Sp Re Eater nn te Pa 1, DE e PSS ae ET RES = sy L 55 CALE De MEMOIRES DE LA OCIÈTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS . D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME HUITIÈME — 2° CAHIER ARR 6 ANGERS | | | IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU Chaussée Saint-Pierre, 13 1865 SOMMAIRE Mouvement provincial en 1789, par M. Bougler. Compte-rendu de la {re partie. — M. El. LACHESE. Passages de Louis XIIT à Angers. — M. Ch. DE SOURDEVAL. Note sur le Cartulaire d’Autun. — M. G. D'ESPINAY. » Des vivisections, à propos de trois affaires criminelles. — M. Ad. LACHÈSE. Exposition universelle de 1867 : Lettre du Commissaire général. Extraits du règlement. Quinze jours en Normandie. Jumièges, Duclair, Barentin. — M. Victor PAVIE. MOUVEMENT PROVINCIAL EN 1789. COMPTE-RENDU DE LA PREMIÈRE PARTIE. Un livre dont la bonne fortune était assurée d’avance, vient d'achever sa publication. Après avoir, il y a dix ans environ, fait paraître dans la Revue d'Anjou la biographie politique du plus grand nombre des Ange- vins envoyés comme députés aux Etats-Généraux, devenus bientôt l’Assemblée constituanie, et aux autres assemblées qui ont précédé le premier Empire, notre excellent et honorable collègue, M. le conseiller Bougler, a classé dans un travail d'ensemble et complété ces nombreux et intéressants souvenirs, en les étendant aux représentants de notre pays jusqu’en 1815. La réunion en un seul faisceau de ces existences poli- tiques si diverses, la possibilité qui en résulte, d'étudier en même temps les idées, les tendances, les espérances SOC. D’AG. s) ED et les craintes qui se manifestèrent lors des premières réunions précédant et préparant les États-Généraux, ont donné naissance au titre de l’ouvrage, titre heureux qui est, à lui seul, eomme un résumé du livre. Mouve- ment provincial en 1789 — Biographie des députés de l’Anjou. — Par ce peu de mots, l’auteur fait com- prendre qu’au lieu de se borner à rappeler les actions, les écrits et les discours de chacun de ses personnages, il va dire avant tout dans quelle atmosphère politique ils se sont mis et au milieu de quels événements se sont produits leurs actes. Cette méthode est, assurément, fort sage, car, sil est permis de comparer les petites choses aux grandes, on ne peut bien expliquer l’action d’un rouage sans donner une idée générale du mécanisme auquel il appartient. Mais, aussi, l’on comprend que, par là même, l’écrivain s’imposait la tâche élevée et difficile de décrire l'état des esprits, l’iliusion des systèmes, l'entrainement d’un pouvoir conquis la veille, la pression d'une Terreur organisée, aux diverses époques que traversent ses récits. Soit donc que ses personnages se bornent à faire des pamphlets ou des discours; soit qu'il nous montre Volney rédigeant contre la proposi- tion de déclarer la religion catholique religion de l'État, un manuscrit dans lequel Mirabeau, remplaçant notre compatriote à la tribune, a puisé une de ses plus fougueuses improvisations ; le vice-président Merlet rendant, le 10 août, un noble et pieux hom- mage à Louis XVI et à sa famille réfugiés à la Conven- tion; le directeur Larevellière-Lépeaux voulant gagner , , le général Bonaparte à son culte de la Théophilan- OS thropie, puis organisant, avec ses collègues Barras et Rewbel, la journée du 18 fructidor; il peint, il met en scène les événements divers, pour mieux faire saisir quelle part chacun de nos représentants y a pu prendre. Le rôle de ceux-ci, leur initiative, ou l’aide plus ou moins secondaire qu'ils ont donnée, tout se trouve indi- qué, défini. En sorte que, rappelant de bien loin, pour cette époque de notre histoire, un titre célèbre, on pourrait nommer le livre dont nous parlons: Les fais de la Révolution accomplis par les députés angevins. Le premier mérite qui frappe dans cette œuvre, et nous commençons par le moindre, assurément, c’est la richesse incroyable des documents de toutes sortes appelés à venir en aide au récit. « {l m'a été donné, « dit l’auteur, de connaître un grand nombre d'hommes « qui avaient vécu dans ces temps auxquels les nôtres « ressemblent si peu... Très-jeune encore, J'avais le « goût des études sérieuses et je me complaisais à « entendre les récits émouvants et variés de ceux de « mes concitoyens qui survivaient encore et qui avaient « été mêlés à ces grands événements. » Cette déclara- tion a une grande valeur, sans doute, mais elle ne suffit pas à dire toute la vérité. Il faut, non-seulement que M. Bougler soit un collectionneur d’une rare per- sistance, mais que quelqu'ami ou membre de sa famille ait commencé à collectionner avant lui, pour que lant de mémoires, de factums, de lettres, de pièces légères même, parus onze ans avant sa naissance et peu de nature, une partie du moins, à être classés et conservés pour l'avenir, se soient retrouvés si à point sous sa plume. À l’aide de ces mille indications dont po l’auteur cite toujours la source et qui près des grandes lignes placent des détails souvent pleins de caractêfe, il est facile à chacun de rétrograder de 76 ans et de se trouver, pour quelques heures, contemporain de l’époque dont les principaux personnages, les discours, les entretiens, les satires même se montrent si fidèlement reproduits. Un autre mérite, d’une nature plus générale et plus élevée, est celui qui nait, sans contredit, de l’impar- talité judicieuse et de la modération bienveillante de l'auteur. « L'éducation politique, dit-il, ne s’acquiert « que par l’expérience et c’est chose rare que de saisir « du premier jet les justes limites du pouvoir et de la « liberté. » Constamment inspiré par cette réflexion sage et éminemment conciliatrice, M. Bougler nous fait connaître, disons mieux, nous fait voir la triste pro- gression qui, partant de l’espérance, de l’enthousiasme même, est arrivée, au milieu de bien promptes et bien nombreuses désillusions, à l'ivresse politique, au mépris et à la mort du souverain, puis à cette fiévre de sang et de ruines qu'après l’apparition inefficace du Direc- toire, une main puissante est heureusement venue conJurer. : € On sait, dit l’auteur, par quelles séries de compli- « cations et de difiicullés toujours renaissantes, le roi « Louis XVI fut amené à la convocation des États-Géné- « raux du royaume, après une interruption de près de « deux siècles. La France entière en accueillit la nou- « velle avec une joie qu’il est certes bien permis aujour- « d’hui d'appeler imprudente et malencontreuse ; mais « qu’explique cependant, en dehors de la légèreté du po « caractère français, l’absolue nécessité de sortir d’une « position tenue jusque-là pour inextricable. » Cette double pensée de réformes nécessaires à obtenir, d’un meilleur avenir à réaliser, dominait la grande majorité des esprits lorsque vint l'instant de nommer les députés aux États-Généraux. Ils étaient, comme on le sait, au nombre de seize: quatre pour le clergé, autant pour la noblesse et huit pour le Tiers-État. Le pays saumurois nommait, en outre, quatre représentants dans la même proportion. Les membres du clergé, parmi lesquels nous ne cite- rons que le curé de Soulaines, M. Châtisel et M. l’abbé Rangeard, ce dermier, plus littérateur que prêtre, sécu- larisé, en l’an Il, par sa renonciation aux fonctions ecclésiastiques, remise entre les mains du représentant Francastel, furent loin de se montrer d’abord opposés aux idées de réforme qui surgissaient de toutes parts. Le premier publia même des écrits dans lesquels le progrès était sagement mais largement réclamé. Toute- fois, hâtons-nous d’ajouter avec l’auteur que, dès les premiers jours de l’Assemblée constituante, l’abbé Châtisel avait conçu de tristes pressentiments et regretté opposition, si mesurée pourtant, à laquelle il avait donné son appui. Bientôt, même, il quitta cette Assem- blée et revint à sa modeste cure de Soulaines, laissant là pour toujours les agitations politiques, dont les consé- quences s’indiquaient trop clairement déjà. Le premier des députés de la noblesse, M. de la Galissonnière, petit-neveu du chef d’escadre qu’a ulus- tré, en 1756, la prise de Mahon, vit tout d’abord le danger des tendances nouvelles et, quand il crut que DE eu ces tendances ne pouvaient plus être arrêtées, passa sous le drapeau de lémigration. Suivant une marche tout opposée, M. le duc de Praslin, qui siégea peu de temps, prit place à l’extrême gauche et ne dissimula pas ses opinions conformes à celles de Péthion. Quant aux deux autres députés de cet ordre, MM. de Dieusie et de Ruillé, les opinions du premier, sans cesser d’être modérées et sages, se montraient plus favorables au mouvement que celles du second. Nous aurons bientôt à dire comment un même sort les attendait tous les deux. Dans le Tiers-État, jusqu'alors si maltraité par nos lois, exclu de la plupart des carrières honorifiques dont ses talents, son instruction le rendaient si digne et, enfin, excité par les écrits incessants des encyclopé- distes, les sentiments prirent tout d’abord un essor marqué vers les idées nouvelles et se montrèrent, comme on devait s’y attendre, empreints d’une certaine hostilité contre les classes privilégiées. Ces disposi- tions furent augmentées par plus d’un écrit, entr’autres par un recueil nommé la Sentinelle du Peuple. L'auteur de cette publication était M. Constantin Chassebœuf, fils d’un notaire de Craon, qui, après ses voyages renommés dans l'Orient, traduisit son nom en arabe et S'appela désormais Volney. Une autre brochure du même auteur, suivie d’une réponse courtoise et mesurée de M. le comte Walsh de Serrant, ajouta encore à cet état des esprits, qui n’était que trop commun dans la bourgeoisie de notre province. Bientôt, parmi les huit noms des représentants du ms Gé I Tiers, on vit paraître ceux de MM. Larevellière-Lépeaux et Brevet de Beaujour. Ce dernier, avocat du roi au Présidial d'Angers, littérateur distingué, orateur éloquent, était l'honneur de notre contrée et avait vu la poésie s’unir aux acclama- tions de ses concitoyens, pour vanter, pour chanter ses éclatants mérites. Accusé d’avoir signé une pétition empreinte de fédéralisme, il fut mis à mort, à Paris, le 15 avril 1794. Il n'avait que 30 ans! Quatre autres Angevins figuraient près de lui dans le funèbre convoi : le comte de Dieusie était l’eux. Gelui- ci déclara, à ses derniers moments « que, pour lui, « désormais, toutes les illusions étaient tombées, qu’il « voyait bien qu'il avait fait fausse route et que la « légèreté, l’irréflexion, de vaines et séduisantes théories « l’avaient lancé sur une voie qui ne pouvait aboutir € qu’à Pabîme. » Depuis trois mois déjà, son collègue de députation, M. de Ruillé, avait subi le même sort; et, ici, l’indigna- tion que fait naître le meurtre, devenu quotidien, de tout ce qui était noble et élevé, à commencer par le souverain lui-même, s’augmente à la pensée de la plus révoltante ingratitude. Supplié, en juin 1795, alors que les Vendéens, vain- queurs à Saumur, s’avançaient sur Angers, de prendre la direction de notre municipalité que ses membres avaient abandonnée, M. de Ruillé, comprenant, dit M. Bougler', « qu’on l’appelait sur une voie qui pour ! V. en outre, Blordier-Langlois, Angers et le département de Maine-et-Loire, tome 1er, page 306. 0 « lui devait aboutr à Pabime, » accepta généreusement et sut, par le respect qu'il inspirait, faire en sorte que l'occupation royaliste se passât sans violences aucunes et, même, sans contributions de guerre. Mais. .… les Vendéens s’éloignèrent, la réaction révolutionnaire eut lieu et le conventionnel Bourbotte, aidé d’une escorte nombreuse, alla arrêter dans son château du Plessis- Bourré, le noble vieillard, qu’une commission militaire osa condamner à mort! L'auteur dont l’œuvre nous occupe se demande avec raison comment un portrait de M. le comte de Ruillé n’a pas encore pris place, soit dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville, soit dans notre musée, afin de perpétuer le souvenir d’un aussi noble dévoue- ment suivi d’un aussi inqualifiable sacrifice. Chacun sait que la destinée de M. Larevellière-Lépeaux fut tout autre. Après avoir siégé dans Assemblée cons- tituante près des membres de la nuance-la plus avancée et répété maintes fois qu'il fallait « renverser Louis et « son indigne cour, » il fut nommé député à la Con- vention, dont la première séance eut lieu le 21 sep- tembre 1792. Bientôt, il y vota, sans nulle restriction, la mort de Louis XVI. Éloigné de la Convention le 31 mai 1793, journée terroriste dans laquelle Danton s’élait écrié : « En révolation, l'autorité appartient aux « plus scélérats ‘! » il rentra, après la chute de Robes- pierre, dans cette assemblée désormais désorganisée , prit part aux mesures qui préparérent la journée du 13 vendémiaire et, le 4er novembre 1795, fut nommé l'un des cinq membres du Directoire. L'aide qu'il a 1 Montgaillard, Revue chronologique, page 168. ET Ie donnée au culte éphémère de la Théophilanthropie et la part qu’il a prise à la journée fameuse du 18 fruc- tidor (4septembre 1797), sont les principaux souvenirs qui, dans cette position nouvelle, se soient attachés à son nom. Nous ne dirons rien des rites de cette prétendue religion, si ce n’est qu'on y avait joint des cérémonies dans le goût antique, pompes sans idée, comédies vaines qui faisaient amèrement regretter l’humble pro- cession du plus pauvre village et qu’au lendemain de la banqueroute dite du éiers consolidé, la satire flagella des vers suivants : En vain monsieur Lépeaux, pour nous plein de tendresse, Ressuscite partout les fêtes de la Grèce; Laisse-là, mon ami, tes farces olympiques, Tes déesses des bois, tes guenilles civiques Qui ne plairont jamais à de tristes chrétiens Privés de leurs parents, dépouillés de leurs biens. Dis-moi, toi qui sais tout et qui chéris tes frères, Les Grecs nous paieront-ils nos rentes viagères ? Quant au 18 fructidor, on sait que, dans cette jour- née, dont le but était de protéger le Directoire contre le retour aux idées de légalité et de justice hautement manifesté par des élections récentes, des actes de l’ar- bitraire le plus audacieux furent commis. Plus de 50 députés, parmi lesquels on comptait Barbé-Marbois, Boissy d’Anglas, Camille Jordan, Portalis, Tronçon- Ducoudray, les généraux Pichegru, Mathieu Dumas et l’ex-directeur Barthélemy, furent déportés à la Guyane française... LEA Q du Ajoutons qu’à la différence de plus d’un des repré- sentants de cette époque, M. Larevellière ne se repentit Jamais des actes dont le souvenir aurait pu peser sur lui. © Il parlait du jugement de Louis XVI, nous dit «M. Bougler, comme il aurait pu ie faire d’un juge- « ment ordinaire et se vantait parfois, avec une outre- « cuidance qui faisait mal, de la réserve et de la « délicatesse avec laquelle il s'était abstenu d’user de la « moindre influence sur