , El incontinent voir jc rendis a Dleu Tame, Doat le corps gist u'i en bas soubscctlclamc. Son eloge se rctrouve plus cxplicitctiient cxprime dans line ballade qui ne tardera pas a se presenter en son lieu. Eustache Deschamjis (dil Mcivl) , ful le succcsseur immediat de Guillaume de Machau , cju'au reste il parait avoir surpasse en talent. Deschamps fut aussi Champenois , genlilhomme et officier de cour. II dutnaitre un pcu avant Tan 1828 , et vivait encore en 14^2 , d'oii il suit qu'il a fleuri sous les qualre pre- miers rois de la niaison de Falois. II fut chatelain de Fismes , et exerca entre autres emplois, ceux dVcr/jer huissier d'arnics de Charles P'J, el de bailly de Senlis. Les a?uvres poetiques A^ Eustache Deschamps, connues k peine des erudits de profession , n'avaient exisfe jusqu'A present (comme colles de DIachau) , qu'en ma- nuscrits conserves dans nos fifrandcs bihlidllirqiies ; le libraire Crapelet vienl d'en j)ublier un choix parfaile- nient fait, et qui nous semhle de naliue ;\ devoir exciler un vif inleret. I E> l-I'.ANCi;. -ijn La parlie lyiiquc des ccuvres de Deschanij)s se com- |>osc de lais , virc/ais . rondeaux , chansons , ballades , etc. , en iionibre immense, et surdes sujcis tres-vaiies, el soiivenl fort curieux ; plusieurs de ses ballades surlout onl un rapport direct avec les evenements et les niccius du temps, dont elhs offrent souvcnt la vive pcintnre , et qudqiiefois aiissi la satire iageniatise et Ires- piquanle j la galantf rie n'y a que sa pari , el est loin d'y usurper un rule exdusif. La nianie; e de D:isehanips est lo&tc el degagee dans It's sujels badins , vraie et natiirello dans la peinliire des affections personnelles ; un peti ^credans la salire nioralej quelques sujels d'int6ret public n'ont pas lais>e de lui fournir des I rai Is d'uiie elevation el d'une visneur assez rcmarquables j quelques citations etab'.ironl rexactitude de nos asseitions, surces differents points. Nous comracncons par la ballade sur la niort ('e Machau , non quelle soil-la nieillcure ou la plus im- portaute en soi , mais parce que la liaison nalurellf des nialieres deinande que nous ne la laissitins pas sV'loi- gncr davantagc ufe rarticle auquel clle se raltacUe par son objet. riLLVDB POUR MACHAU. Arnies , amours , dames , chevalcrie , Clcrcs musicaiis , failiUes en l'ran(.ois , Tous so()liislcs r lou'.e jjot'teric , Tous (cux qui oul raclodieuse voix , Ceux qui rhanlenl en orguc aucune fois. El qui onl ihor Ic doux arl de musi(iuc, Demenez dt-uil, plouiez (tar c'esl bii'u droils) , La morl iMachau , le noble rhrtoriquc. I'j8 DE LA POESIE LYKIQUE Onqucs d'araours nc paria tn folie , - Aiiisa csl6 en tous ses dicls courlois; Auss'i h moult pl(5u sa chantcrie Aux grands seigneurs , a darocs el bourgeois. Lc , Orpheus, assez lamentcr dois, Et regrelter d'un regard authentique, Arethuse et Alpheus , tous Irois , La mort Machau , lc noble rh6lorique. Priez pour lui , si que nui ne I'oublie , Ce vous requiert le bailli de Valois , Car 11 n'en est aujourd'hui nul en vie Tel comme il fut , ne ne sera desmois ; Complaint sera de peuples et de rois , Jusqu'i long- temps pour sa bonne pratique ; Vestez vous noir ; plourez tous , Champenois , La mort Machau , le noble rhdlorique. Rubebes , Luihs , 1^ idles , Sy phonic , Psalte'rions , trestous instruments coys, Rothes , Guitcrn.es , Flaustres , Chalemie , Travtrsaines , et »ous , Nymphes de bois , Tynipane aussi , meltez en omvrc dois , Et lc Choro ; n'y ait nul qui rdplique; Faictes debvoir ; plourez gentils Galois, La mort Machau , le noble rhdlorique. Dansune piece de meniecaraclerc, Tauteur a deplore parcillementla pertedc rillustie connelable Diigucsclui; voici le morceau : BALLADE SOR LA MOnT DE 8ERTBAISD DrGDKSClIM. Estoc d'honneur , el arbres de vaillance , Cucr de lion csprins de hardement, La flour des preux , et la gloire de France , Viclorieux et hardi combatlant, k EN Fn.kXCE. 179 Sage en vos fails , el bien enlreprcnanl , Souveraln liomiiic de guerre , Vaiiiqufiir de jjens , ct coiiqu6ieur de lerre , Le plus valllaril qui onqucs fulen v e, C.hascuii pour vous doil noir vcstir et qiicrre, Plourez , plourcz , flour de thevalerie. O Hretugne , ploure Ion esp(*rancc ; Sormantlle , fais son enlierenieiit ; •Ciiyenne a\.\Sfi\, et /fuvergnr, or t'avance. El Langiieduc , quier lul son nionunicnl; Picardie , ihampngne el Occidenl Doivent pour plourer acqucrre TragMiens, Areihuse requerre , Qui en eaux fut par plour converlie, Alin qu'i tous de sa morl !e cuer serre ; Plourez , plourez , flour de chevalerie. , 11^ gens d'armes , ayez en remembrance A^oslre [lere , vous estiez si enrant ; Le bon Bertrand , qui lant ol de puissanie , Qui vous amolt si aniourcusement; (iuescCm crioit : piier dcvolcmont Qu'il puist paradls conquerre ; Qui deuil nVn fail , el qui n'en prie, il erre. Car du nionde esl la lumierc laillie; De loute honneur cstoil la droitc serre; Plourez , plourez , flour dc cbcvalerle. Eiitre celles qui se rapporfcnt plus on moiris diiec- Icmeiil aux eveiicments publics el aux affeilions poli- liques del'epoquc , on remarquera pailiculi^iTineril la suivaiite : DALLADE DE LA PHOPB^TIE DM. Mi:HI.I?(. Selon le Brtil de I'isle des g^antf! , Qui depuls fui lib/on appellee , l8o DE LA POESIE LYRlgLE People raaudit , lard dis en Dieu cr6ans, Sera I'islc de lout point d6sol6e ; Par leur orgueil vient la dure journie Dont leur prophete Merlin Pr^noslica leur dolereuse fin , Quani ilescripst: o Vie perdrez et terre ; << Lors tnonstreront estrangiers et voisin : « Ou temps jadis esloit cy Angleterre. » Las, toi , terre , gouvern^e d'enfanis, Visage d'ange portcz; mais la pensde De diable est en vous loudis sortissans A Lucifer; par orgueil conipar6e La loi par vous est ja deux fois cass6e, Dans Ic service divin , Ne faictes pas d'aournement enterin , En demonstrant que faible est vostre serre, Destruits sercz ; Grec dironl et Latin : « Ou temps jadis esloit cy Angleterre. » Sur le pays qut plus vous ful ardans , La Petite Bretagne esl surnommde , lerl le dibal de Gaule et de vous grans ; La doit ccuvrcr contre vous deslinde ; La commenca ta premiere meslde. La finira le hutin , Puis passeront Gaulois Ic bras marin , Le pouvre Anglois destruiront si par guerre, Qu'adonc dironl luit passant ce chcraiu: " Ou temps jadis ctait cy Angleterre. » Dansle nombre de celles que fouruit la simple pein- lure lies nioeurs et des scenes du temps , on distingue par-dessus tout la ballade Pour lelournoi de St.-Detiis , sous Charles VI ^ en i38(^: Armcs, amours, ddduit, joie etplaisance, Espoir , ddsir , souvenir, hardement, K.N KliANCE. l8l Jeunosse aussi , nianiere ct conlcnance , Iluiiiblc regard, trait amoureuscment , Gens corps , jolis , pares Ires-richemcnl , Avisez bien restc saison nonvclle , Ce jour de may, cesle grand' feste et bcll^. Qui par le roy se fait a St. -Denis , A bien jouster gardez voslre (fdercile , Et vous scrcz honour6s et ch6ris. Car la sera la grand'biaute de France ; "Vingt chevaliers, vingt dames enscmenf , Qui les mestront arnit's par ordenance , Sur la place toutes d'un parement , Le premier jour , et puis secondemenl ,. Vingt escuycrs , cliascun sa demoiselle D'un parement joie se renouvelle , Et la feront Ics bdraux plnsieurs oris Aux bien joustants : lenez fort votre selie, Et vous serez bonoures et ch6ris. Or y parra qui bien fcrra de lance , Etqui sera de beau gouverncment , PouracqucSrir d'amour la bicnveillance Et qui durra auharnois longuemenl; Cils aura los, doulx regard proprcment Le monstrera ; amour , qui ne chancelle ^ L'enflambcra d'amoi!?euse estincelle, Honneur donra aux mieux faisans les pris;. Avisez lous cest€ douke nouvellc, Et vous serez honourt^ ct cbt'ris. Servants d'amour, regardez douleement Aux cschalTaux, anges de paradis, I-ors jouslcrez fort et joyeusement El vous serez honour^s el ch^ris. On y rallachera au besoiii sous ufi point de vue plus gc'irieral , ccUe du Bon capilainc et de £ Ordre de chwa- iBa Dli L.V l><»i;SlE I.MUQIU /ent!,offraiil ibaciuie en co qui la coruernojle (ypcde !a perfection idealc du temps , dans ces deux professions. A oici le debut de la premiere : Aux champs ! aus champs ! issez dc vo maison , Vous qui devez avoir honneur et querre; A'ez-d avril el la doulce saison (jue Ten se doil ordotincr pour la guerre ; Etque Ten doll son ennemi requcrre Et la froiititVe teiiir , Tant qu'il ne puist en vos marches venir ; LI temps est doulx pour dormir en la plalne , L'herbette vienl pour chevaux soustcnir; Ainsl sc doil gouvemer capltaine. La seconde , demande i ^tre citde en entier Vous qui voulez t'ordre dc chevalier, II vous convient mcner nouvelle vie, D(5votenicnt cii oraison veiller , P6chi6 fuir, orgueil et vilenic ; L'^glise devez dt'fend re, La veufvre aussi, I'orphenin entreprcndre, Eslre bardis , et le peupic garder , Prodoms , loyaux , sans rien dc I'aulrul prendre : Ainsi se doit chevalier gottverner. Humble cuer ail; toudis doit Iravailler Et poursuir fais de chevulerie , Guerre loyal , estre grant vojagier, Tournois suJr et jouster pour s'amic ; II doit i tout honour tendre. Si com ne pulsl de lui blasme reprendre , Ne laschet6 en ses oeuvros trouvcr , Et entrc tousse doil Iciiir le mendre? Ainsl sedoit cbcvafu'r ftouvcrner. i:n fra.>ce. i83 II doil anicr son seigneur droilurier , El dossils tons gurder sa seignourie , Largesse avoir, estrc vral juslicier, Des prodomcs suir la compagnie , Leurs dix oir el apprendre , El des vaillans les proesses comprendrc, Afin qu'il puist les grans faiz achever , Commejadis fitle roi /tlexandre : Ainsi se doit chevalier gouverner. Les sujets saliriques ont fourni enlre aulrcs : niie ballade k Double enlendenient (c'est-A-dire d'c(juivoqne, d'eloge ironique ) , Sur les mocurs du siecle ; ensiii(e iiiie autre , De la supei'iorile des anciens sur les />iodfinc\ ; yuis line troisieme , Sur les nioyens de parvciiir a la cour; puis encore une quatrieme , Sur le mariagcQic, etc. Voici la ballade sur les Moyens de pan'enir : Apprenez moi commcnl j'arai cslat Soudainement , Dame , je vous en prie, El en quel lieu je trouverai bon plat Pour gourmander el mcner glote vie: — Je te I'oUroy ; traison el envie Te I'aull savoir ; teulx le nicslront avant ; Menlir, flatler, parler de l(5cherie; Va a la court el en use souvent. Pcigne toi bel ; ton chaperon abat, Soies veslus de robe tres jolie , Fourre toi bien, quoi qu'il soil de I'achapt, Tien toi brodd d'or el de pierrcrie ; Mcnt largeinenl afin qua chascun rie, Promet assez, el lien po de convent; Fay lous ccs points ; ne le chaille qu'en die , Va a la court el en use souveni. l84 DE L.V POIiSlE I.VUIQI'E A mniiil I'ai vii fairo qui s'y enibal , Soi atToinler de IVschaiigonnerie , Joucr au\ doz , laiit qu'il gagiie on soil mat; Ou'il jure foil , qu'il maugrec ou legnie , Fay done ainsi; met toi loujoiiis dovaiil; Pour avoir nom , fous ces viies n'oublie ; Va ^ la court et en use souvent. Prince, bien doy renicri lor Folie , Qui ni'a nppris cc beau gouvernemenl, Et qui ma did : a ces poins (^fudie ; Va a la court et en use sou?ent. Celle de Donbh entendcmenl debute coinnie il suil : L'cTi me dennfand'e chasciin jour Qu'il me semble du temps que voy , Et jerepoiids: c'est lout lionour, Loyaut^ , v^riM et loy , LargeiJse , proucssc et army , Chari(6, et bicns qui s'advance Pour Ic conimun ; niais par ma loy , Je ne dis pas quanque je pence. On nous donne celJc du Manage sous Ic lihe de Coniplainted'iai genlilhonime mai'ie en d gc moym { lout indique (jue c'est Tauteur qui so dcgnlse, ou se d{''sii;iie liii-nieme ainsi ) ; nous y reniartiuous eel excellenl couplet ; J'ai domourd cntre les Sarrasins^ Esclave csl6 en pays de Surie; J'ai en vaisseaux, en gatees, en tins, Esl6 sur mcr , et cb nave p6rie , Parle lournicnl cuidani perdre la vie; J'ai combatlu en guerre el poup le gage. i:.\ I'ltANC.K. l8{) Elesdesprlsa un lionsauvago; El (le lout nc me suis bien (5cliappc , El (I'aulres iTiau\; fors que du inariage; Or garl chascun qu'il n'y soil allrap^. 11 y a dans lout cela beaucoup de choses louables et bonnes ; ce dernier morceau sm tout est (el que nous ne voyons guere qu'il lut possible de faire niienx. En ce qui lient au genre badin et naif, il nous sonible aussi qu'on (roiiverait difticilement quelque cbose de plus gentil que ce franc et gai virelay , mis dans la boucbe d'une jeune fille de quinze ans : Suis-je , suis-je, suis-je belle ? II me semble , a mon avis , Que j'ai beau front ct doulx vilz, Et la bou( be vcrmeillelle ; Diles-moi si je suis belle. J'ai vairs yeux , pctils sourrils, Le chief blond , le nez trailis , Rond menton, blanche porgctle; Suis-je, suis je, suis-jc belle? J'ai manliaux fourres de gris, J'ai chapiaux , j'ai biaux profits, Et d'argent inainte (*piiiglelte; Suis-je, suis-je, etc. J'ai draps de soie et tabis , J'ai draps d'or, cl b'aiirsel bis, J'ai mainle bonne choselle ; Diles moi si jcsuis belle. Que quinze ans n'ai, je vous dis ; Moult est nies lr(S!ors jolls; l8G UE I.A POKSIE LYBIQUK S'en gardprai la clavctle ; Suis-jc, suis-je, elc. Bien devra estre bardis, Cils qui sera mes amis , Qui ara tel damoiselle; Di(es moi si je suis belle. Et par Dieu je li pl6vis Que trcs-loyal , sc je vis , Li serai , si ne chancelle ; Suis-je, suis-je, etc. Se courtois est el gentilr , Vaillant, apers , bien appris, II gagnera sa querelle. Di(es-moi , etc. C'est un mondain paradis. Que d'avoir dame tous dis Ainsi fraische, ainsi nouvelle; Suis-je , suis-je , etc. Euslache Deschamps, honime de cour, parfaitement galant et poli d'ailleurs, n'a pas toujours piis suffisam- meiit soin d'cviter I'emploi de certains mots un pen cms , que I'usagc plus laffine de la langue a rejeles depuis comme obsccnes ; c'est la faute du siecle beau- coup plus que la sienne propre j quelques laches dc cette espece peuvent se remarquer dans les parties non citces de ce joli virelay , Suis-je belle; c'est a peu pres le scul defaut que nous trouvions Ay relever. II existc d^Etistache Deschanips un Rondeau dctnhle^ qui pourrait bien etic la plus ancienne Chanson a Loire, i:> lUANCE. 107 f oinposee , 011 ilii moins connue , en langiie franriiise ; il n'cst gucre rcmarquable que sous ce rappoit j voiti Ic lexle : BONDEAC DE TABLE, I Jamais a table nc serray , Si je ne voy le vin loul presi Pour boire cl verser sans arrest. Au premier morcrl Id soif ai Que mort suis , se boire n'y est ; Jamais ii table , etc. Comment il m'cn va bien le say ; liolanl en mounil ; si me plesl Boire tost , puisqiie vin me pest. Jamais a tabic , etc. On pent remarquer encore d' Euatache Deschamps , le couplet ci-apres en AiUenx a la jeunesse : Adieu printemps , adieu jeune saison , Que tous d^duils sont dus a rrdalure ! Adieu Amours, adieu noble maison , Pleinc jadis dc fleurs cl dc verdure ! Adieu esl(^! automne qui pen dure ! Yvers me vient , c'est-a-dire vieillcsse; Pour cc tristcr te dy adieu jeunesse. Et aussi la ballade Priere aitx Dames , par laquelle il nous en faul fuiir : PniiiRI! AtX DAHES. Damos , Dames , que j'ai Ions-temps scrvi , Depuis qu'Amours m'oni donti(?fO!jiio"'isance, 1 88 DE LA POESIE I.YUIQI'E El en (oiis c.is vous lo6 el chcry , Kt oinploye cucr , et cors, el puissance, Et cii mes dis de joycuse plaisanee Parle amouieuscmcnt , Priez pour moi , car nion d(5finement Voy approchier , ct \c tcnips dc ma bicrc ; Lc treu parroy de mort prochaincnienl Sc de Dieu n'ay secours a vo priere. Las , des que j'oy qualorze ans ct demi , Jc me soumis a voire obdissance ; Si dcvriez avoir piti6 de my. El vo servanl avoir en remembrance , Or vos suppli , doulces Dames dc France , Dc pricr dcvotemcnl Nostre Seigneur , pour mon allcgemcnl; El si je muir , ayez ma lombe chiere , Car sans retour vois au grand mandemcnt Se de Dieu n'ai secours a vo priere. Els'il convicnlquejc dcparleainsi , Veuiliez oir ma pileuse ordcnance; Je eric a Dieu de mcs lorfnils mercy , Et a mcs homs lais ma petit'chevance , Le corps aux vers I'cra sa p(^nitcnce ; Or ait I'ame sauvcmcnt ; Vestez vons bianc pour moi au remenent , Oar de purld porle blanc la luniiere, Et d'escliapper n'ai espoir nullcment Se de Dieu n'ay secours a vo priere. Immedlatcment apres Deschamps , ou , si Ton vent , jircsque avec lui , se presente le cbanoine Froissarl. Joan Froissart naquil a Valenciennes^ vers I'an 1337. Son pere , qui etail pcinlre d'annoiries , en fil \\i\ ckrc, et ce tlcrc , comme ii y en a pen , ful bioutot uu K^i VKANCE. l89 des honimcs Ics plus recberches dcs princes ilc son temps. Froissart sallacha successivcmcnl au service de [)l!i- sieurs grands personnages , fit avec eux , pour eux , on quelquefois pour lui-mcnie , avec leur agremcnt , hcau- coup dc courses d'ajf aires ou de plaisir , et mena , on tout une vie d'avenliirc, assez peu conforme aux graves convenances de son etat. II a fleuri sous les rois de France , Jean , Charles V et Charles PL La reine A'Angleterre, Philippe de Hainaiit , femme d'EdotiardlJI , Temploya pendant pres de sept ans , comnie clerc de sa cliaiiibre , et eut pour lui beaucouj) de bicnveiilance ; plus tard , apres la niorl de cello princesse, il fut secretaire du due Vcnceslas de Brabant, et clerc de cliapelle de Guy , cointc de Blois , etc. II eut aussi des relations non nioins utiles qu'bono- rablesavec Gaston Phcokis. comte de Foix (IVpoux de la princesse /Ignl-s de Nai-arre) , prince inagniflque ct passionne pour (ous les nobles dcduiis dt^ son sicdc , etc. (i) , et finalement avec le jeune roi d'Anglcterre, liichard II (pe(il-fi!s de sn prolectiice), qu'ii visita en 1395. II ecrivait encore on i4eu severcment , iiclour refuse pourtanl pas i\ la ii},Mieur un oertain ejfet cle simpUcite et de liberie assez gracieuacs (Mem. de I'Ar. des Inscr. , elc. , t. xiv , p. 225); et d'autre pari M. de Barante, si bien infornie de loiil co (jtii lient an sujel et a Tauleur , va jusquW dire : « qu'elles out un caraclere aussi vrai que son hisloiie , « el soul, comnie elle, non un ouvrage d'arl, mais une « production toute naive el toute nalurelle. y> (Biogr. I iiiv. , loc. propr. ) Les poesies de Froiisari n'ont ele conservees jiisqu'ici i]u'en manuscrils, donl il n'a ele publie que de rarcs et insuflisants echanlillons, apparlenanl pour la plupart ail genre narralif d'alU'i^orie galavtc , el ne contenanl de lyrique , que quelques inorccnux de chant , epars dans le poenie , el appropries i la situation imaginaire des personnages agissanls. Les critiques qui onl pris la peine d'explorer les ori- ginaux , y out reconuu I'exislence de beaucoup d'autres productions lyriques ditacliees, les unes de pure galan- lerie , les aulres relatives aux eveuemenls el aux inle- rets du temps. Dans le nombre de ces dernieresdoivenl se Irouver : Un virelay danse i une fete pour la reception de Ljonnel, due de Clarence , k la cour de Savoye, en 1 368. Un lay sur la morl de sa bienfailrice , la reinc Phi- lippe de Haynaut , en i3Gq. Un epidialame du comte de Dunois , fils du comie de Blois , son dernier maitre , en 1 386 ? Des pastourelles , sur If roi lean , sur une victoire de Charles VI , sur I'entrec de la reine IsabcUe , etc., etc. EN FRANCE. I91 Tout cela devrait ^tre fort curieux A ^tudier. Les Paxtourelles de Froissart passent pour avoir ele coiiiposees en majeure parlic pour les concours publics des academies de Picardic et de Flandre , etc. On les juge en general pleines de grSce et de naivete , mais un pen plus gales qu'il ne conviendrail a I'etat et au caractere de leur auteur ; ajoutons d'ailleurs qu'il n'est pas bien reconnu qu'elles soicnt lyriques , et que de ce qu'on en dit et de ce que nous avons eu occasion d'en voir nous-mcmes , il nous semble resulter que ce ne doit etre que des cnireliens de bergers , il n'importc sur quels objets , pastorales de Ion et de personnages , si Ton veut , efrangercs du reste aux donnces de la pas- tourelle d'aventure de l^^ge precedent. Dans le nombrc despeli/es coinposiiions lyriques bien connues de Frowrtr/ , nous dislingucrons avant tout le gentil virelay ci-aprcs ( extrait du Joli Liiisson de Jonece ) , dans lequel une dame est censee exprimer le regret d'avoir econduit , par la reserve affectee de son langage, I'amL dont , au fond du ccBur , lUe eut voulu accueillir les voeux : Par un lout seul csconrtire Dc bouche , non de cuer , fait , Ai-je mon ami rclrail De moi , dont jc morrai d'ire ! Helasl que ma bourhe a fait ! Ne comment ose clle dire Tout le conlraire dou fail De ce que moa cuer desire ! Lasse , je ploure et soupire , Et si n'ai-je rieii fourfet , 1^2 B£ 1-A I'OESIE LYUJQUE Fors que lie ma buuche ai trait Le glave pour luoi occire ! Par un lout scul , etc. Et so jamais se relrait Vers moi , Dieu me puissc nuire , Se hriefmont ne me rcmet Au point oil amours me tire ! Jen voil mon cuer assoufire, Maugr(5 que ma boudio en ail ; Nc ja pour cri no pour brait Ne s'en laira desconfire. Par un tout seul , ele. On pourra au besoin en lapprocber cet autre (cxtrail du niome poeme) , que Fauleur a mis , on ne voit ])as trop pourquoi . dans la bouchc da pcrsonnagc allcgo- ri(|ue Jltcmprance (moderation , ou lelcnue ? ) ; niais ou se peint, avec une rare vei ile, Ic pelil amour-propre d'une jeune fille , conti ntc de sa gcnlillesse et de son independance, et toulc fierc d'avoir h se faire rcprocbcr de pctites rigueurs : On ditquej'ai bien manicre D'esire orguillouselle ; Bien afliert a (*lre fiere Jone pucelelte. Hui matin mclcvai Droit h l'aioiirn('c; En un jardinelenlrai Dessus la rous^e. Je culdai estre prerniore Au cloi sui i'lierbelle ; I E.\ FRANCE. 193 Mais mon doiix ami y ere Cueillanl la flourelle. On dil(iue j'ai , elr. Un ehapclel li dorinal , Failde la vespr^e; II le prit, bon grtl'en sat. Puis m'a apipel6e : « Voeillez oir ma proycie , n Trds belle et doucelie, « Un petit plus que n'alTi^re « Vous m'elcs dureltc. » On dit que j'ai , etc. Froissart a passe pour exceller dans la composition dos ancieiis rondeaux d'aniours ; on en jiigcra par les deux suivants : I. RONDEL SDR UN depart: Le corps sen va , mais le cuer vous ilenicure, Tres cheie dame ; adir 11 jusqu-'au reUiur ; Trop me sera loinlainc ma dcracure ; Le corns s'en va , ma is le cuer vous demeure , Tres chcrc dame ; adieu jusqu'au relour. Mais doux penser , que .j'aurai a (oute heucc^ Adourira prant pari de ma doulour; Tr6s chere dame, adieu jusqu'au retour; Le corps s'en va . mais le cuer vous demeure. 2. RONDEL SUR UNE ABSENCE PROLONGKE. , Reviens, amy, Irnp longue est ta demeure ; Elle me fail avoir peine el doulour ; Mon esperil le dom:inde a (nule heure; Reviens, amy, trop longue est ta dcmeurei 194 I>B LA POiSIE LiRIQt'E Car II n'est nul , tors tol , qui me sequeure , Ne secourra jusques a Ion rclour ; Reviens, amy, trop longue est la demeure; Eile me fail avoir peine et doulour. Lcs extraits connus des poesies de Froissart nous foiirnissent un lay A la Stc.-Fiergc , formant epilogue de son livre du Joli huisson , etc. ; nous en cilerons ce debut , qui pourra nous servir plus tard , avec d'aulres niorceaux analogues ou differents d'objel ou de formes, a eciaircir un peu oe qu'il y a d'embrouille dans I'his- toire de ce genre de composition : Flour d'honneur Ires souveraine , En qui virginity maint El parmaint, Eulx tamaiul Sent gari del ardenl paine Que lenlalion amenc Par I'anemi qui nous chainl £t dcstraint El constraint A toute heure ct nous Tourmene; Mais de tous biens es si pleine Qu'en es saints ciels ne remaint Sainlc ou saint Qui se faint De louer a longue haleine Ta verlu noble el haulaine. Qui n'amcindrit ne ne faint , Mais csleint Et restreinl , Noire advcrsile prochaine A Froissart succede Charles due d'Orleans, EN FUA^CE. Uj) Chttrlcs d'Orlcans fut un prince de la iuaisi»ii rovah* (le l^alois . pelit-tils de Charles /' , peie de Luuis XII el oiicle de Frnncois t' . II iiaquit a Paris en iSgi , par consequenl une dixaine d'annees avanl la mort de Froissart. Charlex veciit dans im temps de malheiirs , et son liaut rang ne (it qued'allirer plus inevilablenient sur lui les coups de la fortune, alors si contraire i la PVaiice; fait prisonnier ck la bataille d'/^=iMCOM/£{i4i5) , il ful conduit en prison en Angleterre, oCi sa caplivile ne dura pas moins de 25 ans ; plus tard rendu enfin i s:» patrie , il y mourut en i465 , eniportanl apres Uii IVstinie el les regrets de tousles gens de bien. Charles d' Orleans a cultive la poesieavecun zele et uue Constance fori reniarquables dans un prince, et cette occupation dut etre pour lui une heureuse res- source contre les ennuis de sa longue captivite. Ses poesies coniposees , pour la plupart, en pays I'tranger , furent apparemnient peu lepandiies en France , ou peut-elre y excilerent peu d'atlention au milieu des desasties politiques de I'epoque ; il est de fait que cinquante ans apres la morl de I'auteur , ni Francois I". , son neveu , ni aucun des lettrcs de sa cour ne seniblent en avoir eu connaissance ; que des lanibeaux s'en trouvent, alors menie , usurpes ou pu- blics sous de faux noins ;,que personne n'en a parle au XVII''. sieclej et qu'il n'en subsistail plus aucun sou- venir, lorsqu'en 1735 , Tabbe Sallier en decouvrit ino- pinement dans la bibliolbeque du Roi , un nianuscrit oiiblie , mais parlaitemcnt autfaentique , etqu'aux mo- iiogranimes de la couverlure , on reconnait pour avoir ;q>parlcnu a la reine Catherine de Mcdicis. !f)f> DE LA POESIE LYRIQLE 11 n'cn a M. public jusqu'A present qu'un choix fort inc( mplet, tcl que Ic donne un autre manuscril, Irouve plus tard i la bibliothequc publiquo de Grenoble , el execute , i ce qu il parait , sous ses yeux , par son secretaire Astcsan , qui I'avait enrichi d'imitations en vers latins. Enlre les meilleuves pieces lyriqucs de ce recueil , nous devons commencer , comme lout lemoude, par citer le rondeau celebre , dit du Renouveau : Le Temps a laiss^son manleau De vent, de froidure el de pluye, Et s'est veslu de broderie De soleil raiant , clair et beau. II n'y a besle ne oyseau, Qu'en son jargon ne chante et crle : Le Temps a Iaiss6 son manleau De vent, de frordure el de pluye. Riviere , Tontaine el ruisseau Portent en llvr^e jolie , Goules d'argent, d'orfavrerie; Chascun s'habilledc nouveau; Le Temps a laiss6 son manleau De vent, de froidure et de pluye. Dans le grand nombre de ceux qui se presentoraient pour en fire rapproches , nous en voyons peu d'aussi agreables que eel autre ou I'.uilour se nioiilre si nai Ye- meni channe dcs perfections de sa Daiue : N'est-elle de tous btens garnic, Celle quej'aimc loyaumcnt? II m'cst avis, par mon scrmcnt. Que sa pareille n'a en vie. E.\ FRANCE. Qu'cn dilos-vous, je vous cnprie? Que vous en semble vrayemeiit ? Nest-elle de (ous biens garnie , Cellequej'aimc loyaumeiit? Soil quelle danse, chante ou rie, Ou fasse quclque esbatement , Faictes en loyal jugement , Sans faveur ousans flalterie , N'est-elle de lous biens garnie ? '97 Uiic ballade du plus toucbant effet , est celle oii , apres la mort de son aniie , I'auleur se rcpresc:i(e pliant Dieu pour elle , et comniencant ranuee par lui offrir une messe pour etrennes : Je me souloye pourpcnser Au commencement de I'annfie, Quel don je pourroye donner A ma dame la bicn aim^e: Or sills hors de ccsle pcnsce , Car mort I'a niise sous la lame , El I'a hors dc ce monde ost(5e ; Je prie a Dicu qu'il en all I'dmc. Non-pourlanl pour loujours gardcr La coustume qi?c j'ai us(^e , El pour a foutes gens monstrer Que pas n'ai ma dame oubli^e , De messe je I'ai cstrennie , Car ce me sera it trop de blame De I'oublier cesle journde; Je prie a Dieu qu'il en ait Vhrnc. Tenement lui puist proufilcr Ma priore , que conrftrlce Soil son amc, sans point tardcr , ,q8 »E la PUESIE I.YIUOVK El de srs bien-fails gucrduiin^c En [laradis, et couroiinec Commc la plus loyale dame Qu'en son vivant j'ayc Irouvde; Je pric a Dieu qu'il en ait I'Ame. Quanl je pense a la renoinmtSe ■ DCS grant biens donlestoilpar(5e, Mon pouvre cueur de doiiil se pame ; De lul souvenl est rcgrett6e ; Je piie h Dieu qu'il en ail I'ftnie. Lc bruit de sa propre moit faussemenl repandu en France, duranl sa caplivile , lui a fourni le sujet de cette autre : Nouvelles ent couru en France Par inainis lieux que j'esloye raort, Dont avoient peu desplaisance Aulcuns qui me haient a tort ; Aultres en onl eu desconforl , Qui m'ainient de loyal voulolr , Comme mes bens et vrais amis ; Si fais a loules gens savoir Qu'encore est vive la souris. Je n'ai eu ne mat ne grevancc , Dieu merci , mais suis sain etfort; Et passe temps en esperance Que paix , qui Irop longuemenl dort, S'esveillera et par accord , A tons fera Hesse avoir ; Pour cede Dieu soient maudits Ceux qui sont dolents de v6olt Qu'encore est vive la souris. Jcunesse sur raoi a puissance , Mais vieilleisc fail son effort EN KKAMCK. lOO De rn 'avoir en sa gouvernance , A present faillira son sorC , Je suis assez loin de son port , De ploure veiiil garder mon hoir , Lou^soit Dieu de paradis , Qui m'a donnd force et povoir Qu'encore est vive la souris. Nul ne porle pour moi le noir , On vent meilleur marchi^ drap gris ; Or liegne chascun pour lout voir Qu'encore est vive la souris. On pouria reniarquer encore au besoin , celle ou il se peint.dans sa prison, sous remblcme d\i fruit d'hh'cr, que I'on a mis k murir sur la paiile i Je fus en fleur ou temps pass6 d'enfance, Et puis apres devins fruit en jeunesse; Lors m'abatlit de i'arbre de piaisance, Verl et non meur , Folic ma niailresse ; Et pour ceia , Raison qui tout rcdresse , A son plaisir , sans tort ou mesprison , Ma ci bon droit par sa Ires grant sagesse. Mis pour meurir ou feurre de prison. En ce j'ai fait longue continuance , Sans estre mis i i'essor de largesse, J'ensuis content, et liens que sans doubtance C'est pour le micux ; combicn que par paresse Deviens fleslry et lire vers vieillesse, Assez esteint est en moi le tison De sol dt'sir , puis qu'ay est6 en presse Mis pour meurir ou feurre de prison. Dieu nous doint paix ; car c'est ma destrance , Adunc scrav en I'eauc dc licssc 200 DE LA POiiSIE LYRIQL'E Trop refrt'sclii , el au sok-il rlo France Bipii nelliL' dc moisy tie Irislcss^ ; J'allcnds bon tonips, en diiranl en humblesse ; Carj'ai espoirque Dieu ma gu^rison Ordonnera ; pour ce m'a sa baulesse Mis pour meurir , etc. Fruit suis d'hyver qui a moins de fendresse Que fruit d'esl6 ; si suis en gnrnison , Pour amollir ma Srop verde duresse , Mis pour meurir , etc. Tous ces niorceaux sont, comnie on voi( . puretnent personnels d'objet et de caraclere ; il ne parait pas q>ie Charles soil souvent sorti hois dece cercle ; le reiueil iniprinie ne nous fournit que deux pieces qui fassent except ion a cet egard et se rapportent franchenienl i la categorie des sujels d'interet public. C'est a savair, en premier lieu , la ballade suivante , en facon de priere A la Ste. -Vierge, et va?ux pour le relablisseinent de la pais ( apparemmciit peu aprcs i44o?). I'ricz pour pais , doulce vierge Marie , Roynedes cieuh , el du monde maitressc, Faictes prier par voslre ccurloisie Saints et saintes , el prerjf z vostre adressc Vers voslre fils , rcqu(5rant sa hautesse Qui! Ini plaise son peuple regarder. Que de son sang a voulu racheter. En desbrtulant guerre qui tout desvoye • De priercs ne vous veuillez lasser , Priez pour paix , le vrai Iresor dc joic. Pricz , preiats, et gens dc saincte vie, Religicux , no dormcz en patcsse , i.> riivNci;. 201 Priez , maislres ct Ions suivanis clergie , Car par guerre fault que I'^lude cesse; Mousliersilcslriiits sonl sans qu'on Ics redresse, Le service do Dieu vous fault laissier. Quant ne povez en repos doniourer , Priez si fort que bricfment Dieu vous oye; L'6glise voult ii re vous ordonner, Priez pour paix , Ic vrai Iresor dc joie. Priez, pcuple, qui souffroz tyrannic , Car vos seigneurs sont en lelle foiblesse, Qu'ils nc pcuvent vous gardcr pour maistrie , Nc vous aidier en grant dure destrcsse ; Loyaux man hands, la selle si vous blesse. Fort sur le dos, chascun vous vicnl pousser, Et ne povez marchandise niener , Car vous n'avez seur |»assage nc voyc : Et niainl peril vous convicnt-il passer, Priez pour paix, le vrai (resor dcjoie. Priez galans, joyeux en compagnie, Qui dcspendredesirez a largesse ; Guerre vous lient la bourse dcsgarnie ; Priez , anians , qui voulez en liesse Scrvir amour , car guerre par rndossc Vous desloiirbp de vos dames banter , Qui niainles fois fait leurs vouloirs lourner, Et quant tcncz Ic bout dc la couroie, Un eslranger si vous le vientoster, Priez pour paix , etc. Dieu lout puissant nous vcuille conforter Toutcs chosps , en terre, ciel et nicr; Priez ver£ hil que brief en lout pourvoye ; En liii seul csl de lous ninulx amender; Priez pour paix , etc. C'esl eiisuHe,et plus parliculieiemcnt, celte dorniiM-e , oo? Dli I.V I'OESIE LYUIQVE la plus imporlante tic loutes , pour le merite de Toxe- culion comme pour la nob'osse (hi sujet,sur Y Expulsion lies Anglais, et la Reprise des provinces conqnises ( vers 1453, apres les balailles de Formigny et de CasUUon?]