MÉMOIRES DE LA | SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS NOUVELLE PÉRIODE TOME PREMIER ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE | Chaussée Saint-Pierre, 13 LA | = Te 1858 , SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS. AAAIMNEE ÉTFAEN LATHA TA,25 Ÿ MÉMOIRES DE LA NOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS NOUVELLE PÉRIODE TOME PREMIER ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈÉSE Chaussée Saint-Pierre, 13 1858 VRLIAAE ETAT OLIPHANT DU MUSÉE D'ANGERS. ‘On sait qu’au moyen âge on donnait le nom d’oli- phant non seulement à l'éléphant, mais au cornet fait avec la dent de l’éléphant et qui sculpté ou non sculpté, servait à divers usages réligieux ou profanes. Le . Musée d’antiquités d'Angers possède un de ces ivoires qui n’a pas moins de 60 centimètres de longueur; il est orné de sculptures en relief qui ont 74 millimètres de hauteur. On ignore la provenance de ce précieux objet; il ne serait pas impossible qu’il eût appartenu à la cathédrale d'Angers. On lit en effet dans un inventaire des saintes reliques de Saint-Maurice : « Art. 41. Un cor de ma- » tière d’yvoire dont, selon l# tradition, saint Lezin » s’étoit servi avant d’être évêque d'Angers. On le con- » serve en mémoire de ce saint (1). » D’après une tradition locale, on sonnait de cet oli- phant dans la cathédrale d'Angers pendant les jours (1) Inventaire dresgé au xXvine siècle. SOC. D’AG. j 1 RCE ES de la Semaine sainte, où la voix des cloches est in- terdite. D'un autre côté, il se pourrait que notre oliphant provint de l’abbaye de Saint-Florent-le-Vieil, où il en existait un, s’il faut en croire ce passage de dom Jean Huynes (p. 152 de notre manuscrit inédit) : « En cet ancien monastère (Saint-Florent-le-Vieil), Guallo (moine bénédictin vers le xe siècle), ne voyant que ruines et immondices de bêtes sauvages, nettoya le tout au mieux qu’il put, puis prit avec soy plu- sieurs cavaliers pour rélablir les héritages du saint en leur premier état... Cela fait, il se munit de quelques raretés et beaux présents pour aller les offrir à Hasten (sic), duc de Normandie, résidant encore en la ville de Nantes, pour captiver sa bienveillance; où étant arrivé, dés que le duc l’aperçut avec pré- sents, se levant de son siège, le vint embrasser (car on tient qu’il étoit bon chrétien) et approchant sa bouche de la sienne, il lui demanda quel sujet l’ame- noit, ce qu’il désiroit, lui commandant de parler li- brement. Lors Guallo, bien joyeux, lui manifesta ses désirs, lesquels le duc enterrina volontiers, et à cet effet lui donna la trompette d'yvoire dite tonnerre, l’avertissant d’en sonner lorsque ses gens iroient à la picorée, avec l'assurance qu’ils se retireroient dès aussitôt de ses héritages sans aucun tort; de quoy le mc:ne satisfait retourna à Saint-Florent, etc., etc... » Un autre document que nous extrayons de Bruneau de Tartifume indiquerait au contraire que ledit oli- phant aurait appartenu à l’église aujourd’hui détruite de Saint-Jean-Baptiste ou Saint-Julien d'Angers. EE = L’instrument que l’on nomme oliphant, olifunt, leo- phant, éléphant, était d’un grand usage au moyen âge; nous venons de voir qu'il servait de signal contre les picoreurs, et qu’en certaine circonstance on l’employait dans les églises. Qui ne sait, en outre, que Roland, ce paladin moitié fabuleux et moitié historique, en son- nait à la guerre ? Notre petit bas-relief qui, évidemment, nous retrace une scène orientale, nous révèle de son côté que l'usage de ce cor n’était point inconnu aux pays du Levant, d’où sans doute il nous est venu. Ces instruments étaient quelquefois ornés de figures étranges. M de Laborde en signale un en ces termes à la page 409 de son Glossaire et Répertoire : « Année » 1467, yn cornet d’yvoire tout ouvré de bestes et » autres ouvraiges. » Celui de notre musée me semble bien de la même famille. M. Carrand, archéologue dis- tingué de Paris, croit qu’il date du xxx siècle et qu’il a été travaillé à Damas. Le R. P. Martin, lors d’un voyage qu’il fiten Anjou, le trouva si curieux qu’il m'en demanda un estampage en plâtre que je lui envoyai. Il devait s'entendre avec M. Lajard, de l’Institut de France, pour savoir quels pouvaient être les sujets qu’il repré- sente. Quelques APR Se ont voulu voir dans ce bas- relief une scène mithriatique; d’autres, desanimaux sym- boliques. M. l’abbé Corblet croit que c’est simplement une scène de chasse qu’il explique de la manière sui- vante : Une lionne vient d’être percée d’une flèche; trois chiens sont acharnés après elle et vont la mettre en pièces, mais un chasseur arrête de la main gauche un de ces chiens furieux et se prépare à frapper la lionne du coutelas qu'il tient à la main droite. Un bel, ac jeune homme nu, assis sur un chameau , caparaçonné à l’orientale, considère cette victoire et sonne l’hallali avec un oliphant. Le chameau est tenu par un person- nage également nu, qui est sans doute un Ethiopien. Ce triomphe des chasseurs doit effrayer tous les ani- maux de la forêt. Pour exprimer cette idée, l’arliste a représenté deux animaux qui s’enfuient en foulant aux pieds les arbres etun pauvre lièvre aussi effrayé qu'eux. Les queues de ces animaux se terminent en têtes de chiens aboyants ; c’est sans doute pour faire comprendre que les chiens sont à leurs trousses. S'ils ont des ailes, c’est probablement par suite d’une fantaisie de l'artiste, qui a voulu naïvement exprimer par là que la peur donnait des ailes à tous les animaux de la forêt. Telle est l'explication que nous a proposée M. l'abbé Corblet, en considérant cet ivoire comme un cor de chasse qui, par la suite des temps, a pu recevoir la destination d’une trompe, pour remplacer les cloches pendant la Semaine sainte. Il l’a trouvé si curieux qu’il nous en a demandé un dessin et une note pour la Revue de l’art chrétien. En regard de cette interprétation faite d’après le sens nalu- rel, il convient de placer l’explicalion de M. Lajard membre de l’Institut de France, prise au sens symbo- lique. Voici la lettre qu’il voulut bien m'adresser en ré- . ponse à celle du 12 octobre que je lui avais envoyée. Tours, le 48 octobre 1857. « Monsieur, » J'ai reçu, avec la lettre que vous m’avez fait l’hon- neur de m'écrire le 12 de ce mois, les six dessins tn photographiés qui s’y trouvaient joints et qui repré- sentent le curieux oliphant du Musée confié à vos soins éclairés. Je vous prie d’agréer mes remerciments pour aimable empressement que vous avez mis à déférer au désir de mon ami le comte de Galembert, en me faisant une aussi intéressante communication. Je rece- vrai avec non moins de reconnaissance toutes les autres communications que, par la suite, vous auriez la bonté de me faire, soit qu’elles se rattachent à mes recher- ches sur le Culte de Vénus et le culte de Mithra en Orient et en Occident, soit qu’elles aient pour but de connaître mon avis sur quelque monument figuré ou quelque question d’archéologie qui vous intéresse- rait personnellement. Vous me trouverez toujours plein de zèle et d’ardeur pour les études archéolo- giques, mais rarement disposé à me considérer comme un juge compétent, plus rarement encore disposé à imposer mon opinion. Après plus de quarante années de travaux assidus, personne ne reste plus effrayé que Je ne le suis des difficultés sans nombre qui se ren- contrent dans toutes les branches de l'archéologie , et la main me tremble toujours lorsque je prends la plume pour écrire une ligne sur les questions d’anti- quité que j'ai le plus étudiées. » Ne vous étonnez donc pas, monsieur, si je vous avoue, sans aucune fausse modestie, que je ne me sens point en état de vous donner l’explication du su- jet sculpté sur le bel oliphant dont les dessins sont en ce moment sous mes yeux. Une seule assertion m'est permise, c’est que vous avez parfaitement raison de ne pas considérer cet oliphant comme un monument mithriaque. Il appartient, selon toute probabilité, à / SE AGNE cette série, bien peu étudiée encore, de monuments qui remontent à l’époque des croisades et qui se font re- marquer par des compositions où il est difficile de ne pas reconnaître un mélange de symboles chrétiens et de symboles païens. Mais ce syncrétisme avait sans doute des règles, et ces règles nous sont encore in- connues ; nous ignorons même le sens intime, ou, pour parler plus exactement, les divers sens intimes dont est susceptible chaque symbole employé par les peuples paiens de l'Orient. Ces divers sens restent lettre close, soit qu'on en demande la clef aux archéologues qui ont étudié le langage symbolique sur les monuments figurés orientaux, soit qu’on en demande la clef aux philologues les plus versés dans la connaissance des langues anciennes de l'Orient qui ont conservé le mot correspondant au symbole sculpté, peint ou gravé. Peut-être vous a-t-on dit, monsieur, que je suis un des hommes patients qui ont le plus étudié le langage symbolique des anciens peuples sur les monuments de l’art comme dans les divers idiomes de ces peuples. Je ne m'en défends pas, tout en déclarant cependant que, pour les recherches philologiques, j'ai été obligé de recourir souvent au savoir de plusieurs de mes con- frères de l’Académie des belles-lettres. Mais, en pré- sence de la scène sculptée sur l’oliphant du musée d'Angers, s’il m’est facile, comme à tout le monde, d'y reconnaître des symboles qui appartiennent à l'Orient, d'autre part, je ne puis affirmer que là ces symboles aient une des significations intimes ou secrètes qu’ils ont sur les monuments païens. Je ne comprends pas bien leur corrélation avec le groupe principal, l'enfant placé sur un chameau. Ce groupe me donne lieu de ON Île penser qu’on a voulu représenter ici la naissance du Christ, considérée comme la nouvelle lumière qui vient éclairer le monde, comme le gage d’une nou- velle vie, c’est-à-dire de la vie spirituelle. Monté sur un quadrupède qui nous rappelle l’Orient, et que, par la même raison, d’autres monuments donnent pour monture au Soleil personnifié, le fils de Dieu, un oli- phant à la main, vient annoncer à l'univers la parole di- vine, la nouvelle Loi, l'Évangile. De plus, il est précédé et suivi de deux groupes symboliques, qui, dans la com- position des antiquités figurées orientales, expriment les idées de lumière et de feu, et, par extension, l’idée de la purification et du développement intellectuel. Ainsi, dans mon hypothèse, l'enfant Jésus, Dieu de lumière, Dieu-soleil, aurait été placé ici entre un groupe composé d’une lionne ou d’un lion attaqué par deux chiens, symbole du solstice d’été, de la canicule ou de la plus grande exaltation du soleil, et un groupe qui nous montre la victoire du griffon sur le lion, c’est-à-dire la lumière et le feu célestes purifiant la lumière et la cha- leur terrestres. Car, dans l’Asie occidentale, le lion était l’hiéroglyphe idéographique de la chaleur ou du feu et de la lumière de la terre; et le griffon (mi-partie lion et mi-partie aigle) l’hiéroglyphe idéographique de la région solaire, et, par conséquent, le symbole du soleil et de la lune. Dans ce second groupe, il faut bien remarquer que la queue du lion ailé est terminée par une tête de chien ou par une tête de loup, ce qui, dans les deux cas, ne contribue pas peu à réveiller les idées de chaleur ou de feu et de lumière. Le griffon foulant aux pieds un lièvre, animal immonde, emblème de la génération physique , exprime le premier degré de la purification = céleste. Enfin le cyprès pyramidal qui clot la marche triomphale de l'enfant Jésus, puisqu'il a été placé de- vant le groupe symbolique de la victoire du griffon sur le lion, est un emblème reconnu de nouvelle vie et d’immortalité (1). Or le sacrifice sanglant de ré- demption qui doit assurer au monde la nouvelle vie et l'immortalité me semble représenté, à l’autre ex- trémité de la scène ou du tableau, par un jeune homme imberbe ou plutôt par une femme (2) qui, les deux genoux en terre, et la main droite armée d’un glaive ou d’un long poignard, se dispose à im- moler un veau ou une génisse, symboles de la vie ma- térielle, comme le taureau (3). Une vierge sainte n’a- t-elle pas donné le jour au Dieu Sauveur qui, par son sang, a racheté le péché originel, le péché de la pre- mière femme, mère du genre humain ? Dans mon inter- prétation hypothétique, l’idée fondamentale du christia- nisme se trouverait donc exprimée à la fois par la représentation de l’enfant Jésus et par des symboles ou des emblèmes empruntés à l’art religieux des na- tions païennes de l’antique Asie occidentale. ‘Mais, je vous le répète, monsieur, si je suis porté à croire que, considérée dans son ensemble, la scène sculptée sur le (1) Voyez mes Recherches sur le culte du cyprès pyramidal insérées dans la 2e partie du tome xx des Mémoires de l’Académie des inscrip- lions ef belles-lettres. (2) Dans mes Recherches sur le culte de Vénus (3e mémoire), j'ai montré que les bas-reliefs romains ou les rondes-bosses, qui repré- sentent Mithra immolant un taureau, symbole de vie, sont la re- production de monuments composés par les Grecs de l’Asie-Mineure d'après un type primitif, la Vénus des Assyriens, des Phéniciens, des Phrygiens,.etc., accomplissant le même sacrifice. (3) Voyez mon mémoire sur le taureau et le lion, dans mes Re- cherches sur le culte de Vénus. tp — précieux oliphant du musée d'Angers classe ce monu- ment parmi les antiquités chrétiennes, je n’entends vous présenter que comme de simples conjectures les interprétations qui me sont suggérées par les divers groupes symboliques et les emblèmes placés dans cette scène. » Je ne dois pas vous laisser ignorer, Monsieur, que j'ai été confirmé, au premier aperçu, dans la pensée d'attribuer une origine chrétienne à cet oliphant, par le témoignage d’un autre oliphant d'ivoire, qui est inédit et que j'ai fait acheter, il y a quelques années déjà, à M. le duc de Luynes. Ce monument, un peu plus grand (1) que l’oliphant du Musée d'Angers, est entière- ment couvert de groupes symboliques, au milieu des- quels: il est impossible de méconnaïître la figure du Bon-Pasteur portant sur ses épaules la brebis égarée. Or, dans ces groupes, se trouvent des symboles qui, évidemment empruntés à l'Orient païen, expriment, de leur côté, les idées de purification et de nouvelle vie, mais par des complications ou des accessoires diffé- rents des groupes symboliques et des emblèmes aux- quels je propose d’attribuer les mêmes interprétations sur l’oliphant dont je vous dois la connaissance. » Celui qué fait partie des riches collections que ren- ferme le cabinet de M. de Luynes sera incessamment publié, avec plusieurs autres, par M. Francisque Mi- chel. Je doute fort qu’il parvienne à en donner une in- terprétation complète. » Excusez, Monsieur, la longueur de cette lettre, et (1) Il a 73 centimètres de long. A, es agréez les assurances de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d’être, » Monsieur, » Votre très-humble et très-obéissant serviteur. » FÉLIX LAJARD. » On peut ajouter, au soutien de la thèse de M. La- jard, qu’il existait sur le maïître-autel de la cathédrale d’Arras un ange en vermeil du xrrie siècle, annonçant la bonne nouvelle au moyen d’un oliphant (Viollet-Le Duc, Dict. de l'archit. p. 28, 1. 9). Quoiqu'il en soit de cette interprétation de M. La- jard, je ne sais ce qui doit le plus nous toucher ou de la sagacité qu’on y rencontre ou de la modestie char- mante avec laquelle l’auteur la propose. Si le dernier mot n’est pas dit sur cet oliphant, je ne crois pas possible qu’il s’en écrive de plus délicat quant à la forme et de plus prudent quant au fond. V. GoDARD-FAULTRIER. DES LAMPES ARDENTES DANS LES CIMETIÈRES. M. A. Faucheux, curé de Mouliherne, a bien voulu communiquer à la Société la lettre suivante qui lui avait été adressée par M. Négrier, ancien vicaire de Saint-Martin-du-Bois. Monsieur le curé, Voici la notice que je vous ai promise, sur une par- ticularité qui concerne votre cimetière. L'ouvrage d’où je l'ai extraite a pour titre : Considérations el pratiques de piété, tirées de l’'Ecriture sainte, des. conciles et des Pères de l'Église, pour honorer Jésus-Christ au Saint- Sacrement. Get ouvrage, in-18, a été imprimé à Chä- teau-Gontier, chez Joseph Gentil, imprimeur de la ville et du collége, 1716. Le chapitre où il est question de Mouliherne, est intitulé : Des lampes ardentes devant le Saint-Sacre- ment. L'auteur, après avoir démontré l’origine et l’obli- gation d’entretenir des lampes devant le Saint-Sa- crement, dit que cette pratique s’observait en plu- Er ee sieurs lieux d'Orient et d'Occident dans les cimetières, à cause de la divine Eucharistie que l’on mettait dans la bouche des morts. Plus tard, l'Eglise, par la voix des conciles, défendit cet usage. Je copie maintenant le texte pur. Toutes les défenses des conciles n’empêchérent pas qu’en plusieurs endroits de la chrétienté, on n’ob- servâl encore celte coutume, et qu’on ne mit des lampes ardentes dans les cimetières. On en voit en plusieurs diocèses de ce royaume, de différentes figures. Il y en a une dans le cimetière de Limoges en forme de pyra- mide ; à Bourbon-l' Archambault, en forme de dôme, où on monte par un escalier. Il y en a une très-ancienne dans le cimetière de la paroisse de Mouliherne, en Anjou. La description que m’en a envoyée M. Leroy, l’un des curés de Mouliherne, est si singulière, que le lecteur prendra sans doute plaisir à la lire; la voici : « Ce fanal ou lampe, est bâti sur un caveau , ou crypte souterraine (1), voûtée en voûtes d’ogives, qui est ouverte à lorient, et a un bénitier à côté dans le mur. Ce caveau est moitié en terre, et moitié en des- sus, en manière de butte, sur laquelle, vers l’occident, il y a une table couverte d’une ardoise au pied de la croix, où on chante l’évangile le jour des Rameaux. Il y paraît des marches ou degrés de pierre froide pour y monter, de tous les côtés excepté vers l’orient, où est l'ouverture du caveau, raz-lerre. Le devant de la table est de pierre de tuf, orné detrois petites colonnes: sur ladite butte ou éminence, vers l’orient, est élevé le fanal ou lampe, de la hauteur de quinze pieds, ou en- (1) Cette crypte sert encore aujourd’hui d’ossuaire. Voir Nouvelles archéologiques de M. Godard-Faultrier, n° 21. An | viron. Il y a vers le septentrion une ouverture, comme pour servir d'entrée audit fanal, qui est percé jusqu’au haut, où il y a une voûte en cul-de-four, sur laquelle est posée la figure de la croix. La largeur du fanal en dedans, est de deux pieds de diamètre; il est bâti de pierres de tuf, taillées en rond. Il ÿ a comme six pe- tites colonnes autour, taillées sur la pierre. On voit par dedans, au haut du fanal, au-dessous de la fi- gure de la croix, un trou, où apparemment il y avait quelque crampon de fer pour soutenir une lanterne, vis-à-vis de six petites fenêtres, qui sont d’un pied et demi de hauteur, et de sept à huit pouces de largeur. Vôilà à peu près la figure de notre croix, qui est la croix stationale. » « Cette description, continue l’auteur, mérite l’at- tention des personnes curieuses de l’antiquité, car Je ne crois pas qu’on voÿe rien de semblable ailleurs. Il y a deux curés à Mouliherne, qui, dans les anciennes déclarations, porte le nom et le titre de ville. L'église, qui est dédiée à saint Germain, évêque de Paris, est trés-ancienne, voûtée, grande et belle : l’une des cures, est présentée par le Roy, et l’autre par l’évêque d’An- _gers; et les deux curés servent alternativement la pa- roisse, chacun en sa semaine, dans la même église. » Il existe un fanal ou lampe semblable dans le ci- metière de Montsoreau, en Anjou. Dans cette dernière localité, on voit au pied du fanal, un pupitre sur lequel on met l’évangile pour le chanter à la procession des Rameaux. M. Henri, docteur en théologie, a assuré à un de mes amis avoir vu dans le trésor de Saint-Flo- rent-le-Jeune, la fondation d’une lampe dans le ci- metière de Montsoreau, ob reverentiam corporis Domini 2 {Mes in ore defunctorum. D’autres contrairement à cette opi- nion, qui est la plus commune, prétendent qu’on se servait de ces lampes pour éclairer les peuples, qui s’assemblaient la nuit dans les églises et dans les ci- metières, pour y célébrer la veille des fêtes, d’où elles ont retenu le nom de Vigiliæ. » PROJET ICONOGRAPHIQUE ET SYMBOLIQUE , EN STYLE DU XIE SIÈCLE, POUR LA DÉCORATION DES VERRIÈRES ABSIDALES dites de la Légion-d’Honneur, DANS L'ÉGLISE PAROISSIALE DE LONGUE. Messieurs, Appelé par la bienveillance de votre secrétaire à prendre aujourd’hui la parole devant vous, j’éprouve, pour cette première fois, un double sentiment de crainte et de confiance. Je me rassure en comptant par avance sur votre sympathie, puisque désormais vous voulez bien m’honorer du titre de collégue. Mais je ne me dissimule pas que, nouveau-venu, dans un pays qui n’est le mien que par adoption, mon rôle se- rait plutôt de me taire, et de profiter, en vous écoutant, de votre expérience et de vos recherches. Je ne viens donc pas vous entretenir de ce que j'ignore ou connais à peine, mais vous dire que, comme vous, j'aime ce diocèse et que votre voix trouvera toujours un écho dans mon cœur, quand il s’agira d’en rehausser la ME gloire. La meilleure preuve que je puisse en fournir, c’est d’avoir répondu sans hésitation au désir qui m'était manifesté par un digne prélat de voir mes tra- vaux s’unir aux vôtres, puis d’avoir préféré à des occu- pations que je m'étais créées et au séjour de la Ville éternelle, le séjour de votre ville, à laquelle, du reste, m'atlachent de si doux souvenirs, et l’étude de votre histoire, de vos monuments et de vos institutions. Souffrez donc, Messieurs, qu’un instant j'écarte le passé et que je vous montre la sollicitude et les efforts du présent à bien faire pour mériter les suffrages de l'avenir. Sous vos yeux, Messieurs, s’élève depuis plusieurs années un édifice religieux, dont vous savez la fonda- tion, les vicissitudes et le succès. L’église de Longué, re- marquable à bien des titres, n’intéresse pas seulement Anjou ; la France entière a contribué à son érection. Aussi, elle est grande, vaste, belle comme une cathé- drale. Tous les jours vous entendez répéter : Nous voulons une œuvre qui ait du style. M. l’abbé Masson- neau, curé de la nouvelle église, a voulu davantage, il a exigé du style et de la pensée. Les vitraux dus à la générosité des dignitaires de la Légion-d'Honneur, étaient par leur nombre et leurs dimensions, un champ trop spacieux pour ne pas de- mander à l’iconographie chrétienne un thème qui har- monisâl leur ensemble et leur destination. Il y avait là deux idées dominantes : un bienfait à consacrer et une croix à exalter; une dette à payer et une gloire à symboliser; deux noms à associer, La Croix et la Lé- gion-d'Honneur. NON TAN S’inspirer du génie du x siècle pour la forme seu- lement, ce n’était pas assez; remontant plus haut, il fallait aller puiser à ces sources divines où la pensée féconde l’art et.où la vie anime la matière, rendre en un mot, essentiellement chrétienne l’oblation faite à une église. Je n’ignore pas que ce He élevé de l’art chré- tien, basé sur l’Écriture et la tradition, est loin d’être aujourd’hui populaire. Néanmoins, j'ai cru pouvoir marcher dans la voie tracée par nos devanciers et Ton ne. me blâmera pas, je l'espère, d’avoir songé à gran- dir une œuvre importante déjà, en cherchant par la foi son principe au ciel. Tel est le sens de l'avis que j'ai donné quand on est venu me demander conseil. Voici maintenant le développement de la synthèse qu’un habile artiste de Tours, M. Lobin, fera briller de ses plus vives cou- leurs dans les dix-huit baies qui éclairent le chœur de l’église de Longué. Seul, Jésus-Christ a glorifié la croix, lorsque, d’ins- trument de supplice qu’elle était d’abord, il l’a faite instrument de triomphe; de gibet où pendaient les coupables, trophée dont est fier le vainqueur. La croix du Sauveur est donc le type premier et unique de la croix glorifiée, symbole et récompense de l'honneur. Or, l’ignominie de la croix cesse à la résurrection du Christ, car alors le démon qui régnait par son bois est vaincu, et la mort enfantée par le péché, humiliée, anéantie dans sa défaite : « Mors quippe in moriente extincta est et vilain resurgente die tertio resurrexit. (Mss. de la Bibl. de la ville. xrrre siècle.) Ut undè mors orte- SOC. D’AG. 2 1% = balur inde vila resurgerel et qui in ligno vincebat in ligno quoque vinceretur. » (1) Par uñé conséquence natu- relle, Rome, et à Son imitation, une pélité ville de l’ancien Anjou, Loudun, n’ont pas voulu séparer dans leur culte larme’ du triomphe ‘et lé ‘triomphateur ; aussi, le jour de Pâques, fidèles aux souvenirs’ ‘des premiers âges, elles’ présentent aux adorations dés fi- dèles agenouillés, le bois auguste de la éroix (2). Pénétrés de cette connexion intime, les artistes du moyeñ âge, jusqu’à Raphaël, ont mis ‘une ‘eroix, non la croix du Calvaire, mais une croix transfigurée ‘aux mains dé Jésus-Christ sortant du tombeau. Au centre de l’abside, à lorient de l'église, dans cette fenêtre que lés premiers feux du jour viennent frapper, Jésus-Christ, le véritable soleil (8), ressusci- tera. Il tiendra, dans la main gauche, une croix dont l'or et les pierreries ‘exprimeront Ja transformation glorieusé; à éétte croix (flottera une bannière rouge armoriée d’une croix, étendard autour duquel il ral- liéra, chef des martyrs, les soldats qu’il enrôle : « Do- mine, in ligno crucis dux fuisli » (4); il bénira de la main droite, à la manière latine, au nom dela sainte Trinité, pour encourager 4 le suivre , « educit eos in spe, » (5) assurer le succès de sa mission et confir: mer l’œuvre commencée! da salut : « Confirma hoc, 1 (4) Préface de la Passion: (2) L’Année liturgique à Rome, p. 160. Revue de l’art chrétien, 18517, p. 227. (3) Sol verus. Hymne du Bréviaire parisien, So! xÿre significal: Mss! de Saint Augustin, à la bibl. de la ville, xime siècle. (4) Antienne de l'office de saint André. (5) Paroles de la liturgie romaine. = 19 = Deus, quod operatus est in nobis, » (1) enfin il terri- fiera cette milice tremblante, impuissante à garder son tombeau, image du monde païen ‘dont le ‘christia- nisme accéléra la ruine : « Præ timore autem ejus exterriti sunt eustodes et facti sunt sicut mortui. » (2) Il existe au Musée chrétien du Vatican un sarco- phage extrait des catacombes, dont l’heureux motif ornera la seconde baie de la fenêtre absidale. Une croix perlée est sculptée à l’une des extrémités de la tombe; l'alpha et l’oméga la surmontent, et sous ses croisillons s’abritent deux guerriers en repos, le regard fixé sur elle (3). Salut, croix précieuse, « salve, crux pretiosa (4), » que la gloire éternelle entoure de lumière et que la majesté divine pare de ses plus riches faveurs. Oui, précieuse : Alpha, elle donne naissance au christianisme; Oméga, à la fin des temps, le Fils s’en servira pour juger les hommes (5). Alpha, elle signe notre front au jour du baptème ; Oméga, elle recoit le dernier baiser du chrétien , en attendant qu'une main amie la plante avec douleur sur sa tombe. La croix est le principe et la fin, le point de départ et le but, l’espoir et la récompense. Les Sociétés modernes, formées par le christianisme, ont reçu de la croix leur civilisation. Or, les défen- seurs nés des sociétés sont les empereurs, les rois et (1) Paroles de la liturgie romaine, (2) Office de Pâques, au Bréviaire romain. (3) V. Perret. Catacombes de Rome. (4) Office de saint André. y (5) Rose du Nord, à la cathédrale d'Angers. -- Sculptures du tran- sept septentrional à l’abbaye d’Asnières. 2" = les soldats. À eux donc aussi incombe le devoir de veiller à la garde de la Croix. Nous nommerons Constantin et Charlemagne, coNs- TANTINVS, KAROLVS IMP., les deux guerriers qui, debout au pied de la croix, prennent, avec leur repos, les plus saintes inspirations, sous son ombre tutélaire. Tous les deux symbolisent l'Orient et l’Occident chré- tiens. Qu'on ne me taxe pas ici de nouveauté ni de hardiesse. On remarque aux portails dé certaines églises du Poitou, de l’Angoumois et de la Saintonge, deux grands cavaliers placés à droite et à gauche, sous la croix qui domine au pignon. Bien des savants ont exercé leur sagacité sur ces représentations mysté- rieuses, mais une«découverte récente faite au bap- tistère de St-Jean de Poitiers, ne laisse plus de doute sur leurs noms et leurs attribuuons. Empe- reurs des deux plus vastes empires qui se soient par- tagé le monde, ils sont à l’avant-poste pour la sauve- garde de leurs églises. Comme à la croix peinte dans le baptistère souter- rain de Saint-Pontien, à Rome, nous aimerons voir sortir du piéd de la croix, des tiges vertes et fleu- ries (1), par allusion à la végétation et à l’efflores- cence du christianisme dans nos contrées favorisées. Avançons encore. La croix, c’est Jésus-Christ lui- même, selon cette définition de S. Paulin : « Ubi crux el martyr ibi » (2), que le xuxe siècle :interprétait en mosaique dans l’abside de St-Jean-de-Latran, à Rome. (1) V. Perret, Catacombes de Rome. (2, Didron. Histoire de Dieu. FLO ESS Nous pouvons donc, autorisés par ce principe, appli- quer à la croix ces belles paroles que j’emprunte à la liturgie : € Deus, tuorum militum Sors, et corona, præœmium. » La croix est échue en partage au soldat; il la défend et la protège. Au jour de la victoire, la croix sera sa couronne et sa récompense. Serait-ce trop alors de traduire au bas du vitrail, un sentiment de gratitude par ce texte d’un prophète : ic NIMIS. HONORATI. SVNT. AMICI. TVI. DEVS. Demandez, Messieurs, au peuple qui, sans connaître en détail la vie des Saints, n’ignore ni le nom ni les vertus de ceux que la liturgie révère, demandez au peuple angevin quels sont les héros chrétiens qui se sont immortalisés à la défense de la croix. Et aussitôt vous entendrez, comme dans une litanie, ces noms po- pulaires des saints Longin, Eustache, Théodore, Mau- rice, Hippolyte, Sébastien, Georges, Victor, Serge et Bach, Chrysogone, Edouard, Henri, Etienne, Ferdi- nand et Louis. Nous nous arrêtons à ce choix et, de chaque côté du Christ ressuscitant et de la croix glo- rifiée, nous rangeons l’armée sainte, le corps d'élite qui lone Dieu sans cesse de la victoire qu’il a rem-. portée, à l’exemple et à la suite de son chef magna- nime : « În die resurrectionis præcedam vos. Victri- cem manum tuam, Domine, laudav&runt (1). » (4) Paroles de la liturgie. Û Si l’ordre, la grandeur et l’iconographie des per- sonnages nécessitaient une explication, je dirais que le placement de chacun est déterminé par la chronolo- ‘gie qui rapproche ou éloigne du Sauveur, selon une hiérarchie purement matérielle et de temps, car, dans l’ordre moral, quel est le premier, quel est le plus digne de-tous ces saints? Leur iconographie s’inspire de la tradition et de l’histoire; en effet, de même qu'il serait téméraire de modifier des attributs adoptés, de même il ne serait pas juste de délaisser les monu- ments authentiques, quoique moins connus, qui ca- ractérisent les Saints. Enfin, si nous préférons des personnages en pied, remplissant chacun une baie entière, c’est que par suite de la hauteur des fenêtres, les médaillons légendaires seraiént difficilement ou pé- niblement lisibles. Chartres, Bourges, Lyon nous au- torisaient suffisamment par leurs splendides verrières du xrue siècle, à réserver pour les fenêtres basses les sujets à petite scène, . et à placer dans les fenêtres élevées des figures de grande dimension. L'effet mo- numental, tout aussi bien que. l'archéologie la plus sévère, exigealt cette mesure. S. Longin (1), debout, comme autrefois sur le Gal- vaire, à la droite de Jésus-Christ, s’appuie pensif sur _ la lance qui perça le cœur du Sauveur. Il songe à la blessure qu’il a faite et d’où pour lui s’échappent avec des flots de sang la miséricorde et, le. salut, car, depuis, soldat fidèle à son Dieu, il subit un glorieux KL] (1) IL est nommé Longis dans les tapisseries du château du Verger qui sont maintenant à la cathédrale. RRNCT (s martyre à Césarée, en Cappadoce, l’an,,33 (1). La forme de la lance est: déterminée par celle que Rome expose chaque année! aux derniers. jours de la Se- maine sainte. (2) S.:Eustache, mort lan 190, occupe la troisième fenêtre du côté gauche. Lui aussi tient la lance avec laquelle il commanda à la tête des armées de Vespa- sien, de Tite et de Trajan, et que possède l’église pla- cée sous son vocable, à Rome. (3). Pour mieux cons- tatér, son identité, nous l’accompagnons du cerf mystérieux, dont'la-tête ornée d’une croix, forme les armoiries d’une des. quatorze régions de la Ville éter- nelle, et qui lui adressa ce doux reproche : « Pour- ‘quoi me poursuis-tu ? Je suis venu pour te chasser moi-même, tandis que tu croyais chasser-un cerf. » (4) Puis, retournant au côté droit, et chevauchant tou- jours d’une paroi à l’autre paroi, nous rencontrons saint Théodore, armé suivant une ancienne mosaique de Rome (5).et un précieux ivoire du Musée chrétien du Vatican, de la lance et. du bouclier. Or'son bou- clier est timbré de la, croix, pour. rappeler le signe sacré qui fut son unique défense et son soutien contre les flammes du bücher.où il expira, lan 204. Saint Maurice, patron chéri de ce diocèse, tient d’une main dl’épée levée en signe de commandement, (1) V. L’Année liturgique, à Rome, p 38. (2) Ibidem, p. 157-160. (3) 1bidem, p. 100. (4) V. Légende dorée. -- En‘conograpluie légendaire, le cerf sym- bolise Jésus-Christ (5) A Saint-Théodore-le-Rond, au pied du Palatin. La Me Un et de la gauche le bouclier armorié. Nous le trou- vions ainsi, bardé de fer, chef illustre d’une légion, noble chevalier du me siècle, debout, à la tête de ses compagnons d’armes et de triomphe, sur cette façade qu’én 1540 un Angevin, aidant le! chapitre de la ca- thédrale, ornait par sa libéralité (1). Au doigt annu- laire de sa main brille une pierre précieuse, c’est le saphir de l’anneau que l’abbaye royale de Saimt-Mau- rice montre avec respect aux pieux voyageurs (2). La noblesse se constaté par des signes de convention tra- cés sur un écu ou sur un bouclier. La plus ancienne, - la première est celle qui a sa source dans les com- bats, où le sang qui coule vient rougir l’écu. Aussi le moyen âge, ennoblissant les guerriers martyrs, leur’ a fait un blason invariable à tous qui se lit : de gueules au rais descarboucle pommelé el fleurdelisé d'or. Nous aurions pu, considérant nos guerriers comme membres d’une même famille, leur donner à tous le même symbole, mais la variété qui est une loi essen- tielle de l’art, nous imposait des ‘restrictions et nous avons préféré réserver le rais d’escarboucle à celui d’entr’eux qui sans cesse l’étale devant nous. Saint Hippolyte préposé à la garde de saint Lau- rent, reçut de son prisonnier le baptême et l’instruc- tion chrétienne. Soldat, il a la lance et le glaive; ca- téchumène, à ses pieds la source miraculeuse qui, à: la parole de saint Laurent, jaillit du sol obscur de (1) François de Châteaubriand, chanoine. (2) L’abbé Mossion. Lettres sur-la vérité du martyre de saint Mau- rice, p. 173. ! PE 7-20 son cachot (1), pour régénérer une âme dégoütée du paganisme. + Saint Sébastien, pour les artistes, des siècles der- _ niers, est un! beau jeune homme dont la pose anato- mique et la nudité constituent le principal mérite. Rejetant cette iconographie d’atelier qui ne peut avoir sa place à l’église, nous emprunterons à la mosaique de Saint-Pierre in vincoli à Rome (xne siècle), fresques du Giotto, à Saint-Georges in velabro, et à divers tableaux du musée de Latran et de la collection Campana, un motif plus conforme à la tradition. Le jeuné chef de cohorte du palais des Césars sera vêtu à la manière antique : les flèches qui percèrent son corps et les chaînes dont il fut lié seront ses attributs distinctifs (2). Saint Georges : comment à ce nom ne pas réveiller des souvenirs d’art et d’hagiographie? Giotto l’a peint aux voûtes de sa basilique du’ Vélabre, où avec un indicible bonheur, j'ai dessiné la lance dont sa main vigoureuse perça le dragon qui dévastait Silène, en _ Lybie, et l’étendard de soie rouge confié à ses soins vigilants (3). Il est descendu de son cheval blanc et il lève les yeux au ciel, répétant ce sublime lan- gage qu’il tenait en présence du proconsul Dacien : « Seigneur, j'ai tout abandonné pour vous servir plus librement. » Le chrisme brodé sur ses vêtements rap- pelle le signe de la croix qui, tracé par sa main, dé- jouait les maléfices.et lui donnait la force d'entrer (1) V. Année liturgique, p. 87. = (2) Ibidem, p. 20. (3) Ibidem, p. 54. = 61 — dans une chaudière bovillante comme duns un bain, aux termes de sa légende. Gloire de la France etde Marseille, saint Victor nous apparaît radieux dela ‘palmet qu’il a conquise, non dans les camps, sous les ordres: de! Maximien, mais au service de son Dieu. Les deux meules qui le broyérent gisent à ses pieds, et, trophée sublime, ca- ractérisent sa victoire. Pouvions-nous ne pas songer à saint Serge et à saint Bach, ces chevaliers dela maison même. de l’empereur, qu'un culte spécial unit elattache de- puis tant de siècles à l’Église d'Angers? Ils ont en ain, comme autrefois sur leur autel, la lance à pennon qui frappe et guide aux combats (1). Saint Chrysogone avait le droit de figurer dans nos verrières, près de l’autel, puisque son nominscrit däns les diptyques des premiers temps, lst resté inséré au Canon de la messe. Son costume est celui des che- valiérs romains, sous le rêgne de Dioclétien. Nous Y ajoutons cette croix dont 1} disait à sainte Anastasie qui, dans sa prison, le soutenait ‘de ses aumônes : «'Sérvante de Jésus-Christ, embrasse de tout ton es- » prit le pe de la croix et: re “oi-à l’œuvre de » Dieu. Saint Fes roi Alglélérties ouvre ‘une nou- “vèlle série, que continuent saint Henri d'Allemagne , saint Étiénne de Hongrie, saint Ferdinand de Castille, et'que clôt admirablèment le plus chevaleresque et de plus pieux de nos rois, saint Louis. Tous sont parés (1) V. Bruneau de Tartifume, EN, du manteau qui leur est propre et ils ajoutent à l'éclat de leur nimbe l'éclat de leur couronne. Saint Etienne est sans barbe, car rasé ignominieu - sement par des pauvres qui ne le connaissaient pas, il s’écria dans un transport de gratitude : « Voyez, reine du ciel, comme vos soldats ont honoré celui que vous avez fait roi (1)! ». Saint Louis baisse les yeux sur la couronne d’épines et les clous de la Passion (2), pour l'honneur et la conservation desquels il fit bâtir cette Sainte-Chapelle qui n’a nulle part au monde son égale en splendeur. Il ya dans l’art un langage muet qui ne serait peut-être pas suffisamment compris, si Sur chaque verrière ne se lisait en légende explicative le nom du saint auquel elle est consacrée, nom latin, car autour de cet autel, dans çe sanctuaire où se célèbrent chaque jour les offices divins, une seule langue est permise, parcé que, invariable dans ses formes, elle est le lien du passé au présent. Puis, soit sur le verre soit sur la pierre, sera immortalisée l’offrande spontanée et généreuse d’une légion qui, comprenant parfaite- ment que là où bat un cœur religieux, là aussi bat un cœur honnête, associe dans une même pensée et un même symbole sa noble devise : Croix et honneur. + AD. LAVDEM. DEI. ALMIFICAEQ. CRVCIS. HAS. VITREAS. DEDERE. EQVITES. QVOS. CRVCIS. GALLICAE. COMMENDAT. HONOR. ANNO. AB. INCARN. DNI. M. DCCC. LVIII : - (1) Ribadeneïra. Fleurs des vies des Suints. (21 Tapisseries de Jeanne de Bourbon, au Musée ecclésiologique du - diocèse d'Angers. 1 — 28 — Encore un mot, Messieurs, avant de terminer ce programme iconographique et symbolique. Il n’est pas de moi, mais de l’artiste éminent qui s’est chargé de traduire sur verre ma pensée et dont le dessin habile et les couleurs éclatantes charmeront, je n’en doute point, les censeurs les plus difficiles. M. Lobin disait donc : «Depuis le moyen âge, il n’y a peut-être pas d'exemple d’une œuvre aussi importante, aussi vaste, aussi complète que celle de la vitrerie de l’église de Longué, commandée en bloc au même peintre et di- rigée avec une pensée d'ensemble. » Messieurs, l’Anjou doit être fier de cet exemple donné aux diocèses qui nous entourent et à la France entière. Je ne m'étonne point de ce succès : il est la récompense méritée des efforts persévérants de la Société à développer dans son ressort les idées et le goût des arts et de l'archéologie. Si la moisson est _belle, c’est que la semence était bonne et abondante: SPES. MESSIS. IN. SEMINE. (1) X. BARBIER DE MONTAULT. (1) Inscription gravée au portail du séminaire d'Angoulême. FRANÇOIS DE LA BOULLAYE LE GOUZ. Ce gentilhomme naquit à Baugé, vers 1610 (1); il nous apprend lui-même qu’il avait Cértaines rai- sons de croire que sa famille était originaire de la Grande-Bretagne : « Pour mon nom, at-il écrit quel- » que part, il est anglais, et il se peut faire que mes » ancestres soient venus d'Angleterre habiter l’Armo- » rique, aprés l'invasion des Saxons, comme plu- » sieurs autres familles de France (2). » Quoiqu'il en soit de la prétention de remonter jusqu’au temps des Saxons, il est certain du moins- que la maison Le Gouz, qui, au commencement du xvIe siècle, se partagea en diverses branches, savoir : de Poligny, de Bordes, da Goivre et de la Boullaye, est très anciennement noble; plusieurs de ses membres ont demeuré en Bretagne, en Flandre, en Bourgogne et dans le Languedoc (3). _ «© Toutes ces branches se sont éteintes ou se sont (1) Biographie universelle ; Furne, 1833. (2) Voyages et observations du sieur de la Boullaye Le Gouz , édit, de 1657, p. 457. ” #4 . — 30 — » confondues par des mariages dans celle subsistante » des Le Gouz du Plessis, à laquelle se raltachait _» M. le marquis Le Gouz, officier général, comman- » deur et ensuite grand’croix de l’ordre de Saint- » Louis, mort à Angers le 4er janvier 1794 (1). » François Le Gouz fit ses études au collége de la Flèche (2), que les jésuites dirigeaient alors avec un éclat vraiment incontestable. Lorsqu’il y entra, Descartes venait d’en sortir. Peut- être Le Gouz a-t-il dû à l'influence des œuvres de ce grand homme, sa prédilection pour les études philo- sophiques,. Beaucoup de sens, une raison calme et sé- rieuse, une; vive et pressante dialectique composent “en, effet le fond de son intelligence. | Après s'être, donné à l’étude des langues, de la 960- graphie et des mathématiques, ainsi qu’à l'exercice du dessin, il forma le projet de consacrer sa vie à de lointains voyages. Catholique sincère, sa piété le soutint en maintes circonstances, et lui donna cette force morale indispensable à qui ose se confier aux hasards de la rude et pénible carrière qu’il allait em- brasser. : Vers l’an 1643, il quitte Paris, gagne Honfleur et s’embarque pour l'Angleterre, avec des lettres de M. de La Porte, grand prieur de France, et en compagnie du capitaine Giron, fameux navigateur (3). 1 paraîtrait même qu’il aurait servi, mais peu de temps, comme (1) Note manuscrite. (2) Voyages et observations du sieur de la Boullaye Le Caia édit. de 1657, p. 448. * (3) Ibid., p. 440. —— 81 — volontaire parmi les troupes françaises qui, alors ré- sidaient à la Cour du malheureux Charles Jer (4); il se trouva donc :en pleine guerre civile. Durant son séjour, il visita Oxford, Bristol, Dublin, Rilkimk, Lim- merik, etc:,ete: Il nous peint en termes d'autant, plus vrais qu'ils sont plus calmes, la tyrannie des Anglicans à l’en- contre des Irlandais. C’est ainsi que l’un des derniers, nommé Tam Nevel, revenant après dix années d’ab- sence dans sa patrie, trouva sa famille! dépossédée de ses biens; il heurte à:la porte du logis, on ouvre, et qu'apprend-il? que la maison paternelle appartient à un Capitaine anglais « qui l’avoil eùe lors de la prise de la ville de Korg sur les catholiques (2). » À cette perte, joignez celle de dix mille livres sterling et Vobligation de se réfugier dans la campagne afin d’évi- ter les persécutions des protestants (3). Le Gouz, avec cette netteté qui le caractérise, trace un tableau fidéle des coutumes et des mœurs irlan- daises. « L'Irlande, dit notre voyageur, ou Hybernie, a » de tout temps.esté appellée l’isle des saints.… Pa- »urice en fut l’apostre. La foi est grande à l'Église > TOMANe: ; » Les pauvres broyent entre deux pierres de l’orge »et des pois, pour faire du ,pain qu’ils cuisent sur » une petite table de fer ; ils ymeslent un peu d'avoine. » Les villes sont bien. basties, mais à la campagne (1) Voyages et observations ,1p. 439. (2) 1bid., p. 470. RP (33 Ibid, p. 410. se je » on couvre les cabanes de paille et de feuilles; du » reste, point de cheminées, le feu se fait au milieu » de la chambre. Les chasteaux ont quatre murailles -» três-élevées, et couvertes de paille; à vrai dire, ce » sont des tours carrées sans fenestres, ou du moins » si petites que l’on n’y voit pas plus que dans des » prisons... » LesIrlandais sont fort curieux de jouer de la harpe, » dont ils jouent presque tous et y pippent comme les » Anglais sur la viole, les Français sur le luci, les Ita- » liens sur la guittare, les Espagnols sur les castagnettes, » les Escossais sur la corne-muse, les Suisses sur le » fiffre, les Allemands sur la trompette, les Hollan- » dais sur le fambour et les Turcs sur la flute douce. » Les Irlandais ont du jarret, j’en ai vu un faire » sans peine et à la continue vingt-cinq lieues par » Jour. __» L’hospitalité chez eux est très grande ; ils aiment » les Espagnols comme leurs frères, les Français > comme leurs amis, les Italiens comme leurs alliés, » les Allemands comme leurs parents; les Anglais et Escossais sont leurs ennemis irréconciliables. » Si l’on met en regard de cette description celle que M. de Cazalés a faite dans un des numéros du Cor- respondant, on verra.que les Irlandais du x1xe siècle n’ont rien perdu de ceux du xvir , même foi, même simplicité dans les mœurs. Le Gouz, voyant la guerre civile $'allumer de tous côtés, et d’ailleurs sollicité par son amour pour les voyages, quitta l'Angleterre. Il eut beaucoup de peine à trouver un vaisseau, car les ennemis de Charles Ier > CR © faisaient bonne garde. Cependant il put s’embarquer: le 24 juillet 1644, sur un navire qui, par une cir- constance mémorable;accompagnait la flottille chargée de protéger le passage en France de la reine d’Angle- terre (Henriette-Marie). | « Le vaisseau qu’elle montoit, dit notre voyageur, » estoit hollandais, de 46 pièces de canon, et fit voille » le premier, ensuite celui du capitaine Smitz sur le- » quel j'estois, de 38 pièces de fer, puis deux grosses » frégattes anglaises et une flutte d'Hambourg.…. Pour- » suivant notre route, cinq vaisseaux du parlement » parurent , l’un desquels tira deux vollées de canon l'une sur le hollandais et l’autre sur notre bord; » le hollandais s’enfuit et prit le devant, il venait d’es- » suyer plusieurs boulets qui n’allèrent pas loin de la chambre d’où la reine estoit sortie pour descendre à fond de calle. » Au milieu de ce danger, le navire qui portait Le Gouz, seul demeura ferme contre les parlementaires ; il en avait reçu l’ordre afin de masquer la fuite du vaisseau royal qui arriva heureusement à Brest. La résolution et la contenance du navire protecteur en imposa si bien aux ennemis, que, malgré leur nombre, ils n’osèrent pas tenter l’abordage. Ils cessèrent donc dæpoursuivre et de tirer. Le capitaine Smitz avait d’ailleurs juré qu’il mettrait le feu aux poudres plutôt que de se rendre! Le Gouz, débarqué à Brest, vit le fameux vaisseau la Couronne, de 1636 tonneaux et de 80 pièces de ca- non de 40; sur la poupe ornée des armoiries du car- dinal de Richelieu, on lisait : Subdidit Oceanum. SOC. D’AG. 3 © CRC RO pee De Brest, il se rendit à Amsterdam, « qui, assure- » t-il, est la plus belle ville du monde, comme Paris est » la plus peuplée, Constantinople la mieux située, » Rome la plus libre, Hispaan la plus saine, Londres » la plus polie, Sourat la plus marchande, Venise la » plus noble, Hambourg la mieux fortifiée, Le Kaire » la plus chaude, Babylone la plus ancienne, -Dantzik » la plus bourgeoise, ét Arzerum la plus froide. » Il admire avec raison l’ordre vraiment magnifique avec lequel les compagnies hollandaises, établies pour le négoce des Indes, tenaient leurs comptes et savaient administrer ; en effet, le pauvre trouvait à y placer son seul écu aussi facilement que le riche qui en dé- posait cent mille. Il visite le Danemark, la Prusse sur les côtes de laquelle on trouve l’ambre jaune ; ensuite la Pologne dont le roi qui était électif cherchait à se bien maintenir avec la France contre les armées im- périales. La politique de ce royaume consistait surtout à éloigner les courses des Tartares et à contenir les Moscovites dans leurs limites. Le Gouz nous fait des anciens Polonais un portrait qui après deux siècles ne s’est point altéré chez les fils exilés ; les Polonais du. xIxe siècle sont bien semblables à ceux du xviie : même générosité, même amour de l'indépendance, même grandeur d'âme! Laissons parler Le Gouz : @Les na- » turels de ce pays sont fort généreux, somptueux en » habits, libéraux, honorables, civils, sçavants, bons >» hommes de cheval, appréhendés des Ottomans, » grands mangeurs et plus grands buveurs ; ils aiment » cordialement les Français, mais sont ennemis des Al- » lemands. Parmi eux, les «nobles qui sont riches ne UN: TURES refusent jamais l'asile dans leurs maisons aux pauvres » gentilshommes avec le vivre et le-vestir; ils sont peu attachés à leurs intérêts lorsqu'il s’agit d’assister un des membres de leur corps, de manière que les grandes dépenses les ruinent souvent et ne laissent » à leurs enfants que le droit de servir les gentils- » hommes dont ils ont été servis ; cette coutume leur » élève l’âme et l’esprit et les détache de l’avarice, » vice opposé à la libéralité de Dieu, parce que n’ap- » préhendant point la pauvreté, ils ne s’étudient qu’à » se rendre dignes de servir leur patrie. » Notre voyageur, après avoir parcouru la Pologne, se rend à Dantzik puis à Paris ; il eût bien désiré revoir Anjou et sa famille, mais craignant qu’elle ne s’op- posât à son invincible passion de parcourir le monde, il crut devoir se borner à lui apprendre son retour en même temps que son départ pour le Levant. Il traversa Lyon , siège du primat des Gaules ; Vienne où l’on fa- briquait les lames d’épées; Avignon, demeure du vice- légat ; Pise, célèbre par son fameux Campo-Santo ; Florence qui se passionnait alors pour les courses de chevaux; Rome, où il se lia d’amitié avec Monsignor Frédérico Capponi; le golfe de Venise sur lequel il faillit périr dans une tempête; Fayence, renommée pour sa belle vaisselle de terre ; Milo, l’une des îles Cyclades où se fabriquaient d’excellentes meules de moulin; Smyrne qui possédait une belle maison de jé- suites pour l’instruction de la jeunesse grecque ; l’île de Metelin où Le Gouz put débarquer avec le sieur de La Porte médecin, né en Anjou; Fokia, lieu de la Turquie si arriéré que les habitants s’extasiaient de 7 4 > S 0 voir que notre voyageur n’avait pas la lête ni le mufle d’an bœuf, Gallrpoli siége d’un consulat français qu'occupait un angevin nommé de La Forest ; Mar- mara, île qui doit son nom à l’abondance de son marbre ; la Turquie , où nous allons nous arrêter un instant, pour dire que Le Gouz lui a consacré douze chapitres qu’il serait trop long d’analyser, mais dont voici les titres : Raretés de Constantinople et Plan du Sérail; — de la Religion ou Créance des, Oliomans; — Mariage des Musulmans ; — de la Circoncision; — Prières, Jeûnes Sépullures, Fêles, Mosquées, Bains. — De Mahomet, du Koran, des Interprètes de la Loi ; — Etats et Titres du Sultan; — Karache ou Tribut que le Sultan exige des chrétiens.- — De la milice Otiomane ; — Des Am- bassadeurs de la Porte ; — Gouvernement des Ottomans; — Emplois et Dignités des Otlomans. Après avoir séjourné assez longtemps en Turquie, Le Gouz dirigea ses pas vers la Perse, avec la cara- vane de Tauris, qui habituellement part au mois de septembre. On appelle caravane, du mot turc kvarvan, une réunion de marchands et de voyageurs qui vont en- semble, bien armés, afin de se mieux défendre contre les attaques des Turcomans, des Arabes et des Kou- glis. Le Goux apprit d’un Arménien, nommé Minas, les mille petites précautions qu’il est toujours dangereux de négliger pour qui voyage en caravane. Il acheta donc une robe fourrée, un bonnet semblable, un tur- ban blanc à la musulmane, un autre turban mêlé de CRT a bleu et de blanc à la chrétienne, un feutre rouge pour se couvrir pendant la pluie, un tapis, une cou- verture, un coussin, un cheval avec son harnais, un grand bissac de crin servant à mettre d’un côté les habits et de l’autre les vivres, un cuir rond de vache de Russie, qui est la nappe et la table des Turcs, une petite marmite pour la cuisson du riz et de la viande, une bourse de vache de Russie, afin de pui- ser de l’eau sans descendre de cheval, une hache pour couper du bois, une tente et des armes. Il crut même devoir ne pas se borner à revêtir le costume levantin , mais encore changer son nom de Francesco ( François ) , en celui d’Ibrahim Bey signifiant Seigneur Abraham; ce qu'il fit en arrivant à Erzerum, dans la Turquie asiatique. D’Erzerum à Hassan-Kala, il fut cruellement éprouvé par le froid. « J’ay eu, dit-il, cette fatalité dans mes » voyages, que j'ai cheminé l’hivert dans les pays » froids, et l’esté dans les Indes orientales et l'Arabie » déserte. » Il visite la Géorgie, où se trouve la plus belle race humaine, pour la fraîcheur du teint et la beauté du sang; les disciples de Mahomet en savent quelque chose! Il côtoie l'Arménie , vers nord , et nous apprend que les peuples de cette contrée prophétisent qu’un jour les Européens reprendront Constantinople. Il passe au pied du mont Gordien, sur le sommet duquel les Juifs, les Arméniens et les Musulmans tiennent qu'après le déluge, l’arche de Noë s’arrêta. Arrivé à Tauris, il est obligé d'abandonner le vête-. md. on ment turc et de s'habiller en Persan, « car les ga- » mins, dit-il, couroient après moi et pic = » infidèle et cornard ottoman. » Tauris est l’entrepôt des marchandises de l'Orient et de l'Occident. Il parcourt les bords de la mer Caspienne, célèbre par ses excellents saumons; il traverse Koum, où l'on mange les meilleures grenades et où l’on achète cet acier fameux avec lequel on fabrique les épées da- masquinées. En plein hiver il arrive à Hispaan, siége du Schah de Perse et consacre à cette contrée plusieurs cha- pitres d’un grand intérêt. Il y rencontra beaucoup de compatriotes et ge re- ligieux catholiques, tels que Carmes déchauds, Ca- pucins français, Augustins portugais. L'on y voyait alors quatre églises romaines. Je passe les chapitres intitulés : Du Schah, son ori- gine, ses forces et étendue de son empire; — Gouver- nement de la Perse; — De la Religion des Persans ; — Intérêts du Schah; — De l'habit des Persans ; — me bornant à les signaler au lecteur. Mais il convient je crois, d'extraire quelques lignes du chapitre 47, dans lequel Le Gouz se distingue par des rapproche- ment très-ingénieux « Je trouve, dit-il, que les irons ont beaucoup » de sympathies avec les Espagnols; les Persans avec » les Français et les Italiens avec les Arabes; ainsi » dans le gouvernement Otioman l'on ne pardonne au- » cune faute à ceux qui commandent, et l’on étrangle » ou l’on coupe souvent la tête aux chefs par maxime . » > 4 fees d’état, c’est la politique espagnole. Quant aux Per- sans, ils tiennent plus du naturel des Français; ils donnent la liberté de conscience, permettent de parler et disputer de la religion aux naturels et aux étrangers. Pour ce qui est de l’Arabe, il tient le milieu entre l’ottoman et le persan, comme l'ita- lien n’est pas si jovial que le français, mais plus que l'espagnol; l’Arabe est dissimulé, ambitieux pour régner, d’où est venu la perte de cette nation subjuguée par les Turcs; les Italiens suivent le même chemin, lesquels, ayant reconnu entr’eux plusieurs chefs, ont été vaincus; eux qui, autrefois, étoient les maîtres du monde sont à présent esclaves des Espagnols. » Le Gouz a su très-bien orner son ouvrage de rap- prochements non moins curieux et qui prouvent qu’il “avait l’esprit très-observateur ; mais suivons-le dans ses voyages. Il laisse derrière lui Schiras, célébre par la beauté des femmes et l’excellence de son vin; Lar, ville renommée par la bonne qualité de ses eaux-de-vie de dattes. Chemin faisant, « je rencontrai, dit-il, un ) ) » » ) D » .» religieux qui avoit une grande barbe, il étoit à pied, disoit son bréviaire et tenoit son cheval par la longe... Je descendis du mien, je l’embrassai et lui dis mes aventures; Sa Révérence me fit connaître qu’il étoit jésuite et que le zèle de la religion l’avoit rappelé de la Chine pour revenir en Europe de- mander des missionnaires afin d’arborer la croix dans ces pays orientaux. » Or, il se trouva que ce jésuite était le père Alexan- dre de Rhodes, d'Avignon, auteur de voyages très- intéressants. M En quittant la Perse, Le Gouz s’avance vers les Indes-Orientales et s’embarque pour se rendre à Mas- cat et à Diu. Durant la traversée, il faillit comme il prenait un bain être dévoré par un chien de mer. Ensuite 1l s’arrête dans le royaume de Guzera, à Cam- baja, endroit fameux par ses coupes d’agathe et ses pierres précieuses; à Sourat , ville célèbre par son commerce, à l’occasion duquel il nous fait observer que les:Indes-Orientales n'étaient point, comme on le disait de son temps, un monde nouveau découvert par les Portugais, et il cite à l’appui de ce qu’il avance, le voyage des hardis nautonniers qui, sous Nécus, roi d'Egypte, au rapport d’'Hérodote, firent le tour de l’Afrique; d’ailleurs, ajoute-t-il, « il est certain que » les Indiens de temps immémorial, sont venus à Moka » et dans le golfe de Perse, et y ont porté les épice- » ries que les marchands d’Alep et du Caire envoyoient » en Europe. Je voudrois bien savoir si les anciens » Romains ne mangeaient point de poivre, noix de » muscade, gingembre et clou de girofle? » A Sourat, il eut le bonheur de rencontrer un com- patriote, le père Zenon, capucin de la province de * Tours, originaire de Baugé; ce vénérable religieux, depuis dix ans travaillait avec fruit à la conversion des Indiens. Le Gouz visita sa petite église; une cha- pelle, si modeste qu’elle soit, en pays étranger, n’est- elle pas pour le chrétien une autre patrie? Arrivé dans l’Indostan, la terre des rubis, des dia- mants et des délicieux sorbets, il nous décrit la poli- tique et'le gouvernement du grand Mogol, qui avait l’habitude de changers tous des jour d’habits, les aban- donnant ensuite aux Omaras ses favoris. Il nous ap- S SET." (tee prend que cet empereur permettait l'exercice de tous les cultes et qu’il n’était personne qui ne püût ar- river aux premières charges de l'État. Aussi sa population se composait-elle de chrétiens, de juifs, de sabis, de parsis, de mahométans et d’indiens. Ces derniers ont pour temples des pagodes et pour prêtres, les brahmanes ; les Indiens ne mangent point la vache ni le bœuf; à ce sujet, il rapproche les faits suivants : « Les poëtes, dit-il, ont feint que Jupiter s’é- » loit changé en taureau... Les Egvyptiens appeloient » APIS un veau conçu par le tonnerre et le tenoient » pour Dieu; Israël, retournant à l’idolâtrie d'Egypte, » fit un veau d’or; et nos cabalistes ont interprété la » vision de saint Jean, attribuant à saint Mathieu, » l’homme; à saint Jean, l'aigle; à saint Marc, le » lyon, à saint Luc, le bœuf.» Les Indiens admettent l’existence de Dieu, une ré- vélation el des sacrifices, tous éléments, plus ou moins altérés, de la religion primitive: Le Gouz apprit de la bouche même des brahmanes qu’au décès d’un mari, l'épouse se jetait dans les flammes d’un bücher. « Les Indiens, lui fut-il dit, » brülent le corps, parce que le feu est le plus noble » de tous les êtres et le plus élevé. L’âme étant au » ciel, le corps en est plus proche lorsqu'il est à la » sphère du feu et n’engendre aucune corruption. » L'eau l'air et la terre peuvent servir de sépulture aux » chrétiens, aux mansulmans et aux autres sortes de » gens immondes, mais non aux Indous qui sont trop » purs pour être ainsi corrompus et mangés par les vers. = 4 — » Ils ne tuent point les animaux, pas même les in- » sectes sales et malfaisants. Ils portent de gros cha- » pelets au cou et sur chaque grain profèrent ce nom » sacré : Ram, Ram, Ram, qui est celui de leur dieu » révélé. Ils ont dans leurs pagodes les images de » Locman, frère de Ram , de Ganëes , portier de » Ram, etc., elc., de Servan qui a été mis au nombre » de leurs saints à cause de sa piété filiale. On rap- » porte que son père et sa mère étant vieux, il les -» portoit à la promenade dans une balance à l’indienne » afin de les divertir. » Les Indiens ont des mœurs très-douces. Rien n’est plus gracieux que l’histoire des amours de Megiïlon et de Lelé. HE Le Gouz passe ensuite à la religion des Parsis ou adorateurs du feu qui, originaires de la Perse, ont été rejetés dans l’Indostan par les Turcs. Leur livre saint, nommé Zundevastaun (Zendavesta), enseigne qu'il existe un seul Dieu. Le feu est le principal élément de leur culte ; ils honorent également le soleil et le lion. C’est pourquoi les rois persans les portent dans leurs armes. Ceci nous rappelle que notre compatriote Eu gène Boré a été décoré, il y a peu d’années, de l’or- dre du lion et du soleil par le schah de Perse. Le Gouz pense que Zoroastre, auteur du Zendavesta, avait lu les livres de Moïse. Mais rendons-nous à Goa, où nous trouvons les mœurs des Portugais amollies par le soleil des Indes et trop connues pour que nous y arrêtions. Le tigre n’est pas rare aux environs de Goa; les Indiens, assure Le Gouz, savent le dompter au moyen du regard; la gazelle, le Ni" léopard, les sangliers et les éléphants y sont communs. Notre voyageur consacre plusieurs pages à l’histoire naturelle. Le 4er mars 1649, songeant au retour (1), il s’em- barqua sur un vaisseau anglais à Souali, pour Bassora, et dans la nuit du 29 avril, une tempête, au milieu du golfe Persique, faillit l’engloutir. « Je me recommanday » à Dieu, dit-il, le priant d'accomplir sa volonté et ad- » vouant que j’estois homme pécheur.... Je ne rejetai » point la mort... parce que, n’ayant eu que du mal » dès le commencement de ma jeunesse, je ne croyois » rien perdre d’être délivré des misères de ce monde. » À Bassora, il trouva des missionnaires italiens, « qui » ont toute liberté de disputer de la religion, comme » en Perse et aux Indes-Orientales. » Aux environs de cette ville, existaient 144 à 15 mille Sabis, dont la croyance était un mélange de mahométisme, de chris- tianisme et de judaïsme. De Bassora, il gagna Babylone, en remontant le Tigre sur une douannik. A droite et à gauche du fleuve, il aperçut les Arabes du désert, vivant sous des tentes, de lait, de fromage, de viande de mouton, de bœuf et de chevreau ; ils ne payent tribut à per- sonne, sont charitables et hospitaliers, mais très-pil- lards de caravane. « Tel Arabe ne donneroit pas son » cheval pour sa femme et ses enfants. » « En continuant de remonter le fleuve, nous enten- » dîmes, assure-t-il, le rugissement d’ün lion; c’es- » toit effroyable, chaque fois qu’il poussoit son ha- (1) Voyages et observations, p. 281. | — à — » leine, on eût dit d’un coup de tonnerre, et la voix » se perdant peu à peu le long de la rivière, il en » provenoit des escos sans nombre. » Nous ne tardâmes pas à nous trouver près d’un » enclos où estoit Babylone du temps des Romains; » les murailles de terre qui restent ont plus de cir- » cuits que celles d'Orléans; cette antiquité est à l’est » du Tigre, du côté de la Perse. » Après quatre jours de marche, Le Gouz arrive à Bagdad, qu’il appelle également Babylone, parce qu’il paraît que la ville de ce nom a changé de place plu- sieurs fois. . À la page 329 de ses Voyages et Observations, il nous donne un dessin de la tour de Nembrot, dite tour de Babel, avec une description intéressante. Cette description est suivie d’un second dessin re- présentant la tour comme il croyait qu’elle pouvait être originairement. De Bagdad, il se rend à Ninive ou Mossoul, en tra- versant les ruines d'Eski-Bagdad, qui sont celles de la vieille Babylone; puis il gagne Diarbeker, Halep, ca- pitale de Syrie, le mont Liban, où il admire les beaux cèdres vanités dans l’Ecriture; Damiette ; l'embouchure du Nil, où il essuya une tempête dont on l’accusa d’être l’auteur, si bien qu’un Arabe le menaça de le jeter à la mer; le Kaire, célèbre par le puys de Jo- seph, d’où l’eau monte au moyen d’une roue et d’un chapelet à godets. Comme il était Français, il obtint facilement la permission de visiter ce curieux ou- vrage. « Je saluai, dit-il, le Chiaoux-Bacchi, et lui » parlai en ces termes : = GE — » Mon grand seigneur, le consul de France, mon » chef, m’a dit : J’ay pérmission du Chiaoux-Bacchi, » pour te faire voir le puys de Joseph, va au château » et le salue de ma part, il te le laissera voir, il est » homme véritable, bon, vray, croyant en Dieu, non » menteur et mon grand amy; sil te plaît donc, » Ô sultan, mon âme et vray musulman, je le verray » à cette heure, estant venu pour cela, si tu le veux. » — Sa réponse fut : 0 homme, je ne permetterois » à qui què ce soit des Giaours de voir le puys, mais » je te dis, le consul de France est comme mon frère, » et tout ce qu’il me demandera, je le lui accor- » deray. » Il visite ensuite Memphis ou vieux Kaire, les pyra- mides et les cavernes des momies. « Ces corps em- » baumés et entourés de bandelettes, sont, dit-il, cou- » chés de leur long sur le dos, la teste au nord et les » mains sur le ventre, et ont d'ordinaire dans l’esto- » mac une figure d’or, d'argent ou de terre verte, et » sont ceints d’une ceinture de laurier ou de quel- » qu'autre matière, sur lesquelles ceintures il y a des lettres hiéroglyphiques. On me fit présent de deux » figures en terre verte, trouvées dans le corps de _» deux mumies, en l’année 1648, dont l’une à la » teste d'oiseau et le corps d'homme, et l’autre de » bœuf et le corps de femme; lesquelles, à mon avis, » estoient talismans. » Ensuite il décrit, pages 376 et autres, les trois grandes pyramides et la figure du sphinx. Il donne même de ce dernier, une explication très-ingénieuse : « Le sphinx, dit-il, étoit un animal quefl’on fei- LÉ » » » » Er gnoit être engendré d’un lion et d’une vierge. Les sages avoient inventé celte divinité à cause que le Nil fertilise l'Egypte en l’inondant, lorsque le so- leil passe du signe du lion à celui de la vierge. » Suivons-le dans l’intérieur de la plus grande pyra- mide en continuant à le citer : « Je fis tirer un coup » » 3 2 2 d’arquebuse à l’entrée pour faire fuir les serpents ou animaux venimeux; je trouvai l’entrée de la pre- mière allée allant en pente vers le midi, de 5 pieds 6 pouces de haut et 3 pieds 3 pouces de large. Cette allée va en descendant et a 76 pieds 6 pouces de long. Au bout de cette descente, je passai un goulet par lequel un homme un peu gros n’auroit pu passer, je me déshabillai et suivis mon guide qui marchoit le premier avec une chamdelle. Nous mon- tâmes Six PIEDS UN PETIT CHEMIN (1), au bout du- quel je trouvai une place où bifurquoient deux sentiers, l’un à l’est, l’autre à l’ouest; cette place a deux pas de tour. Je pris à l’est et trouvai une seconde allée de 111 pieds de long, au milieu de laquelle il y a un puys où l’on descendoit les mumies... Je trouvai par après une grande allée de 6 pieds quatre pouces de large et montai droit à l’est sud-est, 164 pieds jusqu’à la porte d’une petite salle. Au-dessous de cette allée est une autre allée basse, de 3ÿpieds 3 pouces de large, et autant de haut, laquelle conduit en une petite chambre en dos d'âne où l’on mettoit les mumies. (1) Locution obseure qui peut-être doit se traduire ainsi : Nous montômes un escalier de six marches. nt de » En montant la grande allée, je trouvai un petit » parapet d’un côté et d'autre , pour se tenir avec » les mains parce que la montée est sans degrés et » unie comme du verre. | » De celte allée j'entrai en une petite salle or- » donnée pour le repos du cadavre de celui qui a fait » bâtir cette pyramide. Elle a 32 pieds de long, 12 » de haut et 16 de large, le haut en voûte droite » de 9 pierres, dont les 7 du milieu ont 4 pieds de » large et 16 de long, et les 2 autres 2 pieds de large. » Au bout de cette chambre, tirant au sud, il y a un » tombeau de jaspe noir de 3 pieds À pouce de large » et 4 pieds de haut et 6 pieds 10 pouces de long, » dequel, à mon avis, a dû être autrefois le sépulcre » de quelque Pharaon, parce qu’il semble que cette » auge a été couverte ayant plusieurs trous... Vers » l’ouest de ce tombeau, dans la même chambre, » il y a un autre puys pour descendre les mumies, » ou possible que de ces puys l’on en tiroit de l’eau » afin de bâtir les pyramides, comme dit Hérodote, » livre 2. Il y a dans ces chambres, places et allées, » une infinité de chauves-souris qui ont des queues, » soit dit en passant pour les amateurs d'histoire natu- relle. Du Kaire il se rend à Alexandrie dont le port, as- sure-t-il, « seroit susceptible d’être bien fortifié, mais » les Turcs n’édifient jamais rien, se servant de tout » ce qu'ils trouvent fait et fabriqué. » Parmi les raretés de cette ville, il cite la colonne de Pompée que César fit élever. « Elle est, assure-t-il, de marbre postiche ou fusible dont le secret est perdu. » = 1 — D’Alexandrie il fait voile vers Rhodes, laissant Chypre derrière lui, île où se trouve l’Asbeste ; de là vers Candie que Venise et Constantinople se dispu- taient alors, et non loin de laquelle la proue du na- vire qui le portait se brisa ; vers Malte redoutable aux musulmans, qui voyaient dans ses chevaliers des hommes au-dessus de nature. « Si j’avois eu, écrit- » il, une croix de Malte en Perse et au Mogol, je » m'en serois paré, afin d’être plus honoré, tant est » grande l'estime que tous les peuples font de ce bel » Ordre. » Enfin il débarque à Civita-Vecchia et bientôt se rend à Rome où il apprend la mort de monsignor Capponi, et fait en même temps connaissance avec l’un des parents du défuni, l’éminentissime cardinal Capponi, auquel il dédia plus tard la relation de ses voyages. / Il se disposait à séjourner longuement à Rome lorsqu’apprenant, de deux frères récolets de la Fléche, la mort de son père, il prit congé du cardinal et gagna l’Anjou par Lucques, Turin, Genève, Lyon et Tarare, où il s’embarqua sur la Loire, et descendit jusqu’à Saumur, « que je quittai assez tard, dit-il, » pour la maison de ma mère qui en est distante de » Six lieues. Je n’y trouvai qu’un valet de chambre » qui m'en refusa l'entrée; je déclinai mon nom, à » la fin il m’ouvrit , et, n'ayant point trouvé celle » que j'y cherchois pour luy rendre mes devoirs, je » men allay à la maison que feu mon père m’avoit » laissée; j'appris chemin faisant que l’un de mes » beaux-frères s’en estoit emparé et en avoit chassé = 409. ma mère, soutenant que j'étois mort il y avoit quatre ans... Je luy envoyai dire par un gen- tilhomme qu'il sortit de ma maison... Le lende- main, Monsieur le duc de Rohan, gouverneur d'Anjou, fit son entrée dans la ville de Beaugé.… et par son commandement mon beau-frère vuida la maison. Il fit son possible pour nous réconcilier et en fit juge M. Le Marié, conseiller au présidial d'Angers... Mon beau-frère manqua de parole et ne voulut rien terminer que par justice par laquelle j'ai esté maintenu dans la succession et droit d’ai- nesse touchant les biens de mon père. En mesme temps , je m'en vins à Paris où mes parties adverses avoient interjeté appel de la sentence du juge des lieux. Madame de Lanzac, gouvernante du roy, me procura la connaissance de M. le comte de Nogent- Bautru. Il trouva à propos que je saluasse Leurs Majestés.…. Il en parla au roy, qui désira me voir dans l’habit et équipage persan, se donna la peine de lire quelques mémoires de mes voyages et me commanda d’en faire part au public. » Le Gouz avait mis sept années à parcourir l’Eu- rope et l'Asie; parti vers 1643, il fut de retour en 1650. Ses traits s'étaient profondément altérés, mais ses fatigues n’éteignirent point en lui la passion de voyager , car après avoir épousé mademoiselle Elisa- beth Gautier de Brulon, il accepta de Louis XIV une ambassade auprès du Grand-Mogol et alla mourir, en 166%, à Ispahan (1) où, paraît-il , le schah de Perse (1) Furne (biographie de) au mot Gouz, SOC. D’AG. 4 PT. Le lui fit élever un tombeau sur les bords de la rivière d'Ormus. La compagnie des Indes l’avait également choisi afin de surveiller les intérêts de son commerce dans cette contrée de l’Asie. Les Voyages et Observations de Le Gouz ont eu les honneurs de deux éditions, l’une en 1653 et l’autre en 1657; la dernière est la meilleure. V. GoDARD-FAULTRIER. MŒURS DES INSECTES. Duel entre une chryside et une abeïlle maçonne (Calicodoma muraria.) Les observations en histoire naturelle sont si rares, que, même lorsqu'elles sont déjà consignées, on fait peut-être bien de les rappeler, surtout lorsqu'elles ne sont pas très répandues. J'en rapporterai ici une, faite par un de mes amis, mort il y a déjà bien longtemps en Orient, M. Pierre Carcel. Quoique M. Le Pelletier de Saint-Fargeau parle de ce fait | comme il le donne sans nom d'auteur, ce sera une occasion de rendre — tardivement, il est vrai, — à celui qui la observé, le mérite qui lui revient. Il était encore sous le charme de la nouveauté, lorsqu'il me rap- porta ce qui suit. On voit souvent à la campagne sur les vieilles portes ou sur les murs, de petites élévations en terre, ayant une très grande adhérence aux objets sur lesquels elles sont posées, et une très grande so- lidité. Ces petites masses de terre sont les nids d’un insecte qu’on nommait autrefois abeille maçonne, et qu’on appelle maintenant d’un nom bien plus savant Calicodoma muraria. Heureusement le nom ne fait rien à l'affaire. L’abeille maçonne, dont il est ici question, SAS} ee avait à peu près terminé son œuvre et remplissait de miel les différentes loges formées dans l’intérieur de son nid, pour déposef dans chacune d'elles un œuf destiné à reproduire son espèce. Son travail achevé, rien n’aurait pu pénétrer celte masse solide, dont le ciment fait de terre et d’une liqueur secrétée par linsecte, est plus dur et plus consistant que la pierre elle-même. Près d'elle, veillait une de ces espèces parasites si communes dans cette famille. Une chryside observait tous ses mouvements. Les chrysides sont des insectes revêtus des couleurs les plus bril- lantes et qu’on croirait échappés des régions tropi- - cales. Rien ne peut surpasser le brillant métallique de leur enveloppe, assez dure pour résister à l’aiguille empoisonnée des autres hyménoptères. L'or, le bleu métallique le plus brillant, le cuivre, le bronze, se réfléchissent sur leur corps qui peut se rouler en boule et défier alors tous leurs ennemis, ou plutôt tous ceux chez lesquels la nature les a condamnés à aller porter la douleur et la mort en détruisant leur postérité pour perpétuer la leur. La chryside atten- dait donc, elle aussi, avec toute la sollicitude mater- nelle, le moment favorable pour pénétrer dans le nid de l’abeille maçonne, et aller cacher au moyen de sa tarière longue et flexible, quelques-uns de ses œufs dans les replis de la masse mielleuse déposée au fond des alvéoles. À peine l’abeille venait-elle de quitter son nid, qu’elle s’élance et pénètre dans l’in- térieur;, mais l'abeille, aussi ardente à défendre sa . postérité que l’autre à l’attaquer avait aperçu son ennemie, et rentrant précipilamment dans sa de- 2 — meure, elle fond sur elle, la saisit, et quelques secondes aprés on les voit toutes deux tomber à terre au pied du mur, enlacées l’une à l’autre : la chryside roulée en boule, n'offrant à son adversaire que la partie invulnérable de sa cuirasse ; l'abeille cherchant soit avec ses mandibules à déchirer son ennemie, soit à introduire son aiguillon dans l'intervalle de ses anneaux. Peine inutile, rien ne pouvait réussir. Enfin, lasse de tant d’efforts, l'abeille lâche sa proie, tourne plusieurs fois autour d’elle, agitée encore par la lutte qu’elle venait de soutenir, et après s’être éloignée à quelque distance, elle se disposait à partir, quand une nouvelle idée se présente. D'un bond elle se précipite de nouveau sur la chryside toujours rou- lée en boule, et, avec ses mandibules, lui déchire et lui arrache les ailes. Après cet exploit, fière de sa victoire et délivrée d’inquiétude, elle s’envole pour aller de nouveau chercher sur les fleurs le miel dont elle pouvait avoir besoin. La chryside, pendant ce temps, était toujours restée immobile. Ne voyant plus l'abeille elle se déroule mais mutilée et privée de ses ailes. Alors, sans aucune hésitation, elle se retourne vers le mur, le gravit lentement, arrive jusqu’au nid dans lequel elle pénètre en toute sécu- rité pour achever sa mission et détruire une géné- ration qui avait mérité un meilleur sort. EC Il. Les amours d’une arsuignée. Si, comme le dit un vieux proverbe, la faim fait sortir le loup du bois, le désir qui entraîne tous les êtres à se reproduire a une force bien plus grande encore, car la crainte de la mort arrête à peine ceux qui sont attirés par cette puissance irrésistible. Au printemps dernier, j'observais une araignée, qui, pressée par ce désir, était sortie du coin obscur où elle avait passé une partie de sa vie, pour aller cher- cher ce qu’elle aurait vainement attendu dans son triste réduit; car rarement un mâle oserait s’aventurer sur une Loile tendue par une femelle : il y serait infailli- blement dévoré. Ces pauvres êtres si disgraciés de la nature, regardés avec tant d'horreur et de dégoût par tout le monde, sont encore condamnés à endurer presque constamment les angoisses de la faim, et la majeure partie est destinée à mourir de cette mort affreuse. Ne pouvant attendre que du hasard qu’une proie vienne tomber dans leur filet, elles n’ont sou- vent d’autre ressource pour vivre que de se dévorer entre elles; car, on le sait, la faim ne respecte rien. Notre araignée cheminait donc, cherchant aventure, lorsqu'elle fut bientôt aperçue par un mâle, aussi en quête d’une heureuse rencontre. Mais celui-ci con- naissant le caractère féroce de celle qu’il recherchait, devait user de précaution; c’est ce qu’il ne manqua pas de faire. L'organisation de tous les êtres est tel- lement en rapport avec leurs mœurs et leurs besoins, que, sans cet ordre admirable, beaücoup d’espèces * RES auraient cessé d'exister. Si le mâle de l’araignée avait dû s'unir par un contact immédiat avec sa femelle, étant plus petit et plus faible qu'elle, il eût presque : toujours été dévoré. Aussi son organisation est-elle toute différente de celle des autres insectes, puisque les organes de la génération qu’on trouve ordinaire- ment à l’extrémité du corps, sont placés ici sur la tête, c’est-à-dire sur les palpes, et de plus sont doubles, un pour chaque palpe. Entraîné par ses dé- sirs et retenu par la crainte, notre amoureux s’avança lentement vers sa compagne , qui à son aspect s'était arrêtée et l’attendait, mais sans faire voir encore dans quel but. Il y mettait donc la plus grande cir- conspection. Arrivé assez près d’elle, 1l avança d’abord une patte, toucha légèrement l’extrémité de son corps, se recula rapidement comme étonné d’une si grande hardiesse; puis, ne voyant aucun symptôme hostile, recommença plusieurs fois le même mouvement, mais toujours avec la même réserve. Touchée de tant d’attentions, la femelle céda enfin à des désirs mani- festés avec une telle délicatesse. Elle replia alors doucement ses pattes sous son corps et se coucha légèrement sur le côté, d’un air même assez câlin. Alors le mâle transporté d’ardeur se précipite tête baissée vers elle, touche avec un de ses palpes l’ex- trémité de l'abdomen et se recule immédiatement par un mouvement aussi prompt. Puis, tant qu'elle resta dans la même position, il revint, se recula, revint encore, la touchant à chaque fois, tantôt avec un palpe, tantôt avec l’autre. Mais tout a un terme ici bas: Aussi à un léger mouvement de la CE ORE femelle, n'ayant plus pour le soutenir sa première ardeur, la peur s’empara complétement delui'et une “fuite précipitée le mit promptement hors de portée du danger qu’il eût certainement couru s’il füt resté plus longtemps. L’araignée regagna alors sa tranquille retraite et se remit de nouveau en observation pour attendre quelque victime, qui pût, en lui procurant une alimentalion nécessaire, servir à faire dévelop- per les œufs fécondés qu’elle portait maintenant. Mais son sort allait bientôt changer: car elle-même allait succomber sous les coups d’une espèce qui avait besoin d’elle pour nourrir ses petits: Un pompile, insecte de l’ordre des hyménoptères, l’avait aperçue et venant se placer hardiment sur le milieu de tsa toile, avait simulé, par deux ou trois petites se- cousses données exprès, la prise d’un insecte. L’arai- gnée s’avança alors hors de sa loge, mais à peine avait- elle fait quelques pas, que le pompile, fondant sur elle avec la rapidité d’une flèche, lui enfonce son aiguillon dans le corps et la paralyse immédiatement. Alors, la saisissant avec ses longues pattes , ‘il l’em- porte au vol jusqu’à l’entrée du nid qu’il avait pré- paré à l'avance avec un soin merveilleux. Ne pou- vant pas y pénétrer avec son fardeau par l'ouverture étroite qu’il avait ménagée, il le déposa à l’entrée, entra à reculons, puis se mit à tirer à lui le corps inerte de l’araignée, pour le faire arriver jusqu’au fond et déposer dessus un œuf, d’où devait sortir la larve destinée à s’en nourrir. Mais tout n’était pas fini et une fois de plus, le but proposé pour perpé- tuer une espèce allait faire défaut. Un autre insecte, De un simple diptère, une espèce de mouche enfin, placée en sentinelle non loin du nid, avait suivi les mouvements du pompile, et à peine s’était-il re- tourné pour attirer à lui le corps de l’araignée, que, s’élançcant rapidement dessus, elle y dépose un œuf et disparait; elle ne peut pas se perpétuer autrement. Le pompile ne s'étant aperçu de rien continue son œuvre, dépose aussi un œuf sur le même corps, ressort, ferme avec soin l’entrée de son nid , et avec tant d'art, en y entassant des grains de sable et jusqu’à des fétus de paille et de feuilles sèches, qu’il eût été impossible d'en retrouver la trace. Deux concurrents se trouvaient donc en présence sur le corps privé de mouvement de l’araignée; mais le pompile devait succomber. L’œuf de la mouche devait éclore le premier, dévorer la plus grande partie de laraignée, et la larve du pompile, venue trop tard, devait mourir de faim, ne trouvant plus une ‘ nourriture suffisante pour son entier développement. Ainsi se termina ce petit drame, qui pourrait presque faire dire que les amours d’une araignée avaient eu pour résultat final la naissance d’une mouche, et que si les araignées mangent ordinaire- ment les mouches, les mouches mangent aussi quelquefois les araignées. CouRTILLER jeune, de Saumur, NOTICE HISTORIQUE SUR L'ABBAYE DE NANT-GHORGES-AUR-LOIRE, | Je mérite peut-être à bon droit le reproche de pré- somption et de témérité en entreprenant l’histoire d’un monastère qui n’a jamais joué un rôle important dans notre pays, et dont l'influence ne s’est pas étendue au-delà des limites de l’ancien diocèse d'Angers. ._. Autour du nom de l’abbaye de Saint-Georges, nous ne pouvons pas grouper les noms de personnages éminents et célèbres; nous ne trouvons pas d’événe- ments d’une importance assez grande pour que le souvenir en soit parvenu jusqu’à la postérité. Ici, point de légende palpitante d’intérêt comme celle de l’ermite Regnault, de Mélinais; point de re- liques précieuses et vénérables comme la Vraie Croix de la Boissière; point de chartes originales qui nous reportent aux premiers jours de la pieuse fondation ; point de ces ruines majestueuses et grandioses, at- HONFIS" EEE testant la munificence des bienfaiteurs du monastère et la richesse, sinon l’opulence de ses anciens habi- tants. Le cartulaire est passé depuis plusieurs siècles à l’état de souvenir, étant devenu la proie des flammes allumées par une bande de pillards. Il reste seule- ment quelques lambeaux de manuscrits déposés aux archives de la préfecture, et des documents épars çà et là dans les ouvrages des chroniqueurs angevins. Enfin, les faits bien peu nombreux que j'aurai à relater ont un intérêt tellement restreint, et dès-lors si exclusivement local, qu’il est difficile de les ratta- cher aux événements même d’une importance secon- däire dont ils furent contemporains. Toutefois, cette disette de documents ne doit pas être de nature à autoriser le découragement et à ralentir le courage. Nous travaillons d’un commun accord à reconstruire l’édifice historique de notre chère province d'Anjou. Si chacun, suivant la mesure de ses forces, se donne la peine de chercher, de polir et de poser quelques pierres, si modeste que lon suppose son travail, il n’en contribuera pas moins pour sa part, à la réalisation du projet conçu. Dans le cours du douzième siècle, pendant que le plus grand nombre des seigneurs angevins marchaïent à la suite des princes français à la conquête des Saints Lieux, d’autres rivalisaient de pieuse munifi- cence avec les comtes de la maison d'Anjou, consa- crant une partie notable de leurs biens et de leur fortune à la construction et à la dotation des maisons dé prières nommées abbayes ou prieurés. = (> ‘ C’est ainsi que la modeste église de Saint-Georges- sur-Loire échangea, vers 1180, son titre de parois- siale contre celui d’abbatiale, et que des chanoines Augustins remplacèrent les prêtres séculiers chargés jusqu’alors de administration de la paroisse. La fondation de Saint-Georges comme paroisse, ne me semble pas remonter à une époque de beaucoup antérieure à celle de sa transformation en abbaye. Si l’on à égard au choix du patron, dont le culte, en France, ne dépasse guère le onzième siècle et les croisades, on sera incliné à croire que la paroisse de Saint-Georges est un rejeton de Savenniéres, et que la donation des reliques du soldat martyr, apportées des pays d’outre-mer par un valeureux croisé, aura déterminé le choix du titulaire de la nouvelle paroisse. Le fondateur du monastère, si l’on a foi à une note manuscrite de Grandet, est Martin du Plessis- Macé, dont les vastes domaines s’étendaient depuis le donjon de son superbe manoir, jusque sur les bords de la Loire. « Ce seigneur du Plessis, dit Roger, donna l’em- » placement des maisons et jardins de l’abbaye, la- » quelle il fit bâtir assez magnifiquement pour ce » siècle là, et y donna douze belles métairies qui » sont aux environs, et tout proche. Les seigneurs » de Montjean et Bécon, et les seigneurs de Candé y » ont donné de beaux bois de haute futaie, domaines » et fiefs: un seigneur du nom de Champchévrier, » plusieurs rentes, terres et dimes, vers Loudun. » Les sieurs de Brie, seigneurs de Serrant, y ont » aussi donné des biens, et il y a eu trois abbés 2" 1 » de cette famille qui ont fait faire de beaux bä- » timents. » Grâce à ces pieuses libéralités, les chanoines Au- gustins venus de l’abbaye de La Roë pour desservir Je monastère, purent s'installer dans leur nouvelle demeure et prendre possession de l’église abbatiale dont la consécration fut faite par l’évêque d'Angers, Guillaume de Beaumont, qui occupa le siége épisco- pal de 1178 à 1199. Herbert, curé de la paroisse à l’époque de la fon- dation de l’abbaye, accepta le nouvel état des choses; il s’agrégea à l’ordre des chanoines réguliers, et de- vint le premier titulaire de l’abbaye en conservant son. titre de curé. Plusieurs de ses suécesseurs abbé$ conservèrent comme lui la cure annexée à leur dignité abbatiale; mais ils s’en déchargèrent après quelques années sur le sacristain, qu’ils nommérent curé-sacriste ; de sorte que le titre curial a toujours été réuni à l’office de sacristain. En 1932, l’abbaye reçut une indemnité de 60 sous pour une portion de terrain acquise par saint Louis dans les environs du château d'Angers dont on agrandissait le périmètre. Dans le cours de l’année 1314, l’abbé reçut l’ordre de comparaître devant Charles d'Anjou ou devant son bailli pour lui faire hommage des fiefs qu'il tenait de lui à titre féodal. Le 13 mars 1449, l'abbé fut autorisé à prendre trente livres sur les deniers de la cloison d'Angers, sans doute comme compensation des dommages souf- = #9 = ferts par sa communauté pendant les guerres des Anglais. Jusqu’à la dernière moitié du quinzième siècle, les chanoines Augustins de Saint-Georges étaient de- ‘meurés en paix dans leur tranquille demeure. Les insulaires usürpateurs ne paraissent pas avoir porté leurs mains dévastatrices sur les bâtiments de Pabbaye. Mais en 1486, alors que les Anglais avaient abandonné les rives de la Loire, refoulés par nos troupes victorieuses jusqu’aux bords de l'Océan, une bande de soldats français envoyés par Charles VIII en Bretagne, contre les partisans du duc d'Orléans, signala son passage dans notre province par les excès lés plus révoltants. Cette soldatesque effrénée s’abattit comme une bande d'oiseaux de proie sur les bourgs, les châteaux et les communautés religieuses ; en sorte que notre abbaye fut victime d’un indigne pillage. Rien ne fut épargné; on lacéra, on jeta aux flammes, on dispersa le car- tulaire de l’abbaye et les titres les précieux. Le lieu saint, lui-même, n’échappa pas à la profanation. Et ces horreurs ne reçurent pas une sévère répression dans leurs auteurs, bien que les victimes n’eussent en aucune facon mérité une aussi déplorable ven- geance. Aucun désordre extérieur ne troubla plus le repos des religieux jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. En 1660, la réforme qui était alors à l’ordre du jour dans les abbayes bénédictines et dans celles des Augustins fut introduite à Saint-Georges , sous l’abbé MES — Mg de Grignan, évêque d’Uzès, par les soins de Pierre Brault, chantre de l’abbaye. Avant cette réforme, les religieux avaient chacun leur domicile, et jouissaient des biens de leur patri- moine ; ils étaient en ‘outre pourvus des différents of- fices et chapelles claustrales auxquels était attaché un petit revenu, qu’ils percevaient comme titulaires, en en prenant. possession, sur provisions accordées par “les abbés ou sur des visas donnés par les évêques d'Angers, dans les cas où les offices ou chapelles leur étaient résignés en cour de Rome. Pour mettre fin à cet état de choses qui ne lais- sait pas que d’avoir d’assez graves inconvénients, un concordat fut fait entre l’abbé et les religieux formant le chapitre, en date du 9 juillet 1658, et homologué -au Parlement le 6 mars 1660. Mgr de Grignan con- sent à ce que les titres des offices claustraux soient supprimés et leurs revenus annexés à la mense con- ventuelle des religieux de la congrégation de Saint- Maur, à la charge pour eux de pourvoir aux frais nécessaires pour obtenir la provision de ces titres. Cette réunion ne fut pas effectuée, et l’on continua de nommer les titulaires. En vertu du même contrat, les abbés devaient payer 2,000 livres de pension aux religieux, ce qui eut lieu jusqu'en 1715, époque à laquelle les biens furent partagés en trois lots. Li Jusqu’alors , les abbés avaient perçu la totalité des revenus, la part des religieux étant bornée à la jouis- sance des biens du petit couvent et des chapelles “claustrales, dans laquelle ils ont‘été maintenus par ff un autre concordat passé entre l'abbé Louis Caton de Court et le chapitre, le 13 avril 1718. Par le fait, la réforme de notre abbaye n'eut d'autre résultat que le changement du personnel, ce qui n’était pas l’amélioration la moins importante et la moins nécessaire. Les chanoines, qui n’acceptèrent pas les nouvelles conditions qu’on crut devoir leur imposer, cédèrent la place aux Génovéfains, de la réformé du cardinal de La Rochefoucault. Ceux-ci ne furent pas troublés dans la possession de leurs biens et dans l’exercice de leurs fonctions, jusqu’en 1790, lors de la suppression des couvents. Saint-Georges subit alors le sort commun à toutes les abbayes et communautés religieuses. On vendit les biens, tant meubles qu’immeubles : les religieux désertèrent leur magnifique demeure, et un curé constitutionnel vint à leur place exercer un minis- tère usurpateur et sacrilége dans l’église paroissiale. Au mois d'octobre 1792, les cloîtres de l’abbaye abritérent pendant quelques heures sous leurs voûtes, la vénérable phalange des confesseurs de la foi, des quatre cents prêtres fidèles à leurs devoirs et qu’on déportait en Espagne pour refus du serment consti- tutionnel. | Voici deux témoignages non suspects, puisqu'ils émanent de“deux respectables prêtres qui faisaient partie du convoi. : « Nous allâmes d'Angers, dit le premier, sans ar- » rêter jusqu’à Saint-Georges , petite ville distante » d'Angers de quatre lieues. Là, on nous fit descendre Mer » dans la communauté des Génovéfains, pour diner ; » on nous donna du pain sec et une bouteille de » vin pour deux; nous y restâmes au moins trois » heures. » « Après notre départ d'Angers, dit le second, » notre première course fut jusqu’à Saint-Georges, » où nous fûmes déposés dans le cloître des cha- » noines réguliers. On nous y donna du pain et » du vin. C’est le lieu où nous avons été le mieux » traités. » En dépit de ce bon accueil fait aux nobles dépor- tés, les habitants de Saint-Georges, il faut le dire, déployèrent une fureur de Vandales, en 1793. Pour payer leur dette de reconnaissance à l’abbaye qui avait été leur bienfaitrice et leur providence, pendant près de sept siècles, ils se ruèrent sur la magnifique église, et la détruisirent presque de fond en comble. On fit un monceau des livres liturgiques, des ma- nuscrits les plus précieux, des croix, des ornements, des linges d’autel, de tous les objets servant au culte, et les flammes allumées par ces mains sacri- lèges dévorèrent en peu de temps les pieux souve- nirs de la foi et de la générosité de leurs ancêtres, dont plusieurs, sous le rapport artistique, avaient un mérite tout particulier. La maison conventuelle et celle de l'abbé furent épargnées par le marteau des démolisseurs, grâce à l’acquisition qui en avait été faite pour une somme trés minime par le seigneur de Serrant. Elles avaient remplacé, à la fin du dix-huitième siècle, la cons- truction primitive due à la générosité de Marün du SOC, D’AG. 5 Lee Plessis, et dont il reste encore une vaste salle trans- formée en écurie. Le couvent qui domine avec une certaine grandeur la vallée de la Loire, consiste dans un seul corps de bâtiment de plus de soixante mètres de longueur , ayant sa façade au sud. Il est partagé en deux parties égales, par le grand escalier, renferme de. belles salles au rez-de-chaussée, et deux vastes corridors au premier étage. Le logement de l’abbé, situé à quelques pas de la maison conventuelle, se présente aussi avec avantage aux regards du voyageur, du côté de la Loire: Ces deux édifices accusent le style de l’époque de leur construction. Sur un cordon. de pierres de la maison conven- tuelle, sont tracés ces mots: Deus omnia fecit. — 1699. Le bâtiment auquel on avait accolé les cloîtres sous l'abbé Auger Samson, vers 1530, porte em- preinis sur sa paroi extérieure les caractères archi- tectoniques de la foi du douzième siècle, dans le moyen appareil en pierres schisteuses, et dans ses fenêtres allongées et à plein: cintre. Quant à l’église, cet édifice n’est plus qu’à l’état de souvenir. Si lon a foi aux témoignages des anciens de la contrée qui se sont agenouillés sous ses voûtes dans leur première enfance, elle méritait d'occuper un rang distingué parmi nos monuments religieux les plus remarquables. Vaste dans ses proportions, hardie dans sa hau- nt — teur, riche dans ses sculptures et dans ses décora- tions, grâce aux dons multipliés des seigneurs de Serrant et du Plessis-Macé , elle lançait dans les airs le sommet de sa longue flèche en pierres, que le marinier apercevait de loin, à travers les massifs de peupliers et de saules qui bordent le fleuve. Sa forme primitive, si nous en jugeons par le plan ci-joint, était celle d’une croix latine avec une abside semi-circulaire, et deux absidioles parallèles à l’ab- side du milieu et également semi-circulaires. Le chœur était réservé pour les offices des reli- gieux. Quant aux offices de la paroisse, ils étaient célébrés dans la nef affectée exclusivement aux pa- roissiens. Quelques années seulement avant 1789, les religieux voulurent remanier et restaurer leur église dans le goût de l’époque. Déjà les travaux étaient poussés avec activité, lorsque le marteau sacrilége des ré- volutionnaires vint renverser les pierres du temple, dont quelques unes élaient à peine cimentées. En considérant l’ensemble du plan, on assigne sans aucun doute la fin du douzième siècle pour date de la construction de cet édifice. Le clocher au milieu du transept et les deux absidioles du chevet Vassimilent aux églises romanes du Baugeois, no- _tamment à celles de Vaulandry, de Pontigné, de Cuon , de Saint-Quentin et de Genneteil, qui re- montent toutes à la dernière moilié du douzième siècle. La nef était la partie la plus ancienne. A l’époque . de la fondation de l’abbaye, on avait abattu le chœur FPS : RE pour le remplacer par un sanctuaire aux proportions plus étendues. Une nouvelle construction a remplacé l'ancienne basilique. Il est inutile d’en faire la description. On la changerait facilement en salle de spectacle. Ce n’est pas étonnant : elle a trente ans d’existence. L'abbaye de Saint-Georges était à la présentation du roi et à la nomination du souverain Pontife. Elle reconnaissait pour fondateurs, bienfaiteurs et patrons, les seigneurs du Plessis-Macé, qui jouissaient de tous les droits honorifiques attachés à ces titres. Cette famille demeura en possession des priviléges jusqu’en 1642. « A cette époque, Charles du Bellay, » seigneur du Plessis, vendit à Guillaume Bautru, » seigneur de Serrant, les fiefs et hommages, ser- » vices, devoirs et autres obéissances de fiefs à lui » dus par les seigneurs des terres, fiefs et seigneu- » ries de l’Epinay,: Chevigné, la petite Chauvière, » Champbourreau , et les droits de fondation de » l’abbaye et église de Saint-Georges, pour la somme » de dix mille livres » | Bien que les fondateurs exerçassent leurs droits de patronage sur l’abbaye, le couvent n’en avait pas moins haute, moyenne et basse justice sur ses vas- saux. Ces pouvoirs furent confirmés aux religieux par un jugement du 11 février 1401, et par un autre du 14 octobre 1404, en dépit des réclamations des seigneurs du Plessis. Notre abbaye fut gouvernée par des abbés réguliers, jusqu’en 1534; et depuis cette époque, elle ne re- connut plus que des abbés commendataires. LARER Les uns comme les autres n’ont signalé leur admi- nistration par aucun fait remarquable. Aussi Roger se contente de donner leur nomenclature, sans leur faire l'honneur d’une note biographique tant soit peu abrégée. Auger de Brie paraît le personnage le plus remar- quable ou plutôt le moins obscur de ces abbés. Après avoir occupé la cure de Brigné, près de Doué, il fut successivement abbé de Saint-Ouvro et de Loigny, protonotaire apostolique et membre du grand conseil du roi Louis XI. Ce prince, ayant disgracié en 1471 le cardinal La Baluë, usa de toute son influence pour obtenir l’élection d’Auger à l'évêché d'Angers. Mais cette nomination n’eut jamais de suite sérieuse. L’abbé de Saint-Georges ne reçut pas la consécration épiscopale et ne prit pas canoniquement possession du siége d'Angers, sans doute à cause du refus de la cour romaine d'approuver son élection. ABBÉS RÉGULIERS. 1. Herbert, curé de Saint-Georges et premier abbé. — 9. Jean. — 3. Daniel. — 4. Guillaume 1er. — 5, Guérin. — 6. Mathieu, en 1292. — 7. Guil- laume Il. — 8. Giraud. — 9. Robert Thomas. — 10. Nicolas de La Salle, en 1334. — 11. Jehan Ma- hier, en 41347. — 19. Maurice Mermotte. — 15. Nicolas de Chazé. — 14. Hugues. — 15. Guillaume Guilloppé. — 16. Pierre d'Andigné. — 17. Guillaume Briend, en 4432. —— 18. Maurice de Saint-Quentin. — 19. Auger de Brie, en 1468. — 20. Antoine de 2 Re Brie, en 1499. — 21. Péan de Brie, en 1504. — 29. Louis Samson, en 1522. — 93. Auger Samson, en 1526. ABBÉS COMMENDATAIRES. À. Jehan Chauderon, en 1534. — 9. Guillaume Millet. — 3. Antoine Millet, de 1547 à 1574. — 4. Jean de Vassé, évêque de Lizieux, en 1585. — 5. N. de Rhodes. — 6. N. de Rhodes. — 7. Nicolas de Tudert, grand doyen de Notre-Dame de Paris. — 8. Louis Adhémar de Grignan, évêque d’Uzès, de 1656 à 1673. — 9. N. de Vassé, en 1696. — 10. Caton de Court, en 4697. — 11. N. de Lully. — 12. Le dernier abbé est Jean-François de Mailliau, qui jouissail de ce titre au moment des troubles révolu- tionnaires. Les revenus de la mense conventuelle étaient esti- més cinq mille livres envirôn, à la fin du dix- septième siècle. BÉNÉFICES. I. — Offices claustraux. Ils étaient dans l’origine au nombre de sept : la sacristie, le prieuré claustral, la sous-sacristie, la chantrerie, l’aumônerie, l’infirmerie et la cellererie. Au commencement du dernier siècle, on réunit les trois dernières dignités à la mense conventuelle. I] n’y avait plus par conséquent de titulaires que pour la sacristie, le prieuré claustral, la sous-sacristie et la chantrerie. SENS, \Ao.Jia sacristie, qui était la première dignité capi- tulaire, paraît avoir été établie à l’époque de la fon- dation de l’abbaye. Dans le principe, le sacriste n’avait pas d’attribu- tions différentes de sa charge. Mais les abbés ayant abdiqué les fonctions pastorales qu’ils avaient exer- cées à l’imitation de l’abbé Herbert, le titre et la charge de curé furent dévolus au sacristain qui prit le nom de curé-sacriste. Le changement parait avoir été effectué dans le cours du treizième siècle. Après avoir été nommé par le chapitre, il était par lui présenté à l’évêque et recevait du prélat les pouvoirs juridictionnels pour l'administration spiri- tuelle de la paroisse de Saint-Georges. Dès le commencement du quatorzième siècle, on le voit jouir de revenus particuliers et indépendants, et jamais , si l’on a foi au témoignage d’un religieux, il n’a été troublé dans la légitime possession de ses pou- voirs et de ses revenus. Il avait le droit d’adminisirer ses biens par lui-même. Sa maison, séparée de la maison conventuelle, fut abattue à la fin du dix- septième siècle, quand on construisit le superbe lo- gement de l'abbé, et remplacée par une habitation plus vaste et plus confortable. L'abbé était obligé de lui fournir à domicile, tous les aliments nécessaires pour lui et pour les per- sonnes qui composaient sa maison, ainsi que pour les visiteurs. Il ne devait en retour qu'une rente annuelle de vingt livres payables au dépensier de l’abbaye. DA RER En 1539, un nouvel arrangement eut lieu, en vertu duquel le curé-sacriste s’obligea aux frais des dé- penses culinaires de sa maison. Mais il recevait, de Pabbé, chaque année, comme compensation, deux pipes de vin, trois septiers de froment, un porc gras et vingt livres d’argent. À la fin du dernier siècle, les revenus de la cure étaient estimés onze cent trente-six livres, non dé- duction faite des charges et obligations. Le titulaire n’était pas astreint aux offices du chœur; mais il devait pourvoir à l’accomplissement des fonctions pastorales, soit par lui-même, soit par des délégués. 20 Prieuré cluustral. La fondation de ce bénéfice paraît avoir suivi de près celle de l’abbaye. Ses réve- nus n’était pas considérables dans les premières an- nées, mais ils furent augmentés successivement par les acquisitions et les donations des titulaires. Le prieuré était la seconde dignité du chapitre conventuel qui avait le droit d'élection aprés le décès ou la démission du titulaire. Celui-ci devait célébrer trois messes par semaine pour le repos de l’âme de M. de Luigné, ancien prieur et dona- teur de la plus grande partie des biens attachés à ce bénéfice. Les revenus du prieuré montaient à la somme de cinq cent vingt-sept livres. 30 Sous-sacrisiie. Ce bénéfice, troisième office claustral, donnait au sous-sacriste le titre de vicaire, et l’obligeait à venir en aide au curé-sacriste pour la célébration des offices paroissiaux. BP Je n’ai trouvé ni l’époque de la fondation, ni le montant des revenus de cette charge. 4 Chantrerie. L'office de la chantrerie eut pour fondateur Antoine Millet, abbé de Saint-Georges, et fut régulièrement constitué, le 3 novembre 1544, en vertu d’un acte capitulaire. Le chantre avait le droit de porter la chape au chœur et de tenir forme et état des chantres. En 1594, le 30 septembre, Jean Garnier, revêtu de cette charge, augmenta un peu les revenus du bénéfice par une donation de biens. En retour, le chantre était obligé de célébrer douze messes par an pour le donateur. € Le total des revenus de la chantrerie n’était pas considérable. On ne pouvait l’évaluer, déduction faite des charges, au-dessus de la somme de soixante- trois livres. e II. — Prieurés-Cures. Dans les années qui suivirent la fondation de l’ab- baye, plusieurs seigneurs construisirent des chapelles qu’ils. donnèrent aux abbés, en leur accordant le droit de prélever une partie ou la totalité des reve- nus attachés à ces fondations, à la charge, toutefois, de choisir des religieux du couvent, de les astrein- dre à la résidence auprès de ces chapelles, à la cé- lébration des messes fondées par les donateurs, et à l'exécution des autres clauses de la fondation. Il en fut de même pour plusieurs cures données à l’abbaye par leurs possesseurs, et dont les titulaires étaient présentés par l'abbé et le chapitre à l’évêque do d'Angers. Celui-ci leur donnait les pouvoirs juri- dictionnels pour Vadininistration spirituelle de ces paroisses. R De tous ces bénéfices, l'abbé percevait une partie des revenus sous le nom de dimes ou de droits féodaux. L'abbaye de Saint-Georges avait sous sa dépen- dance quatre prieurés-cures et plusieurs prieurés simples, ainsi que des chapelles régulières. 19 Chazé-sur-Argos. — On ne connaît pas l’époque précise de la donation de cette cure à notre abbaye. Elle a dû avoir lieu dans le cours du treizième siècle. Le prieur devait à l'abbé une rente annuelle de quatre septiers de froment, mesure de Champtiocé et ancienne _ mesure d'Angers. Plusieurs fois, au quinzième et au seizième siècle, les prieurs essayèrent de s’exempter de ce tribut oné- . reux et assujétissant. Mais leurs réclamations furent regardées comme non avenues, et des arrêts rendus à différentes époques les obligèrent à payer non seule- ment la dette courante, mais encore l’arriéré. Outre cette rente annuelle, l'abbé de Saint-Georges pouvait aussi percevoir, s’il le jugeait à propos, la plus grande partie de la dime de Chazé. Nous le sa- vons par un avéu de 1510. 20 Saint-Augustin-des-Bois. — Je n’ai trouvé aucun document historique relatif au prieuré-cure de Saint- Augustin-des-Bois, limitrophe de la paroisse de Saint- Georges. L'église ne renferme rien qui soit digne de l'attention de l’archéologue. Quant au prieuré, reconstruit dans le cours du der- nier siècle, il'offre des proportions grandioses et at- — 175 — | teste l’étendue des ressources du titulaire. On le voit actuellement dans un état de délabrement complet. 30 Mée. — La paroisse de Mée ne fait plus partie du diocèse d'Angers; elle est comprise depuis la ré- volution dans le ressort de l’arrondissement de Chä- teaugontier, et se trouve soumise à la juridiction de l’évêque de Laval. Son église, d’après les rapports d’un ecclésiastique de ce pays, présente quelques détails dignes d’atten- tion. Elle est en forme de croix latine, avec un chœur et deux transepts voûtés. Les fenêtres à plein cintre et les modillons variés accusent le commencement du douzième siècle. Comme tous les biens appartenant à ce bénéfice re- levaient féodalement de Mortier-Crolle, et qu’ils étaient situés, soit dans le bourg de Mée, soit dans les pa- roisses des environs, on doit regarder le seigneur de ce fief comme le donateur du prieuré à notre abbaye. Les revenus étaient considérables, si nous en ju- geons d’après l’énumération des maisons, des champs et des prés. Ces biens sont indiqués sur les paroisses de Mée, de Châtelais, du Bourg neuf Saint-Quentin et de Glinouze. 40 Châteaupanne. -- La petite église de Château- ‘panne a été épargnée par les révolutionnaires. Elle est assise entre Chalonnes et Montjean, au bas d’un coteau, et entourée d’une ceinture de peupliers qui bordent la Loire. Après la suppression du titre pa- roissial, en 1789, elle est devenue là propriété d’un acquéreur qui a eu le bon esprit de la laisser intacte. Formée d’une nef sans bas-côtés et d’un chœur en LE sans transept, elle adopte des proportions tellement exiguës, qu’elle mérite plutôt le nom de chapelle que celui d'église. Le chœur est carré, sa largeur ne dé- passe guère deux mêtres, el sa voûte en tuffeaux, sans nervures, n'est pas élevée de plus de trois mètres au- dessus dn pavé. On peut sans aucun doute la classer parmi les édifices religieux appartenant au style ro- man secondaire du douzième siécle. Nous ne connaissons point l’époque de l'annexion de ce bénéfice à l’abbaye de Saint-Georges. Mais le nom de Châteaupanne remonte à l’introduction du chris- tianisme dans notre pays. Nommé au quatrième siècle, Pagus Commonicus, ce village possédait, sur le haut de la colline qui abrite le petit oratoire, un bouquet d'arbres sacrés, à l'ombre desquels les habitants du pays célébraient les cérémonies de leur culte et com- mettaient les plus grands désordres, suriout pendant huit jours de chaque année. « On y venoit même, dit Roger, jusqu'aux meur- » tres et aux massacres. Saint Maurille, résolu de » mettre fin à des désordres aussi affligeants, s’en » alla avec ses frères à Châteaupanne, et y passa toute » la nuit en prières. L’air se trouva infecté dès le » matin au point que les habitants confus et repen- » tants de leurs crimes, abattirent en toute hâte ces » arbres, objets de leurs superstitiéuses adorations ‘et » en firent un vaste bûcher. » Le Pagus Commonicus changea son nom en celui de Castrum Penna emprunté sans doute au seigneur du lieu. J'ai remarqué au fond du chœur des peintures mu- RER E rales accusant le seizième siècle, d’une bonne exécu- tion mais presque entièrement effacées. Il m’a cepen- dant été possible de distinguer une sainte nimbée, ayant les mains croisées sur sa poitrine et se tenant appuyée sur une roue dont on distingue parfaitement les crochets; ses pieds et ses mains sont ensanglantés, de nombreuses gouttes de sang ruissellent sur tout son corps. C’est, sans aucun doute, l’image de sainte Catherine dont le culte était très répandu dans notre diocèse, et pour laquelle les chanoines Augustins pa- raissent avoir eu une vénération toute particulière. L'église de Châteaupanne avait saint Aubin pour pa- tron. La cure était à la présentation de l'abbé de Saint-Georges, et la paroisse eut loujours jusqu’à la révolution un chanoine régulier pour l’administrer. Chapelle Saint-Hervé. — Au prieuré-cure de Chä- teaupanne était annexée la chapelle Saint-Hervé, située dans l’île de Chalonnes, en face de l’église du prieuré. Si l'on en croit nos chroniqueurs, saint Hervé, re- ligieux de Vendôme, puis disciple de Robert d’Arbris- sel, vint se fixer dans l’île de Chalonnes, à la fin du onzième siècle, auprès d’une chapelle dédiée à saint Eutrope. Il y mourut en 1120, après avoir fondé un petit monastère formé de ses disciples. « Renaud de Martigné, dit Roger, continua l'estime » et l’amitié qu’il avoit eues pour saint Hervé aux » Compagnons de sa solitude, et il leur donna l’ora- » toire du saint anachorète, en leur conférant le titre de » clercs réguliers, à la condition qu'ils ne pourroient » s’affilier à aucun ordre religieux, ni reconnoître \ Dies 78 ee » d'autorité différente de l’autorité épiscopale ou de » celle du chapitre de Saint-Maurice. Mais il y a ap- » parence qu'il a été fait depuis quelqu’autre accom- » modement sur ce sujet, car la chapelle ou oratoire » de Saint-Hervé a été donnée et unie au prieuré de » Châteaupanne qui dépend de l’abbaye de Saint- » Georges-sur-Loire, laquelle fut fondée quelque temps » après la mort de saint Hervé. » On rendit à cet humble solitaire les honneurs du culte public, en reconnaissance des faveurs obtenues par son intercession, et son tombeau devint le but de nombreux et fréquents pélerinages. Au bout de plusieurs années, la chapelle Saint-Eu- trope fit place à un nouvel oratoire consacré sous le vocable du thaumaturge. La chapelle Saint-Hervé est cachée au milieu des frênes, des saules et des peupliers, à une distance de près de six kilomètres de l’église de Saint-Mau- rille de Chalonnes. Elle consiste dans une petite nef et un chœur semi- circulaire. La porte et les fenêtres accusent le roman de la moitié du douzième siècle: On aperçoit sur les parois de la nef et du chœur des fresques d’un dessin assez peu compliqué. Ce sont des losanges de couleur rouge dont le champ est occupé alternativement par le monogramme du Christ en caractères gothiques et par un petit bouquet de fleurs. Dans le fond du chœur, à droite, paraît la figure d’un saint nimbé, les mains jointes, dans une stalle ou devant un pupitre. Il porte le costume sacerdotal ou religieux, mais on peut à peine le distinguer. 48e Les murs ont été abaissés pour recevoir une nou- velle charpente et une voûte en bois dont l’intrados est revêlu d’une couche épaisse de plâtre. On a élargi quel- ques croisées dans le dix-septième siècle au plus tard. Le milieu de la chapelle, à gauche, présente une arcade cintrée pratiquée dans le mur pour y placer un tombeau. Il ne reste plus ni pierre tumulaire ni statue tombale. Seulement, sur la nervure torique de l’arcade, on lit écrits en lettres anciales, ces trois mots : Requiescat in pace. Cette inscription me fait croire que ce tombeau n’est point celui de saint Hervé, mais bien plutôt la tombe d’un chapelain. Cependant, si l’on en croit le témoignage des habitants du village, les précieux restes du pieux reclus reposaient en cet endroit. Au moment de la révolution, un habitant de l’île de Chalonnes, pour soustraire les reliques du saint aux profanations des impies, les cacha dans l’excava- tion où l’on mettait le linge de la chapelle. Mais la plus grande partie de ces reliques n’a pu être retrou- vée quand la paix fut rendue à notre pays. Toutelois une femme est parvenue à se procurer un ossement qu’elle a remis à M. l’abbé Coubard, curé actuel de Saint-Maurille de Chalonnes. Le souvenir de saint Hervé ne s’est point effacé de Ja mémoire des habitants du pays qu’il a sanctifié par ses austérités. Aussi M. l’abbé Coubard a eu la bonne et heureuse pensée de placer la statue du saint ermite sur l’un des quatre clochetons qui entourent la base de la flèche élégante du nouveau clocher de -sa vieille église. _: ARS) AU L'ancien prieuré est situé auprès de la chapelle. C’est une maison dont la construction remonte au plus tard à la fin du dix-septième siècle, et qui n’offre aucun détail d'architecture digne d'intérêt. La chapelle Saint-Hervé ayant été annexée au prieu- ré-cure de Châteaupanne, les fondations étaient ac- quittées par le prieur ou par des religieux de l’abbaye de Saint-Georges. III. — Prieurés simples. 40 L'Epinay. — Le voyageur qui fait en chemin de fer le trajet d'Angers à Nantes, aperçoit, à un kilo- mètre au-dessous de la gare de Saint-Georges, une maison de campagne et une chapelle qui lui est con- tiguë. C’est l’ancien prieuré de l’Epinay, un des riches bénéfices de notre abbaye. A la fin du quatorzième siècle, le seigneur de l’E- pinay eut à soutenir des discussions fort vives avec l'abbé de Saint-Georges pour la propriété de plusieurs pièces de terre qui touchaient leurs domaines respec- lifs. Pour mettre fin à toute difficulté, le seigneur fonda un bénéfice sous le titre de prieuré de l’Epinay, et il donna pour l'entretien du titulaire, des champs qui étaient l’objet du litige, en ajoutant à cette première donation le moulin de Coutance, les terres et les vignes de la closerie de l’Épinay. : L'abbé fournit de son côté les biens nécessaires pour compléter la fondation. | Une bonne et utile pensée présida à ce pieux éta- ss PU blissement. La paroisse de Saint-Georges s’étend dans la vallée, à plus de six kilomètres du clocher. I fallait, à cette époque, franchir une distance aussi considé- rable par des chemins le plus souvent impraticables, pour assister aux offices de la paroisse. On vint donc en aide aux habitants de la campagne, en donnant à ce nouveau bénéfice le titre de succur- sale. Le saint sacrifice devait être célébré dans la cha- pelle, tous les dimanches et jours de fêtes, à une heure fixe, et deux fois dans le cours de chaque semaine. Les revenus s’élevaient, il y a cent ans, à la somme de 642 liv. 6 s. Les charges étant de 299 liv., le boni était de 413 liv. 6 s. Ce prieuré fut possédé pendant deux cents ans en- viron, par un chanoine régulier résidant à l’Épinay Vers l’année 1600, il tomba en commende. Enfin, le 19 novembre 17592, Msr Jean de Vaugirault le réu- nil à la mense conventuelle. La chapelle n’est autre qu’une salle carrée percée au sud et au nord de deux fenêtres accusant le style ogival secondaire et voûtée en pierres de tuf. Elle n’oc- cupe que la partie est d’un grand corps de bâtiment qui paraît remonter au douzième siècle, et dont la partie occidentale sert actuellement d’étable à bœufs. 20 Le Jaunay. — Vers le commencement du qua- torzième siècle, le seigneur du Jaunay, sur la paroisse de Saint-Augustin-des-Bois, fit élever une chapelle do- mestique sous le patronage de saint Jean-Baptiste. Le manoir seigneurial étant devenu la propriété d'Isabelle de Donge, dame de Bécon et de Bois-Briant, la pieuse châtelaine demanda, en 1866, l'érection de la chapelle SOC. D’AG. 6 Eu 5e du Jaunay en prieuré simple, et elle donna pour cette fondation le fief du Jaunay et les grands bois du Plessis et du Jaunay. Deux messes devaient être célébrées chaque semaine, par le prieur, dansla chapelle Saint-Jean. Elles étaient cotées vingt sols à raison de la distance considérable de l’abbaye au prieuré. Au milieu du dernier siècle les revenus étaient es- timés 513 liv. 14 s. Mais comme la somme des charges . représentait une valeur de 291 liv., il ne restait de re- venus fixes que 299 liv. 44 5. Ainsi que le prieuré de l'Épinay, celui du Jaunay tomba en commende, après avoir été possédé par un chanoine régulier, et les revenus firent partie de la mense conventuelle, à partir du 19 novembre 1759, en vertu d’une décision de Mgr Jean de Vaugirault. Il ne reste plus aucun vestige de la chapelle du Jaunay. On aperçoit seulement de la route de Saint- Georges à Saint-Augustin, à trois kilomètres des deux bourgs, l’ancien manoir féodal avec la grosse tour de l'escalier. 30 Chenambault. — La chapelle dédiée à sainte Magdelaine était située au sommet du vaste plateau qui domine le bourg de Montjean, sur les confins de cette paroisse, mais dans les limites de celle de la Pommeraye. On ne connaît point le nom du fondateur ni l’époque de la fondation. Cependant cette dernière peut être fixée pour le moins au milieu du seizième siècle, puis- que nous voyons Guy d’Andigné désigné comme cha- pelain, en 1556. = 49. — Le prieuré étant régulier, le titulaire était tenu de célébrer deux messes par semaine, l’une dans l’église de Saint-Georges et l’autre dans la chapelle de Che- nambault. Il ne reste plus aucun vestige de cet ancien édifice. Les revenus qui consistaient dans les prix de fer- mage de la métairie de Chenambault, s’élevaient à la somme de 223 liv. 10 s. Mais comme les charges étaient estimées 137 liv. 95 s., il restait de boni la somme de 85 liv. 15 5. 