arr D Gen mrme eee I Det LE TE TS ete et 1 w LS Re ed Peut ART TES Dre ee AE CE Te mi fete RS 15 ET HeRTH La a} NAN SAS ES > LIT Æ we. = HET MÉMOIRES DE LA OCT INPÉRALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS : (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME SEPTIÈME — for HT 2° CAHIERS ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 1864 SOMMAIRE Evèques et moines angevins, ou l’Anjou ecclésiastique : Introduc- tion. — Livre ler : Les origines de l’Église d'Angers, du He au ve siècle. — M. l'abbé PLETTEAU. Revue bibliographique. — M. Paul LACHÈSE. Règne de Henri IV, par M. Poirson. — M. E. Mourin. La première représentation d’Esther à Saint-Cyr. — M. Léon CosNIER. Procès-Verbaux des séances : Séance du 28 janvier 1864. — du 25 février. — du 31 mars. — du 28 avril. — du 28 juillet. Tour des Druides à Angers. — Lettre adressée à Son Exc. M. le Ministre de la maison de l'Empereur et des beaux-arts. SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE DANGERS). À: "4 2 peurs MÉMOIRES DE LA SOCIETÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME SEPTIÈME ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FAT LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 1864 AEUROUE: ÉVÈQUES ET MOINES ANGEVINS OÙ L'ANJOU ECCLÉSIASTIQUE INTRODUCTION. En sortant de la Touraine, la Loire coule vers la Bretagne et l'Océan à travers une longue et riche val- lée; elle y étend ses bras et ses îles, et la couvrirait tout entière, si elle n'était contenue par une digue de vingt lieues, monument de Louis-le-Débonnaire et de Henri II Plantagenet. L’heureuse contrée qu’elle arrose dans ce parcours se nomme l’Anjou; elle a Angers pour siége épiscopal. Si élégant d'aspect qu'il soit aujourd’hui, Angers n’est plus jeune, et le cours des siècles l’a plus d’une fois transformé. Il y a près de dix-neuf cents ans que les Celtes et les Gallo-Romains commencèrent à le bâ- tir au confluent du Loir, de la Sarthe et de la Mayenne. SOC. D’AG. 1 NE ee Pour surveiller leurs voisins de Bretagne, les Celtes le placérent sur un rocher, d’où il domine les eaux grises et profondes de la Maine; sous la domination de Rome, il fut l’œil de l'Italie ouvert sur l’Armorique. À l’é- poque féodale, les comtes et les ducs d’Anjou lui bâ- tirent des rues tortueuses et sombres, et le serrérent dans de noires murailles. Aujourd’hui encore, au mi- lieu de ses rues commercantes et de ses boulevards aristocratiques, Angers conserve la forte et durable empreinte de la féodalité. Par ces chevaliers armés de pied en cap sur la façade de Saint-Maurice, par la tour gothique de Saint-Aubin, et surtout par la lourde et massive forteresse féodale, le moyen âge est toujours présent à Angers; mêlé au luxe et à l’activité moderne, il y persiste, après tant de révolutions, comme le sur- vivant d’un autre siècle. À Angers, vous êtes au centre de la province, et des flèches de la cathédrale vous en apercevez les li- mites, si votre œil est assez perçant pour embrasser une circonférence de quinze lieues de rayon. Devant vous, à une lieue, coule la grande Loire, mêlant à l’azur du ciel ses grèves et la verdure de ses îles. Par delà Château-Gontier et les forêts de Baugé, les sapins du Maine forment à l’Anjou sa frontière du nord; à l’ouest, le jardin de la Touraine ouvre la vallée de Beaufort; derrière le coteau des Gardes, s'étendent au midi les plaines du Poitou; et à l’est enfin, com- mence la Bretagne, et, pour transition entre la dure contrée et le mol Anjou, l’œil s'arrête sur les champs graves et tristes du Craonnais. Si l'étendue d’une province faisait toute sa gloire, NT ARE l’'Anjou, que d’un coup d’œil on peut embrasser, n’au- rait pas d'histoire. Ne dédaignez pas cependant notre petite province : elle a maintenu, au moyen âge, son indépendance entre la Bretagne, l’Aquitaine et la Nor- mandie, et, au milieu de ces grands duchés qui la res- serraient, elle a eu son âge de gloire militaire et de puissance politique sous ses Foulques et sous ses Plan- tagenets. Lorsque la dynastie capétienne avait peine à s'établir en France, l’Anjou a été son tuteur contre la féodalité ; mauvais tuteur, il est vrai, qui, uni aux An- glais, a pris des provinces à sa pupille et failli lui en- lever même la couronne. Quand les peuples avaient besoin d’un prince, plus d’une fois ils se sont tournés vers l’Anjou. Pour l’Europe entière, l’Anjou a été une pépinière royale; il a transplanté ses comtes indépen- dants sur les trônes d'Angleterre et de Jérusalem; ses ducs vassaux de la couronne ou princes du sang, sur ceux de Naples, de Pologne, d’Espagne et de France. Avec non moins d'éclat que sur la scène politique, il s’est montré dans l’histoire de l’Église, et là, son rôle, plus durable, persévère aujourd’hui. Cest l’histoire ecclésiastique de l’Anjou que j'essaie de raconter ici, et, désirant la mettre dans toute sa lumière, je l’éclairerai par l’histoire générale de l’É- glise et de la France. En parlant des évêques, des pré- tres et des religieux de l’Anjou, j’userai d’une grande franchise, parce que l’histoire n’est pas un panégy- rique, blâmant quelquefois et toujours à regret, heu- reux, le plus souvent, comme prêtre et comme ange- vin , d'avoir à redire pour le compte de l’histoire les éloges que ces morts illustres, les évêques par exem- D RQ ple, recurent de leurs contemporains. Comment, en effet, ne ressentirais-je pas une religieuse émotion, en retraçant la vie de ces quatre-vingts évêques qui ont paru, sur le siége épiscopal d'Angers, quelques-uns en grands hommes, et la plupart comme des saints pon- tifes; en parlant de leur vieille cathédrale, la mère de nos églises, et qui garde une partie de leurs tombeaux; de leur chapitre, illustre jadis par ses priviléges et dont les événements ont pu diminuer l’éclat, sans lui enle- ver notre vénéralion ? Puis-je parler avec une médiocre estime de ce clergé angevin, sans lequel nos évêques n’eussent pas accompli leurs grandes œuvres, qui a contenu le progrès de l’hérésie protestante et combattu victorieusement le Jansénisme; de cette fameuse Uni- versité d'Angers, inférieure en gloire à la seule Sor- bonne; de ces moines, qui firent de l’Anjou la Thé- baïde de la province de Tours, et partagent avec les évêques l’honneur de la conversion de nos pères ? C’est aux moines, en effet, qu'il faut attribuer en partie la destruction du paganisme angevin; et, quand ils eurent converti notre province, ils y perpétuèrent l'esprit du christianisme, en couvrant de leurs abbayes nos coteaux et nos vallées. Les beaux sites de la Loire les ont frappés de bonne heure; dès les premiers siècles de l'Église, ils aimèrent à s’y fixer; leur âme intelli- gente et religieuse trouvait dans le spectacle d’une brillante nature un moyen de s’élever jusqu’à Dieu, la beauté éternelle. Aux bords du fleuve ou sur la cime de ses coteaux , ils ont bâti d’opulentes abbayes, qui ont civilisé et nourri la contrée : Saint-Florent-le-Vieil, au mont Glonne, en face de la rive bretonne de la Loire ; Qu Saint-Maur, où abordérent les premiers bénédictins de France; entre la Loire et le Thouet, aux portes de Saumur , qui fut l’une des capitales du protestantisme français, Saint-Florent-le-Jeune ; Fontevrault, où tant d'hommes se sanctifièrent sous la douce et chaste di- rection d’une femme. A la vérité, pour peu que vous vous éloigniez de la rive gauche de la Loire, les ab- bayes sont moins nombreuses et l’histoire ecclésias- tique perd de son intérêt; à l'exception du Puy-Notre- Dame et des Gardes, elle est presque résumée dans les annales d’Asnières-Bellay et de Belle-Fontaine. Le Bas- Anjou, en partie protestant au seizième siècle, est pauvre pour l’histoire de l’Église; il faut qu'il attende la Révolution française et l'insurrection de la Vendée. - Si la Vendée n’avait combattu que pour l’ancien régime, quelque respectable que soit un tel intérêt politique, je n'aurais pas à la nommer dans ces récits ecclésias- tiques ; mais, parce qu'ils ont défendu la liberté reli- gieuse et l'unité de l’Église comme des croisés et le plus souvent comme des martyrs, les paysans vendéens ont donné à l'Église d'Angers un immortel épisode qui doit trouver place. dans cette histoire. Plus riche est au moyen âge l’histoire ecclésiastique de la rive droite de la Loire ; treize siècles durant, de- puis la fondation de l’Église d’Angers jusqu’à la Révolu- tion, la vie religieuse du diocèse eut pour principal foyer le haut Anjou Là, les abbayes semblent se toucher, tant elles sont nombreuses et accumulées sur un étroit espace. Près de la Touraine, Bourgueil, la Boissière et le Louroux; sur la frontière du Maine, sans parler du collége des Jésuites à la Flèche, le Perray-Neuf, Chalo- MT is ché et Mélinais, entre la Bretagne et la rivière de la Mayenne, La Roë, La Primaudiére, Nyoiseau, Pontron ; aux portes d'Angers, Saint-Georges, les Bons-Hommes et le Perray -aux-Nonains ; toutes ces abbayes et leurs prieurés sans nombre couvrirent le haut Anjou d’un reflet de la gloire de Ciîteaux et de Grammont. Angers surtout, avec son siége épiscopal, son chapitre, ses collégiales, son université, ses couvents, ses cinq ab- bayes de Saint-Serge, de Saint-Aubin, de Saint-Nicolas, du Ronceray, de Toussaint, Angers était une ville tout ecclésiastique. Lorsque, à certaines heures du jour, les religieux quittaient leurs cellules pour se rendre à lof- fice du chœur, les bruits de la cité étaient couverts par le tintement des cloches; c'était un proverbe dans la pluvieuse Bretagne comme dans l’Anjou monastique : Pleut-il à Nantes? Sonne-t-on à Angers? Ces cloches se taisent aujourd’hui, et les abbayes d'Anjou, enveloppées injustement, à la fin du dernier siècle, dans la ruine des institutions politiques et so- ciales de la France, ont disparu de la province; leurs bâtiments déserts tombent en ruines, ou d’autres hôtes ont pris la place des religieux. Nous-avons presque ou- blié leur histoire ; il faut, sans doute, une gloire plus bruyante que l'influence pacifique des moines, pour vivre longtemps dans la mémoire des hommes. Les moines, moins les abus de leur décadence, nous man- quent dans les progrès de la civilisation moderne, ne füt-ce que pour donner à notre société affairée, et tout ensemble avide de ses aises, un exemple vivant de spi- ritualité et de détachement. La science historique, qu’ils ont préparée, déplore aujourd’hui leur perte; de sa- A de vantes collections, poursuivies par plusieurs générations monastiques, sont restées inachevées, monument de la patience séculaire des moines et de notre ingratitude. . Nous, prêtres séculiers, attachés aux églises et retenus à la terre par les soins matériels de la vie, nous suffi- sons, et au-delà sans doute, pour organiser et défendre les anciennes conquêtes du christianisme; mais, pour les étendre au loin, il faut peut-être une vie moins chargée d’entraves que la nôtre; un si grand œuvre a besoin du libre élan des religieux, de leur parole ar- dente et inspirée. À défaut d’espérances pour l’avenir, je donnerai aux anciens moines de l’Anjou un long souvenir et un regret. Quelque modeste que soit ce travail (j'aurais aimé à le rendre plus digne de la mé- moire des évêques et des moines angevins), J'y ai pour- suivi pour moi-même un sérieux intérêt, car 1l me sem- blait qu'en vivant, par l'étude, avec ces vénérables évêques et ces moines si humbles et si dévoués, l’âme se fortifiait dans ses meilleurs sentiments, et qu'après un long commerce avec ces hommes qui ont servi ho- norablement l’Église et l’'Anjou, elle devait en sortir plus religieuse et plus française. Cette Histoire ecclésiastique de l’Anjou, puisée aux sources originales, comprendra les neuf livres sui- vanis : Livre premier : Origines de l'Église d'Angers, du se- cond au cinquième siècle. Livre second : L'Église d'Angers en face des Barbares Francs, Bretons et Normands, du cinquième au dixième siècle. Livre troisième : Les abbayes d'Anjou et la lutte de 19 l'Église d'Angers contre la féodalité, du dixième au douzième siècle. Livre quatrième : Les Ordres Mendiants et la grande époque de l’Université d'Angers, du douzième au quin- zième siècle. Livre cinquième : L'Église d'Angers au quinzième siècle. Livre sixième : Le Protestantisme et la Lique en An- jou, seizième siècle. Livre septième : Le Jansénisme angevin, dix-septième siècle. Livre huitième : L'Église d'Angers au dix-huitième siècle. Livre nenvième : L'Église d'Angers depuis le Con- cordat. On VEN Ee LIVRE PREMIER. Les origines de l’église d'Angers, DU SECOND AU CINQUIÈME SIÈCLE. SomMAIRE : Auxilius et saint Firmin. — Défensor. — Saint Martin, évêque de Tours et ses disciples : saint Apothême, Prosper, saint Florent, saint Maurille, etc, — Saint René. — Thalaise !. Jules César employa dix années à conquérir les Gaules, et il fallut au génie discipliné et compacte de Rome ce grand homme et ce temps pour triompher de la fougue indisciplinée et des divisions des Gaulois. Mais à peine soumises, la civilisation romaine envahit les Gaules; à la conquête violente des armes, succéda la conquête pacifique et meilleure des esprits. La race intelligente et sympathique de nos pères fut séduite par le spectacle de la civilisation romaine; elle en ad- mira la puissance et les bienfaits; elle se fit gloire de prendre à ses vainqueurs ce qu’ils avaient de beau et de grand dans leurs arts et leurs institutions. Jamais assimilation de deux peuples, séparés par les mon- tagnes, la langue et la civilisation, longtemps ennemis 1 De tous lés livres de cette histoire, celui-ci est le moins étendu ; la pénurie de documents a contraint d'en resserrer les limites; il renferme cependant des détails inédits sur les évêques Auxilius, saint Maurille et Thalaise. Si quelque point mérite une discussion particulière, elle sera mieux placée à la fin du volume qu’au milieu du récit historique. Conquête des Gaules par les Romains, La Gaule st convertie par les papes. L'évèque Auxilius en Anjou. D acharnés, ne parut plus prompte, ni plus complète. Les Gaulois parurent au forum et dans le sénat romain ; ils remplirent la cour des empereurs et prirent du ser- vice dans les légions; même, ils disputèrent à leurs maitres la palme de léloquence et de la poésie. Les cités des Gaules se composérent elles-mêmes à l’image de la grande Rome; elles eurent, comme la métropole du monde, leurs écoles, un forum et un sénat; image d’une liberté trompeuse, qui ne les consola point de la servitude universelle. La barrière des Alpes parut abaissée, et Rome impériale se retrouva par sa langne et ses institutions dans les cités de la Gaule, depuis antique Marseille jusqu'aux colonies récentes du Rhin et de la mer du Nord; le dur génie de Rome s’adoucit même au contact du génie plus sociable des nations celtiques. Rome chrétienne, qui se formait dans les catacom- bes, voulut opérer en Gaule, après la conquête du ter- ritoire et des esprits par Rome païenne, la conquête des âmes à l'Evangile. Au milieu même des persécu- lions, les papes envoyérent successivement deux grandes missions qui fondèrent, par la prédication et souvent par le martyre, la plupart de nos diocèses. La première fut organisée par saint Pierre et ses successeurs immé- diats, la seconde, reculée jusqu’au troisième siêcle, eut pour auteur le pape saint Fabien. Notre province fut convertie au christianisme par les disciples mêmes des apôtres de la Gaule. : Le pays des Andecaves ou l’Anjou, soumis aux Romains depuis la conquête des Gaules, reçut au com- mencement même du second siècle la lumière de hs l'Evangile. Elle lui vint du Maine, et son premier apôtre fut un évêque gallo-romain du nom de Défensor ou d’Auxilius. Avant sa conversion, Auxilius gouvernait le Maine au nom des Romains, lorsqu'il connut l’évêque saint Julien, envoyé de Rome, par l’apôtre saint Pierre, ‘évangéliser la province habitée par la tribu des Céno- mans !. Julien était le même, dit-on, que Simon le lépreux, dont la maison avait été témoin du repentir et du pardon de sainte Marie-Madeleine. Quoi qu’il en soit, Auxilius fut converti au Mans avec sa famille; associé aux missions du Maine, il recut la prêtrise et lépiscopat même des mains de saint Julien. Sa propre maison devint la première église du Mans, et quelques jours avant de mourir, l’évêque lui donna l’Anjou à évangéliser. C'était au commencement du second siècle, vers l’époque où saint Clair fondait le siége épis- copal de Nantes, et plus de cent cinquante,années avant 1 Les origines des églises des Gaules ont été longtemps envelop- pées d’obscurités, que n'avaient pu dissiper entièrement les travaux des plus savants critiques. Tandis que Baronius les rapportait en général aux temps apostoliques de saint Pierre et de saint Clément, Tillemont, appuyé sur un texte de saint Grégoire de Tours, les re- culait jusqu’au troisième siècle, à l’époque du pontificat du pape saint Fabien. L'opinion de Baronius, qui avait pour elle la vraisem- blance, et qui s’accordait avec le témoignage des plus anciens Pères, avec le martyrologe romain, les Vies des Saints et la tradition de la plupart des églises, a été pleinement confirmée par les recherches de la critique moderne, et en particulier par M. le curé de Saint- Sulpice dans sa belle histoire de Notre-Dame de France. Elle équi- vaut aujourd'hui à la certitude historique ; et c’est à elle que je m’attache, d'autant plus qu’elle s'accorde avec les monuments an- ciens de l’Anjou. A la vérité, le texte de saint Grégoire de Tours, qui favorise Tillemont, est formel et n’admet aucune équivoque : Sub Decio imperatore, seplem viri episcopi ordinati ad prædicandum Aspect de J’Anjou. NO la prédication du christianisme en Touraine par l’évé- que saint Gatien. L’Anjou n’était point alors cette belle et riche pro- vince, chère à ses enfants et visitée souvent par l’étran- ger. Sur ces coteaux, où le vin d'Anjou mürit sous un brillant soleil son pétillant esprit, croissaient d’épaisses forêts. Descendues dans la plame, elles la couvraient au loin de verls sapins et de chênes séculaires. Le territoire était souvent un vaste marais ; là où finissait le marécage, commençait une rare culture, étendue chaque jour par les Romains, qui achevaient par le défrichement la conquête commencée par leurs armes. La Loire, sans limites certaines, inondaït en partie la Vallée. Au-dessus des bois et des marais, un ciel sombre couvrait la contrée. Quelques voies romaines, portées tantôt sur les marais, tantôt sillonnant les bois impéné- trables, unissaient entre elles les rares villes de la pro- in Gallias missi sunt.…: Turonicis, Gatianus episcopus; Arelatensi- bus, Trophimus episcopus; Narbonae, Paulus episcopus; Tolosae, Saturninus episcopus ; Parisiacis, Dyonisius episcopus; Arvernis, Stremonius episcopus ; Lemovicinis, Martialis est deslinalus episco- pus (Histor. Franc., lib. [, cap. xxvim). Mais l’auteur même d’un texte si précis, saint Grégoire de Tours, en diminue beaucoup la force par d’autres textes contradictoires : Saturninus martyr, ut fer- tur, ab apostolorum discipulis ordinatus, in urbem Tolosatium est directus (Miraculor., lib. [, cap. xzvin).… Eulropius quoque martyr Santonicae urbis, a beato Clemente episcopo fertur directus in Güllias (Ibid., cap. Lvi). Les deux opinions sur les origines des églises des Gaules peuvent done invoquer contradictoirement saint Grégoire de Tours; d’où il suit que l'autorité, si respectable par ailleurs, du vieil historien des Francs, n’est décisive ni pour l’une ni pour l’autre. La question resterait indécise, si les arguments de Baro- nius, confirmés par les historiens modernes, ne l'avaient aujour- d’hui décidée. A 7, = vince et les reliaient à la Loire. De nombreuses et opulentes villas, tenant la place de bourgs, étaient en- tourées, dans les campagnes, d'esclaves et d'hommes libres, travaillant sous l’œil du noble pairicien, gaulois ou romain. Au lieu de ces clochers aériens, qui de tous les points de la province percent aujourd’hui la nue, quelques temples païens consacrés à Mars, à Janus et aux autres divinités romaines, s’élevaient sur les col- lines. Cependant, les tribus celtiques étaient demeurées fidèles au druidisme comme au culte national, qui leur rappelait la vieille liberté des Gaules. Le paganisme ro- main, devenu la religion officielle des cités, ne s’éloi- gnait pas encore de leurs murs et des voies militaires parcourues par les légions. Les druides, d’abord pros- crits, s'étaient réfugiés dans les forêts et les iles de la Bretagne, protégés contre les empereurs par la distance et par la mer. Redescendus dans le pays mal conquis et remuant de l’Anjou, ils en avaient rendu les campagnes à leur culte et institué des colléges de prêtres des deux côtés de la Loire, à Nyoiseau, à Belle-Fontaine et à Sau- mur. Mais leur grande puissance était passée; s’ils te- naient asservis encore à leurs mystérieuses et sangui- naires superstitions les paysans, hommes libres et es- claves, qui défrichaient les campagnes, les hommes de haute classe vivaient dans leurs villas indifférents à toute espèce de culte, ou par besoin de plaire, prati- quaient déjà le polythéisme des conquérants. Ce fut au milieu de ces seigneurs épicuriens et de ces paysans bar- bares que l’évêque Auxilius pénétra, au second siècle, dans le sombre et marécageux Anjou. La persécution qui s'attachait au christianisme , prédication Ho 4 en m’éclatait pas avec la même violence dans toutes les parties de l’Empire; le sang coulait à l’amphithéâtre romain, tandis que les gouverneurs, au fond des pro- vinces , négligeaient ou ménageaient souvent les chré- tiens. La prédication d’Auxilius ne suscita contre elle aucune persécution, et parmi ses premiers fidèles, lAnjou ne compta point de martyrs. Mais les lieux qu'Auxilius évangélisa, nous sont restés inconnus, comme la durée et la plupart des circonstances de sa mission. Il n’osa point, ou il ne put bâtir d'église à Angers; il parcourut la province en missionnaire, ne fixant nulle part son siége épiscopal, mais évangélisant partout nos barbares aïeux. Les nobles gaulois, surveil- lés par les Romains et d’ailleurs insouciants, dédaignè- rent une prédication, qui pouvait arrêter la faveur impériale et troublait la mollesse de leur vie. Auxilius fut mieux accueilli des campagnes où les paysans se firent, en foule, chrétiens. Le druidisme, qui professait l'existence d’un Dieu suprême et l’immortalité de l'âme, était pour les Gaules, malgré ses rits sanguinaires, comme une préparation lointaine au christianisme. Les paysans convertis partagérent avec les druides, à l'écart des villes, loin du regard des Romains, les forêts som- bres et inaccessibles de l’Anjou. A côté des dolmens gaulois, sous les chênes où se balançait le gui sacré, s’élevaient pour un jour, une heure, pour les besoins du moment, des chapelles de feuillage et des autels chrétiens. En face d'Angers, sur les bords de la Maine couverts par les bois d’Avrillé, était un lieu sauvage, caché sous les ronces et les ar- bres druidiques. Souvent, les chrétiens d’Auxilius sy no réunirent, dit-on, pour la prière et le sacrifice. Les évêques et les comtes d’Anjou y bâtirent une chapelle souterraine; sur ses fondations s’éleva plus tard une riche abbaye, qui porta, en mémoire des ronces du lieu sauvage le nom expressif du Ronceray. Les chré- tiens s’assemblaient encore à Saumur dans un lieu dé- sert, consacré par le culte des druides; on l’a converti plus tard en chapelle souterraine de l'église deNantilly. Un Espagnol, converti par saint Honestus, évêque de Pampelune et disciple de saint Saturnin de Toulouse, parcourait alors la Gaule, en l’évangélisant. C'était Firmin de Pampelune, l’apôtre de la Navarre et de la Picardie, devenu plus tard évêque d'Amiens et martyr dans son diocèse. Quinze mois entiers, il prêcha avec Auxilius les tribus celtiques des bords de la Loire. Mais quel que fût le succès de cette prédication, leur œuvre ne paraît point leur avoir survécu. Après la mort d’Auxilius ou son départ d'Anjou, il ne reste aucun vestige au second et troisième siécle de Péglise qu’il avait voulu fonder. Peut-être avait-elle son histoire, dont les actes ont péri dans le désordre des invasions bretonnes et normandes. Mais il est plus probable que la crainte de la persécution, l'indifférence des hautes classes et l'absence de missionnaires pour succéder à Auxilius, mirent fin à cette antique église d'Anjou. Mais cette église, pour ainsi dire fossile, et dont