De Tata ndr ced A A AI LNO ir ratto Pani HARVARD UNIVERSITY è Library of the Museum of Comparative Zoology SCIENZE MORALI STORICHE E FILOLOGICHE a * U gd LIE i LA x tu bi 0 VOTO « v A É Fr prato ì pi ve sl RIOT MERITO, DUTT i MEMORIE DELLA REALE ACCADEMIA DELLE SCIENZE DI TORINO _T —— SERIE IL — TOM. XXI __ —— SCIENZE MORALI STORICHE E FILOLOGICHE TORINO STAMPERIA REALE n ix SITRIRITNI:STI x Ù i | " CER TIRO PA, % ; ni î a i 21 RO) 3 | A VI vu & r. i Ù i x è " ; è À . Ù A A è x; 9 ; PRUNAI A 3 : î) PANI 4 * Ù " i ’ é J SOR sà È i) - 3 x x } : i | î . è i i fl r É “el i Ò ; i È ) oi d " [AR è n : L SA. I dalai ea x 2 40] È Ronan di LA * x Ù bi 7 } vi 4 sl Ù 3 n ‘ % "A ti ta s ( a LI Fi A bd DES ORIGINES FEODALES DANS LES ALPES OCCIDENTALES PAR LEGN MENABREA LIVRE DEUXIEME CHAPITRE I. Comtes de Genève; ils se disent issus d’Olivier, fils de Reniers. - Origine moins fictive de ces seigneurs. - Genéalogie de Guichenon - Ratbert. - Gérold figure au nombre des seigneurs qui résistent à l’autorilé de l’empereur Conrad; celui-ci met la puissance entre les mains des évéques. - Aymon, premier comte de Geneve dont la vie se dessine un peu claivement. - Itta, sa femme, fille du seigneur de Glane. - Possessions de ces comtes, leurs luttes avec les évéques. - Les mariages les envichissent. - Leur importance; officiers de leur maison. - Familles illustres soumises da leur juridiclion. - Les seigneurs de Ternier. - Altributions des vicomtes. - Les sires de Ternier relevaient des comles et des évéques de Genève. — Dicton populaire. - Diplome de A470. - Charte du XII siècle, série de documents. - Ramus. - Pierre retenu prisonnier par l’evéeque de Genève. - Prétentions d'Amé V sur la ville episcopale. - Girard de Ternier. - Scigneuries de Viry. - Salenove. - Monifort. - Chatillon Larringe. - Confignon. - Compesières. - Chenex. - Bardonnex. - Du Bois. - Rougemont. - Lancy. - Arcine. - Collonges. - Arlod. - Marval. - Peney. - Gea. - Corbiéres. - Sacconex. - Fernex. - Livron. - Divonne. - Graillé. - Burdigny. - Sergy. - Versonnay. Ce que jai dit précedemment de l’étendue du pagus Genevensis doit facilement faire comprendre l’importance de la position que les comtes de Genève occupèrent, dès le principe, sous la monarchie des Burgondes, et ensuite sous celle des Frances. Au XIV siècle, alors que les idées chevaleresques préoccupaient les intelligences, et que l’orgueil nobiliaire cherchait à se hisser jusqu’aux héros de l’antiquité, ou, tout ou moins, jusqu'aux paladins du cycle de Charlemagne, les comtes de Genève, ou de Genevois, aimaient à se Serie II, Tom, XXIII. i 2 DES ORIGINES FÉODALES ETC. proclamer descendants d’Olivier, le romanesque vainqueur du paien Ferebras, ce preux compagnon de Roland au désastre de Roncevaux. Les grandes chroniques de S'-Denis mentionnent en effet. Oliviers cuens de Geneve fieulx le comte Reiniers au nombre des chrétiens qui marchèrent en Espagne contre Argoulans, prétendu roi des Sarrasins. Mais on sait quel cas il faut faire de la véracité de ces chroniques qui ne sont, en ceci, que la traduction de l’histoire merveilleuse De gestis Karoli magni et Rolandi, attribuée è l’archevéque Turpin. Forts, pourtant, d’une semblable autorité, qui venait peut-étre à l’appui d'une tradition locale, les comtes de Genève ne mirent plus en doute qu'ils ne fussent du sang d’Olivier. Aussi Thomas III, marquis de Saluces, dont la mère était de la famille de Genève, n’hésita-t-il pas à dire dans son Livre du Chevalier errant, composition curieuse qui date des premières années du XV siècle (1): « Et moi, tiers Thomas que vous ay nommeé, » Ma mère fu de Genève de la noble ligne. Le fort Olivier, le noble combatteur, » Qui fu preus en armes, et fu ce heraus de Ceur » Qui conquist Perebras , le dangereux payn » Qui aux gens de Karlemagne menait tel butin .. » Cette origine, au reste, avait tant d’attrait pour ces princes qui'ils cherchaient à en maintenir la pensée, en écartelant parfois leurs armes avec les emblèmes que les romanciers donnent au fils de Reniers. C'est ce que prouve un inventaire des meubles du chàteau d’Annecy, fait en 1393; on y trouve mentionné un tapis de haute lisse, couleur perse (entre vert et bleu), seme de lys, et armorié aux armes de Genevois et d’Olivier, armoriatum armis Gebennensii et Oliverii; ailleurs on remarque cinq banquettes rouges armoriées de méme, quingue bancalia rubra ad arma Gebennensii et Oliverii esquartelata nova; plus loin c'est un grand et magnifique tapis d’Arras, historié de Charlemagne, Olivier et Ferebras: ystoriatum de Carolo magno, Oliverio et Ferrabras. Si, laissant de còté le roman et les traditions, l’on essaye de re- chercher dans les sources authentiques l’origine des. comtes de Genève, on a bien peu de chances d’arriver à un résultat positif. Il est toujours bon néanmoins de savoir ce que contiennent, à ce sujet, les documents (1) V. ci-devant. PAR LÉON MÉNABRÉA 3 qui nous sont parvenus. A l’exemple des autres officiers et beneéficiers royaux, les comtes de Genève n’exercèrent d’abord que des fonctions temporaires, essentiellement amovibles et non héréditaires. Deux lettres du fameux Eginhard en fourniraient, au besoin, la preuve; il y est question d'un Jeude, ou fidéle, appelé Frumold, dont le père avait été comte in pago Genevense ; or ce leude m'hérita point de la dignité paternelle; on voit qu'il ne possédait, au contraire, qu'un simple bénéfice, à raison de quoi il prenait la qualification de Zassus dominicus. Craignant de perdre ce bénéfice, parce que vieux, infirme et attaqué d'une maladie qui lui enlevait l’usage des jambes , il ne pouvait se rendre auprès de l’em- pereur, il implora la protection d’Eginhard, qui éerivit en sa faveur les deux lettres que je viens de citer (1). La plupart de nos historiens, adoptant sans discussion les tables genéalogiques de Guichenon (2), font remonter la maison de Genevois à un Rabert, cu Ratbert, qui vivait en 880, et était comte de Genève. Une charte, rédigée au commencement du X siècle, constate en effet Vexistence de deux époux, nommés Rabert et Richilde, qui eurent un fils, appelé Albitius, lequel, avec sa femme Odda, conféra au monastère de Nantua quelques terres situces in pago Lugdunense (3); mais rien n’établit d’une manière certaine que cet Albitius, qui s’intitule comte, Albitius comes, fàt véritablement comte du pagus Genevensis. Les do- maines qu'il donne aux religieux de Nantua, tels que S'-Germain, Echallon, Chevillard, à l’ouest et au nord de la vallis Michalia, vallée de Michaille, faisaient, ainsi que la charte l’énonce , partie du grand pagus Zugdunensis , et cependant le donateur les désigne comme soumis à sa propre domination, dominationi, et comme dépendants de son héritage , qui mea hereditas. Albitius ne pouvait étre, à la vérité, comte de Lyon; car la série des comtes de cette ville est très-connue et il n°y figure nullement; on sait d’ailleurs assez que ces princes durent, de bonne heure, se contenter de la possession du Forez, Foresium, pagus Forensis , et qu'ils n’exercèrent jamais de juridiction directe sur les contrées situges entre le Jura, la (1) Frumoldus filius N. comitis magis infirmitate quam senectute confectus, nam continuo ac gravi pedum dolore vexatur, habet beneficium non grande in Burgundia, in pago Genevense, ubi pater eius comes fuit et timet illud perdere. (Epist. 26). F. Vassus Dominicus volebat venire ad dominum imperatorem, sed non potuit..... Interim postulat ut sibi liceat beneficium suum habere (Epist. 27). (2) Hist. de Savoie, t.I, p.1169. (3) Guichenon, Mistoire de Bresse, pr. , p. 215. 4 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Saòne et le Rhòne: on serait donc tenté de croire qu'Albitius était plutòt comte du comitatus ou pagus Bellicensis, qui formait une division du territorium Lugdunense. Ceci n'est, au reste, de ma part qu'une simple conjecture, un doute, que je mets à la merci du lecteur (1). Je ferai observer à l’égard de Ratbert, père d’Albitius, que ce per- sonnage ne paraît, en aucune facon, avoir joui de la dignité comitale; la charte citée l’appelle simplement Rabdertus et non Aabdertus comes : l’omission du titre de comes n’aurait sùrement pas eu lieu si Ratbert eùt réellement été comte. J'arrive è un second document qui, à ce qu'on prée- tend, nous révélerait encore l’existence d’un des anciens comtes de Genève. C'est une charte par laquelle la comtesse Eldegarde, E/degardîs co- mitissa, désirant assurer le repos éternel à l’àme de son mari, le comte Aybert, cogitans remedium animae quondam Ayberti comitis, fonde un petit monastère à Satigny, village du comté des Equesires, apud villam Satiniatis, in pago Equestrico, et le dote avec des terres provenant de la succession du défunt, situées dans le méme comté (2). Cet acte passé la 23.° année du règne de Rodolphe I, roi de Bourgogne, et sous le pontificat de Riculphe, évéque de Genève, c’est-à-dire en giri, repor- terait l’existence d’Aybert à une époque très-rapprochée de celle d’Albitius, ce qui a été cause que plusieurs de nos historiens ont imaginé, gratui- tement, de confondre en un seul les deux personnages (3). Pour moi , j'in- clinerais volontiers à croire, jusqu'’à ce que la difficulté puisse mieux s'ap- planir, qu’Aybert, au lieu d’étre comte de Genève, possédait le comté des Equestres (on sait que la ligne masculine et directe des comtes de Genève s'éteignit en la personne de l’antipape Clément VII (Robert de Genève), le 16 septembre 1394, et que leurs états ayant passé aux sires de Villard, en Bresse, furent en 1401 cédés par ceux-ci à la maison de Savoie); il aurait été, en ce cas, prédecesseur d’un Anselme, comes de pago Eque- strino, quì intervint à une assemblée de justice, ou plaids solennels tenus à S'-Gervais la 15.° année du règne de Rodolphe II (4). (1) Voyez ce que j'ai dit precédemment sur le pagus Bellicensis, comté de Belley. (2) Bibl. Sebus. Cent. 1, n.° 32. Guichenon s’est évidemment trompé, en plagant cette charte sous l’année 1001. (3) Levrier, Chkronol. historique des comtes de Genevois ; Grillet, Dict. hist. (4) Doc. e Sigill. etc. p. 1. — J'avais déjà écrit ce que l’on vient de lire, lorsque la Societe d’hist. et d’arch. de Genève publia le 1.er volume de ses Mémoires et documents. Ce fut une véritable satisfaction pour moi de voir que mon opinion sur le compte de notre Aybertus comes s’était rencontrée avec celle de M. Ed. Mallet, dont la competence en de pareilles matières est bien PAR LÉON MENABRÉA 5 Un troisitme document, dont la date flotte entre 1017 ei 1023, nous fournit des données un peu moins obscures (1). Un comte Robert, Robertus comes (et cette fois-ci c'est évidemment un comte de Genève), fait don è l’église de Pellionex, construite in pago Genevense, d’une quantité considérable d’immeubles allodiaux, de aloto suo, situés aussi in pago Genevense, et cela pour le salut de son ame et de celles de son père Conrad, patris sui Conradi, de son fils, appelé également Conrad, filii sui Conradi, de son neveu Hugues, MHugo:nis nepotis et d’un autre Hugues son parent, et Zugonis clerici parentis ipsius Roberti. Là se borne tout ce qu'il esi possible de savoir sur la personne du comte Robert, sur ses ascendants collatéraux et ses descendants. Nous allons toucher maintenant une période plus positive. Je ne répéterais pas ce que j'ai dit précédemmeat au sujet des troubles politiques qui remuèrent la Burgurndia au XI siècle après la mort de Rodolphe- le-Fainéant; je me contenterai de rappeler que parmi les seigneurs qui résistèrent à l’autorité de l’empereur Conrad figurait un Gérold, comte de Genève, que l’historien Wippo qualifie princeps illius regionis (2). Or, suivant un auteur rapproché de ce temps-là, Gerold se serait trouvé petit-neveu de Rodolphe par Berthe, sa mére , fille de Mathilde, l’une des soeurs de ce monarque (3). Cela posé , il n'est pas étonnant que ce Gérold, qui du chef de Berthe, à deéfaut de mdles, avait des droits à la succession des derniers rois de Bourgogne, se soit roidi contre les pré- tentions exclusives de Conrad et ait recouru à la voie des armes pour soutenir une cause qui semblait légitime. On concoit encore facilement comment Conrad, profitant de la vietoire et voulant assurer la paix de l’empire, dut se laisser persuader de priver Geérold d’une partie de sa puissance, en la mettant entre les mains des évéques de Genève, ce qui, pendant trois cents ans, fut une source de contestations acharnées et de guerres toujours renaissantes. En ce qui concerne les aieux paternels de Gérold, on a prétendu que ce prince descendait du comte Robert, celui dont j'ai déjà parlé ; mais connue. Je dois avertir pourtant que ce savant fixe la date de la charle en question à la 23° année du règne de Rodolphe II, roi de Bourgogne, tandis que je croirais plutòt qu'elle appartient au règne de Rodolphe I. Voyez le volume ci-dessus cité, 2me part., p. 4 et 16. (1) Bibl. Sebus. Cent. 1, n.° 40, et Besson, pr., n.° 8. (2) V.ci-devant le texte de Wippo et celui d’Hermannus Contractus. (3) De Mathilde processit Rodulphus rex et Mathildis soror eius. ..... de Mathilde filta Mathildis Berta...... de Berta Geraldus Genevensis. & DES ORIGINES FÉODALES ETC. rien, selon moi, n’établit une pareille filiation: il y a plus, en accueillant cette hypothèse, on aurait quelque raison de s'étonner que dans la charte du prieuré de Pellionex, ci-dessus citée, le comte Robert qui nomme et recommande à Dieu son père, son fils, son neveu et jusqu'à un col- latéral, eùt négligé de mentionner aussi Geérold qui alors devait néces- salrement étre né. Guichenon, et la plupart des généalogistes, ont placé à la suite de Gerold un autre comte du méme nom, qu’ils appellent Gérold IT, de qui serait issu Aymon, le premier des cointes de Genève dont la vie se dessine un peu distinctement sur le mouvant rideau du régime féodal. Un docu- ment, tiré des archives de Lémens, énonce, en effet, qu'Aymon était fils de Gérold: Exemplo patris Geroldi (1). Ces genéalogistes donnent à Gerold II un frère aîné nommeé Robert, Rodertus comes, qui mourut, dit-on, sans postérité. On a de ce dernier un acte de 1060 par lequel il inféoda à l'un de ses vassaux (Oddon de Compey) la terre de Thorens, dépen- dante du mandement, ou district, de la Roche en Genevois (2). Aymop eut, ainsi que je le dirai ailleurs, de vifs démélés avec Humbert, evéque de Genève; pourtant il fut pieux, fit du bien à plusieurs monas- teres, et fonda le. prieuré de Chamonix (3). Il s’intitule tantòt simplement comes, tantòt comes Genevensis, ou Gebennensis, tantòt comes Genevensium, en y ajoutant parfois l’humble et religieuse formule Dei grazia (4). Une charte de l’année 1090 environ, nous apprend que le comte Aymon avait pour femme une princesse, nommée Itta (5), que tous nos historiens disent fille d’un sire de Faucigny; mais des recherches plus approfondies ont démontré qu'Itta appartenait à la famille de Glane, et ce point de généalogie n’est pas d’une importance mediocre. Les seigneurs de Glane , comme je l’ai remarqué ci-dessus, étaient venus s'établir dans l’Helvetie Jurane à la suite des comtes de Bourgogne, lorsque ces premiers eurent pris possession du riche héritage des comtes d’Ottingen. Or, en 1142, la lignée masculine de ces seigneurs s'éteignit en la personne de Guillaume, fils unique d’un Pierre de Glane, traitreusement (1) Bibl. Sebus. Cent. 2, n.° 69. (2) Pourpris historique de la maison de Sales, p.112. (3) Besson, pr., n.° 8. (4) V. Besson, Spon, la B:0/. Sebus. et la Notice sur l’évtque Guy, par M. Edouard Mallet, inseroe dans le t.I des Mem. de la Société de Genève. (5) Signum Aymonis. S. Ite uxoris ejus ( Bibl. Seb. Cent.2, n.° 46). PAR LÉON MENABREA " assassiné à Payerne, quinze ans auparavant. Alors les quatre soeurs du défunt, savoir Emma, femme d’Ulvich III, comte de Neufchatel, Juliane, femme de Guillaume de Montsalvans, puîné de la maison de Gruyères, Agnès, femme de Rodolphe I, comte de Gruyères ou d’Ogo, et Itta, femme d’Aymon, comte de Genève, se partagèrent son opulente succession (1). Itta eut pour sa part plusieurs terres dans le Jorat (pays mon- tueux au nord de Lausanne), telles que Paleisieux , Peney, la Dauzaz, Essertes etc., des foréts considérables, dont son fils Ameédée, succes- seur d’Aymon, abandonna l’usage à l’abbaye de Hauteret (2). C'est sans doute à cause de ces possessions qu’en 1191 Guillaume, fils d’Amedee, prenait le titre de comte de Genève et de Vaud, GuiWlelmus Gebennensium et Valdensium comes (3). Ce comte Guillaume avait un frère cadet, du nom d’Amédée, qui ayant obienu, à raison de ses droits dans l’'hérédité paternelle, la portion meridionale de Vancien pagus Equestricus (4), portion appelee Pays de Jais, de Jas, ou de Gex (5), devint la tige des seigneurs de Gex (6). (On sait que la seigneurie de Gex passa, vers l'année 1260, entre les mains d'une famille champenoise par le maria de Léonette, petite-fille d’Amedée, avec Simon de Joinville). Si les domaines des comtes de Genève ne correspondaient pas à l’étendue primitive du pagus Genevensis, ils en comprenaient toutefois ‘une partie fort considerable. La nomenclature des mandements, ou chà- tellenies, qu'on y rencontrait au XII siècle suffit pour en donner une ge (1) Petrus dominus de Glana quatuor habuit filias (Emma, Ita, Juliana, Agnes) que sibi heredi- tatem patris diviserunt. (Codex donationum Alteripe, cité par M. de Gingins, Mem. sur le Rectorat, p. 61). ; (2) Omnia usuraria de Jorat. (Charte d’Amedée comle de Genève, année 1162, tirée du cartulaive de Haultcret et citée par M. de Gingins). (3) Charte en faveur du monastère de Talloires. Bibl. Seb. Cent. 1, n.0 68. (4) Cela prouve toujours davantage ‘que le pagus Equestricus Gtait une dépendance du grand pagus Genevensis. (5) Cette dénominalion derive du mot Gaîum, qui, en latin du moyen-àge, signifiait forèt épaisse. V. Ducange, v.° Gaium. — La filiation des princes dont je viens de parler, est clairement ctablie par une charte de l’an 1153, dans laquelle Amédée, comte de Genève, faisant une donation è l’abbaye d’Abondance, s’exprime en ces termes: Ego Amedeus comes Gebennensis pro animabus an- tecessorum meorum scilicet patris mei Aymonis, et matris mee Ie, et WWillelmi fratris mei et Mathildis uxoris mee et pro remissione peccalorum meorum atque incolumitate filiorum meorum Fillelmi et Amedei...... (Bibl. Sebus. II, 52). (6) V. ci-après. (5) DES ORIGINES FÉODALES ETC. idée: Annecy, Thònes, La Roche, Cruseilles, Rumilly, Alby, Duing, Graisy, Cessens, Chaumont, Ternier, Clermont, Mornay, Hauteville, Chatel en Semine, La Bitie de la Balme, Gruffy, Cusy, Ballaison, Gaillard, Charosse, Corbières et Arlod (1). A Genève, ainsi que nous le verrons plus tard, ces princes jouissaient d'une juridiction assez restreinie, mais ils ne cessaient de se remuer, de s'agiter, d’élever murailles contre murailles, forteresses contre forteresses, pour se rendre maîtres de cette ville, au préjudice des évéques qui y exercaient les droits régaliens (2). Leurs possessions ne se bornaient pas à celles que je viens d’indiquer. Depuis 1238 environ, jusqu’en 1250, ils occupèrent le chàteau de Clées, dans le pays de Vaud: castrum de Cletis in Vaud, sous la mouvance des comtes de Bourgogne (3). Ils acquirent, en divers temps; les vil- lages de Pully, de Pailly, d’où ils pouvaient aisément réaliser des projets d’agrandissement sur le temporel des évéques de Lausanne; en 1287, ils jouissaient de la suzeraineté des fiefs d’Oron, de Chatel-S'-Denys et de Blonay, car on voit qu’alors ils furent obligés de se désister de la- dite suzeraineté en faveur de la maison de Savoie (4). Les mariages les enrichirent aussi; Rodolphe, petit-fils de Guillaume I et fils de Guillaume II, en épousant, vers l'année 1240, Marie de Coligny devint maître de l’important chateau de Varey en Bugey (5). Hugues, frère de Guillaume IM (6), contracta mariage avec Isabelle, unique hé- ritière des sires d’Anthon en Dauphiné; par cette union il réunit à la terre de Varey, qu'il avait recue pour sa part de l’héritage paternel, les immenses domaines de ces seigneurs (7). En 1339, ce personnage, à 1) Le chàteau d’Arlod était situé tout près de la perle du Rhòne, sur la rive droite de ce fleuve. (2) Les comtes de Genève possédaient à Genève , à l’entrée du Bourg-de-Four, un chàleau appelé le chàleau de Genève. De leur còlé les évèques avaient fait construire, au commence- ment du XIII siècle, dans l’intérieur de Genèye, un chàteau connu sous le nom de lIle, (3) V. Bibl. Sebus. I, 46, et Hist. de Bresse, II part., p. 105. (4) Archives de Cour, Duché de Genevois, liasse II, n.° 4. (3) Hist. de Bresse, TI part., p. 109. Guillaume JI ‘avait épousé Alaîs ou Adélaide de la Tour du Pin, et devint seigneur de Cornillon en Graisivaudan. Bibl. Sebus. I, 46, in rotis. (6) Guillaume II était fils d’Amé III, qui oblint le comté de Genève, en 1290, après la mort d’Aymon II, son frère; Amé et Aymon étaient fils de Rodolphe. (7) Outre le célèbre chàteau d’Anthon, Hugues eut, en vertu de ce mariage, les chàteaux de Gordans, des Loyettes, de St-Maurice, situés en Bresse, celui de Villoneuve, sur les confins du comté de Bourgogne, et plusieurs autres terres considérables. PAR LÉON MÉNABRÉA 9 u qui nous verrons jouer un ròle assez éclatant (1), céda quelques-uns des domaines dont il s’agit au Dauphin Humbert III, et obtint de celui-ci, en retour, les chiteaux de Samoéns, de Credoz, de Monthoux, de Cholay, en Faucigny (2), et de Visile, en Graisivandan (3). Quant è la seigneurie d’Anthon, elle passa aux marquis de Saluces, après le décès d’Aymon, fils de Hugues, mort sans postérité (4). Je ne dois pas oublier que les comtes de Genève possédaient en Dauphiné les chàteaux de Theys, de La-Pierre et de Domène, et qu’en 1353 ils avaient donné la vénerie de ce dernier lieu en arrière-fief à Pierre de S'Jeoire, l’un de leurs vassaux (5). Ces princes, que les historiens modernes appellent plus volontiers comtes de Genevois, quoiqu’ils portassent réellement le titre de comites Gebennenses ou de comites Gebennensium, résidaient ordinairement à Annecy: là ils menaient un train quasi royal; les quatre grands officiers de leur maison sont déjà mentionnés dans un document de 1219: le sénéchal, le ma- rechal, le panetier et le boutillier (6). Les officiers supérieurs, tant civils que militaires du comté s’echelonnaient comme il suit: le chancelier, le bailli, le juge-mage, le juge des appellations, le procureur fiscal et le receveur général; puis venaient les chatelains, à la téte desquels figurait celui d'Annecy, puis les juges et les procureurs locaux, puis une infinité d’autres fonctionnaires inférieurs. La superiorité féodale des comtes de Genève s’étendait sur plusieurs familles illustres de l’ancien pagus Genevensis; la portion de ce pagws, soumise à la juridiction de ces princes, se présente avec des formes géo- logiques tellement irrégulières que je me vois forcé d’aborder la description sommaire des différentes seigneuries qui s°y trouvaient, sans m’astreindre à suivre d’auire ordre que celui qui résulte ou de leur importance, ou des rapports d’origine et d’intéréts existant entre elles. En voici, du reste, la (1) Il s’intitulait: ugo de Gebenna dominus de Antone et de Varey. (2) Je dirai bientòt comment les Dauphins du Viennois étaient, à cette épogue, devenus pos- sesseurs du Faucigny. — Les terres cédées alors par H. de Genève, furent celles de St-Maurice d’Anthon, appelées dans l’acte castrum de Antone, de Gordans et des Loyeltes. (3) Valbonnais, t. Il, p. 379; cet échange ayant été reconnu Iésionnaire, le Dauphin, Charles de France, abandonna à Hugues, en guise de supplément, la terre de Septème. (Charte de 1358). (4) La sceeur d’Aymon avait épousé Frederic, marquis de Saluces. (5) Valbonnais, t. I, p. 38, 116 et 147. V. ci-après de plus amples détails sur les possessions des comtes de Genève en Dauphiné. (6) Quatuor vero officiales comitis, senescalcus, marescaleus, panaterius et boteillerius. Spon, N.° XX. Senie II. Tom. XXIII. 2 10 DES ORIGINES:FEODALES ETC. nomenclature, c’est-à-dire des principales: Ternier, Compey; Salenove, Sales, Duing, Marval, Menthon, Viry; Pontverre, Clermont, Chaumont, Chissé, Ballaison, Foras, Montfort, Monthoux, Mouxi, Lully, Les Glets, Hauteville, Langin, Sionnas, Copponex, Confignon, Gruseilles, Vosérier, Mionnax, Graisi, Vulpillère; Aisery, Serraval, Alby etc. Un mot, sur chacune de ces familles. Au milieu du vaste amphithédtre forme par l’abaissemeni concentrique des montagnes de Salève, de Sion, du Vuache, de Credoz et du Jura, qui enserrent l’extrémité meridionale du Léman, les comtes de Genève comptaient des vassaux illustres: c’étaient, en decà du Rhòne, les. sires de Ternier, de Viry, de Compesières, de Confignon, de Chatillon, de Chenex, de Bardonnex, de Lancy, du Bois, de Rougemont, d’Arcine; au delà du Rhòne, les sires d’Arlod, de Marval, de Sacconex, de Ferney, de Livron, et quelques autres, sur la lisière du pays de Gex, jusqu'à Divonne. Dans ce territoire, passablement étendu , il existait des enchevétre- ments et des enclaves assez semblables à ce qu’offrait en ce genre le district qui s’étendait dans le Chablais moderne, et que nous aurons bientòt occasion d’explorer. La double qualification de vicomtes, wicecomites, et de vidomnes, vicedomini, que prenaient, très-anciennement, les sires de Ternier, les inféodations contradictoires auxquelles ils durent frequemment se sou- mettre, témoigneraient seules du singulier travail qui, aux XI et XII siècles, s'était operé dans la formation des juridictions politiques de nos contrées. A l'époque qui nous occupe, les vicomtes n'étaient point, comme on pourrait le croire, des fonctionnaires amovibles, exercant dans une cir- conscription quelconque et avec une autorité plus ou moins absolue, la lieutenance des comtes; sous le bon plaisir de ceux-ci: les vicomtes cons- tituaient de véritables feudataires, jouissant de certains droits qui avaient appartenu jadis aux comtes, et que ces derniers leur avaient cédés, moyennani prestation d’'hommage et promesse de fidelité, Ces droits devenus transmissibles par voie d’hérédité, de vente, d’échange, de donation, à l’exemple d’un patrimoine, instar patrimonii, mais toujours à charge d’hommage de la part du possesseur envers le souverain, variaient à l’infini suivant les lieux; ils consistaient tantòt à administrer la justice civile ou la justice criminelle, ou l’une et l’autre PAR LEON MENABRÉEA 15I simultanément, et à s'en attribuer les profits dans telle on telle pro- portion; tantòt à percevoir, en tout ou en partie, des émoluments, des tribus de divers genres, dont la nomenclature serait trop longue à in- sérer ici. i Il en était de méme des vidomnes, sauf qu’en général les droits, dont ils se trouvaient en possession, provenaient des concessions faites par les evéques. En qualité de vicomtes, les sires de Ternier relevaient done des comtes de Genève: en qualité de vidomnes, ils avaient di primitivement reconnaître la suzeraineté des eévéques de cette ville (il existe un acte du 22 juin 1400, par lequel l’empereur Venceslas réinféoda à Girard de Ternier le chiteau seigneurial de Ternier, tombé en commise au profit de l’eveque de Genève (1) ); et si plus tard ils embrassèrent, à cet égard, la mouvance des comtes , tout fait soupconner qu’ils y furent contraints par ces princes, qui se montrèrent toujours assez peu soucieux des intéréts d’une église, dont la haute position excitait leur rivalité et leur jalousie. Quant è la seigneurie de Ternier, qui paraît n’avoir rien de commun nî avec le vicomté, nî avec le vidomnat, il est de fait que, parmi les nombreuses reconnaissances qui la concernent, quelques-unes sont concues en faveur des comtes, plusieurs autres en faveur des. évéques, et que la question de supériorité féodale, à ce sujet, était si incertaine et. si con- testée, que, le 1° octobre r4or, il intervint une transaction, par laquelle il fut convenu que dorénavant les sires de Ternier passeraient acie de fidelité au comte pour ladite seigneurie, et qu'à son. tour le comte. en ferait hommage è l’évéque (2). D’après un dicton populaire assez connu (3), la famille des sires de Ternier occupait le premier rang parmi celles des hauts tenanciers du Genevois ; son origine, disait-on , remontait aux temps de Charlemagne. Sans alleò aussi loin, je me contenterai de citer un diplòme du 26 janvier 1490, dans lequel le duc de Savoie Charles III, accordant aux barons (1) V. Somm. gén., province de Carouge, article Z'erzier. (2) Index des fiefs. V. Ternier. (3) Il existait jadis sur quelques-unes de ces familles un dicton populaire ainsi congu: Terny, Viry, Compey , Sont le meillou maison de Genevey. Salenove et Menthon Ne le craignon pas d’un boton. 12 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de Montchenu, en leur qualité d’héritiers des derniers seigneurs de Ternier, la faculté de rétablir, sur les terres de ceux-ci, les fourches patibulaires à trois piliers, que l’incurie des précédents propriétaires avait laissées tomber en ruine, se sert de ces expressions remarquables: Etenim illa antiqua domus baronum de Terniaco vulgi opinione ab omni aevo în Gebennensio precipua habita est. « Car, dit-il, cette antique » maison des barons de Ternier a toujours été considérée dans l’opinion » du peuple comme la première du Genevois (1). » Deux chartes fort curieuses, du commencement du XII siècle, nous montrent un Aymon de Ternier figurant à la téte des barons, darones, dont se fit accompagner Amedée, comte de Genève, lorsque, dans des plaids solennels ce prince renonca à toutes les vexations, injustices et tortures, omnibus torturis, que lui ou ses officiers avaient fait subir aux religieux du puissant monastère de S'-Victor (2). En 1124, un Hugues de Ternier intervint à la célèbre transaction que l’éveque Humbert et le comte Aymon firent à Seyssel pour terminer les affligeantes dissentions, qui, depuis longtemps, existaient entre eux (3). La fondation de la chartreuse de Pommiers, sur Salève, faite en 1179, nous apprend qu’au nombre des bannerets qui aidèrent le comte Guillaume à écraser ses ennemis , et à récupérer le chàteau de La Roche, pris pendant la guerre, se trouvait un Pierre, seigneur de Ternier, Petrus dominus Terniaci, et un Girard, vicomte de Ternier, Girardus vicecomes Terniaci (4). Une série de documents, soit imprimés, soit inédits, se rapportant aux années 1184, 1190, 1200, 1201, 1219 etc., peuvent fournir aux génealogistes les noms de Pierre, de Falcon, de Willelme, d'Aymon, de Ramus de Ternier. Ce Ramus de Ternier, malgré les liens féodaux qui l’unissaient aux comtes de Genève, avait, à ce qu'il paraît, rendu quelques notables services aux sires de Faucigny, car ces princes lui donnèrent en fief plusieurs terres, à raison desquelles son petit-fils; ou arrière-petit-fils Pierre, se reconnaissait, en 1289, homme lige de la comtesse Beatrix, 1) Arch. du cadastre: Corsignements, aveux et denombrements des fiefs, t. V, fol. 324. (2) Huic autem placito interfuerunt quam plures barones. Aymo de Terniaco. Giraldus de Langeaco. Giraldus de Nangiaco. Willelmus Durdelz ete. Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part., doc. MiA PSI: (3) Spon, pr., n.° i. (4) Bibl. Seb., cent. 2, n.0 13 PAR LEON MENABREA 13 leur héritiore (1). Ce Pierre joua un certain ròle dans les évenements de son temps. S’étant mis en hostilité flagrante avec son évéque, ce prélat s'empara de sa personne et le retint prisonnier. En 1297 il as- sista au contrat de mariage du comte Amédée (2). Il fut, en 1308, l’un des arbitres qui réglèrent les différents survenus entre la maison de Genève et celle de Savoie (3). Enfin, en 1319, le comte de Genève ayant embrassé la mouvance du Dauphin de Vienne, Pierre de Ternier passa, en faveur de ce dernier, une reconnaissance d’arrière-fief à raison du chiteau de la Poype et du Chiatellard, et genéralement de tout ce qu'il possédait en Genevois (4). En 1314 la guerre menagait de venir désoler de nouveau le terri- toire genevois; les prétentions d'’Amé V sur la ville épiscopale étaient devenues exorbitantes, les bourgeois se montraient disposés à favoriser ses entreprises, l’évéque Pierre de Faucigny, allié cette fois-ci avec le comte de Genève, faisait tous ses efforts pour s'y opposer: on s’atten- dait à un sérieux conflit. C'est alors qu’afin d’arréter les Savoyards, un guerrier de haut renom, Girard de Ternier, fut chargé de construire, à une demi-lieue de la cité, et à cheval sur l’Arve, une forteresse appelée Batie- Meille, du nom de l’élévation, ou molaz, sur laquelle elle était assise (5). (1) Index des fiefs. V. Ternier. (2) Guich., pr., p. 156. (3) Valbonnais, t. II, p. 139. (4) Indice, t. I, fol. 184, verso. — La maison-forte de la Poype devint la résidence ordinaire des sires de Ternier, lorsque ces illustres feudataires eurent cede aux comtes de Genève le chàteau de Ternier (j’ignore la date precise de celte cession, qui sans doute est antérieure au XIII siècle ). La maison-forte du Chàtellard s’élevait à peu de distance de celle de la Poype, sur le territoire de Feigères. En 1348, Girard de Ternier acheta de Gcoffroy de Chatillon le chàteau de Belmont en Semines. V. Concess. Invest., t. I, fol. 50, verso. — En 1345 les comtes de Genève donrèrent, en augmentation de fief aux sires de Ternier, le chàteau de Troches en Chablais. Somm. gen. Chablais, art. Troches. — En 1394 ils le mirent en possession, à titre de gage, du chàteau de Gaillard et du péage de Pont-d’Arve. Concess. Invest., t. I, p. 201, verso. — Quel- ques années après 1394, Humbert de Villars ayant recueilli la succession des comles de Genève, céda aux sires de Ternier l’antique manoir de Ternier, à l’occasion de quoi ces derniers eurent des difficultés avec les évèques de Genève. V. Spon, n.° 47. — Pour ce qui est des hommages rendus par ces seigneurs aux comles ci-dessus nommés, je me bornerai à citer ceux du 15 juin 1277, du 11 septembre 1294, et du 13 mai 1394. Zrdice, loco citato, — Les sires de Ternier se reconnais- saient, à raison de certaines terres, hommes liges des comtes de Savoie et des sires de Faucigny. Ibidem. (5) Item codem anno M.°CCC.°XVIIIO die lune ante festum B. Marie Magdalene fuit bastitum castrum Bastide Molaris de Melleis prope Lancie per dominum Girardum de Ternier militem. (Fasci- culus temporis). — Voyez le chap. de la Chron. de Savoie intitulé: Comment le conte Edoard ne peust avoir la Bastie de Màillier. 14 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Ce chiteau ayant noblement résisté à l’ennemi, fut ensuite donné en fief à ce méme Girard, par le comte de Genève reconnaissant (1). Outre la possession de la seigneurie de Ternier, de la maison-forte de la Poype, dite aussi de Ternier, et de celle du Chitellard, l’on voit, en 1348, Girard de Ternier (celui sans doute dont je viens de parler) augmenter ses domaines du chàteau de Belmont en Semine qu'il acheta de Geoffroy de Chatillon (2). Six ans aprés il fit, ainsi que je Vai dit ailleurs, l’acquisition du chàteau de Troches, qui au XV siècle appartenait encore à sa famille (3). Le fils de cet illustre et puissant seigneur’, lequel se nommait aussi Girard, ayant prété des sommes considérables à Robert, comte de Genève (l’antipape Clément VII), ce prince, par une ordonnance de son conseil du 17 janvier 1397, lui relàcha la possession du mandement de Gaillard et du péage de Pont-d’Arve, à titre de gage, jusqu’au payement definitif de la créance (4). Ce personnage, qui eut une grande influence dans les affaires de l'époque où il vivait,, fit à Amédée VIII, comte, puis duc de Savoie, le 3 aoùt 1412, cession du chateau de Ternier, moyennant la somme de ooo florins, pour le cas où il mourrait sans enfants miles (5). Voici venir une autre antique famille , dont l’origine va se perdre dans les ténèbres du X siècle, celle des seigneurs de Viry. Sans adopter les supposilions mises en avant par l’auteur de l’histoire manuscrite de cette noble race (6), on peut, sans crainte, admettre que, déjà sous le règne de Rodolphe III, roi de Bourgogne, elle jouissait, dans nos contrées, d’une position toute faite. Les sires de Viry étaient alors parents des sires de Chambéry, dont l’illustration remonte è une époque plus reculée encore. Une charte de l’année 10/42 nous montre un Vifred et un Louis de Viry, un Vifred et un Berlion de Chambéry, tous portant le titre de x domni, ou de domini, donnant leur approbation à un acte passé en faveur (1) Sommaire des fiefs, Carouge, V. Batie-Meille; Acte de 1321. Il existe dans les archives de Genève une charte du 13 juillet 1318, où l’on voit que pour ce mème chàleau de Bàtie-Meille, Girard de Ternier s’était reconnu feudataire de l’évèqgue de Genève. (2) Index des fiefs. V. Belmont. (3) Sommaire général des fiefs. V. Troches. (4) Index des fiefs. V. Page de Pont-d’Arve. (5) Ibidem (6) L’auteur de l’hist. ms. de la maison de Viry la fait remonter beaucoup plus haut, mais d’après des données incertaines et problématiques. — Il en est de mème de Grillet, ‘art. Ziry. , È 2 E PAR LEON MENABREA 19 de la célèbre abbaye de la Novalaise aux pieds du mont Cenis (1). Sous le pontificat de l’évéque Guy, c'est-à-dire de 1094 à 1120, on voit une Adélaide de Viry, Adelainda de Viriaco, faire, à l'article de la mort, en vue de racheter ses péchés, donation de quelques terres an monastère de S'Victor (2). Il faudrait de longues pages pous insérer ici la nomen clature de tous les membres de cette famille qui se sont distingués , surtout dans la carrièére des armes, depuis ce Geoffroy de Viry, qui accompagna en Palestine Amédée INT, comte de Savoie; plus heureux que ce prince, il revit son pays natal; car, en 1153, il assistait è un traité de paix que l’évéque de Maurienne conclut alors avec les sires de La Chambre. Un Hugues de Viry florissait au commencement du XITI siècle; ce personnage eut deux fils, Aymon et Guillaume; l’un et l’avitre firent branche; l’aîné donna naissance à celle de Salenove, le cadet continua celle de Viry. Le testament de Hugues fait voir combien étaient grandes les possessions de ce seigneur. Le testateur assigne à Aymon le chateau de Salenove, sur la rivière des Usses, et divers domaines dans les mandements de Seyssel, de Chaumont, de Sion, de Versonnex; il y ajoute plusieurs fractions d’un territoire, jadis desert, qui conserve encore de nos jours le nom de Semine, Sedimen , terre d’attente, terre vide, qui se déploie le long du Rhòne, à l’ouest de Frangy. Il laisse dà Guillaume le chàteau de Viry, ainsi que les fiefs nobles qui en dependent, les dîmes de Marlioz et de Contamine, la seigneurie de Cernex, les juridictions et fragments de juridiction du Vuache, de Dingy, de Soumont, de Giltres etc. Ce testament renferme, en outre, une clause de fidéicommis perpétuel portant que les biens qui en font l’objet ne pourront jamais passer à des mains étrangères, iant qu'il y aura des individus du sang et du nom de Viry, ou de Salenove (3). Le chateau de Salenove fut toujours soumis à la supériorité féodale des comtes de Genève: de nombreuses prestations d'hommage en. font 5 foi (4). Quant à celui de Viry, les comtes et les évéques de Genève le (1) Mon hist. patr., t. I, p. 549. — Dom Rochet, dans sa G/oire de l’abbaye de la Nuvalaise , livre 3, p. 33 et 39, a aussi publié cette charte avec quelques commentaires. (2) MVotice sur l’évéque Guy, Documents, n.° 10. (3) Hist. generale de la maison de Viry, ms. (4) Reconnaissance d’Aymon de Salenove, 25 mai 1275 ; de Pierre de Salenove, 5 février 1294; de Jean, fils de Henri de Salenove, 26 mai 1305 etc. V. Sommaire general ete. Carouge. V. Salenove. 16 DES ORIGINES FÉODALES ETC. tinrent successivement, et s'en disputèrent la mouvance, ainsi que nous l’avons va précédemment du fief de Ternier (1). Inutile de dire que les sires de Viry jouissaient, à l’exemple de la plupart des grands tenanciers de nos contrées, de tous les droits attachés à l'exercice de la haute justice (2). Non loin de Genève, sur le territoire, je crois, de la commune de Bernex , s'élevait le manoir des sires de Montfort, qui occupaient une place distinguée dans la série des familles du Genevois. Outre le chàteau de Montfort et celui d'Arbusigny (3), proche de Reignier , ces seigneurs possedaient la gonfalonnerie du Genevois, qui consistait è maintenir en bon état la bannière du suzerain, à l’arborer sur le donjon des forte- resses prises d’assaut, à garder le champ clos dans les duels juridiques, à percevoir le tiers des amendes imposées aux champions vaincus et à retirer exclusivement les armures, ou deépouilles, desdits champions. Par un acte de 1338, un seigneur de Montfort déclare tenir en fief du comte de Genève entre autres choses: Confanoneriam comitatus gebennensis dicens quod ipse debet praedicta confanoneria custodire bella in dicto comitatu et habere tertiam partem pene quam sustinet victus et munimenta victi dicens quod ejus predecessores usi sunt habere munimenta. Et etiam quod quando d.s comes gebennensis acciperet unum castrum per vim quod ipse debet ponere vexillum usque ad vo- luntatem ipsius di comitis et habere mobilia ejusdem castri que per- tinent ad dictum dominum (4). (1) Zrdex des fiefs, V. Viry. En 1277, reconnaissance de Guillaume de Viry en faveur de l’évéque; en 1298, reconnaissance de Graton de Viry en faveur du comle. Les seigneurs de Viry staient, en outre, hommes liges du comte, à raison du chàteau de La-Perrière, situé dans le mandement de Gaillard. Sommaire des fiefs, Carouge, V. La-Perrière. (2) Ils eurent, è cet égard, avec les comtes de Genève, quelques démélés, qui furent terminés par une transaction du 23 mai 1339, où l’on voit qu’ils conserverent le droit de juger leurs hommes, ou sujets, en quelque lieu du comté de Genève que ceux-ci vinssent à contracter ou è delinquer: Ztem, quod dicti milites Amedeus et Franciscus de Viriaco et eorum heredes habeant et habere debeant remissionem omnium hominum suorum tam masculorum, quam feminarum heredum et posteritatum ipsorum de albergo de Viry ubicumque deliquant contractent vel aliter se obligent in comitatu Gebennensi in terra dicti domini comitis et quod idem dominus comes et ejus heredes ac officiales eos sibi remittant. 3 (3) Reconnaissance faite, en 1338, par Nicod de Montfort en faveur du comte de Genève pour le chàteau de Montfort. V. aux Arch. du Cadastre le Rép. ger. et alphab. des reconn. en fief noble. V. Montfort. Reconnaissance faite, en 1340, par Ramus de Montfort pour le chàteau d’Arbusigny. Somm. gén. Genevois, V. Arbusigny. (4) V. Somm. des fiefs, Carouge. V. Montfort. PAR LEON MÉNABRÉA id] En continuant d’explorer la méme contrée, il faut ranger au nombre des familles remarquables celle de Chatillon-Larringe, qui paraît avoir emprunté son nom à une antique maison-forte située sur un des versants du Salève. Lorsque, en 1219, Guillaume, comte de Genève, après bien des controverses, fit sa paix avec l’évéque Aymon, et se reconnut homme lige de ce prélat, on vit figurer parmi les feudataires, qui se rendirent cautions du prince, un Jacques de Chatillon, lequel s’obligea à maintenir de sa personne, et à concurrence de cent sols, les conventions faites (1). Les descendants de ce seigneur furent possesseurs des chiteaux de Corsinge, en Chablais (2), et de celui de Belmont (3), en Semine, qu’ils vendirent, comme je l’ai dit, aux sires de Ternier. Un Willelme de Chatillon acquit, en 1334, des comtes de Savoie, la terre de Larringe, au- dessus d’Evian, avec clause de fidélité et d'hommage envers ces derniers (4). C'est parmi les noms des chanoines et des cleres de l’église de Genève que l’on rencontre pour la première fois, que je sache, celui des sires de Confignon. Un Boson de Confignon, oso de Confignon clericus, assistait, en 1184, à une sentence rendue par l’archevéque de Vienne en faveur de l’évéque Ardutius (5); un Amédée de Confignon, Amedeus de Confignon canonicus, est mentionné dans divers actes de 1187, 1190 et 1191 (6). Au XIII siècle, ainsi que je l’ai remarqué ailleurs, ces seigneurs se firent céder le vidomnat de Genève, et prirent part, en leur qualité de vidomnes, à des événements qui ne furent pas sans quelque importance (7). Possesseurs de la seigneurie de Pont-de-Boringe, ils la vendirent, le 8 février 1299, à Beatrix, dame de Faucigny, moyennant la somme de soixante livres genevoises (8); cette seigneurie devint ensuite la pro- priété de l’illustre Humbert de Cholex (9). A raison du chàteau de (4) Spon, pr., n.° 20. (2) Il existait une autre maison-forte de Corsinge, à trois lieues de là, au-dessous d’Habères. (3) Reconnaissance du chàteau de Belmont, faite en 1303, par Amedée de Chàtillon. Charvaz et Cornier, n.9 10, fol. 4. Reconnaissance faite, en 1343, par Guill. de Chàtillon, pour la maison-forte de Corsinge. Somm. gen. Chablais. V. Corsinge. (4) Hommages rendus aux comtes de Savoie par les sires de Chatillon pour le chàteau ‘de Larringe en 1343, 1344, 1384, 1393. Memoires pris dans les archives ete., t. VI, fol. 52. (5) Spon, pr., n.° 12. (6) Spon, pr., n.° 18. Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. JI, 2 part.; documents n.° 19, p. 47, n.° 20, p. 49. (7) Voyez ci-devant. (8) Index des fiefs. V. Pont-de-Boringe. La seigneurie de Pont-de-Boringe figura ensuite parmi les possessions de l’illustre maison de Lullin. (9) V. plus loin. Serie II. Tom. XXIII. 3 18 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Confignon, ces tenanciers se reconnurent toujours feudataires des comtes de Genève: nous avons d’eux une série d’hommages, commencant en 1305 et finissant en 1555, où vivait un Bernard de Confignon, après lequel je ne trouve plus de traces de cette famille (1). Les sires de Compesières commencent à se montrer à peu près vers la méme époque que ceux de Confignon; un document de l’an 1170 nous fait connaître un Anselme et un Guillaume de Compesières, revétus l’un et l’autre de la dignité de chevaliers, milites (2); les comtes de Genève avaient sur ces seigneurs un droit absolu de suzeraineté (3). Se reconnaissaient également vassaux de ces princes les sires de Chenex (4), qui, aux XIV et XV siècles, parvinrent à une haute ré- putation de valeur et de prud’homie (5). Il serait possible que les sires de Bardonnex descendissent de cet Anselme Winigers de Bardonnex, que l’on voit figurer, en 1170, dans une charte qui est assez curieuse pour mériter d’étre signalée ici. En ce temps-là, trois hommes de basse condition, demeurant au Chable, ap- pelés, pour cela, de Chablou (quoique leur père, du nom d’Hetbold, fàt de Desingy), quittèrent ce lieu et allèrent s'établir à Genève. Anselme Winigers et ses frères, Girold et Etienne, prétendant que ces hommes leurs appartenaient, cherchèrent à les ressaisir et à les vexer, eos inquietare et vexare ceperunt, afin de les ramener à la glèbe. Voulant eviter le sort qui les attendait, ces malheureux se pourvurent en justice, moverunt questionem, et réussirent à prouver qu’ils étaient libres; ils se placèrent sous la protection du chapitre de S'-Pierre de Genève, qui menaca d’excommunication quiconque les inquiéterait à l’avenir (6), et (1) Archives des cadastres: Acpertoire des reconnaissances des fiefs nobles des baillages de Ternier et Gaillard. On trouve dans ce recueil la série des seigneurs de Confignon depuis le XII siècle jusqu’au XVI. (2) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part. ; documents n.° 14, p. 37. (3) Reconnaissance de 1340 par Hugues de Compesières. — Reépertoire des baillages de Ternier et Gaillard. (4) Hommage de 1337, 1338, 1373, 1378, 1407. — Repertore de Ternier et Gaillard. (5) Pourpris hist., p. 363 et 365. (6) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part.; documents n.° 14, p. 36. Motum esse volu- mus quod Willelmus Ioannes et Guichardus dicti de Chablou quia ibi nati quamvis pater eorum Hetboldus nomine de Disingiaco fuerit ete. M. Ed. Mallet qui a publié cette charte, remarque avec _ raison, que ce passage est une preuve caractéristique de l’absence, à cette époque, de noms pa- tronymiques fixes et bien établis, et de l’usage, alors frequent, de designer les individus par le nom de la localité d’où ils étaient originaires, sans que cette appellation emportàt aucune idée de seigneurie. PAR LÉON MENABRÉA 19 ils payèrent dès lors, à ce chapitre, une redevance annuelle de 6 deniers. Charles Auguste de Sales ne mentionne point dans son livre les sires de Bardonnex; mais nous avons plusieurs reconnaissances féodales où il est question d’eux (tr). Un /illelmus de Bosco qui, en 1137, exergait, on ne sait en quel endroit, la charge de vidomne, pourrait fort bien étre la tige de la noble race des sires Du Bois (2); il aurait été, en ce cas, l’aieul d'un Girardus de Nemore vicedomnus, qui vivait en 1170 (3), et le bisaîeul d’un autre /7iWlelmus de Bosco, dont on retrouve le nom dans un document de 1201 (4). Quoi quil en soit de ces conjectures, peut-étre hasardées, il est certain qu'au XIV.° siècle les sires du Bois figuraient parmi les plus honorables tenanciers du Genevois (5). Il existe cà et là dans nos archives un certain nombre d’investitures qui les concernent (6). Outre le chateau de Rougemont, à raison duquel ils furent toujours vassanx des comtes de Genève (7), les sires de Rougemont, de Rubeomonte, possedaient è Rumilly quelques fiefs, dont la mouvance incertaine résulte de divers titres. En 1256, par exemple, un Aymon de Rougemont se reconnaissait, pour ces fiefs , feudataire des comtes susdits, tandis qu’en 1278 un Guillaume de Rougemont en recevait l’investiture des évéques (8). Je ne ferai qu’indiquer les sires de Lancy, de Collonge et d’Arcine, à l’égard desquels je n'ai pu recueillir que des notions incompletes. Les premiers étaient, à ce qu'il paraît, vassaux de l’église de Genève. On voit un Pierre de Lancy , chevalier, Petrus de Lancie miles, assister, avec de hauts personnages du pays, à un acte de 1190 (9). Un Aymon de Collonge, aussi chevalier, Aymo de Colunges miles, se montre à son tour dans une charte de 1201 (to). (1) Rcpertoire des baillages de Ternier et Gaillard. On trouve une reconnaissance faile par Hugues, fils de Hugues, du 27 seplembre 1337. (2) Mem. de la Soc. d’hist de Genève, t. II, 2 part. ; documents n.° 8, p. 26. (3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. TI, 2 part.; documents n.° 14, p. 37. (4) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève. +. II, 2 part. ; documents n.° 25, p. 54. (5) Pourpris hist., p. 210 et 315. (6) Perussot du Bois, fils de Pierre, se reconnaît homme lige du comte de Genève, pour la maison-forte du Bois, le 6 octobre 1337. Rep. des baillages de Ternier er Gaillard. (7) Répertoire de Ternier et Gaillard. (8) Index des fiefs. V. Rumilly. (9) Mém. de la Soc. d’hist. de Genève, t. SI, 2 part.; documents n.° 19, p. 46. (10) Meém. de la Soc. d’hist. de Genève, t. It, 2 part.; documents n.° 25, p. 54 20 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Plusieurs années auparavant, c’est-à-dire en 1187, un Willelme d’Arcine, revétu également de la dignité de chevalier, /7iWlelmus de Arcina miles, intervenait, comme temoin, à un traité que le comte Guillaume concluait alors avec l’évéque Nantelme (1). Le chateau d’Arcine, situé sur l’un des contre-forts de la montagne du Vuache, devint, je ne saurais dire quand, la propriété des comtes de Genève qui, le 21 mars 1296, en firent donation à Francois de Lucinge, prévòt du cha- pitre de S'-Pierre, qui le transmit è sa famille (2). Nous allons maintenant traverser le Rhòne et continuer nos explo- rations sur le restant du territoire dont le périmètre a été précédem- ment indiqué, c’est-à-dire sur le district qui s’étend le long du Jura, depuis Arlod jusqu'à Divonne. Ce pays, que l’on considérait jadis comme les Thermopyles de l’Helvétie romane, fut, au moyen dge, le théatre d’une foule d’événements. Là se pressaient les juridictions des évéques et des comtes de Genève, des sires de Gex, des comtes de Savoie, des sires de Faucigny et de leurs successeurs les Dauphins, et méme des sires de Villard, qui maintes fois prirent part aux luttes sanglantes, résultat nécessaire de tous ces intéréts divergents. Je viens de mentionner Arlod: les comtes de Genève possédaient en ce lieu, sur la rive droite du Rhòne, non loin du detroit où le fleuve disparaît sous les rochers, une forteresse devenue célèbre par les inces- santes querelles dont elle fut l’objet: je veux parler du chateau d’Arlod, qui, avec celui de Ballon, situé du meme còté, mais un peu plus au nord, au debouché de la vallée de Cheésery, défendait sur cette ligne l’entrée du Genevois. Malheureusement les sires de Gex qui, bien qu’issus des comtes de Genève, faisaient souvent cause commune avec les ennemis de ces princes, étaient propriétaires du fameux chiteau de la Cluse de Gex (aupourd’hui fort de l’Ecluse), d’où ils pouvaient plus facilement commander les passages, ce qui diminuait l’importance des deux autres places. Il suffit, du reste, de parcourir nos vieilles chroniques, pour voir combien de fois ces chateaux furent assiégés, pris, repris, démolis, rebatis, et combien de courage, combien d’héroisme il fut déployé au pied de ces murailles maintenant abandonnées. (1) Spon, pr., n.° 18. (2) Index des fiefs. V. Arcine. PAR LÉON MENABRÉA ni Procke du chateau d’Arlod, une très-noble famille, dont l’origine re- montait, dit-on, aux temps des rois de Bourgogne, et qui portait le nom d’Arlod, possédait une maison-forte, appelce la maison-forte d’Arlod, raison de laquelle elle se reconnaissait vassale des comtes de Genève (1). Toutefois, les comtes de Savoie ayant soutenu que ce fief était soumis à leur mouvance, les sires d’Arlod, après quelques discussions, consentirent, le 10 octobre 1287, à leur en faire la consignation (2). Les comtes de Genève réclamèrent bien contre cet acte; mais ils re- noncèrent bientòt à toute prétention à cet égard (3); si bien que s’étant eux-mémes rendus acquéreurs, le 24 septembre 1299, de la maison- forte dont il s’agit (4), ils ne firent aucune difficulté d’en recevoir l’in- vestiture des mains de leurs puissants rivaux, ainsi que plusieurs docu- ments en font foi (5). Il paraît que déjà, vers le miliea du XIII siècle, les seigneurs d’Arlod se divisaient en plusieurs branches: on y comptait, si je ne me trompe, les Arlod proprement dits, ou Arlod d’Arlod; les Arlod de Mons, maîtres du chàteau de Mons, près de Clermont en Albanais; les Arlod d’Hermance, ceux de Lullier, ceux de la Roche; enfin ceux de Servette en Bugey, dont la généalogie nous a été donnée par Guichenon dans son histoire de ce pays. En remontant le Rhòne, depuis Arlod, dans la direction de Gex, à la moitié environ de la distance qui sépare ces deux localités, entre les communes de Dardagny et de Burdigny, on rencontrait jadis les domaines des sires de Marval. Une charte de la fin du XI siècle renferme la no- tion la plus ancienne qui nous soit parvenue de ces seigneurs: on y re- marque un Guy de Marval, /7ido de Maravallo , approuvant une donation faite par deux frères, Willelme et Raynold, au monastère de S-Victor (6). La mouvance du fief de Marval fut longtemps un sujet de dispute entre les évéques de Genève et les comtes, leurs turbulenis voisins. (1) Zedex des fiefs, v. Arlod. — Le 23 février 1277, Guillaume d’Arlod déclare ètre homme lige du comte de Genève pour tout ce qu'il possède à Arlod. En 1281, hommage fait par Guillaume et Mermet d’Arlod au comte de Genève, à raison du fief d’Arlod. (2) Zadex des fiefs, v. Arlod. (3) Ibidem. Transaclion du 21 decembre 1385, entre le comie de Savoie et le comte de Genève, au sujet du fief d’Arlod. (4) Index des fiefs, v. Arlod. (5) Hommages de 1368, 1377, 1385 etc. Zdex des fiefs. (6) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. I, 2 part., p. 148. 22 DES ORIGINES FÉODALES ETC. En 1155, l'évéque Ardutius s’étant plaint de ce que le comte Amédée avait usurpé l’hommage lige de Guillaume de Marval, dont les posses- sions, disait-il, relevaient de son église, on convint, après de longs débats, qui portaient sur d’autres questions encore, que ce seigneur, par son option, terminerait le différent (1): il opta pour l’évéque. Au commence- ment du siècle suivant, Pierre de Cessens, l’un des successeurs d’Ardutius, eut l’idée de rebàtir à neuf, proche de l’ancien manoir des sires de Marval, une forteresse destinée à tenir en bride les princes laiques, ennemis de sa puissance temporelle; cette forteresse, appelée le chàteau de Marval, ayant besoin d’étre continuellement défendue contre les entreprises du dehors, fut par lui donnée en fief aux seigneurs susdits, à charge de fidelité et de prestation d'hommage. Et de fait, je trouve qu'en 1292 un Nicolas de Marval se reconnaissait, à ce sujet, vassal de l’éveque Guillaume; mais en méme temps il priait ce prélat de vouloir bien reprendre le chàteau dont il s’agit, prétextant de ne pouvoir le garder, à cause des incessantes attaques des sires de Gex (2). En 1303, la guerre s’étant rallumée entre le comte de Savoie et le comte de Genève qui avait alors pour allié le Dauphin de Vienne, le premier de ces princes, l’illustre Amédée V, jugeant la position de Marval très-favorable à ses projets, et voyant que le chateau qui y existait naguère était completement ruiné, résolut de le reconstruire, ce qui eut lieu en peu de temps. « Là, disent nos chroniques, il logea force gens d’armes » et bons rottiers, lesquelx corroyent tout le pays, y faisoyent moult » maulz, et avoyent un retrait et refuge asseuré audit chastel. » Cela n’empécha pas cependant que, trois ans après, il ne fùt investi par le seigneur de Gex qui, avec l’aide du baron de Vaud, le prit, au bout de neuf jours, et le detruisit de fond en comble (3). Non loin du chateau de Marval, qui devait subir tant de vicissitudes, se trouvait celui de Peney, biti par l’évéque Aymon de Grandson, (1) Spon, pr., n.° 2. (2) Mem. de la' Soc. d’hist. de Genève, t. 1, 2 part., p. 108. (3) Le Zasciculus temporis s'exprime ainsi au sujet de ce chàteau: Anno Domini M. CCC. IL die martis post festum B. Michaelis, fuit bastitum castrum de Marval per gentes illustrissimi vivi domini Amedei comitis Sabaudie millesimo sumpto a pascha. Item, anno a nativitate Domini M. CCC.VI. die jovis in ascensione Domini AV Kal. junii fuit obsessum castrum de Marval per'dominum E. de Gayo cum auzilio gentium domini Ludovici de Vaudo ct ipsum castrum cepit et destruxit et per nove dies stetit ibidem. On peut consulter, dans les archives de Genève, uno enquòte faite le 23 juillet 1306, au sujet de la prise de ce mème chàteau. PAR LÉON MENABRÉA 23 successeur immédiat de Pierre de Cessens. Ce chateau suscita non moins de querelles que le précédent: les sires de Gex, entre autres, préten- dirent qu'il avait été construit sur une terre à eux propre; ils en deman- dèrent la démolition; mais les parties s'accommoderent (1). Outre le chitean de la Cluse, dont j'ai déjà parlé, les sires de Gex avaient, à Gex méme, une citadelle très-forte, où ils pouvaient longtemps braver l’ennemi, ainsi que nous l’apprennent les siéges assez nombreux qu'elle eut à soutenir. Au-dessus de Gex, ils possédaient le chiteau de Florimont, an moyen duquel ils interceptaient, quand bon leur semblait, le passage du Jura: le Comte Vert l’assiégea, lorsque, en 1353, il fit la conquéte du pays de Gex (2). Ils étaient enfin propriétaires du chiteau de Versoix (3). Mais de tous les chateaux qui peuplaient la contrée, le plus remar- quable, le plus imposant, fut sans contredit celui de Corbières, appar- tenant aux comtes de Genève. Cette forteresse passait pour inexpugnable. Toutefois, en 1321, le comte de Savoie, Amé V, parvint à s'en emparer après un siége memorable qui dura cinq semaines et trois jours (4). J'ai mentionné, il y a un instant, les sires d’Arlod et les sires de Marval comme figurant parmi les principaux feudataires de l’intéressant pays que nous parcourons; il nous reste à passer en revue quelques autres noms, dont la plupart ne sont point inférieurs à ceux-là. A l’ouest de Genève il existe deux localités, appelées le grand et le (1) Spon, pr., n.° 22. La transaction est de 1261. Ces querelles durèrent longtemps, car je trouve dans les archives de Genève un acte, redige le 6 juillet 1351, où l’on voit que le comte de Genève, s’étant indùment emparé de ce chàteau, le remit provisoirement entre les mains du chapitre épiscopal, en attendant qu’une transaction eùt réglé les droits des parties. (2) Comptes des chàtelains do Florimont, cités par M. Brossard dans son Mist. du pays de Gex, p- 201. (3) Ce chàteau et celui de la Cluse ayant été donngés en gage par Léonelte de Gex à Béatrix de Faucigny pour des sommes considérables, celte dernière, par un acte de 1286, que Valbonnais a publié, t. IT, p. 37, céda tous ses droits à cet égard au Dauphin de Vienne. Plus tard, les comtes de Savoie s’emparèrent de ces deux chàteaux, au préjudice des Dauphins, ce qui donna lieu à de vives contestations. V. Guichenon, Mist. de Bresse, p. 64. (4) Le Fasciculus temporis menlionne ce siége en ces termes: Ztem eodem anno Domini M. CCC. XXI. obsedit dominus Amedeus comes Sabaudie castrum Corberie et ibidem stetit per quinque ebdomadas finitas tertia die post nativitatem Domini anno M. CCC. XXII. ei ante dictum castrum festinavit nativitatem Domini et ipsum castrum cepit. Dans le t. I de la 2.° série des Mem. de l’Acad. de Savoie se trouve un travail intitulé: De l’orgarisation militaire au moyen dge, où j'ai donné tous les détails dudit siége, d’après les comptes des trésoriers de guerre de Savoie. Cette notice est des plus curieuses. 24 DES ORIGINES FÉODALES ETC. petit Saconnex, inféodées jadis, du moins en partie, à des seigneurs qui occupaient une position des plus honorables. En 1230, un Guillaume de Saconnex, Gwuillelmus Sacunai, se rendait caution du comte de Genève, son suzerain, et lui cédait un de ses chevaux de guerre moyennant une somme assez forte pour le temps d’alors (1). Nous avons une charte de 1196, où sont désignés plusieurs membres de la famille de Saconnex, et notamment un Willerme et un Hugues, tous deux revétus de la dignité de chevalier (2), milites. Tout à còté des sires de Saconnex florissaient, à la meme époque, les sires de Fernex (3) qui, ainsi qu'on verra, obtinrent en fief le chàteau de Lullin (4). Plus loin, sur le territoire de Chollex, au pied du Jura, les sires de Livron posaient les fondements de leur future splendeur (5). Enfin, au nord de Gex, sur la frontière de la terre de Vaud, se montrait l’antique et puissante famille des sires de Divonne, qui, au commencement du XII siècle, donnait à l’abbaye de Bonmont des biens considérables, comme l’atteste une charte de 1123, où l’on voit un Walcher et un Etienne de Divonne, et leur mère Helvide, intervenir en qualité de bienfaitenrs de ce monastère (6). On disait cette famille issue d’un prince de la maison de Genevois. En 1188 environ, un Humbert de Divonne voulant aller en Palestine visiter, disait-il, le tombeau de Jésus-Christ, emprunta de l’abbaye d’Abondance une grosse somme, pour sireté de faquelle il relàcha à cette opulente maison religieuse différentes terres, soit allodiales, soit féodales, situées à S'-Gingolph, Massongy et autres lieux du Chablais, avec le consentement de sa femme Accelline et de son frère Vullierme. Il reviut de ce long voyage dans un tel état de detresse, que les moines furent obligés de lui fournir encore quelque argent. C'est alors qu'il leur (1) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part.; documents n.° 4, p. 20. (2) Mem. de la Soc. d’hist. de Genèse, t. II, 2 part.; documents n.° 21, p. 55. (3) V. le document cité ci-apròs. (4) V. plus loin. (5) Brossard, ist. du pays de Gex. (6) Mem. de la Soc. d’hist de Genève, t. II, 2 part.; documents n.° 9, p. 26. Il existe dans les archives de Lausanne, Baillage de Bonmont, liasse 265, n.° 1, un autre acte de 1131, par lequel un Gauthier de Divonne fait donation à cette mème abbaye du village de Pellens, proche de Rippe, et de tout le territoire qui en dépend. PAR LÉON MÉNABRÉA 25 abandonna définitivement les terres en question, en les nommant, au besoin, ses héritiers en cette partie de sa succession future (1). Je me contente de mentionner, en passant, les familles de Graillé , de Burdigny, de Sergy, de Versonnay, qui apparaissent déjà dans les titres du XII siècle, et dont la première surtout offre une genealogie assez suivie jusqu'à la fin du XVI (2). CHAPITRE II. Combats acharnes entre les comtes de Genève, les comtes de Savoie, les sires de Faucigny et les Dauphins de Vienne. - Scigneurs de Langin. - Gérold est au nombre des bienfai- teurs de labbaye de Vallon. - Amaldéric. - Sires de Ballaison. — Cervene. - Lullier. - Villette. - Etrambiéres - Troches. - Gaillard. - Monthoux. - Lullin. - Fernex. - Cholex. - Moniforcheys. - Hermance - Nernier. - Ivoire et plusieurs autres. - Ville de la Roche. - Sires de Soirier. - Les Compeys, seigneurs illustres toujours mélés aux evenements impor- tants des époques où ils vivaient. - Leur pwissance. - Curieuse transaction, - Les ‘sires de Sales. - Ancétres du grand Saint. - Ils se vantent de tirer origine des prétres Saliens. - Leur cri de guerre. - Prétentions erronées. - Vidommat el seigneurie. - La maison de Sales feudataire de Compey.- Son ancienneté et son développement. L'espèce de parallélogramme qui, dans le Chablais moderne, s’étend depuis les confins de l’ancienne chatellenie d’Allinge, entre le lac Léman et la majestueuse montagne des Voirons, jusqu’à l’Arve, présentait, au moyen dge, un assez singulier spectacle. Jamais, en effet, territoire ne fut plus bizarrement fractionné par le régime féodal: c’était un champ clos, où les comtes de Genève, les comtes de Savoie, les sires:de Faucigny et, après ceux-ci, les Dauphins de Vienne, leurs successeurs, ne ces- sèrent, pendant trois siècles, de se livrer des combats acharnés. Chacan de ces princes y possédait des terres, des chateaux, y comptait ses fidéles , ses feudataires: de là, des querelles sans fin. (1) Chartes inédiles; ces charles, au nombre de deux, sont sans dale; mais elles furent rédigées à V’époque où Gerold était abbé d’Abondance. La première débute ainsi: Ir zomine patris et filii et spiritus sancti ego Humbertus de Divona memorie presenti scripio notifico quod pro salute anime mee sepulcrum Domini visitare cupiens, etc. Et la seconde: In Kristi nomine in hac cartula breviter notificamus quod dominus Humbertus de Divona post reditum Jherosolime ci visitationem sepulcri Domini habundantiam venit, ele. (2) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part.; documents, passîim. — En 1214, d’après une charte qui existe aux archives de Lausanne, Bai/lage de Bonmont, liasse 265, n.° 23, un Anselme et un Mumbert de Graillé, chevaliers, faisaient donation à l’abbaye de Bonmont de tout ce qu'ils possedaient dans le lieu mèéme de Bonmont. i Serie I. Tom, XXIII 4 26 DES ORIGINES FEODALES ETC, Les comtes de Genève avaient dans ce canton plusieurs vassaux puis- sants, parmi lesquels on distinguait les sires de Langin, de Ballaison, de Cervenc, de Lullier, da Vernay, de Villette, de Troches, d’Etrambières. L’origine des sires de Langin a toujours été regardée comme remon- tant à une époque fort éloignée, et allant se perdre, en quelque sorte, dans la nuit des temps. Un écrivain qui avait compulsé beaucoup d’ar- chives, l’évéque Charles Auguste de Sales, en parlait ainsi, en 1659: « Cette famille, dit-il, est si anciennemeut noble que, quand il n’y aurait » titres authentiques pour preuves de sa splendeur, il suffirait. de porter » les yeux sur les hautes tours de son chateau en ruines. Si Dieu veut » que je puisse bien éclorre mon dessein de l’histoire commune de la » noblesse de Savoie, j'espère faire voir que cette maison va de pair avec » les plus illustres races (1). » Et de fait, déjà en 1338 un Geérold de Langin, et avec lui un Pierre de Ballaison et un Pierre de Cervenc , posaient les fondements de la célèbre chartreuse de Vallon, et donnaient à ce monastère nais- sant des terres considérables (2). Ce Geérold figurait, au XII siècle, parmi les principaux feudataires de la contrée (3). Un Amaldéric de Langin, de Zangino, assistait, en 1155, à une confirmation des libéralités faites par l’évéque Ardutius à la chartreuse du Repausoir (4). Geérold de Langin et ses frères, Aymon, Hugues et Amalderic, sont cités comme ayant été les premiers à accueillir les disciples de St-Bruno dans les hauteurs solitaires du Genevois. Le manoir de ces seigneurs s'élevait en face de Douvaine, sur le penchant de la montagne des Voirons, qui sépare le Faucigny du Chablais moderne. Les comtes de Genève conservèrent la suzeraineté du fief de Langin jusqu’en 1350 (5), époque à laquelle ils l’abandonnèrent, à titre de gage, aux comtes de Savoie, qui paraissent l’avoir retenu dès lors (6). Déjà, antérieurement, (1) Pourpris hist. de la maison de Sales, p. 142. (2) Voyez ma Notice sur l’ancienne chartreuse de Vallon, dans le t. IL de la 2° série des Mem. de l'Acad. de Savoie. (3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. Il, 2 part., p. 24; documents n.° 7. (4) Pourpris hist., p. 150. (5) Archives de la Chambre des comples: Index gencral des fiefs. Hommages de 1280, 1294, 1315 et1338. V. Zargin. On trouve quen 1289 Jean de Langin s’était reconnu homme lige de Beatrix, dame de Faucigny, sous reserve de la fidelité qu’il devait au comte de Genève. (6) Archives de Cour, Gereyois, liasse 1, n.9 6. PAR LÉON MÉNABREA 277 les sires de Langin s'étaient rendus hommes liges de ces derniers à raison des maisons-fortes de Veigier (1) et de Grésier (2), situées non loin de leur antique résidence. Au nord-ouest de Genève, là où le Chablais moderne commence è dérouler ses majestueux versants, on rencontrait les possessions des sires de Ballaison, qui passaient genéralement pour étre, suivant l’expression de l’auteur déjà cité, « un rameau du grand arbre de la race ducale de » Bretagne (3).» Il est probable que la ressemblance de leurs armoiries avec celles des princes bretons ait donné lieu à ce sentiment. Quoi qu'il en soit, ces seigneurs riches et hautement alliés, jouèrent constamment un ròle assez remarquable dans notre histoire féodale. Nous venons de voir un Pierre de Ballaison contribuer, en 1138, à l’établissement de la chartreuse de Vallon. Or je trouve qu’en 1178 un Willelme, de la méme famille, assistait è une donation que Rodolphe de Faucigny faisait au convent du Repausoir, fondé quelques années auparavant (4). Dans un document de 1180, un Humbert de Ballaison recoit la qualification, très-honorable alors, de donnus, qui signifie sci- gneur, donnus Humbertus de Balleisone (5). En 1136, un Turumbert de Ballaison et sa femme Ambroisie choisissent l’église de l’abbaye d’Aulps pour le lieu de leur sépulture, et font présent à cet insigne monastère d’une terre allodiale qu'ils avaient dans le district d’Habères, in par- rocchia de Alberis (6). On pourrait facilement multiplier ces citations. Le chiteau de Ballaison, devenu la propriété des comtes de Genève, excita, aux XIM et XIV siècles, de longues guerres entre ces princes et la maison de Savoie. Les sires de Ballaison s’éteignirent au commencement du XVI siècle. Ils possédaient originairement le vidomnat de Ballaison qui leur avait été sans doute inféodé par les évéques de Genève; mais (1) Zadex gen. des fiefs. Reconnaissance de 1344, 1363 et 1402. V. Veigier. Le chàteau de Veigier, ou Vaygier, était situé dans le Chablais moderne. (2) Archives du cadastre de Chambéry: Sommaire general des fiefs: Chablais, V. Grésier. | (3) Pourpris hist., p. 149. (4) Pourpris hist., p. 180. (5) Voyez ma Notice sur l’abbaye d’ Aulps dans les Mem de V Acad. de Savoie, t. Il de la I.re série. (6) Ibidem. — La maison-forte de Beauregard, en Chablais, fut inféodée le 8 mai 1400, à noble Pierre de Ballaison par Humbert comte de Genève. - Arch. de Cour, Bombet, t. IMI, fol. 39. - Ladite seigneurie de Beauregard, après avoir passé en diverses mains, fut acquise le 15 décembre 1694 par messire Costa, president, el érigée en marquisat peu après. Le 9 avril 1735, la consignation en fut faite par messire Gaspard Costa. 28 DES ORIGINES FÉODALES ETC. ils ne le gardèrent pas longtemps, car nous le voyons de bonne heure 5 enire les mains des sires de Langin (1). Les sires de Ballaison étaient feudataires des comtes de Genève: ceux-ci possédaient dans le voisinage de ces tenanciers le fameux chàteau de Troches. Le ro décembre 1393 le pape Clement VII, comte de Genève, accorde à Pierre de Ballaison l’investiture de l’omnimode juridiction dans le mandement de Ballaison. Bien que les sires de Cervenc fussent, par l’illustration de la fortune, un peu inférieurs aux précédents, opinion qui n'est, du reste, fondée que sur la rareté des documents qui les concernent, la part qu'ils prirent à la fondation de la chartreuse de Vallon, l’ancienneté du titre qui cons- tate cette ceuvre pieuse, prouvent qu'ils occupaient un rang distingué parmi les grands tenanciers du Genevois. Charles Auguste de Sales, que je me plais à citer parce qu'il est exact et qu'il connaissait parfaitement l’histoire de la noblesse de Savoie, parle de la maison de Lullier, qui était éteinte de son temps, comme ayant été des plus illustres et des plus puissantes: il nous fait connaître plusieurs de ses membres, et mentionne entre autres un Aymon de Lullier, chevalier, miles, qui vivait en 1181 (2). Il est certain qu'à raison de leur chateau de Lullier, ces seigneurs se reconnaissaient feu- dataires des comtes de Genève (3). Ils possédaient, en outre, une portion du vidomnat de Ternier, à raison de quoi ils étaient encore vassaux des mémes princes (4). Ler sires du Vernay, dont la véritable origine m’échappe, occupaient, proche de Lullier, une maison-forte du nom de La Rochette, pour la- quelle ils faisaient aussi profession d'hommage lige envers les comtes de Genève , sous condition néanmoins , chose assez remarquable, de n’étre, (1) Nous avons une déclaration de Pierre, comte de Genève, du 6 novembre 1375, en faveur de Pierre de Langia, portant que le tiers des condamnalions pécuniaires du mandement de Ballaison appartient è ce seigneur en sa qualité de :vidomne. V. Sommaire general des fiefs: Chablais, - v. Ballaison vidomnat. (2) Pourpris hist., p. 369. (3) Index général des fiefs, v. Lullier. Reconnaissance de Rollet, fils de feu Aymon de Lullier, en faveur du comte de Genève, pour la maison-forte de Lullier, 24 octobre 1303. 4) Le 1er juillet 1280, Aymon, fils de Pierre, seigneur de Lullier, déclare ètre homme lige du comte de Genève pour la moilié dudit vidomnat. Voyez V’Inder gencral des fiefs, v. Ternier. Plu- sieurs informalions avaient eu lieu, en differents temps, aux fins de constater la portion afferente a ces seigneurs. Voyez aux archives du cadastre : Répertoire des reconnaissances des fiefs nobles des baillages de Ternier et Gaillard. PAR LÉON MÉNABREA 29 en aucun cas, tenus de guerroyer contre les comtes de Savoie. Cette neutralité s'explique par les dangers incessanis auxquels les aurait exposés, sans cela, le voisinage de ces princes redoutables et redoutés (1). Les sires de Villette possédaient, proche de Genève, sur la rive de l’Arve, un chateaun que nos chroniques mentionnent comme ayant été le théatre de maints faits d’armes. Ces seigneurs, qu'il ne faut pas con- fondre avec les sires de Villette, en Tarantaise, jouissaient, aux XII et XIII siteles, d’une haute position politique. De 1135 environ, à 1201, on voit un Pierre de Villette prendre part à des événements de divers genres (2). Un Amaldéric de Villette assistait, vers 1160, à un acte de pieuse libéralité d’Aymon, sire de Faucigny, en faveur de la chartreuse déjà citée de Vallon (3). En 1219, un Thomas de Villette se consti- tuait caution de Guillaume, comte de Genève, pour la somme de 500 sols etc. (4). Il ne nons reste, touchant les sires d’Etrambières et de Troches, que des renseignements assez restreints. Un Guy d’Etrambières , chevalier, Guido miles d’Etrambieres, vivait en 1201 (5). Un Aymon de Troches ‘prenait rang, en 1297, parmi les plus hauts personnages du Genevois, et fut du nombre des seigneurs qui, cette année-là, se rendirent per- sonnellement garants de la paix conclue par leur souverain avec Amé, comte de Savoie. On y remarquait encore un Jean de Langin, un Theéobald de Villette et plusieurs autres, qu'il est inutile de nommer ici (6). (4) Dans une reconnaissance de janvier 1340, faite par Perronnet du Vernoy, en faveur du comte de Genève, on lit, en effet, la clause suivante: Excepto quod de ipsa domo forti non teneatur nec debeat dictus Perronnetus nec ejus successores ad dictum dominum comitem gebennensem jurare contra dictum dominum Sabaudie qui nunc est nec contra gentes suas. Archives du cadastre: Mém. pris dans les archives de la Cour et dans celles de la Chambre des comptes, concernant les requétes pré- sentées ensuite de Vedit du 5 aodt 1752, pour l’insestiture des fiefs, t. II, fol. 17. (2) Mem. de la Soc. d’hist. de Gèneve, +. IH, 2 part.; documents n.° 3, p. 20, n.0 8, p. 26, n.° 25, p. 54. — Bibl. Seb., 2 cent., n.° 52. (3) Notice sur la chartreuse de Wallon. (4) Spon, Mist. de Genève, preuves, n.° 20. (5) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. IT, 2 part.; documents n.0 25, p. 54. La seigneurie d’Etrambières devint, au commencement du XIV siècle, la propriété des sires de Compey ; ello avait été acquise par Elienne de Compey, chanoine, qui, en 1328, la céda au comte de Genève, lequel, par un acte du fer juillet de la mème année, cité dans le Pourpris Rist. de la maison de Sales} p. 161, l’inféoda à Guillaume de Compey, frère dudit Etienne. (6) Archives de Cour, Duché de Genevois, liasse 3, n.° 4, 30 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Le chiteau de Troches, devenu la propriété des comtes de Genève, fut par eux inféodé à la famille de Ternier en 1354 (1). Cette famille le possédait encore au XV siècle. Pour protéger et étendre, au besoin, leur juridiction dans ce district important, qui était en quelque sorte la clef du Chablais, les princes que je viens de nommer avaient, en 1304, élevé à grands frais une for- teresse, au moyen de laquelle ils espéraient sans doute écraser leurs rivaux: je veux parler du fameux chateau de Gaillard, qui occupe dans nos annales des. pages si intéressantes, et qui fut l’objet de tant de combats (2). A peine etaitil achevé, que les sires de Faucigny, qui n’avaient pu en empécher la construction, s’en plaignirent à outrance; si bien que les comtes de Genève se virent obligés d’entrer en accom- modement. Ce chàteau, bàti sur une hauteur, appelé le Crét de Panissière, devait causer en effet une singulière inquiétude à un autre chiteau non moins celèbre, situé tout près de là, le chiteau de Monthoux, de Mon- telupho, dont ces mémes sires de Faucigny étaient en possession de temps immémorial , et qui commandait le cours de l’Arve et une bonne portion de la contrée. Les parties contendantes convinrent d’une infinité d’excellentes choses pour le maintien de la paix; mais le traité fut, cela va sans dire, presque aussitòt rompu que conclu (3). (Il faut bien se garder de confondre le manoir des sires de Monthoux avec la célèbre forteresse dont j'ai parlé, construite au XIII siècle tout près d’Annemasse, par les barons de Faucigny. Le chiteau féodal ‘de Monthoux, de Montelupho, de Montelophi, auquel on applique aussi la dénomination de Barrioz, qui en vieux langage signifie un endroit for- tifié, ce chàteau, dis-je, s'élève à peu de distance d’Annecy, sur la li- siére d’une épaisse forét de sapins qui le rempare du còté du nord. Les sires de Monthonx tenaient en fief des comtes de Genève les paroisses (1) Acte passé en faveur de Girard de Ternier le 6 septembre de ladite année. Sommaire general des fiefs: Chablais, v. Troches. i (2) Voici ce que dit, à cet égard, la chronique inédite intitulée Fasciculus temporis, que je erois ètre la mème que le Fasciculus rerum genevensium cité par Guichenon: Item anno M.CCC.IV, de mense julii, fuit bastitum castrum Gaillardi, per Amedeum comitem Gebennensem. On peut lire dans la chrenique de Savoie le chapitre intilulé Comment le comte de Genève édifia le chastel de Gaillard. (3) Archives de Cour, Duché de Genevois, liasse 1, n.