AARAAAY: 4e RAAAAC A LOS AAGNNT LA MS EE à À / la: CARS 1% : A Le ARTAAA AN 7 KL + AA AAA ’ PAT TE o - RCA CA ANR A LONNNÈA NP A ANNE RAA RAA GER à AT A 48 à SAACACB AAD PNR LAIT EN OR RI RSA MAN CoRnsAna AA antee AA RAR à EE ENS tb DANS A APRES EVE à ie CAT RSA ER ARS AR AR AR AAA A LACET na nn NAADANA RAR AAAAAA AAA A R2AM AA | FA ARAN ANT ir Mann non ASER ARE AAAAAAnA RAA RAR AAA BABA : 2€ 1 AanAA à LT ET Er AUCUN EE À : R . sh Es | LE r È Ç # D LL VAN RL : f ji s AC 73 jte re | + TR OR He 1 | < CE dd, 2 LE" EE MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, ARTS & BELLES-LETTRES DE-CAEN. A INT |. CHEZ A. HARDEL , IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE, RUE FROIDE, 2, 1856. MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE CAEN. AMOMSIN sun LFP E MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, ARTS & BELLES-LETTRES DE CAEN. GA NCTE > CHEZ À. HARDEL , IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE, RUE FROIDE, 2. 1856. NOTE PRÉLIMINAIRE. La préface du dernier volume de l’Académie est du 3 avril 1855. A cette date, l'autorisation demandée pour entrer en possession des 12,000 francs, légués par M. Lair à cette Compagnie et à la Société d’agri- culture et de commerce de Caen, n’était pas encore obtenue ; mais elle ne se fit pas attendre. Un décret du 22 l’accorda. M. le Préfet en informa l’Académie le 3 mai; la somme léguée fut touchée le 19 juin, et dé- posée, le 20, chez M. le Receveur-général du Calvados, chargé d’acheter de la rente 3 °/,, au nom des deux Compagnies légaltaires. Cette somme , déduction faite des frais de mutation, a permis d'acquérir une rente de 499 francs, dont la jouissance annuelle est donnée alternativement à l’Académie et à la Société d’agricul- ture et de commerce , aux conditions imposées par le testateur. D’après le vœu exprimé par M. Lair, l'Académie a dû la première entrer en jouissance de la rente lé- VI NOTE PRÉLIMINAIRE. guée, et elle a pensé qu’en général il sera convenable de réunir deux annuités pour un prix. À ce moyen, elle pourra donner à traiter des sujets plus importants et qui ienteront sans doute des concurrents plus nom- breux. Nous réimprimons, à Ja suite de cette Note, le programme adopté dans la séance du 27 juillet 4855. Le Secrétaire de l’Académie , Julien TRAVERS. 15 juillet 4856. PRIX LAIR. L'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen met au concours, pour l’année 1858, le sujet de prix suivant : HISTOIRE DU PARLEMENT DE NORMANDIE DEPUIS SA TRANS- LATION A CAEN, AU MOIS DE JUIN 4589, JUSQU’A SON RETOUR À ROUEN , EN AVRIL 4594. Les concurrents auront à rechercher, soit dans les greffes des Cours impériales de Caen et de Rouen, soit dans les archives des cinq départements de l’ancienne Normandie, soit dans d’autres dépôts publics ou parti- culiers , les documents propres à faire connaître les événements dont la Basse-Normandie fut le théâtre pendant ces cinq années , et la part importante qu'y prit le Parlement siégeant à Caen. Le prix consiste en une médaille de la valeur de 800 fr., qui sera décernée dans une séance publique. Les concurrents devront adresser leurs Mémoires franco à M. Julien Travers, secrétaire de l’Académie , avant le 1‘, mai 1858, MÉMOIRES. HR # oi ete UNE du E de DEEE re Rss n dl ss ls ANRT | ni : L Te — *C : ee + | " x l ] F2 | : 2 4 nl LUN . | PSS % Lt : | PR TVA A # | | a % 22 1 Y CN , IE É SAR À Ù 11 18). à sa CU ché ei Pi st h ANCS LA | LOC ad ta) Ê +. r qu = Li (ne | Lu o ‘ .… Er LL . 1 Rite J à 4 a! v ur Fer NON L } : Ÿ AG CA EN | NE é . NT ÿ SEARPN TE ( L. jé ) " Ve AL on rh : Ï + à} Ï L * U à af 4 r M f L =! ELITE Ü LE 4 4 tn: Me , ta à Cv “ À 1 ; + (er + 4 . : 3 " 3 2 d F TUE or Le 28 #4 » il MO L | L N LA # : 1 : kvy è ci SN h R : L DE LA TRANSMISSION DU MOUVEMENT CIRCULAIRE DANS UN PLAN, AU MOYEN D'UNE BIELLE : Par M. Ch. GIRAULT, Membre litulaire, Professeur à la Faculté des Sciences. (1) Soient deux droites ca et c'A’, fig. (1), situées dans un même plan et représentant deux rayons, leviers ou wanivelles, mobiles dans ce plan autour des points c et c/. Soit la droite AA! figurant une bielle ou barre rigide et inextensible, articulée avec les deux rayons aux points A et A’. Si l’un de ces points tourne autour du centre qui lui correspond, l’autre se déplace et tourne autour de l’autre centre, la bielle servant ainsi 1 2 TRANSMISSION DU MOUVEMENT CIRCULAIRE à transmettre le mouvement circulaire du premier centre au second. Or , il peut se présenter trois cas distincts : 1°, Les extrémités A et A’ de la bielle tournent d’une manière continue autour des centres € et c'!; 2°, le mouvement continu n’est possible que pour l’une des extrémités , l’autre n'étant susceptible que d’un mouvement alter- natif ; 3°, les deux points À et A’ ne peuvent qu'osciller autour de leurs centres respectifs, Nous nous proposons de rechercher les conditions géométriques qui répondent à ces différents cas. Nous nous proposons également d'obtenir, pour une direction quelconque de la bielle, l'expression ana- lytique du rapport des vitesses angulaires des deux rayons. Nous étudierons ensuite plus particulièrement, à l’aide de la géométrie et de l'analyse, les propriétés qui caractérisent les valeurs maxima ou minima de ce rapport. Nous terminerons, enfin, en donnant une méthode de calcul applicable au cas où les deux ro- tations sont continues, et en discutant les résultats qu’elle fournit. Rappelons d’abord certaines propriétés connues de la bielle, et dans l'énoncé desquelles nous supposerons les rayons, la bielle et la ligne des centres prolongés au besoin. 4°, Le centre instantané de rotation de la bielle est au point de concours des rayons; et il se projette sur la bielle au point où celle-ci rencontre sa position infiniment voisine. 2, Le rapport des vitesses angulaires des deux rayons est inverse du rapport des distances des deux centres DANS UN PLAN, AU MOYEN D’UNE BIELLE, 3 de rotation à la bielle, ou inverse du rapport des distances des deux centres de rotation au point de concours de la bielle avec la ligne des centres. 3°. Les rotations sont de même sens quand la bielle laisse les deux centres d’un même côté; elles sont de sens contraires quand la bielle passe entre les deux centres. DES CIRCONSTANCES PRINCIPALES QUE PRÉSENTE LE MOUVEMENT D'UNE BIELLE. On posera , pour abréger , CA—a, C'A'=a!, CC!—d, AA— ; et l’on supposera que a’ est le plus petit des deux rayons, s'ils ne sont pas égaux entr’eux. 1. Des conditions nécessaires pour que les deux extrémités de la bielle se meuvent d’une manière continue. Écartant le cas, bien connu, où a est égal à a’, et | égal à d, nous supposerons d’abord, fig. (2), le Fig 2 centre c! extérieur à la circonférence de centre @ et ll TRANSMISSION DU MOUVEMENT CIRCULAIRE de rayon a, et nous remarquerons que le mouvement continu de A est impossible. En effet, D et E étant les points de circ. a situés sur cc/, et F et G les points de circ.a! situés sur la même droite, il faut, pour que le point A passe en D, que la longueur de la bielle soit égale ou inférieure à DF; et, pour que le point À passe en E, que la longueur de la bielle soit égale ou supé- rieure à EG. Or, ces deux conditions sont incompa- tibles, puisqu'elles reviennent à KÆd+a'—a, [Sd+a—a, et que l’on suppose a! moindre que a. Considérons donc le cas, fig. (3), où c' est intérieur à circ.a. Il faut, pour que À passe en D, que l’on ait La-+d- a!, Ces inégalités, dans lesquelles nous DEL E Fig. 5 \ 7 renfermons implicitement les égalités qui leur cor- respondent, ne sont compatibles que dans le cas de d Nous aurons occasion de revenir sur ce sujet, et de fournir un nouvel ordre de faits tout aussi concluants, lorsque nous nous occuperons de l’analyse des phéno- mènes qui apparaissent dans le développement et la marche de plusieurs maladies. Demandons aux faits pathologiques les enseigne- ments convenables , pour arriver à bien déterminer la haute part que preud le système ganglionnaire à l’en- tretien de la vie, et commençons d’abord par les fièvres. La fièvre étant la maladie qui affecte le plus sou- vent l’espèce humaine , et presque toujours avec le plus de gravité, dut, à toutes les époques, être un objet d’études sérieuses. Aussi, son histoire remonte à l’origine même de la médecine. Depuis Hippo- crate, les médecins de tous les siècles se sont beau- coup étendus sur cette matière. Il serait trop long d’esquisser seulement les points les plus saillants de (1) Ouvrage cité, & IT, p. 174. DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 131 toutes les hypothèses qui ont été émises à son sujet. Mais si la médecine moderne a fait justice de toutes ces théories; si elle a rejeté les influences attribuées à la bile, à l’atrabile, à la pituite , etc., elle n’a pas été plus heureuse dans l'appréciation de sa nature et des phénomènes qui la constituent ; et les définitions qu’en ont données un grand nombre de pathologistes, n'ont eu pour résultat que de témoigner de toute la difficulté du sujet. Ainsi , malgré tant de travaux successivement accu- mulés, il reste encore à déterminer les caractères es- sentiels des fièvres. On a reconnu que les histoires de ces affections, recueillies à toutes les époques et davs tous les climats, offraient toujours des symptômes identiques. Ces remarques, reproduites par Stoll, n’ont pu conduire à déterminer quels systèmes d’or- ganes en devaient être constamment le siége, et de quel point devait partir l'impulsion communiquée à toute l’économie. Les auteurs qui ont abordé ce sujet en ont placé la cause tantôt dans les fluides, tantôt dans les solides, mais sans aucune apprécia- tion des actions dynamiques qui en constituent l’es- sence. Ainsi, pour Frédéric Hoffmann , la fièvre n’est qu’une affection spasmodique des systèmes nerveux et vasculaire, jointe à une lésion des fonctions. Stahl voit dans la fièvre une action directe de l’âme prévoyante, qui se propose d’atténuer un sang devenu trop épais. Boerhaave y reconnaît une impulsion plus accélérée des liquides, une agitation plus intime de ceux qui 132 BIOGRAPHIE sont stagnan(s;... un effort pour vaincre une résistance donnée... Stoll la considère comme une maladie de tout l’or- ganisme, morbus totius substantiæ. Comme on le voit, ces définitions assez disparates, et tant d’autres que j'aurais pu reproduire , font assez connaître qu'aucune n’est appuyée sur Pappréciation des modifications fonctionnelles qui sont produites dans les fièvres. De nos jours, les médecins ont moins fait d'efforts pour remonter à l’origine des fièvres. Ils se sont attachés à les circonscrire dans des groupes bien distincts, et surtout à leur enlever le caractère de localisation, exclusivement réservé aux phlegmasies. C’est dans cet esprit que, déjà, des essais plus ou moins heureux de classification des fièvres avaient été produits par de Sauvage, Villis, Cullen, Franck, etc., lorsque parut en France la doctrine des fièvres , exposée dans la Nosographie philosophique, avec une supériorité de talent qui séduisit l’universalité des médecins. L’ou- vrage de Piel fut regardé pendant de longues années, ainsi qu’on l’a dit, comme l’évangile de l’Europe médicale, Cependant, pour quelques bons esprits, la détermination des fièvres cessa bientôt de paraitre nettement tranchée, et la difficulté de son application au lit des malades témoignait trop de son insuffisance ; aussi , successivement ébranlée par les travaux de Prost, de Petit et Serres, de Laennec, etc. , elle fut attaquée par le médecin du Val-de-Grâce avec cette énergie, sans laquelle toute idée nouvelle serait souvent inhabile à se faire jour. Broussais dat agir DU DOCTEUR LE SAUVAGE, 133 sur les imaginations ardentes que n'avait pu sufi- samment convaincre le système pyrétologique dont l'éclat commençait à pâlir, Il déchira le voile qui, depuis si long-temps, en avait masqué toute la nudité, et il mit la science en demeure de parcourir une ère nouvelle. S'il n’a pu bâtir un édifice durable, il a eu l'immense avantage de déblayer le terrain, et d’en faire disparaître ce clinquant médical qu’on s'était accou- tumé à prendre au sérieux; mais on peut lui appli- quer ce que Bichat a dit de Stahl : {l vit ce qui n’était pas le vrai, le vrai lui-même lui échappa. En niant l’essentialité des fièvres , Broussais n’a- borda nullement la question de leur nature, ni celle du mécanisme de leur production. Toutes, il les regarda comme l'expression d’une irritation viscérale, dont il placa le siége dans la membrane folliculeuse de l’appa- reil digestif. Si l’auteur des Phlegmasies chroniques avait limité l'application de sa théorie aux fièvres continues, sans aucun doute, il aurait trouvé dans les nécropsies des moyens spécieux de la justifier, et, d’autant plus, qu'après beaucoup d’hésitations , ses adversaires finirent par concéder qu’à la suite des fièvres graves , on trouvait constamment des lésions dans l'appareil di- gestif. Mais, comment n’a-t-il pas reconnu que lesfièvres intermittentes ne pouvaient se prêter à ses expli- cations? Comment concevoir des phénomènes de con- gestion inflammatoire se dissipant instantanément, éprouvant une résolution sous l'influence d’une réac- tion dont on était loin de déterminer la cause, pour se reproduire périodiquement et disparaître de nou- 134 BIOGRAPHIE veau aussi spontanément ? Une telle théorie était loin de justifier le titre de physiologique que lui avait im- posé son auteur; mais, quoique vivement attaquée , on doit reconnaître que les armes de ses antagonistes furent souvent assez mal trempées. Ce fut pour en finir avec tant de discussions, aux- quelles les passions imprimaient souvent une grande irritation, qu’on admit, comme terme de transition , une fusion de toutes les fièvres essentielles de Pinel en une fièvre unique, la fièvre typhoïde, dont le nom indique assez que sa détermination est loin d’être défi- nitive; mais ce mot de fièvre dut satisfaire les par- tisans de l’essentialité, et, depuis la mort de l’illustre novateur , la désignation a été légitimée par un assen- timent presque universel. Comme on le voit par ce rapide exposé, jusqu’ici la fièvre n’a pu être embrassée par une définition ca- pable de bien faire comprendre l’action vitale qui la détermine, Cependant, comme elle apparaît dans la plupart des désordres morbides ; qu’elle présente toujours les mêmes phénomènes, variés seulement d’après le degré d’énergie de la cause déterminante et de la susceptibilité naturelle ou acquise de ceux qui l’éprouvent, elle doit être considérée comme une conséquence de l’organisation. Elle se produit quand l'organisme, dans l’exécution des fonctions, est em- porté au-delà de certaines limites qui re peuvent être impunément franchies. La fièvre est donc une exagération des actions physiologiques de l’orga- nisme. Essayons enfin d'apprécier les phénomènes désignés DU DOCTEUR LE SAUVAGE, 135 sous le nom de fièvres, et commençons par les fièvres intermittentes. La fièvre intermittente, dans son état de simplicité, se présentait à l'observateur dégagée des complications qu’offrent dans leurs symptômes si variés les fièvres continues. Et si, entre les intermittentes simples et les intermittentes pernicieuses, anomales ou larvées , on rencontre une foule de nuances, de phénomènes assez distincts pour établir entr’elles plusieurs genres bien caractérisés, elles se touchent cependant par des liens communs, dont Pappréciation aurait pu conduire à la détermination de leur nature. On ne s’est point assez attaché à l’analyse de chacun des stades qui consti - tuent la maladie. C’est la fièvre, considérée dans son ensemble, que l’on aeue en vue. Delà, ces explications si diverses sur son essence , sur sa périodicité, sur son siége surtout, que l’on a successivement placé dans le cœur, dans le système artériel, dans les viscères abdominaux, dans la moelle épinière, dans la rate, etc. , etc. Toute fièvre intermittente offre le plus ordinaire- ment trois stades ou périodes distinctes : 1°. une pé- riode de concentration; 2°. une période d’expansion, de réaction, d’excitation fébrile; 3°. enfin, une pé- riode æstueuse ou de sueur. La première période s’exprime par un refroidisse- ment général, s'étendant des extrémités vers le tronc, et arrive souvent jusqu’au frisson et au tremblement. Il s'accompagne de soif, quelquefois de vomissemen et d’un ensemble de symptômes qui annoncent évidem- ment que c’est vers l’épigastre que les forces se sont 136 BIOGRAPHIE concentrées. Après une durée plus ou moins longue de ce trouble intérieur, un ordre de phénomènes s’éta- blit,qui paraîtagir ensens inverse du premier. Les forces, concentrées d’abord, sont réfléchies à la circonférence. Le pouls, de concentré qu'il était , s’élargit, s'élève et bientôt dépasse le type normal. La chaleur se répand par tout le corps, gagne la peau qui de froide devient chaude , haliteuse et bientôt se couvre de sueur; ce qui constitue la troisième période. C’est à ce moment que la fréquence du pouls et la chaleur commencent à s'abaisser; elles reprennent insensiblement leur type habituel , et tout cet ensemble de phénomènes s’est graduellement effacé. Telle est la marche de cette exa- gération fonctionnelle, qui se produit le plus ordinaire- ment dans un accès de fièvre intermittente. Établissons d’abord que ces mouvements spontané- ment développés, périodiques, de concentration etd’ex- pansion, qui impriment aux fièvres d’accès leur prin- cipal caractère , sont également produits, avec des nuances diverses, dans l'exécution de plusieurs phéno- mènes vitaux. La digestion et la génération commencent par des actes qui sont soumis à l’intermittence, et on ne peut dire, avec Bichat, que cette intermittence soit exclu- sivement réservée aux fonctions de la vie de relation. La faim, comme la menstruation , sont l’une et l'autre le premier acte des fonctions si complexes, qui doivent assurer la vie de l'individu et celle de l'espèce. Elles apparaissent nécessairement par le fait d’une excitation spontanément développée dans les principaux organes fonctionnels, et, sans doute, en DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 137 vertu d’une loi établie comme condition de l'existence, et sans qu’il nous soit donné de pouvoir remonter à sa cause, Il survient à la suite un temps de repos pour chacune d’elles, et ensuite elles sont de nouveau reproduites avec les mêmes conditions. Pour la menstruation, les périodes de renouvelle- ment ont lieu à de longs intervalles, et le plus souvent avec une constante régularité (1). C’est l'excitation qui détermine dans les organes le sentiment périodique de la faim, et préside au renou- vellement des actes digestifs, toujours accompagnés d’une concentration plus ou moius exprimée, et qui, après un temps variable, est remplacée par un mou- vement expansif à la circonférence. Chez l’homme jeune et bien constitué, dont les organes digestifs sont en intégrité parfaite, qui entretient sa santé par le régime et un exercice convenable, ces phénomènes sont à peine perçus; cependant la circulation est accélérée ; les sécrétions et les exhalations des viscères abdominaux sont augmentées; la perspiration dimi- nue, etc. Mais la scène change chez celui qui est (1) Naguère encore, on définissait cet acte préliminaire de la génération par l'énoncé d’une circonstance bien secondaire ; mais si les recherches des physiologistes modernes ont jeté une vive lumière sur les modifications importantes qui s’accomplissent à ce premier moment de la fonction, leur explication est fautive, parce qu’elle laisse toul-à-fait en dehors l’excitation nerveuse, qui décide l'apparition du phénomène qu’alors on a regardé comme primaire , tandis qu’il n’est qu’une conséquence, et que, seul, il ne pourrait donner raison de la constante périodicité avec laquelle il se repro- duit le plus ordinairement, 138 BIOGRAPHIE atteint d’une irritation des voies digestives, ou qui est doué d’une grande susceptibilité épigastrique ; la con- centration est plus rapide, plus tumultueuse; elle re- tentit plus ou moins péniblement à l’intérieur, et pro- duit le frisson, la fièvre, la soif, l’abattement , la somnolence, des douleurs sus-orbitaires, des bouf- fées de chaleur à la figure, qui, quelquefois, devient rouge et animée, etc... La réaction s'opère lentement, d’une manière inégale , et elle laisse dans les organes souffrants tous les éléments de l’excitation morbide qui se réveille à chaque nouvelle ingestion des ali- ments. C’est plus particulièrement en vue de ces cas, que plusieurs médecins ont comparé la digestion à un accès de fièvre intermittente (1). Mais cette fonction n’est pas seule en possession de faire naître ces phé- nomènes. La concentration se produit également sous une foule d’impressions, d'émotions plus ou moins vives : la surprise, la peur, la crainte, la tristesse surtout , qui amène cette permanence de congestion d’où proviennent tant d’affections organiques des vis- cères abdominaux. Enfin les passions douces, la joie, etc., produisent un effet contraire , et déterminent ce mouvement d'expansion qui est la source des agré- ments de la vie. Ainsi, l’épigastre est un centre où viennent se ré- fléchir une foule d’impressions physiques ou morales. Elles y produisent un retentissement plus ou moins énergique. La concentration suit de près celles qui sont pénibles. C’est sous l'influence des impressions (1) Adelon, Physiologie , t, IIT, p. 494. DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 439 agréables qu’est produite l’expansion. Il en résulte toujours deux actions en sens contraire : le mouve- ment centripèle et le mouvement centrifuge, ainsi qu’on les a nommés. Nous avons vu également que c’est à l’épigastre , et par ces deux mouve- ments en sens contraire, que s'expriment les fièvres intermittentes , et que toujours c’est la concentra- tion qui détermine la première série des phénomènes qui les caractérisent. Quelle puissance peut donc les faire naître ? Il ne faut pas perdre de vue cet axiôme si plein de justesse du père de la médecine : Ubi sti- mulus , ibi affluxus. On doit donc admettre que cette concentration est la conséquence d’une excitation spontanément développée au point vers lequel conver- gent les forces et les fluides, c'est-à-dire vers le centre épigastrique. Mais cette excitation, qu’il y a nécessité d'admettre pour l'explication du phénomène, dans quel organe se développe-t-elle? On ne peut plus dire, avec Broussais , qu’elle est éveillée dans la membrane muqueuse des voies digestives ; et alors, quels organes sont plus capables d’en être le siége au centre épigas- trique que le système nerveux de cette région, et plus particulièrement le plexus solaire, qui, placé au centre même des actions dynamiques par lesquelles s'exprime la fièvre , doit avoir sur leur production la plus grande influence ? Ainsi, la fièvre intermittente, qui nous présente l’exagération des deux mouvements pro- duits si fréquemment à l’épigastre, est le résultat d’une excitation spontanément développée dans le sys- tème nerveux épigastrique , et il doit paraître évident que tous les symptômes qu’elle présente dans son pre- 140 BIOGRAPHIE mier stade sont la conséquence de cette excitation. Ubi stimulus , br affluxus. On nobjectera, je dois le prévoir, que si l’excita- tion épigastrique peut rendre compte du phénomène de concentration, elle ne peut expliquer le mouve- ment d'expansion produit en sens inverse, et que né- cessairement ce dernier , pour sa production, doit ré- clamer l'influence d’une action se portant dela circon- férence au centre. Abandonnons pour le moment ce point délicat de la question, sur lequel nous nous pro- posons de revenir plus tard, et, nous l’espérons, avec quelque chance de succès. Une foule d’hypothèses ont été émises sur les causes de la périodicité des fièvres intermittentes , et aucune d'elles n’a pu être sanctionnée par l'épreuve d’une analyse sévère. On a cru découvrir ces causes, tantôt dans une action intermittente de quelques agents ex- térieurs sur l’homme ; d’autres fois, dans l'influence de quelques fonctions dont l’activité n’est pas continue, etc.; enfin, on a essayé de l’établir sur les modifica- tions que détermineraient dans lorganisme les posi- tions verticales et horizontales qui se succèdent alter- nativement le jour et la nuit, en se fondant sur ce que les animaux, dont la position est constamment ho- rizontale , n’éprouvent point de fièvre d’accès, ce qui est complètement controuvé pour les grands animaux domestiques. Cette périodicité doit être considérée comme une loi de l’organisme qui se produit égale- ment dans l’exécution de plusieurs fonctions, ainsi que nous l’avons déjà établi. Elle ne peut pas plus se prêter à nos explications que le retour périodique de la DU DOCTEUR LÉ SAUVAGE. (ui faim, du sommeil, de la menstruation , etc. Ge qu’on doit espérer de recueillir dans le champ de l’observa- tion et avec le secours de l'anatomie pathologique, c’est la connaissance des altérations viscérales qui font varier cette périodicité. On a beaucoup insisté sur la cause des fièvres in- termittentes. Développées le plus souvent sous lin- fluence d’agents extérieurs, qui impriment à l’économie upe altération plus ou moins profonde, il a été cepen- dant reconnu qu’elles peuvent apparaître dans le cours d'une maladie, à la suite d’une lésion accidentelle, etc.; mais, dans ces cas, l’altération provocatrice exis- tait antérieurement, et les maladies accidentelles doi- vent être considérées comme immédiatement efi- cientes. Parmi les agents extérieurs capables de produire les fièvres , se trouvent, au premier rang, les émanations marécageuses ; c’est, sans contredit, l’intoxication des eflluves palustres qui concourt le plus fréquemment à leur production. Elles sont endémiques dans les pays couverts de marais, et cependant cette vérité de tous les temps et de tous les lieux a été, comme tant d’au- tres, controversée. On a prétendu qu’un excès de chaleur, de froid, était plus favorable à leur dévelop- pement. Les grandes évaporations aqueuses qui ont lieu dans les pays couverts d'eaux stagnantes, peu- vent, par leur continuité, donner naissance aux fiè- vres périodiques, comme cela s’observe dans les pays argileux où l’eau est retenue à la surface du sol, et où une végétation puissante augmente et entretient l'humidité. J'ai vu surgir, il y a quelques années , une > BIOGRAPHIE assez grande quantité de fièvres dans la plaine de Caen, qui est assez aride et assise sur un terrain cal- caire très-poreux , sous la seule influence d’un été ex- cessivement pluvieux ; mais ce fut particulièrement chez les femmes qu’elles apparurent, et il faut tenir compte, comme circonstance prédisposante , ainsi que je l’établirai, des altérations digestives que fait naître fréquemment chez ces femmes la fabrication de la dentelle, qui les tient constamment assises, le corps incliné en avant. Mais c’est plus particulièrement dans les pays de marais que les eaux stagnantes servent de véhicule à des gaz délétères et à d’autres principes insaisissables, provenant de la décomposition des matières animales et végétales, que favorise singulièrement une tempé- rature élevée , et qui souvent agissent à de grandes distances dans la direction que les vents leur impri- ment. Cependant c’est moins dans l’été qu’à l’automne qu’apparaissent les maladies. Dans la première saison, la grande diffusion des miasmes, sous l’action d’une forte chaleur , rend leurs effets moins puissants; mais dans l’automne, aux intempéries variées s’ajoute le refroidissement qui a lieu après le coucher du soleil, et qui précipite à la surface du sol les eflluves tenues en suspension pendant le jour. Aussi est-ce plus par- ticulièrement la nuit que leur influence est à craindre. Cette influence, nous ne l’attribuerons pas, avec Rasori, aux myriades d’atomes vivants (monades), que contien- nent les brouillards des marais (1). (4) Thérapeutique médicale, p. 350, col. 2. DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 143 Mais les fièvres intermittentes sont loin de recon- naître pour cause exclusive l’action des effluves pa- lustres, et l’expression entoxication de marais, par laquelle on a proposé de remplacer leur dénomination consacrée, me paraît encore moins rigoureusement déterminative que la dernière. Disons d’abord qu’il est bien constant que tous les individus soumis à l'influence palustre ne sont pas atteints de fièvres périodiques. Faites camper, pendant quelques jours , un régiment dans le voisinage d’un marais; un quart, un tiers des militaires contractera la fièvre ; quelques autres éprouveront des affections diverses : des diarrhées, des fièvres continues, etc. ; le plus grand nombre échappera aux altérations délétères. Cependant tous auront respiré, absorbé au même degré l’effluve pernicieuse. On a cru résoudre le problême en admettant ce qu’on appelle une idiosyncrasie, mot vide de sens le plus souvent, quand il n’exprime pas une altération préalable, spéciale- lement caractérisée par un trouble dans les fonctions des organes digestifs. Cette altération se trouve em- preinte dans toute l’habitude des populations occupant les pays marécageux. Les individus sont pâles. peu musclés, n'ayant qu'une médiocre énergie. Ils ont le ventre ballonné; ils rendent assez constamment des borborygmes et des vents après leur repas, indices certains d’une affection chronique des voies digestives, occasionnée et entretenue par l’action persistante des causes dont l’exagération, dans un temps donné, re- produira la maladie, : Deux causes concourent done au développement des Ah BIOGRAPHIE fièvres intermittentes : d’une part, l’action de certains agents qui portent à l’intérieur de l’économie une influence délétère ; de l’autre, l’état morbide de quelques viscères qui sont en intimité de rapports avec le système nerveux central. La maladie apparaît quand les organes qu’on peut appeler élaborateurs, n’ont plus la faculté de faire subir aux principes morbifères les modifications qui le plus souvent neutralisent leur action chez les personnes bien constituées. Ainsi que je l'ai établi plus haut, c’est la surface interne des voies digestives sur laquelle s'opère cette fonction élaboratrice, et, sous ce rapport, ce que nous avons dit des eflluves palustres se reproduira à l’occasion de plusieurs maladies, Cette altération des organes digestifs, dont on tenait peu compte avant la naissance du système physiolo- gique , et qu’est venu révéler avec tant de succès l’im- mortel Traité des phlegmasies chroniques , a été depuis, et par une sorte de revirement , trop peu prise en considération, et nous ferons remonter à cette cause la méprise et les insuccès qui se remarquent parfois dans le traitement des fièvres périodiques. Enfin, on comprendra facilement que les deux causes des fièvres intermittentes peuvent agir à des degrés divers, avec une prédominance plus ou moins marquée de l’une d’elles; que c’est l’intoxication qui agira plus énergiquement dans les pays de marais et pourra rendre la maladie endémique , tandis qu'elle conservera le caractère périodique lorsque la cause, trop rarement soupconnée, résultera principalement d'une altération viscérale, Mais on doit admettre DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 145 que de grandes fatigues et une mauvaise alimentation peuvent développer dans les armées toutes les cir- constances prédisposantes des fièvres périodiques, en l'absence des influences palustres, assez énergiques seules pour les produire; et ces circonstances toutes spéciales ont donné naissance aux opinions si diverses qui ont été émises sur leurs causes, parce qu’on ne voulait le plus souvent tenir compte que de l'influence extérieure, Broussais ne voyait dans les altérations épigastriques qu’une irritation de la muqueuse digestive, et il ne comprit pas que c’est l'irritation nerveuse qui les détermine ; — non qu’elle réside exclusivement, ainsi qu’on à voulu l’établir sans aucune preuve, dans les nerfs de l’estomac; mais bien dans le centre nerveux épigastrique , puisqu'il est le point de départ des actions dynamiques qui expriment la fièvre, toujours caractérisée par le trouble des fonctions digestives, circulatoires, du système urinaire, etc. , qui sont sous sa dépendance immédiate, L'auteur d’untraité moderne Sur les fièvres intermit- tentes, qui a combattu, avec une grande facilité d’élo- cution, la théorie du vitalisme appliquée à la déter- mination du siége et de la nature des maladies pério- diques, rejette bien loin toute explication basée sur les altérations pathologiques diverses , auxquelles on a successivement attribué les tièvres, et ne fait pas grâce surtout au grand sympathique , mis en scène par quelques médecins, qui n'ont rien précisé à son égard, et se sont retranchés, c’est l'expression de leur antagoniste, dans les térèbres du grand sympathique. 10 146 BIOGRAPHIE Eh bien! notre auteur oppose purement et simplement à toutes les explications l’irtoxication du fluide sanguin, comme produisant immédiatement les fièvres. Et quoi- qu’il admette cependant, mais à titre de coïncidence possible , les altérations viscérales, elles ne sont pour lui qu'un efJet éventuel de la réaction organique (expres- sion bien vitaliste) contre l’intoxication. Mais ce mé- decin aurait dû nous dire ce que c’est que sa réaction organique , et surtout donner la théorie de la dispa- rilion complète de son intoxication, sous l’action de deux centièmes de grain d'arseniate de soude, si, comme on le dit dans un rapport, c’est à la nature même de la maladie que s'adresse le médicament (1). Avant l'introduction du quinquina dans la thérapeu- tique des fièvres intermittentes, le traitement de ces maladies dut être livré à l'arbitraire. Déjà, au temps d’Hippocrate, on leur opposait les purgatifs et les amers. Le vulgaire s’est servi quelquefois de pra- tiques superstitieuses, dont l’heureux résultat provenait de leur influence sur l'imagination des crédules, et surtout si le temps pendant lequel on les prescrivait suffisait à la solution spontanée des accès. Les pro- priétés de la précieuse écorce parurent dépasser toutes les espérances. C'est à la périodicité que toujours la médication sembla s'adresser plus immédiatement ; mais à cet égard il a toujours existé beaucoup de con- fusion. À une époque peu éloignée, on employait encore le quinquina dans les fièvres continues les plus graves. Bien plus, au moment actuel. plusieurs praticiens (1) Traité des fiévres intermittentes, in-$°., Boudin, p. 334 et336. DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 4147 aflirment que son emploi réussit dans les pyrexies continues , dans celles qui succèdent aux fièvres d’ac- cès, dans le typhus nosocomial, et, ce qui doit plus étonner encore, même dans les affections viscérales qui succèdent aux fièvres périodiques : l’engorgement de la rate, les hydropisies , etc. (1). Les réflexions auxquelles nous nous livrerons sur ces divers états pathologiques, pourront établir tout ce que cette pratique a d’irréfléchi et partant de dangereux, au moins dans beaucoup de cas. La découverte et l'extraction du principe fébrifuge contenu dans les quinquinas ont dispensé d'employer, comme on le faisait et toujours à des doses élevées , la poudre de cette écorce : souvent de cet emploi il résultait de graves inconvénients, entre autres, une grande fatigue et une répugnance extrême. J'ai vu, dans un cas de fièvre pernicieuse, une dame tout-à- fait décidée, si je n’eusse fait intervenir l'autorité de son confesseur , à se laisser mourir plutôt que de con- tinuer le traitement. D’ailleurs, il produisait souvent des vomissements, des diarrhées, dont le moindre effet était d'annuler l’action du médicament, et lasubstitution du sulfate de quinine, à une époque où l'irritabilité de l'estomac commençait à être prise en sérieuse consi- dération, était nécessairement la plus heureuse des innovations. Deux choses sont encore restées indécises : l’une est de savoir quel est le moment le plus avantageux pour l'administration du fébrifuge; l’autre, quelle est (1) Diet, de médecine, où Répert., in-8°., t& XXVI, p. 580. 148. BIOGRAPHIE la quantité nécessaire pour arriver à la solution com- plète de la maladie. Il a été reconnu que, pour agir, le sulfate de quinine et ses succédanés devaient avoir été absorbés. Con- séquemment c’est à tort que quelques médecins les avaient prescrits immédiatement avant l'accès , ou peu de temps après, et les inconvénients de cette pratique ont été suflisamment signalés. Je l’emploie toujours en deux doses (en lavement } à trois heures d’inter- valle, et de manière que la dernière dose soit donnée d’une à deux heures avant le retour de laccès. ll existe des opinions bien diverses sur la quantité de sulfate de quinine, nécessaire au traitement des fièvres périodiques. Certains praticiens le prescrivent aux doses élevées de 2 à 6 et même 8 grammes dans l'intervalle des accès, et la plupart des mé- decins militaires qui ont pratiqué dans nos posses- sions d'outre-mer, semblent partager ce sentiment. M. le professeur Magendie a l’un des premiers établi l'inutilité des fortes doses du médicament, et ce savant praticien pense que, dansles cas ordinaires, le fébrifuge produit ses effets à la dose de 10 à 20 centigrammes dans les vingt-quatre heures. On admettra, sans aucun doute, qu'entre ces deux extrêmes, il doit exister des cas exceptionnels; mais les résultats de la méthode endermique viennent justifier le dernier mode de médication, puisque de faibles quantités de sulfate ont suffi pour arrêter définitivement les accès. Le D", Pointe, de Lyon, l’a employé en frictions à l’intérieur de la bouche, seulement à la dose de 20 à 40 cen- tigrammes, et souvent l'effet a été obtenu à la première DU DOCTEUR LE SAUVAGE, 149 médication (1). Le D", Speranza, dans des cas nombreux de fièvre , s’est servi avec avantage d’un vésicatoire au bras, sur lequelil n’employait que 40 à 50 centigrammes de sulfate, et quelquefois l’accès disparaissait après la première dose. J'ai employé une seule fois la méthode endermique, dans un cas de fièvre pernicieuse, que je rapporterai plus bas, et dans l’espace de trois jours, je n’ai dépensé que 4 grammes du fébrifuge; et quand on doit reconnaître combien est minime la quantité de la substance médicamenteuse qui est absorbée dans ces cas, on doit rester bien convaincu de l’abus des hautes doses. Enfin, le D'. Boudin, qui a réveillé l'attention par l’emploi de l’arsenic (arse- piate de soude), comme succédané du sulfate de quinine, en lui accordant un brevet d’innocuité, aurait, dans beaucoup de cas, obtenu des résultats définitifs avec deux centièmes de graine du médicament. Il resterait encore à préciser exactement quelle est la durée de l’action des diverses substances employées comme fébrifuges. Certains praticiens les prescrivent pendant toute la durée de l’intermittence dans les fièvres tierces ou quartes. Comme dans les fièvres quotidiennes , je ne les administre jamais que quelques heures avant le retour des accès, et je me suis tou- jours bien trouvé de ce moyen. Au reste, le degré de puissance des fébrifuges , leur manière d’agir, le mode de leur emploi, resteront plus ou moins dans le domaine de l'arbitraire , tant qu’on n'aura pas bien saisi ce que c’est qu’un accès de fièvre intermittente. (4) Arch. génér. de méd, , 1. XIX, p. 138. 450 BIOGRAPHIC. Giacomini admet que le quinquina est hyposté- nisant (1). D’autres prétendent qu’il est supersténisant, et que son action porte sur le système cérébro- spinal (2). Ce que j'ai dit plus haut me dispense de discuter la dernière opinion. Quant aux deux pre- mières, il sera facile de les concilier, Le quinquina et ses succédanés pourront être considérés comme hy- posténisants, si l’on entend par cette expression qu’ils abaissent, qu’ils anéantissent dans le système ner- veux épigastrique sa disposition à réagir contre les causes morbides par le fait de l'excitation qu'il éveille, et dont le résultat est un accès de fièvre pé- riodique ; mais l’on concevra bientôt qu’il deviendra supersténisant, s’il est introduit dans l’économie à trop forte dose, ou s’il est porté immédiatement sur des organes souffrants. Et c’est en pareil cas que sou- vent les fébrifuges sont impuissants ; que la guérison est promptement suivie de récidive, et qu’enfin le traitement produit les maladies consécutives que sou- vent les fièvres traînent après elles. Ainsi, le sulfate de quinine est hyposténisant, ainsi que je lai dit, quand il est opposé à dose convenable aux fièvres intermittentes; ce n’est plus au même titre, c’est comme supersténisant qu’il agirait dans les fièvres qui réclameraient une médication tonique, exci- tante. Mais c’est une grande erreur de le préconiser dans ce cas d’une masière absolue, puisque son premier effet doit immédiatement agir sur l'organe (4) Mat. med. , in-8°., p. 348. (2) Dict, de méd. où Rép., ete., t XXVI, p. 571, DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 151 qui reçoit des fièvres continues la plus énergique in- fluence. On peut de suite avancer, ce que nous établirons plus tard, que, dans tout accès intermittent, la con- centration est le moyen, l'expansion à la circonférence le but, la sueur la conséquence ; que cet effort de l'organisme n’est point la maladie , et qu’il a pour office de remédier à un trouble fonctionnel, résultat d’une altération viscérale, dont la continuité ou l’in- tensité pourraient seules déterminer le mouvement, qui, cependant, est plus souvent produit par une in- toxication à titre de cause directe. Ainsi, il y a deux choses à considérer : la cause morbide et le mouvement physiologique ou physio- logico-pathologique qu’elle détermine. Si maintenant nous considéronsle mode d’action des médicaments anti- fébriles, nous reconnaitrons qu'ils s'adressent à l’effet et nullement à la cause. La médication ne peut avoir de prise sur ce qu’on appelle la périodicité; c’est à l'acte physiologique qu’elle s'adresse, et c’est improprement qu’on a donné le nom d’antipériodique au quinquina et à ses succédanés. Ce qu’on peut avancer , c’est que toutes les théories viendront aboutir à cet énoncé : les médicaments antifébriles ont la faculté d’enrayer, d’anéantir, dans le système nerveux viscéral, les phé- nomènes physiologiques dont la succession constitue ce qu’on nomme un accès de fièvre intermittente. On n’admettra pas, sans doute , que ce phénomène physiologique vient produire dans les fonctions une perturbation momentanée, sans y être sollicité par une altération fonctionnelle ou organique, et ce serait 152 BIOGRAPHIE dans ce sens que quelques médecins auraient admis des fièvres intermittentes essentielles, et alors la mé- dication qui s'adresse exclusivement à l’accès n’est nullement rationnelle. Ce qui établira ce que j’avance sous ce rapport, c’est qu’il est reconnu qu’un traite- ment antiphlogistique a fait disparaître sans retour plusieurs fièvres d’accès. J’ai obtenu ce résultat par une simple saignée, par des sangsues à l’anus , plus fréquemment par leur application à l’épigastre; mais, si le plus souvent ces moyens, employés seuls, sont insuffisants, ils présentent de grands avantages; car, s'ils n’enlèvent pas complètement l’altération viscé- rale, souvent provocatrice et toujours complice de l'accès , ils la modifient de telle sorte que les mouve- ments fébriles disparaissent sans retour avec de faibles doses de fébrifuges. Pour les médecins qui ne voient que l'accès dans la fièvre intermittente et qui le combattent par des doses élevées et long-temps continuées de sulfate de quinine , le régime est regardé comme peu de chose. Quelques praticiens conseillent même, après la cessa- tion de la fièvre , les toniques, un régime analeptique, etc., probablement pour remédier à la viciation, à l'intoxication du sang, sans tenir aucun compte de l’état des voies digestives ; on demande seulement que la digestion soit terminée avant le retour de l'accès suivant (1). C’est, sans doute, en s'appuyant sur un autre ordre d'idées , que le docteur Rayer prescrit la diète à ses malades atteints de fièvres intermittentes, (1) Dict, de méd. où Rép., ete,, &L XVI, p. 600. DU DOCTEUR LE SAUVAGE. 153 et la pratique de ce savant médecin doit justifier sa théorie. Comment concevoir l’avantage des purgatifs répétés, dont l’usage est vanté par un médecin qui a pratiqué en Algérie, pour combattre ce qu’on appelle si vague- ment la forme bilieuse , lorsque la physiologie et la pathologie établissent la grande excitabilité qu’ac- quiert, dans les pays chauds, la surface interne de l'intestin? Et, quand on ne voit qu’une intoxication du sang par les effluves palustres, chez des militaires exposés aux plus grandes fatigues, aux influences atmosphériques les plus variées, aux alternatives des privations et d’une abondance souvent pernicieuse , et je ne parle que des influences physiques, alors je conçois la persistance de l’effet des effluves , qu'on ait ou qu’on r’ait point fait disparaître les accès; et quand, dans ce cas, on préconise le sulfate de quinine à haute dose et les purgatifs, je m'explique les dyssenteries , les entérites interminables, les engorgements abdomi- naux, les hydropisies, etc., qui produisent une ef- frayante mortalité en Algérie, comme ailleurs, si les mêmes circonstances se rencontrent. Ainsi, il est tout-à-fait rationnel de ne voir que l'accès dans une fièvre intermittente, et de lui adresser la médication, sans tenir aucun compte des altérations viscérales qui l'ont souvent provoqué. Les saignées générales , mais surtout les saignées locales, sont de puissants auxiliaires dans le traitement de ces mala- dies, lorsque les constitutions ne sont pas détériorées, et elles réclament surtout un régime sévère et con- tinué pendant une convalescence dont la durée doit se 154 BIOGRAPHIE mesurer sur le degré d’altération des organes inté- rieurs. C’est avec ces conditions que, dans les hôpitaux comme dans ma pratique particulière, j’ai toujours donné le sulfate de quinine en lavement, à la dose de 25 à 30 centigrammes (deux seulement avant chaque accès), et mes guérisons ont été le plus sou- vent promptes et définitives (4). Des ouvriers travaillant au canal de Caen , et dans les endroits où existaient en grande abondance tous les éléments producteurs du gaz hydrogène sulfureux carboné, etc., ont eu des bijoux en or, montre, etc., colorés par l’action du gaz, et, sans aucun doute, il provenait de leur exhalation cutanée, puisque les mêmes objets, exposés dans les mêmes lieux à l'air libre, n’ont point été atteints par le gaz. Le mercure pris à l’in- térieur est exhalé, et produit les mêmes phénomènes. Dans l’éruption toute spéciale produite par l’indi- gestion des moules, l’action délétère a agi immédiate- ment sur l’estomac , et la réaction a été produite à la suite. La variole, l’érysipèle, la rougeole, le zona, etc. . . . . . . . . . , . . . . . . (4) Les cinq paragraphes qui suivent, écrits sur de petits carrés de papier, devaient ou se fondre avec le texte, ou se rejeter au bas de certaines pages sous forme de notes ; mais aucune indication pré- cise ne leur assignant nettement leur place, je les ai rejetés à la fin du chapitre, laissant au lecteur compétent à retrouver les passages auxquels chacun d’eux correspond, A. Cnarma. DU DOCTEUR LE SAUVAGE. : 455 La volonté est une puissance active dont nous n'avons pas conscience. Je veux, j'exécute, l'intermédiaire ne peut s’apprécier, s’analyser, Voyez l’enfant qui court et dont tous les mouvements sont équilibrés. M. Loriot , paraplégique de sentiment, sentait bien qu'il ne pou- vait porter le membre malade en avant, quand, placé derrière lui, je portais la main sur sa cuisse; mais il mavait pas conscience de l'obstacle / Arch. génér. de mé, ). Dans l’état normal, les fatigues du jour alternent avec le repos de la nuit. Ce dernier devient une né- cessité établie par la nature. Dans les maladies, l’exacerbation du foie n’est-elle point l’expression d’un besoin que les accidents empêchent de satisfaire , et le malaise plus grand de la nuit ne serait-il point une continuité de l'expression du besoin non satisfait ? et enfin, le matin, la grande fatigue des organes amènerait péniblement ce court sommeil qui n’a pas été réparateur et laisse subsister une grande fatigue. C’est dans ce sens que j’admettrai volontiers l’asser- tion de M. Littré, qui dit que, dans les pays de marais où les fièvres sont endémiques, la cause miasmatique a une telle puissance que toutes les autres y sont subor- données (1), ce qui n’exclut nullement l'influence des altérations viscérales comme cause prédisposante. Si lintoxication palustre , le choléra, les maladies épidé- miques , en général, pouvaient atteindre un individu (1) Dict. de méd, ou Répert. , ele, , & XVI, p. 595, 2e, édit. 156 BIOGRAPHIE DU DOCTEUR LE SAUVAGE. en pleine et parfaite santé , il n’y aurait aucune raison pour qu’une population ne disparût pas en quelques jours. Il n’y a jamais qu’un nombre plus ou moins grand de personnes atteintes. Ge sont toujours les fai- bles, ceux qui ont une santé fragile, qui disparaissent; et voilà pourquoi les épidémies les plus graves n’altè- rent point les populations. - D 0 — PROJECTION PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE ; Par Ni. Th. DU MONCEL, Membre associé, PROJECTION PAR LA LUMIÈRE ÉLECTRIQUE. Jusqu'à présent, les expériences qui se rapportent à la lumière ont été d’une telle difficulté à reproduire dans les cours publics, que, la plupart du temps, les professeurs renoncent à les faire et se contentent de les expliquer au tableau. Or, il est facile de com- prendre combien une pareille méthode est regrettable ; car, outre que les expériences donnent à un cours une plus grande animation et un charme tout particulier, elles sont beaucoup mieux comprises et surtout beau- coup mieux retenues quand les yeux ont été frappés. Les difficultés que présentaient les expériences de la lumière tenaient à deux choses : d’abord, aux caprices de la lumière solaire, qui, le plus souvent, manquait précisément aux moments où il en était besoin, et, en second lieu, à la difficulté de faire passer tout un au- ditoire devant l’oculaire d’une lunette, pour le rendre 458 PROJECTION témoin du phénomène que l’on démontrait, M. Jules Dubosc, gendre et successeur de M. Soleil, est parvenu à suppléer à ces deux inconvénients, en se servant d’abord de la lumière électrique pour remplacer le soleil, et en projetant sur un grand écran, visible pour tous les spectateurs, les divers phénomènes de l'optique. Voici la liste des principaux phénomènes que l’on peut projeter avec les appareils de M. Dubosc, appa- reits qui peuvent d’ailleurs être disposés pour la lu- mière solaire : [. — EXPÉRIENCES POUR LES COURS ÉLÉMENTAIRES. 4. Projection des charbons de la lumière électrique. 2. Renvoi de cette projection au plancher par un miroir , afin de démontrer les effets de la ré- flexion. 3. Déviation des rayons lumineux par l'effet de la réfraction. h. Décomposition de la lumière. 5. Recomposition de la lumière décomposée : 1°. avec une lentille cylindrique; 2°. avec sept miroirs, elc. 6. Coloration produite sur le champ de lumière re- composée, par l'arrêt de l’une ou de l’autre des couleurs du spectre. 7. Renvoi des couleurs complémentaires, à l’aide d’un petit prisme employé pour arrêter les cou- leurs dans l'expérience précédente. 8. Phosphorescence de certaines substances, telles que le sulfate de quinine dans la lumière vio- 9, 10. 41. 12. 13. 1h. 45: 16. 17. 18. 19. 20. DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPIIQUE. 159 lette du spectre ou toute autre lumière violette artificielle, Polyprisme. Prisme achromatique. Rais du spectre solaire. Rais du spectre, résultant de la fusion des métaux. IT. — EXPÉRIENCES AMUSANTES. Polyoramu.— Projection d’images daguerriennes; — de la nuit et du jour. — Tableaux astrono- miques. — Disque de Newton. — Chrematrope. Microscope photo-électrique ou solaire. — Projec- tion des images ambplifiées. — Cristallisations s’opérant à vue. —Arbre de Saturne. —Monstres dans le vinaigre. — Circulation du sang dans la queue d’un têtard. — Circulation de la sève dans la chara. 11Ï. — EXPÉRIENCES POUR LES COURS DE PHYSIQUE TRANSCENDANTE. Expérience de Malus sur la polarisation de la lumière. — Coloration différente de la lumière polarisée. Expérience du docteur Guérard , id. , id. Polarisation par réfraction avec les tourmalines. Polarisation par la double réfraction. Expérience d’Arago. Croix de la double réfraction :—1°. Avec un cristal à un axe; — 2°. Avec un cristal à deux axes. — 3°. Spirales d’Airy. 160 PROJECTION 21. Hyperboles mobiles. 22. Parallélipipèdes de Fresnel. 25. Polarisation des lames de chaux taillées avec des épaisseurs différentes. 24. Polarisation du verretrempé;---du verre comprimé; — du verre courbé; —du verre chauffé. 25. Variations subites des couleurs obtenues par les moyens précédents, en plaçant sur le trajet du rayon polarisé un quartz à faces non pa- rallèles. 26. Interférences dans le spectre ( expérience de M. Biot). 27. Anneaux de Newton. 28. Id, , avec deux systèmes d’interférences. 29, Id. , dus à l’insuflation sur un miroir concave. 30, Réseaux par réfraction. 31. Id. par réflexion. 32. Microscope polarisant. 33. Fontaine de Colladon. Les appareils destinés à projeter la lumière pour ces expériences se composent : 4°, d’un régulateur de lu- mière électrique dont les deux charbons, en s’usant, ne déplacent pas le point lumineux ; 2°. d’une lanterne hermétiquement fermée, dans laquelle on place le régulateur; 3°. d’une lentille, plan convexe, destinée à rendre parallèles les rayons convergents issus du point lumineux. Cette lentille est fixée dans un tube ou lunette qu’on enfonce plus ou moins dans la lan- terne, Les appareils de projection comprennent : 1°. Deux lentilles, l’une A ,de 33 centimètres de DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 1461 foyer ; l’autre B , beaucoup plus convexe , toutes deux montées sur pied ; 2°. Un miroir concave , monté sur pied ; 3°. Un prisme à réflecteur, id, ; L°. Un polyprisme, id. ; 5°. Un prisme achromatique, id.; 6°. Une lentille cylindrique, id.; 7°. Un obturateur-prisme, id. ; 8°. Un écran portatif, en carton, id. ; 9%. Un double système lenticulaire de lanterne ma- gique, pouvant s'adapter à la lanterne du régulateur ; 10° Un disque de Newton transparent, pouvant être introduit dans le polyorama ; 11° Tableaux astronomiques à mouvements méca- niques, id. ; 12°. Chromatropes à verres transparents, id. ; 13° Une grande lentille éclairante, fixée dans un tube de lunette et pouvant s'adapter devant la lentille plan convexe de la lanterne; 14°. Un microscope composé avec ses fiches pour examiner les animaux dans les liquides, sa cuve pour l'arbre de Saturne , son appareil pour le têtard, etc. ; 45° Deux prismes bi-réfringents montés ; 16°. Deux prismes de Nicol , également montés; 17% Un support mobile pour porter des pièces assez grandes, entr’autres les prismes bi-réfringents ; 18°. Les deux miroirs de Malus, avec leur écran ; 19, L'appareil du D’, Guérard , monté sur pied ; 20°. Cinq couvercles, s’adaptant au tube de la ian- terne : 4°. un premier portant une flèche découpée; 2°. un autre garni d’un verre teint en violet; 3°. un autre 11 162 PROJECTION avec une fente pouvant s’agrandir à volonté; 4°. un autre avec un diaphragme mobile percé de trous; 5°. un autre avec du papier blanc collé sur toute sa sur- face plane, et percé d’un trou au milieu; 6°. un autre avec deux tourmalines collées sur du verre blanc transparent ; 21°, Un cylindre d’ajustement, pouvant s'adapter au tube de la lanterne et recevoir un des prismes bi- réfringents ; 22°. Trois obturateurs de diverses dimensions; 23°. Deux quartz taillés perpendiculairement à l’axe; 24°. Deux baguettes de verre; 25°, Un appareil portant un système de pinces mo- biles sur un guide, avec un écran obturateur ; 26°. Une petite lentille, plan convexe, s’adaptant à ce dernier appareil; 27°. Une pince à comprimer ; un appareil à courber; un appareil à chauffer ; 28°. Lames de chaux ouvragées et verres trempés, de différentes formes; 29°. Deux appareils lenticulaires s’adaptant au sup- port n°. 17; 30°. Hyperboles mobiles; 31°. Parallélipipèdes de Fresnel, s’ajustant sur l’ap- pareil à pinces n°. 