M. Pilastre, son ami, qui, dans « cet airoce et déplorable procès, vota avec autant de « modération que d'intégrité et de courage. » Des témoignages certains nous apprennent qu'il en était de même pour le souvenir du 18 fructidor. M. Larevellière était-il donc un homme dur et méchant? (Nous ne parlons pas de sa probité qui est toujours restée entière et non suspectée, au milieu des plus scandaleux exemples). Le résumé de sa vie nous mettra à même d'apprécier si notre auteur à eu, ou non, la pensée de voir appliquée ici la réflexion suivante : « Les hommes qui n’ont pas subi cette terrible épreuve « des révolutions, sont trop heureux sans doute, mais, € puisqu’un sort plus favorable les a préservés du péril, Q ils n’ont pas le droit de refuser à d’autres une juste Cet large part d’indulgence. » Né à Montaigu (Vendée) en 1753, M. Larevellière, issu d’une honorable famille, élevé au collége de Beau- preau, puis à celui de l’Oratoire d'Angers, était aimable et bienveillant. « La douceur native de ses mæurs, dit « l’auteur, la simplicité expansive et spontanée de ses « manières, la modération constante de ses désirs, le « rendaient éminemment propre au commerce intime eg « de la vie privée. » Initié par une personne instruite et distinguée à l’étude de la botanique, il avait, en 1787, professé cette science avec succès au Jardin des Plantes qui venait de se former à Angers. Ajoutons, toutefois, que des idées malsaines en religion et en politique, fruit, sans doute, des écrits de l’époque, l’agitaient, l’inquiétaient et lui avaient même fait con- cevoir le dessein de quitter la France pour la Suisse ou l'Amérique. C’est avec ses amis Pilastre et Leclerc qu’il devait émigrer ainsi. On devine à quel point il dut se montrer sympathique aux premiers retentissements de la réforme qui s’annon- çait. Puis, l’élection lui ayant conféré un titre officiel, le pouvoir venant se substituer chez lui aux travaux abstraite de la pensée, l’homme politique éclipsa l’homme bienveillant et simple. « De ce moment, dit « M. Bougler, M. Larevellière, autrefois si doux et si « débonnaire en apparence, parut tout à coup gonflé « d’une morgue et d’une gravité importante très- « sincères sans doute et très-inoffensives, inais qui n’en « touchaient pas moins de bien près au ridicule. Non- « seulement il avait pris son mandat au grand sérieux, « mais il s’en exagérait démesurément la portée et, « parce qu’il était devenu l’élu du peuple, il se tenait « déjà, dans sa part bien minime de souveraineté, « pour un type vivant et une grande et auguste person- nification du pouvoir social. » Tci, Messieurs, nous ne nous livrons pas à une vaine digression el sommes complétement dans notre sujet, car ce que nous disons de ce représentant peut se généraliser et nous faire comprendre comment la révo- A qe lution que Paris nous à fait subir a ressemblé si peu à la réforme nécessaire, mais sage, qu’attendait la pro- vince. On compte les personnes qui peuvent gravir de hauts lieux sans être prises de vertige. L’ivresse du pouvoir n'a pas de moindres entraînements. Une main exercée peut seule toucher avec mesure aux lois du pays et, alors surtout que les écrits de chaque jour tendaient à exaspérer l'opinion, que, de toutes parts, aux mots religion et royauté on substituait superstition et tyrannie, l’on doit facilement comprendre comment la réunion, près du trône, de tant de députés nés de la veille à la vie publique, a produit, dès les premiers jours, le désordre cause de tant de calamités. Nous répétons, en effet, que les départements (du moins on allait bientôt leur donner ce nom) montraient, si l’on consultait la majo- rité et non les meneurs, un espril prudent et modéré, tout en attendant des changements indispensables; l’armée allait s'illustrer par sa valeur et mériter que ses chefs n’abusassent jamais d’elle, ce qui, malheureuse- ment, est arrivé plus d’une fois. Mais, les gouvernants, tout en prenant part à d’utiles travaux, allaient chaque jour commettre de nouvelles fautes et, même, plus que des fautes. Ces excès étaient faciles à prévoir, car, dès qu’il s'agissait de politique ou de religion, il semblait qu'un véritable vertige, nous répétons ce mot à dessein, s’em- parât de la plupart des esprits. Pourra-t-on jamais croire, en effet, que l'évêque constitutionnel Grégoire fût de sens rassis quand, à la première séance de la Conven- tion, il s’écriait : « Les rois sont dans l’ordre moral ce Port AE « que les monstres sont dans l’ordre physique. Les « cours sont l'atelier des crimes et la tanière destyrans. « L'histoire des rois est le martyrologe des nations. « Toutes les dynasties n’ont Jamais été que des races « dévorantes qui ne vivaient que de chair humaine ‘. » Ce qui semblerait indiquer également, chez la plu- part des représentants, cet obscurcissement du sens moral par les passions et le langage de chaque jour, c’est que leurs habitudes privées restaient les mêmes en présence de leurs actes les plus regrettables. Dans ses communications avec les Angevins, dans ses relations de chaque jour, M. Larevellière se montrait, soit chez lui, au Luxembourg, soit aux soirées du Jardin des Plantes de Paris, chez ses amis, MM. Thouin et Bosc, gai, aimable et empressé. Nuls récits, surtout, n'étaient plus que les siens, intéressants et pleins de charme. Après avoir écrit cette phase terrible : « Si l’on « m’adressait cette question : Le roi peut-il être mis en « jugement? je ne répondrais que ce seul mot : ÏL est « déjà jugé... » le député Leclerc, de Chalonnes, se mettait, comme tout jeune il en avait pris l'habitude, à faire d’assez mauvais vers. Il rima même sur le triste sujet qui venait de donner lieu à son affirmation auda- cieuse et écrivit le #0 janvier 1793, un court fragment dont voici la fin : Quel que soit le sort qu’on prépare À ce roi perfide et barbare, Son arrêt sera respecté... ! Montgaillard, Revue chronologique, page 117. Moniteur du 22 septembre 1792. Lego Rappellerons-nous, enfin, que la pastorale si connue : Il pleut, bergère, a été écrite, dans le même temps, par Fabre d’Eglantine, secrétaire de l’affreux Danton et mis à mort, le 5 avril 1794, avec un député d'Angers, Delaunay aîné, régicide comme lui? Cest en présence de toutes ces circonstances que M. Bougler, dont l'esprit est aussi bienveillant que sage, mesure les entraînements, scrute les intentions et croit pouvoir conseiller une déclaration d’indulgence en faveur de ceux des députés de la première assem- blée (nous nous occupons uniquement de ceux-là) qui se sont signalés par leurs votes ou leurs discours les plus démagogiques. I faut se hâter, toutefois, de remarquer, pour com- prendre cette pensée, que, si notre province compta cinq députés régicides, aucun des représentants de 1789 ne mérita d’être mis au rang des Marat, des Cou- thon, des Robespierre et autres créateurs et pour- voyeurs du Moloch révolutionnaire auquel tant et de si nobles victimes ont été effroyablement sacrifiées. À ces derniers noms, on ne peut souhaiter que l’oubli. — En vous faisant connaître ces pensées conciliatrices de l’auteur sur ceux des députés de la première assem- blée qui ont pris une part notable aux excès du temps, nous avons à peine besoin d'ajouter que cette indulgence de vues cesserait de se trouver d'accord avec l'équité, si elle venait à quitter le domaine du passé. Sans oublier que l'enceinte dans laquelle nous vous présentons ce rapide souvenir doitrester étrangère aux thèses politiques, nous ne faisons que donner à cet aperçu son corollaire indiqué, en disant que tout motif d’indulgence man- PR) 27 eeue querait à des fautes de ce genre renouvelées de notre temps. L'éducation du pays est faite : elle a coûté assez cher pour que les fruits n’en soient pas perdus. Pourtant, 1848 nous a fait revoir de mauvais jours et entendre le déplorable langage de bulletins trop fameux. Il y a une semaine à peine, un journal démocratique, revendiquait comme un de ses anniversaires la journée du 10 août 1792... Au lieu de laisser ce passé dans l'oubli, qu'on l’étudie, non pour lui adresser de vaines plaintes, mais pour bien comprendre par quelles causes le mal est survenu et par quels degrés il s’est accru jusqu’à en— tasser les douleurs et les ruines. Le livre de M. Bougler, auquel maints éloges ont été déjà justement adressés, doit, à l’aide de ses récits intéressants et consciencieux, donner pleinement ces lumières et montrer à tous les limites au delà desquelles on quitte forcément les voies de la sagesse et de la vérité. Pour faire apprécier à quel point la suite de l’ou- vrage, à partir de la nomination des députés de l’As- semblée Législative, doit exciter l'intérêt, nous nous contentons de citer les noms de quelques-uns des représentants dont les notices la composent : Choudieu ; Merlet; Delaunay, aîné; Delaunay, jeune, Dandenac frères; Pérard; Viger; Talot; Benoist; de la Bourdonnaye. E. LacHèse. PASSAGES DE LOUIS XIII À ANGERS. Nous avons recu de M. de Sourdeval, l’un des éru- dits les plus distingués de la Touraine, la lettre et le document qui suivent : Tours, le 16 janvier 1865. Monsieur le Président, En parcourant les Mémoires de la Société que vous présidez, J'ai remarqué avec intérêt que l’un de vos sociétaires, M. Paul Lachèse, avait reproduit dans le tome Ve, page 177, quelques passages du Journal d'Hé- rouard, médecin de Louis XIII, que avais envoyés à la Société académique de Nantes. L'intérêt que votre savante compagnie a bien voulu attacher à cet aperçu éphémère du séjour de Louis XIII à Angers, en 1614, m'a inspiré la pensée de copier au manuscrit (dont une copie est à ma disposition à Tours) le reste de ce DR y SE qui concerne le passage de 1644 et tout ce qui con- cerne l'affaire des Ponts-de-Cé, en 1620. Pour plus de renseignements sur Hérouard, on peut relire la note que j'ai mise en tête de mon envoi à la société de Nantes. Ce manuscrit est fort volumineux, puisqu'il note tous les jours de la vie de Louis XIII, depuis 1605, du vivant mème d'Henri IV, jusqu’en 1638, alors que Hérouard mourut au camp d’Aytré, devant la Rochelle, pendant le siége. Puisqu’il s’agit de Louis XIIT, je prie la Société d'Angers de vouloir.bien me permettre de lui faire hommage de l’expédition de ce prince contre Rohan- Soubise en 1622, dans l’île de Riez. Je m’y suis servi pour bien préciser tous les mouvements du Journal d'Hérouard qui conduit le roi heure par heure et rec- üfie singulièrement le vague de tous les autres docu- ments sans lui fort difficiles à mettre d'accord. Recevez, Monsieur le Président, l'expression des sentiments irès-distingués avec lesquels je suis votre dévoué serviteur, CH. DE SOURDEVAL. Président honoraire de la Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres d’Indre-et-Loire, officier de l’Ins- truction publique et correspondant du Ministère pour les travaux historiques. Jean Héroard (qu’on trouve souvent écrit Hérouard), né à Montpellier le 22 juillet 1551, fut immatriculé sur les registres de la faculté de cette ville, le 27 août 1571, et prit ses degrés en 1575. Accueilli par le duc de Joyeuse, il obtint, sur la recommandation de ce SOC. D’AG. 6 pere seigneur, la place de médecin du roi par quartier, qu'il exerça sous les règnes de Charles IX et de Henri II. Il assista, en cette qualité, à l’autopsie du corps de ce dernier, assassiné par lacques Clément. Il élait conseiller, médecin ordinaire et secrétaire du roi, en 1599, lorsqu'il publia un volume in-4°, intitulé : Hippostologie, ou discours sur les os du cheval. L'idée de cet ouvrage lui avait été donnée par Charles IX lui-même, amateur de vénerie, quelque temps avant sa mort. Héroard nous le révèle dans la préface du livre, dédié à Henri IV et publié à Paris, chez Mamert, 1599. La protection du duc de Bellegarde lui fit obtenir du roi, le brevet de médecin du dauphin qui n’était pas encore né. Cette place fut le marchepied d’une position bien plus belle; car, après la mort tragique d'Henri IV, le médecin du dauphin se trouva être le premier mé- decin du roi. Héroard s’attacha comme l’ombre à la personne du royal client, et celui-ci ne fit pas un mou- vement que l’ombre ne le retraçât. Il a consigné sur le papier les plus minutieux détails de la vie hygié- nique, et quelquefois une anecdote curieuse de la vie intime s’y trouve mêlée. Le côté piquant de ces mé- moires, c’est qu’ils présentent toujours l’homme dans sa nature privée, jamais le roi dans son étiquette. Le manuscrit commence en 1614, année où le roi, né en 1601, venait d’être déclaré majeur. Louis XHI est un enfant, plus occupé de jouer que de régner, et plus empressé de tendre aux petits oiseaux ou de faire voler ses émerillons, que d’aller ouvrir les États. Il re- merciera naturellement Richelieu de le débarrasser du soin des affaires, et de lui permettre de se livrer à ses Nr goûts pour l’oisellerie. Héroard a sans doute continué son journal sans interruption depuis 1614, jusqu’au moment où il le termina, quelques jours avant sa mort, arrivée au camp d’Aytré, devant la Rochelle, dont le roi faisait alors le siége, en février 1628. Son corps fut transporté et inhumé dans l’église de Vaugrigneuse, dont il était seigneur, près Rambouillet. Le manuscrit d'Héroard fut conservé, dit le père Le Long, dans la bibliothèque de Colbert; il fait aujour- d’hui partie de la Biblicthèque impériale. M. Adolphe Pécart, de Tours, dont le cabinet renferme une riche collection de documents sur le règne de Louis XII, l’a copié en entier, et a bien voulu nous permettre de prendre à notre tour, copie d’une partie de ce journal. Malheureusement, ce qui était relatif au voyage de la cour à Nantes, en 1726, époque de l'arrestation de Chalais, a été supprimé, ainsi que tout ce qui concerne la catastrophe du maréchal d’Ancre. PASSAGES DE LOUIS XIII À ANGERS EN 1014 !. 4 août1614.— A Poictiers. Esveillé à 6 heures, vestu, prie Dieu; à 7 heures, desjeuné; entre en carrosse et part de Poictiers. À demi-lieue, rencontre le marquis de Cœuvres ? revenant de Bretaigne, portant asseurance ! Louis XIII, né en 1601, n’était âgé que de 13 ans lors du pre- «mier voyage. ? François-Annibal d’Estrées, marquis de Cœuvres, puis duc d’Es- trées, pair et maréchal de France, mort en 1670, à l’âge de 98 ans. $ EN E de l'affection et fidélité de M. de Vendosme ‘ et obéis- sance au service de Sa Majesté. Le Roi : € Ho! quelle obéissance! il n’a pas encore désarmé. » Le reçoit froi- dement et refusant recepvoir la lettre du sieur de Ven- dosme, la faict baïller et lire à M. de Souvré, où estoient les mêmes termes, où aussi il redict les mêmes pa- rolles.... Arrive à Mirebeau. 9 et 6 aoust, à Loudun. — Il va de son propre mou- vement déjeuner chez le sieur d’Armaignac, l’un de ses valets de chambre, ayant su qu'il en donnait aux sieurs de Termes * et de Courtanvault *, premiers gentilshommes de la chambre, puis entre en carrosse, et part de Loudun à 8 heures 3/4 du matin; arrive à . 