° 4. Ce traité est du mercredì, 15€ jour après la fète de St-Michel, de Vanné 1304. Charvaz et Cornier en font aussi mention au fol. 7 de leur Répertoire existant aux archives de la Chambre des comptes. PAR LÉON MÉNABREA dI de Pringy et d’Argonnex. - Nous trouvons une reconnaissance de fief passée, en 1316, par Jacquemet de Monthoux en faveur des comtes de Genève (voir au Sommaire gen. des fiefs). Il existe une autre reconnais- sance de Falconet de Monthoux du 17 janvier 1278. Zndice M. t. 1, fol. 4o. On trouve quelques renseignements sur cette famille dans Je Pourpris hist. de la maison de Sales, pag. 417 et suivantes). C'est alors que Hugues Dauphin, à qui le Faucigny obéissait, cons- truisit le chateau de Lullin, destiné A préserver ses frontières du còté du nord, autre sujet d’interminables contestations (1). Ce chateau, donné quelques années après en fief à l'illustre Humbert de Cholex (2), passa, vers le milieu du XIV siècle, aux mains des sires de Fernex, qui le tinrent jusqu'à l’époque où Guillermette de Fernex l'apporta en dot à Thomas, fils de Pierre, bitard de Genève, qui fut la tige des celèbres marquis de Lullin (3). Humbert de Cholex, que je viens de nommer, s'était toujours montré l’un des plus zélés partisans des Dauphins, alors maîtres du Faucigny; aussi ces princes l’avaient-ils revétu de plusieurs emplois importants, et lui avaient-ils souvent confié des missions d’un haut interét (4). Ce seigneur, propriétaire de la maison-forte de Cholex, située à peu de distance du chateau de Gaillard, fui chargé, en 1318, de construire , dans ce voisinage, une nouvelle forteresse appelée la Batie de Compey, ce qui donna lieu à de nouveaux griefs, et occasionna de nouveaux conps d’épée (5). Outre les chiteaux de Monthoux, de Lullin et de la Bàtie de Compey, dont je viens d’esquisser l’histoire, les sires de Faucigny possédaient dans (4) Item codem anno M.CCC. V, die jovis in crastino Epiphanie Domini fuit bastitum molare de Lulins per dominum Hugonem Dalphini. — Fasciculus temporis. (2) Index des fiefs, v. Lullin. Acte du 18 octobre 1322. (3) Ibidem. Hommage de Jean de Fernex, setneur de Lullin, du 8 octobre 1392. Voir les genéa- logies manuscrites de dom Luc de Lucinge. (4) Humbert de Cholex cumulait les charges de chàtelain de Beaufort, de Bonne et de Flumet; il fut l’un des médiateurs de la paix que le dauphin Humbert II conclui, en 1334, avec Aymon, comte de Savoie. V. Valbonnais, Mist. du Dauphiné, è. II, p. 191 et 251. (5) Item anno Domini M.CCC.XVIII, die lune VII mensis julii fuit facta bastia de Compeis versus Cholays per dominum Humbertum de Cholays militem. — Fasciculus temporis — Voyez dans la Chron. de Savoie le chapitre intitulé Comment le comte Edoard abastit la bastie de Compeys. Cette maison- forle, que le comte Edouard ne detruisit point, quoi qu’en dise la chronique, fut achetée l’année suivante, 1319, de Humbert de Cholex par le Dauphin de Vienne, qui, en échange, donna en fiet à ce personnage la seigneurie du Pont-de-Boringe. — Index des fiefs, v. Bdtie de Compey. 32 DES ORIGINES FÉODALES ETC. le territoire qui fait maintenant l’objet de nos investigations, ceux de Montforcheys, d’Hermance et de Nernier; un de leurs feudataires occu- pait la tour d'Yvoire: on voit donc qu'ils pouvaient ici lutter, avec avan- tage, contre les comtes de Genève, voire contre ceux de Savoie. Le chateau de Montforcheys, qui tirait son nom de la singulière forme des montagnes géantes, au sommet desquelles il était perché, et d’où il dominait tous les pays environnants, se posant là comme un autre fier gardien des marches, ou frontières du Faucigny à la suite de celui de Lullin, avait été construit à peu près à la méme époque que ce dernier. ‘Le comte de Savoie, Edouard, si l’on en croit nos chroniques, en fit le siége et le prit; mais il ne put le détruire, et dut l’abandonner (1). Pour asseoir convenablement cette redoutable forteresse, qui ressemblait à l’aire d'un aigle, Hugues Dauphin avait emprunté de force un terrain appartenant à l’abbaye d’Aulps; aussi ce monastère ne tarda-t-il pas à se plaindre. Il résulte d'une charte du 16 des calendes de janvier 1320, qu'à ce premier grief les religieux en ajoutèrent plusieurs autres; ils se récriaient notamment de ce que le prince les obligeait, indùment, de lui fournir en permanence cinquante clients, ou hommes de guerre à pied, pour la garnison de ses chiteaux d’Allinge-le-vieux, de Bonne et de Chatillon; sur ce que les chatelains, metraux et autres officieîts du Fancigny, non-seulement les empéchaient de jouir de leurs pàturages et dle leurs foréts, mais encore portaient incessamment atteinte à l’exercice de leur-juridiction; que ces implacables officiers avaient, par exemple , déiruit les potences que l’abbaye entretenait à Poches, sur ses propres terres, dans le voisinage du nouveau chateau; qu’ils s’étaient permis de detacher de ces potences les malfaiteurs qu'on y avait pendus, en exé- cution de sentences légitimement rendues, et de les transporter ailleurs etc. ; bref, les parties s'accommodèrent (2). Pour ce qui est du chiteau d’Hermance, dont les crénaux se miraient (1) Voyez le chap. de la chron. de Savoie intitulé Comment le conte Edoard print le chastel de Montforcheys. (2) Ztem super co quod dicebatur quod castrum de Monteforchuto crat et est fundatum et edificatum partim. in terra et proprietate ipsorum rveligiosorum videlicet a parte Montisherbosi et de Poches..... Item super eo quod cum familiares dictorum religiosorum in furcîs propriis dieti monasterii suspendis- sent duos homines de hominibus suis familiares dicti domini Fucigniaci dictos duos suspensos de dictis furcis amoverunt et in aliis furcis suspenderunt. .....— Charte inédite, PAR LÉON MÉNABREA 33 dans les eaux du lac, et qu'on prétend, à tort peut-étre, avoir été construit par la reine Hermengarde, peu de localités éprouvèrent autant de vicis- situdes que celle-là, et furent témoins d’autant de siéges, d’autant de combats. Quant au chateau de Nernier, il devint momentanément la propriété des sires de Gex; mais le 4 fevrier 1277, Léonette, dame de Gex, le revendit à Beatrix de Savoie, héritière du Faucigny, mariée, comme on sait, à un Dauphin de Vienne (1). Il fut plus tard inféodé à différentes familles (2). Enfin la tour d’Yvoire, bàtie aussi sur les bords du Léman, appar- tenait aux sires d’Yvoire qui reconnaissaient, à cet égard, la suzeraineté de la dynastie princière du Faucigny, ainsi qu’en fait foi un titre de 1289, par lequel un Anselme d’Yvoire se déclare, pour cet objet, vassal de la comtesse Beatrix ci-dessus nommeée (3). Toutefois, en 1306, les enfants de ce seigneur abandonnèrent ladite tour aux comtes de Savoie en cor- respectif de la maison-forte de la Chapelle-Mariez, que ces princes leur remirent en échange (4). J'ai mentionné le chiteau de Jussy: ce chateau et son territoire, je l’ai dit ailleurs, étaient du domaine des évéques de Genève, et faisaient partie de la juridiction temporelle de ces prélats. Nous allons maintenant nous replacer au pied du Salève, d’où re- montant la rive gauche de l’Arve, et laissant le Faucigny à droite de cette rivière, nous arriverons à la Roche qui faisait autrefois partie du Genevois; de là, traversant les collines flexueuses, qu'on appelle les Bornes, et passant par Thorens et Sales, où se dirigeait l’ancienne route, nous verrons s’ouvrir devant nous la ville d’Annecy, dont nous explorerons les environs tout pleins d’intéressants souvenirs. Dans l’échancrure de rochers qui existe entre le grand Salève et le petit Salève, et forme un col qui jadis était très-fréquenté par les voyageurs, s’élevait, au XII siècle, un chiteau appartenant à des feuda- taires qui ne vécurent pas sans quelque renom; je veux parler des sires (1), Sommaire des fiefs, Chablais, v. Merzier. (2) Index des fiefs, v. Nernier. 3) Arch. de Cour, Province de Faucigny, liasse 1, n.° 26. 5 (4) Sommaire des fiefs, Chablais, v. Fwoire. La tour d’Yyoire fut donnée plus tard, en fief, aux sires de Rovorée. Serie II. Tom. XXIII. 5 34 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de Mornex (1). Les comtes de Genève, qui sans doute avaieni intérét à s'attribuer exclusivement la garde de ce passage important, suriout en temps de guerre, achetèrent en 1289, et pour le prix de vingt-six mille sols genevois, le vieux manoir de ces seigneurs, et en firent le chef-lieu d’une chatellenie (2). A peu de distance de Mornex, sur un des plateaux qui dominent la vallée de l’Arve, se dressait la maison-forte des sires d’Aisery qui pou- vaient se vanter d’une origine non moins illustre que celle de la plupart des familles qui ont été nommées jusqu’è présent. Je trouve en effet que, vers le commmencement du XII siècle, un Armann d’Aisery, Armannus de Asiriaco, faisait, en vue de son salut, et du consentement de l’éveque Guy, une donation de biens assez considérables an monastère de S'-Victor (3). Un Aymon d’Aisery figurait en 1153 à la suite d’Ameédée, comte de Genève, dans un acte de ce prince en faveur de l’abbaye d’Abondance (4). Bien qu'ayant leur chaàteau sur la rive droite de l’Arve, ‘en plein Faucigny, les sires de Nangy ne laissaient pas d’étre comptés au nombre des feudataires du Genevois; le lecteur ne s'en étonnera point d’après ce qui a été dit précédemment. Le premier qui nous soit connu est un Raymond de Nangy, chevalier, Reymondus miles de Nangyaco, que l’on voit figurer dans une charte écrite, selon toute apparence, avant l'année 1100. Diverses chartes, rédigées pendant la première moitié du XII siècle, nous révelent l’existence d’un Raymond, d’un Gerold, et d'un Rodolphe de Nangy, prenant place parmi les vassaux ou barons, darones, des comtes de Genève (5). I Lorsqu'en 1155, le comte Ameédée dut transiger avec l’évéque Ardutius, trois membres de la race de Nangy, trois frères peut-étre, Pierre, Ayméric et Aimé, furent charges du ròle de médiateurs (6). Après eux, on voit paraître un Guillaume de Nangy, qui parcourut une longue et (1) Je trouve un Freordus de Mornaco, à la suite du comte de Genève, dans un acte de 1137. Voy. Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part., documents n.° 8, p. 26. 2) Index des fiefs, v. Mornex. Dès le commencement du XIV siècle, les sires de Compey acqui- rent, dans le mandement de Mornex, des terres, à raison desquelles, ils s’inlitulaient seigneurs de Mornay. 3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. 1,2 part., p. 151. (4) Bibl. Sebus., cent. 1, n.° 52. Mem. de la Soc. d’hist. de Genèce, t. II, 2 part., documents n.° 3, 7 et 8, p. 20, 24 et 98. (6) Spon, pr., n.° 3. 77° \° 4 PAR LÉON MÉNABRÉA 35 éclatante carrière, à en juger par la fréquence des actes où il est cite (1). Enfin, un second Rodolphe de Nangy se faisait remarquer, en 1219, au sein des querelles, souvent sanglantes, qui naissaient à chaque instant de la divergence des intéréts féodaux (2). Par une espèce de compensation à la juridiction que les comtes de Genève exergaient au delà de l’Arve, à raison du fief de Nangy, les sires de Faucigny possédaient, sur la rive gauche de cette rivière, un chateau dont l’excellente assise était bien de nature à donner de l’ombrage à leurs puissants voisins: ce chàteau, autour duquel se déroulait un territoire assez étendu, s'appelait le chatelet de Crét-d’Oz; on en distingue encore les ruines sur les confins de la commune de Cornier. Depuis là jusqu'è la Roche s’échelonnaient plusieurs tenanciers qui, pour la plupart, ont légué à notre histoire les noms les plus honorables. C'était d’abord les sires d’Arenthon, qui, par la famille de Lucinge, dont ils formaient une branche, allaient se rattacher à la maison prin- cière de Faucigny. La mouvance de leur fief fut longtemps contestée: il existe deux actes du 17 aodt 1302, dans l’un desquels Francois et Aymon, fils d'Humbert de Lucinge, se declarent, en ce qui concerne la maison- forte d’Areuthon, hommes liges de Beatrix, dame de Faucigny, tandis que dans l’autre ils se reconnaissent, à cet égard, soumis à la supériorité des comtes de Genève (3). Vers la fin du XIV siècle, Pierre d’Arenthon épousa l’unique héritière des sires d’Alex, et commenca l’illustre série des seigneurs d’Arenthon-d'Alex. C'est à la suite des princes de la dynastie faucignéenne que l’on ren- contre pour la première fois les sires de Vosgrier, qui appartenaient évidemment à une très-noble et très-antique race. Un Girold de Vosérier intervenait, en 1151, à la fondation de la chartreuse du Repausoir (4), et assistait, en 1160, à une pieuse libéralité faite par Aymon de Faucigny au monastère de Vallon (5). Les fiefs que les sires de Vosérier détenaient en Faucigny étaient principalement situés à Scionzier, Arrache, S'-Sigismond. Je trouve (1) Bibl. Sebus., cent. 2, N.° 52. — Spon, pr., numéros 10, 12 et 18. (2) Spon, pr', n.° 20. (3) Index des fiefs. v. Arenthon. (4) Besson, pr., n.° 24. Au lieu de Girol/dus de Bosiren, il faut lire Giro/dus de Vosirier. (5) Voyez ma /Votice sur la chartreuse de Fallon; documents n.° 3; on y lit Giroldus de Vosoreio. 36 DES ORIGINES FÉODALES ETC. quien 1296 un Guillaume de Vosérier vendait à la princesse Béatrix, pour la somme de 60 livres et ro sols de Genève, un certain nombre d'hommes taillables qu'il avait en divers lieux (1). Quoi qu'il en soit, on ne saurait douter qu'à raison du chateau de Vosérier et des terres féodales qu'ils possédaient aux environs de la Roche, les seigneurs dont il s’agit, ne fussent vassanx des comtes de Genève: il nous reste un document de 1295, où l’on voit que, pour ces mémes terres, Pierre et Humbert de Vosérier, surnommeés Arbalétriers, se reconnaissaient hommes liges du comte Amedée (2). En 1301, un Aymon de Vosérier fut condamné en contumace à la peine de la confiscation des biens, comme convaincu d’avoir tué un bourgeois de Cluses, appelé Rollet de Saxel (3). Charles Auguste de Sales, dans le curieux ouvrage que j'ai déjà cite plusieurs fois, mentionne fréquemment les sires de Cohendier, dont la généalogie connue ne remonte guère au delà d'un Jean de Cohendier, qui vivait en 1330 (4). Cet auteur parle encore des sires de Cornillon, parmi lesquels je remarque un Hugues de Cornillon qui, en 1219, se rendait pleige, ou caution, du comte de Genève à concurrence de 500 sols (5). Il indique en passant les sires d'’Amancy, puis ceux de S'-Sixt, qui, d’après une charte du XII siècle, constatant une donation d’Amé III, comte de Savoie, à l’abbaye de S'-Sulpice en Bugey, tenaient en fief la charge de vicomte. Un Wilfred de S'-Sixt y est déesigné par les mots /77fredus de S° Sixto tunc temporis vicecomes (6). N’oublions pas enfin de retenir qu’une des plus illustres familles du Faucigny, la famille de Chissé (j’en parlerai ailleurs) possédait aux alentours de la Roche des biens considérables , soumis à la mouvance des comtes de Genève (7). Cette famille s’était divisée en plusieurs branches, et avait produit entre autres celle de Polinge, xd) Archives du cadastre: Z'itres du duché de Savoie eristants aux Archives de Cour; Faucigny. (2) Archives du cadastre: Mémoires concernant les requétes préesentées ensuite de lédit du 5 aoùt 1752 pour l’investiture des fiefs, t. VI, fol. 13. Confessi sunt se tenere sub dictis hommagtis res quas habent in territorio de Voserier et in parrochia de Amancier et in parrochia de Passerier. Charvaz et Cornier, n.° 10, fol. 58. 3) Archives du cadastre: Titres du duché de Savoie eristants aux Archives de Cour; Faucigny. 4) Pourpris hist., p. 201. (5) Spon, pr., n.° 20. 6) Guichenon, Hist. de Sav., pr., p. 32. 7) Index des fiefs, v. La Roche. Le 8 octobre 1334, Guichard, fils de Pierre do Chissé , fait hommage au comle de Genève de ce qu'il tient dans le mandement de la Roche. PAR LÉON MÉNABREA 37 qui tirait son nom de la maison-forte de Polinge, situce proche de Reignier (1). Au nombre des vidomnats les plus importants du Genevois figurait le vidomnat de Bornes; il comprenait cette succession de collines entre- coupées qui s’étendent depuis la Roche jusqu'à Salève, vice dognatus de Bornis, qui au XIV siècle faisait partie de ce qu'on appelait le domaine utile des comtes de Genève, et constituait une espèce de chatellenie dont les revenus étaient percus par des officiers que ces princes nom- maient ou révoquaient à volonté (2). Une infinité de droits fé&odaux, tels que bans ou amendes, compositions pour crimes ou delits, plaids, sauvegardes, rentes, servis, corvées etec., formaient l’objet de cette lucrative perception (3). Quoique plusieurs auteurs, se copiant sans doute les uns les autres, aient assigné l’an 1000 de notre ère pour époque de la fondation de la ville de la Roche, et aient avancé que les comtes de Genève y avaient construit, dès l’an 1016, le chiteau où parfois ils résidaient (4), rien, sinon peut-étre une vague tradition, ne saurait nous obliger à adopter leurs opinions à ce sujet. La ville de la Roche est sirement fort ancienne. Comme presque toutes les villes de la Savoie, elle dut son origine è un chateau; mais ce chàteau primordial, par qui fut-il construit? A qui appartenait-i1? Ne serait-il pas possible qu’avant de devenir la propriété des comtes de Genève, il eùt été le berceau d’une race, jadis illustre, maintenant oubliée, à laquelle il aurait donné son nom? De fait, nous rencontrons des vestiges d’une famille dite de la Roche dès les premiers temps de nos annales féodales. Pierre-le-Venérable, abbé de Cluny, raconte quelque part le cas d’un sire de la Roche en Genevois qui, ayant perda la vie à la première croisade, était tourmenté en purgatoire pour avoir frappé un curé qui lui demandait le payement de la dime; il ajoute que l’îame (4) Pourpris hist., p. 185. (2) Voyez aux archives de Cour, Province de Genevois , liasse 1, n.0 27, l’inventaire intitulé : Sequuntur valores reddituum terre Gebennesii pro nunc eristentis ad manus domini nostri. (3) Les comptes de ce vidomnat existent encore aux archives de la Chambre des comptes è Turin; on découvre qu’à la fin du XIV siècle il se trouvait ètre le patrimoine des sires de Bal- laison. Sommaire général des fiefs. (4) Grillet, Mist. de la ville de a Roche, p. 19. 38 DES ORIGINES FÉODALES ETC. du défunt apparaissait fréquemment à un moine appelé Enguison, et sollicitait des prières, etc. (1). On trouve un Anselme de la Roche, Anselmus de Rocca, men- tionné à la suite de l’éveque Guy, dans une charte rédigée peu après l'année 1094 (2). Un Conon de la Roche, Cono de Ruppe, fut un des entremetteurs de la paix conclue, en 1155, entre l’éveque Ardutius et le comte Ameédée (3). Enfin, en 1219, un Humbert de la Roche, Humbertus de la Roche, se rendait caution de Guillaume, successeur de ce prince (4). Cette famille, è ce qu'il paraît, ne tarda pas à s’éteindre, car je ne sache pas que, depuis lors, on en découvre des traces, à moins qu'on ne lui attribue encore un Jacques de la Roche, qui, en 1310, faisait hom- mage au Dauphin de Vienne, maître du Faucigny, de ce qu'il tenait è la Roche, Mesple, Poncin et autres lieux (5). Grillet ne rapporte pas exactement le texte de Charles Auguste de Sales, quand il avance que, suivant cet auteur, d’après un titre de l'an 1060 environ, le chiteau de la Roche aurait appartenu aux comtes de Genève, bien qu'il n’y ait rien là que de fort possible (6). Quoi qu'on en pense, il est incontestable que sous la protection de ces princes la ville de la Roche prit, au moyen àge, des developpements remarquables. De bonnes murailles garnies d’un large fossé et flanquées de grosses tours furent élevées pour sa défense. Outre le chateau déjà cité, qui dominait l’endroit appelé dans les chartes planum castri, elle en possédait deux autres destinés à la protéger du còté du nord; c’étaient les maisons-fortes de l'Echelle et du Saix; celle-ci construite au com-. mencement du XIII siècle par un Jean du Saix, damoiseau. Elle comptait enfin dans son sein vingt-cing familles nobles, et quatre cents feux Jouissant du droit de bourgeoisie (7). ) De miraculis, lib. 2, cap. 26. Mem. de la Soc. d’hist. de Geneve, V. 1, 2 part., p. 15l. Spon, pr., N.° 3. Spon, pr., N.0 20. Index des fiefs, v. La Roche. La famille Fabri, originaire de la Roche, qui donna deux evéques à l’eglise de Genève, et qui ajoutait à son nom la designation de Ruppe (de la Roche), cette famille, dis-je, que cile Grillet, t. JI, p. 211 de son Dictionnaire, appartenait-elle à l’antigue race dont je viens de parler? Je ne le crois pas. 6) Grillet, Mist. de la Roche, p. 20. 7) Ibid., p. 6. IGICIG FS Ci PAR LÉON MÉNABREA 39 Il existait également à la Roche un vidomnat ressortissant autrefois des évéques de Genève , mais qui, à une époque reculée, difficile à pre- ciser, devint, par usurpation ou par loyal contrat, la propriété des comtes, qui l’accordèrent en fief à des seigneurs, auxquels on donnait le titre de vidomnes de la Roche. Il nous reste de ces derniers plusieurs recon- naissances féodales (1). Ce vidomnat passa ensuite en diverses mains; d’abord aux sires de Cohendier, puis aux seigneurs de Sales (2). Les vidomnes de la Roche avaient le privilége d’entrer dans la ville par une poterne spécialement affectée à leur usage (3). Avant de quitter la Roche pour nous rendre à Annecy par la vieille route, nous devons signaler les sires de Soirier, dont la maison-forte ctait située à Groisy, au milieu des Bornes, au-dessus de l’endroit où passe la route moderne, et dont les domaines étaient limités par les paroisses environnantes de Thorens, d’Evires et de Cruseilles. Le village du Plot, que tire son nom de pilori, ou gibet (valgairement plot) qu'ils avaient construit, reste encore lì comme un souvenir de leur juridiction. Ces seigneurs se reconnaissaient vassaux des comtes de Genève (4). La seigneurie de Groisy passa, en 1378, dans le domaine de la fa- mille des Clefs, et en 1396 dans celui des sires de Lornay (5). Ainsi que je l’ai dit précédemment, et que le fait observer, du reste, Charles Auguste de Sales, le grand passage de la Roche à Annecy avait anciennement lieu par le Crét-de-l’Epine, Sales et Thorens. Ces deux dernières localités sont devenues célèbres parmi nous comme ayant vu grandir les deux plus illustres races de nos contrées: les sires de Compey et les sires de Sales. Jean de Compey, ce celèbre favori du duc Louis, ce seigneur aussi (1) Le 15 septembre 1262, Humbert, frère de Pierre, vidomne de la Roche, prète serment de fidélité à Aymon, comte de Genève. Le 3 février 1274, reconnaissance faite par Henri, fils de Pierre. Le 25 novembre 1280 autre reconnaissance faite par le mème. Index des fiefs, v. La Roche. (2) Charles Auguste de Sales, en plusieurs endroils de son livre, prétend que ses ancètres étaient vidomnes de la Roche longtemps avant que ce vidomnat passàt aux sires de Cohendier; mais il n’en apporte aucune preuve: il paraît mèéme confondre souvent le vidomnat dont il s’agit avec celui de Thorens, dont je parlerai bientòt, que sa famille possédait dès une époque veritablement fort ancienne. Il pourrait bien se faire cependant, que les vidomnes mentionnés dans la note pré- cèdente fusseni de la race des seigneurs de Sales, et c’est moi alors qui serais dans l’erreur. (3) Pourpris hist., p. 125 et 280. (4) Sommaire des fiefs, Genevois, v. Soirier et v. Groisy. Le 3 octobre 1329, Pierre et Henri de Soirier font hommage de la maison de Groisy au comte de Genève. (5) Ibidem. Elle fut inféodée plus tard aux sires de Compey. 40 DES ORIGINES FÉODALES ETC. ambitieux qu'insolent, qui, au XV siècle, joue dans notre histoire un ròle si dramatique, ayant risqué, en 1447; d'étre assassiné par ses en- nemis, et se plaignant au roi de France de cet attentat, énoncait: « qu'il » était yssu de chevaliers et dames, escuyers et damoiselles, et de maison » noble et ancienne, aussy noble et aussy ancienne, et si grande par » commune fame et réputation, sans injure d’autre, qu'il n'y en a ez » pays de Genevois, de Vuaud, de Chablays et de Faucigny: et ont esté » de très haulte et grande renommée entre leurs voisins, et connus » preudhommes valeureux, ayant anciennement et par tant de temps » qu'il n'est mémoyre du contraire ez dits pays, forteresses, chasteaulx, » maisons, seigneuries, hommages nobles et aultres en grand nombre, et » des biens è bonne et grande faculté (1). » En parlant ainsi, Jean de Compey disait vrai: peu de familles furent aussi grandes et aussi nobles que la sienne. Quoique les sires de Compey eussent leur principal établissement à Thorens, dont le chàteau fut inféodé , dit-on, par le comte de Genève à un Oddon de Compey vers l'an 1060 (2), ils n’étaient pas originaires de ce lieu; le berceau de leur race avait été, selon toute apparence, le village de Compey, ou Campois, situé au sud de Douvaine , entre le Léman et la montagne de Voirons, là où il existait une maison-forte, qui, comme je l’ai remarqué plus haut, fut reconstruite , en 1318, par l’intrépide Humbert de Cholex (3). Ces seigneurs se trouvèrent toujours mélés aux événements importants des differentes époques où ils vécurent, surtout depuis Albert de Compey, qui commenga à se montrer dès les premières années du XIII siècle, jusqu'à Philibert de Compey, en la personne de qui s’éteignit, le 15 juillet 1538, cette illustre famille (4). Le fameux Jean de Compey, dont Ja cité, il y a quelques instants, les orgueilleuses paroles, abusant de la faveur de son souveraiu, et donnant cours à son caractère audacieux, superbe, indomptable, occasionna de grands troubles dans le pays, et mourut victime de ses propres violences. (1) Pourpris hist., p. 217. (2) Pourpris hist. Charles Auguste de Sales ne parle de cette investiture que sur la foi do ce qu'il appelle la Chronigue de la Roche. (3) Voyez aux premières pages de ce chapitre. (4) Mémoires de }’Académie de Savoie. , PAR LÉON MEÉNABREA 4I A ce fougueux seigneur succéda Philibert de Compey, qui acquit une triste célébrité pour avoir, en 1479, tué de sa propre main l'illustre Bernard de Menthon, chambellan et conseiller intime du comte de Genevois, l’ayant attaqué, près de Rolle, avec une troupe de gens armes. Condamné au dernier supplice et à la confiscation de tous ses biens, il traîna longtemps dans l’exil une existence déshonorée, et mourut, à ce qu'il paraît, vers l'année 1496, sans laisser de posterite. Son frère, Jean de Compey, tenta vainement de rentrer en posses- sion des domaines séquestrés; il n’obtint autre chose que des letires souveraines, qui autorisaient la revision de la sentence. Il laissa un fils, Philibert de Compey, lequel fut assez heureux pour récupgrer l’héritage de ses ancétres, mais qui étant décédé sans enfants légitimes, transmit son importante succession à des héritiers testamen- taires (1). Outre la seigneurie de Thorens, qui formait leur fief principal, les sires de Compey devinrent, par suite d’héritages, de mariages, d’acquisitions successives, possesseurs d’une infinité d’autres terres situées en Genevois, en Faucigny, en Chablais, dans le pays de Vaud et en Bugey (2). Devenus, à la fin du XIV siècle, par le mariage d’un Simon de Compey avec Perronnette de Saillon, maîtres de la tour d’Aigle, située à l’extrémité orientale du lac de Genève, ils eurent de fréquents rapports avec les évéques de Lausanne; la senechalie de ces prélats leur appar- tenait. On sait que ces sortes d’emplois, d’abord revocables et temporels, avaient fini par devenir, à l’exemple des vicomtés et des vidomnats, de véritables fiefs transmissibles par voie d’hérédité, de vente, de donation. Au commencement du XIII siècle un sénéchal de Lausanne, que (1) Familles hist. de Savoie: les seigneurs de Compey. (2) Voici les principales: la seigneurie d’Etrambières, voyez ci-devani note 5, p. 29; la terre de Mornay , v. ci-devant note 2, p. 34; la maison-forte de la Vulpillère entre Annecy el Cruseilles, déjà possedée au commencement du XIV siècle par Pierre de Compey; la seigneurie de Soirier , v. ci-devant note 4, p. 39; les maisons-fortes de Sacconex-de-là-l’Arve, et Bernex, à l’égard desquelles on peut voir aux archives du cadastre, Repertoire des baillages de Ternier et Gaillard, l’indication d’un acte du 3 aoùt 1342, porlant reconnaissance de la juridiction que Guil- laume de Compey avait sur ces maisons et leur territoire. Le chàteau d’Arbusigny qui, en 1419, slait encore la propriété des sires de Montfort. Le chàteau de Gruffy, en Albanais, au-dessus d’A\by, dont l’inféodation est rapportée en entier par le marquis Costa, dans les preuves de son ouvrage sur les sires de Compey. Les terres de Braillant et de la Chapelle-lès-Thonon, en Chablais. Les seigneuries de Prangins et de Grandcour dans le pays de Vaud etc. etc. Voyez pour le Jtapins le Pourpris hist. p. 215, 239 et 263. Serie IL Too XXIII. 6 42 DES ORIGINES FÉODALES les documents ne nous font connaître que sous le nom de Willelme, passa de vie à trépas. Sa succession ayant fait le sujet d’une longue contestation entre deux familles qui y prétendaient, la famille de Lucinge et celle de Compey, il intervint, le 2 mai 1339, une transaction, par laquelle il fut convenu que Guillaume de Compey aurait pour sa part la senechalie , ou sénéchaussée de Lausanne, et que le reste de l’héritage serait dévolu aux seigneurs de Lucinge. Cet acte est extrémement curieux en ce qu'il énumère, par le menu, tous les droits dont se composait la senechalie dont il s'agit. Le senéchal préelevait d’abord sur les tailles un cens annuel cor- respondant è un capital de 200 livres lausannaises; il recevait de plus 4o sols par an, è titre d’écuellée, pro scuzella seu embacia. Les bans ou amendes, les clames et les saisines, c’est-à-dire les droits établis pour les demandes en justice et pour les entrées en possession de biens, lui appartenaient dans divers lieux du diocèse, moyennant toutefois de nom- breuses modifications et limitations. Dans d’autres localités il recevait les cautionnements que les délinquants étaient tenus de donner pour se defendre hors de prison, et il connaissait de toutes les causes civiles portées volontairement devant lui. Il avait juridiction sur la monnaie, il en faisait faire l’examen par les experts qu'il designait; il gardait les coins qui servaient à la frapper et la clé de l’arche où on la deéposait. Il assistait aux plaids genéraux et y recevait double prébende. Les bateliers de Rive devaient le voiturer sur le lac quand il l’exigeait, è la charge, par lui, de les nourrir etc. , etc. (1). En 1352, des difficultés ayant surgi, à propos de ces différents droits, entre la maison de Compey et l’évéque de Lausanne, il se fit entre eux un arrangement, qui, en plusieurs points importants, modifia ces mémes droits (2), et les réduisit à l’état où on les trouve dans un acte d’hom- mage, passé par Pierre de Compey è l’évéque Guillaume de Menthonex, 1) Archives cantonales de Lausanne, Baillage de Lausanne, liasse 81, n.° 1356. Il avait aussi Juridiction sor les gens de guerre; on lit dans le cartul. de l’eglise de Lausanne: Burgenses ad arma ferenda ydonei debent sequi majorem vel senescalcum vel salterium sub pena mss. solid. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu’en 1341 le dauphin Humbert II, cherchant sans doute à developper le germe d’autorité que la possession du Faucigny et des dépendances de cette seigneurie lui attri- buait en Helvétie, fit avec Guill. de Compey un traité, par lequel ce dernier s'engagea à ne vendre qu’autant que le Dauphin y consentirait, la sénechalie de Lausanne et a le préférer à tout autre acquéreur à égalité de prix. Valbonnais, t. II, p. 434. (2) Mèmes archives, mème liasse, n.° 1415, PAR LÉON MENABRÉA 43 le 23 octobre 1394, et c'est, je crois, ce qu'on appela depuis lors, le sextat de Lausanne, probablement, à cause du chiffre des diverses rentes qui y sont assignées au sénéchal (1). A còté des sires de Compey florissaient les sires de Sales, ancétres de ce grand Saint qui illustra l’église par la perfection de sa doctrine, et qui commenca son apostolat en ramenant une de nos plus belles pro- vinces au sein de la foi. Les sires de Sales, se fondant sur l’analogie, ou plutòt sur la consonnance des mots, et invoquant l’autorité de cer- taines inscriptions romaines, ne prétendaient rien moins que de tirer leur origine des Saliens, prétres institués à Rome pour la conservation de l’ancile, bouclier miraculeux, que l'on disait tombé du ciel. Leur cri de guerre mamour ! mamour! n’aurait été, selon eux, qu'une réminiscence du refrain mamurius! mamurius! que ces prétres chaniaient aux jours solennels; enfin, à les en croire, ils se seraient trouvés les descendants de ce personnage, nomme Seliger, ou Anciliger, qui, suivant Vhistorien. Hermannus Contractus, apporta à l’empereur Conrad, après la mort de Rodolphe-le-Fainéant, les insignes de la royauté Burgonde (2). Un seigneur de Sales, qui vivait à la fin du XIV siècle, Jean-le-pieux, poussait encore plus loin l’orgueil nobiliaire: ayant eu des contestations de pré- séance avec la maison de Compey, il crut, dit-on, pouvoir trancher è sen avantage avec ces étourdissantes paroles: Anteqguam Abraham fieret ego sum (3). Mais de telles prétentions n’étaient pas fondées; elles ne l’étaient pas surtout vis-à-vis de la puissante famille de Compey. Et d’abord il faut à peu près rayer de liste l’inféodation, supposée faite en 1073 par les comtes de Genève à un prétendu Guichard de Sales, que divers auteurs ont considéré comme point de départ de la généalogie salésienne. Charles Auguste de Sales lui-méme ne parle de cette inféodation que tant qu'elle serait mentionnée vaguement dans un acte du 22 aoùt 1448, et il suffit de lire ce qu'il en dit pour se convaincre qu'on ne saurait baser là-dessus aucune certitude historique (4). (1) Mèmes ‘archives, liasse 84, n.° 1615. Ce titre a été publié dans le t. VI des Mem. de la Soc. d’hist. de la Suisse romande, p. 273. On y lit entre autres: Ziem seadecim libras lausanenses annui redditus quas percipit annis singulis super redditibus domini episcopi lausanensis. Item sexdecim so- lidos lausanenses annui redditus quos percipit super talliis dicti domini episcopi. Item sexdecim solidos lausanenses annui redditus quos percipit super census dicti domini episcopi ete. (2) Regnique insignia Conrado imperatori per Seligerum allata sunt. (3) Pourpris hist., p. 211. (4) Ibid., p. 14I. 44 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Je ne sache pas, d’autre part, qu’à raison du fief de Sales, les seigneurs de ce nom se soient jamais reconnus feudataires immédiats des comtes de Genève; car on doit l’avouer, quelque étrange que cela puisse paraître, ils n’étaient, à cet égard, que les simples vassaux des sires de Compey, leurs voisins (1). La seigneurie de Sales doit évidemment, selon moi, son origine au vidomnat de Thorens, dont la famille de Sales, à une époque incontesta- blement fort ancienne, mais qu'on ne peut pas preciser, faute de docu- mentis, avait été investie par les sires de Compey (2). C'est pour l’exercice de ce vidomnat, qui comportait des droits assez importants, que les sires de Sales obtinrent la permission de construire aux portes du chàteau de Thorens une maison, sala, et non un chateau, castrum, où ils établirent leur résidence, et qui était le chef-lieu de leur juridiction (3). En vertu de ce vidomnat, qui, avec le temps, prit la dénomination de seigneurie, les sires de Sales exercaient, par l’intermédiaire des juges et autres ofliciers qu’ils nommaient, la moyenne et la basse justice sur tous les habitants de la terre de Thorens, la haute pustice demeurant exclusivement réservée aux sires de Compey. Toutefois, si dans le pour- pris méme de la maison de Sales, un individu étranger venait à com- mettre quelque crime ou delit, entraînant une peine corporelle, les officiers du dernier lieu pouvaient le juger, sauf à remettre le coupable aux offi- ciers de Thorens, pour l’exécution, au cas où il se serait agi de lui appliquer le dernier supplice (4). Ainsi que je lai dit, il y a un instant, les sires de Sales devaient se reconnaître, à raison du vidomnat ou de la seigneurie susdite, feudataires immeédiats des sires de Compey, et ce n’est que comme detenteurs d’un (1) C'est ce qui fit toujours le désespoir des sires de Sales; l’auteur du Pourpris Ristorigue n'a pu se le dissimuler, malgré l’extrème amour dont il s'était épris pour sa famille. (2) A cet égard je renvoie le lecteur au 9e pied de la 7e toise du 2e pan du Pourpris hist. de la maison de Sales, p. 205 et 206. 3) C'est de là qu’est venu le nom de ces seigneurs. Voyez le Glossaire de Ducange, v. Sala. Il existe, comme chacun sait, une infinité de localités du nom de Sales en Savoie, en Dauphiné, en Bresse, en Bugey; partout on retrouve ja mème étymologie. Ce qu'on appelait sala au moyen àge était plus parliculi&rement une maison d’apparence, un local où l’on rendait la justice, où les personnes de marque, les fonclionnaires publics s’assemblaient ete.; tandis que le mot castrum, chàteau, supposait toujours un terriloire, si bien que celle expression est souvent employée pour designer le territoire seul, abstraction faite du chàteau. (4) C'est dans le Pourpris hist., p. 213, que je puise ces details, qui conséquemment ne sau- raient èlre suspecis. PAR LÉON MENABRÉA 49 arrière-fief, qu'ils pouvaient se prétendre, è ce sujet, vassaux des comtes de Genève. Je sais qu'ils élevèrent toujours sur ce point de nombreuses diflicultés; mais l’évidence des titres ne leur permit jamais de secouer ce joug odieux. Je dis odieux, car il est également certain que les membres de la famille de Sales, qui possédaient la juridietion dont il s’agit, ne pou- vaient prendre la qualité de seigneurs de Sales que dans les seuls contrats rédigés à Sales, et pourvu encore que le sire de Compey, maître du chàteau de Thorens, ne fùt pas present à l’acte ou ne sy trouvét pas mentionné (1). Il est juste, cependant, de faire remarquer que l'hommage dù par ces mémes seigneurs de Sales constituait un hommage noble, avec simple fidélité, et que leur fief n’etait pas du nombre de ceux qu'on appelle caducs, et qui tombent en commise à chaque mutation ‘de suzerain ou de vassal. C'est sur ces bases que fut réglée l’investiture que Jean de Sales recut de Jean de Compey, le 20 décembre 1437, à la Roche, où celui-ci avait également assigné, pour recevoir leur serment, les quarante vassaux nobles de ses vingt et une seigneuries. Appelé le premier, il con- fessa tenir en fief du sire de Compey tout ce quil possédait dans le mandement de Thorens, et ce magnifique seigneur lui en accorda l’inves- titure, en lui meitant entre les mains un poignard nu et l’embrassant, selon l’usage (2). Revenant è l’origine des sires de Sales, je dirai que, bien qu’un sage critique ne puisse admettre comme établie l’existence du Séliger ou Gerard de Sales, dont j'ai parlé précédemment, et qui aurait vécu, dit-on, pendant les dernières années du royaume de Bourgogne, non plus que celle de Guichard de Sales, en faveur de qui aurait été passée la pré- tendue inféodation de 1073, il est impossible de ne pas avouer que, pour l’ancienneté, ces seigneurs ne marchent de pair avec les plus illustres races de nos contrées. Après les deux personnages, selon moi, problématiques que je viens d’indiquer , l’auteur du Pourpris historique cite un Henri de Sales qui serait intervenu, dit-il, comme chancelier, è une transaction conclue au (1) Pourpris hist., p. 219. Il faut ajouter qu’en cas de guerre, lorsque le ban et l’arrière-ban avaient élé convoqués, les seisneurs de Sales devaient fournir aux seigneurs de Thorens un homme à cheva], bien armé et entretenu selon la taxe ordinaire de la milice. (2) Pourpris hist., p. 230. 46 DES ORIGINES FÉODALES ETC. mois de février 1186, entre le comte de Genève et l’évéque Nantelme; il reproduit méme la partie du texte de l’acte, relative à cet objet: Notata et confirmata fuit hec sententia per manum domini Henrici de Sales et baronum quos comes misit etc. (1). Mais on voit que cet écrivain, qui n’avait pas eu sous les yeux le titre original, s'est laissé tromper par une copie fautive; car la charte dont il est question, publiée depuis lors, au lieu du nom de Henri de Sales, porte celui de Henri de Faucigny: per manum domini Henrici de Fulciniaco et baronum quos comes misit etc. Il était naturel, en effet, que ce seigneur, et avec lui les sires de Gex, de Nancy et de Ternier, que le comte Guillaume avait amenes pour étre ses cautions, confirmassent de leur propre main les engage- ments de ce prince (2). Quoi qu'il en soit, il est incontestable, que depuis le commencement du XII siècle, la généalogie de la maison de Sales se deroule sans interruption jusqu'à nos jours, en offrant aux biographes, aux historiens, une foule d'hommes remarquables dans tous les genres. C'est surtout depuis la disparition des sires de Compey, que cette maison prit ses plus larges développements; elle acquit un grand nombre de terres qui avaient appartenu à ces seigneurs, si bien, que c'est avec raison, que l’auteur du Powrpris historique, mù par un sentiment de légitime orgueil, disait que de méme que jadis la seigneurie de Sales était enclavée dans celle de Thorens, de méme, de son temps, la ssei- gneurie de Thorens était enclavée dans celle de Sales. (1) Pourpris hist., p. 148. (2) Spon, pr., n.° 20. Je n’ai pas besoin de dire que Grillet, selon son habitude, a horriblement défiguré les premiers degrés de la généalogie dont il s’agit. PAR LÉON MENABRÉA 47 CHAPITRE IH. FPamille de Clermont, Humbert, Aymard. - Ville d'Annecy. - On fait remonter sa fondation è une colonie d'Egyptiens. - Elle appartenait aux rois de Bourgogne au commen- cement du XI sitele. - Son développement durant le régime feodal. - Son chateau. - Les sires de Menthon; Thomas; son testament; quatorze églises ont part à ses libéralités. - Ses descendants. - Ils se divisent en quatre branches qui, elles-mémes, se subdivisent en plusieurs autres. - Les seigneurs de Duing. - Rodolphe vend le chileau de ce nom aux comtes de Genève. -— Les sires de Charveroche. - Pontverre. - Foras. - Allinge; vastes possessions de ces derniers. - Nouveaux details sur les sires de Chissé; Rodolphe, arche- véque de Tarantaise périt victime d'un affreua complot. - Vidomnat de Rumilly. - Porterie de Rumilly. - Vidomnat de Chaumont. - IA. de Genève. - Sires de Cruseilles. - Le bourg d'Alby, ses chateaux et seigneurs. - Familles de Mont Vagnard. - Hauteville. - Les Clefs. - Sionnaz. - Mionaz. - Perly. - Lully. - Des Forets. — De Follie. - Menthonex. - Pelly. - Du Wuache. - Copponex. - Charansonner. - Choisy. - Dingy. - Serraval. - Alex. - Graisy. - Mouai. Une famille, qui pour la puissance ei l’ancienneié ne le cédait à aucune autre, était celle des sires de Clermont (1). Outre le chateau de la Batie, en Albanais (2), elle possédait, en divers lieux, des terres considérables, et notamment les seigneuries de S'-Hélène-du-Lac, de S'Pierre-de-Souci, de Villard-d'Héry , d’Aiguebelleite et de Chanaz. Ces cinq seigneuries étaient situges, en Savoie, hors du comté de Genève; les trois premières sur la rive gauche de l’Isère, non loin de Montmélian, la quatrièéme entre la montagne de l’Epine et le Pont-de-Beauvoisin, et la cinquième à lextrémité du canal de Savières, qui sert de dégorgeoir au lac du Bourget. Les sires de Clermont possédaient déjà au XIV siècle les seigneuries et les maisons-fortes de S'-Hélène-du-Lac et d’Aiguebellette. En 1327, ils acquirent S'-Pierre-de-Souci des sires de Briancon, en Tarantaise (3). Chanaz leur advint en 1338: ils ne le gardèrent toutefois que jusqu’en 1363, (1) En énongant ici ce qui regarde ces seigneurs, nous faisons remarquer qu’ils ne relevaient des comtes de Genève que pour une faible part de leurs domaines. (2) On appelle encore Albanais le petit pays qui correspond à la partie occidentale du pagelus Albanensis, dont la ville de Rumilly est la principale localité. (3) Sommaire general, Savoie, t. I, v. St-Pierre-de-Souci. 48 DES ORIGINES FÉODALES ETC. qu'il passa à la famille de Gerbaix (1). Ils se firent céder Villard-d’Hery par les comtes de Savoie, en 1348 (2). Jajouterai qu’en 1344, Humbert, fils d’Antoine de Clermont se reconnaissait homme lige de ces mémes princes, à raison de la maison- forte de Villeneuve, près de Chambéry (3). Au XIV siècle, apparaît un Humbert de Clermont, qui se trouve mélé à la plupart des affaires de son temps. Il accompagne, en 1304; le jeune Edouard, fils d'Amé V, comte de Savoie, à une expédition militaire, dirigée sur $'-Germain-d’Ambérieux (4); il règle, en 1334, les conditions d’un traité de paix qu'Aymon, frère d’Edouard, devait conclure avec le Dauphin de Vienne; on le qualifie nobilis vir d.mu Anthonius de Claramonte du Bastida in Albanensio (5). Il assiste, en 1346, aux noces de Philippe d’Archaye; il intervient, en 1347, à des conventions qui moderèrent certaines prétentions des sires de Beaujeu etc. (6). Après lui surgit un Aymar de Clermont, qui ne fut pas moins remarquable; ce personnage figura parmi les chevaliers que le Comte Vert conduisit, en 1359, contre les Anglais (7); il suivit ce prince en Orient, et donna des preuves signalées de bravoure anx siéges de Gallipoli et de Mésembrie (8); il commandait pendant le trajet_ une des galères de la flotte (9). Les sires de Clermont reconnaissaient la suzeraineté des comtes de Genève relativement au chateau de la Batie, en Albanais; mais quant aux maisons-fortes de S'°-Hélène-du-Lac, de S'-Pierre-de-Souci, d’Aigue- bellette et de Chanaz, ils ne s’avouaient feudataires que des comtes de Savoie, et c'est par ce motif qu’on les rencontre si souvent à la suite de ceux-ci (10). Nous arrivons à Annecy, puis nous retournerons en arrière, dans (1) Sommaîre general, Savoie, t. I, v. Chanaz. (2) Concess., Invest., t. 1I, fol. 308. (3) Reynaud, t. XIII, fol. 48. (4) Comptes des chdtelains de Chambery. (5) Valbonnais, t. II, p. 251. (6) Guich., pr., p. 126 et 167. (7) Guich., pr., p. 197. (8) V. Datta, Spedizione etc. (9) Cibrario, Economia ete. deuxième édition, t. I, Documents, p. 408. (10) Hommage de 1305 pour Aiguebellette; hommage de 1382 et 1392 pour Ste-Heleno-du-Lac. Sommaire general, Savoie, t. I, v. Aiquebellette et Ste-Hélène. PAR LÉON MENABRÉA 49 l’impossibilité où nous sommes de suivre une marche plus reégulière. Il est inutile de répéter ici tout ce qui a été avancé touchant la prétendue antiquité de cette ville. Un passage que S'-Francois de Sales disait avoir extrait d’un vieux manuscrit: Extabat antiquitus apud Allobroges civitas Bovis a Gothis funditus eversa, a donné lieu sur ce chapitre à mille conjectures étranges; on est allé jusqu’è soutenir qu'Annecy devait sa fondation à une colonie d’Egyptiens adorateurs du boeuf Apis; le nom de l'un de ses faubourgs, le faubourg du Boeuf, servait d’appui à ce système aux yeux du vulgaire. Que dans cet endroit, comme en cent autres localités de la Savoie, les Romains aient laissé de nombreuses traces de leur existence, le fait est incontestable; mais que sous la domination du peuple-roi, Annecy ait été une ville, ou méme une simple Statio, c’est ce qui n'est point prouve. Ce que nous savons seulement, c'est, qu'au commencement du XI siècle, Aunecy appartenait aux rois de Bourgogne; c’était une des terres qu'on appelait fiscales, fiscales, parce qu’elles faisaient partie du domaine royal. Cette terre, le roi Rodolphe III la donna à sa seconde femme, la reine Hermengarde, par un acte de l’an rorr, où se lisent ces mots: Et do ei Anassiacum fiscum meum. Je ne sache pas que nous ayons sur ce lieu, qui devint plus tard la capitale du Genevois, de notice plus an- cienne que celle que nous fournit ce précieux document (1). Pendant le régime féodal, Annecy se developpa, s'entoura de murs, acquit de bonnes franchises, et ouvrit son sein à une quantité considé- rable de nobles, de bourgeois, d’artisans, qui y firent fleurir l’industrie, et méme les arts. On y voit encore, presque dans son entier, le magnifique chateau que les comtes de Genève y avaient fait construire, et qui fut ensuite agrandi et restauré par les ducs de Nemours, branche apanagge de la maison de Savoie. Aux environs d’Annecy il existait autrefois plusieurs familles puis- santes, dont le peuple sait encore l’histoire, et se plait è la raconter, en lui prétant les formes merveilleuses de la légende. De ce nombre est la famille de Menthon, que le grand nom de S'-Bernard suffirait seul pour immortaliser. (1) Documenti, sigilli e monete, p. 17. Serie II. Tom. XXIII. Ù do DES ORIGINES FÉODALES Quoique les sires de Menthon remontent, comme les sires de Viry, de Ternier, de Ballaison, aux derniers temps des rois de Bourgogne, la tige connue, à laquelle leur maison rattache ses nombreuses branches, est un Thomas de Menthon, qui vivait au XIII siècle. Le père de ce seigneur fut un Willelme de Menthon, Zi/elmus dominus de Menthons, qui, en 1219, intervint an traité conclu à Desingy, entre l’évéque et le comte de Genève, et se rendit caution de ce dernier à concurrence de 1000 sols (1). En 1260, Thomas de Menthon transigeait , avec un Geoflroy de Grammont, au sujet de certains droits féodanx existants dans le mandement de Charosse (2). En 126r, l’évéque de Genève accordait à ce méme Thomas de Menthon, nobili viro Thome domino de Menthons, l’investiture de la foire annuelle de Menthon, qui devait se tenir le pre- mier dimanche après la Toussaint, ainsi que celle du marché hebdoma- daire du méme lieu, sans préjudice, est-il dit dans l’acte, de la fidelité que le concessionaire pourrait devoir è quelqu'un autre, par rapport à ces deux objets, salva fidelitate aliorum dominorum. Et de fait, peu de temps après, ledit Thomas de Menthon dut se reconnaître également à cet égard feudataire du comte de Genève (3). Par son testament du 4 des nones de mai 1271 (4), Thomas de Menthon fait quatre héritiers. Il institue dans sa terre de Menthon , in castro de Menthone et in omnibus que infra banna ipsius continentur, son petit-fils Rodolphe, né de son fils Jean, prédécédé : cette terre s'étendait depuis la croix de Charbonnières jusqu’au lac d’Annecy, a cruce d. Charbonnieres usque ad lacum, et depuis la pierre de Margeria jusqu'au crét de Talloires, et a petra Margeria usque ad crestum Talloeriis. (1) Voyez Spon, pr., n.° 20. (2) Index des fiefs, v. Charosse. (3) Ces deux chartes sont reproduiles en entier dans un recucil existant aux archives du ca- dastre inlitulé : Registre des consignements des fiefs. On y trouve aussi d’autres chartes relatives aux droits que les sires de Menthon avaient è Montrottier (tel que celui de pèche dans le Fier), a la juridiclion du dernier supplice , qu’'ils exergaient sur les fiefs du mandement de Talloires, lequel appartenait alors au celèbre prieuré de ce nom, à la faculté d’exploiter en divers lieux de leurs domaines, comme Menthon, Dingy, Villaz, Aviernoz, les mines d’or, d’argent, de plomb, d’étain, de cuivre, de fer qui pourraient s°y trouver, etc. (4) Une copie authentique de ce testament m’a été communiquée par M. le général, comto Charles de Menthon d’Avieraoz. Une circonstance qui a pu jeter quelque incerlitude sur les pre- miers degres gencalogiques de la maison de Menthon, c’est l’existence d’un Guy, frère de Thomas, dont les enfants sont mentionnes dans le testament de ce dernier par les mota Ziberi Guidonis quondam fratris mei. nei PAR LÉON MEÉNABREA ON Il laisse è Albert, son second fils,-le chiteau de Dingy, au débouché du Val de Thones; à Pierre, son troisième fils, le chàteau de Beaumont, au- dessus de Ternier, et celui de la Balme de Thuy; à Henri, son qua- trièéme fils, le chiteau de Lornay, situé sur la rive gauche du Fier, à une liene environ en aval de Rumilly. Il lègue quelques revenus à ses autres fils, Etienne, Jacques et Aymon, destinés à l’état ecclésiastique; il offre une sienne toute jeune fille, parvanz filiam, à l’abbaye de Montmajeur, et assigne des dots. à Guigonne, Isabellonne , Beatrix, Marguerite et Briande ; il veut pourtant que Guigonne ait une bonne robe, unam donan: robam, et Isabellonne un anneau d’or. Quatorze églises ont part à ses liberalités. Il entend enfin que chacun de ses héritiers fasse hommage de ses possessions au comte de Genève (1). Les descendants de Thomas de Menthon se divisèrent ainsi en quatre branches-mères: Menthon, Dingy, Beaumont et Lornay. Celle-ci ne fut pas la moins illustre; elle donna un évéque à Véglise de Genève; un Willelme de Lornay, chevalier, ayant prété de grosses sommes au comte Guillaume , ce prince voulut lui donner une marque de sa reconnaissance; il l’investit, en 1320, de la maison-forte de Disonche, sise è Villaz, non loin d’Annecy, et lui accorda l’omnimode juridiction sur le territoire qui en dependait. L’acte d’inféodation énonce, d'une maniere curieuse, les divers droits attaches à l’exercice de la haute justice: Concedimus tibi jus furchas levandi capita truncandi urendi comburendi igne consumandi ecartelandi pendendi capiendi detinendi componendi et personaliter omnes malefactores puniendi (2). i Les quatre branches ci-dessus citées se subdivisèrent aux XIV, XV et XVI siècles en plusieurs autres, parmi lesquelles on distinguait celles de la Balme de Thuy, de Montrottier, de Rochefort sur Seran etc. (1) On trouve mentlionnés dans l’Index geréral des fiefs un grand nombre de reconnaissances ei d’actes d’hommage passés par les héritiers de Thomas de Menthon et leurs 'successeurs en faveur des comtes de Genève. Au moyen de ces indications, et en consultant les titres originaux aux- quels elles se rapportent, et qui sont conservés soit dans les archives de Cour, soit dans les archives de la Chambre des comptes, il serait facile de suivre exaciement la descendance de ces seigneurs, de connaître leurs possessions, leurs droits à différentes époques. Je cile entre autres : hommage de Rodolphe, fils de Jean, 1281; hommage des successseurs dudit Rodolphe 1344, 1375, 1377, 1396, etc. Corcess. Invest., t. IT, fol. 94; hommage d’Albert, seigneur de Dingy,; 1316; de Jean, fils d’Albert, 1346, Indice D. E., fol. 2; hbommage de Jean'et André, fils de Henri, seigneur de Lornay, 1345. Archives de Cour. — Savoie-Lornay. (2) Archives du cadastre, Régistres des consignements des fiefs, 1.3, p. 166. 52 DES ‘ORIGINES FÉODALES ETC. TI faudrait sans doute beaucoup de peine pour suivre le fil de chacune d’elles-à travers les obscurités du régime féodal (1). Au reste, le nom de S'-Bernard, cet illustre bienfaiteur de l’humanité, ce courageux apòtre, à qui le monde chrétien dut l’expulsion des bandes sar- rasines qui, maîtresses des Alpes grecques et pennines, y avaient établi un culte idolàtre et de sanguinaires superstitions, le nom de S'-Bernard, dis-je, a rendu les sires de Menthon à jamais célèbres. Leur chateau se lessine encore majestueusement sur le penchant de la montagne qui do- mine le lac d’Annecy; la devise Zowjours Menthon, résumait pour ceux-ci une série de hauts faits et de glorieux souvenirs. Auprès des sires de Menthon, sur les bords mémes du lac, se dérou- laient les domaines de la maison de Duing, lesquels, au dire de Charles Auguste de Sales, l’autenr qui a le plus fouillé dans nos vieilles archives, « remontait sa noblesse jusques aux temps des roys de Bourgogne (2). » Malheureusement, à cet égard, les documents authentiques font défaut. Un des premiers sires de Duing, que les diplòmes nous fassent connaître , est un faymondus Doint, qui, lors de la transaction passée, en 1219, par Guillaume, comte de Genève, avec l’évéque Aymon, se rendit caution de ce prince à concurrence de r1roo sols (3). Là se trouvaient aussi les sires de Menthon, de Rumilly, des Clefs, de la Roche, de Ternier, de Compey, de la Tour, de Villette, de Cornillon, de Nangy, qui s’obligèrent éga- lement pour des sommes plus ou moins fortes. Une suite de documents, rédiges pendant la seconde moitié du XIII siècle, nous montrent un Richard et un Pierre de Duing 5? cette epoque (4). En 1296, Rodolphe de Duing vendit le chiteau de Duing au comte de Genève pour la somme de 2500 livres (5); cela prenant part à divers événements de (1) La branche de la Balme était la plus ancienne de ces branches secondaires. Nous avons des prestations d’hommage faites aux comtes de Genève par les sires de la Balme de Thuy, en 1359, 1362, 1383. Indice T., t. I, fol. 41 verso. Guichenon dans son Mist. de Bresse a donné la genéalogie de quelques-unes des branches dont il s'agit; mais il paraît ètre tombé dans diverses erreurs. (2) Pourpris hist., p. 389. (3) Spon, pr., n.° 20. 4) Mem. de la Soc. de Genève, t. I, 2 part., p. 74. Guich., t. I, p. 354, et preuves, p. 156; Valbonnais, t. II, p. 140. (5) Cette vente est du 22 octobre. Ambroisie de Duing, seur de Rodolphe, céda, en 1308, aux comtes de Genève, les droits qu'elle pouvait faire valoir sur le chàteau dont il est question. Con- cessioni e Investiture, t. I, fol. 150. PAR LÉON MÉNABREA dò n'empécha pas que la famille de Duing ne demeuràt très-puissante; car, outre les terres qui lui restaient en Genevois (1), elle possedait, comme je l’expli- querai ailleurs, le chateau de Conflans et une partie de la juridiction de ce lieu, ainsi que d’assez grands biens en Tarantaise (2). Successivement elle acquit, dans l’ancien Chablais, le manoir des sires de Bex, l’agrandit, le fortifia et y adjoignit des terres considérables; ce qui reste de cet antique castel se nomme aujourd’hui la tour de Duing (3). Ce fat surtout par la possession de Val d'Isère, à l’extremité de la Tarantaise, que les sires de Duing se rendirent respectables; maîtres d’un chateau, situé è Scez, au pied du petit mont Joux (columna Jovis); ils pouvaient è leur gré intercepter ou inquiéter ce passage fréquenté des Alpes (4). En 1289, un membre de la maison de Duing fut appelé au siége épiscopal de Genève; ce courageux prélat, connu sous le nom de Guillaume de Conflans, employa sa vie à défendre sa puridiction contre les inces- santes atiaques des comtes de Savoie. Le successeur de S'-Bernard à l’archidiaconat d’Aoste fut, dit-on, un Richard de Duing. Le pittoresque manoir_ de Duing, voisin de celui de Menthon, se mire dans les eaux du méme lac. A Vouest d’Annecy, non loin d'un pont à fréle apparence, jeté à travers le lit escarpé d'un torrent, se dressait jadis le donjon de Charveroche, de Calva Rupe, manoir des sires de Pontverre, de Ponte vitreo. Ces sei- gneurs figuraient incontestablement au rang des plus puissants feuda- taires de nos contrées (5). Un Aymon de Pontverre assistait, en 1218, au contrat de mariage d’Herman de Kibourg avec Marguerite de Savoie (6); il vivait encore en 1246, et avait alors un fils du méme nom que lui (7). Guichard, Rodolphe et Jean de Pontverre furent, selon toute apparence, (1) Tout ce que les sires de Duing avaient à Duing ne fut pas aliené par la vente ci-dessus citée. V. les hommages faits par ces seigneurs aux comtes de Genève en 1330, 1343, 1344, 1345 et 1959. Concess. Invest. loco citato. i (2) V. ci-après. (3) Levade, Dict. du Canton de Vaud. (4) On voit encore aujourd’hui, à Scez, les ruines de ce chàteau, ainsi que la statue sépulcrale d’un sire de Duing-Val-d’Isère contre les parois extérieures du mur latéral de l’égliso de cette paroisse. Les archives du Bourg-St-Maurice renferment quelques chartes concernant ces seigneurs. (5) Voyez les reconnaissances faites en 1305, 1319, 1340 par les sires de Pontverre aux comtes de Genève pour le chàteau de Charveroche. Somm. g@. Genevois-Charveroche. (6) Guichenon, pr., p. 63 (7) Pourpris hist., p. 152 54 DES ORIGINES FÉODALES ETC. des personnages recommandables par leur prud’homie; car on les voit intervenir ensemble, en qualité d’arbitres, au traité de paix conclu en 1308 entre le. comte de Savoie et le comte de Genève (1); on y re- marque aussi un Jean de Langin, un Pierre de Graisy, un Robert de Mouxi et plusieurs autres. Au XIII siècle, les sires de Pontverre étaient maîtres de plusieurs terres echelonnées depuis l’extrémité du Léman jusqu’au mont Joux; ils les cé- dèrent en 1221 à Thomas de Savoie, en échange de quelques autres domaines, situés soit dans les Bauges, soit dans la vallée d’Ugines (2). Quoique les titres qui concernent les sires de Foras soient en très- petit nombre, ces seigneurs n’en remontaient pas moins à une antiquité respectable (3). Il y en eut beaucoup parmi eux qui parvinrent à une haute réputation: il suffit de nommer ici le sage et intrépide Berlion de Foras qui, en 1355, marcha à la suite du Comte Vert au secours du roi Jean, pendant les guerres desastreuses des Anglais contre les Francais (4), et qui, en récompense de ses services, fut agrégé, un des premiers, à ce famex ordre du Collier, fondé en 1363, è l’Ronnewr de Dieu, de la Vierge Marie, de ses quinze joyes et de toute la cour ce- lestiel (5). Sur la rive gauche de la Drance, en face du rideau magnifique auquel les eaux bleues du Léman servent comme de ceinture, se déroulaient les principaux domaines d’une famille qui surpassait en richesses et en an- cienneté la plupart de celles que Jai placées à la suite de la maison de Genevois; c’était la famille d’Allinge. Un document de l’année 981 nous montre déjà un Richard d’Allinge, guidam miles nomine Rickardus de Alingio, recevant, à titre d’échange, certaines terres des mains du roi de Bourgogne Conrad. En 1011, le successeur de ce monarque, Rodolphe- le-Fainéant, donna des marques de sa libéralité è un Rocelin d’Allinge, dont la femme Amandola fut appelée à l’acte commemoratif de la donation, et participa ainsi à la faveur du souverain. La charte qui contient la fonda- tion de l’abbaye d’Aulps, en 1096, nous fait voir un Girard d’Allinge placé (1) Valbonnais, t. II, p. 139. Ils avaient déjà paru, en 1297, au contrat de mariage de Guillaume, comte de Genève, avec Agnès de Savoie. Guich. pr., p. 155. (2) Pingon, Mist. Sabaud., manuscrit des archives de Cour, |. 8. (3) Pourpris hist., p. 297. (4) Guich., pr., p. 197. (5) Cibrario, Mist. de l’ordre de l’ Annonciade, Turin, 1840. PAR LÉON MÉNABRÉA 55 sous la mouvance des comtes de Savoie, à l’égard du fief qu'il possedait, avec Gilion de Rovorée, dans le lieu où ce couvent fut construit (1). Ce Girard d’Allinge, si l'on en croit la chronique contemporaine, se montra perséenteur acharné du célèbre monastère de $'-Maurice d’Agaune, et mourut frappé de la main de Dieu. Il faut lire la relation que je viens de citer, laquelle est due à un moine de ces temps-là, temps de supersti- tion et de barbarie, pour juger combien, au commencement du XII siècle, les sires d’Allinge etaient redoutables (2). Outre de vastes possessions en Genevois, in pago Genevense, ils avaient, en Dauphiné, l'importante terre de Salvaing, qui, au XII siècle, devint l’apanage d’un cadet de leur race. Plus tard ils vendirent le chéteau Viel-d’Allinge, Alingium vetus, à la maison de Savoie, qui le fortifia, en fit le siége d’une chatellenie et y entretint une garnison respectable (3). C'est ainsi que, peu è peu, les hauts suzerains s’accrurent sur les ruines des familles secondaires; ces sortes de ventes sont très-fréquentes. Plus tard un Boson d’Allinge intervint en qualité de vassal d’Aymon, comte de Genève, è un traité que ce prince fit à Seyssel avec l’évéque de Genève. Les anciens propriétaires du chateau Viel se retirèrent, non loin de là, au chateau de Coudrée; la famille d’Allinge-Coudrée a produit un grand nombre d’hommes distingués (4). La famille de Chissé, que je n'ai fait qu'indiquer dans le précedent chapitre, au nombre des familles illustres de la Roche et de ses alentours, produisit, au moyen dge, une infinité de personnages marquants en tout genre (5). On sait comment, en 1385, Rodolphe, l’un d’eux, archevéque de Tarantaise, périt victime d’un effroyable complot et fut assassiné au chiteau de S'-Jacques, proche de Moutiers, lui et son chapelain, par un misérable appelé Pierre de Combloux. Les comptes des chatelains de (1) V. mon travail intitulé L’ Abbaye d’Aulps, d’après des documents inédits, dans le tome Xî des Mem. de l’ Acad. de Savoie. (2) V. Doc., sigill. e mon., p. 48. (3) Cette acquisition fut probablement faite par le comte Pierre. V. le testament de ce prince. Guich., pr., p. 76. \ (4) V. la Gencalogie de la très-illustre et très-ancienne maison d’ Allinge, par dom Hilaire de St-Jean-Bapliste, de la congr. de Cit. Mss. i (5) Pourpris hist., p. 127 et 185. 56 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Chambéry contiennent, relativement au supplice de ce parricide, des details à faire frémir. L’exécution du patient eut lieu, sur la route de Chambéry à Mont- mélian, le 15, le 19 et le 22 juin 1387; le premier jour, on amputa le poing droit à ce malheureux; le second jour, on lui coupa le poing gauche; le troisieme jour, on le fit mourir par le supplice des tenailles ardentes, puis on partagea son corps en quartiers, après en avoir détaché le chef qui resta exposé au haut d’une potence (1). Je saisis ici l’occasion de parler de deux vidomnats assez importants, celui de Rumilly, en Albanais, et celui de Chaumont. Le premier appar- tenait à une famille peu connue, qui portait le nom de Rumilly, et dont un membre, appelé Herman, /ermannus de Rumiliaco, est men- tionné à la suite d’Aymon, comte de Genève, dans une donation que ce prince faisait, vers la fin du XI siècle, au prieuré de Lémens, près de Chambéry. i Une charte de l’an 1100 nous révèle l’existence d’un Walter de Rumilly, revétu de la qualité de vidomne, //alterius de Rumiliaco wice- domnus, et l’on trouve qu'en 1181 un Willelme, vidomne de Rumilly, H'illelmus vicedominus de Rumiliaco, cédait, du consentement de sa femme et de ses cinq fils, les dîmes de Feigères au monastère de Satigny (2). Je crois avoir remarqué précédemment qu'en 1219 un Raymond de Rumilly se rendit caution du comte Guillaume à concur- rence de 500 sols (3). Les droits de vidomne de Rumilly consistaient prin- cipalement à percevoir le tiers des bans, criées, peines et amendes de la ville, à retirer en entier la Zeide du sel et à exiger annuellement de chaque boucher une peau d’agneau et de chaque manant marié un tribut de 12 deniers. A une époque fort ancienne la porterie de Rumilly, c’est-à-dire l’office de gardien des portes, avait été inféodée à des tenanciers qui, dès lors, ne furent plus connus que sous la dénomination patronymique de Portiers, Portarii. Peut-étre est-ce à leur lignée qu’appartient ce Jacob. Portier, Jacobus Portarius, qui, en 1219, dans une circonsiance (1) Comptes de la Chdtellezie de Chambéry. (2) Mem. de la Soc. de Genève, t. II, 2 part., p. 26 et 44. (3) Spon, pr., n.° 20. PAR LÉON MÉNABRÉA 97 solennelle se rendit caution des comtes de Genève au montant de 500 sols (1). Ce personnage se serait trouvé le fils ou le frère d’un Guichard Portier, qui vivait en 1210 (2), et qui laissa, sans doute, une nom- breuse descendance (3). En 1272, le vidomnat de Rumilly avait passé aux mains de la maison de Villette, en Tarantaise; un Thibaud de Villette en fit hommage le rr septembre è l’évéque de Genève (4). Le vidomnat de Chaumont tirait son nom d’un bourg muré, situé sur le revers oriental de la montagne du Wuache, è une demi-liene de Frangy, au pied d’une tour ruinée qui domine tous les environs. Il était inféodé è des seigueurs d’ovigine illustre, qu'on appelait vidomnes de Chaumont (5). Je me contenterai de dire qu'un Willelme de Chaumont, IWillelmus de Caumonte, assista, comme homme lige du comte Aymon, au fameux traité que ce prince fit à Seyssel avec l’'évéque Humbert, en 1124 (6). Pour ce qui est du trop célèébre vidomnat de Genève et des querelles sanglantes auxquelles il donna lieu, yen parlerai amplement ailleurs. De méme que les vidomnes jouissaient de certains droits, de certaines préroga- tives demembrées du domaine épiscopal et qu'ils représentaient en cela la personne du maître, vicem gerentes domini, de méme les vicomtes percevaient certaines redevances, exercaient certains priviléges dans des localités determinées, en tant que substitués aux comtes, vicem gerentes comitis. J'ai parlé des vicomtes de Ternier, de ceux de $'-Sixt; laissant de còté quelques autres vidomnats de peu de valeur, que je juge superfiu de mentionner, je dirai maintenant deux mots des vicomtes de Cruseilles. (1) Spon, pr., n.0 20. Il pourrait se faire que ce Jacobus Portarius tînt en fief toute autre por- terie que celle de Rumilly, par exemple la porterie du palais, ou, comme on disait alors, de l’hospice des comtes de Genève. Ce qui le donnerait à présumer, c'est que ce feudataire est men- tionné dans l’acie immédiatement après le maréchal du comte, qui s’oblige aussi pour la somme de 500 sols. Petrus marescalcus pro D solidis. (2) Vente faite par ledit Guichard au comte de Genève le 22 aòut 1210. Charvaz et Cormier, Nesi ONfoliti (3) Nous avons des reconnaissances de fiefs faites par les Portiers de Rumilly en 1305 et 1341. Concess. invest. , t. Il, fol. 181. L’auteur du Pourpris hist. de la maison de Sales cite également ces seigneurs en quelques endroits de son livre, (4) Sommaire genéral des fiefs. (5) Pourpris hist., p. 31. (6) Spon, pr., n.° 1. Serre IL ‘Tom. XXIII (0) \ba / (0) DES ORIGINES FÉODALES ETC. ile premier d’entre ces seigneurs qui soit venu à ma connaissance est un Willelme de Cruseilles, /iM//elmus de Crusilia, quì intervint en rr53 à un acte passé par les comtes de Genève en faveur de l’abbaye d'Abondance, en Chablais (1). Lorsqu'en 1179 le comte Guillaume, après avoir triomphé de ses ennemis, cunetis inimicis meis confusis mihique subactis (ce sont les expressions de la charte) eut fait d'amples libéralites à la chartreuse de Pomiers et eut recu des religieux de ce monastère la somme de 5oo sols, ce prince, ainsi que je l’ai dejà remarqué, distribua une partie de cet argent aux capitaines de sa troupe. Or, au nombre de ces derniers figurait un Humbert, vicomte de Cruseilles, Mumbertus wicecomes de Crusilia, qui obtint 12 sols à titre de déedommagement (2). Un Jean de Cruseilles, damoiseau, domicellus, vivait en 1353 et possédait la maison- forte de la Pierre, en Graisivaudan (3). Quel fut ensuite le sort de cette famille? Je l’ignore: chacun sait que le lieu de son origine, Cruseilles, était jadis et est encore auJourd’hui un bourg considerable, situé à trois lieues au nord d’Annecy, là où le Salève va se rejoindre aux flexueuses collines des Bornes. Une des localités que la tradition cite comme ayant été des premières à étre environnée de murailles et couronnée de forteresses, est le bourg d’Alby, quì, après l’invasion des peuples du nord, donna, dit-on, sa denomination è l’Aibanais, ou pagwus Albanensis, lequel faisait partie du grand pagus Genevensis (4). Penché sur un gouffre au bord du Chéran, dans une position vraiment fantastique , ce bourg et sa banlieue se divi- saient jadis en deux sections séeparées par le lit escarpé du Chéran, savoir, à droite S'-Donat d’Alby et à gauche S'-Maurice d’Alby. D'un còté, on trouvait les chateaux de Chateauvieux, de Mont-Pont et de Mont-Desir, et de l’autre, ceux de Donjon, de Touche et de Mont- quenoit (5). Chateauvieux appartenait aux comtes de Genève, qui, 1) Bibl. Sebus., II, 52. (2) Ib:d., II, 13. (3) Sur la rive gauche de l’Isere, entre Domène et Theys. Les comtes de Genève avaient alors juridiction sur les mandements de Domène, Theys et La Pierre. V. Valbonnais, t. I, p. 147. (4) V. ci-devant. (5) V. aux archives du cadastre de Chambéry le recueil intitulé : Etat des sesgreurs et autres possédant fiefs dans la province de Genevois; et a la fin du recueil L’etat des chdteaux et maisons- fortes du Gencvois, 1772. PAR LÉON MÉNABRÉA 59 en 1340, l’inféodèrent à un batard de leur maison, avec les péages qui en deépendaient (1). Quant à Mont-Pont, il était la résidence de la très- ancienne famille des sires d’Alby, dont les traces remontent au XII siècle. Ces seigneurs, quoique figurant parmi les hauts tenanciers du Genevois (2), s'avouaient hommes liges des comtes de Savoie, à raison de certains fiefs situés au Chitelard, dans la vallée des Bauges, vallée qui a précisement sur Alby son principal déversoir, et c'est sans doute à cause de cela qu'on les rencontre si fréquemment à la suite de ces princes. Un Hugues d’Alby, Hugo d’Albiez, se trouvait, en 1183 environ, à la fondation de la chartreuse d’Aillon par le comte Humbert III (3). Un Gauthier d’Alby, Gauterius de Albiez, assistait, en 1205, à un pla- citum tenu devant la comtesse Beatrix, femme du comte Thomas; au sujet de plusieurs usurpations commises au préjudice du prieuré de Lémens, près de Chambéry. Il nous reste une série de chartes du XIV siècle, constatant l’existence successive d’un Pierre, d’un Francois, d’un Girard d’Alby (4); ce ne serait pas chose impossible de compleéter la. généalogie de ces illustres feudataires. Voisins des sires d’Alby, les sires de Montvagnard, ou simplement les Vagnard, /agnardi, pouvaient se vanter d’une origine tout aussi antique, tout aussi respectable. Les reconnaissances féodales qu'ils passèrent, à différentes époques, en faveur des comtes de Genève pour le chàteau de Montvagnard, Mons Wagnardorum, cu Castrum Montis Wagnardi, portent quils devaient è ces derniers une cuisse de boeufà titre de plaid, c’est-à-dire, exigible, à chaque mutation de vassal ou suzerain (5). Un Guy de Montvagnard in- tervint, en 1297, à un traité solennel, auquel avaient été appelés tous les (1) Sommaire general, t. I, Genevois, Alby. . (2) En 1245 un /7alterus de Albiaco miles était present à une donation de Guillaume comte de Genève è l’abbaye de St-Maurice d’Agaune : il y est nommé immédiatement après un :4/bertus de Compey miles et avant le maréchal du comte. Bibl. Seb., I, 46. - Un Richard d’Alby faisait en- core, en 1490, hommage du chàteau de Mont-Pont au comte de Genevois. Voyez anx archives du cadastre Concessioni, investiture e consegnamenti etc. , t. I, f. 136, verso. - Un Amé d’Alby possédait, en 1519, le chàteau de Mont-Désir. Voyez aux mémes archives, Memoires concernant les requétes présentées en execution de l’edit du 5 adut 1752 pour l’investiture des fiefs, t. I, fol. 16. (3) On sait que cette chartreuse était situge en Bauges, (4) Indice gen., t. I, fol. 254 et seg. (5) Sommaire general, t. IX Genevois, v. Montvagnard. 60 DES ORIGINES FÉODALES ETC. dynastes de la contrée (1). En 1316 un Robert de Montvagnard occupait la charge de bailli du Faucigny (2); il possédait probablement dans cette province quelques-uns des biens que nous retrouvons plus tard entre les mains de ses descendanis, ou peut-étre y a-t-il ici confusion de deux fa- milles, dont l’une habitait le Faucigny (3); ce Robert vivait encore en 1319; il reconnut tenir le chàteau de Montvagnard en fief du comte de Genève, et en arrière-fief du Dauphin de Vienne, dont le comte s’était précé- demment déclaré vassal (4). Non loin de Rumilly, petite ville fort ancienne, considérée dans le XV siècle comme la capitale de l’Albanais, s'élevait un manoir appelé la Créte, devenu la résidence des sires de Hauteville, après que ceux-ci eurent abandonné le chaàteau de Hauteville aux comtes de Genève. Quoique ces comtes fussent réellement suzerains des seigneurs dont il est question, ils ne jowirent pas toujours paisiblement de leurs droits, et on les voit, durant de longues années, soutenir à ce sujet d’assez longues contestations avec la maison de Savoie (5). Les sires de Hauteville étaient maîtres de Versonnex et de Sion; ils y exercaient la haute justice et l’omnimode juridiction, sauf quelques restrictions de peu d’importance (6). A deux heures environ d’Annecy, au pied de la Tournette et presque à la maissance du val de Thònes, au milieu d’une nature apre, sauvage, se dressait le chiteau de l’antique famille des Clefs. Un Pierre des Clefs, Petrus de Cletis , florissait pendant la seconde moitié du XII siècle (7). Ce personnage partit, en 1189, pour la Terre (4) On y lit les noms d’un Albert des Clées, un Robert de Mouxi, ceux de Jean de Langin, Pierre de Graisi, Aymon de Menthonex , Pierre de Ternier, Henri de Viry, Richard de Pont- verre, ele. qui se rendirent caution de la paix promise par le comte de Genève è Amé V, comte de Savoie. ‘2) Robertus Vuagnardi baillivus domini nostri. Concession de Hugues Dauphin, seigneur de Fau- cigny è la chartreuse du Repausoir. Archives du cadastre general Corsigrations des fiefs, t. II, fol. 271. (3) Je remarque qu'en 1412, un Robert de Montvagnard possédait Ja maison-forte de Tours, près de Bonneville: qu’en 1464, un autre Robert de Monlvagnard était maître de celle de Rochefort, et gu’en 1492, ce mème personnage demandait l’invesliture du chàteau de Boége. V. Concess. e investit., t. I, fol. 60 et 62, et t. IT, fol. 178. 4) Valb., t. II, p. 180. (5) Sommaire gen., t. I, Genevois, v. la Créte. V. aussi Concessioni, investiture e consegnamenti, t. I, fol. 231. (6) Transaction du 6 mai 1346 entre Perronnet, fils de Rodolphe de Hauteville, et le comte de Genève, relativement à Sion et à Versonnex. Charvaz et Cornier, n.° 10, fol. 47. (7) Chartes de 1151 et 1184. Pourpris hist,, p. 145. Spon, pr., n.° 12. PAR LEON MENABREÉA oi sainte, et fit donation avant son départ de cinq oboles de rente à l’abbaye de Tamiers (1). En 1219, un Jocerand des Clefs cautionnait le comte de Genève son suzerain, au montant de mille sols, somme assez forte dans ces temps-là (2). Un second Pierre des Clefs, chevalier, d.2w Petrus de Cletis miles, intervenait, en 1236 et 1237, à deux actes d’une cer- taine importance; il serait aisé de grossir cette série de noms oubliés (3). Les sires des Clefs avaient à Ugines quelques fiefs relevant des comtes de Savoie (4). Je citerai, en passant, diverses autres familles, tout aussi anciennes que les précédentes, dont les noms méritent d’étre consignés ici: ce sont celles de Sionnaz (5), de Mionaz (6), de Lully, de Perly (7), des Forets (8), de Folliex (9), de Menthonex (10), de Pelly, du Wuache (11), de Copponex, de Charransonnex, de Choisy. (1) Anno MCLXXXIX Petrus de Cletis miles volens Jerosolimam proficisci dedit Deo et beate Marie Stamedcensi V oboles censuales. Cartulaire de Tamiers. (2) Spon, pr., n.° 20. (3) Hommage d’Humbert des Clefs au comte de Genève 1345, d’Albert, fils de Jean des Clefs, 1371, d’Antoine, fils de Jacquemod des Clefs, 1377 ete. ete. Concessioni, investiture e consegna- menti, ete.t. T, fol. 460. (4, Hommage d’Aymon des Clefs à Boniface de Savoie, archevèque de Cantorbéry pour les fiefs qu'il a dans le mandement d’Ugines. Zrdice V. Y, fol. 83 verso. On sait que la chàtellenie d’Ugines apparlenant aux coniles de Savoie élait contigué à celle des Clefs, qui dépendait du comté de Genève.” Nous avons une enquéte faite, en 1338, sur les limites des deux territoires. (5) Pourpris hist. i (6) Voyez sur ces seigneurs le Pourpris historique, p. 315, 507, 550. Sionnaz et Mionaz sont situes en Albanais, au nord de Rumilly. ) (7) On voit par un acte du commencement du XII siècle, qu’un Girard de Lully, de Luliaco, et un Benoît de Perly, de Perliaco, élaient attachés à la maison des comtes de Genève. V. Mem. eic., t. II, 2 part., p. 24. On sait que Perly est un hameau de la commune de Bernex, près de Genève, et que Lully est une paroisse du Chablais moderne, siluée entre Douvaine et Thonon. Le Pourpris hist. fournit sur la famille de Lully, ou Luilier, des renseignements précieux. V. t. I, p. 369. 8) Un Giraldus de Nemora, cité dans un acte de 1170, appartenait peut-étre à celte famille, V. Mém. ete., t. HI, 2 part., p. 37. (9, Une charte redigge è la fin du XI siècle, ou au commencement du XII, mentionne un Hugues et un Guillaume de Ferney, ainsi qu’un Guillaume de Follet, qui se rendirent caution des engagements pris par Amédée, fils du comte de Genève, envers l’évéque de cette ville. Mem. eic., i. II, 2 part, p. 20. V. sur la famille de Follier le Pourpris Rist., p. 299. (10) /7llermus de Mentunay intervint, avec d’autres seigneurs à un traité de 1293, v. Spon, pr., n.