5 la A MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIX-SEPTIÈME (1874) — N 1 ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÉSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU Chaussée Saint-Pierre, 13 1873 MÉMOIRES DE LA SOCITÉ NATIONALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS NOUVELLE PÉRIODE TOME DIX-SEPTIÈME ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU 43, Chaussée Saint-Pierre, 13. 1874 NOTICE SUR PHILIBERT DE NÉRESTAN TUÉ AU COMBAT DES PONTS-DE-CÉ (7 Août 1620). Messieurs, les hasards de l'imprimerie m'ont fait con- naître récemment un savant travail de M. Truchard du Molin, conseiller honoraire à la Cour de Cassation, sur les baronnies du Velay ‘, et mon attention a été aussitôt attirée sur la biographie de Philibert de Nérestan, dont le nom se retrouve, à plus d’un titre, dans l’histoire de l’Anjou. J’ai pensé vous intéresser aussi, en esquissant devant vous les principaux faits de l'existence de ce vaillant soldat, qui devait succomber glorieusement dans le sanglant combat des Ponts-de-Cé. Il suffit de connaître la Zaïre de Voïtaire, pour savoir 1 Ce travail a paru dans un recueil trop peu connu parmi nous, la Revue historique, nobiliaire et biographique, publiée à la librai- rie Dumoulin, sous la direction de M. Sandret, SOC. D'AG. 1 MS que cette famille est une des plus anciennes de France. Elle prit part, en effet, à plus d’une croisade contre les Sarrazins. En 1095 un Philippe de Nérestan arriva un des pre- miers dans l’armée du comte de Toulouse, et pendant la guerre des Albigeois, Jean de Nérestan fut pour Simon de Montfort gouverneur de la ville de Lavaur. Originaires de la haute Auvergne, où deux anciens fiefs, en latin de Nigro stanno, portèrent longtemps leur nom, les Néres- lan y exerçaient de 1991 à 4309 la charge de bailli des montagnes. Par quelles alliances, ou par quelles autres causes, éteints en Haute-Auvergne, se retrouvent-ils en Forez ‘pendant le xvi° siècle ? C’est ce qui n’est expliqué nulle part. Quoi qu’il en soit, Philibert de Nérestan, celui qui devait trouver la mort aux Ponts-de-Cé, fut un vaillant homme de guerre, chargé sous quatre rois : Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII, d’expéditions impor- tantes, et il a laissé dans l’histoire comme dans la for- tune de sa maison, des traces que le temps n’a pas effacées. Ainsi, Charles IX lui avait donné commission de lever un régiment qui fut licencié à la |paix de Vervins, en 4598. Philibert, qui l’avait remis sur pied en 1600 et qui fit avec lui deux campagnes, le réorganisa une troi- sième fois pour servir au pays de Juliers et le conserva jusqu’en 1611, date à laquelle il fut nommé capitaine de la première compagnie des gardes du corps. Îl avait déjà acquis la baronnie de Saint-Didier lorsqu'il commandait ce régiment, aussi l’avait-il recruté re én grande partie en Velay. « Et comme le feu roi « (Henri IV) avait fait lever vingt-cinq compagnies dans « la province tant pour l’expédition de Clèves que pour « le secours du duc de Savoie, le duc de Ventadour fit « passer ces troupes en Dauphiné après leur avoir fait « payer un prêt de 3,000 livres pour leur subsistance. « Ces compagnies ne devaient être que de deux cents « hommes chacune, mais Nérestan, Fontcouverte et « Chamband, qui en levèrent cinq dans le Vivarais et le « Velay, en enrôlèrent dix-huit cents, ce qui causa beau- « coup de dommage à ces deux pays, » comme du reste ces mêmes troupes devaient être, plus tard, une occa- sion de ruines et de crimes en Anjou. En 1604, le roi avait employé Nérestan dans une cir- constance délicate, l'arrestation du comte d'Auvergne, soupçonné, non sans raison, d’un complot contre la sûreté de l’État. Pour exécuter cetle arrestation comme Henri IV la voulait, c’est-à-dire sans effusion de sang et autant que possible sans violence, il y fallait de certaines qualités d'esprit et de cœur. Sully en parle ainsi dans ses Mé- motres : « Ge fut Philibert de Nérestan qui, en 1604, « arrêta, non sans beaucoup d’habileté et de courage, « le comte d'Auvergne, frère de la fameuse marquise de « Verneuil, coupable d'intelligence avec les ennemis de « l'État. » De semblables services ne pouvaient être oubliés, el Philibert de Nérestan n'eut qu'à demander pour ob- tenir. Presque toutes les maisons souveraines, particulière ment dans le x1v° siècle, se firent un plaisiret aussi un x DRE é moyen de gouvernement de créer dans leurs États des ordres de chevalerie. La maison d'Orléans avait institué l’ordre du Porc épic; celle de Bourgogne, l’ordre de la Toison d’or ; la maison de Bourbon voulut aussi avoir le sien, et le duc Louis Il, surnommé / Bon, avait éta- bli, en 1370, l’ordre du Chardon et du Lys de la Vierge Marie. Henri IV, en instituant l’ordre du Mont-Carmel, eut évidemment la pensée ou de rendre la vie sous une forme nouvelle à l’ancienne création de Louis de Bour- bon, ou de chercher le moyen de récompenser cette no- blesse qui ne l’avait jamais abandonné danses circons- tances les plus critiques de sa vie. C’est du moins ce qu’on dut conjecturer en le voyant, par lettres du 4 avril 1608, honorer de la grande-mai- trise de cet ordre Philibert de Nérestan, un de ses plus fidèles serviteurs, qui avait déjà, par letires du 7 septembre 160%, nommé grand-maître de l’ordre de Saint-Lazare. | En récompense de ses premiers services, Philibert de Nérestan avait reçu le cordon de Saint-Michel qui lui fut donné par le connétable Henri de Montmorency, et, avant sa mission relative à Charles comte d'Auvergne, le roi avait acquis des preuves de son savoir-faire. Ce prince, instruit qu’une ligue s’efforçait de soulever la Bourgogne, y avait envoyé le maréchal de Lavardin avec Philibert de Nérestan et Dubourg-l’Espinasse pour lieutenants généraux qui, par leur valeur et leur habileté déconcertèrent toute résistance. Philibert de Nérestan, dans l'intervalle de ses expédi- tions militaires, habitait le fief de Chaponot, près de Firminy, dont sa femme Catherine, ou Jacqueline, CS Bees d’Arènes, fut dans la suite l'unique héritière. À la dif- férence d’un grand nombre d’autres gentilshommes, Join de se ruiner au service du roi, Philibert y avait arrondi sa fortune, si bien qu’il acheta la terre de Saint- Didier, titrée de baronnie, d’un assez bon revenu et d’un voisinage parfaitement à sa convenance et d’autres terres dans le val de la Loire dont le propriétaire avait été beaucoup moins heureux. En effet par l'acte de vente fait au château de Saint-Didier, le 22 avril 1609, « haut et puissant seigneur messire Marc de La Roue, cheva- lier de l’ordre du roi, seigneur et baron de la Roue, Montpelloux, Pierrefort, Aurec, Oriol, La Chapelle et autres places, — pour payer les dettes par lui contrac- tées pendant les derniers troubles, dégager certaines de ses terres et au surplus améliorer sa position, — vend à haut et puissant seigneur Philibert de Nérestan, che- valier de l’ordre du roi, grand-maître des ordres de Mont-Carmel et Saint-Lazare, mestre de camp d’un ré- giment entretenu pour le service de Sa Majesté, seigneur et baron de Saint-Didier et autres places, les terres et seigneuries d’Aurec, Oriol et La Chapelle, et toute jus- tice haute, moyenne et basse, sans réserve ni exception situées en pays de Velay et Forez, rière les diocèses du Puy et larchevêché de Lyon, confrontant de matin et bise aux terre et seigneurie de Cornillon appartenant à Monseigneur de Ventadour, et baronnie de Saint-Didier appartenant au dit seigneur de Nérestan, et de vent les terres et seigneuries de Monseigneur l’évêque du Puy à raison de sa seigneurie de Monistrol, et de la dame ab- besse de la Seauve-Bénite, de soir les terres et seigneu- ries de Roche-Baron , Saint-Bonnet-le-Château , Saint- a Maurice - en - Gourgois, etc., sauf meilleurs con- fins, etc., etc. » Par lettres-patentes du 20 juillet 1619, Louis XIII érigea en marquisat, en faveur de Philibert de Nérestan et de sa postérité, et sous son nom pa- tronymique, la baronnie de Saint-Didier et les seigneu- ries réunies d’Aurec, Oriol et La Chapelle. Tout cela était fort beau, mais, si nous pénétrons dans ces magnifiques domaines, nous trouvons que l’homme privé diminue quelque peu l’homme public. Dieu avait donné à Philibert de Nérestan toutes les conditions du bonheur domestique. De son mariage avec Catherine d’Arènes, femme aimable, chaste, bonne et distinguée, au témoignage du R. P. Chérubin de Marcigny, étaient nés quatre enfants, deux fils et deux filles. $ L’ainée de ces filles, Françoise de Nérestan, fut suc- cessivement abbesse et réformatrice de deux monastères de l’ordre de Citeaux : l’abbaye de Mégemont, en Au- vergne, l’abbaye de La Bénissons-Dieu, en Forez , lais- sant après elle, dans chacune de ces provinces, un renom d'intelligence et de piété qui ajouta aux illustrations de sa maison et qui leur survit. À La Bénissons-Dieu, tout était à créer ou à réparer. Mais la générosité du marquis de Nérestan et l’ardeur de sa fille pourvurent à tout. En peu d’années, un beau monastère fut debout, et de jeunes filles nobles vinrent en foule se vouer à la vie religieuse sous la direction de la jeune et grande abbesse. Sa sœur cadette, Aymare- Catherine de Nérestan, esprit sage, cœur rempli de foi et de charité, accourut des premières, quittant Bonlieu, où elle avait pris l’habit de l’ordre dès l’âge de cinq A8 1 "Ta ans, fit profession à La Bénissons-Dieu, donna à toutes l'exemple de l’obéissance, devint prieure-coadjutrice en 1619, et jusqu'au tombeau, qui les réunit dans la même semaine, partagea avec Françoise le gouvernement de l’abbaye. « Mais, dit un révérend Père Récollet qui nous four- nit ce récit, les grands calmes couvent toujours quelque orage, » et il nous raconte un fait à coup sûr bien ca- ractéristique des mœurs de ce temps. Détaché de sa femme par une liaison illégitime, le rude baron l’avait reléguée à Ghaponot, « où elle vi- vait seule de pain et de larmes et dans Pétat conjugal comme dans une triste viduité. » Jean-Claude de Néres- tan, son fils aîné, élevé à la cour, mais quelquefois témoin des chagrins de sa mêre, châtia un jour, em- porté par les ardeurs de son âge et de sa nature, la concubine et les bâtards, qui usurpaient le foyer do- mestique, et, après cette scène, il alla se réfugier à La Bénissons-Dieu. Philibert de Nérestan violent comme la plupart des hommes de guerre de son époque, écri- vit à Françoise les lettres les plus menaçantes pour qu’elle congédiât de son monastère et de sa protection le fils coupable et maudit. L’abbesse hésitait entre ces ordres et la piété, conseillant à son frère ou d’aller flé- chir le genou devant la colère paternelle , ou d’aller chercher de l'emploi dans l’armée. Mais celui-ci, n’espé- rant rien ni de l’un ni de l’autre côté, sans équipage et sans argent, reculait devant cette dure alternative. Le baron de Saint-Didier, mis hors de sens par une déso- béissance nouvelle autour de lui, sous prétexte d’une pension qui lui avait été assignée sur ce bénéfice, en sa LE RCE qualité de grand-maître des ordres du Carmel et de Saint-Lazare, en fit saisir tous les revenus, pour que rien n’en fût détourné au profit de. son fils. Puis, quoique ce dernier eût quitté l’abbaye, il s’y rendit un jour comme en expédition militaire, franchit les clô- tures, arracha violemment la pauvre Françoise aux cris de ses religieuses désespérées, la jeta dans une litière avec une sœur converse, et la transporta dans son chä- teau d’Aurec, où il la retint enfermée au régime le plus rigoureux pendant plusieurs mois. Pour désarmer l'opinion publique, qui pouvait s’indi- gner d’un pareil traitement, il feignit d’en rendre sa mère complice. Ramenée du château de Chaponot près de sa fille, elle n’eut cependant d’autre permission que de l’entretenir quelquefois à travers la porte close de sa chambre, et n’en fut, à vrai dire, que la geôlière , nul autre n'étant autorisé à s’en approcher. Quant à Néres- tan, s’il daignait l’admettre en sa présence ou envoyer quelqu'un auprès d’elle, c’était pour l’accabler de son courroux et pour lui infliger des terreurs pires que la mort. js Cependant les religieuses de La Bénissons-Dieu gé- missaient de la violence et de l’injure faites à leur mai- son et à leur Mère. Elles demandèrent justice au Cha- pitre général et aux chefs de l’ordre, de la violation de leur clôture, des calomnies et de l’indigne traitement dontétait victime l’abbesse Françoise. De son côté, Jean- Claude de Nérestan était allé de Clairvaux à Lyon im- plorer protection contre ces égarements du pouvoir domestique. Le père, inquiet enfin du résultat de ces plaintes, pris aussi de quelque trouble de conscience, 25 | DE mais ne sachant à quoi se résoudre, proposa à sa fille de résigner sa dignité à sa sœur et de rentrer dans le monde, lui affirmant qu’elle serait facilement relevée de vœux formés avant l’âge de raison. L’abbesse repoussa ce conseil comme une nouvelle et plus cruelle offense, et Philibert de Nérestan, comprenant que ce serait non pas couvrir un scandale mais le doubler, consentit à conduire sa fille dans la campagne de la Duchère, qu’il possédait près de Lyon, sous prétexte de lui donner un meilleur air, mais en réalité pour essayer de faire ap- prouver sa conduite par une réunion d'hommes d’église complaisants et de s’en autoriser ensuite contre les su- périeurs de l’ordre de Citeaux. Traduite devant cette sorte de tribunal ecclésiastique où siégérent entre autres l’évêque de Damas, suffragant de l’archevêque de Lyon, le P. Coton, confesseur du roi, divers supérieurs de couvents, et accusée par son père en personne, Françoise qui, pour se défendre , ne voulait pas révéler les faiblesses et les désordres du foyer domestique, se tut ;, mais son silence, les vertus de toute sa vie plaidèrent pour elle. Les dignitaires de l’Église blâmérent le marquis de Nérestan d’avoir cédé à des passions coupables et sacri- fié sa fille à de misérables suggestions, d’avoir entrepris sur la personne d’une abbesse remplie de mérites et sur l’autorité de la maison de Clairvaux. Et pour répa- ration de tels excès, on lui prescrivit de ramener Fran- çoise dans son monastère avec autant de révérence qu’il avait mis de violence à l’en arracher, et de la laisser désormais exercer paisiblement sa charge au spirituel comme au temporel. AUS | RE L’irritation du père, la fierté du vieux gentilhomme s’inclinèrent sous cette sentence. Il ne chercha point à éluder le jugement du tribunal que lui-même avait formé. Il avait enlevé sa fille à La Bénissons-Dieu, le 1° octobre 1616, il l’y ramena le 1er février 1618, à la grande joie de toute la communauté. À cette époque la concorde était loin de régner dans la maison royale. La veuve de Henri IV n'avait gardé le pouvoir que jusqu’en 1617 et Luynes qui dirigeait les affaires la tenait éloignée et surveillée. Dans une récon- ciliation avec son fils elle consentit à échanger son gou- vernement de Normandie contre celui de l’Anjou et se rendit à Angers pouren prendre possession; mais là Marie de Médicis ourdit, ou laissa ourdir autour d’elle de nouvelles intrigues qui donnèrent des inquiétudes à Louis XIII et au favori. C'était le rendez-vous des ducs de Vendôme et de Nemours, du comte de Soissons et des autres seigneurs mécontents. La rébellion contre l’autorité royale s’y organisait avec éclat. Le roi se mit en marche sur Angers à la tête de son armée, mais devancé par des négociateurs qui devaient s’efforcer d'amener la reine-mêre à un accommodement. A la tête de l’un de ses régiments, du régiment de Navarre, marchait Philibert de Nérestan, ayant près de lui son fils, vaillant soldat auquel il avait rendu toute son affection. Par des circonstances assez mal expliquées, l’avant- garde de l’armée royale, au moment même où on signait la paix, voulut forcer les Ponts-de Cé, que dé- fendaient 5,000 hommes de troupes de la reine, com- mandées par le duc de Vendôme, et Nérestan reçut ne dans ce combat une blessure à laquelle il succomba quelques jours après. Voici en quels termes Louvet raconte les incidents de cette journée : « Levendredy septième jour dudict mois d’aoust 1620, les portes de la cité d'Angers furent fermées, fors la porte de la Vieille-Chartre où y avait une compaignée de soldartz qui y furent mis par le commandement de “Ja royne-mêre pour garder laditte porte, et empescher que aulcun ne surprint laditie porte, qui estoit ung grand indice d’une grande espouvante et apréhention que la royne-mère ou les chefs qui tenoient pour elle avoient du roy qui s’approchoit avec son armée près ceste ville et des Ponts-de-Cé où ilz estoient proches, qui leur avoit donné une telle espouvante et peur que la royne auroit faict faire commandement à tous les habi- tants de la ville d'Angers de fermer tout incontinent leurs bouticques, ce qu’ilz auroient, tout au mesme ins- tant de laditte publication, faict et fermé touttes les bouticques à raison que le roy et son armée appro- choient tant près de ceste ville d'Angers que des Ponts- de-Cé, et que ceulx qui estoient pour la royne-mère’ aulxdicts Ponts-de-Cé, sçavoir : M. le duc de Ven- dosme, le duc de Raïz, qui estoient dans Sainct-Aulbin desdicts Ponts-de-Cé avec leurs régiments pour garder l'entrée et prinse desdicts Ponts-de-Gé, se battoient contre l'armée du roy à la sortye de la forest de Belle- Poulle où l’armée de Sa Majesté estoit en partie, et se firent plusieurs attaques en une grande plaine qui est entre laditte forest et lesdicts Ponts-de-Cé, approchant de Sainct-Maurille, où ilz se sont bien battuz de part ei — 12 — d’aultre, où ya eu grand nombre de noblesse et sol- dartz tuez et blessez!, tant du costé de l’armée du roy que du costé de l’armée de la royne, mère de Saditte Majesté, et grand nombre, lesquelz, pour leur saulver, se sont jettez, lant de cheval que de pied, dans la ri- vière de Loire, dont grande partye s’est saulvée, et aultre partie noyée et perdue, tous leurs bagaiges prins et gaignez par ceulx de l’armée du roy, lesquelz ont sy vaillamment combattu et poursuivi qu’ilz ont gaigné l'entrée desdicts Ponts-de-Cé, du costé de Sainct- Aulbin, où estoit ledict seigneur duc de Vendosme, le- quel s’en est fuy, et a quitté, voyant que ledict duc de Raiz ne s’estoit voullu mettre en aulcune deffense, et avoit tourné sa casaque, et s’estoit tourné visaige vers l’armée de la royne-mère en criant : Vive le roy ! tel- lement qu'au moyen de sa trahison et perfidye, tous ses soldartz l’avoient en partye suivy, et lés autres qui au- roient quitté et s’en seroient fuiz sans faire aulcune ré- sistance, tellement qu'ilz auroient l’entrée dudict Sainct- Maurille, où ceulx du roy, poursuivant ceulx de la royne qui s’enfuyoient, auroient entré et prins tout le bourg de Sainct-Aulbin, où ilz auroient tout pillé, comme ilz se seroient rendus maistres des chemins qui estoient gardez par ceulx de la royne, depuis lesdicts Ponts-de-Cé jusques à l’Imaige de Mauru, et au-dessous, qui auroient pareillement quitté, et s’en seroient enfuiz 1 Dans ce nombre, M. de Nérestan, colonel du régiment de Navarre de l'armée du roy, estant du pays Lyonnois, a esté blessé et peu de jours après mort, et son cœur et entrailles enterrez au couvent de la Basmette, et son corps porté en son pays. (Note de Louvet.) ANT |0 EE vers Saincte-James et aultres endroiciz où ilz pouvoient, pour leur saulver et cacher en des isles et aultres en- droictz où les paysans des champs les dévallisoient et assommoient, nonobstant qu’aulcuns se seroient mis à genoux, les mains joinctes, davant lesdic{z paysans pour leur donner et saulver la vye, ilz n’en auroient pitié non plus que de loups enragez, qui estoit chose bien pitoyable ; mais considérant aussy les maulx et cruaul- tez que lesdicts soldarts font auxdictz paysans, aulx- quelz, lorsqu’ilz entrent en leurs maisons, ilz mangent et consomment en un jour tout ce qui leur debvroit servir pour les nourrir honnestement par longtemps, et, après avoir tout consommé, 1lz rompent et brisent tout, sans rien laisser, en proférant des jurements et et blasphèmes contre Dieu ; bref, 1lz font tant de mal et cruaultez, que les paouvres gens sont contrainc{z quitter et abandonner leurs maisons, et de se cacher . avec leurs femmes, enfants et bestiaulx dans les bois, où 11z sont paouvrement à la mercy du ciel et des bestes sauvaiges, qui est chose pitoyable et effroyable, et sont les soldartz tellement cruelz, et encore les chefs et capi- taines qui les conduisent et mènent, qui ne les font poinct pugnir, encorre plus meschants que leurs sol- dartz, et ne se fault estonner sy Dieu les pugnist et chastie d’aultant qu’ilz font trop de mal. » Les Mémorres pour servir à l’histoire du Calvinisme el de la ligue en Anjou, par l'abbé Rangeard, nous fournissent des détails plus précis sur les circonstances dans lesquelles Nérestan fut blessé : « La cavalerie des mécontents défaite et leurs retran- chement pris, les enfants perdus des régiments de Pi- st cardie et de Champagne coururent vers la rue qui con- duit de l’église paroissiale à l'entrée du pont. Il fallait pour y pénétrer enfiler une autre rue étroite qui coupe la première à angle droit et passer sous le feu desenne- mis cantonnés dans les maisons et tirant à coup sûr du haut des croisées. Ceux de Picardie s’y lancent des pre- miers, franchissent tous les obstacles, arrivent aux bar- ricades, les arrachent ou les obstruent et sont suivis d’une foule d’autres que l'exemple des chefs et l’ardeur de vaincre précipitent sous leurs pas. Nérestan et Bas- sompierre arrivent avec eux. Le premier atteint d’une balle tombe, l'os de la cuisse fracassé, et fut à l'instant relevé par Bassompierre et par son fils accouru au cri de son père. Bassompierrelui-même n’échappa qu’à la faveur de la foule qui se pressait, à l’un des coups mor- tels qui venaient de frapper Nérestan… Le roi alla voir cet officier dans la maison où les soldats l'avaient trans- porté et n’omit rien de ce qui pouvait adoucir le senti- ment de ses souffrances. Sa première visite fut accom- pagnée d’un don de 200 pistoles. La chaleur de la sai- son et la cruelle fracture de l’os qu’on ne put rétablir s’opposérent à tous les remèdes. Il mourut le 30 du mois d'août, regretté de la cour comme de l’armée dans lesquelles il tenait un des premiers rangs. » L'attaque des Ponts-de-Cé avait eu lieu le 7 août 4620 ; le jeudi, 20, sentant sa mort prochaine, il dicta à Julien Angoulant, notaire à Angers, un testament par lequel il instituait Jean de Nérestan-, baron d’Entre- mont, son fils, héritier universel, le priant d'accomplir le vœu qu'il avait fait « à Monsieur S. Jacques de Com- postèles » et fixant à 150 livres tournois la somme qui serait donnée à celui qui ferait le voyage. Il faisait un legs de 150 livres aux pauvres de l’Hôtel-Dieu St-Jean d'Angers pour être employé au soulagement des soldats, blessés comme lui aux Ponts-de-Cé, qui y avaient été transportés. Quant à ses funérailles il disposait ainsi : « Vent et ordonne, après que mon âme aura été sépa- « rée de son corps, son dit corps être porté au couvent « des RR. PP. Carmes déchaussés qu’il a ci-devant « fondé en Notre-Dame de Mont-Carmel à Lyon, et « qu’en même temps le corps de défunte dame Fran- « çoise de Chauderasse, vivante sa mère, qui est à pré- « sent en sa maison d’Aurec, pays de Velay, soit aussi « porté en sépulture au dit couvent des Carmes avec « telles cérémonies qu’il sera advisé par son héri- « tier. » « De son lit de douleur, dit M. Truchard du Molin, Philibert de Nérestan pouvait apercevoir, à peu de dis- tance des Ponts-de-Cé, sur une sorte de promontoire dominant la rivière de la Maine, le couvent de la Bau- mette fondé en 1451 par René d’Anjou et qu’occupaient les frères Mineurs Recollets en 1620. Le mourant voulut que son cœur reposât dans ce monastère dont l’église conservait en effet l’épitaphe gravée en 1621 sur une lame de cuivre, » Un autre motif, sans doute, détermina Nérestan dans cetie volonté suprême, car, à coup sûr, il est impos- sible de voir des Ponts-de-Cé, la Baumette masquée par les hauteurs de Frémur. Quoi qu’il en soit le désir de Nérestan fut respecté. Son épitaphe était conçue en ces termes : « Icy gist le noble et invincible cœur de M. Philibert 240 2 de Nerestan, chevallier de l’ordre du roy, conseiller en son conseil d’estat et privé, capitaine de cent hommes d'armes de ses ordonnances, grand-maistre des ordres de Nostre-Dame-du-Mont-Carmel et de Sainct-Lazare de Jhérusalem, de Béthléem, de Nazareth de deçà et de delà la mer, et mareschal de camp aulx armées de Sa Majesté, qui en continuant ses généreux exploitz pour le service du roy fust blessé d’un coup de mousquet aulx Ponts-de-Cé, le 7e aoust, et mourut le 30 dudict mois 1620. Priez Dieu pour luy. Requiescat in pace. « Lequel ayant mille témoignages de sa générosité rendu pour le service de nos roys et pour le bien com- mun de toute la France, fist veoir courageusement aulx yeux du roy et de toute la cour que le plus grand de ses désirs estoit d'employer sa vie à son service. Sa mort fust le sceau de ceste fidellité, lorsque en la jour- née des Ponts-de-Cé, sa valleur ayant estonné les plus valleureux par les admirables effets de son couraige, qui le portoit toujours aulx endroictz plus hazardeux, enfin après mille honorables blessures dont le sang lui avoit aultrefois arrosé aultant de lauriers, il reçut la dernière d’une mousquetade pour comble de ses triomphes aulx yeux et aulx regrets de son roy et de la cour, à la perte de la France et aulx larmes de son filz qui combattoit vaillamment auprès de son père, le reçut entre ses braz lorsqu'il fust esbranlé du coup, coup, hélas ! regrettable à toute la France, pour ce qu'aulx efforts de ses armes, dans la carrière d’ung soleil, ceulx qui s’opposèrent à luy se virent défails, Leurs Majestez heureusement réunies et la province trem- blante toutte assurée. Là, L'INVINCIBLE NERESTAN irouva NT = son lict d'honneur, et le champ de sa mort sera pour jamais le champ de sa gloire. « Insignis pietate ducis belloque potentis « Cor jacet hic fœlix, spiritus astra tenet. « Ayant pour mon roy dans les armes « Vaincu les plus braves gens d'armes, « Chargé de coups et de lauriers « Je meurs, laissant les bords de Loire « Tesmoings de mes actes guerriers, « Car je meurs après la vicfire. « Îl expira le trentième aoust 1620. Priez pour lui. » Ce monument, aujourd’hui disparu, était placé de- vant le grand autel et surmonté des armes des Nérestan, reproduites par Bruneau de Tartifume dans la troisième partie de son précieux manuscrit. Le cœur de Philibert de Nérestan n’est pas resté dans l’Anjou. Sa fille, la sainte abbesse de La Bénissons-Dieu, avait préparé un magnifique tombeau pour elle et pour sa famille dans l’église de son abbaye etelle y fit appor- ter du couvent de la Baumette ces restes, auxquels elle réunit ceux de sa mère décédée à Chaponot. Nous ne voyons pas que les Nérestan aient eu depuis aucune relation avec notre province. Leur nom est ce- pendant intimement lié à son histoire et elle doit gar- der pieusement le souvenir du vieux gentilhomme qui . a rougi de son sang la terre de l’Anjou, en combattant pour la cause de son roi. PauLz LACHÈSE. S0C. D’AG, 2 HENRI RÉGNAULT Peut-être est-ce bientôt mon tour... ANDRÉ CHÉNIER, Encore une étoile qui file Et qui va chercher d’autres cieux! De nos champs la gloire s’exile Entre les pleurs et les adieux. Tout pâlit, tout s'éteint de ruine en ruine, Hier la flamme au cœur, la parole divine À la bouche, c’était l’illuminé Gratry; Les anges à Perreyve avaient déjà souri ; Puis, quand la nuit se fait sur notre pauvre terre, Quand son esprit brillait d’une pure lumière, Disert comme saint Paul et doux comme l'agneau, Aujourd’hui c’est Cochin ; un jour ce fut Régnault. Eee 0: Cher martyr de l'honneur, en ces jours de souillure, Plein de vie et d’ardeur, Chénier de la peinture, Quand il disait aussi : J’ai quelque chose la. Avec tant de héros, à son tour, il s’en va! Oh poëte! oh penseur ! quand on n’en voit plus naître, Lorsque de tes aînés il n’en est plus peut-être ; Jeune homme de vingt ans que l’on ne pouvait voir, Sur notre beau pays sans garder de l'espoir, Dans cette légion de l’art jeune recrue, De qui tout ici-bas fêtait la bienvenue, Pourquoi donc nous quitter, pourquoi nous dire adieu ? Qui t’appelle là-haut ? Ah ! c’est la voix de Dieu ! Mais Dieu ne défend pas, noble enfant, qu’on te pleure, Que l’on plaigne ta mère au seuil de sa demeure, Se pliant sous le poids du deuil et de l'amour, Sans pouvoir plus, hélas ! songer à ton retour, Comme après tes premiers et tes lointains voyages; Quand navigue ta nef en leswélestes plages, Ta mère dont le fils fut le suprême bien, Ta mère qui se meurt et qui n’attend plus rien! Elle avait vu de loin, à travers ton enfance, L'instinct de l’art déjà charmer ton innocence, Et changer, au reflet de son premier rayon, Le hochet en album et la plume en crayon. Elle avait vu traiter ta douce rêverie De paresse au lycée ou bien d’étourderie ; Elle avait vu punir de sa distraction L’enfant qui de ses traits, pleins d'inspiration Ornait les corrigés de Tacite et d'Horace, PURE ps Et dont elle obtenait à grand’peine la grâce, Pour elle redoutant déjà, tout le chagrin Que semblait annoncer cet orageux matin. Quand l'honneur seul devait faire couler ses larmes ! Sombres pressentiments et délits pleins de charmes! Puis en tableau l’esquisse une fois se changea, Cher et premier succès qui la dédommagea ; Puis le tableau devint bientôt le prix de Rome ; Rome ! nouveau baptême où puise le jeune homme, Où tout prépare l’âme aux purs ravissements, Les arts avec la foi, le ciel avec les champs, Sublime enseignement d’une incessante école, Du Tibre au Vatican, du Cirque au Capitole, De l’héroïsme antique au martyre chrétien, Où tout a son langage, où l'œil ne fuit sur rien. Tu revins riche ainsi d'étude et de mémoire, Mais du devais voler de victoire en victoire ; Ta muse te tourmente... inquiet, souriant, Dans un second essor tu rêves l'Orient, L'Orient cet écrin du Jour et des poëtes, Berceau du merveilleux, des houris, des prophètes ; Joyeux tu le pressens dès l'Espagne, et déjà L’Arabe t’apparaît au seuil de l’Allambrabh ; Ton pinceau reproduit les splendeurs de ses fresques Et sait rendre la vie à ses voûtes mauresques Et la France déjà, dans un style nouveau, Compte un talent de plus qui s'appelle Régnault! Du talent au génie il a passé peut-être, Il emporte en lui-même un peu de chaque maître € Ma), (OR Ribeyra, Murillo , surtout le bien aimé Velasquez ! — Prim, Judith, del Bosck et Salomé Déjà de sa carrière ont constellé l'aurore ; Mais ne l’arrêtez pas : il veut marcher encore. Presse-toi, le vent souffle aux hunes du vaisseau, Et l'inspiration dans ton jeune cerveau ! Tu voulus voir Tanger et sa lumière ardente ; Près la tente des Deys tu vas dresser ta tente, Sur la terre d’Afrique, émule de Decamps, Tu veux saisir au vif, étudier longtemps Son histoire, ses mœurs, sa brûlante nature, De mosquée en mosquée errant à l’aventure, Comme tes devanciers, de ce beau sol épris Tu vas y moissonner tout ce qu’ils n’ont pas pris ; Un don mystérieux glisse sur ta paupière Et nouveau Prométhée au ciel de la lumière Des tons et des couleurs tu dérobes des lois, Des secrets inconnus encore à Delacroix. En vain l’amour t’appelle ; encore délaissée En vain ta mère attend près de ta fiancée. Mais tu comprends aussi l’amour à ta façon Et tu ne veux d’hvmen qu'après avoir un nom; Pour l’art tu laisses tout, tu reste dans la lice, Quand le ciel te prépare un autre sacrifice. Telle fleur du harem, tel héros marocain Déjà prenaient la vie et brillaient sous sa main, Emirs, fantasias déjà passent sa porte, En maître, des pachas il nous dépeint l’escorte Avec ce talisman qui n'appartient qu’à lui, Lorsque son toit s’effondre en un sinistre bruit. DUR Es La guerre, la défaite et l’insulte à la France !!! C'en est assez... il part !.. devant cette souffrance | Tout disparaît. son prix et sa distinction Lui conférent le droit de toute exemption ; Il n’y veut pas songer ; le lauréat de Rome, L'artiste en ce moment, s’efface devant l’homme : Plus d'inspiration, d’ambition, d’état, Plus d'avenir, d’amours.…. il est français, soldat. Oh! tout pour la patrie! il court à l’avant-garde… Le temps peut l'oublier, mais le ciel le regarde. Il tombe aux premiers feux hélas qu’on déchargea! Et quant à son renom. c’est Dieu qui s’en chargea‘! Et vous qui du héros suiviez la sépulture, Vous avez vu courbée une pâle figure Sous l’ombre de son voile et de son désespoir . Hier, c'était l'aurore, aujourd’hui c’est le éoir: Pourtant cette ombre frêle, effrayée, inquiète, Savait semer aussi des fleurs sur sa paletle. Cette femme eût été l’épouse de Regnault.…. Figure du regret qui ne finit qu’en haut ! Paul BELLEUVRE. ! Henri Régnault tomba héroïquement à Buzenval, le 49 jan- vier 1871 ; et ces vers furent composés sur les documents puisés dans l’article nécrologique de M. Arthur Dupare, publié dans le Correspondant, le 23 mars 1872. SOUVENIRS ARTISTIQUES (1836) MESSIEURS, Dante a dit tristement : de Nessun maggior dolore Che ricordarsi del tempo felice, Neila miseria. « Il n'est pas plus grande douleur que de se rappeler les temps heureux, dans la misère. » Si cette pensée, juste quand il s’agit des grandes afllic- tions de l’âme, devait s'appliquer aux regrets, bien légi- times pourtant, que peuvent faire naître les déclins survenus autour de nous, il nous serait, pensons-nous, interdit de vous parler de la situation actuelle faite à l’art musical dans notre cité. Regardez ce qui se passe et dites où nous en sommes ! Le surnom de ville phil- harmonique, donné longtemps à Angers, ne semble-t-il pas aujourd’hui une dérision ? Depuis quelques années, plus de Société des concerts, cette institution char- mante, nécessaire, qui existe dans toutes les villes et 2e Oo qui, pendant plus de quarante ans, sous des formes di- verses, a maintenu et élevé parmi nous le niveau des études musicales. Périls continuels, puis, enfin, naufrage financier de notre théâtre que plusieurs causes, peu faciles à indiquer ici, laissent trop souvent dans un demi- abandon et qu'heureusement des artistes habiles et zélés vont essayer de remettre dans la voie du succès. Fran- chement, n'est-ce pas là être nella miseria, et, si nous suivions le sentiment de Dante, ne resterions-nous pas dans une tristesse profonde ? Mais, heureusement, le souvenir existe.…, le souvenir ! Ce don du ciel qui per- met à la pensée de faire, pour un moment, revivre ce qui n’est plus et de ramener au milieu de l’ombre la plus épaisse quelques rayons furtifs d’un vivifiant soleil. L'enfant ne se souvient que de la veille; la jeunesse crée des souvenirs plutôt qu’elle ne les goûte ; mais, quand l’homme a de nombreuses années, il vit surtout de ce qui nous a fui; aussi, j’ai voulu rêver un instant avec vous et évoquer dans voire pensée une seule année, l’année 1836. — Avant cette époque, depuis 1818, notamment, bien des artistes de talent et, même, de renom, s'étaient fait entendre avec des succès divers. La Revue d’Anjou, en 1857, nous a donné leur fidèle nomenclature. On se sent vraiment rajéunir en lisant cette liste brillante ‘. Au mois de mars 1836, on annonça l'audition de Vogt, en ces termes : « Aujourd’hui, ce n’est pas seulement un « artiste de mérite, c’est le premier hautbois que pos- « sède la France et, peut-être, l’Europe, qui nous con- ! Tome Ier, page 197. — Article : Concert d'étude. MALE; ES « vie à une soirée dont l'intérêt s’augmente encore, s’il « est possible, par le nom des autres exécutants. » Nous ignorons le nom de celui qui parlait ainsi dans le Jour- nal de Maine-et-Loire. Le grand maître exécuta, avec la perfection qui lui était habituelle, plusieurs airs va- riés, puis accompagna sur la quinte du hautbois, nom- mée assez singulièrement cor-anglais ‘, l’Ave Maria de Cherubini, chanté par la belle voix de Mme Melchior. L'effet de ce morceau, dit la Revue d'Anjou, fut im- mense. Toutefois, au milieu des applaudissements, on se rappela qu’en juin 1830, Brod s’était fait entendre avec le chanteur Brugnière. — Formé par les leçons de Vogt, Henri Brod, avec d’autres conditions de diction, partageait presque la célébrité de son maître, lorsque Ja mort l’a frappé, jeune encore, en 1838. — Deux mois s'étaient passés à peine, lorsqu'on annonça la venue prochaine du célébre élève de Viotti, du roi des violonistes, du grand Baillot. Ce langage vous semblerait-il outré? Écoutez alors celui de l'écrivain ha- bile qui, le 7 juin 1836, rendait compte, dans le journal que nous venons de nommer, du concert donné la veille, dans la salle de la Mairie. Cet écrivain était M. E. T. ?, magistrat d’un grand mérite et musicien fort instruit qui, à l’exemple de M. Orfila, le célèbre chimiste, et de M. Troplong, l’éminent jurisconsulte, avait cru que l'étude consciencieuse d’un art pouvait parfaitement se concilier, comme passe-temps, avec l’exercice de fonc- tions sérieuses et ne devait que donner à l’orateur ou au ! Les italiens l’appellent bien plus justement : voce umana. 2 M. Eugène Talbot. NOÉ. T professeur, une distinction de plus. Or, voici son lan- gage : « Qui pourra rendre l’enivrement général après avoir «entendu le maître et l’extase de ce public, à qui ve- « naient de se révéler des idées nouvelles, une expres- « sion inconnue de ce qu’il croyait connaître si bien ? « Pour donner une idée de l’admiration universelle, il « faudrait pouvoir peindre le talent même de M. Baïllot, « dire la puissance et la grâce, l'énergie et la suavité, « l’unité et la variété de son style; dire la simplicité de « ses formes et la richesse de son effet, la noblesse de « l’ensemble et le fini des détails. Mais, quoi! Songe- « rons-nous à exprimer en termes froids et réfléchis ce « chaleureux entraînement du public, qui cède à l’ins- « piration du génie? Irons-nous dépeindre cette perfec- « tion à laquelle on croit à peine au milieu même de « l’extase où elle vous jette ? Laissons pure et respectée « cette grande image du maître, à qui nos éloges sem- « bleraient des mots d’enfants, et contentons-nous de « lui jeter des fleurs de loin, dans cet éloignement où « nous place l’immensité de son talent. » Vous comprenez que je ne puis rien ajouter à cet éloge. Mais, sur un point, l’article demande rectification. Voulant peindre l’empressement que l’annonce de ce beau concert avait excité, l’auteur dit : « Ne nous arré- « tons pas aux bagatelles de la porte ; plaignons les deux « cents personnes qui y sont restées et pénétrons bien « vite dans ce sanctuaire musical, etc., etc. » Or, une de ces deux cents personnes a été plus heureuse qu’on ne le dit. Mettant à profit la présence d’une grande échelle oubliée contre la muraille, elle est entrée dans la salle CO par escalade, apportant à M. Baïllot un verre d’eau qu’un blocus infranchissable empêchait de faire parvenir jus- qu’à lui. — On comprend qu’il fallut absolument un second concert. Baillot le donna au théâtre, puis aban donna la recette entière au directeur, auquel il craignait d’avoir nui par le trop grand succès de sa première soirée. Ce fait seul vous fait connaître l'artiste. Le lendemain, Baillot devait partir pour la Bretagne. Mais, des sollicitations combinées, ressemblant quelque peu à une intrigue, le déterminérent à venir au Mans. Là, comme partout, il provoqua l’enthousiasme en jouant le 2% concerto de Viotti, exécuté l’avant-veille à Angers, l'air varié en ”x, écrit par lui-même, et cette fameuse Romanesca que, depuis lui, tous les violonistes et vio- loncellistes essaient de redire. — Puis, le lendemain du concert, un repas de quarante personnes, présidé par le maire de la ville, fut offert au noble artiste. Revenu à Angers, Baillot dirigea un quatuor dans une matinée qu'avait organisée à la hâte M. le Procureur général Gaultier, musicien d’un goût parfait, puis partit enfin pour Nantes où il était attendu. — La ville s’entretenait encore de ce brillant passage, lorsqu’on annonça la prochaine arrivée de Mme Pradher. Cette nouvelle fut accueillie avec d’autant plus d’empres- sement, que, trois années auparavant, en septembre 1833, cette charmante actrice, accompagnée de sa mère, était déjà venue dire sur notre scène la Vieille, Emma, la Fiancée et Fra-Diavolo. En annonçant cette visite, le Journal de Maine-et- Loire disait, dans un article signé F, initiale dont la = 9 2 signification nous est inconnue, ces mois pleins de vé- rité : « Mme Pradher est une comédienne de bon ton, de « bonne compagnie ; c'est l'actrice aux grâces décentes, « comme dit le poëte latin, ou, plutôt, les manières de « Mme Pradher n’ont rien de ce naturel de convention « au théâtre ; chez elle, l'artiste ne se montre jamais ; « l’on ne voit que la femme digne et honnête, que le « personnage enfin qu’elle représente. » Nous le répétons, ceci est parfaitement vrai et, dans Paris, mille voix pourraient l’attester encore. Blonde quoique languedocienne, d’une beauté remarquable, Mi: Félicité More avait épousé Pradher, homme aussi spirituel que distingué, tenant une des classes de piano du Conservaloire et devenu le professeur des princesses d'Orléans. Estimée autant qu’admirée, elle était un peu et sauf la distance qui sépare la diction de l’opéra-co- mique de celle du grand-opéra, la Nilsson de l’époque: les créations de la mode empruntaient son nom, etl’ac- cueil qu’offrait son salon de la rue de Choiseul, était vanté de tous. Ajoutons qu'aujourd'hui, Mn° Pradher, veuve depuis plus de dix ans, habite, si nous sommes bien informé, dans la Haute-Saône, inspirant, aidant et présidant les réunions artistiques ou charitables de la ville de Gray. Il ne faut pas s’en étonner, les personnes qui lui res- semblent peuvent devenir âgées ; mais elles ne deviennent jamais vieilles, dans le sens disgracieux ou morose qui s'attache ordinairement à ce mot. Or, en 1836, cette actrice tant applaudie était encore dans tout l’éclat de sa beauté. Les bravos, les vers et les fleurs ne cessérent pas de fêter ses diverses appari- HOT 1 ER tions. Elle nous donna ainsi la Vieille, la Lettre de changé, Lestocq, la Fiancée, puis PAline, de Berton. Une petite annexe avait été faite à ce dernier opéra. Au moment où l’ambassadeur de France, venu à Golconde, se ré- veille, stupéfait, au milieu d’un vallon de la Provence, la voix de la pauvre laitière devenue reine, ne demeura passans écho; un refrain dehautbois luirépondit. Ge que chantait Aline était une de ces charmantes mélodies avec instrument, que Panseron a créées et qui pendant longtemps ont eu une vogue immense. Panseron, ce professeur à l’enseignement si pur, aux compositions si vraies, n'existe plus, et nous ne connaissons aucun chan- teur ou instrumentiste qui porte son nom ; mais Angers peut apprendre chaque jour que sa succession artistique, si riche de talent et de bon goût, n’est nullement tombée en deshérence. Si l’on croit les journaux du temps, l'effet de ce petit épisode musical fut trés-goûté. Mais leurs récits ajoutent que presqu’aussitôt, une rumeur sinistre vint glacer le reste de la représentation. Ou venait d'apprendre l’at- téntat commis par Alibaud sur la personne du roi Louis- Philippe. Ces mots, sombres comme un cauchemar, mettent brusquement fin à mon rêve. — Au réveil, je me demande si ces faits, que vient de retrouver ma pensée, ne vous sembleront pas apparte- nir à un autre siècle. Que sont, en effet, près de ces empressements, de ces ovations prodiguées aux grands talents, l’indifférence de la plupart des habitants de notre ville, cette habitude, pour les exécutants divers, de s'abstenir ; d’où la nécessité de faire vivre les sociétés ENT EN musicales à l’aide d'artistes étrangers, moyennant des sommes considérables qui obligent à ouvrir, sans aucune condition, la porte à tous et transforment ainsi les réu- nions en entreprises de concerts publics ? On comprend comment, en de telles circonstances, beaucoup de per- sonnes en viennent à dire qu’il suffit de payer les artistes sans travailler à les imiter, et éloignent complétement leur pensée des études musicales. L’indifférence va même chez quelques-uns jusqu’au dédain. Il y a envi- ron cent ans, lord Chesterfield, adressant à son fils ces Lettres qui nous ont été conservées, lui disait : « Faites « faire de la musique dans vos salons, mais n’en faites « jamais vous-même. » La morgue et la prétention peuvent s'arranger de ces paroles-là. En effet, exécuter, quand on se sait quelque talent, c’est toujours se livrer à l’appréciation d'autrui. La modestie peut quelquefois vous arrêter, sans doute ; mais, bien souvent aussi, la suffisance trouve là un moyen de laisser supposer aux autres un mérite musical bien supérieur à la réalité. Ce sont ordinairement ces personnes-là qui, cantonnées dans leur silence, jugent de la manière la plus sévère et la plus tranchante. Heureusement, Messieurs, le mal n’est pas partout. Au milieu du terrain aride que font aux arts l’indiffé- rence, la prétention ou la préoccupation exclusive des affaires, il est parmi nous plus d’une oasis où la pensée musicale rêgne toujours, où le culte des grands maîtres est soigneusement conservé. Quelques rares instruments viennent s’y unir au piano, instrument tenu avec un re- marquable talent par maintes personnes habitant notre ville ou y séjournant temporairement, C’est déjà beau- er coup, on le comprend, que le feu sacré soit entretenu, même presque dans l’ombre. Get exemple peut inviter à l'étude et, on le sait, plus on étudie un art, plus complétement et mieux on l’aime. Toutefois , nous vou- drions davantage. Si le piano est excellent pour exécu- ter les morceaux écrits à son intention (et nos grands compositeurs l’6nt doté, on le sait, de richesses inépui- sables), il est tout à fait insuffisant quand il s’agit de rendre des morceaux composés pour instruments, comme cela arrive dans les réductions. Que peuvent les touches d’un piano et, même, de deux pianos, pour rendre le quatuor de cors qui. commence l'ouverture du Freischutz, le solo de hautbois de celle d’Ofello, les traits de petite flûte de celle de la Gazza ladra ? N’esi- il pas évident que, dans ce cas, au lieu d’une vive pein- ture, vous n’avez plus qu’un pâle dessin ? Ce dessin est encore précieux, sans doute, maïs nous voudrions la peinture complète. C’est faire comprendre qu’une so- ciété philharmonique active devrait nous être rendue. Déjà, hâtons-nous de le dire, divers projets de restau- ration musicale se croisent dans l’air, tandis qu’une réunion d'hommes encouragée par un haut patronage, fait parfois entendre des chants d'ensemble, des solos d'instruments et des œuvres symphoniques qui se sont vu saluer des applaudissements les plus sincères. Que toutes ces bonnes volontés s'entendent, que ces efforts se combinent, que ces flammes éparses se réunissent en un brillantet vaste foyer! Alors, sous des auspices favorables, l’idée artistique reprendra faveur chez tous: un signe de main suffira pour que des chœurs avec un orchestre exercé se rassemblent; les Dieux que notre Rs éompatriote Lenepveu a si admirablement peints sur le plafond de notre théâtre, ne sembleront plus triste- ment planer sur le néant, et le nom de vi/le philhar- monique sera rendu à notre cité qi, franchement, au- jourd’hui, ne le mérite guère. — Un moment, trop long peut-être, Messieurs, j'ai voulu lire avec vous dans le passé : puissé-je, en émettant ces vœux, lire fidélement dans l'avenir. — E. LACHÈSE. INVENTAIRES DES ÉGLISES DE JARZÉ ET DE MARCÉ (MAINE-ET-LOIRE) On nomme inventaire une nomenclature exacte et détaillée de tout ce qui dans une église sert au culte religieux, comme vases sacrés, ustensiles, lingerie, or- nements, tentures, tapisseries, livres lilurgiques, etc. Ces dénombrements, fréquemment répétés au moyen âge et depuis, abondent dans les archives des églises, des mairies et des préfectures. Un grand nombre a déjà été publié, mais on s’est attaché principalement à ceux des grandes églises, telles que les cathédrales, les abba- tiales, les collégiales et les commanderies. Noire savant SOC, D’AG. 3 IE 20 collègue, M. Godard-Faultrier, en publiant en entier les inventaires si curieux de la cathédrale d’Angers, n’a pas manqué de les illustrer des commentaires qu’ils exigealent. Il s’agit maintenant de reporter l'attention sur les églises de moindre importance et sur leur mobilier de second et troisième ordre. Les paroisses rurales, quoiqu e moins brillantes et moins connues, ne sont pas à dé- daigner et elles fournissent plus d’un document pré- cieux, non-seulement pour l’histoire locale, mais aussi pour l’histoire de la province dont elles font partie. Je pourrais donner le texte, presque toujours ën ex- tenso et quelquefois seulement par extraits, de vingt-un inventaires de l’ancien diocèse d'Angers. Faute d’es- pace, je n’en citerai que deux. Pour les rendre plus profitables à ceux qui voudront les étudier, je les ferai précéder chacun d’une courte introduction ou les ac- compagnerai de notes qui en préciseront, soit la valeur archéologique, soit l'importance relative. Nous sommes au xvi° siècle. La plupart des objets ici mentionnés n’ont pas survécu, d’une part, au caprice de la mode, de l’autreau naufrage de la Révolution. On trou- vera dans ces pages jusqu'ici oubliées, une source féconde de renseignements, d’abord sur les rites ecclésias- tiques et les coutumes liturgiques, puis sur l’industrie elle-même, surtout relativement aux étoffes et aux broderies". Les inventaires sont une mesure d’ordre, très-ancien< 1 Je publierai ultérieurement les autres inventaires inédits qui n'ont pu trouver place ici, et dont l’intérêt n’est pas moindre, 2e" nement prescrite tant par les évêques que par l’État lui-même. | Le 21 août 17692, le Parlement enregistra les « ar- ticles proposés par le procureur-général du Roi, pour être exécutés dans l’administration des fabriques et paroisses de Notre-Dame de Nantilly, de Saint-Pierre et Saint-Nicolas de Saumur. » Or l'article xxxv est ainsi CONÇU : « Sera fait un état ou inventaire de tous les orne- ments, livres, linges, vases sacrés, argenterie, cuivre et autres ustensiles, dont il ÿ aura deux doubles, si- gnés du sacristain, des curés et fabriciens en charge; l’un des deux doubles sera déposé dans l’armoire des- tinée aux titres de la fabrique et l’autre double remis au sacristain et en sera fait tous les ans un récollement qui sera signé de même et déposé, à l'effet d’être sta- tué par délibération du bureau sur les nouveaux orne- ments, linges, vases et ustensiles qu’il faudrait acheter, changer ou raccommoder, dont sera fait mention sur le récollement pour en charger ou décharger le sacris- tain, lequel sera tenu, s’il se trouve quelques-uns des dits ornements, linges, vases sacrés et ustensiles, qui pendant le cours de l’année ne puissent être d’usage par vétusté ou autrement, d’en donner avis au bureau pour y être statué; il ne pourra en prêter sans délibé- ration de l'assemblée ordinaire ‘. » J'ignore si ces doubles ont jamais existé. En tous cas, je ne les ai trouvés nulle part, quoiqu'il me soit passé 1 Jousse, Traité du gouvernement spirituel et temporel des pa- roïsses. Paris, 1773, p. 447, MY at entre les mains beaucoup de pièces de ce genre. Peut- être cela tient-il à ce que nous ne possédons plus que les papiers de la fabrique, et que le double devant être remis au sacristain, aura pu être transporté au domi- cile de celui-ci, puis transmis de l’un à l’autre par ces employés, lors de leur sortie et entrée en fonction. Le récollement devait être fait tous les ans, Drescrip- tion fort sage, qui peut-être a été exécutée, mais dont la trace ne paraît pas davantage. En général, les inven- taires se suivent à des époques indéterminées. Enfin, la signature du sacristain, du curé et des fabriciens, re- quise pour donner aux pièces leur valeur légale, fait aussi complétement défaut. Les ordonnances, même du Parlement, ne contenant aucune sanction, demeuraïent donc à l’état de lettre morte. On rédigeait des inven- taires, parce que la fabrique avait une responsabilité à sauvegarder vis-à-vis des habitants de la paroisse, mais elle n’en faisait pas moins à sa tête, c’est-à-dire en dehors de toute contrainte légale et de toute forme prescrite. Les inventaires que j’ai pu copier ou analyser concer- nent la collégiale de Jarzé, le prieuré de Cunaud, les chapelles de Genetay et de Montplacé, et les églises pa- roissiales de Marcé, de Saint-Pierre du Lac, de la Mei- gnanne, de Luigné et de Saint-Martin de la Place. JARZÉ (1500). Après avoir fondé le chapitre de Jarzé, Jean Bourré pourvut à sa dotation. J’ai trouvé dans les archives du S,: 1, château de cette localité, un acte, daté de l’an 1500, qui énumèére les objets provenant de la générosité du patron. Le document ci-dessous est malheureuse- ment mutilé. Je supplée par des points aux parties enlevées. Outre les lettres originales de la fondation, voici un livre de chœur, plus deux chapelles, dont une en satin cramoisi, sur lequel étaient rapportées des figures de drap d’or, et l’autre en velours noir. L’inventaire nous donne lui-même le sens précis de ce mot chapelle, qu'il faut entendre de la chasuble et de la chape pour le prêtre, de la dalmatique pour le diacre, de la tunique pour le sous-diacre, avec leurs étoles et manipules, nommés alors fanons, terme qu’a conservé le blason. La bourse d’autel se nomme bien plus exactement corporalier, parce qu’elle est destinée à renfermer le corporal, linge bénit que l’on étend, pendant la messe, sous le calice. Tout ornement, avant d’être affecté au culte, reçoit la bénédiction de l’évêque ou de son délégué. On re- . marquera qu’une des chapelles de Jarzé n'ayant pas encore été bénite, pour la distinguer de l’autre, on lavait marquée de fil blanc. Le parement destiné au haut de Pautel ne doit pas être confondu avec celui qui se met plus bas, à la par- tie antérieure. Ici il s’agit d’un rélable de velours, où sont brodés en or fin la sainte Vierge au milieu, saint Jean-Baptiste, saint Christophe et saint Martin d’une part, et de l’autre saint Jean l’Évangéliste, sainte Madeleine et sainte Catherine d'Alexandrie. L’argenterie, suivant une ancienne tradition, est pesée LR EE au marc, à l’once et au gros. Elle comprend deux chandeliers, un bénitier, un calice et une croix de procession. La liturgie ne comportait alors que deux chandeliers sur l’autel. Le goupillon du bénitier est qualifié asper- ges, en raison de son usage. Les burettes conservent leur dénomination populaire de chopine; plus tard nous aurons les deux diminûtifs chopineaux et chopi- nettes. La clochette que l’on sonne à l'élévation est également d’argent. Conformément à un ancien usage, elle est suspendue au bout de l'autel, c’est-à-dire à une des extrémités, du côté de l’épiître. La collégiale possédait encore deux croix, une avec bâton pour porter en procession, et l’autre avec pied pour mettre sur l’autel entre les chandeliers. Cette dernière, dorée et émaillée, offrait le crucifix et plu- sieurs traits de la vie de la Vierge, et, au revers, dans des médaillons, les quatre Évangélistes et plusieurs Saints. L’instrument de paix que l’on faisait baiser au clergé avant la communion, est une plaque d’émail, histo- riée, montée en cuivre doré, comme il n’est pas rare d’en trouver dans les collections. La navette aussi en cuivre doré est martelée, c’est-à- dire travaillée au repoussé et munie de sa cuillère pour prendre l’encens que l’on y dépose pulvérisé, à la dif- férence du moyen âge qui l’y mettait en grains, si l’on s’en rapporte aux peintures et sculptures de ce temps. Le fondateur n’avait pas bâti l’église de Jarzé, 1l l’avait seulement agrandie et érigée en collégiale. Aussi ne veut-il pas que tout soit à sa charge ; il donne ho 2: en conséquence des conseils au curé pour que le grand autel soit changé de place et reculé vers le chevet. Cette modification nécessitera également le changement du chancel, clôture dont il existe un très-curieux spécimen en bois sculpté et de la même époque dans la chapelle seigneuriale du Plessis-Macé. « Vnes lectres originalles d’icelle fondacion… « Livre pour l’usaige de service divin dud. collége. « Les pieces et ornemens deglise qui s’ensuivent, c’est assavoir : une chapelle complecte de drap d’or sur champ de satin figuré cramoisy, garnie de chazuble, diacre, sobzdiacre et chappe, estolles et fanons, et aussi deux autres chapelles pareillement toutes com- plectes de velours noir et garnies comme dessus et le tout à orfraiz, dont y a l’une d’icelles deux chapelles de veloux, qui n’est encores benoiste, et est marchée de fil blanc. « Semblablement, ung parement pour le hault de l’aultier qui est de veloux cramoisi et y est au meillieu la figure et représentacion de la très glorieuse Vierge Marie, mère de Nostre Sauveur Ihesu Crist et des deux coustez d’icelle les figures et représentacions de Monsr St Jehan Baptiste, S' Xpistofle, et St Martin, de Monssr saint Jehan l’évangéliste, Madame sainte Marie Magde- laine et S® Katerine, le tout desd. figures de fin or... « Deux grans chandeliers d'argent dorez par les bors, pesant huict marcs troys onces et demye, avec asperges pour donner l’eaue benoiste, pesant six onces. A0 — - € Îlem deux grans choppines à mectre le vin et l’eaue pour chanter, moitié dorées et moitié.