40 heures 3/4 à Bellecave, où il a dîné à 11 heures ; entre en carrosse et arrive à Saulmur à 6 heures 1/2; va à Notre-Dame de Nantilly et à la ville; à 7 heures soupé, va chez la reine, à 9 heures revient, desvestu; prie Dieu, à 10 heures s'endort. 7 aoust. — Esveillé à 7 heures 3/4, vestu, prie Dieu ; à 9 heures 1/2 entré en carrosse sans desjeuné, va à Saint-Fleurant où il est arrivé à 10 heures 1/2. Va à la 1 César, fils de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, né en juin 1594, légitimé l’année suivante, fait duc de Vendôme, puis duc de Mercœur, d'Étampes, de Penthièvre, prince de Mortagne, du chef de sa femme, Françoise de Lorraine, enfin gouverneur de Bretagne, dont son grand- père, Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, avait été gouverneur pour la Ligue. ? César-Auguste de Saint-Lary, marquis de Termes, frère du duc de Beliegarde. 11 fut tué à l’attaque de Clérac, en Saintonge, le 22 juillet 1621, laissant pour veuve Catherine de Chabot, que le poète Bacon a chantée sous le nom d’Arténice. * Jean Il de Souvré, marquis de Courtenvault, fils du maréchal de ce nom. Log Le messe, puis à 11 heures disner, au lieu du desjeuner donné par M. de Souvré à qui estoit l’abbaye ‘. S'amuse en divers endroits et à diverses choses, à 3 heures gousté; entre en carrosse et à 5 heures monte au chas- teau : revient à 6 heures et à 6 heures 1/4 soupé, va chez la reyne, à 9 revient. Desvestu, prie Dieu ; s’en- dort à 10 heures, et du désir qu’il avoit d’allèr sur la rivière, a dormi avec inquiétude, s’éveillant à diverses fois jusqu’à 5 heures. 8 aoust. — Esveillé à 5 heures en sursaut, sans mal, vestu, prie Dieu, va à Saint-Pierre à la messe, puis en carrosse Jusqu'au dessoubs du pont, où est la première fois qu’il a fait voyage sur l’eau. Il entre dans le ba- teau à 6 heures 1/2, et part de Saulmur; arrive à 41 heures 1/4 à Saint-Mathurin-sur-Loire. Durant le chemin il ne s’est jamais assis, ni en repos, faict char- ger ses pistolets, tire et les baille à tirer en salut contre d’autres de sa suite en autres bateaux; fait faire et fait lui-même diverses sortes de petites fusées qu’il fait tirer dans le bateau et dans l’eau. Le peuple amassé à diverses troupes sur les bords de la rivière, avec larmes et grandes acclamations de joie et « vive le roi! » : que ung peu au dessoubz des Roziers, il s’avança environ cinquante ou soixante femmes avant dans l’eau jus- qu'aux genoux pour approcher plus près des bateaux et le voir. À disné : à 1 heure rentre en bateau et arrive à 4 heures 1/4 au pont de Say, va chez le sieur Beau- dunez, où il change de chemise et d’habits. Puis à 1 Gilles de Souvré, fils du maréchal de ce nom, évêque de Com- minges, puis d'Auxerre, trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris, abbé de Saint-Florent de Saumur. CE (1 4 heures 1/2 entre en carrosse, ct à une maison de la ville monte à cheval, et arrive à Angers à 6 heures 1/4 et, après avoir oui toutes les harangues, va à l’esvesché, puis à 8 heures 1/2 en son logis; soupé, point beu, dit n'avoir soif. Va chez la Rovne, revient à 10 heures, prie Dieu, à 11 heures s'endort. 9 aoust. — Esveillé à 9 heures 1/4, vestu, prie Dieu, à 10 heures 1/4 desjeuné, va chez la Royne, et à 10 heures 3/4 entre dans son carrosse, va à la messe aux Carmes, revient à 19 heures 8/4, disné; va au Jar- din; va chez la Royne, à 3 heures va en carrosse jouer à la paulme, revient à 6 heures 1/2 sonnés; point beu, n'avoir point soif, va au Jardin, puis chez la Royne : revient à 9 heures, desvestu, lavé les jambes, mis au lit, prie Dieu, s'endort à 10 heures. 10 aoust, dimanche. — Esveillé à 7 heures, vestu, prie Dieu : à 9 heures desjeuné, va en carrosse à la messe à Saint-Maurice, puis va voir le chasteau, revient à 11 beures 1/2 chez la Royne, puis disné, va chez la Royne, puis à 3 heures à vespres, et voit un combat naval, et l’artifice à feu. Revient en carrosse, à 7 heures 3/4 soupé; va chez la Royne, revient à 9 heures 1/2. Desvestu, prie Dieu, s’endort à 10 heures. 11 aoust, lundi. — Esveillé à 6 heures, veslu, prie Dieu; à 6 heures 3/4, desjeuné; à 7 heures, entre en carrosse et part d'Angers. Va à la messe à la Bau- mette, où à 7 heures 3/4 il entre en bateau, et à 2 heures 3/4, par mauvais temps de vent et de pluie, il arrive à Ingrandes. Dans le bateau mange du pain bis du batellier, et du bœuf bouilli, puis, à un cabaret sur le bord de l’eau, passe son temps diversement : Lee mel dix pistolets sur une petite planche, comme canons en batterie, le bout entre des clous, arrêtés avec de la ficelle par le rouet, accommode des mêches au bout de fourchettes et y met le feu, les faisant tirer en salut. À disné, s’en retourne au bateau : le vent étoit si con- traire, qu’il en sort. Ayant envoyé devant ses carrosses, prend celui de M. le marquis de Saint-Chaumont; se met dedans, et à 4 heures part d’Ingrandes. Avant que de se mettre dedans, se voyant mal accompagné, ses gendarmes et chevau-légers étant allés devant, il charge lui-même deux pistolets de deux balles chacun. À 7 heures arrive à Ancenis, au château. Desbotté, à 7 heures 3/4 soupé, va en sa chambre, et à 9 heures desvestu, prie Dieu, s'endort à 9 heures 3/4. 12 aoust. — Esveillé à 6 heures 3/4, vestu, prie Dieu; à 7 heures 1/2 desjeuné. Entre en carrosse, va à la messe; à huit heures part d’Ancenis; mis à cheval par le mauvais chemin, arrive à midi à Maulve, où il a disné : à trois heures rentre en carrosse, et à 6 heures arrive à Nantes, au chasteau; soupé, va chez la Royne, revient à 9 heures 1/4, mis au list, prie Dieu, à 10 heures s’endort. 30 aoust..……. À 7 heures 1/2, entre en carrosse; par le petit pont, va à la messe aux Bons-Hommes, et part de Nantes en carrosse; va à la tour d’Oudon, où à 11 heures, il a disné; à 3 heures, gousté. Entre en carrosse, et à D heures arrive à Ancenis. Desbotté, va Jouer au jeu de billard du village; revient à 6 heures. La Reyne arrive; à 7 heures, soupé ; va chez la Revyne, revient à 7 heures 3/4. Desvestu, prie Dieu, fait chan- ter à deux pages de la musique pour s'endormir. M. de ao et Vendosme vient pour le voir, et demande à M. de Plu- vinel s’il dormoit. M. de Heurles, premier valet de chambre, va ouvrir doulcement le rideau pour le sa- voir. Le Roy, tout bas : Qu'est-ce? — DE HEURLES : Sire, c’est M. de Vendosme qui vient voir Votre Majesté. — Dites que je dors. — S'endort à neuf heures. 91 aoust, dimanche. — Esveillé à 5 heures 1/2, vestu, prie Dieu, desjeuné, va à la messe, et, à 7 heures, monte à cheval et part d’Ancenis jusqu’à Ingrandes, où il entre en carrosse jusqu’à Saint-Georges ; à 11 heures 1/2 disné. À 13 heures entre en carrosse, et part de Saint-Georges. En chemin, à cause de la grande chaleur, se fait descendre dans la forest pour prendre le frais, m'aïant fait l'honneur de me dire que, s’il ne fust sorty, il eust vomi. Va près d'Angers en carrosse, monte à cheval et entre à Angers à 7 heures; me dit qu'il avoit mal à la teste, qu'il eust mieux aimé se cou- cher que souper, si son lict eust été arrivé; soupé, va chez la Reyne; devesiu, prie Dieu, s’endort à 10 heures. AFFAIRE DES PONTS-DE-CÉ, EN 1690. Le roi, parti de Paris le 7 juillet, était à Rouen le 10, à Pont-Audemer le 13, à Caen le 15, à Lisieux le 2, à l’Aigle le 25, à Mortagne le 27, à Belleveau le 98, au Mans le 30, à la Suse le 3 août; il entre en Anjou par la Flèche le 4. 4 aoust. — (A la Suze) Esveillé à 7 heures, vestu, botté, prie Dieu, point desjeuné. Va à l’église, disné à à heures 1/2: à 9 heures monte à cheval, fait arborer sa cornette blanche, c’est la première fois, part de la LS Le Suze; à une lieue de la Fiesche, aux landes du Grand Chastaignier, monté sur l’Armeuille, cheval d’Espaigne, où il voit son armée à une heure après-midi, pre- mière fois et arrive à la Flesche à 4 heures; à 9 heures soupé; va au jardin, revient à 7 heures 1/2. Desvesiu, prie Dieu, à 8 heures 3/4 s'endort. 5 aoust. — Esveillé à 8 heures, prie Dieu, desjeuné, va au conseil ; à la messe aux Jésuites : revient à 11 heures, à 11 heures 3/4 disné, va au conseil, à 6 heures soupé, à 7 heures va aux Jésuites voir Jouer une pastourelle à leurs escholliers, revient à 9 heures, desvestu, prie Dieu, s'endort à 10 heures. 6 aoust. — Esveillé à 4 heures 3/4, vestu, botté, prie Dieu; à 6 heures desjeuné, va au conseil, à l’é- olise, part à cheval de la Flesche et arrive à 10 heures 1/2 à Durtal, où M. le comte de Schomberg ‘ lui a donné à disner. À 11 heures 1/2 disné; à 1 heure monte à cheval, part de Durtal; à 4 heures arrive au Verger, à 6 heures soupé, va à la chasse pour rivière, tué un rat d’eau d’un coup d’arquebuse, revient à 8 heures; desvestu, prie Dieu, s'endort à 9 heures. 7 aoust. — Esveillé à 4 heures 1/2, botté; prend son hausse-col; prie Dieu; desjeuné; va à la chapelle; à 6 heures 3/4 monte à cheval et part du Verger, arrive à Trellazé à 10 heures 3/4 où il avoit donné rendez- vous à ses troupes, dans une prairie où il a disné sous des arbres qui la bordoient. Il faisoit une chaleur excessive et estoit vestu d’un collet de buffle double, Henri de Schomberg, comte de Durtal, depuis maréchal de France. Sn et doublé de satin : à 11 heures s’arme de sa cuirasse, et commande de s’armer à tous ceux de sa troupe; monte à cheval, à 1 heure 3/4, sur l’Armeuille, cheval d'Espaigne, et part de Trellasay, va voir gaigner les barricades et fausbourgs du Pont-de-Say; il le vit et faire la charge avec telle furie et résolution , favorisés du canon à la teste, par les régiments des gardes et de Picardie, qu’il ne s’en est jamais veu de pareilles : s’en revient à Brin à 8 heures 3/4, à Brin soupé. Il faisoit grand chauld, et on avoit beaucoup souffert. C’est le premier combat qu’il a veu faire, et le plus chaud et le plus heureux dont on eust, il y avoit longtemps oui parler. Va en sa chambre, prie Dieu, s'endort. 8 aoust. — Esveillé à 6 heures; vestu, botté; prie Dieu; desjeuné à 6 heures 8/4; va à l’église; et à 7 heures 3/4 monte à cheval, et part de Brin, et arrive à 11 heures 1/2 à Sorges. Disné : au conseil, à 1 heure 1/2 monte à cheval, et part de Sorges et arrive à 2 heures 1/4 au Pont de Say, la première fois, et passe par la rivière; va au chasteau, s’amuse à tirer en l'air aux oiseaux avec sa harquebuse; revient à 4 heures, à o heures 1/2 soupé, va chez M. de Luynes ‘; revient à 10 heures; desvestu, prie Dieu, s'endort jusqu'à 8 heures après minuit. 9 aoust, dimanche. — Esveillé à 8 heures; vestu; prie Dieu; à 9 heures desjeuné; point beu; va à lPé- glise; va recognoistre le pont et l’isle; revient à 11 ! Charles d'Albert, duc de Luynes, fait connétable de France le 22 avril 1621, pair, grand fauconnier, chevalier du Saint-Esprit, né en 1578, mort le 15 décembre 1621. on heures ; disné; va en sa chambre; chez M. de Luynes; _au conseil; à 3 heures 1/2 va à pied tirer de la harque- buse vers la rivière; revient à 6 heures 1/2; soupé; va ensa chambre; chez M. de Luynes; revient à 10 heures; desvestu; prie Dieu; s'endort à 10 heures 1/2. 10 aoust. — Esveillé à 7 heures 1/2, vestu, prie Dieu, à 8 heures 1/2 desjeuné; va à l’église ; se va promener; disné à 11 heures 1/2; va au conseil; à 4 heures 4/2 se va baigner à la rivière; revient à 6 heures 1/2; soupé; va en l’allée; revient chez M. de Luynes. 11 aoust. — Esveillé à 7 heures, vestu; prie Dieu; à 8 heures 1/2 desjeuné; va chez M. de Luynes; au conseil; au jardin; à l’église; à 12 heures 1/2 disné; va à la chasse; chez M. de Luynes; desvestu; prie Dieu; s'endort à 9 heures. 12 aoust. — Esveillé à 5 heures; vestu; botté; prie Dieu; à 6 heures desjeuné; va à l’église; à 7 heures 1/2 monte à cheval; part du Pont de Say, et arrive à 10 heures à Brissac; à 10 heures 1/2 disné; se va pro- mener; à la chasse; à la pesche; prend une carpe; la pluie le surprend; un grand orage; ne fait que s’en Jouer ; revient à 5 heures; va chez M. de Luynes. 13 aoust. — Esveillé à 7 heures 1/2; vestu; prie Dieu; à 8 heures desjeuné; va à l’église; au jardin, où il tient le conseil sous un petit pavillon couvert d’ar- doises; revient à 11 heures; disné; va en sa chambre; au conseil; à 4 heures monte à cheval et part de Bris- sac pour aller au devant de la Royne, sa mère, venant d'Angers : à demi quart de lieue l’attend; environ 6 heures, elle arrive; descendant de sa lictière, le roi eslant environ 30 ou 40 pas d’elle; il s'advance; elle L 2 opus se démasque. Il la baise une fois seulement, après qu’elle baisa deux fois, puis M. le prince de Condé, et après M. de Luynes; les paroles qui furent dictes, je ne les sçais pas; celte cérémonie ne dura pas longtemps; le roi remonte à cheval; elle en sa litière ; le roi gaigne le devant; l'attend à l’entrée du chasteau ; elle descend; se démasque ; le roi la baise, et la conduit en sa cham- bre, puis s’en vient à 7 heures; soupé; va en sa chambre; puis après monte en la chambre de la royne, sa mère, revient à 9 heures 1/2; desvestu ; prie Dieu; s'endort à 10 heures. 14 aoust. — Esveillé à 8 heures; vestu, prie Dieu; à 9 heures desjeuné, va à l’église; revient; au conseil; va chez la Royne, sa mère ; au conseil; à la chasse, tirer en l’air aux oiseaux, de sa harquebuse; revient à 6 heures; soupé, s’endort à 9 heures. 15 aoust. —- Esveillé à 8 heures; vestu; prie Dieu; va à la chapelle à la messe; communié; touché deux Jésuites portugais malades dans la chapelle; va chez la royne : à 11 heures disné. Va en sa chambre; chez la royne, sa mère; à l’église du village au sermon du père Arnoux, et à vespres, revient à 3 heures 1/2 chez la royne. À 4 heures au conseil, à 7 heures 1/4 soupé; va chez M. de Luynes; chez la royne, sa mère; revient à 9 heures ; desvesiu, prie Dieu, s’endort à 10 heures 1/2. 16 aoust, dimanche. — Esveillé à 8 heures, à 9 heures desjeuné, va à la chapelle, à 11 heures 1/2 disné. Va chez M. de Luynes, va chez la Royne, sa mère; va avec sa harquebuse à la chasse aux oiseaux en Pair, revient à 4 heures ; au conseil; va chez M. de Luynes; chez la Royne, sa mère, prend congé d’elle à 9 heures; va en sa * Le NN OR chambre; desvestu ; prie Dieu ; la Royne, sa mère, des- cend en sa chambre et y est jusqu’à 10 heures 1/2; lui dit adieu; s’endort à 10 heures 3/4. 17 aoust. — Esveillé à 5 heures, vestu, botté, prie Dieu, à 5 heures 8/4 desjeuné; va à la chapelle; et à 6 heures 1/2 monte à cheval et part de Brissac; et à Douay, où il arrive à 10 heures 1/2 ; à 11 heures disné, va peu après à la chasse, à 6 heures soupé, va en sa chambre; chez M. de Luynes; revient à 8 heures; s’en- dort à 9 heures 1/2. 