40 Sainte-Apolline ou les Chäteliers. — Claude Ro- bin, dans son ouvrage intitulé : Recherches sur nos ori- gines, est le premier qui ait fait mention de ce bé. néfice, et qui l’ait désigné comme appartenant à l’abbaye de Saint-Georges. Noire savant président en a fait une description suffisamment étendue dans le 46e bulletin de ses Nouvelles archéologiques. Je n’ai donc pas besoin dé m’étendre longuement sur la description de cette belle chapelle qui domine l’ancien quartier général du camp romain, et dont on aperçoit de loin le pignon aigu et le toît élancé. L'époque de sa construction nous est demeurée in- connue. Cependant elle paraît appartenir, dans ses plus belles parties, au style ogival secondaire. D’après une tradition locale, cet édifice religieux et catholique aurait été élevé sur les ruines d’un temple païen dédié à Apollon, et l’on auraït choisi la vierge martyre Apolline pour la patronne de la cha- pelle, à cause de la similitude de son nom avec celui de la divinité du paganisme. ER Cette opinion me semble appuyée sur des motifs assez peu solides ; elle ne peut, à mon avis, soutenir une sérieuse discussion. Il est encore une difficulté que je n’ai pu éclaircir relativement à ce prieuré. Par une exception inexplicable, on ne le trouve in- diqué dans aucun Pouillé imprimé ni manuscrit. Il n’est compris ni parmi les prieurés simples, ni parmi les chapelles régulières relevant de Saint-Georges. Je ne l’ai point non plus remarqué dans la liste des chapelles situées sur les paroisses de Saint-Pierre d’An- gers et de Sainte-Gemmes-sur-Loire. Et cependant à la fin du dernier siècle, Claude Ro- bin en fait mention dans son ouvrage et le désigne comme appartenant à notre abbaye. Le savant curé de Saint-Pierre n’induisait pas ses lecteurs en erreur. Il m'a été possible, en effet, de constater la vérité de son assertion. En compulsant les lambeaux du cartulaire de Saint- Georges que possèdent les archives de la préfecture, j'ai trouvé plusieurs liasses concernant le prieuré des Châteliers. Mais le manuscrit ne renferme aucun do- cument de valeur réelle sous le rapport historique. C’est une collection de titres et d’aveux pour la mai- son priorale, remontant aux années 1367, 1519, 1591, 1549, et1547. Au commencement du quinzième siècle, Guillaume Le Jude, prieur des Châteliers , est désigné comme procureur pour assurer l’exécution d’une tran- saction. Îl est aussi question de la fondation de deux messes par semaine qui devaient être célébrées dans la chapelle Sainte-Apolline, et de la donation de biens faite dans ce but. DE 0 La jouissance des biens du prieuré fut troublée, dans le courant du seizième siècle, par un propriétaire du village des Châteliers, qui se vit condamné à une amende de cinq cents livres, à la requête de l’abbé Guillaume Millet. Nous ne connaissons ni l’époque de la fondation du prieuré, ni le nom du fondateur, non plus que les motifs qui ont déterminé celui-ci à aban- donner l'édifice religieux et les biens qui en dépen- daient à l’abbaye de Saint-Georges. Sans entrer dans aucune discussion à ce sujet, et sans prétendre émettre une opinion qui défie la contra- diction, nous aimerions à penser que le pieux dona- teur a voulu placer sous la protection du soldat chré- tien, de l’athlète doublement victorieux du démon, un sanctuaire élevé sur les ruines d’un temple consa- cré naguère à une fausse divinité, au lieu même où les soldats païens avaient offert leur encens à Apollon. C'était, il me semble, le meilleur moyen de purifier cette terre souillée par les sacrifices d’un culte absurde et mensonger. IV, — Chapelles. 40 Le Cotton. — Au commencement du quinzième siècle, la paroisse de Saint-Georges fut le théâtre d’un de ces drames sanglants qui se renouvelaient à des époques trop rapprochées au moyen âge. Olivier Ruffier, seigneur de la Grande-Chauvière, dans la paroisse de Saint-Germain-des;Prés, termina une querelle ou un procès avec Jean Maulay, curé-sa- criste de Saint-Georges, par l'assassinat de son ad- = 96 — versaire, accompli lächement dans un champ nommé le Cotton. | Les tribunaux furent promptement saisis de cette déplorable affaire; et l’on fit bonne justice du meur-. trier, en le condamnant à une amende de seize cents livres d’or, valant douze livres la pièce. De plus, il dut faire abandon au monastère de Saint-Georges de son domaine du Grand-Souci, pour la fondation d’une chapelle claustrale en l’église abbatiale. Une messe était célébrée chaque semaine pour le repos de l’âme de la victime d'Olivier Ruffier. On avait bâti aux frais du seigneur de la Chauviére, sur le lieu même du sacrilége homicide, une cha- pelle expiatoire qui a été détruite au commencement de ce siècle. La valeur des rentes étant de 76 liv. 5 s., et les charges montant à la somme de 57 liv. 2 s., il restait au litulaire 18 liv. 7 s. de revenu. 20 Les Hautes-Brosses. — Le nom du fondateur de ce bénéfice ne nous a pas été conservé. Comme j'ai pu remonter dans la liste des titulaires jusqu’à l’an 1481, on peut assigner le milieu du quinzième siècle comme l’époque la plus probable de cette fondation. La chapelle placée sous le patronage de saint Vin- cent, élait située dans la paroisse d’Epiré, auprès de la métairie des Hautes-Brosses, dont les revenus é- taient abandonnés au titulaire. Cette métairie fut re- bâtie en 1750. Il n’y avait d'autre obligation pour le chapelain que de célébrer deux messes par semaine à l’intention des TL le donateurs. De plus, l'acte de fondation portait que ce bénéfice ne devait être dévolu qu’à des religieux de l’abbaye de Saint-Georges. Les revenus étant de 190 liv., et les charges de 117 liv. 8 s., somme considérable, à cause de lPobli- gation de célébrer l’une des deux messes dans la cha- pelle des Hautes-Brosses, il restait au titulaire 72 liv. 12 s. . 30 La Salle. — Cette chapelle qui était claustrale comme les deux précédentes, fut fondée le 23 avril 1509, par Louis Samson, abbé de Saint-Georges. En 1554, Julien de la Barre fonda huit messés an- nuelles, qui devaient être acquittées par le chapelain. Celui-ci était obligé d’assister à l'office canonial et de faire la semaine à son tour. La chapelle avait été bâtie sous l’invocation de saint Symphorien et de saint Sérené, à l'extrémité nord-ouest du bourg, auprès de la métairie de La Salle, dont la propriété avait été abandonnée par le fondateur pour assurer le traitement du titulaire. Elle n’est plus ac- tuellement qu’à l’état de souvenir. Pour mémoire du passé, l’on a eu soin d’encastrer la petite statue en pierre de saint Sérené, dans l’angle du mur de la ferme qui fait face au bourg. On m’a assuré que les habitants de la localité et des environs viennent parfois en pélerinage aux pieds de cette statue, mais les voyages ne sont pas fréquents. Il existait, paraît-il, avant la révolution, une louable servitude imposée aux fermiers de La Salle. D’après la teneur de leur bail, ils devaient fournir, pour un Jour au moins, le logement et le souper aux voya- _—_ 88 — geurs pauvres et attardés qui leur demandaient l’hos- pitalité. Bien que cette sujétion soit abolie depuis le nou- vel ordre de choses, la pieuse et charitable famille qui est à la tête de cette ferme n’a point voulu rompre avec le passé. Aussi la métairie de La Salle est-elle connue au loin de tous les marchands forains, les colporteurs et les vagabonds. Quand la nuit les sur- prend à Saint-Georges, ils demandent de prime abord le chemin de La Salle, et ils se présentent au fermier comme à un ami, avec l’assurance de trouver sous son toit hospitalier un aimable accueil, le repas du soir et le logement pour la nuit. Je me plais à citer cel exemple qui devrait trouver de nombreux imitateurs. Dieu a répandu ses bénédictions abondantes sur cette charitable famille. Elle vit tranquille dans une heureuse aisance, comblée des bénédictions des pau- vres étrangers, et entourée de l’estime et de l'affection des habitants de la paroisse. 4 Les Fougerais. — Cette chapelle avait pour fon- dateur un recteur de la paroisse des Fougerais, au diocèse de Nantes, nommé Roissi. En vertu du testament du bienfaiteur on devait cé- lébrer deux messes par semaine, dans l’église de Saint-Georges : cette fondation courait depuis le 1er août 1331. Les revenus n’allaient pas au-delà de la somme de 37 liv. 12 s. Aussi l’archiviste de l’ab- baye eut-1l soin d’observer, au dernier siècle, que les charges de ce bénéfice dépassaient les revenus. Dans cette notice qui ne me semblait pas compor- > ed ter les effets de style ni les développements littéraires, je n’ai pas eu d’autre dessein que celui de recueillir quelques traditions qui avaient traversé les siècles, et de tirer de la poussière des manuscrits, des docu- ments historiques dont la connaissance sera, peut-être profitable aux futurs historiens de notre Anjou. L'abbé CHEVALLIER. OBSERVATIONS LITURGIQUES et iconographiques SUR UN LIVRE D'HEURES DU XVe SIÈCLE. Messieurs, Le Livre d’Heures, sur lequel j'appelle aujourd’hui votre attention, appartient à Mme Martin (Angers, rue Hanneloup), qui a bien voulu me le confier, afin de pouvoir présenter à votre Commission une notice dé- taillée sur ce petit chef-d'œuvre de calligraphie et de miniature. Qu'elle trouve donc ici l'expression de nos sincères remerciments pour un acte de complaisance que nos visites archéologiques rendent de plus en plus fréquent. Quoiqu'il y ait à la fin du volume cette date ma- nuscrite, l'an 1350, il me répugne de l’accepter : aussi, appuyé d’une part sur les caractères paléogra- phiques, de l’autre sur le style des miniatures, je me =) ON prononce pour le xvie siècle français. J'ajoute fran- çais, car je ne serais nullement surpris d’une origine italienne; et alors, en raison dela progression des arts dans la terre classique par excellence, il faudrait re- monter à la seconde moitié du xve siècle. Au reste, je suis frappé de la ressemblance entre ce Livre d'Heures et le Bréviaire de Mathias Corvin, que tous les voya- geurs admirent à la Bibliothèque Vaticane. Ce qui expliquerait encore mieux cette parenté, fondée sur l’analogie des types, c’est que le Livre d’'Heures a été écrit et enluminé pour une princesse royale; l’on remarque, en effet, dans la bordure du folio 19, lécu de France entouré d’une couronne verte, où les fruits, mêlés aux feuillages, sont liés de rubans rouges. | Le format, qui répond à l’in-32 moderne, mesure en hauteur 11 centim., sur 9 de largeur et 4 d’é- paisseur. Quant au vélin, il est de grandeur variable, donnant, suivant les points de repère, 16 folios, 8, 7 et même 5 seulement par page non pliée. Dans son état actuel de mutilation, ce Livre d’'Heures compte 224 folios de vélin blanc, légèrement rayé et encadré à l’encre brune, avec larges marges tout autour de l'écriture. / | Liturgie. — Selon un ancien usage de l'Eglise, en- core en vigueur à Rome, l’Office de la Vierge, dès la premiére page du Livre d'Heures, débute par Vépres et Complies, ces heures canoniales qui correspondent, par le temps où elles se récitent, au Vespere biblique qui ouvre la première journée de fa création. Ro- main en entier, cet office offre les particularités sui- ONE vantes, que je note scrupuleusement, parce qu’elles sont propres au moyen âge et qu’elles ont été retran- chées des éditions modernes. Une seule salutation à la Vierge, Salutatio beate Mariæ virginis, suit et finit Complies : c’est le Salve Regina, dont la première phrase se lit : Salve regina masericordie, tandis que la version adoptée de nos jours porte Salve regina mater misericordicæ. Les Matines n’ont qu’un nocturne et un & répons avant le Te Deum, conformément au rit gallican. Ce mot de rit gallican soulève une objection que je réfuterai en passant. Le texte, romain pour le fond, variable dans quelques accessoires, reproduit la li- turgie usitée en France et qualifiée du nom de litur- gle romano-gallicane, par le R. P. abbé de Solesmes, D. Guéranger. Quoi d'étonnant qu’une princesse fran- çaise, faisant travailler une artiste italien, soit dans son pays natal, soit en France, ait demandé au calli- graphe de lui transcrire les formules auxquelles ‘elle était habituée! Le titre du Te Deum est fautif, depuis que les sa- vantes recherches des Bénédictins et de Mgr l’évêque d'Angoulême ont établi saint Hilaire ‘comme le véri- table auteur de cet hymne de triomphe. Il serait donc suranné de dire désormais, avec le Livre d’'Heures : Hymnus sanctorum Ambrosi et Augustini. Sous Henri Arnauld, un des versets du Te Deum n’avait pas encore été modifié. En effet, son Bréviaire et notre Livre d'Heures disent : Æterna fac cum sanc- lis tuis gloria munerari. Msr de Vaugirault, dans sa réforme du Bréviaire Angevin, en 1737, adoptait la 21998 variante qui semble avoir depuis prévalu : Æterna fac cum sanctis Luis IN gloria NUMERARI. L'Office de la Vierge n’étant pas le même, surtout aux antiennes, ni dans tous les temps de l’année, ni tous les jours de la semaine, il s’en suivrait des renvois continuels que le copiste a évités en répétant l'office entier autant de fois que les changements l’exigeaient. Dans deux de ces répélitions, je remar- que au psaume Dixit Dominus un verset qui, dans la Vulgate, est au futur et que l'écrivain met au passé. De torrente in via BIBIT, proplerea EXALTAVIT capul, au lieu de... BIBET..... EXALTABIT. Je ne puis résister au plaisir de citer une petite prose rimée qui termine le Livre d'Heures ; elle sera le bouquet de mes observations liturgiques : Ave, celorum regina, Ave, morum disciplina, Ave, vita, lux divina : Virgo, mater, filia. Ave, templum sanctum Dei : Fons salutis, porta spei; Ad te currunt omnes rei Plena cum fidutia. Ave, mater Salvatoris, Vas virtutis, flos honoris, Medicina peccatoris, Pia mater Domini. Ave, mater yesu x, * Virgo Deum genuisti, Per virtutem ascendisti, Dans salutem homini. fe. Ave, salus infirmorum, Et solamen miserorum, Dele sordes peccatorum Te laudantem (1), Domina. Ave, per quam salus datur, Per quam luctus devastatur, Nobis plausus tribuatur, Virgo (2) celi agmina. Amen. Iconographie. — Le Livre d'Heures de Mme Martin doit tout son charme aux riches bordures de ses marges, à la miniature à mi-page qui ouvre l'office et à ses lettres initiales finement historiées. Les bordures entourent la page de vélin en carré. Le champ est d’or appliqué sur pâte en relief, et brillant, parce qu’il a été poli à l’agathe. Les rinceaux, comme ceux de la Renaissance, n’empruntent plus leurs motifs, leurs enroulements, leurs épanouisse- ments, à la nature, aux fleurs, à la végétation, mais à une imagination capricieuse qui compose, s’arrête à modeler, produit des effets d’ombre et de lumière, et, pour ajouter à l’éclat de pages déjà si riches, ré- pand de toutes paris des perles et des pierres pré- cieuses. Aussi ce genre de miniature tend à s’assi- miler à la bijouterie, à cette joaillerie dont Benvenuto Cellini révélera les secrets. Aux branches ingénieusement repliées grimpent de jolis petits enfants nus, qui s’attaquent et se défient mutuellement; des oiseaux en repos becquêtent les (1) Le sens exige ou Te laudantum où Te laudamus. (2) Cette phrase est inintelligible si inter ne remplace pas virgo. LT fleurs et les fruits; la pintade étale son gracieux plu- mage tacheté, et une levrette aux formes souples et lestes bondit sur un lièvre qui s’est embarrassé dans un fourré. La grande miniature, qui prépare si agréablement à l'office, reçoit le choix de son sujet, l’Annonciation, de ces paroles de l’Invitatoire, les premières récitées à matines : Ave Maria, gralia plena, Dominus tecum. À la vue de l'ange qui lui parle, la Vierge de Naza- reth a quitté, pour se mettre à genoux, le trône sculpté sur lequel elle était assise, et laissé, sur un banc recouvert d’une étoffe verte, le livre des saintes Ecritures, dont elle méditait les prophélies. L’archange Gabriel, agenouillé devant la servante du Seigneur, lui montre la colombe céleste qui descend sur un rayon lumineux, envoyée par le Père Eternel avec d’abondantes bénédictions, et lui présente de la main gauche le lis fleuri qui sera l’emblême désormais de sa virginité toujours intacte. Les initiales historiées sont au nombre de quinze. Chacune contient un petit tableau que je vais décrire brièvement. Saint Jérôme reparaît deux fois. Or, cette préférence marquée pour le saint docteur chez les artistes italiens, me confirme dans mon appréciation personnelle sur la provenance du manuscrit. Agé, vêtu du costume brun des cénobites, il ôte de la patte d’un lion l’épine qui le blesse, au grand étonnement de ses frères, qu’une telle scène ramène après une fuite précipitée (1). (1) La légende du lion blessé a été peinte, à fresque, par le Pin- turicchio, à Sainte-Marie-du-Peuple; sur bois, dans la collection du Lu ge Saint Jérôme a, en iconographie, trois ‘attributs spéciaux : le chapeau rouge, par allusion au cardina- lat que lui aurait conféré le pape saint Damase ; le livre, qui le déclare docteur de l'Eglise, se :consu- mant jour et nuit dans l’interprétalion des textes sa- crés; et enfin le lion, non pas, comme on l’a souvent écrit, parce qu'il habita les déserts; mais à cause de ce trait légendaire que son peu de popularité, même dans le monde savant, m’autorise à vous citer : € Un » jour, comme le soir approchait, Jérôme s'était as- » sis avec ses frères pour entendre la sainte leçon; » un lion qui boîtait entra soudain dans le monas- tère. Et quand les frères le virent , ils s’enfuirent. » Et Jérôme vint au devant de lui comme pour un hôte. » Et le lion montra son pied blessé. Alors Jérôme ap- pela les frères, et commanda qu’on lavât le pied du » lion pour guérir la plaie. Et quand ce fut fait, l’on trouva que la plante du pied du lion avait été blessée par des ronces. Et le saint soigna l’animal avec grand soin et il le guérit. Et le lion demeura avec eux comme une bête apprivoisée. Et Jérôme reconnut que Notre Seigneur le leur avait envoyé, non pas seulement pour la guérison du pied, mais pour leur profit, et, de l’avis des frères, il fut con- fié au lion un emploi, celui de mener au pâturage et d'y garder et d’en ramener un âne qui leur ser- vait à rapporter du bois de la forêt. » (Jacques de 2 2 > DO Y > YO à > TZ marquis Campana ; sur vélin, dans les manuscrits de la Vaticane, En 1490, Vivarini la reproduisait à Venise (V. Moyen âge et renaissance, t. v). Je me souviens l'avoir vue également dans des manuscrits de la Bibliothèque Impériale, à Paris. k CEIR: vA Voragine, Légende dorée, traduite par G. Brunet, t. 1, p. 158-159.) Vêtu d’une simple tunique, demi-nu, saint Jérôme est agenouillé devant un crucifix qu’il a planté sur la pointe d’un rocher, et, en signe de componction, se frappe la poitrine avec des pierres : son lion est couché prés de lui. | Saint François d'Assise est ravi en extase. Un séra- phin lui apparaît; il a huit ailes, deux volent en haut, deux autres s’étendent en croix et reçoivent ses bras. Des quatre attachées à ses reins, deux, ramenées en avant, voilent sa nudité, et les deux dernières volent horizontalement. Des pieds, des mains et du côté du séraphin partent des traits de feu qui impriment en plaies saignantes sur le côté, les mains et les ‘pieds de saint François, les stigmates de la passion de Notre Seigneur. (Légende dorée, t. 11, p. 168.) Saint Pierre, martyr de l’ordre des Frères-Pré- cheurs , est arrêté dans un bois par des brigands, qui lui déchargent un coup d’épée sur la tête et per- cent au dos, avec un poignard, le frère qui l’accom- pagne. (Légende dorée, t. 11, p. 89.) Sainte Claire tient à la main le livre des Constitu- tions de son ordre, et l’ostensoir avec lequel elle protégea sa communauté naissante et la ville d’As- sise de la fureur des Sarrazins. (Légende dorée, t. 11, p. 921-3292.) Suit la série des apôtres, distingués, quelques-uns, outre la nudité des pieds et le livre, par un attribut particulier. Saint Philippe a une petite croix, saint Barthélemy SOC. D’AG. 7 ARS un couteau et saint Pierre une clef; saint Jean se re- connaît à son air juvénile; un quatrième tient une croix comme saint Philippe, et deux autres n’ont au- cun insigne. Sainte Agnès porte sur la tête une couronne d’or, et, couché sur son bras droit, l’agneau qui l’assistait quand elle apparut à ses parents affligés le huitième jour après sa mort. (Légende dorée, t. 1, p. 97.) Sainte Agathe, également couronnée d’or, tient le saint Evangile, et, dans un bassin, les deux mamelles qui, coupées par le cruel consul de Sicile, lui furent miraculeusement remises dans sa prison par l’apôtre saint Pierre. (Légende dorée, 1. 1, p. 137-138.) Enfin saint Jean-Baptiste, habillé de peau de cha- meau, déroule un phylactère où sont écrits ces mots : ECCE AGNUS, en majuscules romaines. Un phénix qui renaît en se consumant dans les flammes, et un agneau à nimbe crucifère, couché sur un livre scellé, et ap- puyant une de ses pattes antérieures sur la hampe d'un étendard blanc croisé de rouge, sont des em- blêmes connus de la passion et de la résurrection de Jésus-Christ. Je termine cette notice en signalant la reliure de maroquin brun, gaufrée au petit fer de branches d’olivier dorées, que rehaussent sur chaque plat des médaillons ovales semés de France, et deux fermoirs de cuir montés en vermeil, dont les mordants annelés s’attachent à des pipes ou boutons de métal. X. BARBIER DE MONTAULT. MONNAIE NEIGNEURIALES DÉCOUVERTES AU PUITS ANCEAU EN 1858. La Revue numismatique publiée par MM. Cartier et de La Saussaye, mentionne dans son volume de 1843, à la page 185, un travail de M. de Saulcy concernant une découverte curieuse de deniers tournois faite en 1842 à Dieuze (département de la Meurthe). Ce petit trésor, du poids de cinq livres environ, comprenait entre autres pièces : 10 Un deénier de Louis VII frappé à Paris (avant 1180); | . 20 Deux deniers de Philippe-Auguste frappés à Arras (1180 à 1293); 8 Un grand nombre de deniers de Louis VIII (1223 à 1226) ou de Louis IX (1226 à 1270) frappés à Tours; 40 Un grand nombre de deniers de Philippe Il (1270 à 1980); 90 Un plus grand nombre de Philippe III ou IV (1270 à 1285 ou premières années après 1285); 6o Quatre deniers d’Alphonse de France frappés à — 100 — Toulouse, avec la légende A. co. FILIVS. REG. (de 1249 à 1271); 70 Seize deniers du même avec : MARCH P VINCIE; 8° Quinze deniers de Thibaut IV ou V comte de Champagne (1201 à 1253) avec la légende casrri- PRWINIS ; 90 Un denier de Raoul vicomte de Châteaudun, (1266 à 13092) avec la légende cASTRIDYNI. Toutes ces pièces, d’après M. de Saulcy, ont dû être enfouies antérieurement à 1300. Nous croyons devoir vous rappeler cette découverte, parcequ’elle offre beaucoup d’analogie avec celle qui a été faite au Puits Anceau. En effet, les neuf types ci-dessus désignés se retrouvent, mais avec plusieurs variétés, dans la découverte que nous allons décrire. Dans les premiers jours de janvier 1858, au Puits-Anceau, près d'Angers, des ouvriers, en défon- çant un terrain destiné à des pépinières, ont rencon- tré, à la profondeur d’un mêtre environ, un nombre de 285 deniers et oboles en argent appartenant pour la plupart à cette série de pièces qu’on appelle seigneu- riales, parce qu’elles ont été frappées au nom de ducs, de comtes et de barons résidant en diverses provinces. Dans cette découverte, on remarque cependant quel- ques deniers royaux aux noms de Louis VII, Philippe- Auguste, saint Louis et Philippe IT ou Philippe IV. Quant aux pièces seigneuriales elles sont bien plus variées, car au xine siècle beaucoup de seigneurs battaient monnaie. C’est ainsi que nous avons trouvé des deniers frappés à Angers, à Tours, au Mans, etc. Nous y reviendrons tout à l’heure. — 101 — Dans l’endroit où ces pièces étaient déposées on re- marqua une sorte de détritus assez semblable à des restes de toile, ce qui ferait croire qu’elles étaieht renfermées dans un sac. La monnaie la plus ancienne qui compose ce trésor est un Louis VIT frappé à Paris de 1137 à 1180. Les pièces les plus récentes, et en même temps les plus nombreuses, remontent à Philippe IL ou Philippe IV. Il n’y en a pas de postérieures à 1314. Ainsi l’enfouisse- ment de ce trésor a dû avoir lieu au plus tard dans la période comprise entre 1985 et 1314. Il résulte de cette découverte que les monnaies frappées entre 1137 et 1314 termes extrêmes, avaient cours, ce qui donnerait à penser qu’au moyen âge les pièces étaient moins souvent démonélisées que de nos jours, autrement qu’elles conservaient leur valeur plus long - temps que les nôtres. Mais quelle a pu être la cause de cet enfouisse- ment? Ne serait-ce pas à raison de nos guerres avec les Anglais ou encore parce que les monnaies furent à cette époque profondément altérées? Le proprié- taire de ce petit trésor aura peut être voulu sous- traire son pécule aux dangers qui régnaient alors. Quoiqu'il en soit de ces conjectures, voici par ordre de villes la série des monnaies trouvées au Puits- Anceau. | | J'ai été aidé dans ce travail par M. Godard, qui a bien voulu m'aider de ses lumières en vérifiant avec moi ces curieuses pièces. Angers. — Charles Ier, comte d'Anjou : 30 deniers plus quelques-uns brisés. Les uns portent : K. REX — 102 — SICILIE. À. ANDEGAVENSIS. Une clef annelée et deux fleurs de lys. xire siècle. D’autres KAROLVS COMES + À. ANDEGAVENSIS +. Clef tréflée entre deux fleurs de lys. Le Mans. — 93 deniers, dont un de Charles Ier d'Anjou. Les uns portent : GAROL REX SICILIE. À. SI- GNVM. DEI VIVI. Les autres : MONETA CENOM. À. SIGNVM DEI VIVI. XIIIe siécle. Tours. — Saint-Martin : 9 deniers, lég. scs mar- TINVS. À. TVRONVS Givi. — Saint Louis : 41 deniers plus un obole, LVDOvICvsS REX. + À. TVRONVS civis et civi. Châtel. — Philippe IT ou Philippe IV : 14 de- niers et 4 oboles ; PHILIPPVS REX + À. TVRONVS CIVIS. XII et XIVe siècles. Bretagne. — Pierre Mauclerc : 98 deniers, cASTRI- GIGANPI + (Guingamp). À. DVx BRITANNIE. + xinIe siècle. Blois. — Jeanne, comtesse : 6 deniers plus 4 oboles, CASTROBLESIS. À. I. CoiTIssA (Jeanne comtesse). xr11e siècle. Chartres. — 11 deniers et 3 oboles ; CARTIS CIvI- TAS. +. Paris. — 4 deniers dont 2 de Louis VII, Lvpovi- cvs REX. Dans le champ : FRANCO. À. PARIISIT CIVIS ; les 2 autres de Philippe-Auguste : PHILiPpvs REX ; dans le champ: FRANCO. À]. PARISIT CIVIS. XIIe et xrrIe siècles. Arras. — 11 pièces de Philippe-Auguste. Variétés : PHILIP. REX et PHILIPPUS REX. Dans le champ : FRANCO. À. ARRAS CIVIS et CIVITAS. Toulouse. — 2 deniers ; Alphonse fils de Louis VIII qui succéda en 1249 au comté de Toulouse. Lég. À. CO. FILIVS. REG. À. Châtel. THoLOSsA crvi. Variété A. COMES TOLOSE. Châtel. À. MARCH: P VINCIE. — 103 — Châteaudun. — 2 oboles; Raoul vicomte de Chä- teaudun (1266 à 1302)? Du côté de la croix on lit: RADVFVS VICOMS. Au À. CASTRIDVNI. Châtel. Champagne (Provins). —1%4 deniers de Thibault IV ou V comte de Champagne (19201 à 1253) comes TEBTT. À CASTRIPRWINIS. Dans le champ : tours du château de Provins. Meaux. — 2 pièces de Pierre de Cuissy, évêque de Meaux (1293 à 1956). PETRVS EPISCOP. À. CIVITAS MELDÆ. Un denier inconnu. Telles sont, Messieurs, les observations que j'ai cru devoir vous présenter; j'ajouterai que vingt- huit pièces qui renferment tous les types de ce petit trésor, ont été déposées au Musée des antiquités d'Angers. É A. BOURDEILLE. NOTE AUR FONTEVRAULT PAR M. GODARD-FAULTRIER. - Il résulte d’une pièce inédite, qui m'appartient et dont je vais vous donner lecture, qu’à la fin du xvirie siècle, l’abbaye de Fontevraull tirait ses épices et denrées de la ville de Nantes; que son abbesse avait le privilége de requérir, auprès des receveurs établis pour la recette des droits à la ferme du do- maine du roi, qu'ils laissassent passer sur la Loire, en franchise de tous droits de péage, les provisions dont l’abbaye avait besoin; enfin qu’il y avait un bu- reau de péage à la Pointe, près de Bouchemaine, ou le visa se donnait. On ne sera pas surpris de la diversité des denrées que consommait l’abbaye, lorsqu'on saura qu’elle était visitée souvent par des personnes de la plus haute distinction, ecclésiastiques ou laïques, aux- quelles on offrait le coucher et le goûter. En 1787, date de notre pièce manuscrite, l’abbesse était Mme Julie-Sophie-Gilette de Pardaillan d’Antin, fille de Louis de Pardaillan de Gondrin, duc d’Antin — 105 — et d'Épernon, pair de France, gouverneur de l’Or- léanais, surintendant des bâtiments du roi, arts et manufactures du royaume. Elle prit le gouvernement de l’abbaye le 5 juillet 4765, en fut chassée par la Révolution en 1799, et mourut pauvre à Paris en 1799, âgée de soixante-qua- torze ans. Elle fut la dernière abbesse de Fontevrault, mo- nastère qui, depuis Pétronille de Chemillé, dura près de sept cents ans (de 1115 à 1799). Cet ordre célèbre, qui compte parmi ses abbesses, des femmes du sang de France et d'Angleterre, et les plus beaux noms de notre ancienne noblesse, paraît vouloir reprendre quelque vie dans la petite ville de Chemillé, patrie même de Pétronille. Mais, hélas! ce pauvre pelit rejeton est bien modeste. S'il n’a pas les richesses de l’ancien ordre, du moins en a-t-il les vertus. Cet humble couvent est le seul endroit où le nom de Robert soit encore honoré, et il vit mieux là, que par l’histoire, dans la pensée des pieuses femmes, héritières de ses perfections chrétiennes. Au fond de ce nouveau sanctuaire, elles conservent encore la bé- “quille du bienheureux d’Arbrissel, qui sut élever en quelque sorte la femme à la hauteur de Marie. Robert avait en effet puisé les éléments de son ordre, destiné aux deux sexes, dans ces paroles de Jésus au Calvaire, de Jésus s'adressant à la Vierge et à saint Jean: « Femme voilà votre fils, fils voilà votre mère. » Mais cette divine phrase a cessé d’avoir son écho dans le cœur des hommes : les femmes seules au xixe siècle y prêtent encore l'oreille. Honneur à ce pelit trou- — 106 — peau que guidait si paternellement leur pieux direc- teur, avant que la maladie ne l’eût abattu ! » » » » » Mais revenons à « Julie-Sophie-Charlotte de Par- daillan de Montespan de Gondrin d’Antind’Épernon , abbesse de l’insigne église royale de Fontevrault, chef d'ordre, née à Versailles, le 2 octobre 1795, et morte à Paris le 21 novembre 1799. Elle était cousine germaine de M. le duc de Penthiévre. » Mne la marquise de Créqui, dans ses Souvenirs, en parle de la sorte : » D) D) D] » » 4 2 ŸY « En exécution de ce que m’avait demandé M. de Penthièvre, j'écrivis à Mme de Fontevrault, et je lui fis porter ma lettre par Dupont, qui fut en re- cherches environ pendant six semaines , avant de pouvoir la trouver. Ce qu’il me rapporta sur sa triste position me fendit l’âme. On n’avait tenu au- cun compte du testament de feu M. de Penthièvre, dont tous les biens étaient séquestrés. Mme la du- chesse d'Orléans, dont on avait saisi tous les meubles (et jusqu’à son linge de corps), avait été se réfugier auprès de sa pauvre tante, et Dupont les trouva logées dans un misérable appartement d’une vilaine maison, située dans la petite rue Saint-Antoine. Mme d’Orléans-Penthièvre, car elle n'avait jamais voulu s'appeler Citoyenne-Égalité, venait d’y reve- nir en fiacre. NIPSE PAT ARE ANS ENT AUS Je suis obligée de vous dire que cette bonne reli- gieuse avait eu la faiblesse de prêter serment à la Constitution civile du clergé, en vertu de laquelle on l’avait dépossédée de son abbaye (qui lui rappor- tait cent mille écus de rente); mais le duc d'Orléans — 107 — ‘» l’avait fait circonvenir par de telles manœuvres, » qu'il est impossible de la blâmer. Imaginez qu'il » faisait intercepter toutes les lettres qu’on lui adres- » sait à Fontevrault et qu’il avait fait contrefaire un bref du pape. MM. de Lomenie (le cardinal) et de » Talleyrand, s'étaient promis un beau résultat de ce scandale, attendu l'importance et la richesse de » la congrégation de Fontevrault. Et le cardinal de » Lomenie avait fait le voyage de Touraine unique- » ment pour y tromper cette innocente fille. Isolée, » déçue, obsédée comme elle était par ces trois » hommes de fraude, il n’est pas étonnant qu’elle » ait ignoré la vérité sur le serment qu’on avait en- » trepris de lui faire prêter; aussi M. de Penthièvre » et moi n’avons jamais eu le courage de lui repro- » cher cette malheureuse illusion, dont elle a gémi » pendant sept ans. Mme de Fontevrault m’envoya » deux jours après sa rétractation, que je fis parvenir » à l’abbé de Dampierre (1). » 2 2 Notre pièce manuscrite en question, intitulée « Pas- » seport de l’abbaye de Fontevrault pour l’année 1788 » est signée par cette abbesse. En voici la teneur : « Nous, sœur Julie-Sophie-Gilette de Pardaillan d’Antin, abbesse chef et générale de l’abbaye roïale et ordre de Fontevrault; certifions à tous qu’il appartiendra, même aux receveurs établis pour la recette des nouveaux droits de la ferme du domaine du roy et d’occident, que nous faisons venir et con- duire de la ville de Nantes par la rivière de Loire, dans les bateaux de . Souvenirs, p. 976-377, t. VI. — 108 — les provisions ci-après, pour les besoins et usage de notre dite abbaye, pour l’année prochaine mil sept cent quatre-vingt-huit. Savoir : Quinze mille livres de beurre, quatorze mille livres de cassonnade et sucre fin, trois cents livres de sucre royal de Madère, vingt livres de sucre candye, vingt livres de muscades, trente livres de gérofle, cinq cents livres de poivre, douze livres de canelle, trois cents livres de cire blanche, cent cinquante livres de poix de Bourgogne, deux cents livres de couperoze, cinq cents livres de gomme, six barils de goudron, cent cinquante livres de bois d'Inde, trente livres d’alun, trois mille livres de résine, cinq cents livres d’oing, six mille livres de plomb, trois cents livres d’étain à vaisselle, trois cents livres de coton pour mèches, trois cents livres de mèches à chandelles, quatre boisseaux de gruau, vingt livres de gomme arabique, cinquante livres de noix de Galles, soixante livres de réglisse, soixante livres de câsse, trente livres de verd de gris, six mille livres de savon, deux livres d’arsenic, cinquante livres de baleine, quatre cents livres de liége, quatre cents livres de gomme adragante, douze livres de soufre, cent livres de bourre, douze livres de thérébentine fine, vingt livres de manne, trois milliers de morues parées pinées, trois milliers de morues vertes, quinze cents livres de pa- rure, quatorze barils de harangs blancs, quinze barils ou trente quintaux de sardines, trois cents livres de ritz, cent livres de fromage d'Holande, quatre cents citrons, six cents oranges de la Chine, vingt douzaines — 109 — de bouteilles de vin d’Espagne , trente livres de ci- trons confits ou calbazayes, dix-huit cents livres de café, cinquante livres de lin, six cents aunes de toile ou futaine, dix livres de gingembre, dix livres de thé, deux busses de châtaignes ou marons, trois cents livres de chocolat et quatorze cents livres de chan- delle de suif. Si prions et requérons chacun en droit soi de laisser passer franchement et quittement lesdites pro- visions et deux busses de vin pour la boite des per- sonnes qui les conduiront. Ensemble quelques paquets et boêtes qui nous sont envoyées et à nos chères filles religieuses et que nous envoyons par présent tant en ladite ville de Nantes qu’en nos maisons et prieurés circonvoisins d’icelle, sans en prendre ni recevoir aucuns droits de péage suivant nos privilégeS confir- més par tous les rois d’heureuse mémoire. Donné à Fontevrault en notre dite abbaye, sous notre seing et le scel de nos armes et contreseing de notre conseiller-secrétaire ordinaire, le deuxième jour de décembre mil sept cent quatre-vingt-sept. Sr, D’ANTIN, abbesse de Fontevrauld. Est écrit en marge : Vu passer la quantité ci-dessus, à la Pointe, le 13 juillet 1788. L. LA BIENVENUE. À MES COLLÈGUES DE LA SOCIETÉ D AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D'ANGERS. 13 août 1858. Ce n’est pas vainement qu’on aspire à s’asseoir En l'asile sans faste où vous venez; le soir, Pénétrés de l’amour des choses angevines, Interrogèr au cœur nos illustres ruines. Qui sut mieux rendre hommage à de chers souvenirs! Qui put y consacrer plus studieux loisirs ! La place, on le croirait, en fut prédestinée. Car, au seuil embaumé d’où l’on voit chaque année, Vos jardins si riants de roses se couvrir, Vos poiriers s’aligner, et leurs doux fruits müûrir; Le vieil Angers debout, ses murailles noircies, Ses temples effondrés, clochers, tours, abbayes, D’un sombre amphithéâtre étendent le rideau. C’est tout le moyen âge évoqué; l’art nouveau Qui du passé partout rit, et fait table rase, Regratte les maisons, arrache, étouffe, écrase Le rempart du saint Roi sous la mousse affaissé, Erige la façade où s’ouvrait le fossé, Greffe à nos pignons bleus mainte corniche blanche, — 111 — Et jette aux boulevards les foules du dimanche, L'art nouveau s’est donné le mérite inouï D’oublier dans un coin ce vieux monde enfoui. Donc, vous avez à vous ces merveilles massives : Toussaint et Saint-Aubin, leurs dernières ogives, La rosace ébréchée aux vents de l’aquilon, Veuve de ses vitraux, mais qu’un chaste rayon Du soleil qui se couche, empourpre davantage. Vous pouvez, en rêvant parmi l’herbe sauvage Qui recouvre partout la dalle des tombeaux, Vous repaître, en esprit, des mystiques travaux, Veilles et chants sacrés du pieux monastère; Vous pouvez, tout émus d’un regret salutaire, Où pria le novice en ses psautiers latins, Respirer l’air vital des vieux Bénédictins. Du cloître, remontant aux vasies galeries D'où l'œil jadis voyait et les orangeries Et les verts marronniers envahir tout l’enclos, De la science encor vous aurez les échos : Le Musée est ici, qui, pour nous, vaut Florence; Et les moines, auprès, vous tendront en silence L’in-folio tombé de leurs doigts fatigués, Les vélins patients que leur plume a légués. Puis, vous redescendrez jusqu’en leur réfectoire. [gloire! — Songeons qu'aux humbles lieux Dieu met parfois la C’est là que vous attend, vous trouble et vous ravit L'émouvante splendeur des marbres de David. Vous lirez dans le bronze, autour de la muraille, Sous la voûte en granit dont la courbe tressaille, — 119 — L’épopée où ce noble enfant de notre Angers Sculpta les grands Français et les grands Etrangers! Vous ne faillites point, Messieurs, aux destinées ; Et les traditions ne se sont point fanées, Fleurs vivaces, aux mains qui les ont su choisir; D'un multiple labeur on vous vit vous saisir : Parcourant les cités de nos riches contrées, Nos vignobles dorés, nos plaines labourées, Nos bois, où le Druide a semé son horreur, Nos donjons, que l’histoire empreignit de couleur Nos villages comblés de moissons sans pareilles, Nos jardins frémissants des ailes des abeilles !.… Recherchant la science et le savant obscur ; Proclamant le tableau que recèle un vieux mur; Retirant de l’abime ou du fond des poussières, Les débris de statue, et d’héraldiques pierres ; Vous avez l’œil partout, oui, vous prenez à cœur Tout ce qui du passé peut s’échapper vainqueur, Tout ce qui du présent célèbre les richesses, Tout ce que l’avenir réserve de promesses ! Et ce n’est point l’orgueil, ni le fracas lointain De l’avide réclame aux trompettes d’airain ; L’églantine d’argent que décerne Toulouse ; L’encens qu’on brüle aux pieds du parti qu’on épouse; La folle fantaisie à qui toute arme sert, Ange comme démon, Paradis comme Enfer; Qui, pourvu qu’elle plaise aux salons, à la rue, Ne regarde jamais à l’âme qu’elle tue; Ce n’est: point là le but qui soutient votre essor. — 115 — L'amour du sol natal inspire mieux encor. Tel, l'oiseau ramenant son aile captivée Aux buissons maternels d’où partit la couvée. - Vous voulez que, chez nous, croisse le meilleur blé; Que si le siècle, enfant prodigue échevelé, Vers un gain sans travail navigue en plein orage, L’honneur de notre Anjou se sauve du naufrage ! .Mais le beau vous séduit, quelque forme qu'il ait. Hier encore, ici, Villemain vous parlait. Vos murs ont retenti de sa voix éloquente. Ce grand Athénien, à bouche d’or puissante, Prince de la Sorbonne, âme de l’Institut, Vous offrit, aussi lui, son magique tribut. Il vous félicita de votre œuvre sévère, Rappela que l’étude affranchit, désaltère ; Excita votre ardeur, battit pour vous des mains, Vous montra votre étoile éclairant vos chemins! Cette parole, un soir, comme un rêve entendue, Longtemps résonnera dans votre oreille émue ; Jusqu'à ce que, tout prêt à vous émerveiller, Un nouvel enchanteur vous la fasse oublier. -Falloux, qui se délasse, à l’ombre de ses chênes, Du joug toujours pressant de ses grandeurs humaines ; _ Qui me rappelle un peu les hommes disparus : Croisés, moines, seigneurs, que le siècle a vaincus ; Falloux vous ouvre ici ses deux bras, comme un frère. Il vous doit, il le sait, sa veine fine et fière, Son austère élégance, et cet ensemble d’art Qui, par Montalembert, regagne saint Bernard. SOC. D’AG. 8 — 114 — Mais, après ces beaux noms, que nous déclarons nôtres, Vous ne l’ignorez pas, Messieurs, il en est d’autres, — Et je crois vous servir d’organe en le disant, Qui portent à votre œuvre un charme bienfaisant. Deux surtout, que j'ai vus livrer à nos jeunesses Un bouquet tout fleuri d’indulgentes tendresses. Tous deux, hommes d’étude, et de goût, et de bien, Vous tracent le devoir, et vous sont un lien. L’un, déjà surchargé de pesantes années, Mais d’un cœur vif, bercé de brises fortunées, Revit dans ses deux fils, dont s’honore l’Anjou. Dans un quatrain c’est lui qui cisèle un bijou. Lui qui vous chantera, dans vos fêtes intimes, Son vers d’Anacréon, aux gracieuses rimes, D’où s’exhale d’un mot, dont chacun s’attendrit, Ce qu'avait le vieux temps de bon sens et d'esprit. L'autre, appui, vétéran de la grave justice, Par la philosophie éclairée et propice, Assouplit la rigueur de son âpre devoir. Vous diriez mieux que moi son varié savoir ; Car vous l’avez choisi pour guide à vos séances. Mais je sais, comme vous, ses doctes préférences, Les poètes latins, anglais, italiens, Dont son goût épuré poursuit les entretiens. Il y prend des amis qu’en silence il s’attache, - Et qui font pour son âme un trésor qu’il y cache. Tels sont, Messieurs, pour vous, hommes et souvenirs! Tels sont vos aiguillons, tels seront vos plaisirs. Défrichez le sol pur des lettres et des plantes, — 115 — Entretenez le feu des recherches savantes ; Donnez au cher pays qui nourrit nos enfants Quelqu'un de ces lauriers sobres, mais triomphants, Dont s’anoblit trop peu la province muette. Vous, soyez orateur, et vous, soyez poête! Ayez pour l’art un culte, et n’oubliez jamais Que ce culte sans prix apporte plus de paix, Plus de sage bonheur, au foyer des veillées, Que le monde banal, plein d’ombres ennuyées ! ADRIEN MAILLARD. UN POÈME INÉDIT DU XV® SIÈCLE. Le Moyen âge a été si longtemps dédaigné, ou tout au moins méconnu, et parmi les œuvres poétiques qu’il nous a léguées, il en est tant — des plus origi- nales et des mieux conçues — qui sont restées enfouies dans la poussière des siècles, que de nos jours en- core, malgré la réaction qui s’est produite en faveur de cette époque enthousiaste et féconde, il est à peu près impossible de se faire une juste idée du génie de notre littérature avant la Renaissance. Heureusement, une sage mesure vient d’être prise, et sous l’impul- sion de M. le Ministre de l'instruction publique, on s’est mis à la recherche de tous les poèmes oubliés pour en composer une vaste collection. La bibliothèque d'Angers n’apportera aucune de ces grandes épopées qui caractérisent un âge et sont la gloire d’une nation. Mais elle possède plusieurs petits poèmes inédits du XVe siécle, qui ne manquent ni de. finesse ni de grâce, et qu’on ne lit pas sans charme, même après les ballades d'Alain Chartier — 117 — ou les chansons de Charles d'Orléans. C’est l’un de ces poëmes extrait d’un recueil volumineux, intitulé : de Etymologia nominum gallicorum, que nous allons reproduire ici. L’éloge des femmes ‘en est le sujet, et il se compose de 252 vers de huit syllabes, à rimes tantôt masculines, tantôt féminines, mais entremêlées d’une façon très irrégulière. L'auteur, JEAN PETIT, se nomme lui-même au dixième vers. Serait-ce le célèbre docteur de l’Université de Paris, qui essaya de justifier le meurtre du duc d'Orléans, en 1407? Nous n’osons le croire, bien qu'aucun autre personnage de ce nom, parmi les écrivains du XVe siècle, ne figure dans les biographies. Il y a, au 82e vers, une invocation à saint Julien. Peut-être le poëte n’était-il qu’un obscur religieux d’un des mo- nastères de la ville du Mans? ALBERT LEMARCHAND. Pour ce que souvent sans raison Et sans trouver bonne achaison (1) Plusieurs hommes parlent de femmes En deshonneur et en diffames Et tout le pis qu’ilz peuvent en dient Et ad ce faire s’estudient, Qu’est deshonneste chose et vile Ou soit aux champs ou à la ville, M'est prins au cuer grant appetit De parler d'elles, JEAN PETIT, Et en honneur ramentevoir (2) (4) Raison, prétexte. (2) Rappeler. — 118 — En racomptant partout le voir (1) Ad ce vueil-ge et peu labourer (2). Il est vray qu’on doit honourer . Priser et amer toute femme Sans mal penser et sans diffame. Quar de femmes suymes (3) venuz Pouvre et riche, gros et menuz, Et semble estre fatuité De blasmer sa nativité. Par femme suymes en essence Et y preuons nostre naissance Ilz ont grant peine à nous porter Et grant doleur à lenfanter De leur laict suymes alaictez Par femme nourriz et traitez À grant cure et a grant soign Si ne doit homs, ne prez ne loign, Mesdire de femme a nul feur (4) Ains les amer de tout son cueur Et saucune (5).en y a qui faille Et qui aucunement defaille À garder son honneur en somme C’est par l’enchaussement (6) de l’homme Qui du droit la fait devier. Les femmes ne vont point prier Les hommes; ains tout le rebours ; Quar les hommes y vont le cours Nuyt et jour a gaign ou a perte, 4) A aucun prix. 95) Si aucune. ) — 119 — C'est chose qui est toute aperte. Si est vray que plus vigoreux Doit estre l’homme et plus vertueux En tous endroitz que nest la femme, Ainsi l’Escripture le clame Et c’est il qui poursuit et chace Et tout ce mal fait et pourchace Donc doit il-estre plus puni — $i le cas estoit bien uni — Que la femme qui est fragile Et à resister trop débile. Aucuns y a qui vont disant Et des mariez divisant Qu'il y a des femmes ireuses (1) Coupines (2), hastines, (3) crueuses - Et qu’ils battent leur mariz ; Je ne scey pas s’ilz sont tariz Mais c’est mauvais jeu et paillart. Et touteffois de l’autre part On voit bien mainte bonne femme Sans nul reprouche et sans diffame Sel (4) encontre un meschant mari Bien peu crier hari! hari! (5) Le pouvre homme est soi et meschant Il n'est laboureux ne marchant Il ne li chaut que poay d’ouvrer (6) Si ne peut argent recouvrer . Et meschantement se gouverne, (1) Qui se mettent en colère. (2) Cupides ? (3) Querelleuses. (4) Si elle. (5) Cri pour réclamer justice. (6) I ne lui importe que de pew’travailler. — 190 — Il porte tout à la taverne Et puis quant il a bien beu Et mengé quant qu’il a peu Il se rent à lostel tout yvre Tout effronté comme une guyvre, Lors sa pouvre femme est batue Et traynée et abatue; Il ny a rien qu'il ne triboille; + S'il y a pot au feu qui boille li fiert (1) du pié sans plus atendre Et met pot et potée en cendre; Il tourmente femme et enfans. Je pry S. Julien du Mans Qu’à telz maris puissil meschoir (2) Quar plus grant mal ne peut eschoir À une bonne prude femme Que prendre mari de tel lame. Si en ayl a ma cuydance (3) Cent mil ou royaume de France De telz meschans maris estoux (4) Dont la char soit livrée aux loups. Et est vray qu’on voit en maints lieux Maintes femmes qui saront mieux Gouverner hostel et famille, Ou soit aux champs ou à la ville, Que leurs maris, de la moitié. Ceci est pure vérité. Mais parlon oultre sans flater, Pour la matière dilater, (1) Il frappe. < (2; Il puisse arriver malheur. (3) Il y en a, selon moi. (4) Furieux, insensés. oi — Chose historial et vraye. A la destruction de Troye La reyne des Amazones Accompagnée de dames bonnes Vint au secours du roy Priame; Ne vint pas seule la dame Et avoit dix mille pucelles Toutes anmées, gentes et belles O (1) lances. espées et juzarmes (2) Bien expertes en tout fait d'armes. Et, pour savoir tout le parfont Don cestes amazones sont, Jadis, comme dit li escripts Leurs mariz si furent conquis Et furent murtriz et Luez Par gens qui Goz (3) estoient nommez. Lors leurs femmes les armes prindrent De leurs maris, et puis conquistrent Leurs ennemys et les tuèrent Et plus de cent ans puis regnèrent Et tindrent en leur seignourie Grant part de la terre d’Asie. Et quant Alexandre régna, Que tout le monde conquesta, Il fit mander aux Amazones Que tantoust sans nulles rampones (4) Li feissent obeissance Ou il les feroit par puissance Desconfire et metre à nyent. (4) Avec. 0 (2) Haches ou demi-piques. (3) Goths. (4) Moqueries. — 122 — Adonc la reyne présent Li fist un message transmetre Et li envoya une lettre Où son cas estoit par escript Dont la teneur à plain s’ensuyt : « Haut roy, noble et de grant puissance, » De ton sens et de ta prudence » Se doibt on assez merveiller, % » Qui ton oust (1) veulz appareiller » Pour faire sur femmes conqueste. » Le fait te sera peu honeste, » Quar si fortune tant nous rit » Que par femmes soys desconfit » Et nous en venons au dessus » Tu seras à jamais confus. » Ou supposons tout le contraire » Que par ta force puisses faire » Tant que desconfites soyon » Ou que obéir nous te dyor » Ge sera bien petit donneur » À toy qui es si grant seigneur » D’avoir conquis pouvres femelles » Pouvres dames et demoiselles. » Quant Alexandre ot entendu Les motz qu’ilz li ont respondu Il en fut mervoillé forment (2) Et puis respondit doulcement : « C’est chose avenant et donneur » D’avoir les femmes par doulceur » Non pas par fureur ne par guerre. » Lors leur laissa en paix la terre (4) Armée. (2) Fortement. —_ 193 — En liberté et en franchise. Mais après faut que je divise (1) Du bien, du sens, de la proece De l'honneur et de la noblece Qui fut es femmes qui régnoient Et jadis le peuple jugeoient Que fut en l’ancienne loy C’estoient dames de bon aloy. Que fist la dame Delbora? Elle fist tant et labora Avec Jael sa compaigne Que le prince de la campaigne Qui estoit nommé Sisara L'âme du corps li sépara La dite Jael promptement. Lors Debbora joyeusement Print à chanter une cantique Quel fist du cas, moult autentique. Que fist Hester pour Mardochée ? La teste Aman en fust brochée, Qui servoit le roy Assuaire Et aux Juifs estoit contraire. Que fist Judich de Olofernes ? EI li bailla son derrain (2) termes Et li fit voler à un ton La teste dessus le menton; Quar injustement tourmentoit Le peuple et le persécutoit. Auxi reparlon de dame Anne Et de la bonté de Suzanne Qui par Daniel le prophète (1) Devise. (2) Dernier. _U_U_ Fut trouvée toute pure et nete Des faulx presbtres qui l’accusoient. Daniel les mist en tel point Que leur fausse accusacion Les remist a perdicion. Mais encore assez grant merveille Firent les femmes de Marseille. Avint que les Marsiliens Par leurs ennemis anciens Furent durement guerroyez Et estoient tant afoibloiez Qu'ils n’avoient garnison ne vivre Ne chose dont peussent vivre Ne ne savoient plus conseil prendre En tout leur fait, sinon se rendre Quant leurs femmes virent ce cas Ilz dirent qu’ilz ne rendroiïent pas Par tele occasion la ville : « — Nous suymes bien femmes trois mille, | » Il faut que nous soyon armées » De bacinez, lances, espées » Nous yron dessus la muraille » Bien armées, et tust en bataille » Quant ils verront ne doubtez mie » Aux querneaux (1) tele compaignie » Ils s’écrieront, foibles et forts » D'où leur est venu tel effors » Et s’en fuiront, grant et petit. » Ainsi fust fait que ilz l'ont dit. Et pour remembrance du fait Qui fut ainsi par femmes fait Prudentement à grant merveille (1) Créneaux. — 195 — Toutes les femmes de Marseille Portent tousjours aux bonnes festes Coronnes doréesisus leurs testes. Et si je cuydoie raconter Et me mettre à dire et compter Les biens, les vertus, les proeces Les vaillances et les nobleces Des femmes aui es temps passez Ont leurs noms en honneur passez Ce me seroit chose impossible Autant me vauldroit o un crible Cuyder recueillir toute l’aire Et moins enuis seroit à faire. Si est foul qui femme diffame, Quar homme ne peut gaires sans femme Ne n’est rien qui tant plaise à l’homme Comme femme; c’est tout en somme. Et pour en parler franchement Pour juger le cas léalment (1): Si les hommes bien s’avisoyent Ja de femme ne mesdiroient Quar leur propre fait les encoulpe (2) Et plus qu’elles en sont en coulpe. Si vouldroye a tous supplier Et du cuer doulcement prier Que jamais il n’y ait personne Qui de femme, soit male ou bonne, Vuille dire mal ne reprouche Belle chose est que bonne bouche Ci finira mon dictamen, Dieu nous pardoint à tous Amen ! (1) Loyalement. (2) Les accuse. LAS — Rapport de la Commission chargée de l'examen du poème précédent (1). Dans une de nos dernières séances, j’eus l’honneur de vous rendre compte en quelques mots d’un poëême du xve siècle, extrait par M. Lemarchand d’un épais volume in-8° provenant du monasière de Saint-Aubin et intitulé de Etymologia nominum gallicorum. L’au- teur s’appelait Jean Petit, mais voilà tout ce qu’on en sait, le reste n’est que conjectures, et je laisse à plus savant que moi le droit de discuter une pareille question. En vous demandant de voter l'impression de ce curieux petit poème, je vous signalai plusieurs vers qui me semblaient parfaitement semblables, quant au sens et même aux expressions, à des vers écrits par Legouvé sur le même sujet, dans les premières années de notre siècle, et vous voulûtes bien m’engager à faire à cet égard quelques recherches plus précises, pour savoir jusqu’à quel point cette similitude peut exister entre deux ouvrages écrits à trois siècles de distance. Stimulé par le désir’ de m’acquitter le mieux possible de la mission que vous m’aviez confiée, par l'attrait d’un fait littéraire assez singulier s’il était constaté, j'ai lu, j'ai comparé, et j'ai bien vite été persuadé non-seulement que jeé-ne m'étais pas trompé et que beaucoup de vers de Jean Petit se retrouvaient presque mot pour mot dans les vers de Legouvé, mais de plus que le plan, le squeleite des deux ouvrages, (1) Cette Commission se composait de MM. Victor Pavie, Farge et Lachèse. an — si vous voulez bien accepter ce mot de la part d’un ancien médecin, était presqu'identiquement le même, et que l’œuvre du xixe siècle pourrait facilement être prise pour une amplification charmante de l’œuvre du xve. Pour vous en convaincre, je vais rapidement analyser le poème de Jean Petit, et rapprocher les uns des autres quelques-uns des passages des deux au- teurs qui présentent entre eux la plus grande ana- logie. Les deux poëêtes commencent leur exorde de la même manière; ils ont absolument la même pensée : Pour ce que souvent sans raison dit Jean Petit, Et sans trouver bonne achaison Plusieurs hommes parlent de femmes En deshonneur et en diffames Et tout le‘pis qu’ilz peuvent en dient Et ad ce faire s’estudient, Qu’est deshonneste chose et vile Ou soit aux champs ou à la ville, M'est prins au cuer grand appetit De parler d’elles, Jean Petit, Et en houneur ramentevoir En racomptant partout le voir. Et Legouvé commence ainsi : Le bouillant Juvénal, aveugle en sa colère, Despréaux, moins fougueut et non pas moins sévère, Contre un sexe paré de vertus et d’attraits, Du carquois satirique ont épuisé les traits. De ces grands écrivains je suis bien loin encore, — 198 — Mais j'ose, défenseur d’un sexe que j'honore, Opposant son empire à leur innnitié, Célébrer des humains la plus belle moitié. Car dit Jean Petit : - Par femme suymes en essence Et y prenons nostre naissance Ils ont grant peine à nous porter Et grant doleur à l'enfanter De leur laict suymes alaictez Par femme nourriz et traitez À grant cure et a grant soing Si ne doibt homs ne prez ne loing Mesdire de femme à nul seur. Et de son côté Legouvé dit : =60ee Car avec notre existence, De la femme pour nous le dévouement commence. x C’est elle qui neuf mois, dans ses flancs douloureux, Porte un fruit de l’hymen trop souvent malheureux, Et sur un lit cruel, longtemps évanouie, Mourante, le dépose aux portes de la vie. C’est elle qui, vouée à cet être nouveau, Lui prodigue les soins qu’attend l’homme au berceau. Quels tendres soins... Aprés cet exorde Jean Petit entre en matière et dé- montre que sans la femme l’homme ne peut avoir de bonheur ; il déclare qu’on doit : Ains les amer de tout son cueur Sans mal penser et sans diffame. — 199 — Et pour arriver à la même conclusion, Legouvé a écrit ces vers que nous avons tous lus avec bonheur dans notre jeunesse, où il peint les charmes de la femme comme mère, comme amante el comme épouse. Grâce à mes cheveux gris vous excuserez sans doute dans ma bouche, Messieurs, cet éloge d’un poète qui aux yeux de bien des gens plus jeunes que moi est atteint et convaincu de ne pas être à la hauteur de la poésie actuelle, d’un poête qui ose parler de Mars et de Vénus! Que m'importe? il a su exprimer avec tendresse et conviction les plus doux, les plus pré- cieux sentiments de la vie; il a écrit sous l’inspiration de cet enthousiasme avec lequel il honorait, célébrait, défendait un sexe qui eut tant d'influence sur sa des- tinée, sous l'inspiration d’une piété filiale pour ainsi dire passionnée, sous l'inspiration de son amour comme époux, et ce qui est ainsi écrit avec le cœur, “mon cœur le comprend bien mieux que ce qui n’est écrit qu'avec la tête. Pardon, Messieurs, revenons à notre parallèle. Malheureusement pour elles et pour nous les fem- mes n’ont pas que des attraits et des vertus; elles ont parfois des défauts, de graves défauts. Jean Petit les en disculpe le mieux qu’il lui est possible : Et saucune en y a qui faille Et qui aucunement défaille À garder son honneur; en somme C’est par l’enchaussement de l’homme Qui du droit la fait devier. SOC. D’AG. 9 — 130 — Aucuns y a qui vont disant Et des mariez devisant Qu'il y a des femmes ireuses Coupines, hastines, crueuses Et qu’ils battent leur mariz. Je ne scey pas s’ilz sont tariz, Mais c’est mauvais jeu et paillart, Et toutefois de l’autre part On voit bien mainte bonne femme Sans nul reproche et sans diffame Sel encontre un meschant mari Bien peu crier hari! hari! C’est avec toute son énergie que Legouvé soutient la même thèse : Hé bien! vous de ce sexe éternels ennemis Qu’opposez-vous aux traits que je vous ai soumis ? Vous me peignez soudäin la joueuse, l’avare, L’altière au cœur d’airain, la folle au cœur bizarre, La mégère livrée à des soupçons jaloux Et l'éternel fléau d'un amant, d’un époux! Nous sied-il d'avancer ces reproches étranges ? Pour oser les blâmer, sommes-nous donc des anges? Et non moins imparfaits ne partageons-nous pas Leurs travers, leurs défauts sans avoir leurs appas! + Enfin pour prouver l’empire que les femmes peu- vent exercer par l'énergie de leur volonté, par leur abnégation, par leur courage, Jean Petit cite les Ama- zones, Debora, Esther, Judith, Suzanne et enfin les femmes de Marseille qui défendirent leur ville alors que les hommes étaient sur le point de se rendre; et Legouvé pour prouver la même chose passe en revue — 131 — les femmes qui par leur héroïsme ont inscrit pour jamais leurs noms au temple de l’immortalité. Si vouldroye a tous supplier Et du cuer doulcement prier, Que jamais il n’y ait personne Qui de femme, male ou bonne, Vuille dire mal ne reprouche Belle chose est que bonne bouche Ci finira mon dictamen : Dieu nous pardoint à tous : Amen! Ainsi finit Jean Petit, et la même idée se retrouve - dans les derniers vers de Legouvé; seulement ce qui n’est que froid et sec chez l’un devient tendre et tou- chant chez l’autre, et on ne lit jamais sans émotion ces vers dictés par le sentiment le plus naturel et le plus respectable dans toutes les positions de la vie : L ! Et si la voix du sang n’est pas une chimère, Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère! Eh bien, Messieurs, l’idée première de ces vers se trouve encore dans Jean Petit, qui dit qu’on doit ho- norer toute femme : Car de femmes suymes venuz Pouvre et riche, gros et menuz, Et semble être fatuité De blasmer sa nativité. D’aussi grandes, d’aussi fréquentes similitudes de- vaient tont d’abord me faire penser qu'avant d'écrire le Mérite des femmes, Legouvé avait eu connaissance — 132 — du poème de Jean Petit. A la réflexion cependant, où et comment le littérateur parisien aurait-il pu lire les quelques pages noyées, si je puis me servir de celte expression, dans un énorme volume manuscrit qui, d'aprés toutes les probabilités, n’est sorti du mo- nastère de Saint-Aubin d'Angers que pour entrer dans les rayons de la bibliothèque de la même ville? Une autre copie que celle que nous possédons aurait-elle été faite et se serait-elle trouvée à la disposition de Legouvé? Si cela n’est pas impossible, c’est du moins bien peu probable, car cette copie n’a jamais été si- gnalée nulle part, m’assure-t-on. Il me semble bien plus rationnel d'admettre que deux poëtes, traitant le même sujet, ont développé de la même manière les mêmes idées, qui devaient nécessairement être la base principale de leur argumentation. Les beaux esprits se rencontrent, dit le proverbe, et deux beaux-esprits se sont rencontrés pour chanter lé mérite des femmes ; et ils ont fait deux ouvrages qui ont entre eux une grande analogie. Quoi de plus naturel! seulement si on veut les comparer jusqu’à la fin, on peut dire que l'un est comme une esquisse vigoureuse el, sévère, tandis que l’autre est comme un tableau fini sur le- quel le peintre inspiré a largement répandu les plus vives couleurs de sa riche palette. Le rapporteur, : A. LACHÈSE. LES FORMULES ANGEVINES. La législation d’un peuple se développe toujours, comme la nation même qu’elle régit, successivement et par une longue suite de progrès et de travaux. Rien de plus faux que certaines théories, d’après lesquelles la loi serait née, à un jour donné, de la réflexion savante de quelque philosophe. Le droit d’un peuple ne sort pas tout formé de la pensée du législateur, comme Minerve tout armée du cerveau de Jupiter. La législation est. la fille du temps; les besoins des peuples lui donnent naissance, et la suite des siècles la développe et la précise. Puis viennent les écrivains qui la rédigent, les érudits qui la commentent, et les philosophes qui en cherchent la raison première. En un mot, la pratique devance la théorie; la jurispru- dence naît avant la loi et la coutume précède le droit écrit. Lorsqu'on veut savoir quel était l’état d’une so- ciété, encore dans l’enfance de la civilisation, il est difficile de constater et de caractériser la coutume qui la régissait et que le temps n’avait pas encore soli- — 134 — dement établie. C’est seulement à l’aide des faits par- ticuliers qu’il est possible d’induire ce qu'était alors la rêgle générale. Ces faits, on les trouve constatés non seulement dans les chroniques qui, tout en ra- contant l’histoire politique, peignent aussi quelque- fois les mœurs et les usages, mais encore dans les actes rédigés à l’époque que l’on veut étudier. C’est surtout dans les diplômes et dans les cartulaires qu’il faut chercher les sources de nos anciennes coutumes françaises. Ces précieux documents nous montrent comment, dans les actes qu’ils passaient, nos pères réglaient eux-mêmes les intérêts que la loi devait régir plus tard d’une manière uniforme. Parmi ces monuments des vieux âges, les formu- luires méritent assurément une attention toute parti- culière. Les praticiens, de nos jours encore, emploient des formules faites d'avance et qui leur servent de modèles pour tous les actes juridiques. Au moyen âge, les clercs qui les rédigeaient presque toujours, avaient aussi des formulaires, renfermant les modèles de tous ces actes : vente, échange, donation, testa- ment, partage, constitution de dot, quel que fût le contrat que l’on voulül rédiger, le formulaire en fournissait le type. Tels sont : le formulaire de Mar- culf, rédigé à Paris au vire siècle; celui qu’a publié Sirmond et qui paraît avoir été rédigé pour l’abbaye de Saint-Martin de Tours; celui dont Baluze a donné le texte, qui remonte au commencement du ve siècle et fut rédigé en Auvergne. Il faut ajouter plusieurs autres formulaires, notamment celui d'Alsace; celui qui porte le nom de Lindenbrog, et enfin celui dont — 135 — nous devons nous occuper en ce moment, et qui est connu sous le nom de formulæ andegavenses. Le manuscrit des formules angevines fut découvert par Mabillon dans le couvent de Weingarten en Souabe. Le savant bénédictin le publia dans ses Analecta et dans sa Diplomatique. Il fut reproduit par Baluze, par Walter et par Canciani. Plus récem- ment, M. de Rozière l’a publié de nouveau parmi les pièces justificatives de l’Essai sur l’histoire du droit français de M. Giraud. Ce dernier texte est le plus fidèle et le plus complet de tous. Le manuscrit ren- ferme cinquante-neuf formules ou modèles d'actes. Plusieurs de ces formules sont fort anciennes et re- montent, suivant leur texte même, à la quatrième année du règne de Childebert (1). Mais le recueil n’a été composé que vers l’année 681 (2). C’est donc un monument qui appartient complètement à l’époque mérovingienne, période si curieuse pour tous Ceux . qui veulent connaître l’histoire, souvent obscure, de nos origines nationales. Les formulæ andegavenses offrent un intérêt de plus pour les lecteurs du recueil, car ce n’est pas en vain qu’elles portent le nom d’angevines. Plusieurs d’entre elles renferment ces mots : actum Andegavis, ou quelques termes analogues. Bien que le manus- (1) Form. 1. 34. — C'est de Childebert Ier qu'il s’agit, suivant M. de Rozière (Essai sur l'histoire du droit français, par M. Gi- raud, t 11, p. 425). * (2) La troisième année du règne de Théodoric IT, roi d’Austrasie, d’après un document faisant partie du formulaire et publié par M. de Rozière. — 136 — crit qui les a fait connaître ait été trouvé en Alle- magne, elles sont cependant un monument émi- nemment angevin. À chaque page, en effet, elles mentionnent la cité d'Angers, sa curie, son pontife, son comte ou ses ciloyens. Ces formules peuvent servir à éclairer certains points d'histoire locale de notre cité, et c’est pour cela que nous appelons sur elles l'attention des hommes qui s'intéressent à ce qui concerne leur’ pays. En outre, elles peignent avec une grande vérité les mœurs et les usages du vie et du vrre siècles; et sous ce rapport elles présentent un caractère d'intérêt plus général. Quand on les rap- proche des autres formules que nous possédons, on voit que les questions d’histoire locale, dont elles nous fournissent la solution, peuvent s’élever à la hauteur de questions d'histoire générale ; et que les formules angevines sont un des documents les plus précieux pour la connaissance des institutions sociales des temps mérovingiens. Les renseignements qu’elles fournissent sont re- latifs à l'administration municipale de la ville d’An- gers, à l’état des terres et à celui des personnes; à l’organisation de la famille, aux contrats, tels que la vente, l’échange, le prêt, et enfin à la procédure usitée devant les tribunaux de l’époque barbare. Nous allons parcourir successivement ces différents sujets. I — Organisation de la cité. On ne sait pas d’une manière précise comment étaient régies les cités gauloises avant la conquête — 137 — romaine; mais le système introduit par les conqué- rants est beaucoup mieux connu. Sous la domination impériale les villes gallo-romaines étaient organisées sur le modèle de la ville éternelle; c’étaient en quel- que sorte de petites Romes. Toute cité qui jouissait du privilége municipal avait, comme la capitale, un sénat et des magistrats particuliers; elle formait, sous la surveillance du gouverneur de la province, une petite république. Le sénat municipal portait le nom de curia; il se composait des chefs des principales familles de la localité, qu’on nommait pour ce motif curiales ou deeuriones. Les magistrats chargés d’ad- ministrer le municipe portaient le nom de duumviri, parce qu’ils étaient ordinairement au nombre de deux, comme les consuls, sous la république romaine. Puis venaient le curator, investi de fonctions analogues à celles des censeurs, le magister militum et beaucoup d’autres officiers chargés de la surveillance des édi- fices, de la police municipale, du recouvrement des impôts, etc. Pendant les derniers temps de l’Empire romain, les constitutions impériales mirent à la tête des villes un autre magistrat chargé de représenter la curie et de défendre ses intérêts; on le nomma defensor. Ses fonctions étaient à la fois administratives et judiciai- res; mais sa juridiction était inférieure à celle des gouverneurs de province. Il ne connaissait, au civil, que des affaires de peu d'importance; au criminel, il était chargé seulement de la police et de l’instruc- tion (1). En outre, les magistrals municipaux rem- (4) C. Theod., Lib. 1, t. 10, c. 3. — L. 1, cod. Just. de defens. — 138 — plissaient certaines fonctions relatives à la juridiction volontaire : ils nommaient les tuteurs, faisaient insé- rer dans les archives de la curie les actes passés par les particuliers, et par là leur conféraient l’auihen- ticité. Peu à peu les défenseurs devinrent les chefs et les présidents des sénats municipaux. Gette charge était élective; tout le peuple de la cité était appelé à nom- mer son chef et son représentant. C’étaient en géné- ral les évêques que le suffrage populaire placait à la tête des curies, el auxquels il donnait les fonctions difficiles de régir l’administration du municipe, et de le protéger contre les exactions des officiers impériaux. Tel était l’état des cités lors de la chute de l’Em- pire romain : elles étaient, en fait, gouvernées par leurs évêques et par l'aristocratie municipale du lieu. Cet ordre de choses ne fut pas renversé par la con- quête franque. Les rois mérovingiens laissèrent sub- sister dans toute la Gaule le régime municipal des villes romaines et le pouvoir patriarchal qu’y exer- çaient les pontifes. Mably et Mile de Lezardière ont combattu cette vérité, ils ont prétendu que la con- quête germamique avait anéanti les institutions muni- cipales des villes gallo-romaines (1). Boulainvilliers soutenait que tous les anciens habitants étaient deve- nus serfs ou colons tributaires, et que leurs terres avaient été confisquées par les vainqueurs. Mais la science moderne a renversé ces théories absolues. Si, dans le désordre de l'invasion, une foule de Gallo- (4) Observations sur l'Histoire de France. — Théorie des lois politiques de la monarchie française. — 139 — Romains durent perdre leurs biens et leur liberté, :1l est absolument faux que toutes les personnes et toutes les terres aient été confisquées à la fois par les con- . Quérants. Les deux textes de la loi salique rédigés, le pre- mier, au commencement de l’époque mérovingienne, et le second sous Charlemagne, distinguent en effet les Romains tributaires et les Romains propriélaires. Les rois chevelus admettaient fréquemment les vain- cus parmi leurs leudes et leurs antrustions, à titre de convives du roi (1). Grégoire de Tours parle presque à chaque page de ces Gallo-Romains puissants”, de ces hommes de race sénatoriale, qui, de son temps, parvenaiént souvent aux plus hautes positions, soit dans le clergé, soit à la cour des Mérovingiens. Les Romains ne furent donc pas tous dépossédés. Il est même fort probable que les spoliations ne furent ja- mais que des faits particuliers et locaux, et que les conquérants firent leurs principaux établissements surtout sur les terres du fisc romain. De plus, les Romains gardèrent, avec la liberté civile et leurs pro- priétés, l’ancienne organisation municipale de leurs cités. C’est ce dont toute l’histoire dépose ; mais l’es- prit de système ne se laisse pas arrêter par si peu de chose. De nos jours, on a démontré d’une manière péremptoire la persistance du régime municipal ro- main sous la domination germanique (2). (1) Lex. Sal. t. 48, texte de Schilter; — et t. 43, c. 6, 7, 8, texte de Lindenbrog, apud Walter. (2) Histoire du droit romain au moyen äge, par M. de Savigny, chap. v. — 140 — Nos formules, en ce qui concerne la cité d’An- gers, fournissent la preuve de cette théorie. Elles nous apprennent en effet qu’à l’époque de leur rédaction, cette ville avait une curie et des magistrats munici- paux : un defensor, un curalor, un maître des milices et des décurions, comme au temps de la domination romaine (1). L’évêque exerçait toujours une grande influence sur le sénat municipal; il siégeait avec le comte, dans certaines circonstances, à la tête de cette assemblée. Le diacre remplissait les fonctions de se- crétaire lorsqu'on insérait un acte dans les archives * municipales (2). Les décurions assistaient le comte quand il rendait la justice; ils assistaient aussi ses agents ou préposés. Le texte des formules, suivant le style usité pendant les dernières années de l’Empire romain, leur donne les épithètes les plus flatteuses. Ce sont des hommes magnifiques, des hommes vénérables, les grands de la lle; 11 les appelle aussi les recteurs et les curiales de la province (3). (1) Vir laudabilis illi defensor, illi curator, ill magister militum, vel reliquam curia puplica (form. 1). — Nous suivons le texte de M. de Rozière. Nous avons cru devoir conserver l’ orthographe altérée du vue siècle, telle que ce texte l’a reproduite. (2) Igitur, cum pro udilitate ecclesiæ vel principale negucio apos- tolecus vir domnus illi Episcopus, nec non et inluster vir illi Comus, in civetate Audecave cum reliquis venerabilibus atque magnificis rei- puplici viris resedisset... (f. 32). …. li diaconus et amanuensis Audecavis civetate nobis presentibus nl relegendum (f. 1, $ 1). (3) Per iudicio inlustri illo comite vel auditores suis. (f. 12). .… Ante ïllo præposito vel reliquis hominibus qui cum eo adhe- runt.. (£. 24). l — AM — Outre cette participation à la juridiction conten- tieuse, les décurions avaient conservé l’exercice de la juridiction volontaire. Nos formules en fournissent plusieurs exemples. Les actes rédigés par les parti- culiers étaient lus en présence de la curie, qui en or- donnait le dépôt aux archives raunicipales, comme cela se pratiquait sous la domination romaine (1). Quelquefois la curie confirmait même certains ac- tes (2). . À cette époque d’anarchie et de désordre, on voyait souvent des bandes armées se répandre dans les cam- pagnes pour piller et pour incendier les propriétés. Les victimes de ces actes de brigandage, lorsqu'elles ne perdaient pas la vie dans ces lultes sanglantes, couraient risque de perdre leurs habitations, leurs récoltes, leurs troupeaux, leurs meubles, et, ce qui était plus à craindre encore, les titres et les chartes de leurs propriétés. Celui dont la maison avait été pillée se rendait auprès du juge du canton qu’il ha- bitait, et, sur le témoignage de ses voisins et des no- tables de sa paroisse, il se faisait donner par ce ma- … Ante illo agente vel reliquis qui cum eum adherunt… Visum fuit ab ipsis magnificis (f. 28). … Virorum atque magnorum (op) pidi (f. 7). … Rectores civium, seu curialis provinciæ.. (f. 32). (1) Rogo te. utique obticis puplici patere iobeatis, qua habeo quid apud acta prosevere debiam. Deffensor principalis simul et omnis curia publica dixeront, patent tibi cotecis puplici, prosequere que optas (f. 1, $ 1). … Et hec cartole textum firmior obteniat effectum , gestis munip:- palis sit oblegatum ut in perpetuum plenius obteniat effectum. Date epistole ([. 40). (2) Form. 7. — 14 — gistrat une attestation qu’on nommait apemms (1). Cette charte devait être ensuite confirmée par le comte et par l’évêque, assistés des curiales; et lors- qu’elle avait été revêtue des formalités exigées, elle remplaçait pour celui qui l'avait obtenue les titres qu'il avait perdus, et lui garantissait la possession de ses biens (2). La ville d'Angers avait donc, au vire siècle, con- servé son organisation municipale romaine. Une charte du règne de Charlemagne prouve que, sous ce prince, il en était encore de même. C’est l’acte d’une dona- tion faite par un habitant d'Angers, nommé Harvic, à l’abbaye de Prüm, en 804. L'acte fut inséré aux ar- chives municipales, suivant la tradition romaine, avec l'assistance du comte, du défenseur et de toute la curie (3). En présence de ces textes, que deviennent les systèmes qui nient la persistance du régime mu- nicipal sous la domination des rois francs? À côté et au-dessus de la curie, la ville d'Angers avait un chef supérieur, que les formules appellent, en langue latine, comes. On sait que ce mot, qui, dans l’origine, signifiait seulement compagnon ou ami, devint, pendant les dernières années de l’Empire ro- main, un titre de dignité, que l’on donnait aux prin- cipaux fonctionnaires impériaux. Certains officiers . (1) Unde necesse ei fuit advocare iudecis seu et vicinis circa- manentis seu et universa parocia illa.… proindè petit ad ipsos bonis hominibus.. ([. 31). (2) Form. 31, 32, 33. (3) Adstante vir laudabile Wlfredo defensore, vel cuncta curia Andec. civetate (D. Martène, Miscellanea, p. 58, 59). == AA4B — du palais, certains gouverneurs de provinces reçurent alors le nom de comtes. Après la conquête des Gau- les, les rois mérovingiens établirent, dans les villes de leurs domaines, des représentants chargés d’admi- nistrer les biens de leur fisc, de percevoir le produit des tributs, de conduire les habitants au combat et de leur rendre la justice (1). Les Gallo-Romains don- naient à ces chefs étrangers le nom de comites, comme aux anciens gouverneurs romains; quelquefois, du reste, le comte de la ville était choisi parmi les indi- gènes eux-mêmes. Grégoire de Tours en cite plusieurs exemples. Quant aux Germains, ils l’appelaient graff, mot qui, dans la langue tudesque, signifiait juge (2). Les deux langues, tudesque et romane, étaient, en effet, l’une et l’autre en usage dans notre pays, à l’é- poque dont nous nous occupons en ce moment (3). Les formules angevines parlent fort peu du comte ou gravio de la cité. Elles nous apprennent cepen- dant qu'il assistait, dans cerlains cas, aux actes de (4) Mareulf., hib. 1, £. 8. (2) Gravio, en latin barbare. (3) C’est ce que prouve un canon d’un concile tenu à Tours en 803. Il ordonna aux évêques de la province de traduire leurs homé- lies dans ces deux langues, « afin qu’elles puissent être sans difficulté comprises de tous, » dit le texte du 17e canon de ce concile (Labbe). M. Bodin a commis à ce sujet une étrange erreur. Il confond la langue tudesque et la langue romane. Il prétend qu’à l’époque méro- vingienne, on parlait en (Gaule une seule et même langue, mélange confus de celtique, de latin et de tudesque. Pour faire apprécier les variations de cette prétendue langue, il compare un fragment d’un poème tudesque du vue siècle, avec le serment de Charles-le-Chauve en langue romane; puis il s'étonne naïvement de la différence no- table qui existe entre ces deux fragments. Voir Recherches sur le - Saumurois, t. 1, chap. 13.) QU juridiction volontaire exercés par la curie (1). Nous le voyons aussi siéger au milieu de ses assesseurs, et juger des affaires capitales. Les assesséurs du comte sont appelés tantôt audi- tores et tantôt racimburdi par nos formules (2). En voici la raison. À l’époque mérovingienne, les lois étaient personnelles, c’est-à-dire que sur le même sol, dans l’enceinte de la même ville, ou dans les li- mites de la même province, le Gallo-Romain était jugé d’après le droit romain, le Franc, Salien ou Ri- puaire, d’après la loi de sa tribu, le Bourguignon d’après la loi gombelte ou bourguignone, le Wisi- goth, d’après la loi gothique (3). Le comte, chargé de rendre la justice à tous, ne pouvait connaître tou- tes les lois; mais il prenait avec lui des assesseurs du même peuple que les plaideurs. C’est ce que mon- trent un grand nombre de chartes, où l’on énonce formellement la nationalité des hommes chargés de dire la loi (4). Le Romain était donc jugé par des Romains, le Bourguignon par des Bourguignons, le Wisigoth par des Wisigoths, le Franc par des Francs. (1) Form. 32. (2) … Per iudicio inlustri illo comite, vel auditores suis.. (f. 42). .. Ante vero inluster illo Comite, vel reliquis racimburdis qui cum eo aderant... (£. 49, $ 1). (8) Inter Romanos negotia caussarüm romanis legibus PRESS terminari (Chlotarii edict. c. 4, en 560). — Tam Franci, Romani, Burgundiones quâm reliquas nationes sub tuo regimine et gubernatione degant et moderentur, et eos recto tra- mile secundüm legem et consuetudinem eorum regas (Mareulf., Lib. 1, f. 8). (4) D. Vaissette. Histoire du Languedoc, t. 11, preuves , chartes et diplômes. Passim. — 145 — En langue franque, les assesseurs étaient appelés rachimbourgs (1); c’étaient les juges ou les jurés na- tionaux. Lorsque le comte avait à juger des hommes de race franque, il rassemblait les rachimbourgs, barbares d’origine; mais, lorsqu'il jugeait des indi- gènes, il appelait près de lui, pour assesseurs, les Gallo-Romains les plus considérables de la cité, les hommes de race séhatoriale, qui composaient la cu- rie. C’est sans doute pour ce motif que nos formules donnent deux noms différents aux assesseurs du comte. Le premier {audilores) est un terme générique qui pouvait s'appliquer à tous, quelle que fût leur origine; le second fracimburdi) est un terme em- prunté à la langue des conquérants et qui ne conve- nait qu'aux jurés pris parmi les hommes de leur race. Le principe de la personnalité des lois, en vertu duquel les procès étaient jugés par des jurés de même nationalité que les plaideurs, tenait à un fait long- lemps inaperçu par nos anciens historiens, et mis de nos jours en lumière par les écrivains modernes : nous voulons parler de la distinction des races pen- dant les quatre ou cinq siècles qui ont suivi la con- quêle des Gaules par Clovis. Jadis on croyait généra- lement que, sous Clovis, les Gallo-Romains et les Francs s'étaient tellement fondus ensemble, qu’ils avaient promptement formé une seule et même na- tion, et, qu’à partir du fondateur de la monarchie, la Gaule n'avait .plus renfermé que des Français. (1) Ge mot est formé des deux racines tudesques : recht droit et berghen conserver. (Ducange. Gloss. verbo Rachimburgi.) SOC. D’AG. 10 — 146 — Rien de plus faux que ce système. La distinction de la race conquérante et de la race conquise sub- sista jusqu’au commencement du x siécle. Les chros niqueurs de l’époque mérovingienne mentionnent à chaque page, en effet, la nationalité des principaux personnages dont ils s'occupent. Grégoire de Tours, en parlant des Gallo-Romains, dit toujours les citoyens, les habitants; en parlant des conquérants, il dit : les Francs et même les barbares. Frédégaire, bien que postérieur à Grégoire, est plus scrupuleux encore sur ce point. Les noms mêmes des hommes du temps tra- hissent presque toujours leur origine. Une foule de chartes du 1xe et du xe siècles mentionnent isolément les Francs, les Romains et les Goths, et montrent qu’alors la fusion de ces peuples n’était pas encore opérée (1). La distinction des races ne s’effaça qu’au commencement du xI® siècle. À cette époque, les sources cessent en effet de la mentionner, mais elle fut remplacée par celle des provinces ; et, sous cette forme nouvelle, elle se maintint encore à certains égards, puisque les hommes de telle race dominaient toujours dans telle province, bien que le souvenir de leur origine s’effaçât de plus en plus (2). (1) D. Vaissette, loc. cit. (2) Les noms mêmes des provinces fournissent à cet égard de cu- rieuses observations Au nord, l'Ile de France, séjour des rois mé- rovingiens , a pris son nom de la race franque ; la Normandie doit le sien au pirates scandinaves qui s’y établirent au xe siècle ; à l’ouest, la Bretagne, aux émigrés bretons de l’île d’Albion; à l’est, la Bour- gogne, à la peuplade de race tudesque qui s’y établit au ve siècle; la Gascogne doit le sien aux Basques ou Wascons des Pyrénées , enne- mis acharnés de la puissance franque dans le midi; la Guyenne (en latin Gotania) aux Goths longtemps maîtres des rives de la Garonne; la Provence rappelle la conquête romaine , elle fut en effet la pre- — 147 — Il y à toute apparence qu’en Anjou la race gallo- romaine resta dominante. En effet, l’Anjou est situé assez loin des contrées où les Francs firent leurs pre- miers et leurs plus nombreux établissements. La lé- gislation romaine d’ail.eurs s’y maintint longtemps, ainsi que le prouvent nos formules et des chartes postérieures. Le droit écrit forme, à vrai dire, le fond même des formules angevines. À chaque page, elles se référent à la loi romaine; elles la citent souvent textuellement, et lors même qu’elles ne la rappellent pas expressément, elles en empruntent presque tou- jours les dispositions (1). Les actes sont insérés aux archives municipales suivant la coutume romaine; et la charte d’'Harvic, dont nous avons déjà parlé, men- tonne la même formalité; comme les formules, elle est rédigée suivant le mode usité chez les Romains. Nous pouvons donc en conclure hardiment que du vie au 1xe siècle le droit romain resta pleinement en vigueur en Anjou: c’est du reste ce que nous verrons plus clairement encore un peu plus loin. À côté du droit romain, les formules angevines par- lent de la coutume du lieu. Angers, à cette époque, avait donc des usages propres qui pouvaient tenir lieu de lois dans certains cas (2). On oppose ordi- mière contrée gauloise réduite en province romaine. Quant aux pro- vinces du centre , elles ont gardé les noms des anciennes peuplades celtiques qui habitaient leur territoire. Ainsi l’Anjou tient son nom des Andes, la Touraine des Turons , le Berry des Bituriges, le Poi- tou des Pictons, l'Auvergne des Arvernes, etc. , (1) Secundum lege romana…. (f. 39. — Voir aussi f. 36, 40, 45, 93, 51, etc.). À 4 (2) Juxta consuetudinem.. (f. 4, $ 1 et 3, f. 36, 45, 48, 517). — 148 — nairement le droit romain aux coutumes, et l’on pense généralement que les coutumes locales n’ont pris nais- sance que sous le régime féodal, vers le x1e ou le xrre siècle. Sur ce point, nos coutumes démentent encore l'opinion vulgaire, car elles mentionnent formellement la coutume du lieu. Les formules de Marculf et celles de Sirmond, du reste, en parlent aussi; la loi salique mentionne également les usages locaux sous le nom de landevevas (lois de la terre). Le droit romain lui- même consacrait les coutumes locales (1). L’un des priviléges des villes municipales, sous la domination romaine, était le droit de conserver les usages et les statuts locaux, ce qu’on appelait alors l’autonomie. Peu à peu le droit romain fut substitué à ces cou- tumes municipales, mais les villes durent cependant conserver un certain nombre d’usages particuliers. Cest ce que prouvent presque tous les formulaires de l’époque gallo-franque qui mentionnent toujours la coutume du lieu à côté du droit romain. En outre, bien que chaque nation suivit sa loi pro- pre, cependant les mœurs barbares modifièrent sur certains points la législation des indigènes, et dans les recueils de formules on voit des dispositions toutes germaniques, à côlé d’autres dispositions venant du droit romain. Notre formulaire nous en fournira plu- sieurs exemples sur lesquels nous reviendrons plus loin. Il était impossible, en effet, que les deux races qui vivaient ensemble sur le même sol n’exerçassent (1) C. Theod., Lib, v, t. x1, c. i. — Marculf. Præmium. — Sir- mond, f, 28. — 149 — pas l’une sur l’autre une mutuelle influence. Elles restaient distinctes; mais elles avaient des rapports perpétuels qui devaient tendre à effacer peu à peu cette séparation. Ces observations expliquent l’intro- duction de certaines coutumes barbares dans notre recueil. Elles expliquent aussi pourquoi l’on voyait à époque mérovingienne le comte, qui régissait le ter- ritoire angevin, siéger tantôt à la tête d’une curie gallo-romaine et tantôt avec des rachimbourgs bar- bares (1). La société romaine n’avait pas été détruite par l’in- vasion ; elle avait toujours continué de subsister sous la domination des barbares, mais la société germa- nique vivait et se développait à côté d’elle. De la so- ciélé germanique devait sortir peu à peu le régime féodal. Ce système, au vue siècle, n’était pas encore complétement développé; mais les barbares en avaient apporté le germe. Les justices privées, l’une des ins- üitutions les plus curieuses du régime féodal, exis- taient dès l’époque mérovingienne, comme l’a fort bien remarqué Montesquieu (2). C’est à tort que pres- que tous nos anciens légistes l’ont nié. Les plus an- ciens capitulaires en font mention; et, dès une époque très reculée, on voit par les chartes et par les formules que les seigneurs ecclésiastiques ou laï- ques rendaient la justice aux hommes de leurs do- (1) Sous Charlemagne les rachimbourgs furent remplacés par le scabini (en langue théotisque skapen , juges) que l’on retrouve en- core sous ce nom dans les chartes du xe et du x1° siècles. Au x1i* et au XIIIe, on les appela eskevins, et plus tard échevins. (2) Esprit des lois, 1. xxx. ch. 22. — 150 — maines, où la faisaient rendre en leur nom par des juges qu’ils instituaient eux-mêmes (1). Nos formules nous montrent un abbé rendant la justice avec l’as- sistance d’assesseurs, comme le comte avec les ra- chimbourgs, ou comme le défenseur à la tête de la curie. Il décide des questions de liberté personnelle, de colonage partiaire, de propriété, d’abus de dépôt; en un mot, il paraît avoir une juridiction civile très étendue (2). Les formules ne mentionnent pas la ju- ridiction de l’abbé au criminel. Ces justices privées étaient la conséquence même des mœurs barbares et de l’organisation des tribus germaniques. D’après les vieux usages des peuples du nord, chaque chef de famille avait sous sa tutelle tous les hommes qui s’attachaient à lui par le lien du vasselage militaire, et tous ceux qui cultivaient ses domaines ou vivaient à sa table. Il devait les proté- ger, répondre de leur conduite auprès des chefs su- périeurs de la tribu, et les réprimer lorsqu'ils com- mettaient quelque désordre (3); il était pour eux un véritable souverain; de là naquit la juridiction féodale, dont les formules nous montrent les premières traces en Anjou, dès l’époque mérovingienne. Trois pouvoirs différents coexistaient donc, au (1) Edict. Chlotar., ce. 19, en 615. (2) Ante venerabile vir illo Abbat vel reliquis viris venerabilibus adque magnificis.… Sic visum fuit ipsius abbati (£. 10). Taliter visum fuit ab ipso abbate, vel qui cum eo aderant.… (f. 29). Jllo abbati vel reliquis quem plures bonis hominibus qui « cum ipsi aderunt (£ 46). Voir aussi form. 30. (3) Leges Edwardi, c. 21, apud Canciani. Lex Alamannorum, t. 85. — 1er capitulaire de 802, c. 25. — 151 — vire siècle, dans la ville d'Angers et sur son terri- toire : d’abord celui du comte, qui représentait le roi; puis celui de l’évêque, en tant que chef de la curie; enfin celui que les seigneurs ecclésiastiques ou laïques exerçaient dans l’étendue de leurs domaines. Dans les siècles suivants, le développement du régime féodal devait transformer la juridiction du comte et celle de l’évêque, qui, l’une et l’autre, devinrent sei- gneuriales (1). Mais nous n'avons pas à nous occuper ici de cette révolution. II. — Etat des personnes et des terres. La petite propriété est un fait tout récent dans l'histoire des institutions humaines. Dans l’Empire romain, comme au moyen âge, les domaines possédés par les particuliers étaient immenses et comprenaient des terres d’une vaste étendue, des forêts, des pâtu- rages et des villages entiers. Sur le territoire de chaque villa vivaient non-seulement les serfs et les colons qui exploitaient le fond, mais encore un grand nombre d’ouvriers plus ou moins engagés dans les liens de la servitude et qui exerçaient diverses pro- fessions. Chaque domaine renfermait donc à la fois des cultivateurs, des forgerons, des charpentiers, etc. La condition de ces individus n’était pas uniforme. Les uns étaient complétement esclaves et ne jouis- saient d'aucun droit civil; ils appartenaient à leur maitre qui pouvait disposer d’eux d’une manière ab- (4) I ne s’agit ici que de la juridiction temporelle de l’évêque, — 152 — solue et comme s'ils eussent été des meubles ou des troupeaux. Les autres étaient des colons libres, des emphytéotes, qui jouissaient de tous les droits civils, et cultivaient la terre d’autrui moyennant redevance, comme le font encore les colons de nos jours. D’au- tres enfin, quoique libres d’origine, étaient attachés à la glèbe et ne pouvaient la quitter (1). Les lois ro- maines tendaïent en général à ramener tous les co- lons libres à cette dernière condition. Quant au domaine lui-même, il se composait en général de deux parties distinctes. Le propriétaire se réservait les forêts, les pâturages et une partie des terres, qu’il faisait exploiter par des serfs ou par des esclaves; il affermait à des colons le reste des terres destinées à la culture. Cet usage persisia pendant le moyen âge; au Ixe siècle, la portion réservée s’appe- lait mansus dominicalis, et les autres manst ingenuiles ou serviles, suivant la condition des colons, libres ou serfs, qui les exploitaient; ou, plus exactement peut- être, suivant les charges auxquelles elles étaient sou- mises. : . : L'état de la propriété varia du reste très peu sous la domination des barbares après la chute de l’Em- pire romain. Lorsqu'on étudie les polyptiques du ixe et du xe siècles, et notamment celui d’'Irminon, qui fournit tant de renseignements curieux sur l’état de la propriété, sur celui des serfs et des colons, et sur l'exploitation des terres à l’époque carlovingienne, (1) Licet conditione videantur ingenui, servi tamen terræ ipsius, cui qati sunt, existimentur (Cod. Just, Lib. x1, t. 51, lex unica.) — 153 — la pensée se reporte de suite aux auteurs anciens et aux textes du Digeste qui ont décrit les wlla ou do- maines romains. Rien ne ressemblait plus, en effet, au domaine d’un propriétaire romain, quant à l’éten- due et au mode d'exploitation, que celui d’une riche abbaye ou qu’un fisc royal de l’époque barbare. L’in- vasion germanique ne modifia ni l’assielte de la pro- priété, ni l’état des cultivateurs; certaines terres seulement changèrent de maitres. Les formules angevines renferment peu de rensei- gnements sur l’état des propriétés et sur celui des colons. Elles mentionnent cependant, dans plusieurs endroits, les diverses dépendances des domaines, ainsi que les esclaves et les colons qui les cultivaient ; elles désignent les premiers sous le nom de mancipia, les autres sous celui d’accolæ (1). Ges termes sont bien vagues, bien insuffisants, sans doute, mais il faut compléter le formulaire angevin à l’aide des docu- ments plus précis et plus étendus que nous fournis- sent les autres formulaires et surtout les polyptiques. Il est permis de croire qu’en Anjou l’état de la pro- priété était à peu près le même que dans les autres provinces , et que les grands domaines possédés par les Francs ou par les Gallo-Romains étaient exploités de la même manière, à peu près, que ceux de l’ab- baye de Saint-Germain, décrits par le polyptique d’Ir- minon, et que ceux du fisc de Charlemagne, sur lesquels le capitulaire De villis nous donne tant de détails intéressants. (1) Formulæ andegavenses. Passim. — 154 — Deux formules, d’ailleurs, fournissent sur le mode d'exploitation de la terre des renseignements curieux. L’une nous montre un abbé concédant à un particu- lier, avec l’assistance de ses moines, une terre en bénéfice, moyennant un cens annuel, et pour la vie du concessionnaire, après le décès duquel la terre retournera à l’abbaye (1). Cette concession n’est pas un de ces bénéfices militaires qui devaient plus tard devenir des fiefs; c’est plutôt un précaire, contrat d’où est sortie la censive de l’époque féodale, et qui était déjà en vigueur, comme on le voit, dès les temps barbares. Pendant les premiers siècles de notre histoire, en effet, on appelait bénéfice toute concession précaire, à temps ou perpétuelle, et qui ne conférait pas à l’ac- quéreur la propriété même de l’objet concédé. Ces concessions précaires étaient alors très fréquentes, ainsi que le prouvent tous les recueils de chartes et de formules que nous possédons. L’autre formule dont nous voulons parler men- tionne le colonage partliaire, et prouve que le bail à moitié, ce mode d’exploitation de la terre si commun encore aujourd'hui dans une grande partie de l’An- jou, remonte à une époque fort reculée (2). *On trouve aussi, dans divers endroits de nos for- mules, certaines expressions qui peignent mieux (1) Et quia ad peticionem meam habuit pietas vestra, fecistis mihi beneficium de rem vestra... et spondio vobis annis singulis! cinso soledus tantus... (f. 7). (2) Interpellabat alico homine, nomen illo , quasi vineas suas, quæ erunt illius condàm illi ad parciaricias ei dedisset .. (f. 30). — 155 — qu’une dissertation l’état de la propriété et les mœurs de l’époque dont nous nous occupons. Ici l’auteur parle d’une terre qui se trouve située dans le terri- loire de tel saint (1); là il relate un acte dans lequel on réserve les droits du saint auquel appartient la . lerre qui fait l’objet du contrat (2). Plus loin le colon d’un monastère est appelé l’homme de tel saint (3). Ces expressions nous rappellent que, dès l’époque où furent rédigées nos formules, le clergé régulier et le clergé séculier possédaient déjà de vastes domaines, et que ces biens étaient réputés appartenir au saint sous le vocable duquel était placée l’église ou le mo- nastère dont ils dépendaient. Les terres en question appartenaient sans doute à des propriétaires soumis envers l’égiise du lieu, soit au paiement d’un cens, soit à celui d’une dîime. Le territoire du saint com- prenait en effet, outre les domaines propres de son église, tous ceux qui étaient soumis à l’une de ces charges au profit du monastère. Enfin on rencontre plusieurs fois, dans les formules angevines, un terme emprunté au droit germanique, et qui a donné lieu à bien des discussions et à bien des difficultés. Nous voulons parler du mot alode (alleu). Qu'est-ce que l’alleu, dont parlent à chaque instant les lois barbares, les formules et les chartes des premiers siècles de notre histoire? D’aprèsles uns, l’alleu est le lot de terre que le sort a donné aux barbares établis sur le (1) In terraturium sancti illius .. (f. 4, 22, 39, 53). (2) Absque preiudicium sancti illius cuius terra esse videtur.., (£. 8, 21, 39, 57). (3) Homine sancti illius... (f. 26). AO sol romain; d’après les autres, l’alleu est la propriété germanique pleine, entière et distincte des conces- sions précaires, telles que les fiefs, les censives et les bénéfices de toute espèce (1). Nous n’avons pas à nous prononcer ici entre ces deux opinions, car dans toutes les formules angevines où le mot alode est employé, il n’est pris ni dans le premier sens, ni dans le se- cond. Il désigne la terre provenant de la succession des parents du propriétaire; il est opposé au mot comparalum, qui s'applique aux biens acquis par le propriétaire et de ses deniers (2). L’alleu, dans nos formules, c’est le bien que les coutumes, à une époque postérieure, appelérent le propre opposé à l’acquêt (comparatum) (3). Son sens étymologique, et tiré de la langue tudesque, s’était donc modifié dès le vire siècle; et déjà l’on voyait naître la distinction des (1) Dans la première hypothèse , le mot alode viendrait de la ra- cine tudesque loos (sort); dans la seconde , il viendrait des deux ra- cines all (tout) et od (biens, richesses), tandis que le mot feodum (fief) aurait pour source les deux racines fee (solde) et od. (2) ... Porciones meas quem ex alote parentum meorum œi le- gibus obvenit vel obvenire debit... (£. 1, $ 1). ... Quem in pago illo et illi ex aloto parentum meorum vel de qualibet contractum mihi legibus obvenit (f. 40). (3) Le mot alode est pris dans les lois barbares et dans les chartes anciennes, tantôt dans un sens et tantôt dans un autre. La loi salique Pemploie pour désigner les propres ou biens héréditaires; certaines chartes l’opposent au mot beneficium et mentionnent la transforma- tion de bénéfices en alleux; la loi bourguignone emploie sors comme synonyme d’alleu ; enfin au moyen âge, on appelait franc-alleu un bien libre de charges féodales, tandis que dans certains docu- ments des xie, x1re et xir1e siècles, le mot alode désigne au contraire des terres serviles. Ce mot n’avait donc pas de sens précis , ou du moins le sens qu’on lui donnait variait souvent. Il faut le traduire suivant ce qu'il signifie dans l’acte où on le trouve employé. — 157 — propres et des acquêts, à laquelle le droit féodal de- vait plus tard donner tant d'importance. Tels sont les renseignements que les formules an- gevines nous fournissent sur l’état des terres. Elles en renferment aussi d'assez curieux et de plus expli- cites sur celui des personnes. Au vie siècle, l’escla- vage existait encore complètement; les propriélaires pouvaient disposer de leurs serfs, comme dans l’anti- quité. Le christianisme avait, il est vrai, adouci l'exercice de ce droit, les conciles protégeaient les esclaves et défendaient de les vendre à des juifs, à des païens ou à des étrangers (1); mais, sous le bé- néfice de ces restrictions, l’esclave était toujours une propriété mobilière que l’on pouvait mettre dans le commerce. Nos formules en fournissent la preuve : l’une d’elles est un modèle de vente d’esclave; elle est conçue dans la forme ordinaire des actes de vente. Le vendeur cède un esclave né chez lui (vernacula), que l'acquéreur tiendra et possédera, qu'il pourra, s’il le veut, revendre, échanger ou donner, et dont il usera de la manière la plus absolue (2). Le droit que le maître exerçait sur son esclave était, en un mot, le droit de propriété dans toute son étendue. Une autre formule nous offre un modèle de vente (1) Concile de Tolède en 589, c. 15. — Concile de Reims en 625, ©. 41; — de Châlons-sur-Saône, en 650, c. 9. — 1ve concile d'Or- léans, en 538, c. 13. — Concile de Mäcon, en 581, ç. 15. (2) Vendedi vobis vernacula iuris mei, nomen illo, et accipi exindè precium in argento, unxias tantas, ut quidquid ab odierna di ipso vernaculo facere volueritis, abendi, tenende , donande, vindende, seu conmutandi, quomodo et de reliqua mancipia vestra obnoxia, exinde facere volueritis, liberam abeam potestatem (f. 9). — 158 — d'enfant. À cette époque de misère, on exposait sou- vent les enfants; tous les formulaires en font foi. L'homme qui avait trouvé un enfant exposé, que ses parents ne réclamaient pas, pouvait à son gré le gar- der ou le vendre comme esclave : celte coutume existait en Anjou comme dans les autres provinces (1). Bien que cet usage barbare ait existé de tout temps chez les Germains, ce ne sont pas eux qui l’ont in- troduit en Gaule; il était en pleine vigueur sous la domination romaine, et les lois impériales le men- tionnent très fréquemment (2). Nous voyons enfin, d’après nos formules, qu’à l’é- poque mérovingienne on pouvait se vendre soi-même. Ici c’est un voleur qui, ne pouvant payer à celui qu’il a volé l’amende ou composition fixée par la loi, se donne en esclavage (3); là c’est encore un voleur qui se donne en esclavage, non plus à la victime de son vol, mais à celui qui l’a sauvé de la mort en acquit- tant le prix de la composition que le coupable n’a- vait pu payer (4). Ailleurs, c’est un homme réduit à la dernière misère, qui se vend lui-même à cause de la dureté des temps, et qui touche le prix de sa propre personne (5). Plus loin, ce sont deux époux qui se vendent aussi avec tout ce qu’ils possèdent, (1) Incipit carta de sanguinolento quem de matricola suscipi..…. ut ipso infantolo ad homine nomen illo venumdare deberemus (f. 48). (2) C. Theod., L. 1. de his qui sanguinolentos. — L. 1. de patrib. qui; Cod. Just., 1. 2, de infant. expos. (3) Form. 2. (4) Form. 3. (5) Form. 19. — 159 — afin d'assurer leur existence (1). Enfin on voit un débiteur qui, ne pouvant payer sa dette, donne sa propre personne pour caution, et s’engage à travail- ler pour son créancier (2). Un souvenir de cet enga- ‘gement temporaire a été conservé par les mœurs modernes, et l’on voit souvent encore dans nos cam- pagnes le débiteur s'acquitter en travaillant pour son créancier. On était esclave, soit lorsqu'on naissait d’une femme esclave, soit lorsqu'on se vendait soi-même, ainsi que nous venons de le voir. On le devenait aussi quand on était pris par l’ennemi. L’usage existait encore, à l’époque mérovingienne, de faire esclaves les prison- niers de guerre ; les vainqueurs les partageaient entre eux ou les vendaient : Grégoire de Tours en fournit la preuve (3). Quant à nos formules, elles ne font pas mention de ce mode d’esclavage, mais elles nous ap- prennent comment on sortait de la servitude. L’af- franchissement ou manumission conférait la liberté à l'esclave , d’après le droit romain ; toutefois l’affran- chi restait soumis envers son patron à certaines obli- gations, et bien que la qualité d’homme libre lui fût conférée, et qu’il jouit de ce que nous appelons au- Jourd’hui les droits civils, sa condition n’était pas égale à celle de l’homme libre, né de parents libres, et qui n'avait, dans aucun temps, porté le joug de la servitude. : À l’époque mérovingienne, on conférait souvent par (1) Form. 95. (2) Form. 37. : (3) Grégoire de Tours, Lib. 1. Histoire d'Attale. — 160 — la même charte, à l’esclave que l’on voulait affran- chir, la liberté et l’exemption des charges qui pe- saient sur l’affranchi d’après la loi romaine, et que l’on appelait obsequium. Dans ce cas, l’affranchi (H- bertinus) étail assimilé à l’homme né libre (ingenuus). Deux des formules angevines mentionnent des manu- missions de cette nature; le maître donne à son es- clave la liberté, l’exempte des charges ordinaires des affranchis, et veut qu’il soit considéré comme ingénu. D’après l’une d’elles, la liberté est accordée à l'es- clave par un acte entre vifs, et afin qu’il en jouisse de suite; d’après l’autre, elle ne lui est conférée que pour l’époque qui suivra le décès du maître et par le testament de celui-ci (1). L’affranchissement à Rome se faisait aussi, soit par lettre, soit entre amis (per epistolam, inter amicos), soit par testament, soit enfin par différents modes solennels qui finirent par tom- ber en désuétude, et furent remplacés, sous les em- pereurs chrétiens, par la manumission opérée dans les églises en présence du clergé (2). L'une des formules dont nous nous occupons en ce moment permet à l’affranchi de garder son pé- cule (3). Ceci vient de ce que le maître étant, d’après la loi romaine, propriétaire de tout ce que l’esclave (1) A diœi presente ingenium esse precipimur , tamquäm ab inge- nuis parentibus fuissis procreatus... (f. 20). Et post meum quoquæ discessum cum omni peculiare quod habis aut Jaborare potueris ingenuos «ducas vitam, tanquam se ingenuos parentibus fuissis procreatus... (f. 23). (2) Inst., Lib. 1, t. 5. — C. Theod., 1v, 7.— C. Just., L. 1, 2, de his qui in ecclesi. (3) Form. 93, Joc. cit. — 161 — acquérait, le pécule de celui-ci appartenait au pre- mier ; et c'était seulement par tolérance que la jouis- sance lui en était laissée. Lors donc que l’esclave recevait l’affranchissement, le pécule devait rester au maître, et l'affranchi ne pouvait le garder qu’en vertu d’une donation spéciale. Cette formule nous en four- nit un exemple. La prescription pouvait, à défaut d'acte formel, assurer aussi la liberté du serf. L’une de nos for- mules relate un jugement garantissant la liberté à un homme qu’un propriétaire réclamait comme son es- clave, et qui avait prouvé que, depuis trente ans, il n'avait’ fait aucun service pour ce maître (1). Quelques mots maintenant sur l’état des familles de serfs, toujours d’après nos formules. Suivant les principes du droit romain, l’enfant né d’une femme esclave devait suivre la condition de sa mère; il ap- partenait au maître de celle-ci, quelle que fût la con- dition de son père; il en élait de lui comme du croit des animaux. La législation impériale modifià ce prin- cipe à l'égard des serfs de la glèbe; elle établit que les enfants nés de parents appartenant à différents maitres seraient partagés entre ceux-ci. Une loi d’'Ho- norius et de Théodose décida, en effet, que le maître du colon prendrait les deux tiers des enfants, et le maître de la femme l’autre tiers (2). Nous trouvons dans les formules angevines un partage de cette na- ture fait entre deux propriétaires, mais dans des pro- (1) Form. 10. (2) Cod. Theod., Lib, v, t. 10, c. 1. SOC. D’AG. 11 — 162 — portions inverses. Le maître de la serve doit avoir les deux tiers de l’agnation et le tiers du pécule, celui du serf le tiers de l’agnation et les deux tiers du pécule, c’est-à-dire de ce que les deux époux ont ac- quis pendant la durée du mariage (1). On voit aussi, par cette formule, que les serfs ne pouvaient se ma- rier sans l’autorisation de leurs seigneurs. Grégoire de Tours raconte l’histoire de deux malheureux serfs qui s'étaient mariés sans le consentement du duc Rauchingue, leur maître, et que celui-ci fit enterrer vifs, malgré les prières du prêtre qui avait béni leur union. D'après la législation impériale, la femme libre qui épousait volontairement un serf, devenait serve avec toute sa postérité (2). Il en était de même dans le droit barbare; l’enfant né de parents de condition différente, quant à la liberté, suivait la condition in- férieure; de là est venu l’axiome coutumier conservé par Loisel : « En formariage, le pire emporte le bon ». La loï ripuaire voulait que les parents de la femme libre qui avait épousé un serf, présentassent à celle- ci une épée et un fuseau. Si elle choisissait l’épée, elle devait donner la mort à son mari de sa propre main, si elle prenait le fuseau, elle restait serve avec toute sa postérité. La loi lombarde permettait aux parents de mettre leur fille à mort quand elle avait épousé un esclave. Le maître du serf laissait quelquefois cependant à (1) ... Quod ipsi aliquid stante coniugio convenerunt. .. (f. 44). (2) C. Theod., Lib. 1v, €. 9, c. 1. — 163 — la femme ingénue, qui s'était ainsi mésalliée, la li- berté, pour elle et pour ses enfants. On en trouve la preuve dans les formulaires ; et le nôtre en fournit un exemple. La formule 58e est un modèle des chartes de cette nature. Le maître accorde à une femme in- génue qui avait épousé l’un de ses serfs, la liberté pour elle et pour sa descendance; il leur impose l’o- bligation, s'ils veulent jamais se vendre comme es- claves, de venir s’offrir à lui ou à ses héritiers el pas à d’autres (1). Il s’engage, en outre, à ne rien récla- mer de ce que les époux pourront acquérir pendant la durée du mariage. L'état des esclaves et des serfs de là glèbe était donc encore en Anjou, à l’époque de la rédaction des formules, ce qu’il était déjà sous la domination des derniers empereurs romains. III. — Du mariage; — Divorce. — Sponsalitium. D’après la législation romaine, le mariage n’était qu’un simple contrat formé par la seule volonté des époux et qu’une volonté contraire avait le pouvoir de dissoudre. Entre personnes honnêtes et d’égale con- -dition, le consentement des parties manifesté devant quelques amis suffisait pour contracter mariage, s’il n'y avait d’ailleurs aucun empêchement légal. D’a- près une constitution de Théodose et de Valentinien, édictée en 428, la pompe nuptiale, la dot et la dona- (1) Se eis necessitas fuerit, ad servicio caput edrum inclinatur, non ei detur licencia nisi ad nos, ad heredis nostris propinquioris (f. 58). \ / — 164 — tion n'étaient pas nécessaires pour la validité de l’u- nion conjugale (1). La bénédiction nuptiale n’était pas non plus exigée par la loi, bien qu’à cette époque l’Empire füt devenu chrétien (2). Ce que la volonté des époux avait fait, elle pouvait . le défaire. Le divorce par consentement mutuel et même la répudiation opérée par l’un des époux seul, furent longtemps admis par le droit romain. On sait jusqu'à quel point la corruption des mœurs - porta cet abus pendant l’époque impériale, puisque, si l’on en croit un ancien auteur, les femmes de Rome auraient compté les années par le nombre de leurs maris. Constantin avait mis quelques limites à la fa- culté de divorcer (); mais ce frein resta impuissant, et, en 439, une novelle de Théodose ei de Valenti- nien abolit les entraves imposées par le premier em- pereur chrétien à la faculté de rompre le mariage, et permit le divorce par consentement mutuel. Il suf- fisait que l’époux qui voulait se séparer fit signifier à son conjoint un libelle de divorce (4). L'Eglise cependant proclamait la sainteté du ma- riage, élevé ‘par J.-C. à la dignité de sacrement. Les canons apostoliques, les décisions des papes, les con- (1) Cod. Theod., Lib. 111, t. 7, c. 3. — Une novelle de Majorien , rendue en 458, changea cet état de choses et exigea la constitution de dot pour la validité du mariage. (2) En Orient, Léon-le-Philosophe décida au contraire que la béné- diction nuptiale serait nécessaire pour la validité du mariage (Nov. 89 ). (3) Cod. Theod , Lib. 111, & 16, c. 1 et 2. (4) Consensu licita matrimonia posse contrahi, contracta non nisi misso repudio dissolvi præcip'mus... (Nov. Theod. Lib. 1, 1. 17). — 165 — ailes et les pères de l'Eglise élevaient la voix de tou- tes parts en faveur de lindissolubilité du lien conju- gal, conformément à la parole évangélique (1). Mais, malgré les anathèmes de la puissance spirituelle, le divorce resta longtemps en vigueur. Les barbares n'étaient pas à cet égard plus sévères que les Romains. Toutes les chroniques attestent l’inconstance de leurs affections, et la brutale corruption de leurs mœurs. Certains rois mérovingiens, bien que convertis au catholicisme, vécurent avec plusieurs femmes à la fois ; ils répudiaient leurs anciennes épouses et for- maient de nouvelles unions au gré de leurs caprices et de leur dépravation (2). .… Les usages locaux étaient d'accord avec la barbarie des mœurs franques et la licence des mœurs romai- nes. L'une de nos formules prouve, en effet, que les matrones angevines, qui devaient être citées plus tard pour leur fidélité à accomplir les devoirs conju- gaux (3), usaient encore sans scrupule, au vire siècle, de la faculté de divorcer par consentement mutuel. Nous traduisons ici littéralement ce curieux modèle d’un libelle de divorce; c’est une femme qui s’a- dresse à son mari : ; « Au seigneur un tel, mon époux, non très doux, » mais très amer et très essoufilé, moi une lelle. (1) Qui dimiserit uxorem suam et duxerit aliam, mæchatur, similiter et qui dimissam duxerit, mœchatur (S. Matth. , c. 19). Voir aussi : Canons apostoliques, ©. 48. — S. Augustin, L. 1v, homel. 49. — Concile d'Arles, en 314, c. 10. — Conciles d'Afrique. ©. 102.— Innocent, pape, decret. 26. — Concile in Trullo, c. 79, etc. (2) Tels furent notamment Chilpéric Ier et Dagobert Ier. (3) Bodin. Recherches sur le Bas-Anjou, tome 11, p. 484, note 3. — 166 — » Puisque, par l’interdiction de Dieu et par l’insti- » gation du diable, nous ne pouvons rester ensemble, » nous sommes convenus, en présence de bons hom- » mes, de nous détacher réciproquement; ce que » nous avons fait. Partout où mon époux voudra » prendre femme, qu’il ait licence de le faire. Sem- » blablement on est convenu que partout où la femme » sus-nommée voudra prendre un mari, elle ait li- » cence de le faire. Et si désormais l’un de nous -» veut agir ou réclamer contre cette charte, qu’il » paie tant de sous à l’autre, en présence du juge; » qu’il ne puisse revendiquer ce qu’il demandera; et » que cette charte reste inébranlable en tout temps (1).» - On doit remarquer la clause par laquelle les époux s'engagent à ne rien réclamer l’un de l’autre. Elle avait sans doute pour but d'éviter lapplication des lois romaines, qui faisaient perdre tout droit à la dot et à la donation nuptiale à l'époux qui divorçait sans motif légitime. | Il faut avouer que l’on ne saurait se quitter de meilleure grâce, ni voir d’un œil plus philosophique son époux s’apprêter à former de nouveaux liens. On nous pardonnera d’avoir traduit cette naïve formule qui peint si naturellement les mœurs de l’époque. Cependant, sans préjudice des décisions générales portées par l'Eglise contre le divorce, un concile tenu à Angers même, en 453, et un autre tenu à Tours, en 461, avaient l’un et l’autre condamné cette antique (1) Form. 56. — Elle paraît avoir été rédigée sous le règne de Théodoric, en 681. — 167 — institution. Mais notre formule montre que l'Eglise n'avait pas encore pu, malgré tous ses efforts, réfor- mer certains usages, dermers et tristes restes du pa- ganisme. . Tels sont les renseignements que nous fournissent les formules sur le lien conjugal; elles s'occupent aussi du règlement des intérêts pécuniaires des époux. Plusieurs renferment des modèles de conventions ma- trimoniales. Ces conventions sont faites, suivant le texte, soit d’après la loi romaine, soit d’après la cou- tume du lieu et du consentement des parents qui, conformément au droit écrit, devaient intervenir à la célébration des fiançailles (1). Le droit écrit appelait donatio ante nuptias, ou spon- salitium, ce que le mari donnait à sa femme lors des fiançailles et en vue du mariage.'Il appelait au con- traire dot (dos), ce que la femme apportait à son mari pour soutenir les charges du ménage. Les mots spon- salitium et dos avaient donc, dans l’origine, un sens très différent; mais après l’invasion des barbares, la propriété des termes s’effaça, et l’on appela indiffé- remment dos, ou sponsalitium, la donation faite par le mari à sa femme au moment des fiançailles, ainsi que le montrent les formules angevines (2). Ces textes (1) ... Te secundum lege romana sponsata visi sum habire (f. 39). .. Et qua, propicio domeno, iuxtà consuetudinem una cum vo- lumtate parentum tuorum spunsavi (f. 4, $ 3). (2) ... Cido tibi de rem paupertatis mœe tam pro sponsaliciæ quam pro largitate tuæ... (f. 1. S 1). Incipit dotis... fatuor me hanc libellum dote scribere deberent (f. 34, $ 1). + Dans ces deux formules, il s’agit, malgré la différence des termes, de la donation faite par le fiancé à sa fiancée. — 168 — appellent la fiancée dulcissima sponsa, expressions qui contrastent très à propos avec les termes amaris- simus jocalis du libelle de divorce. Du mot dos, détourné de son sens primitif, le latin barbare forma dotarium, d’où sont venus les mots douaire, doario, douer, qui, dans les langues moder- nes, désignent un avantage fait à la femme en vue du mariage, soit par le mari lui-même, soit par Ja loi (1). Mais nos formules n’emploient encore que les mots dos et sponsalitium ; elles ne s’occupent que de la donation faite par le mari lui-même, le douaire légal ou coutumier n'existait pas encore dans les temps mérovingiens. Le texte mentionne les différents objets que le fiancé donnait à sa fiancée à titre de dot. Ce sont des immeubles, des troupeaux, des esclaves, des meubles et des bijoux; en un mot tous les biens et toutes les richesses que l’homme peut posséder (2). Ces énu- mérations sont curieuses pour la peinture des mœurs du temps. Elles montrent, par exemple, qu'à cette époque les femmes montaient à cheval, car le mari fait cadeau à la sienne d’un cheval tout équipé; que les troupeaux faisaient alors une partie notable de la (1) Dans la langue espagnole moderne, le douairé est appelé arras (arrhes}, expression empruntée à la loi des Wisigoths, qui apppIle ainsi le sponsalitium. (2) Cido tibi.. casa cum curte circumeincte, mobile et inmobile.