à peine on retrouve quelques vestiges dans les profon- deurs de l’histoire, ne dut pas périr tout entière. Sous la couche épaisse d’idolâtrie, dont l’Anjou fut couvert de nouveau, quelques familles durent garder le germe vivant du christianisme. Tandis que cette église, à peine Saint Firmin en Anjou. Civilisation romaine en Anjou. == DD formée, s’ensevelissait elle-même dans les ténébres, le polythéisme gaulois et le paganisme romain se modi- fiaient l'un par l’autre à un contact mutuel. De leur confusion sortit au second et au troisième siècle un culte mélangé, où Rome donna le nom de ses dieux aux forces de la nature, adorées par les Gaulois. De nouvelles voies militaires furent ouvertes en Anjou par les Romains; ils bâtirent à Angers, qu’ils appelèrent Ju- liomagus, lamphithéâtre de Grohan, les bains de l’Es- vière, un Capitole, un prétoire, un temple à Apollon ‘. La ville fut administrée civilement par un sénat gallo- romain, chargé de la perception de l'impôt. Les légions campaient à Chenehutte, au Lion-d’Angers et à Frémur. Les Romains firent connaître à l’Anjou leur langue et leurs lois. Angers, devenue cité romaine, eut ses écoles de grammaire et de jurisprudence. Sur les bords de la Maine, les jeunes Andecaves expliquèrent la loi des Douze-Tables et déclamèrent Cicéron et Virgile, comme on le faisait sur les bords du Tibre, ou à Marseille et à Lyon, les deux cités lettrées des Gaules. Mais une civilisation qui ne parle pas à la conscience est éphé- mère et fausse; avant de cultiver les belles-lettres, un peuple barbare a besoin d'apprendre la vertu. Les Romains ne pratiquaient plus les vertus morales, qui avaient fondé la grandeur de leur patrie. L’Anjou reçut de ses maitres l’indifférence religieuse et les vices de 1 L’évéché occupe l'emplacement du capitole, et la pension Saint- Julien celui du prétoire; l’amphithéatre était situé entre la rue Hanneloup et le boulevard, dans les jardins traversés par la rue de la Fidélité; l'emplacement de l’Esvière est bien connu, et nous par- lons ailleurs du temple d’Apollon. A) pe Rome impériale; à Angers, comme dans le reste de la Gaule, ils se montrèrent avares et cruels. La civilisa- lion extérieure qu'ils donnèrent à l’Anjou, ne corrigea ni la corruption ni la barbarie de nos pères. Enfin, au quatrième siècle, la conversion au chris- tianisme de l’empereur Constantin commença une ère meilleure pour la civilisation. Cependant, sous les for- mes nouvelles du christianisme, le vieil Empire romain resta tel que l'avait fait le paganisme; il en garda les institutions, l'esprit et surtout les mœurs. Pour régé- nérer le monde, le christianisme avait besoin d’élé- ments plus jeunes et moins corrompus; il lui fallait une société nouvelle, et il attendait sans crainte les barbares. Ils se pressaient déjà aux portes de l’Empire, demandant des terres et de l'or, et ne se doutant pas qu'ils allaient régénérer le monde par l'Évangile. La société romaine, condamnée par ses vices, devait dis- paraître; mais sa domination n'aura pas été sans fruit pour l'humanité. Par l’unité matérielie des peuples, assujétis à ses lois, elle prépara l’unité sublime des esprits, qu’allait accomplir la société chrétienne. Elle laissa une littérature admirable, où le moyen âge fera son éducation intellectuelle ; elle légua au monde nou- veau les principes immortels du droit, fondé sur la raison et l’équité naturelle. Quelle que grande que soit Rome païenne, conquérante et institutrice de l'univers, il faut cependant qu’elle meure et cède la place à la Rome meilleure du christianisme. Après avoir conquis le monde et su le gouverner, elle succombe et l’en- traine avec elle sous le poids de ses vices et de ses institutions païennes. SOC. D'AG. 2 Impuissance de la civilisation romaine. L'empereur Constantin. L’esclavage entretenu, renouvelé sans cesse au moyen des peuples vaincus, décimait la population ; le désert gagnait sur les provinces sans culture; les hommes libres, écrasés d'impôts, se faisaient esclaves, pour échapper au fise et à la faim. L’indifférence re- ligieuse enlevait aux lois la sanction du ciel et sapait par leur principe les antiques vertus romaines. Sous la double attaque de l’incrédulité et du vice, les prin- cipes de la morale perdaient leur empire et leur clarté même dans la conscience humaine. Le monde n'avait pas seulement sous les yeux une société, qui commen- çait sa décadence sous les excès d’un despotisme asia- tique : attaqué aux sources mêmes de sa vie, le genre humain se donnait le spectacle de sa propre agonie; il implorait la mort, tout au moins la mort du régime paien. L'empereur Constantin eut-il la conscience qu’il allait lui rendre la vie même, en lui permettant de tour- ner les yeux vers la croix, et d’être chrétien? on l’ignore, car il y avait dans ce grand esprit, éclairé de lueurs sublimes, plus d’un côté obscur, et près de la lumière trop de place laissé aux ombres. Comme tous les grands hommes, à l'entrée d’un monde nouveau, il fut l’ins- trument de la Providence; moins qu'aucun de ses pa- reils, il eut la conscience de sa destinée. Tantôt catholique et quelquefois protecteur des ariens, l'esprit toujours plein des préjugés du paganisme, cet homme, qui avait eu la gloire de réunir le concile de Nicée et qui fut le fondateur de l’épiscopat courtisan du Bas- Empire, hésita, comme Moïse, en frappant le rocher; il sembla douter que, du christianisme, allait sortir la r r régénération du monde. DRE Quoi qu’il en soit, Constantin abrogea les édits de persécution; le christianisme, d’abord toléré, devint successivement la religion officielle et privilégiée de l'Empire. L’Anjou ne ressentit pas d’abord les effets de cette révolution. Sous le gouvernement romain, les tribus des Andecaves et des Bretons avaient recouvré, au quatrième siècle, une demi-indépendance; après avoir repris son nom celtique d’Andecavum, Angers avait pourvu à sa propre défense, sans consulter son gouverneur, et s'était entouré de murailles. Les insti- tutions que Rome favorisait, lui étaient suspectes ou indifférentes. En dépit de l'esprit nouveau qui poussait partout les peuples à l'Evangile, les Gallo-Romains, sénateurs d'Angers, se firent quelque temps encore les défenseurs du régime vieilli du paganisme. Leur ville possédait un temple, des écoles, un amphithéâtre; ils voulurent encore qu’elle eût sa course des chars. Trente ans après la conversion de Constantin, ils y bâtirent un cirque païen, qu'ils dédièrent à Minerve ‘. Mais les idées ont un cours irrésistible, les sociétés ne remontent pas vers des formes fausses et vieillies, et avant que Pascal l’eût écrit, l'opinion était reine du monde. Partisans d’Apollon et de Minerve, sans convic- tion et sans intérêt, nos patriciens d'Angers, n’avaient ni la force, ni même la volonté opiniâtre de résister au christianisme. Ils achevaient leur cirque pour la gloire du vieux régime païen, lorsque l’évêque Défen- sor, apôtre de l'esprit nouveau, fonda l’église d’An- gers. 1 Il était situé sur le boulevard du Château. Défensor, évêque d'Angers. one Ce nom de Défensor m'est suspect; à une époque où les évêques commençaient à s'appeler les défenseurs de la cité, il peut marquer la charge autant que le nom même de l’évêque. Défensor appartenait à l’église de Tours, fondée au siècle précédent par le pape saint Fabien, qui lui avait donné saint Gatien pour apôtre et premier évêque. Après un long intervalle, saint Lidoire, nommé successeur de saint Gatien, choisit, vers 390, Défensor, pour l’apostolat de l’Anjou ; c'était un homme de race patricienne, mais dont l’origine est inconnue. L’Anjou, qui avait reçu du Maine une première fois le christianisme, le recevait de nouveau, deux siècles plus tard, de la ville de Tours, sa future métropole. L'histoire ne nous a point appris les premiers inci- dents de la mission de Défensor ; nous savons seule- ment qu'il s'établit à Angers, où il fonda un siége épiscopal. Dans la décadence du monde social, les évé- ques, depuis Constantin, joignaient à leur puissance spirituelle une partie de la puissance civile et politique. Les cités leur confiaient d’elles-mêmes leurs intérêts temporels, comme au seul pouvoir capable alors de se faire obéir de la conscience. Le patricien Défensor avait dans sa noblesse un lien de confraternité qui l’'unissait aux patriciens d'Angers. Ils n'avaient demandé d’évêque ni à Tours, ni à quelque ville que ce füt; mais ils étaient indifférents en matière religieuse, et, voyant Défensor leur venir, ils le reçurent sans défa- veur ; peut-être même l’accueillirent-ils avec joie. Comblés d’honneurs par les Romains, mais assujétis par le fisc à suppléer de leurs propres deniers au déficit de impôt, ils se voyaient sénateurs d'Angers etse sentaient — 95 ruinés. [ls aspiraient à un changement de régime, qui, les déchargeant d’une onéreuse administration, con- serverait leurs honneurs sans toucher à leurs biens. L'arrivée de Défensor soulagea ces pauvres gens. Plu- sieurs se firent aussitôt chrétiens, soit par conviction, soit aussi qu'ils aimassent à saluer de bonne heure le soleil levant de la fortune. Il était facile de prévoir que la profession du christianisme allait devenir un motif de faveur auprès du pouvoir et un moyen d'influence sur les populations. Le temple d’Apollon à Angers, fermé par Défensor, fut détruit; il occupait la place du baptistère actuel de la cathédrale; ou s'il était plus voisin du capitole romain, aujourd’hui l'évêché, il s'élevait sur les fon- .dations gallo-romaines, découvertes, au dernier siècle, au nord-est de la cathédrale. Sur les ruines du temple, Défensor bâtit la premiére église d'Angers; il en fit sa cathédrale, provisoire el sans pompe, et quoiqu’elle füt en bois, 1l la dédia à la Très-Sainte-Vierge. Au nord- est des murs de la ville, il construisit deux chapelles souterraines, qu'il destina à la sépulture du clergé; elles devinrent, sous ses premiers successeurs, les églises de Saint-Pierre et de Saint-Maurille !. Une autre crypte, nommée Notre-Dame du Verger, fut encore construite sous son épiscopat, au lieu même où s’éleva plus tard l’abbaye bénédictine de Saint-Aubin; elle eut pour fondateur saint Hilaire, évêque de Poitiers, né en Anjou et fameux dans toute l’Église par sa résistance à 1 Place du Ralliement. Le théâtre occupe la place de l’église Saint-Pierre. Saint Martin, évêque de Tours. op l’arianisme. [1 lui donna quelques revenus et des terres à Méron. Peut-être vint-il à Angers même favoriser l'établissement de Défensor. Malgré la fondation d’un siége épiscopal à Angers, le christianisme ne se répandit qu'avec peine dans les campagnes, et vingt ans après la mort de Défensor, elles élaient encore païennes. En 372, l’année même de sa mort, Défensor se rendit à Tours pour concourir avec les évêques de la province, le peaple et le clergé à l'élection d’un successeur à saint Lidoire. Il s’opposa sans succès au choix que l'assemblée avait fait de saint Martin, abbé et fondateur du monastère de Ligugé, près Poitiers. Il le jugea, sur son extérieur négligé, indigne de l’épiscopat; la chevelure en désordre du moine déplut au bon vieux patricien; et sur une tête de soldat pannonien, la miître lui semblait dégradée. Quelques mois après, il mourut à Angers, et il fut enseveli dans l’une des eryptes qu'il avait fondées, Parlons maintenant du nouvel évêque de Tours, de saint Martin, si simple et si grand à la fois ; la délica- tesse de Défensor s’en était offensée; mais l’Église l’a mis au premier rang de ses moines et de ses évêques, et sa vie intéresse l’Anjou. C’était un vétéran des ar- mées romaines, né en Pannonie, devenu disciple du grand Hilaire de Poitiers, et qui avait combattu l’aria- nisme dans sa patrie et à Milan, avant de fonder à Li- gugé le premier monastère des Gaules. Jamais homme ne fut doué au même degré du don des miracles; la nature lui semblait soumise; mais ce grand thauma- turge était le plus humble des religieux, et 1l fallut em- ployer la ruse pour le contraindre d’accepter l’épisco- LA on pat. L'Église, qui a produit des docteurs plus illustres, ne s’honore pas d’un plus grand apôtre. Par sa pré- dication ou par ses disciples, il a fait disparaître le pa- ganisme de la Touraine, du Poitou et de l’Anjou; il a renouvelé dans l’ouest des Gaules les miracles de la- postolat de saint Paul en Asie et en Grèce, et ce que saint Boniface fut plus tard pour la Germanie, il l’a été, au quatrième siècle, pour nos provinces druidiques el païiennes. Lorsqu'on lit, dans Sulpice Sévére, le récit de ses courses apostoliques, il semble que cet homme, d’une activité infatigable, n’ait vécu que pour prêcher l'Évangile; et cependant cet apôtre, si grand que l’É- glise des Gaules n’a personne à lui comparer, passait dans la solitude la meilleure partie de sa vie. Là était resté son cœur lorsqu'il évangélisait les Gaules; et, de retour à son monastère de Marmoutiers, près Tours, il semblait s'être retrouvé lui-même, quand, au milieu de ses moines, il priait, transcrivait les livres saints ou dé- frichait de ses mains miraculeuses les champs et les bois du monastère. Pour combattre le paganisme, il n'avait d’autres armes que la persuasion et la charité. Supé- rieur au moyen âge, il défendit contre l’empereur la vie des hérétiques, et, selon lui, c'était un échec pour la vérité que d'acheter un triomphe au prix de leur sang. Avec le don des miracles, il laissa à ses disciples d'Anjou cet esprit de mansuétude qui devait convertir nos populations. De Ligugé ou de Marmoutiers sortirent les succes- seurs à Angers de l’évêque Défensor, saint Apothème d’abord, et ensuite Prosper. Apothème était. né sous le ciel de la Grèce, et il parlait la langue de Chrysostôme Saint Apothème et Prosper évêques d'Angers. Apostolat des moines angevins. og et de Basile. Par quelles aventures étranges était-il venu d'Orient dans les forêts de la Gaule celtique? Était-ce un soldat, compagnon de saint Martin, qui, aprés avoir été son ami dans les camps, laurait suivi à Ligugé? ou plutôt, saint Hilaire ne l’avait-il point conduit à Poitiers au retour de son exil d'Asie? L’his- toire ne peut rien affirmer, et les actes de l’épiscopat de saint Apothème ne sont pas moins inconnus que les causes qui l’amenèrent de la Grèce dans le pays des Andecaves. À sa mort, arrivée en 389, il fut remplacé par Prosper, disciple de saint Martin, et qui fut con- sacré par le grand évêque. Sur la fin de sa vie, 1l cons- truisit en pierre la cathédrale de Défensor, qui tombait en ruine. Quel que fût le zèle de ces premiers évêques d'Angers, Dieu avait réservé aux moines la gloire d’a- chever la conversion de l’Anjou. Un siècle viendra où les moines, formés en congré- gations, construiront en Anjou de riches abbayes; ils y conserveront, avec le dépôt de la science religieuse, les traditions de la civilisation antique ; ils défricheront nos bois et assainiront nos marais; par leurs travaux, ils dissiperont ce nuage éternel qui couvrait nos cam- pagnes humides et boisées, et ils seront comme les au- teurs de ce beau soleil qui réjouit l'œil en Anjou. Autre, au quatrième siècle, mais nou moins grande, fut la gloire de leurs prédécesseurs; ceux-ci sont des mis- sionnaires, préparés longuement par la solitude à de- venir des apôtres et à convertir nos pères. Réunissant les populations autour de leurs cellules, ils ont bâti nos premières églises, et formé nos bourgs et nos villages. Ïls s’arrêtaient de préférence sur les bords de la Loire, RON où convergeaient les voies romaines de l’Anjou; soit qu'ils aimassent le spectacle des grandes eaux, où se réflétaient les vertes collines, soit qu’ils voulussent se fixer au centre même du paganisme angevin, qui avait ses plus fameux sanctuaires dans les forêts et sur les monticules du fleuve; soit encore qu’en se plaçant sur le passage des voyageurs et des tribus celtiques dans leurs émigrations, il leur fût plus aisé d'annoncer l’'É- vangile aux infidèles. Parmi les disciples de saint Martin en Anjou, l’un des plus illustres fut le Bavaroïs saint Florent. Comme son maître, il avait été soldat, et il servait, avec son frère Florian, dans les armées romaines, lorsqu'ils re- fusèrent d’abjurer le christianisme. Tandis que Florian était précipité dans les eaux de la ville d'Ems, Florent, délivré miraculeusement, se réfugia dans les Gaules. Il Wint à Marmoutiers trouver saint Martin, qu’il avait pu connaître à l’armée, et dont, au reste, la gloire écla- tante lui attirait des disciples de toutes les parties de l'Église. Dans cette retraite, qui dura plusieurs années, le souvenir d’une colline qu’il avait vue, en songe, située près d’un grand fleuve, ne quitta point la pensée de Florent : Dieu, croyait-il, appelait à y vivre dans la solitude. Un jour, qu'il descendait la Loire jusqu’à la Bretagne, il reconnut sa colline miraculeuse dans le mont Glonne. Il bâtit une cellule dans les flancs du rocher, et là, durant soixante années, tantôt solitaire, tantôt prêchant les tribus gauloises, il s’entoura de disciples, détruisit l’idolâtrie et fonda une société chré- tienne. Peut-être même prit-1l part aux travaux d’un autre disciple de saint Martin, saint Macaire, qui con- Saint Florent. Saint Victorin, saint Maxentiol, etc., etc. Mon vertit les Mauges, pays mal famé, même à cette époque de corruption et de violence, parmi les Gaulois. Tous les ans, il visitait saint Martin à Marmoutiers, et ce fut dans l’un de ces voyages qu’il reçut la prêtrise, et dé- truisit, à Saumur, peut-être sur la colline des Ardil- liers, un temple païen. Il mourut au mont Glonne, vers le milieu du cinquième siècle, à l’âge de cent vingt ans. À la même époque, saint Victorin à Gennes, saint Maxentiol à Cunault, saint Doucelin aux environs d’AI- lonnes, renouvelaient la vie miraculeuse et les succès évangéliques de saint Florent. Gomme le moine du mont Glonne, ils mêlaient l’action à la vie contemplative; et, quittant leurs cellules, où souvent ils rentraient pour recomposer leur âme par la prière et le silence, ils s’enfonçaient avec intrépidité au sein des campagnes barbares ; leur parole convertissait les populations que* leurs vertus avaient d’abord frappées; ils faisaient des chrétiens, bâtissaient des chapelles et déjà même des maisons de refuge pour les infirmes et les voyageurs. À leur mort, ils devinrent les patrons de la contrée qu'ils avaient évangélisée. Le paganisme fut ainsi détruit progressivement en Anjou sans persécution et sans violence. Il y avait bien çà et là des temples incendiés, et des arbres, objet d’un culte superstitieux, déracinés; mais c'était par le feu du ciel ou par une tempête miraculeuse; 1l y au- rait de l'injustice à rendre les moines responsables de ces mesures extra-légales. Au reste, ces forêts et ces temples cachaient le plus souvent un foyer de corrup- tion; la morale demandait la destruction de lieux si 91: — mal famés, et les païens convertis n’y refusaient pas leur concours. Le christianisme s'établit en Anjou par la persuasion, appuyée sur la charité et la vie miracu- leuse des moines. Mais le grand miracle, et le moins incontestable, qui convertissait, était le prodige de leur vie. Au lieu de ces Romains cruels et braves, ou de ces nobles Gallo-Romains durs et efféminés, les peuples avaient sous les yeux des hommes détachés et paci- fiques qui avaient quitté leur patrie lointaine, sans y être poussés par l'ambition ou la cupidité, mais pour s'occuper des âmes, des faibles, des infirmes, et fon- der des hôpitaux Ils ne pouvaient voir sans admira- tion ces hommes libres, assujétis volontairement à la condition des esclaves, réhabiliter le travail dont per- sonne ne voulait plus, et la pauvreté toujours odieuse et méprisée, parler de l'égalité des hommes devant * Dieu, et, ce qui manque rarement d’aller au cœur hu- main, des devoirs des maîtres et des droits des esclaves. Pour des païens, habitués à vénérer dans les passions une nécessité irrésistible, c'était un spectacle divin que de les voir esclaves et soumises dans la personne de moines chastes et mortifiés. Eux, qui n'avaient jamais entendu la parole de leurs prêtres, dont les mystères extravagants étaient enveloppés de bizarres supersti- tions, recevaient avec docilité une religion surnatu- relle, éminemment raisonnable, qui satisfaisait la cons- cience et le bon sens. Les miracles, que nous ont transmis les légendes, hâtaient la conversion des infi- dèles ; mais elle était déjà commencée “par la vie même et la parole des moines. De tous les disciples de saint Martin, nul ne rappela Vie miraculeuse des moines. St Maurille, #2)190 À mieux en Anjou la vie de religieux et d’apôtre, telle que le maître la pratiquait, que l'Italien saint Maurille. Saint Florent avait prêché et converti les bords de la Loire; mais avant tout, il fut un moine pour qui la vie contemplative resta la grande occupation, il partage avec saint Maur, venu dans nos contrées un siècle plus tard, la gloire d’avoir fondé la vie monastique en An- jou. Saint Maurille fut d’abord un missionnaire et un apôtre, et il semble n'avoir été cénobite que pour pui- ser dans la solitude les vertus et l'énergie nécessaires à la conversion des païens. Né à Milan, il avait été élevé, par l’évêque saint Ambroise, aux premiers degrés de la cléricalure; et ce grand docteur, qui avait déjà donné saint Augustin à l’Église, lui donna encore saint Maurille, fondateur de l'Église d'Anjou. Mais ni la sain- teté, ni le génie d’Ambroise ne purent retenir le jeune Milanais; un instinct de la Providence le pressait de quitter le-ciel du midi pour vivre sous le sévère climat des Gaules avec saint Martin, qu’il avait connu et ad- miré à Milan. Son patrimoine distribué aux pauvres, il vint à Marmoutiers partager la solitude de l’évêque de Tours et recevoir la prêtrise de ses mains. Désigné pour la mission d'Anjou, il s'arrêta sur les bords de la Loire, dans la vallée de Chalonnes, fameuse par ses superstitions et le culte des divinités païennes. Il sy bâtit une cellule, et, à l'exemple de son maitre, il en sortait sans cesse pour évangéliser la contrée, opérant des miracles et des conversions. Dans les bois de Cha- lonnes, on vénérait des arbres druidiques, et sur deux collines étaient des temples consacrés aux divinités de Rome. Le feu du ciel descendit, à la prière de Mau- RD rille, sur les temples païens, et, touchés par ces mi- racles, les paysans détruisirent eux-mêmes leurs bois sacrés. Il y avait douze ans que Maurille était à Chalonnes, lorsque saint Martin se rendit à Angers, vers l’année 396, recevoir les derniers soupirs de l’évêque Prosper el présider à l'élection de son successeur. Depuis quel- ques années seulement, Tours était devenu, par un nouveau partage de la Gaule en provinces, la métro- pole politique et ecclésiastique d’Angers, et, à cette époque de l’Église, les évêques, élus par le peuple et les prêtres, étaient confirmés par le métropolitain. Au milieu de l’assemblée, divisée sur le choix d’un évêque, saint Martin désigna son disciple Maurille; ce nom, déjà illustre par l’apostolat de Chalonnes, entraîna tous les suffrages. Le ciel lui-même confirma l’élection lorsque Maurille entra dans la cathédrale, le Saint- Esprit parut sur sa tête, sous la forme d’ane colombe. Saint Martin possédait alors une relique inestimable pour un saint et un vieux soldat : c’étaient trois fioles pleines du sang des martyrs de la légion thébéenne, recueilli miraculeusement au pied des Alpes, dans la vallée d’Agaune, où il avait été versé. L’empereur Maxi- min avait fait massacrer la légion tout entière dans le siècle précédent, pour avoir refusé d’adorer les idoles. La réponse que lui adressa Maurice, le chef de la lé- gion, nous à été conservée par saint Eucher, bien qu'il ait gâté par la rhétorique de son temps l’héroïque sim- - plicité du langage des martyrs. À la nouvelle cathé- drale d'Angers saint Martin fit don d’une de ses fioles miraculeuses. Il en fit lui-même, en 396, une seconde 0 ja consécration, associant désormais au patronage de la sainte Vierge celui de saint Maurice et de la légion thébéenne. Malheureusement, l’Église d'Angers a ou- blié depuis bien des siècles qu’elle avait été consacrée à Notre-Dame par son premier évêque et par saint Martin; aujourd’hui, elle ne conserve plus que le pa- tronage de saint Maurice. À perdre la sainte Vierge, nul doute qu'elle m’ait regretté plus tard de n’être pas con- sacrée à l’apôtre de l’Anjou, à saint Maurille, le