18 aoust. — Esveillé à 5 heures 1/2, vestu, botté, prie Dieu; à 6 heures 1/4 desjeuné; va à l’église, à 7 heures monte à cheval et part de Douay, et, en chas- sant par les chemins à voler les perdreaux, arrive à midi à Loudun pour la 2e fois. LE CARTULAIRE D’AUTUN Publié sous les auspices de la SOCIÉTÉ ÉDUENKE, PAR M. DE CHARMASSE, Le chapitre de l'Église d’Autun desservait jadis deux basiliques, celle de Saint-Nazaire et Saint-Celse, et celle de Saint-Lazare; mais comme il eût été trop long d’é- numérer ce double titre, on le désigne toujours dans les chartes par le seul nom d’Ecclesia Eduensis. Les actes relatifs à ce chapitre furent réunis deux fois au moyen âge : la première vers 1140, et la seconde dans le courant du xve siècle. Ces deux cartulaires sont au- jourd’hui perdus. M. de Charmasse les a reconstitués à l’aide des originaux, déposés dans les archives pu- bliques, et des copies qu’il a pu retrouver dans diverses collections. Le volume publié renferme deux parties : La première se compose de cinquante chartes qui cons- tituaient l'ancien cartulaire d’Autun, celui de 1140; la deuxième est destinée à reproduire celles qui figuraient dans le second cartulaire. Mais le nombre en était trop grand pour un seul volume; l’auteur n’en donne que cent soixante-dix-sept, auxquelles il a ajouté dix-huit autres pièces, découvertes pendant l'impression. Elles sont toutes antérieures au xive siècle. Celles qui sont postérieures à cetle époque seront réunies dans un se- cond volume. Un grand nombre de chartes originales, fort intéressantes pour l’histoire du diocèse d’Autun, ont été détruites pendant la révolution ; la perte la plus regrettable est celle du testament de saint Léger, dont une copie a été heureusement conservée. L'auteur de la publication a fait précéder, suivant l’usage, les chartes imprimées d’une introduction qui fait connaître les points importants à étudier dans ces anciens documents. Îl s'occupe successivement du style des chartes, puis du fonds même de ces actes : dona- tions entre vifs ou testamentaires, ventes, baux, tran- saclions; de l’état des personnes et de la propriété, de la justice, et enfin des mesures de capacité et des mon- naies, renseignements d’un autre ordre que les précé- dents, mais indispensables aussi pour l'interprétation de ces anciens documents. Nous ne parlerons pas du style des actes de l’Église d'Autun ; ‘il n’offre rien de particulier, et déjà nous avons eu l’occasion d'indiquer plusieurs fois les varia- tions qu'a subies le style diplomatique. Les actes du chapitre d’Autun étaient rédigés par des clercs attachés à l’officialité. Ge tribunal existait dès 1293 ; il n’y avait M qp ee d’abord qu’une seule officialité pour tout le diocèse; plus tard on en créa jusqu’à trois. Les actes les plus nombreux que renferme le cartu- laire d’Autun sont des donations, soit entre vifs, soit testamentaires. Les premières avaient pour but de dé- pouiller actuellement et irrévocablement le donateur, pour saisir le donataire de la propriété des biens don- nés. Quelquefois elles étaient conditionnelles, et ne devaient produire leur effet que si le donateur venait à mourir sans enfants. Les donations étaient soumises, suivant l’usage général au moyen âge, à la ratification des héritiers présomptifs. On trouve aussi dans le car- tulaire d’Autun un grand nombre de testaments, tous postérieurs, il est vrai, à 1227. Ce mode de disposer, qui nous est venu du droit romain, était peu usité au moyen âge, surtout au nord de la Loire ; mais il paraît qu’en Bourgogne, province voisine des pays de droit écrit, on en usait plus fréquemment qu’en Anjou. Il faut observer que les formules usitées dans ces actes sont entièrement romaines, et attestent de la manière la plus évidente la renaissance du droit romain dés la première moitié du xire siècle. On trouve aussi dans le cartulaire d’Autun des dona- tions mixtes, par lesquelles le donateur dispose de la nue-propriété, en se réservant pendant sa vie la jouis- sance etles fruits du fonds donné. Cette forme, si com- mune dans les chartes angevines, est plus rare dans celles d’Autun. Cela vient peut-être de l'emploi plus fréquent des testaments, qui la remplacèrent avanta- geusement, en permettant au donateur de modifier ses dispositions jusqu’au dernier moment de sa vie; ONG) PE cette liberté lui est enlevée au contraire quand il a disposé par donation entre vifs, même avec réserve d’usufruit, ou par institution contractuelle. Il n'existe point d’acte de partage entre cohéritiers dans le cartulaire d'Autun; ces actes sont très-rares partout, et c’est en quelque sorte par basard qu’on peut découvrir quelque renseignement sur les suc- cessions ab inteslat, avant la rédaction des coutumes. Cependant un testament de 1239 nous fait connaître à peu près quel était l’usage à cette époque, et nous montre l'application du droit d’aînesse. Gauthier de Sully laisse la seigneurie de Sully à son fils aîné, la terre d’Epiry à son second fils, une dot à sa fille aînée, une pension à la cadette, qui était religieuse; il charge les aînés de pourvoir au sort du troisième fils, et exige que le dernier fils et la dernière fille prennent l’un et autre lhabit religieux, On voit souvent dans les chartes de divers pays les enfants confiés aux moines, pour de- venir eux-mêmes religieux. La puissance paternelle devait être, en fait, à peu près absolue au moyen âge, quoique d’après le droit germanique elle n’eût que le caractère d’une simple tutelle. En ce qui concerne le régime matrimonial, une charte de 14976 renferme une constitution de douaire, con- vention assez fréquemment reproduite dans les cartu- laires, et, ce qui est plus rare, l’assignation d’une terre pour garantie de la dot de la femme. L’hypothèque lé- gale était donc en usage dés le xrr1e siècle. Nous ne nous étendrons pas sur les autres actes du cartulaire d’Autun, ils n’offrent rien de particulier; là, comme parlout, on trouve de nombreux contrats de SOC. D’AG. [ 1 400 2 vente ou d’antichrèse, des concessions de droits d’usage dans les forêts du chapitre ou dans celles du duc de Bourgogne ou du comte de Nevers, accordés aux habi- tants des campagnes, des actes d’inféodation à foi et hommage, des contrats d’acensement, des actes rela- tifs aux droits fiscaux des seigneurs, elc. Au xrre siècle, tout se donnait en fief; les fonctions des serviteurs chargés de la surveillance des domaines laïques ou ecclésiastiques étaient devenues, sous les noms de mairies et de sergenteries, de petits fiefs hé- réditaires, entre les mains de leurs possesseurs. Nos chartes constatent souvent des conventions relatives à ces fiefs d’une nature toute spéciale. Elles mentionnent aussi les fonctions d’un ordre plus élevé, exercées par les divers membres du chapitre, telles que celles des prévôts, doyens, archidiacres, chantres, écolâtres. La procédure du xue siècle revit tout entière, dans une longue enquête où furent entendus plus de cent témoins, qui déposent tous après avoir prêté serment sur divers faits relatifs à des contestations entre les chanoines et les ducs de Bourgogne. L'accord ne régnait pas toujours, en effet, entre le chapitre et son puissant protecteur. Celui-ci prétendait mettre garnison dans le château d’Autun, qui appartenait au chapitre, et en garder les clefs; il voulait exercer le droit de justice sur le cloître de l’église cathédrale, et élevait d’autres prétentions qu’il serait trop long d’énumérer. Les cha- noines voulaient au contraire se soustraire à la domi- nation du duc. Le procès fut jugé par le parlement de Paris, qui décida que le chapitre d’Autun était et res- terait sous la garde du duc, que celui-ci exercerait le = Na droit de justice sur la cité, sauf dans le cloître et le territoire compris dans la franchise de ce cloître, que le chapitre conserverait la possession des clefs du châ- teau d’Autun, etc. Le cartulaire d’Autun nous révèle un fait assez cu- rieux relativement à l’état des personnes; c’est que le servage de la glèbe a duré longtemps en Bourgogne, et notamment dans le Morvan, et que le mode de culture des terres par manses sy est aussi prolongé jusqu’à une époque très-récente. Le manse était un petit do- maine complet, cultivé par un serf ou un colon plus ou moins libre; il comprenait une habitation, des terres, des vignes, des prés, en un mot tout ce qui était néces- saire à la nourriture et à l’entretien d’une famille. Le paysan vivait avec sa femme et ses enfants, séparé des autres cultivateurs, et se suffisant à peu près à lui- même. La création des bourgs et des villages devait, dans diverses contrées de la Bourgogne, grouper les habitants des campagnes sur les mêmes lieux, et amener la constitution du régime municipal. L'établissement des grandes fermes, où la culture est réglée suivant la nature des terres, sans tenir compte des besoins immé- diats du colon, qui trouve à acheter au bourg voisin les objets dont il a besoin, devait amener la destruc- tion des manses. Mais dans le Morvan ce double chan- gement ne s’est opéré qu'avec une grande lenteur. Il en a été de même pour la propriété. Tandis que le régime des fiefs avait absorbé presque partout la pro- priété indépendante, on trouvait encore des alleux en Bourgogne aux xIe, x1Ie, xIIIe et xIve siècles. En un moi, le cartulaire d’Autun ne nous révèle rien eo ee de trés-nouveau, mais il confirme les données déjà fournies par les cartulaires publiés précédemment sur l’état social du moyen âge. Il renferme aussi des ren- seignements fort intéressants sur les origines de la cou- tume de Bourgogne, plus romaine que les autres en ce qui concerne les dispositions relatives aux testa- menis et aux SuCCessions. D'ESPINAY. DES VIVISECTIONS A PROPOS DE TROIS AFFAIRES CRIMINELLES CONTEMPORAINES. Le 5 décembre 1893, une foule immense encombrait la place de Grève à Paris, pour assister au supplice d’un jeune homme de 28 ans, docteur en médecine, convaincu d’avoir empoisonné avec la morphine, un ami dont il devait hériter. Le 11 juin 1864 une foule tout aussi grande encom- brait la place de la Roquette, pour voir également mourir sur l’échafaud un jeune homme de 34 ans, aussi docteur en médecine, convaincu d’avoir empoi- sonné avec la digitaline une femme dont la mort devait lui faire toucher une forte somme d’argent. Ces deux affaires eurent un retentissement immense, et il y a entre elles plusieurs points de ressemblance que je dois vous signaler. Les deux coupables étaient docteurs en médecine, tous deux s'étaient de bonne M QE heure livrés à l’étude des poisons végétaux, qui ne laissent, croyaient-ils, aucune trace dans l’économie. Dans les deux affaires les médecins chargés de faire l’autopsie des victimes, après avoir constaté qu'il n'y avait aucune trace de maladie ou de lésion appréciable, déclarèrent que la mort avait pu être produite par l'ingestion d’une substance vénéneuse, sans pouvoir déterminer laquelle. Après avoir analysé les matières vomies; après avoir eu connaissance des circonstances accessoires ; après avoir fait quelques expériences sur les animaux vivants, ils pensèrent dans le premier cas que la substance employée avait bien pu être l’acétate de morphine, et la digitaline dans le second, mais dans aucun cas ils ne purent démontrer l'existence matérielle du poison. Le jury fut obligé, pour former sa conviction, de n'avoir égard qu'aux preuves morales et aux cir- constances accessoires. Dans une troisième affaire, qui a eu autant de reten- tissement que les deux autres, le résultat à été tout différent, quant à la constatation du corps du délit. Dans le mois de novembre 1850 un noble belge empoisonna son beau-frére à l’aide de la nicotine, substance peu connue alors. Mais dès l’année 1843 M. Orfila avait étudié d’une manière toute spéciale ce poison violent ; il avait consigné dans la 4° édilion de sa Toxicologie générate et dans les Annales d'hygiène et de médecine légale, les analyses chimiques qu’il avait faites dans son laboratoire, et les expériences sur les animaux vivants qui lui avaient donné les moyens de bien décrire l’action du poison sur l’économie animale, et de constater sa présence dans les divers organes après la Le Op es mort. Aussi lorsque commença l'instruction du crime de Bitremont, M. Stas, savant professeur à Bruxelles, guidé par les travaux du célébre professeur de Paris et par ceux qui lui étaient personnels, put-il parfaite- ment découvrir la nicotine sur la langue, dans l’estomac, dans le foie et le poumon de la victime. M. Orfila et M. Stas furent mandés pour éclairer la conscience du jury, et purent affirmer que Gustave Fougnies n’était pas mort d’une mort naturelle, qu'il avait été empoisonné, et que l’empoisonnement avait eu lieu au moyen d’un alcali connu sous le nom de nicotine. Ce ne fut plus seulement en invoquant les preuves morales que l’organe du ministère public put soutenir l’accu- sation, mais bien en se basant sur le fait le plus important, le plus nécessaire en semblable circons- tance, sur la constatation dans les organes de la victime d’une substance qui ne pouvait s’y trouver naturelle- ment, et qui avait dû nécessairement causer la mort. Comme les deux empoisonneurs français l’empoisonneur belge fut condamné à mort et exécuté. L’instruction de ces trois célébres affaires fut longue et difficile. Un grand nombre d’experts furent consultés, et rien n’est plus intéressant pour le médecin légiste que la lecture des débats animés qui eurent lieu devant la cour d'assises de Paris et devant celle de Mons. Dans les deux affaires françaises, où il s'agissait de la mor- phine et de la digitaline, des expériences sur les ani- maux mavaient pas fait connaître les altérations pro- duites par ces substances sur l’économie animale et n'avaient pas indiqué les moyens de constater la pré- sence du poison dans les divers organes du corps ui Gal humain. M. Orfila avait bien déjà fait un grand nombre d'expériences sur la morphine lorsqu’eut lieu, en 1893, lempoisonnement par cette substance, mais il fut consulté trop tard, il ne put soumettre à l'analyse aucune des matières suspectes, et il fut obligé comme tous les autres experts dans ces deux affaires, de déclarer qu’il y avait probablement empoisonnement, et qu’il était possible que l’empoisonnement eût été commis au moyen de la morphine et de la digitaline, mais sans pouvoir rien affirmer, rien démontrer. Dans l'affaire belge les experts purent affirmer que le malheureux Gustave n’était pas mort d’une mort natu- relle, qu’il avait été empoisonné et que l’empoisonne- ment avait eu lieu au moyen de la nicotine. Dès ce moment aussi la conviction des jurés fut formée sur la certitude d’un empoisonnement, question toujours si grave et souvent d’une solution si incertaine, et il ne resta plus à décider que cette seconde question, qui n’est jamais directement du ressort du médecin légiste : Est-ce l’accusé qui est l’auteur de l’empoisonnement constaté ? Il est donc de la dernière évidence, que les expé- riences sur les animaux vivants ont rendu à la Loxico- logie les plus