…, pesans troys marcs, une once. « Une clochecte toute dorée. à mectre sur le bout de l’aultier… à la levacion du corps. toute d'argent. et est entaillé surlad. cloche la.… « ltem un encentier pesant cinq marcs… « Item une croix à bastonz, le tout d'argent pour porter en procession.., pesant le tout six marcs.. * € Item une autre croix dorée et fort bien esmaillée… où est en pourtraicture le mistère de la passion de Nostre Seigneur et pareillement la Nativité et la vie de sa très glorieuse mère Nostre Dame, aussi des quatre évangélistes et d’autres plusieurs saincts et sainctes, pesant lad. croix treize marcs six onces. € Item le pie d’icelle croix pour la mectre sur l’aul- tier pesant dix marcs. « Item une paix toute dorée par le devant et esmaillée à ysmaiges, pesant ung marc, une once et six gros. « Item une navecte à mectre l’encens même martel- lée et dorée par les bors et une cuillier pour y prandre l’encens, pesans deux marcs demye once. « Item ung calice tout doré dedens et en dehors et la plataine aussi, pesant troys marcs et demy moins ung gros. 1 « liem deux autres choppines, pesant ung marc quatre onces Six gros. « Item deux corporalliers, l’un de drap d’or tout plain et l’autre de satin noir broché d’or. « Ledit chevalier fondeur a dict et remontré aud. curé qu’il etoit besoing et convenable pour la décora- LES TEE tion d’icelle église de Jarzé fayre transmutacion du grant aultier d’icelle église parochiale et le mectre plus hault en lieu plus magnifique, qu’il auroit et lui tiendroit a très grant desplaisir si à l’occasion de telle mutacion et nouvel ediffice de chanzeau et d’aultier sourdoit par après quelques différens entre led. curé et les procureurs de la fabrique d’icelle paroisse et au- cuns des paroissiens ‘. » MARCÉ (1536). Il y eut à Marcé, au siècle dernier, un curé fort in- telligent, qui prit la peine de transcrire sur un registre à part tous les titres qu’il trouva dans son église. Quel- 1 Lorsque Charles de Bourbon, prince de la Roche-sur-Yon et gouverneur de Charles IX, fonda en 1545 le chapitre de Beau- preau, il fit à la nouvelle collégiale des dons importants, qui sont mentionnés en ces termes, d'après le manuscrit de Grandet, dans la Revue de l’Anjou et du Maïne (t. IV, p. 167) : «Il pourveut son église de touttes les choses qui luy étoient nécessaires, calices, encensoirs, livres, ornements, et même en donna de magnifiques. La tradition dit que, commandant les armées du roy, il ne pre- noit aucunes villes qu’il ne cherchât dans les églises ce qui pou- voit être commode pour la sienne. Entre tous les ornements, il a donné un crucifix de deux pieds et demy de haut, deux chan- deliers de deux pieds, un calice, une patenne et une paix de cris- tal de roche d’un très beau travail, garny d'argent doré, et tout cela d’uu prix très considérable, une chasuble, deux chapes, deux dalmatiques d'or frizé, avec une broderie toute riche qu’il ap- porta d’une ville du royaume qu’il remit sous l’obéissance du roy : on a cru que c’est Orléans. il y a donné une portion considérable de la Vraye-Croix, qui a été richement enchässée par la piété de Madame la duchesse de Brissac, en une croix d’ar- gent doré, enrichye de pierreries, et particulièrement de quatre agates très considérables aux coins de la base. Cette dame y a encore donné un ciboire d’or pur qu'on estime mille écus. » Er VATIES quefois il se contente du sommaire, mais, le plus sou- vent, c’est le texte même qu’il reproduit, assez correc- tement pour montrer qu’il savait déchiffrer les anciennes écritures. L’inventaire des ornements n’existe plus en original. Il faut donc se contenter de la copie faite en 1777 sur un titre datant du 28 septembre 1536. Les ar- ticles sont fort courts; peut-être ont-ils été tronqués lors de la transcription. Les ustensiles sont nombreux : Une croix avec pied pour l'autel ; deux chandeliers, suivant la rubrique ; un bénitier, un encensoir, une lampe, deux paix, quatre burettes et deux. clochettes. Les burettes ont conservé le nom qui leur était donné au moyen âge, urceau, mot français calqué sur le latin wrceus. Les clo- chettes, que l’on sonnait de chaque main en tête des processions, ont emprunté leur dénomination populaire d’échelettes au latin squilla, dont le moyen âge avait fait squille et esqualle. On saisit de suite la transformation (Voir du Cange au mot skella, qu’il traduit fintènnabu- lum, campanula). Le vase le plus intéressant est une écuelle d’étain, accompagnée d’un autre vase avec un chalumeau. Le premier servait pour faire manger les malades et le second pour les abreuver. Je ne me rends pas compte très-exactement de cette manducation, assez déplacée lors de l'administration du Saint Viatique, tandis que le Rituel d'Henri Arnauld justifie assez bien le vase à boire et son chalumeau, qui rend plus facile l’absorp— tion du contenu. En effet, si mon hypothèse est exacte, ce serait l’ablution même de ses doigts que le prêtre aurait donné à boire à l’infirme : « Viaticum præbeatur. Doc 2. Posteà sacerdos abluat digitos super scypho ad hoc pa- rato, nihil dicens; et extersis manibus purificatorio, ablutionem sumendam det infirmo, et statim scyphum infusa aquâ eluat, eamque in ignem injiciat. Si infir- mus totam ablutionem sumere non potuerit, in ignem pariter injiciatur quod super erit. Les vases sacrés A oi l’ostensoir nommé custode ; le ciboire, désigné sous la même dénomination et cinq calices d'argent ou d’argent doré, dont un de plomb. On remarquera que le Saint- alu Je est qualifié, comme en Italie, «le corps du Seigneur, » Corpus Domint. Les traditions se maintiennent dans les diocèses. Aussi peut-on expliquer par des textes postérieurs des documents d’un autre âge. Le Rituel d'Henri Arnauld nous fournit encore l’explication de la bourse de soie blanche dans laquelle le Saint-Sacrement était porté aux malades : « Quod si longius aut difficilius iter obeundum sit, et fortasse etiam equitandum, necesse erit vas, in quo Sacramentum defertur, bursà decenter ornatä et ad collum appensâ aptè includere, et ita ad peelus alligare atque obstringere, ut neque decidere, neque è pixide excuti Sacramentum queat. » La paroisse de Marcé n’avait pas toujours été riche, à en juger par son calice de plomb. Voici qui n’est guère plus décent : c’est un corporalier, plein de re- liques de saints, et où entre autres est un morceau de la robe de saint Martin. Sans doute cette bourse était cousue de tous côtés, comme un sachet, de maniére à empêcher tout acte de curiosité ou de profanation. ne Des cinq chapelles, une est blanche, une autre rouge, une violette et deux noires. Le vert ne paraît que sous la forme de chape. Quant aux étoffes dont elles sont façonnées, je constate ou du velours ou de la toile. . Notons comme un fait extrêmement curieux ce banc allongé et étroit, formé de plusieurs pièces se repliant les unes sur les autres, et qui sert, le jour de Pâques, pour la communion générale des fidèles. Rien ne donne mieux idée de la table et du banquet eucharistique. Constatons quantité de livres liturgiques : Six mis- sels, dont un manuscrit; deux graduels pour la grand’- messe, un antiphonaire et deux psautiers pour les vêpres, un processionnal, deux manuels pour l’admi- nistration des Sacrements, un Ordo * pour régler l'office divin et enfin un bréviaire imprimé, ‘que l’on nomme - Légendaire, parce qu’il renferme les légendes ou leçons de Matines. Je signalerai en terminant deux autels portatifs, l’un en marbre noir et l’autre en albâtre. On peut voir au musée diocésain une pierre sacrée du xvIe siècle, qui est doublée d’une tablette de bois dans laquelle elle se trouve comme enchässée, ses rebords formant cadre tout autour. Cetie précaution n’était pas inutile, car l’ardoise se brise et se délite facilement au moindre choc. « Inventaire des ornements : « Croix d'argent, de leton, pied de croix de leton. * En 1759, un Ordo coùûtait huit sols (Arch. du chât. de Jarzé). DR ME « Calice d'argent doré, où sont les douze Apôtres, donné par messire Jean Girard, prêtre. « Autre calice d'argent doré. « 2 petits calices d'argent. « Un calice de plomb. « Une eustode de leton doré, pendante à la crosse de dessusle grand autel, en laquelle repose Corpus Domini' . « Une custode d'argent doré pour porter Corpus Domini à la fête du Sacre et ès octave ”. « Un corporalier tout plein de reliques d’ossemens ; où il y a de la robe de M#S. Martin. « 8 corporaliers, garnis de corporaux. « 2 chandeliers de cuivre. « Une bannière. « 2 échelettes. « Un benitier de métail. « Un encensoir de cuivre. « Une lampe. 1 C’est à tort qu’on a voulu symboliser dans cette crosse le pouvoir épiscopal, puisqu' on ne l’employait pas exclusivement dans les cathédrales, mais aussi en n'importe quelle église, sui- vant cette prescription du Rituel d'Henri Arnauld: « Curare porro debet (parochus) ut perpetud aliquot hostiæ consecralæ eo numero qui usui infirmorum et aliorum fidelium communioni, si quando extra missam dari contingat, salis esse possit, conseT- ventur in pixide argentea, intus inaurata eaque munda et suo operculo bene clausa, quæ sit vel super altare suspensa, juxta _laudabilem et antiquum Ecclesiæ morem, vel... recondita sub clave in sacrario tabernaculove. » 2 L'ostensoir prend aussi le nom de custode dans le Rifuale Andegavense, publié par Henri Arnauld : « Ab aliquot sæculis in Ecclesià mos obtinuit ut aliquando venerabile Sacramentum publice in ostensorio seu custodia vitreis specularibus clausa; exponatur necnon deferatur in processionibus, » — A6 « Une ecuelle ronde à oreille avec un autre vaisseau, le tout d’étain, qui ont chacun une canelle pour apas- turer et abreuver les malades. « Chapelle de velours violette, garnie de chape, choi- sible, etolle et fanons. « Autre chapelle blanche. « Autre noire. « Autre rouge. « Autre noire. « Chappe verte. « Choisible blanche de fine toile. « Parement d’autel. « Un autel béni portatif de pierre noire enchassée en bois. « Autre autel d’albâtre. « Deux paires d’urceux. « Bourse de soie blanche pour porter le Corpus Do- mini dans la paroisse. « 2 grandes paix. « Drap mortuaire. « Une table étroite faite en façon de bancelle, qui est de deux pièces et redoublée à couplets, laquelle sert à la feste de Pasques devant le grand autel pour mettre une touaille pour administrer le peuple. «5 missels. « Un missel écrit à la main, en parchemin. « 2 grelliers. « Ur antiphonier. « Un legendaire où est contenu tout le breviaire en impression. « Deux psalmistes, NA EN « Un processionnaire. « Un ordinaire. «2 manuels. « Un livre à note où est le service de la Transfigura- tion et de la Visitation. « 75 touailles, tabliers, aubes, surpelis, ceintures, amicts, serviettes, essuie-mains. » Mst X. BARBIER DE MONTAULT, Camérier de Sa Sainteté, LES COMPTES DE FABRIQUE DE L'ÉGLISE DE MARCÉ (MAINE-ET-LOIRE) Les comptes de fabrique sont le complément pour ainsi dire obligé des inventaires. En effet, de part et d'autre, le but que l’on se proposait d’attemdre était identique, quoique sous des formes diverses, puisqu'il s'agissait d’un double enregistrement du mobilier des églises. Les comptes réglaient la dépense en se basant sur la recette; les inventaires détaillaient les objets acquis. Ici, comme précédemment, nous avons ouverte une source de renseignements intéressants sur le prix, l'usage et la forme des ornements d'église, des vases sacrés et des ustensiles religieux. La liturgie y côtoie la coutume et plus d’une fois, au point de vue de la philologie, il y a à relever des expressions populaires el essentiellement locales. Les comptes ne sont pas rares dans les papiers des fabriques, quoique la révolution ait dispersé ou anéanti ENT UE un grand nombre de titres. Les extraits que j'ai recueil- lis se rapportent aux églises de Marcé, de Chemiré- sur-Sarthe, de Saint-Martin de la Place, de Luigné, de Tiercé et de Lasse. Afin d'éviter des longueurs et sur- tout des répétitions interminables, je n’ai pris dans ce vaste répertoire que les choses saillantes. Je ne donne ici que les comptes d’une seule église. Je les ferai précéder d’une courte notice, qui résumera el expliquera tout ce qu’il importe de savoir et de retenir: à ce sujet. C’est ainsi que des faits limités à une pa- roisse rurale pourront trouver place dans l’histoire générale du culte du xve au xvre siècle. ( Les comptes des fabriques étaient soumis à une lé- aislation spéciale, que l’on trouve nettement exprimée dans un Arrêt du Parlement, du 21 août 1162, portant règlement pour les fabriques des trois églises parors- siales de la ville de Saumur. Je n’en reproduis ici que les articies suivants : « Art. x. Il y aura toujours quatre marçguilliers ou procureurs-fabriciens en place en chacune des- dites églises, qui y resteront chacun deux ans, dont un, qui sera désigné par l'assemblée, fera, la seconde année de son exercice, la recette et dépense des reve- nus de la fabrique et sera comptable. Il en séra élu en chaque église deux nouveaux chaque année dans l’as- semblée générale du mois de décembre, à commencer dès la présente, au lieu et place des deux plus anciens pour servir avec les deux autres qui n'auront encore rempli que leur première année et ne pourrontaucuns des procureurs-fabriciens être continués au delà de deux ans, sous quelque prétexte que ce puisse être. | 80C, D’AG. 4 Le Je Fa « Art. xt. Chaque procureur-fabricien comptable sera tenu, à la fin de son année de gestion, de rendre son compte, tant en recette que dépense et reprise et de le présenter au bureau ordinaire dans le mois d’avril ou mai suivant, et après que ledit compte avec les pièces justificatives d’icelui aura été vu par le bureau ordi- naire, sur le rapport qui en sera fait par deux anciens fabriciens qui auront été nommés commissaires à cet effet, il sera examiné, calculé, clos et arrêté dans l’as- semblée générale du mois de juin. « Art. xv. Tous les dimanches et fêtes, les procu- reurs-fabriciens porteront sur un seul registre le pro- duit de la quête qu’ils auront faite pendant la grande messe paroissiale, lequel registre sera représenté à l’as-. semblée ordinaire de chaque mois; et le fabricien- comptable fera dans le compte qu’il rendra tous les ans, ainsi qu’il est dit ci-dessus, un chapitre de recette de la totalité de la quête de l’année. «Art. xvVI. Faute par le procureur-fabricien qui aura fini l’année de son exercice de comptable, de présen- ter ou rendre son compte dans le temps porté par l’ar- ticle x1 ci-dessus, le fabricien qui lui aura succédé dans ledit exercice, sera tenu de faire les diligences néces- saires pour l'y contraindre, après néanmoins en avoir communiqué au bureau ordinaire, à peine de demeu- rer en son propre et privé nom, garant et responsable de tous les événemens : seront faites aussi par les procureurs actuels les poursuites nécessaires pour faire rendre et solder les anciens comptes qui ne l’auront pas encore été. € Art. xviI. Sera pareillement tenu le fabricien en A = exercice de comptable, de faire le recouvrement de tous les biens et revenus de la fabrique, et d’avertir le bu- reau ordinaire des poursuites qu'il conviendra faire pour contraindre les débiteurs, ensemble de rapporter les dites poursuites et procédures, ou une copie de la délibération qui y aurait autrement pourvu; à faute de quoi les articles de reprise seront rayés, sauf audit cas à en être le recouvrement fait au profit dudit fabricien à ses risques et à ses frais. « Art. XVI. [l sera fait deux doubles de chaque compte, et laissé à chaque compte une marge de chaque côté pour y inscrire dans l’une les apostilles et pour tirer dans l’autre les sommes hors ligne en chiffres, par livres, sols et deniers, lesquelles sommes seront en outre inscrites en entier en toutes lettres dans le texte du compte. « Art. xix. Lors de la visite du compte au bureau or- dinaire, toutes les pièces justificatives, tant de la recette que de la reprise et dépense, seront paraphées par l’un des commissaires et seront ensuite après l’examen arrêté et clôture faite dans l’assemblée générale, les- dites pièces déposées avec un double du compte signé et arrêté dans l'armoire destinée à renfermer les titres” de la fabrique, l’autre double restant an comptable pour sa décharge. « Art. xx. Le reliquat du compte sera payé au fabri- cien qui sera en exercice lorsque ledit compte sera ar- rêté, lequel sera tenu de s’en charger dans le premier chapitre de recette de son compte; pourra néanmoins l'assemblée générale arrêter que ledit reliquat sera re- mis en tout où partie dans le coffre-fort de la fabrique "SUR lequel sera fermé à trois serrures et clefs différentes et lesdites clefs remises l’une au curé et les deux autres aux deux premiers fabriciens; seront aussi remises dans le coffre-fort les sommes qui proviendraient de remboursement de rentes, ou qui seraient données à la charge d'emploi, ou qui en quelque manière que ce fût, tiendraient lieu de fonds à la fabrique; et il sera fait mention, sur le registre des délibérations, de la remise des dites sommes dans le dit coftre-fort duquel ne pour- ront être tirées aucunes sommes qu’en vertu de délibé- ration d’assemblée générale; lesquelles sommes ainsi tirées dudit coffre seront pareillement employées dans lé chapitre de recette du compte du fabricien qui les aura reçues. « Art. xxvi. Les concessions des bancs ne pourront être faites qu'après trois publications de huitaine en huitaine et qu’à des personnes demeuranies actuelle- ment sur la paroisse, pour leur vie seulement, pour autant de temps qu’elles resteront sur la paroisse, sans qu’il puisse être concédé qu’un seul banc à la même personne et au même chef de famille; et seront en cas de changement de domicile hors de la paroisse, les banes concédis de nouveau, un an après la translation du domicile des pères et mères, les enfants demeurant sur la paroisse seront préférés, en faisant par eux la condition de l’église bonne. « Art. xxvII. Sera fait un registre de toutes les con- cessions de bancs qui auront été accordés par le bureau ordinaire, lesquelles seront inscrites en entier dans ledit registre avant qu’elles soient signées et délivrées, ne seront néanmoins troublés ceux qui, un an avant le PES PRES JP RENE SE présent réglement, seront en possession paisible de quelque banc et place dans l’église de la paroisse où1ls sont domiciliés, quoiqu’ils n’en aient obtenu la conces- sion, sauf à les concéder après leur sortie ou après leur décès, et sans qu’audit cas leurs enfants puissent être préférés. « Art. xxx. Dans la paroisse il y aura une armoire fermant à trois clefs et serrures différentes, dans la- quelle tous les titres, comptes et pièces justificatives d’iceux ou autres pièces concernant les revenus, biens et affaires de la fabrique seront renfermés : il sera fait un inventaire desdits titres et papiers, lequel sera signé du curé et des fabriciens, duquel inventaire sera fait un récollement tous les ans; et il y sera ajouté le nouveau compte et les pièces justificatives d’icelui et autres titres de l’année courante, lequel récollement sera pareillement signé comme est dit ci-dessus : le curé aura une des clefs de la dite armoire; les deux autres seront remises, l’une au premier procureur- fabricien, et l’autre au procureur-fabricien comp- table '. » MARCÉ. Les comptes de l’église de Marcé commencent en 1407 et finissent en 1789. De presque tous nous n’a- vons que des copies, que je suppose abrégées et qui ont été faites au siécle dernier par le curé de la paroisse sur un registre spécial. 1 Jousse, Traité du gouvernement spirituel et temporel des pa- roisses. Paris, 1773, p. 437 et suiv. DE es Parmi ces comptes sont intercalés des détails très- curieux sur le prix des denrées et des journées, et même quelques faits historiques, comme la guerre de Bourgogne, le séjour du maréchal de Gié au château du Verger et le décri de la vieille monnaie. | En 1407, il est question d’un tronc placé à l’autel de la Vierge ‘, et d’un cierge pascal en cire, pesant quatre livres. La procuration payée à l’archidiacre pour la vi- site faite au nom de l’évêque répond au cathedraticum canonique (Voir Analecta juris pontificu, XCNIe liv., col. 413). En 143%, sont inscrits les gages du sacristain et une | demi-livre d’oëng pour enduire les saints, forme an- cienne du mot cloche, dérivant du latin signum et dont il nous est resté le terme £ocsin, qui signifie le saint frappé à coups redoublés. Je dois insister sur le vin donné aux communiants, ! Le tronc de Béhuard est accompagné de cette inscription : TRONC POUR LA DÉCORATION ET ORNEMENT DE CETTE CHAPELLE DIEU AIME CEUX QUI DONNE AUEC IOIE SAINTE MARIE PRIÉ POUR NOUS 1736 Autre inscription du xvinf siècle, gravée sur une plaquette en bois, au-dessus d’un tronc, à Saulgé-l'Hôpital : TRON POUR . LES PAUVRES sen parce qu'il en est fait mention, comme d'une ablution destinée à humecter le palais pour la déglutition plus facile de l’hostie, dans les rituels d'Henri Arnauld et de Jean de Vaugiraud. C’était le sous-diacre qui présen- tait lui-même dans une coupe le vin de la purification, ainsi qu'il se pratique encore à Rome aux communions générales du clergé. Jai vu à Pavie cette ablution offerte à tous les fidèles indistinctement dans de petits verres de cristal ne contenant que de l’eau, à la sainte Table même. Telle était encore au xvirr° siécle la pres- cription du Rituale Andegavense ad Romant formam : « In locis in quibus purificatio laïcis præberi solet, non præbeatur in calice sacrato, sed in patera seu scypho ar- genteo, sive etiam stanneo aut vitreo, qui ad eum usum tantum deserviat. « Ubi autem prava hæc consuetudo inveteravit, ut vinum olim præberi solitum utriusque sexûs fidelibus ad purificationem post communionem, vulgi errore ad communem potum viris tantm, idque extra domini- cam mensam distribuatur : curent parochi tam ad pris- tinum Ecclesiæ usum revocari, ut vinum illud commu- nicantibus utriusque sexûs præbeatur statim post communionem, antequam surgant; de quo quisque, Si videbitur, tantum sumat, quantum erit necesse ad os proluendum, ut hostia facile et sine periculo deglutia- tur, et nulla ejus particula dentibus aut palato adhæ- reat, quæ postea expui possit. « Pro abstemiis autem, et iis qui à vino abhorrent, habeatur aqua in vase separato, quæ 1is pariter detur ad purificationem, si opus fuerit… « Sequitur à latere sinistro subdiaconus, et risdem D cum aliis ministris aliquanto post sacerdotem vinum et aquam porrigit ad purificationem, et mappulam ad os abstergendum. » La distribution des saintes huiles se faisait avec so- lennité au chef-lieu des circonscriptions ecclésiastiques. En 1456, cinq sous étaient ailoués pour ie voyage de celui qui allait les chercher au Lude. Chaque fois que l’on bénit un nouveau cimetière, il est de rigueur d’ériger une croix au milieu. Celle qui fut faite en 1458 indique donc une bénédiction nouvelle. L’année suivante, apparaissent les offrandes en nature, qui consistent en pain, beurre, echinée de cochon et tourteaux. Tout cela était vendu à la porte de l’église au profit de la fabrique, qui avait encore pour res- source des dimes en paille, vin, etc., que ramassaient les procureurs et qui plus tard furent affermées treize livres aux vicaires. En 1458 et 1464, il est fait mention d’un franc ar- cher que la paroisse équipait à ses frais pour le service public. Deux choses sont à noter en 1468 : le mot bwusse, écrit aussi buce dans les titres du xve siècle apparte- nant à M. le chanoine Joubert, et synonyme ici de bar- rique pour le vin; les plantations du cimetière, qui produit non-seulement du foin, mais des noix, des prunes et du buis. La paroisse devait être importante, car les comptes parlent, en 1477, de plusieurs vicaires, chargés sans doute d'aider le curé dans ses fonctions et d’acquitter les fondations pieuses. En 1480, la paroisse est imposée et fournit des cor- AE), 1e vées pour la réparation des fossés d'Angers. En 1483, la lèpre existait à Marcé et l’on était obligé de séparer une femme atteinte de cé mal contagieux. Trois expressions demandent une explication : Une somme de vendange était la charge que pouvait porter, comme l’indique son nom, une bête de somme. Le pain à chanter était l’hostie qui servait à célébrer la messe ; enfin, le vendredi saint se nommait vulgairement la croix aorée, parce que ce jour-là les fidèles adoraient à l’église l'instrument du salut. En 1499, Ia fabrique se munit pour la première fois de Âvres imprimés sur papier. J’en ai offert un au musée diocésain, qui correspond à peu prés à cette date. Nous entrons maintenant dans le xvie siècle. Si nos églises sont actuellement presque toutes dominées par les terres, c’est quê le sol extérieur s’est élevé progres- sivement ‘. Presque toujours on montait quelques marches pour entrer à l’église, et il en était ainsi à Marcé, conformément à la tradition et au symbolisme *. Il faut noter, en 1907, un tabernacle * pour le Saint- Sacrement et la construction de la chapelle de Saint- Gilles qui aurait été dédiée en 1520. Toutefois ce mot dédicace ne doit pas se prendre à la lettre, car l’église seule peut être consacrée et non une de ses parties accessoires ; il faut plutôt le considérer comme syno- 1 Rev. de l’art chrétien, 1871, n° 9, p. 462. ? Auber, Hist. du symbolisme, t. IL, p. 67.— S. Carol. Borrom., Instruct. fabricæ, édit. Van Drival, p. 10. $ Tiercé a un tabernacle du xvn° siècle, où l’Agneau est ac-. compagné de l'alpha et de l'oméga. RE: 1 nyme d'affectation à un saint que l’on établit pour patron. L’encens était cher et on ne l'a tat d que par petite quantité, par once, quarteron el demi-livre. Du reste, il y avait peu d'occasions de l’employer, puisque la bé- nédiction du Saint-Sacrement ne se donnait alors que pendant l’octave de la Fête-Dieu, et aux messes chan- tées sans diacre ni sous-diacre, il n’en est pas fait usage, malgré une coutume contraire que je ne crois pas ancienne dans le diocèse. La lanterne achetée en 1593 servait à accompagner le Saint Viatique. À la même date était construite la voûte du chœur. En 1528, on vend six sous quatre livres de chanvre qui ont été offertes à l’église. En 1532 une rente occasionne un procès devant l’official, et comme la sentence de ce dignitaire ne satisfait pas la partie intéressée, elle porte appel au métropolitain de Tours. En 1537, on érige l’autel de Saint-Julien, on cons- truit une galerie ou porche en charpente devant les portes et l’on met une #rappe au clocher, système éco- nomique qui s’est maintenu jusqu’à nos jours. La chapelle de Notre-Dame fut reconstruite en 1549. En 1545, le curé obtenait des indulgences pour son église et, l’année suivante, se comptait l'argent que les fidèles avaient donné à cette occasion. Le banc ne se concédait qu'aux seigneurs du lieu. Tout le monde restait debout ou à genoux, comme cela se pratique encore en Italie. Cependant dans beau- coup d’églises 1l y avait des bancs de pierre tout autour de la nef, mais peu de personnes pouvaient y prendre nage place. Je ne trouve qu’en 1720 les bancs établis d’une manière régulière, et les stalles en 1783. Marcé avait au moins deux cloches, car le compte de 4554 a un article spécial pour la fonte de la petite. Une autre cloche est fondue en 1567 et sert probable- ment de timbre à l’Aorloge, inscrite immédiatement après. Une messe basse est cotée quatre sous deux deniers. L’on achète en 1561 une croix d’argent, qui me fait songer à celle si belle de l’église d’Épinard, où on lit la date et le nom du donateur : : HELIAS : LEBEC : DEDIT - - 1948. En 1604, un vol insigmfiant est enregistré et, en 4607, on parle des étalages de la Saint-Martin, ce qui suppose une foire ou assemblée populaire. En 1610, 9 livres sont assignées au frère prêcheur ou jacobin qui prêche la Passion, le vendredi-saint. Sept ans plus tard, on lui donnait en plus une livre, les frais de son voyage et un diner. Les croix plantées aux carrefours ne sont pas rares en Anjou. Ce qui l’est davantage, c’est la fondation d’un Libera que le clergé doit aller chanter devant une de ces croix. Le jour prescrit est l’Angevine, c’est-à-dire la Nativité de la Vierge, qui doit ce nom à une tradition supposant que cette fête a été établie par saint Mau- rille, au Marillais. On a eu longtemps la manie de faire de trop grosses cloches et 1l devenait dés lors impossible de les entrer dans le clocher sans défoncer le mur, comme on le fit — 6 — en 1617 à Marcé, et comme on ne s’est pas gêné de le répéter ultérieurement à la cathédrale d'Angers et au Puy-Notre-Dame. Deux fois, en 1622 et 1672, l’archiprêtre vient au nom de l’évêque visiter la paroisse. C’est ainsi que l’on pouvait remédier à la trop vaste étendue du diocèse, l’évêque se réservant alors la confirmation. En 1655 et 1751, on refait la grande et la petite qalerie de l’église. Le luminaire était entretenu au moyen d’une. dîme spéciale et l'huile de la lampe était comprise dans ces frais, car, d’après le droit canonique, cette charge incombe d’abord au curé et, s’il ne le peut, à la popu- lation (Analecta juris pontificu, XOVI[: liv., col. 610). En 1690 et 1693, une première messe est indiquée, ce qui correspond parfaitement au nombre des vicaires déjà signalé, une deuxième messe paraît sur les re- gistres en 1708 et 1713. Par ce moyen bien simple on dédoublait la population et personne n’avait à se plaindre que les églises fussent trop petites, motif que l’on a trop souvent invoqué dans ces dernières années pour dé- truire des édifices intéressants à plus d’un titre. C'était la mode, Marcé y passa, et comme toutes les églises du diocèse, elle crut bien faire en badigeonnant l'intérieur. Le clocher fut réparé en 1702 et en 1720 on établit un confessionnal, meuble assez rare avant le xvrie siècle et dont parle le rituel d'Henri Arnauld : « In ecclesia autem cum audiet (sacerdos), sit indutus superpelliceo, honeste et graviter sedens, ut judex : non altari incum- bens, non genuflexus, non stans, non legens, non offi- clum recilans, non als interloquens, non ex intervallo NN es cantans, aut aliud quidvis agens, sed alienlo ad rem animo : caveatque diligenter, ne ipse aut pœnitens inter loquendum à circumstantibus audiatur, quos idcirco procul à se competenti spatio expectare cogat. « Ad id habeat in ecclesia sedem confessionalem, quæ patenti, conspicuo et apto loco posita sit, non intra septa majoris altaris, aut aliis altaribus adhærens : inter- jecto assere pœnitentem à sacerdote dirimat, aperta in medio fenestella ad transmittendam vocem, quæ crate perforata, seu cancellis ligneis ferreisve obsepta sit; -quod erga viros observandum est ubi commode fieri poterit, mulierum autem extra necessitatis casum sa- cerdotibus sub pœna suspensionis ipso facto incurrendæ prohibitum est absque interjectis cancellis confessiones audire. » En 1751, les deux cloches sont refondues, opération qui se présente assez fréquemment dans les comptes de Marcé ; le cimetière est clos de murs et on y érige une chapelle mortuaire. En 1768, le crucifix de la station qui se faisait à la fin de vêpres, est placé sur un tref en fer à l'entrée de la nef. C’est la dernière trace de la poutre traversant l’église au-dessous de l'arc triomphal : il en reste un curieux spécimen dans plusieurs églises, mais entre autres à Saint-Pierre de Chemillé. Les chandeliers de fer sont encore en usage à Rome aux enterrements et aux anniversaires, où on les place autour du catafalque. En 1775, des robes, autrement dit des soutanes, sont faites pour les enfants de chœur ; une nouvelle exposition est achetée pour le Saint-Sacre- ment, qui était placé sur l'autel pour l’adoration des fidèles dans une monstrance en forme de soleil. PRO Les recettes et les dépenses n’ont pas toujours été parfaitement équilibrées, ainsi qu’on le constate en 1783 et 1789. À cette dernière date, le coq traditionnel était renouvelé au clocher et parmi les chasubles, l’une ser- vait pour tous les jours et une autre était réservée pour les fêtes de deuxième classe, terme liturgique qui à lieu d’étonner à cette époque où dé'à la liturgie angevine avait été envahie par le rit parisien. « Titres qui sont dans le trésor de la fabrique, qui re- gardent les droits, les revenus et les rentes de la fa- brique et d'autres objets qu’un curé ne doit pas ionorer. « 1407. Rentes de la fabrique en argent. 5 |., 18 s., 7 d., 2 oboles. « Offrandes à la boëtte de l'autel de la Vierge. 51., 6s., 6 d., 1 ob. « Le boisseau de froment valoit 3 s. 4 d. « Le boisseau de noix 1 s. 6 d. « La procuration qu’on payoit à l’archidiacre, 7 s. « On prenoit depuis Angers jusqu’au port de Seiche pour voiture d’ardoise 5 d. par cent. « Le cierge pascal pesoit 4 livres. La livre de cire à brûler se vendoit 4 s., 7 d. « Une journée d'homme se payoit 2 s., 6 d. « 1434. 11 falloit pour accommunier les paroissiens 37 pintes de vin. La pinte de vin valloit 6 d. « On donnoit au segretain pour ses gages 35 s. « Il falloit une demie livre d’oing pour oindre les saints, Elle coûtoit 7 d. FETE « Un boisseau de froment pour administrer les paroissiens le jour de Pacques. « 1435. 20 pintes pour accommunier. « 1456, Le boisseau de froment valoit 4 s., 3 d., d'orge 9 s., 6 d., d'avoine 18 d., de fêves2 s. 10 d,, de noix 1 s., 10 d. « Une ceinture 6 d. « Il falloit 28 pintes de vin pour accommunier. « La fabrique donnoit 5 s. pour aller chercher les Saintes Huiles au Lude. : « 1457. Dépense faite pour larchiprètre en pain et vin 7 d. «Le louage d’un cheval 20 d. « 17 pintes de vin pour accommumier. Pinte de vin 4 d. « 1458. La croix du cimetière fut faite. « Franc archer fourni par la paroisse. « 16 pintes de vin pour accommunier. La pinte de vin5 d. « 1459. La boëtte affermée 3 1. 8 s. Elle consistoit en offrandes de pain et de beurre. « 1461. On fit la confrontation des terres où la fabrique a droit de prendre dixme devant les anciens de la paroisse, le 24 août. « 22 pintes de vin pour accommunier. La pinte valloit 4 d. « L'abbé et le couvent de la Roë devoit un bois- seau de noix. « 1462. 17 pintes de vin pour accommunier. Pinte de vin 7 d. « 1463, Recette de la boëte 39 1, 17 s, 9 d, GTS « La disme consistoit en tiers de pipe de vin. Les procureurs ramassoient eux-mêmes la disme. « 1464. Pour un journalier et son asne 9 s. 6 d. « Pour louage d’une jument 10 d. « Chapeau acheté par la fabrique pour le franc archer 5 <. « Une paire de souliers 4 s. 2 d. «1466. Main de papier 15 d. « 1467. Recette des offrandes de la boëte 30 1.15 s. 1 d. «1468. Busse de vin vendue JA s. tournois. « Noyer vendu 3 s. 11 d. « Fer à cheval vendu 40 d. « Chartée de foin 20 s. « 18 pintes de vin pour accommunier. Pinte de vin 3 d. « 1470. Un poulet valoit 5 d. « 1471. Boisseau de froment 2 s. 5 d. « Rentes en noix 72 boisseaux. « Demi millier d’ardoises vendu 26 s. 2 d. « Il est parlé du franc archer. « 1479. Boisseau de noix 2 s. 2 d. « Disme affermée 13 1. « Pailles de la disme précédente vendues 105.8 d. « 1476. Pinte de vin 3 d. 21 pintes pour le peuple après la réception du Corpus Domini. « 1477. Vicaires fermiers de la dixme de la cure. « 1478. Boisseau de mouture 1 s. 12 d. « 1479. Franc archer. « 1480. 22 pintes pour accommunier. Pinte de vin 4d. « Encens l’once 7 d, PANEr Ut «Paroissiens commandés pour besoigner aux fossés d'Angers. « Guerre de Bourgogne. « Boisseau de noix 15 d., de mouture 1 s. 6 d., de froment 35. 4 d. « 4481. 2 sommes de vendange vendues 17 s. 6 d. « 1483. Il est parlé du pain à chanter. « 22 pintes à Pasques. Pinte de vin 9 d. « Franc archer. « Séparation d’une femme lépreuse. « 1484. Calice achepté. « Pupitre nouveau. « 1486. 14 pintes de vin à Pasques. Pinte de vin 6 d. « Croix aorée. « Grand autel. : « Pipe de chaux de la Rairie 7 s. 6 d. « 1487. Busse de vin 27 s. 1 d. « 1488. Recette totale 65 I. 17 s. 9 d. « 1489. 17 pintes de vin à Pasques. « 1490. Épaule de mouton 14 d. « Millier d’ardoises 27 s. 6 d. « 18 pintes de vin qu’on donnoit aprés avoir été à la Sainte Table recevoir le corps de Notre- Seigneur. « 1492. Busse de vin vendue 35 s. « 1494. Quartier de mouton 2 s. 6 d, « Un chapon 1 s. 3 d. « Maréchal de Gyé au Verger. « 9 pintes de vin à Pasques. Pinte de vin 4 d. « 1498. Boisseau de méteil. 4 s. 9 d. « 1499. Livres d'église faits et imprimés en papier. SOC. D’AG, 5 Ep « 1503. 19 pintes de vin à Pasques. Pinte de vin 4 d. « Pierres pour servir aux marches pour entrer à l’église tirées de la Goupillère. «1507. Boisseau de noix 22 d. « 22 pintes. Pinte de vin 4 d. « Tabernacle. « Édifiement d’une chapelle (de Saint-Gilles) et accroissement de l’église. « Journée d'homme 2 s. « 1509. Recette de la boëtte 18 1. 17 s. 7 d.. «18 pintes de vin. Pinte de vin 3 d. « Pilier fait auprès de l’autel de Saint-Louis. «19515. Terres de la fabrique affermées 32 s. 6 d. . « Livre de cire 5 s. « Façon de 20 aunes de toile 11 s. « 1516. Boisseau de froment 5 s. « Boisseau de noix 2 s. 9 d. « 1590. Rentes en argent 3 1. 17 s. « Religieux de Sainte-Croix au Verger. « Dédicace de la chapelle Saint-Gilles. « Un chevrau 6 s. 4 d. « Un veau de lait 18 s. « Ua mouton 105. « Boisseau de froment 8 s. « 24 poulets 12 s. 4d. «3 livres de lard 4 s. 9 d. « 4 chappons 9 s. « 1593. Onze d’encens 6 d. « Lanterne 4 s. 6 d. « Vin à Pasques et pain pour 45. « Voûte du chœur faite par la fabrique. RIRE « 1924. Livre de cire 6 s. 8 d. « Pain et vin à Pasques 10 s. « 15926. Pain et vin à Pasques 11 s. « 8 pintes d'huile 5 s. * « 1527. Boisseau de noix 25. 2 d. « 1528. Pain et vin à Pasques 7 s. 10 d. « 4 livres de chanvre vendues 6 s. « 1529. Boisseau de chaux 10 d. « 1930. Once d’encens 10 d. « Pain et vin à Pasques pour 145. : « Pour aller quérir les Saintes Huiles au Lude 405. « 1532. Procès devant l’official au sujet d’une rente en bled et en argent. « Appel à la métropole de Tours à ce sujet : il est en latin. « 1534. Pain et vin à Pasques 16 s. 8 d. « Aumônes des guilauneufs des varlets et des guilfanneufs de Notre-Dame. , « 1536. Dixme 96 1. « Pain et vin à Pasques 15 s. « 1537. Autel de Saint-Julien. « Galleries et pilliers de l'église faits. « Journée de maçon 6 s. « Trape faite à la voûte de la tour du clocher. « 1538. Terres 45 s. « Chapelle de Notre-Dame. « 1539. Dixme 38 I. « 1540. Cochon 6 s. 6 d. « Pain et vin à Pasques 19 s. 9 d. «1542. Pain et vin à Pasques 10 s. 4 d. MEN LE « 1544. Pinte de vin8 d. « 19 pintes de vin à Pasques. «1545. Dubois, curé de Marcé. C’est ce curé qui donna les pardons à la fabrique. « Pain et vin à Pasques 12 s. 9 d. « 1546. Recette de la boëtte et des pardons. «1547. Pinte de vin 4 d.18 pintes de vin à Pasques. « Chapelle de Notre-Dame. « 4549. Chapelle de Notre-Dame nouvellement recons- truite par la fabrique. « 1551. Concession du banc de la Sautraie. « Demie livre d’encens 5 s. «1554. Petite cloche fondue. « Charpente du clocher. « 1561. Messe basse 4 s. 2 d. « Pinte d’huile 4 s. « Croix d'argent. « 1567. Cloche fondue. Mademoiselle de la Roche Thébaut maraine de cette cloche a donné une pistole. « Horloge. «1583. Vin à Pasques 50 5. « 1604. Vin à Pasques 95 s. « Cierges volés, vitre cassée, cierges retrouvés à Beaufort. « Poisson donné au prieur de Chaloché la veille de la Toussaint. « 1606. Vin à Pasques 35 5. « 1607. Estallages de la Saint-Martin. « Vin à Pasques 42 s. « 1609, Échinées de cochon données en offrande. Le ee « Une aune de toile 25. « 1610. Fondation de la Passion du vendredi-saint. 9 1. données à un jacobin pour la prêcher. « Vin à Pasques 30 s. « 4611. Boisseau de noix 11 s. « Vin à Pasques 90 s. « 16192. Dixmes 40 I. « Terres 4 1. « 1614. Pardons ou indulgence. « Fondation de 10 s. pour chanter un Libera à la croix du Mouron à l’Angevine. « Pour une publication 5 s. « 4615. Tronc. « Tourteaux et beurre en offrandes. « Cloche fondue. « 1616. Boisseau de noix 10 s. « Vin à Pasques 32 s. « 1617. On donnoit 10 1. au prédicateur de la Passion ; la fabrique payoit son voyage et lui donnoit à diner. « Ferme des terres données par Duchesne pour la fondation du vendredi-saint 7 1. 10s. « Cloche neuve remontée, mur percé pour la faire entrer. « 1619. Étalages aux deux Saint-Martin. « Vin à Pasques 31. *: «1620. Herbe du cimetière 40 s. « 40 pintes de vin à Pasques pour 3 1. « 8 chappons coutoient 3 1. 12 s. « 1622. Prunes du cimetière. « Vin à Pasques 53 s. “Len js « Archiprêtre 16 s. « 1624. Vin à Pasques 92 s. « Pour le prédicateur 10 I. «1633. Vin à Pasques 30 s. « 1635. Herbe du cimetière 3 1. « Noix du cimetière 9 ]. « Grande et petite galerie de l’église faite. « Vin à Pasques pour 30 s. « Quarteron d’encens 20 s. « 1667. 26 pintes de vin à Pasques. 3 s. la pinte. « 1670. 926 pintes. 2 s. la pinte. « Pinte d'huile 7 s. « 1671. Beurre offrande, 4 s. la livre. « 1672. Visite de l’archiprêtre. « 1682. Vin à Pasques 32 s. « Horloge. « 1688. Vin à Pasques 325. « 1690. Vin à Pasques pour 31. « Première messe. « 4691. Dixme pour avoir soin de fournir du lumi- naire. « 1693. Première messe. « Seconde messe. « 1696. Missel relié. Linge blanchi par la fabrique. « 1697. Beurre d’offrande. «4700. Église blanchie. « 1702. Decri de la vieille monnaie. « Clocher réparé. « 1708. Cierges fournis à l’église par la fabrique. « On faisoit venir un prêtre pour la {re et % messe. Permission de l’évêque de les réu- EME EE nir. Les Pères de Chambiers venoient la dire. La fabrique les nourrissoit. « 1713. Rétribution des premières et 2° messes rétri- buées au vicaire. « Seconde cloche fondue. « Messe basse fondée par Mie de Lyens. «1720. Beaucoup de bancs dans l’église payés. « 1753. Bancs de l’église. « Confessional. « Charpente de la chapelle de la Vierge. « 1751. Rente de 492 1. sur l’Hôtel-Dieu d’Angers. «Bouis du cimetière vendus 40 1. « Charpente sur la chapelle de la Vierge. « Murs du cimetière. Chapelle du cimetière. ‘-« Galerie de la grand’porte de l’église. « Deux cloches fondues. « 1765. Chapelle de Saint-Gilles couverte. « 1768. Crucifix de la station. — Chaire à prescher. — Tabernacle. — Chandeliers de fer. — Missel. — Cadres, — Soutane des enfants de chœur. — Armoire de la chapelle. — Lanterne. — Chandeliers de bois argentés. « 1775. Robes des enfants de chœur. — Soleil. — Chappe. — Drap mortuaire. — Cierges. — Pain d’autel. — Trésor de la sacristie. — Porte de la sacristie. — Nouvelle exposition du Saint-Sacrement. « 1778. Chape, chasuble, dalmatiques, cierges, cou- vreur pour le clocher, calice doré, 4 aubes à dentelles, pain d’autel. « 1783, Dixme 295 1. PAP POULE « Noix et herbe du cimetière 41 1. 45 <. « Charpente de la chapelle du cimetière 18 1. « Bancs 52 1. 10 5. « Stalles 67 I. 8 s. « Bannière. — 2 étoles pastorales, 2 glands. — Chandeliers, bénitier, encensoir argentés. — Devant d’autel. « Recette 1986 I. 13 s. « Dépense 19931. 18 s. 6 d. «1789. Noix et herbe du cimetière 192 1. 1 s. « Bancs 389 L. 19 s. « Stalles 499 I. 5 s. « Fondations, au curé 57 1. 8 s., aux enfants de chœur 9 1. 8 s., au sacriste 10 1. 185. « Banc et armoire de Saint-Sébastien, -trésor, sonnerie, banc dela Vierge. « Ghasuble des 24 classes, chasuble quotidienne, réparation au clocher, pavé autour de l'église, missel en maroquin, coq au clocher. « Recette 3,233 I. 19 s. « Dépense 2,834 1. 11 s. 8 d. » Mgr X. BarBier DE MonTauULT, Camérier de Sa Sainteté. VOIE ROMAINE DE LA CAPITALE DES ANDES A CELLE DES RHEDONES Far M. de Matty de Latour. L'une des études les plus intéressantes, mais aussi les plus difficiles auxquelles puisse se livrer un archéo- logue , c’est assurément celle des voies romaines. Sous la domination des césars, la Gaule avait été sillonnée de routes stratégiques destinées à faire mouvoir les légions au milieu des pays conquis. Ges voies avaient permis à la civilisation romaine de pénétrer jusqu’au fond des provinces, et d'établir des relations commerciales d’un bout du monde antique à l’autre. L’Anjou possédait plusieurs voies qui ne sont pas mentionnées, il est vrai, dans l’ancien livre de poste, connu sous le nom d’/#inéraire d’ Antonin, mais qui n’en exislaient pas moins. Deux ou trois ssulement sont tra- cées sur la carte postale, dite carte de Peutinger. Cette carte, dont la topographie laisse beaucoup à désirer, indique seulement pour notre province une voie allant de Tours à Angers, et passant par la station Robrica, dont la situation n’est pas parfaitement établie; une autre d'Angers à Rennes (Condate), passant par les sia- sOC, D'AG, D DE tions Combaristum et Sipia, et enfin, une troisième, d'Angers à la station Segora, sur la route de Poitiers à Nantes. L'ouvrage de M. de Matty de Latour a pour objet de déterminer la direction exacte de la voie de Julomagus à Rennes, et la situation précise des stations Comba- ristum et Sipia. M. de Matty re place pas Juliomaqus au lieu où est aujourd’hui Angers; pour lui Julomaqus était situé à Empiré, dans la pointe formée par le confluent de la Maine et de la Loire. La voie en question, dans le système de l’auteur, ne serait point une route allant directement d’Angers à Rennes, et passant, comme l’établit d’Anville, et comme on le croit généralement, par Combrée et Visseiche. D’après M. de Matty, ce serait une route indirecte, formée par la rencontre de la route d'Angers à Carhaix (Vorganium), et de celle de Rennes à Nantes, Comba- ristum serait Candé, et Sigia un lieu situé entre Port- Neuf et Bain. Je ne puis entrer dans le détail de tous les argu- ments invoqués à l’appui de sa thèse par M. de Matty. Il établit parfaitement l'existence des routes d'Angers à Vannes et de Nantes à Rennes, ainsi que celle de plu- sieurs voies secondaires. Il montre ainsi la possibilité du croisement de deux voies entre Port-Neuf et Bain. Il admet l’existence d’une autre route, allant de Julo- maqus à Condate, par Châtelais et Etrelles; mais cette voie ne serail que le résultat du croisement de deux autres routes, celle de Juhomaqus à Avranches avec celle de Rennes au Mans (Subdinum) el non une route DÉS nt FN; 10e directe. L'auteur cherche à prouver que Combaristum n’est point Combrée, et que le nom de cette ville vient de Contra Ombrea, à cause du voisinage de la forêt d'Ombrée (Ombrosa sylva), suivant lui. Il relève les erreurs de distance commises par les archéologues qui ont admis les systèmes opposés au sien sur l'autorité de d’Anville. Quelle que soit, dans cette matière, l'autorité d’un savant ingénieur, aussi versé dans la topographie , que dans la science archéologique, je ne puis, je l’avoue, admettre son opinion. En ce qui concerne la situation d'Angers, je ne pense pas que l’existence du camp de Frémur, celle du pont romain qui servait au passage de la Maine, pas plus que les importantes ruines découvertes par M. Godard, soient des preuves suffisantes. Il y avait à Frémur une wa importante, des bains, très-probablement un théâtre, peut-être un temple ou un palais; mais tout autrement importants sont les débris romains constatés à Angers même ; les bains de l’Evière, l’amphithéâtre de Gro- han; les tombes des Champs-Saint-Martin; ces masses de tuiles romaines qui forment le sous-sol, sur lequel repose tout le quartier de l’Académie, tous ces débris prouvent qu'Angers était une cité romaine. Quant au camp, la destination n’en est pas encore parfaitement connue; mais il ne remonte pas probablement au-delà du 1ve ou du v®° siècle. Le pont romain sur la Maine prouve seulement, ce dont personne ne doute, qu’il y avait une voie directe d'Angers à Nantes et qu’elle sui- vait à peu prés la direction du chemin de fer actuel. Que la cité d’Andegavis n’ait été fortifiée qu’au 1v° ou ARE au v° siècle, cela est fort probable; mais ses vieux murs renferment des débris plus anciens et pris sur place; au ve siècle, on n’a pas élevé de villes nouvelles, mais resserré et fortifié les anciennes ‘. Je pense donc que Juliomaqus était à Angers même, sur le bord de la Maine; qu’il couvrait le coleau de l’Esvière et celui du Château; qu’il avait son centre à l’Académie (vetus forum, d’après d'anciens actes); que par des nécessités stratégiques, il s’est concentré dans la cité, au v° siècle, mais qu’il n’était point à Empiré ni à Frémur. s Relativement à la direction de la route, M. de Maty fournit en faveur de son opinion une raison tirée du système général de la voirie. Les Romains ne faisaient pas toujours d’une ville à une autre une route directe; ils établissaient leurs routes secondaires, comme on le fait aujourd’hui, en faisant servir les croisements des voies principales ou en établissant des embranchements qui venaient s’y relier. Get argument ne manque pas de force assurément, mais est-il applicable à la route en question? c’est ce qu’il importe d'examiner. Rennes et Angers sont deux points assez importants pour avoir une communication directe. La route indirecte que propose M. de Matty fait faire un détour énorme et allonge considérablement le chemin. Le système du sa- vant ingénieur a en second lieu l’inconvénient de s’é- loigner beaucoup trop des données même de la Table théodosienne ; sans doute elles ne sont pas absolues; mais pour corriger les erreurs de distance qu’elle ! M. de Caumont, Abécédaire d'archéologie gallo-romaine , chap. xui. PAP 174 ee commet, il ne faut pas tomber dans des erreurs plus grandes encore. Or, la Table place 16 lieues gauloises (soit 35 kil. 340 m.), de Juliomagus à Combaristum, autant de Combaristum à Sipia, et le même nombre de Sipia à Condate, en tout 48 lieues gauloises (soit 106 kil. 20 m.). Il y a d'Angers à Candé, à vol d’oiseau, 36 kil., il est vrai, c’est bien la distance indiquée par la Table. Il en est de même pour la distance de Rennes, au lieu où M. de Matty place Sipia; la distance réelle correspond aussi exactement à celle de la Table. Mais de Candé au lieu indiqué comme étant la station Sipra, on trouve prés de 6 myriamètres (58 kil.). C’est une différence de plus de 2 myriamètres, entre la distance indiquée par la Table et la distance réelle; on ne peut guère supposer une erreur aussi considérable, et pour se permettre de la rectifier, il faudrait avoir des don- nées plus précises. Dans le système de d’Anville on trouve, au contraire, d'Angers à Combrée 4 myriamètres ; de Combrée à Vis- seiche un peu plus de 3 myriamètres, et de Visseiche à Rennes $ myriamètres et demi; ces distances doivent être un peu allongées, parce qu’il faut tenir compte des détours nécessités par les obstacles naturels et la topo- graphie des lieux. On voit donc qu’à 2 ou 3 kilomètres près, le système de d’Anville correspond assez exacte- ment aux données de la Table, tandis que celui de M.de Matty, sil y correspond pour les distances de la pre- miére et de la troisième station, n’y correspond pas du tout pour la distance des deux stations intermédiaires. M. de Matty ne veut voir qu’une route secondaire dans la voie passant par Louvaines et Châtelais. Cette US direction est cependant bien établie par des fragments de voie dont l'existence a été constatée par M. Godard. D’autres ont été découverts à Venèfle et à Nouvoitou, entre Visseiche et Rennes, ainsi que l'établit M. de Matty lui-même. D’après les points de repère indiqués, la voie passait par Louvaines, l’Hôtellerie, Châtelais ; pourquoi la faire aller de là à Etrelles, au lieu de l’a- mener à Visseiche, suivant sa direction naturelle? Je ne vois pas de raison suffisante pour adopter ce tracé. Il est certain qu'un grand chemin passait au moyen âge par le Lion-d’Angers; le cartulaire du Ronceray en fait foi’. On a donc une direction parfaitement indi- quée d’Angers à Rennes; rien n’autorise à faire dévier cette route vers le nord, comme le fait M. de Matty, dans le but unique d'éviter Visseiche. Reste la question des noms des stations romaines. Sans doute, la science étymologique est périlleuse, et plus d’un savant s’y perd dans un dédale. Il ne faut se hasarder sur le bord de ses précipices, hérissés de dangers, qu’avec une grande précaution. Toutefois, les élymologies proposées par d’Anville sont assez satisfai- santes. Combaristum ou Conbaristum ressemble beau- coup à Combrée. Ce dernier mot vient-il du premier ? je n’oserais l’affirmer; mais vient-il de Contra Om- brea, comme le veut M. de Maïty? je trouve la seconde étymologie dix fois plus douteuse que la première; nulle part dans les vieux titres on ne trouve rien qui autorise à l’admettre; Combrée se dit dans les anciens docu- ments Combreium et non Contra Ombrea. I] n’est 1... duos clausos vinearum proximos ipso monasterio, juxtà aggerem publicum qui nominatur Legionensis hinc exinde si- tos. (Cartul. S. Mariæ caritatis n° 64, don de la csse Hildegarde.) ru. pas impossible que Combaristum fût à Châtelais, dont la distance correspond aussi exactement que celle de Combrée avec les données de la carte ; mais l’opinion la plus probable est celle qui place Combaristum à Com- brée, et fait dériver le nom moderne du nom de l’an- cienne station. Ce qui est certain, c’est que le nom de Candé ne dé- rive pas du mot Combaristum, ou il aurait fait comme Alphane, et terriblement .changé en route. Candé, (Candeium, Candeacum dans les chartes du xre siècle) ne peut être rapporté à Combaristum ; l’on ne peut ad- mettre qu'il ait perdu ce nom pour prendre un nom absolument différent, et dont la forme gallo-romaine annonce elle-même une origine des plus anciennes *. Quant à Visseiche, l’étymologie de son nom est très- simple et à peu près certaine ; c’est un bourg situé sur une petite riviére appelée la Seiche (en latin Sèyra ou Sepia); vicus super Sepiam, vicus Sepiæ a fait naturel- lement Vissèche. Le nom de Sigëa convient donc par- faitement à cette station, située au passage de la Seiche, -etnullement à l'endroit où M. de Matty place Sipia, le- quel est à plus de 26 kilomètres du cours de la Seiche, En résumé, le système de M. de Matiy est fort ingé- nieux et s'appuie sur des données topographiques, mais il n’en est pas moins purement conjectural ; il a contre ! Voir Dictionnaire topographique de Maine-et-Loire, par M. Port, Ye Candé.