… Cido tibi bracile valente soledis tantus, tonecas tantas, lectario ad lecto vestito valento soledis tantus, inaures aureas valente soledus tantis, annolus valentus soledus tantus. Cido tibi caballus cum sam- buca et omnia stratura sua, boves tantus, vaccas cum sequentes tantus, ovis tantus, soledis tantis.. (f. 1, $ 3). .. Mancipia tanta his nominibus... (f. 39). — 169 — richesse ; enfin que les bijoux et les ornements qu’il est d'usage de donner à la fiancée, étaient à l’époque mérovingienne, comme de nos jours encore, les mêmes qu’au temps d’Eliézer et dé Rébecca. Le sponsalitium n’était pas toujours donné sous les mêmes conditions. D’après les formules, la donation produit son effet à partir du jour des noces (1); les époux doivent en jouir ensemble et posséder en com- mun les biens qui la composent (2); mais à la disso- lution du mariage, les droits de l’épouse sont diver- sement réglés, suivant les conventions faites au mo- ment des fiançailles. Tantôt le texte de la convention accorde à la femme la propriété même des objets donnés, avec la charge de les transmettre aux enfants à naître du mariage (3); tantôt il Pautorise à dispo- ser de sa donation dans le cas où le mari ne laisserait pas, en mourant, d'enfants issus du mariage (4); mais quelquefois aussi, la femme na que lusufruit du sponsalitium (5). Nos formules ne fournissent pas d’autres rensei- {1)... Ad die filicissimo nupciarum tibi per hanc cessione dileco adque transfundo. ut in tuæ iure hoc recepere debias... (f. 1, $ 3). Voir aussi form. 39 et 53. (2) Hæc omnia rem superius nomenata quamdit adviximus ambo pariter hoc tenire et possedire debiamus (f. 53). (3) Hec omnia subscripta rem in tuæ jure et dominacione hoc re- cipere debias, vel posteris suis inter nos procreati fuerunt derelin- quenti... (f. 1,$ 3). (4) Et se acnacio de nobis procreata non fuerit, hec omnia rem superius nomina hec tenire et possedire debiant, et cui voluerit dere- linquas (f. 53). k (5) Hec omnia superius nominata. .. habias concessum : dûm ad- vixeris perpetualiter ad husumfructuario ad possediendum absque præiudicio cuius terre esse videtur (f. 39). : — 170 — gnements sur la donation nuptialé; elles ne renfer- ment aucune constitution de dot proprement dite, et ne nous apprennent rien par conséquent sur l'apport matrimonial de la femme. Cependant, comme elles se réfèrent au droit romain, il est fort à croire qu’à l’époque de leur rédaction, le régime dotal romain, tel que nous le voyons décrit dans le code Théodo- sien, était encore en vigueur en Anjou (1). La com- munauté de biens entre époux, cette institution qui devait devenir plus tard si générale dans la France coutumière, n’exislait pas encore aux temps méro- vingiens. - Les Barbares ne changèrent pas le système des lois . impériales sur les rapports matrimoniaux. Leurs cou- - tumes nationales n’avaient réglé que très imparfaite- ment ce qui touche à ce sujet. Chez eux, avant leur conversion au christianisme, la femme était considé- rée comme une marchandise que le mari achetait aux parents; il eût acquis de même un esclave ou une tête de bétail. Les lois saxonnes et anglo-saxonnes en font foi (2). L’usage de contracter mariage par le sou et le denier symboliques, que mentionnent certaines formules anciennes, était un souvenir de l’achat pri- mitif de la femme. Le mari, ainsi que le rapporte (4) La dot, d’après l’ancien droit romain, était aliénable. L’inalié- nabilité n’a’ été établie en Orient que sous Justinien. En France, au xie siècle, le mari pouvait encore disposer du fonds dotal avec le con- sentement de sa femme et celui des parents de celle-ci (Petri ex- ceptiones, Lib. 1, c. 341. — Voir les formules 1, 39 et 53. (2) Si quis fæminam mercetur det pecuniam (Leges Inæ, c. 31). — Voir aussi : Lois d'Œthelbirth, c. 32, — Lex saxon., t. 10, c. 1, 1,187 CA M2 — 171 — Tacite, donnait aux parents, en échange de leur fille, des armes et des troupeaux (1). Puis il faisait à sa femme, le lendemain des noces, un présent qui s’ap- pelait, en langue tudesque, morgengab, c’est-à-dire don du matin (prelium virginitatis). Le morgengab consistait ordinairement en bijoux et en objets mobi- liers, mais il comprenait aussi quelquefois des im- meubles. Les rois francs donnaient à leurs épouses des villes et des provinces entières (2). Après leur conversion au christianisme, les Ger- mains cessèrent de considérer le mariage à ce point . de vue tout matériel. On n’acheta plus la femme, mais on continua pendant longtemps à payer aux pa- rents de la fille une somme d'argent pour les indem- niser de la perte du mundium, c’est-à-dire de la puissance ou tutelle qu’ils exerçaient sur elle. Lors- qu’on voulait épouser une veuve, on devait aussi fournir une somme d’argent (trois sous et un denier) aux héritiers du mari défunt. Toutes les lois barbares font allusion à ces coutumes (3). À l’époque carlo- vingienne, l'usage de payer le prix du mundium aux parents finit toutefois par s’effacer (4). 14 Cependant dès les temps mérovingiens, les Germains avaient emprunté à la tradition romaine l'usage du sponsalitium, sanctionné déjà par le droit canoni- (1) De moribus Germanorum, c. 18. (2) Voir le traité d'Andelot. (3) Lex salica, t. 44. — Lex Burgundionum, t. 14, c. 3, t. 66. — Lex Langobardorum, Rotharis, c. 179, 183, 187. (4) Un capitulaire de 813 abolit le reipus, c'est-à-dire l’achat sym- bolique de la veuve par le second mari (Cap. de 812, c. 8, de in- terpret. Legis salicæ). — 179 — que (1). Toutes les formules de cette époque men- tionnent le din que devait faire le fiancé à sa future épouse au moment des fiançailles. La femme qui se mariait suivant le droit germanique, recevait donc une double donation® le sponsalitium où dos avant le mariage, et le morgengab, le lendemain des noces. L'état de la femme s’était notablement amélioré sous lmfluence de l’Eglise et du droit romain. Le don fait par le mari était devenu un avantage matrimonial pour la femme, au lieu d’être, comme dans l’anti- 1e barbare et païenne, le prix de l’achat de celle- . Le morgengab et la dos devaient même finir par se ir ensemble sous le nom de douaire, à une époque postérieure. À la dissolution du mariage, la veuve reprenait non-seulement sa dot ou sponsalitium et son morgen- gab, mais encore ce qu’elle avait apporté de chez ses parents, et qu’on appelait en latin barbare faderfium. Get apport cgnsistait primitivement en troupeaux, comme le nom lindique (2). En outre, la plupart des lois barbares accordaient à la femme un droit sur les biens acquis pendant le mariage par la collabo- ration commune. Ge droit était fixé par la loi ripuaire (1) Nullum sine dote fiat conjugium (Concile d'Arles, en 524). — ... Ingenua et dotata legitime, et publicis nuptiis honestata (S. Leon. decret. 48, 19, ap. Dionysium exiguum). (2) Faderfium vient des mots tudesques vaders fels, et. signifie littéralement froupeau du père. Il est employé dans la loi lombarde, mais on ne le trouve pas dans Ja loi salique. Les plus anciens docu- ments de l’époque féodale appellent maritagium l'apport de la femme. Les coutumes emploient souvent dans le même sens le mot mariage (Voir notamment la coutume de Normandie). . — 178 — au tiers des acquêts; les formules de Marculf nous apprennent aussi qu’à Paris, chez les Francs Saliens, comme sur les bords du Rhin, la femme avait droit à la même portion des biens acquis (1). Nos formules ne s'occupent pas spécialement du mariage germanique. Cependant l’une d'elles nous montre que l'usage de laisser à la femme le tiers des biens acquis pendant le mariage, avait pénétré en Anjou. Elles ne mentionnent nulle part le morgengab, mais la disposition qui appelle la femme à recueillir une quote-part des acquêts, est complétement étran- gère au droit romain, elle suffit pour montrer que . les formules angevines ont subi l'influence des cou- tumes germaniques (2). IV. — Des successions, des testaments et des do- nations. Nos formules sont à peu près muettes sur les suc- cessions ab intestat ; mais comme elles se réfèrent au: droit romain, en ce qui touche les successions testa- * mentaires et la part réservée aux héritiers, 1l est per- mis de croire que la même législation était aussi en vigueur, au vire siècle, en matière de succession lé- gitime, C’est dans le code théodosien qu’il faut cher- cher quel était alors sur ce sujet le droit commun de la Gaule Une formule, toutefois, mehtionne un par- (:) Lex rip., t. 37, c. 2. — Marc., Lib. nn, f. 7, 17, (2) Et peculiare, quod sitante coniugio labore potuerit, ipsa femena tercia parte exinde habeat... :f. 58). — 174 — tage opéré par parts égales entre les enfants fæquä lance) (1). Cette expression a fté employée par Grégoire de Tours, en parlant du partage des provinces de ‘la Gaule entre les fils de Clovis. Elle fait allusion au symbolisme en vigueur à l’époque barbare. On sait que la lance et la baguette étaient, chez les Germains, le signe de la propriété. À l’époque mérovingienne, toutes les mutations de propriété s’opéraient au moyen de cérémonies symboliques, per festucam et andelan- gum, per cespilem (par la baguette et la tradition ma- nuelle, par la touffe de gazon), etc. (2). Le symbo- lisme avait joué aussi un grand rôle dans le droit . romain primitif, C'était par la baguette que s’opérait la revendication en justice, au temps de la loi des Douze Tables, et même à une époque postérieure (3). Le droit impérial avait conservé peu de formules et ‘ de symboles du droit quiritaire; mais, après l’inva- sion des peuples du Nord, les coutumes germaniques remirent partout le symbolisme en usage. Il a existé du reste chez tous les peuples primitifs; sa nécessité est presque absolue quand la connaissance de l’écri- . ture.est peu répandue; ilest destiné à la remplacer, à fournir la preuve des actes et à leur donner l’au- thenticité. (4) ... Et ubi aliubi ex nostra sine epistolis oblegatum e! infantis nostris comütarent, tu cum ipsis egualis lanciæ devidere facias. (f.36.) (2) Form. Lindenbrog. — Form. italicæ, passim. :(3) Hunc ego hominem ex jure Quiritium meum esse aio secun- dum suam causam, sicut dixi. Ecce tibi vindictam imposui (For- “mule de l’actio sacramenti). . Vis civilis et festucaria (Aulus-Gellius). \ — 175 — Les termes œqu& lance nous rappellent en outre que le partage se faisait alors par parts égales entre les enfants. La succession de l’homme, qui vivait d’après le droit romain, ne faisait qu'un seul tout ; les enfants, sans distinction de sexe, partageaient également tous les biens, meubles et immeubles, hé- réditaires ou acquis. La succession du barbare, qui vivait suivant la loi salique, ne se divisait pas de la même manière. Les fils seuls prenaient la terre hé- réditaire, celle qui provenait des aïeux; péut-être même, dans l’origine, prenaient-ils toute la terre ac- quise par la conquête et au prix du sang (1). Le sur- plus des biens, c’est-à-dire les meubles, les troupeaux, l'argent comptant et les esclaves, était partagé entre les fils et les filles du défunt. D’après certaines lois barbares, ces dernières prenaient en préciput les vê- tements et les bijoux de leur mère. Au fils, ou au plus proche héritier mâle, le cheval de bataille et les armes du père ou du parent; à la fille, les ornements à l’usage des femmes (2). Quant au droit d’ainesse, il n’existait pas encore (3). La formule dont nous nous occupons fait allusion à un partage de terres entre tous les enfants, sans désigner spécialement les mâles; toute sa teneur se rélère d’ailleurs au droit romain; nous devons donc la considérer comme applicable aux Gallo-Romains du pays, plutôt qu'aux Francs saliens. | (1) De terrà vero salicà in mulierem nulla portio hæreditatis tran- sit, sed hoc virilis sexus acquirit (Lex. sal., t. 62, €. 6). . (2) Lex Burgundionum, t. 51, c. 3, 4, 5, 6. — Lex Angliorum et Werinorum, t. 6, c. 6. j (3) Tacite mentionne cependant une tribu germanique chez laquelle le fils aîné prenait le cheval et les armes de son père. — 176 — Une autre formule est un modèle d’acte de partage entre frères ; elle ne mentionne que les mâles /ger- mani) ; rien cependant dans ses expressions ne paraît s'appliquer spécialement au droit germanique. Les héritiers opèrent entre eux le partage, prennent cha- cun leur part et s'engagent les uns envers les autres à ne pas s'inquiéter réciproquement, sous peine pour le contestant de perdre la portion qui lui a été attri- buée. Chacun pourra jouir de ce qui lui revient, le posséder et en disposer à son gré. Les co-partageants confirment de leurs mains le’ contrat qu’ils viennent de faire et la garantie qu’ils se sont promise (1). Le formulaire angevin est plus explicite, relative ment aux testaments et aux donations. La formule 40e est un modèle de testament mutuel. Deux époux n'ayant pas d'enfants se font réciproquement, par tes- tament, une donation en toute propriété. Cet avan- tage porte tant sur les biens appartenant aux époux au moment de la rédaction de l'acte, que sur ceux qui leur appartiendront plus tard à quelque titre que ce soit. Le testament n'aurait pas d’effet dans le cas où il surviendrait des enfants. Ce que l’on doit re- marquer surtout dans cette formule, c’est l'étendue de la donation. Elle comprend les trois quarts de la succession de chacun des époux, chacun des deux testateurs réservant formellement le dernier quart pour ses propres héritiers (2). Cette disposition est (1) Unde convenit ut manus eorum firmatas inter se accipere de- berunt, quod ità et fecerunt ; ut unusquisque quod accipit, habeat, teneat et possedeat, vel cui voluerit derelinquat (£. 54). (2) Ut tu coniux mea illa illas tris porcionis, et ipsi heredis mei illa quarta, similiter debetis percipere et possedere (f. 40). — 177 — toute romaine. D’après la loi des Douze-Tables, le testateur pouvait disposer de sa succession de la ma- nière la plus absolue (1); plus tard la jurisprudence et les constitutions impériales défendirent de disposer de plus des trois quarts de la succession au préjudice des héritiers du sang ; la portion réservée à ces der- niérs fut appelée quarte falcidie (2). Le testament re- laté par nos formules est complétement conforme à cette jurisprudence ; il atteste la persistance du droit romain, chez les populations gauloises, après la con- quête germanique. : Nous trouvons aussi parmi nos formules plusieurs modèles d'actes entre-vifs qui se réfèrent au droit romain. L’une d’elles nous montre un père faisant à son fils une donation, afin de lui témoigner sa re- connaissance pour les services qu'il en a reçus. Le texte suppose que le fils a porté les armes pour le donateur chez les Bretons et chez les Basques, qui étaient, à cette époque, les ennemis les plus acharnés des rois francs, et qui ravageaient sans cesse les pro- vinces de l’ouest et celles du midi de la Gaule. La donation est faite, par préciput et hors part, pour parler le langage du droit moderne. Le fils, après lavoir reçue du jour même de l’acte (à die presente), n’en parlagera pas moins par parts égales avec ses frères et ses sœurs le reste de la succession paler- nelle lorsqu'elle sera ouverte (3). Au vire siècle on (1) Uti legassit super pecunia tutelave suæ rei ità jus esto (Lex x11, tab. v). | (2) Inst. Just., Lib. 11, t. 18, ce. 3. (3) ... Partibus Britanici seu Wasconici austiliter ordine ad spe- SOC. D’AG. 12 — 178 — pouvait donc encore, par une disposition spéciale, avantager un enfant, ainsi que le permettait le droit romain, Mais plus tard cette faculté cessa d'exister en Anjou, car la coutume rédigée au ximIe siècle veut que la plus parfaite égalité règne entre les enfants, excepté dans les successions féodales, où les droits d’ainesse et de masculinité introduisaient nécessaire- ment l'inégalité (1). Dans une autre formule, on voit un père donner à son fils les deux tiers de son bien, en réservant le reste aux autres héritiers. Celte donation est faite à la charge par le donataire de nourrir, de vêtir le do- nateur et de pourvoir à tous ses besoins (2). Cet acte est comme le précédent, une donation entre-vifs qui doit avoir son effet dès le jour de sa rédaction (a die presente). | Notre formulaire renferme encore quelques autres donations entre- vifs, conçues à peu près dans les mêmes termes que celles dont on vient de parler. L’une est une donation rémunératoire (3); l’autre une donation faite à la nièce ou petite-fille du donateur, à cause de sa douceur et de son affection (4); une cie mea fuisti, proindè convenit nobis ut aliquid de facultatis nostra te emeliorare deberent, quod ità et fecerunt... hoc ad die presente perpetualiter ordine tradimus ad possedendum... et ubi aliubi ex nostrà sine epistolis oblegatum et infantis nostris remutarent, tu cum ipsis equalis lanciæ devidere facias (f. 36). (1) Anciens usages d'Anjou publiés par M. Marnier, art. 104. (2) ... A tamen condicione ut, düm advixero, mihi in omnibus tàm de victo quam et de vestito soniare, mihi debiat (f. 57). (3) Form. 55. (4) ... Propter amorem dulcetudinem suam (f. 35). — L’altération des mots du texte et le double sens du terme nepos — 179 — autre enfin est en faveur d’une abbaye de femmes, située dans l’intérieur des murs d’Angers et repré- sentée par son abbesse. Cette formule nous rappelle les immenses donations que les couvents recevaient alors de toutes parts et la faveur dont l’usage entou- rait les donations pieuses (1). Il faut remarquer dans ces différents modéles d’ac- tes, la persistance de la tradition romaine. Toutes ces formules de donation ou de testament sont conçues dans la forme romaine. Presque toutes invoquent for- mellement le droit romain. Presque toutes aussi rap- pellent en propres termes que, d’après cette législa- tion, chacun est le maître absolu de sa chose et peut en disposer comme bon lui semble, sans. aucune res- triction (2). Il n’en était pas de même dans le droit barbare. Chez tous les peuples du Nord et de l'Ouest, soit d’origine germanique, soit d’origine celtique, la terre était, pour ainsi dire, le patrimoine héréditaire de toute la famille. Le propriétaire actuel n’était guère qu'un usufruitier ou qu'un administrateur ne permettent guère de décider s’il s’agit d’un petit-fils ou d’une petite-fille, d'un neveu où d’une nièce. (1) ... Et illud quod ad loca sanctorum,, ad congregacione mona- chorum confertur, nunquäm perit, sed ad memoriam eternam et jus- ticia repolitur (f. 45). 12) Licet unicuique de rebus suis, quas in presente seculo viditir, tam ad sanctorum loca seu parentum meliorare, et lex manet, et con- suetudo longinquam percurrit facere quod voluerit... (f. 36). .. Lex romana et antiqua consuetudo exposcit ut unusquis homo, dum in suum contenit arbitrium , de rebus suis proprüs aliquid pro anime suæ compendium dare decreverit, licentiam habiat (f. 45). Lex romana et docet consuetudo pacem consentit, et regalis po- testis non prohibit ut unusquis de rem suam , quem in presente diæ possedit, faciat quod voluerit (f. 57). — 180 — obligé de remettre en mourant à ses descendants les biens qu’il avait reçus de ses aïeux. Aussi ne pouvait- il disposer de son allod, soit pendant sa vie, soit à sa mort, qu’avec le consentement des héritiers présomp- tifs. Les lois galloises, les lois scandinaves et danoises, les lois saxonnes, anglo-saxonnes et anglo-norman- des renferment toutes sur ce sujet des dispositions ana- logues (1). Dans beaucoup de chartes de l’époque bar- bare et des premiers siècles féodaux, on mentionne l'assistance des héritiers présomptifs ; ils venaient con- firmer l’acte qui, sans leur concours, eût été de nulle valeur (2). Cependant les dons et les legs pieux fu- rent de bonne heure affranchis de ces enjraves. Les formules angevines ne mentionnent nulle part la nécessité de faire confirmer les actes de donation par les héritiers présomptifs; loin de là, elles s’ap- puient toujours sur le principe contraire, el rappel- lent à chaque instant la faculté presque illimitée de disposer, qu’avaient sanctionnée les codes impériaux. Cette observation démontre complètement ce que nous avons avancé au commencement de cet article, à sa- voir, que le droit romain est la source la plus abon- dante de nos formules, et qu’il a fait le fond de cette première coutume d'Anjou. Nous devons toutefois faire observer, comme nous l'avons déjà dit plus haut, que nos formules distin- (1) Leges Sueciæ. De jure hœreditario. — Jus danicum, lib. v, c. 2. — Leges Œlfredi, c. 37. — Lex Saxonum, t. 17. — Leges Wallicæ, lib. 1, 17, 4. — Glacwill. lib. vix, ce. 1. (2) Voir les cartulaires de la Trinité de Vendôme, de Notre-Dame de Paris, de Redon, etc., passim. — 181 — guaient le propre et l’acquêt, qu’elles appelaient le premier alode et le second comparatum (1). Cette dis- üinction était complétement étrangère au droit ro- main, qui permettait au testateur de disposer de son bien, et qui réglait, à défaut de testament, l’ordre de la succession légitime, sans égard à l’origine des biens. C’est donc l'influence germanique qui l’a introduite dans le formulaire angevin. Mais, à l’époque barbare, elle n'avait pas encore acquis une grande impor- tance. Dans les formules angevines, comme dans tous les formulaires gallo-francs, on voit le donateur disposer d’une manière absolue et au même titre de ses pro- pres et de ses acquêts. On mentionne séparément ces deux sortes de biens, mais la loi romaine régit éga- lement les uns et les autres. Sous la féodalité, cette distinction acquit une tout autre portée; le principe germanique s’appliqua aux propres, et le principe romain aux acquêts. L’aliénation des premiers ne put s’opérer que du consentement de la famille, tandis que celle des seconds fut permise de la manière la plus étendue (2). On distingua aussi les propres des (4) ... Quem in pago illo et illi ex aloto parentum meorum, vel de qualibet contractum mihi legibus obvenit.… (f. 40). . Quem proprià pecunià comparavimus (f. 45). (2) ... Habebat autem dominus Hugo duos nepotes filios Seguini fratris sui sine quorum concessione elemosyna domini Hugonis sta- bilis esse non poterat. ù (Charte de 1096 , du prieuré de Saint-Martin-des-Champs , ud Galland, Traité du ne aleu). . Ft quia emptio erat sua, poterat eam dare cui volebat sine ulla contradictione. (Charte de 1039 du cartulaire de la Trinité de Vendôme, ap. Gal- land). — 182 — acquêts, en matière de succession ab intestat et de communauté conjugale. Mais pendant la période gallo-franque, la fusion des races n’élant pas encore opérée, chaque peuple suivait ses lois particulières et vivait de sa vie propre. V. — Des contrats. Les jurisconsultes romains avaient classé avec soin les différentes espèces de contrats. Ils avaient distin- gué ceux qui se forment par la chose même (re), par paroles ou stipulations (verbis), par écrit (litferis) et enfin par le seul consentement (consensu). Les con- ventions reconnues et nommées par la loi ou par la jurisprudence, donnaient seules naissance à des ac- tions ; l'exécution pouvait en être demandée en jus- tice (1). Mais si la convention n'avait été ni prévue, ni munie d’une action judiciaire par la loi, les par- ties n’avaient pas droit d’en exiger l’accomplissement. L’accord des volontés ne formait alors qu’un simple pacte (pactum nudum), dépourvu de toute sanction judiciaire et abandonné à la bonne foi des parties (2). Pendant les premiers siècles de Rome, les enga- gements se contractaient à l’aide de formalités sym- boliques, propres au droit quiritaire et qui ne de- vaient être employées que par les seuls citoyens romains. La cérémonie appelée mancipium et l’em- (1) Istæ quidem actiones ex legitimis et civilibus causis descen- dunt. Aliæ autem sunt quas prætor ex sua jurisdictione HT ES habet (Just. inst., Lib. 1v, t. 6, K 3). (2) Ex nudo enim pacto inter cives romanos actio non nascitur. (Paul. sentent., Lib. 11, t. 14, c, 1). — 183 — ploi de certaines formules solennelles pouvaient seuls les obliger et créer entre eux un lien de droit (1). Plus tard, les jurisconsultes admirent que certains contrats seraient valables sans avoir été formés par le mancipium symbolique, ou par les formules de la stipulation. Tels furent le mutuum, le commodat, le dépôt et le gage, qui purent se former par la chose elle-même (re); la vente, le louage, le mandat et la société, pour la validité desquels la jurisprudence ad- mit que le seul consentement des parties serait suffi- sant. Ces conventions n’étaient d’abord que de simples pactes qui tiraient leur origine du droit des gens; le droit quiritaire ne reconnaissait pas en effet les enga- gements formés d’une manière aussi simple. Mais lorsque la jurisprudence les eut munis d’actions ju- diciaires et leur eut donné force exécutoire, ils pas- sérent au rang des contrats et reçurent en quelque sorte leurs lettres de noblesse (2). La vente fut donc mise par les jurisconsultes ro- mains au nombre des contrats consensuels; elle oc- cupa même le premier rang parmi eux. Cependant, bien que l’accord des parties sur la chose et sur le (4) Quum nexum faciet mancipiumque , uti lingua nuncupassit ità jus esto (Lex x, tab. vi. Mancipatio.… quod et ipsum jus proprium civium romanorum est (Gaïus comment, lib. 1, c. 19). (2) Juris gentium conventiones quædam actiones pariunt, quædam exceptiones. Quæ pariunt actiones in suo nomine non stant , sed transeunit in proprium nomen contractus; ut emptio, venditio, locatio conductio, societas, commodatum, depositum et cæteri similes con- tractus (Ulpian. frag. 7, proem. et $ 1, Dig. De pactis). — 184 — prix fût suffisant pour constituer le contrat de vente, la convention ne pouvait par elle-même transférer à l’acquéreur la propriété de l’objet vendu; ce droit restait fixé sur la tête du vendeur, jusqu’au moment où celui-ci remettait la chose aux mains du premier. D’après les principes du droit romain, un contrat donnait en effet naissance à une obligation, mais il ne pouvait opérer un changement de propriété. Le vendeur était tenu de livrer l'objet ; l'acheteur, d’en payer le prix; quant à la propriété même, elle n’était transférée que par la tradition de la chose ven- due (1). À l'époque des jurisconsultes classiques, la cérémo- nie du mancipium ou mancipalio était encore néces- saire pour la translation de la propriété de certains objets déterminés par la loi. Elle ne létait plus, il est vrai, pour former le contrat et pour donner nais- sance au lien de droit, mais le changement de la pro- priété était une chose toute différente. Les objets que l’on devait livrer à l’aide de la mancipatio, étaient ceux qui, dans Rome primitive, formaient seuls le patrimoine des citoyens, avant que la conquêle du monde et la marche de la civilisation eussent intro- duit dans le commerce une foule de richesses d’ori- gine étrangère et restées inconnues aux vieux Quiri- tes, tant qu'ils conservèrent la simplicité de leurs (1) Traditionibus et usucapionibus dominia rerum, non nudis pac- tis transferuntur {1. 20, cod. De pactis). Le code civil décide au contraire que la vente transfère par elle-même, avant la livraison et le paiement du prix, la propriété de la chose vendue (C. N., art. 1582, 1583). La loi sur la transcription a modifié cet état de choses. — 185 — anciennes mœurs. Tels étaient les immeubles situés sur le sol italique, les esclaves, les quadrupèdes d’o- rigine indigène, etc. Ces choses étaient appelées, pour ce motif, res mancipi (1). Voici comment s’opérait la mancipatio. L'acqué- reur, en présence de cinq témoins, prononçait une formule solennelle, puis il touchait avec un lingot de cuivre une balance, que tenait un libripens, et re- mettait au vendeur le cuivre, qui signifiait symboli- quement le prix de la chose (2). Lorsque cette for- malité avait été remplie, la propriété de l’objet donné in mancipio passait à l'acheteur; mais si l’on avait livré à celui-ci, sans accomplir la cérémonie solen- nelle, une des choses pour la tradition desquelles elle était requise, cel acquéreur ne devenait pas pro- priétaire de l’objet livré, d’après le droit des Quirites. Au contraire, lorsqu'il s'agissait d’une chose incon- nue aux anciens Romains et que le droit quiritaire w’avait pas rangée parmi les res mancipi, la simple livraison ou tradition naturelle de cet objet suffisait pour en transférer la propriété à l’acheteur (3). Peu à peu la distinction des choses mancipr et nec (4) Ulpian. Reg., t. 19, $ 1. — Gaïus. Comment, lib. 11, 41. (2) .. Adhibitis non minus quam quinque teslibus, civibus ro- manis puberibus , et præterea alio ejusdem conditionis, qui libram œneam teneat qui appellatur libripens; is qui mancipatio accipit rer tenens ità dicit : « Hunc ego hominem ex jure Quiritium esse aïo, » isque mihi emptus est hoc ære, æneà que librà. » Deindè ære per- cutit libram idque œs dat ei à quo mancipatio accipit quasi pretii loco (Gaïus. Comment, lib. 11, 419). (3) Traditio propria est alienatio rerum nec mancipi (Ulp. reg., t. 19, $ 7). — 186 — mancipi s’effaça et la propriété put se transférer par la seule tradition, quel que fût l’objet livré. Une conslitulion de Justinien effaçca même les dernières traces du domaine quiritaire (1). Mais le droit romain n'en resta pas moins fidèle au principe en vertu du- quel les contrats ne pouvaient transférer la proprié- té, et considéra toujours la vente et la livraison de la chose comme deux actes parfaitement distincts (2). La théorie savante du droit romain sur cette diffi- cile matière s’altéra, après l'invasion des peuples du (4) Cujuscumque generis sit corporalis res tradi potest, et à do- mino tradita alienatur (Inst., Lib. 11, t. 4, $ 40. — Cod., b. vir, 25). (2) Dans l'origine, la cérémonie de la mancipatio n'était autre que la vente elle-même. L'argent monnayé n'étant pas encore connu, les mutations s'opéraient par des échanges : Origo emendi vendendique à permutationibus cœæpit ( Paul. frag. 1, Dig. De contrahenda emp- tione). On pesait le cuivre donné au vendeur par l'acquéreur en échange de la chose... De là, l'emploi de la balance et du lingot de cuivre, ainsi que la présence du libripens pour l’accomplissement du mancipium.... OÜlim æris tantum nummis utebantur……. eorumque nummorum vis et polestas non in numero erat sed in pondere… (Gaïus, comment. lib. 1, 422). Cette cérémonie servait à la fois à former le lien de droit /neæus), ainsi que le montre la loi des Douze-Tables que nous avons citée plus haut, et à transférer symboliquement la propriété. Plus tard, lorsque l'usage de la monnaie se fut répandu, on cessa de peser le cuivre, et l’on se contenta de toucher la balance avec le lingot. La vente étant de- venue d’ailleurs un contrat consensuel , le mancipium ne fut plus alors qu’une vente fictive, qui n’eut d'autre objet que de transmettre la propriété des choses mancipi. Est autem mancipatio imaginaria quæ- dam venditio.. Eo modo et serviles et liberæ personæ mancipantur, animalia quoque quæ mancipi sunt, quo in numero habentur boves, equi, muli, asini; item prœædia tam urbana quam ruslica quæ et ipsa mancipi sunt, qualia sunt ilalica , eodem modo solent mancipari (Gaïus, comment. lib. 1, 120). Au temps des jurisconsultes classiques, tous les anciens symboles du droit quiritaire avaient perdu leur objet primitif. — 187 — Nord, ainsi que le montrent les monuments de l’é- poque barbare. Les documents que nous possédons renferment de nombreux modèles d’actes de vente. Ces actes constatent à la fois la vente, le paiement du prix convenu et la livraison de la chose. Ils rela- tent, à vrai dire, l’exécution du contrat plutôt que la convention qui a donné naissance à l'obligation. Ils semblent même confondre ces deux choses, si diffé- rentes cependant et que les jurisconsultes romains distinguaient avec tant de précision. On voit dans certains formulaires, et notamment dans celui de Marculf, que le droit barbare avait singulièrement méconnu la véritable nature du contrat de vente, Au lieu de le faire consister dans l'accord des volontés sur la chose et sur le prix, le praticien du vue siècle le confond avec la livraison de la chose et avec le paiement du prix (1). Les formules de Mabillon nous permettent de croire que les mêmes notions avaient cours chez les Gallo-Francs d'Anjou. La confusion, que nous signalons dans l’ouvrage de Marculf, se re- trouve en effet’ dans le formulaire angevin qui relate la vente, le paiement du prix et la mutation de la propriété sans distinguer ces différents actes (2). (4) Licet empti venditique contractus solà pretii adnumeratione et rei ipsius traditione consistat.. (Marc., lib. 11, f. 19). Les jurisconsultes romains s’exprimaient sur le même sujet d’une manière bien différente : Emptio et venditio contrahitur cüm de pre- ho convenerit, quamvis nundum pretium numeratum sit, ac ne arra quidem data fuerit (Gaïus, Comment., Ib. 11, 139). (2) Constat me vendedisse et ita vendedi. et accipi à vobis pre- cium... ut de ab odiernum diæ memoratus emtor quicquid de ipsa vinia facere volueris liberam in omnibus habeas potestatem faciendi (f. 4. —Voir aussi f 21,27). — 188 — Le droit barbare employait pour la formation des contrats et pour la tradition des objets que l’on vou- lait donner, vendre ou échanger, une foule de céré- monies symbo]Jiques qui rappellent l’ancienne manci- pation romaine et que nous avons déjà indiquées plus haut. Mais les formules angevines ne s’occupent pas de ces différents symboles. Il est probable cepen- dant qu’ils étaient employés en Anjou, comme dans le reste de la Gaule franque. Nos formules montrent, d’un autre côté, que le vendeur déclarait, comme cela se fait encore souvent de nos jours, ne pas ga- rantir la contenance de l'immeuble vendu (1). À côté des formules de vente, nous devons men- tionner aussi celles des autres. contrats. La formule & est un modèle d’acte d'échange. Elle constate, comme celles dont nous venons de parler, non pas la formation du contrat, mais bien son exécution. Les parties opèrent respectivement la livraison des biens faisant l’objet de la convention et s’en donnent quit- tance l’une à l’autre (2). D’autres formules nous montrent que les prin- cipaux contrats usités de nos jours, et déjà défi- nis par la loi romaine, étaient en vigueur à l’époque mérovingienne. Outre la vente et l'échange, nos for- mules mentionnent le prêt d’argent avec clause pé- nale. L’emprunteur s’engage à payer deux fois la va- leur du capital, s’il ne le rend pas à l’échéance (3). (1) Vendedi illa viniok plus menus iuctus tantus.… (f. 4). (2) Form. 8, (3) Form. 49. — 189 — Le formulaire parle aussi du cautionnement (1), de l’antichrèse, avec faculté pour le preneur de jouir de l’immeuble engagé (2); de la transaction (3) et du mandat. On voit le mandataire tantôt déposer à la curie un acte fait au nom de son mandant (4), et tantôt poursuivre en justice les actions de celui-ci contre ses débiteurs (5). Ce qu’il faut remarquer enfin, ce sont les moyens employés par les rédacteurs des formules pour en assurer l'exécution. Une peine est prononcée d’avance contre quiconque attaquera la décision des parties contractantes, quelle que soit la nature du contrat; constitution de dot, vente, affranchissement, dona- tion, tous les actes reçoivent une sanction. Tantôt cette sanction est une simple amende prononcée con- tre le contrevenant (6); tantôt c’est la peine même de l’excommunication. L'une de nos formules pro- nonce sur la tête du coupable les plus terribles ana- thèmes : « Qu'il encourre d’abord le jugement de Dieu; » qu’il soit chassé de toutes les églises et de toutes les » basiliques; qu’il soit mis hors de la communion de » tous les évêques ; qu’il soit maudit, de cette malé- » diction qui frappa Judas Iscariothe, et que le Christ » seul puisse lui faire miséricorde... (7) » (1) Form. 18. (2\ Form. 22. (3) Form. 5, 6, 42. (4) Form. 1. (5) Form. 47, 50, 51. (6) Form. 1, 2, 3, 4, etc. (7) Form. 23. — Voir aussi f. 45, 48, 57. — 190 — VI. — Be la procédure ; — Serment purgatoire; — Droit de vengeance. La jurisprudence romaine avait créé un système de procédure d’une admirable précision. Chaque action avait une formule sacramentelle qui en déterminait la nature et la portée. Le Préteur donnait au deman- deur celle dont il avait besoin; un judex ou juré dé- cidait la question de fait qu’elle renfermait; puis le magistrat faisait l'application de la loi. L'usage des formules judiciaires tomba cependant en désuétude pendant les dernières années de l’Empire romain; les fonctions du magistrat et celles du judex se confon- dirent, el un nouveau système de procédure fut inau- guré sous le règne de Dioclétien (1). À l’époque de l'invasion des Barbares, les magistrats romains déci- daient à la fois, dans chaque procès, la question de fait et la question de droit. Les Germains établis sur le sol de l’Empire appor- tèrent aussi leur manière de procéder en justice. Elle était grossière et barbare comme les mœurs des con- quérants. Celui qui voulait assigner son adversaire devant le graff se rendait, en présence de témoins, au domicile du premier et le sommait de comparaître à l'assemblée des rachimbourgs, qu’on appelait malberg dans la langue des barbares, parce qu’elle se tenait habituellement en plein air sur une colline (2). La (1) Lex. 2, cod, De pedan. judic. (2) Malberg vient des mots tudesques mall (assemblée) et berg (colline), — Un capitulaire ordonna de construire des salles où les rachimbourgs pussent se retirer lorsque le mauvais temps ne permet- tait pas de siéger dehors. — 191 — citation s’opérait au moyen de la baguette symbolique (per festucam) (1). Si le défendeur ne comparaissait pas et n’envoyait personne pour répondre à sa place, le demandeur attendait jusqu’au soir et ne se retirait qu'après le coucher du soleil; puis il faisait citer une seconde et une troisième fois le défaillant devant les juges du malberg. Après tous ces délais on devait prononcer contre le contumace une sentence ter- rible : « Qu'il soit mis hors de la parole du roi (2), dit le » texte de la loi salique ; que le fisc prenne ses biens » el les donne à un autre, que personne ne fournisse » du pain ou n’accorde un asile à ce coupable, füt-ce » même son épouse ou sa proche parente, sous peine » de quinze sous d'amende, jusqu’à ce qu’il fasse ce » qui lui a été enjoint, conformément à la loi (3). » Lorsque le défendeur comparaissait devant les ra- chimbourgs, ceux-ci ordonnaient la preuve des faits allécués contre lui. Cette preuve se faisait ordinaire- ment par témoins, car à celte époque on constatait rarement par écrit les différentes conventions humai- nes. Si la déposition des témoins était insuffisante, on avait recours soit aux ordalies ou épreuves judi- claires, soit au combat, soit au serment. Plusieurs passages des formules angevines font al- lusion à la procédure en vigueur au vire siècle. Sur ce point elles se réfèrent presque exclusivement au droit barbare; on n’y voit aucune trace de l’ancien (1) Lex salica, t. 4, c. 3. — Lindenbrog. Form. 168. (2) C'est-à-dire hors la loi. (3) Lex sal., t. 59, c. 1. Texte d'Hérold. — 192 — système formulaire des Romains, et à chaque instant elles mentionnent les usages de la procédure germa- nique. On voit par elles que, si chaque contestation devait être jugée au fond, d’après la loi d’origine des plaideurs, la décision étail ordinairement rendue sui- vant la forme barbare. Les termes de procédure qu’emploient nos formules sont presque tous empruntés à la langue des Ger- mains. Elles constatent le défaut du défendeur de la même manière que la loi salique. Le demandeur at- tend l'adversaire qu’il a cité à comparaître au mal- berg, depuis le malin jusqu’au coucher du soleil ; il le fait appeler à trois jours différents, et c’est après l'expiration de ces délais qu’il obtient contre lui une sentence de défaut (1). Il existe donc une ressem- blance parfaite sur ce point entre les formules ange- vines et la plus ancienne des lois barbares. Des différentes sortes de preuves judiciaires usitées chez les Germains, une seule est mentionnée dans nos formules; c’est le serment. Elles ne parlent ni du combat, dont il est question dans presque toutes les lois des temps mérovingiens, ni des ordalies si fré- quemment employées à cette époque par les juges des Francs. Il ne faudrait pas en conclure toutefois que ces épreuves diverses fussent inconnues en Anjou ; les (1) Qui ipsi iam superius nomenati placitum eorum legebus a mane usque ad vesperum visi fuerunt custodisse…, (f. 12). Et ipsi illi ad placetum suum adfuit et triduum legebus custodivit, et solsadivit.. (f. 13). … Prosequere et admallare et adcausare facias.. (f. 47). — Ad- mallare est un terme que le latin barbare a formé du mot tudesque mall. — 193 — barbares avaient dû les y apporter aussi bien que le serment. Ils étaient attachés à ces antiques usages, _ derniers débris de leur culte national; de tout temps ils avaient été adonnés aux sortiléges (1), et ils croyaient que le jugement de Dieu se manifestait à leurs regards dans ces redoutables épreuves. Le clergé dut bénir l’eau, le fer et le feu qui servaient à les pra- tiquer; invoquer la miséricorde du Tout-Puissant en faveur de l’innocent et le glaive de sa justice contre le coupable (2). Les papes se prononcérent, il est vrai, contre les ordalies et contre le combat (3); le concile général de Latran les condamna (4), et cependant ces anciennes superstitions restèrent en vigueur pendant presque toute la durée du moyen âge (5). Le serment fut au contraire reçu favorablement par les ecclésiastiques. Les recueils de canons et de dé- crétales en fournissent souvent la preuve (6). Lorsqu'ils étaient encore païens, les Francs juraient par leurs armes; après leur conversion au christia- nisme ils adoptèrent une autre manière.de prêter le serment, mais le but resta le même. Lorsque le de- mandeur n’avait pas fourni la preuve complète de son allégation, le juge fixait un jour pour l’épreuve du serment. Au jour dit, le défendeur se rendait à l’é- (1) Tacit. De morib. Germ., c. 10. (2) Formulæ rituales, Canciani, tom. 1. (3) Decret. Grat., pars 11, Caus. 2, Quest. 4, c. 20. (4) Concile de Latran, en 1215, c. 18. (5), On trouve les ordalies mentionnées dans une foule de docu- ments du x1ie siècle. Le combat resla en vigueur jusqu’au xvIe siècle. (6) Decret. Grat., pars 11, Caus. 2, Quest. 4, c. 12, 18.— Caus. 15, Quest. 5, c. 1, 2. SOC. D'AG. 43 — 194 — glise qu’on lui avait désignée, et là il jurait, sur les reliques des saints, qu’il était innocent du fait dont on l’accusait. C’est ainsi du moins que nos formules décrivent la cérémonie du serment (1). Le défendeur ne se présentait pas seul en justice, et lorsqu'il prêtait le serment purgatoire, il était en- touré d’un certain nombre de parents ou d’amis qui venaient jurer avec lui. Le nombre de ces cojurateurs était plus ou moins élevé, suivant la gravité des faïts incriminés. Les formules angevines mentionnent tan- tôt douze et tanlôt trois cojurateurs (2). Cet usage avait sa source dans la constitution même de la fa- mille germanique. Sur les rives du Rhin, la plus étroite solidarité unissait entre eux tous les membres de la fara ou du clan qui avaient une origine com- mune ou qui s'étaient attachés au chef de leur tribu par les liens du vasselage. Chacun était tenu d’em- brasser les alliances et les haines de son parent ou de son chef, de combattre à ses côtés, de l’assister en justice et de venger sa mort (3). Celui qui voulait s'affranchir de ces obligations devait se rendre au mall et déclarer, en présence du éhung, qu’il renon- çait au serment et à la vengeance ; il rompait sur sa tête quatre bâtons d’aune et les jetait à terre. Il per- dait alors tout droit-à la protection et à l’hérédité de (1) Juratus dixit : Per hunce loco sancto et divina omnia sanctorum patrocinia qui hic requiescunt.…. (f. 49). (2) Form. 10, 28, 49. (3) Non casus, nec fortuita conglobatio turmam aut cuneum facit, sed familiæ et propinquitates (Tac. De morib. Germ., c. 7). Suscipere tam inimicitias seu patris seu propinqui, quam amici- tias necesse est (Id., c. 21). — 195 — ses proches, avec lesquels il avait refusé de faire cause commune (1). Ces antiques usages restèrent en vigueur après l’é- tablissement des Germains dans la Gaule; ils furent même adoptés par les anciens habitants du pays, ainsi que le prouvent tous les documents de l’époque mé- rovingienne. Le serment purgatoire devait même être très fréquemment employé en Anjou au vire siècle, car nos formules le mentionnent à chaque instant. Elles l’emploient ‘tant en matière criminelle qu’en matière civile; qu’il s'agisse soit d’un meurtre (2) ou d’un vol (3), soit d’une question d’ingénuité (4), de propriété (5) ou de vente d’esclave (6), les parties sont appelées à prêter le serment. On retrouve enfin, dans le formulaire que nous étudions, des traces nombreuses du droit de vengeance, qui faisait pour ainsi dire tout le fond des coutumes barbares. Il à existé chez tous les peuples primitifs ; on le trouve en vigueur chez les Orientaux et chez les Américains, chez les Romains au temps de la loi des Douze-Tables , et chez les peuples du Nord (7). Dans les forêts de la Germanie, ainsi que nous l’a- (1) Lex sal., t. 63. De eo qui se de parentilla tollere vult.—La même solidarité existait, au rapport de Jules César, dans la famille celtique. Les parents accompagnaient leur parent à la guerre et en justice. (2) Form. 49 (3) Form. 11, 38. (4) Form. 10. (5) Form. 52. (6) Form. 17. c (7) Exod. cap. 21, v. 13.— Deuteron., cap. 19, v. 42.—Numer., cap. 25. — Robertson , Hist. of America. Book., 1v. — Lex Duod. Tab. vin. — 196 — vons déjà dit, tout parent était tenu de punir le meur- trier de son parent, et la loi même sanctionnait le droit de vengeance. Le vainqueur enfonçait un pieu dans la tête de l’ennemi qu’il avait tué, et plaçait de- vant sa porte ce sanglant trophée. La loi salique pu- nissait d’une amende quiconque osait l’enlever sans la permission du maître (1). Cependant le meurtrier pouvait racheter sa vie en payant aux parents de sa victime une composition fixée par la loi, et qu’on appelait wergheld. Dans l’o- rigine, elle consistait en bétail et en troupeaux (2). La répression des crimes était alors abandonnée à la vengeance de la partie outragée; il dépendait d'elle de l'exercer dans toute sa rigueur ou d’accepter la composition offerte par le coupable. Quand la partie consentait à recevoir le wergheld, elle perdait le droit de se venger, et la convention qui intervenait alors entre elle et son ennemi l’obligeait à ne plus pour- suivre celui-ci. La famille tout entière partageait le prix fourni; elle participait aux avantages comme aux charges de la vengeance (3). Les formules angevines témoignent de cet état de choses. L’une d’elles nous montre une famille qui consent à faire la paix avec le ravisseur d’une femme qu'elle comptait au nombre de ses membres (4). Une (1) Lex sal., t. 68, c. 3. Texte de Lindenbrog. (2) Luitur enim etiam homicidium certo armentorum ac pecorum numero (Tac., De mor. Germ., c. 21). (31 … Recipit que satisfactionem universa domus (id). (4) Ut ipsa ad pacem cumcordia volumtate ad ipsa femena facere deberunt .. (f. 26). — 197 — autre formule est un modèle de quittance par laquelle le père d’une fille enlevée reconnaît que le ravisseur lui a payé intégralement le prix de la composition fixée par la loi. Il s'engage, pour lui et pour ses hé- ritiers, à ne pas inquiéter désormais le coupable. Les quittances de cette espèce portaient le nom de secu- ritas (1). On voit par une formule de Marculf que le clergé, pour maintenir la paix et pour arrêter les dangereux effets des vengeances de famille, s’interpo- sait entre les combattants, et que sa médiation pré- parait souvent ces traités de paix (2). Sous Charlemagne, le droit de vengeance privée reçut une atteinte profonde; la faculté de refuser la composition fut enlevée à l’offensé, qui dut accepter, sous peine d’exil, le prix fixé par la loi (3). Ge fut le premier moyen employé par le pouvoir civil pour ré- primer la barbarie des mœurs germaniques. Ïl n’y avait point alors de magistrats chargés d’ac- cuser, au nom de la société, les auteurs des crimes. Dans l’antiquité romaine, tout citoyen pouvait pour- suivre un coupable devant le Préteur (4). Chez les Germains, c'était à la famille de la victime qu’il ap- partenait d’accuser devant le graff celui dont elle vou- lait tirer vengeance. Les formules angevines nous en (4) Incipit securetas de rapto. Constat me accipi de illo integro composcione… (f. 43). (2) Mare., lib. 11, f. 18. (3) Cap. de 779, c. 22. — Voir aussi un capitulaire de Louis-le- Pieux, de l’an 816 ou 819. (4) On appelait publica judicia les poursuites criminelles que les. citoyens pouvaient intenter contre les accusés (Inst. , L. 1v, t. 18, 8 1). — 198 — fournissent plusieurs exemples. Ici c’est un plaignant qui poursuit en son nom personnel un homme qu’il accuse de vol (1); ailleurs ce sont les fils d’un défunt qui viennent demander justice contre une femme soup- çonnée de l’avoir fait périr par maléfice (2); plus loin, ce sont les membres d’une famille qui se présentent devant le comte et accusent un homme du meurtre de leur pére (3). Nos formules, en un mot, considèrent toujours la poursuite des crimes comme un droit privé; elles nous montrent qu'à l’époque mérovingienne, la ré- pression était laissée aux mains de la famille outra- gée, qui pouvait à son gré punir le coupable ou lui pardonner. La vengeance privée tenait alors lieu de code pénal; le rôle du pouvoir était encore presque nul; celui de la famille, au contraire, et même celui de l'individu, étaient immenses dans cette société à peine organisée. L'influence de ces mœurs el de ces coutumes, toutes germaniques, se montre donc d’une manière évidente dans les formules relatives à la pro- cédure et au droit de vengeance, tandis que les au- tres ont conservé de nombreuses traces de la législa- tion romaine. (1) Form. 11, 15, 38. (2) Form. 12. (3) Eveniens illi et germanos suos illi Andecavis civetate ante vero inluster illo comite, vel reliquis racimburdis qui cum eo aderunt. . interpellabat alico homine, nomen illo , dicebat quasi ante oss annis parentis quorum illo quomodo inter fecissit (f. 9). nl — 199 — Il ne nous reste plus qu’à résumer ce que le do- cument publié par Mabillon nous a appris sur l’état politique et social de lAnjou à l’époque mérovin- gienne. Nous avons vu que la cité d'Angers avait con- servé, sous la domination des rois barbares, son an- cienne organisation municipale, telle que l’avaient établie les lois impériales; que cette ville avait, dès lors, ses usages locaux; que le clergé exerçait une haute influence dans l'administration de la curie; que le droit romain était encore en pleine vigueur au vue siècle dans notre province; mais aussi que les mœurs et les coutumes germaniques avaient, sur bien des points, altéré la tradition romaine et introduit plusieurs institutions inconnues aux anciens maîtres du monde; qu’en un mot, si le droit écrit a fait le fond‘de la plus ancienne coutume d’Anjou, la légis- lation barbare a exercé aussi sa part d'influence sur la rédaction des formules angevines. L'étude des Formulaires et des Cartulaires compo- sés à la même époque dans différents lieux, pro- duit du reste des résultats analogues pour les autres provinces de la Gaule. Dans les contrées du Nord, l'influence germanique domine, il est vrai, tandis que la tradition romaine reste prépondérante dans celles du Midi; mais partout on trouve en vigueur la loi des conquérants avec celle des indigènes; partout on voit des comtes francs siéger au malberg, entourés de rachimbourgs barbares, tandis que l’évêque ou le defensor préside encore la curie gallo-romaine; par- tout on admire la puissante et bienfaisante influence du clergé catholique, qui seul servait de lien à cette — 900 — société livrée à l'anarchie; partout enfin on reconnaît le contraste des mœurs, des institutions et du lan- gage de la race romaine et de la race tudesque ; tout démontre qu’elles restèrent longtemps distinctes, mais que cependant elles tendirent dès l’origine à se confondre sur le sol où la conquête les avait jetées. G. D’EspiNay, Dr en droit, substitut à Saumur. AUDOUIN SD ve => 0 2 Né => 0 D Sn, | CS = : VI SIÈCLE. Bodin, dans son Tableau des Evêques, parle ainsi de ce personnage : «Grégoire de Tours (liv. x, chap. 14) » nous apprend, dit-il, que ce prélat était ivrogne, » dissolu dans ses mœurs et coupable d’adultère. Il » avait fait construire sur les remparts d'Angers un » belvédère où il se retirait souvent pour se livrer » plus librement à la débauche. Un soir qu’il en sor- » tait ivre et soutenu par un abbé, il donna un coup » de poing à l’esclave qui portait devant lui un flam- » beau et le renversa dans le fossé! L’esclave en tom- > bant saisit le mouchoir qui pendait à la ceinture de » l’évêque et l'aurait entraîné dans sa chute si l'abbé » ne l’eût retenu par les pieds. Mais renversé sur » le bord du mur, la tête d’Audouin heurta rude- » ment contre une pierre et il mourut. Il occupait le » siége d'Angers entre 584 et 593. » A cette traduction du passage de Grégoire de Tours, où ne figurent que trois personnages, savoir : l’évé- que, l’esclave et un abbé, nous croyons devoir op- — 202 — poser celle de M. Guizot, ainsi conçue, et qui réha- bilite beaucoup la réputation d’Audouin, en reportant sur un diacre nommé Théodulfe ce que Bodin attri- bue à l’évêque. Ÿ « Il y avait en ce temps un diacre de la ville de Paris nommé Théodulfe, une sorte de demi-savant qui souvent à cause de cela faisait naître des dis- putes. Il vint de Paris à Angers, et l’évêque Audovée (Audouin) le prit avec lui à cause de l’ancienne amitié qui les avait liés étroitement dans le temps qu’ils habitaient ensemble à Paris; en sorte que Ragnemode, évêque de la ville de Paris, excommu- niait souvent Théodulfe parce qu’il refusait de re- venir à la cathédrale dans laquelle il avait été ordonné diacre. Celui-ci était arrivé à une telle familiarité avec l’évêque d'Angers, que l’évêque ne pouvait se délivrer de lui, car il était bon et rempli de brenveillance. I arriva qu’il avait élevé sur les murs de la ville une terrasse d’où après son festin il descendait s'appuyant sur le diacre; celui-ci était tellement pris de vin qu’à peine pouvait-il avancer ; irrité je ne sais pourquoi, il frappa de son poing la tête du serviteur qui marchait devant, avec la lu- mière, et de l'impulsion qu’il s'était donnée, comme il ne pouvait se soutenir, il tomba du haut du mur avec la même violence, saisissant dans sa chute le mouchoir de l’évêque qui pendait à sa ceinture, et l’évêque serait tombé avec lui, si son vicaire ne l’eût promptement embrassé par les jambes. Théodulfe tombant sur la pierre se rompit les os et les côtes, et vomissant le sang avec la bile il rendit l’es- — 203 — » prit. Il était adonné au vin et abandonné à l’adul- » tère (1). » Cette traduction, si différente de la première, met en jeu quatre personnages, savoir : l'évêque, le diacre Théodulfe, un serviteur et le vicaire de l'évêque (abbas episcopi). Pour l’entier éclaircissement du débat, nous Ÿ allons reproduire ici le texte latin « Erat tunc temporis Theodulfus diaconus urbis Parisiacæ qui sibi videbatur in aliquo sciolus. Hic autem de Parisius urbe abscedens, Andegavis venit el se Audoveo episcopo subdidit, propter antiquam amicitiam, quam simul Parisins commorantes ha- buerant. Undè et a Ragnemodo Parisiacæ urbis episcopo sæpius excommunicatus est quod ad ec- clesiam suam in qua diaconus ordinatus fuerat, re- dire differret. Hic in tanta familiaritate cum præfato Andegavæ urbis episcopo adhæserat, ut non se pos- set ab ejus importunitate discutere, pro eo quod bonis moribus et adfectu pio erat. Factum est au- tem ut ædificaret super muros urbis solarium de quo cœnæ epulo perfuncto descendens, manum super diaconum sustentabat, qui in tantum erat crapu- latus à vino, ut vix vel figere gressum valeret, pueroque qui præibat cum lumine, nescio quid com- motus pugno cervicem ferit. Quo impulso, hic cum se continere non potuisset, cum ipso impetu de muro præcipitatur, sudarium episcopi quod balteo dependebat accipiens : cum quo pené dilapsus fuerat (1) Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de France , 2e vol. (Grégoire de Tours, Historiæ. Lib. x, cap. XIV). — 204 — » nisi pedes episcopi abbas velociter amplexus fuisset. » Qui ruens super lapidem confractis ossibus et crate » pectoris, sanguinem cum felle disrupto evomens spi- » ritum exhalavit. Erat enim et vino deditus, et in » adulterio dissolutus. » Quoiqu'il en soit de ces traductions, ce triste évé- nement arriva sous le règne de Clotaire IT, dans l’en- droit où nous voyons aujourd’hui le château, et pro- bablement sur l’un de ces murs très anciens qui dominent la Maine, l'emplacement du château étant alors la demeure de nos évêques. V. GODARD-FAULTRIER. IS OF HE SUR LE TOMBEAU D'ANDRÉ LE PORC de la Porte de Vezins, ÉVÊQUE DE SAINT-BRIEUC. Messieurs , En visitant, au mois d'août de l’année dernière, la cathédrale de Saint-Brieuc, j’aperçus, au-dessous de la statue tombale d’un évêque, l’écusson du défunt, écartelé au premier d’un porc, au second des armes de la famille de La Tour-Landry, au troisième d’un croissant, et au quatrième du blason de Rohan. La vue du blason des La Tour-Landry excita ma cu- riosité. Je m’approchai du monument funèbre et je lus l’épitaphe suivante, gravée sur une pierre de mar- bre incrustée dans le mur, au-dessus de la statue du - prélat : RR. DD. ANDRÆAS LE PORC DE LA PORTE, EPISC. BRIOC. FUNDATOR COMMUNITATIS FILIORUM SANCTÆ UR- SULÆ, IN QUARUM CAPELLA SEPULTUS EST, AN. MDCXXXI. TRANSLATUS IN ECCL. CATH. DIE XVII NOV. MDCCCXXXIIT, HIC DIE V FEBR. AN. MDCCCXLIV DEPOSITUS FUIT. — 9206 — « Le très Révérend seigneur André Le Porc de La » Porte, évêque de Saint-Brieuc, fondateur de la com- » munauté des filles de Sainte-Ursule, dans la chapelle » desquelles il fut inhumé en 1631. Transféré dans » l’église cathédrale le 17 novembre 1833, il a été » déposé ici le 5 février 1844. » Si ma mémoire ne me faisait pas défaut, je devais me trouver en face de la tombe d’un prélat origi- naire de l’Anjou et appartenant à la famille seigneu- riale de Vezins. J'eus dès cet instant le dessein d’éclaircir mon doute; et je viens vous communiquer, Messieurs, le résultat de mes recherches. Dans le cours du xve siècle, la terre de Vezins ap- partenait à la famille de La Porte. Elle passa ensuite, au milieu du-xvr siècle, à la famille Le Porc, origi- naire de Bretagne, de la seigneurie de Pordic, auprès de Saint-Brieuc, paralliance de Jean Le Porc, seigneur de Pordic, de Parchal, de Villeneuve et du Plessis avec Marthe de La Porte, dame de la baronie de Vezins et des fiefs de Port-Dié, de la Jaille et de la Chollière. Vous n’avez point oublié, Messieurs, les aventures romanesques, les vicissitudes et les épreuves qui fu- rent le partage de la jeunesse de René de Vezins, fils de ce père assez dépourvu de tout sentiment humain pour pousser la. barbarie jusqu’à renier ses enfants légitimes et les condamner à la condition la plus pauvre et la plus obscure. Exilé d’abord à l’âge de trois ans, à la Roche-Ber- nard, près de Châteaudun, puis transporté aux Ro- ,» 1 —: 907 — siers, où son tombeau devait être creusé; enfin, en- levé secrètement de ce lieu pour être conduit à Ge- nève, où on lui fit apprendre le métier de cordonnier, le jeune seigneur injustement déshérité parvint à rentrer en possession de sa fortune et de ses droits après la mort de son père, en 1585. Il épousa, vers 1590, Anne de La Tour-Landry, qui donna le jour à deux garçons et à cinq filles. André, qui paraît avoir été le cadet des garçons, naquit en 1593. Nommé, en 1620, à l’évêché de Saint-Brieuc, il prit aussitôt possession du siége épiscopal. Un des premiers actes de son administration fut l'introduction, dans son diocèse, du bréviaire romain. En 1620 il se rendit à Quintin, pour poser et bénir la première pierre de la chapelle des Carmes, sous l’invocation de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. La même année il contribua, avec le chapitre et la communauté de la ville, à l'établissement de la plus ancienne librairie de Saint-Brieuc. Guillaume Doublet, alors imprimeur à Caen, vint se fixer dans la cité bretonne, avec tout son matériel d'imprimerie, moyennant la somme de six cents livres. De graves discussions au sujet des fiefs et des droits réciproques demeuraient pendantes depuis de nombreuses années, entre les évêques et le chapitre de Saint-Brieuc. Dans un acte dressé le 45 février 1622, par un notaire choisi par le chapitre lui-même, André de La Porte détermina d’une manière précise les droits des deux parties en litige et mit un terme à ces fâcheuses contestations. 2) — 208 — Il publia, en 1624, des statuts pleins de sagesse qui ont été observés jusqu’à la révolution. Son zèle pour la jeunesse le porta, dans cette même année, à fonder, dans sa ville épiscopale, un couvent d'Ursülines, en faveur duquel il s’imposa de grands sacrifices. Le prélat avait commencé, pour l'instruction de ces religieuses, la composition d’un ouvrage ayant pour titre : Pratique intérieure el journalière, tirée du Can- tique des Cantiques. Mais le temps lui fit défaut pour amener cet ou- vrage à bonne fin. Ce fut encore sous ses auspices que vinrent se fixer à Saint-Brieuc les Bénédictines du Calvaire. Elles re- curent d’abord l’hospitalilé dans un hospice; et ce ne fut qu’en 1626 qu’elles prirent possession de leur communauté, dont les bâtiments, encore debout, sont occupés par le tribunal et la manutention. En 1698, Ms de La Porte posa la première pierre des nouvelles murailles de Saint-Brieuc. Sous cette pierre, on fixa une plaque en cuivre, revêtue des ar- mes du prélat et de celles du sénéchal et du syndic de la communauté de la ville. Protecteur éclairé des arts, observateur de la reli- gion des souvenirs, il orna les panneaux des boiseries de la salle épiscopale des POrREalts des papes et de ses prédécesseurs. L'église cathédrale lui fut redevable du parquet du chœur, d’un riche autel, de magnifiques stalles el d’un élégant trône épiscopal. | À ces premiers dons il ajouta l’offrande d’une su- — 909 — perbe tapisserie des Gobelins, destinée à orner le chœur et représentant la vie de saint Brieuc. Le généreux prélat avait bien souvent manifesté l'intention de doter son évêché de sa baronnie de Por- dic. Mais la mort le surprit, en 1631, avant qu'il eût mis son projet à exécution. Pour se conformer à ses désirs et pour remplir l'une des clauses de la fondation du couvent des Ur- sulines, on l’inhuma dans la chapelle de ces reli- gieuses, dans un tombeau dont il avait donné les plans et dirigé la construction Lorsqu’en 1833, la ville fit abattre une partie des bâtiments de cette ancienne communauté pour agran- dir la caserne, on découvrit son tombeau, le 5 sep- tembre. Le corps du pieux évêque, enfermé dans un cer- cueil de plomb, était conservé en partie; il avait au- près de lui une crosse de bois et un calice d’élain. Une translation solennelle de ces restes vénérables eut lieu d’abord le 17 novembre suivant, et fut re- nouvelée le 5 février 1844. Ces deux cérémonies, accomplies avec une pompe des plus solennelles, en présence d’un nombreux clergé et d’une affluence considérable de fidèles, prouvêrent que le temps et les révolutions n’avaient pas effacé, dans les habitants de Saint-Brieuc, le sou- venir des éminentes vertus, des travaux et des bien- faits d’un de leurs plus illustres évêques. Nous pouvons aussi revendiquer pour l’Anjou une part de l'éclat que le vénérable prélat a fait rayonner sur son diocèse pendant les douze années de son ad- SOC. D’AG. 14 — 910 — ministration; c’est, en effet, dans son pays natal qu'André de La Porte a passé les premières années de sa trop courte existence, et qu'il a fait l’acquisi- tion des vertus qui ont illustré à un si haut point son épiscopal. Il ne reste plus, du tombeau de cet évêque, que la statue tombale et le socle qui la supporte. Le prélat est couché, la tête appuyée sur un coussin, coiffé de la mître, ayant les mains jointes sur la poitrine, et tenant sa crosse dans son bras droit; son blason est sculpté sur la paroi extérieure du socle (1). Deux an- ges, placés de chaque côté de cet écusson, ont une main appuyée sur l’angle supérieur, et tiennent de l’autre la crosse et la mître qui le surmontent. Ce tombeau est actuellement placé au milieu de la nef de la cathédrale, du côté droit, dans une de ces petites arcades pratiquées au xvIe siècle dans toutes les cathédrales et dans les églises principales de la Bretagne, et destinées à recevoir les cercueils et les monuments funéraires des évêques et des principaux personnages de chaque localité. L'abbé P. CHEvVALLIER. (1) ILest, comme je l’ai dit, écartelé, au premier d'argent au porc de sable défendu d'argent et clariné d'argent : ce sont les armes de la famille Le Porc; au second, de gueules, à un croissant montant d’hermines resarcelé d'or : ce sont les armoiries de la famille La Porte ; au troisième, d’or à une fasce de gueules crénelée et bretezée de trois pièces et demie, vers le chef maçonné de sable : ce sont les armes de la famille de La Tourlandry;, enfin, au quatrième, de gueules à neuf macles d’or, armoiries des Rohan, qui étaient alliés à la famille Le Porc. ENLÉÈVEMENT DES RELIQUES DE SAINT APOTHÈME, ÉVÈQUE D’ANGERS , par les religieux de l’abbaye de Redon. Messieurs, En visitant l’église paroissiale de Redon, dans le cours d’un voyage que je fis en Bretagne, au mois d'août 1857, je fus conduit près d’un vieux reliquaire surmonté d’un buste d’évêque el contenant un os d’une grosseur considérable. —— Vous possédez sans doute, dis-je à mon cicé- rone, les reliques du fondateur de l’ancienne abbaye, ou celles d’un autre abbé honoré autrefois parmi vous d’un culte public. | — Non, me répondit-il; ce sont les ossements d’un évêque d'Angers, nommé saint Apothème. Îls étaient exposés à la vénération des fidèles dans le chœur de l’église abbatiale avant et même depuis la révolution. : Cetie réponse éveilla ma curiosité. Je pris note de tous les documents qu’il me fat possible de recueillir sur les lieux, bien décidé à les compléter après mon retour. —"H9 — Je me trouve heureux d’avoir pu mener mon pro- jet à bon terme, et de vous communiquer, Messieurs, le résultat de mes recherches. Saint Apothème, successeur de Défensor sur le siége épiscopal d'Angers, est le premier de nos prélats à qui l’on ait décerné les honneurs du culte public. Les chroniqueurs angevins n’ont laissé aucun docu- ment historique qui le concerne. Bien que le diocèse d'Angers célèbre sa fête le 20 novembre, cependant notre bréviaire ne contient pas de légende qui rap- pelle son souvenir. Je me contenterai done , à défaut de renseignements plus positifs, de transcrire les quelques lignes que lui consacrent Barthélemy Roger et Jacques Rangeard. « Saint Apothème, dit Rangeard, succéda à Défen- » sor, le premier apôtre connu de l’Anjou, et le pre- » mier de nos évêques après lequel on le trouve ins- » crit dans tous nos anciens catalogues. » Son nom grec donne lieu de croire qu’il nous » vint de l’église d'Orient: Les catholiques y étaient » alors en butte à la fureur des Ariens. Les courses » des barbares et les persécutions que l’empereur » Constant faisait souffrir aux orthodoxes rendaient » fréquentes ces émigrations d’un des partages de » l'empire dans l’autre. On sait, par la tradition et » par l’ancien bréviaire du diocèse, que saint Apo- » thème fut un des ouvriers évangéliques qui tra- » vaillérent avec le plus grand zèle à dissiper les té- » nébres de l’idolâtrie qui couvraient alors la plus » grande partie de l'Anjou. Ses travaux apostoliques » et la sainteté de sa vie assurent à sa mémoire la — 213 — g » vénération des peuples et le rang qu’il tient parmi » ceux que l’Église honore d’un culte public. » Ses reliques, furtivement enlevées vers le milieu » du neuvième siècle, et dans un temps où la piété » des fidèles se permettait de semblables larcins, furent » déposées dans l’église de Redon. Le temps de son » épiscopat concourt avec les dernières années du » quatrième siècle. C’est tout ce qu'on peut dire de » certain. » Roger désigne saint Apothème comme évêque d’An- gers. « On né sait point non plus, dit notre historien, » ce que saint Apothème a fait de mémorable. M. Ar- taud, en sa chronologie des évêques, dit seulement » qu'il fut enterré hors la ville, au lieu et place » où est l’église Saint-Maurille, et que son corps y » est resté jusqu’à l’an 840, que certains moines bre- » tons y dérobèrent ce saint corps et l’emportèrent en l'abbaye de Redon. » Nous ne trouvons pas d’autres renseignements’ dans les ouvrages de nos chroniqueurs au sujet de cet en- lèvement des reliques de saint Apothème. Il nous faut avoir recours aux historiens et aux hagiographes bretons pour y. puiser les documents qui ont rapport à ce fait. Dom Lobineau, dans son histoire des saints de Bretagne, Déric, dans son histoire ecclésiastique de Bretagne, Mabillon, dans les Actes des saints de l’ordre de saint Benoît, et M. l’abbé Tresvaux ont raconté avec une certaine étendue cet exploit des moines de Redon, qui avait produit une sensation pro- fonde dans le pays, et dont le souvenir était demeuré vivace jusqu’à la fin du dernier siècle. 2 2 — 914 — Saint Convoyon, fondaleur et premier abbé de Saint- Sauveur de Redon, désirant procurer à sa commu- nauté naissante de puissants intercesseurs auprès de Dieu, chercha à s'assurer la possession des reliques d’un saint faiseur de miracles, qui pt lui servir de patron dans le ciel et lui procurât sur la terre le con- cours des fidèles et les aumônes nécessaires pour la construction et l’entretien de son monastère. En passant par la ville d'Angers, dans son voyage à Thionville où Nominoë l’avait envoyé comme ambas- sadeur auprès de Louis-le-Débonnaire, Convoyon avait pu juger de la richesse de notre cité, sous le rapport des reliques saintes, et dès lors son dessein fut formé, sa résolution fut prise de lui enlever une partie de ses précieux trésors. Revenu à son couvent, il consulta ses frères sur les moyens d'exécuter ce projet; puis, après mûre délibération, il s’adjoignit deux religieux des plus ca- pables et des plus déterminés, Hildemar et Louhemel, et dirigea ses pas avec eux vers la cité angevine. Un pieux habitant, nommé Hildewaide, les accueillit avec bonheur et leur fit avec empressement les hon- neurs d’une aimable et respectueuse hospitalité. Cette réception bienveillante fut d’un bon au- gure pour Convoyon. Il s’insinua peu à peu dans l’estime et la confiance de son hôte, et finit par lui faire aveu de son désir et du motif de son séjour à Angers. Hildewalde, si l’on en croit la tradition, éprouva la joie.la plus vive en recevant cette confidence. Il s’ap- procha de ses visiteurs, et leur dit en secret : « Daignez, mes très-chers frères , suivre l'avis que je — U15 — vais vous donner. Notre ville a le bonheur et la gloire de posséder le corps très-saint de l’illustre évêque Apo- thème. Dieu l’a rendu puissant et célèbre par un grand nombre de miracles, et l’église où il repose est le but de très-fréquents pèlerinages. Aussi les contrées voisines nous envient-ellés un si précieux trésor. C’est ce qui a engagé, il y a plusieurs années, des moines étrangers à l'enlever la nuit pour le conserver en leur posses- sion. Mais le bon saint, peu satisfait sans doute de la pureté de leurs intentions, ne voulut pas nous aban- donner, et il resta au milieu de nous, en dépit des efforts des ravisseurs qui ne purent réussir même à soulever la pierre de son tombeau. Jai tout lieu d’es- pérer que le bienheureux vous sera plus propice et plus favorable, et qu'il se rendra à vos désirs en se prêtant sans difficulté à son enlèvement. » Pour savoir s’il lui convient et s’il lui plaît de s’é- loigner du lieu où ses ossements reposent, restez dans ma maison pendant trois jours, vous bornant, pendant cet espace de temps, à faire visite et prière au tom- beau de notre évêque. Le quatrième jour, faites-y un nouveau pélerinage; demeurez dans l'église jusqu’à la nuit, et quand le moment favorable sera arrivé, ouvrez alors le sépulcre sans faire de bruit, de peur d’éveiller les gardiens, et fuyez à la hâte vers votre monastère, pour éviter la poursuite de mes compa- triotes irrités. » Convoyon et ses deux religieux furent dociles à l’avis d’Hildewalde. Mais au moment de mettre leur entre- prise à exécution, ils faillirent manquer de courage et de persévérance, à la vue de la pierre énorme placée 6 — sur le tombeau. Toutefois, après quelques moments d’hésitation et une fervente prière au saint, accom- pagnée d’un vœu de reconnaissance si le succès cou- ronnait leurs efforts, ils se mirent de nouveau hardi- ment à l’œuvre. Le thaumaturge ne parut pas cette fois opposer la plus faible résistance aux voies de fait qu’on se per- mettait à son égard. Il diminua d’une manière pro- digieuse la pesanteur du couvercle, qui se leva comme de lui-même sans la plus légère difficulté. Recueillir les saints ossements, se charger du pré- cieux fardeau, sortir de l’église, franchir les portes de la ville et s’élancer à toute bride vers la Bretagne, fut pour les fortunés ravisseurs l'affaire de quelques instants. Arrivés à Langon, village situé à quatre lieues de l’abbaye, ils mandérent à leurs frères de venir pro- cessionnellement faire honneur aux saintes re- liques. Cette heureuse nouvelle fut Hientôt publiée dans le pays, où elle causa la plus vive allégresse. Les seigneurs des environs, les hommes, les femmes, les enfants se pressérent tous à l’envi et se joignirent aux religieux de Redon pour faire cortège aux restes précieux du saint évêque. | On les transporta en triomphe au chant des hymnes et avec la plus grande solennité vers l’église du mo- nastére où on les plaça dans le chœur. Ce jour-là même, un enfant affligé de cécité ayant touché la châsse recouvra instantanément l'usage de la vue, en présence de l’assemblée tout entière. — 917 — Ce prodige augmenta la dévotion et la confiance des populations dans la puissante intercession du saint, et décida pour l'avenir la fréquence des pêle- rinages à l’église abbaliale. Les Bénédictins veillèrent avec le soin le plus mi- nutieux à la conservation des saintes reliques, et les nombreux miracles qu’on trouve énregisirés dans leur cartulaire demeurent comme une approbation subsé- quente et authentique du pieux larcin qui avait privé les Angevins de leur cher trésor. Toutefois ces derniers n’eurent pas lieu de se livrer à un mécontentement bien fondé. Ils conservaient encore comme protecteurs et gardiens de leur cité les corps de leurs illustres évêques Maurille, René, Lezin et Mainbœuf. Quant aux ossements de saint Apothème, on les plaça dans le chœur de l’abbatiale, où ils demeurèrent exposés à la vénération des fidèles jusqu’à fin du trei- zième siècle. En 1984, le 20 novembre, les religieux de Saint- Sauveur, aidés du concours des habitants de la ville et des populations environnantes, procédèrent à une nouvelle et magnifique translation de leur protec- teur, et placèrent sa châsse dans la vaste et superbe abside qu’ils venaient de faire construire à grands frais. Cette châsse fut remplacée dans le siècle der- nier par un espèce de coffre en bois doré ayant la forme d’un cercueil. C’est celui que j'ai vu dans la sacristie où on l’a relégué depuis une trentaine d’an- nées, à cause de la rupture, faite pendant la Révolu- tion, du sceau de l’évêque diocésain. — 918 — M: l'abbé Tresvaux dit qu’on conservait! autrefois quelques reliques de saint Apothème dans l’église de Saint-Magloire de Paris. Dom Taillandier, dans son catalogue des abbayes de Bretagne, soutient, contrairement au resté des écri- vains, que le clergé d'Angers donna le corps de saïnt Apothème à l’abbayé de Redon. Un autre auteur affirme que l’enlévement eut lieu dans l’église Saint-Serge et non dans celle de Saint- Maurille. Mais cette opinion n’est pas admissible. L'église Saint-Maurille fut choisie pour être la sépul- ture des premiers évêques d'Angers, et il paraît cer- lain qu’on la construisit dans le plus ancien cimetière de notre ville. Ces variantes n’infirment en rien la certitade d’un fait acquis sans conteste à l’histoire el revêtu de tous les caractères de véracité. Nous pouvons, au reste, en donner une autre preuve ; c’est qu'aucun de nos chroniqueurs ne fait mention des reliques de saint Apothème et ne décrit leur trans- lation solennelle, comme plusieurs l’ont fait pour les ossements des autres évêques que notre ville eut Pavantage de conserver. Tel est, Messieurs, le récit de ce pieux larcin qui doit faire époque dans notre histoire locale, et qu’il me semble utile d'enregistrer dans les annales de Anjou. L'abbé P. CHEVALLIER. LA CATHÉDRALE D'ANGERS D) ——— Le document que nous publions ici est extrait d’un journal manuscrit (sans nom d’auteur), appartenant à la bibliothèque d'Angers, et provenant de la vente du cabinet de M. Toussaint Grille. Il contient une description très détaillée de l’état dans lequel était le chœur de l’église Saint-Maurice , avant les change- ments que Mgr Michel Lepelletier y fit exécuter en 1699. Au moment où vont s’opérer de nouvelles modifications , exigées par le retour à la liturgie ro- maine , cette pièce fournira peut-être quelques ren- seignements utiles. En tout cas, elle pourra servir à ceux de nos archéologues qui travaillent à la mono- graphie de la cathédrale. ALBERT LEMARCHAND. « Le chœur de l’église Saint-Maurice estoit placé directement dans le milieu des- croisées de l’église, entre les chapelles que l’on appelle des Evêques el — 920 — des Chevaliers, dont les deux extrémités prenoient di- rectement aux quatre angles des quatre piliers, et ül y avoit seulement à chaque arêtier desdits piliers quatre petites portes ou passages, par où il pouvoit passer une personne ou officier pour aller faire les encensements dans l’église, lors des cérémonies. Dans toute la longueur de cet espace, des deux côtés, les chaires étoient posées et revêtues par dessus de cer- tains ais fort élevés, sans ornements, sur lesquels, par le dedans, l’on avoit accoutumé de tendre les pe- tites tapisseries du chœur. Du côté d’en haut, le dit chœur étoit séparé d’avec le grand autel par une grille de fer qui prenoil de travers en travers au niveau du trosne de Monseigneur, qui estoit au bout des chaises, du côté de la sacristie, vers le grand autel, et le tom- beau de marbre noir restoit, de ce côté là, au milieu d’un grand espace où se plaçoit le peuple, entre le dit chœur et le grand autel, dont le sanctuaire venoit finir vis-à-vis du reliquaire de l’église, c’est-à-dire au-dessus du tombeau du roy René de Sicile. Au costé de la nef, le dit chœur étoit fermé par un jubé bâti de pierre, au devant duquel, du côté de la nef, étoient bâtis deux autels qui remplissoient l’espace d’entre les deux pelites portes dont il a été ci-dessus parlé, el la grande ouverture qui formoit l'entrée du chœur par en bas, à côté de laquelle, par le dedans, il y avoit un degré pour monter dans le dit jubé. Cette entrée, ensemble les deux petites ouvertures du côté, étoient fermées de trois portes de fer fabriquées à antique. Au-dessus du jubé, il y avoit un petit buf- fet d'orgue avec une manière de galerie autour, atta- — 99 — chée au milieu du pilier d’au-dessoubs de la chapelle des évêques, dans laquelle l’on plaçoit un chœur de musique dans les fêtes solennelles et extraordinaires. Le grand autel, placé comme il est dit ci-dessus, étoit à l'antique, avec un grand poêle au-dessus qui des- cendoit de la voûte. Au-dessus du dit autel estoit at- tachée une crosse d’argent, le long de laquelle l’on faisoit descendre un ciboire de vermeil, dans lequel estoit tenu le saint-sacrement suspendu en l'air, et au-dessus, par derrière, estoient siluées les châsses de saint Maurille, dont il sera parlé ci-après, et celles de saint René et des compagnons de saint Maurice, avec deux statues d'argent assez considérables, l’une représentant saint Maurice, et l’autre la sainte Vierge, soutenues par des piliers de cuivre poli dans une élé- vation assez considérable. Au-dessus du dit grand au- tel étoit un assez grand retable ou tableau d’argent doré en relief, et aux deux côtés, dans toute l’éten- due du sanctuaire, l’on avoit accoutumé d’étendre deux litres de drap d’or frisé, qui avoient été don- nées par les ducs d’Anjou, et, par le derrière, il y avoit huit piliers de cuivre poli, à la même hauteur que ceux qui portoient les châsses ci-dessus, sur les- quels étoient soutenus des anges du même métal, au nombre de huit, presque de grandeur naturelle, qui chacun soutenoient un chandelier pour porter un cierge dans les fêtes solennelles. Et au devant dudit - autel, tout le long de la balustrade, étoit une grande machine de cuivre ouvragé, de longueur presque tra- versant ledit espace, suspendue en l’air en forme de fléau de balance, le long de laquelle on avoit accou- — 999 — tumé d’attacher avec des chaînes des chandeliers en forme dé balances, dans lesquels l’on suspendoit des cierges dans les fêtes solennelles. Entre ledit autelet là fermeture du: chœur, .qui étoit fermé d’une grille de fer à rouleaux, il y avoit un espace assez considé- rable, au milieu duquel étoit situé un tombeau de marbre noir élevé en place, d’énviron deux à trois pieds, au pied duquel, du côté d’en bas, étoit élevée une grande colonne de marbre d'Egypte, sur laquelle on. posoit ordinairement une torche, en représenta- tion de quelque mystère d’église, à petits person- nages de cire, au-dessus de laquelle lon avoit accou- tumé de poser le cierge pascal de ladite église; des deux côtés duquel espace l’on avoit accoutumé de mettre les bancs des compagnies du présidial, M. le lieutenant du roi à leur côté dans un fauteuil, avec un carreau de velours à ses pieds; et ensuite ceux de la prévôté et autres juridictions; et à l’opposite, du côté dû tombeau du roi de Sicile, étoient posés les bancs de l’Hôtel-de-Ville et du, corps des mar: chands, aux cérémonies du Te Deum ou de la pro- cession de la mi-août. Au-dessus du tombeau du roi étoit un grand enfoncement en forme de porte à deux battants, dans lequel étoit le trésor ou reli- quaire de ladite église. Au-dessus éloit situé, en avançant dans l’église, un petit autel de marbre noir, avec quelques figures de marbre blanc, que l’on di- soit avoir été bâti par une dame de Laval, deuxième femme du roi de Sicile, lorsqu'elle fonda la chapelle de Rivette, qui est encore dans la présentation des seigneurs de celle maison, et que l’on dit valoir — 993 — 1,000 livres de rente. En retour du eul-de-lampe de l’église et derrière le grand autel, étoit, tout dans le fond, un antre autel que l’on appeloit de Saint-René, et, en revenant vers la porte de la sacristie, il y avoit, sur des marches posées exprès, une grande cuve posée sur deux lions de marbre blanc, que l’on disoit être le baptistaire des dues d'Anjou ; et au-dessous , en descendant , il y avoit une grande tombe élevée, sous laquelle l’on à présumé qu’il y avoit un évêque enterré, dont néanmoins l’on n’a pu savoir le nom. » Au milieu du chœur étoit le tombeau de Nicolas Geslant, évêque d'Angers, sur lequel avoit été mis une grande tombe de cuivre, lequel a été enterré, il ya plus de trois à quatre cents ans (1). Sa sépulture éLoit faite de tufeau, de grandeur à y enchässer exac- tement une bière ou cercueil de bois. L’on y: tfouva encore quelques ossements, et à côté il y avoit une petite coupe ou calice d’élain, d'environ de demi-pied de haut, et dont la coupe étoit assez large et peu haute, avec une patène de même métal, le tout ar- genté, mais le tout fort gâté et usé de rouille blanche, et:même la patène étoit tellement usée et rompue, qu’il n’en restoit plus que quelques fragments entiers. L’on trouva pareillement un grand bâon long fait au tour, avec quelques filets noirs en forme d’anneaux autour, d'espace en espace, au bout duquel étoit em- manché un morceau d’étain rond, recourbé, à plu- sieurs replis, en forme de crosse, lequel éloit pareil- (1) Nicolas Geslant ou Gellent mourut en 1991, — 994 — lement fort gâté de rouille, et le bois n’avoit plus que la consistance et la figure, car il étoit tellement léger, et la substance en étoit consumée au point que, quoiqu'il fût gros comme la moitié du bras, et encore fort solide, il se rompit néanmoins presque aussi facilement qu’on auroit pu faire un jonc ou un roseau. Il y avoit de plus, du côté de l'autel, une lampe de verre à peu près de la forme de celles dont on se sert dans les églises, dans laquelle il y avoit encore une espèce de limon et de lie d'huile un peu humide, néanmoins sans odeur, mais le verre étoit irèés mince et tout gâté de crasse; en le prenant, la lampe se cassa en plusieurs morceaux. Il y avoit en- core du charbon en plusieurs endroits du tombeau. Au-dessous de ce tombeau se trouva encore une au- tre petite sépulture, en forme de pelit caveau, dans lequel avoit été ensépulturé Guillaume de Beaumont, évêque, successeur de Nicolas Geslant (1), et qui en avoit été secrétaire ou aumônier, dans les ordonnances duquel, que nous avons imprimées, il est parlé de Nicolas Geslant, son maître, où il rapporte, à peu de chose près, ce que l’on a trouvé dans sa sépulture; et, sur le tombeau de Guillaume de Beaumont, il y avoit pareillement une grande tombe de cuivre, avec la représentation d’un évêque en bosse, ponlificale- ment habillé, sans néanmoins que l’on püt remarquer qu’il y eût une croix pectorale, ce qui surprit, ne sa- chant pas si la chose avoit été faite par omission, ou (1) Ce fut Guillaume III Le Maire qui succéda à Nicolas Geslant. Guillaume Il de-Beaumont fut évêque d'Angers de 1202 à 1240. — 995 — si, dans ce temps-là, la croix pectorale n’étoit pas d'usage. » Toutes les découvertes furent ainsi faites, en ac- commodant l’église pour la carreler. En urant vers le sanctuaire du grand autel, l’on trouva encore for- tuitement un autre tombeau ou cave souterraine dont moitié étoit dans ledit sanctuaire, et le reste tirant vers le tombeau de marbre noir dont il a été ci-de- vant parlé, dans lequel il fut fait fortuitement une ouverture lärge d’un pied en carré, par un ouvrier, en béchant, qui rompit une grande pierre ou tombe d’ardoise fort mince qui étoit posée sur des barres de fer, qui couvroit ledit tombeau assez bas. L'on aperçut avec une bougie allumée, qu'il y avoit dans celte cave assez grande et assez profonde, sans néan- moins qu’il y eût de voûte, une bière de bois en- châssée, dans laquelle l’on avoit enfermé un cercueil de plomb qui étoit devenu si mince qu’il étoit rompu en plusieurs endroits, et que dans ce tombeau il y avoit encore la forme d'un corps tout entier et dont l’on distinguoit les membres, sans néanmoins qu’il s’en exhalât aucune autre odeur que de terre. Il y eut même une personne qui passa le bras par le trou et crut trouver une forme de genou, dont elle apporta une poignée de matière dans laquelle l'on ne pouvoit rien connaître de bien distingué, sans qu’il y avoit quelques fragments de linge pourri sans consistance, mêlé avec quelque matière tenue et délicate de cou- leur rouge-brun, un peu humide, gluante, que l’on jugea être, de la chair qui s’étoit consumée en partie, et dont il avoit encore resté partie de la substance, SOC. D’AG, 15 — 996 — par l’effet de quelque baume ou parfum. Mais Mon- seigneur ayant appris cette découverte et ne voulant point que l’on troublât les cendres de cette sépulture, fit mettre dans le même tombeau les fragments des os de Nicolas Geslant, que l’on avoit ramassés très soigneusement dans la sacristie, et fit incontinent re- fermer le tombeau avec la tombe de cuivre dudit Nicolas Geslant, dont il a été ci-devant parlé, de sorte que l’on n'a pas eu la certitude de l’état ni de la qualité de la personne qui a été mise dans ce tom- beau, sans que l’on a cru que c’éloil une reine ap- pelée Yolande d’Ardgon, qui avoit été autrefois mariée au comte d'Anjou, il y a plus de 300 ans, et l’on a même cru, et toute l'apparence y est, que le tombeau de marbre noir qui subsiste encore, comme il a été ‘ci-devant dit, avoit été autrefois mis sur cette sépul- ture, mais qu'il avoit été reculé en descendant pour établir le grand autel, puisque partie de cette sépul- ture étoit sous le sanctuaire de l’autel, et qu'après avoir sondé dans ledit tombeau de marbre noir qui a été découvert, il ne s’est trouvé qu’un terrain solide, sans aucune sépulture; mais comme l’espace d’entre le chœur et l'autel auroit été trop gêné de rapprocher ce tombeau sur ladite sépulture, l’on a laissé les choses dans l’état où elles ant été trouvées. L’on a reporté d’un autre côté cet autel de marbre noir qui tenoit au pilier d’au-dessous le reliquaire, dans le milieu de la chapelle des évêques, dont Monseigneur a prétendu de faire un autel particulier quand 1l voudroit célébrer la messe dans cette chapelle, lequel se trouvera, comme les autres autels des deux ailes, — 997 — enfermé dans la balustrade que l’on se propose de faire actuellement, et qui, par retour, doit venir jJoim- dre le degré de l’évêché dans l’église, afin que Mon- seigneur puisse aller de la salle dans le sanctuaire, le long de cette balustrade, sans être obligé de passer dans la foule ni parmi le peuple, dans le temps des grandes cérémonies de l’église. L'on a rétabli la tombe de Guillaume de Beaumont au milieu du chœur nou- veau et on l’a même mis au-dessus de Nicolas Ges- lant, quoique naturellement il dût être au-dessous, parce que l’on a cherché à remplir des places. » L'on peut aussi dire quelque chose de la châsse de St. Maurille dont le prix et la beauté a été plus con- nue depuis qu’elle a été descendue, qu’elle ne l’étoit auparavant, car, outre qu’elle s’est trouvée d’une grandeur bien plus considérable qu’elle ne paroissoit dans son élévation, l’on a connu qu’ellé étoit toute couverte d’une feuille d'argent doré de l'épaisseur du ‘dos d’un couteau assez fort, et que toutes les petites figures, les cofniches, les festons et tous les reliefs sont d'argent solide; qu’il y a même quelques pier- reries assez considérables enchâssées sur le devant, dont la plus grande partie sont gravées, et quelques- unes enchâssées en or, particulièrement la mître de S. Maurille, qui est sur le devant de ladite châsse, qui est toute d’or massif et semée de plusieurs pe- tits rubis fins ; de sorte que l’on croit que cette châsse a pu coûter autrefois, à cause de la quantité de l’ou- vrage, plus de 50,000 livres; mais comme elle a été pillée autrefois par les Huguenots, il y a eu beaucoup de morceaux et des pyramides entières, et beaucoup — 998 — d'ouvrages et figures en relief qui ont été enlevés ; de sorte que, pour ne pas exposer cet ouvrage aussi dé- figuré comme il est, l’on y a rétabli et suppléé les pièces les plus apparentes, que l’on a fait faire de bois doré, qui sont attachées en la place de celles qui manquent. Comme cette châsse est fermée avec quantité de clous de fer à vis, et que toutes les ou- vertures sont fermées très exactement, l’on n’a point voulu l’ouvrir ni pénétrer ce qui est dans ladite châsse; ainsi la quantité des reliques et ce qui peut avoir été mis dans ladite châsse est absolument inconnu; n'ayant resté aucun vestige, dans le Chapitre, du temps qu’elle a été construite, ni par qui elle a été donnée, ni de ce que l’on a mis dedans, sans néanmoins que l’on sçait qu’elle renferme les reliques de S. Maurille, et qu’elle ne peut guëre avoir été faite qu'aux frais de quelque souverain. L’on présume néanmoins qu'il y a quelque châsse ou cercueil de plomb enfermé dedans, car autrement, le corps, qui en est de bois," ne pourroit pas peser plus de trois busses de vin ou 2,000 pesant, comme il fait. Au surplus, quelque mouvement que l’on ait pu lui donner en la descen- dant, avec des câbles et des tours attachés sur les voûtes, l’on n’a point pu s’apercevoir qu’il y eût rien dedans qui fût en mouvement. Comme elle étoit fort gâlée de poussière, l’on a chargé le sieur Galisson, orfèvre, d’en faire le nettoiement, après lui avoir donné toutes pierreries par inventaire, dont la plus considérable néanmoins est une agathe gravée en relief, représentant une têle qui est enchâssée dans de l'or. » L'ATELIER DE DAVID (D’ANGERS) C'était l’un des hivers d’après mil huit cent lrente; On sorlail du collége, et, d’un cœur plein d’altente, On courail à Paris, chacun de son endroit, L'un pour la médecine, et l’autre pour le droit. Elles duraient encor ces balailles fameuses, Qu'au théâtre, au salon, sur les places poudreuses, Depuis cinq ans, livrait un peuple ingénieux. La jeunesse en deux camps y partageait ses dieux. La lyre de Hugo, celle de Lamartine, Pouvaient-elles chanter après Boileau, Racine ? Le grand siècle a-t-il lout épuisé, toul fini ? Défendra-t-on Esther en sifflant Hernani? Quand à Venise il prit sa palette enflammée, Delacroix a-l-il mieux servi sa renommée, — 930 — Qu'Ingres er dessinant sans azur, ni carmin, Par amour de la ligne et de Jules Romain ? Jouffroy conduit-il moins à Dieu que Lacordaire ? Michelet a-t-il fait l’histoire assez austère ? Ne l’a-t-on pas plus vraie en Guizot, en Thierry? Mozart et Beethoven ont-ils tué Grétry? Et si Donizetti nous a donné Lucie, Rossini verra-t-il Desdémone obscurcie ? Quand le geste est si beau , le génie aussi franc, Pasla pâlira-t-elle auprès de Malibran ? D'autres se demandaient, plus chastes ct plus graves, Et des choses du jour moins dociles esclaves, Si l’ogive naquit du cintre byzantin ; Si l’ingrat Raphaël, renian! Pérugin, Pour la Grèce profane oubliant les vieux maîtres, Ne s’élait pas trompé de pinceaux et d’ancêtres ; Par sa perfeclion redevenu païen, N’avait pas introduit Armide au camp chrétien? Ainsi l’on disputait : et la guerre civile Toul-à-coup par bourrasque ensanglantait la ville. La liberté parfois se complaît à l'excès. Mais bientôt, regretlant le travail et la paix, . Honteuse de se voir mariée à l’orgie, La jeunesse jelait son bonnet de Phrygie. Je ne saurais penser à ces jours loin de moi, Sans regretter de même, avoûrai-je pourquoi! ” Cette soif d'idéal qui dévorait les âmes. Nous, jeunes gens alors, avions au cœur des flammes. Amour, beaux vers, beaux arts, lout nous passionnait. UT re Pauvre, on se croyail riche, obscur, on rayonnait. Mai reverdissail-il les tiges rabougries, On allait voir s'ouvrir la rose, aux Tuileries, Conter l’ode naissante aux zéphirs nouveau-nés, Sans souci des boursiers à leur lucre acharnés. D'un pas allègre et fier, on gagnait la mansarde ; Et l’éloile des soirs, dont l’œil d'or vous regarde, Elle qui visita nos songes éblouis, | Dirail le pur sommeil et l'honneur de nos nuits. C’est toujours l'idéal qui préserve el couronne. Quand tout s’effeuille en nous, aux brumes de l’automne, Ce bocage de fée, empli d'oiseaux chantants, Verse encor dés parfums qu'on croirait du printemps. Or, en ce temps béni, dont je garde mémoire, Notre David brillait de sa meilleure gloire. En marbre, à la Vendée il dédiait Bonchamps, Pour célébrer ces mots augustes et touchants, Ce : Grâce aux prisonniers’! qui délivra son père, Abrégea la discorde el pardonna la guerre. A la jeune Amérique il rendait Jefferson ; Et, vouant à Paris un autre Parthénon, Au triangle géant de Sainte-Geneviève, Chaque matin, lui-même il ciselait son rêve. Partout où le:génie épanchait des reflets, Rien ne le détournait d'en buriner les traits. Tout cédait à sa fièvre inspirée et féconde. De Vienne, de Berlin, il rapporlait un monde De busles merveilleux, tous parlant du regard : Walter-Scott, d'Edimbourg, puis Goethe, de Weimar, . De Venise, Byron, qu'aux clartés de la lune, — 932 — Un soir, il entrevil errant sur la lagune. Ces grands hommes l’avaient comme un des leurs traité. Ils savaient que par lui, dans la postérité, La gloire leur serait propice davantage, Si de son ébauchoir ils tenaient leur image, Leur image, non point masque matériel, - Vulgaire, comme loul ce qui touche au réel, Mais vaillante, surprise au cœur, passionnée, Et de rayons divins largement sillonnée! * Quand donc, pour mesurer leur moisson de lauriers, S'en venaient.à Paris, poètes, romanciers, Artistes, voyageurs, conquérants, diplomates, Ardents à respirer ces senteurs d’aromates, Dont la France toujours allume l’encensoir, Leur troupe élyséenne enltrait, malin et soir, Au splendide atelier que recélait la rue D'Assas ; châcun allail y quêter sa statue. 0 jardin ! Ô maison, joyau de Chenavard, Qui n’étincelle point par l'or, ni le brocard, Mais qu'aux moindres délails la grâce attique effleure, Et qu’Anvers eût offerte à Rubens pour demeure! Salon où miroitaient coupes, armes, bahuts, D'outre-Rhin, d'outre-mer, reconnaissants tribus: Foyer qu'embellissait l'épouse noble et forte, Digne par son grand cœur des deux noms qu'elle porte! Dans ce cercle éclatant, David, nous l'avons vu. Toi, pauvre enfant, parti d'Angers, si dépourvu, Sans souliers et sans pain, sans besace garnie, N'ayant pour l'abriter que l’aile du génie; Plus lard, quand !e frisson de la Malaria, : — 935 — Aux Cartons de Saint-Luc, blémi, te foudroya, Pour apaiser la soif dont te brûlaient les fièvres, Qui n'avais pas de quoi payer le lait des chèvres, Te voilà, récoltant l'hommage et l’amilié De tout ce que l'Europe a de plus envié! Dirai-je quelques-uns de ces porteurs d’offrandes ? C'est Humboldt, descendu des pics neigeux des Andes, Lamartine, Cuvier, Chevreul, Scribe, Arago, Manzoni, Mickiewicz, Châteaubriant, Hugo, Lamennais, Soult, Nodier, Ballanche, Lafayelle, Tieck, Vigny, Listz, Musset, Pellico qui regrette La giroflée éclose aux murs noirs des prisons ; Berzélius, du doigt démasquant les poisons ; Béranger, ranimant celte France attristée, Par le rire d'Horace el les chants de Tyrtée. El toi, Paganini, diabolique esprit, Sorcier du violon, qu'Hoffmann aurait décrit ; Et vous, que le génie ou la beauté fit reines, Récamier, Sand, Morgan, Dorval, Mars, ô sirènes! Lui, le grand modeleur, debout au milieu d'eux, En blouse, un bonnet grec ceignant ses longs cheveux, Fouillait leurs médaillons dans la cire ou l'argile. Nul n'aurait soupçonné sa puissance virile ; Et peut-être on l’eût pris pour le pâle ouvrier Né de la dernière heure au seuil de l'atelier, Sans le feu d’un œil bleu qui, sous les blocs énormes, Semblait voir palpiter la chair, saillir les formes ; Sans le discours vengeur, songeait-il par hasard De Pologne opprimée, ou de Chant-du-départ. — 234 — Car si Buonarolli, Goujon et Polyclète , De leurs plus chers secrels l’élurent interprète; S'il n’est point de contours drapés de largés plis, Que David n'ait, comme eux, agencés, assouplis: Si Canova, dans Rome, honneur insigne et rare! Lui confiant l'acier pour tailler le Carrare, D'un Olympe obsliné de nymphes et de dieux, Chaque jour, caressa le galbe sons ses yeux, Lui, son cœur, sa pensée, en un aulre domaine, Goûtaient l'enthousiasme, et retrempaient la veine. L'art pour l’art, le‘plastique, aussi noble qu’il fût, Vint-il de Phidias, ne fut jamais son but. Ses déesses élaient la Liberté, la Gloire. Son Olympe, un sommet brûlant de notre Hide C'est l'heure où la Bastille avec fracas croulait, . Où le marteau du peuple à grands coups descellait, Comme un engin maudit d’antique servitude, Les verrous du cachot où pourrissait Latude. C'est l'ère fabuleuse où citoyens, soldats, Chantant la Marseillaise, el cherchant les combats, Pour sauver la patrie étranglée aux frontières, Pieds nus, fusil au bras, quiltaient pères et mères ; Quand quinze légions se levaient en un jour, Qu'on se baltait enfant à Fleurus; qu'au retour, La moustache pendante, et l'âme enorgueillie, On repartail grognard d'Egypte ou d'Italie! La France commençait, finissait là pour lui. Si ce fut une erreur, cetle erreur n’a pas nui A l'effort sans rival de son œuvre hardie. Ce qu’elle cul d’enivrant à grandi son génie. — 935 — Oui, David y puisa l'énergie e! l'ardeur, Le geste du Condé, le front dominateur Du jeune Bonaparte accourant à ses palmes. Sous le bronze livide et les marbres si calmes, Dans le plâtre, que peut pulvériser la main, C'est ce qui fit couler à flots le sang humain. Jusqu'à l'apôtre aimé qui sanglote au Calvaire, Tout revêt le cachet de cette fougug allière. Il n’envia qu'un soir au grand Dominiquin Pour la Sainte-Cécile un luth de séraphin. Sa vision nous lègue un Puget patriote, Moraliste, qui croit que Dieu gardera note Des humbles dévoñments comme des plus haulains ; Que, pour guider la foule à ses futurs destins, Il faut l'émanciper par l’idée et l'exemple, Laisser la forme pure à la porte du temple; Que le torse divin du bel Antinoüs Ne vaut pas de Bailly les civiques verlus. Aussi, que de tableaux dont la philosophie N'a pas même besoin que l’art la sanctifie, D’épisodes dorés de l'attrait du roman, Dans le rude granit inscrits éloquemment ! Cheverus, au grabat de mort du vieux sauvage, Larrey, la trousse en main, sous les boulets en rage, Fénelon, ramenant la vache du pastour, Barra, pour le devoir, sabré sur son tambour. Ses ouvrages parlout sont les allégories Du courage honoré, des lâchetés flétries. Paré, Jean-Bart, Corneille, et toi, vieux Gütterihierg) Racine, Riquet, Foy, Talma, Saint-Cyr, Gobert, — 9236 — Bichat, vous revivez sous sa main créatrice, Par une œuvre épurée au feu du sacrifice, Parce que vous avez couronné vos beaux noms D'une fleur dont l’épine eñt effrayé nos fronts. Sa générosilé, toujours ouvrant la bourse, Dans celte erreur enfin n'a-t-elle pas sa source? Soit qu’en l’ombre, il répande aux captifs, aux vaincus, * Plus que son fier ciseau ne lui rendra d’écus ; Qu'il dote avec amour Athènes la nouvelle De l’innocente-enfant dont la main droite épelle Le nom de Bolzaris gravé sur un tombeau, Grèce qui du cercueil sent frémir son berceau ; Ou gralifie Angers du roi René, qu’escorte De nos Plantagenets l’indomptable cohorte, D'un Musée assemblant, aux yeux émerveillés, Les colosses du maître, au loin éparpillés. Ah ! du labeur d’un seul, fruit, dépôt sans mélange, Proclamons lout le prix de ce Musée étrange Dont les voûtes jadis logèrent Borgia. Le touriste le vit, el s’en extasia ; Car il veut de David, en la cité nalale, Moins la cariatide à pose triomphale, Que l'ébauche hésitante où, dans la glaise, on croit Senlir comme son souffle et l’ongle de son doigt ! Quelle âme a plus vécu du sol qui l’a nourrie ! IL en porta l’amour jusqu’à l’idolâtrie , | Jusqu’à peindre, en leurs champs déserts , nos laboureurs, De Marengo , d’Arcole , inconnus balailleurs ; — 937 — Préférer aû Paros, aux neiges de l’albâtre, Le roc pyrénéen teint de couleur bleuâtre , Disant que ce pays n’a pas besoin d'emprunts ; Que le marbre de France appartient aux défunis. Ne repoussa-t-il pas, dans ses jeunes années, Le gage élourdissant d'un monceau de guinées, A Londres , qui voulail, par un mépris nouveau, Qu'un artiste français retraçâl Waterloo ? « Ce n’est pas moi, dit-il, qui vendrai ma palrie, » Et la souffleterai sur sa face meurtrie ! » Or, savez- Vous ce que valait ce monument ? C'était une colonne à l'instar de Trajan, Où nos braves soldats, en spirale guerrière, Aux cieux eussenl crié vicloire à l'Angleterre ! Et savez-vous qu'’alors le Lysippe angevin Souffrait depuis six mois du lourment d'Ugolin. Tant d'abnégation défie un Spartiale ; C'est pour Artaxercès le refus d’Hippocrate. Qui mieux que toi peindra désormais , ô sculpteur ! Philopæmen qui lutle , Otryades qui meurt } Qu'un malin , l'ouragan loin de son toit prospère . L’emporte, tout son cœur languit et désespère. Les bords athéniens lui sont indifférents. Leur sentier d'oliviers blesse ses pieds errants ; L'Hymète n’a pour lui que des cieux de fournaise ; La brise qui lui manque esl la brise française. Il monte à l'Acropole , et dans les vapeurs d’or Où s'embrasent coteaux , remparts , vagues du port, Il cherche à l'horizon les voiles de Marseille, Que celle brise émue enflail encor la veille. — 938 — Un jour , il en pourra ressaisir la fraîcheur, Mais , hélas ! sous le bras de l'éternel faucheur. :]l aura salué même les murs d'enfance. Par un pressenliment dont Dieu seul a science, Quand novembre aux forêts met de lugubres voix , Il veul revoir Angers une dernière fois. a J'entends encor son pas dans l’escalier sonore ; Voilà son regard {riste et doux ; sa main encore Presse ma main ; sa bouche évoque le passé. Je le vois qui s’en va souffrant, pâle , affaissé. Aura-t-il retrouvé la maison de son père, -El le vieux banc d'étude , où, d'un crayon sévère, — Sous son noir mausolée, il ne me l’a point dit. Qu'on s’élonne aujourd’hui du reflet populaire Dont luisit en cent lieux le nom du statuaire ; De tout ce qu'il compta de fervenis et d'amis Dans les plus grands du siècle, et dans les plus pelils ; De ce que la jeunesse, en radieux corlége, Comme au temps où régnaient Léonard et Corrège, Sûre de n’y franchir qu'un seuil hospilaiier , Pour l'entendre et le voir, peupla son atelier ! S'expliquera-l-on moins qu’en celte capilale, Ce Paris, qui défend qu’on brave ou qu’on égale Ses belles nouveautés et ses jeux éloquents, Mais qui couve toujours la lave des volcans ; Babylone bruyante , où tant de faux prophètes Aux carrefours d'alors électrisaient les têtes, Quand leur doigt marquait l'heure où l’on tondrail l'agneau, Et montrait Chanaan sous forme d’un niveau; — 939 — Diserle Alexandrie, où plus d'un chef d'école Doctement mania la plume et la parole, Mais glissa le sophisme en l’emphase des mols, Et même à la férule appendit des grelots…. David , d'en bas parti , fils naïf de lui-même, Pur , honnête, cherchant le mieux , trouvant l'extrême, A travers l'idéal, qui vit d'illusions , Courant , sans soupçonner d’indignes passions, Aït prêté, jeune ou vieux , une oreille altendrie À l’abus se voilant du nom de la patrie ! L'artiste , l’œil au ciel , sait-il où vont ses pas! L'abime esl sur sa route , il ne s’en doute pas. Il a cru près de lui voir passer des ilotes. Car , sa lèvre boit-elle au vase d’anecdotes Qu'épanchent à pleins bords les journaux effrontés Pour faire bouillonner la fange des cités : Gladialeurs parqués pour les plaisirs de Rome, Vierges qu'on sacrifie au coffre-forl d’un homme , Enfants que sur la borne on laissera périr… Tout est pour lui fers à briser , bouche à nourrir. L'imaginalion , cette folle Hespéride , Par ses rianls jardins à pommes d'or le guide. Lui qui n’aperçoil là ni dragon, ni danger, Pense qu’en notre monde on a tout à changer. =) Mais , pendant qu'il s'égare ainéi, sa fantaisie Dans les âmes aura soufflé la poésie ; L'airain qu'il jelte au moule anoblit le pays, Subjugue , attire à nous les étrangers ravis ; Apprend aux jeunes gens qu’il faut chérir la gloire ; Qu'un peuple ne se creuse un sillon dans l'histoire, — 940 — Qu'avec ciseau , charrue , ou pique d’élendards, N'a d'étoiles au front que bienfaits ou beaux-arts. Et pour que la leçon n’en soit jamais éteinte, Pour qu’elle soit un but de réflexion sainte | L'hiver, an coin du feu, l'été, parmi les bois Où , sur la mousse assis , l’on cause deux ou trois, Quand pâlit le soleil derrière les ramées , Il cloue à nos lambris les empreintes aimées Des sauveurs de {ous rangs , des poèles sacrés Que son mâle génie aura transfigurés. De ses contemporains passant la double aitente, Vivanis il les salue , et moris , pour eux augmente Le prestige par qui s'incline l'avenir. — S'il a fait tout cela, David ne peut mourir. ADRIEN MAILLARD. Octobre 1858. LE SIÉGE D’ANGERS EN 1652. On sait qu’en 1652, le maréchal d’Hocquincourt, lun des partisans les plus déterminés du cardinal Mazarin, vint assiéger, dans Angers, le duc de Rohan- Chabot qui, après de longues hésitations, avait fini par se ranger du côté des Frondeurs. Attaquée le 40 février, la ville fut rendue le 23 du même mois. Les opérations de ce siége ont été fort bien racontées par M. Eugène Berger, dans la Revue de l’Anjou; mais depuis la publication de son travail, nous avons découvert parmi les manuscrits de la Bibliothèque d'Angers, une relation, écrite du temps même de la Fronde, et qui renferme un assez grand nombre de particularités inconnues de nos historiens. C’est ce document que nous reproduisons ici intégralement. ALBERT LEMARCHAND. « M. de Rohan ayant traicté avec M. le prince de Condé et M. le maréchal de Brezé du gouvernement SOC. D’AG. 16 — 949 — de la province d'Anjou et ville et chasteau d'Angers à : 300,000 fr. environ le mois d’aoust 1649, il lui fust promis qu'après la mort de M. de Brezé, l’on lui don- neroit pareillement le gouvernement de Saumur qui est également de la mesme province, que ledit sieur mareschal de Brezé s’esloit réservé sa vie durant; mais il en arriva autrement, car après que le sieur de Ro- han eust obtenu ses lettres du roy dudit gouverne- ment, le 17 janvier ensuivant, M. le prince fut retenu prisonnier à Paris, et M. de Brezé s'étant sauvé de Paris en mesme temps, il s’en vint à grande fatigue dans sa maison de Milly, où peu de jours après il dé- céda, et son gouvernement de Saumur ayant vaqué, fut donné à M. de Comminges, capitaine des gardes de la royne, qui avoit arresté prisonnier ledit sieur prince de Condé, qui n’estoit pas en estat et en liberté de pouvoir faire avoir ledit gouvernement de Sau- mur ainsi qu'il avoit promis; ce qui ne laissa pas de fascher ledit sieur de Rohan qui se vit frustré de son attente. Cependant il ne laissa, environ le mois d'avril 1650, de venir prendre possession de son gouverne- ment, en suite de quoy il se concilia l’amitié et af- fection de la plupart des habitants de la ville d'Angers, pendant le long séjour qu’il y a faict, de telle façon que s’estant servy de quelques divisions et jalousies qui estoient parmi les habitants, entre les officiers d’une part et le reste du peuple de l’autre, qu’il a gagné à son dessein le plus grand nombre avec une telle adresse et artifice qu’il lui a été fort facile de faire et entreprendre tout ce qu’il a faict eselore durant le mois de janvier de ladite année 1659, pour — 9243 — le service du parti de M. le prince, à qui il s’estoit voué et auquel il debvoit encore les 300,000 livres cy- dessus par promesse qui luy fut remdue pendant le siége, par M. de Clermont qui estoit gouverneur d'Oudon et qui fournit aux frais de la plupart dudit siége et des levées des gens de guerre que ledit sieur de Rohan avoit faictes et qu’il tenoit dans ladicte ville, afin de divertir les armées du roy qui estoient dans la Saintonge contre ledit sieur prince qui s’y estoit veu, et dans la Guienne, extrêmement pressé, pendant la plupart de l’an 1652, que le roy estoit en Poitou, le- dit sieur de Rohan estoit en Bretagne pour s’efforcer à présider aux États dont la contestation fust fort longue entre luy et M. de la Trémouille, et lun et l’autre ayant faict plainctes et recouru au conseil du roy sur les prétentions dont l'on vit divers factums, le premier arrest du conseil qui intervint fut advan- tageux au sieur de Rohan par le renvoy du différend au parlement de Bretaigne où son droict et ses amys luy furent sy favorables que la préséance lui fuct ad- jugée, mais voulant exécuter son arrest à Nantes où se tenoient les États et dont M. de la Meillerai est gouverneur et son ennemi capital de longue main, il luy fust impossible d’en voir l'exécution ; au contraire, trois ou quatre autres arrests du conseil intervinrent pour ledit sieur de la Trémouille, ce qui luy donna beaucoup de déplaisir et sujet de se plaindre dudit conseil. Cependant, sous prétexte de ce différend, il se fortifia tant qu’il pust de tous ses amys de Bre- tagne et d'Anjou et particulièrement de la noblesse, savoir de MM. de la Roche-Giffart, comte de Rieux, — 244 — de Goveslau et plusieurs autres. Mais aussy il dés- obligea beaucoup de cette noblesse d'Anjou par la nomination qu'ik fit faire de MM. de la Barre et che- valier de Jarzé, pour députer aux prétendus États qui se debvoient tenir à Orléans, au mois d'octobre 1651. Tout cela se passa jusques au commencement de dé- cembre de ladite année, qu’il revint avec sa femme en la ville d'Angers dont il avait été absent fort long- temps, où à son arrivée il se plaint et se fasche contre beaucoup de personnes et entre autres de M. l’évesque d'Angers, M. Lanier, conseiller d’Estat, de M. de Sainte-Suzanne, conseiller du roy en la province, et de plusieurs autres qu’il prétendoit avoir escrit plu- sieurs choses à son désadvantage en cour où il avoit quelque amy qui luy mandoit tout ce qui se passoit sur son dessein. Cependant peu après il levoit des gens de guerre sourdement, et son lieutenant en son ab- sence faisoit munir le chasteau d'Angers de tout ce qui y estoit nécessaire, et au lieu de 50 ou 60 soldats, qui est l’ordinaire de la garnison, il y en avoit plus de 200, en sorte que se voyant en estat de jouer son jeu et de faire une diversion des armées du roy, il print occasion du passage d’une compagnie de cava- lerie qui passoit par Angers et debvoit loger aux Ponts-de-Cé, le 24 décembre 1651, à laquelle, par. quelque stratagème, les habitants dudit lieu, assistez du commandant dans le chasteau, pour M. Bauiru, qui estoit gouverneur et qui n’y avoit que 15 ou 20 sol- dats de garnison, lèvent le pont-levy du pont, et re- fusent l’entrée desdits soldats, dont ayant envoyé plainte audit sieur de Rohan, il y vient avec quelques — 245 — soldats et une couleuvrine de la maison de ville, qu’il print à cet effet, menace le commandant et la gar- nison, en sorte que sans coup frapper, le pont est baissé, et le chasteau luy est rendu, où à même temps il met garnison à sa dévotion, et le fait munir et fortifier de tout ce qu’il juge nécessaire, ce qui donne telle alarme aux habitants que peu après ils déménagent et quittent tant des paroisses de Saint-Au- bin que de Saint-Maurille, ce qui donne de l’estonne- ment aux habitants d'Angers sans que néanmoins per- sonne s’en remue. Tout cela estoit assez pour des- couvrir son dessein en cour où M. Bautru faict grand plainte de se voir spolier de son gouvernement de la sorte. Mais aussy, de son costé, il escript en cour que, pour le service du roy, il avoit esté obligé de se sai- sir de ce chasteau et passage, et fait si bien par son adresse ou de ses amys, qu’il fait approuver ceste ac- tion pour quatre ou cinq jours seullement, et son envoyé eslant revenu de cour avec bonne response, il se satisfait de quoyle tout avoit si bien réussi jusques alors. Cette satisfaction ne fut pas de durée, car, cinq ou six jours après, arriva Angers un exempt nommé de la Vignolle, accompagné de deux hoque- tons, et chargé de redemander la place et la garder au roy avec vingt soldats seulement, el ordre aux paroisses circonvoisines de fournir 40 livres par jour en la dite garnison. Cela l’estonne, entretient deux ou trois Jours cétexempt, cependant fait assembler les maire et eschevins d'Angers et habitants du Pont-de-Cé, qui députent quatre ou cinq habitants à sa dévotion qui vont à Poitiers trouver le roy, le supplier de la part — 946 — de la dite ville et Pont-de-Cé de trouver bon ce que avoit faict le dit sieur duc de Rohan pour le service du roy et bien de la province. Mais tout cela étoit à contretemps, et le dessein du dit sieur duc descou- vert, en sorte que les députez ne furent point ouis ou eurent mauvaise response, laquelle ne fust pas seue. Ils furent incontinent suivis à leur retour d’un second ordre plus exprès de rendre la dite place au dit de la Vignolle, ainsi qu’il y avoit ordre, sur peine de désobéyssance. Mais au lieu de le faire, sachant que M. le lieutenant-général du présidial avoit quel- que ordre à exécuter qui lui estoit confié, et qui pou- voit estre de le retenir et s’asseurer de sa personne ou de ses forces, il le prévient, et ayant seu que le janvier 1652 y avoit convocation à toutes les com- pagnies pour s’assembler et délibérer sur les affaires présentes, et faire voir aux exempis qui estoient venus de la part du roy pour retirer le Pont-de-Cé des mains du dit sieur de Rohan, que les habitants ne prenoient aucune part à ceste désobéyssance, le dit sieur ayant advis de cette assemblée, vint au pallais où elle se faisoit, accompagné de ses gardes, sur les dix heures du matin, où chascun officier estoit avec sa robe et son bonnet, s'adresse au dit sieur lieutenant- général, luy fait plainte de son procédé et de cette assemblée; l’autre luy repart avec aigreur et menace qu’il ne fait rien qu'avec ordre du roy, contestent longtemps ensemble, eulx seuls seulement, et enfin lemmène prisonnier au chasteau, ayant sa robe et son bonnet, et passent de la sorte depuis le pallais jusques au chasteau, sans qu’il y eust aucune émo- — 247 — tion ni rumeur du peuple, voyant que l’on mettoit prisonnier le chef de la justice, au contraire, en pas- sant en quelque endroict, il n’y eust que des impré- cations et malédictions contre luy, et personne n’eut l'assurance de s’y opposer ny remuer. Néanmoins, ‘ ayant été prisonnier au chasteau plus d’un mois, il eust toutes sortes de bons traitements et liberté de tous ses amis qui y alloïent à la foule. Ce coup hardi donna de l’estonnement à tous les autres officiers et principaux de la ville, et encore plus quand l’on seust que M. l’évesque d'Angers estant absent de la province et à la Roche des Aubiers, chez M. de Ser- vient, dont la femme estoit morte peu de jours de- vant, pensant s’en revenir en ceste ville en sa maison, estant venu jusques aux Ponts-de-Cé, où croyant pas- ser en toute liberté, il fust empesché par les senti- nelles du dict;"que s’il ne se retiroit qu'il seroit chargé, et autres semblables paroles dont il fust fort irrilé et contraint de retourner sur ses pas et retour- ner à Brissac, sur le refus de le laisser passer et re- tourner à Angers, luy disant qu’il estoit Mazarin et se mesloit d'autre chose que de son église, de quoy il fust si indigné qu’il en fist de grandes plaintes de M. de Rohan et les envoya en cour, que l’on tient avoir esté en partie cause de délibérer au conseil de faire venir le roy à Angers ou d’y envoyer les troupes qui estoient près de sa personne, ce qui donna lieu à faire le voyage de Saulmur. Aussitôt qu’il fust ar- rivé, il envoya ses fourriers et maréchaux de logis Angers, où l’on commençoit à faire la garde des portes dès le 23 janvier, et le 25 les dits fourriers estant ar- — 248 — rivez au nombre de douze jusques aux Banchets, à demi-lieue de la ville, le capitaine des gardes du dit sire de Rohan allant au devant, accompagné de dix ou douze de ses gardes, et les ayarit rencontrés leur - dit qu’ils n’eussent point à passer outre, qu’ils ne se- roient pas receuz en ville, ce qui les obligea de re- tourner sur leurs pas à Saumur, et faire le procés- verbal du refus, ce qui estonna la cour et encore plus tous les habitants d'Angers, car c’estoit désormais se- couer le joug à l’obéissance du roy, qui ne pourroit souffrir cela sans punition. Aussi, dès aussitost que ce refus fut sceu en ville, tout le monde s’affligea, prévoyant le malheur qui en est arrivé, et un chacun se plaignoit de ce malheur, et donnoit ordre à ses affaires et à la retraicte ceux qui le pouvoient faire. Et dès là l’on n’espéroit plus rien de bon, et le 27 du dit mois, M. le lieutenant-général fust arresté prison- nier, ainsi qu’il est dit cy-dessus, et dès ce jour-là beaucoup d'officiers se retirèrent de la ville, dans la crainte de pareil traictement. Le 6 febvrier ensuivant, le dit sieur duc fist arrester M. le lieutenant particu- lier Ménage, Sicault, lieutenant de la prévosté, et Laboulaye, procureur du roy, sur quelques remon- trances qu'ils estoient ailez faire au logis Barrault, où ils furent jusques au jour de la paix. Le 8e du dit mois, y eust assemblée au dit logis pour desputer des habitants pour aller saluer le roy à Saumur, qui fu- rent MM. de Saint-Lambert, juge de la prévosté, Gouin, juge des maréchaux, et Siette, advocat, et le lendemain, allant à Saumur, ils furent arrestez à Sorges et menés prisonniers aux Ponts-de-Cé, et sur — 249 — le soir amenez coucher au chasteau, et le lendemain eslargis, ce qui fust cause que les députés des aul- tres compagnies n’osèrent passer oultre pour aller aussi saluer le roy à Saumur, où plusieurs officiers se retirérent. Le 10e, les habitants du fauxbourg de Brécigny ayant advis que les gens du roy estoient à Sorges, qui avoient surpris les gardes du dit sieur de Rohan, qui gardoient le passage, abandonnent leurs maisons et le dit fauxbourg, qui fust saisy de quatre- vingts soldats seulement, qui craignoient grandement quelque surprise, et de ce jour là il n’y eust plus de liberté de sortir de la ville. Le 12e le président de la prévosté, et Chevalier, conseiller de la prévosté, s’es- tant retirés à Saint-Serge, furent faits prisonniers et menés au chasteau , et le mesme jour, sur les sept à huit heures du soir, le fils de M. le maréchal d'Hoc- quincourt, conimandant le siége, fust tué d’un coup de fanconneau tiré du boulevart Saint-Aubin en Bré- cigny, où il estoit dans l’hostellerie des Trois Roys. Son corps fust porté en terre en l’église Saint-Augus- tin lès Angers, par le curé de Saint-Léonard. Le 43, le comte de Rieux, fils de M. d’Elbeuf, vint au secours de M. de Rohan dans la ville. Le 14, quelques sol- dats du régiment des gardes forcèrent la porte Saint- Michel, d’où ils furent repoussés tt quelques-uns tuez de part et d’aultre. Le 27, le canon braqué contre la ville au jardin du Clos commença à tirer, qui ne fist guère d’effet, mais donna grande crainte aux ha- bilans. Le 98 la paix fust faite entre les sieurs d'Hoc- quincourt et de Rohan. Suivant les articles qui se — 950 — voient, les habitants qui estoient en garde laissérent les portes à quatre compagnies des gardes et deux de Suisses. Incontinent le traicté arresté, M. d'Hocquin- court, M. de Quincé et leur va entrèrent en ville par le portail de Toussaint, accompagnez de plu- sieurs habitans qui estoient au camp et avoient quitté la ville. La plupart des soldats asseurent avoir perdu deux à trois cents hommes de ceux qui estoient au- devant de la ville et du Pont-de-Gé. Ce mesme jour le canon fust décampé et mené au Pont-de-Cé, et le. lendemain, M. de Rohan et toute sa maison sortit pour s’en aller à Paris, et fust conduit par M. de Quincé avec ses gens jusqu'à Durtal, avec ceux qui _ l’avoient assisté, et les gentilshommes d'Anjou, gabe- leurs et archers qui estoient au fauxbourg Saint-Ni- colas, furent congédiés par M. d’ pu telles gens n’avoient de rien servy que à rançonner là où ils avoient passez. Le samedi 2 mars, le Pont-de-Cé fust rendu sur les cinq à six heures du soir, par le sieur Alexandre qui y commandoit, dont il y a une relation. Et les 4 et 5 dudit mois les troupes com- mencérent à défiler, qui estoient six à sept mille hom- mes d'infanterie et cavalerie, qui avoient logé au fauxbourg depuis la paix, où ils avoient causé beau- coup de pertes. Et le 9, les lettres de M. de Fou- rille furent leues en l’audience pour le gouverne- ment de la ville et chasteau. Le 11 les lettres d’am- nistie furent leues dans la Maison de Ville. Le 13 fust leue la lettre de cachet portant destitution du maire et eschevins, en la place ceux qui y sont à — 251 — présent. Le 14 arriva M. de la. Meilleraye pour pa- cifier la ville sur la désunion qui s’y estoit trou- vée. » Le surplus se peult voir sr les registres de quel- qu’un de MM. les advocats, ou chez M. de Landevy, advocat. » NOUVELLES ÆRCHÉOLOGIQUES. Novembre 18558. SOMMAIRE : Découverte d’une sépulture franque. — Monnaies ange- vines ecclésiastiques. — Pourpoint de Charles de Blois. — Fers à cheval à bords ondulés. — Un écu creux. — Inscription de la cloche de Candes. — Inscription de la cloche de Saint-Nicolas de Saumur. Nos Nouvelles, Messieurs , ne sont cette fois qu’une série de notes qui se rattachent difficilement les unes aux autres, mais qui entreront un jour dans un tra- vail d'ensemble. Il faut d’abord recueillir; plus tard, tous ces mêmes détails pourront se rapprocher et se coordonner. Découverte d’unc sépulture franque, M. Perrier, de Chemellier, nous écrit : « En 1822, au village de Montaigu , commune de » Chemellier, un cultivateur, en creusant un souterrain » pour se faire une habitation, trouva, au milieu » d’un amas de terre considérable, et à quatre pieds CL » Y 2 CRE — 953 — de profondeur environ, un squelette dont la tête était tournée vers l'Orient. » Sous le crâne était un coutelas rongé par la rouille, mais qui pesait encore douze onces, avait un pied de longueur, plus d’un pouce de largeur et dont le dos arrondi mesurait deux lignes d’épais- seur. Par le bout tranchant, il avait la forme d’un gros couteau de boucher. Je présume que l’autre bout devait être échancré comme pour former une poignée. | » Les pieds reposaient sur une espèce de poignard de cinq pouces de longueur. Cette arme, plus grosse et beaucoup plus épaisse que la précédente, était de forme toute différente : elle était arrondie des deux côtés, pointue d’un bout et creusée de l’autre. » À côté gisait une croix d'environ trois pouces de diamètre, dont les branches, recourbées vers leur extrémité, présentaient des pointes longues d’envi- ron deux pouces; l’une de ces pointes était brisée. » Non loin de la tête du squelette se trouvait un vase de terre cuile; aux pieds, un autre vase de grès. J'ignore si ce dernier contenait primitivement quel- que chose. Le premier au contraire , renfermait de petits anneaux entrelacés de fer ou d’acier, c’est-à- dire des mailles qui n'étaient pas totalement rom- pues. » Monnaies angevines ecclésiastiques. Jusqu'à ce jour, nous ne connaissons encore que trois monnaies ecclésiastiques frappées en Anjou. — 954 — na, La première est de l’époque mérovingienne et ap- partient à l’église d'Angers (la cathédrale). Elle porte d’un côté cette légende : ECCLESIE ANDECAVI, et de l’autre ALLIGISELS MONET; c’est le nom du monétaire, officier public, qui sous la première race, authenti- quait la monnaie, surveillait sa façon et garantissait sa valeur. On peut consulter sur cette pièce un cu- rieux article de M. Ecartier, dans les Annales de Di- dron, t. virr, pages 193, etc. La seconde monnaie est de l’époque carlovingienne, et appartenait également à l’église d'Angers; elle nous a été communiquée par M. Boïsleau, de Tours, qui en est le propriétaire ; c’est une pièce de Charle- magne, sur le revers de laquelle on lit : scr MAYR, que plusieurs savants traduisent par Sancii Mauricii (St.