° 26. Il existe en Genevois deux. villages du nom de Menthonex. (11) Un sire de Pelly passa, en 1317, une reconnaissance de fief en faveur des comtes de Genève; un sire du Wuache en fit autant, en 1327. V. Sommaire general des ficfs, provinces du Genevois et de Carouge. 62 DES ORIGINES FÉODALES ETC En ce qui concerne les sires de Menthonex, on n'ignore pas qu'en 1394 ils fournirent un savant évéque è l’église de Lausanne (1); cent ans auparavant , ils avaient donné à la maison de Genève des preuves non équivoques de fidelite. Revenons un moment à Annecy, et explorons la haute vallée du Fier. Outre les sires des Clefs, déjà mentionnés, outre les sires de Dingy et de la Balme de Thuy, cités aussi comme provenant de la tige de Menthon, on y rencontrait avec les sires de Folliex les sires de Serraval et d’Alex. Les premiers descendaient, selon toute apparence , d’un Guillelmus de Follet, qui, en 1135 environ, fut garant de certains en- gagements que les comtes de Genève venaient de contracter avec les cvéques de cette ville (2). Les seconds nous sont principalement connus par un Aymon de Serraval, qui florissait de 1267 à 1291 (3); ceux-ci étaient hommes liges des comtes de Savoie, à raison de quelques terres situées à Tournon, dans la vallee de l’Isère (4). Les sires d’Alex s'éteignirent en la personne de Marguerite, fille de Guill. d’Alex, qui avait épousé Pierre d’Arenthon, issu de l’antique race des barons de Faucigny. L’espace limité au nord par les sommités arrondies du mont de Sion, et les crétes escarpées du Wuache, à l’est par les prolongements méri- dionaux du Salève et les derniers appendices des Bornes, à l’ouest, par le Rhòne, au midi, par le cours inférieur du Fier, forme un vaste qua- drilatère où la nature semble avoir pris plaisir è entasser les accidents géologiques les plus variés, les plus bizarres. Là se trouvaient les sires d'Arlod, du Wuache, de Coppones, de Sionnaz, de Mionaz, de Pelly, d Arcine, de Charansonnay et de Choisy, dont jai rapidement signalé l'origine. Avant de clore l’énumération , beaucoup trop longue sans doute aux yeux du lecteur, des seigneuries qui relevaient du comté de Genève, il faut que je signale les deux antiques familles de Graisy et de Mouxi, qui (1) Guillaume de Menthonex, qui douze ans après fut assassiné par un valet de son chateau de Lucens. (2) Mem. de Gen., t. II, documents, n.° 4, p. 20. (3) Besson p. 208. Mem. de Gen., t. I, documents, p. 74 (4) Hommage de Frangois de Serrayal, 22 novembre 1329. Concessioni, invast. e consegnamenti, t. IT, fol. 284 verso, PAR LÉON MÉNABREA 63 avaient chacune leur fief à l’extrémité méridionale de ce comté , aux portes d’Aix et sur la frontière du pagus Savogiensis. ; On ne saurait expliquer de quelle manière la maison de Faucigny, maîtresse des vallées, jadis sauvages, qui serpentent au bas du Mont- Blanc, avait, au XII siècle, obtenu juridiction sur les domaines qui esistaient vers la limite meéridionale du grand pagus Genevensis (1). Le fait est, qu'è cette époque le chateau de Graisy, dont les tours en ruines s'élèvent à une petite distance de la ville d’Aix, appartenait è Rodolphe-l'Allemand, frère de Guillaume de Faucigny. Ce personnage illustre, qui fut la tige de plusieurs familles (je les mentionnerai ailleurs), prenait frequemment le titre de dominus de Graisiaco (2). Or, c'est de lui que devait descendre le Guillaume de Graisy, que l’on trouve mélé, en 1184, aux querelles qu'engendrait sans cesse le régime féodal (3). Les sires de Graisy portèrent toujours les mémes armes que les barons de Faucigny, pallé or et gueule; ils étaient, en 1249, vassaux de ces princes (4), et ils ne le devinrent que longtemps après des comtes de Genève (5). (d, On verra plus tard que les sires d’Aix étaient à raison de certaines terres, situées proche d’Aix, feudataires des barons de Faucigny. V. ci-après. (2) V. ci-après. (8) Spon, pr., n.0 12. On trouve un Rodulphus de Gresie miles cilé dans une charte de 1190. Mem. de la Soc. de Gen., t. II, Doc. n.° 19, p. 46. On trouve également un Louis et un Aymon de Graisy cités dans une charte de 1219. Spon, pr., n.° 20. (4) Hommage fait en 1249 par Rodolphe de Graisy à Aymon de Faucigny. Somm. gen. Savoie , t. I, v. Cessens et Graisy. Ce Rodolphe était déjà mort en 1296, puisque sa veuve Alise transigea alors, au sujet de certains droits, avec les héritiers de son époux. Ibidem. Rodolphe eut plusieurs enfants, parmi lesquels j'ai pu reconnaître, 1.° Guillaume qui dans un acte de 1277, cité par dom Leyat, ist. de la maison de Seyssel ms., se dit filius Rodulfi quondam domini de Graisiaco; il fut du nombre des seigneurs qui, en 1297, se rendirent pleiges ou caulions de la paix conclue entre Amedee, comte de Genève, et la maison de Savoie. Archives de Cour. Il avait eu, en 1273, des différents avec Aymon, père de ce prince, au sujet de la juridiction de Cusy. Arch. de Cour, Savoie-Cusy : 2° Pierre, mentionné comme fils de Rodolphe dans un hommage par lui fait au comte de Genève, le 25 novembre 1289. Charvaz et Cornier, n.° 10, fol. 38: 3.9 Mermet, men- fionné avec son frère Pierre dans deux semblables hommages, faits en 1300 et 1309. /bidem, fol. 37 et 39: 4.° Aymon, que je suppose aussi fils de Rodolphe, et qui est mentionné comme père de Girard dans une reconnaissance du 6 juillet 1293. Corcess., invest., t. I, fol. 225. Des lors la genealogie de ces seigneurs presente beaucoup d’ambiguité à cause de la multiplicité des noms de Pierre, de Rodolphe et de Francois. (5) Hommage de 1289, 1300 et 1309, cités dans la note precédente;; autres hommages de 1317, 1323, 1329, 1345, 1346, 1387, 1405, 1421, etc. Concess., invest., t. Lf 2925. DES ORIGINES FÉODALES ETC. (o) Ils possédaient au XII siècle non-seulement le chitean de Graisy, mais encore ceux de Cusy et de Cessens, qui occupent une place im- portante dans les annales chevaleresques de notre pays, tant ils subirent de sigges , tant ils firent verser de sang. Des mains des sires de Graisy, le chiteau de Cusy tomba en celles des comtes susdits, puis passa au pouvoir de la maison de Savoie (1), puis retourna, en 1372, à ses premiers maîtres (2). Quant à la fameuse tour de Cessens, qui, suivant les croyances du peuple, serait de fondation romaine, un Rodolphe de Graisy la céda aux comtes de Genève par un acte du 28 juillet 1313, qui toutefois n’eut pas immédiatement son effet (3). Parmi les possessions de ces seigneuries, il faut pareillement compter les anciens manoirs de Choisy et de la Batie de Compey (4). Presque sous les murailles d’Aix, et là préciséement où commencait è se dérouler le pagus Savogiensis, on trouve le village de Mouxi, berceau d’une famille tout aussi recommandable que les précédentes. Un Robert de Mouxi, fils de Hugues, figurait, en 1294, au nombre des hauts feudataires qui garantirent au nom d’Amédée, comte de Genève, le: maintien de ce traité de paix, conclu avec le comte de Savoie, que Jai cité maintes fois. Il paraît que, déjà auparavant, une branche de cette famille avait fisé sa résidence à Rumilly, où elle occupait une maison-forte; car, en 1244, un Geoffroy de Mouxi fondait en ce lieu la chapelle de S'-Jean-Baptiste (5). Les sires de Monxi percevaient à Rumilly certaines redlevances, telles que les langues des boeufs livrés à l’abattoir, linguas bovuri; ils tenaient en fief le péage de la ville (6); ce péage (1) V. ci-après. (2) V. ci-après ORLIER. (3) L’acte dont il s’agit était un echange; mais on trouve ensuile: 17 janvier 1316, retroces- sion du chàteau de Cessens, faite par le comte de Genève à Pierre, fils de Rodolphe; 26 avril 1342, vente de ce fief aux enchères; 15 avril 1345, transaction entre Rollet de Graisy et le comle de Genève ; 7 décembre de la mème année, promesse faite par le chàtelain de Cessens d’observer ladite transaction. Concess., invest., t. I, p. 82 verso. (4) Le 6 juillet 1293, Girard, fils d’Aymon de Graisy, reconnaît tenir en fief du comte de Genève la maison-forte de Compey. Zrdice C., t. IV, fol. 18. En 1343, ‘Pierre, fils de Guillaume de Graisy, fait une semblable reconnaissaace pour la maison-forte de Choisy. Sommaire general, t. I, Genevois, v. Choisy. (3) Pourpris hist., p. 541. (6) Reconnaissance faite, le 25 octobre 1278, au comte de Genève par Pierre, fils de Pierre de Mouxi, pour les langues d gufs, pour le péage de la ville et autres choses spécifiées dans l’acte. Charvaz et Cornier, n.° «h0fMfol. 36. PAR LÉON MÉNABRÉA 65 offrait quelques singularités : pour chaque béte mulatine, ou béte de charge 6 deniers; pour un pourceau 1 sol; pour un roncin deferré 8 deniers; pour chaque juif passant à pied 4 deniers, et à cheval 8 de- niers (1). Les seigneurs dont il est question possédaient, au XIV siècle, le chàtean de Lupigny (2). Dans la méme année de r244, un Hugues de Mouxi, Hugo de Mouziaco , intervenait au mariage d’Amé IV, comte de Savoie, avec Cecile de Baulx (3). Un Jacques de Mouxi était bailli du Faucigny en 1385 (4). On pourrait multiplier ces citations (5). Il est facile de comprendre, maintenant, combien les comtes de Genève, libres de disposer de tant de vassaux, devaient étre redoutables: bien qu'à Genève ils n’exercassent presque aucune juridiction, ils ne laissaient pas que d’y avoir une impor- tante forteresse, connue sous le nom de Chdatean de Genève, assise sur la hauteur du Bourg de Four. (1) Consignements des fiefs, t. 1, fol. 294, verso. (2) Hommage de Gallois de Mouxi pour le chàteau de Lupigny, 29 adut 1373. (3) Guichenon, pr., p. 71. (4) Gapré, Traîté hist. de la Chambre des comptes, p. 176. (5) Un Pierre de Mouxi était grand prieur de Cluny en 1455. La famille de Mouxi de Loche, qui subsiste dans Jes environs d’Aix est, sans contredit, la branche aînée de cette noble race. — Jean, seigneur de Loche, gentilhomme de la chambre et secrétaire parliculier du prince Thomas de Carignan, fut aussi gouverneur de dom Félix de Savoie. — Nous nommerons encore Clair son fils, chevalier de Malte, en 1659. — Pierre Antoine, frère du précedent, confesseur de la reine Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours, puis supérieur du couvent des chartreux à Trissulte, où il mourut, en 1690, après avoir publié divers gcrits. — Georges, commandant du régiment de Maurienne, mort en 1791. —- Francois, comte de Loche, commandant du duché d’Aoste, en 1814, puis genéral d’infanterie etc., membre de plusieurs académies savantes, l’un des trois fondatenrs de celle de Savoie; dont il fut président jusqu’à sa mort, en 1837. Ses ouyrages sur l’histoire naturelle et l’archéologie lui ont valu une place distingude parmi les hommes éminents de cette époque. — Joseph, son frère, officier intelligent et courageux , dont les longs et loyaux services vivent encore dans la mémoire de ses compatriotes; colonel d’infanterie, commandeur de l’ordre des SS. Maurice et Lazare; it mourut en 1855. — Frangois, comte de Mouxi de Loche, son neveu, Vun des derniers pages du roi Charles-Albert, capitaine dans la brigade de Savoie, mort en 1857. Senie II. Tom. XXIII. 9 66 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. CHAPITRE IV. Evéque de Genève. - Hypothéses. - Contestations. - Ces prélats ont droit de seigneurie et de justice sur la ville. - Humbert. - Ardutius. - Hommages des comtes; coup hardì de ces derniers. - Sentence de l'empereur Frédéric. - Les querelles renaissent. - Nantelin. - Arbitrage. - Ambition des princes de Savoie. - Pacte avec les bourgeois. - Guillaume de Duing, évéque. - Monitoires. - Excommunication. - Convention de 1290. - Vidomnes de Genève. - Leurs attributions. - Emoluments. - Procédures. - Le Vidomnat passe tour à tour des évéques qua comtes. - Pierre de Confignon. - Les princes de Savoie maîtres de la ville de Genève. - Entreprises progressives sur la puissance temporelle du clergé. - Vidomnats inféodés à différentes familles. - Droit de battre monnaie, conféré exclusivement aux évéques. - IL est ensuite accordé aux comtes. - Pays de Gex. - Leéonette - Hommage à Béatriv de Faucigny. - Simon de Joinville. - Pays de Gavot. - St-Maurice d’ Agaune. - Chateau de Vevay.- Dues de Chablais. - Aymon. - Pierre. - Familles illustres suzeraines. - Leurs noms, titres, tours et chateauo. - Les sires de Blonay. Les evéques de Genève n’avaient à opposer aux comtes du méme nomu, ces insatiables et dangereux voisins, que le chiteau de l’Ile, Castrum Insule, construit au bas de la cité par Pierre de Cessens vers le commencement du XIII siècle (1), celui de Marval (2) et celui de Peney (3), situés sur la rive droite du Rhòne, et enfin celui de Jussi, qui s’élevait, au midi de Douvaine, près de la montagne des Voirons. Ils possedaient encore, en Faucigny, les terres et maisons-fortes de Viuz-en-Salaz, et de Thyez (4). Comme ces prélats jouèrent un ròle remarquable dans l'histoire de nos contrées au moyen age, je crois convenable de bien déterminer leur position. Si le temps eiùt épargné tous les monuments écrits de l’église de Genève, nous la verrions sans doute jouissant, dès les siècles les plus reculés, de priviléges importants; nous saurions en quoi consistaient les immunités qui, sous les rois burgondes et, mieux encore, sous les rois francs durent lui étre (1) Il résulte de l'enquòte rapportce par Spon, à la fin du volume des preuves de l’Mist. de Geneve, que l’évèque Pierre de Cessens avait fait bàtir le chàteau de |’Ile pour se défendre contre les agressions des comtes de Genève. Le 10.° témoin dit: Et multa jam expendit in castro de Insula et in defensione contra inimicos. Le 16.° temoin ajoute: Quod episcopus fecit dirui muros civitatis Gebennensis et castrum Insule edificaret. (2) Reéedifié par Je mème prelat. 3) Construit par l’évèeque Aymon de Grandson, successeur de Pierre. ‘4) V. Besson, p. 20 et 35. PAR LÉON MÉNABREA 67 concédées, selon ce qui se pratiquait assez généralement alors; nous pourrions dire à quelle époque, à l’occasion de quels évenements l’au- torité de ses pontifes fut substituée, dans la ville épiscopale, è celle des anciens et très-puissants comtes de Genève; mais sur toutes ces choses nous sommes réduits à des hypothèses plus ou moins probables (1). Une charte fort curieuse nous jette, de plein saut, au milieu des con- lestations qui existaient, en 1224, entre l’évèque Humbert de Grammont et le comte Aymon (2). Le premier demandait la restitution de plusieurs droits que le second avait usurpés; les parties s'abouchèrent è Seyssel, et là furent arrétés, sur le témoignage assermenté de quatre prud’hom- ies, un certain nombre d’articles fondamentaux. On y voit que la seigneurie et la justice de la ville appartiennent è l’évéque seul (3); qu'il percoit à Genève la totalité des bans ou amendes (4); que la police des marchés est de son ressort (5); qu'il a exclusivement en main la faculté de battre monnaie (6); qu’avec son consentement toutefois, le comte peut punir les faux monnayeurs etc. etc. ; enfin, cir- constance à retenir, le comte fait à l’évéque acte de fidelité absolue (7), preferablement à qui que ce soit, l’empereur excepté ; et moyennant ce, l’evéque consent à l’investir de son antique fief, et suum antiquum feodum ei donavit (8). Après Humbert de Grammont on vit arriver au siége eépiscopal un homme de naissance illustre qui, s'il ne brilla point par les vertus chré- liennes (9), se montra tenace à défendre les prérogatives de l’église: Ardutius, fils de Rodolphe sire de Faucigny, s’'adressa, en 1153, à Frédéric Barberousse, et obtint de ce monarque un diplòme confirmatif de tous ses droits (10). (1) Voyez ci-devant. (2) Spon, pri, n° 1. (3) Justiciam et dominium cujuscumque sit homo ad episcopum solum pertinere. (4) Bannum totius videlicet Geneve in omnibus et per omnia. (5) Justiciam fori. ì (6) Moneiam in manu solius episcopi esse. (7) Hominium et fidelitatem absolute fecit. (8) Ce traité fut confirmé par un nouvel acie passé à Genève quelque temps après. Doc. Sigill., e Mon. p. 40. (9) A en juger par deux lettres (27.° et 2.2) que lui écrivait St-Bernard , où il lui dit entre autres: Delicta juventutis tuae deleat vespertina correctio. (10) Spon, pr., n.° 2. 63 DES ORIGINES FÉODALES ETC. En ce temps-là précisément de graves questions s’agitaient entre lui et le comte Amé. Ardutius accusait ce prince de violer le territoire de S'-Pierre, d’y construire des redoutes, des bastilles et des chateaux, de s'y livrer à d’horribles dévastations ete. De son còté, le comte re- prochait à l’évéque d’avoir soustrait è sa puridiction divers individus de race servile, en les promouvant aux ordres sacrés. Une transaction, passée en 1155, où se trouve rappelé en entier le traité de Seyssel, suspendit momentanément ces querelles: Amé paya des dommages et se reconnut. formellement tenu à fidélité envers le prélat: comes est et bonus advo- catus sub episcopo esse debet (1). Je dirai en passant que la supériorité des évéques sur les comtes ne fut jamais l’objet d’un doute sérieux; les nombreux hommages de ces derniers en font assez foi, et l'on peut se convainere, en les examinant, qu'elle embrassait l’intégralité du comte de Genève (2). Mais moins cette supériorité paraissait contestable sous le rapport légal, plus les comtes s'efforcaient de la ruiner: ils furent méme sur le point de réaliser à cet égard leurs projets de destruction. Nous avons vu précédemment que les Zaeringen, en recueillant, è la fin du XI siècle, les débris de l’héritage de Rodolphe de Rheinfelden, avaient succédé à l’espèce de haute suzeraineté, ou vicariat impérial, dont ce personnage célèbre jouissait dans l'Helvetie burgonde (3). Ce vicariat, qu'on appelle communément le rectorat de Bourgogne était resté comme inerte, et presque oublié, jusqu'à la moitié du siècle suivant, où il fut renouvelé en faveur du duc Berthold IV, à qui l’empereur Frédéric accorda, en 1155, l’avouerie imperiale et l’investiture des régales, ad- vocatiam cum investitura regalium, dans les trois diocèses de Genève, de Sion et de Lausanne (4). Or, que firent les comtes de Genève? Ils achetèrent, en ce qui con- cernait cette ville, les droits des ducs de Zaeringen et prétendirent ainsi 1) Spon, pr., n.0 3. (2) Spon, pr., n.° 20, 29, 32, 33, 35. Dans le premier des actes ici menlionnés, lequel est de l’an 1219, on lit ces mots remarquables: Sane 77?//elmus hominium ligium fecit episcopo et fidelita- tem cum juramento promisit episcopus vero ipsum Willelmum de feudo comitatus cum annulo investivit. Aussì, lorsqu’en 1316 le comte Guillaume se déclare vassal des Dauphins, n’osa-t-il le faire que sous reserve de ne point préjudicier a Ja suzeraineté de l’éveque. Valb., t. IT, p. 163. (3) V. ci-devant. (4) Bertolfus tres civitates inter Juram et Montemjovis Losannam, Gebennam et Sedunum acccpit. Ottonis Freisingiensis Chron., lib. II, cap. 30. PAR LÉON MÉNABRÉA 69 sélever vis-à-vis des évéques, par un coup hardi, du ravg de vassaux à celui de suzerains. Employant ensuite la force, ils: s'emparèrent à Genève de l’autorité régalienne et de tout ce qui constituait le pouvoir public, nonobstant les décrets que le pape fulminait contre eux (1). C'est alors, sur ces entrefaites, que Frédéric, à son retour d’Italie, s’étant arrété à S'-Jean-de-Lòne, Ardutius alla le trouver et lui présenta la bulle qu'il en avait obtenu en 1153. Les termes de ce diplòme et les instances de ce prélat émurent tel- lement l’empereur, que le 6 des ides de septembre 1162 il prononca une sentence, par laquelle en annullant la donation faite, en 1159, au duc de Zaeringen, ainsi que la vente successivement passée au comte de Genève, il remit l’évéque en possession des régales et inhiba à quiconque de l’inquiéter à ce sujet (2). Le comte Amé (car il vivait toujours) dut demander pardon de ses méfaits et renoncer à ses usurpations (3). A la mort de ce prince, les querelles recommencèrent. La carrière politique de son fils Guillaume n'est qu'une longue série d’entreprises sur la puissance temporelle du clergé. Un traité de 1184 nous apprend que, non content d’avoir construit aux portes de la cité une muraille menacante, il cherchait à s’attribuer la punition des voleurs et des adultères, et qu'il se permettait de saisir les biens de l’église, sous prétexte de réprimer certains excès attribués aux cleres (4). Nantelin, successeur d’'Ardutius, recourut derechef aux césars alle- mands qui lui delivrèrent une bulle en confirmation de ses priviléges, et l'investirent solennellement du droit de régale (5). Il y a apparence que Guillaume ne prit de cela qu’un très-léger souci, car nous le voyons l'année suivante mis par l’empereur au ban de l’empire, déclaré, è cause 1) Bulle de 1160. — Spon, pr., n.° 6. (2) Spon, pr., n.° 8 et 9. Je ne cite pas ici le fameux diplòme, dit la Bul/e d’or, qu'on prétend avoir été octroyé le mème jour à l’évèque de Genève, et dont il m’existe qu’un transumpt, fait en 1483 (Spon, n.° 7); je ne le cite pas, dis-je, parce que de graves soupgons s’élèvent contre son authenticité. Voyez dans le tome I de l’ Archiv fiir Schweizerische Geschichte un Mémoire de M. Ludwig Meyer, intitulé Weber die so geheissene goldene Bulle von Genf. (3) Et ecclesia Gebenn. multo tempore multis tribulationibus afflicta tandem Deo miserante respiravit. Spon, pr., n.° 10. (4) Spon, pr., n.° 12. (5) Charte de 1185. — Spon, pr., n.° 13. 70 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de ses crimes, pro sceleribus suis, ennemi manifeste de la chose pu- blique, manifestus hostis, et condamné envers l’évéque à 20 mille sols de dommages (1). Ces procédures aboutirent à un nouveau traité, conclu en 1187, è l’avbitrage de l’archevéque de Vienne, où en rappelant les principaux articles de l’accord de 1124, on reconnut que la ville ei le territoire de Genève appartenaient exclusivement aux évéques; que les évéques seuls pouvaient y administrer la justice et percevoir les émoluments d’icelle; qu’eux seuls aussi avaient dans le diocèse juridiction sur les gens d’église, et qu'en aucun cas les comtes n’étaient autorisés à s'emparer des per- sonnes ou des propriétés de ces derniers à raison des délits qu’ils pour- raient commettre (2). Deja alors la maison de Savoie jetait sur Genève un regard de con- voitise: on remarque, en effet, qu'en 1211 l’éveque Bernard, justement effrayé du génie ambitieux d’un prince de cette maison, je veux parler du comte Thomas, lui faisait promettre de ne point attenter aux régales genevoises, et méme de les refuser si l’on venait, par hasard à les lui céder (3). Une semblable promesse n’était pas, on le pense bien, de nature à arréter la marche, en quelque sorte nécessaire, des événements. Amé V, petit-fils de Thomas, politique habile , guerrier intrépide, eut moins de scrupules, ou se sentit plus fort que son aieul: on le voit, en 1285, faire avec les bourgeois de Genève un pacte, en vertu duquel il les prend sous sa protection et s’engage è les défendre contre tous et au besoin contre l’évéque qui, à ce qu'il paraît, voulait déroger à leurs franchises et à leurs libertés (4): bientòt le tròne épiscopal ayant vaqué, il profite de l’occasion, va mettre le siége devant le chateau de I°Ile et l’emporte de vive force (5). (1) Spon, pr., n.° 15, 16 et 17. (2) Ibid., n.° 18. Il y eut encore, en 1219, un traité portant sur les mèmes bases. Spon, pr., n.° 20. (3) Spon, pr., n° 19. (4) Ibid., pr., n.0 23. (5) Quod quidem castrum nuper vacante sede eccl. Gebenn. dictus comes obsederat et per suam po- tentiam violenter occupaverat. V. le n.° 1 des documents cités dans la note suivante. Il paraît, d’après les comptes des cliàtelains de l’Ile, qui existent à Turin aux archives de Cour, que le comte Amé V avait expulsé de ce chàteau non pas les gens de l’évèque, mais ceux du comte de Genèye qui s’en étaient emparés avant lui. Il faut mèéme remarquer qu’à cette cpoque les comles de Savoie éiaient en possession du chàteau de Bourg-de-Four, ou chàteau de Genève, appartenant aux comles de Genève, chàtean que le comte Pierre leur avait pris avant 1250. Voyez Della storia di Ginevra e di alcune forti poco note della medesima, par M. le chev. Cibrario, Turin, 1844, in 8.° PAR LÉON MÉNABREA 71 icì s'ouvre, pour l’histoire de Genève, une période pleine d’animation et d’intérét (1). Je n’en dirai que ce qui a trait directement au but que je me suis proposé. Un des premiers soins du nouvel évéque Guillaume de Duing fut de poursuivre, par des monitoires énergiques, les déprédateurs de son eglise. Dans l’un de ces actes, du 13 novembre 1289, il provoque l’animadversion des fidèles, 1° sur le comte de Savoie qui occupait, comme on la vu, le chateau de lIle, s'arrogeait la Juridiction temporelle de la cité, s'attribuait la péche dite de l’évéque et le péage des denrées que l’on transportait au marché par le pont du Rhòne; 2° sur les bourgeois de la ville qui, se prétendant libres, s’étaient rendus maîtres de la cathédrale de S'-Pierre et y tenaient garnison, non autrement qu’en une citadelle ; 3° sur le comte de Genève qui, au mépris des anciens traités, s'appropriait le droit de péche depuis Russins jusqu'à la Cluse (2). A ces monitoires succéda une sentence d’excommunication, prononcée le 10 janvier suivant (3). Malheureusement personne ne s'en émut. Le comte Amé V reépondait qu'en s'emparant du chateau de l'Ile, et en chassant les ennemis de l’évéque, il avait fait chose utile è celui-ci; il protestait donc de ne relicher ce chàteau que moyennant remboursement de 4o mille marcs d’argent, montant des frais de la guerre, et quant à la sentence il en appelait au saint siége. Après bien des debats intervint la memorable convention du 19 sep- tembre 1290, portant en substance ce qui suit: le comte Amé V restitue à l’évéque Guillaume la péche et les péages; pour compenser une telle restitution le prélat accorde au prince, et pendant la vie des conces- sionnaires seulement, l’investiture du vidomnat de Genève; enfin, en ce qui touche le relichement du chateau de l’Ile et les 4o mille marcs de dommages, réciproquement réclames, les parties se bornent à nommer des arbitres qui régleront ultérieurement les prétentions de chacune d’elles (4). Or il est essentiel de savoir ce que c’était que le vidomnat de Genève, et ce qui constituait son importance. (1) M. Edouard Mallet a jeté un grand jour sur cette période par les documents qu’ila publiés dans le tome I des Mem. de la Soc. d’hist. de Genève. (2) Documents susdits n.° 5. (3) Ibidem, n.° 6. (4) Spon, n.° 129, et documents de M. Mallet, n.° IX. DES ORIGINES FÉODALES ETC. ì; N Outre les officiers que l’on rencontre, dès le XII siècle , exercant des fonctions diverses, dans la plupart des villes placées sous l’autorité des évéques, tels que les baillis, les ofticiaux, les juges, les procureurs fiscaux etc. (1), on trouvait è Genève un fonctionnaire inférieur, appelé vidomne, vicedomnus, vicedominus, revétu d’attributions toutes spéciales. Ces attributions comprenaient 1° la connaissance des causes purement personnelles et pécuniaires qui se décident sommairement et sans so- lennité; 2° la punition des maléfices mineurs commis par les laiques , c'est-à-dire des infractions n’emportant ni la peine du sang, ni celle de la confiscation des biens; 3° l’instruction de toutes les procédures, éga- lement dirigges contre les laîques, à raison de quelque crime que ce fùt, et portant le droit de faire arréter les personnes ou de les relicher sous bonne caution. Pour ce qui était des éemoluments de sa charge, le vidomne percevait en entier les clames et les bans de trois sols (2); il retirait la tierce part des bans de 60 sols, à l’exception néanmoins de l’amende de pa- reille somme que payaient les veuves, passant è de secondes noces; il ne lui revenait rien dans les bans et échutes excédant 60 sols, non plus que dans les trésors découverts, ni dans les objets perdus ou abandonnés. La procédure admise devant le vidomne de Genève, ou en d’autres termes le style du vidomnat ne comportait aucune formalité d’acte; tout sy faisait verbalement, non d’après la rigueur du droit, mais suivant la coutume locale; seulement lorsqu’il s’agissait de causes ardues, én arduis causis, on rédigeait par écrit les dépositions des témoins. Du reste, on ne devait y tolérer ni l’intervention ruineuse des cleres , nî le dangereux ministere des notaires et des avocats, sine extorsione et fallaciis avocatorum et sine voragine et dangerio notariorum; enfin l’eveque pouvait toujours évoquer à lui la décision des procès qui s'y poursui- »» vaient; j'aouterai qu’en de certains cas le vidomne s’entourait des con- (1) Les baillis épiscopaux n’eurent pas, à Genève, une longue existence; on ne les trouve guere mentionnes que dans quelques chartes de l’évèque Guillaume de Duing. Ì (2) On appelait clame cu clameur, clama, non-seulement la demande formée par le eréancier vis-à-vis son débileur, mais encore la redevance que Jon payait pour J'excculion du décret qua le juge rendait contre ce dernier. On sait que les hans n’étaient autre chose que les amendes, soit qu’elles fussent dues en vertu d’une condamnation, barra condemnata, soit qu'on les exigeàt ensuite d’une composition ou transaction, barra concordata. PAR LÉON MÉNABRÉA 79 seils de deux chanoines, de deux nobles et de deux, trois ou quatre citoyens (1). A une époque, où la plupart des fonctions publiques, et meme les emplois domestiques, avaient pris le caractère de choses commercables, le vidomnat de Genève était sorti, on ne sait comment, du domaine de l’église. Au commencement du XII siècle il tomba, à titre de gage, entre les mains de l’évéque Humbert, predécesseur d’Ardutius. Successi- vement l’évéque Bernard eut l’adresse de le ressaisir à titre de proprieté; toutefois, sous le pontificat de Pierre de Cessens, au XIII siècle, un personnage appelé Pierre de Confignon prétendit que cette charge lui appartenait par droit d’héritage (2). Quelques contestations eurent lieu è ce sujet; bref, il paraît que ce seigneur ayant obtenu que le vidomnat lui serait accordé en fief, put transmettre à ses descendants la possession de cet office, car plusieurs documents nous apprennent que son fils Hugues, et son petit-fils Walter, furent vidomnes de Genève. : Or ce Walter de Confignon, profitant des troubles qui alfaiblissaient sans-cesse l’autorité episcopale, avait cherché à se soustraire à la mou- vance des évéques et à augmenter ses propres bénéfices, en éiendant le cercle de ses attributions, et en substituant la procédure soleunelle et écrite au style sommaire et oral (3). Aussi quand, en 1288, Pierre d’Oron lui eut succédé dans la charge de vidomne , l’évéque Guillaume de Duing jugea-t-il à propos de faire rédiger un acte de notoriété afin d’empécher que de tels abus ne se représentassent (4). (1) Ge qui est ditici sur les attributions des vidomnes de Genève est extrait des titres suivants, que l’on peut, au besoin, consulter pour de plus amples details: 1.° Acte de notoriété du 3 jan- vier 1288 (Documents de M. Mallet n.° 3); 2.° Monitoire du 2 décembre 1291 (ibidem n.° 18); 3.° autre Monitoire de l’an 1293 (Spon, pr., n.° 26); 4.° Declaralion du 22 mai 1306. ( Docum., Sig. e Mon., p. 240). Il est è noter que l’acte de 1288 est reproduit presque textuellement dans l'art. 1 des franchises de Genève. Voy. Mem. et Doc. de la Soc. de Genève, t. 1I. (2) Ces details nous sont révélés par la déposition du premier témoin de l’enquéète faite contre Pierre de Cessens, et dont le texte se trouve à la fin des preuves de 1°//ist. de Genève par Spon. Item dicit quod cum episcopus Humbertus haberet in vadimonio vicedomnatum Gebenn. pro LX libr. tur. et vicedomnatus per illorum donationem qui de jure poterant conferre in manu Bernardi episcopi predecessoris illius (Petri de Cessens) esset devolutus episcopus (Petrus de Cessens) Petro de Confignon qui dicebat vicedomnatum ad se jure hereditario pertinere volebat dimittere dummodo solveret XXX libr. sed capitulum se opposuit. (3) Zalterus de Confignone domicellus olim vicedognus Gebenn. vicedognatum Gebenn. incepit regere quasi auctoritate propria. ...j; incepit in dicta curia facere scripta per suos scriptoresin eadem curia ponere advocatos et vocare assessores in sententiis dandis. — Documents de M, Mallet, n.° 17. 4) V. les mèmes documents, n.° 3. Senie II. Tom. XXIII. 10 74 DES ORIGINES FEODALES ETC. Mais à peine le vidomnat se trouva-t-il inféodé aux comtes de Savoie, que ces princes s’en firent un échelon pour s'emparer, à Genève, de la haute justice, et arriver ainsi è étre maîtres absolus de la ville. Vainement les évéques entassaient monitoires sur monitoires, anathèmes sur anathèmes, vainement ils accusaient les vidomnes de s’arroger le magistère sous prétexte de remplir un ministère , pretextu ministerii magisterium vin- dicare (1): leurs plaintes n’aboutirent guère qu’àè des traités illusoires tour à tour conclus et violés; chaque jour le fleuve s’enflait et dévorait une portion de ses anciens rivages. En examinant les comptes que rendaient annuellement les vidomnes de Genève, qui sous la domination de la maison de Savoie exercaient en méme temps la charge de chatelaim du chateau de l’Ile (ce chiteau ne fut jamais restitué), il est facile de se convaincre combien etaient constantes et progressives les entreprises de ces officiers sur la pwissance temporelle du clergé (2). Gràce à ce système opinidtre et à l’appui que lui prétait l’esprit. d’indépendance qui régnait dans la bourgeoisie, -les comtes de Savoie finirent par s’arroger, en depit de l’infatigable ré- sistance des évéques, une infinité de droits qui w'appartenaient réelle- ment qu’'à ceux-ci. On les voit, en effet, continuant è agir par l’entremise des vidomnes, s’attribuer indistinctement la connaissance des causes mé- diocres et des causes graves, des delits légers et des crimes atroces, prononcer des sentences de mort et de confiscations de biens, lever des subsides, percevoir les tributs que payaient les juifs, les Cahorsins, les Lombards, accorder des sauvegardes, légitimer les batards, mettre la main sur les héritages en déchéance, s’approprier les choses perdues etc. etc. (3). Du reste, les comtes de Savoie ne conféraient l’emploi de vidomne et de chitelain du chàteau de l’Ile quà des guerriers d'un courage et d’une fidelité è toute épreuve, et ces officiers, presque continuellement occupés (1) Voyez les deux monitoires cités dans la note 1 de la pag. preced. (2) Quelques-uns de ces comptes existent è Turin aux arch. de Cour. (3) Tous ces fails, que l’on trouve consignés dans les comptes des vidomnes, etaient cités, il y a deux siècles et demi, par l’auteur du /léau de l’aristocratie genevoise, comme prouvant Ja sou- veraineté de la maison de Savoie à Genève; mais l’auteur du Citadin établissait le contraire par des raisons autrement plus solides. Il faut lire ces deux ouvrages aussi savants que curieux. PAR LÉON MÉNABRÉA 79 d'expéditions militaires (1), confiaient è des substituts ou à des vicaires le soin de rendre la justice (2). Je ne répéterai pas ce que j'ai dit ailleurs sur les vidomnats de moindre importance que l’on rencontrait cà et lù dans le Genevois, tels que ceux de Rumilly, de la Roche, des Bornes, de Ballaison, de Ternier, de Viuz, de Féeternes, d’Alby, de Cruseilles, qui, dès une époque très- reculée, se trouvaient inféodés à différentes familles, et dont quelques- uns méme avaient passé de la mouvance ecclesiastique en celle des laiques. En ce qui concerne le droit de battre monnaie, il est certain que les evéques de Genève en jouirent d’abord exclusivement dans toute l’étendue de leur diocèse, moneta in manu solius episcopi est (3). Mais à la fin du XIII siècle, Louis de Savoie, baron de Vaud, ayant obtenu des empereurs la faculté de faire frapper de la monnaie à son propre type (4), ce prince établit une monnaierie è Nyon, ville dépendante de l’evéché de Genève. De là naquirent de vifs démélés, à la suite desquels le baron de Vaud reconnut par forme d'accommodement, devoir étre soumis è la suzeraineté de l’évéque, à raison de la faculté en question (5). »_ Plus tard le comte de Genève, s’étant attiré une concession semblable de la part du césar allemand (6), l’évéque se récria; une violente con- testation s’ensuivit ; toutefois le comte ne cessa pas de batire monnaie (7). J'ai expliqué précédemment comment, peu aprés l'année 1162, Ameédée, comte de Genève (Amedée I°), étant mort, Guillaume, son fils aîné (Guillaume I), lui succéda, et comment Amédee, son fils cadet, obtint dans le partage de l’hérédité paternelle la portion meridionale de l’ancien pagxs Equestricus, c’est-à-dire le pays de Gex (8). Ce pays, adossé au Jura, (1) Voyez les comptes susdits. (2) Les substituts et les vicaires des vidomnes de Genève sont menlionnes dans le monitoire pré- cédemment cité du 22 décembre 1291. (3) Les denarii genevenses avaient déjà un cours assez étendu dans nos contrées au XIIF siècle. Voyez les tables insérges dans le t. IT des Monete dei Reali di Savoia par M. Promis. Nous avons des réglements, faits en 1300, par les évèques de Genève sur le dattage des monnaies. Spon , pr., n.° 27 et 28, et Besson, pr., n.° 74 et 75. (4) Diplòomes de 1284 et de 1297. — Guich., pr., p- 636 et t. I, p. 1080. (5) Acte de 1308, Spon, pr., n.° 31. (6) Diplòme du 5 mai 1338, par lequel l’empereur Charles IV autorise Amédée, comte de Genève, a battre monnaie, sa vie durant. Arch. de Cour. Gercvois, paquet 5, n.° 20. (7) Mémes archives. Il existe au musge de Chambéry quelques-unes des monnaies des comtes de Genève. (8) Guillaume et Amedée (celui-ci qualifié junior filius comitis) figurent à la suite de leur père dans une charte de 1162, rapporiée par Spon, pr., n.° 10. Ce mème Ameédée s’intitule Amedeus de Jaiz et dominus de Geth en deux actes de 1187 et 1219, rapportés aussi par Spon, n.° {8 et 20. 76 DES ORIGINES FÉODALES ETC. tire probablement son nom de ce que, sous la domination des Burgondes et des Frances, on y rencontrait d’épaisses foréts, réservées an fisc et faisant partie du domaine royal. Telle est, en effet, la signification que les lois barbares attribuent au mot Gaium, dont ceux de Jaiz, Gez, Gex, sont évidemment deérivés (1). J'ai dit également de quelle manière Léonette, petite-fille d’Amédée, avait porté en dot la seigneurie de Gex à la famille de Joinville. Ce fut cette princesse qui, la première, non- obstant les réclamations des comtes de Genève, fit hommage de son fief à Béatrix de Faucigny, fille de Pierre, comte de Savoie, et femme de Guigues VII, dauphin du Viennois (2). Outre la ville de Gex, Léonette et son mari Simon de Joinville tenaient les importants chateaux de Versois et de la Cluse (3). Les successeurs de ces illustres époux eurent, ainsi que nous le verrons plus tard, de graves querelles avec les évéques de Genève, è qui ils reprochaient notamment d’avoir construit le fort de Peney. Toutefois l’on trouve qu’en 1305 Guillaume de Joinville se déclara homme lige de ces prélats, a raison de la terre d’Avuson et des foires ou marchés de Gex, de Divonne et de S'-Jean de Gouville: l’acte dressé à ce sujet est écrit en langue vulgaire, et ressemble assez au dialecte que le peuple emploie encore de nos jours (4). Au delà de la Drance, en continuant è marcher vers l'est et à suivre les bords da lac, on traverse un district montueux qui, bien que faisant partie du pagus Genevensis, à l’époque où ce pagus conservait encore sa circonscription primordiale, recut pourtant la dénomination particulière de pays de Gavot. Si l’envie nous prenait de consulter les vieilles chroniques, elles ré- pondraient que ce petit territoire doit infailliblement son nom à un roi Gavottus, qui s'y serait établi mille ans avant la venue de J.-C. (5). La science des étymologies nous oblige, comme on peut le croire , à monter moins haut. Il paraît que le nom de Gavot dérive de deux (1) V. Ducange Gloss. v. Gaium. (2) Il existe a cet égard, dans les archives de Dijon, une reconnaissance très-ample du 4 février 1278. Voy. Mem. de Genève, t. I, 2 part., p. S1. (3) Un acte de 1286, rapporlé par Valbonnais, t. II, p. 37, nous apprend que Léonette avait précédemment remis en gage ces deux derniers chàteaux à Beatrix de Faucigny, qui céda ensuite ses droits au dauphin Humbert I. Celui de Versois avait déjà, sans doute, cle possédé aussi à titre de gagerie par le comte Pierre, père de Béatrix. Voyez le testament de ce prince dans les preuves de Guich. , p. 76. (4) Spon, pr., n. 30. (5) Chron. du pays de Vaud, ms. PAR LÉON MÉNABRÉA na mots teutoniques Gavv, synonime de pagus et òti (en allemand moderne oede ) signifiant desert, pagus desertus, pays désert (1). Quoi qu'il en soit, dès le milieu du XII siècle, le pays de Gavot commence à se séparer du pagus Genevensis pour s’incorporer à la contrée appelée Chablais, Chablaisium, qui originairement restreinte à une langue de terre située à la téte du lac, caput /aci, s'étendit progressivement et finit par occuper l'espace compris entre Thonon, S'-Maurice et Vevey (2). Telles furent les limites constantes du Chablais durant la période féodale. La maison de Savoie exercait sur cette province une juridiction, dont la source a jusqu'à present échappé è toutes les investigations, et qui se perd au sein des événements qui suivirent la chute du second royaume de Bourgogne (3). En 1064, S'-Annon, archevéque de Cologne, étant allé visiter l’ab- bave de S'-Maurice d’Agaune, s’adressa à la comtesse Adelaide de Suse, afin d’étre autorisé à emporter quelques fragments des précieuses reliques de la Legion Thebaine. Le biographe de ce vénérable prélat remarque que le pays appartenait à ladite comtesse; ce texte est décisif (4). Jaloux de ce beau fleuron de leur couronne , les. descendants d’Adelaide ne négligèrent rien pour le conserver: voici l’indication des forteresses et chàteaux quwils y possédaient. Le chàteau de Thonon, construit à une époque très-reculée. Le chiteau de Féeternes, acquis des seigneurs de ce nom, situé à l’entrée de la vallée d’Aulps (5). Le chateau d’Evian, bàti, dit-on, par le comte Pierre. Le chàtean de Monthey, sur la rive gauche du Rhòne, provenant des sires de Monthey (6). Le 1) De Gingios, Essai sur les Burgondes, dans les Mem. de V Acad. de Turin, %. XL, p. 264. (2) V. ci-devant. (3) Quelques historiens ont cru que cette province était la provincia doris locupletissima, dont parle le chroniqueur Lambert d’Aschaffenbourg (v. ci-devant); mais il paraît que lors du pas- sage de l’empereur Henri IV par la Burgurdia, le Chablais appartenait déjà à la maison de Savoie, puisque, selon ce mèéme chroniqueur, la comtesse Adélaide alla attendre à Vevey l’illustre passager. Voyez d’ailleurs le texte de la note qui suit. (4) In co autem positus itinere precibus contendit ab Adeleida Alpium Cottiarum marchionissa ut Thebanae legionis reliquias ejus auctoritatis jussu mereretur ab Agaunensibus accipere: ejus quippe ditionis erat locus ille. (5) Ce chàteau appartenait déjà au comte Pierre, ainsi qu'on peut s’en assurer en lisant les dernières dispositions de ce prince, rédigées en 1268. (6) Il est mentionné comme la propriété des comtes de Savoie dans une charte de 1239. V. Guich., pr., p.63. 78 DES ORIGINES FÉODALES ETC. chiteau de S'-Maurice d’Agaune, dont l’existence remonte, suivant V’opi- nion commune, au temps des Romains (1). Les tours du Peil, de Ville- neuve, de la Batie, au-dessus de Martigny etc. ; quant au célèbre chàteau de Chillon, on le trouve déjà mentionné dans une charte de 1150 environ, commémorative d'une donation du comte Humbert III à l’abbaye de Hauteret, fondée en 1236, par un évéque de Lausanne. Le comte exempte ce monastère du péage ctabli devant son chateau de Chillon: ex parte castri de Cillon (2), ce qui prouve combien est erronée l’assertion des écrivains qui le prétendent fondé au XIII siècle (3). Un passage du fameux Paschase Ratbert, abbé de Gorbie, donnerait à présumer que ce manoir existait déjà sous Louis-le-Débonnaire, et que c’est là que fut enfermé le célèbre Wala, qui joua un ròle si important pendant les guerres qui suivirent la mort de Charlemagne; Paschase en effet, faisant la description de la prison de son maître, de son bienfaiteur, dit qu'elle est située sur un rocher, baigné de trois còtés par le lac, et d’où Von decouvre parfaitement les Alpes pennines (4): Enfin, sur le territoire du pays de Vaud, Zaudum , se trouvaient le chàteau de Vevey, castrum Ziviaci, et la tour de Vevey ou de Peil, turris Viviaci, formant deux chatellenies particulières (5). La tour de Vevey avait cté achetée, en 1248, par le comte Pierre de Philippe de la Tour de Vevey, pour la somme de 3o livres de Lausanne (6). On ignore à quelle occasion et en vertu de quels droits, les princes de la maison de Savoie, malgré tout ce qui a cté avancé à cet égard, prirent, au XIV siècle, le titre de dues de Chablais: d’abord il est cer- tain que, pendant une bonne portion du siècle précédent, le Chablais n’était encore regardé que comme mne simple terre, terra Chablasii. Aymon, frère du comte Amé IV, ayant recu, en 1233, le Chablais (4) V. Schiner, Descript. du Valais, p. 505. (2) Guich., Mist. de Savoie, pr., p. 28. Cet historien attribue la charte en question au comte Humbert II, qui mourut en 1103; mais à celle époque l’abbaye de Hauteret n’existait point encore. V. Conservateur suisse, t. VITI, p. 44 et suiv. (3) Cette erreur a été surtout relevée par M. Boccard, Mist. du Valais, p. 351. (4) Vita S. Walae comitis et abb. corbeiensis, inserée dans les Acta SS. ord. S. Bened., siècle IV. (5) Voyez dans le tome XXXVI des Mém. del’ Acad. de Turin, è la suite du travail de M. Cibrario, intitulé Delle finanze della monarchia di Savoia, discorso i.°, un document de l’an 1329 contenant l’énumeration des baillages et clàtellenics do la maison de Savoie. (6) Archives de Cour, Baronrie de Vaud, \iasse 1, n.° 4. PAR LEON MÉNABREA 79 en apanage, s'intitulait sans autre: Aymo de Sabaudia , dominus de Chablasio (1). Dans la charte dressée en souvenir de la donation de l’anneau de S'-Maurice , faite en 1250 par les moines d’Agaune au va- leureux comte Pierre, ce n'est que sous la pure désignation de terre , terra, que le Chablais est énoncé: Zu Petre comes victoriosus terrarum Chablasii et Valesii (2). En 1313, le comte Amé V obtint de l’empereur Henri VII l’investi- lure de toutes ses possessions, tant en decà qu’an delà des monts; la bulle d'or, dressge à ce sujet, donne à Amé la qualité de duc de Chablais et d'Aoste, Amedeus comes Sabaudie dux Chablasii et Vallis Auguste marchio in Italia (3). Je ne sache pas néanmoins que jamais ce prince, non plus qu’'Edouard, son successeur , aient usé personnellement de ce titre. Les premiers diplòmes où l’on rencontre les comtes de Savoie se qualifiant eux-mémes de ducs de Chablais et d’Aoste, appartiennent à Aymon, frère d’Edouard et père du celèbre Comte Vert (4). En Chablais florissaient, ainsi que je l’ai déjà dit, sous la suzeraineté de la maison de Savoie plusieurs familles de haut nom, et notamment celles de Féeternes, de Lugrin, de Monthey, de Quartery, de Bex, de Grion, d’Ollon, de Charpigny, d’Aigle, de Noville, de la Tour de Vevey, de Blonay (5). Un mot sur chacun d’elles. Le chatean de Féeternes, construit au bord de la Drance., sur un (1) Charte de fondation de l’hospice de Villeneuve. Guich., pr., p. 57. M. Vernazza dans sa Dissert. ms., inlitulée Dell’origine dei titoli e progressi della casa reale di Savoia, à l'article Chablais, cite une charte du 3 novembre 1252, par laquelle Guillaume, comte de Genève, donne, dit-il, à Amé IV le titre de duc de Chablais. Je n’ai point vu cette charte. (2) Guich., pr., p. 73. (3) Ibid., p. 137. (4) V. Dalta, Lezioni di paleografia e di critica diplomatica sui documenti della monarchia di Savoia, p. 172. (5) Peut-étre aurais-je dù ajouter à cette liste le nom de la petite ville d’Evian, qui paraitrait avoir eu ses seigneurs particuliers. On trouve , en effet, un Enquiro de Aviano parmi les barons, barones, qui, en 1177, se rendirent cautions des engagements contractés par Humbert III, comte de Savoie, envers l’abbaye de St-Maurice. V. Gall. christ., t. XII, in instr. eccl. Sed., p. 492. Ce mème personnage figure encore sous la designation de Erguirarus de Eviano dans une charte de 1170. V. Guich., pr., p. 43. Ce que je viens de dire d’Evian, pourrait se dire aussi du village de St-Gingolph, situé tout près de l’embouchure du Rhòne Un dominus Petrus de sancto Gingulfo assistait, en 1249, à une transaction d’Aymon de la Tour avec l’évèque de Sion. V. Gall, Christ., t. XII, in irstr., p. 505. 8o DES ORIGINES FÉODALES ETC. plateau taillé à pic, devait son origine, suivant les traditions populaires, à trois fées jumelles qui se plaisaient, dit-on, à exercer un art diabolique dans les grottes du voisinage. Que les anciens maîtres de ce chàteau aient été d’une race illustre , le fait est incontestable. Déjà, en 1080, la piété d'un Guy de Féeternes avait contribué à l'établissement des chanoines réguliers d’Abondace (1), ce qui explique pourquoi ce seigneur et ses successeurs jouissaient de l’avouerie de ce monastère (2). La famille de Lugrin, dont le manoir s’élevait è peu de distance d'Evian, remonte à une époque non moins reculée. Un Anselme de Lugrin vivait à la fin du XI siècle (3). Un Thomas de Lugrin, chevalier, faisait partie de la suite du comte de Savoie en 1217 (4); un Aymon de Lugrin, dominus Aymo de Lugrin, assistait, en 1233, à de certains traités concernant l’abbaye d’Agaune (5). Les sires de Monthey et de Quartery posséedaient des terres considé- rables sur la rive gauche du Rhbòne, au-dessous de S'-Maurice; une foule de documents font mention de ces feudataires (6). De l’autre còté du fleuve , vis-à-vis méme de Monthey, se deérou- laient les domaines des sires de Bex; une charte de 11770 nous montre un Girold et un Hugues de Bex, Giroldus et Hugo de Bais, intervenant comme temoins à une donation du comte Humbert III (7). En 1227, l'évéque de Sion acquit de cette famille les droits qu'elle exercait dans les territoires de Leuk ou Louéche et Montorge (8). Pour ce qui est du chàtel de Bex, j'ai remarqué ailleurs qu'il était devenu, au XIV siècle, la propriété des sires de Duing, en Genevois (9). Non loin des ruines de ce donjon, en deéclinant à l’est, on trouve sur le penchant d’une colline riante le village qui fut le berceau des sires de Grion. Nous savons qu'àè l’égard du fief de Grion, ces seigneurs re- levaient de l’abbaye de S'-Maurice (10). (1) Pourpris hist., p. 140. (2) V. la charle de 1108 insérée dans Guich., pr., p. 29: laudante domino Guidone de Festerna ipsius ecclesiae advocato. (3) Mem. de la Soc. de Genève, t. I, 2 part., p. 145. (4) Doc., Sigill. e Mon., p. 119. (5) Gall. Christ., t. XII, in instr., p. 502. (6) Gall. Christ., t. XII, passim. (7) Guich., pr., p. 43. (8) Gall. Christ., p. 500. (9) V. ci-devant. (10) Gall. Christ., p. 495. PAR LÉON MÉNABRÉA SI Plus bas, on découvre le majestueux rocher de S'-Triphon, au sommet duquel se dresse une tour carrée, haute de 60 pieds, batie, à ce qu'on preétend, pendant la domination romaine; tout près de là vivaient les sires de Charpigny (1) et d'Ollon (2); ces derniers devaient hommage à l’abbaye de $S'-Maurice pour quelques-unes de leurs possessions, et à la maison de Savoie pour quelques autres (3). A une demi-lieue d’Ollon on rencontrait les sires d’Aigle, domini de Allio, qui ne manquèrunt , à ce qu'il paraît, ni d’illustration, ni de puissance. En 1221; on voit un Girold et un Guy d'’Aigle jurer l’observation d’un traité de paix que le comte Thomas conclut avec l’église de Sion (4). Successivement le chiteau d’Aigle passa aux sires de Saillon (5), qui le vendirent aux sires de Compey. Noville, situé au bout du lac, comptait aussi ses seigneurs particuliers : un Turembert de Noville nous est révélé par deux documents de 1 189 (6); un Guillaume de Noville figure en un acte de 1240 (7). Quant aux sires de la Tour de Vevey, yai déjà eu l’occasion de les citer; J'aouterai qu’en 1272 un Willelme de la Tour de Vevey, Willieblnus de Turre de Viviaco miles, acheta d’un sire de Martigny différents droits féodaux, existant à Port-Valais, proche de l’embouchure du Rhòne, è l’issue du fameux defilé qu'on appelle la porte de Cex (8). Au nord de Vevey, dans un site des plus pittoresques , se montre le manoir d’où tire son nom une noble et antique famille, celle des sires de Blonay. Le premier de ces seigneurs qui nous soit connu, Walcher de Blonay (Jen ai parle ailleurs), était neveu du simoniaque Lambert de Grandson, (1) Un Petrus de Charpigne miles, et ses deux fils, Rodulphus et Petrus, sont mentionnés dans un document de 1240. V. Gall. Christ. , p. 505. (2) V. Gall. Christ., p. 495, 496, 501, 523. (3) Charte de 1319. V. Gall. Christ., p. 532. (4) Gall. Christ., p. 499. Divers personnages appartenant à celte famille sont encore mention- nés dans des chartes de 1219 et de 1236. V. Gall. Christ., p. 498, et Guich., pr., p. 57. — La séenéchalie de Sion était possédée au XIII siècle par les sires d’Aigle. Voyez Boccard, Histoire du Valais, p. 346. (5) Ce fut vers 1231 que Pierre et Jacques de Saillon cedèrent le chàteau de Saillon au comte Thomas, moyennant l’abandon que ce prince leur fit de la Tour d’Aigle, laquelle avait primiti- vement appartenu aux sires d’Aigle. — Archives de Cour, Valais, liasse 1, n.° 1. (6) Gall. Christ., p. 494 et 495. (7) Ibid, p. 505. (8) Ibid, p. 514. Serie II. Tom. XXIII LI 82 DES ORIGINES FÉODALES ETC. évéque de Lausanne; il profita largement des aliénations illégales faites par ce prélat, creature de l’antipape Guibert, et il se fit céder Vevey et Corsier qui dépendaient du domaine ecelésiastique (1). Depuis lui, la généalogie de cette illustre famille se déroule , sans interruption , jusqu'à nos jours (2); qu'il suffise de dire ici, qu’en 1108 un Amédée de Blonay et un Girard d’Allinge recevaient la qualification de princes des laîques; ce qui prouve assez de quelle importante position ces personnages jouissaient alors (3). Outre le chiteau de Blonay, outre Vevey et Corsier, que les évéques de Lausanne rachetèrent néanmoins en partie en 1221 et 1235 (4), les sires de Blonay possédaient le fief de Vaulruz, près de Bulle (5), plusieurs terres dans le pays de Vaud, et les mandements de Maxilly, de S'-Paul en Chablais etc. (6). Devenus feudataires des comtes de Genève, après avoir passé par une suite de vicissitudes qu'il serait curieux d’étudier, ils tombèrent, en 1287, à raison du fief de Blonay, sous la suzeraineté des comtes de Savoie (7). Déjà en 1267 ces princes leur avaient concédé l’avouerie et le vicomié de Vevey, qui provenait, selon toute apparence, du patrimoine des sires d’Oron; j'ai à peine besoin de répéter que les attributions de vicomte , aux XII, XIII et XIV siècles, n’emportaient point, en general, le droit de régir, d’administrer un territoire, mais celui d’exercer, en des lieux déterminés, certaines fractions de juridiction, et de profiter des émolu- ments qui y étaient attacheés. Les fonctions d’avoués, avocats ou deéfenseurs des églises et des maisons religieuses procuraient des bénéfices du méme genre. to) (1) Prestavit autem Walchero nepoti suo domino de Blonai Vivers et curiam de Corsie et alia multa. (Chron. Laus., p. 33). (2) Les archives cantonales de Lausanne renferment, touchant la maison de Blonay, un grand nombre de documents précieux. (3) Hec sunt nomina laicorum principum qui testes sunt Amedeus de Bloniaco, Girardus de Alingio et Boso filius ejus. Guich. pr., p. 29. (4) Ruchat, Abregé de Vhist. eccl. du pays de Vaud, p. 46 et 64. (5) Kuenlin, v. Yaulruz, t. II, p. 401. (6) Sommaire genéral des fiefs — Province de Chablais. (7) V. ci-devant. PAR LÉON MÉNABRÉA 853 CHAPITRE V. Seigneurs de Faucigny. - Guy, eveque de Geneve. - Ermerard-tige de cette maison. - Le bienheureua Ponce. - Ordre de progéniture. - Cette seigneurie passe aux Dauphins de Vienne. - Branches collatérales. - Sires de Lucinge et de Thoire. - Etendue du ter- ritoire, — Ville de Cluses, capitale. - Charge de sénéchal. - Piefs soumis d cette suze- raineté. - Les Allamands. - Les sires de La Tour, de Bardonnéche et autres dignes d'étre mentionnés. - Enchevetrement des possessions respectives, querres qui en résultent. - Haut et bas Valuis. - Circonscriptions. - Evéques de Sion. - Hugues obtient la dignité de comte. - Legende de St-Théodule. - La maison de Savoie s'agrandit. - Evéque Landric entaché de simonie. - Droit de régale odieux aux prélats. - Ils tentent de sy soustruire. - Hommages reciproques. - Officters, baillis, sénéchaua, majors. - Analogie. - Abbaye de St-Maurice. - Martigny. - Tour de St-Branchier. - Val de Bagne et celui d’Entremont. - Redevances. - Chateaux de Saillon, de Sawon et autres. - Ville de Sion. - Tours, do- maines de plusieurs familles importantes. - Barons de La Tour. - Seigneuries situtes sur la rive droite au Rhone et en amont, vers les sources de ce fleuve. Il est nécessaire maintenant que je rétrograde au midi, afin de con- tinuer l’exploration des vallées qui vieanent s'appuyer sur le Mont-Blanc et le Mont-Buet; un certain nombre de cols pratiqués dans les contre-forts de ces deux montagnes ont établi de toute ancienneté des communications entre le Haut-Chablais , ie Valais et le Faucigny. Je crois avoir sufti- samment démontré comment le Faucigny faisait partie du pagus Gene- vensis: on explique facilement par là pourquoi les sires de Faucigny, bien qu'ils fussent redoutables et puissanis, se reconnaissaient hommes liges des comtes de Genevois (1). Une donation de Guy de Faucigny, évéque de Genève, en faveur de l’abbaye de Cluny, nous fournit les premiers éclaircissements qui nous soient parvenus sur cette illustre famille : on y voit le donateur recom- mandant à Dieu et aux saints l’àame de son aieul Ermerard, celles de son père Louis et de sa mère Tetberge, de son frère Guillaume et de (1) Dans le traité de paix qu'Aymon, comte de Genève, fit à Seyssel, en 1224, avec l’evèque Humbert, on voit Rodo]phe de Faucigny figurer au nombre des feudataires de ce prince. Unde comes Aymo....cum comitatu suorum virorum Bosonis scilicet de Alingio Rodulphi de Fulciniaco Willelmi de Caumonte et multorum aliorum usque Sascellium venit (Spon, pr., n.° 1)..Un titre, existant aux archives de Cour a Turin (duché de Genevois, paquet 1, n.° 4), nous apprend que le 8 mars 1228, Aymon, seigneur de Faucigny, se reconnut homme lige de Guillaume, comte de Genève, à raison du chàteau de Faucigny. p 84 DES ORIGINES FÉODALES ETC. sa belle-soeur Utilie, enfin de ses neveux Rodolphe, Louis, Raymond, Gérard, évéque de Lausanne, et Amedee , evéque de Maurienne; l’acte est du 2 septembre 1119 (1). Ermerard, désigné ici comme la tige de la maison de Iaucigny, vivait pendant le règne de Rodolphe-le-Fainéant; il fit, vers la fin de ce règne, échange de quelques terres avec Burchard, archevéque de Lyon , abbé de S'-Maurice, et il recut de lui le domaine utile de deux villages situés in pago Genevense; sa femme s’appelait Aalgirt (2). L’existence simultanée de trois prélats appartenant à la méme souche, et occupant des siéges épiscopaux rapprochés, est une preuve non équi- voque de l'influence que les sires de Faucigny exercaient dans nos contrées. S'-Pierre-le-Venérable, abbé de Cluny, parlant de Guy, évéque de Genève, n’hésite pas à proclamer que la naissance de ce pontife était grande selon les hommes (3). D’après cet éerivain, Guy aurait été frèere d’Aymon, comte de Genevoiìs (4), ce qui entendu d’une manière absolue par certains historiens, avait jeté de l’obscurité sur Vorigine et les déeveloppements primitifs de la famille dont il est question. Mais tout se concilie en admettant que Guy et Aymon furent seulement frères utérins, et que Tetberge se maria successivement aux pères de chacun de ces princes; on possède au reste la charte de fondation du prieuré de Chamounix, où Guillaume et Amedée , frères germains de Guy, sont qualifiés frères utérins d’Aymon; ce document aplanit com- pletement la difficulté (5). Du mariage de Guillaume (6) avec Utilie provinvent, ainsi que l’éenonce le document de 1119 ci-dessus cité, cinq enfants miles. L’aîné Rodolphe, succeda à son père, on ne saurait dire précisément en quelle (1) Pro anima patris mer Lodoici et avi mei Ermerardi et Willelmi fratris mei et filiorum ejus Rodulphi meorum et matris corum Utilie et matris Tetberge. (Bibl. Seb. , 1, 4). , Lodoici, Raimundi et episcoporum Gerardi Lausanensis et Amedei Maurianensis nepotum (2) La charte constatant ce fait est cilée par dom Hilaire Layat dans son ouvrage ms. intitulé Tableau gencalogique, hist. et chronolog. de la très-ancienne, très-illustre et très-puissante maison des princes de Faucigny. (3) Zuit hic magne secundum seculum nobilitatis (De Miraculis, lib. I, cap. 24). (4) Nam cum esset frater Aymonis ejusdem urbis (Genevae) comitis. (Ibid). (5) Sunt legitimi testes uterini fratres comitis (Aymonis) Pillelmus, Fulciniacus et Amedeus (Besson, Pro: 048): (6) En 1126 Guillaume était encore vivant, car è celle époque il confirma une donation faite par Gauthier, sire d’Aix. Voyez le ms. de dom Leyat. PAR LÉON MENABRÉA 85 année. Un titre de prieuré de Domène, en Graisivaudan, nous apprend qu'il épousa la fille de Guigues de Domène, lequel était fils de Ponce- Aymard, illustre seigneur de ce pays (1). De ce mariage naquirent Ponce (le bienheureux Ponce), qui fut abbé de Sixt; Aymon , qui à la mort de Rodolphe obtint la seigneurie de Faucigny; Ardutius, promu en 1135 à l’évéché de Genève; Rodolphe, dit l’Allemand ou le Teutonique, et Raymond. Mettant à profit les dis- positions favorables de Gérard , son oncle, Aymon se fit inféoder par ce prélat le péage du cinquièÌme marché de la ville de Lausanne, ce qui occasionna d’assez vives contestations entre les successeurs de Gérard et les sires de Faucigny (3). Il se montra libéral envers les églises (2); il fonda, en 1:51, la chartreuse du Repausoir (4), et contribua beaucoup à enrichir celle de Vallon, à qui il donna des piturages considérables; aussi le cartulaire de ce dernier monastère a-t-il soin de noter que les religieux lui offrirent, en témoignage de reconnaissance, un cheval acheté 1go sols de monnaie genevoise. Aymon suivit Amé III, comte de Savoie, en terre sainte, lorsqu’à la voix de S'-Bernard l'Europe versait en Orient ses flots de croisés: plus heureux que ce prince, il revit sa patrie. Nous savons que sa femme s’appelait Clemence, et qu'il en eut cinq fils: Rodolphe, Henri, Guillaume, Marchisius et Aymon (5). Rodolphe mourut sans posterité; Henri devint, après lui, seigneur de Faucigny; une charte de 1178 lui attribue le titre de Dominus de Focigniaco (6). Il paraît que, déjà à cette époque (chose assez rare), la famille de Faucigny se conformait strictement, pour la succession du fief dominant, à l’ordre de primogéniture masculine. Guillaume Il et Aymon II, fils de Henri, se trouvaient encore en bas dge quand leur père passa de vie à trepas: Guillaume vécut sous la tutelle de Nantelin, évéque de Genève (7), (1) Salvaing, Le l’usage des fiefs, p. 485. (2) Giroldus filius PW. sapientis de Fulcinie suscepit cpiscupatum post Cononem..... nec audivi quod alienaverit aliquid nisi quod pedagium quinte ferie apud Lausanham domino de Fulcinie nepoti suo infeodavit. Chron. Lausann., p. 34. (3) V. Jean de Passier, /ie du vencrable serviteur de Dicu, Ponce, premier abbé de Siz. (4) Besson, pr., n.° 24. (5) Ms. de dom Leyat. (6) Besson, pr., n.° 35. Une parlie de la genéalogie que je viens d’énoncer est élablie par cette charle. (7) On lit dans une donation faite par ce prince è l’abbaye de Sixt, en 1200: Consului dominum Nantelinum gebennensem episcopum tune temporis tutorem meum et quam plurimos probos, discretos ac prudentes viros quorum consilio terra mea regebatur (ms. de dom Leyat). 86 DES ORIGINES FÉODALES ETC. il mourut, et transmit son héritage à Aymon, que l’on pourvut d’un tuteur en la personne de Nantelme de Miolans (1). Aymon ne laissa que deux filles iégitimes (2). Beatrix, la cadette , épousa un sire de Villards, et Agnès, l’aînée, apporta le Faucigny en dot à Pierre, comte de Savoie. Malheureusement Pierre n’eui qu’une fille unique, nommeée Beatrix, qui, en se mariant au dauphin Guigues VII, fut cause que ceite im- portante seigneurie devint la proie des Dauphins de Vienne. La famille de Faucigny produisit, au XII siècle, plusieurs branches collatérales, dont on prétend que quelques-unes subsistent encore aujourd'hui. Ainsi de Rodolphe, dit l’Allemand (Rodu/fus Alamandus ou Teutonicus), qui accompagna l’empereur Frédéric à la diète de Roncaglia, et qui prenait fréquemment le titre de Rodolphe de Graisy (Rodolphus de Graisiaco), descendaient des sires de Lucinge; de Raymond, son frère, descendaient les sires de Thoire (3). Le Faucigny au moyen dge se deroulait à peu près entre les li- mites que nous lui connaissons aujourd’huì ; on y comptait les chàtel- lenies de Faucigny, de Bonneville, de Cluses, de Sallanches, de Bonne, de Flumet, de Samoéns, de Chitillon, de Montjoie et de Chitelet-de- Credoz (4) Les sires de Faucigny étaient en outre propriétaires du chateau d’Hermance , au bord du Léman, et de celui de Monthoux, au-dessus d’Annemasse, l’un et l’autre réédifies par Aymon , vers l'année 1245 (5). (1) Dans une charle de 1209, dressée en faveur de la charlreuse du Repausoir, Aymon II s'exprime ainsi: Ego Aymo de Fulciniaco consilio tutoris mei Nantelmi de Miolans et quamplurimo- rum hominum meorum qui infrascripti sunt. ...Ms. de dom Leyat. (2) Il laissa en outre un bàtard, appelé Aymon. Le comte de Savoie; Pierre, le mentionne dans son testament de 1268. V. Guich., pr., p. 75. } 3) V. le ms. de dom Leyat. Quant à la famille de Thoire, son origine est consignée dans une charte de 1234, où Rodolphe de Thoire fait à la chartreuse de Vallon une donation pourle repos de l’àme de son père Raymond de Faucisny. Ego Rodulphus de Thoria pro remedio anime patris mei Raymundi de Fulciniaco ( Bibl. Seb., 1, 21). (4) Le chatelet de Cref-d’0z, vulgairement Credoz, était construit sur la rive gauche de l’Arve, entre la Roche et Reignier, presque en face du chàteau de Faucigny, dont les ruines existent en- core sur la rive droite de cette rivière, è une lieue au nord de Bonneville. Le chàteau de Chatillon s'elevait è moitié chemin de Cluses à Taninge. Quant au val de Montjoie, on sait qu'il s’étend de St-Gervais au col du Bonhomme. (5) Ce qui résulte des deux charles imprimées dans les Mon. Rist. patr., t. I, p. 1278 et 1390, PAR LÉON MENABREA 87 Enfin, en 1271, Béatrix devint maîtresse du mandement de Beaufort, qu'elle acquit des seigneurs de ce nom (1). Il ne faudrait pas, comme l’ont fait certains auteurs, juger des possessions de l’ancienne maison de Faucigny par celles de cette princesse qui, en tant que fille de Pierre, comte de Savoie, succéda à une bonne partie des droits que ce dernier exercait dans le Genevois et le pays de Vaud. Pendant que dura la lignée des premiers sires de Faucigny, la ville de Cluses jouit de la prerogative d’étre la capitale de leurs états; là ces princes entretenaient un bailli, un juge-maje, un juge ordinaire et diffé- rents fonctionnaires subalternes. Les documents qui nous sont parvenus, ne permettenti pas de douter que les sires de Faucigny n’eussent une maison réglée sur un pied riche et somptueux. Chez eux, comme chez les comtes de Genevois, le sé- néchal occupait le rang le plus élevé parmi les officiers, formant ce quion appelait la famille du maître, familia domini. A une époque où tous les emplois, méme les attributions domestiques, se convertissaient en fief, la sénéchaussce de Faucigny (serescalcia Fulciniaci), devenue une haute dignité, fut inféodee à Rodolphe de Lucinge, fils de Rodolphe- le-Teutonique, qui la transmit à ses descendanis: les sceaux de ce Rodolphe portaient un lion avec la légende: Sigi/um Rodulfi, Fulciniaci senescalci (2). La charge de sénéchal de Faucigny donnait à celui qui la possédait des droits excessivement curieux; c'était au senéchal qu’on devait rendre compte de toutes les dépenses qui se faisaient dans l’hòtel du maître: celui-ci pouvait assister è ces redditions de comptes, si bon lui semblait. Chaque fois que le maître, c'est-à-dire que le seigneur de Faucigny exigeait les 6o sols d’amende. infligés aux adultères et aus coupables de blessures suivies d’effusion de sang, le sénéchal, ainsi que la dame de Faucigny, en percevaient une portion. Quand pour une forfaiture quel- conque la personne et les biens d’un vassal tombaient en commise, l’échute avait lieu au profit du sénéchal, à moins que le vassal ne fit sa paix avec le suzerain au moyen d’une somme d’argent; en ce cas, le senéchal et la dame de Faucigny recevaient un don proportionné à la somme payée. Le sénéchal pourvoyait de sel la cuisine du seigneur, et (1) V. ci-après. (2) Ms. de dom Leyat. 88 DES ORIGINES FÉODALES ETC. ce dernier lui fournissait la livrée, ou ration de fourrage, librata, de deux ‘ chevaux. Les cuirs des boeufs, vaches et autres bestiaux que l’on ache- tait et que l’on mangeait dans l’hòtelsdu seigneur, à Pexception des peaux d’animaux tués à la chasse, appartenaient au sénéchal etc. etc. Plusieurs familles nobles possédaient des fiefs soumis à la suzeraineté de la maison de Faucigny: ces familles groupées autour d’un centre commun par le sentiment de la patrie, fournissaient au souverain des hommes de bon conseil qui manquaient rarement d’étre appelés à déli- bérer sur les affaires du pays: de là cette formule que les sires de Faucigny employaient fréquemment: convocatis majoribus terre nostre (1), ou consentientibus baronibus nostris et approbantibus (2). Outre les familles nobles relevant des sires de Faucigny, dont j'ai déjà eu occasion de parler, il faut encore placer au premier rang les Allamands de S'-Jeoire, qui occupaient le bourg et le chateau de S'-Jeoire, dans la vallée de ce nom, laquelle serpente entre le Mòle majestueux et les montagnes abruptes du haut Chablais. Un Allamand de S'-Jeoire fut évéque de Genève de 1342 à 1366. Tout près de ces feudataires vivaient les sires de la Tour, qui n’étaient pas moins anciens; on voit un Guillaume de la Tour au nombre des hauts personnages de la contrée en deux actes de 1190 et de 1219 (3). Il paraît que ces seigneurs devaient primitivement hommage de leurs fiefs à l’eglise de Genève, et que, sous le pontificat de Pierre de Cessens, ils desertèrent la mouvance de ce prélat, et se déclarèrent vassaux des sires de Faucigny (4). A peu de distance de S'-Jeoire, on rencontrait la terre de Salaz qui, ainsi que je lai remarqué ailleurs, appartenait aux évéques de Genève; elle formait une juridiction appelée le vidomnat de Salaz, ou de Viuz en Salaz. Plus loin, au debouché de la vallée, se trouvait le fief des sires de Fillinges, fief que l’évéque ci-dessus cité, Pierre de Cessens, se fit re- làcher è titre de gage, au commencement du XIII siècle (5). x (1) Besson, pr., n.° 35. (2) Ms. de dom Leyat, charte inédile de 1185. 3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part., p. 46. Spon, pr., n. 20. 4) V. le 16.° témoin de l’enquéte rapportée par Spon è la fin des preuves de l’hist. de Gen. On y lit: Item dicit quod Willelmus de Turre miles qui erat de dominio episcopi transtulit se ad dominium domini de Fucigniaco. (5) Voyez les dispositions des 3.° et 15.° témoins de cette mème enquéte. PAR LÉON MÉNABRÉA 8a < Sur la méme ligne que les précédents marchait la famille de Rovorée, qui avait ses principales possessions dans la vallée de Taninge, d’où elle s'étendait jusqu'à Aulps, par delà Morzine et le col des Jets. Un Gilion de Rovorge assistait, en 1094, à la fondation de l’abbaye d’Aulps, et faisait l’abandon du sol qui devait servir à l’établissement de ce monastère (1). Quelques autres maisons dignes d’étre mentionnées ici reconnaissaient la suzeraineté des sires de Faucigny, telles que celles de Bardonnéche (2), de Marigny (3), de Bellegarde (4), de Clartens (5), du Freney, des Frasses, de Sirace, de Chatillon (6) etc. etc. Le lecteur attentif ne saurait étre venu au point où je l'ai conduit sans se convaincre combien le régime féodal avait enchevétré les pos- sessions respectives des sires de Fauciguy, des comtes et des évéques de Genève; il comprendra par conséquent combien devaient étre vives les luttes qui naquirent de ce singulier amalgame , ainsi que les guerres cruelles qui en farent le résultat. i On a pu reconnaître, en parcourant le chapitre précédent, que si le Chablais, au moyen dge , empictait à l’ouest. sur l’ancien pagus Genevensis, et au nord-ouest sur le pagus Waldensis , il s'étendait, au sud-est, sur une bonne portion du Valais, //esia , ou pagus Vallensis. Le Valais se divisait jadis, et se divise encore aujourd’hui, en haut Valais et bas Valais, qui ont pour point de séparation le pont cons- truit au-dessous de Sion, sur le torrent appelé la Morge, ou la Morge de Conthey. Une infinité de documents constatent cette division, en dé- signant le pays d’en haut par les mots a Morgia Conthegit superius , et le pays d’en bas « Morgia Conthegii inferius. De toute ancienneté le haut Valais se partageait lui-méme en sept districts, ou dixains, diseni, savoir: Sion, Sierre, Louéche, Rarogne, Viége, Brigue, Conches; le bas Valais offrait aussi differentes circonscriptions,, auxquelles on donnait, au XV siècle, le nom de bannières; ces circonscriptions, dues (4) V. mon travail intitulé L’abbaye d’Aulps, d’après des documents incdits, dans le tome XI des Mem. de la Soc. acad. de Savoie. (2) Pourpris ete., p. 154. (3) Zbid., p. 415. (4) Ibid., p. 224. (5) Ibid., p. 185. (6) Dans une charte de 1178, rapporlée par Besson, pr., n.° 35, on trouve, à la suite des sires de Faucigny, les seigneurs dont les noms sont ceux-ci: pro testibus adfuerunt.... Guido de Fraxino, Amo de Siriaco, Guill. de Frazia, miles Alimarus de Castillione etc. ete. Sepir IT. Tom. XXIII 12 ' 90 DFS ORIGINES FEODALES ETC. principalement è l’organisation du régime municipal, au développement du principe démocratique, ne commencent que fort tard à figurer avec quelque intérét dans l’histeire de la contrée. Ainsi que j'ai eu plus d’une fois l’occasion de le remarquer, Hugues, évéque de Sion, à l’exemple d'un grand nombre de prélats du royaume de Bourgogne, s'était fait céder, en 999; è perpetuité, pour lui et ses suc- cesseurs, par Rodolphe-le-Faingant, la dignité de comte territorial du pagus Vallensis, dignité qui comportait la possession des régales, ou droits régu- liers, regalia, c’est-à-dire, l’exercice de tout ce qui constitue le pouvoir public, le pouvoir souverain (1). Quoique le diplòme, dont il est ici question, soit le véritable , le premier fondement de la puissance poli- tique des évéques de Sion, on a cru pendant longtemps sur la foi de la légende de S'-Théodule, que ces pontifes tenaient leur puridiction comitale de la munificence de Charlemagne (2); mais il n’en est rien; le récit d'un obscur légendaire ne saurait évidemment étre à cet égard d’un poids suffisant et former autorité. L’ambition toujours croissante de la maison de Savoie ne permit - pas aux evéques de Sion de demeurer paisibles possesseurs des régales. Usant tour à tour d’intimidation et d’adresse, le comte Thomas obligea l’évéque Landric à lui en faire la cession au commencement du XIII siècle. Cette cession, entachée de simonie et de plusieurs autres vices radicaux, fut annullée et anéantie cent ans après par les soins de l’evéque Boniface (3). Toutefois les comtes de Savoie continuèrent, nonobstant les bulles des empereurs (4), à se prévaloir du droit abusif d’accorder à l’église de Sion l’investiture de ces mémes régales, à déefaut d’avoir pu s’en attribuer irrevocablement la jouissance directe. Ce droit, bien qu'illégal, paraissait remonter, il faut le dire, à une époque très-ancienne; le comte Humbert III l’exercait déjà, et peut-étre aussi Amé II, son prédecesseur (5). En 1233, Aymon, second fils du comte Thomas, en tant que maître du Chablais, accorda l’inféodation (1) Mem. sur le Rectorat de Bourgogne, pr. , n.° 1. (2) V. Gall. Christ. in instr., p. 448. (3) Ilid., p. 452. (4) Ibid., p. 433. (5) Cujus ecclesie episcopi ante tempora illa de manu comitum Sabaudic regalia recipichbant. V, Di- plòme imperial de 1189. Gall. Christ., p. 434. PAR LEON MÉNABRÉEA QI des régales à l’évéque Landric (1). Le comte Amé V investit pareillement l’evéque Aymon, en 1308 (2). Les actes dressés à ce sujet nous apprennent que l’église de Sion payait à la maison de Savoie un plaid ou redevance de 90 sols à la mort de chaque évéque, précisément à cause desdites régales. Lorsqu'il arrivait que les prélats, afin de se soustraire à un vasselage odieux, allaient de- mander aux césars allemands l’investiture de ce principe de leur juri- diction temporelle, ils étaient tenus de donner à ce monarque, à titre de servis, pro servitio, trois vases précieux et un mulet blanc, ferré aux quatre pieds avec des fers d’argent (3). Mais, chose singulière , tandis que les comtes de Savoie donnaient les régales en fief aux évéques de Sion, ils se reconnaissent hommes liges de ceux-ci, à raison de l’antique chaàtean de Chillon (4); et tout bizarres qu’ils paraissent, ces sortes d’hommages réciproques ne répugnaieni point à l’essence du régime féodal, ce qui fait qu'on les rencontre assez fréquemment (5). Sous la dependance des évéques de Sion s’'échelonnaient, en Valais, divers officiers dont les charges offraient, pour la plupart, un mélange d’attributions judiciaires, administratives, militaires, politiques et do- mestiques. En téte de ces fonctionnaires se présentait le bailli, daillivus patriae Vallesii, qui recevait un salaire fixe , et s’occupait de ce qui avait trait à la guerre, à la répression des crimes et delits, à la manu- tention des foires et. marchés, au paiement des subsides ctc. etc. (6). Puis venait le senéchal qui, lors des cérémonies pubiiques , portait so- lennellement sur l’épaule le glaive du comte, gladium praefecturae; son office, comme celui des majors et vidomnes, constituait un fief commer- cable et héréditaire. Le sénéchal occupait à Sion une maison-forte appelée la Senechalia (7). Les majors, maires-majors, ou mayeurs, majores, villici, inconnus dans les contrées situées an midi du lac de Genève, se montraient en (1) Titre des archives de cour, cite par Cibrario, Storia della monarchia di Savoia, t. II, p. 6. (2) Arch. de Cour, Traités avec les Valaisans, liasse 2, n.° 26. (3) Gall. Christ., p. 433. (4) Arch. de Cour, 7raités etc., liasse 2, n.° 26. (5) Les limites dans lesquelles les éevèques de Sion exergaient les régales, nous font, par ce fait mème, connaître celles de l’ancien comitatus Mallensis. On y voit que ce comté s’étendait à l’ouest usque ad aquam frigidam versus Villamnovam, Gall. Christ., p. 453. (6) V. le contrat passé, en 1422, entre le bailli du Valais et l'evéque de Sion, Gall. Chrsst., p. 441. (7) V. Schiner, p. 331 et 373. 