— Le nom de Candé paraît avoir la mème origine que Condate (Candes, Condé, etc.), mot qui, en celtique, signifie confluent; la ville se trouve en effet à la rencontre de deux cours d'eau. Si l'on peut admettre que le mot Combaristum ait été abandonné au moyen âge, et remplacé par le mot français Chd+ telais, on ne peut admettre qu'il eùt été remplacé par un nom celte à une époque où cette langue ne se parlait plus du tout, — 80 — jui les découvertes archéologiques constatant l’existence de la voie par le Lion, Louvaines, Châtelais, le rapport des distances indiquées par la Table théodosienne avec les distances réelles, et enfin l’étymologie des noms de lieux. Si la transformation de Combaristum en Com- breium présente quelques difficultés, elle n’est pas im- possible cependant; mais celle de Combaristum en Candeium ou Candiacum, est absolument inadmissible. Quant à celle de Sépia en Vissèche, elle est toute natu- relle, je dirai même aussi positive que puisse l’être une étymologie. Je pense donc, malgré les savantes re- cherches de M. de Matty, que la voie romaine, partant d'Angers et non d'Empiré, passait au Lion, que de là elle allait, soit à Combrée, soit à Châtelais, mais certainement à Visseiche, puis à Rennes, par Venéfle et Nouvyoitou. Candé enfin se trouvait sur la route d'Angers à Nantes- et à Vannes; peut-être était-il à la bifurcation de ces deux voies; mais assurément il n’a jamais servi de sta- tion pour la route d'Angers à Rennes, et ce n’est pas là qu’il faut placerla station Combaristum. Tout en rejetant le système de M. de Matty de La- tour, je dois rendre hommage à la science qui brille dans sa brochure, et au talent de discussion dont il y fait preuve. De pareilles études sont toujours utiles; elles provoquent les recherches et l’on trouve beaucoup à apprendre dans les travaux d’un homme de mérite qui a sérieusement médité son suiei. La carte, jointe au mémoire, permet de suivre trés-facilement les divers tracés présumés des voies romaines. G. Dp'Espinay, GOËTHE ET DAVID (SOUVENIRS D'UN VOYAGE A WEIMAR) If Weimar, en 4775, quand le poète de Francfort, vaincu par d’irrésistibles instances, fil à la cour ducale le sacrifice de sa mère, présentait au dehors le plus parfait échantillon d'architecture féodale qui se pût rencontrer. Goetz de Berlichingen dut tressaillir en lui à l'aspect de ses tours, de ses bastions et de ses herses. Au dedans, contraste étrange, l'esprit de Louis XIV, empreint dans l'attitude des arbres et dans les symé- triques bords du château, accusait les prédilections toutes françaises de cette pléiade de lettrés, plus docte que hardie, dont Wieland tenait le sceptre. Ges souve- nirs du passé, qui se combattaient mutuellement, allaient se pacifier dans un écroulement commun, sous le souffle fécond et impérieux du nouvel hôte. L’incen- die du château devint le signal d’une refonte où legénie féodal et l'étiquette monarchique s’évanouirent du même coup. L'édifice se releva, plus accessible et plus avenant, dans une forme en rapport avec les aspirations de l’époque. Les arbres aérés frissonnèrent au souffle des vents ; l'œil éveillé s’aventura dans le mystère des pers- SOC. D’AG. 6 SET pectives ; aux ondulations de l’Ilm à travers les touffes des herbes répondirent les méandres des sentiers sous les bois. Bref, il en résulta ce parc immense, œuvre de Goëthe, princier par l’aspect, populaire par le sourire, où le carrosse des ducs se croise sans malaise avec le chariot du paysan. — Nulle part la solitude, l’impé- nétrable nulle part. Le sentiment de l’homme, insépa- rable chez l’auteur du sentiment de la nature, y circule à pleins bords avec la sève des chênes et sur les ailes des oiseaux. Dans aucun de ses poëmes n’éclate plus visi- blement cette limpide et lumineuse sérénité qui fut la respiration de sa vie. Quoi qu’il en soit des phases et des physionomies di- verses par lesquelles Weimar a passé, des regrets qu’elles provoquent ou des préférences qu’elles susci- tent, nul ne saurait se méprendre sur les influences multiples qui ont présidé à ses destinées. Si vous cher- chiez Weimar sur une carte d'Allemagne, sans donnée préalable et à la simple lueur de sa suprématie intel- lectuelle et littéraire, n’est -ce pas à quelques lieues de l’université d’Iéna, de la Wartburg où germa la ré- forme, du vallon de Berka, des forêts d’Ettersburg, au point de rencontre de tous les enchantements, de toutes les curiosités, de toutes les audaces que votre doigt irait se poser ? Notre schnell-post fait halte au coin de la place dont les maisons, groupées sans uniformité ni consigne, n’ont pas rompu avec les dernières traditions d’autrefois. Sur le seuil d’une auberge un bonhomme en vedette fumait tudesquement sa pipe, dans les strictes limites au delà desquelles il fût tombé sous la griffe du wachmann. A 2: CIE Weimar, l'on ne fame qu’éntrà domos ; exträ, un thaler pour amende. Pincé à ce jeu, j'en parle en toute expé- rience. Mesure draconienne, pour un pays dont le tabac a fait sa patrie adoptive ! N'est-ce point à Goëthe, ministre de la haute police et de l’édilité pendant vingt années, qu'il en faut rapporter l'honneur ? On sait que les émanations du tabac ne lui causaient ni moins d’an- tipathie ni moins de nausée qu’à son ami Schiller celle des pommes, outre qu’elles lui gâtaient la limpidité de son ciel. Mais, d’autre part, une si cruelle satisfaction donnée à des répulsions personnelles est trop en désac- cord avec son impassibilité proverbiale pour qu’on puisse en risquer l'hypothèse sans témérité. Il est mieux de supposer que le spectre de l'incendie, suspendu sur la ville depuis l’embrasement du château, et tirant dela plus innocente étincelle une flamme, avait fait aux fu- meurs cette vie de recius. Toujours est-il que la pros- cription absolue de ces foyers mobiles, de ces cratères ambulants qui vont, le soir, croisant leurs feux et leurs parfums à tous les angles de nos rues, imprimait à Weimar un caractère d’abslinence dont nous avons gardé rancune. — Mais retournons à notre auberge. Au-dessus du bonhomme, de lourde et massive cor- pulence, oscillait une enseigne effondrée par les pluies, raffalée par les vents, avec cette inscription, moins dis- cernable que voyante : z4 Elephanten. Allusion tou- chante, profond et ingénieux emblème qui capta nos suffrages et détermina notre option. L’éléphant d’ailleurs nous allait. Jamais David n'avait, plus que la veille, exhalé ses regrets sur l'abandon du projet de fontaine de la Bastille, C’est de la trompe d’un éléphant, porteur — SU d’une tour au fond de laquelle l’appareil hydraulique était adroitement dissimulé, que l'architecte Alavoine en voulait faire jaillir les eaux. Éléphant et fontaine étaient bien loin derrière nous! La colonne de Juillet germait déjà sous le sol où, à deux reprises et par la main des siens, devait couler le sang de la France. — Mais re- venons à notre auberge. Point de maître; une veuve administrait l’établisse- ment sous les auspices du vieux père. À l'apparition de nos physionomies exotiques, sa fille, enfant de treize ans, qui jouait aux osselets surles marches, recula toute effrayée jusque dans les bras de l’aïeul. Deux nattes de cheveux cendrés se profilaient sur ses joues dans le style naïf des vieux peintres allemands. — Tiens, s’écria David, la bonne rencontre. Une coiffure après laquelle je courais depuis six mois! Et en deux coups de crayon il recueillit sur ses ta- blettes le motif d’un pittoresque agencement pour sa tête de sainte Cécile. Un souvenir de Rome lui en avait fourni les traits et l’expression. Mozart ainsi mélait dans ses exquises combinaisons le souffle de l’Allemagne au souffle de l'Italie. — Toiles, si vous parliez, marbres, si vous saviez écrire, que de motifs, que de rencontres, que de piquantes et parfois d’émouvantes histoires vous auriez à nous raconter ! Est-il indispensable d'ajouter que, de ce moment, la petite fille de l'éléphant fut à jamais apprivoisée ? Mais nous n’étions pas venus de si loin pour si peu. L'idée fixe de l’artiste s’exaltait dans cette atmosphère toute imprégnée de son héros. Sur les trumeaux, sur les chambranles, en creux ou en relief, seul ou en regard Le OR du grand Schiller ou du grand duc, lui, toujours lui, Goëthe, semper et ubique. C'était à n’y plus tenir. Mais par où attaquer? Redoutable question dans les tentatives de ce genre, où l’esprit subit les conditions terrestres, où les réalisations les plus hautes de l’art ont à compter avec les difficultés de la matière. Entre nous deux les rôles se partagèrent : à moi de procéder à l’instal- lation du ménage, tandis que mon aventureux compa- gnon ouvrirait la campagne, et dresserait les premières batteries. Les malles montées, vidées,et mon aménagement ac- compli, je mets le nez à la fenêtre, essayant de rame- ner à l’unité du point de vue ce jeu confus de lignes, d’angles, de profils et de courbes que produit d’ordi- naire le premier aspect d’une cité. Qu’aperçois-je à l'extrémité de la place? David en face d’un ouvrier, s’escrimant avec lui et s’épuisant dans les efforts d’une mimique désespérée. Sur un signe j'accours, ha- letant. Qu’y a-t-il donc ? — Il ya que ce brave homme, mouleur de profession, est tudesque de langage, et, à ce titre, complétement sourd; que les paroles s’é- changent d’un interlocuteur à lautre comme des balles de liége entre deux combattants, sans qu’il leur soit possible de s’atteindre. Les gestes ne faisaient qu’empirer la situation. En cette extrémité, l’on faisait appel à ma science. Me voilà donc à l’œuvre. — 0 mys- tification! Mon professeur d'allemand n'avait négligé qu’une chose, la pratique d’une langue aux sublimités de laquelle il m'avait exclusivement initié. Comment descendre de si haut vers la terre, et replier mes ailes d’or au niveau de la circonstance ? J'ouvrais en vain la DS ce bouche : il ne tombait de mes lèvres que des perles et des rubis, J’appris trop tard que, pour apprendre, on ne peut chercher trop loin ni trop largement rétribuer un professeur borné, terre à terre et non moins dénué d'imagination que de rêverie. Par bonheur, un passant à la physionomie secou- rable, aux allures françaises, et dont la mise démodée répondait à la date de 1819, avisa de loin notre dé- tresse. Il fend la foule, et manœuvre vers nous avec l’ardeur et la confiance du brick l’Arqus gouvernant à toutes voiles sur les naufragés de la Méduse. Il s’en- quiert du sujet, puis sans gestes, sans impatience, avec cette fluidité de langage qui semble tenir du prodige pour qui écoute et n’entend pas, il discute l’un après l’autre les conditions de l’argile, les qualités du plâtre, le mode à employer, les délais à courir, et le reste. Comme les mots de form et quiten form (c’est-à-dire creux ou moule, bon creux) revenaient souvent dans le cours de l'explication, une soudaine inquiétude traversa l'esprit du statuaire ; si par la plus fatale et la plus hu- miliante des méprises, en guise d’un mouleur nous avions accosté un bottier ? Il n’eut de satisfaction que lorsque le camarade effleurant, par hasard, d’un revers de main les plis de sa veste, en fit sortir un nuage de plâtre à suffoquer Cassandre et à faire éternuer Pierrot. Il y avait environ dix années que M. Coubard, natif de Picardie, avait quitté Doulens avec sa famille pour Wei- mar, sans se douter du rôle auquel la Providence des poëtes et des artistes l’appelait. À quoi tient le succés? Dans les événements de ce mondeil y a toujours, quoi qu’on fasse, la part de l’imprévu, qui est celle du lion. LAPS; ue Tandis que le figuriste, haussé d’une coudée, rega- gnait son échoppe à pas de Phidias, notre libérateur prodiguait les instructions, et s’évertuait en offres de service. — En ce qui est, Messieurs, de vos projets, trop honorables pour qu’il y ait, de ma part, indiscrélion à les pénétrer, mes influences vous sont également ac- quises. [ci, le sol est plus mouvant, la voie Moins ou- verte, n'importe; ne désespérons point du succès. Moi et Monsieur de Goethé (il accentuait ainsi l’e final en faisant sonner la particule), nous ne sommes pas au plus mal ensemble ; son oreille ne m’est point absolument fermée. Le gain de la partie est dans le discernement du moyen, dans l’à-propos et la mesure; que si mon mince crédit vous semble bon à quelque chose, je ten- terai ma première ouverture dès ce soir. A ces mots prononcés d’un ton de modeste assurance, nous le regardâmes d’abord, nous nous regardämes en- suite. Lui-même, s’il nous eût regardés, eût surpris sur nos faces l'expression de notre embarras. Gelte figure. Par où le poëte et lui s’abordaient-ils, se touchaient-ils? quel était le lien de ces deux mondes? Nous nous avouâmes plus tard l'étrange réminiscence qui s'était insinuée dans nos esprits du même coup. On n’est pas maître de ses pensées, et le souvenir nous revint, sou- venir puisé aux sources vives de notre enfance, des bour- geois fort civils qui jadis accostèrent Jsaac Laquedem dans Bruxelles. Ainsi figurent-ils, curieux, débonnaires et serviables, sur la rustique image d’Epinal fixée par quatre épingles aux murs enfumés des chaumières. Peut-être cetLe écorce un peu commune recouvrait-elle ge j'le des trésors d'intelligence et de philosophie insaisis- sables à l’œil nu. Voilà la conjecture, mais la réalité la voici : Les grands penseurs, les grands songeurs, les grands esprits de toute sorte, sont travaillés par des besoins à l'inverse des nôtres, et dont, par cela même, nous ne sommes pas suffisamment pénétrés. En dépit de leurs ailes ils sont hommes, et nous envient la terre comme nous leur jalousons les cieux. Seuls au-dedans d’eux- mêmes, plus seuls encore dans ce désert que leur créent les hommages et les empressements de la foule, ni la vie idéale, ni la vie officielle ne répondent à leurs plus impérieux instincts. Ge qui leur manque, c’est quelque chose de la vie de tous. Fatigués de gloire comme de génie, ils aiment à se reposer dans l'intimité familière d'hommes simples et dévoués dont l’aurea mediocritas leur soit une diversion salutaire. Avec eux ils s’oublient, tantôt jusqu’au silence, tantôt jusqu’aux divulgations ; convives blasés, ils se complaisent aux frugalités d’un régime qui les répare, en les rapprochant de nous. Notre nouvel ami tenait cet emploi d’affidé près de Goëthe. Quærens quem adjuvet était littéralement sa devise ; officieux sans réserve, le succès de l’expédition chevaleresque et toute française à laquelle il s’était si spontanément associé, chatouillait son honneur et sti- mulait ses démarches. Ces considérafions, virtuelles ou réelles, explicites ou latentes, emportérent notre adhé- sion. — Aurevoir, cher messager, qu’un essaim d’abeilles vous escorte, et mette sur vos lèvres une invocation digne des suppliants d'Homère. Donnez-nous des nou- = 80 .— velles de votre première entrevue dès ce soir! Et diner! car enfin l’on dine jusque dans l'Iliade, et le déjeuner d’Erfurt nous avait laissés fort à jeun. Au lever de table, je courus prendre l'air. Le soleil baissait. Je me perdis, chose indispensable dans une ville sans ponts ni côteaux, d’où Luther a déraciné les clochers, et Karl-August les bastilles. Je rentrai à nuit close, et trouvai mon compagnon qui se prome- nait dans la chambre en proie à une agitation sin- guliére. — Bataille perdue, mon cher! Nous n'avons qu’à plier bagage. Un quinteux, un fantasque; on ne sait quelle mouche l’a piqué;le voilà dans sa mauvaise lune. Cousin me l'avait dit, et Ampère en sait quelque chose. Aussi à quelles mains nous sommes-nous confiés ? C’est ta faute. — Comment? — Oui, tu tes lancé là avec ton optimisme de jeune homme sans me laisser le temps de réfléchir et de me dégager. Ce n’est point en poltron et sous le patronage interlope d’un aventurier, c’est de front et résolument qu’il nous fallait aborder le personnage. Essayez donc maintenant! Il y a bien une autre porte, mais sous la- quelle jamais mon front ne s’inclinera. Le Duc, toujours le Duc! Merci de ces recommandations, vrais billets au porteur, et dont se targuerait aussi bien Baccio Bandi- nelli que Michel-Ange. On vaut par ce qu’on'est, c’est oui ou‘non. Tu me connais, à genoux devant le génie, et, devant le pouvoir, imployable. Ah! les poëtes de cour, grands ou petits, partout les mêmes! — Est-il si grand qu’on le fait, interrompis je, en qe croisant le pas de long en large avec mon interlocu- teur? A-t-il inventé Faust, et n’en sommes-nous pas à regretter la naïve et grandiose légende sous le persi- flage philosophique dont notre affreux Voltaire peut re- vendiquer l'inspiration? Son Werther, entre nous, relève plus du pistolet que de la plume, et son Berlichingen est un œuf couvé et éclos dans le nid d’aigle de Shakes- pear. L’idole chancelait. Lui, sourd à ces consolations vulgaires, la tête dans sa main, et le coude sur la cheminée, poursuivait : — Et tu me crois homme à regagner Paris, pour égayer les ateliers du récit de ma mésaventure ? Nous ne sommes plus à Londres, où l’échec de notre dé- marche s’abritait sous le caprice et l’impromptu de l’oc- casion. Battus en règle, au vu et au su de tous! Pars, retourne au pays, tandis que moi, la flèche au flanc, j'irai je ne sais où ensevelir ma défaite, pour revenir je ne sais quand, jamais peut-être. — Âh ça, maître, lui dis-je, avec une hardiesse qu’au- torisait la circonstance, est-ce bien vous que j'entends? Vous, le fils de vos œuvres, vous.qui, parti d'Angers en sabots et en bonnet de laine à la conquête du rameau d’or, l'avez cueilli par les épines, en dépit des griffons qui vous en défendaient l'approche, vous achopper à cette pierre et y briser votre ciseau? Les vivants vous repoussent, eh bien vivent les morts! — Bien parlé! Et d’un bond s’élançant de la:chaise où il s’était insensiblement laissé choir : où est Schil- ler que je l’embrasse! Celui-là était peuple, on ne disait point Monsieur de Schiller ; sa tombe, où je frapperaiï, ne a me restera point scellée ; j'irai l’y prendre, et l’en ramè- nerai glorieux. Je ne l'ai point vu, qu'importe? ai-je vu Corneille, ai-je vu Racine? Le buste que je lui destine : n’en ressemblera que mieux; sur son front reluira l’é- clair de son génie. Je le ferai tel que je le sens, tel que je l'aime et l’admire, non point avec ce nez pincé dont Va gratifié Danneker, mais les narines gonflées de. pa- triotisme et de liberté. En ce moment, la fenêtre entrebaillée de notre chambre, cédant à la brise du soir, s’ouvrit à deux battants. Leciel était superbe, la voie lactée s’y dérou- lait avec un tel éclat qu’on en eût compté les étoiles. Il resta quelque temps silencieux, ébloui; puis avec cette soudaineté d'impression qui renouvelait incessamment autour de lui le domaine des sentiments et des idées : — Quelle œuvre, et quel chef-d'œuvre! Sommes-nous pauvres près de cela! Tous vos génies en un, écrivains, artistes, poètes, atteindraient-ils jamais à ce poème incomparable dont les taches sont des splendeurs? Dieu sait pourtant vos prétentions insatiables; on vous écorche en vous louant...…. Et légers! Retiens bien ceci (et ses pressentinents à cet égard n’étaient rien moins qu’une chimère), c’est que tel d’entre eux qui a reçu de moi pour gage de mon admiration un buste en marbre, en aura quelque jour littéralement perdu le souvenir.— Non, il n’y a rien de noble et de grand dans l'humanité que ce qui souffre. J’ai toujours dans la tête, ou plutôt dans le cœur, cette protestation de la conscience humaine contre la plus exécrable iniquité de nos temps, la traite des nègres; après dix ans de silence et de souf- france il faut qu’elle éclate par la voix de l’airain. Tu fui Ee vois d'ici le groupe : l’esclave garrotté, l’œil au ciel pro- tecteur et vengeur du faible ; près de lui, gisante et “brisée, sa femme, au sein de laquelle une frêle créature suce du sang au lieu de lait; à leurs pieds, détaché du collier rompu de la négresse, le crucifix, l'Homme- Dieu mort pour ses frères, noirs ou blancs. Oui, le mo- nument sera de bronze, et quand soufflera le vent, l’on entendra battre la chaîne, et les anneaux résonne- ront. — De bronze? Dites d’or! Et je lui sautai au cou. Plaignez-vous donc! mais, avant de souscrire à vos réso- lutions désespérées, pourrais-je savoir enfin les paroles textuelles de ce messager de malheur? — Qu'il nous fallait attendre jusqu’à demain midi la réponse définitive. — N'est-ce que cela? Sursis n’est pas refus. Ah! je respire. Sur quoi, bonsoir, cher maître, et bon espoir ! Dix heures sonnèrent. C'était l’heure du coucher de Goëthe; et comme si toute la ville eût été façonnée sur le moule de son idole, on voyait disparaître aux fenêtres de la place chaque lumière l’une après l’autre. Tués de fatigues de toute sorte, nous nous jetâmes sur nos lits. Je m’endormis le dernier, honteux de la réaction pro- duite par un accès de mauvaise humeur contre mes en- gouements de la veille. L'histoire que voici me revenait en souvenir : Un paysagiste de mes amis (il était de Marseille), me conviait depuis quelques mois à la visite d’une galerie, celle du comte de *, riche et fin amateur qui lui avait commandé plusieurs toiles. Parmi les perles de cet écrin étincelaient trois diamants d’une authen- 20 ticité sans réplique, un Ruysdaël et deux Hobbéma. — Mais, pour Dieu, hâtez-vous, la saison expire. C’est dimanche prochain quele comte, en partance pour ses terres, clôt irrévocablement son salon. — Rendez- vous pris, j'arrive à l'heure militaire, ganté et essoufflé ; cinq étages, quatre-vingts marches! Je le trouve en veste d'atelier, palette en main, qui ébauchait tranquil- lement une vue de Compiègne.— Tiens, vous voilà. — Sans doute, à quoi songez-vous donc? Et la visite pro- jetée? — Ah! j'oubliais. Eh bien, il y faut renoncer; me voilà brouillé avec le comte. Et comme je me récriais sur la mésaventure, moi qu'Hobbéma transporte, et qui raffole de Ruysdaël, — Consolez-vous, mon cher, ce ne sont rien que des copies !.. Cependant le sommeil, un sommeil sourd, morne et sans rêves, un de ces sommeils de plomb, vengeur des insomnies, avait envahi mon cerveau. Le jour montait, quand un bruyant éclat de rire, parti du lit voisin, vint me tirer de ma léthargie. Rapprochée du sinistre abatte- ment de la veille, cette explosion d’hilarité m’alarma. Je me soulevai de mon lit; l’aspect de mon compagnon dans le sien provoqua de ma part une magnifique ri- poste : la tête, les bras, les jambes sortis de l’édredon, seule couverture du pays, nous assimilaient réciproque- ment à une tortue renversée dont cet édredon formait la carapace. Deux augures face à face, et se reflétant l'un par l’autre, ne rirent jamais de meilleur cœur. — Bravo, m’écriai-je, « chi va piano va sano.» Béni soit le proverbe; nous toucherons le but à midi. :A l'inscription actuelle il faut substituer celle-ci sur la fa- çade de notre auberge: «zu Shüldtrôten,» à la Tortue, SIN. 1 VE L’enseigne restera ; l'éléphant n’y est pas si impérieu- sement figuré que le passant n’accepte une bête pour une autre, Nous sonnâmes. Un petit homme à tête plate entra. — Kaffee, Kaffee ! — Non, non. Il s'agissait de nos habits criblés de poussière et sur lesquels nos gestes appelaient une fustigation vigou- reuse. — Kaffee, Kaffee ! et sourd à nos protestations re- doublées, le voilà qui s’échappe, et revient déposer sur la table une pleine et fumante cafetière entre deux tasses, pour disparaître incontinent. O persistance du Nord! Le voilà servi, il faut le boire. Ne serait-ce point le café d’Erfürt que nous avons payé hier matin sans l’avaler, et que le scrupuleux aubergiste nous adresse ce matin par la diligence d’Eisenach? Ce même qguiproquo, passé dans le sang du person- nage, devait chaque matin, à chaque coup de sonnette, se renouveler jusqu’au départ. Que de fois, revenant ensemble sur l’expédition de Weimar, nous avons mêlé à des émotions plus sérieuses les inaltérables souvenirs de l’Homme à la tête plate et du Réveil à la tortue! Mais l’anxiété renaissait de plus belle après ces lueurs. Un dimanche sans cloches n’est point déjà si réjouissant qu’il y faille ajouter de pareilles épreuves. Le repas seul sonna. Avec ce besoin qu’on ressent, égoisme ou fraternité, d'identifier autrui à ses sollici- tudes personnelles, nous ne comprenions rien à la séré- nité de nos commensaux. Je m’élais esquivé à l’heure présumée de l'office, De retour de l’église, ou pour 0 mieux dire de la crèche, car on l’eût prise pour telle à l’indigence du saint lieu, je regagnai la chambre où mon silencieux ami poursuivait le cours de ses circonvolutions tacilurnes, sans plus s’apercevoir de ma rentrée que de mon départ. Il y a des journées séculaires dans la vie. Les aiguilles rampaient à pas d’escargot sur le cadran; nos barbes avaient crû d’une semaine en quelques heures. Le rôle d'Anna soror était alternativement rempli par chacun de nous deux. C'était mon tour. — Voyez, voyez! criai-je, en me dressant de toutela portée de mon corpssur la fenêtre. C’est lui! — Qui, lui? — Cet aventurier, ce philistre, ce picard. Noyez donc! Îl accourt, il agite son mouchoir au-dessus de sa tête. Sauvés ! Et tandis qu'immobile à sa place, David célait de son mieux les émotions qui le dominaient, l'escalier s’é« branlait sous les pas accélérés du digne homme. Il entre, la sueur au front, et confirme par un récit en règle les signes avant-coureurs de son message. Il yavait eu encore plus d’une hésitation, plus d’une réticence ; mais les deux lettres d'Ampère et de Cousin, exhibées au dernier moment, avaient emporté la victoire. Son Excellence vaincue, rendue, nous attendait, — Pourvu qu’elle n’aille pas s’impatienter maintenant, murmura David à voix basse, en homme qui ne pouvait se résigner, du premier coup, à ce soleil après cetle pluie. Nous voyez-vous d’ici, traversant lestement la place avec nos habits noirs qui gardaient le pli de nos malles? Grand émoi dans Weimar où l’histoire avait transpiré, £a 06 = Sourires d'intelligence échangés çà et là entre les pas- sants et notre guide ; et propos de courir sur les périls, sur les épreuves, sur le but réel ou caché de cette aven- tureuse expédition à la conquête de Monsieur de Goëthé. Avez-vous lu, lecteur, un livre intitulé : Æistotre du Roi de Bohème et de ses sept châteaux? L'on n’y ren- contre ni châteaux ni roi de Bohême ; c’est un peu notre cas. Mais l’enjoué, sensible et malicieux conteur a si déli- catement ourdi sa trame, que de mirages en prestiges on arrive à la dernière page du livre, à la fois mystifié et ravi. Pour nous, hélas ! à qui Nodier n’a point légué ses ailes — le legs de son affection nous suffit, — si nous avons tant musé en chemin, c’est moins caprice que dé- fiance. Il s’agit d’une promesse imprudemment sous- crite, éludée jusqu'ici par une série de digressions oiseuses dont votre longanimité se lasse, et devant la- quelle il n’y a plus à reculer. Nous voici devant la porte, elle s'ouvre : Salve; c’est l'inscription gravée à la manière antique sur le seuil d’une maison de sobre et studieuse apparence, recons- truite aux frais du grand duc pour le retour de son ami au lendemain de la capitulation de Mayence. L’Aurore de Meyer luit au plafond du vestibule. Nous montons, par un vaste escalier de pierre, à un appartement plus d'artiste encore que de poëte,où des esquisses de maître, des copies, des moulages attestent les voyages et les ré- miniscences de l'Italie. Un bruit de pas auquel il est impossible de se méprendre fait courir un frisson dans mes veines. Le voile se déchire : En Deus, ecce Deus! Ï1 s’avance vers nous dans tout l’éclat de sa gloire re- haussée de la majesté de l’âge et du prestige lointain AT Ce des lieux, Weimar, alors si loin de Paris, le reculant dans une imposante perspective. Sa forte tête relevée d'un front proéminent, et portée comme avec respect sur ses robustes épaules, me fit illusion sur sa taille ; d’une sta- ture moyenne, il me parut plus grand que nature. Son regard, incliné de haut en bas, comme si la terre se dérobait sous lui, concourait à cette illusion. Une ré- cente maladie, en refoulant derrière ses tempes les touffes crépues de ses cheveux gris, y avait à peine imprimé ces ravages, fruits d’une première gelée d’hi- ver. Ses séjours d'Italie, et ses prédilections pour cette terre vers laquelle s’était orienté son berceau, avaient allumé dans ses yeux une flamme étrangère aux habi- tudes de sa race, et dont la fermeté incisive de seslèvres semblait contenir l'expression. Roturier par les Goëthe, ce’fils de son génie el de ses œuvres, cet anobli de cour n’en révélait pas moins, dans la supériorité de ses manières, assez d’aristocratie pour répondre aux exi- gences de son emploi, sans se guinder pour cela jus- qu’au huitième étage de la perruque de l’aïeul maternel Textor. Il est à présumer que chez lui, même en la plus séduisante saison, jamais la grâce ne marcha de pair avec la force. Use certaine raideur, indépendante des années, et qu’on remarqua de bonne heure en sa personne, ne laissait rien soupçonner du hardi patineur, du rival de Klopstock, qui jadis entraînait sur les glaces de l’Ilm toute la cour du duché à sa suite. Pour ce qui est de sa mise, je me gardai bien de l’étudier, les dédai- gneuses théories émises là-dessus par le maitre au sor- tir de chez Walter Scott à Londres, sifflaient encore à mes oreilles. Il y a heureusement dans les Mémoires de SOC. D’AG. ï US ee Goëthe et dans les documents de ceux qui nous ont pré- cédés ou suivis de quoi suppléer à cette lacune. Le lec- teur y trouvera tout un vestiaire à son gré. Sans re- monter à l’habit grotesquement confectionné par le domestique de son père, et qui provoqua le rire de ses camarades de Leipsig, on peutchoisir entre la mise frin- gante, les bottes à revers jaunes, l’habit bleu, la poudre et la queue qui signalèrent son entrée à Weimar, la veste de chasse verte, le fouet et les éperons dont Glen nota l’impertinence aux salons de la duchesse Amélie, et la tenue officielle devant l’empereur Napoléon à Erfurth. Le mieux serait de s’en tenir à l’ample redingote grise relevée d’un ruban rouge à la boutonnière, et à la cra- vate blanche qu’il portait quand, six mois après nous, un visiteur illustre, jeune alors et sans nom, le roman- cier anglais Thackeray faillit s’évanouir en sa présence. Le cérémonial épuisé , David exhiba de l’écrin quelques-uns de ces médaillons de bronze aux vives arêtes, aux saillies fermes et contenues où s’articulent si nettement l'esprit, le caractère, la nature et jusqu’au tempérament du modéle. C’étaient, si je me rappelle, l'œil au ciel de Cousin, le front exubérant de Victor Hugo, Delacroix, moins bronzé en portrait qu’en nature, et le profil un peu vautour de Mérimée. « Posez là vos bouquets, disait l’incomparable Odrÿ, dans je ne sais plus quelle pièce de son répertoire où des complimenteurs mal avisés lui faisaient mettre, de nuit, le nez à la fenètre, — là, sur le relais de la porte, et quand ils seront fanés, on les jettera dans la rue. » Combien d’hommages d’un jour, à l’adresse de ce triom- phateur saturé de messages et de visites, ont eu la — 99 — même destinée! Le tribut de notre ami n'avait point à redouter cette épreuve, et les visiteurs de la maison de la Frauenplan, aujourd'hui convertie en musée, {rou- veront les médaillons à la place d'honneur que leur avait affectée le grand homme. En les examinant au double point de vue de l'identité et de l'idéal, Goëthe laissa échapper un petil gloussement qui lui était propre, et sur la signification duquel il n’y avait point à se méprendre. En même temps, par un mouvement de courtoisie plus appréciable encore, il achemina son hôte vers un médailler de la Renaissance-où figuraient en première ligne les épreuves de Pisanello. Des questions sur les poètes et artistes de la France avaient inauguré l'entretien qui se poursuivit sur les souvenirs d'Italie. À mesure que notre hôle parcourait avec nous les richesses de sa galerie, il exhibait de leurs carlons des esquisses et dessins de Rome, de Florence et de Naples, héritage paternel grossi de ses propres conquêtes. Les piqués, les déçus qui ont témoigné, les uns de la froideur, les autres de la hauteur du person- nage, l’avaient-ils abordé en ces termes précis, confiants etrésolus qui décidèrent du succès del’entreprise? Ajoutez que David, avec la respectueuse aisance de ses manières, son œil bleu, pénétrant et doux, son langage ému, sans emphase, sa mise simple, un peu militaire, et qu'on eût dit moulée sur sa personne, David plaisait ; il réus- sit. L'adhésion, disputée la veille et presque arrachée par les instances de M. Coubard, fut cette fois si solen- nellement ratifiée que David, à son tour mis en. de- meure, n'eut plus qu’à stimuler les ouvriers. En prenant congé de notre Altesse, je Lirai timide- — 100 — ment de ma poche trois papiers que, d’une main trem- blante, je déposai dans la sienne, trois dithyrambes à son adresse, dont deux de mes frères d'armes dans l’insur- rection littéraire d'alors. J'ai su depuis que les vers de Paul Foucher n’avaient point déplu ; je crois me sou- venir aussi que ceux de Cordellier Delanoue obtinrent un regard de bienveillance. Quant à la troisième pièce, l’auteur peut attester sans vanité le respectueux silence qu’elle obtint. — Vois-tu, mon brave, il y a mystère et mystère, et le clair obscur n’est pas la nuit. Rembrandt, le Dieu Rembrandt n'est avare de lumière que pour la prodi- guer jusqu’à l’éblouissement sur les points privilégiés de sa toile. Mais, toi, d’un bout à l’autre, tu Les fait apocalyptique et sibyllin. C’est dépasser la mesure, et toute la haine du philistre ne saurait justifier une pareille réaction. En voyant se plisser le front de Goëthe à cette lecture, j'ai pressenti l’échec, et je me suis dit que Méphisto, qui a la clé de tous les grimoires, ne déchiffrerait jamais le tien. Sur la lisière du parc, au versant d’une prairie que l’Ilm arrose, s'élève un pavillon protégé par des touffes d'arbres contre les importunités de la ville. L’offre de cette résidence, chère à Goëthe par l'attrait du recueil lement et la silualion du paysage, avait triomphé de ses résistances aux sollicitations réitérées de son ami. (est là que s’écoulèrent, de 1775 à 1782, sept années d’une activité prodigieuse entre toutes ; là que souvent la nuit surprit Karl-August enchaîné aux paroles de son hôte, par delà les heures de veillée; que lui-même, à son tour, fut surpris plus d’une fois par le couple ducal — 101 — venant tomber à l’improviste sous son toit et s’asseoir à sa table. Là, dans l'observation intime de la nature, en contact permanent avec les mystères de la végéta- tion, il recueillit les matériaux de la Métamorphose des Plantes, titre de gloire plus imprescriptible à ses yeux que les créations littéraires dont le monde avait retenti. On sait qu’une observation de Linnée, accrue et fécon- dée par son génie, était devenue le germe d’une théorie complète au couronnement de laquelle 1l ne manquait qu’une chose, Dicu transparent et adorable dans le mi- racle de sa providence. Une coïncidence heureuse, et trop heureuse, il faut l’avouer, pour qu’on la puisse imputer exclusivement au hasard, nous l’y fit rencontrer le soir même de notre réception. Il y a toujours, si mince qu’elle soit, dans la première rencontre de deux hommes éminents qui s’é- tudient et qui s’observent, une glace à rompre. La glace était rompue, l'initiation préalable avait fait son effet, et à la tension du matin succédait une dilatation sensible à raison de la supériorité des natures. Entre l’artiste et le poète, déjà l’aubede l'intimité perçait. Et puis dans cette allée, sur le bord de cette prairie, car Goëthe, à l’ins- tant même, venait de quitter son ermitage, la stature idéale que mon imagination lui prêtait se déployait à Paise et sans entraves. Resserrée et captive, et telle qu’un aigle en cage dans l'enceinte trop étroite de sa maison de la Frauenplan, cette figure grandiose retrouvait, dans la libre atmosphère des campagnes, une perspective à sa mesure. Enfin s'il faut tout rappeler, jusqu'aux chi- mêres qui traversèrent monesprit,je melereprésentais, cet opérateur souverain, comme le centre et le cœur — 102 — où venaient s’élaborer, par une attraction mystérieuse, pour s’épandre et se distribuer par mille canaux à la fois, toutes les sèves de la nature. J’ignorais heureuse- ment qu'à un demi-siècle de nous, mais à quelques pas de là, lugubre et navrant épisode, une victime de Wer- ther avait été retirée morte des eaux de la rivière, avec le fatal volume pressé convulsivement contre son sein. Dans l'intervalle des deux rencontres, le mouleur, relancé par David, avait souscrit un w/f#imatum de qua- rante-huit heures pour poser le dernier étai de son échafaudage. C’est sur cette assurance que nos deux personnages, enchantés l’un de l’autre, s’ajournérent en se serrant la main. Ce dimanche, 93 août, grande fête à Weimar; c’était bien fête aussi pour nous, grâce à l’éclat inespéré dont venait de s’aviser notre étoile. Sous ce revirement de fortune, l’on eût eu peine à reconnaître les boudeurs de la veille transformés à leurs propres yeux. Tout nous souriait, tout nous parlait. La foule débouchait à pleines portes dans les campagnes; des groupes de promeneurs assis, debout, couchés sur l’herbe, dans ces attitudes familières que la peinture aime à surprendre, et que relie un motif commun, s’adossaient au fond d’or des cieux en projetant sur le sol des ombres démesurées. Celte scène magistrale où Faust, accoudé et rêveur en face d’un spectacle exactement semblable, en résume les enseignements, me revenail à la mémoire. C’est bien ici que, l'œil tourné vers cette population en liesse, il eût dit à Wagner : « Partout le mouvement, partout la vie. Ils colorent « et ernbellissent toutes choses. Hors des portes obscures — 103 — « et profondes se pousse une multitude de gens diver- « sement vêtus. Vois donc avec quelle précipitation la « foule se disperse dans les villes et dans les cam- « pagnes. Mon oreille distingue le bruit tumultueux du « village. Voilà le vrai paradis du peuple; grands et « petits, tous bondissent de joie. Ici je me sens homme, «et j'ose l'être. » Le soleil s’éteignit, et les lanternes s’allumérent. Le galop national, avec ses articulations vigoureuses et presque sonores, d'importation récente à cette époque parmi nous, mais au mécanisme duquel ne saurait s’asservir la désinvolture française, marquait la borne infranchissable à nos conquêtes. L’imagination en pleine veine de mon compagnon lui faisait percevoir entre les causeurs, les danseurs, les buveurs, les fumeurs de la Kermesse et nos types angevins les affinités les plus fan- tasques. Je ripostais, nous alternions, enchérissant à l’envi l’un de l’autre, et ces évocations chimériques, à travers la diversité de race, d'âge et de condition, lui causaient une joie d'enfant. Une mendiante de race exo- tique, et qui tranchait par le mat de son teint, le rayon- nement de son regard et la souveraineté de son port sur cette foule, s'arrêta devant nous en posant les doigts sur sa harpe.— Euréka ! — Le problème encore flottant de la pose de la Sainte-Cécile venait de se résoudre irré- vocablement pour David. Il le croyait du moins, ne se doutant pas plus que moi des phases par lesquelles sa chère figure devait passer, de l’esquisse au modèle et de l’argile au carrare. N’ai-je pas devant mes yeux l’é- bauche plus lyrique que chrétienne d’une vierge, d’une muse, la tête sur sa main, la main sur le sommier de — 104 — sa harpe, épuisée d’extases et d'élans? David aura plus tard involontairement réagi contre l'expression passionnée de cette figure par l’impersonnalité sereine de celle qui préside au chœur de la cathédrale d’An- gers. Les artisies n’ont rien, en fait d’anxiétés et de la- beurs, à envier à la gestation des mères. Comme elle, ils souffrent, etcomme elles parfois ils meurent en donnant la vie. Mais voyez donc pâlir et s’absorber sur des cartons couverts de caractères indéchiffrables ce groupe de campagnardes à la taille voisine des épaules, aux ru- bans noirs ruisselants de leurs bonnets le long de leurs cous comme les flots d’une chevelure. Quelle besogne font-elles là? — C’est un loto. Approchons-nous! Le sac -où leurs mains plongent regorge de plus de cailloux que le petit Poucet n’en sema oncques sur sa route... Pa- tience divine! Le loto, mais tel, en son incroyable naï- velé, qu’il eût semblé suranné à nos bisaïeules elles- mêmes. Au lieu que chez nous le premier quine est le signal de la victoire, la palme ici ne s’adjuge qu’au car- ton glorieux dont les chiffres sont recouverts de ces pe- tits cailloux jusqu’au dernier. La rareté fait le prix, et nos quines à la douzaine, dont Dieu me garde d’atté- nuer l'importance, n'étaient que bagatelles et misères en comparaison. 0 jeunes filles d'alors, mères à venir de ceux-là que devait connaître la France, vous maudirai-je! Non, pas même vos fils couchés côte-h-côte des nôtres sous les décombres de nos foyers, ou rentrés sanglants sous vos toits. Ils n'étaient que les bras, c’est à la tête que je viserais, si Dieu ne l'avait déjà marquée d’un — 105 — sceau plus redoutable et plus indélébile que le mien. Les tables des buveurs n'étaient rien moins qu’inoc- cupées. Au centre de l’une d’elles un monsieur bour- geonné, d’urbaines et affables manières, maintenait à un niveau constant le liquide dans son hanap et dans celui de ses convives. Chaudement accueillis par l’ho- norable amphytrion sur la présentation de M. Coubard, nous primes place à la table; l’on y buvait allemand, l’on y parlait de même ; nous buvions peu et ne disions rien. Cela, minuit sonnant, l’extinction progressive des étoiles terrestres au bénéfice de celles des cieux, et l’irrésis- tible besoin de repasser en songe les événements de la journée nous rappelèrent aux délices de nos lits à la tortue, et nous nous esquivämes avec des bluettes dans les yeux. à — De grâce, quel est donc ce populaire personnage, souriant à tous, payant pour tous, et qui, aux bour- geons près dont son visage est empourpré, ressemble si terriblement à... — À son père, parbleu! Vous y êtes, et qui sy mé- prendrait ? Oui, le portrait de son père, sa croix aussi, Friderich de Goëthe. La mèére était, hélas! une Vul- pius, et ces Vulpius, tout Iéna sait leur histoire. Sa vraie place est ici; vous le rencontrerez un de ces jourssous le toit paternel, près de sa charmante femme, à table, seul point de repaire entre eux. De Wolfgang à Friderich!.. Notre peur à nous, c’est que ce ton- neau d'Heidelberg, en fermentation incessante, ne vienne à éclater du vivant du grand homme, père en dépit de tout. Il y a là-dessous plus d’une faute, et plus d’un enseignement, Messieurs. 