. Comment vois-je Ics Anglais csbahis? Resjoi-toi , franc royaume de France! On apercoit que de Dieu sont hais , Puisqu'ilsn'ont plus courage ne puissance; Bien pensoient par leur ouUrecuidancc Toi surmonter et lenir en servaigc , El onl tenua tort ton hirilaige; Mais a present Dieu pour toi se combat , Et se monslre du lout de ta partie , Leur grant orgueil cnlierementabat, Et t'a rendu GiQ-enne et Koimandif. Quand Ics Anglais a? pi^ca envahi , Rien n'y valoit Ion sens ne la vaillance ; Lors estoyc , ainsi que fut Irahi . Pescheresse , qui , pour fairc p6nanre , Enclouse fut par divine ordonnance; Ainsi as lu esl6 en rcclusaigc, De desconforl , et douleur de coraigej Et les Anglois menaientleur sab?t En grant pompe, baubanset tyrannic, Or a tourn6 Dieu ton deuil en esbat , Et t'a rendu Guyenne et Normandif. N'ont pas Anglois souvent leurs rois trahis? Certcs oil ; tons avent cognoissance ; Et encore le roi de leur pays Est mainlenant en douleuse balance; D'cn parler mal chascun Anglois s'avancc; Assez monslrent par leur mauvais langaige Que voulontiers lui feraient outraige ; Qui sera roi enlr'eu% est grant d^bat ; E.N FIJANCF. au3 Pour coU UK L\ I'OKSll'. I.\Klolli AOM C(riir , atin qu'il no volo phis ; la /o/vp'vwr r/c «"/ f.'resenle ailleiiis : cheniintint duns Infarct tl'inuuiyciifc Iristessc. dorriinnt siir le lit do. dure pcnsee , niellanl siir son cceur un cmpldlre dc nnnclinloir , etc. 11 esl des pieces en palinialhias coniplcxe , qu'il s'esI express^menl applicpie a remplir , aussi exclusiveinent qu'il I'a pu , de traits accumules de celle espece. Ainsi ; Qiiand le dotix soleil de la bcniite de sa dame, biillera par les/t'//(V/<'5 dc m's ycitx , la chnmbre de sa pensi'e reluiru de grande plaisance , el sera pa^-ee de joic, elc. Ainsi : II conserve le coeur de sa Dame enveloppe en un comrcchef de plaisance , au cojf're de souvenance , lave aux lannes de depiteux penser , puis secb6 au /eii d' espvrance , etc. Ainsi (apres la mort de cettc meme Dame)> i' '* ( t'lebre les obseques de son amie an monlier ar/ioiuriix; Penser douloureux cbantail le service; cierges de soupirs pileux formaienl son lumiixiire ; il a fail (aire sa tond>e de regrets peints de larmcs , elc. , elc. Au milieu de ces iuvenlions d'allc^gorie pure , dans ctirtaines couipiLsitiuns coiumenccnt aussi u poimhe £>• FRANCE. W] tout (loucement quelqiies idees de Mythologie com- mune : Forlune y figure , avec ou sans sa rone ; le Dicu iV/4f/ioicrs s'y montic , accompagnc de sn mere, et I'un eiraulre sous leurs noms et leurs //V/es connus ; tout ccla s'y mele parfois d'une fa^on fort singuliere , comma on pourra le remarqucr surtout dans le pro- logue (non lyrique) du livre , contenant , apres long debat , letlre de relemte (ou engagement) , de I'autenr , donnee au noni de Finns et de Ciipidon, par Bonnefoi, leur chef- secretaire en la cil6 de Gracieux desir , sous le sceau A' Amour , appose par Loyaute , a la date du jour de St.-Falentin , martjT !.. etc. (i). Quant i ce qui ticnf a la forme, on a vu cequi en est: Celle du lyrique de ccltc epoque se distingue habi- tuellenient par I'usage de certains grands refrains de vers entiers, que le sens ramene, a plusicurs fois , dans des points determines du chant , dont ils semblent ainsi jalonner symetriquement toute la distribution. Le procede varie , dans son application a chaque espece de composition , et ce sonl ces variations memes , qui en detcrminent la denomination et le ca- ractere. Dans la ballade commune , c'est le dernier vers du premier couplet , qui doit revenir , conime refrain , i la fin de chacun des autres couplets. (1) Des traits Equivalents sc rcinarqucraienl au besoin dans quelques compositions narratives de Froixsart; — on a vu East. iJeschainps invoquer Orphee , Mreihnse el /ilphee , dans line eomplainle; — Machnu a parld des amours drs dieur rt ties de'esses; — et avanl eux tous , d^ja I'anleiirdu roman df tu rnsf, n'avail pas laiss^ de mf'Ier la Parqtie A/topos , !t\i\ per.snnn.-igos d'allrgorie pure, dont ill'a d'aillriirs cxcl'isivcmciil rrrnpli. 2()8 DK I.A I'OKsIE LYlllyL'K Dans le rondeau et le triolet , ce sont los deux vors <]» commencement, qui, lamenes deux autres fois, en- semble ou seul a seul , dans la composition, doivent y occuper au moins cinq places , dans une conibinaison qui rarenvent excede I'etendue de trois quatrains , et quelquefois uVh contient que deux. L'arlifice ijarliculier du vuelay conshie dans le retour tVun rouplci (le debut , qui , distinct de tons Ics autres , doitTevcnir , cemme refrain natuiel, ^ la fin de chacun jde ces dernieis. Toutes ces combinaisons sont d'un offet ingenieux tt agreable , lorsque le refrain a cl« bien choisi , et qu'il s'y Irouve bien ran>cne , c'est-A-dire quand le poele a rempli cett« double condition , d'y renfermor Ja pensee principale -et ie sentiment dominant do la piece , et d'en faire contrae un centre , auquel viennent se rapporter d'^iux-memes les autres derails qu'il a di\ y assortif . Cei>endan't c'«st en general un moyen de genlillesse et de gracieus^te , plulot que de beatilc solide et n'elle ; le prooede offre en lui-mome un caractere d'artifice par trop palpable , surtout dans Tabus que ne pouvaicnt manquer d'en faire I'indiscretion , la niediocrite et le niauvais gout ; telles de ces formes de composition ne laissaient pas assez d'espace au developpement nalurel du sujet J toutes excluaient trop neccssairement tout mouvement de grand contraste , d'objots ou de senti- ments opposes , etc. Ces reflexions soul venues en leur temps ; il est tout simple que peisonne ne se soit avise de les faire alors. On a demande d'oii nous venaient ces formes de pitccs a refrains J el quel est celui de uoi \ieax poeles «jui le premier avail Irouve le secret de ces mignardises . Oiie)qucs-uns ont nonime Froissarl , comme ayant pu en invenler , ou peut-etre seulenienl en inlroduire parnii nous les premiers types , emprunles d'ailleurs. Tout cela est fort ine:sact; Froissarl n'a rien invcnte ni introduit , en ce genre , puisqiie , comme nous Tavons vu , avant lui , Ensiacke Deschamps , et nirmc aussi Guillaume de Machaii , ont fait des compositions tout- i-fait semblables ; 11 est bien clair d'ailleurs , que si Vusage etla vogue sont de ce temps , tiiwenlion elle- meme n'en est point , ei remonte k une epjxpm plus ancienno ; il existe une iLanson de Thibaui (i a', de son recueil ,) dont cbaque couplet tinit par. te refrain de .aclMi(er' « Les^/I)k'i>s q.ij'Aiiiour scel^onner. « Peul-on dire de- bonne foi que cola ditTere vraiment d'une ballade? Le rondeau el le IrioleL e.rx-memes, les plus compliqueesde ces foi-mes , teibs dans lesquelles sembbMit s'en rcsnmer . dans le. plus eiroit espace doune , tontes Ics di(1uuU(is el lout Fartifice , ne sent ]>as non plus , quelquc ihf:>sc de nouveau , ni d'inconnu, comme on lecroirail., a la pratique (!os Ages prece- dents ; il exisle plusieurs couplels de ( liansons en forme de triolets dans plusieurs romaus bleu connus du XUb siecle ; on en cite parliculieremenl cet exenqtle , pris du roman des Amours dii cliatelain dc Coucy. ecril veis I'an i??8; t'esi un cou|ilet que la dame du Fayel y 2IO DE LA POiSlK LYUIQUE chante k table , et que toulc la compagnie lepcle en cbceur : J'aim' bicn loyaumenl , Et s'ai bcl amy , Pour qui dy souvent : J'aim' bicn loyaument. Est miens ligement, Jc le say de fi ; J'aim' Lien loyaument, Et s'ai bel amy. Nous demandons encore quel cheniin reel il y avail A faire pour arrivcr de la d^uwicux rondeaux AeFrois' sari , de Deschamps et de Machaii ? On a dit queles poetes du XIV'<^. siede avaienl fait revolution dans I'art, en separant la poesie de la niu- sique , et en cultivant la composition lyrique indepen- daniment de sa destination pour le cbaiit ; I'asscrlion parait ^-Ire exacte en elle-mome ; niais i comniencer d'ou 7 c'ost ce qui ne s'aperroit pas distinetement j le changement sur cc point semble s'etre introduit par degres , et d'une nianiere h pen pres insensible j il est certain du nioins , que Ulachau a ele grand musicien , et qu'il a note lui-mcine les airs d'un bon nombre de ses compositions ; que Deschamps parle partout de la nnusique en bomnie qui s'en est occupe, et qui comprend I'alliance naturelle de cet art avec relui de la poesie j que Froissari nous dit positivement de quelques-iuis de ses virelais , en quelle circonstance particuliere ils furent chante s , etc. D'un autre cAle , nous ne voyons pas que ni Deschamps , ni Fioissart , se soient donnes L> K«A>CJi. 3 1 r eiix-nii'iiies, ou nous soient cloiines par persoime, i>our (les iiuisiciens coni[)osi(eiirs d'airs ; C/u/rlcs (t'Orlraiis ne se produit pas avec dos droils plus appaients A t« tide; ct nil grand nonibtc des productions de sa longuo «aptivil(i , ne se presentenl qu'avec Ic caraclere de n\eries rimees , boutailcs d'un moment , c^trangores i toiile destinalion de chant , etc. ; en sorte (pic la ques- tion reste vraimenl envelo|)pee de quelque obscuriti';. Cequ'il j a de parfaitemejit clair en ce snjet, c'esi qu(! les compositions nouvelles ,.virelaU , ballades , iiioleis cl vieitx rorifleaiix , n'onl ele dans l\>rigin.> , (pie des chansons de fonnesparliculieres, distinguees (oul siui- pleineiil enlr'elles par d<^s noms tires de queUpics ( irconslances ttcccssoires (!y leurs nic^des^ d evt'culioii , iliinses , lours . viiv/iient.s , nuidus , etc. , etc. , el que ki plus lard il en a ete fait aniiHi cLose , e- nienl el en meconnaissant Tobjet primitif de leur des- tinalion. All tenqjs de Muchait- et de ses hois siiccesseurs, (UMirirenl aussi uiie ioiile (rauti e^ poctes donl quelques- nns, sansalteindreaunn'inedegre de inerile, ne laissenl pas de s'(';lre dislingucs-par des siicces^ plus^ ou nioiiis li )norab!es. De ce nonibre durenl cire d'afrord : l.a jeune princesse J^ini-s de Navarre , fenune (1b ( aslon Pliubus , aniie on proleclrice t\v. Guillauine de Macliau , donl ce dernier , coinme on la vu , nouD a « ons rve (pielipies compositions choisics; Un certain 6'u/Nt7', mentionn^ aM'c I'logepar /•.'ttiiai/m DcAc/ta/iips ; {''enccslas, diu' de Brchant, donl les aMures l^riqius 217. DE LA POESIE LVKlQi;E furcnt rasscmblees par Froissart . dans uii iccccil de loinu' ronianesque , quecelui-ci donna sous le litre de ISliliador ; Et Chrisihie de Pisan, venitienne de naissance , fille d'un aslronome de Charles V ^ veuve de bonne heure d'un noiaire secretaire de ce monarque , etc. Apres ceux-ci , an temps de Char/ei d'Orleans sur- lout , la foule devicnt telle , que ce serait un vrai ca- talogue A en dresser. Dans lout cela nous remarquernns de preference , nialgre la diffusion molle et conmnnic du style , mais parliculierement a cause de son objel , la ballade sui- vanle, sur la deposition du roi d'Angtclerrc, Richard J], el I'usurpation de Henri de Lancastrc , a?uvre d'un genlilhonune francais ( les manusc. its le nomment Creon ) , qui se dit lemoin oculaire dcs fails , et parait avoir etc attacbe au service personnel du prince dechu. On sail que Fcvenement est de I'an 1 399 , epoque de la vieillcsse de Fvoissart , et de I'enfauce de Charles d'Orleaiis : Otoi, Henri, qui asengouvcrnance, Pour Ic present , la terre ct !e pays Du roi Richard , qui ol tanl de puissance, Lequel lu as liors boul6 et d^mij , El tous ses biens approprit-s et mis , A loi , qui es niiroucr de Iraliisons; Or ctiascun sect qu'oncqurs mais trahis tioms Si faulcement ne fnt , comme tu q9 Trahi ton roi ; t6|pr ne ic pcux pas ; Jugier I'as fait par jugeiiient infanie ; Tu en perdras en la tin corps ct aine. Car faulcement , sans mandcr defiance , En larrocin , toi cstaiit forbtimiis, Lui ns cmbk^ sa Icrrc ; grand vaillance IS'c'sl pas ;'i toi , (Cilt's ce m'cst advis ; Vu (lu'il cslait liors sur scs eiinemis. En Irelaridc , mi inaiiilsdnrs liorions Uccut il'lrhiis , ([iii sonl tiers roiiime flons; Ton filsaisiio y lit thevalicr. Ins! I.e guenedon a lul lendre ouljHas : C'cst grant pt'cliiiJ; touHe niondc t'en blAme; Tu en [icrdras en la fin corps ci ^e. Car »' lA rutsii; i.viiKjiK nous (rotivons cello anlrc piece, einprciiite d'lmc in- lonlion toiile visible de sali.c peisoiinollc , doiil inm;* no pouvoiis (|ue sowpconiier I'objct , el leruarquabU! s'utoiil par la pbysionomie etrange do sou Cnpulon. bon honiiiK' , blesse sans le savoir , dans les droits d« sa seigneiirie , el qui a bosoin d'en clre aveili par lui mcneatrel ; la forme est celle d'uiie suppU(jiie i ce Dieir. Ciijiiilo, Dieu dcs ninourciii , Prince di' joyousc plyisaiicc , Mdi, C'lrtitif ierf . (iPS-soisni'UX I)r vous sorvir dp ma puissance, >'icns vers voiis en oliOissamc, Pour voiis luunbli?ni(Mil rc(iucrir Que VOIIS vciiilicz falrc punir I'ji honime de niaiivaisc vie, Qui coulre raison veiill lenir Le droit de vostre seigrieurie. CVsl un enfant nialieicux , Ou nnl ne rtrnl avoir fiance , Car il cii a ja plus dc lienx D6ceus an pays de Kran -f* , Donl vou,s deussic/, prendre vengeance, Pout {'aire les aullrcs crf^mlr ; C'est te prinvode bien nicnlir, Aisni^ IVcre dejoiigleric. Qui rouire raison vcult tenir Le droit de vostre seigneurie. Ontpics l.nn'fti !'or(j;ueiileux Nc list si ^rant oiiUreciiidancc , Quant il eiuprist d'eslrc euvieux Sur le Dieu de toute-puissance : II ni • seuible que par sentence Vous ledeussiez faire tiannir De vostre court , sans rcvcnir. 1> I'l'.A.NCE. 21 5 I.iii c( sa faulcc compngnic , Qui lonlre raison voull Icnir J.e droit de vostre scigiieurie. Prince, s'on doit avoir vaillancc , Pour mentir a Rranl abondauce , El pour faulcciL' iiiiiinleiiir , Vous vcrrcz icelui venir A grant lionncur, n'en doutez mie, Qui cotilre raison veuK tcuir Le droit de vostre seigneurie. Maintenant nous reprcnoiis la suite des faits , au point ou no'js avons crti devoir en suspendre Ic retit , el nous renionlons ct Alain Ckarlier. Alain Cluirtieriut Normand, et originaiicde Baymx, Oil il dut naitre en i38(i. II fleurit , coinnie Charles d'Orleans , sousles rois Charles VI et Charles FJl, dont il fut clerc secretaire, et mourut en i449- Alain ne se presonle ici qu'apres Charles d'Orleans, parce que, quoique son ainc, d'enviion cinq ans, il s'esl ecarte, plus que lui, des types de composition lyrique consacies par la pratique babiluelle de leuis trois der- niers predecesseurs. Alain Ciiartier passa pour la mervrille de sonsiccle ; SOS conteniporains lui ont prodigue les litres CC excel- lent orateur , noble pocte , tr'cs-renoiiiine rheloricien , jK-re de V eloquence jrancaisc, etc. II y a beaucoup A raballredes elog s el de Tudmiration unanimes dont ii semble qn'on eut pris alors i tAche de Tenivrer. Ses ouvrages ont ete inqirimes plusieurs fois , en- semble ou scparement ; on cite cnnimo la plus complete line edition in-4". dv: Duchesne , en 1G17. 2 6 1)E LA I'OliSlli LVUIQI'R Ce (iii'il e\istc de lyri(i!ic dans les ocuvies A'AUiin Chariier, pout se rappoitcr i deux sorles de composi- tions diverses , savoir : 1°. Plcies lyriqnes detacbees ; 2°. Morccaux lyriqnes formant ornement ^pisodiqne dans unc composilion d'un an Ire genre. La categorie dis pieces delacbees se compose parli- culierenient de ballades , coinpIainCes et rondeaux , de nalnie el de formes diverse*. Les morceaux d'ornemenl episodiqne sont etrangcrs a to'jte fornre de combinaisons i ernes , et marchent en jtleine libcrte , sans en elablir ancnn type nonvean. Ence qui estd'abord AQ\Aballad€ commune, on pent dire (juVZ/om I'a IraiteeA pen prcs comme tout le monde, exceple tonlcfois, que prenant souvent de preference poiu' si:jct un texle dephilowphie morale A developpcr, comme par cliapitres , dans une serie de ballades snc- cossives, il s'esl par 1;\ mcnie jde da-ns nn double [leril (hi 'ivideur et do /nonolciiie , dont a« fait il n'a [las su triomjiber. Cos defautsnoussemblentdq)areren general scssix ballades du Regime de Fortune , entre lesquelles pour- lant nous croyons encore devoir prendre les exemples de ce qu'il pent avoir fait de mieux en ce genre de composition t B\LLA»E DU RKGIME W: FORTCNE , N". 3. Les biens mondains, les honncursellcs gloircs, Qu'on aime taiil , rlesirp , prie el loue , Ne sonl qu'abusrt ctioscs Iransiloircs , IMutol passant. (]mo 1p vol d'unc aloue. K\ FRANCK. 217 Fortune en lienl le coniple en son cscroue, Et les depart u I'un plus , I'autrc moins; Et puis leur toll ct oste hors des mains ; pt pour CO dy , el sur cela me fonde , A tous propos que dc soirs ct d? mains : Co n'csl que vent de la gloirc du monde. Fortune done assicden hauls pn?toires Et Ics iU've au plus haul de sa roue , Tous eeux qui ont lu>nneurs et terrilolres. El puis les fieri desa paume en lajoue, Et du sommet les abat en la boue , Par quo! ilssont dc pauvrel6 atleints; Dont (juand on est de ces sieges hautains Mis en la chartre oil pauvretd redonde, A jugcmen(s faire vraiscl certains, Ce n'est que ventdc la gloire du monde. Trop bien appcrl par anciens bisloires Qui les escripis d^vcloppe ct diHioue, Quedonne assez Iriomphcs el vi<'loires , A qui liii plaisl , ainsqtic Ic pas Icur clone, Mais en la fin leur appoinle aulcls bains Quelle jadis appoiutaagcnis mainls; Pour lanl cstfol qui sc plonf^e en son onde; Car par ses fails mal surs cl incertains Ce n'csl que vent de la gloire du monde. Forlune a bicns muablcs cl soudains , Et plus cscorche asscz qu'elle nc tondc; Prise qui veul biens cl honneurs mondnins , Ce n'est que vent dc la gloire du monde. AtlTRR , Mf;ME SCJET , !^°. C. O fols des fols ! et Ics fols morf els hommcj , Qui vous fiez lant da biens de Fortune ! En ccsle Icrre , cs pays oil nous ^ommes , 2iy DE I.A I'OESIE I.YRIQVE Y avpz vous de chose proprc .luciinc? Vous n'y avez chose voslre ncsune , Fors les beaux dons de grace et dc nature ; Se Fortune done par cas d'adventiire , Vous toult les biens quo vostres vous tenez , Tort ne vous fait, ainfois vous fail droilure ; Car vous n'aviez ricn quand vous Tustes n6j. Ne laissez plus de dormir ji grands sommes. En vostre lit, par null obscure ct brune. Pour acquesler scs richesses a grands sommes; Ne convoilcz chose dessous la lune, Nc dc Paris jusques a Pampclune , Forsce qu'il faut sans plus a crc^-ature, Pour rccouvrer sa simple nourrilure; SufTise vous dV'tre bien renomm6s , Et d'emportcr bon los en sepulture , Car vous n'aviez ricn quand vous fusles nis. Les joyeux fruits des arbres ct les pommes , Au temps que fut toute chose commune, Le beau mid , les glandcs dies gommes SoufTirent bien A chascun et chascune ; Et pour cc fut sans noise et sans rancune ; Soycz contents des chauds et des froidures , Et me prcnez Forlime douce et sure ; Pour vos pertcs griefve deuil ne menez , Fors a saison , a point eta mesure , Car vous n'aviez rien quand vous fustes nis. Se Fortune vous fait aucune injure , C'est deson droit; ja ne Ten reprcnez; El pcrdissiez jusques a la vesture, Car vous n'aviez rien quand vous fustes n^s. Sons le meme litre de Ballade, mais dans uiic forme loute dif'ferenle des types que nous on avons renronties 1;N FitA.NC.K. '2I<) jiisqiri('i,/^/m'n nous fournit un long fit curieuxmorceau «rinvptiive nalionale contie Ics Anglais violatcurs dos trrs'cs , A Toccasion do la stn-prisc de Fougrre.i , signal «lu penouvellemcnt dpshoslililes en i449- La jnece n'a ])a9 nioins dc pi rou|»lels ( do chacun sojtt vers ) , tons saiu nfrains , ( oux-ri elanl romplarcs par un piwcrl/e linal , different dans chaque couplet. Voici le tcxte : BALLADE DE FOrGERES! Angliiis, Anglais, chasticz vous I)c I'un promeltro cl I'autro faire, Qui la trcvc avez roinmc fols , Rompii , ponr Fougiere forfaire ; Mais David piia Dieu difaire Cenx qui veulcnt guerre ct non paix; L'on doit jugier selon les (aids. II n'ost point dc plus juste loi , Que quand nulcuns , sc Dion ine gard' , Qui ont iis^ de male foi , Sonl punis par leur riiauvais art ; Vous avez jelt6 un hazard Dont voire bouche est di^perie : Aux trompcurs vienl la Iromperie. Mieulx vous fust avoir allendu Que la Ueve cut (5le passec ; Que Fougiere eueilii, tendu , Et avoir voire foi fas«t^c, Pour richesse avoir ainass(?e Doiit le rcproclic sur vous maint : Qui trop einbrasse , peu oslrPint. Quant ceulx parlirent de flntien , Qu'envoyastes ii I'entrcprisc, 2?.j Die LA PoiiSlK I.YIUQUK Voiis no cuidiez pas mcsowen En soulTrir ne marque , nc prise , Et puis los aycT par fainlise , D^sadvoups , lout en appert : Mai se musse a qui le cul pert- S'aultre gent que vous fait I'avoient, Chascun s'en debvroit eshahir , Mais ceux qui rousUimiers vous voient D'cssayor a cliascun tialiir, Sont provoqu(?s a vous hair, Et prier Diou qu'il vous punisse : Sapiences! vainc malice. Les Francais n'autres Icurs voisins Ne font point lelles niiilifiques; Nc font mesmes les Sarrasins , Contre leins serments authentiques, Ef poiir ce les gens hi^retiques Rt^duils si porlent deux fanons : Traistrcs et faux sont mauvais noms. A Dien el aux gens ddlcslable Est menterie et Irahison; Pour re , n'esi point mis a la table Des preux, I'image dc JnS'/H , Qui , pour emporter la toison De Colchos, veut se parjurer: Larrecin ne se peut c61er. On dil souvent que trop grand aise Si est trop forth cndurer, Et pour , avant que jc mc laisC , Le veuil contre vous murmurer; Toujours vous voulez fourvoyer Faisant cc qu'oncques preux ne fist; Tant gralte chievre que mal gist. Quant la treve k vostre requeste Fut oltroyt-e el confirnitV ; J E.X FRANCE. aa t Vous en faisicz de paix la feste , Pour cuidcr mniprc vosire arm(5c; Vous oustes trcs male pemic , Fougiercf avcz priiis en (ournc : II nest chance qui ne rplourne. En rompant la commune Ireve, Sur voire fiance et cnseigne, h'^rrngonois a prins la feve Au chastcl du due de Bretaigne, Floquet la recueill et regaigne Comtiie son servant et ami : Enconlre un fauli, un et demi. Tout comme les Carthaginiens Eurenl sur Romains avanlage, Conlre le conscil ct les siens Du vicux Hannan , consciller sage , lis refuserenl par oullrage, Paix qu'ils ne purent recouvrer: Quand temps en est, on doit ouvrer. Charles , noslre bon roi Francois , N'a point fait faire Ids assauts, Non a pas son neveu Francois De Bretaigne , ni ses vassaux , Forsjusques a temps que vos maux Chasti^ a avcc ses gens : Bon chicn se defend de ses dents. Trop plus vous nuil le Pont-delArche , Que ne vous pent aider Fougieres ; Car il est pros do vostre marrhe De Rouen , et sur les rivieres , Etsi est pros dc nos fronlieies, Qui est «n point qui vous decoit : Fol ne croit (ant qu'il ne recoit. Vous I'assiigcriez volonlicrs , 222 UK lA foKslfc I.'kl'.MJLJi El si allumissipz vos ricrges , Si n'eussiPi pnom qu'cn denianlicr* Aulciins vous chantasscnt des vicigp* , Ou quo I'on vous donnCE. 225 Lcur temps , car le mien est pass(5 ; Fortune a le forgier se casse Ou j'^pargnoie ma riclicsse Et le blen que j'ai amassiS Au meillcur temps de raajeunessc. Amour a gDuvern6 man sens. Se faule y a , Dieu me pardoane ; Si j'ai bien fait, plus ne ra'cn sens, Ccla.ne nie loult ne medonne, Car au Irt^pas de la lit's-l>onne Tout moa espoir se Irespassu. L'amour m'assit illcc la borne Qu'oncqucs puis mon occur ne passa.. Uii autre livre dit des Qitalre Dames eonimoncc de nieiiie par cetle espece cPidylle de description gracieusc, nu doinine encore partout, quoique d'une maniere plus tielournee, Texprfission asscz vraie du meme sentiment : Pour oublier merencoirfe , Et pour fairc cbere plus lie , Un doux malin aux champs Issy , Aux premiers jours qu'Amour rallie Les C(rurs , en la saison jolie , El desthtissc ennui el souci^ Si allai (out sculcl ainsi<^ Que I'ai -de coutunie , et aussi Marchai I'hcrbe poignant menue , Qui mist mon cucur liors de so«cr, Lequei avait^ld Iransi Long-temps par liessc perdue; Tout aiiloijr oiscaux volctaient Et si tres-douccment chantaient Qu'il n'est cueur qui n'en fust jojcui; Elcn chanluJssoye QiianJ a cellc douleur jicnsoye ,. El horsdcia (ristour issoye, Que je porle (.lileemcnt , El puis a riioi rnesine tensoye , El dc chaiilcr je rn'ciron^oie , Maisee bien doiit je jouissoie , II ne durait pas loiigiienient , Ains rcniroie soudaiiieiiieiil Au peiiser ou preiiiiercmeut J'csloye, donl si durcnient Suis cl de long-tcnips assailli ; Ce bien accroissail iiion tourmenl , Eu voyanl rcsjouissernenl Doiit il luVolait lout aulrejnent. Car espoir m'eslail d^Tailli. Si disoie a Amours : Amours , Pourquoi me I'afe-lu vivre en plours, El passer tristcincnt nies jours? Et tu donnes partoul plaisaucel Tien suis a durer a loujours, Et je Irouve toules rigours, IMus de durl(?s , moins de seeours. Que ceux qui ainaent d^evance. Ainsi mon cucur se guermenloit Dc la grand douleur qu'il porloit En ce plaisani lieu solilaire, Ou un (loux venlelcl venfoil , 228 DE LA POESIE LYUIQUE Si &M qu'on ne le sentoit , Fors que violclle mlcux (laire ; Li ful le gracieux ropaire De ce que nature a pu falrc Dc bel et joyeux en estc ; La n'avait cu ricn h rcralre De tout ce qui pourroit mc plaire, Mais que raa dame y cast est6. Ce livre des QuaUe Dames lui-m^me, dans lout son ensemble , n'est vraimenl autre chose qii'une grande coniplainte en quatre parlies , siir les desaslres publics de I'epoque , consideres sous le point de vue de leur influence sur les destinees des gens occiipes d'amoursj tout s'y rapporle au deplorable evenementdeladefaitc des Francois ii Azincourl, en i4i5. Quatre Daniesy ont perdu leurs amants ; I'nn d'eux est raort en beros ; un autre a ete fait prisonnier; le 'i". a disparu , sans qu'on en ait retrouve la trace; le dernier a pris lAcbement la fuite ; cos Dames se lamcntent Tunc aprcs I'autre , chacune A sa maniere , et se disputent en quelque sorte le prix lie la doidcnr ; le poele leur propose un arbi- trage, qu'elles acceptent , et la composition flnit par la. Les rondeaus connus ^ Alain Cliartier sent en tres- petit nonibre; on dit qu'il en avait compose beaucoup d'autres et de combinaisons assez diverses ; nous ne voyons k citer que le suivant , remarquablc surlout pour sa forme a petit refrain dc mots , si differente de CO que nous avons vu pratique jusqu'ici dans les pieces de ce nom; le sujet rappellera celui dune des plus gen- lilles ballades de Charles d Orleans. EN FRANCE. 25C) BONDEAU DE VIEILLESSE. La mcrci Dien , je vis loujours , Quelque di'plnisir que jf porle; Bon vouloir ma doulcur supporlc, Mais j'ai pas? 6 Ions nics bons jours. Sans avoir aide nc sccours , Doucemcnl mon lempsje d(?portc, La merci Dicu. Je n'al plus que Taire d'Amours; D^sormais ne m'en plaist la sorte , Aux auUres du (out m'en rapporle. Car quanl a moi , j'ai fait mon cours. La merci Dicu, , Sous le litre de Libellc cle paix , qualiGe aussi lay d'aniotir en charile , adrcssc au roi ct A la scigneun'e lie France, Alain nous foiunit encore un long inorceau tie 28G versd'exbortalion , pL-u imporlant pour le fond des clioses , niais i rcmarquer d'aillcurs pour la forme, que nous avons loujours besom de conslater ulle- riL'uremcnl j il suflira d'en citer cot ex trail : Pensez de qui vous vcnistcs Et issislcs, Etdont vos imes prenistes- £l tenistcs Honneur, tcrre, nomct gloire, Et de ccux par qui nasquistcs, Et vfquislcs , Aycz aulcune tncmoirc ; Et par vos puerrcs dcspilcs Lcurs mriilcs Ne dcsfallos ou dcsdiles , ajO DE LA I'OJiSIt LVRigi'E Qui cscriples Sontel duiTiit jusquL'S ores; Sc aullrciiicnt faitos ou elites , Vos cuiidiiites Scroll t eii huiineur pctiles Et maudiles En chroni(mes el hisloires Etc. Quant en France esloye , Je entrclenoyc Scur('l6 par voye , Par It's villes toye , Si que riuls n'y nicsfaisoienl ; Toules gens alloicnt Quels parts qu'ils vouloienl., Etc. Tout CL-Ia , conime on I'enteiid , appaitienl propic- menl FnAMCB. a3i Et tie I^gier nbattue ! Ton pensier Ic dcsvcrlue , Ton fol sens le nuit et luc , El k non savoir le niciie; Taut es dc [loure venue Se des cieulx n'es souleiiiic , Que til ne pciilx vivre saine. a. Qui pourrail descrirc , N'S compter souffire. Tout cc qui deschirc El & nicsctiief lire Notre liunianite ! Courroux nous rnarljre, Favour , liaine ou ire Nuisant h eslire, Penscr , f.iire ou dire Ce qu'csl verity. InKlicitd Etadvcrsi|{5, Sans autorilf* , Font la probit6 Des meilleurs despire ; El n^cessite En mendicity Mel fragility En perplexity , Dont le sens empire. Dans tout ce choix dc citalions , nous nous sommes altaches suitout i faire connailre /^lain par ses bnaux coles: il serait facile d'cti rassemblor d'aiifres , qui lui foraicnl beaucoup moins lYhonneiir. Nous dcvons diie rpfau fait j4lain tonibe souvent dans des execs dc r/////<- sion , de tmialitc ou de ntaiivais goiU foil otianaies ; li i c'cst un amant desole de la pcrfe de sa l>auie . L>.32 DE LA POESIE LVIUQIE (jui pour resistcr u Dcsespoir el a totite sa suile , sc dticidc A conibatlre la JUoit , non de lance , inais tie parole.... II ne comprcnd pas taut dc ciuaule de sa part contre une personnc si parfaite... C'etait uu module dc fourtoisie et de vertu... Jamais on ne vit une si hclle chcvclure doree et blonde , outre i usage de Nature. Comminl la niort a-t-cllcpu assaillir une lolleLcaiilc? Cc'st morveille qii'elle ait osc cjfacer une couleur si trcs- vcnneUle... Qu'a-t-elle fail dc son luminaire, Dc la flartt de scs beaux ycax Qui enluminait son viaire , Si claiicmenl qu'on ne pcut mieux? Kl scs sourcils giacieux , Noirs el velus modt^rj^ment , Ou sont-ils? Ah , dit-il , je suis ennu.yeux , Quandj'y pensc^lecueur me Tend C'esl Hop; Hen appelle , pourvu- toulcfois qu'cUc acccplc son appct.... Mais lu ne veux rccevoir Ne avoir Eroc6s ou champ dc bataillc, Conime jc puis concevoir El savoir , Rien n'esl con-trc (el qui vaiilc H rc\icnt en consequence a la vilienie (injure), cspe- ranl, observc-t-il , que la inoit peidanl patience, va se KN FItAXE. 0.M iTSoudrc i\ Ic prendre aiissi , sur quoi il fiiiit en prianl Dieu do le r^iinir h son aniie , qiiand il aura Jail sa penitence et passe la fin de ses fours.... Puis arrive, sur le r?n'/iie propos , line ballade ternii- nee par ce souhait , formanl envoi : Le Dieu d' Amours parson plalsir m'otlroye Dame trouver par qui soj e remis En bon espoir de recouvrcr ma joye , En lout honncur , ct en fails el en dils ! Ne voiUV-t-il pas un homnie bien alTlige , une compo- sition bien concuc , dans son ensemble et dans son ap[)endice, et des details de style bien propres i\ eoni- niuniquer le sentiment exprimc ! Ailleurs , c'est la premiere Dame A'Azincourt , isl voulu faire Pareillement sanssoi desfaire, Anglois n'eussent pas peu a faire , Mais oitiportasscnt Nos maux el s'f-n desconforlas?ent , Et autre part sc transportassent , Et d6sormais se dcportassenl De nous grever. Bien peuvent cnvieux crever , Sa mort fait son honncur lever Contre qui voudroit eslever Mauvais renoni. Or n'ont-iis vu en iui senon Loyaul6 , dont il a le nom , Puisque coux pour loyaux tenon. Qui se mainticnnent Si bien que loi et devoir liennent Vers leur seigneur , el le sousliennent Jusqu'au mourir, et enlreliennent Leur loyaul«^, Au besoin el la f(?aull(^ De leur dame etdcsa beaul^, Sans pcnser inal ne rruaute , N'aguels subtils Ah I peu loyaux , Fuilifs , iasches et desloyaui , Qui n'avez qu'estats et joyaux, Vous laissastes tous les loyaux , El leur lournastes Ledos, et vous en retournasiea , r.ar alors les abandonnastes , Et or Iristemcnt les laissastes Trcslous mescreuj De trahison faire et recreus. K.N FKAXCK. 