-Maurice d'Angers). On sait que Charlemagne n’avail point négligé les intérêts de cette église, ainsi qu’on peut s’en convaincre en consultant une charte imprimée dans la Gallia christiana des frères Sainte-Marthe, t.11, page 115, édition de 1656. Tou- tefois, cette charte qui se termine ainsi : Signum Karoli gloriosissimi regis ‘: Hithro recognovit. Data mense martio anno I, regni nostri Actum Aristaho. Palatio publico fideliter ; Amen ; toutefois, dis-je, cette charte ne mentionne point la monnaie d'Angers, ce qui prouve que, sans la numismatique, beaucoup de faits nous seraient inconnus. La troisième monnaie n’a pas moins d'intérêt; ajoutons qu’elle n’a jamais été signalée ni décrite. Sortie du cabinet de feu M. Lange, de Saumur, elle appartient aujourd’hui au receveur de l’enregistre- — 955 — ment de Luçon, qui a bien voulu nous en communi- quer la légende. Elle porte d’un côté + BEATI FLORENT, et au revers CASTRVM SALMVRV, pour castrum Sal- mvrum, château de Saumur. Le champ est orné d’une grande clef. Evidemment, ce denier appartient à l’abbaye de Saint-Florent, du château de Saumur, et prouve que ce couvent avait un atelier monétaire. L'époque de cette pièce est facile à déterminer. Le monastère de Saint-Florent du château de Saumur, construit vers 950, fut incendié par Foulques Nerra, vers 1025, pour être ensuite rebâti sur les bords du Thouet, vers 1030, à 2 kilomètres de Saumur. C’est donc entre l’année 950 et 1025 qu’il faut placer la date de cette monnaie. La rareté de cette pièce, qui est peut-être unique, et le silence des auteurs qui ont écrit l’histoire de l'abbaye, montrent assez que l’atelier monétaire dont il s’agit ne dut fonctionner que très peu de temps. Les comtes d’Anjou, devenus maîtres de Saumur, n'auront pas voulu, sans doute, tolérer son existence. Il nous reste à interpréter la clef qui se trouve dans le champ; mais ici encore point de difficultés, car la clef était un des principaux signes du blason de l’abbaye. Nous lisons en effet dans la Revue ‘de Anjou et du Maine, t. 1v, 2e livr., novembre 1858, p. 112, ce passage d’un article de M. l'abbé Barbier de Montault, notre collègue : « Le blason de l’abbaye de » Saint-Florent de Saumur était d’azur, à une crosse » d'argent posée en pal et tournée à dextre, accom- » pagnée à dextre d’une clef renversée de même, et — 956 — » à senestre d’une fleur de lys d’or. L’écu appuyé » sur une clefet sur un glaive en sautoir est sommé, » entre une mitre et une crosse, d’une couronne » fleurdelysée de laquelle sort un lys fleuri au natu- » rel. (Voir le sceau de l’abbaye au musée de .Sau- » mur et en tête du manuscrit de D. Huynes.) » Le mot de Beati que porte la légende au lieu de Sancti ne doit point étonner. On trouve ces deux qualificatifs indifféremment employés dans les manus- crits de Saint-Florent. Il est fâcheux que de ces trois pièces aucune n’ap- partienne au Musée. Pourpoint de Charles de Blois. Bodin est le premier qui nous ait fait connaître ce pourpoint du xive siècle; il l’a trop bien décrit dans sa note 33, Angers, t. II, pour que nous y revenions. Il nous apprend qu’un soldat, après l’avoir découvert dans un des châteaux de la Bretagne, le vendit en 1793 à un sieur Jouffrault, qui se trouvait alors à Antrain, et qui en 1817 était receveur du bureau de l'octroi de la Croix Verte, à Saumur. Ce pourpoint est aujourd’hui entre les mains d’un costumier de Paris. Le dessin en a été en partie publié par Cahier et Martin, dans les Mélanges archéo- logiques, t. 111, planche xxvir et p. 147. Etrange destinée de ce vêtement qui, aprés avoir servi au malheureux Charles de Blois, tué à la ba- taille d’Auray, en 1364, sert de type présentement à des costumes d’opéra-comique ! — YR — Fers à cheval à bords ondulés,. On voit, au Musée d’antiquités d'Angers, quelques fers ondulés sur leurs bords; on en voit également au musée de Troyes, ainsi qu’à celui de Cluny, no 2480. À quelle époque remontent-ils? Nous l’avons ignoré jusqu’au jour où, faisant une excursion dans l’arron- dissement de Baugé, nous aperçûmes un de ces fers qui avait été trouvé, avec plusieurs autres de même forme, au lieu même où la bataille de Baugé s’est donnée. Il a été fixé, par une main soigneuse de nos souvenirs nationaux, au centre de l’inscription sui- vante : « M. Jacques Gaudais fit replacer ici cette pierre » pour rappeler la victoire mémorable que Guérin » des Fontaines, gentilhomme angevin, uni à Gilbert » de La Fayette, maréchal de France, et à Jean Stuart, » comte de Boukan, prince écossais, remporta sur » le duc de Clarence, prince anglais, tué en ce lieu, » ayec la majeure partie de son armée, le 22 mars » 44920. » Là pierre dont parle l'inscription est un bloc poly- morphe, trouvé à l'endroit qui, prés du Vieil-Baugé, porte encore le nom de Champ de la Bataille. Les habitants veulent voir sur cette pierre la trace des pieds du cheval d’un général anglais qui, disent-ils, prit la fuite. C’est pour eux une façon toute monu- SOC. D'AG. 17 — 958 — mentale de se rappeler la défaite des ennemis de la France. Nous avons vu cette pierre où trois em- preintes naturelles se font remarquer; mais telle est la force de la tradition, qu’il serait impossible d’en écarter le merveilleux. Quoiqu'il en soit, les fers à cheval dont nous re- cherchons l’origine étaient en usage certainement au commencement du xve siècle. Un écu creux. Le Musée des antiquités d'Angers possède un écu creux portant au droit cette légende : Leopoldus D G, archidux Austriæ 1632 ; et au revers: Dux Burgundi, comes Tiroli. Les armoiries de l’archiduc sont gravées d’un côté; il est représenté, de l’autre, armé, cou- ronné et cuirassé comme nos chevaliers l’étaient au xvie siècle. Mais l'intérêt dé cette pièce n’est pas là : il consiste en ce qu’elle est creuse et peut s’ouvrir en deux. Nous nous rappelons avoir vu à notre exposi- tion dernière une médaille travaillée de la même fa- çon. Quelle pouvait donc être l’utilité de ces pièces creuses ? Bien des fois nous nous sommes adressé cette question sans pouvoir y répondre. Enfin la lumière s'est faite, par hasard, et elle nous est venue d’un ouvrage intitulé : Esprit de la Fronde, t. 1v, page 15, édition de 1773. L’auteur anonyme, après avoir donné de curieux documents sur la détention du grand Condé, du prince de Conti et du duc de Longueville, à Vin- cennes, en l’année 1650, nous apprend comment leurs amis du dehors s’ingéniérent à trouver les moyens de \ — 959 — correspondre avec les princes. « Montreuil, dit-il, » pour cet effet, avoit imaginé des écus creux qui » se fermoient à vis et qu’on méloit avec ceux qu’on » envoyoit de temps, en temps aux prisonniers pour » s'amuser à jouer; on renfermoit dans ces écus ce » qu'on avoit de plus important à leur communi- » quer, et d'ordinaire c’étoit leur défiant geôlier qui » les présentoit lui-même. » Montreuil toutefois ne paraît pas en avoir été l’in- venteur, puisque son stratagème de 1650 se pratiquait en Allemagne, en 1632, date de notre médaille. Depuis lors, on s’en est servi d’autres fois, sans que la police y ait vu clair; c’est ainsi que, durant ta déten- tion de Louis XVI au Temple, ce malheureux mo- narque reçut quelques louis d’or dans QUE pièces creuses. Inscription à Fontevrault, Cette inscription, qui a été relevée par MM. Auguste et Albert Bruas, est gravée sur une double demi-cir- * conférence, au-dessus d’un portail maintenant muré. Elle est ainsi conçue : “4 « Le jour de saint Bernard 1687, Madame de Mon- » tespan étant ici a faict commencer ce bâtiment. » Le jour de saint Bernard 1689, étant revenue » voir Madame sa sœur (1), elle a fait présent de cet (i, Gabrielle de Rochechouart-Mortemart, abbesse de Fontevrault, surnommée la Reine des! abbesses. — 960 — » hermitage à la communauté et: l’a accompagné » d’une loterie. » Cette inscription pourrait donner malière à de cu- rieux développements sur le séjour en Anjou de Ma- dame de Montespan, mais comme déjà nous avons parlé de cette femme célèbre, dans nos Nouvelles ar- chéologiques, n° 39, {re partie, nous n’y reviendrons pas. Ce qui nous intéresse, c’est le tout petit mot de loterie placé dans un coin de l'inscription. Il y avait donc des loteries en 1689? Oui certes, et bien auparavant. Les Romains en usaient pendant les Saturnales. Auguste amusait le peuple à l’aide de ce moyen; Néron ne le négligeait point; et l’empe- reur Héliogabale ÿ mêlait le plaisant au sérieux, c’est- à-dire qu’à côté de lots de valeur s’en trouvaient de ridicules pour faire rire, comme cela arrive encore de nos jours. 1 Le moyen âge ne paraît pas avoir goûté ce jeu de plaisir et de hasard que Louis XIV renouvela des Ro- mains, en 1685. C'était à Marly, à l’occasion d’un mariage; quatre boutiques y figuraient dans un salon splendide et les grandes dames tiraient au sort de magnifiques bijoux. Voltaire prétend que cette loterie fut supérieure à toutes celles des: vieux Romains. « Mais, dit un auteur, » si cette ingénieuse galanterie du monarque, si les » plaisirs de sa cour eussent insulté à la misère du » peuple, de quel œil les regarderions-nous ? » On ne voit pas en effet dans toutes ces loteries que — 96 — l’on se soit préoccupé de venir en aide aux pauvres. Toutefois celle que Madame de Montespan organisa à Fontevrault dut avoir un but de charité, car il'est certain que cette belle repentie eut, pour préoccupa- tion à peu près constante, en nos contrées, le soin des malades et des infirmes. C’est ainsi qu’en 1693 elle fonde à Fontevrault un hôpital pour cent vieillards et orphelins de l’un et de l’autre sexe, hôpital qui, en 1703, fut transféré à Oyron, où il existe encore. Nous remercions donc MM. Auguste et Albert Bruas de nous avoir fait connaître cette inscription, de la- quelle nous ne craignons point d'induire que l’une des premières loteries de charité fut organisée à Fous tevrault. À propos de loteries, M. l'abbé Barbier de Mon- tault nous a communiqué un placard imprimé à Angers, le 4er août 1715, duquel il résulte que par permission du roi une loterie avait été accordée aux maire et échevins d'Angers pour la réparation du col- lége de ladite ville et de sa chapelle. Cette loterie était de trois cent mille livres; cent soixante-onze mille quatre cent vingt-neuf billets, de chacun trente- cinq sols, étaient émis; douze cent soixante -onze seulement pouvaient gagner; une retenue de 15 pour cent devait être faite sur les billets gagnants. Il y avalt, par conséquent, une somme de quarante-cinq mille francs à percevoir pour l'exécution des travaux projetés. Le tirage fut fixé au 15 novembre 1716 et devait se faire « en présence de Msr l’évêque d'Angers, » de M. d’Autichamp, lieutenant du roy, de M. le lieu- » tenant-général et procureur du roy de police, de — 962 — » M. le subdélégué, des maire, échevins et officiers » de l’hôtel-de-ville. » n Deux enfants de l’hôpital général devaient être dé- signés pour tirer les billets, et le public fut averti que le roi accordait l'autorisation de distribuer les billets dans quatre généralités, savoir : Touraine, Bretagne, Poitou et Orléans. Le plus gros lot valait vingt-cinq mille livres et les plus petits étaient de cent livres. Inscription de la cloche de Candes. Candes est une commune du département d’Indre- et-Loire, mais si voisine de l’Anjou, vers l’est, que nous considérons sa magnifique église comme nôtre à plus d’un titre. Cette église renferme üne cloche sur laquelle MM. Auguste et Albert Bruas ont relevé l’ins- cription suivante : | J'ai été fondue l'an 1728, et nommée Marie-Louise, par son, Altesse Sérénissime Louise-Henriette-Gabrielle- Françoise - Marie de Bourbon Condé du Vermandors, princesse du sang, et par Monseigneur Lows-Jacques- Chapt de Rastignac, archevêque de Tours, abbé-cardi- nal de la Trinité de Vendôme. Congrego fideles, fulminaque repello. (Jean Drapeau, entrepreneur.) Cette inscription est surtout intéressante par cette phrase : Fulminaque repello : et je dissipe la foudre. — 263 — Sur une cloche de Spycker (Nord), on lit en vers flamands : Leonard est cette cloche : excellent nom. En l'an 1598. On la sonnera quand il fera du tonnerre et des éclairs. D’autres cloches portent : Fulmina frango. Dissipo ventos. Il n’y a pas dix années que l’on sonnait la cloche pendant l’orage, dans la commune de Tancoigné; peut-être cet usage existe-t-il encore aujourd’hui. « Diverses prières de la bénédiction des cloches leur » attribuent la puissance de conjurer les orages » dit l'abbé Corblet, page 58, Revue de l’art chrétien, fé- vrier 1897. Au point de vue religieux, le son de la cloche étant une sorte d’oraison, nous ne voyons pas ce que l’on pourrait trouver d’extraordinaire dans cette coutume jadis très répandue. Au resle, nous voulons ici constater simplement que les physiciens du commencement du xvime siècle croyaient à l’efficacité du son des cloches, pour dis- siper les orages. En effet, dans un ouvrage intitulé : L'usage des globes céleste et terrestre, etc., par le sieur Bion, ingénieur du roy, Paris, 1728, nous lisons, page 138 : « Ce n’est pas sans raison que l’on sonne » les cloches et que l’on tire le canon à dessein de » faire cesser le tonnerre, d'autant que par ce moyen, — 964 — » Pair le plus proche des cloches étant agité par leur » mouvement ébranle celui qui est au-dessus; et cet » air ébranlant les parties de la nue inférieure, les » fait tomber en pluie, avant que celle de dessus » puisse descendre ; de sorte que les exhalaisons pre- » nant leur cours dans un air plus vaste et plus » étendu, se dissipent et ne trouvent pas lieu de s’en- » flammer. » Cinquante-six ans plus tard, la science professait l’opinion contraire, et le 24 juillet 1784, un arrêt du parlement de Paris défendait de faire sonner les cloches en temps d'orage; plusieurs arrêtés municipaux re- nouvelèrent cette défense. Nous n’avons pas à examiner si la science mo- derne est dans le vrai: ce serait au-dessus de nos forces et nous aimons mieux la croire sur parole. Inscription de la cloche de Saint-Nicolas de Saumur. L Une autre inscription non moins intéressante vient de nous être communiquée par M. l'abbé Barbier de Montault. Elle est ainsi disposée : Sur trois lignes, au cerveau (1). ” - 7% Lavdo Devm vervm, popvlum voco, congrego clervm, deffunctos ploro, pestem fvgo, fesla decoro. (Rose) L'an mil six cent cinquante el six, je fvs nommée ; Nicolas parain. (1) C'est-à-dire à la partie supérieure de la cloche. — 965 — Mestre Philippes de Maliverne sievr dv Rozay, conseiller dv roy en ses conseilz, présidant av siége de la senechavssée à Savmvr; maraine dame Lovize Dolle veufve. Messire Lovys de Bavvav, chevalier seigneur de la Bessière, procvrevrs de Fabrice François de Laville, Jean Marteav, François Chadonneav marchans. (Sur la robe) + (Au bas de la robe) : Richard ma faict. Je termine en vous priant, Messieurs, de seconder activement nos recherches, et de.nous communiquer tous les documents que vous pourrez recueillir çà:el là. En archéologie, rien ne doit être négligé; les moindres faits prennent de l'importance en s’accumu- lant, et une découverte, insignifiante en apparence, donne souvent la clé d’un mystère qu’on croyait im- pénétrable. V. GopaRD-FAULTRIER. BEAUPRÉAU. _ L Beaupréau n’est pas, comme Saint-Florent-le-Vieil, une ville à double aspect, d’un côté radieuse et ani- mée, avec un grand fleuve qui déploie devant elle le tableau magique de ses îles boisées et de ses barques mouvantes, de l’autre, grave et mélancolique, assise au-dessus d’une vallée déserte ou de champs entre- coupés de haies épaisses et de chemins creux. C’est une ville aux horizons peu variés, sans perspective grandiose ni majestueuse, mais qui n’en forme pas moins, avec son château et son vaste parc, avec ses maisons échelonnées sur'une pente rapide, avec sa rivière calme et. transparente, avec la cascade de son moulin et ses humides prairies, l’un des plus char- . mants sites du Bocage vendéen. Le château de Beaupréau, situé au cœur du pays des Mauges, fut donné, vers le milieu du xe siècle, par le comte d'Anjou, à un chevalier nommé Gauzlin ou Josselin de Rennes. Giroire, petit-fils de Gauzlin, fonda, ‘en 1062, les prieurés de Saint-Martin de Beau- — 967 — préau et de Saint-Pierre d’Andrezé, dont il donna les églises à l’abbaye de Saint-Serge d'Angers, et Orric, fils aîné de Giroire, fit don, en 1100, au même mo- nastère, de l’église du Saint-Sépulcre, construite sans doute en mémoire de la première croisade (1). « La maison de Beaupréau ou de Gauzlin, en s’étei-. » gnant, dans le xive siècle, s’unit à deux illustres » familles : Marie de Beaupréau en porta les biens » dans celle de Laval-Montmorency, par son mariage »'avec Jean de Laval, seigneur de Loiré; mais étant » morte presque immédiatement, elle laissa pour hé- » ritière Jeanne de Beaupréau, sa tante, mariée, vers » 1389, à Jean des Roches, seigneur de Longué, de » Jarzé et de Brain-sur-l’Authion,. qui appartenait à l’une des familles les plus puissantes de l’Anjou. » Les quatre enfants de Jeanne de Beaupréau et du » sire des Roches, Jean, Brient, Jeanne, mariée au » seigneur de Sainte-Maure, et Alénor, femme de ».Jean de Bazoges, possédèrent successivement Beau- » préau, qui demeura à cette dernière famille, origi- » naire du Poitou. » Gilles de. Bazoges, fils d’Aliénor, maria sa fille » unique, Anne, à Jean de Wast de Montespedon, » conseiller et chambellan du roi Louis XI, dont il fut » le favori, et lui céda, par acte du 4 mars 1461, la seigneurie de Beaupréau. » Jean de Montespedon fut tué, au mois d’août » 1479, à la bataille de Guinegate. Son fils, Joachim » de Montespedon, baron de Beaupréau, fut père de 2 = (1) Archives du château de Beaupréau. — 968 — » René qui, à peine âgé de 18 ans, périt à la bataille » de Pavie (1). » La terre de Beaupréau échut alors à Philippe de Montespedon, sœur et héritière du jeune René. Philippe de Montespedon, veuve du maréchal de Montjean, « très honnesie et très vertueuse danre, dit » Vieilleville, ornée de grande beauté et en fleur de » jeunesse, riche au demeurant, pour donner la cou- » leur à de telles perfections, de soixante mille livres » de rentes de son chef, sans la succession de M’ de » Châteaubriand, » épousa, en 1540, Charles de Bour- bon, seigneur de La Roche-sur-Yon. Ce prince fit éri- * ger Beaupréau, simple baronnie, en marquisat, puis en duché. On lui doit aussi l’établissement du Cha- pitre de Beaupréau et l’érection d’une Confrérig en l'honneur de la Vraie-Croix. Charles IX sarrêta au château du prince de La Roche-sur-Yon le 9 octobre 1565. Le roi de France se rendait alors en Bretagne, accompagné de Catherine de Médicis, de la reine de Navarre, du prince de Béarn, depuis Henri IV, et d’une suite nombreuse de gentilshommes. Ces illustres hôtes furent traités avec magnificence, dans une grande sallé, décorée de somptueuses tentures, qu’on avait fait construire au milieu du parc. Charles de Bourbon était alors mou- rant et ne put assister à la fête. Il expira le lendemain du passage du roi, et fut inhumé dans l’abbaye de Bellefontaine. On éleva plus tard en son honneur, (1) Notes communiquées par M. le marquis de Civrac. — 269 — dans l’église collégiale de Beaupréau, un mausolée portant cette épitaphe : L 2 Je fus prince du sang, de grand nom et de cœur, Qui repoussay l’effort de l'Espagnol vainqueur, Lieutenant-général, tesmoin en est la terre D’Artois et Soulonnois, qui a vu cette guerre. Cherchant un gouverneur au bas âge de roy, Les Etats assemblez s’en fièrent en moy, Et donnèrent aussy la charge principale De toute la maison à ma vertu loyale. * Les troubles j’assoupis par un accord juré Qui tant que j'ay vécu en la France a duré; J’ay eu commandement sur les belles provinces; Mais la mort qui commande et aux roys et aux princes, Après que devant moy eut ravi mes enfans, Me commande à les suyvre à quarante-neuf ans. Ma chère épouse a mis et mon corps et mes armes Reposer en ce marbre arrosé de ses larmes. Henri de Bourbon, son fils unique, était mort en 1560, écrasé par un cheval fougueux, dans un tournoi donné à Orléans (1). On grava l'inscription suivante (1) « Il arriva vers ce temps-là (20 janvier 1560), rapporte l’his- » torien de Thou, un triste accident. Henri de Bourbon, marquis de » Beaupréau, fils du prince de La, Roche-sur-Yon, qui n’avoit pas » » » » encore 15 ans, et qui, dans un âge si peu avancé, donnoit de grandes espérances, tomba de cheval. Robert de la Marck, comte de Maulévrier, qui couroit avec lui et le suivoit de près, ne put arrêter son cheval qui étoit vigoureux, et qui passa sur le corps du jeune marquis et l’écrasa. Son père et sa mère eurent bien de la peine à se consoler d’une mort si funeste, qui leur enlevoit un fils unique, et toute la cour le pleura. » — 970 — sur la tombe du jeune prince, à peine âgé de quinze ans : Voy È misère des vivans, Passant, je fus du sang de France, Qui trespassai à quatorze ans Quand plus croissoit mon espérance. Courant en lice avec le roy, Par grand malheur mon cheval tombe, Et se renversant dessus moi. Me coucha mort en ceste tombe (1). Philippe de Montespedon reçut encore Henri de Na- varre le 24 mars 1576. Elle était dame d'honneur de Entbrine de Mé- dicis : | « Sur quoy, dit Brantôme, il me souvient d’un » conte que quand la reyne-mère eut faict Madame la » princesse de La Roche-sur-Yon sa dame d’honneur, » M. le prince de Condé lui voulut remonstrer (voyre » s’en mocquer, car il s’en aydoit) le tort qu’elle (1) Charles de Bourbon avait eu, avant Henri, une fille nommée Jeanne, qui était morte quelque mois après sa naissance, et sur la tombe de laquelle on lisait cette épitaphe : ‘ Je n'ay vu que neuf mois du soleil la lumière Autant comme ma mère au ventre m'a porté Et mon âme jouit d’éternelle clarté . Et mon corps se repose au sein de la grand’mère. Je n’ay vescu que neuf mois, Princesse du sang des roys, La clarté sitost ravie Me rend éternelle vie. — 971 — s’estoit faite et à ses parens en cela, elle qui avoit espousé un prince du sang, avoir accepté cesle charge pour quasi servir de servante; à qui elle respondit qu’elle ne pensoit pas plus se faire tort en cela, ny aux siens, que luy en la charge qu’il avoit, autresfois prise de couronnel de sa belle in- fanterie et pieds puants de gens de pied, par la succession encore de deux gentilshommes qui estoient moindres que lui, comme feu Bonnivet et le vidasme de Chartres; parquoy, qu’il advisât à ses fautes, et non aux siennes, s’il y en avoit en cela pour elle : mais n’y en sentoit aucune, puisque ce n’esloit se faire tort que servir sa reyne et sa dame souverayne en une charge si honorable. Ce fut à M. le prince à se taire, combien qu’il parlast trés bien, et aussi bien et à propos, je ne dirai pas que prince, mais qu'homme du monde, et surtout qui disoit bien le mot, et se mocquoit bien et aymoit fort à rire. » La princesse de La Roche-sur-Yon mourut à Paris en 1578. On apporta son corps à Bellefontaine, où il fut déposé près des restes de son fils et de son mari. La pierre qui le recouvrait portait cette épitaphe à la fois triste et fière : Un prince J'espousai : Philippe fut mon nom, Et de Montespedon je portai le surnom. La reine m’a chérie, fiant en ma prudence De sa maison la charge et superintendance. Survivant mes enfants et mon époux aussy, Je languissois en deuil, en toùrment et SOUCY, Quand mort qui tout sépare et Lout en terre assemble, Sous un même tombeau nous a rejoints ensemble. __ 979 — Peu de temps avant sa mort, Madame de La Roche- sur-Yon avait donné Je duché de Beaupréau à l’un de ses parents, Guy de Scepeaux, seigneur de Landevy et de Mausson. Mais un autre membre de sa famille, Vauldrey de Saint-Phalle, revendiqua l'héritage, et, à la faveur des troubles civils, s'empara de vive force du château (1). (1) Les détails de ce siége sont relatés dans une sorte de procès- verbal qui nous a été conservé par J. Grandet, et que nous croyons devoir reproduire en entier: : Déclaration de tesmoins sur la prise du chasteau de Beaupréau (1590; . « Aujourd'huy vingt-troisième jour de may l’an mil six cent qua- » torze, a comparu devant nous François Cheuvrier notaire du duché » de Beaupréau et André Blereau, notaire du grand Montrevau, très noble. et discret messire Jacques Picherit, prestre et bourcier et chanoïne du collége et aumosnier de la Miséricorde des pauvres de Montespedon à Beaupréau, y demeurant ; lequel nous a requis que nous eussions À ouyr et rédiger par escript les dépositions et décla- rations que honorable homme messire Jacques Bardin et messire Pierre Bardin, mre Michel Chesnu, Mathurin Tyrandeau et mre Jacques Robin feront devant nous sur la connoissance qu'ils ont comme la ville et chasteau de Beaupréau furent pris par ceux’ du parti de la Ligue, le jour de la feste de l’Ascension, en l’année 1590, par un capitaine nommé Florencière, et avec ceux de sa suite, lesquels pil- lèrent tant ledit chasteau que la ville dudit lieu, que pour les faire sortir défunt Monsieur de la Rochepot, lors gouverneur d'Anjou, avec deffunt M. de Saint-Phalle, lors se disant seigneur du dit Beaupréau, furent contraints d'y amener une armée avec trois ca- nons, lesquels ils firent jouer contre ladite ville et chasteau, mesme contre une tour dudit chasteau, appelée la Tour-du-Trésor, en la- quelle il fut fait brèche et donné assault, tellement que ceux qui estoïent en la ville'et chasteau, se rendirent au commencement du mois d’août, audit an 1590, que tout ce qui estoit en ladite ville et >= = LA >= — 973 — Ce Saint-Phalle était un ligueur déterminé. Il bä- tonna un jour, à Angers, Du Plessis-Mornay, gouver- neur de Saumur, d’une si rude façon qu'il le laissa sur le pavé, à demi-mort. Mornay, l’un des prinei- paux chefs des Réformés, ne se bornait pas, comme on le sait, à combattre les catholiques avec son épée. Il avait des prétentions à la théologie, commentait chasteau fut exposé au pillage, emporté et ravagé par les gens de guerre, tant d’une partie que d’autre, avec les papiers, titres et en- seignements qu y restoient, et que plusieurs maisons furent brus- lées tant dedans que hors ladite ville, par les dits gens de guerre pendant ledit siége, et c’est ce pour servir au procès par-devant nos seigneurs tenant la cour de parlement à Paris, entre messire René Bargeot, seigneur et baron de Cholet, demandeur, contre lesdits bourciers, chanoines et pauvres dudit collége, deffendeurs, en ce que les dépositions et déclarations cy-après leur pourront servir pour la justice de leurs causes. » Honorable homme messire Denis Bardin, seigneur de Boujanne, secrétaire du grand conseil du roy, et restant à présent à Beaupréau, âgé de cinquante et quatre ans ou environ, enquis sur les faits cy- dessus après luy en avoir fait lecture, nous a dit estre mémoratil qu'après la surprise du chasteau et ville de Beaupréau, par le nommé Florencière qui fut du parti de la Ligue, qui fut le jour de l’As- cension en 1590, ledit Bardyn estant à Angers retournant de Tours apprist en ladite ville d'Angers ladite surprise de Beaupréau sur deffunct M. Duponceau qui y commandoit pour M. de Saint-Phalle, et comme les garnisons des places circonvoisines du party de la Ligue se rangèrent tous audit Beaupréau, environ ladite prise où ils pillèrent et volérent ledit chasteau où deffunct M. de la Fontaine, son beau-frère, hérault d'armes du roy, avoit retiré les meilleurs meubles dudit Bardin avec les siens qui y furent tous perdus; le- quel Florencière commanda audit chasteau jusqu’à quelque temps après que le sieur de la Perodière du mesme parti de la Ligue l’en mist dehors, qui y demeura et commanda avec des capitaines jus- SOC. D’AG, 18 — 974 — l'Écriture sainte, et attaquait l’enseignement de l’Église, dans des écrits injurieux et pleins de fiel, qui lui ont valu le surnom de Pape des Huguenots. Le dogme du Purgatoire lui était particulièrement odieux, et il voulait à tout prix qu’on le supprimät de la tra- dition. C’est ce qui explique -l’épigramme suivante qu'on répandit après l'aventure d'Angers : Le gouverneur armé de l’escritoire, Dans la cité d'Angers sera contraint, Ayant voulu tollir le purgatoire, Se prosterner sous le bâton d’un saint (1). Batiu et bafoué, Du Plessis-Mornay se plaignit _amérement au roi et demanda justice. Henri IV lui écrivit une de ces lettres chevaleresques et affec- » qu'à ce que ladite ville et chasteau de Beaupréau furent repris par » l’armée du roy conduite par défunt M. de la Rochepot, son gouver- » neur et lieutenant-général en Anjou, en la compagnie et assistance » de plusieurs seigneurs, entre autres de défunt M. de Saint-Phalle, » lors seigneur et jouissant dudit Beaupréau, qui y en assiégérent la » ville et furent devant avec deux canons et une couleuvrine, six ou » sept jours, et battirent ladite ville et chasteau, et entre autres une » tour dudit chasteau appelée la Tour-du-Trésor, où il fust fait brèche, » ce qu'il sait pour avoir esté en ladite armée avec ledit seigneur » deffunt de Saint-Phalle; et que ladite ville et le chasteau se rendirent » à composition, et sait qu’il y eust plusieurs maisons des faubôurgs » dudit Beaupréau bruslées, et c’est ce qu’il sait, signé Bardin; et » quatre autres tesmoins déposent la mesme chose et adjoutent seule- » ment que ce fut un soldat nommé Lafontaine Pineau qui rendit le » chasteau de Beaupréau à Florencière, auquel les garnisons de Che- » millé et de Montrevault, du parti de la Hiege vinrent se joindre. » (1) Journal de L’Estoile. — 9275 — tueuses dont sa plume avait le secret, regreltant, di- sait-il, que son titre de roi ne lui permit pas de dé- gaîner pour venger l'honneur de son ami, el Saint- Phalle fut obligé de shumilier devant celui qu’il avait si audacieusement maltraité. Voici la lettre d'Henri IV, telle que nous la trouvons dans le recueil publié par M. Berger de Xivrey : « M. Du Plessis, j’ay un extrême déplaisir de l’ou- » trage que vous avez receu, auquel je participe et » comme roy et comme vosire amy. Comme le pre- » mier, je vous en feray justice et me la feray aussy; » si je ne portois que le second titre, vous n’en avés » nul de qui l’espée fust plus preste à desguainer que » la mienne, ni qui vous portast sa vie plus gaiement » que moi. Tenés cela pour constant qu’en effet je » vous rendray office de roy, de maistre et d’amy; et » sur ceste vérité je finis, priant Dieu vous tenir en » sa garde. De Fontainebleau ce 8e novembre 1597. » HENRY. » « Je serai le vie du prochain à Blois, sans faillir, bien résolu d'apprendre les passe-pieds de Bre- » tagne. » C2 Guy de Scepeaux ne vécut pas assez pour se voir réintégrer dans les biens que lui avait légués Philippe de Montespedon. Il fut tué en 1597 dans le Poitou, en combattant, à la tête d’un corps de troupes royales, les dermiers défenseurs de la Ligue. Un arrêt du par- lement de Paris, de 1599, remit sa fille en possession — 976 — de Beaupréau. La beauté de Jeanne de Scepeaux, ses immenses richesses et sa haute naissance la firent re- chercher des plus grands seigneurs du royaume. Elle fut unie en 1608 à Henri de Montmorency, qui mou- rut si tragiquement à Toulouse, victime de l’impla- cable politique de Richeliewm Mais ce mariage ayant été dissous peu de temps après sa célébration, à cause de l’extrême jeunesse du duc de Montmorency, qui n’était alors âgé que de quatorze ans, Jeanne épousa en 1610, Henri de Gondi, duc de Retz Elle laissa deux filles, dont la cadette, Marguerite, fut duchesse ‘ de Beaupréau. Le héros aventureux de la Fronde, Paul de Gondi, encore adolescent, et cherchant par tous les scandales à échapper au projet qu'avait formé sa famille de le faire entrer dans la carrière ecclésiastique, tenta d’en- lever cette riche héritière. « Elle était très belle, » écrit-il; le teint du plus grand éclat du monde, » des lis et des roses en abondance, les yeux admi- » rables, la bouche très belle, du défaut à la taille, » mais peu remarquable, et qui étoit beaucoup cou- » vert par la vue de quatre-vingt mille livres de rente, » par l’espérance du duché de Beaupréau, et par mille » chimères que je formois sur ces fondements qui > étoient réels. » Je couvris três bien mon jeu dans le commence- » ment; j'avois fait l’ecclésiastique et le dévot dans » tout le voyage ; je continuai dans le séjour. Je sou- » pirois toutefois devant la belle; elle s’en aperçut: » je parlai ensuite, elle m’écouta, mais d’un air un » peu sévère. Comme j'avois observé qu’elle aimoit » — 2717 — extrêmement une vieille fille de chambre qui étoit sœur d’un des moines de Buzay, je n’oubliai rien pour la gagner, et j'y réussis par le moyen de cent pistoles et par des promesses immenses que je lui fis. Elle mit dans l'esprit de sa maîtresse que l’on ne songeoit qu’à la faire religieuse, et je lui disois de mon côté que l’on ne pensoit qu'à me faire moine. Elle haïssoit cruellement sa sœur, parce qu’elle étoit beaucoup plus aimée de son père, et je n’aimois pas trop mon frère pour la même rai- son. Cette conformité dans nos fortunes contribua beaucoup à notre liaison. Je me persuadai qu’elle étoit réciproque, et je me résolus de la mener en Hollande. » Toutes les mesures de Gondi étaient prises, lors- qu'un ami de la maison découvrit par hasard l’in- trigue : > A » « Mademoiselle de Retz, continue-t-il, avoit les plus beaux yeux du monde; mais ils n’étoient jamais si beaux que quand ils mouroient, et je n’en ai jamais vu à qui la langueur donnât tant de grâces. Un jour que nous dinions chez une dame du pays, à une lieue de Machecoul, en se regardant dans un miroir qui étoit dans la ruelle, elle montra tout ce que la morbidezza des Italiens a de plus tendre, de plus animé et de plus touchant. Mais par malheur elle ne prit pas garde que Palluau, qui a depuis été maréchal de Clérambault, étoit au point de vue du miroir. [l le remarqua, et comme il étoit fort attaché à Mme de Retz, avec laquelle étant fille, il avoit eu beaucoup de commerce, 1l ne manqua pas — 278 — » de lui en rendre un compte fidéle; et il m’assura » même, à ce qu'il wa dit lui-même depuis, que ce » qu'il avoit vu ne pouvoit pas être un original. » De Mme de Retz, le secret passa au père de la jeune imprudente, puis à celui de son séducteur, et Paul de Gondi, fort déconcerté, fut ramené précipitlamment à Paris. On sait toutes les téméraires entreprises dans les- quelles se jeta depuis ce singulier personnage, et Pissue de sa lutte contre Mazarin. Enfermé au château de Nantes, il s’en évada le 8 août 1654, avec le se- cours de quelques amis dévoués, et vint chercher nn refuge à Beaupréau. Cette terre appartenait alors à Louis de Cossé, duc de Brissac, qui avait épousé en 1645 Marguerite de Gondi. Le cardinal de Retz arriva au château le 9 août, à quatre heures du matin, brisé par la fatigue et souffrant extrêmement d’une bles- sure qu’il s’était faite à l'épaule, en tombant de che- val aux portes de Nantes. Le duc de Brissac était absent, et, pour plus de sécurité, Paul de Gondi, sur l'avis de la duchesse, fut conduit en carrosse dans une maison isolée et entourée de fossés que possédait un gentilhomme d’Anjou, M. de la Poëze, à deux lieues de Beaupréau. Il existe dans la commune de la Chapelle-Aubry, non loin du Pin-en-Mauges, deux terres assez rap- prochées l’une de l’autre qui appartenaient autrefois à la famille de la Poëze : la terre de la Jousselinière et celle de la Poëze. C’est au château de la Jousseli- niérè, dont M. d'Andigné de Lancrau est aujourd’hui propriétaire, que le cardinal de Retz vint se réfugier. — 979 — Ce château, construit vers la fin du xve siècle ou dans les premières années du xvie, devait être vaste et imposant; mais il a été incendié pendant la Révo- lution. Il ne reste plus actuellement que quatre tours, dont une seule habitable, une charmante tourelle en briques, une petite chapelle enveloppée de lierre et quelques pans de murs tout noirs de fumée. Le pignon oriental de la chapelle est percé d’une jolie fenêtre flamboyante, et les murs portent encore à l’intérieur les traces des peintures dont ils étaient couverts : on distingue un gigantesque saint Christophe, un saint Antoine, un évêque et un docteur de l'Eglise. Vers le milieu du jour, Retz reposait sur un lit, dans la maison de M. de la Poëze, lorsque le con- cierge vint lui dire, tout effaré, qu’il avait cru voir rôder, autour de la maison, des gardes du maréchal de la Meilleraye, gouverneur de Nantes. Le cardinal inquiet demanda s’il n’y avait pas un lieu où il pût se dérober à leurs recherches. On le fit descendre par une trappe dans un caveau froid et humide qui exis- tait sous l’une des tours, et il demeura là pendant plusieurs heures, assis sur une mauvaise chaise de paille, en compagnie de Joly, l’un de ses plus fidèles partisans. À onze heures du soir, perdant patience, il voulut retourner à Beaupréau, et partit à cheval, mal- gré les douleurs aiguës qu’il ressentait, escorté de Joly et de M. de la Poëze. Mais à peine avaient-ils fait une lieue que le cardinal poussa de grands cris, en disant qu'il lui était impossible d’aller plus loin. M. de la Poëze chercha vainement une voiture dans les villages voisins, et l’on fut réduit à cacher le cé- — 280 — lébre fugitif dans une meule de foin, au centre de laquelle on arrangea une sorte de petite cellule. Il y resta depuis huit heures du matin jusqu’à cinq heures du soir. M. de la Poëze vint enfin le retrouver, à l’ap- proche de la nuit, avec un équipage de plusieurs chevaux, et le ramena à Beaupréau où l’attendait le duc de Brissac. Le cardinal, couché dans un carrosse matelassé, très confortable, fut transporté pendant la nuit, à Montaigu. Plus de trois cents gentilshommes se pressaient autour de sa voiture et une foule de valets éclairaient sa route avec des torches. De Mon- taigu, il se rendit à Machecoul, puis à Belle-Ile, d’où il s’'embarqua pour l'Espagne (1). Marie-Marguerite de Cossé, fille du duc de Brissac et de Marguerite dé Gondi, porta Beaupréau dans la maison de Neufville-Villeroy, par son mariage avec François de Neufville, maréchal de France. C’est à cette famille qu'appartenait le château, lorsque M. l'abbé Cholet jeta, en 1710, les fondements d’un collége qui a joui, avant 17992 et après 1815, d’une assez grande réputation, et dont M. l’abbé Bernier, chanoine de la cathédrale d'Angers, a publié, il y a quelques années, une si fidèle et si spirituelle his- toire. En 1737, la terre de Beaupréau fut vendue par le duc de Villeroy, petit-fils du maréchal, à Jacques Bertrand de Scepeaux, lieutenant-général des armées du roi. Celui-ci la laissa à ses deux filles, la maréchale d’Aubeterre et la comtesse de la Tour-d’Auvergne. M. le marquis de Durfort de Civrac la possède aujourd’hui. «< (1) Voir les mémoires de Guy loly et ceux du cardinal de Retz. — 9281 — Le général républicain Gauvilliers occupait Beau- préau en 1793; lorsque d’Elbée et Cathelineau vinrent attaquer cette ville, le 22 avril, à deux heures de l'après-midi. Uné artillerie redoutable défendait le pont construit sur l’Evre, et les Vendéens ne purent s'en emparer. Ils franchirent la rivière à l’aide de madriers, un peu au-dessus du château, et se jetérent sur l’ennemi avec la même fougue qu’à Jallais et à Chemillé. Les républicains, malgré l’intrépidité dont ils firent preuve, essuyèrent une sanglante défaite, et perdirent huit pièces de canon dans l’action. Le même jour, et presqu'au même instant, Bonchamps rem- portait une brillante victoire à la Chapelle-du-Genêt. Le 17 octobre 1793, après les batailles de la Trem- blaye et de Cholet, dont l'issue fut si fatale aux armes vendéennes, les généraux Beaupuy, Haxo, Chabot et Westermann partirent à dix heures du soir des hau- teurs de Pégon, où ils étaient campés, pour marcher sur Beaupréau. Le ciel était pur et la lune éclairait- leur marche. Ils traversèrent en silence le bourg du May, gagnèrent les landes d’Andrezé, et arrivèrent devant Beaupréau, à une heure du matin. Les Ven- déens se préparaient alors à effectuer le passage de la Loire, et la ville n’était gardée que par un petit nombre de paysans découragés qui ne purent faire une longue résistance. Beaupréau fut évacué et les républicains s’y établirent (1). Vers midi, ils virent (1) « La prise de Beaupréau, écrivait Beaupuy au général en chef, » a complété la journée de Cholet. C'est à une heure après minuit que » nous sommes arrivés devant le château. La position avantageuse » des postes avancés, le canon d'alarme, tout annonçait de la résis- — 282 — arriver, par la route de Saint-Florent-le-Vieil, quatre ou cinq mille de leurs compagnons d'armes, poussant de joyeuses acclamations : c'étaient les prisonniers rachetés par le dernier soupir de Bonchamps (1). La ville de Beaupréau avait été témoin des pre- miers succès de l’armée catholique; elle devait être associée à tous ses désastres. Les colonnes infernales lenvahirent en 1794, et le général Cordellier défit sous ses murs, le 14 février, les bandes vendéennes qui étaient venues assaillir ses avant-postes du côté de la Poitevinière et de Montrevault. Les royalistes firent des pertes nombreuses, et la jeune comtesse de Bruc resta sur le champ de bataille. « La fusillade, » écrivait Cordellier à Turreau, a commencé à neuf » heures du matin, et a continué, de notre part, jus- » qu’à quatre heures du soir. Plus de cent cinquante » des ennemis se sont noyés dans la rivière de l’Evre, » ainsi que dans celle de la Sanguëze qu’ils ont pas- ‘» sée à La Chaussaire. Si la nuit n’était pas survenue, » je serais encore à leur poursuite. » ALBERT LEMARCHAND. » tance. Arrivés au débouché et vis-à-vis le pont, nous avons été » accueillis par un coup de canon chargé à mitraille : quoique cou- » verts, il a cependant ralenti notre marche. Aussitôt j'ai ordonné » aux tambours de battre la charge; mais ils avaient disparu. Alors » mettant pied à terre, ainsi que Bloss et Savary, nous avons tous » couru Sur ce pont aux cris de : Vive la République, et'avec tint de » vivacité, que les canonniers ont pris la fuite sans faire feu. Moulin » à poudre, munitions de toute espèce, farine, voilà notre conquête; » des prisonniers dont nous avons brisé les fers, et qui ne cessent de » bénir la République, voilà notre récompense. » (1) Savary, Guerres des Vendéens et ‘des Chouans. LA PESTE ET LA POLICE DE LA SANTÉ ANGERS, 1589-1584. Tout événement qui s'attaque à la vitalité d’une population doit mettre en relief les principaux traits du caractère. Les actes de dévouement et de courage, le sang-froid dans le danger, les défaillances même si naturelles à la peur, nous montrent la valeur mo- rale; puis, si le fléau persiste, toutes les mesures qu’on lui oppose, la lutte publique ou privée, avec les secours et les obstacles qu’elles rentontrent dans l'état de la science et la nature des institutions, ré- vèlent le degré de culture intellectuelle et physique, et, pour ainsi dire, le niveau de la civilisation C’est à ce litre que parmi les faits auxquels des études spé- ciäles et limitées ont borné nos recherches sur l’his- toire de l’Anjou, la peste, malgré son nom lugubre, nous à paru digne de quelque intérêt. — 9284 — L’épidémie qui sévit sur diverses parties de l’Eu- rope, de 1580 à 1600 , et reparut jusqu’à huit fois dans les mêmes régions, fut, pour quelques villes de France, el notamment pour Angers, l’occasion de mesures générales qui finirent par acquérir force de loi sous le nom de Règlements de la santé. Nous es- saierons de suivre le développement et les motifs de ce monument de l’hygiène publique au xvie siécle, au milieu des événements locaux, des noms angevins trop tôt oubliés, dont les Archives de l’'Hôtel-Dieu et les Conclusions de l’'Hôtel-de-Ville nous ont conservé la trace. Dans le dernier tiers du xvre siècle, la peste appa- raît souvent en France; mais elle semble se borner aux régions que des relations suivies avec le Levant mettent sans cesse en danger de contagion; et tandis que Lyon est maintes fois décimé, Angers, protégé par sa situation intérieure, agité d’ailleurs par les luttes politiques, entend à peine l’écho de ce désastre lointain (1). . Tout à coup (septembre 1582) un bruit sinistre se répand dans la ville : Nantes est infecté de la conta- gion, les morts y sont enterrés de nuit, les malades y encombrent le Sanitat, les riches se retirent aux champs; mais les paüvres, bannis par ordonnance de police, refluent dans les campagnes ; peut-être vien- dront-ils jusqu’à Angers, et avec eux, les charges, l’en- combrement, la disette, et plus encore : la contagion! Le vendredi 17 septembre 1859, le maire, les éche- (1) Ozanam, Histoire des épidémies, t. 1v, p. 14. — 285 — vins, les députés des chapitres, le lieutenant-général et le lieutenant-criminel sont assemblés à l’'Hôtel-de- Ville; plus d’une question importante doit être traitée; mais tout s’efface devant les tristes nouvelles de Nantes et la menace du fléau. Le maire en est instruit; mais il sait aussi qu’une police sévère a été opposée au mal et semble déjà borner ses ravages ; des mesures vont être prises dans le même sens, et l’on commence par une sorte de cordon sanitaire. L'entrée de la ville est réduite à deux portes, une de deçà et une de delà la Maine, et trois députés préposés à chacune d’elles doivent « veiller à l’exclusion des pauvres estrangiers » cayements (1), valides et invalides et infectez, pour » que la contagion des lieux voisins n’apporte pré- » judice.» Ce moyen semble suffisant pendant six semaines ; mais le danger approchant toujours, la vigilance du maire et des échevins provoque de nouvelles mesures. On confirme d’abord (30 octobre 1582) la réduction de l’entrée de la ville à deux portes bien gardées et ouvertes alternativement, et si l’on en accorde une troisième, la porte Toussaint, à l’usage exclusif des ecclésiastiques, ce n’est qu'à la condition « qu'ils y » fassent garde.» Trois jours plus tard (3 novembre), on porte à sept le nombre des députés chargés de la surveillance des portes, et l’on exclut les pauvres étrangers et autres, non plus seulement de l’entrée en ville, mais « même » de la remence ès-faulxbourgs (2).» (4) Ailleurs : quaiements, sans doute quémandeux, mendiants. (2) Conclusions de l'Hôtel-de-Ville. — 286 — Cette rigueur du séquestre réduisait les pauvres, chassés de leur ville et exclus des autres cités, à errer dans les campagnes où ils portaient le pillage plus encore que la contagion. Toutefois la charité publique cherchait à tempérer cette misère, et, dans les Con- clusions du 30 octobre, « les Pères des pauvres sont » avertis faire donner l’aulmosne aux pauvres pas- » sants.» Angers ne les chassait donc point sans pitié, mais seulement après les avoir secourus. La même prévoyance et la même charité s’appli- quent à la police intérieure. La mendicité, qu’on avait plusieurs fois déjà tenté d'interdire, était, par les ha- bitudes peu hygiéniques des mendiants, leurs allées et venues d’une maison à l’autre ou leurs rassemble- ments dans les lieux publics, un puissant auxiliaire de la contagion. Pour empêcher donc « qu’ils n’aillent » par les rues, les Pères de l’aulmosne (qui seront » plus tard les administrateurs de l’hospice général), » sont invités à se réunir pour adviser aux moyens » de faire secourir les pauvres et de les nourrir à » domicile.» En même temps les rues seront nettoyées « par » chacun au droict soi; » aucun objet pouvant la souiller ne sera déposé sur la voie publique, et, pour changer plus vite des habitudes invétérées, une amende de dix écus, ou même la prison menace les récalcitrants. Tant de soins et d’efforts ne furent point perdus, et l'hiver, temps ordinairement peu favorable au déve- loppement des maladies contagieuses, vint avant que la peste ne se fût manifestée dans nos murs. L'année 1583, la seconde de la mairie de François — 987 — Bitault, se présentait sous des auspices favorables. Déjà, le lundi d’après Pâques-Fleuries, le receveur de l’Hôtel-Dieu avait pu rendre ses comptes sans qu'aucune des nécessités de la contagion vint en ag- graver la dépense. Au 4er mai, Jehan Jollivet, l’aîné, et Jehan Tard, marchands et bourgeois d'Angers, avaient été nommés « maîtres de l’Hostel-Dieu; » ils allaient compléter, avec Jehan Chotard et Gabriel Cochelin, cette admi- nistration paternelle et active que nous verrons aux prises avec de dures nécessités. Qu’on nous permette donc de rappeler en quelques mots la salutaire influence de ces administrateurs laïques chargés depuis peu de temps encore de la di- rection de l’'Hôtel-Dieu. En 1548, un arrêt du parlement ordonne que les échevins nommeront de bons bourgeois et marchands pour administrer les revenus de l’Hôtel-Dieu, et en- lève le temporel aux religieux qui en avaient abusé (1). Depuis ce temps, malgré des contestations sans nom- bre et d’interminables procès, les maîtres administra- teurs avaient accompli de nombreuses et d'importantes réformes. Après l'établissement d’un receveur placé dans des conditions semblables à celui des deniers de la ville (1559), les religieux Augustins ne sont plus que des aumôniers chargés, moyennant une forte rétribution, du service spirituel des malades et de tous les offices fondés par les bienfaiteurs. Le service temporel des (1) Conclusions du 3 novembre 1582, . — 288 — pauvres obtient alors une plus large part; dès 1550, le barbier, autrefois exclusivement chargé des ratures des religieux, et parfois de faire le poil aux pauvres malades, voit ses gages augmentés de 10 livres (1), mais à la condition de #nédicamenter les pauvres de l'hôpital. En 1553, un médecin ordinaire est institué aux gages de 30 livres; il est en même temps chargé d'enregistrer les noms des pauvres à leur entrée. Dés lors le chirurgien devient son subordonné; «il ne » doit plus médicamenter, mais panser les ulcères » et playes des pauvres, iceux saigner ês-cas ,s’y » offrant, par ordonnance de médecin.» Enfin, en 4557, un apothicaire vient compléter ce service régu- lier. Trois ans plus tard, 1560, apparait l’origine du service aujourd’hui si important de la maternité. On tronve mention « d'argent baillé pour les gezines d’aul- » cunes femmes non mariées relevées audict Hostel- » Dieu (2).» Cependant la peste n’a pas encore paru dans Angers, mais elle continue au-dehors; les villes du littoral de la Loire l’ont vue se réveiller au printemps, et dans chacune d’elles un hôpital spécial, un Sanitat reçoit les pestiférés. Pourvoir la ville d’un pareil établisse- ment qui permettrait de confiner la maladie et de borner ses ravages, telle est la préoccupation qui do- mine dans les assemblées du 13 et du 20 mai. La closerie de Fils-de-Prêtre (3), bénie dans ce but dès (4)-Voir le Recueil des Priviléges de la ville d'Angers. (2) Ils étaient auparavant de 4 livres. (3) Comptes du receveur de l’Hôtel-Dieu, 1553-1560 (Archives du département). — 9289 — l'année précédente, n’a sans doute plus paru conve- nable, car « on propose de bastir et construire une » maison et Hostel-Dieu pour y retirer les malades de » contagion.» Une pareille mesure est grave, et ne peut être arrêtée d'emblée, car il faut « obtenir les » ordonnances faictes en la chambre du conseil par » Monsieur le lieutenant-général et les conseillers de » ce siége présidial, » obtenir surtout des manants et habitants un avis favorable et peut-être une levée de deniers ; tel est le but de la réunion du 20 mai, qui n’aboutit pourtant qu’à cette conclusion un peu vague : « En cas de péril de trouver maison pour » mettre les malades, on advise d’en bastir une.» L'administration municipale est plus pratique et plus prévoyante. Tandis qu’elle « faict à nouveau def- » fences à tous habitants de la ville de n’aller dans la » ville de Nantes, » elle ne se contente plus de faire netioyer les rues et d’envoyer des tombereaux pour enlever les immondices; pour assainir à forfait, on presse le pavage, on poursuit les récalcitrants, on en- courage, par une contribution de moitié, les habitants qui veulent faire paver devant leurs maisons. Cent écus, prélevés sur la Cloison, ont déjà été absorbés par cette salubre dépense (1). (1) Des précautions plus prochaines sont prises : « Six chayses à » porteur, garnies de bastons, sont payées pour servir aux malades » Si la nécessité se présente, » et les comptes ne nous laissent ignorer ni le nom du serrurier Alexandre Coubart qui les a « ferrées moyen- nañt un escu dix sols, » ni celui du menuisier Claude Janvier qui pour dix écus deux livres en a fourni le bois et la façon. Comptes du receveur des deniers communs, année 1583 (Arch. de l'Hôtel-de-Ville). SOC. D’AG. : 19 — 990 — Eloigner les causes de maladie, séquestrer la popu- lation valide, n’est point assez en temps d’épidémie ; il faut aussi un abri, des soins surtout aux malheu- reux qui en sont frappés. Mais ici quels obstacles n’offre pas le caractère con- tagieux de la maladie : c’est la peste, la terrible peste qui menace ! Approcher les malades, bien moins, les regarder, ne pas les fuir assez vite ou d’assez loin, suffit pour s’attirer la mort! Qui donc osera les soi- gner, vivre au milieu d’eux, panser leurs plaies in- fectes ? Nantes, qu'on cherche tant à imiter, vient d'offrir un triste exemple. Julien Pesche, le médecin du Sanitat depuis treize ans, a été frappé par la ma- ladie de 1582 (1); il vient de succomber à sa noble tâche, et pas un de ses confrères ne veut le rempla- cer; les 20 écus d’or par mois offerts à leur ému- lation ne les sauraient faire sortir de leur prudente réserve, et à peine, en les soldant d'avance, a-t-on rencontré, pour cette énorme somme, un apothicaire- chirurgien. Des médecins, il en faut parler moins en- core ; aucune somme ne les pourrait déterminer à risquer leur docte personne ; trop heureux si les pes- tiférés trouvent un garcon barbier qui gagnera mai- trise en les soignant quatre années, si Dieu lui prête vie !.. Désolante faiblesse à laquelle pourtant il ne faut point trop se hâter de jeter le blâme; la terreur, plus encore que la peste, est contagieuse, et ceux qui enseignaient ou lisaient chaque jour que le seul re- mède à la peste était le cilo, longè, tardè, ceux-là qui (1) Recherches sur les épidémies qui ont régné à Nantes, par le D: Leborgne , Nantes, 1853. — 991 — voyaient tout audacieux dévouement finir par la mort douloureuse du pestiféré, comprenaient trop le dan- ger pour ne pas songer à leur propre conservation. Il est un motif plus puissant encore. La mort eût pu être acceptée; mais comment accepter la vie im- posée aux médecins des pestiférés? L'idée exagérée qu’on avait alors de la contagion, la rigueur des qua- rantaines, faisaient à tous ceux qui avaient fréquenté les malades un sort effroyable et en dehors des con- ditions humaines. On les fuyait plus qu’une bête féroce; plus de serviteurs, de parents, d’amis qui voulussent communiquer avec eux; ce n’élait qu’au bout d’une longue gaule, à travers une porte entrebâäillée, qu’on leur passait une nourriture officielle. Eux-mêmes de- vaient aller au-devant de ce douloureux isolement ; vêtus des livrées de la mort (1), iis ne sortaient qu’a- vec la grande verge blanche garnie de deux sonnettes de laiton qu’il fallait sans cesse agiter; enroués, épuisés à crier : « Place! place! » ou « Tirez! tirez! » ils ne pouvaient écouter un mot d’affection ou d’encoura- _gement. La largeur d’une grande charrette était la moindre distanceà laquelle ils pussent s’approcher du peuple, et avec quelles précautions! Les lieux de prière, celte source incessante du courage, leur étaient interdits, et au moindre oubli, à la moindre infrac- tion, il leur fallait craindre la vengeance barbare des rêglements, ou la vengeance plus cruelle encore d’une foule ameutée par la peur (2). (1) La casaque noïre à grande croix blanche devant et derrière. (2) Voir les réglements de la police de Nantes en 1582. Dr Leborgne, ouvr. cité. « — 292 — Pour soutenir un rôle autant en dehors de l’huma- nité, il fallait puiser ses forces au-delà des sources humaines ; il fallait aussi cette estime de soi-même et des autres qui donne le sentiment de la dignité et du devoir. Mais la médecine alors n’était réputée qu’une profession, la chirurgie qu’un métier; elles sont un sacerdoce. Le sacerdoce, hélas! n’était pas toujours lui-même une garantie suffisante... Mais n’anticipons pas; les médecins et chirurgiens d'Angers n’eurent d’ailleurs pas besoin d’être excusés. Dans cette assemblée du 20 mai, deux chirurgiens s’offrirent spontanément. Ils demandent, j'en conviens, qu’on les appointe de bons gages; mais il faut bien vivre, quand même on se dévoue, et quelques écus laissés aux siens, pour prix de la vie, n’empêchent pas celui qui s’avance, avec la conscience du danger, d’être un généreux cœur. Nos chirurgiens angevins méritent d’ailleurs de nous : arrêter à plus d’un titre; ce ne sont point de jeunes garçons légers d'argent et de science, et fourrés d’am- bition; moins encore de pauvres barbiers sans clients ni boutique, ignorants et cupides; ce sont deux maï- tres jurés renommés en la ville ; ils ont garçons alertes et clients nombreux; au-devant de leur boutique ou- verte est l’enseigne peinte aux armes de la corpora- tion-(1), et au-dessous de la devise latine : Oculoque à (1) Les chirurgiens d'Angers avaient pour écusson : trois boîtes d’or, deux en chef, une en pointe, avec fleur de lys en abîme sur fond d'azur. à — 9293 — manuque, pend le bassin de cuivre effaçant de son éclat le bassin d’étain du simple barbier. Le premier est presque un savant; depuis que Paré a publié sa grande chirurgie en français, il a lu et profité; mais il eût pu lire les {nslitutiones Tagautu, car il sait le latin, son fils saura le grec, et son petit- fils, qui sera d’Eglise et docteur en Sorbonne, fera des vers dans Ja langue d'Hippocrate et d'Homère. Il fait mieux que de lire, il observe et recueille, et comme les batailles du dehors et les émeutes de la rue lui ont fourni mainte plaie à brûler ou panser, mainte balle à extraire, maître Jullian Gendry a publié, lui aussi, un Traicté des harquebuzades (1). Le second est de race, et s'appelle François Giffard Je jeune, par opposition à François Giffard, son père ou son oncle, qui était chirurgien ordinaire de l’Hôtel- Dieu, en 1575, et travaillait avec Desnouault, Des- nouault qui, à l'instar du médecin d'Henri IV, gentil- hommaïit la chirurgie (2), « il couppoit les jambes aux » pauvres, quand il étoit de nécessité, et déclaroit ne » rien vouloir prendre (3).» Voilà les hommes qui s’offrent à traiter les pesti- férés. Gendry médite un traité de la peste, que son fils nous donnera plus tard. Giffard est plus positif; il espère la place de chirurgien ordinaire, naguère occupée par Giffard l’aîné, et rêve sans doute d’oppo- ser la dynastie des Giffard à la dynastie déjà réputée (1) Voy. Ménage, Histoire de Sablé, manuscrit de la Bibliothèque d'Angers. (2) Mot d'Henri IV au médecin Delorme. (3) Comptes du receveur de l’Hôtel-Dieu pour 1575. — 294 — des Garnier. Mais tous deux croient qu’il faut traiter les malades hors dela ville, et, précédant de vingt ans la fondation exécutée par la sagesse et la fermeté de Puychairic, ils supposent que les malades seront transportés à la Papillaye. Tel est l’état des mesures et des esprits au com- mencement de juillet 1583. Alors une triste rumeur circule ; ce n’est plus à Nantes, ni même dans les cam- pagnes de l’Anjou, c’est dans la ville même qu’on à vu la contagion. Les prêtres en ont transmis la nou- velle à l’archidiacre et au doyen, les sergents l’ont annoncée à la mairie, le corps de ville s’assemble chaque jour, et, quelque précaution qu’on prenne, il devient évident, par les communications incessantes échangées entre la mairie, le clergé, le présidial et la prévôté, que la nécessité est urgente. Le projet des principales mesures est arrêté dans la séance du vendredi 15 juillet; mais leur exécution demande la coopération de tous les corps constitués, le concours pécuniaire du clergé, et surtout une le- vée de deniers ou un emprunt municipal; telles se- ront les importantes questions soumises à l’assemblée générale du lundi suivant. Le dimanche 17 juillet 1583 fut un jour de grande émotion pour la ville d'Angers; groupés sous les ga- leries ou dans les cimetières qui avoisinaient les égli- , les paroïssiens se contaient à voix basse leurs ions ou leurs tristes nouvelles. On disait que la contagion pullulait en cette ville; on citait, en les commentant, les exagérant même, les quelques cas bien connus. Les plus. incrédules allaient être con- — 9293 — vaincus d’ailleurs par le prône où leur serait faite l'invitation du corps de ville. En effet, les curés, montant en chaire dans cha- cune des églises, annoncèrent que les paroissiens au- raient à se réunir à l’issue de la grand’messe, pour procéder à l'élection des députés. Ceux-ci étaient convoqués pour le lendemain, à huit heures du ma- tin, et devaient avoir «pouvoirs pour adviser à la po- » lice qu’on tiendra en ce temps de contagion, et » dire s’il seroit trouvé bon qu’on empruntât à intérêt » les deniers nécessaires pour subvenir aux besoins » du service des malades, etc. (1). » En faisant remarquer ces relations de l’adminis- tration municipale et paroissiale, ce groupement par paroisses, ce vote à deux degrés, ce prône enfin qui était le moyen et l’organe légal de la publication of- ficielle , qu'on nous permette d’ajouter que dans le cas actuel, ce moyen de publicité avait de graves in- convénients. Il livrait à tous les esprits, à toutes les imaginations et tous les commentaires la nouvelle du danger ; il avertissait, mais il effrayait plus encore; il frappait la foule où les esprits faibles dominent, où la frayeur est contagieuse, et le découragement si per- nicieux en temps d’épidémie devait suivre souvent cette brusque et maladroite révélation. Quoi qu’il en soit, les paroisses nommèrent leurs députés ordinaires, gens de sens et d'autorité pour la plupart. La séance générale eut lieu le lendemain, et dans cette assemblée délibérante où chacun apporte son (1) Conclusions du 15 juillet 4583. Archives de l’Hôtel-de-Ville. — 296 — caractère et ses habitudes , on distingue tout d’abord deux partis bien tranchés : l’un des ardents et des zélés, qui veulent qu'on bâtisse, qu’on lève des de- niers, et sans se préoccuper ni du temps ni des dif- ficultés de fond et de forme; l’autre, des timides et des conservateurs qui temporisent et marchandernit , trouvent les greniers de Saint-Jean assez bons pour les malades , et l’'Hôtel-Dieu assez riche pour suffire à tout. Puis sur ce fonds d’idées communes, chacun opine à sa manière : les députés ont chacun un pro- jet, les avocats discutent, le procureur-général de l'Université fait un discours , beaucoup sont de l’avis du dernier opinant ou attendent une majorité pour se prononcer; enfin les magistrats rappellent tous et chacun à la légalité et aux formes usitées, et l’on se sépare après nomination d’une commission, véritable pouvoir exécutif chargé de lever les deniers , régle- menter le service sanitaire et organiser la police (1). Tandis qu’on délibère, le fléau marche, et les ma- lades (19 août) en attendant qu'on leur ouvre un asile spécial, affluent à l’Hôtel-Dieu. Les lits se rem- plissent de pestiférés; bientôt ils seront insuffisants , et il faudra y ajouter tous les lits des pélerins et pauvres passants dans les aumôneries de Saint-Michel et de Saint-Jacques-la-Forest (2). (1) La réunion générale du 18 juillet 1583, qui relate d’ailleurs un grand nombre de noms angevins, présente un curieux spécimen de délibération municipale au xvie siècle. Son procès-verbal, conservé presqu’entier par le registre des Conclusions, a fait avec d’autres ex- traits l’objet d’une communication à la Société impériale d'agriculture» sciences et arts et se trouve imprimé à la suite de cette notice. (2) La même que l’aumônerie de Fils-de-Prêtre citée plus haut. — 997 — Au dehors tout est zèle chez les pères administra- teurs ; ils sollicitent le clergé, font convoquer les pa- roisses, provoquent les conclusions de l'Hôtel-de- Ville, animent les magistrats, el cependant anticipant généreusement sur les votes, les contributions et les recettes, ils dépensent et engagent pour parerà la né- cessilé présente. Au-dedans, quelle activité ! Maître Simon Poisson , l’apothicaire de l’Hôtel-Dieu , a doublé le nombre de ses aydes, et ce n’est point pour préparer ces fines dragées qu’on offre en présent aux princes et aux gouverneurs (1), et dont Catherine Dodynet, sa femme, gardera longtemps le secret, mais pour distiller les alexitères, piler les épithèmes, cuire les onguents que Loys Aycard, premier compagnon de la boutique, distribuera aux garçons de Giffard ou de Gendry. Ceux-ci, dignes serviteurs d'aussi braves maîtres, font boire les cordiaux, fomentent et frictionnent pour cor- roborer les parties nobles, appliquent les onguents ou les cataplasmes longuement et étrangement com- posés, puis aident respectueusement le maître dans la cautérisation des bubons-et des bosses ou l’incision des aposthèmes (2). Nous voudrions n’avoir à signaler que ces traits de dévouement et de courage; mais la vérité historique nous force à joindre à ce tableau les défaillances de la peur. Les religieux Augustins, privés depuis vingt ans du (1) Voir dans le registre des Conclusions les étrennes affectées à M. le duc de Brissac, 1584. (2) Voir Ambroise Paré, Traité de la peste. — 998 — temporel de l’Hôtel-Dieu, sont demeurés administra- teurs du spirituel , et touchent pour ces utiles fonc- tions près de la moitié des revenus; cependant les pauvres pestiférés ne les ont point vus à leur chevet, ils ne les visitent ni ne les encouragent, et plusieurs sont morts sans confession. -Renfermés au prieuré, ils s’isolent et se cachent pour rédiger « une requête » tendant à ce qu’il leur soit permis quitter la place > et se retirer loin du foyer de contagion. » Lorsque le sénéchal d'Anjou , auquel elle était adressée, transmit cette lâche demande à l’Hôtel-de- Ville, ce fut un tolle général; on la trouva inciville el contre le debvoir (1). Le maire et les échevins comparurent devant le sé- néchal, recoururent à l’évêque , et défenses furent faites aux religieux, de partir et d'abandonner à mal- heur et scandale l’office pour lequel ils étaient ins- titués et fondés. Ce fut donc de par le sénéchal et sous la coulpe de l’official que les pauvres malades reçurent les sacrements. Dieu sans doute y multiplia les grâces et les consolations intimes pour compenser la charité bannie du cœur et des paroles de nos reli- gieux. ë Quand la terreur produit de pareilles défections, comment blâmer trés haut la prudente réserve de messire Jullian Boishineux et de ses aides qui, après deux mois d'efforts et de soins, résilient modestement leur traité, et renoncent à l'honneur, aux appointe- ments, mais aussi à la charge de médecins de l’Hôtel- Dieu ? (1) Conclusions du 19 août 1583. — 999 — Boishineux était depuis six ans en possession de ces fonctions enviées ; il ne recevait, comme ses pré- décesseurs, que les modestes gages de 50 livres ; mais il avait de jeunes médecins, des chirurgiens, des apo- thicaires sous ses ordres, et s’élait fait ce que nous nommerions aujourd'hui une belle position. ° Il savait, comme nous dit Ambroise Paré , que « ceux qui ont marque d’avoir été constitués à panser » les pestiférés, tout le monde après les fuit comme » la peste, et ne sont plus appelés à l'exercice de » leur art. » Donc pour conserver sa clientèle, au- tant que pour sauvegarder sa docte personne, il dépose entre les mains des pères administrateurs une renon- clation en bonne et due forme. Il n’encourut pas moins déchéance dans V esprit des maire et échevins ; les comptes et les conclusions qui Jusque-là le qualifiaient de messire, ne lui donnent plus que le nom de maître, et malgré le bonnet dont la doctissime et très salubre Faculté d'Angers l’a ho- noré , maître Jullian Boishineux est tombé dans l’es- time publique au rang d’un simple barbier. Nos magistrats municipaux semblent en celte cir- constance avoir mis à profit les excellents avis d’Am- broise Paré dont le Traité de la peste arrivait à cette époque (1583) à sa quatrième édition (1). Is ne firent point, comme généralement ailleurs , « proclamer par son de trompette (pour avoir bas » marché de mauvaise marchandise) , qu’ils feroient . » donner titres et brevels sans épreuves; » ils n’em- (1) 1568, 1575, 1579, 1589. — 300 — ployérent ni promesses ai violences ,.ni menaces de chasser de la ville les médecins refusants ; mais sa- chant combien ceux qui ne meurent à la peine, sont exposés « de tomber, puis après, en tel désastre de » pauvreté qu'ils craignent cent mille fois plus que » la peste, ils veulent eslire gens de bien, et donnent » pension honnête, non-seulement pendant la néces® » sité, mais pour l’avenir. » | Aussi Boishineux n’avait pas quitté le combat, que François Le Thielleux était sur la brèche; lui aussi est docteur en médecine , et personne ne bronche à l'appeler messire ; avant tout il entre en fonction, et déjà depuis huit jours, il saigne, médicine et purge, lorsque (26 septembre) le traité officiel et le serment viennent ratifier ses devoirs et ses droits. « 33 escus » un 1/3 de gaiges ordinaires pour l’année, et cin- » quante escus par moys de gaiges extraordinaires » pendant la contagion , » telle est la rémunération assurée par l’Hôtel-Dieu et par la ville; mais aussi « Le Thielleux, présent à l'assemblée, a pris fez et » charge, promis de se acquitter fidellement et faire » son debvoir de bon médecin tant le temps de con- » tagion quehorsiceluy, envers tous mallades qui se- » ront audict hospital. » Le serment est prononcé, et la signature apposée d’une main ferme; les pauvres pestiférés sont donc assurés d’un consciencieux et sa- vant secours médical. Ils n’en jouirent pas longiemps, et la peste se char- gea d’excuser les timides en mettant le sceau au dé- vouement de Le Thielleux. Avant 1584, il avait payé sa dette à l'humanité et à l'honneur du corps mé- — 301 — dical un peu terni par son trop prudent prédéces- seur. | L’appropriation des grands greniers de Saint-Jean, avec des précautions hygiéniques bien entendues, l’or- ganisation d’une police spéciale de la contagion, le ‘vote de « 600 escus à égailler sur les manans, » une contribution de 100 livres offerte par le clergé, telles sont les affaires importantes qui occupent la muni- cipalité pendant le reste de l’année 1583. Nous les retrouverons toutes reprises à nouveau avec plus de suite et de détail à propos de l'épidémie qui reparut l’année suivante. Pendant ce temps, la peste multiplia ses victimes; elle décima les pauvres, mais frappa plus d’un personnage placé à la têle de la société. Le plus célèbre fut Pierre Breslay, chantre de l’é- glise d'Angers. Le zélé promoteur de ce concile, que la peste fit transporter de Tours à Angers, puis d’An- gers à Tours, ne fit pas seulement, comme l’apprend Roger, « briller ses lumières et sa doctrine; » c’est lui dont la parole est le plus écoutée à l’Hôtel-de- Ville, c'est lui qui obtient par ses instances et son énergie les contributions du clergé; son ardente cha- rité suffit à tout : prêtre auprès des malades, théolo- gien au concile, commissaire à l’Hôtel-de-Ville, sage et ferme conseil à l'hôpital et aux assemblées du cler- gé, on le rencontre partout où la religion, la charité, la science , peuvent profiter de son savant et saint ministère. Tant d'efforts méritaient une récompense. Le prieur de Chemillé reçut celle des braves et des saints; il mourut sur la brèche, emporté par la con- tagion avant la fin du concile, laissant pour impéris- — 302 — sable héritage à tous l'exemple de ses vertus, et à sa ville la gloire d’un caractère où la grande science.est relevée par un grand cœur (1). Ce fut comme l’adieu du fléau ; l'hiver venant ra- lentit les progrès du mal; pendant toute sa durée la peste sembla sommeiller; malheureusement l’été de : 1584 lui donna l’occasion d’un terrible réveil. Extraîts des registres dés Conclusions de l'Hôtel-de- Ville d'Angers. Messieurs, Lorsque vous me fites l’honneur d'admettre à l’ordre du jour de quelques-unes de vos séances mes re- cherches sur l’épidémie de 1583-84, je m’attachai à justifier les faits ou les aperçus sur la physionomie de la population par de nombreux extraits du registre des conclusions de l’'Hôtel-de-Ville. Ces pièces et quel- ques notes Jutificatives semblent emprunter encore quelque intérêt au grand nombre de noms angevins qui s’y trouvent cités avec les titres, qualifications et les rôles même des personnes nommées. A cet égard, vous les avez jugées dignes de figurer dans votre bul- letin. pe L'administration laïque de l’Hôtel-Dieu joue un rôle tellement important dans ces grandes circons- tances qu’on peut désirer connaître les noms des ad- (i) Bodin nous apprend qu'il avait à peine trente ans. — 305 — minisirateurs et la forme suivant laquelle ils étaient nommés. Nous trouvons ces renseignements dans le procès-verbal de la séance du 1er mai 1582, « En l’assemblée tenue en ceste Hôtel-de-Ville, le Aer mai 1589, où étoient Jehan Bitault, maire, etc Jehan Chotard et Gabriel Cochelin, marchands et bourgeois de ladite ville, ont esté nommés et elleus maistres de l’Hostel-Dieu hospital et aulmosnerie de Saint-Jean-Evangeliste pour deux années, à commencer de cejourd’hui, et feront la première année de leur exercice avec et en la compagnie de Michel Gohin et Martin Brechet, aussi marchands bourgeois de ladite ville, anticques maistres dudict hospital ; la à charge de régir, gouverner et admi- nistrer le bien et revenu temporel d’icelluy, pour- voir au vivre et alliment des pauvres, religieux, serviteurs et domestiques dudict hospital. Lesquels Chotard et Cochelin seront présentés demain par MM. les maire et eschevins à M. le lieutenant-gé- néral, en présence du procureur du Roy, pour d’i- celui prendre le serment d’administrer ledict Hos- tel-Dieu suivant l’intention des fondateurs , statuts d’icellui et comme est contenu en l'arrêt donné en la Cour du Parlement de Paris le 6 may 1556.» Au der mai de l’année suivante 1583, Jehan Joili- vel l'aîné et Jehan Tard, marchands et bourgeois, remplacent Gohin et Brechet, et alors Jehan Chotard et Gabriel Cochelin deviennent anticques maistres. Ce furent ces quatre administrateurs qui présidérent à - toutes les mesures prises pendant la durée de l’épi- démie. — 304 — Chacune des préoccupations, chacun des bruits qui précèdent la venue du fléau se traduit à l’Hôtel-de- Ville par-une proposition ou un vote dont les procès- verbaux ont gardé la trace dans une phrase succincte, souvent pleine de faits et qui peut d’ailleurs devenir le point de départ de recherches complémentaires. Citons pour exemple cette mention du procès-verbal de l’assemblée du 20 mai (1583): « Maître Jullian » Gendrie et maître François Giffard, chirurgiens, ont » offert accepter la charge de médicamenter les ma- » lades qui seront transportés à la Papillaye, pourvu » qu’on les appoincte de bons gaiges. » Les comptes du receveur de l’Hôtel-Dieu et le manus- crit de Ménage nous ont fait connaître ce qu’étaient et ce que firent ces courageux maîtres chirurgiens. Mais quand la contagion à paru, ce ne sont plus des mentions éparses , des allusions au mal ou aux précautions à prendre. L’hygiène publique absorbe à elle seule les séances et le compte-rendu, riche de faits, peut être cité en entier. C'était le vendredi de chaque semaine qu'avait lieu l'assemblée ordinaire. Le plus souvent, elle se com- posait du maire et des échevins auxquels se joignaient, suivant la nature des questions , les chefs de l’admi- nistration ou de la magistrature dans ses nombreuses et différentes juridictions. Parfois on convoquait en outre Messieurs de l'Eglise, quand les conclusions de- vaient avoir une plus grande portée et que les ordon- nances pouvaient engager le clergé ou réclamaient son concours pour leur exécution. Cette séance porte déjà le nom d’Assemblée générale avec convocation de D Messieurs de l'Eglise, pour la distinguer d’une assem- blée plus générale encore où devaient être convoqués les députés des paroisses. Les séances du vendredi 15 juillet et du lundi 18 du même mois, nous donnent un spécimen de l’impor- tance de ces deux ordres d’assemblées, des relations, des degrés et des attributions progressives du pouvoir municipal qui accroît, pour ainsi dire, le nembre des votants et se rapproche de plus en plus des inté- ressés à mesure que les conclusions entrainent de plus sérieux engagements. Voyons d’abord le compte-rendu de la séance du 15 juillet. Assemblée générale avec convocation de MM. de l'Eglise. Vendredi 15 juillet 1583. « Le maire a remonstré que cejourd’hui et précé- dent fut faite assemblée en la chambre du conseil de ceste ville pour donner prompt remède au mal de contagion qui commence à pulluler en ceste ville et que là furent faictes ordonnances d’un pre- vost de’ santé, quatre porteurs de malades et aides serviteurs, gaiges de médecins chirurgiens et bar- biers pour secourir les pauvres malades, et avoit esté conclud que MM. du clergé seroient priez de leur part y aider et contribuer. Et pour ce qu'il n’y à aucuns deniers communs , s’il seroit trouvé bon de prendre la somme de six cents escus à in- térêts pour être employée à l’urgente nécessité ; et SOC. D’AG. de 20 — 306 — » adviser la police que l’on tiendra pour le remède » de la santé. Lesquels sieurs doyen et grand-archi- » diacre ont déclaré qu’il étoit raisonnable y pour- » voir et pour cest effet le sieur archidiacre a promis » faire assembler le clergé pour venir en cest hos- » tel lundy prochain huit heures du matin. » Celte première assemblée générale arrête en prin- cipe toutes les mesures à prendre et propose les moyens d'exécution, mais dès que ceux-ci exigent une levée de deniers el une aggravation à la dette pu- blique, on consulte le clergé d’abord, puis on ren- voie, à la grande et populaire assemblée complétée par les députés des paroisses, le droit et la responsa- bilité de voter ce nouveau fardeau. Les propositions étaient rédigées sous forme de mémoire que les curés devaient lire et publier au prône le dimanche suivant. Ainsi renseignés , les paroissiens s’assemblaient après la messe dans des lieux convenus et nommaient les députés avec des pouvoirs plus ou moins limités et souvent dés instruc- tions spéciales. Parfois l'assemblée manquait faute de temps suffisant pour les publications. Nous trouvons tous ces détails dans une conclusion du 9 sep- tembre 1583. « À esté conclud que le mémoire qui fut envoyé » ce jourd’hui par les paroisses pour le faict de » l’hospital Saint-Jehan sera republié dimanche heure » de grand’messe, et seront les curés ou vicaires priés » exhorter leurs paroissiens se trouver à l’assignation lundy prochain, et apporter chactn bon moïen pour » se prévaloir contre ceste nécessité. » 2 UE — C’est une assemblée composée et convoquée de la sorte qui est appelée à voter sur les voies et moyens proposés par la réunion du 15 juillet. Dès huit heures , suivant les habitudes matinales de cette époque, la séance est ouverte. En l’absence du maire appelé à Paris pour de graves affaires con- cernant un nouvel impôt, la présidence est prise par maître Guy l’Advocat, plus ancien échevin. Les éche- vins et conseillers sont presque au complet. On re- marque en outre le lieutenant général, le lieutenant criminel Ayrault, le procureur du roy Gochelin , le procureur général de l’Université Jehan Chailland et discret maître Pierre Breslay, chantre de l'église d'Angers. Les paroisses sont représentées par un ou deux députés suivant leur importance ; nous allons retrouver leurs noms dans l’analyse de la discussion, spécimen curieux d’une assemblée délibérante au xvi° siècle, que nous avons cru devoir citer textuelle- ment. . Assemblée générale du lundy 18 juillet 1583. « .…… En la salle de cest Hostel de Ville où es- » toient etc... c » À. Le chantre dict que l’église se évertura , est . » d'avis qu’on trouve un lieu hors ville, contribue- » ront leur part, faut veoir s’il y a fond de deniers à » Saint-Jehan; et s’il n'y ena, attendu la nécessité » présente, qu’on en prenne à intérêt. » Debeauvoys (pour le clergé ?) est de pareil avis. » dollivet, l'un des quatre maistres de l’hospital » St.-Jehan a dict n’y avoir deniers audict hospital. Ÿ — 308 — » Derien (chanoine) dict que le revenu de Saint- Jehan est grand, qu’il faut veoir les comptes et y bastir pour les malades pestiférés. » Toutblanc dict qu’il a procuration des paroissiens de Saint-Michel du Tertre, pour dire que s’il n'y a argent, c’est au maire et échevins d’en trouver. » Le Tourneur, pour les paroissiens de Saint-Mau- rille dict, attendu la nécessité urgente qu’on trouve deniers, et que le maire et échevins s’y obligent, sauf à les rendre, seroit d’avis de l’aulmoSnerie de Fils-de-Prestre, et que la somme que l’on prendra n'excède mil escus. » Dufresne, pour les paroissiens Saint-Pierre, est d'avis pour l’hospital Saint-Jehan et qu'il est doté. » Pineau, pour les paroissiens de Saint-Denys, est d’avis qu’on lève telle somme de deniers qu’on ad- vise et qu'on lève jusqu’à 400 escus. ) Bauldraie, pour les paroissiens de Saint- He Baptiste, dit que l’hospital Saint-Jehan y est propre, s’il n’y a deniers suffisants l’on en peut emprunter, sauf à les restablir, n’est d'avis qu’on y mette un prévost de santé et que c’est à faire aux officiers ‘de la prevosté et gens du roy. > Chenu, pour les paroissiens de Saint-Nicollas, a charge de dire qu’il faut mettre les pestiférés à Saint-Jehan et s'accorde avec les aultres. » Godeline, pour Saint-Michel la Palud, dict qu'il fera comme les aultres. » Blanvillain, pour les paroissiens de Sainte-Croix, est d’avis que les pestiférés soient mis à Saint-Je- han, s’il n’y a deniers, qu’on lève six cents escus. » » — 9309 — » Cochin, pour Saint-Ouvrou (Saint-Evroult), diet que les paroissiens contribueront commeles autres. » Boutelie, pour Saint-Maurice, dict qu’il fera comme les aultres. » Bienvenu, pour les paroissiens de la Trinité , est d'avis que les pestiférés soient mis à Saint-Jehan et qu'il y a des,bâäments à suffire sans se mettre en dépense. » Maurice Ledru, pour l’Esvières, fera comme les aultres. » Jehan Placé, pour Saint-Germain, fera comme les aultres. » Ayrault est d'avis qu’on eslyse demy douzaine d'hommes par l’avis desquels on s’y gouvernera. » Gourreau est d'avis qu’on eslyse six personnes qui ayent toute puissance. » Cochelin est d’avis qu’on face une grange ès greniers de l’hospital Saint-Jehan. » Chailland, procureur général de l’Université, loue la diligence de Messieurs de la ville; est d’avis que l’hospital Saint-Jehan est bien plus commode à mettre les pesliférés près de l’eaue. » Fournier est d'avis la place estre aux jardins de Saint-Jehan et qu’on prenne argent à intérest Jus- qu’à la somme de six cents escus sauf à remplacer. » Lejeune est d’avis du lieu de Saint-Jehan. » Le procureur du roy est d’avis qu’on prenne six cents escus sauf à augmenter, et les maire et eschevins en ont pour faire l’advance la facent, sauf à repla- cer, sinon qu'ils s’obligent avec les autres habitans, et que les habitans consentent qu’on ayt lettres . — 810 — » du roy pour en faire département , et fault qu'il y » ait hommes destinés pour y avoir (pourvoir), sça- » voir deux d’église , deux de justice et deux mar- » chands qui y ayent tout pouvoir. » Le lieutenant criminel dict qu’il faut prendre en » obligations trouvant deniers, par ce moïen la pre- » vosté entreprendra ce négoce et s’ils ne se trouvent » suffisants prennent tel nombre d'hommes qu'ils ad- » viseront. | » Après ce a esté mandé et prié M. de la Bréssar- » derie, lieutenant de la prevosté assister ladicte » assemblée pour y donner son advis, lequel à l’ins- » tant se y est trouvé et a dict que por ce qui s’offre » 1] y avoit assignation avec M. du présidial à quatre » heures de l’après disnée de ce jour, à laquelle » heure a esté remise la dicte assemblée. | » Et se sont issus tous les dessus dicts de la dicte » maison de ville fors les eschevins.» On sait que l’assemblée trop peu nombreuge à quatre heures s’assiona au lendemain et que la déli- bération fut terminée par la nomination d’une com- mission, pour ordonner avec MM. ‘de la prevosté du ré- glement de lù santé. Suivant la proposition du procu- reur du roy elle était composée de marchands, d'hommes d'église et de justice. MM. du clergé nom- mérent avec Pierre Breslay, maistre Pierre Faifeu , chanoine de Saint-Maurille. Une conclusion du 7 septembre 1583 nous montre la publication au prône, ün jour de fête. € Sur la plaïncte faicte par les Pères de l’hospital » Saint-Jehan de la grande affluance des pauvres ma- — 311 — » Jades de la contagion qui sont de jour à aultre ame- » nés audict hospital, le revenu duquel à beaucoup » près ne peut suffire pour la nourriture, médica- » ments et aultres frais à faire pour divertir ladicte » contagion, a esté conclud que pour plus amplement » délibérer sur ladicte plaincte , l’assignation est re- » mise à vendredi prochain à huict heures du matin » pendant lequel temps sera fait sçavoir demain jour » de la Nostre-Dame angevine aux prosnes de grand- » messes et aux habitans de ceste ville qu’ils aient à » eux assembler et députter aulcuns d’entre eux pour » délibérer sur ce que dessus. Et seront invités » Monseigneur d’Angiers et MM. du clergé pour. » délibérer sur le remède qu’il est nécessaire donner » aux Pères de l’hospital Saint-Jehan à faire et fournir » aux frais nécessaires pour l’entretenement d’une » grande affluence de pauvres contagieux qui sont de » présent audict hospital. » Pa@mi les résultats de cette nouvelle assemblée gé- .nérale (10 septembre) nous trouvons une contribulion libre du clergé qui vote cent livres affectées aux frais de la police de santé et elles « seront remises aux ». mains du recepveur des deniers communs pour estre » employées aux gaiges des officiers de la santé sui- » vant les conclusions précédentes. » Enfin c’est encore l’Hôtel-de-Ville qui accepte le nouveau médecin des pestiférés , fixe ses obligations et ses gages, et reçoit son engagement. Cette pièce que nous avons commentée dans l’ensemble de notre étude nous paraît encore assez caractéristique pour figurer ici textuellement. — 319 — « Ce 26 septembre 1583. En la salle de cest hostel de ville, etc... a esté présent messire François Le Thielleux, docteur en médecine, auquel a esté ac- » cordée la somme de cinquante escus par moys de » gaiges extraordinaires pour servir à l’hospital tant » que durera la contagion à commencer du xx° de ce » moys, qu'il a entré en exercice audict hospital et » pour l’advenir est retenu pour médecin ordinaire » au, dict hospital au moyen de la renonciation faicte ». par maistre Jullian Boishineux, ci davant médecin » du dict hospital et que les aides médecins ont esté » refusans faire la dicte charge. Et pour ledict » exercice et charge aura le dict Le Thielleux la » somme de 33 escus. 1/3 de gaiges ordinaires à » commencer aussi du xx° de ce mois, laquelle » somme payable sur les deniers du dict hospital et » la somme de cinquante escus par moitié par le » recepveur du dict hospital et par le recepveur des » deniers communs de la ville. Lequel Le Thielleux » présent a de ce que dessus pris le fez et charge, » promis de se acquitter fidèlement et faire son deb- » voir de bon médecin tant le temps de contagion » que hors icelluy envers tous mallades qui seront » au dict hospital et des sallaires cy dessus s’est con- » tenté nonobstant aultres conclusions dont nous » l'avons jugé. Ÿ 2 » Signé FRANÇOIS LE THIELLEUX. » Nous regretterions, Messieurs, les longueurs de ces citations si elles ne devaient pas servir de pièces jus- — 313 — tificatives à notre modeste travail; mais nous espé- rons que vous excuserez leur étendue en faveur des nombreux détails qu’elles renferment sur la puissance et le mécanisme de nos premières institutions muni- cipales. K ; Dr FARGE. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 16 DÉCEMBRE 1857. Présents au bureau : MM. Pavie, père, vice-prési- dent ; E. Lachèse, secrétaire ; P. Belleuvre, trésorier; E. Dainville, archiviste. M. le vice-président donne lecture de la lettre, en date du 7 novembre précédent , par laquelle M. de Beauregard, se fondant sur la résolution prise par lui d’habiter presque continuellement la campagne, déclare donrer sa démission des fonctions de prési- dent de la Société. L'assemblée, à peine cette lecture terminée, décerne par acclamation à M. de Beaure- gard le titre de président honoraire. Il est donné ensuite lecture des lettres par lesquelles M. Béraud, conseiller à la Cour impériale, secrétaire- général de la Société d’agriculture , sciences et arts, et M. Célestin Port, archiviste du département de Maine et Loire, déclarent renoncer désormais à faire partie de la Société. Avant de passer à la nomination d’un nouveau pré- — 3195 — sident, d’un vice - président et d’un nouveau secré- taire-général , M. le vice-président fait connaître que M. Halévy, secréiaire de l'Académie des beaux-arts , a écrit, sur notre compatriote David, une notice dont les journaux ont cité des fragments et fait unanimement l'éloge. Cette notice, d’un si haut intérêt, pour la cité qui vit naître le célèbre statuaire, doit être, sem- ble-t-il, considérée comme établissant entre M. Halévy et la Société d'agriculture d'Angers, un lien qu'il convient à tous égards de reconnaître et de consacrer par un titre immédiatement décerné. M. le vice-pré- sident propose de nommer M. Halévy, membre cor- respondant de la Société. Cette proposition est adoptée. Quelques membres font connaître que l'appel adressé aux concurrents pour un éloge, en prose, de notre compatriote David, à été entendu, mais que des publi- cations, les unes récentes, les se prêtes à être édi- tées, doivent mettre les écrivains à même de rendre plus complète la notice qui sera présentée sur les œuvres de cet artiste. Ils proposent, en conséquence, de proroger au 1 mars 1858 le délai fixé pour la clôture du concours, délai précéderament fixé au 91 du présent mois. Cette proposition est adoptée par l’assemblée. Ïl est procédé, par un scrutin spécial, à la nomina- tion d’un président. Après le dépouillément des votes écrits, M. Cour- tiller , conseiller à là Cour impériale d'Angers, est proclamé président de la Société. N est procédé à la nomination d’un vice-président. — 316 — Après le dépouillement des votes écrits, M. Pavic, pére, est proclamé vice-président. Il est ensuite procédé à la nomination du secré- taire-général. Après le dépouillement des votes écrits, M. À. Le- marchand, conservateur-edjoint de la bibliothèque d'Angers, est proclamé secrétaire-général. M. Adolphe Lachèse propose de décerner à M. Vil- lemain, secrétaire perpétuel de l’Académie française, et à M. de Falloux, membre de la même assemblée, le titre de président d'honneur de la Société d’agricul- ture, sciences et arts. Sans prendre le soin, trop évi- demment superflu, d’insister. sur les mérites, divers de ces deux académiciens, M. A. Lachèse dit avec quel éclat: chacun d’eux s’est montré à la séance, du 18 juin dernier, cette solennité dont notre cité gar- dera si longtemps le précieux souvenir. Il ajoute que si M. de Falloux est fils de la contrée et a reçu d’un congrès angevin les premiers bravos qu’ait éveillés son éloquence, M. Villemain tient désormais à l’An- jou par les liens intimes de la famille; il nous a donné la promesse de favoriser nos efforts et de les encourager parfois dé ses entraînants conseils. Un titre exceptionnel, comme leur position, doit les at- tendre, et, s’il se peut, hâter leur présence au mi- lieu de nous. La proposition de M. A. Lachèse est mise aux Voix, et adoptée par acclamation. L'ordre du jour appelle la lecture d’une notice de M. Godard-Faultrier, sur la crypte romane, ou plutôt sur les cryptes récemment découvertes près de la — 317 — chapelle de l'Ecole d’arts et métiers de cette ville. Ces cryptes sont au nombre de trois. Celle du centre était dédiée à Notre-Dame ; la seconde, celle du nord, était dédiée à sainte Madeleine; on ne sait pas au Juste sous quel vocable était placée là troisième. Par une bizarre destinée , ce monument souterrain est, on a le droit de le dire, découvert aujourd’hui pour la deuxième fois. Célébre par l'office qu’y célébra, dès 511, saint Melaine, évêque de Rennes, en présence de trois autres évêques, et par le sacrilége qu’y com- mit saint Mars, évêque de Nantes, en cachant dans son sein l’hostie qui lui avait été présentée, cette pe- tite chapelle était en si grand honneur au commen- cement du xe siècle, que Foulques-le-Bon ordonna de construire près d’elle le couvent de filles nobles de Sainte-Marie de la Charité, rebâti vers 1028, par notre infatigable comte Foulques-Nerra. Or nous ne savons quel changement dans la disposition des lieux fit bientôt oublier l’usage et cacha même la vue de la crypte, à tel point que, selon Bourdigné, au com- mencement du xvie siècle, cet oratoire aurait été re- trouvé. Une statue de la Vierge, trouvée alors parmi les ronces qui l’encombraient, fit donner au monastère le nom de Sainte-Marie du Ronceray, qu’il a continué de porter. Le jour d’une renaissance définitive n’était pas encore venu pour cet antique et modeste monu- ment. Nouveau changement dans les lieux, nouvel oubli et, enfin, lout récemment , en novembre 1857, nouvelle découverte de la crypte contemporaine de Clovis. Espérons que cette découverte sera la der- nière et que des mesures, dont M. Godard donne — 18 — l'indication , viendront à tout jamais sauvegarder contre l’abandon et le dédain un lieu riche de tant de noms et de si lointains souvenirs! La lecture de cette notice a été écoutée avec le plus vif intérêt par l'assemblée qu s’est hâtée d’en voter l’impression. | | M. Masquelez, capitaine en retraite, demeurant à Chemillé, en ce département, fait hommage à la So- ciété de deux volumes ‘écrits par lui sur Part mili- taire. Un de ces volumes traite de l’organisation de l'infanterie, l’autre de l’organisation de la cavalerie. MM. Janin et Textoris, membres de la Société, sont invités à faire un rapport sur chacun de ces ouvrages. Le secrétaire : E. LACHÈSE. SÉANCE DU 13 JANVIER 1858. Présidence de M. Courtiller. M. le président communique deux lettres adressées à M. Pavie, père, l’une par M. Villemain, l’autre par M. de Falloux. Ces deux membres de l’Académie fran- çaise acceptent le titre de président d'honneur qui leur a été décerné dans la même séance, et se proposent de venir prendre part prochamement aux travaux de la Société. M. Lemarchand demande que la Société recoive au nombre de ses membres titulaires : M. l’abbé Barbier — 819 — de Montault qui a été chargé récemment, par M. le mi- nistre d: l'instruction publique et des cultes, de tra- _vailler à une monographie de la cathédrale d'Angers ; M. le docteur Farge, directeur de l'Ecole d’enseigne- ment supérieur, et M. François Moron, professeur au Lycée d'Angers. Conformément aux dispositions de l’article 15 du règlement, MM. Eliacin Lachèse, Go- dard-Faultrier et Béclard sont nommés commissaires pour examiner les titres d'admission de ces trois can- didats. Sur la présentation de M. de Lens , M. Mourier, recteur de l’Académie de Rennes, est. reçu membre honoraire à l’unanimité. M. le secrétaire-général donne la liste des différents ouvrages qui ont élé adressés à la Société depuis la dernière réunion. Sur la proposition de M. Adolphe Lachèse, les importantes publications de l'institut Smithsonien sont remises à M. Courtiller qui veut Pien se charger de les étudier et de les analyser. M. Béclard lit un rapport sur l’ouvrage de M. Go- dard-Faultrier, intitulé d'Angers au Bosphore. 1] féli- cite l’auteur de sa pieuse et constante sollicitude pour tout ce qui se rattache de près ou de loin au pays natal, et loue particulièrement les pages destinées à compléter l’histoire des princes de la maison d’Anjou- Sicile. Au nombre des inscriptions relevées par M. Godard, M. Béclard à remarqué deux devises énigmatiques dont il croit avoir pénétré le sens. Son explication nous semble à la fois si ingénieuse et si rationnelle, que nous croyons devoir la consigner ici, dans les termes mêmes où il la donne : — 320 — « Charles IT d'Anjou avait, dit-on, pour emblêmes quatre pyramides dont une, plus élevée que les autres, portait une couronne avec l’inscription la- tine : Quocumque feras. On attribue au même prince la devise hoc fato, accompagnée d’une hache entre deux couronnes. Suivant la remarque de M. Go- dard, les devises ont quelquefois une véritable im-. portance historique. Avec toute la réserve qu’il convient d'apporter en ces sortes de questions, je proposerai une explication qui confirmera, ce ma semble, le pressentiment de M. Godard. Le jeune prince Conradin, fils de Conrad IV, empereur d’Al- lemagne, ayant entrepris de revendiquer les droits de son père sur les Deux-Siciles, fut vaincu, pris el décapité. Douze ans plus tard, le prince de Sa- lerne, fils de. Charles Ier et héritier présomptif de la couronne, étant tombé entre les mains des révol- tés de la Sicile, fut condamné à avoir la tête iran- chée; mais il dut la vie à la clémence de la reine d'Aragon, qui lui fit grâce au moment même où il se préparait à la mort. Ainsi la hache fit tomber la tête du compétiteur de Charles [er, et elle respecta celle de son successeur. ILy alà une de ces grandes manifestations qui frappent vivement l'imagination des peuples, et par lesquelles un pouvoir supérieur semble consacrer, à leur origine, les nouvelles dy- nasties. Nous comprenons très bien que le roi Charles Il ait voulu’ perpétuer le souvenir d’un événement aussi considérable; mais une chose nous étonne, c’est qu'un prince chrétien, un neveu de saint Louis, échappé au supplice. presque par mi- — 321 — racle, ait inscrit sur sa devise le nom de la Fata- hé au lieu de celui de la Providence. La significa- tion des quatre pyramides est beaucoup moins. pro- blématique que celle de la hache. Charles Ier eut quatre fils: mais un seul d’entre eux vécut assez longtemps pour lui succéder. C’est évidemment à celte circonstance que fait allusion la pyramide plus haute que les trois autres et surmontée d’une couronne. » M. Béclard se livre ensuite à l'examen des planches de numismatique jointes à l’ouvrage de M. Godard, et signale à l’attention de la Société une médaille d’or du roi Charles Ier d'Anjou, portant dans le champ la lettre K et au revers trois fleurs de lys surmontées d’un lambel à trois pendants. Jusqu’à ce jour, on n’a- vas pas osé affirmer que Charles Ier eût fait frapper des monnaies d’or ; la médaille reproduite par M. Go- dard ne laisse plus subsister aucun doute à ce sujet. La Société décide que le rapport de M. Béclard sera inséré dans le prochain volume de ses Mémoires. M. Textoris rend compte du Journal d’un officier de zouaves, ouvrage publié par M. le capitaine Masquelez, et dont un exemplaire a été offert à la Société. Il suit auteur à Malte, à Gallipoli, à Varna, à Andrinople, et dans toutes les haltes de cette mémorable campagne de Crimée où la valeur française s’est manifestée avec tant d'éclat. M. Textoris a été frappé surtout du récit de la bataille de l’Alma, dans laquelle M. Masquelez a été blessé de trois coups de feu; de la description de l'hôpital de Constantinople , où les Sœurs de Saint- Vincent-de-Paul ont fait preuve d’un héroïque dévoue- SOC. D’AG. 21 Y > 2 LA Ÿ 2 > 2 > — 322 — 4 ment ; et des curieuses remarques du capitaine des zouaves sur l’organisation des armées russe et an- glaise. En terminant son rapport, M. Textoris exprime le désir de voir M. Masquelez, qui habite aujourd’hui la ville de Chemillé, prendre rang parmi les membres correspondants de la Société. M. Godard-Faultrier reprend sa Notice sur Dabou- laye- Le- Gouz, et achève l’histoire des explorations du célèbre voyageur angevin. Le Gouz, après avoir étudié les mœurs des Portugais, à Goa, se rendit à Bassora où il trouva des missionnaires italiens ensel- gnant la foi chrétienne dans une entière liberté. Il par- courut ensuite les bords du Tigre et de l’Euphrate, vi- sita les ruines de Ninive et de Babylone, les villes les plus remarquables de la Perse, de la Syrie et de la Pa- lestine, gagna l'Egypte où la vue des sphinx, des pyra- mides et des hypogées excita son admiration, passa en lialie, s'arrêta pendant quelque temps à Rome, et re- vint en France, en 1650, à la nouvelle de la mort de son père. Sa famille le croyait mort, et quand il ar- riva en Anjou, il fut obligé de plaider contre son beau- frère qui refusait de lui remettre sa part de l’héritage paternel. Dès qu’il fut réintégré dans ses biens, 1l épousa Mlle Elisabeth Gautier de Brülon; mais la pas- sion des voyages se réveilla bientôt en lui, et il partit de nouveau pour l'Orient, chargé par Louis XIV d’une ambassade prés du Grand-Mogol. Il ne put s'acquitter de sa mission, et mourut à Ispahan en 1664. Le schah de Perse fit élever un riche monument à sa mémoire. M. le président remercie M. Godard de son inté- ressante lecture et confie le soin d'examiner son ma- — 9323 — nuserit à une commission composée de MM. Textoris, Eliacin Lachèse et Belleuvre. M. Lemarchand donne lecture d’un poème inédit du xve siècle, qu’il a extrait d’un manuscrit de la bi- bliothèque d'Angers, intitulé : De etymologia nominum Gallicorum. Ge poème se compose de 252 vers de huit syllabes, à rimes tantôt masculines, tantôt féminines, mais entremêlées d’une façon très irrégulière, et a pour objet l’éloge des femmes. On y démontre que le sexe féminin a le privilége du dévouement, de la vertu, du courage même; et pour faire ressortir sa supériorité , on cite l’exemple des Amazones, de la prophétesse Débora, d'Esther, de Suzanne, etc. L’au- teur, Jean-Petit, se nomme lui-même au dixième vers. « Serait-ce, dit M. Lemarchand, le célèbre docteur de l’Université de Paris, qui essaya de justifier le » meurtre du duc d'Orléans, en 1407? Nous n’osons » le croire , bien qu'aucun autre personnage de ce » nom, parmi les écrivains du xve siècle, ne figure » dans les biographies. Il y a, au 82° vers, une invo- » cation à saint Julien. Peut-être le poëte n’était-il » qu’un obscur religieux d’un des monasières de la » ville du Mans. » MM. Godard-Faultrier, Adolphe Lachèse et Béclard sont chargés de faire un rapport sur le poème com- muniqué par M. Lemarchand. M. Paul Belleuvre lit un fragment de ses Souvenirs de Suisse. C’est le récit d’une rapide excursion de Paris au lac Leman, par la Champagne, la Bour- gogne et la Franche-Comté. Les impressions de M. Bel- leuvre sont celles d’un poête, ennemi des routes fa- > — 324 — ciles et des sentiers frayés ; et ce qui captive particu- lièrement son attention, ce sont les vieilles ruines, les cimes neigeuses, les cascades limpides, les âpres es- carpements ou les chaînes de montagnes entrecoupées de frais vallons. Partout, à Lons-le-Saulnier, à Morey, à Nyon, à Genève, il cherche les grands spectacles qui émeuvent profondément l’âme; et, sans emphase, sans prodigalité d'images, il sait les décrire de ma- nière à faire comprendre leur caractère et leur beauté. Le manuscrit de M. Belleuvre est remis à une com- mission composée de MM. Godard, Brunetière et Le- marchand. M. Godard-Faultrier, au nom de la Commission ar- chéologique dont il est président , propose l'addition au réglement des articles ci-après : 4, La Commission archéologique s’occupe exclusi- vement de l’étude des monuments, de numismatique et d’histoire locale. 20 Elle est autorisée à voter l'impression des tra- vaux qui lui sont présentés; mais la Société se ré- serve le droil de porter ces travaux, quand elle Île jugera convenable, à l’ordre du jour des séances gé- nérales. 3. Les travaux dont l'impression aura été votée par la Commission feront partie des Mémoires de la Sociélé; mais ils seront tirés à part à 125 exemplaires, avec pagination indépendante, et formeront ainsi une publication spéciale qui paraîtra sous ce titre : So- ciélé d'agriculture, sciences et arts d'Angers. Travaux de la Commission archéologique. Ces 195 exemplaires seront distribués aux membres adjoints, aux membres — 325 — correspondants et aux différentes Sociétés archéolo- giques de la France et de l'étranger. 4. La Société continuera d’allouer chaque année, à la Commission archéologique , une somme qui, jointe au produit des cotisations des membres ad- Joints , servira à couvrir les frais d'impression des meilleurs mémoires présentés sur les matières dési- gnées à l’article ler. 9. Le président de la Société , le président de la Commission archéologique et le «secrétaire-général sont chargés de veiller à ce que les textes soient ré- digés et imprimés correctement. Le tirage d’un ar- ticle ne pourra avoir lieu que lorsqu'ils auront vu et signé les épreuves, qui seront d’ailleurs toujours en- voyées à l’auteur. Plusieurs membres expriment la crainte que les mesures proposées par M. Godard n’affaiblissent la Société. Cependant M. le président les met aux voix et elles sont adoptées. M. Lemarchand demande que des mesures ana- logues soient prises pour les travaux du Comice hor- ticole. M. LeGris désirerait que la Société d'agriculture , comme la Société industrielle, eût un archiviste tenu de se rendre , à certains jours et à certaines heures, dans la salle de la bibliothèque, pour distribuer des livres et donner des renseignements. Les propositions de MM. Le Gris et Lemarchand sont renvoyées à l'examen du bureau. MM. Dainville, Ferdinand Lachèse et l’abbé Cheval- lier sont chargés de vérifier les comptes du trésorier, — 326 — pour l’année 1857, et de présenter un projet de bud- get pour l’année 1858. La séance est levée à 9 heures. Le secrélaire-général , ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 4 FÉVRIER 1858. Reunion extraordinaire. Présidence de M. Courtiller. M. le président communique la lettre suivante qu’il a reçue de M. le Préfet de Maine et Loire. Angers, le 20 janvier 1858. « Monsieur le Président, » Le Conseil général, dans sa session dernière , a voté une somme de 500 fr. destinée aux Sociétés » savantes d'Angers, pour prix à décerner en 1858. » Ces prix devant être distribués, s’il y a lieu, en séance générale des quatre Sociétés, je vous prie, » Monsieur le président, de dresser dès à présent le programme du concours que vous devrez sou- » mettre à mon approbalion, et de vous concerter » avec MM. vos collègues pour déterminer l’époque de la distribution générale des récompenses et la na- ture de celles-ci. Ÿ > DA A TS — 3927 — » Il me semble que cette cérémonie pourrait con- » venablement avoir lieu à la suite de l’exposition in- » dustrielle et horticole qui aura lieu cette année à » Angers du 4er juin au 4er juillet. » Agréez, Monsieur le président, etc... » Le Préfet , » BOURLON DE ROUVRE. » Conformément au désir de M. le préfet, MM. les présidents et secrétaires-généraux des quatre Sociétés savantes de la ville d'Angers se sont réunis le 24 jan- vier, à à heures du soir, dans la salle des séances de la Société d'agriculture, sciences et arts. Il a été con- venu, à l’unanimité, que les mesures suivantes se- raient soumises à l'approbation des quatre Sociétés. 1. La somme de 500 fr. allouée par le Conseil gé- néral, au lieu d’être divisée en quatre fractions, cons- tituera un prix unique. 2. Chaque Société indiquera un sujet de concours scientifique, historique ou littéraire. 3. Entre les quatre sujets désignés, MM. les pré- sidents et secrétaires-généraux choisiront celui qui leur paraîtra le plus convenable, et le proposeront à M. le préfet. 4. Quand il s'agira de délibérer sur le mérite des ouvrages présentés , deux membres de chaque Société s’adjoindront aux quatre présidents, et la Commission ainsi formée adjugera le prix. S'il y a ballotage, la voix du président sera prépondérante. 9. La séance solennelle dans laquelle le prix sera — 328 — décerné aura lieu à la fin de l’année. On fera con- naître dans cette séance le sujet de concours pour l’an- née suivante. Les Commissions chargées de l’examen : des ou- vrages, ainsi que les séances solennelles, seront pré- sidées successivement par chacun des présidents des quatre Sociétés, en allant du plus âgé au plus jeune. M. Adolphe Lachèse annonce que ces propositions n’ont pas élé adoptées par la Société industrielle qui, s’en référant aux termes du rapport lu par M. Val- lon, dans l’une des séances du Conseil général, est - d'avis que chaque Société décerne un prix spécial de 195 fr. M. Courtiller donne lecture du rapport de M. Val- lon et de la décision du Conseil général. M. Vallon proposait d’allouer à chaque Société une somme de 250 fr. Le Conseil a décidé qu’une somme de 500 fr. serait mise comme essai à la disposition des quatre Sociétés, pour prix à décerner, en les invitant à s’en- tendre avec M. le préfet sur le meilleur emploi à faire de cette allocation. Il suit de là, dit M. Courtiller, que la proposition d’un prix unique n’implique aucune contradiction aux intentions du Conseil général, et peut très bien être soumise à l’approbation de M. le Préfet. La Société, se rangeant à l’avis de M. Courtiller, adopte les dispositions qui ont été réglées par MM. les présidents et secrétaires-généraux des quatre Sociétés, dans la réunion préparatoire du 24 janvier, avec cette seule modification que l’époque de la séance annuelle sera fixée au mois de juillet et non au mois de dé- HER cembre , afin qu’il puisse en être rendu compte à la prochaine session du Conseil général. M. le président consulte ensuite les membres de la Société sur le choix d’un sujet de concours. M. Go- dard-Faultrier propose les deux questions suivantes : 1. Déterminer l’époque précise à laquelle le Chris- tianisme a été introduit dans la province de Tou- raine, particulièrement en Anjou. 9. Prouver, à l’aide de documents authentiques , qu'Etienne Boileau appartient ou n’appartient pas à Anjou, et donner une notice aussi étendue que pos- sible sur ce célèbre prévôt des marchands, en le con- . sidérant particulièrement comme auteur du Réglement des métiers. La Société, craignant de se prononcer trop précipi- tamment, demande le renvoi à une Commission. MM. Godard-Faultrier , Béclard et Lemarchand , sont priés de rechercher à la fois deux sujets de prix, l’un pour l’année 1858 l’autre pour l’année 1859. M. l’abbé Chevallier, rapporteur de la Commission chargée d'examiner les comptes du trésorier, fait con- naître la situation financière de la Société au 31 dé- cembre 1857. RECETTES. : Fe NC: En caisse au {er janvier 1857 . . . . 392 69 Reçu du Conseil général . . . . . . 500 » 58 cotisations à 19 fr.. . . . 870 » 49 cotisations à 40 fr. (membres dioiote de la Comimission archéologique). . . 190 » A Reporter. . . 1882 69 mi F. C. Report. . . 1882 69 Reçu de M. Pavie, père, pour le prix de poésie décerné à M. Coulon . . . . 100 » Reçu du Conseil général pour le cours d’arboriculture . . . Ales: DO PE) Intérêts d’une rente sur l'Etat 4 RATS 48 » Total des recettes de l’année 1857. . 2300 69 DÉPENSES. Concierge : 14, à: 379 )» Frais d'impression dé 1856 testé de comple). . . . Li 395295 Frais d'impression de 1857 @ pra >" AOENS Frais de reliure tons 465b tante 15 25 Abonnements. . . . k 24 » Frais de la séance Le de jum 1 1857. 247 10 Cours d’arboriculture . . . . . . . 300 35 Dépensestdiversést"t 4h. SUN RCE! 1598 Total des dépenses. . . 1697 95 BALANCE. Recettes... ir Se Un DIRE Dépenses "1. een re... MIO Reste en caisse au 31 décembre 1857. 603 44 La Société approuve le compte des recettes et des dépenses de l’année 1857, tel qu'il est établi ci-dessus. Elle adopte également le projet de budget suivant qui lui est présenté pour l’année 1858 . — 351 — PROJET DE BUDGET POUR L'ANNÉE 1858. Abonnements pour 1857. (Paléontologie, Revue de l’art chrétien et Annales des sciences naturelles) . . . . . . . 132 PMRemiaide relurel:c lt AA se ae ee 20 Dhaoimenuts ide ca APM reNUr 25 Eelarage, 6... ad er 15 Frais de bureau et de PE de ct L 20 Brba décerner: ia ui os is LA400 Menuiserie . . 43 Photographie (à M. Mit 1 aie re 25 À reporter. . . 1955 RECETTES. F. C. Reliquat de l’année 1857 . . . . . . 603 44 Allocation du Conseil général. . . . . 500 » Id. pourle cours d’arboriculture. . . 300 » Défcolisationsa Lo 1r. he uneluatac ce MOTO Rene sur FE ébhetmalad coute 48 » Ron ee OO 74 DÉPENSES. Concierge. . . 450 » Frais d'impression “e 1857. re FL compte, approximativement) . . . . 400 » Conmsdarborieulture. A0 ati Le“ \r6D0 NS Allocation à la Commission archéologique. 285 » Abonnements (reste de compte) . . . . 140 » — 332 — F. C. Report. . . 1955 » Frais d'impression pour les mémoires de 1898. LM AMphe 2020 VODD Dépenses imprévues. . . . . . . . 36 44 Total des dépenses égal à celui des recettes. 