2 AN0 Nous étions en effet à une égale distance, dans le passé comme dans l'avenir, des deux grands événements qui devaient attenter à la longévité du vieillard. La mort de ce Friderich, qui arriva deux ans plus tard que celle du grand duc, son parrain, en éveillant l'intérêt, remit au jour les souvenirs de sa naissance. Quels furent en ce moment les retours sur lui-même de celui qui scruta tant de consciences, et mit en scène tant de passions aux prises avec l’héroïsme et le devoir? Rien par écrit, rien en paroles n’a transpiré de ses pensées. Mais de quel nom qu’il l’appelât, il n’a pu échapper au témoignage d’une Providence dont il a gardé pour Jui les leçons. II Il va sans dire qu’au jour expressément convenu pour ’imauguration du chantier, l’ouvrier n’était point au poste. Au delà du Rhin comme en deçà! Est-ce consola- tion ou tristesse de songer à quel point, dupant et dupés tour à tour, en dépit de la diversité du langage, avec des têtes rondes, oblongues ou carrées, nous ne sommes qu'un! Aurait-il, le parjure, flairé l’inappré- ciable aubaine qui nous devait échoir ce jour-là, et nous faire agréer son infidélité comme un service ? Le diner prenait fin zu Elephanten, et le café fai- sait son apparition sur la table. Les convives, pinçant des lèvres les tuyaux de leurs pipes comme des anches — 107 — de hautbois, en humaient tour à tour et en refoulaient le parfum sur le nectar brûlant qu’ils buvaient à petites gorgées… Oh! là-dessus point de querelle ; sua quemque. Vis-à-vis de nous siégeaient, non moins absorbés que nous dans cette dégustation taciturne, deux étrangers dont le type slave, relevé de l’accent caractéristique, décéla bientôt la patrie. La France n'hésite guères en face de sa sœur de Pologne. Les saluts échangés, vœux d’une part, soupirs de l’autre, la conversation engagée sur le terrain de l'avenir passa bientôt. de la politique aux lettres ; ici et là, mêmes-espérances, on croyait voir luire au fond du ciel deux aurores. Du côté de nos voyageurs abondaient les questions sur la croisade ro- mantique alors en plein essor chez nous. Ils invoquaient les œuvres, exaltaient les auteurs ; les plus récentes de nos gloires avaient franchi la Vistule. En réponse à leurs cordiales sympathies j'exhalai de ma pipe, au milieu d’un nuage d’encens, un nom cher et de fraîche impor- tation en France, celui de Mickiewiez. J'avais, disais-je, de confiance, et par amour pour la sainte cause de la Pologne, suspendu à mon chevet le portrait du barde lithuanien, sans avoir pu encore lire de lui une seule page. — Il paraît que le portrait n’est pas frappant, inter- rompit le plus jeune des Polonais avec un sourire révé- lateur, tandis que l'embarras et la rougeur croissante de l’autre, se rattachant pour moi à de vagues simili- tudes, mettaient de plus en plus son incognito en péril. Les derniers nuages se dissipérent : Mickiewicz en personne était devant nous. — Et l'explosion, et les étreintes ! — 108 — Le Français commença. C’est toujours nous quicom- mençons. — Halte-là ! à nous deux, mon poëte et mon pros- crit, je ne vous lâcherai point que je n’aie tiré de vous un portrait, mais qui vous ressemble. Et se levant lestement de table, David courut à lui, et l’entraîna vers l'escalier ; nous suivions. Le pied sur la dernière marche : — Entrez donc, et soyez le bienvenu sous notre tente. Vous nous chanterez un de ces chants que redisent les mères, et qui font tressaillir au berceau les petits en- fants de la Pologne. Je tiendrai l’ébauchoir, et nos jeunes amis la plume. Quele premier écho de la France à votre appel parte d’ici ! Et cédant à cette impulsion chaleureuse, l’exilé de Wilna avait pris place au fond de la chambre où les jeux de la pénombre se concentraient sur son front. Sur une plaque de schiste, large comme la moitié de la main, reposait une boulette de cire de la couleur et de la grosseur d’une azérole. David l'y répartit par plans hardiment accusés, et en quelques coups d’ébauchoir lui conféra les premiers linéaments de la forme humaine. — Que ceite ardoise , maître, extraite des car- rières de notre Anjou, porte bonheur à l’entreprise ! — Tais-toi!... C’est bien! Ne bougez plus ; je vous regarde, et vous écoute. Et là-dessus, avec une délicatesse d’expression à dé- sespérer un puriste, celui qui, de sa vie, n’avait foulé le sol de la France, entonna les premières strophes du Pharis en ces termes : « Qu'il est heureux l’Arabe, lorsqu'il lance son cour- — 109 — sier du haut d’un rocher dans le désert, lorsque les pieds de son cheval s’enfoncent dans le sable avec un bruit sourd, comme l'acier rouge qu'on trempe dans l’eau. Le voilà qui nage dans l'océan aride et coupe les ondes sèches de sa poitrine de dauphin. « Plus vite et plus vite, déjà il effleure à peine la surface des sables ; plus avant, plus avant encore, déjà il s’élance dans un tourbillon de poussière. « Il est noir, mon coursier, comme un nuage ora- geux. Une étoile brille à son front comme l’aurore. Il étale au vent sa crinière d’autruche, et-ses pieds blancs jettent des éclairs. « Vole, vole, mon brave aux pieds blancs. Forêts, montagnes, place, place ! » — Sublime ! s’écria David, s’emparant avec impé- tuosité d’un instant de halte, réclamé par les secrétaires. Et à part lui : — Va, je te tiens! Désormais tu peux mourir ou disparaître ; en dépit de la tombe et du Czar, iu vivras. Le poëte reprit ses strophes, brülantes comme la flamme, chastes comme la neige, et tout empreintes de la virginité sauvage du désert, et termina de la sorte : « Oh! comme il est doux de respirer ici de toute la largeur de sa poitrine! Je respire librement, pleine- ment, largement. Tout l’air de l’Arabistan suffit à peine à mes poumons. Oh! comme il est doux de regarder de toute l'étendue de sa vue! Mes yeux sélargissent, se renforcent, ils percent au delà des bornes de l'horizon. Oh ! comme il est doux d’étendre ici les bras franche- ment, librement, de toute leur longueur ! Il me semble que j'embrasserais de mes bras tout l’univers, de — 110 — l'Orient à l'Occident. Ma pensée s’élance comme une flèche ; plus haut, et plus haut, et plus haut encore, jusque dans l’abîme du ciel. Et comme l’abeille en- sevelit sa vie avec l’aiguillon qu’elle enfonce, ainsi moi, avec ma pensée, je plonge mon âme dans les cieux. » Voilà qu’au même instant, par un mouvement invo- lontaire de la main qui l’exécutait, le médaillon, jus- qu’alors invisible, se tourne de notre côté. C’est bien lui, ses tempes, jeunes encore, déjà sillonnées par l’o- rage, la fierté de sa lèvre, son œil bleu qui nous sem- blait noir, cette expression rêveuse où l'inspiration du poète et la foi du croyant confinaient à l’enthousiasme de la patrie. — Rencontre mémorable que celle de deux gloires l’une à l’autre inconnues, et qui, du premier coup, s’éclairent et se reflètent mutuellement! La soirée s’écoula dans une intimité croissante où le barde, silencieux par nature, maisstimulé par nos ques- tions, entr'ouvrait de temps à autre le voile de sa vie. De la renommée de ses œuvres et de leur influence, la plus grande qui, de nos jours, ait agi sur un peuple, — motus ! Aux plus criantes lacunes, son intarissable disciple intervenait et suppléait. L'état de souffrance d’un de ses compagnons d’exil l'avait appelé à Bex, en Suisse. Il avait, de là, poussé jusqu’à Weimar pour y visiter Goëthe dans le salon duquel nous devions nous retrouver bientôt. Le lendemain David, à son réveil, me réveilla. — J'ai fait un rêve. J'ai rêvé que notre lunatique avait ressaisi sa parole, et que sa porte, à peine ouverte, s'était irrévocablement refermée. — 111 — Son œil tomba sur celui de Mickewicz, tont rayon- nant dans son profil de cire rouge. — Après tout, qu'importe ? L’honneur est sauf, mon cher, et je retourne, tête haute, à Paris où le buste en marbre du grand homme que voicijustifiera mon excur- sion. — Mon rêve à moi, lui répliquai-je, c’est qu’en retour de mon heureuse initiative d’hier à table, vous m’aban- donniez l'original en cire du Mickiewicz, après mou- lage. — Oui, mon brave, et tous ceux qu’il te sera donné de soustraire aux griffes de mon cuisinier. Il en recouvre avec obstinationses cafetières bouillantes, et cire de pleu- rer. Le drôle! Il n’y a pas que lui, etje citerais du fait de mes meilleurs amis des béotismes de même force. C’est ainsi qu’en montant à l’appartement de l’un d’eux, Je me sens atteint d’un coup violent à la cheville. Au- dessus de ma tête éclate un rire bruyant et aigu. C’étaient, le croirais-tu, mes grands hommes de bronze qui, roulant par les corridors en guise de palets, des- cendaient l'escalier quaire à quatre, à la grande joie des petits enfants. J’ai vu, ailleurs, une maîtresse de maison, ménagère modèle, râper du sucre avec ces malheureux profils, en choisissant à cet effet les nez les plus crochus et les mentons les plus... Toc, toc! on frappe à notre porte, C’est la Tête plate qui vient au nom de Son Excellence, Monsieur de Goëthe, inviter M. Tafit à l'inauguration du chantier, après un déjeuner préalable. Qui n’a pas vu David aux prises avec l’argile d’où son idéal va sortir, n’a pas eu de sa furia d'exécution une idée — 112 — complète. « La terre que je pétris bout sous mes doigts, » disait Puget, son véritable ancêtre ; ainsi de lui. Plus pres- tigieux peut-être à l'attaque du marbre, le statuaire s'élève à une représentation plus auguste dans son action plastique et créatrice sur cette glaise maniée par Dieu lui-même, et d’où le premier homme est né. Notre compatriote, à l'heure où je l’allai rejoindre, d’un pas mal assuré, dans la maison de la Frauenplan, était dans tout le feu d’une opération à laquelle son héros sem- blait prendre un singulier plaisir. Pour un esprit comme celui de Goëthe , aussi complaisamment ouvert aux mythes de lantiquité qu'hermétiquement fermé aux récits de la Genèse, cette allusion lointaine aux tradi- tions cosmogoniques de Japet ou de Prométhée n’était pas dénuée d’attrait. La motte colossable, appuyée sur ses armatures, présentait, à la couleur près, l'aspect de ces bonshommes de neige, fruit de l'improvisation naïve des écoliers. Chaque pression de sa main, petite et des mieux modelées, pareille à celle dont Napoléon était si fier, en secouant cette masse de sa morne placidité, la conviait à un degré de plus vers la vie. L’insuffisance des ressources en regard de l’immensité de la tâche ne faisait que mieux ressortir la valeur personnelle de l’homme. Sa main d’ailleurs, à Paris comme à Weimar, n'abdiquait devant l'instrument que de guerre lasse; encore son arsenal était-il sévère et restreint; il avait trop énergiquement réprouvé l'intervention des procé- dés techniques dans l’exécution contemporaine pour ne pas s’en tenir aux simples auxiliaires dont s'était contenté Phidias. Quel est donc le statuaire, — Phidias ou Praxitéle ? set 0 dont le regard, dévié du point de vue normal, par les dimensions de je ne sais quelle gigantesque figure, eut tant de peine à y rentrer ? J’y songeais, à le voir passer ainsi, par un contraste inverse, des proportions minimes d’un camée à cette échelle de Titan. De même que, té- moin de sa sérénité dans la crise d’un aussi laborieux * enfantement, je m’expliquais ses répugnances pour l'Eternel du Sanzio, créant le monde à tour de bras et la sueur au front. Dés la seconde séance, le buste, déjà dégrossi, inau- gurait une phase nouvelle. Goëthe, debout, posait, mais de loin encore, parlant avec mesure, écoutant avec in- térêt. La conversation sur le mouvement poétique t littéraire de la France s’allumait tout naturellement aux portraits de nos compatriotes dont il avait agréé l’hom- -mage. Il avait conservé de Cousin une impression re- nouvelée par cetle évocation magique. — Je n’en ai pas fini avec lui, dit l'artiste : cet œil levé au ciel, je veux le représenter maintenant abaissé vers la terre, tel que je l'ai surpris aux heures de recueillement. — Mais l’on avait, à cette époque, de Cousin que la moitié. Le philosophe allait décroître et l’écrivain grandir à la pu- blication d’un livre, expression passionnée de ses amours pour une morte de trois siècles. — Victor Hugo personnifiait, dans la pensée de Wolfgang, la croisade romantique dont il suivait les incidents, moins en poëte ému qu'en observateur impassible , épris par-dessus tout des audaces de fond qui perçaient à travers les témérités de la forme. Sans doute que pour lui, libre écrivain, libre penseur, scellant et proclamant avec l’in- dépendance de sa raison ces deux libertés l’une par SOC. D’AG. 8 — 14 — l’autre, l’orthodoxie de la foi n’avait de refuge qu’à l'ombre et sous le joug du despotisme littéraire! — Des premiers il avait prophétisé l'avenir du précoce écrivain qui cachait le nom de Mérimée sous le masque de Clara Gazul. La vive, fiére et ferme allure de cette plume, de ce stylet plutôt lui agréait. —Surle Faust sllustré, nous le trouvâmes d’une réserve en désaccord avec les témoi- gnages de chaleureuse sympathie qu’Henri Heine, vers le même temps, aurait recueillis de sa bouche. On est en droit de les contester. Le génie de Delacroix, essentiel- lement dramatique, tout d'imagination et de sentiment, avait moins déféré, dans l'interprétation du Faust, au point de vue railleur et sceptique, qu’il ne s'était com- plu au mouvement des scènes, au jeu des passions et à: la splendeur des effets. Il a tiré à lui, il s’est montré lui-même, et, à ce titre, n’a pu se concilier les pleins suffrages d’un auteur moins soucieux d’un soleil que d’un satellite. L’interprète de Faust, au gré de Wolgang, c'était Relzsch. Les paroles tombaient lentement et sûrement de ses lèvres, avec une pureté de langage assez fréquente chez les étrangers. Il y visait d’ailleurs ; elle était le fruit de son commerce avec les auteurs du grand siècle, com- merce si intime au temps desa résidence de Strasbourg . qu’il faillit débuter en français sur la scène. Entre lui et Schiller, toujours essoufflé et haletant, trop prompt à la détente pour s’attarder aux observances rigou- reuses de notre grammaire, et hérissant de germa- nismes ses controverses avec Mme de Staël, quel con- traste ! Celui du lac au torrent. Mais le lac a ses tem- pêles, el le limbre encore si résonnant de cetle voix — 115 — octogénaire donnait la mesure de son tonnerre aux heures d’orage d'autrefois. Loin de nous la prétention de révéler, jour à jour, . et dans leur enchaînement naturel, les propos, les juge- ments, les aperçus dont le fil, mêlé par la distance, se brise incessamment sous nos doigts. L’attitude de Goëthe, au centre des mille sujets qu’il dominait de sa portée, n’était celle ni du poëte ni de l’historien, ni du savant, ni de l’artiste; c’eût été le borner que de lui assigner un aspect. Il conversait en esprit organisateur occupé à recueillir, pour sa jouissance propre, et jus- qu’à la dernière minute de sa vie, les éléments d’une synthèse incomplétement réalisée dans l’ensemble de ses écrils. L'on était alors au début de la querelle engagée entre Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier sur l'unité de structure animale. Si quelqu'un, en dehors de la France et de la science (dans l’acception pratique du mot), avait droit de s’y immiscer, c’est à coup sûr l’auteur hâtif et vigi- lant de la Morphologie et de la Métamorphose des plantes. L'hypothèse d’une nature comprimée à divers degrés, dans son épanouissement final, par des causes déterminantes des genres et des espèces, lui souriait de préférence à celle d’une intervention personnelle et divine dans le jeu de la création. Il a été parlé plus haut de ce qu’on n’oserait appeler l’anthropomorphisme de Goëthe: Dieu inconscient, omis ou relégué dans les espaces inaccessibles, régnant et ne gouvernant pas ; l'homme , être central, type immortel et radieux autour duquel gravite le monde. L'Italie, où le ramenaient incessamment ses entretiens avec l’an- — 116 — cien pensionnaire du Pincio, l'Italie, par la beauté de sa race etla majestueuse ordonnance de ses paysages, fa- vorisait ce point de vue. À d’autres les martyrs empour- prés de sang, la pâleur des vierges, les moines aux bras. en croix, les anachorètes en exlase, tout ce qui fait écho dans l'âme aux paroles de l’apôtre : ingemiscit et par- turit. La vie, dans sa beauté réelle et objective, sans as- piration ni douleurs, voilà le prisme au travers duquel non pas l’homme seulement, mais la création entière, marquée du même sceau, lui apparaît. Il n’eût jamais signé la Lettre à M. de Fontanes, et les chrétiennes mélancolies de la campagne de Rome ont dû médiocre- ment l’affecter en regard des horizons dorés de la Sabine. Il a eu ses chagrins, il a souffert, croit-on, aucuns disent qu’il a pleuré; mais la douleur subie, il en mai- trisait l'expansion, comme on intercepterait du doigt les vibrations d’un corps sonore; il revoyait à mesure et repassait la trame de ses jours, pour en extraire, avec un soin jaloux, jusqu’au moindre fil noir qui en eût assombri l'éclat. Les relations iilustres que l’auteur des Bas-reliefs du Général Foy s'était créées dans les applications libérales de son art ouvraient à son interlocuteur une source de renseïgnements intarissable. L’étranger qui parcourt la Galerie Divil vec une soudaineté d'impression que nous ne saurions ressentir à un égal degré, nous autres, témoins de son développement successif, croit rêver en présence de cette foule de personnages, gens de plume, d'épée, d'église, de théâtre, de tribune ou de barreau, dont il a consacré les effigies sous tant de formes et d’aspects. Tous, invités de son choix, répondant à l’ap- UM — pel d’une flatteuse iniliative, ont comparu devant lui, de La Fayette à Lamartine, et secoué la poussière de trois âges sur leseuil de son atelier. Qui livre son visage livre insensiblement sa pensée; dans ces tête à tête prolongés entre l'artiste et le modèle, il n’est guëres de nature si contenue qui nese détende, même sous une influence moins électrique que la sienne. En physiono- miste exercé, il pressait le ressort et faisait résonner la corde ; et ce qu’il en recueillait, sentiments ou passions, saillies d'esprit et de caractère, survivait au besoin de la cause ; puis l’occasion aidant, voici jaillir de sa mémoire des révélations propres à éclairer le personnage d’un jour nouveau, parfois inattendu. Îl avait rencontré, dans son pélerinage à Bruxelles, sur la tombe de Louis David son maître, les débris de la Convention; veine abondante pour Goëihe, curieux de confronter avec le témoignage des acteurs ses opi- nions et ses jugements sur le drame de 93. — La Ven- dée, nous en sommes, disait avec orgueil le républi- cain de notre Anjou. Son père était de ceux qu’arracha aux représailles le dernier soupir de Bonchamps. Ce n’est pas devant lui qu’il eût fallu s'inscrire en faux contre l’acte immortel, ou les immortelles paroles. À ce _mot de Vendée, son imagination d’enfant se rallumait : Il nous esquissait en traits de flamme les dramatiques épisodes qu’il avait entrevus du haut des caissons de l'artillerie, sur les champs de Bressuire et de Tor- fou. Il mêlait à l’ardeur des convictions héréditaires l'enthousiasme du sacrifice, d’où qu’il vint, et la sympa- thie pour tout sang généreusement versé. En nous retra- çant la simple et mâle contenance des vétérans de la — 118 — Grande Armée, tels que, trente ans plus tard, il les avait surpris et dessinés devant la porte de leurs chaumières, il ajoutait : « J'ai fait Bonchamps, je ferai Marceau. » Dans l’intermède des séances, l’on voyait arriver sur un plateau un flacon de vin du Rhin accosté de trois verres; suivait une assiette de biscuits secs, trés-appré- ciés de notre hôte. Il donnait le signal, et payait généreu- sement d'exemple. C’est bien ainsi que je le comprenais, toujours debout, et n’appelant en aide à sa robuste vieillesse que ce ferme et pur aliment. Cet idéal, trop carcssé par moi, allait recevoir quelque atteinte : Goëthe dinait! J'en douterais encore, et je douterais surtout de l’insigne faveur de m'être assis à sa table, si je n’en retrouvais l’attestation dans les pages jaunies de ma correspondance. Là siégeaient et son fils, le premier par le sang, sinon par la valeur et la signification person- nelles, et sa bru charmante, Ottilie de Pogwisch, l’âme de sa famille et le sourire de sa maison, et ses trois petits enfants sur le front desquels le vieillard répandait ses plus affectueuses tendresses. Il avait, on le sentait à la nature des sujets, abdiqué le sceptre de l’entretien aux mains de la souveraine du lieu. L’esthétique s'était courtoisement effacée devant des causeries d’un intérêt plus domestique, et plus d’accord avec les aménités du foyer. La conversation, néanmoins, n'avait point baissé de ton pour avoir changé de corde. Cependant les séances succédaient aux séances, les jours aux jours, et qui l’eût cru ? je commençais à res- sentir les frissons de la nostalgie, Et puis Goëthe m’op- pressait, et les conditions humaines que je venais de constater en lui n’avaient rien allénué de ce malaise. À — 119 — son aspect, ma langue se nouait, j’ébauchais des phrases qui restaient suspendues, ou s’éteignaient dans l'ombre, ou mouraient étouffées sous la voix de mes interlocu- * teurs. Cette haute taille, — du moins elle me semblait ainsi, — cette démarche, ce regard accablant de pers- picacité et de profondeur, l’inquiétante commissure de ces lévres d’où le rire de Méphistophelés était: tou- jours prêt à sortir, me causaient une insurmontable contrainte. Aussi n’étail-ce point sans avoir promené longtemps mes perplexités dans la rue, avec des airs suspects pour toute autre police que la police bénigne de Weimar, que je risquais une apparition tardive à la maison de la Frauenplan. Au plus fort de ces crises, il m'est arrivé plus d’une fois de me sauver en bondissant vers la campagne. Là, couché ou assis près la lisière du parc, je respirais ; mon pauvre esprit réagissait à pleines voiles contre les chimériques étreintes auxquelles il venait d'échapper. La duchesse douairière passait de loin à travers les hêtres dans son carrosse drapé de deuil, résumant un demi siècle d’éblouissement et de prestige. Les chasseurs entraînés sur la piste des daims me replon- geaient, aux sons de leurs cors, dans ce monde verligi- neux dont j'ai raconté les féeries, etje n’apercevais point les faucilles reluire aux mains des moissonneurs, sans qu’un bruit de fléaux, parti des aires de notre Anjou, vint retentir à mes oreilles. En repassant par le cimetière, j'allais me pencher sur le triple caveau où dormait Karl August, Schiller à sa gauche, à sa droite une pierre muette qui attendait. Au temple, j'allais revoir Luther effrontément campé par le peintre Granach au pied de la croix, dans la plus vi- — 120 — goureuse et la plus hérétique de ses toiles. Ni le génie, ni l'amitié n'avaient su faire descendre sur cette lourde et brutale figure un rayon d’idéal. Où étiez-vous, Saint Pierre en croix de l’église de Cologne! Retourné près du buste au lendemain d’une de ces fugues, je fus frappé de la transformation qu’il venait de subir. Dans les choses comme dans l’homme, dans la nature comme dans Part, il y a une heure où l’effet se prononce, où le iravail, d’abord latent et invisible, se produit tout à coup au grand jour. Une sève géné- reuse, qui circuiait par tous les pores de l’argile assou- plie, donnait aux plans, heurtés naguëres, ces flexuosi- tés élastiques dont le secret n'appartient qu'aux maîtres. David, de temps à autre, écartait avec respect sur les tempes du modèle les mèches argentées de ses cheveux, pour en interroger plus à fond les ondulations et les saillics. — J'ai soutenu tant que j'ai pu, dirat-il quelques années plus tard du front fayant de La Fayette, à l'insuffisance duquel il lui aura fallu suppléer. Ici la nalure ne se dérobait pas sousle ciseau. Le front large et puissant qui posait devant lui se soutenait bel et bien de lui-même, et par delà ; que s’il eût voulu déférer par avance à l’incrédulité de ses criliques, il eùt dù en re- trancher quelque chose. Un soir que la séance avait duré plus que de coutume, je lallai prendre, Je le trouvai seul ; armé d’une louffe de geniévre imbibée d’eau, il aspergeail le bloc de giaise pour l’eniretenir dans sa sou- plesse et dans sa malléabilité jusqu'au lendemain. De temps à autre, il reculait de quelques pas comme font les artistes pour déterminer le point de perspective. La solitude, le silence, le prestige des ombres qui crois- — 121 — saient et montaient avec le déclin du soleil, donnaient à cette opération familière, et presque domestique, l’ap- parence de je ne sais quel rite mystérieux. — Ah! te voilà ! arrive et regarde, et dis-moi si jai outré les choses, et si ce front-là n’est pas le sien ? Qu'il ne s’ajuste pas à la mesure bourgeoise, d'accord, mais je traduis et n’invente point. Toi qui vivras plus que moi, tu en porteras témoignage. Ils se récrieront de même sur les dimensions générales. [ci encore ai-je menti? Nous parut-il, oui ou non, la première fois que nous le vimes, dépasser de son torse le niveau de la foule? Je n’ai pas rêvé cela. Souviens-loi de nos impres- sions , pour les redire à ceux qui sentent et qui com- prennent. J’ai déjà mentionné les prédilections de David pour la doctrine de Gall. Il en croyait trouver la démonstra- tion vivante. dans les proéminences cérébrales de son modèle. Celui-ci, tout en n’adhérant qu'avec un sourire de réserve aux assertions un peu risquées de notre ami, n’en admettait pas moins le principe, sauf à l’absorber dans l’ensemble de sa conception unitaire. Il aimait à se rappeler que les idées premières d’un système si gros de controverses à venir lui avaient été exposées par le docteur lui-même, en séance expresse, à l’uni- versité d’Iéna. L’impétueux M. Coubard insistait depuis quelques jours au nom des amis conjurés pour que la porte de Vatelier ne reslât pas plus longtemps close ; elle céda. Turba ruit ou ruunt; il en vint de toute sorte, d’an- ciens et de nouveaux, de proches et de lointains, tous se pâmani d’aise et s’exclamant à l’envi. L'on se pous- — 122 — sait du coude en passant devant le buste de Rauch, dé- trôné tout-à-coup après trois années de règne. Confident des épreuves et d’un triomphe qui se réverbérait sur ses traits, le digne entremetteur initiait l’assistance aux plus minutieux incidents de l’œuvre colossale qui se dressait devant ses yeux. Un bonhomme Mayer, con- temporain du premier âge, ne pouvait revenir de l'é- trange reverdissement qui s’opérait pour lui sous l’in- fluence de cette image. C’est que l’idéal de Ja ressem- blance consiste à retrouver la jeunesse sous les rides, comme à pressentir l’homme sous les cheveux blonds de l’adolescent. — Vous ne me refuserez pas, cher et digne mon- sieur Coubard, le nom de ce personnage au visage expansif, à la physionomie aussi vive que son encolure est épaisse, et sous le toupet duquel s’insurge un front ample et osseux. — C’est le maître de chapelle de la cour, le chevalier Hummel. Il est de mode à Weimar, quand on veut exprimer le maximum d'admiration, d'embrasser son homme tout de bon et sur les deux joues. David, en un clin d'œil, devint le point de mire de ces démonstrations triom- phales. Comme cela lui allait! Le mieux était de se lais- ser faire, sauf à maugréer à part Lui : — Ces dignes Allemands, quelle conscience! moi à qui le moindre si- mulacre eût suffi! Une visite à Hummel, concertée séance tenante, sous les auspices des amis, avait été fixée pour le lende- main. Midi sonnait au cent quatorze montres, don de ses augustes auditeurs, quand nous nous présentâmes à — 193 — sa demeure. Il était temps. Les dilettantes altérés cer- naient déjà le piano où l’élève de Mozart s’assit, vibrant encore de son impérissable souvenir. Un motif du maître, vaguement pressenti, progressivement amené, s'installa sur les touches avec une sérénité souveraine ; ainsi pré- lude l’aube à l'aurore, l'aurore au soleil. Il le reprit, le modula, et rompant avec les procédés des vulgaires paraphrasistes, s’en fit le point de départ d’une impro- visation franche où l’idée, montant et se fortifiant tou- jours, finit par évoquer autour Welle toutes les magni- ficences de l'orchestre. C'était beau, c'était grand ; mer- ” veilleuse alliance : ce cœur qui bat, cette tête qui bout, ces dix doigts qui volent, et s’élancent au service de la pensée avec une si intelligente soudaineté qu'on ne saurait dire où la conception s’arrêle et où l'exécution commence | Ainsi que les arts diffèrent de moyens et d'effets, ainsi différent-ils par la forme et l'expression des témoi- gnages qu'ils provoquent. Le plus novice observateur en eût fait le discernement dans deux circonstances identiques. Hier le feu de file, aujourd’hui lexplosion finale. Les accolades s'étaient produites à endroit du statuaire successivement et une à une; le musicien fut enveloppé et littéraleinent pris d'assaut. Ce dernier mode avait sur le premier l’immenseavantage de rendre l'infraction au cérémonial obligé moins flagrante, et de favoriser l’abstention ; le nombre nous fut ombre, el nous passâmes inaperçus. Les embrassades ter minées, David complimenta le virtuose en ces termes : ‘ —- Les empereurs ont des bagues, les rois des montres, les princes des labatières; les artistes n'ont — 194 — rien de tout cela. Mais ce que j'ai, je vous le donne : une place à votre choix parmi ceux dont le nom vivra, et dont jai essayé de perpétuer la mémoire. Vous venez à Paris, je vous y attends. Vergiss men nicht! Mme Hummel sourit de son plusgracieux sourire. Elle était belle encore, et Beethoven ne l’eût point revue sans que la plaie, chez lui toujours béante, eùt saigné. On sait que les deux amis, rivaux d'amour, rivaux de gloire, avaient réciproquement succombé l’un vis-à-vis de l'autre sur ces champs de bataille divers. Hummel, vaincu en gloire, avait accepté sa défaite; mais Beetho- ven, blessé au cœur, gardait le ressentiment de la sienne ;nde iræ. Les témoins du passé eussent pu pro- nostiquer lavenir ; Hummel était bien homme à s’aller jeter dans les bras de son confrère expirant à Vienne, pour lui demander pardon de son bonheur, comme d’une faute. IV Téna, si près de Weimar, nous réclamait. L’excur- sion n’étant que d’une matinée, le répit exigé pour le moulage du buste, entièrement terminé, nous mit à même de l’entreprendre. Nos Polonais, au terme de leur séjour, et que leur itinéraire acheminait de ce côté, furent de la partie. L’on n'attend point ici un relevé stratégique du champ de bataille d’Iéna; il faudrait pour cela et l’œil d’aigle de Napoléon quien domina l’en- semble, et l’œil de chouette de Davoust qui en scruta — 195 — les reliefs et les replis. Fidéle au caractère d’un récit dénué de toute prétention technique, où la science est nulle, où les impressions sont tout, je me borne à cons- tater une illusion inséparable de ces vastes théâtres où se jouérent les destinées des empires; c’est qu'ils étaient prédestinés. Le plateau, le ravin, la rivière, la forêt, toutes les pièces de leur configuration géologique ou pittoresque sont trop soudées aux faits, ont reçu du choc des armes de trop monumentales empreintes pour que, dans la pensée du voyageur qui les parcourt, les blessures qu’ils accusent ne les achévent et ne les con- sacrent. Le dernier coup de ciseau suspendu dans la main des siècles est donné, leur forme est complète. Jusque là qu'on s’abstienne, et gare aux occupants! C’est le mot d'ordre de la Providence. Aux gémissements qui par- tent des moissons ravagées, des bois en feu, des chau - mières en cendres, l’on est tenté de répondre : Ne le sa- viez-vous pas ? À quoi donc pensiez-vous, bonnes gens, que de semer, planter, bâtir ainsi sur un sol réservé pour l’histoire? Les sentiments divers dont le petit groupe était ani- mé ne se traduisaient pas moins par les physionomies que par le langage. Les plus jeuneshaletaient d’enthou- siasme patriotique. Avec non moins de fierté, mais plus: virilement ému, David songeait aux morts sans nom, sans voix qui les proclame, sans mausolée qui les re- cueille, et peut-être à l’insuffisance d’une seule vie en face de tant de méprises et d’omissions, Mickie- wicz agitait le mélancolique problème de ce sang frère du nôtre, aussi stérilement que généreusement dépensé, Au même instant, les sous d’une musique sin- 426 — gulière, procédant par accords vibrants et prolongés, nous firent dresser la têle dans la direction de la ville. Elle était bien loin de nous, le clocher seul était visible; mais de vifs reflets qui jaillissaient de ses galeries, comme ceux qui s’échappent des instruments de cuivre au con- tact lumineux du soleil, nous donnèrent à conjecturer que le foyer d'harmonie était là. Les accords s’enchaînaient avec une plénitude propice à la respiration de ces âmes dont nous foulions les corps à chaque pas. Ce n’était ni le repos dans son morne assoupissement, ni les rumeurs stridentes de la guerre, mais je ne sais quoi de large, de confiant et de rassurant, comme la résolution, dans un hymne final, de toutes les dissonances de la terre. C’est dans ces dispositions religieuses que nos deux compagnons de route nous adressèrent leurs adieux. Tandis que David, appuyé sur un pan de roche, noire encore de la poudre de nos mineurs, note et dessine, échappons-nous pour aller retrouver à Paris, deux ans plus tard, l’auteur de Konrad Wallenrod aux bras de quelques fidèles dont l'orage de 1830, en échauffant la tête, n’avait point refroidi le cœur. Nous le vimes à nos foyers d’étudiants douxetsimple commeun enfant, parfois pensifettaciturne, ei le front penché sous les angoisses de sa patrie ; il eût donné pour elle non-seulement sa vie, mais sa gloire, si tant est que la gloire lui eût élé de quelque souci. Son entrée presque inaperçue au salon de Victor Hugo où il s’éteignit de si bonne grâce dans le groupe obscur des visiteurs est demeuré pour nous le type de l’abnégation. C’est de lui-même, en dehors de toute satisfaction personnelle, qu’il aimait et sentait, — 197 — qu'il honorait et admirait. Prophète dans son pays, il ne le fut guëres dans le nôtre, et n’y tenait guëres, quelque nôtre qu’il fût par son association à la for- tune de la France; ses préoccupations étaient ail- leurs. Il n’y fut pas toutefois dénué de sympathies. Le cœur ardent de Montalembert s’est fait écho du sien à travers le sang et le feu de la Pologne agonisante. Une plume célèbre l’a loué lyriquement, et en caracté- risant son génie lui a assigné sa haute place. La mé- daille de Weimar a reçu du ciseau de David les pro- portions d’un buste en marbre. Mickiewicz, installé sous le toit de ce généreux ami dans une maison de campagne à quelques lieues de Paris, a trouvé une at- ténuation à ses peines dans la crise douloureuse, pré- lude de son veuvage. Il avait épousé le malheur et la souffrance. Vaincue par tant d’épreuves, sa belle intel ligence se troubla. Il descendit de la chaire où l'éclat de son enseignement avait triomphé des entraves de notre langue. Un Cagliostro vulgaire, intervenu à point nommé, s'empara de son esprit et poussa au mysli- cisme la nature essentiellement religieuse da poète. Un album à la main, je me présentai un jour chez lui pour réclamer une ligne de sa plume. Le jongleur était là, marmotltant sur cette noble têle, asservie sous son joug, je ne sais quelle incantation sonore. Je m’en re- tournai tout triste avec mon aulographe sous le bras. Vers ou prose, illumination ou ténèbres, je n’ai Jamais osé m'enquérir du sens de La phrase inscrite entre un sonnel. de Sainte-Beuve et un dessin à l'encre de Hugo, digne de Rembrandt. Mais le cœur d’or de Mickiewicz ñe pouvait longtemps battre à l’encontre des plus — 1928 — chères traditions de son berceau. Deux exils à la fois, c’élait trop; réveillé de sa stupeur, le proserit de Wilna s'achemina finalement vers Rome, où le Père des pro- digues, les deux bras ouverts, l’attendait. Dieu, qui avait rappelé ses yeux à la lumière, pouvait maintenant le rappeler à lui; il avait retrouvé avec la foi de ses aïeux le chemin de la vraie patrie. Un Angevin hérita de sa chaire de slave. D’une trempe de fer et d’une héroïque persistance, Cyprien Robert était né pour la mort de ce proverbe inspiré à quelque envieux par la miraculeuse ferülité de nos cam- pagnes : Andegavi molles. Elève, à travers champs, de l'angélique curé Banchereau, dont la petite paroisse de Montreuil-Belfroy conserve le parfum, 1l alla com- pléter ses études théologiques sous les hêtres de la Chesnaie. Toute une pléiade des nôlres l’y avait pré- cédé. Ils étaient là, studieux, actifs et bourdonnants comme dans une ruche. Heureux temps, temps de Monsieur Féli, temps d’avant la révolte et la chute! Mais il devait céder à une vocation plus forte, celle de voyager, de se mêler aux peuples nouveaux, et de pé- nétrer dans le vif des nations vierges encore à la lueur de leurs poésies et de leurs légendes. Seul, à pied, sur l'épaule un ballot noué d’un mouchoir par les mains de sa mère, et que traverse un bâton de houx, le voilà che- minant d'Angers à Paris. La nuitle prend sur la lisière de la forêt du Mans, au point de la sinistre rencontre de Charles VIT et du fantôme; il suspend aux rameaux d’un chêne un nid de feuilles et s’y endort au murmure des vents. Réveillé en sursaut, il voit avec éblouisse- ment émerger des ténèbres un attelage de chevaux — 19 — poudreux, bondissant comme des salamandres dans uñe fournaise de lumière ; la nuit pressait leurs croupes, et leurs poitrails étincelaient. C’était le courrier de Pa- . ris qui filait sur Angers à toutes brides. Charme des excursions pédestres, prestige de l'inconnu et de l’in- fini, qu'êtes-vous devenus ? Déchus que nous sommes, baissons la tête, et cachons-nous derrière les stores de nos vagons | De Paris, notre Angevin, lesté d’iconographie chré- tienne, marcha sur Rome, non pas celle d’Auguste ni de Goëthe, mais la Rome de dessous, celle des proscrits et des martyrs. Ces mystérieuses retraites, encore mal explorées, n'avaient guère de secrets pour lui; il tenait le fil du labyrinthe, et la lampe sépulcrale se fût impu- nément éteinte entre ses mains. Il a marché dix ans de la sorte. À bout d'espèces, il ouvrait une école, et, sa bourse renflée, reprenait allègrement son chemin. Man- ger, dormir au delà des rigoureuses exigences, s’éven- ter en juillet, se chauffer en décembre lui semblait au- dessous de l’homme. Il avait pour riposte aux invila- tions d'usage dans le commerce de la vie des mots dé- concertants qui vous donnaient à réfléchir sur la dilapi- dation de vos heures et la superfluité de vos besoins, — Tiens, est-ce que vous dinez?.. Vous vous amusez donc, vous autres ?....Une voiture? Merci, je ne chan- cèle pas. Au coup de minuit, il descendait de sa mansarde de la rue Saint-Jacques pour traverser la Seine, et aller échanger dans un grenier une leçon de russe contre une leçon de polonais. Ces mâles cœurs sont les plus tendres; il touchait Naples, au re- tour d’une expédition en Morée, quand une lettre du SOC. D’AG. 9 — 130 — bon curé l’informe de la maladie de sa mère. Parti de pied, il arrive à Angers le vingt-cinquième jour, pour ne se reposer qu’à genoux sur une fosse, dans le cime- tière de Montreuil. Cest aux eaux de la Volga, du Dnieper et du Danube que cet enfant de la Loire s’est le plus copieusement abreuvé. Il a, de ce pied infatigable, foulé et exploré toutes les steppes que franchit Mazeppa dans sa course vertigineuse. Il a relevé le Kremlin et interrogé les So- bohrs de Moscou pierre à pierre. Avec lui, nul besoin de presser les souvenirs pour en faire jaillir des inci- dents et des rencontres à étourdir les romanciers. Versé à fond, non moins par l’à-propos des circonstances que par la pénétration de son esprit, dans les conflits de race etles antagonismes poliliques des peuplades échelon- nées vers l'Orient européen, il eût pris place aux som- mités de leurs conseils, si ces questions, d’ailleurs con- sidérables à ses yeux pour l'équilibre du vieux monde, l'avaient pu arracher aux mélodies d’un chant morlaque, ou à l'attrait d’un conte serbe tombé des lèvres d’un paysan. Il revint de ses excursions tout imprégné de la sève de ces tribus dont il avait surpris les affinités, sondé les croyances, etsouvent partagé les émotions do- mestiques av pied des lits funèbres et au chevet des berceaux. Rien ne vaut cette science, moins apprise que respirée , dont les textes circulent sous mille formes orales, à la portée de qui veut les saisir. Au retour, quelle moisson! Rien par les livres; au lieu de textes, des traditions et des récits; quels trésors de vivante érudition pour la chaire où le voyageur allait monter! Et pourtant la période de son professorat fut courie. Captiver l’anditoire au prix de sa liberté était chose impossible à cette nature vagabonde; à dire ce qu’il avait-vu, sa soif de voir se ravivait de plus belle; ses ailes repoussaient d’une séance à l’autre. Un beau jour, sans rien dire, il disparut. Qu'est-il devenu ? Dé- positaire de sa bibliothèque d’étudiant, lexiques démo- dés, vocabulaires de l’autre siècle, grammaires dont les pages ont gardé les macules de trois générations antérieures, à qui remettre ceux de ses livres que n’au- ront pas rongés les rats? Qui sait? Peut-être un jour, hu- miliés par les ans, méconnaissables l’un à l’autre, nous retrouverons-nous, et nos mutuelles identités se trahi- ront-elles par quelque mot d'ordre emprunté à l’idiome de notre enfance. ; Enire Adam Mickiewicz et Cyprien Robert s’interca- lait naturellement un passage relatif à l’émigration po- lonaise dans nos murs, et que la débonnaireté du lec- teur, si lecteur il y a, voudra bien reporter à son lieu. Trois figures s’y détachent. C’est lui, d’abord, beau comme un ange, chaste comme une vierge, l’ingénu et tendre Ostrowski, un cœur chrétien dans une de ces blanches effigies que Virgile met aux prises avec les horreurs de la guerre. Jamais l’adolescence ne revêtit d'expression plus sympathique et plus aimante. Au lieu d'amis, il ne rencontrait parmi nous que des frères, _ associés que nous étions à son enthousiasme pieux pour sa mére el pour sa patrie. Si nos mains imprudentes avaient heurté sous ses cheveux son crâne labouré par les lances des Russes, le sang en eût jailli, comme au- trefois celui de Junot sous le jeu terrible des doigts de — 132 — fer de Napoléon. Il était l'avant-garde; c’est lui qui, le premier, a fait balbutier à nos lèvres les noms tristes et glorieux consacrés aujourd'hui par l’histoire. — Après lui vinrent Kajciewicz et Rettel, compagnons de toit et de table, trop divers ettrop opposés pour se pou- voir passer l’un de l’autre. L’énorme entaille dont la joue de Kajciewiez était sillonnée,'et qu'il n’eût pas échangée contre celle de Henri de Guise, lui avait valu dans notre cercle le surnom glorieux de Balafré. Vail- lant de plume comme d’épée, il composait dans l’idiôme natal de fiers sonnets dont lesfragments adhèrent encore à nos mémoires, Ni sa trempe virile, ni la virilité de sa muse ne le rendaient impénétrable à l'atmosphère des salons. Il se lançait au bal avec une verve militaire, emportant çà et là à la pointe de ses éperons des lam- beaux de robes de ses danseuses. La fougue en lui écla- tait de toutes parts; il fallait à sa gourme, bridée à dix-neuf ans, dans l’essor de la course et de l’action, une issue. [l essaÿa le chant, mais à tue-tête, et fit cra- quer les échelons de la gamme sous les intempérances de sa voix. Les fugues intermittentes, les bondissantes échappées auxquelles le conviait un besoin de gym- nastique entretenu par la fréquence des occasions, lui attiraient de la part de son mentor Rettel de vigoureuses algarades. Reticl, à vingt-trois ans, était, par l’éner+ gie de ses résolutions non moins que par l’autorité de sa parole, l’oracle de l’émigration polonaise de l'Ouest. . Ce russien rouge (il était de Lemberg, et aimait à s’ap- peler ainsi), perpétuait de nuit et de jour dans le foyer de sa pipe la flamme et la fumée du champ de bataille, Son frêle et petit corps laissait transparaître son âme; — 133 — quelques mèches de cheveux, couleur de feuille morte, ombrageaient à peine ses tempes ; ses yeuxs’étaient usés dans l’élucubration des textes. Il se jouait dans les langues, s’enivrait de métaphysique, il allait et venait, avec une puissance d’assimilation singulière, de Weber à Gærres et de Caldéron à Spinosa. Ce nyctalope, qui se heurtait contre nous dans la rue, plongeait avec ra- vissement dans les perspectives des campagnes. On l’eût dit par instant magnétisé. Qui reconnaitrait à ces signes l’agitateur fiévreux dont les exhortations sympathiques ‘auxignorants comme aux lettrés fomentaient les ressen- timents etstimulaient les espérances? De zélés émissaires transmettaient ses appels avec une précision télégra- phique. C’est au pays de Vitré, pays traditionnel de conciliabules et de mystères, que se donnaient les ren- dez-vous. Un soir d’automne que nous causions par un temps de bise et de pluie, il entend sonner la pendule. — Au revoir, me dit-il, je pars de ce pas pour Laval ; le signal est donné, et tous nos Polonais m’attendent. Le lendemain, à l'heure dite, un groupe de conviés, unis par la fraternité du sang, de l'exil et des armes se pres- sait autour du dolmen si populaire dans le pays sous le nom de la Grotteaux Fées. Une figure s’y dressait, com- plétant le tableau, et renouant la chaîne des âges. Ce druide d’une autre ère, à la stature diminuée, à la pa- role brève, la tête dans un nimbe de chauves-souris secouées de leur sommeil avant l'heure, n’était nul autre que Rettel. — Ghers et nobles proscrits, si je vous ai rappelés un instant sur un théâtre d’où s’est envolé votre nom et d’où la trace de vos pas s’est effacée, c’est moins pour satisfaire à une manie rétrospective que par MON un juste hommage à l'hospitalité de notre Anjou. Que le bienfaiteur oublie, c’est son droit, son devoir peut- être; à l’obligé de se souvenir. Vous dans la mort, jeune Ostrowski, vous Jérôme, dans le cloître, vous Rettel, je ne sais où, debout ou couché, en repos nulle part, gardez de son antique et proverbial accueil une mémoire à la hauteur de votre cause! V Or, maintenant allons reprendre David sur son pan de roche d’Iéna, cueillons avec lui cette fleur de myo- sotis que je retrouve aujourd’hui collée, sans couleur ni parfum, aux feuilles de mon carnet de voyage ; et reve- nons à Weimar, où le buste, parvenu à la maturité de son exécution, n’aspire plus qu’à passer de l'argile au plâtre; opération scabreuse dans cette ville iconoclaste. Chez nous autres, dévots à la Madone et aux saints, point de cité où l’incessante reproduction de leurs images n’alimente un foyer de praticiens, lucquois ou pisans, rompus au métier, et que rien d'imprévu ne déconcerte! Ici main-d'œuvre, instrument et matière rivalisaient de pauvreté. La pression d’un doigt, la rayure d'un ongle sur la glaise malléable encore, y eussent fait une blessure à mort. Allez donc rappeler le modèle! Et puis rien d’obsédant comme les velléités de retouches entretenues jusqu’au bout par ces interminables len- teurs. Le sursis se‘prolonge et le martyre se poursuit à travers une série de perplexités croissantes : est-ce — 135 — bien, est-ce tout ; que faire, saisir ou lâcher la minute de grâce que les circonstances vous accordent ? Dans cette passe, hérissée d’écueils, il fallait que le capitaine, se multipliant sur tous les points, suppléât à lin- suffisance de l’équipage. Ainsi l’on vit César, au passage du Rubicon, diriger la manœuvre en personne, ainsi Napoléon, dans sa campagne de France, pointer l’artille- rie de Champ-Aubert et de Montmirail. Il n’était pas jus- qu’à l'aspect de ce buste, aux dimensions inusitées, qui ne jetât le trouble autour de lui et ne semblât tenir les opérateurs à distance. C’est alors que tous les incidents du voyage, évoqués l’un par l’autre, se présen- tèrent tumultueusement à notre esprit. Tant de pro- blèmes résolus, tant de sorts déjoués, tant d’impossibi- lités surmontées, tout cela à la merci de quelques pauvres diables qui suaient de peur non moins que d’ahan. Depuis, je n’ai point relu les mémoires de Ben- venuto sans ressentir les frissons qui coururent dans ses veines durant la crise du Persée. : J'aisignalé plus haut les germes de cette nostalgie qui se prononçait de plus en plus chez moi en raison des pro- crastinations et des mécomptes. Un matin que, penchésur la fenêtre de l'hôtel, je rêvais de Mayenne et de Loire, la brise fit monter jusqu’à mon oreille des motifs mi- litaires tirés de la Fiancée d’Auber. C'était le régiment de la garnison qui défilait, musique en tête. J’éprouvais une joie qui n’était pas sans mélancolie à voir courir la foule aux sons de cetie musique française sur le rhythme duquel un bataillon prussien réglait sa marche. L'opéra de la Fiancée, allemand par le sujet, et dont nous avions récemment salué l’apparition sur notre — 136 — scène, rencontrait dans le ciel, dans les effets d’archi- tecture, dans le mouvement de la population que j'avais sous les yeux, sa décoration naturelle. Dix ans plus tard, par une nuit toute effervescente d'étoiles, les airs, les chœurs, les marches de Fra Diavolo se réveilleront d'eux-mêmes à mon souvenir avec plus de vivacité que jamais, en face de la mer et des rochers de Terra- cine. Ni les Alpes, ni le Rhin, niles sierras de l'Espagne, ni les glaciers de la Suëde, ni les savanes du Nouveau- Monde où nous a promenés tour à tour sa musique leste et colorée, n’ont eu un regard de ce Parisien dont la vie s’est invariablement écoulée entre le Conserva- toire, le bois de Boulogne et l'Opéra. Auber avait à sa commande un génie — Puck ou Ariel — qui prenait le mot d’ordre et s’envolait pour ne reparaître que les ailes imprégnées de la pure essence des pays. Les con- trastes en lui se pressaient. 11 a débuté presque à l’âge où les autres finissent, a vécu près d’un siècle, et telle est la fraîcheur de ses inspirations dernières que l’on se- rait tenté de lui décerner pour couronne ce vers de l’Athénien : « Ceux qu’aiment les dieux meurent jeunes. » Il a disparu, lui, d’une si française et si exquise élégance, dans le nuage sanglant de la Commune. Il n’était point rêveur, et d’où viennent ces reflets voilés et argentins qui courent à travers le tissu de ses plus riantes mélodies ? Il nous charmait, et nul, sur terre, ne s’est ennuyé comme lui. Cependant, l’on touchait au quatre-vingtiéme anni- versaire de la naissance du poête. La pensée était venue à ses concitoyens adoptifs de la solenniser par une in- novation mémorable. Faust allait être représenté — 137 — pour la première fois. Ce drame, type et donnée féconde de tant de machines théâtrales, n’avait jamais encore essuyé le feu de la rampe, ou plutôt l'avait impérieu- sement dédaigné. L'auteur, en produisant son œuvre, l'avait relégué dans une sphère inaccessible aux réalisa- tions scéniques, protestant de la sorte contre les fantas- magories presque inséparables du sujet. Plus jeune, eût- il souscrit au démenti qu’allait recevoir sa conception philosophique? Toujours est-il qu’il s’y prêta de la meil- leure grâce du monde, si même il n’alla pas jusqu’à surveiller, de près ou de loin, la mise en scène de sa pièce, en assistant de sa vieille expérience les acteurs alarmés d’une responsabilité si redoutable. On sait avec quel empressement le conseiller intime avait autrefois accepté, des mains de son ami, la direction théâtrale, avec quelle capacité despotique il ‘était acquitté de ses fonctions, adoré de la troupe qu’enivrait son moindre sourire, et qu'un froncement de ses sourcils faisait trembler. Ses rares contemporains s’entretenaient encore de l'impression produite par lui dans le rôle d'Oreste à l’un des divertissements de la cour. « On l’eût pris pour Apollon, » s’écrie un chroniqueur de 1777. Dés le matin du 27, vigile de la fête, nous vimes dé- barquer par escouades, sur la place, les étudiants d'Iéna, alors en pleines vacances, mais ralliés des divers points de leurs résidences par l’attrait de la solennité. Le soleil se coucha, et la toile se leva. Du fond de sa loge de famille où les regards des acteurs et ceux des specta- teurs se rencontraient incessamment, l’auteur, en proie à plusd’une émotion, suivait, sousson masqueimpassible, — 138 — les évolutions de son drame dans le jeu des personnageset dans l'illusion des effets. Le bruit courait que ce même soir, et par l’effet de je ne sais quel mot d'ordre élec- trique, la même représentation se donnait aux théâtres de Dresde, de Francfort et de Leipsig, avec plus de pompe sans doute, et une supériorité d'exécution qui ne pouvait lutter contre les priviléges du nôtre. Faust avait soixante ans d’une popularité éprouvée à l'heure où il se présentait aux applaudissements du parterre. Pas une de ses pages n’avait jauni, l’auteur n’en rétrac- tait pas un axiome, et c’est dans l’éclatante primeur de ses railleries, de ses audaces et de ses dénégations que Goëthe, à son coucher, se sentait revivre et survivre. Aussi va-t-il sans dire que l’accent ironique et madré dont le dessinateur Retzsch avait marqué ses personnages dominait dans l'interprétation scénique, et que les pa- thétiques élans de Mme Dorval n’eussent pas mieux répondu au génie de l'auditoire que la désinvolture fan- tasque et les arrogantes diableries de Fréderick. Du reste, à voir cette jeunesse, livre en main, s’absorber dans le texte avec une si religieuse attention, qui eût pu se méprendre sur la véritable destination du poëme? C'était moins sur les planches que dans les têtes qu’ilse jouait. A la chute du rideau, et les ovations terminées, la foule s’écoula. Les bourgeois rentrèrent chez eux; les étudiants se portèrent d’un flot commun autour d’une table où chacun d’eux disposa sur une assiette le four- neau embrasé de sa pipe, avec son broc de bière devant lui. Ces blondes têtes aux longs cheveux, coiffées d’im- perceptibles casquettes, ces cols rabattus, ces tuniques — 139 — montantes, ees bottes en cœur, cette fleur de jeunesse unie à la virilité du maintien, tout cet aspect, d’une ho- mogénéité qui n’était pas sans caractère, accusait la race et perpétuait la tradition. Puis les fouets reten- tirent, les fourgons s’ébranlèrent, et des nuages de poussière absorbant les nuages de fumée emportèrent les groupes aux quatre coins de l'horizon. Le lendemain à midi, heure solennelle où l’amant passionné de la lumière en avait salué les splendeurs, une affluence compacte d’amis en habits de fête, d’ac- teurs en habits de ville et de fonctionnaires en tenuese pressait dans la salle de récepfion. Voici le vieux Mayer, vêtu à la Klopstock, et l'improvisateur Hummel; voici l'incomparable découpeuse de silhouettes, l’amie de Mendelssohn, Mademoiselle Shopenhauer ; voici Gret- chen au bras de Faust; voici Herder ressuscité sous les traits de ses deux petites filles dont Goëthe avait doté la mère. Il y avait de l’humain en lui, à l’occasion il savait sortir de lui-même. Voici de Berlin un astronome dont le nom illustre m’échappe ; aurait-il relevé dans les astres quelque signe infaillible d’un sursis de longé- vité à l'adresse du patriarche? Quant aux quatorze enfants auxquels Wieland, père déjà de tant d’écrits, avait donné le jour, pas un d’eux, que je sache, n’y vint représenter son auteur. L’ignorance où j'étais de cette fourmillante tribu m’'empêcha de questionner notre vade mecum sur la vie ou la mort, la présence ou la dis- persion, le souvenir ou l’infidélité de ses membres. Les petits mêlés aux grands, les réminiscences théâtrales mêlées aux réalités de la vie imprimaient à cette réu- nion sous le toit d’un si éminent personnage un cachet — 140 — unique. Par exemple, à l'aspect de l’un des assistants les plus obséquieux et les plus irréprochablement cravatés, nous nous poussâmes du coude : — As-tu vu? — Lui ma foi? | — Lui en vérité. Dieux du Pérou et du Mexique, qui diable le fût venu chercher ici? Le point de mire de ces exclamations était un acteur subalterne, hier chef de sauvages dans le mimodrame des Incas, et qui nous avait fort diverti en brandissant d’un air de matamore sa massue autour de sa tête; et Je voilà désigné dans nos entretiens à venir sous le nom prestigieux de l’Homme à la massue. Aux présences royales suppléaient les envois royaux. D'une caisse timbrée aux armes de Bavière s'échappe un faune aux pieds de chèvre, moulage avant la lettre d’un antique exhumé des plus récentes fouilles d’A- thènes. Debout contre le cippe d’un buste colossal de Ju- non, son fils à droite, sa fille à gauche, le héros de la fête s’arrachait de temps à autre aux caresses de ses petits enfants, pour tendre à chacun de ses congratu- lants une main amie. Passé, présent, avenir, domi- nés par cette blanche ombre d’une civilisation évanouie, s’agençaient avec une harmonie dont le hasard seul ji sait les frais. Parlerai-je d’un banquet en l'honneur de l’anniver- saire, où les lettrés du pays firent assaut de harangues et de couplets? Nous n’y comprimes rien, et n’en pûmes apprécier le mérite que sur la foi de nos frénétiques applaudissements. Le thé du soir nous rappela, plus nb ete que le = AU matin, à la demeure festivale où David, après Goëthe, occupait la plus haute place. M. Coubard lui présentait, avec moins de discernement que d’ardeur, une série de postulants, les uns visiblement préoccupés de questions d'art et de poésie, les autres questionneurs plus ou moins soporifiques sur les embellissements de Paris ou le commerce de la France. Il gardait les premiers et me passait les seconds avec tous les semblants d’une considération sérieuse, heureux de s’en décharger ainsi à mes dépens ; et je lisais dans un coin de son œil bleu le succès de son espiéglerie. Le buste a triomphé de l'épreuve redoutable ; deux jours encore, et le camp sera levé. Déjà se produisent les symptômes avant-coureurs des adieux. Voici venir, son carton sous le bras, un jeune dessinateur, avec mission de Son Excellence de recueillir les traits du statuaire, insigne honneur qu’Elle ne décerne qu’aux plus marquants, aux plus aimés de ses visiteurs. Le jeune homme est de mise et de mine au-dessous de l'emploi; rien dans sa personne qui laisse présager un Cranach. Mais il est naïf, patience! Il dessine comme il sent, et de ce crayon d’écolier va sortir un portrait sans paraphrase ni tapage, et d’une telle sincérité que le maître enchanté en réclamera une copie. VI Et maintenant ce n’est plus sd/ve, c'est vale qu'il faut lire sur le seuil de la Frauenplan. Le digne M. Cou- bard ayant accepté ie mandat de surveiller l’emballage — 142 — du buste et de l’expédier à son adresse, nous pouvions, de confiance, reprendre le chemin de Paris où le ciseau l’attendait avec non moins d’impatience que le marbre. Au moment de quitter Goëthe, toutes les hésitations que je ressentis à introduire le lecteur près de cette solen- nelle figure se retournent, et me retiennent immobile et collé près d’elle. Pour y mieux échapper, je crois in- dispensable de brusquer la conclusion. De part et d’autre les cœurs étaient gonflés. David tendit sa main que le vieillard pressa en attirant sur sa poitrine cet ami de la dernière heure, dont le départ n’était pas dénué de pressentiments pour lui, et au bord de ses yeux, qui durant plus de deux semaines avaient tenu les miens baissés, je vis perler une larme. F4 Je reçus pour adieu sa médaille de bronze, et la garde.” Mais la postérité de David se disputera un paysage du poète largement esquissé à l'encre et au crayon, non pas dans lestyle italien qui avait toutes ses préférences, mais dans le goût plus rustique de Ruysdaël et d’Hobbema. En déposant la plume, je ne puis me soustraire à des appréhensions causées par le désappointement assez pro- bable du lecteur. D'un séjour à Weimar en telle con- joncture et en telle compagnie l’on avait droit de présumer une plus abondante récolte. Dix-huit jours près de Goëthe exclusivement à nous, libre et dispos, n'ayant rien de mieux à faire, dans les loisirs forcés d’une cap- tivité bénévole, que d’écouter et de répondre! L’inno- cuité de ma présence m’exonérait de toute gêne, j’élais là comme n’y étant pas. Je pouvais, à mon gré, discou- rir ou me taire, sur un fond d’entretien qui ouvrait à mes interpellations pleine carrière. En cas d’indiscré- — 145 — tion, j'avais la jeunesse pour excuse; à cet âge on pèse si peu! Sur la vie, sur les œuvres, les événements et les relations, les impressions de famille, les voyages et les rencontres, sur les mille incidents dont cette magnifique existence, miroir de deux siècles et de deux mondes était semée, je n'avais que le choix des interrogations. Au lieu de rester ici, de balbutier à voix basse des phrases inachevées, pour m’esquiver bientôt à toutes jambes et courir les taillis du parc avec les trépida- tions d’un chamois, que n’osais-je, que ne parlais-je ? Que ne mettais-je à profit l’occasion irrévocable ? Allons, jeune homme, hardiesse et confiance, et tu rapporteras au logis, pour les redire ou les écrire, mieux que des témoignages, mais de ces révélations marquées à ton empreimte, et qui seront comme la propriété inalié- nable de tes souvenirs. C’est manqué, je le sens, et je le regrette et m’en ac- cuse. Quant à celui auquel me liait un attachement fi- lial, dont j'ai suivi les pas, dont j'ai aimé la gloire, et dans les joies comme dans les amertumes duquel j'ai vécu, aurais-je réussi à faire soupçonner dans ces pages quelque chose de sa vibrante, soudaine et généreuse na- ture ? il est de ceux dont la figure est inséparable des œuvres; avec les siennes, ilrespire, se passionne, s’exalte, s'attriste et se réjouit, ou pour mieux dire, tout lui est œuvre, par son aptitude singulière à tout animer au- tour de lui. Il est lui non-seulement dans sa forme plastique et sculpturale, il l’est de toutes parts; il a sa langue, ses rapides et mobiles impressions éclatent dans un idiome qui lui est propre, Les dernières et cui: santes agitations de sa vie, sous le coup d'événements — 144 — imprévus, ont pu fausser, aux yeux de quelques-uns, l'expression de son caractère, et causer des méprises aux- quelles le monument civique inauguré dans sa galerie n’a, certes, pas peu contribué. Le buste en marbre de David, par Toussaint, d’une gestation si douloureuse et d’une apparition si tardive, après avoir lassé nos pa- tiences a déçu nos traditions. Nul n’en contestera ni la vigueur ni la science; mais où est l’homme que nous cherchons ? Qu’est devenu, sous le réalisme du relief et du modelé, cette organisation délicate minée par des secousses et consumée dans les mécomptes? Spus cette rude épiderme quels frissons électriques pourraient cou- rir, et quelle place dans cetæil résolu, mais d’une réso- lution sans génie, pour les effluves et les enjouements du regard? Mettez ce buste en rapport avec les créa- tions qui l'entourent et qu’il a pour mission de résu- mer : de Bonchamps à Philopæmen, de Racine à Ber- nardin de Saint-Pierre, toutes protesteront d’une même voix. Hallucination étrange! Lancé dans une fausse route, le disciple avoué de David a fatalement poursuivi sans se retourner en arrière, sans confronter son œuvre à ses affections, sans consulter son cœur sur l'identité du modèle que nul ne chérissait ni n’admirait plus que lui. Trois documents d’une portée bien supérieure à leur destination, et qu’il n’eût pas consultés sans profit, éclairent la physionomie du maître sous ses trois prin+ cipaux aspects. Le portrait si fin d’Ingres en fait parti- culièrement ressortir l'intelligence et la pénétration; dans celui de Crignier couvent les aspirations ardentes ; et qui échapperait à l'expression de mélancolie dont celui de Lehmann est si profondément empreint? — 145 — A ces trois éléments qu’il s'agirait de fondre et d’u- nir dans une œuvre définitive, le sculpteur à venir en ajouterait deux autres dont la date récente n’infirme- rait point la valeur : un profil en terre cuite signé Ro- bert David, où se retrouvent des indices précieux d’ob- servations filiales, et la toile où Hébert a réalisé le prodige dela transcription d’une photographie en idéal. Quoi qu’il en soit, quoi qu’il advienne, à l'heure où les perspectives s’altérent, il a semblé utile à l’obscur compagnon des voyages de Weimar et de Londres, de rectifier le point de vue en projetant sur David, dans la familiarité d’un récit, le reflet de ses sentiments, de son humeur et de ses pensées. Ici Goëthe revient avec le mot célèbre tant de fois répété, et d’une allusion si directe au motif déterminant de cette publication : Mehr Lichte. V. Pavrs. sÜC. D’AG. 10 ŒUVRES COMPLÈTES D'HORACE NOUVELLE TRADUCTION Par M, le docteur R. GRILLE. Messieurs, Si l'amitié pouvait rendre poète, Mes vers iraient à l'immortalité. Ainsi chantait il y a près de cinquante ans, dans une fête de famille, un de mes anciens compagnons d’en- fance. Permettez-moi de traduire librement en prose ces vers charmanis et de vous dire : Si l'amitié avait pu me faire assez latiniste, j’aurais regardé comme un devoir de vous rendre compte de l’ouvrage qu’a bien voulu nous dédier, à nous Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, notre savant et aimable collègue, M. le docteur Grille. C’est ainsi, inspiré par une vieille et bien vive amitié, que je n’ai pas hésité à parler dans une autre enceinte des Etudes médicales sur les poètes — 147 — latins par M. le docteur Prosper Mémière ; MM. Grille et Ménière sont depuis longtemps pour moi non seule- ment des confrères, mais de plus d'excellents amis. Rien ne manque au volume de M. Grille. Après une spirituelle et cordiale dédicace à notre Société, 1l fait un petit commentaire (c’est son expression) sur la vie d'Horace. Dés cette première ligne, je trouve matière à critique, car ce n’est pas un petit commentaire que nous donne M. Grille, mais bien un portrait complet et très-intéressant de son auteur favori. Horace est né à Venosa, ville d’Apulie, prés de la Lucanie, au sud-ouest de Cannes, le 8 décembre de l’an de Rome 689, c’est-à-dire soixante-cinq ans avant Jésus-Christ. Il eut pour pêre un homme de basse extraction, mais intelligent et sensé, qui pressentant dans l’imagination précoce de son fils les destinées qui devaient le porter si haut dans la carrière des lettres, ue recula devant aucun sacrifice, malgré l’état précaire de ses ressources, pour diriger et agrandir ses facultés intellectuelles. Avant de juger Horace par ses œuvres, dit M. Grille, parlons d’abord de l’homme physique. Il naquit avec un lempérament lymphatique et nerveux. Il avait les yeux malades, ou plutôt les paupières affectées d’une inflam- mation chronique dont il parle souvent et qui l’obligeait à se servir fréquemment d’un collyre noir : Hic oculis ego nigra meis collyria lippus Ilinire.