25; 32°. Une lentille prismatique pour achromatiser un des rayons de la double réfraction ; 33% Un quartz prismatique ; 34°, Une fente s’adaptant au cylindre n°, 21 pour l'expérience de M. Biot; 35°. Appareil pour les anneaux de Newton, monté sur pied ; DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 163 36°. Appareil pour les anneaux coupés, id.; 37°. Appareil pour les réseaux par réfraction, id. ; 38°. Bouton de Barton ; 39°, Cuve à alun pour absorber la chaleur, dans les expériences microscopiques. L'ensemble de tous ces appareils coûte environ 2,500 fr. MANIÈRE DE FAIRE LES EXPÉRIENCES. Régulateur de lumière électrique. — Dans le régu- lateur de M. Dubosc, le charbon inférieur est sollicité à monter , sous l'influence d’une chaîne incessamment tirée par un ressort à barillet; tandis que l’autre charbon est sollicité à descendre par son propre poids. Le courant n'arrive aux charbons qu'après avoir traversé un électro-aimant creux, caché dans la co- lonne de l'instrument , et à travers lequel passe le porte-charbon inférieur. Quand le courant passe, c’est-à-dire quand les deux charbons sont à une di- stance suflisante pour que le courant ne soit pas inter- rompu , l’électro-aimant est actif et attire une palette de fer; cette palette, par l'intermédiaire d’un levier articulé, enraye une roue à rochet, horizontale, montée sur le même axe qu’une vis sans fin, dont le mouve- ment commande un système d’engrenage , muni d’ailettes, destiné à modérer le mouvement de ren- contre des deux porte-charbons, lorsqu'ils se trouvent abandonnés aux deux forces qui les sollicitent. Quand, au contraire, le courant, par suite du trop grand écartement des charbons, ne passe pas, la roue à 164 * PROJECTION rochet est dégagée , et le rapprochement des charbons s'opère doucement et sans secousses. On sait que, dans la combustion des charbons par la lumière électrique , le charbon négatif brûle plus vite que le charbon positif; il en résulterait, si ce défaut n’était pas corrigé, un déplacement continue] du point lumineux. Or, pour les expériences d'optique, il est important que ce point soit fixe. Voici comment M. Dubosc a résolu le problême : Les poulies sur lesquelles s’enroulent les chaînes des porte-charbons et qui correspondent à deux boutons, au lieu d’être du même diamètre, sont de diamètres inégaux. De plus, l’une a un diamètre constant, et l’autre un diamètre variable, que l’on peut faire croître à volonté, en tournant, à l’aide d’un petit levier, cette poulie qui est garnie à cet effet de trous , sur l'an de ses bords. Pour obtenir cet accroissement et ce rétrécissement de diamètre de la poulie variable, force a été d’enrouler la chaîne du charbon inférieur , non plus sur une gorge de poulie ordinaire, mais sur une lame de ressort, enroulée elle-même sur un treuil formé par l’ensemble de six goupilles, dispo- sées circulairement sur des leviers mobiles. Ces leviers étant articulés séparément par l’une de leurs extré- mités sur une même rondelle , et se trouvant engagés dans des entailles qui leur servent de guides, peuvent être redressés ou couchés, suivant qu’on tourne à droite ou à gauche le côté de la poulie sur lequel ils sont ajustés; et, par là même , le diamètre du cercle , ou plutôt du polygone formé par les goupilles, peut se trouver agrandi où rétréci à volonté. DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 165 Dans chaque expérience , et même plusieurs fois dans la même expérience , il faut régler l'appareil, c’est-à-dire écarter plus ou moins l’armature de l’électro-aimant, suivant la force de la pile, et donner aux poulies le diamètre relatif voulu pour que le rapprochement des charbons soit le plus régulier pos- sible. Cette dernière opération ne se fait en général qu’une fois; elle est beaucoup moins importante que Vautre. Pour mettre les charbons à hauteur conve- nable, on commence d’abord par désembrayer la roue à rochet, si elle est déjà engagée ; puis on fait arriver le charbon supérieur au plus haut point de sa course, en tournant l’un des deux boutons; le ressort du barillet enlève alors le charbon inférieur, et, quand il est à la hauteur voulue , on enraye la roue à rochet à l’aide d’un petit levier particulier qui se trouve disposé en conséquence. On abaisse ensuite le charbon, soit au moyen du bouton, soit, si cela n’est pas sufl- sant, en faisant glisser dans son étui le porte-charbon. Celui-ci pouvant être plus on moins incliné dans cet étui, il est facile de le placer exactement au-dessus de l’autre. En général, il faut que le charbon supérieur soit placé un peu en arrière du charbon inférieur. Comme les charbons ne doivent pas se déplacer, il est important qu’on ait toujours le pôle négatif au charbon inférieur; par conséquent , le choix des pôles est forcé dans cette circonstance. Du reste, le nom des pôles est gravé sur les boutons d'attache de l'appareil. Lanterne. — La lanterne se compose d’une espèce de boîte en cuivre bronzé, qui enveloppe la partie supé- 166 PROJECTION rieure du régulateur. Pour prendre moins d'espace, la colonne du régulateur est enfermée dans une espèce de cheminée qui termine la boîte, et le pied se trouve au-dessous, entre les quatre colonnes qui supportent la lanterne. Pour que cette boîte ferme hermétique- ment,de petits volets, mus par des crémaillères, viennent fermer le dessus et le dessous de la boîte en même temps qu'on en ferme la porte, de sorte que les coupures faites à l’instrument, pour qu’on puisse y introduire le régulateur, se trouvent bouchées. L’inté- rieur de cette lanterne est muni d’un miroir réflecteur et de deux tiges plongeantes sur lesquelles peuvent s’adap- ter deux miroirs, pour renvoyer la lumière dans les lentilles du polyorama. Enfin, sur le côté de la lanterne se trouve un petit œil-de-bœuf muni d’an verre violet, par lequel on examine la marche de la lumière élec- trique. Afin de régler la position du point lumineux dans le sens horizontal , une vis sans fin a été adaptée dans la planche qui sert de support à Pappareil et en la tournant d’un côté ou de l’autre, on avance ou on recule le socle sur lequel est déposé le régulateur. Les expériences de projection peuvent être faites à toutes distances; seulement elles perdent de leur petteté et de leur éclat, quand les distances sont trop grandes : 5 mètres représentent ordinairement la distance la plus convenable pour la lumière dune pile de 50 éléments de Bunsen. 4. Projection des charbons. — On adapte à la lunette de la lanterne le couvercle à diaphragme percé, désigné sous le n°. 20 , 4°.; on choisit une ouverture DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 167 assez petite, et on met la lentille, plan convexe , au point en l’avançant ou en la reculant jusqu’à ce que l’image des charbons soit très-nette. On les voit alors illuminés , et se rapprocher successivement l’un vers l’autre à mesure qu'ils s’usent. C’est une très-belle expérience. 2. Renvoi de cette projection au plancher. — On reçoit le faisceau de lumière sur le miroir concave , désigné sous le n°. 2, en l’inclinant à 45° et réglant la distance focale de la lentille, plan convexe , de la lanterne convenablement ; on aperçoit l’image pré- cédente au plancher , et l’on suit parfaitement la bri- sure du cône lumineux. 3. Déviation des rayons lumineux par l'effet de la réfraction. — On adapte à la lunette de la lanterne le couvercle désigné sous le n°. 20, 1°, on place au- devant une des lentilles convexes (n°. 1), et après l'avoir mise au point, c'est-à-dire l'avoir avancée et reculée jusqu’à ce que l’image de la flèche soit parfaitement nette, on place en travers du couvercle une baguette de verre (n°. 24); aucune déviation n'est alors produite, parce que les rayons tombent perpendiculairement sur la surface réfringente ; mais si on incline la baguette en l’introduisant de côté dans le tube de la lunette, la flèche paraît brisée. k. Décomposition de la lumière. — Pour obtenir un beau spectre, bien étendu, on prend un prisme de sulfure de carbone, c’est-à-dire un flacon prismatique dans lequel on a versé du sulfure de carbone. On 168 PROJECTION munit la lunette de la lanterne du couvercle à fente mobile, désignée sous le n°. 20, 3°., on place en avant la lentille convexe A (de 33 centimètres), et quand l'image de la fente est bien nette sur l’écran ou le rideau, on recoit le faisceau de lumière sur le prisme qu’on à soin de rapprocher assez près de la lentille pour avoir une plus grande quantité de lumière; on le tourne de manière que les rayons émergents soient reçus par le prisme de réflexion qui est à côté, et on tourne celui-ci jusqu’à ce que le spectre vienne s'étaler sur le rideau. On s'assure que ce spectre est au minimum de déviation, quand une seconde image grise de la fente, mobile avec le spectre, se trouve du côté du rouge. 5. Recomposiion de la lumière décomposée avec une lentille cylindrique. — X’expérience étant disposée comme précédemment, on place très-près du prisme de réflexion, sur le trajet des rayons réfléchis, la lentille cylindrique, et on l’incline plus ou moins par rapport au faisceau lumineux, jusqu’à ce que le spectre ne donne plus qu’une image blanche et am- plifiée de la fente. 6. Coloration produite sur le champ de lumuëre re- composée par l’arrêt de l’une ou de l'autre des couleurs du spectre. On prend un corps opaque quelconque, une lame métallique ou une petite bandelette de carton, on l’approche du faisceau émergent de la lentille cylin- drique , dans l'expérience précédente, et on l'avance jusqu’à ce que la couleur bleue soit entièrement DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 169 arrêtée; l’image blanche de la fente se teint alors en jaune-orangé qui est la couleur complémentaire du bleu. En plaçant l’obturateur du côté opposé jusqu’à ce que le rouge soit arrêté, on voit l’image de la fente se teindre en bleu ou en vert , suivant que l’orangé a été, ou non, compris dans l'arrêt que l’on a fait de la partie droite du spectre. 7. Renvoi des couleurs complémentaires, a l’aide d'un petit prisme employé pour arrêter les couleurs dans Pexpérience précédente. — Ce petit prisme est fixé sur le bord d’un petit écran métallique bronzé. En l’inter- posant sur le trajet des rayons bleus, par exemple, à leur sortie de la lentille cylindrique, on les dévie, et ils forment, à côté de l’image colorée en orangé, une image semblable colorée en bleu. De même, en inter- posant ce prisme sur le trajet des rayons rouges, on obtient une image rouge à côté d’une image verte. 8. Phosphorescence de certaines substances, telles que le sulfate de quinine dans la lumière violette du spectre ou toute autre lumière artificielle de cette couleur. — On peint par la moitié une feuille de papier blanc avec une solution de sulfate de quinine et d’acide tartrique. En projetant le spectre de manière qu’il s’étende à peu près également sur les deux moitiés de la feuille, on voit qu’il se prolonge beaucoup plus (du côté du violet) sur le sulfate de quinine que sur le papier blanc. Autre expérience. — On peint sur du papier blanc avec la solution précédente un bouquet de fleurs. A la lumière blanche , ce bouquet ne s’apercoit pas; mais 470 PROJECTION si on-adapte à la lanterne le couvercle n°. 20, 2°. , qui éclaire le papier en violet, on voit immédiatement le dessin apparaître avec une couleur phosphorescente gris-lavande. 9. Polyprisme. — Substitution du polyprisme au prisme de flint ou de sulfure de carbone dans l’expé- rience n°, 4 : on voit alors plusieurs spectres, au lieu dun. 10. Prisme achromatique.—Même substitution. —En développant le polyprisme, on démontre d’abord que, pour un prisme, son image est fortement irisée. En second lieu, on démontre qu’en ajoutant à ce prisme un second prisme, l’image est encore irisée, mais en sens contraire de la première, Enfin, on prouve qu’en superposant un troisième prisme, on rend l’image à peu près blanche. 11. Raiïes du spectre résultant de la fusion des métaux. — On remplace le charbon inférieur du régulateur par une capsule de charbon, dans laquelle on introduit un petit morceau du métal qu’on veut brûler. On place cette capsule au point convenable, et on en approche le charbon supérieur. Si l'expérience à été disposée comme il a été dit (n°. 4) et que la fente soit assez rapetissée, on voit le spectre sillonné de raies brillantes, qui varient suivant la nature des mé- taux, et qui se combinent ensemble, quand deux métaux différents brûlent en même temps. 42. Polyorama , etc. — On commence par démonter DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 174 le côté de la lanterne qui porte la lentille, plan con- vexe, et cela en dévissant simplement deux écrous. On remplace ce côté par lappareil polyoramique (n°. 9), qui est combiné de manière à remplir toute cette partie de la lanterne. On change de place le ré- gulateur, afin que le point lumineux soit tourné du côté des réflecteurs. Ces réflecteurs, ou glaces légère- ment concaves , s’adaptent aux tiges de la lanterne, et celles-ci peuvent les maintenir à la hauteur et dans la direction convenables pour envoyer le plus de lu- mière possible à travers les lentilles de l'appareil po- lyoramique. Pour régler celui-ci, on commence par superposer les deux projections lumineuses fournies par les deux lunettes, ce qui est facile, car ces deux lunettes sont placées chacune sur un battant articulé qui se trouve poussé de dedans en dehors par des ressorts boudin. En serrant ou en desserrant les vis de rappel qui sont adaptées à ces battants, on incline plus ou moins lun vers l’autre les axes de ces deux lu- nettes, et on finit par les faire coïncider sur le tableau. Quand cette opération est faite, on place devant les lunettes l’obturateur changeant, destiné à boucher l’une d'elles pendant qu'on ouvre l’autre, et on met les projections au point en avançant ou en reculant suffi- samment l'objectif de ces deux lunettes. L'appareil ainsi disposé est prêt à fonctionner, et il ne s’agit plus que de mettre dans des cadres faits ad hoc les photographies sur verre (transparent), et de les intro- duire successivement dans les deux lunettes, pour les projeter d’une manière continue , sans que l'œil ait à se reposer un seul instant. 172 PROJECTION Quand on veut représenter des effets de jour et de nuit, on place l'effet de jour dans une des lunettes, l'effet de nuit dans l’autre, et, comme les deux images sont superposées , il arrive qu’au moment où l’on fait fonctionner l’obturateur , ces deux effets se substituent insensiblement l’un à l’autre. Les effets du polyorama , qui ne sont d’ailleurs autres que ceux de la lanterne magique , sont très- intéressants en ce qu’ils représentent les objets dans des dimensions considérables. Les photographies de monuments, d’effets de neige , d'objets microscopi- ques, et l’image de la lune photographiée par elle- même, etc., attirent généralement l’attention. M. Dubosc à voulu tirer parti de la lanterne ma- gique pour l’étude des phénomènes astronomiques. En conséquence, il a construit plusieurs petits appa- reils dans lesquels ces phénomènes sont reproduits mécaniquement. En les introduisant dans le polyorama et en les mettant en mouvement, on les suit parfaite- ment, dans leurs différentes phases, sur le rideau où ils sont peints. Les plus curieux de ces tableaux astro- nomiques représentent : 4°. Le système planétaire,avec le mouvement relatif des planètes entr’elles ; 2°. Le mouvement de rotation de la terre autour du soleil et celui de la lune autour de la terre; 3° La succession des saisons; h°. Les éclipses de lune et de soleil; 5°, Les marées de vive-eau et de morte-eau; 6°. Le mouvement rétrograde de Vénus. En disposant le disque de Newton de manière à DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 173 pouvoir entrer dans le polyorama, on démontre que les sept couleurs du spectre, représentées par plusieurs séries de verres colorés rangés dans l’ordre naturel, forment du blanc, en se superposant par l'effet de la Persistance de la vision, quand on tourne le disque suflisamment vite. Le chromatrope, instrument également fondé sur la persistance de la vision, et qui fait voir des bandes continues et mobiles là où il n’y a que des points lu- mineux diversement colorés. peut être également introduit dans le polyorama et produire de très-beaux effets. 13. Microscope photo-électrique. — Le microscope photo-électrique ou solaire n’est pas disposé comme les autres microscopes; il s’emmanche sur le tube d'une grosse lentille éclairante (n°. 13) placée dans la lunette de la lanterne, par l'intermédiaire d’un tube de cuivre au fond duquel se trouve le focus. Une vis de rappel permet de rapprocher plus ou moins ce focus du porte-objet placé en avant, afin de con- centrer le plus de lumière possible sur l'objet à examiner. Le porte-objet lui-même forme comme les deux mâchoires d’un étau, et ces mâchoires sont sans cesse serrées l’une contre l’autre par un fort ressort boudin, Enfin, devant le porte-objet, et mobiles sur une règle à crémaillère, se trouvent les trois ou quatre lentilles, servant d'objectif, qui opèrent le grossis- sement. Ce système est mis en mouvement par une vis de rappel, et c’est à l’aide de cette vis qu’on place l’image de l’objet au point. Derrière ces lentilles se 174 PROJECTION trouve un écran percé, qui limite le champ de lu- mière, et que l’on peut pousser plus ou moins sur la règle servant de support à l’objectif, afin d'augmenter ou de rétrécir le champ lumineux. En outre de la vis de rappel, qui fait avancer ou reculer les objectifs, M. Dubosc a établi, sur le sup- port même de ces objectifs, une autre vis destinée à les faire avancer d’une manière excessivement lente ; mais celte vis ne sert guère que pour les recherches microscopiques très-précises. Enfin, derrière les objectifs peut s'emmancher, dans un bout de tube, une autre lentille d’un diamètre plus grand, qui sert à amplifier encore les images fournies par les objectifs. Elle ne peut guère être employée qu'avec la lumière solaire; mais le tube dans lequel on l’introduit sert pour recevoir le prisme analyseur dans l'expérience du microscope polarisant, comme nous le verrons plus tard. Ordinairement on achète, chez M. Bourgogne, les objets microscopiques tout préparés; ils fournissent des effets on ne peut plus curieux. Mais il est d’autres expériences que l’on doit préparer soi-même, et pour lesquelles de petits appareils ont été construits. De ce nombre sont les cristallisations s’opérant à vue, la formation de l'arbre de Saturne, la circulation du sang dans la queue d’un têtard, la circulation de la sève dans la chara, et l’exhibition des monstres du vinaigre. Pour la première de ces expériences, celle des cris- tallisations, à vue, on prend une fiche de verre montée sur une fiche de cuivre, découpée sur une grande partie DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 175 de sa longueur et de sa largeur ; on nettoie bien la lame de verre, et on laisse tomber une goutte d’une dis- solution de selammoniac ou de chromate de potasse sur celle des surfaces du verre qui se trouve encadrée par la fiche de cuivre; on place le tout entre les pinces du microscope, et la chaleur qui se trouve concentrée par le focus provoque la cristallisation ; on voit alors les ramifications de ces cristallisations naître et s’étendre comme par enchantement et avec une vitesse extraor- dinaire. C'est pour empêcher le contact de la dissolu- tion avec les pinces , que la fiche de verre est garnie de cuivre. Pour faire l'expérience de l'arbre de Saturne, on a une petite cuve en verre, dans laquelle aboutissent deux électrodes de fil de platine très-fin ; ces deux électrodes, soudées sur des tiges qui servent de bou- tons d'attache aux pôles d’une pile, ne sont éloignées lune de l’autre que de deux millimètres tout au plus. Quand on à rempli cette cuve , ainsi disposée , d’une dissolution d’acétate de plomb, on la place entre les pinces du microscope, et on attache aux deux bou- tons des électrodes les rhéophores d’une pile de deux éléments de Bunsen, en ayant soin d’interposer dans le courant un commutateur à renversement de pôles. Sous l'influence du courant, l’acétate étant décom- posé, le plomb se précipite en $e cristallisant à l’élec- trode négative, et l'oxygène de l'acide se dégage au pôle positif, Le microscope, en amplifiant cette cris- tallisation, donne au plomb déposé l'apparence d’une fougère plus ou moius touffue , qui se trouve détruite aussitôt qu’on renverse le courant, pour aller se refor- 176 PROJECTION mer à l'autre électrode. Dans ces permutations de sens du courant, ily a des effets mécaniques opérés entre les deux cristallisations, qui sont des plus inté- ressants à suivre. 11 faut faire, par exemple, attention à ce que les fils des électrodes ne soient pas trop distants du bord de la cuve correspondant aux ob- jectifs. L'expérience de la circulation du sang, dans la queue d’un têtard, est on ne peut plus curieuse. Pour la faire, il faut avoir une fiche de verre articulée sur une fiche de cuivre et terminée par une espèce de moule en forme de cuillère, dans lequel on empri- sonne le têtard. Quand le moule est refermé sur le têtard , la queue, qui est transparente, ressort seule et apparaît au milieu de l'ouverture pratiquée dans la fiche de cuivre; on plonge l’appareil ainsi disposé dans une cuve très-étroite, qui est remplie d’eau, et on place le tout entre les pinces du microscope. On voit alors non-seulement le sang descendre par les artères et remonter par les veines, de manière à opérer un trajet circulaire, mais encore on distingue les glo- bules du sang et la manière dont il pénètre le paren- chyme. C’est dans le mois de juillet que cette expé- rience est la plus facile à faire. | Pour observer la circulation de la sève, on prend une certaine herbe qui croît ordinairement dans les mares et qu’on appelle la chara. On en aplatit un peu les filaments, afin qu'ils soient plus transparents, et on la met dans la cuve qui a servi à l'expérience précédente ; on voit, en plaçant cette cuve entre les pinces du microscope, le liquide faire son ascen- DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 1477 sion à travers les trachées de la plante, comme si c'était la sève elle-même. Les monstres, dans le vinaigre, dans la colle de farine ou dans l’eau croupie, ne se voient que quand les substances sont très-vieilles et mal conservées. Pour les observer , on a des fiches dans lesquelles se trouve réservé, entre deux lames de verre, un espace vide d'environ deux millimètres d'épaisseur, C’est dans cet espace vide qu’on verse la substance liquide que l’on veut soumettre à l’expérimentalion. Quand le vinaigre est dans de bonnes conditions, on voit tout le ïiquide agité par des myriades de monstres qui ont, pour la plupart, la forme d’an- guilles. Ces animaux sont bien vite rôtis par la chaleur développée dans le microscope, et l’on doit, quand on veut expérimenter d’une manière consciencieuse, mu- nir le microscope d’un appareil absorbant. Cet appa- reil consiste dans une cuve circulaire avec des côtés plats et transparents, que l’on remplit d’une disso- lution d’alun filtrée , et que l’on adapte à l’intérieur de la lanterne, devant la lentille plan convexe. La lumière n’est pas, par ce moyen, trop affaiblie et se trouve dépouillée d’une partie de sa chaleur. 14. Expérience de Malus sur la polarisation de la lumière. — Pour faire cette expérience , il suffit d’adapter à la lunette de la lanterne une glace noire inclinée à 35°, par rapport aux rayons qui sortent de l'appareil, et de placer au-devant d’elle l’une des lentilles convergentes (n°, 1 ), afin de diriger les rayons réfléchis par cette glace sur une autre glace noire éga- 12 178 PROJECTION x lement inclinée à 35°, que l’on monte sur le support ne, 17,et sur laquelle est fixée, à l'extrémité d’une tige articulée , un disque de papier blanc. Quand le plan de réflexion du rayon lumineux sur la première glace est horizontal, et que le plan de réflexion de ce rayon, réfléchi sur le deuxième miroir, est vertical, l’image lumineuse sur le disque est à peu près éteinte; mais si ce dernier plan de réflexion devient horizontal, ce qui lui arrive quand on a tourné tout le système d’un angle de 90°, l’image lumineuse devient excessivement brillante. Il résulte donc bien de cette expérience : que la lu- mière tombant sous un angle de 35° sur une glace noire, éprouve, après sa réflexion, une modification telle qu’elle se trouve éteinte après une deuxième réflexion pour une certaine position de la seconde glace, et ravivée pour une autre position de cette même glace, quoique le cône de lumière soit toujours tombé de la même manière sur les deux miroirs. On démontre donc ainsi : que la première glace a polarise la lumière, et que la seconde, en analysant cette lu- mière réfléchie, a mis au jour ses caractères de lu- mière polarisée. Pour rendre ces caractères plus distincts, M. Dubosc a ajouté au support de la premiere glace (le polari- seur),un petit étui dans lequel on place un quartz taillé perpendiculairement à l'axe, Il en résulte que, dans la rotation du miroir analyseur, on colore l'image lumireuse d’une manière différente pour les deux positions rectangulaires de ce miroir. Ainsi cette image paraît rouge sur le disque de papier, quand DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 1479 le plan de réflexion du rayon polarisé, tombé sur la deuxième glace , est vertical; au contraire, cette image paraît verte, quand ce plan est horizontal, 15. Expérience du docteur Guérard. — Pour que Von puisse percevoir d’un seul coup-d’œil les carae- tères différents de la lumière polarisée, suivant la position du plan de polarisation, M. Guérard a imaginé un petit appareil bien simple, qui consiste dans un double système conique et pyramidal de verre noir, placé au centre d’un disque de papier blanc. D'un côté de ce disque se trouve la pyramide qua- drangulaire , de l’autre côté le cône; mais ces deux solides sont taillés de manière qu’un rayon de lumière horizontal projeté sur leur surface fasse un angle de 39° avec elle, et se trouve réfléchi sur le champ du disque de papier. Si dans l'expérience précédente on substitue au miroir analyseur cet appareil, et si on di- rige, par le moyen de la lentille convergente, le rayon polarisé sur le sommet du cône ou de la pyra- mide, il arrive que ce rayon éprouve une réflexion multiple : quadruple avec la pyramide quadrangulaire, et circulaire avec le cône. Or, cette réflexion étant opérée par une surface de verre noir, faisant avec le rayon incident polarisé un angle de 35°, elle repré- sente l'analyse de ce rayon dans toutes les positions possibles du plan de polarisation. Alors, pour peu qu'on l’examine attentivement , on reconnaît : {°. que, dans les réflexions de la pyramide quadrangulaire , deux des images sont éteintes, tandis que les deux au- tres sont brillantes; 2°, que, dans la couronne de lu- 150 PROJECTION mière réfléchie par le cône, deux arcs d'environ 90°, placés aux deux extrémités d’un même diamètre, pré- sentent une illumination croissante jusqu’en leur point milieu, tandis que les deux autres arcs présentent une obscurité successivement croissante également jusqu’en leur point milieu. Or , ces positions où les images lu- mineuses sont les plus brillantes et les plus obscures, correspondent précisément aux deux positions rectan- gulaires du plan de polarisation. En plaçant le quartz sur le trajet du rayon polarisé, on trouve deux images rouges et deux images vertes avec la pyramide quadrangulaire , et, avec le cône, deux nuances vertes et deux nuances rouges qui ten- dent à se mêler successivement, à mesure qu’elles s’approchent l’une de l’autre. Ces expériences démontrent facilement la polarisa- tion par réflexion. 16. Polarisation par réfraction. — On adapte à la lunette de la lanterne un couvercle en verre (n°. 6, n°. 20) sur lequel est collé un morceau de tourma- line, taillé parallèlement à l’axe. Au-dessus de ce pre- mier couvercle s’en trouve un second, également en verre, sur lequel se trouve collée de la même manière une seconde tourmaline. On place devant ces couver- cles la lentille convergente de 33 centimètres, et on met les tourmalines au point. Quand ces tourmalines sont placées l’une au-dessus de l’autre, la lumière qui les traverse est naturellement affaiblie, parce que ces cristaux sont colorés et qu’ils présentent une épais- seur double , mais elle n’est pas complètement ab- DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 481 sorbée. Quand, au contraire, on les tourne de ma- nière qu’elles se croisent , le point d’intersection est complètement obscur. Pour le démontrer, on prend une lame de mica que l’on introduit entre les deux tourmalines ; au moment où le mica entre dans la partie obscure, il l’éclaire et semble repousser le noir, comme si c’était un corps opaque. On démontre donc bien par là que la lumière , en traversant certains cristaux, tels que la tourmaline, se trouve polarisée , et que les axes de ces cristaux jouent en quelque sorte le rôle des plans de réflexion dans les expériences de la polarisation par réflexion, puis- que quand les axes de ces cristaux polariseurs sont perpendiculaires, il y a extinction, et, au contraire, libre passage de la lumière, quand ces axes sont pa- rallèles. L'action du mica dans cette expérience est de faire tourner le plan de polarisation, et, par conséquent, d'opérer physiquement ce que l’on fait mécanique- ment en tournant à la main l’un des deux couvercles. Cette expérience pourrait être répétée avec des piles de verres disposées sous des angles de 35° par rapport aux rayons incidents. Mais ce moyen de polarisation étant trop dispendieux et trop encombrant, on préfère ordinairement polariser d'une autre manière que nous allons indiquer. 17. Polarisation par double réfraction, — Certains cristaux transparents , tels que le spath d'Islande , par exemple, jouissent de la singulière propriété de diviser le rayon de lumière qui les pénètre, et de transmettre 182 PROJECTION deux ou plusieurs images de l'objet qu'on regarde au travers. Dans tous ces cristaux, qui sont dits pour cela bi-réfringents, il est cependant une ou deux directions, suivant lesquelles la double réfraction nes’effectue pas, c’est-à-dire suivant lesquelles on ne voit qu'un seul objet, au lieu de deux. Ges directions sont précisément celles qui correspondent aux axes cristallographiques du cristal, Mais, pour nous, elles constitueront ce que nous appellerons leurs axes optiques. Les cristaux à un axe seront donc ceux qui n’ont qu’un axe optique, et les cristaux à deux axes seront ceux qui en ont deux. Une propriété particulière de ces cristaux, c’est que les rayons lumineux qui les traversent se trouvent po- larisés. Ceux qui fournissent l’image ordinaire de la simple réfraction sont polarisés dans un plan, tandis que ceux qui fournissent l'image extraordinaire se trouvent polarisés dans le plan perpendiculaire. Il ré- sulte de cette propriété qu’en faisant traverser un cristal bi-réfrmgent par un rayon de lumière, et n’uti- lisant que ceux desrayons réfractés qui correspondent à un même faisceau , on obtient de la lumière pola- risée qui a le grand avantage, sur celle fournie par les tourmalines , d’être parfaitement blanche. C’est ce moyen de polarisation qu'on emploie généralement dans les expériences de projection dont nous allons parler , mais pour éviter les effets de l’irisation , on accole au prisme de spath d'Islande un second prisme de verre d’un angle tel qu’en réfractant la lumière en sens contraire il puisse détruire à peu près complète- ment l'effet de la dispersion. Ainsi disposés, ces DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE, 183 prismes s'appellent prismes bi-réfringents. On démontre la polarisation différente des deux images fournies par ces polariseurs de la manière suivante : On place dans la lunette de la lanterne le cylindre d’ajustement désigné n°. 21. Dans ce cylindre , on in- troduit un prisme bi-réfringent, puis au-dessus de ce prisme un diaphragme percé d’un trou. On place en avant la lentille convexe de 33 centimètres de foyer, et quand les images du trou du diaphragme sont ré- duites à une seule, par suite de la convergence des rayons opérée par la lentille, on place sur le trajet de ceux-ci le support n°. 47, dans lequel on a intro- duit un second prisme bi-réfringent muni d’un obtura- teur. On s'arrange de manière qu’un seul des deux rayons fournis par le premier prisme pénètre à tra- vers le second. Alors deux images blanches se voient immédiatement sur le rideau, pour une position con- venable des prismes, et si l’on tourne successivement le second prisme bi-réfringent, que nous appellerons analyseur, on constate les phénomènes suivants : 1°. Quand les sections principales (1) des deux prismes bi-réfringents sont parallèles, l’image ex- traordinaire est éteinte et l’image ordinaire seule sub- siste. 2°, Quand les sections principales sont à 45° l’une sur l'autre, les deux images apparaissent avec la même intensité lumineuse. (1) On appelle section principale d’un prisme bi-réfringent la sec- tion selon laquelle il serait coupé par un plan qui, en passant par l'axe du cristal, en joindrait les deux angles obtus. 184 PROJECTION 3°. Quand les sections principales sont perpendicu- laires, l’image ordinaire disparaît. Comme les sections principales des prismes bi-ré- fringents correspondent à la direction des plans de polarisation , on voit que les deux rayons d'un prisme bi-réfringent sont polarisés dans deux plans rectangu- laires. 18. Expérience d’Arago. — Puisque les deux images fournies par un prisme bi-réfringent sont polarisées à angle droit, il en résulte qu’un quartz interposé sur le rayon polarisé, qui colorera l’une des images en rouge, devra coiorer l’autre en vert, et comme les diverses positions du prisme bi-réfringent dans le mouvement de rotation qu’on lui communique, en se combinant avec la rotation naturelle du plan de pola- risation produite par le quartz, donnent lieu à des couleurs différentes, il arrive que les deux images, pour chaque moitié de la révolution du prisme, passent alternativement par toutes les couleurs du spectre; mais ces couleurs sont toujours complémentaires l’une de l’autre. Ainsi, si l’image extraordinaire est rouge dans la position horizontale, l’image ordinaire sera verte; tandis que, dans la position verticale, cette dernière sera rouge et la première verte. Entre ces deux positions, l’image extraordinaire se teindra suc- cessivement en orangé et en jaune, et l’image ordi- naire deviendra bleue et violette. Enfin , l’image extraordinaire devenant bleue et violette, l’image or- dinaire sera orangée et jaune. Il est facile de s'assurer que ces couleurs sont DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 185 complémentaires l’une de l’autre dans les deux images. Il suffit, pour cela, de substituer à la lentille de 53 centimètres la lentille la plus convexe; alors les deux images se coupent, et leur partie commune, qui est constituée par de la lumière naturelle, reste toujours blanche, quelque couleur que prennent d’ailleurs les images. 49. Croix de la double réfraction. — Pour projeter ces phénomènes dont il serait beaucoup trop long d'expliquer ici la théorie, on adapte sur le cylindre d’ajustement (n°. 21), au lieu et place du dia- phragme percé et de son quartz, l’appareil à pinces (n°. 25) qui se compose d’une lentille convergente, d’une pince mobile dans toutes les directions et d’un écran percé , comme celui du microscope , pour limiter le champ de lumière. On place les cristaux à un ou à deux axes entre les pinces; on adapte le prisme de Nicol analyseur (1) dans le trou de l'écran; on rapproche ou on éloigne les cristaux de la lentille, et on les incline jusqu’à ce que les images paraissent (1) On appelle prisme de Nicol, un rhomboëdre de spath d’Is- lande, divisé en deux suivant sa section principale, et recomposé par la juxta-position de ces deux moitiés collées avec du baume de Canada. L'indice de réfraction du baume de Canada étant plus petit que l'indice ordinaire du spath d'Islande, mais plus grand que son indice extraordinaire, il en résulte qu’un rayon lumineux pénétrant dans le prisme, le rayon ordinaire éprouve sur la surface de la section la réflexion totale, tandis que le rayon extraordinaire passe seul, On a donc ainsi un polariseur fort commode, qui est surtout de la plus grande utilité pour analyser un rayon polarisé. 186 PROJECTION nettes et caractérisées sur le tableau; après quoi on tourne le prisme de Nicol sur lui-même, et on voit successivement des croix noires et blanches, qui cou- pent plusieurs couches superposées d’anneaux colorés, circulaires avec les cristaux à un axe, ellipsoïdiques avec les cristaux à deux axes. Dans ces derniers , la croix se divise et forme deux branches circulaires noires ou blanches, dont la position varie suivant celle du cristal, En superposant l’un sur l’autre deux spaths et les interposant dans les pinces de l'appareil, les branches noires de la croix se recourbent , et forment ce que l'on appelle les spirales d’Airy. 20. Hyperboles mobiles. — Sans rien changer à l'installation précédente, on peut, par l’interposition d’un petit appareil composé de deux quartz à axes croisés et superposés, obtenir le phénomène curieux des hyperboles mobiles. Il suffit pour cela de faire glisser successivement un des quartz dont l’épaisseur est variable, ce que l'on obtient facilement à l’aide d’une vis de rappel engrenant avec une cremaillère dont est muni le quartz en question. Il est essentiel que ces quar{z soient inclinés à 45° par rapport à la section principale du prisme polariseur, On voit alors sur le tableau de belles franges colo- rées ayant la forme d’hyperboles, qui se pénètrent successivement et qui sont d’un très-bel effet. 21. Parallélipipèdes de Fresnel. — Vour cette expé- rience, il ne s’agit que de substituer l’appareil ren- DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 187 fermant ces paralléiipipèdes à celui des hyperboles mobiles. Quand les deux parallélipipèdes sont situés dans un même plan vertical et que le prisme de Nicol, par sa position, doit éteindre la lumière polarisée , on est tout étonné qu'après avoir subi deux réflexions totales à l’intérieur de ces parallélipipèdes de verre, cette lumière se trouve avoir acquis des propriétés assez particulières pour neutraliser cet effet, Si on cherche à se rendre compte de ce phénomène en interposant un spath d'Islande entre les deux parallélipipèdes, on trouve que, quand le plan de ceux-ci est incliné à 45° par rapport à la verticale, les croix de la double réfraction n'existent plus et sont changées en une bande circulaire noire, qui prouve que la lumière a dû se propager circulairement dans ce cas. 22, Polarisation des lames de chaux taillées avec des épaisseurs différentes. — Le plus ou moins grand degré de déviation que les cristaux à rotation font prendre au plan de polarisation, dépend de leur épaisseur. On comprend donc qu’en composant un dessin avec des lames cristallines ( de carbonate de chaux) de diffé- rentes épaisseurs, on puisse le colorer par polari- sation. C’est , en effet, ce à quoi l’on est parvenu, et, pour projeter ces dessins, voici comment on dis- pose les appareils, On laisse l'appareil à pinces dans sa monture; mais on renverse les pinces en arrière, et on substitue au prisme de Nicol analyseur un obtura- teur disposé à cet effet. On retire du support (n°. 17) le prisme bi-réfringent, et on adapte dans ce support: 4°. un système de lentilles éclairantes (n°, 29) destinées 188 PROJECTION à donner un beau champ de lumière; 2° un autre système lenticulaire que l’on introduit du côté opposé, et que l’on munit du prisme de Nicol analyseur ; 3°. un cadre circulaire pour recevoir les verres travaillés que l’on place en avant de la lentille éclairante. On approche ce système assez près de l'écran de l'appareil à pinces , pour que toute la surface des verres travaillés soit bien illuminée, et on introduit dans le cadre circulaire les différents verres sur les- quels sont appliquées les lames de chaux qui forment le dessin. Alors, en tournant le prisme de Nicol ana- lyseur , on fait apparaître sur le tableau le dessin, qui semble peint avec les plus vives couleurs, et ces cou- leurs changent dans les deux positions rectangulaires du plan de polarisation. Les dessins qui réussissent le mieux sont des papillons, des fleurs, des reproduc- tions de vitraux, des ornements, etc. , etc. 23. Polarisation des verres trempés; du verre com- primé , du verre courbé, du verre chauffé. — Rien n’est changé à la disposition précédente des appareils, seu- lement on substitue aux verres travaillés avec les lames de chaux, des verres de différentes formes qui ont été trempés étant chauds; on voit alors des dessins colorés naturels qui varient, non-seulement suivant la forme des verres et la position du plan de polarisation, mais encore suivant la position du verre dans le champ de Jumière. En comprimant un morceau de verre dans upe presse faite dans ce but, et l’exposant devant la lentille éclairante du support n°. 17, on voit le phéno- mène de la polarisation du verre se développer suc- DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 189 cessivement. Ainsi, un morceau de verre qui paraît uniformément blanc sur le tableau, se trouve bientôt sillonné par des franges colorées, à mesure qu’on le comprime, et ces franges disparaissent aussitôt qu'on desserre la pince. Mêmes effets quand on courbe une baguette de verre ; seulement le dessin consiste unique- ment dans trois bandes parallèles légèrement colorées. Ilen est de même quand, après avoir chauffé à la lampe à esprit de vin un cube de verre, on l’expose devant l’appareil. Les dessins en sont même très-réguliers. 2h. Variations subites des couleurs obtenues par les moyens de polarisation précédents , en plaçant sur le trajet des rayons polarisés un quartz à faces non paral- lèles. — Pour faire cette expérience, il suffit d’interposer un quar{z, à faces non parallèles et taillé parallèlement à l'axe, au point de croisement des rayons polarisés au sortir de la lentille de l'appareil à pinces. En in- clinant légèrement à 45° ce quartz et en le faisant avancer successivement , on fait passer les objets, déjà colorés par la polarisation, par toutes les nuances possibles. C’est un spectacle réellement éblouissant et fantastique. On peut aussi, en maintenant fixe ce quartz quand il donne au champ lumineux une teinte rosée, dé- montrer la différence d’action polarisante exercée des deux côtés d’une baguette de verre recourbée. D'un côté, en effet, la couleur de la baguette est verte, tandis que de l’autre elle est rouge. 25. Interférences dans le spectre (expérience de 190 PROJECTION M. Biot \. — Long-temps avant la découverte des phé- nomènes de la polarisation de la lumière, on avait constaté que cet agent physique, passant à travers des surfaces très-finement rayées , se décomposait , et on avait donné à ce phénomène le nom de diffraction. En étudiant de plus près ce phénomène, on est arrivé à conclure que quand deuxrayons de lumière se rencon- traient sous un très-petit angle, de manière à présenter une différence dans le chemin parcouru, ils inter féraient, c’est-à-dire qu’ils se détruisaient. Ce phénomène a été mis en évidence de bien des manières différentes; mais aucune n’est plus frappante que celle que nous allons décrire : On adapte au cylindre d’ajustement n°. 21, toujours muni de son polariseur, une petite fente très-étroite. On renvoie l’image de celte fente sur le rideau, à l’aide de ja lentille de 33 centimètres , et on recoit le faisceau de lumière polarisée sur un prisme de flinth. Le spectre étant projeté sur le tableau de la manière qui a été déjà indiquée et ayant atteint son minimum de déviation, on le recoit à travers un prisme bi-ré- fringent qu'on a replacé dans le support n°. 17. Ce prisme fournit deux images de ce spectre, que l’on peut disposer l’une au-dessus de l’autre, comme les disques colorés dans l'expérience d’Arago. L’expé- rience étant ainsi disposée, on place devant la fente un quartz à faces parallèles, qu’on incline plus ou moins dans tous les sens; on voit alors les deux spec- tres sillonnés par des bandes noires plus ou moins larges, plus ou moins mulhipliées, suivant l'inclinaison du quartz, et qui sont alternées dans les deux specires. DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 191 Ces raies noires sont précisément les interférences qui résultent des déviations produites par le quartz , dans la rotation qu’il fait éprouver au plan de polarisation, des différents rayons colorés appartenant aux deux spectres. 26. Anneaux de Newton. — Les anneaux de Newton Sont, comme on le sait, produits par les interférences résultant de l’inégal chemin parcouru par des rayons lumineux qui,après avoir traversé un verre légèrement plan convexe , se sont trouvés réfléchis par un verre noir à surface plane sur lequel le verre convexe a été appuyé. En changeant le point de tangence des deux surfaces, on déplace les anneaux , et en serrant plus ou moins les verres un contre l’autre au moyen de vis adaptées à la garniture, on les élargit consi- dérablement. Pour projeter ces anneaux dans des dimensions convenables, on commence par enlever tous les appareils qui se trouvent placés sur la lunette de la lanterne, et l’on place l'appareil qui est monté sur un pied, de manière à plonger au milieu du cylindre de räyons parallèles envoyés par la lentille plan convexe de la lanterne. On incline légèrement l'appareil, afin que ces rayons puissent être ren- voyés de côté par leur réflexion sur la glace noire, et on interpose, sur le trajet des rayons réfléchis, la grosse lentille convergente. En plaçant dans la di- rection de ces rayons l'écran portatif, on obtient la projection des anneaux, et cette projection peut encore être amplifiée par l’interposition de la seconde lentille convergente, qu’on place tout à côté de la première. 192 PROJECTION 27. Anneaux de Newton avec coupure. — Cette expé- rience, destinée à montrer lanon-coïncidence desinter- férences , quand , par une circonstance quelconque, les rayons interférents sont en retard d’une &Gemi-ondula- tion les uns par rapport aux autres, exige un appareil particulier, qui se compose d’un verre plan con- vexe, coupé en deux parties disposées d’une manière particulière, et d’un verre prismatique, légèrement bombé sur celle de ses faces qui doit être appliquée sur le verre plan. Pour faire l’expérience, on verse une goutte d'essence de girofle sur le verre plan, et on y applique ensuite le verre prismatique, que l’on serre à l’aide de deux vis adaptées à la monture. La goutte liquide s'étale, et les anneaux se montrent au milieu du liquide, mais bien différents des anneaux précédents; ils paraissent coupés par la moitié , et se trouvent alternés, comme les interférences dans l’ex- périence de M. Biot. Ainsi, la partie foncée de l’anneau appartenant à la moitié inférieure correspondra à la partie blanche de l’anneau correspondant appartenant à la moitié supérieure, Pour projeter cette expérience, qui est d’ailleurs assez délicate à reproduire, il faut incliner l'appareil de manière que le verre plan, for- tement éclairé par les rayons parallèles issus de la lanterne , renvoie de côté l’image des anneaux. L'am- plitude de cette inclinaison n’est pas indifférente, car si elle est trop petite, les anneaux ne se distinguent pas, et si elle est trop grande, les anneàux se con- fondent. C’est, du reste, une question de tâtonnement. Quand on croit avoir disposé l'appareil sous l’angle voulu , on place , comme dans l'expérience précédente, DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 493 la lentille convexe sur le trajet des rayons réfléchis, et on recoit l’image projetée sur l’écran mobile, que l'on dispose de la manière la plus favorable pour la petteté de l’image. 28. Anneaux dus à l’insufflation sur un miroir con- care. — Gelte expérience, très-curieuse, est facile à reproduire. On adapte à la lunette de la lanterne le couvercle percé et recouvert de papier blanc, que nous avons désigné sous le n°. 20 ,5°. On place à la hauteur du trou le petit miroir concave ( n°. 2), et on le recule jusqu’à ce que l’image du trou du couvercle, réfléchie par lui,se trouve à peu près de la grandeur du trou lui-même. En inclinant plus ou moins le miroir , on fait coincider cette image avec le trou, et on soufile sur la glace. Aussitôt le couvercle qui paraissait sombre s'illumine , et des anneaux magnifiques se développent tout autour du trou du couvercle sar le papier blanc dont il est recouvert. Ces anneaux sont encore un effet d’interférences. 29. Réseaux par réfraction. — La lumière, comme nous l’avons déjà dit , peut se trouver décomposée en frisant les bords de fentes très-étroites. Un verre rayé très-finement et qui présente, par cela même, des in- tervalles transparents à côté d’intervalles opaques, se trouve donc dans le cas de décomposer la lumière qui le traversera. C’est, en effet, ce qui a lieu, et, chose curieuse, tout en décomposant la lumière , ces raies multiplient l’image de la projection lumineuse. C’est ce phénomène qui est connu sous le nom de phénomène 15 194 PROJECTION des reseaux. Pour le projeter d’une manière intéres- sante, on prend un pelit appareil (n°. 37) composé de deux verres rayés montés sur des encadrements en cuivre , et mobiles dans un étui horizontal. On place sur la lunette de la lanterne le couvercle à diaphragme troué, et on choisit l’une des plus petites ouvertures. On interpose sur le trajet du rayon lumineux lune des deux lentilles convexes, et, quand l’image de l’ou- verture par laquelle ce rayon est introduit est sufli- samment nette sur le rideau, on interpose l'appareil aux réseaux, On aperçoit immédiatement, sur ce rideau , deux raies composées d’une série de disques lumineux irisés qui vont en diminuant de diamètre depuis leur partie moyenne et que l’on met en mou- vement de rotation en tournant les verres rayés sur eux-mêmes. 30, Réseaux par réflexion. — On comprend facile- ment que le phénomène précédent doit se répéter, si derrière des réseaux produits d’une manière quel- conque se trouve une surface réfléchissante. Par con- séquent, toute surface métallique rayée très-fin, comme les boutons des marquis d'autrefois, doit donner lieu au phénomène des réseaux. C’est en effet ce qui a lieu,et, pour projeter ce phénomène, il suffit d’exposer sous un angle convenable un de ces boutons (que l'on vend chez les opticiens sous le nom de bou- tons de Barton) au rayon lumineux, projeté comme dans l'expérience précédente ; aussitôt une belle étoile de couleurs irisées apparaît au plancher. Cette étoile provient des nombreuses facettes rayées qui sont DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 195 pratiquées sur ces sortes de boutons , et qui donnent lieu à un grand nombre de réflexions différentes. 31. Microscope polarisant. — C’est, sans contredit, la plus curieuse des expériences de l’optique. Pour la faire , il ne s’agit que d'introduire dans le microscope ordinaire, derrière le focus, un prisme de Nicol monté tout exprès pour cela. On enlève ensuite l'objectif am- plifiant du microscope, et, dans le tube qui lui sert de support, on place le prisme de Nicol analy- seur, qui a servi déjà cinq fois dans les expériences précédentes. Quand l'appareil est ainsi monté, il faut parfaitement centrer le point lumineux, car toute la réussite de cette expérience dépend de cette con- dition. Pour cela, on place le prisme de Nicol ana- lyseur dans la position contraire à celle qui donne l'extinction de lumière, et on règle le régulateur jusqu’à ce que le champ de lumière, sur le tableau, soit le plus brillant possible. Quoi qu’on fasse, cepen- dant, ce champ est toujours beaucoup moins brillant que celui du microscope ordinaire. Quand l'appareil est ainsi réglé, on place devant l'objectif les diffé- rentes fiches sur lesquelles on a mis à cristalliser quelques gouttes de dissolutions salines, et l’on est tout étonné, quand l’appareil est mis au point, de voir surgir, comme par enchantement, des dessins merveilleux animés des couleurs les plus vives, que l’on peut faire varier à volonté en tournant le prisme de Nicol analyseur. Pourtant rien ne se voit sur les fiches de verre, Les cristallisations ou autres substances qui produisent les effets les plus curieux sont : 496 PROJECTION 4°, La salicine; 2%, Le sulfate de cadmium; 3. Le soufre anhydre cristallisé ; h°, Le borax; 5% L’acide gallique; 6°. Le chlorate de potasse ; 7°. Les cheveux; 8°, L'acide oxalique , etc., etc. 32, Fontaine de Colladon. —Ceite expérience, fondée sur les effets de la réflexion totale de rayons lumineux au sein d’un liquide, est une de celles qui produit le plus d’effet sur le public. Elle n’exige, pour être faite, qu'une fontaine cylindrique en zinc d'environ 2 nètres, percée à sa partie inférieure d’un trou de 2 cen- timètres de diamètre par lequel doit s’écouler l'eau, et d’une ouverture circulaire, munie d’un verre, par laquelle doit être projetée la lumière. — Gelle-ci sort de la lanterne par la lunette, qui reste toujours munie de sa lentille plan convexe. Pour que les rayons lumi- neux soient projetés plus facilement, on interpose sur leur trajet la lentille de 33 centimètres et on la place de manière que les rayons projetés à travers Pajutage rencontrent la surface interne de la veine liquide sous un angle assez petit pour qu’ils n’émergent pas. Alors, on laisse écouler l’eau, et la veine paraît illuminée dans toute son étendue, parce que la lumière, ne pou- vart émerger, subit un nombre indéfini de réflexions à l’intérieur de la veine et se trouve ainsi, en quelque sorte, emprisonnée par elle. On dirait, en voyant cette expérience, que c’est un jet de lave qui coule. DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 197 En faisant circuler derrière la fenêtre de la fontaine un cadre muni de verres de couleurs différentes, on change la couleur lumineuse de la veine liquide, PROJECTIONS PAR LA LUMIÈRE SOLAIRE. Pour obtenir la projection des phénomènes précé- dents par la lumière solaire, on substitue au régu- lateur de lumière électrique et à sa lanterne, un porte- lumière ou un bhéliostat, que l’on fixe sur un volet fermant hermétiquement la fenêtre d’une chambre exposée au midi. Les porte-lumière que M. J. Dubosc construit, ont une lunette précisément de même ca- libre que celle de la lanterne du régulateur de lu- mière électrique; de sorte que toutes les pièces qui s'adaptent sur celle-ci pour les expériences précé- dentes, peuvent parfaitement se monter sur le porte- lumière. Pour obtenir la projection du point lumineux sur le rideau, il ne s’agit que d’incliner plus ou moins le miroir du porte-lumière dans deux sens différents , ce que l’on fait au moyen de deux grandes vis de rappel qui se trouvent à l’intérieur de la chambre, et qui, par des engrenages, réalisent ce double effet. De cette manière, c’est l’image du soleil qui est sub- stituée au point de lumière électrique. Toutes les expériences de la première série que nous avons indiquées page 167 et suivantes, sauf les 198 PROJECTION raies résultant de la fusion des métaux et la projection des charbons de la lumière électrique, peuvent se re- produire avec la lumière solaire et se disposent comme nous l’avons déjà expliqué. Les expériences du micros- cope ordinaire et du microscope polarisant sont dans le même cas; mais les expériences de la polarisation et du polyorama peuvent être organisées d’une manière plus simple, parce qu’on peut polariser directement la lumière solaire au moyen de la glace noire du porte-lumière et que les lentilles convergentes peu- vent, jusqu’à un certain point, être substituées à l’ap- pareil polyoramique. Nous allons donc expliquer la manière de disposer ces diverses expériences dans le cas qui nous occupe. Expérience de Malus sur La polarisation de la lumière. — Cette expérience s'organise comme celle que nous avons décrite p. 178, sauf que le miroir polarisant est supprimé et remplacé par celui du porte-lumière. Expériences du docteur Guérard. — Même change- ment que précédemment. Polarisation par réfraction avec tourmulines. —Même disposition que celle décrite p. 480, il faut seulement avoir soin de changer le miroir du porte-lumière, afin que la lumière ne soit pas polarisée deux fois, Polarisation par double réfraction. — On peut dis- poser cette expérience comme nous l'avons dit p. 182, mais il est plus simple de se servir de la glace noire du DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 199 porte-lumière pour polariser le rayon qui est reçu par le prisme bi-réfringent analyseur. On place alors sur la lunette du porte-lumière le couvercle à diaphragme troué, n°. 20, 4°., on choisit un trou de moyenne grandeur et on projette l’image de ce trou sur le rideau, au moyen de l’une ou de l’autre des deux lentilles convexes ; on dispose sur le trajet des rayons lumi- neux le prisme bi-réfringent analyseur , placé dans le supportn°, 17,et on obtient les deux images polarisées. On place le quartz devant le trou du porte-lumière , et on colore ces images, comme il a été dit p. 184. Croix de la double réfraction. — On démonte la len- tille de l'appareil à pinces n°. 25 pour lui substituer un bout de tube disposé à cet effet, et on adapte le tout sur le tube qui fait partie de la lentille éclairante du microscope n°. 13. On place les cristaux dans les pinces, et l'expérience se fait d’ailleurs comme il a été dit p. 187. Hyperboles mobiles. — Même disposition que la pré- cédente, seulement substitution de l’appareil aux hyperboles à la pince à cristaux. Parallélipipèdes de Fresnel. —Même disposition, avec substitution des parallélipipèdes à l’appareil aux hy- perboles. Polarisation des lames de chaux. —Gette expérience se dispose un peu différemment de celle que nous avons décrite p. 187. D'abord, on dispose les appareils 200 PROJECTION comme pour projeter les croix de la double réfraction, puis on introduit successivement dans un petit cadre à engrenages les différents verres travaillés que l’on veut projeter. On place ensuite le prisme de Nicol analyseur de manière à ce qu’il donne le champ de lumière le plus brillant possible , et on tourne, par l'intermédiaire de l'engrenage du cadre, les verres travaillés jusqu’à ce qu’ils aient fourni les couleurs les plus vives. On recule ou on avance l'écran qui porte le prisme de Nicol jusqu’à ce que les images projetées paraissent très-nettes , et il ne s’agit plus que de tourner le prisme analyseur pour faire varier les coulears. Polarisation des verres trempts, comprimés, courbés, chaufjés, etc. — Même disposition que la précédente. Variations subites des couleurs , obtenues par les moyens précédents, en plaçant sur le trajet du rayon polarisé un quartz à faces non parallèles. — Comme dans les expériences précédentes, le prisme de Nicol analyseur doit être poussé contre le tube qui sert de support- à l’appareil à pinces; pour que les images soient très-nettes, cette dernière expérience est diffi- cile à bien exécuter. II faut donc prendre son parti d’avoir l’image moins nette, et de reculer le prisme jusqu’à ce que le point de croisement des rayons pro- jetés par la lentille éclairante soit en dehors du prisme analyseur. On interpose alors en ce point le quartz à faces non parallèles, et l’on fait varier les couleurs, comme dans l'expérience décrite page 189. DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. 201 Interférences dans Le spectre. — Au lieu de placer la fente sur le cylindre d'ajustement n°. 