2JJ Donl les nombrcs furent deceus Et les cmurs dcs Anglois accreus.. Vifs escorchids Soycz voiis , ct si bicn lorchids Que jamais no voiis renforchiez 1 Tcls gens dusseril dire porchieis , Ou faisant viles OEuvres , par cMs ct par villes, Quand aii)! armes sont inutiles , Et vculenl avoir cents el milles.... PrE LA I'OESlli LYRltL'K El (le morts (■ouvit(s et scrrt^s Fiireiil 1.0US pris pt enserr^s : C.liascun liappa Sa haclw el oullrc se I'rappa; Mais forluiie Ics atlrapa , Pes royaux mil n'en eschappa , Car sans t-ourner Lc dos , afin dc rclourner, Youlurent la tons s<5journcr , I'our leurs hoirsd'honnciir aourner, Si renconlrcrent Si mal , queletir vie y oullrerenl ; Ah ! fiiilifs , ils sc donionstrerent Si boiis , que vos iwntes nHDnstrcrent ; Or rouglsse/ Dehonte, ct dcjour iiors ii'lssez, Car cerlcs se rien vaulsissiez , Ja vos princes ne laississiez Qui difcndirent Les champs , et bien cher se vendirenl. Mats les faillis couards fendirenl Lours raivgs , qiiand ii fuite tendirent , Aa dcspiacer, Safls oncques espec lasc-her , Si n y avail-il que cacher Les pftt a la pointe d'archer; Mais ils casserenl L'ordonnance , el oullrc passerent , Leur honneur derriere enx laissercnt , El leurs lignages aliaisserenl. Que leur Kisscnl, Ou quel grant injure leur dissent Leurs successeurs, s'ils les veissenl Ainsl fuir ! bien les haissent , I)e morls anieres, Lenrs notables ayeux el peres, Dont les vaillaiices son! si claircs Etc. EN FKANCE. oSr) Nous iiisistcrons pcu siir les personnificaHons (>t ri'alisations , etc. , /^/am n'a fait en ce point que suivie une route deja Irop frajee , et il ne s'j est niontre ni plus ni moins bisarre que lantd'aulres ; lemoin le debut E LA PObSlH I.YRlylJE Que (le moi vciil Ciirr limpc'Talif. Amours liii iloini lani en cstre oplalivi* Que de deux mffiul's faisions un conjonclif ; Tant qup co fait dpmcnie infinilif. Ma volont(^ lui sera rclalive , El s'elle en est premier inchoative, Aussi rn est mon cuenr mMilalif, Dc lui donner forme frwiuentatlve , Pour assembler, etc. Se (le honti elle m'est positive, De loyauti^ lui suis rom|)aratir. Quant de heauti' est In superlative, I'our doucemenl faire un copidatif, De deux amants, jiisqu'au dc'tinilir, Puisqu'ils o>it temps et espare expltWive, Et sont d'accord , que I'une, primitive, Soit attendant Taulre , di^rivatif , Os choses servent en infinitive Pour assembler , etc. Prince , on pent bien, qunnd c'esl chose hAtive, ('ombienqu'Amours change en diminutive, Souvent faire dn prnpre apellalif, Et d'autre part la dame acquisitive. Pour assembler , etc. C'esl aussi un pauvre jcu d'esprit , dans un genre different, que celte autre , dile de Dcpit d'amours, ou I'auteur , dementant loul-a-coiip et grossierenicnt le caraclere de galanlerie dans leqnel il s'est coiislam- ment tenu jusqucs-li , exprime A Fegard dos dames , et de tout ce qui se rapporle aux illusions des jeunes coBurSjUn sentiment dededaiii injurieusenuMil cynique : Fi de ce mai , qu'on dame si courlois ; Fi dc V<5nus et dc la beaut6 d'clie ; l'"i d'opcrvicrs , iJt' faucoiis , de pivois ; Fi lie liaipcM' , c liius oiseaux cxceple rarondellc ; De moi-mestne dis-jc li par mon Amc; Si faLs-je aussi d'Aniouis , aussi do dame. Fide tous Jeux, dc chansons, do renvois, F'i de Pallas cl de la Leaule d'elie; Fi de joustcs, de danses, de lournois, El si dis li de la faton nouvelle , Si fais-je aussi de celiil on de celle Qui loyaul6 niainliendra journe larme. Si faij-je aussi , ek. El sen dis fi , se plus ne la rcvois. Pas ne ferai comnie la tonterelle , A ins senibler veuil a« rossignol du Lois , CaraussilOt qii'a fail desa li^nielle, Simant s'en va , el lui monslrc son aHe; Lireau lui fait, combierr-que soil diffame ; Si fais-je aussi , etc. Ce n'est pas ainsi qiie Thihaui avail pris conge de sa Dame, el poetiqucmenl, coniine inoraleraenl parlanl, 7V///-(^/(/; avail grainlcmaal raisoii en ce point; Alain Ini-nienic aussi a rencoiUie quelque chose de niieux dans son rondeau de la Msrci Dim. En sonime , Alnin a de la facilite , el nne sorle de verve quelquefois assez naturelle, niais avec un fAcLeu\ piMiclianl a loniber dans la diffusion el le bavardage 11 met en general peu de soin a choisir ses id^es , el senible ne s'occuper en aucutie maniere d'ecarter dc s.i tomposilion un melange maladioil de traits d'lin caraclere ignol>le , ou pour Ic momivulf^aire el oiseiix. On a vu (nous en demandons bien pardon), la merdaitlc 24^ DE LA POtSIE LYRIQUE (TJzincourt tirant son derriire de la presse , et Ios/)om* et Ics lenles des prisons anglaiscs , et la Dame qui se plaint de ce que son coeur a fait dire i sa gucule. C'est assez d'exeniples de celte sorle. Ailleurs, en decrivant un j'oli ruisseau , le poete s'amuse a observer niaise- ment , peut-etre pour le besoin do quolque rime : « Que I'cau n'en ^lait pas sal6e. » Et peu apres encore , qu'il etait : « Large d'envrron une toise. » Les refrains de ses ballades sont rarement pris dans une spberc d'id^es neuvcs ou piquantos. II ainie i egarer le lyrique dans les \oies de la pliilosophie nio - rale , au point d'avoir compose i3 ballades de suite sur le sujet des devoirs de la noblesse. II aime a se re- prt'sonter occupe du technique de la composition , dicfant , 6frivant , etc. , etc. La plupnrt de ces defau(9sepresentent A notre esprit, comme ime suite nercssaire de la separation alors de- cidemeut effectuee (nous le croyons) de la poesie et de la musique; comme un resultat naturel de la nouvelle position dii jml-te de cabinet, hommc d' artifice , qui simulant le chant sans destination d'auditoirc , et en- trainepar-li meme k versifier, sans dioix, toule espece d'idees dont il se trouve personnellement frappe, com- mence par negligcr dans son travail toule condition de sympathie conmiune, et fiiiit par oulilier ou nicconnailrc que dans ces conditions meines , resident exclusis'cmail E> FUAN'CE. 2-1 ;> I'essence . le priticipe cl Voljct reel tie Varl , t'ost A qiuii l)ion d'aulres {\\\ Aiaia se trouveioiU pris. Nous (lovons dire en fitiissant , t-t poiir I'exciise de maitre Alain , que ses ceuvros n'onl pas ele recueillies d'uiie maniere bien aulLenlique , el qu'il est assez ge- iieralement recu que Ton y a inal ji ptopos laisse iii- tioduire beaucoup de clyises donl i! n'esl pas Tauleiir. Tout ce qui cidliva la pocsie dans la seconde inoitu du XV", sieclo , suivit Ics^ traces A^ Alain , ou plus pio- picnient encore, conibina diverscmenl ensemble les ( a- racleres de la inaniere A' Alain , ct ceux de Tetole de jVachau, chacun en j ajoulant, A I'occasion, des trails (rinvenlion qui lui sont plus ou ninins propres. Le corypbeo de celle epoquc ful Fillon. Francois P'illon, que ^raulres ont i lorl appele Cor- hneil, naquit i\ Paris, en i43i , et fleurit sous les regnes de Charles Fll, Louis A/ el Charles FJII. II etait ne de parents pauvres , qui pourlanl lui avaient fait donner une bonne education. Ses inclina- tions et sa conduile fuienl basses el vicieuses. II vecul dans le desordre , el fit profession publique et avouee iVtiscroqiierie. Livre une Cois A la justice du Chuielet , il fiil condamne au supplice de la corde , qu'il n'evita que par le succ^s d'un appel innsitr au Parlemeiit. Les compositions poetiquts de Villon sont en pelil nombre , et en general peu inleressantes pour le fonds des cboses. La pluparl ne relraccnt que hop visib'.e- Dient les gouts et les babiludes ignob'.es de rauteur. Quelques-unes de ses ballades sont en jargon d'argot. dont les voleurs seuls possedenl la vM'. Les a?uvres de Villon ont ete iniprimees une dou- 244 DB LA POfeSIE LYKIQL'E zaine de fois , et toujours avec approbation et ju-ivi- lege. Francois I". , en flt faire en i532 une eililioii, k laquelle Marot donna beaucoup de soins. Le (cxtc avail ete fort defigure , et il y avait beaucoup i faire pour le retablir d'une maniere exacte. L'editeur avouc y avoir souvent procede par voie de conjeclure. On soupconne ( quoiqu'il aflirme le contraire) qu'il est alle jusqu'i le rajeunir dans beaucoup de details. Le caraclere de la poesii5 de Villon est en general satirique et grossier , souvent obscene , nirme dans les pieces ou on s'y attendrait le ntoins ; son style a d'ail- leurs du naturel et de I'agrement. Doileau atlribuc k Villon I'honncur d'avoir su le premier , debrouiller le chaos de noire vieux sjstl-Die poeliqne. D'autres I'ont designe comnie Vinventcw dc la poesie badine en France.ll n'y a rien que de hasarde dans ces deux assertions, emises apparenimcnt sans connaissance prealable des oeuvres de sos prcdecesseurs. L'idee poetique la plus remarquable de tout point , selon nous , qu'ait rencontree Fillon , est celle de sa ballade dite des Dames da temps jadis. II y a inlerel dans le sujet , verite dans le mouvement , et grikce ])arfaite dans I'effet du refrain; seulement il faut ajouter (jue. quant Al'invention, la piece est toule enlieiedans Ic premier couplet , dont les aulres no font guere que ri produire la substance , sans ajouler autre chose que lies noms a des nonis. Apres celte heureuse couqwsition , on pourra re- marquer encore la ballade (double) , du Danger des amours , et une autre ( simple) , de la Connaissance dc soi-mcme. Toutes deux aussi procedent Irop uniforme- nii'ul. La derniere suilout est toutc en tauiologic EX FliAXCE. ajj Voici la ballade des Danios : DIcles-moi oii , n'cii quel pays Est Flora , la hello Romaiiie , ^rc/iijjiatiii , ne Thais , Qui ful sa rousiiie gerinaine? Echo , parlaiil quanl bruit on mcne Dessus riviere ou sus eslan ? (Jul beaul6 cut trop plus (lu'luimaine ! Mais oil sont Ics ncigcs d' Aiitan ! Oil est la tr6s-sage Hehis, Dont am6 fut , ct puis fait inoinc, Pierre Esbdillurl a St -Deiiys ? ( Pour son amour eu( eel cssolue). Semblabiement oil est la royne Qui commaiiila que Buridun Fust jel(5eii ui) sac en Seine? Mais oil sent , etc. La royne Blanche commc un lys , Qui cliantoit a voix de seralne, JierlUeau grand pied, Liel/is, /lUyii, Harenibuurge qui linl Ic V/iirie , El Jefirine, la bonne Lorraine, Qii'Angiois brulerent a Roacn ? Oil sonl-ils, Vierge souveraine? Mais oil sont , etc. Prince, n'cnquerez dc semaine, Oil ellcs soul , lie de cest an , Que c'c refrain ne vous raiiiaine : Mais oil sont , etc. On jugera sufiisammcnl des aulies par leurs debuts : 1. LE DA>CE1I r)i:S AMOURS. Aimcz , ainiez , lani que voudrez , 2.\6 UE LA I'Ol^SIK LVUlQLIi Siiivcz asscmblpps el Cosies , En la fill ji'i tiiifiilx n'on vaiildrcz El si ii'y roin|)rez(]uc vos testes ; Folk's amours font les gens bcsles; Salmon en idolastria ; S/imsnn en perditses lunettes. Lieu est licurcux qui rien n'y a. 2. tA COn.NAISSANCE DE SOI-MIvDID:. Je cognois bicn mouclics en laid; Je cognois a la robe Ciioniine ; Jc cognots le bean temps du laid ; Jc cognois au pommicr In poniinc; Jc cognois rarldc a voir ia gonime ; Jc cognois quand tout est dc mesmrs ; Jc cognofs qui besoigne on diommc ; Je cognois lout, fors que moi-mcsnies. On observrra en passant que la forme de colic dor- nierc ballade n'est pas d'invenlion noiivcllc; Clir'isline de Pisdn, \ Olive k aS ans , en i388, ou A peu pies , on avail , au su]ot de son etat de veuvage , loul nouveau sans doule , coiupose une scniblable , el bien posilivc- iiionl nieilleure , sur le refrain : « Seulclte suis , sans ami dcmour^e. » ( V. los Man. de la Bibiiolb. du Roi , etc. ). Ces Irois proinieios pieoos de yUlon a[)parliennonl sans difliculte a la |»oesie des bonnoles gens ; il n\n rsl pas dc niemc dc tout co qu'il a fait. Nous nevoulons pas juger liop soveronient sa ballade au due de Bourbon : cVsl une dcinandc d'tiumdiic agioa- h'.V I'HA.NCE. 3-17 blernent touriu'e , invcnlinn pen honorable sans doiile, mais ou nous ne voyons a repiCMilre an foiids qirun certain manque de clrlica/nsse, plus ou nioins cxciisuble dansune condition si infcrieure , vis-a-vis d'un si haul personnag ! , et dans un etal do bcsoin , (pii , comnie on dit , n'est pas vice ; mais il y a pis ailleuis , el no- tamment dans les compositions qui se rapporlent au sujel de son bideux procos. On appreciera en cc point , cl la joic que lui inspiic le succt's de son appel, c'l'sl-a-dire un arret qui , com- muanl sa peine on cel!e du bannisscmeril , le sauve du supplice , en le laissanl tout cou^«;•l d'ignoniinie ; puis aussi le sentiment que supposent les plats et ridicules remerciments qu'i! en I'ait A la Coiu* , an nom de ses cinq sens , etc. ; puis encore Ic caracterc sous lequol il se produit de gaite de coeur , dans la piece ou , sous rimpression du premier jugomeul , et sur la prevision de ce qui devail s'en suivre , il s'amuse a t'ecrire la Jigure que feronl au giljct les corps dissecbesdc ses compagnons et le sien. Nous sommes ccndanu;es A citer : 1. BALLADK a C RIVIKU , St/If LIJ SUCCKS DT, SON APPEL. Que vous soriTble de inon appd , Giirnier ? fis-je sens oti folic? Toiite bcsle gnnlc sa pel : Qui la fonslraitU, cirorce ou lie, S'clle pout, elle s(? (ioslie. Qiianl done par plaisir volnntaire i^haiile iiic I'lil ccsl lionirlic, Esloil-il tors Iriniis (ic iin- laiic? Se diss*' (les lioirs Hut <«/»»-/, 248 DE LA I'OLSIK I.VRKJLE Qui fulexlrailde hoii'-licrio , Oil lie iu'eiisl , pariiii 1 1; drapel , Fail boire k celle escorcherie. Vous eiilcndez blen joiicliorie ; Mais quant cctte peine arbilraire On rn'adjugea par tricheric, Eslolt-il lors, etc. Culdcz-vous que sous mon capel N'y eust tant de piiilosoptiit- , Conime dedire: j'en appel? Si avoU, je vous ccnilic , Conibien qiielroii point nc in'y fie; Quand on me dil , pidscnt notaire , I'cndu seiez , je vous alTie , £stoit-iI lors , etc. Prince , si j'eusse eu la p6ple , PicVa je fusse oil est Clolaire, Au\ cbanips debout tomme un cspie. EsloU-il lors , etc. 2. AUTRE EN REMERCIMEMS A LA COOR DE PARLEMEJiT. Tons mescinq sens , jeux , oreilles el bouche, Le nez , el vous le sensitif aussi , Tons mcs meinbres oil il y a rcprouche. En son endroit , un chascun disc ainsi : Court souvcrain' par qui sommes lei , Vous nous avez gardi' dc desconfire; Or la laiigue seule ne pcut sullire A vous rendre sullisaiilcs louanges, SI parlons lous , lillc au souvcrain sire , Mere des bons , el strur des benoits angcs. Cueur , fendcz-vous , on percez d'unc brochc , El ne soyez, au moins, plus endurci Qn'au )n!ii(i6rpz que jc fusse trans! , Fojp, ponmon et rale qui respire , El vous mon corps ( on vii cstes et pire Qn'ours ne pourceau qnl fail son nid es fanges) , Louez ia conrt avant qu'il vous empirp, jMi'rc des bons , etc. Prince , trois jours nc vcuillez m'cscondire. Pour moi pnurvoir et aux miens adieu dire , Sans eux , argent je n'ai ici n'aux ctianges , Court triomplianl', fiat , sans medesdire, Mere dps bons , etc. 3. AITRE COMPOSEE EN PERSPECTIVE DE L'EXtCUTION DE I.A 1". SENTENCE. Freres humains , qui aprcs nous vivez, N'ayez les cueurs centre nous cndurcis , Car si pilid de nous pauvres avpz , Dipu en aura plut()t de vous mercis ; Vous nous voyez ci attaclies , cinq , six ; Quant de ia cliair que nous avons nourrle , Elle est pitVa dCvorec et pourrie ; Et nous, les os , devenus cendrc et pouldre , De noslrc mal persoHUP ne s'en rie , Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudro. 3(0 DE I-.V POESIK LYRIQL'R Si friTcs voiis rlntnons , pas nc dcvpz Avoir (Icsdain , quoique fusmes occis Par justice , car vous mesmes save/ Que lous liommps n'onl pasl)on sensrassis; Excusez nous , puisqiie somnies transis, Envcrs le lils tie la Vierge Marie, Que sa grace pour nous ne soil larie , Nous preservaiil de I'iufernale fouliire, Nous sonimes morls . imc ne nous harie , Mais pricz Dieu , etc. La pi II ye nous a bu6s ct lavfs, Et Ic soleil desst'th^s et noircis ; Pics , corlieaux nous ont les ycux cavfis , Et arrach^ la barbe et Ics sourcils ; Jamais nul temps nous nc sonimcs rassis, Puis Q.a , puis \k , comme le vent varie , A son plaisir sans cesse nous charrie , Plus bccquel6s d'oiseaux que dez a coudre ; Hommes , ici n'usez de moqucrie , Mais pricz Dicu , etc. Prince J<^sus , qui sur tons seigncurie , Garde qu'cnfcr n'ait de nous la maistrie; A lui n'ayons (;ue fairc neque souldre; Ne soyez done de nosire confrarie , Mais priez Dicu , etc. All sujet de cetle dcrniere invention , se lie encore un qualrain , bien digne d'en completer Teffet, s'il en reslait quelquc besoin. L'idee de Tautcur est : que son cou place an bout dune cordc, va apprcndre ce que pise son corps ; au lieu de corps , il met le derricrc , encore n'est-ce pas prt'^cisemenl le mot donl 11 sc sert. Voila les gentillesscs de nUon. Si nous lui avons contesle Tinvenlion du badinage poclique, nous n'allons KN I'l'.AXCE. ?.5l pas jusqu'^ nicr qu'il on ail fait un usage dont pcrsonnc encore ne s'dlail avise avant lui. Villon a compose sous le litre de Grand Testament, unc espere de longue lanienlalion philosophique , dont quolques fragments detaches peuveiit (■iic consideres romme de petils clans d'elegie , d'un cffet A part et quelquefois tres-salisfaisanl,On remarqucra Us strophes ci-apres , oii Tauleur esprime assez naturellement , ce nous senible, \cregrct dn maiwais emploi qii'ilafait de sa jeunesse. Bien qu'il n'y ait rien de fort meritoire dans le motif qui rexcite a resipiscence , c'est , A tout prendre , un sentiment dont il est juste de lui savoir eniorc quelque gr6 : Je plains le temps de ma jeunesse Auqucl j'ai , plus qu'autre , gallci, Jusqu'a Tentn'-e dc vieillessc ; Car son partement m'a celi^ ; II ne s'en est a pied allt^ , N'a cheval , las! el rommcnl done? Soudainemcnt s'en est voli^ Et ne m'a laissd quelque don ! Alld s'en est , el je demcurc Pauvrc d« sens et de savoir , Trislc, failli , plus noir que meure; Jo n'ai necens, rente , n'avoir; Des miens le mendrc (je dy voir), De me desadvouer s'avance , Oublians nature! devoir Par fauUe d'uji peu de chevance. He Dieu ! !ji j'eusse esludie , Au temps de ma jeunesse folle. 2v»2 DK LA POESIE LYRIQI'E El h bonnes nio'urs d(?(iii', J'eiissc mnison el coiiche molle; Mais quoi ! je fuyoie lYrolc , Commo fait ie mauvais enfant ; En escrivant ceste parole , A peu que le cueur no mc fend. Mes jours s'cn son: aliens errant , Comme (lit Job , d'une tuuaiile , Et des filcls quant tisserant Tienl en son poing ardenle paille Oil sont les gracieux galans, Que je suivoye au temps jadis? Si bicn chantans , si bicn parlans , Si plaisans en faicis el en diets? Les auctins sont inorls et roidis , D'euK n'est-il plus rien maintenanl ; Reposayent en paradis , El Dieu sauve Ic remenant I Villon n'avait point cle admis a la cour , cl Marot , son editcur,en temoigne le regret , pensanl que telle freqiicutation eut pu conJLribiier k amender son jugcnicnt et t\ polir son langage. 11 parait toiilefois que le roi Louis XI goiilait son talent , cl le couvrit d'une pro- (eclion efficace centre des dangers auxqucls il eut difli- cilenient echapp^ sans un tel appui. Fillon cxprimc reconnaissance et affection profondes pour ce Ion roi tie Finance, dans le preanibule de son Grand Testament. Dans la foule des conleniporains et successeurs dc Fillon , vers la Cu du XV". sieclc ct le commencement du XV I". , on pourra remarquer encore , Jean Regnicr de Guercliy , J. Meschinot , G""*. Alexis , J. Molinet , Afarlial ii^Juvergne (ou de Paris), G"". Coquillart. G™'. Dubois dil Creslin , etc. EN FRANCE. 253 Ce ne sonl tons , comnie on le congoit , que des ccrivains d'lin talent plus ou moins inferieur , mais dans les productions desqiiels tout n'cst pas egalement h dedaigner ; on ne laisscrail pas d'y trouver surtout bon nonibre de pieces assez interessantes par lour rapport avec les evenements du temps. Regnicr de Guerchy , gentilhomme Bourguignon , consciller du due de Bonrgogne , Philippe-le-Bon , fut implique dans les demeles de son niaitre avec le roi Charles J'll^ an point d'y avoir vu sa tiHe gravement compromise. Scs ceuvres coutiennent plusieurs pieces relatives aux troubles dont le pays se trouvait alors tourniente. Jean Meschinot , sieur de Mortihrcs , mailre d'hotel des cinq derniers dues de Breiagnc , et ensuite de la reine Anne de Bretagne . femme des rois Charles Fill ct Louis XII , a compose une coniplaiiite Sur I'interdit fie la villc de Nantes. Giiillaume Alexis , dit le bon inoine , fut religieux benedicliu i I'abbaye de ZtVe, au diocese d'^i'ret/j: , puis prieur de Bussy ( ou Buzy ? ) an Perche ; le sujct d'un de ses ouvrages parait se rapporter k un pelerinage qu'il doit avoir fait k Jerusalem en i486. Jean flJolinet , clerc Picard , cbanoine de Valen- ciennes, bibliothecaire de Marguerite d'Aulricbe , gou- vernante des Pays-Bas , a compose des complainles sur la mort de plusieurs princes de son temps , etc. II en a fait une aussi sur la desolation de la Grece , apres la prise de Consfantinople par les Turcs , en i453. Nous avons de Martial d'Auvcrgnc . sous le tilre (le T igiles de la mort du roi Charles J 11 , \\\\ oiivraj^e 3/>4 DE I>A poj'isw: l-iRI^jih: sp(Vial , cr\ I'logo (Vs arlioiis, et ro^rot>; dcla pcile (!«> re nionarqno. Martini cvcrca penilaiil qnaranfc aiis dos fonotions d'olTicier dc juslice au I'arlemont ol an rhfttelet. On croil que Martial , originaire iieiil-t'lip do la province Oi'Ain'ergtic, par sa famille , jMait nk \\i\- un'ine k Paris : dc la apparommenl son double siiniom. Coquillart elail official en la cathcdrale dc Rheims , el il y assisla en cefte qiialite , an sacre du roi Charles VIII, en 14B4. II a C(!ilebr^ eel evenement. Ce poele passe pour iin ecrivain fori licencieux. 11 esl {\ reniar- qiier que ses ouvrages n'ont el6 puMic^s qu'apr«*s sa mort , el que beaucoup de cboses y out elo reciiciliies sous son nom , qui bien ^videmnienl iie peuvenl pas eire de lui. Guillaume Dubois dit Crestin , nalif de Parix . on peul-elie de Nanterre, (resorier dela Sainte-Chapelle, etc., nous a laisse des compositions sur Ics bataillcs de Guinegate et de Paris (ifuS ct i5?.5), et unc pastorale sur la naissance du dauphin Francois , fils du roi de France , Francois l"^. (en i Tn 7 ). Nous nc pouvons entrer dans les details de ces pro- ductions et de beaucoiq> d aulres de la memo epoque ; on loue le naturel et la naivele de quelques-unes ; nous n'en voyons aucune qui puisse etre citee comnie mo- nument d'un progres de I'art. Quelques poetes de ces dcrniers temps se sont escri- nies dans des tours de force de versificalion fori sinjju- Hers, rimes en echo , simple ou double, assonances d'initiales ou d'hr mis tidies avec la finale d'un vers pre- cedent , vers equivoques ou couronnes . accumulation de Icttre^ ou de syllalcs ideniiqucs , i anienees dc force KN FRANCE. a55 a qiielqiie apparence tie rapport de sens ou d'objet , jeux de langiic et de plume , elrangers k tout effet , soit d'expression,soit de rhylhme ou d'harmonie, diffi- cuUes de pure fantaisie , follemeni ajoutees a celles d'un art dejA assez embarrasse dos sionnes propres. Molinet et Crestin surtout passent pour s'etre particuliere- nient dislingues dans la pratique de ccs bizarres pue- rilites. On cite,au contraire,commeempreints d'un caractere de grAce simple et nalurelle, quelques morceaux choisis des Vigiles de Marlial d'/duvergne sur la mort du roi Charles VII. Nous remarquons entre autres ce frag- ment de quatre strophes finales d'un chant de regrets du bon temps et du bon roi : Micux vault la liessc , L'amour et simplesse De bergiers pasteurs , Qu'avoira largesse Or , argent , richesse, Ni la gentillesse De res grands seigneurs; Car ils ont douleurs Et des maiix greigneurs; Wais, pour nos labeurs , Nous avons sans cesse Les beaux pr6s et fleurs , Fruitages , odeurs , Et joye a nos cn?urs. Sans mal qui les blesse. Vivent pastoureaux, Brebis et agneaux ! Cornez, chalumellcs ; Fillos et pucellcs. 2^6 DE LA PoESie I.YKKJLK Prpru'z vo> rhiipoanx Dc roses vermeilles . El dansez .«ous Ireilles , Au chant des oiscaui ! Dcpiiis quarante ans. L'on iifi vil Ips champs Tellmient fleurir, Rt'gncr si bon tonips Enlre (oiilps gens , Quo jusqu'au niourir Dii roi Ircspass^ , Qui, pour resjouir Et iioiis secomir, A niaint mat passi!-. Si pour ppiiip prpndrp, Bo'ufsPl hrobis vpiulre, R'avoir je pouvojc Le fpu roi dp ppiidre , Et sur pipfis 1p rpndre , Tout |p iiiipu veiidrojfc , El ne cpsspi'oye Que np iui auroYP La vie relourut'c, Pour la douee voye , Le l)icn et la joye Qu'il nous a donn6e ! Dans une coniplainle des Dames de France , sur le m^me sujel de la moit dc Charles V"II , on pent dislin- guer encore le couplet ci-apres : Adieu le roi vailiant el verfucux , Charles sep(i6me , el juste pl secourable ; Adieu le roi benin , vicloridix, Humble, courlois, gracieux, amiable! E> FRANCE. 'a57 Adieu le prince aiine rt agreuble , Qui hoiiora les no!)lcs fleur« de iys , Et la courotine, iiisigne el desiruble, Doii( les flciii'ons a si fort embcllis ! Que si maiiitenant nous voulons rt-sumer nos idees sur tout ce qui lient aux r.bjels dont nous venous de nous occuper , nous reconnaitrons lout d'abord : Qu'en passant des mains des chevaliers trouviret , dans celles Aeipoltes clcrcs, ofliciers de cour, ou antics, d'etat inf^rieur , le lyrique Irtteraire de ces deux dcr- niers siecles avail eprouve trois notables changenients. 1°. Dans son objet , en ce que , sans rejeler les idees essentiellcs de la chevalerk , il en avait elargi , ou plutol brise le ccrcle , en y associanl hardiment la libr<^ peintnre d'une foule de dioses at d' impress ions , que celle-lA s'etait fait un sjsteme d'dviter , coinnie etrangeres i I'espril tout special de son institution : Fanite naive de fcune fille , Dcgoiit de vieiix gcn- tilhomme tnal marie , Ironie ainire contre les mceurs du temps, Scntimenls de deulcur publiqne sur la perle d'un grand Itomrne de guerre , Espoir de I'abaissemenl fiitur d'une nation cnneinie , etc. , etc. — Deschan/ps , lout le premier , nous a present^ lous ces sujels , et lous , ce nous s nible , trailes avec une convenance assez remarquable. On a vu ce que d'autres y onl ajout^ apre* luf. 2°. Dans ses formes, en ce que sans precis6ment rien inventor de tout-A-fait nouveau en ce genre, il s'aslrei- gnit toutel'ois ci habituellcmenl a certains procedos parliculiers de retour syinclrique de pensees el de mou- \emenls raii>€Hanl les menw^s vers , qu'independara- 258 DE LA POiSlE LVRIQCE ment de tout aulrc indice , la constiliillon niaterielle de la plupart de ses productions , sufllt pour fairc rc- connaitre sur-le- champ A quel temps ellcs appar- liennent. 3'\ Dans son caracthre , en ce que , sans intention formelle dc separer la poesie de la musique , ayant amene I'usage de culliver ces deux arts indepcndani- ment I'un del'autre , il en etait venu de fail a laisser romprc leur alliance naturelle , ct i livrer la composi- tion poetique a des ecrh'ains , etrangers i (oule notion de chant public , et entre les mains de qui clle ne put manquer de degenerer promptement , soit par negli- gence mat entendue des moycns d'lmpression synipa- thique , soit par recherche oiseuse de jeux techniques d'idees ou d'articulations , sans rapport avec aucun effet d'harmonie ou de rhylbme musical. L'epoque iX! Alain Chartier est ccUe oii les vices de celte poesie factice commencent surtout k se manifester plus sensi- blement. Les chants publics d'occasion solennelle, ne laissenl pas d' avoir ete d'un usage frequent dans toute la duree des XIV'=. ct XV^. siecles. ludependamment dc ceux que nous trouvons dans les ODUvres des auteurs connus, les chroniques font mention de beaucoup d'aulres qui n'ont pu manquer d'avoir tons un certain degre d'iu- teret , au moins sous le rapport de leur objet. On cite en parliculier ceux de Tenlrevue de Charles FIl avec le due de Bretagne k Tabbaye de St.-Florent, en '^^i6- ceux des tournois et combats chevaleresqucs de la cour de Bourgogne sous Plulippc-lc-Bon , en i449 ct i4.'>3 , etc. Dans la derniere dc ccs deux solenniles , appa- E> FKA.NCi;. Zp.i) raisaail unc Dame, fais;»nl Ic personnage de la religion, laqiielle s'annoncait par un elegant triolet. ( V. de Ba- ranle , llisl. dos dues de Bourgogne; Lacurnc , Mem. do TAcad. des luscr. , etc. , I. xx , etc. ). D'un autre cote , la culture du lyriquc de cabinet elait puissamment encourageepar plusienrs institutions lies-propres A en exciter et i\ en repandre le goiit , arn- (leiiiies de province , en PicanUe ct en Flandre , etc. , societes de Palinod en Tlionneur do la Ste.-Vierge , dans plusieurs villes de Normnndie, etc. , etc. 11 existe (luclquesrecueilsdepi6cescouronneesdanscesconcou:s. On a bien observe sans doute que dans lout ce que noiis avons dit jusqu'ici du lyriqiie des XIV''. et XV''. siecles , il n'a etc question que de la branche liltcraire de ce menie lyrique. Labranche populaire nous fournira bi'aucoup moins d'objcts d'exanien. II est dans la dcs- tinee des productions de cclle derniere espece, d'epuiser promptenient leur vogue , de toniber dans le dedain de la generation qui suit leur nai^sance, de ne vivre que par chances de transmission orale , et de nVtre que rarenient rccueillies dans des ecrits , qui , peu prists a leur origine , ne lardont guerc i porir en majeure parlie , abandonnes conune inuliles , on du moins perdus par oubli , dans des deputs ignores. Nous avons en ce genre, pour Tepoquc qui nous oicupc , plus de mentions et de citations bistoriques (pie de monuments reels, el positivement connus. Entre ceux-ci se prescnle avant lout , une Ires- curieuse cbanson sur Ics e\eaemenls de la guerre de Ihelagne sous Charles y en 1375. On la suppose chantec par les enfants et Ics jeunes a66 DE LA POtSIE LYRIQLE fliles du pays , qui se plaignenl de le voir devaste par les Anglais , auxiliaires de leur due , elablis dans uu fort , aupres de Quimperle , sous les ordres de Jean d'Evreux. Voici le morceau , que nous donnons accorapagne de quelques notes d'eclaircissement : Gardcr-vous du nouviau fort, Vous qui allez ces allues , Car laiens prenl son deport Messire Jehan d'E\rues. 11 a gens Irop bien d'accord , Car bon leur est vi^s et nues (I). N'6pargnent faiblenc fort.. Tanlotaront plein leurs crues (2), De la Molle, Marciol (3), D'autre avoir que de vies ucs (4), Et puis mcn'ront ii bon port Leur pillage el leur conques (5). Gardez-vous , etc. CUchon , Rohem , Rocheforl , Biaumanoir , £«('«/ entrnes Qu'li Dus a St.-Brieux dort , Chevauches les frans alues (6). Fleur de Bretagne outre Lord (i) Vieux et nenf. (}) Creux , panier, niJ , retraite T — Xjes Tocabulairea ne donnent que lo fliniinutif cruf/. (3) Gem d« la Motte et ile la Marvhe, — ou peut-etre noms proprci ub'es du rj^gne de Cbarles VI , probablement au siege de t^ire , en i4i8. DasseUn , hoinmc du peuplc , bien que degrossi par quclques etudes classiqucs , ne fut ni un faiseur de ballades , de la nouvelle ecole , ni un langoureux trouvlre de rancienne ; mais tout siniplement un chansonnicr de caboiel. ou plus exactcmeiit encore, xm franc bm'cur , dou^ du talent du chant, que la vue d'un broc bien rempli avait seule Theureux don dc mcttre en verve , sans que son inspiration fut de nature c\ s'elendre A aucun autre objet. Ses chansons apparlicnnenl i peu pres exclusivc- ment a ce qu'il nous a plu d'appeler le genre bachiqne. Ce sont, i ce qu'il parait, les premieres de cette esp(^ce, que Ton ait connues en France , k moins qii'on ne veuille y rapportcr un rondeau de table A' Enitachc Descfiamps , qui a pu les preceder , et pcut-clrc en fournir le premier type. L'auteur n'y sort gucrc de ses idecs de laverna , que furtivement, deux ou trois fois , par allusion aux cireouslances deplorables de i'ctat de guerre qui dcsolail alors le pays. EN I'KANCE. 