utiles services, comme elle en a rendu à la physiologie humaine. Les plus grandes découvertes, celles qu'on peut dire fondamentales de la science actuelle en physiologie, n’ont été réalisées qu’en pre- nant sur le fait et dans leur exercice normal les fonc- tions de l'organisme vivant. C’est en effet par des expériences sur des animaux vivants qu'on a décou- vert la circulation du sang, Paction particulière MN) dE des diverses cavités du cœur, des artéres et des veines ; c’est par des expériences sur les animaux vivants qu'on à découvert les vaisseaux chiliféres, et jamais la physiologie ne serait devenue ce qu’elle est de nos jours, jamais la médecine légale n'aurait fait les immenses progrès qu'elle a faits de notre temps, si MM. Orfila et Magendie n'avaient pas sacrifié pour leurs études des millicrs d'animaux. Cependant depuis quelque temps on cherche à dénigrer ces expériences, on en critique la valeur, surtout depuis que M. Orfila n’est plus là pour les défendre. On a reproché à mon illustre maitre, par exemple, d’avoir lié l’œsophage des animaux pour les empêcher de se débarrasser par le vomissement du poison qu’on avait ingéré dans leur estomac; on oublie ou plutôt on vou- drait oublier que lorsque le 1er volume du Trailé des poisons parut en 1814, il fut présenté à l’Institut, qu'il fut examiné par une commission composée de MM. Pinel, Percy et Vauquelin (trois beaux noms, j'espère) qui terminérent ainsi leur rapport qui fut signé ensuite par Cuvier : « La Classe nous a chargés, MM. Pinel, Percy et moi, d'examiner un manucril ayant pour titre Toxico- logie générale, qui lui a été présenté par M. Orfila, médecin de la Faculté de Paris. « Un traité complet sur cette matière manquait à la médecine et à la Jurisprudence ; ceux que nous possé- dons sont incomplets ou inexacts : on recherche en vain dans les uns les moyens de reconnaître la nature des poisons; dans les autres, on ne trouve aucune des- cription des lésions organiques produites par les ma- — 100 — tières vénéneuses; et la réunion de toutes les connais- sances particulières sur cet objet serait loin de former un ensemble qui püt suffire à tous les cas. € Il était donc nécessaire, pour composer un livre sur cette partie, tel que les connaissances actuelles peuvent le permettre, de se livrer à une suite de recherches très-nombreuses et très-délicates : c’est ce que M. Orfila a eu le courage d’entreprendre, et ce qu’il se propose de poursuivre jusqu’au degré de per- fection qu’il lui sera possible d’atteindre. « Il décrit d’abord avec soin les caractères physiques et sensibles des poisons dans leur état naturel; il fait connaître ensuite les propriétés chimiques de ces subs- lances, en notant très-exactement les phénomènes qu’elles présentent à l’action du plus grand nombre possible de réactifs. « Mais ce qui rend cette partie de son travail plus intéressante, c’est qu’il expose les différences que le poison, mêlé à des substances alimentaires de différentes natures, présente avec les mêmes réactifs. « Les poisons se mêlant aussi dans l'estomac et les intestins à divers liquides qui en masquent les pro- priétés, soit en s’y combinant, soit en les décomposant, les recherches antécédentes de l’auteur auraient été insuffisantes pour arriver à son but, s'il n’eût pas étudié d’une manière particulière les modifications que la bile, la salive, le suc gastrique, etc., peuvent leur faire éprouver. « La partie de l’ouvrage dont nous rendons compte est aussi parfaite que les connaissances chimiques actuelles le permettent; et nous pouvons assurer que — A0i — les recherches particulières de l’auteur ont corrigé beaucoup d'erreurs anciennes, et ont ajouté un grand nombre de vérités utiles aux médecins, souvent appelés pour donner des secours aux personnes empoisonnées, aux experls, chargés par les tribunaux de juger sil y a eu empoisonnement, et dans ce cas, par quelle subs- tance il a été produit, et, en dernier résultat, à l’hu- manité tout entière. Mais l’on ne doit pas s'attendre que la partie qui traitera des poisons végétaux et ani- maux soit aussi complète, parce que la nature de ces poisons n'étant pas aussi bien connue que celle des minéraux, leur manière d’agir sur les organes est con- séquemment plus obscure, et les moyens de remédier à leurs effets bien plus difficiles : c’est cependant déjà beaucoup d’avoir ouvert la carrière, d’avoir tracé la marche et indiqué les moyens de parvenir au but. Le temps et l’expérience, il faut l’espérer, perfectionneront peu à peu cette partie importante de la Toxicologie. « La mamière dont M. Orfila a exécuté la premiére parlie de son ouvrage fait ardemment désirer qu’il traite les autres avec le même soin, et les rende publiques aussitôt qu’elles seront terminées. En attendant, nous estimons que le premier volume mérite l’approbation de la Classe. € Signé PInEL, PERCY, VAUQUELIN, Rapporteur. « La Classe approuve le rapport et en adopte les conclusions. « Le Secrélaire perpétuel, Chevalier de l'Empire, € G. CUVIER. » — 102 — On voudrait aussi oublier qu'après la publication du 2e volume le même rapporteur disait : € Il y a environ deux ans que nous avons rendu compte à la Classe de la première partie de cetouvrage, qui avait pour objet de connaître les effets des poisons minéraux, et les moyens d'y remédier. € Depuis cette époque, M. Orfila a poursuivi avec une constance et un courage dignes d’éloges les recherches sur les effets des poisons végétaux et animaux, et ce sont les résultats de ce nouveau travail qu’il soumet aujourd’hui au jugement de la Classe. Quoique l’action plus complexe des poisons végétaux et animaux sur l’économie vivante soit beaucoup plus difficile à appré- cier que celle des minéraux, leur nature étant bien moins connue, et que conséquemment le moyen de remédier à leurs effets füt plus difficile à découvrir, cependant l’auteur, en multipliant et variant ses essais, est parvenu à des résultats plus satisfaisants qu’on n'aurait d’abord osé l’espérer. « M. Orfila ne regarde l'ouvrage qu’il présente à la Classe que comme la base d’un travail étendu qu'il se propose de poursuivre. Son intention est de comparer incessamment les effets des plantes vénéneuses de l'Afrique et du midi de l’Europe à ceux qu’il a obtenus dans notre climat. Il rassemble des matériaux pour la rédaction d’un ouvrage dont le but principal est de déterminer les cas dans lesquels les fluides des animaux vivants s’allèrent, deviennent vénéneux, et les maladies qu'ils produisent. Enfin il se propose de comparer les maladies produites par différents poisons à celles aux- quelles l’homme est habituellement sujet; chercher à — 103 — guérir constamment les premières, et, lorsqu'il aura trouvé les analogues chez l’homme, voir si l’on ne pourrait pas appliquer le même mode de traitement. « Pour composer les deux dernières parties de son ouvrage, M. Orfila à fait plus de huit cents expériences; il s’est constamment occupé de ce travail difficile pen- dant trois ans; il lui a fallu souvent passer des nuits entières pour soigner les animaux soumis aux essais, et beaucoup de courage pour surmonter le dégoût qui accompagne un aussi triste métier, enfin il a dépensé des sommes considérables pour acheter les animaux et préparer les poisons dont il a fait connaître les effets. Les deux premières parties de cet ouvrage intéressant ont obtenu le plus grand succès en Allemagne, en An- gleterre et en Italie : ces nations ont confirmé le juge- ment que l’Institut en avait porté, comme on peut le voir dans les journaux scientifiques qui en ont rendu compte. « Nous espérons que ces deux dernières parties, non moins intéressantes, et qui ont exigé encore plus de sagacité et de soins, ne seront pas moins bien accueillies des savants, et augmenteront l'estime que mérite son auteur. « C’est pourquoi nous proposons à la Classe d'approu- ver le nouveau travail de M. Orfila, et de permettre qu’il paraisse avec son approbation. « Signé PERCY, PINEL, VAUQUELIN, Rapporteur. « La Classe approuve le rapport et en adopte les conclusions. « Le Secrétaire perpétuel, Conseiller d'État, Chevalier de la Légion d'Honneur, G. CUVIER. » — 104 — On chercherait en vain dans ces deux rapports, qui reçurent la haute approbation de l’Institut, la moindre critique du procédé suivi par le célèbre toxicologiste. Bientôt après M. Orfila fut nommé professeur de mé- decine légale à la Faculté de Paris, et c’est après avoir pratiqué un nombre considérable de vivisections qu’il publia son traité sur la médecine légale, et qu’il commença ce magnifique enseignement qui a duré plus de quarante ans, aux constants et unanimes applaudis- sements du monde savant tout entier. Après des réclamations plus ou moins directes, plus ou moins rationnelles contre les vivisections, la Société protectrice des animaux de Londres, s'appuyant surtout sur quelques faits qui se seraient passés à l’école vété- rinaire d'Alfort, a formulé une attaque violente contre la physiologie expérimentale, telle qu’elle a été prati- quée dans les écoles françaises, et elle a présenté à l'Empereur lui-même, une dénonciation en règle contre les dissections des animaux vivants, qu’elle qualifie de pratiques abominables, de cruautés monstrueuses faisant honte à la civilisation moderne, d'oulrage à la nature et à Dieu lui-même, comprenant sans doute dans le même anathème, toutes les expériences qui ont fait faire de si grands progrès à la médecine légale, à la physiologie proprement dite, à l’art vétérinaire. Ce mémoire a été renvoyé à l’Académie impériale de médecine qui, à l’u- nanimité et sur la proposition de M. le docteur Vernois, a répondu à la lettre de M. le Ministre du commerce, par les conclusions suivantes : « 10 Il n’y a rien de fondé dans les plaintes que la Société protectrice des animaux de Londres a adressées — 105 — à S. M. l'Empereur, contre l’enseignement de la phy- siologie humaine et de la chirurgie vétérinaire en France; « 20 En conséquence, il n'y a à ce sujet aucune me- sure administrative à vous proposer ; « 30 En cas d'abus, tout le monde est d'accord pour blâmer, et rien n'autorise à prévoir; nos règlements universitaires sufliraient à rendre et à maintenir aux modes divers d'instruction donnés aux élèves, la dignité et la moralité qui ne leur ont jamais fait défaut. » Je ne connaissais point encore, Messieurs, cette déclaration de l’Académie de médecine, lorsqu’à plu- sieurs reprises, en vous rendant compte des bulletins de la Société protectrice des animaux de Paris, je réclamais de toutes mes.forces contre les prétentions injustes et erronées de nos voisins d’outre-Manche. Fort maintenant d’un aussi important appui que celui que me donne le vote de l’Académie, j'ai désiré que la Société que j'ai l'honneur de présider, conservât dans ses archives une trace de mes vives et conscien- cieuses protestalions. A. LACHÈSE. EXPOSITION UNIVERSELLE DE 186%. COMMISSION IMPÉRIALE, A Monsieur le Président de la Socièle impériale d'agri- cullure, sciences el arts d'Angers. Paris, Palais de l’industrie (Champs-Élysées), Le 29 septembre 1865. Monsieur le Président, J'ai l'honneur de vous adresser, ci-inclus, deux exemplaires du Règlement général de l'Exposition uni- verselle de 4867, délibéré par la Commission impériale et approuvé par décret de l'Empereur, en date du 12 juillet dernier. En vous adressant cette communication à une époque encore éloignée du terme fixé pour l'ouverture de PEx- position, la Commission impériale à surtout en vue la — 107 — ponctualité de tous ceux qui concourent à l’organisa- tion de cette solennité. Elle veut que l'Exposition se présente le 4er avril 1867 organisée dans ses moindres parties ; elle y voit un gage de déférence envers le pu- blic et un moyen de succès financier pour l’entreprise. J'appelle, en particulier, votre attention sur les dis- positions de l’article 28. Elles vous feront connaître quels services le corps placé sous votre présidence pour- rait rendre à l'Exposition, dans le cas où ferait défaut l’initiative des producteurs agissant à ütre individuel. Le principal de ces services consisterait à organiser des installations collectives de produits locaux, en ré- clamant au besoin le concours du Comité départemental. L'expérience commencée à Paris en 1855 par la Chambre de commerce de Lyon, continuée à Londres en 1869, par plusieurs groupes de fabricants et d'agriculteurs, a montré l'utilité de ces dispositions d'ensemble. En laissant à chacun son individualité, ce système attribue à un représentant de l'association le soin de distribuer les produits d’une même industrie sous une même vi- trine ou dans une même salle. Elle réduit les frais dans une proportion notable et elle donne à chaque producteur, par une meilleure répartition de l’espace, les moyens d'exposer un plus grand nombre d’objets. D'un autre côté, la réception des colis, confiée à un agent spécial, se fait avec plus d’ordre, dans des condi- tions meilleures de surveillance et de célérité. Le clas- sement des objets, groupés avec harmonie dans l’em- placement commun, présente un éclat qui frappe le visiteur et lui donne une plus haute idée de la puis- sance productive de la localité. SOC. D’AG. 8 108 En outre, la Commission impériale trouve dans les représentants délégués auprès d’elle, par les localités, un concours dont elle a pu apprécier la valeur. Nul autre “mieux qu’un chef d'industrie, désigné par ses confré- res, ne peut adresser un appel efficace aux producteurs de la même spécialité, exciter leur émulation, leur faire comprendre qu’ils ont à conquérir dans cette jutte le rang qui leur est dû. Investie du droit supérieur d'intervention, la Com- mission impériale n’en veut user que lorsque ce concert n’aura pas pu se produire parmi les producteurs de la même classe. Elle se croit moins compétente qu'eux pour apprécier leurs intérêts communs et veut éviter de s’en faire juge. Bornant autant que possible son ac- tion à des mesures d'ordre et d'équité, elle demande à la France de faire par elle-même, sous ces garanties, l'exposition de ses œuvres. Je viens, au nom de la Commission impériale, vous prier, Monsieur le Président, d’user de votre influence pour donner la plus grande publicité possible à la pré- sente lettre et aux articles du Règlement général qui se rapportent à l’organisation la plus convenable des intérêts locaux. Je vous prie également de vouloir bien me donner, en ce qui concerne l'Exposition universelle de 1867, les conseils que pourront vous suggérer la connaissance de ces intérêts et le désir de les associer, plus que jamais, dans celte circonstance mémorable, aux intérêts généraux de l’Empire. Recevez, Monsieur le Président, l’assurance de ma considération la plus distinguée. Le conseiller d'Etat, commissaire général, F. LE Pray. — 109 — EXTRAIT DU RÉGLEMENT GÉNÉRAL. PREMIÈRE