plus saint et l’un des plus grands de ses évêques. Au retour de cette consécration, dont les suites furent malheu- reuses, saint Maurille mourut à Candes. Devenu évêque, Maurille conserva, autant qu’il put, “les habitudes de la vie monastique. Il fonda à Chalonnes une école ecclésiastique et une sorte de séminaire pour ses clercs; lui-même, s’arrachant souvent à sa cellule épiscopale d’Angers, parcourait le diocèse en mission- naire, comme il avait évangélisé autrefois les bords de la Loire. Plus encore que ne l’avaient fait ses prédéces- seurs, il prit une large part à Vadministration civile d'Angers, et, à certains égards, les événements le ren- dirent lun des chefs politiques de l’Anjou. Sous son épis- copat, une grande révolution changea la face de la Gaule au commencement du quatrième siècle; tandis que les Burgundes s'établissaient au pied du Jura, et les Wisi- goths sur les rives de la Garonne, l’ancienne Gaule cel- tique, comprise entre la Loire et la Seine, recouvra son indépendance. Les Romains en avaient retiré leurs troupes pour mieux défendre le nord de la Gaule et l’Ita- lie contre les Barbares; mais Rome fut pillée, en 410, par Alaric, et le prestige de la puissance romaine qui : retenait les peuples dans la soumission, disparut avec l’inviolabilité de la ville, dominatrice de l’univers. Ren- dus à leur indépendance, les Andecaves, Les Bretons, les .Cénomans, les Turones et les autres tribus de la Gaule celtique s’associèrent pour se défendre contre un retour des Romains ou une invasion de Barbares, sous le nom de confédération armoricaine. Get essai d’empire gallo- romain, qui s’étendait de la Loire à la Seine et qui dura cinquante années, fut gouverné par les chefs, sous le nom de comtes romains, et les assemblées des tribus; mais, en réalité, le fardeau des affaires publiques pesa sur les évêques. Les peuples se confiaient à eux comme . aux plus habiles de leurs concitoyens, el aux seuls même qui, par leur science, leur éloquence et leurs vertus, fussent capables de les gouverner. L'Église fondait ainsi sa puissance politique sur le titre le plus sacré du pou- voir, celui de sauver la société. Sous la tutelle de ses évêques, la confédération armoricaine resta libre et prospère au milieu des déchirements de l'Empire, et longtemps la reconnaissance des peuples consacra le souvenir de l’épiscopat de saint Maurille sous le nom de l’âge d'or de l’Anjou. La vie religieuse, née en Orient et introduite en Occi- dent par saint Martin, était alors l'attrait et souvent le refuge des âmes simples et fortes que le christianisme avait converties ; elles y fuyaient la corruption du siècle et en sortaient avec des vertus viriles qui régénéraient la société. Saint Maurille, qui avait pris part à ce mou- vement, le seconda, et, sous son épiscopat, plusieurs couvents de moines et de religieuses se fondèrent en Anjou. Instruit dans la science profane par saint Am- Poe broise même, il n’avait garde de dédaigner les belles- lettres, qu'il savait être un moyen puissant de civili- sation. L'école épiscopale de Chalonnes s’ouvrit même aux laïcs, et, pour les jeunes Gallo-Romains, elle rem- plaça les écoles de grammaire et de rhétorique, fer- nées à Angers depuis la fin de la puissance romaine. Sans vouloir enlever à l’église de Notre-Dame et de Saint-Maurice le titre de cathédrale, saint Maurille aima à se fixer en dehors de l'enceinte fortifiée d’An- gers, au milieu du cimetière des chrétiens, dans l’une des églises bâties par Défensor, il y choisit sa sépul- ture, et plus tard on donna le nom de Saint-Maurille à cette église qu'il avait aimée. Quelquefois il visitait saint Florent au mont Glonne. Un jour de l’année 430, que, descendu de la colline, il priait sur Ja rive de la Loire, la sainte Vierge, dans une apparition, lui commanda d’instituer la fête de sa Nativité. L'Église ne la célébrait pas encore, et ce fut en Anjou qu’elle fut instituée pour la première fois par la piété de l’évêque Maurille. Longtemps elle n’a été connue dans tout l’ouest de la France que sous le nom de Notre-Dame-Angevine ; aujourd’hui même on ne la désigne pas autrement dans notre diocèse. Tel fut le commencement de la dévotion extraordinaire que l’An- jou a toujours eue pour la très-sainte Vierge, et qui lui assigne un rang distingué dans l’Église. L’an- née 480, qui vit l'institution de la Nativité, termina l’épiscopat de sant Maurille; il eut pour successeur saint René, son disciple et son ami !. ! Le docteur Launoy a eu le tort de nier l’épiscopat et l'existence même de saint René. CO Ter Né à la Possonnière, saint René, mort une première saint Rene. fois, d’après une respectable tradition, à l’âge de sept ans, et sans baptême, aurait été ressuscité sept ans après par saint Maurille. Quoiqu'il eût perdu sept ans dans la tombe, un commentaire suspect de la légende l'en fait sortir avec la taille d’un adolescent de quatorze ans ‘. Maurille le mit au nombre de ses clercs, et lui conféra bientôt les premières dignités de son église. René sembla continuer, sur le siége épiscopal d'Angers, la personne même de son prédécesseur, reproduisant à tous les yeux les qualités aimables et saintes, qui 1 La résurrection de saint René n’est pas un fait incontestable. Nous avons la Vie de saint Maurille, composée ou revue, au sep- tième siècle, par saint Maimbœuf, évèque d'Angers; c’est un récit de miracles, où il n’y a pas un mot de la résurrection de saint René; et ce silence est d'autant plus remarquable que saint Mau- rille se serait imposé, d’après la légende, un exil qui aurait duré sept années, pour avoir laissé involontairement le jeune René, son successeur, mourir sans baptème. Ce n’est que quatre à cinq cents ans après la mort de saint Maurille, qu’un moine fort ingénu, du nom d’Archanaldus, nous raconte, dans un récit bien candide, cette résurrection problématique. Au dix-septième siècle, Launoy atta- qua vigoureusement ce miracle de saint Maurille, et voulut en dé- montrer la fausseté; Éveillon, chanoine de la cathédrale d'Angers, répliqua à ses arguments comme à une insulte personnelle; la que- relle s’envenima, et la grêle d’injures qu’ils échangèrent finit par obscurcir la-vérité. Dom Chamard a repris récemment la thèse du chanoine Éveillon, en partie seulement, mais avec plus de dignité et des raisonnements bien autrement sérieux (Vies des saints per- sonnuges de l’Anjou, tome 1); il consent à sacrifier les détails pué- rils inventés ou rapportés par Archanaldus, et ne défend que le fait principal, le seul essentiel. Sa dissertation vise plus haut, mais la conclusion est celle-ci : La critique historique ne démontre pas cer- tainement la fausseté de la résurrection de saint René, Il fallait montrer qu’elle en fait voir la vérité. Pour moi, je n’affirme ni ne veux nier cette résurrection; je m’arrête à un doute motivé. SOC. D'AG. à En Ne avaient rendu Maurille cher à l’Anjou. Pendant les deux années seulement qu’il gouverna le diocèse, il acheva de renverser les temples et les idoles, sans réussir toutefois à extirper les mœurs et les superstitions païennes. Mais on l'avait fait évêque malgré lui, et dans cette haute dignité, songeant à l'étendue de ses de- voirs, il n’aspirait qu’à la quitter, à l’exemple de tant d’évêques des premiers siècles, pour fuir dans la soli- tude. Sa résolution s’affermissait encore, lorsqu'il con- sidérait les désordres dont 1] était témoin, et qui étaient inévitables parmi des barbares nouvellement convertis. Les premiers prêtres angevins, pris dans la classe des hommes libres, avaient été souvent recrutés même parmi les hommes mariés, à la condition de quitter leurs femmes et de renoncer au mariage. Les -clercs, dans les ordres mineurs, jouissant d’une plus grande liberté, pouvaient se marier. On leur avait permis de continuer leur négoce ou de cultiver la terre, et ce privilége leur était commun avec les prêtres, car dans un temps où l’Eglisé n'avait pas de biens, le travail seul pouvait subvenir à l'entretien du elergé. L'état ecclésiastique, déjà privilégié, attirait beaucoup de fidèles impatients de se soustraire aux charges publiques. Plusieurs de ces prêtres, fatigués de leurs nouvelles obligations, se rebutaient du sacerdoce; pour fuir le sanctuaire, ils se faisaient soldats, ou plus simplement encore, reprenaient le ménage qu'ils avaient quitté. D’autres, restés dans le sanctuaire, y cachaïent leurs faiblesses, ou s’abandonnant à l’ivrognerie, refusaient à l’évêque de remplir les fonctions de leur ordre. Quelquefois ils passaient d’une ville à une autre, ou dans un diocèse étranger, et il leur éiait facile de le faire, les limites des diocèses étant alors mal déter- minées. Les moines, imitant les clercs vagabonds, leur donnant même l’exemple, ouvraient d'eux-mêmes la porte de leurs cellules; sous prétexte de pélerinage et de prédication, ils couraient le monde sans l’édifier. Des religieuses même se rendaient coupables, après avoir consacré à Dieu leur virginité, d’autres fois, jetant avec le voile toute retenue, elles rentraient dans le monde et s’y faisaient un établissement. La vie mo- nastique venait d’être instituée en Anjou, et déjà on avait à déplorer les abus de la commande : des abbés, chefs de plusieurs monastères à la fois, les gouvernaient par des prieurs, et cumulaient eux-mêmes les revenus et les dignités. Le divorce, reste des mœurs romaines et gauloises, était fréquent parmi les nouveaux chré- tiens. Plus d’un pénitent public, fatigué du jeûne et de la prière prolongée, quiltait sa station de la porte de Péglise, pour reprendre les habitudes communes de la société. De si graves désordres s’expliquaient par la conversion récente de l’Anjou, car on réforme plus vite les croyances que les mœurs d’un peuple; toutelois ils étaient rares et aussitôt réprimés par la dégradation des prêtres ou l’excommunication. La vue de ces désordres, que les décrets des conciles devaient promptement abolir, ne fut pas sans influence sur l’abdication de saint René. En présence de son clergé, il renonça à ses fonctions épiscopales, et chargea de l’administration du diocèse l’un de ses prêtres, nommé Thalaise; mais par respect pour la mémoire du saint évêque, le clergé résolut de différer jusqu’à sa Thalaise. Des mort lélection d’un successeur. René quitta l’Anjou qu’il ne devait plus revoir et descendit en Italie au tombeau des saints apôtres, ouvrant aux évêques d'Angers ce pèlerinage de Rome, que plusieurs, malgré la difficulté des temps, devaient accomplir avec hon- neur. Au pied d’une cime déserte des Apennins, il bâtit prés de Sorrente un ermitage, où il vécut durant sept années dans une solitude qu'il eût voulu rendre impénétrable. Mais à la mort de leur évêque, les habitants de Sorrente le contraignirent de reprendre les fonctions, épiscopales qu’il avait laissées à Angers. Sorti à leur voix du tombeau de son ermitage pour redevenir évêque, et ce fut la plus incontestable de ses résurrections, saint René gouverna, jusqu’à la mort, ses nouveaux diocésains; elle eut lieu en 453. Par honneur pour sa mémoire, les bénédictins transformèrent plus tard son ermitage en prieuré de leur Ordre. Lorsque sa mort fut connue à Angers, Eustoche, évêque de Tours, s’y transporta avec six évêques pour l'élection de Thalaise, qu’une longue administration du diocèse désignait d'avance à l’épiscopat. Ils célébrèrent en même temps un concile à Angers, ce fut le premier de la province de Tours, qui a laissé dans l’Église un renom mérité pour la régularité et l'importance de ses conciles disciplinaires. Sous l’épiscopat de Thalaise, il y eut encore dans la province deux autres conciles, l’un à Tours en 461, l’autre à Vannes en 465; ce fut saint Perpétue, successeur d’Eustoche, qui les présida, mais Thalaise se contenta d’en faire exécuter les décrets, sans qu'il lui füt possible d’y assister. Aucune question dogmatique ne fut agitée dans ces conciles d'Angers, LEE AU Ie de Tours et de Vannes. Ni l’hérésie d’Arius, combattue par saint Hilaire et saint Martin, ni les erreurs de Nestorius, renfermées en Orient, n’avaient pénétré dans l’ouest des Gaules. Quant aux doctrines des gnostiques et du Breton Pélage elles offraient peu de périls, par leur subtilité même, aux esprits demi-barbares des tribus celtiques. Le dogme nécessairement écarté de leurs discussions, les évêques ne s’occupèrent que de la discipline ecclésiastique. Les canons, qu'ils promul- guêrent, sont un précieux document de l’état des mœurs et témoignent de l’ascendant que l'Eglise commençait à prendre sur la société civile. Les évêques mirent, sous la garde de l’excommuni- cation, la continence des prêtres, le respect dû aux obligations de la cléricature et aux vœux de virginité, la résidence des moines dans leurs cellules, le droit exclusif de chaque évêque d’ordonner ses prêtres, l’ob- servation de la pénitence publique. L'unité de liturgie fut décrétée en principe, la commande supprimée et les abbés durent renoncer au cumul des monastères. On défendit aux fidèles de s'asseoir à la même table que les excommuniés; c’est le commencement en Anjou des effets civils de l’excommunication, effets terribles et salutaires peut-être, pour ces temps barbares. Les Juifs furent traités avec autant de rigueur que les excommu- niés. Race cosmopolite et malheureuse, longtemps con- fondue avec les chrétiens par la haine des empereurs, elle profitait de la pacification religieuse pour se livrer à une paisible industrie sans usure et sans bruit. La crédulité publique ne lui reprochait pas encore un commerce avec le diable, ni lempoisonnement des Conciles d'Angers, de Tours et de Vannes. SAONE fontaines. Mais les chrétiens voyaient d’un mauvais œil ces meurtriers du Christ, que personne ne pouvait convertir, et qui ne consentaient à manger ni dulièvre, ni du porc. Les conciles défendirent aux fidèles de s'asseoir avec les Juifs à une table commune. Au sortir des mœurs antiques, qui avaient divisé le genre humain en castes ennemies, et après une effroyable persécution contre les chrétiens, personne ne songeait à la tolérance civile; comparée aux haines sociales du monde païen, cette exclusion prononcée contre les Juifs ressemblait presque à de la mansuétude et marquait un progrès vers les idées de liberté commune. Les évêques s’ap- puyèrent sur des lois de Constantin et d'Honorius pour s’attribuer le Jugement des clercs dans les causes même civiles ; ils défendirent de les plaider devant les tribunaux séculiers. N’accusons point l'Eglise d’avoir empiété sur l’autorité civile, car l'extension de la juridiction ecclé- siastique était alors un progrès social. La défaillance universelle, qui avait atteint toutes les institutions romaines, s'était étendue jusqu'aux tribunaux ; la justice ecclésiastique restait l'unique refuge des parties, qui voulaient fuir l’ignorance et l'arbitraire, ou la vénalité des juges. Sans parler des canons disciplinaires des conciles d'Angers, de Tours et de Vannes, l’épiscopat de Thalaise fut un temps d’orgamsalion pour l’église d'Angers. Saint Maurille et saint René avaient été des évêques missionnaires; l’Anjou, converti par leur apostolat, ne demandait pas à leurs successeurs des courses incessantes. Evêque sédentaire, Thalaise s’assit plus souvent à Angers, et organisa son clergé. — 43 — Jusqu'à lui, les prêtres étaient généralement attachés à la cathédrale; ils restaient à la disposition de l’évêque, qui les envoyait en mission temporaire dans les cam- _pagnes, dans les petites villes, là où les peuples com- mençaient à bâtir des églises. Thalaise commença l'institution de paroisses et leur assigna des prêtres, qui ne durent point les quitter. Les religieux ne furent point exclus de ce ministère paroissial. Les prêtres, qui restèrent à Angers, devinrent le conseil de l’évêque ; il leur traça des régles presque monastiques et les astreignit à chanter avec lui loffice de laudes à la cathédrale. Tel fut le commencement du chapitre d'Angers, l’un des plus anciens et que ses priviléges ont rendu l’un des plus illustres de l’Église de France. La liturgie variait suivant les monastères, les églises, le caprice même des prêtres; une sorte d'unité com- mença lorsque Thalaise adopta, pour sa cathédrale, la liturgie gallicane de Saint-Hilaire de Poitiers. L'Église d'Angers l’a conservée avec quelques modifications dues aux Francs et aux Goths, jusqu’au règne de Pépin, où la liturgie romaine fut introduite en France. Thalaise régla l'administration des biens de l’église, dont la cathédrale était seule propriétaire ; pour en régulariser la distribution, il institua un économe, qui répartit les revenus sous sa surveillance, entre les églises, les pauvres et le clergé. Thalaise mourut vers l’année 475, après avoir vu la ville d'Angers prise et occupée par une bande de Saxons. Ces pillards, détachés de la grande invasion maritime qui portait au cinquième siècle les tribus saxonnes des bords de la mer du Nord sur les côtes d'Angleterre, avaient remonté la Loire sous la Pb ee conduite de leur chef Odoacre. Ils venaient défendre Angers menacé pour la première fois par les Francs. De pareils défenseurs valaient pour Angers l’ennemi qu'il redoutait; pour ne rien laisser aux Francs, s'ils étaient victorieux, les Saxons commencèrent par ravager la cité; ils attendirent ensuite l’ennemi, qui n’avait plus rien à prendre. À la mort de Thalaise doivent s'arrêter les origines de l'Eglise d'Angers; non-seulement elle est fondée, elle est constituée déjà et possède une école épiscopale et un séminaire à Chalonnes, un chapitre à Angers, des couvents, quelques paroisses, l’avenir développera les institutions qu’elle a reçues de Thalaise et de ses prédécesseurs. Nous avons assisté à sa fondation, essayée dès le second siècle par Auxilius, disciple de saint Julien du Mans, reprise avec plus de suite et de succés par les disciples des évêques de Tours, affermie par saint Maurille et organisée par Thalaise. Il faut suivre maintenant son histoire, et la voir d’abord en présence des Francs, des Bretons et des Normands, de tous ces peuples barbares, germains, celtes et scandinaves, qui, pendant quatre siècles, envahirent et se disputérent l’'Anjou. L'abbé T. PLETTEAU, Licencié ès-lettres, vicaire de la cathédrale d'Angers. REVUE BIBLIOGRAPHIQUE. Mars 1864. Messieurs, Il y a déjà plusieurs mois que je n'ai passé en revue avec vous les nombreuses publications adressées à la Société, aussi mon embarras serait grand s’il fallait attirer votre attention sur tous les travaux utiles ou intéressants que contiennent celles que nous avons reçues pendant ce laps de temps. Pour aujourd’hui donc, je laisserai de côté l’horticulture et l’agriculture, et ne vous citerai même que deux articles d'histoire naturelle. Le premier est emprunté au bulletin de la Société Polymathique du Morbihan ‘. Il a pour objet un phé- nomène fort rare, une couleuvre à deux pattes. Cest une couleuvre à collier, aujourd’hui précieusement conservée dans un bocal au collége Saint-Sauveur de Redon. Contrairement aux autres individus de son ! Année 1863, premier trimestre, p. 51. AG espèce, elle présente à la partie supérieure du tronc, au défaut de la tête, une paire de pattes bien con- formée. L'auteur de l’article qui nous occupe, M. Taslé pére, ayant communiqué ce fait extraordinaire à M. Moquin- Tandon, ce savant lui répondit aussitôt : « Il n'existe pas en France de serpent bipède. D'un » autre côté, je n'ai jamais vu de couleuvre monstrueuse » à deux paltes : je pense même que ce fait tératolo- » gique n'a pas encore élé rencontré. » ]] y a quatre ans environ, l’ancien doyen de la » faculté des sciences de Toulouse, M. Boisgiraud, » découvrit, aux environs de Pons (Saintonge), une » couleuvre bordelaise portant deux pattes bien con- » formées vers le tiers antérieur du corps. Il m'adressa » la pièce dans l'alcool. Je l’examinai attentivement » avec mon ami M. Duméril. Nous reconnümes que » celle couleuvre avait avalé un lézard entier dont les » pattes postérieures faisaient hernie à travers une » déchirure de l'estomac et de la peau. » Le fait que vous me signalez ne serait-il pas, par » hasard, semblable ou analogue à celui de M. Bois- » giraud? regardez-y de près. » M. Taslé a suivi le conseil de M. Moquin-Tandon; mais les heureux possesseurs de la couleuvre se sont opposés à une autopsie qui eût sans doute tranché la question, et d’un autre côté, la forme des pattes exclut l’idée que ces membres aient appartenu à un saurien indigène. Ainsi le phénomène reste inexpliqué. Nous trouvons dans les Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Toulouse, un travail ue très-élendu et très-important, de M. le Dr Joly, sur les générations spontanées. C’est un examen critique d’un mémoire de M. Pasteur, couronné par l’Académie des sciences de Paris. M. le Dr Joly commence par déclarer que par ces mots : hélerogénie, génération spontanée, 1l n'entend pas une création faite de rien, mais bien € la production d’un être organisé nouveau, dénué de parents, et dont les éléments primordiaux ont été tirés de la matière organique ambiante, » et il prend haute- ment la défense de ce système. Il m'est impossible, messieurs, vous le comprenez, d'entrer dans l’analyse de ce travail. La question qu’il traite est trop grave pour être touchée légèrement. Je ne puis donc que vous renvoyer aux Mémoires de l’Académie de Toulouse. Ces mêmes Mémoires contiennent un document très- curieux, c’est, sous forme d'acte authentique, le récit de la réception d’un licencié en décret dans l’Université de Montpellier, au mois de mai 1370. On y trouve plus d’une analogie avec la scène fameuse où le malade imaginaire passe son examen de docteur. C’est le même appareil majestueux et le même latin barbare. L'impulsion donnée aux études archéologiques et historiques, a décidé un certain nombre de sociétés savantes à reproduire d'anciens documents restés inédits. Cet exemple serait, je crois, bon à imiter, et on trou- verait sans peine aucune dans les archives départe- mentales et la Bibliothèque de la ville, des documents originaux, peu connus, propres à intéresser ceux qui ont quelque souci du passé de notre province. J'ai déjà eu, plus d’une fois, l’occasion de citer des publications pouvant être prises pour modèles; aujour- ne d’hui encore Je trouve un gros volume de ce genre. Cest le cartulaire de Sauxillanges, mis au jour par l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Cler- mont-Ferrand. Il est précédé de notes intéressantes par M. Henry Doniol, et suivi de tables analytiques très- détaillées. Je vous propose, messieurs, de remercier la Société de Clermont-Ferrand de son envoi et de joindre nos félicitations à celles qu’elle a déjà reçues, du Gou- vernement tout d’abord, pour ses beaux travaux. La Revue des Sociétés savantes publie un règlement de la ville de Thiers que je dois vous signaler. Il est daté de 1675 et cependant on le dirait absolument émané, de nos jours, de l’administration la plus éclairée et la plus vigilante. On y rencontre même les preserip- tions suivies aujourd’hui pour les marchés de la ville. Ainsi nous lisons : € 15. — Deflances daller audevant des danrées qui sont apportées au marché pour estre vendues ains attendre de les achepter jusques à ce quelles soient venues à la place destinée pour la vente dicelles, et aux corratiers et porte faitz de lad. ville de se mesler de faire vendre les d. danrées aux marchands forains dans aucuns logis de la d. ville sans le sceu et con- santement des d. sieurs deléguez de pollice a peine damande tant contre les d. corratiers et portefaitz qui les feront vendre que ceux qui les achepteront et aux hosteliers et cabaretiers aller envoyer ou achepter aucune denrée de bouche au marché devant neuf heures et aux revendeurs appres midy. » 16. — Mesmes aux bouchiers de nachepter aucuns chevraux quappres midy comme aussv aux charpentiers LRO de aucuns bois et ouvrage de charpente quappres la d. heure de midy et aux habitans pour les revendre et en faire traffiq. * » 17. Les regrettiers hosteliers et aultres n’achep- teront en gros aucunes denrées apportées dans lad. ville par voituriers et marchands forains si ce nest quapprès quelles auront este exposées en publiq pour estre vendues en destail pendant le temps quil sera jugé suffizant eu esgard à la quantité des danrées affin que les bourgeois et autres puissent fan'e leur fourni- ture. » 18. — Les vandeurs de poisson ne pourront en commancer la vente avant huict heures du matin _despuis St Michel jusques Pasques et de Pasques jusques à la St Michel à sept heures du matin à peine damande arbitraire. » Nous citerons les articles 11, 12 et 13 relatifs à la voirie : « 11. — Chacun des habitants tiendra la rue nette sellon lestandue de sa maison et nettoyera tous les samedys et aux veilles des fêtes solennelles sans pouvoir occuper les d. rues mesme le long des murailles de la d. ville daucun fumier terre ou autres matériaux à peine de confiscation et damande arbitraire et les faire oster à leurs frais et remettre les d. murailles du dommage quelles auront reçu. » 12. — Ne seront faits aucuns advancement salies nÿ eddiffices sur les rues si ce nest sellon les ordon- nances royaux et usages observés dans la d. ville. » 13. — Les propriétaires des maisons ou il ny a cheminées ny conduits de latrines seront tenus den faire nr et tenir les cheminées bien nettes et en bon estat sans pouvoir alumer ny faire aucun feu dans leurs maisons ou il ny a cheminées et ou le feu viendroit a se mettre aux d. cheminées à faulte davoir ete bien nettoyées les propriétaireset locataires des maisons seront condamnes à lamande de six livres. » L'emplacement de chaque marché est soigneusement indiqué : « 32. — Deffances a toutes personnes qui aportent vendre fillet soit forains ou habitans dexpozer en vente leur fillet quà la place estant audevant de la maison de ville et les sabotz et toille à la place accoutumée qui est en la place de la bouscherie a peine damande. » 33. — Deffances sont faictes a tous qui aportent fruits soyent pommes poires couzes oignons poirreaux choux reflort raves tourteaux et autres de deschargez le tout ailleurs quau lieu accoustumé qui est le long des murailles du cimetierre et audessoubs le grenier de Madamoizelle aux mesmes peines. » 34. .