21, comme dans l'expérience avec la lumière électrique , on polarise avec la glace noire, et on place devant la lunette du porte-lumière le couvercie à fente n°, 205032-2C'est devant cette fente, qui ne doit pas être très-large, que l’on place le quartz qui doit fournir les interférences. — D'ailleurs, même disposition des appareils que pour l'expérience décrite page 1490. Toutes les autres expériences qui se rapportent aux interférences et à la diffraction , se projettent avec la lumière solaire, exactement de la même manière qu'avec la lumière électrique. Projection des raies du spectre solaire. — Les raies du spectre solaire, connues sous le nom de raies de Fraunbofer, ne se distinguent pas en général sur les spectres qu’on projette, parce que l’on cherche ordinai- rement à obtenir un spectre très- lumineux. Mais en prenant certaines précautions , on parvient à les pro- jeter très-distinctement. Ces précautions consistent à rétrécir considérablement la fente par laquelle pénètre la lumière et à chercher avec l'écran de carton le point où le spectre présente ces raies. Ce point, en effet, varie non-seulement avec l'intensité de la lumière et le degré de dispersion äu prisme, mais encore avec l'obscurité plus ou moins grande de la chambre. Avec des prismes de flinth, une distance de 2 mètres 1/2 entre l'écran et le prisme est la plus convenable; mais il faut que la lumière soit projetée sur le prisme par l'intermédiaire de la lentille de 33 cen- 202 DES PRINCIPAUX PHÉNOMÈNES DE L'OPTIQUE. timètres , et que le spectre soit bien au minimum de déviation. Un phénomène assez curieux que j'ai pu constater dans la projection de ces raies, c’est la persistance de leur apparition après que, par une circonstance quel- conque, telle que le passage d’un nuage devant le soleil , les couleurs viennent à être éteintes. SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION 3 PAR M. GEORGE BESNARD , Membre titulaire, —— 8 E— L'économie politique , à peine née au XVIIF°, siècle entre les mains de Quesnay et de Turgot, se trouva en présence d’un problême qui, sous une forme plus ou moins scientifique, a préoccupé les penseurs de toutes les époques, je veux dire la loi d’accroissement de la population. Un homme a attaché son nom d’une manière impérissable à cette question qu’il a hardiment tranchée ; les théories de l'anglais Malthus sont au- jourd’hui acceptées dans la science officielle, comme dans les écoles socialistes que nous avons vues se pro- duire sous le dernier règne; on en a tiré seulement des conséquences opposées, mais on n’en a pas contesté sérieusement la vérité. On sait en quoi consiste la loi formulée par Malthus, et poussée jusqu’à ses plus inflexibles résultats par quelques-uns de ses élèves. D'une part, la population, si aucun obstacle ne s’y opposait, se développerait incessamment suivant une progression géométrique , et sans limites assi- 204 SUR LA LOI D'AGCROISSEMENT gnables. D'un autre côté, les moyens de subsistance ne peuvent jamais s’accroître que suivant une progression arithmétique. Il en résulte que; d’après la tendance inhérente à l’espèce humaine, d’après l’instinct même déposé au sein de l’humanité, nous marchons vers un but qui n’est autre que la faim, la misère et la mort, puisque fatalement la population est poussée à dépasser les moyens de subsistance. Toutefois, Malthus était obligé de reconnaître que jusqu'ici les hommes ont vécu, et ne se sont pas encore dévorés entr’eux. Aussi admettait-il que des obstacles, checks, de diverse nature s’opposaient au développement régulier de la funeste progression géométrique, et tendaient à rétablir l'équilibre entre la population et la production. Ces obstacles sont de deux espèces, les uns extérieurs ou répressifs, les autres intérieurs ou préventifs ; les obstacles répressifs ne sont autre chose que les plus affreux fléaux appelés pour la première fois au secours de l’économie politique; c’est la guerre, la famine, la peste, le choléra, la misère, les maladies qu’en- traînent les privations; tout cela est nécessaire pour maintenir le niveau de l’humanité; ce sont des remèdes prévus et approuvés par Dieu lui-même, des moyens de retouche pour faire marcher sans dérangement l’œuvre éternelle de la création. Les obstacles pré- ventifs sont d’une nature moins afiligeante au premier abord; ils consistent dansla fameuse contrainte morale, moral restraint, qu'on a tant reprochée à Malthus au nom de la morale elle-même. Et cependant l’éco- nomiste anglais était logique et conséquent avec lui- même. Après avoir prononcé un arrêt pénible contre ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 205 l’homme qui est de trop sur la terre, il devait essayer d'empêcher l’arrivée de ce convive voué à la faim et à la mort, Aussi Malthus conseillait-il Pabstinence et le célibat aux pauvres, et les mariages tardifs. Il s'élevait avec force contre l’aumône qui engendre l’insouciance et permet au malheureux de s’abuser momentanément sur Sa position. A ses yeux, la charité n’était qu’une vertu meurtrière, et peu s’en faut que le bienfaiteur dont les largesses encouragent l’imprudent mariage du pauvre , ne se rende coupable par avance du meurtre des enfants, que la nature se chargera d'exécuter. Il wentre pas dans mon plan de développer les raisons que Malthus donne à l'appui de son système. Qu'il me suflise de dire que la loi de Malthus a été accueillie aussi bien par Rossi que par M. Louis Blanc; le premier seulement en tirait la conclusion qu'il fallait prêcher au peuple la contrainte morale; le second. qu’il serait possible de rapprocher l'accroissement des subsistances de celui de la population en changeant l’étai social, et en faisant une nouvelle distribution des richesses ; mais aucun d’eux ne doulait de la fameuse progression géométrique qui pousse l’espèce humaine à se multiplier comme les sables de la mer. Cependant la religion et la morale avaient beau s’insurger contre un système qui justifiait ce que l'antiquité paienne avait elle-même regardé comme un crime (1), et qui jetait l’anathême sur des vertus contemporaines du monde ; on leur répondait que, jusque-là, on avait (1) Numerum liberorum finire, aut quemquam ex agnatis necare, flagitium habetur.., (Taciie, De moribus Germanie , cap. 49 ). 206 SUR LA LOI D'AGCROISSEMENT ignoré les véritables lois de l’économie politique; qu’il fallait que la religion et la morale s’inclinassent devant la science, reine du monde moderne, et au besoin qu’elles eussent à réformer leurs doctrines vieillies. La religion ne s’était-elle pas trompée autre- fois sur le système du monde ! Il faut convenir que jamais prétention novatrice ne fut plus révolutionnaire que celle-là, dans le mauvais sens du mot. Nous, hommes des temps modernes , nous voulons bien contribuer à refaire — sagement et avec mesure — le moule des vieilles sociétés; nous voulons bien réformer les institutions, adapter les choses anciennes à de nouveaux besoins, à de nou- velles idées ; — mais brûler ce qu’on avait jusque-là adoré ; croire que ce monde est une œuvre de colère, et ne subsiste que par le malheur physique ou l’an- goisse morale des créatures, quand Dieu, après chaque jour de la création , a vu les choses faites et a déclaré qu'elles étaient bonnes ; penser que la vertu et le sens moral , au lieu de s’élargir , peuvent aller en se res- treignant, c’est là une tentative qui a profondément révolté tous ceux qui ne considèrent pas l'humanité commeune matière à expériences scientifiques. Toute- fois, il faut en convenir , les protestations contre la loi de Malthus et ses désolantes doctrines sont plutôt, en France , parties du cœur que de la raison ; on s’est appuyé plutôt sur un instinct secret que sur l’obser- vation des faits, sur la foi que sur la science ; et cer- tains écrivains, plus égarés peut-être encore que coupables, ont continué à flétrir du nom de Mal- thusiens et d’ennemis des classes pauvres, les repré- ET DÉ DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 207 sentants de la société, qui voulait continuer à vivre sans se laisser bouleverser par forme d’essai. Cette justification de la Providence, ce superbe absolvitque Deos, dont parle Claudien, un écrivain peu connu l’a tenté en Angleterre, il n’y a pas bien long-temps, et c’est de son livre, consolant du moins, s’il n’est pas rigoureusement exact, que je veux au- jourd’hui vous entretenir. Il était juste que la réhabi- litation vint du même lieu d’où était parti l’anathême. La vraie loi de la population de M. Th. Doubleday n'a trouvé dans Rossi qu’un dédaigneux et muet adversaire; son système , toutefois , mérite d’être exposé, car c’est celui d’un ingénieux penseur et d’un économiste homme de bien (1). La loi générale qui règle l'accroissement ou le dé- croissement de la vie pour tous les êtres animés re- pose, selon M. Doubleday, sur le principe suivant; nous ne pouvons mieux faire que de traduire ses propres expressions: « Toutes les fois qu’un genre ou qu’une espéce est « en danger de périr, la nature fait invariablement « un effort correspondant pour leur conservation par « un accroissement de fertilité ou de fécondité. Cette « loi agit particulièrement quand le danger provient « d’une diminution dans la nourriture ou l’alimen- « tation de chaque espèce, en sorte que l’état de fai- « blesse, que nous appellerons état de déplétion, est « favorable à la fertilité , tandis que l’état de vigueur (1) The true law of population shewn to be connected with the food of the people ; —2, edit—by Thomas Doubleday ; London, 1846. 208 SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT « « ou de réplétion lui est défavorable, en raison di- recte de l'intensité de chacun de ces états. Cette loi à un caractère d’universalité qui la rend com- mune aux végétaux et aux animaux. Appliquée à l'espèce humaine , elle produit les conséquences suivantes : « Dans toute société, un accroissement constant à lieu pour la partie de la population qui est la plus mal nourrie, — c’est-à-dire pour les pauvres. « La partie de la société qui est soutenue par une alimentation vigoureuse et surabondante, subit au contraire un décroissement marqué. « Parmi ceux qui composent les classes moyennes, entre ces deux extrêmes, c’est-à-dire qui ont une nourriture suffisante et qui sont également à l'abri des fatigues excessives et de lPoisiveté, la population reste stationnaire, — L'accroissement ou le décrois- sement général de la population sont donc propor- tionnels au rapport qui existe entre ces trois classes dans une société. « Une nation où la production est suffisante pour contrebalancer par le décroissement des riches l’ac- croissement des pauvres, reste stationnaire. « Dans le pays, au contraire, où le luxe et la ri- chesse surabondent , la population va diminuant progressivement. Enfin, quand les subsistances sont insuffisantes, la population augmente en raison di- recte de la misère et de la mauvaise alimentation du plus grand nombre des individus. « Telle est la progression ascendante ou descen- dante que suit partout le genre humain. » ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 209 Comment l'auteur essaie-t-il de vérifier la loi curieuse qu’il a trouvée ? Il fait passer successivement devant lui les plantes et les animaux, les nations et les familles, l’histoire et la statistique, et il y trouve la démonstration d’un principe auquel à priori on vou- drait croire , puisque l’accroissement de la population cesse d’avoir lieu en vertu d’une loi menaçante, fatale, et comme promulguée par un Dieu ennemi de l'humanité, et que la diminution de la misère , qui est possible et qui sera l'effort béni de notre âge, nous rassure sur les craintes qu’inspirait inévitablement le système de Malthus. Il y a une chose qui, dans l’horticulture , frappe les observateurs les moins habiles, c’est que, pour pro- duire des fruits en abondance , les arbres ont besoin d’un engrais modéré. Trop de richesse dans le sol, naturelle ou factice, éteint la fécondité des plantes. Est-il besoin de rappeler les fleurs qui , cultivées avec trop de soin et enlevées à la condition sauvage, se doublent et deviennent stériles? La taille des arbres. en diminuant leurs force vitale, en leur fai- sant courir un danger , assure la production des fruits. On a remarqué qu'après de fortes gelées, qui ont failli les faire périr, les vignes et les prairies se développent avec plus d'énergie. — Le même phéno- mène se présente avec plus d’évidence chez les ani- maux. Tout le monde sait que l’état de maigreur des mâles et surtout des femelles est une condition indis- pensable de la fécondité des espèces, et que len- graissement des individus les rend impropres à la reproduction. Ainsi dans la nature animée, partout 14 210 SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT l'excès de nourriture, l’état pléthorique , comme dit notre auteur. produisent le même effet : une stérilité plus ou moins complète. Il serait difficile que la race hu- maine, où l’âme , après tout, gouverne le corps sans l’'anéantir ni en étouffer les instincts, fût soumise à des lois différentes d’accroissement et de décroisse- ment. On n’a qu’à jeter les yeux sur les diverses nations qui couvrent le globe et à comparer leur diète ou régime alimentaire avec leur population, et on se con- vaincra bien vite que plus la nourriture est abondante et énergique, moins la population est dense; et qu’elle atteint, au contraire, des proportions presqu’incroyables dans les pays où l’alimentation est insuflisante ou complètement végétale. La Chine, l’Inde et le Japon connaissent à peine l'usage de la viande. Le bétail à cornesn’existe pointau Japon ; le Chinois vit de riz auquel il mêle à peine quel- ques volailles ; l’Hindou est condamné par sa religion à une diète végétale, Or, de tout temps, la population de ces deux pays a été exubérante, Malgré les efforts d’une savante agriculture, la Chine ne peut nourrir ses habitants, et elle a mis l’infanticide et l'exposition des enfants au nombre des lois. Dans certaines contrées de l’Indoustan, les présidences du Bengale et de Madras, il y a plus de 2,000 habitants par lieue an- glaise carrée. Mais c’est surtout l'Irlande qui semble vérifier la loi d’accroissement proposée. En 1695, l'Irlande, sister Ireland, comme disent les Anglais si peu fraternels , n’avait que 1,034,000 habitants; en 1785, elle en avait près de 3,000,000. Au commencement ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 211 de ce siècle, sa population s'était doublée et atteignait 5,395,000 âmes, et d’après le recensement du Par- lement, entrepris en 1831, elle s'élevait au chiffre monstrueux de près de 8,000,000 d'habitants (1). Si on compare maintenant l'étendue de l'Irlande à sa population , on trouve qu’elle nourrit — ou plutôt ne nourrit pas— 2,672 personnes par lieue carrée. Tel est le résultat de la misère et des pommes de terre , auxquelles les propriétaires anglais de la verte Irlande condamnent, depuis plus d’un siècle, le pauvre et déshérité Patrick ! Tournons maintenant nos regards vers des pays où la race humaine , plus vigoureuse, se nourrit presque exclusivement de viande, suite de ses habitudes pas- torales. Dans l'immense empire de Russie, la richesse consiste surtout dans les troupeaux, et à St.-Péters- bourg, avant la guerre , une livre d’excellent bœuf se vendait un penny. Ce n’est que dans les gouvernements de l’ancienne Pologne que le peuple est agriculteur et que le pays produit abondamment du blé. Eh bien! en Russie, non-seulement la population ne paraît pas sensiblement s'être accrue depuis un temps immémorial; mais dans les districts essentiellement pastoraux, dans les gouvernements de Kasan, de Perm et de Viatka, la population atteint à peine 250 habitants par lieue carrée ; dans la fertile Crimée , dans le gouvernement de Kherson , elle varie entre 100 et 200, et parmi les Cosaques du Don , race énergique qui méprise le pain et ne vit que de viande, elle ne dépasse pas 50 habitants. (4) 7,734,365. ( Parliumentary census. ) 212. SUR LA LOI D’ACCROISSEMENT Au contraire , dans l’ancienne Pologne, le nombre des habitants varie de 500 à 800 environ (1). On voit ici l’influence du pain sur la population. En France, la population moyenne est d’environ 1570 habitants par lieue anglaise carrée, ce qui s'éloigne à la fois et de l’excès de l’Inde et de la rareté de la Russie. Il est toutefois bien remarquable que les départements les moins peuplés sont ceux où le sol est le plus riche, et le climat le plus fertile, où le vin ranime les forces des travailleurs ; le Languedoc présente une population d'environ 1,000 habitants par lieue carrée; et les départements de la pauvre Bretagne dépassent beaucoup la population moyenne de la France, qui est de 67 habitants par kilomètre carré. Tous les historiens ont constaté avec quelle facilité, après des pestes ou des guerres meurtrières, les vides se comblaient dans la population. Il semble qu’une nation épuisée et prête à périr fasse un effort pour reprendre son ancien niveau. Je trouve cet aveu dans Rossi, l’interprète éloquent de Malthus : « Vous verrez des populations décimées par le mal- beur , et dont cependant tous les vides, après quelques « années d’abondance, se trouvent comblés, comblés « d'enfants il est vrai, mais enfin numériquement « comblés. » Ceci est vrai, sauf les quelques années d’abondance qui sont inutiles pour l’observation de ce phénomène, ainsi que nous allons le voir. Au XIV‘ siècle, où l’Europe fut dévastée par la (4) M. Tegoborski. ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION, 213 grande peste noire, les républiques italiennes si cruel- lement frappées, reprirent bien vite leur ancienne splendeur , et les récits de Boccace sont là pour nous attester que l'énergie morale, après tant de fléaux, ne faisait pas plus défaut aux Italiens que l'énergie phy- sique. Si maintenant des nations nous passons aux indi- vidus, aux familles, aux races, la démonstration de la loi de M. Doubleday sera plus frappante et plus curieuse, Sir Thomas Brown a dit, et c’est l’épigraphe du livre de M. Doubleday, les vieilles familles ne vivent pas la vie de trois chênes (1), et l’histoire de toutes les aristocraties confirme cette vérité. 11 semblerait que la pairie anglaise, si puissante, si glorieuse , in- vestie de tant d'avantages sociaux et politiques, dût remonter au moins jusqu’à la Conquête normande; eh bien ! sur 394 pairs, 272 sont de la création de George III, et datent de 1760. J’ouvre le premier Peerage anglais venu. Parmi les ducs, je trouve le duc de Norfolk, qui remonte à Richard II, en 1483; le duc de Suffolk, qui s'arrête à 1546, et j'arrive au troisième duc anglais, le duc de Richmond, contemporain de la Révolution et qui ne date que de 1675. Le plus ancien marquis est le marquis de Winchester, élevé à la pairie en 1551 ; le second, le marquis de Landsdowne, qui est de 1784. Parmi les earls, ou comtes , le comte de Shrewsbury (4) Old families last not three oaks, 244 SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT remonte seul à 4442; on arrive , après deux ou trois noms (et il y a 108 comtes au Parlement), au comte de Suffolk.,qui est des premières années du XVIT°. siècle. C’est parmi les simples lords ou barons que se trou- vent les plus anciennes familles; lord Fitzgerald de Ros a été créé pair en 1264 ; mais enfin sur 185 barons, il n’y en a que 15 d’antérieurs au XVIF. siècle, et 153 datent du règne de George IIL La classe des baronnets, qui est de l’invention de Jacques I°., s’est encore moins perpétuée que celle des lords. Depuis 1611 jusqu’à nos jours, 753 titres de baronnets, baronetcies, se sont éteints faute d’hé- ritiers mâles. Aucun patriciat européen n’a pu se perpétuer par la naissance, et sans avoir recours à l’adoption ou à la création de nouveaux nobles. Si les Montmorency s'étaient multipliés selon la loi de Malthus, ils forme- raient aujourd’hui une multitude que l’Europe ne saurait contenir; et au lieu de cela, je ne sais sil existe un seul descendant direct du premier baron chrétien. Rossi voit dans ce fait la preuve que les grandes familles pratiquaient, au moyen-âge, la con- trainte morale prêchée par Malthus, tant l'esprit de système peut égarer les plus fermes et les plus lumi- neux esprits ! A Venise, où tous les fils de noble étaient patriciens et égaux, sans droit d’aînesse comme en Angleterre, notre ambassadeur, Amelot de La Houssaye, remar- quait déjà, vers la fin du XVII‘. siècle, que le Livre d’or allait s’épuisant tous les jours. Il constatait que 2,500 nobles avaient seuls voix au grand Conseil. ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 215 Moins d’un siècle plus tard, Addison nous atteste que ce nombre de patriciens souverains est descendu à 1,500. De l'an 1583 à l’an 1654, le Conseil souverain de la république de Berne admit dans la bourgeoisie 87 familles. De ce nombre , 379 se sont éteintes en 200 ans; il n’en restait que 108 à l’époque où écrivait Malthus, en 1783, car c’est lui-même qui fait cette remarque. Il faut lire les plaintes de Saint-Simon sur la nouveauté des ducs et pairs de la cour de Louis XI V; je me trompe fort, ou bien peu, selon lui, remontent au-delà du XVI°. siècle. Au contraire , les familles de gentilshommes qui se sont conservées à travers les siè- cles sont celles que leur condition plus modeste et leur vie plus occupée rapprochait des classes populaires. Il y à long-temps qu’il n’y a plus en France de Montmo- rency ; il y a toujours des Tournebu en Normandie. Cette loi providentielle , qui frappe les patriciats et éteint l’orgueil des vieux noms en les forçant à se retremper incessamment dans le peuple, avait été entrevue par Tacite. Écoutons ce qu'il dit dans ses Annales : « Tisdem diebus in numerum patriciorum « adscivit Cæsar Claudius vetustissimum quemque e « senatu, aut quibus clari parentes fuerant : paucis jam « reliquis familiarum quas Romulus majorum et Lucius « Brutus minorum gentium appellaverant; exhaustis « etiam quas dictator Cæsar lege Cassia, et princeps « Augustus lege Sænia, sublegere (1). » Enfin le même fait se produit, de nos jours, en Amé- (4) Lib. XI, c. 25. 216 SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT rique. La population des nègres libres diminue ; celle des nègres esclaves augmente dans les États du Sud d’une manière effrayante. Or, il n’est pas besoin d’avoir lu les romans de mistress Harriet Beecher Stowe, pour être convaincu que les esclaves en Amé- rique ne doivent pas leur accroissement au bonheur trop complet de leur position. M. Doubleday cite l'exemple curieux d’une colonie de matelets révoltés qui s’établirent dans l’île Pitcairn, non loin d’Otaïti, en 1790, au nombre de 6 hommes et de 10 femmes. Leur nourriture était pauvre et se composait principalement d’ignames et de poissons. Au bout de quarante ans, la population de la colonie était décuplée, sans l’addition d'aucun élément étranger. On se rappelle que Malthus nous a parlé des années d’abondance qui favorisaient l’accroissement de la population, et qu’il conseille les mariages tardifs comme le meilleur exemple de la contrainte morale ou obstacle préventif, Voyons ce qu’il faut croire de ces deux idées. M. Doubleday a dressé plusieurs ta- bleaux comparatifs des années de cherté et des années d’abondance relatives; il a mis en regard le nombre de mariages célébrés en Angleterre pendant ces années et celui des conceptions se rapportant à ces années; et voici les curieux résultats auxquels il est arrivé : En 1796, le blé valait 3 liv. 17s. 1 d. le quarter (1). Il y a eu 73,107 mariages. Us ont produit 268,088 conceptions. (4) 2 hect, 90 lit, ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 217 En 1798 , le froment ne valait que 2 Liv. 105. 3 d. Il y a eu 79,477 mariages. Et seulement 266,769 conceptions. Différence des mariages en moins , dans l’année de cherté , 6,370. Différence des naissances en plus , 1,319. En 1799. Prix du blé : 3 liv. 7 s. 6 d. Mariages, 77,557. Conceptions , 254,870. En 1801. Prix du blé : 5 liv. 18 s. 3 d. Mariages , 67,298, Conceptions, 273,837. Différence en moins des mariages , dans l’année de cherté, 10,329. Différence en plus des conceptions, 18,967. Ces tableaux sont plus éloquents que le plus long raisonnement. Des chiffres nous montrent également l'effet des mariages tardifs, mais dans un sens con- traire à celui que suppose Malthus. Je traduis la con- clusion de l’auteur anglais lui-même: « Quand les femmes se marient avant 20 ans ou à « 20 ans, le rapport de leurs enfants est à peine d’un « en deux ans ; « De 20 à 32 ans, le mariage des femmes produit un peu plus d’un enfant en deux ans; « De 33 à 36 , deux enfants en trois ans ; « De 37 à 39, un enfant par chaque période de onze mois. » Ces chiffres ont été relevés par le docteur Granville, # 218 SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT médecin du Westminster Dispensary, d’après 876 ob- servations faites, à peu près dans les mêmes conditions de fortune et d’habitude, L'histoire vient à son tour justifier cette loi mise en lumière par notre auteur, que le bien-être diminue la population ou du moins en emporte l'excès. J'en trouve un exemple frappant dans Montesquieu. Après la conquête de la Grèce et de l'Italie par les Romains, les troubles, les guerres particulières ces- sèrent, et l'empire fut, surtout pour les provinces, une ère de repos, de richesse et de bonheur. Cependant l’Italie et la Grèce se dépeuplèrent, malgré les lois d’Auguste pour favoriser les mariages et la procréation des enfants, etil faut autre chose, pour expliquer ce fait, que les Latifundia ou les mau- vais empereurs. « On me demandera, dit Tite-Live, cité par Mon- tesquieu, où les Volsques ont pu trouver assez de sol- dats pour faire la guerre , après avoir été si souvent vaincus. Il fallait qu’il y eût un peuple infini dans ces contrées, qui ne seraient aujourd’hui qu'un désert, sans quelques soldats et quelques esclaves romains. « Les oracles ont cessé, dit Plutarque, parce que les lieux où ils parlaient sont détruits ; à peine trouve- rait-on aujourd’hui dans la Grèce 3,000 hommes de guerre. « Je ne décrirai point , dit Strabon , l'Épire et les lieux circonvoisins , parce que ces pays sont entière- ment dépeuplés. Cette dépopulation , qui a commencé depuis long-temps , continue tous les jours; de sorte ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION. 219 que les soldats romains ontl eur camp dans les mai- sons abandonnées. » Montesquieu ajoute : « Strabon trouve la cause de ceci dans Polybe, qui dit que Paul-Émile, après sa victoire, détruisit soixante-dix villes d'Épire et en emmena 150,000 esclaves. » Plutarque a tort, lui aussi, d'attribuer la dépopu- lation de la Grèce aux années de guerres, puisque 256 années s’étaient écoulées jusqu'alors dans la paix la plus profonde depuis la prise de Corinthe par Mummius. J'abrège les réflexions que me suggère l’histoire. Il ne faut pas croire que, pendant le moyen-âge, l’Eu- rope troublée par tant de guerres et ravagée par tant de fléaux , n’était que médiocrement peuplée. On sait quels flotsde Barbaresvomit sur l’empire romain ce Nord que le goth Jornandès appelait officina generis humani. A la bataille d’Hastings, il y eut près de 70,000 Anglo-Saxons tués, tandis qu’à celle d’Eylau, l’une des plus meurtrières de ce siècle, la perte des deux armées ne dépassa pas 40,000 hommes. L'Espagne était beaucoup plus peuplée autrefois qu’elle ne l’est aujourd’hui, et il n’est pas certain que , dans notre Normandie, la population ait aug- menté avec le progrès du bien-être et de la richesse, M. Dureau de La Malle prétend qu’au XIV°. siècle, à l’époque des guerres anglaises et des pestes jubi- laires, il y avait autant d'habitants en France qu’il y en a de nos jours (1). (4) M. Henri Martin convient qu'au XIVe, siècle la France pou- vait compter 25 millions d’âmes, 220 SUR LA LOI D'ACCROISSEMENT DE LA POPULATION,. Une observation a frappé notre savant confrère, M. Léopold Delisle; c’est que les églises bâties au moyen-âge sont presque toujours en rapport avec la population moderne, et il en est de même des cime- tières. La conclusion de ces bien incomplètes réflexions, c’est que l'humanité, par une loi inhérente à sa na- ture, n’a pas été condamnée à la misère et à la mort. Les progrès de la science et de l’industrie soumet- tront à l’homme la matière, et augmenteront progres- sivement la quantité des subsistances. La misère sera diminuée , le bien-être sera accessible à un plus grand nombre; c’est là une espérance qui n’est pas chimé- rique. Dès-lors , les populations, exubérantes dans cer- taines classes, rentreront dans les limites normales, et, en attendant, ni la charité, ni le mariage , ni l'amour de la famille , ne doivent être regardés comme des vices et des dangers qu’il faille combattre à tout prix. D'un autre côté, l’observateur peut tirer de ces faits une conséquence parfaitement en harmonie avec lesir- résistibles envahissements de la démocratie moderne. Il y voit la condamnation providentielle de toutes les dominations aristocratiques , frappées dans leur germe d’infécondité et de mort; et le dogme chrétien de l'égalité entre les hommesse dégage nettement, comme étant la loi scientifique de nos âges. SERMONS OÙ PRONES DE MAURICE DE SULLY, PRÉCÉDÉS DE QUELQUES CONSIDÉRATIONS; Par M. HEPPEAU, Membre titulaire, Un manuscrit du XIII, siècle, appartenant à M. Re- nault, employé dans les postes et membre distingué de la Société des Antiquaires de Normandie, manuscrit provenant, dit-on, de l’abbaye de Jumièges, a paru au secrétaire de l’Académie qui me l’a communiqué, assez intéressant pour mériter de ma part un examen sérieux. Je me suis chargé, bien volontiers, Messieurs, d'en faire connaître le contenu. C’est un petit in-4°., dont manquent le commencement et la fin : il renferme des sermons ou plutôt des prônes en langue française, composés pour chacun des dimanches de l’année. Les nombreux sermons écrits en langue latine par nos grands docteurs du XIF°. et du XIIT°. siècles, gé- néralement empreints d’un mysticisme exagéré, ou remplis de subtilités, dues à la prédominance de la philosophie scolastique, s’adressaient principalement 222 SERMONS OU PRONES aux lettrés et aux clercs. Ils ont pour nous beaucoup moins d'importance que ceux qui étaient prononcés devant la foule. De là l'intérêt qui s'attache à la re- cherche de toutes les compositions en vers et en prose, qui, destinées au peuple, revêtaient nécessairement une forme populaire; telles étaient les traductions ou les paraphrases des Livres sacrés, expressément recom- mandés, dès l’année 813, par l'Église; tels étaient aussi les sermons ou les prônes semblables à ceux que renferme notre manuscrit. Il n’a été publié jusqu'ici que peu de ces instructions faites au peuple par les prédicateurs; il est impossible cependant que les manuscrits de nos bibliothèques n’en renferment pas un grand nombre, dont les textes, imprimés avec soin, offriraient des renseignements précieux pour l’étude de l’histoire de la langue française. La recherche et la publication des textes français les plus anciens seraient d’un grand secours pour les savants voués à celte étude; et l’on sait combien de services a rendus la publication faite par M. Le Roux de Lincy des quatre Livres des Rois, et des sermons français de saint Bernard. En comparant les sermons que contient le manuscrit de M. Renault avec les deux qui ont été imprimés dans le XVII, vol. des Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, par l’abbé Le Beuf, j'avais été assez disposé à les considérer comme étant du même auteur, c’est-à-dire de lillustre évêque de Paris, Maurice de Sully, mort en 4195. Un manuscrit bien plus complet, que j'ai trouvé dans la bibliothèque d'Oxford (le nôtre ne contient que le tiers tout au DE MAURICE DE SULLY. 223 plus des sermons que renferme celui-ci) m'a confirmé dans cette opinion, Les sermons latins ou français prononcés par Maurice de Sully s'étaient promptement répandus ; ils se trouvent aujourd’hui en assez grand nombre dans les bibliothèques publiques. Les plus précieux sont ceux qui, écrits avant l’an 1200 , repro- duisent, par conséquent, la langue même que parlait Maurice de Sully. Malheureusement le nôtre a dû être écrit un peu plus tard, et le copiste, selon l’usage, a fait subir à la rédaction primitive les changements produits par les progrès de la langue. Le mänuscrit d'Oxford , au contraire, était écrit avant l’année 1197. On trouve, en effet , sur une feuille de garde la note suivante, dont l’écriture est postérieure à celle du manuscrit : « A l’an de l’Incarnation Nostre Seignor, le jor de la Tiphaine (Épiphanie) MCXCVIT, furent sor la fierte St. Cuthbert c et v1 besanz et XLV areals. » La lecture des sermons de Maurice de Sully ne m’a fait partager nullement le dédain avec lequel en parle l’abbé Le Beuf. Il est impossible de n’être pas frappé de la touchante simplicité de son style, de la pureté de sa morale, des traits naïfs dont abondent ses tou- chantes homélies. La méthode constamment suivie par le prédicateur consiste à choisir un texte dans l’évangile du jour. La divine parole, qui a pour but principal l'amour de Dieu et l’amour du prochain, offre toujours un sens assez clair pour frapper de léclat de sa vérité les in- telligences les moins élevées. Maurice de Sully com- mente cette parole, lexplique, la développe, et prend de là occasion d'engager ses auditeurs à faire 224 SERMONS OÙ PRONES. un retour sur eux-mêmes. Les saintes et touchantes maximes de l’évangile du jour , les observent-ils avec exactitude? en comprennent-ils bien l'importance? ont-ils bien suffisamment songé aux inconvénients qui résultent de leur oubli et de leur abandon ? Il n’est nullement question ici de considérations dogmatiques ou de distinctions subtiles. L’orateur s'adresse à un auditoire étranger aux études littéraires; et c’est par les images les plus familières qu’il cherche à l’intéresser et à l’'émouvoir. Un des moyens dont il se sert le plus habituellement consiste à trouver dans le texte sacré, indépendamment du sens littéral qu’il présente, ces significations plus ou moins ingénieuses auxquelles se prête , par une inclination naturelle, l'imagination po- pulaire. Ces sortes de comparaisons ou de rapproche- mentsdevaientnécessairement produire sur les auditeurs des effets que n’amènent pas toujours des prédications plus sévères ou plus savantes. A force d’entendre répéter que tout ce qui est du domaine de la foi religieuse renferme un sens direct et un sens caché qu'il faut s’efforcer de trouver , le peuple s’habituait à voir dans tous les objets que les églises offraient à ses regards des symboles, dont l'explication devenait pour lui une source d'enseignements pleins d'intérêt. Dans le sermon du deuxième dimanche après Pâques, sur le texte : Ego sum pastor bonus; bonus pastor animam suam dat pro ovibus suis, le prédicateur est tout naturellement amené à comparer le loup au Diable , les brebis sau- vées aux élus, et les chevres aux âmes des damnés. Dans celui du cinquième dimanche après la Pentecôte, sur la pêche miraculeuse, qui s’étonnera de voir la DE MAURICE DE SULLY. 225 mer considérée comme le monde, avec ses troubles et ses agitations; les bons pécheurs comme les bons prêcheurs de la sainte Eglise ; les poissons comme les pécheurs et les pécheresses; la nuit est le mauvais chrétien que le Diable a désevre de la clarté de Dieu ; le jour, ceux que Dieu a pourvus à sauveté et à la gloire; les lux, les bars, et tous les bons poissons pris dans les rets, sont ceux quisont en sainte Eglise ; l’anguille, enfin, signifie (et je recommande cette ex- plication aux savants) « le mauvais homme qui s’est mis en l’amour des choses terriennes et en amour de la luxure et de la chair, et qui à grand peine dé- guerpit son péché, si comme l’anguille qui à grand peine est prise et écorchée. » Il est aussi question , dans un de ces sermons, de certaines pierres précieuses auxquelles est attaché un sens symbolique. Là, comme dans les Lapidaires du moyen-âge, par exemple, les neuf jaspes sont les neuf ordres des anges qui sont au ciel. Sans doute , l’on pourrait y trouver plus d’une si- gnification hasardée, et il serait facile de contester la justesse parfaite de ces similitudes, mais elles étaient généralement admises. Nous les voyons reproduites dans une foule d’ouvrages, et il est nécessaire que la science en tienne compte, pour obtenir des notions complètes sur le symbolisme religieux. Nos Lapidaires, nos Volucraires et nos Bestiaires, nous le répétons, peuvent fournir les renseignements les plus précieux sur cet objet. J'ai pensé que l’on ne serait pas fâché de trouver, à la suite de ces courtes réflexions sur le manuscrit de 15 226 SERMONS OU PRONES M. Renault, le texte même de quelques-uns des ser- mons qu'il contient. PRÔNE OU SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS PAQUES. Quia vidisti, Thoma, credidisti : beati qui crediderunt et non viderunt. « Segnor et Dames, passés est quaresmes et passée est la pasque. Les gens sont confes et acumeniie , €t li plusor ont guerpi le Dyable et ses oevres et sont torné al service Dieu. Ore puet avis estre à chascun de vous qu’il ne vous soit mie mestier de sermoner, et de la gent ammonester qu'il se gargent del Dyable et de ses engiens. Or saciés quel est graindre mestier que on parolt de Dieu que en autre tans, et que on chastoie et homes et femes; car li Dyables a moult perdu; si est moult dolans de son damage; si vait chascun agaitant pour sa perte restorer, et pour faire tresbuchier les homes et les femes en pecié; si voit le temps escaufer et les jors enbelir, et les viandes amender , les pluisors biau vestir ,et les fols entent-il as beles femes suire, et mener les caroles et les bacelers deduire , si li samble que totes ces choses li sont covenables à son damage restorer, por ce que li Dyables est angoisseus de la gent engignier’et de de- sevrer de Dieu. Por ce devés vos estre eschivs de ses malvais engiens que vos vos en puissiés garder, et que vos soviegne de ce que vos avés pramis N. S. D., et DE MAURICE DE SULLY. HOT que vos faites vos penitances, et tels que por coi vos soiés saufs. « Li sains Evangilles d’ui nos raconte que quant N. S. D. fu resuscités de mort à vie, si s’aparut à ses aposteles , en une maison u il estoient assamblé; si s’estut en mi,et si les salua, et si lor dist Pax vobis ! Ce est à dire : Pais soit a vous ! Recevés le S. Esperit, et li pecié que vos relasquerés soient relasqué ; et qui pecié vos retenrés soient retenu. Quant il ot ce dit, si s’en ala. Mais mes sire St. Thomas ni estoit mie avoec els, quant N. S. D. lor aparut; et quant il vint, si li disent qu’il avoient veu N. S. D., et il lor respondi et lor dist : « Je ne le croi mie, ni ja ne le crerai, se je ne voi les cloficures de ses piés et de ses mains, et se je ne meth mon doi en son costé, où il fu feru de la lance. Jou ne croi pas qu’il soit resus- cités de la mort! » et al chief de vin i furent ras- samblé li apostele, et mes sire St. Thomas fu avoec els; et com li huis estoient clos, si vint N. S. D. à St. Thomas et li dist : « Thomas, met ten doi en liu de mes clofichures et en mon costé , et ne soies mie mes- creans, mais seurs. » Dont s’escria St. Thomas et li dist : « Dominus meus et Deus meus! Tu es, dist St. Thomas, li miens Diex et li miens sires. » Et N.S. D. li redist: Quia vidisti me, Thoma, credidisti; Thomas, tu n'as veu, si m'as creu. Bencoit soient cil qui ne me verront et qui me kerront! Premièrement devons nos regarder en ceste Evan- gile d'ui, que plus de bien nos fist mes sires St. Thomas, ki longement douta de la resurrection N. S. D., que ne fist Marie Magdaleine qui tost crei 228. SERMONS OÙ PRONES Car por ce qu’il douta, si est ostée toute doutance de nos corages, el tote mescreance. Après, si devons nos regarder que nos serons boneuré, se nos volons, nos qui onques ne veismes corporelement N.S. D., et en lui creons. Moult est grant chose la creance à cels qui onques ne le virent ct en lui croient ; si en est moult grant li loiers devant Dieu, que nos en au- rons, qui en lui creons, se nos avoec la creance le servons, car se nos creons Dieu et servons au Diable, si para nostre creance se mal non. Car l’Escripture dist que li Dyables croit bien que Diex est; mais por ce ne fait il se mal non. Autresi est il del malvais home qui bien croit et mal fait; d’autel loier, d’autel soudées, com li Dyables a de la creance, autretel loier aura li malvais crestiiens de la soje creance. Ore , Segnor et Dames, gardés en vos meismes quele est la creance que S'. Eglise croit et conoist Dieu. Car se vos crée que ce soit voirs quanque sainte Eglise croit de Dieu, gardés que avoec la creance amiés Dieu et faciés ce que il requiert; ce est que vos amés Dieu sor totes choses, et vostre proisme autresi que vos meisme et ensi que la S. Escripture le commande, et que vos ne faciés autrui ce que vos voldriés c’on fesist à vos. Gil qui ensi vit en la creance Dieu, si en ara le loier el chiel, et aura bon eurée que N. S. D. pramet en l'Evangile d’ui à tous chas et à toutes celes qui onques ne le virent et en lui kerrent. Q. vob. P, D. J. X. DE MAURICE DE SULLY. 229 SERMON POUR LE DEUXIEME DIMANCHE APRES PAQUES. Ego sum pastor bonus. Bonus pastor animam suam dat pro ovibus suis. « Nostre sire Diex nos mostre en l'Evangile d'ui que il souffri grande chose por nos; car il dona la soie vie por la nostre , et nos mostre qu’il estoit bons paistres , car il morut por ses oelles. Et si dist Diex en le S. Evangile d’ui : «Je sui, dist-il, bons paistres. Li bons paistres done s’arme por ses berbis. » Si vos dis que li lovis paistres à qui les berbis ne sont mie propres, quant il voit venir le leu. si s’en fuit; et li leus mangue les berbis et espelle, Mais ie sui paistres bons, car ie ne doute n’arme por mes berbis, et eles me connoissent et obeissent à ma vois, et iou les connois et lor done la vie par durable. « Segnor et Dames, ce est la parole de l'Evangile d’ui; et par ceste parole poons nos savoir et connoistre que Diex nos ama, et que il fist grant chose por nos raembrer des paines d’ynfer et por nos delivrer de la goule au leu; ce est de la goule al Dyable. u°nos estiemes jeté par li pecié de no premerain pepere (sic) Adam, et por nous mener en la compagnie des angeles. Ore esgardons donques à cest pastor, et que nous devons à Dieu. Æt quid retribuemus Domino pro omnibus que retribuit nobis? Que deuromes nous à Dieu de totes les choses qu’il nous a données ? Moult nos a doné et petit nos demande ; et se nous cel petit volons faire , si aurons sa gloire. Il nous demande que 230 SERMONS OÙ PRONES nos le servons et que nos obeissons à sa vois, ne mie al ullement del leu, ce est al amonestement del Dyables. Diex est li paistres; li leus est li Dyables; les berbis sont li crestiien. Diex, qui est paistre, apele les oelles, quant il amoneste le crestiien, que il lait le mal et face le bien. Li leus est de l’autre part, qui amoneste le crestiien à faire le mal et à laissier le bien. Diex li amoneste que il tiegne humilité et pais et chastée, mesure de boire et de mangier et d’estre en charité. Li Dyables li amoneste orgoil , ire, envie, ivroigne , glotonie, lecherie. Li fole oelle obeist au leu, et la bonne oelle obeist au pasteur. Li sages hom s’atorne al bien et li fols al mal; et li Dyables prent le crestiien, quant il se tient à lui et par la voie del pecié le maine à la mort pardurable. « Segnor et Dames, gardés vos del leu, c’est del Dyable. Gardés vos de ses amonestemens; gardés que par dolçor de pecié ne vos dechoive; car li peciés est moult dols, quant on le fait, si est molt amers quand on le venge. Ore obeissons donques à nostre pastor, ce est à Dieu, qui la vie dona por nos, et qui por la voie de santé nos velt mener à sa glore. « Por ce voloie que vous ovrés si en ceste mortel vie, que quant venra au grant jor de juise, qu’il nous meche mie à sa senestre, entre les chièvres, mais à destre entre les berbis; et kil ensemble od ses berbis nos apiaut à sa glore, quant il dira à ses amis : « Venite, benedictx Patris, etc. » Venez bon-euré de mon Pere, recevés le regne qui vos est apareilliés dès le commencement del monde, car vos avés tos jors fait mon service. Q. N. P. DE MAURICE DE SULLY. 231 SERMON POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. Vado ad eum qui misit me, et nemo ex vobis inter- rogat me : quo vadis ? Sed cum hec locutus sum vobis, tristhicia impletur cor vestrum. «a Nostre sires Diex sermona à ses aposteles le jor absolut, le soir devant sa passion. Des sermons qu’il lor fist adonques sont tot li sermon et tot li Evangile qui sont dit en sainte Eglise, de Pasque dusqu’à la Pentecoste. Et issi nous raconte li S. Evangilles d’ui qu’il lor dist en cestui evangille, qu’il les déguerpiroit corporelment et qu’il iroit à son pere qui l’avoit en- voié en terre. Mais por ce, dist il, ce que je vous ai si dit, si sont vostre cuer empli de tristece. Ore saciés dist il certainement que mestiers vous est que je m'en aille. Car si je n’i vois, je ne vous envoierai mie Île S. Esperit, ki qui sera ensamble od vos , et qui vous reconfortera tous les jors de vostre vie. « Li Fiex Diex, qui avait pris char et sanc en Nostre Dame sainte Marie por nous, parla à ses aposteles, selon la nature d’om qu’il avoit ajoste à sa deité, et si lor dist qu’il les deguerpiroit, et qu’il s’eslongeroit d’aus, et qu’il monteroit al chiel, et quant li apostele oirent ce, qu'il les deguerpiroit et qu’il s’eslongeroit d’aus, et qu’il devoient perdre lor maistre et lor &., et lor conforteor, car moult avoient esté ensamble, si furent moult dolant. Car ce est le costume, quant on aime un home durement, et on s’eslonge de lui, que 232 SERMONS OÙ PRONES on en est dolant. Et quant N. S. D. vit lors cuers dolans de ce qu'il lor avoit dit, por ce, si les recon- forta par la pramesse del S. Esperit, Car il lor avoit dit qu’il lor envoieroit del ciel. « Segnor et Dames, ces coses ont esté dites pour vous. Cet choses doivent estre example et amoneste- ment de laissier le mal et de faire le bien. Nos devons estre dolant de ce que N. S. D., nos maistres, nos conforterres est si eslongies de nous. Super egros manus imponent et bonum habebunt : « 11 meteront les mains sor les malades et si averont santé! » Et quant N. S. D. ot ce dit, si monta el ciel et siet a la destre son pere. {Lo autem profecto predica- verunrt ubique Domino cooperante et sermonem confir - mante sequentibus signis. Li apostele alerent et pre- chierent por tot le monde; et Diex ovroit ensamble 0 els, et affermoit lor predications par signes et par vertu et par miracles. « Premierement, devons garder, selonc ce que nous poons esmer, es paroles del S. Evangille d’ui , le grant amor que N. S. D. ot à nos, quant il ajosta vosire nature et nostre mortalité à sa glorieuse deité; eten ce qu’il soffrit mort pour nous; et en ce qu'il essaucha , si com el jor d’ui, nostre humanité sor les angeles et sor toits Esperits del ciel, où il siet à la destre son Pere et regne en sa glore. Quid retribuemus Domino pro omnibus que retribuit nobis ? « Que donrons nous à Dieu, pour totes les choses qu'il nous a données ? et que ferons nous por lui por DE MAURICE DE SULLY. 233 totes les choses qu’il à fait por nous? Or vous dirai que vous devez faire après l’esgard de la grant amor et de la grant honor qu'il nous a faite si devons es- garder que nous soions itel que nous puissions monter apres lui. Et qui sont cil qui monteront al ciel? Sont- ce li peceor ? sont-ce li adultere? Sont-ce li usurier, li larrons, li robeor, liescumuniie ? Sont-ce cil qui font les choses que Dieu desplaisent, et plaisent al Dyable ? Non. Cil n’i enterront mie, s’il ne s'amendent , car li pecié qui sont pesant les traient aval. Car si comme l’amour de Dieu ne des bones oevres qu’il ont presentement et corporelment ne les poons veir, ne tenir, si comme li apostele fisent, nos devons faire si com il fisent ; nos devons despire les malvais confors, les fausses joies, les fols delits, et geuner et sospirer de ce que nos somes tant eslongie de lui et il de nos, dusques icelle eure que il meismes nos confort, u parla grace del S. Esperit, en ceste vie, et par la joie de sa glore en l’autre siecle. Dicitur ad turturem , posiquam amittit parem , sedem deinceps non amitit. On dist de la torterelle que, après ce qu’elle a perdu son premerain per, que ele ne s’ajostera plus à nul autre. Aussi est-il de la prode feme ; quant ses sires est alés en pelerinage, ele se tient et garde d’autre home, car ele n’a cure d'autre que de son segnor, Autresi est-il de la bone arme ki est espouse Dieu. Ele n’a cure de malvais apel al Dyable. Mais elle s’otroie à N. S. D. « Segnor et Dames, faisons issi, despisons la vie de cel siecle; gardons à cestui Dieu vraiment nos armes. Car issi aurons nos de lui la compaignie de ciel et la vie pardurable, Q. N. P. D. 934 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. PREMIER APPENDICE. SAINT ALEXIS, POÈME DU XHII°. SIÈCLE. J'aurais voulu profiter de l’occasion qui m’est offerte, pour publier, à la suite de ces trois prônes de Maurice de Sully, un sermon en vers dont j'ai pris le texte dans un manuscrit appartenant à la bibliothèque de Rouen. Mais, comparée aux nombreux écrits du même genre que contiennent nos bibliothèques publiques , cette pièce de vers m'a paru trop médiocre pour mé- riter les honneurs de l'impression. On en jugera par les vers du commencement : Reson m’enseinge et m’apense Que de ma pensée despense, Ne gast ne fast en cest trespas, E plus tost passe que le pas, Où len trespasse en mespassant, Et len mespense en trespassant. Donc len doit apenséement Penser à bon apensement, Et si s’apenser en penser, Qu'en ne mespast par mespenser : Qui trespassant mespensera, Ou mespensant trespassera, PREMIER APPENDICE, Lo] © Qt Sanz s’apenser de ses despens, En ce trespas et ces mespens, Repris sera, quant trespassés, Tert, et de cest pais passés (1). C’est par un tout autre mérite et par un intérêt bien plus grand que se recommande, au contraire, entre toutes les vies de saints, mises en vers au XII, siècle, la Vie de saint Alexis , que j'ai tirée d’un ma- nuscrit de la Bibliothèque impériale. Cette légende, telle que l’a remaniée le Trouvère normand du XIIIe. siècle, se distingue, comme la plupart des compositions de cette époque , par une grâce et une facilité qui font le charme de la poésie narrative au moyen-âge. L'histoire de saint Alexis a été de très-bonne heure, en France, un des sujets les plus populaires (2). C’est, avec le Cantique de sainte Eulalie , la première légende que nos trouvères ont traduite du latin. Ils se bornè- rent d’abord, comme pour celle de sainte Eulalie, à (1) Le quatrain suivant, gravé autrefois sur la porte du cimetière SL-Séverin, à Paris, est écrit dans le même goût, Mais le jeu de mots a le mérite d’être beaucoup plus court. Passant, penses-tu point passer par ce passage Où pensant j'ai passé ? Si tu n’y penses pas, passant, tu n’es pas sage ; Car, en n’y pensant point, tu t'y verras passé. (2) On la trouve dans le xv°, ch. du Gesta Romanorum, dans la Légende dorée, et dans le liv, XVIII du Speculum historiale, de Vincent de Beauvais. 236 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. une simple reproduction du texte (1). À mesure que se dénoua la langue romane, l'imagination prit de nouveaux développements, et ce qui n'avait fait dans le principe que la matière d’un récit de deux au trois pages, devint un poème de 958 vers. L’immense succès de la légende de saint Alexis et de toutes celles qui pouvaient offrir, comme elle , des exemples à l’appui de la grande réaction opérée au XTI°, siècle en faveur du célibat, explique suffisamment l'étendue donnée au récit, et le soin avec lequel l’auteur à cherché à le revêtir des formes les plus séduisantes. C’est le style des poèmes de chevalerie; c’est la même abondance, c’est la même richesse de détails. Malgré les efforts du poète, cependant, l’his- toire de saint Alexis , quittant la belle et jeune épouse que ses parents lui ont donnée, le soir même de la célébration de son mariage, pour aller courir au- devant des misères et des épreuves de tout genre, aux- quelles il se soumet avec une humilité toute chré- tienne, est moins touchante que celle de sainte Scholastique. Tombée aussi dans ce que Pascal appel- lera la plus basse condition du chrétien, c’est-à-dire le mariage, elle demeure fidèle à son vœu de chasteté, à cette vertu plus préconisée que pratiquée au moyen- âge. Elle obtient, par ses douces prières, que son mari consente à n’être pour elle que le plus tendre des frères ; et elle lui offre en retour un amour dégagé de (1) M. E. Duméril a donné le texte français du Cantique de sainte Eulalie, dans son Essai sur la poësie scandinave, I avait été tiré d’un manuscrit du X°, siècle, conservé à Valenciennes, PREMIER APPENDICE. 237 tout ce qu'il pourrait avoir de terrestre et d’humain. La Vie de saint Alexis, dont je donne le texte, est tirée du manuscrit 273, F.-N,, de la Bibliothèque impériale, Je me suis servi, pour la publication, du Bestiaire divin de Guillaume, clerc de Normandie; c’est le même dialecte et la même orthographe (1). On peut, je crois, l’attribuer avec beaucoup de vrai- semblance à un poète normand. LA VIE SAINT ALEXI. Ci commence le proloque en La vie saint Alexi, Bone parole boen leu tient ; Et cil qui l’ot et la retient EL met à ovre, fet que sage; Et cil ne fet pas son demage. Qui la dit, enceis fet son preu, Vers Deu qui en tens et en leu Li merira, ge n’en dout rien ; Kar il guerredone tot bien. Por ce m'est pris talent de dire 10 Un conte de bone matire, Por cresliens edifier, Et por ce qu’il m'est mestier Que bone parole me tienge Boen leu vers Deu, qui me meintienge En son service, et tel me face, Que je le veie face à face. Or commence la vie saint Alexi. Jadis avint, ce dit l’Estoire, Que dui frere, Arcraoe et Howoire, (4) Mémoires des Antiquaires de Normandie , année 1852, 238 SERMONS CU PRONES DE MAURICE DE SULLY. 20 Furent emperere de Rome, Ensemble, en lor tens, out un home, En la cité, boen crestien, Ki aveit non EureMiEx. Riches hom ert, de grant noblèce, De grant poer, de grant hautèce, C’ert le plus haut, por verité, De la cort et de la cité, Mes por ce ne lessot-il mie Ke il ne fust de bone vie, 30 K’il aimeit Deu et saint Eglise Et quanqu'’apent à son servise. Il ert home de boen afere, Doux et créable et debonere, Et aumoniers et charitables. Treis feiz le jour, èrent les tables Aparrelées richement, En son ostel à povre gent. Aus vueves et aus orfelins, Aus trespassans, aus pelerins , 0 A ceus qui mestier en aveient, Et qui por Deu le requereient. Et quant c’ert que mengier voleit A None, si comme il soleit, Menjout; mes son mengier n’ert pas Farsi de chufles, ne de gas, De bordes, ne de lecheries, De guersez, ne de gloutonnies : Einz aveit en sa conpaignie Prodesomes de sainte vie 20 Qui de chufleis n’aveient cure, Enceïz 'parloïent d’Escriture, De Deu et d’édificacion, De sens et de religion, Del preu et del salu de lame. Tel ert li sires ; et la dame, PREMIER APPENDICE. Ki Aglaés aveit à non, Ne valeit pas meins un semons Que li sires en sun endreit ; Ker ele amoit Deu et crémoit, 60 Et se peneit de lui servir A sun gré et à sun plesir, El ne fu fole, ne jangleresse, Ne baulande, ne beverresse, Ne felonnesse, ne orguellose ; Einz ert sainte et religiose Et debenere et aumosniere Et vaillant en tote maniere, Sans vilanie et sanz meffet. Mes mult erent en grant dehet 70 Andui qu'il n’aveient nul heir, Qui fust sire de lor aveir; Si erent en afllictions, En jeuneseten oreisons, Vers nostre seignor Jhesu Crist, Qu'il lor donast; et il si fist, Un fiz orent, k’il apelèrent Alexi; Deu en mercièrent Qui lor preière aveit oïe ; Et pramistrent que chaste vie, 80 ‘Tendreïent d’ilec en avant, A oz les jors de lor vivant. Li enfès crut et amenda Tant, que ses peres kemanda Et voult qu’il fust à letres mis; Et il s’est d’aprendre entremis Comme soutil et de boen sens ; Si bien qu'il fu en poi de tens De plusors arz preuz et vallanz, Et sages et bien responnanz, 90 Mes en la divine Escriture 240 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Out plus mis s’entente et sa cure. Il ï penseit et nuit et jor; Ce ert s’estude et son labor, Son solaz el Lote sa cure D'autre deduit n’aveit il cure. Kar il aveit trové sans faille Illec le grein desoz la paille ; Et par le taster de cel fruit Saveit il que tot le deduit 100 De cest siecle, por verité, N'est fors folie et vanité ; Et qui plus i met son corage Plus fet son duel et son demage. Kar s’ili a rien qui bien plese Perdre l’estuet à grant mesese , Ou à la vie ou à la mort, Sans recourier et sans confort; Kar quant plus est la chose amée Plus est grieve la deseurée, 410 Et plus dolorose la perte. Pour itel vanité aperte, Et por meint autre aveit issi Le siecle adossé Alexi, Et doné à Deu tot son cuer Et ne fust parti à nul fuer. Mes son pere, qui mult l’amot, Tot autrement de lui pensot. Por ce, quant il le vit en aage, Femme li quist de grant parage. 