SECTION. DISPOSITIONS GÉNÉRALES ET SYSTÈME DE CLASSIFICATION. Article 4er. — L’Exposition universelle, instituée à Paris pour l’année 1867, recevra les œuvres d'art et les produits de l’agriculture et de l’industrie de toutes les nations. Elle aura lieu au Champ de Mars, dans un édifice temporaire. Autour du Palais de l'Exposition sera dis- posé un Parc destiné à recevoir les animaux et les plantes à l’état vivant, ainsi que les établissements et les objets qu’il n’est pas possible d’installer dans l’édi- fice principal. L’Exposition ouvrira le 1er avril 1867, et fermera le 31 octobre de la même année. Art. 2. — L'Exposition universelle de 1867 est placée sous la direction de la Commission impériale, insti- tuée par le décret du 1er février 1865. Le Commissaire général, nommé par le même décret, est chargé de procéder à l'exécution des mesures adop- tées par la Commission impériale. Art. 3. — Dans chaque département de l'Empire français, la Commission impériale constituera;® avant le 25 août 1865, un Comité départemental, qui aura pour mission : 19 De faire connaître dans toute l’étendue du dépar- tement les mesures concernant l’organisation de l’expo- — 110 — sition, et de distribuer les formules de demandes d’ad- mission ainsi que les autres documents émanant de la Commission impériale ; 2 De signaler, avant le 31 octobre 1865, les princi- paux artistes, agriculteurs et manufacturiers, dont l'admission à l'Exposition universelle semblerait parti- culiérement utile à l'éclat de cette solennité; 90 De provoquer, comme il est dit à l’article 29, les expositions des produits agricoles du département ; 4° D'instituer une commission de savants, d’agricul- teurs, de manufacturiers, de contre-maîtres et autres hommes spéciaux, pour faire une étude particulière de l'Exposition universelle et pour publier un rapport sur les applications qui pourraient être faites, dans le département, des enseignements qu’elle aura fournis : 90 De préparer, par voie de souscription, de colisa- tion et par toutes mesures, la création d’un fonds, des- tiné à faciliter la visite et l’étude de l'Exposition uni- verselle aux contre-maîtres, cultivateurs et ouvriers du département, et à subvenir aux frais de publication du rapport mentionné ci-dessus. Art. 11. — Dans chaque section consacrée aux expo- sants d’une même nation, les objets seront répartis en 10 groupes et en 95 classes, savoir : 1er Groupe. — Œuvres d'art. (Classes 1 à 5.) 2e Groupe. — Matériel et applications des arts libé- raux. (Classes 6 à 13.) 3e Groupe. — Meubles et autres objets destinés à l'habitation. (Classes 14 à 26.) le Groupe, — Vêtements (tissus compris) et autres objets portés par la personne. (Classes 27 à 39.) screens smimtt +< — 111 — 0€ Groupe. — Produits (bruts et ouvrés) des indus- tries extractives. (Classes 40 à 46.) 6e Groupe. — Instruments et procédés des arts usuels. (Classes 47 à 66.) 7e Groupe. — Aliments (frais ou conservés), à divers degrés de préparation. (Classes 67 à 73.) 8e Groupe. — Produits vivants et spécimens d’éta- blissements de l’agriculture. (Classes 74 à 82.) 9% Groupe. — Produits vivants et specimens d’éta- blissements de l’horticulture. (Classes 83 à 88.) 10e Groupe. — Objets spécialement exposés en vue d'améliorer la condition physique et morale des popu- lations. (Classes 89 à 95.) Les objets qui se rapportent à ces groupes sont indi- qués en détail dans le système de classification (Pièce B) annexé au présent Règlement. La Commission impériale, afin de tenir compte des observations qui lui seraient adressées par les expo- sants français et les Commissaires étrangers, se réserve d’éclaircir, dans les éditions successives de ce document, les doutes que la première rédaction pourrait soulever. Art. 12. — Aucune œuvre d’art, aucun produit ex- posé dans le Palais ou dans le Parc ne peut être dessiné, copié ni reproduit sous une forme quelconque, sans une autorisation de l’exposant qui en est l’auteur. La Commission impériale se réserve d’autoriser la repro- duction des vues d'ensemble. Art. 13. — Aucune œuvre d'art, aucun produit ex- posé ne peut être retiré avant la clôture de l’Exposi- tion sans une autorisation spéciale de la Commission impériale. — 112 — Art. 14. — Les exposants français ou étrangers n’ont à payer aucun loyer pour la place qu’ils occupent à l'Exposition; mais tous les frais d'installation et de dé- coration, dans le Palais ou dans le Parc, sont à leur charge. Art. 15. — Les Français et les étrangers, en accep- tant la qualité d’exposant, déclarent, par cela même, adhérer aux dispositions du présent Règlement. Art. 16.— La Commission impériale correspond avec les Préfets et autres autorités de l’Empire français par l'intermédiaire du Président ou du Commissaire gé- néral. Art. 17. — Toute communication relative à l’Exposi- tion doit être adressée à M. le conseiller d'État, Com- missaire général de l'Exposition universelle de 1867, à Paris. DEUXIÈME SECTION. DISPOSITIONS SPÉCIALES AUX ŒUVRES D'ART. Art. 48. — Sont admissibles à l'Exposition les œuvres des artistes français et étrangers exécutées depuis le er janvier 1855. Art. 19. — Sont exclus : lo Les copies, même celles qui reproduisent un ou- vrage dans un genre différent de celui de l'original; 20 Les tableaux à l'huile, miniatures, aquarelles, pastels, dessins et cartons de vitraux et de fresques, lorsqu'ils ne sont pas encadrés; 30 Les sculptures en terre non cuite. Art. 20. — La Commission impériale statue, avec le — 113 — concours d’un Jury spécial, sur l’admission des œuvres des artistes français. La composition et la nomination de ce Jury, ainsi que les formalités qu’auront à remplir les Français pour demander l'admission d’une œuvre d’art à l'Exposition, seront fixées par un règlement ultérieur; ce règlement fera connaître le mode d’expédition et de réception des œuvres d'art. Art. 21. — La Commission impériale notifiera aux intéressés, avant le 1er janvier 1867, les décisions qu’elle aura prises sur les demandes d'admission concernant les œuvres d'art. Art. 22. — Il sera statué ultérieurement sur le nombre et la nature des récompenses qui pourront être décer- nées au sujet des œuvres d’art, ainsi que sur la consti- tution du Jury international qui sera appelé à les juger. TROISIÈME SECTION. DISPOSITIONS SPÉCIALES AUX PRODUITS DE L'AGRICULTURE ET DE L'INDUSTRIE. TITRE PREMIER. ADMISSION ET CLASSEMENT DES PRODUITS. Art. 95. — Sont admissibles à l'Exposition tous les produits de l’agriculture et de l’industrie, sauf les ex- ceptions «et les réserves mentionnées à l’article suivant. Art. 24. — Sont exclues les matières détonantes, ful- minantes et toute autre matière jugée dangereuse. Ne sont reçus que dans des vases solides, appropriés yum et de dimensions restreintes, les esprits ou alcools, les huiles et les essences, les matières corrosives et géné- ralement les corps qui peuvent altérer les autres pro- duits exposés ou incommoder le public. Les capsules, les pièces d'artifice, les allumettes chi- miques et autres objets analogues, ne peuvent être reçus qu’à l’état d'imitation et sans aucune addition de matière inflammable. Art. 25. — Les exposants de produits incommodes ou insalubres doivent se conformer en tout temps aux mesures de sûreté qui leur sont prescrites. La Commission impériale se réserve le droit de faire retirer les produits de toute provenance qui, par leur nature ou leur masse, lui paraîtraient nuisibles ou in- compatibles avec le but et les convenances de l’Expo- sition. Art. 26. — Avant le 15 août 1865, la Commission impériale notifiera aux Commissions étrangères l’es- pace accordé à chacune d’elles pour exposer les pro- duits de ses nationaux. Avant le 25 août 1865, la Commission impériale pu- bliera un tableau des espaces attribués, dans l’empla- cement. de la section française, à chacune des classes 6 à 73, indiquées à l’article 11. Art. 27. — Après cette publication, les producteurs français exerçant les industries comprises dans une même classe sont invités à s'entendre entre eux pour faire un projet d'installation dans l’emplacement qui aura été affecté à leur classe. S'ils se sont mis d'accord sur le choix des exposants que cet emplacement permet. d'admettre, et sur l’espace qui devra être alloué à — 115 — chacun d'eux, ils désigneront un ou plusieurs délégués pour prendre les informations nécessaires auprès de la Commission impériale, lui soumettre leur plan et leur liste d’exposants, et, en général, représenter auprès d’elle les intérêts communs de ces derniers. Art. 28. — À défaut des réunions spontanées pré- vues à l’article précédent, les autorités municipales des centres manufacturiers, les chambres de commerce, les chambres consultatives des arts et manufactures, les sociétés artistiques ou industrielles, les sociétés et comices agricoles, sont invités à provoquer le concert des producteurs de leur circonscription. Art. 29. — Les comités départementaux (art. 3) re- cevront dé la Commission impériale et communiqueront aux chambres consultatives d'agriculture, aux sociétés et aux comices agricoles du département, les plans adoptés pour représenter l’agriculture des diverses ré- gions de la France, afin qu'ils concourent à la réalisa- tion de ces plans. Ils inviteront surtout ces sociétés et ces comices à préparer des expositions collectives des iypes d’animaux et de plantes, d'établissements ruraux et d'usines agricoles. Les comités départementaux d’une grande région agricole se concertent, autant que possible, pour re- présenter, sans double emploi, les traits caractéristi- ques de cette région. Art. 30. — Les demandes d'admission se rapportant aux installations mentionnées aux articles 27, 28, 29, sont faites par les délégués des intéressés qui se sont entendus, ou par ceux des corps ou sociétés qui en ont pris l'initiative. À cet effet, les délégués feront remplir et — 116 — signer par chaque exposant, en double expédition, la de- mande d'admission, dont le modèle (Pièce GC) est annexé au présent Réglement. Ils adresseront ces demandes au Commissaire général, à Paris (art. 17). Art. 31. — Toute installation préparée, soit par une entente spontanée des producteurs d’une même classe, soit sous l’influence des comités départementaux, des autorités municipales, des chambres de commerce, des chambres consultatives, des sociétés ou comices agri- coles, des sociétés artistiques ou industrielles, sera acceptée par la Commission impériale, si aucune récla- mation ne se produit, et si, d’ailleurs, les convenances générales de l'Exposition sont observées. Art. 32. — Les exposilions ainsi conçues eñ commun se composent d'installations individuelles et distinctes, à moins qu’il ne convienne à tous les intéressés de faire une exposilion réunissant, sans désignation de personnes, les produits d’une localité ou d’une région. Art. 33. — Dans le cas des dispositions faites con- formément aux articles 27, 98 et 29, les producteurs qui auraient à présenter une réclamation l’adresseront directement au Commissaire général, qui la soumettra à la Commission impériale. Art. 34. — Dans le cas où le concert prévu par les articles 27, 28 et 29 n’aurait pas eu lieu, les producteurs remplivont et signeront individuellement deux expédi- tions de la demande d'admission (art. 30); ces deux expéditions seront adressées au Commissaire général, à Paris (art. 17). Art. 35. — Les demandes d'admission, les réclama- tions et toutes les pièces qui s y rapportent, doivent — 117 — être adressées à Paris, avant le 31 octobre 1865. Passé cette date, toute demande ou réclamation ne pourra être accueillie que par décision spéciale de la Commission impériale. Art. 36. — Les constructeurs d'appareils exigeant l'emploi de l’eau, du gaz ou de la vapeur, doivent dé- clarer, en faisant leur demande d'admission, la quan- tité d’eau, de gaz ou de vapeur qui leur est nécessaire. Ceux qui veulent mettre des machines en mouvement indiqueront quelle sera la vitesse propre de chacune de ces machines et la force motrice dont elle aura besoin. Art. 37. — Des Comités d'admission, institués par la Commission impériale, pour les neuf groupes de l’agriculture et @e l’industrie (art. 11); donnent leur avis sur les demandes individuelles d'admission et sur les réclamations mentionnées à l’article 33. La Commission impériale prononce seule l'admission des exposants. Art. 38. — Chaque exposant français recevra, avant le 31 décembre 1865, un bulletin d'exposant portant son numéro d'ordre, les dimensions de l’espace mis à sa disposition et l'adresse qui devra être placée sur les colis à expédier. TITRE IT. ENVOI, RÉCEPTION ET INSTALLATION DES PRODUITS AU PALAIS ET DANS LE PARC. Art. 39. — L’emballage et le transport des produits envoyés à l'Exposition et des produits qui y ont figuré, sont à la charge des exposants, tant pour l’aller que pour le retour. Art. 40. — Les colis d’origine française renfermant — 118 — des produits destinés à l'Exposition, doivent porter, comme marques, les lettres KE. U. entourées d’un cercle ; ils portent, en outre, le numéro d'ordre de l’exposant et l’adresse à l'Exposition, telle qu’elle est indiquée sur le bulletin d’exposant (art. 38). La lettre de voiture accompagnant le colis répétera avec le nom de l’exposant ce numéro d'ordre et cette adresse, L’expéditeur devra fixer sur deux des faces du colis l'étiquette qui lui aura été envoyée en double, à cet effet, par les soins de la Commission impériale. Art. 41. — Pour ce qui concerne l'expédition et la réception des produits, la Commission impériale s’abs- tient de toute. immixtion entre les entrepreneurs de transport et les exposants. Les exposants doivent en conséquence pourvoir, soit par eux-mêmes, soit par leurs agents, à l'expédition el à la réception des colis et à la reconnaissance de leur contenu. Si le destinataire ou son agent n’est pas présent pour recevoir les colis à leur arrivée dans l’enceinte de lExposition, l'entrepreneur de transport est tenu de les remporter immédiatement. Art. 46. — La Commission impériale fournit gra- tuitement l’eau, le gaz, la vapeur et la force motrice pour les machines qui ont donné lieu à la déclaration mentionnée à l’art. 36. Cette force est, en général, transmise par un arbre de couche dont la Commission impériale fera connaitre, avant le 51 décembre 1865, le diamètre et le nombre de tours par minute. Les exposants ont à fournir la poulie sur l'arbre de — 119 — couche, les poulies conductrices, l'arbre de (ransmis- sion intermédiaire destiné à régler la vitesse propre de l’appareil, ainsi que les courroies nécessaires à chacune de ces transmissions. Les machines à vapeur qui devraient être alimentées par leurs propres chaudières, ne pouvant être exposées dans le Palais, seront l’objet d'instructions spéciales. Art. 47. — Tous les autres frais tels que : manu- tention dans