92 DES ORIGINES FÉODALES ETC. une infinité de localités du Valais et du pays de Vaud. Ils étaient spé- cialement préposés à la decision des procès, et l’on concoit qu’ils devaient avoir une importance plus ou moins grande, selon la nature du lieu où ils rendaient la justice (1). Il s'en trouvait méme de si infimes, qu'ils se contentaient d’ouir les causes devant leurs maisons (2). Au premier rang des majors du Valais se placaient naturellement ceux de Sion. Ces officiers avaient, au-dessus de la ville, un vaste chiteau qu'on appelait le chdteau de la Majorie; ils jouissaient d'une furidiction qui s’étendait depuis le pont de Riddes, jusqu’aun pont de Sierre, et en vertu de la- quelle ils percevaient des droits considérables. En 1373 la majorie de Sion, et tout ce qui en dépendait, y compris le chàteau susdit, fut acquise du noble seigneur {Bertholet de Graisy par l’évéque Guichard Tavel, moyennant la somme de roo florins d’or (3). Outre le major de Sion, on distinguait encore en Valais ceux de Monthey, de Naters, de Sierre, de Rarogne, de Morges, d’Aragnon, de Chamosson etc. etc. Beaucoup d’analogie existait entre les fonetions de majors et celles de vidomnes. Le vidomnat de Sion, inféodé d’abord aux sires de la Tour, passa, vers la fin du XV siècle, aux mains de la famille de Villette-Chevron, en Tarantaise, après qu'elle eut recueilli l’héritage des derniers sires de Rarogne. Les évéques entretenaient enfin des chatelains amovihles, commis à la garde des forteresses et chiteaux. Ces prélats nommaient seuls aux places de notaire et de chancelier, dans toute l’étendue du diocèse, et bien qu'ils tinssent ce privilege de la libéralité des empereurs (4), ils se reconnaissaient feudataires des comtes de Savoie, à raison de la cléricature ou chancellerie de la cité de Sion (5). Je ne pouvais aborder l'énumeration des différentes seigneuries qui, au moyen dge, peuplaient le Valais, seigneuries qu'il est essentiel de connaître, eu égard au ròle important qu’elles jouèrent dans l’histoire , avant d’avoir donné, sur cette contrée, quelques notions génerales, et determiné le caractère de la juridiction temporelle que les éevéques y (1) V. Ducange, Gloss.) v. Majores. ( (33 l 2) V. Fred. de Charrière, Reck. sur le couvent de Romain-Moutiers, p. 4î 3) Gall. Christ., p. 498. (4) Diplòmes impériaux de 1353 el 1365. Gall. Christ., p. 435. (9) Arch. de Cour, 7raité avec les Valaisans, liasse 2, n.0 26 PAR LÉON MENABRÉA 93 exercaient. Je vais maintenant poursuivre du couchant au levani l’explo- ration que j'ai entreprise. Je ne ferai que citer en passant l'illustre abbaye de S'-Maurice d’Agaune, sur le compte de laquelle yaurai à re- venir. Ce monastère possédait en Valais plusieurs terres provenant, en majeure partie, des pieuses donations des rois de Bourgogne. Les vidomnats d’Ollon, de Bagnes, d’Orsières, étaient placés sous sa mouvance. De S'-Maurice à Martigny, aucun souvenir historique ne peut forcer le voyageur à suspendre le cours des sentiments qu'il éprouve à la vue des magnificences que la nature a répandues le ong de la route qu'il parcourt; Martigny, l’Octodunum des anciens, est, en revanche, bien digne d’étre l’objet de ses investigations, car il existe peu de localités qui soient plus célèbres. Il suffit que l’on sache, en effet, que là eut lieu le massacre de la Légion Thébaine, et que là résiderent longtemps les évéques des Alpes pennines. Au XII et XIII siècles, Martigny, Martiniacum , avait donné son nom à une famille féodale, qui ne resta point sans acquérir une certaine illustration. Déjà en 1179 un Guillaume de Martigny figurait parmi les barons de l’évéque de Sion, darones episcopi sedunensis, et jurait d’étre fidéle au traité de paix que ce prélat venait de conclure avec le comte Humbert II (1). Divers documents de 1221, 1269, 1272 nous montrent un Hugues, un Rodolphe, un Wiffred, un Pierre de Martigny, tous décorés du titre de chevaliers, intervenant è des transactions du méme genre que la précédente, et prouvant par là qu'ils jouissaient d’une haute considération et occupaient un rang élevé (2). Le dernier de ces personnages se fit remarquer surtout par la noble resistance qu'il opposa aux envahissements de la maison de Savoie; il fut au nombre de ceux qui refusèrent de se déclarer vassaux du comte Pierre, et que l’on punit de ce refus en les contraignant de payer au vaingueur de fortes amendes (3). Sur la gauche de la Drance, au sommet d’un rocher, d’où loeil plonge largement è l’est dans le bassin du Valais, se dressent les ruines du vaste chàteau de Martigny, ou de la Bàtie, qui, bien qu’appartenant aux évéques de Sion, demeura à différentes reprises, et (1) Doc. , sigill. e mon., p. 79. 2) Gall. Christ., p. 499, 513, 514. 3) Quia noluerunt remanere in homagio domini. — Compte de Pierre de Doès, receveur de la maison de Savcie à Martigny. Ce compte, qui commence en 1260, existe è Turin aux arch. de la Chambre des comptes; il est cité par M. Cibrario, Storia, t. II, p. 106. 94 DES ORIGINES FÉODALES ETC. pendant de longues années entré les mains des comtes de Savoie, qui le regardaient comme une position trop importante pour ne pas chercher toutes les occasions de la ressaisir, sitòt qu'ils s'étaient vus forcés de la rendre. Le premier qui se soit emparé de cette forleresse, c'est le comte Pierre. Ce prince l’assiégea au commencement de l’année 1260, et la prit d’assaut; puis, sous prétexte de se dédommager des frais de la guerre, il obligea l’éevéque Henri à la lui laisser à titre de gage, avec les cha- teaux d’Ardon et de Chamosson (1); enfin il parvint, peu de temps après, à en obtenir la cession definitive, moyennant l’abandon de quel- ques terres dans le haut Valais (2). Mais, en 1268, le comte Philippe, frère et successeur du comte Pierre, harcelé par l’église de Sion, qui employait contre lui les armes temporelles, jointes aux foudres de l’ana- thème, consentit à la révocation de ce traité (3). Toutefois, en 1384, le Comte Rouge ayant réduit è l’obéissance les Valaisans qui, à l’instigation de Galcas Visconti, seigneur de Milan, avaient expulsé l’évéque Edouard, se fit de nouveau relàcher les trois chiteaux dont il s’agit. Inutile de dire que ces conventions ‘donnèrent elles-mémes naissance à bien des difficultés et des collisions (4). A une lieue de Martigny, en remontant la Drance, on remarque sur une éléevation qui commande le village du Bourg, les ruines d’une maison- forte, qui paraît avoir été successivement la proprigté de plusieurs fa- milles. De là, en moins de deux heures de marche, on arrive à S'-Branchier où résidaient des seigneurs appelés de la Tour de S'-Branchier, de turre Sancti Brancherii (5). A cet endroit la vallée se bifurque; d’un còté souvre le val de Bagnes, et de l’autre le val d’Entremont. Celui-ci, qui va aboutir au fameux passage du mont Joux, cu du grand S'-Bernard, appartenait aux comtes de Savoie; il formait une chàtellenie particulière, dépendante du baillage de Chablais (6). Quant au val de Bagnes, il offrait, en fait de juridiction, un des mé- langes peut-étre les plus singuliers, les plus bizarres, qu’ait jamais (1) Arch. de Cour, Zraites avec les Valaisans, liasse 2, n.° 3. Cet acte est de juillet 1260. (2) Ibid. , liasse 2, n.0 5. Cet acle est de septembre 1260. (3) Ibid., liasse 2, n.0 8. 4) Ibid., liasse 3, n.° 10. (5) Voyez Gall. Christ., p. 527. (6) Aussi le juge de Chablais s’intitulait-il souvent Judex in Chablaisio, Gebennensio et Intermonteo. PAR LEON MENABREA 95 enfantés le régime féodal et, en effet, chaque fois que les comtes de Savoie se trouvaient en personne entre le col du mont Joux et le ha- meau de Brez, situé au bord du lac de Genève, proche de $'-Gingolph, ils devenaient souverains absolus du val en question; ils y faisaient rendre la justice, y percevaient les bans, ou amendes, y jouissaient des eaux, des pàturages, des bois noirs, des corvées et angaries etc. Dès qu'ils avaient dépassé ces limites, le petit pays dont je parle retombait sous la domi- nation de l’abbaye de S'-Maurice. Néanmoins les comtes de Savoie y exercaient en tout temps le droit de cavalcade, qui leur permettait d’y lever des gens de guerre, en se conformant aux us et coutumes; celui de service manuel, ou de manouvrée, pour les réparations du chàteau de Ghillon; celui de charnage, ou de prélèvement sur les viandes destinées à la consommation, lequel se résolvait en une somme annuelle de vingt- six sols; celuì de percevoir, en outre, douze mesures de blé et d’exiger les redevances d’automne, collecta autumni (1). Je dois noter ici qu'en 1150 le comte Humbert III s’était. départi de ces redevances automnales, recepta, en faveur du monastère que je viens de nommer, afin de se libérer, en partie, du prix d’une magni- fique table d'or, enrichie de gemmes, remise à Amé III, son père, lorsque ce prince, entraîné par le mouvement des croisades, résolut d’entreprendre le voyage d’Orient (2). En ce qui touche les subsides, tailles, ou tributs, l’abbé ne pouvait les ordonner qu’avec le consentement du comte; et les deniers percus se partageaient également entre eux (3). Enfin, s’il arrivait que le comte fat dans le cas de passer la nuit au delà du pont de S'-Branchier, du còté de Bagnes, les habitants de ce val lui devaient le fourre, ou four-' rage, fodrum, c’est-à-dire les choses nécessaives à la nourriture des hommes et des chevaux (4). L’abbaye de S'-Maurice avait encore à Bagnes une de ces juridictions que j'ai si souvent désignées ailleurs, du nom de vidomnats. Inféodé d’abord è l'illustre famille de la Tour, le vidomnat de Bagnes échut, vers le milien du XIII siècle, aux seigneurs de Morestel (5). Il (1) Enquèle de 1198. — Doc., sig. e mon., p. 110. Accord de 1219, Mon. hist. patr., p. 1258. (2) Doc., sig. e mon , p. 64, 67, 72. (3) Mon. hist. patr., p. 1258. (4) Déclaration de 1287. — Doc., sig. e mon, p. 291. (5) V. Gall. Christ., p. 496, 513, 521. 96 DES ORIGINES FÉODALES ETC. ne faut pas que j'oublie les sires de Bagnes, qu’une foule de documents nous font connaître à des époques diverses et d’une manière toujours honorable (1). Reportons-nous à Martigny et dirigeons-nous à l'est en amont du Rhòne. Sur les rives opposées de ce fleuve se présentent, en première ligne, les ruines de deux chateaux célèbres que la maison de Savoie, ardente à réaliser ses projets d’agrandissement, possédait, dès avant la fin du XIII siècle (2). Ce sont Saillon et Saxon, berceaux de races fé- condes en hauts faits et riches en glorieux souvenirs. Les sires de Saillon paraissent avoir pris place, de toute ancienneté, parmi les plus puissants fendataires du Valais. Nous trouvons un Pierre de Saillon, à la suite du comte Ame III, dans plusieurs actes importants, rédigés de 1136 à 1143 (3). Ce personnage eut un fils, appelé Aymon, Aymo filius domini Petri de Sailun (4), qui vivait encore en 1189 (5). Après eux apparaît Guillaume qui, en 1203, 1204 et 1205, occupait le siége épiscopal de Sion. Depuis lors le nom des sires de Saillon se montre fréquemment dans les annales de nos contrées (6). On sait que l’un de ces seigneurs fut du nombre des sages hommes qui, à dater de 1343, gouvernèrent les états de Savoie jasqu'à la majorité du Comte Vert (7). Pour ce qui est des sires de Saxon, quoique genéralement moins connus que leurs voisins, ils ne lais- saient pas que de jouir d'un rang tout aussi distingué. Ils possédaient è Bagnes ct è Clèbes des servis et des terres, à raison desquelles ils étaient feudataires de l’abbaye de $S'-Maurice, et à cause de ces fiefs, ils devaient à ce monastère un obole d’or et deux fers de cheval, à titre de plaid, c'est-à-dire à chaque mutation de vassal (8). En continuant è marcher è l’inverse du cours du Rhòne, on rencontre le village de Riddes, que protégeait jadis la tour de Brumont, aujourd’hui detruite; on passe le fleuve, on traverse Ardon et l’on arrive à Contheys, (4) V. Doc., sig. e mon., p. 66 et 71. — Mon. hist. patr. p. 1259. — Gall. Christ., p. 498, 501, 509, 518, 321, 522. (2) Voyez dans les Mem. de Acad. de Turin, t. XXXVI, le document qui .conlient la série des baitlages et chàtellenies que possédaient, en 1329, les comles de Savoie. (3) Doc., sig. e mon., p. 47. — Guich., pr., p. 34. — Gall. Christ., p. 489 (4) Doc., sig. e mon., p. 73. (5) Gall. Christ., p. 495. (6) V. Zbid., p. 496, 506, 513, 515. (7) Guich., t. I, p. 400. (8) Gall. Christ., p. 522. PAR LEON MÉNABREA 97 Contegium, autrefois bourg considérable, muni d’un chateau, qui dès le XIII siècle appartenait à la maison de Savoie (1). Là existaient aussi les sires de Contheys, dont les traces historiques, bien que très-rares, sont cependant certaines (2). Enfin l’on touche aux portes de Sion. Cette antique cité est construite au bas de deux rochers, posés comme des sentinelles géantes au milieu de la vallée: lun d’eux, appelé Valère, supporte une vieille église, plu- sieurs édifices modernes, ainsi que les vestiges d’une forteresse qu'on sup- pose avoir été la demeure du prefet de la province romaine des Alpes pennines. Au sommet de l’autre, qui est plus élevé et plus abrupte, se voyent les importantes ruines du chàteau de Tourbillon, rebàti en 1294 par l’évéque Boniface. Sur un troisiéeme rocher de médiocre hauteur, et qui n’est que le pro- longement du second, est assis le chàteau de Majorie que l’évéque Guichard acquit du major ou majeur Bertholet de Graisy, en 1373 (3). Entre Majorie et Tourbillon se dresse une très-ancienne tour carrée, que l’on connaît sous la denomination vulgaire de Tour du Chien. Au nord-ovest de Sion, dans les defilés qui vont aboutir aux glaciers du Sanestch, on apercoit les restes, presque inaccessibles, des chiteanx de Seya et.de Montorge; ce dernier devait sa construction à Aymon de Savoie qui, devenu maître du Chablais, ensuite du partage de la succession du comte Thomas, n'aspirait rien moins qu'àè assujettir le Valais en y plan- tant cà et là des redoutes et des foris ; mais ce prince accusé et convaincu de l’avoir edifié sur les terres de l’église, se vit, en 1233, obligé de l’aban- donner à l’évéque Landric (4). Quant au premier, qu'on nommait in- difféeremment Soya, Seta, Seven, Soie, ou Séon, un seul événement, parmi ceux qui forment son histoire, suffirait. pour le rendre célèbre. C'est en effet d’une des fenétres de ce sombre manoir qu'en 1375 l’evéque Guichard Tavel et son chapelain fuvent précipités par un sire de la Tour, avec qui le malheureux prélat se trouvait alors en procès. (1) On voit, qu’en 1254, ce chàteau et celui de Saillon, qui ne formaient qu’une seule et méme chàtellenie, fut attribué à Pierre, depuis comte de Savoie, à titre de supplément de part hérédi- taire. V. Datta, Docwm., lib. I, n.0 5, p. 15. Ces deux chàteaux firent, en 1295, partie de l’apa- nage de Louis de Savoie, baron de Vaud. V. J/on. Rist. patr., p. 1574 (2) Gall. Christ., p. 499, 500, 509; Doc., sig. e mon., p. 80. (3) V. ci-devant. (4) Gall. Christ., p. 502. Grin voi 73 93 DES ORIGINES FEODALES ETC. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit précédemment des chateaux d’Ardon et de Chamosson, qui faisaieni également partie du domaine épiscopal; on sait que Chamosson est situé au pied des montagnes, à peu de distance d’Ardon. Le chàtean d’Ardon est souvent désigné dans les chartes sous le nom de Chateau du Crét, celui de Chamosson est appele parfois Chdteau de Charvey (1). Je me contenterai de mentionner en passant Grimseln et Ayent, qui eurent pendant long-temps leurs seigueurs particuliers ; l’on y distingue encore des debris d’habitations féodales (2). En face du versant où s'échelonnent ces villages, et joignant la rive gauche du Rhòne, s’étendaient les domaines de l’illustre famille de Tavel, autrement appelée de Gradetz, ou des Granges, de Gradecio, qui pos- sédait le bourg et le chaàteau de ce nom, ainsi que la vieille tour carrée que l'on remarque près de Vex, au débouché du val d’Héremence (3). Presque vis-à-vis de Gradetz, en déclinant à l'est du còté de Sierre , s'élèvent les restes du manoir des sires de Venthone (4); ces feudataires étaient anciens et passablement puissants. Sierre, ou Siders, Sirzum, est, ainsi que je l’ai dit ailleurs, le chef-lieu d’un des sept dixains du haut Valais; on y voit une tour, qui paraît avoir été bàtie par les sires de Sierre. Il est fait mention de ces seigneurs dans des titres du XIII siècle (5). Non loin de cette localité, où les évéques de Sion avaient établi un vidomne et où ils fondèrent plus tard la chartreuse de Géronde (6), se dresse, au haut d’un roc, une autre antique tour, que l’on appelle, en (1) V. Boccard, Mist. du Valais, p. 347. 2) Un Nicolaus de Grimiselio est cité dans une charte de 1263. Divers membres de la famille d’Ayent nous sont connus par des chartes de 1266, 1269, 1277. V. Gall. Christ. , p. 509, 513, 520, 530. En 1229, les sires d’Ayent, inquiétées par le puissant Pierre de la Tour qui avait com- mencé une maison-forte proche de leurs possessions, implorèrent l’appui de Landric, eveque de Sion, et se déclarèrent hommes liges de ce prélat. Cela n’empècha pas que Pierre n’achevàt sa forleresse et que, plus tard , les sires d’Ayent ne fussent balayés par ces redoutables voisins. V. Boccard, p. 348. (3) V. Schiner, p. 408. (4) Ibid., p: 308. ‘5) On trouve notamment, qu’en 1219 un Uldricus de Sirro, Willelmus de Ventonnaz, et quelques autres seigneurs, assistèrent au traité de paix conclu par l’évéque Landric avec Rodolphe de la Tour. Gall. Christ., p. 497. (6) La fondation de ce monastère fut faite en 1331 par Veyvéque Aymon de la Tour. V. Gall. Christ., p. 540. PAR LÉON MÉNABREA 99 idiome du pays, Goubding- Tourn, et où demeuraient des gentilshommes nommés domini de Platea (1). Au midi de Sierre s’ouvre la vallée trans- versale d’Einfirch, ou d’Anniviers, qui appartenait à l’insigne maison de Rarogne, dont je parlerai bientòt; on y trouvait le chàteau de Beauregard, situé à la cime d’un rocher escarpé. Leuk, ou Louéche , :capitale, du dixain immediatement supérieur à celui de Sierre ,, dépendait jadis des évéques de Sion, qui venaient parfois y résider. En s’engageant, depuis ce bourg, au sein des gorges sauvages qui conduisent aux sources thermales du hameau de Baden, on rencontre le village d’Albinen ou d’Albignon qui, comme la plupart des lieux que j'ai déjà cités, avait aussi ses maîtres, savoir les sires d’Albignon (2). A une demi-lieue de Leuk, en remontant le Rhòne, on apercoit à droite Ventrée marécageuse de la vallée de Turtman, ou de Tourtemagne, sur laquelle une famille de ce nom exercait un pouvoir que les traditions populaires se sont amusées à revétir des couleurs les plus sombres et les plus effrayantes. Encore une heure de marche, et l'on arrive à la hauteur de Niedergesteln, ou de Chatillon inférieur , résidence des célèbres barons de la Tour, ou de Chatillon. L'origine de ces seigneurs se perd dans les ténèbres du XI siecle. Je pense que des suppositions fondées sur une dénomination com- mune, plutòt que de veritables preuves, ont contribué è les faire croire issus des sires de la Tour du Pin, en Dauphiné (3). Quoi qu'il en soit, c'est à eux que le Valais doit, en grande partie, ce qu'il y a de vif, d’intéressant, de dramatique dans son histoire. Leurs possessions étaient immenses. Ils se trouvaient, tout à la fois, feudataires des comtes de Savoie, des évéques de Sion et de l’abbaye de S'-Maurice (4). S’ils étaient forcés de respecter les premiers, ils ne négligeaient aucune occasion de se soustraire à la juridiction des seconds; de là des contestations infinies et des querelles souvent sanglantes. Guillaume, l’un d’eux, qui vivait de 1150 a 1200, instruit à l’école de ses ancétres (5), se rendit surtout fameux par ses collisions avec la puissance ecclésiastique. Ses descendants suivirent, à peu (1) Schiner, p. 305. (2) V. Gall. Christ, 501, 505. (3) V. Muller, livre I, chap. 14, note 68. Guichenon est, si je ne me trompe, le premier qui ait mis en vogue celle opinion. (4) La fidélité que les sires de la Tour devaient à l’abbaye de St-Maurice, à raison de certains fiefs, n’existait que salva fidelitate ‘domini comitis Sab. et domini cpiscopî Sedunensis, ainsi que cela resulte de plusieurs actes. (5) Et cum praedecessoribus ejus longis retro temporibus duraverat discordia. — Charte de 1157. 100 DES ORIGINES FEODALES ETC. d’exceptions près, son exemple. Il nous reste plusieurs traités, plusieurs compromis , rédigés en vue de determiner les droits et les devoirs réci- proques des barons de la Tour et des évéques de Sion. Une transaction de 1219 decide qu'à VPavenir tout baron de la Tour devra se reconnaître homme lige de l’évéque pour le fief de Gestelenburg, ou de Niedergesteln, ainsi que pour l’avouerie et la majorie Episcopale! qu'il sera tenu de porter dans les combats la bannière de l’église, et que ioutefois, si ladite église et le comte de Savoie viennent jamais à entrer en guerre l’un conire l’autre, il lui sera loisible de se déclarer aidant, ou allié, de qui bon lui semblera (1). Les fiefs, à raison desquels les seigneurs dont il est ici question, relevaient de l’abbaye de S'-Maurice, étaient principalement les vidomnats d'Ollon et de Bagnes. Jai déjà expliqué comment, avant 1288, celui-ci avait passe aux mains de la famille de Morestel (2). Quant à Pautre, il offrait cette singularité, que lorsque l’abbé d’Agaune venait résider è Ollon, ou à Vouvry, ce prélat jouissait du privilége d°y administrer personnellement la justice et d’en percevoir les émoluments, de telle facon que les fonctions de vidomne cessaient complétement pendant son séjour, et ne revivaient qu@après son depart (3). Ce vidomnat devint ensuite la propriété de la maison de Savoie (4), qui ne dedaignait pas d’en faire hommage è labbaye (5). Oa les juridictions ci-dessus désignées, les barons de la Tour pos- sedaient les terres d'Héremence, d’Ayent, de Nendaz, de vastes domaines dans le bas Valais, sans compter ce qu'ils avaient à Laupen, è Frutengen et en divers endroits de l’Helvétie , soit teutonique , soit romane. Le manoir qu'ils occupaient à Contheys, et où nous apprenons qu'ils demeu- raient fréquemment (6), était different du chateau qui appartevait en ce lien aux comtes de Savoie dès avant le milieu du XIII sitele (7). 1) Gall. Christ., p. 497. — V. Muller, livre ], chap. 14 (2) V. ci-devant. 3) Accord de 1157. — Gall. Christ., p. 490 4) N fut acquis par le comte Edouard. — Voyez la charte de 1328. Gall. Christ. p. 536. 5) Acte de 1332. Gall. Christ., p. 547. (6) Gest notamment è Contheys, apud Contegium in castro vivi nobilis Sohannis de Vurre domini Castellionis in Valesio, que fut conclu, en 1328, un accord entre l’abbaye de St-Maurice et Jes sires de Colombier. Gall. Christ., p. 535. 7) Cétait en qualité de vidomnes de Contheys que les sires de la Tour avaient un chàteau è Contheys. Ce vidomnat dépendait de l’'église de Sion. PAR LEON MENABREA IOI Un peu an-dessus de Niedergesteln, et toujours sur la rive droite du Rhòne, on rencontrait les sires de Rarogne , qui n’étaient pas moins illustres que leurs voisins. Ces seigneurs , maîtres du val d’Anniviers, fournirent d’honorables pages è l’histoire du Valais, pendant la période féodale. On sait qu’ils eurent pour successeurs les sires de Villette-Chevron, en Tarantaise. En continuant à cheminer en amont, on trouve sur la grande route le bourg Visp, ou Viége, que dominait jadis un vaste chàteau (1), et qui, avec la vallée de ce nom, se trouvait inféodé à une race antique et puissante. Au XIV siècle, les biens des sires de Viége passèrent, par défaut de miles, aux comtes de Blandra. Plus loin on découvre Brigues, puis Nater ou Narres, ancienne residence épiscopale ; puis, autour de ces localités, les débris de divers manoirs féodaux, qui rappellent les familles de Narres, d’Urnafas, de Michlig, de Weingarten. Si ensuite, laissant du còté la gorge qui conduit au Simplon, on avance vers. les sources du Rhòne, on apercoit cà et là les chateaux vuinés des sires de Moerel, de Grengiols, de Mulinbach, d’Aragnon. Ceux-ci possedaient presque tout l’espace compris entre Aernen et les glaciers de Grimsel et de la Furka. Ils avaient construit aux pieds de ces montagnes abruptes le chiteau d’Obergesteln, ou de Chatillon su- périeur, afin de pouvoir, sans doute, se déefendre contre les attaques des Bernois. (1) Le chàteau de Beaufort. V. Boccard, p. 271. 102 DES ORIGINES FÉODALES ETC. CHAPITRE VI. Bresse et Bugey. - Régions distinctes. - Subdivision géographique. - Sires de Baugé; leur manoir. -— Erreur de Guichenon. - Opinion des Bénédiclins. - Dés le XI siéele ces seigneurs guerroyent contre leurs voisins. - Reynold; ses lettres à Louis-le-Jeune. - Sibille épouse le valeureux Amé V, comte de Savoie. - Sires de Coligny. - Leurs principales terres. - Ancien chateau de Lagneux. - Sires de la Baume. - Chateau de Montfort. - Avidité des Dauphins. - Maison de Beaujeu, son antiquité. - Humbert III; ses m@urs déreglees. - Vision terrible. - Richesses des seigneurs. - Designation de quelques-uns des principaua feudataires de la Bresse. - Les sires de la Palu. - Corsant. - Couey. - Feillens. - Garrevod. - Mareschal. - Saix. - Varax. - Sires de Thoire; ils habitaient une forteresse sur les bords de l’ Ain. - Tour de Matefelon. - Sires de la Balme. - Les sept fils de Hugues partagent sa succession. - Seigneurs de Chatillon. - Luyrieua. - Rossillon. - Grolée et autres. - Domaines des comtes de Savoie dans le Bugey.- Chateau de Varey. - Evéques de Belley. - Petit Bugey. - Chautagne. - Manoir de Chatillon et de Chateaufort. - Testament de la comtesse Béatrix. - Sires de Montbel. - Chevelu. - Gerbaix. - Bourq de Seyssel. - Famille de ce nom.- Ville d'Aia, résidenee royale. - Sires d’Aix. - Humbert » de Seyssel. Jusqu'à present nous avons explore soit l’Helvétie occidentale soit le cours septentrional des Alpes pennines; nous avons constaté les changements survenus dans la constitution de l’ancien pagwus Genevensis: il est néces- salire maintenant que nous embrassions de nos regards un assez vaste territoire,, situé entre la Saòne, le Rhòne et les prolongements meri- dionaux du Jura. Ce territoire, divisé par le cours de l’Ain, formait, au XI siècle, deux régions distinctes; à l’ouest était la Bresse (Brixia, Bressia) et à l’est le Bugey (Bugesium). La Bresse se subdivisait géographiquement en trois parties: la Bresse proprement dite, comprenant tout le pays plat qui borde la Saòne (E le Revermont, Reversus Mons, se déroulant derrière les monts depuis Pont-d’Ain jusqu'à Coligny; la Valbonne, /'aZlis Bona, s'appuyant sur la rive droite de lAin inférieur, à partir de Loyes, puis courant le long du Rhòne, et allant se terminer à Miribel. Le Bugey comportait éga- lement trois subdivisions: la Michaille (Michallia ou Yallis Michalliae), (41) La portion inferieure de ce pays, au-dessous de Chàlillon-sur-Chalaronne, forma plus tard la principauté de Dombes. PAR LÉON MÉNABREA 103 qui s'allongeait entre le Rhòne et les montagnes qui cxistent de Chatillon à Seyssel; le Valromey (Zallis Romana ou Vallis Romanorum), qui s'ouvrait du nord au midi, parallèlement à la Michaille, et suivait le cours du Séran; le Bugey proprement dit, auquel appartenait le reste de la contrée. Un grand nombre de juridictions féodales surgirent en Bresse et en Bugey après la chute du second royaume de Bourgogne; il est essentiel de les connaître ; commencons par celles de la Bresse. Les plus puissants seigneurs de ce pays étaient, sans contredit, les sires de Baugé, dont l’antique manoir s’élevait non loin de la Saòne , presque en face de Macon, là où est aujourd’hui Bagé-le-Chatel (Ba/giacum). A moins de se soumettre à de fastidieuses énumérations , il est difficile de déterminer d’une manière tout à fait précise les possessions de ces seigneurs; ici, comme ailleurs, le territoire de chaque famille se trouvait fractionné, morcelé, disséminé en divers lieux; ce territoire méme éprouvait (et je l’ai déjà bien des fois remarqué) des vicissitudes con- tinuelles; les ventes, les échanges, les partages, les mariages, les assi- gnations de douaire , les usurpations, les conquétes, lui faisaient subir d'in- cessantes et souvent étranges transformations. Il suffit de dire que les sires de Baugé, outre Baugé, ou Bagé-le- Chatel, leur capitale, possédaient Pont-de-Vaux, Pont-de-Veyle, S'-Trivier- de-Courte, Bourg et une infinité d’autres localités de moindre importance (1). Guichenon, se laissant guider par Fustailler, Bugnon et S'-Julien de Baleurre, fait remonter la maison de Baugé à un Wigues, ou Hugues, qu'il décore de la double qualité de comte et marquis, et qui vivait, dit-il, au temps de Louis-le-Débonnaire. Mais les Bénédictins ont clai- rement démontre que ce prétendu comte ou marquis de Baugé n'est autre que Hugues-le-Noir, fils puîné du duc de Bourgogne, Richard-le-Justicier, qui, à celte époque, avait effectivement juridiction sur la Bresse et le Màconnais (2). Les successeurs qu’on donne è ce Hugues sont également supposes (3), Jusqu'à un Rodolphe, dont on ignore complétement L’ori- gine , mais que l’obituaire de l’église de Nantua appelle seigneur de Baugé et Bresse (4), et qui florissait de 1015 à 1023. ({) Guich., Mist. de Bresse et de Bugey (2) Art de verifier les dates. (3, M. de Cateyssonnière les a mal à propos admis dans son ouvrage, excellent du reste, inti- tulé: Recherches sur le dép. de l Ain. (4) Fiat commemoratio Rodulpho Balgiaci et Brixiae domino. 104 DES ORIGINES FÉODALES.ETC. Dès l’instant où commencent è se dissiper peu à peu les ténèbres du XI siècle, on voit les sires de Baugé constamment occupés è guerroyer contre leurs voisins d’Outre-Saòne, les comtes de Màcon et les sires de Beaujeu, ou de Beaujolais. Il nous reste deux lettres qu’'un de ces seigneurs, nommé Reynald, écrivait à Louis-le-Jeune, roi de France, pour lui dénoncer la conduite de Gerard, comte de Macon, et d’Humbert, sire de Beaujeu, qui, à la téte d'une armée considérable, cum magno exercitu, avaient devasté ses domaines par le fer et par le feu, et qui pis est, s’étaient emparés de son fils Ulrich. Dans une de ces lettres, Reynald traite de parent le monarque francais (1). Par testament du 5 avril 1255, Guy de Baugé, le dormi mile de la famille, institua pour héritier l’enfant que devait eo mettre au monde Beatrix de Moniferrat, sa femme, veuve d’André de Bourgogne, dauphin du Viennois. Or cet enfant posthume fut Sibille de Baugé, qui apporta une portion de la Bresse à la maison de Savoie, en épousant, le 4 juillet 1272, le guerrier valeureux qui fut ensuite comte de Savoie, sous le nom d’Amé V, et auquel l’histoire a décerné le titre de Grand. Au mois de septembre de la méme année ce prince, en sa nouvelle qualité, recut les hommages et les reconnaissances des feudataires de la terre de Bauge. Le titre qui en contient l’énumeration prouve seul combien cette sei- gneurie avait d’importance (2). Après les sires de Baugé venaient, pour la puissance et l’illustration, les sires de Coligny, maitres de Revermont. Le savant Dubouchet, qui a écrit l’histoire généalogique de ces seigneurs, les fait remonter jusqu'à un Manassès qui, vers l'an 863, aida Richard, duc de Bourgogne, è repousser les Normands. Je crois toutefois qu'il est plus prudent de s'arréter à un autre Manassès qui, suivant une charte rédigée en 974 au chaàteau de Coligny, donna les églises de Treffort et. de Marboz à l’abbaye de Gigny, en présence de sa femme Gerberge et de ‘ses trois fils, Manassès, Wallace et Richard; ce document applique déjà la deéno- mination de Revermont, Reversus Mons, au pays montueux et accidenté, qui s'étend de Coligny è Pont-d’Ain (3). Les principales terres des sires de Coligny étaient: Coligny, Pont- d'Ain, Treffort, Jasseron, Marboz, S-André, S'-Etienne du Bois etc. (1) Hist. de Br., I part., p. 50. (2) Ibid., pr., p. 14. (3) Dubouchet, ist. gencrale de la maison de Coligny, p. 33. PAR LÉON MENABRÉA 105 Sur la rive gauche de l’Ain ils possédaient Port , Isernore, Cerdon, Chactillon-de-Corneille , Izenave , S°-Germain-d’Ambeéerieux , $'-Sorlin , Lagneux. L’antique chateau de Lagneux, Zatiniacum , que nous verrons souvent figurer dans les guerres féodales, ce chateau, que les uns pré- tendent avoir été biti du temps de Vespasien par le fils d’un proconsul, et qui, selon les autres, devrait son existence à un patricien romain , nommégé Latinus, mentionné dans la légende de S'-Domitien, comme ayant recu le baptéme des mains de ce pieux anachorète , fondateur du mo- nastère de S'-Rambert, en Bugey; ce chateau, dis-je, ainsi que celui de Coligny et la plupart des terres ci-dessus citées, échurent, vers l'année 1228, aux sires de la Tour du Pin, au moyen du mariage de Béatrix, fille ainée de Hugues de Coligny, avec un seigneur de cette maison. Beatrix n'avait qu’une soeur qui, peu de temps aprés, épousa un sire de Thoire, et lui porta en dot ce qui restait des domaines paternels (1). A Ia fin du XIII siècle, les sires de la Tour du Pin succédèrent, chacun le sait, aux Dauphins de la 2° race; les prétentions des ducs de Bourgogne è la méme succession firent naître entre ces princes des que- relles sanglantes, auxquelles mit un terme le traité da 4 janvier 1285. Par ce traité le duc Robert renonca à tous ses droits sur le Dauphiné, moyen- nant la cession que le nouveau Dauphin lui fit da Revermont (2). Le cedant retint ce qu'il possédait en Bugey, sur la gauche de l’Ain, et notamment les importantes places de Lagneux, S'-Sorlin et de S'-Germain-d’Ambérieux (qui continuèrent toujours è appartenir à ses successeurs ). Enfin, en octobre 1289, Amé V, comte de Savoie, obtint du duc de Bourgogne l’abandon du Revermont pour le prix de 16,000 livres viennoises, payées comptant, et en lui relàchant de plus les terres de Cugery, Sagy et Savigny (3). Les sires de Villards, dont le fief comprenait une portion de la basse Bresse, appelce depuis la Dombes, égalaient en ancienneté ceux de Baugé et gneurs, intervient, en ro3t, àa une charte où Guichard II, sire de Beaujeu, se démet de certains de Coligny. Un Etienne, réputé la tige de ces sei droits en faveur de l’abbaye de Cluny. Mais. au commencement du XII siècle Agnès de Villards, fille unique d’Etienne II, se maria à un (1) Valbonnais, t. I, p. 164 et 186. (O)CIbidO ot II, pi80. (3) Mist. de Bresse, I part, p. 57. Serie II. Tom. XXIII. r/ Cn 106 DES ORIGINES FÉODALES ETC. sive de Thoire , en Bugey, et transporta dans la famille de son époux les immenses biens de ses ancétres (1). Entre les seigneuries de Baugé et de Villards se trouvaient les prin- cipaux domaines des sires de Chatillon-sur-Chalaronne, ou Chitillon-lès- Dombes. L'origine de ces feudataires de haut renom remontait è un personnage appelé Milo, qui vivait en 1070, et avait un frère sur le siége épiscopal de Macon. j Outre le chiteau de Chatillon, vaste et imposante forteresse, les sei- gneurs que je viens de nommer possédaient le fief de Montrevel, enclave dans les terres de la maison de Baugé. Ce fief passa, en 1340 environ, aux mains des sires de la Baume; parle mariage de Galois de la Baume avec Alix, héritière des sires de Chatillon. Déjà auparavant le chateau de Chatillon était devenu, on ne sait trop comment, la propriété des sires de Baugé, et successivement celle des comtes de Savoie (2). J'ai cité les sires de la Baume; quoiqu’on ait beaucoup disputé sur leur généalogie, elle n’est bien connue que depuis un Sigebald, chevalier, Sigebaldus de Balma miles, qui, en 1r60, fit quelques concessions au monastère d’Ambronay. Galois de la Baume, époux d’Alix de Chatillon, fut de son temps un guerrier fameux. Suivant nos vieilles chroniques, il exerca d’abord la charge de bailly du Chablais, et aida fortement la maison de Savoie à repousser les agressions des comtes de Genevois. De là, il se rendit en France et se signala contre les Anglais qui menacaient ce beau royaume. Sa valeur, sa fidelité, ses talents militaires lui valurent le poste de lieutenant-général du Roi en Saintonge et en Languedoc, et de grand- maître des arbalétriers de France: l’historien Froissart parle souvent de lui en termes honorables (3). Le chiteau de Montluel, en Valbonne, sur la rive droite du Rhòne (castrum Montislupelli), chàteau construit en partie, dit-on, pendant la domination romaine, formait la résidence d’une famille qui ne le cédait, en antiquité et en gloire, à aucune de ses voisines (4). On voit que les Dauphins, non moins avides et non moins habiles que les comtes de Savoie, n’épargnaient aucun moyen, aucune ressource (4) Guichenon, Mist. de la souveraineté de Dombes, divîsée en huit livres , gustifiée par titres, fon- dations et autres monuments authentiques, ms. (2) Hist. de Br., 2 part., p. 38 et 82; 3 part., p. 117, et pr, p. 13. (3) Hist. de Bresse, 3 part., p. 12 et suiv. (4) Valbonnais, t. II, p. 203. PAR LEON MENABREA 107 pour s’agrandir en Bresse et en Bugey; mais, de ce còté-là, leurs pos- sessions se trouvaient mélées à celles des sires de Beaujeu, et ce singulier enchevetrement donna lieu, ainsi que je le dirai ailleurs, à des guerres cruelles. Bien que la maison de Beaujeu edt son principal établissement sur la rive droite de la Saòne, au sud de Macon, et conséquemment en dehors des limites de l’ancienne Burgundia, Je crois qu'il est à propos que j'en fasse brièòvement connaître les commencements, à cause du réle politique qu'elle joua au moyen dge dans nos contrées, et des domaines quelle y avait. Les savants, qui se sont occupés de la généalogie des sires de Beaujeu, nous montrent ces seigneurs se rattachant à la tige des illustres comtes de Lyon. Bérard, troisième fils de Guillaume IT, l’un de ces romtes, aurait obtenu en partage, au IX siècle, et à l’époque où les offices et bénéfices devenaient décidément héréditaires, une portion du pagus Ma- tisconensis (1). S'-Pierre-le-Vénérable, sans assigner à cette famille une origine precise, énonce toutefois qu'elle jouissait d’une haute réputation, soit par la noblesse de son sang, soit par le grand nombre d’hommes éminents qu'elle avait produits (2). L'un de ces hommes, que son génie ambitieux, son courage indomptable, ses moeurs déréglées firent surtout remarquer, fut Humbert III, qui épousa Alix, fille d’Amé III, comte de Savoie; cet Humbert III eut une vision terrible qui le forca de se convertir; il se rendit à Jerusalem où il prit l’habit de templier; puis il se vit forcé de déserter ses voeux et de retourner à l’état conjugal; enfin, après la mort de sa femme, il endossa le froc à Cluny, où il mourut en 1170. l L’arrière-petit-fils de ce prince, Humbert V, obtint en 1219 la main de Marguerite de Baugé, qui lui porta en dot la terre de Mirebel (3). C'était là un noyau de domination que ses successeurs s’efforcèrent de grossir et d’étendre; en effet, depuis 1270 environ, jusqu'à 1300, ils acquirent des archevéques de Lyon les chiteaux de Meximieux et Chala- mont, à droite, en descendant le cours de l’Ain et le donjon de Montmerle, (1) Art de verifier les dates. (2) Est in Matisconensi episcopatu castrum quod Beljocus dicitur quod tam sui nobilitate quam pru- denti dominorum strenuilate pene omnia adjacentia castra praecellit (De Miracul., lib. I, cap. 27). (3) Mist. de Br., 1 part., p. 54. 108 DES ORIGINES FÉODALES ETC. au bord de la Saòne (1). Ces possessions et quelques autres encore, telles que le chateau de Beauregard et de S'-Christophe, constituaient, en Val- bonne et en Dombes, une espèce de petite principauté qu'on désignait du nom de terre de Beaujeu, part de l’empire, Zerra Bellijoci a parte Imperii. Jaurai loccasion de signaler les vicissitudes que ce territoire subit ultérieurement et les combats sanglants dont il fut le theatre (2). IL esi inutile que je mentionne les parcelles clair-semées, et de peu d’im- portance, que les comtes de Macon et ceux de Lyon eurent en Bresse: je ne donnerai pas non plus la nomenclature de tous les feudataires de cet intéressant pays; il suffit que je nomme les sires de la Palu, maîtres du chateau de Varembon, les sires de Chandée, de Corsant, de Feillens, de Gorrevod, de Coucy, de Mareschal, du Saix, de Varax, qui tous parvinrent à un degré d'’illustration digne d’étre noté. Le Bugey, de méme que la Bresse, se trouvait divisé au moyen dge en une infinité de fiefs que je vais rapidement faire parcourir au lecteur; je cheminerai du nord au midi. Celui que l’on rencontre le premier, passé la Franche-Comté, appar- tenait aux sires de Thoire: ces fiers seigneurs, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, habitaient une forteresse presque inaccessible , construite sur le bord de l’Ain, et au-dessus de laquelle, afin de garder l’entrée de leurs terres de Montagne, ils avaient élevé une énorme tour, appelée la tour de Matefelon. On a vu ci-devant comment par le ma- riage de l’héritière unique des sires de Villards (Agnès, fille d’Etienne II ) avec Etienne de Thoire, les sires de Thoire devinrent maîtres de la seigneurie de Villards, en Bresse. Ils posséedaient, en Bugey, les chàteaux d’Apremont, d’Arbent, de Brion, de Montréal, de Poncin etc. La plupart de ces juridictions devaient hommage aux comtes de Bourgogne. La suite de cet ouvrage apprendra en vertu de quel titre les sires de Thoire furent, à la fin du XIV siècle, investis du comté de Genève; on sait que les comtes de Savoie l’achetèrent d’eux en 1401 (3). Je parlerai ailleurs des abbés de Nantua qui exercaient des droits de souveraineté sur la ville de ce nom, car les monastères auront une place DO à part: yarrive aux sires de la Balme. (1) Hist de Br., 2 part., p. 72. 2) V. ci-après, Dauphine. (3, Hist. de Bresse, passim. PAR LÉON MÉNABRÉA 109 La haute antiquité de cette race est incontestable; en 1086, Hugues de la Balme fit un traité d’alliance defensive avec un abbé de Nantua, qui fut depuis abbé de Cluny. Ce Hugues eut un fils, nommé également Hugues, qui donna le jour à sept enfants, mentionnés en un titre de la chartreuse de Meyria: Hugues, Etienne, Aymon, Hismion, Guyon, Isard et Guillaume. Ces sept miles, ayant partagé la succession paternelle, construisirent chacun'un chateau, savoir: la Balme sur Cerdon, S'-Julin, la Batie, Langes, la Verruquière, Saleneuve et la Picarderée. Les descen- dants de Hugues continuèrent la lignée des sires de la Balme ; trois branches collatérales sortirent de Guillaume, d’Hismion et d’Isard (1). D’autres feudataires du nom de la Balme , mais moins anciens que les premiers , existaient également en Bugey. Je me contente de les citer en passant. -A l’extrémité septentrionale de la Michaille , vis-à-vis de la perte du Rhòne, se faisaient remarquer les sires de Chatillon, que l’on comptait parmi les plus illustres et les plus puissanis du pays. Au débouché du Valromey résidaient les sires de Luyrieux, qui portaient pour devise ces mots gracieux delle sans blasme , et qui prétendaient descendre d’un patricien romain, appelé Lucius, qu'on supposait avoir été gouverneur de la Lyonnaise, au second ou troisième siècle. Ces seigneurs possédaient notamment le chiteau de Cules, où les chroniques de Savoie placent les robeurs, larrons et pillards, que Bérold parvint, disent-elles, à expulser de la contrée (2). Non loin du chiteau de Luyrieux s’élevait celui de Rossillon , dont les maîtres, ajoutant foi à un vieux poéme relatif à la fondation roma- nesque de Belley par un général romain, nommé Bellicus, se croyaient issus d’un frère de ce personnage apocryphe, d'un Rossilius, è qui ils attribuaient l’établissement des tours de Rossillon (3). Enfin sur la lisière la plus meridionale du Bugey se montraient les sires de Grolée qui, suivant un auteur aussi crédule qu’engoué des ori- gines latines remontaient à la famille des Gracques (4). Je ne puis qu'indiquer à la hate les sires de Bussi, de Rougemont, de Meyria, de Lyobard, de Dortans, de Moniferrand, de Grammont, (1) Hist. de Bresse, 3 part., cont. p. 23. (2) Ibid., 2 part , cont. p. 53, et 3 part., cont. p. 142. (5) Ibid., 2 part., cont. p. 15 et 92, et 3 part., cont. p. 208. (4) Le P. Genan en sa description mss. du Bugey, citée par Guichenon. rIO DES ORIGINES FÉODALES ETC. d’Oncieux, de Briord, de Bolomier, de Cordon, de Conzié, qui occupent tous d’honorables places dans nos annales. Dès l’extinction de la dernière dynastie des rois de Bourgogne, la maison de Savoie paraît avoir eu en Bugey des terres considérables. Le principe de ces possessions est demeuré, malgré tout ce qu'on en a dit, enveloppé d’une profonde obscurité; on a avancé, mais sans preuve directe, qu'elles furent le prix du passage que la comtesse Adelaide accorda, en 1077, è l’empereur Henri IV, lorsque ce monarque se rendait en Italie afin d’implorer le pardon de Grégoire VII, et que la partie orientale du Bugey serait ainsi la riche province, provincia locupletissima , de l'historien Lambert d’Aschaffenbourg (1). Quoi qu'il en soit, on voit qu’au XIII siècle, et méme antérieurement, les comtes de Savoie possédaient en Bugey les chatellenies de Seyssel, de Lompues (2), de Rossillon (3), de S'-Rambert (4), sans compter l'importante forteresse de Pierre-Chitel (5), et un grand nombre d’autres domaines de moindre valeur, qui, à diverses périodes, devinrent de la part de ces princes l’objet, soit de concessions féodales, soit de constitutions de dots, soit de fondations pieuses. Quant au chaàteau de Varey, ce témoin de tant de mémorables combats, on sait qu’en 1240 environ, il échut aux comtes de Genève par le mariage de Marie de Coligny (6). Jai déjà dit ailleurs que d’après une tradition, qui ne paraît pas è l’abri de toute objection, les éveques de Nyon, obligés, au V siècle, de quitter leur siége, qui venait de tomber au pouvoir des peuples du nord, allèrent s’établir è Belley, où ils demeurèrent déès lors, continuant à (4) V. ci-devant. :(2) La juridiction de la maison de Savoie sur ces deux localités était fort ancienne. En 1230, la Chàtellenie de Lompnes fut remise à Louis de Beaujeu, comme faisant partie de la dot de Léonore de Savoie, sa femme. Les sires de Beaujeu la restituèrent ensuite à ses premiers maîtres qui, en 1300, Vengagèrent aux sires de Luyrieux. Plus tard, les ducs de Savoie la récupérèrent. /ist. de Bresse, cont. de la 2 part., p. 62. (3) Le chàteau de Rossiilon avait été construit, selon toute apparence, par les seigneurs de ce nom, qui le cédèrent, on ne sait précisement à quelle époque, aux comtes de Savoie. (4) Le chàleau de St-Rambert appartenait originairement à l’abbaye de St-Rambert; mais, en 1196, le comte Thomas se fit associer à la juridiction temporelle de ce monaslère, et céder le chà- teau dont il s’agit. V. Cibrario Delle finanze, diss. 1, dans les Mém. de l’ Acad. de Turin, t. 36, p. 194. (5) L’apanage donne, en 1285, à Lonis de Savoie, baron de Vaud, comprenait le chàtceau de Pierre-Chàtel. V. Mon. Rist. patr., t. I, p. 1573. (6) Le chàteau de Varey est situé proche d’Ambronay. V. ci-devant. PAR LEON MENABRÉA III étre, comme auparavant, suffragants de l’église archiépiscopale de Besancon. Suivant d’anciens cartulaires, Audax aurait commencé, en 412 environ, la série des évéques de Belley (1). Quelque sentiment que l'on adopte , touchant cette translation, il est certain qu'à l’exemple des autres evéques de nos contrées, ceux dont je parle ici se trouvaient investis des droits régaliens dans la ville épiscopale, à l’époque où s’éteignit la dernière dynastie des rois de Bourgogne. Successivement ils obtinrent des empe- reurs d’Allemagne la confirmation de ces mémes droits. Un diplòme de 1175 nous apprend qu'à Belley ces prélats rendaient la justice, levaient les tailles, convoquaient la milice, pouvaient, au besoin, battre monnaie, et exercaient, en un mot, tout ce qui constitue la puissance souveraine (2). Cela n'empéchait pas que les comtes de Savoie n'y possédassent, eux aussi, certaines fractions de juridiction qu'ils abandonnèrent néanmoins , en 1360, à l’évéque Guillaume de Martel, moyennant la somme de 3800 florins d’or de bon poids (3). Après avoir exploré le Bugey et la Bresse, il est à propos de franchir le Rhòne. i Sur la rive gauche de ce fleuve, depuis Seyssel jusgu’à S'-Genis, s'étend, du nord au midi, une langue de terre resserrée, au levani, par les montagnes de Chambotte, du Chat et de l'Epine. C'est ce qu'on appelle le petit Bugey, faisant aujourd'hui partie du duché de Savoie et dépendant primordialement de l’ancien pagus Bellicensis (4). La portion septen- trionale de cette étroite contrée, entre l’embouchure du Fier et le canal de Savières, qui sert de dégorgeoir au lac du Bourget, forme un district à part, designé du nom de Chautagne, Chostagnia, que certains étymo- logistes dérivent de ca/dum stagnum, è cause des nombreux marécages que renferme ce pays. La Chautagne appartenait jadis à des seigneurs auxquels on donnait indistinctement la qualification de sires de Chatillon, ou de sires de Chateaufort, à raison de deux manoirs flanqués de tours, dont le premier se dresse encore de nos jours sur un rocher à pic, au bord du lac que (1) V. Episc. Bellic. chronol. series, p. 1. (2) Omnia regalia civitatis videlicet monetam, telonium, pedagium, ripaticum, aquaricum, pascua, pis- cationes, sylvas, venationes, stirpaticum et per omne districtum jurisdictionem civitatis. Ep. Bell, p. 32. (3) Ep. Bell., p. 56. (4) V. ci-devant. 112 DES ORIGINES FÉODALES ETC. je viens de nommer; si bien, que ce lac n’eut pendant longtemps d’autre dénomination que celle du lac de Chatillon, lucus Castellionis (1). Presque tous nos auteurs nationaux ont répété après Della Chiesa (2) que le pape Célestin IV, en 1241, appartenait à la famille de Chatillon, en Chautagne, ei non point aux Castiglioni de Milan qui, suivant les historiens étrangers, auraient été les ancétres de ce pontife. Sans vouloir entrer en discussion là-dessus, je erois pouvoir dire que la question est, pour le moins, indécise. À différentes époques les sires de Chatillon se reconnurent feudataires de la maison de Savoie: le simple fief de Chateaufort devait fournir au suzerain, en cas de guerre, un homme d’armes, c’est-à-dire un cavalier adoubé et accompagné du nombre de satellites exigé par les usages féodaux (3). Le nom de Chatillon n'étant pas particulier aux seigneurs dont je parle, il est souvent difficile de bien déterminer à qui se rapportent les designations que présentent parfois, à cet-égard, les documents du moyen dge. Ainsi, dans son testament de l'an 1263, Beatrix de Savoie , comtesse de Provence, légua différentes sommes à plusieurs filles nobles de sa patrie et notamment cent et cin- quante livres tournois à Berengère, fille de Benoît de Chatillon (4). On ne saurait aflirmer qu'il s’agisse réellement ici des sires de Chatillon en Chautagne, quoique tout le rende probable. Vers la fin du XIII siècle, la descendance masculine de ces seigneurs s'éteignit; Marguerite, leur dernier rejeton, en épousant Guy, second fils d’Humbert de Montbel, porta la Chautagne à une branche cadette de cette famille, qui détint ce fief pendant très-long-temps (5). Les comtes de Savoie, de méme qu’en Chautagne , exercaient sur le reste du petit Bugey la haute supériorité féodale. On y trouvait plusieurs terres, telles que Seyssel, Yenne, Novalaise, S'-Genis, le Pont-Beauvoisin, les Echelles (le chateau des Echelles faisait primitivement partie , ainsi que je lai dit ailleurs, du pagus Salmoracensis), qui dépendaient d’eux immeédiatement. Parmi les seigneurs qu'on y rencontrait, ceux de Montbel occupaient un rang distingue. (1) Le lac du Bourget est ainsi nommé dans la charte de fondation de l’abbaye de Hautecombe, en 1125. V. Guich., pr., p. 31. (2) Corona reale, £ I, p. 20, (3) Somm. gén. des fiefs, province de Savoie proprement dite. Articles CAdteaufort et Chatillon. (4) Guich., pr., p. 63. (5) Mist. de Bresse, 3 part., p. 276 PAR LÉON MÉNABRÉA TRIO) Les sires de Montbel, outre le fief de ce nom, situé au bord du Rhòne, possédaient le chateau d'Entremont-le-Viel, manoir celebre, biiti sur la frontière du Dauphiné, au flanc des montagnes de la grande Chartreuse. Nous verrons qu'une vive querelle s’éleva an commencement du XIV siècle, entre le dauphin Jean et le comte de Savoie Amé V, au sujet de ce chiìteau dont Rolet, sire d’Entremont, prétendait indù- ment faire hommage au Dauphin. Nos chroniques narrent au long comme le conte Amé eut de bonne guerre le chastel d’Entremont. C'est à l'oc- casion de ce démélé, que fut notamment conclu le traité du ro juin 1304, où, malgré sa forfaiture, ledit Rolet obtint des conditions avantageuses (1). Les sires de Montbel aimaient à se croire issus des comtes de Flandre; l'un d’eux figura, dit-on, dans l’expédition des premiers croisés en terre sainte (2). Non loin de ces feudataires, on remarquait les sires de Chevelu et les sires de Gerbaix. Ceux-là surtout étaient fort anciens et fort illustres; on les trouve, dans les temps les plus reculés, fidèlement attachés à la cause de la maison de Savoie; la fondation de l’abbaye de Hautecombe, par le comte Amé III, en 1125, nous fait déjà connaître un Bernard de Chevelu, Bernardus de Capilluto, et son fils Porestan (3). Les franchises accordées en 1232 aux habitants de Chambéry par le comte Thomas, révèlent l’existence d'un Guy de Chevelu, de Chevelluto, alors metral de cette ville (4). Quant aux sires de Gerbaix, une charte de l'an 1200 mentionne un Guy de Gerbaix, intervenant, en qualité de témoin, à une donation pieuse, faite en faveur du monastère que je viens de citer (5). Un Pierre de Gerbaix jouissait, en 1362, lors du mariage de Jacques d’Achaie avec Marguerite de Beaujeu, de la dignité de iresorier de Savoie (6); enfin, en 1397, un Amblard de Gerbaix, protonotaire de Savoie, assistait à l’ordonnance que le comte (depuis duc) Amé VIH rendait pour fixer (1) Guich., pr., p. 141. Par ce trailé Rolet fut cependant oblige de ceder au comte de Savoie tous ses droits audit chàteau moyennant une cerlaine somme. (2) Hist. de Bresse, 3.° part. cont., p. 165. (3) Guich., pr., p. SI. (4) Doc., sig. e mon., p. 126. (5) Guich., pr., p. 47. (6) Ibid., p. 119. Serie II. Tom. XXIII. î (Oa TIÙ4 DES ORIGINES FEODALES ETC. les bases du fameux duel juridique de Girard d'Estavayé contre le malheurcux Oihon de Grandson (1). Quoique le bourg muré de Seyssel appartint à la maison de Savoie, qui lui octroya des franchises en 1285 (2), ce lieu a pourtant donné son nom è une famille puissante, dont les principaux fiefs étaient les chàteaux d’Aix et de Bordeaux, sur les deux rivages opposes du lac du Bourget, dans la Savogia ou pagus Savogiensis (3). S'il fallait ajouter fui à nos vieilles chroniques, et aux auteurs qui les ont aveuglément suivies (4), c’est chez un seigneur de Seyssel que Berold, arrivant d’Allemagne, se serait d’abord arrété, afin d’extirper les robeurs et pilards qui desolaient nos contrees. i La petite ville d’Aix se trouvait inscrite, pendant le règne des derniers rois de Bourgogne, au nombre des residences royales; Rodolphe -le-Fainéant en fit présent, en rorr, à sa femme, la reine Hermengarde (5). Nous ne savons comment, ni à quelle époque le sires d’Aix, ou de Seyssel, y acquirent des droits. Un Gauthier d’Aix, Gwalterius de Aquis, intervint, vers l’an 1100, à une donation d’Aymon, comte de Genève, aux Béne- dictins de Lémens, proche de Chambéry (6). On voit, en 1126, Guillaume de Faucigny confirmer une concession que ce méme Gauthier avait faite auparavant à l’abbaye de Hautecombe (7), ce qui prouve qu'à raison de certaines terres ces seigneurs relevaient des sires de Faucigny. Durant les longues querelles des comtes de Savoie et des Dauphins du Viennois, après que ceux-cì furent devenus maîtres du Faucigny, les sires d’Aix se montrèrent amis constants des premiers, et refusèrent obstinément de se reconnaître vassaux des Dauphins, bien que ces princes prétendissent étre suzerains, au moins, du chateau de Bordeaux, et qu’ils en eussent investi nominativement Aynardet de Bellecombe, l’un de leurs aidants. La liste des griefs que le dauphin Guigues VIII articulait en 1330, 5 renferme un chapitre relatif à cet objet: Ztem /e chastel de Bordex en 1) Guich., pr., p. 47. (2) Hist. de Bresse, pr., p. 244. (3) Somm. general des fiefs, province de Sav., articles Air et Bordeaux. (4) Tels que Delbène dans son ouvrage, De regno Burg. et Arelatis, 1602. (5) Dono dilectissime sponse mee Irmengardi Aquis villam sedem regalem....do ei Anassium fiscum meum. (Doc., sig. e mon. , p. 17). (6) Bibl. Sebus., II, 69. (7) Dom Leyat, ms. PAR LÉON MÉNABREA II Savoye et ses appartenances liquiex est du fief d’ Aynardet de Bellecombe et ly est commis pour ce que ly sire d'Aix ne ly a recogneu en fieu et li cuens de. Savoye par force empesche ledit Aynardet qu'il n'en use de son droit è recouvrer le dit chastel (©: Il paraît que de temps immémorial la famille de Seyssel avait l’hono- rable privilége de fournir à la maison de Savoie des hommes d’intimité, de bon conseil et des défenseurs intrépides. Un Pierre de Seyssel fut, pendant plus de vingt ans, en faveur auprès du comte Thomas, à la suite duquel on le rencontre en 1195, 1200, 1202, 1212, 1218 (2). On lit le nom d’un Humbert de Seyssel au bas de la charte de 1232, contenant les franchises de la ville de Chambéry (3). Ce personnage figura, en 1241, à l’hommage que Guillaume d’Entremoni fit au comte Ameé IV pour les chateaux d’Entremont et de Montbel (4). En 1239, un Guy de Seyssel, seigneur de Bordeaux, dominus de Bordellis, in- tervint au contrat de mariage de Hugues Dauphin, sire de Faucigny , avec Marie de Savoie; contrat passé, selon l’usage, en plein air, au milieu de la grande cour du chàteau de Bonneville (5). On pourrait multiplier les citations. (1) Hist. de Br., 1 part., p. 64. (2) V. Mon. hist. patr., t.I, p. 1195; Guich., pr., p. 47; ibid.,, p. 38; Mon. hist. patr., p. 1186; Guich., pr., p. 63. (3) Doc. , sig.e mon., p. 126. (4) Ibid., p. 141. (5) Guich., pr., p. 158. 116 DES ORIGINES FÉODALES ETC. CHAPITRE VIE. Comitatus Savogiensis. - Ses limites. - Terre de Monifalcon. - Chambéry. - Prieuré de Lémens. - Sires de Chambéry. - Witfred. - Gauthier. - Aymo Clericus. - Le chateau de Charbonnière, propriété de ces seigneurs. - Chartes. - Berlion cède la ville de Chambéry au comte Thomas; le chateau reste entre les mains du premier. - Il devient plus tard la propriété du comte Amé V qui le fait rebiatir. - Fiefs de la Ravoire, de Challes et de Chignin. - Apremont. - Les Marches. - Citadelle de Monlmeélian. - Le Crét. - Bourg et chateau de la Rochette. - Seigneurs de ce nom. - Aventure de Guillaume de Monferrat. - Tours de Montmayeur. - Armoiries. - Gaspard. - Possessions de ces seigneurs. - Sombre histoire. - Chiteauneuf. - Sires de Miolans. - Leur devise. (Voir è la fin de cet ou- vrage). - Vallée des Bauges. - Graisy. - Tournon. - Chevron. - Le pape Nicolas II - Ville et chateau de Conflans. - Vallée de la Maurienne. - Aiquebelle. - Sires de la Chambre. - Vicomté de Maurienne. - Transaction. - Loys de la Chambre. - Evéques de Mauvienne. - Fiefs divers. Puisque nous voici près de nous engager dans la Savogia, ou Co- mitatus Savogiensis, il est à propos que j'indique, autant que la chose est possible, les limites qui, au commencement du XIV siècle, séparaient, à l’ouest et au nord, les possessions des comtes de Savoie d’avec celles de leurs voisins, les comtes de Genève. Ces limites, que toutefois les guerres et les traités firent souvent varier, étaient déterminées par celles méme des chatellenies de Seyssel, de Montfalcon, de Cusy, de Chatellard-en-Bauges, de Faverges et d’Ugine qui, en suivant une ligne tourmentée et irrégulière, correspon- daient aux chatellenies opposées de Clermont, de Cessens, de Rumilly, d’Alby, de Clées et de Duing (1). Je dois faire observer que les chiteaux de Montfalcon et de Cusy, qui appartenaient primitivement aux comtes de Genève, advinrent aux comtes de Savoie, le premier, peu après l’année 1300 (2), et ie second, en 1287 (3). La terre de Montfalcon, située entre Aix et Albens, a été le berceau de l'illustre famille des sires de Montfalcon, dont nos annales offrent de (1) Commission donnée, en 1342, par le comte de Savoie et le comte de Genève. Arch. de Cour, Duché de Genevois, liasse 4, n.° 33. (2) Cette année-là Guillaume, comte de Genève, déclarait encore le tenir en fief de l’évèque de cette ville. V. Spon, pr., n.° 32. (3) Arch. de Cour, Duché de Genevois, liasse 2, n.° 4, PAR LÉON MENABREA 10] fréquentes et d’honorables traces. Je me contenterai de dire que, déjà en 1148, un Willelme de Montfalcon intervenait è une donation du comte Amé III en faveur de la chartreuse d’Arvière, en Bugey (1). La route que je me propose maintenant de suivre me conduit natu- rellement, et tout d’abord, è Chambéry, où vivaieni jadis des seigneurs de très-haut renom: je crois convenable de réunir ici les documents qui les concernent. Chambéry est, comme chacun sait, bàti au pied d'un rocher où existait jadis la station romaine de Lemricum; ce rocher s'appelle encore aujourd’hui Lemens. En l’année 1029, Rodolphe-le-Fainéant et la reine. Hermengarde établirent è Lémens un prieuré de Béneédictins, qu'ils soumirent è la juridiction de l’abbaye d’Ainay, è Lyon: l’acte dressé en memoire de cette ceuvre pieuse porte le seing de Witfred de Chambéry, signum W'itfredi de Camberiaco (2) Telle est la notion la plus ancienne que nous ayons de Chambéry et de ses seigneurs. Une charte de 1057, tirée du cartulaire de S'Hugues , évéque de Grenoble , mentionne Chambéry sous la désignation de bourg, burgum de Camberiaco, et nous apprend qu’alors, de méme que de nos jours, on trouvait è une demi- lieue de là, et au nord-ovest, une seconde localité nommée Chambéry- le-vieux , Camberiacum vetus (3). La signature d’un Gauthier de Chambéry-le-vieux , Gauterius de Camberiaco-veteri miles svapposée è un titre de 1228, ferait presque penser que Chambéry-le-vieux eut aussi ses maîtres particuliers (4). Quoi quil en soit, les sires de Chambéry jouissaient déjà au XI siècle d'une position remarquable: leurs libéralités envers plusieurs monastères témoigneraient seules combien ils étaient riches et puissants. Ils fondèrent, en 1036, à Coyse, proche de l’Isère (5), une maison religieuse qu’ils rendirent dépendante de la célèbre abbaye de la’ Novalaise; l’acte rédigé à ce sujet fournit quelques éclaircissements genealogiques qu'il est utile de relever. On y voit que l’institution de ce couvent est due à la piété de Marie, fille de Manfred et veuve de Hugues de Chambéry: la fondatrice recommande son fîime à Dieu, l’àme d’un (1) Guich, pr., p. 37. (2) Ibid. , p. 5. (3) Doc. sig. e mon. , p. 31. (4) Rochex, Gloire etc. ,, livre III, p. 35 (5) In pago Savogense, in ago Pignonense, in valle que dicitur Corsia 118 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de ses fils, prédécédé, également appelé Hugues, enseveli à la Novalaise; elle déclare agir en vue de son propre salut et du salut de ses autres fils, Witfred (c’est probablement le Witfred précédemment cité), Hubert, qualifié de moine, Mubertus monachus, Berlion, Sigebold et Aymon (1). En 1043, l’abbaye de la Novalaise recut de ce dernier qui, selon ioute apparence, avait embrassé leétat ecelésiastique, car il s’intitule Aymo clericus, de nouvelles marques de munificence. Ce seigneur lui fait donation de terres considérables, et notamment d’une église et d’une chapelle, situées sur la colline de Voglans, au bord du lac du Bourget; il lui cede le droit de pécher dans ce lac et dans la rivière de l’Aisse, qui va s'y jeter; ses frères Berlion et Witfred assistent à l’acte avec la qualification honorifique de domnus; ‘Anselme, évéque de Grenoble, et un Witfred, sire de Viry, domnus Vifredus de Viriaco, y inter- viennent pareillement (2). i Deux observations trouvent place ici; et d’abord, la rédaction de la charte au chateau de Charbonnière, en Maurienne, semble indiquer que le chàteau appartenait primitivement aux sires de Chambéry (3); nonobstant ceite assertion, nos chroniques en attribuent la construction à Bérold, tige prétendue de la maison de Savoie. Messire Berold, disent-elles, regarda le pays moult etroit et les montagnes haultes d'une part et d’aultre. Si pensa comme il trouverait quelque lieu seur pour retraire luy et ses sensata et levant le chief du costé d’Aiguebelle vit près de luy au milieu de cette vallée et ù Ventree de la Morianne ung roch hault ront et apre a monter ..... et se mist à y edifier ung chastel qu'il appela Charbonnière. A supposer que ce récit énoncàt un fait inexact, et que le chateau de Charbonnière fùt originairement la propriété des sires de Chambéry, il serait au moins certain que les comtes de Savoie en firent de bonne heure l’acquisition (Ce manoir figure, en effet, parmi les plus anciennes possessions de ces princes). Je remarque, en outre, que dans ce do- cument, le donateur Aymon, se conformant à un usage alors subsistant, qui autorisait les parties contractantes à énoncer la loi qui les régissait, declare professer la loi romaine, et cela à cause de son origine ou de sa (1) Rochex, livre SII, p. 30. (2) Ibid. p. 32. (3) Actum infra castrum quod carbonneria dicitur. PAR LÉON MENABREA 119 nation, et non point en raison de son état de clere: ego qui professus sum ea natione mea lege vivere romana, il pourrait en résulter que les sires de Chambéry descendissent d’une de ces familles de Gallo-Romains qui, malgré l’invasion des Burgondes, surent conserver intacte leur puis- sance et leur influence (1). Depuis le XII siècle jusqu’au XIIT, une dixaine de chartes éparses nous révelent les noms de quelques-uns des seigneurs dont je parle. Ainsi, en 1153, un Berlion de Chambéry figura au nombre des arbi- tres amiables, compositeurs ou bons hommes, doni homines, qui termi- nèrent les querelles mues entre les sires de la Chambre et les évéques de Maurienne (2). Lorsqu'en rrg6 Thomas, comte de Savoie, fit un traité de paix et d’alliance avec l’abbaye de S'-Rambert, en Bugey, Berlion de Chambéry fut une des cautions fournies par ce prince pour l’observation de la transaction (3). Ce Berlion (je présume quil y a toujours identité) assistait encore, en 1200, à un acte confirmatif des priviléges de l’abbaye de Hautecombe (4). Le méme personnage et Ponce de Chambéry, son frère ou son parent, furent présents à la charte de franchise que les sires de Moirenc, en Dauphiné, accordèrent en 1209 au bourg de Moirenc (5). Un Amedée de Chambéry ayant, en 1211, inquiété et trouble la juridiction du prieuré de Lémens, se vit. obligé de renoncer, en partie, à ses prétentions par l’entremise d’un sire de Sales (6). L'existence d’un Pierre de Chambéry est prouvée par un titre de 1215 (7). En 1228, nous retrouvons un Berlion de Chambéry et ses fils, Guy et Guillaume, reconstruisant des églises dépendantes du monastère de la Novalaise, et faisant rédiger, à cet effet, sous les or- meaux du chateau de Chambéry, un contrat solennel (8). C'est précisément de ce Berlion que le comte Thomas acquit, en 1232, la ville de Chambéry, qu'il déclara immeédiatement libre et franche, et qui ne tarda pas è devenir la capitale de la Savoie. L’acte dressé en mé- moire de cette vente nous apprend que les sires de Chambéry jouissaient (1) Voyez ce que j’ai dit ci-devant à l’occasion de la maison de Savoie. (2) Bellon, pr., n.° 26. (3) Guich., pr., p. 46. (4) Ibid., p. 47. (5) Valbonnais, t. 1, p. 16. (6) Grillet, t. II, p. 311. (7) Il y paraît comme témoin. V. Besson pr. p. 43. (8) Rochex, livre III, p. 35. Actum est hoc apud Camberiacum in castello sub ulmis in platea 120 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de la double qualité de vicomtes et de vidomnes; vicomtes comme exercant une portion des droits qui compéetaient aux comtes de l’ancien pagus Savogiensis; vidomnes comme possédant, en une localité déterminée, des fractions, plus ou moins considérables, de la juridiction des évéques de Grenoble. On y voit que ces seigneurs avaient an-dessous d’eux plusieurs feudataires nobles, tels que les sires de Montgellaz, de Monte gellato, dont la maison-forte s’élevait sur la colline de ce nom, à l’opposite des rochers de Lémens (1). Tout en vendant au comte Thomas le bourg de Chambéry, durgwum de Camberiaco, Berlion se réserva la propriété de l’antique chàteau qui le dominait. Plein des souvenirs de l’indépendance de ses ancétres , il voulut rester maître de garder dans ce manoir qui bon lui semblerait, méme les ennemis du comte, le cas échéant. Enfin il se retint le péage de la ville, qu’un document de 1251 énonce avoir été de quatre deniers forts (2). La vente fut faite pour le prix de trente-deux mille sols de Suse; le vendeur recut en outre du comte Thomas l’investiture du fief de Montfort (3). Berlion de Chambéry reparaît encore en 1234, accom- pagné d’un grand nombre d'autres seigneurs, aux conventions que le comte de Savoie, Amé IV, conclut au chateau de Chillon avec ses frèéres, au sujet de l’hérédité paternelle (4). Il mourut, sans doute, peu de temps après. Ceux de ses fils, qui nous sont connus, furent Guillaume (5) et Guy (6), déjà cités , et Rodolphe qui, en 1252, acquit d’Amédée de Miribel, moyennant la somme de 15 sols et demi de (4) En designant ses feudataires, Berlion emploie les mots milites mei. Je ne dois pas oublier de rappeler que les sires de Monigellaz, dont une branche exisle actuellement en Bavière, figurent souvent dans nos annales; je ne cilerai ici que Pierre de Montgellaz, qui fut l’un des conseillers, ou prud’hommes, qui administrèrent les états de Savoie pendant la minorité du Comte Vert. Voyez le testament du comte Aymon, rédigé en 1343. Guich., pr., p. 175. (2) La charte où il est fait mention de ce péage, est consignée dans les Mor. Rist. patr., Leges munricipales, p. 12. On le designe du nom de Pedagium quondam domini Berlionis de Camberiaco. Il était déjà devenu alors la propriété de la maison de Savoie. (3) Sclopis, Considerazioni storiche intorno a Tommaso I, conte di Savoia. Docum. 1.° dans les Mem. de Vl Acad. de Turin, t. XXXIV, p. 81. (4) Dalta, Storia dei principi d’ Acaia. Doc., lib. I, n.0 3. (5) Au bas de la vente, faite par Berlion au comte Thomas, se trouve la ratification de Guillaume. (6) Dans une charte de 1234, confirmative des priviléges de l’abbaye de Sixt, Aymon, sire de Faucigny, donne à Guy de Chambéry la qualité de neveu: Quod modium dedi pro anima Guidonis de Camb. nepotis mei; ce qui prouve que des alliances existaient entre les deux familles, Ma de dom Leyat. PAR LÉON MÉNABRÉA M2)I Vienne, le chateau et le territoire de Miribel, sur la rive gauche du Guiers, proche des Echelles (1). Ici s’arrétent les notions incomplètes que les siècles ont laissées par- venir jusqu'à nous sur une famille qui dut étre illustre et puissante, et qu'une décadence prématurée enleva à l’histoire des figes féodaux. Le chatean de Chambéry, que Berlion s’était réservé, passa d’abord des mains de ce seignenr à celles d’un sire d’Allamand qui, en 1255, le remit en gage à un frère cadet du comte Amé IV; devenu ensuite la propriété des epoux Francois et Beatrix de la Rochette, il fut vendu par ceux-ci au comte Amé V, qui le fit rebàtir, et lui imprima ce cachet de majesté, ce caractère de sombre magnificence qu'il conserve encore de nos jours (2). A une demi-lieue de Chambéry, l’on rencontrait le fief des sires de la Ravoire qui, dès le milieu du XIII siècle, apparurent avec un cer- tain eclat (3); et plus loin, celui des sires de Challes, dont la lignée ne subsista pas longtemps (4). De là, en cheminant sur la route d’Italie, on apercoit, à gauche, trois ou quatre tours sourcilleuses et des mu- railles en ruine, qui annoncent qu’en cet endroit existait jadis une vaste et importante forteresse. Il ne nous reste qu’un petit nombre de renseignements concernant les sires de Chignin, maîtres de ce chateau; nous savons qu’ils donnè- rent à l’eglise un éminent prélat, savoir S'-Anthelme, éveque de Belley, mort en 1176; nous trouvons encore qu’un Pierre de Chignin fut de ceux qui, en 1296, jurèrent l’observation de la paix, conclue entre le comte Thomas et l’abbaye de S'-Rambert (5). Un Barthélemy de Chignin, attaché (1) Ancien inventaire des Archives du cadastre général de Chambéry. (2) Cette vente est de l’année 1295. On trouve dans les comptes des chàtelains de Chambéry, déposés à Turin aux archives de la Chambre des comptes, le detail des dépenses faites pour la reconslruction de ce chàteau. V. Dell’origine dei titoli e progressi della Casa Reale di Savoia, ms. (Voir les trois premières livraisons de l’ Histoire de Chambéry, déjà publiées par l’auteur. Cet ouvrage vemarquable sera complete, soit è V’aide des manuscrits mémes de Léon Ménabréa, soit par la repro- duction des documents dus à ses infatigables recherches). (3) Un Valter de la Ravoire figure à la suite d’Amé IV, comte de Savoie, dans une charte de 1240. V. Doc., sig.e mor. , p. 142. Un Berlion de la Ravoire est cité, comme témoin, au bas du traité conclu en 1314 par le comte Amé V avec le danphin Jean. Guich., pr., p. 146. Un Perret de la Ravoire accompagne, en 1365, le Comte Vert en Orient. V. Datta, Spedizione in Oriente etc. , p. 258. (4) Un Hngues de Challes fut du nombre des cautions qui, en 1362, intervinrent au mariage de Jacques de Savoie, prince d’Achoîe, avec Marguerite de Beaujeu. V. Guich., p 119. Quinze ans après, le chàteau de Ehalles se trouvait inféodé è un noble homme appelé Aymon Grange. Sommaire général des fiefs, province de Savoie, art. Challes. (5) Guich., pr., p. 46. Senie II. Tom. KXLII pei [@p\ 122 DES ORIGINES FEODALES ETC. à la personne du Comte Vert (1), eut l'honneur d’étre un des exécuteurs testamentaires de ce prince (2). Presque en face du manoir des sires de Chignin, se dressait celui des sires d’Apremont. Un Aymon d’Apremont figurait, en qualité d’aidant et de vassal de la maison de Savoie, au traité de pacification que le comte Amé V fit, en 1304, avec le Dauphin du Viennois (3); peut-étre ce seigneur descendait-il d'un Rolet de la Balme, à qui le comte Philippe inféoda, en 1284, la terre d’Apremont (4). En continuant à avancer dans la direction ci-dessus indiquée, on laisse, à droite, le chiteau des Marches, que les comtes de Savoie firent batir, au XIV siècle, afin de s’opposer aux entreprises des Dauphins; la lisitre que défendait ce fort, jadis redoutable, avait recu le nom de Marches, parce qu'elle était véritablement la marche, ou frontière, du pagus Savogiensis (5). Bientòt ensuite on arrive sous les murs à jamais célèébres du cha- teau de Montmelian (6). i Cette citadelle, à en juger par sa position et par l’étymologie, toute latine, de Mons Emilianus, doit nécessairement remonter à une haute antiquité. Nos vieilles chroniques et la plupart de nos anciens historiens en attribuent, dès le XI siècle, la propriété à la maison de Savoie ; Amé III et Amé V passent pour y étre nés; celui-ci méme y serait mort en 1253 (7). Une charte, qui semble antérieure à l'année 1200, prouve que, déjà alors, les comtes de Savoie y tenaient un chtelain. Ce document mentionne, en effet, un Jacob de Corvenne, chatelain de Montmeélian, Jacobus de Corvenna Montismeliani Castellanus (8). (1) Ce personnage est nommé au bas d’une lettre que le Comte Vert écrivait, en 1368, à un chef d’aventuriers, appelé le Moine de Hecz. V. Datta, Doc., lib. IMI, n.° 77. (2) Guich., pr., p. 220. (3) Ibid., pr., p. 141. (4) Sommaire, province de Savoie. (5) Les chroz. de Savoie racontent, dans leur langage naif, la construction du chàteau des Marches par le comte Amé V. (6) J'ai publié, en 1841, sous le titre de Montmélian et les Alpes, histoire de cette forteresse et des siéges fameux qu'elle à subis, depuis les temps les plus anciens jusqu’au XVIII siècle. On y trouve, entre autres, la Relation inedite de la prise de cette place par le maréchal de Catinat, en 1691 (Cet ouvrage considérable est l’un des plus importants de l’auteur). (7) Pingon, Sab. princ. arbor gentilitia. (8) Guich., pr., p. 51. D PAR LÉON MENABREA 129 Au pied du chateau, à l’ombre de ses tours protectrices, vinrent séchelonner des habitations, qui ne tardèrent pas à s’environner de ram- parts, et à former un bourg considérable. La maison de Savoie exercait en ce lieu une juridiction immédiate. En 1266, les officiers du comte Pierre rédigèrent une déclaration portant que leur maître jouissait, à Montmelian, du droit d’administrer la Justice , et de percevoir les bans (1). Cependant comme des seigneurs du voisinage prétendaient s’y arroger aussi certaines prérogatives, certains emoluments, le comte Philippe s'én attira l’abandon par actes du 5 avril et du 7 mai 1272 (2). Les seigneurs dont je parle s’appelaient Bertramds (Bertramdi, Bertramni); ils fournirent, en 1297, un archevéque à la Tarantaise (3); ils possédaient les chiteaux de la Pérouse (4) et de Cha- mousset (5). A une lieue de Montmelian, passé le village d’Arbins, au bord d’une aréte, qu’on dirait avoir été formée autrefois par les corrosions de l’Isère, s'élève un manoir antique, appelé le Crét, Crestum, résidence primitive de l'illustre famille de Mareschal. Le nom de ces seigneurs leur venait, selon toute probabilité, de la charge de maréchal, qu'un Guiffred, Gwiff'edus marescalcus comitis, remplissait à la fin du XI sièele ou au commencement du XII, auprès des comtes de Savoie (6). C'est au Crét que, le ri juin 1343, le comte Aymon, saisi d’un mal grave et imprévu, fut obligé de s’arréter, et que, couché dans une chambre latérale, donnant sur le prieuré d'Arbins, il dicta ses dernières dispositions (7): ce prince mourut à Montmelian , le 24 du méme mois. Nous avons un titre qui prouve qu’avant 1277, ' (1) Cet acte, qui est du 20 mai, se trouve aux archives de Cour. (2) Dell’origine ete., ms. (8) V. Grillet, art. Montmélian. (4) Construit sur le penchant de la montagne qui domine Monimélian, démoli au XVII siècle. (5) Bàti è l’extrémité du promontoire, formé par le confluent de l’Isère et de l’Are. On ren- contre un Vauthier ou Gauthier de Chamousset, Vauterius de Chamossi, au bas d’une charte de 1248, par laquelle le comte Amé IV permit à Thomas, son frère, de construire le chàteau du Bourget, qui servait de residence d’été à la maison de Savoie. Avant la cession de 1272, les Bertramds s’intitulaient fréquemment de Montemeliano ; un Bertramnus de Montemeliano assistait , en 1237, à la fondation de l’hospice de Villeneuve, à V’extrémité du lac de Genève. V. Guich., pr: ip: 58. (6) Ce personnage est mentionné dans trois chartes publiées par Guich., pr., p. 38, 46, 67. (7) Actum in domo forti domini Petri Marescalci militis apud Crestum in camera a latere deversus prioratum de Arbino. (Guich., pr., p. 176). 124 DES ORIGINES FÉODALES ETC. époque è laquelle l’aliénation s'en fit en faveur du comte Philippe, le pont de Montmelian, et le péage qui y était établi, appartenaient aux descendants de Guiffred (1). Je ne dois pas aller plus loin sans explorer une petite vallée, qui court parallèlement à l’Isère, et touche par son extrémité supérieure au Graisivaudan: c'est la vallée de la Rochette. Iì n'y a aucun doute que le chateau de la Rochette, et le bourg construit au-dessus, ne fussent primordialement la propriété des sei- gneurs de ce nom; mais l’un et l’autre sortirent, d’assez bonne heure, des mains de leurs anciens maîtres pour tomber entre celles de la maison de Savoie. On remarque en effet que le comte Amé IV avait donné, en 1244 environ, à Cécile de Baulx, sa deuxième femme, les revenus des chaàteaux de la Rochette et de Montmelian (2). Ce fut, du reste, au chateau de la Rochette, et dans la chambre méme de la comtesse Cécile, apud Rupeculam in camera dominae comitissae, qu'en 1252 ce prince fit son testament (3). Il ne faudrait cependant pas conclure de ceci, que les sires de la Rochette ne jouissaient que d’une position mediocre; il est certain, au contraire, qu’ils figurèrent constamment parmi les premiers feudataires de la contrée. Un Hugues de la Rochette, ugo de Rocheta, faisait partie des bons hommes qui, ainsi que je l’ai précédemment remarqué, termi- nèrent, en 1153, les contestations des sires de la Chambre avec les évéques de Maurienne (4). Plusieurs chartes de 1242, 1252 et 1253, nous mon- trent un Rostaing de la Rochetie, Rostagrius ou Rostannus de Rupecula, à la suite des comtes Thomas et Ame IV (5). En 1280, Guillaume de la Rochette, chevalier, et Francois son frère, furent acteurs dans un incident de notre histoire qui, s'il a peu de valeur en soi, se rapporte néanmoins à un évenement aussi curieux qu’'important. Tandis que les interminables guerres de rivalité agitaient le Piémont et la Lombardie, Guillaume, marquis de Montferrat, fut pris par son ennemi (1) Cet acte, quì est du 15 juillet, existe aux archives de Cour. (2) Cela résulte d'un titre des archives de Cour, contenant promesse, de la part de Thomas, frère d’Ame IV, d’observer cette donation. (3) Guich., pr., p. 70. (4) V. ci-devant. (5) Doc., sig.e mon., p. 187, et Guich., pr., p. 69, 70 et 90 PAR LÉON MENABRÉA 125 naturel, le comte de Savoie, au moment où sa femme et lui (il avait épousé une infante d’Espagne) se mettaient en route pour la péninsule (1). On les retint, à ce qu'il paraît, pendant quelque temps à Chambéry, après quoi l’on consentit à ce qu’ils reprissent le chemin d'Espagne. Une escorte de sauf-conduit, composée de l’évéque de Belley et des deux sires de la Rochette, eut mission de les accompagner hors du territoire. Lorsque le marquis arriva aux Echelles, et toucha les terres des Hospitaliers de S'-Jean de Jerusalem, qui possédaient en cet endroit une commanderie, il dut déclarer solennellement, et étant encore à cheval, qu'il observerait désormais les traités récemment conclus entre lui et la maison de Savoie: il réitéra cette promesse à Moirenc, en Dauphiné, où il congédia son escorte et put librement continuer son voyage (2) En 1304 on voit un Aynard, un Pierre et un Hugues de la Rochette, étre simultanément dé- signés arbitres de certaines difficultés, auxquelles devait donner lieu l’exé- cution de l’accommodement que le comte Amé V fit avec le Dauphin de Vienne (3): ce Hugues, déjà nommé, et un Rodolphe de Montmayeur intervinrent, en 1306, comme procureurs du méme comte Amé, à une convention, par laquelle ce prince et son cousin Philippe d’Achaîe, s’en- gageaient à conquérir ensemble Asti et Chieri (4). Enfin, un Jean de la Rochette accompagna le Comte Vert en Orient durant les années 1366 et 1367, et guerroya vigoureusement contre les Tures (5). A peu de distance de la Rochette, sur la croupe d’une montagne, d’où l’on domine à la fois la vallée de ce nom et le cours de l’fsère, se dressent deux énormes tours, fantastiques débris de l’antigue manoir des sires de Montmayeur. Aucune famille n’a peut-étre joué un ròle plus vivant, plus inté- ressant, plus dramatique, surtout au XV siècle, que celle de ces seigneurs. Leurs armoiries offraient une aigle, éployée de gueule, armée ei becquée d’azur, sur un champ d’argent, avec la devise menacante wunguidus et rostro. Celui d’entre eux, qui contribua le plus è illustrer sa race, fut Gaspard de Montmayeur, chevalier de l’ordre du collier et maréchal de (1) Voy. la Cronica di Monferrato, insérée dans les Mon. Aquens. de Moriondo, t. II, p. 196 (2) Mon. hist. patr., t. I, p. 1542. (3) Guich., pr., p. 144. (4) Datta, Doc., lib. I, n.