263 La louche de Basselin est fermc cl naluielK*. Son deliren'a rieu de siniule. C'esl bien Ic degre d'enlhoii- siasmc que comporle le genre. C'en est meme Irop , pour les esprils delicals , qui ne se preJeiil ;\ I'impres- sion des Iransporls d'lin bineur , que conime A tuie ficlion poetique , el qui ne separeul pas aisenienl I'idec de I'ivrognerie , de ce quelle a en soi d'ignoble el de hideux. Basselin s'entend fori bien aussi a lourner un couplet, el A presenter ses idces dans leur forme el leur niesure nalurelles, sans effort comme sans divagation. Chaciuie de ses chansons offre comme un petit tableau , bien distinct el bien trace , d'un effet loujours parfailcment simple el vrai. Le grand defaul , le di^faut presque unique , niais aussi le defaul immense , et i\ pen pres habituel de ses compositions est la (rh'ialite. Elle y resuUe surtout de la nialadrcsse sterile avec latjuille il s'est renferme , on ne sail pourquoi , dans 1 eloge du vin (ou du cic/rc) , considere comme breuvagc savoureux , sans y associcr (ainsi que d'aulres out si bien su le faire) aucune idee d'affi'ction morale et s} mpathiquo , d'anwur ou cTami- tie , d' insouciance voliiptueuse ou de joie comtnunica- tive , etc., aucun trait d'ornemenlgracieux , emprunle aux objets doux cl riantsde la nature champelre , etc., etc. Dans le sujet ainsi con^u , les details aimables et altrayanls nc sont pas ceux qui surabondent , et lout seniblc, au contraire, y Icndie i\ des effets d'lui caraclere bien different. Uignoblc s'y prosente le jilus souvent conuno la vraie toulcur des choses. Basse/in n'a pas 2G4 DK LA rotSIli L\Ul(Jlli cru devoir s'cr. ecaiior , ft il on acceple franc homrnt jiisqiraux miatires les p'us basses : 11 vcul se rinccr la gorge ou se Ln'cr les tripes ; le Ion vln lui rechauffe le venire ; il ne laissera pas secher le passage des vhres , il veul boire jiisqu'a trebucher ; jusqu'i s'en rendie la face cramoisie ct Ic nez violet , etc. , etc. Ce bachique- la (il faul le dire) , a pcu de cbose de conimim avec celui que culli\ereiil jadis Auacreon et Horace. Si Basselin a connu ces deux poetes , il est clair au nioiiis qu'il ne les a pas copies. Le nombre des chansons bachiques bien conniu's de Basselin , est de Ga, entre lescpielles spt ou buil suiloul se font remaiquer par des trails d'originalilc plus ou moius piquante ; en voici une qui nous parait dassez bon aloi : Qui estcotnme inoi bon buveur , Ne crainl lanl Irouvcr un voleur Comme un niauvuis breuvage; Car (l"un voleui on se defend , Maiscclui qui inauvais via prend, Bienlosl perd lout courage. Je voudroy beuvant mauvais vln. Me voir la gorge lout soudaln Bien courle de venue ; Mais quand le bon vin je boirois, Quelecou j'eussc encore Irols fois Aussilong qu'une grue. Quant a I'eau , ne me parlez point D'en boire, se n y suis conlraint, Ou se ne suis hermile ; Entor faudroil-il quelquefois Que vin je brus^p dans les bois , Ou ji' niariuys bien viste. KTi rnA>T.E, -^Gj .Te say bicn que je boi des mioulx ; Mais jVn rossenible a mos aynilx ; II fault siiivre iios pores; S'on laisse les vieilles Tafons, Jamais si bicn que nous pensons N'ironl droit nos alTaires. La suivanlo aussi , a nolro avis, esl (res bonne d'invonlion el d'effet : Fanlle d'hunieur, nos choiii son! morlj En nos jardins par si^chercsse ; Faiille d'abrouvcr iiirn mon corps , Sej'alloy niorir, que scroil-cc? Sancoil je ne m'y firai pas; Miiiir sec a r.aillc de lioire , C'esI un tres-malheiiretix Irospas, El de tres-fiinesle ni6nioire. A boire ! a boire , visleinenl I Je vculx lenii ma sorge liiiniide, De paour de morir povromeiil, r.omme nos chonx , see et aride. Toulefois moi et mon jardin , Nous din'erons en une ciiosc ; Je me veuii abrenver de vin , Et d'eau nostre courtil s'arrose. II y a oncorp bcauconp d'af;ri'nicnt et de naliirel dans celle autre sur I'Avare trrpasse : Qui est cesluy qui est gisant Soubs (cste froide sepulture? — Tn ridif avnre , qui , vi\ ,inl , Ne buvail que i'eau loule pure. 21)6 D!i: L\ POESIK LYKIQI'E — Quelle lunrl I'.i fait Ircspasscr? — II est moil d'une soif nuellc , Pour n'avoir voulu reschauffer D'un verre dc vin sa fourcclle. — Pourquoi no croist sur son (ombeau Que du (hardon qui rcnvironne? — Vn corps qui n'a bu que dc I'eau , Nc produit licrbe qui soil bonne. — Pourquoi csl-ce un puter nosier Que pas un ores nc lui donne ? — Pourrequ'ayanl vin en chanlier, II n'cn faisail boire a personnc. — Est-il niort sans cstre plor(?? — Quel deuil voulez-vous qu'on en fasse? Qui, conime lui, mcurt allfr^ , II fait grandc honte a sa race. Vraimenl lu es bicn oi'i lu es; Tes heriliers , conimc je pcnse , Dc ton bon vin faisant gros nez , Laveront bicn leur conscience. Mais le cbcf-d'cDiivre tie rautcur , A Ions egards , ct sans aiicune psptice dc comparaison , est celle de ses chansons qui a pour sujet Ic Siege de Fire par les Jngloix (i4i 7 ?) , la seule aussi du recucil de ses feuvres qui sc rapporte bien positivcment k uu evenement d'inleret public. Lcs Anglais occupcnl lout Ic pays voisin. lis s'appi o- cbent de la villc. Dasselin les voil prels a commencer le siege. Qu eprouve l-il?ne quoi veut-il qu'on s'occupe il'occasionde celle terrible crise? C'est ce que va nous reveler sa chanson : Toiil a I'cnloiirdc nns lomparls l.ps rnnernis son! en fiirle; Saiivcz nos lonncau\ , jp vous piic ! PiTiK'z pliilolile nous , soudars , Toiilcc (loni vous anrrz rnvic; Souvcz nos tonnoanx , jc vous pric! NoMS pourronsaprcs , en beuvani , (ihasser noire mc^renrolie ; Sauvpz nos (oiineaiix , jc vous pric! I.'ennemi <|ai esl ci-devant , Nc nous veult fairc eourloisie ; Vuidons nos lonneaux , jc vous pric ! Au nioins, s'i! prend nosire eit6, QiTil n'j Irouve plus (|ue la lie ; Vuidons nos lonneaux , je vous pric ! Deussions nous tnarcher dc eosit* , Cq boil sildre n'cpargnons mie ; Vuidons nos lonneaux , je vous pric I L'idoc (Iccelle polite piere esl , ronimo on le ^oi( , lios-ingcnieiiscment plais.inic ; cl qiiaiid on icflt'ibit «n pou siir les circonstances qui en foiiinissenl la don- r.oe roollc , on esl tout suijiris iVy Irouvcr roxpiossion d'lin courage fori rcmarquable , deguisc sous Ics formes roniiques d'une simple boulade de cabaret. On croit que r'a du i^'lre ime dcs dernieres productions de Tauleur. Nousdevons nous borner aces citations. On pourrait encore en rapprochcr les chansons : « Quo N06 fut un palriarciiedignc,.... clc. » « J'ai grand' peur d'une maladie, ... etc. » n Laissons vivremallieureuses,.... etc. » « Mon niari a, qucjecroi,. .. clc. » 2G8 DE I,A POKSIE LYRIQI'E Ce sonl relics qui nous paraissenl devoir les suivrede plus pres. En fail iie passages detaches , il n'est pas permis d'omellrc le couplet suivaiit : Ili-lasI que fait un pauvre ivrogne? II se couclie cl u'occit porsonne, Ou bicii il di( propos joyeiix ; II ne songe point en usure , Et nc rait a personne injure; Bcuvcur d'eau peut-11 fairc niieui? II est pris de la chanson : « Ma fcmnie se dil mal pourveue, etc.... n De laquclle il forme la ronclusion. Les chansons de Basselin onl ele appelees T^aiix de P'ire , du nom du lieu on I'auteur avait son etablisse- nient , el oii se Irouvaiont aussi les tavernes qu'ii avait coututne de frequenter. On vent que de ce nom de fait de Fire se soil forme plus lard celui de VaudeMle , applique aus chansons satiriqncs , et que d'aulrcs avaicnl crii derive de J'oix de Fille ; question de pure etymologie , et sans aucune importance pour le fond des choses. Le Faudcvirc ha- chiqne et le Faudeville sallriqne sonl des compositions d'origine et de nature toute differenle. Basselin pai alt avoir cree le premier. 11 n'a rien fait qui se rapporlc :« robjeldu second. Ces deux sortcsdc chants proceden I de deux sorles d'inspirations divcrscs, el qui sembleraicnt devoir plut6t s'exclurc qtie se produire Tune laiitre. 11 EN FRANCE. 269 y avail des chansons satiriqiics , de vrais VawlwilUs , sous quelqiie noni que ce soil , et avant Basseim, ft boaucoup [ihis anciennonient , des Ics premiers temps de noire vieillo poesie. La chanson de Qnimperlc en est iin. Plusieurs [jieces eoniuies ^'' Eustadie Deschainps offrcnt visiblenienl le caraclere du genre , et nous en avons trouve la premiere ebauche dans les chants de Jerusalem , centre /Irnould Malcouronne , durant la premiere croisade , a prcs de trois siecles de Tepoque oil les Faux de Fire on I dii commencer. A la siiile des J^aux dc Fire de Basselin , les deux derniers editeurs de ce poeic ont pris soin de recueillir quelques autrcs chansons d'auleurs inconnus et de ca- racleres divers , la plupart etrangeres k son genre , comme k lui-memc , mais se rapportanl plus on moins sensiblement anx idecs et anx inlerols de la nieme conlree, queiqiiefois aussi anx evenemenls connus d'une epoque pen eloign^e de la sienne. Ces pieces , de sujels plus varies , ont d'aillcurs , sur les Faux de Fire , cet autre avantage de s'offrir i nous dans un etat moins suspect, quant a 1 alteration du langage , exlraites , comme on nous les doime , demanuscrils que Ton juge apparlenir an milieu du XIV"". sieclc. 11 y en a d'qffec- tions privees et dc sujets champelres. ITaulres sont re- latives surtoul k la grande affaire du temps , la litUe du pays contre les derniers efforts de I'invasion Anglaise, (erminee par X expulsion definitive dc I'ennend, etc. Dans la premiere de ces deux categories , nous re- martpions cctle chanson sur le rossignol : On (loil bien amcr I'oysclet Qui chanic par n.ilure , i8 270 DE LA POESIE LVRiyiE Co mois (Ic moy , sur Ic mugiicl Tanl comiiic la nuicl dure. II fait bon 6couter son chant Plus que nul autre , en bonne Toi , Car il r(^jouil mainl nmanl , Jc le sais bien quant est de moi. II s'appelle roussignolet , Qui met loulcsn cure A bien chanter, ef de bon hel (I); Ainsi c'cst sa nature. Lc roussignol est sous le houx , Qui ne pense qu'.i ses ^bals ; Le fjiux jnloux se sied dcssous , Pour lui tircr son malelas (2). La belle qui faisoit le guet Lui a dit par injure: H^las ! que ravoit-ii iii6fail , M(?chanle rrtVt(urc ? On y trouve aussi celto autre (fragmont inromplot peut-etre?) en regrets naifs (Fiine liaiwn quo lc lemps, ou line necessile de convcnance quekonque, ont usee : Dieu gard' de dc^shonneur Celle que j'ai lonjj-tomps aymdc ! Je I'ai aym6e de tout mon coeur ; Ma jeunesse est passee ! Or vois-je bien que c'est folie D'y met Ire sa peiis^e. Quant elie m'a dil en ploranl: • Nos amours sont finfes. » (i) C-aiment, de l>on copiir. (?) Matcras, matras , fleclie , ttnit , etc. KN FBANCE. ajl D^penser ma fait mon argent A la maison d'un tabernier ; Payer I'escot de mainte gent , Donl je n'en a vols pas meslier. Chausscs de vair m'a fait porter Et soiilicra h poulaine (3) , Et par devant son buys passer Mainte fois la semaine. Et puis encore celfe derniere, enplaintcs d'emharras de menage , donl il existe des lemons fort diverses , et qui demanderaient a ^tre rectifiees les unes par las autres : Helas ! il est pis de ma vie , Et hie (4) ! Mesnage a prins sur moi rigour ; A Dieu comant joie et baudour (5) , Esbatement et chanterie, Et hie! Je m'y souloye aller csbattre Avecques ces gentils gallants ; Alais maintenant suis h mon aslre (6) A nourrir mes petits enfants. Dont I'un se deuU et I'aulre crie , L'autre m'appelle son seignour ; Le petit brait et nuict et jour ; Je n'ai bonne heure ne demie (7). (3) A la polonaisr ; moile tlu temps, (4) Refrain insigiiifiant imitant una pcrsonne qui plcure, (5) AtUeu la joie et les divertisaementj. (6) Atre , foyer. (7) Ni Vieure } ni tJcmf-h^ura de repos. ^7* «K lA POKSIli LVUlyLE Lc grand dcmande une colelle . Et la fillcltc un rh.ipcron; Ma fcmnio si brct et crcslclle ^8) : Et, nostrc Darnel que feron ? Hd , tesiez-vous, ma mie ! Nous dcspiirons noslre Seignour , Qu'il nous donne du pain au four; Si nourriron nostre mesgnio. Enlre les pieces de la seconde sorto , se present*' naliirellement an jtremier rang, ce tableau des miseres de la province, effel neccssairc de Petal de guerre qui la desole : A la duch6 de Normandie II y a si grand pillerie , Que Ton n'y pent avoir foison; Dicn doint (|uVlle soil appaisie! Ou il faudra que Ton s'eiiJuyp, Et laisser thascun sa niaison. Quant i moi , je n'y serai plus. Par la double des court vei us, (elLre liojine pak. Tar loijlc la cl>r(-lieul6 ! Mes que ce soil a lout jamais ; , Si.vivrofl Ijjis en loyaule. Sc fhr&ienle fiis( unie,, Kous riieiiassion jovcuse vie , Et meUrion Irislcssc en prison ; Ceux par qui ( esl , Dieu ies maudie , El auss! Ja vierge Marie , Sans avoir ja^iiais-guarJsoiW Celtc chanson a e(e citco conuno un Faiude. Fire, el qiidqucs-iius peiiscuL (luY'lIc fJOiUTait c Ire do Ba$- sdin. La supiiosilion n'a i\dn quo d'a.s.^i'z plausiblo. An ineme sujol si; rallaclic ualiirelleniciit !a suivanU- (jui , dans cc cas, nlt'ii E LA POfeSIE I.YKIQL']:: Etles bons compagnons hanter Par le pays de Normandie, Jusqu'a Saint Lo en Conslanlin , Onques ne vi tel pellerln. Les Anglois ont faitdcsraison, Am compagnons du f^aii de fire ; Vous n'orrcz plus dire chanson , A ccux qni les soulaient bicn dire. Nous prieron Dieu dc bon cucur fln , Et la doulce viergc Marie , Qu'il doint aux Englois male fin ; Dieu le p^re si les maudle ! Un recueil imprime du XVI^ si^cle lermiiie cellc-ci par le couplet ci-aprfes . Bassclin faisoit les chansons ; C'cstoil lo maislre pour bien dire ; II hania lani les compagnons , Qu'il no lui demoura que frlrc ; Car fust de sildre ou fust de vin , II en beuvait jusqu'i la lie, Et puis rcvcMoit au matin , Helas! Olivier Dasselin ! Une troisieme piece de la mcnie classc a pour objot de se rejouir de Tembarras ou les Godons (gens jui ant par Goddam .') , Anglois cones ( porlant leurs chcvcux en queue) , se trouvenl jetes par la mort inopinee de leur roi Henri V , prelendant aussi au IrAne de France (1422), lequel ne laissc pour herilier deses projels de (•onqueles qu'un faible enfant de neuf mois. Le morceau, forme dc deux couplets avee refrain, pourrait E.l FHA.VCE. 27 > bicn ii'et.c qu'iin//wi;///c7ii dc ballade incoinpU-ln. Les (leluils n'ont lieii de saillant. Le refrain est : « Mauldicle en suit trcstoulc la lignje ! » Ce pelit cycle , tout national , de snjets lelatifs k I'invasion Anglaisc , se tcrniine on ne pent plus heu- reusenieiil pur une derniere chanson Fan de Hie , lout recenunent publiee pour la premiere fois (i) , et qui, en la supposaut aussi authenlique qu't/A; mctite de I'ctre, doit avoir ete coniposee a I'epoque ct i I'occa- sion de riieureuse vicloire de Furmigny {\/i^5u). C'est comme le prelude populaire du beau cbant , ailleiirs cite, de Charles d'OrUumx, sur I'expulsion de rennenii. Voici le niorceau : Cuidoycnl loujours vuider nos tonnes , MeUre en chaitre nos coni|)algnons ; Tcndic sur nos huysdes sidoncs (1) , Et conlamincrccs vallons. Cuidoyenl toujours dossus nos lerres S'csbaUie en joie el grand soulas; Pour resconforl einblcr nos vcrrcs (2) El sc gaudir dc nos lopas. Cuidoyent loujours. (I) Dans i'l^dltion don-uV, en 1833, par M. Jnlieii TraNcrs. elilion la pins (ornplilc de Basselln , el dans la(|ueile se Irouvenl U Vaux de Vire inedlls de Le IIoux. \l) I i-nili'tt dos liitct'uilit i'lMit'liros hiii nos noituv. (i) I'liiKjver 110.1 vrircs. 2^6 DE LA rOESIli LVBIQIE Ne bcuvant qu'cau lous nos rouraiges Estoienl la vigne sans raisin ; Rougissoient encor nos visaiges, Ain^ois de sildre ne dc vln. S'embesoignant de nos futaillcs, Dieu .a f6ru ces enragi^s , Et la dernicrc des batailles Per leur lrospa> nous a vcngi6s. Beuvons tous ; dos jours de deslresse Jetons le record dans ce vin {'-i). Ores ne nic thauil que liesse (4) : Beuvons tous du vespre au matin (5). II est k observer que la lacune du 3^ couplet n'exisle pas dans le lexte manuscrit. On devine quelles idees doivent en fournir la substance. L'edileur avcilil que lanaivele grossiere des expressions I'a force de rclran- cher ces quatre vers. La piece esl-clle bien comp'ele d'ailburs ? N y manque-l-il pas au moins quelque couplet de debut? Nous ne voyons pas que personne se soit occupe de cetle question. En debnrs de nos affaires de guerre et de nalionalile normandes , mais toujours dans la categoric des sujets d'interct public , se trouve enrore unc cbanson de Irois couplets, sur la niort du bon roi Rene dc Sicile (i-I^O- C'est peu de chose , et il est clair aussi que le lexle qu'on nous en donne est fort allere. Nous ne la cilons qu'en consideration de son objet : (1) Lo a-oiivenir. (i) Maiiitenant je lie ttl'occ upc que Je joie. (5^ 13ii &oii au matin- liN ir.A.NCt. Z-J-] Ccliii qui nasijiiil saiiiflcmciil, lien hone , lien Iiciic , hen henc (1) ! Veuille tncner a snuvctd L'aine du bon f u roi Rcn6 ! II a prins son dcfincmcnl; Hen hcnr , elc. Pour corlain il est trespassi , C'esl grand doinniage dc sa mort. Elquand vicndralejugemcnt, lien hcnc , etc. Que thacun y sera pour soi , Le donix Jesus par sa pili6 , Nous veuille donner sauvemenl ! Hen henc, etc. La NonnaniUe cl i'ecole de Fire cii i»ailitiilicr , pa- raissent avoir fourni la nicilloiirc part des cbansoiis populaircs dcs XIV^ et XV". siecles. Ce n'est pas A dire pour cela que les aulres parlies de la France n'aicnt pas aussi beaucoup prodiiit en ce genre , et nous ne nianquons pas de preuves bien positives du contraire. II y en cut de faites A Paris, sur la captivile du roi de ISafarrc sous le roi Jean, en loSfi, Elles etaient en faveur du prisonnier, el avaient grande vogue parnii le peuple. 11 y en cut au temps de Charles F , en i36cj , sur riuaclion de I'armee fraiiraiseenz/r/oiv, sous les ordres du due de Bour^ognc , PhUippe-lellanli. Celle de Quimperle , (pi'on n\uua pas oubliee , est du nienie regnc , et a 5 ou 6 ans pres , de la nieine ei>()qiie. (i) IliTitiiu iusigniftaiit , pouriiiiilcr mic ptfsonne qui pi t- lire ? 2-S 1>E L\ I'OtSlli I.YIUQIE Les njalhcureux troubles dii rOigno do Charles I' I donnerenl lion i\ bcaucoiip d'aiitics , dar.s les illicit' Is rospcetifs dos deux factions rivalos. A qiiatre ct cii <[ anndes dc distance (i4io , i4i4 ct t4'9)> ^^'s rues do la capitale retcntirent tour-i-tour de voeux pour Ic bou (lac dc Boui-frogne , oncle du loi , et pi esque roi de tirconstance , Jcan-sans-Peur , et de lamentations siir Fassassinal dc son concurrent, le due Louis d'Oiicdiis, frere dudit roi, puis encore de chansons sur Tassassinat de Tassassin , etc. , etc. En 1422 , les inalheurs pro- longes de la guerre civile , mislre , famine , maladies . oppression violcnle ct cruelle de I'elranger, produisirent des complaintos energiques du pauvre commun : « C'etait , y disait-on , un gouvernement de loups ra- « vissants , qui emportaient la brebis avec la laine , « et devoraient la chair avec lesang. y [ V. Froissart, Monstrelet , M. de Daranlc , etc.) On en tit sous Louis XI , en 1469, sur la disgrace du cardinal de La Baluc ; et en 1475 sur Texpiculion du conne table de St.- Pol; et en 1476 , sur la victoire des Suissos et la defaite du due de Bourgogne , CharlesAe- Temeraire , Alajournee de Granson. Quelques-unes de ces derni^res compositions iront pas «^16 tellement oubliees , qu'on ne puisse en citcr encore des fragments plus ou moins considi^rablos. I. a coinplaintc sur le conn^table de St.-Pol , fournit Ic morceau ci-apres : Pleurcz ma mort, patrons de jiilleric , llommes de sang, qui aimez brouillcrie; Plus ne vous puisscrvir , ne aide Tairc ; Plcurez donclous el tasthez de defaire EX FilAXCE. 2.-<) Les unions dcs princes el raccord Qu'eusse emi)esch(5 si n'cust csl<$ ma mort. Petils cnfanls, donl guerre occil les peres, Soycz en Juge au venire de vos meres ; Car par ma mort vous vivrez en repos ; Femmes , et vous , qui dcs larmcs ani6res Avez iel6 pour vos maris el freres, Quiltez le deuil , tenez joycux propos. Nobles , marchands, et tous autres suppols. La paix vous dit, comma a ses chicrs amis , Que justice a I'un de ses ennemis. . . Dc la chanson sur Ic cardinal dc La Baltic , on a relenu surtout ccs six vers : Maistre Jean Baiue A perdu la vue De ses ^vescli6s ; Monsieur de Verdun N'en a pas plus un ; Tous sont d6pesches. L'cquipee de Peronnepar dtssus tout( 1 4<^'^)> aurail pu fournir aussi aux Parisians un admirable sujct dc vau- deville; mais il parail que personnc n'osa le (ourher. 11 y avail dc bonnes raisons pour cela. L'edit pour la pu- blication du traile de paix ne parut qu'acconipagne de defenses d'en criliquer les dispositions, \)i\r jmiolcs , crrils , cluuisons , peiitUires , si f;iics ou mi'iuc gcslcs , sous peine d'etre fustige el banni pour la premiere fois, d'avoir la langue percec pour la scronde , el d'elre mis ;\ mort pour la Iroisieme, On alia jusqu'A faire lucr "^O Dli I.A rotSIK I.VlllQLli Ifs pies (lonicsliqiics (]iii (niiciil Ic nialbour do se laissor appreiidie a prniioiKor des syllabos d'allusion suspcdi'. Si qucKpj'iin sc Lasarda de chansoniicr siir Peronnv , on deviue quo ce iie diil tire que sous la garanlic dc V finis bien ctos. Cet clal dc3choscs bien compris , si , snr les monu- ments aulhcniiquemcnl coTinus des deux branihes du lyi'ique des XIV". ct XV''. siecles , r.ous dieichoiis a nous faiie unv idee gi'iTerale des changements que pa- raissenl avoir subis dans celle pei iode , la lanp;iie (rune j)ail, el de I'aulre Tarf de la composition poetiqiie , nous Irouvons d'abord pour ce qui est du langage : I". Que le vocabiilaire avail eprouve conime une sorfc dc refonte , soil par Fintroduction d'une loule de lermes loul nouveaux , soil par omission absolue on niodificalion importanic , dc forme ou dc desinence , de la plupart de ceux de I'epoque anterieure. 2". Que I'nrticalalioii nifilcrielle en nieme tem|)s , s'elail sensiblemenl atfoucie, par la contraction devenue habituelle de presque loutcs les syllabes en double voyelle faisant clioc Tunc sur I'autre dans un menie mot. En ces deux points , Ic cbangemcnt parail avoir ele prompt ct progrcssif. On en suit sensiblemenl la marthe dans les qualre premiers poetos du XIV''. sieclc , A ni )ins loulefuis (ju'il n'y eul pour nous illusion a ret egard , el (ju'il ne I'allul rjipporter i des dilTeremcs de dialecle local , ce que nous prenons rhez eux pour des eflets de Taction du temps. Les ocuvres de Cluirlcs (V Orleans y^mioni, nous uffrenl sous ce rapport un objet d'observation des plus imporlants. A laseule ouverturc EN FBAXCK. sSi . UK LA POESIE LVUIQl'E Be dire i quelle epoqiic precise s'cst effeclnc re der- nier rhangcnicnt , ne scmble pas chose des plus aisees. On croil vo:r qu'il y a eiid'abord confusion des moy ens, ptiifi neglif;enccprogressh'e (ie I'emploi du premier, sm\'w., pen apres , de Vonbli cle son objel , qui dut un peu plus lard en aniencr rflf/^<7«r/o/i total. L'ancienne pratique est encore loule en vigueur thez Froissart. Alain C/iariier ne parait pas y avoir scnsiblcment deroge. Aucun veslige ne s'en montre phis chez Charles d'Or- leans. On en relrouve quelques traits chez Villon , mais ils s'y presentent comnie des jeux d^archa'isnie volontaire et avoue. Son edileur Alarot , Ires-bon grammairien d'ailleurs , semble n'avoir pas connu le principe qu'ils rappellent , ( t sc borne h les signaler comnic pluricls cinplojds pour singuliers , selon I'usage vicicux des ancicn.s. Pour resoudrela question en pleino connaissance de cause, I'examen compare des bons manuscrits de I'epoque , est le point par ou il faudrait conimencer. Sur le surplus , on pent dire que , soil chez les succcsseurs de Fillon , soit ( hez Villon lui-meme , et avanl lui aussi chez Charles f/'Or/t'«n5,lesseules traces subsistantes de I'ancienne gramniaire sont la suppres- sion facultative Anpronom personnel subjectif devant le verbe , et le mode d'inversion qui permet d'y placer le nom subsiantif emjAoye en regime direct. Pour ce qui est de I'art de la composition poetique , dirons-nous qu'il soit constamment all6 en se perfcc- lionnanl par degres? Ou bien qu'il ait langui dans une longne im|)erfection , avec les seules differences qu'ont dii y introduire rinegalile des talents individuels ? Ou E.\ FKA.NCK. 5.83 l)ion encore , quil sc soil allere dans quelques points, par roffcl nalurcl de la separation de la poesie et de la nuisique? Nous Iroaveiions dcs raisons plausiblcs en I'aveur de chacune do ces opinions divcrses , donl la discussion nous mcnerait Irop loin. Lefait est que Tabus des formules explclivcs ol des incises oiseuses semble |>lus rare cliez East. Deschamps que diez Froissart • que Charles cT Orleans seul parait avoir cu quelquc superiorile sur ccmenie Deschamps , en co qui lient k I'clevation des pensees el aux mouvemenis du style , .uispension , gradation ou conlraste , etc. ; que Charles (C Orleans et Froissart se placi'nl, h peu pres ensemble, sur une ligne h pari , pour loul ce qui est grace el ualiirel tourhant et ingcnieux ; (yS Alain Charlicr , infcriour k tons trois sous Ic triple rapporl de la force , (\cVagrc//>ent etde \i\/inesse,sc nionlre presquc partout cnlacbe de vices , donl ils se sont tons plus ou moins habilucUemcnl garanlis. C'est lout ce que nous preten- dnns affirmcr , quant k present , sur ee sujel. Relalivcinenl k la versification, A part Tusage, devcnu a peu pres general, des grands refrains, el, si Ton veul aussi, quelques effets derejels ingcnieux, plus frequents que p.ir le passe ; k part encore quelque amelioration introduite a I'cgard dcs rimes , par Tabandon de I'an- cienne pratique des desinences facliccs , oblcnucs par syncope de syllabe finale ( mon ou mont pour mont/e , citil ou cni pour cuide , etc. ) ; nous ne voyons pas que Tart ait fait aucun progrcs, en rien de ce qui lient a son objet reel. On admet loujours Yidatiis. On nc songe pas encore a la necessitc do Telision de Yc mint final ^ precede d' une autre voyelle. On se perniel , plus oSl VE LA POKSIE LYRIQt'E IVt'tjucinnieiU pcut-t'tre qu'au temps dcs Iromurcs . ,le placer le repos de I'lumisliche sur tin e muel ; on observe nioins rigoiireusenienl qifeiix aussi , le rctow dc rinn-s- de mcnic nature aiix posies eorrespondanls d'une meme piece , etc. El rependant on lravaiile,on toinmeiilc peiiibleinenl la versifitalion , pom- la pUer A des jeux (le pur caprire , etrangers , commc nous I'avons dit , a tout effel d'harmonie el de rbylbme. Et ce ne sonl pas seulement quelques baibouilleurs desoeuvres qui se livrent a res rctbercbcs pueriles. Ce sont les gens qui oblieinienl la vogue. Ce sont aussi les honunes de talent les plus capables de se distingucr par d'aulres opuvres. Nous trouvoiis Froissart lui-nieme s'y cxer- cant avaiit les MuUnct et les Crcstin. On remarquc de lui ce couplet de ballade en rimes fralrisees ou an- nexecs , etc. : A tres-plaisant cljolie Lie mon cocur el rcml pris ; Pi is m'cn liois sans viUntue ; Oil nil- est CM bicn do pi is ; Pits nic rend en la prison La belle que tant prison.... Etc. Et aussi le rondeau en vers equivoques : « La p''intiirc qui me point , Donl conscillcr ne me sai , Null el jour ne cesse puint ha pointu re qui mc point ; El si me point si ii point , Que riens ne rrienc son assai , La poinlnre qui me point , Donl consriller ne me sai. tN FRANCE. 285 Ce no sonl .ippareniment pas \'k Jes invcnlioiis de poetos cbanleurs ? Disons pourlant que celle dcs vers equivoques roniontc a unc epoque aiiterieure , et qu'on ne laisse pas d'cn trouver des le XIII''. siecle , no(am- menl dans unecomposilioii satiriquede Rutebcufs\iv\QS on/res (couveii(s) de Paris : Se li cordelier , por la corde ; Piicnt avoir la Dicu acccrde ; Biier sont de la corde encorde.,,. Etc. Nous n'en somnics plus a demander aux monuments poeliques de rcpoquc , dcs revelations sur un elat de societe dont ils auraienl presque seuls conserve les indices. L'histoire des temps que nous venons de par- courir est bien connue. Leurs nioours aussi ne nous le son tpas mal. Les chants de Tepoque nous fournissent sur ce sujet peu de notions , que nous n'cussions d'avance. Ce n'en est pas nioins pour nous un grand et vif plaisir , d'y en reconnaitrc si clairement la vraie ct naive empreinte. Sous ce rapport , le caractere de celte poesie des XIV®. et XV'=. siecles laisse peu de chose a desirer. Ce qu'elle peint est bien ce qui fut , ce que nous savons bien positivement avoir ^te : Une soeiete en progres , passant dc la galanterie chevale- resque a des formes de civilisation moins restreintes ; de I'ignorance presque generale , k un commencement d'instruction sageraent repandue j du desordre feodal a raffermissement d'unc royaule preponderanle , aiitour de laquelle vienneiit se grouper tous les inte- rets sociaux, et qui s'altachc d captiver les esprils et '9 286 DE I.A rOESIE LYRIQUH A exalter les Ames , par r^ilat des fetes siierri^res , joules, tournois , elc. ; snciete nialhcureiise et lour- mentee d'ailleurs de mille fleaiix , giierrcs d'invasion etrangere et disscntions civiles , famine , pestes , fac- tions , revolte , lyrannie , oppression , niiseres et crimes de toiile espece. Tels sontles tableaux des chro- niques : tels sent aussi ceux de la poesie contempo- raine. Ce sonl deux temoins qu'on aime a trouver si parfaitement d'accord sur los momcs fails. Nous en aurions fini en ce moment avec le lyrique des XIV". el XV. siecles , s'il ne nous restail quelques mots A dire de Clolilde clc Sundlle , el de ce qu'il y a de lei dans le recueil de poesies donne sous son nom. Les poesies de Clolilde de Sun'ille ont ele publiees pour la premiere fois en i8o3. Jusqu'alors personne n'avait enlendu parler de celte femme, ct il n'existe nulle part aucun manuscrit coiinu des ouvrages qu'on pretend lui altribuer. Son edileur qui ne peul en produire que depn'lendues copies toutes modernes, ne laisse pas de nous les donner pour un ouvrage parfaitement authenlique. II y joint sur la personno de Fauleur , des details fort circons- tancies, qu'il pretend s'elre conserves 7»5yM7i! nos jours, avec les poesies , dans des memoires de famille.... ac~ tuellement perdus. Clotildc de Siinulle , s'il faul Ten croire , naquil en i4o^, el vivail encore en i49^- l^'l^^ aurait vu , en con- sequence , dediner et finir Alain Cliartier el Cliarlcs d'Orleans , et naitre el p;isser le fameiix Villon. On nous la donne pour une femme de qualile , fille d'un sieurde f'allon Cluiljs au Z?). Qui fait endcr Ion cours, flcuve bruyanl du Rosnc? Pourquol roulciit si fiors tcs flots tuniullueulx? Que la nytnphc dc Sayne au port niajestueulx , De scs bras argenlins aillc cnlourant le trosne ; Tu lui falz envier Ics bonds inip(!lucnlxl Les fleuvcs, lescsgaulx, coulcnt en assurance, Parniy dcs champs llouris , des plaincs et dcs boiz: Toy , qu'un goulTrc parfond absorbca ta naissance, Mille obstacles divers combaltent la puissance ; Tu Iriomphes dc Ions. Tel , vcngeur de scs droictz , Charles brave I'Europe, el faicl dire a la France : « Rien n'cst Icl qu'ung h(5ros soubs la pourprc dcs royz ! » Oil courcnl ces guerricrs donl la tourbc foizonne Enlour du I'o , d'clTroi soudain lourmenluculx ? Naguere ils courboient touz un front respecluculx Devaiil I'ost oil des I5Z la Ironipelle rczonne ; I'ciisciit done I'arresler , conqu^-rant vcrluculx ? De Ics hauls faicls rciccnts la seule remembrance Deja par la lerreur u'cmbaisne leurs exploictz? N'a done asscz cogiieu leur parjurc alliance Que pour descoriforler nos prculx et la vaillancc , Alpcs , voire Apennins sonl fragiles paroiz? Va , Ics frappc d'ung coup I parte icel cry dc France : « llicn n'cst lei qu'ung h6ros soubs la pourpre des royz .' » Tel , des Diculx , q\i Uczins ct cygne de Sulmone , (Trop souvcnl deshoiit6splus que voluplueulx ) Onl dcspcincl vimlictcurs , pollrons, inccslueulx , L'arhilrc souliverain qu'eut sien temple i Duduuc , De la Icrrc cscrasa les enfantz monslrueulx. En vain ils mcnagoienl Taugusle dcmourante ; 2g4 DH LA POESIE LYRIQL'E En vain sur Pel/on Oisfl jusqu'a Iroiz foiz Entass6, surmonloil ro/)7H/>c en apparence ; Ains sc rit Jupiler ile leiir pers6vdrance; El dcs monls fouldroycs Ics broyant sous le poidz, Apprist h I'univers ce qii'orcs voyd la France : « Rien H'esl Icl qu'ung h6ros soubsla pourprc des royz! » Aux armes , paladins , vostre sang ne bouillonne ! Des Remains desgradez , \'.4igle lempeslueulx, Le Griffon , la Licunie aux palais somptuciih , UOitrs blanc, et dc St. Ularc la supcrbc Liunne , Sousliennenl de Milan le Dragon tortueulx. V Eri Inn de voz braz attend sa d^iivrance; Haslez-vous ; disputez ccs passages estroicis! Ne vouz auroil le cicl confid sa vengeance , Si de vos devanciers jiortanl vaine semblance, Vous ne savioz joustcr qu'en spacieulx totirnoyz Aux mains! n'oyez quel son rendenl 6choz de France, n Rien n'cst lei qu'ung hC-ros soubs la pourpre dcs royz ! » Ainsi bravanl la mort qui ja vousenvironne, Fondez sur I'cniiriiiy lasdiect prc^sompluculx ; Tu no I'allcndois pas, pontife fastuculx , Anx affronts qu'en ce jour sur ta triple couronne Verscroient tes efTorls toujours infiuctuculx ! Quoy ! so peul-il eiuor que vicloire balance? Diculx seroicnt incertains oiise monslrc J'nloyz? Non , non, sur I'hydre niemc, en llerculcW s'eslancc; Perfide Manlouan, rompz la derraine lance ! L'air au loing en mugist ; Ludovic , aux aboiz , Paslit, tombeet s'escrye: d Irop hcurrusc France, " Rien n'cst to! qu'ung h6ros soubs la pourpre des royz I » Prince , en {(ui luicl valour , sagesse el (cmp<^rance , Du premier de ton nom , qu'en despriz du Crrgeoiz, A Tempcyrc romain cominc au reigne Gaiiloiz Rendisl en deulx hyvers leur prime transparence , T'offre Ics derniors sons qu'eschappenl a ma voix , Fiere que dc tel chant retcntisse la France ; ■ Gloire a Charles, h^roz soubs la pourprc des royz ! » EN FRANCE. SgS Celle piece est unique dans le recueil ; el on veut que Clolitik Tail composcc a Tdge de quatre-vingl-dix ans. Cen'est pas au resle la premiere fois qu'elle se serait elevee A ce ton. 11 caracterise surloul une Herdide, que des I'an 1422 (A 17 ans, et presque immediatemenl apres son ma- nage) , sur les derniers momenls dii regne de Cliarlcn FI , Clolilde est censee avoir adiesse i son jeiine epoux absent , qui est alle au camp des braves , re- joindre les drapeaux du dauphin niecoimu. La composilion , sous la forme d'une simple epilre, contient des trails qu'on admirerait dans le chant de guerre le plus heroique. On distingue a le passage suivant , sur les malheurs de celle guerre : Bellone au front d'airtiain ravagn nos provinces; France est en proje aui dents des Icoparts; BannI par sessujets, le plus noble des princes Erre, et proscript en ses propres remparls, De chastels en cliastcls el de villcs en villes , Contrainct de fuyr licux oil dcbvoit regncr , Pendant qu'hommes f61ons, clercs et tourbes servilcs L'osent , berime, en jusdment assigncr! Non , non , ne peull durer lanl roupable vertige ; 0 pcuple Franc ! reviendras a Ion roy ! Et pour te rcndre a luy , ((iiant faudroit d'ungprodige, L'allendsdu ciel en ce ronimun desroy. De lant de maux , amy, cc penscr me console ; One n'a parcils vengid divin secours; Comme d6ga(z de flolz , de vokans et A'Eolc , Plus sont affrcux, plus croi que seronl courts. Puis eel aulre conlre les Fran^ais qui se sent decla- res en favcur de Telranger : sgG DE LA roiSIE LYRIQL'E De vergongnc t'loulTez , qii'a difaul de la fouldrc , IWissenl louz soiibs le faix dcs rcmords! Francois qui veult la France aider h se dissoudrc N"a-l-il , r^ponds, mtVild niillc morts ? Ainsy permrsl Ic cici Iclles mdsadvcn lures El laissc ourdyr si noyres factions , Pour que soycnl, liuniains , vos divcrses natures En un plain jour myses par actions! Tel avecques la lerrc , escloz soubs ses entralllcs , L'or confondu n'cn dilfcre en couleur ; Alals au feu s'cspuranl , emmycu viles scorailles , Tout son tidal reprent et sa valcur ; Tels en ces temps de feu , voyrons Francois fidcles , Coniine l'or pur, entre escume apparoir; Et lira I'advenir sur Icurs nobles rondelles: « Mourir pluslOt que Irahyr son debvoir ! » C'cst assez, ce nous scniblc, pour apprecier Ic iiR-rile des poesies de CloiiUe, el peiil-eire aussi pour decider la question dc leur aulhcnlicile. Pour Ic fonds des cboses : Abondance d'idees el dc connaissanccs acquises, sagesse ingenieuse d'invenlion, el abandon absolu el raisonne t'cs vkillcries de pcrson- nilicalion si generalemenl accreditees. Pour la composition : Gout et mesure parfaites en toutes cboses, entenlemerveilleuse des effels jusqu'alors Ics plus inconnus du style , grftcc el vigueur de pensee el d'expression , aisance el libertd gracieuse de niou\e- ment , sans diffusion , sans mollcsse , sans aucun re- coius a la ressource commune des formulcs cxplclives , etc. Pour le langage : Idiome cpure, cboix el assorlinienl bien enlendu dc ieimcs, alfsence de tout vaiige du trail essentiel tic i'ancicnne graiiimaire , clc. E> FBANCE. Of)" Pour la vcrsificalion : Assorlimenl allPinalif ol oioi- scinont paifailomenl regulicr do rinios masculines ot feminiiies ; dViialus \>o\nl ;d'elisions inanquces, aiiciine; plus dc repos d'hemisliche sur des syllabes muclles ; plus de mauvais jeux d'echos ou d'equivoqucs ; jolis re/efs d'cffet pillorcsque, etc.; en un mot, pratique an- ticipee dc I'arl , telle , presquc dans tons Ics points , ct mcillcure en quelques autres , que cello dont le secret ne deviendra pul lie que plus d'un siecle apres. Aux personnes qui n'auraient pas sudisammcnt re« marque toules ces differences , nous dirions : Recourons aux textes , ct essayez dc contrAlcr nosjugcments. Compare/,, par excmple , dans ce qui se rapporle k Texprcssion des memos sentiments et des memos ponsees , le Uktc des Quatrc Dames d'/flain Chartier, avec Vherdide a Dcrcngcr de la jeune ClotUde. De toutcs les gcnlillesses , dc toutes les gracieuses len- dresses , ct memo de la ballade heroique dc Charles d' Orleans, rapprochez denumc, si vous le voulez , les versclcts ait premier ne, Yode traduitc de Sappho , et le chant royal sur la batallle de Fornouc ; el jugez si ces diverscs productions offrent vraimcnt les trails essen- ticls d'unc cmprcinte commune ; si cellos de Clotilde pcuvent etre , en effet , une oeuvrc du siecle auqucl on les attribuo; el s'il est concevable que , tclles qu'elles sont , et publices i unc telle epoque , elles cussent pu manqucr d'y attirer une attention des plus vivos , ct d'y balancer , pour le moins , la vogue dc tout cc qui s'y faisait le plus admirer. Clotilde , comme nous Tavons vu , est censcc avoir tiaduit , ct traduit admirablcmcnl , unc ode ceK'brede 2g8 DE LA POESIE LYRIQUE Sappho. Dans un dialogue m-cc Apollon , on nous la pioduil sp vanlanl do connaitre Ilomcrc , Anacreon et Horace. Elle cite ailloiirs [Ihiode , Thiociitc el Ovide. Ses poesies offrenl une miilliludc d'all'isions h. la my- Ihologie el A Thisloire grecque et romaine , et des traits visiblcni; nt emprunles des anciens class'upics. Cc qui est beaucoup plus singulicr , c'est qu'elle seuible aussi quelqucfois imiler , et presquc copier, des modelesniodernes el Ires-poslerieursa son Age, Boileau, Racine el Follairc , par exeniple ; rencontre fortuite d'idees , prises peuf-etrc A une source commune, dica-t-on ; ou bien encore , qui sail? ces modernes ne peuvint-ils pas avoir en quolque connaissance dos poe- sies de Clotilde , el s'en etre eux-memcs approprie quelques traits? P'oluiii-e surtoul , n'esl-il pas bomme A Uii avoir ainsi vole le joli sujel d'un conle dans lequel, A vrai dire, on croirail qu'ils ont voulu Iravaillcr en- semble, et comme par defi , sur un texle convenu (i). El puis si vous ne voulez pas de ces excellenles expli- cations, il reste toujours la ressource de s'en prendre A des interpolations commises aux XVII''. el XVIII'. siecles par ceux qui, A ces deux epoques, sepcrmirent sur les tcuvres de Clotilde , des travaux dc remauic- mcnts syslematiques qui vous ont ete denonces. C'est A ces inlerpolateurs aussi sans doute qu'il faut at tribucr certaines wp'/jmci de distraction un pen fortes, qui sc remarquent dans ces poesies , et dans lesquelles apparemmcnt Clotilde ne scrait pas tonibee , sur des fails, qu'elle devait connaitre beaucoup mieux que nous. (I) Voir rl fomparer Volaire Pl Clotilde , (ruvres , etc. Les Irois tnaiiieies , el les tniis plaiils d'or. EN FRANCE. 