9291 44 L * La séance est levée à 9 heures et demie. Le secrétaire général, ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 17 FÉVRIER 1858. Présidence de M. Courtiller. M. le président communique une lettre de M. Mou- reau, membre de la Société académique de Saint- Quentin. M. Moureau s'occupe d’une étude histori- que et comparative sur les Sociétés savantes de pro- vince , et demande des renseignements sur l’origine et les travaux de la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers. M. Léon Cosnier est chargé de les lui fournir. M. Eliacin Lachèse fait connaître les titres d’admis- sion de MM. l'abbé Barbier de Montault, Farge et François Moron, présentés dans la séance du mois de janvier dernier. Ces trois candidats sont reçus à l’u- nanimité membres titulaires de la Société. M. Eugène Boré, supérieur des Lazaristes, à Cons- — 333 — tantinople ; M. Beulé, professeur d’archéologie à la Bibliothèque impériale; et M. Masquelez, ancien ca- pitaine de zouaves, aujourd’hui en retraite à Chemillé, sont reçus membres correspondants. Les deux pre- miers ont été présentés par M. Godard-Faultrier ; le troisième a été admis sur la proposition de MM. Tex- toris et Dainville. La Société, adoptant les conclusions de MM. Adolphe Lachèse, Dainville et Brunetière, vote l'impression des travaux suivants, lus dans la séance du 13 jan- vier : 40 Notice sur Laboulaye-Le-Gouz, par M. Godard- Faultrier ; 20 Poëme inédit du xve siècle, communiqué par M. Lemarchand; 3° Souvenirs de Suisse, par M. Paul Belleuvre. M. Lemarchand, rapporteur dela Commission char- gée de choisir un sujet de prix pour le concours de l'année 1358, propose de soumettre à l’approbation de M. le préfet une note ainsi conçue : « Conformément au vœu du Conseil général du » département de Maine et Loire, la Société d’agricul- » ture, sciences et arts d'Angers décernera une mé- » daille d’or à l’auteur du meilleur mémoire inédit » relatif à l’histoire d'Anjou. Elle désire que les tra- » vaux présentés aient particulièrement pour objet » l'archéologie, la biographie ou la topographie de la » province ; qu’ils révèlent des faits ignorés ou qu’ils » éclaircissent des questions obscures. Le concours » sera closau 4er juillet 1858. _ » Une autre médaille d’or sera décernée à l’auteur » du meilleur mémoire sur l'introduction du Chris- » tianisme dans la province ecclésiastique de Tou- — 334 — » raine, spécialement en Anjou. Le concours , pour » cetle seconde médaille, sera clos au 1er juillet 859.» Cette proposition est adoptée. M. Godard-Faulirier donne lecture d’une note rela- tive à Audouin, évêque d'Angers. Bodin, auteur des Recherches historiques sur l'Anjou, à terni la réputa- üon de ce prélat par une interprétation inexacte d’un passage de Grégoire de Tours. M. Godard prouve, en citant le texte latin de la traduction qui en a été donnée par M. Guizot, que le blâme dont Bodin a frappé l’évêque d’Angers , s’applique à un diacre de Paris, nommé Théodulphe. Le travail de M. Godard est remis à une Commission composée de MM. de Lens, Béclard et Eliacin Lachèse. M. .l’abbé Chevallier rend compte d’une excursion qu’il a faite à Redon, pendant le mois d’août de l’an- née dernière. Après avoir décrit les principaux monu- ments de cette ville, M. Chevallier raconte, d’après les bagiographes bretons, l’histoire des reliques de saint Apothème , évêque d'Angers. Ces reliques appartien- nent à l’abbaye de Saint-Sauveur de Redon; mais Angers les a possédées jusque vers le milieu du ix° siècle. Elles furent dérobées à cette époque par saint Convoyon, premier abbé de Saint-Sauveur. Avant la Révolution, on venait les vénérer de tous les points de la Bretagne. La châsse en bois doré, dans laquelle elles sont actuellement renfermées, date du xvur siècle. MM. Godard, de Lens et Lemarchand sont chargés de faire un rapport sur la notice de M. l'abbé Chevallier: M. Lemarchand lit un travail de M. Courtiller, jeune, de Saumur, sur les mœurs des insectes. L’au- - — 335 — teur expose d’abord ses opinions sur la méthode à suivre dans l’étude de l’histoire naturelle. Selon lui, les naturalistes s'occupent trop de classifications et n’observent pas assez : « Celui qui est vraiment pas- » sionné pour cette science, dit-il, qui cherche à pé- » nétrer les secrets de l’organisation, à connaître les » mœurs, les habitudes, l'instinct, l’intelligence même » de ces êtres souvent si merveilleux, celui-là seul » est naturaliste.» M. Courtiller rapporte ensuite une observation faite par un de ses amis, M. René Carcel, mort il y a déjà longtemps en Orient. Le nid d’une abeille maçonne (calicodoma muraria), ayant été en- vahi par une chryside, un duel s’engagea entre les deux insectes. L’abeille fut victorieuse et déchira de ses mandibules les ailes de son adversaire, puis s’en- vola pour aller butiner sur des fleurs. Mais la chryside, quoique mutilée, put se traîner de nouveau jusqu’au nid de l'abeille, et se vengea de sa défaite en détrui- sant tous les œufs qu’il contenait. La Société a écouté avec le plus vif intérêt le récit animé de ce singu- lier drame. Le manuscrit de M. Courtiller est remis à une Commission composée de MM. Victor Pavie, Farge et Eliacin Lachèse. La séance est levée à 9 heures. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. — 336 — SÉANCE DU 17 MARS 1858. Présidence de M. Courtiller. M. le président trouve au dossier de la correspon- dance : 4° Une lettre de M. Mourier, recteur de l’Académie de Rennes qui accepte le titre de membre correspon- dant. «Il me sera extrêmement agréable, écrit-il à » M. Courtiller, d'assister aux réunions de la Société, » lorque les intérêts de mon service m’appelleront à » Angers. Les travaux de votre compagnie lui ont fait » un renom mérité parmi les Sociétés qui existent et » dirigent dans les provinces le mouvement intellec- » tuel. » 20 Une lettre de M. le secrétaire du Concours ré- gional de Blois, qui prie M. le président de distribuer dans le département de Maine et Loire, plusieurs exemplaires du programme de l'Exposition d’horticul- ture de Blois. L’ouverture de cette Exposition aura lieu le 3 mai prochain. 3° Une lettre de M. le préfet de Maine et Loire re- lative à un nouveau procédé de culture signalé par M. Aroux de Montaure (Eure). Conformément au dé- sir de M. le préfet, une commission composée de MM. Farge, Le Gris et Millet, est chargée de faire un rapport sur le mémoire de M. Aroux. M. Victor Pavie lit un rapport sur la note de M. Courtiller, jeune, de Saumur, intitulée Mœurs des insectes , et dont il a été donné communication à la dernière séance. Il est décidé que cette note sera im- — 337 — primée dans les Mémoires de la Société, et le rapport de M. Pavie sera inséré en entier au procès-verbal (1). M. Lemarchand, chargé d’un rapport sur la notice de M. l’abbé Chevallier, intitulée : Translation des re- hiques de saint Apothème , propose l'impression de ce travail; mais il désirerait que le préambule en fût un peu modifié et condensé. Sa proposition est adoptée (1) Rapport sur une communication de M. Courtiller, de Saumur. Messieurs, Le jour où elle perdait un botaniste éminent, notre Société éprou- vait une atténuation à ses regrets, par la communication précieuse d’un de ses correspondants, botaniste lui-même, mais que l’étude de la Flore n’absorbe pas tout entier, et qui avait, ce jour-là, transporté ses observations, ou ses souvenirs, dans le domaine de l’entomologie. Nous disons, Messieurs, ses observations ou ses souvenirs, dans le double embarras où nous sommes et d’imputer à M. Courtiller l'hon- neur d’une priorité qu'il décline, et d'accepter sous le nom d’un autre un fait si vivement, si intimement raconté par lui. — Tant de gens se méprennent, à la distance des années et dans la perspective du passé, au point de s’attribuer l'initiative d'autrui, qu'on se laisserait bien volontiers ici gagner à l'hypothèse d’une méprise inverse. À tout le moins est-il permis de supposer que la découverte de feu M. Car- cel n’a été pour notre correspondant que le point de départ d’une vé- rification personnelle, tant il dépose en témoin de l'événement. Ce qu'il y a d’incontestable, Messieurs, c’est l'intérêt, l'émotion même produite au milieu de nous par le récit d’une rencontre entre deux de ces chétives et misérables créatures sans renom comme sans gloire, telles que nous les foulons par milliers sous chaque pas. Celui qui fût entré pendant cette lecture, et qui, nous voyant tous haletants et suspendus, eût interrogé son voisin sur le motif de l’anxiété géné- rale, celui-là n'eût pas été médiocrement surpris d'apprendre qu’il s'agissait d’un duel entre une chryside et un colicodoma muraria. Pourtant, rien de plus simple :« Homo sum, et n‘hil humanum a me alienum puto. » Voilà pourquoi, partout où se reproduit le spec- SOC. D’AG. 22 — 338 — par la Société, et M. Chevallier lui-même s’empresse d’adhérer aux conclusions du rapporteur. M. Béclard se livre à l’examen de la note commu- niquée le 17 février, par M. Godard-Paultrier | sur un passage de Grégoire de Tours, relatif à Audovée ou Audouin, évêque d'Angers. La traduction de M. Gui- zot, que M. Godard oppose à celle de Bodin, ne lui tacle de nos agitations et de nos troubles, une sympathie instinctive s'empare de nos âmes, et nous sentons parler en elles des solidarités plus fortes que toutes les dissemblances de formes, d’origine, de na- ture et de destination. L'homme, qui anime les plantes, et qui ne peut rester impassible devant les rétractibilités nerveuses du berbenis, les démonstrations conjugales de la parnassie et les pudiques frémisse- ments de la sensitive, assisterait-il donc en spectateur indifférent à la lutte acharnée de deux insectes pour la possession d’un berceau ? Notez que l'intérêt déjà si palpitant de la scène vient se compliquer ici de l’immensité du théâtre, de la physionomie des héros et de l’é- clat pittoresque des costumes. Qui ne sait ou qui ne devine quel ap- pareil spécial, quel mode exceptionnel d’armature comporte la vocation architecturale du colidoma ? Quant à la chryside, la richesse de son corsage ne- se reflète-t-elle pas sur la nomenclature des espèces : ignea, fulgida, purpurea, dans lesquelles son nom d’or est comme enchassé ? On croirait lire chacune de ces appellations à la lueur d’un diamant, d’une flamme ou d’une escarboucle. Nous voilà initiés, nous autres ignorants, qui n’avons à la place des abstractions et des sys- tèmes que des curiosités et des impressions, et qui, négligeant le texte du grand livre de la nature, n’en regardons que les images, nous voilà initiés par le côté vivant de la science, aux mœurs et aux configura- tions de ces petits êtres dout nous n’eussions jamais pu démêler l'iden- tité à travers le dédale d’une classification incessamment renouvelée. L’auteur nous les a peints avec une sobriété de portraitiste heureu- sement alliée à sa concision de narrateur. Il a laissé à d’autres, plus prodigues de leur encre, de leurs couleurs ou de leurs sons, les déve- loppements inséparables d’un aussi fertile sujet. Car l'épisode curieux signalé par M. Carcel, publié par M. Lepelletier de Saint-Fargeau, et — 339 — paraît pas exacte, au moins sur quelques points. Plu- sieurs phrases du texte latin présentent un sens am- bigu , et si Bodin s’est trompé en appliquant à l’évé- que d'Angers ces mots : Erat enim et vino deditus, et in adulterio dissolulus, qui se rapportent au diacre Théodulphe , M. Guizot , de son côté , a commis une erreur, en prenant Audoveus pour sujet de la phrase restitué aujourd'hui par M. Courüller à son vrai maître, n’a pas encore atteint le terme de ses destinées. Qui sait si quelque jour il ne figu- rera pas, en une série de feuilletons, sous la plume d’un romancier, pour chausser le cothurne et passionner plus tard la scène sous la forme d’un drame émouvant, et ne tomber sous le pinceas qu'après avoir servi de livret à une composition musicale ? Mais laissons l’hypothèse pour arriver à une conclusion plus en rap- port avec la gravité de notre tâche. Le comte de Maistre expose, dans son magnifique langage, cette loi providentielle, fruit de notre chute et de notre exil, cette loi de violence et de meurtre qui, traversant les règnes, depuis le brin d'herbe jusqu’à l’homme, arme les êtres les uis contre les autres dans l'intérêt terrible de leur conservation. Le fait communiqué par M. Courtiller la confirme. C'est un argument de plus à ce mystérieux équilibre qui laisse soupçonner aux moins cré- dules des précédents lamentables, de profondes perturbations. Il n’y a pas jusqu'aux circonstances particulières dans lesquelles il se produit qui ne le rattachent encore plus expressément au texte dont la théo- rie de M. de Maistre n’est qu’un commentaire éloquent. Les blessures, les douleurs, les sanglantes épreuves au prix desquelles les deux in- sectes accomplissent leurs fonctions maternelles, ne paraissent-elles pas concorder littéralement avec cette parole de l'Apôtre : « Natura ingemiscit et parturü? » Terminons par un vœu : c’est que la prochaine découverte de M. Courtiller ne s’ébruite point pour lui en ces confidences généreuses dont il vient de nous signaler le danger. Qu'il veuille bien nous en faire les premiers dépositaires. Ecoutée de nous avec l'attention qu’elle comporte, elle trouvera dans les pages de notre bulletin une sauve- garde inviolable contre les tentatives des plagiaires. V:tP: — 340 — ut non se posset ab ejus importunitate disculere, ‘etc. Une discussion très animée s’engage sur le texte de Grégoire de Tours, entre MM. Béclard, Sorin, Pavie, Farge, Godard et Lemarchand. M. Sorin fait remarquer qu’il est à peu près impos- sible de traduire mot à mot les ouvrages de basse la- tinité, parce que les lois de la grammaire y sont sou- vent violées, et pense que l'interprétation de M. Gui- zot, dans son ensemble, donne exactement le sens du passage de Grégoire de Tours. M. Lemarchand présente quelques observations à l’appui de cette opinion : « Au reste , ajoute-t-il, il s’agit ici, non de formuler un jugement sur le mé- » rite de la traduction de M. Guizot, mais de savoir » si l'accusation portée par M. Bodin contre l’évêque » Audovée se trouve dans Grégoire de Tours. Or » l'examen du texte, et particulièrement la phrase » maunum Super diaconum sustentabat, qui in tantum » erat crapulatus à vino, etc. ne permet pas de dou- » ter de l'erreur commise par l’auteur des Recherches » sur l’'Anjou. » M. Lemarchand soumet ensuite à ses collègues la proposition suivante , qui est adoptée : « Dans le prochain volume des Mémoires de la Société , on » imprimera le passage de Grégoire de Tours relatif » à Audovée, évêque d'Angers, et l’assertion de M. Bo- » din. Les deux citations seront suivies de ces mots : Il résulte de l’examen du texte de Grégoire de Tours que l'accusation portée par Bodin contre l’évêque d'Angers, s'applique au diacre Théodulphe. » Une Commission composée de MM. Sorin, Pavie et ŸY 2 TE) = , — 31 — Béclard, est chargée de faire un rapport sur les ou- vrages présentés pour le concours de 1857. Le prix doit être décerné à l’auteur de la meilleure notice sur David d'Angers. La Commission de rédaction , pour les travaux de 1858, sera composée de MM. Farge , Moron, Victor -Pavie et Barbier de Montault qui se joindront aux mem- bres du bureau. M. l’abbé Barbier de Montault communique à la Sociétéuñ Projet iconographique et symbolique, en style du xrre siècle, pour la décoration des verrières 'absi- dales dites de la Légion d'honneur, dans l’éghse pa- roissiale de Longué. Tous les sujets choisis par M. l'abbé Barbier se rattachent à la légende de la Croix, et il n’en est pas un dont la composition ne soit justifiée par un passage de lEcriture ou par une tradition constante de l'Eglise. MM. Godard, Victor Pavie et Thierry sont désignés par M. le président pour exa- miner ce savant projet, dont l'exécution doit être con- fiée à M. Lobin, de Tours, et pour en proposer l’im- pression s’il y a lieu. M. Lemarchand lit une Notice sur Ancenis , et ra- conte les principaux événements dont cette ville a été le théâtre, depuis la construction du château, par la comtesse Aremburge, en 982, jusqu'aux guerres ci- viles de l'Ouest, en 1793. Ce. travail est remis à une Commission composée de MM. Barbier de Montault, Sorin et Paul Lachèse. La lecture de la notice de M. l'abbé Chevallier sur le Tombeau d André Le Porc de la Porte de Vezins, évê- que de St-Brieus, est renvoyée à la prochaine réunion. — 349 — M. le président croit qu’il y a lieu de reconstituer la commission d'histoire naturelle, depuis longtemps dé- sorganisée. M. le docteur Farge craint que la Société linnéenne ne considère le rétablissement de cette Commission comme un acte d’hostilité envers elle , el demande lé maintien du statu quo, afin d’écarter tout obstacle à la réunion si désirable des membres des deux So- ciétés. Sa proposition, appuyée par MM. PÉRPCS et Lemarchand, est adoptée. La séance est levée à neuf heures. Le Secrétaire-général, ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 28 AVRIL 1858. Présidence de M. Courtiller. M. le président communique à l’Assemblée : 1° Une circulaire de M. le ministre de l’Instruction publique, du 29 mars 1858, relative à l’organisation du Comité des travaux hastoriques et des Sociétés savantes; 2 Une lettre de M. Rebold, où sont exposés les avantages du système électro-vital, et sur laquelle M. le docteur Farge est prié de faire un rapport à la prochaine séance; 30 Une lettre de M. Sorin qui exprime le désir que la Commission chargée de l’examen des travaux adres- sés à la Société, pour le concours ouvert en 1857, — 343 — sur l’Eloge de David, soit composée de cinq membres, comme la Commission du concours de poésie de 1856. MM. Farge et Cosnier sont adjoints aux trois membres nommés à la dernière réunion. Le comité sera pré- sidé par M. Cosnier. M. Janin lit un rapport sur un ouvrage du capitaine Masquelez intitulé : Notions élémentaires sur la fabri- cation et l'emploi des armes à feu et les munitions de l'infanterie. Ge savant travail, que M. Janin analyse avec beaucoup de clarté et commente en juge com- pélent, se recommande par les recherches laborieuses qu’il a exigées, par un grand nombre d’ingénieuses observations et par l'indication de plusieurs perfec- : tionnements à apporter dans le mécanisme des armes de nos troupes de ligne. L'ordre du jour appelle la lecture d’une notice de M. Farge sur la Peste de 1582, à Angers. L'auteur se livre d’abord à quelques considérations générales où se retrouvent toutes les qualités de son esprit sagace et élevé. Il donne de curieux détails sur les principales épidémies du moyen âge, sur l’organisation des an- ciens hôpitaux et sur les services rendus par les admi- nistrations municipales, en ce qui concerne les se- cours de santé. Arrivant ensuite à la contagion qui désola la France sous le rêgne d'Henri III, M. Farge décrit la terreur qui s’empara des habitants de la ville d'Angers, lorsqu'ils apprirent que le fléau sévissait à Nantes, et indique les premières mesures qui furent prises par les magistrats de la cité contre l’invasion du mal. Pour faire apprécier exactement la situation, il jette un coup-d'œil rétrospeetif sur l’administration — 9344 — de l'Hôtel-Dieu d'Angers, à partir de 1548, et sur les importantes réformes que l'autorité civile y avait successivement introduites, depuis cette époque jus- qu’en 4583. Cet exposé, dans lequel sont cités de nombreux extraits des registres des Conclusions de l’'Hôtel-de-Ville et des Comptes du receveur de l’Hô- tel-Dieu, intéresse vivement la Société. Il sera repris par M. Farge à la prochaine réunion. M. l'abbé Chevallier: lit une Note sur le tombeau. d'André Le Porc de la Porte de Vezins, évêque de St- Brieuc, mort en 1631. Avant de donner la description du monument, M. Chevallier raconte la vie du prélat, qui -a été marquée par de nombreux actes de bienfaisance et par le zèle apostolique le plus ardent. André Le Porc de la Porte appartenait à l’une des grandes familles de l’Anjou. Il fonda un couvent d’Ursulines à Saint- Brieuc, établit dans cette ville les Bénédictines du Calvaire , publia des statuts pleins de sagesse qui ont été observés jusqu’à la Révolution, et se montra protecteur éclairé des lettres et des arts. Son tom- beau ful d’abord placé dans l’église des Ursulines ; il est aujourd’hui, mais mutilé, dans la nef de la ca- thédrale de Saint-Brieuc. C’est un monument en marbre exécuté avec soin. L’illustre évêque est re- présenté avec ses habits pontificaux, la tête appuyée sur un coussin et les mains croisées sur sa poitrine. Sur le socle sont sculptées ses armoiries qui se bla- sonnent ainsi : écartelé : au premier d'argent au porc de sable défendu et clariné d'argent, qui est de LE Porc; au second, de gueules à un croissant montant d'her- mines resarcelé d'or, qui est de LA PORTE; au froisième — 345 — d'or, à une fasce de queules crénelée el bretezée de trois pièces et demie , le chef maçonné de sable, qui est de La Tour-LaNDRy; au quatrième, de gueules à neuf macles d'or, qui est de Ronan. Deux anges, placés de chaque côté de l’écusson , portent , l’un une crosse , l’autre une miître. — La Société vote, à l’unanimité, l'impression de la note de M. l'abbé Chevallier, à la- quelle est joint un dessin du tombeau. M. Lemarchand, après avoir rappelé en quelques mots les principaux événements de la Fronde en An- jou, communique un document relatif au siége d’An- gers, en 1652. C’est le récit très circonstancié d’un contemporain, qui ne s’est pas borné à décrire les opéralions du siége, les combats livrés aux portes de la ville , les mouvements des troupes et les négocia- tions , mais qui a étudié les causes de la guerre et qui a jugé avec finesse les chefs des deux, partis. Gette pièce est soumise à l'examen d’une Commission com- posée de MM. Barbier de Montault, de Lens et Cosnier. M. Courtiller a remarqué avec surprise qu’on ne rendait aucun compte, dans les séances de la Société, du cours de taille d'arbres fruitiers, confié à M. Au- dusson. Il propose d’en attribuer la surveillance aux membres du Comice horticole, et de les charger d’en signaler les avantages ou les imperfections, au moins une fois chaque année. La proposition de M. le pré- sident est adoptée. La séance est levée à 9 heures. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. — 946 — SÉANCE DU 26 MAI 1858. Présidence de M. Courtiller. M. Pavie, père, communique une lettre qu'il à reçue de M. Halévy, membre de l’Institut et secré- taire perpétuel de l’Académie des beaux-arts. M. Ha- lévy accepte le titre de membre honoraire, qui lui a . été offert par la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers, dans la séance du mois d’avril dernier , et adresse à M. Pavie plusieurs exemplaires de son inté- ressante notice sur David d'Angers. M. Eugène Hébert, secrétaire du Comice horticole, est présenté à titre de membre actif par MM. Louis et Victor Pavie. M. le docteur Farge continue la lecture de ses Re- cherches sur la peste en 1582, à Angers. Il indique les principales mesures qui furent prises à cette époque. par l’administration, pour combattre le mal, amélio- rer l’état sanitaire de la ville et préserver du fléau la population valide. Il signale le dévouement des mé- decins, particulièrement des sieurs Giffard et Gendry, qui donnèrent les soins les plus assidus aux malades, sans craindre ni la contagion ni les fatigues.M. Farge rapporte ensuite les discussions qui eurent lieu dans les assemblées des magistrats et dans celles des députés des paroisses, lorsqu'il fallut choisir une maison pour y transporter les pestiférés. La plupart des opinions qui furent exprimées témoignent beaucoup plus! de émotion que de la sagesse des conseillers, et mon- trent dans quelle incohérence d’idées la PAS jette quelquefois les meilleurs esprits. — 947 — M. Lemarchand communique un fragment d’un Jour- nal anonyme écrit en 1699, et trouvé dans les papiers provenant du cabinet de M. Toussaint Grille. Cette pièce inédite fait connaître exactement l’état du chœur de la cathédrale d'Angers, avant les changements con- sidérables que l’évêque Michel Lepelletier y fit exé- cuter. Elle contient en particulier de curieux détails sur l’ancien jubé, la forme du grand autel, le reli- quaire de la cathédrale et sur les tombeaux des évé- ques Guillaume de Beaumont et Nicolas Geslant. Une Commission composée de MM. Béclard, Godard-Faul- trier et Farge, est chargée de faire un rapport sur ‘ le document communiqué par M. Lemarchand , et d'examiner s’il y a lieu de l’insérer dans le prochain volume des Mémoires de la Société. La séance est close à 9 heures. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 30 JUIN 1858. Présidence de M. Courtiller. M. Louis Pavie regrette qu’on ait oublié d'adresser un diplôme de membre honoraire à M. Halévy. M. le président veut bien se charger de réparer l’omission. M. Eugène Hébert, présenté dans la dernière séance, par MM. Louis et Victor Pavie, est reçu membre titu- laire à l'unanimité. — 348 — M. le secrétaire lit une note de M: Courtiller, jeune, de Saumur, intitulée : Les amours d’une araignée. C’est un travail du même genre que le Duel d’une chryside et d'une abeille maconne, dont il a été donné lec- ture à la Société, dans la séance du 17 février der- mer. M. Courtiller étudie les mœurs des insectes avec une patience que rien ne lasse et une finesse à laquelle rien n'échappe. Un jour de printemps , il observait une araignée femelle, immobile au milieu de sa toile, lorsqu'il vit s'approcher d’elle une araignée mâle « qui cherchait aventure. » Il y eut beaucoup de ré- sistance d’un côté, beauconp de circonspection de l’autre. La femelle finit cependant par céder, après quoi le mâle s'enfuit précipitamment, dans la'crainte de devenir la proie, de sa redoutable compagne. L'a- raignée fécondée alla se mettre en embuscade .dans la retraite obscure qu’elle habitait. Mais un insecte, de l’ordre des hymenoptères, un pompile, l’avait aperçue et vint agiter sa toile. L’araignée sortit aussitôt de son réduit, croyant trouver au piége quelque mou- che imprudente dont elle se réjouissait de faire vic- tuaille. C'était un ennemi puissant et il fallut com- battre. Le pompile ayant été vainqueur traîna jusqu’à son nid le corps de sa victime et, pour la dérober aux regards, l’entoura de grains de sable et de brins d'herbe. Ce n’élait point un butin destiné à le nour: rir : le pompile songeait à sa postérité. Quelques instants après, il déposa un œuf sur les restes encore tièdes de l’araignée. Mais déjà une autre larve, celle d’un diptère plus prompt et plus avisé, s’y trouvait enfouie. Elle s’y développa aux dépens de. l'œuf de — 349 — l’hymenoptère, si bien que les amours d’une araignée finirent par la naissance d’une mouche.— La Société qui a écouté avec le plus vif intérêt la lecture du tra- vail de M. Gourtiller ; en vote immédiatement .l’im- pression. M. Belleuvre reprend le Voyage en Suisse, dont il a lu un premier fragment dans l’une des dernières séances. Il décrit les environs du lac de Genève, les sévères beautés des Alpes autour de la vallée de Cha- mouni , les aspects variés du Mont-Blanc, les grands spectacles du Montanvert, de la Mer de glace et de la Tête-Noire, et s'arrête à Martigny, au bord du Rhône. M. Belleuvre raconte avec charme et sait reproduire fidèlement les scènes qui ont ému ou captivé son ima- gination. — M. le présidént soumet l'examen de son Voyage à une Commission composée de MM. Victor Pavie, Moron et Lemarchand. En l’absence de M. le docteur Farge, qui devait communiquer de nouveaux documents sur la peste de 1589, M. le secrétaire lit une étude de M. d’Espinay, substitut à Saumur, sur les Formules angevines. L’au- teur, après des considérations fort savantes sur la lé- gislation barbare et sur les modifications apportées au régime romain par l'invasion germanique, fait connaître l’organisation administrative des cités de la Gaule, à l’époque mérovingienne, particulièrement celle de la ville d'Angers. Il explique le rôle des évêé- ques, les fonctions des décurions, des duumvirs, des défenseurs et des comtes. Tout ce qu'il affirme est appuyé sur des citations précises, empruntées à des texies authentiques, et quand il énonce une opinion — 300 — sur un fait incertain, elle semble si vraisemblable, si rationnelle, qu’on ne songe pas à la contester, Dans sa séance du 17 février dernier , la Société a décidé qu’une médaille d’or serait donnée à l’auteur du meilleur mémoire inédit, relatif à l’histoire d’An- jou, et fixé au 1er juillet 1858 la clôture du concours. Sur la demande de plusieurs personnes, la Société dé- _clare qu’elle recevra les travaux des concurrents jus- qu’au 90 de ce mois. M. le secrétaire-général est prié de faire connaître cette résolution au public par la voie des Journaux. La séance est levée à 9 heures. Le Secrélaire-général , ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 9 JUILLET 1858. La séance s'ouvre à sept heures du soir sous la pré- sidence de M. Villemain, secrétaire perpétuel de l’Aca- démie française, que des affections de famille ont appelé à Angers (1). Presque tous les membres de la Société, attirés par la présence du célèbre écrivain, assistent à la réunion. M. Courtiller remercie M. Villemain d’avoir bien voulu venir présider les modestes travaux d’une So- ciété dont le principal mérite est d’entretenir le goût (1) Une des filles de M. Villemain a épousé M. Allain-Targé, fils, avocat à Angers. it — de l’étude dans un pays qui compte beaucoup de lit- térateurs, de savants et d'artistes distingués. Il lui rappelle ensuite avec une douce fierté mêlée de tris- tesse qu'il a été son condisciple pendant plusieurs années au collége Louis-le-Grand : « Déjà, dit-il, vous ) » » étiez notre maître à tous et vous vous éleviez si haut parmi nous que nous nous rappelions involon- tairement ce vers de Virgile : Quantum lenta solent inter viburna cupressi. » C'était pour suivre vos traces, c’élait pour imiter votre exemple que nous redoublions d'efforts, el j'attribue au bonheur d’avoir étudié avec vous le rang élevé qu'ont atteint dans les lettres, dans lad- ministration, dans la magistrature, dans les conseils du pays, la plus grande partie des élèves qui sui- vaient le même cours. Quant à ceux qui, comme moi, n’ont eu à parcourir qu'une modeste carrière, ils ont au moins conservé depuis leur jeunesse un vif sentiment de l'amour des lettres et le goût de ces études dont l’orateur romain disait: Hæc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant, secundus res ornant, adversis perfugium et solatium præbent ; delectant domi, non impediunt foris , pernoctant no- biscum, peregrinantur , rusticantur…. C’est à ces études que je dois l'honneur de m’asseoir aujour- d’hui auprès de vous; c’est à vous que je dois de les avoir cultivées, de les avoir aimées. » - Tout ému de ces souvenirs de jeunesse, si heureu- sement et si délicatement évoqués, M. Villemain se lève, et, après quelques paroles de cordiale gratitude — 992 — adressées à M. Courtiller, félicite la Société de l’a- mour sincère et éclairé qu’elle à su conserver pour l'étude à travers tous les égarements et toutes les agitations du siècle. C’est aux lettres, mais aux lettres cultivées avec le goût de la justice et de la vérité, que l’éloquent professeur a dû ses meilleurs jours. Il ne veut jamais cesser de les louer ni de les faire aimer, Car ainsi qu'on vient de le dire , elles sont le charme de tous les âges, de toutes les situations, de- lectant domi, non impediunt foris, nobiscum peregri- nantur, rusticantur…; et en répétant ce dernier mot, le spirituel académicien désigne du regard les fruits, les fleurs et les verts massifs des jardins qui environ- nent le lieu de nos réunions. M. Courtiller propose de donner le titre de mem- bre honoraire à M. Bourlon de Rouvre, préfet de Maine et Loire, qui a si gracieusement offert une mé- daille d’or au Comice horticole, à l’occasion de la derniére exposition de fleurs. La proposition de M. Courtiller est adoptée à l’unanimité. On présente douze candidats sur lesquels M. Adol- phe Lachèse est chargé de faire un rapport à la pro- chaine réunion. Ce sont MM. Théophile Crépon, subs- titut de M. le procureur impérial; Coutret, vice-pré- sident du tribunal civil; Moricet, conservateur des hypothèques; Hiron, chef de division à la préfecture; Allain-Targé, père, ancien procureur-général ; Allain- Targé, fils, avocat; l'abbé Bodaire, aumônier de l'É- cole des arts et métiers; Alfred Bazin, négociant, ancien avocat ; Adrien Maillard, avoué ; Emile Prévost, Gabriel Billard et Elie Charil, avocats. — 353 — L'ordre du jour appelle la lecture d’un rapport de M. Adolphe Lachèse sur un Poème inédit du xve siè- cle, communiqué par M. Lemarchand dans la séance du 13 janvier dernier. On se rappelle que ce poème, d’un auteur nommé Jean Petit, à pour objet l’Eloge des femmes. Le rapporteur fait remarquer que l’œuvre a beaucoup de ressemblance avec un poème célèbre du commencement du xix® siècle, Le Mérite des femmes, par Legouvé, et cite plusieurs passages des deux com- positions, dans lesquelles l’analogie est frappante. Jean Petit, comme Legouvé , venge avec énergie les femmes des outrages et des injustices dont elles ont été l’objet. Tous les deux vantent les mêmes vertus, signalent à peu près les mêmes traits de dévouement, d’abnégation, d'héroïsme ; et il n’est pas en effet jus- qu’à ce vers {ant répété : LU Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère, dont on ne retrouve la pensée dans le poème exhu- mé. Il n’est pas probable cependant que Legouvé ait eu connaissance de l’opuscule de Jean Petit. M. La- chèse n’oserait pas d’ailleurs accuser de plagiat un poête qu’il aime et qu’il estime encore , en dépit des railleries de l’école moderne. Ce qu’il faut croire, c’est que la similitude des idées et des images est peut-être plus étroitement liée qu’on ne pense à l’i- dentité des sentiments. M. le docteur Farge , aprés avoir rappelé dans un exposé rapide mais saisissant les commencements de la peste qui’sévit en 1589 à Angers, communique de SOC. D’AG. 23 — 3854 — nouveaux détails sur la marche du fléau, signale les actes de dévouement auxquels son invasion donna lieu, et décrit les tristes effets de la terreur sur cer- taines âmes que les habitudes religieuses semblaient devoir rendre plus calmes et plus fermes. Le travail, si plein de recherches et si bien coordonné de M. le docteur Farge, ne fait pas seulement connaître les phases diverses de la maladie funeste qui désola notre cité sous le règne d'Henri IIT. Il contient encore les renseignements les plus curieux sur les mœurs privées et publiques,sur les institutions administratives, et sur l’état de la science dans la seconde moitié du xvr° siècle. M. Victor Pavie lit plusieurs pages détachées d’un Voyage de Brelagne. I] part de Lorient et ne va pas plus loin que Quimperlé ; mais dans cette courte excursion, où un voyageur ordinaire n’eût presque rien remarqué, quel monde pittoresque n'a-t-il pas découvert! Il est vrai que les moindres objets suffisent pour donner le branle à son imagination mobile et féconde. La fu- mée d’un cigare, qu’en France on jette avec distrac- tion à toutes les brises, est pour lui comme un voile magique à travers lequel il entrevoit des spectacles et des physionomies étranges ; une barque qui file sur la mer, un goëland qui rase la surface de l’eau, une fleur éclose dans la fente d’un rocher, le chant d’un matelot ou le son d’un biniou, tout captive sa fantai- sie, parce qu’il est de ceux que dévore la passion de l'idéal et qui cherchent à déchiffrer partout, depuis le brin d'herbe jusqu’à l’étoile, les caractères de l’al- phabet divin. Une notice sur Beaupréau, par M. Lemarchard, — 9399 — suit la lecture de M. Pavie. Rédigée à l’aide de docu- ments puisés dans les monuments de la Bibliothèque d'Angers et dans les archives de M. le marquis de Civrac, elle fait connaître les différentes familles qui ont possédé Beaupréau depuis le xe siècle jusqu’à nos jours, et contient le récit des principaux événements dont cette ville a été le théâtre, particulièrement pen- dant le xvie et le xvue siècles. Le premier seigneur de Beaupréau fut un chevalier nommé Josselin ou Gauz- lin de Rennes, dont le petit-fils, Giroire, fonda en 1062 les prieurés de Saint-Martin et de Saint-Pierre d'Andrezé. La maison de Gauwzlin s’éteignit dans le xIve siècle, et la terre de Beaupréau passa successive- ment dans les familles de Laval - Montmorency, des Roches, de Bazoges et de Montiespedon. Philippe de Montespedon, veuve du maréchal de Montjean, épousa en 1540 Charles de Bourbon, seigneur de la Roche- sur-Yon, qui fit ériger Beaupréau, simple baronnie, en marquisal, puis en duché. Un seul fils naquit de ce mariage, Henri de Bourbon : il mourut à quinze ans écrasé par un cheval fougueux dans un tournoi donné à Orléans. Philippe de Montespedon donna le duché de Beaupréau à l’un de ses parents, Guy de Scepeaux, seigneur de Landevy et de Mausson. Mais un autre membre de sa famille, Vauldrey de Saint- Phalle, fougueux ligueur, revendiqua l’héritage, et à la faveur des troubles civils, s’empara de vive force du château. Un arrêt du parlement de Paris, de 1599 ; rendit à la maison de Scepeaux les biens dont elle avait été dépouillée , et Jeanne de Scepeaux, si cé- lèbre par sa beauté,‘ porta la seigneurie de Beaupréau — 356 — dans la maison de Gondi qui la transmit à la famille de Neufville-Villeroy. En 1737, la terre de Beaupréau fut vendue par le duc de Villeroy, petit-fils du maré- chal de France, à Jacques-Bertrand de Scepeaux, lieu- tenant-général des armées du roi. Celui-ci la laissa à ses deux filles, la maréchale d’Aubeterre et la com- tesse de la Tour d'Auvergne. M. le marquis de Dur- fort de Civrac la possède aujourd’hui. Aprés cette communication, M. Lemarchand lit en- core une Elégie et des stances intitulées : Regina cœli lœtare. L'ordre du jour étant épuisé, M. Villemain prend la parole, et avec cette sûreté de jugement, cette finesse de goût dont il a donné si souvent des preuves dans ses belles leçons de la Sorbonne, caractérise chacun des travaux lus en sa présence. Le rapport de M. Adolphe Lachèse l’a vivement inté- ressé, et il trouve aussi curieux que vrai le parallèle qu’a établi le rapporteur entre un poëte du xve siècle, peu familier encore avec les difficultés de la versifi- cation, mais naïvement original, et un poète moderne dont les vers «un peu dépassés aujourd’hui» ne lais- sent pas que de charmer toujours le cœur et l'esprit. M. Villemain ne se sent pas compétent pour ap- précier la partie technique du mémoire de M. le doc- teur Farge sur la peste de 1582; mais il sait gré à l'auteur d’avoir fait ressortir, tout en décrivant la contagion, les actes de dévouement, les traits de cou- rage et de générosité qui se sont produits au milieu de la terreur générale, comme dans les pestes célébres de Florence, de Milan et de Marseille. — 991 — Dans le fragment de voyage communiqué par M. Pavie, M. Villemain a reconnu les facultés élevées, la riche imagination, peut-être aussi les tendances un peu paradoxales d’un écrivain dont une amitié il- lustre l’a plusieurs fois entretenu. On avait espéré que M. Pavie lirait quelques vers. M. Villemain re- grette que cette espérance ne se soit pas réalisée. «Il » est vrai, dit-il, qu’à cela près des rimes, la prose » que nous venons d'écouter est un poème, et qu’on » peut appliquer à M. Pavie ce vers d’un poète, aussi » dépassé. 1 Même quand l’oiseau marche on sent qu’il a des aïles.(1)» L'assemblée s'associe par des applaudissements à cet éloge ingénieux et si mérité. M. Villemain adresse encore quelques mots bien- veillants à M. Lemarchand, puis termine en remer- ciant les membres de la Société de l’avoir invité à venir passer au milieu d'eux une soirée dont il gar- dera chèrement le souvenir. La séance est levée à 9 heures. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 98 JUILLET 1858. Présidence de M. Courtiller. Sur les conclusions de M. Adolphe Lachèse, rap- porteur de la Commission nommée dans la séance (1) Lemierre. — 998 — du 9 juillet dernier, MM. Allain-Targé, père et fils, Alfred Bazin, Billard, Bodaire, Elie Charil, Théophile Crépon, Coutret, Hiron, Adrien Maillard, Moricet et Emile Prévost, sont reçus à l’unanimité membres ti- tulaires. Deux mémoires relatifs à l’histoire d'Anjou ont été adressés à M. le secrétaire. Une Commission compo- sée de MM. Sorin, Béclard, Dainville et Lemarchand, est chargée de les étudier et de faire connaître, dans la prochaine séance, auquel des deux auteurs il con- viendrait de décerner le prix fondé par le Conseil gé- néral. M. le président pense qu'il serait nécessaire de mo- difier plusieurs articles du règlement, particulière- ment l’article qui limite au chiffre de 80 le nombre des membres titulaires de la Société. La question sera soumise à une Commission dont les membres seront choisis dans la réunion du mois de décembre prochain. La séance est close à 9 heures. Le Secrétaire-général, ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 13 AOÛT 1858. Présidence de M. Courtiller. M. le président communique à la Société un mé- moire intitulé : Nouvelle méthode de culture et d’ense- mencement des céréales, par M. Félix Aroux, propriétaire — 9399 — et horticulteur à Montaure (Eure). M. Allain-Targé fait remarquer que la question des céréales est en ce moment très agitée parmi les agronomes, et qu’en Anjou particuliérement ; on s’occupe beaucoup de la culture du colza. Il lui semble donc très utile que toutes les observations relatives à cette question soient exposées à la Société. L’examen du travail de M. Aroux est renvoyée à une Commission composée de MM: Al- lain-Targé, Hébert et Moricet. M. Courtiller demande : 4° Qu'un diplôme de membre titulaire soit accordé à M. Lenoir, ancien notaire; 2 que MM. d’Epinay, substitut à Saumur, et Courtiller, jeune, directeur du Musée de cette ville, soient admis parmi les membres correspondants de la Société. MM. Adrien Maillard, Allain-Targé et Adol- phe Lachèse sont chargés de faire un rapport, à la prochaine réunion, sur ces trois candidats. M. Eliacin Lachèse rend compte d’un ouvrage de M. le comte Léon de Laborde, intitulé : Umion des arts et de l'industrie. M. de Laborde veut que l’art se vulgarise, qu'il prenne un caractère d'utilité publi- que, et qu’au lieu d’être une sorte de langue mysté- rieuse, connue seulement d’un pelitnombre d’adeptes, il se rende accessible à toutes les intelligences. M. La- chèse combat avec énergie cette doctrine funeste, et montre à quel état de stérilité elle réduirait en par- ticulier le domaine musical, déjà si appauvri par l’al- tération du goût public. Des voix éloquentes ont pro- testé au sein de l’Institut, parmi les membres de l’Aca- démie des beaux-arts, contre les idées émises par M. de — 360 — Laborde, et M. Lachèse espère qu’elles ne feront pas de nombreux prosélytes. Après le rapport de M. Lachése, M. le secrétaire re- prend et achève la lecture de la savante dissertation de M. d’Epinay sur les Formules angevines. La première partie de ce travail avait fait connaître l’organisation de la cité mérovingienne et l’état des terres, aux pre- miers temps de notre monarchie. Dans la seconde partie, M. d’Epinay explique d’abord ce qu'était en Anjou, à cette époque, la législation sur le mariage. Malgré les efforts de l'Eglise, la dignité du sacrement et l’indissolubilité du lien conjugal n’étaient pas tou- jours respectées. « Les usages locaux, dit l’auteur, » étaient d'accord avec la barbarie des mœurs fran- » ques et la licence des mœurs romaines. L'une de » nos formules prouve, en effet, que les mœurs an- » gevines, qui devaient être citées plus tard pour leur » fidélité à accomplir les devoirs conjugaux, usaient » encore sans scrupule, au vire siècle, de la faculté » de divorcer par consentement mutuel. » M. d’Epi- nay étudie ensuite le droit de succession et termine par un chapitre fort curieux sur les différentes es- pèces de contrats de vente et d'échange en usage chez les Francs. À cette lecture succède, sous le titre de Bienvenue, une gracieuse et spirituelle épître de M. Adrien Mail- lard, collègue reçu d’hier, mais depuis longtemps at- tendu. L'auteur commence par décrire les monuments dont l’ombre se projette jusqu’au seuil de l’enceinte où se tiennent les séances de la Société : ici le logis — 361 — Barrault, qui renferme aujourd’hui toutes les richesses artistiques et littéraires de notre ville ; là les restes du pieux monastère Où pria le novice en des psautiers latins, et la vieille église de Toussaint, montrant encore à quelques amis des ruines Sa rosace ébréchée aux vents de l’aquilon. A côté de ce tableau, l’un des meilleurs et des plus fidèles que nos ruines gothiques aient inspirés , se place un récit non moins pittoresque des travaux et des explorations de la Société, tantôt occupée À sauver de l’abime ou du fond des poussières Des débris de statue ou d’héraldiques pierres, tantôt parcourant Nos vignobles dorés, nos plaines labourées, Nos bois où le druide a semé son horreur, Nos donjons que l’histoire empreignit de couleur, Nos villages comblés de moissons sans pareilles, Nos jardins frémissants des ailes des abeilles... Le poëte adresse ensuite des félicitations à la So- ciété, pour le goût éclairé dont elle a fait preuve dans le choix de ses présidents. Ses premiers hom- mages sont pour les deux orateurs célèbres qui ont bien voulu prendre sous leur patronage éminent notre modeste Académie. Puis il se tourne vers les deux hommes distingués et studieux qui dirigent habituel- lement nos séances, et trace de chacun d’eux un por- — 302 — trait dont toutes les nuances sont aussi vraies qu’elles sont fines et délicates. Les vers de M. Maillard ont tenu constamment les attentions captives, et les membres de la Société le, remercient du plaisir qu'il leur a causé par de vifs applaudissements au bruit desquels la séance est levée. L Le Secrétaire-général, ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 17 NOVEMBRE 1858. Présidence de M. Courtiller. M. le Secrétaire communique : 1° Une lettre de M. Adville qui, ne pouvant plus assister aux séances de la Société, prie M. le prési- dent de vouloir bien accepter sa démission. 2 Une circulaire du 26 août 1858, adressée par M. le ministre de l’Instruction publique et des Cultes à toutes les Sociétés savantes, et relative aux recher- ches à entreprendre pour la préparation d’un Diction- naire historique de la France. Cette circulaire est ren- voyée à la Commission archéologique, avec prière de fournir aussi promptement que possible à M. Rouland les renseignements demandés. 30 Une lettre de M. de Lens, qui indique diverses dispositions arrêtées par le Comté de la topographie des Gaules, et invite la Société à faire part à S. Exc. M. le ministre de l'instruction publique et des Cultes, à — 363 — par l'intermédiaire de M. le recteur de l’Académie de Rennes, de tous les documents qu’elle peut pos- séder sur les monuments celtiques, romains et méro- vingiens de l’Anjou. Cette lettre est transmise, comme la circulaire précédente, à MM. les membres de la Commission archéologique. La Société vote des remerciements à MM. Aimé de Soland , Tavernier et Prudhomme, qui lui ont fait hommage : le premier, du tome 111 des Annales de la Société linnéenne ; le second, de ses Souvenirs de l'Exposition de 1858; le troisième, d’une série d’Ob- servalions météorologiques relevées à Cholet, pendant les années 1855 et 1856. M. Belleuvre présente M. Dulos, professeur de mé- canique à l'Ecole des arts et métiers et à l'Ecole d’en- seignement supérieur. MM. Farge, Prévost et Villers sont chargés de faire un rapport sur cette présenta- tion, conformément aux prescriptions de l’art. 15 du règlement. M. Crépon, substitut de M. le procureur impérial, lit la première partie d’une Etude sur la noblesse avant 1789. Il rappelle d’abord l’origine de cette institution, ses caractères essentiels et les services qu’elle a rendus à la monarchie. Il recherche ensuite les causes qui ont pu l’affaiblir et susciter contre elle les haines implacables qui se sont manifestées à l’époque de la Révolution. La noblesse, dit-il, n’a pas perdu sa force et sa grandeur, parce qu’elle était une caste trop fer- mée; mais, au contraire, parce qu’à partir du règne de Philipppe-le-Bel , c’est-à-dire de la création des lettres d’anoblissement, elle était devenue peu à peu — 364 — une caste trop ouverte. La noblesse s’altéra encore, suivant l’auteur, parce que ses charges, qui étaient considérables dans les premiers temps, allèrent en diminuant à mesure que ses priviléges augmentérent; parce que les titres, qui devaient avoir pour but d’en- tretenir dans les familles la passion du dévouement et de l’héroïsme , ne furent trop souvent que des sym- boles de faste et d’ostentation, des amorces jetées à la vanité. M. Crépon termine en donnant quelques détails sur la noblesse militaire et la noblesse territo- riale, sur leurs devoirs particuliers, les droits dont elles jouissaïent et le rôle qu’elles remplissaient dans l'Etat. Son travail, écrit d’une main sûre, conçu avec sagesse, entrepris en dehors de toute préoccupation d'école ou de parti, et étudié aux bonnes sources, a excité vivement l'intérêt de la Société. L'ordre du jour appelle la lecture d’une pièce de vers de M. Adrien Maillard : L'atelier de David. Ja- mais un hommage plus pieux, plus éloquent ni plus vrai n’avait été rendu à la mémoire de l'illustre sta- tuaire auquel lAnjou s’enorgueillit d’avoir donné naissance. Ce n’est pas seulement une description des œuvres immortelles créées par le génie de David, des statues qu’il a taillées pour toutes les gloires de la France, des bustes et des médailles à l’aide desquels il a popularisé les noms de tous nos grands hommes ; c’est encore le récit de sa vie si agitée et si remplie, de ses angoisses et de ses joies, de ses espérances et _ de ses regrets, de ses aspirations et de ses rêves, de sa jeunesse pauvre et laborieuse , de sa maturité triomphante et de sa vieillesse attristée. Pour tra- — 365 — duire celte épopée d’une grande âme , M. Maillard a trouvé des accents qui ont ému tous les cœurs , et plusieurs fois il a pu juger des sentiments de l’audi- toire, par les applaudissements qui le forçaient de s’in- terrompre. À peine M. Maillard était-il rentré dans les rangs de ses collègues, qu’une lettre de M. Louis Pavie a été déposée sur le bureau. M. le président en a donné lecture. Elle contenait la proposition de décerner à M. Maillard là médaille d’or promise par la Société, depuis 1856, à l’auteur du meilleur Eloge de David. M. Sorin fait observer que la Société a demandé un éloge en prose, et qu’elle ne pourrait, sans man- quer à un engagement sacré , adopter-la proposition de M. Pavie. Il ajoute que le délai fixé pour le dépôt des manuscrits est expiré depuis plusieurs mois, et que si la Commission chargée d’examiner les travaux présentés (Commission dont il raconte avec beaucoup d'esprit les imfortunes), n’a pas encore rédigé son rap- port, ce n’est pas une raison pour rendre les concur- rents victime d’un retard qui ne leur est point impu- table. M. Sorin cependant admire , autant que tous ses collègues, les vers de M. Maillard ; il les a cha- leureusement applaudis, et, pour tout concilier, il demande que ces vers soient lus dans la séance pu- blique où seront distribuées les récompenses de la Société. Une discussion animée , au milieu de laquelle les membres de la Commission du concours confessent à l’envi leur négligence , s’engage sur la lettre de — 366 — M. Pavie. M. Cosnier incline du côté opposé à M. So- rin. M. Farge est incertain et sollicite des éclaircis- sements qu'on ne lui donne pas. Enfin, sur la pro- position de M. Lemarchand, la Société ordonne le renvoi de la lettre de M. Louis Pavie aux membres de la Commission du concours, qui, dans un élan de repentir, prennent la résolution sérieuse de rédiger leur rapport pour la prochaine séance, fixée au 1er dé- cembre. L Cet incident écarté, la Société s'occupe d’un autre concours ouvert par elle en 1857 et qui a été clos le 31 juillet dernier. Il s’agit d’une médaille d’or offerte par le Conseil général et qui doit être décernée à l’auteur du meilleur mémoire relatif à l’histoire et à la topographie de l’Anjou. Deux travaux ont été pré- sentés. L’un est de M. Bonneserre de Saint-Denis, rédacteur de l’Union de l'Ouest, et a pour titre Notice sur Châteaugonthier. L'autre est de M. Godard-Faul- trier et est intitulé : Monuments antiques de l'Anjou, ow Mémoire sur la topographie gallo-romaine du dé- partement de Maine et Loire, d’après les inscriptions , les médailles, les sépultures, les débris d'architecture ou de sculpture et les noms de lieux. Une Commission’, composée de MM. Sorin, Légeard, Dainville, Béclard et Lemarchand avait été chargée d'examiner ces mé- moires. Le rapporteur, M. Lemarchand, les analyse, les commente, et en fait ressortir toutes les qualités sans en dissimuler les défauts. Sur ses conclusions, la Société décide que la médaille d’or sera décernée à M. Godard-Faulirier, et qu’une mention hono- — 367 — rable sera accordée à M. Bonneserre de Saint-Denis. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est letée à neuf heures et demie. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 1er DÉCEMBRE 1858. Présidence de M. Sorin. M. Eliacin Lachèse, qui avait été chargé de présen- ter un rapport sur les dernières publications adressées . à la Société, déclare qu’il n’a trouvé aucun travail important à signaler dans les divers opuscules soumis à son examen. M. Lemarchand présente M. Henri Meauzé, négo- ciant à Angers. La Société votera sur cette candida- ture à la prochaine séance , où elle aura aussi à se prononcer sur celle de M. Dulos, professeur de né- canique à l'Ecole des arts et métiers. L'ordre du jour appelle la lecture d’un rapport de M. Léon Cosnier, sur les travaux du concours de 1857. Le sujet proposé était, comme on le sait, l’E/oge de David d'Angers, et les concurrents devaient écrire en prose. Deux manuscrits ont été envoyés à la Société; mais un seul, celui de M. Hippolyte Durand, satisfait aux conditions du programme; le second, écrit en vers, a dû être écarté. La Commission du concours a examiné avec soin le mémoire de M. Durand , et le — 368 — rapporteur, après avoir rendu hommage aux qualités nombreuses qui distinguent cette étude, remarquable par la pureté et l'élégance du style, indique, avec beaucoup de tact et de mesure, les défauts qui s’y rencontrent. M. Durand s’est montré parfois d’une sévérité excessive pour notre célèbre statuaire. Sans doute toutes les œuvres de David ne sont pas éga- lement dignes d’admiration, et il était permis en le louant de faire des réserves. Mais le jeune écrivain a mêlé à ses éloges des critiques un peu hautaines, et oublié peut-être, en maint endroit, qu’il parlait de l’une des plus grandes gloires de notre siècle, d’un homme de génie sur la tombe duquel M. Halévy di- sait naguère : « Il n’y a place ici que-pour la recon- naissance. » La majorité des membres de la Commission croit donc que le prix ne saurait être décerné à M. Durand et se borne à demander que la Société lui accorde une mention très honorable. Quant au poème de M. Adrien Maillard, la Commission — d’accord en cela du reste avec l’auteur lui-même — pense qu'il ne peut être admis au concours, non-seulement parce qu’il est venu trop tard, mais encore parce qu'il est, par sa forme, en dehors du programme ; conformément à la proposition de M. Sorin, elle exprime le vœu que ce poème, où sont si bien rendus les sentiments des concitoyens de David, soit lu dans la prochaine séance publique. Avant de mettre la question aux voix, M. le prési- dent croit devoir appeler l'attention des membres de la Société sur son importance. On passe ensuite au — 969 — scrutin et les conclusions du rapport de M. Léon Cos- nier sont adoptées à la majorité de onze voix contre cinq. M. le secrétaire consulte la Société sur les mesures à prendre pour l’organisation de la séance dans la- quelle devront être distribuées les récompenses ac- cordées à MM. Godard-Faultrier et Bonneserre de Saint- Denis. Le bureau est chargé de régler tous les pré- paratifs de cette solennité. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à huit heures et demie. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 30 DÉCEMBRE 1858. Présidence de M. Courtiller. On communique une lettre de M. le rédacteur en chef de la Patrie, qui demande des renseignements sur l’origine et les travaux de la Société. M. Eliacin Lachèse veut bien se charger de la réponse. M. Adolphe Lachèse est prié de faire un rapport sur le dernier volume publié par la Société des sciences et belles-leitres de Toulouse (année 1858). MM. Crépon, Coutret ei Prévost sont désignés par M. le président pour examiner les comptes de M. le trésorier et présenter le projet de budget de l’année 1859. SOC. D’AG. 24 — 310 — M. Crépon, continue la lecture de son Mémoire sur la noblesse avant 1789, et expose les divers change- ments qui se sont produits dans cette institution de- puis la fin du moyen âge jusqu’à Louis XIV. En gé- néral, pendant cette, longue période, les anoblisse- ments se multipliérent, quelquefois dans, un but d’uti- lité élevé, presque toujours par des motifs plus pro- pres à détruire qu’à augmenter le preslige de l’aristo- cratie. Louis XI vendait des lettres de noblesse pour enrichir le Trésor ou se concilier l’affection de la bourgeoisie; et parfois les agents du fisc étaient si avides qu’ils anoblissaient de force les roturiers opu- lents. C’est ce qui arriva pour un marchand de bœufs de Normandie, nommé Richard Grain-d’Orge , qui, malgré son immense fortune, semblait fort peu ja- loux d’accoler un titre à son nom. Henri III créa des nobles pour faire oublier les désordres de sa cour, Richelieu pour favoriser le développement de la ma- rine, Louis XIV, pour accroître l’éclat de son règne ou satisfaire aux exigences de son faste. De temps à autre cependant, les rois s’effrayaient du nombre sans cesse croissant des anoblis, et essayaient de metire un frein aux ambitions insatiables qu’ils avaient eux- mêmes suscitées imprudemment. L’un des plus célè- bres édits de révocation fut rendu sous Henri IV, en 1598. Malheureusement l'exécution ne fut pas pour- suivie avec beaucoup de rigueur, et les abus ne tar- dèrent pas à se renouveler. Le principe de la, no- blesse, si grand et si fécond, allait donc toujours en s’affaiblissant à mesure que le pouvoir royal, deve- — ST — nant, plus absolu, se montrait moins scrupuleux dans la distribution des titres, et faisait dépendre les pri- viléges beaucoup moins des services rendus que de sa volonté souveraine, tropsouvent mobile et capricieuse. M. Crépon reprendra prochainement, son important travail, où les documents les plus curieux sont cités à l'appui des considérations les plus sages. M. l’abbé Barbier de Montault lit la première: par- lie d’une Etude sur deux psauliers manuscrits l’un du xive, l’autre du xve siècle), appartenant à M. l'abbé Benoist, aumônier du Bon-Pasteur. L’habile paléogra- phe signale les miniatures et les ornements qui pré- sentent quelques particularités remarquables, cite plu- sieurs pièces rimées où la pureté de la poésie se combine heureusement avec la naïveté de la forme, et n’omet aucun des détails qui peuvent servir soit à l’iconographie , soit aux travaux liturgiques, soit à l'étude du vieux langage français. Sur le rapport de M. le docteur Farge, MM. Dulos et Henri Meauzé sont reçus, à l’unanimité, membres titulaires. | M. le président présente M. l’abbé de Beaumont, vice-secrétaire du Comice horticole. MM. Adolphe La- chèse, l'abbé Chevallier et Lemarchand sont chargés de faire un rapport, à la prochaine séance, sur cette candidature. , , Conformément aux dispositions de l’art. 14 du ré- glement, la Société procède à l’élection d’un prési- dent, d’un vice-président, d’un secrétaire, d’un tré- sorier et d’un archiviste, pour l’année 1859. Après le — 872 — dépouillement du scrutin, le bureau se trouve ainsi constitué : : Président : M. Courtiller, aîné. Vice-président : M. Pavie, pére. Secrétare-général : M. Lemarchand, qui ayant été nommé pour deux ans, au mois de décembre 1857, ne doit sortir de charge qu’à la fin du mois de dé- cembre prochain. Secrétaire : M. Eliacin Lachèse. Trésorier : M. Belleuvre. Archiviste : M. Dainville. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire-général , ALBERT LEMARCHAND. LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ. PRÉSIDENTS D'HONNEUR , MM. Villemain , secrét.-perpétuel de l’Académie française. Comte de Falloux, membre de l’Académie française. PRÉSIDENT HONORAIRE. M. de Beauregard. BUREAU, MM. Courtiller, président. Pavie, père, vice-président. A. Lemarchand, secrétaire-général. E. Lachèse, secrétaire. P. Belleuvre , trésorier. E. Dainville, archiviste. MEMBRES TITULAIRES, MM. Allain-Targé, ancien procureur-général. Allain-Targé, Henri, avocat. — 314 — D’Artaud (comte), payeur du département. Barbier de Montault (l’abbé). Bazin, Alfred, négociant. De Beaumont (l’abbé). De Beauregard, présid. de chambre hon. à la C. imp. Béclard, avocat. Belleuvre, propriétaire. Bellier, conseiller à la Cour impériale. Billard , Gabriel, avocat. Blavier, ingénieur des mines. Bodaire (l'abbé), aumônier de l'Ecole des arts. Boutton-Lévêque, maire des Ponts-de-Cé. Brunetière , propriétaire. Charil, Elie, avocat. Chevallier (l’abbé), vicaire à Saint-Laud. Choyer (l’abbé). De Contades (comte Méry), conseiller-général. Cosnier, Léon, imprimeur-libraire. Coulon, professeur à Saumur. Courtiller , conseiller à la Cour impériale. Coutret, vice-président du Tribunal civil. Crépon, substitut du Procureur impérial. Dainville, fils, architecte. Dulos, professeur à l’Ecole des arts et métiers. Fairé, avocat. De Falloux (comte), mémbre de l’Académie française. Farge, doct.-méd. direct. de l’Ecole d’enseign. sup. François-Villers, architecte. Godard-Faultrier , directeur du musée d’antiquités. Guibert, propriétaire. Guinoyseau-Joûübert , négociant. — 875 — Hunault de la Pelterie, docteur en médecine. Janin, capitaine en retraite. Janvier de la Motte, Elie, cons. hon. à la Cour imp. Lachése, père, directeur hon.de l'Ecole de médecine. Lachèse, Adolphe, doct. en médecine, imp.-libraire. Lachèse, Ferdinand, architecte du département. Lachèse, Eliacin, conseiller à la Cour impériale. Lachèse, Paul. Lebreton, ancien pharmacien. Legeard de la Diriays, curé de la Trinité. Le Gris, Ludovic, propriétaire. Lemarchand, bibliothécaire-adjoint de la ville. Lenoir-Maunoir, notaire honoraire. De Lens, inspecteur de l’Académie. Leroy, André, horticulteur. Logerais, père, docteur en médecine. Maillard, Adrien, avoué à la Cour impériale. Maupoint , docteur en médecine. Meauzé, Henri, négociant. Métivier., procureur-général près la Cour impériale. De Mieulle, Joseph, membre du Conseil général. Millet, propriétaire. De Montaigu (marquis). Moricet, conservateur des hypothèques. Moron, professeur au Lycée. Négrier, directeur de l'Ecole de médecine. Orsel, ingénieur des mines. Ouvrard, docteur-médecin. Pavie, père, propriétaire. Pavie, Victor, propriétaire. Prévost, Emile, avocat. — 316 — Prou, avocat. De Quatrebarbes (comte), propriétaire. Rondeau, aîné, néeociapls Saudeur, avoué à Baugé. Sorin , inspecteur honoraire de l'Académie, Tavernier, Louis, réd. du Journal de Maine et Loire. Textoris , capitaine en retraite. | Thierry, père, peintre-verrier. Trouillard, banquier à Saumur. MEMBRES HONORAIRES , MM. Angebault, évêque d'Angers. Bourlon de Rouvre, préfet de Maine et Loire. Duboys, Ernest, maire d'Angers. Gauja, ancien préfet du département. Lèbe-Gigun, ancien receveur des contributions ind. Mourier, recteur de l’Académie de Rennes. Vallon, ancien préfet de Maine et Loire. MEMBRES CORRESPONDANTS, MM. Arnaud, officier au 27e de ligne. Bonci, médecin du grand-duc de Toscane. Bertrand-Geslin, propriétaire, naturaliste, à Nantes. Beulé, professeur d'archéologie à la Bibliothèque imp. Bianquin, ancien pharmacien, à Saumur. Boré, Eugène, direct. du collége de Bébek, à Cons- tantinople. Bouillet, à Clermont-Ferrand. Bretonneau, docteur-médecin, à Tours. Cacarrié, ingénieur des mines , à Grenoble. — 93717 — Caillaud, conserv. du Musée d’hist. natur. de Nantes. Cassin, fils, avocat. De Caumont , prés. de plusieurs Soc. sav., à Caen. Champoyseau, à Tours. Chevreul, membre de l’Institut, à Paris. Courtiller, directeur du jardin botanique, à Saumur. Delastre, ancien sous-préfet, à Poitiers. Desjardins, doyen de la Faculté des lettres de Douai. Didron, à Paris. D’Espinay, substitut du Procureur imp. à Saumur. De l’Estoile, anc. cap. du génie, à la Lande-Chasle. Grellet-Balguerie, à Bordeaux. Godet, imprimeur à Saumur. Grateloup, docteur-médecin, à Bordeaux. Grésy, archéologue, à Paris. Genest, lieutenant-colonel du génie. Guéranger, Edouard, naturaliste, au Mans. Guillou, naturaliste, à Cholet. Halévy, membre de l’Institut. Hamilton, secrét. de la Société d’hortic. de Plymouth. Hélouis-Jorelle, anc. consul à Jérusalem et à Mogador. De Joannis, anc. direct. de l’Ecole des arts et mét. Jourdain (Sainte-Foi), à Doué. Joly-Leterme, architecte diocésain, à Saumur. De Lavernade, à Rheims. Lagrèze-Fossat, à Moissac, Lèébe-Gigun, insp. des travaux d’art de la ville de Paris. Lecoq, prof. d’hist. naturelle, à Clermont-Ferrand. Leclerc, Léon, à Laval. Lechâtellier, ingénieur, à Paris. Lenormand, membre de l’Institut, à Paris. — 8178 — Lambron de Lignim , à Tours. Maindron, statuaire, à Paris. Malherbes, docteur-médecin, à Nantes. Masquelez, percepteur à Chemillé. De Maity de la Tour, ingén. des ponts et chaussées. Mauduyt, direct. du Musée d’hist. natur. de Poitiers. Mauléon, à Paris. Mérimée, Prosper, membre de l’Institut, à Paris. Michaud, chef d'institution, à Lyon. Moure, à, Bordeaux Odorici, directeur du Musée de Dinan. Odard (comte), à Tours. Pavie, Théodore, professeur. au Collége de France. Rieffel, directeur de la ferme-modèle, à Grand-Jouan. ” Rivière, professeur d’hist. nat,, à Napoléon-Vendée. Robert, Cyprien, professeur au. Collége de, France. Rondeau, jeune; directeur d'assurances, au Mans. Schultz, naturaliste à Bitche. Toupiolle, naturaliste. Wolski, ingénieur des mines. TABLE DES MATIÈRES. L'Oliphant du Musée d'Angers, par M. Godard- Faultrier ....... Gao). CODE. cn -dsb6L Des lampes ardentes dans les: cimetières: (Lettre de M. Négrier, ancien vicaire de St-Martin-du-Bois) . Projet iconographique et symbolique, en style du xuie siècle, pour la décoration des verrières absi- dales, dites de la Légion-d’Honneur, dans l'église paroissiale de Longué, par M. Barbier de Montault. François de, la Boullaye le Gouz, par M. Godard- Faultrier..…..... HAL SNE eh este int Mœurs,des insectes (1. Un duel,entre une dmédeel et une abeille maçonne, — 2. Les amours d’une arai- gnée), pan M, Gourtiller, jeune, de Saumur...... Notice historique sur l’abbaye de Saint-Georges-sur- Loire, par M. l'abbé Ghevallier................ Observations liturgiques et iconographiques sur un livre d'heures du xve siècle, par M. X. Barbier de Monfault smash .@2 : ybt sde col she Monnaies seigneuriales découvertes au puits Anceau, en 1858, par M. A. Bourdeille... .. .. M ca Note sur Fontrevrault, par M. Godard-Faultrier. .. La Bienvenue (poésie), par M. Adrien Maillard... Un poème inédit du xve siècle, communiqué par M. Albert, Lemarchand....::..:..... ...... Rapport sur ce poème, par M. Adolphe Lachèse...…. Pages. 15 29 91 08 90 99 104 110 116 126 — 380 — Les Formules angevines, par M. G. d'Espinay...... Audouin, évêque d'Angers (vi: siècle), par M. Godard- Faultrier..Su2sELE 2m entr MULA Eu, Note sur le tombeau d'André Le Porc de la Porte de Vezins, évêque de Saint-Brieuc, par M. l'abbé Che- Vallier 2.10: 220 SRE. «= ee ne Enlèvement des des de saint Apothème , évêque d'Angers, par les religieux de l'abbaye de Redon. (Note de M. l'abbé Chevallier)................. La cathédrale d'Angers en 14699 (Document commu- niqué par M. Albert Lemarchand)............. L'atelier de David d'Angers (poésie), par M. Adrien MaiMard\i .(9.. 2400, 1 AN: TONNES Le siége d'Angers en 1652. (Document communiqué par M. Albert Lemarchand).................. Nouvelles archéologiques (Découverte d’une sépulture franque. — Monnaies angevines ecclésiastiques. — Pourpoint de Charles de Blois. — Fers à cheval à bords ondulés. — Un écu creux. — Inscription de la cloche de Candes. — Inscription de la cloche de Saint-Nicolas de Saumur) , par M. pe Beaupréau, par M. Albert Lemarchand........... La peste et la police de santé à Angers (1582-1584), par Me GodeurÆasments 90 CR HN SRE 201 229 241 Procès-verbaux des séances (du 16 décembre 1857 : au 30 décembre 4858).....::........:...2... Liste des membres de la Société.................. —— Léngieur, ONGO nr = HD) SU ELLE Hauteur du Bas-relief, non compris le Cordon, O7) 7° 4m OLIPHANTADULNUSÉENDAANDIQUDÉS DANGERS, Bithographié d'apres une photographe deMade Livonniere CT V6 cher. George aucieuuemeut de La px Cie Vierge. confretie ge Catherine. e fa ef. grande tue. =. Th ARENA oLouuaurc 6 out wmarques de fx lettre C. arte de Pa Sneuolie MEE 3 IMÈE 8 | PRÉ _ Ë | ls € | AE pe à à] | EAN E e\el ls | = EX ) | 2, Legende 1 Œaur 26 Religieux 7 : 14 2 Grand Cutel î p RS Où EDP. | 3 Œutprvifgie ow 2e VE Oofaise EC) 4 (Autel de (a chapelle 26 Perrault: 22. tn o | 5 Chapelle 2e Jetraut mm zou (re A 6NChRapele EN pase I] | 7 Dane où séigueur l'or dé Jr) 71 | 8 Dane de Chevigue EL 9 Banc 2e NL Dupu Û ÿ | 10 Gaue de Ù du Deeublay E A] 11 aue de MU 2e P'Évtoile 5% | 12 Gauc de A, Puuou a GC p 13 ou 26 la grande vue | S | 15 Poute our au petit veolibule Ÿ Il L 0 p te G à é = 15 Œutel SE Eure NS (mi Es] 16 Gocalier Du clocher R el Î 17 Piliers dù clocher Ë G | 94. Q Qu S y» | ÉA Bla M Georges aucirurenentoe la MO 12e 19, Autel de fa Vierge [] 20 uteP de la cœufrètie JE Catherine 21N ao cote) de fa Def. n ; Fe 92 Monte ourla grande we (A | î 23 Moute our Le éfoitres 94 Toute L 24 M'outo baptionaue E | 25, Doue principale Dous Les coufantenuaure sontuarques 2e fa (etre 4 A Cane à préchen | al % | 26 PiPiero où chaux re J qu VZ NS MÉMOIRES SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS NOUVELLE PÉRIODE TOME DEUXIÈME — PREMIER CAHIER ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 De 1859 : SOMMAIRE . Observations sur le passage périodique des étourneaux dans les environs de Saumur, par M. COURTILLER, jeune. . Rapport sur le concours de 1857 (Éloge de David, d'Angers), par M. LÉON COSNIER. . Rapport sur les mémoires présentés au concours de 1858, par M. ALBERT LEMARCHAND. . De la loi sur les céréales. — Rapport lu et vœu émis dans la séance du 1er avril 1859. 5. Procès-verbaux des séances des 19 janvier et 2 février 1859. 6. Compte-rendu de la séance publique du 21 février 1859. SOCIÉTÉ iMPÉRIALE D’AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS. LT pr MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS NOUVELLE PÉRIODE TOME DEUXIÈME ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 1859 DRRNE CHE] FT OBSERVATIONS SUR LE PASSAGE PÉRIODIQUE DES ÉTOURNEAUX DANS LES ENVIRONS DE SAUMUR. Lorsque l’automne vient nous annoncer la fin des beaux jours, une partie des oiseaux qui ont animé par leur présence et leurs chants nos bois et nos vergers, nous quitte, entraînée par cette force inconnue, flux et reflux d'êtres vivants, qui oscille sans cessedu nord vers le midi, à l'automne, du midi vers le nord, au printemps. Le besoin de nourriture n’est cependant pas la seule cause de ce mouvement, car la caille vivrait bien l’hiver au milieu de nous comme la perdrix, qui est sédentaire; la tourterelle pourrait rester avec le pigeon ramier, qui nous arrive lorsqu'elle part; le martinet, qui nous aban- donne à la fin de juillet, resterait bien aussi longtemps que l’hirondelle, jusqu’à la fin de septembre. Mais une main invisible les entraîne : il faut partir, il faut faire place à ceux que les glaces du nord chassent des tristes contrées qu’ils habitaient; c’est l’ordre, c’est la volonté du Créateur. LME AE Si quelques-uns de ces oiseaux sont retenus dans des volières, quand le jour, quand l’heure du départ sont arrivés, ils n’ont pas un moment de repos : le jour, c’est une agitation continuelle; la nuit, ils se préci- pitent sur les grilles de leur prison, au risque de se tuer. Mais aussitôt que le temps voulu pour la durée de leur voyage est accompli, le calme renaît, le repos succède au mouvement, et les froids les plus rigoureux de l’hiver ne semblent même pas les faire souffrir. Cest vers le milieu d’octobre que les étourneaux quittent les vastes prairies du Nord et de la Ilollande pour passer dans nos contrées, où ils arrivent par petites bandes composées probablement chacune d’une famille ; ils se réunissent ainsi dans nos prairies, cher- chant les inseêtes qui restent encore à cette époque et ceux que le piétinement des moutons fait sortir de terre; ils vivent avec ceux-ci dans la plus grande familiarité, et on les voit souvent se poser sur le dos de ces pai- sibles animaux, qui n’en continuent pas moins de paître, chargés de ce léger fardeau. Mais lorsque les premiéres gelées ont fait disparaître leur nourriture, ils se réu- nissent en bandes souvent innombrables, et se répan- dent dans les campagnes voisines. Malheur, alors, aux cantons dont les vendanges ne sont pas encore termi- nées; ils se jettent sur les raisins, les égrènent avec leurs pattes en se posant dessus, et causent aux pro- priétaires de cette dernière récolte de l’année un tort immense el difficile à empêcher, car, d’un enature dé- fiante , ces oiseaux se laissent rarement approcher à portée des armes à feu. Aussitôt que la dernière grappe est enlevée, ils disparaissent pour aller chercher sous NET un climat plus doux une nourriture qu'ils ne peuvent plus rencontrer chez nous. Ceux qui ont échappé à la mort, dans leurs longues pérégrinations, repassent isolément au printemps; quelques couples restent à nicher dans nos grands colombiers, autour desquels on les rencontre quelquefois en été. Leur plumage brillant est recouvert, à l’automne, d’une teinte grisälre, due à ce que chaque plume est terminée par un point blanc ou roussâtre. Mais lorsque le printemps se fait sentir, ils éprouvent cette espèce de mue qu'on a nommée mue ruptrice : le petit point du bout se détache; la tête, le col et le dessous du corps apparaissent alors d’un beau noir lustré à reflets mé- talliques ; le bec devient en partie jaune : c’est le plu- mage de noce, c’est le moment où la nature pare des plus brillantes couleurs presque tous les êtres qu’elle a créés. Dans ces longs voyages, tout n’est pas bonheur pour ces gracieuses créatures; elles ont aussi leurs moments d'angoisse. Les bandes: nombreuses qu’elles forment sont toujours suivies par des oiseaux de proie qui émi- grent à leur suite et leur livrent chaque jour de rudes combats. Le faucon-pélerin, cet oiseau que les anciens seigneurs dressaient avec tant de soin pour la chasse au vol qui faisait leurs délices, est un de leurs plus mortels ennemis et des plus acharnés à les poursuivre ; mais ce n’est pas sans peine qu’il parvient à les saisir. À l’époque des vendanges, les étourneaux se reposent ordinairement sur les amandiers ou sur les noyers qui bordent quelquefois les vignes, et là font entendre un vazouillement continuel qui, quoique un peu mono- BR ione, n’est pas sans agrément à cette époque de l’an- née, où le chant des autres oiseaux a cessé. Lorsqu'un faucon paraît, tout se tait, tous gardent la plus grande immobilité; mais il les a aperçus, et se dirige droit sur eux. À ce moment, la bande entière s'envole, serrée, compacte, ne formant presque qu’un seul corps; le faucon les poursuit, les atteint; alors, exécutant, pour l’éviter, les manœuvres les plus habiles, ils se jettent tantôt à droite, tantôt à gauche, montent, descendent, présentant à l’œil ou la partie brune du dessus de leur corps, ou le gris nacré du dessous de leurs ailes, et, dans leurs rapides évolutions, frappent l'air avec tant de force, qu’on croirait entendre passer un ouragan furieux ; il semble qu’une seule volonté les dirige et jes fasse agir. Aussi, le faucon, étonné, indécis, ne pou- vant en fixer un seul, passe-t-il toujours prés de ces masses épaisses sans les entamer. Voyant que le moyen qu'il a employé ne lui réussit pas, il en tentera un autre. S’élevant un peu plus haut qu'eux, et s’élançant de nouveau en décrivant une Aégère courbe, il cherche à raser de son vol puissant la surface de ce nuage vivant et mobile; maïs au moment où il arrive sur eux, on les voit se précipiter avec rapidité les uns sous les autres. La même indécision recommence; ceux qui sont devant lui accélèrent leur vol, ceux qu’il a dépassés le ralentissent, et cette réunion si compacte, si serrée, il n’y a qu’un moment, présente alors une longue file qui, comme un immense serpent, ondule dans l’air un mo- ment, mais qui se réunit et se resserre avec la même rapidité, aussitôt que l'oiseau de proie, emporté par sa vitesse, les a tous dépassés. Enfin, une derniére res- ET source lui reste; prenant hardiment son vol, il s'élève presque perpendiculairement, pour se placer au-dessus d’eux. Les étourneaux, de leur côté, ont compris sa pen- sée, et semblent le suivre en s’élevant avec lui. Bientôt tout disparaît aux yeux de l’observateur. Cependant, la puissance du vol du faucon l'emporte; il les surpasse, les domine, et, se laissant tomber sur eux, il cherche à les atteindre dans sa chute rapide. Il est alors curieux de voir les étourneaux exécuter le même mouvement, et tous ces oiseaux se laisser également tomber comme frappés de mort et entraînés par leur propre poids. Mais au moment où le faucon va les joindre, toute la . masse se sépare, s'ouvre, et le laisse passer sans lui livrer une seule victime. Si, au milieu de tous ces com- bats, de ces évolutions exécutées avec une précision si incroyable, un seul d’entre eux, par une frayeur bien pardonnable, ou pressé de trop près, se détache de la bande, oh! alors, il est irrévocablement perdu; il est poursuivi à outrance ; bientôt, les cris de détresse qu’il fait entendre annoncent sa cruelle position et qu’il va payer de sa vie le repos d’un jour donné maintenant à ses anciens et chers compagnons. Le soir, tous les étourneaux d’un même canton se réunissent et forment dans l'air, en volant de front, une ligne immense dont les deux extrémités disparais- sent souvent à l'horizon; ils vont passer la nuit dans les forêts voisines, d’où ils repartent le lendemain avant le jour, pour recommencer leur vie de rapine et de tribulations. COURTILLER jeune, de Saumur. CONCOURS POUR L’ÉLOGE DE DAVID RAPPORT, Messieurs, Vous vous souvenez que, sur la proposition de notre | cher et respectable vice-président, à qui nous devons le brillant début de nos concours littéraires, vous ap- plaudites, il y a déjà plus d’un an, au choix de l'éloge de David, sous le point de vue de l’art. ” Assurément, aucun sujet n’élait plus heureux et ne pouvait mieux exciter l’émulation, exalter les senti- ments généreux de nos compatriotes. Beaucoup, sans doute, projetèrent d’entrer dans la lice; mais peu se décidèrent à y descendre. En effet, pour l’aborder di- gnement, il fallait un ensemble de qualités qu'il est donné à un bien petit nombre d'écrivains de réunir. En vain vous eûtes recours à de bienveillants ajour- Ge AR nements; votre appel ne trouva pas l’écho que nous attendions tous, et la mission de vos commissaires se compliqua bientôt de susceptibilités à ménager et d'obstacles à vaincre. Je ne crains pas de vous le dire tout d’abord, Messieurs, notre tâche a été fort déli- cate, et quelque consciencieux que fussent nos efforts, il a fallu tout le sentiment que nous avions de notre devoir, tout notre désir de répondre à votre confiance pour ne pas décliner un honneur qui, contre votre intention, nous a été plus d’une fois pénible. Deux mémoires seulement nous ont été présentés. Avant de procéder. à un examen définitif, votre com- mission eut à se prononcer sur une question préa- lable. Le concours était-il en prose, en vers, ou bien pouvait-on y prendre part sous ces deux formes”? Le procés-verbal de l’une de vos séances écarte la seconde ; mais la majorité de vos délégués, élargissant un peu le cadre de son mandat, a pensé qu’elle pouvait pro- fiter de l’espêce d’indécision qui existait au sein de la Société sur celte question, pour ne pas repousser les compositions en vers, surtout si elles n'étaient pas in- férieures à leurs émules en prose. La première composition qui nous a été soumise est précisément une pièce de poésie. Après l'avoir lue avec intérêt, après avoir rendu justice à la facilité, à l'abondance de la versification, à plusieurs pensées ingénieuses exprimées avec bonheur, la commission a jugé que, malgré ces mérites divers, le poète n'avait point approfondi ni caractérisé suffisamment les di- verses parlies de son sujet. Son concurrent, poële aussi, et poète dans toute la 49 suave acception de ce grand mot, car il en a donné une preuve charmante, qui ne sera jamais oubliée, dans ses Fleurs angevines, cette fois a choisi l’austère prose, probablement comme un vêtement mieux appro- prié à la gravité de son thème. Nous pouvons dire le nom de celui qui a choisi pour épigraphe de sa com- position le vers célèbre de Virgile : Vivos e marmore vullus, puisque nous avons retrouvé, en lisant une partie de son œuvre, le plaisir éprouvé déjà lorsqu'elle parut dans la Revue de l’Anjou. S'il est permis de nous citer, nous n'avons point oublié l'hospitalité empres- sée que nous offrimes à celte œuvre si remarquable dans le recueil dont nous’ étions alors l’un des direc- teurs. En apercevant, intercalés dans les pages impri- mées, de nombreux passages inédits, nous espérâmes que le brillant écrivain, sans atténuer l’éclat de son œuvre, aurait effacé ou au moins adouci les traits d’une critique selon nous excessive. Comme nos col- lègues, nous lümes avidement, avec charme presque toujours, mais avec tristesse quelquefois, pourquoi ne l’avouerions-nous pas, puisque l’auteur connaît déjà la sincère expression de notre pensée ? Vous allez juger, Messieurs, si le nouveau développement de l’œuvre, en conservant, en augmentant même l'attrait de la première lecture, a réalisé complètement l'espoir que nous avions conçu. La pensée première de M. Durand semble plutôt avoir été de se livrer à une étude sur l’art à pro- pos de David, que d'écrire l’éloge du sculpteur an- gevin. Jeune, plein d'idées, nourri de lectures saines et de méditations personnélles sur la branche des beaux- , " Les MS LE arts, la plus sévère et la plus voilée aux profanes, il à trouvé dans votre appel une occasion heureuse d’appli- quer ses théories et d’en perfectionner l'examen. Les souvenirs de l'antiquité, que rappelle naturellement la statuaire; les relations que posséda son modèle avec la France, on peut dire avec l’Europe intelligente; tout, jusqu'aux passions généreuses qui bouillonnaient dans le sein du grand artiste, et dont le reflet donne à ses œuvres une empreinte immortelle, présentaient à un cœur sympathique, à un esprit sensible aux diverses manifestations du beau, un champ d’une richesse in- comparable. Je ne vous apprendrai rien, Messieurs, à vous qui avez lu la première édition de l’étude de M. Durand, en vous disant que la seconde brille encore plus, s'il est possible, par la noblesse et la pureté des pensées, jointes à un style d’une élégance et d’une distinction qui ne se démentent jamais. On est agréablement surpris de voir un écrivain qui doit posséder encore si peu d'expérience de la vie et des questions les plus abstraites, se plaire et comme se jouer au milieu d’elles avec une sagacité et une clarté d’ex- pression dignes de nos premiers critiques. Que d'i- mages heureuses, de citations bien choisies, de mots charmants qui coulent de source, et surtout quelle pénétration de la pensée intime de son modèle, quand il veut l’analyser avec ses seules impressions! Pour vous donner un exemple, entre bien d’autres, de ce talent si rare et frappant si juste, nous choisirons, parmi les morceaux inédits, l'appréciation des trois grandes figures qui surgirent presque en même temps, SANS aux applaudissements de la France entière : Bonchamps, Foy, Fénelon. … David était revenu de Rome avec de grands projets et de grandes espérances. Il jugeait, à bon droit, que les sculpteurs avaient jusqu'ici trop négligé le présent, trop oublié notre civilisation, notre histoire, nos mœurs et nos croyances; il voyait avec regret qu’exclusivement attachés au culte d’une société évanouie, ils semblaient désespérer de créer de belles formes, si ces formes n'étaient celles d’une divinité payenne, d’un héros de la fable ; la pauvreté des œuvres faîtes sur des sujets modernes le désolait, Sa patrie ne pouvait-elle donc inspirer le génie de ses artistes ? devait-elle renoncer à avoir une sculpture nationale et française ? fallait-il donc toujours tailler sur le marbre l’apothéose de la Grèce et de Rome, et jamais celle de la France? tant de grands hommes, tant de glorieux représentants de toutes les sortes de génies seraient-ils condamnés à dormir dans l'oubli, à voir leur image et leurs traits se perdre et s’effacer à jamais de la mé- moire des peuples ? David s’en indignait. Nul mieux que lui ne con- naïissait et n’admirait cette beauté antique avec laquelle il avait vécu pendant cinq ans; mais dans son patriotisme jaloux, il voulait que ce culte et cette imitation des modèles de l’art ancien fussent appliqués à traduire des passions et des idées nouvelles, que les marbres de Rome et d'Athènes prêtassent leurs formes splendides à des héros de notre histoire. Comme le poète, il disait, lui aussi : Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques! Telles étaient les pensées qui s’agitaient en lui vers 1820. On en re- trouve la trace dans les notes manuscrites où lui-même, d’un style singuliérement original, déposait ses impressions de chaque jour. Mais il n’est pas nécessaire de recourir à ces confidences posthumes. Son dessein, David l’a manifesté par des œuvres éclatantes et qui parlent haut pour lui. Le général Foy, Bonchamps, Fénelon, qu'est-ce autre chose, sinon trois pensées modernes sous une forme antique? Voyez le général Foy : c’est le génie d’une époque entière sous les LR traits d’un de ses plus illustres représentants! c’est l’orateur des libres assemblées, c’est le soldat d’une noble cause dont sa fermeté prépara la victoire, c’est le Démosthènes des temps nouveaux, et 1l est digne d’en porter sur ses épaules l'antique chlamyde. Aïlleurs, bien loin de Paris et de ses tumultueux parlements, dans une humble église de village, dont la Loire reflète le lourd clocher, ‘c’est Bon- champs, le vainqueur de Thouars et de Torfou, le héros de Saint- Florent! Atteint d’une blessure mortelle, il reposait sur une civière, lorsqu'une rumeur frappe ses oreilles. Les Vendéens, poursuivis par les Bleus, et poussés par eux dans la Loire, vont massacrer les pri- sonniers qu'ils ne peuvent plus garder. Bonchamps frémit ; il se dresse sur son coude blessé, tout son corps se penche en avant, son bras commande impérieusement, et Je sa bouche contractée par l’angoisse s'échappe ce cri ou ce sanglot : « Grâce aux prisonniers, grâce, Bon- champs l’ordonne! » — Noble et sublime statue; la plus belle et la plus éloquente qui soit sortie des mains du sculpteur. C’est par elle qu'il avait voulu payer à la mémoire du Vendéen la rançon de son pére, et c’est par elle qu’il a.le plus haut élevé son nom. Ah! qu'on le sache bien : quelle que soit la forme que l'artiste imprime à sa création, qu'il lui prête l'harmonie du langage ou la majesté du mar- bre, c'est toujours à l'émotion de l’âme que l’œuvre doit son élo- quence et sa beauté; et celui-là peut seul aspirer aux immortelles conceptions, chez qui le cœur peut s’élever au niveau du génie. Mais quittons l’église de Saint-Florent pour la cathédrale de Cam- braï : la mémoire de Fénelon semble la remplir tout entière, et au premier pas que l’on fait sous ces voûtes, son image assiège la pen- sée. C’est là que son ineffable charité se répandait en paroles douces comme le miel des lèvres de Nestor ; c’est là qu’il vint avec résigna- tion confesser son erreur et courber la tête sous les condamnations de l'Eglise; c’est là qu’il recueillit les débris de Hochstedt et de Mal- plaquet, et que ses mains versérent le baume sur les plaies des bles- sés. Son âme habite ces lieux qu’il a sanctifiés. Que dis-je? Je l'y retrouve tout entier ; je revois son image, son geste et son sourire tels que j'aimais à les rêver. Le pasteur est revenu au milieu de son troupeau ; il a la même grâce, la même onction, la même éloquence ; j'écoute sa parole, je me suspends à ses lèvres, et ses mains, dont lune presse ardemment son cœur et l’autre s’étend paisiblement vers — 10 — moi, semblent avec bonté m'attirer à lui. Par quel miracle le marbre s'est-il donc animé, attendri de la sorte ? Quel puissant créateur, soufflant une âme à l'argile, lui a donné ce charme qui captive à la fois ma pensée, mon regard et mon cœur ? Ah! David avait raison : « La statue d'un homme illustre est son apothéose, » — car elle arrache son corps au tombeau et lui donne une impérissable durée. Mais le statuaire partage cette apothéose, et ce socle de marbre porte deux immortalités… Je vous le demande, Messieurs, est-il possible de por- ter plus loin le bonheur de bien penser, embelli par l’art de bien dire! C’est qu’en écrivant ces pages, l’au- teur était purement lui-même. Pourquoi, possesseur d’un fonds si riche, a-t-1l cru devoir recourir à des juge- ments d'autrui, nés trop souvent de préventions étran- gères à l’art ? Pourquoi, doué d’une intelligence sympa- thique, si bien préparée à l'enthousiasme, est-il parfois tombé dans cette erreur de nos nouvelles générations, qui consiste à se poser devant les supériorités et à prendre pour faiblesse l’admiration trop continue? Non, qu’à Dieu ne plaise! nous prétendions devoir vénérer notre grand artiste comme une idole, et ne pas reconnaître que, dans l'immense musée qu’il lëgue à la postérité, il ne se rencontre des figures imparfaites. Corneille et Racine n’ont-ils créé que des chefs-d’œuvre ? Seulement, nous voulons dire que si des réserves doivent être faites par les plus éclairés et les plus sincères admirateurs du génie de David, comme elles ne s'adressent qu’à des parties accessoires, à des productions que lui-même ne plaçait point en première ligne, ces réserves ne doivent être indiquées qu’avec une légèreté de main, une mesure extrêmes. Au contraire, n’est-il pas permis de trouver EL fee un peu ingénue l'ambition de montrer que l'on dis- tingue parfaitement les défauts des qualités, et que l'on sait apercevoir des ombres jusque dans les plus ra- dieux paysages ? Vous avez lu, Messieurs, le bel article de M. Vitet sur Ary Scheffer. L’excellent écrivain ne cache aucun des reproches que l’on peut adresser au peintre illustre de la Marguerite ; mais il les tempère avec une délica- tesse, un respect que l’on ne saurait trop imiter dans les jugements sur les grands hommes. Je cite M. Vitet avec d'autant plus de plaisir, que M. Durand s’en ap- proche par l'élévation des sentiments et la pureté du style; mais il s’en éloigne malheureusement quand il aborde le côté critique. Je me contenterai de mettre sous vos yeux deux extraits dont l’un est pris dans l’exorde inédit, et l’autre à la fin de cette composition, si harmonieuse encore malgré ses regrettables dis- sonances : … L'art, dit M. Durand, tel que David l’a reçu des Grecs et des La- tins, ne suffit plus à l’expression de sa pensée : il en brise le moule, il s'élance vers de hardies conquêtes, engage une lutte opiniâtre contre les obstacles qui surgissent sous ses pas ; tour à tour vainqueur et vaincu, il puise de nouvelles forces dans son triomphe comme dans sa défaite, marche toujours en avant, ou s’il retourne un instant vers la tradition, qu’il a quittée, c’est pour la rejeter plus loin derrière lui. De ces épreuves, de ces tentations de toute sorte et en tous sens, naissent d'innombrables monuments où la puissance du génie éclate à travers de frappantes erreurs, et dont quelques-uns, conçus avec une heureuse audace, n’ont pas encore lassé l’admiration… … L'erreur volontaire que nous reprochions à David, dans le choix des âges, il l’a commise aussi dans le choix des costumes. I voulait que la statuaire moderne portât sur elle la date du siècle ; il la vou- SOC. D’AG. 2 HET us lait surtout applaudie: des foules ; ‘il voulait par elle agir sur leur esprit et sur leur cœur, et emfaire un moyen de civilisation. Ambi- tion généreuse, mais dont le résultat l’a trompé. Quoi que l’on dise et que l’on fasse, le langage de l’art est sévère et ne s'adresse qu’au petit nombre. Il faut, pour le comprendre, une longue et rare cul- ture, que de longtemps encore ne recevra pas la multitude. L’éléva- tion même où le place sa nature, met l’art hors de la portée dela foule. L’abaisser vers elle, et le faire descendre au niveau de.ses igno- rances, c’est le détrôner, et installer à sa place un art nouveau, bâ- tard et dégénéré, qui ne plaira aux masses qu’à condition de blesser le goût délicat du petit nombre. Travaillez donc à soulever le peuple jusqu’à l'intelligence du beau, et non pas à abaisser le beau jusqu’au niveau du peuple. David, plus que personne, fut animé de cette pen- sée, et c’est par une illusion malheureuse qu'il.est descendu jusqu’au peuple, croyant l’élever à lui: Pour parler aux yeux, de Ja foule, :il.a laissé à ses personnages leur costume de chaque jour. Les draperies antiques auraient dépaysé ses spectateurs, et c’est à ces ménagements qu'il a si complètement sacrifié le beau dans les statues d’Armand Carrel et de Bichat. Nous pensons, Messieurs, qu’il est inutile, et de plus, il serait cruel pour nous, qui nous honorons de l’ami- tié de M. Durand, de faire ressortir ce que ces appré- ciations ont de contestable et d'extrême. Nous préférons, pour nous consoler de cette divergence d'opinion, vous relire la belle page qui, en terminant, justifie si bien l’épigraphe de son œuvre : Vivos e marmore vultus : … De retour de l'exil, triste et déjà malade, il ébauchait, pour la tombe à peine fermée d’un ami (1), une statue empreinte d’une som- bre et poignante tristesse, appel funèbre qu'il faisait à la mort. Il ré- yait aussi de faire revivre un. de ces héros dont l’histoire d'Anjou a gardé le souvenir. Au bord de cette Loire dont les Armoricains avaient si vaillamment défendu le passage contre les légions romaines, (1) Arago. 2 sur.la cime escarpée de cette roche qui domine le cours des trois rivières, il voulait élever, à la mémoire de Dumnasus, un magnifique et colossal monument. L'œuvre était faite dans sa tête, et lui-même, d'ün crayon vif et ferme, avait jeté sur le papier quelques traits de ce vaste projet :‘le coq gaulois, debout sur les tronçons des enseignes, devait terrasser l'aigle romaine, et entonner fièrement le chant d’in- dépendance. L'artiste n’a pas eu le temps de réaliser sa conception : la mort est venue, avant l'heure, arracher le ciseau de ses mains gé- néreuses; nous seuls avons le droit de regretter un chef-d'œuvre qui eût noblement tenu sa place à côté.de tant d’autres. Mais sa gloire n’en a pas besoin, et tant de morceaux fameux, que possède sa ville natale, l'ont pour jamais fondée. Dans le vestibule du Musée, auprès de l'escalier de pierre qui con- duit aux galeries supérieures, s'élève une statue, œuvre modeste qu’au- cun nom n’a signée, mais dont la pensée délicate et vraie nous a tou- jours touché. C’est le Génie de la Gloire inscrivant sur son livre de marbre les noms des plus illustres enfants de l’Anjou. Après les du Bellay, les Bodim, les Proust, les Béclard et tant d’autres, la main discrète de l'artiste a gravé, comme un mot inachevé et suspendu, les premières lettres du nom de David. Cet hommage rendu à la mo- destie de l’artiste, la mort le rend inutile désormais. Il faut se hâter d'achever l'inscription commencée, car depuis deux ans déjà le grand statuaire est entré dans sa pleine immortalité.… Maintenant, Messieurs, il faut aussi que nous vous donnions la conclusion de notre majorité. Quel que soil le charme de la composition de M. Durand, charme auquel nous aurions voulu n’être jamais soustrait, notre rigide devoir est de nous arracher à ces séductions, à ces mérites si variés et si vrais, aux sympathies qui nous entraînent vers la personne de son auteur, et de vous dire : c’est un travail éminent, mais ce n’est pas l’éloge de David. Ce n’est pas ainsi que l’avait conçu le pro- moteur de la proposition du concours; ce n'est pas ainsi que nous tous, enfants d’une cité que David ne —\ÿÿ — cessa d'aimer et de combler avec un amour passionné; nous entendons un hommage rendu à sa mémoire. La minorité nous dit : Si l’œuvre de M. Durand ne vous semble pas complète, imitez l’Académie française, faites _vos restriclions, mais décernez la couronne dont cette composition, à tant d’égards, vous semble si digne. Nous répondons : En descendant au plus profond de notre cœur, sans blâmer un écrivain qui, étranger à notre pays, ne pouvait pas être pénétré de nos senti- menis intimes, tout en rendant pleine justice à son œuvre, elle n’est pas en harmonie avec ce que nous devons demander le plus instamment aux panégyristes de David : c’est non-seulement de Île faire revivre, dans les productions de son immortel ciseau, mais c’est de le ranimer devant nous avec son culte idéal de Part, son âme, son affection pour nous tous, son filal dé- vouement pour sa ville, de sorte qué chacun puisse s’écrier : Oui, c’est bien lui; c’est notre ami, notre bienfaiteur, notre plus grande gloire; c’est notre David, c’est David d'Angers. Les portraits fidélés de David ne faillirent point ce- pendant à son souvenir. Son collègue et son ami, l’au- teur célèbre de la Juive et de la Reine de Ghypre, ut une notice qui lui était consacrée, le 3 octobre 1857, dans la séance publique annuelle de l’Académie des beaux-arts. Ce panégyrique, de forme simple et sévère comme son sujet, est tracé de main de maître. (eût été un insigne honneur pour notre concours de l'y comprendre, et pour notre Société de couronnér un tel lauréat, s’il nous avait été possible de le proposer ; mais c'élait avec un véritable serrement de cœur que nous Det ee ne voyions aucun nom angevin signer une œuvre à la hauteur du génie qui venait d’entrer dans la postérité. Nous ne pouvons nous défendre de citer les belles pages où M. Halévy, qui le peint en traits si vivants aux diverses phases de sa vie, le représente, dans ses premières années, traversant la Vendée, porté aux bras de son père, parfois marchant à ses côtés, quelquefois confié aux soins d’un camarade : Les fusillades sanglantes, les attaques nocturnes, les morts héroïques firent une impression profonde sur l'esprit de cet enfant ; et comme les soldats qui tombaient percés par le fer ou frappés par les balles mouraient au cri de Vive la République ! et comme il ne pouvait con- naître les actes de courage qu’accomplissaient d’un autre côté ceux qui succombaient aussi pour leur foi, une flamme ardente, qui ne devait plus s’éteindre, s’alluma dans cette âme énergique et forte- ment trempée, et dès ce moment ce jeune esprit, saisi d’étonnement à la vue de ce grand spectacle, voua un culte sincère et fidèle à cette divinité mystérieuse qu'il croyait seule capable d’inspirer de si su- blimes dévouements, et qui remplissait de joie et d’enthousiasme ceux qui mouraient en invoquant son nom... L’éloge de M. Halévy est redevable d’un grand charme aux nombreux emprunts puisés dans les manuscrits lais- sés par ce génie trop ardent pour le repos, et qui, même dans ses rapides loisirs, était tourmenté d’un incessant besoin d’épancher des idées souvent profondes, gran- dioses et comme taillées dans le marbre ou le bronze : .… Nous avons pu voir, dit M. Halévy, des notes remplies d’in- térêt, écrites par David pour son propre enseignement, sans aucune arrière-pensée de publicité, sorte de compte rendu à lui- même des dispositions de son âme. La tournure de son esprit, sensible mais triste, ardent mais inquiet, s'y révèle à chaque == 7099 2 ligne. Il applique à toutes choses le sentiment persévérant de son art, sentiment qui s'empare de son esprit, le domine toutentier, et y vit, pour ainsi dire, incrusté dans une profonde et chaleu- reuse empreinte. Dans ces notes, tout lui est sculpture, et la sculpture seule lui est quelque chose; il oublie tout le reste, il s’oublie surtout lui-même. Il revient souvent sur les exigences de l’art des temps modernes, qu'il compare douloureusement à la grandeur, à la simplicité de l’art antique. « Quel malheur! s’é- » crie-t-il dans un accès d'humeur chagrine, quel malheur d’être » obligé de passer sa vie à tailler des habits et des bottes, après avoir » étudié le beau et s’en être imprégné le plus possible! » Un évé- nement indifférent, une rencontre fortuite, devient l’objet d’une cu- rieuse observation, d’une étude vivement sentie : « Jai vu ce soir, » sur la place de la Bourse, dit-il, une jeune fille jouant de la harpe. » Elle était placée juste au milieu du monument, qui lui servait de » fond. La partie supérieure de l’architecture se trouvait dans l’om- » bre, le bas était faiblement éclairé. Aux pieds de la jeune fille, » une douzaine de petites bougies, vues de loin, semblaient autant » d'étoiles. Les spectateurs étaient obscurs, opaques, tandis que » cette belle créature était toute lumineuse. C’est l’image de la vie, » où le commun des êtres reste dans l’ombre. Le gézie seul rayonne » par sa beauté morale.» Mais c’est son art, dont il porte haut le drapeau, qui l’occupe et le rappelle sans cesse. « Le marbre, nous dit-il, le marbre, par sa blancheur, a quelque chose de pur et de céleste. Les couleurs sont terrestres. Nous portons sur nos traits l'empreinte de la destruction; la sculpture, au contraire, porte l’image de l’éternité. Plus.une fleur est brillante, moins elle dure. La sculpture est la tragédie des arts. J'ai toujours pensé À la sculp- ture en voyant Hamlet sur la scène. L'homme qui lutte seul contre le malheur est héroïque. La sculpture est une religion. Elle ne doit pas se prêter aux caprices de la mode. Elle doit être grave, chaste. Quand elle se prête à la représentation des scènes fami- lières, il me semble voir danser un prêtre. Les statuaires sont les ministres de la morale, les poètes, les grands-prêtres de la nature...» Y= vx E L_ 1 S vw L 2 LR EE EE © Celui qui a reproduit ces admirablés lignes connais- 499 — sait bien le cœur: qui les avait tracées. On a répété, même dans notre pays, que David n’avait de supériorité que dans son art. C’est une grave erreur. Mas il est vrai de dire que, dans ses conversations, dans ses cau- series si élevées etsiattachantes, où son âme se répan- dait, même pour les amitiés les plus humbles, l’art était le thème principal de ses pensées; c’était son culte, son amour; avec quelle imagination, quel feu il l’exprimait! Il nous semble le voir encore, quand il attachait sur nous son regard fin et doux, quandil faisait entendre à nos oreilles ravies sa voix vibrante quoique voilée. Les images se succédaient naturelles, rapides, radieuses ; il nous illuminait l’esprit , il nous embrâsait le cœur; et découvrant sans effort, sans recherche, des horizons immenses, inconnus à nos yeux émerveillés, il ne nous quittait qu'après nous avoir pénétré pour longtemps de ces rayons inspirateurs qui émanent, chez les grands artistes, de ce que l’on a si bien appelé le feu sacré. Votre commission était restée sous l'impression de l’é- loge de M. Halévy, avec le regret de ne pouvoir lui décer- ner votre médaille, et celui plus vif encore, peut-être, de ne pas en féliciter un compatriote. Il fallait cependant arriver à une conclusion; une dernière séance était nécessaire pour désigner au moins le rapporteur, lors- qu’une singulière bonne fortune vint précipiter le cours de trop laborieuses délibérations. Vous êtes tous encore émus par le souvenir de ces vers écrits de verve et dic- tés par le cœur, ainsi qu’on l’a déjà dit, que M. Mail- lard à consacrés à l’ami illustre qui lui portait une tendre affection, et qui développa plus que personne ce riche sentiment poétique dont vous applaudissiez — 94 naguère l’harmonieux langage. La poésie, on le sait, est un don que la nature, le ciel devrais-je dire, ne dé- partit qu'à un bien petit nombre de privilégiés, une source vive qui résiste à l'influence des professions les plus positives et les plus assujettissantes, et qui n’est point tarie par les devoirs les plus stricts accomplis avec le plus de scrupule. Ce contraste vous charme comme celui de ces ruisseaux que l’on rêve dans les contrées bénies du soleil, et qui coulent toujours purs et limpides sous les aspérités des roches et sous les ar- deurs du ciel. Mais quel que soit le mérite de ces heureux posses- seurs de la langue des dieux, comme disait l’antiquité, c’est un présent stérile, lorsqu'elle ne sert qu’à chanter des sujets vulgaires, ou même funeste, lorsqu’elle des- cend des régions sereines de l'idéal, dont elle est l'hymne naturel. Telle n’a point été votre crainte; vous vous êtes crus reportés à des temps plus littéraires en écou- tant une œuvre où l'élévation et le choix de la pensée répondent à la mélodie et à la grâce d’une forme digne des maîtres de l’école contemporaine. Nous ne pouvons résister au plaisir de vous répéter ces beaux vers, auxquels va manquer le souffle sympa- thique de celui dont ils expriment si bien les délicates et générenses inspirations : _ Je ne saurais penser à ces jours loin de moi, Sans regretter de même, avoürai-je pourquoi ! * Cette soif d’idéal qui dévorait les âmes. Nous, jeunes gens alors, avions au cœur des flammes. Amour, beaux vers, beaux arts, tont nous passionnait. Le PP 2 Pauvre, on se croyait riche ; obscur, on rayonnait. Mai reverdissait-il les tiges rabougries, On allait voir s'ouvrir la rose, aux Tuileries, Conter l’ode naissante aux zéphyrs nouveau-nés, Sans souci des boursiers à leur lucre acharnés. D’un pas allègre et fier, on gagnait la mansarde; Et l'étoile des soirs, dont l’œil d’or vous regarde, Elle qui visita nos songes éblouis, Dirait le pur sommeil et l'honneur de nos nuits. C’est toujours l'idéal qui préserve et couronne. Quand tout s’effeuille en nous, aux brumes de l’automne, Ce bocage de fée, empli d'oiseaux chantants, Verse encor des parfums qu’on croirait du printemps. Et plus loin, quand le poëte raconte les adieux de David à sa ville natale : A Bat un matin, l’ouragan loin de son toit prospère L’ emporte, tout son cœur languit et désespère. Les bords athéniens lui sont indifférents. Leur sentier d’oliviers blesse ses pieds errants ; L'Hymète n’a pour lui que des cieux de fournaise ; La brise qui lui manque est la brise française. Il monte à l'Acropole, et dans les vapeurs d’or Où s’embrasent côteaux, remparts, vagues du port, Il cherche à l'horizon les voiles de Marseille, Que cette brise émue enflait encor la veille. ‘ Un jour, il en pourra ressaisir la fraîcheur, | Mais, hélas! sous le bras de l'éternel faucheur, Il aura salué même les murs d'enfance. Par un pressentiment dont Dieu seul a science, Quand novembre aux forêts met de lugubres voix, Il veut revoir Angers une dernière fois. J'entends encor son pas dans l'escalier sonore ; Voilà son regard triste et doux ; sa main encore Presse ma main ; sa bouche évoque le passé. M. 0e Je le vois qui s'en va souffrant, pâle, affaissé. Aura-t-il retrouvé la maison de son père, Et le vieux banc d'étude, où, d’un crayon sévère, Prophétisant son vol, Delusse l’instruisit ?.