-- Mesmes deffances sont faictes aux charbon- niers vendant charbon de pierre de se plasser et mettre pour vendre et débiter le susd. charbon, quau lieu et place du marché appele le Marchadias autrement surnommé Lallepie qui est le marché aux chevaux comme aussy aux vendeurs de chards de noccuper aucunes rues que cellui dud. marché le tout à peine damande. » Je ne puis passer non plus sous silence la partie de ce règlement relative à l’observation du dimanche. € 1. — Deffances sont faictes à touttes personnes de jurer et blasphemer le sainet nom de Dieu et de la ous olorieuse Vierge Marie saincts et sainctes du paradis avecq enjonction a ceux qui auront ouy profférer les d. blasphêèmes den faire dénonciation le tout aux peines _et rigueurs des ordonnances royaux. » 2. — Pareilles deffances sont faictes à tous habitans de faire aucun traffiq ni heuvre méchanique en leurs maisons ou boutiques les jours de festes et par exprès les dimanches et festes solennelles tiendront les guichets el boutiques fermées pendant la célébration de la messe de paroisse vespres et processions. » 3. — Ne chargeront ny laisseront charger aucune marchandize les d. jours sauf aux voituriers de sortir hors la ville avant la pointe du jour et non apprès. » 4. — Les meusniers ne porteront ou rapporteront leur bled ou farines les d. jours de dimanche et festes solemnelles. » D. — Et deffances aux portiers de permettre qu’ils entrent dans la d. ville ny aucuns chards charettes ou montures chards de bois charbon ou autres chozes à ces fins tiendront les grandes portes fermées laisseront les guichets ouverts le tout à peine damande arbi- traire. 1 » 0. — Les habitans de la d. ville et faulboures niront boire ou manger aux tavernes et cabarets aux jours de dimanches et festes avecq deffances aux hos- teliers et cabaretiers les y recevoir ny donner à boire ou manger les austres jours aux d. habitans appres lheure de huict du soir à peine de trois livres damande contre chascun des cabaretiers qui y contreviendront. » 7. — Néantmoins enjoint aux d cabaretiers et hosteliers de baiïller leur vin à pot et pinte aux d. ha- pou bitans au mesme prix qu’ils le débittent en leurs logis et ne tiendront pots et mesures que la chopine pinte et quarte a peine de confiscation et amande arbitraire. » 8. — Toutes danses publiques et privées sont deffendues pendant le divin office le matin et vespres et aux joueurs dinstrumants daller jouer aux d. heures el à toutes personnes saller masquer le jour et la nuit et aux joueurs dinstrumants les aller assister. » 9. — Tous jeux et mesmes par exprès de billiards et berlands publigs sont prohibés et deffandus en quelques maisons que ce soit à touttes personnes el les jeux de sort en tout temps et le jeu de paulme pendant le divin office de dimanche et festes solennelles à peine de cinquante livres damande et confiscation desd. billiards. » Tout est ainsi soigneusement prévu et assurément si ce réglement a été rigoureusement exécuté, la ville de Thiers a pu passer pour un modèle. Nous trouvons, dans le même numéro de la Revue des Sociétés savantes, une charte qui nous intéresse particulièrement. Elle a été empruntée par M. Mar- chegay, au cartulaire de Saint-Aubin. Par cette charte le seigneur de Blaison, nommé Eudes, donne au mo- nastère de Saint-Aubin un arpent de terre près de Sorges, en paiement de la cloche fondue pour l'église de sa seigneurie, par un des moines de l’abbaye. Voici le texte original : « Notum sit omnibus quod Eudo, dominus de Bla- zone, dedit Deo et Sancto Albino et monachis ejus unum arpennum terræ apud villam quæ dicitur Sorgias, quietum ab omni consuetudine vel vicaria, sicuti ipse eo habebat, pro mercede de cimbalo vel signo quod fecit Wildo Monachus Sancti Albini, ad opus ecclesiæ Bla- zonis; auctorizante uxore sua Tehildis. » Testes hujus rei sunt isti : Cadilo de Blazone et fili ejus Radulfus et Petrus, Juaguelinus, Tetbaudus Florentinus, Radulfus canonicus, Constantinus cano- nicus, Alcherus canonicus, Lanbertus canonicus, Albe- ricus draperius, Ansaldus, Ingelgerius de Raeia, Landricus vicarius et Harduinus subvicarius, qui men- suravit ipse terram. » En poursuivant nôtre revue parmi les publications, trop nombreuses même, que nous avons sous les yeux, nous nous arrêterons un instant sur un travail publié par la Société d'Emulation des Vosges. C’est un mé- moire sur les monuments qui ont été élevés à Jeanne d'Arc, les fêtes qui ont été instiluées en son honneur, elCrreiLc Le supplice de Jeanne d'Arc remonte à l’année 1431, et dès 1458 un monument lui était érigé par les habitants d'Orléans. Il représentait le Christ en croix et la Vierge debout au-devant. Au côté gauche était Charles VII, à genoux en avant de la Vierge, à droite Jeanne d’Arc également à genoux. Tous les deux étaient armés de toutes pièces, portaient une épée au côté et des lances. Ce monument, retouché plusieurs fois, existait encore en 1792, mais alors l'administration du département du Loiret décida l'enlèvement « du mo- nument de Charles VII (ce sont les expressions de l'arrêté), attendu que rien n’y rappelle aux Français leur haine contre les Anglais. » Une bande de forcenés brisa le touchant et patriotique monument dont le SOC. D’AG. ; 4 de DA bronze et le plomb furent envoyés à la fonderie. Domrémy ne resta pas en arrière. Au commencement du règne de Louis XI, on plaça au-dessus de la porte de la maison où Jeanne d’Arc était née, une gerbe de blé et une vigne avec ses raisins sculptés sur pierre ; plus bas se trouvait lécusson de France, à côté un écusson avec trois socs de charrue et une étoile entre les deux premiers, et à droite les armes de Jeanne d'Arc ou des Dulys : deux fleurs de lis avec une épée en pointe au milieu portant une couronne. Au-dessous de l’écu de France, on lisait : Vive le Roi Lois! La liste des monuments consacrés ainsi à Jeanne d'Arc est longue, et prouve jusqu’à quel point son souvenir est resté, dans lPimagination du peuple, envi- ronné d’une auréole de gloire et de pureté. M. l'abbé Voisin, du Mans, dirige ses études sur un point beaucoup plus éloigné de nos annales; il recherche quelles peuvent être les origines des peuples de l’ouest des Gaules. Selon lui la Gaule méridionale aurait été pour l'Asie une sorte de Californie véritable, où des émigran(s se seraient pressés autour «le Narbonne, avant de diriger de tous côtés au loin leurs expéditions coloni- satrices, et tel serait le berceau commun des Cénomans de la Sarthe et des Cénomans Orobiens de Lombardie. « Jusqu'à la conquête de César, dit-il, Le Mans, sous le nom phénicien de Sebu-dinnum, Sub-dinn, Win- dinon, aurait fait partie d’un royaume ibérien, dont Alise ou la cité d’Auxois, fut la métropole, depuis les temps où vivait Hercule; dont Bourges, chef-lieu de l’Iberrich ou Berry, fut la capitale au temps de Tar- quin. » Voici du reste la conclusion de M. l'abbé Voisin : « De toutes manières à nos yeux il est certain que depuis les Héraclides, depuis la ruine du royaume de Pergame, l’êre d’une civilisation, tout autre qu'on ne le dit ordinairement, brilla dans la Gaule, avant celle des Romains, et que cette derniére, dans le Maine surtout, ne modifia pas entiérement les institutions séculaires. Les Vennetais de pur sang, autour de leurs dolmens, de leurs peulvans, rappelleraient encore ce qu’étaient leurs aïeux aux bords de l’Haliz, il y a trois mille ans, et nous, jusqu’à ce jour, nous conserverions dans nos traits, dans nos mœurs, dans nos plus vieux monuments, l’ancien nom de notre cité, ceux de nos condila, etc., les traces d’une origine ibérienne ou semi-phénicienne, cythique et syrienne. Nos origines se rattacheraient à celles des villes méridionales, beaucoup mieux connues maintenant; à celles des royaumes d'Asie, dont la Gaule aurait recueilli les épaves, et nous pourrions dire après le judicieux Caton : Saga fut la première ville des Syriens; c’est de là que parürentles premières colonies, que vinrent les Gaulois. Au temps de Tarquin lAncien, les Vénéto-Génomans habitaient parmi les Volces, non loin de Marseille : Cenomaniæ origo cœæpit… gente Phœnica et Saga. » Un habile orientaliste vient d’être chargé d’une grande mission scientifique au milieu de lancienne Phénicie; les gigantesques ruines de Carthage se dé- couvrent, les mines de l'Espagne montrent des objets d'art punique, d’une très-haute antiquité; les études ibériennes obtiennent une grande faveur au midi de la France : espérons que bientôt 1l nous sera donné eg d'atteindre mieux le but que nous nous proposons ici dans un simple mémoire. Partis de la Syrie, de Saga, des bords de l’Halys; amenés de Bysanz en Aquitaine, en Armorique, par un grand conquérant (Mel-Carth des Tyriens; Héraclès des Grecs, Hugh Ar-bras des Bretons), nous tendons à retourner en Syrie. » Pour terminer ce trop long compte-rendu, permettez- moi, messieurs, de vous dire quelques mots de la vie d’un pieux missionnaire, sur lequel nous trouvons une intéressante notice dans le Bulletin de la Société d’agri- culture, sciences et arts de la Sarthe. François Pallu naquit à Tours en 1625; son pére, avocat du roi, fut même élu maire de cette ville. Le jeune François, doué d’une tendre piété, se destina à l’état ecclésiastique. Bientôt chanoine de Péglise de Tours, il vint à Paris avec lintention de se consacrer aux missions. Il s’y réunit à quelques autres prêtres animés du même esprit, el ce noyau devint plus tard le séminaire des missions étrangères. Cependant, Île pap4 Innocent XI avait décidé l’envoi au Tong-King d’évêques qui formeraient un clergé indigène dans ce pays. François Pallu avait toutes les qualités nécessaires pour accomplir cette admirable mission. Il fut nommé évêque d’Iléliopolis, et s’embarqua pour l'Asie à Mar- seille, le 2 janvier 1662. La traversée fut heureuse. [l débarqua à Alep; puis, poursuivant sa route par terre, il traversa la Turco- manie jusqu’à Ispahan, et s'embarqua de nouveau à Gamzon, dans le golfe Persique. Après une navigation de trente jours, il continua sa route par le Mogol et le royaume de Golconde; reprenant ensuite la mer à re Massulipatan, il débarqua à Tenasserim, d’où il se rendit à Judia, capitale du royaume de Siam, mais il dut s'arrêter là. Une persécution terrible venait de s'élever au Tong- King contre les missionnaires; d’un autre côté, les petits souverains des états voisins refusèrent de le laisser passer. Après de nombreuses tentatives, toutes infruc- tueuses, il se résigna à rester à Judia et s’occupa d’évangéliser la Chine. En 1665, les intérêts de ces missions l’exigeant, 1l reprit la route de l’Europe. La guerre que se faisaient alors la Hollande et l’Angleterre, lui fermait la voie de la mer. Il traversa l’Inde entière, remonta le Tigre et l’'Euphrate jusqu’à Babylone, gagna Alep par la Mé:o- potamie et le 25 mars débarqua à Livourne, après trois mois de fatigues inouïes. Le pape Clément IX le reçut de la manière la plus flattense, approuvant formelle- ment sa conduite. L’évêque d’Héliopolis revint à Paris, mais il n'avait d'autre pensée que celle de remplir sa mission apostolique, et le 17 février 1670, il se mit de nouveau en route pour gagner le Tong-King. Cette fois encore il ne devait pas arriver à ce lieu tant désiré et il eut à subir des contre-temps incroyables. Il mit d'abord près de deux ans à se rendre à Surate, puis un bâtimeut, qui devait le mener directement à Tong-King, le laissa à Balaçor, premier port du Ben- cale. Il y passa quelques mois, évangélisant les infi- dèles; un vaisseau du roi de Siam vint l'y chercher et le mena à Siam, où il fut reçu avec les plus grands honneurs. Il y resta jusqu’au commencement de 1674. Au mois de mai de cette dernière année, il obtint du roi de Siam des passeports pour aller au Tong-King, et put se croire au terme de ses vicissitudes. Les Hol- landais, qui bloquaient le port, suspendirent son départ jusqu’au 20 août, mais enfin le navire se dirigea vers cette contrée. Une violente tempête mit le vaisseau dans un péril extrême ; il ne dut son salut qu’à la présence d’esprit et à lhabileté du capitaine et aborda à Cavite le 19 oc- tobre après avoir éprouvé de grandes avaries. C’était le commencement de nouvelles tribulations pour l'évêque d’'Héliopolis. Devenu sans motifs l’objet d’un odieux soupçon, il fut arrêté comme espion. On s’empara de ses papiers et on le conduisit à Manille, où cependant il fut reçu avec honneur par les jésuites, chez lesquels il logea. Son affaire ayant été renvoyée devant le conseil souverain des Indes, qui siégeait en Espagne, il fut obligé de passer par le Mexique. Il partit de Manille le 1er juin 1675, et débarqua à Acapulco le 17 janvier 1676. Après deux mois de séjour au Mexique, le vice-roi de cette province le fit conduire à la Vera-Cruz, où il s’'embarqua pour l'Espagne le 26 juin 1676. Le vaisseau qui le portait ayant relâché à la Havane, il ne lui fut pas permis de descendre à terre. Néanmoins, comme il y avait dans cette ile soixante prisonmiers français qui y étaient employés à construire des fortifications, 11 trouva le moyen d'exercer son zèle, et il obtint qu'ils lui fussent amenés par bandes de huit, afin qu'il pût leur administrer les sacrements. Il débarqua enfin à Cadix, le 21 novembre 1676; de là il fut conduit à Séville, où il arriva le 7 décembre. Il y trouva des MED lettres flatteuses du président du conseil des Indes et au nonce du pape en Espagne. On lui remit trois cents écus pour le défrayer jusqu’à Madrid, où il arriva dans les premiers jours de janvier 1677. Enfin, son inno- cence ayant été reconnue, 1l parut pour la France. Le 26 juin 1683, notre évêque s’embarqua de nouveau. Cette fois encore, il eut à subir des infortunes de toute sorte, mais enfin il eut le bonheur d'aborder au Tong-King, après vingt ans d’épreuves de toute sorte, trois voyages aux Grandes-[Indes et un voyage autour du monde. Aussitôt débarqué, il entreprit la visite des chré- tientés confiées à ses soins et, après huit mois employés à cette œuvre de son ministère, il tomba malade et mourut suffoqué par un catarrhe, dans la ville de Fo-Gang, dans la province de Fo-Kien, le 29 octobre 1684, à l’âge de 59 ans. L'illustre Fénelon prononça son éloge funèbre dans l’église des Missions étrangères, le jour des Rois de l’année suivante, par ces paroles magmifiques et tou- chantes : « Empire de la Chine, s’écria-t-il, tu ne peux » fermer tes portes; déjà un saint pontife, marchant » sur les traces de François Xavier, a béni cette terre » par ses derniers soupirs. Nous l'avons vu cet homme » simple et magnanime, qui revenait tranquillement » de faire le tour entier du globe terrestre ; nous avons » vu celte vieillesse prématurée et si touchante, ce » corps vénérable courbé non sous le poids des années, » mais sous celui de ses pénitences et de ses travaux, » et il semblait nous dire, à nous tous qui ne pouvions » nous rassasier de le voir, de l’entendre, de le bénir, en AR de goûter l’onction et de sentir la bonne odeur de Jésus-Christ qui était en lui, il semblait nous dire : Maintenant que me voilà, je sais que vous ne verrez plus ma face. Nous l'avons vu qui venait de mesurer la terre entière; mais son cœur, plus grand que le monde, était encore dans ces régions si éloignées; l'esprit l’appelait à la Chine, et l'Évangile, qu'il devait à ce vaste empire, était comme un feu dévo- rant, au fond de ses entrailles, qu’il ne pouvait plus contenir. Allez donc, saint vieillard, traversez encore une fois l'Océan étonné et soumis; allez au nom de Dieu, vous verrez la terre promise; il vous sera donné d’y entrer, parce que vous avez espéré contre l'espérance même. La tempête, qui devait causer le naufrage, vous jettera sur le rivage désiré ; pendant huit mois votre voix mourante fera retentir les bords de la Chine du nom de Jésus-Christ. O mort préci- pitée ! O vie précieuse qui devait durer plus long- temps! O douces espérances, tristement enlevées ! Nous adorons Dieu, taisons-nous. » Je bornerai ici ce compte-rendu pour lequel je crains d’avoir déjà dépassé les bornes que m'impose votre indulgence, et continuerai, si vous m’y autorisez, à une autre séance, la suite de cette revue si intéressante tout au moins pour celui que vous avez bien voulu en charger. PAUL LACHÈSE. RÉGNE DE HENRI IV PAR M. POIRSON (TOMES I ET il, DEUXIÈME ÉDITION). Il en est de quelques personnages historiques comme des types immortels créés par les poëtes : ils ne vieil- lissent pas; le temps passe sur eux sans flétrir jamais leur éternelle jeunesse. On dirait, telle est leur puis- sance de vie et si forte leur prise sur les âmes, que, dispensés de la loi commune, ils restent mêlés, comme des contemporains, à toutes les généralions qui passent et se succèdent. Parmi ces survivants de notre vieille histoire, aucun n’a conservé au même degré que Henri IV, ce signe certain d’une popularité légitime. Malgré les hauteurs éclatantes et les abîimes profonds qui nous séparent du xvi siècle, est-il un étranger pour nous ? L’appel- lerons-nous même un ancien? Il est un des nôtres, et sa pensée, sa voix et son geste nous sont familiers comme ceux d’un ami qui vient de nous quitter tout à SOC. D’AG. 5 Sep l'heure. C'était hier que nous riions de ses saillies aussi sensées que spirituelles, que nous battions des mains à ses actions héroïques; il semble que nous en- tendions encore raisonner à notre oreille sa parole sonore, franche, nette, claire, vraiment française, et en fermant les yeux, nous retrouverions à l’instant sa physionomie originale, pétillante de finesse, éclai- rée par une bonhomie narquoise et attendrie par une irrésistible bonté. On a dit de lui qu’il est « le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire. » Ce n’est pas assez dire. Il est le seul qui ait laissé dans le cœur, l'esprit et l'imagination du peuple une empreinte si profonde qu'il restera à jamais comme le type vivant du roi national. Que cette popularité ait subi ses éclipses, je ne le nie pas. Au temps où le terrible démolisseur de la féodalité faisait ses sanglantes expériences, on parla peu, sinon sousle chaume où le pleuraient les paysans, du roi qui savait faire le bien sans échafaud. Quand le roi-soleil éblouissait le pays de son rayonnement un peu théâtral et que les esprits les plus hauts s’abais- saient au rôle de courtisans, l'oubli du roi libéral fut une des formes les plus raffinées de la flatterie. On y songea peu aussi dans ces temps d'orage où les qua- torze armées de Carnot défendaient la France nouvelle et où le grand batailleur du siècle entraïnait le peuple eperdu de capitale en capitale. Mais c’est l’heureux pri- vilége, la rare fortune du Béarnais que sa popularité renaisse toujours lorsque, après les heures mauvaises, revient aussi la liberté. Au xvie siècle, l’école philoso- phique met ce nom sur son drapeau au moment même 6e où elle commence, contre tous les despotismes du passé, cette campagne qui devait aboutir à 89. Plus tard, quand la France essaye de se consoler avec des institu- tions libérales de la catastrophe de 1815, Henri IV retrouve sa place dans la pensée des honnêtes gens. Depuis, il n’a fait que grandir, son nom restant, pour ainsi dire, associé au progrès même des idées mo- dernes. D’ailleurs , nous le connaissons mieux de jour en jour. La publication des mémoires du temps nous a introduits dans sa familiarité. Sa merveilleuse corres- pondance a fait bien plus : elle nous l’a donné tout entier, son esprit, son cœur, son âme. Nous le possé- dons plus complétement que ne l'ont fait ses compagnons de guerre, de travaux, de souffrance et de plaisir. Les publicistes l’ont étudié à l’envi. Sympathie singulière ! Les écrivains de tous les partis se sont rencontrés pour le louer et légitimer par la science l’amour tradition- nel des masses. Pour n’en citer qu'un, Henri Martin, qu'on n'accusera pas d’être le flatteur aveugle de la vieille royauté, n’a-t-il pas consacré à la gloire du roi français par excellence quelques-unes des pages les plus éloquentes de sa belle histoire? Enfin, est venu un honnête homme qui, épris d’une vive admiration, pieusement, ardemment soutenu par la passion de la vérité, par une science profonde, un travail invincible à la peine, ayant durant quinze ans amassé pierre à pierre ses matériaux, a construit le mo- nument le plus solide qu’on ait élevé à la gloire d’un roi. J'ajoute que M. Poirson a fait plus qu’un beau livre : il a donné un salutaire exemple au monde litté- raire. Dans nos temps de vie ardente, où tous se hâtent en impatiemment vers le but, où le débutant rêve à vingt ans de ce que Voltaire appelait l’indépendance, où l’on croit avoir manqué sa vie si l’on n’est pas célèbre à trente ans, rien, selon moi, ne mérite plus le respect qu'un écrivain consciencieux, sévère pour lui-même, longuement dévoué à son œuvre, ne l’offrant au public que le jour où ses veilles ne peuvent plus y ajouter, et refusant, malgré les cheveux blancs qui viennent, de brusquer cette gloire tardive qui sera la couronne d’une vie consacrée tout entière au service du pays! Voici la seconde édition. La première, fruit de quinze années d’un labeur opiniâtre, avait été saluée à son apparition par les justes louanges de tous ceux qui lisent : l’Institut avait consacré son succès en lui décer- nant deux années de suite le grand prix Gobert. L’his- torien ne s’est pas tenu pour satisfait. Il a écouté sans dédain, avec la déférence d’un esprit supérieur, les ob- servations de la critique ; modestement, 1l a accepté la collaboration du public, Il s’est remis à l’étude, il a remanié telle partie, développé telle autre, fortifié ce point, comblé cette lacune, et c’est après cette révision rigoureuse, Continuée pendant cinq ans sans molle complaisance, que l’auteur apporte enfin une œuvre définitive. Je n'ai pas l’intention de reprendre une à une les améliorations qu'a reçues ce livre déjà excellent. Je voudrais seulement feuilleter devant vous les deux pre- miers volumes, les seuls qui aient paru jusqu'ici, et en faire ressortir les résultats généraux. Nous n’y étudie- rons que le prétendant. le chef de guerre, l’homme d'action : plus tard, avec les deux volumes que nous En — attendons, nous retrouverons l’homme d'état, l’admi- nistrateur, le politique, le souverain d’un grand pays. M. Poirson nous introduit au règne de Henri IV par un court exposé de ses titres à la couronne de France. Si l’on s’en tient au droit public de cette époque, il n’y a guëères de contestation possible. La naissance en fai- sait l’héritier le plus proche de Henri II. Mais nous sommes aujourd'hui plus exigeants. Nous disons