…. dit-il dans son voyage à Brindes. Quel était ce collyre noir? se demande M. Grille. Une — 148 — préparation sans doute qu’il portait avec lui et que lui avait prescrite son médecin Antonius Musa. En ce point M. Grille donne une leçon à mon bon ami Méniëre, car ai ce dernier parle de la maladie palpébrale du poëte latin, il ne dit rien du collyre noir, probablement parce que lui aussi n’en soupçonnait pas la formule. Horace étudia à Rome chez Orbisius, rhéteur en renom, dont l’école était fameuse et fréquentée par les fils des chevaliers et des sénateurs; c’est là qu’il se ménagea pour l'avenir de puissants protecteurs qui assurèrent sa renommée et lui valurent plus tard de si hautes relations sociales. À part ses premières années, l'existence d'Horace fut douce et heureuse, grâce à la modération de ses désirs, à un revenu modeste, mais suffisant. Elle se passa tout entière dans le culte aimé des Muses, et reçut sa glorieuse consécration dela faveur publique, de l’amitié d’Auguste, de Mécène et des _ principaux écrivains de son époque, Virgile, Ovide, Tibulle, Properce. Horace devint, en vieillissant, sujet à des accidents ner- veux, qu’on a cru pouvoir attribuer à l'abus des plaisirs, etilacquit avec l’âge un embonpoint et une protubérance abdominale dont l’empereur Auguste se moqua souvent : Quand donc accouchera ce gros homme”? demandait-il en riant. Ce développement du ventre ne fut pas, selon M. Grille, le résultat de l’usage immodéré des vins et des mets, Horace usait de tout mais n’abusait de rien : c’était son précepte et sa morale. Il faut plutôt le rapporter à un effet de son tempérament, à la vie sédentaire parti- culière aux poètes, aux écrivains, et en général à tous les ouvriers de la pensée. Tont le monde ne compose pas — 149 — comme le poëête Daillière en se promenant, en courant, au milieu du bruit et de la foule, dit M. Grille, et il a raison, mais cela n'empêche pas que l’auteur d'André Chenier et de tant d'œuvres charmantes est loin d’avoir une taille parfaitement élancée. Horace était plutôt petit que grand : il blanchit avant l’âge; il était emporté, irascible, mais ses colères ne duraient pas longtemps car il avait bon cœur. Il ne se maria pas. Quels étaient ses traits? L’antiquité ne nous a légué que son profil gravé sur une pierre; on y cherche vainement la grandeur des lignes ou quelques caractères particuliers révélant de hautes fa- cultés. Il y a dans cette physionomie de la douceur et de la placidité; il s’y trouve moins d’énergie que de mollesse, moins d’élévation que de sensualité. Il mourut trés-rapidement le 27 novembre de l'an 746, âgé d’un peu plus de 57 ans; il est probable qu’il suc- comba à une hémorrhagie cérébrale à laquelle semblait le disposer sa corpulence. Horace, d’après le portrait que nous en fait M. Grille, petit, obèse, les yeux chassieux, ne peut être comparé sous le rapport physique ni à l’Apollon, ni à l’Antinoüs, mais il n'en est pas moins depuis dix-huit siècles, sous le rapportlittéraire, un des poètes les plus célèbres, les plus étudiés de l'antiquité; on formerait une bibliothèque considérable avec ce qui a été écrit sur lui; on compte par milliers les éditions de ses œuvres ainsi que les tra- ductions qui en ont été faites. Le jeune homme qui traduit Horace au collége com- prend peu la grâce de la versification, l’atticisme poé- tique, heureux choix des expressions, lorsqu'il cherche, — 150 — à coups de dictionnaire, le sens d’une phrase caché sous le laconisme des mots. Dans l’âge mür, l’homme est absorbé par la préoc- cupation de l’état qu'il a embrassé, par les soins de sa famille, par la gestion de sa fortune ; il n’a pas oublié ses études classiques, il cite Virgile, Horace, et ne les lit guère. Mais le temps marche, dit M. Grille, les idées se mürissent sous l'influence de l’âge et des épreuves qu’il amène à sa suite. Arrivent les déceptions, les chagrins, les désenchantements inséparables de toute existence humaine. On a cherché le bonheur, c’est le but de tout mortel. L’a-t-on rencontré ? Non, dans l’état parfait du moins et chacun pourtant, dans une voie diffé- rente, s’acharne à sa poursuite. De là une révolution dans lesprit et un retour tout naturel à cette douce philosophie que nous avions oubliée à l’âge des passions, et où nous ramène dans un âge avancé un invincible attrait. Où la retrouvons-nous? Dans Horace. Nous ve- nons, pélerins de la vie et fatigués du voyage, comme dans une oasis littéraire, nous distraire avec ce char- mant auteur, et, ses œuvres à la main, nous reposer du commerce des hommes en goûtant les pures jouissances de l'esprit. Ce que M. Grille pense et dit si bien, beaucoup. d’autres l’ont éprouvé avant lui, c’est ainsi que nous avons vu dans ces derniers temps et autour de nous J. Janin, comme Horace alors gai disciple d’Épicure, nous traduire l'esprit du poëête romain en y ajoutant les éclairs de sa vive et intarissable imagination, et Prosper Ménière, excellent médecin, gai philosophe, consacrer avec bonheur les quelques heures que lui laissaient PCR 2 D'RTT TE — 151 — libres chaque jour l'exercice de son art et la vie la plus agitée au milieu d'hommes politiques, de savants, d’ar- tistes, à la recherche dans les vers d’'Horace et des autres poëtes latins, de tout ce qui peut intéresser sous un rapport quelconque la médecine proprement dite, la physiologie ou les sciences naturelles. C’est ainsi enfin que notre collègue le docteur Grille a étudié pendant de longues années les œuvres du poëte, ami d’Auguste, et est parvenu à traduire littéralement en fort bons vers : cent trois odes en quatre livres; dix-huit épodes ; le poême en l'honneur d’Apollon et de Diane pour les jeux séculaires célébrés en 737; dix-huit satires en deux livres; vingt-deux épîtres en deux livres; plus l’épître aux Pisons nommée depuis l’Art poétique. Je voudrais, Messieurs, pouvoir vous lire tout le vo- lume de M. Grille, mais comme cela est impossible, permettez-moi de le parcourir en vous en signalant quelques passages. Notre Boileau a dit : C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur Pense de l’art des vers atteindre la hauteur; S'il ne sent point du ciel l'influence secrète, Si son astre en naissant ne l’a formé poète, et Horace a prouvé dès sa jeunesse que né poëte, son unique ambition était de rester poête, car il ter- mine par ces vers son ode à Mécène sur les passions humaines : Quod si me lyricis vatibus inseres, Sublimi feriam sidera vertice. — 152 — M. Grille traduit ainsi les deux vers qui précèdent : Si parmi les fils de la lyre, Mécène, ton choix m'a compté, Je me croirai dans mon délire, Égal à la divinité. Le traducteur est bien moins hardi que l’auteur lui- même, maisil est impossible de dire en français : « je frapperai les astres de ma tête sublime » et je crois que M. Grille a eu raison. Un auteur prétend que ce passage est tiré de Sapho; cela est irés-possible, mais la méla- phore n’en est pas moins plus que hardie. Dans l’ode IX à Thaliarque : La vie au jour le jour, nous trouvons la première pensée d’une vieille chanson qu’on chantait chez nousau dessert il y a soixante ans : Nous n'avons qu’un temps à vivre, Amis, passons-le gaiement, De tout ce qui doit nous suivre, N’ayons aucun noir tourment. Horace disait : Quid sit futurum cras, fuge quærere, et Quem fors dierum cumque dabit, lucro Appone. et M. Grille dit : Pour l'avenir, qu'importe ! Garde-toi d'y penser ; Ce qu'une heure t’apporte, Sache le dépenser. J’allais, je vous l’avoue, Messieurs, faire une querelle à notre cher collègue, et l’accuser d’avoir ajouté son — 193 — esprit à l’esprit d'Horace, pour terminer l’ode à Tha- liarque. Mais n'ayant sous les yeux qu’un Horace expurgé, je me suis demandé si je ne trouverais pas son excuse dans un Horace complet. Je n° me suis pas trompé, les vers de M. Grille sont une traduction libre de vers qu’on a supprimés dans le volume classique. On a craint sans doute d’éveiller dans l'esprit d’écoliers de quinze ou seize ans, quelques-unes de ces pensées sé- duisantes qui empêchent bien vite d'apporter lat- tention nécessaire à la traduction d’un passage de Cicé- ron ou à la solution d’une équation algébrique. Il faut l'avouer, Messieurs, Horace adressait trop souvent ses hommages à deux divinités qui étaient en grand renom dans son temps et que maintenant on n’ose même plus nommer dans le monde ; il étaitadorateur de Vénus et de Bacchus. Mais sa Vénus était la Vénus grecque, animée par le ciseau de Praxitèle et qu’on a surnommée la Pudique, et non cette Vénus effrontée, couverte de fal- balaset d’oripeaux, qui va raccrocher ses victimes dans la rue pour les exploiter et les ruiner si elle le peut; mais son Bacchus était ce Bacchus propre, de bonne compagnie, qui excite à une expansive et honnête gaîté, et non ce Bacchus barbouillé de lie qui assomme et abrutit. Ainsi que pour les derniers vers de l’ode à Thaliarque, on n’a pas voulu mettre sous les yeux de jeunes lycéens plusieurs des odes adressées à Pyrrha, à Lydée, Gly- cère, etc. J’en ai compté vingt-trois dans les quatre livres et je crois qu’on a bien fait, mais permettez-moi de vous lire celle à Chloé qui commence par ces mots dans le poëte latin : — 154 — Vitas hinnuleo me similis, Chloe, Quærenti pavidam montibus aviis Matrem..….. Puis je n’insisterai pas davantage sur ce sujet scabreux. Voici la charmante traduction de M. Grille : Telle une timide gazelle, De sa mère entendant la voix, Accourt palpitante auprès d'elle, Et cherche un abri sous les bois : Un bruit de feuilles l’épouvante, Le lézard rampant au buisson, Le zéphyr caressant la plante, Un rien lui donne le frisson. Ainsi d’une course légère, Tu me fuis; d’où vient ta terreur, Jeune fille à mon cœur si chère, Suis-je donc un loup ravisseur ? O ma Chloé, songe à ton âge, Pour toi, c'est le jour des amants ; Ta beauté veut qu’on rende hommage A tes quinze ans! Disciple d’Anacréon et d’Epicure, Horace aimait à sacrifier aux Grâces (vieux style), comme il aimait à boire son petit vin sabin sous les frais ombrages de son cher Tibur, mais parfois il s’élevait aux plus morales, aux plus généreuses pensées. (C’est ainsi que dans Vode VI du quatrième livre, l’un de ses chefs-d’œuvre, il démontre aux Romains avec les expressions les plus énergiques, à quelle cause il faut attribuer la dépra- vation de leurs mœurs. Voici la traduction que M. Grille a faite de cette ode. Quoique innocente, Ô nation romaine, : De tes, aïeux tu porteras la peine, Laissant crouler tant d’asiles pieux ; A leurs autels si de nobles statues, — 1955 — Objets de culte, enfin ne sont rendues, Crains la justice et le courroux des dieux! Si Rome au monde impose sa puissance, Que Rome aux dieux garde l’obéissance, Gage certain de sa prospérité ! Malheur à qui leur refuse l'hommage ! Malheur à qui leur prodigue loutrage ! Dans les revers c’est plonger Ja cité. Déjà deux fois, honte pour l'Italie ! Nous avons vu l’or de notre patrie Passer aux mains d’un insolent vainqueur ; Et profitant de luttes intestines, Plus d’un barbare à nos propres ruines Vint ajouter un fléau destructeur. Quel siècle impur, dans les mœurs quels ravages ! Il a souillé l'honneur des mariages, Flétri l'épouse, et la mère et l'enfant. Ah ! qui dira nos forfaits, nos misères ! Ce n'est partout qu'incestes, adultères, Dans tous les cœurs le vice est triomphant. Ils n'étaient pas de cette race infâme, Ces citoyens qui portaient dans leur âme Un indomptable amour de liberté ; Dont le courage asservit à l'empire Les rois soumis de Syrie et d'Épire, Et d’Annibal terrassa la fierté. Ceux-là sortaient d’une race héroïque, Forts rejetons, nés sous le toit rustique, Et fécondant le sol de leurs travaux : Le soir, rentrant au foyer de famille, Avec l’épi tombé sous la faucille, Ils rapportaient le bois mis en faisceaux, De l’avenir que faut-il qu’on espère ? - Avec le temps tout s'énerve et s’altère : De nos aïeux justement honorés, Le sang en nous peut-il se reconnaitre ? Et des Romains que ce siècle a vus naître Les fils encor seront dégénérés. — 156 — En écrivant ainsi pour les Romains dans les premiers temps de l’empire d’Auguste, Horace écrivait sans le savoir, mais en exagérant beaucoup le mal, pour notre malheureuse France d’aujourd’hui. Nous aussi, après avoir soumis non les rois de Syrie et d’Epire, mais presque tous les souverains de l’Europe, nous avons vu deux fois notre patrie envahie par les hordes étran- gères; nous avons vu naguêre toutes les horreurs, toutes les atrocités d’une guerre civile digne des sau- vages. Nous aussi après tant de misères, tant de ruines, nous sommes frappés d’un affaissement moral, espèce de stupeur, qui a laissé surgir des ambitions ridicules et malsaines, de tristes et bien détestables passions, mais la réaction se manifeste chaque jour, et, Dieu aidant, elle deviendra complète et générale. Le ressort patriotique de la France peut sembler fatigué par tant de malheurs, de trahisons, mais il n’est pas brisé, et sous l’impulsion d’une main capable, honnête et vaillante, il reprendrait bien vite toute son énergie, toute sa puis- sance. Quant à nos fils, j’en ai l’intime conviction, lorsqu'il s’agira de combattre à l’extérieur les ennemis de la France, à l’intérieur les ennemis de l’ordre, de la société, de la religion, ils sauront bien recommencer ce qu'ont fait nos péres! Admis dans l'intimité d’un empereur et d’un favori tout-puissant, Horace ne rechercha ni le luxe ni les honneurs. Simple, mais distingué dans ses goûts, d’une extrême modération sur ses désirs, il n’envie rien à personne pourvu qu’on le laisse chanter en liberté dans sa petite maison de campagne. C’est la plus douce phi- losophie qui inspire ses vers; on la retrouve avec tout — 157 — son charme dans la plupart de ses odes. Permettez-moi de vous en citer quelques exemples : Ode IL, liv. I‘, adressée à Apollon. Pour moi, coulant la plus humble existence, Je suis heureux, dans ma frugalité, De simples mets préparés sans dépense, Voilà mon goût, ma joie et ma santé. Du peu que j'ai, divin fils de Latone, Jusqu'à la mort fais-moi vivre content! Et le front ceint d’une verte couronne, La lyre en main, que j'expire en chantant! Ode XVE, liv. I, à Grosphus : À toi la pourpre de l’Afrique, Riches tissus, nombreux troupeaux! Sur un quadrige magnifique, Dirige tes brillants chevaux! A moi Tibur, à moi la lyre! Qu'une aimable muse m'inspire Des chants aimés de mes lecteurs! ? Des jaloux bravant les clameurs, Voilà le bonheur où j'aspire. Ode XVI, liv. III, à Mécène : Tu connais ma philosophie, 0 noble ami, cher à l’État, Et tu sais combien peu j’envie Le luxe et tout ce vain éclat, Qui sait borner sa jouissance Des dieux s’attire la faveur. N’avoir qu'une modeste aisance, C’est le secret du vrai bonheur, Avec le champ que je possède, Je vis encor plus fortuné Que celui qu’à toute heure obsède Des biens le désir effréné. — 158 — Un verger qui tient sa promesse , Une onde pure, un petit bois, Oui, voilà la seule richesse Que je préfère au sort des rois. Horace détestait les ladres et les avaricieux; il ne manque aucune occasion pour les traiter comme ils le méritent. Son ode XVIII, Liv. II, Non ebur neque aureum Mea renidet in domo lacunar, est entièrement dirigée contre les avares et se termine ainsi : Mais songe donc, sordide avare, Qu’on n'échappe pas au Tartare ; Sous tes pas s'ouvre le tombeau! Entre le luxe et l’indigence, Hélas! quelle est la différence Devant l'inflexible niveau? C’est à mon trés-grand regret, Messieurs, que je cesse de vous parler des odes traduites par notre collègue : plus on les lit, plus elles vous plaisent et vous attachent, mais ne pouvant vous citer tout ce qu’elles contiennent d’aimable, de spirituel, je m’arrêle en vous renvoyant pour le reste à l'ouvrage lui-même. Les épitres et les satires échappent encore bien plus à l’analyse ; on ferait un volume sur chacune d'elles, mais je me suis attaché à y rechercher plusieurs passages qui, traduits ou imités par nos plus célèbres auteurs, sont devenus des chefs-d’œuvre dans notre langue. Dans la satire III se trouve la première pensée de la tirade d’Ériante dans le Misanthrope, acte I], scène 1v: L'amour pour l'ordinaire est peu fait à ces lois, Et l’on voit les amants vanter toujours leur choix — 159 — Jamais leur passion n’y voit rien de blämable Et dans l’objet aimé tout vous parait aimable , dit Molière, et nous lisons dans M. Grille les vers sui- van{s : Jamais rien de choquant dans l’objet que l’on aime; On trouve un charme encor dans le défaut lui-même. Le père dans son fils voit la perfection. Il louche. un tour dans l’œil va bien à sa figure : C'est un nain... admirez sa gentille tournure! -J1 boîte. dans son pas rien de disgracieux, Et le pied bot n’est pas trop difforme à ses yeux. Qu'un ami soit avare.....… il songe à sa famille ; Häbleur, mauvais plaisant... c’est l’esprit qui pétille ; Rude et brusque... on dira franchise, loyauté, Et dans l’emportement....... simple vivacité. De l'amitié voilà l’esprit et le langage. Molière a de plus trouvé dans la satire IX du même livre, la pensée de sa comédie intitulée /es Fâcheux. Horace ne parle que de l'ennui que lui cause un solli- citeur qui s'attache à ses pas dans la rue et lui tient les plus insipides propos pour tâcher de se faire pré- senter à Mécène, mais Molière a écrit trois actes sur le même sujet et a fait entrer dans sa comédie un récit du chasseur à courre, du savant qui veut être chargé de la correction des adresses dans Paris, du rêveur qui veut mettre toutes les côtes de France en ports de mer, enfin du joueur de piquet, portraits tracés d’après nature avec toute la puissance du génie. La Fontaine de son côté a pris dans la satire III du Il‘ livre la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf; il a emprunté à l’épitre VII du livre [e° la fable du mulot et de la belette, à — 160 — l’épître X celle du cerf et du cheval; à la satire X du livre Ier le rat de ville et le rat des champs; enfin sa fable intitulée le Savetier et le Financier, n’est qu'un abrégé du charmant épisode de Philippe et Menas dans l’épitre VIT du livre Ier. Boileau a fait de nombreux emprunts à Horace. La satire VIII du livre II du poëte latin intitulée : Un Souper ridicule chez Nasidienus est devenue la satire IT du poëte français. Le cadre des deux pièces comiques est le même, mais les détails donnés par Boileau sont nécessairement appropriés aux hommes et aux habi- tudes de son temps. Le lièvre flanqué de six poulets étiques, sur lequel s’élevaient trois lapins domestiques Qui dès leur tendre enfance élevés dans Paris Sentaient encor le choux dont ils furent nourris, remplace le rôti de Nasidienus : Üne grue y trônait en superbe apparat; De farine et de sel largement saupoudrée, De filets de lévrauts elle était entourée; Et l’oie avait encore à ce mets excellent, De son foie apporté le tribut succulent. Puis, chef d'œuvre final, on sert à nos convives Les squelettes brûlés de pigeons et de grives. Un rapprochement assez singulier entre les deux repas ridicules doit vous être signalé. Chez Nasidienus on se plaint de ce que le vin grec n’a pas été mêlé d’eau de mer, Chium maris expers, et Boileau ne trouve pas de glace pour adoucir un vin aigre et nausébaond, Point de glace, bon Dieu! dans le fort de l'été! cd à — 161 — Entre l’eau de mer et la glace pour mêler à mon vin, le choix serait facile à faire. Dans son épître adressée à Julien Florus (épitre IE, livre I) Horace parle en quelques vers des bruits incommodes, des embarras, des soins divers qui l’em- pêchent de composer à la ville. Boileau y a trouvé le sujet de sa fameuse satire sur les embarras de Paris : Qui frappe l'air, bon Dieu ! de ces lugubres cris ? Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris? Enfin, Messieurs, que pourrais-je vous dire sur PArt poétique d’Horace et sur celui de Boileau? Nous avons bien souvent cherché à comprendre la beauté de l'Épître aux Pisons, et tous nous avons appris par cœur l'Art poétique de Boileau. Ge n’est pas par une simple ana- lyse qu’on peut se permettre de parler de deux sem- blables chefs-d’œuvre. M. Grille a placé, comme prologue, en tête de son vo- lume, un dialogue supposé entre Horace et lui. Horace commence par gourmander le traducteur : Quelle ardeur insensée et t’égare et entraine, Pauvre auteur ! t’attaquer à l’ami de Mécène! D'où vous vient, traducteurs, cette étrange manie ? Respectez les anciens! pourquoi les travestir ? En vain M. Grille reconnaît qu'une traduction ne peut jamais faire comprendre aussi bien que la lecture du texte tout le génie du poète; qu’il est impossible d'imiter en français la concision de la phrase latine. En vain avoue-1-il qu’il n’a recherché que la gloire de SOC. D’AG. al — 169 — rendre le sens des vers du poëte qu’il admire et de placer son nom à côté du sien, Horace lui dit pour der- nière conclusion : L'ambition t’égare, écoute un bon conseil : Laisse ton manuscrit dormir son lourd sommeil, Et qu'il n’aille jamais, d’une ardeur téméraire, Attendre un acheteur aux ravons d’un libraire! Crois-moi, fais-le plutôt peser chez l’épicier, Il a toujours pour toi sa valeur en papier; Aux lettres s’il ne peut offrir nul avantage, Pour le commerce il est d’un excellent usage. Horreur! N riposte M. Grille, qu'il soit plutôt consumé par le feu! 0 mes rêves dorés, faut-il vous dire adieu ? Me serai-je flatté d’un peu de renommée, Pour la voir aussitôt s’éclipser en fumée ? Amis, savant congrès, devant votre équité, Le grave différend en ce jour est porté ; Sous vos yeux, sans pitié, l’'éminent satirique Me décoche, en riant, son trait le plus caustique : M’accusant de porter atteinte à son honneur, 11 insulte à mes vers du haut de sa grandeur. Contre un injuste arrêt, ah! daignez me défendre ; Voyez à quels succès ma muse peut prétendre : Écoutez et jugez : l'instant est solennel ; Décidez de mon œuvre en ce dernier appel. Oui : Quel que soit mon sort, devant votre sentence, Poète résigné, je m'incline en silence. Notre Société, Messieurs, est bien coupable de n’avoit pas répondu plus tôt à l’appel si franc et si loyal de notre cher et savant collègue, et aujourd’hui votre président, après avoir mis sous vos yeux les pièces du différend, usant du privilége attaché au titre que vous lui accordez depuis si longtemps avec une si affectueuse — 4163 — insistance, croit devoir vous proposer l'arrêt suivant (excusez la prétention du mot) : La Société, Considérant le grand nombre de jours et de nuits que M. Grille a consacrés à l'étude approfondie des œuvres d'Horace; Considérant l'exactitude et l’élégance de la traduc- tion qu’il en a faite ; Considérant qu’une semblable traduction est, comme toutes les autres bonnes traductions d’Horace, d’une grande utilité pour ceux qui ne peuvent pas bien com- prendre le texte lui-même; La Société approuve complétement l’horreur qu’a dû inspirer au docteur Grille le conseil brutal d'Horace qui l’engage à porter son volume chez l’épicier ; dit que le docteur Grille, bien loin de jeter son ouvrage au feu, doit tout mettre en usage pour le propager et le faire connaitre. Elle décide, en outre, que les plus sincères et plus reconnaissants remerciements seront adressés au docteur Grille pour l'honneur qu’il a fait à la Société en lui dédiant sa traduction des Œuvres d’Horace, remercie- ments dont le président se trouve bien heureux d’être l’amical et chaleureux interprète. A. LACHÈSE. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 23 JANVIER 1874. Sont présents au bureau M. Adolphe Lachése, pré- sident, M. Belleuvre, secrétaire général. Le procès-verbal est lu et adopté. La correspondance contient une lettre de M. le Ministre de l'instruction publique et des Beaux-Arts, informant M. le Président qu’une réunion des délégués des sociétés savantes des départements aura lieu à la Sorbonne au mois d’avril 1874. Le Ministre, aux termes de l’arrêté du 25 décembre 1872, annonce qu'il a mis une somme de 3,000 fr. à la disposition du comité des travaux historiques pour être distribuée à titre d’en-. couragement soit aux sociétés savantes, soit aux savants dont les travaux auront contribué au progrès des sciences, M. le Président est prié de communiquer le plus tôt possible cette décision, afin que les personnes qui veulent prendre part à ce concours aient le temps de s’y préparer, Les Compagnies de chemins de fer mettent à la dis- position du Ministre un certain nombre de billets à prix réduits; M. le Président est prié d’envoyer au Ministre, — 165 — avant le 20 mars, la liste des délégués et des concur- rents : ces billets seront valables du 30 mars au 15 avril. L'an dernier les billets étaient adressés directement aux membres qui les avaient demandés; cette fois l'envoi se fera par l’intermédiaire du Président qui, en conséquence, invite les intéressés à faire connaître leurs noms à la séance de fin février, afin que M. le Prési- dent puisse écrire avant le 20 mars. M. le Président communique également à-la Société une lettre de M. Cherbonneau d’Alger, correspondant de l’Institut, par laquelle le savant historien remercie la Société de l'avoir admis dans son sein, comme membre correspondant, et par laquelle 1lse met au ser- vice de ses nouveaux collègues. M. le Président ne signale aucun nouvel envoi biblio- graphique à la Société ; mais il rappelle tous ceux qui nous sont parvenus depuis quelques mois et qu’il lui a communiqués, particulièrement les nombreux volumes, texte anglais, des Sociétés savantes américaines, que M. Théophile Cosnier veut bien accepter de parcourir et dont il rendra compte après examen. M. Eliacin Lachèse donne lecture de ses Souvenirs artistiques de 1836, et en présence de toutes les dé- faillances, suite de nos désastres, il s’écrie avec Dante : Nessun maggior dolore Che ricordasi del tempo felice, Nella miseria. Qu'est devenue au point de vue de l’art cette ville d’An- gers qui avait conquis le surnom si bien mérité de Ville Philharmonique ? Gette société qui lui avait prêté son — 166 — nom et qui plusieurs fois avait semblé renaître sous diverses formes, n’existe plus ; les directeurs de théâtre déposent leur bilan. De ces beaux jours il nous reste du moins le souvenir. En 1857 la Revue d'Anjou nous faisait l’énumération de tous les artistes distingués qui depuis 1818 nous avaient honorés de leur visite. En 1830 Angers avait déjà reçu Brod, élève de Vogt. Les souvenirs de M. Lachèse le reportent avec une prédilection marquée vers 1836 ; cette année, le fameux Vogt lui-même se fit entendre avec sa perfection habituelle sur le hautbois et sur le cor anglais. Comment ne comprendrait-on pas la religion du souvenir pour Vogt de la part d’un élève qui profitait si bien de pareilles leçons? Que M. Eliacin Lachèse nous pardonne cette parenthèse. Deux mois après, c'était, comme dit l’auteur de la notice, le Roi des Violonistes, le grand Baillot. Rien d’exagéré dans ces expressions. M. Lachése en appelle à un écrivain dont le nom autorisé signait un article dans lequel il laisse un libre cours à son admiration et va jusqu’à l’extase : cet écrivain était M. E. Talbot, aussi digne magistrat que musicien consommé. On demande à Baillot un second concert qu'il ne peut refuser ; il le donne au théâtre; la salle est comble et frémit sous les applaudissements, et Baillot craignant de lui avoir nui, se dérobe, et part abandonnant la _ recette au directeur, avec un cœur à la hauteur de son génie ! Heureuse année qui nous amena encore la charmante et habile Mme Pradher, l'actrice aux grâces décentes PP RER NT — 167 — comme l’appelait l’auteur de l’article qui l’annonçait aux Angevins, et alors dans tout l’éclat de sa beauté! Tout cela a passé comme un rêve et qu’il y avait loin de ces solennités musicales à ces soirées où la nécessité nous obligeait à faire venir, à l’aide de sacrifices sans mesure, des artistes étrangers que les incidents du voyage, ou les intempéries de la saison rendaient sou- vent méconnaissables, transformant nous-mêmes de cette manière ces réunions en entreprises de concerts publics ! La médiocrité en face de l'indifférence! Voilà les con- ditions de ce compromis qui remplaça les ovations d’une foule émue et l'enthousiasme inspiré par le vrai talent. Mais le feu sacré n’est pas éteint... 1l peut jeter de nouvelles flammes... l'art est encore cultivé dans quelques réunions privées. De généreux projets semblent prêts à se réaliser de concerts et de soirées périodiques. La Société philharmonique serait appelée à renaître et à traverser une êre nouvelle. Puisse l’art véritable n’avoir fait qu’une pause. J’ai voulu lire dans le passé, nous dit l’auteur en terminant; puissé-je, en émettant ces vœux, lire fidèlement dans l’avenir! M. Victor Pavie nous donne la suite attendue et dé- sirée depuis longtemps de son voyage à Weimar. Il nous fait voir, sous l'influence littéraire du xix° siècle et particulièrement sous le souffle du grand poëête dont elle est si justement fière, la nouvelle ville avec sa civi- lisation, ses monumenis et ses méandres, émergeant en quelque sorte des ruines de la cité féodale et mili- taire. M. Pavie et son illustre ami ont hâte d’user de — 168 — leurs puissantes recommandations, et d'arriver jusqu’à Goëthe. Mais que d'incidents et d’atermoiements jusque- là en face de cet esprit allemand que la souplesse ne caractérise pas précisément, et à travers lesquels se joue la brillante et originale imagination du narrateur ! Heureusement, si les artistes peuvent connaître l’im- patience surtout en face de ces événements qui font époque dans la vie, ils ne connaissent pas l’ennui. Le poète voyage avec son inspiration et ses rêves et le sculpteur observe des types nouveaux, dont il fera plus lard son profit. En attendant que David puisse étudier la tête puissante que son ciseau reproduira bientôt, d’autres apparitions passent sous le regard de son œil bleu et une jeune fille sur le seuil de sa porte ne se doute pas, avec ses belles nattes, blond cendré, qu’elle se dressera un jour dans le chœur de la cathédrale d'Angers sous le nom de sainte Cécile. L’incident de la rencontre d’un mouleur qui discute les conditions de l’argile a bien son intérêt, et M. Pavie met toute sa verve à le faire ressortir; mais le temps s'écoule, on ne peut encore approcher du Dieu de Weimar. On songe parfois à aller frapper au palais du duc, mais l'artiste a peu de confiance dans la protec- tion des princes de la terre. [l évoquerait plutôt l’ombre de Schiller avec son regard tendre et mélancolique. — Il n’y a de grand que ce qui souffre, dit le sculpteur, et celui dont j'aurai fait le buste en marbre m’oubliera un jour. Enfin l’on obtient la grande audience pour le lende- main à midi. — Il y a, dit M. Pavie, des journées séculaires. Enfin la porte s'ouvre... Goëthe attend et — 169 — paraît, dit l’auteur, dans le rayonnement de sa glotre rehaussé par la majesté de l’âge. M. Pavie nous donne du grand homme un trop beau portrait pour essayer de le reproduire par une froide copie. L'auteur nous parle de la faveur si méritée dont Goëthe était honoré à la cour, et de cette charmante oasis qu’il habitait, où le couple ducal le visitait par- fois et dans laquelle Charles-Auguste étudiait avec lui les sciences naturelles. Entre l'artiste et le poëte l'intimité commence à poindre au profit de l’art et de la postérité. Le lende- main c’est un jour de fête à Weimar. Une jeune fille d’auberge avait fourni ses nattes à David pour la tête de sainte Cécile, une mendiante avec sa harpe lui donne la pose de la sainte artiste. M. Pavie décrit l’anima- tion de la foule dans cette fête : les uns dansent, les autres boivent; puis des groupes de campagnards se forment pour jouer ce fameux loto allemand dans lequel on n’est pas victorieux à si bon marché que dans le loto français, et qui pourrait le disputer aux échecs, sinon en combinaisons, du moins en durée. La fête se termine par un dîner chez le grand poète de Weimar. Les deux amis reviennent à l’hôtel d’où M. Pavie sor- tira, nous l’espérons, bientôt pour nous communiquer ses nouvelles impressions et la suite de ses poétiques enchantements. L'ordre du jour appelle la lecture d’une pièce de vers par M. P. Belleuvre, sur la mort du peintre Henri Regnault, victime en 1871, à Buzenval, de son dévoue- nent héroïque à la patrie, quand tous les liens l’atta- chaïent à la vie et quand il était garanti des périls de 2440 la guerre par les motifs d’exemption les plus hons- rables. Ce touchant épisode de nos désastres excite les sympathies de l’Assemblée. Il est neuf heures et demie. — La séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 25 FÉVRIER. Sont présents au bureau MM. Adolphe Lachèse, PHÉSE dent, P. Belleuvre, secrétaire-général. Le procès-verbal est lu et adopté. M. le Président fait part à la réunion de la séance qui s’est tenue à l'évêché ces jours derniers, sous la prési- dence de Ms Freppel. Il s'agissait de discuter l’oppor- tunité de la fondation d’une université à Angers, et les chances de succès que cette fondation pourrait avoir. Celte réunion comptait un grand nombre des délégués des départements et des diocèses qui nous environnent. Dans le clergé, ont pris la parole : M. Maricourt, cha- noine titulaire, et M. l’abbé Bourquard, qui a lu sur cet objet, un travail remarquable. M. l'abbé Bourquard a été invité par M. le Président à nous faire la lecture de ce mémoire à la prochaine séance, et sur la proposition de M. Adolphe Lachèse, la Société décide qu’elle offre à MM. Maricourt et Bourquard letitrede membres hono- raires de la Société. Cette proposition réunit tous les suffrages.Parmiles laïques, Monseigneur a donnéla parole àM. Cosnier qui, depuis longtemps déjà, avait pris l’imi- tiative sur ce projet; et M. Gosnier a développé avec — 171 — lucidité et talent, les motifs qui doivent nous encoura- ger dans cette grande et noble institution et les moyens d'arriver à sa réalisation. M. le Président invite les membres de la Société, dé- sireux de faire partie des délégués qui la représente- ront aux séances de la Sorbonne, à faire connaître leurs noms. M. Godard père, qui doit lire à cette séance un nouveau mémoire sur les fouilles de Frémur, est natu- rellement inscrit en première ligne; M. le docteur Hippolyte Godard, son fils, se propose de l’accompagner, s’il n’est pas retenu par des circonstances impérieuses, trop faciles à prévoir pour un médecin; M. de Salies, M. Théoph. Cosnier et M. Paul Lachèse, joignent leurs noms à ceux de leurs collègues, et espèrent pouvoir se réunir à eux. Enfin, un des délégués est prié de porter le même titre à M. Henry Jouin, résidant en ce moment à Paris, et reconnu si digne par la Société de figurer parmi ses représentants. A propos des séances de la Sorbonne, M. le Prési- dent rappelle que la clôture du concours de notre Société d'agriculture, sciences et arts, est définitivement fixée au 4er avril prochain. M. Adolphe Lachèse expose que M. Godard poursuit sans repos et sans relâche, les fouilles de plus en plus fécondes des Châteliers. Le zèle de M. Godard est iné- puisable, et le crédit qui lui a été accordé précédem - ment, se trouve insuffisant. Mais la Société, pouvant en ce moment disposer de la somme qu’elle attribue chaque année à la Commission archéologique, s’em- presse, sur la proposition de son Président, d’en faire — 172 — l'allocation aux fouilles dirigées par M. Godard, ne trou- vant pas possible de lui donner un meilleur emploi. M. Paul Lachèse était inscrit à l’ordre du jour, comme devant lire une Notice sur Philibert de Nérestan, tué au combat des Ponts-de-Cé, au service du roi Louis XIIE, le 7 août 16920. M. Belleuvre, en l’absence de M. le Secrétaire, donne lecture de ce travail à la réunion. Tout le monde rend hommage aux intelligentes re- cherches de l’auteur et à son intéressante étude. M. Godard-Faultrier, aux termes du réglement, pour le Concours de la Sorbonne, devant lire son Mémoire préalablement, devant une Société savante ou littéraire, est invité à communiquer ce travail aux membres présents. M. Godard fait de la manière la plus lucide la description des nouvelles conquêtes poursuivies sous sa direction, sur le domaine ouvert à ses savantes explora- lions. Un grand nombre de dessins de M. Hippolyte Godard, et particulièrement une vue d'ensemble non moins ré- marquable par le calcul de la précision que par le côté artistique, jettent sur le théâtre de cette exploita- tion une puissante lumière, et en rehaussant l’intérêt de ces travaux, viennent révéler, en même temps, chez le dessinateur un talent que sa modestie avait essayé de dérober trop longtemps aux regards de ses amis et de ses compatriotes. MM. Godard père et fils reçoivent donc toutes les fé- licitations de leurs collègues. Aux termes du Mémoire de M. Godard, les construc- tions du camp de Frémur sont considérées comme des — 173 — fortifications qui garantissaient les populations gallo- romaines du v° siècle contre les attaques des Barbares. Toutefois, M. d’Espinay, se fondant sur un passage de l’histoire de Grégoire de Tours, remarquant la disposi- tion des anses, des îles et presqu’îles du littoral, et rap- pelant les habitudes nomades des Normands du ix° siècle, qui avaient soin de n’habiter que sur le ri- vage, prêts à partir et à s'embarquer au premier cri d’a- larme, se demande si ces travaux de défense n’appar- tiendraient pas plutôt, dès le v° siècle, à des hordes normandes qu'aux populations gallo-romaines. En face de cette hypothèse, M. Godard répond que M. Quicherat a fait dans un grand nombre de localités diverses des études de castramétation, et il se retranche derrière l'opinion de M. Quicherat, dont il a suivi le système et les idées en les appliquant aux anciens habitants de ces contrées. | L'ordre du jour appelle la lecture par M. Pavie de la fin de son travail sur Goëthe et David. M. Pavie n’ayant pu lui confier son manuscrit, le Secrétaire a le regret de ne pouvoir s'étendre, comme il l’eùt désiré, sur celte remarquable composition. Cette troisième et der- nière partie a pour objet les séances de l'atelier du sculpteur. L'arrivée de deux Slaves joue dans cette pé- riode un rôle important. Là commence un entretien sur les nouvelles et les célébrités du moment. Le nom du barde lithuanien Michiewicz est prononcé avec enthou- siasme et admiration. L’un des interlocuteurs possède chez lui, comme un fétiche, le portrait du poëte. « Le portrait n'est guères ressemblant, s’écrie l’un des slaves, qui était Michiewiez lui-même. — « Ah! je vous tiens, — 174 — lui dit David, et bien chantez-moi quelques-uns de vos poèmes et je m’engage à vous faire un portrait fidèle. » Les deux artistes échangérent leurs œuvres sublimes. Le lendemain, Goëthe apparaît, pose pour son propre buste, ou du moins, en attendant, pour son médaillon. Le marbre lui sera offert à Paris. Le lendemain, en plein atelier, les pensées s’échangent comme la veille. On parle de la croisade romantique de Victor Hugo,et puis des représentants de la science, tels que Cuvier et Geof- froy Saint-Hilaire. Notre grand sculpteur comprend et reproduira toutes les gloires : « J’ai fait Bonchamps, dit- il, je ferai Marceau. » Puis, ce sont les progrès incessants de l'œuvre nou- velle. Goëthe devient de plus en plus ressemblant et vi-« vant. M. Pavie nous fait passer par toutes les phases de cette création; et lui qui était si bien là dans son élé- ment d’art et de poésie, il se dérobe, dans un excès de modestie impardonnable et se sauve embarrassé de ce rayonnement du dieu de Weimar. Dans l'atelier survient un jour le chevalier Hummel, brillant élève de Mozart; on va lui faire visite le lende- main, il se met au piano, et il fant entendre en quels termes l’auteur décrit les improvisations du grand ar- tiste. Et la visite au champ de bataille d’Iéna ! point de statistique, à quoi bon! mais quelles impressions! Mic- chiewiez s’ÿ retrouve aussi; Michiewicz, qui allait res- sentir tant de perplexités dans ses croyances et retrou- ver, Dieu merci, la foi à Rome Et à propos du poëte lithuanien, une parenthèse à l'adresse des braves Polonais que l’auteur retrouva à Angers : le beau et noble Ostrowski, dont le front por: — 175 — tait une ineffaçable cicatrice, Kajciewicz, balafré comm e Ostrowski et Rettel ; puis l’auteur avec son illustre ami, revient à Îéna pour y assister à la représentation de Faust et au 80° anniversaire du poète célébré par les étudiants de cette ville. Après cette lecture, M. Pavie reçoit de ses collègues et de ses amis dans de chaleureux serrements de mains de nombreuses marques de félicitation et de sympa- thie. Il est neuf heures trois quarts, la séancé est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE, HI —— ft VALUE EU ANS MÉMOIRES DE LA NOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIX-SEPTIÈME (1874) — Ne: 2, 3 et 4 ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÈÉSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU Chaussée Saint-Pierre, 13 1874 SUR LA NÉCESSITÉ DE GROUPER Dans un même centre d'études LES DIVERSES FACULTÉS D’UNE UNIVERSITÉ LIBRE Messieurs, En m’appelant à faire partie de la Société d’Agricul- ture, Sciences et Arts d'Angers, vous m’avez déféré un honneur qui n’est justifié par aucun titre. Je suis amené à tout rapporter à votre extrême bienveillance et aussi peut-être au désir dont vous me jugez animé de servir au milieu de vous la cause de la restauration d’une Université catholique libre dans la ville d'Angers. Cette cause, qui a pris de si vastes proportions sous l'initiative et l'impulsion de votre éminent Évêque, est, je ne le cache pas, l’une de celles dont le succès me tient le plus à cœur, parce qu’elle aura d’immenses résultats pour le pro- grès des bonnes études en général, pour la gloire de SOC. D'AG. | 12 CHENE 4 — 178 — notre pays et de la sainte Église, et aussi pour la pros- périté de votre ville en particulier. Un fait incontestable, c’est que la restauration des Universités libres dans les différents pays où le haut en- seignement se trouve exclusivement placé sous le régime de l'État, est non-seulement un besoin, un droit sacré, mais encore un impérieux devoir. Quel pro- grès peut-on espérer pour la science dans un régime qui consiste à patroner, à imposer des erreurs et des préjugés d’une autre époque ? Quelle garantie y a-t-il pour les pères de famille dans un désarroi doc- trinal si complet qu’il ne laisse plus même subsister la plus fondamentale de toutes les vérités, l’existence de Dieu? Après vingt-cinq années de liberté de l’enseignement secondaire, où sont les résultats que l’on était en droit d'attendre d’un aussi salutaire chan- gement ? Des faits récents ne viennent-ils pas nous four- nir la preuve lamentable que les établissements officiels d'instruction secondaire n’ont nullement amélioré leur esprit ? Quant aux écoles plus élevées où l’onse prépare à la conquête des grades universitaires et aux diverses professions libérales, n’ont-elles pas le tortimmense de négliger absolument la discipline et la direction néces- saire des jeunes gens, pendant la période la plus tour- mentée de la vie, et de ne verser dans les différentes carrières sociales, que des contingents ajustés au même niveau de préjugés historiques, politiques et religieux ? C’est donc un devoir impérieux, pour tous ceux qui ont à cœur l'avenir de notre pays, de travailler dans la me- sure de leurs forces à corriger des résultats aussi défec- tueux, par l'établissement d’Universités libres, réguliè- — 179 — rement instituées et légitimement mises en possession de la faculté de conférer des grades. En appuyant de toute l’autorité de leur parole et de l'activité de leur zèle les efforts dirigés vers ce but, les évêques de l'Église catholique et tout particuliérement Monseigneur l’évêque d'Angers, ne font que reprendre l’œuvre de restauration religieuse, réalisée autrefois par l'Église au moyen âge. On vit alors la société profon- dément ébranlée par les grossières erreurs de l’isla- misme, par la défection de l'Orient qui venait de tom- ber dans le schisme, par les aberrations immorales des sectaires manichéens et albigeois, se presser aux portes des universités, s’abreuver aux sources des diverses sciences, alors qu’elles se rapportaient toutes à une com- mune fin, à un seul et même centre, la vérité révélée. On vit s'élever ce magnifique temple, où les sciences pro- fanes, comme les gerbes du songe de l'antique Joseph, rangées autour de la science sacrée, s’inclinaient vers elle et lui rendaient hommage. Et ce résultat n’était nullement amené par quelque enthousiasme religieux ou par l’absence de l'esprit scientifique, mais il s’ap- puyait sur une base solide, sur une philosophie emprun- tée à Aristote, débarrassée, à la lumière de la foi et avec la pleine liberté de la science, des erreurs et des imperfections qui lui venaient de son auteur ainsi que des altérations commises par les philosophes arabes et Juifs de ce temps-là. On en était redevable à cette philoso- phie scolastique qui jusqu’à l’époque actuelle n’a pas cessé d’être enseignée dans les écoles de l'Eglise, et a toujours été jugée par les docteurs les mieux autorisés comme l'instrument le plus parfait pour établir et pour défendre — 180 — les grandes vérités de l’ordre naturel qui servent de préambule à la foi, et aussi pour exposer scientifi- quement les sublimes vérités révélées qui sont spécia- lement l’objet de la théologie. Dés les temps les plus