° 17. (5) V. Datta, Spedizione in Oriente di Amedeo VI, conte di Savoia. 126 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Savoie, sous le Comte Vert. Il suivit ce prince en Orient et se distingua au siége de Gallipoli (1). Nos chroniques racontent au long ses exploits. Les sires de Montmayeur possédaient plusieurs fiefs considérables, tels que Montmayeur, Villarsalet, S'-Pierre-de-Souci; ils acquirent le chaàteau d'Apremont, et Je crois aussi des terres en Tarantaise. Cette maison, prit fin en la personne de Jacques de Montmayeur qui obtint, comme son aieul, la haute dignité de maréchal de Savoie, et se rendit malheureu- sement trop celèbre pour que je ne lui consacre pas une courte notice. En 1464 vivait à Chambéry Guy de Feésigny, qui y exercait les fonctions suprémes de président du conseil de justice, car le sénat de Savoie n’existait point encore à cette époque; sa création ne remonte qu'à l’an 1559. Ce magistrat se trouvait étre, à raison de certains domaines féodaux, autant qu’on peut le conjecturer, vassal des sires de Montmayeur. On ne sait precisément ce qu'il advint; mais le fait est que ce dernier prétendit que Guy avait blessé son honneur, et crut que sa qualité de suzerain l’autorisait à tirer d’une telle injure une vengeance juridique. Vers les premiers jours de janvier 1465 il se saisit du président, le fit conduire en son chateau d’Apremont, et députa quatre commissaires afin de le juger, Nicod Passin, Etienne Comte, Etienne Calis et Jacques Monon. En vain le duc Amédée IX expédia de Bourg-en-Bresse des lettres pressantes, portant défense au sire de Montmayeur de donner suite aux procédures illégales qu'il se permettait de diriger contre Guy de Fésigny; en vain le procureur fiscal et vice-chatelain de Chambéry se rendirent à Apremont dans le but de signifier ces lettres à l’inexorable seigneur ; celui-ci mit ses satellites sur pied et pourchassa ignominieusement tous les officiers ducaux qui se présentèrent. Cependant les commissaires continuaient le simulacre du procès; au commencement de février ils prononcèrent, en haine de l’infortuné pré- sident une sentence de condamnation à mort, et la firent immédiatement exécuter par un brutal valet. Si l'on devait ajouter foi è la tradition, le sire de Montmayeur aurait poussé l’audace du crime jusqu'à mettre au fond d'un sac la téte de sa victime, et à se transporter avec ce san- glant trophée au sein du conseil de Chambéry, où, découvrant ce chef défiguré et hideux, il le déposa sur la table, devant laquelle siégeaient les juges, en disant: Ze voilà, je vous le rends. (1) V. Datta, Spedizione in Oriente di Amedeo VI, conte di Savoia. PAR LEON MÉNABRÉEA 127 Quoiqu'un acte si féroce, au milieu de ces temps encore barbares, edt excité l’indignation générale, le sire de Montmayeur se retira tran- quillement en sa maison-forte de Villarsalet. Ce ne fut que le 23 juin 1486, et après de longues péripéties judiciaires, que. le conseil résidant près de la personne du duc, rendit un arrét qui condamna le farouche Baron è la confiscation de tous ses biens et à une amende de cinq cents francs d’or (1). Les biens de Jacques de Montmayeur passerent aux mains des sires de Miolans, sauf les terres d’Apremont, de S'-Alban et de Briancon qui restèrent au duc de Savoie, ainsi qu'on le verra plus tard. 1 En descendant la croupe élevée, où sont plantées les tours de Mont- mayeur, et en commengant à explorer la vallée de l’Isère, on rencontre sur la gauche de ce fleuve, à deux heures environ. de Montmélian, les restes d’un très-vieux castel, la tour ruinée de Chateauneuf. Ce manoir appartenait originairement aux rois de Bourgogne, et Rodolphe-le-Fainéant en fit présent, vers l'année 1013, à sa femme, la reine Hermengarde. La charte dressée en memoire de ce don designe le chateau dont il s'agit sous le nom de Castellum novum super Isaram, et dit expres- sément qu'il est situé in pago Savogiense (2). Là s'établirent; on ne saurait trop quand, des seigneurs particuliers: on trouve en 1277 un Siboud de Chateauneuf faisant hommage à Aymon, comte de Genève, de certaines terres provenues d’une Isabelle de Compey; ce fief passa ensuite aux vicomtes de la Chambre (3). En face de Chateauneuf, de l’autre còté de. l’Isère, à mille pieds d’élévation au-dessus de la plaine, et sur le flanc escarpé d’une mon- tagne géante, que surmonte une couronne de rochers nus, se déroulent les importants débris du chateau de Miolans. La famille des sires de Miolans fut incontestablement des plus an- ciennes, des plus illustres et des plus puissantes de nos contrées. Ceux qui ont lu la légende de S'-Bernard de Menthon, se rappelleni sans doute (1) Les pièces de ce singulier procès existent aux archives de Cour, province de Savoie, article Montmayeur. Les brouillards de l’historien Pingon (Zibaldone Pingoniano), que l’on conserve aux mémes archives, contiennent aussi quelques documents relatifs è cette affaire. La chronique la- tine de Savoie, publiée dans les Mon. hist. patr., en fait également mention. Enfin, Cibrario en a donne un rapide apergu dans'ses Opuscoli, sous le titre de Giudizio ‘feudale contro al presidente di Fesigny. (2) Chorier, Etat pol., t. I, p. 264. (3) Sommaire genéral des fiefs, prov. de Savoie, art. Chéteauneuf. 128 DÉS ORIGINES FÉODALES ETC. que la jeune fille, à qui ce grand apòtre des Alpes devait umir son sort, avant de se résoudre à fuir les pompes du monde, était une Marguerite de Miolans. En consultant des sources moins sujettes à controverse, on voit qu’en rogo environ, un Nantelme de Miolans fonda, dans les Bauges, le prieuré de Bellevaux (1). La confirmation de cet acte par le comte Humbert II, prouve que déjà alors les sires de Miolans se reconnaissaient feudataires de la maison de Savoie. Ce qu'on s'est plu à avancer de ces seigneurs, ainsi que de la plu- part des races antiques de notre pays, qui pendant longtemps releyèrent directement, dit-on, des empereurs d’Allemagne (2), est une assertion que rien ne saurait justifier. Un Guiffred, on Golofred, de Miolans figure parmi les familiers du comte Thomas en deux chartes de l’année 1189 (3). En 1209, un Nantelme, ou Anthelme de Miolans, exercait les fonctions de tuteur d’Aymon, sire de Faucigny, et surveillait comme tel les in- téréts de la province soumise à la domination de ce jeune prince (4). Ce Nantelme fut, selon toute apparence, un personnage très-influent; on le recontre, depuis 1200 jusqu'àè 1235, en une infinité d’actes im- portants, d’où l’on peut induire que les comtes de Savoie lui accordaient une confiance illimitée (5). Un second, ou plutòt un troisième Nantelme de Miolans apparaît à son tour, de 1259 à 1263 (6). Il nous reste de celui-ci une prestation d'hommage, faite au comte Pierre, qui indique d’une manière claire en quoi consistaient les droits féodaux des sires de Miolans. Ce seigneur reconnaît tenir en fief: 1.° le chateau et la terre de Miolans avec la haute, moyenne et basse justice; 2.° l’omnimode juri- diction sur le mandement de Graisy; 3.° la venerie du val de Miolans, c'est-à-dire la faculté d’exiger que chacun des hommes de ce val l’accom- pagne trois fois l'an, lui ou ses gens, à la chasse des bétes fauves; et il est dit à ce suyet, que si quelque bonne pièce de venaison vient à (1) Guich., pr., p. 25. L’étude que j'ai faite sur cette illustre race embrasse un cadre très- ctendu; en consequence j'ai juge convenable de transporter ma narration à la fin de ce volume. (2) C'est ce que nous assure Grillet en plusieurs endroits de son dictionnaire. (3) Mon. hist. patr., t. I, p. 951. — Guich., pr., p. 45. (4) Une charle de la chartreuse du Repausoir, portant la date ci-dessus indiguée , commence par ces mols: Ego Aymo de Fulciniaco consilio tutoris mei Nantelmi de Miolans ete. V. ms. de dom Leyat. (5) V. Mon. hist. patr., t. I, p. 1259 el 1264. Doc., sig.e mon. , p. 120 et 126; Guich., pr., p. 45, 51, 52, 63; Datta, Doc., lib. I, n.° 3. (6) Guich., pr., p. 125; Doc., sig.e mon., p. 188; Besson, p. 297; Sommoire general, province de Savoie, art. Miolans. PAR LÉON MÉNABREA 129 échapper par la faute du manant, ce dernier sera livré à la miséricorde du sire, qui pourra le punir selon son caprice; 4.° le bac du village de Peaulx sur l'Isère, et le pontenage ou péage qui en dépend; 5.° la mes- tralie du val de Miolans; 6.° le banvin dudit val; 7.° les leydes de S'-Pierre d’Albigny et de Fréterive aux foires de la S'-Christophe; 8.° l’alpéage des montagnes de Montlambert, de Rothanes, de Bieilles et de S'-Germain en Bauges; 9.° le toisage et le treizain des maisons de S'-Pierre d’Albigoy; 10.° les corvées du val de Miolans; 11.° enfin, le droit honorifique et ancien de prélever un morceau de venaison, unum frustrum, sur la chasse du comte de Savoie, quand le sire de Miolans aura l’occasion de chasser avec lui. A raison de ces divers fiefs, le feudataire devait au suzerain un bonnet ou chapeau è titre de plaid, unum pileum de placito, ce qui signifie que ce témoignage d’allégeance, ou de fidélité, se renouvelait à chaque mutation intervenue dans la personne du vassal ou dans celle du seigneur dominant (1). La famille de Miolans s’éteignit en 1523. Elle a produit plusieurs hommes remarquables et donné deux évéques (Aymon I et Aymon II) à l’église de Maurienne; elle portait pour armoiries bande d’or et de gueules de six pièces, et la devise force m'’est; ces armes se voient encore aujourd’hui , écartelées de celles de Montmayeur, en quelques endroits du chàteau de Miolans, ce qui prouve qu'il y eut alliance entre ces deux races (2), sur lesquelles je donnerai de plus ampies details la fin de ce livre. Jai cité les Bauges, cette vallée singulière, formée par un groupe de montagnes abruptes, dont l’une qui sert à encaisser l'Isère du còté du nord, appartenait, en partie, aux comtes de Savoie, qui y possédaient le chitean de Chatellard, et en partie aux comtes de Genève, qui y avaient le chateau de la Charnée. Les Bauges ont été, au moyen age, le thedive d’un grand nombre de combats: force coups d’épée s'y sont donnés. Si depuis Miolans Von continue à remonter le cours de l’Isère, on laisse, à gauche, Graisy et Tournon, qui furent le berceau de deux familles recommandables (3). On (1) Sommaire general, lieu cite. (2) Une charte du cartulaire de St-Hugues, rédigge à la fin du XI siècle, mentionne déjà un Jean de Graisy, Johannes de Graisen. V. Doc., sig. e mon., p- 36. On rencontre un Bornon de Graisy dans un document de 1190. V. Guich., pr., p. 30. Nous trouvons un Amédée de Fournon, Serre II. Tom. XXIII. In i 130 DES ORIGINES FÉODALES ETC. rencontre ensuite Chevron, Cabredunum, d’où a tiré son nom une race illustre et puissante. En 1132, les frèves Pierre, Guillaume et Aynard de Chevron se réunirent pour founder un monastère de Béneédictins au haut du col de Tamié (Stamedium), qui conduit de la vallée de l’Isère en celle de Faverges (1). Nos historiens prétendent que le pape Nicolas II, l’un des premiers antagonistes' du concubinat des prétres et de la simonie, élu en 1058, était de la maison de Chevron. C'est une assertion qui, sous le rapport traditionnel, peut avoir quelque poids, mais qui manque entièrement de preuves directes. Vers la fin du XII siècle, la lignée masculine des sires de Chevron ayant defailli, les immenses domaines de ces seigneurs pas- sèrent aux sires de Villette, en Tarantaise, par le mariage de Guillaume et Humbert, fils de Thibaud de Villeite , avec Guillermine et Julienne de Chevron (2). A l’endroit où l’Isère va méler ses eaux noires et tumultueuses aux flots de l’Arly, qui descend du val de Megéve, s’élève un rocher , au sommet duquel se dressaient jadis la ville et le clàtean de Conflans. Les seigneurs de ce nom n’avaient pas ici des droits exclusifs; leur juri- diction se trouvait noyée et perdue au milieu des prétentions envahis- santes des comtes de Savoie et des archevéques de Tarantaise (3). Malgré cela, les sires de Conflans conservèrent toujours une position pleine de dignité. Une charte de 1189 nous montre un Ponce et un Guifred de Conflans au nombre des barons qui marchaient alors à la suite du comte Thomas (4). Ces mémes personnages figurent encore en plusieurs autres actes de 1190, I1QI, 1195, 1196 (5). En 1292, un Amedée de Conflans, chevalier et vicaire du Piémont, concluait, en qualité de commissaire du comte de Amedeus de Tornone, en un acle de 1153. Guich., pr., p. 33. Deux charles de 1248 et 1252, si- gnalent l’existence d’un Pierre de Tournon. V. Guich., pr., p. 91 et Doc., sigilli e mon. , p. 187. Le chàteau et le mandement de Tournon devinrent la propriété de la maison de Savoie. (1) Besson, pr., n.° 15. (2) V. Grillet, Chevron et Villette. (3) Une bulle de 1187, rapportée par Besson, pr., n.° 38, nous apprend qu’alors l’archevèque de Tarantaise avait droit è une portion du chàleau de Conflans. Les comles de Savoie finirent par devenir seuls propriétaires du chàteau et de la ville, à cause de l’importance militaire de cette localité. (4) Interfuerunt testes barones subscripti. ... Pontius ct Guiffredus de Conflans (Guich., pr. , p. 45). (5) Mon. hist. patr., t. I, p. 951, 979, 981. Guich., pr., p. 45 et 46. PAR LÉON MÉENABRÉA Meri Savoie, une tréve avec les députés du marquis de Montferrat (1). Enfin, un Jean de Conflans occupait le poste éminent de chancelier de Savoie au commencement du XIV siècle (2). A. Conflans viennent aboutir trois vallées étroites, dans chacune des- quelles il est nécessaire que nous penétrions, savoir le val de Faverges, le val de Beaufort et la Tarantaise. Mais Je crois qu'il est à propos avant tout que je fasse parcourir au lecteur une quatrième vallée qui s'ouvre à deux lieues environ plus bas; Je veux parler de la vallée de l’Arc, c'est-à-dire de la Maurienne. Dès le XI siècle, trois juridictions principales s°y trouvèrent établies: celle de la maison de Savoie, celle des sires de la Chambre et celle de l’église episcopale de S'-Jean. La petite ville d’Aiguebelle, à l’entrée de la Maurienne, a toujours été considérée comme le noyau des possessions que les illustres successeurs d’Humbert-aux-Blanches-Mains acquirent, par la valeur et le génie, en decà des Alpes. C'est à Aiguebelle, ainsi que je l’ai remarqué ailleurs, qu’ils firent un premier essai de souveraineté, en frappant une monnaie qui obtint bientòt un cours assez étendu, sous le nom de monnaie d'Aiguebelle (3). Pendant long-temps ces princes ne prirent d’autre titre que celui de comtes de Maurienne et marquis en Italie, comites Mauriannenses et marchiones in Italia. Le comte Thomas, qui 7 succéda à Humbert IN en 1188, et qui mourut en 1233, s'étant intitulé comte de Savoie, comes Sabaudiae, ses descendants continuèrent à faire usage de cette qualification. Au sortir d’Aiguebelle et sur la croupe d’un rocher, qui semble pose là pour intercepter le passage , se dressait jadis le chàteau de Charbonnière, que nos chroniqueurs supposent, ainsi que je l’ai dit, avoir été construit par Bérold. Non-seulement l’origine ici consignée n’offre absolument rien d’historique, mais il y a lieu de douter si le chàteau de Charbonnière fut dès le principe la propriété des comtes de Maurienne. Nous avons > vu en effet que c’est dans ce manoir qu’en l'année 1043 un sire de Chambéry fit donation de plusieurs biens à l’abbaye de la Novalaise. (1) don. hist. patr., t. I, p. 1632. (2) Il intervint, comme tel, à l’ordonnance qu’Amedée VIII rendit pour fixer les conditions du duel d’Oihon de Grandson avec Gérard d’Esfavayé. Guich., pr., p. 247. Un Thomas, un Pierre, un Humbert de Conflans soni en outre mentionnés dans des chartes publiées par Besson , pr., n.05 51, 60 et 67. (3) V. ci-devant. 132 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Deux charles, rédigées au commencement du XII siècle, nous révèlent l’existence de deux seigneurs, dits de Charbonnières, de Carbonneriis, ou de Charbonneritis, qui peut-étre iraient leur nom du chàtean dont il s’agit. Il y a plus: on trouve que jusque vers le milieu du siècle suivant, lorsque les comtes de Savoie étaient appelés à faire quelques contrats à Aiguebelle, ils les passaient au domicile des particuliers et nullement au chiteau de Charbonnière, ce qui me semble ne pouvoir s’expliquer qu’en admettant que ledit chàteau n’appartenait point encore à ces princes (1). Après les terres de la maison de Savoie. en Maurienne, on ren- contrait les domaines compactes des antiques seigneurs de la Chambre. L'origine de la famille de la Chambre va se perdre au sein des té- nèbres du XI siècle: la plus ancienne nolion qui nous en soit parvenue, ‘résulte d'une charte rédigée sous le pontificat de l’évéque Théobald, c'est-à-dire de 1038 à 1055, où l’on voit deux frères de la Chambre, Guillaume et Anselme, faire une donation de terres au chapitre de Maurienne. On trouve le seing d’un Aymon de la Chambre au bas d’un acte passé, en 1097, par le comte Humbert H en faveur du prieuré du Bourget (2). Depuis lors, le nom de ces puissants feudataires se rencontre presque à chaque page dans la série des monuments paléographiques de notre histoire (3). Les sires de la Chambre eurent, ainsi que je le dirai en son lieu, de longs et vifs démélés avec l’église de Maurienne, au sujet de certains droits temporels: une sentence arbitrale de 1252 leur adjugea les cinqg bans appelés royaux, quingue banna regalia, sur les habitants de Tygne, de S'-Remy, de Cuine et du Villards; ces bans emportaient la reépression des crimes de trahison, d’effusion de sang faite à l’aide d’une arme tranchante, de vol, de parjure et d’adultère (4). (4) adctum est hoc Aquebelle in domo Clorelli; charte du comte Thomas, année 1200. Guich. , pr. , p. 47. — Facta est hec ultima confirmatio apud Aquambellam in domo Clorelli ; charte du méme prince, mèéme époque environ. Guich., pr., p. 49. Acctum hoc Aquebelle in solio Willelmi de Saisel; charte du mème prince, année 1210..... Actum est hoc apud Aquambellam; charte du mème prince, année 1225; Guich., pr., p. 54. Actum est hoc apud Aquambellam in domo quondam Hugonis de Bull....; charte du comte Amé IV, année 1202; Doc. , sig.e mon., p. 187. 2) Guich., pr., p. 27. (3) Je vais indiquer ici quelques-unes des sources où le lecteur pourra puiser, si bon Iui semble, des renseignements propres à éclaircir plus particulièrement ce quì regarde ces seigneurs ; {:uich., pr., p. 30, 33, 45, 46, 49, 50, 64, {13; Besson., pr., n.° 26; Doc., sigilli e mon., p. 183; Mon. hist. patr., p. 951, 952, 1187. + Doc., sigilli e mon., p. 183. PAR LEON MENABREA 133 Outre de vastes domaines, soit féodaux, soit allodiaux, les seigneurs dont je parle possédaient le vicomté de Maurienne, à raison duquel ils relevaient des comtes de Savoie. La qualité de vicomte ne donnait aux sires de la Chambre que de simples parcelles de juridiction, et ne consistait point, comme on pour- vait le croire, en une devolution quelconque de territoire. C'est en ces sortes de fiefs que le régime féodal se plaisait à déployer tout ce qu'il avait de singu- lier et de bizarre. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d’ceil sur la transaction passée, en 1309, entre le comte Amé V et Richard de la Chambre, à l’occasion des droits que l’exercice du vicomié de Maurienne donnait à ce dernier. Il y fut convenu de plusieurs articles, dont voici les plus importants. 1° Que lorsque des malfaiteurs seraient arrétés, en Maurienne, par les officiers du comte de Savoie, ceux-ci devraient les amener immé- diatement dans les prisons du vicomte, sans se permettre de les dé- pouiller de leurs hardes et de leurs vétements. 2° Que, s’'agissant d’élargir un prisonnier sous caution , Vexamen de la solvabilité du fidéjusseur appartiendrait au juge comital, et les autres formalités aux familiers du vicomte. 3° Que le vicomte aurait la faculté de faire arréter directement tout individa inculpé d'un delit quelconque emportant une peine corporelle, et méme toute personne prévenue d’un acte méritant une simple peine pecuniaire, pourvu que le délinquant soit étranger ou fugitif. 4° Que les inquisitions, ou informations, nécessaires pour acquerir la preuve des infractions, se feraient par le chatelain du comte de Savoie. 5° Qu'il écherrait néanmoins aux officiers du vicomte d’appliquer la torture aux coupables. 6° Que le juge comital pourrait seul condamner ou absoudre. 7° Que l’administration des peines corporelles, dans les lieux è ce destinés, regarderait exclusivement les familiers du vicomte. $° Que cependant le comte de Savoie conserverait le droit d’infliger les supplices exemplaires à ceux qui commettraient des crimes sur les routes publiques, et l'on a. soin d’expliquer que l’on considère comme privees les routes transversales de la vallée, ainsi que les chemins couverts qui existent parfois à còlé, ou en travers des voies principales. 9° Enfin que le vicomte percevrait le tiers des amendes, danna con- dempnata , et le tiers des compositions judiciaires, danna concordata, ei quil aurait la faculté de lever des gages sur les débiteurs, afin d’étre payé de cette quote part des bans. x 134 DES ORIGINES FÉODALES ETC, Les sires de ia Chambre possédaient. en Maurienne deux chateaux, situés lun à Notre-Dame du Cruet, et l’autre à S'-Etienne de Cuines, à droite et à gauche de l’Arc; le premier était surtout remarquable par son étendue et sa position. Ils avaient encore dans la vallée de la Rochette un troisiéeme chateau, appelé de l’Aiguille, ou de l’Heuille, parce qu'il occupait en effet le haut d'un rocher taillé à pic. Gràce à un courage invincible, à une adresse merveilleuse , ces seigneurs parvinrent à un degré de puissance telle, qu'an XV siècle ils ne craignirent pas de se mettre en opposition ouverte avec la maison de Savoie. Nous trouvons en effet qu'en 1481 Louis de la Chambre, fatigué, indigné de l’état d'assujettissement où la France tenait notre malheureux pays, rassembla un nombre considerable d’hommes de guerre, tant cavaliers quepiétons, et se rendit à Yenne, où il s'empara de Philibert de Grolée, sire de Lins (ou L’Huis), gouverneur du jeune duc de Savoie, l’agent fidèle de l’astucieux Louis XI, et l’emmena prisonnier en son chateau de Lully (1). Cet acte de violence fut le signal d’une longue collision, dont les peripeties forment le sujet d'une relation contemporaine et inédite (2), excessivement curieuse, intitulée: S'ensuyvent les delicts et auvres de faict perpetres et commys par messire Loyis de la Chambre, par les- queulx justement sunt confisquez ses biens et adjugez a nostre tres re- doubte seigneur et prince monseig.” le duc de Sapoie (3). La sentence de confiscation, ici rappelée, est du 31 aoùt 1491; on trouve, sous la date du 5 novembre de la méme année, des lettres de la duchesse Blanche, où cette princesse ordonne la démolition de la maison-forte de Chateauneuf, qui était la propriété de Loys de la Chambre, powr les rebellions et felonies par luy commises (4). 1) Voyez la chronique latine de Savoie, Mor. hist. patr. script., t. I, p. 661. (2) Cette relation a été publiée dans les Mém. de 2’ Acad. de Savoie (volume des documents) sous le titre de Yolande de France par Léon Ménabréa. (Ce recueil, le premier qui ait été mis au jour après la mort de l’auteur, contient des recherches précieuses jusque-là inédiles, qui offrent une foule de details intéressanis sur l’époque du moyen àge). (3) Archives de Cour, province de Maurienne, liasse n.° 1. On trouve dans ce mèéme numéro une relation semblable , écrite en lalin et inlitulée Zrfra proxime sequurtur continentie delictorum cri- minum operum facti invasionum homicidiorum et aliorum criminum nephandorum perpetratorum per Ludovicum olim comitem camere ele. etc. Les archives de Chambéry contienpent aussi quelques titres relatifs à cet objet; on y voit qu’en 1494 les habitants de cette ville ‘allerent assiéger le sire de la Chambre dans le chàteau d’Apremont. (4) Arch. de Cour, Maurienne, liasse 3, n.° 2 et 4. PAR LÉON MENABRÉEA 135 Je ne répéterai pas ce que jai ‘dit précédemment de la puissance temporelle des évéques de Maurienne (1). Outre les juridictions princières dont j'ai parlé, s'échelonnaient en Maurienne diverses familles plus ou moins illustres, que je crois utile de faire connaître: et d’abord à l’entrée de la vallée, et avant méme d’arriver à Aiguebelle , sur la croupe du delta, formé par la jonction de l’Isère et de l’Arc, on remarque le village d’Ayton, qu'une charte de 1197 me fait présumer avoir eu primitivement ses seigneurs particuliers. Ce document nous montre en effet un Amedeus de Eytone, assistant à une donation du comte Thomas en faveur de l’hos- pice du mont Cenis (2). Le méme personnage avait figuré, l'année pré- cédente, parmi les pleiges, ou cautions, qui jurèrent l’observation d’un traité conclu entre ce prince et l’abbaye de S'-Rambert, en Bugey (3). Au delà d'Aiguebelle, et à la gauche de Arc, au sommet d’un rocher d’où la vue embrasse une portion du cours de la rivière , s’élèvent ‘les vuines du chiteau d’Hurtières, de Urzeriis, qui appartenait jadis à une famille aussi ancienne que puissante. Une série d’'hommes éminents con- tribuèrent, surtout au XIV siècle, à faire parvenir cette noble race au plus haut degré de splendeur. Un Jean d’Hurtières exergait la charge importante de bailli du Bugey en 1311 et 1312 (4): un Pierre d’Hurtières fut du nombre des conseillers qui administrèrent les états de Savoie, pendant la minorité du Comte Vert (5). Lorsque ce guerrier aventureux entreprit, en 1366, sa fameuse expédition en Orient, une foule de che- valiers le suivirent; l’on y voyait, entre autres, un Ameédée, un Jean et un Aymar d’Hurtières (6): nous savons que le premier était l’un des quatre capitaines que le comie investit du commandement de la grosse bataille , c’est-à-dire du centre de larmée (7): il serait très-facile de multiplier ces sortes de citations. En continuant à avancer contre-mont, on apercoit, proche de la Chambre, les villages qui turent le berceau de la famille de Cuines, (4) V. ci-devant. i (2) Guich., pr., p. 46. (3) Ibid. (4) Delle finanze ecc., disc. 1.° Mém. de l’Acad. de Turin, t. XXXVI, p. 75, în nobis. (5) Guich., pr., p. 175. (6) Datta, Spedizione ecc., p. 258. (7) V. le document intitulé C’est l’ordonnance de Monscigreur, imprimé par Cibrario è la fin du premier volume de son Economia politica, 2.° édition, tome J, p. 410. 136 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. famille non moins distinguée que la précédente. Un Aymon de Cuines, Aymo de Cuina, nous est déjà connu par un acte de 1153 (1): un Ponce de Cuines existait en 1195 (2). Un Boson et un Girard de Cuines se montrent en 1252 etc. etc. (3). Un peu avant d’arriver à S'-Jean, on rencontrait le manoir des nobles de Balme, situé à Montvernier; puis celui des nobles de Tigny, situé au- dessus de Pontamafrey (4). Au sud de la ville épiscopale, dans la gorge latérale où roule le torrent d’Arvan, on rencontrait les terres des seigneurs d’Albiez, de Vallin, des Costes, des Colonnes (5). A S'-Jean méme vivaient les nobles du Pont qui, en 1215, s'avouèrent sur l’autel et en face des reliques du précurseur de J.-C., hommes liges du venerable chapitre de Maurienne, en déclarant que leur aieul, venu d’un pays étranger, s’était enrichi des bienfaits de ce chapitre. Enfin è S'-Michel, qui occupe, comme on sait, le point où commence la haute vallée, florissaient, au XII siècle, les sives de S'-Michel. Un seigneur de ce nom, Emmo de $.!° Michaele miles, est inscrit è la suite des comtes de Savoie en un document de 1296 (6). (1) Besson, pr., n.° 26. (2) Guich , pr., p. 45. (3) Doc., sigilli e mon., p. 188. (4) Observations sur quelques anciens titres, p. 1Li et 112. (5) Ibidem. (6) Guich., pr., p. 46. PAR LEON MÉNABREA DO CHAPITRE VIII. Bourg d'Ugine. - Seigneurs de Faverges. - Giez. - Beaufort. - Tarantaise. - Sires du Verger, de Tours et autres. - Briancon. - Seigneurs redoutables. - Humbert II par- vient è les chatier. - Vicomté de Tarantaise. - Guigues II et deux de ses fils meurent en terre sainte.:- Guet-a-pens. - Collisions. - Hommages. - Vastes domaines de ces seigneurs. - Ville de Mouliers. - Bourg de Salins. - Juridiction des comtes de Savoie. - Fief de la Saulce. - Bozel. - St-Jucques-l'Assyrien. - Légende. - Archevéques de Taran- laise. -— Détroit du Ciel. - Centron. - Sires de Villette. - Thibaud. - Humbert, vidomne. - Aime, l’Axima des romains. - Scez. - Tombeau d'un sire de Val-d'Isére. - Cilé d'Aoste. - Ses antiquités. - Légendaires. - Enceinte de celte ville. - Eveques d'Aoste. - Leur puissance. — Forteresse mixte. - Droîts de l'évéque. - Vicomié. - Portes. - Sections. - Sîires de la Tourneuve. - Du Pertuis. - Comtes de Challant. - Sires de Quart, de Vallaise. - Chateau de Bard.- Chateau de Montjovet - Hugues; son caractère indomptable, sa ruine. - Famille de Pont-St-Martin et autres. - Tour de Verres. - Scigneuries diverses. - Chateau d'Aimaville. - Fiefs situés le long de la Doire. - Catégories. - Priviléges. - Supériorité de la maison de Savoie dans la vallée d'Aoste. Il est temps que je ramène le lecteur à Conflans, d’où je pourrai le conduire successivement dans le val de Faverges, dans celui de Beaufort et dans la Tarantaise; franchissant ensuite la Colonne-Joux (petit S'-Bernard), Jexplorerai le val d'Aoste, contrée aussi intéressante que peu connue, qui, bien que située au delà des monts, faisait partie du royaume de Bourgogne. De là, rebroussant chemin, je repasserai les Alpes et terminerai la chorogvaphie historique que j'ai entreprise, en jetant un coup d’oeil sur le Dauphiné et sur la poriion de la Provence, qui setend le long de la rive gauche du Rhòne, et va se ierminer à la mer. Pour pénétrer dans la riante et fertile vallée de Faverges, il faut d’abord remonter la rivière de l’Arly jusqu'è Ugine. A l’extrémité de ce bourg, construit au sommet d’un mamelon presque détaché des montagnes voisines, s'élevait jadis un chiteau (le chateau d’Ugine), où les comtes de Savoie entretenaient un chàtelain; ce manoir, à cause de sa position, aux confins du Genevois et du Faucigny, eut, si l’on en croit les chro- niques et la tradition, de rudes siéges à soutenir. D'Ugine è Faverges le trajet est court; on rencontre, entre deux, le village de Marlens qui, suivant une charte de l'an 1025 environ, se trouvait en dedans des li- imites du pagus ou pagellus Albanensis, subdivision du grand pagus Genevensis. Serie II. Tom. XXIII. 1$ 138 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Faverges, Fabricae, appartenait à des seigneurs qui paraissent avoir été fort puissants. Les premiers droits acquis par la maison de Savoie ‘sur ce fief datent d’une vente que Hugonet de Faverges, damoiseau, fils de Guillaume de Faverges, chevalier, fitle 20 décembre 1293 au comte Ame V. Le chateau de Faverges passa à ce prince en vertu d’un acte du 26 novembre 1316(r). A une demi-lienue de Faverges existe un autre chitean où résidait la noble famille des sires de Giez; cette race s’éteignit en la personne de Béatrix de Giez, qui, en 1225, épousa Humbert de Villette (2). Autant le val que nous venons de traverser est gracieux, autant celui de Beaufort est abrupte et d'un difficile accès. Là, au milieu des acci- dents sévères de la nature alpestre, vivaient, comme dans l’aire d’un oiseau de proie, les sires de Beaufort: ces seigneurs étaient toul à fait illustres. Guillaume-Willelme, lun d’eux, eut avec les archevéques de Tarantaise d’assez graves démélés, qui furent terminés en 1225 à l’ar- bitrage de l'’évéeque de Maurienne et de l’abbé de Tamié (3). Ce per- sonnage, déjà cité en une charte de 1207 (4), figura en 1219 parmi les cautions que le comte Thomas donna au comte Raymond Bérenger de Provence, pour le paiement de la dot de Beatrix de Savoie, femme de ce prince (5). On le remarque encore, en 1234, au nombre. des otages que le comte Amé IV devait, le cas échéant, livrer à Aymon, son frère, en garantie des conventions qu’ils venaient de conclure, rela- tivement au partage de la succession paternelle (6). Presque au bout du val de Beaufort, s’ouvre la petite vallée de Hauteluce, contiguè aux glaces des Alpes, où les comtes de Genève, par un effet des bizarres fractionnements qu’engendrait le régime féodal, avaient etabli leur domination. Toutefois, à raison de cette vallée, ils se recon- naissaient les feudataires des archevéques de Tarantaise, ainsi que nous l’apprend un document de 1220, où est consigné l’hommage lige que le comte Guillaume fit alors à l’archevéque Bernard. Les énonciations de cet acte ne permettent guère de douter que les comtes de Genève (1) Vernazza, Considerazioni supra la salvaguardia di Talloires, dans les Mém. de V’ Acad. de Turin, t. XXXIV. (2) Grillet, t. ITI, p. 432. (3) Besson, pr., n.° 46. (4) Guich., pr., p. 49. (5) Doc., sigilli e mon., p. 122. (6) Datta, Doc., lib. I, n.° 3. PAR LÉON MENABREA 139 n’eussent use de violence pour se rendre maîtres de la vallée dont il S'agit (1). Revenant aux sires de Beaufort, je ne dois pas laisser ignorer que, le 18 mars 1271, ces seigneurs vendirent à Beatrix de Savoie , dauphine de Viennois et dame de Faucigny, la moitié du mandement de Beaufort, moyennant la somme de 13,025 livres viennoises. Cette prin- cesse el Hugues Dauphin, son heéritier en la baronnie de Faucigny, finirent bientòt par se faire céder tout ce qui restait de cet antique fief (2). Hugues Dauphin, devenu en outre propriétaire de la vallée de Hauteluce, eut avec les archevéques de Tarantaise des contestations , auxquelles mit fin une transaction passée en 1318 (3). Maintenant il convient que nous pénétrions en Tarantaise. Ainsi que je Vai fait observer précédemment, la Tarantaise formait, à elle seule, un des pagi, cu comtés du royaume de Bourgogne. J'ai dit ailleurs comment, en 996, è l'époque où la puissance tem- porelle du clergé semblait devoir étouffer les juridictions laiques, l’arche- véque de Tarantaise se fit donner ce comté par Rodolphe-le-Fainéant (4); cela n’empécha point que, sous la suzeraineté de ces preélats , suzeraineté toujours inquietée et souvent foulée aux pieds, plusieurs familles ne prissent des développements considérables. Dès qu'on avait franchi les premières gorges de la vallée, on aper- cevait, à droite, les domaines des sires du Verger, et à gauche, ceux des sires de Tours et de Cevin. Un Pierre du Verger, chevalier, Petrus de Viridario miles, se retrouve en deux chartes de 1284 et de 1296 (5). Un Anselme de Tours, aussi chevalier, vivait en 1213 (6); un Gauthier de Cevin figura parmi les otages * pleiges, ou cautions, que Guillaume de Beaufort dut fournir pour garantie du traité qu'il conclut, en 1235, avec l’archevéque Hertuin (7). Il ne faut pas oublier qu’avant d’arriver à Cevin, où la tradition suppose qu’existait jadis une horde de Sarrasins, on rencontrait le (1) Cum Tareniasiensis ecclesia proponeret totam vallem Lucie donatam fuisse in sui fundatione beato Jacobo primo Tarentasiensi archiepiscopo. .... Nos WWillelmus comes si in aliquo culpabiles fuimus in detentione predicte vallis..... (Besson, pr., n.° 45). (2) Sommaire général des fiefs, Savoie, art. Beaufort. (8) Besson, pr., n.° 779. (4) V. ci-devant. (5) Besson, pr., n.0 67 et 71. (6) Ibid., p. 203. (7) Ibid., pr., n.° 46. si 140 DES ORIGINES FÉODALES ETC. chiteau de la Batie, ou de S'Didier, castrum S.li Desiderii , qui appartenait à l’église de Tarantaise (1). À En continuant è remonter le cours torrentueux de l’Isère, au milieu des foréts qui tapissent, de còté ‘et d’autre, le penchant des montagnes, on ne tarde pas à étre arrété par l’aspect d’un rocher pyramidal, qui a l’air de lancer au ciel sa cime bizarrement decoupée, et dont la base va se cacher sous les flots écumeux de la rivière. Au sommet de ce pic se dressait le chateau des sires de Briancon; on y montait par 300 marches taillées dans le roc (2). Jamais feudataires ne furent plus redoutables. Maîtres d'un passage nécessairement fréquenté, forts d'une position inexpugnable, ils profitaient de ces avantages pour ranconner les voyageurs, piller le pays et étendre, au loin, la rapine et le meurtre. Les chroniques de Savoie consacrent un chapitre entier à raconter de quelle manière le comte Humbert IT réussit d les chatier (3). A Vexemple des sires de la Chambre, qui pos- sédaient le vicomté de Maurienne, les sires de Briancon exercaient, en Tarantaise, la juridiction de vicomtes, sous la mouvance des archevéques. Les plus anciens que nous connaissions sont un vicomte Gonthier et son frèére Aimeric, qui vivaient à la fin du XI siècle (4). Un Aimeric, pro- bablement différent de celui que je viens de nommer, intervint, en 1129, à une donation faite par le comte Amé HI à la maison hospitalière du mont Joux (Grand.S'-Bernard); il s’intitale vicomte de Tarantaise, Aimericus vicecomes Tarentasiensis (5). A ce seigneur succeda , selon toute apparence, Aymon de Briancon, 4ymo de Brianzone, mentionné pour la première fois an bas d'une charte de 1137 (6). Cet Aymon figure, en qualité de vicomte, à un acte de 1140, Aymo vicecomes (7). 1) V. Roche, Notice hist. sur la Tarantaise, p. 64. Le chàteau de St-Didier est mentionné dans le testament de l’archevèque Rodolphe, sous la date du 6 des ides d’avril 1270. V. Besson, pr., n.° 63. 2) Roche, Motice ete., p. 62. (3) V. ci-après. 4) Sigillum Gontherii vicecomitis et fratris Hemerici, Besson, pr., n.° 11, charte de 1096. Chorier, dans le Supplément à l’état politique du Dauphiné, p. 125, s'est évidemment trompé en prétendant qu@’un Arnold de Briangon, mentionné dans le cartulaire de l’église d’Oulx, était la tige de la famille dont il est ici question. Il a mal à propos confondu Briangon en Dauphiné avec Briangon en Tarantaise. 5 Guich., pr., p. 3I. (6) Doc., sigilli e mon., p. 47. (7) Besson, pr., n.° 19. PAR LÉON MÉNABREA i4i Une lacune de plusieurs années nous amène è un Guigues de Briancon qui, en 1190, partit pour la terre sainte avec deux de ses fils, Oddon et Gonthier; aucun d’eux ne revint (1). Aymeric, troisième fils de ce Guigues, fier, indomptable comme ses ancétres, ayant inquieté les sires de Villette, fut menacé de l’excommunication par les archevéques de Tarantaise (2). Bientòt ces prélats eux-mémes eurent vivement à se plaindre de ces inflexibles seigneurs. En 1267, l’archevéque Rodolphe accusait Aymon, sire de Briancon et d’Aigueblanche, de lui avoir tendu un guet-à-pens sur la route publique, d’avoir dévalisé ses gens, violé le secret de ses lettres, arraché les fourches patibulaires plantées aux portes de Moutiers, en signe de uridiction etc. etc. (3). Ces collisions tiraient leur origine des prétentions de l’église de Tarantaise sur le chiteau de Briancon, prétentions que les archevéques abandonnèrent, en 1268, moyennant la somme de 1700 livres vien- noises (4). En dépit de la foi des traités, d’affligeantes querelles sur- girent derechef en 1287. Aimeric d’Aigueblanche, sire de Briancon, et son frère Jean, doyen d’Herford, d’une part, et l’archevéque Aymon de l’autre, nommèrent des arbitres, afin d’y mettre un terme (5). Enfin, en 1296, ledit Aymeric se decida franchement à faire hommage è ce pontife du fief de Briancon, en tant toutefois que cela ne préjudicierait point è la fidélité qu'il devait au comte de Savoie (6). Le titre de seigneur d’Aigueblanche, que prenaient souvent les sires de Briancon, indique assez que ces puissants feudataires avaient su se poser en maîtres, jusque sous les murs de la ville épiscopale (7). Outre de vastes domaines en Taravtaise, ils possédaient, ainsi que je le dirai en son temps, plusieurs terres en Graisivaudan , et notamment le chiteau de Bellecombe, proche de Chapareillan, qu’Aimeric donna, en 1289, au Dauphin de Vienne, Humbert I, en échange de Varcel, situé au bord de la Gresse, au-dessous de Vif. (1) Charte de 1227, Liber cop. factum civitatis Gratianop. tangentium. fol. 139, aux archives de la Chambre des comptes de Grenoble. (2) Besson, p. 203. (3) Ibid., pr., n.° 60. (4) Ibid., p. 208. (5) Ibid., pr., n.° 67. (6) Ibid., pr., n.071. (7) Je trouve un Petrus de Aquablancha dans. une charte de 1253. V. Guich., pr., p. 70: Ce méme personnage est mentionné dans le testament du comte Pierre. V. Guich., pr., p. 77. 142 i DES ORIGINES FÉODALES ETC. La charte dressée è ce sujet (1) nous apprend qu'Aimeric s’était pré- cédemment attiré la haine du Dauphin, à cause de ses nombreuses féelonies. La famille de Briancon de Varses a subsisté longtemps en Dauphine. Comme je le remarquais il y a un instant, le territoire de Moutiers touchait, du còté de l’ouest, aux possessions des sires de Briangon. A Moutiers (Monasterium, Musterium) résidaient les archevéques de Taran- taise, qui, en vertu des diplòmes impériaux, confirmatifs de la donation de Rodolphe-le-Fainéant, y exercaient une souveraineté absolue (2). Là vient déboucher la vallée latérale de Bozel, où je crois à propos de con- duire le lecteur, avant de poursuivre l’exploration de la vallée principale jusqu'au pied du Petit-S'-Bernard. À peine a-t-on quitté Moutiers pour s’engager dans cette étroite gorge, que l’on rencontre le bourg de Salins, qui doit son nom è une source salée, déjà exploitée du temps des Romains, et qui forme encore aujourd'hui une des premières industries du pays. Par l’effet d'une de ces mille sin- gularités qui caractérisent le régime féodal, Salins et son chéteau , chateau jadis important, appartenaient à la maison de Savoie. De quelle manière cette maison parvint-elle à y établir sa juridiction? c'est ce qu'on ignore; peut-étre faudrait-il adopter, à cet égard, le récit de nos chroniques, et dire que ce fut à la suite de l’expédition'du comte Humbert II contre Aimeric de Briancon, qui détroussait les passants et désolait les terres de l’église. Mais sì une telle conjecture est fondée, les archevéques de Tarantaise, en voulant se donner des protecteurs, se seraient créés, en réalité, des ennemis tenaces et insatiables. Nous verrons plus tard que c'est bien au profit de la dynastie de Savoie, que s’opéra la ruine du pouvoir temporel de ces prélats. Après avoir dépassé Salins, on trouvait le fief de la Saulce, de Salza, possédé autrefois par les seigneurs de ce nom (3). A une demi-lieue de là s’élevait le chateau de Bozel. ({) Pour les notions complémentaires de cette famille, voyez ci-après. (2) Ces diplòmes datent des années 1171, 1184, 1186 et 1226; ils ont gté publiés par Besson, pr., n.° 33, 37, 38 et 48. (3) Un Zheobaldus de Salza fut, en 1225, du nombre des cautions qui intervinrent au traité de l’archevèque de Tarantaise avec Guillaume de Beaufort. Un 777MleImus de Salza figure aussi en un acte de 1296. V. Besson, n.° 46 et 72. PAR LÉON MÉNABRÉA 143 Quoique ce chiteau fîit la propriété des archevéques, qui y tenaient un chatelain (1), le mandement de Bozel comptait plusieurs familles nobles (2), parmi lesquelles on distinguait celle des sires de Bozel, qui était incontestablement fort ancienne. On voit, au XII siècle, S'-Pierre de Tarantaise racheter différents droits ecclésiastiques des mains de Gonthier, fils de Rodolphe de Bozel, pour le prix de 8 sols de Suze (3). Un Aymon de Bozel, Aymo de Bosellis, figurait, en 1140, au nombre des hauts personnages, optimazes, de la contrée (4). Un Rubeus de Bozel florissait d’autre part en 1225 (5). Enfin nous savons qu'en 1267 un sire de Bozel eut guerre avec les sires de Briancon, qui détenaient, dans la vallée de Bozel, quelques fiefs relevant de l’église de Tarantaise (6). Je suis maintenant obligé de revenir sur mes pas, afin de pousser jusqu'au sommet des Alpes la pérégrination chorographique que j'ai eu- ireprise. A peu de distance de Moutiers, en remontant le cours de l’Isère, on remarque devant soi la masse énorme d’un rocher, qui se détache de la montagne voisine, et retombe è pic au bord de la rivière, qui roule bruyante et tumultueuse à ses pieds. Là S'-Jaques-l'Assyrien consiruisit au V siècle un chateau, qui devint ensuite célèbre, sous le nom de Chateau-S'-Jacques. Nos légendes racontent que lorsque cet apòtre de la Tarantaise eut commence è élever ce monument, un ours sorti de la forét s’élanca sur une couple de boeufs, qui charroyaient les matériaux destinés à l’édifice, et devora un de ces pacifiques animaux; qu’aussitòt l'homme de Dieu survint et ordonna à la béte carnassière de prendre la place de l’occis, ce qu'elle exécuta sans regimber (7). Les archevéques de ‘Tarantaise résidaient fréquemment au chateau dont il s’agit, qui, en cas de guerre, leur offrait une retraite sùire; ils y tenaient un chitelain (8). (1) Un Humbert Bertrand, chàtelain de Bozel pour l’archevèque de Tarantaise, est mentionn dans une charte de 1336, rapporiée par Besson, pr., n.° 24. (2) Plures nobiles de Bosellis. (Besson, n.° 84) (3) Besson, p. 295. (4) Ibid. , pr., n.° 19. (5) Ibid., pr., n.° 46. (6) Ibid., pr., n.° 60. (7) Paruit ursus suoque labore jacturam vorati bovis reparavit. (8) Le chàtelain de St-Jacques est mentionné dans une charte de 1336. V. Besson, n.° 84, 144 DES ORIGINES FÉODALES ETC. En continuant à cheminer à travers les gorges des Alpes grecques, au milieu des bouleversements que la nature y a entassés, on était arrété jadis par le Détroit du Ciel, defilé profond où passait la voie consulaire. Plus loin, le voyageur émerveillé ose à peine sonder de l’oeil le sant de la pucelle , gouffre béant, que la tradition s'est amusée à enrichir de mille histoires fantastiques. Au delà se présente Centron, chétif village, autrefois capitale des Centrons, peuple intrépide, que les vainqueurs du monde ne purent soumettre qu’après de longs efforts. Quelques pas encore et l’on arrive à Villette, qui fut le berceau d’une famille illustre. On trouve en effet, que déjà en 1150 vivait un Thibaud de Villette, qui intervint comme pleige, ou otage, d’Humbert III, comte de Savoie, à un traité que ce prince fit alors avec l’abbaye de S'-Maurice (1). Ce Thibaud, ainsi que je l’ai remarqué ailleurs, maria deux de ses fils aux héritières de la maison de Chevron, dont les immenses richesses passèrent de la sorte aux sires de Villette. De 1195 à 1218, un Humbert et un Amédée de Villette paraissent ensemble, ou séparément, à une infinité d’actes importants; ces seigneurs exercèrent sans doute de leur temps une grande influence (2). Le second eut à soutenir, contre les chanoines de Tarantaise, diverses contestations, auxquelles mit fin un accommodement, conclu en 1216 (3). J'ai dit précédemment comment les sires de Villette étaient devenus. maîtres de la seigneurie de Giez, proche de Faverges (4). Or un nouvel Humbert de Villette qui, en 1336, occupait la charge de vidomne de Genève et de chatelaim du chiteau de l’IÎle (5), ayant épousé l’héritière d'une branche de la maison de Rarogne, en Valais, porta en outre dans sa famille les vastes possessions de son épouse (6). Il serait facile de pousser plus loin cette nomenclature. 1) Guich., pr., p. 4l. (2) V. Guich., pr., p. 45, 46, 63. Besson, pr., n.° 44. Mon. hist. patr., t. 1, p. 1186. Sur quel- ques autres personnages de la famille de Villette, on peut encore voir Grillet, t. IM, p. 432; Bibl. Seb., cent. 2, n.° 52; Besson, pr , n.° 46; Doc., sigilli e mon., p. 137, 141, 187. Il est bien entendu qu’il faudra chercher ces indications parmi les noms des temoins qui figurent au bas des chartes. 3) Besson, pr., n° 44. (4) V. ci-devant. (5) V. la liste desdits vidomnes, dans le F/éau de l’aristocratie genevvise, p. 269 (6) Grillet, t. NI, p. 432. PAR LÉON MENABREA 145 De Villette è Aime, le trajet est court. Aime, l’Axima des Romains, la résidence du proconsul qui administrait la province, est tout empreint d'un cachet antique; là une foule d’inscriptions et de ruines attestant la grandeur du peuple roi, sollicitent les investigations de l’archéologue. Je ne signalerai qu’en passant le bourg S'-Maurice, localité populeuse qui, dès une époque reculée , forma une communaute régulière; je m’arréterai à Scez, village situé au pied de la colonne Joux, ou Petit-S'-Bernard, columna Jovis, au point de jonction des deux gorges alpestres de Bonne- Val et de Val-d'Isère: Scez et le Val-d'Isìre appartenaient, de toute ancienneté, aux sires de Duing, qui y avaient un chateau dont les restes subsistent encore. Ces seigneurs, admirablement places pour barrer le passage des Alpes, se livraient en ce lieu, si l’on en croit la tradition orale, à des brigan- dages odieux; les vieillards de Scez racontent, entre autres, de quelle manière l’un d’eux, appelé Humbert, convaincu d’avoir abusé de maintes filles des environs, et réputé coutumier du fait, fut poursuivi jusqu'à Bellentre par la population en courroux, et ne dut son salut quià la vitesse de son roussin. On trouve dans les archives du Bourg-S'-Maurice qu'un Humbert de Val-d'Isère (c'est peut-étre le méme) eut de graves querelles avec les communes voisines, au sujet de la propriété des bois noirs, qui tapissaient le haut de la vallée, nemora nigra wvallis Ysare. Il existe à Scez le tombeau d’un sire de Val-d’Isère qui mourut, è ce que l’on prétend, au retour de la Palestine ; ce seigneur est représenté couché de son long, armé de toutes pièces, l’épée posce sur la poitrine, et ayant à ses pieds un lion qui ronge une patte de chevreuil, et qui porte un collier orné de coquilles. Franchissons maintenant la colonne de Joux, où les comtes de Savoie avaient établi un péage, et transportons-nous à Aoste, l_ Augusta Praetoria des anciens. Cette ville, l’une des plus remarquables de l'Europe, soit par ses antiquités, soit par ses monuments féodaux, doit, comme on sait, sa fondation à une colonie de soldats prétoriens qu’Auguste y envoya après que Terentius Varro eut dompté, ou plutòt détruit, les Salasses. Quoiqu’une telle origine fùt passablement respectable, les chroniqueurs et les legendaires du moyen àge imaginèrent d’accroître le lustre de la cité romaine en supposant qu'elle avait été construite sur les ruines d’une autre cité appelée Cordèle, fondée , disaient-ils, onze cents ans Serie II Tom. XXIII 19 146 DES ORIGINES FÉODALES ETC. avant l’ère chrétienne, par un prétendu Cordelus, petit-fils de Saturne et cousin (je crois) d’Hercule (1). Située an débouché des Alpes grecques et des Alpes pennines (2), Aoste acquit, sous les Romains, une impor- tance facile à comprendre; aussi les maîtres du monde y éleverent-ils ces vastes et somptueux édifices, ces temples, ces amphithédtres, ces ponts, ces arcs triomphaux, dont les restes font, par leurs masses imposantes, par leur architecture sévère et vraiment digne du peuple roi, l’étonnement du vulgaire , l’admiration des savants. Les murailles qui ceignent la ville et qui, en majeure partie, sub- sistent encore de nos jours, forment un carré long, disposé suivant la direction de la vallée. Sur le còte oriental de ce carré existent les portes prétoriennes, et du còté opposé s'ouvre la porte décumane. Les tours féodales qui, de distance en distance , flanquent cette enceinte, sont bàties presque en entier avec les parements extérieurs des murs antiques. ; Ces brièves indications m’ont paru necessaires pour l’intelligence de ce que Jaurai à dire bientòt. De toutes les localités que nous avons explorées jusqu’è présent, il n’en est peut-étre aucune où la souverainete ait subi, aux X, XI et XII siècles, un fractionnement plus singulier, plus étrange que celui que l’on remarquait à Aoste, et où se soient établies des juridictions si multipliées et si singulières. Et d’abord parlons des droits directs qu’y exercaient les évéques: ils n’étaient pas fort étendus. Si nous consultons une charte de 960, nous y voyons que ces prélats, bien autrement puissants alors: qu'ils ne le furent ensuite, se plaignaient de ce qu'Adalbert, marquis d’Ivrée et fils de Bérenger, roi d’Italie , cherchait à s'approprier, au préjudice de l’église d'Aoste, les bénefices d’un péage très-lucratif, établi à la porte prétorienne, dite de $S'-Ours, et n’épar- gnait à cet effet rien de ce que peut inspirer l’esprit d’oppression et de tyrannie (3). Il est probable qu’en ce temps-là les immunités épiscopales compre- naient la cite tout entière. Un document de 923, où l’évéque Anselme (1, Cette fable a été notammentintercalée dans le texte de la légende de St-Bernard de Menthon, gcrite par Richard de Duing, disciple de cet apòtre des Alpes. V. les Bolland. 15 juin, p. 1075 2) Juxrta geminas alpium fores graias et poeninas. (Pline, l. HII, cap. 17). (3) Besson, pr., n.0 1fl. PAR LÉON MENABREA 147 se donne la qualification de comte, ferait presque soupconner que ce pontife se trouvait investi de la supériorité comitale sur toute la vallée (1). Mais aux XI et XII siècles, ainsi que je lai déjà fait observer, les droits dont les évéques jouissaient dans la ville méme se réduisaient au péage que je viens de citer, et au tiers des tailles; collectes, redevances et émo- luments, provenant de la substance des habitants; quant aux deux tiers restants, ils appartenaient aux comtes de Savoie (2). Les comtes et les évéques possédaient en outre, par indivision, une espèce de forteresse, construite ‘dà frais communs, proche de la cathédrale , et destinée à servir de lieu de refuge en cas de guerre ou de tumulte (3). Les premiers enfin étaient proprigtaires exclusifs d'une énorme tour carrée , bàtie à l’angle nord-ouest des murs d’enceinte, laquelle est appelée encore au- jourd'hui la tour du comte, turris comitis, et où ils tenaient un cha- telain, appelé le chatelain d'Aoste, castellanus Auguste. Hors la ville les evéques avaient des attributions temporelles beaucoup moins res- treintes ; la vallée de Cogne se trouvait placée sous leur. domination absolue et immeédiate ; ils y administraient la justice, y levaient des im- pòts, y publiaient des réglements, y exercaient, en un mot, une véritable souveraineté (4). Ce que la cité d’Aoste offrait de plus important, en fait de juridiction, ressortissait incontestablement de la maison de Challant, maîtresse du comté d’Aoste, et investie de nombreuses prérogatives qui en dépendaient. Voici l’énumeration des droits du vicomte: 1° La haute, moyenne et basse justice. 2° Les bans, cu amendes, au-dessous de soixante sols. 3° Les bans encourus par les adultères, les fornicateurs et ceux qui vendent à fausses mesures, quel que fùt le montant desdites peines. 4° La cinquième partie des bans excédant soixante sols. (1) Ego Anselmus episcopus ecclesie augustensis et comes. Besson. , pr., n.° 110. (2) Charles de 1191 et de 1292. Cette proportion est encore indiquée dans les franchises que le comte Thomas, avec le consentement de l’évèque Walpert, accorda à la ville d'Aoste en 1188. V. Doc., sig.e mon. , p. 84. Dans une bulle du 15 janvier 1151, où le pape Eugène INI confirme les priviléges des évèques d’Aoste, on lit: Zn civitate Augusta et burgo ipsius pedagium et tertiam par- tem collecte comitis cum ceteris redditibus et inpestituris ad te pertinentibus. (Mon. hist. patr., t. I, p. 796). (3) Munitio in civitate prope ecclesiam..... ad quam homines ecclesie et homines comitatus refugium habeant. Charte de 1191. i (4) Charle de 1200 environ. 148 DES ORIGINES FEODALES ETC. 5° L’arrestation et la garde des malfaiteurs. 6° La surveillance du champ-clos, dans les duels juridiques, et la perception des émoluments. 7° La chancellerie. 8° La mestralie de la cité. g° Les régales, les plaids, les échutes, le banvin, les angaries , les fortunes des chemins etc. etc. En qualité de vicomtes, les sires de Challant occupaient une tour, contigué à la ligne méridionale des murailles d’enceinte, et construite à còté de la porte dite de Beatrix, porta Beatricis: la tour en question subsiste encore actuellement; elle est très-élevée et de forme ronde ; le vulgaire l’appelle la tour de Bramafan. Quand les comtes de Savoie venaient résider à Aoste, le vicomte était obligé de leur fournir le bois de chauffage et d’approvisionner leur cuisine de toutes les choses nécessaires à lapprét des mets, c’est-à-dire à la confection des sauces, saporem în coquine; les metraux du vicomte devaient préter les nappes, les verres et les couteaux en quantité suffi- sante; cela n’empéchait pas que tant les meétraux que le vicomte n’exi- geassent de ces princes la distribution journalière connue sous le nom de livrée, Zibra, librata (1). Le vicomté d'Aoste constituait un fief relevant de la maison de Savoie (2). En 1295, le comte Ame V, frappé de l’importance des droits attachés à ce fief, parvint à se le faire céder par Ebal-le-Long, sirè de Challant, moyen- nant l’abandon du chateau da Mont-Jovel (3). Le comté et le vicecomté se consolidèrent ainsi entre les mémes mains. J'ai parlé, il y a un instant, de la porte prétorienne, cu porte de S'-Ours. Là, enclavée dans les murailles romaines, s’élèéve une tour carrée qui fut la première demeure d’une famille puissante , dite de la Porte de S'-Ours, et successivement de Quart, à cause du chatean qu'elle fit plus tard construire en ce lieu. Rivaux d'’intéeréts et de gloive, les seigneurs de la Porte de S*Ours et les vicomtes d'Aoste se faisaient une guerre acharnée, et ne cherchaient (1) Chartes de 1200 el 1295. (2) A raison de ce fief, les sires de Challant devaient payer aux comtes de Savoie un plaid de 17 sols de Suse, à chaque multation de vassal. V. Jes reconnaissances faites en 1232 et 1242 par les vicomles d’Aoste., Archives de Cour, Duché d’ Aoste, liasse 1, n.° 7 et 11. (3) Charte de 1295. PAR LEON MENABRÈA 149 quà s'entre-détruire (1). Proche de la porte décumane, appelée au moyen age porte de Frieur, ou de Frior et aujourd’hui porte Vaudane ou du Plot, on distingue une haute et majestueuse tour carrée, flanquée d'une tourelle è crénaux, qui servait d’habitation à des feudataires non moins redoutables que les précédents (2). C'est précisément cette tour, que le iouchant épisode du lépreux de la cité d'Aoste a rendue depuis si célèbre. A l’angle nord-ovest des murs d’enceinte, se dresse une autre tour, dite la Tour neuve, appartenant Jadis à des seigneurs nommes de Ville, ou de la Tourneuve, de ila, de Turre nova, qui possédaient une fraction de la juridiction temporelle de l’évéque, avec le titre de vidomnes d’Aoste (3). Plus loin, en suivant la ligne de remparts qui court de l’ouest à l'est, on rencontre la porte de S'-Etienne, ou de la Rive, munie d’une haute et solide tour, où résidait une famille fort ancienne et fort illustre, appelée de la Porte d’Aoste, qui jouissait de certains droits sur le quartier dit de Malconseil (4). Je ferai observer en passant, que la ville d’Aoste était divisée alors en trois sections, savoir, celle de la porte et du faubourg de 8'-Ours, celle de la Bicherie et celle de Malconseil, qui s’étendait de la porte de Rive à un croisement de rues, connu sous la dénomination de Croix de Ville (5). Cette dernière section tirait, selon toute apparence , son nom de ce que du temps des Burgondes, des Lombards et des Francs, on y tenait le ma/lum, ou assemblée judiciaire, dans laquelle chaque juge, chaque echevin, chaque prud’'homme conseillait ce qui lui paraissait juste et Equitable. (1) On trouve qu’en 1253, le comle Thomas fit remise à Jacques de Quart, et è ses aidants, des peines qu’ils avaient encourues pour avoir pillé le manoir du vicomte d’Aoste. Archives de Cour, Duché d'Aoste, liasse 1 , n.0 15. On voit en cutre qu’en 1294 le sire de Quart et le vi- comte Ebal révoquèrent les trèves précédemment intervenues entre eux et recommencèrent à guerroyer: liasse 2, n.0 3. Ces disputes conlinuèrent mème après que la maison de Challant eut cédé le vicomté d’Aoste aux comltes de Savoie. Archives de cour, duché d’Aoste, Challart, liasse 2, n.° 10. (2) De Tiller, Chronol. hist. des noms, armoiries et gencalogies des maisons et fumilles nobles du duché d’ Aoste, ms. (3) Un Bonifucius de Villa vicedominus fut présent, en 1253, à la confirmation des franchises de la ville d’Aoste. Doc., sigilli e mon., p. 92. (4) On a sur ce sujet une enquéte du 5 mai 1317, insérée par De Tiller dans son Recuezl des franchises, libertes, priviléges, titres et autres droits des citoyens et bourgeois d’ Aoste, le tout extraît du livre rouge et autres éeritures des archives d’ Aoste, ms. (5) Ces trois sections avaient entre elles de graves et fréquents démélés. V. un compromis du 26 juin 1356 dans le Recucil des franchises ci-dessus cité. 150 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Au reste, plusieurs villes avaient autrefois des quartiers et des places pourvues d’un nom semblable, ou analogue. Ainsi, è Grenoble, il existait une place appelée également de Malconseil, Mali consiliî, et parfois Magni consili, où se trouvait un banc de justice (1); ainsi encore l’un des quatre quartiers de Sion, en Valais, prenait la qualification de Mala curia, et cela, évidemment, parce qu'il renfermait l’édifice où les magistrats se réunissaient pour ouîr les causes et prononcer ies jugements (2). A l’exemple des sires de la Tourneuve, ceux de la Porte d’Aoste s'attribuaient le titre de vidomnes, car ils percevaient une portion des benéfices et émoluments attachés à l’exercice de ce genre de juridiction , qui, ici comme ailleurs, formait un fief relevant originairement du pouvoir épiscopal (3). A peu de distance de la Tour qu’occupaient ces seigneurs, et en continuant à cheminer le long de la ligne septentrionale des murs ro- mains, on remarque la porte dite du Pertuis, près de laquelle était venue s’établir une famille dont les traces remontent au XII siècle; on ne lui connaissait d’autre nom que celui de la Porte elle-méme (4). Enfin, dans l’intérieur de la cité, on rencontrait différentes tours ou maisons-fortes appartenant à des feudataires de moindre importance (5). Voilà en quoi consistait, à Aoste, l’oeuvre bizarre du régime féodal. Jetons maintenant un coup d’oeil sur l’état politique de la vallée. En téte des hauts tenanciers de cet intéressant pays se montraient les sires de Challant, que jai déjà eu l’occasion de mentionner, en qualité de vicomtes d’Aoste. L'origine de ces feudataives va se perdre au milieu de la periode la plus obscure du moyen dge; on les croit généralement issus des marquis de Montferrat (6). Le chiteau d’où ils tirent leur nom se voit encore, à une lieue au-dessus de Verrès, dans un site plein de majesté; ce fut un Boson, vicomte d’Aoste, qui le premier, en 1200, recut du comte Thomas l’investiture de ce chateau, que les chartes (1) Pilot, Notice sur les anciennes rues de Grenoble, 1843, 2) V. Schiner, p. 383. (3) De Tillier, Chror. hist. ele. (4) Ibidem. (5) En 1263 un Guillaume de Polin vendit au comte Pierre, pour la somme de vingt cinq livres, la tour qu’il possédait à Aoste, près du Palais-Rond. Arch, de Cour, Duché d'Aoste, liasse 1, n.° 19. (6) V. De Tillier, Yraité historique et géograph. du duché d’ Aoste, ms. PAR LÉON MÉNABREA I5I appellent castrum de villa Chalandi , ou simplement castrum de villa (1). Outre ce manoir et les terres qui en dépendaient, les sires de Challant possédaient le chiteau de Chatillon, construit à l’entrée de la gorge de Valtournanche, celui de La Rive, qui se dressait tout près de là, au bord de la Doire, celui d’Ussel, celui de Fenis, celui de S'-Marcel, celui de Cly etc. (2). Ce dernier avait été bati, au XIII siècle, par Boniface de Challant; or un des descendants de ce seigneur étant venu s’y installer après le partage de la succession paternelle, se mit à vexer et torturer de telle manière, soit ses propres hommes, soit les voyageurs, qu'en 1375 le comte de Savoie jugea à propos de faire citer devant sa cour ce vassal pillard et meéchant (3). Pierre (c’était son nom), au lieu de comparaître, voulut résister; alors le comte irrité marcha contre lui et le délogea de ce repaire, dont il fit prononcer judiciairement la confiscation; ce fut ensuite par pure gràce, que le rebelle obtint, à titre d’indemnite, le Chatel-S'-Denis, dans le pays de Vaud. Je parlerai bientòt du célèbre chàteau de Montovet, que les sires de Challant acquirent, ainsi que je l’ai déjà dit, en échange du vicomtie d'Aoste. J'ajouterai ici que les possessions de ces puissants barons s’éten- _daient en diverses localités de la Lombardie, de l'Helvetie , du Bugey, de la Bresse, de la Bourgogne et du Dauphiné (4). Les sires de Quart, primitivement appelés de la Porte de S'-Ours, comme on l’a vu précédemment, occupaient le second rang parmi la haute noblesse de la vallée. A la fin da XII siècle, un Jacques de Ia Porte de S'-Ours fit construire le chiteau de Quart, à deux lieues environ de la cité, à gauche, en suivant le cours de la Doire, dans une position (1) Concedimus in feudum dilecto nostro Bosoni vicecomiti Auguste castrum de Villa in augmentum sui feudi. (2) La plupart de ces chàteaux sont mentionnés dans une reconnaissance de fief, faite en 1242, par les fils de Boson, en faveur du comte Amé IV. Confessi sunt tenere in feudum u domino Amedeo comite Sabaudie vicecomitatum castrum Castellionis , castrum de Fenicio, corpus castri de Willa Item borgesiam de Chatillon et castrum de Rivas, ubi burgum erat..... etc. (3) On trouve aux archives de Cour, Duché d'Aoste, Cly, liasse 5, n.° 1, un document portant l’intitulation suivante: Ajourrement fait d'ordre du comte de Savoie à Pierre de Cly pour comparaître devant ledit comte à Evian le 22 novembre, sous peine de 1000 mares d’argent, avec injonclion de re- mettre aux commissaires désignes les prisonniers qu'il retenait au chateau de Cly. Suit la réponse de ce seigneur, de n’étre obligé de comparaître hors de la vallee d’ Aoste, attendu sa qualité de pair, offrant néanmoins de recevoir justice aux audiences generales, 12 novembre 1375. (4) De Tiller, Traité hist., ms. 152 DES ORIGINES FÉODALES ETC. presque inaccessible (1). Son fils, dénommé pareillement Jacques, est le premier qui se soit. qualifié sire de Quari, titre que ses successeurs continuèrent è prendre (2). Ces redoutables seigneurs, maîtres de la Valpeline, possédaient encore le chitean de Brissogne situé en face de celui de Quart, de l’autre còté de la rivière ; ils se reconnaissaient hommes liges de la maison de Savoie (3). De pair avec eux marchaient les sires de Vallaise, qui occupaient la longue vallée transversale de Gressonay, où ils avaient plusieurs chàteanx importants, tels que ceux de Perloz, d’Issime, de Lilione, à raison des- quels ils devaient fournir aux comtes de Savoie cinq clients armés, pendant un mois de l’année, sans préjudice d’un plaid, ou redevance de dix livres, payable à chaque mutation de vassal ou de suzerain (4). Ils étaient feudataires directs des empereurs d’Allemagne, pour différentes terres faisant partie des diocèses d'Ivrée et de Verceil (5). Non loin des sires de Vallaise, à l’extrémité orientale de la vallée d'Aoste, on rencontrait les sires de Bard qui auraient égalé, sinon sur- passé, en puissance les familles ci-dessus citées, si leur noble race n'’etit subi les vicissitudes et les fractionnements que je vais brièvement indiquer. Il existe peu de chateaux féodaux, dont on ait des notions historiques plus reculées que celles qui concernent le chateau de Bard. L'historien Arnulphe raconte en effet, que lorsqu’en 1034 Heéribert,, archeveque de Milan, suivi d’une armée d’Italiens, se mit en devoir de traverser les Alpes et d’aller rejoindre l’empereur Conrad-le-Salique, que venait d’assaillir Eudes de Champagne, neveu de Rodolphe-le-Fainéant, il fut arrété, pendant quelque temps, par le chiteau de Bard, qui déjà passait pour une forteresse inexpugnable: oppidum inexpugnabile (6). J'abandonne à la discrétion du lecteur l’opinion qui, s'appuyant sur une vaine consonnance de noms, va chercher l’origine des sires de Bard 1) Le nom de ce seigneur figure au bas des franchises accordées à Aoste en 1188, V. Doc., sig.e mon. , p. 86. (2) Ego Jacobus de Quarto filius quondam domini Jacobi de Porta S.ti-Ursi etc. Charte de 1252. (3) Quod quidem homagium dictus Henricus de Quarto fecit realiter immissis manibus inter manus dicti domini comitis et osculo fidelitatis interveniente prout accipiendo dictus dominus comes dictum Henvicum per pollicem in signum et effectum investiture predicte. Charte du 15 mars 1337. V. un autre hommage du 2 juin 1364, avec remise des chàteaux de Quart et de Brissogne. (4) Reconaissance du 6 septembre 1430. (5) Hommage de l’an 1211. ù (6) Muratori, Script., t. IV, p. 16. PAR LÉON MENABRÉEA 153 chez les comtes de Bard, en Lorraine; je me contenterai de dire que les premiers documents que nous ayons touchant ces seigneurs, nous les représentent investis de vastes domaines et exercant un pouvoir qui de fait les rendait presque indépendants. Evrard de Bard, qui vivait en 1100 (1), fut sùrement un personnage très-puissant et très-influent. On peut en dire autant de Hugues de Bard, qui florissait vers l’an 1150 (2). Un demi- siècle après, on voit paraître un second Hugues, fils d’Othon de Bard, è qui les annales de la contrée sont redevables d'un des exemples les plus dramatiques et les plus frappants de l’instabilité des choses humaines. Ce fier feudataire, mon content d’avoir donné essor à son caractère indomptable et tenace, en refusant de reconnaître certains droits de l’église d’Aoste (3), persuadé qu’aucun obstacle ne serait capable d’arréter le cours de ses injustices, de ses spoliations, soit à l’égard des étrangers, soit à l’égard de ses propres parents; prit le funeste parti de ne con- sulter désormais que ses caprices, et de n’écouter que la voix de son insatiable cupidité. Il était devenu, dit-on, l’objet d’une terreur générale, quand le comte de Savoie, qu'animait sans doute aussi le désir de s'ap- proprier une partie des vastes biens de son vassal, résolut de tirer ven- geance des meéfaits qu'on lui imputait. Ce prince commenca par s’emparer de Chatelargent, près de Ville- neuve, puis, le 24 mai 1242, il conclut avec Geoffroy, Aymenin et Boson de Challant un traité d’alliance, dans le but d’emporter de vive force le chaàteau de Bard, où Hugues se tenait enfermé (4). Ce traité eut un résultat inespéré; le feudataire félon, saisi d’une juste frayeur, se hàta d’entrer en composition; il céda au comte de Savoie, moyennant une somme modique, le chàteau de Bard et tout ce qu'il avait à Chatelargent, ensuite de quoi il disparut et onques n’ouit-on parler de lui. C'est de cet événement que date le démembrement de la famille de Bard et sa division en plusieurs branches qui, séparées une fois du tronc, surent se créer, chacune, une existence à part. Ainsi de Guillaume, fréere de Hugues, sortirent les sires de Pont-S'-Martin; de Marquet et d’Aymon, fils de ce méme Hugues, sortirent les sires de Sarriod et de (1) Mon. hist. patr., p 730. @) Ibid.,'p. 794. (3) Zbid., p. 1192 et 1289. (4) Archives de Cour, Duché d’ doste, liasse 1, n.° 10. Serie II. Tom. XXIII. 20 154 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Sarre; la ligne des sires de Sarriod produisit successivement celle des sires d’Introd et de la Tour (1). Eloignons-nous de Bard et remontons le cours de la Doire; nous ne tarderons pas è rencontrer le chiteau d’Arnaz, et bientòt après la tour de Verrès, qui furent le berceau de deux races antiques qui, au XII siècle, occupaieni une place honorable parmi les maisons féodales du pays (2). De là un court trajet conduit au defilé de Montjovet, que commande un chàteau fameux, possédé primitivement par les sires de Montjovet. A l’exemple des sires de Bard, ces seigneurs profitaient des avantages d'une position presque inaccessible pour s’élancer sur les pauvres voya- geurs, et se livrer sans crainte à la rapine et au brigandage. On voit notamment qu’en 1263, l’un d’eux, appele Jacques, était cité devant le tribunal du comte de Savoie comme coupable d’avoir tué sur le chemin public, et dans un moment de tréve, un sien frère naturel, nommé Léonet, à raison de quoi ayant été provoqué, de la part du comte, en duel juri- dique, il ne se présenta point an champ clos, de telle manière que le champion de ce prince attendit inutilement jusqu'au coucher du svleil (3). Un document de 1274 nous apprend qu'un Faydin de Montjovet, digne successeur de Jacques, dut à la clémence du comte Philippe d’étre remis en possession du chteau ‘de ses ancétres, dont ses déportements l’avaient fait chasser (4). Les promesses de meilleure vie qu’il fit alors eurent peu d’effet, car il se vit derechef priver de ce manoir que le comte Amé IV céda ensuite à la maison de Challant, en échange du duché d’Aoste (5). Au levant de Montjovet, à la cime d'un rocher escarpé, on distingue les ruines de la forteresse qu’habitaient les sires de Chiteau-neuf de Chenal. Entre Chatillon et Quart, au-dessus de la grande route, s’élèvent d’autres ruines qui rappellent les anciens et puissants sires de Nus, aux- quels on attribue généralement une origine romaine (6). (1) De Tillier, Chrom. hist. (2) On trouve les sires de Verrès et d’Arnaz mentionnés au bas des franchises accordées à la ville d’Aoste en 1186 et 1253. (3) Archives de Cour, Duché d'Aoste, Monjovet, liasse 7, n.° 6 et 7. (4) Charie de 1274. (5) V. ci-devant. (6) V. De Tillier, Chron. hist. PAR LÉON MENABRÉA 155 Sur le chemin des Alpes pennines, à une heure d'Aoste, s'étendaient les domaines des sires de Gignod, confinés, au nord-est, par la Valpeline , et au nord-ouest, par les juridictions d’Etroubles et de $S'-Remi. Sì maintenant, depuis Aoste, on reprend l’exploration de la vallée principale, qui va aboutir aux Alpes grecques, on est obligé de s'arréter à chaque pas devant les restes encore imposants de quelques-unes des nobles demeures, que la féodalité prodigue y avait semées. Ici se dresse le magnifique chateau des sires d’Aimaville, flangué de ses quatre tourelles pittoresques et posé à l’entrée de la gorge de Cogne. Les maîtres de cet élégant. manoir pouvaient se vanter d’une origine illustre. Ils possédaient la vieille tour de Gressau, que mentionnent souvent les annales de la contrée (1). Plus loin, sur la rive gauche de la Doire, s’échelonnent le chàteau de de Sarre, et celui de S'-Pierre, anciennes résidences des seigneurs de ce nom; plus loin encore, sur la rive droite du fleuve, s’offrent Villeneuve et Chatelargent, qui appartenaient aux comtes de Savoie, et où ces princes avaient un péage. A Villeneuve on remarquait les maisons-fortes de deux familles rivales et ennemies, dont les querelles acharnées peuvent fournir de curieuses pages à l’histoire du régime féodal: je veux parler des Sarriot et des Gonthard, qui se harcelaient sans cesse, s’envoyaient des defis, se tendaient réciproquement des embiches, se battaient parfois de bonne guerre et ne négligeaient, en un mot, aucune occasion de s’entre-détruire (2). Les premiers descendaient, ainsi que je l’ai déjà dit, des sires de Bard et ils étaient propriétaires des chiteaux d’Introd et de la Tour; quant aux seconds, leur origine est peu connue; on sait seulement qu’un Henri Gonthard vivait au milieu du XII siècle (3). A une petite distance de Villeneuve on rencontrait le fief des sires d’Arvier (4). Bientòt on se trouvait en face du chateau d’Avise, qui, avec sa grosse tour carrée, toujours subsistante , occupait le haut d’un mamelon, aujourd’hui tapissé de vignes. Les sires d’Avise se prétendaient (1)-Le nom des sires d’Aimaville figure au bas des franchises d’Aoste. (2) Le journal des audiences générales, ou assises, tenues à Aoste par le Comte Vert en 1351, conlient à cet égard de singuliers details. (3) De Tillier, Chror. Mist. (4) Un Aymo de Averio, miles, figure dans un acte de 1263. > 156 DES ORIGINES FÉODALES ETC. issus de la méme souche que les comtes de Clèves. Ce qu'il y a de sir c'est qu'en rogr un Hugues d’Avise, chevalier, Hugo miles, se déclara vassal de l’empire (1). Ses successeurs toutefois se reconnaissaient hommes liges de la maison de Savoie. Ces puissants feudataires possédaient les chateaux de la Motte , de Rochefort, de Montmailleur, de Planavel et de Morgex (2). Au-dessus d’Avise la vallée se resserre, les rochers s'accumulent et prennent des formes tourmentées et bizarres; un précipice affreux s’ouvre à travers leurs flanes déchirés; ce defilé, au fond duquel on entend la Doire mugir, n’offre qu'un étroit passage, dit de la Pierre-taillée. En continuant depuis là à cheminer en amont, on distingue, entre la Salle et Morgex, les ruines d'un manoir construit sur le penchant d'une haute montagne, d’où l'oeil plonge dans un bassin plantureux. Un titre du XIII siècle nous apprend que ce manoir, connu sous le nom de Cha- tellard, avait été primitivement concédé en fief par les évéques d’Aoste à des seigneurs de naissance illustre, appelés Gros, ou Grossi, qui, en 1248 environ, fournirent un savant pontife à l’église de Tarantaise (3). Les sires du Chàatellard occupaient, comme feudataires des comtes de Savoie, une tour qui se voit encore à la Thuile, au pied de la colonne Joux (4). Enfin è l’opposite de la Thuile, au debouché du Val de Ferret et de L’Allée-Blanche, on rencontrait les sires de Courmayeur qui for- maient l’échelon extreme de la longue série, que nous venons de par- courir; série, dans laquelle j'ai omis plusieurs noms, afin de ne pas fatiguer l’attention du lecteur, tels que ceux des sires d’Ochan, du Palais, de Ru, de la Cour, de la Créte, d’Oyace, de Lescours, d’Hérères, de l’Archet etc. etc. Ceux-ci étaient, dit-on, originaires d’Angleterre; ce furent eux qui, à ce que l’on prétend , firent batir, au XI siècle, une des trois tours de Morgex (5). Les familles nobles de la vallée d'Aoste se divisaient au moyen àge en deux catégories distinctes: les pairs et les non-pairs. Je m'occuperai, (1) De Tillier, Chron. Rist. (2) Le chàteau de Planavel avait été achevé au commencement du XIV siècle par Rodolphe d’Avise. Charte de 1312. Un Vienin d’Avise possedait, en 1295, la tour de Morgex. V. arch. de Cour, liasse 2, n.° 6. (3) Mon. hist. patr., t. I, p. 1395. (4) Arch, de Cour, liasse 2, n.