vo- lontiers que les peuples s’appartiennent à eux-mêmes et ne sont l’héritage de personne; qu'ils choisissent leurs chefs où 1l leur plaît et ne sont pas tenus de s’enquérir des arbres généalogiques. Appellera-t-on cela, non sans ironie, le droit nouveau? J’imagine que c’est aussi un retour au droit ancien, au droit naturel, au droit éter- nel. En dehors, on ne voit guères-que les surprises de la fourberie ou les usurpations de la force, subies par la pusillanimité des sociétés. Qu'est-ce donc qui, aux yeux des hommes de notre temps, légitime les prétentions du Béarnais ? Pourquoi voterions-nous pour lui et non pour Mayenne ou Guise? Que représentait-il? Qu’offrait-1l? En quoi répondait-il à la situation? M. Poirson le sait bien, il le dit, mais il n’insiste pas assez à mon gré. La raison en est dans le plan même qu'il a adopté. Il a voulu écrire histoire du règne de Henri IV. Pourquoi n'avoir pas gravé simplement au frontispice de son monument Henri IV et ne nous avoir donné ni la jeunesse, ni les premières luttes, ni les actes si significatifs de la pé- riode qui précède l’avénement? Pourquoi ne pas nous apprendre d’où il venait et où il voulait aller? Que di- rions-nous de l’historien qui, racontant Napoléon, le prendrait au jour de son couronnement et supprime- EEE rait le 43 vendémiaire, Arcole, Rivoli, les Pyramides, le 18 brumaire et Marengo! Né vers le milieu du xvie siècle, en ce temps troublé qui commence avec Luther et finit par Montaigne et Charron, il avait traversé toutes les écoles et reçu dans une âme impressionnable les. influences les plus diverses. Auprès de sa mère, l’héroïque Jeanne d’Al- bret, ou dans le camp de l’austère Coligny, il avait grandi au milieu des ministrés huguenots enthousiastes jusqu’au fanatisme. À la cour corrompue de Catherine il avait entendu professer le machiavélisme en poli- tique, l'indifférence railleuse en religion, la déprava- tion raffinée dans les mœurs. Arriva-t-il au scepticisme absolu ? On l’a dit; je ne le crois pas. Après avoir été tiré en sens divers, plein d'horreur pour ceux qui avaient fait la Saint-Barthélemy, antipathique au dog- matsme intolérant du parti opposé, 1l s'arrêta au doute sur les points controversés et s’élevant au-dessus de ces contentions barbares, il monta jusqu'à la liberté de conscience. Dès 1577, 1l écrivait : « Ceux qui suivent tout droit leur conscience sont de ma religion, et moi je suis de celle de tous ceux-là qui sont braves et bons. » À cette large formule destinée à rallier tous les hommes modérés et de bonne foi, il joignait une sincère huma- nité, l'horreur de la guerre civile, le sentiment profond de l'indépendance, de l'honneur, des intérêts de la France. Ses maximes, son langage, ses actes en avaient fait, dès la mort du duc d'Alençon, non-seulement l’hé- ritier légitime, mais encore le candidat national. * Qui aurait pu lui disputer ce titre? Il y avait alors huit partis. M. Poirson les a comptés et en a démêlé le CAM de jeu et les intrigues avec un art infini. Il nous donne tous les programmes : ici Guise et l’Inquisition, là l'étranger Philippe Il et l’extermination des réformés, ailleurs la féodalité restaurée au profit de quelques grands seigneurs; dans tous, des ambitions rapaces, des cupidités effrénées cherchant leur butin à travers les malheurs publics. Lui seul, le Béarnais, représentait la tolérance, la concorde, l'indépendance. A travers cette effroyable confusion, tandis que des nuées d’oiseaux de proie tourbillonnaient sur la France, s’entredéchirant dans la nuit. chargée de vapeurs sanglantes, on lisait nettement sur son drapeau : Liberté pour tous, natio- nalité, fin de la guerre civile, paix publique, renaissance du travail, sécurité des honnêtes gens dans les villes et les campagnes. C’est au jour même où Henri IT tomba sous le cou- teau de Jacques Clément que commencent les récits de M. Poirson. En quelques traits, il peint vivement la si- tuation générale : dans le camp de Saint-Cloud, les soldats catholiques et protestants, un instant réunis, prêts à se séparer; Paris mettant sur les autels l’image de l’assassin; la province en feu; les modérés pleins d'hésitalion; les passionnés redoutant pour leur reli- gion l’avénement d’un roi huguenot; et enfin, les gens sans scrupules, dédaignant les succès religieux et cal- culant s'ils ont profit à se rendre tout de suite. Que fit Henri IV? ce que son passé lui commandait et lui ren- dait facile : il ouvrit les bras à tous et offrit à tous par la déclaration de Saint-Cloud la liberté de conscience, le respect des propriétés, le maintien des situations acquises. Notre auteur est le premier qui ait fait voir GR — toute la portée de cet acte intelligent qui, en quelques mots, formulait le programme d’un règne réparateur. Mais on sait ce qui arriva. L'heure de la fusion n’était pas venue : elle fut retardée par des défiances respectables comme par les haines des ennemis per- sonnels et les ambitions des chefs des diverses fractions de la Ligue. Le roi de France resta roi de Navarre pendant sept ou huit ans encore ; les ruines s’accumu- lèrent sur les ruines et l’œuvre de pacification fut ajournée au grand détriment du pays. M. Poirson a renouvelé complétement cette partie de son livre. La première édition n’offrait qu'un résumé de cette série de campagnes qui nous conduit d’Arques par Ivry, le siége de Paris, le siége de Rouen et Fon- taine-Française, jusqu’à la paix de Vervins et au traité de Briollay. Aujourd’hui, il nous donne un tableau complet, composé avec cette exactitude merveilleuse qui est le caractère dominant de son œuvre. Je n’aime pas plus qu’un autre l’histoire-bataille. Il est impos- sible cependant de négliger les faits militaires, et dans un pays comme le nôtre où les héros sont les hommes populaires par excellence, ce serait fausser la perspec- tive historique que de refuser aux faits de guerre une très-grande importance. Je n’entreprendrai pas de suivre par le détail les récits de M. Poirson. Je ferai remarquer seulement qu'il a rectifié bien des erreurs, rétabli la vérité sur bien des points, et je renvoie à ses chapitres sur Arques, Ivry et la campagne de Rouen ceux qui désirent être fixés définitivement sur ces grands épisodes de la lutte de Henri IV contre la Ligue et l'Espagne. M. Poirson persuadera-t-1l aux hommes 2200 du métier que Napoléon s’est trompé en appelant Henri IV un capitaine de cavalerie? Regarderont-ils désormais le Béarnais comme un général d’une habi- leté consommée, calculant tout, prévoyant tout, assurant le succès par des combinaisons de génie plus encore que par sa bravoure? Je laisse à de plus compétents le soin de décider dans celte grave question. Quant à moi, füt-il prouvé qu'il était inférieur à Farnèse comme tacticien, il n’en serait guêres amoindri à mes yeux. Ce qui me frappe, ce que j'aime en lui, c’est la fougue, la furia francese. Il ne m’apparaît pas comme un de ces mathématiciens flegmatiques pour qui les hommes ne sont que les pièces d’un échiquier ou de la chair à canon. J'aime à le voir se jeter au plus épais de la mêlée en criant : « Si les cornettes vous man- quent, ralliez-vous à mon panache blanc... » Mot his- torique celui-là, ce qu’on ne peut pas dire de beaucoup d’autres aussi célèbres. Jaime bien plus encore l’en- tendre dire, au moment de la victoire et dans l’émo- tion de la lutte : « Tue l'étranger et sauve le Fran- çais. » Cest par là qu'il saisissait à la fois les imaginations et les cœurs. Et les contemporains ne s’y irompaient pas. Le roi un jour montrant du doigt le chevalier de Crillon à un étranger, lui dit : « Tenez, voilà l’homme le plus brave de mon royaume. » Cril- lon lui répliqua avec sa rudesse de soldat : « Sire, vous en avez menti, car c’est vous. » Pour s'expliquer bien sa popularité croissante, 1l le faudrait suivre dans ses campagnes, pauvre, besoi- oneux, toujours en péril de mort ou de ruine, toujours gai, l'esprit éveillé, humeur joyeuse, bon pour tous, Mr) en pitoyable au pauvre monde, gaussant le paysan, ravis- sant le bourgeois de ses saillies, éveillant les senti- ments les plus généreux chez sa noblesse. Il entre à Dieppe, et les magistrats de se présenter gravement avec des harangues solennelles. Il coupe court à Ja réception officielle : « Mes enfants, point de cérémonie; je ne veux que vos amitiés, bon pain, bon vin, et bon visage d'hôte. » S'adresse-t-1l à un gentilhomme pour lui demander son argent et son sang : « Monsieur de Launay d'Entragues, sans doute vous n'aurez manqué de vendre vos bois de Mezillac et Caze, et ils auront produit quelque mille pistoles. Si ce est, ne faites faute de m'en apporter tout ce que vous pourrez; car de ma vie je ne fus en pareille disconvenue, et je ne sais quand, ni d’où, si jamais, je pourrai vous les rendre; mais je vous promets force honneur et gloire; et argent n’est pas pâture pour des gentilshommes comme vous et moi. » Est-il besoin d’un commentaire! C’est ainsi que le Béarnais faisait peu à peu son che- min dans les masses. Ses bons mots couraient de bouche en bouche. On se contait mille traits de sa bonté, de ses habitudes cordiales, de son sans-façon populaire. Ses défauts même ne rencontraient que l'indulgence. Ses maîtresses sont restées populaires. La charmante Gabrielle était chantée par le peuple avec autant de plaisir que par le roi. M. Poirson, dans son austère admiration, voudrait faire disparaitre le vert-galant et le diable à quatre, pour ne laisser place qu’au grand capitaine, au sage politique, au meilleur des hommes. Je serais tenté de lui dire : Ne nous faites pas Henri IV trop parfait, laissez-lui ses faiblesses ; pour nous 2 A Français, il serait peut-être moins aimable, s’il n’avait pas les défauts pour lesquels nous n'avons Jamais été _ bien sévères. Si du camp de Henri IV, nous passons dans celui de ses ennemis, nous comprenons mieux encore le dénoû- ment de la lutte. Aucun intérêt général n'inspire les factions unies contre Henri, mais prêtes à se déchirer après la victoire. Je ne parle pas bien entendu de ceux qui de bonne foi, par conviction, croyant obéir à la voix de leur conscience, faisaient la guerre pour sauver le catholicisme et n'avaient pas d'autre pensée. Ils se trompaient, mais j'honore leurs convictions, leur hon- nèteté, leur loyauté. La suite des événements prouva, au contraire, que la plupart des meneurs portaient un masque, et que la religion n’était pour eux qu’un voile à couvrir leurs passions haineuses, ou leur cupidité. C’est un triste spectacle, mais curieux à étudier, que celui des luties inteslines de la Ligue. Personne ne nous l’a donné d’une manière aussi nette que M. Poir- son. Les Seize et les prédicateurs furibonds qui poussent à l’assassinat de Henri IV; Mayenne aspirant à la cou- ronne, se couvrant d’un mannequin en faisant élire le cardinal Charles X, effrayé des tendances démagogiques des Seize, brisant la faction et s’affaiblissant lui-même, flattant l'Espagnol, s’éloignant de lui, puis se livrant par une dernière lâcheté; les guisards partagés entre Mayenne et le jeune de Guise; le tiers-parti essayant de pêcher la couronne dans l’eau de plus en plus trouble ; tous ces partis avec leurs intrigues mélées, leurs nuances, leurs principaux meneurs, ont été peints de main de maître par M. Poirson. Les populations ro ie égarées sont promptes aux mêmes excés dans tous les temps : nous retrouvons dans les récits émouvants de l’histoire du xvie siècle des scènes semblables à celles qui ont déshonoré les terroristes de la révolution. Là comme partout dans le vaste champ de notre vieille histoire, il y avait beaucoup de préjugés à relever : M. Poirson l’a fait avec un rare bonheur. On peut dire que sur bien des points ses découvertes, appuyées sur les documents les plus authentiques, sont de véritables révélations. Je signale surtout ce qu'il nous apprend sur l'attitude du clergé. Contre l'opinion généralement reçue qui engage l’Église de France presque tout entière dans les passions de la Ligue, M Poirson établit d’une manière plausible que la grande majorité était acquise à Henri IV dès l’année 1589. Il est le premier aussi qui ait mis dans son jour l’assemblée de Chartres, qui formula les grands principes de l'Église gallicane sur l'indépendance de la couronne. L'histoire des parle- ments, de leur action sur l’opinion, concourant avec les efforts patriotiques du tiers état, a fourni égale- ment à M. Poirson la matière de chapitres tout nou- veaux. Je chercherais en vain dans le cours de cette période un point resté obscur jusqu'ici, sur lequel il wait porté sa main pleine de lumière. Cependant la lutte se poursuivait sans résultats dé- cisifs. Les maux du pays s’aggravaient sans qu’on püt encore entrevoir un dénoùment prochain. Une nation, quelles que soient sa vigueur, sa fécondité, les sources profondes de sa vie, ne peut pas impunément passer trente ans dans des convulsions pareilles. Sous peine de périr, il fallait sortir de cette effroyable situation. époir La paix! la paix! tel était le cri répété avec angoisse d’un bout du pays à l’autre. Mais qui la donnerait? Serait-ce Henri IV, avec son armée sans consistance, composée de gentilshommes campagnards qui, après des succès éphémères, le laissaient là pour aller fau- cher leur foin, couper leur moisson ou faire leurs xendanges? Seraient-ce les ligueurs, les guisards, le tiers-parti, barrant la route au roi huguenot, mais incapables de s'entendre entre eux? Le profond instinct des masses, sentant l’impuissance de tous les partis, devinait que la nation seule pouvait, par une résolution énergique, se sauver elle-même, et il réclamait ces élats-généraux tour à tour promis et ajournés par tous les chefs de guerre. Mais pour qu’une assemblée résolût le problème, imposât silence aux factions, et fit entendre clairement, impérieusement, la voix de la France elle- même, il eût fallu qu’elle sortit des entrailles mêmes du pays et que les membres, librement élus, formu- lassent, à l’abri de l’intimidation d’un seul, la volonté ‘de tous. On sait qu'au lieu de cette représentation nationale nous eùmes les États de M. du Maine, qui seraient restés à Jamais odieux s'ils n'avaient été yvoués à un éternel ridicule par la satire Menippée. Le jour où s’ouvrit la session, ils étaient quarante- cinq députés; plus tard leur nombre s’éleva à cent vingt-huit. La plupart, sauf les envoyés de la noblesse et quelques membres courageux du tiers-état, étaient à la soide de lEspagne. M. Poirson ne laisse aucun doute à cet égard. On ne peut, sans un profond dégoût, suivre l’histoire malsaine de ces débats honteux, où mn EU a acheteurs et achetés traitaient impudemment de la France comme de l’objet de leur trafic infâme. Si toulefois l’on oubliait un moment la nature de l'enjeu, on s’intéresserait peut-être à voir la stratégie des ambi- tions, les plans successifs, les intrigues et les manœuvres de PEspagne et de Mayenne, qui se disputaient la ma- Jorité, tandis qu'aux portes grondait l’émeute soulevée par des énergumènes, et que dans les provinces s’éle- vaient les gémissements de tout un peuple plongé dans la misère et le désespoir. Cest alors, dit M. Poirson, que Henri IV « prit lune de ces vigoureuses et décisives résolutions qui en- trainent les masses et donnent un subit dénoûment à la situation, tandis que les factions délibérent et se perdent dans leurs intrigues croisées. » Le moment lui semblait venu d'accomplir cet acte si grave, qui jusqu'alors avait fait reculer sa conscience, effrayée d’un tel marché. La Ligue se déchirait, les plus fou- gueux protestaient contre les prétentions de l'Espagne, le Parlement revendiquait énergiquement la loi salique, des mains jusqu'alors ennemies se tendaient suppliantes vers les descendants de saint Louis. D’un autre côté, les loyaux catholiques se lassaient d'attendre et mena- çaient, de concert avec le tiers-parti, de proclamer le cardinal de Bourbon, qui, relevé de ses vœux, eût épousé l’infante d'Espagne. La situation était singuliè- rement critique : espérances et craintes concouraient à déterminer Henri IV à son abjuration. Le récit de ce fait important entre tous, nouveau dans quelques parties, comptera parmi les plus beaux du livre de M. Poirson. J’y trouve même un accent OR es ému, quelque chose d’attendri qui s'éloigne de la ma- nière ordinairement si austère de l’auteur. Il n’a point pu, quelque admiration qu'il ait pour son héros el quelque puissantes que soient les raisons d’État qui le déterminaient, se dérober entièrement à l’émotion d’un pareil moment. Il n’y a pas, en effet, à prendre le change : l’abjuration est un acte purement politique, ennobli si l’on veut par la pensée du salut de la patrie qui y est attaché! Il fut résolu avant toute discussion religieuse, avant toute instruction, dans une conférence où il avait appelé trois hommes d’État, Rosny, Schom- berg et Cheverny. Les deux premiers étaient protes- tants : ils furent unanimes à conseiller le changement de religion comme le seul moyen de mettre un terme aux calamités de la France. Quelques jours après, le roi annonçait sa résolution au duc de Toscane, puis à l'archevêque de Bourges. Son parti était donc irrévo- cablement pris. J’eusse voulu qu’il se fût épargné cette conférence de Mantes, sorte de comédie où des mi- nistres, que d’Aubigné indigné appelle avec raison des prévaricateurs, acceptaient un programme qui leur as- signe d'avance le rôle de battus. Je n’aime guëre non plus la lettre à Gabrielle, ce libertinage d’esprit où éclate une fois de plus ce caractère ondoyant que lui assigne la tradition. Quelques heures après avoir annoncé à sa maîtresse qu'il allait faire le sault périlleux, il conversait grave- ment à Saint-Denys avec les évêques et les docteurs. Îl était devenu sérieux et de bonne foi, il soumettait ses objections et proposait des difficultés qui ne lais- saient pas que d’embarrasser parfois ses savants inter- ere locuteurs. Î] mit fin à la discussion en disant, non sans une sorte de solennité touchante : « Voici, je mets au- jourd’hui mon âme entre vos mains. Je vous prie, pre- nez-y garde, car là où vous me faites entrer, je n’en sortirai que par la mort, et de cela je vous le jure et proteste. » Il pleurait en disant ces derniers mots. Get attendrissement dura jusqu'à la dernière heure. Il pleurait amêrement encore lorsque, quelques heures avant aller à Saint-Denys, le 25 juillet, il congédiait les ministres de la religion qu’il désertait à contre-cœur. Les historiens ont en général applaudi à labjura- tion. Frappés de l’utilité de cet acte, ils en ont oublié le caractère immoral. Je n’admets pas, quant à moi, qu’un parjure soit atténué par la raison d’État, et qu’on puisse, en invoquant le salut public, habituer une na- tion, par des exemples partis de si haut, à se jouer des principes supérieurs. Henri IV le sentait bien. « Ce ne fut pas, dit M. Poir- son, sans d’amères incertitudes, sans de poignants re- grets, qu'il se sépara de la religion dans laquelle il avait été nourri et avait vécu. » Ce fut, je pense, la grande tristesse de sa vie; 1l se sentait amoindri et en quelque sorte déchu par cette sorte de défection. Plus d’une fois il revit dans son sommeil troublé sa mère, la reine Jeanne, qui lui recommandait de tout sacrifier à la cause, et ces soldats huguenots, les compagnons de son enfance et de sa jeunesse, lui reprochant son par- jure. Sept ans après, lorsqu'il rencontrait un réformé, il ne labordait pas sans lui dire : «Je me suis fait anathème pour tous, à l’exemple de Moïse et de saint Paul. » Le Comme acte politique, l’abjuration avait été bien calculée. Elle eut un effet décisif. La majorité de la nation passa au roi, le tiers-parti s’évanouit, les ligueurs fanatiques exhalèrent en vain leurs dernières fureurs, Mayenne ne se soutint quelque temps encore qu’en se déshonorant par un pacte étroit avec l'Espagne, et les autres chefs, renonçant à leur rêve d’une féodalité dé— sormais impossible, ne songèrent plus qu’à se rendre au roi. M. Poirson a réuni les curieux états fournis par Sully, par Groulart et par Dupuy sur les sommes payées pour la rançon de la paix publique : au duc de Lorraine, 3,700,000 livres, au maréchal de Brissac, 4,700,000 livres, à l’amiral de Villars, 3,477,000 liv., à M. de Guise, 3,888,000, etc., et ainsi de suite jusqu’à 32 millions de livres, plus de 112 millions de notre monnaie actuelle. Et qui paya? Je songeais en parcou- rant ces listes funestes, d’où semblent sortir des cris de douleur, à l’éternelle histoire des animaux malades de la peste : En bien! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non : vous leur fites, Seigneur, En les croquant beaucoup d’honneur..…. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun étaient de petits saints. haro sur le baudet. L’âne paya pour les péchés de tous. Le pelé, le ga- leux, comme toujours, dans l’histoire du monde, paya les sottises qu'on lui avait fait faire. « Il fallut, dit de Thou, imposer le malheureux peuple, que la guerre SOC. D’AG. 9° A) ns avait réduit à une extrême disette, et qui aurait eu be- soin d’être soulagé. Les sommes qu’on exigea avec une rigueur inoulie, jointes aux impôts ordinaires, ruinèrent presque sans ressources, non-seulement le petit peuple, mais les f.milles les plus honorabies.. » Ce sont ces extorsions qui rendirent si laborieuses les dernières années de la lutte du roi contre les débris de la Ligue et les armées espagnoles. Quand j’étudierai le gouvernement, je reviendrai sur l'assemblée des no- tables de Rouen qui fut, dans ces extrémités cruelles, conviée à venir en aide à la royauté presque aux abois. Nous atteignons enfin en 1598, le terme de cette longue et douloureuse succession de malheurs. Tandis qu’on négocie avec l'Espagne le traité de Vervins, le roi s’achemine vers la Bretagne où le duc de Mercœur, de sa main hésitante, porte le dernier drapeau resté à la Ligue. Ces souvenirs nous sont familiers, et je n’y insiste pas. C’est le 7 mars que les compagnies ange- vines recevaient à la porte Saint-Aubin le populaire Béarnais. [1 séjourna jusqu’au 11 avril à l'hôtel Lan- creau ou dans les châteaux du voisinage. C’est à Briollay que fut signé le traité qui mit fin à la royauté bretonne de Mercœur. C’est dans une salle du couvent des Jaco- bins que furent discutés les articles de pacification, que le 13 avril Henri, descendu dans un hôtel du quai de la Fosse, donnait sous le nom d’édit de Nantes. M. Poirson a étudié avec son soin ordinaire cet édit, assurément le plus célèbre de notre ancienne législation religieuse et politique. Le roi avec la hardiesse du gé- nie, avait compris que la liberté seule pouvait fermer et guérir les plaies de la patrie. C’est par ce mot ma- AO NE gique qu’il fit tomber les armes de toutes les mains. L’édit était-il le dernier mot de ce grand homme d’É- tat? Non, car il accordait aux protestants des priviléges, _ des places de süreté, et les laissait constitués à l’état de parti. Ces dispositions, transitoires dans sa pensée, lui avaient paru nécessaires pour la défense de la minorité, el devaient faciliter aux deux partis la pratique nou- velle de la tolérance. Un jour, sans doute, si le temps ne lui eût manqué, il aurait repris son œuvre, lorsque l'épuisement des haines, les passions éteintes, les pré- jugés dissipés, lui auraient permis d'effacer les dernières traces des luttes religieuses, en faisant disparaître les barrières qui séparaient politiquement les communions et en les abritant sous ce large droit commun qu’on appelle la liberté de conscience et des cultes. On sait quelle fut la fortune du grand acte de Henri IV. « Par un excès sans nom de l’absolu pouvoir, dit M. Poirson, Louis XIV put bien révoquer l’édit, pros- crire les calvinistes, et frapper ainsi la France d’une plaie plus profonde que toutes celles que lui firent les désastres réunis de la fin de son règne; mais le scan- dale surpassa encore le mal. Ce fut au moment même, une clameur et une malédiction dans l’Europe entière. Ce fut plus tard une réclamation permanente, passion- née, de la raison et de la justice, contre l'intolérance de cet acte inoui. L’édit de Nantes servit peut-être au- tant au triomphe définitif de la liberté de conscience par sa suppression que par ses quatre-vingt-six années d'existence. Üne chose bonne et salutaire ne dure pas impunément un siècle au sein d’une nation. Quand on la rase au sol, elle vit dans ses racines, et pousse