2f)() Nous signalorons en oc genre : I". Dans la -preface ( rccUgee sur Ics mcmoirc;) , la lireteniluc citation d'un morceau de Marie de France, tout different de la lecon des manuscrits authcntiques , et falsifie de la nianicre la plus visible , dans le but de faire , de JiJarie, une personne de race royale (ce qu'elle nefut evidemment point) , et aussi sans doute de lui preter un systeme de versification perfectionnce , qui ne se rotrouve dans aucune autre partie de ses vcrilables ecrits. 2". Dans un article d'apprecialion litleraire de ses dcvanciiTS , A cote d'un elalage nouveau de noms de poetesses d'unc ecole jusqu'alors ignoree, Vexistenre de toutes les lacunes recites de noire ancienne critique , no- tamment I'omission des noms de I\Iachau et de Des- chanips, si reniarquables et si voisins de son Age , et le passage immediat de Thibaut k Gaston et k Froissart , entre lesquels ils se placaient nalurellement. 3". Dans une epitrc i Marguerite d'Ecosse, ^crile, dit-on, dans la 40'". annee de TAge de I'auteur, d'abord, le nom de reine , partout applique a celic princesse , quine le porta jamais , etant morte, celte mcme annee ()445), i(J ans avant Tepoque ou son eponx ( Louis XI) devint roi. Puis aussi , une mention de Fillon , cite comme deja en possession (bien que ;eunet),(lc sa double renonimee , de pocte distingue , et d''dnie basse et deloyale ; le lout a une epoque ou, ne en 1 43i , il devait en consequence avoir tout au plus atleint ses qninzc ans. Cloiilde qui apitaiemment ne Fa pas devin6 d'avance , Taurail-elle (pialifie plus lanl , en fCinter- polant elle-meme apres coup? L'ingenieuse preface 3oo DE I,A pofesiE LVninvE nous till que jusqu'^ la Gn de sa longue carriero , elle ne ccssa de retoucher ses ecrils. Admcltons , co qui est assurt'iiicnt bcaucouji , que V anachronimes sur la rc- iionimec dc Fillon puisse rigourcuscment s'e^ipliquer de celte nianiere ; rien de parcil ne tend Ic nioins du nionde i infirmer , en quoi que ce soil , nos aulres observations. Ctotilde est censee avoir fail de la poetiquc , el de la belle ct bonne poelique ( anlicipce , comnie tout le rostc ) , sur le beau , sur Yimitation de la nature , etc. On observera qu'elle y rccommande, an noin (TJpollon, Vusage, mais I'usage niodere dela Mytbologiegrecque, en rejelanl conime insipides el absurdes, la fcerie el les pcrsonnifications si gencralement en vogue de son temps. Ses jugements critiques sur les poetes antericurs ou contemporains , sonl aussi fort h rcmarqucr sous differcnis rapports. Ellcreproche k T/dbaut sou defaut de chaleur , el a Froissart quelque abus du bcl esprit. Elle ne nonime ni Coucy , ni , commc nous I'avons deji observe , Machau, ni Deschanips. Elle louc par dcssus toul le talent aimable ct facile dc Charles d' Orleans , cl se nioque partoul el i lout propos ^ Alain Chartier el do ses succcs de cour. Elle cite de lui , el attaque , comiiie foil ridicules, plusieurs ouvrages, deTexistence desqiiels on ne trouve ailieurs aucune autre mention. Nousavonsdil que , pour expliquer le prodige de rexislencc de Clolilde, ceux qui pretendent nous avoir conserve ses poesies, n'ont rien imagine de micux que de multiplier en quelque sorle le pbenomene , par la supposition d'une ecole defemmes poetes, qui dVJvloi'sc A elle , se seraienl successivemont transmis les secrets 1 EN FBANCK. 3oi dii bon gout. L'editeur ne manque pas de donner la liste de ces femmes , avec qiielques echantillons des poesies qui leur sont altribuees, II y a de fort jolis mor- ceaux dans le nombre. On en jugera par ces stances qu'il nous cite sous le nom de Barbe de P^errue , es- pece de cbanteuse quelque peu aventuriere , qui , dans son sysleme , doit avoir fleuri au temps de la jeunesse de Si.-Louis. Baric , devenue \ieille , y exprirae avec reiijoucnient le plusaimable, sa resignation aunouveau r61o que desormais vont lui commander ses cheveux blancs : Voyd sien hivert venir li taiges , Comme al fln bjau jor , belle nuict; Seel que sont roses por toz eaiges, Si por toz eaiges sont ennuict. De ma primev^re tempcsfe Ne me remembre sans plaisir ; Ains quidan^a mollh la Teste, Au soir n'a regret de g^zir, Dantque vy cheoirroilles d'altomne, RcUe trestoz ra'ont prQc!am6 ; Trestoz, adez, me disent bonne; Ne sai le nom qu'ai plus am^. Heur ne despenl de gcnlillesse ; Centre li temps n'ai de rancoeur ; L'er m'a changl6 ; n'est de vieillcsse Por dc qui n'a changi6 le coeur, Bien sole un tanlel ja viei!IoUc„ Me duicl la cort di jovancels; Ains n'ai regret que gent' fiUote M'emble, au sien tor , iosnes aneels. 2^ 302 DE LA POF.SIK I,VBiniK !^Ie iluicl vooir doiilcrs pasloiirrllcs Sfayri lilt lor hoitjicrol gpiitilz , r.o-illir nvclinc ct flourclles, Kiiimyeii fuslayes el cortil/. Me duict vpoir , souhs vcrtcs toniiollcs r.oupfc adfinnl les feux du jor ; Me duiil oyr diant dcs villancllos AppeliT au combat d'amor. Mp duif I ( birn qti'avprqacs lor daniPS Oabent di rnicns recits longuptz ) , Si coiilo plaids d'antiiiiips flames , Soubrycr iiosjolys fiiqtiPlz. Lor est advis qiip rion iie meiie ; Out en [lilic rues cheveuli blaiis ; Riolent , si lor contc, esmcuc; Qu'eiiz lorpers a mes piedz iremblans. r,! lie ma part , me ry sans feindre De veoir parjieillons csvolez Si nargiiillniis, presi ;i sVsteiri'lre , Flammel,qui lant eii abruslez! Apocryplie ou non , cc n'cst ccitos pas la uno piodiir- tioii a dodaigner commeinsignifiantc. Ellc pent pour Ic XIIT"^. siecle , tout ainsi que les poesies de Clolildr pour le XV''. , concourir , avec quclqiies moniinionis reels du lenips, A etablir assez claircnient que si noire an- cienne poesie n'apas etc d'aboid lout oe que Ton con^oit qirdle eut pii etre , ce n'cst pas . qnoi qu'en dise unc opiiiion fort arcredilee, que I' imperfection matcriclle de In langue ait du arreter son essor, en rcfusanl de se preter A de plus lieureux effcfs. Dans le nombiedesprodiictions poetiques do CloUlde, EN FBAXCE. 3o3 et nii^me entre les excmples choisis que nous en avons cites, quelqucs morceaux simulent Varchdisme, assez heureusement [jour fairc une sorte d'illusion d'idiome , au moins A la premier.i vue. D'autres , apparemment nioins Iravaillces en ccsens, ne nous font toutd'abord que I'effet d'un pastiche , qui se vieillit i dessein , et nc diffeienlen effetdenotie langage actuel que par quelques anciens mots,jc(es deloinen loin dans la composition, et suitout par I'artifice aise d'une orthqgraphe surannee. Vhcroule a Bcranger , donnee pour Tune des plus an- ciennes pieces de Clotilde, est pourtant tout juste une de cellcs ou nous semble se traliir Ic plus sensiblement ce caraclere de supposition recenle. Cette observation qui serait d'une haute importance , s'il s'agissait de poesies prises d'un manuscrit tenu pour aulhentique, se reduit i peu de chose (il faut le dire ) , en retombant dans la masse d'objeclions diverscs, qui s'elevent de tons cAtes contre une oDuvre de dccouvcrle , k recevoir sur de simples o/^i-f//>-c de traditions de famille , qui n'osent eux-mcmcs nous la presenter que comme ayantduetre alterec au nioins deiixfois, et dans deux systcmes dif- fcrents. lETOE DES PRINGIPAUX FRAGMENTS D'ENNIUS, Par M. F, a, DE GOURNW . Avocai , iloclcur-cs-lellres , mombrc dps Academics dc Cncii c( de Rouen. ENNIUS (QciNTts) , iVe Can dc Rome 5i5 ea domo elTcrrct jicdein Slcdea , animo spgra , amore save saucia. 3l2 DES PRINCIPAUX FnAGMENTS PliUaux Dicui que la hachc n'cilt abattu nucun sapin dans los forc'ls du montP61ion , ou qu'on n'cilt jamais comnicnc(5 la cons- truction du navire, aujourd hui nomni6 Argo, sur icquel des Arglons d'6lile cherch6renl a conqu(?rir par artifice la loison d'or du l)clicr de Colclios, sous I'empire du roi P61ias 1 Jamais alors mon inforlun(5e mallresse, jamais M6d6e, errant en tons licuj , le cocur maladc ct bless6 d'un violent amour, n'eQt qultl6 le loit palcrncl. Dans sa tragedic de Cresphonte,onreniarquc encore CCS vers : Injuria abs le alTicior indigna , pater, ' Nam si improbum Crosphonlem existimaveras, Cur me huic locabas nuptiis?Sinestprobus, Cur talem invitam invilum cogis linquere? Mon p^re, voire injustice est extreme; car si vous regardiez Cresphonte comme un homme pcrvcrs, pourquoi me Icfaisiezvous «*pouscr? Si, au contraire , c'cst un homme dc bicn , pourquoi nie forcer de I'abandonncr ? Voici encore une imitation on plul6t une traduction d'Euripide, dansl'tlecube d'Ennius : Senci sum : utinam mortem oppetam Priusquam cveniat quod in pauperis mca Senex graviter gcmam ! Je suis viellle : fasse le ciel que je meurc avant d'avoir plus long-temps h gdmir danS la d6trcsse demcs vieux ans I Ennius cut dii talent , on ne pent en douler , el re talent fut inflniirient fldxiblt;. Veul-on lientondie se moquer des superstitions de sonepoque, il va employer un vers prosque aussi enjoue que celui d'llorace : D'tNNUS. 3l3 Non I abco dpniquc nauci Marsum augiirem, Non vicanos aruspices , non de circo astrologos , Non Isiacos conjectores, non inlerpretcs somnium. Non enim sunt ii aut scicntia aiit arte divini , Sed supersliliosi vatcs , impudenlesque harioli. Aiil incrtes , aut insani , aut quibus cgcslas imperat : Qui sibi semitam non sapiunl, allcri nionstranl viain. Quibus divitias pollicentur, ab iisdraciimam ipsi petunt. Dc his divitiis sibi dcducanl drachmam , reddant catcra (1). J'cslime moins qu'un zcsle un vain las d'aruspiccs, D'astrologues du Cirque ctdcdevins mcntcurs, Interprctes vant(?s de songes imposteurs: Leur science divine est un puits d'arliliccs. Ces superslilieux , impudents magiciens. Commandos par la faini qui vers nous Ics envoic , Sont tousdcs vagabonds, des fous ou dcs vauricns. lis veulent nous montrer la veritable voic , Ignorant le senlier qu'il leur faut parcourir. Aux cr^dulcs humalns proineltantdes richesses, lis vonl leur demander trois as pour sc nourrlr: Qu'ils retranchent pour eux trois as ile leurs promesses , Et qu'ils donnent le reste en cessanl de mentir, VoilA comnie il convcnait qu'Ennius s'elevAt confre les fausses croyances de son epoque. Mais je lui re(iie nion eloge , lorsqu'i la faron d'Epicure , il nic la pro- vidence lout en proclamant Texislence des Dieux : Ego Deum genus «sse semper diii et dicam Cu^litum , > Sed eos non curare opinorquid agai humanuin genui. C'est line des grandcscrreurs de quolquospbilosophos paj ens. Comment conccvoir lexislence d'une divinite (1) Cic. in One lib. i , de divinat. 3l4 Di;S PRINCIPAIX FR.Vr.MEMS inoilc. jcMaiit Tin (vil insowciciix sur rbomnip et se roposant dansuno etornolle apalhic ! Eniiiiis a fait aiissi dcs poiiiaits el tics opithaplios. Qni psl-ce qui nc connail ccs vers famcux sur Fabiiis? I'nus homo nobis cunrlando rcslituil rem ; Non poncliat cnim rumores ante salutcm : Ergo postquc magisquc viri nunc gloria claret (I). Un sciil hommeon tcmporisanl relablit la fortune publiquo. II priMV'ra le salut do rclnt aux ciogos de la foulc : aussi sa gloirc au- joiird'bui n'cn brillc que plus belle. Co pocfe composa Tepitaphe dc Sripion I'Afrioain : Ilic est illc silus, nii nemo rivi' , neque hoslis Quivit pro factis redderc op'riE pretium. Ci-gtt celui a qui aucun cilojcn ni aucun ennemi ne pul payer le prix de ses actions. Ennius a fail sa propre epitapLc , avec la conviclion dcson immortalitc : Aspicile, ocives, senis Ennii imagini' formam ; Hie veslrum pinxil maxima facta patrum. Nemo me larrymis decoret, neque funera flelu Faxit. Cur? Volilo vivu' per era virum. Tontemplez , 6 ciloycns , le portrait du vieil Ennnius. C'esI lui (|ui dticrivit les grandes actions de vos anc<;tres. Que personiic no m'lionorc dc ses larmeset nefasse pleurera mes funerailles. Poiii- (luni ? Jc vis encore dans la boiiche dcs hommes. Jp nc ternuncrai point ma critique d'Ennius sans dire (1) Anniil. Lib. xu. i) ESSIVS. 0 1 ) que sa poosic est lemarquable par ses nnoma(o|»(>es. C'est h liii que nous devons taut dc vers imitatifs , de- robes par Virgile. En voiri quelques-uns : At tuba tcrribili sonitu laranlara diiit. Cepcndant la Irompcltc fit enlcndrc son terrible taranlara. Virgile a dil : At tuba lerribiicm sonitum procul arc canoro Increpuif. Ennius : Iteques, cl plausu cava concutil ungula lerram. Lc cuursier vole et dc ses pieds ebranle la terre. Virgile : Quadrupodanic pulrcm sonitu quatit ungula campum. Les rapprocliements seraicnt trcs-nombreux , si on \oulait les multiplier. Les deux vers suivants sont encore remarquables , Tun par sa douceur , I'autre par sa rudesse d'barnionie imitative. ' Senilanlmesquc micant oculi , luccmquc rcquirunt. Ses yeux h moiti6 ^teints s'ouvrcntct cherchcnlla luinic^rc. Africa tcrribili trcmit horrida terra tumullu. La saurage Afriquc tremble a cc terrible lumiilte. Ce poete a plusieurs pens^es digncs d'etre rclenues t Amicus cerlus in re incerla cerniliir. 3l6 DE3 PUIXCIPAUX FRAGMENTS d'eNXIUS. Un ami sAr so reconnalt dans Ics circonstanccs difGciles. Fortibus est Fortuna viris data. La Fortune favorise les forts. Moribus anliquis res stat Romana virisque. La puissance de Rome se soulicnt par ses anciennes moeurs et par ses grands borames. Qui cupiant dare arma Achilli , ut ipse, cunctent. Que ceux qui veutent donner des arracs a Achille tcmporiscnt comme lui. Te!s sont h peu pres les plus curieux fragments qui nous restcnt des oeuvres d'Eiinius, mulilees par le temps. Ceux qui voudraient les connaitre lous n'onl qu'i consulter la collection des anciens poetes latins , par Robert et Henri Etiennc , annee i564 , in-ia j L'edition dc .Ter6me Colonne , Naples, iSgo, in-4''. ; Celle de Morula , Leydc , i5g5 , petit in-4". ; Celle d'llesselius, Amsterdam , 1707 , in-4''. ; Celle de Ilahn , Leipsick , 1826 , in-S". La tragiidie de Medce a ete publiep a part , avec un choix des autres fragments et un savant commentaire, par M. H. Planck, Hanovre , 1807, in-4°. Des vers isoles , des fragments de vers , des mots sans suite composent la majeure partie de ces debris poeliqucs, sur lesqucls on ne pcut cxprimcr trop dc regrets. Kg SIR ARISTOPHAIXE; Par M. F. G. ItERTRAND. Profcsseur de lill^raturc prccqiic.i laFacult6 des LcUrcsdc Caen. »»©9oint dc maijislratriire asscr ^levcc, poiir ^'tie h I'abri de la nialignilc' , ct que l'el6- vation m'mc dos ciloyons en Ics motlant [tins en relief, fut une raison de plus pour altirer sur eux les trails de la critique et de la satire ; rien de plus nature! : plu- sieurs societes niodernes , sans avoir une constitution anssi deniocralique que celle des Atheiiiens , nons ont offert et nous offrent encore des fall;^ .issoz nombieux du nienie genre, pour que rien ne nous eloiinc ;\ ce suiel dans A-islophane. Que la licence de ce poetc paraisse extreme arssi , cl mime revoltanle , du v{)Ui des nio'urs el de la decenco, il n'y a rien 1.*^ d'inevplicablo encore. Les opinions re(;;ues a eel e^jard ne sonl pas chcz nous les mcmes que cbez les Atlieniens. Dans ce qui toucbc aux nioeurs el A la decence , il y a Irop de cboses de convention , pour que les bicnseances relatives A un peuple de Tanliquile soicnt apprecieesd'apres ce qui est regarde comnic bienseances dans les socictes dc nos jours. Les modifications qui ont dil naiire seulenieni du duislia- nisme sont immcnses : et d'aillenrs , mcmc cbez on peuple chrelien , en le considorant A deux epoqiies separ^es par quelqnes siedcs , les differences que Ton reniarque A eel »''gard sont telles que les pieces les plus libres d'un poole grcc ne doivent pas , cerlcs , tious sembler inexplicables. II nous sufllt do .songer A des productions litlerairos de notro propro nation , on les lois de la decenco sont violoes pour nous de la maniere la plus 'E. 327 trine C'it clc bien cvidemment lout-a-fait contrairc k Ic'.irs inlercls. Ce qui est bion plus a cruire , cVst qu'ils onl luUe de tous leurs efforls pour la conscrva/ion de croyances, de pratiques , de superstitions , sur Ics- qucllcs reposait toulerimporlance deleur minislerc. Ce n'est qtie dans Tecole d'Alexandric que commen- cercnt i acquerir une cerlainc publicile les opinions des pbilosoi)hes qui distinguaienl la religion des fab'cs. Ce n'est que plus tard encore, lors dcs altaqucs diri- gees par les Peres du cbristianismc conlre la religion etablic , que 1 s defeiiseurs du paganisme mircnt en avant ces distinctions et les proclanierent , pour sauver i Icur croyance le reprocLe d'absurdile , ct qu'ainsi elles purcnt verilab'ement sc repandre dans le peuple. Si le sacerdoceeut fait en Grece, comme en Egyple, du temps d'Arislopbane, une caste h part ct puissante ; qu'il y eut eu un double enseignenicnt religieux , Tun pour les masses ignorantes , I'autrc pour I'elile dcs ciloyons , qui eut etc Texpression des opinions ct de la foi du corps sacerdotal , et que les prctrcs eussent ele juges dans lesproces intentes pour impictc , on pounait comprendre comment , tout en punissant severemcnt ce qui aurait ele contrairei leur doctrine esolerique , les pretres se seraient montres toleranspour desplai- sanlerics qui auraient portc snr des cboscs assez inditferentes a leurs ycux : mais il n'eii elait pas ainsi ; I'enseignement religieux elait le nK-me pour tous les ciloyens; Socrale elait puni de mort pour avoir in- sulle les mcnies I>ieux que ceux dont Arislopbane fai- sail des objels dc ridicule , et Socrale etail juge par ce nxome peuple qui applaudissait aux conqjosilions du j'j.S KTlDIiS Itoele: c'clail b'cnalors I'tri'juiro par k-jicuplo lorsfiuc la seiilcncc cmanail tl'im tiibiirial coinpose tic inille ciloyeiis clt-signi'S par !c sort. Ainsi , dcs t'.eiix cxinicalions quo nous vonons d'cxa- ininer siir la qiicslion prescnlc , la premiere re|)ugne a line loi tie iiotre nalu e morale , ct const';qiiemmL»nt ne pent etre ailmise , surloul lorsqu'il s'agit tie la niani<5!: e lie senlir ct tie jnger d'uii peuple eiilicr; Taulre est contraire i toiites U'S donnecs tiiie nous foiirnil lliis- toirc, c( i loules les raisoiis qui naisscnt de rinduclioii, relalivemeiii i I'tilal social et religieux de la Greoc au temps d'Arisfoi'-hane. II nous faut done cbei tlu-r ail- leiirs les moyens de coucilier les inoverences cscessives dc ramicniic comedic gierquc cnvers les divinilcs dii pays , avec les ap[)laudisseiuents que le pocle reeevait d'un peuple religicix. Cc qui souvcnlcloMnc , lorsqu'on fait une etude un pcu s^ricuse de ranliiiiulo , c'cst d'y rcncontrer d s fails qui offreut avec d'aulrcs plus voisins de nous dcsanalogits fra|)paiites , lesqucllcs pourlant ncsem- bleut pas avoir elii jusques-li remarquees. 11 resulle de celte absence de rapprochemrnl et de coniparaison enlrc des fails seinblablcs, qu'on est prive de Tavanlage d'apprecier ou expliqtier les uns par les donnees qui seraicnt fournics par les aulres. De 1;\ dt^s didicuUt-s tpii paraissenl inexUicablcs et tanl d'bypolbcsesbasar- dees ; landis que la consideralion des rapports qui subsislent entre les fails anciens el ceux qui nous sont niieuxcounus peul conJuire nalurcllement i uiic solu- tion satisfaibanle. Cellc icuiaKjue Irouvcra pent elrc en re mouicul sou api'Uculioii tout cnlicic. svji ARiSToPiiANE. Sag Dans I'hisloiro dc notre nalion vl dc nofro liii'Atre, nous ronrnn Irons unc cjioquc qui off re prccisc'-moiit les mt'nios rirconslanccs , et , par siiilo , la nu'mc diffiruUc a rcsoud c ,qiic cc qui vicnld'clro signalerelativemont ,mx Grccs. All moycn Age , el jusqii'Adcs temps assez rapprodies denoiis , on voit dcs dranios nnmbrcuv doiil Ics siijets et les personnages sont freqiiemnjenl cnipriinles a la reIi(o suppose rintention d'oxpriracr son ni(''pris pour los objels du cultc ct do lo fairc partagcr aux autres, on riiileiition au moins d'insiUer a Icur foi : or , est-il vrai qu'il y eut qiielquc chose de cc genre , soil chez les auleurs , soil cbez les spectaleurs , lors de la representation des Miracles et des Mystcrcs? Non , sans doute ; c'est trop contraire A ce que nous Savons de plus positif SUP I'etat de la societe franca ise i cette epoque. 11 y avail alors , a la verite , dans les niocurs , une licence et line grossierete dont aucune classe n'elait exempte : les croyances el les pratiques religieuses de la raassc elaienl miMees de snperstilions indignes de I'Evangile , et souvent , au nom de la re- ligion , se faisaient nombrcde choscs dont la religion avail elle-memc k gemir ; mais ni les auteurs ni les spectaleurs des drames du moyen Age n'avaient, A ces spectacles, la moindre idee de I'offenser. Aucun ne voyait dans les plaisanterics qui nous seniblent les plus audacieuses une negation de la Divinile ni d'une seulc des croyances essenlielles enseignees par TEglisc. Parlout la foi t-tail robuste : loin qu'elle cut encore re^u la moindre atleinte dans b; peuple , I'idee que Ton pul doutcr , k moins que d'etre paien , n'y elail pas memo entree dans les esprits. C'est parce qu'il en etait ainsi , c'est parce que le ridicule n'avait pas encore cte employe comme une arme pour delruire , que Ic clerge riait des plaisan- terics de la scene avec la meme effusion que le rcste du pcuiple. Cc qui nous apparail mainlcnant conune irrciigieux, comme imj)ie, a nous pour lescpielslcs asso- ciations d'idees sont plus nombreuses et autrement 33?. ETIDES varit'os , n'etait alors qu'un divorlissemcnl public exempt do (out scandalc. Et en effel , poiir que Ics plaisantcrics dont il est qi'.pslioii parusscnt impies aux spcclaleurs , il aurait fallu qii'ils apcrrnsscnl , darts les situations ct dans los disconrs qui leur jTrtaienl A rire , dcs cons»^quonces a en tirer contre la foi ; niais , pour que les csprits ar- rivcnt au point dc tirer ces consequences , il y a des conditions que n'offre pas un peiiple d loute pcriode dc son hisloiro. 11 faut qiiole scntimrnt des biciiseances y soit port<^ ;\ un certain dcgre dc delicatessc, et que les idees que Ton s"y forme des pcrsonna^cs divins soient asse/ per- fertionecs, pour qu'au jugcment du speclaleur , il y a;t incompalibilitechoquanle cntrele role qui leur convient et celui qui leur est prele par Ic poete. 11 faut encore que les fondemcnts de la foi aient ele auparavant seiieusenient altaques , que le doulc ait commence a se repandre , r.on pas seulcmcnt cboz qnelqucs hommes , mais dans la foule; el que les plai- santcrics du theatre , se liant aux arguments sorieus deja connus , les rappellent A la pensee, ou mcme en scmblent une reproduction sous une autre forme. Moins ces conditions seront remplies , moins aussi sera grande la susceptibilite quant aux plaisantcrics dont la religion sera I'objet. Au contraire, dans un temps oil , par suite des progres dc I'csprit humain , la perception des rapports sera dcvenuc plus large , plus subtile et plus promptc , si deji les croyanccs religicuses o.it ele comballues avec des amies de tout genre, et que le ridicule ail etc emploj'c mille fois comme SUK ARISTOPHANE. 333 un argument contre ellcs , alors tout sera suspect : le moindre mot presentant un sens equivoque sera con- sidere conmie une attaque ; la plaisanterie deviendra derision , raillerie amere ; rinlention innocente ne se supposeraplus , sinon entre personncs reciproqueraent convaincucs de la solidite de leur foi ; il arrivera meme que ce qui autrefois a ete dit et represente devant un pcuple , avec edification , ou au moins sans 6veiller aucune idee contraire aux croyances , ne pourra plus t'tre reproduit , qu'cn excitant un certain malaise et souvent aussi I'indignation chez les Qdeles. II n'y a, du resle, dans ces effets si differenls , selon les associations d'idees qui seforment , rien autre chose que ce qui s'eprouve cbaque jour dans la vie commune. La plaisanterie se tolere, et pent amuser meme celui-ld qui en estl'objet , tant qu'aucune intention serieuscct maligne n'y saurail etre supposee , tant que rien n'a ele dit qui puisse parailre vraisemblable et se croire ; mais si elle atteint ce qui veritablement prete au blAme Oil an ridicule ;si seulemcnt elleoffre I'apparenred'une critique juslifiee par la realite , alors scs traits sont enipoisonnes , et le rire qu'cUe fait naitre en presence de cehii qui en est frappe rend plus vive encore sa blcssure. On voit maintcnant comment il faut resoudre la question relative au theAtre d'Atbcnes. Ce qui vient d'etre dit de nos aieux s'applique mot pour mot aux Atheniens contemporains d'Aristopbanc. C'cst parce que cbez eux les rroyaucrs religieuscs elaient entieres, que les Atbeniens pouvaient sans impiete se livrer sur le comple des Dieux a des plaisanterics qui nous ont 33} tTlTES semble sarrilcgcs ; c'osf parte que les aulels n'claient pas ineiiar(59 , que ces plaisanten'cs etaient toleiees comme innoccnlos. Qiiand le pcuplc avail ri i la repre- sentation des Grcnouillcs , des Oiscnux cl dii rintus, il ne se pressail pas avec mnins de fervcar dans les temples ; Bacchus etail loujoursle Dicu des Lenoennes et desDionysiaqnes ; Jupiter etait toujours I'Olympien, •ibjet de Tadoralion pnblique. II y avail bien , sans doute , ca et li, paitni les spec- tateurs de I'ancienne coniedie grecque , comme dans le moycn i\ge , quelques incredules qui vnyaient daus ceitaines plaisanteries autre chose quo ce qu'y aper- cevail le poele lui menie, et doul le sourire ^'lail moins innocent que celui de la foule ; niais Topinion generale elail trop forlemenl etablio pour qu'il n'y eut pas du danger jmur eux a la fronder par leur condiiite on par leuis reflexions (i). (1) L'existcncc des h^risiarqiies, qui Iroublaionl Ac Icmps en temps la pais de I'Eglise lalholiqiie, n'infirnie en rien ce qui vicnt d'fire dil. Le sucres ui^me quauraieni eu leurs pr^diralions seraU une preuve de la ferveur des croyances. On ne discule , en elTel, aver la clialeur du prosc'-lylisnie; on ne brave des dangers de loul genre ptiur la propagation de ses opinions, et les pcnplcs ne se sonlevenl pour oil fontre les novateurs, que dans les Icnips d'une foi vive. Et d'ail- Icurs, lant que les points de fait n'^taienl pas rontest(^s, et que les plaisanteries ne porlaient encore que surdes circonstances admises fgalement par lous, il n'y avait pasdc raison pour qu'il en rc^sultAt du scandale. Ce fut pendant la lulte du prolestantisme que corn- menc^rcnt a devcnir plus tiniides nos poetes drainaliques Les representations dos miracles et des mjslcrescesserenl ni(*nic cnlie- rement dans les localities on les rt^lormts firent senlir lenr presence. Ce n'est que dans les provinces oil les idf^es nouvelles n'avaient pos SIR ABISJ'OPHANE. 335 Ainsi , loin de nous etonner de ce qui nous a frap- pes d'abord dans Ics comedies d'Arislopbane , quant au r61e qu'y jouenl souvent les Dieux ; loin d'y voir quelque rhosc d'inconciiiab'c avec le caraclcre reli- gieux dcs Afbeniens et les peines inlligecs par eux , pour crime d'impiele , ^ quelques bonuTU\s telebres , c'esl preciscjneut la foi inlacle et fcrventc decc peuple qui nous expliquera comment il pouvait tout A la fois rire dcs situations comiques ou les poetes placaicnt les Dieux el faire boire de la eigne a ceux qu'il soupcon- nait de nier les Dieux. Les rapports que nous pourrions reconnailre entre la societe grecque et la societe francaise , sous le point de vuc qui nous ocrupe , ne s'arrelcraient pas aux epoques dc la vieille comedie albenienne et de nos mvsleres. Dans le XVIIT. siede , on rajeunissait conlre le cbrislianisme des plaisanteries qui avaient fait rire , mais qui n'avaient pas scaniiivlise nos aieux : la meme chose elait arrivee, quelques siecles apres A; istopbane, au milieu du paganisme. Un ecrivain, que Ton poui rait appelcr le Voltaire de la pbilosophie grecque , nous offre des scenes tout-a-fait dans le genre de la vieille comedie , mais dont le but est bien different de celui du pocte. p6n^tr6 parmi les masses, que le cleise put tolerer sans inconve- nient des spectacles dc ce genre : et pourtant quelle difference entre les idecs religieuses que proclaniait la r^formc el cclles que devait r<'pandre la philosopliie du XYIir. siecle ! 33G iir!i)K> C'clait sous les Antonins. La religion di's Grocs el des Remains avail altcint lY'iioqiic c'c sa ilcuadcMict'. .Tnpilpr elait encore an Capitole le Dieu officiel tie FEmpire ; mais on avail commence A examiner ses litres k la divinllo. Les pensenrs le niaient. II n'avail plus gucre pour lui que la force de I'habilude el les pro- fondes raoines par lesquclles une religion, quelle qu'elle soil , lient toujours fort long-temps a nn people cbc/. lequel elle a vecu des siecles aver lionneur. Le chris- lianisme naissani faisail mieux rcssorlir encore i sa lumiere ce qn'il y avail d'absurde dans le culte el les superslilions antiques. Quoi(jup Lnrien ne fut pas un juste appre.iateur dn christianisme , el qu'au contraire quelqites-cnes de ses compositions soient fori iojurieuses h la religion nouvelie , i! lui tardait de voir lomber dp TOlynqie Jupiler et son cortege. Ce que se perniellail Arislo- pbaiie pour anniser le pcuple, Lucien le fit pour lourner en derision ses croyanres el pour les detruire. Aussi dut-il exciter une indignation profonde rbe/. ceux (pii etaient encore resles fi e'.es aux ancicns Dieux , t.'.ndis que le sourire de I'incredulile atteslail (Lez les aulres ave? quelle juslesse frappail dans ses mains Farme du ridicule. Cctte difference que nous signalons , daiis les inten- tions , entre le poele el le philosopbc , dovienJra nia- nifesle , si on les rapprotbe Tun de I'aulre , s'.irloul dans certains passag s ou le fonds des idees est a peu pres le meme. Dans le Plains, par exemple, AristopLnne represcnte Mercure.mouranl de faim dansl'Olympe, trop beureux SL'R AlklSTOPIlAMi. 