° 6. (5) De Tillier, Chron. hist. PAR LEON MENABREA 157 en temps et lieu, des institutions féodales qui régissaient le pays dont il est ici question; je me bornerai à dire que le principal privilége des pairs consistait à ne pouvoir étre jugés que dans les audiences solennelles que les comtes de Savoie devaient tenir dà Aoste, de sept en sept ans. Au nombre des pairs figuraient les sires de Challant, de Quart, de Vallaise, de Bard, de Montjovet, de Nus, de Verrès, de Gignod, de la Porte d'Aoste, de Tourneuve, de Courmayeur etc. etc., et leurs différentes branches (1). On s'est beaucoup enquis d’où la maison de Savoie tenait le droit de supériorité qu'elle exercait sur la plupart des fiefs de la vallée d'Aoste, mais le manque de documents permet peu d’espérer qu'on puisse jamais, à cet égard, arriver à une véritable solution (2). Ce qui paraît le plus” probable , c'est que ce droit lui venait bien moins de la succession sup- posée de quelque prince italien, que de la munificence des derniers rois de Bourgogne ou des empereurs. On doit repousser, comme tout à fait erronée, l’opinion qui attribue cette supériorité à une dédition purement volontaire (3). Au reste, les comtes de Savoie, ainsi qu'on a déjà pu le remarquer, n’étendaient point leur mouvance indistinctement et d’une maniere absolue sur la totalité des fiefs de la vallée; plusieurs de ces fiefs, possédés méme par les premières familles, étaient soumis à la suze- raineté de l’éveque (4). (1) V. De Tillier: Dérombrement des familles du duché d’ Aoste qui ont joui, ou jouissent du privi- lége de la parité, ms. (2) On trouve aux archives de Cour plusieurs traités sur cette matière; je ne citerai ici qu’un mémoire du comte Rocca et une dissertation de Terraneo, rédigés vers la fin du dernier siècle ; Duche d’ Aoste, liasse 1, n.° 2, et Additions, n.° 77. (3) Cette opinion a été, pour la première fois, avaneée par De Tillier, dans son Traité hist. et géogr. du Duché d’ Aoste; mais les franchises d’Aoste, sur lesquelles il s’appuie, prouvent précisé- ment contre lui. (4) Voyez diverses reconnaissances de fiefs passées aux évèques d’Aoste par les sires d’Aimaville, de Gressan, de Bard, d’Introd, du Crest etc. Mon. hist. patr., t. I, p. 1265, 1325, 1336, 1425, 1427. ” 158 DES ORIGINES FÉODALES ETC. CHAPITRE IX. Dauphiné. - Petite riviére d'Oron. - Comté de Vienne donné aux archevéques. - Chateau de Pupet. - Prétentions des comtes de Bourgogne. - Diplòmes. - Possessions des comtes de Savoie. - Les sires de Beauvoîr. - Sepléme. - Feudataires de la maison de Savoie. - Sires de la Tour-du-Pin. - Berlion. - Albert. - Chateaua. - Origines des Dauphins. - Guigues-le-Vieux. - Il bat en bréche la puissance temporelle des 6véques. - Il entre è l’abbaye de Cluny. - Sa mort. - Son fils est le dernier male de la race des comtes d’Albon. - Provenance de ce titre. — Beatrix. - Lignée de cette princesse. - Guigues VII. - Son fils Jean meurt en bas cige. - Anne, seur et unique héritiére de ce dernier, épouse Humbert de la Tour-du-Pin. - Le Dauphiné est cédé aua aînés de France. - Puissance des Dauphins. - Evéques de Grenoble. - Diplome de 1178. - Chateau de St-Donat. - Juri- dicltion indivise. - Officiers épiscopaux. - Prétentions des Dauphins sur le comté de Vienne. - Attaques incessantes contre les évéques. - Resistance, - Luttes sanglantes. - Juridictions respectives. - Archevéques de Vienne, abbés de St-Bernard de Romans. - Les Dauphins envahissent, en ce lieu, la moitié de la juridiction souveraine. Il faut mainienant que je me transporte, d’un saut, aux confins de la Bresse et du Bugey, afin de pouvoir constater les origines féodales d’un pays, dont l’histoire se lie intimement avec celle des provinces que j'ai déjà parcourues; je veux parler de la contirée où se déroulaient autrefois les comtés de Vienne, de Grenoble, de Valence, de Die, de Gap et d’Embrun, laquelle prit, au XIV siècle, le nom de Dauphiné, comme ayant passé, presque en entier, sous la domination des Dauphins. Commencons par jeter un coup d’oeil sur la région située au-dessus de l'Oron, petite rivière, que stirement je m’abstiendrais de nommer ici, tant son importance géographique est minime, si elle n’eùt servi jadis de ligne de séparation entre la partie septentrionale et la parle méri- dionale du royaume de Bourgogne (1). La ville de Vienne s’offre la pre- mière à nos investigations. De méme que la plupart des villes épiscopales, dont nous avons eu jusqu'àè présent à nous occuper, cette illustre cité avait été arrachée, pendant le règne de Rodolphe-le-Fainéant, à la juridiction des comtes laiques, pour étre mise à la disposition de la puissance ecclésiastique. (1) De là les expressions de ab Orone superius ou ab Orone inferius. V. Valb., t. JI, p. 56 et 571. L’Oron prend sa source près de Beaurepaire et va se jeter dans le Rhòne. PAR LÉON MENABRÉEA 159 En 1023, ce faible monarque, cédant aux instances de sa femme, la reine Hermengarde, s’était déterminé à faire donation du comté de Vienne è larchevéque Burchard en lui attribuant spéeialement la pro- priété du chateau de Pupet, l’un de ceux qui, dès les temps antiques, deéfendaient la noble capitale des Allobroges (1). Malgré une concession aussi formelle (2), les comtes de Bourgogne, qui se disaient aussi comtes de Vienne, prétendirent contester aux suc- cesseurs de ce prélat quelques-uns des droits dérivant de la libéralité de Rodolphe; mais ces querelles furent peu fructueuses; on ne saurait nier cependant que les comtes de Bourgogne n'eussent, au XI siècle, plusieurs prérogatives régaliennes dans la cité de Vienne; l’acte par lequel le comte Etienne engage, en 1000 environ, à l'archevéque Guy, pour la somme de 8000 sols, omnem honorem quem habet in civitate Vienne, suffirait ‘seul pour le prouver (3); les archevéques s'adressèrent aux empereurs d’Allemagne qui, à diverses époques et notamment en 1153 et 1254, la maintinrent dans la possession des régales et dans l’exercice intégral de la juridiction qui en derivait. Ces diplòmes portent, en substance, qu’en l’absence des Césars les archevéques doivent seuls commander à Vienne: on y voit que ces pon- tifes étaient investis de la haute dignité d’archi-chanceliers du royaume de Bourgogne et, qu’outre le chateau de Pupet, ils occupaient la célèbre Maison des Canaux, Domus Canalium, ancienne résidence des rois Burgondes (4). (1) Ziennensem comitatum cum omnibus appenditiis suis infra civitatem Vienn. et eatra dictam ci- vitatem cum castello quod supereminet ipsi civitati quod dicunt proprio nomine Pupet. ....(V. Mermet, Hist. de la ville de Vienne, +. TI, p. 339). Le chàteau de Pupet s’appelait d’abord Eumedium; il prit ensuite la dénomination de Pompeiacum, d’où l'on a fait par corruption Pupetum (V. Chorier, Antigq. de Fienne). En 1011, Rodolphe-le-Fainéant avait déjà donné ce mème comté de Vienne à la reine Hermengarde; c'est pour cela que cette princesse crut devoir intervenir à la donation de 1023. (V. Doc., sigillle mon., p. 15). (2) C’est à tort, ce me semble, que quelques personnes doutent de l’anthenticité de cette charte qui présente, selon moi, tous les caracières desirables de véracité, soit sous le rapport historique, soit sous le rapport diplomatique. Le Catalogue des archevéques de Vienne, rédigé en 1235, avant que la juridiction de ces prélats fùt sérieusement menacée par les Dauphins de Vienne, fait expressément mention de la donation de Rodolphe-le-Fainéant. Sarcius Burcardus multis donis ac privilegiis a Rodulpho rege et ejus conjuge Irmengarda honoratus et etiam Wienn. comitatu anno Do- mini MXXIII. (3) V. Chorier, t. I, p. 820. (4) Valb., t. I, p. 138, t. II, p. 46. 160 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Je dirai bientòt en vertu de quels titres les Dauphins parvinrent, aux XII et XIV siècles, à depouiller l’église de Vienne d’une partie de ses attributions temporelles; je crois nécessaire de préciser, avant tout, ce que possédaient les comtes de Savoie entre le Rhòne, le Guiers, l’Isère et l’Oron; c'est là un point essentiel à connaître, afin de pouvoir juger sainement de plusieurs événements politiques, qui ne furent pas d’une médiocre importance. Les droits des comtes de Savoie sur un grand nombre de localités échelonnées le long du Guiers, remontent incontestablement à une époque très-reculée. En face de S'-Genis (1), ces princes detenaient, presque en entier, le petit district de l’île de Ciers, insula de Ciers (2). Non loin de là ils acquirent, en différents temps, le chàteau de Dolomieu (3) et celui des Abrets (4). Je ne parle pas du Pont-de-Beauvoisin qui leur appartenait de toute ancienneté. Quant au chiteau des Echelles, on trouve qu'il existait déjà en 1107, lorsque le comté de Salmorenc (j'ai donné ailleurs les limites de ce comté) fut divisé entre l’archevéque de Vienne et l’évéque de Grenoble (5). Je ne saurais dire au juste en quelle année ledit chiteau échut à la maison de Savoie (6); cette puissante maison avait encore de ce còté S'-Laurent-du-Pont, Voiron, Tolvon-la-Buisse, puis au fond de la gorge de Voreppe, le fameux chàteau de la Penière, où en 1333 le dauphin Guigues VIII trouva une mort précoce. Ces divers endroits, en y comprenant les terres situées sur la rive droite du Guiers jusqu'è Yenne et Chanaz inclusivement, formaient une province ou un baillage, dit le baillage de la Novalaise, dalliva Novalesii (7). (1) St-Genis était déjà possedé , au XI siècle, par un des fils d’Humbert-aux-Blanches-Mains. V. Guich., pr., p. 7. (2) En 1314, le Dauphin Jean se départit, en faveur du comte Amé V, de tous les droits qu?il pouvait avoir: In tota insula de Ciers ab aqua currente intra bastitam de Cheysseno et dictam insulam superius versus sanctum Genisium, Guich., pr., 143. (3) V. Guich., pr. p. 142. (4) Ce chàteau est indiqué comme leur propriéte dans le traité d’échange de 1355. V. Guich., pr., p. 190. (5) V. ci-devant. (6) Assurément avant l’année 1227, acta sunt hec in castro de Scalis. Charte de Marguerite de Faucigny, comtesse de Savoie. Guich., pr., p. 56. En 1313 Guillaume, comte de Genève, possé- dait le chàtean des Exchyelles (Echelles), et en faisait hommage à l’église de Genève. Cette pos- session n’était probablement que le résullat d’une conquéte passagère, si toutefois ce chàteau des Exchyelles est celui dont il s’agit ici. V. Spon, pr., n.° ‘32. (7) V. dans les Mem. de l Acad. de Turin, t. XXXVI, un document de l’an 1329, contenant la série des baillages et des chàtellenies du comté de Savoie. PAR LÉON MÉNABREA 161 Les autres domaines que les comtes de Savoie possedaient en Viennois, domaines importants, constituaient pour ces princes un second baillage, appelé le baillage de Viennois. Chacun des lieux dont ce baillage se composait, pourrait fournir un épisode à l’histoire chevaleresque de nos contrées. C'est d’abord la còte S-André et Bocsozel. Les comtes que je viens de mnommer y exercaient une juridiction très-ample qui comprenait dans la plaine près de trois mille journaux (huit cent quatre-vingt-quatre hectares, quatorze centiares environ, en évaluant le journal à quatre cents toises), et qui s’étendait par monts et par vaux sur les paroisses de S'-Hilaire , de la Frette, de Longochanal, d’Eydoche, de Champier, de Lieu-Dieu etc. (1). A peu de distance de ce dernier village on rencontre S'-Jean-de-Bournay, que ces mémes comtes obtinrent en vertu d’un traîté qu'ils conclurent en 1314 avec les Dauphins (2). Le chateau et le territoire de S'-Jean-de-Bournay avaient été primitivement la propriété des sires de Beauvoir. En 1277 ceux-ci s’en étaient départis en faveur des sires de la Tour, qui furent, ainsi que je ne tarderai pas à l’expliquer, la souche des Dauphins de 3° race (3). En declinant à l’ouest, on trouve S'-Georges-d'Espéranche, qui devait ses libertés municipales au comte Amé V (4), et ensuite Septème qui, en 1249, fut acquis de Guillaume de Beauvoir par le valeureux comte Pierre (5). Les successeurs de ce prince se reconnaissaient, à raison du fief de Sepième , hommes liges de l’église de Vienne (6). Enfin la maison de Savoie dominait à S'-Simphorien-d'Anzon (7), et jouissait de divers droits à la Verpillière , à Azieu, à Jonage, à Falavier, à Chabonz etc. (8). Elle comptait parmi ses feudataires les siresde Beauvoir (9), de Bressieu (10), de Bocsozel (11), de la Tour-du-Pin ete. etc. (1) Extenta jurium comitis Sab. apud costam S. Andree et Bocsozellum. Valb., t. I, p. 85. (2) Guich., pr., p. 141. (3) Valb., t. II, p. 18. (4) Ibid., t. I, p. 26. (5) Valb., t. I, p. 269. Guillaume de Beauvoir avait eu cette terre par son mariage avec Briande de Septème. V. Chorier, ist. du Dauph., 4. 1I, p. 129. (6) Hommage de 1310, V. Valb., t. II, p. 145. (7) Extenta jurium comitis Sab. apud S. Simph. de Ausone. V. Valb., t. I, p. 97. (8) Voyez le traité ci-dessus eité ; voyez aussi, pour plus amples éclaircissements, la délimi- tation que les Dauphins et les comtes de Savoie firent faire, en 1336, des terres qu’ils possedaient en Viennois. Valb., t. II, p. 327. (9) Doc. sigillle mon., p. 192, 194. (10) idid., p. 253. (11) Valb., t. II, p. 156. Doc. sigille mon., p. 222. Serie IL. Tow. XXIII. 21 162 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. Parler des sires de la Tour-du-Pin, c’est parler d’une des familles les plus illustres de nos contrées, et dont les destinées se réalisèrent de la manière la plus eclatante. Bien que ces seigneurs fussent soumis à la suzeraineté des comtes de Savoie, pour les chiteaux de la Tour et de Bourgoin et pour quelques-unes des terres qu'ils acquirent successive- ment en Bugey et en Bresse, telles que S'-Sorlin et Varey (1), ils occu- paient ailleurs une position qui leur permettait assez de se considérer comme indépendants. Le premier d’entre eux qui nous soit connu, est un Berlion qui vivait au commencement du XII siècle. De qui descendait ce person- nage? On l’ignore. L’opinion de Chorier, qui le prétend issu des sires de la Tour-d'Auvergne, a été abandonnée (2). A Berlion succéda Géraud et àè celui-ci Albert, qui eut trois fils, savoir: Albert, Berlion et Jocelme. Jocelme fut chanoine de Romans; Berlion fit branche et c'est de lui que sortent les sires de Vinay; Albert continua la tige principale; il eut un fils du méme nom que lui (Albert IN), qui en épousant, vers l'année 1228, Béatrix, fille de Hugues de Coligny, devint maître de la Valbonne, de Revermont, ainsi que de plusieurs puridictions situges sur la rive gauche de l’Ain (3). Outre les chaàteaux de la Tour et de Bourgoin, les seigneurs en question possédaient, en Viennois, les importantes places de Crémieux et de Quirieux, que l’on voit souvent figurer dans ces mille sujets de guerre qu’enfantait sans cesse le régime féodal. Avant d’expliquer de quelle manière les sires de la Tour succédèrent aux Dauphins, il est nécessaire d’indiquer l'origine de ces princes et d’initier le lecteur à ce que le développement de leur puissance politique offre d’intéressant. On se souvient combien longue et cruelle fut l’occupation de nos contrées par les Sarrasins; on se rappelle surtout que la ville et le diocèse de Grenoble devenus la proie des infidèles, ne durent, en 960 environ, leur delivrance totale qu’au déevouement de l’evéque Isarn qui, ranimant le courage des chrétiens et s’entourant à grand’ peine d’hommes de bonne volonté, parvint à expulser les hordes sauvages qui avaient devoré sa malheureuse église. Or, soit du temps d’Isarn, soit du temps 1) Hommages de 1250 et 1273. Valb., t. I, p. 190, 198, t. II, p. 10. (2) Valb. t. I, p. 155. i (3) Zbid., t. I, p. 164. V. ci-devant. PAR LÉON MÉNABRÉA 163 d’Humbert , successeur de cet illustre prélat, il m'existait à Grenoble d’autre autorité que celle de l’évéque; voilà du moins ce qu'’affirme S'-Hugues dans ses cartulaires (1). Ce n'est, dit-il, que sous le pontificat de Mallenus que Guigues-le- Vieux commenca à s’attribuer, au préjudice de l’église , plusieurs terres considerables (2). Mais quelle était l'origine de ce comte Guigues, sur- nommé le Vieux? Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de parvenir, sur ce point, à une solution satisfaisante. Tout porte à croire cependant; que ce prince eut des ancétres puissants, illustres (3); et nonobstant l’assertion contraire de S'-Hugues, on peut légitimement douter qu'il ait été le premier de sa famille (4). Quelque sentiiment que l’on adopte à cet égard, toujours est-il que ce personnage sut se créer, après la chute du second royaume de Bourgogne, une haute position territoriale, et que sil agrandit sa juridiction aux dépens de l'évéque de Grenoble, il chercha à atténuer ses torts en comblant d’autres églises de ses bienfaits (5). (1) Les cartulaires de St-Hugues, évèque de Grenoble, sont au nombre de trois. Je les ai com- pulsés, en 1842, dans les archives de l’évèché où ils étaient alors déposés. Quelques-unes des chartes qu’ils renferment ont été imprimées, les autres sont inédiles. L’original du cartulaire n.0 1 n’existe plus; il n’en reste qu’une copie. Les cartulaires 2 et 3 se trouvent dans un état passable de conservation; ils contiennent, comme on le verra par ce qui suit, des documents du plus haut inlérét. Voyez, au reste, la /ozice historique et bibliograph. sur les cartul. de St- Hugues, insérée dans les Melanges biogr. et bibl. du Dauphiné, par Collomb de Batines et Ollivier, p. 233 et suiv. (2) Ir cujus (Malleni) diebus Guigo Vetus pater Guigonis Crassi injuste cepit possidere ea que modo habent comites in Gratianopoli. Charte du cartulaire de St-Hugues, publiée par Salvaing: De l’usage des fiefs, p. 485. Chorier, Etat polit. du Dauph., t. 11, p. 69. Duboys, Zie de St-Hugues, p. 465. (3) J'ai à peine besoin de dire que la généalogie que Ghorier a insérée dans le tome I de son Hist. du Dauphiné est pleine de faits indigestes, et contient des transpositions d’autant plus étran- ges, que cet auteur avait entre les mains tous les documents que nous connaissons aujourd’hui, et en possedait plusieurs qui depuis lui se sont perdus. Malgré cela, les titres qu'il cite mériteraient d’ètre examinés avec soin, surtout pour les temps antérieurs è Guigues-le-Vieux. Dans une charte de 1050 Guigues-le-Vieux s’était déjà intitulé : Ego Guigo Gratianopolitanae provinciae prin- ceps. Etat pol. du Dauph., t. I, p. 363. (4) Voici comme il s’exprime dans la charte citée ci-dessus (note 2): am generatio comitum istorum qui modo regnant per episcopatum Gratianopolitanum nullus inventus fuit in diebus suis scilicet Isarni episcopî, qui comes vocaretur, sed totum episcopatum sine calumpnia predictorum comitum pre- dictus episcopus in pace per allodium possidebat. A Vépoque où St-Hugues écrivait ceci, de graves démélés existaient entre l’église de Grenoble et les successeurs de Guigues-le-Vieux. (5) Il futle bienfaiteur, sinon le fondateur, du prieuré de St-Robert, près de Grenoble, et il est mentionné comme tel dans l’obituaire de ce. monastère: X kal. maji obitt Guigo comes qui dedit sancto Maurilio meliora candelabra et ad restaurationem circuli capitis sancti Mauritii tres libras auri et calicem minorem aureum et duo pallia et duas cortinas et ampullam cristallinam magnam et pul- chram. V. Chorier, Hist. du Dauphinc, t. I, p. 796. Enfin le cartulaire du chapitre d'Oulx témoigne des dons nombreux qu’il fit à cette illustre congrégation. V. Chartarium Ulciense, p. 135, 154, 168, 196. 164 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Arrivé aux deux tiers de sa carrière, dégolité des pompes du monde, il lui vint l’idée de se faire moine, à la suite d’un entretien qu'il eut d’aventure avec un célèbre abbé de Cluny (1). Une chose l’arrétait pourtant: habitué dès l’enfance à une vie luxueuse et molle, tellement que les fourrures de peaux d’agneau le blessaient, et qu'il ne doublait ses habits que des peanx de rats exotiques, ou des étoffes de soie les plus douces et les plus précieuses , il lui répugnait d’endosser la robe velue et rude des enfants de S'-Benoît. Le pieux abbé, qui ne voulait pas laisser perdre, par trop de rigueur, une conversion sì glorieuse, répondit alors à Guigues qu'on lui permettrait de garder ses vétements mondains, à condition qu'il porterait le froc par dessus. La proposition fut acceptée, et le comte entra à Cluny. Bientòt, honteux des soins qu'il donnait à une chair périssable, il cessa d’user de la faculté qu'on lui avait accordée et se livra sincèrement à la mortification et à la pénitence; il fit une mort digne d’un bon religieux (2). Il eut de sa femme Mathilde un fils, du nom de Guigues-le-Gras, qui lui-méme eut de Pétronille un fils appelé également Guigues, que l'on voit, à la fin du XI siècle, soutenir d’injustes contestations contre les évéques de Grenoble, et, fidèle aux traditions de sa race, battre continuellement en bréche la puissance temporelle de ces prélats (3). (1) Hugues qui fut abbé de Cluny, depuis 1049 jusqu’à 1109. (2) Toute cette histoire nous est racontée par Hildebert, évèque de Sens, auteur de la vie de Hugues, abbé de Cluny..... hujus rei Guigo comes testis et ecemplum fuit: vir scilicet indulgentius a puero educatus et frequentatas a cunis delicias indocilis abdicare. Quem cum ctiam vestes agninae ul- cerarent mihilque praeter advenarum murium pelliculas aut sericos cultus ad nudum pateretur. ... facto monacho mollium indumentorum permissus est usus qui habitu regulari regebatur ele. La chronique de l’abbaye narre à peu près les mèmes choses ; elle fait en ces termes l’éloge de Guigues: Albio- nensis etiam comes Wigo sepultus est in hoc loco qui et ipse hujus ecclesiae mirac devotionis mona- chus eatitit. Voyez la Bibliotheca Cluniacensis, p. 432, 1642 et 1647. (3) Cette gengalogie est fondée sur des documents certains. Une charte, tirée du cartulaire de St.-Pierre de Vienne, et que Chorier aurait dù appliquer à Guigues-le-Vieux, au lieu de la rap- porter è un Guigues imaginaire, offre le passage suivant: Guigoni vero quem supra diximus majori qui postea effectus est monachus 6 sol. tribui et Adelai comitisse et alio Guigoni filio illius Guigonis quem supra diximus 4 sol. et uxori ejus Petronille (Chorier, Hist. du Dauph., t. I, p. 795, et Etat pol. du Dauph., t. II, p. 365). Dans un titre du cartulaire d'Oulx on lit: Ego Guigo comes qui vocor Senex et filius meus qui vocatur Pinguis (Chart. Ule., p. 135), et ailleurs: Medietatem mansi quam Guigo Crassus dedit (p. 189). Le fils de Guigues-le-Gras est mentionné dans plusieurs autres chartes du mème cartulaire : în presertia Guigonis comitis, fili Guigonis Pinguis (p. 197). Ego Guigo comes filius Petrorillae (p. 186). Valbonnais, dans sa table généalogique des Dauphins, a mal a propos indiqué Petronille comme femme de Guigues-le-Vieux, car on voit qu'elle avait épousé Guigues-le-Gras PAR LÉON MENABREA 165 Ce Guigues, que les historiens modernes nomment Guigues-le-Comte , parce que n’ayant pas de surnom il s’intitulait simplement Guigo comes, tandis que son aîeul se qualifiait de Guigo vetus, ou Guigo senex , et son père Guigo pinguis, ou Guigo crassus; ce Guigues, dis-je, épousa une princesse appelée Reine, ou Reine Mathilde (1), laquelle lui donna un fils qui au nom de Guigues ajouta celui de Dauphin, Guigo Dalphinus: il est désigné ainsi dans un traité qu'il fit, en 1140 environ, avec Hugues II, successeur de S'Hugues, au siége épiscopal de Grenoble (2). Guigues- Dauphin fut tué, en 1142, sous les murs de Montmélian, à ce que les chroniques assurent. Il avait pris pour femme Marguerite, fille d’Etienne, comte palatin de Bourgogne, nièce du pape Calixte II (3); de cette union il eut un fils, nommé, comme lui, Guigues-Dauphin, qui mourut en 1161, et fut le dernier mile de l’antique lignée des comtes d'Albon. On ne sait précisément d’où venait à ces princes le titre de comte d’Albon, que leur attribuent les écrivains contemporains, et qu'ils pre- naient parfois dans les diplòmes (4); tout fait cependant présumer que ce titre provenait de ce qu'ils possédaient le chateau d’Albon , situé entre Valence et Vienne, sur la rive gauche du Rhòne; au reste, on les voyait aussi, en de certaines occurrences, se dire comtes de Grenoble (5). Beatrix, fille unique de Guigues-Dauphin, où de Guigues V, comme les historiens l’appellent, épousa, en premières noces, Guillaume Taillefer, comte de S'-Gilles (6); en secondes noces Hugues, duc de Bourgogne, et en troisiémes noces un sire de Coligny. Elle eut de son mariage avec Hugues un fils qui recueillit son héritage; ce fils, nommé Guigues ou (1) Ego Guigo comes precibus Maicunde regine (Chart. Ulc., p. 154). Testes sunt Matildis regina uzror ejus (Chart. Ulc., p. 186). Uxor ejus Maelda (Cartul. de St-Hugues, n.° 2, fol. xLV). Eadem die ante Reginam uxorem suam definite sunt querimonie (Chart. Ule., p. 152). On se fonde sur un document tiré du cartulaire de Domène, pour dire que celle princesse était fille d’un roi d’An- gleterre. Dominus 7igo comes et uxor ejus regina que fuit de Anglia. (Voyez Valb., t. HI, p. 376). (2) Guigo comes qui vocatur Dalphinus. (Voy. Duboys, p. 486). (3) Guillaume chanoine de la cathedrale de Grenoble, auteur contemporain de la vie de Marguerite, parle de ce mariage: ad copulam egregii comitis Guigonis Dalphini fuit translata. (4) Dans un acte de 1132, Guigues-Dauphin s’intitule Guigo comes de Albivne (V. Salvaing, p. 494); dans un autre acte de 1155, le fils de ce prince est dit: Guigo Dalphinus Albonis comes (V. Valb., t. IT, p. 255). Les auteurs du XII siècle, qui ont parlé de ces comtes, les appelleni Albonenses ou Albionenses comites. (5) Dans un diplòme de 1150, Guigues-Dauphin est qualifié comes Gratianopolitanus (Valb., t. I, p- 93). Dans une charte de 1050 Guigues-le-Vieux s’étail déjà intitulé: Ego Guigo Gratianopolitanae provinciae princeps. Etat pol. du Dauph., t. II, p. 363. (6) C'est pour cela que Taillefer prenait le titre de Zienzensium et Albonens. comes. V. Chart, Ulc., p. 48. 166 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Guigues-André ( Guigues VI) se décora, à l’exemple de ses aieux maternels, de la qualité de Dauphin (1); il laissa pour successeur un autre Guigues (Guigues VII) qui non-seulement s'intitula Dauphin (2), mais introduisit l'image d’un dauphin dans son sceau privé (3). Jean, fils de ce Guigues, mourut en bas dge. En 1273, Anne, sceur et héritière de Jean, épousa Humbert, sire de la Tour-du-Pin, lequel devint dès lors la tige d’une troisième race illustre qui produisit succes- sivement Jean II, Guigues VIII et Humbert II. Personne n'ignore que ce fut Humbert II qui, en 1340, fit cession du Dauphiné aux aînés de France. S'il est important de connaître l’origine et la série géngalogique des Dauphins, il l'est peut-ètre plus encore de savoir en quoi consistaient les possessions de ces princes. Cet examen me fournira (chose non moins essentielle) l’occasion de déterminer les limites du pouvoir temporel des églises de Grenoble, de Vienne, de Gap, et d’Embrun. Malgré l’absence de preuves directes proprement dites, il est permis de croire que, du temps de Rodolphe-le-Fainéant, les évéques de Grenoble exercaient une autorité politique sur la totalité de leur diocèse, qui contenait quatre décanats ou archiprétrés; celui de Grenoble, celui de Viennois, celui de Savoie et celui d’Outre-Drac, Ultra Dracum (4). Mais, ainsi que je l’ai déjà remarqué, surgit, vers le milieu du XI siècle, la famille des comtes d’Albon, qui se rendit peu à peu maîtresse du Graisivaudan (c’est le nom qu'on donnait au comté de Grenoble) et qui, bravant les anathèmes, vint s°établir, téte levée, jusque dans la ville épis- copale: ce ne fut pas toutefois sans peine qu'elle maintint ‘son ceuvre de spoliation; il lui fallut lutter contre les décrets mémes des empereurs qui, à différentes époques, et notamment en 1161, 1178, 1361, confirmèrent à l’église, dont il est ici question, la plupart de ses anciennes prérogatives. Le diplome de 1178 offre en effet des clauses larges et assez expli- cites: « Que chacun sache, dit Frédéric-Barberousse, queu égard à la » fidélité et aux bons services de Jean, vénéerable évéque de Grenoble, » prince de notre empire, nous lui concédons tout ce que lui et ses » prédecesseurs possèdent et ont possédé légitimement, savoir: les régales, » à partir du chiteau de Bellecombe, en descendant le cours de l’Isère, (1) Ses sceaux portent la légende: Sig. Guigoris Andree Dalphini comitis Albonis et Vienne palatini. (2) Il se qualifie dans son testament: Ego Guigo Dalphinus Vienne et Albonis comes. Valb., t. 1I, p 3. (3) Valb., t. I, p. 373. (4) Pouillée, De l’év. de Grenoble. PAR LÉON MÉNABRÉA 167 » sur les deux rives de ce fleuve, selon l’étendue de l'évéché, dans la » cité et hors d’icelle, champs, vignes, paturages, prés, bois, foréts , » terres cultes et incultes, caux, cours d’eau, marais, ports, lieux ouverts » et non ouveris, chasses, péches, villages, hommes, péages, marches , » fours, moulins, monnaies, mines d’or et d’argent, jugements, bans, » genéralement toutes choses, que les évéques susdits tiennent de la libe- » ralité imperiale, et en particulier le chiteau de S'Donat ...» Ge chateau, situé à une lieue et demie au nord de Romans, avait été donné à l’évéque de Grenoble par le roi Boson, fondateur du second royaume de Bourgogne, au IX siècle (1). C'est là que se retira l’évéque Isarn, lorsque les Sarrasins occupaient nos contrées (2). Malgré l’ampleur des concessions ci-dessus mentionnées, il est certain que, tant que dura la période féodale, la juridiciion urbaine de Grenoble demeura constamment indivise entre les évéques et les Dauphins, à la charge par ceux-ci de se reconnaître hommes liges de ceux-là, ce qu'ils faisaient régulièrement à chaque mutation de vassal ou de suzerain (3). Pour l’exercice de cette juridiction, les intéressés nommaient un juge commun, et ils partageaient ensuite les émoluments de la justice (4). Outre la part indivise de souveraineté que je viens d’indiquer , les evéques jouissaient, soit au dedans, soit au dehors de la ville, de plusieurs droits exclusifs (5), qu'ils exercaient par le ministère de (1) C'est ce que nous apprend St-Hugues dans la relation du procès qu’il eut avec l’archevéque de Vienne..... Et ccclesiam sancti Donati grat. eccl. obtinuit largitione regum videlicet Bosonis ci Ludovici fili sui quod preceptis eorum regalibus declaratum est. (2) V. Mist. chr. de Jovinzieux de nos jours, St-Donat ancienne residence des cvéques de Grenoble, par Jean Claude Martin, 1812. (3) Hommage du 21 avril 1307, Valb., t. II, p. 130; hommage du 9 avril 1340 (Nota Guigonis Frumenti, fol. 97); hommage du 3 octobre 1450 (Liber cop. grat., t. I, fol. 404). (4) Pouillé de Gr. On peut consulter les traités passés entre les évèques et les Dauphins en 1293 (Valb., t. II, p. 70), en 1305 (Arch. de Gr., Liber cop. factum civit. Grat. tangentium, t. I, fol. 115) et en 1343 (Valb., t. II, p. 468). En depit de tous ces traités, les causes de discorde continuèrent à subsister pendant longlemps encore, ainsi qu'il serait facile de s’en convainere par la lecture du mémoire que l’illustre évèéque Rodolphe de Chissé rédigea en 1379, sous le titre de : « Ce sont les » articles baillez par l’évesque de Graynoble contre le gouverneur et chancelier et autres officiers » du pays de Daulphine , sur les exlorsions, gricz et dommaiges et injures fais sans cause audit » évesque et à ses gens et aussi contre la majesté dalphinal et pays de moss. le Dalphin ». (Liber cop. fact. civit. Grat., t. II, fol. 51). (5) Ils avaient des fractions de juridiction è Gières, à Venon, à Domène, à Murianette (Valb., t. I, p. 32 et 38). Ils possédaient des taillables et des censiers à Cornillon (Traité de 1305, cité dans la note précédente), à St-Hilaire où ils avaient une maison-forte ( Traité de 1319; Liber cop. Grat. , t. I, fol. 142); ils percevaient divers droits è Herbeys (Lib. cop., fol. 1 et seqq.). 168 DES ORIGINES FEODALES ETC. certains officiers particuliers, qui, aux XIII et XIV siècles, étaient le vicaire, l’official, le procureur fiscal, le courrier, le chancelier, les greffiers (1). Du temps de Hugues et de son successeur immédiat on comptait, parmi les officiers épiscopaux, le convers, le cellerier, le mistral (2), le sénechal (3), le maréchal, le procureur, le bourreau (4). Les pretentions des Dauphins sur la cité et sur le comté de Vienne, bien qu'’elles fussent étayées de titres apparents, ne tiraient pas. moins, en majeure partie, leur source d’un système d’usurpation exécuté avec une rare persistance, avec une infatigable ténacité. En 1155, tandis que Berthold de Zaeringen jouissait, sous la quali- fication de rector, cu de dux Burgundiae, d'une espèce de haute su- zeraineté dans l’ancien royaume de Bourgogne, les Dauphins se firent passer par ce prince une donation, qui, encore que très-ambigué, servit de fondement aux attaques de tout genre, qu’ils dirigèrent dès lors contre les archevéques de Vienne (5). Afin de repousser de pareilles agressions ces prélats, comme je l’ai précédemment noté , recoururent aux empereurs d’Allemagne et en obtinrent les divers diplòmes, dont j'ai eu l’occasion de parler (6): puis, en 1602, ils jugèrent à propos d’acquérir les droits que la maison dite de Vienne prétendait avoir sur le comté de ce nom (7). On sait que, suivant l’opinion commune, cette maison sortait de Charles- Constantin, fils de Louis-l'Aveugle. Mais, en 1337, le dauphin Humbert II, voulant donner une couleur à ses continuels empiétements, s’attira une (1) Pouillé de Gr. (2) Misit autem Guigonem conversum et I7illielmum Letardum cellarium suum et Adonem de Bocoiron ministralem suum... .. Et comes misit homines suos scilicet. ... Benedictum botelarium suum sive mili- tem suum et Petrum Chalnesium ministralem suum et Bernardum retrogardam suam de Gratianopoli (Charte citée dans les notes précedentes). (3) Un document de 1110 fait mention de Odoris infertoris dapium sive senecalci. Salv. , p. 492. (4) Dans une charle de 1224 on trouve: testes sunt Oldericus procurator episcopi. ... Athenulphus gardaniola borellus episcopi..... Petrus de sancto Andrea marescallus episcopî....V. Duboys, p. 472. Je crois, contre le sentiment de l’abbé Barthélemy, auteur d’une suite de dissertalions manuscrites sur l’histoire de Grenoble, que les mots dorellus episcopi ‘indiquent l’officier chargé de punir les malfaiteurs; on sait que l’église pouvait infliger tous les supplices qui avaient lieu sans effusion de sang. Le borellus episcopalis est mentionné dans deux autres chartes du cartulaire de St-Hugues, fol. LXII et LXIM. (5) Cette charte qui existe encore actuellement dans les archives de l’ancienne Chambre des comptes de Grenoble, a élé publiée par Valb., t. II, p. 255. (6) V. ci-devant. (7) V. le Registre Dalphinal de Mathieu Tomassin de la Bibl. publ. de Grenoble, fol. 258. PAR LÉON MÉNABRÉA 169 cession semblable de la part de Guillaume de Vienne, à qui il paya , pour cet objet, la somme de six mille florins d’or (1). Les dissensions qui existaient entre les deux pouvoirs prirent, dès lors, un caractère plus grave: des luttes sanglantes eurent lieu (2), pendant lesquelles le Dauphin fit tant, soit auprès des habitants de Vienne, soit auprès du chapitre mé- tropolitain , que les premiers le reconnurent seul et unique comte de Vienne, et lui prétèrent à ce titre serment de fidélité , tandis que le chapitre lui transféra solennellement la garde de la ville et lui livra Van- tique chatean des rois burgondes, la celèbre Maison des Canaux (3). Quand, au milieu de ce cahos, on cherche à déméler la juridiction respective des Dauphins et des archevéques, on peut se convainere que ceux-ci étaient les véritables successeurs des anciens comtes de Vienne; on voit que la garde de la cité leur appartenait; qu’ils y entretenaient un meétral ou mistral, un courrier, un juge, par l’intermédiaire duquel ils administraient la justice, recevaient les testaments, les .émancipations, les tutelles, percevaient les impòts; toutefois certains droits, non sans impor- tance, compétaient également au Dauphin; ainsi, aucun des fiefs, aucun des hommes, aucun des édifices que le Dauphin possédait à Vienne ne pouvait subir de juridiction autre que celle de ce prince. A l’exemple de l’archevéque le Dauphin avait un mistral qui résidait dans la ville et y exercait une assez grande autorité. Chose singulière, il suffisait qu’un des sujets du prélat passat une nuit sous le toit du Dauphin pour qu'il devînt, durant cette nuit méme et le lendemain , Justiciable de ce dernier (4). Or, à raison de ces différents droits , les Dauphins, tout aussi bien que les archevéques , s’intitulaient comtes de Vienne, sauf néanmoins qu’à cet égard ils se reconnaissaient feudataires de l’église et devaient lui remettre chaque année, à la S'-Maurice, douze livres de cire en signe de vassalité (5). (1) Valb., t. II, p. 348. (2) V. le Registre Dalphinal, fol. 258 et suiv. (3) Chartes de 1338. V. Valb., t. II, p. 363 et 364. (4) On peut consulter è cet égard, aux archives de la Chambre des comptes de Grenoble, un volume étiqueté Droits des Dauphins sur la ville de Vienne, où sont inscrits plusieurs titres im- portants; et un autre inscrit Reg. litt. et privil. comit. et baillivatus Vienne in Viennesio. Voyez aussi Valbonnais, t. I, p. 33 et 109. V. aux arch. de Grenoble, Probus, fol. 106 et 432, et note Guigonis Frumenti, fol. 46. (5) Charvet, pr., p. 662. Serie II. Tom. XXIII. (S) (IS) 170 DES ORIGINES FÉODALES Les archevéques de Vienne, en qualité d’abbes de S'Bernard de Romans, jouissaient en outre à Romans de la plénitude du pouvoir tem- porel, ce qui ne les empéchait pas d’ètre fréquemment en querelle tantòt avec le chapitre de l’abbaye, tantòt avec les habitants de la ville (+). Les Dauphins n’eurent d’abord, en ce lieu, que de simples émoluments, tels qu’une partie des bans ou amendes, le tribut qui se levait sur le mariage des veuves, la redevance appelce pro escuwellatis sponsarum ete.; mais après de longs troubles, après de cruelles et de scandaleuses dis- sensions (2), ils parvinrent à se faire associer, pour une moitié, à la puri- diction souveraine que les archevéques y exercaient (3). CHAPITRE X. Evéques de Gap et d'Embrun. - Comtes de Forcalquier. - Comies de Provence. - Guillaume expulse les Sarrasins. - Ses descendants. - Tige des comtes de Die. - L’empereur Conrad, octroie è l’archevéque Willielme la plénitude des droits régaliens sur la cité d'Embrun. - Prérogatives nouvelles. - La puissance de ces prélats est cependant limitée par les comtes de Forcalquier. - Les Dauphins prennent la qualification de comtes de Gap et d'Embrun. — Ils se déclarent vassaue de la chaire métropolitaine. — Traités. - Diplomes imperiaue en faveur des évéques de Gap. - Les Dauphins fomentent contre ces derniers l’esprit de revolte. - Ils se font céder par les habitants de ia ville ce qu'on nommait le consulat. - Concordat. - Ses bases. - Possessions des évéques hors de Gap. - Vallée de Briancon, attribute par le roi Guntramn au siége épiscopal de Maurienne. - Village de Rame. - Principaulté du Brianconnais. - Elle fait partie du domaine. - Les habitants obtiennent d'amples priviléges. - Famille de Bardonnéche. - Généalogie de ces seigneurs. - Familles du Viennois et du Graisivaudan. - Sires de Sassenage. - Bérenger. - Clermont. - Rossillon et autres. - Sires de Bocsozel. - Seignewrs de Maubec. - Enumération des principales races feodales du Viennois. Afin que le lecteur puisse parfaitement saisir ce que j'ai à lui dire, concernant les églises de Gap et d’Embrun, et sur la maniere dont les droits temporels de ces églises se trouvaient mélés à ceux des Dauphins, i) V. Dochier, Mém. sur la ville de Romans. Consultez une trans. de 1274. Valb. t. I, p. 125. 2) On trouve aux archives de la Cour des comptes de Grenoble un registre aussi interessant que curieux, inlitulé Scripturae tangentes villam de Romanis, qui contient le detail de tous ces evénements. Les entreprises des Dauphins sur la ville de Romans remontaient au reste a une époque assez cloignée. Une charte du XII siècle signale Guigues-Dauphin comme ayant pillé et Aévasté Romans; ce prince y est qualifié /ir arimo ferus armis validus. V. Martèene, Anecd,, \. I, p. 381. 3) Valb., t. II, p. 497. PAR LÉON MÉNABRÉA I7I il est necessaire que je l’initie à l’origine et anx premiers développements dynastiques des comtes de Forcalquier. On sait que, pendant la domination des rois de Bourgogne, les comtes d’Arles, devenus puissants, avaient été investis, à titre de bénéfice héré- ditaire, d’une portion considérable de ce qu’on appelait déjà alors la Provence, Provincia, Provincia Arelatensis, Regnum Provinciae, ou Provinciarum (1). C'est de Guillaume, l’un d’eux, de ce guerrier fameux qui en 975 acheva d’expulser les Sarrasins, que descendent les comtes de Provence, qui jouèrent un ròle si important dans l’histoire de nos contrées. Guillaume IT, son successeur, eut deux fils, Geoffroy et Bertrand ; Geoffroy fut comte de Provence après la mort de son père; quant à Bertrand, il épousa Alayris, comtesse de Die, qui lui donna plusieurs enfants. Ceux-ci possédèrent quelque temps, en commun, sous la sur- veillance de leur mère, l’héritage paternel; l’aîné Bertrand II, le seul qui avait fait race, prenait le titre de comte de Forcalquier; ses domaines s'étendaient principalement sur les comtés de Sisteron, d’Avignon, de Gap et d'Embrun (2). Bien que Forcalquier, petite ville des Basses-Alpes; le Forum Neronis des itinéraires romains, ne fùt la capitale d’aucun des nombreux pagi, eréés lors de l'invasion des barbares, il ne faut pas s’étonner de voir son nom employé ici comme deésignation féodale et patronymique; car, au XI siècle, les divisions territoriales, établies par les peuples du nord, commencaient à s’aliérer; de nouvelles juridictions, de nouvelles. cir- conscriptions se formaient et allaient emprunter des dénominations à des localités souvent peu connues. Des deux fils de Bertrand II, l’un, Geoffroy-Ponce , esi la tige des comtes de Die; l’autre, Guillaume-Bertrand, ne laissa qu’une fille qui en 1080 se maria avec Ermengaud, comte d’Urgel, en Catalogne, et lui apporta le comté de Forcalquier. Au décès d’Ermengaud, Guillaume, fils cadet de ce prince, obtint le comté dont il est question. Bertrand IH, héritier de Guillaume, transmit lni-méme ses petits états à un sien fils, assez célèbre, que les historiens appellent Guillaume VI, (1) V. ci-devant. (2) Dans une charte de 1027 on. lit: Ego Bertrandus comes Fortiscalquerii et Montisfortis et i Ebredunensis ei Gaufredus et Guill. fratres mei cum consilio matris nostre domine Alayris comitisse Diensis (Bouche, Mist. de Prov., 2 part., p. 60). 1772 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. afin de le distinguer de ses homonymes. Ce personnage eut une fille unique, nommée Garsende, qu'il donna en mariage à Raymond de Sabran, ou de Claustral, sire de Castellar. De cette union naquirent deux filles ; Garsende, la première, devint la femme d’Ildefonse IT, comte de Provence; Béatrix, le seconde, fut accordée, en 1202, au dauphin Guigues-André, è qui elle remit en dot toute la partie du comté de Forcalquier, situé en decà du Pont du Buoch, près de Sisteron (1). Les circonstances qui précédèrent et suivirent la chute du dernier royaume de Bourgogne, n’avaient pas été moins favorables aux églises d’Embrun et de Gap, qu'à celles que j'ai eu jusqu'à présent l’occasion de remémorer. Si l’on devait juger des attributions temporelles des arche- véques d’Embrun par les seuls diplòmes des césars allemands, il faudrait en conclure qu’elles étaient fort amples et fort importantes. En 1147; lempereur Conrad octroie à l’archevéque Willielme la plénitude des pouvoirs régaliens dans l’antique cité d’Embrun, la faculté de battre monnaie, le droit de rendre la justice , celui de percevoir les péages etc., justicias monetam pedaticum in utraque strata telluris et fluminis (2). En 1238 l’empereur Frédéric II confirme ce privilége en faveur de l’archevéque Aymar; en 1251, l’empereur Guillaume de Hollande en amplifie encore les termes et y ajoute la prérogative de créer des notaires et de recevoir, ou faire recevoir, en tous lieux quelconques du royaume d’Arles et de Vienne, les actes de juridiction volontaires et no- tamment les adoptions et les légitimations (3). Enfin une vingtaine d’années après, l’empereur Rodolphe de Hapsbourg nomme à perpeétuité les ar- chevéques d’Embrun princes de l’empire, secrétaires auliques et came- riers impériaux (4). Mais, en réalité, la puissance de ces prélats se irouvait singulièrement limitée et génée par les prétentions des comtes de Forcalquier, prétentions qui ne manquaient point de fondement. Et en effet, un acte de 1057, où est consignée l’élection de Winimann au (1) Totum comitatum et totam terram que a Ponte Buchii de Sistarico sursum est et extenditur per episcopatum Vapiciensem et per archicpiscopatum Ebredunensem (Joannis Columbi Mannuacensis dissert. de Guill. juniore comite Forcalquerii in opusculis ; Lugduni, 1668, p. 91). (2) Gall. Christ. in instr., +. III, p. 179. (3) Etat. pol. du D., +. II, p. 18. (4) V. Histoire cccl. d'Embrun, par M+ +4 (Albert) bachelier en droit canonique et civil de la faculte de Paris et docieur en théologie. Embrun , 1783, in-8°. Ce volume rare est le second de \'Hist. géograph. natu. eccl., et civile du diocèse d'Embrun. V. aussi les Annales eccl. d’Embrun par le P. Fournier, PAR LÉON MENABREA I 73 siége d’Embrun, nous montre Guillaume Bertrand, comte de Forcalquier, et Geoffroy-Ponce , son frère, qui se qualifiait comte de Die , comes Diensis, parce qu'il détenait les domaines de son aieule Alayris, ou Alix, comtesse de Die, nous montre, dis-je, ces deux seigneurs approuvant ladite élection, et lui imprimant une espèce de sanction legale (1). Il y a plus: on voit par une transaction de Guillaume VI , arrière- petit-fils de Guillaume Bertrand, avec l’archevéque Pierre, que les comtes de Forcalquier jouissaient à Embrun de droits à peu près égaux à ceux de l’église; qu'un grand nombre d’habitants ne devaient obéir qu'à eux, et que méme les fortifications de la ville leur appartenaient, è l’exception d’une tour que Bertrand III avait consenti è laisser entre les mains de l’archevéque , et que l'on designait, pour cela, du nom de Tour de l’archevéque (2). Lorsque les Dauphins eurent acquis une portion de l'héritage des comtes de Forcalquier, ils ne cherchèrent point à s'arroger le titre féodal que laissait vacant l’extinction de ces princes; ce titre, les comtes de Provence se l’attribuèrent du chef de Garsende, soeur aînée de Beatrix. Toutefois ils n’hésitèrent pas à prendre (je parle des Dauphins) la qua- lification de comtes de Gap et d’Embrun, et soit pour se rendre le clergé favorable, soit pour esquiver la suzeraineté des Provencaux, ils se re- connurent, à raison du comté d’Embrun, vassaux de la chaire métropo- litaine, et lui prétèrent, en la personne de son pontife, serment de fidé- lité (3). Divers traités conclus en 1321, 1331 etc. nous apprennent que les archevéques et les Dauphins étaient souverains indivis d’Embrun et de Chorges, où ils entretenaient des officiers communs (4); les premiers possedaient en outre les chateaux de S'-Clément, de S'-Crépin, de la Sauze, de Guillestre, de Vars, de Crevoux, de Risoul, de Chateauroux etc. (Jacques Gala, archevéque d’Embrun, fit composer, en 1437 environ, un recueil des priviléges et possessions de son église, où l'on voit par le (1) Confirmanie Pill. Bertrando et Gaufredo seu Pontio Diensi comite.... (Gioffredo, p. 338). (2) Gall. Christ. ininstr., p. 208, transaction de 1177. (3) Valb., t. I, p. 248. Les Dauphins renouvelèrent souvent ces hommages. Une reconnaissance du 20 adut 1334 porte que le dauphin Humbert II, recogrovit se tenere in feudum a domino Ber- trando archiepiscopo Ebred. et ab ecclesia sua Ebredunensem comitatum et omnia et singula que tenet apud Caturicas....et specialiter palacium per predecessores ipsius domini Dalph. juxta et extra muros Ebreduni versus orientem edificatum (Regesta Humb. Pilati, 1334 catervus secundus, fol. 53). Acte de 1210, B:02. Seb., I, 78. (4) Valb., t. IT, p. 188 et 190. 174 DES ORIGINES FÉODALES ETC. menu en quoi lesdites possessions consistaient); ils commandaient exclu- sivement dans la vallée de Barcelonette et s°y faisaient représenter par un bailli qui habitait l’ancien chitean de Falcon (1). Quelques mots maintenant sur les éveques de Gap. Forts des diplòmes impériaux et spécialement d’un precepium de Frédéric-Barberousse, du 2 des cal. d’aoùt 1178, ces prélats exer- cèrent longtemps à Gap une souveraineté absolue (2). Mais à peine les Dauphins eurent-ils recueilli la part de Béatrix de Claustral à la suc- cession de la maison de Forcalquier, que ces princes, avides d’agrandis- sement, leur suscitèrent de graves embarras. Ils achetèrent d’abord les droits qu’un seigneur, nommé Roland de Mantier, prétendait avoir au tiers de la juridiction de Gap; puis, fomentant l’esprit de revolte chez les habitants de cette ville, ils se firent céder par eux ce qu'on appelait le consulai, qui se composait d’un ensemble d’attributions assez fructueuses, concernant la police et les marchandises (3). Comme le consulat appartenait aux évéques, ceux-ci se récrièrent contre une semblable cession et se mirent sous la protection du comte de Provence, se déclarant ses hommes liges afin d’obtenir son appui (4), quoiqu'ils ne fussent véritablement feudataires que des empereurs (5), et allèrent jusqu’è lui abandonner par indivision la mitié de la cité épis- copale , abandon qui néanmoins resta sans effet (6). Malgré cela, les Dauphins tinrent bon et obligèrent les évéques d’en venir à un concordat, dont voici les bases: 1° Les consulats et les émoluments qui en dépendent sont an Dauphin. (1) Preheminentiae spirit. et temp. archiep. Ebred. (V. Valb., t. JI, p. 14). A V’exemple des autres prélats de nos contrées, les archevéques d’Embrun élaient constamment troublés dans l’exercice de leur juridiction. V. Gravamina etc...... Arch. de Grenoble. In isto libro continentur informat. domini nostri Dalph. in plurib. Bailliv., fol. 57. (2) Il existe des copies de ce privilége, ainsi que de deux autres diplòmes impériaux de 1184 et de 1238, dans un registre de l’ancienne Chambre des comptes de Grenoble intitulé Titres concernant la ville de Gap, fol. 1, 3 et 92. Voyez encore Gallia Christ. , t. I, p. 87. (3) Cette cession eut lieu en 1297 en faveur de la dauphine Beatrix. V. Valb., t. II, p. 92. (4) Acte de 1271. Gall. Christ. în instr., t. I. p. 87. (5) Les diplòmes ci-dessus cilés, de 1184 et 1228, portent en termes exprès: Ita quod predictus episcopus eadem regalia a nobis et imperio tencat et recognoscat. On trouve mème qu’en 1383 Charles de Bouville, gouverneur lieutenant-general du Dauphing et vicaire impérial, éerivit aux chàtelaine de Champsaur et de Montalquier pour assigner l’évéque de Gap à prèter hommage è l’empereur du temporel de son éveèché, (Titres concernant la ville de Gap, fol. 13). (6) Acte de 1281, Gall. Christ., p. 88. PAR LÉON MÉNABREA 17 5 2° L'évéque est le gardien de la ville, et dispose des clés d’icelle. 3° Les publications se font en son nom. 4° Ses ofliciers seuls peuvent appliquer la peine du carcan à ceux quì l’ont encourue. 5° Le produit des bans, ou amendes, se partage entre le Dauphin et l’évéque. 6° Enfin, la connaissance des procès en matière réelle et immobilière est dévolue à un juge élu d’un commun accord (1). Hors de Gap, les évéques possédaient les chateaux de Rambaud, de la Batie-vieille, de la Batie-neuve, de Montmaur, de Chateauvieux-sur- Tallard, de Tournefort, de Fare, de Poligny etc. (2). Ils faisaient hommage de ces fiefs aux comtes de Provence; on remarque méme qu’en 1328, à l’occasion de l’élection de Dragonet de Lyoncel au siége de Gap, le sénéchal de Provence ordonna de placer pendant un jour la bannière de son maître au haut de la.tour du palais épiscopal, en signe de suzeraineté (3). : Les Dauphins relevaient également des comtes de Provence pour tout ce qu'ils avaient dans le diocèse de Gap (4). Continuons nos explorations. (1) Acte de 1300 — Valb.,.t. I, p. 53. Ce traité ne mil pas fin, tant s’en faut, è toutes les diffi- cultés. On peut consulter aux archives de l’ancienne Chambre des comptes de Grenoble deux registres, intitulés l’un Extracta fucta de litteris instrumentis et munimentis jurium et prerogativarum que Dalph. habet in civitate Vapercensi, et l’autre: Documenta et scripturae tangentes jura que do- minus noster Dalph. habet in temporalitate episcopatus Vapencensis. Pour ce qui est des querelles anté- rieures à l’année 1300, voyez dans le registre des 7’itres concernant la ville de Gap, fol. 153, 99 et 81: 1.° Diverses procedures de l’an 1242, relatives à la juridiction criminelle que les Dauphins exercaient a Gap. 2.° Un compromis passé le 13 des calendes d’aoùt 1252 entre l’évéque Othon et Guigues- Dauphin, è l’occasion de leurs différents. 3.° Des lettres de sauvegarde accordées à l’évéque de Gap par Charles, roi de Sicile et comle de Provence, le 25 juin 1295, portant defenses et inhibi- tions au Dauphin de troubler et molester ce preélat. (2) Gall. Christ., p. 87. (3) Ibid., p. 88. (4) La supériorité des comtes de Provence à cet égard, provenait de ce que ces princes avaient succedé aux comles de Forcalquier (Hommage de 1257, v. Valb., t. I, p. 205). Cette supériorité toutefois ne pouvait exister que réserve faite de celle des empereurs d’Allemagne, ainsi qu'on le voit dans un diplòme que Frédéric II accorda en 1242 au dauphin Guigues, où ce monarque S'exprime en ces termes: A/lodia tam in predicto Vap. et Ebred. quam in Vienn. et Albonis ac Gratianop. comitatibus duximus concedenda ita ut tamen comitatus et allodia supradicta a nobis et imperio tencat (Titres concernant la ville de Gap, fol. 17). Les personnes qui voudraient connaître plus en detail les droits des Dauphins dans la ville de Gap, peuvent consulter aux arch. de Grex. le registre intitulé Extracta fucta de litteris, instrumentis et munimentis jurium et prerogativarum que Dalph. habet in civitate Vapencensi. Pour le surplus voyez le Preécis Rist. de la ville de Gap, par Théodore Gauthier, 1844, et les Mémoires inedits de Juvenis et de Rochas. 176 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Nous avons vu précédemment que la vallée de Briancon, vallis Briantina, formait, pendant la domination des Burgondes et des Francs, un district à part, appelé pagus Brigantinus, ou Briantinus. Briancon, capitale de ce district (le Briganzio des Romains et au VII siècle le Berientinum castrum), se recommandait déjà alors par son importance militaire. Lorsque, en 579, le roi Guntramn institua le siége episcopal de Maurienne, ce monarque attribua au nouveau diocèse, d’un còte, la vallée de Suse récemment conquise sur les Lombards, et de l’autre, la vallée de Briancon. L'archevéque d’Embrun se plaignit è la vérité d'une concession qu'il disait lui étre préjudiciable; mais Guntramn envoya sur les lieux ses délégués qui plantèrent une limite à un mille au-dessus du village de Rame, et fixèrent ainsi la ligne divisionnelle des deux évéchés (1). Ce village de Rame se trouve lui-méme è peu de distance du Pertuis de Rostaing, Pertusum Rostagni, qui au moyen dge séparait le pagus Bri- gantinus du comté d’Embrun. Cela n’empécha pas toutefois que dès avant l’extinction de la seconde dynastie des rois de Bourgogne, les archevéques d’Embrun n’eussent reconquis dans la vallée en question leur autorité spirituelle (2) Envisagée sous le rapport politique, cette vallée figure parmi les plus anciennes possessions des Dauphins. En 1053, Guigues-le-Vieux, tige de ces princes, avait un chateau à Briancon (3). En 1073 Guigues-le-Gras se rendant à Oulx, fut atteint en route d’une maladie subite qui l’obligea de s’'arréter dans son chateau de Briangon, d’où il envoya aux chanoines d'Oulx des marques de sa libéralité et de sa piété (4): on pourrait con- tinuer ces citations presque à l’infini. Le pays qui sous la domination des Dauphins recut la qualification de principauté du Brianconnais, se composait non-seulement de la vallée de Briancon proprement dite, laquelle se divisait en deux chàtellenies, (1) Charte rapportée par Besson, pr., n.° 109. (2) Plusieurs chartes du Chartarium Ulciensis Ecclesiae témoignent de ce fait. On ne remarque pas d’ailleurs que dans la bulle, par laquelle l’empereur Conrad prétendit unir, en 1038, l’evèche de Maurienne à celui de Turin , il soit fait en aucune manière mention de la vallée de Briangon. V. Besson, pr., n.° 6. È (3) Hoc factum consilio Ade castellani Brienzonis (Chart. Ule., p. 135). (4) Ego Guigo comes qui ab infirmitate detentus in Brianzoni castro ad consecrationem illam nov possum ire. ...(Chart. Ulc., p. 186). PAR LÉON MÉNABREA 177 celle de Briancon et celle de S'-Martin de Queyrières, mais il compre- nait encore les vallées adjacentes de Valpute, ou Vallouise, /allisputa, et de Queyras, Quadracium, formant chacune aussi une chatellenie ou mandement. A la principauté du Brianconnais, les Dauphins avaient incorporé en outre les terres qu’ils possédaient sur le versant oriental des Alpes, | terres importantes distribuées en six chatellenies, savoir: Césanne, Oulx, Salbertrand, Bardonnéche, Exilles et Valcluson (1). La juridiction des Dauphins dans ces deux dernières localités, ou du moins dans quelques- unes d’entre elles, remontait au XI siècle: des documents de ce temps-là nous montrent Guigues-le-Vieux et Guigues-le-Gras disposant en ceuvres pieuses de divers biens situés à Ceésanne et à Oulx (2); je ne parle point ici toutefois d’une juridiction absolue et exclusive; car il est certain que la fameuse comtesse Adélaide de Suse et les comtes de Savoie, ses successeurs, eurent primitivement en ces hautes vallées des droits de divers genre, dont ils se départirent ensuite en faveur du clergé (3). En 1343 les habitants des différentes chitellenies ci-dessus indiquées tant en decà qu’au delà des monts, obtinrent des Dauphins d’amples pri- viléges qui allégèrent pour eux le poids de la servitude féodale (4). Une famille puissante mérite d’étre mentionnée ici: c'est la famille des sires de Bardonnéche; l’origine de ces seigneurs est antique et illustre; Winimann, archevéque d’Embrun, faisant en 1057 environ une con- cession au monastère d’Oulx, rappelle qu’antérieurement un Ponce de Bardonnéche avait généralement abandonné plusieurs redevances à cet établissement religieng (5). Les sires de Bardonnéche détaient tenus à (1) Les chàtellenies d’Qulx et de Salbertrand étaient ordinairement réunies. (2) Chartes cilées aux notes 3 et 4 de la page précédente. La seconde de ces chartes offre surtout ces mots remarquables: Ego Guigo comes in Dei nomine dono..... de hereditatemea...... medietaterm unius mansi qui est in villa qui vulgo Ulcis dicitur. (3) Les ancètres d’Adélaide avaient construit notammert les gglises de Si-Juste à Oulx et d’Exilles, V. Chart. Ulc., p. 35 et 96. Je noterai ici que le chàteau d’Exilles est déjà mentionné dans un document de l’année 1092. V. Chart. Ule., p. 115. (4) Les premières franchises du Briangonnais se trouvent aux arch. de la Chambre des comples de Grenoble dans un registre intitulé Copie plurium instrumentor. domanium dalphinale tangent. in judicatur. baroniar. Brianconis, Ebredunesi, Wapencesii ac Tricastinensis, fol. 424, Les autres ont été imprimges. en 1645, sous le titre de Trarsactions d’Imbert dauph. de Vienne, prince de Briane. et marquis de Sesanne, avee les syndics proc. et communautés de la princip. du Briangonnais; in-fol. (5) Chart. Ule., p. 151. Serie IL Tom. XXIII. 23 x 178 DES ORIGINES FÉODALES' ETC. i hommage lige envers les Dauphins; ils devaient leur fournir un homme d’'armes en cas de guerre (1). Il serait facile de dresser la généalogie de ces feudataires de: haut parage (2); l’un d’eux, Francois de Bardonnéche, se rendit celèbre, au XIV siècle, par sa révolte contre le dauphin Humbert II, et par la sentence de condamnation qui fut prononcée contre lui (3). Avant d’aller plus loin, il faut que je porte mes regards sur les nombreuses juridictions héréditaires qui, après la chute du second royaume de Bourgogne, s’établirent dans le Viennois et dans le Graisi- vaudan; je constaterai ainsi les commencements dynastiques et la position féeodale de plusieurs races qui, au moyn dge, jouèrent en ces contrées un ròle véritablemeni historique: telles furent celles de Sassenage, de Bérenger, de Clermont, de Rossillon, de Bressieu , de Beauvoir, de Clairieu, de Chateauneuf-de-l’Albenc, de Bocsozel, de Viricu, de Morestel, de Chandieu, de Moirenc, des Alamands, des Aynards, de Salvaing, d’Arces, de Commiers, de Theys, d’Arvillards, de Moncarra, de Siboud, de Brion, de Ruyns etc. Un mot sur la plupart d’entre elles. Comme il en a presque toujours été des choses dont la source va se perdre au milieu des temps barbares, on s'est amusé à orner de fictions le berceau de la maison de Sassenage, maison célèbre qui primitivement ne reconnaissait, dit-on, aucune supériorité féodale, et possédait ses terres en franc-alleu. Le peuple pretendait que la fée Mélusine, mystérieuse habitante des grottes de Sassenage, était la tige de ces seigneurs; les cleres, se fondant sur l’analogie des noms, penchaient à croire que les sires de Sassenage, ou mieux de Chassenage, de Cassenatico , selon qu'on l’écrivait jadis, descen- daient d’un chef gaulois, appelé Cassignatus, qui, au dire de Tite-Live, avait emigré en Thessalie. Mais la critique est venue; on a laissé de còté (1) Hommage du 9 janvier 1334. V. Regest. Humb. Pilati, 1334, fol. 30. Je citerai encore ici un hommage de 1279, par lequel un Soffrey de Bardonnèche déclare tenir en fief du dauphin Hum- bert 1 tout ce qu'il possede à Bardonnéche, à Béolar, à Rochemolle et è Neuvache. Je trouve en-outre qu’en 1334, un Boniface de Neuvache, que je suppose issu des sires de Bardonnéche, se reconnaît vassal du dauphin Humbert II, à raison de ce qui lui appartient dans Je mandement de Neuvache, in mandamento de Navachia. — Regesta Pilati, 1334, 1r cahier, fol. 63. (2) Un grand nombre d’entre eux sont mentionnés dans les documents que renferme le Chart. Ulciense, et un plus grand nombre dans les titres et registres de l’ancienne Chambre des Comptes de Grenoble. V. l’inventaire du Briangonnais, v. Bardonnéche. (3) Valb., t. I, p. 303. PAR LÉON MEÉNABRÉA 179 et les traditions populaires, et les jeux d’une érudition oiseuse, pour étudier les documents et en faire jaillir la vérité. Chorier (1) a démontré, ce me semble, assez clairement que la maison de Sassenage tirait origine des comtes de Forét et de Lyon, et qu'elle procédait d’Artaud III, qui vi- vait à la fin du X siècle. Et en effet, parmi les fils cadets de ce prince, Hector et Ismidon eurent en partage, l’un la terre de Sassenage, et l’autre celle de Royans; l’aîné Artaud IV hérita des dignités de son père. A Hector succédèrent Guigues I, Guigues II, Guigues III, Aymar, Albert I, Francois, puis Albert IT, qui en 1339 mourut sans postérité et laissa ses immenses domaines è l'illustre famille Bérenger. Bien que, suivant toute apparence, les sires de Sassenage fussent pri- mitivement indépendants, ils se virent cependant forcés de subir plus tard la suzeraineté des Dauphins (2), ce qui ne les empécha pas toutefois de conserver une position qui les rendait justement à craindre; leurs vassaux s'élevaient à un nombre considérable (3); ils faisaient, au reste, des nobles à volonté (4). Ayant eu l’occasion de secourir efficacement Guillaume de Rossillon, évéque de Valence et de Die, ils recurent en fief le protectorat et l’avonerie des deux églises, auxquelles présidait ce prélat (5). On a beaucoup disputé sur la provenance de la maison Bérenger; quelques auteurs sont allés jusqu'à en rechercher la souche chez Bérenger I et Berenger II, rois d’Italie: l’opinion de Chorier est encore ici la meil- leure (6). Tout porte à croire qu’Ismidon, prince de Royans, est la tige de cette noble race, et que Bérenger, fils de ce prince, lui donna son nom (7). A l’exemple des sires de Sassenage, la famille dont il est question (1) Hist. generale de la maison de Sassenage. Guy-Allard, dans le catalogue ms. de ses livres, redigé par lui-mème et commencé en 1676, dit à propos de l’histoire dont il s’agit: « Il faut remar- » quer que, bien que Chorier se soitnommé auteur de ce livre, c'est pourtant M. le president de « Boissieu (de Salvaing) qui l’a compose ». Comme Guy-Allard aimait peu Chorier, je ne saurais trop jusque à quel point il faudrait tenir compte de cette assertion. (2) Acte de 1247. (3) Francois de Sassenage regut en 1359 l’hommage de 84 sentilshommes. (4) Ils en ergaient encore en 1263. (5) Acte de 1329. (6) Mist. de Sass., p. 227 et suiv. si (7) Les terres que possédait Ismidon sont appelées prizcipatus Ismidonis dans uns charte de l’an 1030. 180 DES ORIGINES FÉODALES ETC. vécut d’abord allodiale et libre, et ce ne fut que lorsqu’elle dut succeder à ces seigneurs que les Dauphins exigèrent d’elle une reconnaissance de fief (1). Elle possédait au XIII siècle le chiteau de Pont en Royans, de Rancurel, de Chatelus, de Barbières en Valentinois, de S'-André et de Chapeverse (2); ces deux derniers lui avaient été remis par les Dauphins en échange de celui de Beauvoir (3). L'origine des sires de Clermont n'est pas parfaitement connue; on cite Siboud de Glermont qui, vers l'année 1094, jouissait déjà d’une très-haute considération (4). En 1302, Guillaume de Clermont consentit, moyen- nant une somme assez forte, à se constituer vassal de l’église de Vienne pour les chateaux de Clermont, de $S'-Geoire et de Crepol (5). Soffrey, petit-fils de Guillaume, épousa Béatrix, fille de Louis de Savoie, baron de Vaud (6); il se rendit, en 1317, homme lige du dauphin Jean, è raison des chateaux de Virieu et de Paladru, et il recut de lui trois mille livres viennoises en correspectif de sa soumission (7). Voisins des sires de la Tour-du-Pin, les sires de Clermont eurent avec eux de longs demélés (8). Leur caractère inquiet et volage fit que les Dauphins son- gèrent à se les attacher par de grands bienfaits. Une convention mé- morable eut lieu à cet effet entre eux le 5 mai 1338 (9). Deux années ensuite, le dauphin Humbert II voulant que ces liens devinssent {plus solides encore, conféra à Aynard de Clermont le vicomté de Trièves, petit district situé au sud de Grenoble et habité jadis par les Tricoriens (10). On a écrit que la maison de Rossillon descendait de ce fameux Girard de Vienne, ou de Rossillon, si connu par le roman de chevalerie qui = (1) Henri Bérenger ne laissa pas que de protester contre la nullité d’un acte qu'il n’avait pas souscrit volontairement. Cette prolestalion, qui est de l’an 1339, porte: Quod haec facere coactus per ipsum dominum Dalph.... ob maliciam dicti domini Dalph. qui modo aliquo resistere non posset. (2) Acte de 1259, partage de la succession de Raymond Bérenger. V. Salvaing, De l’usage des fiefs, p. 377. (3) Acte de 125f. (4) V. Chorier, Etat polt., t. III, p. 192. Chorier et Gui-Allard croient que la famille de Clermont el celle de St-Amedée de Haulterive avaient la mème origine. (5) Salvaing, p. 116. (6) Ezat polit., t. III, p. 193. 7) Valb., t. I, p. 57. (8) Enquéte de 1251, Valb., t. I, p. 191. (9) Valb., t. II, p. 421. Les chàteaux de Paladru et de Montferrat étaient posséedes alors par une branche de cette famille; cn voit paraître dans le traité dont il s’agit un ZMumbertus de Paladruto dominus Montisferrati. i {10) Duchesne, Mist. des comtes d’ Albon et Dauphins du Viennois, preuves, p. 60. PAR LEON MÉNABRÉA 181 porte son nom, et en realité céleébre par le ròle quil joua, au IX siècle, dans les querelles sanglantes qu’eurent ensemble les fils du roi Lothaire (1). Quoi qu'il en soit, cette maison était aussi puissante qu'illustre: les chateaux de Rossillon, d’Anjou et de Montbreton, échelonnés le long du Rhòne, au-dessus de Vienne, lui appartenaient; elle possédait au-delà du fleuve les terres de Serrières et d’Annonay; elle avait au Bouchage un fief de la mouvance des sires de Morestel etc. (2). Maîtres du péage de Rossillon , les seigneurs dont je parle furent pendant long-temps le fléau des voyageurs, et les archevéques de Vienne durent fréquemment essayer de réprimer leurs brigandages en employant les foudres de l’excommunication. Les sires de Rossillon fournirent ce- pendant è l’église des prélats distingués, tels qu'Aymar, archevéque de Lyon en 1275, Amédée et Guillaume, eévéques de Valence en 1270 et 1331, Jean, évéque de Lausanne en 1341 etc. Parmi les familles anciennes de la contrée que nous explorons, figurait celle de Chateauneuf-de-l’Albenc (3). La position de ses domaines, sur la rive droite de l’Isère, lui fournit l’occasion d’avoir de vifs débats avec les sires de Vinay (4), possesseurs des chiteaux de Vinay, d’Armieu et de Vatillieu (5). Ce fut un Jocelyn de Chateauneuf qui, en 1170 environ, apporta de Constantinople les reliques de S'-Antoine, ce qui, quelques années ensuite, encouragea un homme pieux, appelé Gaste, à fonder près de S'-Marcellin un ordre hospitalier sous le vocable du patriarche des anachorètes (6). Les sires de Chateauneuf étaient feudataires des Dauphins (7). On a vu précédemment que les comtes de Savoie tenaient en Viennois des terres considérables, et qu’ils y comptaient plusieurs vassaux; or, au nombre de ces derniers se trouvaient les sires de Chandieu. Berlion , (1) Guy-Allard, Dictionn. hist., chronol., genéal., hérald., jurid. et polit. du Dauph. Ms. de la Bibl. de Grenoble , 2 vol. in-fol. On peut consulter un autre ouvrage de ce mème Guy-Allard, intitulé Nobiliaire du Dauph. ow discours hist. des familles nobles qui sont en cette province, avec le blasorn de leurs armoiries. Grenoble, 1671, un vol. in-12°. (2) V. Chorier, Mist. du Dauph., t. I, p. 778, 783; Valb., t. I, p. 81, t. II, p. 89, ill. (3) Guy-Allard dit en avoir vu des titres de l’an 1095. (4) Jai indiqué ci-devant l’origine des sires de Vinay, qui étaient une branche de ceux de la Tour. (5) Valb., t. I, p. 205, 215. (6) V. Aymarus Falco, Compend. historiae Antonianae. (7) Hommage de 1334. Arch. de la Ch. des C. Regest. H. Pilati. 182 DES ORIGINES FÉODALES ETC. l'un d’eux, jouissait, au XIII siècle, d’un grand credit auprès de ces princes ; il se rendit en 1218 pleige de la dot que le comte Thomas avait constituée à Marguerite, sa fille, en la mariant à Hartmann de Kibonrg (1). En 1241 il fit hommage au comte Amé IV du fief de Chandieu et de tout ce qu'il possedait, depuis les fourches de Falavier jusqu'au Pont du Rhòne, à Lyon, et encore dans le Rhòne autant qu’un cheval peut s°y avancer sans étre obligé de nager, ez etiam infra Rhodanum tantum quantum unus equus intrare potest, excepto quod non natet (2). Peu de familles, au dire de certains généalogistes, remontaient à une époque aussi reculée; on cite un Amblard de Chandieu sous l’an 944; un Hector de Chandieu sous l'année 982; un Nantelme de Chandieu sous l’année 1008 etc. etc. (3): il serait plus prudent de ne commencer la genéalogie de ces nobles tenanciers de la maison de Savoie qu'à un Berlion de Chandieu qui vivait en 1127 et 1130 (4). Il n'est presque pas de maison qui ait eu an moyen dge des destinées plus agitées que celle de l'illustre race des sires de Bocsozel. Vassale en effet des comtes de Savoie, elle dut soutenir contre les Dauphins des luttes sanglantes, et on la vit tantòt résister, tantòt céder aux brillantes séductions qui venaient essayer parfois d’ébranler sa fidelite. Le chitean de Bocsozel, au-dessus de la còte de S'-André, existait déjà au X siècle; une charte de l’an 1004 le mentionne comme situé dans le pagus Salmoracensis, qui était un démembrement du grand comté de Grenoble (5). En 1093 un Humbert de Bocsozel figure parmi les témoins d’une donation du comte de Savoie, Humbert II, à l’abbaye de la Novalaise (6). Un Aymon de Bocsozel, fils ou frère du précédent, (1) Verro, Recueil dipl. du canton de Fribourg, t. I, p. 8. (2) Suppl. à l’ctat polit., p. 130. (3) Assertions de Chorier. (4) Opinion de Guy-Allard. Je ne dois pas cacher ici que cet auteur faisait è Chorier une guerre vive. Parmi les annotations curieuses que conlient le catalogue de ses livres (V. ci-dessus), on en trouve une qui concerne VÉtat pol. du Dauphiné, et où il remarque, avec raison, que cet ouvrage renferme un grand nombre d’erreurs; que 25 familles ont été mises au rang des nobles, quoique n’étant jamais sorties de la bourgeoisie et que 140 autres y ont été altérées etc. ; puis il ajoute: dans le 4° vol. Chorier a voulu corriger ses fautes, mais il en a laissé plus des 3/4, et il en a fait de nouvelles. Je ferais observer, pour ètre juste, que Guy-Allard a commis lui aussi beaucoup de fautes dans 6es ouvrages, tant imprimés que ms., et que sa crilique historique n’était pas exemple de tout reproche: quel est, du reste, l’auteur qui peut se dire irreprochable? (5) Cartul. de St-Hugues: 1 cartul., charle IX, Actum apud castrum Bocissello. (6) Guich., pr., p. 27. Ce personnage intervient encore, en 1100, à un acte du mème prince en faveur dn monastère de Fructuaire, en Piémont. V. Mon. hist. patr., t. 1, p. 730. PAR LÉON MÉNABRÉA 183 faisaiten rrro partie de la suite du comte Amé III (1). Un autre Humbert de Bocsozel assistait en 1130 à la fondation du monastère de S'-Sulpice, en Bugey (2); on le rencontre aussi en divers documents rédigés du temps de Guigues, comte d’Albon, surnommé Dauphin (3). C’est.une centaine d’années après qu'on voit les sires de Bocsozel s’intituler seigneurs de Maubec; on suppose qu'ils avaient recueilli la succession d’une très-ancienne famille qui portait, dit-on, ce nom (4). Les comtes de Savoie étaient déjà, sans doute, devenus alors proprié- taires du chateau de Bocsozel, dont le territoire forma, dès ce moment, une chatellenie annexée d’ordinaire è la còte de S'-André. Celui de Maubec, situé tout près de Bourgoin, devait naturellement donner aux Dauphins de sérieuses inquiétudes; aussi firent-ils toujours d'incroyables efforts, soit pour s’en emparer, soit.pour le garder une fois pris. En 1290 un Aymon de Bocsozel, se laissant subjuguer par les offres de ces princes (ils lui comptèrent 800 livres viennoises), se déclara leur feudataire è raison de ce méme chateau de Maubec et des maisons- fortes de Cheseneuve, des Epanes, de Montléopard, de Pusignau etc. (5); ce personnage mourut d'une mort tragique (6). Son fils Humbert suivit une voie politique differente ; il se montra partisan chaud et intrépide de la dynastie de Savoie (7). Bref, en 1314, un traité de paix ayant eu lieu entre le comte Amé V et le dauphin Jean, la suzeraineté du fief de Maubec fut definitivement attribuée au premier, et un long sujet de guerre disparut ainsi du champ clos, où se vidaient les querelles féodales (8). (1) Guich., pr., p. 30. Un Aymon de Bocsozel, qui sans doute n’est pas different de celui que je viens de mentionner, est cilé avec le comte susdit au bas d’une charte de 1136 ou 1138. V. Doc., Sigill. e Mon., p. 46. (2) Guich., pr., p. 32. Un Humbert de Bocsozel, que je presume èlre le mème que celui dont il est ici question, assisiait, en 1119, à une donation du comite Amé III au chapitre d’Oulx. Chart. Ule., p. 99. (3) Salvaing, p. 383. Duboys, Ze de St-Hugues, p. 488. (4) Guy-Allard, Gercal. de Maubec. Cet auteur énonce une reconnaissance de fief par Aymon de Bocsozel en faveur du comte de Savoie, le 5 des ides de mars 1239, où ce feudataire prend le titre de dominus de Malobecco. (5) Valb:, t. I, p..20. (6) Requisitiones factor. per comitem Sab. contra H. Dalph., an 1301. Valb., t. II, p. 97. (7) V. Guy-Allard, Gereal. de Maubec. (8) Valb., t. IT, p. 155 et 156. Je ne dois pas oublier de dire qu’outre les terres et juridicijons ci-dessus citées, les sires de Bocsozel possédaient le chàteau de Chàtonay, en Viennois, ce qui fut cause que quelques-uns d’entre eux prirent le titre de seigneurs de Chàtonay. Ils étaient aussi, à raison de ce chàteau, hommes liges des comtes de Savoie, Doc., SSigill. e Mon., p. 222. 184 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Une famille, plus dévouée peut-étre que celle de Bocsozel aux in- téréts de la Savoie, vivait en Viennois. Les sires de Miribel, car il s'agit d’eux, possédaient les chiteaux d’Ornacieux et de Faramant, outre l’antique manoir de Miribel, proche des Echelles, d’où ils tiraient origine. Un Amedée de Miribel et son frère Oddon furent en 1086 les bienfaiteurs primordiaux de la Grande-Chartreuse, et contribuèrent puis- samment à l’etablissement de S'-Bruno et de ses compagnons au sein de nos montagnes (1). Non moins anciens et non moins illustres que ceux dont je viens d’esquisser la physionomie, les sires de Beauvoir jouissaient en Viennois d’une position tout à fait brillante et y exercaient une haute influence ; ils occupaient les chàteaux de Beauvoir, de Pinet, de S'-Jean de Bournay, de Villeneuve, de Ruy, de la Palud, de Falavier, de Jonages etc. (2); ils tenaient encore en fief la mistralie de Vienne (3). En ce qui concerne Beauvoir et Pinet, ces seigneurs étaient incon- testablement vassaux des sires de la Tour (4); ils le devinrent ensuite des Dauphins, et l’on trouve méme qu’ils devaient fournir à ces princes cinqg hommes d’armes en temps de guerre (5). Mais relativement à Falavier et Jonages ils se reconnaissaient feudataires des comtes de Savoie (6).Jai dit aillenrs comment ces derniers se firent céder en 1314 S'-Jean de Bournay, et comment en 1249 ils acquirent la terre de Septème de Guillaume (1) Cet acte, que l’on considère comme la charte de fondation de ce célèbre monastère, a été imprime dans la Ze de St-Hugues par M. Duboys. (2) V. le testament de Guill. de Beauvoir, 1277. Valb., t. II, p. 15. (3) Valb., t. I, p. 29, 109, 135. (4) Valb., t. I, p. 192, t. II, p. 18. Dans le second des actes ici cités on lit: Dominus de Turre promittit dicto Drodoni de Bellovidere quod ipse investiet et retinebit cum de feudo castri burgi man- damenti et territorii de Bellovidere de Marco que de feudo ligio ipsius domini de Turre esse noscuntur ab antiquo. 5) Valb., t. II, p. 188. (6) Doc, Sigill. e Mon., p. 180, 192, 194, 261. Le premier hommage de ces seigneurs à la maison de Savoie, relalivement au chàleau de Falavier, est de l’an 1250, Il fut motivé par l’assistance que le comte Pierre donna à Guill. de Beauvoir pour la récupération de ce chàteau, dont les sires de la Tour s’étaient emparcs; p. 180. Il paraît que la vente de ce mème chàteau , faite huit ans auparavant par ledit Guillaume et Hugues, évèque de Clermont, n’avait pas eu d’effet. Voyez Valb., t. I, p. 184. Le chàteau de Falavier devint ensuite la propriété des comtes de Savoie qui en firent le centre d’une chàtellenie. Je dois remarquer ici que, d’après un traité de 1314, les Dauphins avaient abandonné au comte Amé V Ja supériorité des fiefs de Villeneuve, de Marc et de la Palud. V. Guich., pr., p. 144. Le régime féodal forme, comme on le voit, un tableau mou- vant dont il est parfois difficile de suivre les phases dans tous leurs details. PAR LÉON MÉNABRÉA 185 de Beauvoir, qui l’avait eue de son mariage avec l’héritive des sires de Septème (1). Au nombre des plus puissantes familles du Viennois il faut ranger encore celle des sires de Bressieu. Le chateau de Bressieu et le territoire qui en dépendait constituaient dans le principe un fonds allodial, c'est-à-dire franc et exempt de toute supériorité. C'est ce qui fit quien 1318 Aymard de Bressien put sans aucune crainte faire hommage à la maison de Savoie du chàteau susdit, ainsi que de ceux de Viriville et de Lemps, et en general de tout ce qui lui appartenait au nord de la forét de Chamberon (2). Il paraît que lorsque le Comte Vert eut échangé contre le pays de Gex et le Faucigny ses importantes possessions en Viennois, on perdit complétement de vue l’acte que je viens de citer; car les sires de Bressieu recommencèrent à se dire indépendants, et l’on se borna à constater qu'en 1344 ils avaient soumis seulement la septième partie de la puri- diction de Bressieu à la suzeraineté des Dauphins (3). Un Gaufrid de Moirenc, qui vivait à la fin du XI siècie , est le premier des seigneurs de ce nom qui nous soit connu. À une époque où la simonie desolait l’église, ce personnage s’était. emparé de la terre de S'-Donat au préjudice de l’évéché de Grenoble. Frappé d’excommunication, touché peut-étre de repentir, il consentit enfin à se deésister de ses usur- pations et il en fit l’abandon devant l’autel de S'-Michel, en présence de plusieurs prélats: la charte dressée en memoire de cet événement porte que ceci cut lieu avant que Jerusalem fut tombée au pouvoir des croisés, antequam Jerusalem capta esset a Gallis sive Burgundionibus, c'est-à-dire avant l'année 1099 (4). Un autre Gaufrid et un Berlion de Moirenc sont mentionnés en quelques actes du siècle suivant (5), et depuis lors il est assez facile de déméler la descendance de cette noble race. Ces seigneurs possedaient les chiteaux de Moirenc (6) et de Chateauneuf-de-Galaure (7). (1) La terre de Beauvoir avait cessé d’appartenir è la famille de ce nom quand le Dauphiné fut transporte à la France. V. Guy-Allard, Dict. Rist. Une visitatio castrorum Dalphinalium, faite en 1347, nous apprend que les Dauphins possédaient alors les chàteaux de Beauvoir et du Pinet. V. Arch. de Gren.; liber 2 copiarum Viennesii et terre Turris, fol. 26 et suiv. (2) Doc. , sigilli e mon., p. 253. (3) Salvaing, p. 276. (4) Duboys, Zîe de St-Huques, p. 461. (5) Salvaing, p. 382, 448, 483. (6) En 1164 ils accordèrent des franchises au bourg de Moirenc. Valb., t. I, p. 16. C'est un des plus anciens exemples de ce genre de concessions. i (7) Etat. polit., t. I, p. 286. Serie IT. Tom. XXIII, 24 186 DES 'ORIGINES FÉODALES ETC. A l'exemple des feudataires qui precèdent, les sives de Morestel, en Viennois, avaient usurpé au XI siècle différents droits dépendants du domaine ecclesiastique. En trio l’un d’eux, atteint d’une maladie grave au chateau de Cornillon, voulant assurer le salut de son ame, se départit en faveur de S'-Hugues de tout ce qu'il détenait contrairement aux lois et à la justice (1). Les comtes de Savoie, toujours en guerre avec les Dauphins, essayèrent pendant long-temps de s’attribuer, au préjudice de ceux-ci, la suzerainete de la terre de Morestel; mais une enquéte faite en 1301 démontra le peu de fondement de leurs prétentions sur ce point (2). En 1343 Chabert de Morestel reliîcha cette terre au dauphin Humbert II et recut de lui en échange celle de Bellegarde (3). 