bientôt LS 0: après au-dehors des rejets d’une telle vigueur, que nulle main humaine n’a plus la puissance de larra- cher. » Je termine par ces fermes et viriles paroles cette revue rapide de l’œuvre de M. Poirson. Je ne sache pas de lecture plus fortifiante et plus saine, et je la conseille à ceux qui, dans leurs études, recherchent un écrivain honnête, n'ayant d'autre passion que celle de la vérité, du juste, du droit, ne puisant son émotion qu'aux sources les plus pures et les plus libérales. ERNEST Mourix. LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION D'ESTHER A SAINT-CYR. « Le mercredi 26 janvier 1689, par un beau soleil de fin d'hiver, le roi Louis XIV, qui, ce matin-là, s'était montré de fort bonne humeur et presque gai, montait en carrosse à une heure et demie de l’après- midi, dans la grande cour du château de Versailles, accompagné de Monseigneur le dauphin, du prince de Condé, de MM. de Beauvilliers, de la Rochefoucauld, de Noailles, de Brionne, de Louvois, de Chevreuse, de Montchevreuil, d’Aubigné, de Dangeau, et des évêques de Beauvais, de Meaux et de Chälons-sur-Saône. Il était attendu à Saint-Cyr par Mme de Maintenon et par toute la communauté des dames de Saint-Louis... » Cest en ces termes agréables que M. de Viel-Castel commence son récit de la reprise splendide d’Esther au Théâtre-Français. é SOC. D’AG. 6 oo Le 26 janvier était en effet un grand jour, car 1l devait être pour Mme de Maintenon le triomphe d’une de ses pensées favorites. Elle était d’avis que les repré- sentations dramatiques qui peuvent servir à donner de la grâce, à orner la mémoire, à élever le cœur et à remplir l'esprit de belles choses, seraient un divertis- sement utile. Elle les croyait d’ailleurs propres « à retirer ses chères filles des conversations qu’elles ont entre elles, et à amuser les grandes qui, depuis quinze ans jusqu'à vingt, pouvaient s’ennuyer de la vie de Saint-Cyr. » « Enfin, nous voulions, ajoutait-elle, que les demoiselles ne fussent pas si neuves, quand elles s’en iraient, que la plupart des filles élevées dans les couvents, et qu’elles sussent des choses dont elles ne seraient pas honteuses dans le monde. » On se rap- pelle sur-le-champ que c’est à Mme de Maintenon que nous devons Esther et Athalie, et cela seul suffirait à faire bénir sa mémoire. Trouvant qu'en chaque chose, il faut toujours pren- dre ce qu'il y a de meilleur, elle conseilla à Mme de Brinon, premiére supérieure de Saint-Cyr, de laisser là les faibles ouvrages composés exprës ou choisis tout d’abord, et de leur préférer quelques belles pièces de Corneille ou de Racine, « en choisissant celles qui lui sembleraient les plus épurées des passions dange- reuses à la jeunesse. » On prit Cinna, Andromaque, Iphigénie, et quelques-unes des grandes les déclamérent devant leurs compagnes. Mais on s’aperçut bientôt, par la manière dont les demoiselles jouaient d’elles- mêmes leurs rôles, qu'elles entraient trop bien dans l'esprit de leurs personnages, et que les sentiments 09 dont elles sy pénétraient pouvaient s’accorder mal, dans ces jeunes cœurs, avec les principes de piété et de vertu qu’on cherchait à leur inspirer. « Nos petites, écrivit Mme de Maintenon à Racine, viennent de jouer votre Andromaque, et l'ont si bien jouée qu’elles ne la joueront plus, ni aucune de vos pièces. » On sait alors qu’elle le pria de lui faire quelque espèce de poëme moral et historique, mais dialogué, et dont l’amour fût entièrement banni. Cet ouvrage pouvait être impu- nément contre les règles ; 1l resterait enseveli à Saint- Cyr. Il suffisait qu’il instruisit et amusât des enfants. Racine, qui depuis douze ans avait renoncé au théâtre, se réveilla comme en sursaut de son long sommeil, à l’âge de quarante-huit ans, et cédant volon- tiers à une demande qui le ramenait à ses anciens penchants, sans contredire les sentiments qui len avaient éloigné, il se jeta dans une nouvelle carrière qu'il parcourut en deux pas : Esther pour son coup d'essai, Athalie pour son coup de maître. Il faut bien ajouter qu’une autre considération avait engagé Mme de Maintenon à prier Racine de composer pour ses peliles filles, comme elle se plaisait à les appeler, une pièce empruntée aux saintes Écritures. Le roi, que son austère affection privait depuis long- temps de ces fêtes brillantes qui avaient fait le charme de ses jeunes années, s’ennuyait parfois, sans se l’avouer précisément, du sévêre cérémonial de la cour. Mme de Maintenon s’en était aperçue, et, pour distraire le premier souverain de son siècle, tâche qui devenait difficile, elle imagina de le convier à des fêtes simples el attrayantes qui, en le détournant de ses ruineuses LS anse entreprises, lui rappelleraient l’éclat du début de son règne, sans enfreindre les lois de la nouvelle étiquette et les scrupules de sa conscience. Done, le roi, le dauphin, le grand Condé, tous ces évêques, parmi lesquels se trouvait Bossuet, et tous ces seigneurs, se rendaient le 26 janvier 1689 à la maison royale de Saint-Cyr, dont les grandes portes s’ouvrirent à deux baltants devant les gardes du corps, les mous- quetaires, les écuyers, les pages qui entouraient les carrosses ; et le roi et sa suite mirent pied à terre dans la cour d'honneur, pour assister à la première représentation de la tragédie d’Esther par les jeunes demoiselles nobles qui étaient élevées dans cette célèbre maison. Louis XIV, comme le disent les mémoires du temps, était ce jour-là d’une humeur enjouée. Il entra d’abord dans la salle capitulaire, où les religieuses étaient assemblées, en avant de leurs pensionnaires. Il les salua avec cette politesse suprême dont il ne se départit jamais avec tout le monde, et surtout avec les femmes, même les plus humbles. Il témoigna donc, avec la meilleure grâce, le plaisir qu'il aurait de les voir toutes, maîtresses et élèves, au spectacle d’Esther. Puis il monta à la salle du théâtre, qui avait été dressé dans le grand vestibule du dortoir des demoiselles, et il parut tout réjoui de se trouver entouré de tant de jeunes et agréables personnes. Par l'originalité de cette fête, par l'émotion qui devait précéder une représen- tation d’un si haut intérêt, par tout cet entourage féminin, pur, frais et souriant, Louis XIV se sentit pour quelques heures transporté dans sa Jeunesse, Que oubliant presque qu'il était le roi pour se faire le maître des cérémonies de Saint-Cyr. Il se tint la canne . haute en dedans de la porte de la salle, pour servir de barrière, jusqu'à temps que les personnes conviées fussent assises, et après avoir fait fermer la porte, il prit place sur un grand fauteuil, derrière lequel Mme de Maintenon en avait fait placer un plus petit pour elle, afin de se trouver à portée de répondre aux questions du roi. D’après le Mémorial de Saint-Cyr, les rôles avaient été ainsi distribués : Esther — Mie de Veilhenne, très-spirituelle et très- - agréable personne, douée de la figure la plus touchante et d’un organe enchanteur. Assuérus — Mlle de Lastic, que Mme de Maintenon irouvait belle comme le jour. Elise — Mie de la Maisonfort, très-remarquée par le roi à cause de sa grâce et de sa jolie voix. Mardochée — Mie de Glapion, grande et belle. Dans la confiance intime de Mme de Maintenon. Racine avait dit en parlant d’elle : « J’ai trouvé un Mardochée dont la voix va jusqu’au cœur. » Mie de Glapion devint en 1716 supérieure de la maison royale de Saint-Cyr. Aman, Zarès, Hydaspe — Mle d’Abancourt, Mile de Marsilly, Me de Mornay, toutes trois pleines d’agré- ments. Les chœurs, composés par Moreau, musicien de la communauté, furent conduits par Miles de Champigny, de Beaulieu et de La Haye, qui avaient un talent remarquable pour le chant, et qui devinrent toutes les trois religieuses. He ve Nivers, organiste de la maison, accompagna les chants sur le clavecin, et le prologue .fut récité par Mme la comtesse de Caylus, fille du marquis de Villette, cousine de Mme de Maintenon, qui l’appelait sa nièce ; elle était alors âgée de 17 ans, et avait épousé depuis deux ans le comte de Caylus. Cette toute jeune et toute charmante femme est ainsi dépeinte par Saint- Simon : « Jamais un visage si spirituel, si touchant, si par- lant; jamais une fraicheur pareille, jamais tant de grâce ni plus d'esprit, jamais tant de gaieté et d’agré- ments, jamais nature plus séduisante. Elle surpassait les plus fameuses actrices à jouer des comédies ; elle s’y surpassa à celle d’Esther devant le roi. » Mme de Caylus savait par cœur toute la pièce d'Esther, qu’elle avait entendu lire plusieurs fois chez sa lante par Racine, de sorte qu’elle joua dans la suite tous les rôles, et principalement celui d’Esther, lors- qu’une des demoiselles se trouvait indisposée. Ces jeunes actrices, ces timides choristes, trem- blérent d’abord, comme cela devait être, quand elles parurent devant le grand roi; mais elles se remirent peu à peu, et, dit Racine dans la préface d'Esther, elles remplirent leurs personnages avec autant de grâce que de modestie et de piété. « Tout réussit à merveille, raconte Dangeau, la belle poésie de Racine parut plus belle, interprétée par des bouches si pures et si char- mantes, et Louis XIV fut tellement enchanté qu'il en témoigna hautement sa satisfaction à Mme de Mainte- non, aux dames de Saint-Cyr, aux jeunes demoiselles qui avaient joué les principaux rôles, et à Racine qui, PEN LIN TES es eete STE ce jour-là, placé dans la coulisse, réglait les entrées de ses actrices et les guidait de ses conseils. » Mme de Sévigné, dans une lettre écrite à Mme de Grignan, le vendredi 28 janvier 1689, dès le surlende- main de la fameuse représentation, constate le grand succès du jour. « On a représenté à Saint-Cyr la comédie ou tragédie d’Esther. Le roi l’a trouvée admi- rable ; M. le prince y a pleuré. Racine n’a rien fait de plus beau ni de plus touchant. Il y a une prière d’Esther pour Assuérus qui enlève. » Tout ceci est assurément plein de charme, et nous serions fort tenté de continuer la lecture de celte page délicieuse de l’histoire du xvire siècle ; qu’il nous soit néanmoins permis de nous arrêter sur un nom, le plus modeste de tous ceux qui viennent d’être prononcés, celui de Moreau, musicien de la commu- nauté, ainsi que le désigne le Mémorial de Saint-Cyr, et qui eut l’insigne honneur d’être choisi par Racine pour composer la musique des chœurs de son immortel ouvrage. Le 10 juillet dernier, M. d’Ortigue écrivait dans les Débats, à propos de la reprise d’Esther : « L’organiste Moreau, l’ami de Chapelle, mettait ses chansons en musique et passait pour son tenant au cabaret. Ce Jean- Baptiste Moreau, d'enfant de chœur à la cathédrale d'Angers était devenu maître de musique à Langres, puis à Dijon, puis il arriva à Paris, assez mal nippé et la bourse légère. Un jour, il trouva moyen de se fau- filer à la toilette de Mme la dauphine, Victoire de Bavière, la tira par sa manche sans plus de façon, et lui demanda la permission de lui chanter un air de sa en Co composition. Cela fit rire la princesse, qui y consentit. Elle en parla au roi, qui voulut entendre Moreau et qui se l’attacha.... » En lisant ces lignes, malgré ombre du cabaret, ma fibre patriotique tressaillit, et Je fus près de m’écrier, comme notre regrettable ami pour Biardeau : un artiste angevin de plus ! Mais mon illusion fut rapide, et je ne tardai pas à me convaincre que j'avais été devancé par la main heureuse d’un actif explorateur de richesses nationales. M. Aimé de Soland avait extrait la notice sur Moreau du Diction- naire biographique des musiciens, par Fétis, pour la comprendre dans son excellent résumé de l’histoire de l'art en Anjou, qui termine le grand ouvrage de M. de Wismes. Aucun autre travail sur notre pays ne fait mention, que je sache, de l’ami de Racine et de Chapelle. La découverte de M. de Soland est donc une véritable réhabilitation, et je tàchai de m’associer à cette bonne action en me livrant à quelques recherches sur la vie de celui qui en avait été l’objet. Voici d’abord Particle que lui consacra la Biographie universelle de Michaud. Il est signé Denne-Baron, littérateur estimé dès les premiers temps de la Restauration, et qui fit, si je ne trompe, partie de la pléïade qui rayonnait aulour de M. de Châteaubriand, et dont les chefs étaient MM. de Marchangy, Guiraud, de Ghénedollé, ete. La notice de M. Fétis est l’abrégé de celle que nous reproduisons en entier : « Jean-Baptiste Moreau, compositeur français, né à Angers en 1656, mort à Paris le 24 août 1733. Admis comme enfant de chœur à la cathédrale d'Angers, il y Ron fit ses études musicales, et obtint ensuite une place de maître de chapelle à Langres, à l’âge de 19 ans; puis - il alla remplir les mêmes fonctions à Dijon. Il se décida peu de temps après à venir à Paris pour y chercher fortune. Arrivé dans cette ville, sans ressource et sans recommandation, il s’y créa des relations qui l’aidérent à se tirer d'affaire... (Suit l’anecdote de la dau- phine.) » » La nouvelle position de Moreau lui offrit l’occasion d'écrire pour la cour plusieurs divertissements, et entre autres le divertissement appelé les Bocages de Marly. » Moreau s'était déjà fait une certaine réputation lorsqu'une circonstance vint lui fournir l’occasion de se mettre en évidence. » Peu de temps après la fondation de la maison royale des demoiselles de Saint-Cyr, par Mme de Main- tenon, en 1686, 1l avait été altaché à cet établissement en qualité de maître de musique. Depuis que Mme de Maintenon était en crédit auprès de Louis XIV, elle avait essayé de détourner le roi des fêtes ruineuses qu’il donnait, en lui procurant des amusements peu coû- teux, en même temps, disent les mémoires de l’époque, qu’elle lui faisait trouver plaisir en de bonnes choses. Elle demanda à Racine s’il ne pouvait pas faire sur quelques sujets de piété ou du monde une espèce de scène où le chant fût mêlé avec le récit, le tout lié par une action qui rendit la chose plus vive et moins capable d’ennuyer. La pièce devait être uniquement pour Saint-Cyr, et le publie ne devait en avoir aucune connaissance. Racine se mit à l’œuvre, et écrivit la tragédie d'Esther. Il chargea Moreau de composer la musique des chœurs, et bientôt après on commença Ja répétition de la pièce. Racine avec son ami Boileau, avait choisi les demoiselles qui devaient remplir les différents rôles, les avait formées à la déclamation, et était parvenu à les amener à une perfection que personne w’espérait. De son côté, Moreau, secondé par Nivers, organiste de la maison, qui tenait le clavecin, et par les symphonistes du roi qu'on avait mis à sa disposition, surveilla la partie musicale. » Mme de Maintenon fit faire pour les jeunes actrices, des costumes à la persanne ornés de perles et de dia- mants qui avaient jadis servi au roi, dans les ballets. Tout cela ne lui coûta pas moins de 14,000 livres. On dressa par son ordre un théâtre dans le spacieux ves- tibule des dortoirs, qui se trouvait au deuxième étage du grand escalier des demoiselles. Bérin, dessina - teur du roi et décorateur des théâtres de la cour, pei- onit les décorations. De magnifiques lustres de cristal, chargés de mille bougies, éclairaient la salle. » Enfin le mercredi 26 janvier 4689, le roi se rendit à deux heures de l'après-midi à Saint-Cyr, et assista à la première représentalion d’Esther. Il fut tellement enchanté qu'à son retour à Versailles, il ne fit que parler de la pièce. Toute la cour voulut voir cette mer- veille. Il y consentit et il y eut plusieurs représenta- tions d'Esther, devant un auditoire composé de tout ce qu'il y avait de plus illustre par la naissance, de plus élevé par les dignités, de plus distingué par l’esprit et le talent. Mme de Maintenon éprouva cependant des scrupules de conscience en voyant l'extension de pu- blicité donnée à ces divertissements. Elle pria le roi 2 or de les faire cesser, mais il sy opposa et pressa Racine d'achever sa tragédie d’Athalie qu’il avait commencée. Moreau composa encore la musique des chants de cette pièce qui fut jouée en 1691, mais sans pompe, sans théâtre, sans décorations, et sans autre costume que celui de Saint-Gyr. Il n’y eut de spectateurs que le roi, Mne de Maintenon et cinq ou six autres personnages parmi lesquels était Fénelon. Après cette représenta- tion, Louis XIV céda aux prières de Mme de Maintenon, et résolut de ne plus troubler par ces divertissements, la régularité de la maison, ainsi que la réforme que Jon commençait à y introduire, et qui en interdisant l'entrée de la maison à des étrangers, obligea les dames institutrices à prononcer des vœux solennels, et à se sou- mettre à la règle austère de saint Augustin. » Quoiqu'il y ait beaucoup à rabattre des éloges donnés par le grand poête au compositeur qui s'était associé à son travail, la partition des chœurs d’Esther et d’Athalie n’en est pas moins un monument curieux de l’art mu- sical français, à cette époque. La musique d'Esther fut publiée en 1789, par Thierry, rue Saint-Jacques, à Pa- ris, et ne fut probablement tirée qu'à un très-petit nombre d'exemplaires, car elle est d’une insigne rareté. Quant à la musique d’Athalie, elle ne fut point publiée par son auteur, mais la bibliothèque de Versailles en possède plusieurs exemplaires, copiés de la main des demoiselles de Saint-Cyr, et corrigés par Moreau lui- même. À la suite de l'édition des œuvres complètes de Jean Racine, publiée par L. Lefèvre en 1844, se trouve toute la musique d’Æsther et d’Athalie, avec accompa- gnement, telle qu’on l’exécuta devant le roi. 00 » Moreau a mis aussi en musique les chœurs de Jo- nalhas, tragédie de Duché, et plusieurs cantates et chansons de Pierre Lainé, qui eurent beaucoup de suc- cès, Enfin on connaît de lui, en manuscrit, le psaume In exilu Israël et une messe de Requiem. » Il a fait en outre un traité de musique, intitulé l'Art mélodique. Moreau avait fait de bons élèves parmi les- quels on remarque Clérembault et Dandrieux. Il mou- rut à l’âge de 77 ans. » Cette notice est intéressante, mais malheureusement elle est loin d’être complète. Elle ne nous apprend rien ni sur le temps que notre compatriote passa à Angers, ni sur les relations qu'il y conserva sans doute. On a bien voulu faire à cet égard des recherches dans les ar- chives de la cathédrale et dans les manuscrits de Leho- reau, maire-chapelain de Saint-Maurice, du vivant de Moreau, mais jusqu’à présent l’on n’a rien trouvé. Il est difficile néanmoins que l’on n’obtienne pas quelque nouvelle lumière sur un personnage qui, dans sa sphère, a été très en vue, en remplissant des fonctions aussi importantes. Mais d’après ce que nous connais- sons de sa biographie, il est facile de combler par in- duction, la plupart des lacunes que l’on y remarque encore. D'abord, au point de vue moral, notre compa- triote devait être irréprochable. Élevé à la maitrise d'Angers, il avait dû en conserver les principes reli- gieux, en même temps qu'il avait profité avec tant de fruit de son enseignement musical, Il devait être marié et la meilleure preuve de la pureté de sa réputation, c’est sa présence à Saint-Cyr. Mme de Maintenon, dont la sévérité du côté des mœurs est bien connue, n’eût LOUE pas admis, au milieu de son cher troupeau, un jeune homme de trente ans, s’il n’eût, par le caractère et la conduite, été au-dessus du plus léger soupçon. Con- trairement à la coutume de presque tous ses confrères; Moreau ne travailla jamais pour le théâtre profane, c’est donc une nouvelle preuve, s’il en était besoin, qu'il se renferma exclusivement dans la pratique la plus austère de son art. Nous semblons, comme on le voit, faire bon marché de l’accusation de hanter le cabaret, lancée par M. d’Or- tigue ; mais est-elle sérieuse? D'abord, on le sait, le ca- baret n'avait point alors le sens que nous lui donnons aujourd’hui. Les gens de la meilleure compagnie ne rougissaient point de s’y réunir, et personne n’a oublié le dramatique souper d'Auteuil. Chapelle, il est vrai, avait dans sa jeunesse mené assez joyeuse vie, mais tout en gardant sa belle humeur, il S’était rangé en vieillissant, avait un riche état de maison et fréquentait le meilleur monde. Il était resté fort lié avec Racine et Boileau dont les habitudes étaient devenues exemplaires, et ne devait avoir nul désir d’en- trainer dans ses anciennes légèretés, notre compositeur angevin, plus jeune que lui de trente ans au moins. On sait qu’il vivait dans une intimité non moins grande que l'affection qui le liait aux deux grands poêtes que nous venons de nommer, avec Bernier, et ce fut sans doute celui-ci qui lui fit connaître son jeune compa- triote et qui le recommanda instamment à l’auteur d’'Esther et d’Athalie. Maintenant se présente cette double question. La mu- sique de ces deux poëmes fut-elle appréciée de ses con- Ni) a temporains? Est-elle restée digne de passer à la posté- rité? La réponse à la première demande est plus facile que l’autre. Racine a dit, dans l’avant-propos de sa tragédie: « Je ne puis me résoudre à finir cette préface sans rendre à celui qui à fait la musique la justice qui lui est due, et sans confesser franchement que ses chants ont fait le plus grand agrément de la pièce. Tous les connais- seurs demeurent d'accord que depuis longtemps on n’a point entendu d’airs plus touchants ni plus convenables aux paroles. Quelques personnes ont trouvé la musique du dernier chœur un peu longue, quoique très-belle ; mais qu'aurait-on dit de ces pauvres fsraëélites qui avaient fait tant de vœux à Dieu pour être délivrés de l’horrible péril où elles étaient, si, ce péril étant passé, elles lui en avaient rendu de médiocres actions de grâce? » Sans doute, dans ces paroles si flatteuses, il faut tenir compte de la considération que Racine avait pour la personne de son collaborateur, sentiment qui n’était égalé que par son extrême modestie, si admirable chez un grand homme qui aurait dû être enivré par les compliments de la première cour du monde, où l’on ne voyait que des hommes d’un esprit éminent et des femmes d'une beauté, d’une grâce merveilleuses; mais le jugement du poëête d'Esther, sur le mérite des chœurs, était celui de tous ses auditeurs. Les mé- moires du temps le constatent, et même en admettant que leur principal attrait émanait du charme incom- parable de leurs interprètes, il faut bien reconnaitre que les mélodies de notre Angevin brillaient de quelque NS qualité, puisqu'elles furent accueillies par une appro- bation aussi unanime. Les critiques modernes varient sur leur valeur réelle. L'un dit qu’elles n’offrent qu'une suite de motifs mo- notones; un autre assure qu’elles contiennent plus d'invention que les chants de M. J. Cohen, et que l’on aurait dù se borner à en rafraichir les accompagne- ments. Comme l’œuvre de Moreau nous est inconnue, et que nous ne pouvons prétendre qu’elle survivra, ainsi que les modèles des maitres, aux évolutions de Part le plus mobile, on peut au moins affirmer que relativement la réputation de notre compatriote était légitimement justifiée. Au xvre siècle, en effet, la France était bien en arrière de l'Italie en fait de musique. Avouons même que nous étions plongés à cet égard dans une espèce de barbarie. À l’époque de Moreau, le temps n’était pas loin où, à la rentrée de Louis XIIT, après une guerre contre les Calvinistes, dans sa bonne ville de Paris, le . populaire fut émerveillé par la vue d’un corps de musique, formé de dix-neuf flûtes et d’un basson, qui sonnaient, dit Bassompierre, des symphonies à ravir, en tête du cortége royal. Les ballets que l’on décrit si pompeusement, aux premières années de Louis XIV, étaient accompagnés par vingt-quatre musiciens que l’on appelait la bande des grands violons du roi, et aucun d’eux n’était assez habile pour exécuter sa partie avant qu’on ne la lui eût apprise par cœur. Enfin Lully fat amené de Flo- rence par le chevalier de Guise, et après quelques vicissitudes qui prouvent le défaut de goût musical, 106: 2 presque général alors, même parmi les grands, il réussit à se faire entendre par le maître de tous, dont l'oreille était plus sensible à l'harmonie que celle de son entourage. La cause de l’art était gagnée, et par lettres patentes du 21 mars 1661, le roi, voulant conserver sa musique, dit la Gazelle de la cour, dans la réputation qu’elle a d’être des plus excellentes, gratifia le sieur Lully, gen- tilhomme florentin, de la surintendance de la musique de la chambre, et le sieur Lambert de la maîtrise de la dite