l’exposition, réception et ouverture des colis, enlèvement et conservation des caisses et em- ballages, construction des tables, estrades, vitrines ou casiers, installation des produits dans le Palais et dans le Parc, décoration des emplacements, réexpédition des produits, sont à la charge des exposants, tant français qu’étrangers. TITRE HI. ADMINISTRATION ET POLICE. Art. 53. — Les produits sont exposés sous le nom du producteur. Ils peuvent, avec l'agrément de ce der- nier, porter, en outre, le nom du négociant qui en est le dépositaire habituel. La Commission impériale se concerte au besoin avec des négociants pour faire figurer sous leur nom, à l'Exposition, des produits qui ne seraient pas présentés par les producteurs. Art. 5%. — Les exposants sont invités à inscrire à la suite de leur nom ou de leur raison sociale, les noms des personnes qui ont contribué d’une manière spéciale au mérite des produits exposés, soit à litre d’inventeur, soit par le dessin des modèles, soit par les procédés — 190 — d'exécution, soit par l’habileté exceptionnelle du travail manuel. Art. 55. — Le prix de vente au comptant et le lieu de vente peuvent être indiqués sur les objets exposés. Cette indication est exigée pour tous les objets com- pris dans la classe 91. Dans toutes les classes, les prix, s'ils sont indiqués, sont obligatoires pour l’exposant, vis-à-vis de l'acheteur, sous peine d’exclusion du con- Cours. Les objets vendus ne peuvent être enlevés avant la fin de l'Exposition, à moins d’une autorisation spéciale de la Commission impériale. Ari. 96. — La Commission impériale prendra les mesures nécessaires pour garantir de toute avarie les produits exposés; mais elle ne sera, en aucune façon, responsable des incendies, accidents, dégâts ou dom- mages dont ils auraient à souffrir, quelle qu’en soit la cause ou l'importance. Elle laisse aux exposants le soin d'assurer leurs produits, directement et à leurs frais, s'ils jugent à propos de recourir à cette garantie. Elle fera surveiller, par le personnel nécessaire, les produits exposés, mais elle ne sera pas responsable des vols et détournements qui pourraient être commis. Art. 8. — Une carte d’entrée gratuite à l'Exposition est délivrée à chaque exposant. Cette carte est per- sonnelle. Elle est retirée, s’il est constaté qu’elle a été prêtée ou cédée à une autre personne, le tout sans préjudice des poursuites de droit. Pour assurer cette partie du service, la carte d’en- trée est signée par le titulaire. Celui-ci est tenu d’en- trer par des portes déterminées, et il peut être requis | | — 191 — d'établir son identité en apposant sa signature sur une feuille de contrôle. Art. 64. — Des conférences et des démonstrations pourront être faites dans les diverses parties de l’Ex- position. Des cours et des lectures pourront être, en outre, organisés dans une salle construite à cet effet. Ces divers enseignements ne pourront être donnés qu'en vertu d’autorisations personnelles délivrées par la Commission impériale. TITRE IV. CLOTURE DE L'EXPOSITION ET ENLÈVEMENT DES PRODUITS. Art. 65 — Aussitôt après la clôture de lExposi- tion, les exposants doivent procéder à l’emballage et à l'enlèvement de leurs produits et de leurs installa- tions. Cette opération devra être terminée avant le 30 no- vembre 1867. Passé ce terme, les produits, les colis et les installa- tions qui n'auraient pas été retirés par les exposants ou leurs agents, seront enlevés d'office et consignés dans un magasin publie, aux frais et risques des ex- posants. Les objets qui, au 30 juin 1868, n'auraient pas été retirés de ce magasin, seront vendus publique- ment; le produit net de la vente sera appliqué à une œuvre de bienfaisance. QUINZE JOURS EN NORMANDIE JUMIÈGES. DUCLAIR, BARENTIN. De Rouen au Havre, 16 août 1863. Le fidèle sort de ses foyers, il ne peut sortir de l’É- glise ; l’Église le suit et l’enveloppe; si loin qu’il aille, il traîne sa chaîne avec lui; chaîne d’or il est vrai, chaîne des prescriptions, de plus en plus inconciliables avec le régime actuel des voyages : fêtes, vigiles, absti - nences, contre-temps de halte ou de route, jetés à la traverse de ses plaisirs ou de ses besoins. Ce dimanche par exemple, le bateau partant au lever de l’aube pour n’arriver au Hâvre qu’à deux heures, force nous sera de débarquer à Jumièges. L'idéal eût été d'y relâcher ; faute de quoi, nous ferons de néces- sité plaisir; de Jumièges, où nous attend la messe, nous irons demander à Duclair la route de Barentin où nous trouverons- le train du Hâvre. Les sinuosités de la Seine, sur la carte de Cassini, ne le cèdent guère à celles du Serpentaire sur l’atlas céleste de Flamsteed. En approchant de la mer il semble que, loin de dimi- nuer, ses nœuds se compliquent et se multiptent, — 193 — comme si, par un secret instinct, elle voulait échapper à l'absorption qui la menace. Par suite de l’omission d’un de ces mille petits détails d’où dépend la fortune d’un voyage, nous plongeons et remontons du pont à la cabine et de la cabine au pont, soucieux, affairés, haletants, les yeux fermés à cette série de villages qui passent devant nous avec leurs formes, leurs figures, leurs positions, leurs mirages divers. La sécurité ne nous prend qu’en face de Duclair. Nous reverrons Duclair ; mais qui nous rendra Hautôt, la Bouille, ce proverbe de Rouen, Jahurs, Quevillon, Yville? Les en- lacements du fleuve toujours captif, et qui ne s’é- chappe que pour semprisonner encore, produisent l'illusion d’un lac incessamment renouvelé. Les cônes s’entrecoupent et les ondulations se succèdent comme des vagues terrestres qui se pressent des deux côtés ; il semble que la mer, qui de loin la convoite, se moule déjà sur ses rives. À gauche, à droite, derrière et de- vant nous, partout des arbres; leur verdure se détache sur les flancs crayeux des collines qui ressortiraient mieux sur un fond de ciel moins serein. Les tours de Jumièges, blanches encore après tant de siècles, appa- raissent en ruines entre les ruines de deux forêts, la forêt de Jumièges et la forêt Brotonne. — Stop! et nous débarquons à l’encontre de la voie par laquelle Rollon débarquait, il y a neuf siècles. Ce serait ici le lieu de stigmatiser les abus du tyran, passeur de la rive; mais le double courant du fleuve et du temps les emporte ; aussi bien il faut laisser quel- que surprise à ceux qui passeront après nous. L’abord de l’abbaye est des moins pittoresques. Vous SOC. D’AG. 9 vous la figurez isolée et perdue au milieu des landes et des bois, — anachronisme! On sonne à une maison moitié neuve, moitié restaurée. On inscrit à la plume sur les pages d’un album le nom qu’on eût inscrit à la pointe du couteau sur la pierre vénérable des ruines. Une gardienne vous mène à travers cours et jardins jusqu'aux murs effondrés de la basilique ; là, français elle vous lâche, anglais elle vous épie et vous escorte pas à pas. En peu d’instants, jardins, cour, maison, tout s’éva- nouit, la perspective des lieux se met d’accord avec celle des siècles. L’illusion n’a plus d’obstacle que celui que nous nous faisons réciproquement. Cela même dure peu, un instinct naturel de solitude et de silence nous disperse, el chacun de nous se dérobe aux autres sous des pans de murailles et des masses de végéta- lion. En voilà du roman, nous en demandions ; le cintre règne avec ses fiers piliers, ses archivoltes rele- vés de zigzags et de billettes, ses chapiteaux mons- trueux, tout ce cortége d’ornementalion farouche, dont le style ogival du chapitre et de la sacristie, annexés aux murs de l’église, ne fait que mieux ressortir l’étran- geté. L’un de nous se perd à plaisir dans limmensité d’un ensemble où les brèches de la pierre se compensent et se rachètent par une exubérance ‘de feuilles et de ra- meaux. {l se reporte au temps où les voix de huit cents religieux, agenouillés dans cette nef, ont dû faire écla- ter ses voûtes en s’élançant d’un seul jet vers le ciel. Puis, comme le plus cher et le plus émouvant des passés, c’est toujours le nôtre, il retourne aux souvenirs plus — 195 — récents et pourtant si lointains de sa jeunesse, où le sentiment des ruines s’éveillait au cœur de la France, sans grand discernement de style ni d'époque, mais avec une fraicheur d'enthousiasme incompatible avec la science de nos jours. En ces jours-là Nodier déeri- vait avec moins de précision peut-être que de poésie les monuments de l’Ancienne France, que ses naïfs dessinateurs ne savaient pas photographier encore. — Plus curieux de détails, un autre s'attache avidement au symbolisme des figures rangées en modillons ou scellées aux retombées des arceaux en mille sortes d’at- titudes hiératiques; le problème se complique de la pré- sence d’une fresaie penchée sur la corniche et qu’ébor- gne un rayon de soleil. — Le troisième Dans la tour monte Si haut qu'il peut monter, Et si loin queses regards se projettent, ilne peut em- brasser le cercle des domaines de l’abbaye qui $’éten- daient jadis de Duclair à Quillebœuf. Ce n’est que dans l’abside, au point de rencontre de deux tombeaux, que la jonction de nos trois voyageurs s’opère. Le plus jeune, penché mélancoliquement sur la pierre des Enervés, compatissait aux infortunes que la légende leur a faites. Debout devant la statue couchée d’Agnès Sorel, le plus vieux semblait se dire: la maîtresse du roi a deux mausolées, l’un ici, l’autre à Loches; mais de celle qui l’aima pour l'amour de la France, jusqu’à la flamme du bûcher, ilne reste pas même un peu de cendre. — 196 — Quand nous quittâmes l’abbaye, le soleil planait sur ses tours; et telle était à cette heure la magie de ses ruines, que je me demande encore ce que la lune y eût ajouté de prestige à l'heure la plus rêveuse de la nuit. Après huit jours d'hôtel, qu’on s’attarde divinement à une auberge de village, si les coquetiers sont de bois, si les verres évasés et maigres sont à côtes, si l’on voit s’ébaucher, au fond des assiettes de terre, des chimères de fleurs et d'oiseaux, si le pain un peu bis correspond à la nappe écrue, et si le maître, absorbé dans l’hon- neur de votre visite, vous fait deux réponses par ques- ton! — Combien d'ici Duclair? — Huit kilomètres; et d'ici Vainville, par où vous passerez, trois kilomètres seulement. — À quand la messe d’Yainville ? — Dam! plus tôt que plus tard. Monsieur lecuré n’aime pas attendre; je ne m’y fierais pas. Tandis qu'ici rien ne vous hâte ; vous avez tout le loisir de voir le portrait de sainte Austreberthe et de son loup, représentés sur un pilier de l’église au naturel. — Eh bien! va pour Yainville ; nous y ferons halte à la grand’messe, et l’on nous réchauffera le café de Ju- mièges — à Duclair. Jamais conclusion ne faillit si inopinément aux pré- misses. Notre hôte n’en revenait pas; il nous croyait à lui, il nous perdait. Debout et pétrifié sur le seuil de sa porte , il nous suivit du regard jusqu’à perte de vue dans la plaine. — 197 — Nous cheminâämes rondement, l’œil en quête et l’o- reille au guet. La cloche se balançait, comme eût dit l’auteur des Jardins, pour la deuxième fois à la tour romane d'Yainville (il n’eût pas dit romane, gothique suffisait alors), quand nous tombâmes à l’improviste sur le village enfoui dans un pli de vallon. Des fidèles, assis dans le cimetière, attendaient, sperabunt ; et ce repos de quelques minutes sur le théâtre du repos éternel remuait en nous plus d’une pensée. La messe les mürit etles développa. S'il est doux de prier dans une église accoutumée, il est sain d'en changer et de se dérober par instants aux influences quotidiennes, afin de mieux dégager l’idée immuable et infinie de tout contact ex- térieur. Que ne sommes-nous pareils à cette pauvre femme agenouillée, la tête dans sa cape, et pour qui Dieu est si visible qu’elle converse: avec lui sans la moindre per- ception des voûtes ni des colonnes sous lesquelles sa divinité s’abrite ! Au sortir du village, il nous fallut remonter. Or telle est, en ce point, la complication du nœud formé par les enroulements de la Seine, qu'après lavoir laissée à plus d’une lieue derrière nous, nous la pouvions re- trouver aux deux extrémités du chemin qui coupait le nôtre en ligne droite. Nous tournâmes à l’est, car, par une singularité de plus, pour gagner le Hävre, il fallait nous rapprocher de Rouen. | Le soleil ardait; il ne montait de nuages au ciel que des nuages de poussière. Courage, mes amis, cette poussière, cette chaleur, comme nous les regretterons un jour qu'attristés par l'hiver et désunis par la dis- — 198 — tance, nous grelotterons sur nos chenets! Voyez-vous la rivière qui brille! Allons y boire. Cest Duclair qu’elle baigne, au pied de cette masse granitique qu’ils nomment chaire de Gargantua. Duclair atteint, nous longeons à trois reprises l’é- troite bande qui sépare de l’eau la façade de ses mai- sons. Nous allions et venions d’un café, d’une au- berge à l’autre, les parangonnant tous à l’irréalisable exemplaire que notre imagination nous créait. Bref, de guerre lasse et tête baissée nous enfilons le premier porche qui vient à s'ouvrir devant nous. Le choix nous eüt trahis peut-être, le hasard nous sauva. Hoc erat in votis. Que de fois j'avais rêvé d’un vil- lage au levant, propre et gai, bien loin de la ville, un côteau derrière, et les pieds dans l’eau; être assis là, füt-ce une heure, entre ceux que j'aime, fumant et de- visant de la nature et de Part, tandis qu’en face de nous les bateaux montent et descendent ! Mon rêve était coupé : c'était cela, mais relevé encore par un rare concours d'incidents et de localités. La fatigue du trajet, mêlée à la satisfaction d’un itinéraire accompli, consacrait le spectacle et en déterminait le point de vue. Le dimanche, la nature se dilate et s’épanouit ; un arome de fête s’exhalait du paysage où les ondulations de la cloche atténuaient les ardentes vibrations de la lumière. Notez que ce flot paisible, que n’inquiétait nul reflux, n’en trahissait pas moinsle voisinage de l'océan par des images inattendues ; l’on voyait se croiser des gabarres et des chalands avec des chasse-marée et des lougres. Toutes les nouvelles du monde, et les caprices, et — 199 — les humeurs, et les chimères qu’elles reflètent, étaient ici comme si elles n'étaient pas... Un journal prés de nous. —Que m'importait ce journal, décacheté de la surveille, replié en chiffon et rejeté là sur une ta- blette ? Quelle fantaisie me prit de le déplier à mon tour et d’en interroger dédaigneusement les pages ? « Nécrologie : M. Eugène Delacroix. » Gette nouvelle me tomba sur le cœur et me brisa les jambes; c'était la hache de mon voyage. Lui mort, la vie, la flamme! Tandis que nous étions haletants, il ya trois Jours, au musée de Rouen, devant l’une de ses plus belles toiles, il expirait. Deux de nous, il y a huit semaines, lui ont serré la main, les derniers pent-être qui, de son plein vivant, l’aient