anciens, il ya eu dans l'Église des écoles où se préparaient les jeunes clercs avant leur admission aux ordres sacrés. Ces écoles portérent tout d’abord le nom d’Écoles épiscopales. Dés la fin du v* siècle on en comptait de très-florissantes ; on citait surtout dans notre pays, celles de Poitiers, de Ligugé, de Paris, du Mans, de Bourges, de Vienne, de Châlon, d'Arles et de Gap. À Clermont il y avait outre l’École épiscopale, une école de droit, où l’on enseignait le code Théodosien. Bientôt les écoles monastiques rivalisérent avec les écoles épiscopales. Elles furent ouvertes, dès le commencement du vi° siècle, dans nos plus célèbres abbayes, et notamment sur tous les points où s'étaient établis les bénédictins. Mais sous les derniers Mérovin- giens ces écoles eurent beaucoup à souffrir. Elles se fermèrent à peu près toutes , par suite du triomphe de l'Austrasie sur la Neustrie, lorsque les farouches Aus- trasiens, s'emparant des monastères, y firent taire toute espèce d'enseignement et transformèrent en écuries pour leurs chevaux les auditoires et les salles d'études. L’é- poque de Charles Martel fut la plus désastreuse pour la culture des lettres. Mais avec Charlemagne commence une ère nouvelle. Il inaugura une triple réforme dont la nature même nous montre combien le mal était pro- fond. Il réforma l'écriture en veillant à une copie plus exacte des manuscrits sans cesse altérés et surchargés par des copistes ou des annolateurs ignorants. Il dé- — 181 — clara obligatoire pour tout le clergé la connaissance de la lecture et du chant. Enfin il prescrivit aux évêques d'ouvrir dans chaque ville épiscopale des écoles supé- rieures pour les jeunes gens qui auraient terminé le cours d’études appelé quadrivium. Malheureusement l'établissement de la féodalité arrêta l’impulsion donnée aux études par Charlemagne. En devenant seigneurs féodaux, les évêques furent engagés à se mêler aux affaires du siècle, de manière à négliger par trop les intérêts plus élevés de la vie intellectuelle. L'éducation passa tout entière dans la main des moines et du clergé formé dans les grandes abbayes. L'école du Bec en Nor- mandie où enseignait Lanfranc, celle de Reims où brilla Gerbert d’Aurillac avant de monter , sous le nom de Sylvestre II, sur le trône pontifical, celle de Chartres tenue par Fulbert, plus tard évêque de cette ville et qui eut pour auditeur ce Bérenger connu dans voire ville par ses audaces contre le dogme de l’eucharistie, telles sont les écoles qui ont alors une grande renommée. A Paris l’abbaye de Saint-Victor était un centre d’é- tudes très-fréquenié. Cependant nous devons men- tionner encore, outre l’école épiscopalé qui se tenait près de Notre-Dame, les écoles de Sainte-Geneviève et celle des bénédictins de Saint-Germain-des-Prés. L'école théo- logique de Paris avait alors une célébrité incomparable. Cette haute réputation daitait de la fin du xr° siècle, époque à laquelle Godefroy de Boulogne, évêque de Paris, avait créé une chaire de théologie qui fut succes- sivement occupée par Lanfranc, par Guillaume de Cham- peaux et par Abailard. « Pour connaître, dit Orderic Vital, l'historien anglais des Normands, le génie admi- — 182 — rable et les talents de Lanfranc, il faudrait être Héro- dien dans la grammaire, Aristote dans la dialectique, Cicéron dans la rhétorique, Augustin et Jérôme dans les Saintes-Écritures. » C’est autour de cette chaire de théologie que se groupérent peu à peu les diverses cor- porations de maîtres et d’élèves qui prirent plus tard le nom d’Université que leur confirma la bulle d’Inno- cent III. Ce pape, autrefois Lothaire Trasimondo, était venu lui-même étudier à Paris et avait conservé une perpétuelle reconnaissance à cette ville qu’il appelait « une source de toute sagesse. » C’est pourquoi il char- gea le légat Robert de Courçon de rédiger et de pro- mulguer les statuts de l’Université de Paris, qui devint bientôt l’une des plus florissantes du monde. De même que l’on venait à Bologne pour étudier le droit, à Sa- lerne pour étudier la médecine, ainsi l’on venait à Paris écouter les maîtres illustres qui enseignaient dans la faculté des arts, dans la faculté du Décret, dans la faculté de théologie et qui constituaient avec leurs nom- breux élèves une corporation civilement reconnue. Le nombre des professeurs ou maîtres de l’Université s’é- leva jusqu’à mille etle nombre des élèves varia de trente à quarante mille. Au point de vue doctrinal, l’Univer- sité, corps ecclésiastique et laïque, relevait du grand chancelier qui la gouvernait au nom de l’Église. Le régime du personnel était sous la main du recteur, lequel avait au-dessous de lui les doyens des diverses facultés. Les doyens étaient à la tête des docteurs ou maîtres en exercice, doctores actu regentes ; après eux venaient les simples gradués, soit docteurs, soit licen- ciés, soit, bacheliers. Cette institution dura jusqu’en { — 183 — *s 4794. La Faculté de théologie qui avait été le noyau de } Université de Paris était lelien des autres Facultés, elle devint sous le nom de Sorbonne leur principale gloire et disparut sur un décret de la Convention, du 20 mars 4794, qui supprima l’Université. Il est inutile de dire que le clergé avait fondé la plupart des colléges de Paris et les soutenait par ses dotations et ses libéralités. C'est avec ces secours du clergé tant séculier que régulier que furent élevés, soit dans les anciennes abbayes, soil dans l'Université, un grand nombre d'hommes qui seront l'éternel honneur de la France et de l’Église. Nommons d’abord au xe siècle Gerbert qui, d'enfant trouvé sur le seuil d’un couvent à Aurillac, devint plus tard précep- teur des rois, puis pape sous le nom de Sylvestre IT; au xr° siècle, saint Anselme , archevêque de Çantorbéry; au xre, Pierre Lombard et Maurice de Sully, tous deux évêques de Paris ; au xiv° siècle, Gerson, qui devint grand chancelier de l'Université ; auxv°, Amyot, le tra- ducteur de Plutarque qui mourut évêque d'Auxerre; au xvie, Rollin, réputé le saint de l’Université; au xvue, Vauban, orphelin sans fortune, et Laharpe, simple boursier au collége d'Harcourt. Et tous ces illustres parvenus avaient été promus à de hautes po- sitions avant que la fameuse Déclaration des droits de 1789 eût stipulé : « Que tous les citoyens sont égale- ment admissibles à toutes dignités, places, emplois pu- blics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » _ Cependant l’on s’abuserait étrangement si l’on croyait que l’Église ait jamais été imbue d’un préjugé du temps actuel qui auprès du vulgaire a la force d'un — 184 — axiome. Selon cette opinion l'éducation doit avant tout et par-dessus tout former l’homme pour la vie présente, pour le succës de sa carrière terrestre, sans se préoc- cuper de son éternelle destinée. Au point de vue chré- tien au contraire, le but principal et supérieur de l’édu- cation, celui qui doit toujours être atteint, c’est la for- mation de l’homme pour une fin surnaturelle, pour une destinée placée au delà de la vie présente, laquelle n’est à tout prendre qu’une école préparatoire de la vie éternelle. C’est là précisément l’idée qui a présidé àla création des Universités et qui a conquis pour ces institutions le haut patronage de l’Église. De ce principe que toutes les vérités sont sœurs et ne présentent que des faces diverses d’une seule et même vérité, suivait naturelle- ment l'alliance de toutes les sciences et leur intime re- lation avec la théologie, la première de toutes, tant par son objet que par sa fin. De là le groupement des di- verses Facultés de l’Université autour de la Faculté de théologie, et l'immense renommée que son enseigne- ment donnait à certaines écoles, par exemple, à l’École de médecine de Salerne, à l’École de droit de Bologne, à l'École des arts de Paris. C’est encore aujourd’hui la même situation à restau- rer, le même besoin à satisfaire. Les chaires élevées dans la Faculté des lettres ne sauraient être placées à distance des chaires des autres Facultés. La connais- sance des littératures classiques, la philosophie, l’his- toire, la philologie, constituent un fonds commun de savoir, absolument indispensable pour entrer dans les diverses carrières auxquelles aboutissent l'étude de la — 185 — médecine, la science du droit et de la théologie. Qui pourrait dire toute l’importance qu’a prise aujourd’hui l’enseignement de l’histoire? En affirmant que depuis trois siècles l’histoire est une conspiration permanente contre la vérité religieuse, Joseph de Maistre a trouvé de l’écho dans un académicien du temps actuel, peu suspect de cléricalisme, dans M. de Rémusat dont voici les paroles : « Depuis de longues années l’histoire a été été écrite avec sévérité pour l’Église. Les adversaires de l’Église l’ont calomniée, tantôt au nom du pouvoir, tantôt au nom de la liberté ‘. » C’est encore le sens de cet aveu de M. de Tocqueville, beaucoup plus dégagé que M. Guizot des préjugés de l'esprit de secte : « La restauration de la science historique, dit-il, est la res- tauration de la grandeur de l’Église catholique. » Et en effet, Messieurs, il n’y a qu’une seule philoso- phie de l’histoire, c’est celle qui se plaçant au point de vue chrétien, juge les hommes et les choses d’après leur influence sur les progrès du Christdans la race humaine; c’est celle qui est le commentaire de ce mot de Bossuet : « Tous les événements de l’histoire concourent à la con- servation et à l’extension de l’Église catholique. » On conçoit que Voltaire ait essayé de le réfuter par cette longue calomnie que l’on appelle l’Essaz sur les mœurs et l'esprit des nations. L'histoire, où les clercs et les re- ligieux avaient autrefois moissonné tant de gloire, est un champ qui a élé envahi par nos adversaires, et peu s’en faut qu’ils ne nous en aient complétement expro- priés. Heureusement il n’est pas facile d’anéanüir le 1 Saint Anselme, par Ch. de Rémusat. — 186 — passé chrétien de notre pays et de contester que les mo- numents de nos antiquités nationales aient été pieuse- ment recueillis par des clercs et des moines. Qui ne sait que la seule congrégation de Saint-Maur a rassemblé les trois quarts des matériaux de notre histoire? Mais en voyant avec quel acharnement on continue à calomnier le moyen âge chrétien, à rendre odieux le rôle de l’É- glise, à diminuer les grands papes de cette époque, à exalterl’islamisme, à se moquer des croisades et de notre grand roi saint Louis, à présenter la prétendue réforma- tion du xvie siècle comme un grand progrès de l'esprit humain, à s’indigner hypocritement devant cette orga- nisation préventive et correctionnelle de la police des doctrines, appelée l’inquisition, à imputer aux seuls ca- tholiques tous les maux amenés par les guerres dé reli- gion, par le massacre de la Saint-Barthélemy et la révo- cation de l’éditde Nantes, pour terminer invariablement par une apologie mal déguisée des plus grands crimes de la Révolution française, il n’est point d'âme honnête qui ne comprenne la nécessité pressante de relever au plus vite une chaire de la véritable histoire de France dans une Université catholique. [l faut en dire autant de l’enseignement de la philosophie. À aucune autre époque peut-être ne s’est plus tristement révélée l’ab- sence de solides connaissances philosophiques dans les classes dirigeantes. Il faut remonter jusqu’à l’époque de Socrate pour trouver un pareil abandon des principes et une domination de la sophistique plus impudente et moins disputée. Où voit-on la logique régler une discussion et faire bonne justice de ces quelques mots mal définis sur lesquels une certaine opinion dominante prétend asseoir l’ordre moral tout entier? [l y a donc un besoin urgent de restaurer dans une Université ca- tholique l’étude sérieuse de la logique, non-seulement parce que la logique est l'instrument commun de toutes les sciences, mais encore parce qu’elle est dans la main du jeune homme une vraie massue d'Hercule, pour écraser les monstres de la sophistique contemporaine. Mais à une bonne logique doit se rattacher une bonne métaphysique. Par une analyse correcte de la nature de nos idées, le jeune homme est introduit dans le monde des substances, des causes, des lois des êtres ; il est armé par conséquent contre les désastreuses erreurs de notre temps, contre le positivisme et le matérialisme, contre le panthéisme et le darwinisme et toutes ces formes dé- guisées de l’athéisme, erreur qui infecte de ses poisons les classes élevées et les classes populaires. Après avoir relevé la chaire d’histoire et la chaire de philosophie, il faut que l’Université catholique restaure aussi parmi nous les études philologiques. Cela est sur- tout nécessaire dans un temps où les travaux des étran- gers, des Humboldt, des Steinthal, des Max Müller, des Bopp et de tant d’autres, semblent accréditer l’opi- nion que la France abandonne encore à la Prusse la province des sciences philologiques, où les savants bénédictins français avaient autrefois recueilli tant de gloire. Non loin de ces diverses chaires de la Faculté des lettres, il faut que l’Université catholique établisse la Faculté des sciences. Serait-il possible d'oublier tout ce que le clergé a fait dans le passé pour l'avancement des sciences ? Rappeler les noms des Gerbert, des Abbon — 188 — de Fleury, des Vincent de Beauvais, des Albert le Grand, des Roger Bacon, de Nicolas de Cusa, du chanoine Copernic, des PP. Jésuites Leurechon et Mersenne, du P. Mariotte, de l'abbé Nollet, de l'abbé Haüy, du P. Ber- tholon, de l’abbé Moigno et enfin du P. Secchi, le pre- mier peut-être des astronomes contemporains, c’est faire, pour ainsi dire, l’histoire des sciences. D’ailleurs il n’est nullement profitable au caractère de ceux qui cultivent les sciences de se trouver trop éloignés des littérateurs et des théologiens. En se renfermant trop exclusivement dans leurs recherches, ils perdent de vue les vérités de l’ordre moral et religieux, et l’on voit ainsi s’atrophier en eux les sentiments ainsi que les facultés qui font la vraie grandeur de l’homme et desquels dé- pend son avenir éternel. Pour le savant chrétien, le monde a Dieu pour auteur, Dieu pour exemplaire éternel, Dieu pour législateur et enfin Dieu pour fin. La science de la nature devient une science religieuse — la science de l’œuvre de Dieu — et fournit aux vrais savants, aux Keppler et aux Newton, un continuel avertissement de remonter jusqu’à Dieu. Qu'est-ce au contraire que le monde visible pour le savant destitué de toute base religieuse, sinon une espèce de caléïdoscope, un tableau changeant des transforma- tions de ce Protée que l’on appelle la matière ? En s’in- terdisant tout raisonnement sur la cause première, le savant imbu des préjugés positivistes ou matérialistes, ne saurait tirer aucune joie de ses découvertes, nis’in- téresser aux progrès d’une science dans laquelle tout devient relatif, hypothétique et conjectural. La Faculté des sciences ne saurait mieux s’avoisiner — 189 — que de la Faculté de médecine. Comment la science médicale ne serait-elle point enseignée dans une Univer- sité catholique? Est-il possibleaux chrétiens d'oublier que la médecine se présente sous le patronage de saint Luc, des saints Cosme et Damien, de saint Césaire, de saint Malo, de saint Magloire et de saint Prix? En 1080, les bénédictins avaient fondé à Salerne en Italie la première grande école de médecine des temps chrétiens. Bien que l'Église ait interdit aux clercs en différents conciles la médecine opératoire, on ne voit pas que les clercs aient complétement négligé jusqu’en ces derniers temps de s’occuper de la science médicale. Qui se douterait aujourd’hui que l’association des médecins de Paris qui constitua en 1270 le noyau de la Facullé de médecine, ait été tout entière composée de gens d’Église ? Ce fut au xive siècle seulement que la médecine commença à se séculariser et au xvi° que cette sécularisation s’a- cheva. Et pourtant le premier médecin d'Anne d’Au- triche, (laude Séguin, était un prêtre, ainsi que l’abbé Chirac, premier médecin de Louis XIV, l’auxiliaire dé- voué de l’évêque Belzunce, pendant la terrible peste de Marseille. Mais ne faut-il pas constater aujourd’hui que la science médicale a laissé le matérialisme envahir la plupart de ses écoles ? De là la nécessité pour l’Univer- sité catholique d'établir une Faculté de médecine. Sans parler des nombreuses questions de théologie engagées dans la science médicale, sans parler des cas multipliés où la conscience du médecin est assimilée à la cons- cience du confesseur, n’est-il pas d’une haute nécessité sociale que la noble science dela médecine soit pratiquée par des hommes d’une solide conviction religieuse? — 190 — D'un autre côté, la médecine légale rattache intime- ment la Faculté de médecine à la Faculté de droit.Toute la vie humaine, aussi bien la vie matérielle que la vie morale et religieuse, aurait donc une plus haute ga- rantie dans le groupement des diverses Facultés du droit, de la médecine et de la théologie. La Faculté de droit a nécessairement sa place marquée dans une Université catholique. Dans un pays comme le nôtre où nombre de jeunes gens sont appelés à suivre des carrières administratives ou politiques, l’étude du droit est impérieusement obligatoire et une Faculté de droit devient l’une des principales colonnes de l’Université. C’est à la Faculté de droit qu’il appartient de former de bons administrateurs, de graves magistrais, de préparer à cette carrière de laquelle Bossuet disait : « À quelle perfection l’âme chrétienne ne peut-elle pas aspirer dans l’auguste et saint ministère de la justice ?.. Dans ces augustes tribunaux, où l’on voit avec David ces dieux de la terre, qui meurent à la vérité comme des hommes, mais qui doivent juger comme des dieux, sans crainte, sans passion, sans intérêt ‘. » Je n’ai pas besoin de dire ici combien il importe aujourd’hui d’affirmer énergi- quement les principes éternels du droit, en présence des erreurs qui ont prévalu de tant de côtés, en politique, en matière administrative, en économie sociale, afin d’ems pêcher, s’il en est temps encore, les suprêmes catas- trophes qui nous menacent. | Nous élèverons donc, Messieurs, ces diverses Facultés autour de la Faculté de théologie. De même que la théologie tient le premier rang parmi les sciences, de 1 Ofaison fun. de Le Tellier, — 191 — même aussi la Faculté de théologie, ses maîtres, ses étu- diants doivent tenir le premier rang dans une Université catholique. Mais ils ne peuvent, sans que la théologie ne dépérisse, se passer du concours des autres Facultés. N'’est-il pas évident qu’il faut au jeune théologien des armes forgées dans les laboratoires des diverses sciences, s’il veut défendre avec succès les vérités révélées, atta- quées aujourd’hui sur tous les terrains? D’ailleurs en rapprochant des esprits d’une culture diverse et supé- rieure, on produit une concentration de-lumière intel- lectuelle, on forme des caractères d’une trempe plus forte, des savants plus complets. On conçoit sans peine, Messieurs, que l’œuvre tout entière de l’Université doive son succès au groupement des diverses Facultés dans la même ville. Les centres attirent. Plus il y aura de chaires à occuper, plus il y aura de convergence vers elles. De là, un plus facile recrutement du personnel des professeurs, une plus grande conformité de vie et de relations sociales enire personnes de la même profession, un usage plus commode des instruments de travail, laboratoires, mu- sées , collections , bibliothèques, appareils de toute espèce. Autour des Facultés réunies se grouperont aussi un plus grand nombre d’étudiants. Les grades seront conférés avec plus de solennité ; ils auront plus de va- leur et en définitive le succès de l’œuvre sera plus rapide et plus soutenu. Messieurs, le jour où Sa Grandeur Ms Freppel est venu prendre sa place parmi vous, il s’exprimait ainsi dans son discours de réception : « À qui l’eût contems plée (la ville d'Angers) dans ce temps-là (en 1686), elle — 192 — se serait présentée tout d’abord avec sa grande Univer- sité, œuvre de ses évêques, des papes et des rois. De ce tronc antique et vénérable partaient cinq branches vigoureuses, les Facultés de théologie, de droit canonique, de droit civil, de médecine et des arts. À ces branches nourries d’une même sève venaient se rattacher comme autant de rameaux, une quarantaine de colléges, dont un seul, le collége neuf d'Anjou, comptait en 1682 plus de deux mille élèves. Et ce n’est pas l’Anjou seulement qui alimentait cette source féconde de vie intellectuelle. Sous le nom denationsles provinces avoisinantes comme les régions les plus éloignées venaient chaque année y verser leur tribut... Voilà le spectacle qu’offrait aux amis de la science et des fortes études l’ancienne capi- tale des Plantagenets... Oui, ajoutait Monseigneur, je regrette ces grandes choses du passé disparues du milieu de nous, sans que rien d’équivalent soit venu les rem- placer. Oui, j'espère qu’elles n’auront pas été détruites pour toujours et que la vie scientifique, refleurira dans nos provinces, d’où elle s'était trop éloignée. » D’autres cités de l'Ouest, sœurs de la vôtre, peuvent lui disputer la palme du commerce et de l’industrie, et même l'emporter sur elle par suite d’une situation pri- vilégiée; mais l’Université d’Angers est un fait historique qui s'impose à tout le mondeet qui a traversé les siècles avec un éclat que nul ne saurait contester. La ville, au sein de laquelle ont afflué, tant de siècles durant, le Maine et la Bretagne, la Normandie et l’Aquitaine, comme une image vivante de ces fleurs qui viennent se joindre et se mélanger sur notre sol; la ville qui d’Ul- ger à Charles V et à Charles VII, de Jean XXII à — 193 — Eugène V, a vu les évêques, les papes et les rois tra- vailler à faire d’elle un foyer incessant de sciences et de lumières; la ville qui, au commencement du xir1° siècle, recueillait les débris des écoles de Paris pour reconstruire les siennes; la ville au nom de laquelle se rattachent les souvenirs d’une Université que l’un de mes prédécesseurs pouvait appeler la seconde du royaume‘, et dont le P. d’Avrigny, disait « qu’il n’y en avait pas dont la foi füt plus pure, ni qui eût été plus constamment attachée à l’Église et au centre de l’unité, » notre ville, dis-je, avec son doux climat, ses habitudes paisibles, sa population aussi intelligente qu'hospitalière est marquée du doigt de Dieu pour redevenir ce qu’elle a été, le siége d’une grande Université. » Messieurs, depuis que votre illustre Évêque a pro- noncé ces paroles, rien n’est venu ébranler nos espé- rances. Attendons le secours de Dieu qui ne nous fera pas défaut, et la liberté que nous donneront les pouvoirs publics. | Cependant permettez-moi de vous répéter encore en terminant combien je suis touché de votre accueil si bienveillant et sisympathique, et combienje désire, étant admis dans vos rangs, travailler au succès de cette grande œuvre à laquelle se rattachent si intimement et l'honneur de l’Église et la gloire de votre cité. L] C. BourQUARD. Dr en théologie, Officier de l’Instruction publique. 1 Mer de Lorry. SOC. D’AG. 13 UNE SÉPULTURE lei git.…..,. point de nom! LAMARTINE, Méditations. Messieurs, Il y a quelque temps, j'avais l’honneur de vous lire sur Robert le Fort, des stances dont je me garderais bien de vous reparler aujourd’hui, si l’une d’elles n'avait éveillé daus mon cœur, plutôt encore que dans mon esprit, une pensée qui n’a aucune valeur littéraire, mais qui s'adressant encore plus au sentiment de la patrie qu'aux rêves de l'imagination, ne peut manquer de rencoutrer parmi vous quelque faveur et quelque sympathie. La petite pièce que vous avez bien voulu écouter, contient ces mots : Et sur Ja pierre froide et nue, Et sur la dalle vermoulue Je ne lis pas même ton nom... Ces vers, par eux-mêmes, ne sont rien; mais au point de vue de la religion du souvenir, il en ressort une idée que vous devinez, qui vous saisit comme moi, et dont je désire que vous soyez pénétrés autant que je le suis. Si l’on faisait dans un cimetière, par ordre du — 195 — mérite et de la valeur morale, le recensement de ceux dont les restes y ont été déposés, sans vouloir pénétrer le mystère des jugements de Dieu, combien évoquerait- on de chrétiens qui n’ont pas vécu dignes de ce nom? Combien d’autres sortiraient de leurs tombes, qui non- * seulement n’ont pas vécu dans l’orthodoxie religieuse, mais dans une indifférence complète? combien d’hom- mes dont la vie n’a été qu’une suite de scandales, combien se lèveraient souillés d’infamie et de crimes inconnus, où avoués ? | Et cependant, il n’en est pas un des plus indifférents ou des plus vicieux, à qui l’on m’ait fait l'hommage d’une prière et d’une croix sur leur tombe, à cause de leur âme, œuvre de Dieu, imprégnée un jour, pour ne - plus s’en dépouiller jamais, même à travers leurs vices et leurs souillures, du caractère indélébile de leur baptême. Eh bien! Messieurs, cette petite place de Brissarthe a été le théâtre d’un des faits les plus touchants, les plus dramatiques de l’histoire de la civilisation. Sur le seuil de cette église est tombé, il y a neuf siècles, un de ces chevaliers, un de ces preux qui ont donné à la foi et à la patrie menacée les gages les moins équivo- ques de leur valeur et de leur dévouement. Là a été surpris et immolé un noble guerrier, un paladin illustre par ses talents militaires et sa grandeur d’âme, quand bien même il n’aurait pas donné le jour à l’une des plus nombreuses et des plus brillantes dynasties qui ait traversé jamais le cours des siècles. Avant de décrire les circonstances qui suivirent sa dernière victoire et de rappeler ce combat imprévu du — 196 — lendemain, où la mort l’enveloppa en quelque sorte dans le triomphe de la veille, permettez-moi, Messieurs, de résumer d’une manière sommaire, les titres que Robert le Fort avait déjà à la reconnaissance et à l'affection de ce comté d'Anjou qui fut notre berceau. . Nous sommes en 859; les rives de la Seine et de la Loire sont envahies par les incursions des Normands. Dans le Midi de notre province, sur la rive gauche de la Loire, le sol est foulé aux pieds par les préten- dants au royaume d'Aquitaine ; à l'Ouest l’Anjou courbe la tête sous le joug des Bretons. Un jeune homme du nom de Robert, d’une stature noble et vigoureuse, et sorti de la race carlovingienne, s'était distingué déjà dès ces premières luttes. Le roi Charles le Chauve confie à sa valeur et à sa puissante épée les contrées de l’Est et du Nord de l’Anjou, rendues à son sceptre par la mort du.comte Thierry, et les Angevins mettent également sous l’égide de Robert le dernier lambeau de leur patrie, que les ennemis vont lui ravir, si la Providence ne vient à son secours. C’est au milieu de cette crise mortelle que Robert apparaît. Robert, les Normands et les Bretons occupent notre ville d'Angers alternativement. En 862, une ligue formidable des Normands, des Bretons et des comtes Geoffroy et Godefroy eux-mêmes, guidés par les vues étroites d’une ambition coupable, vient compliquer la situation. Robert pouvait céder aux mêmes entraînements. Il reste fidèle à son roi. Contre une pareille coalition, la force physique est impuis- sante, Robert a recours aux négociations, il attire les — 197 — Normands dans son parti et fait alliance avec eux contre Salomon de Bretagne, moyennant 6,000 livres d'argent . Entre Salomon et Robert c’est une lutte acharnée de chaque jour et de chaque instant. Mais à la diplo- matie les ennemis de Robert opposent la diplomatie. Les perfides comtes Godefroy et Geoffroy, à force d’ob- sessions et d’intrigues, font entrer dans la coalition et attirent en Bretagne, Louis, le fils même du roi. Louis surprend Angers à la tête des Bretons et met tout à feu et à sang *. Robert prend sa revanche, il vole à franc étrier, coupe à Louis la route de la Bretagne, culbute les Bretons, passe au fil de l’épée un corps d'élite de 900 hommes, leur enlève leur butin et les chasse de l’Anjou, avec le prince félon qui les commandait. Salo- mon comprend la nécessité de capituler; il va trouver Charles le Chauve, se soumet à toutes ses conditions, et le roi, pour lui exprimer sa reconnaissance, lui donne l’usufruit de quelques terres et de plus une abbaye, et Godefroy et ses complices rentrent en grâce. Pendant cette trève, une assemblée des grands du royanme se tenait à Pistre;, Robert y brille de tout l'éclat de son intelligence et de sa renommée. Bernard, un des seigneurs de cette assemblée, envieux des mé- rites de Robert, l’attend en embuscade au bord d’une forêt, mais Dieu avait l’œil sur le comte d’Angers qui lui échappe *. 1 Annales de Saint-Bertin, année 862. 2 Jbid., année 862. 3 Jbid., année 864. - — 198 — Parjures à leur parole, les Normands ravageaient de nouveau les rives de la Loire, au moment où Robert rentrait en Anjou. Il se retourne contre eux, taille en pièces la première troupe, et dans l’enivrement d’un premier succès, il se précipite sur la seconde ; mais son sang coule, il perd ses forces et se voit forcé de se reti- rer. À peine sa blessure fermée, la soif de la vengeance se fait sentir; c’est en 865. A ce moment, les bandes de la Loire, quittant le fleuve et leurs embarcations, se répandent dans le Nord &e l’Aquitaine et pillent Poitiers qu’elles incendient ; mais à leur retour, Robert averti marche à leur rencontre, les surprend, et, sans perdre un seul soldat, leur tue 500 hommes et fait parvenir ses trophées à Charles le Chauve *. Cette victoire fut fatale à une province voisine. En elfet, le roi comprenant de quel prix était la présence de Robert, tout en lui donnant le titre de Marquis d'Angers, l’appelle pour défendre les rives de la Seine, et les Normands et les Bretons réunis de nouveau, pro- fitent de son départ pour saccager la ville du Mans. Robert le Fort est moins heureux dans cette lutte contre les bandes de la Seine. Il revient en Anjou, où il s’établit dans les Marches de Seronnes, aujourd’hui Châteauneuf, pour empêcher les ennemis de remonter la Sarthe. Châteauneuf, par sa position géographique, lui offrait de grandes ressources. De 866 à 869, à une date sur laquelle les Annales de Saint-Bertin, celles de Rhéginon et le Gesta Nortmannorum ne s'accordent pas, les Normands toujours unis aux Bretons, chargés 1 Annales de Saint-Bertin, année 865. — 199 — du butin de la ville du Mans, revenaient sur leurs pas à Brissarthe, sous la conduite du fameux Hastings. Nous voici arrivés à cette phase de notre histoire sur laquelle doit se fixer plus particulièrement notre atten- tion. Robert, alors duc de France, accourt... Voici les deux grandes illustrations de l’époque en présence. Hastings veut le prévenir et s'empare de Brissarthe. I] y prépare à la hâte des retranchements, et de l’église fait une forteresse. Robert secondé par Ramnulfe, duc d'Aquitaine, suivi des comtes Godefroy et Hérivée, a facilement merci de ceux des Danois qui n’ont pu pé- nétrer dans le temple. Quant aux autres, il faudra les assiéger. Nous ne pouvons mieux faire, pour le récit de cette action et de son fatal dénouement, que de laisser parler M. Godard-Faultrier, et de reproduire le passage consacré par lui à cet épisode ‘. « Cette résolution arrêtée, Robert et les siens cam- « pent autour de l’église et dressent leurs tentes, « tentoria fiqunt. Déjà le soleil se couchait, la journée « avait été brûlante ;… Robert quitte son casque, ga- « leam, et son armure, loricam , afin de respirer plus « à l'aise; tous imitent son exemple, avides de se livrer « au repos et de goûter en paix la brise du soir... Tout « à coup, un bruit d'armes retentit dans l’église; les « Normands rapides comme leurs flèches, sortent de « leur retraite, vont en poussant de grands cris et « bardés de fer, se ruer impétueusement sur Robert « et les siens; le grand duc de France pris à l’impro- « viste par le terrible Hastings, n'a que le temps de 1 L'Anjou et ses monuments, tome I, page 282. AR = — 200 — saisir ses armes. Les épaules et la tête découvertes, Robert marche à une mort certaine; cependant il anime les siens de son courage et repousse avec suc- cès les attaques des Normands; il les enveloppe, les coupe, les poursuit et les oblige à regagner léglise… Robert résolu d’exterminer le dernier d’entre eux, foule aux pieds leurs cadavres, frappe à droite, frappe à gauche; sa hache, de tous côtés, porte la mort et l’épouvante. Qu'il fut terrible en cet instant notre illustre duc, quelle grande figure à peindre pour l’historien ! Il s’avance et déjà ses pieds touchaient le seuil du lieu saint ; il se promettait sans doute d’aller jusqu’au fond du sanctuaire, couper la tête du farou- che Hastings, de ce brigand célèbre qui prenant quelques mois auparavant la ville de Luna pour Rome, et son Évêque pour le souverain Pontife, incendia celle-là et poignarda celui-ci; Robert songeait peut- être à venger sur l'autel de Brissarthe par la mort d'Hastings, le massacre de Luna, quand il fut tué, à l’entrée même de l’église; énterfectus est in introitu ipstus ecclesiæ. Les Normands traînent avec fureur son cadavre au fond même de ce sanctuaire où le grand duc de France espérait un instant auparavant enton- ner l'hymne des combats. € Ainsi, ajoute M. Godard, se termina cette malheu- reuse affaire, qui suivant la chronique de Rhéginon, fit passer l’Anjou sous le joug des Normands pendant six années, de 867 à 873. » Si, d’après la démonstration de Ménage, il n’est pas Ed douteux que le Brisserte (Bria Sarte, passage de la Sarthe) dont il est question dans le Gesta Nortmanno- — 901 — rum soit le Brissarthe que nous connaissons près de Châteauneuf, les archéologues et M. de Caumont lui- même ne peuvent voir, dans la nef d’aujourd’hui, imprégnée des styles des xr° et xn1° siècles, l’église qui a été le théâtre du drame que nous rappelons dans ce moment. D’un autre côté, tout fait croire que l’église actuelle aura éte reconstruite sur celle du 1x° siècle. En effet, s’il en avait été autrement, on eût trouvé aux environs, à une distance nécessairement très-rapprochée, des vestiges de la première église. Il était d’ailleurs naturel au double point de vue du culte des souvenirs et de l’économie, de profiter des premières fondations, dans un lieu aussi peu étendu que celui compris sous la dénomination de Brissarthe. Quant à l’inhumatlon du défenseur héroïque de l’An- jou, les autenrs les plus accrédités et les plus savants . Pascal Robin-Dufaux et Ménage s'accordent pour sou- tenir la tradition que le corps de Robert le Fort a été transporté à Châteauneuf dont l’église paroissiale a conservé le nom de Notre-Dame-de-Seronnes, mais tout vestige de ses dépouilles a disparu! Ainsi, Messieurs, voilà un des plus illustres guerriers dont le nom a été inscrit dans nos annales; voilà un chevalier qui pendant plus de huit ans, a combattu, presque toujours victorieux contre une horrible inva- sion, au service de la foi et de notre pays; voilà, après Roland, un des héros les plus remarquables de notre histoire nationale, voici un homme, qui, sans contredit, aprés des efforts admirables, de talent et de valeur, aurait délivré notre sol de ses envahisseurs, s’il n’avait — 907 — été surpris pendant son sommeil, entre la victoire de la veille et le siége du lendemain, et ce chevalier, ce héros, ce chrétien, cet autre Macchabée, ainsi qu’on l’appelait alors, ce défenseur des éghses et du clergé ;, n’a pas, dans un coin de terre, sur le bord de la Sarthe, son nom sur une pierre, et une croix sur la place où il est tombé surpris mais encore enveloppé dans l’auréole de sa gloire. C’est une chose au moins déplorable, que des étran- gers ne pourraient comprendre, c’est une impiété qui ferait notre honte, si elle se perpétuait, parce qu’elle accuserait notre indifférence et notre ingratitude. Sous cette impression pénible, je viens vous deman- der, Messieurs, si ce ne serait pas au moins un acte de convenance, d'exposer au Conseil général, le vœu qu’un monument aussi durable que possible, soit élevé à une aussi grande et aussi chère mémoire. Le vœu que nous exprimons, a déjà fait battre plus d’un cœur généreux et patriotique. Voici comment s’exprime à ce sujet dès l’année 4839, l’auteur de l’Anjou et ses monuments ”, M. Godard-Faultrier : « Avant de quitter cette terre de Châteauneuf, qui « renferme les cendres du père de tant de rois illustres, « accomplissons un devoir, celui de souhaiter que le « gouvernement, le département et la commune se « réunissent pour élever une statue à Robert. Profi- «tons, poursuivait M. Godard, du talent de notre « célèbre compatriote David; sa pensée traversant les 1 L’Anjou et ses monuments, tome I, page 183. 2 L'Anjou et ses monuments, tome I, page 282. — 9203 — « siècles, descendra dans la tombe du grand duc de « France, ranimera sa poussière royale, viendra ras- « sembler ses ossements, recomposer son corps, et « léchauffer du feu de son génie. Quelque jour, nous « l’espérons, les habitants de Châteauneuf et de Bris- « sarthe seront étonnés de voir paraître, à leurs yeux, « le grand Robert, tel qu’il était voilà dix siècles, avec « son audace, sa taille et son costume. Nous aimerions « qu’il füt placé à l'entrée du pont‘, dans l’attitude de « la défense, couvert de sa chemise de mailles, la hache « en main, la barbe et la chevelure au vent... Sur son « piédestal, au bord de la Sarthe; il vous semblerait le « voir arrêter les barques normandes et bretonnes, et « leur fermer de ce côté de la France, l’entrée du Maine « et de la Neustrie. » J'ai tenu, Messieurs, à reproduire ici, textuellement, les paroles de notre honorable ami, parce que. je crois qu’il est impossible d’en prononcer de plus nobles et de plus énergiques sur un sujet qui fait battre notre cœur à tous. Déjà une partie de ce vœu a été entendue, le côté principal, le plus difficile assurément, celui qui, pour reproduire cette magnanime figure, faisait appel à l'inspiration du génie, a été réalisé. Au moment où M. le comte Théodore de Quatrebarbes avec cette géné- rosité spontanée et chevaleresque qui le caractérisait si bien, fit appel à notre immortel David pour ériger la statue du bon roi René dont M. de Quatrebarbes voulait doter notre ville, aprés lui avoir consacré des pages qui ! Le projet de ce pont n’a pas été réalisé. ” — 204 — vivront éternellement, le grand sculpteur se souvint du grand duc et lui réserva une place parmi les belles statuettes dont il allait décorer les bas-reliefs de la statue du Roi de Sicile. S’inspira-t-1l des paroles de M. Godard, ou l'inspiration du sculpteur se rencontra- t-elle avec celle de l’historien ? Nous l’ignorons ; ce qu'il y a de certain, c’est qu'il reproduisit la figure de Robert le Fort, absolument de la même façon que l’auteur de l’'Anjou et ses monuments l'avait rêvée, de sorte que l’on ne sait pas aujourd’hui, ce qui doit nous inspirer le plus de reconnaissance, ou de l'initiative de l’auteur dont nous avons transcrit les paroles ou de l’admirable exécution du grand artiste. Quelle que soit la part que le donateur, l'artiste et l'historien doivent avoir dans notre gratitude, accom- plissons encore une fois ce devoir envers eux, mais re- connaissons aussi que nos vœux prêts d’être remplis ne sont pas encore exaucés. Oui, Robert le Fort, grâce au ciseau de David, revit parmi nous, avec tout son caractère individuel, avec toute sa physionomie et dans l'attitude puissante et redoutable du lion réveillé par ses ennemis ; avec toute la couleur du temps et une vérité d'expression qui ne pouvait être dépassée et qu’un génie de l’Anjou pouvait seul atteindre, suivant moi; de sorte que cette œuvre, comme inspiration, comme composition ne laisse rien à désirer. Il n’en faut donc pas chercher d’autre, pour consa- crer la mémoire de celui à qui David a rendu la vie. Seulement, pour que notre but à tous, soit atteint, nous avons encore à désirer une chose, c’est que l’on donne - — 205 — à la figurine les dimensions de la statue. — Possédant ce précieux modèle, il n’y aurait qu’à le copier d’abord en plâtre sur une grande échelle; ce travail pourrait être confié à l’un de nos jeunes compatriotes, lauréat de l'École des Beaux-Arts, et ensuite à faire fondre. Cette statue serait élevée sur une simple tombe de granit qui porierait sur le premier plan une inscription relatant en quelques mots le nom du héros avec la date de sa mort ct la circonstance dans laquelle il a été tué. L’in- dustrie, Messieurs, aurait là un beau rôle et viendrait dignement au secours de l’art à qui elle tendrait la main. M. Godard, dans le passage que nous avons reproduit, exprime le désir que la statue de Robert le Fort soit érigée à Châteauneuf même, sur la place principale de la ville, au cœur de son Marquisat de Seronnes. D’au- tres l’erigeraient peut-être sur le lieu même où il a succombé. Pour mon compte, Messieurs, je me rallie- rais à l'opinion de l’auteur de l’Anjou et ses monuments. Sans doute, ce serait une pensée naturelle de lui offrir sur le lieu même où il est tombé l'hommage que nous voudrions rendre à son abnégation, mais nous devons respecter les motifs qui, au moment de sa sépulture, ont engagé ses officiers à donner la préférence à Ghâteau- neuf. Seronnes, en effet, a été, en Anjou, la déno- mination de ce marquisat, de ce domaine dans lequel Brissarthe se trouvait lui-même enveloppé ; c’est Seronnes ‘qui a été le siége de sa puissance; c’est à Seronnes que le duc de France a pris la plupart de ces dispositions stratégiques, qui lui font tant d’hon- neur et auxquelles il a dù ses principanx triomphes. Ces considérations ont certainement influé sur ses — 206 — capitaines, quand ils ont transporté sa dépouille dans la capitale de son comté. Si cette question doit être résolue différemment, les partisans de Châteauneuf, comme situation du monu- ment, se soumettront de bon cœur au parti contraire, car le but principal est sans contredit l'érection de la statue. Quel autre obstacle s’opposerait donc à l’accomplis- sement de cette pieuse fondation? Nous ne voyons que la question de la dépense, et nous ne la mentionnons ici que pour l’acquit de notre conscience et pour ne pas sembler esquiver l’ombre même d’une difficulté. En effet, si cette dépense n’avait rien d’effrayant en 4839, avant la création de notre illustre David, com- ment pourrait-elle nous arrêter aujourd’hui que nous avons son œuvre entre les mains, et qu'il n’y a plus qu’à lui donner les dimensions convenables pour sa nouvelle destination? à quoi d’ailleurs cette dépense serait-elle réduile partagée, comme le disait alors, M. Godard, entre le gouvernement, le département et la commune? Ainsi donc, Messieurs, plus de difficultés. Plus de raisons de reculer de nouveau la construction de cet édifice que tant de motifs nous font désirer aujourd’hui! En 1839 nous étions dans le calme et dans la paix, disons mieux, la France désarmée, mais puissante, se reposait sur ses nobles drapeaux, elle n’avait point sur- le-champ, d'enseignement à donner à une génération qui par ses vertus et son dévouement, répondait à ce que la patrie pouvait demander de ses enfants; il n’était pas permis d'oublier les services rendus, mais on pouvait en ajourner la récompense. — 207 — Aujourd’hui la situation n’est plus la même. D’affreux désastres ont fondu sur nous; l’étranger prenant sa revanche, nous a infligé, sans en retirer autant de gloire toutefois, les humiliations qu’un des grands capitaines du monde, à la tête de nos invincibles ar- mées, lui avait fait subir ; un vainqueur puissant, mais brutal et barbare, nous a enlevé deux de nos plus riches provinces ; il a saisi, pour nous envahir, ce moment, où, dans une déplorable cécité, nous étions frappés, sinon d’une décadence finale, du moins de cet énerve- ment et de cette perversité effrayantes qui ont précédé chez tant de peuples, l’extinction et l’anéantissement. L’ennemi nous a surpris dans notre défaillance, et par ses calculs habiles et.par la force matérielle et par le nombre, il nous a écrasés , au point que nous ne savons encore si nous nous reléverons. Ne pensez-vous pas, Messieurs, que ce soit le cas de rappeler à cette génération affaiblie et énervée les traces de nos illustrations, des faits, des événements qui font la richesse de nos annales, les noms, les actes, et puis- que nous le pouvons, l’image elle-même des hommes qui ont défendu notre pays et dont les mérites ont fait sa gloire dans les siècles passés ? Si un aussi puissant enseignement est nécessaire, ne pensez-vous pas que ce soit dans des crises telles que celles que nous traversons, où non-seulement nous ne savons pas résister à ces terribles épreuves, mais où nous ne savons pas même, nous rallier sous un drapeau? Pour mon compte, au moment où tant d'hommes recommandables à certains égards oublient ou trans- gressent, à la fois, les lois divines et les lois sociales, — 208 — où tout est mis en doute et en question jusqu'aux prin- cipes qui forment la base de toute société, je crois que le meilleur moyen de nous réveiller de cette atonie et de cet affaissement, est de rappeler, de reproduire, aux yeux de cette société malade, les traits des hommes forts, des hommes vaillants, des héros des siècles passés dont la foi et le courage servaient d’égide aux peuples qu’ils gouvernaient, quand une invasion, ou un caja- clysme venait fondre sur eux. Dans des temps ordinaires je considérerais l’érection que j'ai l'honneur de pro- poser comme l'expression de la gratitude publique, aujourd’hui je la considère comme l’accomplissement d'un devoir; oui je considère cet acte comme un de- voir ; d’abord vis-à-vis du héros à qui nous adresserions directement cet hommage ; comme un devoir vis-à-vis de la génération présente que cette noble et grande figure éclairerait ainsi qu’un phare au milieu des orages et de la tempête; comme un devoir enfin vis-à- vis de ce vaillant jeune homme, illustre descendant de cet aïeul de tant de rois, de ce jeune homme, noble héritier des vertus et de la valeur de son ancêtre et qui, à son exemple, a déployé presque sous nos yeux, au milieu de cette horrible invasion, une intrépidité, une prouesse digne du nom que Robert le Fort lui a trans- mis, mais digne aussi d’une meilleure fortune. P. BELLEUVRE. JULES JANIN ET LES ANGEVINS Le 29 juillet 1849 une foule immense élait réunie à la gare du chemin de fer : c’était l'inauguration, par le prince Louis-Napoléon, du chemin de fer de Tours à Angers. Toutes les autorités étaient en costume officiel, la Cour d'appel en robe rouge, il n’y avait pas jusqu’au tribunal de Commerce qui avait été obligé de se pro- mener par les rues avec robe, toque et rabat, ce qui lui déplaisait beaucoup, je puis le dire, puisque j'avais l'honneur d’en faire partie. Nous étions dans la tribune réservée, tous fort mal à l’aise, car la chaleur était extrême, et une poussière intense, soulevée par des tourbillons de vent, nous annonçait un prochain orage; tout à couple canon tonna au dessus de nos têtes, le train d'honneur entrait en gare. Le Prince-président monta immédiatement à cheval, ayant près de lui d’un côté M. le comte de Falloux, grave et imposant, en frac SOC. D’AG. | 14 — 910 — noir boutonné et avec la ceinture de représentant, et le préfet de Maine-et-Loire, M. G. Bordillon, en habit brodé. Le cortége partit sans que nous autres pékins ayions pu voir autre chose que M. le Ministre de la guerre qui voulant monter un joli cheval arabe qu’on lui présen- tait, fut immédiatement jeté par terre ; il céda l'animal au fameux général Tartas, qui passa ensuite prés de nous en riant, en caracolant avec élégance sans craindre de subir la mésaventure arrivée à M. le Ministre de la guerre : « Jamais le soleil n’a vu tomber Tartas, » disait souvent l’ancien commandant instructeur de l’École de cavalerie de Saumur. Pendant qu'au milieu du brouhaha nous gagnions une maison amie où nous pouvions déposer nos in- signes consulaire, mon père, au milieu des professeurs de l’École de médecine, regardait défiler les invités, bien sûr de trouver dans le nombre quelqu’un de sa con- naissance à qui il püt offrir l'hospitalité. Bientôt en effet le docteur Menière accourt à lui et l’embrasse. « Je vous « tiens, lui dit mon pére, je vous garde, j'ai deux lits « à donner. » « Merci, mille fois merci, mon cher « maître, je suis attendu chez mon frère, mais si vous « voulez le permettre, je vais vous présenter deux « gaillards qui accepteront avec reconnaissance votre « table et votre lit. » En disant cela, il amena à mon père un homme gros, court, marchant difficilement, au regard doux et caressant, à la physionomie expansive et enjouée, et un autre homme plus jeune, à l'air fin, grave et réservé, c’étaient MM. Jules Janin et John Lemoine du — 911 — Journal des Débats. Mon père leur tendit cordialement la main : les voilà ses hôtes. La franchise de mon père charma les deux voyageurs qui rejetérent bien loin dés le premier moment toute cérémonie, toute contrainte. John Lemoine se montra causeur érudit, sérieux, parfois sévère; quant à Janin, il devint plus gai, plus spirituel que jamais. Le soir toute la famille se réunit sur la terrasse de notre chère petite maison du boulevard pour voir circuler la foule qu'aitiraient les illuminations et le feu d’artifice. Excité par Menière, Janin faisait sur tout ce qu’il voyait, sur tout ce qu’il entendait, les plus joyeuses, les plus piquantes observations, au milieu desquelles perçait au moment où on sy attendait le moins, son immense érudition. Ce qui distinguait le plus, en effet, la causerie de Janin, c’est que, grâce à sa mémoire infaillible, il rendait le sujet le plus léger intéressant et grave, en y rattachant une citation de ces vieux auteurs qu’il savait par cœur; bientôt on n’avait plus envie de rire et on écoutait avec une sorte de respect de sages et utiles enseignements. Vers neuf heures, mon père prit congé de nous tous et déclara qu’il allait se coucher. — « Vous avez raison, lui dit Janin avec son plus doux sourire, allez vous reposer, faites comme chez vous; bonne nuit. » — « Bonsoir donc, mes chers enfants; bonsoir, Messieurs. A demain matin déjeuner. »—c À quelle heure, docteur ? — € À huit heures précises. » —« Huit heures ! reprend Janin avec l’effroi le plus comiqne; mais je ne me réveille jamais avant dix heures. » — « Allons, dit mon père, pour tout concilier, nous déjeunerons à neuf — 912 — heures. » — « Neuf heures soit, répliqua Janin, alors je me ferai réveiller comme pour partir en diligence. » Le lendemain matin en effet j'entrai dans sa chambre à huit heures trois quarts, il dormait comme un enfant; il n’eut que le. temps de passer un pantalon et une robe de chambre avant d’aller se mettre à table. Janin a conservé toute sa vie de la réception de mon _père le plus reconnaissant souvenir. De ce moment, il a été pour tous les membres de la famille un véritable ami. Îl tutoyait mon Paul, il l’appelait son fils, et c'est avec le plus charmant empressement qu’il nous accueillait dans son fameux appartement au quatrième étage dans la rue Vaugirard, puis ensuite dans son délicieux chalet de Passy. En 1858 ou 1859, en effet, Janin s'était fait cons- truire}un chalet au milieu de la petite ville de Passy, non loin du bois de Boulogne. Un jour en devisant avec Menière, ils calculèrent qu'une table d’ardoise, entourée de siéges rustiques, garnirait bien un des angles du petit jardin naissant, et Menière fut chargé de me la demander ronde et ayant un mêtre de diamètre. La Commission des Ardoisières expédia l’ardoise du grain le plus fin et conforme en tous points au pro- gramme qui m'avait été donné. Janin me répondit par un conte qu'il fit imprimer en tête d'un joh petit volume intitulé : Les contes du Chalet. Je vous prie de me permettre de vous en donner lecture, c’est le meil- leur moyen de vous faire connaître le caractère de Janin, son chalet et l'affection qu’il avait pour la famille Lachèse. — 93 — LA TABLE RONDE POUR M. AD. LACHÈSE, IMPRIMEUR A ANGERS. ‘ « Grâce à vous, mon cher ami, la table « entrete- neuse de l'amitié » (ceci est un mot de Montaigne), la table angevine est arrivée à bon port! Vous l’avez prise, on le voit bien, dans le bloc choisi que le bon Dieu a mis en réserve, au fond de vos laborieux abîmes, pour couvrir les toits modestes, pour indiquer les seuils honorés. En vain le dernier déluge, et la pluie, et le torrent déchainé, menaçaient votre ardoise éclatante, elle a reparu à la douce lumière du jour, victorieuse du fleuve insensé; et maintenant la voilà, par vous et pour moi, taillée en table arrondie et sonore, qui devient la joie et l’ornement de mon petit jardin. « O ma table! O mon dieu domestique! Autel sacré où je déposerai mes plus beaux livres : Virgile, Horace, et Tacite le vengeur, et Lamartine, un héros; et vous aussi, mon poëte et mon ami (duice decus meum!) Victor Hugo! « La cigale est chère à la cigale, la fourmi « à la fourmi, et l’épervier aux éperviers; mais à moi « la Muse et le chant! Que ma maison tout entière en «soit pleine! Gar ni le sommeil, ni le printemps dans « son apparition soudaine, n’est aussi doux, les fleurs « même ne sont pas si plaisantes aux abeilles, qu’à moi « les Muses et leurs chansons. » « Ma table occupe un angle aigu, que dis-je? un angle enchanté, tout rempli de chansons et de feuillage. Un rossignol, caché dans l'arbre voisin, chante à ses amours les douces cantilènes du mois de mai; le merle — 14 — enjoué siffle, en sautillant, les hymnes du matin. Cest une fête en ce coin charmant, une fête qui ne s’arrête pas. Angulus ridet! Un lierre (il est planté, ce lierre, par M. Lemichez lui-même, qui est un des grands jar- diniers de ce bas monde), étend déjà, sous les pieds rêveurs, son tapis de sombre verdure; un amandier, déjà consolé de son exil, commence à semer ses grappes odorantes sur ces gazons Veloutés par le printemps. « Elle est bien là, ma table, à cette ombre, et dans ce poétique silence où le rêve a posé sa tente aérienne. Elle a, pour sa perspective, un bouquet de vieux arbres, un chêne, un charme, un orme centenaire. Arbres sacrés! Ils ont vu se promener sous leurs om- brages la reine de France, Marie-Antoinette, et ce beau petit Dauphin, le martyr, et Madame Élisabeth, une reine de France par la grâce, par la beauté, par la piété, par le malheur. « Assis à ma table, ami, vous pourrez voir ma cabane, et la contempler tout à votre aise. Elle est semblable à un rêve de printemps. Vous avez vu, entre les mains de votre fille bien aimée, ces jouets d’enfant, venus de Suisse; une humble maison brodée à jour s'élève souriante entre deux balcons dont les fines balustrades sont découpées en losanges par les fées de la montagne. Eh bien! ces jouets tout brodés vous représentent le chef-d'œuvre que M. Seiler a posé, d’une main légère, au beau milieu de mon jardin. M. Seiler est le bâtisseur de ces Élysées en bois sculpté, qu'il emprunte aux plus beaux sites de sa patrie. Il est venu chez nous pour enseigner aux pauvres gens, et même aux écrivains fidèles, qu'avec un peu de bonne — 215 — volonté il n’est pas impossible absolument de posséder quelque part un toit modeste, où l’échappé du naufrage littéraire se dise enfin : « Dieu soit loué, je suis chez moi ! » « La maison Seiler se compose d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage; une mansarde, où se logerait volontiers le fils de la maison, couronne l’édifice. Un joyeux toit de briques abrite et complète ce logis, frais en été, tiède en hiver, tout imprégné des douces sen- teurs du sapin des Alpes. Voilà ma maison, voilà ce que vous verrez, mon digne ami, mon bon chevalier de la table ronde! En même temps, mes douze rosiers vont fleurir; ma violette se montre; Ô la coquette! Un brin d’ellébore, que j'ai planté par une sage précaution, grandit, et me voilà rassuré contre ma propre joie! O surprise! Ô bonheur! mon aubépine est en fleur. « L’heureuse saison (et moi je dis ; heureuse maison) où tout fleurit, jusqu'aux épines! » Ainsi commence une histoire charmante, l’histoire de Daphnis et Chloé. « Si le logis est modeste, en revanche on peut affir- mer que le parc, les jardins, le labyrinthe et le verger sont des merveilles. M. Seiler a fabriqué la maison, c’est vrai, mais un architecte ingénieux, M. Godde (il est le digne fils de l’architecte de la ville), a présidé à toutes les magnificences intimes, à toute la décoration intérieure. Il a disposé les plafonds, indiqué les sculp- tures, décoré le vaste escalier, dessiné la galerie, et posé les statues. Vous riez!.. « Ne riez pas! Quand vous verrez la bibliothèque en chêne sculpté, pleine de vieux livres, au panneau n° 1; pleine de livres nouveaux, au panneau n° 2; ici La col- — 916 — lection in-4° des Latins, imprimée à Birmingham par Jean Baskerville, et là, mon exemplaire des Chansons de Béranger en quatre tomes (au premier de ces tomes, Béranger lui-même écrivait, dans une page admirable et si touchante, mes titres de noblesse), et non loin des Chansons de Béranger mon exemplaire illustré des Contemplations, iout rempli des images, des beautés, des lettres, des rêves du poëte absent, vous serez sé- rieux, je vous le jure! Et vous ne rirez pas quand vous verrez ma cheminée, une espèce d’autel domestique, ornement précieux de ces frêles murailles. C’est le pré- sent d’un ami! La cheminée et la bibliothèque auront, pour leur digne abri, une toile immense, où déjà, des- sinés par un maître, et peints avec beaucoup de grâce et de goût, se montrent, effrontés mais chastes, nus et joyeux, toutes sortes de petits génies, tels qu’en peut comporter le cabinet d’un écrivain de toutes petites . choses futiles. « Dieu mesure le vent à la brebis ton- due. » Il a bien fallu mesurer au petit art que j’exerce les grâces de l’allégorie, et les dieux joufflus du bel esprit qui dure un jour. On voit, au Louvre, l’apothéose d’'Homèére.