33l dc se faire valet chez les morlels, pour avoir ^ manner : c'est bioji nioiiis iiii Dicu que la parodie d'un D;eu , (pi'il offre aiix spectatcurs. La srene qui suit, oOi figure !e prctrc de Jupiter, n'est pas plus edifianle On se souvienl en -ore du rolo dc Bacchus dans les Grenouilles: il est diniL'ilc de faire descendre plus has une divinite , d'cn faire plus completcment un nbjct de ridicule. Cependant, en y regardant de pres , on verra. dans les scenes que nous iudiquons , ainsi que dans les dramcs du inojen ;^ge , plutAt de Tirreverence que de Timpiele. Le poele y joue avec des Dieux amis ; il ne s'y joue pas dcs Dieux. Ouvrons niainfenant Lucien : ligons !e dialogue inti- tule Timon ( qui offre des rapprocbemeiits de plus d'un genre i faire avec le Plutus) : ecoulons ensuite , dans Mercure el Mdia , Ic fds de Jupiter , mecontcnt de son etat, et s'en plaignant A sa m^re • ecoulons encore Momus , dans V AssembUc des Dieux. Nous verrons que , si Aristophane fait rire aux depcns des habitanls du ciel , conime on s'egaic parfois aux depens de per- ■sonnes que Ton estinie et que Ton aime , Lucieti toiKne en derision les idees recues dans la religion et la reli- gion elle-nienie j que , si le poele commet des irreve- lences , lesquelles sont innocentes dans ses intentions, Ic philosopbe a un autre but que d'exciter la gaiete , et que , par le ridicule , il veut saper les croyances et de- trAner les Dieux. S'il etait necessaire d'ajouler quelqne chose a cc qui precede pour faire comprendre le veritable s;E. 33q abuse d'un prelexte sacre, pour appeler sur un ennemi la nialveillance dc la nuiltilude (i). En general , Arislopbar.e a cl(^ fort mal apprc^cie , aiissi bien sous le rapport moral , que sous le point de vue religieux. On a ele cboque de ce qu il y avail de grossier et d'ind^cent dans ses comedies , el Ton n'a pas lenu compte du but qu'il se proposait ni des dispo- sitions des spectaleurs. Encore une fi)is , la grossierele t'es expressions , I'indecence el rinronvenance de toule nature sonl cboscs relatives , qu'ii faut juger cbez le po^le d'apres les mosurs el les idees des Albeniens de son si(^cle , et non pas d'apres les n6tres. C'est par ses iiitenlions que nous devons juger de sa moralite : or, jusque dans ses compositions que nous serious le plus poites a trailer avec soveiile, i cause de leur ind6- cenc e , le but moral d'Arislo;:bane est assez evident. Dans les CrenouiUes , [yar ; xempie , ce qu il altaque avec le plus de vigueur en criliquanl Euripide , c'est Timmoralite des personnages du po^te tragique ; ce sonl ses Pbedres , ses Slbenobecs , etc., avec leurs maxinies subversives du devoir : en sort.- que , maI4 Suivant nous , la niendicite provient et date princi- palemeiit dc raffraiicbissemcnl dcs communes. Co sont les villes qui les piemiircs out oblenu cet avantage : leur population etait considerable, comparalivemcnt i leur lenitoire renferme dans d'etroiles limilcs. Elle se cbmposait dc proprielaires en petit nombre , et de beaucoup plus d'artisans que de cultivateurs. Leur li- berte etait souvenl attaqueci souvent ces villes etaient assiegecs : alois leur commerce etait inlerrompu ; les artisans rcstaionl sans ouvrage ; une epidemie et des famines tres-rapprocbees avaient lieu , et les artisans ou manoeuvres etaient obliges de mcndier , fant dans les villes de leur domicile que dans les paroisses cir- convoisines. L'esprit de cbarite, fecondc par notrc religion, etait tel , que ces mcndianls oblcnaient des secouis abon- dants; beaucoup de ceux qui d'aboid n'avaient lecourii i\2 EXTRAIT DLN MEMOIUE A ce moyen que par neccssite , tromerenl plus com- mode el plus avanfageax de !c conlinuer que dc le- prcndre leurs Iravaux. Les mcndianfs se niultiplii^rent d'uiie nianlcre ef- frayanle , surloul h Paris el dans les rapilales des pro- vinces. Les individus qui adoptaient cette nouvelle profes- sion , s'adonnaient a tous les vices , fruits dc Toisivete el de I'ignorance de tous les principes ; souvenl reunis en troupes, leurs solticilations furent des ordres ac- conipagnes d:' violences , de vols et d'incendies : ils devinrent ui» objet de lerreur, Des lois de repression furent rendues: une des prin- (i pales est la declaration du 18 juillet 1724. EUeporlait que les niendiants demandant l'aum6ne avec insolence, ceux qvii se disaienl fausseraent soldals, ceux qui deguisaieiit leurs noms el le lieu de leur nais- sance , ceux qui faisaienl seinblant d'etre eslropies , aveugles , etc. , etc. , quoiqu'arrel6s pour la premiere fois , seraienl condainnes , les homnies valides aus ga- leres, et les honimes el les fenimes invalides au fouel, el i une detention dans un h6pilal general A temps ou A perpetuile. Ces dispositions furent renouvelees par une declaration du 20 octobre lySo. Une deruiere loi ful rcndue le 3 aoul 1764. Comrae lesautres , ele resta sans effet et sans resultat. On se rappelle le r6le q.ue joucrent des bordes de mendiants reunics A Paris , sans qu'on put savoir qui les y avail appeles , en 1788CI 178^;, daits les premiers moments de la revolution, Un objel aussi important ne pouvait ecbappcr a la sun LA iMliNDIClTE. 34? ConvenlioM naliotiale. Elle s'en occiipa , rcndit la loi du 2-4 vendcmiaiieanll(i5 oclobie 1793). Nouscioyoiis devoir on exposer quclques di.sj)Ositioiis. Elle elablissait une agence de sccoiirs dans cliaque canton. Les niunicipaliles dcvaient lui icnieltro lous les ans un elat delaille de leurs indigents validos ; I'agenl du canton devait faire parvcnir ccs etals au Di- I'i'cloire de district, et lui deniander les secours neccs- saires pour les niendiants valides. LeDirccloire du district devait envoyer ces etals au Directnirc du departenien(,,celui-ci auConseil exccutif, et e Conseil execi'.tifau Corps Icgislatif pour accorder les fonds necessaires. Les Iravaux de secours devaient etre I'objet d'adju- dicalions Les seuls indigents devaient y etre admis; ils ne pouvaient sorlir de leurs communes ni de hurs cantons sans passeports ; leur salaire devait etre fixe aux trois quarts du prix moyen de la journ6e , adopte dans le canton. A chaque repartition de fonds , les agences , avant de recevoir leur part , etaient tcnues de rendre compte de ce qu'elles avaient regu anterieurement. A I'epoque de I'ouverlurc dcs travaux, toules les dis- tributions dc pain et d'argent devaient cesser , el (out ciloyen convaincu d'avoir donne a un mendiant, devait etre condamnc , au benefice de Tagence de secours, A une amende de deux journees de travail , el au double en cas de recidive. Tout individu convaincu d'avoir dcniande del'argent vii:e de son domicile avec un passeport aux frais do I'Elat ; s'il ue faisail point connait.e son domicile, il devait ctre conduit cans la maison de repression. Tout mendiant etranger devait ^Ire conduit jusqu'au premier village du territoire hors France. Lcs enfanls arr^tes avec ces mendiants devaient en 6tre separes ; si leur jige ne les soumellait point au travail , ils devaient ctre trailesconime les enfants abandonnes. Dos maisons de repression devaient etrc etablies. Tout mendiant en recidive etait condamne i un an de detention , et A Irois annees , en cas d'une nou- velle recidive. D'apres cette loi , le domicile de secours est le lieu ou riiomme necessileux a droit A des secours publics ; le lieu de la naissance est le domicile naturel pour lcs enfants , le lieu de la naissance est le domicile de la m^re au moment ou ils sont nes ; pour acqueiir le do- micile de secours , il fallait un sejour d'un an dans une commune , lequel ne commencait quh dater du jour de I'inscription au secretariat de la mairie. La commune pouvait refuser le secours , si le domi- cilie n'etait pas pourvu d'un passeport el de certiflcats conslatanl qu'il n'etait pas un Iiomme sans avcu. Jusqu'a 21 ans , tout cilojen pouvait reclamcr le domicile de secours dans le lieu de sa naissance ; apres cet Age, il devait iMrc aslreint a un sejour de six mois. Ceux qui se seraicnt maries dans une commune et qui rhabileraienl pendant six mois,. avaient droit au domicile de secours. SL'i l.A MENBiClTK. 345 Wi'mo droit pour les individiis qui seraicnt restes (U'lix aiis dans la meme commune en louant leurs ser- ^ ices. Tout snldat porlenr d'lm conge et de cerlificals ho- norables devait jouir du d,oit de domicile de secours dans le lieu par lui choisi. Tout vieiliard de 70 ans , sails avoir acquis de domicile , devait recevoir les secours de stride necessile dans I'hospice le plus voisin. Celui qui , dans Tinlervalie du delai prescrit pour acquerir le domicile de secours , se trouvait , par un malheur quelconque , Iiors d'etat de gagner sa vie , devait etrerecu i lout age dans Tliospice le phis voisin. Tout malade, domicilie ou non , devait elre secouru, ou a son domicile de fait ou dans I'hospice. Une disposition de loi du 7 frimairean V, enjoignait aux mendianfs valides qui n'avaient pas de domicile acquis dans la conunune ou iis etaient nes , d'y re- lourner , faule de quoi ils devaient y clre conduits par la gendarmerie et condamnes a une detention de trois mois. Enfin , un decret du 5 juillet 1808 defendait la mcn- diciie dans toute la France, et elablissail, dans cLaque departenient , des depots dont les depenses devaient etre acquittees concurremment par le tresor public , les departements et les villes de la situation. La loi du 24 vendemiaire an II , ou i5 octobre 1793, ne re^ut point d'execution par suite dcs ^venements extraordinaires de la revolution , des guerres qui se succederent et de la penurie des finances. Le decret du 5 juillet 1808 recul ini commencement d'execution , mais dans un temps de disette , suivi de 34G EXTKAIT d'iN Mr.MOIRE rcnvaliisscmcnt de la Franco par les tUrangcrs ; !os depAts oiiverts roourent une autre deslinalion ; ni le Iri'snr , ni les deparlements , ni les villes ne purent pourvoir aux depenses. Ces lois el decrels n'ont point ele abroges par dcs lois subsequentcs ; les principes qu'ils conlioniiciit sub- sislent. II en resulte que la mcndicite est abolie , ct qu'elle est un delit j que les communes doivent pourvoir aux besoins de loute nature de leurs indigents valides ou invalides qui y ont acquis domicile , el que le gou- vernomenl et les deparlements doivent pourvoir i linsuflisance de leurs moyeiis. Les lois ciloes ne pouvaient et ne pourronl d'ailleiirs eleindre entieremenl la mendicite , parce qu'on a lou- jours meconnu, et qu'on meconnait peut-etre encore, le principe conslitutif et conservateur des socieles bumainesou des Elals, quelle que soil la nature de leur gouvernemenl. Cc principe consiste en cc que tout homme , tout individu , n'ayanl d'autre proprieto que son Industrie , son travail et scs bras, doit y Irouver les moyens de pourvoir a ses besoins et k ceux de sa famille , bien entendu qu'il emploiera entieremenl son iudustrie , son travail et ses bras , dans Finterel de la societe , dans le sien et dans celui de . sa famille. Si done , par des cir- constances quelconques, el remplissaul parfaitement son obligation , il ne peut pourvoir entieremenl k ses besoins el A ceux de sa famdle , la societe , a laquoUe il apparlient , doil venir a son secours. 11 en est de meme s'il devienl malade , infirme , s'il est prive de la vue , de la raison , et lorsquc par TAge il ne peut plus Ira- SUR LA MENDICITY. 347 vailler ; aiitreincnt il mondie , vole , se mot en guerre avec ses conciloyens ct trouble !;• society. On le pour- siiivra, dira-t on : inais sera-ce avec une egale justice, puisqu'i son egard le conlrat social est ronipu, el qu'il ne trouve plus parmi ses semblablcs ce qu'il devait en oblenir , les moyens d'exislence ? Ce n'esl done pas souloment par hunianile que le gouvernenient doit venir au secours de I'indigcnt : e'est «n devoir, une obligation que lui a prescrit sa propre conservation. Lo Christ ne s'est point adresse aux gou- vernenients , niaisil a ordonne la charilc et I'a pressen- tee comme le plus puissant moj en d'oblcnir une felicile elernelle. Malbeureusemint Texperience prouve que ses comniandements ne sont suivis que par le plus petit nombie el plus encore par les moins fortunes que par les heureux de la lerre , que dcs lors les secours ne sont pas on rapport avoc los bosoins. 11 faul done appre- rier ( esbosoins ol recourirau seul moyen d'y pourvoir. II exisle en France, comme nous croyons Tavoir etabli , des lois qui ont reconnu ot admis les memos prinripos que ceux qui ont donne lieu i la loi des pauvres en Angleterre; Pexeculion en a ete negligee , et il est i remarquer que ce ne sont pas les classes les moins forlunees qui en repoussent Tapplication. Mais les cboscs ne peuvent rosier dans leur el at acluel ; de toutos parts on reclame, des associations se forment , associations qui , je ne crains pas de le dire , n'auront qu'un effet n)omenlane et local. II est indispensable quelegouvernoment intorvienne ; qu'une loi d'application soil ronduo , mise i oxerulion , quo dans touto la Frame les indigents validcs, les inCrmos, 348 EXTRAIT O'UN MEMOIKK les vieillards , jouisscntdu strict necessairc qui leur est du , recoiinaissent que la patrie est une nierc pour eux, el prenncnt pour ellc les sentiments d'unc reconnais- sance meritee. Je n'entrerai pas dans le detail des besoins dune famiile ; ils dependent de sa situation , du nonibre et de Tetat de sante des personnes qui la coniposcnt. J'ai cru etablir que la mendicite datait de I'affran- diissenient des communes, s'etait multipliee dans les villes, etc. , etc. Je crois devoir ajouler que Ton s'a- percut bienlot que les seconrs , quelque multiplies qu'ils fussent, elaient insuHisants et mime inapplicables ^ des nialad; s qui ne pouvaient eti e soignes chez eux, a des vieillards isoles et restant sans famiile , & des orpbelins , k des enfant s exposes d6s leur enfance , ^ des aveugles , k des alienes , etc. , etc. Des lors on roconnut la necessile de leur ouvrir des asiles particu- liers. Telle est Torigine des bospices, et, il faut bien le reconnaitre , c'est encore i la religion qu'on doit ces etablissements ; raais le nombre en est reste slation- naire , il est bien insuffisant , el Ton ne peul se dissi- rauler que les malbeureux donl nous venons de parler ne soient un fardeau pour les families aiixquellcs ils ap- pailiennent , et ne les forcent h recourir 4 la mendicite. Regus dans les bospices , ils tcrmineraienl doucc- nient leur carrierc. Lorsque des salles d'asilc , dont le nombre Irop petit encore ne manqiiera pas de s'aocroitre , s'ouvriront pour les enfants, leurs peres et leurs meres pauvres , n'ayant plus a les garder , et dispenses de pourvoir aux besoins de leurs anleurs, >ieillards ou inGrmes , pourront consacrer loutes leurs SUR LA ME.NDlClTfi. 349 jnurneos au travail , el se procurer par 1^ tout ce qui leur sera nccessaire. On objcctera sans doule que les hospices sont pleins ct que c'csl uiie grande faveur d'y elre admis. Nous repondrotis qu'ilsconticnnonl uii grand nonibre d'indi- vidus qui pourraicnt etie utilises par une habile colo- nisation. Par exemple , des maisons de travail pour- raient elre construites en Algerie : le grand nonibre de troupes que nous sommes obliges d'y entrelenu' necessile des travaux de manufactures, d'entretien , de couture, de chaussure , qui seraient executes dans ces maisons. Lesjeunes gens pourraient (3tre utilises pour la marine, idee essayee par TEmpereur. D'autres, quand lis auraient IVigc requis , entreraient dans les regiments. Apres un certain temps de bonne conduite, on leur accorderait quelques arpens de terre , ainsi que les Anglais Tont pratique dans la Nouvelle-Galle ; ils se marieraient avec les jeunes Giles qui sortiraient des maisons destinees i leur sexe. EuGn , quant aux de- pen&es , on pourrait accorder i ces maisons des terres donl le prodnit , joint i celui du travail , scrait plus que suCQsant pour couvrir leurs depenses. lis seraient fraites avec bonte , non comnie des condamnos j ils rcccvraient une forte instruction primaire, ou la reli- gion tiendraitle premier rang, apprendraient la langue des indigenes , et , A leur sortie , quelque Hal qu'ils embrassassent , ils deviendraiont des niend)rcs utiles de la colonic. On iK>urrait encore louer leurs services a des colons, mais sous des conditions ties-rigoureuses. Nousvoyons des Etrangers accourir en Algerie ; pourquoi n'y con- 2-3 35o JXTKAIl DtN MKWitlllfc; duiiions-iious pas les inforlunes donlje paile, pom v formor pcu a peu une population fran^aise qui n'ou- blierait jamais son origine et sa patrie? En France , apres avoir pris les mesures indispon- sablcs , forme ou agrandi les etablissenienls necessairos aux infumes , aux vieillards et aux enfanis trouves el abandonnes (je ne parle pas des alienes doiit le sort est mainlenanl assure), deux sortcs de secours devroiit Aire acford^s : le premier en travaux, el Tautre en distributions d'aliinenls , de velemenls , etc. , etc. En ce qui eoncerne le secours en Iravaux , il f.uit reconnailre que la quasilile s'en Irouve diniinuee par Irs prorvres des arts et de la mco;miqiie. II faul moins d'hommos qi!'a!itrefois pour cuitivei- ; il en faul moins encore pour lisser nos iai.'ies , nos chanvres , nos lins , ainsi que pour les colons el manufatlures. Cliaque jour, on invente de nouveaux procedes mecaniqiies et rlii- mistation en nature pour nos ( liomins vicinaux et les lignes de grande commuiii- ration, est une veritable calamite ; la repartition en est injnste, Temploi en (>sl tnauvais , prescpie improdurlif, et il donne lieu a tons les abus. Cette veritable corvee a ete ressuscitee par iin simple decrot non discul<^. Louis XVI I'avail jugee et supprimee par Tedil du mois de fevrier 1776 , edit qui , dans son pieambuie , sun LA lIENDiriTK. 35l en expose les motifs lellemeiit forts, que jamais on n'a pu lc8 ileduire. Nccessaiicmenl et conformcment an decret du S jiiiilcl iSo8 , il doit lus , si le fonds qui y est employe pouvait ("'Ire appl ique ^ son extinction. Ces raaisons procureraienl un avantage encore plus important; dies seraient nn asylo etnne rcssource pour les condamnes liberes. En sorlant des bagnes on des niaisons centrales , ils onl bientot dissipe lefaible pro- duit de leur travail pendant leur detention ; repousses par I'opinion , personne ne veut les employer , et bien- lot denues de tous nioyens , ils sont , pour ainsi dire, conlraints de CGmmctlre des crimes, et subissenl de nouvelles condamnalions. Kappdons que les communes doivent en premiere ligne pourvoir aux besoins de leurs pauvres de toulo nature ; qu'en cas d'iu^uflisancc , les depmtoraenls et Ic gouvernemoul doivent contribucr. II faudrait , dans noire sysleme , oter al'administra- tion,pr()preniO!U(lil;>,deja Irtip sun'harc;ee,los delailsde ladistribulioudesscfours. Confurmenient a la lyi du 24 SLR LA MENDlClTfe. 353 vendeiniaiie an 2 , il y aurail di's agencos dans chaque commune , une agcuce au chef-lieu d'arrondissement , une agcnce au chef-lieu d'u depaitement. Lesmemhres qui la composeraienl scraient nnmm6s par eleclion conime les niembi es des conseils munkipaux et pour le nieme temps; leur eleclion serail un litre dhonneur. Les ev£'ques , les presidents des consi&toires feraient uecessairemcnt partie de I'agencc desdepartcnienls ; les cures et dcssei vanlaseraient membres des agences communales ; les agences comniiuialos con espondraient avec les agences d'anondissement ; les agences d'arron- dissemenl avec celles des deparlements, et ce^dtMnieres avec un sous-secFetaii8 d'elat ;Utacbe a« minisl^rc de rinlerieur, charge exclusivemojil de celte partie. L'autoril^ superieure inscriiail sur le verso des etals qui lui seiaient transmis les sonimes pour lesqi.elles les communes, les depyulements et le gouverrement devraient conUibuer dans la depense , et provoquerait une loi pour I'annec suivaule au commencement de chaque session. Les communes qui ne pourraient acquilter leurs parts conl! ibutives sur les revenus ordinaires seraient iinposees d'oflice , sur le vu de I'etat de repartition arrfite par le ministre. L'acceptation de dons el legs fails aux pauvres serait aulorisee par les prefels , (juelle que fiU leur quolite lorsqu'il y aurait consentemenl de la part des heritiers ou legataires ^ litre universel et i litre particulier. Les donataires des rentes d'un revenu superieur A ?oo f. ou d'un capital de 3,ooof. seraient admiscomme membres honoraires de Tagence do la commune , leurs noms 354 EXTRAIT d'l\ JltMOIBE SIR LA MENDICITE. seraient inscrits sur nn rcgislre a ce destine ouvert par Tagence du deparlenient et rendu public. La loi du 5 frimaire an VII serait maintcnue en ce qui concerne la perception , an profit dcs indigents, d'un decime par franc du prix d s billets d'entree dans Ics spectacles. Le gouvernement aurait a examiner si une legere retenue ne pouirait pas etre operee en favour dcs j)auvres sur les arrerages des rentes sur I'etal , el si la jouissance dcs Liens de main-morte , qui ne paient aucuns droits successifs , ne pourraient pas etre assu- jettis A une retribution. Les agences auraient droit , comnie par le passe , de faire queter dans les eglises , a d'autres jours que les fabriques ; cts quotes seraient annoncees an prone. Les biens e! rentes appartenant aux bureaux debien- faisance feraient parlie de leurs ressources ; on poin'rait leur attribuer les amendcs de police, la part que tou< bo le gouvernement dans L' produit du travail dcs niaisons centrales de detention, et meme les arrerages des rentes sur I'etatqu'ellesont acquis avec cenieme produit. Je n'entrerai point dans les details des niesures a prendre pour la distribution des secours dans les villes et les communes tres-populeuses : d'autres s'en oc- cupent , et doivcnt arriver h d'beureux resultats. Je n'ai eu pour but que de demontrer la neressite dc re- mettre en vigueur les lois relatives a la mendicite, et d'y ajouter toutcs les dispositions necessaires pour faire entieremmt disparaitre ce fleau , qui est un acte d'ac- rusation contre le gouvei nomcnt qui le tolerc; ovi plulot , j'ai crn devoir appeler Tattention de I'AcadtMnie sur uu su;etdi.;^nede la sollicitudede tons les amis derhumanite. ERRATA. Page 3C0, ligne 18 en descendant. Au lieu de, par (outes les di- rections, lisez: pour loules les directions. Page 362, lignes 2 cl 3. Au lieu de, la surface des liquides, Use*: la surface du llquide. Id. ligne 13, Au lieu de, s'abaisser , lisez : I'abaisscr. Page 366 , ligne 23. Au lieu de , la mobile , lisez : le mobile. Page 370, ligne 19. Aulien de,cesrecherches, //if z; ses recherches. Page 371, ligne 12. Au lieu de, sa ligne droife, lisez: la ligne droite. Id. ligne 16. Au lieu de, dans des mouvemenls, lisez: dans les mouvemenls. Id. ligne 22. Au lieu de , par le rapport, lisez : par ce rapport. Page 372 , ligne 20. Au lieu de, rayons tutcurs , lisez : rayons recleurs. Page 373, ligne 7. Au lieu de, la formule g^n^rale, lisez: sa for- Hiule g6n6rale. Id. ligne 16. Au lieu de ces mots : de hautes speculations, lisez : ces hautes spi^culalions. Page 374, ligne 11. Au lieu d«, dans toutes les courbures, lisez: dans toutes les courbes. Page 375, ligne 1. Au lieu de, rayon de la courbure, lisez : rayon de courbure. Id. ligne 2. Au lieu de , cela pass6 , lisez : cela pos6. Id. ligne 28. Au lieu de, sur deux plans diITi5rents, lisez: sur des plans dilTgrcnts. Page 376, ligne 1. Au lieu de, des concours, lisez : du concours. Page 377, ligne 15. Au lieu de, deux rayons recteurs infiniment voisins sur Icsquels, lisez: deux rayons vecteursinflniraentvoisins suivant lesquels. Page 380, ligne 12. Supprimez d'abord. Page 381, ligne 8. Au lieu de ces mots : et attir(?s, li.iez : el all^rds. Page 381 , ligne 25. Au lieu de, ni mfme fail senlir , Uscz : ni mieuxfait senlir. mm STK I.ES (EUVRES D£ VARIGNON , Par M. SeiLMlDT, Professeur de Mathemaliques speKiaicsau College myal df C.u-n. s©s< Qiiaiul on parcoiirl rhisloire pour y siiivre les pio- gies des soieiK cs , l'es|)rit s'airelu oloniic ei presence (It's granules decouvcrU's doni leiir doniaine s'est enri- (bi pendant le XVIT. siede. Le debut do ce siecle fut line epoque de fermentation intellecluelle ou Ton \it le genie buniain s'agiler dans loutes les directions , aborder tons Its travaiix qui apparli«nnent a la pcns6e et se signaler par les plus beineux resullals. De lant d'effortssortirentces Ibtioriesgeiit'ralesel fecondes, (jui depuis se sont accrddilt^es sans retour dans la science , el qui se mainliendronl A (ravers les Ages coranie autant de foyers luniineux vers lesquels la raisnn se tournera toujours pour en emprunter la clartc. Les matbenia- liques surtout y prirent un essor si eleve tjue, tpielle que soil la perfection A laquelle elles puissent arriver jamais , une grande partie tie la gloire en rejaillira toujours sur le si(icle qui a ouvert si niagniliquement 356 NOTICE la carricie. Je vals m'arriMer A la finde cede pi^riotle, non point pour passer en revue les produils divers que la pensee pbilosophique a pu lui fournir ( Tentreprise serait immense et au-dessiis dc nies forces) ; mais afin d'analyser Ics travaux d'un geometre dislingiie , que cette ville a produit comnie pour porter a la sfience un tribut que la Normaudie ne lui a jamais refuse. Je sais combien I'Academie s'interesse i toutcs les recbercbes qui out contribuc i ragrandissement des connaissances bumaines : c'lst dans cclte pensee que je lui presenle cetlc nolite quelqu'imparfaitc qu'el'.e soit. Pierre Varignon naquit a Caen en iG54. Sa vie, en- tierement vouee ti I'etude et a la meditation , n'offre aucun de ces evenemenls piquants dont le recit seme au milieu des details d'une anahse scientiflque, en (eni- pere la gravitej mais elle est bien propre i montrer comment le merits , h force de conslance , parvient a sorlir de I'obscurite qui I'cnvironne ,et finitpar s'elever a lous les avantages que les societes accordent k celui qui les sert. Quand 1 bommeporte en lui une inclination nalurclle bien deferminee, il ne larde pas i saisir son objel des qu'il se presentc. Un cadran solaire quelejeune Vari- gnon apercut dans Talelier de son pere , arcbitecte- enlrepreneur , fixa ses premieres meditations ; une geomelrie d'Euclide trouvee quelque temps apres dans la boutique d'un libraire, acbeva de diriger son ima- gination vers les etudes positives. It fut ebarme de I'ordre , de la clarte et de Tencbaincmcnt des verites geomelriques , et son cnlliousiasme pour la science s'accrut encore quand il eul entre les mains lesouvrages SLR LI'S OEIVRES DE VARIGXOX. 35; tie Descarlos. Apr^s avoir aclievc ses Etudes de college, il passa en llieologie, pour sc confurmer au desir de ses parenls qui le destinaient k I'etat ecclesiastique. C'esl Ici (ju'au milieu des discussions scolasliqucs , il mnnut Tabbe de St. -Pierre ; un goat commun pour les sciences les lia bienlut d'amitie , et cette liaison eiit une grandc influencesur la fortunede notregeoinetre. L'abbe, pour jouir exclusivemcnt de la societe dc son jeune ami , voulut le loger cbez hii , et , peneire do plus en plus dc son nierite , il lui ceda une parlie de son niodique re- venu , afin de le mellre en etat de devclopper plus facilenient ses talents. En 1G86, ils vinrenl s'etablir i Paris, dans une petite inaisnn du faubourg St. -Jacques. C'esl la qu'au sein d"ur.e profonde amilie, ils se livraientTun et I'autrei la culture des sciences: l'abbe s'abandonnait i des re- flexions sur I'bomme , la morale et la politique ; quant a Varignon , il s'etait enfonce tout enlier dans les ma- thematiques. II passait ainsi les journees entieres au travail , qui semblait un delassement pour lui , car H etail de ce temperament aclif et opiniAtre qui se com- plait dans les diflicultes que suscite la recherche des verites abstraifes, ct il no manquait ni dcla perseve- rance ni de la penetration qui en font triompher. Une application aussi constante devait produire des fruits , el en effet , en 1687 , Varignon se fit coiniaitre en donnanl au public sous le litre de Pro/et d'ltne nou- K'clle Mccanique , un livre dont il fit hommage a TAca- demie royale des Sciences. Get ouvrage,qui fut accueilU par d'unanimes applaudissenienls , \alul a son auteur, Taunee suivante , le litre d'academicien wt la cUaire de 358 NOTICE nialheriialiques a;i college Mazarin , qui n'avail point t'ricoie 6(6 occupee avai.l lui. Je ni'arrele Ace prcniitT ei'rit,qiii i(>i)ane de la composilion du mouvcnient , coniiu depuis tres-long- temps, etqu'il euirheureuse ideed'elendrei\reqiiilibre. Le premier objel sur lequel il lixa son allention fill un poids qa'tine force relii'ul en equilibre sur un plan SLR MiS OEIVRKS DK VtniGXOX. 35() ii;cline , en imaginaiit los directions de la puissance el dii poids coinme prolongecs jusqu'A leur point de con- cours. II vit d'abord que si le plan venait tout-i coup A eire enleve, le corps suivrait rinipression de ce point el se dirige: ait par consequent suivant la diagonale du parallelogramme des vitesses ; puis il reniarqua qu'en letablissant Ic plan dans la position qui produit Tequi- libre, le niouvcnienl qui avait lieu degenerait en iiue simple pression , et que tout ce qui elait vrai du niou- venient Telait aussi de celle pression. C'est ainsi que du concours d'action de la puissance et du poids , il \ it nailre une impression composee suivant la diagonale et delruile par la resistance du plan perpendiculairc a celle direction. Voila les considerations A I'aide desquelles Varignon parvint d un des principes les plus feconds de la meca- niqiie rationnelle, celui du parallelogramme des forces. (Quoiquc la premiere idee dece principe seniblc renion- ter a Slevin, malLemalicicn du siecle antcrieur , on ne peul neanmoins refuser a Varignon le principal honneur de la decouvcrle; ce ful lui , en effet, qui lepremierle posa clairement comme le fondement de la slalique.) Sans doute , ii eut ele preferable de le demonlrer sans recourir aux idees de mouvement, car les lois de Tequi- libre ne supposent aucune relation particulieie enire les forces el les vitesses qu'ellesinipriment , et jiour re- soudrc tous les prisbleines de stali(j(ie, il sutlil de coii- nalt! e le rapport des forces. En outre, le principe de la |)roportionnaIite des forces aux vitesses sur lecpiel il s'appuie,ne doit pas ("tie regarde commo nnepure hypo- Ihese: il est susceptible d'une demonslralion, mais ellc est lout-;Wait du ressDrt de la dvnaniicpie. 36o NOTICE Toulefois , le priiu-ipe une fois pose , Varlgnon s'en empare avec succes : on en voit sorlir ime longiie suite de v^riles , les conscijiuMices n'ont rien do foi( e , elles s'enchaincnt Tune i I'aulie dans un ordre i la fois sim- ple et naturel. D'abordil demontrc par sa methodeel sans le secours d'aucune machine , coninie on le pratiquail avant lui , les proprietos des poids suspendus par des cordons , quels que soicnt leur nombre et Icurs directions ; de la il passe a I'cquilibrc des poulies fixes ou mobile*, soUi- citees par des forces que'.eonques ; puis il considerc ua corps qui s'appuie sur plusieurs surfaces. Mais an lieu d'une demonstration applicable seulement au cas parti- culier de deux plans inclines, il en Irouve une qui s'etend a (oute sorle de surfaces , quelles que soienl d'ailleurs les directions des forces ; enfin il expose les proprietes de toutes les especes de Icviers, de quelque figure qu'ils soient , par loules les directions possibles des puissances. Son dessein avait et6 d'abord d'expliqner par sa (beorieles effels les plus surprenants des machines com- posees que Ton rencontre dans les arts et dans la nature; mais il se borna dans son premier ouvrage i presenter les propositions fondamentales de la statique , son but 6tant alors uniquemcnt de connaitre le sentiment des geomelres sur la marcbe qu'il avait suivie. Toutefois il ne rciion(;a pas c\ son premier projet. Encourage par le succes , il voulut faire un Iraile complet sur la science de I'equilibre, et, ferme dans sa resolution, il nc cessa de reunir tons les doeumens que I'experience put Ittifournir. Mais la mort Tatleignit avant qu'il cut mis Sru I.KS OELVUES DK VAUKINO??, 3l) l on ordre lo r^sultat lie ses rcchercbes. Ce fiil rillustre Fonlenelle, a qiii Varignon legiia Ions ses papiers, qui chargea M. de Beaufort , nionibrc do lAcademie des srionccs , du soin de les grouper dans Tordre on Ton pouvait penspr que I'auleur les out disposes; et , ea 1 7?5, partit un Iraite de stalique en deux volumes sous le litre de JVoin'clle IfJecanique.Les usages des machines T sont developpes avec de longs details ; on y trouve un tres-grand nombre d'exemples semes au milieu dt^ la Ibeorie ,peul-etre memeavec une profusion nuisiblc i renchainesneiit des propositions [(fincipaies , et que I'auteur eut sans doule evilee. 11 scnibie , comme le dit Ihislorieu des matbematiques , qu'on ait voulii reellemcnt enlever au lecleur le plaisir de trouver un S3ul cas particulier. Apres avoir parle avec quelquc detail de la premiere production de noire geoniefre , je vais maintenanf aborder ia longne serie de Memoires publics sous son nom dans le recueil de I'Academie des Sciences. Dans I'expose que je ferai de ses Iravaux suivis p;esque sans interruplion pendant plus de \ingt ans et presentes dans plus de cinquanle ecrits divers , on comprend que je nc puis nratlacber qu'nux resullats principaux , aux recbercbes les plus importanles. Ainsi je passerai sous silence plusieurs questions de geometrie dont il donne la solution , la melbode qu'il indique pour resoudre Tequalion du (roisienie degre par une simi)le transfor- mation eri'ecluee sur son j)remier terme , Texplication qu'il donne . d'apres les principes de la niecanique, sur la nianiere donl les niusdes produis(>nl ci-rlains mou- venients, J'insislerai peu sur le prorede general qu'il 3G2 NOTICE invpnte prur gradiicr Ifs cic])?