……. — Sous son noir mausolée, il ne me l’a point dit. Parmi tant de qualités, celle qui vous ravit par- dessus toutes les autres, en écoutant des citations tou- jours trop courtes, n’est-ce pas celle qui a tant de prix à nos yeux, peut-être parce qu’elle est la plus rare? A notre époque, où les générations nouvelles semblent glacées avant l’âge, ce don si précieux, c’est l’élan, c’est cette fleur de jeunesse, c’est la passion de tout ce qui est grand. Cet abandon à l'enthousiasme, loin d’être le propre des natures vulgaires, n’est-il pas le principe vivifiant des plus hautes intelligences? n’élève-t-il pas même celles d’un ordre secondaire qui ne savent que ressentir, presque au niveau des premières qui savent créer? Heureux tous ceux qui comprennent les célèbres paroles : Les grandes pensées viennent du cœur. Cest là en effet le vrai foyer des chefs-d’œuvre comme des actions sublimes, des grands poëtes comme des grands artistes. Sursum corda! ce cri divin qui a été commenté si éloquemment par le premier des écrivains modernes, ne peut être trop répété; c’est en lui demeurant fidèles et en marchant dans la voie qu’ila toujoursindiquée aux grandes âmes que les temps modernes peuvent prendre rang avec honneur dans l’histoire de l'humanité et lut- ter de splendeur avec le xviie siècle, dont l’auteur du Vrai et du beau nous rappelle les glorieuses traditions. Vous reconnaissez avec nous, Messieurs, que c’est à cette influence salutaire que vous devez les douces émotions de votre dernière séance. Ce fut au bruit d’u- nanimes applaudissements que vous accueillites la pro- position de décerner le prix à celui qui les avait si brillamment soulevés. Tous, nous l’aurions donné, parce que, sensibles au charme trop rare d'entendre de beaux vers, nous étions séduits par leur magie; mais lors- qu’un sang plus froid vint calmer nos têtes doucement exaltées, nous pensâmes que nous venions de ré- compenser celui qui nous avait causé un si pur plaisir par la véritable couronne, celle d’une sympathie spon- tanément et chaleureusement exprimée, couronne bien préférable à celles qui trop souvent ne sont accordées qu’à de pâles succès d’estime. Le concours était fermé depuis trois mois, lorsque celte dernière composition vous fut présentée. Pleins de respect pour une loi d'autant plus inflexible que nous l’avons faite, il ne nous reste qu’à nous incliner devant elle. Nous ne devons pas omettre que M. Mail- lard nous à devancés, par une lettre à notre président, dans cette ligne rigoureuse, et qu’il nous a donné l'exemple du rappel au calme du droit, après nous avoir enlevés à sa suite dans les régions enchantées. Il nous laisse au moins une suprême consolation. Si nous . n'avons pu démontrer, par une manifestation positive, que nous avons enfin trouvé l'organe de la reconnais- sance de notre cité envers le plus illustre de ses enfants. nous pouvons être fiers d’avoir entendu une voix s'élever de nos rangs pour proclamer le jugement des contem- porains en devançant celui de l’avenir. Désormais, le nom de David appartient à l'histoire. sn Comme celui de tous les hommes vraiment grands, il sera entouré d’une gloire plus incontestée à mesure qu'il s’éloignera de nos époques troublées, et celui de ses détracteurs sera depuis longtemps tombé dans l’ou- bli, qu’il brillera encore de toute sa splendeur. Origi- nal dans toute l’acception du mot, il ne relève que de lui-même. Sans aucune trace d'imitation, sans l’ombre d’analogies qui se puissent indiquer, n'est-il pas vrai qu'il se rattache, par certains liens secrets, aux deux grands représentants de l’art grec et de l’art français, Phidias et Poussin ? N’y a-1-il pas, dans ses veines, quelques gouttes de leur sang ? Et pour terminer par des paroles que nous reproduisons, parce qu’il est impos- sible de mieux dire, n’est-il pas permis de croire qu’au milieu d'épreuves , douloureux privilége des. grandes âmes, ses illustres devanciers ont dù lui tendre la main; ils l’auront remercié d’avoir eu le courage de s’élever par sa propre force aux idéales clartés, d’avoir dans un tel temps maintenu leur drapeau et vaillamment soutenu leur cause, cette cause du spiritualisme dans l’art, qui trouvera sans doute d’éternels adversaires, mais qu saura toujours en triompher. Votre commission vous propose, à la majorité (la minorité eût voulu davantage), de décerner à M. Durand une mention très-honorable, d'insérer dans vos mé- moires des extraits de son travail, et de publier en en- tier la pièce de poésie de M. Adrien Maillard. LÉON COSNIER. RAPPORT SUR LES MÉMOIRES PRÉSENTÉS AU CONCOURS DE 1858. Messieurs, Aucun de vous n’a oublié la brillante et solennelle séance dans laquelle notre Société décerna, le 48 juin 1857, à M. Coulon, de Saumur, le prix de poésie fondé par M. Louis Pavie. Vous vous rappelez les éloquents discours qui furent prononcés dans celte circonstance et l'émotion qu’ils produisirent au milieu d’une foule nombreuse, déjà très naturellement prédisposée à l’en- thousiasme par la seule proclamation des noms des orateurs. Vous vous rappelez aussi que peu de temps après, au mois de septembre 1857, sur la proposition de M. Vallon , toujours si prompt à seconder de son zèle et de son influence les efforts tentés en faveur du progrès des lettres, le Conseil général de Maine et Loire alloua une somme de 500 fr. aux quatre Socié- tés savantes de la ville d'Angers, pour prix à distri- buer dans le courant de l’année 1858. EN On eut d’abord la pensée, afin d’exciter plus d’ému- lation, de ne pas diviser cette somme, et de confier à une commission composée de membres pris dans les diverses Sociétés, le soin de proposer un seul sujet de concours. Mais cette combinaison n'ayant pas réuni tous les suffrages, chaque Société eut à choisir son thème. Le temps pressait, et il était à craindre que la brièveté du délai n’écartât les concurrents, ou que les travaux demandés ne fussent pas suffisamment étudiés. Pour échapper à ce double danger, notre Société, dans sa séance du 47 février 1858, adopta la résolution sui- vante : e « Conformément au vœu du Conseil général du dé- » partement de Maine et Loire, la Société d'agriculture, » sciences et arts d'Angers, décernera une médaille d’or à l’auteur du meilleur mémoire inédit relatif à l’histoire d'Anjou. Elle désire que les travaux pré- » sentés aient particulièrement pour. objet l’archéolo- » gie, la biographie et la topographie de la province; qu'ils révèlent des faits ignorés ou qu’ils éclaireis- » sent des questions obscures. Le concours sera clos au 4er juillet 1858. » Ce programme, conçu en termes très larges, s’adressait à un grand nombre de personnes, et donnait accès à toutes les œuvres d'intérêt local qui avaient pu être entreprises à l'avance sous une inspiration spontanée. Il fut approuvé par M. le Préfet, et, aussitôt, après, publié dans les journaux du département. Votre appel, Messieurs, si tardivement qu’il ail été connu, n’est pas demeuré sans écho, et deux mémoires vous ont été envoyés: Peut-être souhaitiez-vous que les Ÿÿ 2 Y Ÿ prétendants fussent plus nombreux , que la luite fût plus animée. Quel que soit le mérite des ouvrages qui ont été composés jusqu’à ce jour sur l’Anjou, il y a, dans nos villes et dans nos campagnes, bien des énigmes encore à déchiffrer, bien des ruines à interroger, bien des monuments à exhumer, et vous eussiez voulu, dans votre sollicitude éclairée, que tous ceux qui, parmi nous , ont su conserver le goût de l’étude et le culte du passé, vinssent vous apporter le résultat de leurs recherches, moins pour obtenir une récompense assu- rément trop faible, que pour ranimer dans notre pro- vince l’amour un peu attiédi de la science. La biogra- phie des personnages célèbres de l’Anjou n’existe en- core qu’en germe. Il en est de même de la monogra- phie de notre cathédrale, dont les belles verrières , bien qu’on en ait commeñcé la réparation, sont loin d’être entièrement expliquées. L'histoire de nos pre- miers évêques est pleine d’incertitudes. Il nous man- que un recueil généalogique de nos principales fa- milles, et un dictionnaire des noms de lieux mention- nés dans les titres de nos archives et dans les manus- crits de notre bibliothèque. Enfin, les souvenirs his- toriques sont tellement effacés dans la plupart de nos communes qu’en 1856, après le débordement de la Loire, lorsque l’administration préfectorale voulut re- monter à l’origine de la pyramide placéé à l'entrée de la route de Trelazé, nul ne put fournir un renseigne- ment précis ; il fallut s’en tenir à des conjectures in- génieuses basées sur quelques vagues indices. Vous aviez donc, Messieurs, le droit de compter sur une plus grande affluence de compétiteurs. Mais votre , tentative est bien récente, et l’impulsion que vous avez donnée en décernant un premier prix, n’a pas eu le temps de produire tout son effet. Vos regrets, du reste, doivent être singulièrement atténués par l'importance des deux mémoires que vous avez reçus. Je vais vous en donner une analyse succincte et vous transmettre Po- pinion de votre Commission sur leur valeur respective. Le premier de ces travaux a pour titre : Notice sur Châteaugontier et se compose de 45 pages in-40. L’au- teur, M. Bonneserre de Saint-Denis, rédacteur en chef de l’Union de l'Ouest, a pris pour épigraphe ces mots extraits du livre 11 des Pontiques d’Ovide (lettre 111) : Nil, nisi quod prodest, carum est. La maxime est un, peu large et ne caractérise pas très nettement l’œuvre. Il est vrai que M. Bonneserre a placé en regard cette autre inscription — un peu longue mais mieux appropriée au sujet— don l’auteur, Charles Loyson, est un enfant de Châteaugontier : Que j'aime à te revoir, tour des siècles gothiques , Et sous tes noirs créneaux, de beaux jardins couverts, Ces violiers sortant de tes flancs entr’ouverts !: Mais où sont ces fossés, où sont ces murs antiques Des exploits de Nerra monuments authentiques? Beaux arbres qu’à leur place on à vu s'élever, Nous ne nous sommes point connus dans mon jeune âge, Et vous m'offrez en vain votre récent ombrage Où mon cœur et mes yeux n’ont rien à retrouver! La notice du rédacteur de l’Union de l'Ouest se com- pose de six chapitres. NS De Dans le premier, l’auteur fait connaître l’origine de Châteaugontier, et cite à ce sujet une charte du cartu- laire de Saint-Aubin, dont il donne en entier le texte et la traduction. II résulte de cette pièce, qu’une for- teresse fut bâtie en 1007 par Foulques-Nerra, en un lieu nommé Basilica (Bazouges), situé au bord de Ja Mayenne, à quelques lieues au-dessous de Laval ; qu’elle fut appelée Castellum Gonterii, du nom d’un fermier ou intendant du comte d'Anjou, et que la garde en fut confiée à un valeureux chevalier, Renaud Yvon, duquel est issue la maison de Châteaugontier. M. Bonneserre croit, avec les historiens de l’Anjou, que Foulques- Nerra, en construisant Châteaugontier, eut pour but de garantir ses-domaines contre les incursions des Bretons, très fréquentes cet très redoutables à cette époque. Il montre ensuite comment s'agrandit peu à peu celte ville, ce qu’elle était au xvre siècle , et ce qu’elle est devenue de nos jours. « Châteaugontier, dit-il, a beau- » coup perdu de son importance administrative, mais » du moins elle n’a pas vu péricliter son importance » commerciale, et quand un embranchement reliera » cette ville à l'immense réseau de nos voies ferrées, » nul doute que ses fils de lin, ses toiles, ses serges, » ses étamines, elc., ne viennent fructueusement peu- » pler nos principaux marchés. » Nous nous étonnons qu’un archéologue s’accommode si facilement d’une pareille compensation. Le second chapitre renferme l’histoire des seigneurs de la maison de Châteaugontier, depuis Renaud Yvon jusqu’à Jacques Ier. C’est un excellent résumé de tout. ce qu’on trouve sur cetle ancienne famille dans l’His- SOC. D'AG.. 3 EY toire de Sablé, de Gilles Ménage, dans les manuscrits üe Claude Ménard, et dans les Recherches de Bodin. M. Bonneserre a su d’ailleurs ajouter aux renseigne- ments puisés dans les ouvrages de ces trois écrivains, des détails peu connus , recueillis par lui, soit à la Bi- bliothèque impériale ; soit dans les archives du Maine et de Anjou. Les successeurs de la maison de Châteaugontier sont Pobjet du troisième chapitre. Emma ou Emmette, der- nière héritière de la lignée de Renaud Yvon, avait épousé Geoffroy. seigneur de la Guerche et de Pouan- cé, vers le milieu du xir1e siècle. Elle ne laissa qu’une fille, Jeanne, qui porta la seigneurie de Châteaugontier dans la famille de Beaumont-Brienne, par son mariage avec Jean de Brienne Il, vicomte de Beaumont, petit- fils de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, et de Bé- rengère de Castille. De la famille des Beaumont-Brienne, la terre de Châteaugontier passa aux Chamaillard d’An- thenaise, et Marie d’Anthenaise la transmit en dot, le 20 octobre 1371, à Pierre II comte d'Alençon. Elle ap- parlénait en 4656 au surintendant Nicolas Bailleul , qui la fit ériger en marquisat, et, en 1760, à la famille d’Autichamp qui la conserva jusqu’à la Révolution. Après avoir fait mention incidemment des divers con- ciles tenus à Châteaugontier , de la pesté qui désola celte ville en 1348, et des déprédations que les Anglais exercérent dans ses environs, en 4370, M. Bonneserre consacre plusieurs pages à la biographie de Jean Il d'Alençon, petit-fils de Marie d'Anthenaise. Jean d'Alençon, sur lequel une savante notice a été publiée dans la Revue d'Anjou, par M. l'abbé Logeais, 21 ge est un personnage de grand renom qui méritait un article spécial. Permettez-moi, Messieurs, de vous don- ner ici une esquisse de cette curieuse physionomie , dont j'ai eu moi-même à m'occuper dans un ouvrage encore inachevé. Le duc d'Alençon avait à peine 15 ans lorsqu'il fut fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Ver- neuil, en 1424. Il demeura trois ans captif cet ne put se racheter qu’au prix de 200 mille écus d’or. Après avoir recouvré sa liberté, il vint habiter l’abbaye de Saint- Florent, près de Saumur. Un jour qu’il chassait aux cailles dans les environs de ce monastère, on lui an- nonça l’arrivée de Jeanne d’Arc à Chinon. Il se rendit en hâte près d’elle. — « Soyez le très bien venu , lui dit Jeanne, plus il y en aura du sang de France, et mieux ce sera. » — À dater de celte entrevue, une sorte de fraternité d’armes s’établit entre le sire de Châteaugontier et l’héroïne de Donrémy, et comme la duchesse d'Alençon, qui était restée à Saint-Florent, se désolait du départ de son mari, la Pucelle voulut aller elle-même la rassurer. — « Ne craignez pas, Ma- dame, lui dit-elle, je vous le ramënerai sain et dans un état tel qu’il est, et même mieux. » — Au siége de Jargeau, Jean d'Alençon hésita un moment à suivre Jeanne d’Arc, lorsqu'elle ordonna l'assaut, malgré les résistances de la plupart des capitaines de l’armée royale. — « Ah! gentil duc, lui cria l’inspirée, as-tu peur? Ne sais-tu pas que j'ai promis à ta femme de te ramener sain et sauf? » — Elle veilla, en. effet, sur lui pendant toute la guerre avec une affectueuse sol- licitude, et le préserva plusieurs fois de la mort. Le — 36 — ‘ duc S’efforça, du reste, de mettre sa conduite au ni- veau d’une si haute protection, et dans toutes les ba- tailles auxquelles il assista , on vit briller son armure au plus épais des mêlées. Mais, après la mort dé Jeanne, il oublia les nobles actions de sa jeunesse, se jeta dans des expéditions aventureuses, chercha querelle à son oncle Jean VI, duc de Bretagne, s’engagea dans la ré- volte de la Praguerie , et finit même par entretenir de secrètes et honteuses inlelligences avec les Anglais. Trahi par ses émissaires, il fut arrêté et condamné à mort. Charles VIT, en considération des services ren- dus, fit surseoir à l’exéculion de la sentence, el le duc d'Alençon languit plusieurs années dans le château de Loches. Louis XI mit fin à sa captivité. Maïs Jean re- noua encore dés relations avec Angleterre, et, de plus, s’enrôla dans la ligue dite du Bien public. On Yarrêta, on le condamna, on l’épargna de nouveau, et il allait être rendu à la liberté lorsqu'il mourut au Louvre, en 1476. Reprenons notre analyse. À la suite du paragraphe rempli par le récit des événements relatifs à Jean d'Alençon, M. Bonneserre rectifie une erreur de Bodin, grave mais depuis longtemps aperçue, celle qui fait de Philippe de Commines un seigneur de Châteaugon- tier, par Suite d’une confusion entre ce dernier nom et celui de la seigneurie de Châteaugaultier en Poitou. Le séjour de Charles VIIT à Châteaugontier, en 1487, et la fondation d’une maison de Tiers-Ordre de saint François, en 1707, par Marguerite de Lorraine , du- chesse d'Alençon, marquent la fin du troisième cha- pitre. La Le quatrième s'ouvre par un exposé très dramati- que des troubles qui éclatèrent à Châteaugontier pen- dant les guerres de religion , et par le tableau des sanglants exploits du célèbre René de la Rouvraye. Châteaugontier avait embrassé avec ardeur le parti de la Réforme, et, jusqu’à la soumission du duc de Mer- cœur , cette ville ne cessa d’être agitée. L'Édit de Nantes l’autorisa à ouvrir un temple protestant. M. Bonneserre, confondant huguenots et ligueurs dans une même réprobation, porte, sur les luttes civiles du xvie siècle, des jugements auxquels nous ne pouvons nous associer ; mais nous nous faisons un devoir de rendre hommage à l’exactitude de sa narration , dont les principaux détails ont été empruntés à un docu- _ ment très authentique et très sûr, le Journal de Louve. La dernière page du quatrième chapitre contient le récit, d’après les mémoires de Mme de Larochejaquelein, de l'occupation de Châteaugontier par les Vendéens, en 1793, et du combat de la Croix-Bataille. Viennent ensuite, dans le cinquième chapitre, quelques rensei- gnements sur les monuments religieux , et , dans le sixième, des notes très concises sur les hommes cé- lébres qui sont nés à Châteaugontier , tels que : Péan de la Thuiïlerie, auteur de la Description de la ville d'Angers ; Simon Haye-Neuve, « le plus habile archi- iecte en son temps, » suivant Roger; Mathieu Pinault, Jean Spina , dom Bernard Geslin et Charles Loyson. Le second mémoire qui vous est présenté, Messieurs, est une œuvre beaucoup plus vaste. Elle a pour épi- oraphe deux mots qui révèlent un travailleur tenace : — 38 — Terram fodiendo, et pour titre : Monuments antiques de l'Anjou, ou Mémoire sur la topographie gallo-romaine du département de Muine et Loire, d'après les inscrip- tions, les médailles, les sépultures , les débris d’architec- ture ou de sculpture , et les noms de lieux. Le manus- erit, auquel une carte est annexée, ne comprend pas moins de 360 pages , et l’auteur est un écrivain qui, par ses nombreux travaux d'histoire et d’archéologie, s’est acquis en Anjou, depuis longlemps, un nom es- timé, M. Godard-Faulirier. L'ouvrage de notre collègue se divise en deux grandes sections : l’une comprend tout ce qui se rattache au chef-lieu du département; l’autre , tout ce qui a été découvert hors d'Angers, dans les cinq arrondissements de Maine et Loire. Nous allons vous indiquer rapide- ment les parties les plus saillantes de ce travail, en suivant l’ordre adopté par l’auteur. M. Godard se livre d’abord à l'étude des inscrip- tions et en cite sept fort remarquables, dont trois seu- lement existent encore aujourd’hui. La plupart de ces inseriptions ne sont pas entières; mais avec les frag- ments conservés, on a pu rétablir presque partout le sens des fragments perdus. Il en est quelques-uns ce- pendant qui ne sont pas encore très clairement expli- qués. Sur une pierre trouvée en 1813, près de Saint- Maurice, dans les décombres d’un mur gallo-romain , on voit les caractères suivants : MARTIOVC AVG CIVILECTRI NC je Bodia: lit : Martio viro clarissimo Augustali Givilatis lectum tributum et en conclut qu’à l’époque de la domination romaine, la cité des Andes, à l’aide d’un impôt, aurait élevé un monument à un personnage nommé Martius. M. de Longperrier, membre de Yinstitut, à qui M. Godard a montré cette inscription, croit qu’elle ap- partenait à un autel élevé en l’honneur du dieu Mars. et qu'il faut lire : £ Marti Louc (nom de lieu à chercher) Augusto Civitatis lectum tributum. Sur une autre pierre provenant des mêmes décom- bres, on aurait trouvé, d’après le manuscrit de Berthe, que possède la Bibliothèque d'Angers, une inscription ainsi conçue : | bref DITS MANIBVS AIBKIXLIST DIANTAE VXORIS SEXTI etc. La seconde ligne est indéchiffrable. M. Godard pense qu’il y avait là un prénom d’origine grecque, à cause de la lettre K, dont les Romains ne se servaient, dit-il, que dans le mot Kalendæ. Nous aimons mieux croire que Berthe, qui était un ancien relieur peu instruit et fe — très inhabile en paléographie, s’est trompé dans la re- production des caractères. En tout cas, nous avons une rectification à demander à M. Godard, car l’on trouve dans Gruter et dans Nieupoort un assez grand nombre de mots latins contenant la lettre K, tels que Karissima, Kandidatus, Kurceris, Kaninius, Kapütolinus, Kalumnua, Kaput, etc. Enfin, sur un fragment de tombe, découvert aussi en 1813, près de Saint-Maurice, on lit : D. M. ET MEMORIA(E) * AETERNAE NVINTAERVSER CONIVGIS PIENTISSIMA(E) MELIVS GERVININVS M. T. : NERVINVS CENTVRIO LEG o 6 W.P.E pere | C. M. Godard a très-bien traduit la plus grande partie de cette inscription; mais la 4 et la & lignes l’embar- rassent. Nous lui proposons, pour l’une : NVINTAE RVFII SERVII et pour l’autre : LEGIONIS. … PIAE FIDELIS Dans cette dernière intérprétation, nous admettons que la lettre qui termine la 8° ligne est un F. S'il n’a pas été commis d'erreur, les lettres P. E ne signifieraient- PR elles pas parentes ejus? Reste à expliquer le W (qui marque peut-être le numéro de la légion), et les deux signes placés à la suite du mot LEG (qui pourraient bien n’être là qu’en manière d’ornements). M. Godard , dans le second paragraphe de son mé- moire, s’occupe des médailles et des monnaies ro- maines trouvées à Angers à diverses époques; mais il sé borne à énumérer les principales découvertés, et n’appelle l'attention que sur les types les plus rares. Parmi les nombreuses médailles déposées au Musée d’antiquités de notre ville, et qui ont été si bien clas- sées par M. Godard, il en est une d’un très-haut prix, paraîl-il. C’est un grand bronze trouvé au doyenné de Saint-Laud par M. le docteur Maugars. Cette belle pièce est à l'effigie de Caligula, et porte au revers les noms de trois sœurs de cet empereur : Agrippina, Drusilla et Julia. De l’étude des médailles, M. Godard-Faultrier passe à celle des sépultures, et, après quelques considéra- tions générales sur la manière d’inhumer des anciens, il fait connaître les curieux monuments découverts en 1848 dans les déblais de la gare du chemin de fer, au sud-est d'Angers. Ces monuments sont de deux espèces : les urnes et les cercueils. Parmi les urnes, il en est une, en bronze, sur l’anse de laquelle on remarque une figure d'Har- pocrate, dieu du silence. Sur une autre, en terre grise, on lit le mot COR (cœur). Parmi les cercueils, qui sont tous en plomb, les uns étaient placés sous crypte, les autres en pleine terre. À l'extérieur, ces cercueils por- tent tantôt des empreintes de médailles romaines, tan- SAGE tôt des signes chrétiens, par exemple la croix-oule monogramme du Christ. À l’intérieur, on:a trouvé, dans la poussière, des ossements, des fioles à parfums, des lacrymatoires, des bracelets, des anneaux, des coquilles, des styles en bronze et des tablettes de porphyre. Tous ces objets appartiennent aujourd’hui au Musée d’anti- quités. . | Les fouilles exécutées. à la gare d’Angers ont encore donné plusieurs lampes sépulcrales, en forme de crois- sant; une statuette en terre, représentant Vénus Ana- dyomène, une ‘autre représentant Apollon, un petit buste dans lequel M. Godard voit une image de Bac- chus enfant, et une quantité considérable de vases en terre rouge. M. Godard a relevé avec beaucoup d’atten- tion tous les noms de potiers gravés sur ces vases. et en donne la liste, avec l'indication des noms semblables mentionnés dans le recueil de Gruter ou dans celui de Comarmond ({nscriptions du Musée de Lyon). Tous les débris exhumés à la gare d'Angers prouvent clairement, selon l’auteur des Monuments antiques de l’Anjou, qu’il a existé en cet endroit un cimetière gallo- romain, dont l’origine doit dater de la fin du ne siécle ou des premières années du 1ve. Les raisons que M. Go- dard fournit à l’appui de son opinion nous semblent tout à fait'incontestables. . Le quatrième paragraphe du mémoire n° 2 renferme la description des restes d'architecture et de sculpture. . En 1813, on découvrit, dans les caves de la maison de Puységur, près de la cathédrale, un débris de frise en pierre calcaire portant cette inscription 2 C. RVFIO. CIRCV. ME. T. V. EXT... LPX. ET, ce On supposa que cette pierre provenait d’un cirque gallo- romain dédié à Minerve. Mais rien n’indiquait la situa- tion du monument, et mille hypothèses surgirent. On discutait encore, lorsque, en 1844, une enceinte demi- circulaire, d’une étendue de 23 mètres environ, fut trouvée dans le sol du boulevard de la Basse-Chaïne, en face du château: L'appareil des matériaux, et les vases en terre rouge, couverts de dessins représentant des. chasses et des combats, qui existaient encore dans celte enceinte, ne laissérent aucun doute sur l’époque de sa construction, ni sur l’usage auquel elle avait servi. On venait de retrouver, dit l’auteur du mémoire, l’encien cirque de la ville d'Angers. Les autres monuments gallo-romains que M. Godard passe successivement en revue sont : les bains de l'Es- vière, qu’alimentaient les eaux de la fontaine Frotte- Penil, située sur la route des Ponts-de-Cé; plusieurs restes d’aqueducs, l'amphithéâtre de Grohan, dont on voit quelques vestiges dans les parties de l’ancien cou- vent de la Fidélité, prés de la rue Hannelou, et sur le nom duquel l'érudition de Gilles Ménage et celle de Claude Ménard se sont exercées; le Capitole, dont la façade de l’évêché actuel. présente encore de beaux fragments; le mur d'enceinte de la cité, qu'ont pu suivre récemment, dans une très-grande partie de son étendue (de la rue Vieille-Chartre à la place du Chàä- teau), les membres de la Commission archéologique ; enfin un lion en pierre calcaire, trouvé au pied de ce mur, à peu de distance de Saint-Maurice, et qui tient entre ses griffes une tête de bélier. Les archéologues ne sont pas d'accord sur ce dernier EE = ouvrage, dont rien, après tout, ne nous a encore prouvé l'antiquité. Pour M. de Caumont, ce n’est qu’une sculpture du moyen âge, qui était sans doute placée à la porte d’une église. Pour M. de Matty de la Tour, c’est le symbole de César, fondateur de Julio Magus, et foulant aux pieds le peuple gaulois repré- senté par la tête de bélier. M. Godard, s'appuyant sur des considérations empruntées aux travaux de M. Félix Lajard, croit que c’est un emblème du soleil, et que la tête de bélier indique le mois de mars, avec lequel commençait l’année chez les Romains. Il est encore une figure, une sorte de dieu Pepctius, qui excite beaucoup la curiosité de nos antiquaires. C’est une petite statuette en terre, de Om 16 de hauteur, provenant de fouilles faites à l’Esvière, et dont l’heu- reux propriétaire est M. Mamert, conseiller de préfec- ture. La tête manque, le corps est nu, le bras droit est replié sur la poitrine, le cou est garni d’un collier auquel sont suspendus cinq anneaux à cercles concen- triques, les mamelles sont entourées de perles, une des mains tient un objet de forme cylindrique, enfin on lit sur le socle, en lettres capitales : REX TVSENOS. Quelle est cette bizarre image et que signifie le nom qu’elle porte? M. Godard l’appelle une Vénus populaire, et pense que TVSENOS pourrait bien être le nom d’un roi de la’ cité des Andes, auquel la statuette aurait élé dédiée. Nous ne nous sentons pas assez de science pour risquer une interprétation. Ce qui achève de mettre la rumeur parmi les érudits, c’est qu’une slatuette sem- blable vient d’être découverte à Corseul, en Bretagne, avec cette différence que l'inscription est sur la poi- trine et non sous les pieds. Jus RENE La première section du mémoire n° 2 se termine par une dissertation sur les différents noms donnés au territoire angevin, à la ville d'Angers et à ses habitants. M. Godard discute très-savamment les étymologies de ces noms, et prouve que les plus anciens sont ceux de Andes, Andecav, Andicavi et Ondicavæ. Quant aux dé- nominations de Egada, Gades, Egadiens, il les attribue sans hésiter au naïf auteur des Chroniques d'Anjou et du Maine, à Jean de Bourdigné. Se fondant sur les re- cherches et sur les observations judicieuses de M. Ad- ville, il adopte, pour Julio Magus, la signification de ville capitale de Jules “et, sans se prononcer sur le sens des deux radicaux And et Ega, il démontre que leur . alliance ne remonte pas au-delà du ve siècle de l'ère chrétienne. M. Godard combat ensuite avec force, mais sans ou- blier les égards dus à un savant et honorable adver- saire, le système de M. de Matty de la Tour sur l’em- placement de la cité des Andes. On sait que, d’après cet écrivain, le chef-lieu de l’Anjou aurait occupé suc- cessivement la position d’Andard, celle d’Empiré ou * des Châteliers de Frémur, et enfin la position actuelle. Il résulte de la discussion à laquelle se livre M. Godard, que les assertions de M. de Matty sont complètement démenties par l’étude des lieux, des monuments et des textes historiques; que la capitale des Andes n’a subi aucune translation, et que les antiquités trouvées à Andard et à Empiré attestent simplement l'existence de deux centres de population plus ou moins impor- tants dans le voisinage d'Angers, à l’époque gallo-- romaine. = M Ainsi que nous l'avons dit, la seconde section du mémoire de M. Godard-Faultrier contient la descrip- tion des antiquités romaines appartenant aux arron- dissements d'Angers, de Baugé, de Cholet (naguëre Beaupréau), de Saumur et de Segré. Vous n’attendez pas de moi, Messieurs, que je vous fasse ici l’énumé- ration complète, de tous ces restes précieux. Je vous rappellerai seulement les plus remarquables, ceux dont Vétude est devenue indispensable pour débrouiller his- toire confuse de nos origines. Au premier rang, il faut placer le Camp de César, vaste enceinte triangulaire dont les vestiges sont aux portes mêmes de notre ville, et dont tous les coins ont été fouillés avec un zèle infatigable par le président de notre Commission archéologique. M. Godard cite encore, parmi les monuments anciens découverts dans l'arron- dissement d'Angers : le sudatorium de Mürs, le beau sacellum de Notre-Dame d'Alençon, qui, malheureu- sement pour nous, a passé du cabinet de M. Toussaint Grille au Musée du Louvre, et ces deux pierres des bois de Serrant, sur lesquelles sont gravés les carac- tères ne mal expliqués Date ce jour : CoDaSs lo ob 1 Das OT V. € Dans l'arrondissement de Baugé, ce qui attire particu- liérement l'attention, ce sont les 458 pièces d’or trou- vées, en 1847, sur la commune de Corné (à Quiquère), et les 300 médailles d'argent découvertes, en 1854, ‘aux Vétières, sur la commune de Seiches. Dans l’arrondissement de Cholet, ce sont les débris QE de vases et les belles monnaies de la Segourie, im- mense dépôt où M. Tristan-Martin, autre mineur pa- tient qui pourrait prendre aussi pour devise le {erram fodiendo de notre auteur, ne cesse d’aller chaque jour plonger son regard et enfoncer sa pioche. L’arrondissement de Saumur est un des plus chers aux archéologues, et M. Godard y a trouvé de nom- breux sujets d’étude, tels que le camp de Chenehuite- les-Tuffeaux, le cimetière du village de l’Orbière (com- mune de Saint-Georges-des-sepl-voies) , le théâtre, l’aqueduc et le sudatorium de Gennes; plusieurs ves- tiges de routes pavées, et les rares objets de toute sorte (haches, bronzes, clés, urnes, tuba, fioles, mé- dailles , etc.) recueillis ou classés par le modeste sa- vant auquel est confiée la direction du Musée de Sau- mur, M. Courtiller jeune. , Enfin, dans l’arrondissement de Segré, l’auteur du mémoire n° 2 s’est attaché spécialement à rechercher l’origine des communes du Lion-d’Angers et de Chä- telais. Tous les restes gallo-romains de l’Anjou étant décrits et bien constatés, M. Godard, dans un dernier cha- pitre qui n’est pas le moins intéressant de son long mémoire, essaie de recomposer le réseau de nos voies romaines, et de retrouver la position exacte des sta- tions Robrica, Combaristum et Segora ; indiquées sur la carte de Peutinger. Il commence par exposer et dis- cuter les divers systèmes présentés à ce sujet par MM. Bodin, La Sauvagère, Walkenaër, Faye, de Maity et autres archéologues ou géographes. Puis, il pro-" pose à son tour les lignes qui lui semblent relier le Le RE mieux les trontons de chemins dont notre sol a gardé les traces. Suivant ses apprécialions, six voies principales ont existé en Anjou. La première se dirigeait d'Angers sur Tours (Cæsarodunum) ; la seconde d’Angers sur Rennes (Condale), la troisième d'Angers sur Nantes (Portus Namnetum), la quatrième d’Angers sur Poitiers (Limo- num), la cinquième d'Angers sur le Mans (Subdinum); la sixième conduisait à Jublains, dans la Mayenne. A ces routes de grande communication, se rattachaient des embranchements destinés à mettre en relation les centres d’une importance secondaire, soit avec Julio Magus, soit avec les capitales voisines. En ce qui concerne les stations, M. Godard, d’ac- cord avec MM. Faye et Tristan-Martin, regarde la Se- gourie.comme le seul emplacement qui convienne à Segora; il hésite, pour Combaristum, entre Châlelais et Candé; Chenehutte-les-Tuffeaux lui semble correspondre à la position de Robrica beaucoup mieux que Beaufort ou Longué. Vous devez maintenant, Messieurs, connaître assez les deux mémoires qui vous ont élé adressés pour les juger avec impartialité. Il me reste à vous communi- quer l’avis de la Commission, que déjà peut-être vous avez pressenti. La Notice sur Châteaugontier est l'œuvre d’une plume exercée. Elle renferme d’ailleurs des documents utiles, et les hommes, aussi bien que les événements, y sont en général appréciés avec sagesse , nous pouvons dire même avec un sentiment très élevé des devoirs et des == droits de l’histoire. Ce travail, cependant, n’a pas paru complètement irréprochable à votre Commission. Le style n’en est pas toujours assez sobre, et l’on y ren- contre en maint endroit des phrases d’une allure un peu trop fière, trop solennelle pour la simplicité du sujet. Les textes latins ne sont pas traduits partout avec assez d’exactitude (willicus, par exemple, ne si- gnifie pas vassal); et dans la charte de Saint-Aubin, reproduite par l’auteur (nous l’avons collationnée sur l'original) il y a tout à la fois des incorrections et plusieurs mots oubliés. Ailleurs, ce sont des lacunes que M. Bonneserre aurait pu combler en consultant nos archives publiques ou certaines archives particu- lières dont l’accès est facile. Ainsi, rien n’indique comment Châteaugontier devint une possession de la famille de Bailleul, ni comment cette terre entra dans la maison d’Autichamp. L'auteur de la Notice ne con- consacre que deux lignes à Nicolas Bailleul, magistrat vertueux et de grand caractère, dont le Père Lemoyne nous a tracé le portrait dans les vers suivants : Ministre sans défaut, Bailleul à qui la France A confié son sang et commis sa substance, Au moins pour un moment suspends les nobles soins Que imposent pour nous ta charge et tes besoins, Et jouis de ta gloire en ces vers exprimée Sur le tableau qu’a fait de toi la renommée. C’est après tes vertus, c’est après ton portrait Que j’entreprends de peindre un ministre parfait, Et pour tes successeurs en ce nouvel ouvrage Je trace un exemplaire en traçant ton image. SOC. D’AG. n LISE A RS Ün ministre chrétien doit agir d'autre sorte Que n’agit en Turquie un pacha de la Porte, Ïl doit avoir appris que les sceptres des rois Ne sont que des éclats séparés de la croix. Que le ministre donc, Bailleul, soit comme tot, Aussi fidèle à Dieu que fidèle à son roi ; Qu’au Louvre, qu’à l'Eglise, il serve de colonne, Qu’appuy de la Tiare, appuy de la Couronne, Il garde de mesler dans une mesme main Le sceptre en l’encensoir, le divin à humain; Qu'il sache enfin qu’il est en un pays d’orages, Qu’aux plus belles saisons il s'y fait des nuages, Que la gresle et la foudre y frappent chaque jour Ou quelque arbre fameux ou quelque grande tour. Mais la vertu, Bailleul, te menant par la main, L’orage déchaîné t’attaquerait en vain; Quoi qu’il faille passer, torrent ou précipice, On verra pour t'aider descendre la Justice, Et d’un double lien fait d’un acier fatal, Ta fortune attachée après son piédestal, Ne branlera jamais, pour vent ni pour tonnerre, Des coups qui font tomber les idoles de la terre. M. Bonneserre a bien fait mention de la peste de 1348; mais il a passé sous silence celle de 1640, et la famine de 1708 sur laquelle un curieux document a été publié par M. Godard-Faultrier. Enfin, il n’a parlé ni du passage de Richelieu à Châteaugontier en 1698, ni de l'établissement des Capucins en 1609, ni de ce- lui des Ursulines en 1630, ni du saint prêtre Gilles EME Marais, sous la direction duquel le collége de Château- gontier devint si florissant au commencement du xvine siècle (1). Quelques analogies contestables, certaines assertions trop hardies et, en même temps, plusieurs problèmes trop promptement abandonnés, sont les seuls défauts que votre Commission, Messieurs , ait à vous signaler dans le Mémoire sur les monuments gallo-romains de V'Anjou. Le travail de M. Godard-Faultrier est le fruit de longues années d’élude. C’est un recueil complet et bien coordonné de tout ce que la science a recueilli de renseignements jusqu’à ce jour sur une période im- portante de notre histoire, et il formerait l’un des meilleurs documents de vos annales. Une copie de cet ouvrage a été adressée au ministère de l’Instruction publique, et l’auteur a reçu de M. de Saulcy, prési- dent du Comité de la topographie des Gaules, les plus vives félicitations. Assurément, Messieurs, c’est l’œuvre elle-même qui doit se recommander ici directement par son mérite; mais l'attestation d’un des membres (1) M. Bonneserre de St-Denis nous a fait remarquer qu'il n’avait point eu le projet d'écrire une histoire complète de Châteaugontier ; qu'il avait voulu simplement (ainsi que l’atteste une phrase de sa notice) présenter à la Société le résumé de ce que ses recherches lui avaient appris sur cette ville; que, par conséquent, on ne pouvait lui imputer à faute d’avoir passé sous silence plusieurs noms ou plu- sieurs événements importants. -- Nous nous faisons un devoir de re- produire ici ces observations; mais nous regrettons que M. Bonne- serre n’ait pas choisi un cadre plus large, et nous ne comprenons pas pourquoi, dès qu'il sortait du cercle des documents inédits, il a laissé de côté une partie des faits consignés dans les ouvrages im- primés. . AL — 52 — les plus distingués de l’Institut est de nature, il nous semble, sinon à déterminer votre jugement, du moins à éclairer votre délibération. Votre Commission vous propose de décerner à M. Go- dard-Faultrier la médaille d’or offerte par le Conseil général, et d'accorder une mention honorable à l’au- teur de la Notice sur Châteaugontier. ALBERT LEMARCHAND. DE LA LOI SUR LES CÉRÉALES RAPPORT LU ET VŒU ÉMIS DANS LA SÉANCE TENUE LE 1° AVRIL 1859, SOUS LA PRÉSIDENCE de M. COURTILLER, Conseiller à la Cour impériale d'Angers. ‘ Messieurs, Depuis quelques mois l’opinion publique en France est fort préoccupée d’une question importante, objet de longues discussions , d’hésitations laborieuses et qui intéresse à un haut degré l’agriculture. Il ne s’agirait de rien moins que de remanier , de bou- leverser même radicalement, suivant quelques-uns , notre régime de douanes; le champ est ouvert à tous les systèmes ; l’armée du libre-échange, peu nombreuse. mais guidée par des officiers ardents et habiles, est entrée en campagne avec des chances et, assure-t-on, avec des positions redoutables. Des pétitions dansle sens contraire ont été adressées par l’industrie agricole au Sénat qui ei ue les a prises en très sérieuse considération; des enquêtes ont été ouvertes au Ministère de l’agriculture et au Con- seil d'Etat. Notre Société ne devait-elle pas, sous peine de renoncer à son premier titre, prendre parti dans cette lutteet faire entendre sa voix dans ces enquêtes? La Société Fa pensé ainsi, ct, dans sa séance du 23 mars, elle a chargé une commission de cinq membres (1) de préparer, dans un très bref délaï, la délibération qu'il serait opportun de prendre, c’est à moi, le moins apte, qu'est échu le soin de vous rendre comple des travaux de cette commission. L’une des premières pensées de celui qui étudie une question de ce genre, est de consulter les législations antérieures ; on pourrait remonter fort loin, puisque la douane était connue à Athènes et à Rome. En s’en te- nant même à la France, on compte par centaines les réglements, édits , lois, décrets et ordonnances con- cernant les grains; toutefois cette recherche, éten- due au-delà du dernier siècle écoulé, serait, nous ne dirons pas sans intérêt, mais sans profit sérieux. Le régime ancien de la France paraît avoir été, dans ses diverses phases, inspiré et par les inquiétudes irré- fléchies des populations , et par les besoins d’une ad- ministration financière alors mal régularisée , et dont toutes les mesures ne semblent être qu’une série d’ex- pédients. ) Ce qu'on appelait liberté d'exportation s’'appliquait presqu’exelusivement au transport des blés des pro- (1) Cette commission était composée de MM. l’abbé de Beaumont. Joseph de Mieulle, conseiller général , Tavernier , Bazin et Coutret.. _rapperteur. vinces favorisées par de bonnes récoltes dans d’autres provinces françaises où il y avait insuffisance. L'une des conséquences de la chute du régime féo- dal avait été de donner à toutes les parties de la France un droit égal à la protection royale. Ceux des rois qui lont le mieux compris ont déployé une grande éner- gie pour faciliter ces exportations et établir un équi- libre dont le résultat fait, il est vrai, hausser les prix, en amoindrissant l’abondance, dans les contrées bien pourvues, mais préserve les autres de la famine. Ces exportations intérieures, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui ont aujourd’hui des adversaires aussi rares que mal inspirés, étaient, il y a quelques siècles, l’ob- jet de résistances extrêmes de la part non-seulement des populations, mais même des autorités locales; et nous avons rencontré, dans nos recherches, la men- tion d’un arrêt des magistrats de Saumur justement dénoncé par Sully à Henri IV, et qui s’opposait à la sortie des blés. Sous Louis XIV et Colbert, il y avait, sauf quelques permissions particulières, interdiction d'exporter. C’est vers cette époque que commencèrent à se pro- duire les critiques des économistes. On attribue géné- ralement à leur influence la déclaration du 95 mai 1763 et l’édit du 27 juillet 1764. Dans le préambule du premier de ces actes, on lit que rien n’est plus pro- pre à arrêter les inconvénients du monopole qu’une con- currence libre et entière dans le commerce des denrées. Mais il ne s’agissait encore que de la circulation à Yin- térieur. Dans le préambule du second, il est dit que, sur les instances des personnes les plus éclairées en ce genre, le Roi a cru devoir proclamer La libre exporla- es tion cE importation des grains el farines, comme propre à animer el étendre la culture des terres dont le produit est la source la plus réelle et la plus sûre des richesses d'un Etat, à entretenir l'abondance pour les magasins el l'entrée des blés étrangers, à empêcher que les grains ne soient à un prix qui décourage le cultivateur, à écarter le monopole par l'exclusion sans retour de toutes per- missions particulières , et par la libre et entière concur- rence dans ce commerce , à entretenir enfin entre les dhf- férentes nations cel échange du superflu avec le néces— saire, si conforme à l’ordre établi par la Providence, et aux vues d'humanité qui doivent animer tous les souve- Fains. Le principe du libre-échange est bien proclamé, mais l’édit contenait cette restriction importante : Lorsque le prix des grains dépassait un certain taux, lexporta- tion était interdite , et les navires et équipages fran- çais pouvaient seuls transporter les grains exportés. Nonobstant les remontrances des Assemblées délibé- rantes, et notamment du Parlement , ces édits furent maintenus jusqu’en 1770, année dans laquelle survin- rent deux arrêts du Conseil dont l’un interdisait l’ex- portation hors du royaume, et l’autre, destiné à en- traver le commerce des grains à l’intérieur, contenait, entr’autres défenses, celle de vendre les blés et farines, ailleurs que dans les marchés. L’essai n’avait été ni long ni concluant en faveur du libre-échange. . Les économistes insistèrent, et, en 1774, année de diselte, Turgot, leur illustre disciple, en laissant sub- sister l’interdiction d’exporter, fit remettre en vigueur la déclaration du 15 mai 1763 qui avait inauguré la liberté du commerce des grains à l’intérieur La lon- PR gueur de l’exposé, dont Turgot fait précéder cel arrêt du Conseil du 13 septembre 1774, et le soin apporté à sa rédaction, indiquent combien il fallait déployer d'énergie pour triompher des résistances et des pré- jugés de l'opinion publique, quoiqu'il ne réglât alors que la liberté du transport et de la vente des grains à l'intérieur. Recherchant les moyens d'assurer la sub- sistance des peuples et de prévenir la cherté, Turgot donne à l'entremise du commerce laissé à lui-même la préférence sur l'intervention du Gouvernement qui, dit- il, connaît plus tard et moins exactement les besoins et les ressources. Turgot démontre, avec une grande au- torité, la nécessité non-seulement de ne pas flétrir, mais de protéger hautement le commerce des blés. Comme conséquence de cette liberté du commerce à l'intérieur , un édit de juin 1775 supprima la compa- gnie des marchands privilégiés et porteurs de grains, créée en 1692 et 1693. Nous mentionnons ici pour mémoire qu’en 1788, l'exportation fut un instant permise, mais que dans la même année le minisière Necker rétablit la prohibi- tion. - Il faut renoncer, Messieurs, à vous analyser les actes de pouvoir intervenus de 1789 à la proclamation de l'Empire en 1804; nous en avons compté plus de 60. Les premiers maintiennent tout à la fois la libre cir- culation à l’intérieur et l'interdiction d'exporter; mais quand vint la disette, la Convention voulut la combattre avec cet absolutisme et cette. violence extrême qu’elle manifestait en toutes choses ; elle prononça la peine de mort contre les exportateurs, accapareurs et spécula- teurs coalisés pour la hausse, punit de dix ans de fers ke pe LA les meuniers qui feraient le commerce des grains, éta- blit un prix maximum de 14à 20 francs par quintal de blé-froment, ordonna des recensements minutieux, et mit pour sanction la confiscation dont elle fit profiter les délateurs; mais tout en ne gardant aucune mesure, et en attentant à la liberté et à la propriété des citoyens, la Convention ne réussit guëre qu’à aggraver le mal et, à exaspérer les populations. Un décret du 14 juin 1804 permit l'exportation en Espagne , en Portugal et en Hollande moyennant un droit de sortie, et lorsque le prix du blé n’atteindrait pas 16 francs. Deux décrets des 4 et 8 mai 1812 apportent quel- ques entraves à la circulation et au commerce inté- rieurs, et établissent transitoirement un prix maximum de 33 fr. pour les blés. Enfin une loi du 2 décembre 1814, réglementant la faculté d'exportation provisoirement accordée par l’or- donnance du 26 juillet précédent , établit ce qu’elle nofnme le droit de balance; c’est le système de l’é- chelle-mobile qu’inaugure cette loi et qu'ont modifié, en le complétant, diverses lois et ordonnances de 1819, 1890, juillet 1821, 1822, 1895, 1898 , octobre 1850, et surtout la loi du 15 avril 1832. En voici l’économie : On fixe le prix moyen des grains par les mercuriales d’un certain nombre de marchés régulateurs; et, eu égard à la différence ha- bituelle des prix, on divise la France en quatre sections ou classes. Le relevé de ces mercuriales est publié le 4er de chaque mois au Moniteur. Le prix moyen des céréales ainsi établi sert de base aux droits d'entrée et de sortie. 7 M 10 IMPORTATION. D’après la loi de 1832, lorsque le prix du blé-fro- ment était descendu à 17 fr. pour la première classe, 15 fr. pour la deuxième, 13 fr. et 41 fr. pour les troi- sième et quatrième, le droit perçu à l’entrée était de 43 fr. 75; ce droit diminuait de 1 fr. 50 par hecto- litre et par chaque franc de hausse jusqu'aux prix de 24, 22, 90, et 18 fr. suivant la classe; et de 1 fr. par hectolitre et par chaque franc de hausse au-dessus de ces prix. dc Lorsque les cours atteignaient 26, 24, 29, 90 fr., suivant la classe, le droit d’entrée n’était plus que de 4 fr. 25. En revanche, lorsqu'ils descendaient au-dessous de 16, 14, 19 et 10 fr., suivant la classe, les droits aug- mentaient de # fr. 50 par hectolitre et par chaque franc de baisse, ce qui équivalait à une sorte d’inter- diction, puisque le droit devenait égal au prix moyen. 90 EXPORTATION. Lorsque le prix du blé ne dépassait pas 25, 93, 91, 49 fr., suivant les classes, le droit à la sortie n’était que de %5 centimes ; au-dessus de ces chiffres, le droit s'élevait de 2 fr. par hectolitre et par chaque franc de hausse. ë Les droits sur les farines sont perçus d’après les: mêmes bases : pour la sortie, 100 kilog. de farine paient le même chiffre que deux hectolitrés de blé. Deux tableaux annexés à la loi de 18392 indiquent dans quelles‘ préportions sont perçus les droits d’im- PES portation et d'exportation sur le seigle, le maïs, l'orge, le sarrasin et l’avoine. Tel est le système de l'échelle mobile. Répond-il aux besoins et aux intérêts dignes de la sollicitude et de la protection de l'Etat? Pour mieux résoudre cette ques- tion , il convient de la considérer sous trois aspects : — la consommation, — la production, — le com- merce intermédiaire entre l’une et l’autre. 10 Quel est l’éntérêt du consommateur? — Que la pro- duction soit constamment au niveau des besoins, et qu’à cet égard il y ait sécurité aussi grande que pos- sible, même dans les éventualités les moins favorables, c’est là un intérêt essentiel et qui domine toutes les considérations secondaires. Autant que cela peut dépendre de la prévoyance hu- maine , la subsistance publique doit être assurée; elle ne doit pas être soumise à des chances, à des proba- bilités, moins encore à des essais que ne ratifierait pas la prudence la plus précautionneuse. Le consommateur a un autre intérêt , grave sans doute quoique de second ordre : c’est que les denrées. nécessaires à son existence soient maintenues à des prix modérés et aussi peu variables que possible. Les prix excessifs inquiètent les populations, leur imposent des souffrances, et font naître la pensée de la disette, dont la crainte, même peu fondée, est une cause d’a- gitation, de défiance et de désordres. À ne considérer que le consommateur, on ne saurait donc trop développer la production ni la mettre trop soigneusement à l’abri des événements imprévus, des éventualités les plus fâcheuses. 20 L'intérêt du producteur ne saurait être séparé de D'ÉTÉ celui du consommateur, et il doit lui être subordonné. Il faut encourager la production avec prévoyance et discernement. Si nous voulons qu’elle soit toujours , et quoi qu'il arrive, au niveau des besoins, si nous ne voulons pas dépendre d’un secours étranger qui peut faillir, nous devons prévoir que l’abondance , après plusieurs années favorables, avilira les prix; que, par suite, le cultivateur, ne trouvant pas une rémuné- ration suffisante, se découragera , fera moins d’efforts pour mettre ses terres en valeur, ou leur donnera une autre destination pour lui plus profitable ; que, la pro- duction des blés étant ainsi négligée, le pays peut être surpris par une disette et ses conséquences funestes au consommateur. N'oublions pas qu'il s’agit, d’une part, de besoins qui ne peuvent attendre, et d’autre part, d’uneindustrie qui pour produire a besoin d’une longue préparation et de délais fixés par Dieu, et que nulle puissance humaine ne peut abréger. Le problème à résoudre , le but à atteindre, ce se- rait un équilibre constant et parfait entre l’insuffisance et l’excès de la production; l’espérer serait un rêve. Turgot disait en 1774 : « Quelques moyens que le » Gouvernement emploie, quelques secours qu’il pro- » digue, jamais, et l'expérience l’a montré dans toutes » les occasions, 1l ne peut empêcher que le blé ne soit » cher quand les récoltes sont mauvaises. » Mais l’un des premiers devoirs de l'Etat est de tendre avec per- sévérance à s'approcher de ce but idéal. Pour y parvenir, l'Etat prendra-t-il, du moins dans les années de disette, le monopole des approvisionne- ments? ou bien fera-t-il concurrence à l’industrie pri- vée? interviendra-t-il d'autorité dans les marchés ? L’ex- périence a, depuis longtemps déjà, condamné ces moyens dont le vice incontestable paraît avoir jeté quelques bons esprits dans une extrémité opposée. On s’est demandé si le moyen le plus efficace ne consiste pas à laisser faire l’industrie et le commerce, à leur donner pleine liberté d’action, à établir une concur- rence sans limites au-delà comme en decà de nos frontières, à laisser sortir nos blés et entrer les blés étrangers sans contrôle, enfin à abandonner, les yeux fermés, au commerce du monde entier le soin de nous défaire des excédants , de combler les déficits, et d’o- pérer le nivellement entre les prix des divers marchés du monde. La libre concurrence, à l’intérieur, est hors de notre cadre, et d’ailleurs hors de discussion; la question qui préoccupe vivement les esprits en France ne s’applique qu'aux échanges à faire avec les nations étrangères, à l'importation et à l’exportation. Les manifestations qui se sont produites de tous les points de la France nous autorisent à affirmer que la pensée, qu’on songerait à y introduire définitivement le libre échange, a causé de très sérieuses appréhen- sions. Ces appréhensions sont-elles raisonnables ? ou ne seraient-elles que le résultat de l'ignorance et de pré- ventions irréfléchies ? Messieurs , le système du libre-échange mérite d’être sérieusement discuté; peut-être sera-t-il la loi de la- venir ! Mais, pour le juger aujourd’hui, nous n’avons que des hypothèses. Qui donc oserait affirmer que les résultats de cette innovation radicale seront exactement conformes à ces hypothèses d’ailleurs si contestées ? On l'ose sans doute, mais est-il prudent de le faire ? TU Pour éprouver le système , il faudrait en faire l’es- sai? Soit, que l’on tâche de convaincre d’autres indus- tries; la plupart d’entr’elles déclarent qu’elles saccom- beraient devant la concurrence d'Etats voisins mieux pourvus de malières premières ; mais qu’on n’applique pas cet essai aux céréales qui intéressent si essentiel- lement l'existence des citoyens et la sécurité de la nation, ce n’est pas là matière à expérience. On oppose l'exemple de l’Angleterre? — Est-ce que nous sommes dans la même situation matérielle et com- merciale? Est-on bien sûr que sir Robert Peel, premier ministre en France, eût songé à l'innovation qu’il a jugée conforme aux intérêts de son pays? Nous trou- vons de graves motifs d'en douter, même dans l’ap- préciation d’un économiste français, grand partisan des réformes de sir Robert Peel. Voici ce qu’a écrit sur ce sujet M. Léon Faucher : «Dans une contrée qui défraie » Sa propre consommation, des lois destinées à préve- » nir ou à restreindre l’importation des blés étrangers » ont une raison quelconque d’existence ; l'intérêt les » explique alors même que la science les désavoue. En » France et en Belgique, les producteurs, qui ferment »'le marché national aux céréales de la Baltique et de » la mer Noire, sont du moins capables de l’approvi- » sionner ; mais l’Angleterre, qui est condamnée à im- » porter des produits agricoles et à exporter des pro- » duits manufacturés, suit une politiqueinsensée quand » elle entrave la liberté des échanges ; elle ne fait rien » à son agriculture, et elle nuit à son industrie. » On le voit, l'expérience faite plus ou moins com- plètement en Angleterre, est loin d’être concluante à notre égard ; qu’on songe aux dissemblances énormes. ere L’Angleterre, on pourrait le dire, vit de son travail et aux dépens d'autrui; elle s'enrichit en accablant le monde des produits de ses manufactures; si toutes les frontières lui étaient fermées, elle serait réduite à les ouvrir par la force ou à renoncer à vivre. Aussi con- sidérez la puissance de ses moyens d’expansion et d’ap- provisionnement, l’étendue de son commerce maritime ! Est-ce là notre situation ? Quelles seraient, autant qu’il est raisonnable de les prévoir, les conséquences de ce régime du libre échange sur nos marchés de céréales ? En temps d’abondance, les navires russes, améri- cains et anglais viendraient faire concurrence à notre production nationale avec des blés obtenus dans des conditions bien différentes de celles de. notre agricul- ture, qui n’a ni serfs ni esclaves à sa disposition. La production nationale découragée, chercherait des res- sources dans d’autres cultures; et s’il survenait ensuite une guerre avec les puissances marilimes , ou seule- ment une insuffisance générale de récoltes, nous se- rions aux prises avec la disette. Qui garantirait qu’en pareil cas la liberté des échanges serait respectée par les pays mêmes qui l’auraient proclamée avec le plus d’ardeur? Quoi qu’il en soit, nous aurions perdu l’a- vange inappréciable de trouver dans notre propre fonds les éléments de notre subsistance. Dans les années moins favorables, les nations voi- sines, celles surtout chez lesquelles les prix sont habi- tuellement plus élevés qu’en France, viendraient pren- dre une partie de notre nécessaire, et produiraient ainsi une surélévation fâcheuse des prix. Ne doit-on pas craindre encore que ce régime de li- 266 berlé absolue n’entraîne avec lui des fluctuations de prix plus grandes que le régime actuel? Il s’opérerait, dit-on, à la longue une compensation entre les prix trop élevés et les prix trop bas; com- pensation peu satisfaisante : n'est-ce pas pour parer aux graves inconvénients de cette variation, inévitable dans une certaine mesure, qu'a été instituée à Paris la caisse de la boulangerie dont chacun connaît le mécanisme ? Et qui donc n’a pas fait des vœux pour qu’elle réponde aux vues de ses fondateurs ? Nous croyons en avoir assez dit pour justifier la fin de non recevoir que la prudence nous inspire contre une innovation toujours plus ou moins hasardeuse. D'ailleurs, quelle est donc l’urgence, le motif si im- portant d'innover, quand nous avons dans notre légis- lation un système de douanes qui, en respectant tous les principes essentiels, satisfait les intérêts en jeu? IL établit la liberté du commerce des céréales , seule- ment il en règle l’exercice par de sages tempéraments; il ne prohibe ni l'exportation ni l’importation , mais il en subordonne les conditions aux besoins et aux inté- rêts du pays. On fait à ce régime de l’échelle mobile des objec- tions de détail auxquelles nous répondrons en quelques mots, en abordant le troisième aspect de notre question. 3° Entre le producteur et le consommateur se place une industrie, objet de préventions exagérées, et dont, quoi qu’on lui reproche, l’action est éminemment sa- lutaire : l'esprit et l’oreille, constamment attentifs à toute demande comme à toute offre, à la moindre in- quiétude accusant un déficit et au moindre signe d’ex- SOC. D’AG. 5 EG = cédant, le spéculateur devine, pressent, connaît la si- tuation plutôt, sinon mieux, que la mercuriale officielle; mû par son intérêt, il établit l'équilibre entre les con- : trées inégalement pourvues ; aussi obtient-il la protec- tion de la loi. Que faut-il à cette industrie que ne lui puisse donner l'échelle mobile? Elle a besoin de li- berté, de sécurité, de savoir sur quoi compter, d’avoir des garanties contre l’imprévu, autant que cet imprévu dépend d’une volonté humaine. Elle veut pouvoir pré- parer, en connaissance de cause, ses combinaisons sans avoir à craindre une mesure gouvernementale qui les déroute et devienne une source de mécomptes et de ruine. ; N'ayant à compter qu'avec une loi stable, et en pré- sence d’une situation nettement définie, la spéculation provoquera la concurrence, et cette concurrence toyr- nera au profit du consommateur ! En quoi donc l’établissement de droits protecteurs bien déterminés peut-il gêner la spéculation ? Elle en tient facilement compte dans ses calculs , et ce n’est pour elle l’occasion d'aucune chance mauvaise. Le commerce soulève un grief, Le seul qui, suivant le Comice agricole de Lille, soit sérieusement élevé contre l'échelle mobile : c’est l'incertitude qui résulte des va- riations de la mercuriale publiée chaque mois, et, par suite, des droits d'entrée et de sortie; ce reproche a semblé fondé à votre commission. Un de ses membres s’était d’abord rangé à l’avis du Comice de Lille, qui ne demande qu’une seule mercuriale par an; mais, après examen , la commission a pensé, d’une part, qu’une semblable modification serait imprudente; et, en effet, nous admettons que la mercuriale, relevée a = par exemple le 15 octobre, démontre bien l’état de la récolte effectuée, et qui va pourvoir à la consommation de l’année qui commence ; mais à ce moment rien n’in- dique ce que sera la récolte prochaine, dont l’aspect pourra être tel, en mars, avril, et dans les mois sui- vants, qu’il en résulte craintes sérieuses, élévation des prix et nécessilé de modérer l’exportation en consé- quence ; d'autre part, un délai de quatre mois suffit au commerçant pour accomplir ses plus grandes entre- prises. On critique encore le mode de classification de la mercuriale. Cette critique ne prouve rien contre le ré- gime lui-même, et nous lui donnons satisfaction dans les motifs de la résolution suivante que la commission vous propose unanimement d'adopter : Considérant que le système du droit de balance ou de l'échelle mobile, pratiqué en France depuis 1814, concilié les intérêts de l’agriculture et ceux de la consommation ; Que, mieux que tout autre, il tend à maintenir, autant que possible, l'équilibre entre l'insuffisance et l'excès de la production , et à ramener le prix des céréales à un taux modéré, en favorisant soit l’im- portation , Soit l'exportation, au moyen de droits sagement gradués suivant les prix constatés par les mercuriales ; | Considérant, d'ailleurs, que ce système est susceptible d'améliorations, soit quant à l'exactitude des mercu- 22 APRUeE riales, soit quant au nombre et à la formation ou com- position des classes, soit enfin quant aux tarifs fixés; Qu'ainsi le relevé et la publication mensuels des mercuriales pourraient sans inconvénients être rem- placés par un relevé publié tous les quatre mois, afin -de donner moins d'incertitude au commerce dont l’ac- tion sera d'autant plus salutaire que la situation à lui faite sera plus nette et moins précaire; Que, la facilité de plus en plus grande des com- munications tendant à niveler les prix, il semblerait possible de ne faire que deux classes au lieu de quatre, Émer LE vœu : 10 que le principe de l’échelle mobile soit maintenu et définitivement réglementé par une loi qui, en conservant la libre concurrence à l'intérieur, établisse des droits nettement déterminés, suffisamment protecteurs contre l'importation ‘et l'ex- portation, et variables suivant le prix des céréales; 20 que le relevé de ces prix, contenant seulement deux classifications, soit fait et publié tous les quatre mois. La Société, après une longue discussion, a adopté les conclusions de ce rapport. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 19 JANVIER 1859. La séance est ouverte sous la présidence de M. Cour- tiller. Le procès-verbal de la réunion du 30 décembre dernier est lu et adopté. M. le Président communique une circulaire de M. le Ministre de l’Instruction publique, en date du 10 jan- vier 1859, contenant la demande de divers renseigne- ments sur l’organisation et les travaux de la Société. M. le Secrétaire est invilé à recueillir ces renseigne- menis et à les transmettre à M. le directeur de la Re- vue des Sociétés savantes, conformément aux recom- mandations de la circulaire ministérielle. Ne ee M. le Secrétaire donne lecture d’une leitre de M. Eu- gène Hébert qui, habitant aujourd’hui presque cons- tamment la campagne, prie la Société de ne plus le compter au nombre de ses membres titulaires. La dé- mission de M. Hébert est acceptée. Il à été fait hommage à la Société d’une Notice his- torique sur l’école de Sorrèze, que dirige aujourd’hui le R. P. Lacordaire. M. Lemarchand est chargé d’exa- miner cette publication et d’en rendre compte à une prochaine réunion. M. le Secrétaire lit une note de M. Courtiller, jeune, sur le passage périodique des élourneaux dans les en- virons de Saumur. M. Courtiller est un observateur patient et sagace qui a l'œil sans cesse ouvert sur les merveilles infinies de la création, et qui oublie volontiers toutes les agitations humaines pour suivre le travail d’un insecte , le vol d’un oiseau , ou les drames mystérieux dont le calice d’une fleur est sou- vent le théâtre. Dans les nouvelles pages qu'il vient d'adresser à la Société, il décrit les mœurs des étour- neaux, et particulièrement les ingénieuses évolutions à l’aide desquelles ces oiseaux échappent au faucon, leur plus cruel ennemi. Cette description est si vive et si lucide qu’il est impossible de ne pas s'intéresser aux scènes racontées par l’auteur. La Société vote à l'unanimité l’impression de la note de M. Courtiller. M. Pavie père, vice-président , adresse à la Société quelques observations sur les travaux qui figurent ha- bituellement à l’ordre du jour de ses séances. Il re- gretle que les questions agricoles soient un peu né- : gligées, et fait ressortir, avec beaucoup de finesse , la LH 'AR . nécessité de rendre à ces questions une partie de la place qu’occupent aujourd’hui, presque exclusivement, les études historiques et littéraires. Elles se rattachent aux plus graves intérêts ; elles ont, dans notre pays particulièrement, une extrême importance, et c’est par elles surtout que la Société attirera l'attention du Gou- vernement, en même temps qu’elle se créera des droits à la reconnaissance publique. M. Crépon reprend son étude sur la Noblesse avant 1789, et signale les principaux édits d’anoblissement ou de révocation de titres qui ont été rendus sous le règne de Louis XIV. Il croit pouvoir affirmer (asser- tion n’aurait-elle pas besoin de tempérament ?) que les litres de noblesse octroyés sous ce prince ont été ac- cordés en vue des avantages pécuniaires que l'Etat, épuisé par le luxe et par les guerres, devait en retirer. Les édits même de révocation n’ont le plus souvent pour but, selon l’auteur , que d’enrichir le trésor pu- blic. On révoque, dit-il, afin d’avoir l’occasion de ré- viser et de confirmer, c’est-à-dire de demander de nou- veaux impôts aux anoblis , sur la vanité desquels on semble spéculer à coup sûr. Ces abus, produits par les entraînements d’un pouvoir excessif et sans contrôle, ont pour effet d’avilir la noblesse. Sans doute, des actes nombreux de dévouement et d’héroïsme continuent à se produire autour du monarque dont la gloire re- jaillit sur le pays ; mais l'institution n’en est pas moins atteinte dans son principe, et peu à peu on la voit perdre ce caractère de grandeur et d'utilité so- ciale qu’elle avait au début. M. d’Artaud lit une pièce de vers intitulée : La sœur _ in > de charité. C’est une suite de strophes harmonieuses où la fraîcheur des images s’allie à la justesse et à l’é- lévation des pensées. L'auteur, après avoir montré la douce et salutaire influence qu’exercent sur l’âme , particulièrement à l’heure de la mort, les sentiments religieux, raconte avec enthousiasine les dévouements de la Fille de charité. Il la montre tantôt sur les champs de bataille, calmant par ses soins les souf- frances des blessés, tantôt au milieu des villes dévas- tées par les épidémies, bravant la contagion pour con- soler les mourants; partout détachée d'elle-même et trouvant dans sa foi une source inépuisable de rési- gnation et de courage. Les vers de M. d’Artaud sont écoutés avec un intérêt soutenu, plusieurs fois applau- dis, et la Société en vote immédiatement l'impression. M. Emile Prévost, rapporteur de la commission du budget, rend compte de l'examen qui a été fait par cetle commission des registres du trésorier, et présente le tableau suivant des recettes et des dépenses de l’année 1858. 10 RECETTES. En caisse au 1er janvier 1858. . . . . 605 36 Allocation du Conseil général. . . . . 500 » Autre allocation pour le cours d’arboriculture 300 » 67.60tisations 4 AS MOINS die ERREUR MODES Rent eue ARR HARMAN 18 » Total. . ... 92228, ,36 Ye — 90 DÉPENSES. Allocation à la Commission archéologique. - 285 » Cours d’arboriculture (M. Audusson, prof.). 300 » 1. + + à +0 ee EL à si». 14 10 Chauffage . . . 27 51) Frais d'impression ‘a M. lies et Lachèse . . . . 2 VETUN. 43 Abonnements divers hu M. past Le DATA Photographie (à M. Marin de Livonnière) . 23 3 É OENT CNRS NE TEE 4 5» Total. . . . 1934 60 BALANCE. DeePliee ee. VI, 2408. Dépenses . . …. . . 1934 60 Reste en caisse . . 493 76 M. Sorin fait remarquer que la médaille promise à Vauteur du meilleur Éloge de David n'ayant pas été décernée, une somme de 100 fr. reste disponible. I! propose de la joindre aux prix du Conseil général pour l’année 1859. M. Lemarchand demande que le prix du Conseil, qui est de 195 fr., soit augmenté seulement de 75 fr. ef M. Sorin se range à son avis, et la mesure est adoptée. M. le Trésorier est autorisé à retirer une somme de 97 fr. qui a été déposée à la caisse d'épargne, au nom de la Société. Sur le rapport de M. l’abbé Chevallier, la Société reçoit, au nombre de ses membres titulaires, M. l'abbé de Beaumont, vice-secrétaire du Comice horticole. M. Courtiller et M. Lemarchand présentent M. Fairé, avocat à Angers, et M. Trouillard, de Saumur, l’un des botanistes les plus zélés et les plus instruits de l’Anjou. L'examen de ces deux candidatures est renvoyé à une commission composée de MM. Moricel , Farge et Le- marchand. M. Ragaine, docteur-médecin à Mortagne (Orne) est nommé membre correspondant. | La séance est levée à 9 heures et demie. ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU 2 FÉVRIER 1858. La séance s'ouvre à sept heures du soir, sous la présidence de M. Courtiller. M. de Beauregard, président honoraire, assiste à la réunion. Le procès-verbal de la séance du 19 janvier est lu et adopté. ee TE 2e M. le Secrétaire communique une lettre de M. Ma- lègue, contenant quelques renseignements sur la cui- ture du sorgho sucré, dans les environs de Perpi- gnan. Sur le rapport de M. Lemarchand, MM. Fairé et Trouillard, présentés à la dernière réunion, sont reçus membres titulaires, à l'unanimité. M. le Secrétaire lit plusieurs passages d’un travail inédit de M. Trouillard , de Saumur, intitulé : Excur- sion botanique en Algérie. L’auteur ne s’est pas borné à signaler les plantes variées qu’il a pu recueillir dans ses courses nombreuses, aux environs d'Alger, de Tlem- cen et d'Oran; il a esquissé, avec beaucoup d’art, la physionomie de chacune des régions qu’il a parcourues pendant un séjour d’un mois en Afrique, et mêlé à ses descriptions le récit d'épisodes fort intéressants. L'ordre du jour appelle la lecture d’un document relahif à Beaurepaire. I s’agit d’un rapport écrit par le général Lemoine, sur le siége de Verdun, et qui tend à établir que Beaurepaire ne s’est pas donné la mort, comme on le pense généralement. M. Courtiller croyait cette pièce inédite, mais il a appris qu’elle se . trouvait dans l’ouvrage publié par M. F. Grille, sur le Bataillon des volontaires de Maine et Loire, et il lui semble inutile d'en donner communication à la So- ciété. M. Prévost présente le projet de budget suivant, pour l'exercice 1859. SUNERE RECETTES. En caisse au 1er janvier 1858 . Avances faites pour frais d'impression. 70 coûüsations à 15 fr. Allocations du Conseil général . Rente sur l'Etat. . Total. DÉPENSES. Commission archéologique. Cours d’arboriculture. . Concierge . Eclairage Frais d'impression. . Chauffage . Reliures. ARE Te Mémoire du peintre-vitrier. Médailles à décerner. Frais de convocation. Séance publique . Dépenses diverses. 493 76 955 15 . 1,065 » . 49000 > 18 » . 92,881 91 9285 » 300 » 460 » Vi» 939 15 30 » 20 » 19 50 250 » 100 » 100 » 405 » 2,628 65 Il résulte de la comparaison du chiffre des recettes avec celui des dépenses, que la Société ne pourrait ee Up disposer que d’une somme de 253 fr. 26 c. En pré- sence de cette situation, la Commission du budget est d'avis qu’il ne serait pas sage de prendre un archiviste salarié. » » SDS © Se SO © M. Courtiller donne lecture de la note qui suit : « Plusieurs membres de la Société, après avoir pris connaissance du réglement, ont pensé que quelques- uns de ses articles n’étaient pas rédigés d’une ma- mère assez précise, et qu'il était nécessaire de dé- terminer le sens qu'il fallait leur attribuer. » D’après l’article 23, tout ouvrage dont la lecture a été faite, est renvoyé à une commission, et, sur le rapport de cette commission (art. 25), l’impres- sion peut être votée. L’impression peut même être votée sans renvoi à une commission (art. 23), si louvrage ne doit pas occuper plus de huit pages d'impression. Enfin, par l’article 29, une commis- sion de rédaction est nommée chaque année pour surveiller la publication de la Société. » Que faut-il entendre par ces mots : Commission de rédachion et surveiller ? La Commission doit-elle se borner à reviser le texte des ouvrages lus à la So- ciélé, el à proposer aux auteurs les modifications qu’elle juge convenables? Il semble que sa mission est plus importante et plus étendue. Les publications de la Société doivent nécessairement être mises en rapport avec les ressources de son budget. » L'esprit du réglement n'est-il pas alors de charger la Commission de choisir, dans les travaux dont l'impression a été votée, ceux qui, par leur nature, par leur importance, doivent avant tout figurer dans S © > S A > 2 NO ces publications? La Commission n’a-t-elle pas à ce sujet un pouvoir discrétionnaire ? Il est difficile de ne pas reconnaître que ce soit là le sens de l’ar- ticle 29. » On ne peut admettre, en effet, que les travaux les plus sérieux, ceux qui feraient le plus d'honneur à la Société, dussent rester dans l'oubli parce ‘que dans le cours d’une année ils n’auraient pas été les premiers en date. » Si cette interprétation, qui, selon nous, renferme le véritable sens de l’article 29 , était admise par la Société, elle déciderait que le vote par lequel elle aurait ordonné l’impression d’un ouvrage, n'aurait pas pour conséquence immédiate sa publication dans nos mémoires ; mais que cet ouvfage ferait seule- ment partie des matériaux dans lesquels la Commis- sion puiserait les éléments de nos publications. Cette interprétation n’est pas opposée à l’article 98, d’a- près lequel ces matériaux doivent être imprimés dans l’ordre de leur admission, cet ordre serait suivi pour ceux que la Commission aurait préférés. » L'opinion de M. Courtiller est adoptée, et la Société _procède à la formation du Comité de rédaction pour l’année 1859. Sont adjoints au bureau : MM. Béclard, Coutret, Crépon et Sorin. La séance est levée à 9 heures. À. LEMARCHAND. tn COMPTE - RENDU DE LA SÉANCE PUBLIQUE DU 21 FÉVRIER 1859. Lorsque M. Pavie père, dans l’une des séances de la Société d'agriculture, sciences et arts, proposa de décerner une médaille d’or à l’auteur de la meilleure pièce de vers sur le Châfeau d'Angers, il pressentait bien, assurément, qu’il allait susciter parmi ses conci- toyens une noble émulation. Mais il était loin de sup- poser, croyons-nous, tout ce que cette proposition con- tenait en germe. C’est le sort des idées saines et gé- néreuses, de produire tôL ou tard des fruits inespérés. Non-seulement l’appel fut entendu, et de nombreux concurrents se présentérent, mais la séance publique, dans laquelle, au mois de juin 1857, le prix fut donné à M. Coulon, de Saumur, eut un si grand éclat, grâce à la présence de MM. Villemain et de Falloux, que la Société, à dater de ce jour, se sentit transformée et rajeunie. 2 : On se rappelle qu’immédiatement après la solennité, et tout ému encore des discours prononcés par les deux illustres académiciens, M. Vallon, préfet de Maine et Loire, prit l'engagement de demander au Conseil 2 (PT) er général une allocation destinée à consolider l’œuvre si heureusement fondée par M. Pavie. Le projet de M. Val- lon ne pouvait rencontrer aucun obstacle sérieux, et quelque temps après, le Conseil général l’accueillait avec la plus vive sympathie. Déjà, depuis plusieurs mois, un second sujet qui, cette fois, devait être traité en prose, avait été mis au concours : l’Eloge de David (d'Angers). En apprenant le vote du Conseil général, la Société d'agriculture, sciences ei arts s’empressa d'annoncer qu'un autre prix serait accordé, en 1858, à l’auteur du meilleur mémoire sur l'Histoire, l’Archéologie ou la Topographie de l’Anjou. De là, divers travaux importants, et la nou- velle distribution de récompenses académiques, qui a eu lieu, il y a huit jours, au Jardin fruitier, sous la présidence de M. le comte de Falloux. La salle des réunions ordinaires de la Société avait été ornée, pour cette fête, avec beaucoup d'élégance et de goût: son seul défaut était de se trouver trop étroite pour le nombre des invités. Les membres étaient groupés sur une estrade autour du bureau. On remar- quait, dans l'enceinte, Monseigneur l’évêque d'Angers et ses vicaires-généraux, M. le général d’Angell de Kleinfeld, M. le président du Tribunal de première instance, plusieurs conseillers de la Cour impériale, et une partie des membres du Conseil général et du Con- seil municipal. M. Courtiller, qui a donné aux travaux de la So- ciété, depuis qu’il en est le président, une si vive im- pulsion et une direction si sage, a ouvert la séance à deux heures par le discours suivant, dans lequel, avant 4 d'indiquer le but de la réunion, il s'adresse directe- ment à M. de Falloux : « Monsieur, la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers vous remercie de l'honneur qu’elle reçoit de vous en ce moment; obscure et modeste académie de province, nous ne pensions pas que l'attention publique se portât sur nous comme elle l'a fait il y a deux ans, comme elle le fait encore aujourd’hui: Nous devons ce bonheur inespéré à votre présence dans ce fauteuil qu’a bien voulu occuper aussi votre illustre collègue à l’Académie française, M. Villemain, devenu presque l’un de nos compa- triotes par les liens qui attachent sa fille à notre pays. Nous sommes fiers de voir que deux hommes qui occupent une place si distinguée dans le pre- mier corps littéraire de l’Europe, aient daigné ac- cepter le titre de Présidents d'honneur de notre So- ciété : vous surtout, monsieur, qui, comme l’un des fils de l’Anjou, avez tant de droits à notre respec- tueuse sympathie: — Après avoir consacré aux let- tres les premières années de votre vie, vous avez été porté aux plus hautes fonctions publiques qui, abor- dées par vous sans transition, n’ont rien eu cepen- dant que de facile pour votre rare intelligence, et vous y avez déployé cette éloquence d’un goût si pur et d’une distinction si exquise, qui vous a placé aux premiers rangs de nos orateurs. Vous êtes ren- tré dans la vie privée pour vous livrer de nouveau au culte des lettres, délassement de tous les nobles esprits. Vous avez mieux fait encore : grand pro- SOC. D’AG, 6 — 82 — priétaire, vous avez donné l’exemple de l’amour des champs et de l’agriculture; vous avez consacré votre fortune à encourager, à faire prospérer cet art, le premier de tous, qui nourrit, qui enrichit la patrie, qui forme la pépinière de ses défenseurs les mieux préparés aux fatigues de la guerre, et qui a surtout le précieux avantage de moraliser les ouvriers qu’il emploie.et d’en faire des hommes paisibles et de bons citoyens. » Profitons, messieurs, de la solennité qui nous réunit pour acquitter une autre dette de notre re- connaissance. C’est à la munificence du Conseil gé- néral que nous devons les moyens de donner les récompenses que nous allons décerner. Il y a deux ans notre vénérable vice-président avait offert une médaille d’or pour le meilleur ouvrage en vers sur le Château d'Angers. Le Conseil général s’est associé à cette heureuse idée, et a consacré une somme des- tinée à fonder des prix pour les concours ouverts par les sociétés savantes. Enfin M. le Préfet a bien voulu offrir, au nom de Mme de Rouvre, une médaille d’or à l’une des sections de notre Société. » En présence de ces témoignages d'intérêt si hono- rables et si précieux pour nous, ce serait peut-être, de notre part, un excès de modestie de considérer comme de frivoles amusements de l'esprit les travaux auxquels nous nous livrons : et en effet, messieurs, n’y a-t-il pas quelque chose de respectable et d’u- tile dans une institution qui existe depuis bientôt deux siècles dans notre pays (car nous sommes les hériliers et les continuateurs de l’Académie d’An- — 83 — gers); n’y a-t-1l pas, dis-je, quelque chose d’utile et de respectable dans cette société d'hommes qui de- puis si longtemps ont pour lien unique l’amour de l'étude, le goût des lettres, des sciences naturelles, des recherches sur les documents historiques et les monuments de notre pays? » Il existe et il existera toujours des esprits contem- : plaufs portés à la méditation et à la solitude, pour qui les événements et les intérêts contemporains ne sont rien. Etrangers aux choses de ce monde, aux intri- gues de l’ambition, aux poursuites de la fortune, ils vivent dans le passé, dans les abstractions de la phi- losophie et des sciences, ou dans les rêves de la poé- sie. N’est-il pas heureux qu’ils trouvent un lieu de réunion où se rencontrent des esprits semblables à eux, qui les écoutent et partagent leurs sentiments et leurs goûts? Enfin, messieurs, on ne dira pas que ce soit une institution futile que celle qui a créé ce Jardin fruitier au milieu duquel nous nous trouvons, et où, grâce à la science, au zèle et à la persévé- rance du savant qui en a eu le premier la direction, ont été réunies les espèces de fruits les plus rares et les plus utiles, recueillies dans toute l'Europe, pour les répandre avec abondance dans notre pays, dont elles font désormais la richesse et l’ornement. N’est- ce rien non plus, que ce Comice horticole, l’une des sections de notre Société, qui a pu en. quelques jours, et malgré une saison défavorable, réaliser cette magnifique exposition d’horticulture,que vous avez tous admirée il y a quelques mois, et sur la- quelle est descendu le plus noble témoignage de fa- |. ESS veur, le patronage qu’a daigné lui accorder l’Impé- ratrice, faveur dont élaient bien dignes, au reste, ces merveilleuses créations de la nature et de Part, ces fleurs emblêmes de la grâce et de la beauté? » Nous pouvons donc penser avec raison que nous méritons le titre d'établissement d'utilité publique que nous attribue l'ordonnance qui nous a institués; et la recrue d'hommes jeunes et pleins d’ardeur qui sont venus depuis une année grossir les rangs de cette Société, nous donne l'assurance que nous le mériterons longtemps encore. » Messieurs, la Société avait déjà mis au concours l'éloge du grand artiste que nous venons de perdre, de David; cette année, pour répondre au vœu du Conseil général, elle a proposé un prix pour le meil- leur ouvrage qui lui serait présenté sur lAnjou, sous le rapport historique, géographique ou biogra- phique. Ges récompenses vont être décernées, quand vous aurez entendu le rapport des commissions chargées d'examiner les travaux qui nous ont été adressés pour ce double concours. » M. de Falloux a voulu répondre de suite à cette allo- cution, empreinte d’une douce gravité et dictée par l'amour des paisibles études. Il faudrait reproduire ici en entier sa fine et gracieuse improvisation; mais le charme même qu’on éprouve en écoutant une parole éloquente donne des défaillances à la mémoire, et, pour qu’on né-nous accuse pas d’êtr£ un écho infidèle, nous nous bornerons à citer les phrases qui sont restées à à peu prés littéralement dans notre souvenir. Il en est NT VE des délicatesses de certains esprits supérieurs comme des jeux de la lumière : on a beau les suivre attenlive- ment, il est impossible d’en saisir toutes les 6ndula- tions, d'en analyser les mille reflets. Vin Site JS « Avant de remettre la parole à nos rapporteurs, permettez-moi, Messieurs, a dit M. de Falloux, de vous remercier des sentiments que M. Courtiller vient de m’exprimer en votre nom. Il ne me manque que de me croire digne de tels témoignages. Quand on à été mêlé aux luttes de la vie publique, on a tout intérêt à entendre un magistrat distingué, comme votre président, faire appel à l’indulgence. Mais je ne veux pas insister sur une matière aussi délicate. Il y a quelque chose de plus modeste que de repousser l’éloge, c’est de n’en pas parler du tout. » On vous félicitait tout à l'heure d’avoir pour pré- sident d'honneur un maître célèbre, qu’on peut bien strictement nommer son collègue, mais dont on n’est jamais l’égal dans l’art d'enseigner les principes du beau et les règles du goût. On avait raison, et l’ap- pui de M. Vikemain donne une haute autorité à votre institution. Mais vos succès, Messieurs, vous les de- vez surtout aux mérites réels et divers de vos tra- vaux. C’est là ce qu’a voulu attester le Conseil géné- ral lorsqu'il a fondé le prix que vous décernez au- jourd’hui. C’est ce qu'avait si bien compris aussi M. Vallon, au caractère duquel je suis heureux de rendre ici un hommage public. » Ce qui fait encore votre force, ce qui vous recom- mande à l’attachement et à la reconnaissance de * 2486 » tous dans ce pays, c’est votre titre lui-même, c’est » votre sollicitude pour le progrès des entreprises » agricoles, jointe à vos préoccupations pour toul ce » qui intéresse les lettres et les arts. L'agriculture, en » effet, est digne de toutes les alliances. Autrefois nos » bœufs étaient liés au char de l’État. On a bien fait » de les dételer; ils n’eussent pas marché assez vite. » Mais laissons-les toujours figurer dans nos fêtes, comme un symbole de vraie et féconde richesse. » Y Au discours de M. de Falloux a succédé la lecture d’un rapport de M. Léon Cosnier sur le concours de 1857. Ainsi que nous l'avons dit, le sujet proposé était l’'Éloge de David. I] a été traité avec un incontestable talent par M. Hippolyte Durand, naguère professeur au lycée d'Angers. Mais l’auteur a mêlé à ses éloges, du reste très expressifs pour le célèbre sculpteur, des critiques qui ont paru trop sévères à la majorité des membres de la Commission, et la Société, retirant ou ajournant le prix annoncé, n’a cru devoir accorder à M. Durand qu’une mention très honorable. M. Cosnier, tout en analysant la notice du jeune professeur, a recomposé le portrait du statuaire ange- vin avec autant d'art que de vérité. Il a fait revivre la physionomie de Vartiste aussi bien que celle de l’homme privé, et l'émotion de sa parole a plus d’une fois gagné l'auditoire. Le travail de M. Durand n’était pas le seul que la Commission eût à juger. La Société avait encore sou- mis à son examen un Éloge où les vœux et les senti- ments des conciloyens de David sont exprimés avec DENT l'accent d’une entraînante admiration : nous voulons parler de la pièce de vers de M. Adrien Maillard, pu- bliée, il y a deux mois, dans la Revue de l’Anjou et du Maine. Malheureusement cette œuvre était éclose long- temps après l'expiration du concours, et sa forme même la condamnait à rester en dehors de la lice. M. Cosnier, après s’être fait l'interprète des regrets de la Société, a lu quelques fragments du poème de M. Maillard; inutile d'ajouter que toutes les citations ont été applaudies avec élan. L'ordre du jour appelait la lecture du rapport sur le Concours de 1858. Deux travaux ont été présentés : l’un de M. Bonneserre de Saint-Denis, rédacteur en chef de l’Union de l'Ouest, sur la ville de Châteaugon- tier; l’autre, de M. Godard-Faultrier, sur les monu- ments gallo-romains de l’Anjou. Le rapporteur a suc- cessivement analysé ces deux mémoires et résumé en ces termes l’opinion de la Commission : | « La Notice sur Châteaugontier est l'œuvre d’une » plume exercée. Elle renferme des documents utiles, » et les hommes, aussi bien que les événements, y » sont en général appréciés avec sagesse, nous pou- » vons dire même avec un sentiment très élevé des » devoirs et des droits de l’histoire. Votre Commission, » Messieurs, a cru devoir cependant préférer à ce tra- » vail celui de M. Godard-Faultrier. Le Mémoire sur » les Monuments gallo-romains de l’'Anjou est le fruit » de longues années d'étude; c’est un recueil bien » coordonné de tout ce que la science a recueilli de » renseignements jusqu’à ce jour sur une période im- fe portante de notre histoire, et il fourmit l’un des meilleurs documents de vos annales. Une copie de cet ouvrage a été adressée au ministère de l’Instruc- tion publique, et l’auteur a reçu de M. de Saulcy, président du Comité de la topographie des Gaules, les plus vives félicitations. Assurément, Messieurs, c’est l’œuvre elle-même aui devait se recommander ici directement par son mérite; mais l'attestation d'un des membres les plus distingués de l’Institut était de nature, il nous semble, sinon à déterminer votre jugement, du moins à éclairer votre délibéra- tion. Votre Commission vous propose de décerner à M. Godard-Faultrier la médaille d’or offerte par le Conseil général, et d'accorder une mention hono- rable à l’auteur de la Notice sur Châteaugontier. » Ces conclusions ayant été adoptées par la Société, il ne restait plus qu'à remettre aux lauréats les titres des récompenses obtenues par eux. Ils les ont reçus de a main de M. de Falloux, qui, à cette occasion, a pris une seconde fois la parole. Essayons encore de retrou- ver quelques-unes des ingénieuses pensées qu'il sait exprimer dans une langue tout à la fois si ferme, si transparente et si concise. » « Je remercie MM. les rapporteurs, a-t-il dit, de nous avoir si bien fait connaître les ouvrages pré- sentés aux deux concours ouverts par la Société. » M. Cosnier avait une tâche difficile à remplir et qui exigeait beaucoup de ménagements : il s’en est acquitté avec un tact irréprochable et une parfaite » » = So} intelligence des qualités du sculpteur illustre que VAnjou s’honore d’avoir vu naître. Deux choses mi- literont toujours en faveur de David, à quelque point de vue qu’on se place pour apprécier ses convictions : la bonne foi, qui atténue jusqu’au jugement de Dieu, et le désintéressement, qui caractérise Îles patures élevées. David figure d’ailleurs aux premiers rangs dans l’histoire de l’art. Il y a, comme on le sait, deux écoles distinctes parmi les artistes de notre époque : l’une, qui prétend qu'on ne peint jamais mieux que lorsqu'on ne sait pas dessiner, l'autre qui soutient l'opinion contraire. L'auteur de Bonchamps, de Fénélon et de tant d’autres chefs- d'œuvre populaires, a su se tenir en dehors de ces exagérations, et respecter les traditions classiques sans interdire à son ciseau ni les hardiesses ni les délicatesses de l’art moderne. » M. Cosnier nous a cité quelques-uns des vers que le souvenir de cet artiste a inspirés à M. Adrien Mail- lard, et nous a expliqué pourquoi la Société ne cou- ronnait pas l’auteur d’un poème dont elle a si bien reconnu le mérite. [| ne manque qu’une montre à la muse de M. Maillard. Les muses, il est vrai, n’ont pas l'habitude d’en porter; mais si la sienne veut bien en prendre une pour le prochain concours, le succès du poète est assuré. » Le compte-rendu qu’on nous a fait des Mémoires de MM. Bonneserre et Godard justifie complétement la décision de la Société à l'égard de ces deux remar- quables:ouvrages. M. Bonneserre a obtenu seule- ment une mention honorable; mais il n’a été vaincu 4 Hide que par M. Godard, et cette particularité doit aug- menter beaucoup pour lui la valeur de la récom- pense. Quant à M:1Godard, qu’il me permette de lui dire — ceci ne saurait amoindrir le mérite de son œuvre — que la Société, en lui donnant le prix du Conseil général, a voulu couronner son passé tout entier. L’érudition, le talent et le caractère , sont les qualités qui le distinguent. Il pouvait ‘prétendre à toutes les carrières. Le culte des lettres et des arts l’a exclusivement captivé, et l'amour du pays.a fé- condé'tous ses travaux. » L'un des rapporteurs nous:a dit. qu’il existait en- core de nombreuses lacunes dans l’histoire de l’Ar- jou. Elles seront comblées, je n’en doute pas; car notre province est une heureuse mére qui possède des fils laborieux et.dévoués. Ici, par exemple, c’est M. d’'Epinay qui compulse avec une rare perspicacité le recueil des Formules angevines, pour y étudier les institutions des premiers âges de la monarchie; là, c’est M. Aimé de Soland qui interroge les débris de nos monuments, recherche les fragments perdus de notre histoire locale, et met au service de notre sa- gesse actuelle les maximes oubliées du vieil esprit gaulois. Un habile magistrat, M. de Beauregard, s’est chargé de la statistique de notre département; , un autre, M. Bougler, écrit la vie de nos représentants avec une scrupuleuse impartialité, et dans un style qui n’atteste pas moins la droiture de son cœur que la virilité de son esprit. » Ce sont là, Messieurs, de sûrs garantis de l'avenir, et les travaux de tant d'hommes distingués rehaus- RE OA » sent singulièrement le prix des couronnes que vous » décernez. » Ce discours, plusieurs fois interrompu par des ap- plaudissements, a marqué la fin de la solennité. Nous ne redirons pas tous les commentaires bienveillants que nous avons entendus à l’issue de la séance; mais nous pouvons assurer qu'une telle fête ne peut manquer d'exercer dans notre cité une salutaire et durable in- _fluence. ALBERT LEMARCHAND. Re aion EU dirt Lis La + ARE up ne sois le A ei LANAE it h LUE MÉMOIRES DE LA | NOCIÉTÉ INPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS | D'ANGERS NOUVELLE PÉRIODE TOME DEUXIÈME — SECOND CAHIER ANGERS TIMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 à | © 7750 9 EX ÉTUDE SUR DEUX LIVRES D'HEURES DES XIV® ET XV° SIÈCLES. Messieurs, M. l'abbé Benoist, aumônier de la communauté du Bon-Pasteur, à Angers, n’est jamais si heureux que lorsqu'il rencontre des admirateurs sincères et éclairés des belles choses qu’il a eu le bon goût de recueillir. Permettez donc, afin de fixer, nos souvenirs, que je vous entretienne des deux curieux Livres d'Heures que vous connaissez tous, et qu’une bienveillance, dont je suis tout à fait reconnaissant, m'a mis à même d’étu- dier à loisir. Mes observations porteront d’abord sur la liturgie, puis sur l’iconographie de ces deux intéressants manuscrits. Le plus ancien des deux Livres d'Heures paraît dater de la fin du xrve siècle, à en juger par ses caractères paléographiques et le style de ses miniatures. De format SOC. D’AG. 7 Ling tes in-18 carré, il compte 134 feuilles de vélin largement écrites entre deux lignes rouges, rehaussées de vignet- tes historiées à mi-page et de rubriques rouges, ainsi que le veulent leur nom et la tradition liturgique, enfin égayées çà et là d’initiales, tantôt bleues et tantôt dorées, mais constamment appliquées sur un fond léger de traits rouges ou noirs, jetés à main levée au délié de la plume. LITURGIE. — Le Calendrier, placé, uen l'usage, en têle du livre, manque des mois de janvier, mars, avril et mai. Il est peu fourni de saints et note en rouge les principaux. Les vigiles y sont indiquées. Les voici dans leur ordre : Vigiles de S. Mathias, de S. Jean- Baptiste, des SS. Pierre et Paul, de S. Jacques majeur, de S. Laurent, de l’Assomption, de S. Barthélemy, de S. Mathieu, des SS. Simon et Jude, de la Toussaint, de S. Thomas et de Noël ; en tout treize qui obligeaient en chaque occurrence à l’accomplissement de ce pré- cepte: Vigiles jeûneras. Il y a des prières, des oraisons dévotes, comme on disait alors, qui sont communes à tous les livres. Aussi je ne signalerai que par leurs premiers mots: Obse- crate, Domino... et O intemerata...…. Suit la Passion de N.- S. J.-C. selon S. Jean, avec ce titre: Passio Domaini nostri Ihesu xpisti secundum Iohannem. Deux prières concernent spécialement le temps de l'élévation à la messe. Je cite textuellement la pre- mière, parce que nous l'avons tronquée dans nos litur- gies modernes, et qu’elle a toute la facture des sé- quences. se Qÿ AD ELEVACIONEM XPISTI CORPORIS. Ave, verum corpus xpisli, Quod in cruce pependisti Pro salute hominum. Ave, caro xpisti sancta, Immolata crucis arà Medicina criminum. Ave, xpiste, vite panis, Cibus mentis non inanis Sacerdos et hostia. Ave, panis angelorum, Salus, vita miserorum, Qui restauras omnia. Ave, latens sacramento, Qui remoto velamento Vitalis in gloria. Ave, corpus Imcarnatum In altari consecratum. Ave, corpus Ihesu xpisti, Qui de cœlo descendisti. Ave, vera caro Dei, Per quem salvi fiunt rei. Salve, lux mundi Verbum Patris, (1) Hostia vera, Viva caro, Deitas integra, Verus homo. (4) La rime est ici très imparfaite. Ave verum Corpus natum De Maria virgine : Vere passum, Immolatum In cruce pro homine. Cujus latum (À) Perforatum Fluxit vero sanguine (2). Esto nobis Prægustatum » Mortis In examine. O dulcis ! 0 pie! 0 fili Marie. Amen. La seconde prière, également versifiée, a pour rubri- que: Ad elevacionem sanguinis. Au moyen âge, la dévotion particulière à certains saints populaires, ou patrons de la personne qui a commandé le Livre d'Heures, se traduit par des suffrages. Or les suffrages se composent d’une antienne, d’un verset et d’une oraison. Tels sont ceux que nous trou- vons ici, et qui se rapportent à sainte Marguerite, à sainte Catherine, à saint Michel, à saint Sébastien et à saint Christophe. (4) Latum n’est pas latin, mais la rime l'exigeait ainsi. S. Thomas d'Aquin ne s’est pas montré plus embarrassé, quand il a écrit en tête d'une de ses plus belles hymnes : Sacris solemnis. (2) La liturgie angevine dit : Cujus latus perforatum undä fluxit et sanguine. ns, Gite Je n’insiste pas sur l'Office de lu Sainte Vierge, dont les feuillets ont été transposés par la maladresse du relieur, parce qu’il est conforme à peu près en tout au rit romain ; ce qui ressort, au reste, du titre seul qui est ainsi conçu : Incipit officium beate Marie virginis secundum usum et consuetudinem curie romane. Je dis à peu près, car l'office finit invariablement par le Salve, qui contraste avec la formule actuelle par ces deux seules variantes : Salve regina misericordie...… (8) pia, o dulcis Maria. Officium beate Marie de adventw avertit qu'en Avent les antiennes, versets, capitules, oraisons et leçons sont propres et n’appartiennent pas au commun. Les Heures de la Passion et du Saint-Esprit sont telles qu’on les trouve dans les anciens livres. Les sept psaumes de la Pénitence, sans les litanies des saints, précédent les trois nocturnes et les laudes de l'office des morts. Ici s’arrête le travail du calligraphe du xive siècle. Quelques feuilles de vélin restaient encore; elles furent remplies dans les deux siècles qui suivirent. Au xve, furent ajoutées des Salutations à J.-C. Voici un échantillon de cette prose coupée et parfois rimée : Ave, Domine ihesu xpiste, Verbum patris, filius Virginis, agnus Dei, Salus mundi, hostia sacra, Verbum caro, fons pietatis. Amen. Et de même cinq autres strophes. J'ai réservé l’addition du xve siècle pour la fin, com- * me la plus curieuse. DUN" 0iEs Aprés le Pater, V'Ave et le Credo, prières habituelles du matin et du soir, viennent le Benedicile, qui se ré- cite à table, puis le Misereatur et le Confiteor, que je vais reproduire textuellement à cause de leurs formules propres. Misereatur vestri omnipotens Deus et dimissis omnibus pec- catis vestris perducat vos Ihesus filius Dei ad vitam æternam. Amen. Confiteor Deo omnipotenti et beate Marie virgini et omni- bus sanctis ejus et vobis, pater, quia ego miser peccator peccavi nimis in dictis, in factis, in verbis, cogitatione, delic- tatione, polutione, consensu, tactu, risu, visu, verbo, et opere et de cunctis alijs vicijs meis malis. Mea culpa, meaculpa, mea maxima culpa. Ideo precor te, beatissima virgo Maria, et vos omnes sancti, et sancte Dei, ut oretis pro me peccatore ad Do- minum Deum nostrum omnipotentem, ut ipse misereatur mei. Amen. Je passe une salutation à l’hostie et au précieux sang de N.S. dans le calice, le Sanctus, l’'Agnus Dei, la prière qui suit le repas, plus connue sous le nom de Grâces, pour parler enfin des Commandements de Dieu, qui commentent en vers français les préceptes de l’an- cienne loi : NNUM CREDE DEUM. Ung seul Dieu de tout créateur Tu serviras et aymeras, Et en lui l’amour de ton cueur Sur toutes choses tu mectras. NE JURES VANA PER IPSUM. Le nom de Dieu ne de ses saincst, 2 fer. Sans grant necessité ne iure. Tu te dampnes soyes certains, Si en iurant tu te pariures. SABBATA SANCTIFICES. Du labour te doibs repouser Toy et ta famille et tes bestes: A Dieu servir toi dispouser Les saincts dimenches et les festes. VENERARE PATRES. Pour amor et pour charite Père et mère honnoureras, S’ilz ont de toy nécessite Du tien tu leur ayderas. NE SIS OCCISOR. Occir autruy batre ou hayr T’est deffendu entierement. Si tu vueux rancune tenir Pugni seras amerement. NON FURTUM FACIES. Bien de l’autruy tu ne prandras Pour rapine ne pour fallace Si tu las tu le rendras Ou ia ne verras Dieu en face. NE SIS MECUS. Garde toy bien de faire luxure En quelque guise que ce soit, Quar qui fait les euvres de nature Hors mariage se decoipt. NE SIS TESTIS INIQUUS. Ne porte point faulx tesmoignage — 100 — Contre nully (1) en iugement Ne ne mesdis par faul langage De creature nullement. (2) VICINIQUE THORUM. Garde toy bien de convoiter La femme d’autruy ni la filhe Beaulte de corps considerer Fait souvent Pame orde et ville. RESQUE CAVETO SUAS. Garde toy bien de désirer Le bien d’autruy ne l’heritage, Dampne seras tu doibs savoir Si te consens à tel outrage. St vis ad vitam ingredi serva mandata. Math. xix. IGONOGRAPHIE. — La page consacrée à la premiére vignette de l'office de la sainte Vierge est demeurée blanche. À primes, à cette heure où la lumière du soleil brille à l'horizon, un ange annonce à deux bergers qui l’écoutent respectueusement, pendant que leurs mou- tons paissent l’herbe verte sur la pente d’une colline, qu’un Dieu vient de naître, et chante en signe de joie les paroles écrites sur le phylactère qu’il déroule : Gloria in excelsis Deo. L'ange, vêtu de blanc, sort à mi-corps du ciel bleu; son amict blanc rabattu forme collet, comme dans les tapisseries de la cathédrale (Apocalypse). Les bergers, chaussés de gros sabots, les (1) Du latin nullus, aucun. Nully se trouve également dans le roman du petit Jehan de Saintré et la légende d’une tapisserie du xve siècle qui m’appartient. (2) Le verbe manque. — 101 — jambes couvertes de guêtres, portent une longue blouse blanche à capuchon pointu, destiné à leur couvrir la tête. A leur ceinture pend une aumônière en filet, pleine des provisions qui doivent servir à leur nourri- ture. Ces détails ne sont pas inutiles, car les miniatu- ristes s'inspirant toujours de ce qu’ils avaient sous les yeux, nous fournissent ici l’occasion de signaler le cos- tume des paysans tourangeaux au x1ve siècle (1). En tête des vêpres, Purification de la sainte Vierge. Le vieillard Siméon tend ses bras, enveloppés par res- pect d’un linge blanc, pour recevoir l'enfant Jésus. Il est vêtu de l’aube et de la chape, retenues sur la poi- trine par une putte d’étoffe. Sa mître élevée est parta- gée par deux orfrois, l’un en cercle (horizontal), l’autre en fitre (vertical), accompagnés à droite et à gauche de deux pierres taillées en losange, et terminés à cha- cune de ses pointes par un petit bouton. L'enfant Jésus, demi-nu, refuse presque de quitter les bras de sa mère, qu’une suivante assiste, tenant à la main la corbeille d’osier dans laquelle sont les deux colombes, destinées au rachat. Ces quatre personnages sont nimbés d’or ourlé de noir. Mais pourquoi ce nimbe à la tête de la suivante que la tradition ne nomme pas? Pourquoi aussi l’oubli inconsidéré du nimbe crucifère au Fils de Dieu? sinon parce qu’à la fin du xrve siècle ou aux premières années du xve, l’art décline et ne puise plus son enseignement dans la piété du cloître. La preuve en est claire, dans ces deux femmes aux longs cheveux, qu'aucun voile n’abrite, dans cette poitrine que couvre (1) Le manuscrit a été acheté à Tours. mt ie à peine une robe trop étroite, dans ce naturalisme qui dépouille l’Enfant-Dieu de ses langes et le fait songer plus à sa mère qu’au mystère qui va s’accomplir. * L’autel, prêt pour l’offrande, et derrière lequel se tient le vieillard Siméon, est aussi simple qu’élégant. Il se compose d’une marche et de quatre colonnettes à chapiteaux crochus, qui soutiennent les quatre angles d’une table carrée. Un mot encore sur ces miniatures, dessinées à la plume et lavées, sans art, de couleurs ternes. Le fond est uniformément bleu et la scène, qui se passe au pre- mier plan, n’essaie pas la perspective. Les nimbes com- mencent à monter un peu au-dessus de la tête et à ne -plus s’arrondir autour. Un filet noir les contourne à l'extérieur pour détacher l’or du fond bleu; un autre filet en dessine l’orle à l’intérieur, effet que l’on a reproduit de nos jours et ailleurs que! sur vélin, mais en sens inverse, car le noir, affecté au seul nimbe de Judas, remplit le champ et ne laisse à l’or que l’espace limité d’un accessoire insuffisant. IL. Avec le second Livre d’'Heures (1) de M. l'abbé Be- noist, nous rentrons en Anjou, à l’abbaye cistercienne de Chaloché, d'où provient le ravissant manuscrit que nous allons étudier, et dont le siyle accuse franche- ment le xve siècle. De format in-8° carré, ses feuilles de vélin sont au nombre de quatre-vingt-dix. LiTURGIE. — Je soupçonne à la large place, à l’im- (1) Il a figuré à l’exposition de 1858 sous le no 272.. , — 103 — portance donnée à sainte Catherine, que telle était la dévotion particulière de la personne qui le commanda ou qui s’en servit la première. L'Office de sainte Cathe- rine ouvre en effet le manuscrit, et plus loin ses joies reparaissent. Quoi qu’il en soit, les hymnes de chaque heure s’attachent à reproduire un des traits principaux de la légende de la vénérée martyre d'Alexandrie. Nous nous arrêterons quelques instants à savourer cette délicieuse poésie, qui n’a d’égale dans les splendeurs passées de l’Anjou, que l’incomparable verrière de Saint-Maurice. Vous ne me reprocherez pas, MM., la longueur de la citation que légitime son opportunité, car qui mieux que celte douce poésie du moyen âge expirant, peut nous interpréter les scènes renfermées au xuie siècle, par le moyen âge naissant, dans les médaillons d’un de nos plus précieux vitraux? Voici donc les chants suaves que peut-être nos ancêtres firent résonner sous les voûtes de la cathédrale, en face de la verrière (1) qui retraçait une légende si belle (2). Dans les vitraux comme dans la légende nous retrou- vons les scènes suivantes : Sainte Catherine discute avec les philosophes d’Ale- xandrie et les confond. — Maxence la fait saisir par ses soldats et conduire au supplice, mais la main de Dieu brise les roues qui doivent déchirer son corps. — Em- prisonnée, elle reçoit la visite des anges et les bénédic- tions de Jésus-Christ. — La reine se convertit à sa (4) Nef. Verrières du nord. (2) Jacq. de Voragine. Légende dorée, traduct. de G. Brunet, t. 1, p. 207-213. — Ap4 — . pieuse conversation. — Dépouillée de ses vêtements, la vierge d'Alexandrie est liée, fouettée et décapitée.— Deux anges ensevelissent son corps sur le Sinaï, tandis qu'un troisième emporte son âme au ciel. A MATINES. — HYMNUS. Castitatis lilium (1) Alma Katherina, Illustrata nimium, Hora matutina Conuertit porphirium : Hostem cum regina, Ducens ad martirium Mundi tenens yma.. A PRIME. Ad certamen ducitur virgo preparata Hora prime a Domino multum confortata Que traxit philosophos mirifice decorata Ad lumen veridicum et regna beata. À TIERCE. Templo adest tercia hora incensorum Cesarem ingreditur hostis ydolorum Per metrum et logicam ad visum astrorum Ducit ad noticiam regis angelorum. A SEXTE. Hora sexta precipit educere pusillam Tormentorum genera pat propter illam Angelusque subito reducit in favillam. (1) Olet..,. flos lilii, quod candida vita est incorruptione virgini- tatis. S. Gregor. magnus. Homil. in Ezechiel. = 45 — A NONE. Deprecare regem celi. remittitur ad carcerem seve flagellata Hora nona a Cesare victualibus privata Sed divino munere recens est oblata. A VÊPRES. Jubar splendissimum Virgo Katherina Suum secuta dominum Hora vespertina In signum veridicum Quod tota fit divina Effudit lac purissimum Pro sanguine regina. A COMPLIES. Nempe completori ; Hora tumulatur Et in sublimis in Synay Ab angelis portatur. Vivo fonte olei corpus decoratur (1) Et sic ferventis languidi Morbus effugatur. L'Office du S. Sacrement, différent de celui du Bré- waire romain, est aussi plus abrégé. Chaque heure, grande ou petite, se compose d’une hymne, d’une antienne, d’un verset et d’une oraison. Je citerai les hymnes pour donner une idée de la poésie rimée de l’époque. (!) Annales archéologiques, t. xwin, p. 274, — 106 — A MATINES. Corpus mysteriumque panis gloriosi Atque sanguinis xpisti cali (sic) preciosi Quem in mundi precium ventris generosi Fructus fudit demonis dampnum tuum lesi, A PRIME. Ad cenam cum discipulis affectans cenare Exemplis sermonibus ipsos informare Et panem in subslancia corporis hijs dare Vinum in essencia sanguinis mutare. A TIERCE. Fregit panem et dixit: hoc est corpus meum Accipite clamitat-ipsis ecce de (um), Qui indigne sumpserit senciat esse reum Calicem que capiens bene dixit eum A SEXTE. Et quicumque panem bunc digne mandueabit Atque digne calicem eciam portabit Mortem dei filij iam annunciabit Ministretur taliter donec remeabit. A NONE. Qui indigne sumpserit factus erit reus Corporis et sanguinis quem effudit Deus dum latus ipsius apperuit Tu deus Hely Hely clamavit hoc est deus meus. A VÊPRES. Verbum caro factum est panis gloriosus Vinum xpisti factus est sanguis preciosus ai Datus est discipulis cibus virtuosus Hic manducat dominus servus timorosus. A COMPLIES. À iustis fidelibus ita manducatur Sed ob hôc in aliquo nunquam laceratur Totus in particula confracta moratur Aliena specie deus osculalur. Ces quatrains, imilés des belles hymnes de S. Tho- mas, ont une certaine ampleur dans l'allure, et une remarquable précision dans l’exposition théologique du dogme eucharistique. Nous n’y trouvons pas une poésie savante, qui se règle sur le mètre, mais une poésie coulante et facile, qu’aide une rime sans prétention. L'office se termine par un autre quatrain, qui dans les Livres d'heures prend d’ordinaire le nom de Recom- mandation : Has horas cui sic recolo pia racione. Tibi corpus Domini ut confessione. Contrictus et penitens satisfacione Te valeam sumere cum devocione. Amen. L'Office de la sainte Trinité se compose des mêmes éléments que le précédent. Ses hymnes ne sont autre chose pour le fond des idées, comme pour le choix des expressions, que le symbole inséré dans le bréviaire, à prime, et connu sous le nom de Symbole de S. Atha- nase. La belle et substantielle doctrine contenue dans les strophes suivantes, excusera leur longueur : — 108 — A MATINES. Quicumque vult animam firmiter salvare Trinitatis gloriam decet implorare Tres personas credere, ipsas honorare Unum deum dicere, solum adorare. 3 A PRIME. Trinitatem credimus, summum geniterem Sanctum ejus filium nostrum redemptorem Et sanctum paraclitum gratie datorem Unum tamen credimus Deum creatorem. A TIERCE. À se patrem credimus tamen generavit Filium de lumine lumen resultavit Procedentem spiritum utrique spiravit Neuter horum genuit ipsum vel creavit. A SEXTE. Vox ad patrem pertinet super baptizatum Qui sonavit humane filius vocatum Nature suscepcio columbe volatum Credimus et speciem paraclito datum. A NONE. În patre potencia cuncta denotantur Filio prudencia omnis declaratur Gratia paraclito universa datur Qui cum patre natoque conglorificatur. ! A VÊPRES Voluntate fillus patris incarnatus Ut de sancto spiritu de virgine natus — 109 — Crucifixus mortuus, atque tumulatus * Resurgens a mortuis celis elevatus. A COMPLIES. Et per xpistum erimus omnes iudicati Beati ad gloriam eternam vocati Ad penas perpetuas mali condempnati Hec omnia credere tenentur beati. L'office se termine par une recommandation égale- ment en vers : RECOMMEND . Has horas sic recolo ut in trinitate Veneretur umiias et in unitate Honoretur unitas (sic) (1) atque pietate Faciat me credere hec cum firmitate. Le psautier ou recueil de psaumes est suivi d’une oraison, oralio post psalterium , qui montre clairement que les psaumes se chantaient et que le Livre d'heures était affecté à l’usage d’un religieux de l’abbaye. Suscipe, domine... hanc vblationem, psalterij quam indi- gnus peccator.…. pro omnibus peccatis et negligencijs scele- ribusque meis decantare volui..…. et ad te verus et securus merear pervenire. La moindre particularité en matière liturgique mérite d’être citée, surtout en ce qui touche à l'ordinaire de la messe, à peu près le même partout, excepté pourtant en Anjou, et dans quelques autres diocèses, ainsi que l’a récemment démontré Mgr de Conny, dans son savant (1) Trinitas?. SOC. D’AG. 8 — 110 — mémoire dirigé contre la liturgie Lyonnaise actuelle. Je m’étendrai donc à dessein sur cette partie. Le prêtre, au pied de l’autel, récite plusieurs versets et commence la confession. Introibo ad altare Dei, ad Deum qui letificat iuventutem meam. Dignare, Domine, die isto sine peccato nos custodire. Con- fitemini Domino quoniam bonus, quoniam in seculum miseri- cordia eius. ; . Gonfiteor Dei omnipotenti et beate Marie virgini et omnibus sanclis eius et vobis, pater, quia ego peccator peccavi nimis ‘in vita mea contra legem Dei mei, in verbis et in factis, cogi- tatione, locucione, consensu, visu, verbo et opere; ea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. Ideo precor vos, ut oretis pro me peccatore ad dominum Deum nostrum ut misereatur nostri. Misereatur nostri omnipotens Deus et dimissis omnibus peccatis vestris perducat vos Ihesus xpistus sine macula ad vitam eternam. Amen. | Adjutorium nostrum in nomine Domini qui fecit celum et terram. Sit nomen Domini benedictum ex hoc nunc et usque in seculum. La messe votive de la Vierge commence par lintroiït Salve sancta parens, tiré des œuvres de Sedulius, poëte du ve siècle (1). Le Gloria in excelsis offre cette seule variante : Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecatio- nem nostram ad Marie gloriam. La Messe de la Trinité débute par les mots ordinaires (1) Institutions liturgiques de D. Guéranger, t. 1, p. 147-148. — A — de l’introït : Benedicta sit sancta Trinitas. La Messe du Saint-Esprit est celle de la Pentecôte. Ces trois messes votives et du commun me suggè- rent deux réflexions : d’abord, que très rarement elles figurent dans les Livres d'heures; ensuite qu’elles sont entièrement en latin, car l’usage de les traduire, longtemps réprouvé par le Saint-Siége , n’était pas en-' core introduit en France. Le symbole de. S. Athanase, Symbolum Athanast, précède plusieurs oraisons et des salutations au Christ souffrant. Je m'arrête à l’une de ces dernières, parce qu’elle exprime une pensée en vogue au moyen âge: Jésus est la fleur et le fruit de Marie. Ainsi le pensait au x siècle l'artiste verrier qui plaçait à l’orient, dans l’abside de notre cathédrale, l’éclatante verrière de la Tige de Jessé: ainsi le pensait, sur la fin du xve siècle, le sculpteur qui, à Saint-Serge, ornait les clefs de la voûte de la même tige épanouie. Ave, ihesu xpiste, laus angelorum, gloria sanctorum, verus homo, visio pacis, deitas integra, floset fructus virginis matris. Je me laisse d'autant plus volontiers aller au plaisir de citer, que l'hymne de S. Jean-Baptiste est inédite : DE SANCTO IOHANNE BAPTISTA. 0 bäptista graciose, 0 iohannes gloriose O martir beatissime Heremita sanctissime. Plus quäm propheta dixeris, Angelusque predicaris (1) Amicos ? — 119 — Tu qui tot privilegiis Fulgens pre sanctis ceteris. In digno famulo tuo Ne despice vota queso Nam post Deum et post matrem Te elegit michi patrem. Illi sunt superiores Sed tu per illos periores Quem pre cetris eligo Quem frequencius invoco. Suscipe me in filium Ne repellas me miserum Impetra michi graciam Et peccatorum veniam. Dulcescas penitentiam D nobis celi gloriam Tibi semper cor meum do Et animam recommendo. Ut per tuam clemenciam Habeas in custodiam Custodi me a peccatis Ne iudices condempnatis. In mei transitus hora Pro me Deum precor ora Presentando coram rege Qui nos habet judicare. Advocatum te habeam Suslinens causam meam Meos parentes et amico (1) Ju manus tuas commendo. — 113 — Fac ut tuis meritis Celi fruantur gaudiis. Le mérite de cette petite composition n’est pas pure- ment littéraire. L’iconographie qui, au moyen âge, s’inspirait de la liturgie et marchait de pair avec elle, puise dans cette hymne de précieux renseignements. Il y est défini clairement que la troisième place dans la hiérarchie céleste est réservée à S. Jean-Baptiste, et que le Précurseur passant avant les apôtres, venait de suite après le Sauveur et sa mère. Telle était autre- . fois l’intelligente disposition des trois roses absidales de la cathédrale d'Angers : J.-C. trônait au milieu, entre Marie qui tenait la droite et S. Jean la gauche. S. Jean-Baptiste assiste toujours comme suppliant au jugement dernier: il se fait avec Marie l’avocat des pécheurs, dit l'hymne précitée (1). Je passe rapidement sur un suffrage à S. Nicolas, sur l’oraison contre l’ennemy d'enfer (Benedicat me Deus pater), et je note, dans l’oratio de sancta Maria, que la formule ne laisse pas de doute sur le personnage qui avait écrit ou fait écrire le livre d'heures: ... me ipsum tibi commendo ut sim. .. servus suus perpetuus..… def- fensione protectus, ab omnibus angustijs liberatus.…. La prose d’Innocent III : Stabut maler dolorosa, est inscrite sous ce titre de sancta Maria. L'abbé Sausseret (2) a récemment publié les Sept (4) V. Annales archéologiques, t. XVII. Fresques du Sacro Speco. V. aussi le sceau du couvent de N.-D. de la Garde, au Musée de la ville (xve siècle). (2) Apparitions et révélations de la sainte Vierge. Paris, 1854, t. 1, p, 234-237. — 114 — joies de Murie attribuées à S. Thomas de Cantorbéry. Gaude virgo mater xpisti Que per aurem concepisti Gabriele nunctio….. Je dis attribuées, car an manuscrit de la bibliothèque de la ville de Poiliers, sur lequel je me suis appuyé, viendrait détruire cette opinion, ou tout au moins lui laisser peu de probabilité (1). Le Salve regina misericordie est accompagné de l’Alma redemptoris mater. Tous les deux finissent par Amen. Je ne puis me défendre d’une nouvelle citation que motive l’hymne intitulée les Sept joies de sainte Cathe- rine : HIC INCIPIUNT SEPTEM GAUDIA BEATE KATHERINE, Gaude virgo Katherina Dulcis martir et regina Fulgens sub Maxencio. Gaude, vincens per virtutem Sapientes quos salutem Docet tua racio. à Gaude que ducem reginam Comitis rothe machinam Frangens Dei numine. Gaude, virgo lacerata Et post preces decollata Fundens lac pro sanguine. (1) Revue de l’art chrétien, {. 1, p. 374. — 115 — Gaude, Sinayque portaris Ubi jugis veneraris Olei propagine. O beata post Mariam Nobis pia para viam Ne labemur crimine. Une oraison à J.-C. se complique de noms apocry- phes d’archanges, tels que Beriel, Raguel et Brachiel. Voici le passage qui les désigne, chacun avec le rang qui lui convient : €... Mitte michi in adiutorium meum sanctorum Micha- elem archangelum tuum qui me protegat et deffendat ab om- nibus inimicis meis. Sancte Michael archangele, deffende me in prelio et non peream in iudicio tremendo. Archangele xpi Michael per graciam quam meruisti, te deprecor per unigeni- tum filium Dei dominum nostrum ut eripias me hodie de pe- riculo mortis. Sancte Michael, sancte Gabriel, sancte Raphael, sancte Beriel, sancte Raguel, sancte Brachiel, et vos omnes sancti angeli et archangeli Dei succurrite michi.… Or, à en croire la vignette, l’auteur de cette oraison singulière serait le pape S. Grégoire le Grand. D’autres oraisons adressées à Jésus-Christ, succèdent à la précédente et mênent au suffrage de saint Jean évangéliste, de saint Laurent, de saint Nicolas, de sainte Marie-Madeleine et de sainte Catherine, perle de la Grèce :Virgo sancta katherina Grecie gemma urbe Alexandrina Costi regis erat filia. Les cinq joies que Marie eut de son chier filz sont com- munes à tous les livres d'heures. Chaque considération — 116 — est suivie d’un Ave Maria. Pour en donner une idée, J'en reproduis ici un mystère : CE tres douce dame pour icelle grant ioye que vous eustes quant le saint ange Gabriel vous apporta la nou- velle que le Sauveur de tout le monde vendroit en vous, douce dame pries li quil veuille venir en mon cuer espirituelement. Ave Maria. » Les XV regards de Dieu sont copiés sur le même modèle. « Biaus sire Dieu regardes moy en pitie en lonneurde celi regart donc vous regardates lumain lignaige quant vous envoyastes votre dous filz mourir en terre. Sire comme ce fu voir me regardes vous en pitie. Pater noster. » J'ai choisi cette strophe avec intention parce que j'y vois le thême de deux Annonciations , qui sont à Rome, l'une peinte à fresque sous le porche de Sainte-Marie in Transtevere, l’autre sur panneau, à fond d’or, au musée chrétien du Vatican. Toutes les deux datent du XVe siècle, époque du manuscrit que j’analyse ici. Or, dans les deux tableaux, comme dans le texte cité, Dieu le Père, du haut des cieux, envoie son Fils, petit enfant nu, portant sur ses épaules la croix sur laquelle _ilsera crucifié. La légende versifiée de sainte Suzanne, termine le manuscrit. Je suis heureux‘ de placer à la fin de mes observations liturgiques un si gracieux morceau de lit- térature française et de prière privée. Virge doulce, Virge benigne, Virge sainte, Virge tres digne, — 117 — Virge franche de Romme née (1), Virge de grace enluminée, Virge puissante et vertueuse, De Dieu espouse gracieuse, 0 sainte Susanne madame, Par ta pitie mon corps et mame , Veuilles de tout pechie deffendre Et en ta sainte garde prendre. Jhesus ton espoux debounnaire Me doint par ta sainte prière Humble cuer en prospérité, Pacient en adversité, De mes pechiez remission, Et en bien confirmacion. Si que iames ne puisse faire Chose qui lui doie desplaire Et a mes parens et amis Doint bonne paix et paradis Les mauvais vueille convertir Et les bons en bien maintenir Guerre destruire et paix donner Toutes offences pardonner Bonne vie ej fin honnourable Nous doint (2) ioie perdurable Et aux ames de purgatoire Octroit vray pardon en la gloire. Amen. ICONOGRAPHIE. — Six vignettes à mi page, d'un co- (1) V. l'Année liturgique à Rome, p. 87-88. (2) Donne. V. inscription du xve siècle trouvée sur la paroisse Saint-Léonard d'Angers et déposée au musée diocésain. — 118 — loris plus brillant que le dessin n’en est régulier, illustrent le Livre d'Heures. Chacune est déterminée, quant au choix de son sujet, par l'office qu’elle précède. La première représente le martyre de sainte Cathe- rine. La princesse, couronnée, nimbée, vêtue d’un manteau bleu doublé d’hermine, prie à genoux, et les mains jointes, Dieu qui lui apparaît au ciel et la bénit, à la manière latine. Aussitôt, de l’auréole d’or entourée, de rayons enflammés qui renferme Dieu, sortent des flammes, qui brisent l’appareil des deux roues à cro- chets entre lesquels la sainte a été placée, renversent Maxence (1) et les bourreaux qui l’aident au supplice. Pour exprimer la confiance de la sainte délivrée et sa Joie toute céleste, le peintre a émaillé la terre de fleurs et fait briller les étoiles au ciel (2). Jésus-Christ, prêtre (3) et consécrateur, figure en tête de l'office du Saint-Sacrement. Le ciel bleu, étoilé d'or, indique que la scène se passe au ciel. Une tenture ronge, semée de feuillage d’or, fait fond au tableau; à la courbure donnée à cette tenture, on dirait une abside parée. Sur la terre verte efffleurie, s'élève un trône, à dossier et accoudoirs hauts et ornés de moulures , et à escabeau fixe; Jésus-Christ y est assis. Comme Dieu, il a le nimbe crucifère et les pieds nus, (1) Ste Catherine foule aux pieds son persécuteur dans une statuette en bois placée à la façade d’une maison du xve siècle, rue Baudrière. (2 Une hymne du bréviaire angevin de Mgr de Vaugiraud (1737) exprime la même idée, au sujet du martyre de S. Etienne : Quid hoc ? Repente panditur stellata cœli regia. : (3) Tu es sacerdos in æternum. Ant. de l'office du S. Sacrement. — 119 — les honneurs du trône, de la tunique ceinte et du manteau à pectoral ; comme prêtre, il a entre les mains le calice et l’hostie, timbrée d’une croix inscrite dans un cercle, qu’il consacre à trois doigts. Le calice est court et se compose d’une large coupe, d’un nœud perlé et d’un pied à six pans concaves. L'office de la Trinité débute par une miniature où le peintre, distrait sans doute, n’a représenté que deux personnes divines , omettant le Saint-Esprit qui, sous la forme d’une colombe, devait ou reposer sur un des bras de la croix ou voltiger de la bouche du Pére sur la tête du Fils. Au fond d’une abside, à ciel étoilé et tenture rouge feuillagée, sur un trône à marchepied, mais sans dossier, le Père éternel, vieillard à barbe et cheveux blancs, vêtu d’une tunique et d’une chape bleue, à chaperon et fermail d'or, coiffé d’une tiare à triple couronne (1), tient à deux mains la croix en {au, à laquelle est attaché son Fils. Jésus-Christ a les pieds croisés l’un sur l’autre, percés d’un seul clou, un linge aux reins et la couronne d’épines au front. Toutes ses ‘ (1) Le xve siècle est une époque de transition. où les idées sont généralement indécises: on tient à la forme ancienne et cependant - l’on essaie d'innover. Ce père éternel en pape est moderne; il ne se rencontre pas avant le xve siècle. Il semble qu'après lavoir peint, le miniaturiste en ait eu regret, car quelques pages plus bas il habille le même personnage en empereur. Lequel vaut le mieux en iconographie ? Je l’ignore. Dès qu’on veut représenter le Père éternel sous la figure humaine, il n’y a pas d’autre choix: l’une de ces formes, en effet, est l'expression de la plus haute puis- sance spirituelle qui vienne du ciel; l’autre atteint le plus haut degré de la puissance temporelle, personnifiée dans l’empereur. __ jap — plaies saignent et le sang coule sur la terre qui re- verdit. Le nimbe du Père est uni, et celui du Fils par- tagé par des rayons pattés qui forment la croix. Au commencement de la Messe, Jésus-Christ envoie ses disciples dans le monde continuer sa mission. La scène se passe en dehors de Jérusalem, dont on aper- çoit dans le lointain, les édifices et les fortifications. Jésus-Christ et les apôtres sont pieds nus, suivant leur privilège iconographique. Le nimbe des apôtres est uni, celui de Jésus-Christ rehaussé d’une croix. Saint Pierre est placé entre saint André, vieillard grisonnant, et saint Jean, jeune et imberbe. Il a en main la clef qui symbolise le pouvoir spirituel, et le livre qui lui servira à enseigner la véritable doctrine. Ses cheveux et sa barbe sont courts, et sa tête ronde, rasée au sommet, ainsi que le veut la tradition, car il faut re- monter jusqu’à lui pour retrouver l’origine de la ton- sure ecclésiastique (1). Les premiers mots de la messe, Benedicta sit sancta Trinitas, demandent une Trinité. Le dais, qui abrite les trois personnes divines, est vert, frangé de bleu et de blanc. Le dossier rouge, ramagé d’or, descend sur (1) La Cathédrale d'Anagni, .p. 33. — « Si quis autem de ori- gine ac significatione clericalis tonsure querat, eam certe Petro apostolo acceptam referunt tum veteres libri rituales, tum prisci auctores qui de ipsa tonsura locuti sunt. » Catalani. Pontificale romanum prolegomenis et commentoriis illus- tratum. Edit. de 1850, p. 141-143, t. 1. Cette tonsure est très sensible dans les vitraux de la cathédrale d'Angers (XIIe et xriIe siècles), et dans les fresques du xIme siècle récemment découvertes à Saint-Hilaire de Poitiers. — 191 — le siège carré et passe sous le coussin blanc du trône. Le Père est habillé en empereur d’un large manteau bleu et couvert d’une couronne fermée. Ses pieds posent sur un carreau vert, orné de glands à ses ex- irémités. Il tient dans ses bras le corps ensanglanté et presque nu de son Fils, dont la tête est encore ceinte d’une couronne d’épines. Le Saint-Esprit en colombe vole de la bouche du Père à la tête du Fils. Du trône, qu’entoure une auréole de feu, jaillissent des rayons d’or. Le Père et le Fils ont seuls le nimbe crucifère : celui du Saint-Esprit est uni. Les chœurs célestes se pressent autour du trône de la Sainte-Trinité : en haut, les chérubins, couleur de feu, joignent les mains en manière d’adoration, ramènent en avant leurs ailes et font voler les deux autres en haut. Puis d’autres anges prient aussi : ils sont vêtus d’aubes à colliers et poignets dorés et annelés. La dernière vignette est affectée à la Messe de saint Grégoire. L’autel, devant lequel le pape célèbre, paraît enbois,avec une moulure à la base. Son parement est bleu semé d’annelets d'or, le frontal reticulé et frangé d’or. La nappe retombe de chaque côté, usage que remettent en vigueur de nos jours la liturgie romaine et le Cérémonial des évêques. Le missel est ouvert et placé au côté de l’Epitre. Le retable d’or est cintré en haut et au milieu. L'église que l’on aperçoit, à l’orient et au nord, a des fenêtres géminées surmontées d’un trèfle. Son abside est ornée d’une tenture rouge , accrochée à la hauteur des chapi- teaux. Un ange én aube blanche et collier d’or, les — 192 — mains enveloppées d’un linge, paraît à la gauche de l'autel, la droite du spectateur. Il tient dans ses mains Jésus-Christ ensanglanté par les clous de la Passion et la couronne d’épines, et le lève de son tombeau ouvert. Derrière, on remarque la croix à laquelle il fut at- taché, le titre qui le nomma dérisoirement roi des Juifs, la lance qui perça son côté, l'éponge qui l’a- breuva de fiel et de vinaigre et la colonne qui servit à sa flagellation , les trente deniers qui furent comptés à Judas pour sa trahison, et l'échelle à l’aide de laquelle il fut descendu de la croix. À cette vue, saint Grégoire , qui célébrait, suspend la messe, et s’agenouille sur un carreau rouge. Il a en tête la tiare à triple couronne, l’amict baissé sur la chasuble, une dalmatique bleüe, une autre blanche, et une large chasuble relevée sur les bras avec un orfroi droit et divisé en pairle dans le dos. Ce qui donne surtout un charme inexprimable à ce délicieux manuscrit, ce sont les bordures qui encadrent chaque page, recto et verso. Les fleurs ysont traitées avec une délicatesse exquise, et. il n’est pas difficile d’y reconnaître, tant la nature a été bien copiée, le fraisier, le bluet, le plantain, le bouillon blanc, la rose, la violette, la campanule, le myosotis et le pois à fleur. Les papillons et les oiseaux voltigent sur ces fleurs ou les becquétent. Parmi les oiseaux, je nommerai le paon, la chouette, le coq, la huppe, le perroquet, la tourterelle et le chardonneret. Ils louent Dieu et les saints. Aussi ils ont au bec des banderolles sur lesquelles se lisent ces paroles empruntées à la liturgie : — 198 — Deprecamur te — Deffende me in (4) — O martir beatis- sime (saint Jean-Baptiste) — Suscipe me in filium — Bene- dica (2) me deus — Pater qui cuncta (3) — Gloria in excelsis Deo — Hominibus bone — voluntatis — Laudamus te — Glorificamus te. Ce n’est donc point par pure fantaisie que l'artiste a égayé la riche végétation qui couvre les bordures de son chef-d'œuvre. Il invitait toute la création à louer Dieu, commençant par les êtres qui avaient: une voix. L’hymne continue par les plantes qui s’expriment ainsi : Ave Maria gr. (4) — Gloria Patri — © Mater Dei — Gloria üibi Dne. — Tribue nobis Dne. —- Contrictionem et in Dni. —- Ostende no (5) — Suscipe me Dne. — Adoramus te Dne, —- Et in terra pax. N'est-il pas vrai que ce cantique chanté à la louange de Dieu par ses créatures, d’un ordre inférieur, émeut singulièrement l’âme ? Le fidèle, créature d’un ordre plus élevé, tant par les dons de la nature que par ceux de la grâce, qui avant de prier arrête ses yeux sur ce spectacle, n'est-il pas prédisposé à joindre sa voix à ce ravissant concert ? Puis, s’il fait bon prier avec un livre d’heures qui offre à la piété de si consolantes ressources, avouons que nos livres d'église sont devénus bien froids depuis que l’art chrétien s’est éloigné d’eux 1 (1) Periculo ? (2) Benedicat. (3) Gubernas eleyson. Paroles d'un Kyrie farci. (4) Gratia plena. (5) 5) Nobis misericordiam tuam. — 194 — et qu’ils se sont remplis de prières que l'Eglise ne re- connait pas. Tous les livres sans doute ne peuvent pas être illustrés, mais au moins tous peuvent et doivent ne renfermer que des prières authentiques, et quand l’art prête son concours au texte, que ce soil pour édi- fier le fidèle et non pour séduire son imagination, trop disposée à s’égarer, par les sujets répétés de continuelles distractions. X. BARBIER DE MONTAULT. PAYSAGE Dieu, la Nature et l'Art, par M. À. MAZURE. Le nom de Mazure éveille chez nos concitoyens le souvenir de deux générations bien distinctes, mais reliées entre elles par une communauté de principes qui fait tourner les contrastes à l'harmonie de l’ensemble: le père, homme d’autrefois, littérateur classique, mé- moire ornée, causeur abondant et enjoué (il est à remarquer que les sanglantes catastrophes dont nos devanciers furent témoins ont influé sur eux moins que sur nous mêmes); le fils, homme du siècle, dans la saine acception du mot, enfant de ses tristesses comme de ses espérances, cœur large, esprit ouvert, nature enthousiaste et rêveuse où tout se revêtait du langage de lidéal. Tels nous les avons vus pro- fesseurs du Lycée dont nous fréquentions les bancs. A ces lointains souvenirs j'ajoute encore, pour les aînés, celui de l’ancien recteur de notre Académie, SOC. D’AG. NE 9 — 196 — frère de l’un, oncle de l’autre, l'historien érudit de la Révolution d'Angleterre de 1688. La famille Mazure habitait le Logis-Barrault, conjoin- tement avec d'anciens et docies personnages, débris de l’Oratoire, vétérans de l'Ecole centrale, dont la longé- vité a tenu vingt années en échec la restauration de la Bibliothèque et du Musée. Il en est parmi vous, Messieurs — excusez les — que le voisinage de ce logis a distraits plus d’une fois de vos séances. C’est que, jadis élèves et pensionnaires de ses hôtes, leur jeunesse évanouie se recompose à son aspecl, qu'une voix sort de ces pierres en dépit de l’âge et du changement, « lapides clumant ». [l'y avait en effet dans le désert, dans le silence, dans les profondeurs sombres du Logis- Barrault d'autrefois, tant de prestige, tant de physiono- mie dans les vieillards identifiés avec la tradition de ses murs, tant de fraicheur et de mystère dans l'ombre de ses marronniers dont vos poiriers ont pris la place, et dont leurs riches produits ont grande peine à nous consoler !.