…. Ingres ne fera jamais, que je sache, l'apothéose du feuilleton. « Dans ce pêle-mêle étrange et charmant, gouverné par une belle et honnête femme, l'honneur de ce logis, venez; nous tâcherons de vous rendre un peu l’hospi- talité que m’accorda votre excellent père, lorsqu'il me dit, en m’ouvrant sa belle maison : « Ici, vous êtes chez vous! » « Comme il fut content, ce beau et courageux vieillard, comme il fut surpris agréablement quand je — 917 — Pinvitai à diner dans sa propre maison, à déjeuner à sa propre table, à boire avec nous (John Lemoine en était, Menière aussi) ce joli petit vin d'Anjou dont il nous disait : « Prenez garde, il est violent. » — Venez donc! Si vous ne trouvez pas chez moi le joyeux petit vin qui pétille en babillant, vous trouverez... ma pièce d’eau, mon lac, mon Neptune et mon Dragon! Pour vous faire honneur, les eaux de mon enclos jpperont leur sym- phonie pastorale. « Cest l’usage du chalet suisse, et le constructeur, M. Seiler, qui est un des représentants de son canton, a voulu absolument que j’obéisse à l'usage : il faut des inscriptions au chalet suisse... Donc, puisque c'était l’usage, et puisque ainsi l’exigeait maître Seiler, moi aussi j'ai trouvé des ins- criptions pour ma jolie et poétique et rustique demeure. Ainsi, à la façade extérieure, au nord, du côté de la bise, et quand viendra l'hiver, jetant ses frimas sur mon petit domaine, que l’hiver fera tout semblable à la bavette de mademoiselle votre petite-fille (Ô grand- pêre,) j'ai inscrit, d’une main tremblante, à l'avance, un distique emprunté à quelqu'un de vos vieux poètes, amis des douces joies, des paisibles contentements et de la paix domestique : « ET Que Dieu Nous PRÉSERVE, EN CE BAS MONDE, ICY « Du FROID, D'UN IMPORTUN, DE FAIM ET DE SOUCY ! Quoi, dites-vous encore, y songez-vous?... de faim? de froid? Les dures paroles! le triste présage ! Et pourquoi donc, mon ami, aurais-je peur des enne- mis naturels du poëte? — La faim! le froid! l'abandon! la nécessité! c’est l’histoire universelle. Il y en a tant, — 218 — et qui valent mieux que moi, parmi les honnêtes écri- vains de ce siècle, qui sont morts de froid, qui sont morts d'isolement, qui sont morts... désespérés, qu’il n’est pas inutile, au milieu de tant de magnificence, de se rappeler ces giorieuses misères. Elles sont un con- seil; elles sont un encouragement à bien faire. On meurt de faim, on meurt de froid; maïs on vit honoré. Quand la mort arrive, on meurt honorable ; il y a des gens pour saluer votre cercueil. « Ne dites donc pas que mon distique (il est du vieux poëte Regnier) soit un distique de mauvais présage. Il n’y a pas de plus malheureuse inscription (sur la mai- son, sur le tombeau) que l’inscription facile à démentir. Il n’y a pas de faste plus misérable que celui dont on ne saurait se passer. Tant pis pour moi, tant pis, si ma maison est trop belle pour son maître, ou trop grande pour ma fortune; elle aura bien vite trouvé son châti- ment : « Quidquid excessit modum, « Pendet instabili loco ! « Tant pis pour moi, si quelqu’une de ces solivés brillantes pouvait m’accuser d’une action mauvaise, ou d'une mauvaise pensée; et si mon toit rougissait de l'abri qu’il me prête, soudain je le vois qui chancelle et qui m’écrase. Ainsi nous laisserons, s’il vous plaît, ces deux mots salutaires : Ze froid! la faim! La chose est écrite ; elle aurait, s’il le fallait, ce grand avantage de rappeler le maître orgueilleux de cette maison superbe à la modestie, au recueillement, à la nécessité du travail, s’il veut consacrer encore une dizaine d’an- nées ses efforts suprêmes à protéger sa fortune pré- — 7219 — sente, à protéger sa renommée à venir. Une maison à lui! Il est mort propriétaire, horticulteur et bâtisseur ? Jules Janin ædificavit ! « I] y avait encore une objection à l'institution de mon prædium rusticum : il était, disait-on, si petit! — Si petit! Y pensez-vous? Si petit : quinze cents mètres! (voilà que la distance agrandit mon parc, comme elle agrandit toute chose). Eh! disent-ils encore, eh! que va-t-il faire au milieu de ces quinze cents mètres? — Il va faire, ami, ce qu’il a fait toute sa vie : écrire, étudier et raconter, de son mieux, les œuvres folles et parfois les œuvres sérieuses dont la semaine est remplie. Il va montrer ce que peut devenir un homme heureux de tout, content de peu, dans un si petit espace, et dans cette humble maison! « Le sage tient peu de place, et il en change peu. » Qui a dit cela? Je crois que c’est Cicéron lui-même. Il disait aussi, dans son merveilleux traité des Devoirs : Ce n’est pas la maison qui doit honorer le maître, c’est au maître à honorer la maison! « Vous rappelez-vous ce villageois, laborieux, sage et prudent qui avait fim par acheter une petite métairie ? Il était si fier, et si content de son petit bien, qu’un sien parent étant mort et lui ayant laissé un vaste do- maine : «Ah! dit-il, je vais ajouter ce domaine à mon pré! » Brave et digne homme! Il aimait son pré en raison de la peine qu’il avait eue à l’acquérir. « Ge petit bien où tout jase, où tout sourit, c’est mon seul bien au soleil. Cette maison, qui ne peut faire envie à personne, est mon vœu accompli, tout mon vœu. Le jardin dans la ville, un Paris dans les champs, — 920 — savez-vous un plus difficile, un plus doux problème? Ici la solitude et les bruits du monde! Ici l’arbre, et là-bas le théâtre ! Ici l'étude et le travail, tout au bout de l’avenue où s’étend mon domaine, l’activité, l’ar- dente ambition, le mouvement des belles-lettres en proie aux disputes! Je suis au port, j'entends l’Océan qui gronde! Au sommet du rocher, je puis tendre la main au malheureux qui se noie en la pleine mer... « Quant à moi je me trouverais un homme ingrat, si je n'étais pas content du peu que je possède, aux environs de cette auguste maison de Neuilly, la fortune de notre roi, le regret de notre reine, le berceau de tant de jeunesse et de malheur, de poésie et de courage. Glorieux Neuilly, dévasté, ravagé, incendié, dont les jardins, les pelouses, les murailles se sont vendus en parcelles, aux enrichis de la ville! « Aussi ai-je fait écrire au couchant de ma maison, vis-à-vis l’acacia, ce conseil et cette consolation de l’Aré poétique de Despréaux ; ( QUI NE SAIT SE BORNER NE SUT JAMAIS ÉCRIRE ! eg trop le)CEie ile A Pot PP) « Et voilà tout ce que vous verrez, mon cher ami, quand vous viendrez vous asseoir à ma table angevine! Aussi est-elle gaie et contente, et déjà prévoyante des douces causeries, des paroles amicales, des faciles pro- pos, des paradoxes ingénieux, et que dis-je? aussi de ce jeu glorieux, retentissant, vulgaire et viril, que je ne veux pas nommer dans cette page éloquente, qui pro- duit sous des mains habiles, loyales et laborieuses, une harmonie agréable à la muse, un jeu plein de vie et de . grâces accortes. » — 291 — Ce jeu plein de vie et de grâces accortes était, vous l'avez deviné, le jeu de dominos. Janin, si modeste en beaucoup d’autres points, avait la prétention de jouer mieux que personne aux dominos, et on ne peut s’ima- giner les exclamations, les récriminations qui s’éle- vaient presqu’à chaque coup lorsqu'il faisait sa partie avec Menière qui lui aussi se disait de première force. Un jour que la bataille était des plus vives et les inter- ruptions des plus bruyantes, Janin est très-étonné d'entendre frapper à la porte de son quatrième étage (il demeurait encore rue de Vaugirard) et encore plus étonné de voir une belle dame qui vient le remercier de la manière la plus gracieuse d’un article qu’il avait mis la veille dans le Journal des Débats. C'était Rachel, accompagnée de l’éditeur Michel Lévy. Elle s'excuse d’avoir interrompu la partie commencée et demande à en faire une; car elle aussi, ainsi que ses hôtes, elle a la passion du jeu de dominos. La proposition est aussitôt acceptée. Janin a pour partenaire Michel Lévy, Menière est avec la célèbre tragédienne. La partie aussitôt s’anime. Rachel riposte vivement à toutes les attaques de Janin, elle le taquine avec esprit et malice,et la nuit était fort avancée lors- qu’on pensa à se séparer. Le 7 février 1862 nous eùmes la douleur Janin, et moi, de perdre notre ami commun, le savant, l’aimable, le bon Prosper Menière, et quatre jours He Janin m'’écrivit la lettre suivante : « Je suis encore à me demander si vraiment Menière est mort! Suis-je le jouet d’un rêve affreux ? Tant de — 222 — vigilance et d’attention de soi-même, avec tant de zele et de dévouement pour ses amis! tout cela périt en vingt-quatre heures, et nous voilà privés de cette amitié charmante, de cette aimable consolation de tous les jours! Notre humble maison en est vide à cette heure, il l’aimait tant, il y venait avec tant de joie, il était content de si peu! Ma chère femme en est effarée et mes deux vieilles bonnes dont il était le médecin le pleurent. On en parle à toute heure, il est notre deuil du matin, du midi et du soir. « De toutes parts je reçois des lettres, des visites; des compliments de condoléance au nom de Menière, on savait si bien que lui et moi nous étions frères. « Comme on venait de lui rendre les derniers devoirs et que nous étions muets d’épouvante, est entré cet admirable M. de Falloux. Je ne pourrais vous dire à quel point (grâce à vous) il a été charmant, et quelle part il a prise à la mort de son compatriote; sans doute il nous à trouvés dans un grand trouble, il aura vu cependant à quel point nous étions touchés de sa visite, ma femme et moi. » Lorsque plus d’une année après j’adressai à Janin la notice que j'avais écrite sur mon vieux camarade, il me répondit : « Je viens de lire avec une émotion sincère et pro- fonde ces belles pages si touchantes ; j'ai retrouvé l’ami que nous avons perdu; voilà sa grâce et son esprit, voilà son image et son regard : sic oculos..… sic ora ferebat. « Je vous remercie et vous dis en toute sincérité que — 223 — pas un n’était plus digne de prononcer cette louange suprême. Hélas! moi qui vous parle, un vieux roué de la plume, un vieil écrivain rompu à toutes ses difficul- tés, je n’ai encore pu prononcer ce nom triste et char- mant. Le premier mort je le loue, à celui-ci je ne sais que pleurer. Vous avez raison, je l’atiends. A l’heure où chaque jour il arrivait avec un encouragement, une grâce, un sourire, au premier bruit à la porte, oh! disons-nous.. ma femme et moi... Meniére. En mettant le couvert, notre vieille Julie appelle aussi M. Menière. Et penser qu’il est mort d’un rhume. On ne meurt que de bêtise, disait-il; il ne croyait pas si bien dire. Ah! moi qui comptais si bien que sa main clémente me fer- merait les yeux! Voilà pourtant dans quel état vous m'avez mis : je pleure au moment où le soleil entre ici par ses plus doux rayons !... » La dernière fois que j'ai vu Janin, il y a longtemps, car c'était avant les malheurs de la France, je le trouvai tout aussi affectueux, tout aussi expansif, mais beau- coup plus souffrant, plus impotent qu’à aucune autre de mes visites. La vieille Julie eut beau mettre mon couvert à côté de ceux du frère et du fils de Menière, Prosper n’était plus là, et le diner fut sérieux et mélan- colique, il n’y eut pas un de ces éclairs de gaîté que Prosper savait si bien faire naître, chacun pensait à l'ami perdu pour toujours et n’osait en parler. | L’état du célébre critique empira lentement, mais il empira d’une manière inexorable, c’est à peine si, élu membre de l’Académie française, il put le jour de sa réception lire une partie de son discours. Depuis il — 9924 — n’a plus paru dans la docte assemblée. Le jour où il fut obligé de renoncer à dicter son feuilleton du lundi fut le dernier jour de sa vie littéraire mais non de ses souffrances. Une amélioration sensible s’était prononcée dans son état; il crut être mieux, songea à ses vieux livres, à son Horace qu’il avait traduit en prose et qu’il allait commencer à traduire en vers, lorsqu'un symp- tôme inattendu vint annoncer une fin prochaine. Janin est mort le 19 juin 1874, âgé de soixante-dix ans. Après les premiers moments d’une inexprimable douleur, alors qu’il fallut penser aux derniers devoirs à rendre à cet homme si aimant, si aimé, Mme Janin, cette belle et honnête femme, l’honneur de ce logis, comme il l’appelait souvent, pensa à l’ami d'Angers, lui prou- vant de la manière la plus touchante qu’elle conser - vait intact le souvenir de l'affection que Janin portait aux Angevins. Pauvre Menière! pauvre Janin! quels ‘amis j'ai per- dus! Qui n’a pas vécu dans leur intimité, ne peut se faire une juste idée de l'étendue et de la profondeur de leur érudition, de la verve, de l'originalité de leur esprit, de la fidélité, de la tendresse de leur cœur! A. LACHÈSE. LES CHATELLIERS DE FRÉMUR COMMUNE DE SAINTE-GEMMES-SUR-LOIRE Maine-et-Loire FOUILLES (MARS 1873-FEÉVRIER 1874.) 9= MÉMOIRE LU A LA SORBONNE LE 8 AVRIL 4874 Par M. Victor GODARD-FAULTRIER, officier de l’Instruction publique ; correspondant. ES —— Coilligite... fragmenta ne pereant. S. J., VI, 12. _ Messieurs, Cette lois encore, délégué par la Société d’Agricul- ture, Sciences et Arts d'Angers (section d'archéologie), j'ai l'honneur de vous présenter en son nom, ce nou- veau tribut annuel de ses recherches. Comme précédemment, elles ont irait aux fouilles SOC. D’AG. 15 — 996 — continuées prés des Châtelliers de Frémur et en majeure partie, aux frais de ladite Société. [. NOMS DE LIEUX. Croyant avoir, l’année dernière suffisamment décrit l'état général des lieux : vaste triangle autrefois nommé Angularia *, défendu par la Loire, la Maine et la levée de Frémur; puis couvert à l’ouest de vieilles masures appelées Chätelliers ; nous n’y reviendrons pas. Mais les trois noms de Frémur, Châtelliers et Angu- laria méritent quelque attention. S'il est vrai que Frémur descende en ligne directe de fractus murus, mur brisé, ruines, aucun nom n’est plus caractéristique ; toutefois, comme je suis de la patrie de Ménage, il m'est bien permis de redouter l’abus des étymologies et surtout l'application des trop fameux vers : Alfana vient d’equus sans doute! etc., etc. Aussi pour risquer l’étymologie en question, m’a-t-il fallu chercher un appui que J'ai trouvé dans un texte de la Revue des Sociétés savantes *, texte où l’auteur admet que Frémur- dérive de fractus murus. Ceci fut dit, à l’occasion d’un nom semblable que l’on rencontre dans la commune d’'Henansal (Côtes-du-Nord) et à propos, notamment d’un rempart de terre haut de huit mêtres, qui s’y développe. Rapprochement cu- 1 On trouve aussi : Angulata. : Année 1870, octobre, novembre et décembre, page 415, tome IL, 5° série. = gp — rieux! Dans la commune d’Henansal, vous avez le nom de Frémur et un rempart de terre; dans la commune de Sainte-Gemmes-sur-Loire, à plus de cinquante lieues de distance, nous avons le même nom de Frémur et aussi un vaste rempart de terre. Il y a de singulières rencontres et celle-ci semble être la bonne, car si nous parvenons à savoir ce qu'est le rempart d’Henansal, il ira de soi que nous connaîtrons la destination de notre levée de Frémur. Or, voici comment s’en explique le texte précité : « Ces sortes d'ouvrages (terre-pleins précédés de fos- « sés) constituent les castellum du Bas-Empire. Partout « où on les trouve, on est sûr d’avoir devant les yeux « des refuges préparés pour les populations qui eurent « à se sousiraire aux incursions continuelles des bar- « bares, pendant toute la durée du v° siècle. » Êt comme si l’auteur du texte eùt voulu qu’il n’y eût aucune équivoque possible, il ajoute : « Ce nom (le Frémur des Côtes-du-Nord) est celui « du vaste castellum qui s'étend près d'Angers, au « confluent de la Maine et de la Loire. On dit le camp « de Frémur, l’étymologie est certaine, les éléments « latins d’où est sorti le mot français, sont /ractus C MUrUS. » Donc d’après M. J. Quicherat, si compétent en ces matières, notre camp de Frémur serait un castellum du Bas-Empire, autrement l’un de ces vastes refuges, au centre desquels les populations indigènes cherchaïent à se garantir contre les courses des barbares du ve siècle. — 228 — Et quant à ce nom de castellum, n’est-il pas naturel de penser que le mot de Châtelliers en dérive. Est-ce à dire que, avant le ve siècle, les Romains n’aient pas occupé l’Angularia? Assurément non! car les bains antiques des Châtelliers et le théâtre présumé, qui s’y trouvent, altestent le contraire. En effet, il semble incontestable qu’il y eut ici, durant les premiers siècles de notre ère, une Vz/la plus ou moins étendue, dont l’existence est suffisamment établie par la décou- verte d’objets d’un certain luxe et d’un usage tout. pacifique. Ainsi se vérifie l'observation suivante que, l’année dernière, M. Léon Rénier voulut bien nous adresser en séance, et à peu près en ces termes : « M. Godard doit être sûr que ce lieu (les Châtel- « liers) n’est pas un camp, mais une Villa; il faut « beaucoup rabattre de tous ces camps. Uu auteur an- « cien a dit que, après l’asservissement de la Gaule, « une simple cohorte (environ cinq cents hommes) « résidant à Lyon, suffisait à garder la Lyonnaise ‘. Pour tout dire, il y avait en Gaule moins de soldats « romains que de villes. « Après Julius Sacrovir, l’an 21 de J.-C., le nom romain était si puissant qu’il maintenait la conquête, 2 LS 1 Lyonnaise, Lugdunensis, nom donné par Auguste, à la partie de la Gaule comprise entre la Belgique, l’Aquitaine et la grande Séquanaise… Elle formait au 1v* siècle, quatre provinces, savoir : La Lyonnaise premiére; La Lyonnaïse deuxième; La Lyonnaise troisième dont faisait partie l’Anjou; et enfin La Lyonnaise quatrième. BOUILLET. — 229 — « sans autre aide qu’un petit nombre de soldats chargés « de la police. » Voilà de par la science, notre camp de Gésar réduit à n'être, en Frémur, qu’un vaste Refuge et aux Châtel- liers qu’une Villa. Et c'était déjà pour ce qui est de la Villa, l'opinion que nous énoncérent, il y a plusieurs années, sur les lieux mêmes, le général Creully et M. Alexandre Bertrand. Encore une illusion qui s'échappe! Esi-ce à dire néanmoins que l’hivernage de Crassus et de la 7e légion en Anjou, ne puisse s'appliquer à notre Angularia? Nullement! puisqu’un lieu d’hiver- nage n’emporte en aucune façon, l’idée d’un camp selon les règles. Rien donc ne répugne à la présence de Crassus et de la 7e légion dans notre triangle si, naturellement fortifié que l’on voit, dix siècles plus tard, un autre guerroyeur Eudes de Blois ! y dresser ses tentes. Sur ce lerrain, aussi propre à certaines exigences du métier de la guerre que favorable aux agréments d’une vie paisible et au charme de la prière, s'établit, en plein moyen âge, un prieuré de Sainte-Apolline bâti de matériaux empruntés la plupart à nos ruines romaines. Quoi qu'il en soit de ce vandalisme , je m’en console en songeant que, sans la construction de ce prieuré, l’agriculture n’eût probablement pas manqué d’aplanir, sous le soc de la charrue, l’hémicycle que, de plus en plus, nous croyons, avec notre collègue M. d’Espinay, avoir fait partie d’un théâtre; je m’en console en pen- 1 Nos Monuments antiques de l’Anjou, page 123. — 930 — sant que malgré ses pertes et les ravages du temps, notre Angularia, ne cesse pas, avec ses ruines récem- ment déblayées et son doux climat, de nous rappeler cet autre angle de terre où le printemps durait longtemps et qui, ainsi que l’a três-heureusement rappelé M. Cha- bouillet, l’éminent secrétaire de vos séances de Sorbonne, souriait à Horace : « Ille terrarum mihi præter omnes « Angulus ridet........ « Ver ubi longum...... !.s II. DÉCOUVERTES AVANT MARS 1873 ?. L'année dernière j'avais eu l’avantage de vous sou- mettre un plan qui représentait la situation de nos ruines découvertes de novembre 1871 à février 1873, mais le temps m'avait manqué pour en faire dresser une coupe, ainsi qu'une vue perspective d'ensemble. Je m'empresse de réparer cette involontaire omission. Et d’abord examinons la coupe suivant une ligne nord-sud, longue de 50 mètres. En commençant à gauche, nous voyons : 1° l’extrémité d’un canal, avec petite écluse; 2 baie de porte, en avant de laquelle 1 « Pour mes besoins en ces lieux tout abonde « Tout me sourit : ce petit coin du monde « Comble mon rêve et répond à mes goûts. » Ode VI à Septimius. (Traduction du docteur Grille.) ? Omiises ou seulement indiquées dans notre premier mémoire. — 231 — deux fragmenis d’architrave; 3° canal N.-S., au pied d’un massif à petit appareil sans briques; 4° grande pile nord à petit appareil chaîné de briques; 5° trois petits bassins entre-piles ; 60 grande pile sud ; 7° bouche * d’hypocauste; 8 canal; 9 bassin à gradins ; 10° égoût collecteur ; 110 salle polylobée, avec petits piliers d'hy- pocauste. L'intérêt de cette coupe consiste dans l'indication des niveaux naturels et artificiels. L’échelle suffit pour s’en rendre compte ; le temps ne permet pas d’ailleurs de nous y arrêter davantage. (Voir le dessin de cette coupe au Musée d’antiquités d’Angers.) S'il est vrai qu’une coupe était utile, à plus forte raison une vue perspective d'ensemble. L'auteur ‘ y a mis tous ses soins. Son travail embrasse : 4° l’enceinte rec- tangulaire des bains; 2% les quatre piles de l’ouest correspondant aux quatre piles de l’est; 30 deux bou- ches de fourneaux d’hypocaustes, symétriquement en face l’une de l’autre; 4° deux bassins dallés en pierres calcaires, l’un supérieur, en forme de salle, l’autre . inférieur et à gradins, lequel ressemble au baptistère * publié par notre éminent collègue M. l'abbé Cochet, dans son Etretat, page 27. Enfin cette vue perspective offre au premier rang une chambre carrée vers nord et à l'extrémité sud la très-curieuse salle polylobée que j'ai suffisamment décrite l’année dernière. (Voir planche re.) { Le docteur Hippolyte Godard. ? Voir sur ce mot : l'ouvrage de du Choul : « De Balneis vete- « rum Romanorum, page 97, et le Dict. des Ant. rom., de A. Rich, -« au mot baptisterium. » — 932 — Nous commençons à entrevoir la possibilité de re- constituer nos doubles bains en assignant à chacune des pièces, sa destination; la prudence cependant nous fait an devoir d'attendre encore; aussi préférons-nous continuer à inventorier nos découvertes faites aux Châtelliers à des époques, mêmes quelquefois anté- rieures à nos fouilles générales. De ce nombre je signalerai parmi les bronzes : Un fragment de peigne (voir planche Ile), une fibule en arc et une autre en flèche (planche IIT°). Si je n’avais vu, au Musée de Naples, divers peignes en métal, provenant de Pompeï et classés parmi les objets de toilette féminine (toletia delle donne), je me serais difficilement imaginé que notre peigne, avec ses dents quelque peu rudes et barbares, ait eu jadis l’hon- neur de démêler une chevelure de dame. D'un travail autrement délicat est la fibule en arc, vrai petit bijou digne de trouver place dans un écrin d’antiquaire. Mais son élégance n’est pas son seul mérite, elle a celui plus rare encore de nous révéler quelques lettres; on lit, en effet, au sommet de sa courbe le mot : TITVR qui ne peut être que le nom du fabricant, si j’en juge par rapprochement du même nom, sur une autre agrafe en bronze et en forme d’arc, où on lit : TITVRI suivi de la lettre O, abréviation reçue de officina. Cette seconde fibule fut trouvée sur le tracé des grandes percées de la place Saint-Pierre à Nantes, et mentionnée à la page 158, n° 43, du Catalogue raisonné de l’exposition archéologique de 4872, à Nantes. L’au- teur M. Parenteau ajoute : « Les fibules signées gauloises — 233 — « ou gallo-romaines, sont de la plus grande rareté » Ce rapprochement du même nom TITvR, sur deux fibules découvertes, l’une dans le département de Maine- et-Loire et l’autre dans celui de la Loire-Inférieure, n’autoriserait-il pas à penser que l’officine de cet artiste pouvait bien avoir été établie dans nos contrées de l'Ouest. L'autre fibule, en fléche, n’a que son élégance et sa bonne façon, pour mériter de vous être signalée ‘. Après le bronze, le fer. Dans nos bains, il s’est métamorphosé en clous de toute dimension, en gros anneaux de porte, en clés, crampons, loqueteaux et même en compas. (Voir planche IVe.) Les anciens connaissaient très-bien cet instrument dont j'ai vu plusieurs types, au Musée de Naples, pro- venant d'Herculanum. Au fait que les anciens ne con- naissaient-ils pas? Tout, excepté les fusils à piston, me disait un jour M. Mérimée, avec ce tour d’esprit que chacun sait. Après le fer, le plomb. Il s’est trouvé dans nos thermes, à l’état de tubes, de masses fondues, puis à l’état de lamelles et de demi-lamelles traversées, cha- 1 M. A. Michel possède une fibule romaine en bronze, autre- fois trouvée aux Châtelliers de Frémur; il a bien voulu permettre à M. Morel qu'elle soit dessinée et même reproduite dans nos Mémoires. Nous espérons bien qu'elle pourra y figurer. C’est une tête de face ornée de quatre tresses de cheveux : deux de ces tresses se rapprochent horizontalement sur le front, et deux tombent à droite et à gauche du visage. Cette tête se détache du fond d’un disque radié d’une grande élégance et d’un dia- mètre de 0,027. Elle a cet inimitable caractère, justement qua- lifié d'Antique, les modernes n'ayant pu que très-difficilement s’en inspirer. V. G.-F. — 9234 — cune d’un clou. Lesdites lamelles et demi-lamelles trouvées parmi de nombreux fragments de verres-plans, mousses à leur bord et très-inégaux d’épaisseur dans la pâte du même échantillon. À propos de verres, plusieurs fragments sont gon- dolés à la manière de vases bulbeux. Un de nos morceaux est orné d’une sorte de goutte. Après le verre, la céramique. Elle est extrêmement variée et se métamorphose en feuilles de fougère (planche V°); en courbe pour salle polylobée; en X sur tuyaux de chaleur et sur la tranche de quelques carreaux ; en double T pour tubes hexago- naux; en tuiles et enfaîteaux pour couvertures ; en briques à rebord pour voûtes, murs et toitures; en briques rectangulaires à coche, pour dallage de canaux; en segments pour façon de colonnes, en grandes bri- ques pour couvrir les petits piliers d’hypocauste; bret - en briques carrées, les unes de 15 centimètres de côté, les autres de 60. Une céramique plus délicate est celle des vases sigillés. Déjà, dans notre premier Mémoire, nous avons cité quelques noms de potiers, savoir : MATVRV; METTIM; LVXIACIM, mais sans un dessin des deux dernières estampilles, dessin que nous donnons aujourd’hui. (Planche VE.) é À cette précédente liste ajoutons les noms suivants : PATERNVS FE (planche Vile);, SEVERI; ANIANI. (Plan- che VIII.) La belle couleur rouge-corail de nos fragments de vases, en terre dite samienne, nous amène naturelle- ment à parler des peintures murales trouvées plus — 935 — abondamment qu'ailleurs, dans nos trois petits bassins- entre-piles. Ces peintures où le vert, le bleu, le noir, le brun, le rouge, le rose, le jaune, etc., se détachent sur des teintes neutres, s’harmonisent entr’elles, de manière à faire croire que les anciens eurent quelqu'idée de la gamme des couleurs, cette science que notre illustre compatriote M. Chevreul a rehaussée de ses observations ou plutôt créée. Généralement nos peintures murales représentent des bandes, des listels, des baguettes, des branches, des méandres, etc., etc. (Voir planche IX.) Pas trace de personnages. En revanche on serait étonné que la figurine si connue, représentant la Vénus Anadiomène, ne se fût pas rencontrée aux environs des Châtelliers. Ce type de baigneuse, en terre cuite blan- che, s’y est trouvé, mais à l’état de fragments donnés au Musée, il y a longtemps, par M. Genest, de Patience. De Vénus à la tombe, la transition peut sembler brusque? moins cependant qu’on ne le pense; un grand écrivain n'a-t-il pas dit : « Nature... c’est berceau — « sépulture. » Quoi qu’il en-soit, notre dessin (planche X°) nous met en présence d’un petit monument funèbre, autrefois trouvé près des Châtelliers et provenant du cabinet de feu M. T. Grille. Il se compose d’une urne cinéraire introduite dans une pierre de tuf, ornée d’une inscrip- tion, aujourd’hui déposée au Musée des Antiquités d'Angers. Au mois de septembre 1872, M. Robert Mowat, épigraphiste distingué, y a lu le nom de soLiRix, ajou- — 236 — tant que la forme de la lettre L et les extrémités bifur- quées de certains autres caractères indiquaient le ie siècle. L'époque où cessa l’incinération n’y contredit pas. Cependant je réserve à plus docte que moi la lec- ture de cette épitaphe dont j'ai cru devoir envoyer l’estampage le 10 novembre 187%, à Son Exc. M. le Ministre de l’Instruction publique. Cet inventaire rétrospectif achevé, passons à notre gt et dernier paragraphe tout entier réservé aux décou- vertes faites depuis le mois de mars 1873. IIL. DÉCOUVERTES DEPUIS LE MOIS DE MARS 1873. Nos principales fouilles durant la campagne de 1873- 1874, se sont effectuées sur une étendue d’environ 300 mètres carrés, limitée vers nord par le canal- écluse, vers sud par l’hypocauste aux tuyaux hexa- gones, à l’ouest par un gros mur en talus et les trois petits bassins-entre-piles, enfin à l’est par le sol en friche. (Voir le plan au Musée d’antiquités d'Angers.) Dans cet espace, nous avons découvert, allant du nord au sud, trois chambres. Un coup d’œil sur le des- sin de la planche XL, est ici nécessaire pour bien se rendre compte de leur appropriation. Vous remarquerez, en avant, un réduit rectangulaire long de 5",10, large de 4°,80, en contre-bas de 2°,30, et ayant deux issues de 1”, 80 de large, l’une à l’est et l'autre à l'ouest. — 957 — Les murs très-épais de cette première chambre sont bâtis en petit appareil, sans chaines de briques; l’aire est bétonnée et encore pleine à son centre, d’une épaisse couche de terre noire, mêlée de charbons de bois. A son angle sud-ouest, vous distinguerez un très-étroit escalier de six degrés, construit en briques. Ce réduit que nous croyons avoir été la chambre des chauffeurs, touche vers sud, à une seconde pièce d’un niveau un peu plus élevé et qui renferme un vaste fourneau. Long à son intérieur de 4m,64, large de 1",70, ce fourneau est établi dans le cœur d’un puissant massif de briques et affecte une forme légèrement ovoide. Étroit à son embouchure (70 c.), il l’est davantage à son autre extrémité (51 c.). Des arrachements prouvent qu’il avait été voüté comme l’autre plus petit fourneau (bains de l’est) que nous décrivimes l’année dernière. C’est au cœur des massifs, même mélange de briques, de chaux et de ciment. Toute le grand fourneau a cela de spécial, que sa face principale, est à la base, faite de briques posées obliquement, les unes à droite et les autres à gauche; au-dessous du goulet d’entrée (præfurnium), elles sont mises de champ; pour le reste, les briques sont posées de plat. Autre particularité curieuse, c’est que ce præfurnium paraît entouré d’une rainure carrée, ce qui prouve surabondamment que l’entrée du fourneau pouvait être obturée à volonté, au moyen d’une plaque mobile. À l’intérieur de ce foyer, côté de l’est, et au mois d'octobre 1873, nous découvrimes vingt-six monnaies romaines, la plupart grands-bronzes, formant le mo- deste pécule, sans doute, de quelque pauvre chauffeur. ; — 938 — Nous y trouvâmes également des clous, des tessons de vases, des scories de plomb, puis un bouton de verre, couleur d’agate, semblable à d’autres que j'ai vus quelquefois sertis dans des chatons de masques de divinités. Quant aux monnaies, toutes sont communes, à l’ex- ception d’un Antonin le Pieux portant au revers la tête de Marc-Aurèle; mais elles ont cela d’intéressant qu’elles peuvent, d’une façon approximative, indiquer l’âge de nos bains antiques. En voici donc l’énumération par ordre chronologi- que; treize sont frustes; les autres sont généralement belles et représentent : Anionin le Pieux, Faustine, sa femme, Faustine, jeune épouse de Marc-Aurèle, enfin Lucille mariée à Lucius Verus l’an 164 de J.-C. et mise à mort vers l’an 183. Ces médailles du second siècle se suivent sans inter- ruption dans le petit pécule dont il s’agit; mais chose à noter, 1l en est quatre qui laissent un siècle de dis- tance entr’elles et les Antonines. Ces quatre dernières monnaies représentent Postume jeune (milieu du mx siècle) et sont des moyens-bronzes coulés. Ils pourraient bien avoir été le produit d’un faux monnayage au temps de Postume et pourraient bien aussi avoir été fabriqués dans le fourneau même où nous les avons trouvés. Bref, ces moyens-bronzes ont un aspect louche qui eût été capable d’éveiller l’at- tention de quelque juge instructeur à cette époque reculée. Ne nous en plaignons pas, car ces fausses mé- dailles ne sont pas toujours les moins intéressantes, Passons maintenant à la troisième chambre. — 239 — Nous y verrons que, au sud, notre fourneau présente un étroit goulet qui permettait à la flamme de se répandre dans la plus vaste de nos trois pièces, au travers de nombreuses petites piles d’hypocauste, en partie visibles à la droite de notre dessin, (Planche XI.) Cette chambre a de longueur 13 mêtres environ, sur 10 de large. Au midi de cet hypocauste et à peu prés dans l’axe du præfurnium et du second goulet, est une troisième bouche à feu de 1 mêtre en tout sens, voûtée en bri- ques, la plupart'brülées; cette ouverture ne peut s’aper- cevoir dans notre dessin, le terrain y mettant obstacle. Avant d’être obturée cette bouche servait horizontale- ment de sortie à la fumée qui, gagnant les tuyaux hexagones d’un second hypocauste, l’an passé décrit, se dégorgeait enfin verticalement au dehors. Ce procédé de chauffage dans lequel le foyer est placé horizontalement à longue distance du point de sortie de la fumée, n’était pas inconnu trois siècles, même, après l’époque romaine ; nous en trouvons trace sur un ancien plan du monastère de Saint-Gall, publié en 1868, dans le Bulletin de M. de Caumont !. On y lit, en effet, ce qui suit : « Trois des apparte- « ments (du dit monastère), sont chauffés par un « hypocauste, à en juger par l'emplacement du foyer « qui est différent de celui de la cheminée. Le foyer, « caminus ad calefaciendum, est à une extrémité de la « pièce et la cheminée evaporatio fumi ou exitus fumi, 1 Bullet. monum. (4° série, t. IN), 34° vol. de la collection, n° 4. An 1868, pages 370-406. — 940 — « à l’autre extrémité et tous les deux sont en dehors de « l'appartement (formant hypocauste). » Ne soyons pas trop surpris de ce procédé de chauf- fage, appliqué jadis à certains vieux monastères, car il n’est pas douteux que l’on ne retrouve, dans leur distri- bution architecturale, quelque chose de l'appropriation des villa de l’époque romaine. Pressé par l'heure, je m’arrête, et pourtant, que n’aurais-je pas à dire de ces nombreux segments de briques qui réunis par assises superposées, formaient colonnes pour la décoration des appartements ? L'on me permettra du moins d'ajouter que, nous sommes toujours à chercher la statuette, en or, de César à cheval et celle du fameux rouet de même métal qui tourne, tourne, comme dans la Dame-Blanche, sous les doigts, sans doute, de quelque vieille tante Marguerite. Les ruines, en effet, sont généralement, le pays du merveilleux ; quand elles ne suscitent pas l’idée de tré- sor, c’est celle de mauvais génies qui prévaut ; exemple : en Saint-Laud, près d'Angers, le Lutin, l'Enfer, la Diablerie, etc , etc., tous lieux où de nombreux restes romains furent trouvés. Au fond, ces légendes peuvent avoir ceci de vrai, qu’elles sont comme une vivante tradition des endroits où domina le paganisme.. Ne les négligeons pas, car rien que par certains noms, elles nous mettent souvent sur la trace d’antiquités à découvrir. Elles sont, quel- quefois, le fil d'Ariane, sans lequel ne manquerait pas de s’égarer l’opiniâtre chercheur, — 241 — Post-scriptum. Ces lignes étaient écrites, et suivant l’expression de Vertot, mon siége était fait, lorsque les ouvriers décou- vrirent ce que nous pouvons nommer le cœur de la place, c’est-à-dire un massif rectangulaire tout en bri- ques et de près de cent mètres carrés, qu'environne un large corr dor. Ce massif à l’angle sud-est duquel, paraît l’orifice d’un tube en plomb de 18 à 20 centimètres de diamètre, est juste au centre des doubles hains et en forme certai- nement le trait-d’union. Cette découverte fera l’objet, je l'espère, d’un troisième Mémoire, comme aussi d’autres plans et dessins qui faciliteront, un jour, la restitution scientifique de ces curieux débris. V. GODARD-FAULTRIER. À propos du premuer mémoire de M. Godard sur les fouilles aux Châtelliers de Frémur, on lit dans le Bulletin monumental de M. de Caumont, dirigé pré- sentement par M. de Cougny (5° série, tome Ile, 40e volume de la collection n° 4) page 384, ce qui suit : € M. Godard-Faultrier a eu l’obligeance de m’adres- ser le compte-rendu de ses fouilles aux Châtelliers de Frémur, pour lesquelles la Société française d’Archéo- SOC. D’AG. 16 — 249 — logie lui avait accordé une subvention lors du Congrès d'Angers, en 4871. Ce compte rendu, accompagné de nombreux et excellents dessins de M. le docteur Godard fils, met à même d’apprécier toute l'importance des découvertes du zélé et savant inspecteur de Maine-et- Loire. « Les substructions que M. Godard supposait être celles d’un théâtre ont été fouillées à nouveau, et ces fouilles ont confirmé les prévisions de notre collègue. L’hémicycle mis au jour a 87 mètres de diamètre moyen. Des demi-tours appliquées à l’intérieur contre le mur d'enceinte, fout, comme à Vieux, à Soissons et à Saint-Cybardeau, office de contre-forts. « Sur un autre point du plateau des Châtelliers, des fournaux d’hypocauste, des conduites d’eau, des bas- sins, des salles de différentes dimensions, dont une de forme polylobée, ont révélé à M. Godard l'existence en cet endroit de bains gallo-romains. Parmi les objets fournis par les fouilles, se sont trouvés des fragments de stucs moulurés, une inscription sur brique, des débris de poteries samiennes, des tambours de colon- nes en tuf, une clef en fer, et nombre d’autres objets que je ne saurais énumérer. « Nous avons, dit M. Godard, découvert environ « 950 mètres carrés de ruines, désormais acquises à la « science, c’est-à-dire en étendue, le cinquième de ce « qui nous reste à déblayer. » On juge par là quelle est l'importance des fouilles exécutées par MM. Godard père et fils. Je dois ajouter, pour ne laisser rien igno- rer du dévouement de ces deux zélés archéologues, que — 243 — le plateau sur lequel sont situées les substructions gallo-romaines de Frémur a été acquis par M. Godard fils, dans le but d’en assurer la conservation. Pour em- ployer la formule antique, je dirai en terminant : MM. Godard père et fils ont bien mérité de l'archéologie. « G. DE COUGNY. » D’un autre côté, dans la Revue des Sociétés Savantes, publiée sous les auspices du Ministère de l’Instruction publique (mars-avril 1874), nous lisons l'extrait ci-après du compte-rendu des lectures faites à la Sorbonne (sec- tion d'Archéologie), page 312: « M. Godard-Faultrier, membre de la Société d’Agri- culture, Sciences et Arts d'Angers, donne lecture d’un mémoire sur de MVouvelles fouilles exécutées aux Châtelliers de Frémur. L’an dernier, M. Godard- Faultrier donnait lecture, à la Sorbonne, d’un travail sur les premières fouilles exécutées en 1871 et 1879, aux Châtelliers de Frémur, qui, depuis, a été publié avec vingt-deux planches dessinées par M. le docteur Godard, fils de l’auteur, dans les Mémoires de la Société d'Angers (année 1873). Aujourd’hui, M. Godard- Faultrier vient rendre compte des fouilles nouvelles exécutées dans cette même localité. Il résulte de ses observations qu'il y aurait eu à Frémur un castellum du Bas-Empire, dont il a retrouvé des vestiges, ainsi qu’une villa, et que cette dernière aurait conservé, dans son appellation actuelle, le souvenir du castellum. Cette villa était considérable; on y a trouvé des — 244 — hypocaustes et une foule d’objets intéressants à divers titres, notamment des fibules, dont une avec l’inscrip- tion TITVR, un peigne, des appliques en bronze, des vases avec marques de potier, des fragments de murailles peintes, enfin des monnaies romaines d’Antonin, de Marc-Aurèle, des deux Faustine, de Lucille et de Postume. Des plans et de nombreux dessins, fort bien exécutés comme ceux du premier mémoire et par le même amateur, illustrent celui que l’on a entendu avec intérêt cette année, et qui sera suivi d’un autre, car les fouilles doivent être reprises cet été. & À. CHABOUILLET, « Secrétaire de la section. » NÉCROLOGIE M. FRÉDÉRIC PARAGE-FARRAN Messieurs, C’est avec un vif chagrin mêlé d’amertume, que j'ai à vous annoncer la mort de deux de nos collègues emportés jeunes encore, à quelques jours de dis- tance l’un de l'autre, depuis notre dernière séance, M. Beulé, l’un de nos présidents d'honneur, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, mort le 4 avril à l’âge de 48 ans : des détails importants nous manquent pour vous parler aujourd’hui de sa vie et de sa mort; et M. Frédéric Parage-Farran, l’un de nos membres titulaires, membre du Conseil général, mort le 30 mars dernier. Né de parents riches agriculteurs, élevé dans de grandes propriétés, Frédéric voulut avant tout être lui-même agriculteur. Après avoir fait de bonnes études scolaires, croyant que rien n’est plus utile pour un homme qui veut faire lui-même ses affaires, que de connaître les lois de — 246 — son pays, 1l fit son droit et non content du titre de licencié, conquit celui de docteur. Revenu au milieu de nous jeune, riche, ayant tout pour plaire, il se maria bientôt, puis se présenta à notre Société pour y prendre place au milieu d'agriculteurs renommés entre tous : MM. de Falloux, Boutton- Levêque, de Quatrebarbes, Joseph de Mieulle. Nommé successivement par ses concitoyens membre du Conseil municipal, adjoint au maire d’Angers, membre du Conseil général, M. Parage, ami des arts et des artistes, musicien distingué lui-même, prit rapide- ment dans notre monde angevin une place considé- rable. Comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, Messieurs, Frédéric Parage s’est toujours et avant tout livré à l’agriculture. Ses longs et si utiles travaux furent cou- ronnés en 1869, lors de l'Exposition régionale, par le prix de métayage consistant en un objet d’art et2,000 f. répartis entre les métayers de la terre de Roche-d'Iré. « M. Parage a réalisé le métayage sur une vaste échelle, dit le rapport de la Commission. Partout dans ses diverses exploitations, nous avons constaté les soins les plus minutieux en vue du bien-être des métayers, une administration paternelle, une libéralité consistant en avances considérables sans intérêl, avec toute facilité de remboursement; partout aussi nous avons trouvé des visages heureux, de ces familles honnêtes, naguère pauvres, aujourd’hui contentes de leur sort, voyant s’accroitre chaque jour leur modeste avoir, épargne légitime de leurs sueurs, et qui, en contemplant leur nombreuse postérité, se disent avec une sérénité qui — 947 — naît du passé : Comme nous, ces enfants vivront sur le même sol que nos pères avant nous ont déjà fécondé; la gratitude et l'intérêt nous y enchainent et la pater- nelle bonté du maître nous y maintient. Un métayage de la sorte est une œuvre éminemment sociale qui mérite d’être signalée, encouragée, répandue. » Pour qui a pu connaître M. et Mme Parage; le mot paternelle administration est bien l'expression de la vérité, car tout était paternel dans les relations qui existaient entre eux et leurs subordonnés, et nous nous souvenons tous avoir vu la bonne dame Parage, entourée de ses 18 ou 20 métayers et métayères comme d'autant d'enfants, venir à leur tête recevoir les récompenses qui leur étaient accordées. Depuis plusieurs années, Frédéric Parage se plaignait de sa santé. « J'ai souvent, nous disait-il, des palpitations qui me fatiguent et m'inquiêtent. » Get élat s’exaspéra sous l’influence de la plus affreuse douleur que puisse éprouver un père : il vit mourir à 18 ans à peine, une fille qu'il chérissait. Gette douleur, jointe à d’autres chagrins de famille, fut en vain diminuée, mornenta- nément du moins, par le bonheur d’assister à Paris au mariage de son fils désormais son unique enfant. Le dimanche 26, après avoir été recevoir à la gare sa fille d'adoption, il sortit pour aller voir un de ses oncles mourant et il éprouva en montant l’escalier une grave suffocation. Il put cependant rentrer chez lui, se coucher et dans la nuit il fut frappé d’une nou- velle suffocation plus grave, plus menaçante qu'aucune autre. Malgré les soins les plus tendres, les plus dévoués, malgré des alternatives de suspension et — 248 — d’exaspération des accidents, après avoir reçu avec bonheur les derniers sacrements, et entendu les plus douces paroles de notre cher curé l’abbé Bodaire, il mourut après trois jours d’une véritable agonie. Le plus bel éloge qu’on puisse faire de Frédéric Parage, c’est de rappeler que la foule qui a voulu l’ac- compagner à sa dernière demeure, a été si considérable que l’église St-Joseph n’a pu la contenir. C’est le plus légitime hommage que l’on pouvait rendre à l’homme honnête, aimable, généreux, au grand agriculteur, au bon ami, au bon citoyen. A. LACHÈSE. 6 mai 1874. PROCÉS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 25 MARS 1874. . Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachése, président, Louis Rondeau, trésorier, et P. Belleuvre, secrétaire général. M. le Président, sous l’mpression du succès des fouilles de M. Godard-Faultrier, de la science déployée par notre collègue dans l’habile direction qu’il a donnée à ces recherches et de la remarquable collaboration apportée aux travaux de son père par M. Hippolyte Godard, comme dessinateur, croit être l’interprète de la Société, en exprimant le désir de voir ses collègues leur donner des marques de leur satisfaction et de leur gratitude. D'un autre côté, personne n'ayant produit de mé- moire pour le concours de 1873, il proposerait de con- vertir en médaille, le prix de 500 fr. qui devait être - l’objet de ce concours, de la décerner à MM. Godard, père et fils dont les deux noms seraient inscrits sur l’exergue de la médaille, comme ayant droit chacun à cette distinction. Si la Société se range à cette motion M. le Président se charge de remplir de suite, vis à vis de l'administration départementale les formalités néces- — 950 — saires pour régulariser cette nouvelle destination du prix de 1873. La Société ne voyant pas, en l’absence de concur- rents qu’on puisse faire un meilleur emploi de ces 900 fr., déclare que son président a parfaitement tra- duit ses sentiments en cette circonstance, que c’est à M. Godard, dans ce moment, que la Société a le plus d'obligation, et elle charge M. Adolphe Lachèse de vou- loir bien faire les démarches nécessaires pour la réali- sation de ce projet. Dans le cas, où comme on ne peut en douter, l’auto- risation de M. le Préfet serait accordée, l’idée a été émise par quelques-uns des membres de la Société de donner sur les 500 fr., à la médaille à décerner, une valeur de 100 fr. et de laisser dans la caisse de la Société 400 fr. qui seraient appliqués aux frais faits pour les dessins et les plans relatifs aux fouilles des Châteliers. Parmi les envois qui ont été adressés à la Société depuis la dernière réunion, se trouvent le Bulletin de la Société d'Agriculture Sciences et Arts de la Sarthe, le Bulletin de la Société Archéologique de l’Orléanais et les Annales de la Société Académique de Nantes. M. le Président signale, dans le premier, un rapport intéres- sant sur la culture des chanvres, par M. Charles Giraud notre compatriote, ainsi qu’une notice de M. Jean Miton, ayant pour titre Les Allemands dans la Sarthe. Il signale également dans le second : Un coup d’œil rétrospectif sur Pexposition de Tours en mai 1873, par le Dr Patet, et le Procès-verbal des recherches dans l'église de Cléry, du cœur du roi Charles VIII. M. Adolphe Lachèse nous lit son commentaire sur là — 951 — Traduction complète des œuvres d'Horace par M. le D' Grille, en des pages, où l'esprit et le cœur nous charment alternativement. Si, en effet, dans son intelligent examen il donne à l'écrivain tous les éloges auxquels M. Grille a si bien droit pour sa fidèle et spirituelle interprétation du grand poëête dont il a suivi la trace, M. Lachèse se rap- pelle, avant tout, et dès la première ligne, qu’il s’a- dresse à un digne et excellent ami. Il évoque, à cette occasion, ces deux vers qu’un autre de ses amis avait chantés dans une fête de famille : Si l'amitié pouvait rendre poëte Mes vers iraient à l’immortalité. Et entre le charme de ce souvenir et la douce impres- sion du moment, il exprime dans une heureuse analo- gie cette pensée : « Si l'amitié avait pu me faire assez « latinisie, j’aurais considéré comme un devoir de vous « rendre compte de l’ouvrage qu’a bien voulu nous dé- « dier notre savant et aimable collègue. » Il reprend avec ce dernier la biographie d'Horace ; il reconnaît que ce n’est pas au lycée qu’on lit les poètes . latins avec le plus d’attrait ; c’est dans l’âge mür qu’on les apprécie le mieux. Il nous donne, comme mesure de la tâche du traduc- teur, le catalogue des odes, épîtres, satires, etc., qu’il a fait passer dans son ouvrage ; il l'accompagne de nom- breuses et charmantes citations, et fait, au sujet de la satire et de l’art poétique, un intéressant rapprochement d'Horace et de Boileau. Enfin, à raison de l'importance et de l’utilité de la traduction de M. le D' Grille, à raison du talent et de la — 952 — grâce de ses vers quant à la forme, M. Adolphe Lachèse pense que ce volume ne peut pas être trop propagé, et il est le fidèle organe des sentiments de ses collègues, en exprimant à l’auteur leurs félicitatiqus et leurs pro- fonds remerciments. M. d’Espinay signale, dans l’ouvrage de M. de Matty de la Tour, ayant pour titre: Voie romaine de la capitale des Andes à celle de Rhedones, diverses opinions contes- tables tant sur la direction de la voie de Juliomagus à Rennes, que sur la traduction des noms gallo-romains Combaristum et Sipia. Suivant Danville cette voie pas- sait par Combrée et Visseiche. Suivant M. de Matty de la Tour, cette voie était une route indirecte formée par la rencontre de la route d'Angers à Carhaix et de celle de Rennes à Nantes, et elle traversait dans l'hypothèse de M. de Matty de la Tour, Candé et un lieu situé entre Port-Neuf et Bain. Dans cette version, ce dernier endroit serait l’ancienne Sipia, et Candé l’ancien Combaristum, contrairement à l'opinion générale des archéologues. En effet M. de Matty de la Tour pour placer Combaris- tum à Candé s’appuie sur cette circonstance que ce lieu . reposait à l’ombre d’un bois contra umbream dont il fait Combrée, traduction véritablement un peu trop hasardée. M. d’Espinay n’admet l’opinion de l’auteur ni pour la direction de la voie romaine, ni pour l'interprétation des mots Gombaristum et Sipia. Il n’est pas douteux qu’il y ait eu une route directe d'Angers à Rennes et notre Combrée d’aujourd’hui ne peut être autre chose que Combaristum. — 953 — Quand au nom de Sipia il ne peut convenir qu’à Vis- seiche Vicus super Sepiam, à cause de sa situation sur la Seiche, dont le nom latin est réellement Sipia ou Sepra. Tout en rendant hommage au système ingénieux el savant de l’auteur, M. d’Espinay recommande la plus grande réserve à son sujet et croit qu’il serait difficile de renverser les traditions généralement reçues à ce sujet et les puissants arguments sur lesquels repose l'opinion contraire. L'ordre du jour appelle la traduction en vers par M. le Dr Grille, du premier acte de l’Andrienne de Té- rence. Cette pièce a pour objet les moyens par lesquels un père se propose de simuler un second mariage pour engager un fils déréglé à rentrer dans la bonne voie. Si les vers de Térence ont, au point de vue de la me- sure et de la prosodie un mérite que personne ne lui conteste, ses comédies, au point de vue scénique ne brillent ni par l'imagination ni par l’effet dramatique. M. le Dr Grille n’a donc pu reproduire le poète que par le côté littéraire et le traducteur qui s'était élevé à la hauteur d'Horace, ne pouvait rester au-dessous de Térence. C’est ce qu’il a prouvé à ses collègues dans cette nou- velle lecture dont chacun l’a vivement félicité. Il est neuf heures et demie, la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. — 954 — SÉANCE DU 6 MAI 187%. Sont présents au bureau M. Adolphe Lachèse, prési- dent, M. le chanoine Bourquard, à qui M. Lachése souhaite la bienvenue, en le priant de s’asseoir à côté de lui, et M. Belleuvre, secrétaire général. M. Belleuvre donne lecture du procës-verbal qui est adopté avec une légère modification. - M. le Président communique à la réunion une lettre de M. le Secrétaire de la commission des Monuments historiques du Pas-de-Calais, annonçant un nouveau mode de publication des travaux de cette Société, par suite du grand développement de ses études. Ces tra- vaux paraîtront à l'avenir sous la forme d’un Diction- naire, ayant pour titre Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais. A cette lettre est joint un prospectus sur lequel le Secrétaire appelle l’attention de la Société, avec invitation de souscrire à cet ouvrage après examen. M. le Président présente aussi à la Société le pro- gramme de l’Exposition de machines et outils propres à la viticulture et à la vinification, qui doit avoir lieu prochainement à Bourgueil (Indre-et-Loire). Il informe également la Société d’une lettre du Comité de l'Exposition d’horticulture qui doit s’ouvrir à Nantes le 9 courant, lettre dans laquelle le Comité joint à cet avis l'invitation à notre Société d'envoyer à cette solennité un délégué. M. le Président annonce à la Société la mort de deux de ses membres qu’elle était heureuse de compter dans — 955 — ses rangs : MM. Beulé et Parage-Farran. M. Beulé, l’un de nos présidents d’honneur, membre de l’Institut, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, est mort le 4 avril, à l’âge de 48 ans. Des détails impor- tants n'étant pas encore en la possession de M. Adolphe Lachèse sur la vie et sur la mort de notre éminent collègue, il se propose de revenir sur ce sujet quand ils lui seront parvenus. M. Lachèse expose les titres de M. Parage à nos regrets et à ceux des Angevins en général. M. Parage-Farran, conseiller général, décédé le 30 mars dernier, était membre titulaire de notre Société. M. Lachèse passe en revue cette vie si bien employée, qui avait révélé dans M. Parage tant d’aptitudes diverses. Une fois le grade de docteur en droit conquis par notre collégue, M. Lachèse nous le montre, comme son père, captivé par le charme de l’étude agronomique, dont il avait tout le loisir de faire l’application sur ses propres domaines. Il nous entretient des nombreux services rendus par M. Parage à l’agriculture, et particuliérement à ses fermiers qu’il encourageait de ses conseils et de sa bourse avec un rare désintéressement. Il nous parle de ses succès dans les concours agricoles et particulière- ment dans l'Exposition régionale de 1869. Ses connaissances pratiques n’enlevaient rien à l'agrément et à l'élégance de l’homme du monde. Il nous rappelle l'impulsion donnée par M. Parage comme musicien particuhèrement, au développement de notre dernière Société philharmonique ; il exprime, au nom — 956 — de notre Société, une douloureuse sympathie pour les épreuves dont M. Parage avait été frappé comme père de famille, et il rappelle enfin, comme le plus digne hommage que l’on puisse rendre à sa mémoire, l’af- fluence qui le suivait à sa dernière demeure, affluence que l’église Saint-Joseph ne pouvait contenir. M. Belleuvre donne lecture d’un passage du Journal officiel relatif à la réunion des délégués des Sociétés savantes qui s’est tenue, cette année, à la Sorbonne le 10 avril dernier. M. Belleuvre cite dans ce compte rendu l’article con- cernant les délégués de notre ville et particulièrement les travaux de M. Godard-Faultrier et les fouilles diri- gées par lui aux Châtelliers de Frémur. M. Belleuvre demande et obtient l'insertion de ce passage au procès-verbal. Voici en quels termes il est conçu : « M. Godard-Faultrier de la Société d’Agriculiure, « Sciences et Arts d'Angers, a donné lecture d’un « mémoire sur de nouvelles fouilles exécutées aux frais « de cette Compagnie, aux Châtelliers de Frémur. C’est « une villa de l’époque romaine, où l’on a trouvé des « hypocaustes, des peintures murales, des figurines, des « ustensiles de divers genres, fibules, peignes et un « fragment d'inscription latine. De nombreux dessins « exécutés avec beaucoup de talent et un très-bon sen- « timent par M. le docteur Godard, représentant le « plan de cette villa, accompagnent l’intéressant mé- « mémoire de M. Godard-Faultrier. » L'ordre du jour appelle la lecture que M. le chanoine Bourquard, à la sollicitation de notre Président, avait — 957 — promis de faire à la Société de son travail sur la néces- sité de réunir dans la même ville les diverses Facultés d'une Université catholique libre. Ce mémoire communiqué déjà sur la demande de M£ Freppel, à la savante et pieuse réunion qui s’est tenue cette année à l’Évêché pour discuter les moyens d’arriver à cette grande et désirable fondation, avait été apprécié, comme il le mérite, par S. G. et par tous les membres de l'assemblée qu’elle présidait. La Société d'agriculture avait donc une raison de plus d’ambitionner la faveur dont M. le chanoine Bour- quard à bien voulu l’honorer, et l’auteur s’est acquitté de sa promesse avec une obligeance et une grâce par- faites. Nous n’entreprendrons pas d'analyser un travail rempli d’une aussi vaste érudition et revêtu d’une auto- rité aussi magistrale. Il n’y a pas un mot en effet dans cette composition qui ne soit un enseignement ; et il est aisé de comprendre qu’on ne puisse scinder d'aucune facon un mémoire appuyé sur des considérations d’un ordre aussi élevé et se touchant chacune par des liens aussi étroits. M. Bourquard proclame, en commençant, l’indis- pensable nécessité de revenir aux études fortes et religieuses, dans un siècle où l’on attaque jusqu’à l'existence de Dieu. L'auteur appelle à l’appui de ses généreuses et nobles aspirations la voix de l’histoire, il nous montre dès le v° siècle les efforts tentés par le pouvoir et par les clercs pour jeter sous des noms divers les bases de ces insti- tutions qui renfermaient en elles les germes de la SOC. D’AG. 17 — 958 — grande moisson religieuse, scientifique et morale que la France intellectuelle et croyante devait récolter un jour. Arrivés au siècle suivant, nous sommes témoins de la lutte de la Neustrie et de l’Austrasie, et cette dernière victorieuse, dans l’enivrement d’une joie barbare, arrête le premier essor de la Gaule vers la civilisation chré- tienne, et transforme en écuries les salles où se tenaient ces premières assemblées. Charlemagne, avec la double puissance du génie et de la foi, ramène la Gaule dans cette voie vivifiante, et les premières Universités sont fondées, non-seulement en France, mais en Allemagne ét en Italie. Le moyen âge ne fait que développer ces fécondes institutions. Le siècle de la Réforme fait éclater sur elles de nou- veaux orages jusqu'au moment où la réforme prenant le nom de Révolution, les abolit avec tout ce qu'il y avait de grand, d’auguste et de religieux. L'auteur, prenant ensuite en particulier, chacune des facultés dont se compose une Université catholique et libre, démontre, avec l’éloquence du savoir et de la charité, de quel honneur serait pour ces établissements l’élément religieux et quels secours puissants il appor- terait en dehors de la faculté de la Théologie et du Droit canonique aux professeurs du Droit civil, organes de la Justice, cet inviolable attribut de Dieu; à ceux de la Médecine, de cette science qui exige de celui qui l’exerce la moralité, la gravité et la discrétion du confesseur; et enfin à la faculté des Beaux-Arts dont la véritable mis- sion est d'élever les âmes par l'interprétation de la Beauté idéale, qui ne se révèle qu’à travers le rayonne- ment intellectuel de la Beauté de Dieu. — 259 — Ce savant et éloquent exposé des motifs nombreux et puissants qui doivent déterminer la restauration de notre ancienne Université, rencontre au point de vue moral et religieux surtout, les sympathies unanimes des membres présents. Au point de vue de la science elle-même, pour certaines facultés, pour les études en , médecine par exemple, dans leur application, un centre secondaire en province offre, même pour l'anatomie, la clinique, la dissection, des avantages que l’on ne rencontre pas, dans la même mesure à Paris, de l’aveu de tous les hommes de l’art. Dans ces limites tout le monde est d'accord. En dehors de ces considérations quelques divergences se présentent. M. Vaslin, jeune docteur de notre ville, aitiré à la séance, par l'intérêt de la question elle- même, adopte d’une manière absolue, toutes les idées de M. Bourquard. Il croit que la province peut offrir aux étudiants des ressources suflisantes pour conquérir leurs grades, puisque les élèves en droit nous en donnent la preuve tous ‘les jours dans des conditions encore moins favorables que dans une Université. M. Adolphe Lachèse, tout en s’associant au vœu de M. le chanoine Bourquard, en principe, et sans nier la possibilité de parvenir aux grades nécessaires, en s’y préparant dans une Université de province, croit que l’on ne se prive pas impunément 1° et surtout, des res- sources que présentent aux élèves les Hospices spéciaux de Paris; 2° de la lecture des riches ouvrages et des nombreux documents accumulés dans les Bibliothèques publiques. Il croit que bien des hommes célèbres dans la médecine surtout, ne seraient pas arrivés à une — 960 — pareille illustration sans donner à leurs études ce per- fectionnement qu’on ne trouve qu’à Paris. Il pense que cet avantage incontestable de la capitale sur la province sera toujours pour les jeunes gens sérieux, et qui veulent parvenir, un aimant irrésistible. Autrefois, sous ce rapport, les Universités de province n’avaient rien à craindre parce que les docnments de la science étaient disséminés,; elles luttaient entre elles avec une puissance à peu près égale, les mœurs n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui; les centres secondaires étaient indis- pensables en l’absence de la grande centralisation d’au- jourd’hui ; les moyens de locomotion existaient à peine; un voyage à Paris était un rêve ambitieux qui n’avait ‘pas d’ailleurs pour les étudiants, sa raison d’être. La situation, sous ce rapport, ne peut se comparer. M. La- chèse craint en face de cette habitude aujourd’hui si générale et si enracinée d’aller chercher à Paris, ce complément de son éducation, que la grande fondation appelée de tous ses vœux, à tant d’autres égards, ne rencontre à ce sujet des obstacles sérieux. L'ordre du jour appelle la lecture d’un travail de M. de Maity de Latour sur l'emplacement de l’ancienne capitale de l’Anjou. La lecture de ce volumineux ma- nuscrit est impossible dans une séance laborieusement employée et à une heure déjà avancée. L'examen de ce mémoire est confié à une Commission composée de MM. d’Espinay, Pavie et Cosnier. Une fois ce manuscrit reconnu digne d’être imprimé dans les Annales de la Société, il restera encore la ques- tion financière; on se demande en effet le chiffre auquel s’élèveront les frais d'impression d’un travail — 9261 — assez étendu par lui-même; cette question est d’autant plus importante que les thèses de M. de Matty de La- tour soulèvent ordinairement plus d’une objection et que l'impression des controverses augmenterait néces- sairement les premiers frais. Il sera donc nécessaire de consulter M. le Trésorier de la Société afin de savoir si la situation de la caisse permet de faire face à ces éventualités. | Il est 9 heures 3/4, la séance est levée. Le secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 3 JUIN 1874. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachése, président; Belleuvre, secrétaire général. M. le Président présente la candidature de M. l’abbé Jouin dont le mérite est trop connu pour recourir . aux épreuves ordinaires. On proclame l'admission de M. l'abbé Jouin, comme membre de la Société. La Société de géographie de Paris nous annonce qu’un Congrès international des sciences géographiques se tiendra dans la capitale, en 1875. Elle joint à sa lettre un questionnaire ou programme des matières qui devront occuper plus spécialement l’attention et l’exa- men des savants appelés à faire partie de cette réunion ; et ceux d’entre eux qui se proposeraient soit de prendre la parole, soit d'envoyer des mémoires sur ces ques- — 262 — tions, sont priés d’en informer M. le baron Reille, commissaire général du Congrés. Le Conseil municipal de Belfort ayant décidé qu’une souscription publique serait ouverte, afin d’élever un monument commémoratif de la défense de Belfort, le Président du Comité envoie à la Société une lettre dans laquelle il expose les motifs de ce vœu patriotique qui se traduirait par l'érection d’un lion gigantesque adossé aux flancs de la citadelle et s’éveillant en fureur au premier cri d’alarme. Cette lettre est suivie d’un prospectus contenant les conditions de la souscription et la liste des personnes qui se sont fait inscrire. Le Conseil de la Société des agriculteurs de France, par l’organe de son Président, donne avis que cette Société a mis au concours un prix de mille franes, pour être décerné à l’entreprise de mécanique à moisson qui en 1874, aurait opéré sur la plus grande étendue de terrain, dans les conditions les plus économiques. Le Conseil de cette Société donne également avis que quatre autres prix de mille francs chacun seront aussi décernés, durant sa session annuelle de 4875 : 19 Au meilleur procédé de destruction du Phylloxera vastatrir ; | 20 A la meilleure et à la plus économique installation agricole de distillerie ; 3° Aux instituteurs des départements de la Marne, de la Haute-Marne, de Meurthe et Moselle, de la Meuse et des Vosges qui auraient le mieux développé chez leurs-élèves le goût de l’agriculture ; 4° À la meilleure jumenterie privée dans les départe- — 263 — ments du Finistère, des Côtes-du-Nord, du Morbihan, d’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure. A ces prix La Société des agriculteurs ajoute aussi des récompenses : 4o Pour le meilleur procédé de conservation des fourrages verts ; % Pour la meilleure méthode d’apiculture ou les meilleurs instruments d'application à cette utile et intéressante industrie. A ces lettres est jointe encore une circulaire de M. Edmond Hirschler, directeur à Marseille du Drction- naire biographique des Pionniers de la civilisation, vaste recueil, grand in-8, contenant un tableau comparatif des diverses œuvres philanthropiques, sociétés savan- tes, etc. — M. Hirschler añnexe un questionnaire à son prospectus, et demande le concours des Sociétés aux- quelles il s’adresse. M. le Président communique à la réunion une lettre du Président de la Société académique de Nantes, par laquelle elle l’informe du désir exprimé par elle au Ministre de l’instruction publique à l’effet d’obtenir que le prochain Congrès scientifique et artistique tienne sa session dans la ville de Nantes, et, dans cette prévision, cette Société prie notre Président de vouloir bien lui faire connaître quelles ressources la région de l'Ouest pourrait offrir pour la réalisation de ce vœu. M. Adolphe Lachèse nomme pour la rédaction de la réponse à la Société académique de Nantes, une commission com- posée de MM. d’Espinay, Godard, Cosnier et Grille, et le Secrétaire remet à ce dernier la lettre sus-mentionnée — 264 — pour que la Commission puisse en prendre connaissance dans tous ses détails. Enfin M. Adolphe Lachèse, président, présente à la réunion un mémoire extrait des Annales de l’Académie nationale de Reims, ayant pour but de réfuter les opi- nions de Darwin sur les rapports de la race humaine et de la race simiane, et les auteurs qui ont publié des systèmes analogues. Ce travail fait surtout ressortir les différences caractéristiques qui existent au profit de l'homme, au point de vue de l’anatomie. Sur ce point M. le chanoine Bourquard fait remarquer que les au- teurs dont il est question ne prétendent pas trouver, au point de vue anatomique, une similitude plus grande qu’elle n’existe entre les deux races, mais qu’ils font de ces rapports entre l’homme et le singe une question de famille. M. le chanoine Bourquard veut bien accepter de faire un rapport sur le mémoire de l’Académie de Reims. L'ordre du jour appelle la lecture d’un petit volume par M. Merche, intitulé : /4 Botte de foin. Ge volume orné de jolis dessins a pour but de faire la distinction entre les plantes qui peuvent ou doivent même entrer dans la botte de foin et les végétaux qu’on doit en écarter. Le Président recommande à la Société l'ouvrage intitulé : e Guide des campagnes ; c’est un recueil des usages ruraux et urbains du canton du Louroux-Bécon- nais, par M. Lacadorais. La Société revient sur la question dont le Mémoire de M. de Maity de Latour avait été l’objet à la précédente - — 9265 — séance. On se rappelle que l'examen de ce travail sur les emplacements de l’ancienne capitale avait été remis à une Commission. M. d’Espinay qui avait bien voulu se charger du rapport de cet examen, expose que, par suite d’un malentendu, la Commission n’a pu se réunir. Il fait observer qu’il y a vingt ans un ouvrage de l’auteur sur la même question avait été présenté à la Société. L'auteur citait déjà à cette époque trois em- .placements divers sur lesquels la discussion pouvait s’ouvrir pour savoir quelle avait élé la situation de l'ancienne capitale des Andes. M. Adville avait été prié de faire un rapport sur cet ouvrage, et la Société, ce rapport entendu, avait, en 1854, conclu en principe à l'impression. D'un autre côté, comme aujourd’hui, il y avait aussi la question financière à examiner. [| y avait 250 pages de texte, 100 pages de notes. La Commission financière refusa. Aujourd’hui, avant de statuer sur le mérite de l’ou- rage qui à pu être modifié à beaucoup d’égards, il résulte de la discussion qui s'engage, qu’il seraït peut- être prudent de vider d’abord la question financière, puisque, malgré la valeur de ce travail, impression ne pourrait avoir lieu si cette question préalable était tranchée négativement La Société décide que M. Paul Lachèse voudra donc bien examiner le manuscrit de M. de Matty de Latour au point de vue typographique et présenter un devis des frais d'impression qu’il devra occasionner. _ La Société devait couronner sa séance par une nou- velle lecture de M. le docteur Grille. M. Grille qui a traduit les comédies de Térence, avait choisi, cette fois, — 266 — le premier acte du Bourreau de lui-même. Ne connais- sant pas l'impression qu’eût produit sur l’auditoire la lecture de la comédie entière, il serait superflu de donner, dans le procès-verbal, le sommaire d’une pièce . dont nous ne connaissons en quelque sorte que le pro- Jlogue. Comme nous le disions à propos de l’Andrienne, les compositions de Térence nous semblent manquer un peu d'animation. 1] est vrai que le mouvement ne se. fait pas habituellement sentir dans une œuvre même comique dès le premier acte, dès le début. | En admettant que cette critique doive être adressée à Térence, le mérite du traducteur est d'autant plus grand que sa tâche était plus difficile. Ses vers pleins de charme et de naturel bercent l’oreille et la pensée, tout en restant fidèles au texte original, même dans les passages les plus simples, les plus ordinaires, à l'heure même où l'intrigue absente ne peut tenir l’esprit en suspens. 3 Aprés cette lecture, chacun félicite le traducteur de son nouveau succés. Il est 9 heures 25 minutes; la séance est levée. Le secrétaire général, P. BELLEUVRE. — 267 — SÉANCE DU 8 JUILLET 1874. En ce temps de vacances et par suite du départ de plusieurs membres, et du dérangement de quelques autres, M. Adolphe Lachèse, président, est seul présent au bureau. Le procès-verbal de la derniére séance est lu et adopté. M. le Président ouvre la correspondante et commu- nique à la réunion : 40 Une lettre de la Société des Études historiques de Paris, laquelle lui adresse le programme d’un prix pro- posé par celte compagnie pour l’année 1875, avec prière à notre Société, par l'organe de-son Président, de donner à ce programme toute la publicité pos- sible ; 2 Une lettre du Président de la Société d’Horticul- ture de l'Ain, adressant les programmes de l'Exposition horticole qui doit s'ouvrir à Bourg les 29, 30 et 31 août 1874; et qui invite notre Société à concourir aux opérations du jury de cette Exposition par la déléga- tion d’un des Membres de la Société d'Agriculture, Science et Arts d'Angers ; 30 Une Notice sur de récentes découvertes archéolo- giques à Nîmes et dans le Gard ; cette Notice est remise à M. d’Espinay qui veut hien accepter d’en faire le compte rendu. M. le Président présente également à la réunion un petit volume ayant pour titre : Le Prunier, sa culture, la préparation de son fruit, par M. le Dr Issartier. — 9268 — M. Pavie veut bien prendre le soin de parcourir cet ou- vrage et d'en donner l’analyse à l’une des prochaines séances. L'ordre du jour revient sur le Mémoire de M. de Matty de Latour, ayant pour titre les Emplacements de l’ancienne capitale de l’Anjou. Le volume des procès- verbaux des séances de l’année 1854 nous révèle qu’une commission avait été nommée dès cette époque pour en discuter l'impression après lavoir examiné. M. Ad- ville, rapporteur de cette Commission, avait fait con- naître que la Commission venait d’en voter l’impression. Mais on voit plus loin que par suite de l'insuffisance du budget on avait été forcé de renoncer à ce projet. La Société, dés la dernière séance, ayant été appelée à statuer de nouveau sur cette question, par suite d’une nouvelle demande de l’auteur, et éprouvant les mêmes appréhensions, avait chargé M. Paul Lachèse de faire le devis de ce que pourrait coûter l'impression de ce Mémoire, texte et planches compris. Le devis de M. Lachèse est présenté, et il en résulte que l'impression reviendrait à 400 fr. environ, que les planches coûteraient le même prix, mais qu’on pour- rait diminuer ce dernier en les simplifiant. La Société ne se voyant pas en mesure de supporter une pareille dépense, demande à consulter de nouveau son Trésorier absent, et invite, dès aujourd’hui, M. le Président à vouloir bien écrire à M. de Matty de Latour, pour lui transmettre cette estimation et le regret qu’é- prouve la Société de ne pouvoir insérer ce manuscrit dans ses Annales à des conditions aussi onéreuses. La Société Centrale d'Archéologie informe notre So- — 969 — ciélé que la prochaine session du Congrès scientifique se tiendra cette année à Nantes. La Société nomme une Commision composée de M. d’Espinay, Cosnier et Grille pour savoir comment répondre à cetie communication, et M. d’Espinay est prié de vouloir bien transmettre, le plus tôt possible, le sentiment de la Commission à cet égard. M. Adolphe Lachèse, auteur de souvenirs nécrolo- giques sur Jules Janin prend la parole. M. Lachèse rappelle d’abord en quelle circonstance il fit connaissance de J. Janin. Ce fut le 29 juillet 1849, jour de l'inauguration du chemin de fer de Tours à Angers, solennité qui avait amené dans notre ville, sous la courtoise protection du Dr Menière de douce et ai- mable mémoire, MM. J. Janin et John Lemoine, du Journal des Débats, ces deux derniers ayant été confiés par leur ami à l’hospitalité si gracieuse et si connue de M. le Dr Grégoire Lachèse. ÿ L'auteur fait le portrait de J. Janin qui, sous une obésité goutteuse déjà plus que menaçante, cachait cet esprit charmant qui lui a mérité une réputation euro- péenne et qui, une fois le seuil de son hôte franchi, se répand en causeries, en images, en réparties de toute sorte semblables dans leurs étincelles et leur éclat à ce feu d'artifice qui dessinait et entrelaçait à ses yeux ses chiffres symboliques, ses arabesques et ses lumineuses végélations. Puis l’exubérante gaîté, plus spirituelle que frivole, fait bientôt place à la conversation sérieuse chez le brillant rédacteur qui savait toujours revenir à ces souvenirs classiques dont il était si riche et à ses — 970 — anciens auteurs qu’il suivait et retrouvait partout. M. Lachèse nous initie à ces aimables relations entre sa famille et J. Janin pendant son séjour et à celles qui continuèrent par correspondances après son départ. L'épisode de la Table ronde envoyée d'Angers à J. Ja- nin par l’auteur, occupe dans l’article que nous résu- mons un passage précieux, et son installation dans le chalet de Passy inspire à l’ami fidèle qui la reçoit les plus heureuses pensées sur l’étude et l'amitié, dans sa lettre de remerciement. Dans cette lettre que M. Lachèse reproduit dans toute sa teneur, l’illustre écrivain fait la description de son chalet et de tous les souvenirs d’art et d'affection qu’il renferme. « Dans ce pêle-mêle étrange et charmant gouverné par une belle et honnête femme, l’honneur de ce logis, écrit J. Janin à M. Lachèse, venez; nous tâcherons de vous rendre un peu l'hospitalité que m’accorda votre excellent père, lorsqu'il me dit, en m’ouvrant sa belle maison : « Ici, vous êtes chez vous ! » Et le distique emprunté aux poëtes anciens et ins- crit au front de sa demeure, reflété dans sa lettre en féconds commentaires, qui peignent l'esprit et le cœur de celui qui l’habite, commentaire se résumant dans ce vers de Despréaux :. Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire ! Et les parties de dominos où Rachel demanda un jour une place, dans une visite de remerciement qu’elle ve- nait faire au célèbre feuilletoniste à propos d’un article en faveur de la grande tragédienne. Et l'ombre répandue sur cette oasis de l’amitié et des — 971 — lettres, le 7 février 1869, par la mort de l’ami du cœur, du savant, de l’aimable et du bon Prosper Menière, pour employer les expressions de M. Lachèse lui-même, ami de plus vieille date encore du cher docteur. En quels termes Janin exprime ses regrets à l’ami d’An- gers et lui peint la consternation de tous ceux qui l'avaient connu, à commencer par M. de Falloux. Plus tard, l’auteur nous parle d’un diner qu’il ac- cepta, avant nos désastres, chez son ami de Paris. Il s’y trouve bien entre le frère et le fils de Menière. mais Prosper n’était plus là. À partir de cette dernière réunion, l’état du célébre critique empire. il ne peut achever la lecture de son discours le jour de sa réception à l’Académie. Il y eut bien encore, dans cette santé défaillante, quelques lueurs qui lui permirent de rouvrir son cher Horace. lorsqu’au milieu d’une nouvelle crise la mort l’enlève le 19 juin 1874. Le premier soin de sa belle et noble femme est d’en avertir l'auteur, l'ami d'Angers. « Pauvre Menière ! pauvre Janin! s’écrie M. Lachèse en terminant, quels amis j'ai perdus! Qui n’a pas vécu dans leur intimité, ne peut se faire une juste idée de l'étendue et de la profondeur de leur érudition, de la verve, de l'originalité de leur esprit, de la fidélité, de la tendresse de leur cœur !... » Chacun félicite M. Adolphe Lachèse de cette tou- chante communication, dans laquelle il a su montrer lui-même une partie des qualités de celui que nous regrettons tous et dont il a si bien reproduit l’image. Il est neuf heures et demie, la séance est levée. _ Le Secrétaire général , P. BELLEUVRE, — 972 — SÉANCE DU 7 AOÛT 1874. Sont présents au bureau : MM. Adophe Lachèse, président; Belleuvre ; secré- taire général ; Rondeau, trésorier. M. le Président communique à la réunion une lettre du Président de l’Association Française pour l’avance- ment des Sciences, par laquelle on lui annonce que la troisième session de cette compagnie se tiendra cette année à Lille, du 20 au 27 courant. La Société est in- vitée à se faire représenter à ce Congrès. Le Président de la Société des Lettres, Sciences et Arts del’Aveyron, informe également la Société que le Congrès scientifique de France, tiendra cette année sa 40° session à Rodez et qu’elle s'ouvrira le 21 septembre prochain. La lettre se termine par une demande de délégués à cette solennité, en invitant aussi à souscrire aux publi- cations du Congrès. La lettre est accompagnée d’un programme des questions nombreuses qui seront ou pourront être l’objet des travaux des membres du Congrès. M. le Président informe la Société qu’il a écrit à M. de Matty de Latour au nom de la Commission, nommée pour s’enquérir des frais auxquels pourrait s'élever l'impression du manuscrit de M. de Matty de Latour, sur les Emplacements de l’ancienne capitale de l’Anjou, présenté pour la seconde fois à celte intention ; M. le Président a annoncé: à l’auteur que l'insuffisance de notre budget ne permettait pas à la Société d’accepter — 2735 — dans ses Annales l'insertion de ce travail, dont les des- sins élévent encore le prix. M. ie Président communique à la Société la réponse en date du 17 juillet dernier de M. de Matty de Latour, qui le remercie de la bienveillance avec laquelle il lui a fait part des regrets de notre compagnie à ce sujel. Pour surmonter les difficultés involontaires que la So- ciété rencontre à voter cette publication, l’auteur se chargerait des frais de lithographies et des cartes qu’il prendrait à son compte, espérant que la Société pour- rait payer les 400 fr., prix auquel a été évaluée l’im- pression du texte. | La Société est saisie, séance tenante, de cette nou- velle proposition, mais le Trésorier, consulté, fait obser- ver qu’en présence de la diminution des cotisations et des avances qu’elle est obligée de faire pour la continuation des fouilles des Châtelliers, dont l'importance et l'intérêt sont toujours croissants , les considérations sur lesquelles l’auteur base son système étant d’ailleurs plus ou moins hasardeuses et problématiques, la So- ciété ne pouvait, pour les soutenir, refuser ses encou- ragements à des travaux et des études qui découlent d’une source authentique, et il est décidé qu’il sera répondu à M. de Matty de Latour, par M. le Président de la Société, que ses ressources sont véritablement absorbées dans ce moment par ces sacrifices eux- mêmes. Au sujet de l’article inséré dans le volume des An- nales de la Société Académique de Pau, sur l’inocula- tion de la clavelée, qui se fait par l’inoculation du pus des animaux affectés de la maladie, dans la queue des SOC. D’AG. 18 — 974 — animaux qui en sont exempts, M. Adolphe Lachèse re- vient sur ce procédé et, par analogie avec le système pratiqué avec fruit par l'honorable docteur Grégoire Lachèse, son père, pour le vaccin, il pense que cette inoculation de la clavelée pourrait s'appliquer à des animaux de diverses sortes, à la race canine, par exemple, et pour différentes espèce de maladies. M. Rondeau, à raison de l'intérêt commandé par l'importance et le succès des fouilles de M. Godard-Faul- trier, demande s’il ne serait pas opportun de profiter de la présence de M. A. de Gumont au pouvoir pour réclamer du ministère une subvention en faveur de cette riche et savante exploration. Cette demande est accueillie par tous les membres présents. M. le comte de Falloux et M. le vicomte de Cumont doivent se trou- ver dans nos murs au moment de l'Exposition d’Horti- culture, au mois de septembre prochain; ce serait une circonstance favorable pour leur demander leur appui, et l’on profiterait aussi de ce moment pour décerner, en leur présence, à MM. Godard, père et fils, la mé- daille votée par la Société d’Agriculture, Sciences et Arts, que leurs travaux leur ont si bien méritée. L'ordre du jour appelle le travail de M. d’Espinay sur les enceintes de la ville d'Angers, l’auteur lit la portion de son mémoire relative à la seconde enceinte attribuée généralement à l’année 4032. Les historiens qui ont donné cette date à la construc- tion de ces remparts ont raisonné sous l'impression du souvenir d’un vaste incendie qui avait eu lieu à la même époque ; mais M. d’Espinay fait remarquer avec une grande justesse que des fortifications ne s’édifiaient — 275 — pas pour de semblables raisons, on les élève ordinai- rement sous le coup d’un danger pressant d’une ouerre imminente, ou à la suite d’une invasion ou d’une guerre désastreuse, et pour se garantir d’une in- vasion nouvelle. Suivant l’auteur, il faudrait reculer de deux cents ans la date de la construction de la seconde enceinte de notre ville, ce qui nous fait remonter précisément à lune des principales invasions des Normands et des Bretons, contre l’envahissement desquels on ne pouvait trop se prémunir. L'auteur donne le tracé de cette enceinte et les noms des rues et des places qui y étaient renfermées. Plu- sieurs de ces rues et de ces places existent encore telles que la rue Saint-Laud et la rue de la Serine, mais elles portaient alors les noms d’où dérivent ceux d’aujour- d'hui. Les considérations sur lesquelles se base M. d’Es- pinay sont exposées, par lui, avec une lucidité et une science devant lesquelles il est difficile de ne pas s’in- cliner, et les recherches auxquelles il s’est livré lui font le plus grand honneur. Une Sépulture : telle est le titre d’une Notice de M. Belleuvre, ayant pour but l’édification d’un monu- ment et même d’une statue, s’il est possible, à l’effet de perpétuer l'hommage de respect et de reconnais- sance voué par l’Anjou à la mémoire de Robert le Fort pour l’héroïque défense, grâce à laquelle il a su au Ixe siècle, garantir notre province des attaques des Normands et des Bretons, défense qui aurait eu comme conséquence définitive, la libération de notre patrie, si * le vainqueur de la veille n’avait été surpris pendant la — 2176 — nuit dans son sommeil par les Normands, près de l’é- glise de Brissarthe, où un grand nombre de ces bar- bares étaient renfermés et dont le duc de France se préparait à commencer le siège au lever du jour, quand il fut enseveli dans son triomphe. [n’y a pas un homme quelque vicieux ou quelque indigne qu’il soit, qui n’ait dans un cimetière son nom ou une croix du moins sur la pierre qui recouvre sa poussière, et cet honneur rendu au plus obscur ou au plus infidèle des chrétiens n’a pas été accordé, depuis neuf siècles encore, à celui qui a servi de digue, par son courage et ses talents, à l'invasion de nos ennemis et qui a donné à la foi et à la patrie les gages les plus au- thentiques. Dés 1839, avant la création de la belle statuette qui dé- core, avec d’autres productions du génie de David, l’un des bas-reliefs de la statue du roi René, dès 1839, disons- nous, dans une des pages de l’Anjou et ses Monu- ments, M. Godard-Faultrier, dans une généreuse initia- tive, et dans un langage aussi noble que patriotique, avait exprimé le vœu que notre immortel David repro- duisit les traits du héros de Brissarthe, et composât pour honorer sa mémoire et les services rendus par lui à l’Anjou une statue qui, dans la pensée de l’auteur, de l’'Anjou et ses Monuments, eut été érigée sur le pont de Châteauneuf, l'antique Seronnes capitale du domaine en Anjou de Robert le Fort. Au moment de traiter le même sujet, en 1874, les yeux de M. Belleuvre étant tombés sur cette page de M. Godard, écrite dès 1839, il s'était empressé d’aller trouver l’auteur pour lui faire remarquer que cette — 277 — pensée était, avant tout, la sienne et qu’elle avait été trop noblement exprimée par lui, dès celte époque, pour qu'il ne poursuivit pas aujourd’hui lui-même la réalisation d’un projet, dont l’exécution est plus dési- rable encore. Non-seulement M. Godard-Faultrier résista à toutes les instances de M. Belleuvre, pour des motifs qu'il est inutile de reproduire ici, mais il insista lui-même au- près de M. Belleuvre pour qu’il voulût bien présenter cette motion, lui promettant de l’appuyer de tout son cœur. Tout en regrettant que son honorable ami ne la re- produisit pas lui-même, M. Belleuvre n’avait donc plus à reculer, et il se chargea de ce soin, malgré la persua- sion de ne pouvoir le remplir à beaucoup prés, comme l’eut fait M. Godard. Depuis 1839 a été composée cette charmanie statuette de David dont l'inspiration semble avoir réalisé en tous points la pensée si bien exprimée dans les pages de l’au- teur de l’Anjou et ses Monuments. M. Belleuvre pense qu’il ne faut pas chercher un autre modèle ; le génie de David et sa qualité d’Angevin lui donnent la conviction que tout autre statuaire resterait au-dessous de cette œuvre si bien comprise. Il propose, si Mme David veut bien y consentir, ce qu’on peut espérer de son patriotisme, qu’un élève des . Beaux-Arts ayant donné, par des succès antérieurs, les gages que l’on peut exiger en pareille circonstance, soit chargé d’élever la figurine aux proportions de la statue, qu’elle soit ensuite confiée à un fondeur habile, et enfin Re qu’elle soit érigée en bronze à la place indiquée par M. Godard. Ce monument est plus désirable que jamais. En 1839, au milieu d’une paix honorable, nous nous reposions sur nos drapeaux et sur nos vertus civiques, on pouvait différer la récompense des grandes actions et des grands dévouements ; aujourd’hui renversés par nos propres faiblesses et par des désastres dont nous ne sommes pas encore relevés, la récompense des actions héroïques due à nos illustres aïeux, est plus urgente et ne peut plus être retardée, car c’est un enseignement pour notre génération et celles qui la suivront; c’est en retrouvant la trace de ces mémorables exemples et en reprodui- sant les traits de ceux qui les ont laissés, que nous rendrons à leurs neveux ce respect du devoir et cette stimulation qui doivent nous ramener aux principes sociaux el par eux à la vie. Cette motion, par son objet lui-même, rencontre l'adhésion de tous les membres présents. Les moyens d'exécution seuls soulèvent quelque opposition. M. Vic- tor Pavie, tout en approuvant la proposition dans son principe, ne voudrait pas que la statuette servit de modèle pour être convertie en statue ; il faut que la statuette reste statuette, 1l craint qu’en changeant sa destination l’on change son caractère ; il se défierait d’un copiste même lauréat, 1l affirme également que M”° David re- fusera, à cette transformation, son consentement ; il ne cache pas ses propres appréhensions que partagent MM. Bellier et d'Espinay. M. Belleuvre, tout en respectant ces motifs, justifie — 979 — du moins ceux qui l'ont guidé, il croit qu’on s’exagère les difficultés d’une copie même sur une grande échelle, il ne pensait pas non plus qu’on dût confier ce travail au premier venu, il y voyait au contraire une sécurité qu'on ne peutavoir dansla composition d’un artiste inconnu ou étranger, il y avait aussi les considérations d'économie _ sans lesquelles tout lui semble remis en question. Cette discussion se termine par la nomination d’une Commis- sion, composée de MM. Godard, Pavie, Gosnier, Bel- lier et Belleuvre, à l'examen de laquelle sont soumises ces diverses questions et qui se chargeront auprès de ladministration supérieure des démarches nécessaires pour arriver à la réalisation de ce projet. Cette séance se termine par la lecture d’un fragment de la traduction par M. le D' Grille de la comédie de Térence intitulée Lhessir ou la Belle-Mére, morceau dans lequel le poète angevin unit les agréments de sa verve habituelle au respect du modèle qu’il s’est chargé d'interpréter. Il est neuf heures trois quarts la séance est levée. Le secrétaire général , P. BELLEUVRE. — 980 — SÉANCE DU 23 DÉCEMBRE 1874. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachèse, président ; Belleuvre, secré- taire général ; Rondeau, trésorier. Les procès-verbaux des deux dernières séances sont lus et adoptés. M. le Président communique une lettre de M. de Matty de Latour, accusant réception de la lettre par laquelle M. Adolphe Lachèse lui avait exprimé le regret que la Société éprouvait de ne pas avoir les fonds né- cessaires pour l'insertion dans les Annales de la Société, du Mémoire de M. de Matty de Latour sur l’ancienne capitale de l’Anjou. Le Secrétaire de la Société Centrale de géographie informe la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d’An- gers, qu’un Congrès international des Sciences géogra- phiques qui va se tenir à Paris en 1875, demande le con- cours de notre compagnie et joint à celte invitation les programmes et prospectus de ce Congrès, et particu- lièrement de l'Exposition dont il doit être l’occasion. La Société reçoit également : Un rapport de M. Engelson sur les enfants aux fermes industrielles à Naples. La Société libre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du département de l'Eure, présidée par M. le duc de Broglie, exprime par l'organe de son Secrélaire, à notre Société, le désir d’entrer en relations avec elle et d'échanger ses publications. La — 281 — Société de l'Eure joint à cette lettre un compte-rendu du concours qui a eu lieu pour la section de l’arron- dissement de Bernay, à Thiberville, les 13 et 14 sep- tembre, sous la présidence de M. le duc de Broglie. M. le Président a répondu à M. le duc de Broglie et à fait parvenir à la Société de l'Eure les Bulletins de nos séances en 1873. M. d'Espinay adresse à M. le Président une lettre par laquelle il lui exprime l'impossibilité où 1l se trouve d'assister à la séance et de lire la suite de son Mémoire sur les enceintes d'Angers, retenu chez lui par une indisposition. M. le Président communique aussi à la Société une lettre de M. de Lens, inspecteur honoraire, par laquelle notre honorable collègue annonce que diverses circons- tances l’obligent, à son grand regret, à donner sa dé- mission ; cette démission est acceptée, mais non sans un véritable -chagrin. La Société confère, à l’una- nimilé, à M. de Lens le titre de membre hono- raire. M. le Président entretient la Société du livre récem- ment publié par M.lecomte de Falloux sur Augus- tin Cochin et fait ressortir le mérite de ce nouvel ouvrage de M. de Falloux et l'intérêt qui s’y attache. M. Courtiller, conservateur du musée de Saumur a bien voulu faire hommage à notre Société de la deu- xième édition de son beau volume sur les Éponges fos- siles des sables du terrain crétacé des environs de Sau- mur. Le Secrétaire est chargé de lui transmettre les remerciements de la Société. La Société recoit aussi les rapports sur la collection — 982 — des documents inédits de l’histoire de France et sur les actes du Gomité des travaux historiques. M. le Président communique à la Société une récla- mation de M. Godard-Faultrier, au nom de la Com- mission de conservation des monuments historiques, contre la destruction de l’église de Saint-Denis à Doué. Malheureusement M. Godard a été informé trop tardi- divement de ce nouvel acte de vandalisme auquel il n’est plus temps de résister. M. le Trésorier est appelé à donner le compte rendu des opérations financières de la Société, pendant le cours de l’année 1874. On à malheureusement compté dans les rangs de notre Sociélé un grand nombre de démissions, aussi ne possède-t-elle en caisse, aujourd’hui 23 décembre, qu'une somme de 1562 fr. Une foisles derniers mémoires qui grévent encore l’année 1874 acquittés, il ne res- tera à la Société, au 31 décembre, qu’une centaine de francs. D'un autre côté nous attendons toujours les 300 fr. promis par le ministre. Cette allocation, qui n’a jamais fait défaut quand elle a été annoncée, ne peut man- quer de se réaliser, quand le ministre de l'instruction publique est notre compatriote et qu’il s’en porte ga- rant. Pour dissiper toute espèce de doute à ce sujet, M. le Secrétaire est prié de vouloir bien consulter les procès- verbaux pour retrouver à quelle date et dans quelle forme cette subvention a été annoncée, et si comme la Société en garde l’impression elle a été mentionnée par le ministre dans des termes formels. M. le Président se — 283 — chargera de faire une démarche auprés de M. le Préfet pour le prier de vouloir bien être notre interprète à ce sujet auprès de M. de Cumont. Suivant l’ordre du jour, la Société devait procéder au renouvellement du Bureau, mais l'absence d’un grand nombre de membres et l'heure avancée de la séance, l’obligent à remettre cette opération à la pro- chaine réunion. Il est neuf heures trente-cinq minutes, la séance est levée. | Le secrétaire général, P. BELLEUVRE. een | Qi À 2% F5 0 0 ve 2 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Notice sur Philibert de Nérestan, tué au combat des Ponts- de-Cé (7 août 1620). — M. Paul LacHÈse......,....... 1 Henri Regnault, élégie. — M. Paul BELLEUVRE. .......... 17 Souvenirs artistiques (1836). — M. El. LAcHÈSE. .......... 23 Inventaires des églises de Jarzé et de Marcé (Maine-et-Loire). Mer BARBIER DE MONTAULT..................,,........ 33 Les comptes de fabrique de l’église de Marcé. — ME" BARBIER DE MONTAULT.............. ne cn sense eee done 48 Voie Romaine de la capitale des Andes à celle des Rhedones, par M. de Matty de Latour. — M. G. n'Espinay ......... 73 Goëthe et David. Souvenirs d’un voyage à Weimar (suite). AM AVICIODA PANIER ee ee ee essence eueccelse 81 Œuvres complètes d'Horace, nouvelle traduction par M. le Dr Grille. — M. Ad. LAcHÈSE ...,... Hodeat ot ..... 146 Procès-verbaux des séances : Séance du 23 janvier L'ÉTI ARAAENE Fee ep r ce PRE 164 — 25 février......... eee ne ocean 170 Sur la nécessité de grouper dans un même ordre d’études les diverses facultés d’une université libre. — M. C. BOURQUARD...........e.ee sodcebeet 0000000000 Soon TH Une Sépulture. — M. Paul BELLEUVRE.......,...,...,.... 194 — 286 — Jules Janin et les Angevins. — M. Ad. LACHÈsE.......... 209 Les Châtelliers de Frémur. — Fouilles (mars 1873-février 1874). — M. V. GoDARD-FAULTRIER....,.........:,.... 225 Nécrologie. — M. Frédéric Parage. — M. Ad. Lacnèse, ... 245 Pocès-verbaux des séances : Séance du 25 /Mars STE ER 0.0 VS 249 — 6 mai,.... NULLE, MONA MST Méta 254 — SU ne nee dan eiai ce à 0 se EDEN 261 — CON) LE ARTE ENS ne 267 — MAO: ee nr nt Poouccoouue 272 — 23 décembre....... OR CEE sens ST OMOEEE 280 ; , ANGERS, IMP.P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU. he Pt 1 Aron d'Angers (des "Cemmes-surloire Rues de Bains Romains pres des Chatellters à Fremar. Foniles/187/-1873 FCHEILE DE, 07 006 POUR METRE À LA LIGNE DE TERRE. Len FAEm a Uitrenrs # etiniar ant HCODARD del. A er dévcloture vers ouest L Æyporauste avec quelques petites piles, ses tubes calomfères étsa 2*ouche à feu Burn Tu Te7S O7. J Chambre-bassin C7 10 vers est KR Bassin inferieur avec ses gradins D Sale carrée. LLLL Bases de 4 autres pers parallèles eux priens REFF E Salle polylolée. M Autre petit cintre de 1ovrmeaa parallele à celui marque M RFRE Pers d'aguecie . N° Ponceai au bas du quel forent trouvés un chapiteau composiie et quelques füts de colonnes GGG Pts Bassins entre piliers. O. Ænplacement du grand toumeau H Perl ointre de fourneau. PL. (SLT D 2857} ) ‘EÇOI U8 ANUS] 9P SA91]]87047 AUIEWOY 2UbOËT ce SANOI] IZUOIG U2 AUOT] TP ‘d#V009 SYZINY NVTI100 & THANTTUTE TITHOËT d HIT l4 En PA Es [+ ON ES CA LE AE € Ar Le ET Eur ; ï EL ll r à À Ÿ : L \ La EN, sel 1 I: 1 | en" LÉ 21 OMR EN Pa rt MEME ; 5 i i È t ! \ « : i ! À \ EE PA EE FEAT PR ee 0 i : AE AT { Fi AU 4 ÿ HET nl ; Je" COR S APTUR REA 0 CARRE A HSE PCR RE) À Il 1 n n ; (| tit j k ! (Res | "4 ë es | 1 CRT LE Eee QU SE UT ARE ar PANTE #. CODARD Zoogue fomamne; Chaelers En Bronze Fiule trouvee Loire. On li au sombliers de Fremur l8nn6e 1645 vor N° 258 Ds de anbgoites d'Anaers 2 LITH P LACHÊSE, BELLEUVRE & DOLBLAU, ANGERS. #. CODARD # CODARD Zragie Romane, DronzeÆulentronren an ZpogueRomerne, Bronze Fibule | Chareliens & Prénan CN Cenmessur- | érouree aux Cateliers ce Fremur | ZrogueKomare Bronze r/e trouver Loire On lt au sommet ecole TTUR, Longtemps avant les loves. Fe | eux Clatelens de fremur lénnée 1815 vor N°56 25 de linrenteire dr Musee des appartient à MA Michel qui a bien | andgetend pers omprme en 1860. vec permettre a M Morel de nous | dessu? . | “s1a)0f (N82{/07 21AN2)|84 ‘258/92T JT OY/IT 732 4#v409 ‘} RUN *AN9JPAND JJNEUSYOUTT 1 RSC 'Anura1J 9 SIONf9P/) SP SA 19949 DD UE) 9] SUPD SANOL Fe HÉPORESRRE 072 DRE SAR CRE QUUOP (UII NT SYW0) — ANIVAOY FN0OdI Fe = Es (GLET AOITINS SA8A ( YIMOZ €) A SL017IPRD AP Sa] JUUTOU duUIEYI 87 SUP J24001] 391178 SDL / UNUIILT 9D SI0AE UT ‘AUTEUOY 20007 SHFONV WVITIO0 D TUMNTUIE TS TMOUT D HIT NN J2P Gva09 DEV H.GODARD DEL. Epoque Romaine” Châtellers de Frémur. Fragments de poterie dite Jaruenne (reine Pre elrouge) trouvés le NOT à 1 angle WOMEN 2na Tangle SE (re 2116) de/2 PIÈCE rommee les dx quartiers 2 Dre PUISE SEUL A D GUILAAN GER À coArD or1, PL. VII H. GODARD. DEL. ile vouréen Phlres des Chätellers de fremur enbigutes d'Angers. ir ati ere à DU14E ANS) Trogue Aomare. Hrarements cevaresenterre Jamennelaeoles amples" DcoDAro or PE VIII TeN appartient au Dariour larger pronent Les Joncheres non Tor 1 DiaHerie et 1 Pnter deux trarersés rent (048, panun Long mar romaen petlapparen/ sans Botte PenVellevilage de Frérar Ze WP a été troure pres des Chétallers detremur Le | Angie dent 1/exirte encore des restes ayant une direction du NE an SQentre honte PL. VII X GovAñD ori Zoauefomame Pond dénrese eenpile ture en Pllnres des Uhatellens de remur. Musee és entqtes dAnçens Dre Hiva et iarar a onttae, an M SOZAND DE Zrogue omane Bscrpéon san tal surmontée d'ine Une crernre en Ærregrire, dovree ar Chatellers db Pemer en 12: Anoër cabnet de MT Grille {Maséedes RO poules d'Agen) voir ns monument antigtes lArjon page 115. jonc = GEO PRE LITH. PLACHESE, BLLLEUVRE 4 . CGODARD. (HUVRI Æ DOISLAN. ANAL #. CODARD Zpogue Aomarne. Chateliens de Frémur. Peinture murale trouvee en 1878, région entre four/les 1-1V AA Te bé à I} A et