120 K’en diroie plus ? le jor vint K’esposer fame li covint. N’'i osa metre nul contenz, Por son pere et por ses parenz ; Mes en son cuer out grant tempesle, Et par dehors esteit la feste, Grant et planiere et gloriouse, 130 140 150 160 PREMIER APPENDICE. Si enveisie et si joiouse Come il coveneit à tuit gens. Mout i out divers estrumenz Gigues et harpes et vieles ; Dames et vaillez et puceles, Cendaus et pailes et samiz, Tanz embrasemenz de deliz, Et alumalles de luxure, Des gens et de l’enveisure , Des sonez et des meloudies, Donc les noces erent farsies, Ke bien poez saveir sans faille Que mout out en son cuer bataille, Et grant loier de la victoire, Qui por Deu refusa tel gloire. L! jor trespassa, la nuit vint; A lor lit aler les covint, En une chambre encortinée Si fu menée l’esposée Et parée de dras de seie, Si cointement et à tel joie, Ke convient à si hautes genz. Et quant ils orent la dedenz Trestot lor afere atorné, Le vaillet n’a pas sejorné Mult longuement, einceis ala Après et en la chambre entra, Et fist la costume et l’usage Del pais et de mariage, À tant s’en partent et s’envont Gil qui plus à fere ni ont Et il remestrent sol andui, Sans conpaignie de nului, Quant il furent privéement, Tot sol à sol, primierement Commence à parler Alexi : 16 241 2h42 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. « Dame, fet il, ore est issi « Dex, qui tot a fet et crié, « Nos a ensemble marié. « Por ce, si est dreit, ce me semble, « Ke nos aïun amor ensemble, « Et porton leauté et fei « Et je à vos el vos à mei ; « Et nostre amor seit si planière 170 « Que el seit et veraie et entière, » — « Sire, ce respont la pucele, « Vos dites reson bone et bele Lan . . . Citetio . . . . « Vostre amor et vostre bon gré « Voudreie je mult deservir; « Et j'ai talent de vos servir, « Et amer et porter ennor, « Comme à ami et à segnor. « Et mult me plest itel manière 180 « D’amor qui seit veire et entière ; « Si com j’entent vostre devise « Et j'en verité sanz feintise « Vos aim issi entierement, « Bien le sachiez certeinement ; « Kar ja home n'i partira « Tote m'aura cil qui m'aura. « Dex me gart de tel vilainie « Ke je face à nului partie « Ne de mon cors ne de mon cuer. » 190 « — Vos dites muit bien, bele suer, « Fet il, c’est droile amor charnel « De mariage; mes por el « Je dis que vos n’entendez mie ; « Qui bien vuelt à une partie « De mon cors issi metre mal, Est ce amor enlicre ne val, Ne amor veraie n’est ce mie, 210 220 230 a PREMIER APPENDICE, S’ele veut mal ne vilanie ; Ne el n’est ne veraie ne sage, S’el veut por bien mal et demage, Tel est amor luxuriose, Donc la fin est mult dolerose, Et je vos dis tot ensement, Se vos m’amez entierement, Amez m'ame et mon cors ensemble. Isi devez vos, ce me semble, Mieuz amor m'ame, qui mieuz vaut, Que j'aim mult mieux, se Dex mesaut, En moi et en vos un de ceuz Que je ne faz un des orteuz. Amon nos donc, ma douce amie, Sanz pechié et sanz vilanie : Quer autre amor n’est fors haigne. — Comment dist, sire, la meschine, Est donkes pechié mariage ? — Nenil, fitil, mes cil est sage Qui let cel bien por un greignor. Virginité est mout meillor, Et à mout haute gloire vient Qui bien la prent et bien la tient. En sorquetot mout doit douter Home qui tent à sei sauver Le grant péril et le fort laz, Qui si est près de cel solaz. Com il convient à mari fere Et si il veut al monde plere, Il encort mout d’autres pechiez, Dont touz li monz est entechiez. Si fet que sage li peisson Qui fuit le verm por l’amecon, Ker trop i a chiere golée, Povre et petite et tost alée, N'est pas donc sages marcheanz, 2h3 24h SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Ainceis est fol et mescheanz, « Qui si chier achale tel chose, « Donc si tost vient à la parclose. « Qui voudreit à Deu barkennier, « Qui nullui ne veut engiunier, « Muit porreit grant ennor conquerre : 210 « Il done le ciel por la terre, « Il done le grein por la paille; « Est il marchié qui cestui vaille? « Or puet len bien dire à dreiture e Que cest marchié est trovéure. « Or esgardez de chief en chief : « Hom nest, vit, et tret a fin, « Tot comme nue de matin. « Il est concéuz en ordure, « Et nest a grant malaventure; 250 « Ft vit en peinne et en labor, « Et muert d'angoisse et de dolor. « Toz devun tréu à la mort « Et ariveron à son port, « Et passeron parmi sa porte. « Ni a si fort qui li estorte, « Que le plus fort et le plus sain « A-ele tost mis en son sain. « Nus n’a por or, ne por argent D'’ele treves, ne tensement. 260 « La mort tret de l’arc qui ne faut, « El n’espargne ne bas ne haut; a Einz met lote gent en un conte, Et povre et riche et rei e conte, Et fol et sage et mal et boen, Et le chalenge tot por soen. Que vaut donc beauté et richèce . Force, puissance, genlillèce, Beaus solaz, et joie el deduit, Quant mort tot abat et destruiL? a a 270 280 290 300 PREMIER APPENDICE. 245 « Quan que l’en a toz jorz bracié « Et laboré et porchacié, « Et escréu et essaucié, « D’ele a un cop crabacié, « Et fet revenir à neent « Et esvanouir comme vent, « Et defere cume fumée; « Por ce a non li mont fol à bee, « Et santé d’ome fol si fie « Et sa joie chace folie. « Mez dahez ait fruit qui ne meure, Et folie qui toz jors dure! » Issi à sa fame parla. Mes ne dist pas quan qu’il pensa ; Et quant asez out sermoné, Un anel d’or li a doné Comme à sa douce chere amie, Et li encharche, et dit, et prie, Que por l’amor de lui le gart. Atant de lui par nuit s’en part, Si coiément c’onques ne sout Home ne fame où il alout. Et a pris ove sei du soen Tant com li plout et sembla boen, Et s’en est issu, por Deu querre, De son païs et de sa terre, A la mer vint, outre passa En une nef qu’il i trova. Lores a sa veie aquellie Parmi la terre de Sulie; Et erra tant par ses jornées Par monteignes et par valées, Que il ne fini, ne ne cesse, Devant que il vint à Edesse , Une cité bien renomée, Qui ore est Rohes apelée, 946 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY, LS Ilec a sa robe changée, Por une viez et depecée, Et a doné à povre gent Ce qu’il aveit d’or et d’argent, 310 Et departi si quan qu’il out C’onques riens relenir n’en vout, Ainz s’en fist por Deu si delivre, Qu'il le convint d’aumones vivre. Muit furent dolent au malin Tuit le parent et li veisin, Quant il fu séu qu’Alexi Les aveit deguerpiz issi. Les baesses et les serjanz En firent duel et plaintes granz, 320 Mes sor toz le pere el la mere ; Muit fu lor contenance amere Triste et pleintive et gameilose. « Lasse! cheitive! dolorose! « Fet la mere, que devendré ? « Où est mon fiz, et où le querré? « Je morreie or endreit, mon vuel, « Que james jor n'istrai de duel, « D'angoisse et de tribulacion, « Devant que je sache novele 330 « De mon bel fiz » ! Et la pucele Qu'il aveit nouvel esposée, Est durement adolosée, Et plaint et plore et dit et jure, Que james por nulle aventure Autre seignor de lui n'aura, Que qu’il demort, el l’atendra. Eufemieu fet duel grant, Comme pere de tel enfant; Et enveia por son fiz querre 310 De ses serjanz par mi la Lerre, Et ea et la et loinz et près, 360 370 PREMIER APPENDICE. Li uns passerent par Rohès, Mes Alexi pas ne troverent. Sil virent-il, et li donerent De lor aumones qu'il requist, Tot porpenséement, et prit D’eus, por ce qu’il les quenut bien ; Mes il nel’ quenurent de rien ; Por ce qu’il ert mal atorné. Si s’en sont sanz lui retorné. Quant Alexi a ce véu Qu'il ne l'ont pas apercéu , Ne requeneu, ne avisé, Por ce qu'il ert si desguisé, Megres et pales et despit, En povre esiat, en mal abit; N'est mie qu’il n’éust pitié De ce qu’il ert issi changié, De sa terre et de son pais De sa fame et de ses amis; Mes liez en fu d’outre partie ; Si en aore Deu et mercie, Por cui amor muez esleit Si que nus nel’ requenoisseil. Alexi à grant mesestance Del cors, feseit sa penitance, En jéunes, en oreisons, En veilles, en aflictions, Et de tant poi comme il aveit De aumosnes que len li doneit, Muit volentiers et doucement En reparteit à poyre gent. Por orer et por le servise Deu oïr, hantot nult l’eglise Nostre Dame sainte Marie ; Tant que Dex, qui n’oblie mie Ses boens amis el ses serjanz, 247 248 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. En la fin de dis et set anz Demonstra queus homes il esteit. 580 A l’uis del mostier où séeit, Un jor tel esteit son usage, Lores plout à Deu que l’image Nostre Dame parla et dist Au segreistèin , que il quéist L’'ome Deu et l’apelast enz. Le segreistain ne fet pas lenz; Einz issi hors, si haata ; Mes nel quenut ne nel trova ; Lors retorna et preia Deu 390 Qu'il li enseignast en quel leu, Et queus il ert, qu’il n’i fausist. Lors reparla l'image, et dist : « Li poyres hom qui a l’uis siet « Cest cil qui à Deu plest et siet ; « Cest cil qui a Deu atalente, « Kar il le sert à boene entente. » Atant li segrestein s’esmut Et vint à lui et le quenut, Si li chaï à piez et dist : 400 « Sire, merci par Jhesu Crist, « Le fiz Deu, vos pri et requier - Ke vos entreïz en al moltier. a Et fetes à vostre devise « Quanque vos plera en l'Iglise a Ker il plest à Deu et à nos. » Cil qui fu simples et hontos En out la face auques vermelle , Et li peuples en out mervelle, Qui ce ont oï et véu ; 410 Por ce l’ont puis‘bien quenéu, Et l’énorerent et chiérirent Tuit issi que parler oïrent Gil qui le monde entierement 420 430 440 PREMIER APPENDICE. 249 Out por plere à Deu solement Adossé. Quant il vit l’ennor Qu'en li feseit, out grant poor Ke vaine gloire et vanité Ne li tousist humilité, Sanz qui tot est ypocrisie, Quanqu’apartient a seinte vie. Por si grant peril eschiver Por ce que fort est l’estriver, Qu'il est soutil et soudoiant, Par nuit s’en est torné fuiant Dreit à la mer, e dist qu’il ireit A Tarse se Dex le voleit; C’est la vile donc saint Pol fu ; Et quant il sereit là venu Il ï sejorreit tot adès Com il aveit feit à Rohès. En l’iglise saint Pol de Tarse, Qui n’est ne povre ne escharse, Por la aler sus mer monta ; Mes un vent la nef desvoia Et chaça tant qu’à la parsomme Est arrivée au port de Rome. Quant Alexi véit le pais Et quenoist, donc il est nais, Ce peise lui; mes plus n’en puet, Quer fort cose fere l’estuet, Lors se porpense en sei, et dit : « Quant il plest au saint Esperit « Ke je en la terre où je sui nez « Sui en tel maniere arivez, « Contre mon cuer g’irai à Rome ; « Deja ne requerré nul home « D'’ostel, fors solement mon pere ; a Quer je ne cuit pas que je apere N’à ma color n’à mon semblant a 250 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. 450 « Que je onkes fusse son effant. » Issi le dist, lors s’entorna, A Rome vint; et encontra, Si come Dex le vout, son pere, Qui de la cort à l’'Emperere A son ostel s’en relorneit , Et grant plenté o sei meneit De compaignons et de serjanz, Comme haut home et bien puissanz. Alexi s’avance vers lui : AGO « Sire, fet il , por Deu je sui « Un povres hom qui ai mestier « Ke len me doigne à mengier; « Si vos requier par charité, « Por Deu qui maint en Trinité, « Qui de mal vos gart et delfende, « Et vostre fiz encor vos rende, « Vif el sain et sauf et hetié, « Que vos aiez de mei pilié « Et me doingniez ma garison A70 « De vos aumones en meson » Eufemien bien l’escouta, De Alexi son fiz li membra ; Donc grant tendror au cuer li prist. Un serjant apela et dist : « Meinne cest home à mon ostel ; « Garde quil n’ait ne dan, ne del, « Besoig, soufrele, ne mesèse, « Ne nule rien qui li desplèse, « Ne moleste, ne nule rien; 80 + Ce te commant je mull tres bien, « Ainz fai vers lui quanqu’il voudra « Et quanque rheslier li sera, » — «Sire, respont cil, je l’otrei, » — Lors le maine a l’oste!, o sei; Si li enseigne et leu et place l 90 500 J [hi] PREMIER APPENDICE. Ou il gise el menjust, et face Sa volenté et tot son boen Ausi comme se Lot fust soen, Tant comme Alexi fu novel Fu il ostelez bien et bel ; Mes quant len s'ennuia de lui Mull trova qui li fist ennui Garchonnalle, male mesnie Mult mal duite et mal enseignie, Donc ces riches osteus sunt plains, Qui sunt enrieures et vilains, Et pervers et de mal afere, Et qui plus est vers eux soufrables, Et eus plus fous et excréables ; Qui ne se claime e ne deffent, Cel folent il séurement. S’eus trovent home simple et mol, Il en geuent au chapifol, Et li funt honte et vilanie, Que li seignor ne sevent mie Toz les meffez de lor ostel, Por ce qu'il entendent à el C'avient sovent; el Lot issi Aveneit il à Alexi. Mult deboté fu et lediz, EL ramponez et escharniz, Tant que neis les lavéures Des poz et chureaus et ordures Sor son chief li meteient il, Mult le teneient cort et vil, Et feseient mal à foison. Mes il beveit tot por poison : Quer poison esteit ce sanz dote Quause com len garist de gole, Ou d'autre mal par poison beivre : Tot autresi qui veut receivre Aversilé en penilance, 251 252 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Humblement et en pacience, Il garist s’ame de pechié. Si en a Deu merci et pitié. Mult se dist veir saint Pol, qui dist : Qui cunques selon Jhesu Crist Veut vivre à boene intenciun Il aura persecuciun ; 530 Ker qui plus est religios, Et plus li est contralios Cil qui deceut par une pome Eve et Adam, le primier home, Et qui toz veut à male fin Treire por force et por engin. Por ce assaut en meinte guise ; Ker meinte feiz par coveitise Des deliz charnaux les commuet Et quant il veit que il nel puet 540 Veintre par coveitise de èses, Si li fit dolor et mesèses , Ou par lui ou par ses serjanz ; Donc mult est cest demage granz. 11 véient qu’Alexi esteit Ches son pere et lez lui aveit Biens terreins à grant plenté, Donc il feist sa volenté, Se il vousisl changier sa vie; Donc il aveit duel et envie 550 Que il ne poeit pas tant fère Quil le péust a ce atrère ; Si s’enticout encontre lui Et li feseit asez ennui, Que par angoise ou par destrèce S'en reparast à sa richèce Et sa sainte vie chanchast, Ou seneaus non, qu'il sen vengast. Isin est quant aucuns estrive 580 PREMIER APPENDICE. 253 Boter de sor lor de la rive, Une autre en l’erre s’il ne puet, Si s’en aire et escommuet, Et le fiert de pié ou de poig Quit salle en l’eve par besoig :: Ou seneaus qu’il s’en seit vengié Tant qu'il sen tienge a bien paié. Alexi qui ce bien saveit, Comme cil qui grant sens aveit, Soufreit mult deboneremenñt, Comme aïgniel simple et innocent La vilennie et le despit, Sanz meffet et sanz contredit Sanz contençon, et sans clamor, Fere n’a dame n’a seignor ; Plus esteit de ceus corouciez Que deable aveit si soz piez, Qu'il en feseit son estrument , Qu'il n’ert de son avilement, De son mal, ne de son hontage. Quer c’est son preu et lor demage, Et en atendeit grant corone De Deu qui les biens guerredone, Autres XVII anz vesqui Enz la meson son pere issi; Et, quant il senti près sa fin, Il a demandé parchemin, Et enque, à cil qui le gardout. Si li a aporté. Quant il l’out, Il i escrit tote sa vie Si comme vos l’avez oïe; Et escrit tot de chief en chief Et les maus donc il out adès, Et chez son pere et à Rohès. Devant ce qu’il dut trespasser Vout Dex son tresor encuser ; t] ot « 600 610 620 630 54 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Et dist une voiz en l’iglise Au pueple qui ert au servise : « Alez, si querez le saint home « Qu'il prit por la cité de Rome, « Ker il est si pres de sa fin « Quil trespassera le matin. » De cele voiz qui fu oïe Fu tote la gent esbahie, Et la novele tost séue Par la cité et espandue. Meis ne saveient en quel terre 11 déussent tel home querre. Quistrent le, mes pas ne troverent. Por ce, par matin asemblerent Le vendredi communement A liglise ; pape Innocent I fu et li dui emperere Archade et Honoire, son frere ; Et mult grant plenté d’autre gent Et preierent devotement Deu qu'il lor enscignast où esteit Cil qui querre lor kemandeit, Par la volenté Jhesu Crist, Revint une voiz et lor dist : « En la meson Eufemien « Troverez le saint crestiien. » De la voiz qu'il orent oïe Mervellosement esjoïe Furent tuit et grant et petit. Lores ont à Eufemien dit : « Sire, font il, qu'avez vos fet ? « Certes mult nos avez meffet, « Qui tel tresor avez celé. » — « Non ai, fet il, por verité, « Le sachiez. ainzceis vos di bien « Que uncore n’en sai je rien, » 640 650 660 PREMIER APPENDICE, 255 Lors apele et met à reson Le seneschal de sa meson. « Sez tu, fet il, tel home itel « Cum tu oz, ci en mon ostel? » — « Certes, sire, fet il, je, non. » — « ÂAlon i donc, et si sachon » Fet pape Innocent volentiers. Lores i va tot primiers Eufemien, por atorner L’ostel, qu’il n’i ait qu'amender À receveir si haute gent, Atent esvos isnelement Le vallet qui en garde aveit Alexi tant comme il viveit : « Sire, dist-il, prenez vos garde, « Se ce fust cil que j'ai en garde; « Ker je sai bien, je n’en dot mie, « Qu'il esteit mult de sainte vie, « Et aveit mult por vérité « Pacience et humilité, « Et malt feseit grant penitance « De jéunes et d’austinance: « Et mult esteit en oreison « Et à l’iglise et en meson. » Eufemien cele part vet, Mort le treuve, vers lui se tret, Si le descouve et veit sa face Qui semblout clere comme glace, Se com Dex l’out enluminée Quant sa vie fu terminée. Tant l’esgarde, qu'il aperceit Le parchemin que il teneit. Il s’abessa, prendre le vout ; Mes unkes aveir ne le peut. Lors veint ariere isnelement Et à dit à pape Innocent 256 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Et as autres : « Trové avun « L’home Deu que nos queriun, ? Lores lor conte de sa vie 670 Comme il l’out del vallet oïe, Et del parchemin qu'il teneit Qu'il vout prendre, mes ne poeit. Parlant les a issi menez Au cors, ilec sont asemblez Et font o grant devociun Devant lui lor estaciun. Son cors et sa face et sa chiere Esgardent en meinte maniere, Et le parchemin que il tint. 680 Pape Innocent pres de lui vint; Et a pris l’escrit en sa main, Et le baïille à son chapelein. Gil lut l’escrit en audience, Et li autre tendrent silence, Quant Eufemien l’entendi, Par poi le cuer ne li fendi D'angoisse et de duel qu'il ot ; Ne peut unkes parler un mot; Le cuer li tremble et refreidist. 690 11 pert la color et palist, Pasmé s’est et esvanoïz ; Ker le sanc est au cuer foiz. Quant il revint de pasmeison En son sens et en sa reison, Il cort à son fiz, si l’enbrace, Bese lila bouche et la face, Les eux, le front, sans dire mot; Et quant ce fu que parler pot, Il se commence à doloser 700 Et à plaindre et à regretter. « Alas! fet il, alas, cheitif! « C’est grant dolor que je tant vif; 710 720 730 PREMIER APPENDICE, 257 « Ker la meie vie ne dure « Fors por aveir mal aventure, — « Et dolor desore en avant « À toz les jors de mon vivant! » a Alexi! beu fiz Alexil « Por quoi m'avez vos si trahi, 2 Que vos tanz tant maus avez eu, « Si près de mei sanz mon séu | « Et si lonc tens unkes nel soi, « Ne requenoistre ne vos poi, « Souffert avez tantes injures « Tanz hontages, tantes leidures, « De nos garçons demeinement! « Si ne vos failleit solement « Fors parler et vos socorir, « À aveir tot vostre plesir. « Je cuidai, quant vos fustes né, « Beau fiz, que Dex m'’éut doné « Force et aide en ma flebèce, « Et sostenance en ma viellèce, « Et ballif et seignor et eir « De mon or et de mon aveir : « Mes Dex m'a si desespéré « Desconfit et debareté ; « La mort, vers qui nus n’a deffense, « Mult remaint de ce qui fol pense. » « Beau fiz, si vos fussiez ocis, « En batalle, ce m'est avis, a Por ce que ce aveint corsaument, « J'en fusse plus legierement « Et confortez et apaiez. « Mes i esgart vos estiez, « En mon ostel et en ma garde, « Si estes mort par ma mesgarde. « Vers i est quenois que je en sui, « Que ne fis pas ce que dui, 117 258 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Mult copable de vostre mort ; 740 « El vos veir de mon desconfort Fustes copable sanz dotance, Qui saviez la grant pesance, « Et saviez le grant torment Que je aveie por vos souvent ; « Et veïez la leide chere a = « Et de mei et de vostre mere ! N’onques ne vos en prisl pitié : « Vos féistes veir grant pechié : = « Ker mult tost, se vos vousissiez, 750 « En grant joie nos meissiez. « Bel douz fiz, je vos ai fet querre « Et cercher par mer et par terre; « N’onques noveles n’en oï; « Or vos ai trové mort ici. « Je ment; trové ne ai-je mie, « Que j'ai trové le cors'sanz vie ; « Trover mort n’est pas trovéure, « Mes perte dolorose et dure. « Jai donc perdu, non pas trové 760 « Mon fiz que je avei adiré. « Alexil beu fiz Alexil Vos ai je donc perdu issi! a « Oil veir, je ne m'en puis tere, « Seneaus quant je n’en puis plus fere, « Alexi, bel fiz, je atendeie « De vos toz jors aucune joie, « Et à oïr d’aucune part Bone novele ou tost ou tart « De vos en aucune maniere : 770 « Mesorn'iatent, fors la biere. u Quer n'ai retor de vostre mort, « Ne rien à qui je m'en confort. Quer vos n'avez frere ne suer! Et por ce n’istra de mon cuer € = 780 790 800 810 PREMIER APPENDICE, « James ceste amertume hors, « Tant cum j'aie la vie el cors. » Que que cil feseit come pere, Atant evos venir la mere Marmitouse et eschevelée, Breant comme beste effrée, Qui por ses foons est engresse, A grant peine derompt la presse Quant el vint là et le cors vit, Le cors li faut et l’esperit ; Sor lui se pame plusors feiz, Quer mult esteit si cuers destreiz. Quant el revint de pameison, En son sens et en sa reson, El cort à son fiz si l’enbrace Bese li la bouche, et la face, Les euz, le front, sans dire mot; Et quant ce fu que parler pot, El se commence à doloser Et à plaindre et à regreter ; En sun cuer a si grant hachiée Qu'’el se contient comme esragiée. El tuert ses poinz, ses chevaus tire, Ele s’esgraline et descire, El bat et son piz et sa teste, Et fet tel noise et tel tempeste, ‘Et bret, et crie, et haut et bas, Que je ne cuidereie pas, Qu'’ele criast si haut d’assez, Quant Alexi son fiz fu nez! Si ert merve[ille quel[e] ne se lasse De crier lasse ! lasse ! lasse! a Lasse, fet ele, mon effant, « Lasse ! ja l’amoie je tant! « Trente et. 1111, anz l'ai atendu : « Or l’ai trové, or l'ai perdu. 259 260 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. « Or pui je certeinement dire « Que j'ai trové dolor etire, « Et que j'ai perdu tote joie, « Quer j'ai perdu quanque j'amoie. «“ Douz Dex, por que ne me gardastes « Mon fiz, quant vos le me donastes ? « Ou por quei le me doniez 820 « Quant tolir le me voliez? « Ce fu por meiï plus corocier : Kar l'ai perdu sanz recovrier. « Ce peise mei, quer plus est pire 2 « Le retolir que l’escondire! Beau fiz, donc vint tel durèce « Que vos seneaus en ma viellèce « Ne me féistes nul confort! « Au meins, einz que vos fussiez mort, « Que si je eusse un sol petit 830 u A vos parlé, mon esperil « En fust mes 1oz jorz plus à èse; « Mes je dei bien estre à mesèse, « Mes euz, or del plorer avez « Tant que vos seiez toz lassez, « Et tant que vos aiez perdue « Et la clarté et la véue. « C'est dreiz, quer se vos éusiez « Si bien comme vos déussiez « Alexi mon fiz avisé, 840 « Il ne fust jà si desguisé, « Que ne le éusiez quenu, a Qui asez l'aviez véu, s À mes mains lever et chouchier « À mes mameles aletier, « Or ne faz mes fors enpirier. “ C’est cil qui torna en mes flans « Por qui jai soffert tant ahans « Jadis au nestre et au norrir : 850 860 870 880 PREMIER APPENDICE. 261 « Mais li plus grief est au morir! s Quer cils alcieit esperance ; a Or nos grieve desesperance. « Alexil! beaus fiz, beaus amis! « En tel deul avez mon cuer mis, «a Que james nul jor que je vive « Ne serai fors lasse et chaitive. « Nen istrai de dolor amere, a Vos qui savez le cuer de mere, a Aiez pitié en vostre cuer «a De ma dolor, quer , à nul fuer, « Ne porrait prou pitié avoir « Cel qui mon cuer ne puet savoir! » Iloques revint l’esposée Triste, mate, deschevelée ; Qui le regrete durement, Quer ele l’amoit veraiement : — « Lasse! chaitive! fet ele, lasse ! a Onques n’oi de rien que je amasse « Joie, solaz, ne compaignie : « Si ai usé tote ma vie « Et despendue ma jovente a En esperance et en atente. « Et or ai je del tot perdu, « Ce que j'ai toz jorz atendu! « Geste perte est sor totes perles : « Kar or sui je vueve adecertes! « Ainceis que mi sire morust, « Aveie je, quel part qu’il fust, + Grant hennor de ennor de mari, a Qu’em m'apelat feme Alexi : « Mes or sui vueve sanz seignor ; « Sanz cest non, et sanz cest ennor. a Or n'ai je mes point de garant « Fors Deu, à qui je me commant. « Certes je sui molt corociée 262 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. % a Qu'il m'a issi de tot lessiée ! « Qui il out m'amor premeraine, + Si aura il la desreaine, « Je ne sai nul autre confort « Que je puise aveir de sa mort 890 « Fors que james autre n'aurai. « Virge sui et virge morrail! Mult en est triste et corocée ; Et regretent la mesaée, Et doutement se repenteient Tost cil qui meffet li aveient. Touz le plorent communement Ker au suens grant pitié en prent; Et li autre en sunt multirié, Que de courouz et de pitié 900 Ni a cil qui n’en seit marriz; Pleine meson de ploreïz Péust l’en véer à cel hore; Chascun le pleint, chascun le plore. Lors kemanda pape Innocent Que li cors fust mout richement Conréez et en biere mis; Plusors s’en sunt si entremis, Que il l’ont mult bien atorné. Atant s’en sunt d’ilec torné, 910 Et enportent dreit à l’iglise Le cors por fere le servise. Mes ainzceis que il fussent là , Mult grant pueple i asembla. Chascun se peine d’aprochier A la biere et à Le touchier , * Por reverence et por santé, Et tant en i vint grent plenté, Que il i furent mult grant presse. L'un se drece, l’autre s’abesse, 920 L'un enpeint et hurte et bote De teste ou de espaule ou de cote : 930 940 950 958 PREMIER APPENDICE. L'un chiet adenz et l’autre envers, L'un vet avant et l’autre arriere, Por passer par dessouz la biere ; Mult ont les portoors lassez. Mes miracles i out asez; Comme de contrez redrecier , De malades essanicier , De rendre oïe et véue, A ceus qui l’aveient perdue, Quant li dui emperere veient Les miracles qui aveneient, Sor lor cous ont la biere mise, Si l’enportent dreit à leglise Saint Boniface, por la presse De partir qui mult les copresse, Font semer denier ça et la ; Mes gueres ne lor profila. Car li peuple plus volentiers Cort à la biere qu’au deniers, Au mostier vienent à grant peine ; Le cors gardent une semeine, Et ont fet fere de novel Un sarcoil mult riche et mult bel, Et bien ovré d’or et d'argent Et entallié bien soutilment, A flors, à pierres precioses, Bien cleres et bien vertuoses. Ileques ont le saint cors mis Issi fet Dex de ses amis. Or priun Deu devotement Tuit et totes communement, Que il nos doint par sa pitié Si espurger nos de pechié, Et d’ore en avant vivre issi Que nos, ovec saint Alexi, Puisson estre par sa prière En vie et en joie planière, Amen. 263 964 SERMONS OÙ PRONES DE MAURICE DE SULLY. DEUXIÈME APPENDICE. Aux deux pièces qui précèdent, j'ajouterai quelques fragments écrits à une époque antérieure. Je les tire d’une traduction du Psautier, que j'ai trouvée dans un manuscrit du XII°. siècle, conservé à la biblio- thèque du Musée britannique de Londres (1). On ne sera pas fâché de trouver un spécimen de la langue anglo-normande, plus d’un siècle avant celui où ont été composés les deux autres morceaux. On sera frappé du progrès rapide qu’a fait le langage en si peu de temps. Le français des Psaumes serre de si près le texte latin, qu’il en reproduit les tournures, les inversions et les formes elliptiques. Un grand nombre de mots, d’origine latine, tombés depuis en désuétude , ont été remplacés par d’autres, empruntés soit à un latin plus vulgaire , soit à un idiome moderne. Mais ce qui rend intéressante l’étude des textes de cet âge et de ceux qui remontent à un siècle plus haut , c’est qu’ils conservent les formes intermédiaires, qui montrent par quelles transitions certains mots français sont ar- rivés à revêtir une forme dont il ne serait pas toujours facile , sans cela, de démêler les éléments étymolo- giques. (4) Bibliothèque Cottonienne, Nero. CIV. DEUXIÈME APPENDICE, 265 PSAUME XIII. Dixit insipiens in corde suo : non est Deus. Dist li fols en son coer : nen est Deus. Corrupti sunt et abominabiles facti sunt in studiis suis ; non est qui faciat bonum ; non est usque ad unum. Corrunput sunt e abominables fait sont en leur es- tudies; nen est chi facet bien ; nen est desque à un. Dominus de cœlo prospexit super filios hominum ; ut vi- deat si est intelligens aut requirens Deum. Li sire del ciel esguardet sur les fils des humes ; que il veiet si est attendanz u requeranz Deu. Omnes declinaverunt, simul inutiles facti sunt ; non est qui faciat bonum, non est usque ad unum, Tuit declinerent ensembléément ; inuteles sunt fait ; en est chi facet bien, nen est desque à un. Sepulchrum patens est guttur eorum; linguis suis do- lose agebant; venenum aspidum sub labris eorum. Sepulchre aovranz est li guitrun d’els; par lor lan- gues tricherusement faiseient ; venim de serpenz de suz les levres d’els, Quorum os maledictione et amaritudine plenum est; ve- loces pedes eorum ad effundendum sanguinem, La boche des quels de maleicun e de amertume est pleine ; ignels sunt li piet d’els a espandre sanc. Contritio et infelicitas in viis eorum: et viam pacis non cognoverunt; non est timor Dei ante oculos eorum. Contriciun et maleurtet es veies d’els ; e la veie de pais ne cuneurent ; nen est la crieme de Deu devant lor oilz. 266 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Nonne cognoverunt omnes qui operantur iniquitatem, qui devorant plebem meam sicut escam panis? Dum ne cunuistrent tuit ki ovrent felunie ; chi devo- rent mun pople si cume viande de pain? Dominum non invocaverunt: illic trepidaverunt timore ubi non erat timor. Ne seigur ne envocherent; iluec tremblerent de crieme , o nen ert crieme. Quoniam Dominus in generatione justa est; consilium inopis confudisti ; quoniam Dominus spes ejus est. Kar li seignur en juste generaciun est; le conseil del suffraitus confundistes; kar li sire est esperance de lui. Qui dabit ex Sion salutare Israel ? Cum averterit Do- minus Captivitatem plebis suæ, exultabit Jacob et exultabit Israel. Chi dunrat de Syon salvable a Israhel? Quant des- turnerat li sire la caitivetet de sun poeple, s’esjoirat Jacob e esleecerat Israhel. PSAUME XIV. Domine quis habitabit in tabernaculo tuo? aut qui re- quiescet in monte sacro tuo? Sire, chi abiterat el tuen tabernacle? e chi repo- serat el tuen saint munt? Qui ingreditur sine macula, et operatur justitiam. Chi entre senz tache et ovret justise. Qui loquitur veritatem in corde suo ; qui non egit dolum in lingua sua. Chi parolet veritet en son cuer ; chi ne fist tricherie en sa langue. DEUXIÈME APPENDICE. 267 Non fecit proximo suo malum ; et opprobrium non ac- cepit adversus proximos suos. Ne ne fist à sun presme mal; e obprobre ne receut envers ses priesmes. Ad nihilum deductus est in conspectu ejus malignus; ti- mentes autem Dominum glorificat, A nient est demenet en l’esguardement de lui li ma- lignes; les cremanz acertes le Seignur glorifie. Qui jurat proximo suo et non decipit; qui pecuniam suam non deditad usuram, et pecuniam super innocentem non accepit. Chi jure a sun priesme e nel deceit; chi de sa pe- cunie ne dunat a usure, e luers sur innocent ne recut. Qui facit hoc non commovebitur in æternum. Ki fait icestes coses, ne serat mout en parmana- bletet. PSAUME XV. Conserva me, Domine, quoniam bonorum meorum non eges. Guarde mei , Sire, ker des miens biens n’en as be- soign. Sanctis qui suntin terra ejus ; mirificavit omnes volun- tates in eis. As sainz ki sunt en sa terre, ad fait merveilluses tutes mes voluntez en els. Multiplicatæ sunt iniquitates eorum, postea accelera- verunt. Multipliées sunt les enfermetez d’els; en pres iceo sei hasterent. 268 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Non aggregabo conventicula eorum de sanguinibus ; nec memor ero nominum eorum per labia mea. Jeo ne asemblerai les convenz d’els de sancs ; ne ne serai remembrere des nums de cels par mes lèvres. Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei;tu es qui restitues hæreditatem meam mihi. Li sire est parties de la mei hereditet e del mien calice; tu es chi restabliras la meie hereditet a mei. Funes ceciderunt mihi in præclaris; etenim hæreditas mea præclara est mihi. Funels chaierent à mei en mult cleres coses ; kar la meie hereditet est mult clere a mei. Benedicam Dominum qui tribuit mihi intellectum ; in- super et usque ad noctem increpuerunt me renes mei. Je beneistrai le Seignur qui dunat a mei entende- ment; ensurquetut e desque a la nuit cruiserent à mei mes reins. Providebam Dominum in conspectu meo semper ; quo- niam a dextris est mihi; ne commovear. Je purveei le Seignur el mien esguardement tutes ures; kar devers les destres est à mei; que jeo ne seie commout. Propter hoc lætatum est cor meum, et exultavit lingua mea ; insuper et caro mea requiescet in spe. Pur ico esléécat li miens cuers, e esjoit la meie langue; ensurquetut e la meie carn reposerat en es- perance. Quoniam non derelinques animam meam in inferno ; in- super nec dabis sanctum videre corruptionem. Kar tu ne deguerpiras la mei aneme en enfern, ne tu ne dunras le tuen saint veeir corruptiun, DEUXIÈME APPENDICE. 269 Notas mihi fecisti vias vitæ ; adimplebis me lætitia cum vultu tuo ; delectationes in dextera tua usquein finem. Cuneues a mei tu fesis les veies de vie; tu me am- pliras de lééce od tun vult ; delectaciuns en la desire desque en fin. PSAUME XVI. Exaudi, Domine, justitiam meam, intende depreca- tionem meam. Oie , Sire , la meie justise entent la meie preiere. Auribus percipe orationem meam ; non labiis dolosis. Ot tes oreilles receif la meie oreisun, neient en tri- cheresses lèvres. De vultu tuo judicium meum producat ; oculi tui ut vi- deant æquitates. De tun vult le mien jugement eissit ; li tuen oil veient oeltez. Probasti cor meum et visitasti nocte, igne me examinasti; et non est inventa in meiniquitas. Tu espruvas li mien cuer e le visitas par nuit, par fou mei esmeras; e nen est trovée en mei ini- quite. Ut non loquatur os meum opera hominum ; propter verba Jabiorum tuorum ego custodivi vias duras. Que ne parolt la meie boche ovres de humes; pur les paroles de tes levres, je quardai dures veies. Perfice gressus meos in semitis tuis; ut non moveantur vestigia mea, Parfai les miens pas es tues sentes, que ne seient moues les meies traces. 270 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY. Ego clamavi quoniam exaudisti me Deus ; inclina aurem tuam mihi et exaudi verba mea. Jeo criai, kar tu me ois, Deus; encline la tue oreille a mei et exoies mes paroles. Mirifica misericordias tuas,qui salvos facis sperantesin te. Fai merveilluses les tues misericordes chi salfs fais les espéranz en tei. A resistentibus dexteræ tuæ custodi me ut pupillam oculi. Des contrestanz à la tue destre guarde mei si cume la purnèle de oil. Sub umbra alarum tuarum protege me ; a facie impiorum qui me afflixerunt. De suz l’umbre de tes eles coevre mei, de la face des feluns ki mei afilistrent. Inimici mei animam meam circumdederunt, ad opem suam coucluserunt ; os eorum locutum est superbiam. Li mien enemi la meie aneme avirunerent; lor greisse enclostrent; la buche d’els parlat orguil. Projicientes me nunc circumdederunt me; oculos suos statuerunt declinare in terram. Degetant mei ore avirunerent mei ; lur oilz establi- rent decliner en terre. Susceperunt me sicut leo paratus ad prædam ; sicut ca- tulus leonis habitans in abdutis. Receurent mei si cume liuns aprestet a preie; et si cume cael de leon habitanz en repostailles. Exsurge, Domine, præveni eum et supplanta eum ; eripe animam meam ab impio, frameam tuam ab inimicis manus tuæ. Esdrece tei, sire, devancis lui e supplante lui; de- livre la meie aneme del felun; la tue espée des enemis de la tue main. DEUXIÈME APPENDICE. 271 Domine , a paucis de terra divide eos in vita eorum ; de absconditis tuis adimpletus est venter eorum. Sire des pois de terre devise les en la veie d’els, des tues repostailles aempliz est le ventre d’els. Saturati sunt filiis ; et dimiserunt reliquias suas parvulis sSuls. Saulez sunt des filz; et laiserent lor remasilles a lur enfanz. Ego autem in justitia apparebo conspectui tuo ; satiabor, cum apparuerit gloria tua. Jeo acertes en justise aparistai al tuen esguarde- ment, je serai saulet cum aparistrat la tue glorie, PSAUME XVII. Cœli enarrant gloriam Dei ; et opera manuum ejus an- nuatiat firmamentum. Li ciel recuncte la glorie Deu e les ovres de ses mains annuncet le firmament, Dies diei eructat verbum ; et nox nocti indicat scientiam. Li jurs del jurn forsmet parole, e nuit a nuit de- mustret science. Non sunt loquelæ neque sermoues quorum non audientur voces eorum. Ne sunt paroles, ne sermuns de quels ne seient oies les voiz d’els. In omnem terram exivit sonus eorum; et in fines orbis terræ verba eorum. En tute terre eissit le sun d’els ; e es fins del cercle de la terre les paroles d’els. In sole posuit tabernaculum suum, et ipse tanquam sponsus procedens de thalamo suo. El soleil posat sun tabernacle, e il ensement cum espus eissanz de sa chambre. 272 SERMONS OU PRONES DE MAURICE DE SULLY,. Exultavit ut gigas ad currendam viam ; a summo cœælo egressio ejus. Il s'esléécat si cum gaianz a curre sa veie; del sovrain ciel ses eissemenz. Et occursus ejus usque ad summum ejus; nec est qui se abscondat a calore ejus. E son contrecurs desque a la suverainetet de lui; e n’est chi se repunge de sa chalur. Lex Domini immaculata convertens animas, testimonium Domini fidele ; sapientiam præstans parvulis. La lei del Seignur nette convertanz anemes, le testi- monie del Seignur fedel ; sapience durat as petiz. Justitiæ Domini rectæ, lætificantes corda præceptum Domini lucidum illuminans oculos. Lesjustises del Seignur dreituriers esleccant les cuers, licommandemenz del Seignur luisable, enluminanz oilz. Timor Domiri sanctus, permanens in seculum seculi; judicia Domini vera justificata in semetipsa. La crieme del Seignur sainte, parmaint en siecle de siecle; les jugemenz del Seignur veir , justefiez en sei meisme. Desiderabilia super aurum et lapidem pretiosum multum; et dulciora super mel et favum. Desiderables sur or e pierre mult pretiuse ; e plus dulz sur mel e rée. Etenim servus tuus custodit ea; in custodiendisillis re- tributio multa. Kar li tuens sers guardet icels ; esguarde d’els multe retributiun. Delicta quis intelligit ? ab oculis meis munda me et ab alienis parce servo fuo. Les forfaiz chi ertent? de mes occultes choses veie mei, e de estranges esparne a tun serf. DEUXIÈME APPENDICE. 273 Si mei non fuerint dominati ; tunc immaculatus ero , et emundabor a delicto maximo. Si il sur mei ne segnurerunt ; dunc serai nez, et serai mundez de tres grand forfait. Et erunt ut complaceant eloquia oris mei; et meditatio cordis mei in conspectu {uo semper. E ierent que plaisent li parlement de la mei buche; et le purpensement de mun cuer el tuen esguardement tutes ures. Domine , adjutor meus, et redemptor meus. Sire, li miens ajuere, e li miens rachaterre. 18 ADDITION À LA VIE ET AUX OEUVRES DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX; PAR M. J. TRAVERS, Secrétaire de l’Académie, —__———+ ÿ53SSe——— La mode est présentement aux notices, aux éditions et aux commentaires. On réimprime force vieilleries qui valent bien peut-être les nouveautés du jour ; et quelques auteurs, dont les opuscules étaient épars dans les recueils du XVII. siècle, sont édités avec un soin qui fait honneur à nos scrupuleux bibliophiles. Le président de leur Société (car il y a une Société des bibliophiles français ], M. Jérôme Pichon avait publié , en 1846 , chez M. Fechener , des Notices bio- graphiques et littéraires sur la vie et les ouvrages de Jean Vauquelin de la Fresnaye et Nicolas Vauquelin des Yveteaux, gentilshommes et poètes normands , 1536- 1649 , in-5°, de 68 pages. Ces Notices, fort bien faites, avaient appelé de nouveau l'attention des amateurs sur les deux Vauquelin , qui furent tous deux lieute- nants-généraux au baiiliage de Caen, et tous deux poètes de renom. OEUVRES DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 279 Jean , père de Nicolas, fit imprimer ses propres œuvres, qui sont aujourd’hui d’une excessive rareté. Nicolas, devenu indolent et licencieux à la cour, laissa éditer son {nstitution du Prince (1604), poème composé pour le duc de Vendôme, encore enfant, et ne s’occupa de la publication d’aucune de ses fugi- tives. Que dans un factum , on donnât un sonnet qui sentit le libre penseur et l’épicurien , il n’en uiait pas le moins du monde la paternité ; mais il semblait peu soucieux que la postérité en fût instruite, et son amour-propre n'alla pas jusqu’à réunir ses pièces en un volume. M. Prosper Blanchemain, bibliothécaire-adjoint au Ministère de l’intérieur, ami de M. Pichon, et partageant sa prédilection pour nos vieux auteurs, s’est épris d’une belle passion pour Des Yveteaux, et mis en tête de recueillir ses œuvres éparses , imprimées ou ma- puscrites, puis de les éditer en un beau volume grand in-8°, (1). Il les a tirées, bien entendu, à petit nombre (4) On ne peut nier le soin avec lequel a été faite cette édition. Peut-être même ce soin a-t-il égaré l’éditeur. Voici le titre tel qu’il l’a imprimé : Les oeuures poctiques de Vavqvelin des Yveteavx , revnies povr la premiere fois, annotees et publiees par Prosper Blanchemain, Bi- bliothecaire-adioint au Ministere de l’Interieur. A Paris, par Avgvste Avbry, libraire, rve Davphine. M. DCCC. LITIT. Ce titre donne un spécimen de la vieille orthographe appliquée à une partie qui ne devait pas en être atteinte. Qu'il nous soil permis de copier l'appréciation que nous en avons faite dans le Bulletin monumental publié par M. de Caumont, pages 487 et 488 du 20°, volume: « Nous admettrions, à la rigueur : Les oeuvres poetiques de 276 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES d'exemplaires, car c’est un point capital dans la petite église des bibliophiles, que les œuvres qu’iis impri- ment ou qu’ils réimpriment soient rares, Ou ne tombent que par accident au pouvoir des profanes. Des ache- teurs vulgaires s’accommodent de la Bibliothèque nouvelle ou de la Collection Lévy, à 4 fr. le volume : les vrais amateurs paient au poids de l'or des bluettes échappées à la justice du temps, ou réimprimées splendidement à 25 exemplaires. Notre but n’est point ici de blâmer un travers fort « Vavquelin , titre considéré volontiers comme une étiquette an- « cienne de cette réunion de pièces, antérieures au siècle de Louis « XIV, et éditées comme reproduction des recueils du temps; mais « revnies pour la premiere fois, ete., ne peut ètre rapporté au « commencement du XVI. siècle; c’est bien M. Blanchemain du « XIX°,, M. Blanchemain, bibliothécaire-adjoint au ministère de « l'Intérieur, M. Blanchemain le bibliophile, qui publie, en 1854, les « œuvyres poétiques de Vauquelin des Yveteaux : nous ne croyons pas « qu'ilsoit tenu de Lraveslir ce qu'il écrit de nos jours en celte ortho- « graphe d'il y a 220 à 240 ans. Nous dirons de plus qu'’ilneus semble « étrange que la vie du poète, rédigée lout récemment par l'éditeur, « soit déguisée de la même facon. Nous n’admettrions ces formes « surannées que pour un pastiche. Autrement, supposez celte idée « reçue , que loute biographie d’un écrivain des temps passés sera « soumise à l'orthographe de l'époque où cet écrivain a vécu, et « imaginez le bariolage orthographique d’une Biographie des six « derniers siècles de notre littérature! « La crilique que nous faisons n’a point pour objet d'attaquer « l'édition proprement dite des poésies de Vauquelin des Yveteaux ; « notre intention est de rendre hommage à ce travail très-conscien- « cieux et très-bien exécuté, mais en même lemps de mettre en « garde et M. Blanchemain et les éditeurs futurs contre celte manie de serupule qui a le tort de dépasser le but, » DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 277 innocent , dont la censure , d’ailieurs, ne laisserait pas de tomber sur nous-même, Nous désirons seulement donner , à l’occasion des œuvres de Vauquelin des Yveteaux, un conseil important aux éditeurs futurs , surtout aux éditeurs d'œuvres complètes. M. Prosper Blanchemain, au beau moment de sa ferveur, trouve dans les recueils du XVIF, siècle et dans les bibliothèques de la capitale divers morceaux de Nicolas Vauquelin, qui, joints au poème de l’/n- stitution du Prince, feront à peu près un volume. Il a, dit-il, « recueilli les débris d’un naufrage ». Et il ajoute : « Il est même possible que, malgré nos re- cherches et quoique nous ayons compulsé la plupart des recueils du temps, quelques pièces inédites nous aient échappé, Quant aux vers manuscrits, nous n’avons pu nous en procurer aucun. » C’est que M. Blanchemain ne s’est adressé qu’à ses amis parisiens, et qu’il a oublié, comme loublient tant d’autres éditeurs, qu’il faut recourir aux familles, qu’il faut faire enquête dans la province et aux lieux mêmes où un auteur est né. Des Yveteaux vit le jour à La Fresnaye-au-Sauvage, arrondissement de Falaise, en 1567; il était fils de Jean Vauquelin, qui avait épousé la fille de notre vieil historien, Charles de Bourgueville,sieur de Bras; il vécut à Caen, au bailliage duquel il fut lieutenant-général pendant plusieurs années ; il eut long-temps des intérêts à démêler en Normandie ; il y entretint des relations quand il fut sur un autre théâtre : comment ne soupçonne-t-on point que, dans une ville où l’on a le culte des gloires locales, il doit, il peut du moins se trouver quelques 278 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES reliques d’un poète à qui fut confiée par Henri IV l'éducation de Louis XIII ? L'éditeur de Des Yveteaux a trop dédaigné la pro- vince : tout cependant n’est pas à Paris. Que si M. Blanchemain avait pris à Caen des in- formations , il aurait su qu’il existe un manuscrit de Miscellanées dans la famille Vauquelin, manuscrit dont nous devons , pour notre part , la connaissance à M. H. Sauvage, jeune avocat, plein de zèle, qui en a fait un petit extrait pour l’Académie de Caen, dont il est membre associé; il aurait appris que ces Mis- cellanées renferment des vers inédits de Nicolas Vau- quelin ; et de plus il connaîtrait un petit volume qui a échappé jusqu'ici aux biographes d’un poète trop pré- cipitamment édité (1). Assurément, s’il se fût abouché avec queiques littérateurs caennais, il n'aurait point affirmé qu’un sonnet chrétien par lequel, au dire de (1) A propos de pièces échappées aux bibliophiles qui se sont occupés des Vauquelin, nous croyons devoir signaler à M. Pichon l'ouvrage suivant dont il n’a point parlé dans sa Biographie de Jean Vauquelin de la Fresnaye : « Oraison, de ne croire leserement à la calomnie, digne d’estre « en ce temps lousiours deuant les yeux des Rois, des Princes, et des Grans. A Monseigneur le Vicomte de Cheuerny, Messire Philippes Hurault, Cheualier, Chancélier de France, et des « deux ordres du Roy, Gouuerneur et Lieutenant general pour sa « Majesté ès prouinces d'Orleans, pays Chartrain, Estampes , « Blaisois, Dunois, Amboise, et Loudun, » Caen, Jacques Le Bas, 1587, in-4° de 1v et 78 pages. a L’épitre dédicatoire à Mgr. de Cheverny est datée de Caen « ce premier januier 1587,» et signée « I, Vauquelio, de la Fresnaye, » L’'Oraison est remarquable à plus d’un titre, et mériterait les DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 279 Daniel Huet, Des Yveteaux « ne pouvait mieux effacer ses déréglements et couronner sa longue vie , » est perdu, et que cette perte est d'autant plus regret- table que l’auteur , par ce sonnet, « avait réparé le scandale de celui qui lui a été si souvent reproché. » Huet dans ses Origines (2°. édit. 1706) parle avec les plus grands éloges de ce sonnet pénitent. Est-ce à dire qu’il est perdu, parce que M. Blanchemain l'aflirme , et qu’il est inconnu de M. Pichon ? L'abbé De La Rue l'avait dans la collection de ses manuscrits; il m'était venu , à moi, d’une autre source, et il se lit avec deux variantes dans le manuscrit de la famille Vauquelin. D’autres copies doivent s’en trouver dans le Calvados, et si, depuis plus de deux siècles que son auteur est mort, le pieux sonnet est encore inédit, il n’y avait aucune raison pour qu’il n’entrât point dans l’édition de Nicolas, faite en 1854 ; nous l’aurions offert de grand cœur à M. Blanchemain. honneurs de la réimpression dans l'édition que projette M. Janet pour sa précieuse Collection Elzévirienne. On pourrait y joindre | «Oraison funèbre sur le trespas du sieur de Bretheuille Rouxel, prononcée le 7 d'octobre, 4586, par M. Jaq. de Cahaïignes, docteur et professeur du Roy en Medecine à l’Uni- uersité de Caen. » Elle se trouve à la suite de cette Oraison funèbre, telle qu’elle fut prononcée en latin, ledit jour par J. de Cahaiïgnes; Caen, Le Bas, 1586, in-4, Vauquelin nous apprend lui-même, dans un sonnet qui ne fait peint partie de son recueil de 4605, qu'il est l’auteur de cette traduction. A la suite vient Le Tombeau de Monsieur Rouxel , composé de pièces diverses réunies par J. de Cahaignes. Parmi ces pièces se trouvent deux quatrains et une pastorale de 332 vers, qui manquent dans l'édition de 4605. Avis au futur éditeur de Vauquelin de la Fresnaye. 280 ADDITION A LA VIE ET AUX OŒUVRES On en conviendra sans doute après la lecture, ce qui fait la fortune de ce sonnet, même auprès de ceux qui ne le connaissent pas, c’est le contraste qu'ont signalé les contemporains entre les sentiments de cette pièce et ceux d’un autre sonnet, qui fut invoqué dans le scandaleux procès de famille qu’eut à soutenir lin- dolent Des Yveteaux , Des Yveteaux le viveur. Nous admettons que son caractère s’y peint, que son sen- sualisme épicurien s’y déploie avec trop de franchise; est-ce donc une pièce de conviction dont les juges dussent tenir compte, en présence de parents injustes et rapaces? Voici cette pièce qui retentit beaucoup trop dans la cause, et qui se réimprime aujourd’hui sans scandale (4): on nous a façonnés à des jeux d'esprit plus crûs. Avoir peu de parens, moins de train que de rente, Et cercher en tout temps l’honneste volupté, Contenter ses desirs, maintenir sa santé, El l’ame de procez et de vices exemple ; A rien d’ambitieux ne mettre son attente, Voir ceux de sa maison en quelque authorité, Mais sans besoin d’appuy garder sa liberté, De peur de s'engager à rien qui mescontente ; Les iardins, les tableaux, la musique, les vers, (4) Nous nous conformons au texte de Sercy (1655) qu'a suivi M. Blanchemain. Toutefois le sonnet a d’heureuses variantes dans l'édition donnée à la suite de la Lettre de Monsieur le President de la Fresnaye à Monsieur des Yveteaux son frere, pour seruir de response à vn Libelle diffamatoire distribué sous son nom et sous le titre d’un Factum ; in-4°. de 39 pages. Cette édition doit avoir plus d'autorité que le recueil de Sercy. DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 281 Une table fort libre et de peu de couuerts, Auoir bien plus d’amour pour soy que pour sa dame, Estre estimé du Prince et le voir rarement, Beaucoup d'honneur sans peine et peu d’enfans sans femme Font attendre à Paris la mort fort doucement. Huet dit que ce sonnet « ne se peut excuser que par la liberté que donne la poésie. » Encore cette justifi- cation lui paraît-elle insuflisante. Le savant prélat sa- vait pourtant que la muse entraîne souvent l’esprit à des licences que n’admet point la morale, et ses vers de galanterie devaient l’incliner à l’indulgence, Quoi qu’il en soit, voici ce qu’il ajoute : « Mais il (Des Yveteaux) répara bien le scandale de ce sonnet lorsqu'approchant de la fin de sa vie, touché d’une sincère pénitence, il en fit un autre plein de senti- ments véritablement chrétiens, et partant d’un cœur humilié et contrit Ge sonnet à mon gré est son chef- d'œuvre. » On en jugera désormais, car il n’est pas perdu, et M. Blanchemain pourra le joindre au volume qu’il a édité avec luxe, il y a deux ans. DES YVETEAUX REPENTANT, Sonnet. Enfin je ne suis plus des habitans du monde! Mon ame est eschappée et ne tient plus de lieu ; Elle a quitté mes sens : le seul amour de Dieu Me fail tout voir en ange et sans cause seconde. Que je suis au-dessus de la terre et de l'onde! Que j'en suis separé par un heureux adieu | 282 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES Que mes travaux sont doux, quand je suis au milieu ! Plus je suis agité, plus ma paix est profonde! Quoy pensez-vous que j'aime, Ô mortels, que les cieux ? Qui n'’inspire en mourant ces pensers glorieux, Plus clairs que le soleil et plus nets que l'aurore ? C'est le bruslant amour du Maistre que je sers, Qui m'a paru si vif aux maux que j’ay soufferts, Qu’au lieu d’en estre las, je veux souffrir encore. M. Sauvage a copié dans le manuscrit des Vauquelin deux autres sonnets, qui ont avec celui qui précède un grand air de parenté, On nous saura gré peut-être de ne pas les séparer, bien qu’ils ne soient pas in- connus, et que nous ne prétendions point les attribuer à Des Yveteaux. Grands chesnes, beaux sapins qui couvrez ma maison, Sous vos ombrages verts je veux passer ma vie : Les ans qui m'ont changé m'ont fait perdre l'envie De ce que j’estimois en ma jeune saison. Paris, le jeu , l'amour sont de foibles appas A qui n’a pour object que le ciel et la tombe. Solitaire, je plains le mondain qui succombe Et borne mes desirs à l'heure du trespas. Mes amis cependant veulent que je retourne Au pays des flatteurs, où le hasard sejourne ; Mais je suis trop heureux de vivre sans employ. Je surmonte en ce lieu la crainte et l’esperance, Et, quand je deviendrois necessaire à la France, En me donnant à Dieu, je ne suis plus à moy. DË NICOLAS VAUQUELIN DES YVEIEAUX. 283 IT. Se leve qui voudra par force et par adresse Jusqu'au sommet glissant des grandeurs de la cour ; Moy, je veux, sans quitter mon aimable sejour, Loin du monde et du bruit recercher la sagesse, Là, sans crainte des grands, sans faste et sans tristesse, Mes yeux après Ja nuit verront naistre le jour; Je verrai les saisons se suivre tour à tour, Et dans un doux repos j'atteindrai la vieillesse, Ainsi, lorsque ma mort viendra rompre le cours Des bienheureux momens qui composent mes jours, Je mourrai chargé d’ans, inconnu, solitaire, Qu'un homme est miserable, à l’heure du trespas, Lorsqu'ayant negligé le seul point necessaire, Il meurt connu de tous et ne se connoist pas (1)! La Fontaine , probablement sans l'avoir vue, a ren- contré la belle antithèse de ce dernier vers, lorsqu'il a dit en parlant du philosophe Démocrite (fable xxvr°. du huitième livre): Il connaît l'univers et ne se connait pas! Dans le manuscrit qui renferme ces pièces, M. Sau- vage a copié le quatrain suivant, qui peut bien être d’un rejeton des Vauquelin, mais que nous ne saurions attribuer à Des Yveteaux : (1) Ce second sonnet, attribué par M. Fellens au président Hénault, ne peut être revendiqué que par le poète Jean Hesnault , mort en 1682, el connu par le sonnet de l’Avorton. Il n’est pas dans le recueil qu'il fit imprimer à Paris, en 4670; mais il est mis sous son nom par Gouget ( Bibl. fr,, Lt. 18). 284 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES © Une femme est toujours aimable Tant qu’on n’est pas uni par le sacré lien, L'usufruit en est agréable, La propriété n’en vaut rien. Une œuvre moins contestable ou plutôt qu’on ne peut contester à notre poète , c’est un petit volume in-18, qui semble avoir échappé aux recherches de tous les bibliographes. Il a pour titre: Trois harangues de N. Vavquelin lievtenant general av bailliage de Caen. A Caen, de l'imprimerie de la veufue de Jaques Le Bas, imprimeur du Roy. M. D. XCV. Quand on n'aurait pas d'autre preuve que Nicolas Vauquelin Des Yveteaux succéda à son père Jean Vauquelin, la publication de ces trois harangues suffirait pour réfuter une note de Villenave dans le XI°. volume de la Biographie uni- verselle. « Tous les biographes, écrit ce collaborateur de Michaud , se copiant les uns les autres, disent qu'avant de partir pour la cour, il avait remplacé son père dans la charge de lieutenant-général. Ils le con- fondent avec son frère Jean Vauquelin, qui eut en effet cette magistrature, et fut dans la suite maître des requêtes. » Villenave , qui croit redresser ici ses pré- décesseurs, ne fait qu’ajouter une erreur à celles qu’avaient pu commettre les biographes de Des Yve- teaux. Celui-ci exerca ses fonctions plusieurs années, et les céda, moyennant une assez forte somme , non à Jean, mais à Guillaume (1). (1) Jean-Jacques était le quatrième fils de Vauquelin, auteur de l'Art poétique; Guillaume, le troisième ; Charles, le deuxième; et Nicolas Des Yveteaux, l'aîné. DE NICOLAS VAUQUIIIN DES YVETEAUX. 