… Comme ils tombaient sous la cognée, M. Mazure émi- grait. Nulle part, dans le cours de ses migrations univer- sitaires , 1l n’a noué plus de relations qu'ici. L'époque y prêtait. Chez les jeunes cœurs d'alors, les souve- nirs de 1824 ne sont peut-être pas sans avoir laissé quelques traces ; à M. Adolphe Mazure se rapportent les premières révélations d’une école moins nouvelle qu’on ne lui faisait l’injure de le supposer, puisqu'elle avait pour but de soustraire à la domination des Dieux notre vieille nationalité chrétienne. Longtemps avant le si- gnal il en avait pressenti l’éveil; la voix chantait en — 197 — lui dans le silence des grandes lyres encore muetles. Lorsqu'une vérité, impopulaire au début, s’est con- quis une place , et s’est faile respirable à tous, la justice commande de se retourner vers dux-là qui l’ont devinée de loin, et dont elle a reçu les premières avances. Celui dont nous parlons, -— et c’est une réponse comme une autre au reproche de nouveauté auquel l'école de 1824 fut en butte — aimait à saluer les pré- curseurs de notre ère dans le rhythme , le mouvement, ; l'allure vive et spontanée de la pléiade poétique étouffée sous Malherbe aux acclamations de Boileau. Que dis-je? L’antique même, incompris de Boileau qui n’y cherchait que le classique, avait ses romantismes pour le jeune professeur. Dans la scène de l’Iliade où le petit Astyanax, effrayé par le panache d’Hector, se rejette sur le sein de sa mêre, il se demandait volontiers si c'était Homère ou bien Shakespeare qui nous faisait assister aux alten— drissements du foyer. Il sentait frissonner dans les bois, les coteaux, les prairies chères à Virgile, un souffle mystérieux dont ne s'était jamais douté ce viveur, ce paien d'Horace. De telles idées, de pareilles doctrines, non point catégoriquement formulées, mais échappées çà et là à la vivacité de la leçon, nous rendaient sé- rieux à travers les frivolités de l’âge; elles devinrent plus tard un signe de ralliement entre les organisations de même nature, et nous pouvons encore nous éprous ver et nous reconnaître au plus ou moins d’échos qu’elles font résonner en nous. Entrainés par la pente irrésistible du passé, nous avons concentré sur des réminiscences de collége une appréciation dont les vrais titres sont ailleurs. Ils repo- à — 128 — sent, moins intimes, mais plus incontestables , dans les nombreux ouvrages dont M. Mazure a marqué chacune de ses étapes dans la carrière de l’enseignement. Le tableau synoptique annËxé au premier volume de son Cours de Philosophie, présente la synthèse des facultés de notre esprit dans ses rapports avec les perceptions de notre âme; enchaînement lumineux non moins que solide, et d’où résulte que le beau n’est pour lui que l'épanouissement du vrai, dont le bien n’est que le fruit et comme la manifestation suprême; la foi domi- nant le tout, explicite ou latente, sous le soleil radieux de la révélation parfaite, comme à travers les ombres d’un christianisme pressenti. L’on aime à vérifier cette solidarité de principes sur les études diverses aux- quelles l’auteur s’est voué, soit qu’il rende à Descartes si commenté, si débattu, l'honneur de sa profession chré- tienne , soit que pour corollaire à sa Traduction de Schlegel, 11 fasse retentir dans la cosmogonie de Brahma les échos lointains de la Genèse, soit que le progrès social se déroule à ses yeux loin du bruit des chantiers et des noires vapeurs des usines, soit enfin que, sous le ütre de Philosophie des arts du Dessin, la question se transporte des régions mortes de l'esthétique aux ré- gions vivantes du symbole. Surtout nous voudrions par- ler un peu à l’aise d'une publication récente de l’au- teur intitulée: Philosophie des trois vertus théologales. On en devine la pensée d’après les prédilections de son esprit. Cette philosophie, theologiæ ancilla, montre en germe au-dedans de nous ces trois vertus, qui ne se développent que sous le contact divin de la révélation. Nous avons prononcé le mot de paysage, et ce mot — 199 — charmant éveille tout un monde de sentiments et d’i- mages qu'il serait maladroit de refouler plus long- temps. Et voyez le sort des livres! De tous ceux que l'auteur a publiés, le plus léger de texte comme de recherches et d’études, le livre sur lequel il à le moins pâli est incontestablement celui-ci. Les études qu’il comporte, nées de promenades au Louvre, coupées d’excursions dans les bois, sont de celles que l’on n’ose régulièrement appeler ainsi, tant le profit en est lent, tant l’opération en est insensible, tant le travail qu’elles recèlent disparaît sous le charme et se confond avec lexistence. Pour accomplir son œuvre, 1l lui a suffi de confronter ses impressions d'art avec ses impressions de nature ; d’y projeter la lueur de son idéal familier, et d'écrire de ce style qui est l’homme même. Et tandis que les fruits de ses laborieuses veilles s’acheminent tardivement à leur destination, ce petit volume court, ‘se propage, se multiplie. Nous pourrions citer quel- qu’un, juge éminent en la matière, qui en a jusqu’à dix exemplaires dans sa poche au service de ses meil- ‘Jeurs amis. On sait qu'après un siècle et demi d’œuvres inertes, opaques et glaciales tant sur pierre que sur papier, le paysage. en peinture a ressuscité parmi nous vers 1831 en un groupe d'artistes, disciples de l’école poétique dont la Restauration fut le berceau. Le succès, lent d’abord, finit par prendre feu. C’est par le paysage que la peinture, confinée jusque-là dans les appréciations des adeptes, commence à se vulgariser dans le public. « Et le paysage? » Tel est le sens véritable de toute question échangée entre gens du monde Sur la valeur — 130 — d’une exposition nouvelle. Des regrets inslinctifs causés par la diminution de la nuture ne viennent-ils pas en aide à cet engouement ? Le motif serait louable, bien que les auteurs de la diminution signalée, ce soient eux, gens du monde, propriétaires, industriels. Toutefois, il ne saurait ni légitimer leur exclusion, ni consacrer les méprises inséparables de leur point de vue. Voici donc ce qu’ils disent : « La figure avec ses exigences de style, ses conditions de caractère, sa science de composition me dépasse ; parlez-moi de la campagne ; je la pratique, je m’y connais. » Eh bien non! la campagne a son style, son caractère, sa composilion, ni plus ni moins que la figure. Ce point de vue pratique est l'erreur radicale du bourgeois, à laquelle trop souvent, soit intérêt, soit compassion, nous voyons condescendre l'artiste: C’est l'erreur combattue par notre maître et notre ami avec de trop bonnes armes pour que nous sentions Île besoin de nous escrimer à sa place. Exposons ses idées : dans l’ordre même qu’il leur assigne. K La scène s’ouvre au mieux. On y voit Dieu, le créa-' teur-artiste, imprimant la beauté au monde qu'il tire du néant pour les besoins de l’homme. Et l’homme? ïl ne crée pas, mais, par un privilége sublime, il dispose, dans sa force et dans sa liberté, des éléments dont le sens caché ne demande qu’à se produire. La nature est pour lui un livre qu’il épèle, un clavier dont il presse les touches sous ses doigts ; hymne pour celui-ci, blas- phème pour celui-là; à chacun la responsabilité de son œuvre. Vainement s’efforce-t-il, en ses heures d’éga- rement, de lutter corps à corps avec une réalité qui lui échappe; il'est toujours vaincu, défaite qui l'honore êt — 131 qui proclame sa vocation. Plus il serre de près la na- ture, et plus elle redouble d’exigences en fuyant à perte de vue devant lui. Une expérience terrible à mis de nos jours cette loi à nu : la Providence a permis, comme pour mieux indiquer l’abîme qui sépare la matière de l'esprit, que le problème insoluble par l’art füt résolu par la science; la chimie s’est faite peintre , et cette reproduction littérale, où les infirmités de l'original se trouvaient transcrites avec l'exactitude d’un greffier, fit reculer d’épouvante les séides les plus obstinés du réel. Est-ce avec l'œil des bêtes que doit regarder l’homme formé à l’image de Dieu? Il n’y a pas de pochade, char- bonnée sur un mur par quelque vaurien d'école, dont le galbe aventureux ne soit un défi jeté à la servilité du photographe. | Que si la création n’est pas le rêve de l'athée, si son aspect témoigne d’une sagesse supérieure aux combi- naisons d’un coup de dé, si, pour laisser enfin parler M. Mazure, « la nature, voile transparent, cache Dieu et le révèle, » il y aura donc en elle des motifs symboli- ques sur lesquels il nous sera impossible de nous mé- prendre, et où, graves ou légers, joyeux ou sombres, tous les esprits convergeront. Quels que soient les de- grés de l'émotion qu’elles suscitent, la fraicheur du matin, la splendeur du midi, la majesté des soirs ne sauraient provoquer ni dissentiments ni méprises. Cette loi supérieure, irrécusable chez l’homme dans l'impression commune des heures et des saisons, M. Ma- zure l’applique aux motifs dominants du paysage, qu'il décrit en peintre et qu’il interprète en chrétien. Tour à tour le ciel, l’eau, la montagne, la prairie, la forêt, — 132 — passent devant nos yeux avec ce cortége d’analogies morales dont nous ne saurions les séparer. Dans cette revue rapide où la justesse des aperçus se couronne de la grâce lumineuse du langage, rien d’arbitraire ni de forcé. Partout la vérité de la cause unie à la sincé- rité de l'effet. Souvent il introduit, à l'appui de son texte, des souvenirs empruntés à ses résidences officiel- les. C’est une vallée d'Auvergne, ou quelque horizon coloré par le soleil des Pyrénées; illustration char- mante où le sentiment élevé du paysage semble passer de la plume au crayon. Il est à regretter que l’Anjou n’y figure pas; la prochaine édition réparera cette la- cune. Notre Loire aux grèves d’or, aux rives argentées par les saules, a, dans ses larges perspectives et dans la transparence exquise de ses tons, quelque chose de plus littéraire encore que pittoresque, et que nul ne rendrait mieux que lui. La vie appelle la vie. L’eau qui court, le chêne qui monte, la liane qui grimpe, évoquent la présence dés êtres qui s’engraissent de ceux-ci, s’abreuvent de ceux- là, et dont la destination est écrite dans leur appellation même, animantia. De ces corps bondissants et lustrés l’âme est absente. Vivre et manger pour eux n’est qu’une attitude suprême, pose d'honneur dans laquelle l'artiste aime à les consacrer. Leur symbolisme à eux est fla- grant; qui le discuterait? Il se déduit de leurs formes, de leurs allures et de leurs mœurs ; il circule de tou- tes parts, dans les images de l’écrivain comme dans les proverbes du peuple, depuis la puissance calme du bœuf couché sur l’herbe jusqu'aux vélocités de cet hôte de nos derniers bois, si bien identifié avec leurs ra- — 133 — meaux, qu'il leur emprunte son ornement comme sa défense. — Puis la spirale s'élève; au-dessus du cerf qui bondit, l'oiseau vole, et l’on monte jusqu’à l’ange qui, en se réfugiant dans les cieux, laisse tomber tout à la fois un regard d'envie et de pitié sur l’homme. La solitude a ses vertiges. Jusqu'à l’apparition de l’homme sur Ja scène, le panthéisme amoigdri, contenu, mais debout encore, n’a point abjuré ses dernières prétentions sur le paysage. Il vient, et devant lui dis- paraissent les derniers périls ; sa présence met le sceau à la signification de l’univers. Voilà la tour qui monte, la mer qui tend son arc entre le môle et la citadelle, l'église qui lance ses flèches dans le ciel; au fond, les ruines qui dorment, attestant les générations moisson- nées, et sous les ronces qui les recouvrent, marquant la liaison de nos œuvres passagères avec l’œuvre éter- nelle de Dieu. L'auteur montre comment, par suite de la domination accordée à l’homme sur la nature, le sol perd en puissance et en vertu cosmogonique ce qu'il gagne en souplesse, en aptitude et en variété. Que n’a- t-il indiqué la limite au-delà de laquelle l'équilibre se rompt, l'horreur succède à la beauté, et le cri du paysa- giste indigné se perd dans les acclamations de l’in- dustrie !, | L'homme est plus qu’un esprit. C’est un cœur dont les battements sollicitent les échos. de la création tout entière. « Un vague sentiment auquel on ne peut se tromper, » dit l’auteur, «et qui est l'amour », impré- gnant l’atmosphère, ruisselant comme une sève dans les feuilles gonflées des rameaux, respire dans ces églo- gues dont la renaissance d'Italie emprunta le secret à AR Virgile, et que rehausse la philosophie chrétienne du Poussin, « Et in Arcadia ego. » De « l'Eheu fugaces » d'Horace au regard célèbre jeté par le fils de Monique sur les flots de la mer d'Ostie, voilà une transition émouvante et poétique; — ce n’est qu’une transilion pourtant. L’antique est là avec ses regrets humains ; la pensée de lrcadie, drapée du manteau de la Grèce, n’occupe que le versant de ces mélancoliques hauteurs dont ,l’adoration avec ses extasés tient le sommet. Ecoutez plutôt : Là s’offre un sacrifice immense, universel ; L'univers est le temple et la terre est l'autel. Est-ce un peintre qui parle? Non, c’est un poête qui peint sur un fond vierge encore et dans un style inusité de ses devanciers sur la toile. Jamais, si riche qu’il soit de sentiments comme d'images, le paysage du grand siècle n’a rencontré de pareils accents. A l’heure ‘où il naissait, la foi s’éteignait dans les âmes, et deux siècles avant, c’était sur la figure humaine que le pin- ceau catholique en avait réflété les splendeurs. La na- ture ne se montrait que par de timides échappées , à des plans trés reculés et comme agenouillée dans un coin. Vous l’avez pressentie dans ces bleus horizons se- més d'arbres mystiques, dont les peintres d’'Ombrie nous entr'ouvrent les perspectives entre deux ailes de chérubins. Borné de ce côté, l’auteur s’enfonce et disparaît dans les solitudes tristes, intimes et rustiques qui tressail- lent au nom de Ruysdaël et d’Hobbema. À l'entendre parler d’une voix si pénétrée l’idiôme des landes et des — 135 — bois, on dirait que cette école est la sienne entre tou- tes. Eh bien non! ou plutôt un scrupule honorable le saisit. Le devoir du professeur semble étouffer en lu; les prédilections rêveuses de son âme. Il craint d’ino- culer à la génération qui l'écoute un reste du poison dont la coupe d’Obermann était pleine. Qu'il se rassure, la coupe est aujourd’hui brisée, et d’ailleurs nous avons tout bu... N'importe ! Le mot terrible de Goëthe — mot remis en honneur par un illustre pénitent litté- raire de nos jours, — que le classique est le sain et que le romantique est le malade, le ramène tout à coup des profondeurs du nord aux limpides sérénités d'Italie; et le voilà qui démontre, par la prédominance de la paix sur le trouble, du permanent sur l’accident, la supériorité de Claude et de Poussin sur les chers maîtres de Hol- lande. La thèse est sans réplique ; il n’y a ni admiration m talent qui aient le droit de s’inscrire contre elle. Mais tant qu’à sacrifier à l’impersonnalité de l’art ses égoïstes fantaisies, tant qu’à chercher en elles un abri contre les oisivetés du cœur, nous ne nous arrêterons pas au Spi- ritualisme de Claude, pas même à la philosophie gran- diose de Poussin. Nous monterons encore, dussions-nous léguer à nos neveux la réalisation de ce qui n’est point un rêve, du paysage chrétien tel que l’ont ébauché les aïeux, moins placide sans doute, mais dans les émotions mêmes , filles de nos convulsions de nos orages, fidèle au même principe et à la même tonalité. Ce mot de tonalité, emprunté au vocabulaire musi- cal, nous conduit au chapitre où la musique et la pein- ture se rencontrent, se comprennent et se pénêtrent réciproquement ; la première éveillant dans les profon- — 136 — deurs de l’ouie des bruits inséparables de ce qu’elle montre aux yeux; la seconde réjouissant ou attristant les regards par des effets puisés dans le domaine sonore. Cest à ce titre que la Création de Haydn est un tableau, et qu'on pourrait qualifier de symphonie la Cascade de Claude Lorrain, De là des rapprochements ingénieux entre les maîtres des deux langues, rapprochements que domine la fraternité sans limites de Raphaël et de Mozart. Unir n’est point confondre, et la convergence des arts au foyer commun de notre âme n’infirme point le caractère de leurs attributs respectifs. Au peintre les images, au musicien les sentiments. Et quelle sera la part du poête? Les idées. Mais la poésie des vers, celle qui intervient dans ce partage, n’est qu’une application sous forme littéraire de la grande poésie cachée au fond de toute œuvre, inhérente à toute manifestation de l'art. « Mille chemins, un seul but, ». a écrit un penseur de nos jours, peintre par la couleur, musicien par le rhythme, sculpteur parle relief, architecte sur- iout par l’ordonnance monumentale des parties. Or, si le but est unique, — la réalisation du beau par la diver- silé des moyens, — il n’y a pas deux points de départ; il n'y en a qu'un, et ce point de départ commun, c’est la poésie. Ici une revue du paysage chez les poëtes, depuis l'Inde, à la sève exubérante, jusqu’à nous , en passant par Homère, sobre et naïf, par Théocrite, roi des scènes pastorales et des rustiques horizons, par le souffle de Lucrèce, par les mélancolies de Virgile, par les bosquets d’Armide, par les décors fantasques de l’Orlando. Le distrait La Fontaine traverse, en échappé des hois, les — 137 — urbanités du grand siécle; Delille brode au métier des tapis de verdure; enfin Rousseau paraît. On sait le reste. La revue du paysage chez les paysagisies est de moins longue haleine ; en tout cinq siècles de chemin. C’est à Lucas de Leyde que se rattache le premier anneau d’une chaine qui dans un mois sera trop courte. Quoi- qu'il en soit d’ailleurs des nouvelles recrues qui s’ins- crivent au livret de 1859, la physionomie du paysage actuel n’en saurait être sensiblement modifiée. La gran- deur de l’ensemble habilement sacrifiée à l'attrait, parfois même à l'illusion des détails; des variations brillantes sur des thèmes familiers; plus de main que de tête, plus de tête que de cœur, tel serait le coup- d'œil morose jeté par un Timon sur les tendances de notre école. Mieux vaut se réjouir avec M. Mazure des talents élevés qui l'illustrent et lui assurent le premier rang. | Seulement 1l déplore, dans ce conflit des doctrines, résultat naturel de l'émancipation des esprits, le.malen- tendu qui sépare les champions du réalisme des parti- sans de l’idéal. Sans imposer la ligne à ceux que le mouvement séduit, sans pousser à l'effet ceux qui se complaisent dans le calme et dans la chasteté du con- tour, il voudrait qu’un principe unique ‘présidât à cette diversité d’apuiude. Pourquoi l’âme et le corps, qui ne font qu’un dans la vie feraient-ils deux dans l’art, et pourquoi cette rivalité monstrueuse entre le maître et l'esclave, dont l’un doit pétrir l’autre el le mouler à son gré? Faut il que la question ne se laisse Jamais poser ainsi ? À la lueur du bon sens les systèmes s’élar- giraient, et le vœu de conciliation qu’émet l’auteur en terminant ne serait point une chimère. — 158 — Après le livre, la préface; c’est l’ordre vrai. Elle se clot par cet alinéa simple et bien senti, qui repose l’auditoire des fatigues de notre analyse : « Ceux qui aiment à prendre l’art à sa source, à le » ramener à sa hauteur, à l’agrandir par lidéal, ac- » cueilleront ce travail avec quelque curiosité; ils sau- » ront peut-être gré à l’auteur d’avoir parlé avec » amour des beautés pittoresques, telles qu’elles se » rencontrent dans l’art et dans la nature. Sans être » le principal soin de l’existence, ce genre de spécula- » tion ne laisse pas que d'apporter à un grand nombre » des douceurs inconnues; et souvent il arrive qu’a- » près avoir jeté ses rayons dorés sur une vie trou- » blée, l’art, aidé, cultivé, a bien encore en réserve » quelques reflets chauds et vifs qu’il aime à répandre » jusque sur le seuil de l’âge sombre qui s’avance. » Non, maître ! l’âge sombre n’a point de prise sur vous. Cette sève d'enthousiasme, qui a traversé votre été, survivra même à votre automne. L'âge sombre, il a sonné pour cette terre attristée où vous semez d’une main les souvenirs de jeunesse, de l’autre les idées : impérissables de l’art. Dénudé par le fer, torturé par le feu, le sol crie. Les détonations des fourneaux ne le cèdent qu’au bruit de la hache: « Vox audita est in ramis…. » Les forêts sont en friche, les étangs à sec, les collines humiliées rentrent dans le creux des val- ‘ Jons. Nivellement des choses auquel le nivellement des hommes sied si bien! Depuis que l’on a vu succéder aux fléaux dans l’aire cette machine béante qui broie tantôt la gerbe et tantôt le bras du moissonneur, il faut s'attendre à tout, jusqu’à voir tomber-la vendange sous ’ =— 139 — la lame d’un couperet, jusqu’à voir s’entr'ouvrir la - glébe, entre deux nuages de fumée, sous le soc d’un instrument sans bœufs, sans hommes et sans nom. Où cela va-t-il? À fausser les rapports établis par le Créateur entre les déux besoins les plus impérieux de notre être, besoin de vivre et besoin de contempler. Dieu, prenant en pitié les générations à venir, pourvoira quelque jour à la restauration d’un monde qui ne cor- respond plus qu’à la portion infime de l’homme. D'ici là, c’est à nous de le reconstituer en esprit, et de lui refaire un aspect à l’usage de la pensée. Bien venues soient les pages: qui nous en donnent le secret! k V. PAVIE. ! CHAPELLES DES COUVENTS. * & © CHAPELLE DU BON-PASTEUR D’ANGERS. En rendant compte récemment d’une visite à la nou- velle chapelle du Bon-Pasteur, M. Godard-Faultrier a écrit cette phrase : « C’est une grande science que celle » de savoir adapter à un édifice la forme qui est le plus » en rapport avec sa destination ; les couvents du mo- » yen âge ne l’ignoraient pas. » Au moment où nous voulons essayer à notre tour de faire connaître, sinon notre jugement, au moins notre impression en présence de cet édifice, que son ornemen- tation surtout place tout-à-fait à part des autres égli- ses ou chapelles de notre contrée, nous nous deman- dons si la pensée de M. Godard, ne peut être utilement développée ; si, après avoir souhaité l’harmonie entre la forme de l'édifice et l’usage auquel il est destiné, il ne faut pas, pour une bonne et juste appréciation, souhai- ter également quelque rapport entre l'édifice et la pen- sée de celui qui l’examine. C’est une vérité bien connue et d’une application quotidienne, que, pour bien saisir, bien pénétrer un , — AM — sujet, il faul à notre esprit une certaine préparauon et comme un acheminement à la perception sur laquelle on veui le fixer. Si l’on applique cette réflexion au dis- cours, on aura l’exorde, dans lequel l’orateur nous dis- pose, par le moyen de considérations ayant des rapports plus ou moins éloignés, plus ou moins nombreux avec la vérité qu’il veut démontrer, à l'adoption de celle-ci. Si nous interrogeons l’art musical, nous voyons les maîtres les plus célèbres faire en cela comme les orateurs, et n’arriver à l’exécution du thême sur lequel reposeront les broderies des variations ou les développements passion- nés de la mélodie, qu'après lavoir préparé à l’aide de phrases et d'accords amenant peu à peu l'oreille à son rhythme et à sa tonalité. Que dire donc, des personnes qui, voulant apprécier une œuvre aussi importante et aussi complexe que celle surslaquelle nous voulons un instant arrêter notre pensée, entrent dans le temple, la tête remplie de préoccupations d’affaires, ou interrom- pant à peine un entretien dont les vains bruits, souvent même les réflexions méchantes du monde, auront fait tous les frais? Leur regard verra sans doute; mais leur esprit, où sera-t-il? Ne comprend-t-0n pas qu’il ne pourra, en de telles circonstances, contrôler ni inter- roger avec fruit le rapport de leurs yeux ? Telles étaient nos réflexions pendant qu'aux pre- mières heures du jour et alors que le soleil levant fai- sait étinceler le côteau verdoyant des Fouassières, tandis qu’il laisse dans une ombre discrète le couvent si pit- toresque de la Baumetie et la blanche façade de Notre- Dame-des-Champs, nous nous acheminions vers la cha- ‘pelle dont la consécration est bien récente encore Le SOC. D’AC. 10 — 142 — récit de cette consécration, répandu par la presse suf- fit, me disais-je, pour fixer aux yeux de tous les carac- tères de l’œuvre nouvelle. | C’est la chapelle d’un couvent, d’un couvent de reli- gieuses, de religieuses cloîtrées.… Le premier de ces mots indique à lui seul la diffé- rence profonde qui peut, qui doit même exister entre une construction de ce genre et une église proprement dite. Léglise n’est pas seulement ouverte à tous: elle aime aussi à aider le zèle, à convier les prières de tous: au-dedans, la solennité des chants et la pompe des cérémonies; au dehors, la forme élancée de son architecture, les figures symboliques qui se dressent jusqu’au sommet de ses tours et qui, tantôt empruntent le geste bénissant des bienheureux pour attirer les fidèles à leur ombre, tant@ affectent les formes effrayan- tes de monstres s’élançant des hauts clochetons, pour faire comprendre ce que devient l’homme en s’éloi- gnant des murs sacrés; tout chez elle est fait pour attirer les fidèles et pour exercer, s’il le faut, une pieuse séduction sur leurs sens et sur leur pensée. Dans la chapelle d’un couvent, l'architecte n’a pas un pareil but à se proposer. Si l’une de ses portes s’ouvre du côté du monde, elle n’en est pas moins et avant tout l’oratoire, c’est-à-dire la partielaplus nécessaire etla plus fréquentée de la maison religieuse. Or, il faut bien se pénétrer dusens que présentent ces deux derniers mots, de l'impression qu’ils doivent réveiller dans notre âme. C’est au célèbre conférencier: de Notre-Dame, au P. de Ravignan, que nous pouvons emprunter ici l'expression de notre pen- sée. « Ce qui, écrivait-il, émeut dès l'entrée, c’est la« — 143 — » paix profonde qui règne dans la religieuse demeure. » L'aspect de ces murs silencieux, la démarche recueil- » lie de ceux qui l’habitent, le bruit des pas qui re- » tentissent comme au désert, l’ordre, la pauvreté » qu'on rencontre partout... je ne sais quel air suave » et pur que l'on respire, une présence de Dieu plus » intime, ce semble, et plus familière; tout, dans ce » séjour, quand pour la première fois on l’aborde, » étranger venant de loin et battu par les orages, tout » y fait ressentir une impression qu’on ne peut guère » définir, mais qu’il faut nommer l'impression de Dieu.» Toutefois, la maison dont parle ainsi M. de Ravignan était habitée par des hommes , dans les rangs desquels il venait, abandonnant une position enviée, changer sa vie et inscrire à jamais son nom. Ici, des religieuses doivent avoir donné à tous les objets consacrés au culte, un caractère plus délicat, une ornementation plus élégante. Si le pinceau a touché les murs que nous allons visiter , il a dù reproduire, non les scènes majestueuses ou sévères de la Bible, mais ses épisodes simples, remplis d’une sainte et douce émotion ; non le Sinaï ébranlé par la foudre, mais plutôt le Calvaire arrosé par les larmes. Tout, en effet, indique, fait ins- tinctivement comprendre qu’en tel lieu il s’agit moins de célébrer la puissance de Dieu que de louer sa bonté et d’implorer sa miséricorde. — L'édifice vers lequel je m'achemine, me disais-je enfin, appartient à des religieuses cloîtrées. Dans un ouvrage récent, Un Pèlerinage au pays du Cid, M. Oza- nam décrit le couvent royal de Santa-Maria de las Huel- gas, élevé à la fin du xue siècle près de Burgos et — 144 — habité, comme jadis notre maison de Fontevrault, par des religieuses toutes nobles ({odas hijas-d'algo). X dit ses regrets en présence de ces grilles fermées, que le roi ou la reine d'Espagne ont seuls le droit de fran- chir. Nous devons retrouver ici ce caractère mystérieux avec lequel l'intensité des jours et la teinte générale de l’édifice devront se mettre en harmonie... Nous allions insister sur cette dernière réflexion, quand la porte de la chapelle s’ouvrit devant nous. Laissant au digne appréciateur dont nous citions les paroles en commençant, le soin d'indiquer les prinei- paux détails qui assignent à la construction comme à l’ornementation de l’édifice et leur époque et leur style, nous nous bornerons à déclarer que l'effet produit sur nous à dépassé de beaucoup nos prévisions. Chacune des conditions que nous essayions de tracer tout à l'heure, rencontre là sa pleine et heureuse réalisation. Ainsi, tout d’abord, le style roman de la construction semble convenir mieux que le style ogival, mieux, sur- tout, que le style ogival trop orné du xve siècle, au caractère sérieux et réservé de ce lieu d’incessantes oraisons. Les peintures proprement dites, dues au talent bien connu de M. le comte de Galembert, de Tours, qui a de plus, assure-t-on, inspiré et dirigé l’ornementa- tion, offrent, près du Bon-Pasteur, de saint Paul et de saint Pierre, grandes figures dont les deux premières particulièrement sont d’un très bel effet, quatre sujets re- présentant l'Éducation de la Vierge et la Présentation au Temple, l’Apparition de Notre Seigneur à sainte Marie- Madeleine et sa rencontre avec la Samaritaine. Le fond et les côtés du chœur se trouvent ainsi remplis de LME nobles et brillantes images, qui parlent à la pensée , plus encore qu'aux yeux. Près d’elles et se reliant à elles de la manière la plus heureuse, l’ornementation vient vous faire admirer ses mille détails, nouveaux pour cette contrée. Qu’on imagine les couleurs les plus vives ou les plus délicates, le vert-clair, le rose-tendre, se mêlant, se coudoyant et couvrant les balustrades dans lesquelles s’agenouillent des statuettes de saints, les co- lonnes dont l’or vient orner les chapiteaux au feuillage capricieux. Comment se fait-il, on se le demande cent fois, que cet assemblage si périlleux pour le goût, con- serve un caractère élevé et religieux? Ce problème pour- tant a été résolu, et chacun attestera que l’ensemble de l’œuvre fait plier le genou aussi vite qu'il attire et fixe le regard. Le plafond même de la chapelle est peint et garde ainsi une nuance lempérée, avec laquelle le jour sobre des vitraux se met en parfaite concordance. Les yeux se fixent-ils au-delà de l'autel? C’est alors que le dernier des caractères sur lesquels nous arrê- tions à l'instant notre pensée, se présente avec tout son prestige. Des grilles s’élevant jusqu’à la voûte, forment dans toute sa largeur le fond de l’abside. Derrière leur épais treillis, des formes blanches apparaissent çà et , là, s'arrêtent et se courbent pieusement vers la terre. Tout à coup, à certaines heures, l’espace devient sonore et des centaines de voix se renvoient, de l’une à l’autre des vastes travées, les chants des vêpres ou des litanies. L’œil cherche en vain la source de ces accents mysté- rieux; il n’aperçoit que les arcades fuyantes des gale- ries et le profil des hauts cadres symétriquement pen- — 146 — chés, dont la longue file décroît et se perd dans l’ombre. C’est bien là, on le voit, la chapelle de couvent, com- plête et telle qu’on pourrait la rêver... L’honneur en revient, nous a-t-on dit, à M. Duvêtre pour la construc- tion, à M. Guyot pour la peinture des ornements, à M. Thierry pour les vérrières. Et maintenant, ne reste-t-il rien pour la critique? Certains esprits, on le sait, ne peuvent se décider à accepter l’éloge pur, et pour eux un mot de blâme est comme un assaisonnement nécessaire qui fait passer la louange. En cherchant bien et après avoir interrogé autrui, voici quelles remarques nous croyons pouvoir abandonner à ces juges sévères. Six colonnes, placées aux deux côtés de la chapelle, sont ornées d’une spirale à étoiles d’or, trop éclatante: d’une colonne à l’autre, on à peint sur la muraille une draperie d’un bon goût plus que contestable. Enfin, les deux bénitiers placés de chaque côté de l’entrée, offrent, dans leur partie supérieure surtout, des nuances un peu dures. Si, sur ces points d’une bien minime importance, comme on le voit, une retouche semble utile, dix coups de pin- ceau suffiront pour l’accomplir, et il ne restera, de la part même des aristarques les plus rigoureux, que des éloges pour une œuvreélevée dans son caractère, splen- dide dans ses moyens d’exécution et, avant tout, reli- gieuse dans son inspiration comme dans son résultat. E. LACHÈSE. LES ARTISTES DE L’ANJOU ET DU MAINE AU SALON DE 1859. —_—_——_—————_—— 9—————— Pour juger avec autorité les œuvres de l’art, il ne suffit pas, évidemment, d’avoir visité quelques musées, et contemplé d’un œil ému quelques toiles ou quelques groupes célèbres; de connaitre les lois générales de l'esthétique et de savoir que les artistes sont partagés en plusieurs écoles opposées, telles que celles des des- sinateurs et des coloristes, des classiques et des ro- mantiques, des réalistes et des poêtes. IL faut avoir beaucoup vu et beaucoup comparé; il faut avoir étu- dié non-seulement les chefs-d’œuvre de la sculpture et de la peinture, mais les aspects variés de la création et les rapports si complexes de la nature avec l’âme humaine ; il faut de plus être initié, dans une certaine mesure, aux procédés et aux idiomes d’atelier. La plupart des critiques modernes, il est vrai, ne se croient pas tenus de remplir ces conditions , et chaque — 148 — jour, dans les journaux ou dans les revues, les ques- tions relatives aux beaux-arts sont traitées par des écri- vains dont l’inexpérience en cette matière se révèle à chaque ligne. Ici, c’est un talent médiocre auquel on prodigue des louanges qui devraient être réservées au génie; là, c’est un artiste éminent qu’on maltraite, parce que ses compositions ne ressemblent pas aux ba- nalités qu’on admire. Mais toutes ces déviations présomptueuses ne chan- gent rien aux principes, et ne dispensent personne de suivre le précepte d'Horace : Sumite materiam vestris.. æquam Viribus. Aussi, est-ce três-timidement que nous nous aven- -turons aujourd’hui dans le domaine de l’art, et que nous venons exprimer une opinion sur quelques-unes des œuvres qui figurent cetle année au Palais des -Champs-Élysées. Notre excuse, c’est qu'il s’agit de con- citoyens et de voisins, que nos observations três-suc- cinctes ne sortiront pas d’un cercle très étroit, et qu’a- près tout, s’H nous échappe des appréciations erronées, nous ne mettrons aucune ténacité à les soutenir. L’Anjou et le Maine n’ont pas fourni moins de qua- rante-trois œuvres à l'Exposition, et cependant tous les artistes de ces deux provinces ne se sont pas présentés au concours. Nous n’avons, par exemple, rencontré au Salon, ni le conservateur de notre musée, M. Dauban, qui nous.a donné un spécimen si remarquable de son style dans la chapelle de l’hospice Sainte-Marie: ni M. Eugène Appert, qui a pris part récemment à la dé- » — 149 — coration de la Galerie d’Apollon, au Louvre, par deux portraits d’une exécution si vigoureuse et si magistrale; ni le peintre de l’Angelus, dont les calmes et majes- tueux paysages ont été si bien accueillis à l’exposition de 1857. Inutile de dire combien nous regrettons ces trois absences. Parmi les peintres qui appartiennent au Maine, l’un de ceux qui occupent le premier rang est un élève de Paul Delaroche, M. Charles Landelle, de Laval. C’est un artiste dont la réputation date déjà de loin, et qui, après avoir obtenu plusieurs médailles, est devenu membre de la Légion-d'Honneur. Son Pressentiment de la Vierge est une des compositions les plus pures que son pinceau ait réalisées. Saint Jean présente une petite croix de bois à l'Enfant Jésus, qui se penche en souriant et avec élan vers le mystérieux symbole, dont la vue alarme sa mère. Pour compléter la scène, deux anges, placés au bas du tableau, tiennent dans leurs mains vermeilles, l’un la couronne d’épines, l’autre le calice d’amertume. On ne peut se défendre, en regar- dant cette toile, d’une impression tout à la fois mélan- colique et religieuse. La Jeune fille aux oiseaux est un sujet d’un ordre moins élevé, mais traité avec une égale délicatesse. Couleur et dessin, tout est juste et vrai dans cette fraîche et gracieuse idylle. La nuance du ciel est en harmonie parfaite avec le vêtement, et même avec le sourire de la jeune paysanne ; les oiseaux vol- tigent si bien qu’on croirait entendre le bruit de leurs ailes, et ils cèdent à une si vive attraction qu’on tourne avec eux autour du morceau de pain qu’ils s’apprètent à becqueter. Les deux Sœurs, la Jeune fille de la cam- \ - — 150 — pagne de Rome, sont des œuvres conçues à peu près de la même manière. Des sentiments tendres et naïfs, une poésie douce et rêveuse, voilà ce que M. Landelle est habile à comprendre et à traduire. Il ne faut lui de- mander ni scènes émouvantes ni types dramatiques, sous peine d’égarer son inspiration et de mettre en péril son originalité. Aussi préférons-nous de beau- coup les toiles que nous venons de désigner au Génie funèbre. Cette tête, qui n’est pourtant pas dépourvue “d'expression, est d’un dessin trop vague et d’une cou- leuf trop morne pour exprimer fidélement ce que l’ar- tiste a voulu rendre. Un regard empreint de tristesse et une ombre flottante répandue sur un pâle visage ne sauraient caractériser les austères méditations du gé- nie. Dans le compte-rendu des œuvres exposées au Sa- lon de 1845, un critique instruit disait : « M. Landelle, » qui est jeune, deviendra sans doute un de nos bons » peintres, s’il n’écoute que sa propre inspiration et » s’il travaille sérieusement sans imiter personne. » Il est impossible de ne pas être frappé de la justesse de ce conseil, en regard du Génie funèbre. M. Coignard, de Mayenne, est encore un artiste ha- ‘ bitué au succès, et très digne des récompenses qui lui ont été décernées aux expositions de 1846 et de 1848. Il passe pour l'un de nos meilleurs paysagistes, et les trois tableaux qu’il a exposés cette année prou- vent que son talent ne s’est point affaibli. Sa Lutte de taureaux sur la lisière d’un bois, sa Mare aux vaches, et son Abreuvoir dans la vallée d’Auge sont les œuvres d’un maître qui connaît toutes les ressources de la couleur, et d’un poëte toujours tourné vers l'idéal. — 151 — Peut-être n’est-ce pas par les côtés les plus profonds et les plus mystérieux que la nature se manifeste à lui; mais il ne la regarde jamais sans émotion et elle lui décèle des beautés qui échappent aux esprits vulgaires. Il y a de l’espace dans les sites qu’il choisit; ses ciels sont lumineux et ses eaux transparentes; ses arbres tressaillent au contact de la brise, et ses animaux, cou- chés ou debout, respirent comme ceux de Troyon ou de Brascassat, quoiqu'ils soient moins vigoureusement conslitués. Le Maine a encore donné naissance à un autre paysa- giste, M. Verdier, de Parcé, qui a envoyé au salon une Vue prise sur le Beuvron, en Sologne et une Clairière dans la. forêt de Bussy, près de Blois. Si nous ne fai- sons pas confusion, cet artiste, élève de M. Auguste Bonheur, s’est déjà fait connaître par un Souvenir des environs du Hävre, exposé au salon de 1845. M. Ver- dier se sert d’un pinceau très intelligent et très délié; il sait bien grouper ses arbres et disposer ses plans; mais nous lui reprocherons de ne pas caractériser suf- fisamment les pays auxquels il emprunte les sujets de ses tableaux. M. Leprince-Ringuet, de Laval, M. Jules Leroy, du Mans, et Mme de Saint-Albin, de Mayenne, sont des peintres de fleurs et de fruits. Il faut leur rendre cette justice qu’ils ont, dans ce genre, peu de rivaux à re- douter. Leurs fruits ont une saveur que le goüt atteint par le regard ; leurs fleurs ont l'éclat et le parfum des fleurs de nos serres et de nos jardins. M. Latouche, de Mayenne, élève de Léon Cogniet, a exposé deux tableaux : Un Bivouac vendéen et La Croix — 159 — rénversée. Les compositions de cet artiste, qui a obtenu , Une médaille à la dernière exposition d'Angers, sont animées et bien conçues ; mais elles manquent de cou- leur, ou plutôt elles ont des reflets gris et ternes qui nuisent singulièrement à l'effet des scènes représen- tées. M. Latouche avait une palette mieux assortie lorsqu’il travaillait à son Paillasse, œuvre d'esprit et de sentiment qui a captivé tous les regards au Salon d'Angers. | Les peintres Angevins, dans le brillant concours ou- vert aux Champs-Elysées, ne soutiennent pas moins l’honneur de leur province natale que ceux de la Sarthe et de la Mayenne. Le principal tableau de M. Jules Lenepveu, repré- sente une scène de la Bible. On sait que Moïse, jeune. encore, ayant tué un Egyptien, fut obligé de s’enfuir en Arabie, pour échapper à la colère du Phâraon. Après une longue marche, il arriva au pays de Madian et se reposa près d’un puits : « Or, dit le livre saint, » le prêtre de Madian (Raguel ou Jéthro), avait sept » filles, qui étant venues là pour puiser de l’eau, et en » ayant rempli les canaux, voulaient faire boire le » troupeau de leur père. Mais les bergers les chas- » sérent. Alors Moïse se levant et prenant la défense » de ces filles, fit boire leurs brebis. » Peu de temps après, Moïse épousa Séphora, l’une des jeunes Madia- niles qu’il avait protégées. C’est cette lutte que M.'Le- nepveu a voulu faire passer du livre de l’Exode sur sa toile, et il l’a reproduite avec cette simplicité de moyens, cette sobriété de détails qui distinguent la plupart de ses œuvres, Moïse frappe les agresseurs ayec diet — 153 — ce saint emportement qu’inspire la vue d’un lâche abus de la force. Les bergers reculent comme s'ils cédaient à une puissance surnaturelle, et, bien que les regards des jeunes filles, groupées autour de la fontaine, ex- priment encore un reste d’effroi, on sent qu’elles ont une entière confiance dans le vengeur intrépide que Dieu vient de leur envoyer. Cette œuvre, sans doute, ne peut être mise en pa- rallèle avec les Martyrs aux Gatacombes, naïf et tou- chant tableau, qui, après avoir valu à l’auteur les suf- frages du jury, à l'Exposition universelle, forme au- jourd’hui, dans la Galerie du Luxembourg, comme le pendant du Saint François d'Assise de Bénouville. Mais on y retrouve la plupart des qualités auxquelles M. Le- nepveu doit sa réputation : dessin ferme et correct, coloris sage dans son éclat, et surtout intelligence ex- quise de toutes les beautés d’un ordre supérieur. Nous ne pouvons en dire autant de l’Amour blessé, quoiqu'il y ait dans ce tableau une grâce et une fi- nesse qui en font presque l’égal de celui que l’ode d’A- nacréon à inspiré aussi à M. Bouguereau. Les sujets mythologiques, et surtout les petits sujets ne convien- nent pas, croyons-nous, au crayon de M. Lenepveu. Son talènt se déploie plus librement et avec beaucoup plus de largeur dans les compositions religieuses, dans l'étude des grandes figures de la Bible, de l'Evangile et de l’histoire de l'Eglise. Pour justifier cette opinion, il nous suffirait de citer sa Bénédiction de la chapelle de Sainte-Marie, dont la partie supérieure peut être comparée aux plus beaux modèles de la peinture mu- rale dans -ces derniers temps. Mais nous avons une — 154 — œuvre plus récente et plus belle encore à invoquer : c’est celle que notre concitoyen vient d’achever dans l’église de Sainte-Clotilde, à Paris. L’Adoration des Mages, la Présentation au Temple, Jésus au milieu des docteurs, Sainte Anne et Marie, la Fuite en Égypte, le Mariage et la Mort de la Vierge sont des pages élo- quentes qui indiquent clairement à M. Lenepveu quelle est sa vole et à quelle source il doit aller puiser l’ins- piration. Nous souhaitons que les nouvelles fresques qu'il s’est chargé d'exécuter à Angers, soient d’un style aussi pur et aussi élevé que les peintures de subie Clotilde. Nul ne connaît mieux que M. de Pignerolle le pres- tige de la couleur, les jeux de l'ombre et de la lumière. Soit qu’il dispose ses personnages sur une barque, sous un bouquet d'arbres, dans une plaine ou sur le pen- chant d’une. colline ; soit qu’il les place autour d’un monument, ou dans un palais ou dans un atelier, il sait toujours les arranger de manière à produire les contrastes les plus séduisants ; el souvent il étale un lambeau, d’étoffe brillante, il drape un riche vête- ment de soie, de satin ou de velours, avec tout l’art d'un maître vénitien. Ce qu'il s’est montré en compo- sant la Promenade en gondole, que possède le musée d'Angers, et l’Inondation dans la campagne de Rome, qui a élé admise à l'Exposition universelle, M. de Pi- gnerolle l’est encore dans le Ghetto, dans le Printemps et dans le Raphaël faisant le portrait de la princesse d'Aragon. Si la pensée jouait un plus grand rôle dans ses œuvres ; s’il donnait à ses figures plus de vie, plus d'expression et de noblesse; s’il poétisait davantage ses — 155 — compositions ; si l’on sentait palpiter des cœurs sous les tuniques qu’il brode et qu’il plisse si savamment, il serait un peintre de premier ordre. Dans le Raphaël, par exemple, on regrette de ne voir aucun rayonne- ment émaner du visage de l’illustre peintre d'Urbino, et dans l'attitude de Jeanne d'Aragon, on ne retrouve ni cette suprême distinction, ni cette exquise élégance dont l’admirable toile du Louvre nous présente l’image. Il y a lieu à des réserves du même genre devant le portrait de Mme de Saint-G., où les accessoires, tels que les draperies et les ornements, sont traités avec une rare perfection, mais dans lequel l’étude de la tête est lâche et négligée. Dans le voisinage des toiles de M. de Pignerolle, on rencontre un petit tableau de M. de Saint-Genys, re- présentant la Saison des foins en Anjou. Est-ce aveu- glement produit par le charme d’un site connu et aimé ? Je ne sais; mais il me serait impossible de signaler un défaut dans ce paysage plein d’air et de soleil. Le ciel est bleu, l'horizon fuit, les bœufs traînent lentement leur fardeau d'herbe odorante, et l’on est tenté, pour suivre des yeux à l’aise le char des faneurs, de s’as- seoir sous ces arbres au feuillage léger, dont l’ombre s’allonge sur la prairie. Plus loin, un élève de Troyon, M. Louis de Kock, de Saumur, a exposé des Animaux dans un bac. Au fond de quelle région paisible et oubliée, dans quelle fortu- née solitude M. de Kock a-t-il retrouvé ce spectacle pri- milif, cette tradition perdue des beaux âges de la poésie ? Un bac? O rerum vices! Celui-là peut-être a disparu le lendemain. du jour où le peintre en a fixé l’image sur — 400 — sa toile! Quoi qu'il en soit, nous félicitons M. de Kock du choix de ce sujel et de l'intelligence avec laquelle . il l’a traité. Le feuillage de ses arbres est un peu dense, mais ses eaux coulent, sa barque flotte et ses animaux sont étudiés avec une science qui témoigne du mérite de la forte école à laquelle son talent s’est formé. Un peintre qui n’est pas de l’Anjou par sa naissance, mais qui s’y rattache par la famille à laquelle il est allié, et qui habite notre ville depuis plusieurs années, M. Juliard, a fourni au Salon deux portraïts très habi- lement peints. Celui de M. le colonel Moron, particu- lièrement, est d’une touche large. et ferme, qui lui donne rang parmi les meilleurs de l’exposition, où les portraits sont en nombre incalculable, mais où les bons sont rapidement comptés. ? Dans une des salles les mieux remplies et les plus attrayantes, on remarque un Héron mort, suspendu à un clou sur une boiserie. C’est une œuvre excellente de M. Camille Puisard, d'Angers, qui pourra, quand il le voudra, peindre des hérons vivants, un combat d’ai- gles ou un souper de vautours. M. Charles Suan, de Saumur, dont les pastels ont très bien réussi à Angers en 1858, n’a pas perdu à se trouver en contact, à Paris, avec les maîtres les plus habiles en ce genre de dessin. On peut lui reprocher, dans ses portraits, de viser trop à l’imitation des moin- dres détails.et: d’affaiblir finsi l’effet des traits carac- téristiques, mais il faudrait être malveillant pour trou- ver à blâmer dans ses Attributs de chasse. Il nous reste à mentionner les productions de nos sculpteurs. Nous n'avons plus aucun artiste de la taille — 157 — ni de la puissance de David; mais la statuaire a encore parmi nous des représentants qui manient savamment le ciseau. Au milieu du vert et humide jardin de l’Exposition, apparaît la Geneviève de Brabant de M. Maindron. Ce n’est pas une œuvre récemment composée; mais c’est la première fois qu’elle est produite en marbre. Gene- viève est debout et s’appuie sur sa biche. Elle tourne la tête d’un air inquiet, comme si elle entendait dans le lointain le bruit de la chasse qui va lui ramener son époux, le seigneur de Hohen-Simmeren, convaincu de son innocence. Rien de plus gracieux, de plus élégant, - de plus chaste même, dans sa nudité, que cette créa- tion de l’auteur de Velléda. De quelque côté qu’on se place, les contours sont souples et les lignes harmo- nieuses. Le corps de Geneviève et celui de la biche sont d’ailleurs modelés avec cette süreté de main qui manque à la plupart des sculpteurs de notre époque, et qu’il faut posséder cependant pour donner au mar- bre la vie et le mouvement. Il n’y a guère aujourd'hui en France que M. Maindron et M. Clesinger qui sachent ainsi animer leurs statues, sans exagérer les attitudes. La science du praticien, il est vrai, ne forme pas à elle seule un grand artiste ; mais la pensée n’est pas absente des œuvres de M. Maindron, et le sentiment le préoc- cupe A en même temps que la forme, sinon toujours au même degré. A l'exposition de 1857, M. Grabowski, d'Angers, avait attiré l'attention par une poétique allégorie intitulée : la Pensée et l'Instinct. La suavité, la délicatesse, sont les qualités auxquelles se reconnaissent habituellement | soc. D’AG. ; 41 — 158 — les œuvres de cet artiste, et la Sapho qu’il expose cette année est du même style que lajeune paysanne qui personnifiait la Pensée, dans le groupe de 1857. Mais ici la grâce était insuffisante, et, dans cette figure aux formes émaciées, assise sur un rocher comme un stylite sur le débris d’une colonne, il est difficile de voir l’amante ardente-et désolée du jeune Phaon. On ne sent pas gronder la passion dans cette poitrine étroite ; les traits de ce mince visage expriment plutôt la mélancolie ou une vague tristesse qu’un désespoir brûlant et concentré, et rien, dans la pose de la célè- bre Lesbienne, ne révèle les orages de son cœur ou les inspirations de son génie. M. Grabowski, qui n’a pas su joindre encore à la souplesse: et à l’élégance-des con- tours l’expression des sentiments énergiques, aurait dû redouter, en choisissant un tel sujet, le rapproche- ment qu’on fait involontairement entre sa statue et la Sapho de Pradier, l’une des belles œuvres du salon de 1852. La Sapho de Clesinger, qui touche presque à celle de M. Grabowski, nuit d’ailleurs singulièrement à celle du statuaire angevin. Quelque disposé que nous soyons à louer les œuvres de nos artistes, nous ne saurions donner aucun éloge à la Marchande d'amours de M. Denécheau. Ce groupe pyramidal n’offre d'intérêt ni par l’idée, ni par le choix des lignes, ni par le mouvement des figures. . Le buste en plâtre de M. le docteur Belouino, par M. Taluet, est bien étudié et d’une exécution très ferme. M. Garnier, Le la Suze, élève de Duret, est l'auteur d’un Jeune pêcheur endormi, traité avec beaucoup de — 159 — ” hardiesse. L'expression du visage est un peu vulgaire, mais il y a beaucoup de naturel dans la pose ; le corps est bien modelé, quoiqu'il présente quelques lignes un peu dures; et les membres sont bien dans l’état d’aban- don et de délassement où les laisse le,sommeil. Quant à M. Arnaud, qui a su se concilier à Paris les sympathies d’une presse souvent très dure aux meilleurs artistes, et auquel le gouvernement a confié l'exécution de deux statues destinées au pont de l’Alma, il figure au livret pour une Vénus aux cheveux d’or, et un buste de femme, en marbre. Mais ces deux ouvrages n’étaient pas encore placés, lorsque nous avons visité le Salon, -et nous n'avons pas osé prier le statuaire de nous ou- vrir, par privilége, la porte de son atelier, pour nous montrer avant l’heure les nouvelles productions de son habile ciseau. Nous venons de faire connaître bien rapidement et bien superficiellement les œuvres envoyées au Salon par les artistes de Maine-et-Loire, de la Sarthe et de la Mayenne. C’est trop peu, sans doute, d’un pareil exposé pour des travaux qui ont coûté de longues veilles, et dont plusieurs, nous l’espérons, braveront l’oubli des ans. Mais c’est assez peut-être pour prou- ver que l’Anjou et le Maine s'associent aussi activement au mouvement des arts qu’à celui des lettres, ét c’est là le seul but que nous nous sommes proposé. ALBERT LEMARCHAND. L’impression de cet article a été votée dans la sé- — 160 — ‘ance du 20 juillet 1859, sur les conclusions du rap- port suivant de M. Victor Pavie : Messieurs , Paris, qui est le théâtre et le champ de bataille des artistes, n’a été le berceau que de la minorité d’entre \ eux; minorité frappante, et qui va se prononçant au fur et à mesure de l'émancipation de la province. Création des musées, fondation des écoles, suppression des distances, initiation par la presse au langage, aux | préceptes et jusqu'aux exemples de l’art, autant d’é-- veils donnés, autant de portes ouvertes à des vocations d'artistes dont jadis les privilégiés eux-mêmes —"et c’est en pareil cas la plus consolante hypothèse — n’avaient pas toujours le secret. Nous supprimôns ici les ré- flexions inséparables d’une pareille facilité à se mé- prendre comme à se reconnaître. Inutile d’insister et sur les mécomptes amers d’une exaltation chimérique, et sur les déconvenues autrement regrettables d’un génie refoulé dans l'idéal de ses tendances par le mercantilisme de nos temps. Ce que ce’ préambule a pour but d'établir, c’est qu’à l’heure présente, pour être il suffit de vouloir, c'est qu’à l’aide des bras tendus de toutes parts sur la route, il n’est pas désormais de fondrières de Sologne, de steppes de Gascogne, de rochers de Bretagne, de falaises de Normandie d’où ne s’élance Phidias, Apelle ou Ictinus. Parcourez le livret de 1859. Que de célébrités r'e- vendiquées par da province ! Ingres est de Montauban; — 161 — Flandrin, de Lyon; Hébert, de Grenoble; Gérôme, de Vesoul; Diaz, de Bordeaux; Hamon, de Carhaix; Fro- mentin, de La Rochelle; Clésinger, de Besançon; Cur- zon, de Poitiers... J'avoue que Delacroix est de Cha- renton-sur-Seine; mais cette impertinence du sort, si favorable à ceux qui lui imputent à démence les poé- tiques évocations de son pinceau, ne saurait empê- cher le sang massilien de couler à pleins bords dans * ses veines. Une remarque incidente et qu’on ne peut s'empêcher de noter, c’est qu’à très peu d’exceptions près, nos meilleurs paysagistes, Corot,- Cabat, Troyon, Daubigny, Flers, Rousseau, Paul Huet sont des enfants °de Paris, comme si la rareté de la nature leur en avait révélé le charme ; comme si, nés loin d’elle, et en de- hors des applications pratiques qui la vulgarisent à nos yeux, ils ne l’avaient perçue, dans le loisir de leurs rêveries, qu'à travers le prestige de la poésie et de l'idéal. Quant aux premiers, à cette majorité des artistes que la province vit éclore et que la métropole voit fleurir, les soucis généreux dont ils sont travaillés ne ferment point leur cœur à l’écho des sympathies natales. -Les plus acclimatés, les plus conquis en apparence au bruit et au mouvement de la grande cité, ont quelque part en eux un recoin profond et solitaire où résonne tout bas la corde vive du pays. Qui ne se rappelle David, au plus haut de sa renommée, altéré du suffrage de ses concitoyens, faisant de leur sanction la couronne de son génie, et s'adressant parfois cette interrogation touchante : « Ai-je bien mérité d’eux? sont-ils con- tents? ai-je réussi? » — La gloire c’est la mer, su- ' € — 162 — blime et stérile comme elle. La patrie, c’est la source, rêve, désir, obsession chère du navigateur sur les flots. Dans des conditions autres, el à la respectueuse dis- tance qui sépare le talent du génie, nos artistes éprou- vent. le besoin d’une plume amie qui répare les oublis, adoucisse les rigueurs ou développe les indications de la critique parisienne. L'écrivain de la grande presse, chargé de résumer la pensée sur les quatre mille ar- ticles d’un livret, ne saurait s'acquitter que dans la mesure humaine de cette rude et délicate mission. Au point de vue général auquel il est placé, pressé de voir, de juger et surtout de conclure, n’attendez de lui ni les paternelles avances qui mettent en lumière un dé- but, ni les auxiliaires d’un jugement préparé par des initiations antérieures, moins encore ces involontaires, mais réelles sympathies qui se rattachent à la commu- nauté du berceau. — On ne peut nier ce qu'il y a de libre, de haut et de hardi dans l'attitude d’un critique appréciant les œuvres par elles, et dont nulle impres- sion, nuile considération personnelle ne vient traverser les arrêts. Mais ce critique est rare. Si tant est qu’il : existe, il n’échappera guëre à ces sortes de fragilités que pour mieux succomber à d’autres. L’on est homme, après tout, et l’humanité se trahit par des préventions d'école et de système qui suppléent largement aux il- lusions du patronage ou au pri$me de l’amitié ; avouons que le plus souvent, grâce aux sollicitations qui Pob- sèdent, aux salons qu’il fréquente, aux représailles qu'il exerce, aux engagements qu’il a souscrits, ses omissions comme ses préférences s'expliquent par des causes inférieures à celles que nous venons de signaler. » — 163 — Il est telle assertion plus ou moins surprenante dont l’auteur est le premier à sourire, car elles n’ont leur mobile ni dans des solidarités de principes ni dans les entraînements du cœur. Trève de puritanisme ; au lieu de condamner la critique aux chimères de l'absolu, prenons-la telle qu’elle est, laissons-la vivre et respi- rer, acceptons ses penchants pour ne répudier que ses faiblesses. Voilà pourquoi, dans l'intérêt des artistes dont l’a- venir importe à la gloire du pays, la presse locale a un rôle nécessaire. Le titre auquel elle intervient dans l'examen des œuvres du Salon, en limitant son cercle, en déterminant son programme, exclut toute idée de prétention de sa part, et la met à l’abri de toute re- dite. Soit qu’elle s’attache à des compositions dédai- gnées, où que l'attention publique se soit déjà exercée sur les objets de son examen, le champ de l’apprécia- tion se renouvelle sous sa plume à raison des révéla- tions qu’elle possède sur les débuts, les études pre- mières, le point de départ, les aptitudes, les tendances des exposants. ‘ Dans cette situation, complétement inverse de celle que nous établissions plus haut — car il s’agit ici d’é- loigner de ses yeux le foyer de perspective trop éloigné de l’œil des autres — trois écueils sont à craindre : une bienveillance voisine de la débonnaireté, et qui dégéné- rerait en optimisme de famille; les intentions de l’ar- tiste ou ses explications verbales trop gratuitement substituées à la statue ou au tableau ; trop d’impor- tance donnée à des œuvres que lon observe à la fois de trop près et trop isolément. C’est par l’observation ME — de ces trois considérations relatives au point de vue, à l'échelle et au diapason de la critique que le travail de M. Lemarchand a conquis l’unanimité de vos suffrages. Du milieu des richesses qu’étalait à ses regards le pa- lais des Champs-Élysées , il a extrait pour nous avec une sollicitude qui l’honore, un petit musée formé des productions de notre sol. Tout en y disposant nos sta- tues et nos toiles, il n’a pu oublier qu’à un titre meil- leur encore que celui de rédacteur de la Revue de l’An- jou et du Maine, 11 était citoyen du Maine et de l’An- _ jou. Vous ne répudierez pas, Messieurs, cette association de voisinage à laquelle trois années de collaboration littéraire ont initié les deux provinces. Puisque, il y a un an, vingt départements convoqués au palais du Champ-de-Mars unissaient leurs produits aux nôtres, c’est bien le moins que le souvenir de cette vaste confé- dération se perpétue dans la fraternité des deux patries de David et de Germain Pilon. Vicror PAVIE. : PROCÉS-VERBAUX DES SÉANCES (Suite). SÉANCE DU 23 MARS 1859. La séance s'ouvre à sept heures du soir, sous la présidence de M. Sorin. M. le secrétaire-général trouve au dossier de la cor- respondance : 40 Une lettre de M. du Haut, membre du Comice agricole de Provins, qui prie la Société de formuler un avis sur le libre échange, en ce qui concerne le commerce des céréales, et de transmettre cet avis, dans le plus bref délai, au Conseil d'Etat, devant lequel la question est actuellement pendante. —Une commission, composée de MM. l’abbé de Beaumont, Coutret, Bazin, Joseph de Mieulle et Tavernier, est chargée de présen- ter, dans le courant de la semaine prochaine, un rap- port sur ce grave sujet. 20 Une lettre de M. le capitaine Masquelez, membre correspondant, qui se plaint de n’avoir pas reçu son diplôme, et annonce à la Société. qu'il vient d’être nommé bibliothécaire de l’école de Saint-Cyr ; — 166 — 30 Une lettre de M. Gaspard Bellin, qui adresse à M. le président une Notice sur la Société littéraire de Lyon. M. Lemarchand est prié de rendre compte de cet opuscule à une prochaine réunion. MM. Coutret, Crépon et Lemarchand prient la- nn de recevoir au nombre de ses membres titulaires; M. ‘l'abbé Crépon, aumônier de l’Institution Saint-Julien. Cette demande est renvoyée à une commission compo- . sée de MM. l’abbé de Beaumont, Béclard et Victor Pavie. É M. Barbier de Montault donne une description très savante d’un: Psautier du xve siècle, appartenant à M. l'abbé Benoît, aumônier du Bon-Pasteur. C’est le , complément d’une étude communiquée, il y a quelques mois, à la Société. M. Barbier cite plusieurs hymnes d’une suave composition , analyse diverses miniatures, et si quelquefois, dans la ferveur d’un zèle archéologi- que, fort louable du reste, il se montre dans ses recher- ches attentif jusqu’au scrupule, le plus souvent il si- gnale, avec une rare sagacité, des détails aussi impor- tants au point de vue de l’iconographie, qu’utiles pour la connaissance des règles liturgiques. Le travail de M. Barbier de Montault est remis à MM. Godard, Bé- clard et Pavie, qui examineront s’il convient de l’im- primer, en tout ou en partie, dans les Mémoires dé la Société. Ù M. Pavie lit une étude sur un livre de M. Adolphe Mazure, intitulé Paysage. L donne d’abord quelques renseignements sur la famille de l’auteur, et sur l’au- teur lui-même, qui a été pendant plusieurs années professeur au collége d'Angers. Il expose ensuite le L — 167 — plan de l'ouvrage, conçu avec un sentiment très Juste el très élevé de la mission de l’art; et, tout en analy- sant les idées de M. Mazure, il exprime, dans un style riche d'images ingénieuses, ses propres opinions sur la manière d'interpréter la nature. M. Pavie n’aime pas qu’on procède par choix et par exclusion. Il repousse, d’ailleurs, limitation servile. Ce qu’il demande à l’ar- tiste, c’est de saisir la beauté qui rayonne dans tous les objets créés, c’e$t de manifester l’idéal caché dans tou- tes les œuvres de Dieu, dans le brin d'herbe comme dans le chêne majestueux, dans une étroite flaque d’eau comme. dans le fleuve au large lit. MM. Cosnier, Mail- lard et Belleuvre sont chargés de faire un rapport sur le travail de M. Victor Pavie. M: Sorin communique un fragment d’une notice qu’il vient d'écrire pour la Revue de l'Anjou et du Maine, sur les poésies de M. Julien Daillière. Il s’occupe, dans ce fragment, du drame intitulé André Chénier, et en . étudie successivement le plan, la forme et les carac- lères. Toutes les observations de M. Sorin révèlent un goût éclairé, un jugement sûr, et une connaissance approfondie des règles littéraires. Il critique avec auto- rité, H n’admire jamais au hasard, et ses citations jus- tifient complétement ses’éloges. M. Crépon, reprenant la lecture de son Mémoire sur la Noblesse avant 1789, montre ce que devint cette ins- titution pendant le dix-huitième siècle. La corruption des mœurs et les débauches de la philosophie hâtè- rent, dit-il, sa décadence, et la haine des priviléges, déjà si forte dans les siècles précédents, s’accrut encore du mépris des personnes. Après avoir rappelé quel- — 168 — ques-uns des. derniers édits d’anoblissement rendus par la royauté, notre collègue s’occupe de la vente des offices et signale les abus désastreux auxquels elle donna lieu, particulièrement sous l'administration de M. de Pontchartrain. La Société prête une attention soutenue à la lecture du travail de M. Crépon, qui se distingue autant par l’érudition que par la clarté des aperçus et la virilité des pensées. La séance est levée à neuf heures. A. LEMARCHAND. SÉANCE DU 4er AVRIL 1859. La séance s'ouvre à sept heures du soir, sous la présidence de M. Courtiller. L'ordre du jour appelle la lecture du rapport de la Commission nommée dans la séance du 23 mars, pour étudier la question du libre-échange, considérée au point de vue du commerce des céréales. M. Coutret, rapporteur de cette Commission, com- mence par rappeler, dans un rapide mais savant exposé, les diverses lois et ordonnances qui ont régi le com- merce des grains en France, depuis le xvire siècle jus- qu’à nos Jours. Il explique ensuite avec beaucoup de précision et de lucidité le système de l'échelle mobile, tel qu’il a été adopté dans la loi du 15 avril 1832. Ce système répond-il tout à la fois aux intérêts des pro- ducteurs et à ceux des consommateurs ? Tel est le pro- ru L . — 169 — blème important et difficile sur lequel la Commission . était appelée à donner son avis. Elle s’est prononcée pour l’affirmative, en signalant les périls auxquels le ‘libre-échange exposerait l’agriculture ; mais elle croit qu’il ya des modifications à introduire, soit dans la composition des tarifs, soit dans le mode de publication des mercuriales. En résumé, la Commission propose unanimement à la Société d'adopter les résolutions suivantes : à « Considérant que le système du droit de balance ou de l'échelle mobile, pratiqué en France depuis 1814, concilie les intérêts de l’agriculture et ceux de la con- sommation ; » Que, mieux que tout autre, il ténd à maintenir, autant que possible, l'équilibre entre l’insuffisance et l'excès de la production, et à ramener le prix des céré- ales à un taux modéré, en favorisant soit l’importation, soit l'exportation, au moyen de droits sagement gra- dués suivant les prix constatés par les mercuriales ; » Considérant, d’ailleurs, que ce système est suscep- tible d'améliorations, soit quant à l’exactitude des mer- curiales , soit quant au nombre et à la formation ou composition des classes, soit enfin quant aux tarifs fixés ; » Qu’ainsi le relevé et la publication mensuels des mercuriales pourraient sans inconvénient être remplacés par un relevé publié tous les quatre mois, afin de don- ner moins d'incertitude au commerce, dont l’action sera d'autant plus salutaire que la situation à lui faite -sera plus nette et moins précaire;. » Que la facilité de plus en plus grande des commu- — 170 — nications tendant à niveler les prix, il semblerait pos- sible de ne faire que deux classes au lieu de quatre; » La Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers émet le vœu : dr | 1 » 1° que le principe de l’échelle mobile soit main- tenu et définitivement réglementé par une loi qui, en conservant lalibre concurrence à l’intérieur, établisse des droits nettement déterminés, suffisamment protec- teurs contre l'importation et l'exportation, et variables suivant le prix des céréales; » 20 que le relevé de ces prix, contenant seulement deux classifications, soit fait et publié tous les quatre mois. » M: le docteur Farge combat les conclusions du rap- port de la Commission, et s’efforce de démontrer que rien ne justifie les défiances dont le libre-échange est l’objet parmi les agriculteurs. On ne voit dans ce sys- tème, dit-il, qu’incertitude et confusion. Cependant la Belgique et le Piémont, qui l’ont adopté, n’ont pas à s’en plaindre, et jamais encore, dans ces deux pays, le prix du blé n’a subi les variations qu’il a éprouvées en France sous le régime du droit de balance. Nous ne parlons pas de l’Angleterre, parce qu’on nous répon- drait qu’elle est dans une situation exceptionnelle. On s’effraie aussi beaucoup de la concurrence que feraient à nos blés ceux de la Russie, lesquels, suivant les calculs de M. Thiers, peuvent être mis en vente, dans le port de Marseille, à un prix inférieur de 4 à 5 fr. par hec- tolitre au prix rémunérateur de l’agriculture française. C’est encore là une terreur chimérique, parce que la - production d’Odessa représente à peine le seizième de — 171 — la nôtre. Dira-t-on que cette proportion peut chan- ger? Il faut pour cela que le servage soit aboli en Russie, car avec le servage on ne peut faire que de la culture extensive. Or, si cette réforme s’opère, la main- d'œuvre croîtra nécessairement, et par suite la diffé- rence entre les prix rémunérateurs des deux pays dimi- nuera. La concurrence des blés algériens devrait cau- ser beaucoup plus de souci aux adversaires du libre échange que celle des blés de Russie. M. Farge croit d’ailleurs qu’on n’établit pas avec exactitude le prix de rémunération, qui doit être non un chiffre absolu, mais une moyenne calculée sur la production d’urassez grand nombre d'années. Le système de l'échelle mo- bile, avec la variété de tarifs, a le grave inconvénient d'encourager les jeux de bourse et les spéculations hasardeuses. Le libre échange serait favorable au dé- veloppement de l’industrie et ne présenterait pas le même péril. Que l’agriculture ait encore besoin pen- dant quelque temps du système protecteur, M. Farge ne le nie pas, mais il voudrait que dès aujourd’hui le principe de la liberté fût proclamé par les économistes, et qu'on s'’acheminât progressivement vers un régine exempt de toute contrainte comme de tout privilége. M. Allain-Targé, père, cherche à concilier l'opinion de la Commission avec celle de M. le docteur Farge, et se livre à des considérations qui ont pour objet de donner une juste idée de l’état actuel de l’agriculture en France. Il pense. qu’il faut revenir au système de l’échelle mobile, dont la suspension a été incontesta- blement préjudiciable aux intérêts des producteurs, mais il ne s’oppose pas à ce que l’on marche lentement — 172 — et prudemment vérs le régime préconisé par M. Farge. Ïl fait remarquer aussi que le libre échange ne saurait être adopté dans le commerce des céréales, que le jour où les matières qui servent aux travaux de l’agricul- ture, telles que le fer ou les engrais, Seront affranchies de tous les droits qui pèsent en ce moment sur elles. M. Joseph de Mieulle présente des observations rela- tives à l'établissement du prix rémunérateur. Cest à tort, selon lui, que M. Farge attaque la méthode em- ployée par les agriculteurs pour calculer ce prix. Le chiffre qu’ils produisent est bien une moyenne, et ils ont $in de tenir compte de la variation des récoltes. M. de Mieulle ajoute qu’il est ennemi déclaré du libre échange, mais que l'adoption de ce système lui sem- blerait encoïfe préférable à l’état d'incertitude dans le- quel se trouve aujourd’hui l’agriculture. Ce qu'il faut surtout au producteur, dit-il, c’est la sécurité; c’est une loi qui le mette à l’abri de toute surprise. M. Tavernier reproche aux partisans du libre échan- ge d’assimiler d’une manière trop absolue les progrès de l’industrie à ceux de l’agriculture. Dans l’industrie, dit-il, les perfectionnements ne dépendent que de l’in- telligence et de la volonté humaines. I] n’en est pas de même dans l’agriculture. Là aussi, sans doute, les améliorations sont possibles, mais les récoltes sont dans la main de Dieu, et il faut savoir obéir aux décrets mystérieux de la Providence. Quand le grain manque, il est nécessaire d'encourager l'importation; quand il abonde, on peut sans danger favoriser l’exportation. Si Von pouvait reporter l’excès des années riches sur les an- nées de disette, tout se régulariserait, et le libre échange — 1783 — inspirerait moins de craintes. Mais on sait que le blé est une matière qui ne se conserve pas. Le système de échelle mobile est donc le plus sage, puisqu'il se prête le mieux aux mesures de prévoyance que tout gouver- nement a le devoir de prendre, dans les opérations commerciales qui se rattachent à la grande question de l'alimentation publique. M. Allain-Targé, fils, qui paraît incliner pour le libre échange, croit, malgré l’assertion de M. Tavernier, qu’il n’est pas impossible qu’on arrive à conserver le blé. Il rappelle, à cette occasion, les célèbres greniers de Joseph, et souhaiterait que le gouvernement fit construire des magasins du même genre, destinés à approvisionner le commerce aux jours de disette. M. Coutret combat quelques-uns des arguments à l’aide desquels M. le docteur Farge a essayé de soutenir la doctrine du libre échange; mais il s’attache parti- culièrement à démontrer que la société n’est pas appe- lée à émettre un vœu de tendance. Nous n'avons pas ici, dit-il, de théorie à formuler, de plan à tracer pour un avenir plus ou moins éloigné. Il s’agit uniquement de savoir s’il est utile ou non, dans l’état actuel de l’agriculture en France, de maintenir le régime pro- tecteur. Répondons à cette question, puisque l’avis des Sociétés agricoles peut exercer une certaine influence sur les délibérations du conseil d'Etat, et laissons à nos successeurs le soin d'indiquer les mesures qu’il faudra prendre dans une autre situation. M. Farge persiste dans son opinion; mais afin de rétrécir autant que possible l’espace qui le sépare des partisans de l’échelle mobile, il se borne à demander SOC. D’AG. 12 — 174 — l'addition des lignes suivantes aux conclusions du rap- port de M. Coutret: « En constatant la nécessité ac- » tuelle d’une loi de protection, la Société espère que » les progrès de l’agriculture permettront de diminuer » progressivement les tarifs protecteurs. Elle pense, » d’ailleurs, qu’un abaissement des droits sur les fers » et sur les engrais hâterait les progrès agricoles. » La proposition de M. Farge n’est pas appuyée. Les uns la regardent comme dangereuse, tout au moins comme inopportune; les autres, partisans du libre échange, la trouvent trop vague et trop timide. Après cette discussion , les conclusions de la Com- mission sont mises aux voix et adoptées par treize membres contre trois. M. le secrétaire est chargé de faire imprimer immédiatement le rapport de M. Cou- tret et d’en adresser un exemplaire à M. le Président du Conseil d'Etat. La séance ést levée à dix heures. A. LEMARCHAND. SÉANCE DU 18 MAI 1859. La séance s’ouvre à sept heures du soir sous la pré- sidence de M. Courtiller. M. Moricet communique des observations fort judi- cieuses relatives à la culture du colza, à l’occasion d’un travail qui a été adressé récemment par M. Aroux, sur celte question, à M. le préfet de Maine-et-Loire. Il indique comment on doit préparer le sol pour obtenir des récoltes abondantes, quels sont les terrains — 475 — « les plus favorables à la production du colza, et insiste particulièrement sur l'influence de l’argile. Il est décidé que les observations de M. Moricet seront analysées dans les Mémoires de la Société. M. le docteur Farge et M. Théophile Crépon, dési- reraient que la Société, pour donner une impulsion nouvelle aux études qu'embrasse son règlement, ouvrit de temps en temps des discussions, dans les séances ordinaires, soit sur des matières agricoles ou indus- trielles, soit sur des sujets historiques , littéraires ou artistiques. Cette proposition est vivement appuyée par plusieurs membres, et pour entrer immédiatement dans la voie marquée par MM. Farge et Crépon, la Société prend la résolution de mettre à l’étude la question suivante, $ou- levée par le travail même de M. Moricet : De l'utilité et de l'importance de la culture du colza dans le département de Maine et Loire ? Une commission composée de MM. Allain-Targé, père, Coutret, Farge, Joseph de Mieulle et Moricet, est chargée de recueillir tous les renseignements propres à éclairer la discussion. . M. l'abbé Crépon, présenté à la dernière réunion, est reçu à l'unanimité membre titulaire, sur le rapport de M. le docteur Farge. M. Lemarchand lit une étude sur les artistes de l’Anjou et du Maine qui ont envoyé des œuvres à l’Ex- position actuellement ouverte à Paris. Il signale tou- tes les compositions admises, tableaux ou statues; mais il s'arrête particulièrement à celles de MM. Lan- delle, Coignard, Jules Lenepveu, de Pignerolle, Louis » — 176 — de Kock, de Saint-Genys, Grabowski et Maindron. « Nous n’avons pas la vanité de penser, dit-il, que les » œuvres de ces artistes occupent le premier rang au » salon des Champs-Elysées, mais elles y figurent du » moins avec honneur , et prouvent que l’Anjou et le » Maine s'associent aussi activement au mouvement » des arts qu’à celui des lettres. » Le compte-rendu de M. Lemarchand est renvoyé devant une commission composée de MM. Cosnier, Farge et Pavie, qui exami- neront si ce travail doit être inséré dans les Mémoires de la Société. L'ordre du jour appelle une pièce de vers de M. Adrien Maillard, intitulée: Voyageurs. C’est le touchant tableau de toutes les ruines que le temps accumule, de toutes les transformations qu’il opère dans les monu- ments et dans les mœurs, de toutes les impressions mélancoliques ou douloureuses réservées à ceux qui reviennent au pays natal, après de longnes années de désertion ou d’exil. M. Maillard a le culte du passé, si rare de nos jours ; il en comprend toute l’austère poé- sie, et quand une brise de printemps réveille en lui quelque souvenir de son enthousiaste jeunesse, il s’ar- rache involontairement aux labeurs de sa maturité pour ressaisir sa lyre, en s’écriant comme le chantre de Tibur : BOT O laborum Dulce lenimen, mihi cunque salve Rite vocanti ! Il évoque tous les blonds fantômes qui entourent le seuil de la vie, toutes les suaves figures qui charment l'adolescence ; il arrête devant les derniers vestiges de _— 177 — nos cloîtres, de nos tourelles , de nos vieux donjons, et sa muse gémit à la vue des ravages qu’une généra- tion ennemie de l'idéal exerce dans nos cités et jusqu’en nos forêts. Il souffre surtout des blessures faites à Anjou, et regrette les murs crénelés, les pignons ai- gus et sculptés, à l’ombre desquels son enfance a grandi. Que nos pères, dit-il, ne sortent point de leur tombe : : Car ils verraient trop bien qu’en leur siècle effacé Ils ont même péri plus qu’ils n’avaient pensé. La giroflée aux murs ne tendrait plus ses baumes ; Vers nos blanches maisons, rôdant, pâles fantômes, En vain ils chercheraient, pour s’en faire accueillir , Ruelles et pignons qui les ont vus vieillir. Saint-Maurice, il est vrai, pour voiler tant de brèches, Dans la cité, de loin, montre encor ses deux flèches Au marcheur des sentiers, dont leur vue est l'espoir, Au faucheur, sur ses foins, couché pensif le soir. Et la tour Saint-Aubin, près de ses sœurs jumelles, Dans le même horizon se découpe avec elles. L’Angelus, à Saint-Serge, appelle le passant, Quand la nuit qui survient grandit, l’assombrissant, Ce chœur mystérieux dont la svelte colonne Porte au ciel sans effort l’arceau qui la couronne. Mais qui nous les rendra ces gothiques remparts , Pressant leur masse noire où sont nos boulevards ? Bastions ébréchés sous l'engin de la guerre, Que Shakspeare a dépeints bloqués par Jean-Sans-Terre ; Faisceau d’où s’élançaient, sonnaient à tous les vents, Cent pointes de clochers , cent cloches de couvents. Ces regrets sont éloquemment exprimés, mais l’ins- — 178 — piration du poête est bien plus haute encore, sa voix est bien plus harmonieuse, lorsqu'il décrit les poignan- tes émotions de l’émigré retrouvant silencieux et dé- vasté le domaine de ses ancêtres : Sur le perron de marbre, à l’ombre, il s’est assis; Au-dessus de l’étang où volent les sarcelles, Par delà joncs, roseaux, dont jadis les nacelles Courbaïent la pointe émue , il quête à l'horizon, Un site, un arbre, un toit de sa jeune saison. Plus de bassins semés du blanc flocon des cygnes , D’espaliers mürissant les grappes d'or des vignes; Plus même dans les ifs et dans les châtaigniers, De gosiers de fauvettes et d'amours de ramiers. Il monte au potager, aux ruches, au quinconce.…. Mais à ce qu’il demande il n’a point de réponse. Fleurs et fruits ont séché qu'avait greffés sa main; L’allée aux grands buis verts n’est qu’un rude chemin Envahi par la ronce et mordu par l’ortie. Il pousse avec effort la porte appesantie Du seuil où le bonheur pour lui sourit longtemps, Où sa mère mourut, où sont nés ses enfants. Tout a fui, tout se tait dans la noble demeure, C’est une sépulture et chaque pierre y pleure. L’araignée est le seul hôte, le seul témoin Des beaux jours envolés dont l’aurore est si loin. Tout à coup il s’élance, entr’ouvre la fenêtre, Détache son vieux cor qu’il vient de reconnaître; Et, comme quand hurlait la meute à ses accents, Il jette une fanfare aux bois retentissants. Ce chœur de saint Hubert, qu’à pleins poumons il sonne Et qui trouble la paix de son parc monotone, Au fond des noirs taillis, du donjon crevassé , Reste la seule voix qui parle du passé. — 179 — Après la lecture de ces beaux vers, que la Société a vivement applaudis, M. Crépon, poursuivant le cours de ses savantes et utiles études, fait connaître les char- ges qui, dans l’ancienne monarchie, avaient le privi- lége d’anoblir, telles que celles de grand trésorier, de grand pannetier, de grand échanson, de maire et d’é- chevin. Le nombre de ces charges, peu considérable au xve siècle, s’accroit progressivement, et l'institution de la noblesse ne s’en trouva ni plus affermie ni plus respectée. Plusieurs fois la royauté eut conscience du péril auquel cette nouvelle source de prérogatives exposait le pays, t elle tenta de mettre un frein aux ambitions des familles; mais elle n’eut recours qu'à des mesures insuffisantes. On fit mal exécuter ses or- donnances et l'abus s’enracina. On vit alors s’augmen- ter chaque jour le chiffre des individus affranchis de Vimpôt; la situation des classes populaires devint de plus en plus pénible, et mille indices annoncèrent qu’une crise violente se préparait dans les profondeurs d’une société minée tout à la fois par le sensualisme, l’orgueil et la cupidité. L'ordre du jour étant épuisé , la séance est levée à neuf heures et demie. A. LEMARCHAND. — 180 —- COMPTE-RENDU DE LA SÉANCE PUBLIQUE TENUE LE 20 JUIN 1859, Sous la présidence de M. VILLEMAIN, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Il n’y a pas en province, peut-être, une société sa- vante aussi privilégiée que la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers. Elle a pour présidents d’hon- neur deux membres illustres de l’Académie française, et elle reçoit leur visite au moins une fois chaque année. Le 21 février, c’était M. le comte de Falloux qui prêtait à une séance publique le concours de sa facile et attrayante parole; le 20 juin, c'était M. Villemain dont la présence transformait une séance ordinaire en brillante solennité. Dans cette dernière réunion, les membres de la Société et leurs nombreux invités ont d’abord entendu la lecture d’un travail de M. Eliacin Lachèse sur la chapelle du Bon-Pasteur d'Angers, récemment livrée au culte. M. Godard-Faultrier a donné une description complète de cet édifice, construit en style romano- byzantin, et orné à l’intérieur de fresques dues au savant et religieux pinceau de M. de Galembert. Il ne pouvait venir à la pensée de M. Lachése de recom- mencer unefétude faite par un de ses collègues, jage trés compétent en matière de critique monumentale. Il s’est donc placé à un point de vue particulier, et, prenant pour texte une réflexion même de M. Godard, il s’est attaché à signaler les nombreuses analogies qui existent entre l’aspect et la destination de la cha- pelle du Bon-Pasteur. Le genre d’architecture, l’orne- — 181 — mentation, le caractère des peintures et les sujets qu’elles représentent, tout lui semble en harmonie parfaite avec le but d’une institution où de pieuses femmes, animées de l'esprit miséricordieux de l’Evan- gile, s’efforcent de régénérer, par le travail et la prière, des âmes que le souffle du mal a flétries. M. Lachèse, on le voit, a examiné l’œuvre en philosophe chrétien plus qu’en archéclogue, bien qu’il ne soit point étran- ger à la science des Lenormant et des Caumont, et que nos églises, nos palais, nos châteaux, lui aient plus d’une fois inspiré des pages où son érudition se révèle sous une forme toujours élégante et châtiée. Mais ce n’est pas assez de dire qu’il a exprimé avec beaucoup de vérité l’idée chrétienne dont la maison du Bon- Pasteur est le symbole; il faut ajouter qu'il a su tra- duire, dans un langage plein d’élévation et de poésie, les salutaires impressions dont on se sent atteint dès le seuil de celte calme et sainte retraite. Le second article porté à l’ordre du jour était un mémoire sur l’ancienne noblesse française. L'auteur, M. Théophile Crépon, est un de nos magistrats les plus distingués et les plus studieux. Il emploie les loi- sirs de sa grave et belle profession, tantôt à des études littéraires, tantôt à des recherches historiques; et, dans toutes les questions qu’il aborde, il se montre aussi sagace que consciencieux. Frappé des ressenti- ments dont la noblesse fut victime à l’époque de la Révolution, il a essayé d’en découvrir les causes, et, arrivé au terme d’une longue et difficile enquête, ül croit pouvoir affirmer que l'abus des lettres d’anoblis- sement, ainsi que la multiplicité des offices portant — 182 — exemption d'impôts, furent deux des principaux motifs de l'hostilité conçue contre une inslitution liée à la monarchie par de si éminents et si glorieux services. Le mémoire de M. Crépon est une œuvre considérable, qui a été communiquée par fragments à la Société, dans une suite de réunions, et dont il n’a lu que les dernières pages dans la séance du 20 juin. Nous espé- rons que ce remarquable travail, rempli de documents curieux, entrepris et composé avec indépendance, sera livré prochainement à la publicité, et nous ne doutons pas que l’auteur, jugé sur l’ensemble de ses recher- ches, ne OU les suffrages des défenseurs les LES vigilants de l’honneur national. Aux considérations de M. Crépon sur l’état de la no-_ blesse avant 1789, a succédé la lecture d’une pièce de vers de M. Victor Pavie, intitulée la Futaie. La muse de M. Pavie est une gauloise couronnée de gui, sur le front de laquelle a coulé l’eau régénératrice du bap- tême, mais qui conserve encore, jusque dans ses mys- tiques élans, je ne sais quel invincible penchant à la rêverie, et qui croit toujours sentir palpiter des cœurs sous l’écorce des chênes. On la rencontre parfois dans des régions sereines, lumineuses, et elle a des heures de suave épanchement; mais les lieux qu’elle hante de préférence, ce sont les landes et les bois, les sentiers cachés ou les silencieuses clairières, et le plus souvent - on Ja trouve sombre , méditative , inquiète, le regard fixé sur quelque groupe de vieux arbres dont elle pres- sent la chute prochaine. C’est qu’aussi le siècle est dur aux poêtes, à ceux-là surtout pour qui la contemplation de la nature est la source habituelle de l'inspiration. — 183 — Chaque jour les horizons changent et les sites se défor- ment. Le pic a déchiré le flanc de la colline où fleu- rissait la bruyère; le ruisseau n’a plus de méandres ni le chemin de replis tortueux ; les champs sont avares de l'ombre qu’ils prodiguaient autrefois, et les échos répètent des cris stridents qui troublent toutes les har- monies des vallées. Voilà ce qui cause les regrets, il faudrait dire les pleurs, de M. Pavie. Vulnus alit venues, et sa plainte s’exhale en accents d’une contagieuse tristesse. Il est surtout une noble et antique futaie : qu’il ne se console pas d’avoir vu disparaître. Il en connaissait depuis son enfance les recoins les plus profonds, et tous les ans, pendant les ardeurs de l'été, il allait se reposer sous ses épais berceaux. Or, un jour, quatre spéculateurs vulgaires viennent en mesurer l'étendue; ils la toisent à pas lents; ils en comptent les troncs et les branches, et quelques mois après tout s'écroule sous la cognée : La victime foisonne et le meurtre est partout. Sur le sol enivré la sève à ruisseaux coule Plus vive.que le vin sous le pied qui le foule. La mort comme la vie a des aspects divers : L'un pardonne et bénit de ses bras entr'ouverts ; L'autre, comme Gracchus, le tribun populaire, Lègue au ciel sa vengeance et se tord de colère; Sur l'herbe du gazon qui le couvre à demi, Dans la paix des élus l’autre s’est endormi : L'autre par ses bourgeons se cramponne à la vie, Et d’autres confondant —— trépas digne d’envie, Double martyre en un, fraternité de sang — Leurs rameaux mutilés, tombent en s’embrassant. — 184 — Aujourd’hui le sol qu’ombrageaient ces arbrestest défriché. | Campos ubi sylva fuit. Mais il ne produit que de maigres épis, et le nom de Futaie, que les habitants d’alentour s’obstinent à conserver au lieu dépouillé, accusera longtemps les dévastateurs. Quant au poête, le souvenir de cette lugubre exécution le poursuit et l’obsède. La nuit, il croit entendre encore gémir ses arbres chéris Et leurs spectres sanglants Lui reviennent en songe avec la hache aux flancs. Une savante et spirituelle notice de M. Eugène Baret, sur Gilles Ménage, a suivi les vers de M. Pavie, que nous nous abstenons de louer, par un de ces scrupules qu’on ne connaissait guère au temps de Montaigne.et de La Boétie. M. Baret était, il y a quelques années, professeur de philosophie au Lycée d'Angers, et les lecteurs de la Revue d'Anjou n’ont pas oublié, sans doute, les observations qu’il a publiées dans ce recueil sur la Chanson de Roland. Il occupe aujourd’hui une chaire à la Faculté des lettres de Clermont, et c’est de là qu'est venue la notice dont il a été donné commu- nication à la dernière séance de la Société. On pour- rait composer un travail plus étendu que celui de M. Baret, sur le célèbre ami de Mme de Sévigné et de Mme de Lafayette; on ne ferait pas une étude plus in- téressante ni plus exacte. Le pédant, il est vrai, -n’esl pas épargné, et le plagiaire est raillé sans pitié; mais — 185 — justice est rendue à l’érudit, au poète aimable, et surtout à l’honnête homme qui, « s’il eut moins de » talent qu’il ne le crut sur la foi de tout son siècle, » fut capable cependant de sacrifier une position hono- » rée et lucrative à l’amour de la science pour elle- » même, au noble plaisir de l’étude et à l’estime des » esprits éclairés. » Cette lecture achevée, N. Adrien Maillard s’est ap- proché du bureau, et, d’une voix tout à la fois émue et accentuée, a rappelé dans une brillante épitre, impro- visée la veille entre le Palais de Justice et le Jardin fruitier, les glorieux et immenses travaux du savant académicien qui présidait la séance. On sait avec quel art ingénieux M. Maillard façonne un vers et fait étin- celer une rime. Toute matière s’assouplit sous sa main. Il ressemble à ces ouvriers dont parle Horace, mar- moris aut eboris fabros, et tout ce qu’il touche de son fin ciseau respire et palpite. Il nous avait déjà donné une esquisse de M. Villemain : aujourd’hui nous avons la statue de ce maître célèbre, et elle reproduit fidè- lement tous les traits caractéristiques du modèle. Oui, c’est bien là l’éloquent professeur qui a tenu pendant plusieurs années une jeune et enthousiaste génération suspendue à ses lèvres; le grand écrivain dont la plu- me infatigable trace chaque jour des pages où notre langue revêt l'éclat de celle de Tacite et de Cicéron; le critique érudit et sagace qui a porté la lumière sur . presque tous les points de notre littérature, et jusque dans les régions mal explorées de la littérature étran- gère. «L'homme privé lui-même, celui que de chères affections ramènent souvent parmi nous , se retrouve — 186 — dans cette image, et le poète (nous devrions dire l’ar- tiste) l’a révélé avec une délicatesse qui fait l'éloge de son propre Cœur. k 3 Les vers de M. Maillard ont soulevé dans l’assem- blée des approbations unanimes et doublement signi- ficatives : ou applaudissait en même temps l’auteur et l’homme éminent au génie et au caractère duquel il venait de rendre un si juste hommage. Le bruit apaisé, M. Villemain a pris la parole, et dans une de ces improvisations où les idées élevées et les sentiments généreux se confondent avec les traits de l'esprit le plus fin et le plus pénétrant, il a félicité la Société des travaux variés qui avaient rempli la séance. Il donne son entier assentiment aux réflexions que l’examen de la chapelle du Bon-Pasteur a suggé- rées à M. Eliacin Lachése, et il loue ce magistrat d’a- voir fait si bien ressortir les relations étroites qui exis- tent entre la religion et l’art. Il a écouté avec beaucoup d'intérêt l'étude de M. Crépon sur la noblesse, et il a été frappé de l’érudition dont elle témoigne, ainsi que du style ferme et concis dans lequel elle est écrite; mais il trouve l’auteur un peu sévère pour notre an- cienne organisation administrative et politique, moins imparfaite sans doute qu’en ne se limagine de nos jours, puisque de si grandes choses se sont accomplies sous son influence, puisqu'elle a été l’œuvre de tant d’esprits supérieurs. M. Villemain a prêté encore une oreille attentive aux vers de M. Victor Pavie, et il a subi le charme de cette poésie rêveuse qui captive l’'i- magination par mille pensées originales et inattendues, sans jamais s’égarer ou s’énerver. Aussi regrette-t-il de 487 2 voir le frère d’un savant orientaliste se confiner dans une retraite trop austère, où quelques amis jouissent seuls des dons précieux qu’il a reçus. L’illustre acadé- micien se sent moins à l’aise pour dire ce qu’il pense de l’épitre de M. Maillard. Il est profondément touché des sentiments qu’elle exprime; mais il lui est impos- sible de donner des louanges à son spirituel panégy- riste, « à son nouvel ami, » comme il se plaît à l'appeler. Chez M. Villemain, le littérateur n’est pas l’homme tout entier. Il y a encore en lui le grand citoyen, dans le cœur duquel toutes les gloires comme toutes les douleurs de la patrie ont leur écho. C’est pourquoi il n’a pas voulu, malgré le caractère spécial de la réu- nion, garder le silence sur les graves événements qui préoccupent aujourd’hui tous les esprits. « L’historien » d'Alexandre — a-t-il ajouté tout à coup d'une voix » vibrante — dit, en parlant d’Abdolonyme, qu’occupé » des soins de son jardin, le descendant des anciens » rois de Sidon n’entendait pas le bruit des armes qui » retentissait dans toüte l'Asie: enlentusque operi » diurno , strepitum armorum , qui totam Asiam » concusserat , non exaudiebat. Nous ne pouvons, » Messieurs, imiter cette indifférence et rester sourds » au bruit des combats dont lItalie est en ce » moment le théâtre. Pendant que nous continuons » de nous livrer à nos paisibles études, les champs de » bataille se couvrent de morts, et toute sérénité se » trouble à cette pensée. Hier, j’entrais dans votre cité » sous l'impression pénible qu'avait produite en moi » la nouvelle de.la mort du brave colonel de Senne- — 188 — » ville, et je vous ai trouvés pleurant celle de l’intré- » pide commandant Desmé. Qu'il me soit permis » d'associer mes regrets aux vôtres : c’est presque » un devoir pour celui qui s’honore d’être devenu » votre concitoyen. » — Nous n'avons pas besoin de dire avec quel élan sympathique ces belles et nobles paroles ont été accueillies par l'assemblée. La séance allait être levée, lorsque M. Courtiller, président de la Société, a prié M. le Secrétaire perpé- tuel de l’Académie française de vouloir bien remettre à M. Godard-Faultrier la médaille d’or accordée à notre savant collègue pour le Mémoire qu’il a écrit sur les monuments gallo-romains de l’Anjou. M. Villemain s’est empressé de répondre à ce désir, et après avoir rappelé que les recherches de M. Godard avaient attiré plusieurs fois l’attention des membres de l’Institut, il a cru devoir lui adresser encore des éloges particuliers pour son Voyage d'Angers au Bosphore, où l’érudition et le patriotisme, a-t-il dit, se mêlent aux récits les plus attachants. Le jour où MM. Villemain et de Falloux ont consenti à devenir présidents d'honneur de la Société d’agri- culture, sciences et arts d'Angers, ils ont donné à cette modeste académie une impulsion qui ne se ralentit pas. Non-seulement, sous l'influence de ce double patro- nage, le nombre des membres augmente, ce qui est déjà un signe de vigueur, mais encore des travaux importants se succèdent, et parmi tous les membres se manifeste une vive émulation qui est une garantie de l'avenir. | ALBERT L&MARCHAND. MÉMOIRES DE LA OCIÉTÉ LNPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS NOUVELLE PÉRIODE TOME DEUXIÈME — TROISIÈME CAHIER ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 “ "4 1860 - E 7 ST NE IQ SOMMAIRE . Notice sur Château-Gonthier (Mayenne) par M. BONNESERRE DE St-DENIS. . Poésie. — Tristesse d’un rouge-gorge, racontée par une jeune fille. 3. Le dolmen des Mollières, près de Beauvau, par M, le docteur OUVRARD. . Poésie. — Italie, par M. PAUL BELLEUVRE. 5. Note sur M. Lucien Ayraud, par M. ÉLIACIN LACHÈSE. 6. Procès-verbaux des séances des 20 juillet, 17 août, 23 novembre et 22 décembre 1859. NOTICE SUR CHATEAU-GONTHIER (Anjou.) Que j'aime à te revoir, tour des siècles gothiques, Et sous tes noirs créneaux, de beaux jardins couverts, Ces violiers sortant de tes flancs entr’ouverts! Mais où sont ces fossés, où sont ces murs antiques, Des exploits de Nerra monuments authentiques? Beaux arbres qu’à leur place on a vu s'élever, Nous ne nous sommes point connus dans mon jeune âge, Et vous m’offrez en vain votre récent omhrage Où mon cœur et mes yeux n’ont rien à retrouver. (Cuarces Loyson, /es Souvenirs de l'Enfance.) I NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DE CHATEAU-GONTHIER. Foulques Nerra jette les fondements de cette ville en 1007. — Charte qui le prouve. — D’où lui vient son nom. — Renaud Yvon en est le premier seigneur. — Portrait de Foulques Nerra. — Pourquoi ce comte bâtit un château fort sur les bords de la Mayenne. — Renaud Yvon développe ce château. — Comment la population vient s’agglomérer autour. — Ce qu'était ce lieu au xIIe et au XVIIe siècle. — Ce qu'il est au xixe. Si comme Charles Loyson, le poète de notre épi- graphe, l’élégiaque enfant de Château-Gonthier, nous SOC. D’AG. 13 — 190 — sommes tenté de nous écrier, en reconstituant le passé de sa ville natale : Mais où sont ces fossés, où sont ces murs antiques, Des exploits de Nerra monuments authentiques? : c’est que la cité du fouguenx comte d'Anjou, depuis qu’une maigre plantation en a remplacé les séculaires et gigantesques remparts, a perdu son aspect le plus ro- mantique et le plus saisissant; c’est qu'aujourd'hui ces glorieux débris d’un temps mal connu, d’une race fai- blement appréciée, sont devenus trop rares pour qu’il ne soit pas permis d’en déplorer la perte. Aussi parfois, en entendant les coups du marteau démolisseur, sou- haitons-nous à certaines pierres le privilége heureux que la fable n’accorda qu’au phénix. Hâtons-nous de le dire, cependant, cette mutilation n’en laisse pas moins Château-Gonthier la plus jolie ville de la Mayenne. Au début du xx siècle, la volonté de Foulques Nerra la fit sortir du néant; une charte du Cartulaire de Saint-Aubin d'Angers l’atteste d’une si formelle fa- çon, que l’opinion du bénédictin Hiret, qui dans ses Antiquités d'Anjou cite le fils de Clotaire Ier, Gonthaire ou Gonthier, pour son fondateur, est à tout jamais anéantie. Du reste, voici cette charte; comme elle est peu connue, sa traduction aura, pensons-nous, attrait de la nouveauté; elle est au surplus le rigoureux point de départ de notre récit. Anno ab incarnatione Dei 1007, L'an 1007 de l'incarnation indict. V, Gaufridus Martellus na- de Jésus-Christ, 5me indiction, — 191 — tus est, et pater ejus Fulcho, no- bilissimus comes Andegavorum, filius Gaufridi fortissimi comitis qui cognominatus est Grisigo- nella, firmavit castellum super Meduanem fluvium , in curte quæ vocatur Basilicas; quam idem ante plurimos annos proquadam curte quæ nuncupatur Undanis- Villa (Ondainville, diocèse de Beauvais), in pago Belvacensi sita, Rainaldo abbati et monachis Sancti Albini commutaverat, eis- que solidam et quietem cum om- mibus ad ipsum pertinentibus in perpetuum (possidendam) tradi- derat. Firmato itaque castello , eoque ut potuerat munito, ex nomine cujusdam villiei sui, illud Castrum Guntherii appellavit. Sed ‘quia elemosynæ quam pro anima sua, et patris sui Gosfredi, et matris suæ Adelæ, Sancto Albmo contulerat, damnum maximum intulisse videbatur, cum consilio procerum suorum statuit, ut si- cut totum illud castrum in pro- prio jure Sancti Albini consistit, ita de toto castro monachi ejus- dem Sancti Albini census et ven— das habeant , et sine ulla contra- dictione {seu retentione), omni tempore, quiete ac libere possi- deant. Scilicet, cum idem comes turrem non parvis sumptibus in eodem castro ædificare cœpisset, date de la naissance de Geoffroy- Martel, son père Foulques (Nerra), très-noble comte d'Anjou et fils du valeureux Geoffroy -Grisego- nelle, bâtit un château sur la ri- vière de Mayenne, en un lieu dit Basilica (Bazoches, Bazouches), échangé par lui, depuis quelques années déjà (vers 990), avec les Renaud de Saint-Aubin d'Angers, auxquels moines et l'abbé il en avait, à perpétuité, ga- ranti la sûre et paisible posses- sion, contre Ondainville, localité du Beauvaisis. Cet édifice terminé et fortifié du mieux possible, Foulques l’appela Château-Gon- thier, du nom même de l’un de ses vassaux. Toutefois, compre- nant bientôt qu’en agissant ainsi il portait atteinte aux dons par lui précédemment faits à Saint- Aubin pour le repos de l’âme de Geoffroy son père, d’Adèle sa mère, et de la sienne, du propre avis de ses chevaliers, le comte arrêta que le château étant bâti sur le terrain de Saint-Aubin, les moines jouiraient de la per- ception du cens et des droits sur les marchés, dans toute l’éten- due de la contrée relevant dudit château, et en demeureraient à toujours tranquilles et libres pos- sesseurs. Comme Foulques, ce- pendant, avait entrepris à grands — 192 — jamque in altum aliquantulum pervenisset, insurgentibus sibi guerris, principali largitate dedit castrum cuidam optimo militi. Renaldo videlicet Ivonis; qui (jussu ejus) prædictam turrim a comite incœptam augmentare stu- duit : de qua censum, jubente comite, Sancto Albino, quoad vixi, temporis libentissime reddi- dit. Sed tamen comes, ut vir pru- dentissimus, ejusdem turris pro- priam donationem (seu domina- tionem) sibi retinuit. Videns au- tem Raïnaldus Ivonis, quod infra (seu infra) castrum parum habe- ret, et extra pœne nichil possi- deret, petit a Walterio, tunc temporis Sancti Albini abbate, ut in curte jam dicta aliquam, virtute misericordiæ, sibi portio- nem daret. Cumque abbas Gual- terius, ad hoc nullo modo flecti posset , ut ejus petitioni assen- sum præberet, tandem rogatu, tam principes quam filii sui Gaus- fredi Martelhi, et consilio totius Congregationis, dedit ei quar- tam partem curtis Basilicæ ; tali conditione , ut ipsam dominus Castri Guntherii de abhate et ca- pitulo Sancti Albini in fidelitate homagii teneat; atque tres ejus- dem curtis partes ex toto posse suo, sicut fidelis homo et amicus Ecclesiæ , legitime custodiat et frais fa construction d’une tour pour le castel, qu’elle s’élevait même à une certaine hauteur, et que des guerres le récla- maient impérieusement, il aban- donna le tout, à titre de récom- pense, à Renaud-lvon, valeu- reux chevalier qui s’efforça de terminer la tour commencée par le comte, et consentit volontiers, sur ses ordres, à en payer, tant qu’il vivrait, ke cens à Saint- Aubin. Foulques ne se réserva qu’une chose, lui : ce fut, en homme prudent , la dominance de cette tour. Peu après, Renaud s’aperçut aisément , néanmoins, qu’il lui fallait améliorer ce point, dont l’exiguité intérieure n’était compensée par aucune dépen- dance territoriale; aussi pria- t-il Gaultier, l'abbé de Samt- Aubin, de le laisser maître d’une portion de la terre de Bazouges. D'abord inflexible, l’abbé se ren- dit ensuite aux instances du comte, de Geoffroy son fils, et aux conseils de ses moines. Re- nauüd eut alors le quart du do- maine convoité, mais à l’unique condition que les seigneurs de Château-Gonthier le tiendraient à foi et hommage de l'abbé et du chapitre de Saint-Aubin; en garderaient et défendraient de tout leur pouvoir les autres par- — 193 — defendat. (Quod: si forte Castrum Guntherü deficientibus heredi- bus in manum comitis iterum veniret, illa quarta pars prædictæ Curtis in potestatem et domi- mum Sancti Albini cum omni in- tegritate, sine alicujus interpel- latione personæ, revertatur. Actum , etc. ties, comme hommes-liges et vassaux de l'Eglise ; et que si le château , à défaut d'héritier , redevenait un jour la propriété du comte Foulques, ce quart rentrerait intact et de plein droit en la possession et sous l'auto- rité du Monastère. Fait, etc. (1) Souscrite à Angers, en l’abbaye de Saint-Aubin, anno Domini 1037, indiclione V, cette charte est un des plus précieux documents connus en fait d’origine de châteaux, matière habituellement fort embrouillée. Ici, toutefois, pas le moindre doute : Foulques Nerra reste seul et légitime fondateur de Château-Gonthier. C'était un rude joûteur et un habile prince que ce personnage, et sa silhouette se dessine si vigoureuse- ment dans l’histoire de l’Anjou, que parmi les comtes de cette belle province il en est peu qu’on puisse lui comparer. « Ge fut un homme belliqueux, violent et fourbe, » ont dit de lui les Bénédictins (2). En le pei- gnant ainsi, la docte Congrégation est vraiment trop sévère, et semble vouloir oublier les actes de suprême repentir par lesquels 1l racheta les excès de son carac- tère emporté. Ecoutons à ce sujet Guillaume de Mal- mesbury (3) : Obéissant à l'impulsion de sa conscience, (1) Bibliothèque impériale, Cartulaire de Saint-Aubin, fo 195, fonds Gaignières. — Ménage, Histoire de Sablé, première partie, livre nr, p. 98. (2) Art de vérifier les dates. (3) De historiu novella. = 194 — Nerra reprend une troisième fois, en 1039, le chemin de la Terre Sainte. Là, couché sur une claie, la corde au cou, le corps entièrement nu, on le voit, fouetté par deux valets, passèr ainsi dans les rues de Jéru- salem, pleurant et criant : « Mon Dieu! mon Dieu! prenez pitié d’un traître et d’un parjure. » — Qui donc, en ce pécheur pénitent et contrit, reconnaîtrait le ter- rible et brillant comte d'Anjou ?..……. C’est en revenant de ce pélerinage qu’il mourut à Metz, le 21 juin 1040. : Il était né vers 965. En construisant une forteresse dans le territoire de Bazouges, sur une roche commandant la Mayenne, ce personnage n’eut évidemment qu’un but : se prémunir contre les incursions des Bretons, qui prétendaient choisir cetle rivière comme frontière et milieu /me- duana) entre leur province et l’Anjou. Quand de san- glants démêlés l’appelèrent ensuite en Saumurois, s’il donna l’ouvrage inachevé au chevalier Renaud, si ca- pable de le défendre, ce fut sans aucun doute le même motif qui l’y engagea. Du reste, ce dernier l’eut à peine obtenu, qu’il entoura de larges fossés les terrains con - cédés par l’abbaye, et ne tarda pas à former ainsi un véritable burgus, que protégea son château. C'était là le noyau d’où la riche et commerçante localité qui nous occupe allait sortir. Voici de quelle façon la mise au jour s’en opéra : les successeurs de Renaud ayant élevé sur le bord des fossés les tours et la mu- raille dont les débris sont encore visibles, complétement rassurée par l’abri de ces remparts, mais attirée sur- tout par les abondantes aumônes .que répandait le prieuré de Bazouges, une nombreuse et intelligente — 195 — population accourut planter sa tente au pied même du roc qui portait la maison conventuelle et la forteresse. La partie qu'on appelle actuellement la Grande-Rue fut d’abord la plus recherchée. Mais bientôt insuffisante, trois nouvelles artères — les rues Dorée, de la Harelle et des Juifs — vinrent relier les alentours du château au quartier de Saint-Rémy ou d’Olivet, qui existait déjà. Tel grandit Château-Gonthier, et si vite et si pro- digieusement, qu’en moins de cent ans il occupa le premier rang parmi les baronnies de l’Anjou. Trois portes donnaient accès dans cette ville, dont l'enceinte ne dut être complète qu’en la première moitié du XIIe siècle : celles du Pont, d’Olivet et de . Tréhut. Une quatrième, la porte Neuve, ne fut proba- blement ouverte qu’'afin de faciliter le service des marchés. Du château de Foulques, rasé sous Louis XIIT, il ne reste en 1858 que quelques pans de murs soule- nant les terres de la place dite du Château; et sur cette place une partie de l’ancienne chapelle, consacrée par la suite au Chapitre de Saint-Just, dont les cha- noines ne disparurent qu’à la Révolution. Jusqu'en 1815, l’ensemble des autres fortifications demeura debout; ce ne fut qu’à partir de cette époque que suc- cessivement on y porta la main. Malgré leur démolition “on en suit encore aisément le parcours. Il nous a paru considérable pour une ville secondaire. Le motif de cette disproportion vient peut-être de ce qu'on ne voulut pas laisser isolée l’église Saint-Rémy. Nous le croirions volontiers, en réfléchissant que la ligne la plus éloignée des défenses passe au pied même de cet _ édifice. | — 196 —- Château-Gonthier, depuis le xvir® siécle, a perdu beaucoup de son importance administrative, si l’on en juge par les Mémoires (1) officiels que dressait en 1697, d'après l’ordre de la Cour, M. de Miromesnil, intendant de la Généralité de Tours. On y lit en effet : « Château- » Gonthier, marquisat, comprend deux baronnies et sept châtellenies ; trente-six paroisses en relèvent. On y compte un gouverneur de ville et de château, un lieutenant des maréchaux de France et un garde de la connétablie, charge créée en 1693. Le présidial, qui l’a été en 1639, possède : deux présidents, un lieutenant-général, un lieutenant particulier, un assesseur, vingt-trois conseillers, un chevalier d’hon- neur, deux avocals — on y est moins modeste au- » Jourd’hui, constatons-le! — un procureur du roi et » » un greffier. L’élection a un président, un lieutenant, un lieutenant criminel, cinq élus, un procureur du roi et un greffier; elle est composée de soixante- » neuf paroisses, qui contiennent 13,284 feux, et paient 137,132 livres de taille. Le grenier à sel consomme 35 muids par an. La maréchaussée, dépendant jadis du prévôt d'Angers, a été créée provinciale. Il y a un prévôt, un chevalier du guet, un lieutenant, un assesseur, un commissaire des montrées, un procu- reur du roi, un exempt, un greffier et quinze ar- chers. La mairie a été créée en 1692. La ville, avec (1) Extrait sommaire des Mémoires de M. de Miromesnil, intendant de Tours, dressés par ordre de la Cour, en 1697, pour Mgr le duc de Bourgogne. — Cet extrait est imprimé en tête de l’excellent Dictionnaire topographique, historique, généalogique et bibliographi- que de la province et du diocèse du Maine, par le chanoine le Paige. — 197 — » ses faubourgs, forme trois paroisses renfermant » 1,498 feux et 5,600 âmes; elle paie 6,499 livres de » taille. » — Voilà ce qu'était, il y a cent soixante ans, la localité que nous décrivons. Une chose, heureusement, que Château-Gonthier n’a pas vu péricliter, c’est son importance commerciale : elle l’accroît chaque jour sous l’impulsion de natures intelligentes. Donc, quand l’embranchement projeté reliera cetté ville à l'immense réseau de nos voies fer- rées, nul doute que ses fils de lin, ses toiles, ses ser- ges, ses étamines, ses cuirs, ses graines de trèfle, etc., ne viennent fructueusement peupler nos principaux marchés. | Chef-lieu d'arrondissement, Château-Gonthier ne dif- fère en rien, aujourd’hui, comme physionomie inté- rieure, des autres villes de son importance, si ce n’est — mais un tel titre ne s’invoque pas — par la tortuo- sité, l’étroitesse et l’escarpement de ses rues, où brille néanmoins la plus parfaite propreté. « Au grand » nombre de portes cochères qu’on y rencontre, dit » Vaysse de Villiers (1), on juge bientôt qu’on est dans » une ville riche; on le juge mieux encore à l’absence » de ces tristes masures qui caractérisent ailleurs la » misère du peuple. Si Château-Gonthier n’est que la » troisième ville du département par sa population de » 6,000 habitants, elle en est certes la premiére par » son heureuse situation dans la partie la plus méri- » dionale, la plus belle et la plus fertile. » A l’excep- (1) Bibliothèque du Mans, Itinéraire descriptif des départements de la Sarthe et de la Mayenne. — 198 — tion de l’église Saint-Jean, sur laquelle nous reviendrons en parlant des établissements religieux et de charité, aucun monument n’y attire l'attention. Deux prome- nades y existent, dont une seule, celle du Bout-du- Monde, rachète son exiguité par le charmant panorama qu’elle permet de contempler. Tracée sur la roche qui reçut les assises du château de Nerra, cette prome- nade tire son nom de ses courtes allées venant brusque- ment s'interrompre au bord du vertigineux talus qu’elles couronnent, et qu’arrose la rivière. Impossible de respirer un air plus pur, de jouir d’un spectacle plus riant et plus accidenté, que sur cette terrasse. Au milieu d’une double bordure de vigoureux noyers, la Mayenne déroule au loin les gracieux contours de sa nappe argentée; de riches vergers et de vertes prairies ornent sa rive gauche, qu’anime encore une impor- .tante blanchisserie; tandis que la rive droite, par un contraste pittoresque, montre d’ombreux et sauvages escarpements, formant dans l'horizon les plus fantas- tiques silhouettes. Qui le croirait, un lieu si ravissant n’est visité que par les étrangers!… Il MAISON DE CHATEAU-GONTHIER. Renaud Ier. — Alard Ier. — Renaud IT. — Renaud IIT. — Geoffroy Ier. — Renaud IV et son fils Renaud V. — Alard IT et son fils Renaud VI. — Alard IIT. — Renaud VIT. — Alard IV. — Jac- ques Ier. L'écrivain qui voudrait traiter à fond l’histoire féodale de l’antique cité de Château-Gonthier, dont la lignée — 199 — seigneuriale ne s’éteignit qu’en la dernière moitié du xive siècle, devrait y consacrer de nombreux jours et de nombreuses pages. Nous ne saurions avoir cette prétention. Contentons-nous alors de mettre en leur ordre chronologique, sans trop chercher à les com- menter, les divers documents que nous avons été assez heureux de recueillir sur ce sujet, et qui pour la plu- part sont complétement inédits. Si l’on en croyait le chroniqueur Bourdigné (1), l’ori- gine de la maison de Château-Gonthier remonterait au delà du vie siècle; il signale effectivement, 1° « un » noble chevalier Paon de Château-Gonthier » comme ayant fait partie des guerriers qui s’opposérent, au vie siècle, à la descente « du payen Karados en Bre- » taigne pour conquérir le royaulme; » et 2 un « sire » Gerard de Châleau-Gonthier , lequel, avec plusieurs » autres princes, passa en Galice et eut une forte et » pesante journée contre les payens, occupans le » royaulme. » Mais ce sontlà d’impardonnables anachro- nismes. Bourdigné n’ignorait pas la date précise où s'éleya Château-Gonthier; or, mettant en scène au vie siècle des personnages et des localités appartenant au xIe, il ne put avoir d'autre but, pensons-nous avec M. Godard-Faultrier (2), que celui de flatter quelques nobles particuliers qui lui étaient contemporains. Ren- voyons alors au néant ces seigneurs de mauvais aloi, et (1) Voir le chapitre xvi, intitulé : « Comment lé payen Karados » descendit en Bretaigne pour conquérir le royaulme. Et des princes, » chevalliers et barons, et entre autres Angevins et Manceaulx qui se » trouvèrent à la deffense. » | (2) L’Anjou et ses Monuments, |. 