} tiros oii lioilogcs d'cau, r'esl-A-dire pour Irouver los points ou la surfaco c'os liquidcs arrive par son abaisscmenl conliniiel on cer- laiiis lemps , connaissanl la figure tlu vase ct la loi siiivanl laquolle varie la vilesse d'eioulemcnl. U donne une forniule geomctriqiic telle que, la forme dii vase el la vitesse de Teau etant delerniinees a volonte , on en \oit naitre neccssairemonl la graduation de la clep- sydra. Reciproqitement , si Ton sail comment la clep- sj'dre est graduee et quelle est la vilesse de I'eau , la raeme formiile fait connailre la fignre du vase. La ques- tion une fois elevee A ses termes Ics plus universels , il n'y a plus (\uk s'abaisser aux cas particuliers. Par exemple , il en fail sorlir avec une extreme facilite la solution d'un problrme celebre qui avail ethappe k Toricelli, et que Mariottc n'avait trouvee que par une melhode limitee a ce cas particulier ; il consiste a re- cherchor quelle doit clre la figure do la clepsydre , pour qu'en supposanl les vilesses d'ecoulemenl commc les racines carrees des bauteurs , suivanl la loi de Galilee , I'eau s'abaisse de quantiles egales en temps egaux ; il trouve ainsi que la clepsydre de descenle imiforme est celle qui a pour generatrice une parabole bicarree. Dans Tbisldire de lout autre , il faudrait s'arreter encose sur plusieurs travaux inleressanls; niais, de peur de tomber dans ime trop grande prolixite , jc passe inimediatemenl a I'examen des beaux Memoires qui onl le plus cor.lribue au progres de la mecanique et i I'accroissement de sa reputation. Les unscomprennent latheorie romplele du mouvemenl soil rocliligne, soil SI K I.ES OlilVltL'S l)U VAIUG.VON. 3bJ nl petit. Or , une grandeur tinie est iiJininient 3<»4 :>t)TifE gratulc par rapporl a iin infinimcnl pcli( ot il!e iTcsl ni aiignienlt'c ni diminuoe qiiand eel inriniineiU polit y esl ajiMite ou en est retrancbo, et par suite la vilcsse O'lm inslant doit elre regardec comme uniforme pen- dant cet instant , puisqiic son auginenlalion n'est A compter pour ricn par rapport j\ elle. A la faveur de celteuniformite si habilement trouvee, Ics mouvemenls varies rentrcnt dans la meme regie que los mouvements unifornics , pourvu toulefois que les cspaces et les temps soicnt infinimcnt petils , et alors on voit que de ccs trois cboscs , cspace , temps , vitcsse, deux etant donnees, ou seulement leur rapport, la troi- sieme s'eii deduirait dans les mouvements varies conmie dans les mouvemenls uniformes. Comme application de cctte theorie du mouvement rectiligne , Varignon re- cherche les lois de la chute des corps. Deux ans apres, il fit a ce premier Memoire , presente en i6g8 , une ad- dition considerable , en introduisant dans son analjse les forces centrales , c'est-a-dire des forces toujours appliquees, qui portassent ea ligne droite vers un cer- tain point ou en eloignasscnt le corps en mouvement. Telle est I'idee que Ton a de la pesanteur. Les vitesses, les espaces et les temps combines ensemble, nepeuvent fournir que trois rapports ; mais, en y ajoutant la force centrale, il en pent resulter six. L'auteur dispose tel- lement sanouvelle mcthode, qu'il ne faul encore qu'ua seul de ces rapportspour en deduire les cinq autrcs, ou, ce qui est la meme chose , chacun d'eux etant repre- sente par les abscisses et les ordonnees d'une courbe , si Ton doiuie uiie seule des sixcourbes, les cinq autres s'en di'duisent facilemenl. A cet effet, il calcule la force SCR LES OECVRES DE VARIGNON. 365 centrale denianiere qu'elle ne renfeimedans son expres- sion que des vitesses ou des temps ou des espaces , et par ce n»oycn Ic nombre des elements qu'il fallait con- naitie dans la theorie precedente n'augmente point, tandis que le nombre de ceus qu'on en pent dcduire se Irouve augment^ de la force centrale. Voici comment il arrive a son but. D'apres Galilee , les espaces par- courus par une force constante et continuellement ap- pliquee etant proporlionnels aux carres des temps employes k les parcourir , il s'ensuit que ce rapport constant est la mesure de I'effet qu'elle produit, et que par consequent 11 pent servir a la representor geomelri- quement. II nc s'agil done plus que de determiner quel est I'espace parcouru en vertu de la force centrale. Or , nous avons vu tout-a-l'heure que I'espace decrit dans un temps infiniment petit, en vertu de la vitesse acquise ciit infiniment petit , et que dans ce meme temps I'ac- ci oissement de la vitesse est aussi infiniment petit par rapport a cette vitesse qui a une grandeur finie. II suit de la que le nouvel espace parcouru en vertu de cet accroissement de vitesse sera infiniment petit par rap- port au premier , et que par consequent il sera infini- ment petit du second ordre. Ainsi un espace infiniment pelil du second ordre , divise par le carre du temps , exprimerala force centrale quelle qu'elle soit, et comme dans cette expression il n'entre que des espaces et des temps , on en deduira facilement la vilesse. Cette theorie est bien propre i montrer toutc la fe- condite dela melhode infinitesimale. On voit, en effet, par les exemples qu'on vient de citer , qu'il j a des rapports insaisissablcs, si Ton nepoursuit les grandeurs 24 3GG NOTICE jusque dans leurs elements. Ainsi, tandis que, dans un mouvenienl uniforme,la vitesseesl le rapport derespare au temps exprimes en qiianliles finies , il faut , pour le mouvement varie , chercber dans les elements de ces deux grandeurs ce rapport qui n'existe point enlre ces quantitcs considerees dansleur ^tendue Gnie. Et lors- qu'on veut avoir la force centrale , ce serait vainemenl qu'on chercherait le rapport dans les infiniment pelits du premier ordre , il faut percer jusqu'au second ordre. Ainsi la geometrie infinitesimale multiplie les rapports des grandeurs et en fait naiticde nouveaux, Jusqu'ici Varignon n'avait considere que les mouve- ments faitsetiligne droite j niais commc , dans les re- cherchf s scicnlifiques , la principale difficulte consiste A trouver la bonne route , il n'eprouva aucune peine h etendre sa theorie aux mouvements faits en lignes courbes, qui ont lieu toutes les fois que la force ou la resultante des forces appliquees au mobile n'agit pas constamment dans la direction de Timpulsion initiale. La geometrie des infiniment pelits permettant de ramencr a I'uniformite tous les mouvements varies , la vitesse dans un mouvement curviligne sera le rapport d'un element de la coiirbe decrite par la mobile A un temps infiniment petit, au lieu que, dansle mouvement rei tiligne, elle etait le rapport d'une portion infiniment petite de la droite A un temps infiniment petit. Comme application de cetfe premiere regie et pojir en faire comprendre I'usage , Varignon considerele cas d'nn corps qui tombe le long d'unc cycloide rcn versee, ot laparcourt dcpuisun point quelconquejusqu'd son point le plusbasjil trouve ainsi, comme on lesavaildejd, que SCR LES OEUVRES DE VARIGNON. 367 Icstempsdela chute sonl toujours les m(5nies.Il recherche ensuite quelle hypolhese d'acceleration de vitesse a ete necessaire pour donner ^la cycloide celte propriele, et il retrouve avec la meme facilitc que c'est Thypolhese de Galilee , dans laquelle les vitesscs sont comrae les racines carrees des hauteurs. Mais il s'eleve beaucoup plus haul en tirant desa regie I'cquation generalc d'une courbe le long de laquelle un corps tombant s'approche ou s'eloigne de Thorizon , selon telle proportion des temps que Ton voudra , et quclque hypothese que Ton prenne pour I'acceleration de la vitesse. Introduisant ensuite dans sa formule generale I'hypothese de Galilee et la condition que le mobile s'approche egalenient de rhorizon en temps egaux , il tonibe sur la solution d'un probleme qui avail arrete les meditations de Leibnitz elde Bernouilli , et qui n'est ici qu'un simple cas parti- culier. La courbe qui satisfait au prob!eme est une secondc parabole cubiquc j elle a cela de reraarquable, que le corps qui la doit decrire pour s'approcher de I'horizon en temps egaux, ne peut pas la decrire des le commencement de sa chute. II faut qu'il tombc d'abord en lignc droite d'une ccrtaine hauteur , et ce n'cst qu'avec la vitesse acquise par celte chute , qu'il peut s'approf her egaleraent de I'horizon en temps egaux. Tout ce qui precede ne concerne que la chute dos corps prise par rapport h I'horizon ; niais le Memoire qui nous occupe comprend encore , pour toutes les hj- pothcses imaginables d'acceleration dans les corps qui fombent , I'cxprcssion generalc des courbos qu'ils devraient aussi dicrirc pour s'approcher ou s'eloigner egalement eii temps egaux de tout autre point quel- 3GiB NOTir.ii , .,_. conqiio pris (hms !e I'Uui de clincuno, c'e cos roiubos. Eii faisanl ptisuile ornipcr ;\ re point differentes positions, jl arrive ;\ jjhisiours circonstantes roniarquables ; par exemple, en le suppusant iiiCniment (iloigne suivant uno ligne horizonlale , ia parabole ordinaire se trouve ('Ire la courbe suivant la convexile de lacpielle un corps toni- hant s'^loignerait de son axe vertical cgalenient en temps eganx , ce qui est precisement ce que Galilee avait suppose pour prou^er que celte courbe esl celie que decriraient les corps graves jetes borizontalement dans le vide. Les cbcinins que cos deux geomelres ont pris jK)ur arriver k la meme consequence sont si dif- ferenls, qu'on est presque surpris de les voir arriver au ineme resultat. C'esl !a Tavanlagc des melhodes gene- rales : unc courbe line fois trouvco pour salisfaire h cerlaines conditions d'un probleme, se cbange ensuite en differentes autres courbes i chaqne inodificatfon que Ton apporte dans les conditions. Ccs transforma- tions sont un des plus beaux spectacles que puisse offrir i I'esprit la geonielrie speculative ; et , quand elles ramenent A dos propositions dejA connues , c'est un surcroit d'assurance qu'on avait suivi la bonne route. Apres avoir montre Textrcme fecondite de la regie des niouvemenls curvilignes , prise dans sa premiere simplicite , Varignon lui fait acquerir une grande extension en y joignant la consideration des forces centrales dirigees vers un point fixe , ainsi qu'il Tavait deja fait dans les mouvcments rectilignes. Avant d'en- trer dans les details de ces nouvelles rediercbes , il ne sera pas inutile de jeter un coup-d'ceil rapide sur les ininiortels Iravaux des geomelres qui I'ont precede dans la carricreou nouslclrouvonsmainlcnant engage. sin I.US OEIVUES DE VAlUti.NOX. 36) Avanl llii\t;,hi'ns , (oiile ia lli6oric ties mouvenK'iils ciii'^ilignes se reduisail in ce que Galilee avail autrefois ilenioiilre suf la courbure du theniin des projectiles soiiinis i una force agissant uniformement et dans ties directions paiallelcs ; mais les recherches appro- fondies de ce savant matheniaticieu sur les forces cen- trifuges lepandireut une vive luniiere sur cet important sujet. Tout corps en mouvement tend k prendre une dire* - tion rectiligne. Si done il est astreinl A s<; niouvoir cir- cuiairenieiil autour d'un centre , il fautqu'il cxisfe une cause qui , le detournant a chaque instant de la lignc (iroite el le ramenanl vers le centre, Ten ticnnc toujours egalemenl eloigne. Si colte cause cessait , au3sit6l il s'e*:happerail par la tangenlc du cercle qu'il decrit, el s'eloignerail de plus en plus du centre de rotation. Mais il est dair qu'oii ne saurait ecarter nn corps de sa direction naturclle sans en eprouver une resistance en sens contraire. Done la force qui raniene sans cesse le corps sur la circonference doil eprouver celte resis- tance : c'est eel effort contraire qui , considere comnie leifcl de I'inertie du corps el conrme tendant i I'ecarter (hi centre, est nomnie force centrifug;\ La force opposee (|ui le ranienc sur la route curviligne est appelee force ccntripete , el on les designe toutes deux sous le nom conimun de forces centrales. Dans le mouvemcnl circu- laire, elles sont egales , car , puisque le corps reste k la lUi'me distance du centre , il faut neccssairenicnl qu'e'les sc contrebalancenl ; niais il n'cn est plus ainsi dai!s les niouvementS(juionl lieu sur d'aulrescourbes. lluygbens est le premier qui donna la niesure de celte force en la 3;0 NOTICE deduisanl delaconsideialion du mouvcment circulaire, et sa demonstration est trop connue pour que nous nous y arrelions davantage. Quand on s'est eleve jusqu'au point oil il est parvenu, on est etonne de voir qu'il n'ait point pousse phis loin sa decouverte , car i! n'avait reellenient qu'un pas a faire pour conclure immediate- ment la niesurc de la force centrifuge dans une courbe quelconque. 11 etait reserve au genie de Newton de le franchir : ce fut lui qui , cnvisageanl le probleme des mouvementscurvilignesd'unemanieregenerale,assigna les lois suivant lesquelles ils s'executent , ct fit voir comment la force centrale varie dans Ics differcnts points de la courbe. L'applicalion qu'il en fit ensuite aux sec- tions coniques , le conduisit h la belle decouverte qui a jete lant c''eclat sur sa carriere scientifique, et qui a fourni i rastronomie les verites les plus remarquables et les plus utiles pour le syslerae de Tunivers. Varignon , guide par eel esprit de generalite qu'il appo; ta constammcnt dans toutesces recbercbes,reprit, en 1700, toute cetle theorie, etlui donna un caraclere d'universalite qu'elle n'avait point encore acquis. Ap- pliquant la force centrale i toutes les courbes possibles et la rapportant a un centre quelconque , pris soit au- dedans , soit au-dihors de la trajcctoire, il delcrmina, toujours par la geonietrie infinilesimale , quelle est I'inegalite d'aclioa de celte force ^ chaque point de la courbe oii se trouve le corps en mouvement. Je vais donner une idee de ta marche qu'il suivit pour arriver a I'expressian geonietrique do celte force. Dans un mouvcment curviligne , les forces cen! rales , quoiqueconstantes en cUes-memes, ont une .action ine- SIR LES OEIVRES DE VAKIGNOX. 3j i gale, selon que la direction suivanl laquelle elles solli- titent le mobile est plus ou moins oblique par rapport ^ I'elenient de la courbe decrit pendant chaque instant^ car que Ton imagine une force de cetJe nature agissant dans la direction nienie suivant laquelle le corps se meut , il est clair qu'elle n'a alors nul pouvoir pour lui faire decrire une courbe , et que tout son effet se borne k accelerer son mouvement ou k le retarder, selon qu'elle agit dans le sens ou il se meut ou dans le sens oppose. C'est done seulement lorsquesa direction tonibe entre ces deux limites extremes, qu'elle pent delourner le corps de sa ligne droile , et moins sa direction est eloignee de I'un ou de I'autre de ces termes, moins elle agit avantageuscmenl pour faire decrire la courbe. C'est lA toute la difference des forces centrales considerees dans des mouvemenls curvilignes. Ainsi I'effet de la force centrale varie en mcme temps que Tangle que fait k chaque instant sa direction avec celle du mobile, et il est facile de reconnaitre que rinegalile de Taction peut s'exprimer par le rapport d'un element de la courbe a un element de la droile suivant laquelle est dirigee la force centrale , en sorte qu'il sullit de multiplier par le rapport Texpression des forces centrales (jui convient aux mouvements rectilignes pour avoir celle qui reprc- sente les forces centrales des mouvements curvilignes . La formulc ainsi obtenue ne contient encore que des espacesetdes temps, et, par consequent, il n'csl pas ne- cpssaire de connaitre plus de choses pour avoir cetle force avecles inegaliles deson action, que pour Tobicnir quand elle agit par une mcme ligne droile. Son auleur en fait Tappliculion a dilferenles courbcs ct cbeicbo 372 WOTICE quelles forces centrales doivent en r^sulter ; il cboisit principalemenl pour exemples ceiix que Newton a traites dans son livre dcs Principes , et il fait voir avec quelle facilite sa regie les expedie. Mais ce qui donne surfout de I'eclat k sa recherche, ce sont les consequences qu'il en tire pour I'astronomie et les differents syslemes des cieux. Les anciens astrononies donnaicnt aux planetes des vitesses uniformes sur les orbes circulaires qu'ils leur faisaient decrire. Copernic nieme ne pensait pas qu'il put en etre autrement ; de sorle que , pour en expliquer les inegalites , ilsont ete forces de reiourir h des excenlriqiies et a des epicjTles. Maisensuite sont \enus des astronoines qui , avec des notions de physi- que plus etendues , n'ont fait aucime difficulte i faire niouvoir les planetes avec des vitesses differentes pour chacune et mcnie A changer leurs orbes circulaires en orbiles ellipliques dont ils ont assignc deux esp^ces. La premiere est celle de I'illustre Kepler , c'est I'ellipse ordinaire; la seconde est celle de Cassini, dans laquelle le produil dcs rayons tuteurs nienes d'un point de la courbe k ses deux foyers est constant , tandis que dans Tellipse ordinaire, c'est la sonnne de ces droites qui est invariable. Varignon passe successivement en revue ces divers syslenics d'astronomie j il commence par celui de Kepler etdc Newton, et relrouvelaloi deratlraclion en vertu de laquelle les forct'S centrales ou pesanteurs des planetes vers le soleil varient en raison inverse i!es carresdes distances. Puisilexaminedivcrses hypotheses I'aites par les aslronomes de son epoque. Abordant erifin les suppositions des anciens, il demontrc que si, d'apres les observations , le mouvemcnt des planetes est reel- SUR LES OELVUES DE VARIGNON. 3;3 lenient iii<^gal , il est absolumont impossible (lu'olUs decrivent dos cei'cles , ainsi que le pcnsait Copornic , et il fait voir que , pour leur donner un niouvement ogal sur quelqu'autre courbe, il faudrait admcKre qu'a fbaque instant de leurs cours , elles tcndissenl h un centre different. Telles sont les consequences princi- pales qu'il tire dela formule generale. Cinqans apres, il revint encore sur les forces centrales desplanetes,pour y comprendre les mouvcments de leur aphelie ; mais la niecanique des cieux n'efait point encore assc/ avan- cee pour rendre raison des inegalites planetaires : la gloire en etait reservee A d'autres geomdstres , parnii Icsquels la Norniandic compte avec ergueil riUusIre Laplace. Apres s'etre elev6 , par la tbeorie inOuitesimalc , h de baulcs speculations , Varignon , pour monlrer en quelque sorte toutes les ressources de cette tbeorie , resolut d'arriver par unevoie nouvelle aux veritc^s qu'il avait deja demontrees. Si Ton concoit une courbe enveloppec d'un fil dans laute son etendue et qu'on deroule ce fil en le prcMUint jjar une extremile de inaniere qu'etanl loujours tcndu en ligne droite , il reslepar son autre extr^mite tan- gent A la courbe , il decrira par son premier bout uno autre courbe , par rapport A laquelle la premiere s'ap- j)elle la developpee. La portion du fil comprise enlrc son point de tangence sur la developpee et le point cor- lespondant oii elle se termine sur la courbe nouvelle J l»orle le iiom de rayon de la developpee. On le design;! ainsi parce qu'en effet , il pent elre considere conimo decrivant i chaque instant un arc de cerde iidlnimtMit pelil. 374 NOTICB On voit par \k que loiite combe peut 6tre regardee conime etant le developpement d'une autre et coninie composee d'arcs circulaircs dont chacun a deux ele- ments de communs avec elle ; les ceccles auxquels ils apparliennent se noniment cercles osculateurs, et Icurs rayons , qui sont les rayons memes de la developpee , se nomnient aussi rayons osculateurs ou rayons de cour- bure , parce qu'ils servent a incsurer le degre de cour- bure en chaque point de la courbe. Or, il existc un rapport d'infiniment petits qui fournit immedialcment les rayons de courbure dans toutes les courbures possi- bles. Varignon , par la methode infinitesimale , trouve pour leur expression plusieurs formules differentes , mais parfaitement equivalentcs, etqui, seulement dans les applications particulieres , peuvent avoir quel- qu'avantage Tune sur Taulre pour la commoditc du calcul. II decouvre ensuite un moyen de passer de la connaissance de ce rayon a celle de la force ccutrale , de sorte que , connaissant le rayon de la developpee d'une courbe quelconque , on en deduit la valeur de la force centrale d'un corps qui, ladecrivant, se trouve au point ou ce rayon se lermine, et, reciproquement, con- naissant la force centrale, on oblient le rayon de cour- bure. II est facile de comprcndre connnent s'etablit cette relation. Puisqu'unj courbe quelconque a toujours deux elements de communs avcc son ccrcle osculaleur , il est permis de supposer que, pendant un temps infiniment petit , le mobile qui la decrit se meut circulairement autour du centre dc courbure ; done il doit avoir la force centrifuge qui couvienl a ce dernier mouvemcnt, laqucUo s'exprime , d'aprcs lluyghcns, par le rapport sua LES 0EUVRE9 DE VAKIONON. 3^5 du cane de la vitesse au rayon de la courburc. Cela passe , dans une trajecloire differentc du cerclc , ce n'esl pas la force centrale qui est egale et opposee i la force centrifuge, c'est seulement sa composante suivant le rayon de courbure j done en divisant la force centri- fuge par le cosinus de Tangle aigu que fait avec Ic rayon de courbure la direction de la force centrale , on obtieudra I'expression de celte derniere. En unissant ainsi les deux theories des developpees et des forces centrales , Varignon les a etendues toutes deux, et les formuies auxquellcs il est parvenu sent les plus gene- rales que Ton puisse concevoir. Le cclebre Leibnitz ayant pris connaissance de ces travaux . I'engagea , en 1708, a poursuivre ses re- cbercLcs principalement par rapport aux couibes de- crites par le concours do plusieurs forces centrales, « etant, dit-il, apparent (pie les planetes agissentl'une siir I'autre , et qu'ainsi elles decnvent peut-etre leurs orbes en teadant non seulement au Suleil, mais encore les unes vers les autrcs , en sorte que Mars , par exemple , i cbaque point de la courbe qu'il decrit , en deux ans autour du Soleil , est tire par le Soleil , par Saturne , par Jupiter , par la Terre , etc. » Varignon aborde avec ardeur cesnouvcUes difficultes; il divise son probleme en deux parlies : dans la pre- miere, il suppose que les foyers de toules les forces cen- trales sont dans le plan de la courbe ; dans la seconde, il les considere sur deux plans differenls , ce qui est le cas do I'astronomie. sun IE BAROMFTUE A SYPHON ; Par ^I. L. DE LAFOYE. On lit dans la desnipfion du baromelre de M. Ciay- Liissac (Ann. de Cli. ol de Ph. , t. i , p. 1 1) : « Si les « deux branches sont d'lin diamelie egal , il sufliia « d'observoi la liauleur de la coloniie superieure et de « doubler les variations apparenlcs pour avoir les va- « riafions reelles Cel avanlage, coniniun A tousles « baronielres A syphon , est tres-precieux pour les « voyages geologiques; car on fait d'autant plus d'ob- u servations qu'elles sont faciles a faire. » La nienie assertion est repetee dans la plupart des Traites de Physique el de Chimie. M. Biol dans son Precis elementaire , conseille meme comnie tres-avan- tageux , d'envelopper enlierement la longue branche et de se borner i observer la plus courte. Le baroiuetre de M. (lay-Lussac , surtout aver la modiflcation que M. Bunten y a apportce , etant fre- quemment employe par les royageurs , j'ai pense qu'il SUB LB BAROMETRE A SVPHOff. 385 lie seiait pas inutile de prouvcr qu'en se bornanl i uric sciile obser^aliou on tievait necessairement commeltre la hauteur du baromotre A I'instanl de I'observation , l la temperature de I'air ambiant , t' celle du Ibermomt^tre bumide, e' la force elaslique maximum de la vapeur i la temperature /' , e celle de la vapeur qui exisle dans air. Dans celte coiuhe que nous considerons , I'air sec et la vapeur qu'elle contient ont unc force elastique = Z' , celle de la vapeur seule elant e' , I'air ne supporte qu'une pression = b — e. Designons par z le poids de cette couche d'air, le rapport- sera compose du rapport des pressions L-l et du rapport inverse des tempera- lures rT''~ ' '" f-lf^ot l*^* coelTicient o,oo37'>. On a done : 1 , , L : « :: T"! i -f- '« ' d'oii ,, ^. M ' ' '— n • 1 '^ tn f* DU PSVCUROMKTKE DV li' . AIJGLST. 3() I La vapeur qui supporle la pression c , conlicnl ccllc qui exislail deji dans Tair , donl la force elastiqiic est e , et celle qui s'est foniiee nouvellement , dont la ten- sion est par consequent e' — e. Si doncnous designons par D le poids de la vapeur atmospherique , lo rapport ~ se composera : i°. du rapport des densites _, $ de- signant Ic poids specifique de la vapeur , celui de I'air etant =11,2". de celui dcs pressions - , 3°. enfin dn rapport inverse des temperatures—^—,. On a done : D : b> : : (? e : n[i-\-mt') d'ofi D=: ^ td Designant par d le poids de la vapeur nouvellement formee , on trouvera de nicme : I e — e ET TIliiOKIE D K {t—t') = ^ _f ^, K [l—t') n- \-\~mL' Tunile utaiil toujaurs ia uienie. Soil cnfin "a la cba'.eur latcalu de la vajjeur , t'L-sl-A- dire le nombre qui expriine de combien dc dogies une masse d'eau, ligale i telle de la vapeur, peut elic elevee par le caloi'ique que cell«>ci a absui'L6 pour sa ("ornia- tioii , on a, n ^ i-{- m l' pour I'expressiou de la cbaleur rendue lalcnte ; et Ci»ninie nous I'avons obsei\6 , k» cbaleur cedec par Pair cl la vapeur D etant 6gale h la cbaleur absorbce par ( i ) Ce qui donne pour la force t^laslique de la vapeur tonlenue dans I'air i Ainsi cetle force clasliquc sera delerminee quand on connaitra : 1°. La lemperalurc t de I'air, exprimee en dcgres centigrades. Dl' PSYCHROMhTBE DU V" . ALGUST. 3g3 ?.". La (oniporatiire l' du (hermomotre humide. J ". La force elaslique maximuni do la \apoiir dVau t a la loin|W'ratnre t'. 4". La liaiileiir du baronio(rf /> , cxprimoe on milli- niotros et ramenee ^ la tompoiatiire de la glaco fon- danto. '■>". La clialcur specifiqiie de Fair , y ; d'apri^s les donneos do Biot , qui sonl les pins certaines, o,26Gt). 6". La oiialeur specifique de la vapour d'eau , k ; d'apres le mome auleur , 2,8 170, 7". Le poids specifique de la vapeur , celui de I'air t'tant = I ; 0,62349. 8", La chaleur latenfe de la vapeur, > , d'apres Gay- Lussac , 55o" c. Si la couche d'eau etait congolee , il laudrait faire X = 55o" + 75" = G25. Cependant en conservanl le nonibre 55o" , les erreurs ne porteraient que sur les dornieres decimales. En renipla(;aiit , dans requation ci-dessiis , les cons- tanles par cos nombres , on a : i-|-o,ooo77832(^ — t') , 0,00077832^/ — t') . 1 4-o,ooi54oo [c — t') 1+0,001 b4oo(< — t') Comme {t — t') no peut gueres surpasser 20", on pout mettre cette equation sous la forme , I -f-oo . S/^oOyt — t') L'erreur nepeut surpasser -i— e', tout au pluso'""', i. II en serait de memo de la forniule plus simple ; e = e' — 0,00077832 [t—t') h. On peut verifier la formulc(i)dosmanicressuivantos: 1". Si on fail r'=:f on a c = c'. C'esl-u-dire que si les 394 DU PSYCOMfcTBE Dl, D^ At'OVST, deux Ihermometres coincident , I'air est sature de vapenrs. 2", Si Tair est parfaitemcnt sec , on a e = o. La formule devient : C'est celle que M. Gay-Lussac a employee dans son memoire sur le froid produit par revaporalion ( Ann. de Cb. et de Ph. , t. 21 , p. 82 ). 3". Si ^:=o et e =0, conditions de Tevaporation dans le vide , on a : S' ^^il + y{t-l']]= O Or, le second facteur ne pouvanl ctrc nul , il faut que Ton ait e'=o. Ce qui indiquc, qu'abslraclion faite du rayonnemenl , le tliermonietre doit baisser jusqu'a re qu'il no forme plus de vapeurs i sa surface , resuUat conforme a la theorie. M. August a encore publie des tables, qui, quand on ne veut pas une extreme exactitude , permettent de trouver de suite la force elastique de la vapeur. Les indications donnees par le Psycbromelre ont etc coniparees avec soin et dans des circonstances tres- variees , avec celles obtcnues avec rhygromelre do Daniill. L' accord constant qui a regne entre ces deux procedes si differents est tres-remarquable ct prouve Texactitude des formulcs employees par ratiteur. Aussi des pbysicicns celebres, tels que le D' . Einian, Bobnen- berger , etc. , ont-ils adopte I'usagc de cet instrument comme ctant preferable aux bygrometres ; telle est aussi Topinion qu'en a emise M. de Humboldt dans ses fragments de Geologic el de Climalologie asiatique. 8UR LES RECIIERCHES DE CIIARBOIV DE TERRE FAITES A FEUGUEROLLES ; Par M. HERAULT , Ing^nieur en chef dcs Mines. Mon inlcnfioii est de vous entretenir dans celte seance, des reeherches dccharbon de terre, faitesan- ciennomenl k Feuguerolles , et qu'on a essaye de re- prendre I'annee deiniere : je dis essaye , parce que , conime vous le verrez plus has , les Iravaiix des nou- veaux explorateurs n'ont pas meme ele pousses aussi loin que ceux de leurs devanciers. En 178(5 , par arret du Conseil en date du 4 avril , Tautorisalion d'exploiler du charbon de terre, pendant 2oans,dans les terrains dependant de la paroisse de May , generalile de Caen, fut concedee i M. Charles Pierre , entrepreneur des elapes dans felte ville. II parait que le concessionnaire associa an privilege qui lui avait ete accorde , plusicurs personnes Iros-reconi- mandables du pays , et entr'autres MM. d'Orcher et de Faudoas ; mais, par une singularile digne de remarque, les socielaires ne firent point cxecuter de travaux 3yl) Sl'R LES RECHERCUES DE CHARBOX DE TERRE dans la paioisse de May , cl toules leurs recher( hos ourcul lieu suf rcllo de FciigucroHes , siluee sur la rive ojiposee de rOrnc. II est probable que la premiere tonipagnie fut conduile h en agir ainsi, par I'exislencc, a Fenguerolles, d'un calcaire noin\trc, renfermaiit beau- roup do graplolitcs et d'orlhoceratiles , dans I'espoir , bien mal fondc , que ce calcaire serait remplace par de la bouille h ure cerfaine profondeur. Cost d'apres f elle opinion erronee que tons ses travaux furent dirigcs. Je dois ajouler , copendant , que le meme terrain qui rcnfermc le calraire dont il s'agit, offre aussi quelques rouches d'unc maliere plus noire , un pen scbisteuse , luisanlc h la surface dcs feuillefs , Icrne dans Icur cas- sure , ne faisant que pen ou point d'cfforvcsccnce avec Tacide azolique , et qui a pu conlribuer a cntrelenir les illusions de la compagnie , el I'engagcr i continuer SOS recbercbcs pendant plusieurs annees. Cette maliere n'est qa'une argile , legerement c alcarifere , et qui rougil au feu sans brulcr. Elle a ele Irouvee dans plu- sieurs autres localiles des departemcnts du Calvados , de rOrne et de la Manche, el dans presque toules, elle a donne lieu a des recherthes, plus ou nioins ele:i- ducs , de combustible mineral , et dont aucune n'a cu de succes. Le calcaire a graptolites de FeugucroUes et I'argile noire qui I'accompagne quelquefois , font partie d'un terrain de transition moderne , qui renfcrme aussi dcs couches de gres quartzeux, de scbiste argilcux, de cal- caire marbre , de mimophyre et de grauwacke. Les coucbes de c e terrain se dirigent du nord-ouest au sud- est , el inclinent , a Fenguerolles , d'a peu pres So" au nord-estw FAITES A FEUGUEROLLES. 3()7 Les premiers socictaires Crent pcrcer doiix puits , A 35o metres de TOrne , et distanls eiitre eux dc 3o ;\ 4^ metres. Celui qui est vers le sud a , dil-on , 65 metres de profoiideur , et il existe au piedune galeried'allon- gemeiit, d'une longueur egale A cette dimension, el qui se dirigc vers Touest. L'autre puits n'a que 3i metres de profondeur , ef on trouve aussi en bas »ne galerie do (35 metres de longueur , mais qui se dirige k Test. A Textremite de celle-ci , on a perce un puits de 24 '". 35 de profondeur, et on trouve aussi en bas une galerie de 65 ". de longueur , mais qui se dirige k Test. A I'exlremite de celle-ci , on a perce un puits de 24*". 