285 C’est dans les premiers temps qu’il l’exerçait, à l’âge de vingt-huit ans, aux heures de zèle que lui inspirait la gravité de sa charge, qu’il crut devoir livrer au public les trois harangues dont il nous reste à parler. Le jeune magistrat, qui, à son grand re- gret (il l’exprime quelque part) , avait rompu avec les Muses , tenait à ce qu’on sût qu’il connaissait l’im- portance de ses devoirs, et qu’il comptait les remplir avec toute la fermeté dont il était capable. Ce fut cette fermeté même qui le perdit. Un sieur de Cam- bray, qu’il fit metire en prison, trouva des appuis dans le parlement de Rouen, MM. de la Cour man- dèrent à leur barre Des Yveteaux, qui, dégoûté des affaires publiques, et d’ailleurs peu fait pour la lutte, vendit son office, suivit à la cour le frère de Gabrielle d’Estrées, fut présenté à Henri IV par Desportes , et, grâce à Du Perron, nommé précepteur de M. de Vendôme. Nous ne le suivrons pas dans le reste de sa vie, dont les faits principaux ont été retracés par M. Pichon. Nous allons plutôt revenir en arrière , à cette année 14595, où il publia les trois harangues dont nous n'avons jamais vu qu’un exemplaire , tout-à-fait in- connu des bibliophiles parisiens, puisque ni M. Pichon ni M. Blanchemain n’en ont parlé. Le petit volume dont il s'agit a soixante pages. Il est sans préface et sans privilége pour l'impression. Après le titre vient la page 3 en tête de laquelle on lit, en italiques, sauf le premier mot : I. HARANGUE prononcée en son Examen : et dépuis faite Françoise par luy. On voit, dès le début, que son intention était de 286 ADDITION À LA VIE ET AUX OEUVRES vivre avec les livres et « dans le sein des Muses », loin des soucis et des affaires. « Je trouuoy que c’estoit auoir assez de commandement, que de n’estre sujet à personne , et ne me répondant point de ma suflisance en la partie où l’on me vouloit employer, ie sentoy qu’il n’estoit rien si accommodé à ma complexion qu’vne vie douce et retirée. » Des amis le conseillè- rent , son père le détermina , et il fit le sacrifice de ses goûts paisibles. Toutefois , il aime à se reporter vers la vie calme à laquelle il a momentanément re- noncé ; il n’est pas sans inquiétude sur l'impuissance d’un poète à la tête des affaires publiques dans les temps difliciles, soit que ce fût un aperçu judicieux de sa raison, soit qu’il eût un pressentiment des difficultés qu’il éprouverait , peu d’années après, dans l'exercice de sa charge. « Aussi m’estoit-il auis qu’il estoit mal aisé à vn homme norry dans la solitude des Muses, de gouuerner la chose publique au fort d’vne si orageuse tempeste , estant extraordinaire d’appren- dre dans les tenebres à se rendre digne de la clarté, et que c’estoit plus sagement fait de regarder ea terre ferme, sans passion et sans interest, vn vaisseau où je n’auoy rien abandonné à la discrétion des ondes ; etau millieu d’vne crainte vniverselle estre quasi tout seul asseuré , comme on dit qu'est ce poisson dans la mer, qui dort plus profondement quand l’orage est plus grand. » Il est, du reste, parfaitement résigné , rien ne lui paraissant supérieur à l'administration de la justice. « Car que peut on aäiouter à la gloire de ceux de qui la vigilance fait dormir tout le monde , de qui le DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 287 travail établit le repos d’vn chacun, et de qui les esprits se sont dérobbez à eux-mesmes pour se donner aux auires , ne leur estant permis d'interrompre leur peine, non plus qu’au Ciel d'interrompre son cours ? » La seconde harangue a pour titre : IL HARANGUE prononcée en prenant possession de son estat, C’est une œuvre caennaise , qui donne une idée de l’éloquence de la fin du XVi°, siècle, L'abus des citations s’y re- Inarque ; mais les pensées en sont nobles, ingénieuses , et le style, quoique suranné , n’est ni sans fermeté ni sans grâce. Je cède à la tentation de citer ce dis- cours tout entier : « Messievrs, on a tenu que les grands Orateurs et les hommes bien disans ont les desirs et les cœurs de ceux qui les écoutent en leur pouuoir, et qu'ils les peuuent rendre ployables à toutes leurs intentions: à cette heure ie tiens, au contraire, que tout homme qui dit en public tombe en la seruitude de celuy qui l’écoute, et que le iugement de la suflisance des haran- gueurs est enfermé dans les termes de la capacité des écoutans. Pay lu queique part d’vn Pollio Asinius, qui estoit d’vn bon siecle, qui nunquam admissa multitu- dine declamare voluit, non pas que l'ambition luy dé- faillist en cette partie , ne qu’il ne desirast infiniment entrer en crédit et acquerir de la réputation en ce métier où il se connoissoit bien, sed quod in populi iudicio non tantum tribuerit fiduciæ, ut ei sua vellet committere. Les grands peintres, afin de n’engager pas leurs ouurages aux mains de tout le monde, et se tirer hors de la censure populaire, dédaignent de peindre 288 ADDITION À LA VIE ET AUX OEUVRES après le naturel, et ne s'amusent qu'aux inuentions éloignées de la connoissance des peuples: car tout ainsi que ceux qui sont savans en l’art, s’apperçoiuent des traits particuliers qui s’échappent et se dérobent de notre œil, et que multa pictores vident in umbris, et eminentia, quæ nos non videmus 1psi; tout de même peut estre remarquerions nous pour defaut ce que les maîtres tiennent pour vne des graces principales du tableau. Et comme en la pluspart des choses du monde, infortunio potius quam merilo , opinione magis quam ve- ritate condemnamur , en cecy on est agreable ou desa- greable selon la diuersité des jugemens et des passions particulieres : Scinditur incertum studia in contraria vulgus. « On m'a beaucoup de fois dit , dans les Colléges , que iamais les paroles des Lacedemoniens ne plurent à ceux d'Athènes pour béles qu’elles fussent , ny celles des Athéniens à ceux de Lacedemone. Magna est elo- quentiæ vis quæ inter obstantia erumpil , maxima que invitis placet. Mais comme chacun doit estre plein de cette consideration de ne se produire point en la con- noissance publique , ny d’oser comparoistre dauant tant de gens de mérite, qu’il ne se sente appuyé de quelque suffisance , ou pour le moins, comme je fay , d'yvne intention dont la fin ne peut estre des-approuuée de personne , aussi ceux qui l’écoutent doivent, en se ramenteuant la foiblesse de notre condition , excuser les defaus de celuy qui se met en ce lieu, qui est si difficile à tenir dignement, qu’il n’y a rien en quoy on se doiue monstrer plus conscientieux et plus tem- DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 289 perant qu’à reprendre celuy qui y est. C’estoient les Athéniens , ce me semble, qui auoient une loy qui commandoit à chasque particulier de entretenir vn nauire d’an en an, pour aider à fournir à l’appareil nécessaire aux entreprises de la guerre, ce qui luy estoit permis de refuser, mais seulement en permettant à vn autre qui entreprendroit de le faire, d’entrer en la possession de son bien; de mesme s’il y auoit vne loy qui permist de reprendre ceux qui disent en pu- blic, mais seulement à ceux qui se soumettroient d’en- trer en leur place pour dire mieux, on verroit que cette grand” licence se changeroit bientost en crainte, qui nous obligeroit à nous taire, de peur de nous obliger à parler : varia res est eloquentia , nec adhuc ulli sic indulsit ut tota contingat, et rarus qui facundus simul et litteratus est. Quand ie songe que l’on a dit que, s’il prenoit humeur à lupiter de descendre icy bas, et qu’il se voulust rendre adorable aux hommes par sa parole, comme à l'heure il estoit par leur creance, il faudroit qu'il prist le langage de Platon, et puis que ie voy qu’vn grand personage et des plus iudicieux de son aage a escrit que Platonis oratio nec patrono nec reo digna est, ie commence à auouër que multum laudandus in quo minimum viti. Ce fut quasi la responce que fist Severus Cassius au pere de Senéque, qui luy deman- doit pourquoy il estoit si dissemblable à luy mesme, et qu’il perdoit en beaucoup de choses ce qu’il gaignoit de reputation par les autres, estant du tout en public abandonné de cet esprit qui l’accompagnoit en priué. Ce sont, ce dit il les loix de nostre condition qui sont inégales , ce n’est pas moy par lesquelles 207 parum 19 290 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES est aliquid vel minimum assequi, veu que magna ingenia semper in uno plus quam in alio eminuerunt. C’est beau- coup de bonne fortune , Messieurs, de tomber en vn siécle poly où les forces et les graces de la langue sont capables de soutenir les conceptions d’vn bel esprit qui l’auroit; mais c’est quand et quand aussi tomber en plus de peine d’auoir des hommes à satisfaire et à traitter , qui non solum glandem, sed lautiores epulas fastidiunt, l'ignorance et la barbarie des aages ayant beaucoup servy à faire honorer ceux quorum velocitas solum æstimabatur claudorum comparatione , comme les vices des princes qui précéderent Traian ne donnerent pas moins d’eclat et de lustre à ses vertus que ses vertus luy en donnerent à luy mesme. Ceux qui ont esté exem- plaires et admirables entre les François par le passé , ne seroyent peut estre pas remarqués bien disans au- iourd’huy que la richesse de nostre langue nous a fait passer iusque à vne si grande pureté que la lime et la polissure bien souuent affoiblit ou destruit la force de la besongne en la pluspart, comme le trop de facon cache la beauté de la matière des habits; nous allons à l’émoulure premier qu’à l'acier, aus frises et aux enioliueures premier qu’aus materiaus du bastiement , comme si, davant que de mettre peine d’estre sains, nous mettions peine d’estre parfumés. Pline dit, en se plaignant de la vaine sumptuosité de son temps, qu'il a veu que l’on faisoit les plus beaus vases d’or et qu’il sufliisoit d’en enrichir les ances de pierres et de perles, mais qu’il voyoyt qu’on en faisoit le corps de pierre el les ances d’or. Ainsi en va t il des ouurages d’à cette heure où il est mal aisé de remarquer l’ornement par DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 291 ce que c’est tout ornement. Cette fertilité de beaus espris, Messieurs, de quoy nostre siécle est riche, me fait craindre de ne vous contenter pas en ce que ie prononce, qui n’est pas vne harangue, mais vne excuse d’en faire, et, encor que toute ma vie j’aye esté norri aus delices de la langue , si me presentay-ie à vous auecque soumission d’y estre instruit, comme ie fay en la connoissance des affaires, quæ annis solum et ipsa rerum tractatione acquiri potest. C’est, ie pense en Arcadie que, dit Pausanias, il y a de bons nageurs, par ce que sunt quidam lacus qui aliquo temporis spatio nandi imperitos ferunt. Aussi faut-il supporter au com- mencement du peu d’experience de ceux qui sont defectueus en vne partie pour iouir à la fin de ce qu’ils auront de bon, tout ainsi comme #s qui primo musicen discunt, citharas aliquot obterere et perdere licet. Au moins ie porte ce contentement en mon ame, d'entrer en ce lieu seulement en intention d’y apporter ce que ie pourray d'ornement et de reuerence, estant à ceux qui y tiennent les premiers rangs de recourir à eus et de se regarder, affin que les yeux du peuple ne voient rien de blasmable en leurs actions quand les leurs y auront passé : Sic natura jubet : velocius ac citius nos Corrumpunt vitiorum exempla domestica magnis Cum subeunt animos authoribus. «Comme ie sçay bien qu’il n’y a personne d’entr’eus qui aye autre but que la conseruation de la gloire et de la majesté du lieu, pour petite qu'elle soit, dont l’establissement est enchainé au respect du deuoir de 292 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES ceux qui sont instrumens de la iustice, chascun en leurs charges différemment ; de quoy ie reserueray à parler à vne autre occasion : car il ne me sçaroit bien seir, arriuant icy docile, et non pas docte, d'enseigner, et auoir tant besoin d'instruction. Mais comme on ne peut garder vn fruict depuis que l’on en a osté l'écorce, aussi est il impossible d’euiter le dechet d’vn ordre quand la cerimonie s’en perd. C’est pourquoy ie diray seulement ce mot aus auocats, par ce qu’ils peuuent le plus à ce mainténement, qu’ils accrois- troient leur honneur sans diminuer leur profit, s'ils veulent plaider , non pas crier , et qu’ils empes- chent qu’on ne leur puisse dire iustement ce que l’on disoit à ceus du temps de Senéque : Litigantibus magis similes estis quam agentibus , et in altercatione potius vires laterum quam in oratione vires ingenü cognosci vuliis. C’est aiouter les rauines aus torrens que d’acroistre encor le tumulte des palais ; et puis sont les bonnes raisons et les belles paroles qui touchent nos affections et qui les remuent, et non pas la con- tention de l’esprit, ny l’éléuation de la voix; comme on dit que le Nil coule plus doucement et auecque moins de bruit de tous les fleuues, cependant que tousiours il emeut la cholere de tous les gouffres qui sont auprés de luy. » Telle fut la harangue d'installation du lieutenant- général Des Yveteaux, ingénieuse, peu étendue, mais animée de l’amour du bien public. La troisième fut prononcée le second iour d'octobre, à l’ouuerture du Palais, 1595. Elle roule sur la justice, qu'il dit « estre le premier lien de la societé humaine, DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. 293 le principal fondement de nostre liberté, la fonténe perpétuelle de nostre bonheur : illius idcirco servi sumus, ut liberi esse possimus. » Il s'adresse aux avo- Cats : « Pensez que vous estes icy pour monstrer le chemin de la iustice et non pas des procez.. Ne soyez pas induits à receuoir indifferemment des causes iustes et iniustes..… Obligez vous plus que vous ne faites à ce qui est de l’ordre, laissant ces voix aspres et enrouées à ceux qui font la chasse dans les bois, en retenant que l’auocat doit estre instructus voce, actione et lepore, comme dit Ciceron. Vous deuez bien épouser les causes des parties, mais non pas les passions, et ne deuez pas tant contester qu’il semble que vous taschiez de faire reuoquer tous les jugements qui ne vous sont point favorables. » 11 s'adresse ensuite aux procureurs qu’il dit être « seulement instrumens de la chiquanerie. » Il leur reproche de faire « autant de bruit que le peuple, parlant si licentieusement que, pour deux parolles necessaires, ils troublent le cours des bonnes affaires par un murmure perpetuel. » Enfin il recom- mande aux greffers la fidélité, la discrétion, la sur- veillance de leurs commis, et l’exactitude « aux heures arrestées pour rendre leurs expeditions. » Il termine en rappelant la sainteté du serment. « Si nous gardons la foi entiere et inuiolable aux ennemis, aux estran- gers, aux tyrans et aux pirates, combien il est dange- gereux de la rompre et de la violer à l’endroit de Dieu. » Nous avons cité les recommandations du lieute- nant-général aux avocats de 1595, uniquement pour établir le contraste entre la décence des plaidoiries 29% OEUVRES DE NICOLAS VAUQUELIN DES YVETEAUX. actuelles et les habitudes d’une époque moins polie. Le progrès n’est pas moins sensible dans les agents de la procédure : les procureurs ont changé même de nom. Il est probable que ces inférieurs , si vivement ad- monestés, en tinrent rancune au magistrat sévère , et qu’ils se joignirent au sieur de Cambray, pour dégoûter de sa charge le futur précepteur du duc de Vendôme et du roi Louis XIIT. Nous ne le suivrons ni à la cour pi dans sa retraite. Notre but est rempli, si nous avons appris quelque chose à des bibliophiles , érudits sans doute, mais qui n’ont pas fait assez de recherches alors qu'ils tenaient à tout savoir sur Des Yveteaux. VERS FESCENNINS. CHANTS DES MOISSONNEURS ET DES VENDANGEURS. CHANSONS NUPTIALES, ÉPITHALAMES ; PAR M. DE GOURNAY, Membre correspondant. Les Romains qui durent aux Étrusques la plupart de leurs institutions : les aruspices, les combats de gladiateurs, les bacchanales, les faisceaux consulaires, la chaise curule , la pompe triomphale , leur emprun- tèrent aussi de bonne heure le goût de la musique avec l’esprit libre et railleur (1). Les Étrusques étaient, en effet, réputés le peuple le plus gai comme le plus éclairé de lItalie. Ils cul- tivaient avec aptitude les arts d'agrément. La musique, un des plus puissants éléments de civilisation, leur était recommandée par leurs lois et s’appliquait à leurs mœurs. On a même dit, en souriant peut-être , que c'était au son des flûtes qu’ils pétrissaient leur pain , châtiaient leurs esclaves et s’exerçaient à la lutte (2). Quoi qu'il en soit de ces particularités cu- (4) Varro, L. L, IV, 32. {2) Aristot., ap. Polluc., IV, 56 ; Alcim., ap. Ath. XIL, 44. 296 VERS FESCENNINS. rieuses, dont je n’oserais garantir la vérité autrement qu’en citant les auteurs où elles sont puisées , les ha- bitants de Fescennia , entre tous les indigènes de l'Étrurie , passaient pour avoir l’humeur la plus vive et la plus joviale. D'un autre côté, l'Italie a toujours été renommée pour ses improvisateurs. Donc, aux fêtes de la moisson et de la vendange, les Fescenniens spécialement s'agaçaient par des saillies, des impromptus , des chansons dialoguées. Leurs improvisations bachiques, leurs railleries innocentes étaient mêlées à des chœurs de danse. Elles eurent vraisemblablement quelque mé- rite , puisqu'elles excitèrent les Romains à les imiter. Voilà du moins l’étymologie plausible que Servius donne aux vers fescennins ; et, sans contredit, elle a plus de vraisemblance que celle imaginée par Festus. qui fait dériver la poésie fescennine du mot fascinus, comme si elle avait été inventée contre les enchante- ments et les sortiléges. Horace en raconte nettement l’origine, mais sans entrer en des détails d’antiquaire. Ce poète n’était pas philologue ou savant, comme Ennius ou Varron. Aussi, dans son épiître à Auguste et dans sa lettre aux Pisons, laisse-t-il des lacunes à combler sur l’histoire de la poésie et du théâtre de Rome. Voici ce qu’il dit seu- lement de la poésie fescennine : « Les anciens laboureurs du Latium, gens forts et « contents de peu, voulant, après la moisson et enun « jour de fête, reposer leur corps ainsi que leur esprit, « qui supportaient de durs travaux dans l'espoir d’en « trouver le terme, venaient , avec leurs compagnons, CHANTS DES MOISSONNEURS ET DES VENDANGEURS. 297 « leurs enfants et leurs épouses fidèles, offrir en « sacrifice un porc à la Terre , du Jait à Sylvain , des « fleurs et du vin à Genius qui rappelle la brièveté de « la vie. Au milieu de ces pratiques religieuses, fut « inventée la poésie fescennine, sorte de dialogue « rustique , semé de traits libres et mordants. Cette liberté lyrique, renouvelée tous les ans, eut un « aimable enjouement, jusqu’à ce que le divertissement « devint cruel et dégénérât ouvertement en une espèce « de rage satirique, attaquant impunément et pour- « suivant de ses menaces des maisons honorables. » Ainsi , d’abord le chant fescennin fut un épanouis- sement du cœur, un jeu innocent de l'esprit, parmi des peuples réjouis des fruits de leur labeur , sous un ciel bleu et pur, sous une température chaude et douce. Et comment, en effet, au temps des vendanges, les vignerons , noyés des vapeurs du vin et surexcités par son arôme, n’auraient-ils pas chanté quelque air bachique , et trépigné de plaisir au son des simples chalumeaux ? Mais ce bouquet des vins, tant de fois et si long-temps respiré , finit par trop embaumer les têtes et irriter les sens. Aussi n’est-on pas surpris de ce que raconte Ambroise Léon (1) des vendangeurs napolitains , dans leurs chansons populaires: « Ils se moquent à la fois, en leurs chants rusti- « ques, du maître et des passants ; ils n’épargnent « même pas dans leurs railleries, les magistrats, les « prêtres, les religieux, les hommes les plus consi- (1) De la ville de Nole. 298 e VERS FESCENNINS. « dérés ; et, si quelqu'un s’avise de les reprendre, « ils le poursuivent de leurs risées. » Cette licence grossière, au rapport d'Horace, pénétra bientôt dans les chants fescennins, qui se transformèrent en satires diffamatoires. Ce ne fut plus la gaîté honnête du laboureur chantant les bénédictions du ciel et les merveilles de la nature; ce fut enfin la licence jalouse et calomniatrice jetant son venin de bas en haut, et prodiguant le fiel avec une hardiesse sauvage. La loi des XII Tables vint remédier à cet abus. Les chanteurs de vers fescennins, menacés de la peine du bâton, devinrent plus réservés, car ce genre de poésie ne fut pas abandonné. On remarque, au contraire, qu’il était encore en pleine floraison , au temps de Catulle. Dans les réjouissances nuptiales, la chanson fescennine était toujours chantée. Ce poète, en son Épithalame de Julie et de Manlius, dit, après quelques strophes de prologue : « Et que ne se taise pas long-tempslalibre et agaçante « expression fescennine; » Nec diu taceat procax Fescennina locutio. Si le vers fescennin n’avait plus sa cruauté satirique, il prenait cette liberté qu’on appelle du cynisme. Catulle n’était pas homme à le qualifier de procaz sans motif, etles jeux hasardés de sa muse prouvent qu’il avait plutôt adouci l’épithète. En effet, au milieu des cérémonies nuptiales, et, pendant qu’on faisait semblant d’arracher ou d’enlever la jeune mariée du domicile paternel, pour la conduire CHANTS DES MOISSONNEURS ET DES VENDANGEURS. 299 en la demeure conjugale, de petits garcons auxquels on distribuait des noix, une troupe d’adolescents chantaient des couplets ou refrains malins et grivois, aux risques de blesser les oreilles de la jeune épouse qui, heureusement pour sa pudeur, avait la tête cou- verte d’un voile rose ou de couleur de flamme (1). Le mari et sa compagne étaient tour à tour l’objet des plaisanteries de la foule effervescente. Ces scènes de grosse joie et de licence populaire devaient , pour le bruit , ressembler à des charivaris, et, pour la poésie , aux chansons des parades foraines. La liberté républicaine allait si loin , à Rome, qu’au milieu même de la solennité du grand triomphe, le général vainqueur essuyait parfois de grossiers quolibets lancés par le soldat, et des chansons fescennines répétées par Ja plèbe (2). Ge qui, dans les mœurs païennes, semble plus in- convenant et pius odieux , c’est que les jeunes Romaines elles-mêmes chantaient, en certains jours, de ces vers licencieux. Ovide dans ses Fastes , indique l’origine de ces chants : (1) Terent. Varron a dit dans ses Fragments : Pueri obscænis verbis novæ nuptæ aures redurant. « Les enfants assourdissent la nouvelle mariée par des mots obscènes. » (2) Denys d'Halicarnasse, Antiq, rom., liv. VIT, parag. 40, dit : « Ceux qui accompagnent la superbe cérémonie du triomphe ont tous la permission de lancer des lardons et des brocards aux personnes illustres, sans épargner même les généraux d'armée, » Voir trois exemples de ces chansons insultantes dans les Poésies populaires latines antérieures au XII, siècle, par M. Édélestand Duméril, p. 106. 300 VERS FESCENNINS. « Il me reste maintenant, dit-il, à vous apprendre « pourquoi les jeunes filles se réunissent et redisent « certaines chansons obscènes et diffamatoires. » Nunc mihi, cur cantent , superest , obscæna puelle , Dicere, nam coeunt , certaque proba cununt. Et quand on pense qu’un peuple sérieux, positif , sensé dans la plupart de ses actes, mêlait à des rites sacrés tant de bouffonneries et de saletés, on demeure confondu, et l’on n’est que plus disposé à bénir la religion qui a banni toutes les turpitudes des céré- monies païennes. Remarquez l'influence de la poésie fescennine , qui fut long-temps l’œuvre unique de l'imagination chez les Romains. Lucain exprime son étonnement de ce que, aux noces de Caton et de Marcia, elle ne fut pas employée, et que le mari n’en reçut pas les traits piquants : Non soliti lusere sales , neque, more sabino , Excepit tristis convicia festa maritus. Catulle aussi, malgré toute l’élégance de son esprit, se croit forcé par la coutume de descendre au genre fescennin; et, s’il lui donne une forme gracieuse, il n’en fait pas moins rougir tout ce qui a de la pudeur. Il raille l’esclave complaisant du jeune marié. Il lui dit, en s'amusant à ses dépens, de donner des noix aux enfants; il avertit la jeune femme de n’être point d’une humeur difiicile, de peur que l’amour de son bien-aimé ne s'envole ailleurs ; enfin, il exhorte le jeune époux à s'abstenir de ce qui ne convient plus à CHANTS DES MOISSONNEURS ET DES VENDANGEURS. 301 sa nouvelle situation, et de ce que les lois Scantinia et Julia n'avaient pas encore prescrit. Voilà le fond des quelques strophes fescennines, qui, moralement parlant, apparaissent comme des taches dans son Chant nuptüal ; car ses ménagements et précautions de style ne couvrent pas l’effronterie de la pensée. Cette poésie sans pudeur fut pourtant bien accueillie (tant l'habitude a de force!) à la noce de Manlius Torquatus et de Julie Aurunculeïa , personnages de la plus haute distinction. Dès-lors , on peut s’imaginer quelle était l’impudence de la muse vulgaire, au sein des noces du prolétaire. La licence devait y être à son comble. Mais l’obscénité n’en déplaisait pas à certains lettrés, haut placés dans la République. César-Octavien , pour se distraire de ses proscriptions, s’amusait un jour à écrire des vers fescennins contre Pollion, et aucun latiniste n’ignore qu’il fut parfois un très-licencieux écrivain. La chanson fescennine, où éclatait une verve maligne et grivoise, dura sous les empereurs. Du temps de Virgile , elle n'avait pas disparu. Loin de là, le Novimus et qui te... , mis sur les lèvres du berger Damète , et le vers : Quid domini facient , audent cum talia fures! sont ou semblent être au moins des exemples de la grossièreté du dialogue fescennin, lorsqu'il vint à saigrir et à se dépouiller de sa candeur et de sa retenue primitives. 302 VERS FESCENNINS. Dans sa tragédie de Médée , Sénèque dit : « Que le vers fescennin répande ses mots piquants « aux fêtes nuptiales. » Festa dicax fundat convicia Fescenninus. Bien plus tard, Claudien dit aussi, à l’occasion des noces d’Honorius et de Marie: « Que de vigilantes flûtes accompagnent les chansons, « et qu'une troupe libre et affranchie de sombres « règles, bondisse de joie en prodiguant des railleries « permises ; » Ducant pervigiles carmina tibiæ, Permissisque jocis turba licentior Exultet , tetricis libera legibus. On craignait de franchir la limite de la loi; quant à celle de la règle morale, on sautait volontiers encore par-dessus. Il serait possible de suivre la trace de la poésie fescennine dans les chansons populaires des paysans de l'Italie méridionate, Du reste, on sait quelle vogue eut l’Académie des vignerons en Italie , au XVI°. siècle : « Ces poètes fort gais ne songeaient, dans leurs « séances, qu’à réciter des vers plaisants ou satiriques, « et à se faire entre eux des défis poétiques, qui se « terminaient, le verre en main, par d’autres défis (1).» C'était là, ce semble, ramener le vers fescennin à son enjouement originel, honnête et acceptable. Et ne dirait-on pas que , nous autres Normands , nous eussions (1) Ginguené, Hist. litt, d'Italie , L VIT, p. 354-55. CHANTS DES MOISSONNEURS ET DES VENDANGEURS. 303 conservé quelque souvenir de cette poésie remontant si haut? La chanson des Oreillers, qu’on répète com- munément aux noces de nos campagnes, est un chant amébée ou alternatif, comme le chant fescennin dans sa première sève : « La rime n’est pas riche et le « style en est vieux » ; mais les couplets du dialogue sont naïfs et doux. De jeunes villageois, au dehors, demandent à entrer dans la maison de la mariée. Ceux qui sont dans l’intérieur répondent pour elle. s..,...... Suis en mon lit couchée, « Auprès de mon mari la première nuitée, « Attendez à demain la fraîche matinée... Et ceux du dehors reprennent qu’ils ne peuvent attendre : ts... J'ai la barbe gelée, La barbe et le menton, la main qui tient l’épée ; s Et mes petits oiseaux sont morts sur Ja rosée, « Et mes petits pigeons ont pris tous leur volée, Ont pris leur vol si haut, la mer ils ont passée, « Sur le château du roi ont fait la reposée, « Dans le château du roi oni fait la déjeûnée, « Dans le jardin du roi ont fait la promenée, « Pour cueillir un bouquet de rose et giroflée, « Aussi de romarin, lavande cotonnée, « Pour en faire un présent à la belle épousée. » Et la mariée fait répondre qu’elle donne l'entrée de la maison conjugale. Ici se peint la nature patriarcale en toute sa fraîcheur et son ingénuité, et c'était pro- bablement ainsi que , dans les commencements, s’exprimait la poésie fescennine parmi les campagnards 304 VERS FESCENNINS. romains, lorsqu’elle se borna à un aimable divertisse- ment : lusit amabiliter. Il n’est pas possible d’en indiquer le rhythme et la mesure , à cette époque lointaine. Il semble pourtant que le vers fescennin dut ressembler au vers saturnin, qui fut heptasyllabique , comme le vers d’Anacréon, comme celui qui termine la strophe fescennine, dans l'Épithalame de Manlius et de Julie. Mais si le vers, pour être chanté, dut être rhythmi- que , il est vraisemblable que les règles étroites de la mesure ne l’atteignirent pas. Il n’y eut guère de pro- sodie dans l’enfance de l’art. ÉTUDE SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC; Par M. C. HIPPEAU, Membre titulaire. Jean-Louis Guez de Balzac n’a point encore été l’objet d’un de ces minutieux examens, dans lesquels se complait l'exactitude scrupuleuse de la critique contemporaine. Celle-ci va chercher tout d’abord ses matériaux, Soit dans les aveux échappés à l’au- teur lui-même, soit dans les renseignements puisés, à grands frais d’érudition, dans les ouvrages de ses contemporains, soit dans l’étude approfondie de l’époque dont il a subi l'influence ou à laquelle il a fait sentir la sienne ; puis elle se place résolument dans le milieu même où a vécu l'écrivain, pour le voir agir, pour l'entendre parler, pour surprendre le secret de ses sentiments les plus intimes , et saisir, pour ainsi dire, sur le fait les premiers jets de sa pensée, les pre- miers mouvements de son cœur. Balzac à échappé jusqu'ici, je ne sais pourquoi, à la microscopique analyse qui nous à valu tant d’intéressantes mono- graphies, Sa grande et imposante figure n’eût pas été 20 306 ÉTUDE déplacée cependant, ce me semble, au milieu de la galerie de portraits, qu’un savant et ingénieux critique a tracés de main de maitre. Les éléments d’une biographie complète de Balzac se trouveraient d’abord dans ses œuvres, réunies en deux volumes in-folio, en 1665 , par l’abbé Cassagne , litté- rateur estimable, mais prédicateur plus que médiocre , danslequel Boileau n'a malheureusement considéré que cette dernière qualité, qui lui permettait de placer son nom tout juste à côté de celui de l’abbé Cottin. La notice écrite par le consciencieux éditeur, en tête du premier volume, et l’article que Bayle a consacré à Balzac dans son Dictionnaire, ont été plus ou moins servilement reproduits, comme c’est l'usage, par les biographes venus à la suite, Ce serait là comme une première assise, sur laquelle reposerait l'édifice bio- graphique ; on l’achèverait à l’aide des renseignements disséminés dans les œuvres des nombreux écrivains qui ont, avec lui, entretenu un commerce littéraire suivi, Je n’ai nullement l'intention d'accomplir ici une œuvre aussi importante. Mes prétentions se bornent à présenter quelques considérations sur le talent du grand épistolier , que ses contemporains ont, pendant trente ans, considéré non-seulement comme l'homme le plus éloquent de son siècle, mais comme le seul éloquent (1). Chappelain, Scudéry, Voiture, Costar, Racan, Segrais, Vaugelas, Godeau, Lamothe-le-Vayer, Mé- nage, Conrart, Gombault, Colletet, Gomberville, (1) Pélisson, Histoire de l'Académie. SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC,. 307 Faret, Bois Robert, Théophile, Viau , Arnauld , Saumaise, Heinsius, Montausier, Descartes, Malherbe, Richelieu, Corneille enfin , personnages célèbres à tant de titres et à des degrés si divers, n’ont eu qu’une voix pour honorer celui que Bayle appelle « la plus belle plume de France (1). » Toute la littérature de cette première époque du grand siècle, que l’on commence à considérer à part, à ne plus confondre avec celle qui la suit et qui doit être exclusivement désignée sous le nom de siècle de Louis XIV, est pleine de Balzac. Il n’est aucun nom, de 1624 à 1655, qui brille à l’égal du sien. C’est le cardinal de Richelieu, qui lui écrit : « Les conceptions de vos lettres sont fortes, et aussi éloignées des imaginations ordinaires, qu’elles sont conformes au sens commun de tous ceux qui ont le jugement relevé. » C’est Bois-Robert, qui lui adresse cet éloge que per- sonne ne trouve exagéré : Balzac, tes discours relevés, Par ces caractères gravés, Étonnent comme les miracles ; Et je croirois assurément Que ce seroient autant d’oracles, Si tu parlois moins clairement. Le poëte Racan n’est que l'interprète du sentiment public, lorsqu'il caractérise ainsi son style : Les choses les plus ordinaires Sont rares, quand il les écrit ; (1) Bayle, art, Bazzac. 308 ÉTUDE Et la clarté de son esprit Rend les mystères populaires. La douceur etla majesté Y disputent à la beauté ; Son éloquence est la première Qui joint l’éloquence au savoir, Et qui n’a pas d’yeux pour les voir N'en a point pour voir la lumière. Si l’on recueillait les compliments en vers ou en prose qui lui sont adressés de toutes parts, on pourrait en former une guirlande dix fois plus riche que celle qui fut offerte, par les beaux esprits du temps, à la belle et célèbre Julie d’Angennes. Il fallait certes tout le rigorisme de cette piété austère, aux yeux de laquelle l’éloquence et la poésie sont choses viles et de nul prix, pour que le célèbre fondateur du jansénisme püût écrire cette phrase dédai- gneuse : « J’ai reçu une longue lettre de M. de Balzac; je la lirai dans trois jours! » Ce n’est là qu’une voix perdue au milieu du concert d’admiration qui accueille les productions de Balzac. Cette gloire à peine contestée pendant trente ans, cette immense réputation dont il s’enivre , cette admi- ration universelle, n’est après tout qu'une justice; car pendant ce long intervalle , double de celui que Tacite regarde comme considérable dans la vie humaine, grande mortalis œvi spatium, ses contemporains ont répété avec le poëte Maynard : Il n’est point de mortel qui parle comme lui. Mais Balzac meurt, et toute sa renommée descend SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC, 309 avec lui dans la tombe. Dirons-nous , avec La Harpe, que cet oubli n’est encore que de la justice ? Je vou- drais que le résultat de ce travail fût de montrer com- bien est inique un pareil jugement, porté sur l’éloquent écrivain par le critique qui lui a consacré à pese une page, dans son Cours de littérature. Né en 1594, deux ans après la mort de Michel Mon- taigne et deux ans avant la naissance de Descartes, Jean-Louis Guez était fils d’un gentilhomme du Lan- guedoc, Guillaume de Guez, retiré, après avoir parcouru unelongue et honorable carrière, dans sa terre de Balzac qu’il avait achetée près d'Angoulême, sur les bords de la Charente. Le nom du domaine devint , selon l'usage, celui de son propriétaire. Jean-Louis le rendit célèbre de bonne heure. Il avait dix-sept ans à peine, en 1612, lorsque, venu en Hollande, sous les auspices du duc d'Épernon, auquel son père avait été attaché, il écrivait, dans ce beau style qui devait pendant si long- temps être l’objet de l’admiration générale, un Discours politique sur l'état des provinces-unies des Pays-Bas. Il flattait, dans cet écrit, les instincts généreux d’un peuple fier de sa liberté. On le lut avec enthousiasme, et son âme s’ouvrit aux premières émotions de la gloire. Mais, en même temps, il subissait les premières at- teintes de ces coups que l'envie ne tarde jamais de porter au mérite, pour lui faire expier la joie que la célébrité procure. L'écrivain qui embrassait avec une si vive ardeur la cause de la Hollande , appelait évidemment sur lui , dit- on, les faveurs d’un gouvernement auquel il se vendait au prix d’une double abjuration. Le jeune homme de 510 ÉTUDE dix-sept ans n’avait fait le premier essai de sa plume que pour annoncer qu'ilétait prêt à sacrifier sa religion et sa patrie aux besoins de son ambition. Cette accu- sation tomba bientôt sans doute; mais elle devait être relevée plus tard pour lui être jetée à la face, lorsque Théophile et Heinsius, ses amisalors, seraient devenus ses irréconciliables ennemis. Les renseignements nous manquent pour apprécier les circonstances de ce séjour en Hollande, et les travaux par lesquels il s'était préparé à prendre, dès son début, une place si élevée parmi les écrivains de son temps. Nous sommes un peu plus heureux pour ce qui concerne le voyage qu’il fit en Italie, avec le car- dinal de La Valette, et son séjour de dix-huit mois à Rome, pendant les années 1621 et 1622. Laissons-le exposer lui-même ie genre d'influence qu’exercèrent sur son esprit, et par suite sur ses doc- trines littéraires et sa manière d'écrire, les hommes célèbres avec lesquels le mit en rapport sa position auprès de son illustre protecteur. « J’avois appris, en ce pays-là (1), que, pour écrire « convenablement, il falloit se proposer les bons exem- « ples, et que les bons exemples étoient enfermés dans « un certain cercle d'années, hors duquel il n’y avoit «rien qui ne fût ou dans limperfection de ce qui « commence, ou dans la corruption de ce qui vieillit. « Avec ce principe, je m’étois trouvé à la harangue « funèbre du cardinal Bellarmin , et j’avois considéré « ce grand et admirable jésuite qui, avec la dignité 2 (1) Les passages défendus ; 5°, défense, p. AS5, SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 311 « de ses gestes, les grâces de sa prononciation, et « l’éloquence de tout son corps qui accompagnoit celle « de sa bouche, me transporta en esprit dans l’an- « cienne république. « Peu de temps après, un académicien de Rome, « confident intime, et, comme il parloit, intrinsèque « du redoutable Scioppius, sachant l'amitié qui étoit « entre M. Barclay et moi, et l'amour que j’avois pour « son Argems, afin de modérer, disoit-il, la violence « de ma passion, s'offrit à me montrer, dans cette « nouvelle histoire, que nous avions écrite à la main, « quinze cents impropriétés, de compte fait, et je ne « sais combien de péchés originels et de locutions « étrangères. « Mais ce n’est rien que cela au prix de ce que je « vais vous dire. Passant par Florence, j’avois ren- « contré un commentaire sur un livre de Victorius, « dans lequel ce commentateur chagrin accuse Virgile « (quelle entreprise, bon Dieu! et quel attentat!) de « prendre des mots les uns pour les autres, et d’être « moins pur et moins latin que Lucrèce !..…. « Je savois de plus que, sous le pontificat de Léon X, « un gentilhomme vénitien, estimé extraordinairement « par Fra-Castor , et du nom duquel il a nommé son « Dialogue de la poétique avoit de coutume , le jour de « la fête de sa naissance, de brûler solennellement les « œuvres de Martial et d’en faire un sacrifice annuel « aux mânes et à la mémoire de Catulle. Et je n’ignorois « pas qu'un autre délicat du même temps soutenoit « que la corruption de la langue avoit commencé en « la personne d’Ovide, dont il traduisit tout exprès 12 ÉTUDE les Métamorphoses pour l'usage de son fils, afin qu’il pât apprendre la fable sans danger de la locu- tion; et qu’en cherchant les richesses de la poésie, il ne hasardât pas la noblesse du style dans une lecture contagieuse. « Il y a bien là. ajoute Balzac, de la bizarrerie et du caprice ; il ya bien du scrupule et de la super- stition : j’en demeure convaincu avec vous, et je ne loue pas l’excès où le désir de perfection jetoit ces Messieurs... elle est cause néanmoins que je pre- nois garde de plus près que je n’eusse fait au vice qui lui est contraire , et qu’encore que je ne portasse pas tout-à-fait à la superstition d'Italie, je ne laissois pas de voir que, pour arriver où j'allois, il falloit un peu s'éloigner de la licence francoise. Les scrupules d'autrui m’'avoient pour le moins rendu religieux ; ils m’avoient subtilisé le goût de telle façon, et m’avoient mis devant les yeux une telle idée de pureté, que les moindres souillures lesoffensoient et que je ne trouvois pas supportable ce que j'avois autrefois trouvé excellent (1). » Mettons encore parmi les causes de cette excessive délicatesse, qui de bonne heure fit contracter à Balzac l'habitude d'écrire avec la scrupuleuse attention que Boileau recommanda plus tard aux poëtes, l’in- fluence de Malherbe, cet infatigable défenseur de la méthode de faire difficilement des vers faciles. « « En françois tout n’étoit suspect de gasconisme : sur chaque mot d’un écrivain de province, je con- (4) Les passages défendus : 3°, défense. SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 313 « sultois l’oreille d’un écrivain de Paris, et peu s’en « faut que je n’appelasse Rouergue, la Touraine, « proche du Poitou. Cet homme, qui ne pardonneroit « pas une incongruité à son propre père, m’avoit mis «“ en cette humeur, et m'avoit fait jurer sur ses « dogmes et sur ses maximes. Vous entendez bien par « là notre Monsieur de Malherbe, et savez bien qu’en « celte qualité de premier grammairien de France, il « prétend que tout ce qui parle soit de sa juridiction, « comme il est cause, en effet, qu’on parle plus régu- « lièrement qu’on ne faisoit, et moins au hasard, « et à l'aventure (1). » Une fois engagé dans cette voie, Balzac y fut bientôt poussé malgré lui , et peut-être plus loin qu’il ne l’aurait voulu, par l'éclat de sa renommée. Ses premières lettres, lues par Coëffeteau, avaient été montrées au cardinal Du Perron; et celui-ci, étonné, comme l’avait été Desportes aux premiers vers qu’il lut de Malherbe, s'était écrié : « que, si les progrès « de son style répondaient à de si grands commen- « cements, il deviendrait bientôt le maître des maîtres. » Il lui fallut par des efforts surhumains serendre, à tout prix, digne d’une admiration si prématurément mani- festée. Ce fut un honneur, même pour les personnages les plus éminents, de pouvoir montrer des épitres à eux adressées et signées de ce grand nom. Alors s'établit entre Balzac et les beaux esprits de son temps, cette correspondance étrange , que ne devaient alimen- ter ni les besoins du cœur, ni les épanchements des (1) Les passages défendus : 18°- défense, 314 ÉTUDE confidences littéraires; alors se succédèrent rapide- ment ces lettres travaillées comme des discours aca- démiques ; ces thèses sans objet et sans but; ces amplifications outrées , dont le thème le plus ordi- naire était un échange intéressé de compliments de plus en plus hyperboliques et pompeux. Proclamé vainqueur dans cette lutte de plume , Balzac, victime de son propretriomphe, dut en subir les plus fâcheuses conséquences. Sa réputation ayant éclipsé celle de ses nombreux correspondants, surtout lorsque , en 1624 , eut lieu l'impression de ses premières lettres, chacun se mit sur le pied de lui écrire, uniquement pour recevoir une réponse , ou plutôt pour obtenir quelque éloge de l’écrivain, devenu le dispensateur de la gloire littéraire. Bien entendu que l’élogiste général, comme l’appelait Richelieu , ne fut dupe ni de ses propres hyperboles, ni des pompeuses adulations qui vinrent le poursuivre jusqu’au sein de la retraite, où, après une courte apparition à la cour, il alla, jeune encore, chercher la solitude et le repos. J1 souffrit beaucoup plus, il faut le dire , des incon- vénients de la grandeur, qu’il n’eut à jouir des privi- léges attachés à la royauté littéraire, qui répandait sur son ermitage cet éclat dont fut illuminé plus tard la demeure du glorieux vieillard de Ferney. Le mauvais état de sa santé ne lui permettait guère de tirer profit, pour lui-même, de sa haute renommée. Pour se ménager la protection des grands, pour obtenir les faveurs du pouvoir, il lui eût été nécessaire, ou d’ha- biter Paris, ou du moins d’y faire de fréquents voyages. Le style britlant de ses lettres continuait bien à attirer SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZ/C. 315 sur l’écrivain l'attention publique, maislesgratifications et les pensions que les grands seigneurs payaient alors aux gens de lettres qui ne rougissaient pas de se mettre littéralement à leurs gages, ne pouvaient être obtenues que moyennant des visites ct des demandes réitérées. Dès 1626, Balzac s’était déterminé à vivre au sein de la retraite « renonçant bien volontiers à la réputation « que donne le monde pour jouir du calme que le « monde trouble ». Ne pouvant ni voyager, ni visiter les personnages importants dont l'amitié eût pu lui être utile, il écrit; et c’est pour lui une occupation et une consolation à la fois. Ses lettres abondent en pas- sages dans lesquels il se plaint de l'obligation que lui impose sa santé, de ne point quitter sa terre de Balzac. « Mon repos étant devenu une impuissance de me « mouvoir », écrit-il au duc de La Rochefoucauld, dont le château de Verteuil n’est pas éloigné d'Angoulême, «il nest force, Monseigneur , de vous rendre mes « devoirs en esprit, et d’être de la cour de Verteuil, « comme je suis de l’Académie de Paris, c’est-à-dire « sans partir d’ici. Mon indisposition me sème des épines « partout : elle trouve des précipices dans les plus beaux « chemins; et les infirmités n’accablent de telle sorte « que, pour peu qu’elles s’augmentent, je n’oserois sortir « de ma chambre qu'après avoir fait mon testament. » (Lettre à M. de La Rochefoucauld, le 25 octobre 1639.) Passant mal toutes les nuits, il s’en prend à tout le monde. Tous les matins , il peste contre la nature universelle. Souvent il est si retiré dans lui-même, qu’il w’en sortirait pas pour aller au-devant d’un 316 ÉTUDE légat à latere, et si la bonne fortune venait en per- sonne le visiter , elle pourrait arriver tel jour de la semaine que la porte lui serait fermée, quand bien même elle aurait dit son nom pour entrer. (Lettre à M. le comte de Fénelon, 22 avril 1638.) A trente ans, il disait : qu’il était plus vieux que son père, et qu’il était aussi usé qu'un vaisseau qui aurait fait trois fois le voyage des Indes. A cinquante ans. ilécrivait à Chappelain : que, si l’on pouvait séparer de sa vie tous les jours que la douleur et la tristesse en avaient retranchés, il se trouverait que, « depuis qu’il est au monde, il n’a pas vécu un an entier. » Si nous pouvions nous en rapporter à ses propres aveux à ce sujet, nous indiquerions, d’une manière précise, la seule époque de cette existence si attristée par la maladie, pendant laquelle Balzac ait joui de quelque bonheur. « Quelques amis ont dit que jai « valu quelque chose; mais il faut dire maintenant « que cela fut jadis, et me mettre au nombre des « choses passées. Il faut demander de mes nouvelles « à l’année 1625 et 1624. » Qu'il ait été déterminé à chercher la retraite par des motifs si légitimes, c’est ce dont il n’est pas permis de douter. Mais ajoutons que d’autres raisons ont dû le décider à prendre ce parti. Il n’avait pas tardé à s’aper- cevoir qu’il y avait, dans les protestations d'estime et même d’admiration que lui prodiguaient les dispen- sateurs des faveurs et des grâces, plus d’ostentation que d'affection sincère. « Ce Monsieur de Luçon » , écrivait-il long-temps après avoir fixé son séjour dans son désert, où ne SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 317 venait que trop souvent encore l’importuner le bruit du monde, « ce Monsieur de Luçon avoit vu je ne « « « « sais quoi de votre voisin, qui lui avoit, disoit-il, chatouillé l'esprit, et qui l’obligea de rechercher son amitié. Ayant apporté d'Avignon un désir passionné de le connaître, il lui fit une infinité de caresses à son arrivée à Angoulême. Il le traita d’illustre, d'homme rare, de personne extraordinaire, et l'ayant un jour prié à diner, il dit à force gens de qualité qui étoient à table avec lui : Voilà un homme (cet homme n’avoit alors que vingt-deux ans) à qui il faudra faire du bien, quand nous le pourrons; et il faudra commencer par une abbaye de dix mille livres de rente. « N’est-il pas vrai qu’on ne sauroit guère voir de plus beaux commencements ? A Rome, on luieût là-dessus prêté de l’argent; on eût fait des gageures sur ces avances de la fortune. Toutefois les choses en sont demeurées là. Monsieur le cardinal de Richelieu ne s’est point souvenu de ce qu’avoit dit M. l’Évêque de Luçon; et votre voisin (ajoute Balzac, et cela est vrai) ne s’est pas beaucoup mis en peine de l’en faire souvenir. » Personne n’a mieux senti et mieux exprimé que Balzac et les mécomptes de l'ambition, et la vanité dela gloire. La sienne lui coûtait d’ailleurs assez cher, « Que ce bruit et cette réputation qui les suit, sont incommodes à un homme qui cherche le calme et le repos! Il est la butte de tous les mauvais compli- ments de la chrétienté, pour ne rien dire des bons qui lui donnent encore plus de peine. Il est per- 318 ÉTUDE sécuté, il est assassiné de civilités qui lui viennent des quatre parties du monde. Et il y avoit hier soir sur la table de sa chambre, cinquante lettres qui lui demandoient des réponses, mais des réponses élo- quentes à être montrées , à être copiées, à êlre imprimées. « Pour l’achever, il vient aussi des importuns en personne, quelquefois de plus de cent lieues, et tout exprès, si on veut les croire, qui lui donnent le dernier coup de la mort, lui disant, pour leur premier compliment, que sa haute réputation et la célébrité qu'il a donnée aux lieux où il est, les ont obligés de venir voir cette personne si connue, et ce village si renommé... Un de ces curieux lui commença, il y a quelque jours, sa harangue par le respect et les vénérations qu’il avoit toujours eus pour lui et pour Messieurs ses livres. » Messieurs ses livres! quel écrivain aurait pu tenir son âme assez bien fermée aux séductions de la flat- terie, pour qu’elle fût insensible à l’expression d’une admiration si respectueusement naïve ? Balzac se plaint sans cesse de cette espèce de persécution dont il est l’objet ; mais il s’en plaint si souvent et avec des détails si complaisamment recherchés, qu’il est permis de croire que ses regrets ne sont pas toujours sincères. « « « Quoique ce petit coin du monde soit ignoré de l’ancienne et de la nouvelle géographie, et que Mercator n’en parle pas plus que Ptolémée, mon malheur a voulu qu'il ait été mis en réputation de- puis que j'y suis et qu’on l’ait tiré de cette douce « tranquillité où reposent les choses inconnues. Toute SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 319 la prose et tous les vers de la chrétienté en ont appris le chemin, » (Lettre au duc d’Épernon. } « Mon silence est troublé tous les jours par l’élo- quence d'autrui, et il faut, pour mes péchés, que je sois le tenant contre tous les compliments de France. Ne saurois-je me défaire de ce malheureux métier de faiseur de lettres, qui attire d’une infinité de lieux la persécution sur moi? N’y auroit-il pas moyen de le résigner à quelqu'un de nos confrères de l’Académie, qui aimât plus l’emploietles nouvelles connaissances que je fais. C’est une moquerie de n'avoir point d’affaires et d'écrire autant que douze banquiers , d’être un oisif toujours occupé et un paresseux à qui on ne permet pas même Ge chômer les fêtes, » (Lettre à Bois-Robert.) « Il n’y a plus moyen d’y fournir; on veut trop souvent que j’écrive des lettres dorées; et je viens d’être accablé d’une si grande foule de compliments en diverses langues que, plutôt que de me résoudre à payer mes dettes, j'aime mieux faire banqueroute, et renoncer solennellement au grec, au latin et au françois ; j'aime mieux me faire naturaliser en Basse- Bretagne et acheter un état d’élu en la ville de Quimper-Corentin. Il y a plus de quatre nuits que je n’ai fermé l’œil. » Hélas! combien plus vives encore eussent été ces plaintes, affectées ou sincères, si Balzac avait eu la conscience des fâcheux inconvénients que devait en- trainer, pour l'avenir même de cette renommée, à laquelle il faisait de si pénibles sacrifices, obligation qu’il s'était imposée d’être toujours éloquent ! Une fois 320 : ÉTUDE élevé sur le piédestal où l'avaient fait monter les accla- mations de ses contemporains, il lui était devenu impossible d'en descendre un seul instant. La sim- plicité, le naturel, l’aisance, la grâce même n’étaient point des qualités étrangères à son génie. Son àme, naturellement sensible, aurait pu faire entendre des accents touchants et vrais. Sa charge de grand- épistolier, devenue en quelque sorte une fonction pu- blique,le condamnait à perpétuité à l’éloquenceguindée, majestueuse et fausse. Ses correspondants du moins, dont les lettres ne seront lues que de lui, pourront quelquefois écrire d’une manière simple et naturelle ; et lui-même, pour les mettre à leur aise, sans doute, leur écrira : « Je ne vous demande votre style des « bonnes fêtes; je me contente de celui de tous les « jours. » Mais son style, à lui, devra toujours être endimanché. Pouvait-il en être autrement ? Balzac sait &’avance qu’il n’est pas de lettre émanée de lui, qui ne doive, tôt ou tard, être mise sous les yeux du public. Si intimes que puissent être les confidences qu’il dépose sur le papier, si minimes que soient les détails dans lesquels les nécessités de sa vie privée le condamnent à entrer, il sait qu'entre lui et la personne à laquelle il s’adresse , il y a un tiers qui écoute pour admirer et pour applaudir ; et ce tiers n’est rien moins que la France, qui ne lui permettra pas de dire Bonsoir ou Je vous salue, comme le dit tout le monde, Que voulez-vous? La gloire aussi doit avoir ses petites misères. Cette espèce de gageure, que Balzac semble avoir faite, de traiter noblement les sujets les plus vulgaires SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 324 n’est pas toujours chose facile, on peut le croire. Il reçoit, par exemple, de M. de Morin, conseiller du roi en la chambre de l’Edit de Guyenne, un présent qui lui fait un grand plaisir, Vite une lettre de remerciment! Mais comment apprendre a l'univers, sans déroger à sa dignité, et sans compromettre sa réputation d'écrivain éloquent, que ce présent consiste en une pièce de vin muscat? Le cas est embarrassant. « Je ne voudrois point, dit-il, passer pour un ingrat ; « mais je ne voudrois point moi-même me déclarer un « homme de débauche. Que faut-il donc que je fasse « en cette occasion? Je n’ose nommer en public (en « public remarquez-le bien) le présent que j'ai reçu « de vous... Pour sortir de cet embarras, il faut « chercher quelque expédient de rhétorique, et « déguiser la chose oratoirement, ou poétiquement, « comme il vous plaira, sans employer le terme scan- « daleux de muscat. Je dirai, si vous le trouvez bon, « que c’est un présent digne d’être offert au duc de « Saxe; que c’est le souverain remède de la tristesse «“ et des mauvaises pensées; que c’est le véritable « népenthe chanté par Homère; que c’est un fard et « une peintnre admirable » ; et l’amplification con- tinue ainsi pendant six pages. M. Dubourdet lui envoie des sachets parfu- més : « Qu'on cherche » (lui écrit-il pour la payer, en beaux termes, de ses délicates attentions) « qu’on « cherche tant qu’on voudra, il ne se trouvera point « de douceur qui approche de celle que vous inspirez « dans vos sachets. Les plus fines essences de Rome « sont de la lie et sentent laterre en comparaison ; les 21 329 ÉTUDE « parfums @’Espagne sont épicés et blessent plutôt « qu’ils ne chatouillent. Ceux-ci, tout purs et tout « innocents , pénètrent sans violence jusqu’à la plus « haute partie de l’homme ; ils vont réjouir l’esprit « après avoir flatté le cerveau et fortifié le cœur. « On pourroit les nommer un chef-d'œuvre de délica- « tesse et de médecine tout ensemble. Je pourrois « dire que, de votre grâce, il ne reste rien à décou- vrir dans l’honnête et savante volupté. Je pourrois dire encore, Madame, que si vous étiez reine de « l'Arabie-Heureuse ou desîles Fortunées, vous n’auriez « pas pu me faire un présent qui fût plus digne de « ces deux beaux royaumes. Je pourrois dire... » Nous concevons sans peine tout ce que pourrait dire l’auteur, et ce qu’il dit réellement, en de- mandant à sa vive et féconde imagination les détails que développe une rhétorique qui n’a jamais mieux mérité d’être définie : « l’art d'agrandir les plus petites choses ». M. de Villesains, M"*. de Rambouillet, son ami Costar recevront, avec une infinité de variantes, des remerciments analogues pour les présents du même genre qu’on lui fait avec bien du plaisir, car on sait que l’on obtiendra , en flattant ainsi son innocente passion pour les odeurs fines et recherchées, une de ces belles lettres à montrer et à imprimer, qu'il écrit si bien. Je doute, pour ajouter un autre exemple à ceux que j'ai donnés et qui abondent dans sa cor- respondance, qu’un de nos contempôrains, si pas- sionné qu’il fût pour le beau style, écrivit au maire de son village une lettre comme celle que Balzac = = SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 323 adresse au sien, pour obtenir la réparation d’un chemin vicinal. « À l'entrée du faubourg Loumeau , il y a un chemin « dont on ne peut se plaindre en termes vulgaires « (Balzac s’en garderait bien!) , il est plus difficile et « plus dangereux qu’un labyrinthe. Il apprendroit à « jurer à un homme qui ne sauroit dire que certes! Il « changeroïit en bile toute la douceur d’un Père de « l’Oratoire, etc. » Il demande à M. de Priézac sa protection pour une demoiselle , engagée dans un procès fâcheux. Voici comment il cherchera à prévenir l’esprit du magistrat contre la partie adverse : « Elle est tourmentée par le plus fameux chicaneur « de notre province, et je ne pense pas que la Nor- « mandie en ait jamais porté un si redoutable; son « seul nom fait trembler les veuves et met en fuite les « orphelins. Il n’y a pièce de pré ni de vigne à trois « lieues de lui, qui soit assurée à celui qui la possède. « Il pense faire grâce aux enfants, quand il se con- « tente de vouloir partager avec eux la succession de « leur père. Il habite les parquets et les autres lieux « destinés à la justice de la discorde. C’est Attila en « petit, c’est le fléau de Dieu dans le voisinage; et la : plus cruelle persécution qu’ait soufferte le monde, « et que raconte l’histoire, est venue peut-être d’un « moindre principe de tyrannie. » Balzac a raison de dire à M°*°. de Rambouillet : « En vérité, je n’ai jamais eu tant besoin de cette « officieuse figure qui aide les bonnes intentions, « qui acquitte les dettes de pauvres, qui, non-seu- SAIS ÉTUDE « lement égale les choses aux paroles, mais qui sait «les agrandir jusqu’à l'infini. Vous la connaissez, « Madame, sous le nom d’hyperbole. » Mais quelle triste chose qu’une pareille escrime ! que de soins inutiles! que de travail perdu! quel malheureux usage des plus rares facultés de l'esprit et des ressources brillantes d’une érudition vaste et étendue ! Balzac a adressé à Chappelain une dissertation dont le sujet est : « Qu’il est bien difficile d'écrire beaucoup et de bien écrire. » C’était cependant à remplir cette tâche difficile qu’il s'était condamné. Il avoue qu’une petite lettre lui coûtait plus qu’un gros volume, à Saumaise , qu’il appelait un dévoreur de livres. « Oh! bienheureux écrivains, s’écrie-t-il quelque « part, M. de Saumaise en latin, et M. de Scudéry en « français! j'admire votre facilité et j’admire votre « abondance! vous pouvez écrire plus de Calepins que « moi d’almanachs ! » On croit entendre Boileau, employant précisément le même tour de phrase pour exprimer son ironique admiration pour le bienheureux Scudéry et sa fertile veine! Rien ne peut mieux caractériser l'importance qu'il attache à ces lettres, et qu’il apporte à leur compo- sition , que ce passage d’une lettre à Costar (1644) : « Je n’entreprends pas de vous remercier à la hâte « des beaux présents que vous m’avez faits. Il faut que « je me prépare pour cela un mois tout entier. Je veux « consulter toutes mes müses; je veux visiter tous mes « lieux communs. J'ai envie même de me purger tout « exprès et de me faire tirer du sang, afin d’avoir SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 325 « l'esprit plus net et les fonctions plus libres et plus « aisées. » On ne peut remplir plus consciencieusement sa tâche. Aussi rien n’est plus plaisant quelquefois que cette préoccupation de l’auteur pour l’effet qu'il doit pro- duire, même dans les circonstances où l’on pourrait supposer que l’écrivain devrait s’oublier. Il vient, par exemple, d’énumérer d’un ton tout-à- fait mélancolique les ennuis et les incommodités dont l’accable sa chétive santé. Tout à coup il s’interrompt pour dire à son ami : « Que vous semble, Monsieur , « des bons intervalles de ce malade ? Trouvez-vous « qu’il y ait du déchet en sa manière d'écrire, après « tant d’esprits échappés , tant de chaleur consumée , « tant de feu éteint par la perte d’une si grande quan- « tité de sang? » Dans une autre occasion , il écrit une lettre de con- doléance , où il emploie toutes les ressources de sa sensibilité pour consoler un père de la mort de son fils. Est-il parvenu à sécher quelques larmes, à raf- fermir le cœur de l’ami dont il entreprend de soulager la douleur ? Ce n’est pas ce qui le préoccupe le plus , vraiment! le résultat le plus important pour lui de cette épitre consolatoire, c’est « qu'on a goûté à Paris « sa nouvelle facon de consoler et la méthode dont il « se sert pour traiter les malades illustres, et consoler « la douleur en la chatouillant. Bien que la pièce ait « eu le succès que je pouvois désirer, ajoute-t-il, et « qu’elle passe pour originale après tant de consolations « qui ont été faites dans le monde, depuis que l’on « meurt et que l’on est aflligé , vous en jagerez, S'il « vous plait. » 326 ÉTUPE On le voit : tout est pour Balzac affaire de style et de forme. Il n’écrit pas pour consoler, mais il console pour avoir l’occasion d'écrire; et comme l’essentiel est qu’il soutienne sa réputation de grand écrivain, il prend son temps : ni soin, ni travail ne lui coûtent. Il est prosateur précisément aux mêmes conditions qui font de Malherbe un grand poëte, qui emploie trois ans à composer une ode au président de Verdun, pour le consoler de la mort de sa femme. L’ode est excellente sans doute, et fait honneur au talent poétique du consolateur ; mais lorsqu’elle arrive à son adresse, le président a eu le temps de faire son deuil de sa première femme et d’en épouser une seconde. Les Lettres de Balzac devaient, après tout, éprouver le même sort que celles de Voiture, dont on prétend qu’il fut jaloux et avec lequel il a été si souvent com- paré. Tous deux étaient arrivés par des voies différentes à surprendre l'admiration de leurs contemporains, celui-ci en cherchant avec soin ce qui , dans les sujets les plus graves, pouvait offrir le mot pour rire; celui- là en s’étudiant à revêtir de formes majestueuses les sujets les moins relevés. Voiture voulait être toujours plaisant; Balzac toujours sublime. Le bon goût con- seille de n’être l’un et l’autre qu’à propos. Mais combien Balzac me semble supérieur à Voiture! Défaut pour défaut, l’emphase vaut encore mieux que la trivialité. On connaît le genre d’esprit de Voiture et la nature de ses plaisanteries. « Il court de mauvais bruits sur le soleil », dit-il après une certaine découverte astro- nomique. « Je crois que vous prendriez la lune avec « les dents » écrit-il au prince de Condé, après la prise de Dunkerque. Il fait suer à grosses gouttes les SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 327 baleines de la mer du Nord, à l’approche du grand capitaine ; il écrit trois pages de quolibets sur le mot car. Il adopte sans scrupule les plus vulgaires et les plus mauvais jeux de mots. On ne pourrait peut-être trouver qu’un seul exemple de ce genre d’esprit , si esprit il y a, dans la volumineuse correspondance de Balzac ; et encore, comme dirait M”, de Sévigné, cet exemple n’est-il pas juste, puisque Balzac met sur le compte d’un ami, et même d’un ami de Poitou, je crois, la plaisanterie dont il n’a que le tort de se faire l’éditeur responsable (1). D'ailleurs, j’ai hâte de le dire , les Lettres de Balzac, d’après lesquelles les hommes de son temps l’ont jugé, et sur lesquelles aussi il a été depuis apprécié avec une rigoureuse sévérité, ne constituent qu’une partie de ses œuvres. Elles ne donneraient qu’une idée fort imparfaite de son style et de ses doctrines littéraires. Ge n’est pas là qu’il faut chercher l'écrivain et le critique. Serait-il juste d'apprécier la pureté de son goût d’après les compliments qu’il adresse aux auteurs qui lui en- voient leurs ouvrages? Il paie en fausse monnaie les lettres de change que la vanité de ses correspondants, Scudéry, Costar, Godeau , Gomberville (j’en passe et de plus mauvais) tirent sur lui, en flattant son amour- propre. Mais voici ce qu'il pense lui-même des per- sonnages qui prennent ses éloges pour de l'argent comptant : « Il y a des gens qui prennent les civilités pour des (4) C’est un passage, dans lequel il se moque de la pas-latinité d’un gentilhomme ignorant, en vertu de laquelle celui-ci pourrait faire valoir ses droits sur le Palatinat! 