1 Une circonstance particulière donnait primitivement beaucoup d’im- portance aux sires de Clairieu; c'est qu'ils étaient vassaux immediats de l’empire. Conrad II avait en effet, par une bulle d’or de lan 1151, affranchi le très-noble prince, robilissimum principem, Sylvion de Clairieu, de la juridiction intermeédiaire des comtes de Vienne, et luì avait spécia- lement accordé les péages de la Voute et de Confolens (4). Forts d’une telle prérogative, ces seigneurs crurent pouvoir se livrer impunement au métier de pillards et de detrousseurs; le chateau de la Roche de Glun, Rocha Blavonne, Rupes de Clivo, leur servait de repaire; de là, sem- blables à des bétes fauves, ils se répandaient au loin, ravageaient les campagnes et deévalisaient les voyageurs. Mais le temps de la vengeance arriva. Le naif historien de S'-Louis, Joinville, nous apprend que lorsque en 1248 ce roi traversa la France, se rendant en Palestine, il fit dé- truire le chéteau susdit à cause des brigandages de ceux qui l’habitaient. A Lyon, dit-il, entrdmes au Rone pour aler à Arles et dedans le Ròne trouvdmes ] chastel que Von appelle Roche de Gluy que le roy apait fuit abbatre pour ce que Roger le sire du chastel estoit criez de des- rober les pelerins et les marchans (5). (1) 2.° Cartul. de St-H., fol. 37, verso. Charte 27 intitulée De cimiterio sancti Martini. Ce seigneur, appelé Chabert, est probablement le mème que celui qui est désigné du nom de Tethbert dans une charte du méme cartulaire, publiée par Salvaing, p. 484. (2) Valb., t. II, p. il. (3) Arch. de Gren. Notae Guigonis Frumenti, acte 6.° (4 Valb., t. I, p. 89. (5) Hist. de St-Loys. PAR LÉON MÉNABREA 187 En 1250 un Sylvion de Clairieu, arrière-petit-fils de celui que j'ai précédemment nommé, fut accusé d’avoir donné asile dans ses chateaux de Clairieu et de la Roche de Pisancon aux meurtriers de Berlion, sires de Vinay. Le danphin Guigues VI prétendit en vain l’obliger è se défendre devant le juge ordinaire du Viennois; Sylvion récusa ce magistrat et declara ne vouloir se soumettre qu’an Dauphin lui-méme (1). Il paraît que, nonobstant la bulle de 1151, les sires de Clairieu finirent par accepter la supériorité delphinale; car on trouve un Graton de Clairieu au nombre des feudataires qui, en 1307, à l’avénement du dauphin Jean, prétèrent à ce prince serment de fidélité (2):- um titre de 1343 indique d’ailleurs les domaines de ces seigneurs comme étant ab antiquo de feudo ligio et redibiti ipsius dr Dalphini (3). C'est vers ce temps-là qu’ensuite dn décès de Guichard de Clairieu, sans posterité, les vastes possessions de cette maison passèrent aux comtes de Valentinois. Quelques autres familles du Viennois s’éteignirent également aux XIII et XIV siècles. Ainsi en 1249 Briande de Septème porta les terres de ses ancétres à Guillaume de Beauvoir, et en 1335 environ l'importante seigneurie d’Aathon échut à Hugues, fils d’Amé II, comte de Genève, par le mariage dudit Hugues avec Isabelle, héritière des derniers sires d’Anthon. Outre les races féodales qui viennent d’étre énumérées, le Viennois (et je désigne sous ce nom tout le territoire compris entre le Rhòne , l’Isère et le Guiers) comptait encore plusieurs illustres lignées, notamment celles de la Poype (4), de Torchefélon (5), de Tullins (6), de Bourgoin (7), (1) Valb., t.I, p. 42. (@) Ibid. t. II, p. 129. (3) Ibid., t. Il) p. 551. (4) Un Girardet de la Poype se croisa en 1190. V. Guy-Allard, Dict. hist. (5) D’après Guy-Allard, un Hugues de Torchefélon aurait vécu en 1040. Les sires de Torchefélon élaient vassaux de l’église de Vienne. Voyez Etat polit., t. III, p. 561. (6) Un Aténolphe de Tullins intervenait en 1164 aux franchises du bourg de Moirenc. Nous avons un testament fait en 1342 par une Humilie, dame de Tullins. Valb., t.I, p. 16, t.II, p. 245. Celte famille était fort apcienne. Un Aterulphus de Tullins est mentionné dans le cartulaire de St-Hugues comme tenant en fief de ce prélat le casamerium de Fréol. Un Robert de Tullins vivait en 1189. Chart. Ulc., p. 43. On trouve encore plusieurs seigneurs de ce nom cités au bas des documents publiés par Valb., t. IT, p. 52, 129, 245, et par Guich., pr., p. 107 etc. (7) Guy-Allard cite un Burnon et un Sinfrey de Bourgoin sous l’année 1202; suivant:cet auteur, le chàteau de ‘Bourgoin serait arrivs aux sires de la Tour:du-Pin par droit de commise 188 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de Mailles (1), de Rives (2), de Hauteville (3), de Maugiron, de Chaponnay, de Murinais , de la Porte, de Chastellard, de Vaux, de Boissieu, de Claveyson, de Chalemont, de Montchenu, de Moras, d’Auberjon, de Lemps ete. (4). CHAPITRE XI. Suite des familles illustres du Dauphiné. - Sires d'Hostung. - Rancurel. - St-Quentin et autres races lvistoriques. - Tige des Alamands. - Plusieurs branches en dérivent. - Les Aynards. - Guiques, fils de Ponce, se rend en Lombardie près de l’empereur Barberousse. - Iva mourir à Exilles. - Juridictions diverses depuis Grenoble jusqu'aua frontières de la Savoie. - Le Graisivaudan; seigneuries qui sy trouvent. - Sires de Beaumont, leurs cha- teaux. - Petrus de Toveto. - Possessions des sires de Briancon, non encore mentionnees. - Ayméric.- Droits des comtes de Genève en Graisivaudan. - Bourg et chateau de Cesanne. Seigneuries en decà des Alpes. - Rame. - Béroard. - Monestier etc. - Sires de Flote. Après avoir exploré le Viennois, où l’on rencontrait tant et de si puissants tenanciers, je fixerai l’attention du lecteur sur l’espèce de delta qui se deroule à l’ouest de Grenoble, entre l’Isère, le Rhòne et le Drac. Là se trouvaient les sires de Sassenage, de Beérenger, d’Hostung, de Rancurel, de Pariset, de S'-Quentin, de Varces. Jai déjà parlé des sires de Sassenage et de Bérenger parce que je croyais ne pouvoir mieux commencer que par eux, tellement fut célèbre la brillante série des familles historiques du Dauphiné; je vais maintenant dire quelques mots des autres. Quoique les écrivains qui se sont occupés de la généalogie des sires d’Hostung aient manqué de titres antérieurs à l'année 1260, cela n’empéche pas que ces seigneurs n’eus- sent une fort ancienne origine (5). Ils étaient vassaux des Dauphins et (1) Les sires de Mailles étaient feudalaires des Dauphins et des sires de Morestel. Un Richard de Mailles, zobilis et potens dominus Richardus de Mallits miles, vivait en 1219. Voy. aux arch. de Gren. le livre Probus, fol. 157. 2) Ce furent les sires de Rives qui, au XII siècle, bàlirent le chàteau etle bourg de Beaucressent, Salv., p. 445. Guy de Rives et sa femme Beatrix se rendirent en 1307 feudataires d’Amé V, comte de Savoie, pour le chàteau de Rives, en énongant que jusqu’alors ils avaient possédé ce cliàteau en franc-alleu. Doc., sigill. e mon. , p. 245. 3) Mommage de Guigonet de Hauteville au Dauphin, du 29 octobre 1342. Notae Guigonis Frumenti , fol. 61. (4) Chorier, Guy-Allard et Salvaing donnent quelques indicalions sur ces différentes familles. (5) Guy-Allard. PAR LÉON MEÉNABREA 159 devaient à ces princes ce qu'on appelait le plaid de miséricorde, pla- citum misericordiae, payable à chaque mutation de suzerain (1). Un Jean d’Hostung, importante de maître des machines, magister machinarum, magister in- chevalier, exercait, sous le dauphin Guigues VII, la charge geniorum; il dirigea méme, en 1333, le siége du fameux chateau de la Perrière (2). Pour ce qui est des sires de Rancurel, je ne ferai que signaler ici les conditions, assez singulières, de l’hommage qu'ils rendirent, en 1237, x à la dauphine Beatrix; l’acte dressé à ce sujet nous apprend que lors- P 3 ] PI qu'il arrivait aux Dauphins d’aller guerroyer à còté de Vernaison, les seig miers, comme, en cas de retour par le méme endroit, ils tenaient è meurs en question jouissaient de la prérogative de marcher les pre- honneur de rester à l’arrière-garde; en ces circonstances et l’expédition finie, les Dauphins étaient obligés de leur donner cent sols avec une des bétes capturées sur l’ennemi (3). Le nom des sires de S'-Quentin apparaît souvent dans les chartes du XII et du XIV siècle; un Jean de S'-Quentin figure notamment parmi les hauts barons qui en 1307 prétèrent serment de fidélité an nouveau Dauphin (4). Quant aux sires de Pariset, possesseurs du chiteau de Pariset, au bord du Drac, castrum Parisius, ils s'éteignirent, je crois, vers l'année 1342, en la personne de Désideron de Pariset qui ne laissa qu’une fille, à laquelle le dauphin Humbert II accorda, l’année suivante, l’investiture des fiefs que detenait le defunt (5). Enfin les sires de Varces, un peu moins connus que les précédents,. quoique d’une tout aussi vieille race (6), avaient déjà cessé, en 1289, de posséder le chateau de Varces, puisque à cette époque ce chiteau fut cedé par les Dauphins aux sires de Briancon, en échange de celui de Bellecombe en Graisivaudan (7). A Grenoble méme on rencontrait jadis plusieurs familles nobles, dont une surtout, celle des Chaulnais, mérite d’étre citée, car elle existait déjà (4) Arch. de Gren., Probus, fol. 99. (2) Valb., t. IT, p. 250. (3). Zbid., t. E, p: 18. (4) Ibid., t. I, p. 129. (5) Arch. de Gren., Regest. Pilati, 11 décembre 1342. (6) Guy-Allard. 7) V. ci-devant. 190 DES ORIGINES FÉODALES ETC. du temps de S'-Hugues. Le cartulaire de cet illustre pontife nous apprend en effet, qu’au XI siècle les Chaulnais, Calnesii, tenaient en fief le port et le pont de la ville, à raison de quoi ils se reconnaissaient vassanx et des évéques et des Dauphins (1). Un Gauthier Chaulnais, Galterius Calnesius, intervenait en 1086 à la fondation de la Grande Chartreuse (2). Un Gui Chaulnais, /îgo Calniensis, assistait en 1107, avec d’autres personnages éminents, à une donation de Guigues, comte d’Albon, au prieuré de Domène (3). Ces seigneurs possédaient en outre à Grenoble une tour qu'ls vendirent en 1301 aux sires de Sassenage (4); de là est venu le nom de Chenoise, que porte encore la rue où elle était situége, rua ou carreria Chalnesia, ou Chonnesia (5). Avant de parler de la célèbre maison des Alamands, qui étendait en partie ses domaines sur l’espace compris entre le Drac et la Romanche, je signalerai les sires de Commiers, dont le :manoir s’élevait non loin de la jonction de ces deux rivitres. Un Hugues de Commiers, cheva- lier, se faisait remarquer par sa prud’hommie, au commencement du XIV sitcle (6). Un Rodolphe de Commiers siégeait au conseil privé du Dauphin en 1342; quelques membres de cette famille brillèrent aussi dans les dignités ecclésiastiques (7). La tige des Alamands, Alamanni, Alamandi, fat un Alamand d'Uriage, Domnus Alamannus de Auriatge, que le cartulaire de Domène mentionne comme ayant choisi sa. sépulture à Domène, après avoir fait è ce mo- nastère divers dons pieux (8). Les descendants de ce seigneur se divisèrent d’abord en trois branches: Uriage, Sechilline et Valbonnais, qui en formèrent successivement onze à douze, toutes fort puissantes, d’où est né le dicton dauphinois: gare à la queue des Alamans (9). Parmi ces branches, celle de Valbonnais, (1) Portum vero transitorium cum feudo pontis tenent Calnesit ab episcopo et comite (4er cartul., concordia facta inter H. II cpiscopum et Guig. dalph.). (2) Duboys, Ze de St- Hugues, p. 449. (3) Salvaing, p. 483. (4) Valb.; ct. dI, p. 101. (5) Pilot, Motice sur les anciennes rues de Grenoble. (6) Valb., t. I, p. 150, t. II, p. 130 et 142. (7) Suppl. à V’Etat pol., p. 149. 8) Une antre charte de ce mème cartulaire fait aussi mention du chàleau d’Uriage sous le nom de Castrum Auriacense. Ces deux documents ont été publiés par Salvaing, p. 484. (9) Le ier mai 1455, Siboud Alamand, évèque de Grenoble, réunit dans son palais épiscopal les chefs de ces différentes branches, et leur fit signer un traité d’alliance perpétuelle, dont on peut voir le texle curieux dans l’ouvrage de Salvaing, p. 484: PAR LÉON. MENABREA e IQI atteignit incontestablement le plus haut degré de considération; le testa- ment d’Oddo Alamand, rédigé en 1292, nous la montre en possession des chateaux de Valbonnais, d’Entraigues, de Champs, de la Roche, de S'George, de Ratier, de Prébois, de Corp, de Cornillon en Trièves etc. et d’un grand nombre de droits féodaux, embrassant la meilteure portion des revenus de près de vingt paroisses (1). On ne saurait citer les Alamands sans citer les Aynards, leurs voisins et leurs mortels ennemis. L'origine de ces illustres feudataires remonte à l’époque où les Sarrasins étaient maîtres de nos contrées, et où l’évéque Isarn prit la resolution de les expulser de Grenoble. Rodolphe, père d’Aynard, fut en effet de ceux que l’intrépide prélat amena des terres lointaines, e longinquis terris, afin d’exterminer ces cruels sectateurs de Mahomet (2). Aynard, fils de Rodolphe, fonda le prieuré de Domène et transmit son nom à sa pos- térité. Ses successeurs immédiats furent Ponce et Aynard (3). Ponce eut un fils, appelé Guigues, qui en 1155 se rendit en Lombardie avec le dauphin Guigues V, auprès de lempereur Frédéric Barberousse; mais pendant son séjour à la cour de ce monarque ayant été atteint d’une maladie mortelle, il se fit transporter à Exilles, où il disposa d'une partie de ses biens en faveur de différentes maisons religieuses. La charte qui nous a transmis ces details, donne à ce seigneur la qualification de très-noble chevalier: nobilissimus miles; on y voit no- tamment qu'il avait épousé Audisia, soeur de Raymond Berenger, et quiil avait marié l’une de ses filles à Rodolphe de Faucigny (4). Le berceau de la famille des Aynards fut le chàteau de Domène, qui au XIH siècle devint, ainsi que je le dirai tout à l’heure, la propriété des comtes de Genève. Il est certain que primitivement les Aynards s’intitulaient sires de Domène, (1) Valb., t. Ji, p. 65. (2) Les premiers degrés de la généalogie des Aynards sont constalés par une charte du carlu- laire de St-Hugues, où on lit: Feudus Aynardi de Domina fratris Poncii qui fueruni filii Aynardi qui Aynardus fuit Radulfi.... Et ailleurs: ct habeo duos mansos quos dedit episcopus Isarnus Radulpho avo meo pro filiatico.... V. Salvaing, p. 488, Etat pol., 1. II, p. 77. (3) La genealogie énoncée dans la note précédente est confirmée par une charte du mème car- tulaire, publiée par Valb., t. IT, p. 338. (4) Tempore domini Petri prioris de Domina de Gletenz fuit quidam nobilissimus miles dominus hujus ville (Domenae) videlicet Guigo de Domina filius domni Poncii Aynardi qui dum esset in Italia ad curiam imperatoris captus est infirmitate : qui sapiens cognoscens finem suum prope esse fecit. se deferre ad quoddam castellum quod vocaiur Exilium ete. Cartulaire de Domène, cité par Salvaing, p. 483. 192 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Domini de Domera. Ils construisirent, sur la rive gauche du Drac, le chateau de Montaynard; successivement ils acquirent celui de la Motte à une lieue de là, puis celui de Gière, un peu au-dessous d’Uriage (1). Le chateau de Gière provenait des sires de Bocsozel, qui en faisaient hommage aux sires de Briancon (2). En 1337 les Alamands et les Aynards eurent ensemble une querelle sanglante, à laquelle prit part presque toute la noblesse du Dauphiné (3). Une race non moins haut placée que les précédentes, était celle de Salvaing, descendue de Raymond, fils cadet d’Aymon, sive d’Allinges en Chablais, qui vivait vers l’an 1012 (4). Son cri de guerre, a Salvaing le plus gorgias (5), indique le prix qu'elle attachait à ses propres forces. Il ne nous reste maintenant qu'à explorer les juridictions qui s’éche- lonnaient depuis Grenoble jusqu’aux frontières de la Savoie, en remon- tant le cours de l’Isère: Jen ai déjà énoncé quelques-unes, telles que Gière, Uriage, Domène; en parlant des Alamands et des Aynards, je n’y reviendrai pas, sauf en ce qui concerne la dernière, dont il faudra que, dans un instant, je dise encore peu de mots. Les Morards figuraient, sans contredit, parmi les plus anciennes fa- milles de cette vallée, connue spécialement sous la dénomination de vallée du Graisivaudan; ils tiraient origine d’un personnage appelé Morard, qui existait en 1094, et que mentionnent des documents de ce temps-là (6). En 1216, un Hugues Morards épousait Giffrède, héritière des sires d’Arces, et incorporait à ses domaines les grands biens de ces tenanciers (7). De Guigues et de Raymond, ses fils aînés, dérivèrent les Morards d’Arces, et de Henri, son fils puîné, sortent les Morards qui se subdivisèrent en plusieurs branches (8). En 1278 Guigues Morards d’Arces se reconnaissait, (1) Les Aynards, comme maîtres du chàteau de Gière, eurent en 1390 des difficultes assez graves avec les evèques de Grenoble. V. Valb., t. I, p. 32. (2) Acte de 1296. Arch. de Gr. Liber primus copiarum Graisisaudani, fol. 33. (3) Valb., t. I, p. 304. (4) Voyez Gencal. de la maison de Salvaing, par le president Denys de Salvaing; Grenoble, 1683. Voyez encore De la Colombière, Le vray thedtre d’honneur et de chevalerie. (5) C’est-a-dire que le plus brave, le plus redoutable, le plus gorgias s’adressera à Salyaing. (6) Morardus feudale quod habet in cabannaria Petri Adralde vendidit episcopo Gratianopolitano. Cartulaire de Domène, cité par Guy-Allard. (7) Le chàteau d’Arces était situé entre la Terrasse et Montbonod. (8) Guy-Allard. PAR LÉON MÉNABRÉA 193 à raison de certaines terres, homme lige de Pierre Auruce, sire de Montbonod (1). Je viens de citer Pierre Auruce: ce seigneur avait eu pour père Obert Auruce qui, le premier que l’on sache, fut revétu de la charge éminente de maréchal du Dauphiné (2) Or nous apprenons, par un document de 1236, que cet Obert Auruce tenait en fief du dauphin Guigues VII la maison-forte du Bois des Ayes (3), qui selon toute apparence, provenait d'une famille que je suppose avoir porté le nom d’Ayes, ou des Ayes; car je trouve qu'un Rodolphe d’Ayes, Rodwphus de Aia, vivait un siècle et demi auparavant, et se mettait au rang des nobles hommes, robiles viri, de la contrée (4). Passé ce lieu, s'étendaient sur l’une et l’autre rive de l’Isère les prin- cipales possessions des sires de Beaumont, maîtres des chateaux de Montfort, de Tencin, et des Adrets (5); plus loin on renconirait les sires du Touvet, à qui, dès le XII siècle, se trouvait inféodée la charge héréditaire de chambellan des comtes de Savoie. Un Pierre du Touvet, Petrus de Toveto, devint cher, à ce titre, an célèbre comte Thomas; il demeura pendant près de quarante ans attaché à la personne de ce prince (6); nous avons de lui deux chartes fort curieuses, où, en sa qualité de camerarius ou cam- bellanus, il exempte a perpétuité les monastères d’Oulx et de $' Maurice en Valais de tout droit et de toute rétribution pour apposition du sceau comital; ce qui indique assez qu’alors les fonctions de chancelier se con- fondaient avec celles de camérier, ou de chambellan (7). Quoique les sires de Theys, dont le manoir existait déjà du temps de S'-Hugues (8), fussent vassaux des Dauphins (9), on remarque qu'un (1) Anno Domini M.CC.LXX.VIII, X. Kai. Aug. Guigo Morardi de Arctis filius quondam Hugonis Morardi et domine Guiffrede fecit hommagium domino Petro Auricii militis domini castri Montisbonondi pro possessionibus quas habet in mandamento dicti castri etc. Lib. 1 copiarum Graisivaudani, fol. 704. Le chàteau de Montbonod devint plus tard la propriété des Dauphins. (2) Valb., t. I, p. 49. Un document fort curieux du Chart. Ulciense, p. 114, nous apprend que, vers l’année 1228, Obert Auruce avait été fait prisonnier de guerre par un des fils de Thomas, comte de Savoie. . (3) On sait qu’à Ayes il existait une abbaye de filles, fondée en 1160 parla dauphine Marguerite. (4) Cartulaire de Domène, cité par Salvaing, p. 483. (5) Voyez Chorier et Guy-Allard. (6) Mon. hist. patr., p. 981, 1192, 1311. Guich., pr., p. 45, 50, 53. (7) Chart. Ulc., p. 99. Mon. hist. patr., p. 1264. (8) Castrum de Tehez, charte du cartul. de St-Hugues, publiée par Salvaing, p. 488. (9) Petrus de Teys est homo comitis et tenet de co ad feudum quidquid habet in valle de Teys et debet xxx solidos de placito. Reconnaissance de 1264, Probus, fol. 167. Serie II. Tom, XXIII 5 DI 194 DES ORIGINES FÉODALES ETC. / Guigues de Theys, à l’exemple de Pierre du Touvet, vécut de longues années dans l’intimité du comte Thomas (1). Un Girard et un Francois de Theys, celui-ci sire de Thorane, figuraient en 1334 au nombre, des hauts barons du Dauphiné (2). Vers les limites de la Savoie, du còté de la Rochette, on rencontrait les sires d'Avallon, puis ceux d’Arvillard. Les premiers avaient, dit-on, une origine fort ancienne (3); ils se reconnaissaient feudataires des Dauphins (4); lun d’eux fut evéque de Lincoln (5). Quant aux seconds, ils se parta- gèrent, à ce qu'il paraît, en deux ou trois branches, l’une desquelles s'éteignit en la personne d’Audise qui, en 1341, épousa Humbert, bàtard de Savoie (6); les branches restantes continuèrent à fleurir en Graisivaudan: un Etienne d’Arvillard, Stephanus de Altovillario, faisait, en 1343, hom- mage de son fief au Dauphin Humbert II (7). Toujours sur les marches du comté de Savoie, mais à droite de l’Isère et tout proche de Chapareillan, s'élevait un chaàteau formidable, composé d'un donjon flanqué de quatre tours, et formant un ensemble d’un incom- parable aspect (8); cette forteresse appartenait aux sires de Briancon, en Tarantaise, qui en 1289 la cédèrent aux Dauphins en échange du chiteau de Varces (9). Ces seigneurs illustres, dont j'ai déjà esquissé précédem- ment l'histoire, possédaient en outre la maison-forte de la Terrasse (10) et differents biens à Eybens, à Bresson et à S'-Martin (11). (1) Mon. hist. patr., p. 981, 1027. Guich., pr., p. 45, 47, 49. (2) Valb., t. II, p. 466, 529. (3) Guy-Allard assure en avoir vu des titres de l’an 1069. (4) Dominus Heimericus de Avallone est homo ligius comitis Dalphini. Reconnaissance de 1362. Probus, fol. 174. (5) Guy-Allard. Parmi les familles nobles du mandement d’Arvillard on comptait encore celle de Guiffrey, qui eut aussi ses illustrations. V. Etat. pol., t. III, p 305. (6) Ce bàtard, fils du comte Aymon, commenga la branche savoyarde des seigneurs d’Arvillard et des Mollettes. (7) Hommagium prestitum domino Dalph. a nobili viro Stephano de Altovillario milite, 29 mars. Notac Guig. Frumenti, n.° 185. (8) Magni et incomparabilis aspectus. (9) Voyez ci-devant. (10) Plusieurs membres de la famille de Briangon sont designés sous le nom de domini de Terrassia dans l’échange ci-dessus cité. Aymar de Briangon, coseigneur de la Terrasse, vendit en 1294 à la dauphine Beatrix les droits qu'il avait è cette seigneurie. Supplement à l’Etat pol., p. 126. (11) Undecimo kal. martii anno M.CC.LXXXII Joannes frater Aymerici de Brianzone confirmat donationem factam episcopo Gratianopolitano per fratres Odonem et Chabertum de Brianzone de pos- sessionibus quas habitant in mandamento de Geria et Aybenci et in parrochiis de Bonnone de sancto Martino et de Bressone. Liber copiarum factum civit. Grat., fol. 333. PAR LÉON MENABRÉA 195 Ils étaient suzerains du chiteau de Gière et ils eurent, comme tels, de longs démélés avec les sires de Bocsozel, maîtres de ce chateau: ils finirent toutefois par obtenir gain de cause, et les Bocsozel furent con- traints de se reconnaître leurs vassaux (1). Ces mémes seigneurs poursuivirent également de graves contestations contre les évéques de Grenoble: Aymeéric, le fier, l’indomptable Ayméric, prétendaient empécher ces prélats de construire des bastilles, des forts, des édifices quelconques dans l’endroit appelé la Plaine, entre Gière et la ville épiscopale. Les évéques soutenaient ce lieu terre de l’église, terre allodiale; bref, en 1227, le Dauphin repoussa, en qualité d’arbitre, les prétentions d’Ayméric, en obligeant néanmoins l’évéque Soffred à lui donner 100 livres viennoises en guise de dédommagement. Quelques mots touchant les droits des comtes de Genève, en Grai- sivaudan, trouvent place ici. Dès avant le XII siècle le chateau de Domène avait passé de la famille des Aynards aux mains de ces princes: l’église de Grenoble jouissait de la supériorité de ce fief, et l’on voit que le comte Rodolphe en fit hommage à l’évéque Falco le 4 novembre 1255 (2). Mais les Dauphins qui ne songeaient qu’à s’agrandir, ne tardèrent pas à s’attribuer cette supériorité; ils forcèrent en 1389 les comtes de Genève à s’avouer leurs feudataires, soit pour le chiteau de Domène, soit pour celui de la Pierre et celui de Theys (3). Les diocèses de Gap et d’Embrun, et le Brianconnais transalpin comptaient également un grand nombre de nobles et antiques familles. Et d’abord, au delà du mont Genèvre, on remarquait les sires de Bardonnéche , dont j'ai déjà parle. (1) Chart. Ulc. (2) Liber copiarum factum civit. Gratian, tangent., fol. 302. En 1290, le comte Amédée octroya des franchises au bourg de Domène. V. Liber I copiarum Graisivaud., fol. 465. Il mit fin, vers la mème époque, à differentes discussions nées entre lui et l’évéque Guill. Valb., t. 1, p. 38. (3) De longues contestations eurent lieu à ce sujet entre les parties intéressées. V. aux arch. de Gr. un volume intitulé Testationes seu dispositiones pro parte domini Dalph. et domini comitis Gebenn. pro facto terre Theysii Domene et Peire. Je ne saurais dire précisément à quelle époque les comtes de Genève acquirent ces deux derniers chàteaux. Ce qu’il y a de sùr, c'est que depuis ces acquisitions ils établirent un bailli en Graisivaudan. Ces princes faisaient hommage aux Dauphins non-seulement des fiefs ci-dessus désignés, mais encore du chàteau d’Anthon en Vien- nois, ainsi que de ceux de Varey, de Gordans et de St-Romain en Bugey et en Bresse. V. Hom- mage du 21 fevrier 1334, Regesta Pilati, 4 cahier, fol. 39. 196 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Le bourg et le chàteau de Césanne appartenaient primitivement à des seigneurs que trois ou quatre chartes du cartulaire de l’église d'Oulx nous apprennent avoir réellement existé (1): cette localité devint ensuite du domaine immeédiat des Dauphins, qui en vertu des priviléges impériaux y exploitaient des mines et y battaient monnaie (2). Le dauphin Humbert II ajoutait è ses qualifications féodales le titre de marquis de Césanne, qu'il opposait avec complaisance à celui de marquis d’Italie que portaient les comtes de Savoie. Ce prince, d’un caractère vaniteux et jaloux, érigea aussi en duché le petit pays de Champsaur , Campisaurum entre le Graisivaudan et le Gapencois, toujours afin de ne pas paraître en ar- rière des comtes de Savoie qui prenaient le titre de ducs de Chablais et d'Aoste. En decà des Alpes on trouvait les anciennes familles de Rame, de Beéroard, de Moustier, des Arnauds, de Manteyer, de Flote, des Artauds etc. C'était proche du village de Rame, situé à moitié chemin de Briangon à Embrun, village déjà mentionné dans des documents du VI siècle (3), que gisaient les minières d’argent qui alimentaient la monnairie de Césanne, et qui furent concédées aux Dauphins par les bulles impériales précédemment citées (4). Là vivaient les sires de Rame, sur lesquels il ne nous reste que des notions éparses et incomplètes: on mentionne un Odon de Rame, coseigneur de Savine sous l'année 1247, et un Aynard de Rame sous l’année 1275 (5); je remarque qu’en 1334 un autre Aynard de Rame se reconnut homme lige des Dauphins pour tout ce qu'il possédait à Rame, à Champcelle, à la Roche et à Freycinière (6), et qu'en 1345 un Jacques de Rame en fit de méme pour le chateau du Poèt (7). Les Béroards, ou Bérards, occupaient en Brianconnais la maison-forte de Sales; un Humbert Béroards, Mumbertus Beroardi, existait de 1164 à 1183 (8). (1) Ces documents font mention entre autres d’un //7llelmus Miaire senior de Sesanna. V. Chart. Ulc., p. 136, 137, 138, 139. (2) Diplòmes de 1155 et 1238 aux arch. de la Chambre des comptes de Grenoble. (3) Civitacula Rama, légende de Ste-Tygre. Bolland. (4) Argenti fodinam que est in potestate Rame. (5) Suppl. à VEtat pol., p. 183. (6) Regesta Pilati 1334, 1 cahier, fol. 21. (7) Constituit tenere in feudum et de feudo franco nobili et antiquo dicti domini Dalphini comitis Vap. castrum de Poyeto diecesis Vap.- Notae Guig. Frumenti, n.° 48. (8) Chart. Ule., p. 136. Voyez pour le surplus Chorier et Guy-Allard. PAR LÉON MÉNABRÉA 197 Les sires de Monestier tenaient en fief des Dauphins le chàteau de Ventavon, sur la rive droite de la Durance, entre Sisteron et Gap (1). Aux confins du Gapencois, à six lieues de Die, on rencontre un passage étroit, un defilé du genre de ceux qu'on appelait jadis deaume, ou dalme; c'est en cet endroit que les Arnauds avaient élevé leur prin- cipal manoir; c'est à ces seigneurs puissants qu'il faut attribuer aussi la construction du chiteau de la Roche des Arnauds, Rupis Arnaudorum, possédé plus tard par la famille de Flote et celle du Crét, ou du Crét des Arnauds, Crista Arnaudorum, dont on dit qu'ils furent chassés au XII siècle par les premiers comtes de Valentinois (2). Un Arnaud de la Balme des Arnauds se déclara vassal des Dauphins , lorsque ces princes eurent acquis des droits aux comtés de Gap et d’Embrun (3). Le chiteau où résidaient habituellement les sires de Manteyer, était situé aux portes de Gap, et dominait le chemin public (4). Ces tenanciers, chose bizarre, mais dont j'ai déjà fourni ailleurs de fréquents exemples, possédaient le tiers de la seigneurie et juridiction de cette ville, moins la sixièéme partie de ce tiers, à laquelle ils participaient néanmoins pour un huitième. Ils nommaient le bailli, le crieur et le mandier de la cour épiscopale : le premier de ces officiers prélevait le treizième denier des émoluments de la justice; lui et le mandier vivaient aux frais de l’évéque. En 1260 Rolland de Manteyer céda ces singuliers priviléges au dauphin Guigues VII (5). Peu de familles furent aussi illustres que celle des Flote; ses domaines s'étendaient dans les comtés d’Embrun, de Gap, de Valence et de Die. Un Henri Flote florissait à la fin du XI siècle (6). Arnaud Flote, son fils, jouissait d'une grande considération auprès des comtes de Provence, qu'il servit longtemps avec fidélité et dévonement: ce personnage maria (1) Hommagium Guill. de Mosteriis domini de Ventavone, 15 janvier 1334. Regesta Pilati, 1 cahier, fol. 79. (2) Voyez ci-après. (3) Hommage du 18 mai 1297. Titres concernant la ville de Gap, fol. 106. (4) Juxta siradam publicam. (5) Les sires de Manteyer, sortis de Manteyer ou de Monteyer, près de la Roche des Arnauds, habitaient un chàteau construit aux portes de Gap et attenant au chemin public. (6) Guy-Allard. 198 DES ORIGINES FÉODALES ETC. sa soeur Jocerande à Bertrand III, comte de Forcalquier (1); lui et ses successeurs s’avisèrent parfois de molester les archevéques d’Embrun (2). Les terres et chiteaux de la Roche des Arnauds, dela Beaume, d’Argenson, de la Batie, de Montelus etc. appartenaient à ces hauts feudataires (3). Quani aux Artauds, appelés également Isoards, qui, ainsi que je l’expliquerai bientòt, descendaient des comtes de Die, il suffit que l’on sache ici qu'ils tenaient en Gapencois la forteresse de Montmaur (4). Je ne dois pas oublier de citer encore le vicomté de Tallard, que les chevaliers de S'-Jean-de-Jérusalem cédèrent en 1326 à Arnaud de Trians, maréchal de l’église romaine, neveu du pape Jean XXII; ce sei- gneur est la tige des vicomtes de Tallard (5). (1) Il est certain que Jocerande fut soeur d’Arnaud, On voit par les statuts de Guill. VI, comte de Forcalquier, fils de Bertrand III, qu’Arnaud Flote était oncle de ce. mème Guillaume. Ego Guill. consilio omnium virorum comitatus nominatim Arnaudi Flote avunculi mei (Joannis Columbi , Dissert. de Guill. juniore in opusculis, p. 75). (2) Une charte du règne de l’emp. Frédéric I nous fournit, à cet égard, des données assez curieuses; il y est parlé d’un detestabile scelus commis par un Arnaud Flote, scelus quod fere toto mundo inhorrescit. V. Bibl. Sebus., 1, 95. Ù (3) Il existait en Auvergne une autre famille Flote, qu'il faut bien se garder de confondre avec celle-ci. V. Valb., t. IT, p. 389. (4) V. ci-après. (5) Guy-Allard. PAR LÉON MÉNABREA 199 CHAPITRE XII. Barons de Meuillon. - Leurs chateaux. - Leurs feudataîres. - Barons de Montauban, vassaue des comtes de Forcalquier, puis des comtes de Provence. - En A257 ils deviennent hommes liges des Daupluins. - Ce qu'on appelait le Domaine utile des Dauphins. - Di- vision des états: delphinaux. - Chateaux de ces princes dans le Viennois. - Baillages. - Chatellenies. - Baillage du Viennois. - Terre de la Tour. - Chateaux qui s'y trouvaient. - Possessions des Dauphins en Graisivaudan, en Embrunois, en Gapencois. - Baillage de Faucigny. - Vassaux illustres d l’étranger. - Les Dauphins sont à leur tour vassaua des empereurs d'Allemagne, hommes liges des rois de France. - Placés sous la mouvance de plusieurs évéques. - Soumis aux comtes de Savoie et de Genève, à raison de certaines terres. — Dignités des Dauphins. L’obligation de réunir, autant que possible, en un seul tout, ce qui, avant la. fin du XIV siècle, vint en réalité se grouper sous la domina- tion des Dauphins, me force à parler maintenant des baronnies de Meuillon et de Montauban. Les barons de Meuillon, de Medullione, étaient, sans contredit, des plus puissants de ces contrées; ils occupaient les chiteaux de Meuillon, de Buis, de la Roche-sur-Buis, de Merindol, d’Aubres, de Villefranche, de la Rochette, etc. (1); ils avaient pour feudataires les sires de Plazian (2), de Besignon (3), d’Alanson, de Molans, d’Egaliers, de Relianette , de Gouvernet, etc. (4); les barons de Montauban leur rendaient hommage à raison de plusieurs fiefs (5). En 1317, Raymond de Meuillon fit donation de ses vastes biens au dauphin Jean (6), qui en prit possession, sauf è reconnaître sur ce point la suzeraineté de l’évéque de Valence et de Die (7). (1) Valb., t. I, p. 34, et t. II, p. 165. (2) Zbid., t. IT, p. 169. Voyez encore sur les sires de Plazian le mème auteur, t. I, p. 17 et t. II, p. 119. (3) Voyez dans Salvaing , p. 41, les conditions du fief de ces seigneurs. (4) Valb., t. II, p. 169. (5) Ibidem. (6) Valb., t. IT, p. 165. Raymond s’était déjà volontairement déclaré en 1293 vassal du dauphin Humbert; t. I, p. 34. (7) Voyez le traité de 1295, rapporté par Valb., t. 11, p. 69. Le dauphin Humbert II renou- velle, le 24 juillet 1345, l’hommage qu'il devait à l’évèque de Valence et de Die pour la ba- ronnie de Meuillon. Arch. de Grenoble, Gereralité. Valb. a parfaitement éclairé la généalogie des sires de Meuillon; V., t. II, p. 105. 200 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Parmi les domaines des barons de Montauban figuraient spécialement les chiteaux de Montauban, de Nions, de Miribel, etc. (1). Ces seigneurs, d’abord vassaux des comtes de Forcalquier, puis des comtes de Provence, devinrent en 1257 hommes liges des Dauphins (2). Dragonnet, l’un d’eux, qui vivait au milieu du XIII siècle, laissa une fille unique du nom de Randonne qui, ayant épousé un sire de Lunel, en Languedoc, en eut un fils appelé Ronsolin, lequel se voyant sans postérité disposa de son hoirie en faveur de Hugues Adhémar, de la race des sires de Monteil, en Valentinois: or ce dernier céda en 1304 la baronnie de Montauban au dauphin Humbert, qui l’incorpora à ses. états. Il n'est peut-étre pas hors de propos d’indiquer d’une manière som- maire en quoi consistait le domaine utile des Dauphins, dominium del- phinale, et comme, durant l’espace de trois cents ans, ce domaine ne fit que s’etendre, de proche en proche, en subissant par les échanges, les ventes, les mariages, les guerres, les traités, de continuelles transfor- mations. Je le prendrai tel qu'il se trouvait au XIV siècle, à l’époque où il atteignit ses plus larges developpements. Les eétats delphinaux se divisaient alors en huit baillages: 1° Viennois, 2° Viennois, Terre de la Tour, 3° Graisivaudan , 4° Brianconnais, 5° Gapencois, 6° Embrunois, 7° Baronnies de Meuillon et de Montauban, 8° Faucigny (3). Dans le Viennois proprement dit, les Dauphins possédaient les chà- teaux d’Albon, d’'Auberive, de Réaumont, de Moras, du Colombier, de Bellegarde, d’Iseaux, de S'-Etienne-de-Geoirs, de S'-Lanrent, de Peyrens, de Pisancon, de Roybon, de Val, de Beaurepaire, de S'-Mar- cellin, de S'-Nazaire, de $'-Maurice-d’Anthon, de Gordans, des (4) Pour plus ample énumération, v. Valb., t. JI, p. 118. (2) En vertu d’un traité passé en 1257 par le dauphin Guigues VII avec Charles d’Anjou, comte de Provence. Valb., t. I, p. 205. (3) Sous le dauphin Humbert II il y eut, pendant quelque temps, un baillage du duché de Champsaur, Balliva ducatus Campisauri. PAR LÉON MÉNABREA BOL. Loyettes (1), de Satonay, de L’Huis, de Pinet, de Beauvoir (2), de Beauvoir en Royans (3); à ce baillage appartenaient encore quelques autres chatellenies dépendantes du diocèse de Valence, telles que Chabeuil et Montjoux, et c'est ce qu'on appelait le Viennois Valentinois (4). Le baillage du Viennois, Terre de la Tour, ou simplement la baronnie de la Tour-du-Pin, donnait aux Dauphins les chiteaux de la Tour, de Crémieux, de Quirieu, de Bourgoin, de Chateau-Villain, de la Balme, de Sablonnières, de Morestel, de Vaux-en-Vellay, de Domptessieux (5); ce baillage comprenait en outre ce que les princes avaient en Bugey et en Bresse, savoir les chiteaux de S'-Sorlin, de Lanieux, de S'-Germain- d'Ambérieux (6), de S'-André-de-Briord (7), de Montluel (8), de Peroges (9), de Maximieux, de S'-Christophe (10); la réunion de ces diffé- rentes terres constituait spécialement la seigneurie delphinale de Valbonne, ou baronnie de la Tour-du-Pin, au delà du Rhòne, baronia Turris Pini ultra Rhodanum. En Graisivaudan les Dauphins comptaient plusieurs places importantes, telles que Rives, Moirenc, Cornillon, Vorreppe (11), Montfleury, Montbonod, (1) En 1339 Hugues de Genève céda ces trois chàteaux au dauphin Humbert II, et regut en échange ceux de Samoing, de Chàtelet, de Crèt-d’Os, de Monthoux, de la Bàtie de Cholay en Faucigny et de Vizille en Graisivaudan. Voyez ci-devant comtes de Genève. (2) Quant aux chàteaux de Beauvoir et de Pinet, voyez ci-devant. (3) Pour ce dernier, voyez plus haut. (4) Les Dauphins eurent avec les comtes de Provence de longues contestations au sujet des terres de Chabeuil, d’Orpière, de Ste-Colombe, de l’Etoile, de Ste-Marie, d’Allegrand, de Levorel et de Villebose, situées en Valentinois et en Gapencois. On conserve dans les arch. de Grenoble un re- gistre contenant les enquètes que les parties firent faire en 1278, pour établir leurs droils respectifs. (3) A V’egard du chàteau de Morestel, voyez ce qui en a été dit précédemment. (6) Ces trois chàteaux étaient parvenus en 1228 aux sires de la Tour-du-Pin, prédécesseurs des Dauphins de la troisième race, par le mariage d’Albert III, l’un d’eux, avec Beatrix de Coligny (V. ci-devant); je dois remarquer toutefois qu’un siècle environ après, St-Germain-d’Ambérieux fut pris, de bonne guerre, par les comtes de Savoie qui ne le rendirent jamais. (7) Provenant des sires de Briord en Bugey. /ist. de Bresse; cont. de la 2° partie, p. 93. (8) Cedé aux Dauphins en 1325 par un sire de Montluel (V. ci-devant). (9) Cédé en 1315 au dauphin Jean par un sire d’Anthon, en échange des maisons-fortes de St-Romain et de Pont-de-Charuis en Viennois. V. Valb., t. I, p. 30. (10) En 1327 le dauphin Guigues VIII battit Edouard, comte de Savoie, sous les murs de Varey, et fit prisonniers plusieurs alliés et aidants de ce prince, et parmi eux Guichard sire de Beaujeu qui, pour obtenir sa liberté, fut obligé d’abandonner au vainqueur les deux chàteaux dont il S'agit, et de se reconnaître vassal des Dauphins, à raison de la terre de Miribel. V. Valb., t. II, p. 211. (11) Les chàleaux de Rives et de Moirenc apparienaient primitivement aux seigneurs de l’un et l’autre nom; quant à celui de Cornillon, proche de Grenoble, voyez Valb., t. II, p. 37. Serie II. Tom. XXIII. 26 202 DES ORIGINES FÉODALES ETC. la Terrasse (1), la Bussière, Bellecombe (2), Morestel, Allevard, Avallon, Vif, la Mure, Claix (3), Vizille (4), Corp, Cornillon en Trièves (5), Mans, Oysans, S'-Bonnet (6). Neuf chatellenies composaient, ainsi que je Vai dit ailleurs, le baillage du Brianconnais: Briancon, S'-Martin-de-Queyrières, Vallouise, Queyras, Césanne, Oulx, Salbertrand, Bardonnéche, Exilles et Valcluson. Au baillage, dont il s'agit, se trouvait annexé le mandement de Pont-de-Belin, au-delà des Alpes, dans lequel, pour tenir en respect le marquis de Saluces, le dauphin André fit construire une forteresse qui prit le nom de Chateau- Dauphin (7). En Embrunois les Dauphins étaient maîtres du palais d’Embrun, extra muros, et des chàteaux de S'-Denis et de Montorsier (8). Ils occupaient en Gapencois les chiteaux de Serre et d’Upaix. J'ai expliqué, il y a peu d’instants en quoi consistaient les baronnies de Meuillon et de Montauban; quant au baillage de Faucigny, il em- brassait les domaines des sires de Faucigny, et comprenait les chatellenies de Faucigny, de Bonneville, de Cluses, de Sallanches, de Bonne, de Flumet, de Chatillon, de Monijoie, de Samoens, de Chàtelet, de Crét- d’Os (9), les chateaux de Monthoux, de la Batie-de-Cholay, d’Hermence, d’Allinges-le-Vieux (10), et enfin les vallées de Beaufort et de Hauteluce au diocèse de Tarantaise (11). (1) Pour les chàteaux de Montbonod et de la Terrasse, voyez ci-devant; ces chàteaux étaient déjà du domaine des Dauphins au commencement du XIV siècle. V. Valb., t. II, p. 143. (2) Acquis en 1289 des sires de Briancon. V. ci-devant. ‘3) En l'année 1300, le chàteau de Claix fut cédé par le dauphin Humbert I à Guigues Alamand en échange de quelques autres terres; ce chàteau relevait de l’eglise de Grenoble. V. Valb., t. II, p. 132. (4) V. ci-devant. (5) Ces deux chàleaux avaient appartenu d’abord aux Allamands. (6) St-Bonnet formait le principal noyau du duché de Champsaur. (7) V. Valb., t. I, p. 309. Le dauphin Humbert II agrandit considérablement cette place forte. V. Valb., t..1I, p. 325. (8) Ils possedaient aussi une infinité de droits féodaux disséminés en divers lieux. V. Valb., t. II, p. 264. (9) En ce qui regarde ces deux chàtellenies , ainsi que la Bàtie-Cholay, V. Chdteaue delphinaux. (10) Le chàteau d’Allinges ne provenait pas des anciens sires de Faucigny, mais de la dauphine Beatrix de Faucigny , fille de Pierre, comte de Savoie, à qui ce dernier l’avait légué par son testament de l’an 1268. V. Guich., pr., p. 76. (11) V. ci-devant ‘ PAR LÉON MÉNABRÉA 203 Outre la longue série de feudataires que j'ai déroulge précédemment, les Dauphins avaient à l’étranger plusieurs illustres vassaux, tels que les comtes de Valentinois (1), les sires de Beaujeu (2), les comtes de Forey (3), les sires d’Arlay (4), les comtes de Genève (5), les marquis de Saluces (6), les princes d’Achaie (7), les princes d'Orange, les sires de Baulx etc. De leur còté ils étaient vassaux nés des empereurs d’Allemagne, dont la haute supériorité pesait sur toute l’étendue de l’ancien royaume de Bourgogne. En 1294 ils acceptèrent du roi Philippe-le-Bel une rente de 5oo livres tournois, et se reconnurent, à ce titre, hommes liges des rois de France, avec l’obligation de les servir contre les Anglais (8). La possession des comtés de Vienne et d’Embrun, du Graisivaudan et de la baronnie de Meuillon, les placait sous la mouvance des arche- véques de Vienne et d’Embrun et des eévéeques de Grenoble et de Die; ils se trouvaient soumis aux comtes de Provence à raison du comté de Gap; aux comtes de Savoie à raison de la plupart des terres qu'il tenaient des sires de la Tour-du-Pin (9); è l'église de Lyon pour les (1) Les comtes de Valentinois refusèrent longtemps de faire hommage de leurs terres aux Dauphins; ils y furent enfin condamnés par une sentence de 1347. Valb., t. II, p. 549. V. ci-après. (2) V. ci-devant, in notis. (3) Jean, comte de Forèt, avait épousé en premières noces Marguerite de Viennois, fille du dauphin Humbert I; il se rendit en 1325 homme lige du dauphin Guigues VIII à raison de cer- taines terres. Valb., t. II, p. 204. (4) Jean de Chàlon, fils de Hugues de Chàlon, sire d’Arlay, et de Beatrix de Viennois, s@eur du dauphin Jean, reconnut en 1334 la suzeraineté du dauphin Humbert II pour quelques-unes de ses possessions. V. Valb., t. I, p. 248. (5) Les comtes de Genève ne devaient réguliè&remeni hommage de leur comté qu’aux évéques de Genève; ce fut pendant les guerres qu’ils eurent à soutenir contre Jes comtes de Savoie qu'ils so déclarèrent vassaux des Dauphins. Charte de 1316. Valb., t. II, p. 163. (6) C'est aussi pour se soustraire aux entreprises de la maison de Savoie que les marquis de Saluces entrèrent dans la mouvance des Dauphins: de longues guerres eurent lieu à ce sujet. V. Muletti, Storia etc. (7) Jacques de Savoie, prince de Piémont, d’Achaie, fils de Marguerite de Viennois, fit en 1339 hommage de ses terres au dauphin Humbert II, sans préjudice de la suzeraineié du comle de Savoie. Valb., t. IT, p. 384. (8) Valb., t. II, p. 74. (9) V. ci-devant. Je dois faire observer qu’en 1293 la dauphine Béatrix fit avec le comte Amé V un traité, par lequel elle obtint dispense et remise de cet hommage, à la charge toutefois de se reconnaître à l’avenir, elle et ses successeurs, feudataires de la maison de Savoie pour les chàteaux de Faucigny, de Bonneville, de Chàtelet, de Crét-d’Os, de Monthoux et d’Allinges-le-Vieux. L’inexécution de cette dernière partie du traité de la part de la Dauphine donna lieu à de longues et sanglantes querelles. 204 DES ORIGINES FÉODALES BTC. chateaux de la Balme, près de Crémieux, de Peroges et de Maximieux (1); à l’église du Puy en Velay, pour un canonicat et pour divers autres droits (2); à l’église de Vaison pour le chàteau de Propries (3); au cha- pitre de S'-Barnard de Romans pour le chiteau de Pisancon (4); et enfin à la chaire de S'-Pierre pour certaines juridictions , ou fractions de juri- dictions, qu'il est inutile d’énumérer (5). En ce qui concerne les dignités des Dauphins, yen ai expliqué les différentes origines au fur et è mesure que l’occasion se présentait d’en parler; elles viennent au reste se résumer dans les qualifications que se plaisait è étaler le dauphin Humbert IT, qui s’intitulait Dauphin, comte de Vienne et d’Albon, comie Palatin, comte de Graisivaudan, de Gap et d' Embrun , prince de Brianconnais, duc de Champsaur, marquis de Césanne, baron, ou seigneur, de la Tour, de Valbonne, de Meuillon, de Montauban et de Faucigny. En téte des actes d’une importance médiocre, il prenait simplement le titre de Dauphin Viennois, Daphinus Viennensis, comme faisaient aussi ses prédécesseurs. Je dois dire encore qu’en qualité de comtes d'Albon les Dauphins possédaient en France une vingtaine de chateaux, parmi lesquels on distinguait celui d’Annonay, provenant des sires de Rossillon (6). (1) Hommage de 1338. Arch, de Gr. Genérabite. (2) Hommage de 1282. Arch. de Gr. Geréralité. Hommage de 1339. Valb., t. II, p. 386. (3) En vertu de la vente d’une porlion de ce chàteau, faite en 1337 au dauphin Humbert II par l’évèque Raterius. V. Mist. de Za cath. de Vaison par le P. Boyer, pr., p. 32. (4) Hommage de 1338, où il est dit que le chapitre de Romans est allé processionnellement au devant du Dauphin, l’a conduit au pied de l’autel, a regu son serment, l’a revètu enfin des labits de chanoine ete. etc. Valb., t. IT, p. 36. Charles de France, dauphin de Viennois, fit un semblable hommage en 1350. Arch. de Gr., Generabite. (5) Hommage prété au pape par le dauphin Humbert II, le 15 mars 1338 pour les chàteaux de Rochegude, de Piegon et de Paresio. Arch. de Gr., Genéralite. (6) Voyez la nomenclature Seguurtur loca que tenentur a domino Dalphino infra regnum Prancie ut comite Albonis. Valb., t. II, p. 387. PÀR LÉON MENABREA 205 CHAPITRE XII. Evéques de Valence et de Die. - Bulles de ANST7 et de 1238. - Les habitantis de Valence veulent se soustraire d la juridiction ecclésiastique. - Possessions des éveques de Die. - Luttes. - Ewaclions. - Comtes de Die. - Guillaume. - Il affige l'église de mille maux. - Lettre du pape Hildebrand. - Isard. - Alix. - Comtes de Valentinois. - Leur lignée se rattache à Guillaume-le-Grand, comte de Poitiers. - Tradition. - Contestalions avec l’éevéque Robert. - Adhémar. - Il devient le fléau de la religion. - Maitre du chateau de Quint, il répand la terreur aux alentours. - Sa déloyauté. - Ses descendanis. - Comtes de Valence et de Die. - Les Adhémar. - Les Arlauds ou Isoards. - Comles de Provence. - Notions purement nécessaires. - Marquisat de Provence. - Evéques de Vaison, de Sisteron et de Digne. - Curieuse enquéte dressee en 1211. Je suis maintenant amené par une marche toute naturelle à examiner la position politique des évéques de Valence et de Die, ainsi que celle des comtes de Valentinois et de Diois. Les évéques de Valence et de Die ayant à lutter contre des ennemis moins redoutables que ceux avec lesquels avaient à faire les évéques de Vienne, d’Embrun, de Grenoble et de Gap, purent conserver une plus grande part de leur puissance primordiale. Sons les rois de Provence on voit les évéques de Valence obtenir la concession, la confirmation, ou la restitution de plusieurs droits territoriaux (1). Une bulle impériale de 1157 nous les montre en possession des chateaux d’Alixan, de Montellier, de la Beaume Corniilane, de Fiancey, de Livion, de Loriol, de Chateauneuf- d'Isère, de Chateaudouble, de Montvendre, de l’Etoile, de Saoux, d'Allex (2); et une autre bulle de 1238, des chàteaux d’Eurre, d’Hostung, d’Upié, de Mirmande , de Copier, de la Batie de Confolens, de la Bàtie de Lisignac (3). Il résulte encore de ces diplòmes qu’ils étaient maîtres exclusifs de la cité épiscopale, qu'ils y administraient la justice civile et (4) En 904, l’évèque Rémi cu Rémegaire regut de Louis-l’Aveugle res sitas in comitatu Diensi villam scilicet que vocatur Sariacum cum castro desuper similiter nominato cum Adgentiolo atque Saone (Joannes Columbi, De rebus gestis episcop. Valentinorum et Diensium libri IV — In opusculis — Lugduni, 1668, p. 251). En 912, ce mème Reémegaire se fait restituer par le roi Hugues la terre de Villeneuve que son église tenait de la libgralité du roi Boson. V. Chorier, Mist. des Dauph., HAD prazd8: (2) Diplòme de l’empereur Frédéric I en faveur de l’évéque Odon, De rebus gestis, p. 256. (3) Diplòme de Frederic II, De redus gestis, p. 268. 206 DES ORIGINES FÉODALES ETC. la justice criminelle, y battaient monnaie, y percevaient diverses rede- vances, y levaient des impòts en certaines occasions (1), y jouissaient, en un mot, de la plénitude des prérogatives régaliennes. L’église de Valence eut à tenir téte, pendant les temps féodaux, non- seulement aux comtes de Valentinois et à une foule de petits seigneurs qui vivaient sur son territoire, mais aux habitants mémes de Valence, qui prétendaient, à tort ou à raison, se soustraire à sa juridiction. L’em- pereur Frédéric-Barberousse rendit en 1178 un jugement celèbre, où, en accordant quelques satisfactions aux bourgeois de cette ville, il déeréta qu’à l’avenir aucune ligue , aucune association, aucune convention ne pour- rait étre formée ni jurée par eux, sans le consentement de l’évéque (2). Enfin en 1295 le pape, Grégoire X, crut devoir unir l’éveché de Die à celui de Valence, afin que le pontife qui présidait aux deux diocèses fit mieux en état de résister aux attaques des méchants (3). A Vexemple des évéeques de Valence, les évéques de Die avaient recouru à l’autorité impériale dans le but d’accroître et de constituer leurs priviléges temporels. Une première bulle prouve qu’au XII siècle ils possédaient les chàteaux de Miribel, de Marignac, d’Aoust, de S'-Médard, de Romeier, de Montmaur, de Menglou, de Rochefourcha, de Luc, d’Auriple ete., et qu'ils exercaient à Die un pouvoir à peu près absolu (4). Une seconde bulle nous fait voir ces prélats harcelés par les comtes de Valentinois et de Diois, et appelant sur les violences et les exactions de ces princes la censure des césars allemands (5). (1) Quando vadit ad curiam vel facit manifestum imperii servicium. (2) Cives communitatis nullum faciant juramentum nec aliquam jurent societatem sine arbitrio et con- sensu episcopi. Ollivier, Essais historiques sur la ville de Valence, in-8.°, 1831, p. 238. (3) Valentinensem et Diensem ecclesias jamdudum adeo gravis tyrannus oppressit et ab olim infesta continuatur oppressio ut etc. Telles sont les expressions de la bulle de 1275. De redus gestis, p. 273. Cest Amédée de Rossillon, homme à l’àme superbe, aux murs guerrières et chevaleresques , qui }e premier fut investi de cette double prélature. L’union des évèchés de Valence et de Die lui fournit les moyens de résister aux entreprises des comtes de Valentinois. On peut lire sa vie in opusculis Joannis Columbi, p. 354 et suivantes. (4) Diam civitatem cum sua propria moneta. ... et omnibus que ad imperialem specialiter coronam pertinere noscuntur. Diplòme de 1178. De rebus gestis, p. 290. Ce diplòme conférait aux évéques de Die non-seulement la plénitude des droits régaliens dans toute l’étendue du diocèse, mais encore le titre de comtes de Die et de princes de l’empire. (5) Diplòome de 1214. De rebus gestis, p. 297. Il existe encore en faveur de l’eglise de Die trois priviléges impériaux de l’année 1238, ainsi que plusieurs autres concessions dont on trouve copie aux arch. de Grenoble. Copiarum Graisiv., lib. I, fol. 60 cet 144. On peut encore consulter aux mémes archives les deux premiers vol. Copiarum comitatus Valent. et Diens. PAR LÉON MENABREA 207 Ainsi que je l’ai dit ailleurs, les comtes de Die, ou de Diois, Dienses comites, descendaient de Ponce, ou Geoffroy-Ponce, fils de Bertrand II, comte de Forcalquier (1). Guillaume, successeur de Ponce, profitant des schismes et des hérésies qui deésolaient la chrétienté , essaya d’abord d’esquiver la mouvance de l’église de Die; il affligea cette église de mille maux, s’efforca de la ruiner et en devint le plus ardent ennemi ; elle avait heureusement alors un défenseur intrépide; en 1075 son illustre évéque Hugues, légat du saint-siége, s’adressa au pape Hildebrand, qui écrivit à Guillaume une lettre foudroyante, où il lui reproche ses déportements, lui enjoint de préter à l’évéque de Die serment de fidelité et le menace de toutes les rigueurs de l’anathème (2) Isard, fils de ce seigneur, légua ses domaines à Isard, son fils, qui, lors de la fameuse croisade de 1095, conduisit en Orient la onzième divi- sion de l’armée chrétienne (3). Cet Isard laissa lui-méme un fils du méme nom que lui, qui n’eut, dit-on, que deux filles. L’aînée, Alix, serait, è ce que l’on croit, la belle comtesse de Die, que célébrèrent à lenvi les poétes provencaux et qui dans les fastes des Cours d’Amour occupe une place si brillante. Philippine, la cadette, succédant à Alix, aurait porté le Diois à son époux Guillaume de Poitiers, comie de Valentinois. Avant l’extinction de la dernière dynastie des rois de Bourgogne, le Valentinois, pagus Valentinensis, se trouvait, ainsi que la plupari des pagi de nos contrées, soumis à des comtes passés de la condition de béneficiers temporaires à celle de tenanciers héréditaires. Un document de 985 nous apprend que vivait en ce temps-là un Lambert, fils de Gonthard et d’Hermengarde, mari de Felcirude et père d’Adhémar (4). Impossible de dire si ce Lambert fit race; d’ailleurs je n’ai à parler ici que des comtes de Valentinois, issus de la famille des ducs d’Aquitaine. On se souvient qu'au nombre des hauts vassaux qui, sous le règne déplorable de Rodolphe-le-Faingant, s’opposèrent le plus vigoureusement (1) Il me semble que ce fait est suffisamment établi par les titres rapportés ci-devant. (2) Te autem predicte comes singulariter alloquentes valde miramur quod postquam prefatum con- fratrem nostrum cum consensu aliorum omnium in’ episcopum elegeras et FIDELITATEM sibi ea more feceras nescio quibus de causis elatus clericos et cives urbis depraedatus es (Epistolarum \ib. I, ep. 69, ad Guill. Diensem comitem). (3) Guill. de Tyr et M. Paris l’appellent Hiscard. (4) Art. de vérifier les dates, édit. in-8.°, t. X. 208 DES ORIGINES FEODALES ETC. à l’envahissement de la monarchie bourguignonne par les empereurs d’Allemagne, figurait Guillaume-le-Grand,, comte de Poitiers (1); les auteurs contemporains s’accordent à représenter ce personnage comme étendant d’abord sa domination sur une portion de la Gaule méridionale, et ensuite, comme possédant en decà du Rhòne des terres considérables, Willelmus pracpotens vir in illis partibus (2). La qualification de /ictavienses, que prirent toujours les comtes de Valentinois, indiqueraiti déjà d’elle seule que leur lignée se rattachait à Villustre maison de ce prince. Une tradition, fort en vogue aux XIV et XV siècles, portait qu’une comtesse de Marsanne (3), étant jadis en guerre avec les éveques de Valence et de Die, vint réclamer l’assistance d’un chevalier, du nom de Poitiers, qui arrivait de certaines plages loin- taines, lequel, selon les expressions de l’enquéte faite à ce sujet en 1421, fit très grand secours à ladite dame et conquist pour elle plusieurs chateaulx (4); que cette prétendue comtesse, voulant récompenser le courage du preux, lui accorda sa fille unique en mariage et le rendit seigneur du pays. L’on ajoute méme que ce chevalier eut encore à guer- royer contre de puissants tenanciers, appelés Arnauds, qui prétendaient à la main de la jeune princesse, et qu'il parvint à les expulser du chà- teau du Crét, dont il resta maître dés lors (5). En laissant de còté ces récits populaires et en ne consultant que les monuments paléographiques, on remarque qu'en 1183 un Guillaume de Poitiers, comte de Valentinois (6), se disant fils d’Adhémar (7), accorda divers priviléges à l’abbaye de Léoncel et la recut sous sa sauvegarde. Ce Guillaume, que je supposerais voloniiers ici avoir été le premier des siens à prendre le titre de comte de Valentinois (8), eut d’assez graves (1). V. ci-devant. (2) Ditmari chron. , an. 1016. (3) Arrondissement de Montélimart, dép. de la Dròme. d (4) Duchesne, Mist. géréal. des comtes de Valentinois, pr., p. 445. (5) V. la chron. d’Aymar de Rivail, p. 125. Dans son ouvrage Duchesne s’appuie beaucoup de cette tradition qui peut bien avoir quelque fondement; mais je dois dire que les chartes publiées depuis lors par Guichenon (elles sont citées ci-après) jettent un plus grand jour sur l’origine des princes dont il est question. (6) /Zillelmus Pictaviensis cognomine officio vero Valentinus comes. Bibl. Seb. , 1, 18. (7) Audivi quidem quod quidam pestilentes et etiam de terra mea et patris mei domini Ademari Liuncellensibus injuriari non metuunt et bona corum rapere et violenter abducere non formidant. Bibl. Seb., I, 19. (8) Plusieurs raisons me le feraient croire. Et d’abord les énonciations de la charte citée dans une note précédente, qui semblent indiquer que Guillaume ne tenait pas le comté de Valence. PAR LÉON MÉNABREA 209 contestations avec Robert, évéque de Die, à tel point qu'en 1178 celui-ci se rendit auprès de Frédéric-Barberousse, de qui il obtint la confir- mation des droits de son église, et bien plus, la concession de tout ce que son adversaire avait en Diois, à l’exception du chateau de Quint (1). Adhémar, ou Aymar, fils de Guillaume, connu des historiens sous la désignation d’Aymar I (2), ayant embrassé la cause des Albigeois et de Raymond, comte de Toulouse, leur fauteur, qui, en qualité de marquis de Provence, possédait de grands biens sur la rive gauche du Rhòne, devint le fléau de la religion et se livra à mille excès envers le clergé (3). Maître du fameux chateau de Quint, à peu de distance de Die, au-dessus d'un defilée è travers lequel la Dròme s’est péniblement frayé un passage, il était devenu la terreur des environs; aussi l’évéque Desiderius jugea-t-il à propos d’implorer à son tour la protection de l’empereur; ce monarque, par un diplòme de 1214 confirma derechef les prérogatives du prélat, et lui fit en outre donation de la forteresse qui servait de repaire au farouche comte de Valentinois (4). On sent parfaitement qu’un tel acte ne pouvait produire aucun effet et que mieux edt valu employer la force ‘contre la force. Aymar continua donc è occuper le formidable manoir. Recourant à son tour à l’autorité imperiale, il recut en 1219 de Frédéric II l’investiture du chateau de l’Etoile, entre Loriol et Chabeuil, et du péage qui en dépendait (5). Tandis qu'il adhérait au comte de Toulouse, il se déclara homme lige heréditairement, mais seulement ex officio; en second lieu, l’émission de la qualification de comte à l’égard d’Adhémar, père de Guillaume, qui dans la charte suivante est appelé dominus Adhemarus et non Adhemarus comes. Il y a plus: il résulterait de la combinaison de ces deux documents qu’à l’époque où ils furent rédigés, ce mème Adhémar était encore vivantj car Guillaume ne se sert point à son égard de l’expression quordam, par laquelle on ne manquait jamais de désigner les défunts; il ne dit point dominus Adhemarus quondam; et quand il parle du pays où les moines de Léoncel devront jouir des prérogatives qu'il leur accorde, il emploie les mots terra mea et patris mei, (Opinion de Guy-Allard; voyez encore les notes de Guich. sur la: 19° charte de la 1° cent. de la B:0/. Seb.). Les auteurs de l’Art de vérifier les dates, édition in-8.°, t. X, font d’Adhémar un fils naturel de Guill. IX, comte de Poitiers. (1) Et quidquid Guill. de Pictavia habet in episcopatu excepto castro quod dicitur Quintum. Charte cilée ci-dessus. (2) Je dois avertir toutefois, pour éviter toute confusion, que les auteurs de l'Art de vérifier les dates, éd. in-8.°, t. X, commencent par Aymar, père de Guillaume, la série des comtes de Valentinois, et donnent la qualification d’Aymar II à celui dont il est ici question. (3) Erat praeterea in illis partibus nobilis quidam potens sed malus Adhemarus Pictaviensis qui ne- gocium Xpi semper exosum habuerat. (Histor. Albig. auct. Petro Vallis Sarnensis monacho ad an. 1213). (4) De rebus gestis, p. 197. (5) Valbonnais, t. I, p. 380. Serie II. Tom. XXIII. DN NI 210 DES ORIGINES FÉODALES ETC. de ce dernier, à raison du comté de Die, et cela au préjudice de l’église de Die, à laquelle appartenait évidemment la supériorité féodale et le domaine direct du Diois (1). Enfin, lorsque Raymond VI eut été solen- nellement condamné par le concile de Latran, Aymar, profitant de la position critique de son allié, s'empara sans pudeur des vastes terres dont il jouissait dans le Vivarais et les transmit à ses descendants (2). Aymar II, petit-fils et successeur d’Aymar I (3), fut obligé ce- pendant de se reconnaître, pour ces mémes terres , feudataire des comtes de Toulouse (4). Ce prince eut de sanglanis démélés avec Amédée de Rossillon, evéque de Valence et de Die; il mourut en 1277 (5). Aymar III parvint è ajouter quelques nouvelles possessions à celles qu'il tenait de ses aieux (6). Il obtint en 1311 de l’empereur Henri VII un diplòme portant défense aux éveques de Valence de prendre le titre de comties de Valence (7). Aymar IV, qu'on appelle vulgairement Aymaret afin de le distinguer de son père, qui l’avait associé dès 1307 à l’exercice de la juridiction comitale, prétendit se placer en 1316 sous la mouvance exclusive et im- mediate des rois de France (8); mais les Dauphins se récrièrent; de longues (1) Get hommage est mentionné dans l’enquète citée ci-dessus. « Aynart Chabert, chevalier, » y est-il dit, a veu en la tour du Crest un gros livre de parchemip, couvert d’ais et de » cuir auquel est incorporé la teneur d’un instrument de l’an MCLXXXIX, faisant men- » tion que Raymond, comte de Tolose et marquis de Provence donna à Aymart, conte de Va- » lentigois, la conté de Dyois ». Or on a vu, par la lettre de Grégoire VII, que les anciens comtes de Die étaient feudataires des évèques de cette ville au moins pour la majeure partie de leurs possessions. (2) Vaisseltte, Z/ist. du Lang., +. III, p. 255. Plusieurs autres terres du Vivarais lui advinrent encore du chef de Philippine de Fai, sa seconde femme. V. Art de wdrifier les dates, édit. in-8.°, t. X. (3) Cet Aymar II, fils de Guillaume, vécut longtemps sous la tutelle de Flotté, sa mère. Valb. a donne le sceau de cette princesse, t. I, p. 383, ainsi que celui d’Aymar II, p. 380, autour duquel on lit: Sigill. Aymari de Pictavia comitis Valentin. et Diensis. Il renouvela bien en faveur des comtes de Toulouse l’hommage d’Aymar I, son grand-père; mais il déclara plus tard qu'il ne l’avait fait que par pure crainte. Acte de 1256. Vaissette, t. III, pr., p. 520. (4) Acte de 1239, où l’on voit qu’Aymar II prend en fief de Raymond VII, comte de Toulouse, le chàteau de Bois et seize autres chàteaux situés en Vivarais, au nombre desquels se trouvaient ceux de Tournon, de Privas, de St-Alban etc. Duchesne, pr., p. 7. (5) Son testament est de cette année-là, le 12 des ca). de mai. V. Contrats et traités des comtes de Val. et de Die. Ms. de la Bibl. de Gren., n.° 462. (6) Il acquit entre autres en 1298 le chàteau de Monclar en Diois. V. 1’ Art de vérifier les dates, t. X, et Suppl. à V’Etat pol., p. 105. (7) Bibl. Seb., IT, 86. Ce diplòme n’eut qu’un effet passager. (8) Art de vérif. les dates PAR LEON MENABREA 21I contestations eurent lieu à ce sujet; bref en 1338 Aymar dut avouer la suzeraineté delphinale à l’égard des chiteaux de l’Etoile, de Monclar, de Verone-Beaufort, de Taulignan, de Clairieu, de la terre de Royans ete.; l’acte dressé à ce sujet énonce que l’on avait découvert d’anciens titres constatant les droits des Dauphins sur ces divers fiefs (1). A Aymar IV succéda Louis I, puis Aymar V, qui regut en 1349 de l’empereur Charles IV le titre de vicaire général de l’empire dans le royaume de Vienne et d’Arles (2). On sait que la ligne directe des comtes de Valentinois fit défaut en la personne de Louis II qui, par un testament du 14 juin 1419, institua son héritier universel le dauphin Charles de France, fils de Charles VI. Parmi les nobles et anciennes races des comtés de Valence et de Die, je me bornerai à citer les Adhémar, les Isoards, les Peloux, les de Vesc et les de Chabeuil. Quoiqu'on ne puisse raisonnablement adopter l’opinion de ceux qui font descendre les Adhémar d’un Adheémar, duc de Génes, au IX siècle (3), la haute origine de ces tenanciers est un point hors de discussion (4). Le chateau de Monteil, appelé Monteil d'Adhémar, Montilium Adhemari, et par contraction Montelimar, fut le berceau de leur famille. Ce chéteau et la ville qui l’entoure étaient primitivement de la mouvance des évéques de Valence; mais les comtes de Valentinois et les Dauphins s'en attri- buèrent successivement l’hommage (5). Les Adhémar tenaient encore en fief de ces mémes comtes de Valentinois, et en arrière-fief de l’eglise romaine, les chateaux de la Garde, de Rac, de Savace et de Chateauneuf- de-Mazène (6). Um patient genéalogiste est parvenu à démontrer que les Isoards, ou les Artauds, remontaient à Jocerand, fils cadet d’Isoard I, comte de (1) Productisque aliquibus instrumentis de novo repertis licet antiquis per quae apparebat progenitores dicti domini comitis homagium ligium domino tunc Dalph. fecisse et praestitisse. Valb., t. IT, p. 550. (2) Bibl. Seb., II, 87. (3) Guy-Allard. (4) V. la chron. latine d’Aymar de Rivail, publiée en 1844 par M. Terrebasse et intitulée De Allobrogibus, p. 85. (5) En 1291 le comte de Valence se regardait bien comme seigneur direct de Montélimart. V. Valb., t. II, p. 59. Nous avons un acte de 1334, par lequel Giraud et Guigues Adhémar se reconnaissent, à l’égard de cette ville, feudataires du Dauphin. Regesta Pilati, 1394, 2° cabier, fol. 28. (6) Acte de 1291, Valb., t. II, p. 58. C'est comme possédant le Comtat Venaissin que le pape jouissait de la supériorité dont il est ici question. 212 DES ORIGINES FEODALES ETC. Die (1). Ce Jocerand eut deux enfants miles de sa femme Béatrix; l’un, nommé Isoard, après s'étre porté à de graves outrages contre le clergé, dut è la fin s'amender et revenir à meilleure vie; nous avons de lui une charte aussi importante que curieuse, où il désavoue solennellement sa conduite, reconnaît que la ville de Die et les régales du comté appar- tiennent à l’évéque, et deéclare tenir spécialement de ce prélat le chateau de Luc (2). L’autre, nommé Hugues Artaud, obtint pour sa part d’héritage les chiteaux d’Aix, de Bellegarde, de Montlor, de Glandage etc. On le considère comme la souche des Artauds. Les descendants de ce seigneur s'étant alliés à la maison de Montauban, il en sortit une branche appelée Artaud de Montauban, qui pesséda pendant long-tems la forteresse de Montmaur en Gapencois (3). En 1263 Pierre Isoard et son fils Guill. Artaud acquirent du dauphin, Guigues VII, la terre de Monclar (4), qu'Isoard Artaud, fils de Guillaume, céda ensuite à la maison de Valentinois (5). Quant aux Peloux, Pilosi, aux sires de Vesc, aux sires de Chabeuil, de Cabeolo, ils ne vécurent pas dépourvus de gloire, et on les rencontre bien des fois mélés aux dissensions féodales du XIII et du XIV siècle (6). Au-dessous des comtes de Valence, de Die, de Gap et d'Embrun, qu’en- chassaient le Rhòne et les Alpes, se deroule la Provence, riche contrée dont l’administration avait été confiée, dès le rèégne de Charles-le-Chauve, à de hauts bénéficiers qui prenaient indistinctement les titres de comtes, de marquis, de ducs et de princes de Provence et de comtes d’Arles (7). 1) Guy-Allard. 2) Audi petre ete. Notae 407. Charte de 1167. (3) Les Artauds de Montauban'se subdivisèrent eux-mèmes en plusieurs branches. V. Guy-Allard, Gencal. de Montauban. (4) Valb., t. I, p. 383. On voit par cette charte que le pere et le fils portaient des noms pa- tronymiques differents. (5) V. ci-devant, în motis. (6) Un Humbertus Pilosi fit en 1252 hommage du chàteau de Rochefort aux comtes de Valen- tinois. Valb., t. I, p. 385. En 1338 ces princes possédaient en Val-Dròme unum fortem seu breve fortalicium quod fuerat Pilosorum. Valb., t. II, p. 550. Au commencement du XIII siècle, un Gonthard de Chabeuil faisait une guerre acharnée aux évèques de Valence. V. Ollivier, Essais historiques sur Val., p. 35. (7) Dans une charle de l’église d’Apt, rédigée en 991, on lit: cum consilio /7illelmi totius Provinciae principis. En 1044 le comle Bertrand I ’inlilulait: Ego Bertrannus auctore Deo marchio sive comes Provinciae. Un siècle et quelques années auparavant Charles-Constantin, fils de Louis- VAveugle, prenait la qualification de dur et marchio Provinciae. Quant à la Provence, considerée comme royaume, voyez ce que j'en ai dit ci-devant. _ PAR LÉON MENABRÉA DITO Ce pays, pagus Provinciae (1), se composait des anciens comtés de Sisteron, de Digne, de Senez, de Glandèves, de Vence, de Nice, de Fréjus, de Toulon, d’Aix, de Marseille, d’Arles, d’Avignon, de Cavaillon, d’Apt, de Vaison, de Carpentras, d'Orange, de Tricastin (2), ainsi que du nouveau comté de Forcalquier, qui, substitué d’abord à celui de Sisteron, s’était insensiblement accru de ceux qui l’environnaient (3). La première race des comtes de Provence est trop connue; son origine a donné lieu è trop d’investigations, pour que des details, à cet égard, puissent étre de quelque intérét. L’histoire de la Provence proprement dite ne se rattachant d’ailleurs que d’une manière éloignée à l’objet de cet ouvrage, je n’hésite pas à me restreindre, en ce qui la concerne, aux notions purement nécessaires. Or on sait que la race que je viens de citer, après avoir produit, comme je l’ai expliqué précédemment, la branche des comtes de Forcalquier, vit défaillir sa ligne directe et masculine en la personne de Bertrand II, mort en 1093. Gerberge, socur de ce prince, eut de Gilbert, son mari, comte de Gévaudan, deux filles: Douce, l’aînée, épousa Raymond-Bérenger, comte de Barcelonne, et lui porta en dot le comté de Provence; Etiennette, la ca- dette, fut unie à Raymond de Baulx, etobtint, en guise de légitime, des terres assez considérables qui entrèrent dans la puissante maison de ce seigneur. Il paraît que depuis un mariage, contracté vers la fin du XI siècle par Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, avec une princesse de Provence, les comtes de Toulouse s’étaient toujours maintenus, quoique non sans peine, en possession d’une partie de ce pays. Ce qu'il y a de certain, c'est quen 1125, à la suite d’une guerre sérieuse, le toulousain Idefonse et Raymond-Bérenger firent un traité, en exécution duquel celui-ci aban- donna à son competiteur toute la portion de la Provence située au nord- ouest de la Durance, à partir des sources de cette rivière jusqu'à Avignon (4). Le lot échu à Ildefonse, qui comprenait la moitié du comté d’Avignon, et les comtés entiers de Vaison, d'Orange, de Cavaillon, d'Apt, de Tricastin et de Carpentras, forma dès lors ce qu’on appela le marquisat de Provence. (1) Quoziam villa quae sita est in pago Provinciae, in comitatu Massiliensi. (Gall. Christ. in instr. ecel. Massil., t. I, p. 100). (2) V. ci-devant. (3) Zbidem. (&) Sicut in monte Jano Druentia nascitur usque ad flumen Rhodani. Avignon fut partagé par moitié entre cux. V. Bouche, Mist. de Prov. 214 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Du marquisat de Provence dependait par conséquent le comté de Venaissin, qui ne fut d’abord autre que le comté de Carpentras, désigné fréquemment du nom de comitatus Vendascensis et qui insensiblement prit de plus grandes dimensions. Nul n’ignore que les droits des souverains pontifes sur ce méme comté derivaient des dispositions de Raymond VII, comte de Toulouse, qui en cédant ses vastes domaines à S'Louis roi de France, réserva expressement le Venaissin au pape Grégoire IX (1). Sous la suzeraineté des marquis de Provence vivaient les comtes d’Orange, dont l'origine est restée entourée de fables et d’obscurités (2); ce qu'il importe de savoir, c'est que la principauté d'Orange passa, au moyen des femmes, en 1129, aux sires d’Omelas, issus des sires de Montpellier, en 1173, aux sires de Baulx, et en 1393, aux sires d’Arlai de la famille de Chalon; une partie de son. territoire demeura aussi de longues années entre les mains des hospitaliers de $'-Jean-de-Jérusalem (3). Les comies d’Orange s’attribuaient la vaine qualification de rois d’Arles, en vertu d’un privilége impérial du 13 janvier 1214, qui, il faut le dire, n'est pas à l’abri de tout soupcon. Quant aux évéques, soit du marquisat, soit du comté de Provence, leur position politique était presque en tout semblable à celle des arche- véques de Vienne et d’Embrun et des évéques de Grenoble, de Gap, de Valence et de Die. Ainsi, déjà en $50, et par un effet de la libéralité de Lothaire, fils de Louis-le-Débonnaire, les évéques de S'-Paul-Trois- Chateaux, ou de Tricastin, exercaient, à l’exclusion de tout officier civil, une Juridiction immediate sur la ville épiscopale, et pouvaient s’en con- sidéerer comme les véritables maîtres, domini (4). En 1154 et en 1214 (1) Traité de 1229: toutefois le saint siége ne puten prendre possession qu’en 1274. Et en effet malgré le traité susdit, Raymond-Bérenger VII avait conserve la jouissance de ses états. Sa fille unique Jeanne, femme d’Alphonse, frère de St-Louis, élant morte, ainsi que son mari, sans pos- térité, Philippe-le-Hardi, roi de France, s’empara de toutes les terres des comles de Toulouse, et ce ne fut qu’ensuite qu'il abandonna le Venaissin à V’Eglise romaine. (2) Le fameux Guillaume-au-Couri-Nez, à qui les romanciers attribuent tant d’actions écla- tantes, entre pour beaucoup dans ces traditions fabuleuses. V. Chron. d’Aymar de Rivail, p. 92. (3) De 1190 à 1307. (4) Concedimus eidem episcopo dominium praedictae civitatis cum omnibus redditibus a Rhodano flu- mine usque ad egrum fluvium; praecipimus etiam ut nullus judex publicus vel quilibet etc... . Hist. de l’eglise cathédrale de St-Paul-Trois-Chàteaux ou de Tricastin, par le P. Louis Anselme Boyer. Avignon, 1710, 1 vol. in-4°, p. 38. PAR LÉON MÉNABRÉA 215 ils obtinrent de Frédéric I et de Frédéric II de nouveaux diplòmes con- firmatifs et amplificatifs du précédent (1), et en 1215 ce dernier empe- reur leur fit donation du fameux chateau de Quint, en Diois (2), ne songeant pas qu'il venait de le donner également aux évéques de Die; peut-étre voulait-il que les uns et les autres se concertassent pour en chasser les comtes de Valentinois, qui adhéraient fortement alors à la cause de Raymond VI, comte de Toulouse (3). Ce comte, ennemi juré de l’église, avait dévasté le Tricastin et obligé l’évéque Bertrand à une transaction onéreuse (4); mais elle fut cassée, en 1210, par le concile de Montélimart tenu contre les Albigeois, par Michel Moresio, archevéque d’Arles (5). En 1408 les évéques de S'-Paul, toujours harcelés, toujours opprimés, toujours en butte aux attaques des princes laiques, associèrent les Danphins de France à la puissance temporelle dont ils jouissaient. L’acte dressé à ce sujet nous apprend qu'outre la ville de S'-Paul, ces prélats possédaient les terres et chà- teaux de S'-Restitut, de la Beaume, de Solerieu, de la Carrière, de Bois-Batard etc. (6). On voit ailleurs qu'ils étaient suzerains des comtes d'Orange, à raison du chateau de Suse-la-Rousse (7). Je ne m'arréterai pas à parler des évéques d’Orange, qui n’eurent jamais qu’une très-faible autorité politique; on sait au reste que leur diocèse demeura uni à celui de S'-Paul-Trois-Chateaux de 827 à 1113: je dirai seulement quelques mots des évéques de Vaisen, de Sisteron, et de Digne. Une bulle de 1108, qui remonte conséquemment à une date passa- blement respectable, témoigne que de temps immeémorial, ex antiqguo jure, les éveques de Vaison avaient, en pleine souveraineté, la moitié de Vaison, et qu'ils tenaient la moitié restante de la munificence des comtes de Provence, Bertrand et Geoffroy (8). Ils ne se maintinrent point (1) Voir l’ouvrage cité à la page precedente, p. 60 et 77. (2) Ibidem, p. 79. (3) V. ci-devant. (4) Elle portait que le comte et l’évèque se feraient è l’avenir hommage réciproque de leurs terres. Mist. de l’égl. de St-Paul, p. 66. (5) Mème ouvrage, p. 72. (6) Mème ouvrage, preuves, p. 335. (7) Mème ouvrage, preuges, p. 103. Hommage de 1272. (8) Mist. de la cathédrale de Vaison par le P. L. A. Boyer. Avignon, 1731, 1 vol. in-49, p. 94. 