musique, vacante par le décès du sieur Cam- befort. De plus, le roi nomma Lully inspecteur général de ses violons, et comine les grands violons, infatués de leur mérite, ne voulurent se plier à aucune ré- forme, Lully forma une autre bande dite des pehits violons, qui à plus d’obéissance que leurs aînés joignant bientôt un vrai talent, les laissèrent derrière eux dans une humiliante infériorité. Le célèbre créateur de la musique française était dans tout l'éclat de sa renommée lorsque Moreau parut à la cour. Il avait formé de brillants élèves pour lesquels 1l n’était pas moins exigeant que pour les musiciens instruits sous d’autres maîtres. S'il laissa notre compatriote s'élever dans un poste aussi digne d'envie, c’est qu’il reconnut sans doute en lui des titres réels à une aussi grande faveur, car, jouissant d’un crédit illimité, il avait tout pouvoir de le faire des- cendre de ces hauteurs, si Moreau n'avait jusufié par sa bonne réputation et par son mérite, le choix que l’on avait fait de son talent et de sa personne. Lully était mort, mais ses traditions étaient encore some bien vives quand la place de maître de la musique du roi qu'occupait Lambert vint à vaquer, et Moreau lui succéda, cumulant cet héritage avec ses fonctions ordi- naires à Saint-Cyr. C'était celles-là, en effet, dont 1l devait être le plus fier. Ce qui charmait les oreilles des connaisseurs au xvi® siècle nous paraitrait peut- être un peu suranné, car la musique, qui est le plus jeune de tous les arts, est aussi celui qui viillit le plus vite. Il n’est pas étonnant qu'aucune des œuvres de Moreau ne lui ait survécu. Que reste-t-il même de Lully qui était à coup sùr le premier compositeur de son temps? Mais ce qui appartient en propre à notre compatriote, ce qui fit sa gloire, ce qui conservera son nom, c’est la part qu'il eut, même bien petite, si l’on veut, à un événement littéraire dont le souvenir est impérissable. Et quels historiens pour le raconter! Nous laissons parier M. le duc de Noailles à qui nous avons fait déjà plus d’un emprunt. « Après ces deux premières représentations, il y en eut cinq autres de suite, les 3, 5, 9,15 et 19 février. Elles eurent pour spectateurs tout ce qu'il y'avait de plus illustre par la naissance, les dignités, l’es- prit, les verius. « Comme celte pièce était pieuse, disent les dames de Saint-Louis, les gens d’une pro- fession grave ne faisaient pas difficulté de demander à y venir, et il y en avait à qui madame de Mainte- non était bien aise de faire ce plaisir ‘. » Elle y fait aller, dit madame de Sévigné, tous les gens d’une 1 Mémorial de Saint-Cyr. SOC. D'AG. 1 Do e profonde sagesse. Par exemple, Racine lui parla de M. de Pomponne; elle fit un cri, le roi aussi, et Sa Majesté lui ordonna d'y aller ‘. « Je fus chez M. de Pomponne, écrit-elle deux jours après, il revenait de Saint-Cyr. Madame de Vins vous aura mandé comme madame de Maintenon le nomma et comme il eut ordre de venir le lendemain à cette belle tragédie. Le roi lui dit le matin qu'il était fort digne d’en juger et qu'il en serait assurément content. M. de Pomponne le fut au dernier point. Racine s’est surpassé ; 1l aime Dieu comme il aimait autrefois ses maitresses. Il est pour les choses saintes comme il était pour les pro- fanes. La sainte Écriture est suivie exactement dans celte pièce; tout v est beau, tout y est grand, tout y est traité avec dignité. Vous avez vu ce que M. le che- valier (de Grignan) m'en a écrit. Ses louanges et ses larmes sont bonnes. Le roi et la reine d'Angleterre y étaient samedi *. » Ce jour-là en effet, le 5 février, eut lieu une des plus brillantes représentations d’Esther. Jacques’ If, chassé du trône par son gendre Guillaume d'Orange, venait d'arriver en France, où Louis XIV lui avait donné une magnifique hospitalité à Saint- Germain, en attendant qu’il lui fournit des troupes et des vaisseaux pour conquérir son royaume; il fut 1 Lettre du 4 février 1689. 2 Lettre du 7 février 4689. « Le roi dina de bonne heure, et en sortant de table alla à Saint-Cyr: sur les trois heures, le roi et la reine d'Angleterre y arrivèrent. Le roi les reçut dans le chapitre, et ensuite les mena voir la tragédie d'Esther. I y avait trois fauteuils; la reine d’Angleterre était assise au milieu, le roi d'Angleterre à droite, et le roi à gauche. Madame de Caylus joua le rôle d’'Esther, et jamais la pièce n'avait micax réussi. » (Dangeau, 5 février 1689.) 200 2 convié avec la reine à venir à Saint-Gyr. Louis XIV ly reçut avec sa courtoisie ordinaire dans la salle du chapitre, entouré d’une cour nombreuse; il lui montra la maison, lui expliqua les intentions de la fondation et le mena enfin à la représentation dont il lui fit les honneurs. « Nous vimes alors, disent les dames, trois têtes couronnées dans notre maison et presque tous les princes et les princesses du sang. Les actrices, ani- nées par de si augustes spectateurs, en prirent une nouvelle émulation et eurent un succès surprenant. La musique ne fut pas un des moindres agréments, car, outre que nous avions de belles voix, les musiciens du roi en relevaient l'harmonie. Le roi avait donné pour ce jour-là quelques-unes de ses musiciennes des plus sages et des plus habiles pour mêler avec les demoi- selles afin de fortifier le chœur des Israélites !. » Mais madame de Sévigné mourait d'envie d’assister à une de ces représentations et de juger par elle- même de ce spectacle si nouveau. Elle écrivait le 9 février à sa fille : « L'abbé Testu vous rend mille grâces. Il a porté ses vapeurs à Versailles; il a nommé mon nom à madame de Maintenon à l’occasion d’Es- ther ; elle à répondu mieux que je ne mérite. J'irai à Saint-Cyr samedi ou mardi. Je vous nommerai en vous plaignant de ne point voir cette merveille. On en aura tous les ans pour consoler les absentes; » et quelques jours après : « Madame de Coulanges est revenue de Versailles et de Saint-Cyr. Elle y a été tout à fait bien reçue et assise auprès de madame de Maintenon et 1! Mémorial de Saint Cyr. — 100 — disant choses et louanges nouvelles. Elle y retourne demain avec moi; nous attendons la réponse, car la presse est devenue si extrême que je ne croirai y aller que quand je serai partie !. » » Ce jour vint enfin, elle assista à la représentation du 19 et nous la laisserons raconter elle-même sa journée. « Je fis ma cour, l’autre jour, à Saint-Cyr, plus agréablement que je n’eusse jamais pensé. Nous y allâmes samedi, madame de Coulanges, madame de Bagnols, l’abbé Testu et moi; nous trouvâmes nos places gardées. Un officier dit à madame de Coulanges que madame de Maintenon lui faisait garder un siége auprés d'elle; vous voyez quel honneur. Pour vous, madame, me dit-il, vous pouvez choisir. Je me mis avec madame de Bagnols, au second banc, derrière les duchesses. Le maréchal de Bellefonds vint se mettre, par choix, à mon côté droit, et devant c’étaient mes- dames d'Auvergne, de Coislin et de Sully. Nous écou- tâmes, le maréchal et moi, celte tragédie avec une altention qui fut remarquée, et de certaines louanges sourdes et bien placées qui n'étaient peut-être pas sous les fontanges de toutes les dames. Je ne puis vous dire l'excès de l'agrément de cette pièce : c’est une chose qui n'est pas aisée à représenter, et qui ne sera 1 Lettres du 9 et du 18 février 1689. « Les représentations d’'Es- ther m’empêchent de voir ces dames autant que je voudrais. Je ne puis plus en soutenir la fatigue; et j’ai résolu de ne plus faire jouer pour le public que demain. Je ferai dire que nos actrices sont ma- lades. Elles ne joueront plus que pour nous en particulier , ou pour le roi, s’il l’ordonne, » (Lettre de madame de Maintenon à l'abbé Gobeïin, 14 février 1689.) — 101 — jamais imitée; c’est un rapport de la musique, des vers, des chants, des personnes, si parfait et si com- plet, qu'on n’y souhaite rien. Les filles qui font des rois et des personnages sont faites exprès : on est attentif ef on n’a point d'autre peine que celle de voir finir une si aimable pièce; tout y est simple, tout y est innocent, tout y est sublime et touchant. Cette fidélité de l’histoire sainte donne du respect; tous les chants, convenables aux paroles qui sont tirées des Psaumes ou de la Sagesse et mis dans le sujet, sont d’une beauté que l’on ne soutient pas sans larmes : la mesure de l'approbation qu’on donne à cette pièce, c’est celle du goût et de l'attention. J’en fus charmée, et le maréchal aussi, qui sortit de sa place pour aller dire au roi com- bien 1l était content, et qu’il était auprès d’une dame qui était bien digne d’avoir vu Esther. Le roi vint vers nos places el, après avoir tourné, il s’adressa à moi, et me dit : « Madame, je suis assuré que vous avez été » contente. » Moi, sans m’étonner, je répondis : « Sire, je suis charmée; ce que je sens est au-dessus des » paroles. » Le roi me dit: « Racine a bien de l’es- » prit. » Je lui dis : « Sire, il en a beaucoup; mais, en » vérité, ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi : » elles entrent dans le sujet, comme si elles n'avaient » jamais fait autre chose. — Ah! pour cela, il est vrai. » Et puis Sa Majesté s’en alla et me laissa l’objet de l’en- vie. Comme il n’y avait quasi que moi de nouvelle venue, le roi eut quelque plaisir de voir mes sincères admirations sans bruit et sans éclat. M. le Prince et madame la Princesse vinrent me dire un mot : madame de Maintenon, un éclair; elle s’en allait avec le roi: je DA — 102 — répondis à tout, car J'étais en fortune. Nous revinmes le soir aux flambeaux : je soupai chez madame de Cou- langes, à qui le roi avait parlé aussi avec un air d’être chez lui, qui lui donnait une douceur trop aimable. Je vis le coir M. le chevalier (le chevalier de Grignan), je lui comptai tout-naïvement mes petites prospérités ne voulant point les cachotter sans savoir pourquoi, comme de certaines personnes; il en fut content, et voilà qui est fait. Je suis assurée qu’il ne m'a point trouvé, dans la suite, ni une sotte vanité, ni un trans- port de bourgeoisie, demandez-lui. M. de Meaux (Bossuel]) me parla fort de vous, M. le Prince aussi; Je vous plaignis de n’être pas là; mais le moyen? on ne peut pas être partout. » » Ce jour-là même, en arrivant à Versailles, le roi apprit la mort subite de la jeune reine d’Espagne, sa nièce, fille de Monsieur, qu'on crut même avoir été empoisonnée. Celte mort fit cesser les divertissements de la cour et par conséquent les représentations d'Es- ther. » Mais elles recommencèrent dès les fremiers jours de l’année suivante, et le succès n’en fut pas affaibli. C'était le même empressement à solliciter la faveur d'y être admis. Le roi y prit le même plaisir, ainsi que sa famille Il y conduisit, comme l’année précé— dente, les dames et les seigneurs et nombre de prélats et de jésuites, les pêres Bourdaloue, Delarue, Gaillard, et les actrices jouaient toujours avec la même perfec- tion et le même désir de plaire à de tels spectateurs : quelques-unes se mettaient à genoux dans la coulisse et faisaient leur prière avant le lever de la toile pour — 103 — ne pas manquer. Racine était toujours derrière le théâtre, attentif aux entrées et à ce que tout se passäl bien. Un jour (peut-être était-ce à la première repré- sentation) mademoiselle de La Maisonfort hésita dans son rôle; Racine en fut très-ému, et quand elle quitta la scène, il lui dit d’un air pénétré : « Ah! mademoi- selle, voici une pièce perdue! » À ce mot, la pauvre jeune personne, croyant tout perdu en effet, se mit à pleurer, et Racine, au désespoir de l'avoir afiligée, et plus encore de voir qu'il n'avait fait qu'augmenter le mal, et que tout allait manquer en effet si elle ne se remettait promptement, üira son mouchoir de sa poche, ‘lappliqua lui-même sur les yeux de la demoiselle, comme on fait aux enfants pour les calmer, en l’en- courageant par de douces paroles. Quand elle reparut, le roi, à qui rien n’échappait, s’aperçut qu’elle avait les yeux rouges, et dit: « La petite chanoinesse a pleuré, » ce qui fit connaître l'aventure et la charmante simplicité de Racine, si préoccupé de la réussite de sa pièce, dont on rit beaucoup. » Le roi revit donc ainsi plusieurs fois cette tragédie qu'on joua pendant deux hivers avec le même succès. L’enchantement était universel. Madame de La Fayette qui avait été liée autrefois avec madame de Maintenon ?, put bien dire dans son petit cercle intime, avec un peu 1 C’est ainsi qu’on l’appelait, parce qu'avant d’entrer à is elle était chanoinesse de Poussey. ? « Je n’ai pu conserver l'amitié de madame de La Fayette, Sie en mettait la continuation à trop haut prix. Je lui ai montré du moins que j'étais aussi sincère qu'elle. C’est le duc qui nous a brouillées. Nous l'avons été autrefois pour des bagatelles. » (Lettre de madame de Maintenon à madame de Saint-Géran, août 1584.) — 104 — ° d’aigreur : « Que tant d’admiration venait davantage du mérite des allusions et de la flatterie des courtisans que du talent des actrices et de la beauté de la pièce, qui représentait en quelque sorte l'élévation de madame de Maintenon, et la chute de madame de Montespan, avec cetle différence qu’Esther était un peu plus jeune et moins précieuse en fait de piété !. » Mais madame de Sévigné nous a peint au naturel le sincère enthou- siasme de toute la cour, charmée de ce spectacle unique et délicieux. Le roi, quoiqu'un peu confus des grands éloges que lui donnait la Piété, se montrait ravi. Madame de Maintenon, assise sur son tabouret auprès de lui, attentive à toutes ses questions, exposée à tous les regards qu’elle soutenait avec modestie et dignité, dissimulait par une joie ouverte sur le succès de ses élèves une joie plus secrète et plus douce qui devait flatter son cœur. Tout, dans ce pieux divertissement, le choix de assistance, le caractère du lieu, la beauté des vers, l’imposante majesté du roi, la réunion de toutes ces jeunes filles, et ce mélange singulier de la cour et du cloître, tout concourait à former un tableau qui ne s’est point effacé, et qui est resté dans l’imagi- nation comme un des charmants épisodes de ce beau règne, où se retrouvent à la fois, comme en presque tout ce qui lui appartient, la grandeur, la simplicité et le génie. » Le roi était si satisfait qu’il demanda à Racine un second chef-d'œuvre pour lannée suivante, et cette fois le chef-d'œuvre fut celui de la scène française. ! Mémoires de madame de La Fayette. — 105 — Athalie offrit, dans la tragédie la plus parfaite, le modèle de toutes les tragédies. » _ Mais il est temps de nous arrêter, quoiqu’à grand regret, dans ces inimitables récits. Vous venez de lire cette émouvante péroraison du dernier rapport de M. Villemain : « L'Académie propose, pour le concours de 1865, un prix de 4,000 fr. qui s’attacherai! à une étude laborieuse de langue, à un travail de philologie et de goût comme celui qu’elle a demandé déjà sur deux génies inventeurs dans la pensée et dans le langage : Corneille et Molière. Le nom qu’elle désigne cette fois est Madame de Sévigné. L'étude qu’elle demande est celle du langage français dans son époque la plus heureuse et sous l’empreinte de l'imagination la plus aimable et la plus vive, animée du sentiment le plus vrai. Ainsi se succèdent et peuvent se mêler à propos l'étude fine- ment historique des matériaux de l'art et le culte pour le génie qui les embellit, les renouvelle et les immor- talise. » Nous avons perdu un peu de vue la biographie de notre J.-B. Moreau, qui fut le motif de cette incom- plète étude. Espérons que ses titres, trop tôt oubliés, à notre souvenir, ne seront plus méconnus. Ce serait maintenant plus qu’une injustice, ce serait une ingra- titude, pour moi du moins, car je lui dois la bonne fortune d’avoir pu vous entretenir d’une première représentation, unique, puisqu'elle eut le bonheur de ravir Louis XIV, d’'émouvoir Bossuet, d’exalter son illustre amie, et de faire pleurer le grand Condé. LÉON COSNIER. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 928 JANVIER 1864. Présents au bureau : MM. Lachëse père, président ; Biéchy, secrétaire général. M. Affichard lit et la Société adopte le procès-verbal de la séance précédente. M. le Président, interprète des sentiments de toute la Société, exprime à M. Affichard le regret avec lequel il le voit résigner ses fonctions de secrétaire général, sa reconnaissance pour le zèle et la rare distinction avec lesquels il les avait remplies pendant deux an- nées, et enfin le désir très-vif qu’il veuille bien conti- nucr son concours à la Société par la communication fréquente de ses travaux. M. le Président fait part à la Société d’une lettre par laquelle M. Aubert, juge de paix de Conlie, lui en- voie sa démission de membre de la Société, démission motivée par l’impossibilité où il est de pouvoir assister aux séances. M. le Président fait connaître à la Société une cr- — 107 — culaire de l’administration du congrès des délégués des Sociétés savantes, circulaire relative à la session de 1864, qui doit avoir lieu à Paris et sera ouverte le 15 mars prochain et elose le 22 du même mois. M. le Président communique à la Société une bro- chure de M. Galimard, contenant un examen des pein- tures murales de l’église Saint-Germain-des-Prés, dues au pinceau de M. Hippolyte Flandrin. M. le conseiller Lachèse est prié de vouloir bien rendre compte de cette brochure. M. le Président rend compte de divers passages du numéro de décembre 1863 du Bulletin mensuel de la Société protectrice des animaux. Les passages relevés par M. le Président sont relatifs aux réclamations faites par cette dernière Société contre les vivisections. M. le Président appelle l'attention de la Société sur le tome XXX des Annales de la Société d'agriculture, sciences, arts ct belles-lettres d’Indre-et-Loire. Ce tome, que la Société d'Angers a reçu, contient un tra- vail très-complet fait sur les archives de la province de Tours, un tablean de cette province depuis 1762 jus- ques et y compris 1766, par M. l’abbé Chevalier, se- crétaire perpétuel de la Société d’Indre-et-Loire. Dans l'espoir que la publication du savant secrétaire perpé- tuel contient des renseignements sur l’Anjou, M. le président prie M. le conseiller Coutret de vouloir bien, s’il y a lieu, rendre compte à la Société de cette partie de l'ouvrage. M. Biéchy entretient la Société des poésies de Charles Dovaile et en lit plusieurs fragments choisis. M. Cosnier termine la séance par la lecture d’une — 108 — notice biographique sur Me Rosalie Barbot, doyenne de l’œuvre des filles de Marie, morte le 40 février 1863, à l’âge de 96 ans, profondément regrettée de tous ceux qui avaient eu le bonheur de la connaître. Après des détails fort intéressants sur la famille et les amis de Mie Barbot, M. Cosnier raconte l’histoire des démarches que cette vertueuse fille n'avait cessé de faire pendant la terreur pour sauver, au péril de ses jours, les victimes des passions politiques de ce temps et notamment son père, arrêté par ordre du tribunal révolutionnaire d'Angers. Ge récit forme un contraste heureux avec le tableau que l’historien nous offre en- suite de lintérieur paisible de la famille Barbot après ces années d’épreuve et pendant le premier Empire. M. Cosnier nous trace le portrait de son héroïne aux différentes époques de la longue vie qu’elle a si bien remplie; 1l nous la montre déployant les qualités les plus diverses et acquérant l’auréole de la popularité la plus respectable, par lheureux mélange d’une piété ardente, d’une abnégation personnelle, d’une charité inépuisable, d’une bonté, d’une indulgente faiblesse devant les larmes, unies à Pesprit le plus fin, à une rare facullé d’impromptu, à une vivacité, à un rare bonheur de répartie, et même à une sorte de brusque- rie dont les accès étaient toujours suivis d’un regret sincère. La peinture de ce caractère si beau et si ai- mable dans son originalité, tracée par l’auteur d’une main émue, relevée par quelques traits à la fois tou- chants et gais, quelques anecdotes bien choisies dans la vie de Ja sainte fille, a plu d'autant mieux aux audi- teurs, qu’elle a semblé, comme celte vie, à la fois ins- — 109 — pirée par un beau sentiment et embellie par les grâces de l’esprit. Aussi l'assemblée, charmée de la lecture de cette notice, a-t-elle exprimé le désir de la voir repro- duite dans ses Mémoires. Rien n'étant plus à l’ordre du jour, la séance est levée. BrÉCHY, secrétaire général. SÉANCE DU 25 FÉVRIER. # Présidence de M. le comte de Falloux. Présents au bureau : MM. de Falloux, Lachèse père, V. Pavie, Sorin, Bougler, Belleuvre, en Chollet, Rndeun. Après la lecture et l’adoption du procès-verbal, M. le Président fait part à la Société d’une lettre de M. le Ministre de l'instruction publique, relative à la réunion générale qui a lieu en ce moment même à Paris, au palais de la Sorbonne, des délégués de toutes les Socié- tés savantes de France. M. le Ministre prie M. le Pré- sident de lui faire connaître dans le plus bref délai les noms de ceux de MM. les membres de notre Société qui se proposeraient de donner lecture, à l’une des trois sections du Comité, de notices ou mémoires iné- dits. MM. Sorin et Lachèse proposent la candidature de M. l’abbé Deschamps. M. de Falloux désigne, pour composer la commission réglementaire, MM. Sorin, Cosnier et l’abbé Légeard de la Dyriais. — 110 — M. le conseiller Bougler lit une notice sur labbé Chatisel, député aux états généraux de 1789. Ce mé- moire, largement conçu, abondant en faits exacts, en détails intéressants et en réflexions d’une haute sa- gesse, est écouté avec une vive attention et applaudi. IL fera partie d’un ouvrage que M. Bougler va inces- samment publier sous le titre de : Mouvement provincial en 1789, Biographie des députés de lV'Anjou, depuis l’Assemblée constituante jusqu'en 1815. Sur la proposition de M. le Président, l’ordre du jour est interverti, et M. Belleuvre lit à la Société une poésie intitulée : La Fille de la Montagne, dont la lec- lure est accueillie aussi par les applaudissements de l'assistance. M. le Président propose l'impression de ces vers, et Joint ses éloges à ceux du public. M. Victor Pavie fait part à la Société du récit d’une excursion qu'il a faite en Normandie dans la compa- gnie de deux amis; mais M. le Président, analysant ce travail, fait observer qu’en effet, lorsque M. Victor Pa- vie se met en voyage, trois voyageurs partent toujours avec lui ou en lui : un archéologue, un poête et un chrétien. Au milieu des mille détails charmants que chacun de ces trois voyageurs fournit à M. V. Pavie, détails qu’il orne du plus brillant coloris, il a su trou- ver une grande et juste place et de dignes paroles pour le grand peintre que la France a perdu récemment dans la personne d’Eugène Delacroix, perte que vient encore d’aggraver la mort d’un autre grand maître de l'art, M. Hippolyte Flandrin. M. le Président, interprète éloquent des sentiments de l’assemblée, demande linsertion du mémoire dans — M1 — le Bulletin de la Société. M. Pavie remercie avec re- connaissance , en déclarant qu’il a disposé de son ma- nuscrit. Ensuite M. Sorin récite une pièce de vers trés- spirituels, et qui est très-applaudie, dont l'impression est votée par toute l’assemblée. M. le comte de Falloux, prenant la parole aprés M. Sorin, exprime d’abord sa reconnaissance envers les nombreuses personnes qui se sont rendues à la séance, puis il apprécie successivement chacun des travaux qui viennent d’être lus. Il prie M. Bougler de vouloir bien continuer son travail, et fait remarquer que cette his- toire des représentants de l’Anjou a un caractère géné- ral. Ce qui à eu lieu en Anjou a eu lieu de même à peu près partout, et l’histoire d’une province éclaire l’histoire de toutes les provinces, de même que les lois de la conformation d’une espèce d’êtres ont pu être étudiées et constatées par Cuvier dans l’organisa- tion d’une autre espèce : on peut faire de l’histoire comparée comme on fait de la zoologie comparée. M. de Falloux rend hommage à l'élégance et au sen- timent poétique qui font le charme des vers de M. Bel- leuvre. Il compare les vers de M. Sorin à ceux de M. Viennet, qui, lui aussi, est jeune depuis si longtemps el qui ne sera jamais vieux. Où retrouverait-on les traits de la jeunesse, sinon dans des vers écrits avec une grâce, une verve, un esprit intarissables? Après ces appréciations, M. de Falloux prie M. Cos- mer de vouloir bien lire quelques lettres choisies dans le récueil