328 ÉTUDE « actes passés devant notaire, et qui prétendent qu’on « leur garantisse jusqu'aux souhaits qu’on fait pour « eux, » « C’est rendre justice aux compliments de ne pas « les lire quant on les reçoit, puisqu'on n’y songe « pas quand on les écrit, » « À quoi bon, » écrit-il à M. de La Nauve, « des « compliments si étudiés et une si grande profusion de « belles paroles? I] ne vous en faudroit pas davantage « pour tromper une maîtresse défiante , ou un ennemi « crédule. Il paroît bien que vous avez respiré l'air « de Florence; que vous vous êtes coloré au soleil de « Rome; que vous venez nouvellement du pays natal « de la rhétorique. » Nous voilà bien avertis: les compliments que Balzac adresse aux auteurs, aussi bien que ceux qui lui sont adressés, ne sont qu'un commerce d’amplifications de rhétorique , dont la forme a beaucoup plus d’im- portance que le fond. Les éloges qu’il prodigue , trou- veront leur correctif dans leur exagération même, et plus d’une fois l’habile rhéteur trouvera le moyen de cacher, sous une perpétuelle admiration, une perpé- tuelle ironie. Gombault lui a communiqué des dialogues , com- posés par je ne sais quel écrivain parfaitement oublié aujourd’hui. « De semblables dialogues , lui répond « Balzac, me dégoûteroient de ceux de Platon. Ce « petit livre, puisque vous en voulez savoir mon avis, « est une bibliothèque en abrégé ; c’est un magasin « dans un paquet; c’est une boutique de Dédale, où « tous les outils se remuent d'eux-mêmes et où toutes « les matières sont animées. » SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 329 M. Maury , docteur en théologie, est un infatigble traducteur , soit en vers, soit en prose poétig” . foici en quels termes Balzac le complimente sur sa facilité plus qu’Ovidienne: : Je crois qu’il ne tiendra qu’à vous que vous ne « rimiez généralement tout ce qui est écrit dans le « monde; que vous ne mettiez en musique toutes les « sciences; qu'on ne chante à l’avenir, de votre façon, « la philosophie et la théologie, la jurisprudence et « la médecine. Il n’est point d'auteur si ferme et si « opiniâtre en sa posture, qui ne change entre vos « mains; si sérieux et si triste que vous ne fassiez dan- « ser autant de fois que vous le voudrez. Il n’est point « de mortel imprimé, à qui vous n’appreniez tout d’un « coup la langue des Dieux par une subite paraphrase.» Godeau, en lui envoyant quelques-unes de ses pro- ductions poétiques , le prie de lui dire franchement son avis sur la valeur de ses ouvrages. Balzac, qui sait son monde , et qui n’ignore point que les poëtes sont rarement sincères, quand ils demandent des cri- tiques , répond en ces termes à Monseigneur l’Évêque de Grasse : « Cherchez un autre que moi qui fasse ce que vous « lui ordonnez, Vous me demandez une chose qui n’est « pas en ma puissance, et vos ouvrages étant mes « amours, comment voulez-vous que je les regarde « avec des yeux d’ennemi? Il faudrait, pour cela, être « aussi barbare que les anciens GGths , qui faisaient « la guerre à toutes les belles choses ; ou d’aussi mau- « vaise humeur que ce moderne Italien qui n’a com- « menté Aristote que pour le reprendre. Je ne suis ni 330 ÉTUDE « Goth ni Castelvetro , je suis votre constant et per- « pétuel admirateur. Vos vers, votre prose, vos in- « ventions, vos imitations, vos luths, vos flûtes et vos « trompettes, plaisent absolument et sans condition « à cet adorateur perpétuel. » Si Godeau accepte de pareils éloges et s’il les con- sidère comme l'expression des vrais sentiments de Balzac (l’amour-propre d’un poëte peut bien aller jusque-là), la galerie sait parfaitement à quoi s’en tenir à ce sujet; et comme c’est principalement à la galerie que Balzac s'adresse , il sait qu'aucun de ses lecteurs ne prendra à la lettre ses compliments hyper- boliques. Citons encore , comme un exemple de sa manière de louer ses contemporains et comme un des plus re- marquables échantillons de son style dans le genre démonstratif , quelques passages d’une lettre à M. de La Chambre : « Il n’y a ni coin ni cachette de l'esprit humain où « vous n'ayez pénétré. Il ne se passe rien là-dedans « de si vite et de si secret qui échappe à la subtilité « de votre vue; et dont vous ne nous apportiez des « nouvelles et très-fidèles et très-assurées. Nos plus « grands philosophes ne sont que les scholiastes et les « grammairiens d’Aristote, comme Eusthethius l'a été « d’'Homère, et Servius de Virgile... Vous n’êtes rien « moins que commentateur et copiste ; et de vous « mettre au nombre de ces esprits de second ordre, « ce serait vous ôter de votre place. On peut dire, « sans dire trop, que vous êtes philosophe en chef; « que vos écrits sont originaux; que vous avez fait SUR JEAN LOUIS GUEZ DE BALZAC. 331 « progrès dans la vérité; que vous y avez découvert « des régions inconnues ; qu’il faut qu’elles portent « votre nom, et que le détroit de Magellan ne doit « pas être plus célèbre que certains endroits par où « Vous avez passé... et, sans venir au particulier de « tant et de tant de choses rares, le seul discours: De « la connaissance des animaux est une nouveauté qui « eût fait secte à Athènes, et vous eût donné rang « parmi les fondateurs des ordres philosophiques. Si « Aristote lui-même revenoit au monde, une si excel- « lente nouveauté exciteroit la jalousie de son esprit: « elle ne laflligeroit pas moins qu’elle l’instruiroit. « Étant ambitieux comme il l’étoit , il seroit inconso- « lable de n’en pas être l’auteur (15 sept. 1645 ). C'est dans des termes analogues que Balzac écrit aux auteurs les plus médiocres, à ceux-là même dont on ne trouvera plus tard les noms que dans ces deux vers de Boileau : On ne lit guère plus Rampalle et Ménardière, Que Magnon, Du Soubhait, Corbin, et La Morlière. Scudéri ne pouvait échapper aux compliments ou- trés de son ami Balzac. Mais celui-ci, toutes les fois qu'il s'adresse au belliqueux auteur d’Alaric, qui a fait écrire au bas de son portrait : Et poëte et guerrier, Il aura du laurier, a soin d'employer, pour vanter son mérite , les termes qui devront le plus Chatouiller de son cœur l’orgueilleuse faiblesse, 332 ÉTUDE et dont ne manquera pas de sourire le public, qui ne se méprendra nullement sur l'intention secrète du célèbre épistolier. « Votre Arminius, écrit-il à « Scudéri , n’est pas seulement votre chef-d'œuvre, « mais il est aussi le chef-d'œuvre de l’art; il fera « honneur à vos Muses, et donnera de la jalousie à « leurs voisines. J'ajoute encore que c’est un enfant « qui marque le lieu d’où il est venu, et se sent du « courage de son pére. » Soyons bien certains que Balzac ne croit pas plus à la sublimité du génie de l’auteur d'Arminius qu'à la grandeur de courage, dont il fait profession. Ironiques ou sincères, les éloges pompeux dont l'infatigable panégyriste comble ses correspondants, ont pour résultat nécessaire, par suite de la réciprocité qu'ils appellent, la satisfaction de l’excessive vanité du grand écrivain. Pour apprécier la haute idée qu’il se fait de son importance , nous n’avons besoin ni des médisances de Tailemant des Réaux, ni des plai- santeries de Beautru, ni des récriminations amères du poëte Théophile. Il est évident que Balzac serait beaucoup moins prodigue de compliments, s’il n’en était avide pour lui-même. Il n’ignore pas que l’on critique assez aigrement ce profond respect qu'il semble professer pour sa personne ; mais il songe trop souvent à s’en justifier, pour qu’on puisse croire qu’il n'ait pas besoin de justification; et c’est précisément au milieu des formules étudiées, par lesquelles sa feinte humilité cherche à atténuer la valeur et la portée de son talent, que nous pouvons saisir et prendre, pour ainsi dire, sur le fait toute l’anxiété qu’il éprouve, 9 SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC, 339 lorsqu'il craint de ne le pas voir estimé tout-à-fait ce qu’il vaut. A quoi seréduit, si l’on en croit sa modestie, ce mérite qui lui a suscité tant d’ennemis, et valu ces critiques passionnées, qu’il rappellerait avec moins de complaisance, s’il n’en était au fond plus fier qu’il ne veut enparaîtreirrité? « Il se réduit à savoir un certain « petit art d’arranger des mots ensemble, et de les « mettre en leur juste place; à connaître l’usage des « particules, dont parle si souvent le cher Monsieur de « Vaugelas; à ne pas user du prétérit quand il faut se « servir du participe, et ainsi de suite... Ce sont « bagatelles et jeux que tout cela. Il a trouve ce que « d’autres cherchoient, et il a osé le dire! Mais quoi! « un homme ne peut-il pas dire sans orgueil : je sais « jouer au piquet, au trictrac; je donne de l’avantage « aux échecs à celui-là; j'ai gagné celui-ci à la « paume? Il me semble que de parler de la sorte n’est « pas une grande vanité. » Oh! non sans doute ; et nous accorderons volontiers à Balzac qu’il y a loin de ce ton simple et modeste à l'intrépidité de bonne opinion qu'ont professée quel- ques-uns des hommes dont il oppose les orgueilleuses prétentions à la réserve de son langage. Il n’élève pas des perroquets instruits à dire : Psa- phon est un Dieu! À l'exemple de Ménécrate-Jupiter, il ne prend pas le nom de Balzac-Cicéron; il n’a pas, comme le poëte Névius, composé son épitaphe en termes magnifiques ; il ne se prodigue pas ies éloges que s'adresse Jules César Scaliger ; enfin son amour- propre n’a pas l’'insolence de celui qu’étale maitre Charles Dumoulip, écrivant en tête de ses consultations, 534 ÉTUDE « Moi qui ne cède à personne, et à qui personne ne « peut rien apprendre. » Ego qui nemini cedo et qui a nemine doceri possum. Mais qu'importent les for- mules ? Personne n’ignore que , tout en se faisant si petit et si modeste, Balzac serait au désespoir qu’on le prit au mot; et la preuve, qu’il attache plus de prix qu’il ne veut bien le dire ici à cet art, qu'il exalte ailleurs , en termessi magnifiques et sisplendides, c’est la petite malice qui termine le passage même où il semble en faire si bon marché ; « s’il fasche à « quelques-uns qu’il ait dit qu’il a trouvé ce que quel- « ques-uns cherchoient , il consent de bon cœur que ce « malheureux mot soit effacé de son livre et qu’on « mette en sa place, qu'il cherche ce qu’ils ont trouve. » On n’est jamais insensible aux éloges lorsque l’on est si vivement impressionné par les critiques; et Balzac, dans sa jeunesse surtout, et dans le premier enivrement de sa gloire, n’avait-il pas donné des preuves de son extrême irritabilité sur ce point? Il avait essayé plus tard de justifier la vivacité de son mécontentement par la violence des attaques dont il avait été l’objet. Et franchement nous le trouvons jusqu’à un certain point excusable, Il à osé écrire que les moines (ou plutôt quelques moines , Car on le calomniait pour le mieux combattre, en donnant à sa pensée une extension qu’elle n’avait pas) que quelques moines sont dans le cloître ce que les rats étaient dans l’Arche. Là-dessus grande rumeur. Un jeune Feuillant, nommé Dom André, de St.-Denis, publie contre lui un petit écrit, dans lequel il cherche à démontrer que toute son érudition n’est Qu SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 33 qu’empruntée, et qu’il ne doit l'éclat de ses composi- tions qu'aux grands écrivains anciens et modernes qu’il a indignement copiés (1). Cette première attaque est bientôt suivie d’une autre plus redoutable. Deux gros volumes sont publiés, contre lui, par le Général même de l’ordre des Feuil- lants, le R. P. Goulu ( quel nom pour un critique ! et quelle bonne fortune pour Voltaire, s’il en eût ren- contré un pareil, sur son chemin, Jui qui admirait si bien comment un inquisiteur avait pu s'appeler Gril- landus). Ce fougueux adversaire, qui cache à demi Son nom sous celui de Phyllarque (prince des Feuilles), soutient que Balzac n’est rien moins qu’un plagiaire, un ignorant, un épicurien, un profane , un infâme , un Néron , un Sardanapale et un athée! Voilà de bien gros mots pour une petite phrase bien innocente ! Les amis de Balzac prennent sa défense: la guerre est au camp des savants. Le Prieur Ogier publie, contre André de St.-Denis, une Apologie, dans laquelle il décerne à Balzac les plus emphatiques éloges. Balzac en est si content qu’il la publierait volontiers sous son propre nom, si Ogier voulait y consentir. Dans l’en- trainement de la lutte , il frappe d’un coup de houssine un avocat d'Angoulême , qui a parlé avec irrévérence de sa personne ; il est même accusé, à tort sans doute, d’avoir voulu faire bâtonner, par un gentil- homme de ses amis, Moulin Robert, un autre avocat (1) Conformité de l’éloquence de M. de Balzac avec celle des plus grands personnages du temps passé et du temps présent. 336 ÉTUDE de Saintes, nommé Javerzac, qui, se jetant entre les deux combattants, avait eu l’audace de se prononcer à la fois contre Balzac et contre le P. Goulu (1). Tout se réunit pour élever cette querelle littéraire à des proportions propres à donner à Balzac une idée exa- gérée de son importance. Elle partage les esprits; elle retentit jusque dans les cours du Nord. Le roi de Da- nemarck se fait présenter les pièces du procès et, toutes les parties entendues, se déclare en faveur de Balzac. Le temps et la réflexion tempérèrent cette première ardeur. La polémique ne convenait ni à ses goûts, ni à la nature de son esprit. Il comprit que, dans l'intérêt de sa gloire et de son repos, il valait mieux désarmer l'envie par la dignité du silence , que de lui fournir de nouvelles armes par la ridicule indis- crétion des apologies. J'ai fait connaître les raisons qui l’engagèrent, de bonne heure, à se dérober au tumulte, aux fatigues et aux déceptions du monde, pour chercher la paix et le bonheur dans sa terre de Balzac. Faut-il expliquer autrement cette retraite volontaire, et en trouver la cause réelle dans les mécomptes de l'ambition et de l’orgueil humilié? Si l'on voulait s’en rap- porter à des écrivains peu favorables à Balzac, son amour prétendu pour le calme de la vie des champs ne serait qu’une longue comédie, qu’il a jouée habile- ment jusqu’à sa mort, pour continuer à attirer sur lui, par la singularité du fait, l’attention de ses contem- porains. I] avait ainsi caché son impuissance sous (4) Voir Goujet, t, XVII, p. 23, SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 331 le masque de la sagesse, après avoir échoué dans les aclives démarches qu'il avait faites dans le but d’obtenir un évêché, ou pour le moins, quelque riche pension , il se serait hypocritement enveloppé du manteau de la philosophie, afin de paraître dédaigner stoïquement les faveurs et les distinctions qu’il n'aurait pu obtenir malgré l’insistance de ses lâches flatteries. Nous avons relevé, dans ses lettres, les traits propres à faire ressortir quelques uns de ses défauts ; pourquoi ne continuerions-nous pas à chercher encore dans ses œuvres, plutôt que dans les assertions de ses ennemis, les témoignages propres à mettre en relief quelques-unes de ses bonnes qualités ? Or, ses correspondances et tous les écrits qu’il a composés dans sa retraite, ont un accent de sincérité et de franchise qu’il est impossible de méconnaître sans injustice. Le calme d’une vie solitaire , partagée entre des études sérieuses et des actes de bienfaisance, n’offre-t-il pas un attrait assez réel, pour que l’on puisse s’y plaire? Et ne suffit-ii pas qu’on se soit un jour approché de cette sphère tumultueuse, où s’agitent les intrigues de l'ambition et de l'intérêt personnel, pour qu’on lui préfère le bonheur de la vie des champs? Balzac en décritavec amour et en rappelle, avec une sepsibilité qui ne peut être affectée, les avantages et les charmes. Le riant aspect de la campagne en un jour de printemps, la beauté mystérieuse des nuits, la touchante splendeur d’un soleil d'automne, sont pour lui Pobjet d’une admiration profonde; et les riches couleurs de sa palette lui permettent d’en donner plus d’une séduisante peinture. 22 338 ÉTUDE « Je ne manquois jamais, dit-il, dans l’Avant-propos de son livre du Prince , d’aller chaque soir au milieu de la prairie. J’avois le plaisir de regarder au fond de l’eau les choses qui se passoient dans l'air , et de voir nager tout ce qui voloit. J’attendois le coucher du soleil , et je considérois à mon aise cette riche effusion de couleurs qu'il verse en se retirant, et dans laquelle il semble qu’il tempère ses rayons pour les rendre supportables, et qu’il adoucit sa lumière pour épargner notre vue. » « N'ayant à jouir, dit-il plus loin, que fort peu de temps du contentement que je recevois à aller l’admirer tous les soirs, et à regarder les précieuses traces qu’il laisse dans le ciel quand il se couche, et les diverses couleurs qui se forment de la dissolution de ses rayons, il n’y avoit pas moyen de me ramener au logis que la nuit ne fût venue et n'eût mis fin à la mnagnificence du spectacle qui me retenoit dehors. Parce qu’une saison si heureuse ne pouvoit être longue, j'en voulois posséder tous les instants, et j'étois si bon ménager des moindres parties de sa durée , que j’aimois mieux prendre le serein que de perdre les restes du jour : et ne plus ne moins que nous redoublons nos caresses aux personnes que nous aimons quand nous nous en devons bientôt séparer , et que les vieillards désirent plus ardem- ment la vie à laquelle ils n’ont quasi plus de part ; « ainsi j'avois de violentes passions pour un bien qui s’enfuyoit de moi, et que le voisinage de l'hiver me- nacçoit à toute heure de me ravir. » On ne décrit pas ainsi ce qu'on n'aime pas réelle- SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 339 ment ; mais ce qu’il exprime surtout avec une éloquence qui prend sa source dans le cœur, c’est la satisfaction intérieure, c’est la sérénité pure et inaltérable que ressent l’homme assez sage pour ne chercher son bon- beur qu’en lui-même, et assez dégagé des liens de Pambition pour ne demander à la fortune d’autre faveur que celle de pouvoir « se promener au soleil quand il fait froid et à lombre quand il fait chaud. » Il trouve de nobles paroles pour refuser les nombreuses offres de service que lui font ses amis placés aux avenues de la faveur, et pour désavouer les démarches faites en son nom pour mendier je ne sais quelles gratifications dont il repousse avec indignation l’in- jure. «+ Ce n’est, dit-il, ni humilité chrétienne , ni orgueil « philosophique. C’est une mauvaise honte, une pa- « resse d’écolier, une infirmité de malade. » Il est si accoutumé à la chambre qu’il n’y à point de mitre pour laquelle il voulût changer son bonnet de nuit, qui est aussi le plus souvent son bonnet de jour. Il s’accommode bien mieux avec sa tranquille pau- vreté qu’il ne ferait avec des richesses inquiètes. Qu'il conserve loin du monde quelques restes de cet enivrement que dut lui donner l'éclat de sa renommée ; que ce malade, forcé si souvent de garder la chambre, soulève de temps en temps avec satisfaction sa tête de dessus son oreiller, pour écouter les bruits flatteurs qui se font encore autour de son nom, qui pourrait sen étonner? qui pourrait songer à lui en faire un crime ? Ce qu'il y a de certain, c’est que les ouvrages nom- 340 ÉTUDE x breux qu’il compose ainsi, dans le calme de la solitude, ue présentent plus la moindre trace de cette irritabilité et de cette intolérance , qu'il avait manifestées pendant les premières ardeurs de sa pétulante polémique. Ce n’est qu'après un intervalle de 17 années, qu’il rap- pelle, soit à son ami Maynard , soit à M. de Montausier, soit à Chapelain , les grandes querelles qui ont signalé son entrée dans la carrière des lettres. Il revient sur ces souvenirs de jeunesse avec un esprit dégagé de toute espèce de préoccupation d’amour-propre; il s'exprime sur le compte de ses adversaires , qu’il ne nomme même pas, avec un ton plein de réserve et de modération; il prouve ainsi que, si son âme n'est pas tout-à-fait dégagée de la faiblesse que l’on con- sidère avec raison comme la dernière passion du sage, elle est du moins sans fiel et sans aigreur. Il avait précédemment écrit au président Séguier qui voulait interdire la publication d’un ouvrage com- posé contre lui: « Tant qu’il ne se présentera au sceau que de ces « gladiateurs de plume, ne soyez point avare des « grâces du prince, et relâchez un peu de votre « sévérité. Si la chose étoit nouvelle, il se peut que « je ne serois pas fâché de la suppression du premier « libelle qui me diroit des injures ; mais, à cette heure, « qu’il yen a pour le moins une médiocre bibliothèque, « je suis bien aise qu’elle se grossisse,et prends plaisir « à faire un montjoie des pierres que l’envie m’a jetées « sans me faire de mal. » Enfin ce qui, mieux que toutes les paroles, prouve que Balzac parvint de bonne heure à fermer son âme SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 341 à toutes les animosités qu'avaient pu produire en lui les offenses faites à son amour-propre d'auteur, c’est l'empressement qu’il mit à se reconcilier avec les en - nemis qui l'avaient le plus maltraité, et contre lesquels il s'était montré lui-même un peu trop irascible. D. André devint son ami; et l’on ne peut lire sans une vive émotion les détails de sa réconciliation avec ce même Javerzac, dont il avait voulu se faire justice par moyens fort peu littéraires. Accusé d’insensibilité et de sécheresse de cœur, Balzac peut offrir pour réponse une multitude d'actions bienfaisantes. Ce n’est pas seulement dans le moment suprême où les sacrifices les plus grands ne coûtent rien à qui va tout perdre , qu’il donne les preuves de la bonté de son cœur, c’est par la pratique de celles des vertus qu'a le plus recommandées à l’humanité le divin fondateur du christianisme, la charité , que Balzac a surtout sanctifié sa vie. Vertu de parade ! dit-on. Il ne pouvait être sensible, celui qui écrit froidement à un ami : « Depuis ma dernière lettre, j'ai perdu mon bonhomme de père. » On oublie, en le condamnant ainsi sur un mot , que sa correspondance renferme un grand nombre de lettres où Balzac parle avec une vive affection de ce digne vieillard qui, lui aussi, après avoir vécu quelques temps parmi les grands seigneurs, avait senti de bonue heure le néant de l’ambition, et avait appris à son fils, par son exemple, tout ce que l’on gagne à vivre heureux et caché. Qu’on relise les lettres adressées par Balzac à sa nièce (M. de Campagnole), et les sages préceptes qu’il lui donne avec une onction qui plus d’une fois 342 ÉTUDE rappelle la grâce touchante de l’auteur du Traité de l'éducation des filles, et l'on verra si âme de Balzac était aussi étrangère qu’on l’a prétendu aux sentiments tendres et affectueux. li ya, je l’avouerai, contre le célèbre écrivain un témoignage accablant : c’est la lettre fameuse du poëte Théophile qui, accusé, proscrit et jeté dans les fers , se plaint avec une indignation élequente, à Balzac lui- même, de la lâcheté qu’il montra en unissant sa voix à celle de ses persécuteurs. Lorsque, à l’époque où les deux amis voyageaient en Hollande, Théophile, ainsi qu'il le rappelle avec une juste amertume , tirait l’épée pour défendre le compagnon de ses joyeuses orgies, menacé du bâton, pouvait-il prévoir qu'un jour il ne recevrait, pour prix &e ce service, que des témoignages de la plus noire ingratitude ? Certes je partagerai toute l’indiguation que Théo- phile exprime avec tant d'énergie , etje donnerai raison aux critiques qui ont flétri cette bassesse d'âme qui flatte le pouvoir et courbe la tête devant la force, au lieu d'élever courageusement la voix en faveur d’un ami frappé de disgrâce. Je voudrais que cet épisode fût effacé de la vie de Balzac. Ses invectives contre Théophile sur le point d’être brûlé en efligie, c’est La Guerre de Genève lancée par Voltaire contre Rousseau malheureux et banni, Mais je rappellerai que Balzac n'avait que dix-huit ans au moment où il fit, en com- pagnie de Théophile, ce fameux voyage de Hollande, dont celui-ci n’a gardé qu’un trop fidèle souvenir. et dans lequel Balzac n'avait pas joué le plus beau rôle : les lecteurs impartiaux remarqueront de plus que les SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 343 lettres dont se plaint Théophile ont été écrites lorsque Balzac était encore emporté dans le tourbillon du monde, et antérieurement à l’époque où la raison et l'expérience firent de lui un tout autre homme. Puisque nous avons distingué deux parties bien dif- férentes dans sa vie , n’est-il pas juste que nous le fassions jouir du bénéfice de cette distinction ? Sa retraite, en retrempant son âme et en l’arrachant aux misérables petites inquiétudes de la vanité, avait aussi épuré et fortifié son talent d'écrivain. Ses premiers écrits , travaillés avec plus d’art, avaient excité un en- thousiasme que ne produisirent plus d’autres œuvres, fruit de la méditation et de la maturité, bien qu'elles attestassent un goût plus sûr, et qu’elles fussent em- preintes d’une éloquence plus persuasive parce qu’elle était plus naturelle (1). Nous ne retrouvons ni dans les Dissertations , ni dans les Entretiens dont la critique littéraire est l’objet, l’auteur de tant d’épîtres fastueuses dans les- quelles les écrivains les plus médiocres, les versi- ficateurs les plus méprisables étaient comparés aux (1) Ces œuvres sont, indépendamment de ses lettres, distribuées en vingt-sept livres et ne remplissant pas moins d’un volume in-folio, comme je Pai dit plus haut, le Prince, partagé en 32 chapitres ; Aristippe, ou de la Cour , le Socrate chrétien , formant douze discours; vingt-cinq Dissertations chrétiennes et morales ; quatorze politiques; vingt-huit de critique littéraire, dont plusieurs sont fort remarquables; un grand nombre de lettres latines; quatre livres de vers latins, composés par l’auteur exprès sans doute pour fermer la bouche aux ennemis qui l’accusaient de n’être pas savant, et justement vantés pour leur élégance et leur harmonie. sh ÉTUDE plus grands hommes de l’antiquité et des temps mo- dernes, « depuis le règne d’Orphée jusqu’à celui de M. de Grasse, » Balzac ne s’y épargne pas lui-même. Il fait son propre procès en caractérisant, avec un grand bon- heur d'expression, la pompe vide de l’éloquence asiatique. « Rien, dit-il, n’est si voisin du haut style , que le galimatias. » Il semble qu’il ait en vue quelques- unes de ses lettres lorsqu'il dit : « Périclès n’étoit pas « toujours orateur : il ne tonnoit pas devant le peuple « quandil n’étoit question que de nettoyer les rues dela « ville, ou de relever un pan de murailles qui étoit « tombé, ou de taxer la viande de boucherie. » Avait- il lui-même suivi le précepte qu’il donne ici, de pro- portionner son langage au sujet qu’on a à traiter? Il apprécie avec une justesse parfaite Cicéron et De- mosthènes. Il préfère hautement la noble simplicité de Virgile à l'abondance d’Ovide et à l’'emphase de Lucain , « qui font, dit-il, trop de bruit pour un malade, » Il ne juge pas moins sainement les œuvres des écrivains modernes. On peut souscrire au jugement qu'il porte sur Montaigne et sur Ronsard. Seulement, s’il caractérise exactement la manière d'écrire du premier, marchant à l’aventure, ne sachant presque jamais, lorsqu'il commence un chapitre, par quelle série d'évolutions il le conduira jusqu’à la fin, il est bien loin d’avoir caractérisé suffisamment la riche et féconde imagination et la verve spirituelle de l'auteur des Essais, I] ne fait guère plus d'estime de lemphase espagnole et de l’éloquence fardée du Père Narni, que des concetti du cavalier Marino. SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 345 Ses idées sur l’éloquence de la chaire et sur le style que doivent employer les ministres de l'Évangile , sont précisément celles qu'exposera, avec plus de précision sans doute, mais avec moins d'éclat, l’auteur des Dialogues sur l’éloquence. K ne veut pas qu'un prédi- cateur compare les arguments dont il se sert, « aux gonds sur lesquels roulent les globes des cieux, aux pilotis sur lesquels Dieu a bâti le monde. » Il condamne sé- vèrement les faux ornements dont les paraphrastes surchargent la sublime simplicité des livres saints. « Ces ornements les déshonorent; ces faveurs les dés- « obligent. Vous pensez les parer pour la cour et pour « les jours de cérémonie, et vous les cachez, comme « des mariées de village, sous vos affiquets et vos « bijoux. Vous les accablez de vos richesses fausses ou « véritables, et vous leur ôtez le cœur. » Ses réflexions sur les œuvres appartenant à d’autres genres de littérature, se distinguent par le même esprit de sagesse et la même sagacité. Il veut que la comédie soit la représentation de la vie réelle; et il indique avec justesse le vice radical des pièces de son temps : « Nos comédies ne montrent, dit-il, que des « hommes artificiels, des passions empruntées, des « actions contraintes et un monde qui n’est pas le « nôtre. » # Il faut, dit-il ailleurs avec la même « raison, que l'instruction se fasse sentir dans la « comédie ; mais il ne faut pas qu’on la voie. Qu'elle « soit dans toutes les parties du poëme, mais qu’elle « nes’y montre pas; qu’elle ne dise pas elle-même : jy { Suis. » Une de ses meilleures dissertations est celle où il 316 ÉTUDE soumet à une analyse minutieuse la tragédie d’Heinsius, Herodes infanticida , qui lui attira, pour prix de sa bienveillante modération, de la part du poëte hollan- dais, une épiître injurieuse dont il eut la bonhomie de s'étonner, Dans la fameuse querelle suscitée par le succès du Cid, il prend hautement parti contre la cabale des écrivains à gages, qui flattent par leurs invectives la basse jalousie d’un grand ministre. Il écrit ingénieu- sement à ce fougueux Scudéri, qui ne pardonne pas à Corneille un triomphe obtenu en dépit des règles d’Aristote: « Quand vos arguments seroient invincibles, « quand même votre adversaire y acquiesceroit.ilauroit « de quoi se consoler glorieusement de la perte de son procès, et vous pourroit dire que d’avoir satisfait « tout un royaume est quelque chose de plus grand « et de meilleur que d’avoir fait une pièce régulière. « S'il est vrai, ajoute-t-il, que la satisfaction des « spectateurs soit la fin que se proposent les spec- « tacles, ne seroit-il pas vrai de dire que l’auteur est « arrivé à son but, encore que ce ne soit pas par le « chemin d’Aristote ni par les adresses de la poétique ? « Mais vous dites qu’il a ébloui les yeux du monde, « et vous l’accusez de charme et d’enchantement, Je « connois beaucoup de gens qui feroient vanité d’une « telle accusation; et vous me confesserez vous-même « que la magie seroit une chose excellente , si c’étoit « une chose permise. L'auteur du Cid, en vous avouant « qu'il a violé les règles de l’art, vous oblige de lui « avouer, à votre tour, qu’il a un secret qui a mieux « réussi que l’art lui-même ; et, ne vous niant pas qu'il _ « SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 3h47 « a trompé toute la cour et tout le peuple, il ne vous « laisse rien à conclure de là, sinon qu’il est plus fin « que toute la cour et que tout le peuple, et que la « tromperie qui s’étend à un si grand nombre de per- « sonnes est moins une fraude qu’une conquête. » Iln’est pas moins explicite sur le mérite de Malherbe, auquel en plusieurs rencontres il rend un éclatant bommage , et dont il se fait gloire d’être le disciple ; ce qui ne l'empêche pas de reconnaître ce qu’il y eut d’un peu excessif dans le travail de minutieuse épu- ration que notre grand lyrique fit subir à la langue qu’il devait à la fois dégasconner , et débarrasser du faste pédantesque dont l'avaient surchargée les disciples de Ronsard, Ne faisons pas un trop grand crime à Balzac d’avoir, dans un des discours du Socrate chré- tien, raillé celui qui s'appelait lui-même , lorsqu'il était en belle humeur , le grammairien en lunettes et en cheveux gris, de lavoir blâmé de faire de si grandes différences entre pas et point , et d’avoir traité l'affaire des gérondifs et des participes comme si c'était celle de deux peuples voisins l’un de l’autre et jaloux de leurs frontières. « La mort l’attrapa, dit Balzac, sur « l'arrondissement d’une période; et l’an climatérique « Vavoit surpris délibérant si l’erreur et le doute « étoient masculins ou féminins. » Bien que les œuvres de Balzac brillent plus spécia- lement par le style, et qu’elles se recommandent beau- coup moins à l'attention des lecteurs modernes par la hardiesse et l’originalité des pensées , nous enle- verions à cette étude une grande partie de son intérêt, si nous refusions de l’interroger sur ses tendances po- 348 ÉTUDE à litiques et sur ses principes moraux et religieux. Après avoir admiré la beauté extérieure , la forme élégante et majestueuse d’une médaille, il est bon d’en exa- miner le poids, le titre et la valeur réelle. Reconnaissons d’abord que le meilleur moyen de connaître avec quelque profondeur les secrets ressorts de la politique, l’esprit des cours , les menées de l'ambition , les intrigues des partis, n’est pas d’aller s’enfermer dans un château pour méditer paisiblement sur ces graves sujets. Quelques pages de La Bruyère , si bien placé pour tout voir et tout entendre , nous en apprennent plus sur les grands et sur la cour, que tout ce que renferment les sept discours d’Aristippe. Et l’on se tromperait étrangement si l’on s'attendait à trouver beaucoup de science pratique dans les trente-deux chapitres du Prince, qui n’a de commun que le titre, avec le célèbre ouvrage de Machiavel. L'ouvrage, en effet, qui a pour titre Le Prince, n’est qu’un long et fastueux panégyrique de Louis XIJIL, Il appartient à cette époque de la vie de Balzac, où il cherchait beaucoup moins, dans la composition d’un livre , l’occasion de développer des idées et d'établir une doctrine, que d'ouvrir à son magnifique talent d'écrivain une large carrière. Ce n’est d’un bout à l’autre qu'une brillante amplification de rhétorique. Ge n’est pas une œuvre sérieuse. Dans une introduction que l’on prendrait volontiers pour la préface d’un roman , Balzac raconte comme quoi , se promenant sur les rives de la Charente, avec son Virgile à la main, il apercut tout à coup quelque chose de jaune et de blen qui se montrait parmi les . SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC, 3h49 peupliers et faisait remuer les roseaux. Ce fantôme, qui surgit à ses yeux au moment même où il est en- core tout plein du récit que le poëte vient de faire de Papparition du Tibre à Enée, lui semble tout d’abord ne pouvoir être que le Dieu de la Charente. Mais en y regardant de plus près, il parvient à dis- tinguer un homme blond, qui lui présente un bonnet de pluche bleue. Cest un mendiant qui passe par Angoulême, en revenant d'Alger où il a été long-temps prisonnier. 3 Balzac, comme on peut le croire, ne lui épargne pas les questions sur le Turc et sur le Maure, et il apprend... que, sur les dix mille prisonniers que gar- dent les pirates , il n’est question. que du récit des hauts-faits du Roi et de ce fameux siége de La Ro- chelle dont la prise récente a jeté un si vif éclat. Là- dessus Balzac s’écrie : « Puisque les esclaves d'Alger « deviennent soldats de Louis-le-Juste , et que ceux « qui ne participent point à ses prospérités prennent « part néanmoins à sa gloire, quelle apparence y a- « t-il que, vivant en une province dont il est plus par- « ticulièrement le libérateur que du reste de la France, « je regarde d’ur esprit indifférent tant de biens qu'il « nous a faits , et que je jouisse en secret et sans rien dire d’une lâche et stupide félicité ! » En vertu d’un raisonnement aussi pérempitoire , Balzac ne peut se dispenser d’obéir à l'impulsion de son cœur , et d'entreprendre de célébrer les vertus et les talents d’un si grand prince. Il n’a point, il est vrai, ainsi qu’il en fait modestement l’aveu, beau- coup de pratique des choses du monde. On ne lui a e 350 ÉTUDE point donné de mémoires, ui d'instructions pour sup- pléer à la connaissance qu’il n’a pas. « Tous les avan- « tages qu'un autre pourroit avoir me manquent, « dit-il ; j'avoue que je suis fort mal pourvu des qua- « lités nécessaires pour soutenir la dignité du dessein « que j'ai entrepris Néanmoins, je me sens comme « forcé de me produire en cette occasion. Je ne « saurois m’empêcher de parler du Roi et de sa « vertu; de crier à tous les princes que c’est l’exem- « ple qu'ils doivent suivre ; de demander à tous les « peuples, à tous les âges, s'ils ont jamais rien vu « de semblable. Un ermite veut dire son avis de ce « qu’il y a de plus magnifique et de plus pompeux « en la vie active. Je veux me jeter avec mon simple « sens commun dans les plus grandes affaires de la « chrétienté. Je veux traverser la mer avec une « claie! » Balzac a certainement plus qu'aucun de ses lecteurs la conscience de la stérilité de son sujet, et de l’obliga- tion où il se trouve d’avoir recours à toutes les ressources que peut lui fournir ce talent qui n’a jamais mieux mérité que dans cette occasion d’être défini: L'art d'agrandir les petites choses. Aussi faut-il prendre précisément le contre-pied de toutes les assertions qu’il met hardiment en avant, dans ce passage que je cite comme un remarquable exemple de tout le mal qu’il se donne lorsqu'il a besoin de se mentir à lui- même et de faire illusion à ses lecteurs : « Je ne suis point en peine d’amplifier mon sujet: «Qilest si diffus et si vaste que je n’en saurois tant « employer qu’il n’en demeurera. Jen laisse beau- SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 351 « coup plus que je n’en prends, et je trouve beau- « coup moins de paroles que de choses. Cette ren- « contre me fait voir tout à la fois la stérilité de mon « esprit, la pauvreté de notre langue et la foiblesse « de la rhétorique. C’est une science qui m’a trompé « et de qui j’eusse attendu de plus grands services. « Ses plus vives couleurs sont trop sombres pour re- « présenter une vie si éclatante que celle du Roi. Ses « plus violentes figures ne peuvent suivre que len- « tement et de loin les progrès d’un courage si actif. « Tous les termes sont inférieurs à ses actions; et « partant reconnaissons l’avantage qu'a notre ma- « tière tant sur notre intelligence que sur notre art. « On donne des enrichissements aux autres; mais il « nous les faut prendre de celle-ci, et tâcher seu- « lement de ne pas gâter ce qu’il n’est pas possible « d’embellir » On pourrait détacher de cette œuvre déclama- toire quelques morceaux d’une assez grande étendue et qui gagneraient à être lus séparément: au deuxième chapitre, une éloquente énumération des conséquences de la prise de La Rochelle; au troisième , une pein- ture énergique des misères d’un chef de parti, et qui pourrait être appliquée à bien d’autres qu'au duc de Rohan; tout le septième , dans lequel il oppose la vraie et solide piété à la fausse dévotion, et où il peint à grands traits les funestes effets de la super- stition ignorante et grossière. Il n’est pas moins hardi et moins éloquent dans le IX°, où il stigmatise la dévo- tion intéressée, et cette théologie facile et complaisante à laquelle Pascal fera plus tard une si rude guerre. 352 ÉTUDE » ARISTIPPE est un gentilhomme, catholique de reli- gion, français de naissance et originaire d'Allemagne. En 1618, le landgrave de Hesse, se trouvant à Metz chez le duc d'Épernon, fut subitement atteint d’une accès de goutte. Aristippe fut chargé d’adoucir les douleurs qui retenaient le prince dans son lit, par le charme de sa conversation. Il fit, pendant sept jours de suite, des discours dont Balzac, qui les en- tendit , a reproduit la substance. « J'écrivois, dit-il, « les discours que j’avois ouïs l’après-dinée , et je me « déchargeoïis. sur le papier, d’un fardeau de perles « et de diamants, comme les appeloit le bon monsieur « de Coëffeteau, à qui je les communiquois tous les « matins. » Balzac, pour donner plus de vraisemblance à sa petite histoire, nous apprend que , l’année même où eurent lieu ces conversations d’Aristippe , il put, par un effort de mémoire qui rappelle celui qui nous a procuré l’exorde du prédicateur Bridaine, retenir et écrire un sermon en deux heures. Quel est le sujet principal des entretiens d’Aris- tippe, dont l’éditeur a fait hommage à la reine Chris- tine dans un style digne des dédicaces des poëtes de l'Orient? C’est de faire connaître les qualités dont un ministre dirigeant doit être pourvu. Un magnifique préambule, dans lequel Balzac ex- pose que Dieu seul peut opérer sans instruments comme il agit sans travail , tandis que les hommes ne peuvent vivre ni bien vivre, ni être heureux les uns sans les autres, amène cette conclusion prévue: savoir que tout prince a besoin d’être secondé par un prin- SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC 253 L®4 cipal ministre. Ce premier point établi, Balzac fait remarquer que si un homme était tout seul dans le ciel, et qu’il ne fût pas en son pouvoir d’en faire part à un autre, il s’ennuierait de sa propre félicité. Donc après le besoin de choisir son premier ministre, celui que doit le plus vivement ressentir un prince, c’est de rencontrer un favori. Cette double nécessité admise (et ce ne seront ni M. le cardinal de Richelieu, ni M. de Cinq-Mar: qui en uieront la légitimité }, restent à établir les conditions que devront remplir , les qualités dont devront être pourvus et le prince et les deux associés qu’il se donne. Or, Balzac, entrant réso- lument dans son sujet, cache sous d’adroites flatteries d’excellents conseils et des critiques judicieuses, ren- dues plus piquantes par une foule d’allusions dont il n’est pasdifficile de faire l'application aux événements et aux bommes de son temps, et, qu'avec un peu de malice, nous pourrions, à notre tour, appliquer à plus d’une circonstance de l’histoire contemporaine. « Le prince ne devra pas pousser incontinent dans le conseil ceux qui lui auront été agréables dans la « conversation. Il fera différence entre les personnes « qui plaisent et celles qui sont uliles, entre les « récréations de son esprit et les nécessités de son « état. Il se voit en effet plus d’une fois des idoles, « même en pays de chrétienté. Il y a toujours eu « d’indignes heureux. Ce sont là les caprices de la « Fortune. » Balzac signale les maladresses fatales ou les dangereux caprices de ces favoris ignorants, qui courent risque , imprudents Phaétons, de brûler une partie du monde et de laisser geler l’autre; mais il 23 354 ÉTUDE » développe , en traits bien plus intéressants et avec une verve plus piquante, les inconvénients qui résultent du choix d’un mauvais ministre. Il y en a qui pèchent par ignorance; il y en a qui pèchent par trop d’habileté. Il y a les spéculatifs dont les pensées ne passent jamais à l’acte; il y a les aventureux qui ne connaissent rien d’impossible; il y a les timides qui aiment mieux subir le changement que le faire, l’attendre que le prévenir; il y a les ministres affables qui promettent toujours avec la ferme intention de ne jamais tenir ; il y a les ministres farouches dont la rudesse inflexible ne sait jamais se plier à aucune des exigences du monde. Gette énumération fournit à Balzac l’occasion de tracer , avec autant d'éclat que de finesse, des portraits dont il n’est pas difficile de trouver les originaux. N’y a-t-il pas une grande vérité, dans le tableau que fait l’auteur, des perplexités où se trouve engagé l’homme qui, après avoir considéré comme chose facile le gouvernement de son pays, est forcé d'abandonner la sphère des théories pour descendre sur le terrain de la pratique ? « Il faut enfin quitter ces lieux enchantés et sortir « de ces espaces vagues, pour entrer dans le véritable : monde. II faut mettre la mainà l'œuvre, et agir après « avoir médité. C’est alors que les choses prennent « une nouvelle face, et qu’elles ne sont plus ni si « belles, ni si aisées. C’est alors que l’âme est dans « le travail et dans les tranchées de l’enfantement. « Ge n’est plus le marchand au port, qui trafique sur « sa Carte, et se propose des gains sans danger et une SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 355 » navigation sans orage; c’est un faiseur de vœux au « milieu de la tempête, qui se repent d’être parti du « logis, qui jette sa marchandise à la mer, qui « cherche une planche pour sauver sa vie! » N’est-il pas aussi tracé de main de maître ce portrait des ministres ignorants et brouillons , dont toutes les actions sont des contre-temps : « Au lieu de s'arrêter « à ce point de l’occasion, si recherché par les sages « et si nécessaire pour la perfection des affaires, ils « vont toujours devant ou après; ou ils le passent , ou « ils n’y arrivent pas. Aujourd’hui ils déclarent la « guerre par colère ; demain ils demandent la paix « par lâcheté; ils flattent les ennemis naturels de la « patrie, et offensent les anciens alliés de la couronne. « En Espagne , ils voudroient donner la liberté de con- « science ; en France, ils voudroient introduire l’in- « quisition. La frontière est nue et désarmée; ils « fortifient le cœur de l’État; il leur prend envie de « raser la citadelle d'Amiens et d’en bâtir une à Or- « léans. » Je ne puis résister encore au plaisir de citer deux passages, qui nous introduisent dans un monde trop bien connu de ceux que leur mauvaise fortune a pu condamner à se morfondre, tristes solliciteurs, dans les antichambres des hauts fonctionnaires, préposés à la distribution des favenrs royales. Les uns promettent toujours. « Ils s’entretiennent avec « tout le monde par des réponses générales, et n’obli- « gent pas précisément. On ne part jamais mal satisfait « d’auprès d'eux. Ils ne bravent ni ne rebutent jamais « personne; ils ne donnent que de belles paroles et de # 356 ÉTUDE « « = bonnes espérances à celui qui leur demande justice. Ils font des civilités et descompliments; ils présentent des roses et des violettes à qui a besoin de pain. Après vous avoir tenu un an en langueur, vous pro- mettant de jour à autre de vous donner contentement, à la fin quand vous les pressez de la conclusion, ils vous prient de leur dire ce que c’est; et vous font voir que, toutes les fois que vous leur avez parlé, ils n’ont pas eu dessein de vous écouter. » D’autres ne font jamais meilleur visage, qu’à ceux qu’ils se proposent de frapper dans l'ombre. « € « = u « Il me souvient d’un des principaux ministres de la première cour de la chrétienté, qui étoit passé- maître en cette science. De si loin qu’il voyoit un homme à qui il venoit de rendre un mauvais office, il lui crioit à haute voix : L’ho servita, signor; et avec ces maximes de piperie, il a gouverné fort long-temps le monde. Il est parvenu à une extrême vieillesse,en ne refusant, en n’accordant rien; enne disant ni oui ni non; en recevant les deux partis avec la même sérénité de visage. Qu'il meure donc, quand il lui plaira, ce Romain si peu digne de la vieille Rome, si éloigné de la candeur et de la sincérité de Vancien Fabrice! On pourrait mettre sur son tombeau, avec vérité, qu’il a menti 70 ans, et que c’est la comédie qu'il a jouée toute sa vie. » Tout l'ouvrage est rempli de traits d’une semblable énergie. Maintenant si nous voulons savoir quelles sont au fond les doctrines politiques autour desquelles viennent se grouper toutes les considérations et tous les déve- SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 357 loppements dont se compose l'ouvrage, elles se réduiront à ceci : c’est que l’autorité des princes, re- posant tout entière sur le droit divin, exige de la part des peuples une soumission absolue. Secondés par de grands ministres, ils ne relèvent que de Dieu, et les peuples qu’ils gouvernent ne doivent avoir d’autre souci que d’adresser à Dieu, comme le fait Balzac, de ferventes prières « pour qu’il accorde aux souverains cet esprit de commandement et de conduite qui leur est nécessaire pour gouverner , et qu’il leur donne assez d'intelligence pour se bien conseiller eux-mêmes ou pour bien choisir leurs conseillers. » Cette entière soumission à l’autorité du prince, que rend plus profond le souvenir encore récent des dis- cordes civiles et des agitations produites par les dernières convulsions de la féodalité expirante, résume donc la politique de Balzac, comme son humble obéissance aux décisions de l'Eglise, en tout ce qui touche la foi, résume ses opinions religieuses. Ce n’est pas dans les époques qui voient un pouvoir fort et tutélaire faire succéder le calme à la tempête, et les douceurs de la paix à la turbulence des luttes de partis, que l’on ressent le plus vivement l'amour de la liberté et le besoin de l’indépendance. Nous ne trouvons dans les nombreux ouvrages de Balzac aucune trace de cette hardiesse philosophique et de cette in- dépendance raisonneuse , qui caractérisent la plupart des écrivains du XVI: siècle, et dont le retour ne deviendra possible que dans le siècle qui suivra le sien. Mais ils nous présenteront du moins des considérations morales de l’ordre le plus élevé, où se manifestent, de 358 ÉTUDE » la manière la plus éclatante, un profond respect pour la justice et un amour sincère de l’humanité. La piété de Balzac est vive et profonde ; elle est en même temps élevée et intelligente. S'il consi- dère comme un besoin autant que comme un devoir cette humilité chrétienne qui impose énergiquement silence au doute, exclut toute discussion et condamne toute interprétation arbitraire, il déploie dans ses dissertations théologiques une sagesse, une raison, ure mesure qui n’ont certainement pas été assez re- marquées. Le Socrate chrétien porte en germe les deux chefs- d'œuvre de Bossuet : l'Histoire universelle et V'Hrstoire des Variations. Ge n’est pas une petite gloire, Ici, Balzac est plus à son aise. Il s’agit de ces grands et univer- sels principes auxquels peuvent s’élever la méditation et le travail intérieur de la pensée. Il n’est plus question de cette science politique, dont les matériaux doivent être puisés dans l’étude des faits et dans la pratique des hommes. S’it est difficile à un solitaire de deviner les innombrables éléments qui entrent dans les conceptions d’un Richelieu ou d’un Mazarin, il lui est plus aisé de remonter par le raisonnement ou par le cœur jusqu'aux sources de la morale, jusqu'aux inspirations du sentiment religieux ; les grands mystères du christianisme soutiennent naturellement la pensée de lécrivain, et se prêtent merveilleusement à la pompe et à la majesté de son langage. Combien de fois ne se prend-on pas à regretter, en parcourant les pages éloquentes de ce beau livre, que Balzac ait été si souvent obligé de suppléer ailleurs par l’'emphase de SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 359 ses discours à la stérilité de son sujet, et de dissimuler le vide de la pensée sous l'ampleur de la période ! L’éloquence de la chaire,qui occupe dans la littérature du grand siècle une si brillante place, a-t-elle parlé plus dignement du Dieu fait homme ? « Ne soyons pas honteux de notre culte : nous « adorons un enfant; mais cet enfant est plus ancien « que le temps. Il se trouva à la naissance des choses, « il eut part à la structure de l’univers. Cet enfant fit « taire les oracles avant qu’il commencât à parler; il « ferma la bouche aux démons, étant encore entre les « bras de sa mère ; son berceau a été fatal aux temples « et aux autels, a ébranlé les fondements de l’idolâtrie, « a renversé le trône du prince du monde. Cet homme « promis à la nature, demandé par les prophètes, « attendu des nations, cet homme enfin descendu du « ciel, a chassé, a exterminé les dieux de la terre. » La lecture des Pères de l’Église a-t-elle inspiré aux apologistes de la religion chrétienne des considé- rations plus éloquentes que les suivantes sur le miracle de son établissement ? « Il ne paroît rien ici de l’homme, rien qui porte sa « marque, et qui soit de sa façon. Je ne vois rien qui « ne me semble plus que naturel, dans la naissance et « dans le progrès de cette doctrine. Les ignorants l’ont « persuadée aux philosophes. De pauvres pêcheurs ont « été érigés en docteurs des rois et des nations, en « professeurs de la science du ciel. Ils ont pris dans « leurs filets les orateurs et les poëtes, les juriscon- « sultes et les mathématiciens. « Cette république naissante s’est multipliée par la 360 ÉTUDE chasteté et par la mort ; bien que ce soient deux choses stériles et contraires au dessein de multiplier. Ge peuple choisi s’est accru par les pertes et par les défaites; il a combattu, il a vaincu étant désarmé. Le monde eu apparence avoit ruiné l'Église ; mais elle l’a accablé sous ses ruines. La force des tyrans s’est rendue au courage des condamnés. La patience de nos pères a lassé toutes les mains. toutes les inventions de la cruauté. » Est-ce Bossuet, est-ce Pascal qui ont caractérisé, avec une majesté si noble et si fière dans leur éloquente familiarité, le néant des projets de l’homme et l’action irrésistible de la Providence dans le gouvernement du monde et les révolutions des empires? « Iln’y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent lés états. Ces dispositions et ces humeurs, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude, viennent de plus haut qu’on ne s'imagine. Dieu est le poëte, et les hommes ne sont que les acteurs : ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c’est souvent un faquin qui doit en être l’Atrée ou l’Agamemnon. Quand la Providence a quelque dessein , il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyers elle se serve. Entre ses mains tout est foudre, tout est tempête , tout est Céluge, toutest Alexandre, tout est César: elle peut faire par un enfant, par un pain, par un eunuque, ce qu’elle fait par les géants et par.les héros, par les hommes extraor- dipaires. « Dieu dit lui-même de ces gens-là qu’il les envoie u SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC, 361 «en sa colère, et qu’ils sont les verges de sa fureur. « Mais ne prenez pas ici l’un pour l’autre. Les verges « nepiquent, ni ne mordent d’elles-mêmes; nefrappent, « ni ne blessent toutes seules. C’est l'envoi, c’est la « colère, c’est la fureur qui rendent les verges ter- « ribles et redoutables. Gette main invisible, ce bras « qui ne paroît pas, donnent les coups que le monde « sent. Il y à bien je ne sais quelle hardiesse qui « menace de la part de l’homme, mais la force qui « accable est toute de Dieu. » Puisée aux sources vivifiantes de cette foi sublime, la morale de Balzac ne peut être que noble et pure. Elle est répandue dans ses écrits en traits brillants et ingénieux, dont la réunion formerait un volume; et la lecture en serait certainement aussi utile qu’at- trayante. Nous aurions ainsi un recueil de maximes qui, au mérite de la justesse , uniraient celui de l’expres- sion la plus propre à les graver dans la mémoire. Nous ne craignons pas de soutenir que Balzac eût enlevé à Larochefoucauld la gloire d’avoir, selon l'expression de Voltaire , le premier , en Europe, depuis la renais- sance des lettres, renfermé ses pensées dans un tour vif, précis et délicat, s’il eût eu l’idée de resserrer en un petit nombre de pages, et de produire, sous la forme d’aphorismes , les résultats de ses réflexions sur la société et de ses études du cœur humain. Plus in- téressant et plus varié que l’auteur des Maximes, qui a cru trouver dans le vil égoïsme de quelques-uns de ses amis de la Fronde le traitessentiel et caractéristique de la nature humaine ; plus orné et plus brillant que Vauvenargues, s’il n’eût égalé ni l’énergique pro- 362 ÉTUDE fondeur de Pascal, ni l'ingénieuse subtilité de La Bru- yère, il aurait peut-être ajouté un chef-d'œuvre au petit nombre des livres classiques , destinés à faire toujours partie de la bibliothèque de tout homme de goût. Vous en jugerez, Messieurs, par l’essai dont je crois devoir faire suivre les considérations que je viens d’avoir l'honneur de vous soumettre. — Le peuple n’appelle bienfaits que ceux qu’il manie et qui tombent sous les sens. Il ne les mesure que par les succès qui sont en la puissance de la fortune. Les penseurs remontent plus haut : ils vont prendre les grâces dans l'intention, comme des actes purs et séparés de la matière, et ne remettent pas leur gra- titude à l'événement, parce qu’ils la remettroient au hasard. —— Il y a une force supérieure contre laquelle nous sommes trop faibles, et des maux inévitables que nous rencontrons en les fuyant. — Il y a certaines choses à qui le temps ne fait pas de mal; et ce qui doit être éternel est toujours nou- veau. — Le temps est le larron de ses propres biens : il ôte tout ce qu’il donne; il gâte les choses après les avoir müries. — Il n'y a point de faute plus dangereuse que quand on se sert de la raison même pour faillir. — Quoi qu’on dise, il est certain que la constance des bommes n’est qu’un jeu et une leçon : c’est une constance de comédie et de livre, qui se présente et qui se lit, mais qui n’a rien de vrai ni de naturel. — La douleur mène tous les jours en triomphe la SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 363 philosophie : les philosophes sont eux-mêmes des exemples mémorables de l’inutilité de leurs paroles. — La fortune et la puissance, la grandeur et la science se trouvent également impuissantes contre la mort. — C'est un sujet de consolation pour notre pauvre hamanité de voir qu’il y a eu de l’homme dans les héros. — On a aimé l'honneur lorsqu'on aimoit les choses honnêtes. — C'est une des propriétés de la science, d’enfler ceux qu’elle remplit. — Le sage est un magistrat perpétuel : le sage ne sauroit être jamais personne privée. — La bonté d'une chose doit lui être essentielle et résider en elle-même. Un homme vaillant ne devient pas poltron quand on le désarme. — On s’est imaginé autrefois que c’étoient les in- térêts des maîtres qui mettoient en feu toute la terre; et c’étoient les passions des valets. — Si les rois avoient assez de prudence, ils n’auroient que faire de la justice. — Nous voyons avec effroi le dégât et les ruines de plusieurs visages, par où la maladie a passé, el nous pe saurions voir ailleurs de plus déplorables marques de l’inconstance des choses humaines. — Il n’y a personne qui soit tenu d’être habile ; mais il n’y en a pas qui ne soit obligé d’être bon. — Il y a une force retenue et dissimulée : la vertu est quelquefois en repos; la grandeur est quelquefois à l’étroit; la pompe n’accompagne pas toujours la puis- sance. 