11, p. 76 à 80, — 200 — passons à ceux dont l’exisitence ne saurait être con- testée. Renaud Ler. La charte dû Cartulaire de Saint-Aubin citée page 9, en le nommant Yvon, autorise à croire qu’il eut pour pêre, Pvuon (1), ou mieux Vues, que Ménage (2), sans le justifier en rien, fait descendre de la puissante fa- mille de Bellesmes. Quoique Ménage n’ait appuyé cette opinion d'aucune preuve, nous pensons qu’il a raison. L’extrait généalogique suivant, que nous avons trouvé au folio var du Cartulaire original du roi Philippe-Au- guste, à la Bibliothèque impériale, nous paraît en eftet sans réplique : « Comes Rotrodus Pertici, avus epis- » copi Cathalaunensis (3), tres uxores habuit : quarum » prima habuit unam filiam de qua exivit Renaldus de » Castrogonterii, et Beatrix soror ejus. De Renaldo » exivit Alardus, etc... » Toutefois, d’où que sorte ce personnage, Foulques Nerra ne lui en donne pas moins, encore en construction, le château Gonthier, et sous sa main habile et hardie il est bientôt achevé, bientôt considérablement augmenté. $es autres actes (4) Claude Ménard, dans son Histoire d'Anjou, chapitre Château- Gonthier, avance que plusieurs généalogistes voient en cet Yvon le fondateur de la maison de la Jaille-Yvon, et le père de Geoffroy de la Jaille, qui.fut seigneur de Segré; lequel seigneur aurait donné le jour à un autre Yvon de la Jaille qui, d’après un titre du Cartu- laire de Saint-Aubin d’Angers, vivait en 1102. — Nous ignorons sur quoi reposent ces conjectures. | (2) Histoire de Sablé, première partie. (3) Rotrou, évêque de Chälons-sur-Marne en 1191. — 9201 — sont peu connus. Une charte du commencement de l’épiscopat d’Eusèbe, élu au siége d'Angers en 1047, et relative à l’église Saint-Maurille de cette localité, constate seulement qu’il eut plusieurs enfants d’une Béatrix N... (1) : « Rainaldum de Castriguntherii, cum » filis et filiabus omnibus. » On ignore ce que devin- rent ses filles, quant à ses fils, les noms des deux aînés, Alard Ier et Renaud IT, qu’on verra lui succéder, nous ont été conservés. Il est des historiens (2) qui ont prétendu que Re- naud Ier était mort à Angers, le jeudi-saint 1067, sous le poignard de la populace, qu’il avait ameutée contre Geoffroy-le-Barbu, comte d'Anjou, en butte alors aux haineuses poursuites de son frère et compétiteur Foul- ques-le-Réchin. Nous ne saurions partager cette opi- nion, car il faudrait admettre que Renaud avait au moins 90 ans quand on l’assassina; mais encore, el c'est là le point capital, repousser le témoignage de trois chartes authentiques, dont l’une, souscrite en 1050 par Geoffroy Martel, en faveur de l’abbaye de Saint-Nicolas d'Angers, à laquelle il accorde une aug- mentation de revenus, cite parmi les témoins « Ragi- » naldus de Castroguntherii, cum Alardo, filio suo; » et dont les deux autres, relatées plus bas, attestent que cet Alard, son fils aîné, était également seigneur de Château-Gonthier en 1050. On peut donc conjecturer que Renaud Yvon mourut au commencement de 1050, (1) Bibliothèque impériale, Cartulaire de Saint-Aubin , fonds Gai- | gnières. (2) Bourdigné, Claude Ménard, Ménage , Bodin, etc. , ete. — 902 — et que c’est un de ses jeunes fils, et non pas lui, qui fut le conspirateur et la victime de 1067. Alard Ier. Ménage et Ménard le marient deux fois : à la fille du sire de Mathefelon, Elisabeth, et à Mathilde, issue de Robert-le-Bourguignon. De sa double alliance aucun enfant ne dut sortir, puisque Renaud II, son puîné, lui succéda. Alard fut un des principaux témoins qui signèrent, vers la fin de 1050, la charte par laquelle Geoffroy Martel, à la prière du roi Henri, restitua le Vendômois à son neveu Foulques l’Oyson (1). Une pièce du Præceptum de Tutela: Vendocinensis monas- ler, et deux chartes du Recueil des Titres de Saint- Nicolas d'Angers, l'une de la première femme de Geof- . froy Martel, Agnès, l’autre de la seconde, Grécia, le montrent également, sous cette même année (1050), possesseur de Château-Gonthier. Comment admettre alors que son père, dont le décès pouvait seul lui apporter cette seigneurie, soit mort à Angers dix-sept ans plus tard? Soutenir que Renaud Ier fut poi- gnardé en 1067 est donc, nous le répétons, soutenir une mauvaise thèse, et vicier dès son point de départ l’histoire des seigneurs de Château-Gonthier. Renaud II. Une question de limites ayant amené de sanglants démélés entre Conan II, duc de Bretagne, et Geoffroy- (1) Ménage, Histoire de Sablé, première partie, livre 1V, p. 44. — 203 — le-Barbu, comte d'Anjou, Renaud IT en supporta le contre-coup. Entre autres places, Conan prit en effet Ghâteau-Gonthier, mais y succomba, le jour même de son entrée, sous les attaques d’un poison violent qu’on a constamment soupçonné Guillaume-le-Conquérant de lui avoir administré. Le père Labbe, tome Ier de sa Nouvelle bibliothèque, indique 1067 comme la date de ces faits, et son opinion est assez généralement adoptée. En 1085, dix-huit ans après la mort de Conan, la Chronique de Saint-Aubin et Ménard dans son Histoire d'Anjou, affirment que diverses rencontres eurent lieu entre les'Châteaugonthériens et les Lavalois, également au sujet de leurs frontières. La chose est peu vraisem- blable et n’est signalée par aucun autre annaliste. Toutefois, comme la Chronique et Ménard sont muets à leur tour sur le siége de 1067, ne peut-on supposer que c’est à lui qu’ils ont fait allusion en 1085, n’en méconnaissant ainsi que la date? Renaud, suivant le Gesta Consulum Andegavensium, prit en 1096 le chemin de la Palestine avec Robert-le-Bourguignon, et mourut à Jérusalem vers 1101, laissant deux fils, Renaud IIT et Geoffroy (1). Renaud III. Il gouverna la seigneurie patrimoniale pendant le voyage de son père en Orient, mais n’en fut jamais possesseur, car le jour même qu’elle abattait le père sur le sol trois fois saint, la mort, par un étrange et fatal hasard, frappait également le fils dans les murs (1) Ménage , Histoire de Sablé, première partie, livre 1v, p. 99. — 204 — de Château-Gonthier. Renaud III décéda sans postérité. Il eut à se reprocher d’excessives violences à l'égard des religieux de la Trinité de Vendôme, ce qui lui aitira de la part de Foulques Rechin une lettre désap- probative, rapportée par dom Housseau en son Extrait des Archives de l’abbaye de la Trinité de Vendôme. On y remarque surtout le passage ci-après, qui montre jusqu’à quel point certains grands feudataires faisaient alors respecter le clergé : « ….. Unde indubitanterscias, » quod si a modo aliquam injuriam, sive inquietu- » dinem monachis propter hoc feceris, non tam illis » quam mihi molestiam intuleris..…. Vale, et, si me » diligis, monachos Vindocinenses hujusmodi occasio- » mbus non inquetis (1). » (1) Voici la lettre en son entier, car elle est trop curieuse pour ne pas trouver place ici: « Fulco, comes Andeg., Rainaldo de Cas- tro Gunterü, salutem. Mando tibi, sicut karissimo meo fideli, et interdico ut de consuetudinibus, quas in burgo Meduanilis (Bourg- Ménil) me tibi donasse asseris, ulterius monachos Vindocinenses (la Trinité de Vendôme) molestare non presumas, neque cum eis super hoc placitari contendas, quod nec tibi dedi, nec dare potui. Nam Gaufridus, avunculus meus (Geoffroy-Martel) , qui monasterium Vendocinense fundavit, e rebus propriis ditavit quicquid monasterio donavit quietum et ab ontni consuetudine liberum StoPetro Aposto- lorum Principi, cujus alodium monasterium esse dinoscitur, sine cu- jusque hominum retractatione contulit, me ipso etiam concedente et testimonium perhibente unde indubitanter scias, quod si a modo aliquam injuriam, sive inquietudinem monachis propter hoc feceris, non tam illis quam mihi molestiam intuleris. Meum enim est monas- terlum et possessiones ejus universas contra omnes homines defen- dere atque tueri..…. Vale, et, si me diligis, monachos Vindocinenses hujusmodi occasionibus non inquetis. » (Sans date. — Extrait des archives de l’abbaye de la Trinité de Vendôme, par dom Housseau..) — 905 — Geoffroy Ier. Quand mourut Renaud III, son frère cadet, Geoffroy, récemment armé chevalier, et déjà possesseur de terres qu’il tenait de la libéralité de son parrain, Geoffroy Martel, fut appelé à lui succéder. Bourdigné trace l’histoire de ce filleul du comte d'Anjou, avec une verve si piquante et si naïve, que nous lui cédons volontiers la parole, malgré ses insupportables lati- nismes : © La € Si Juy advint au deuxiesme an après qu’il eut receu l’ordre de chevalerie, que son père, lequel estoit pour lors ës partie d’oultre-mer, décéda en la ville de Hiérusalem, et le propre jour du décès de son père, son frère aisné estant à Chasteaugonthier, en Anjou, trespassa aussi; el par ainsi à icelluy Geoffroy advinrent toutes les seigneuries de son père et frère; lequel de la perte de ses deux personnages en si peu de temps advenue, fort triste et courroucé fut pour longtemps ; si qu’il ne vouloit prendre aucun recon- fort. Quant sa douleur fut quelque peu adoucie, 1 vint vers le comte d'Anjou, son parrain, et de ses terres luy fist hommage. Le comte, qui bien se con- gnoissoit en gens, voyant les bonnes mœurs qu’es- toient en ce jeune seigneur, son filleul, fut tout joyeulx, et le prisa et estima tant, qu’il luy donna en mariage une très noble pucelle de grant parentage, nommée Béatrix, laquelle estoit la plus belle fille que l’on trouvast pour le temps, et estoit niepce de la comtesse d'Anjou, sa femme, dont Geoffroy de Chas- SOC. D’AG. 14 ) Ÿ L 2 © Gr 2 2 © 2 Y Y Ÿ 4 4 T Y LA > ŸY > 2 ŸY LA Y VS — 206 — teaugonthier se tint moult honoré, et moult en remercia le comte, son parrain. Si fut la solennité des nopces célébrée à .Angiers, laquelle finie, Geof- froy emmena sa femme en sa ville de Chasteaugon- thier, qui est une ville en Anjou, distante d’Angiers de dix lieues ou environ, assise sur le fleuve de Mayenne par sur lequel en challans et bateaux l’on peult aller à Angiers, et y mener et rarnener mar- chandises. Iceluy seigneur de Chasteaugontier fut receu à grant honneur;en sa ville; si fut pareillement sa femme, laquelle en la première année de son ma- riage se trouva grosse d'enfant, dont son -mari fut très joyeulx, et la mena à l’esbat, en ses terres de Touraine, où (pour accomplir la promesse faicte au comte, son parrain) commença à bastir un puissant chasteau. Cependant que l’on y besongnoit à toute diligence, sa femme accoucha d’un beau filz, dont Geoffroy fut si joyeulx, qu’il oublia presque tout le deuil de la mort de ses père et frère. Mais en l’hon- neur et révérence d’iceulx fist son enfant nommer Regnault, pour ce que tel nom portoient; et de l'heure de sa nativité luy donna son père le chas- teau qu’il faisoit bastir; et pour l'amour de luy le nomma Chasteau-Regnauld, lequel nom encores retient. » Renaud IV. « Cest enfant — continue Bourdigné — fut accom- ply et instruict en toute noblesse; et quant il eut aage il fut tenu hardy et entreprenant chevalier en faictz de guerre, prudent et discret en conseil. » — 207 — Cest surtout au combat meurtrier qui eut lieu sous les murs de Séez, en décembre 4118, que Renaud déploya sa valeur. Soulevés l’un contre l’autre, Foulques V d'Anjou et Henri Ier d'Angleterre voyaient ce jour-là la fortune hésiter entr’eux deux, quand « Regnault de » Chasteaugonthier, que le comte Foulques envoya » hastivement avecques cent hommes d'armes, deux » cens archiers et quelques chevaliers, » secourir son centre qui se débandait, fondit vaillamment sur l’en- nemi, et donna par son courage la victoire aux Ange- vins. Plus de vingt mille Anglais tombèrent sur le champ de bataille; le reste de l’armée s’enfuit, éperdu, dans la ville de Séez, laissant aux mains de l’ennemi ses bannières et ses bagages. Renaud eut d'Isabelle ou Elisabeth N....., Renaud V et Guicher qui tous deux, selon Ménage, durent mourir assez jeunes, puisque Alard IL, l’aîné des enfants de Guicher, succéda à son grand-père. Alard II. Ce personnage se créa de si violents démêlés avec l'abbé de Vendôme, Geoffroy, qu’au livre V de ses Epitres cet abbé, écrivant à Garnier, archidiacre d’An- gers, traite Alard {épêtre XI) « d’abominable et mons- irueux tyran; » et se plaint ensuite amèrement fépêtre XXV) du tyran Alard audit Alard lui-même. Il avait épousé Mathilde de Briollay, dont il eut Alard III. L’au- teur de l'Histoire de Sublé suppose qu’il en obtint encore Renaud, Ve du nom, auquel il donne pour femme Burgondine de Chantocé, et Sibille, qu’il marie — 208 — avec un Joscelin de Almecillis; mais nous n'avons trouvé cette conjecture appuyée par aucun document. Alard III. Mahaud de Craon, qu’il prit en premières noces, et qu’il perdit vers 1129, lui laissa Renaud VII et Alard IV. Le 1er mars 1193, le nom de cette femme nous appa- raît, ainsi que celui de ses fils, dans une charte par laquelle son mari donne à l’abbé Hamelin (de Saint- Aubin) l’investiture d’une dîme qu’il lui avait cédée précédemment, avec tous les droits coutumiers dus au port de son château (1). Pierre, abbé de Saint-Serges d'Angers (1113-1134), s'étant engagé à dire cinq cents messes et vigiles pour l’âme de la défunte, et à inçcrire son nom sur le Martyrologe, Alard, par reconnaissance, exempta l’abbaye de toutes coutumes et exactions en dedans de sa terre et de son château (2). Mélissinde de Briollay, à laquelle il s’unit ensuite, de 1130 à 1135, décéda sans enfants. Un obituairé de Saint-Maurice d'Angers la fait mourir le 18 des calendes de sep- tembre, et se tait sur le millésime : « xvurr kal. sept. » obiit Mellissendis, uxor Adelardi, domini Castrigun- » terii. » Alard II porta un vif intérêt à la célèbre abbaye de Bellebranche, dont il doit être regardé comme l’un des principaux bienfaiteurs. Il abandonna l’église Saint- Just de Château-Gonthier à l’évêque d'Angers Ulger, avec la nomination et le patronage des prébendes. (1) Bibliothèque impériale, archives de Saint-Aubin d’Angers, prieuré de Château-Gonthier. (2) Ibidem, archives de Saint-Serges d'Angers. \ — 209 — C’est là le dernier acte que nous connaissions de lui, mais nous n’en saurions préciser la date. Renaud VILI.+ Les Cartulaires montrent rarement son nom. Vers 1180, cependant, on l'y voit, 1° céder aux religieux et à l'abbé de Saint-Nicolas d'Angers ( Hugues) tous les droits coutumiers qu'il avait sur leurs vassaux à Gênes (1). Cette donation fut faite le jour même de Pinhumation de son père; malheureusement la pièce ne porte aucun millésime (2); et 2° donner en 1193 à l’abbaye de Saint-Aubin d'Angers les revenus de l’une des filles d’un certain Otgerius, son vassal, et c’est là tout. Un fait des plus curieux nous est encore rapporté sur lui, par un titre de la Tour de Londres, remontant à 1201. Il s’agit d’un mariage projeté entre ce baron et Emme de Maulévrier. Jean-sans-Terre, roi d’Angle- terre etcomte d'Anjou, qui s’y intéresse, prend l’engage- ment, d’accordavecdesjuifs, de verser au futur unesomme considérable, sous la condition expresse, toutefois, que ce dernier la lui rendra si l’hymen ne se conclut pas. Renaud, on doit le croire, préféra remettre la somme et ne pas prendre la femme, puisque la généralité des chroniqueurs le fait mourir garçon. ) Alard IV. La mort de Renaud VII, son frère aîné, le miten pos- (4) Gênes, commune de la Mayenne, au canton de Bierné. (2) Bibliothèque impériale, archives de Saint-Nicolas d'Angers, — 910 — session de Château-Gonthier, dont il fonda l’Hôtel- Dieu (1) aussitôt qu’il fut héritier de cette terre (1206). S'étant allié à Emme de Vitré, il en eut Jacques, qui lui ‘succéda. En 1214 il s'engagea, comme caution d'Hervé de Beaumanoir, à verser cent marcs d’argent à Philippe- Auguste, au cas où ce chevalier manquerait à la fidélité qu’il devait à son roi (2). La baronnie de Château-Gon- thier était alors d’une telle importance, qu’on y comp- tait un connétable héréditaire, le sire de la Raudière: et que la Roque affirme que le baron même de ce lieu portait, de son côté, semblable titre pour l’Anjou (3). Alard mourut avant 1296. Jacques Ier. Par une alliance sur laquelle les généalogistes n’ont jamais été d'accord — gardons-nous de ressusciter leurs discussions! — Nogent-le-Rotrou passa en 1996, après la mort de Guillaume, évêque de Châlons et comte du Perche, dans la maison de Château-Gon- thier (4) pour la quitter ensuite vers 1262, au profit de Jean Ier, duc de Bretagne. Cet accroissement de terri- toire rendit Jacques un des plus puissants seigneurs de l’époque, et contribua beaucoup à lui faire épouser (1) Bodin, Bas-Anjou, t. 1, p. 477 et suivantes. (2) Histoire de Normundie, livre 1, p. 1032. (3) Chopin, De juridictione Andegavensi, lib. 1, p. 451. — Le baron de Chastenay, Traité de la noblesse, p. 60. — Ménage, His- toire de Sablé, première partie, p. 101. (4) Gilles Bry, Histoire des pays et comté de Perche et d'Alençon, livre 111, p. 240. — Patu de Saint-Vincent, Voyages historiques dans les comtés du Perche et d'Alençon, p. 32. — 211 — | une des filles du connétable de Montmorency. Comme son aïeul Renaud III, Jacques Ier vit l'ennemi menacer sa principale ville, et fut impuissant à le repousser. Disons en quelle circonstance : Pierre de Dreux avait appelé les Anglais en Bretagne (3 mai 1230), pour l’ai- der à soutenir ses injustes prétentions contre Louis IX. Henri d'Angleterre débarqua alors à Saint-Malo, mar- cha sur Nantes, s’y livra ainsi que son armée à la plus honteuse débauche, y vida ses coffres, et se rembarqua, le 9 septembre, dans le port même qui l'avait vu jeter l'ancre peu auparavani. Il ne nous sut prendre que l’insignifiante place de Mirebeau; mais il laissa à Pierre, sous le commandement du comte Ranulphe de Chester, 500 chevaliers et 1,000 sergents qui, se répandant en Anjou, y brülèrent plusieurs villes, par- mi lesquelles Château-Gonthier, qui fut une des plus maltraitées, en raison sans doute de la résistance qu’elle tenta d’opposer (1). A la suite de ce funeste événement, il y eut (1231) un concile provincial dans cette cité. Barthélemy Ro- ger, qui mentionne ce fait, « estime qu’on ne choisit » un tel lieu pour y célébrer de petits conciles qui y » furent fort fréquents en ce siècle et aux suivants, » qu’à cause du voisinage et de la commodité des évê- » ques de Bretagne. » Juhel de Mayenne, archevêque de Tours, en fut le président, et l’on s’y occupa sur- tout de la réforme des tribunaux ecclésiastiques, si nombreux alors, qu'après les suppressions qu’on or- (1) Barthélemy Roger, Histoire d'Anjou, reproduite par la Revue d'Anjou, t. 11, p. 21. — Bodin, Bas-Anjou, t. 1, p. 338. — 92192 — donna, on en comptait encore vingt-quatre dans le seul évêché d'Angers, qui n’était pas fort étendu (1). Jacques ne vécut pas en bonne intelligence avec les moines de Saint-Aubin, car leurs Archives nous ap- prennent qu’il brûülait les moulins et les pressoirs de leur :prieuré de Château-Gonthier ; qu’il en répandait les vins, en emprisonnait les vassaux, et en enlevait _les bestiaux, refusant même au prieur l’hommage qu’il lui devait pour le quart de la terre Curtis Basilicarum, donnée jadis, on l’a vu, sous cette unique condition au premier de sa race, à Renaud Yvon. Tant de vexations ne pouvaient rester impunies. L’abbé en appela à l'archevêque de Tours, qui amena Jacques à confesser ses torts et à sanctionner le juge- ment suivant : Verser 1,500 livres aux moines; et, comme l’avaient fait ses aïeux, rendre l'hommage et la foi à l’abbaye de Saint-Aubin. L’amende payée, l’hom- mage eut lieu devant le chapitre, entre les mains de l'abbé Gauffridus de Campo-Livre, le jour de l’Assomp- tion 1237 (9). A la suite de ce différend, en septembre 1239, Jacques s’unissait à Denise ou Avoise de Mont- morency, qui lui donnait pour dot les seigneuries de Champagne et de Mellay, au Maine (3); et plus tard, pour enfants, Renaud VIIT, Emme et Philippète, dame . d'Hérouville. En 1950, ce baron fut offert comme pleige à la reine Blanche, pour lors régente, par Isa- (1) Bodin , Bas-Anjou, t. 11, chapitre XXI, et t. 1, p. 477. (2) Bibliothèque impériale, archives de Saint-Aubin d’Angers, prieuré de Château-Gonthier. (3) Gilles ‘Bry, loc. cit., p. 130. — 213 — belle de Craon, sénéchale d'Anjou, qui, venant d’ob- tenir de sa souveraine la garde de divers châteaux (1) en faveur de Bernard de la Ferté et d'Hamelin d’An- thenaise, avait juré de les leur faire rendre, quand il plairait à la reine, soit à Louis IX, soit au comte Charles d'Anjou (2). . Ce fut cette même année 1950 qu’éclata entre l’abbé de Bellebranche et l’abbé de la Roë, la contes- tation suivante, qui mit alors tout le pays en émoi. Le cœur de Maurice de Craon en fut le sujet, mais la cause résida seule dans l’amour-propre et le blâmable entêtement des deux religieux. Maurice, en mourant, avait exigé qu’on remit son cœur au monastère de la Roë; or, l’abbé de Bellebranche, en vertu de pri- viléges concédés à son abbaye par la famille de Craon, réclamait le corps en son entier. Personne ne voulant céder, il fallut établir des juges. Une sentence arbi- trale fut alors demandée aux évêques du Mans et d’An- gers par l'abbé de Bellebranche, d’abord, après con- sultation avec Hamelin d’Anthenaise et différents sei- gneurs des environs de Sablé; puis ensuite par l’abbé de la Roë, qui s’en était expliqué avec le sire de Chä- teau-Gonthier et les premiers chevaliers de Craon. Voici quelle fut la conclusion des prélats : « Le corps dudit seigneur noble sera inhumé tout » entier dans l’abbaye de Bellebranche ; au bout d’un » an, le jour du premier anniversaire du défunt, on (1) « Les châteaux.de Sabolii, de Dixaide (Rochefort-sur-Loire), de Roche-Moine et de Chantocey. » (2) Inventaire du trésor des chartes, t. v1, p. 195. — 214 — » en fera l’exhumation, et si le cœur existe encore en » son entier il sera rendu à l’abbé de la Roë: si, au » contraire, 11 ne s’y trouve plus, au lieu du cœur » l’abbé de la Roë aura la tête du défunt, ou au moins » ce qu’on en pourra trouver. » Ce jugement fut rendu le vendredi après l’octave de la Pentecôte, et de suite on procéda à l’inhumation (1). | Sous la présidence de Pierre Lamballe, archevêque de Tours, l’année 1954 vit un second concile siéger à Château-Gonthier ; il ne nous en est parvenu qu’un canon, qui ordonne au clergé de se conformer à la constitution de Grégoire IX sur les rescrits de Rome (2). Au déclin de sa vie, Jacques accomplit un acte des plus importants, mais c’est le dernier que l’histoire nous transmette sur son compte. Bry de la Clergerie le relate en ces termes (3) : « Au mois de juin 1257, » Jacobus, dominus Castri Guntheri et Castri Nogenti » Rotrodi, fait cession au roi (Louis IX) des droits » qu’il pouvoit prétendre sur le comté du Perche, fors » Nogent. » Par contre, le monarque le gratifie du domaine de « Mesonmaugis. » La charte passée à ce sujet est datée de Paris et « scellée en placard de cire » jaune tout entier d’un côté; auquel sont ses armes, » composées d’un chevron brisé de trois pièces, avec » grosses lettres à l’entour, encore lisibles : Sigillum » Jacobi, domini Castri Gunteri; et de l’autre mesmes (1) Bibliothèque de Château-Gonthier, Archives de l'abbaye de la Roë, livre Lxx1, fo 211. (2) Bodin, Bas-Anjou, t. 1, p. 471. (3) Loc. cit., livre IV, chapitre 11, page 239, — 215 — » armes en plus petite forme, avec peu de grosses » lettres non lisibles; et au dos en mesmes lettres : » Littera Jacobi, domini Castri Gunteri, de quittatione » de Belesme, la Perrière, de Mortagne, et comitatus » Perticensis, et de recompensa sibi facta, in scrinio » Pertici 193. » — Jacques décéda quelque temps après; il eut pour successeur Emme, sa fille aînée, Renaud VIIT, son seul fils, étant mort impubère. Ainsi finit la branche masculine des seigneurs de la maison de Château-Gonthier, qui portait pour armes : de gueules, à trois chevrons d’or, selon Ménage et Bo- din; d'argent, à trois chevrons de gueules, selon Tho- mas Cauvin (1), qui là nous paraît s'être trompé. Et maintenant nous allons nous occuper brièvement des personnages les plus marquants qui possédèrent en- suite cette baronnie. (1) Armorial du diocèse du Mans, p. 58. EL | III DES SUCCESSEURS DE LA MAISON DE CHATEAU-GONTHIER. Emme et ses deux maris, Géoffroy de la Guerche et Gérard Chabot. — Jean de Brienne et sa descendance. — Guillaume de 'Chamail- lard. — Pierre Il, comte d'Alençon. — Jean IT, son petit-fils, aliène Château-Gonthier à la maison d’Amboise. — Charles VIT saisit cette baronnie et l’unit à la couronne. — Au xviie siècle, Nicolas Bail- leul la possède par engagement, et la fait ériger en marquisat. — Sa famille la garde jusqu’en 1739. — Elle passe ensuite aux d’Au- tichamp, auxquels l’enlève la Révolution. — Bodin et ses haineuses appréciations historiques. — La peste noire. — Château-Gonthier est assiégé par les Anglais. — Biographie de Jean Il, duc d’Alen- çon et compagnon d'armes de Jeanne d’Arc. — Erreur de Bodm au sujet de Château-Gonthier. — Charles VIIT séjourne un mois dans cette ville. Li € Emme, Géoffroy de la Guerche et Gérard Chabot. Devenue dame de Château-Gonthier par la mort de Jacques Ier, son père, vers 1259, Emme épousa Géof- froy, seigneur de la Guerche et de Pouancé. Ménage, en son Histoire de Sablé (1), donne lieu de croire que, bientôt veuve, elle prit alors Gérard Chabot comme second mari. Il se fonde sur ce qu’on voit, dès 1262, ce Gérard payer le rachat pour Pouancé, Segré et Chà- teau-Gonthier, dont Emme seule était maîtresse. Un titre du Cartulaire de l’abbaye de Bellebranche, récem- ment analysé, confirme en partie cette assertion. Du mois de janvier 1266, il concerne un accord passé par Gérard Chabot, après nombreuses difficultés, avec l'abbé (1) Première partie, livre 1x, p. 239. EN — de Bellebranche, au sujet du moulin de Rocha, en la paroisse d’Auvers-le-Hamon, et débute ainsi : « Girar- » dus dictus Chabot, dominus Castri Gunterii, et Emma » UXOT ejus...… » Emme décéda de 1268 à 1270, lais-. sant de Géoffroy de la Guerche une fille unique, Jeanne, qui lui succéda. — Ce fut à cette époque qu’eut éga- lement lieu (23 juillet 1268) le troisième concile tenu dans notre petite cité. On y fit sept canons, dont un seul, le premier, mérite d’être rapporté : il défendait aux baillis et juges séculiers d'occuper les biens de l’'E- glise et d’y envoyer des mangeurs$ (1). Ces ogres d’au- trefois sont nos garnisaires d'aujourd'hui; on les im- posait alors aux débiteurs, qui devaient mettre logis, table et cave à leur complète discrétion, et n’arrivaient à se débarrasser de ces hôtes incommodes, qu’en payant strictement les sommes qu’on leur réclamait. Jean de Brienne. Ayant pris pour femme (1270) Jeanne de la Guerche, Jean de Brienne II, vicomte de Beaumont, petit-fils de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, et de Bérengère de Castille, devint seigneur de Château-Gonthier, de la . Guerche et de Pouancé. Il eut de Jeanne : Robert, époux de Marie de Craon; Isabelle, femme de Géoffroy d’Ancenis; et Anne, femme de Payen de Chaourches. Ménage, dans les Instrumenta de son Histoire de Sablé, nous fournit une curieuse pièce sur la femme du fils aîné de ce Jean de Brienne, Marie de Craon; c’est son (1) Bodin, Bas-Anjou , t. 1, p. 471 et suivantes. — 918 — testament. Morte en 1321, elle testa dès 1317, léguant différents dons à des établissements de Château-Gon- thier. Afin de donner une exacte idée de ce qu'était à cette époque, pour la forme et pour le fond, une sem- blable pièce, nous allons en extraire quelques passa- ges, relatifs d’ailleurs à notre sujet : 2 » « En nom dou Pere, et dou Fils, et dou Saint-Es- périt. Amen. Nous, Marie de Craon, dame de Poencé, saine de cors, Dieu Grace, et ordrenesse de nostre penssée, o l’assentement et o lauctorité de. nostre chier Seigneur : Considerant nulle chouse estre plus certaine que la mort, et nulle meins certaine que l’eure de la mort : faisons et ordrennons nostre Tes- tament, et nostre darreyne volunté, en la maniere que ensuet : Premierement, nous voulons et com- mandons que nos amendemenz soient faiz par la main de nos Exécutours, et que nos détes soient leaument paiées a ceux a qui nous suymes tenues. Item : Nous donnons et lessons... toutes nos ro- bes de quatre samits et de sarge, pour fere chasu- bles et parements des Yglises de l’Aumonnie de Chas- teaugontier.…....…. Item : Nous donnons et lessons aux curez des Yglises Paroissiaux et des pauvrez des chastelenies de... et Jde Chasteaugontier, a cha- cun cinq sols, une fois paiez, pour fere nostre ob- sèque empres nostre obit....…. . Nous voulons que si cest present Testament ne valoit par droit de Testa- ment, que toutevoies il vaille par droit de codicilles, ou de chascune autre darreyne volunté, et prions et requierons a nostre chier Seigneur dessus diet, et a honnourable home l’official d’Angiers, que il lour — 919 — » plese y appouser lour seaux, enssemble o le nostre, » en signe de verité. Donné le vendredi devant Pasques » Flouries, l’an de Grace mil trois cents et deiz et » sept. » La postérité de J.de Brienne conserva Château-Gonthier jusqu'aux deux tiers du x1ve siècle (1), qu’elle le trans- mit ensuite à l’une des puissantes familles du royaume, par le mariage de Marie de Beaumont-Brienne, petite- fille de Jean, avec Guillaume de Chamaillard, seigneur d’Anthenaise, dont la fille unique, Marie, épousa le 20 octobre 1371 Pierre II, comte d'Alençon. Jean II, son petit-fils, dont nous allons bientôt parler, aliéna plus tard cette terre à la maison d’Amboise, sur un des membres de laquelle (Louis) Charles VII la fit saisir en (1) Voici une pièce qui prouve en effet qu’en 1360 cette seigneurie était encore aux mains des vicomtes de Beaumont. Elle est extraite du Cartulaire de Saint-Aubin, fo 401 (Bibliothèque impériale, fonds Gaignières). Nous la citons en entier : « Raisons et moyens de deffense du prieur et des religieux de Saint- » Jean, contre le chapelain de Saint-Remy, en 1669. — Foulques » Néra voyant qu’il avoit faict tort aux moines de Samnt-Aubin , en » faisant bastir un château sur leur fonds, il ordonna que les moines . » auroïient tout le fief dudict chasteau, comme ïil se voit par la » charte dudict Foulques qui commence : « Anno ab incarnatione » Dei 1007, etc... » Et en effet, les seigneurs de Chasteaugon- » tier ont toujours tenu ledit chasteau à foy et hommage de l’abbé de » Saint-Aubin, comme il le prouve par plusieurs actes de foy et » hommage que lesdits seigneurs ont rendu de tems en tems à » l’abbé et aux religieux de Saint-Aubin dans leur chapitre. Ce droit » et possession ont été continués plus de trois vents ans ; c’est à sa- » voir depuis l'ordonnance de Foulques Néra de l'an 1037 jusqu’en » l'an 1360, que noble dame Marguerite de Poitiers, vicomtesse de EL Beaumont, et son fils Louis, vicomte de’ Beaumont, firent et pas- s — 290 — 1431, par arrêt du Parlement séant à Pontoise, et l’u- nit à la couronne par lettres-patentes de septembre 4434. Depuis, elle y demeura constamment jointe. On la vit bien, en 1636, aux mains de Nicolas Bailleul, mais il ne l’eut que par engagement. Ce personnage, qui fut successivement conseiller au Parlement (1610), ambassadeur (1619), président au grand Conseil (1620), lieutenant civil (1621), prévôt des marchands (1622), président à mortier (1627), chancelier de la reine (1628), et enfin surintendant des finances (1643), qu'il em- brouilla complétement; ce personnage, disons-nous, eut le pouvoir de faire ériger cette terre en marquisat » sérent une transaction avec les religieux, abbé et couvent de Samt- » Aubin d'Angers, et le prieur du prieuré. de Saint-Jean de Chasteau- » gontier, par laquelle ils firent l'échange portée par ladite transac- » tion ; sçavoir, que lesdites dames vicomtesse et son fils, vicomte » de Beaumont, bailleroïent toutes les seigneuries des autres choses » qu’ils possèdoient ez la paroisse de Bazouges, aux religieux de » Saint-Aubin et au prieur du prieuré de Chasteaugontier, lesquels, » en contre-échange, baïlleroïient aux dicts seigneurs tous les cens, » rentes, féages et seigneurie, et tous les droits qu'ils avoient à » cause et pour raison de leur dict prieuré ez ladite ville de Chas- » teaugontier, la clouaizon et circuit dudict prieuré, et le droit de » justice et seigneurie et profits, comme ils avoient auparavant et » present faict ez église et presbitère de ladicte ville de Chasteau- » gontier. — Cette transaction a esté decretée et suivie, selon la fa- » veur et teneur, jusqu’à ce tems, et sert encore picsentement de » titre fondamental au dict prieur pour les droits du sus dict prieuré, » quand à les égards. » Cette pièce prouve, sans réplique, que le château Gonthier releva pendant longtemps du prieuré de Saint-Jean, et qu’une telle sujétion féodale a dû être le résultat d'une concession faite par le comte Foulques Nerra, au moment même de la Construction du château. — 99 — (1638), aussi porta-t-il pendant un assez long temps le titre de marquis de Château-Gonthier, titre que lui a conservé l’histoire. Il mourut en 1652. Sa descendance, dont on peut lire tout l’historique dans Moréri et dans d'Hozier, garda jusqu’en 1739 ce même titre de mar- quis de Château-Gonthier. Trois Bailleul en furent ef- fectivement investis après celui dont nous sortons de parler : 1° Louis, son fils aîné, mort à 79 ans, le 11 juillet 1701, en l’abbaye de Saint-Victor, après avoir rempli au Parlement, de 1643 à 1652, les fonctions de conseiller, et de 1652 à 1689, celles de président ; 20 Nicolas-Louis, fils de ce dernier, et qui siégea aussi au Parlement, comme conseiller et président, de 1677 à 1714, date de son décès; 3° Nicolas-Louis, unique héritier du précédent. Il fut revêtu des mêmes charges que ses aïeux, mais s’en démit jeune encore (en 1718, à 39 ans) pour rentrer dans la vie privée. En 1760, nous retrouvons notre marquisat dans la maison d’Au- tichamp, et il y reste jusqu’à la Révolution. Bodin, dont nous avons cité le nom plus haut, pré- tend (1) « que les seigneurs de Château-Gonthier, de- » puis le xive siècle, surtout, n’ont point, ou presque ». point laissé de traces dans nos annales; ce qui doit »_être considéré, conclut-il, comme un avantage pour » ceux qui ont été leurs sujets, car c'était trop ordi- » nairement aux dépens de ceux-ci que les grands sei- » gneurs acquéraient de la célébrité... » Que voilà bien, par exemple, une des appréciations ironiques et haineuses de l’ancien payeur des armées républicaines (1) Bas-Anjou ,t. 1 + SOC. D’AG. 15 — 999 — de l'Oüest; de cet écrivain qui n’hésita jamais, lors- qu’il voulut contenter son mauvais et systématique es- prit, à fausser les données de l’histoire ! Aujourd’hui, les travers de Bodin, qu'ont peine à racheter les docu- ments précieux qu'il a recueillis sur l’Anjou, sont con- nus, et les anéantir, en ce qui nous concerne, serait facile, sans la longue digression dans laquelle ce point nous entraînerait nécessairement. Si donc nous arrê- tons les détails sur les seigneurs de Château-Gonthier depuis le xrve siècle, ce n’est pas qu’ils nous fassent défaut, mais uniquement, au contraire, parce qu'ils sont trop abondants. Nous avons tracé l’historique complet de la maison de Château-Gonthier proprement dite, et montré sommairement, ensuite, par quelles mains fut recueillie sa succession; cela doit suffire. Toute autre production biographique deviendrait réel- lement superflue. Rentrant dans les faits généraux d’un pays, et non d’un lieu, elle n'aurait plus cette couleur locale qui nous est indispensable. En veut-on la preuve? Les princes d'Alençon et de Bourbon, qui depuis 1371 jusqu’en 1630 environ, possédèrent la présente baronnie et furent mêlés à tous les grands événements des siècles qu’ils traversèrent, n’eurent presque jamais, un seul excepté, le moindre rapport sérieux avec elle... Voilà, nous l’espérons, qui con- clut péremptioirement. Le personnage pour lequel nous réclamons une exception, est Jean II d'Alençon, le frère d'armes de l’héroïque Jeanne d’Arc : il fut, en effet, plusieurs fois s’abriter, en danger pressant, dans sa ville de Château-Gonthier. Mais relatons d’abord, avant de parler de ce duc alençonnais, quelques par- ticularités qui lui sont bien antérieures. — 99 — Fin du XIV: siècle, Le mois de novembre 1386 vit, sous la présidence de Pierre Frérot, archevêque de Tours, un quatrième concile s'ouvrir à Château-Gonthier. On y traita, en douze canons, de la conservation de la juridiction de l'Eglise et de ses biens temporels. Le troisième de ces canons défendait d’exercer aucun droit sur les objets que le clergé faisait transporier; par terre ou par eau (1). Les derniers jours de 1348 forment une date triste- ment célèbre pour notre cité, car à cette époque parut dans ses murs, pour ne les quitter qu'après onze mois des plus sinistres ravages, la terrible épidémie dite la peste noire, qui laissa en Europe plus de 87 millions de victimes. ; Un siége auquel ne firent défaut les sanglants excès qui d'habitude découlent de là, vint aussi, au début de 1370, menacer Château-Gonthier. Au plus mal avec Charles V, le duc de Bretagne eut la félonie d'ouvrir ses ports aux Anglais, qui, conduits par le prince Ed- mond (comte de Kent), se ruërent aussitôt sur le Maine et sur l’Anjou. Sans la courageuse initiative de l’amiral Jean de Bueil, surnommé le fléau des Anglais, Chä- teau-Gonthier tombait aux mains ennernies ; mais l’ar- ‘dent amiral, rassemblant à la hâte les gentilshommes de la province, courut sus aux étrangers, les battit, « et les recoigna jusques à Vitré, » selon Barthélemy Roger. (1) Bodin, Bas-Anjou, t. 1, p. 411 et suivantes. — 224 — Jean II d'Alençon (1409 à 1476). Seigneur de Château-Gonthier, Pouancé et la Fléche, Jean fut célébre, par sa valeur, mais plus encore par les entreprises aventureuses dans lesquelles son esprit remuant et inquiet le jeta. Sa vie se partage donc en deux époques fort distinctes : la première, glorieuse et loyale ; la seconde, illogique et criminelle. Né dans le château d’Argentan, le 2 mars 1409, on le voit assister dès 1424 à la funeste journée de Verneuil, où il est fait prisonnier par les Anglais, qui ne lui rendent la liberté qu’après trois ans de captivité (1427), et contre une rançon de deux cent mille écus d’or. Ce ne fut même qu’à la suite du siége d'Orléans (1428) qu’il put reprendre les armes, mais il devint alors l’inséparable compagnon de la Pucelle, jusqu'au licenciement de l’armée royale devant Paris, qu’en vain elle avait attaqué (1430). - Jeanne professait une telle confiance pour la bravoure du duc, que, nous dit Perceval de Coigny, « toujours ».se tint plus prouchaine et acointe de luy que de nul » aultre; et toujours, parlant de luy, l’appeloit mon » beau duc, et non aultrement. » Elle le veillait avec sollicitude sur le champ de bataille, et para souvent « moult coups à luy adressés. » Aussi répondit-elle à la duchesse d'Alençon, qui la veille de l’expédition de Reims (1499) manifestait en pleurant ses appréhen- sions sur la vie de son mari, dont les débuts guerriers avaient été si malheureux : « Ne craignez rien, Ma- » dame, je vous le rebailleroi sain, et dans un état » tel qu’il est. » Elle tint parole, car ce fut grâce à ses instances qu’il s’éloigna, à Jargeau (12 juin 1429), « — 995 — d’un poste si dangereux qu’un boulet, à peine l’eut-il quitté, vint enlever la tête d’un gentilhomme angevin qui l’avait remplacé. Cest l’année même de la mort de l'héroïne de Dom- rémy (1431), que commence pour Jean cette série de félonnes aventures qui devaient l’amener à finir ses jours dans un cachot. Analysons-les rapidement. Une partie de la dot de Marie de Bretagne, sa mère, n’ayant pas été versée, le duc d'Alençon la réclama, mais vainement, à son oncle. Irrité de ses refus, il eut recours à la ruse pour le forcer à s'acquitter. Sous prétexte d'assister au mariage de son cousin de Mont- fort, fils aîné du duc breton, il se rendit à Nantes, le jour de Noël 1431, avec l'intention de s'emparer du marié, et de ne le rendre que contre argent à son épouse et à son père. N’en ayant pu trouver l’occasion, il s’en dédommagea sur le pieux évêque de Nantes, Jean de Malestroit, que l’oncle avait donné comme escorte d'honneur au neveu, pour le reconduire dans sa seigneurie. Retenu prisonnier par Jean, le vénérable prélat fut . d’abord conduit à la Flèche, où le duc de Bretagne, le roi de France et Yolande d'Aragon le firent inutile- ment réclamer. Rendu furieux par ce triple refus, le duc breton leva des troupes, les confia au comte de Laval, son gendre, et les envoya inopinément assiéger Pouancé, où son neveu se tenait avec sa famille et son otage (1439). Ce lieu n’ayant qu’une faible garnison, Jean IT se hâta d’en sortir avant qu’il fût compléte- ment investi, et gagna Château-Gonthier pour envoyer de là des secours aux assiégés. Il y trouva son'lieute- — 926 — nant, le célébre Ambroise de Lorré, qu’il fit immédia- tément partir pour la Guerche, avec ordre de défendre cette place et d’inquiéter le plus possible le corps d’ar- mée qui faisait le siége de Pouancé. Bientôt alors cette partie de l’Anjou fut en feu, et les garnisons de Chä- teau-Gonthier, la Guerche et Craon, battirent si sou- vent les Bretons, qu’elles prolongèrent la résistance de Pouancé. Mais le duc de Bourbon ayant expédié des renforts au duc, et Château-Gonthier fourni aussi de nouvelles levées, Jean se crut en état de déloger l’en- nemi et lattaqua brusquement. Il fut défait et dut se retirer dans cette dernière ville, où de Lorré, mandé par lui, négocia la paix, qui fut signée le 26 février 1432. | Onze ans après, alors que Jean IT avait appris de- puis longtemps déjà le métier de conspirateur en se mêlant à la révolte de la Praguerie (1489), Château- Gonthier revit son maître. C'était en 1443, le duc de Sommerset, à la tête de 38,000 Anglais, ravageait le Maine et l’Anjou, et menaçait Pouancé. Afin de mieux défendre sa baronnie, le duc prit, comme en 1439, Château-Gonthier pour quartier-général, et bientôt, à sa prière, y accoururent le connétable de Richemond, le maréchal de Lohéac, l’amiral Jean de Bueil, son frère Louis, le sire de la Varenne, et plusieurs autres capitaines désireux de l’aider de leurs conseils et de leur épée. Ges chefs, toutefois, ayant mis peu d'entente et de cordialité dans leurs plans, furent vaincus par Sommerset, qui, à son tour, échoua devant Pouancé, et ne retira d’autre fruit de sa victoire, que la prise de la Guerche, peu glorieuse pour lui, nulle garnison "9 — ne s’étant trouvée là. Les rapports de Jean IT avec notre localité, se terminent à cette date; depuis, elle n’entendit plus parler de lui, et pour cause. Au début de 1453, ce personnage eut en effet l’infamie de pro- mettre au duc d'York, par traité, de lui ouvrir la Nor- mandie, ce qui lui valut, le 23 mai 1456, d’être arrêté à Paris par ordre de Charles VIT. Condamné à mort le 10 octobre 1458, la clémence royale commua cette | peine en une détention à vie dans la citadelle de Lo- ches, d’où néanmoins il sortit le 14 juillet 1461, grâce au décès de Charles et à l’avénement de Louis XI, dont il était le filleul. Mais trahissant le fils ainsi qu’il avait trahi le père, Jean, le 2 février 1473, fut incar- céré de nouveau, et mourut sous les verroux, en 1476, au moment même où, prétend-on, son parrain, si peu clément d'ordinaire, allait briser ses chaines. Fin du XVe: siécle. Là se place une rectification fort importante. Bodin nous dit : « Parmi les seigneurs qui possédèrent Châ- » teau-Gonthier, aucun ne lui fit autant d'honneur » que Philippe de Commines..…., le plus véridique, » le plus hardi des historiens modernes... , ComM- » blé de biens par Louis XI, qui le gratifia, entre » autres grandes seigneuries, de la baronnie de Chä- » teau-Gonthier, par lettres- patentes datées d’Am- » boise 1472(1). » Parler ainsi de Commines, c’est com- plétement errer. Le favori du prince qui créa les postes (1) Bas-Anjou, t. 1. — 228 — n’est pas le plus véridique et le plus hardi des histo- riens modernes, car on l’a, tout au contraire, géné- ralement accusé d’avoir écrit ses Mémoires avec la re- tenue d’un courtisan qui craignit de révéler la vérité, même après la mort de Louis, qui l’aima tellement qu’un seul lit les reçut parfois. Il n’est pas non plus un des seigneurs de Château-Gonthier, la baronnie.que lui donna son roi étant, non celle qui nous occupe, mais bien la terre de Chäteau-Gaullier, en Poitou, saisie sur le vicomte de Thouars, en 1471. C’est une erreur, du reste, que divers écrivains ont partagée, et qui doit provenir de la mauvaise lecture que le pre- mier chroniqueur qui a parlé de la seigneurie octroyée à Commines, aura faite du nom de Gaultier, dans la lettre-patente, nom si facile à confondre avec celui de Gonthier. Amené en Bretagne par suite des troubles qu’y fo- mentait le duc d'Orléans, soutenu par le vieux duc Francois II et prêt à devenir son gendre, Charles VIII s’'empara d’abord de quelques points stratégiques, « puis vint résider à Château-Gonthier tout le mois de » mai 1487, plutôt dans le dessein d’intimider le duc » de Bretagne et les seigneurs ligués avec le duc d’Or- » léans, que pour leur déclarer la guerre (1). » Pen- dant son séjour en cette ville, le monarque reçut une députation de dix-neuf tanneurs, accourus d'Angers lui exposer les besoins de leur corporation, dont les statuts et les divers titres’ se trouvaient perdus. Char- les VIIL, par une autre ordonnance qui contient 921 (1) Histoire de France du P. Daniel, — 229 — articles, confirma les tanneurs dans leurs droits de maîtrise et jurande, et réglementa le commerce des cuirs (1). Cette ordonnance fut publiée à Château- Gonthier même (2). Le xve siècle touchait à sa fin quand Marguerite de Lorraine, duchesse d’Alençon, fit bâtir, l’année qui suivit la mort de son mari (1499), un couvent sous les murs de Château-Gonthier, dont elle était dame. Des religieuses du tiers-ordre de Saint-François y furent appelées. par cette pieuse princesse, qui voulut y finir ses jours. Plus tard, les guerres civiles nécessitérent qu’on abandonnât ce couvent et qu’on le transférât en la terre du Buron, où depuis il demeura. (t) Voir le Recueil des Ordonnances des Rois de France. (2) Bulletin de la Suciété Industrielle de Laval, numéro 4. — 230 — A XVIE, XVII ET XVIIIE SIÈCLES. Séparation des Coutumes de l’Anjou des Coutumes du Mame. — Guerres de religion. — Château-Gonthier défend avec ardeur les doctrines de Calvin. — Le gouverneur d’Angers y fait prélever, par la force, de nombreux impôts. — René de la Rouvraye sème la terreur dans tout le pays. — Naissance de la Ligue. — Nom- breux troubles qu’elle suscite. — Château-Gonthier se soumet à Henri IV. — Ses principaux habitants sont forcés de fuir à Angers. — Mercœur s'empare de la ville, et en rase les faubourgs et divers monuments. — L'édit de Nantes autorise cette ville à ouvrir un temple protestant. — Marie de Médicis essaie de surprendre la garnison. — La paix renaît dans la contrée. — Apparition de la République. — Rôle que joue Château-Gonthier. — Les Vendéens et les Républicains y font leur entrée. Une date importante à signaler, est celle Qui vit Anjou, rompant avec un passé presque immémorial, séparer ses Coutumes des Coutumes du Maine, avec lesquelles elles étaient unies sous ce titre commun : Coutumes du Maine et de l’ Anjou, et les publier sépa- rément. La réunion dans laquelle on arrêta cette sé- paralion, eut lieu à Château-Gonthier, le 8 octobre 1508, sous la présidence de Me Thibault-Baillet et de Me Jehan Lelièvre, membres du Parlement de Paris. La noblesse, le clergé, le tiers état y furent convo- qués (1). Charles, duc d’Alençon, pour lors seigneur de ladite ville, voulant y être représenté, y députa Gohin, son procureur. L'année suivante, à pareille (1) Bourdigné. —. Coustumes du pays et duché d'Anjou, au ‘ procès-verbal, — 931 — époque (10 octobre 1509), nous voyons ce duc accom- plir une autre formalité : il rend en personne, au roi Louis XII, hommage et foi pour ses nombreux do- maines, en la liste desquels la baronnie de Château- Gonthier figure avec cette mention : « Tennue et mou- » vante du Roy, à cause de son duché d’Anjou (1). » . Mais nous arrivons aux guerres dé religion, époque funeste où la douce et sainte morale du Christ, faussée par les uns, complétement méconnue par les autres, transgressée par tous, devint impuissante à maintenir au fourreau l’épée des dissidents; à l'y faire rentrer, quand elle en fut sortie. Alors, le fanatisme remplaça la foi; la fureur, le courage; la haine, le sacrifice. Ca- tholiques et Parpaillaux n'étaient plus les disciples d’un Dieu de mansuétude et d’ineffable charité. Pleins d’une rage insensée, au nom de l'intolérance et d’un culte dont ils ne comprenaient pas la nature évangé- lique, ils ne rêvèrent qu'excès et persécutions, que meurtres et bannissements. Et tel fut, pendant une centaine d'années, l’irréligieux, le désolant tableau qu’offrit la France. L’Anjou ne put éviter l’invasion de l’hérésie ni la présence des malheurs qu’elle traînait à sa suite. Chà- teau-Gonthier apparaît comme l’une des villes qui montra le plus d’ardeur à soutenir les doctrines con- damnées. Dès 4561, ces doctrines y avaient fait de tels progrès, que le 4 avril, parmi les insensés qui venaient, guidés par un chanoine d'Angers, Claude Pineau, saccager cette grande cité et piller ses églises, on (1) Gilles Bry, livre v, p. 358. — 232 — comptait un détachement de Château-Gonthériens (1). Un édit de pacification parut en 1563, qui sans déraciner tous ces crimes, du moins les paralysa. Tou- tefois, cinq ans après (1568) Château-Gonthier essaya de recommencer la lutte. Nous lisons en effet dans le Journal de Louvet : « Le Roy ayant juré secrettement » de débeller les énnemys de la foy catholique, apos- » tolique et romayne de son royaulme, agit en consé- » quence, et leva divers impôts pour fournir aux frais » de la campagne. Puy-Gaillard, l’un des lieutenans » du Roy dans l’Anjou, envoya le sieur de Chavigny à » Château-Gonthier pour forcer les habitans, qui ne » le vouloient, à contribuer aux frais ; mais il en trouva » les portes fermées. Prévenu de ce fait, Puy-Gaillard » se présenta avec des troupes, fit rompre Jes portes » à coups de hache, entra en ville, punit quelques- » uns des rebelles, et y laissa une assez nombreuse » garnison. » -Une nuit vint bientôt, qui devait porter à son comble l’animosité dans les deux camps, celle du 24 août 1572. Plus ardents qu’en aucun temps, quoique affaiblis con- sidérablement, dans leur soif de représailles les dis- ciples de Calvin, la Saint-Barthélemy effectuée, ne mé- nagèrent plus rien. Tout leur parut bon pour satisfaire leurs haines. Château-Gonthier vit alors l’épouvante régner en ses murs et parmi les populations qui l’a- voisinaient, grâce au fameux René de la Rouvraye. Ce personnage, seigneur de Bressault, Angevin et réformé, était devenu, par sa cruauté, l’effroi de ces (1) Bodin, Bas-Anjou, t. n; p. 93 et suivantes. — 933 — parages ; chacun tremblait à l’annonce de son arrivée; tous fuyaient devant lui. Le clergé attira de préférence ses horribles forfaits. Chaque fois qu'il put saisir un religieux, un prêtre, il le tortura, le mutila, le mas- sacra ; et, chose affreuse à dire, la peau de ces infor- tunés, ce misérable la fit apprêter et convertir en bau- driers!!.….. Deux siécles plus tard, la France était con- damnée à voir renaître de telles atrocités, avec cette différence que les Terroristes, au lieu de baudriers, portèrent des culottes de peau humaine, raffinement bien digne de ces cannibales !..… Mais la Rouvraye reçut le châtiment que méritaient ses vols, ses assassinats, ses incendies et ses dépréda- tions. Traqué comme une bête fauve, il fut pris, con- damné à mort, puis décapité à Angers le 10 novembre 1572. Sa tête, fixée au bout d’une pique, fut portée à Château -Gonthier, et placée sur une des portes de la ville, afin d’effrayer ceux qui seraient tentés d’imiter un aussi déloyal gentilhomme (1). L’Anjou se remetiait à peine de tous ces désastres, quand la Ligue, en 1576, vint y renouveler, y dépasser les précédents excès. Bussy d’Amboise, son gouver- neur, loin de chercher à calmer l'agitation qu'il y trogva, prit plaisir, au contraire, escorté de cinq à six mille soudards, à rançonner ses malheureux adminis- trés. « Il pensoit, il disoit qu’on pouvoit les bastre, » deschirer, chappeler, tenailler, violer, ranczonner, » tuer à plaisir comme bestes (2)!....…. » Et ce fut (1) Bodin, Bas-Anjou, t. 11, p. 110. (2) Bodin, Bas-Anjou , p.91. — 934 — fait, hélas! comme il le disait, comme il le pensait. Pendant les dix-sept années que dura la Ligue, Châ- teau-Gonthier eut sa part des misères communes, et joua un assez grand rôle. Un moment même il fut la vraie, la seule capitale de l’Anjou: nous dirons tout à l'heure en quelles circonstances. Racontons auparavant diverses particularités se rattachant à cette localité, et qui eurent lieu dans les premiers mois de 1589. Avril tirait à sa fin, et Brissac était aux mains d'Henri IV, quand M. de la Rochepot, gouverneur d'Angers, reçut l’avis que le baron d’Ingrandes se trou- vait bloqué dans son castel, voisin de Château-Gon- thier. Il courut à son aide « avec nombre d'hommes » pour le desgaiger; où estant, ceulx dudict Chasteau- » gontier firent sortye et vindrent aulx escarmouches, » où furent tués plusieurs capitaines et soldartz dudict sieur de la Rochepot, comme aussy en fust tué de ceulx dudict Chasteaugontier, et beaucoup de bles- » sez (1). » à Quelques jours après, le samedi 6 mai, « les trouppes » estant à Chasteaugontier, tenant le parti des catho- » licques appelé l’Unyon, sont venfs à Espinartz, prés » ceste ville, à environ 800 hommes conduitz par M. de » Commeronde,: où ilz ont esté jusques au mardy neu- » viesme dudiet mois, tellement que la guerre ne s’est » jamais veue telle, pour estre tout le peuple du » royaulme de France eslevé en armes, party contre » party, sçavoir : les Huguenotz contre les Catholic- » ques, où se commettoient de grandes vengeances à Ÿ Ÿ (1) Journal de Louvet. x — 2355 — » raison des inimitiez les uns contre les aultres, et » particuliérement en ce païs d'Anjou où y a eu de » grands désordres et désolation à raison des gens de » guerre prenant les hommes et leurs biens, tellement » Que ce n’estoient que ranczonnements, pilleryes, ra- » vaiges, feu et sang (1).» * Mais Henri III venait d’être assassiné (2 août 1589); plus forcenés que jamais, les Ligueurs angevins jurè- rent alors de se maintenir, dût la mort s’ensuivre, dans la religion catholique, et de courir sus aux Hu- guenots, partout où faire se pourrait. Or, le Lion- d'Angers tenant pour Henri IV, la Rochepot résolut d’en faire le sac, et le cerna rigoureusement (23 août). Réfugiés dans l’église, les pauvres assiégés, pressés par la faim, allaient être, malgré la bravoure de leur chef, M. de Beaulieu, forcés de capituler, quand la Rous- sière, qui commandait à Château-Gonthier pour les princes de l’Union catholique, vint à leur secours et mit les Ligueurs en fuite. Ce fut après ce combat que, ne voulant reconnaître Henri de Navarre pour roi, les magistrats d'Angers se retirérent à Château-Gonthier, s’y formèrent en conseil le 2 septembre, et arrêtérent à l'unanimité que, « suk » vant l’édit et déclaration du duc de Mayenne, pair et » lieutenant du royaume, et jusqu’à ce qu’il eût plu à » Dieu de réduire Angers au parti de l’Union des ca- » tholiques, les juridictions royales, tant de la séné- » chaussée que du’siége présidial, conservation des » priviléges de l’Université, prévôté, maréchaussée et (1) Journal de Louvet. — 936 — » autres, tant civiles que criminelles, qui avoient cou- » tume d’être exercées à Angers, le seroïent à Chäâ- » teaugontier. » Le huitième jour qui suivit cetie dé- cision, le commandant du château de Craon ayant été égorgé par les Huguenots, la garnison de cette place redouta une surprise et invoqua l’appui des troupes cantonnées à Château-Gonthier.. Quelques centaines d'hommes furent envoyés, mais c’est là le dernier acte d'opposition de cette ville contre le Béarnais. Le 29 novembre, effrayée sans doute par le sort du Mans et de Sablé, dont le bon et valeureux monarque avait eu bien vite raison, elle lui fit sa soumission; « et à touz ceulx » y le Roy pardonna' comme à tous les aultres (1). » Cette soumission ne ramena pas un calme complet dans Château-Gonthier. Henri IV avait bien pris, et à juste titre, la qualité de roi de France; mais les Li- ‘gueurs, excités par Mayenne, par le Pape et par Phi- lippe II d'Espagne, qui convoitait le trône de l’infor- tunée victime de Jacques Clément, les Ligueurs le lui contestant, la guerre civile se prolongea pour ne finir qu’en 1593, après la conversion du roi au catholicisme. Nous disons en 1593, car la résisiance du duc de Mer- gœur, qui ne fit sa soumission qu’en 1598, n'offre | qu’un caractère demi-sérieux, en comparaison de l’im- mense déploiement de forces que montra la Ligue pro- prement dite. On conçoit donc qu’en raison même de la foi qu’elle venait de jurer au successeur d'Henri II, Château-Gonthier s’attira la haine et les vengeances des (4) Voir Bodin, Bas-Anjou, et le Journal de Louvet. — 937 — Ligueurs. C’est surtout de 1591 à 1593 que nous l'y trouvons en butte. : En 1591, du 25 au 28 décembre, la majeure partie de ses habitants fut obligée de fuir et de se retirer à Angers pour se dérober, non-seulement aux menaces des Catholiques, mais encore aux déprédations des Hu- guenots. La Lande de Niaflers, alors gouverneur de Château-Gonthier, étant surchargé de troupes et devant pourvoir à leur solde, crut en effet n'avoir rien de mieux à faire, pour les payer, que d’écraser la ville des plus lourds impôts. Il crut aussi que sa qualité de disciple de Calvin lui faisait un cas de conscience de persécuter les prêtres et les religieux, et il incendia plusieurs maisons des faubourgs, désirant atteindre ainsi l'important couvent de Saint-Julien, qui s'élevait près la porte des Ponts. Il n’en fut empêché que par le soin qu’il dut prendre de sa propre défense, Mer- cœur et Bois-Dauphin s’avançant à la tête des Ligueurs vers la place qu’il gardait. Le siége, néanmoins, n’eut pas lieu immédiatement, car Mercœur fut forcé de s’é- loigner pour quelques mois. Mais en 1599, le 24 mai, ayant défait l’armée royale devant Craon, il en pour- suivit les débris jusque sous Château-Gonthier, « où » 1lz en auroient bien tué, et auroit ledict sieur de Mer- » cœur gaigné treize pièces de canon, grand nombre » de pouldres et boullets et bagaige qui y est demeuré. » Cest alors qu'il résolut d’enlever cette place, où le prince de Conti, un des chefs de l’armée battue, s’é- tait reliré, et d'où il ne put s’évader qu’à grand’peine. Sommée de se rendre, la garnison, sachant qu’elle ne pouvait être secourue du dehors ni du dedans, mit bas SOC. D’AG. 16 — 9238 — les armes, sans autre condition que la vie sauve. Une fois dans Château-Gonthier, Mercœur et Bois-Dauphin. y laissèrent reposer leurs troupes; puis, au début de 1593, craignant que l’armée royale ne vint les assié- ger, ils en rasèrent les faubourgs, l’église et le couvent des Cordeliers, la chapelle et l’hospice des Trois-Ma- rie. Et ce fut là tout ce que la pauvre cité reçut des prétendus catholiques que ses remparts-avaient abri- tés (1). : Mais nous arrivons à 1598, date de la soumission de Mercœur, et nous voyons Henri IV quitter Paris le 1er mars pour forcer ce ligueur endurei à lui demander grâce ; entrer à Angers le 7, y rester plus d’un mois, pardon- ner au duc, puis se rendre à Nantes le 9 avril, et de là publier l’édit célèbre que devait si malheureusement révoquer Louis XIV; édit par lequel Château-Gonthier fut une des six localités qui dans l’Anjou possédéèrent la faculté d'ouvrir des lemples protestants. — De cette époque jusqu’en 16920, rien de sérieux à mentionner sur notre ville, pour laquelle les maux et les discordes ne renaissent qu’à partir de cette dernière année. Alors Marie de Médicis est à Angers. Conseillée par l’évêque de Luçon, qui songe à devenir le cardinal de Richelieu, elle guerroie de nouveau contre son fils Louis XIIT, quoique un an se soit à peine écoulé depuis leur ré- conciliation à Angoulême. Jalouse, nécessairement, de s'emparer de points importants, Marie jette les yeux sur Château-Gonthier, qu’elle compte surprendre ou entraîner, et donne ordre à une compagnie de ses \ (1) Journal de Louvet. — 939 — gardes d’aller l’occuper. Démarche inutile. Fidèle à son roi, la garnison méprise les avances et les menaces des assiégeants, qui sont obligés de regagner Angers pour éviter d’être écrasés par les sorties des habitants et des troupes. Ces nouveaux dissentiments de la reine-mère-et du roi engagèrent les Huguenots à recommencer la lutte, ce qui ajouta à l'embarras et aux désastres déjà ré- gnants. Aussi, dès 1621, la contrée où nous sommes est tellement saccagée, que Louvet écrit en son Journal : « Le lundy 26e jour de juillet 1621, la royne, mère du » roy, a envoyé à Angers M. de Marillac, capitaine de » ses gardes, avec pouvoir de chasser et faire sortir » hors cette province d’Anjou les troupes de M. le duc » de Vendosme, qui vollent, ranczonnent, viollent et » ruisnent les paouvres gens autour de Chasteau-Gon- » thier et aultres endroictz. » Le-fâcheux état de choses que nous venons de signa- ler, demeura pendant de 1621 jusqu’à l’édit de grâce qui suivit, le 28 octobre 1698, la prise de la Rochelle. Toutefois, nous n'avons pas trouvé, durant ces sept années, que Château-Gonthier ait été plus malheureux que les autres villes; il partagea le sort commun, et voilà tout. Au déclin du règne de Louis XIII, un heu- reux silence se fit pour lui, et se perpétua jusqu’à Louis XVI. La Discorde avait remis son épée au four- reau, donc la France respirait et reprenait, glorieuse, son rang à la tête des nations. Aussi ne faut-il rien moins, si l’on veut citer encore quelque événement marquant qui ait trait à notre sujet, que sauter de 1628 à 1792. Alors, comme deux siècles auparavant, — 240 — la Discorde a repris son glaive; seulement ce n’est plus le fanatisme religieux qui cette fois arme son bras, ce sont les plus horribles passions : l’envie, la haine, la vengeance, jointes à l’impiété, à la folie, aux plus épouvantables principes. Mais laissons dormir toutes les douleurs, toutes les atrocités de ces temps maudits ; nous n’avons nul be- soin de leur évocation. La seule chose qui nous soit utile, en tous ces souvenirs, est le passage de l’armée vendéenne à Château-Gonthier. Racontons-le briève- ment, en l’empruntant aux pages si nobles et si vraies de l’illustre femme que Monseigneur de Poitiers sur- nommait le 98 février 1857, en présidant à ses obsé- ques, l’ange de la prière et du dévouement — à la marquise de la Rochejacquelein — puis terminons notre Notice par quelques mots sur les établissements de charité, les édifices religieux et les hommes célèbres de la ville de Foulques Nerra. C’était après sa déroute de Cholet ; l’armée royaliste, terrifiée de cette défaile, se dirigea sur Château-Gon- thier le jour même où lui parvint la nouvelle de l’as- sassinat de Marie-Antoinette. À peine si les troupes répubhicaines essayérent une résistance. Cette ville fut donc occupée par les Vendéens le 21 octobre 1793, assez tard dans la soirée. « On apprit là — nous dit » la marquise — que les Bleus, rentrés à Candé, avaient massacré quelques malheureux blessés que » nôus avions été forcés d'abandonner, ne pouvant les » transporter. Cette horrible manière de faire la guerre, excita au ressentiment. M. de Marigny fit saisir dans une cave le juge de paix de Château-Gonthier, qui Ÿ 4 > — 91 -— » s’y était caché, et qu’on lui avait dénoncé comme » un républicain exalté et féroce : il le tua de sa main » sur la place publique, et fit quelques autres exécu- » tions semblables... On fit aussi là un premier exem- » ple de discipline. Un :soldat allemand avait voulu » prendre l'argent d’une femme, et lui avait donné un » coup de sabre; il fut fusillé !..... Nous passimes » douze heures à Château-Gonthier, puis l’on partit » pour Laval. » Le 23, Westermann, à la poursuite des Royalistes, à son tour traverse cetle ville, n’y séjourne que quel- ques heures, puis rejoint l'ennemi dans la nuit du 24 au 25, près la lande de la Croix-Bataille, distante de trois kilomètres seulement de Laval. Là eut lieu la rencontre. « Les Républicains soutinrent un instant le » choc des Vendéens, qu’ils croyaient peu nombreux, » et dont l’obscurité de la nuit leur dérobait les mou- » vements. Bientôt ils furent tournés. On les prit en » queue, et le désordre devint tel, que nos gens pre- » naient des cartouches dans leurs caissons, et eux » dans les nôtres. Mais cette mêlée fut favorable à nos » hommes : ils perdirent peu de monde, et en tuërent » beaucoup aux Bleus. » Le 25 se passa tranquillement. Westermann regagna Château-Gonthier, où, le 26, toute l’armée dont il était l'avant-garde se trouva réunie. Le 27, jalouse d’en finir avec ceux qu’elle avait juré d’anéantir, cette armée marcha sur Laval. Comme précédemment, on en vint aux mains dans la lande de la Croix-Bataille. « La » mêlée commença sur les onze heures du matin. Les » Vendéens attaquérent vivement, .……… leur courage et S — 942 — » leur ténacité décidèrent le succès de la bataille : il » fut complet pour eux... Alors les Bleus se déban- » dérent et s’enfuirent en déroute jusqu'à Château- » Gonthier. Ils voulurent se reformer dans la ville, et » placèrent sur le pont deux pièces pour le défendre. » M. de la Rochejacquelein, qui les avait vivement » poursuivis, dit à ses soldats : — Hé bien! mes amis, » est-ce que les vainqueurs coucheront dehors, et les » vaincus dans la ville?.... — Les canons furent pris, » les Mayençais culbutés, et nos gens entrèrent dans » Château-Gonthier. M. de la Rochejacquelein continua » la poursuite. Il vit que les Bleus tentaient encore de » faire front; il fit courir tout de suite à Château- » Gonthier, pour qu’on lui amenât de lartillerie..…. » Les Républicains furent une dermière fois rompus » el poursuivis jusqu'à la séparation des routes de » Segré et du Lion-d’Angers. » Nous avons recueilli, dans le Mémorial de la Mayenne (1), les noms de différents prêtres de Château- Gonthier, guillotinés en cette ville ou à Laval, sous la Terreur, nous allons les mentionner ici pour clore cet épisode révolutionnaire : 4o Davin, prêtre, né à Château- Gonthier, massacré en 1793 près de Quelaines. 20 GILBERGE (Claude), curé de Châtelain, né dans ce lieu en 1726, guillotiné à Château-Gonthier le 9 août 1794, condamné par la Commission républicaine. 30 THoMAs (Pierre), ancien aumônier de l'hôpital de Château-Gonthier, né au Ménil-Rinfray, près Mortain, (1) T. iv, p. 240. — 943 — le 3 mars 1799, guillotiné à Laval le 21 janvier 1794, condamné par la Commission. 40 TRIQUERIE (Jean-Baptiste), religieux cordelier, chapelain de la communauté du Buron, à Château- Gonthier, né à Laval le 4er juillet 1737, mort à Laval le 21 janvier 1794, condamné par la Commission. ÉGLISES ET ÉTABLISSEMENTS DE CHARITÉ. Chapelle de Saint-Rémy. — Saint-Jean. — Saint-Jean-l'Evangéliste. — Histoire et Archéologie. — Collégiale de Saint-Just. — Hos- pice Saint-Julien. — Maison Saint-Joseph. — Maison des Incura- bles. — Salles d’asile, Ouvroir , etc. Eglises. Chapelle de Saint-Rémy. -- On la considère comme la plus ancienne église de la ville, et même de la con- trée. En la qualifiant ainsi, nous entendons parler seu- lement de sa nef, bâtie par les moines de Bazouges, qui créèrent cette chapelle au début du re siècle pour servir de succursale à leur prieuré. Saint-Jean. — L'histoire et l'archéologie sont d’ac- cord. pour en fixer la construction à la fin du xe siècle. : On n’y rencontre pas, il est vrai, le petit appareil carré particulier à cette époque, mais la faute en est uni- quement à la pierre du pays, si feuilletée qu’elle se refuse à subir l'attaque du marteau. Le défaut de cette pierre porta un véritable préjudice à cette église, en ce sens qu’il ne permit pas de recourir aux richesses — 9244 — sculpturales pour son ornementation; ce qui donne à ce monument une rudesse d'aspect qui déplait d’abord; mais à l’examen on rend justice à la précision des li- gnes comme à la régularité du plan. Assise sur le roc, l’église Saint-Jean défiera bien des siècles et deviendra de plus en plus intéressante, en raison même de son âge et de la parfaite homogénéité native qu’elle a su conserver. Elle est ainsi divisée : une nef principale et ses deux collatéraux; un transept avec tour et flèche au centre; deux petites absides vis-à-vis des bas-côtés ; un chœur et une abside principale; enfin, sous ces dernières parties, une crypte récemment restaurée, et la seule, il est bon de le faire remarquer, qui se puisse voir dans le département de la Mayenne. Saint-Jean-l Évangéliste. — L'opinion la plus répan- ‘due indique le xmmIe siècle comme date de son édifica- tion. Simple chapelle sans territoire, elle fut desservie par le clergé de Saint-Jean, ce qui lui valut le surnom de Petit-Saint-Jean, tandis que l’église paroissiale fut nommée, par opposition, le Grand-Saint-Jean. Ces ap- pellations sont encore en usage aujourd’hui, quoiqu'il ne reste plus du Petit-Saint-Jean que son soubassement, sur lequel s’épanouit un charmant parterre. Établissements de Charité. Collégiale de Saint-Just. — Elle fut créée par Re- naud Ier pour servir de chapelle au château qu’il avait construit. Alard IIT la donna aux chanoines de Saint- Maurice d'Angers; puis elle devint plus tard, grâce au dévouement des religieux de son chapitre, le foyer d’où — 9245 — sortit le collége ‘de Château-Gonthier, si Justement cé- lèbre aujourd’hui. Hospice Saint-Julien. — Alard IV le fonda en 1206. Complétement détruit en 1593, par suite des ordres de Bois-Dauphin, qui craignait que l’ennemi s’emparât du faubourg d’Azé, dans lequel il était construit, il ne fut rétabli qu’en 1674. Le 19 février 1794, fermé de nou- veau au moment de l’emprisonnement des saintes filles qui le desservaient, il fut rouvert le 24 juin 1801. Maison Saint-Joseph. — Elle est comme la succur- sale de l’Hospice; le même ordre de sœurs la dirige; la seule exception qu’on y remarque, c’est qu’elle n’ac- eueille que les vieillards et les enfants trouvés. Son origine remonte à 1662. A cette date, une demoiselle Leclerc entreprit, au village du Martray, d'élever à ses frais quinze orphelins. En 1680, Marie Doublard suc- cède à cette femme bienfaisante, augmente son œuvre, et en transporte le siége en plein faubourg de Tréhut, où dix-huit ans plus tard (1698) la ville, à son tour, apporte sa coopération en élevant les constructions ac- tuelles. Maison des Incurables. — Elle remonte à 1769, et doit son existence aux généreux dons et aux charitables soins des demoiselles Dublineau et Rose Marais. De- puis 4839, elle est réunie à la Maison Saint-Joseph. Aux divers établissements que nous venons de citer, il faut ajouter encore : deux Salles d’Asile organisées par la municipalité, un Ouvroir, une Maternité, des Ecoles des Frères, et enfin des Sœurs garde-malades. — 246 — VI HOMMES CÉLÈBRES. Nos multiples recherches n’ont pu nous amener à découvrir d’autres personnages marquants nés à Châ- teau-Gonthier, que ceux dont les noms suivent. — Sont-1ls tous réellement à citer ?... Nous nous fussions probablement montré plus difficile dans nos choix, si notre liste avait été, mieux garnie; mais sa pénurie nous a engagé à l’indulgence. Ce n’est pas, cependant, que nous n’ayons consciencieusement fouillé. L'abbé Blanchet. — Dans la 2 partie de son Histoire de Sablé, Ménage nous apprend que ce prêtre, qu’il dit natif de Château-Gonthier, écrivit en vieux vers fran- çais — il en cite même quelques-uns — la vie des saints Célerin et Cerené. Simon Haye-Neuve. — Architecte et peintre, né en 1450, il se retira en 1500 à l’abbaye Saint-Vincent du Mans, où il mourut en 1546. Barthélemy Roger s’ex- prime ainsi sur lui, en son Histoire d'Anjou : « Il a » passé pour le plus habile architecte de France, de » son temps. » Jean Spina ow de l'Espine. — Ministre calviniste, auteur de plusieurs ouvrages de controverse et de mo- rale trés peu goûtés. Il naquit vers 1524 et mourut à Saumur en 1594. Matthieu Pinault. — I fut jésuite, puis oratorien, et rentra ensuite dans la vie ordinaire, où il se voua à la jurisprudence. Le Parlement de Tournay l’eut — 947 — pour président à mortier, et plus tard pour premier président. On a de lui un Recueil d'arrêts, la Coutume de Cambray commentée, et l'Histoire du Parlement de Tournay. 1 mourut à 76 ans, vers la fin du xvire siècle. L'abbé Péan de la Thuilerie. — Cest à lui qu’on est redevable de la Description de la ville d'Angers et de tout ce qu’elle contient de plus remarquable (1778), ouvrage renfermant des documents aussi curieux qu’authenti- ques. René-Mathurin Thoré. — Bodin lui doit une partie des pièces qu’il a publiées sur les évêques d'Angers et sur leur cathédrale. Avocat au Parlement de Paris, il passa de longues années à feuilleter-les Cartulaires et les Archives, recueillant avec soin tout ce qu’il y trou- vait sur l’Anjou. Les manuscrits qu’il a laissés, jouis- sent d’une juste estime. Né en 1756, 1l décéda en 1811. Dom Bernard Geslin. — Tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il fut — nous dit Bodin — membre de la savante Congrégation bénédictine, et qu'il y tint fort convenablement sa place. La date de sa naissance, celle de sa mort ne nous sont pas connues. Charles Loyson. — C’est le jeune poète auquel nous avons emprunté notre épigraphe, et qu'une mort pré- maturée arracha, en 1820, au séduisant avenir que semblaient lui promettre les applaudissements accordés aux premiers chants de sa muse. Il était né en 1791. BONNESERRE DE St-DENIS, Rédacteur de l'Union de l’Ouest d'Angers. POÉSIE TRISTESSE D'UN ROUGE-GORGE RACONTÉE PAR UNE JEUNE FILLE. J'aime le doux chant des oiseaux, Et leurs ébats et leur plumage; Comme ils sont gais, comme ils sont beaux, Comme ils font un mignon tapage Quand je pénètre le matin, Les mains pleines, dans ma volière, Laissant la bande familière De mes bras prendre le chemin! ‘La caille en piétinant s’avance ; Le pierrot avec insolence, Au timide verdier fait peur; Dans les plis de ma robe rose, Un bengali vole, et se pose Comme au calice d’une fleur. Je soigne toute la famille; À chacun ses mets favoris ; Avec chacun d’eux je babille, — 249 — Je caresse grands et petits. Mais au fond du cœur je confesse Que je ressens de la faiblesse Pour deux modestes oisillons Qui, réunis sur une branche D’épine blanche, Vivent loin de leurs compagnons. Ce sont des rouge-gorge, humbles, mélancoliques, Jolis, mais sans éclat, dont les voix sympathiques Me font souvent rêver, quand ils chantent tout bas; Oiseaux, 1ls sont ce que, fleur, est la violette : On les voit, on les aime, ils ne se montrent pas. Lui n’est pas importun, elle n’est pas coquette, Et quand j'entre, tous deux, sans se montrer jaloux, Me laissent prodiguer des caresses à tous ; Puis d’un regard timide et rempli de prières, Semblent dire : « À présent, n’est-ce pas notre tour? » Et moi qui comprends bien leurs gentilles manières, Qui leur rends amour pour amour, J’offre soudain mes doigts à leurs discrètes pattes ; Avec eux, tour à tour, je me plais à jaser, Et sur leur tête délicate Je pose, en les quittant, un maternel baiser. Ils ne viennent qu’à moi, toute voix étrangère Fait trembler mes petits peureux; Ils se blottissent tous les deux, Serrés l’un contre l’autre, en leur coin solitaire. On ne vit nulle part deux êtres tant s’aimer; Ils ne se quittent pas, n’ont jamais de querelles, Savent de leurs doux chants l’un l’autre se charmer; Toujours bons, gracieux, fidèles. — 250 — Or, un matin/(car en ce monde, Les oiseaux ainsi que les rois, Du malheur subissent les lois!) Un matin, ne pouvant chez eux faire ma ronde, J’envoyai, vers mes délaissés, Un autre moi-même, est-ce assez 2... À l’aspect du nouveau visage, Grand fut le désarroi : plus de joyeux ramage, Plus de caresses, d’airs amis; Mais dans la gente république Une épouvantable panique ; Fuites à tire-d’aile, effroi, fureur et cris. Au milieu de cette tempête, Mes pauvres petits effarés, Volant, fuyant, perdant la tête, Se jettent aux panneaux vitrés… Sur ce jour extérieur, soudain leur œil se pose, L’astre d’or, le ciel bleu les fascinent alors; Is vont ainsi jusqu’à la porte, hélas! mal close! Le mâle passe, .….… il est dehors. On ferme la porte si vite Que ma pauvre chère petite Ne peut joindre son compagnon, Et que, dans sa douleur amère, Elle demeure prisonnière… Sans lui! sans lui!...…. quelle prison ! Dés qu’on m’ent raconté cette triste aventure, J’accourus, appelant, furetant en tous sens, Atlentive à chaque murmure, — 951 — Fatiguant les échos de mes cris incessanis. Lui, qui venait si bien à ma voix caressante, D'un peñt air câlin, s'appuyer sur mon bras, Qu’était-il devenu? Jusqu’à la nuit tombante J’attendis vainement : l'oiseau ne revint pas! Qu’était-il devenu? Dans sa frayeur soudaine Avait-il agité ses ailes si longtemps Qu'il perdit son chemin et mourut à la peine, Cherchant l’amour de son printemps? Avait-il rencontré le milan sanguinaire, Et vu sitôt la fin de son bonheur perdu ?.… On l’attendit en vain auprès de la volière, Pauvre petit oiseau qu’était-il devenu ?.… Quant à la triste prisonnière, Rien ne vibre chez elle; à ses yeux rien ne luit; Immobile et muette, elle reste, et languit Dans sa souffrance solitaire. En vain, j'ai voulu lui parler, La caresser, la consoler, L’arracher à sa léthargie; Elle ne comprend plus, n’aime plus, ne sent rien: Elle attend; c’est le seul lien Qui la rattache à cette vie. Attendre! et qu’attends-tu, pauvre âme désolée, Les regards attachés sur l’horizon lointain, Insensible à ma voix, méconnaissant la main Qui La si bien toujours soignée ? Guettes-tu le moment où la mort va venir Dans l’éternel oubli plonger ion souvenir, Et te rendre au néant, Ô frêle créature ? — 9252 — Puisqu’une loi, peut-être injuste, hélas! bien dure, Vous ôte tout espoir, et ne vous permet pas De retrouver là-haut lés absents d’ici-bas !.… ° Peut-être aussi crois-tu, que te servant de guide, L'amour te conduira de buisson en buisson, Et soutenant ton vol timide, T'emmèênera bien loin, derrière l'horizon, Jusqu'au réduit désert où l’époux que tu pleures, Pleure, et triste, souffrant, voit s’écouler les heures Sans espérance et sans chansons ; Alors lu vois en songe un beau soir d’hyménée, La chère causerie au passé ramenée, Les doux serments, les longs regards, les tendres noms. Ah! puisque d’un amour si grand et si durable, Les petits des oiseaux ainsi savent aimer, Va donc, chère captive, et qu’un vent favorable, En soutenant ton vol, t'aide à le retrouver. Mais, si longtemps en vain tu fatigues tes ailes, Si l’espoir t'est ravi par un fatal destin, Ah! souviens-toi de moi dans tes douleurs cruelles, Et reviens mourir sur mon sein !.…. Saumur, 1859. ARCHÉOLOGIE DOLMEN DES MOLLIÈRES PRÈS DE BEAUVAU. Les faits seuls constituent la base sur laquelle repo- sent les sciences. On doit les étudier avec soin, en constater les rapports avec exactitude. Le plus petit fait, accompli dans l’espace et le temps, mérite de fixer l’attention, car il est un anneau de la grande chaîne des connaissances humaines. Au sein de la forêt de Chambiers, à l’extrémité ouest du coteau de Beauvau, au point où il s'incline dou- cement dans le val d’Ivry, à un kilomètre de Beauvau, s’élève un des dolmens les plus remarquables du pays. Le Celte égaré dans les sentiers de la forêt éprouve, en passant près de ce lugubre tombeau, une sensation d’effroi qui trouble sa raison; la voix du désert frappe son oreille et lui crie : « Fuis; c’est la fée du coteau de SOC. D’AG. 17 — 954 — Beauvau qui, filant sa quenouille d’une main, posant de l’autre ce dolmen, dit en retournant la tête :'Qui- conque touchera à cette pierre, périra dans l’année. » Sainte et séculaire tradition qui nous a conservé ces an- tiques monuments (1). ; Les Celtes, comme tous les peuples de l’antiquité, nourrissaient un culte religieux pour les pierres. Les Bétyles, en effet, n’étaient que des pierres consacrées qui devinrent bientôt animées et se métamorphosèrent plus tard en statues, renfermant dans leur sein les dieux auxquels elles étaient dédiées (2). Jacob donna, à la pierre qui lui servit d’oreiller, le nom de Maison de Dieu. Asclepiades, étant monté sur le mont Liban près d'Héliopolis, vit un grand nombre de Bétyles, et il en .rapporta des choses surprenantes. Isidore de Sicile les vit également. Une inscription étrusque atteste que les peuples de l'Orient dédiaient aux dieux des Bé- tyles. Ce culte remonte donc à la plus haute antiquité; les dolmens et les, pierres debout ne sont donc qu’un reste de cette idolâtrie. Le dolmen des Mollières est situé sur un terrain arénacé. C’est un carré long, parallèle à la direction de l’axe de la terre. Il a 4 mètres 60 centimètres de longueur. La table qui recouvre ce dolmen a 4 mètres de longueur, 2 mêtres 42 centimètres de largeur, et 1 mètre 10 centimètres d'épaisseur. Cette énorme masse de quartz graniteux est soutenue par sept pierres placées les unes à côté des autres et (1) Tradition de l’antique ville de Beauvau. (2) Court de Gébelin. — 955 — debout; à l’orient, deux pierres : la première a 1 mètre 82 centimètres de largeur, la seconde, 2 mèétres 87 centimètres ; à l’ouest, également deux pierres, la pre- mière, 82 centimètres de largeur, la deuxième, 3 mé- tres. La hauteur de ces quatre pierres est de À mêtre 2) centimètres. Au midi, ce dolmen est fermé par une pierre qui a 62 centimêtres de largeur, 36 d'épaisseur, et 1 mètre 5 centimètres de hauteur ; au nord, par une pierre qui a À mêtre 80 centimètres de largeur, 1 mé- tre 22 centimètres de hauteur, et 40 centimêtres d’é- paisseur ; à droite et à gauche, deux autres pierres de la même hauteur et de la même épaisseur ferment exac- tement cette ouverture. Les sept pierres soutenant la table de ce dolmen sont enfoncées dans le sol à une profondeur de 60 cen- timêtres, équivalente à la pression exercée par le poids de la table à l’instant où elle a été posée sur ces pierres de soutènement. La pierre tombale repose sur son plat. Au milieu du dolmen, elle a 2 mètres de long, 1 mé- ire 36 centimètres de large, 20 centimètres d’épais- seur ; ses bords sont rectilignes. De larges pierres, appuyées sur leur plat entre ces bords et les pierres de soutènement, encastrent cette pierre tombale et, par cette disposition, les pierres de soutènement sont inébranlables sur leur base, solidité conquise sans ciment ni mortier, et qui peut braver impunément la dent des animaux carnassiers. La face sidérale de cette pierre est plane, la face terrestre est concave légèrement, pour s’accommoder aux corps ar- rondis sur lesquels elle se trouve placée. — 956 — Le 96 septembre 1856, nous enlevâmes la pierre fer- mant le tombeau au nord, à l’aide de leviers et de bras d'hommes. A l'instant où elle s’échappa de dessous la partie nord de la table, il se fit un énorme craque- ment; cependant rien ne bougea. Le 27 au matin, en présence du spirituel curé de Beauvau, de l’éloquent curé de Jarzé, de l’honorable curé de Lué, du vicaire archéologue de Jarzé, et du jeune critique armoricain, précepteur de M. Dumas, nous entraînâmes au dehors, à l’aide de six forts bœufs et de deux chevaux, la pierre tombale. Nous aperçûmes à l'instant, à fleur de terre et sur une légère excava- tion, quelques ossements humains. Je les réunis pour les étudier. Les os des pieds étaient au nord, les têtes au midi. Cette disposition est le résultat des croyances religieuses des Celtes. 1 Nous ne trouvâmes, à côté de ces corps, ni armes en silex, ni vases, ni charbon, rien qui fût propre à nous éclairer. M. Champollion-Figeac (1) a décrit plu- sieurs dolmens sous lesquels on trouva, comme nous, des cadavres. Il paraîtrait, d’après cet illustre acadé- micien et notre propre observatton, que ces dolmens sont des tombeaux et non des autels sur lesquels les Druides sacrifiaient des victimes humaines. Ce savant académicien a trôuvé, dans les tombeaux qu’il a décrits, différents objets; cela tendrait à prouver que ces monuments sont d’une date plus récente que le tombeau des Mollières ; que les Gaulois, à une épo- (1) Recherches archéologiques. — 9257 — que plus rapprochée de nous, déposaient dans leurs tombeaux les objets qu’ils avaient chéris pendant leur vie. Plus tard et à une époque encore plus rapprochée, ils placèrent sur leurs monuments funèbres des épi- taphes. C’est ainsi que la servante de Gordianus, Sphylla, fit graver en vieilles lettres grecques, sur le tombeau de son maître, une épitaphe que le temps nous a lé- guée (1) et qui prouve le noble dévouement de cette fille pour son maître. Nous avons calculé la solidité de la table de grès quartzeux, et nous avons trouvé qu’elle cubait 10 mé- tres 5 centimètres, et qu’elle pesait 21,624 kilogram- mes. Pour soulever cette masse et l’élever à une hau- teur, au-dessus du sol, de À mètre 32 centimètres, point où elle est posée, il ne faudrait pas moins qu’une force combinée de 216 hommes; mais comme il est impossible de grouper autour d’elle 216 hommes, il fallait bien que les Gaulois possédassent un moyen mé- canique équivalent à cette force vive. Nul ne peut dire quelle était cette force. On ne peut faire que des con- jectures semblables à celles que l’on fait sur les. pyra- mides et la tour de Babel (1). Mais ce qui prend un caractère de certitude, ce sont les os trouvés sous la pierre tombale ; deux radius très forts avec tubérosités bicapitales bien accentuées, deux péronés vigoureuse- ment contournés sur eux-mêmes, un tibia gros et long, ne laissent aucun doute que ces os n’aient appartenu à un homme vigoureux; mais à côté, deux autres ra- * dius moins longs, moins gros, plus arrondis, avec de (1) Court de Gébelin, v. 3. — 958 — petites tubérosités sans saillie, dénotent, avec un cal- caneum peu saillant en arrière , l'existence d’une femme ; enfin plusieurs petites côtes presque sañs gout- tières, deux petits radius, ne laissent aucune incerti- tude sur l'existence d’un enfant. Nous avons donc af- faire à un tombeau de famille. Vers le sud-est, il exis- tait, au tombeau des Mollières, une ouverture en forme de porte, qui donnait accès sous ce dolmen et qui de- vait se refermer par une pierre adroitement rappor- tée. Les Druides étaient mariés et ils initiaient leurs fem- mes à leurs mystères. Nous avons trouvé, sur un frag- ment de la mâchoire inférieure, des dents incisives usées, des molaires cariées et usées; ce qui nous apprend que dans ce tombeau reposait une personne, âgée. Si nous avions rencontré un large coronal bien conservé, nous aurions pu conjecturer que le Druide dont nous examinons les restes, était un homme à larges conceptions, mais nous n’en avons irouyvé que des débris. Ÿ Le mot drus, racine grecque, signifie chêne. N’est-il pas permis de penser que les premiers Druides qui.se sont établis chez les Gaulois étaient des prêtres grecs de la forêt de Dodone, qui ont apporté chez nos pères le culte des arbres? Court de Gébelin dérive le mot druide de drud, homme sage et puissant. En effet, les Druides étaient les sages et les grands dans la nation gauloise. Les clans ou les nobles commandaient les -armées, et le peuple labourait ou cultivait le sol. (1) Goyet, Origine des sciences et arts. — 959 — Les sacrifices humains furent établis sur toute la terre, et ce fut Abraham qui en donna le premier exemple,"en voulant immoler son fils Isaac. Les premiers hommes furent poussés à l’anthropophagie par le manque de nourriture. Ils ne purent immédiatement oublier ces repas de cannibales et ils établirent publiquement des boucheries humaines (1). Si les Celtes immolaient des victimes humaines, c’élait pour accoutumer les jeunes Celtes à la vue du sang, ranimer dans leurs cœurs l’amour de la guerre et en faire le peuple le plus belliqueux. Le Druide, comme le prêtre païen, disait à sa vic- time : Le sang qui va couler de tes veines lavera tes souillures ; tu arriveras pur et tu apparaîtras comme une lumière devant Dieu (dom Martin, Vie et mœurs des Gaulois). Les sacrifices humains furent abolis chez les Gaulois avant la conquête, et si César en fait en- core le reproche à la nation qu’il vient de vaincre, aucun auteur romain n’en parle. Les Celtes ne croyaient pas que l’homme fût le roi de la terre, mais seulement son esclave. Au physique, cela est vrai, mais au moral il domine la matière, et est le géant de la création. Dés la plus haute antiquité, les Celtes étaient nourris dans les vrais principes de la philosophie. Ils ensei- gnaient l’immortalité de l’âme et la résurrection des corps. Ils professaient les mathématiques, l’astronomie et l’agriculture. Ils cultivaient les arts et l’éloquence. Les dames gauloises portaient des anneaux d’or aux doigts, des colliers d’or, des boucles d'oreilles et des (1) Goyet. — 260 — bracelets. Tacite nous apprend qu’ils pratiquaient re- ligieusement l’hospitalité et que leur police était douce et active. L Les Celtes honoraient les hommes riches en ajoutant à leur nom de famille la syllabe rix, comme Ambiorix, ou celle de cus, comme Dumnacus, homme prudent. Divitiacus fut envoyé près du Sénat pour en invoquer l'appui, et il parla avec une telle éloquence, que cette auguste assemblée en fut étonnée, que Cicéron l’em- brassa et qu’il devint l’ami de César. Columelle recommande aux agriculteurs d’aller dans la Cénomanie pour y acheter des bêtes bovines. La Gaule possédait 300 villes ; elle était parsemée de splen- dides maisons de campagne entourées de vastes parcs. Ce sont les Gaulois qui ont inventé l’avant-train de la charrue. Ils connaissaient la puissance des engrais en marnant leurs terres. Ils avaient des temples, car l'épée de César fut sus- pendue dans un temple de Gergovie. Ils creusaient dans leurs parcs de vastes souterrains où ils cachaient leurs trésors. Ils écrivaient leur langue avec des caractères grecs, comme nous écrivons la nôtre avec les lettres ro- maines. À ) La civilisation de la Gaule était si avancée, qu’elle égalait presque celle de Rome. César n’hésita pas à appeler au Sénat les plus nobles Gaulois, et nos pères siégeaient honorablement dans la première assemblée du monde. Lorsque les Druides, armés de leur serpette d’or, coupaient, au renouvellement de l’année, le gui sacré pour l’offrir en étrennes aux clans, ils étaient — 961 — vêtus de tuniques blanches et de chappes dorées. Ce rapide aperçu de la civilisation gauloise ne permet pas de poser la date de l'érection du dolmen des Mollières pendant la durée de ce développement intellectuel. Comment faire accorder la construction d’un tombeau aussi brut avec l'ambassade de Diviaticus? Le dolmen des Mollières rappelle un monument cyclopéen; il est sans mortier et sans ciment, caractère assigné à ces constructions par Champollion-Figeac. M. Adville, dans son ouvrage sur la Crimée, cite, sur le texte de Pausanias, un dolmen situé en Béotie, près d’Orchomène, qu’on appelait Trésor de Myssias, et dont les auteurs font remonter l’origine jusqu’au 44e siècle avant Jésus-Christ. Pourquoi le dolmen des Mollières ne serait-il pas d’une date égale au dolmen de Béotie? Si les Celtes sont antérieurs aux Grecs, comme cela semble prouvé par les études des linguistes allemands (1), on ne sait jusqu'où pourrait remonter la date de notre doimen. Dr OuvraR». (1) Langues de l'Europe moderne, par Schlegel, de l’Université de Bonn, 1er vol. ITALIE À l’ombre d’un trophée, insigne de sa gloire, Une belle guerrière au front pur, au teint blond, Tranquille reposait dans un sommeil profond Le lendemain de la victoire. Elle semblait rêver : ses lèvres en priant, Par instant s’entr'ouvraient et murmuraient encore Les noms toujours rivaux du maître du Bosphore Et du colosse d'Orient. Elle nommait ces lieux témoins de sa souffrance, Témoins de sa grandeur, et puis pleurait tout bas Ses fils, ses fils chéris. qui ne reviendront pas; ” Cette reine... c'était la France! Lorsque ce mot rempli d’euphonie et d'amour : « Ma sœur! » vint caresser doucement son oreille; Et la France tressaille et la France s’éveille Répétant : « Ma sœur! » à son tour. — 263 — Près d’elle se traînait, sous une lourde chaine, Une femme à l’œil plein de tristesse et d’ardeur, Et sur son sein laissant retomber de douleur, Son front brun aux cheveux d’ébène. À travers le chagrin qui flétrit sa beauté, Dans le deuil et les pleurs tandis qu’elle chemine, En ses traits se trahit une haute origine Et le sceau de la majesté. Rien qu’à la voir on sent que la lutte est la vie De ce cœur comprimé, gonflé par les sanglots; Cette femme a du sang des dieux et des héros... Cette esclave. c’est l'Italie. Pardonne-moi, ma sœur, de troubler ton repos, Dit-elle, que ma voix ne soit pas importune ; Tu vis dans les splendeurs, je suis dans l'infortune, Je veille dans les fers, tu dors sur tes drapeaux! [l Ah! je fus grande aussi : j’eus mes aigles moi-même, Dans leurs serres je vis le monde suspendu, Mais un jour je sentis, sur mon front abaitu, Le talon d’un maître suprême. Et puis un autre vint, un autre le suivit. Je devins le jouet des hordes étrangères, Et les peuples sur moi semblent venger leurs frères Par cet incessant interdit. — 264 — Quels récits attends-tu de la fille d'Enée, Qui ne soient parvenus à la postérité ? A quoi bon te parler de ma célébrité Quand tu Surpassés ton aînée ? Que puis-je, désormais, ma sœur, auprés de toi ? Qui dirait à me voir en ce jour avilie, À celte heure où chacun me méprise ou m’oublie, Que l’univers porta ma loi? De Rome, sous mes traits, qui reverrait la mére? Force de Romulus, sagesse de Numa, Vous que chacun craignit et que chacun aima, Je vous cherche en vain sur la terre. L’antique Latium pleure sur mon destin, Vers le néant, à l'heure où mon ombre recule, Tout semble m’accuser, du Tibre au Janicule, Du Cœlius à l’Aventin. À travers sept cents ans et par trente-sept pories L’honneur entra dans Rome; au mépris de ses morts La honte entra depuis dans ses murs à pleins ‘bords; O temps, vois ce que tu m’apportes ! Ai-je enfanté Lucrêce, ai-je enfanté Brutus ? Au fond de ma douleur, de moi-même je doute : Est-ce ici que devait aboutir cette route? Ai-je eu la gloire et les vertus? — 265 — Les Gracques dans mon sein ont-ils puisé leur sève ? Camille qui battit tes aïeux autrefois, Décius dont Pyrrhus reçut jadis les lois, Tout cela n’est-il donc qu’un rêve? Régulus, Scipion, vous que mon bras arma, Rouvrez, pour me venger, cette terre souillée; A mes pieds ai-je vu Carthage humiliée? Répondez, mânes de Zama ! Mânes de Jugurtha, mânes de Mithridate, A mon char de triomphe ai-je enchaîné les rois? Faut-il donc à ces jours de grandeur et d’exploits, De mon deuil remonter la date ? Ombre de Marius, le permettriez-vous ? Mes mains n’ont-elles pas ressaisi cette épée Que César sut depuis arracher à Pompée, Et dont longtemps la Gaule a ressenti les coups ? Je ne vois pas encor s’éteindre cette race Qui me fit iressaillir en ma maternité ; Tullius parla-t-il! moi-même ai-je écouté Les chants de Virgile et d'Horace? Les tyrans vont régner, mais Tacite viendra, Senèque, Epicharis subiront la torture; Les victimes pourront succomber sans murmure, Mais l'Histoire les vengera ! — 6 — Il est vrai qu’il survint une heure dans ma vie, Où, pliant sous le poids de ma prospérité, Ruisselante de luxe, ivre de voiupté, Me trainant du sang'à l’orgie, Je tombai..... L'univers attendait ce moment; De tous mes ennemis ma honte fit la joie: Des Suëèves, des Goths bientôt je fus la proie, On allait partager mon corps sans mouvement. Mais je me réveillai, je vis devant mon ombre, Au nom du Christ soudain s'arrêter Attila, La voix du Dieü vivant bientôt me rappela Au trône, du sépulcre sombre! De leur sang généreux, les martyrs ont lavé La pierre où s’accomplit ie sacrifice antique; Des chrétiens vers César s’exhale le cantique..…. Son règne seul est achevé ! Je renais par la foi, ma gloire recommence Quand mon front trois fois saint surmonta le danger, Quand j'ai pu le soustraire au joug de l'étranger, C’est sous l'égide de la France ! Avoir mis son empire aux mains des Hildebrand, Des Site, des Léon avoir vu le génie, Des Dante, des Pétrarque ouï la mélodie, Ma sœur, pour un pays, c’est avoir été grand. — 267 — Ce fut grand de donner leur crayon, leur palette Aux Michel-Ange ainsi qu'aux Raphaël d’Urbin, Aux Tintoret, Carrache, aux Bramante, aux Bernin, Vers mon beau ciel levant leur tête. Ce fut. grand de compter au rang de ses cités, Ainsi que des enfants dont votre âme s’honore, Naples qu’une vapeur brûlante embrase et dore, Et Sorrente aux bords enchantés : Et la tendre Venise aux flots de ses lagunes, Mirant son front charmant et que Part byzantin Couronna du joyau de Saint-Marc un matin, Venise aux splendides fortunes ; Et Milan qu'on me vole et me rend tour à tour, Milan à l’opulente et chaste basilique, Et Gênes la superbe, et Sienne la gothique, Et Mantoue, où le doux Virgile a vu le jour; Et Turin la moderne, au cœur plein d’espérance, Et ce palladium de l’art athénien Que Médicis suspend au ciel italien Et que l’on appelle Florence; Ce fut grand de garder sous ce ciel radieux Des beaux jours d’autrefois les monuments antiques, Et pour abri d'offrir à nos saintes reliques Les parvis mêmes des faux dieux ; — 9268 — Ce fut grand d'évoquer et de rendre à la vie, Berçant sur ses genoux le vieux monde romain, Des trésors d'autrefois, poudreux et vaste écrin, L’avare et riche Pompéie ; Ce fut grand d’avoir fait éclore Dandolo, Bocace, Machiavel, Le Tasse, Galilée, Mais avec leur génie, hélas! s’est envolée Ma gloire... ainsi que mon drapeau !.…. Un antique ennemi qui connut ma vaillance, Pour se venger enfin des pères glorieux, Apporte aux fils courbés sous son joug orgueilleux, La misère et la défaillance. Je m’éveille un matin et je trouve un vainqueur. Il vit depuis ce jour de mon sang, de ma vie, Enlève mes moissons, usurpe mon génie Et se nourrit de ma douleur. À son ambition, ce jour j'étais livrée. De rage je pleurai..…. La voix de Silvio De mes ressentiments fut le premier écho Qui m’eût pour la luite inspirée! Un jour je vois tomber mes guerriers généreux Que l’illusion,trompe et que leur cœur égare, Ce jour la gloire fut aux martyrs de Novare, Le remords aux victorieux !… — 269 — Le nombre avait tout fait... Plus malheureuse encore, Je rentre sous le joug d’un maître plus jaloux, Mais il double ma force en redoublant ses coups, Nous nous sommes trompés d’aurore! | Cette aurore viendra. Que faire, un contre cent? Il ne me faut qu’un cœur à mon cœur qui réponde : Ma sœur je n’ai que toi, que toi seule en ce monde Qui m’accueilles parfois d’un regard caressant. Plus d’Alpes entre nous... viens, ta route est tracée, Lodi, Montebello te montrent ton chemin, Volons vers ma patrie en nous donnant la main, Et mon insulte est effacée ! Marchons : plus d’une fois nous les avons vaincus Ces Croates maudits dont tu me vois la proie; Marchons et nous ferons tressaillir dans sa joie Le spectre de Germanicus!.… Elle avait achevé ces derniers mots à peine, Que la reine déjà baisait son front pieux, Et que l'aigle française, au midi dans les cieux, Planait près de l’aigle romaine... P. BELLEUVRE. SOC. D’AG. 18 NOTE SUR M. LUCIEN AYRAUD Nos premiers empressements et nos premiers sou- venirs doivent, sans nul doute, appartenir à ceux qui ont reçu le jour dans notre contrée, ou se sont asso- clés à nos travaux. On ne saurait toutefois, selon nous, refuser ce noble tribut à ceux qui, venus parmi nous, ont gagné à l’hospitalité que leur donnait notre cité leur initiation à la vie intellectuelle ou artistique, et ont ensuite répandu au loin l'éclat des talents dont ils avaient trouvé le germe sur notre sol. Ces motifs nous déterminent à vous entretenir d’un ancien élève de l’école d’Arts et Métiers d'Angers, mort avant le temps et dont le nom se lie à celui d'importants tra- vaux. C’est à une notice publiée par la Société de la Morale chrétienne que nous empruntons ce qui touche Lucien Ayraud, né à la Rochelle en 1813, entré à l’é- cole d’Arts et Métiers d'Angers en 1827. — 971 — Doué d’une intelligence prompte et sûre, remar- quable par l’aménité de son caractère et sa modestie, Ayraud ne tarda pas à prendre rang parmi les premiers dans toutes les parties de l’enseignement ; il faut même comprendre dans ce mot l’art musical, où il se montra assez habile pour diriger pendant sa dernière année les marches militaires exécutées par l'Ecole. Il quitta l'établissement au mois d'août 1832, l’année qui pré- céda le classement qu’on fait actuellement des élèves sortants, et la distribution des médailles qu’on donne aux premiérs d’entre eux. À cette époque, l’industrie française n’était pas en progrès. On construisait peu de machines à vapeur; les chemins de fer n’existaient pas, l'Etat n’avait pas encore commandé à l’industrie privée ces grandes machines à vapeur dont la construction a été le signal de l’établis- sement de l’outillage mécanique en France. En sortant de l’école, Ayraud eut le bonheur d’être mis en rapport avec M. Degousée, l’habile ingénieur à qui la science du sondage doit de si grands progrès. Il entra chez lui pour prendre la direction d’un son- dage qui s’exécutait à Tours. Ce fut entre l’élève et le maître le commencement d’une liaison qui ne devait ‘ s’éteindre qu'avec la vie. En 1836, Ayraud fit partie, comme directeur de sondages , de l’expédition scientifique que le prince Demidoff emmena dans la Russie méridionale. Il résulta de ces travaux la découverte de couches puissantes d’anthracite dans les Donets et sur les bords du Don. Des offres brillantes pour l’attacher à la Russie lui furent faites alors. Il préféra rentrer dans sa pairie. Le pe En 1844, le ministre de la guerre, désirant faire explorer le sol de l'Algérie, M. Degousée désigna Ayraud pour cette expédition. À la suite de cette explo- ration, Ayraud fit, avec le commandant du génie Leblanc, un excellent mémoire qui fut inséré dans le Bulletin de la Société géologique, sous le titre de : Notice sur les recherches de sources jaillissantes duns la province d'Oran et les environs d'Alger. Plus tard, M. Degousée ayant fait une étude des allu- vions de Venise, et reconnu la possibilité d’y faire jailir de l’eau potable, confia à Ayraud la direction du premier puits, qui fut exécuté avec un plein suc- cès, grâce à l’habileté et à la persévérance du direc- teur, qui était habitué à vaincre toutes les difficultés de l’art du sondeur. Presque tous les travaux difficiles entrepris par M. Degousée ont été ainsi exécutés par Ayraud d’une manière remarquable. Ces divers travaux, à l’occasion desquels M. Degousée s’empressa de reconnaître hau- tement la puissante coopération de son aide si laborieux et si intelligent, valurent à Lucien Ayraud une médaille de deuxième classe décernée par le jury de l’exposition. universelle. Malheureusement, cette distinction resta ignorée de celui qu’elle honorait si justement, car Ayraud est mort quelques jours avant que le Moniteur ait publié la liste des récompenses. D'un commerce doux et agréable, mais aimant peu le monde et ses plaisirs, Ayraud consacrait ses instants libres à l'étude de la littérature, de la philosophie et de la musique, comme pour retrouver et perpétuer ses jeunes années. Pendant son séjour en Italie, il — 973 — avait cultivé la langue du Tasse et projeté la traduction de quelques auteurs italiens qu’il affectionnait : mais, les ébauches qu’il fit sur ces divers sujets ont été dé- truites par lui, ainsi qu’un recueil de fables dans le- quel les traits de son esprit observateur devaient se rencontrer frappants et nombreux. Le seul ouvrage qui soit resté de lui est un Résumé des philosophies modernes, dans lequel il analyse les principaux sys- tèmes présentés par les écoles anglaise, française et allemande, en consacrant un examen plus détaillé aux . idées de Kant et de ses deux successeurs, Fichte et Schelling. C’est, sans nul doute, un bon et noble exemple qu’a donné ainsi celui auquel nous consacrons ce peu de mots. On aime à voir ceux que pourraient retenir dans le domaine de l’utile l'étude d’une science compliquée et les obsessions des intérêts industriels, s’adonner ainsi aux spéculations élevées qui élargissent l'horizon de la pensée; il est beau de voir lartisan, instruit à peine des travaux manuels auxquels doit se consacrer sa vie, agrandir sa carrière, aborder les hauts ensei- gnements de la science et rechercher, dans les courts instants qu’il aurait pu consacrer au repos, l’atmos- phère vivifiante dans laquelle se sont complus les gé- nies les plus célébres. Aussi, Messieurs, malgré ce qu'a eu d’éphémère le séjour de Lucien Ayraud parmi nous, vous vous asso— cierez sans nul doute, à notre dessein de fixer sur ce nom un durable souvenir. E. LACHÈSE. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES (Suite). SÉANCE DU 20 JUILLET 1859. Présidence de M. Courtiller. Le procès-verbal de la dernière réunion est lu et adopté. | Sur les conclusions d’un rapport de M. Eliacin La- chèse, MM. Bougler, conseiller à la Cour Impériale d'Angers, Lelièvre, juge au Tribunal Civil, Afichard, avocat, et Berlin, professeur au Lycée, sont reçus, à l'unanimité, membres titulaires de la Société. M: le Secrétaire lit une pièce de vers intitulée Ve Rouge-Gorge, qui lui a été envoyée de Saumur. L’as- semblée vote l'impression de ce poëme, et prie M. le Secrétaire de vouloir bien adresser des remerciments à auteur. M. Eliacin Lachèse, donne lecture d’une notice in- titulée : Le Maître-Fifre du Régiment de Mortemart, qu’il a écrite pour la Revue de l’Anjou et du Maine. L'assemblée désire que ce travail reste dans les Mé- moires de la Société, et en vote l'impression. — 275 — M. Victor Pavie lit un rapport sur la notice de M. Lemarchand, intitulée : Les artistes de l’Anjou et du Maine au salon de 1859. I] est décidé que cette notice et le rapport entreront dans le prochain volume des Mémoires de la Société. M. le docteur Farge communique les renseigne- ments qu'il a recueillis sur la culture du colza en An- Jou; mais la commission dont il est le rapporteur, n’est pas encore en mesure de se prononcer sur celte importante question, et la discussion qui devait avoir lieu est renvoyée à la prochaine séance. ALBERT LEMARCHAND. SÉANCE DU MERCREDI 17 AOÛT. Présents au bureau, MM. Courtiller, président, Bel- leuvre, trésorier, E. Lachèse, secrétaire. M. le Secrétaire général de la Société étant absent, la lecture du procès-verbal de la dernière séance est remise à la réunion prochaine. Il est donné lecture d’une lettre de M. Natalis Ron- dot, ancien attaché d’ambassade, demeurant à Paris, annonçant l'envoi d’un Projet de musée de l'Art et de l'Industrie, présenté par lui à la chambre de Com- merce de Lyon, approuvé par M. le Ministre du com- merce et par l’Académie ‘des Beaux-Arts. Une commis- sion est nommée pour examiner la brochure qui rend — 976 — compte du but et des détails de ce projet. Cette com- mission se compose de MM. Janin, Fairé et Béclard. L'assemblée entend ensuite la lecture d’une notice de M. Courtiller, de Saumur, sur la position des fos- siles dans les derniers étages du terrain crétacé des environs de cette ville. Un intérêt profond s’attache à la description de ces infiniment petits, dont l’agréga- tion en des quantités innombrables forme ces collines imposantes, auxquelles l’homme est trop heureux d’em- prunter les matériaux de ses splendides demeures. Cest, une fois de plus, l’immensité commençant au fraisier de Bernardin de Saint-Pierre : mais, c’est sur- tout le style animé, la parole simple et émue du na- turaliste ravi et pénétré d’admiration en présence des merveilles qu’il décrit. Une commission est chargée de faire un rapport sur ce travail : elle se compose de MM. Farge, Fairé et Janin. M. le docteur Ouvrard présente à la Société une notice sur le dolmen des Mollières, près de Beauvau, notice dont l'impression, votée précédemment, n’a pu être réalisée par suile de circonstances imprévues. Ce travail est renvoyé, après lecture, à la Commission de rédaction. L'ordre du jour indique en dernier lieu une pièce de vers de M. Paul Belleuvre, ayant pour titre : Les Deux Sœurs. De ces deux sœurs, l’une est la France, « À l'ombre d’un trophée insigne de sa gloire. »"Tranquille, reposant dans un sommeil profond » Le lendemain de la victoire; L'autre : » Rien qu'à la voir, on sent que la lutte est la vie » De ce cœur comprimé, gonflé par les sanglots : » Cette femme a du sang des dieux et des héros » Cette esclave. c’est l'Italie. L'ancienne dominatrice du monde rappelle la splen- deur que lui donna la guerre, la splendeur plus grande encore que lui donna la foi : elle énumère les génies dont les noms rayonnent autour du sien ; elle cite avec orgueil ses villes incomparables, Naples, Venise, Mi- lan, Gênes, Mantoue. » Et Turin la moderne, au cœur plein d’espérance, » Et ce Palladium de l’art athénien, » Que Médicis suspend au ciel italien » Et que l’on appelle Florence !.… Enchainée, appauvrie, elle demande secours, sinon vengeance contre ses oppresseurs, marchons, dit-elle à la France; » Marchons, plus d’une fois nous les avons vaincus, » Ces Croates maudits dont tu me vois la proie : » Marchons ! et nous ferons tressaillir dans sa joie » Le spectre de Germanicus ! » Elle avait achevé ces derniers mots à peine » Que la Reine déjà baisait son front pieux » Et que l’aigle française au midi, dans les cieux, Planait près de l’aigle romaine. » À l'exemple d’un peintre dont les œuvres brillent parmi nous, et que tout Angers nommerait facilement, — 978 — jamais M. Belleuvre n’est mieux inspiré que lorsque ses regards se portent sur la poétique Italie. Une commission composée de MM. Pavie, Maillard et Le- marchand, est nommée pour examiner l’œuvre dont nous venons de citer quelques fragments et présenter son rapport. E. LACHÈSE. SÉANCE DU 23 NOVEMBRE 1859. _ La séance est ouverte à sept heures du soir, sous la présidencé de M. Courtiller. Après la lecture du procès-verbal de la dernière réu- nion, M. le Président appelle l’attention de l’Assemblée sur les publications des Sociétés savantes de Manches- ter, de Washington et de Philadelphie. Les volumes envoyés par ces Sociétés sont remis à MM. Courtiller, Eliacin Lachèse et Béclard qui: se chargent de les étu- dier et de signaler ce qu’ils renferment de plus remar- quable. Le dossier de la correspondance contient : 40, Une circulaire de M. le Ministre de l’Instruction publique et des cultes, relative aux recherches à en- treprendre pour la composition d’un nouveau Diction- naire géographique de la France; 20 Une lettre de M. le docteur Chassinat, qui de- mande le titre de membre correspondant. M. le Président est prié de vouloir bien répondre, à M. le Ministre de l'instruction publique, que la Société n’est pas en mesure de lui adresser un travail complet — 979 — sur les communes du département de Maine et Loire, mais que d’utiles renseignements pourront être fournis par plusieurs membres, notamment par MM. Godard- Faultrier, et Barbier de Montauli. MM. Adolphe Lachèse et Farge, sont chargés de faire un rapport sur la demande de M. le docteur Chassinat. L'ordre du jour appelle la lecture d’un mémoire in- titulé : Aperçus historiques sur le comté de Toulouse, par M. Rondeau. L'auteur retrace les principaux événe- ments dont l’ancien gouvernement du Languedoc a été le théâtre, et expose les divers changements survenus dans l’administration de cette province, avant sa réu- nion au domaine de la Couronne. Les guerres de re- ligion, qui ont pendant si longtemps troublé l’ancien comté de Toulouse, ont inspiré de sages réflexions à M. Rondeau, et il a su juger avec autant de force que de vérité, les acteurs les plus célèbres de ces drames sanglants. La Société, après avoir écouté avec un vif intérêt ce travail historique, où le récit des faits est accompagné de curieux détails sur les mœurs, les coutumes et les monuments du Languedoc, en confie lPexamen à une commission composée de MM. l’abbé Chevallier, Coutret et Adrien Maillard. M. Eliacin Lachése, lit une Note sur M. Lucien Ay- raud. On sait avec quel soin M. Lachèse recueille tout ce qui peut contribuer à jeter quelque éclat sur notre cité, et surtout avec quel art il reproduit les traits des hommes distingués ou populaires, dont l'existence se rattache de près ou de loin à l’Anjou. M. Lucien Ay- raud n’est pas d'Angers, par sa naissance ou par sa — 280 — famille ; mais il a été l’un des meilleurs élèves de notre école d’Arts et Métiers, et M. Lachèse a pensé avec raison qu’il convenait de garder au moins ici mémoire de ses travaux. M. Ayraud fut attaché pendant quelque temps à un ingénieur habile, M. Degousée. Il alla ensuite diriger des opérations de sondage en Al- gérie, en Russie et à Venise. Mais ce n’est pas seule- ment dans les missions scientifiques qu’il a fait preuve de talent. La littérature, la philosophie, la musique ont été cultivées par lui avec succès, et il a laissé un Résumé des philosophies modernes, où se révèlent d’é- minentes qualités. Sa carrière, bien commencée, a été trop tôt fermée, et la mort , en le frappant à 42 ans, ne lui a pas laissé le temps de produire tout ce qu’a- vait amassé de riches connaissances sa laborieuse jeu- nesse. — L'assemblée vote à l'unanimité l'impression de la Note de M. Lachése. M. le Secrétaire communique une notice de M. Paul Loyer, sur divers monuments celtiques et gallo-romains des environs de Cholet. L'auteur décrit avec exacti- tude; mais ses explications semblent souvent plus in- génieuses que probantes. L'assemblée prie MM. Go- dard, Barbier et Chevallier d'examiner cette notice et d’en extraire les principaux passages, particulièrement ceux dans lesquels se trouve constatée l’existence de monuments d’une incontestable antiquité. Sur la proposition de M. Adolphe Lachèse, il est décidé que le discours prononcé par M. Courtiller, sur la tombe de M. Louis Pavie, sera inséré dans le prochain volume des Mémoires de la Société. ALBERT LEMARCHAND. — 281 — SÉANCE DU 22 DÉCEMBRE 1859. Présents au bureau : MM. Courtiller, président, Ë. Lachèse, secrétaire, Belleuvre, trésorier. — En l’ab- sence de M. le Secrétaire-Général, M. E. Lachèse donne lecture du procès-verbal de la séance précédente qui est adopté. M. Lelièvre, membre de la Société, nommé prési- dent du tribunal civil de Saumur, offre sa démission de membre titulaire. Cette démission est acceptée; mais la Société s’empresse de décerner à M. Lelièvre le titre de membre correspondant. M. Aubert, nommé depuis peu juge de paix du can- ton de Conlie (Sarthe), demande à être reçu membre de la Société. Pareille demande est faite par M. Bonneau-Avenant, d'Angers. Ces deux candidatures donnent lieu à la nomination d’une commission composée de MM. Couiret, Maillard et Belleuvre, laquelle est chargée de faire un double rapport. M. Maillard lit un rapport, au nom de la commis- sion chargée d'examiner la notice de M. Rondeau (Aperçus historiques sur le comté de Toulouse). Tout en donnant au travail de M. Rondeau les éloges qu’il mé- rite, et en reconnaissant à ces recherches un intérêt que le procès-verbal de la précédente séance a pro- clamé déjà, la commission estime que cet écrit, n'ayant aucun trait aux événements, aux monuments, Ou aux personnages de l’Anjou, ne saurait être imprimé dans — 982 — le recueil de la Société. Quelques précédents récents lui semblent, à regret, commander cette solution, qui est adoptée par les membres de la réunion. La notice de M. Rondeau restera, toutefois, déposée, s’il ÿ con- sent, dans lés archives de la Société. M. E. Lachèse donne lecture d’une notice sur M. Louis Pavie, frappé par la mort, et naguère vice- président de la Société. Un tel sujet ne pouvait man- quer d’exciter au plus häut point l'intérêt de l’Assem- blée, qui s’empresse de voter l'impression de l’œuvre qu’elle vient d'entendre. Ë Une Commission doit préparer, aux termes du rèé- glement, le budget de l’année prochaine : sont nom- més membres de cette Commission, MM. Moricet, Ad. Lachèse et l’abbé Chevallier. M. Crépon demande que deux nouveaux membres soient nommés pour faire partie de la Commission chargée d'examiner le mémoire intitulé : Introduction du christianisme dans l’Anjou et dans le Maine. Cette motion est accueillie, et l’Assemblée nomme membres de cette Commission, MM. Coutret et Godard. Il est donné lecture d’une lettre dans laquelle M. Lemarchand, secrétaire-général de la Société, ma- nifeste son intention bien formelle, motivée par des travaux nombreux, de refuser ces fonctions, si, comme on le lui a fait connaître, les membres de la Société voulaient les lui confier de nouveau par leur vote. L'assemblée accueille avec un regret profond cette déclaration que les travaux constants, le zèle infatiga- ble, les rapports judicieux et le style brillant de M. Lemarchand rendent justement pénible pour elle. — 983 — M. Courtiller déclare également que sa résolution, vainement combattue par des instances nombreuses, est prise de ne pas accepter la présidence que l’on pourrait lui déférer de nouveau. Les motifs les plus puissants engagent les membres présents à tenter en- core, pour vaincre cette résolution, des efforts qui de- meurent impuissants. . On passe alors à l’organisation du Bureau. Sont nommés, par scrutins séparés : Président , M. J. SoriN, inspecteur honoraire d'académie. Vice-président : M. Vicror PAVIE. Secrétaire-général : M. E. LACHÈSE. Secrétaire ordinaire : M. AFFICHARD. Trésorier : M. P. BELLEUVRE. Archiviste : M. DAINvILLE fils. L'Assemblée s’empresse de décerner à M. Courtiller, . le titre de président honoraire de la Société. E. LACHÈSE. FIN DU DEUXIÈME VOLUME (nouvelle série). * is | PTT “one A de no op cop obaëtd. CIRE CICEPSTS au RL 6b, 98 “male ant élisote 294], eg vgineh 10 AL OMR à ent He ü “Me ‘he A &à | be Æ usb TABLE DES MATIÈRES. Pages Observations sur le passage périodique des étourneaux dans les environs de Saumur, par M. COURTILLER jeune........ NE Rapport sur le concours de 1857 (Éloge de David, d'Angers), par M. LÉON COSNIER................................. 10 Rapport sur les mémoires présentés au concours de 1858, par M. ALBERT LEMARCHAND........... .. .. ............ 29 De la loi des céréales. — Rapport lu et vœu émis dans la séance du 4er avril 1859................... à FACE Re 53 Procès-verbal de la séance du 19 janvier 1859............... 69 — — ZTENEIEE Le eee: 14 Compte-rendu de la séance publique du 21 février 1859. ..... 19 Étude sur deux livres d'heures des XIVe et XVe siècles, par M X. BARBIER DE MONTAULT....... .. ............... 93 Paysage, par M. VICTOR PAVIE. ......................... 125 La chapelle du Bon-Pasteur d'Angers, par M. ÉLIACIN LACHÈSE. 140 Les artistes de l’Anjou et du Maine au salon de 1859, par M. ALBERT LEMARCHAND. — Rapport sur ce travail, par MVC TOR NP AVIE SERRE PR NOR PAT eee 147 Procès-verbal de la séance du 23 mars 1859......... ....... 164 — — 4er avril 4859...... .......... 168 —= — 48 mai 4859................. 174 . SOC. D’AG. 19 — 286 — n Pages Compte-rendu de la séance publique tenue le 20 juin 1859, sous la présidence dé M. Villemain.......................... 180 Notice sur Château-Gonthier (Anjou) par M. BONNESERRE DE STDENIS:, 2. RER cn. ECC DD E 189 Poésie. — Tristesse (d’un rouge-gorèe, racontée ‘par une jeune Me een deu MÉOMER AA SR RE 248 Le dolmen des Mollières, près de Beauvau, par M. le docteur OUVRARD LC RAR RER ANR Re Re cc 253 Poésie. — Italie, par M. PAUL BELLEUVRE.................. 262 Note sur M. Lucien Ayraud, par M. ÉLIACIN LACHÈSE.. ...... 270 Procès-verbal de la séance du 20 juillet 1859............. .. 274 — — 41, aot 1859 |. A ERORrE 275 — — 23 novembre 1859..... ....... 278 _ — 22 décembre 1859............. 281 eee a: ne M}