des lettres inédites adressées par le R. P. Lacordaire à Mme Swetchine, recueil que M. de Fal- — 119 — loux est à la veille de publier. Puis, à l’occasion de ces lettres, il fait connaître à l'assemblée comment les pre- mières relations s'étaient formées entre Mme Swetchine et l’illustre Dominicain. Le P. Lacordaire fut présenté à Mme Swetchine en 1830; il reçut d’elles les plus sages conseils dans une circonstance grave de sa vie, et conserva pour elle tant qu'il vécut le plus vif et le plus respectueux attache- ment, Mme Swetchine exerçait sur le grand orateur une influence qui ne s’est jamais démentie. Elle relevait son courage quand 1l paraissait faiblir; elle tempérait sa fougue lorsqu'elle menagçait d’aller trop loin. C’est elle qui, à la suite de la séance du 15 mai 1848, dé: termina le P. Lacordaire à renoncer à la vie politique et à se consacrer désormais exclusivement au culte et à la prédication. Après le récit de M. de Falloux, récit que rendaient également intéressant et le sujet traité, et l’exquise distinction , le charme incomparable d’une parole qui séduit et enchante, M. Cosnier fait part à la réunion des prémices d’une publication impatiemment atten- due, et lit quelques-unes des lettres choisies du P. La-. cordaire. Cette lecture, écoutée avec une religieuse attention, est accueillie avec une vive reconnaissance par toute l'assistance. Rien n'étant plus à l’ordre du jour, la séance est levée. Brécuay, secrélaire général. — 113 — SÉANCE DU 31 MARS. À sept heures et demie, M. le président Lachèse prend place au bureau, auquel est également présent M. Chollet, secrétaire. M. le Président annonce à la Société que la séance ne s'ouvrira pas, comme d'habitude, par la lecture du procès-verbal de la dernière séance; mais que celte lecture, il l’espère du moins, ne sera que retardée, M. le secrétaire lui ayant écrit qu’il devait arriver ce Jour même de voyage et assister à la séance. M. Guillory a écrit à M. le Président que sa mau- vaise santé l’obligeant de rester constamment à la campagne, 1l se voit dans la nécessité de donner sa dé- mission de membre titulaire. M. le Président a fait inutilement des démarches pour engager M. Guillory à revenir sur sa détermination, il y persiste : en con- séquence, la démission de M. Guillory est acceptée et sera mentionnée au procès-verbal. M. le prince Augustin Galitzin écrit qu’il accepte le titre de membre titulaire non résidant de la Société, et promet, en revanche, de s'attacher encore davantage à l’'Anjou, et de s'occuper de notre belle province. M. l'abbé Deschamps , ancien aumônier du Lycée, avait élé présenté comme membre titulaire, M. Fré- déric Parage, docteur en droit et agriculteur des plus distingués du département, l’avait été également. Une commission avait été nommée, conformément au règle- ment de la Société, pour examiner les titres de ces deux candidats. Cette commission , par l'organe de SOC. D’AG. ù — 114 — M. Sorin, déclare que la Société ne peut qu'être hono- rée par l’admission de membres aussi justement en- tourés de l’estime et de la considération de tous. Aussi le vote sur l'admission de ces messieurs est-il una- nine, et, en conséquence, M. l'abbé Joseph Deschamps, chanoine honoraire, et M. Frédéric Parage-Farran, pro- priétaire, docteur en droit, membre du conseil muni- cipal d'Angers, sont proclamés membres de la Société. M. le Président annonce à la Société que deux de ses membres, MM. le comte de Falloux et Boutton-Lévêque viennent encore d'obtenir les plus honorables succès au concours de Poissy. Ces succès honorent notre pays, et la Société est heureuse de compter parmi ses membres des hommes aussi distingués par leur mérite personnel que par leurs travaux et leurs succès en agriculture. M. le secrétaire général arrive alors et s'excuse de n'avoir pu assister au commencement de la séance; il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance : ce procès-verbal est adopté. M. le Président donne lecture d’une lettre émanant du secrétaire de la Société protectrice des animaux, et par laquelle le secrétaire général de cette société, rap- pelant les prix annuels qu’elle donne chaque année : 4° aux auteurs de publications utiles à la propagation de son œuvre; 2 aux inventeurs d'appareils propres à diminuer les souffrances des animaux dans leur tra- vail ; 3° aux bergers, etc., etc.; à toute personne ayant fait preuve à un haut degré de bienveillance, de bons traitements et de soins assidus envers les animaux, an- nonce que cette année la séance solennelle et publique pour la distribution des récompenses aura lieu le 16 — 115 — mai, lundi de la Pentecôte, et invite dans la personne de son Président tous les membres de la Société qui auraient des candidats à présenter, à adresser leur de- mande franco, avec les pièces justificatives à l’appui, à M. le vicomte de Valmer, président de la Société, au secrétariat, rue de Lille, 34, à Paris, avant le 15 avril. M. Sorin donne lecture d’une lettre adressée à S. Exc. M, le ministre de la maison de l'Empereur et des beaux-arts, au nom de la Société, pour obtenir la conservätion du monument dit Tour des Druides, si- tué prés l’ancien couvent des Carmes, dans l'ile for- mée par les deux bras de la Maine, Ce monument, presque ignoré jusqu'ici, présente des caractères re- marquables d'architecture qui intéressent vivement les archéologues, et la description exacte, les détails pré- cis que M. Sorin donne dans sa lettre à M. le ministre, font espérer que S. Exc. voudra bien accueillir la de- mande qui lui est adressée, de classer ce monument parmi ceux qu'il est utile de conserver, et de prendre les mesures nécessaires pour obtenir ce résultat dans l'intérêt de l’art et des souvenirs historiques. Cette lettre, du 3 mars 1864, n'avait pas encore obtenu de réponse; mais un des membres de la Société, M. Cos- nier, annonce que le propriétaire actuel de ce monu- ment veut bien encore pendant un an s'abstenir de le mettre en vente ou de le détruire. M. l’archiviste rend compte des différentes publica- tions adressées à la Société depuis la dernière séance. Plusieurs de ces publications présentent un intérêt lo- cal ; ainsi : 1° une charte du cartulaire de Saint-Aubin — 116 — d'Angers, relative à un échange d'immeubles entre cette abbaye et la ville; 20 un travail publié par la Société d’émulation des Vosges sur les monuments élevés à Jeanne d'Arc; 30 un savant mémoire de M. abbé Voi- sin sur les origines des Cénomans; 4° enfin une vie de François Pallu, fondateur du séminaire des Missions étrangères et évêque d’'Héliopolis, récit plein d'intérêt et qui peint sous les couleurs les plus vives l’âme ar- dente et le zèle apostolique de ce saint et savant prélat missionnaire. M. le Président demande, et la Société vote avec empressement limpression de ce remarquable rap- port. La parole est donnée à M. l'abbé Pletteau, qui veut bien communiquer à la Société le commencement d’un ouvrage auquel il travaille depuis longtemps : Les Origines du Christianisme en Anjou. M. Pletteau donne lecture de lPintroduction qu'il a placée en tête de cet ouvrage, et de la première des neuf parties dont il est composé. Cette lecture, qui ne dure pas moins d’une heure, a intéressé au plus haut point la Société, qui l’a accueillie avec des applaudissements unanimes. Descriptions gracieuses, pittoresques et tou- jours vraies, détails historiques et scientifiques, re- cherches laborieuses, citations à l’appui des allégations de l’auteur, style vif et animé, tout plaît dans ce tra- vail, et tout plaît surtout à des cœurs angevins. Aussi impression en est-elle demandée instamment. Toute- fois, pour observer le règlement, une commission composée de MM. Pavie, Cosnier et Lemarchand, est chargée d'en faire le rapport. L'heure trop avancée — 117 — oblige M. le Président, à son grand regret, de remettre à la prochaine séance la lecture annoncée pour aujour- d'hui d’un morceau de poésie de M. Quelin : Le Som- meil d'un enfant. La séance est levée à dix heures. CHOLLET, secrélaire. SÉANCE DU 28 AVRIL, À sept heures un quart, M. le président Lachèse prend place au bureau, accompagné de M. Chollet, secrétaire. La séance est ouverte par la lecture et l'adoption du procès-verbal de la séance précédente. M. Coutret, conseiller à la Cour impériale, présente comme membre ütulaire M. Bizard, juge de paix du 3e arrondissement de cette ville, et M. le Président nomme, suivant l'usage, une commission chargée de faire un rapport Sur la candidature de M. Bizard. Cette commission est composée de MM. Coutret, Lachèse Éliacin et Lemarchand. M. le Président fait connaître à la Société les diverses * correspondances qu'il a reçues depuis la dernière séance. Ces correspondances ne présentent aucun in- térêt : ce sont des prospectus et des annonces de con- cours dans divers départements : dans PHérault, dans l'Ain, etc., etc. — Un bulletin sur la culture des vers à soie.— Une brochure donnant le compte-rendu d’une distribution de prix à une institution de sourds-muets — 118 — à Nancy, par le docteur Piraud. — Un bulletin de la Société protectrice des animaux... Ce bulletin rend compte des efforts que fait la Société pour arriver si- non à l'abolition complète, du moins à la plus grande diminution possible de la vivisection. Des tentatives infructueuses ont été faites sur ce point près de l’Aca- démie de médecine; infructueuses, en ce que l’Acadé- démie n’a pu s'engager à renoncer à lusage de la vivisection, dans l’intérêt même de l’art et de l’huma- nité, mais une pétilion adressée au Sénat par la Société protectrice des animaux, l’autorité des grands noms qui deviennent membres de cette Société, font espérer qu’un grand progrès s'opére sur ce point. À ce propos, M. le docteur Hunault prie M. le Pré- sident de lui permettre de rappeler des observations faites par lui et consignées dans les procès-verbaux de la Société, il y a une dizaine d'années. Ainsi il a fait des études spéciales sur les usages, les mœurs d’un animal considéré presque partout comme très-nuisible, la taupe, et il s’est convaincu que, loin de se nourrir de racines comme on le croit généralement, la taupe se nourrit à peu près uniquement de vers blancs : elle serait dés lors un auxiliaire plutôt qu'un fléau pour l’agriculture. | De même, le geai est regardé comme le destructeur des fruits : M. le docteur Hunault à pris des geais tout jeunes encore et les a mis en captivité, exposés toute- fois de telle sorte que le père et la mère pussent conti- nuer à leur apporter leur pâture. Pendant tout le temps qu'a duré la caplivité de ces animaux, la pâture ap- portée ainsi à ces oiseaux consistait uniquement en ciné émetté inde simon sé — 119 — hannetons décapités. Voila donc deux animaux réhabi- lités désormais. Et combien d’autres le seront encore à mesure que la science fera de nouveaux progrès? M. le Président donne lecture des réponses de MM. Seoris et de Las Cases, députés de Maine et Loire, aux lettres qui leur avaient été adressées pour les prier de s'intéresser à une pétilion envoyée au ministre de la maison de l'Empereur dans le but d'obtenir la conser- vation du monument dit Tour des PDruides. M. Segris promet son concours le plus empressé et le plus actif. M. de Las Cases est allé au ministère de la maison de l'Empereur et des beaux-arts, et M. le surintendant des beaux-arts lui a répondu que l'intervention de l'administration ne pouvait qu'être officieuse, puisqu'il s’agit d’une propriété particulière. Des instructions dans ce sens, adressées à M. le préfet de Maine et Loire, lui ont fait connaître que les propriétaires de cés mo- numents avaient été obligés de les démolir, vu l’état de dégradation de ces maisons, et qu’ainsi la demande de la Société devait être considérée comme non avenue. Ces conclusions, qui sont en désaccord complet avec les faits et avec laffirmalion positive de plusieurs membres de la Société, qui assurent que les maisons sont encore debout, et que le propriétaire a promis d'attendre au moins un an avant de rien détruire, font croire qu'il y a eu malentendu dans les informations de M. le Préfet; en conséquence, la commission est in- vitée à se réunir pour rectifier les erreurs qui ont pu être commises, et prendre les mesures nécessaires pour mener à bonne fin ce qu’elle s'était proposé d’abord. — 190 — M. le Président donne lecture à la Société d’une lettre de S. Exc. le ministre de l'instruction publique, qui, par arrêté du {1 avril, a bien voulu encourager les travaux de la société en lui accordant une allocation de 300 fr. M. le président se charge d'adresser à S. Exc. les remerciments de la Société. La Société d’horticulture d'Angers, qui vient de se nommer un président, après la démission de M. A. Leroy, n’était dans le principe qu'une fraction de la Société d'agriculture, sciences et arts, et portait alors le nom de Comice horticole; mais peu à peu ce comice s’est éloigné de sa mère, il s’est constitué en société indépendante, et sans que la Société d'agriculture, sciences el arts ait même été informée officiellement de l'existence d’une autre société, elle a pu craindre de se voir menacée, non dans son existence, mais dans ses droits et dans sa propriété, par les réclama- tions de la nouvelle Société. Ces prétentions ne paraissent à M. le Président, ainsi qu'à tous les membres présents, nullement fondées, tout ce qui appartenait au Comice horticole ayant été acheté et collectionné par la Société mère; mais il parait nécessaire de sauvegarder les droits de la Société d'agriculture, d'éviter toute difficulté avec la Société d'horticulture, et M. le Président nomme immédiate- ment une commission spécialement chargée de remplir cette importante mission. Gette commission se compose du bureau de la Société, auquel sont adjoints MM. J. Sorin, le docteur Hunault et Léon Cosnier. M. Mourin donne lecture à la Société de son travail sur l'ouvrage de M. Poirson : Henri IV. M. Mourin, dans — 191 — ce compte-rendu, ne dit pas seulement ce que contient ouvrage de M. Poirson, il l’apprécie, en fait ressortir le mérite; il nous fait regretter avec lui-même que l’auteur n'ait pas commencé son livre à la naissance de son héros, mais il nous dédommage de cette lacune par des détails remplis du plus vif intérêt; c’est un écri- vain, un historien qui fait la critique d’un historien, d’un écrivain qu’il vénère, qu’il aime, et dont il marche légal. Aussi, comme appréciation de ce rapport, je ne puis dire qu’une chose, c’est que cette lecture a semblé à tous ne durer qu'un instant, et que M. Poirson ne pouvait désirer un critique plus habile et plus cons- ciencieux, un interprète plus exact, un collègue plus désireux, plus heureux d’un succès mérité; et chacun des membres de la Société a appris avec joie que ce compte-rendu serait reproduit dans un de nos pro- chains bulletins. M. Quelin lit à la Société un morceau de poésie de sa composition : Le Sommeil de l'enfant. M. le Prési- dent, interprète de tous les membres présents, remer- cie M. Quelin du plaisir qu’il a procuré à tous, et lui fait compliment sur le sujet gracieux qu’il a choisi, et sur la manière non moins gracieuse dont il a su le re- vêlir. : La séance est levée à neuf heures et demie. CHOLLET, secrétaire. SOC. D’AG. g* SEANCE DU 28 JUILLET !. Présents au bureau : MM. Lachèse père, président, M. Biéchy, secrétaire général. Après la lecture et l'adoption du procès-verbal, M. le Président dépouille la correspondance, qui comprend : 49 Une lettre de faire part de la mort de M. Courtois, de Saint-Omer, membre de plusieurs sociétés savantes ; 20 Le 1 numéro du Moniteur des bons livres, jour- nal mensuel publié par la maison Chaix et Ce de Paris; 30 Le programme de l'exposition de la Société d’hor- ticulture de Bordeaux, exposition qui aura lieu du 10 au 13 septembre prochain; 90 Le programme de l’exposition des fruits, légumes el arbres fruitiers de la Société nantaise : cette expo- sition aura lieu du 24 au 28 septembre prochain, à Nantes; 90 Le programme de la neuvième session du Congrès pomologique de France, qui aura lieu le 24 septembre, à Nantes; 60 Une circulaire de M, Zanate, directeur de la librai- rie agricole, recommandant la Gazette du village, éditée par sa maison, et dont M. Victor Borie est le rédacteur en chef; Après ces diverses lectures et communications, il est procédé à la réception de M. Bizard, comme membre titulaire de la Société. M. le Président communique à la Société des ren- 1 La Société n’a pas eu de séances pendant les mois de mai et de juin, par suite de l'Exposition et des fêtes qui l'ont accompagnée. — 19 — seignements relatifs à l’oïdium : il donne lecture d’une circulaire de M. le Préfet et d’une lettre de M. de La- vergne, adressée à la presse angevine, pour recom- mander le soufrage et indiquer les procédés les plus autorisés. Des avis ont été reçus par M. le Président, . qui annoncent que, au mois de juillet, l’oïdium a fait son apparition et fait des progrès dans plusieurs pro- priétés. M. le docteur Hunault rappelle le procédé de M. Mazé, signalé l’an passé dans un très-bon rapport de M. Planchenault, où sont indiquées et appréciées les quatre théories de médication de l’oïdium. M. le docteur Hunault fait une analyse savante et développée de ce rapport. M. le Président rend compte de démarches faites prés de lui par le président de la Société d’horticulture et qui n’ont pas eu de suite. M. le docteur Hunault de- mande s’il n’y aurait pas dans la Société les éléments d’un Comice horticole; il demande que la Société con- serve ce Cornice. | M. le Président à reeu une lettre très-aimable de M. le marquis de Montaigu, qui demande, selon son usage annuel, le maintien de son nom sur la liste des membres de la Société. M. le President a reçu aussi la carte de visite de M. le secrétaire général du ministère de l'instruction publique. M. Biéchy fait une communication orale relative à la fondation de bibliothèques populaires. M. le Président fait une communication verbale en faveur des viviseclions : il soutient leur utilité pour les découvertes scientifiques. — 1924 — M. Cosnier lit un mémoire très-intéressant et riche en documents nouveaux ou peu connus, sur la pre- miére représentation d’Esther, et sur J.-B. Moreau, musicien angevin très-dislingué du xvIEe siècle, qui fit la musique d’Esther et celle d’Athalie, et surveilla et dirigea la partie musicale de la représentation d’Es- ther. La Société décide que cette communication sera in- sérée dans ses Mémoires. La séance est levée à neuf heures. Biécuy, secrétaire général. TOUR DES DRUIDES A ANGERS Lettre adressée à Son Excellence M. le Ministre de la maison de l'Empereur et des beaux-arts. Monsieur le Ministre, La Société impériale d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers et la Commission archéologique de Maine et Loire, par l’organe de leurs bureaux respectifs, prennent la liberté d’appeler de nouveau la sollicitude de Votre Excellence sur un fait déjà signalé à son attention par MM. Godard-Faultrier et Joly, correspondants des mo- numents historiques. Il existe à Angers, près de l'emplacement de l’ancien couvent des Carmes, deux constructions anciennes d’un beau style d'architecture et d’un aspect monumental. Très-mal décrits et appréciés dans le siècle dernier, oubliés depuis, en partie masqués et enveloppés par des usines, ces remarquables édifices étaient, il y a quelques semaines encore, à peu près ignorés de tout le monde, quand un archéologue de notre ville, M. l'abbé Choyer, en a pour ainsi dire révélé l’existence. 1 Voir le procès-verbal du 31 mars 1864, — 1926 — À l'intérêt qu’éveille toujours la découverte d'œuvres importantes pour l’art et pour l’archéologie, s’en joint un autre assez considérable pour fixer seul l'attention publique sur ces précieux restes, sortis hier à peine de l'oubli et menacés de disparaître demain : c’est l'intérêt particulier que leur donne le cachet non douteux d’une destination primitive toute spéciale et d’une origine un peu mystérieuse. | En effet, les bâtiments dont la conservation nous préoccupe, bien qu’ils affectent la forme de chapelles, n’ont jamais servi au culte. Leurs cheminées et leurs servitudes éloignent toute idée d’un usage religieux. Les deux tours carrées, dont l’une existe encore aujourd’hui dans sa partie principale, étaient compo- sées : 10 d’une très-belle cave voûtée en plein cintre; 2 d’une vaste salle, dont la voûte en ogive est soute- nue, dans l’une par quatre faisceaux de colonnes, et supportée dans l’autre par huit culs de lampe; 3° enfin, de différents planchers auxquels donnait accès un esca- lier circulaire, comme celui d’un clocher. Le jour, dans ces deux édifices, était reçu par des fenêtres étroites et en plein cintre. Les voûtes des salles principales, bien que de la même époque, à peu près, sont cependant construites dans des systèmes tout différents. L’une d'elles appartient essentiellement au style an- gevin, dit des Plantagenets. Cette voûte est sans contre- dit le plus beau et le plus complet modéle que nous possédions de cette architecture si remarquable. Le chœur de l’église de Saint-Serge, à Angers, bien connu des principaux archéologues de France, chœur — 4197 — qui paraît être le point de départ de toutes Îles cons- tructions anciennes en ce genre, a ses voûtes supportées . par deux pendentifs seulement, tandis que celle de la place des Carmes a les quatre angles de sa vaste cou- pole soutenus de cette manière. Là se trouve donc, comme on le voit, la solution complète du problème en partie seulement résolu par l'architecte de Saint-Serge. De cette dernière solution cependant étaient nées déjà les heureuses combinaisons de lignes qui paraissent avoir tellement enthousiasmé les architectes angevins au xue siècle, qu'ils les ont partout reproduites avec une sorte de complaisance bien naturelle aux inven- teurs et comme le type en ce genre le plus parfait à leurs yeux. Celui des deux monuments qu'on appelait très- improprement, au siècle dermier, la Tour des Druides, offre un très grand intérêt en ce qu'il montre aujour- d'hui, très bien conservé, un logis complet du x11e sié- cle, avec sa cheminée primitive et toutes les appro- priations obligées d’un foyer domestique. C’est une rareté précieuse, qui classe un tel édifice parmi les monuments d’un autre âge les plus dignes d’être soi- gneusement conservés. Cette tour imposante était beaucoup plus élevée autrefois que maintenant. L’escalier, qui se continue au-dessus de la porte d'entrée des combles, en est une preuve matérielle et évidente. À en juger par les huit fenêtres géminées qui restent encore, la partie supé- rieure devait être assez richement ornée. Péan de la Thuilerie, qui paraît lavoir mesurée, dit — 198 — qu'elle avait quatre-vingts pieds d’élévation, ce qui concorde d’ailleurs avec l’assertion d’un vieillard, témoin oculaire, déclarant qu’elle a été diminuée d’une quaran- daine de pieds. Elle n’a plus, en effet, aujourd’hui qu'environ quatorze mètres de hauteur totale, la char- pente non comprise. Quelle était exactement la destination des deux mo- numents? La solution de ce problème, vivement cher- chée en ce moment, a déjà donné lieu à plusieurs con- jectures; elle en suscitera sans doute de nouvelles. Les unes et les autres pourront, Monsieur le Ministre, être portées à votre connaissance, quand la question aura été complétement élucidée; aujourd’hui, nous ne de- vons qu’adresser un vœu à Votre Excellence. Nous la supplions, dans l’intérêt de l’art et des souvenirs histo- riques, dont elle est la gardienne éclairée, de confier à un délégué la mission de s'entendre avec les proprié- taires des deux tours pour qu’elles soient acquises au nom de l’État. Les circonstances nous forcent d’ajouter que si, comme nous osons l’espérer, nous sommes assez heu- reux pour que notre prière soit favorablement accueillie de Votre Excellence, il importe de prendre sans retard les mesures convenables pour en assurer le succés. L’urgence résulte de ce que les propriétaires des deux monuments sont dans la nécessité de les abattre dans le plus bref délai, si une équitable indemnité ne leur fournit pas les moyens de se procurer un autre local approprié aux besoins de leur industrie. Nous sommes avec le plus profond respect, etc, etc. (Suivent les signatures.) 1 Are nl rer SR RE RS EPA PATES AL : A LE RS SES RS FAN LE RE Por CR EE Ge Res TR DEA NEE NS : À ; PS “ Es Se ñ Se LS En et eee SA see