364 ÉTUDE — La providence de Dieu se joue des pensées des hommes ; et les événements sont bien éloignés des intentions, quand la terre a un dessein et le ciel un autre, — Plus nous sommes vides de nous-mêmes, plus nous avons de dispositions à être remplis de Dieu. — Estimons la vertu pour l’amour d’elle-même , et la gloire pour l’amour de la vertu. — Il n’y a que la première mort, non plus que la première nuit, qui ait mérité de l’étonnement et de la tristesse. — Les bons princes protestent eux-mêmes qu'ils sont à autrui, et qu'ils se doivent à la république. — Ceux qui ne se donnent pas de peine à faire leurs livres, en donnent souvent à ceux qui les lisent. — C’esttrop peu estimer le public que de ne pas prendre la peine de se préparer , quand on traite avec lui. — Par le moyen de l’histoire toute la sagesse d’au- trui est nôtre : les sages n’ont vécu que pour nous. Les Perses , les Grecs et les Romains n’ont fait de grandes actions que pour nous laisser de grands exemples. — C’est la bienséance qui place les choses , et qui donne rang au bien même, qui peut être mis en mauvais lieu. — L'art se cache en certaines occasions sous l’ap- parence de son contraire. Il imite le désordre et l'aventure. Il contrefait les choses soudaines et for- tuites , et c’est alors que véritablement il est art. — La solitude est certainement une belle chose; SUR JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC. 365 mais il y a plaisir d’avoir quelqu'un à qui l’on puisse dire de temps en temps que c’est une belle chose. Ces extraits, joints aux nombreux fragments que j'ai empruntés aux divers ouvrages de Balzac, peuvent faire apprécier et la nature de son génie et l’impor- tance de son œuvre. L'harmonie, la proportion , l'élégance continue , la richesse , le choix et la jus- tesse Ges expressions , sont devenus, grâce à lui, autant de conquêtes et d’acquisitions durables pour cette belle langue française, appelée à produire tant d'excellents chefs-d’œuvre. L’instrument est trouvé. Des génies plus étendus, plus profonds, plus gracieux, ou plus énergiques, vont maintenant l’appliquer à des œuvres qui, mieux que celles de Balzac, se con- serveront dans la mémoire des hommes. Mais Balzac leur aura épargné ce magnifique travail préparatoire, sans lequel tout perfectionnement ultérieur eût été impossible. Aussi le souvenir auquel se rattache plus particulièrement aujourd’hui son nom est-il celui du prix de l’éloquence qu’il a fondé à l’Académie fran- çaise , mettant ainsi sous la sauve-garde de l'illustre Compagnie la conservation de ces belles formes de style , dont ses ouvrages nous ont fourni plus d’un brillant modèle, et dont nous ne craignons pas de recommander l’étude à ceux qui n’ignorent pas com- bien l’art de bien dire communique de puissance au sentiment et de relief à la pensée. VENISE ET FLORENCE EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES ; Par HI. Jules CAUVET, Membre titulaire de l’Académie, Quand on contemple cette foule de tableaux mer- veilleux que l'Italie vit naître, au commencement de l'ère moderne, il est facile de remarquer la différence profonde qui sépare chacune des grandes écoles qui brillèrent successivement sur cette terre favorisée des arts. Quels contrastes, notamment, dans les produc- tions des peintres vénitiens, et celles des artistes de Florence! Ce qui caractérise les premiers, c’est la richesse du coloris, la fougue de la composition , la sève éclatante et grandiose. Chez les seconds, on ad- mire surtout l'inspiration intime, l'idéal élevé, la sobriété des moyens employés pour produire des effets puissants. On dirait que Titien, Tintoret, Giorgione, Paul Veronèse ont emprunté au ciel chaud de l'Orient la spiendeur qui illumine leurs conceptions. Dans les œuvres des peintres de Florence, d’Angélico de Fie- sole. de Masaccio, de Ghirlandaio, d'André del Sarto, de Fra Bartholomeo, du grand Michel-Ange, VENISE ET FLORENCE. 567 enfin, on aperçoit, ce semble, l'influence d’une nature plus sévère. Au milieu des larges horizons du pays de Virgile, on croit sentir le souflle du vent du Nord, que l’Apennin à transmis jusqu'aux bords de l’Arno; on croit retrouver la beauté chaste et chrétienne de nos cathédrales gothiques, après avoir quitté les dômes de Constantinople et les propylées d'Athènes. Des voix plus autorisées que la mienne pourraient, sans doute, signaler bien d’autres causes qui explique- raient les nuances délicates, et pourtant certaines , qui viennent distinguer ces deux écoles de peinture. Mais il en est une , plus aisée à reproduire que les autres, sur laquelle j’appellerai votre attention. Cette source d’inspirations différentes est celle qui a dû, naturel- lement, résulter de la diversité des lieux dans lesquels les peintres de Venise et de Florence ont vécu. Oui, je n’en doute pas; l'aspect extérieur de ces deux nobles cités, Venise et Florence, a influé puisamment sur la direction du génie des ariistes produits par elles ; il a contribué à imprimer à leurs œuvres le cachet distincuif qui leur appartient. J’essaierai de reproduire à vos yeux quelques traits de ces aspects si divers, mais toujourségalement pleins d'intérêt et de grandeur, Heureux si votre indulgente bienveillance consent , pour un instant, à suivre mes pas sur ce sol sacré de l'Italie, terre poétique entre toutes les autres, qu'il m’a été donné de fouler durant quelques jours qui comptent parmi les meilleurs de ma vie! Lorsqu'on entre dans Venise , en venant de la terre ferme, le spectacle de cette cité fameuse ne frappe pas très-fortement, dès les premiers pas qu’on fait dans 268 VENISE ET FLORENCE son enceinte. Les anciens Vénitiens, en bâtissant leur ville, avaient réservé les colonnades de marbre, les églises splendides, les campaniles légers , pour le côté de la pleine mer , par où leur arrivaient les galères sans nombre, les convois multipliés des richesses orien- tales. Mais, au retour d’une promenade à l’une de ces îles qui séparent Venise de l’Adriatique , la vue dont on jouit, en approchant du rivage , a quelque chose de féerique, alors surtout que le soleil, à son déclin, teint les objets d’une vapeur diaphane et rosée , inconnue dans nos climats voisins du Nord. En apercevant surgir du sein des ondes la foule des clo- chers, des églises, des palais, que précède le palais des Doges dont les ogives orientales se mirent dans les flots , on songe, involontairement, à quelques passages des prophètes. C’est ainsi, ce semble , qu’ils ont conçu la Jérusalem céleste, parée comme une fiancée pour son époux, et revêtue par le Très-Haut d’une beauté toute divine. La Piazzetta , où l’on aborde , est une sorte de rue, plus large que longue, et qui forme la prolongement de la fameuse place St.-Marc. A son extrémité, près de l’espèce de petit port où stationnent les gondoles , flottait, autrefois , le pavillon de la République véni- tienne , arboré sur de grands mâts, aux couleurs écla- tantes , encore subsistants de nos jours. Ici, l’on se trouve au milieu des merveilles de Venise, que les tableaux de Canaletti et de ses imitateurs ont repro- duites tant de fois. On peut contempler , en même temps, les deux façades du palais des Doges, bâti à l'angle de la Piazzetta et du quai des Esclavons. EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES, 369 L'intérieur de ce palais célèbre répond entièrement à l'aspect pittoresque qui le distingue au-dehors. L’on trouve , d’abord , une vaste cour carrée , au fond de laquelle se développe majestueusement l'escalier des Géants. C’est une large montée extérieure en marbre blanc, un peu lourde peut-être , qui a fourni, parmi nous, le modèle du grand escalier de Fontainebleau, et dont le nom est venu de deux statues colossales placées sur son sommet. Un grand souvenir de l’histoire de Venise s'attache , on le sait, à l'escalier des Géants. Il servit d’échafaud, au XIV°. siècle, pour le supplice du doge Marino Faliero , dont les vers de Byron et de Casimir Delavigne ont immortalisé, dans ces der- niers temps, l’injure et le malheur. C’est par l'escalier des Géants qu’on accède aux appartements, où siégeait autrefois le gouvernement de Venise. Restaurées avec le plus grand soin, ces vastes salles brillent d’une splendeur éclatante. Les maîtres actuels de Venise ayant eu l'esprit de con- venance de n’affecter cette portion du palais à aucun service public, nulle impression du présent ne vient altérer celle que produit, avec une force extrême , la mémoire du passé. Voici la pièce de médiocre étendue, où se réunissait le Conseil des Dix, et la bouche de marbre toujours ouverte aux dénonciations sollicitées par une inquisition soupçonneuse. Tout à côté, se trouvent les salles des délibérations du Sénat. La principale d’entre elles a conservé ses siéges et ses fauteuils , tels qu’ils étaient disposés aux derniers mo- ments de la République, quand l'aristocratie véni- tienne n’avait pas encore perdu sa puissance. liée in- timement , hélas, à l'indépendance nationale. 24 370 . VENISE ET FLORENCE Partout , sur les murailles de ce palais, Titien, Tintoret, Paul Veronèse, et plusieurs autres, ont em- ployé leurs plus riches couleurs, leurs plus suaves pinceaux, pour retracer, à l’envi, la gloire de la patrie vénitienne. De tous côtés, apparaissent les ex- ploits de ses grands hommes de mer. Catherine Cor- naro , cette fille de Venise devenue reine de Chypre, recoit , dans St.-Marc , des mains du Doge, la cou- ronne dont s’enorgueillissent ses concitoyens. Plus tard, veuve et maîtresse de cette grande île par le testament de son époux , on la voit revenir dans sa patrie. Parée de tous les insignes de la royauté , elle descend, en grande pompe, de la galère qui l’a ap- portée , et donne solennellement ses états à la Ré- publique, sa mère. Des inscriptions patriotiques, scru- puleusement maintenues, où se lisent les grands noms des Mocenigo, des Contarini, des Barbarigo, des Mo- rosini, ajoutent encore aux sensations d'émotion mé- lancolique, dont il est impossible de se défendre , en présence de tant de grandeurs actuellement évanouies. Du palais des Doges on passe naturellement à l’église St.-Marc, qui en est, en quelque sorte, une dépendance. L'intérêt redouble alors. Pour celui-là, surtout , qui n’a pas vu les dômes abaissés , les ogives trapues des mosquées du Caire et de Damas, le grand portail de St.-Marc, construit sur leur modèle, au commencement du XII°. siècle , possède une origi- palité tout-à-fait saisissante. Que l’on ajoute à cette architecture à part, les mosaïques étincelantes partout prodiguées sur le marbre des murailles; le lion ailé de St.-Marc , souvenir de gloire et de liberté, visible EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 371 de tous côtés ; ces chevaux de bronze venus de Co- rinthe , surmontant la porte principale, et que la vic- toire un instant apporta parmi nous; les flots bleus de l’Adriatique, enfin , qui bornent et reposent les regards ; et l’on se rendra compte aisément de l'attrait extrême qu'éprouve le voyageur intelligent Pour un emplacement consacré par tant de grandes choses. En face l’église St.-Marc, s’étend la place du même nom , vaste carré long que bordent des palais uni- formes, assez semblables aux arcades célèbres du Palais-Royal de Paris. Une foule bruyante , sans cesse renouvelée, couvre constamment cette place, rendez- vous général des habitants de Venise. A l’une de ses extrémités, on aperçoit, non sans étonnement , un campanille très-haut, d’une forme assez étrange, s’éle- vant isolément , sans aucunes constructions qui l’en- tourent. Comme les beffrois des villes communales du nord de la France , ce clocher , à ce qu’il paraît, était, pour les Vénitiens des anciens temps, un symbole révéré de souveraineté nationale , alors que le peuple, encore indépendant de la noblesse, se réunissait fréquemment sur la place St-Marc. Quant à l’intérieur de l’église , comment rendre sa physionomie tout orientale, entièrement différente de celle des autres temples chrétiens de la France et de l'Italie ? C’est une suite de coupoles peu élevées, d’ar- ceaux bizarrement découpés. De quelque côté qu’il se tourne , l'œil est ébloui par la richesse des mosaïques , par l'éclat des marbres précieux aux vives couleurs , incrustés dans le marbre blanc doré par les années, 372 VENISE ET FLORENCE qui fait le fonds de l'édifice. L'église est bâtie en forme de croix; mais les bras de celle-ci, beaucoup plus évasés qu’ils ne le sont parmi les Latins, attestent une construction empruntée au style d'architecture particulier à l’église grecque. Après ce coup-d’œil rapide, jeté à la hâte sur le spec- tacle merveilleux que présente Venise dans sa partie la plus poétique et la plus célèbre , je craindrais d’abuser de vos moments, si, parcourant la Lagune, j'essayais de décrire, même en courant, les autres curiosités qu’elle renferme. Les canaux sans nombre de Venise , avec leurs ponts aux arcades hardies , ses palais de marbre aux ogives mauresques, ses églises magnifiques , ses musées , ses tombeaux , enfin les îles charmantes qui l’entourent du côté de la pleine-mer, comme des sentinelles avancées qui veillent autour d’un camp; tout cela forme un ensemble ravissant , dont le voyageur a peine à se détacher , quand l’heure du départ a sonné pour lui. Mais , hélas ! embarqués sur le fleuve de la vie, chacun de nous le descend sans retour; c’est en vain qu’il voudrait s’arrêter sur des rivages gracieux, dont les ombrages et la verdure ont, en passant, charmé son cœur ! Je w’estimerais heureux, si, par cette esquisse lé- gère, j'avais pu rendre sensible aux yeux de tous, comme, moi-même , je le vois par la pensée, quelle harmonie intime existe entre le caractère distinctif des peintres vénitiens , et cette beauté romantique et moelleuse de la ville où s’écoula leur existence. L'examen attentif de leurs œuvres prouve aussi com- bien fut féconde et salutaire l'influence du christia- nisme sur la peinture moderne. EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 373 Les peintres de Venise excellent , on le sait, dans la reproduction des grandes lignes de Parchitecture; et ces détails pompeux, ils les introduisent habituelle- ment dans les scènes du Nouveau-Testament, si sim- ples, si ingénues, dans loriginal divin qu’ils sont ap- pelés à traduire. A ces bâtisses magnifiques, ils ajoutent en outre les costumes éclatants et tout l'appareil du luxe oriental des riches Vénitiens de leur temps. A bien des égards , assurément, cette irruption du atu- ralisme , de la pensée profane dans l’art chrétien, peut être considérée comme une décadence. Que sont de- venues en effet, sous leurs pinceaux, les suaves et naïves attitudes , les aspirations mystiques des peintres primi- tifs qui relèvent plus directement de l'inspiration évangélique ? Et pourtant, qui consentirait à retran- cher du nombre des productions artistiques qu’a dictées le christianisme les Noces de Cana de Veronèse, de notre grand salon du Louvre; la Présentation et l’As- somption de Titien, qui figurent au musée de Venise ? Les récits de l'Évangile, sous leur touche puissante , n'apparaissent aucunement travestis, comme ils le sont malheureusement dans quelques tableaux de nos jours. Ils ont revêtu plutôt une pompe nouvelle pour eux, qui, sans nous émouvoir aussi délicieusement peut- être que les compositions plus idéales des autres écoles italiennes , élève pourtant notre pensée et ravit notre intelligence. C’est que les grands peintres de Venise, tout en introduisant, dans l’appareil extérieur de notre religion sainte , le luxe et l’éclat d’une civilisation flo- rissante, ont conservé les traits essentiels et divins qui la distinguent. Semblables aux premiers chrétiens 374 , VENISE ET FLORENCE que l’on voyait parfois transformer en églises les temples des faux dieux , ils pillent, en quelque sorte, les tré- sors du monde de la matière , pour les transporter dans celui des idées. Si de là nous passons à Florence, un autre spectacle va s’offrir à nos yeux. Le nom de cette ville fameuse , tiré des lis sauvages qui croissent , assure-{t-on, en foule dans la vallée de l’Arno, où elle se trouve bâtie, rappelle , à lui seul, les enchantements de la nature et les merveilles des arts. Assurément un séjour de quel- que temps dans ses murailles atteste combien est mé- rité ce nom de grâce et de beauté. Ses environs mon- tueux , ses jardins publics, ses églises, ses musées, ses palais, tout , jusqu’à ces masses de fleurs qu’elle étale partout dans les rues, sur les pas des passants, laissent à ceux qui l’ont visitée un souvenir charmant. La première impression qu’elle produit cependant est celle de la surprise, je dirai presque du désenchante- ment. Plus qu'ailleurs en Italie, le moyen-âge a laissé sur cette ville son empreinte austère et sombre. On sait les longues guerres intestines qui, dans Florence ré- publicaine, mirent si souvent ses citoyens en armes les uns contre les autres. Quand les blancs et les noirs , les Guelphes et les Gibelins, faisaient retentir de leurs cris de guerre ses rues tendues «le chaines, la demeure de chaque famille puissante était devenue une forteresse véritable, capable de soutenir un siége, Plusieurs des palais de Florence les plus remarquables datent de cette époque de liberté tumultueuse , que vint remplacer la domination des Médicis , d'abord EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 379 simples négociants. Tels sont, notamment , le palais Strozzi et celui du Podestat. Le premier, construit en pierres énormes taillées en bosse, et percé de fenêtres étroites, semble avoir été destiné à braver les échelles et les machines d’un assaut; le second , plus féodal encore, renferme , dans sa cour intérieure, une en- ceinte crénelée, dans laquelle ses habitants pouvaient se réfugier, après une première défaite ou une sur- prise imprévue. C’est au moyen-âge, aussi, qu'appartient le palais de la seigneurie florentine , appelé , aujourd’hui, Palazzo Vecchio, et construit, à la fin du XII, siècle, sur l'emplacement de la maison d’un proscrit détruite par la colère populaire. Rien de plus pittoresque que l'aspect de cette antique bâtisse , avec ses créneaux élevés et son campanille bizarre, que je comparerais, volontiers, au clocher de St.-Nicolas de Caen. Sur les murailles du vieux palais, se voit, partout, la fleur de lis unique et colossale, emblême de la ville de Florence. Get ancien insigne de la République abolie éclipse ici les sept balles de marchandises formant l’écusson des Médicis , en souvenir de leur profession première , et passées, avec leurs états, aux princes autrichiens leurs successeurs. Les grands-ducs de Toscane habitent, depuis long- temps, le palais Pitti, situé dans un faubourg, sur la rive gauche de l’Arno, loin du quartier qui fut au- trefois le théâtre orageux de la liberté florentine. Élevée par ua citoyen opulent, rival des Médicis , dans une époque relativement moderne , cette somptueuse demeure à conservé , elle aussi, dans son architec- 376 VENISE ET FLORENCE ture , quelque chose de la rudesse des constructions antérieures. Ses murailles à bossages , formées de larges pierres volcaniques de couleur noire, jointes à l'absence presque complète d’ornements extérieurs , rappellent encore à la pensée les guerres civiles et le besoin de la défense. Derrière le palais Pitti, s’étend un vaste jardin qui forme l’une des promenades les plus agréables qui se puissent rencontrer. Grâce à des accidents multipliés de terrain , ce jardin, bien qu’orné avec richesse , n’a pas la monotonie de nos parcs royaux , peuplés de statues mythologiques, dans leurs allées d’une symétrie inflexible. Du milieu des chênes verts et des lauriers au feuillage brillant, on aperçoit , à ses pieds, Florence presqu’entière se déployant sur les deux rives de l’Arno , tandis qu’au-dessus de la ville s’éta- gent les découpures hardies des montagnes de Fiésole. Un soir, je me le rappelle, au moment où je con- templais cette vue, un effet de lumière, fréquent dans les climats chauds , en augmentait le charme. Le ciel était rempli de vapeurs rosées qui tempéraient, sans l’obscurcir , l’éclat du soleil encore sur l'horizon, Les dômes et les clochers des églises , les aspérités des collines , les cimes des arbres enfin, apparaissaient revêtus d’un brouillard diaphane , comme d’un vête- ment transparent et lumineux. Les anciens remparts de Florence, conservés jus- qu’à ce jour, se développent en avant de la cité, à travers les aspérités d’un terrain montueux. C’est un coup-d'œil singulier, de voir celte vieille enceinte crénelée grimper et descendre au milieu des collines EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 377 et des vallées. On se rappelle, en la contemplant, ces charmantes miniatures du XV*. siècle, où les villes et les villages même se montrent constamment entou- rés d’une ceinture de tours féodales aux couronne- ments légers. De tous les côtés, du reste, les environs de Florence présentent un carré marqué de grâce et de poésie. Partout, sur les versants de l’Apennin, dont les derniers sommets sont encore visibles , on aperçoit des forêts ombreuses, des villas élégantes, des couvents pittoresques. Souvent, le clocher d’une église apparaît au milieu d’une plantation de cyprès, dont les tiges élancées et le feuillage sombre tran- chent vivement sur l’azur du ciel. Les vignes, selon la coutume antique consacrée par Virgile, marient leurs sarments aux branches des ormeaux, et, dans la sai- son des vendanges, le voyageur s’arrête pour contem- pler les longues grappes veloutées quispendent au-des- sus de sa tête, et qui forment d’un arbre à l’autre des guirlandes délicieuses. Cet aspect extérieur, à la fois sévère et gracieux, que présentent alternativement Florence et sa banlieue, se retrouve dans les tableaux si multipliés des peintres florentins. Chez eux, ce qui saisit vivement et ravit la pensée, ce n’est pas, le plus souvent, la fougue et la puissance de la composition, ou bien encore la magie d'un coloris éclatant. Leur style est plus simple que celui des Vénitiens , leurs inventions moins compli- quées. Mais ils s’attachent plus fortement à parler à l’âme, à l’aide de la représentation plastique, et la poésie de leurs œuvres, pour être moins apparente, n’en est que plus saisissante et plus intime. 378 VENISE ET FLORENCE Cette différence dans la manière de concevoir le but de leur art, entre les peintres de Venise et ceux de Florence, a déterminé fréquemment le choix res- pectif de leurs sujets. Les premiers affectionnent sur- tout les scènes dramatiques tirées de nos livres saints. Ils se sentent à l’aise dans l'expression de la vie extérieure, qui leur donne carrière pour retracer cet appareil de luxe et de fête qu’ils aiment tant à re- produire, C’est ainsi que Titien introduira des pages aux splendides vêtements, une table opulente, de riche vaisselle ciselée, dans ce festin si simple des pélerins d'Emmaüs, où le Sauveur, après sa résurrec- tion , se fait connaître à deux disciples, dans la frac- tion du pain. Les peintres de Florence, au contraire, montrèrent toujours une prédilection marquée pour les sujets pu- rement mystiques. Le couronnement de la Sainte Vierge , entourée d’anges qui exécutent un concert céleste; la Madone assise sur un trône, auprès duquel se tiennent debout des saints chers à l'artiste; l’Enfant- Jésus, passant au doigt de sainte Catherine l’anneau des fiancées ; telles sont les idées traditionnelles et naïves, qui, mille fois, ont fourni aux maîtres flo- rentins leursinspirations les plus suaves. Grâce à quel- ques détails accidentels, légers en apparence, ces représentations consacrées, revenant toujours les mêmes, n’en sont pas moins singulièrement diversifiées. Elles offrent un thême, constamment heureux, pour l'expression poétique et profonde de la pensée du peintre, au moyen d'un dessin à la fois inspiré et savant. EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 379 Lorsque les peintres de Florence veulent, en quel- que sorte, hausser leur style, et faire entrer dans leurs tableaux le spectacle du monde sensible, ils s’attachent, de préférence, à reproduire ces montagnes vivement accentuées, cette fraîche et riante nature qui fait le charme de leurs campagnes natales. Il est à remarquer, en effet, qu’ils abordent très-rarement les riches bâtisses d’architecture classique, toujours si goûtées des peintres Vénitiens. Mais bien souvent, dans leurs compositions, derrière les saints et les patriarches groupés sur le devant du tableau dans une attitude mélancolique et pieuse, l’œil contemple, avec ravissement, les lointains vaporeux d’un horizon étendu, des collines doucement arrondies, les eaux limpides et bleuâtres d’un fleuve au cours sinueux. Florence , du reste, on peut l’aflirmer, est, par excellence, la patrie de la peinture italienne. Une année entière suffirait à peine, pour connaître avec une exactitude entière la multitude des fresques et des tableaux, qui remplissent ses musées , qui couvrent les murailles de ses églises et de ses couvents. A côté des œuvres si nombreuses de l’école Florentine proprement dite, elle possède, ea foule , des tableaux magnifiques des écoles rivales ou voisines de la sienne propre. Un grand nombre des artistes italiens fameux , qu’on ne saurait classer dans celle-ci, ont fait à Florence de longs séjours, et laissé dans cette ville d’inimitables chefs-d’œuvre. Tels furent le Pérugin et Raphaël, à moitié florentins , bien qu’ils appartiennent véritable- ment à l’école d’Ombrie. Le dernier composa à Flo- rence quelques-unes de ses plus belles Madones, et , 380 VENISE ET FLORENCE parmi celles-ci, la Vierge si pure et si suave que le musée du Louvre possède, appelée la Belle Jardinitre, dans le langage usuel. Il est facile , on le voit, de se rendre compte de l'attrait souverain que présente Florence, pour ceux qui viennent en Italie, dans le but de faire une étude approfondie et sérieuse de l’art de la peinture. Sous ce point de vue, nous ne craignons pas de le dire, Florence l’emporte sur Rome elle-même. A Rome, en effet, malgré l’incomparable beauté de quelques pages sublimes de l’art moderne, parmi lesquelles les fresques du Vatican occupent le premier rang , les majestueux débris de l’antiquité qu’on y rencontre en foule, font presque oublier tout ce qui ne remonte pas aux Ro- mains d'autrefois. A Florence, au contraire, tout ramène la méditation et l’effort de l'intelligence vers la contemplation enthousiaste de la grandeur des artistes italiens de la fin du moyen-âge. L’aspect extérieur de la cité doit contribuer , nous le pensons, à maintenir les esprits dans cette voie. Il semble qu’à l’ombre des murailles de ses palais, noircies par les ans, l’on va voir apparaître quelques-uns de ces citoyens de Flo- rence, à la longue robe flottante, à la pièce d’étoffe nouée autour de la tête, que les vieux maîtres floren- tins introduisent si souvent dans leurs compositions empruntées à l’histoire sainte. Comme toutes les villes importantes de lItalie, Florence , plusieurs siècles durant, a déployé un pa- triotique orgueil à construire et à décorer des églises maghifiques. On retrouve le plus souvent , dans ces temples, le caractère à la fois mystique et poétique EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 381 que nous signalions tout à l'heure dans les tableaux des peintres florentins. Tel est notamment l'aspect que présente la cathédrale de Florence, Santa Maria del fiore, avec les monuments accessoires qui s’y ratta- chent : le baptistère et le campanille. Le second de ces édifices est une haute tour carrée, entièrement revêtue de marbres aux couleurs éclatantes, et dont Giotto, à la fois architecte et peintre, a donné les dessins. Quant au baptistère , il forme une immense rotonde, du style ogival le plus pur, et dont l’effet général m'a paru des plus saisissants. (C’est au baptistère de Florence que se trouvent ces portes de bronze de Ghiberti, dignes, selon Michel-Ange, de fermer le paradis , tant les bas-reliefs qui les couvrent lui semblaient atteindre le sublime de l’art. Raphaël, lui-même, n’a pas dédaigné plus d’une fois de puiser des ipspirations dans ces bronzes célèbres , dont notre ville possède aujourd’hui une belle copie en plâtre. Pourtant , il faut le dire , les monuments religieux de Florence , quelle que soit leur beauté, n’ont rien que l’on puisse comparer à ceux que l’on rencontre à Pise, cette antique cité, jadis rivale de Florence , et bâtie comme elle sur les bords de l'Arno. Le dôme ou cathédrale de Pise, le Campo santo ou cimetière , la tour penchée, le baptistère enfin, voisins les uns des autres, forment un tout admirable , dont le spec- tacle imposant et grandiose laisse après lui un long souvenir. Mieux qu'aucune autre église, en Italie, et je ne saurais excepter St.-Pierre de Rome lui-même, la cathédrale de Pise m’a semblé traduire éloquemment , 382 VENISE ET FLORENCE au moyen de la pierre et du marbre, le sentiment sublime de l'espérance chrétienne. Dans ce temple, en effet, la double destinée de l'humanité, régénérée par le christianisme, apparaît distinctement , à mes yeux, figurée par un symbolisme puissant. Rien de plus riche, il est vrai, que les colonnes de porphyre et de marbre antiques qui supportent la voûte du dôme , que les caissons d’or qui percent sous les galeries , que les mosaïques et les fresques précieuses qui cou- vrent les murailles. Mais , à côté de ces magnificences, symbole de la béatitude des récompenses célestes , le style grave et sévère de l'architecture romane, la lumière économiquement distribuée par les fenêtres étroites, les pierres de marbre noir qui alternent, à l'intérieur, avec le marbre blanc. rappellent à la pensée le sérieux de Ja vie présente, assombrie , hélas! par tant de dangers et de malheurs. C’est un @es charmes indicibles de la belle Italie, que l’individualité puissante que possède chacune de ses villes, célèbre à quelque titre. La vie communale, si fortement enracinée dans ces cités au moyen-âge , alors qu’elles formaient des républiques municipales à peu près indépendantes, a laissé son empreinte sur tous leurs monuments civils et religieux. Ici encore nous retrouvons, dans l’aspect extérieur de la contrée, comme un souvenir et un emblême de la diversité qui caractérise les écoles différentes , entre lesquelles vien- nent se partager les peintres italiens. Outre celles de Venise et de Florence dont nous avons essayé d’esquisser les principaux traits, combien d’autres écoles , en effet , n’ont-elles pas fleuri , pen- 2 EXPLIQUANT LE GÉNIE DE LEURS PEINTRES. 355 dant trois siècles, sur cette terre favorisée des arts ? Perouse, Rome , Bologne, Milan, Naples, Sienne , Parme, et beaucoup d’autres villes, ont compté, elles aussi, leurs glorieuses phalanges d’artistes qu'unissait un lien commun de traditions et d'idées. Dire quelle fut la fécondité de ces écoles rivales dé- passerait les proportions de notre léger travail. Lorsque l’on parcourt l'Italie , la pensée s'étonne, en quelque sorte, de la multitude des peintures admirables que l’on rencontre sur ses pas; et pourtant, bien certai- nement, des tableaux italiens, en nombre pour le moins égal , se trouvent dispersés, aujourd’hui, sur la surface entière de l’Europe. Quel que fût le génie des peintres de lItalie, durant la belle époque de son histoire, l’ardente sympathie de leurs contemporains nous paraît nécessaire, à l'effet d'expliquer la sève exubérante qui les distingue. I leur fallut rencontrer de toute part, autour d’eux, le sentiment très-vif de la beauté et de la poésie, pour que leur pensée s’élevât, en s’exaltant, et pour qu’ils pussent suffire à la tâche multipliée qu’ils avaient entreprise, SD Me Ame — — BIOGRAPHIE DE M. JEAN SIMON, ANCIEN GÉOMÈTRE EN CHEF DU CADASTRE DANS LE DÉPARTEMENT DU CALVADOS ; Par M. Julien TRAVERS, Secrétaire de l’Académie. Jean Simon, né à Verteuil (Charente), le 29 juin 1779 , est un exemple de ce que peut le travail opi- niâtre sans le puissant secours des fortes études. Ses parents , sans fortune, étaient dans l'impossibilité de l'envoyer au collége; à peine recut-il les premières notions d’un maître élémentaire; mais ce peu lui suffit. La lecture , l'écriture et le calcul furent la base d’un édifice qui grandit plus que la plupart de ceux que de riches familles, dans le même temps, voulurent élever sur de larges assises. Une excessive ardeur pour tous les genres d'instruction explique ce développement d'intelligence et d'aptitude, qui fit appeler le jeune Simon dans la Corse , dès l’an XII, pour des recherches scientifiques, payées par des négociants spéculateurs. Son goût prononcé pour les mathématiques Pattira de bonne heure vers une de leurs applications les plus considérables, le cadastre de la France. Il était employé à lever des plans de masse dans les Deux- DE M. JEAN SIMON. 385 Sèvres, lorsque le préfet de ce département, « vu l’attestation de capacité délivrée par l’ingénieur- vérificateur du cadastre, en date du 5 juin 1808, au sieur Simon, pour une place de géomètre de 4r°, classe; vu le rapport du directeur des contributions en date du 6 dudit mois; vu enfin l’art. 6 de l’in- struction de S. Exc. le Ministre des finances, du 4°, « décembre 1807, relative aux arpentements parcel- laires, » le nomma géomètre de 4". classe pour le cadastre, Cette première nomination est datée de Niort, 10 juin 1808. Quatre ans après, le baron Dupin, préfet des Deux- Sèvres, délivrait à Jean Simon le certificat le plus honorable, en vue de son avancement. Outre qu’il attestait que le jeune géomètre était le plus habile , le plus actif de son département, et le plus digne de la confiance du miuvistre, il le peignait comme un modèle de dévouement filial, comme un fils, comme un frère excellent, qui avait près de lui sa mère et sa sœur, avec lesquelles il partageait toutes ses ressources. Le 13 avril suivant, il était nommé ingénieur-véri- ficateur du cadastre dans le département de l’'Ems- Oriental. Mais les opérations sur le terrain furent bientôt interrompues par les armées étrangères qui fondaient sur notre patrie : il fallut fuir à la hâte, et venir à Paris demander aux Bourbons de l’emploi sur le sol français. Jean Simon fut nommé ingénieur-véri- ficateur du cadastre dans le Morbihan, le 22 octobre 41814, et, le 18 juin 1816, il passa en cette qualité dans le Calvados , où il recut le titre de géomètre en chef, vers 1821. = = a] nm 2 = « 386 BIOGRAPHIE C’est dans le chef-lieu de ce département qu’il à déployé les qualités honorables d’un esprit non moins solide qu’étendu. Infatigable au travail, il était occupé de ses fonctions , et préoccupé des services qu’il pou- vait rendre à ses concitoyens. L’achèvement du ca- dastre et l'ouverture d’une foule de voies de commu- nication importaient au pays. Il sy consacra avant tout; puis de ces objets d'utilité publique il passa à beaucoup d’autres, et finit par prendre un très-vif intérêt et une part très-active à des projets d’amélio- ration, de réforme ou de création, que l’on pouvait croire étrangers aux froids calculs d’un géomètre. Ainsi l’a-t-on vu fréquemment, depuis 1840, prendre la plume dans nos trois journaux, surtout dans l’Intérêt public, pour signaler aux chefs de la cité des mesures désirables, des améliorations d’une haute importance. Tel arrêté municipal qui fait honneur au courage de l'administration, fut long-temps conseillé par lui, et adopté sur ses instances. Nous avons sous les yeux nombre de ses articles, et, en les relisant, il nous est impossible de ne pas rendre hommage à son zèle, à ses lumières , à son désintéressement. Il n’a d’autre guide que le bien général, d’autre but que l’embel- lissement de sa ville d'adoption; et si parfois il se trompe, ou conçoit des plans trop gigantesques (comme le jour où, pour établir à St.-Gilles la gare du chemin de fer, il jetait sur l'Orne au-dessus des prairies de Courtonne un immense viaduc qui eût été la huitième des merveilles du monde), on n’accuse que l'enthousiasme du calculateur honnête homme ; on s'associe du reste à ses désirs, et l’on voudrait, DE M. JEAN SIMON. 387 en y renonçant, lui laisser tout le charme de ses chi- mériques illusions. L'intérêt du moment lui dicta de nombreuses bro- chures dont les suivantes sont entre nos mains : Extrait d’un vaste projet ayant pour titre : Considéra- tions sur la division territoriale de la France et sur les améliorations dont elle est susceptible, tant dans l’intérêt des populations, de la justice civile, administrative et religieuse, que dans celui de la conservation de la pro- priêté foncière ; — suivies 1°. d'observations sur le ca- dastre actuel; 2°. d’un projet de cadastre général perpé- tuel et quotidien pour les changements de toute nature, se vérifiant par lui-même , établi sur la plus large base , sans charges nouvelles pour le trésor public, ou plutôt avec une économie considérable. Caen, 1835, in-8°. Du cadastre perpétuel, dans ses rapports avec le régime hypothécaire, et du cadastre général perpétuel, comme puissant moyen de crédit foncier. Caen, 1839, in-8°. Projet de réforme de la taxe des lettres en France et moyen d'améliorer la répartition de cet impôt, de sim- plifier , d'accélérer encore le service des postes , sans rien changer à l’organisation actuelle, sans nuire aux intérêts du trésor. Petit in-folio, autographié (sans date, mais de la fin de 1841). Topographie du Calvados. Vallée de Livarot. Caen. in-8°. (sans date). Détournement de la route départementale n°. 7, par le val de la Folie, la place Blot, etc. Deux brochures: l’une du 21 juillet, l’autre du 22 août 1845, in-8°. Chemin de moyenne vicinalité d’Argences à Évreux, par Bourguébus et St.-André-de-Fontenay, Caen, 1848,in-8°. 388 BIOGRAPHIE Projet de colonisation d'une partie des landes de Gas- cogne et de Bordeaux. Extrait d'un vaste projet ayant pour titre : Considérations sur la division territoriale de la France et sur les améliorations dont elle est suscep- ible, tant dans l’intérêt des populations, de la justice civile, administrative et religieuse , que pour faciliter la conservation des plans cadastraux. Caen, 1852, in-8°. Observations concernant le rapport fait au Conseil municipal de Caen sur l'amélioration de la navigation de l'Orne entre Caen et la mer. 28 février 1853. Caen, in-8°. Nouvelle variante du chemin de fer aux abords de la ville de Caen. 7 février 1854. Caen, in-8°. Réponse à la brochure que M. Pont a publiée sous ce ture : Choix d’un emplacement pour la station des chemins de fer de Caen. 28 mars 1854. Caen, in-8°. Du chemin de fer aux abords de Cuen , de l’emplace- ment de sa station et de son embranchement. 14 juin 1854. Caen, in-8°. — Id. 19 juin 1854. Réponse 1°. à La Pétition présentée a M. le Préfet et à MM. les Membres du Conseil d'arrondissement et du Conseil général, par 421 chefs de famille et propriétaires du faubourg de Vaucelles ; 2. à l’Addition de dix pages faite à cette Pétition , sans la participaion des signa- taires ; 3°, au Mémoire adresse, le 18 mars 1854, au nom de ces 21 signataires, à MM. les Chefs du Parquet et de la Cour vmpériale de Caen, à M. le Préfet du dépariement du Calvados, à MM. les Membres du Con- seil général et du Conseil d'arrondissement, et à M. le Maire et à MM. les Membres du Conseil municipal de la ville de Caen; L°. a quelques Lettres. Caen, 1854, in-4°. DE M. JEAN SIMON. 389 Réponse au Mémoire de M. le colonel comte Borga- relli-d’Ison, membre du Conseil général , et relatif 4°. à la suppression du canton de Bourquébus ; 2°. à la formation des deux nouveaux cantons d’Argences et de Vaucelles. Août 1854. Caen, in-8°. Tels sont les titres des brochures de Jean Simon, qui sont venues à notre connaissance, On voit par ces titres quelles étaient ses préoccupations en dehors des fonctions publiques qu’il remplissait avec un zèle digne de tous nos éloges. Les circonstances ont fait naître ces écrits dont pas un ne doit leur survivre (1). (1) Une exception est à faire pour le Projet de colonisation d’une partie des landes de Gascogne et de Bordeaux. L'auteur y propose la formation d’un département du Leyre, aux dépens de parties incultes de la Gironde et des Landes. Pour former le nouveau département, la Gironde perdrait les terrains compris entre : 4°. l'Océan à l’ouest ; 2°. la Gironde au nord et à l’est, depuis la pointe de Grave jusqu’au-dessus du Bec-d’Ambès, à la limite sud du canton de Castelnaud-de-Médoc; 3°. au midi, cette même limite, depuis la Gironde jusqu’à la chaîne de collines qui circonscrit, à l’ouest, le bassin de la Garonne; 4°. ensuite cette même chaîne, à l’est, jusqu'aux limites du département des Landes; 5°. enfin, encore au midi, le département actuel des Landes. Ce dernier département perdrait en faveur de celui du Leyre, les terrains de toute nature compris entre : 4°. l'Océan à l’ouest ; 2°, le département actuel de la Gironde au nord; 3°. à l’est, la ligne de partage des bassins de la Midouze, du Leyre supérieur et de ses affluents de la rive gauche ; 4°. enfin, au midi, la ligne de partage du bassin de la Palue et de ses affluents de la rive droite, et du bassin du Coutis et de ses affluents de la rive gauche. Ce qui doit distinguer ce plan de tant d’autres, fabriqués avec une inépuisable complaisance par les faiseurs de projets, ce sont les motifs mis en avant pour provoquer cette création, et surtout 390 BIOGRAPHIE Mais l’œuvre capitale de Jean Simon, celle qui lui assure un nom parmi les géomètres et les géographes, c’est son Atlas du département du Calvados. Les 37 cantons y sont gravés sur pierre en 34 cartes, à l'échelle de 1 à 20,000, ou de 4 décimètre pour 3,000 mètres. Les deux cantons de Caen, qui sont dans la même carte, ont été publiés deux fois : la première en 1836, la seconde en 1842. La carte de 1836 était sans doute un essai, un spécimen; on y lit à droite et à gauche des détails de statistique. On conçoit que l’auteur y ait renoncé. La statistique, in- certaine et mobile , semble décréditer à la longue la représentation géographique qu’elle entoure : l’Atlas d’un département cadastré se recommande de lui- même par son exactitude, et celui du Calvados ne laisse rien à désirer sous ce rapport. La seule chose regrettable, c’est qu’il ne soit pas, comme celui de la Manche, gravé sur des cuivres qui permettent de le retoucher et d’en tirer de nouveaux exemplaires dans l'avenir. Les planches de l’Atlas-Bitouzé appartiennent au département de la Manche; les pierres de l’Atlas- Simon , louées provisoirement pour cette œuvre spé- ciale, ont depuis long-temps reçu d’autres gravures, et avant un siècle les cartes du Calvados, usées ou égarées dans les mairies, seront d’une excessive rareté. Il est vrai que, pour la gravure sur cuivre , le Conseil gé- les moyens indiqués pour l’exécuter, Ces moyens pratiques sont d’un homme instruit, habile, réfléchi, et peut-être un jour les vues de notre géomètre seront-elles prises en considération. Toujours est-il qu’elles lui ont acquis l'estime des juges les plus compétents. DE M. JEAN SIMON. 391 néral de la Manche a dépensé des sommes très-con- sidérables. Les cartes cantonales ne sont pas les seules qu’ait faites le laborieux Simon. Sans parler d’une carte du département, lithographiée vers 1840, d’une autre beaucoup meilleure, publiée en 1848, d’une carte de France, d’une foule de cartes spéciales et de plans plus ou moins compliqués, soit pour l'administration, soit pour les particuliers , il a composé, avec un soin extrême, les cartes des six arrondissements et celle de tout le département, comme complément de son Atlas du Calvados. Ces sept cartes sont assurément ce ‘ qu’il a fait de mieux, et il est mort avec le regret de ne les avoir pas mises au jour. Près de mourir cependant, il a espéré qu’elles ne périraient pas; il s’est flatté que des amis pieux re- cueilleraient cet héritage ; que, membre de l’Académie impériale des sciences , arts et belles-lettres de Caen , il pouvait léguer à ses confrères les sept feuilles qui lui coûtèrent tant d’années et qui sont le résumé de tant de travaux. Aussi, quelques jours avant sa mort, il dictait cette clause au notaire qui écrivait son tes- tament : « Je lègue à l’Académie des sciences, arts et belles- lettres de Caen, dont j'ai l'honneur d’être membre, « la propriété des six cartes manuscrites des six ar- « rondissements du Calvados, et la propriété de la carte du département, toutes composées par moi. « Je désire que l’Académie veuille bien faire graver ces cartes sur pierre, dans les quinze mois qui suivront mon décès : à cet effet, et pour contribuer = 392 BIOGRAPHIE « aux frais que cette publication occasionnera, je « lui lègue une somme de cinq cents francs. Cette « somme, ajoutée aux ressources que l’éditeur pourra « se procurer, notamment par la souscription des « communes, auxquelles il serait remis un exemplaire « desdites cartes, devra suflire pour satisfaire à l’in- « tention que j’exprime. » Un mot se trouve dans cette clause, le mot éditeur, qui semble la condition indispensable pour que le legs soit accepté. L’impression des cartes coûterait plusieurs milliers de francs, et l’Académie n’a point , d'argent en caisse. Un corps littéraire, d’ailleurs, n’est ni ne peut se faire marchand. Ce qui n’est pas douteux, c’est que la Compagnie, qu’ont honorée trois tectateurs en quatre ans, accomplira, autant qu’il est en elle, les volontés du troisième, comme elle accomplit celles des deux premiers : nous savons très-pertinemment qu’elle cherche un éditeur pour les sept cartes de M. Simon. Le 27 mars 1856, peu de jours après avoir dicté son testament, il rendait le dernier soupir, et le len- demain nous lui disions adieu dans la tombe, au nom de ses confrères de l’Académie, de la Société d’agri- culture et de l’Association normande. Appelé par l'honorable M. Tiphaine, son exécuteur testamentaire , à reconnaître les cartes léguées, nous avons vu le frère et la sœur de M. Simon, ses seuls héritiers, qui, interprétant largement les intentions du testateur , ont mis à notre disposition pour l’Aca- démie , un exemplaire de l’Atlas du Calvados. Ils nous ont également offert de très-beaux plans qu'avait faits DE M. JEAN SIMON. 393 leur frère, en 1825 et 1826, comme études d’un canal de dérivation qu’une compagnie d’actionnaires, en tête desquels était M. Stéphane Flachat , voulait ou- vrir sur la rive gauche de la Seine, espérant amener du Havre à Paris les navires de commerce de 800 tonneaux. Ces plans de grande dimension méritent d’être conservés, et l’Académie n’a point de local propre à cette conservation. M. le Préfet a bien voulu leur donner asile dans les archives du Calvados, et les héritiers ont ajouté aux études du canal projeté et abandonné d’autres plans et divers manuscrits qui, tôt ou tard seront utiles à l’administration. Ainsi, grâce au bon vouloir des héritiers de Jean Simon , il y aura un fonds Simon (1) dans les archives du Calvados. Nous croyons devoir le consigner ici, dans l’in- térêt des personnes qui auraient besoin d'y recourir. (1) Nous donnons dans un APpPenpice une Nore sur ce fonds, due à l’obligeance de l’archiviste, M. Chatel, 394 BIOGRAPHIE APPENDICE. Inventaire sommaire des papiers, plans et autres manuscrits laissés par M. Simon aîné, géomètre en chef du cadastre du Calvados, et donnes aux archives de la Préfecture par les héritiers de l’auteur. Rouleaux de plans intitulés : Canal maritime de la Seine. Plans topographiques du cours de la Seine, levés par ordre de la Com- pagnie maritime, en novembre et décembre 1825 et janvier 1826. (Chaque rouleau se divise en un certain nombre de feuilles). Contre-rouleaux composés de 76 feuillets particuliers relatifs au même canal. Feuilles détachées servant de complément à celles ci-dessus in- diquées. Rouleau de calques d’une partie des plans et feuilles dudit canal. Cadastre. Tarifs relatifs aux traitements du géomètre en chef et des géomètres ordinaires, 1822. Du cadastre général perpétuel, comme puissant moyen de crédit foncier ; brochure imprimée chez Pagny, 1839, sur les marges de laquelle se trouvent des notes manuscrites. Cadastre général perpétuel, de 1840 à 1845. Tableau ou mouvement général des mutations, de 1840 à 1845. Livre des déclarations de mutations ouvert le 1°", janvier 1840. Liste alphabétique des propriétaires. Tableau indicatif des propriétés foncières, de leur contenance et de leurs revenus. Section À, dite du nord. Administration des contributions directes. Section A, triage du Fouquet, commune d’Épron. DE M, JEAN SIMON. 395 Liste par ordre alphabétique des propriétaires du triage du Fouquet. Cadastre parcellaire indiquant le numéro de la parcelle, de la section et de la commune où divers cours d’eau prennent naissance. Décisions administratives. — Ancienne correspondance du Mi- nistre, du Commissaire royal et de M. le Préfet, juin 1816-1821, relative à la dette arriérée du cadastre. Instruction et note du vérificateur-général, 1828. Instruction générale de l’Enregistrement et des Domaines, des 42 juin et 21 octobre 4829. Correspondance ministérielle relative à la réunion de plusieurs communes, de 14828 à 1839. Dépenses auxquelles donnera lieu, pour 1843, l'entretien des écoles primaires communales; état dressé par arrondissement. Inventaire fait entre le géomètre en chef et le directeur des con- tributions direcies, des archives de la partie de l’art, le 7 juin 1845. Nomenclature des hameaux, fermes, châteaux du département du Calvados, divisés par arrondissements, par cantons et par com- munes. Nomenclature des communes supprimées et réunies par suite des opérations cadastrales, par arrondissement, par canton et par ordre alphabétique dans chaque canton, en 1836. Liste par ordre alphabétique des 796 communes du département du Calvados avec la population, d’après le recensement de 1841, dressée en 1843. Relevé par arrondissement des communes qui ont un bureau de bienfaisance ou un hospice, 1850. Tableaux indicatifs, minutes des noms, prénoms et qualités des propriétaires, avec l'indication du revenu cadastral des six arron- dissements du Calvados et l'indication du nombre des communes. Bases géodésiques mesurées en 1827. Bassin hydrographique de la Touque avec ses aflluents , par ordre alphabétique , et leur gisement , par rive. Extrait du tableau synoptique des bassins hydrographiques du département de l'Orne , du 5 octobre 1839, 396 BIOGRAPHIE Relevé des cours d’eau du Calvados, dont le cours développé excède dix mille mètres de la source à l'embouchure ou au con- fluent. Topographie : circonscription cantonale résultant des tableaux d'assemblage des plans cadastraux comparés avec Cassini, 1833. Développement des grandes routes du Calvados. Plan de la route royale n°. 82, traverse de Bourg-Argental. Développement et relevé des côtes, ponts et bacs situés sur l'Orne. Relevé des cotes de hauteurs portées sur les cartes cantonales Calculs pour le projet : 1,500,000 de capital annuel à placer de six mois en six mois, à raison de 5 pour ‘7, par an, de 1840 inclu- sivement jusques el compris 1869 (30 années). 5,000,000 de capital annuel à placer de six mois en six mois à 4 pour %,, de 1840 à 1869 (30 années), ce qui fera soixante demi- capitaux et cinquante-neuf termes d'intérêts comparés. Extraits des carnets portatifs des établissements industriels exis- tant, en 1845, dans le Calvados. Notes sur la question du travail agricole et industriel, 1849. Notes de stalistique. Correspondance. — Projets divers, tels que : Chemin de moyenne vicinalité d'Argences à Évrecy par Bourguébus et St.-André ; — Bornes-fontaines et conduites d’eau dans Caen. Projet de colonisation des landes de Gascogne et de Bordeaux, 1851. Projet d'établir un tribunal de famille dans chaque commune, 1850. Notes sur l'Algérie. Plan (colorié) de la ville de Caen. Plan des jardins de l’hospice de Caen, situés le long du cours Caffarelli. Plan du passage commun de Bagatelle (maison de M. Simon). Plan calqué du canal St.-Pierre de Caen et des quartiers St.- Pierre et St.-Jean. Canevas trigonométrique de la ville et des deux cantons de Caen, dressé en 1835. DE M. JEAN SIMON. 397 Plan géométrique réduit sur les plans cadastraux du chemin de Caen aux ponts de Jort, par Cormelles, etc., dressé le 20 septembre 1836. Plan-projet de détournement par le val de la Folie (2 exemplaires et un calque). Plan de triangulation pour les clochers de Caen et de divers cantons (voir la note sur le plan et la liasse de calculs jointe à l’intérieur du rouleau). Plan géométrique de la terre et château de Maltot, appartenant à M. et Me. de Montpinçon. Plan géométrique du bois de Bavent, appartenant à M. le mar- quis de Boisgelin. Plan de Courseulles au 1250°. Plan de l’Ile-de-Plaisance, partie de Courseulles et parcs à huîtres. Plan géométrique de la ville de Bayeux. Plan-canevas trigonométrique de l’arrondissement de Bayeux (calque). Plans ou tableaux d'assemblage pour la commune de Longueville et communes environnantes. Plans ou carte spéciale du bassin hydrographique de l’Aure, dressée en 1842. 1"e, partie cotée A et 2°, cotée B. Feuilles ou plans de la vallée d’Aure. Plan de Lisieux. Plan-canevas trigonométrique de Lisieux. 4e. et 2°, sections. Plan faisant suite au plan de la vallée de la Basse-Vire et de la baie des Veys, y compris l'embouchure de la Douve (le plan est accompagné d’un calque). Extrait du plan parcellaire de la commune de Danestal, délivré par M. Buchard. Plans de la vallée de Dives au 5000€, Feuilles de calque de l’Atlas du Calvados pour divers cantons. Plan de triangulation du Calvados à l'échelle de Re (calque ). Tableau indiquant la contenance et la distinction des propriétés imposables dans le Calvados, 398 BIOGRAPHIE DE M. JEAN SIMON. Plan des lieux dits le bas des Brosses, n°. 4; Vevey, n°. 2, con- struit à l’échelle de 4 à 2000, Calque et calculs faits sur la carte de l’Atlas national, pour déter- miner la contenance, par arrondissements, du département du Calvados, Divers manuscrits de projets, d’études, etc. POÉSIES. : V0, r d 1% "+ she Pr duc D Li Lu : UV : LE { ne 1 ( AI x + | D d° ; HU ù He } «y EL : re | Par! Y MAT f pu je nr ATTON rai » u | Nef | . PR CR 4 n WAR Mag PA je Pn | : A D ur, move ME 4 Ê 4! \ 4 fi sers LE TU RE. Æ " (en ‘4 { D ; CS DEUEN VA L ' N À. 13 \ Pi ji vai k W a jan à 4 dn g EPA De LE € UOTE ee ne ( D. , CU à ACER re La un, * | 7: nn qi 00 1 4 DE A * | + Aide | À | L CRI qu \ VixPA f j ÿ al Ru Die. d . CON A A HR: LEP ve at a L'AUS 4 Mu st CRE LA [A Ê (1 one a } » LITE 1% REA L'tAES LES MURS ' r b { 1 fi . ( : “ «: ) ON” ; ' MNT . nr 1Fy | % y ñ t VA Ÿ n T'aUL DA bi à PUR sou ï 1 DORE ae 21 \ LATE A Fate M REP LE 1R jou base us, 5 AT ON ‘ LE À MALHERBE ; Par M. GUIARD. Membre corrrespondant (1). Ah ! que ton noble esprit connut bien sa puissance, Malherbe, Ô vieux poëte, à maitre respecté, Quand, sûr de l'avenir, tu souriais d'avance A l’immortalité! Que tu présumais bien de la raison française , Quand, du temps ennemi défiant la rigueur, Sur ta massue, ainsi que l’'Hercule Farnèse , Tu L'appuyais vainqueur ! Sous les coups foudroyants de La main aguerrie Les monstres lerrassés palpilèrent d’effroi : L'Ignorance à tes pieds tomba: la Barbarie Recula devant toi. En vain le Faux Esprit, dressant ses mille têtes, S'épuisa dans la lutle en efforts impuissants ; Ta raison courageuse arrêta ses conquêtes Et vengea le Bon Sens. (1) M. Th. Guiard_ professeur de seconde au lycée Charlemagne, et traducteur de Sophocle en vers français, venait d’être nommé membre correspondant de l’Académie de Caen, lorsqu'il mourut au commencement de l’année dernière, La personne qui nous a transmis cette pièce, nous aflirme qu’il la relouchait pour notre Compagnie, au mois de septembre 4854. 