serrée. Il partait pour les champs où sa poitrine malade allait chercher un air meilleur. Son visage était hâve, sa toux sèche et réitérée ; les phalanges de ses doigts crispés et amaigris craquaient sous la pression des nôtres. On l'avait vu tant de fois ainsi depuis dix ans, épuisé, assombri, se rallumer tout à coup comme à la flamme de son génie, qu’on espérait, — à tort hélas! deux fois à tort! Sa destinée était de mourir jeune, car quel que fût son âge, il était jeune. La voix, le port, le geste, rien en lui ne sentait les années; pas un de ses cheveux n’avait blanchi, malheur, sans doute, car les avertissements ne sont pas à redouter. Il est mort de phthysie, comme ceux qui disparaissent lôt, abusé, plein de projets, winterrompant son œuvre que pour la reprendre au premier soleil. Je le fréquentais peu au début de notre connais- sance, ce fier et orageux talent m’intimidait. Ce n’est — 130 — qne plus tard, à l’expiration des grandes luttes où re- tentissait si haut son nom, les troupes licenciées, la génération renouvelée, que je me mis peu à peu à l'aise vis à vis de lui. Les souvenirs du passé rappro- chent ; en se retournant en arrière, ces glorieux com- battants des causes reposées s’inclinent; le fond de leur cœur s’entrouvre, et leur humanité se produit. À ce signe indubitable, les petits s’enhardissent, les plus humbles champions sont au maître, comme au général le soldat, qui dit nous en lui touchant la main eten cau- sant avec lui de leurs campagnes et de leurs victoires. Dans l'insurrection romantique, son rôle intrépide et brillant ne fut pas sans quelque rapport avec celui de Charette. Il commença de meilleure heure et finit plus tard. Comme lui, guerroyant dans sa force et à l’écart, il ne se rattacha que de lon au mouvement général de l'armée. Comme lui, indéfectible, jamais lassé, jamais vaincu, d’une ténacité égale à ses ressources, il tint quarante ans en haleine l’ennemi qu'il défiait encore il y a trois mois, et sous les pieds duquel ses œuvres éclataient comme des bombes. Quand je dis l'ennemi, et quand je parle de batailles, Jobéis malgré moi au préjugé de l’opinion qui jamais ne manqua de prendre le change sur son compte ; le public force tout et défigure le plus souvent; ce qu'il lui faut, myope qu'il est, ce sont des airs rébarbatifs, des rôles déclamés, des attitudes offensives. À vrai dire, tant de haines et de tempêtes soulevées depuis le ta- bleau du Dante jusqu'aux fresques de Saint-Sulpice ont pu faire croire à autant de défis et de gageures que de pages signées : Eugène Delacroix. Erreur ! Cette im- — 131 — pression, d’ailleurs inconciliable avec l'effet vrai de sa peinture, se rectifiait bien vite à son contact personnel. A le voir et à l'entendre, la fantasmagorie se dissipait devant une vérité qui ne manquait assurément ni de séduction ni de magie. C’était dans les salons où son esprit, recherché des femmes, pétillait de verve et d’enjouement, que ce corsaire, ce giaour, cherchait ses récréations de la veillée. C’est en habit de ville que peignait ce romantique à (ous crins, d’un poignet ner- veux, bondissant et crispé par les impatiences de sa brosse. Get ébaucheur de toiles ne pouvait réaliser à son gré, sous une forme assez exquise, les sentiments el les idées qui faisaient le rêve de ses nuits. Cet exo- tique trouvait des longueurs dans Shakespeare, et goû- tait Racine en lettré. Au fond de ses plus pathétiques effets respirait une simplicité cachée. Les données vives, les motifs jaillissants lattiraient. Pour une source, il eût cheminé plus loin, dans ce désert d’ima- ges et de sentiments où nous vivons, que ces tribus arabes qu'en ses voyages d'Orient il vit marcher vers les ruisseaux dans l’aridité des sables. Sobre de méta- phores, et d’un vocabulaire restreint, c’est par l'accent, le geste, le jeu de la voix, le tour vif et imprévu de la phrase que sa conversation étincelait. Là, près de lui, que de mystifications et de mécomptes pour de vul- gaires admirateurs !Que de dédains maladroits, que d’as- similations étourdies! — Cest qu’il était d’un monde plus que d’un temps, libre en cela des solidarités de secte ou d'école où l’on voudrait le confiner. Qui ne se rappelle la mâle contenance de son œuvre au salon de 1855, où sombrèrent tant de renommées ? L'épreuve — 132 — était suprême; le cap terrible fut doublé hautement et à toutes voiles. Jamais n’apparut mieux qu’alors la- bime qui sépare le talent de vogue et de saison de lo- riginalité puissante et souveraine. Pour latteindre, l'envie, qu’il ne connut jamais, eût eu à traverser deux obstacles : son culte de l’art, plus fort que l'amour de lui-même, et le tourbillon propre où sa riche et féconde imagination l’enveloppait. Je vois encore jaillir de ses yeux couverts et bridés les deux éclairs qui mettaient le feu à sa palette. Privilége de la mort! 11 n’y a si vive et si nette représentation que de celui que l’on vient de perdre ; ainsi m’appa- raît-1l, par phase et par étape, dans chacun des neuf ateliers où le poussa et d’où le délogea tour à tour son humeur inquiète et mobile. Il trouvait fond et jetait l'ancre, quand la mort le déracina. Cet homme était la peinture même; elle et lui ne faisaient qu'un. « Dans la joyeuse saison, quel bon- heur, disait-il, de rentrer à Paris, chaque matin, refail par Pair des champs, pour y reprendre sa besogne ! Les bruits et les propos de vos compagnons de route, causant de culture et de récolte, vous excilent sans vous occuper. Porté là dessus, vous peignez de tête, et l'œuvre ébauchée se poursuit. Descendu de voiture, vous gagnez d’un pied leste votre chantier, et vous montez les degrés de l’échafaudage. Vous voilà libre et seul, suspendu aux voûtes de l’église dont les voix et l’encens montent et pénètrent jusqu’à vous. L'œuvre de la veille s’échauffe à ce rayonnement et marche à son accomplissement comme d’elle-même. Les tons se fon- dent, les accords se résolvent, l'harmonie se complète — 133 — et se répartit. Ah! voyez-vous, c’est charmant, c’est divin, la peinture ! » Et d’un geste expressif, il sem- blait promener le pinceau au-dessus de sa tête. C’est de la pure poésie, poésie en vers, que sa pein- ture ; la légende est sa forme, ses confrères écrivent, lui, raconte, et chante en racontant. Les choses qu'il nous montre revêtent à nos yeux ce je ne sais quoi d’étrange, de merveilleux et de saisissant qui naît de l’impression d’un songe. Les enfants et les peuples des âges privilégiés voient ainsi. A-t-1 connu Weber? se sont-ils jamais embrassés, le musicien au cor enchanté, le peintre frissonnant d’effluves, maîtres en évocations tous les deux, ouvrant au loin de soudaines perspectives, et mêlant dans leur harmonie, par un don singulier de leur famille et de leur race, la note mélancolique à l’accent triom- phal? Est-ce sa faute si la splendeur de son pinceau nous distrait quelquefois de l’intime sentiment de son œuvre? Sous cette puissance flamande, sous cette richesse vé- nitienne, il fut plus français de goût, de convenance et d'à propos que pas un de ses confrères de cette ingrate Académie qui le reçut par surprise, et n’en saura pas porter le deuil. Lui-même, dans sa seconde phase, comme offusqué de son propre éclat, il l’amortit dans ses fresques dont les gammes moins sonores semblent avoir été caressées par Le temps. Si l’on voulait cher- cher à déterminer son apport dans le trésor de la pein- ture, peut-être dirait-on que ce qu'a fait Rembrandt dans le domaine de la lumière, il l’a réalisé dans la région moins accessible de l’idée et du sentiment, en concen- — 134 — trant sur ce foyer toute l'énergie de sa science ; quant au reste, le négligeant ou le sacrifiant à des lois d’har- monie qui relevaient de sa conception. Il peignait dans le mouvement; lui demander la netteté de contour et l’impassibilité nécessaire aux demi dieux de PApolhéose d’'Homère serait folie! Tenez, ne raisonnons pas; il y a au fond de tout cela des sympathies innées, des at- tractions inexplicables. Avez-vous peur, restez en bas. Sa devise est: « Qui ose, me suive ! » Avez-vous confiance, acceptez-le résolument ; montez en croupe derrière lui, et sur son hippogriffe il vous emportera, fasciné et ravi, dans un monde plus vrai que le nôtre. Quel rang lui assignera la postérité, et de quel œil la France, dont on le crut l'enfant indiscipliné et perdu, le verra-t-elle? Nul de nous ne sera plus là pour s’in- cliner devant leurs arrêts. Nous pouvons du moins formuler aujourd’hui nos conclusions en ces termes : il fut fier, émouvant, tragique, il fut charmant, — et il n'est plus. La cloche de Duclair qui sonnait vêpres vint don- ner le ton à nos pensées. La cause changea de face : au lieu du génie devant les hommes, c'était une âme devant Dieu. En nous agenouillant à l’église, dont l'architecture saxonne avait pourtant de quoi nous cap- ler, notre curiosité s’absorba dans des sollicitudes plus chrétiennes. Mais quand le soleil frappa sur les ver- rières empourprées du martyre de saint Romain, à cet éclair qui semblait comme un reflet de sa palette , nos idées chancelèrent, et se retournèrent un instant vers le côté terrestre de son souvenir. Dieu lui fasse paix, et nous pardonne ! — 135 — . Il m’est cœur si gonflé qui ne se dilate sur la route de Duclair à Barentin. Des rivières sans nom, humbles affluents de la Seine, et dont les sinuosités sont aux siennes comme la vipère au boa, rampent au pied des collines les plus boisées, les plus fourrées, les plus ca- pricieusement enchevêtrées qui se puissent voir. Le pos- tillon, enfant de ces collines, et qui a tété à leurs mamelons, nous affirme que leur aspect ne changera pas, et que les petits-fils de nos arrière-neveux les retrou- veront telles quelles : — « Une terre bonne à rien! » Et du manche de son fouet il nous montre (spectacle rassu- rant pour le paysagiste) entre deux touffes d’alisiers, le produit malheureux d’un défrichement téméraire. — Oui, terre bonne à rien. Poussez et repoussez, taillis, pour la joie du bücheron, pour la vie du foyer, pour le triomphe des campagnes, sur ces maigres versants où la main qui vous sema vous protége et vous élernise. Que la leçon profite et qu’on se la raconte en passant! Au fond, dans la prairie, une herbe rare et torréfiée par trois mois de soleil, buvait avec une avidité indi- cible l’eau d’un étang récemment débondé. « Voyez, messieurs, trois mois sans boire! Si ce n’est pas pitié! Lâchez vos bondes, leur disais-je. IL est bien temps à cette heure! Le déluge n’y pourrait rien. Il en est de la terre comme du pauvre monde. » Ce spectacle parut avoir impressionné vivement notre homme. Au premier bouchon, il serra les guides à lui, mit pied à terre, et ne fit qu'une gorgée de la moque de cidre que la servante d’auberge lui tendait. Barentin! son viaduc est célèbre. Vingt-sept arches sous lesquelles la lumière coule et ruisselle en guise — 136 — d’eau. Les connaisseurs admirent la coupe monument tale de ses pierres et la science qui a présidé à leur jux- laposition. Par-dessus tout cela une chose nous touche: le viaduc dévie notablement de son axe; ainsi l’a voulu la brusque déviation de la vallée. Cette concession de l'art à la force de la nature fait plaisir. On aime à voir fléchir devant les lois de la création cette puissance de l’homme si prête à s’enivrer d’elle-même. I y a donc un Dieu! Quel bonheur ! On allait l'oublier. Autre infraction : de Barentin au Havre, le service déroge à la précision de ses heures. La chaîne des wa- gons s’allonge d’une station à l’autre sans pouvoir suffire à laffluence des voyageurs. Les retards accumulés épuisent la patience de ce long crépuscule, que les journées d’août traînent comme une chevelure après elles. C’est Paris qui donne. La capitale du monde est celle de la Normandie avant tout; de tout temps celle- ci fut sa meilleure pourvoyeuse, non-seulement de mou- tons, de bœufs, de poissons, d’huitres, mais d'hommes. C’est d'elle que lui vient le contagieux grasseyement qui sous peu aura opéré sa Jonction avec celui de la Provence. La fête de l'Empereur a pompé hier à grands flots cette population qui en remporte la poussière pour la mêler ce soir à la cendre de ses foyers. Le grand feu d’arüfice pétille encore dans les cervelles. Bour- geois d’Yvetot, filateurs de Bolbec, paysans de Beuzeville et d'Hartleur s’entretiennent de chandelles romaines et de fusées, sans souci de la grande ni de la petite Ourse, ni de Pégase, ni de la Lyre, ni d’aucune des merveil- leuses constellations qui décrivent en ce moment leur cercle radieux sur nos têtes. — 137 — . Quand les phares de la Hève apparurent à l'horizon comme les étoiles des Gémeaux qui se seraient trompées de place et d'heure, l'inquiétude nous prit; car Paris, pompe aspirante, est une pompe foulante aussi. Le même train de plaisir qui repeuple le continent jette sur le littoral une masse de Parisiens affamés de spec- tacles et ne trouvant rien d’incompatible entre un cou- plet de vaudeville et le murmure de l’océan. Nous revoilà donc au Havre. Un lit restait vacant dans toute la ville : il sera pour nous. Forts de cette ga- rantie, nous courons à la jetée. — Dites-nous, voyageurs, si la ville où vous repassez n’est pas devenue un peu la vôtre, si vous n’en avez pas la clé? Ses quais, ses rues, ses places, que vous fouliez naguèëres en curieux dépaysés, vous reconnaissent désormais et vous sourient. Je ne sais quoi de vous-même que vous y avez laissé se ré- veille de toutes parts sous vos pas. Il en est un peu d'elle (puisque bains et baigneurs il y a) comme de l’eau froide au premier contact, et que vous retrou- verez liède, si, une fois sorti, l'envie de vous y replonger vous prend. Les Parisiens fraîchement débarqués dégustent l’eau salée dans le creux de leur main, ou s’escriment avec les vagues, dont les unes les submergent, les autres les roulent sur la plage, à la grande joie des spec- tateurs. Le ciel est à l’orage, et la mer est électrisée, les poignées de sable que nous y jetons déterminent autant de phosphorescences à la surface. O nuit sublime, où de Naples à Ischia chaque flot secouait de sa crète une poussière de diamants, où chaque coup de rame de la — 138 — barque qui nous portait faisait une gerbe d’étincelles, où êtes-vous ? Il y à moins loin du Havre à Naples que ma jeunesse n’est loin de moi! Au lit, pendant que mes deux acolytes ion flent sans relâche à mes côtés, je me méts à rêver au lieu de dormir, et je repasse, depuis Rouen jusqu’au Havre, les excursions, les haltes, les incidents, les émotions par eau, par terre, à pied, en diligence et en wagon, de cette journée, la plus longue de notre voyage. V. PAVIE. FATF D VE MEN PERRIN TR D RE ER PA ENS EN A PT Ce D ns | k | DR AE n Hu PET 0 TELE RSS DDR Va [Ru 4 es x ÉD ee £ Re Rene Ts DOS Es Ée RE Se > et ÉRRE SSL : : Te > ; Se AR AE et 2 RATE ES