35 de profondeur. Les Iravaux, commences probablement en 1786, furent abandonnes en 1790; les uns pre- tendent que ce fut parce que les societaires etaienl las dedepenserdeTargent, sansenrelirer aucun avantage; d'autrcs, k cause des troubles de la premiere revolution. Quelques personnes de Caen ont entendu dire que les depenses faites par la societe Charles Pierre s'etaient elevees k i5o,ooo fr. Cela est possible; mais je pense que les memes travaux qui furent executes alors pour- raient I'etre niainlenant avec la moitie , ou , tout au plus, les deux tiers de cette somme. II n'est reste d'autre souvenir de cette premiere ten- tative , que I'opinion qu'elle avail ete enliorement infructueuse. Cependant, en i836, un vieux man'cbal de Fcuguerolles dedara avoir employe , dans sa forge , du cbarbonde terre qui en etait provenu. Mais il est plus que probable que ce n'etait qu'un contc fait i plaisir, dans Ic but peut-elre d'encourager quelques personnes a faire de nouvellcs rocbercbes qui , dans 26 3i)8 SUB LE9 llECIIEECnES DB CHAHDO>( DB TEnilE tons lc9 cas , devaient repandro do Targoint dans le j)ays , el cc qui ne doil laisser aucun doutc a cct egard, c'est qii'en supposant ni.'me que la premie: e sociole ciil Irouve un peu de combuslible mineral dans scs Iravaux, ce n^aurail pu etre , tout au plus, que dc ranlbiacite qui ne peut pas servir pour forger le fer. Quoi qu'il en soil , dans le couranl de celte memo ainiee i836, un parliculier proposa A divers negocianls ou fabricanls de Rouen el tie ses environs , de former line noqvclle sociele pour reprrndre les travaux de recbercbe , ouverls anciennemcnl k Feuguerollrs. L'exlreme bcsoin de combuslible qu'6prouve presque partoul lindustrie fil accueillir assez favorablement sa proposilion. Consulle a eel egard par quelques per- sonnes , je crus devoir emetlre , relalivemenl aux nou- vellcs recherches projelees , im avis peii favorable , d'apres lequel plusieurs interesses renoncerent k celle enlreprise ; d'autres , au contraire , persislerent dans leur projet, el former en I un fonds social de 1 00,000 fr., pour subvenir aux depenses que devait exigcr son exe- cution, Le 18 novcmbre iB36, le directeur de la nouvcUe sociel6 demanda la concession de la mine de houille qu'il supposait devoir se Irouver i Feuguerolles , dans une circonference dc 20 kilometres dc rayon. Comme il n'existait pas demine connuc de ce combustible dans ladile commune , on nc crut pas devoir donner dc suile k sa demande , dont il n'avail pas , au reste , compris la consequence ; car une concession limilec , comme il le desirait , aurail et6 passible d'une rodcvance fixe annucllc de i3 i 14,000 fr. , k parlir dc la date dc FAITES A FEUGL'EROLLES. 899 Tortlonnancc royale qui la lui aurait accordee. Vers la fill de fevricr suivant , on commenca A faire tiavailler a repuiscinent des puits perces par les premiers exploraleurs. Le plus profond fut vid6 jusqu'a 4^ metres environ de la surface du sol, et I'autre mis a sec , ainsi que la galerie qui est au pied. C'est alons que la compagnie fit venir de Paris (au mois de sep- tembre dernier ) , M. Regnault , aspirant au corps royal des mines , qui jugea que son entreprise ne prc- sentail aucune chance de succes. Apies son depart , ou peut-etre avant son arrivee , on epuisa encore les eaux du petit puils ititerieur j mais, vers la fin du meme mois, tousles fravaux furent suspendus , et la ma- jeure partie des sociclaires se montra des lors dis- posee i les abandonner entierement. Le directeur, au conlraire, insisfait fortement pour qu'on les continuftt. Jignore comment s'esl terminee celte contestation ; inais cequi empccbera sans doutela compagnie actuelle de continuer les travaux qu'ellc avait entrepris k Fcu- guerolics, c'est que les fosses et les galeries qu'ellc avait videes ont etc de nouveau remplies par les eaux pen- dant la niauvaise saison. Au reste , comme on vient dc le voir , celte sociolo s'est boriiee a epuiser les eauxd'une partie des travaux ouverts par les premiers exploraleurs ; elle n'afait absolument aucune nouvelle recherche , et n'a pas meme vu toules ccUes cxecutees anciennemeiit. Quant aux chances que pourraicnt avoir dc nouvellcs explorations mieux dirigees et plus etendues que celles qui ont cesse a Tcpoqiie de la premiere revolution (on vient de voir que les Travaux dcla nouvelle compagnie 4oO SDR LES RECQEBCBES DE CHARBON DE TERRE. sont tout-i-fait insigniflants) , je ne pense pas qu'ollos pussent en presenter de favorables. Le terrain de tran- sition nioderne qu'on trouve A Feuguerolles renferme bien quelquefois de I'anthracite , et c'est meme dans un terrain de cette nature que sont situees les mines de ce combustible dans les departements de la Sarihe et de la Mayenne ; niais rien n'indique qu'il s'en trouve dans le territoire de Feuguerolles : en sorte qu'il n'y a absolument aucun motif de faire dcs recherches li plnt6t qu'ailleurs ; et on pourrait meme dire qu'il y en a nioins , si on consid^re que c'est dans cette commune que vient ge terminer , dans le departement du Cal- vados , le terrain de transition moderne, et qu'il n'y forme qu'unebande tres-etroite, environnee depresque tous les c6tes par le calcaire jurassique. II resulte de cette disposition que , lors meme que ce terrain ren- ferraerait k Feuguerolles , ou k May , une ou plusieurs couches d'anthracite , ce qui n'est nullement probable, il serait encore k craindre qu'elles n'eussent pas I'eten- due sufBsante pour pouvoir etablir dessus une exploi- tation avantageuse. Je crois devoir ajouter encore que c'est dans la partie superieure du terrain de transition moderne que Ton trouve quelquefois de I'anthracite , et que les couches dans lesquelles les recherches de Feuguerolles ont ete faites appartiennent incontesta- blement 4 la partie inferieure du meme terrain. Caen, le -i^f wrier i838. POESIES. LES IIEROS DE ROUEIV, PENDANT LE SifiGE DE U18; Pah M. p. -a. VIEILLARD , L'lin des conscrvateurs dc la bibliolWque dc V Arsenal. Civil entt qui lihrni po^^ct Virbn animi proferre. Jutzxal. La Seine , jusqu'aux mers , en un jour d'cpouvantc , Avail porl6 d'Arlhur la di^pouille sanglanle (1). BienWl, soustrait aux lois d« monarque r<5!on , Apportant I'abondance aux rcmparls dc Rollon, Le fleuvc, dc«x cents ans, propicc a l'indus(rie, Des tribuls du commerce enrichil la Neustrie : Mais Ics premiers Valois connurent les rcvcrs ; L'un fiil rtdiiit k fuir, I'aulre porta dcs fers; Dc Cr(^cy , de Poitiers , Ics d6faites cdlebres Dc nos jours dc splendcur Crent dcs jours funcbres ! Pourtant, Calais vaincu grandit le nom frangais : Sa chOile du vainqueur fit p41ir le succt^s. (i) Ailliur, fils Je GcoFfioy Plantagenct, Juo Ac Brct.i;;n©, ftit i«a*itacr^ ii Roiirn fa' Ntin oncle Jeaii-Saiis-Tcrre , qui iiBiirp.iit siir Iiii Itf iliicli^ ilo T^oimantlif* «'i niois il'aoiit 1702 Co no fill qu'en 1211-i quo Vliilippt* -Aii^tisti- pnrv'.al a cl'nssor Jc Pr^iico cut in.li^no fiU tic* Ifeiirl II. 4o4 LES DEROS DE ROUEX , Et de Jean prisonnier la parole royale (1) Vibre comme un (?cho dans toulc Ame loyale. Charles, son h6ritier , du fond de son palais , PaciQanl la France, humiliant I'Anglais, A I'univers montra, dans un sietie d'alarmcs, Un roi , par les conseils , plus fort que par les armcs. Min6 d'un poison lent, il v(?cut pour soulTrir, II mourut.... et la France aussi sciiibia mourirl D'Anjoii, Bourbon, Berry, lulcurs, parents avidcs, Rcmplirent lout I'elat de leurs tranies perlidcs ; Lc Bourguignon , plus qu'eux ennenii du rcpos , De ses freres ligues surpassa les complols (2). (;harles six , sous le joug d'une infAme rfigence , De la minority sorlit par la d^mencc. Pcre et roi malheureux , plus malheureux (^poux , 11 sembla du destin ^puiser le courroux. Isabcau , que souillaient le mcnrlre el I'aduUere, Sacrifiait son fils, la France, a I'Anglelcrrc; Armagnacs , Bourguignons , de Paris ddchird Faisaient un lieu d'horreur, au carnage livr6 ; Le meurtre et la debauche, au palais des Tourncllcs, Empruntaient de la nuit les ombres criminelles; La Seine, jusqu'aux mers, portait avec cf'roi, Un fardeau, que timbrait hi justice du Roi, D(5ja, d'llarfleur dompte I'enceinlc prisonniere , Subissant d' Albion I'insultanle banniere , Avec fr(^niissement, sur ses deitris epars, Enlendait , dans les vonls , rugir les leopards , Et, des bords oil Rouen se drcssc sur sa rive , La Seine aux mers roulait, tout entiere caplive. (0 SI lafo! et la veriti' itnicnt hnrinie^ de tout !,• milt ,lu moiide , rioiinrnnirn elles devroieiit se retrouver dan^ In bouc/ie des rah. (Mt-zuiay.) ^7.) On salt cjue let luteins de Cliarli!. VI linen', ses oncles palcrnci!, Louis, nvr, s'ils s'nbstiiinient h sc rlcfenJrc. BIciitjt, pnssani Jfs menaces am iflVn, n on ilrtsia par son onlru J, s potiiici 8 autour Je la ville, onxqnelks on alliuliail « Icsprisonniers ilegiieire. .1 Fil/aret ylUst. Je Frame, CliarUs VI. De Lmtnn , Hist. Jc Charles VI. Hht. rt chroriique dc Noimantlic ,B.o\\cn , 1610, page 17'?. 4o6 LES nines de houen , CYtail tout rayonnans de IVclat dcs balalUos , Qu'ils trouvaient , chez tin Roi , d'infAmcs funi^rallles , Qu'ils mouraicnt, sous scs ycui, suspendusauxgibcts.... Voila, corame Henri conqu(?rail des sujels ! Tant dc calamitt'5 et tant de sacrifices , La morl dans les combats , la inort dans les tuppllccs, La sourTranco partout , parlout le divoilmcnt , Ne pouvalenl ^carter un fatal dtSnoilment. Des trUtes alimens qui prolongcaient leur vie, La rcssource , aux guerricrs, allait I't ilea rcnlruo d*octol)re, i^toieut LOiitr.iints de manger clieviinx, cliitiii*, cliiits , II soillii , rrtls , ft aiitres cli05e3 , noil app.irtenrtiit k. tlunlule litini.iitic » Mori' %tftr.t J cliap. 2t itca ciiirs (Qu'ils enlevoieiit des nialtei , «t des sellcs dcs « tliuTauT , perissoit a tniUicrs. » Dc Liissan , Hist, de Cluirles }' I, PENDANT LF, SltCE DE l4l8. 407 Jourdain , au lieu d'honneurs, dc litres magniCqucs, Elait ambldcux do vortns domesliques. Pour lui , I'art dcs combats n'avait point de secret:-. C'6tait lui qui , du si(5ge enchatnint Ics progres, Et guidant d'un (ril silr les foudrcs de la gucrrr , Sous Ics murs de Koucn arr(?tait I'Anglclerre (1). Blanchard h ses c6t(5s, iic d'un sang pl(^l)(5ien , Enfant de son gdnie , avant lout citoyen (2), Brillail du pur eclat dc ccs vertus antiques Qui faisaient la splendeur dcs siecles Wrolqucs. JMinisire dcs aulels, Robert Livet, pres d'eux (3) Comme un ange de pais ambassadeur des cieux , Sur la villc , a p^rir chaque jour expos6e , Dc la favcur d'en haul appclail la rosee : II b6nissait le glaive aux mains des combatlans , Lc pain dc la d6lresse el le lit dcs mourans. Les rcstes des martyrs , leurs chAsses rcspect^es , D'un clerg6 suppliant avec pompe escorttes , Pour afTcrmir les coeurs offertes aux regards , Semblaient imi)lorcr Dieu pour ces tristes remparts. Lh brillail de Romain la fierle proteclrice (i) , D'un pieux repcnlir sainle lib(?ratrice , (i) " Jean JouiiUin, bourgeois, qui avoit servi, ot ({ui t*otendoil lc scMice Ac " TartiUerie, conduiaoit ceUe de 1« villc , et conim-iudoit pluftieurs batteries. » L'c liussan, Hht.de Ch. Vt. Vnyez aussi ZMonstrelel, chap. 20;). (a) " Les habitants de Kouea ne pcrddietit pas courage' : ils ct.iiont eicitos pi iii- « cipalement par Alain Blanchard , le nicme qui avail prectdeninieut souluvc la « villc centre Gaucourt; ce clu-f dti pcuplu etait dcvcnu nn heros, » Villaret, Hhloire de France. Charles VI. (3) (« Mailre Robertde Liaet (Livet), vicaire-geiieral de rdrciievcque de Rouen, •" lequel duranl le siege, s^etoit gouvernii et conduit moul I pi udentement. » Mou- slrelet, chap. 208. Robert Liret faisaitpartie de la deputation qui fut cuvov'-c k Vaiis, aupris dc Cliarles VI el du due de IJourgogne , au noni do la villc assirgee , pour crier sur eul le grand hfiro de ditresse. LMiistoirc n'a point conserve le nom dcs habitants qui alltirent demander a Henri uno capitulation- J'ai cm qu'en transpol taut a cetle circonstance lc rule que Livel avait jouu dans celle que )c viens d'iudiqner , je ne blcsserais ui la vraisemhlance ni les convenances. (4) Tout le monde sait que la fierU elait une cli.'tsse renfermaut les reliqucs de 4o8 LES ntuos DK nOUEIt , Wais qui garantissait a ccs preux abattus , Non Ic prix du remord , mais celui des verlus. Enfin, parul un jour, le dernier jour peuf-^lre ! Oa tout faillit mourir , pour ne jamais renattrc. Siir un jpilne tlTrayanl , que ricn n'inlcrrompil, Ccl homicide jour Tinl luire , el s'6teignil. Lc lendcmaiu Livet a d6vanc6 Taurore; II va trouver Jourdain.. a genoux , il rimplore; Tous deux cherchcnt Blanchard et Guy Le Bouleiller. Le d6sespoir , du peuple est le seul conselller; Des maux qu'il a soulTerls , sa constauce s'6tonne. II faut c6der enfin ; I'humanite I'ordonne. Livet a rev^tu les longs habits de lin, L'^lole oii briile Tor dans lesigne divln. De Rouen autrefois di5fenseur intr6pide, Vers II«nri , saint Romain sous la fierte le guide. Cet auguste appareil , cet imposnnt aspect, Ont au coeur de 1' Anglais imprim6 le respect , Et, de sa mission r(5verant I'origine, Henri, devant Livet, se d^couvrc et s'incline. « Roi! dit au conqu^rant le minislrc de Dieu , « Saint Romain autrefois a , dans ce m^me lieu , 1 Sauv6 celfe cil6 d'une infortune immense. « Nos Rois a sa victoire atlachanl la cl6mence , « Ont voulu que par elle un crime rachel6 « L'attcslAt (ous les ans a la posl^rit6. " Vous que de nos destins la guerre a fait I'arbitre , « A Rouen rondamni* failes grace a cc litre ; o El, qiiand vous hcrilcz du sccsplre des Valois, u Conficz au pardon la garde de vos droits. s^int Komaiii , et snr laquellc ttait ropii'sentci' en relicfU' fait attiiliue a ce Saint, (.'I anqm-l on rapporle I'origiutj tlu privilege en verlu duqnel le cliapitre de In ca- tlu'itraU; de Ivonen delivrait tous l-j8 ans, le jour de I'Aicenfilun, un cl'iiniuel , ([ui avait eacouru la peine capilale. PENDANT LE SIEGE DE J^{^. ^xKf « Pr^lrei (respond Henri qu'irrilc ce langngr) , « Mos droUs sont triomphans, j'cn saurai faire usage; « Jc ne voux , dc Rouen , que sa soumissioii. « —Quel en sera I'arret et la comlilion ? « — Rien qite ma volontf, la volonl6 d'un maltre. « — N'cst-ilpas aux vaincus pcrmts dc la connaKre? « — *Bienl<)l, a leurs regards, biillcra sa clarl^. « — Mais qui sa«verez-vous? — Qui I'aura m^riti'. . rendu Anglols, et fit sermenl au rol d'Angleterre , en delaissanl son souveraiu .. .InHturel seigneur, le roi dc France, dout moult fut Warn* etreproch^ de plu- .. sieurs Franroii. « Monstrel^t, rliap. 208. V. aussi , sur la traliison de Guy Le Bnuleiller, les Mimoircs dc Pierre Fmin , licuyer et ptinnitier de Charles VI, tome 7 de la Collection da Memoirei rclntifs a Vllist. dc France, par M. Petilot; De Lussan, Hist, de Cluxrlei VI ; Ma»seville, Hist, de Roue?!, et Villari-t, HUt. de France, (0 Aux termes du traite pour la reddition de TiOiu-n , sign* le 16 Janvier T-jlt) , par Henri V et les deputes de la \ille, tout les lia\)itants devaient avoir la Me liauvc. Trois exceptions i cette disposition etaieiit prononcces centre Jonrdain , l.ivet et lilaiicliard. Les dens premiers raclietirent Icur vie, a prix d'argenl ; Tll.in.liaid lilt decapite, dans la place du Vicux-JMarclu- , le 30 Janvier, par PENDANT LE SIEGE DE l4l8. 4il lldlas ! Ircize ans apris , dc I'hiSroTqiie Jeanne Rouen vit le tr(^i)as, stir un l)iVher [iiofane (1)1 A la vierge intrdpide , an snlilirne vieillard , La gloire ct le suppliee onl fnil la nu^me part; Mais si de leurs revers Rouen fut Ic lh6A(re , A leur verlu Rouen doit un culte idolatre ! Si pour eus , I'dchafaud fut le prix des hauls fails, L'honneur est i la France , ct I'opprobre i I'Anglais ! Mais des peuples rivanx dont la lulle cruelle Presageait i I'Europc unc guerre tternelle, I/antique inimitid , fl6aii de I'univers , Expire , el laisse en paix et la terre et les mers. Des Hers Plantagenfits , des Valois inlrfpilcs Dorment dans le cercueil les haines homicides, Et, d'lin pass6 sanglant la longuc adversity Ne renaitra jamais dans la post^rit^. I'orJic Ju conqiicrant qui , la Teille avait pris posseision Je la rillo. « Blanrliartl, « (lit Villaret , tnoiirut avec une lonstancc IitToTquc , fjiii aurait ilii fairi- loiipii le <( vainqueiir. » Farin , historien tie la viUc lit; Rouen , caract«;iise ainst son di'- ffnsciir. t< ITomnic gcu(5rcur ct Jigne (l\''tie inimortel dans Tliistoire, utaiit niort <« pour le service du Roi et de sa patrie »» Farzn , cliap. 5g. (i) Ce fut le 3o niai i43i que I'liero'inc dc Doniremy fut brulcc a Houcn , conimc sorciire j par la main des Anglais, IMPRESSIONS ET SOLVEIMRS, Par M. R.-E. TIIURET. Je vous revois cncor , rives (oujotirs c1i(5rips ; Jc vicns iC'ver encore a I'ombre dc vos bois, Au front de vos roteaux , au herd de vos prairies , Avec mes souvenirs du bonbeur d'autrcfois I Saliil , champs paternels, salut, riant bocafje, Donx t(^moins de plaisirs et d'amniirs ingdnus : Arrondisiez sur moi vos arches do fcuillage; Ouvrez-moi vos sentiers , de mes pas si connus ! Voici ce long ruisseau , couronn(^ d'aub(^pine , Qui des (lanes du Quesnay dessine le contour : Voici sa double haie oil I'orme qui s'indine OfTre un 6pais abri centre les feux du jour. Gravissons lentement ce tertrc solitaire Dont I'humble serpolct nuance le gazon : Couchons-nous sous ce cbdnc au d6mc sc'-culairc , D'oii I'a'il aime a plonger sur un vasle horizon. Salut , mon bourg natal , au pied dc la rolline , Avec tes Irois clochers dans les cicux i'laiic6s; Augustes raonumenis que la noble Leslinne Fit 61ever pour Dieu dans les siecles pass6s (1) ! Salut , ruban d'azur que ddroulc la Dive Parmi ces peuplicrs qui Iremblent dans les airs: Descendons visiter la poeliquc rive, Pleine des souvenirs qui me sont le plus chers ! o (i) Les trois clochers '. 421 Loin des cieux enibauincs par les flours du bocagc , Qu'il devait rcspirer, libre dans scs pcnchanls , Pauvre esclave , enchaine dans le fond de sa cage , Ce barde pour[toujours a-t-il perdu ses chants ? sciile soulever. Mais si vous pouviez eutrer avec moi par cede porte 6lioi!e el basse, qui force k se courber, comme pour un salul, tous ceux qui vculcnl arriver auprcs du poeleproi^taire; si vous pouviez escalader eel escalior noir et lorlueux , et voir s'ouvrir devant vous cetlemansarde oil le soleil coucliaiil r^pand a grands flols la mi^-lan- colie (!e sesderniers rayons, alors vous dcvineriez que lout cc qui habile celle modesle demeure doil .5 426 AUX I'OETES. Dc I'astre qui vous luit suivez toulcs Irs pliasps, Hardis navigateurs , qu'on ne pcut arretcr. Le bonheur est dans vos extases , Par rinspiration laissoz-vous omporter. De vos ccnseurs jaloux , sans rcdoutcr le blame . Fenimes au coRur dc feu, laissez s'ouvrir voire ame Aiix reves consolans qui calmcnl les doulcurs ; Laissez fondrc sur vous les Iraits de I'ironie : Toujours le soleil du genie Consuma le venin repandu sur ses lleurs. L'enlhousiasme au sein , marcliez , hommes d'clite , Poetes genereux sorlis de tous les rangs ; D'un plus vaste horizon franchissez la limite. El de rimmensile devencz conqueranls ! Marchez , enlraincs par la gloire ! Plus le peril est grand , plus grande est la victoire; Plus le Iriomphe a mcrilc. Les yeux sur I'avenir, redoublez dc courage! Pour recompense , un jour , les pcuples d'un autre age Voilront votre memoire a rimmorlalile! or VR AGES OFFERTSAL'ACADEMIE. OIVRAGES ()iFi:SITS A I'AaDOIIK. MM. Ajianton. Polices sur M. Chahllon tt siir M. Toroiii- biMl. — Noiice sur feu lo marquis de Tiivait!. — Elogs (le M. le marquis de Courlivron. Bateman. a pralica- (realise on the law of auctions. Beaifoy. Nautical and hydraulic experiments. Bergei!. T)u role de I'l'niversite sous le rJ-gime de la liberie de I'enseignement. — Proclus : exposition de sa doctrine. — DerheloricA : quid sit secundum Pla- tonem. Beutuaxd. 1)u gcut ot de la bcatile considcree dans Ics productions de la nature el des arts. Beuzevili.e. I,es petits enfants , poesies. PorciiAP.LAT. Le cbolera-morbus et autres poemes. BoiLATiGMEH. De la fortune publiquc en France el de son administration ; tomes i et ■->. 0,8 ./|3o OIVRAGES Brongmaut. r'. Momoirc sur les Kaolins ou argilos a porcelaine. BuNEL. Rapport sur los Iravaux do la Societe pliilhar- monique du Calvados pendant I'annee 1829. €aillel'x. Dcs causes de la diminution du commerce des chevaux en Kormandie. Canonge. Le Tassc a Sorente; Terentia ; le Monge des lies d'or , poemes. Castel. La Fee d'Argouges , legondc. Cal'vin. Essai sur I'armorial du dioc'-so du Man;.. — Supplement a I'Essai sur la slatislique. — Observa- tions topograpliiques sur le diocese du Mans. Chastelain. Etrennes a la jeuncsse. ' Ches>on. Essai sur I'histoire naturelle de la Norman- die. — Mineralogie clemcntaire. C1101.ET (F.). Memoirc sur la peste qui a rcgn6 a Cons- tantinople en 1834. CiiupiN {Emma). De 1 etat de la musique en Normandie dcpuis le IX''. siecle. Daniel. Tableaux synoptiques de geograpbie. — £le- nients de geograpbie ancienno et uiodcrne conipa- OFFKKTS A l'aCADEMII:. 43 1 rees. — Abre»ce !c 3 juin i834) 'i I'ouverture du Cours d'application fait a I'Ecole de chimic de Rouen. — Quelqucs autres brochures. GuiLLAUME. Etudes sur La Fontaine. — Observations sur la litterature. Herault. Memoire sur les principales rocbes qui com- posent le terrain interniediaire dans le departement du Calvados. Hericart de Thl'ry. Dessechement des terres. llERviEt'. Essai sur I'eleclricite atmospherique. lIouEL [Ephrem). Des differenles especes de clievaux en France , depuis les temps les plus anciens jusqu'a nos jours. — Tableau synoptique des nioyens de con- nailre I'age des clievaux par I'inspection des dents. — Le Mont Saint-Michel. — Le cheval noir et la marque blanche. IIl'rel. Bataille de Tinchebray (■',7 septembre 1106). — Le Cicerone de St. -Pierre. Jacqi'emart et Bazi.n. Annales frant^aises el etrangeres d'anatomie et de physiologic. ^3:^ OLVRAGES Jamet (I'abbe). Memoires du cardinal Pacca. JuLLiEN, de Paris. Essai d education physique, morale ot inlellectuelle. — Essai sur I'dnploi du temps. — Esquisse dun Essai sur la philosophie des sciences. — Poesies poliliques. LAnouDERiE (I'abbe). Dissertation religieuse sur Ro- binson Crusoe. — Notice bislorique sur Zwingli. Lair (P. A.). Memoires de la Sociele royale d'agricul- ture et de commerce de Caen. — Rapport sur la 5^ exposition des produits des arts du Calvados. Lambert. Memoire sur la bataille de Formigny. — Notice bistorique sur rarrondisscnient de Bayeux. Lange. fiphemerides normandes. Le Bretox [Theodore], lleurcs de repos d'un ouvrier , poesies. Le Brun [Isidore). Tableau statistique et politique des deux Canadas. Lecerf. Philippe et Henri , dialogue politique. — De I'extinction de la mendicite. LiciiALDii d'Amsy. Antiquitcs anglo-normandcs de Du Carel , traduitis en fran(;ais. OFFERTS A l'aCADEMIE. 435 FjE Flagcais. Poesies elegiaqucs. — Missolonghi. — Le relablissement de la statue de Louis XIV a Caca. — Melodies franraises el chants sacres. — Lc cMteau de Falaise. — Noiivelles melodies franc aises. — Les IVeustrienncs. — Etudes du siecle et pages du cocur. — Epitre lilleraire. — A M. Dumont-d'Urville, sur le relour de I'Astrolabe. — Discours d'inauguralioa pour le theatre de Caen. — Marie d'Orleans , chant de deuil. — Poesies d'une jeune Aveugle. Lemercier [Ncpomuccne). La grande semaine. — Le Iriomphe national. — Hommage a la memoire du poinlre David. — Fragment d'un poeme intitule Moise. — Sur la decouverle de I'ingenieux peinlre du Diorama. Le NoiJLE Albert du Bayet. — Les Nudzadelphincs , croquis poetiqucs. Le Salvage. Rccherches sur le developpcment, I'orga- nisalion et les fonctions de la membrane caduque. — Memoire theorique et pratique sur les luxations dites spontanees ou consecutives , et en particulier sur coUes du femur. Ma.ncel [Georges]. Notice des tableaux composant le musee de Caen. —Notice sur les salines de Norman- die , parlicuiiercment sur cclies de Touques et d'lsi- gny. — Notice sur la bibliolhequc de Caen. — Caca sous Jean-sans-Terre. 436 OUTRAGES Mangon de la Lande. Essais historiques siir les aiili- quit^s du departemcnt de la Ilautc-Loire. — Jie- nioire sur Samarobriva. — Dissei'lalion sur Saina- robriva , ancienne ville de la Gaule. Martin. Memoiie sur les oeuvres poetiques de Des- poites, de Bertaut , de Malherbe , de Racan , et de quelques poetes de la nii'ine e{)oque. Marti?? [jeune). Eloge hisloriquo de Pliilibort Paral. Massot. Discours prononce A I'audience solennelle du 1 1 novembre 1837. Mollevaut. L'Eneide traduile en prose. — Tibulle (raduit en vers. — Chants sacres. — Pensecs en vers. Pescbe. Chansons, poi^sies diverses, theitre.— Opus- cules agricoles. — Des avantages qu'offre 1 cUuie sinmltanee de rhistoire et des antitjuiles nationales, ou Introduction au Cours d'archeologie historique ouyert au Mans , le 3o novembre i835. — Diction- nairc topographique, historique el statislique, de la Sarllie ; 4 ^f>'- — Biograpliie et Bibliographie ; i" . partie. PiLLET ( Viclor-Evremont], Saint-Lo , poeme latin (hi (luillaiune Ybert , traduit en prose. — Notrc-Dame de la Delivrande. — Serlon. Pii.LON. L'art d ecrire dc la main gauche. OFFEIITS A l'aCADLMIE. 4^7 PoLiNitRE. Mcmoire sur Ics hopitaux. — fitiidcs di- niques sur les emissioiss sanguines ailificiclles. — Essai sur la puberle. Prodho.'hme. Formulaire anglais pour la pharmacie. QuENTiN [Ch.) Samarobrivo ou Sl.-Quenlin. Rev. rjssorlalion sur Regulus. RocQLANCouRT. Couis elcnienlairc d'art et d'liisloirc mililaire. Saisset [Emilc). QEnesideme. Salm (la Princesse de). Pensees.— Poesies, 3'-. edition. — Outrages divers en prose , suivis de Mes soixanle ans. Saktarem (le vicomle de). Memoire sur les connais- sances scientifiqiies de Jean de Caslro. — De I'intro- duclioa des procedes relalifs a la fabrioalion des elofles de sole dans la Peninsule Lispaniqiie sous la doiuinalion des Arabes. — Introduction au tableau clemenlaire des relations poiilitpies et diploinali([ues du Portugal avecles differentes puissances dumonde. — Vasco de Gania el Florida Blanca, articles cxtrails de I'Eucyclopedie des gens du nionde. SrorTEiTEN. Coniple-rendu des Iravaisx de laSociele des sciences nieJicalesdu departetacnt de la Moselle. 458 OUVRAGES Serrurier. Compte-rendu dcs (ravaux dc la Soclcle de mededsie pratique. Simon. Commentaiie de Proclus sur leTimee dePlaton. Spe>cer-Smith. Le festin d'Alexandrc oti le pouvoir de la nuisique. — Discours prononce a TAcadeinie de Caen, le 25 mai i832. — Wislh. Traile metliodique des regies et maximes de eejeu. — Memoire sur la culture de la musique dans la ville de Caen. — Des- eriplion d'un monument arabe du moyen-age , con- serve a Bayeirx. — Coup-d'oeil sur I'Angleterredepuis j>484jusqu'en i5o9,discourslua TAcademiede Caen. Suel'r-]Merli.\. De I'etat actuel de la geograpliie ma- Ihematique en Espagne el en Portugal. Taill£fer. Guide de la vie humaine. T.u..i,m.VT (le baron de). Epitrc au comte de Paris. Thiebact de Ber\eaud. Compte-rendu des travaux de la Sociele liuneenne de Paris, annees 1822, 1825 et 1826. Tuoi>ii>e-Des.>!az'jres. Cooinienlaire sur le code dc procedure ci\ile. TuL'RET {Robcrt-Eticnnc). Chants rcligicux et nielan- colijucs. Travers [Julien). Annuaire du depar lenient de !a OFFERTS A l'aCADEMIE. 439 Mancbe , 1829 - 1840 ( collodion complete ). — Au peuple, siir le cbolera-morbus. — Les Vaux-de-Vire editcs et inedits d'OIivier Basselin et de Jean Lc Houx. — De rinstruclion primaiio. — Les Disliqucs de Muret , imites en quatrains francais. — De I'avenir de la litleiature fianraise. — Dionysii Catonis Dis- ticha de moribus ad filium in gallicos versus trans- lata , quibus accedit , ad explanandas quajstiones dc auctore el ejus doctrinA morali Disscrtalio. — Excur- sion dans le Fiord du Passais normand. — Notice bio- grapbique sur Frederic Galeron. TuRPiN. Icones selecta) plantarum. — Iconograpbie vegetale. — Organograpbie vegetale. Vastel [Edouard). Guide dcs voyageurs et des ma- lados aux Eaux-Bonnes. . Verussior. Ilistoire de la ville de Cberbourg. ViEiLLARD (P.-A. ). Les beros de Rouen pendanl le siege de i4i8. Vimort-^Iaux. Notice sur un secboir volant a})pliquc au metier a tisser. Walras. Dc la nature dcs ricbcsscs el de I'originc dc la valeur. WiLHEM. Programme general des Etudes musicales. WoiNEz. Uier et Demain. REGIEMENT DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE LA ^ILLE DE CAEN. Art. !•■'. L'AcADKMiE dos sciences , arls et belles-leltrcs de Caon, se compose dc niemhroslionoraires, do iiiemhros lilulaires , et d'associes residan(s ou corrcspondanls. Art. IL Le nomhredes monibres honoraires n'esl pas limiCe. lis out rang immcdialcnicnt apies le bureau el jouis- scnt des menacs droits que les membres (itidaires. Art. in. Lc nombre des membres tilulaircs est de (renlo-six. 4|2 REGLEMENT. Art. IV. Celui des associes residants on correspondanls est illimitc. lis prennent place parmi les membrcs lilu- laires dans les seances piibliques el parliculiercs , mais sans avoir voix deliberative. Art. V. Tonte nomination pour les titres d'honorairo , de ti- lulairc ou d'associe residant on correspondant est i)re- cedee d'linc presentation , sauf le cas ou un membre lilulaire deniandera a devenir honoraire. Toute presentation est faite par ccrit , signee par un membre bonoraire ou litulaire , et remise cacbetee an president ou au secretaire , avec un ouvrage imprime ou manuscrit, compose et adresse a I'Academie par le candidat. Cette proposition et les pieces a I'appui sont ren- voyees sous le meme cachet a I'examcn de la Commis- sion d'impression. Le jour oil le rapport doit avoir lieu est annonce dans leslcltres de convocation. La Commission , lorsqu'elle le juge convenable , est dispensee de son rapport , sans etre obligee de foire connailre les motifs de son silence ; mais elledoit aver- tir et entendre le membre qui a propose le candidat , I'Academie se reservant le droit de prononcer sur les reclamations. Art. VL L'Academie , aprcs avoir cntendu le rappor( de la REGLEMENT. 445 Commission, decide s'il y a lieu a procedoial elt^clion. Dans le cas dc rafTirmalive , cllo pent y proceder sur- lo-champ ou la renvoycr a la seance suivante pour lout delai. Art. VII. Pour elrc nomme , au premier tour de scniliFi , membre de I'Academie , ii fout avoir reuiii la moilic des voix des membrcs ayant droit de voter. Lorsque ce nombre de suffrages n'esl pas obfenu , il sera , dans la seance suivante , procede a un nouvean tour dc scrutin , dans lecpicl il faudra , pour etre elu , obtenir les deux tiers des voix des membres presents. Si plusieurs membres sont en concurrence , ct si releclion n'est pas faite par ce scrulin, il sera procede inmiediatement au ballolage entrc les deux candidals qui auront eu le plus grand nombre de voix , ct celui quiobtiendra lamajorile relative sera proclame membre de I'Academie. En cas dc partage egal de voix, le plus age est elu (i). f (!) Dans sa sdance du 2i mars 1810 , rAcatlCmlc a diddd , snr !a proposition conformede la Commission de p!(^scnlalion , que, lorsqu'il s'agirail do pourvoir aux places de membres titulaires vacanlcs,la Compagnie proc6derail imiqnemenl par voied'tMoclion. Elle a d6cid(? , en oulre , que I'arlicle VII serait intcrpr{?t6 ain.>.. t 44' ERRATA. Page 306 , ligne 15. Aulieu de , alio , Itsez : alii. Page 308 , ligne 9. Au lieu de, quoerit , lisez : quaeril. Page 310 , ligne 1. Au lieu de , proesepibus , lisez : pra;sepibus. Id. ligne 3 Au lieu de , coerula , lisez : cjcrula. Page 313 , ligne 27. Au lieu de , caslilum, /isez: Cojlilum. Page 3U, ligne 13. Aulieude, fipithaphes, lisez: 6pilaphes. Note omise page ^0^, vers 1h'. C3) Vers la fin d'avril 1 417, Charles Y I ayant surpris Boisbourdon, matlie d'holel d'Isabeau de Baviere , romme II sorlait d'un rendez- vous galanl avee celtc reine, le fil jeter a la Seine, 116 dans un sac qui portait un inin{t&ndi\czMGimoisr Luissez passer la justice du Rui. 15 JUN ISSS ■- ,\'^. I »e«>»«>o«ro«v 'wi.-aio*e »9^9^»^«m^tA^^9^*^»^ i- t « « t t t i BULLETIiV »E L'lXSTRllCTIO^^ PIBLIQIE ET DES SOCIETES SAVANTES DE L'ACADEMIE DE CAEN. ( Extrait du Prospectus ]. a On Irouvcia dans ce Recucil : « Uneanalyscct des fragments des priniipaux cours publics des Facult^s de droit, des sciences, des lellnis et de I'Ecole secondairc de m^decine ; « Des morccaut scienliDqucs el lilldraircs analogues a I'enseignc- raent supericur ; a Un comple-rendu des concours, des priniipaux examcns, el de loules !es solennites universitaires elacadcmiques; « Lesactesofllcicis relatifsal'Instruclionpubilque anal5S(^sou re- produils textuellemcnl, soil que cesacles 6manent du Miiiislre, soil qu'ils (inianent du Rectcur ; « Lemouvemcntdu personnel dans tous lps<5tablisseinenls publics d'instruclion primaire, secondaire etsuperieine de nos trois d«5pni- lements ; dans Ics ConiKes d'arrondissemenl, dans les Commissio:!;; d'examen pour les brevets de capacil6 et de surveillance prcs des Ecoles normales ; « L'expose des Iravauxdes Soci^lcs savantes qui existent dans les prlncipalcs villes du Calvados , de la Blanche et do I'Orne ; . « Des nouvelles scientifiquesctlillL'raires, el la Bibliographic de ccs trois d^partements; « Des articles siir Ics pi-incipauiouvTagessortis de leurs presses, ou publics par des auleurs normands qui en auront remis deux exem- [Jaircs au bureau du Bulletin ; n Des Melanaesou, selon Vespace laisss^ par les autrcs nialieres, seront admis des fragments d'ceuvres iu6diles , des revues retros- pectives , des biographies nonnandes , etc. » 1.0 Bulletin , dont 10 1". nuin(5ro a paru le l*^ oclobre 18i0, est public par livraisons d'environ 80 pages vers lei"", de chaquemois. el forme par ann6e deux volumes in-S". d'au moins soixante fcuill(s. On s'abonnc , a Caen , chez Hardel , imprimeur-libraire, rue Froide; h Paris, chez DruiciiK, rue du Bouloy, 7; chez Hachktte, rue Pierre Sarrazin , 12 , et chez les princip'aux libraircs daus les villes du ressort acad6mique. Prix de rabonnement : i Caen, 12 francs; hors de Caen, 15 fl-ancs. Tout ce qui concerne la redaction doil etre envoyti franc de port a M. JiiuFN iKAVEns, agr^gd de liltcrature prcs la Facultddes lei Ires de Caen. 1 I * i i I i _ Be^09«od9i^« «• 1 1 r->>>, >^-^,;^ -v^ ^>» ^ ■ ■ > ^:js>. ■■ > -^> 30 !»• %> i > >»o::> : ->> m- ^ >;^ > > > = 3fc :>> n^ :>>>> "» ^^ > :v> ^» > > :>^ JX»-'l>.(> >. ' 4, '-> » >-9> ■;>->.■ ^5i- > ^ 1 » > ■