26 02 , A MALHERBE, Le Gout régna par Loi : par loi régénérée , La langue, qui Le doit son tour ferme el nerveux, Telle que tu la fis, demeurera sacrée A nos derniers neveux. D'insensés novateurs , risibles Encelades, Peut-être, dans l’orgueil de leur rebellion, Entasseront encor pour d’autres escalades Ossa sur Pélion. Laisse-les espérer, laisse-les entreprendre ! Bb! qu'importe l'excès de leur témérité ? La gloire viagère a-t-elle un compte à rendre A la postérilé ? Que chez eux la raison, sous le joug de la rime, Ou boite à chaque pas, ou rampe tristement ; Qu'en leurs drames le vers sur le vers qu’il opprime Enjambe insolemment ; De leurs termes hardis que la folle cohue Scandalise l'oreille et révolte le goût ; Que leur muse s'inspire aux hymnes de la rue, Aux parfums de l'égout ; Qu'importe ? laisse-les ! laisse le temps agile Briser le fol orgueil de leurs rêves déçus. Nous ne reviendrons point des perles de Virgile Au fumier d'Ennius. Nous, rendre à de faux dieux un hommage adultère ! Nous, transfuges du beau! nous, lâches apostats ! Non... le Faux peut germer sur notre noble terre, Mais il n’y fleuril pas. Nous sonines un pays de raison , de droilure, Un pays de bon sens comme de bonne foi : À MALHERBE. Notre France un instant put admirer Voiture, Mais Malherbe a fait loi. Où donc avais-tu pris , à maitre du bien-dire, Ce style juste et fort, armure sans défaut ? Qui donc entre tes mains accorda cette lyre Qui résonne si haut ? Dans un âge entêté d’erreur et de folie Age d'ardeur brutale et de subtil jargon , Qui te fit démêler le faux goût d'Italie Sous le vernis gascon ? Se peut-il qu’en ton sein, comme dans un asile, La muse ait déposé tous les secrets de l’art ? h03 Eh quoi ! l’homme qui, jeune , enchérit sur Tansille, Vieux , detrôna Ronsard ! Des maitres vénérés de la Grèce et de Rome Tu n’étudias point le trait et la couleur, Et de l’antiquité dans tes vers , à grand homme, On respire la fleur. Quelle était la vigueur de ton mâle génie, Toi qui, sans autre appui que le bon sens gaulois, D'une langue précise, à la souple harmonie, Vins promulguer les lois ! Comment de ta science expliquer la merveille ? De quel nom appeler l'instinct mystérieux , L'instinct divinateur qui forma ton oreille Au langage des dieux ? Poëte , ta grandeur me confond et m’accable : Devant ta majesté je fléchis les genoux. Sans loi, sans le labeur dont seul tu fus capable, Où donc en serions-nous ? h04 , A MALHERBE. Vers quel gouffre honteux de sollise grossière Etions-nous emportés presque fatalement! Toi seul à nos excès vins mettre une barrière , Toi seul, à vieux Normand. Tu parus appuyé sur la lyre sonore, Tu parus radieux aux regards éblouis ; La France tressaillit el salua l’aurore Du siècle de Louis. Elle vil, s'empressant dans la route tracée, Tous ces nobles esprits qu'admire l'univers S'attachant , dans l'accord d’une même pensée , A des genres divers, Corneille, Bossuet, Pascal , Boileau, Racine, Tous , sages écrivains, tous, marqués de ton sceau, Chœur sacré qui puisa dans ta pure doctrine Le saint amour du beau. L'auteur charmant, celui qui pour former sa gerbe Dans nos vieux fabliaux glana plus d’un épi, Ne s’écria-t-il point, lout plein de son Malherbe: « Je suis poële aussi! » Rien ne manque à ta gloire, illustre et sage maitre ; Les rois de l'avenir l'ont reconnu pour roi : Poëte , Lu fus grand, et ta muse a fait naitre Des fils grands comme toi. NOUVEMR DE THOMAS MOORE, SONNETS ; Par M. Alphonse LE FLAGUAIS, Membre titulaire, fe Il est déjà bien loin ce jour qu'en ma mémoire Je conserve présent, el qui me charme encor. Il à laissé sur moi comme un reflet de gloire, Il a doté mon cœur d’un suave trésor. Le barde qui chanta sur sa harpe d'ivoire Des hymnes si touchants dans leur sublime essor, Le poëte irlandais qui hâta la victoire De celle liberté qui lient la palme d’or, L'émule de Byron, dont la muse applaudie A mis un souvenir dans chaque mélodie, Avait porté ses pas sur notre sol normand ; Il vint à moi, surpris, heureux de sa venue: J'entendis sa parole! et je l'ai retenue Comme un de ses accords, et Fun des plus charmants. IL. Il venait recueillir pour une œuvre nouvelle De doctes éléments demeurés parmi nous. Dans ses nobles travaux, à son pays fidèle , A son culle, à sa gloire il les consacrait tous. 106 . SOUVENIR DE THOMAS MOORE. était son beau passé, son histoire immortelle Qu'il préparait alors avec un soin jaloux. Le pieux écrivain prenait sous sa tutelle Sa mère qu'il berçait d'un avenir plus doux. 11 s'était souvenu que les chants de son âme Avaient mis dans la mienne un rayon de sa flamme, Et fait naître un écho d'ivresse et de bonheur. 11 semblait acquitter sa dette légitime Pour quelques pauvres vers à l'indigente rime ; Mais j'étais un vassal payé par son seigneur. [LIRE 11 visita l'asile où, calme et reposée, L'étude a pour l'esprit de paisibles remparts ; Puis je guidai ses pas dans le vaste musée Où Pérugin préside au conclave des arts. Et nous marchions tous deux , comme dans l'Élysée Les jeunes auditeurs près des sages vieillards, Quand, non loin d’une reine au grand jour exposée, Un poëte, dans l'ombre, arrêta ses regards. Il l'avait reconnu, par cette sympathie, Pour un frère, un ami tout à coup ressentie, EL sa voix murmura les vers à Duperrier. 11 aimait ces beaux vers qu’en tout pays on aime! Ces vers, que dans son âme il eùt trouvés lui-même, N'ont-ils pas un parfum de rose et de laurier ? IV. I partit, confiant à l’Athènes normande Son fils, nourri de miel dans le sacré vallon ; SOUVENIR DE THOMAS MOORE. 07 li honorait la ville où Malherbe commande, Où Minerve est assise à côté d’Apollon. Aux soins d'un gardien sûr , et la charge était grande! L'aigle, en quittant nos bords, remeltait son aiglon. Le bel adolescent eut bientôt sa légende ; Chacun la racontait du boudoir au salon. Il gardait quelques fleurs de la riche couronne D'un père qui semblait revivre en sa personne Pour un noble destin digne de son pays. Mais, bientôt réveillés dans leur songe prospère, La tombe, hélas! s’ouvrit pour le fils et le père; Le génie et l'espoir furent tous deux trahis!…. Y. Ainsi toujours mon cœur a des vœux et des larmes Pour l'avenir qui trompe et le passé cruel, Mon âme, en ses regrels, se souvient avec charmes D'un poélique jour, d’un instant solennel. Les malheurs Au génie ont toutes mes alarmes ; L'homme illustre , pourtant, n’est aussi qu’un mortel, Plus je vois contre lui le sort tourner ses armes, Plus j'augmente l’encens qu'on doit à son autel, Barde consolateur de la fidèle Irlande, Toi que la France aimait, reçois mon humble offrande; Les chants pieux sont doux à ton divin tombeau. En repassant ta vie et si noble et si belle, On admire {a gloire, on souhaite, on appelle Une aussi belle vie, un génie aussi beau ! à L'ANNIVERNAIRE ; Par Mc LEueie COUEFFIN, Membre correspondant. S'abaissant lentement vers la lerre fleurie, L'avant-dernier soleil du doux mois de Marie Dans un brülant rayon tout imprégné d'espoir Comme un baiser d'amour jette l’'adieu du soir, Et l'étoile craintive, aperçue à grand’peine, S'éveille à l’autre bout de la voûte sereine. Du chemin des Lilleuls cherchant la profondeur, Laissez-moi sans Lémoins , répéter dans mon cœur Le chant de l’univers, plein de reconnaissance... Ce beau jour qui s'éteint, c’est mon jour de naissance. O mon anniversaire, autrefois appelé Par des vœux si confus dans mon âge envolé ; Quand, fière de jeunesse et m’enchantant de vivre, J'oubliais l'an fini pour l’an qui devait suivre ; Que de fois l'ai-je dit, dans un cri plein d'ardeur : Est-ce toi qui me dois apporter le bonheur ? Que de fois devant toi j'ai versé de mon âme Les larmes du désir et les rêves de flamme ! Que de fois! Mais pourquoi retracer le passé ? Mes yeux ne lisent plus dans son livre effacé. Quand d'un doigt paternel Dieu désigna ma voie, Auprès de mes chagrins il a mis trop de joie Pour que je puisse, ingrate à ce doux souvenir , Dans le fond de mon cœur ne pas croire et bénir L'ANNIVERSAIRE, 409 O mon Dieu ! sans rêver des choses insensces , Sur moi, sur moi plutôt ramenons mes pensées. Cet an qui va s'enfuir par le temps emporté, Pour le bien ou le mal me sera-t-il compté ? Docile à mon devoir, avec un soin extrême Ai-je assez bien veillé sur les êtres que j'aime ? Ai-je montré loujours auprès de mon époux Dans mon obéissance un esprit assez doux ? N'’ai-je permis jamais aux songes poétiques D’entraver dans leur vol les travaux domestiques ? Mes enfants, chers trésors à mes soins confiés, Les ai-je assez souvent amenés à vos pieds ? Ont-ils assez souvent, dans leur foi printanière, Partagé près de moi le pain de la prière ? Ma mère a-t-elle vu mon filial amour Comme un tendre soutien l’entourer chaque jour ? Mon Dieu! vous le savez, vous , juge des empires, Vous êtes juge aussi des soupirs, des sourires. Mon Dieu, soyez clément , car voici que mon cœur Se trouble devant vous et se fond de terreur ; Et mon beau soir natal, dont j'admirais les charmes , S’est voilé d'un nuage et s'est couvert de larmes. 30 mai 4850. À MADAME DESBORDEN-VALMORE ; Par la Méme. Quand, jeune et le cœur plein d'illusions aimées, J'abandonnais ma voile aux brises parfumées ; Quand mon vœu poétique au fond de l'avenir Entrevoyait des fleurs près de s'épanouir ; Je connus, je chéris vos vers pleins de tendresse, Où tant de pleurs amers rachètent tant d'ivresse ; Et leur douce harmonie , où je lisais mon sort, Dans mon cœur enchanté les grava sans effort. Ne craignez pas de moi de louange vulgaire, Ce n’en était pas une , à Muse aimable et chère, Que mon ravissement et mes félicités Inspirés par vos chants, lus, relus, médités ! Dans ces jours prinlaniers, si voisins de l'enfance, Tout poële à mes yeux étail une puissance, Un ange; mais parmi leurs chœurs mélodieux, Si l'on m’eùt demandé lequel j'aimais le mieux, Qui, de plus de soupirs, remplissait ma poitrine ? Sans hésiter, ma bouche eût crié : Marceline ! Oui , vous fütes ma sœur de choix , et mes enfants Ont vingt fois épelé dans vos contes charmants ; EL vous avez loujours au foyer de famille Votre place où déjà vient vous chercher ma fille. Vainement le temps marche, emportant dans son cours, Comme des épis mürs , bien des anciens amours ; C’est vous, c’est vous encor que l’on aime à relire, Quand un doux souvenir nous berce et nous inspire. Vous écrivez si bien pour les femmes, mon Dieu ! Que lorsque l’on vous licnt on ne peut dire, adieu. A MADAME DESBORDES-VALMORE. h11 EL voilà maintenant qu'une lettre indulgente M'apprend que vous avez d’une main bienveillante , Vous, dont j'aime la voix en vos moindres chansons , Bercé sur vos genoux mes pâles nourrissons , Mes pauvres vers éclos sans talent, morts sans gloire. Merci pour cette fleur jetée à leur mémoire ! C’est le maître qui vient, tendre comme un ami, Retirer du cercueil le disciple endormi. Eh bien! recevez-les tous , tous ceux qu'une mère Choisit dans son passé d’une main peu sévère. Qu'ils aillent vous chercher, vous qui savez encor D'une larme du cœur épancher le trésor ; Vous dont le temps jaloux n’a point desséché l’âme , O quatre fois heureuse , ou plutôt sainte femme ! © juillet 1850. ERNENT ! DIX-NEUVIÈME ANNIVERSAIRE (9 sept. 1854); Par M. P.=A. VIEILLARD , Membre correspondant. O cher Ernest! à mon doux ange, Pourquoi le Maître de nos jours, Fit-il, par un décret étrange, Les miens si longs, les tiens si courts? Hélas ! au déclin de ma vie, Tu m'apparus en un ciel pur , Comme , au soir, une éloile amie De ses rayons dore l’azur. Qu'elle fut brillante, l'aurore Qui se leva sur ton berceau ! Dans mon cœur, quel jour vint éclore , Quand mes yeux te virent si beau! Et, de ta jeune intelligence Quand je découvris les trésors, Quelles promesses l'espérance Vint ajouter à mes transports ! Tu m'aimais.. en vain la vieillesse Sur mon front amassait des plis : D'un père j'avais la tendresse, Tu me rendais l'amour d'un fils ERNEST, Nous nous Cherchions... nos proménades Nous voyaient, par un doux attrait, Unis, comme deux camarades... Qu'un demi-siècle séparait. Et quelles douces causeries Animaient tous nos entretiens ! Combien d'illusions chéries Mes regards trouvaient dans les liens! Hélas ! il est détruit le charme Qui me faisait vivre et jouir ! J'ai versé ma dernière larme... Pour moi, tout va s'évanouir ! A sept aps, vint une tempêle Qui te coucha parmi les fleurs... Quinze lustres font, sur ma tête, Peser un siècle de douleurs ! Victime en tout temps asservie Aux cruels caprices du sort, Partout où j'ai cherché la vie, Toujours j'ai rencontré la mort ! Toi, pur et beau comme les anges, Partageant leur félicité, De Dieu tu chantes les louanges, En son élernelle cité! Et moi, je m'éteins sur la terre, Languissant et chargé d’ennuis..…. Erncsl! appelle à Loi ton père, Puisque lu n'es plus où je suis ! Aa sh a ra RS OUVRAGES OFFERTS À L'ACADÉMIE. M. BELLIN (Gaspard). Notice sur l'édification du Grand- Théâtre et du Palais-de-Justice , à Lyon. — Divers ar- ticles dans le Moniteur judiciaire de Lyon. BERGER DE XIVREY. Rapport à l’Académie des in- scriptions et belles-lettres, au nom de la Commission des antiquités de la France. BERVILLE. Conjectures sur les commencements de Virgile, sur la date et sur l’ordre de composition de ses Bucoliques. — Éloge de M. Aug. Machart. BESNOU. De l’action des pâtes phosphoriques sur l'organisme, et recherches pour arriver à constater l'intoxication. — Recherches médico-légales sur une intoxication phosphorique. BORDES. Sous la tente, orientales. BOUCHER DE PERTHES. Voyage à Constantinople par l'Italie , la Sicile et la Grèce; retour par la mer Noire, la Roumélie, la Bulgarie, la Bessarabie russe, les Provinces danubiennes, la Hongrie, l’Autriche et la Prusse, en mai, juin, juillet et août 1853. 16 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE. BOULATIGNIER. Discours prononcé, comme directeur de la Société des antiquaires de Normandie, dans la séance publique du 26 novembre 1855. BOURDON (Is. ). Recherches sur le mécanisme de la respiration et sur la circulation du sang. — De lin- fluence de la pesanteur sur quelques phénomènes de la vie. — Preuves de la non-contagion du choléra. — De l’éthérisme , ou de l’éther et du chloroforme em- ployés contre la douleur. — Mémoire sur la peste, la vérité sur les quarantaines. — Les Quinze-Vingts , n0- tice bistorique et statistique. — Principes de physio- logie comparée, ou histoire des phénomènes de la vie dans tous les êtres qui en sont doués, depuis les plantes jusqu'aux animaux les plus complexes. — Il- lustres médecins et naturalistes des temps modernes. — Lettres à Camille sur la physiologie. CHarMA. Biographie du docteur Le Sauvage. CHAUVET. Des théories de l’entendement humain dans l'antiquité. —Cous Hippocrates qualis fuerit inter philosophos. — Mémoire sur la philosophie d’Hippo- crate. CHÉRUEL (A.). Histoire de l'administration monar- chique en France, depuis l'avènement de Philippe- Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV. CHEVALIER, DUCHESNE et REYNAL. Mémoire sur lif et sur ses propriétés toxiques. OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE. 117 COCHET (L’abbé). Notice biographique sur M. Nell de Bréauté. CoMmARMOND. Description du musée lapidaire de la ville de Lyon. Épigraphie antique du département du Rhône. COoKkE (Josiah P.). On two new crystalline com- ponds of zinc and antimony, and on the cause of the variation of composition observed in their crystals. CORBLET. Projet d'une Hagiographie diocésaine. CoRNaz. Recherches statistiques sur la fréquence comparative des couleurs de l'iris. — Énumération des lichens jurassiques et plus spécialement de ceux du canton de Neufchâtel. — De l’albinisme. DE CAUMONT. Congrès scientifique de France , 49°. , 22°, et 23°. sessions. — Annuaire de l’Institut des provinces et des Congrès scientifiques , 1856. DECORDE (L'abbé). Tombeaux de la vallée d’Eaulne, — Lettres à M. Leleux, directeur de la Revue archéo- logique, et à M. le Directeur du Journal de Neufchà- tel. — Les roses. DE CORNEILLAN ( M", ). Esquisses, poésies. — Notice biographique sur le chevalier Philippe de Girard. DELISLE (Léopold ). De l'instruction littéraire de la 27 "118 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE. noblesse française au moyen-âge, à propos d’un auto- graphe du sire de Joinville. — Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XXI°. (article extrait du Correspondant). — Notes sur la Sainte-Chapelle de Bourges. DE LA FERRIÈRE-PERCY (Hector). Histoire de Flers, ses seigneurs, son industrie. — Journal de la comtesse de Sanzay (Marguerite de la Motte Fouqué ) ; intérieur d’un château normand au XVI°, siècle. DOYÈRE (L.). Mémoire sur l’ensilage rationnel , sys- tème nouveau pour conserver les grains d’après les données positives de la science et de la pratique, sans déchet, sans perte de qualité, sans travail et à moindres frais que dans tout autre système, présenté à l’Aca- démie des sciences, le 31 décembre 1855. Du MOnCEL (Th. ). Coup-d’æil sur l’état des appli- cations mécaniques et physiques de l'électricité. Du PEYRAT. Essai sur l'esprit de l’art architecto- pique appliqué à la construction des monuments reli- gieux; 4". partie. Du PUGET {M'e, Rosalie). La vie de famille dans le Nouveau-Monde; lettres écrites pendant un séjour de deux années dans l’Amérique du Nord et à Cuba, par Mie, Frédérika Bremer; traduit du suédois, avec approbation de l’auteur, OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE. h19 EGGer. De l'étude de la langue latine chez les Grecs. ENDRÈs. Manuel du conducteur des ponts et chaus- sées. — Sur les raccordements à tangentes inégales par deux arcs de cercle, comprenant comme cas particulier le tracé de l’avant-bec d’un pont biais. EUDES-DESLONGCHAMPS. Notice sur des empreintes ou traces d’animaux , existant à la surface d’une roche de grès, au lieu dit les Vaux-d’Aubin, près Argentan, et connues sous le nom de pas de bœufs. FALLUE (Léon). Classement de la médaille gauloise Senodon Caledv, et recherches sur l’ancienne cité des Calètes. GIRARDIN (J.). Rapport fait à la Société libre d'émulation du commerce et de l’industrie sur les viandes salées d'Amérique. — Discours à l’occasion de la distribution des prix des Écoles municipales supé- rieures , le 8 août 14855. FORMIGNY DE LA LONDE (A.-R. R.). Documents inédits pour servir à l’histoire de l’ancienne Académie royale des belles-lettres de Caen, publiés avec un grand nombre de notes. GUÉRIN DE LITTEAU ( Hippolyte-Louis). Mélodies. HUE DE CALIGNY. Note sur une machine hydraulique à tube oscillant, sans autre pièce mobile, * "20 . OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE, JARDIN (Édelestan). Notice sur l'archipel de Men- dana ou des îles Marquises, 1853-1854. — Note sur l'éclipse partielle de soleil observée à Taï-0o-Haé, île de Nouka-Hiva, archipel des îles Marquises, le 30 novembre 1853. -— Note sur les oiseaux des îles Mar- quises, et particulièrement sur le genre nouveau Serresius, par S. A. Mg’. le prince Bonaparte. LAFFETA Y (L'abbé). Histoire du diocèse de Bayeux (XVI, et XVII. siècles), t I‘. LAIsNé. Notice biographique sur Alexandre de Ville- dieu. LARTIGUE. Exposition du système des vents, ou traité du mouvement de l'air à la surface du globe et dans les régions élevées de l'atmosphère, — Observations sur les orages dans les montagnesdes Pyrénées. —0O b- servations sur les divers changements de temps et de vents occasionnés par les courants des marées. LAURENT (L'abbé Eugène). Notice historique sur la chapelle de N.-D. de la Délivrande. LEBRETON (Th.). Une plaie sociale. — Le culte des souvenirs. LECADRE. Notice biographique sur Frissard. — Essai sur la névralgie intercostale. Le Cerr. La femme catholique selon le R. P. Ven- tura, OUVRAGES OFFERTS A L’ACADÉMIE. h 24 LE CŒUR. Secours aux noyés , précédé de quelques considérations sur les accidents déterminés par la sub- mersion. — Études sur la rage. LE FLAGUAIS (Alphonse). Te Deum. MAHEUT. Examen critique d’un mémoire sur la dia- thèse purulente, lu à la Société de médecine de Caen, le 3 avril 1855. MANCEL (Georges). Sur la cheminée, rue St.-Jean, 28, à Caen. MARCHAND (Eugène). Nouvelle méthode de dosage du beurre dans le lait, ou introduction pour l'usage du lacto-butyromètre. — Des eaux potables en gé- néral, considérées dans leur constitution physique et chimique , et dans leurs rapports avec la physique du globe, la géologie, la physiologie générale, l'hygiène publique, l’industrie et l’agriculture; en particulier des eaux utilisées dans les arrondissements du Havre et d’Yvetot, avec la carte géologique de ces arron- dissements. — Éléments d’une conférence sur le lait, faite à Goderville , le 20 novembre 1855. MARTIN ( Th.-Henri). La vie future. Histoire et apologie de la doctrine chrétienne sur l'autre vie. MauRY (Alfred). Recherches sur la religion et le culte des populations primitives de la Grèce. — Rapport sur les travaux et les progrès des sciences géographiques en 1555. n/122 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE, MICHAUX (Clovis). Poésies. MORIÈRE. De l’abus des cultures épuisantes. Origine et progrès du colza dans la plaine de Caen. Comptes de culture comparés du colza, du blé et de la bette- rave. — Rapport sur l’exposition d'instruments ara- toires et de produits agricoles et industriels qui a eu lieu à Caen en juillet 1855. — Rapport sur l’exploi- tation agricole dirigée par M. Tiphaigne , à Beuzeville- les-Veys. — Résumé des conférences agricoles sur la préparation et la conservation du cidre. MorRIS MOORE. The national Gallery. The debate of april 7 th, M" Sürling, m. p., and Raphaels Apollo and Marsyas. A reply by Morris Moore. MOULIN (H.). Promenade aux îles de Jersey et de Guernesey. PATU-DE-SAINT-VINCENT (C.-J. ). Réplique à la simple réponse de M. Jules Bonhomme au R. P. Lambillotte. —— Quelques observations sur le chant grégorien. PIERRE (Isidore). Rapport sur les avantages ou les inconvénients qui pourraient résulter, pour l’agricul- ture , de la modification des droits d'importation des tourteaux de graines oléagineuses. — Compte-rendu des travaux de la Société d’agriculture et de commerce de Caen, pendant l’année 1854. — Recherches sur la OUVRAGES OFFERTS À L'ACADÉMIE. 123 valeur nutritive des fourrages et autres substances des- tinées à l’alimentation des animaux. PILLET ( Victor-Évremond). Biographie de Marie- Julien de La Hunaudière. PORCHAT (Jacques). Fables, 4°. édition. PUISEUX ( Léon). Siége du château de Caen par Louis XIII, épisode de la guerre civile de 1620. RaucH. Régénération de la nature végétale. REMBAULT, Obsèques du docteur Rigollot. RENAULT. Revue monumentale et historique de l’ar- rondissement de Coutances; 4°, et 5°, livraisons. RENÉE (Amédée). Catherine de Médicis, Charles- le-Téméraire, Charles d’Anjou, Charles IF, lord Ches- terfield, Condé, Cromwell (extraits de la Biographie générale, publiée par M. Hoefer ). RICHOMME (Florent). Ballades et petits poëmes de Wordsworth. — La fée aux roses , ou l'adoption, drame. — Les origines de Falaise, ROGER (Seymour }. Dialogues des morts de Féne- lon, avec une introduction et des notes. ROULLAND. Considérations générales sur la diathèse purulente. h24 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE. - ROUSSEL (Napoléon). Les nations catholiques et les nations protestantes, comparées sous le triple rapport du bien-être , des lumières et de la moralité. SAISSET (E.). Introduction à la Cité de Dieu, de saint Augustin. SALLENAVE. Traité théorique et pratique sur l’épui- sement pur et simple de l’économie humaine et sur les maladies chroniques les plus répandues , qui ont cette origine. SAUVAGE (H. ). Notre-Dame-du-Touchet.—Étrennes Mortainaises, 1856. —St.-Hilaire (du Harcouët). — St.-Pois. THÉRY (A.). Modèles de discours et d’allocutions pour les distributions de prix dans les pensionnats de demoiselles. TRAVERS (Julien). Annuaire du département de la Manche; 27°. année, 1855, 28°. , 1856. — Addition à la vie et aux œuvres de Nicolas Vauquelin des Yve- teaux. — Biographie de M. Jean Simon. TREBUTIEN (E.). Cours élémentaire de droit cri- minel. VIEILLARD (P.-A.). Lenora, ballade-cantate. — La messagère de consolation, vœux d’une jeune fille. — Souvenirs du théâtre de la fin du XVIIT:. siècle jusqu’en 1830, Théâtre de l’'Opéra-Comique. M". Scio. — Chants sacrés pour la Semaine-Sainte, le jour des OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE. 25 Morts et la fête de Noël. — Quelques aperçus sur la morale et sur les mœurs. VINGTRINIER. Du goître endémique dans le dépar- tement de la Seine-Inférieure. — L'Alliance , fondée à Rouen, le 1%. juin 1850. — Des enfants dans les prisons et devant la justice, ou des réformes à faire dans les lois pénales et disciplinaires qui leur sont appliquées. — Rapport sur les appareils inventés par M. le docteur Nicole. SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES, QUI ADRESSENT LEURS PUBLICATIONS A L’ACADÉMIE DE CAEN. Académie francaise. Académie des sciences morales et politiques. Académie nationale , agricole, manufacturière et commerciale , et de la Société française de statistique universelle , à Paris. Athénée des arts, à Paris. Société philotechnique , à Paris. Société de géographie , à Paris. Société des antiquaires de France , à Paris. Société de l’histoire de France, à Paris. Société impériale d’émulation d’Abbeville. Société impériale d’émulation et d'agriculture de l'Ain, à Bourg. Société d’émulation de l'Allier, à Moulins. Société industrielle d'Angers. Société des antiquaires de Picardie, à Amiens. Société d’Arras pour l’encouragement des sciences, des lettres et des arts. Société Éduenne, à Autun. Société des sciences, d’agriculture et arts du Bas- Rhin, à Strasbourg. Société des sciences , lettres et arts des Basses- Pyrénées, à Pau. Athénée du Beauvaisis, à Beauvais. Société archéologique de Béziers. Société des sciences et belles-lettres de Blois, SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. h27 Société impériale des sciences , etc., de l'Aisne, à St.-Quentin. Société impériale d’agriculture , sciences et arts d’Angers. Académie des sciences , belles-lettres et arts de Bordeaux, Société d'agriculture , des sciences et des arts de Boulogne-sur-Mer. Société d'agriculture et de commerce de Caen. Société de médecine de Caen. Société Linnéenne de Normandie , à Caen. Société des antiquaires de Normandie , à Caen. Société philharmonique du Calvados, à Caen. Société d’horticulture du Calvados, à Caen. Association normande , à Caen. Institut des provinces, à Caen. Société française d'archéologie pour la conserva- tion et la description des monuments historiques, à Caen. Société vétérinaire de la Manche et du Calvados, à Caen, Société d'archéologie, de littérature, sciences et arts des arrondissements d’Avranches et de Mortain. Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de Bayeux. * Société d’émulation de Cambrai, Société d’agriculture, arts et commerce de la Cha- rente, à Angoulême. Société impériale académique de Cherbourg. Société impériale des sciences nat. de Cherbourg. Société des sciences nat, et d’antiquités de la Creuse. 1h28 SOCIÉTÉS GORRESPONDANTES. Académie impériale des sciences, arts et belles- lettres de Dijon. Société médicale de Dijon. Société impériale et centrale d’agriculture, sciences et arts de Douai. Société impériale des sciences, lettres et arts du Doubs , à Besançon. Société libre d’agriculture, sciences, arts et belles- lettres du département de l'Eure, à Évreux. Société académique , agricole, industrielle et d’in- struction de l’arrondissement de Falaise. Académie impériale du Gard, à Nîmes. Commission des monuments historiques de la Gi- ronde , à Bordeaux. Société Havraise d’études diverses , au Havre. Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres du département d’Indre-et-Loire, à Tours. Société d’émulation du département du Jura, à Lons-le-Saulnier. Société académique de Laon. Société impériale des sciences, de l’agriculture et des arts, à Lille. Société d'agriculture , sciences et arts de Limoges. Société d’émulation de Lisieux. Société académique de la Loire-Inférieure, à Nantes. Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Lyon. Société impériale d'agriculture, etc., à Lyon. Société d'agriculture, sciences et belles-lettres de Mâcon. Comice horticole de Maine-et-Loire , à Angers. SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES, 429 Société d'agriculture , d’archéologie et d'histoire vaturelle du département de la Manche , à St.-Lo. Société d'agriculture , sciences et arts du Mans. Société d’agriculture , commerce, sciences et arts de la Marne, à Châlons. Académie impériale de Marseille. Société de statistique de Marseille. Académie impériale de Metz. Société d'histoire naturelle du département de la Moselle , à Metz. Société industrielle de Mulhouse. Société impériale des sciences, lettres et arts de Nancy. Société académique de Nantes. Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts, à Orléans. Société d'agriculture, sciences et arts de Poitiers. Société d'agriculture, sciences, arts et commerce de la Haute-Loire , au Puy. Société agricole, scientifique et littéraire des Py- rénées-Orientales , à Perpignan. Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts, à Clermont-Ferrand. Académie de Reims. Société d’agriculture , sciences et belies-lettres de Rochefort. Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen. Société libre d’émulation , du commerce et de l’in- dustrie de la Seine-Inférieure, à Rouen. Société centrale d’agriculture du département de la Seine-Inférieure , à Rouen. 30 SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. Société libre des pharmaciens de Rouen. Société des sciences naturelles et des arts de St.- Etienne (Loire). Société impériale d’agriculture , sciences et belles- lettres de Saône-et-Loire , à Mâcon. Société d’agriculture, sciences et belles-lettres de Ja Sarthe , au Mans. Société des sciences morales, des lettres et des arts de Seine-et-Oise , à Versailles. Académie des sciences, agriculture, commerce, belles-lettres et arts du département de la Somme. Académie des Jeux-Floraux , à Toulouse. Académie impériale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse. Société des sciences, belles-lettres et arts du dé- partement du Var, à Toulon. Société d’émulation du département des Vosges, à Épinal. Société d'archéologie de Belgique, à Anvers. Société royale des beaux-arts et de littérature de Gand. Académie de Milan. Historic Society of Lancashire and Cheshire. Société d'archéologie et de numismatique de St.- Pétersbourg. Institution Smithsonienne , à Washington. Société d'agriculture de l’état de Wisconsin (Amé- rique). Académie américaine des arts et sciences de Boston. Société littéraire et philosophique de Manchester. Académie royale des sciences, à Amsterdam. v RÉGLEMENT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN. ART. [*. — L'Académie des sciences, arts et belles- lettres de Caen se compose de membres honoraires , de membres titulaires , et d’associés résidants ou cor- respondants. ART. II. — Le nombre des membres honoraires n’est pas limité. Ils ont rang immédiatement aprèsle bureau, et jouissent des mêmes droits que les membres titu- laires. ART. III. — Le nombre des membres titulaires est de trente-six. ART. IV. — Celui des associés résidants ou corres- pondants est illimité. Ils prennent place parmi les membres titulaires , dans les séances publiques ou par- ticulières, mais sans avoir voix délibérative, ART. V. — Toute nomination de membre honoraire h 32: PRÉGLEMENT. est précédée d’une présentation faite par écrit, signée par un membre honoraire ou titulaire, et remise ca- chetée au président ou au secrétaire. Tout membre titulaire qui en fait la demande devient de droit membre honoraire. Les membres titulaires ne peuvent être pris que parmi les associés résidants. Toute nomination d’associé résidant ou correspon- dant est précédée d’une présentation dans les mêmes formes que lorsqu'il s’agit d’un membre honoraire : elle doit être, en outre, accompagnée d’un ouvrage imprimé ou manuscrit, composé par le candidat, La présentation et les pièces à l’appui sont renvoyées à l’examen de la Commission d'impression , qui fait, à la séance suivante , un rapport sur les titres du can- didat. Dans le cas où la Commission conclut au rejet du candidat, elle doit en informer le membre qui a présenté. Celui-ci peut retirer sa présentation. Les lettres de convocation annoncent s’il doit y avoir des élections ou des nominations. ART. VI. — L'Académie, après avoir entendu le rap- port de la Commission , procède immédiatèément aux nominations , ou les renvoie à une autre séance qu’elle détermine. ART. VII — Lorsqu'il s’agit d'un membre titulaire , l'élection a lieu au scrutin et par bulletins nominatifs. — S'il s’agit de la nomination d’un membre honoraire, d’un associé résidant ou correspondant, it est voté par oui Ou par #07 sur chaque candidat proposé. RÉGLEMENT. h33 Pour être élu ou nommé, il faut avoir obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et le tiers au moins des voix des membres titulaires composant l’Académie. Si des membres honoraires prennent part au scrutin. il faut, pour être élu ou nommé , obtenir, en sus du nombre de suffrages qui vient d’être exprimé, un nombre de voix égal à la moitié au moins de celui des membres honoraires ayant pris part au scrutin. En cas d'élection d’un membre titulaire, si le pre- mier tour de scrutin ne donne pas de résultat, immé- diatement l’Académie procède à de nouveaux scrutins, ou renvoie à une séance ultérieure qu’elle détermine. En cas de nomination d’un membre honoraire, d’un associé-résidant ou correspondant, il faut, pour qu’il y ait lieu à un second tour de scrutin, que le candidat ait obtenu la majorité des suffrages exprimés. ART. VIII. — Les officiers de l’Académie sont: un Président, un Vice-Président. un Secrétaire, un Vice- Secrétaire et un Trésorier. Ces dignitaires sont indéfiniment rééligibles, à l'exception du Président, qui ne peut être réélu qu'après un an d'intervalle; il devient de droit Vice- Président. ART. IX.— I] sera créé une Commission d'impression composée de six membres titulaires nommés à cet effet, auxquels seront adjoints le Président et le Secrétaire de l’Académie, La Commission ainsi composée choisit dans son sein 28 434 \ RÉGLEMENT. un Président et un Secrétaire ; elle se réunit sur ja convocation de son Président. En cas de partage, son Président a voix prépondérante. Ses fonctions sont d'examiner et de faire connaître , par des rapports ou par des lectures, les titres des candidats, les travaux offerts à l’Académie, les ma- nuscrits que renferment les archives ; d'établir avec les Sociétés savantes de la France et de l’Étranger les relations qu’elle croira utiles aux sciences, aux arts et aux lettres; de prononcer sur les travaux qui pourront être lus en séance publique, ou imprimés dans les Mémoires de l’Académie. Tous les membres sont invités à déposer, dans la bibliothèque de la Compagnie, un exemplaire de chaque ouvrage qu'ils ont publié ou qu’ils publieront. Aucun rapport ne sera fait, dans les séances, sur les travaux imprimés ou mapuscrits, offerts par les mem- bres titulaires et par les membres associés résidants. ART, X. — De nouveaux membres pourront être temporairement adjoints à la Commission d'impression, et des Commissions spéciales être créées toutes les fois que l’Académie le jugera convenable. ART. XI. — Les membres du Bureau sont renouvelés chaque année dans la séance de novembre, à la ma- jorité absolue des suffrages des membres présents. Si Ja majorité n’est pas acquise aux deux premiers tours de scrutin , il est procédé à un scrutin de ballottage entre les deux membres qui ont obtenu le plus de voix au second tour, En cas de partage égal des voix, le plus âgé obtient la préférence, RÉGLEMENT. 435 Les six membres de la Commission d'impression sont nommés pour deux ans, au scrutin, par bulletins de liste, à la majorité absolue des suffrages des membres présents; et, dans le cas de non-élection au premier tour de scrutin, la pluralité des suffrages décide au second. Ils sont renouvelés par moitié tous les ans, à la première séance de novembre. Les membres sortant ne sont rééligibles qu'après un an d’intervaile. ART. XII. — Touteslesnominations se font au scrutin; les autres délibérations se prennent de la même ma- nière, à moins que le Président ne propose d’y pro- céder à haute voix sans qu’il y ait réclamation. ART. XIII — L'Académie tient ses séances le quatrième vendredi de chaque mois, à sept heures précises du soir ; le jour et l'heure des séances peuvent être changés. Elle prend vacances pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre. ART. XIV. —L’Académie tient , en outre, des séances publiques. Le jour, l'heure, le lieu et l’objet de ces séances sont fixés par une délibération. ART. XV. — Les fonds dont dispose l’Académie pro- viennent des cotisations qu’elle s’impose, des subven- tions qui peuvent lui être accordées par le Gouverne- ment, le Conseil général ou tout autre corps adminis- tratif, et des dons et legs faits par des particuliers. Ces fonds sont consacrés aux fonds de service de la Compagnie, à l'impression de ses Mémoires, aux prix qu’elle décerne, et à toutes dépenses imprévues. 436 RÉGLEMENT. Le trésorier est chargé des recettes et des dépenses. Il acquitte les mandats à payer sur les signatures du Président et du Secrétaire. Chaque année, il rend un compte détaillé de sa gestion à une Commission spéciale de trois membres, nommée dans la séance de rentrée, et qui fait son rapport sur l’état de Ja caisse dans la séance suivante. ART. XVI. — Une cotisation annuelle est imposée aux membres titulaires et aux membres associés résidants. Elle est de dix francs pour les premiers , de cinq francs pour les seconds, et se paie dans le mois de janvier, A quelque époque de l’année qu’un membre soit élu ou nommé, il doit immédiatement la cotisation im- posée à son titre, et la paie en recevant son diplôme. ART. XVII, — Tous les membres titulaires sont tenus d'assister au moins à cinq séances dans l’année. I est distribué des jetons de présence, dont l’Aca- démie détermine la forme et la valeur. Le prix en est percu, indépendamment de la cotisation fixée par l’article XVI. ART. XVIII. — Les membres titulaires qui auraient laissé passer une année sans paraître à aucune séance , ou deux années sans présenter aucun travail, et ceux qui auraient cessé de résider à Caen, deviennent de droit membres associés. J1 sera pourvu sans retard à leur remplacement. LISTE DES MEMBRES HONORAIRES, TITULAIRES, ASSOCIÉS RÉSIDANTS ET ASSOCIÉS CORRESPONDANTS DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN, AU 45 JUILLET 1856, me —— Mdbureau POUR L'ANNÉE 1855-1956. MM. RABOU, president ; SOUEF , vice-président ; TRAVERS, secrétaire ; ROGER , vice-secrétaire ; CHAUVIN, trésorier-bibliothecaire, ER ss LE . Louuutssion d tuvpteddton . MM. RABOU, } TRAVERS, | membres de droit. GERVAIS, ROGER , CHARMA, FRANÇOIS, CAUVET, G. BESNARD,. membres élus. h38 LISTE DES MEMBRES Abris Ronde MM. MÉRITIE-LONGCHAMP , membre de la Société des Antiquaires de Normandie. ROBERGE , de la Société Linnéenne de Normandie. DAN DE LA VAUTERIE, de la Société de Médecine. BLANCHARD, ancien ingénieur. BONNAIRE , professeur honoraire de la Faculté des sciences. encres bitufaices : MM. j 1. EUDES-DESLONGCHAMPS , doyen de la Faculté des sciences. 2. ROGER, professeur honoraire d'histoire à la Fa- culté des lettres. 3. LE CERF, professeur honoraire de Droit civil. h. DE CAUMONT, correspondant de l’Institut. 5. BERTRAND, doyen de la Faculté des lettres. 6. LE FLAGUAIS (Alphonse), homme de lettres. 7. TRAVERS, professeur honoraire de littérature latine à la Faculté des lettres. DES ESSARS, conseiller à la Cour impériale. YASTEL , directeur de l’École de médecine. DE FORMEVILLE , conseiller à la Cour impériale. CHARMA , professeur de philosophie à la Faculté des lettres. => > se e (oe 15. 35. L DE L'ACADÉMIE. h39 . MANCEL,, bibliothécaire de la ville de Caen. sUY , architecte. . PUISEUX , professeur d'histoire au Lycée. . CHAUVIN, professeur à la Faculté des sciences. . GERVAIS, de la Société des Antiquaires. . TROLLEY, professeur à l’École de droit. PIERRE, professeur de chimie à la Faculté des sciences. . HIPPEAU, professeur de littérature française à la Faculté des lettres. . DESBORDEAUX , de la Société d'Agriculture et de Commerce. . LATROUETTE,, docteur ès-lettres. . LEBOUCHER , professeur de physique à la Faculté des sciences. MORIÈRE , secrétaire de l'Association normande. . SOUEF , premier président de la Cour impériale. . THOMINE, ancien professeur à la Facultéde droit. . RABOU , procureur-général. . BERTAULD, professeur à l'École de droit. . DE GUERNON-RANVILLE , ancien ministre. GIRAULT , professeur à la Faculté des sciences. . TONNET, préfet du Calvados. . BESNARD, professeur à l'École de droit. . FRANÇOIS , recteur de l'Académie. . DEMIAU DE CROUZILHAC, conseiller à la Cour. . GAUVET, professeur à l’École de droit. JOLY , professeur de rhétorique au Lycée. . DU MONCEL, membre de plusieurs Sociétés sa- vantes. h40 LISTE DES MEMBRES eu ) n .? #5 )TUewubtreco afsocies restdautéo : Le MM. DELACODRE,, notaire honoraire. MOUNIER , ancien ingénieur en chef. LE COEUR, professeur à l’École de médecine. LE BASTARD-DELISLE, conseiller à la Cour impériale. GAUTIER , professeur de langues vivantes. CHAUVET, professeur de philosophie au Lycée. BOUET , peintre, de la Société des Antiquaires. COURTY , de la Société des Antiquaires. VAUTIER (Abel) , député au Gorps législatif. DUPRAY-LAMABÉRIE, substitut du proc.-impérial. LE PRESTRE, professeur à l’École de médecine. ROULLAND, professeur à l'École de médecine. MELON , président du Consistoire. VARIN, curé de Vaucelles. LE TELLIER , inspecteur en retraite. CHATEL, archiviste du Calvados. TRÉBUTIEN , professeur à l’École de droit. ROGER,, professeur de seconde. ? ? 7 lbeubiceo afsocies cottespondautéo : MM. BOULLAY , membre de l’Ac. de médecine , à Paris. DE TILLY (Adjutor), ancien député, à Villy. VIGNÉ, médecin, à Rouen. DE L'ACADÉMIE. hi JACQUELIN-DUBUISSON , médecin , à Paris. DE MAIMIEUX , homme de lettres, à Paris. GUITTARD, docteur en médecine, à Bordéaux. DE LA RUE, ancien juge de paix, à Breteuil. VIEILLARD (P.-A.), bibliothécaire du Sénat. LE TERTRE,, bibliothécaire , à Coutances. DE SURVILLE, ingénieur. DE HAMMER , à Vienne (Autriche ). BOURDON, de l’Académie de médecine, à Paris. LONDE, id. id. BOYELDIEU , avocat, id. POLINIÈRE, médecin des hospices, à Lyon. ARTUR , professeur de mathématiques, à Paris. DE BEAUREPAIRE , à Louvagny , près Falaise. JOLIMONT, peintre, à Paris. DIEN, graveur, id. SERRURIER,, docteur en médecine, id. DE VENDEUVRE, ancien préfet , à Vendeuvre. ÉLIE DE BEAUMONT, ingénieur des mines, à Paris. GIBON , maître de confér. à l’École normale, id. LAMBERT, conservateur de la Bibliothèque, à Bayeux. DUPIN (Charles) , sénateur, à Paris. DE MONTLIVAULT, ancien officier de marine, à Blois. DESNOYERS (Jules), naturaliste , à Paris. COUEFFIN, ancien ingénieur-géographe , à Bayeux. PETITOT , statuaire, à Paris. CHESNON , ancien principal de collége , à Évreux. GREY JAKSON, à St.-Servan. HERBERT SMITH (Édouard), membre de l’Académie de Cambridge (Angleterre). Me. COUEFFIN { Lucie), à Bayeux. 4? LISTE DES MEMBRES GIRARDIN, professeur de chimie, à Rouen. GATTEAUX, graveur et sculpteur , à Paris. DE LA MARE , évêque de Luçon. WOLF (Ferdinand) , à Vienne. TOLLEMER (l'abbé), à Valognes. REY , homme de lettres, à Paris. LE NOBLE, id. id. MARTIN, doyen de la Faculté des lettres, à Rennes. MASSON , agrégé près la Faculté des sciences de Paris. PILLET , professeur de rhétorique, à Bayeux. LE BRETON (Théodore), bibliothécaire, à Rouen. GUILLAUME , juge au tribunal de Besançon. A. BOULLÉE , ancien magistrat , à Paris. BOUCHER DE PERTHES, président de la Société d’émulation d’Abbeville. SANTAREM (le vicomte de), à Paris. MOLCHNEHT (Dominique), sculpteur, id. ROGQUANCOURT , ancien directeur de l’École mili- taire &e St.-Cyr. SIMON-SUISSE , ancien professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Paris. BATTEMAN, jurisconsulte anglais. DE BRÉBISSON , naturaliste , à Falaise. LA FRESNAYE, id. id. BOULATIGNIER , membre du Conseil d'État, à Paris. DE TOCQUEVILLE , membre de l’Ac. Française , id. LE PREVOST , correspondant de l’Institut, à Bernay. VÉRUSMOR , homme de lettres, à Cherbourg. LAMARTINE , membre de l’Ac. Française, à Paris. DOYÈRE, prof. d’hist. nat. au lycée Henri IV, id. BEUZEVILLE , homme de lettres, à Rouen. DE L'ACADÉMIE. h43 RAVAISSON , membre de l’Institut, à Paris. DE LA SICOTIÈRE, avocat , à Alencon. HOUEL (Ephrenm ), inspecteur des haras , à St.-Lo. MUNARET , docteur en médecine, à Lyon. BAILHACHE , professeur de 2°, au lycée du Mans. D'HOMBRE-FIRMAS, naturaliste , à Alais. HUREL, professeur de 2°, au collége de Falaise. VINGTRINIER , docteur en médecine , à Rouen. LAISNÉ , ancien principal du collége d’Avranches. DUMÉRIL (Édelestand ), homme de lettres, à Paris. PEZET, président du tribunal civil de Bayeux. BELLIN , avocat, à Lyon. ANTONY-DUVIVIER , homme de lettres, à Nevers. SAISSET , professeur au Collége de France. BERGER , prof. de rhétorique au lycée Charlemagne. VIOLLET, ingénieur , à Paris. SCHMITH , inspecteur d’Académie , à Marseille. DESAINS , prof. de physique au lycée Bonaparte. SANDRAS , ancien recteur de l’Académie de Rennes. LE FILLEUL DES GUERROTS, homme de lettres, au château des Guerrots (Seine-Inférieure ). RICHARD, préfet du Finistère. PORCHAT , ancien recteur, à Lausanne. QUATREFAGES, naturaliste, à Paris. LALOUEL , ancien professeur de langue anglaise. MAIGNIEN , doyen de la Fac. des lettres de Grenoble. ROSSET , homme de lettres, à Lyon. DE ROOSMALEN , prof. d’action oratoire, à Paris. CAP, directeur du Journal de pharmacie, id. CASTEL , agent-voyer chef, à St.-Lo. JAMIN , professeur au lycée Louis-le-Grand. hhl LISTE DES MEMBRES FAURE, professeur à l’École normale de Gap. DELACHAPELLE , secrét. de la Soc. acad, de Cherbourg. DANJOU, organiste de la métropole, à Paris. AMIOT, professeur au lycée St.-Louis. DE LIGNEROLLES, docteur en médecine, à Planquery. DUMONT , avocat, à St.-Mihiel. A. DELALANDE , avocat, à Valognes. MAGU , à Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne). STIÉVENART , doyen de la Faculté des lettres, à Dijon. DÉZOBRY (Ch. ), homme de lettres, à Paris. DE BANNEVILLE, diplomate. TURQUETY (Édouard), homme de lettres, à Rennes. CHARPENTIER, directeur de l’Éc. normale d’Alencon. RENAULT, vice-président du tribunal, à Coutances. JAMES (Constantin), docteur en médecine, à Paris. LE HÉRICHER , prof. de rhétorique , à Avranches. SALVANDY , ancien ministre, à Paris. LE VERRIER, sénateur, directeur de l'Observatoire. HUE DE CALIGNY , lauréat de l’Ac. desSc., à Versailles. EGGER , membre de l’Institut, à Paris. DELAVIGNE, prof. à la Fac. des lettres, à Toulouse. MAILLET LACOSTE, professeur honoraire de la Fa- culté des lettres de Caen, à Paris. BOCHER, ancien préfet du Calvados, à Paris. GASTAMBIDE, procureur-général , à Toulouse. EDOM, ancien recteur de l’Académie de la Sarthe. SORBIER , 1°". président de la Cour impériale d’Agen. CAMARET, ancien recteur de l’Ac. de Caen, à Douai. RIOBÉ , substitut, au Mans. BOUILLET , inspecteur de l’Académie de Paris. BORDES , conservateur des hypothèques, à Pont- l'Évêque. DE L'ACADÉMIE. hh5 ENDRÉS , ingénieur des Ppnts-et-Chaussées, au Mans. LE CHANTEUR DE PONTAUMONT, trésorier-archi- viste de la Société académique de Cherbourg. LEPEYTRE, ancien procureur-général à Caen. M", QUILLET, à Pont-l'Évêque. M'e, Rosalie DU PUGET , à Paris. MOREL , lauréat de l’Académie de Caen, id, DE KERCKHOVE, à Anvers. MÉNANT, juge au Tribunal de Lisieux. HOCDÉ , officier d’Académie , à Paris. COCHET, membre de plusieurs Sociétés savantes. BLANCHET, docteur en médecine, membre de plu- sieurs Sociétés savantes , à Paris. HOLLAND , homme de lettres, à Tubingen. DELISLE ( Léopold ), antiquaire, à Paris. CHASSAY (l'abbé ), prof. à la Fac. de théol. , id. CHÉRUEL, maître de conférences à l’École normale. POTTIER (André), bibliothécaire, à Rouen. BOUILLIER , doyen de la Fac. des lettres, à Lyon. DE BUSSCHER, secrétaire de la Soc. royale de Gand. HALLIWELL (James-Orchard ), antiquaire, à Londres. ROACH SMITH (Charles), id id. M. EUGÈNE D'HAUTEFEUILLE , à Luc. Me, DE MONTARAN, à Paris. DUVAL-JOUVE, inspect. de l’inst. pub. , à Strasbourg. GURNEY (Daniel), à North-Runcton (Norfolk). LE BIDARD DE THUMAIDE, procureur du roi, à Liége. LE GRAIN, peintre, à Vire. DE GIRARDOT , antiquaire, à Bourges. CLOGENSON, conseiller à la Cour imp. de Rouen. DANIEL, évêque de Coutances et d’Avranches. 46 LISTE DES MEMBRES DEVALROGER , professeur à l’École de droit de Paris. WALRAS, insp. de l’instruct. publique , à Pau. MERGET , professeur au lycée de Bordeaux. QUENAULT-DESRIVIÈRES , proviseur , à Nimes. LEROUX (Eugène ), dessinateur-lithographe, à Paris. DE CHENNEVIÈRES, inspecteur des musées, id. CHOISY , bibliothécaire de la ville de Falaise. DECORDE, curé de Bures (Seine-Inférieure). SIRAUDIN , à Bayeux. TARDIF ( Adolphe), de l'École des chartes, à Paris. TARDIF (Jules), id. id. LUNEL ( Benestor ), homme de lettres, id. DE SOUZA BANDEIRA (Herculano }, professeur de philosophie à l’Académie des arts, à Fernambouc. VALLET DE VIRIVILLE, prof. à l'École des chartes. LOUANDRE (Charles), homme de lettres, à Paris. DE SOULTRAIT , antiquaire, à Mâcon. HAURÉAU , homme de lettres, à Paris. MORISOT , ancien préfet du Calvados, id. BOSQUET (Mie, Amélie), à Rouen. LE NORMANT (René), naturaliste, à Vire. LAMBERT, inspecteur des écoles, à Nogent-sur-Seine. DE BEAUREPAIRE ( Eug. ), substitut, à Avranches. DES ROZIÈRES , professeur à l’École des chartes. BORDEAUX (Raymond), avocat, à Évreux. MICHAUX (Clovis), juge d'instruction , à Paris. DAVID (Jules-A. ), orientaliste , à Joigny. HÉBERT-DUPERRON , prof. de logique , à Lille. LOTTIN DE LAVAL, homme de lettres, près Bernay. WRIGTH (Thomas), corr. de l'Institut, à Londres. PETTIGREW , antiquaire , à Londres. DE L'AGADÉMIE, hh7 AKERMAN , sec. de la Soc. roy. des antiq. de Londres. MAURY, bibliothécaire de l’Institut, à Paris. M. PIGAULT, peintre, id. ÉNAULT (Louis), homme de lettres, id. DESROZIERS, inspecteur près la Fac. des sciences , id. LANDOIS , inspecteur de l’Académie de Paris. RAYNAL, avocat général à la Cour de cassation, JALLON , conseiller à la Cour de cassation. CAUSSIN DE PERCEVAL, 1°. présid. , à Montpellier. SUEUR-MERLIN, de plusieurs Soc. sav. , à Abbeville, LE PELLETIER, substitut, à Lourdes (Hautes-Pyr. ). BOVET, bibliothécaire, à Neuchatel ( Suisse ). GARNIER, sec. de la Soc. des antiq. de Picardie, DUPONT , procureur impérial, à Mortagne. LEBRUN (Isid.), homme de lettres, à Paris. SAUVAGE, avocat, à Mortain, THÉRY , recteur de l’Académie de Clermont. MITTERMAIER , à Heidelberg ( duché de Bade). DE GENS , secr. de la Soc. d'archéologie de Belgique. DE PONTGIBAUD (César), à Fontenay. LIAIS (Emmanuel), à Cherbourg. LE JOLIS ( Auguste), id. LE SIEUR, chef de la 1", division au ministère de l'instruction publique. LECADRE, docteur en médecine, au Havre. DU BREUIL DE MARSAN, à La Brousse-Briantais , près Matignon (Côtes-du-Nord ). PETIT (J.-L. ), antiquaire , à Londres. POGODINE (Michel), à Moscou. ENGELSTOFT , évêque de Fionie. SICK , à Odensée. LS, LISTE DES MEMBRES DE L' ACADÉMIE. DARU, ancien vice-président de l’Assemblée légis- lative, à Chiffrevast. LAFFETAY, chanoine, à Bayeux. CUSSON, secrétaire de la mairie de Rouen. GISTEL, professeur , à Munich. ALLEAUME, archiviste départemental , à Rodez. DIGARD DE LOUSTA, à Cherbourg. BERVILLE, président de chambre à la Cour impériale de Paris. REINVILLIER, docteur en médecine, à Paris. LAURENT, curé de St.-Martin, près de Condé-sur- Noireau. SCHWEIGHÆUSER , archiviste départemental , à Colmar. MARCHAND , pharmacien , à Fécamp. DE GOURNAY ,.insp. de l'instr. pub. , à St.-Lo. TOSTAIN , insp. génér. des ponts-et-chaussées, à Paris. LARTIGUE, capitaine de vaisseau. LAVAVASSEUR , homme de lettres, à Argentan. BESNOU, pharmacien de la marine, à Cherbourg. RENÉE (Amédée), homme de lettres, à Paris. RICHOMME ( Florent), à Château-du-Loir ( Sarthe). DE LA FERRIÈRE-PERCY de la Société des antiquaires de Normandie. COMMARMOND, couserv. du musée arch. de Lyon. MAYER, de la Soc. des ant. de Londres, à Liverpool. FABRICIUS (Adam), professeur d’hist. , à Copenhague. NICOT, secrétaire de l’Académie du Gard, à Nîmes. ROELANDT, président de la Société royale des beaux- arts de Gand. GUÉRIN DE LITTEAU , homme de lettres, à Paris. TABLE DES MATIÈRES. NOLE. PRELIMINA TIRE ME T7 PRE | y PRIX LAIR. Méparzze D'or DE 800 fr. PROGRAMME. vit MÉMOIRES. Dr LA TRANSMISSION DU MOUVEMENT CIRCULAIRE DANS UN PLAN, AU MOYEN D'UNE BIELLE; par MAC AGTRAULT M Se ee LS ARE PEN EAN EU ] NOTESURCERTAINES FORMULES TRIGONOMÉTRIQUES OBTENUES AU MOYEN DES INTÉGRALES DÉFINIES, par leNÉtarE::) Ja Leu ARE 19 RÉSOLUTION DE L'ÉQUATION TANG. M. TANG. 4 ; parle NRRNEE DEUX RCA LS CUMAMUMAR 1 92 REMARQUES RELATIVES A UN PRINCIPE FONDAMEN- TALDE LA MÉCANIQUE ; par le MÈME. . . . 25 BioGRaPHiR DU DOCTEUR LE SauvaGe; par M. CHARMANTE PR MEN 3 FRAGMENTS INÉDITS D'OUVRAGESINACHEVÉS DE FEU M. pocreur Le SAUVAGE. TRAITÉ DES FIÈVRES 85 THéoRiE DE LA VIE. ]03 PROJECTION DES PRINCIPAUX PHÉNOMENES DE L'OP- mQUE; par M. Th: Du Moncerz. : - … . 157 SUR LA LOI D'ACUROISSEMENT ET DE DÉCROISSEMENT DE LA POPULATION ; par M. Georges Besnarp. 203 SERMONS OU PRÔNES DE MAURICE DE SULLY, 2 TABLE DES MATIÈRES, Pages, PRÉCÉDÉS DE QUELQUES CONSIDÉRATIONS ; par NPA ee UN NE cd ouf ou 2 en 221 1°. Appendice. Saint Alexis, poëme du XIE MS ec Re NES AE": PR OA: 2°. Appendice. Psaumes du XII®. siècle. . 264 ADDITION A LA VIE ET AUX OEUVRES DE NicoLas VAUQUELIN DES ŸVETEAUX ; par M. Travers. 274 VERS FESCENNINS. CHANTS DES MOISSONNEURS ET DES VENDANGEURS. CHANSONS NUPTIALES, ÉPITHALAMES ; par M. DE GouRNay. . 01295 Érupe sur Jean-Louis Guez pe Bazzac; par MÉTEIBP EAU a LENS Dur te + 90 VENISE ET FLORENCE EXPLIQUANT L® GÉNIE DE LEURS PEINTRES ; par M. Jules Cauver. . . 366 Brocrapmie DE M. JEAN Simon ; par M.TRavers. 384 POÉSIES. À Maruerse ; par M. TH. Gurarp. . . . . 40] SOUVENIR DE THoMas MooRE, SONNETS : par M. Alphonse Le Fraguais: . 4 + + . , 9405 L'ANNIVERSAIRE ; par M€, Lucie CourrriN. . 408 A M€, DesBoRDES-V ALMORE ; par la Mëme. . 410 Ernest! 19%. anniversaire (9 sept. 1854 ); par MP AONITETE REA RIDE" MMMONNE NET AEMMAE A) Ouvrages offerts à l'Académie. . . . . . . 415 Sociétés correspondantes . :,. . . . . . 496 Réglement. HART NE 431 Liste des membres de l’Académie. . . . . . 437 Tablerdesimatières OR 144 CORRECTIONS POUR LA BIOGRAPHIE DE M JEAN SIMON. FAUTES D’IMPRESSION. Page 387, avant-dernière ligne. Évreux, lisez : Évrecy. 392, ligne 25. M. Tiphaine, lisez : M. Tiphaigne. ADDITIONS. Page 387. Ajouter à la suite de la dernière ligne : Chemin de grande communication d'Évrecy a la route royale n°, 43, par le Bac-du-Coudray. Caen, in-8°. (sans date). Page 389. Ajouter entre la 5e, et la 6€, ligne : Réponse a M. le colonel, comte, Borgarelli-d’Ison, membre du Conseil général. Caen, 1854, in-8°, Ce dernier opuscule porte la date du 24 août. Nous ne serions pas surpris qu’il nous eût échappé encore, malgré nos recherches, quelque travail imprimé de notre confrère. C’est le sort des bro- chures de circonstance, de mourir avec Ja circonstance qui les a fait naître. J, T. 7 a 16 JUN 1885 Caen, impe de A, Hardel, SOUS PRESSE : GLOSSAIRE DU PATOIS NORMAND; OEuvre posthume de M. Louis Du Bois , augmentée di plus des deux tiers par l'éditeur, et précédée d'une préface et d'une vie de l'auteur; par M. Julien Travers. 1 volume in-8°. d'environ 500 pages. A Caen, chez A. Hardel, imprimeur-libraire, rue Froide, 2. Nora. L'ouvrage n’est tiré qu'à deux cents exemplaires dont cent cinquante seulement seront mis dans le commerce. On souscrit à 8 francs l’exemplaire jusqu’au 34 décembre 1855. Le prix sera augmenté à partir de janvier 4857. « Il n'est pas contesté que l’ancienne langue française subsiste encore dans le langage du peuple et dans les patois de la province; et cela est si bien reconnu, que de tous côtés l'attention s’éveille sur ce point: on commence à ramasser ces loculions et ces tournures si long-temps mépri- sées ; on compile des Glossaires patois; on note curieusement la pronon- ciation particulière aux campagnes,...... Tout cela ne se peut faire sans amener des comparaisons, des réflexions, des découvertes. « Supposez que nous possédions des Glossaires des patois walon , picard, normand et lorrain, ce seraient d’immortelles archives de la langue francaises 1 SE NN Ie Es OR ES TER SUN ENT TE us tte « Ces Glossaires patois avanceraient tout d’un coup la besogne du Dictionnaire historique : l'Académie prendrait là ses éléments sur le vif. Tant de mots dépareillés, barbouillés, méconnaissables, errants à travers le langage comme des mots sans aveu, le Glossaire patois fournirait sur-le- champ de quoi leur constituer une famille, rétablir leur vraie physionomie, et les remettre dans le monde sur le pied d’honnèêtes et légitimes citoyens du Vocabulaire, sur le pied de Jeur naissance, avec restitution de leur antique apanage. Les écrivains du moyen-âge seraient appelés à déposer comme témoins et à confirmer la possession d'état par preuves écrites et irrécusables. La langue française se trouverait tout-à-coup restaurée : ce serait un monument simple et grandiose dont chacun pourrait mesurer l'intérieur et examiner toutes les assises depuis les plus anciennes jusqu'aux plus récentes, éclairé par le flambeau du génie même qui a présidé à la fondation, 0 NT nt Te 0 SSL RE EL NE Feu Gënix. Préface de ses Récréations philologiques. RL: Les ge AU CR LCTERANT UN Re CV Fan FTENN D n | Ve RAIMN TO et d ES (e Ne + ip lt me 1 NE V2 =? Den ve - L C1 = LI RATE