216 DES ORIGINES FÉODALES ETC. cependant paisibles possesseurs de cette cité: l'infatigable comte de Toulouse réussit deux fois à les en deépovuiller. Les faits qui eurent lieu en diverses occurences, résultent d’une vo- lumineuse et curieuse enquéte, dressée en 1211, où sont rapportées en detail les tribulations de ces malheureux pontifes (1). Enfin, en 1251, Alphonse de Poitiers, frère de S'-Louis, devenu maître du comté de Toulouse, fit avec l'évéque Faraudi un traité, par lequel on détermina que la portion de la ville appelée le Bref de l’éveque serait soumise è la juridiction épiscopale, tant en matière civile qu’en matière criminelle; et que la portion appelge le Bref du comte ressortirait de la juridiction comitale, à raison des infractions méritant la mort ou la mutilation d'un membre, et encore pour la punition des excès suivis d’une grande effusion de sang; la connaissance des délits ordinaires et de toute autre action quelconque, sauf les cas conservés au comte, continuant, y est-il dit, à étre du ressort de la puissance ecclésiastique. Il fut convenu de plus que, soit è cet égard, soit au sujet des chateaux du Rasteau, du Crétet et d’Entrechaux, les évéques de Vaison se reconnaîtraient feuda- taires du comte de Toulouse en sa qualité de marquis de Provence (2). Les évéques de Sisteron, quoique n’ayant pas à tenir téte à des ennemis aussì puissants, durent toutefois passer par bien des épreuves: on remarque notamment que, malgré un privilége de Charlemagne qui leur accordait en propriété le chàteau de Lure (3), et nonobstant un diplòme de Conrad, roi de Bourgogne, donné en confirmation de ce privilége (4), ils eurent à se defendre, à la fin du XI siècle, contre les vicomtes de Sisteron et les comtes de Forcalquier, qui réduisirent la mense épiscopale à un tel état de dénuement que, suivant l’expression naive d’un vénérable prélat, témoin de ces événements, il n'y resta pas méme une poule, ne una quidem gallina remansit (5). En ce qui concerne les évéques de Digne, je me bornerai à dire qu'à teneur de deux bulles des papes Alex. III et Lucius III, ils possédaient plusieurs droits régaliens et étaient maîtres de quatre ou cing chàteaux (6). (1) De rebus gestis Vasionens. episcop., in opusculis J. Columbi, p. 287 et seqq. (2) Hist. de la cathédr. de Vaison, preuves, p. 26. (3) Cette concession était citée dans le cartulaire de l’église de Sisteron, composé au XV siècle par ordre de l’évèque Laurent Burel. (4) En 967. V. De rebus gestis ep. Sistaricensium, in opusc. Columbi, p. 117. (5) De rebus gestis, p.123. Voyez encore l’Mist. de la ville de Sisteron par M. de Laplane, 2 vol. in-8°. (6) Gall. Christ. in instr., t III. PAR LÉON MÉNABREA N a —1 CHAPITRE XIV. ÉTUDE SUPPLÉMENTAIRE. Chateau de Miolans. - Sa position. - Nombre des familles nobles de la Suvoie. - Vasselage. - St-Bernard de Menthon et Marguerite de Miolans. - Etymologie. - Le clergé civilisateur. - Nantelme de Miolans. - Il fonde une église et un couvent a Bellevaua. - Comment les ctablissements religieux deviennent des seigneuries. - Infractum banni. - Lex de forisfacto. - Duel judiciaire. - Jurisprudence des codes barbares. - Guy de Miolans. - Procés-verbal d'une audience solennelle du Comte Vert. - Lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - Seconde croisade. - Assemblée de Vezelui. - Feudataires qui 1 interviennent. - Le pape Eugéne IV. - Il vient à Turin auprès du comte Amé II. - Ils se transportent à Suse. - L’empereur Conrad prend la croiw. - Le comte Ame III figure au premier rang des eroisés. - Liste des principaua seigneurs qui forment sa suite. - Geoffroy de Miolans. - Forces du comte Amé II. - Lances, hommes d’armes, archers, arbalétriers, fans de pied etc. - Départ. - Situation des croisés. - Ils se divisent. - Conference. - Siége de Damas. - Les croîsés se retirent. - Enormes dépenses. - Retour désastreux. - Saintes épines. Après le coup d’oeil rapide jeté sur les institutions féodales, auxquelles Jai tàché d’initier le lecteur, il est utile de mettre sous ses yeux l'histoire des sires de Miolans dans un cadre plus ample que je ne Î’ai fait fusqu'ici pour aucune des races illustres mentionnées dans cet ouvrage. Cette étude Me sera peut-étre pas sans interét; elle donnera une idée plus précise de la période du moyen age où l’historien se plait à multiplier ses re- cherches, et clora la première partie de ce travail. i Il existait jadis en Savoie un très-grand nombre de chaàteaux, dont la fondation remontait aux premiers temps de la féodalité: la plupart sont aujourd'hui presque entièrement detruits: à peine en découvre-t-on quelques traces; d'autres, quoiqu’inhabités, se montrent encore debout, cà et là, dans nos vallées, et leurs ruines majestueuses attirent l’attention du voyageur. Un des plus remarquables est incontestablement celui de Miolans. Avec ses robustes tours, son donjon sourcilleux, ses larges mu- railles , que l’àge et les orages ont brunies, penché qu'il est sur un rocher taillé à pic, de plusieurs centaines de pieds d’élévation, il semble n’avoir rien perdu de son antique fierté, et a l’air de commander en maître à tous les alentours. Manoir féodal d’abord, puis place de guerre, puis prison d’état, son histoire offre des particularités précieuses, car il vécut d’une vie active jusqu'au commencement de notre siècle, gépoque à la- quelle devenu caduc, on ne lui laissa pour hòte qu’un simple concierge, unique gardien de ses traditions. Serie II. Tom. XXIII. 28 218 DES ORIGINES FEODALES ETC. En 1854 l’Administration domaniale , qui naturellement ne pouvait se préoccuper de l’intérét, tout monumental et historique, qui se rattache A ce vieil édifice, avait résolu de s’en défaire et de le mettre aux en- chères: comme les futurs acquéreurs n’auraient sans doute pas manqué de le deémolir, s'ils l’eussent pu, afin de tirer parti des magnifiques matériaux qui servirent autrefois à sa construction, en ma qualité de Secrétaire perpétuel de l’Académie de Savoie, Je crus devoir réclamer, en son nom, et gràce à mes instances les superbes ruines subsistent toupours. Ce fut à cette occasion que je m’occupai à rassembler les souvenirs qui me paraissaient de nature à former un recueil historique, et je me mis à rédiger la Notice que l’on va lire. Cette monographie, je dois le dire, est composée de matières on ne peut plus disparates. Je n’ai eu d’autre préten- tion que de réunir les faits qui se rapportent à une localité naguère célèbre, que l’indifférence publique semblait vouer à la destruction et à l’oubli. Je m'occuperai, en premier lieu, des anciens sires de Miolans, dont la race s’éteignit au commencement du XVI siècle: l’histoire de ces sei- . gneurs renferme des details, parfois curieux, qu'il sera bon de relever. Je ferai la description de leur chateau, où l’archéologie aurait beaucoup à recueillir, si elle s°y livrait à des investigations sérieuses, à présent surtout, que ces sortes de monuments tombent ou dépérissent de toutes parts. Miolans considéré comme forteresse, alors que la maison de Savoie, engagce dans la politique européenne , était en guerre avec différentes puissances, fournit, par intervalle, des traits qui méritent d’étre conservés: l’occupation espagnole y a laissé de nobles traces du patriotisme de nos ancétres. Envisagé comme prison d’état, Miolans possède de curieuses traditions : le P. Monod, jésuite, l’un de nos plus savants historiens, y mourut captif; l’inforiuné Lavini, qui, par l’originalité de son génie artis- tique, autant que par ses malheurs, et, il faut le dire, par son crime, avait acquis chez nous un nom populaire, VI fut enfermé pendant trente ans. C'est là, enfin, queut lieu un des épisodes les plus piquanis de la vie du trop célèbre marquis de Sade, qui, détenn dans cette haute bastille pour ses nombreux meéfaits (1), parvint à s'évader, à l’aide de moyens audacieux et adroits, avec l’assistance de sa femme , véritable héroine de l’amour conjugal. (1) Le marquis de Sade passait pour l’gerivain le plus immoral de son époque; condamné è diverses reprises pour ses honteux éerits, il mourut à Charenton. PAR LEON MENABREA 219 C'est dans la vallée de l’Isère, à égale distance à peu près de Montmelian et de Conflans, sur l’aréte d'une espèce de contre-fort, qui se détache légèrement de la chaîne des montagnes, servant d’appui au plateau des Bauges, que s’élève le chiteau de Miolans. De là le regard embrasse la partie la plus ouverte, la plus fertile, la plus plantureuse de ce district du moyen dge, appelé pagus Savogiensis, déependant du grand comte de Grenoble. Le spectateur voit se derouler è ses pieds, d’abord une forét d’arbres variés, puis des vignobles, puis des champs, puis le fleuve, dont les eaux, ordinairement grises, qui naguère se répandaient à droite et à gauche, échevelées et capricieuses, sont aufourd’hui contenues par une digue puissante, le long de laquelle est établi le chemin de fer d’Italie. Sur cette riante zone, la petite ville de S'-Pierre-d’Albigny et plu- sieurs villages étalent leurs toits d’ardoises et font. briller leurs clochers aux flèches aigués. En face, une fuite de collines, diversement accidentées et ornées d’une vegetation vigoureuse, montrent de loin en loin les ruines d'un certain nombre de demeures féodales qui jouirent, en leur temps, d'une haute célébrité. Les chateaux d’Ayton, de Chamoux, de l’Heuille, de Chateauneuf, les fameuses tours de Montmayeur etc., enfin les Alpes aux croupes neigeuses, qui séparent la Maurienne du Dauphiné , forment le dernier plan de ce tableau. Personne n'ignore comment an X siècle, sous la faible domination des rois du second royaume de Bourgogne, le régime féodal s’etablit dans notre pays. On vit surgir alors, parmi nous, la brillante cohorte de ces familles plus ou moins puissantes qui, malgré les taches que leur histoire peut offrir, suite inévitable des vices de l’époque, furent géné- ralement des modèles de loyauté, de bravoure, de fidélité, de foi, po- serent les fondements de notre mationalité et contribuèrent à arracher nos contrées à la profonde barbarie des siècles précédents. Dans la Savoie proprement dite, en y comprenant le val de Beaufort, le plateau des Bauges et le petit Bugey, on en comptait près de soixante, parmi lesquelles se faisaient remarquer surtout celles de Seyssel, d'Amaisin, de la Balme, de Belmont, de Chevelu, de Chautagne, de Gerbaix, de Montdragon, d’Orlier, de Chambéry, de Montgellaz, d’Apremont, de la Ravoire, de Chignin, de Piedgauthier, de Tournon, de Chevron, de Conflans, de Beaufort, de la Charnée, de l’Escheraine, de Montmayeur, de Miolans etc. En Maurienne et en Tarantaise, près de vingt, et en première ligne celles de la Chambre et de Briancon. Dans l’ancien 220 DES ORIGINES FÉODALES ‘ETC. Genevois, près de soixante et dix, où figuraient, entre autres, celles de Compey, de Ternier, de Viry, de Menthon, de Sales, de Duing, de Pontverre, de Ballaison, de Foras, d’Hauteville, de Clermont. Dans l’ancien Chablais, qui comprenait une partie du Valais actuel, près de quarante et notamment celles d’Allinges, de Saillon, d'Aigle, de Blonay. En Faucigny, le méme nombre environ, où l’on distinguait celles de Lucinge, de Thoire, de Chissé, de Boége, de la Tour de Viuz, de Montvagnard, de Rovorée etc. Je ne parle pas des familles qui peuplaient - également le pays de Vaud, la Bresse, le Bugey, le Graisivaudan, le Viennois, et qui, elles aussi, ainsi qu'on l’a vu precéedemment, occupent une si large place dans nos annales. Toutes, à raison des lieux où leurs fiefs étaient silués, se reconnais- saient vassales soit des comtes de Savoie, soit des Dauphins de Vienne, soit des comtes de Genève, soit des sires de Faucigny, soit des arche- véques de Tarantaise, soit des evéques de Maurienne, de Grenoble, de Lausanne, de Sion qui, pour la plupart, tenaient directement leur auto- rité des empereurs d’Allemagne, successeurs des rois de Bourgogne; toutes, ou presque toutes, se trouvaient investies de ce qu'on appelait alors le mére et mixte empire et l’omnimode juridiction, qui, à l’excep- ton des droits régaliens, réservés d’ordinaire au souverain, leur conférait la possession de ce qui constituait genéralement, à cette époque, le pou- voir public. Parmi les attributions de ce pouvoir, celle d’administrer la justice civile et la justice criminelle par le ministère des juges, chàtelains, meétraux et autres officiers nommeés à cet effet, était naturellement la plus importante; l’application des diverses peines corporelles usitées en ce temps-là en dérivait, comme aussi l’usage d’entretenir des fourches, ou potences permanentes, sur les confins de chaque circonscription féodale. Ce serait aborder une question tout à fait insoluble que de vouloir fixer. la date de la fondation du chàteau dont J'essaie de tracer ici l’histoire : ce qu'il y a de très-certain, c'est qu'il a toujours passé pour un des plus anciens de nos contrées. Dominant et barrant la grande route d’Italie , qui autrefois cheminait à travers l’étroit vallon qui sépare la montagne du rocher, sur lequel il est construit, sa position, quasi inexpugnable, a dù étre remarquée et recherchée dès les fges les plus reculés (1). Il (1) A l’époque où écrivait Frangois-Augustin Della Chiesa, cette route n’avait pas encore change de place. Voyez Corona reale di Savoia, 1655, t. I, p. 10. C'est presque toujours pour la position des chàteaux qu’il importe d’étudier la direction des grands chemins au moyen dge (Nous faisons observer ici, une fois pour toutes, que certaines répélitions sont indispensables). PAR LÉON MENABREA 221 n'est donc pas étonnant que les traditions locales prétendent quil fit edifié jadis par les Sarrasins, et l’on pardonne è l’historien Chorier sa naîveté quand il assure que Miolans existait déjà lorsque, l’an du monde 3380, Bellovèse conduisit les Gaulois an delà des Alpes, en ajoutant que ce fut en l’honneur de cette forteresse, appelée Mediolanum, quil fonda chez les Insubres la ville de Milan, qui en réalité porte un nom parfaitement identique (1). Je viens de citer nos traditions sarrasines et personne n’ignore com- bien elles sont encore nombreuses et vivaces dans notre pays; mais nulle part on ne les rencontre aussi tenaces, aussi fréquentes qu’au sein de ce vieux canton qui, comme je l’ai dit précédemment, formait au moyen dge la Savogia ou le pagus Savogiensis. Là les Sarrasins durent se concentrer, se naturaliser en quelque sorte plus qu’ailleurs, à l’époque surtout de leur seconde invasion ou occupation, qui dura toute la pre- mière moitié au moins du X siècle; car, tandis que ces hordes infidéles, après avoir dévasté le Piemont, pillé, incendié les villes, les villages, les monastères et détruit notamment la riche et célèbre abbaye de la Novalaise, passaient tumultueusement les monts et débouchaient par les vallées de Tarantaise et de Maurienne; d’autres hordes, venues du fond de la Provence et sorties de leur fameux repaire de Fraxinet, dépeuplaient Gap, Embrun, Grenoble, et arrivaient en Savoie par le Graisivaudan. Divers indices font présumer, établissent méme, que le coteau qui se déroule au-dessous de Miolans, fut un des lieux où ils prirent pied et tichèrent de fonder une colonie: la protection de la forteresse ne leur aurait pas été alors sans utilité. De là ils se seraient avancés jusque dans les Bauges, où de fait ils ont laissé de curieux souvenirs (2). C'est précisément aux derniers temps de l’occupation sarrasine , lorsque les sectatenrs de Mahomet, déjà chassés de Grenoble par l’évéque Isarn, étaient attaqués, traqués de toutes parts, que remontent les premières notions que nous ayons sur les sires de Miolans. Peut-étre ces sei- gneurs, à l’exemple des vaillants hommes qui venaient delivrer la cité de l’empereur Gratien et son territoire de ce qu’on appelait les paiens, (1) « Miolan, que les anciens Gaulois appelaient Mediolan, est un fort dans les Alpes, remar- » quable par sa situation.... Bellovèse emprunta son nom pour le donner è la ville qu'il bastit » dans la terre des Insubres et il l’appela Milan ». Mist. du Dauphiné, t. I, p. 125. (2) Voyez ce que j’en ai dit dans mon travail intitulé Les Alpes historiques, t. X de la 2° série des Mem. de l Acad. royale de Savoie. Voyez aussi au commencement de cet ouvrage livre 1er, 222 DES ORIGINES FÉODALES ETC. contribuèrent-ils à expulser de nos vallées l’ennemi commun (1). On sait, du reste, que ce fut S'-Bernard de Menthon qui, par ses prédications, son zéle, son ardeur infatigable pour le soulagement de l’humanité, acheva d’extirper des hauteurs du Mont-Joux et de la Colonne-Joux, qui portent aujourd’hui son nom, les bandes arabes qui s'y étaient réfugiées, et y vivaient aux depens des voyageurs qu’elles depouillaient (2). Or c’est aux chroniqueurs, aux historiens, qui ont narré les hauts faits de ce veritable héros des Alpes, que nous devons les renseignements qui nous font connaitre la famille de Miolans dans la plus ancienne phase de son existence (3). S'-Bernard, qui mourut archidiacre d'Aoste, après avoir étonné le siècle par ses travaux et ses miracles, appartenait à cette race illustre, dont j'ai fait mention plus haut et dont les vastes domaines s’étendaient principalement sur les bords du lac d’Annecy, où l'on voit son manoir, nouvellement restauré, dominer encore tous les environs. Il était né vers g. Les Si dynastes de Duing, non moins puissants que ceux de Menthon, résidaient l'année 923 de Richard de Menthon et de Bernoline de Duin à peu de distance de ceux-ci et avaient construit leur pittoresque donjon sur la rive opposée du méme lac. Richard destinait son fils à étre l’he- ritier de ses grands biens; il l’envoya, disent les chroniques, en pays étranger, en France, pour qu'il pùt s’instruire et se rendre digne de la haute position qui l’attendait; ce n’était pas sans doute alors une petite affaire que de voyager, que de parcourir l'Europe presque barbare; des périls incessants poursuivaient quiconque se voyait obligé de se rendre dans les contrées lontaines. Bernard revint; mais il revint dégodté du (1) Sur la délivrance de Grenoble, voyez l’ouvrage de M. Reinaud, membre de l’Institut, inti- tulé Invasions des Sarrasins en France et de France en Savoie, en Piémont et en Suisse, 1836. Voyez encore la Revue du Dauphiné, t. I, 1837. (2) Le savant M. Beugnot dans son Mist. de la destruction du paganisme en Occident, t. II, p. 344, a démontré, d’une manière assez peremptoire, qu'il n°y avait plus dans les Alpes aucun vestige de polytheisme à l’époque où vécut Bernard de Menthon. En étudiant les annales de ce lemps-là, on est forcé d’admettre que ce fut contre les restes des Sarrasins qui, oubliant leur propre reli- gion, étaient devenus de misérables brigands, que ce grand Saint dirigea sa pieuse croisade. (3) La source d'où derivent les récits de la plupart des chroniqueurs et historiens dont je parle, est la légende écrite par Richard de Val-d’Isère, successeur de St-Bernard à l’archidiaconat d’Aoste, laquelle a été imprimée par les Bollandistes, 15 juin, sous le titre de Zita sarctì Bernardi, d’apres un manuscrit trouvé par P. T. Chiflet dans les archives de la cathedrale de Maurienne; cette légende, evidemment interpolée, est remplie de beaucoup de fables. PAR LÉON MÉNABREA 223 monde, avec la résolution de se consacrer à Dieu et d’employer sa vie à des ceuvres de charité. C'est ici que les légendaires mettent en scène la gracieuse figure de Marguerite de Miolans, que l’on destinait à étre sa femme; la colère d’un père décu, la sainte persistance du jeune homme et sa fuite miraculeuse qui le conduisit à Aoste, où il réalisa son pieux projet (1). Ce fait, quoique authentique, et bien qu'’attesté par. des écrivains contemporains, est cependant isolé, et l'on demeure incertain sur ce que furent véritablement les seigneurs de Miolans jusqu’'à l’époque où le régime féodal, complétement en vigueur au milieu de nous, devient assez riche pour fournir à l’historien scrutateur de toutes choses anciennes, des documents propres à lui apprendre ce qu'il désire savoir. Avant de parler plus amplement de ces nobles. feudataires, je rap- pellerai que le nom du chateau qu'ils habitaient, de méme que ceux de la plupart des localités un peu notables de nos vallées, ayant excité pendant long-temps l’émulation des chercheurs d’etymologies, la question s'embrouilla aù lieu de s’éclaircir, et resta sans solution; la manie sur- tout de recourir anx origines celtiques gàta entièrement la discussion (2). Je ne prétends point donner un avis là-dessus; le métier d’étymologiste est trop diflicile et présente trop de cliances d’erreurs: je dirai seule- ment que le nom de Miolans n'est point unique, qu'on le retrouve dans plusieurs provinces, et notamment en Dauphiné, et que le latin du moyen dge le traduit partout par le mot Mediolanum. Or ne pourrait- il pas bien se faire que ce mot ne fùt que la réunion de deux mots, l’un Medium, dont tout le monde connaît la signification, et l’autre lanum ; lanceum, et en langue romane Zars, lens, qui exprime l’idée d’un lieu habité, comme nous en avons des exemples dans Lans-le-Bourg, Lans-le-Villard etc. , de telle sorte que Mediolanum, Milan, ou Miolans, signifierait en réalité une ville, un village , une résidence située au milieu d'une contrée quelconque, cu à égale distance des extrémités d’une vallée? tel serait en definitive le chiteau qui fait l’objet de notre attention. (1) Voyez l’intéressante notice sur St-Bernard de Menthon, publige par le chanoine Dépommier dans le tome III de la ire série des Mem. de lAcad. royale de Savoie. (2) M. Albanis Beaumont a adoplé l’étymologie celtique Mi-alb-ars (Mercure-Auguste) dans sa Description des Alpes. 22/4 DFS ORIGINES FÉODALES ETC. Depuis l’intéressante légende de S'-Bernard de Menthon, un siècle s'écoule sans qu'il nous soit possible d’avoir aucun renseignement bien certain sur les seigneurs de Miolans; une profonde obscurité les enve- loppe ; cette période coincide en effet avec celle où la faiblesse et l’in- capacité du dernier roi de Bourgogne, Rodolphe-le-Faincant, avait attiré sur notre triste pays le fléau des guerres intestines ; où la famine, la peste, les brigandages des Sarrasins, les effrayantes incursions des Hongrois l’avaient dépeuplé (1); où l'on croyait deécidement que le monde allait finir; où la plupart des actes rédigées par les notaires, et spécialement les donations faites aux églises commencaient par ces mots terribles: Mundi terminum appropinquare rwinis crebrescentibus certa manifestant indicia; où eufin la barbarie était si grande qu’àè peine trouve-t-on cà et là quelques documents pour reconstituer un peu l’histoire de ces temps vraiment calamiteux (2). C'est à une charte sans doute, mais qui paraît étre de l’année 1090, que nous devons de pouvoir renouer d'une manière sùre le fil de la genealogie des seigneurs dont il est question: cette charte est curieuse; elle a été publiée par Guichenon; elle constate la fondation du monastère de Bellevaux en Bauges par un membre de la famille de Miolans (3). Je remarquerai ici que rien ne contribua plus peut-étre à repous- ser les tenèbres du X siècle, à faire renaître l’industrie , l’agriculture , les arts, à ranimer en un mot la civilisation éteinte que l’établissement, si frequent alors, de toutes les maisons religieuses qui, installées dans des lieux ordinairement déserts, au sommet des montagnes, au fond des vallées, là où l’homme depuis longtemps n’avait pénétré, surent bientòt s'entourer d’une population active et laborieuse, purent entreprendre des deéfrichements, ouvrir des routes, se livrer à des cultures variées, exploiter souvent des mines, et qui parvinrent ainsi à changer l’aspect des cantons qu'elles possédaient, en y ramenant la prospérité, l’abondance, le mouve- ment. Le clergé reégulier, les moines, ne furent pas senls les artisans (1) Voyez ce que j’ai dit sur les Mongrois dans le travail ci-dessus cité, Les Alpes historiques, ainsi que dans une autre notice intitulée De la marche des études historiques ete., faisant partie du t. X de la 1 série des Mem. de l Acad. de Savoie. (2) On trouvera dans le mème ouvrage quelques détails sur les formules dont je viens de parler. Le cartulaire de l’eglise de Lausanne, que j’aurai bientòt l’occasion de citer, en contient un grand nombre. (3) Guichenon, Mist. de Savoie, pr., p. 25. PAR LÉON MENABRÉA 225 de cette heùreuse transformation; le clergé séculier y concourut effica- cement en plusieurs circonstances, témoin l’évéque Isarn, dont j'ai parlé il y a un instant, qui, après l’expulsion des Sarrasins, si l’on en croit S'-Hugues, un de ses successeurs, et les documents contemporains, réussit à repeupler son diocèse en y faisant venir des contrées éloignées de nouveaux habitants, en leur donnant des hameaux à occuper, des terres à ensemencer (1). C’était dans ce temps-là un grand mérite, une immense gloire, non- seulement sous le rapport de la pensée religieuse, mais au point de vue des idées purement civilisatrices, que de fonder un monastère: la charte que j'ai citée plus haut se référant à ces faits solennels, explique lim- portance qu'on y attachait. Arrétons-nous un moment sur cet acte. Nantelme de Miolans, à qui l’on donne dans ce précieux document la qualification d’homme très-illustre, vir i2/ustrissimus, épithète rare- ment employée alors, et indiquant évidemment une naissance, des richesses, un rang completement hors ligne, avait, y est-il dit, quelques années auparavant, pour la rémission de ses péchéstet pour le repos des mes de son père Guilfred et de sa mère (le nom de celle-ci n'est pas exprimé), construit une église et un couvent è Bellevaux en Bauges, en l’honneur de la mère de Dieu, sur une terre allodiale, à lui appartenant en vertu d’une concession d’Humbert, comte de Savoie; là il avait appelé des moines de l’ordre de S'-Benoît; la touchante formule qui évoquait la memoire des défants dans les actes de ce genre, était généralement adoptée à cette époque. Cet établissement achevé , et s’agissant d’en faire la dédicace , un nombre considérable de personnages éminents s’y rendirent, entre autres le comte susdit, l’archevéque de Tarantaise, les évéques de Genève, de Maurienne , d’Aoste , ainsi quune foule de gens du peuple accourus de toutes parts, afin d’assister à la pieuse cérémonie. L’acte qui fut dressé en commeémoration de cet événement, et qui est précisement la charte ci-dessus citée, énonce par le menu les biens dont le donateur avait (1) Une charte du cartulaire de St-Hugues, rapportée par Chorier, L’Estat politigue du Dauphine, t. II, p. 69, se sert à ce sujet des expressions suivantes: /otum sit° omnibus fidelibus filiis Gratianopolitane ecclesie quod post destructionem paganorum Isarnus episcopus edificavit ecclesiam Gratianopolitanam. Et ideo quia paucos invenit habitatores in predicto episcopatu collegît nobiles me- diocres et nobiles ex longinquis terris de quibus consolata esset Gratianopolitana terra. Deditque pre- dictus episcopus illis hominibus castra ad habitandum et terras ad laborandum ete. Serie II. Tom. XXIII. 29 226 DES ORIGINES FÉODALES ETC. transferé la possession au nouveau prieuré; on y voit que ces biens for- maient un ensemble important, quoiqu’ils fussent situés en différents lieux. De son còté le comte Humbert , voulant accorder au monastère naissant une preuve de sa libéralité, lui fit l’abandon de plusieurs droits fort remarquables qui devinrent la source de la juridiction temporelle qu'il exerca des lors. Deux mots à ce sujet, qui tendront toujours plus à expliquer, chose que j'ai dejà essayé de faire ailleurs, comment il arriva qu'au moyen dge la plupart des couvents, surtout les grandes abbayes, devinrent de vé- ritables seigneuries, investies de fiefs juridictionnels et jouissant de la basse, de la moyenne et souvent de la haute justice (1). Quoique, suivant la judicieuse remarque d’un écrivain célèbre , M. Guizot, un des caractères distinctifs du régime féodal ait. été de fusionner et de confondre le droit de souveraineté avec le droit de pro- prieté, de telle sorte que le propriétaire du sol, par cela meme qu'il avait la qualité de propriétaire , pouvait exercer dans ses domaines et sur les individus qui y habitaient, ou qui les cultivaient, à titre de con- sitaires, d’albergataires, d’emphytéotes, de mansionaires, de colons, de tributaires, de vassaux, de main-mortables, de serfs, tous les droits qui constituent, comme je l’ai énoncé précédemment, les pouvoirs publics, ce principe vrai, dans son acception la plus générale , la plus large, se irouvait en réalité et en pratique soumis à une infinité d’exceptions, qui rendent raison de l’étonnante variété de fiefs qui faisait autrefois le desespoir des hommes de loi. Pour user des droits dont je parle, la concession de celui qu’on ap- pelait alors le dominus, le seigneur, était nécessaire. Sous le nom d’in- feodation, cette concession déterminait la mesure de ces mémes droits; renouvelée à des époques et en des circonstances prévues par les usages locaux, ou par la jurisprudence, sous la qualification de reconnaissance féodale, de prestation d’hommage, elle était le lien qui servait è main- tenir le systeme alors en vigueur, et elle en formait le plus essentiel fondement. Or dans la charte de 10go le comte Humbert (Humbert II) ac- corde an prieuré de S'-Marie-de-Bellevaux le droit important qui y est 1) Voyez les nolices que j’ai rédigges sur l’abbaye d’Aulps et sur la chartreuse de Vallon dans le t. XI de la ire série, et dans le t. I de la 2me série des Mon. de l’Acad. de Savoie. PAR LEON MENABREA 227 designé par les mots danni infractum et legem de omni forisfucto quod . facient ejus homines, mots qui peuvent étre traduits par ceux-ci: « l’in- » fraction du ban et la loi de toute forfaiture que viendront à com- » mettre les hommes dudit prieuré. » En consultant les glossaires de la latinité du moyen dge, ainsi que les auteurs qui ont écrit sur les coutumes de cette époque, on voit que l’infractum danni et la lex de forisfucto avaient à peu près une signification identique, et indiquaient la peine, ordinai- rement pécuniere, appliquable à la répression des délits, des crimes, des forfaitures; car on sait qu’en conformité des principes adoptés par les codes des peuples barbares qui envahirent l’empire romain , la plupart des peines corporelles étaient rachetables à prix d’argent; seulement la lex de forisfacto semblait devoir s’étendre aux cas les plus graves, tandis que le danni infractum ne concernait que les faits de moindre valeur (1). Il est facile d’entrevoir, déjà dès à présent, les conséquences de ces simples mots « l’infraction du ban et la loi des forfaitures » jetés comme au hasard dans le document de rogo: il s’ensuit évidemment que par l’effet de la concession du comte Humbert, venant à l’appui de celle de Nantelme de Miolans, le monastère de Bellevaux se trouva investi du droit de justice sur tous les hommes demeurant sur ses terres, droit quil ne pouvait naturellement exercer que par l’intermediaire des juges et des officiers qu'il devait nommer pour cet objet. Mais il y a autre chose; et si nous continuons l’examen de la charte dont il s’agit, nous y découvrirons des particularités d’autant plus curieuses qu’elles ne paraissaient pas avoir été remarquées jusqu’ici, et qu'elles auront l’avantage d’éclaircir un point intéressant de l’histoire de notre pays: elles nous ramèneront d’ailleurs naturellement aux recherches que nous avons entreprises sur les sires de Miolans. Dans sa concession le comte Humbert ne se borne pas à énoncer, ainsi que je l’ai dit, l’infracium banni, et la lex de forisfacto; il cite, comme premier exemple de ce qu'il entend céder, le cas d’un individu qui a été (1) Le cartulaire de l’église de Lausanne, qui a été publié dans le t. VI des Mem. et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande, fourmille d’exemples du mot lex pris dans l’acception de peine ou d’amende; ce recueil est à consulter. Quant à la locution barni infractum, on lui substitua plus tard la simple expression barnum, qui se rencontre à chaque instant dans les comptes de nos anciens chàtelains; on distinguait alors deux sorles de bans- les barra cordemnata et les banna concordata; les premiers dérivaient d’une sentence, et les seconds d’un acte de com- position, de transaction, on de concordance. 228 DES ORIGINES FÉODALES ETC. frappé, et il dit qu'alors le monastère rendra droit et fera justice, rectum faciet, et que le coupable remettra entre les mains du prieur le montant i de l’amende qu'il aura encourue, et priori legem dabit ; puis, comme second exemple, il pose l’hypothèse du duel judiciaire, ce qui est pré- cisément le fait sur lequel je me propose d’arréter un instant le lecteur. « Quand un des hommes du couvent de S'-Marie aura accepté le » duel et se sera rétracté, les moines percevront la loi; ils auront aussi » l’amende que devra payer le vaincu: » Si homo S. Marie FIRMAVERIT DUELLUM et cesserit, monachi habebunt legem: item emendationem victi sui hominis (1). Telles sont les paroles employées par le rédacteur de la charte pour interpréter la pensée de l'illustre fondateur. On voit donc qu'au XI siècle, dans certains cantons de la Savoie, le duel judi- ciaire formait encore le fond de la procédure tant civile que criminelle, ou tout au moins y occupait une large place. Ce triste préjugé dut se maintenir chez nous peut-éire plus longtemps et plus généralement qu’ail- leurs, et ce que je vais ajouter, en expliquera le motif. Personne n’ignore que l’usage de terminer les procès par le duel existait chez les peuples du Nord bien long-temps avant qu’ils eussent fait irruption dans la Gaule, et qu'ils conservèrent encore ce méme usage après la conquéte. Ce mode étrange de mettre fin aux contestations était chez eux tellement enraciné que, lorsque les Burgondes, après avoir occupé nos contrées au V siècle, songèrent à formuler leur législation, ils y insérèrent des dispositions formelles à cet égard. Ce sont celles que ren- ferme le titre 45 de la loi publiée en 502 par le roi Gundebald, et que l'on appelle Zex Gundobalda, vulgairemeni loi Gombette. Quoique le roi Gundebald ou Gondebaud fit dévoué à l'arianisme , ainsi que la plupart de ses sujets, les dispositions dont il s'agit, déplo- vables à la vérité par le résultat, étaient pourtant louwables par le but. 1) La legon de Guichenon est: Si homo Ste Marie firmaverit duellum et CECIDERIT. J'ai cru devoir adopter CESSERIT, en premier lieu parce que sì l’on laissait cecderit, ce membre de phrase ferait un double emploi choquant avec le membre qui vient ensuite: item emendationem victi sui hominem; en second lieu parce que, suivant la plupart des coutumes, parmi lesquelles je n’invoquerai iei que Je Commenrtaire du Plaid général de Lausanne, qui appartient à notre législation plus que tout autre document, puisque le pays de Vaud faisait autrefois partie du comté puis duché de Savoie, le cas de désertion du duel donnait ouverture à l’application d’une peine (ce Commentaire est cité ci-apres, în zotis); en troisième lieu parce que ce mème mot cesserit est précisément employé en ce sens dans le texte du titre 45 de la loi Gombette, ainsi qu'on le verra dans un instant. PAR LÉON MÉNABREA 229 Comme la jurisprudence des codes barbares exigeait qu'en un grand nombre de cas, et spécialement en matière criminelle, l’inculpé se purgedt par serment, lui douzième, y compris sa femme, ses enfants, ses pro- ches, de l’accusation ou de la suspicion dirigée contre lui, il s’ensuivait qu’'une foule de parjures se commettaient chaque jour au grand deétriment du bien public. Or c'est pour remédier à cet abus que, tombant dans la plus triste erreur, le législateur burgonde crut nécessaire d’édicter l’article qui fait l’objet du titre ci-dessus cité. « Nous déerétons, dit-il, » que sì celui qui est assigné nie, sous l’obligation du serment, de de- » voir ce qu'on lui réclame ou d’étre l’auteur de ce qu'on lui impute, » le procès soit terminé par ce moyen; mais que si la partie à qui le » serment a été offert, ne veut l’accepter et déclare que son adversaire » peut étre convaincu par la voie des armes, et que ce dernier ne cède » pas, on ne leur refuse point la faculté de combattre, pugnandi licentia » non negetur. » Suivent différentes prescriptions sur les formalités du combat, sur les peines et indemnités dues par le vaincu (1). Les formalités du combat variaient selon les lieux, et subirent, à raison des temps, de nombreuses modifications. Une des premières con- ditions était que le duel fùt expressement ordonné par le juge, et que les parties donnassent des gages, vadia, pour les dommages-intéréts; c'est ce qu'on appelait, et nous en avons un exemple dans notre charte de 1090, firmare duellum (2). Pour ce qui est des peines et des indemnités, leur nature et leurs degrés n’étaient pas non plus partout les mémes. Je ne puis entrer ici dans aucune explication lì-dessus, et je me bornerai è dire que, d’après le texte que j'ai cité précédemmeni, l’acte de fondation du prieuré de Bellevaux en offre deux cas, celui d’un duel décisif où l’un des combattants succombe, et celui d’un duel accepté, firmatum, ei non suivi d’effet par le refus d’une des parties. Au reste, le prieuré dont je parle ne devait pas étre la seule de nos maisons religieuses qui eùt le droit de s’attribuer la connaissance des causes susceptibles d’étre termi- nées par ce genre de preuve. Si les documents ne nous faisaient souvent défaut, nous nous convaincrions peut-étre, que dans la période du régime (1) Le texte des lois burgondes se trouve dans plusieurs recueils et notamment dans celui de dom Bouquet, Rerum gallicarum scriptores, t. IV. (2) Les savants amplificateurs du glossaire de Ducange ont cité cette charte pour expliquer les mots dont il s’agit. 230 DES ORIGINES FÉODALES ETC. féodal, où l’usage du duel judiciare fut le plus répandu, ce droit appartenait à tous les monastères, à toutes les seigneuries, à tous les possesseurs de fiefs investis de ce qu’on designait alors par les mots de haute justice. Le cartulaire de l’église de Lausanne nous fournirait à ce sujet plus d’un fait analogue à celui que nous a revéelé la précieuse charte de Nantelme de Miolans. On y verrait que les vidomnes du chapitre de cette église percevaient dans certaines localités la moitié des proventions du duel, in proventibus duellorum medietatem. On y trouverait mentionne surtout un cas fort curieux relatif à une accusation de vol, portée en 1218 par un Pierre d’Essertines contre un nommé Fulchard, et où il s’agissait, avant tout, de vérifier la coutume, de consulter des témoins, de compulser de vieux titres. Il fut reconnu que les duels avaient toujours eu lieu devant le prévòt dudit chapitre, et. que ce dignitaire devait retirer aussi une moitié des amendes qui en provenaient, mediam partem legum (1). Aujourd’hui que ce n'est, pour ainsi dire, qu’en passant et en forme de pur episode, que je m’occupe de cette question, je me bornerai à citer encore un titre inédit du 26 décembre 1233 que j'ai tiré des ar- chives de l’église de Maurienne, au bas duquel se lisent plusieurs noms illustres et particulièrement celui d'un Guy de Miolans. On y voit que des propositions ayant été faites pour mettre un terme à des contro- verses qui existaient entre les ofliciers du comte de Savoie et le chapitre de ladite église, il fut prouvé que ce chapitre avait bien le droit de jouir de la puridiction qu'on lui contestait, mais qu'il fallait néanmoins en excepter les procès en répression d’homicide et de félonie, de méme que les causes de duel, praeter homicidia et proditiones et duellos , lesquelles, dans le cas qui se présentait, furent regardées comme réservées au prince. Bien que la loi de Gondebaud eit été dénoncée comme immorale , irréligieuse, homicide, à Louis-le-Deébonnaire, par Agobard, archevéque de Lyon, dans une lettre qu'il écrivit à ce monarque en 840, et où il en réclamait avec instance la complète abolition (2); bien que plusieurs edits des rois Carlovingiens eussent recommandé aux populations d’origine franque de se garder d’adopter, sur le point en question, la coutume des Burgondes, car les législations étaient encore alors toutes personnelles , (1) Cartulaire de l’église de Lausanne dans les Mem. et doc. de lu Société d’histoire de la Suisse romande, t. VI, p. 125 et 398. (2) Cette lettre se trouve dans le t. VI du recueil de dom Bouquet. PAR LÉON MÉNABREA 231 chacun devant suivre sans aucune affectation de territoire les lois de la nation à laquelle il appartenait, le code dont il s'agit se maintint assez long-temps parmi nous, qui étions, pour la plupart, de race bourguignonne. Jen trouve des traces jusque vers le milieu du XI siècle, et notamment dans un document de 1055, où l’une des parties contractantes deéclare , selon le style du temps, faire profession de vivre sous la loi de Gon- debaud (1). Soutenues par la pratique immeémoriale et constante des anciens peu- ples du Nord, les prescriptions de cette loi passèrent dans celles des Allemands et des Bavarois (2). Si elles ne furent jamais adoptées textuel- lement ni par le code salique ni par le code ripuaire, l’usage ne s'en maintint pas moins en France et en Italie, aussi bien qu’en Bourgogne, avec une grande ténacité, malgré les défenses des conciles, des papes, des empereurs, des rois; témoins les nombreux recueils de coutumes qui tracent les règles à suivre dans cette matière. Et à ce propos, en ce qui nous concerne, je pourrais encore citer le fameux plaid-général de Lausanne rédigé en 1368, et son commentaire anonyme qui est de 1406, où l’on trouve là-dessus une infinité de choses curieuses. Ce que je viens d’exposer est plus que suffisant sans douie, pour expliquer la portée des donations et concessions faites en rogo au prieuré de Bellevaux en Bauges par le sire de Miolans et le comte Humbert. Je prie méme le lecteur de me pardonner si, au début de ma Notice, je l’ai entretenu trop longuement sur ce sujet; mais puis- que je suis en train de faire connaître le peu que j'ai recueilli à cet égard, J'ajouterai quelques mots qui, se rapportant spécialement aux us de la vielle noblesse de notre pays, ne seront peut-étre pas déplacés ici. Le duel juridique, après avoir affecté indifféremment les contestations tant civiles que criminelles , car les lois barbares n’établissaient guère de distinctions positives sur ce point, puisque dans leur esprit tous les procès, méme ceux qui regardaient les crimes les plus graves, pouvaient, à peu d’exceptions près, se résumer en amendes et en indemnités pécuniaires, et que chez nous ce ne fut qu’en vertu d’un édit d’Emmanuel-Philibert que disparut complétement le système des compositions; le duel juridique, dis-je, abandonnant insensiblement les causes qui avaient trait à des 1) Monumenta historiac patriae, t. I. Chartarum, p. 584. (2) Ces lois se trouvent dans le recueil de Canciani, Leges barbarorum antiquae. 232 DES ORIGINES FÉODALES ETC. différents purement civils, finit par étre appliqué presque exclusivement aux affaires qui concernaient les delits et les forfaitures; è une époque où l’institution du ministère public n'existait pas, leur répression était généralement poursuivie è la requéte des particuliers. C'est ici que l’on voit surtout se régulariser , sous l’autorité supréme des princes de la maison de Savoie, la jurisprudence du duel lorsque la question s’élevait entre gentilshommes figurant au nombre de leurs feu- dataires immeédiats. A eux seuls appartenait en ce cas le droit de recevoir les gages, d’ordonner le combat et d’en régler les conditions. C'est ainsi qne chaque fois que ces princes se rendaient en Val-d’Aoste, pour y tenir, suivant l’antique usage de ce pays, ce qu'on appelait les grands plaids, ou les audiences générales, une des premières notifications qui devaient se faire, au moment de l’ouverture de ce tribunal supréme, consistait à ordonner que toutes les causes de duel fussent portées devant lui: /tem si duellum pendat vel occurat denuncietur et remittatur domino. Plusieurs de ces singulières contestations ne manquaient jamais en effet de s'y présenter; j'ouvre au hasard le procès-verbal d'une de ces au- diences solennelles, tenues par le Comte Vert le 18 septembre 1351, et jy trouve qu’une querelle ayant surgi entre deux illustres feudataires de la contrée, Boniface Corriod de la Tour et Merlin Gonthard, et que des gages de combat ayant été réciproquement jetés et relevés par eux, le haut justicier s'arrétant à des considérations fort bien motivées, déclara n’y avoir lieu au duel, et enjoignit aux parties de vivre desormais en paix (1). Que dirai-je encore? Il arrivait parfois que le suzerain lui-méme descen- dait dans l’arène contre son propre vassal coupable de félonie. Les annales de la province que je viens de citer nous en fournissent un exemple, tout à fait curieux: un redoutable seigneur, Jacques de Montfort, avait donné la mort à un frère naturel de Pierre de Savoie (c’est ce célèbre comte Pierre qui fit la conquéte du pays de Vaud ); le duel fut proposé, conformement à la coutume, devant Aymon de Challant, vicomte d’Aoste, delégué pour remplir les fonctions de juge: nous ignorons ce qu'il en advint; il nous reste seulement un acte du 23 juillet 1263, par lequel Humbert de la Balme, qui exercait alors la charge de chatelain du chateau (8) Archives de Cour, Duché d'Aoste, paquet 2, n° 22. PAR LÉON MÉNABRÉA 233 de Bard, déclare que le comte Pierre, son maître, est prét è satisfaire à la loi du combat, qui devait avoir lieu, y est-il dit, dans un endroit appelé le Pré roux, et cela toutefois par le ministère d’un champion de la part du prince, ce qui se pratiquait en certains cas (1). Tout le monde sait l’histoire du duel d’Othon de Grandson avec Gérard d’Estavayé, duel fameux, qui eut lieu à Bourg-en-Bresse devant Je comte, puis duc Ameédée VIII, avec toutes les solennités requises en semblables circonstances, le 7 aotit 1397. Mais ce qui-est moins connu, c'est que huit ans avant ce triste combat où il perdit la vie, lui, lun des plus puissants, des plus braves, des plus courtois chevaliers de son temps, il avait été sur le point de terminer aussi par le duel juridique un different qui s'était élevé entre lui et un autre grand seigneur et haut baron du pays de Vaud, Rodolphe de Gruyères, sur une question d’in- térét exclusivement civil (il s’agissait de la validité d’un fidéicommis, créé en faveur d’Othon par un de ses parents, Humbert d’Alamand). Le Comte Rouge, qui régnait alors, et devant qui la cause fut portee, rendit, le 23 juin 1390, une sentence arbitrale, par laquelle il déclara n'y avoir lieu au duel et debouta Rodolphe de ses prétentions (2). Je ferai observer, en terminant cette longue digression, que le Genevois et le Faucigny, à l’époque où ces provinces étaient encore sous la do- mination de leurs anciennes dynasties princières, celles des comtes de Genève et des sires de Faucigny, pourraient fournir un assez bon nombre d'exemples sur le sujet que nous venons de traiter; je me contenterai de dire que la coutume du duel paraît y avoir été passablement répandue, et je trouve méme que des seigneurs illustres, les sires de Montfort, qui tenaient en fief ia gonfalonie du Genevois, étaient, à raison de ce fief, investis du droit de garder les champs clos destinés au combat, de s'approprier les armes des vaincus et de percevoir le tiers des amendes, auxquelles ceux-ci devaient étre condamnés (3). La charte qui m’a fourni l’occasion de parler quelque peu de ces questions si curieuses du duel juridique , et qui signale l’existence, à la fin du XI siècle, d'un seigneur puissant, appelé Nantelme de Miolans, (1) Archives de Cour, Duché d'Aoste, MONJOVET, paquet 9, nos 6 et 7. (2) Ibidem, Baronnie de Vaud, paquet 6, n° 35. (3) Dicens quod ipse debet custodire bella et habere tertiam partem pene quam sustinet victus et mu- nimenta victi. (Charte inédile). Serie II. Tom. XXIII. 3o 254 DES ORIGINES FÉODALES ETC. laisse après elle une lacune de plusieurs années; ce n'est qu'à l’époque où S'Bernard, abbé de Clairvaux, préchait la seconde croisade que nous pouvons ressaisir le fil de notre histoire. La première croisade, préchée en 1099 par Pierre l’Hermite avait eu, comme chacun sait, pour résultat la prise des lieux saints par les croisés, et l’établissement du royaume de Jérusalem, éclatante revanche de nos ancétres sur les Sarrasins. Quarante ans s’étaient à peine écoulés, que la puissance: musulmane, incessante dans son action, avait singuliè- rement compromis cette magnifique conquéte. Des demandes de secours arrivaient à chaque instant d’Orient, à l’adresse du pape et des princes chrétiens. Le mouvement qui, un demi-siècle auparavant, poussait les esprits vers ces expéditions lointaines, n’était point encore dteint , il se ranima à la voix de S'-Bernard et la seconde croisade fut résolue. Les historiens de ce temps-là ont décrit avec des couleurs énergiques l’en- ihousiasme qui s’empara des populations à la nouvelle de cette decision. A l’assemblée de Vezelai, en Bourgogne, qui suivit celle de Bourges, et qui était presidée par le roi de France, Louis-le-Jeune, l'illustre abbé de Clairvaux avait tellement passionné la foule immense qui y assistait, que tout le monde prit la croix, nobles et manants, femmes et enfants, à commencer par Eléonore de Guyenne, épouse du monarque. « Dieu » le veut! Dieu le veut! » ces mots sortaient de toutes les bonches. Un grand nombre de hauts feudataires, tels que les comtes de Toulouse, de Champagne, de Flandres, de Nevers, de Soissons, de Bourbon, inter- vinrent à ce concours solennel, et parmi eux Amé III, comte de Maurienne où de Savoie, et marquis d'Italie, oncle du roi. Peut-étre quelques-uns des seigneurs qui accompagnaient ce prince au delà des mers, et au milieu desquels, ainsi que je le dirai bientòt, figurait un sire de Miolans, sy trouvèrent-ils également; c'était en 1146 (1). L’année suivante au mois de mars, le comte Amé se trouvait au delà des Alpes. Le pape Eugène IV, qui ne négligeait aucune des démarches pro- pres à assurer le succès de la croisade, vint le visiter à Turin, et déter- mina, selon toute apparence, le marquis de Montferrat, frère utérin de ce prince, à prendre part à l’expédition (2). De Turin, le pape et le comte se (1) Michaud, ist. des croisades, }. 6. (2) Amedeum taurinensem fratremque ejus Guilhelmum marchionem de Monte-Ferrato...., et alios quamplures. Voyez dans le t. VI du recueil de Muratori, Rer. ital. script., la chronique d’Othon de Frésinge, livre 1, chap. 44. PAR LÉON MENABRÉA 235 transportèrent à Suse, au pied du mont Cenis, avec un nombreux et brillant cortége de prélats et de seigneurs. Là, Amé fit dresser un acte authentique, par lequel il maintint è la riche abbaye de S'Juste, de l’ordre des bénedictins, fondée en ce lieu, la possession des vastes biens que lui avaient abandonnés ses nobles aîeux, le comte Manfred, la comtesse Berthe, la comtesse Adelaide et le comte Oddon. Ce lui fut méme une occasion de donner à ce monastère de nouvelles marques de sa libéralité, si bien que les religieux reconnaissants crurent devoir lui faire, à leur tour, un don de 11,000 sols de monnaie sécu- sienne, qu'il accepta en vue de subvenir aux frais de son prochain voyage d'outre-mer. Et à cet égard le texte de la charte dont il s’agit lui fait dire: « que, frappé d’une lumière surnaturelle, plein de contrition pour » ses fautes, encouragé, instruit par son bienheureux père en Dieu, le » pape Eugène, il a recu de ce saint pontife le conseil d’expier ses péchés » enallantà Jerusalem visiter la sépulture de notre divin Rédempteur (1). » Tandis que ceci se passait, l’empereur Conrad convoquait en Bavière une troisièéme diete, où une foule de seigneurs se rendirent et où ils pri- rent la croix. On pourrait peut-étre présumer, d’après les expressions employées par quelques auteurs, que le comte Amé y intervint, mais rien n'est certain à ce sujet. Ce qu'il ya de positif, c'est que lui et ia noblesse savoyarde étaient sollicités, tout à la fois, et par le pape, et par l’empereur, et par le roi de France. Une lettre que Pierre-le-Vénérable, abbé de Cluny, avait écrite an valeureux prince quelque temps aupara- vant, de la part du monarque francais, prouve que les mésintelligences qui les divisaient jadis, avaient entièrement disparu devant l’intérét commun (2). Enfin, la périlleuse entreprise d’une seconde croisade une fois arrétée, tout le monde se prépara au départ. Le comte Amé, connu par sa bra- voure, par son intrépidité, par ses nombreux voyages en Italie, en Allemagne et ailleurs, figurait au premier rang des croisés. Les Grandes Chroniques de France, dans leur naif laconisme, en parlent ainsi: « En » ce méme termine (méme temps) li emperaor d’Allemagne et ses nies » (son neveu) Ferris li dux de Saisogne qui puis fu empereres quant (1) Acceptaque ab eo penitentia Hicrosolimam ire ac sepulchrum nostri. Redemptoris visitare. Guichenon, ist. de Sav., pr., p. 36. (2) Guichenon, Mist. de Sav., pr., p. 33. 236 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » ils orent oîe (eurent appris) la mesaventure de la terre d’outre mer et » Amez se croisa li cuens (le comte) de Moriene oncles le roi Louis et » pluser autre baron a grant renomee (4). » Or, d’après un manuscrit, cité par notre vieux historien de Pingon dans un de ses ouvrages inédits existant aux archives de cour à Turin, et intitulé Philiberti Pingonii historiae Sabaudiae libri XII, les « barons » a grant renomee » qui se seraient mis à la suite du comte Amé, pour aller en Orient, faire la guerre aux infidèles, auraient été d’abord Aymon, sire de Faucigny et son fils Rodolphe; Guichard, sire de Beaujeu; Humbert, sire de Thoire; Guerric, sire de Coligny. Il résulte en effet des divers iravaux qui ont été publiés sur leurs illustres races, que ces seigneurs vivaient réellement à l’époque ci-dessus indiquée, et qu’ainsi notre ma- nuscrit paraîtrait s'étre renseigné à de bonnes sources. Les sires de Faucigny et les sires de Beaujeu étaient de veritables princes; chacun d’eux commandait à une foule de vassaux, appartenant aux lignées les plus nobles et les plus puissantes. Quant aux sires de Thoire, qui tirent leur nom d’un antique chàtean situé au bord de l’Ain, et dont le cri de guerre retentit si souvent sur les champs de bataille du moyen dge, ils ne possédaient pas moins de quatre-vingt-dix seigneuries en Bugey, en Bresse, en Dombes, en Bourgogne, et ils jouèrent toujours un ròle important dans l’histoire de nos contrées. Pour ce qui est de la famille de Coligny, famille bressane, elle est tel- lement connue et a produit un nombre si considérable d’hommes dis- tingués, qu'il est presque inutile d’en parler. Déjà, avant l’expédition d’Ame III, plusieurs de ses membres, et entre autres un nomme Hugues, avaient fait, par des motifs de piété, et par dévouement à la cause des chrétiens, le voyage de Palestine. Après ces seigneurs, s'échelonnaient Geoffroy de Miolans, Amé de Montmayeur, Aimé et Oddon de la Chambre, Aymon de Briancon, Guillaume de Chevron, Raymond de Tours, Pierre de Cuynes, Genis de Faverges, Guillaume de Chignin, Guillaume d'Amaisin, Soffrey de Belmont, Guillaume de Chatillon, Torrestan de Chevelu, Thibaud de Montfalcon, Pierre de Seyssel, Gauthier d’Aix etc., tous issus de familles de pur sang savoyard; Guillauume de Mornay et Guichard de Viry, venus du comté de Genève; (i) Les Grandes Chroniques de France ne sont guère en ceci que le résumé des deux ouvrages, intitulés, lun ZYist. gloriosi regis Ludovici VII, et l’autre Gesta Ludovici VII regis filiù Ludovic Grossi, publiés dans le recueil de dom Bouquet, Rerum Gall. script., t. XII. PAR LÉON MENABRÉA 237 Guillaume de Blonay du Chablais; puis Humbert de Luirieux, Jean de Bussy, Humbert de Grammont, Pierre de la Palud, Geoffroy de Rougemont; et encore Guillaume de Vienne, Aymon de Rossillon, Adhémar de Bressieu, Aimon de Bocsozel ete., qui, bien qu’ayant leurs possessions ceux-là en Bugey, ceux-ci en Dauphiné, étaient pour la plupart feudataires de la maison de Savoie. On se ferait une fausse idée des forces. que le comte Amé fournit à l’armée des croisés, laquelle, pour la France seulement, s’élevait à plus de cent mille hommes, si l’on ne prenait en considération les principes régulateurs de l’organisation militaire au moyen dge; ce serait une grave erreur que de n’accepter que sous un point de vue purement individuel la série de noms, d’ailleurs très incomplète, que nous a transmis le ma- nuscrit ci-dessus cité. Il faut considérer, en effet, que chacun de ces noms représentait une bannière, qu’autour de chaque bannière venait se grouper un nombre, plus ou moins considérable, de ce qu'on appelait alors la lance, /ancea, et que chaque lance se composait d’abord d'un homme d’armes, c’est-à-dire d'un guerrier de noble race, à cheval, et adoubé de toutes pièces; puis de deux, de trois et quelquefois méme de quatre cavaliers, armés à la légère; mais ordinairement de deux, le custiller et le page, ce qui, en y comprenant l'homme d’armes, ou chef de lance, faisait trois combat- tants; cela s'appelait une lance proprement dite, une lance garnie. Les lances à deux chevaux seulement etaient qualifiées lances gaies. Les comptes de nos anciens trésoriers de guerre et de nos chatelains fourmillent d’indi- cations sur cette matière: on peut les consulter aux archives de la Chambre des comptes à Turin. Or les sires de Miolans, ainsi que tous les seigneurs qui figurent après eux, dans la liste que j'ai reproduite, appartenaient incontestable- ment à cette catégorie de feudataires, auxquels la jurisprudence de nos contrées attribuait le titre de baron, titre qui emportait avec lui la qualité de banneret. Cette jurisprudence, confirmée par les statuts d’Ameédée VIII, exigeait que nul ne pùt se dire baron, s'il ne descendait, en ligne droite et de màle en male, d’une race de noblesse antique, s'il ne jouissait d’un revenu déterminé et s'il ne possédait vingt-cinq vassaux nobles, au moins, dont un fùt investi de l’omnimode juridiction (1). (1) Statuta Sabaudiae, lib. 5, et De denominationibus dominorum. 236 DES ORIGINES FÉODALES ETC. On voit donc que ces seigneurs, pouvant et devant méme, lorsque le cas le requérait, réunir sous leurs bannières respectives une certaine quantité de lances, qui dix, qui vingt, qui trente, qui quarante ou cin- quante, la simple mention de leur présence, comme bannerets, autour de l’orifflamme du suzerain, supposerait nécessairement qu’ils étaient arrivés conduisant avec eux un nombre respectable d’hommes préts è combattre. Ajoutons-y les archers, les arbalétriers, les fans de pied ou clients que l’on recrutait cà et là; ajoutons-y encore les lances brisées qui ne faisaient partie d’aucune bannière, mais qui allaient se placer vo- lontairement sous le pennon d’un chef de leur choix, et vous aurez bientòt une armée (1). Les sires de Miolans nous fournissent de fréquents exemples de ce mode d’organisation particulière aux temps féodaux: c’est ainsi que, lors de la récupération du Faucigny par le Comte Vert en 1354, l'un d’eux avait sous sa bannière quinze lances (2); qu’un autre, appelé Jacques de Miolans, dont je parlerai plus tard, en avait quatorze à sa suite, en 1426, à l'époque de l’expédition faite en Lombardie par les Visconti ele-eLeg(): Qu’on tienne ensuite registre des hommes d’armes que dut amener le sire de Faucigny, lequel, ainsi que je l’ai dit précédemment, ne comptait pas moins de trente vassaux, appartenant tous à d’anciennes et illustres familles et réunissant, presque sans exception, les conditions requises pour étre barons, ou bannerets; puis des combattants fournis par le sire de Beaujeu, égal en puissance au sire de Faucigny; par le sire de Thoire; par le sire de Coligny; par le marquis de Montferrat et les feudataires du Piémont; par les soixante chatellenies que le comte Amé possédait alors en Savoie, en Chablais, en Val-d’Aoste, dans le Viennois, dans le Bugey, et l’on arrivera à conclure que ce n'est pas à tort que les chroniqueurs considèrent ce prince comme ayant tenu un rang distingue parmi les croisés. Comme Geoffroy de Miolans fut, selon toute apparence, du nombre fort restreint de ces vaillants hommes qui, après d’affreux revers et des (1) Les comptes des anciens trésoriers de guerre de Savoie, qui existent à Turin, aux archives de la Chambre des comptes, fournissent d’intéressantes notions à ce sujet. (2) Travail intitulé De l’orgarisation militaire au moyen dge, que j'ai publié dans les Mem. de l Acad. royale de Savoie, t. I de la 2° série. (3) Documents qui m’ont été communiques par le ch. de Mouxi de Lochos. PAR LÉON MÉNABREA 239 fatigues inowies, purent revenir dans leur pays où ils apportèrent quelques souvenirs des lieux ‘saints, j'emploierai encore une page à faire connaître le chemin qu'’ils suivirent pour arriver en Palestine; quels obstacles ils eurent è surmonter, quels rudes combats ils eurent à soutenir durant ce long et perilleux trajet. i Amé III et sa valeureuse escorte partirent au mois d’octobre et re- joignirent sans difficulté le roi de France à Constantinople. Là les croisés commencèrent à s’apercevoir de la mauvaise foi proverbiale des Grecs; ils avaient espéré d’eux encouragement et assistance; ils ne trouvèrent chez ces prétendus alliés, que mauvais vouloir et trahison. L’armée de l'empereur Conrad fut la première à passer le Bosphore: égarée par des guides infidèles, manquant de subsistances, affaiblie par la marche, dé- cimée par les maladies, elle fut entièrement defaite dans les gorges du mont Taurus. L’armée francaise, dont le comte Amé faisait partie, se mit en route peu de temps après: mieux organisée que celle de Conrad, elle fit justice, quand elle en eut l’occasion, de la perfidie grecque; traversa la Phrygie, Pergame et Ephèse, arriva sans trop de pertes sur les bords du Ménandre; c’était au coeur de l’hiver. En ce lieu elle rencontra les Sarrasins réunis aux Tures; une sanglante bataille s’engagea et les Francais restèrent vainqueurs. Toutefois la situation des croisés continuait à étre critique; on avancait comme à titons; chaque soir on se consultait sur la direction qu'on aurait à prendre le lendemain, sans pouvoir jamais s’assurer du résultat d’au- cune determination. Or, un jour qu'on avait atteint le haut d’une mon- tagne escarpée, on delibera sur le point de savoir si l’on y demeurerait ou si l’on descendrait dans la plaine pour en chasser l’ennemi, et rendre le passage libre. Ce dernier avis, auquel Amé II adhéra, et qui était, dit-on, beaucoup plus celui de la bravoure impatienie, que celui de la prudence , prévalut. Après un combat long et acharné, où le roi de France, presque seul et adossé à un arbre, fut obligé de deéfendre sa vie contre les attaques redoublées des Sarrasins, les croisés durent rebrousser. che- min dans une horrible confusion. Cependant, s’étant ralliés, ils purent continuer leur route et parvinrent jusque sous les murs d’Attalie, où les Grecs, maîtres de la ville, usèrent envers eux des mémes trahisons que par le passe. Là les croisés se divisèrent; les uns continuèrent à se diriger, par 240 DES ORIGINES FÉODALES ETC. terre, vers la Palestine; les autres, au nombre desquels se trouvait le monarque francais, et très-probablement le comte Amé, jugèrent plus expéditif de s'y rendre par mer, et s'embarquèrent sur tous les navires qu'ils purent se procurer. A peu de temps de là, l’empereur, le roi et ce qui restait des deux armées arriverent à Jérusalem: Baudoin III y régnait alors. Après une conférence celèbre, qui se tint à Ptolémais, on decida de franchir le Liban et d’aller mettre le siége devant Damas, que l'on re- gardait, avec raison, comme la pierre angulaire de la puissance musul- mane en Orient. On y vint en effet; tout semblait favoriser cette im- portante opération, quì sans doute aurait été decisive, si elle et reussi , quand la dissension se glissa parmi les chefs de l’expédition; de nouvelles trahisons furent découvertes ; l’ennemi s’enhardit, redoubla sa résistance, et les croisés durent se retirer (1). Il ne restait plus qu'è partir: c’est ce que fit le comte de Savoie; mais arrivé à Nicosie, capitale de l'Ile de Chypre, il y mourut dgé de 53 ans. Le sire de Miolans revint. La tradition préetend que c'est lui, qui ayant apporté de Jerusalem trois des saintes épines de la couronne de N. S. Jésus-Christ, les déposa dans la chapelle du chiteau de ses ancé- tres, in capella arcis Miolani, d’où on les transféra ensuite au couvent des hérémites de S'-Augustin, fondé à S'Pierre-d’Albigny, en 1381, par un des nombreux seigneurs, du nom d’Anthelme, qu’a produits l’illustre famille dont J'esquisse l’histoire. On comprend facilement les énormes dépenses que dut occasionner une entreprise aussi gigantesque que celle qui eut pour objet les in- fructueuses tentatives de 1147 et de 1148. Quelques exaltés avaient d’abord eu l’idée de chasser ou d’égorger les juifs, déjà répandus dans toute l'Europe, et de s'emparer de leurs biens; mais $'-Bernard et Pierre-le-Venérable s’étaient fortement opposés à cet acte cruel; cette fois-ci la cause de l’humanité et de la justice avait prévalu. C'est alors que plusieurs de ceux qui devaient faire partie de l’expédition s’adres- sèrent à divers monastères, et purent, moyennant les terres qu’ils relà- chèrent aux religieux à titre de gage, obtenir d’eux les sommes dont ils prétendaient avoir besoin. (1) Michaud, Mist. des croisades, livre 6. PAR LÉON MEÉNABRÉA 241 Cela explique comment, quelque temps avant son départ, le comte Amé s’était fait remettre par l’abbaye de S'-Maurice-d’Agaune la fameuse table d’or massif, enrichie de pierres précieuses, que Charlemagne, dit-on , lui avait donnée, et comment en 1150 son fils Humbert III se soumit à en payer la valeur (1). Les documents qui concernent les sires de Miolans ne nous offrent, à la vérité, aucun fait de ce genre; cela n’empéche pas toutefois que le cas ne se soit présenté fréquemment ailleurs. Jen trouve un exemple assez singulier dans deux chartes inédites, qui ne portant pas de date doivent étre regardées comme appartenant au moins à la seconde croisade. On y lit qu’un sire de Divonne, appelé Humbert, désirant aller en terre sainte, visiter le tombeau de N. S. Jésus-Christ, sepulcrum Do- mini visitare cupiens (c’était la formule généralement employée par ceux qui se décidaient à prendre la croix), fit donation de la plus grande partie de ses biens à la célèbre abbaye d’Abondance, en Chablais, qui Ini fournit amplement l’argent nécessaire à son voyage. De méme que le baron de Miolans, le bannerei de Divonne revint dans ses foyers; mais pauvre, dénué de tout, si bien que le monastére compatissant fut obligé de lui venir en aide. La famille de ce seigneur, qui selon toute apparence suivit lui aussi le comte Amé III en Orient, ne fut pas ruinée pour autant; car nous la retrouvons très-puissanie , un demi-siècle après, dans le pays de. Gex et le pays de Vaud. Ce qu'il y a de certain, c'est que la plupart de ces illustres croisés, ne pouvant mettre en doute la reussite de l’expédition, étaient tous persuadés que quelque riche duché, quelque ample comté leur écherrait en Palestine, et ne songeaient guère à un retour aussi désastreux, aussi rapide que celui qui eut réellement lieu. (1) Cibrario el Promis, Documenti, sigilli e monete, p. 67. Serie II. Tom. XXIII. dI 242 DES ORIGINES FÉODALES ETC. CHAPITRE XV. ÉTUDE SUPPLÉMENTAIRE. Nouvelle lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - Difficulté qu'on trouve è re- cueillir des documents authentiques. - Frequence des mémes prénoms dans la série des individus. - Nantelme, nom favori des sires de Miolans. - Emploî des noms propres, significatif. - Diversité des races dans notre pays. - La Savoie a moins souffert des invasions étrangères que les contrées limitrophes. - Nomenclature de divers noms qui ré- véelent les origines. - Modifications durant la periode féodale. - Le calendrier romain l’emporte sur les dénominations germaniques. - Nantelme II. - St-Bruno.- Grande- Chartreuse. - Le comte Humbert III fonde la chartreuse d’Aillon dans les Bauges. - De- tails intéressants. - Gauthier de Miolans prend l'habit religieuo. - Nouvelle genérosité du comte Humbert. - Don fait par Nantelme de Miolans et sa famille. - Sires de la Ravoire. - Druéle ou druerie. - Sires d’Apremont. - Race des Varax. - Ponce de Conflans. - Guiffred de Miolans. - Le comte Humbert fait encore une donation à l'abbaye d'Aillon. - Il meurt peu après. - Charte du mois de juin AA39. - Contestations. - Mauvais vassal, Willelme de Maynier. - Pitances, pitancie. - Le droit de protection sur la chartreuse d'Aillon appartenaît au seigneurs de Miolans. Après les dernières pages de l’histoire de la seconde croisade, qui nous revele l’existence de Geoffroy de Miolans, on reste, pendant près de quarante ans, privé de renseignements positifs sur la famille de ce sei- gneur, et ce n’est guère qu'en 1180, qu'on peut ressaisir le fil de cette obscure généalogie, en la personne d'un nouveau Nantelme de Miolans. A cet égard, je dois avertir que je n’ai point la prétention de dresser ici un arbre complet et parfaitement régulier de la descendance des hauts feudataires qui font, en partie, l’objet de ce travail. D'abord, les titres domestiques qui les concernent, titres qui subsis- taient encore, il y a un siècle, et que l’on aurait aisément retrouvés en compulsant certaines archives, paraissent avoir été inrévocablement anéantis. Il nous est bien parvenu, à ce sujet, quelques lambeaux généa- logiques, dressés par des hommes qui ne manquaient ni de capacité, ni de science; toutefois, je les ai reconnus en general tellement dépourvus de toute espèce de preuves historiques, et si souvent erronnés, que j'ai dù renoncer à les reproduire. J'ai donc préféré, sur une question qui d’ailleurs ne semble pas avoir une grande importance obligatoire, m’en PAR LÉON MÉNABRÉA 243 tenir purement aux documents dont l’authenticité est constatée, laissant à d'autres le soin de fouiller plus avant dans ce dédale; et heureux si les actes inédits qu'il m’arrivera parfois de signaler, peuvent leur étre utiles pour cette entreprise (1). Il y a du reste une chose qui tend à rendre plus difficile qu'on ne pense de semblables investigations, surtout en ce qui regarde les époques éloignées; c'est l’extréme fréquence des mémes prénoms, dans la série des individus qui formaient ce que l’on appelait la lignée des races féo- dales; cette observation a été faite par plusieurs auteurs; elle est toute naturelle. Au moyen fge, beaucoup plus encore qu’aujourd’hui, on ren- contrait dans les familles ces noms de prédilection, qui se reproduisaient sans”cesse ou en ligne directe ou en ligne collaterale, et auxquels on attachait l’idée soit d’une origine particulière, soit d'un antique souvenir, soit d’une influence quelconque, ayant je ne sais quoi de mystérieux, qui faisait qu’en ces temps de foi naive on lui obéissait sans trop s'en rendre raison. C'est ainsi que jadis la maison de Savoie compta, parmi ceux seule- ment de ses princes qui régnèrent, neuf Amedée. Le nom favori des sires de Miolans était Nantelme, ou Antelme, qui prenait parfois la forme du diminutif Nantelmin, ou Nantelin. Or, ainsi que l’a fait remarquer quelque part mon illustre ami et parent M. le Commandeur Louis Cibrario, le caractère du nom que chaque famille sem- blait affectionner davantage n’était pas toujours indifférent, quand on avait à rechercher son origine et à déterminer la race, à laquelle elle appartenait. Plus on se rapproche de la période où eurent lieu les invasions des peuples du Nord, plus l’emploi des noms propres devient, sous ce rap- port, significatif. Si dans nos chartes du VIII et du IX siècle, où abon- dent les dénominations masculines d’Annemund, Gangiulf, Garimund, Guntrachar, Cheldemar, Chodegar, Imnachar, Sanniulf, Gibulf, Walzo, Warner, Unneggsil, Childésil, Childegund, Blidemund, Leutold etc., et les dénominations féminines de Blidechilde, Chioberge, Childerune, Thiegunde, Ermentrude, Ansedunge, Thrasleberge, Anechilde, Sannine, Deorovare, Bertovare, Sunnechilde, Trasilane etc., qui toutes appar- tiennent aux dialectes barbares, et ne peuvent guère s'appliquer qu'à des individus de race burgonde, allemande, salique, ou lombarde; sì dans (1) Je reviendrai de nouveau sur ce sujet en parlant des anciens seigneurs de Briangon, que certains genégalogistes opt regardés comme ayant été la souche de ceux de Miolans et de Monimayeur 244 DES ORIGINES FÉODALES ETC. + ces chartes, dis-je, on rencontre quelques-unes de ces appellations so- nores, pleines d’euphonie, qu'on dirait étre le reflet d’une civilisation perdue, comme seraient Anselme, Amédée, Constantin, Déodat, Théodore, Eustase, on devra présumer qu’elies servaient à designer des hommes de race gallo-romaine, lorsque surtout on les retrouve simultanément chez plusieurs membres d’une méme famille. Toutefois les consequences auxquelles sembleraient devoir amener de pareilles recherches, sont tellement délicates, insaisissables, et tellement sujettes à erreur, qu'il importe de ne les adopter qu’avec un ménagement infini et une extréme précaution. Malheureusement pour notre histoire, il ne nous reste, concernant les siècles dont il est question, qu'une collection assez restreinte de do- cuments, qui deviennent plus rares encore quand il s’agit de ces antiques dynasties féodales, qui aux siècles suivants apparaissent au milieu de nous sì fortes et si puissantes. Possesseurs de titres moins clair-semés, il nous serait peut-étre facile de déméler, de reconnaître leur vraie origine. Et en effet, il est certain qu'à cette époque la diversité des races fut très-grande dans notre pays, plus grande sùrement que partout ailleurs. En premier lieu, personne n’ignore que lorsque les Bourguignons, ou Burgondes, venant des bords de la Vistule, pénétrèrent au sein des ré- gions alpines, ils ne songèrent point à sy établir d’une manière brutale et violente, comme les Lombards le firent en Italie quelques temps après. Ils laissèrent subsister à còté d’eux et à des conditions égales, eguali conditione, selon l’expression de la loi Gondebaud, la plupart des fa- milles romaines, ou gallo-romaines, qui s'y trouvaient, celles surtout qui se distinguaient par leur force réelle, par leurs richesses, par le nombre de leurs clients. Plus tard arrivèrent les Francs, qui mirent fin au royaume des Burgondes, sans pourtant expulser ce peuple, qui ne fut privé que du pouvoir souverain. Dans le méme temps, à peu près, les Lombards s’empa- raient de la Maurienne, qu’ils gardèrent jusqu'à ce que le roi Guntramn, les ayant vaincus, et repris cette province et y et fondé un évéché, au territoire duquel il adjoignit la vallée de Suse. Enfin les Allemands, qui possédaient une portion de la Suisse, venaient parfois se méler aux autres habitants et augmentaient parmi eux la confusion du langage, des usages et des moeurs. Or, les législations etant alors, suivant les principes introduits par l’invasion, toutes personnelles, et n’affectant point le territoire, il en PAR LÉON MÉENABRÉEA 245 résultait que le Burgonde observait la loi gombette; le Franc, la loi salique; le Lombard, la loi lombarde, et ainsi de suite; et que la coniume avait admis que dans les contrats, afin de bien déterminer la position respective des parties, elles declarassent la loi à laquelle elles obéissaient; ce qui donna naissance è la formule si connue, dont le savant Muratori a fourni tant d’exemples: Ego qui professus sum ex natione mea lege vivere romana, ou salica, ou gundobada etc. Notre grande collection nationale des Monwumenta historiae patriae est venue apporter un nouveau tribut aux notions déjà recueillies sur ce point intéressant; mais par malheur les chartes qui peuvent concerner la Savoie y sont rares; jy remarque néanmoins un titre de l'année 1036, où un Aymon, fils de Hugues, seigneur de Chambéry, faisant une dona- - tion à l’antique abbaye de la Novalaise, déclare, à raison de son origine, ou de sa nation, faire profession de vivre sous la loi romaine. Il est donc évident que ce personnage appartenait à l’une de ces nombreuses dynasties gallo-romaines, qui se maintinrent parmi nous riches et puis- santes nonobstant la conquéte (1). On pourrait peut-étre en dire autant de la maison de Savoie, dont les membres professaient également la loi romaine, ce qu’attestent plusieurs documents; et cela se rattache à l'importante question de l’origine ita- lienne, qui s’appuie sur l’autorité de plusieurs savants écrivains. Il est donc bien facile, d’après ce qui vient d’étre dit, de se faire une idée de la sérieuse attention qu'il convient de mettre à la recherche de tous les titres, qui seraient de nature à répandre une si grande lumière sur la période initiale de notre histoire, en attribuant à chacun des faits qui la composent ses véritables commencements; mais les vicissitudes des temps et le vandalisme des révolutions ont, il faut l’avouer, laissé peu d’espoir d’arriver, sur cet objet, à des résultats satisfaisants: force est donc de s’en tenir aux conjectures. Cela posé, je laisse le lecteur parfaitement libre de penser ce qui lui plaira sur l'origine des sires de Miolans, chez lesquels le nom de Nantelme, nom qui n’appartient point aux dialectes barbares, se rencontre si souvent. Je suis persuadé cependant que l’ancien pagus Savogiensis, ou la Suvogia proprement dite, ayant été de toutes nos provinces celle (1) JMYonumenta historiae patriae; chartarum, t. I, p. 549. 246 DES ORIGINES FÉODALES ETC. qui, par l’effet de circonstances que }'ignore, mais que je ferai princi- palement résider dans la résistance, la bravoure et les ressources des anciens possesseurs du sol, a eu le moins à souffrir des invasions des Burgondes, il est logique de présumer que les familles qu’on y voit appa- raître dès la fin du X siècle, appartenaient pour la plupart à des races gallo-romaines. Les noms des localités d’où elles tirent leurs dénomina- tions patronymiques, sont d’ailleurs presque tous dérivés du latin: Miolans, Montmayeur, Chateauneuf, Conflans, Chamoux, Chevron, la Rochette; je m’en rapporte, au reste, à ce que Jai dit à ce sujet dans un autre ouvrage (1). Puisque j'ai abordé le chapitre des noms, j'ajouterai qu'il y aurait peut-étre une eétude intéressante à faire sur les variations qu’ils subi- rent chez nous, pendant l’intervalle qui s’écoula depuis le VIII siècle jusquau XV; je ne parle ici que des noms de personnes, des noms propres, ou prénoms. Jen ai déjà cité un certain nombre, il y a un instant, lesquels se rattachant à la première partie de cette période (à celle qui est la plus rapprochée de la conquéte ), se présentent évidemment comme étant d’origine burgonde, gothique, vandalique, lombarde: plusieurs savants historiens, ou philologues, tels que Muratori, Grotius et autres, sont par- venus à en expliquer le sens, car ils signifient tous quelque chose, et l’on peut facilement consulter ce que ces auteurs ont écrit là-dessus. Mais il arriva qu’à la longue ces noms, quoique révelant toujours la méme origine, se modifièrent sensiblement et finirent par revétir les formes particulièrement tudesques, qu'il est si aisé de leur reconnaître, quand on parcourt les documents que nous a légués le régime féodal. En compulsant ces sources si variées, et notamment le grand recueil intitulé l’Index general des fiefs de la Savoie, que l'on trouve à Turin, aux archives de la Chambre des comptes, l’idée m’a pris de recueillir tous les noms dont il s'agit, ou du moins la plupart d’entre eux, et de les placer à la suite les uns des autres, en commencant par ceux qui me semblaient se presenter le plus fréquemment. Je ne mettrai point sous les yeux du lecteur ce travail bien sterile; il me suffira, pour satisfaire sa curiosité, si cela en vaut la peine, de (1) De la marche des etudes hist., ete., dans le t. IX de la fre série des Mem. de V’ Acad. royale de Savoie. PAR LÉON MÉNABRÉA 247 reproduire ici quelques-uns de ces mémes noms, en suivant l’ordre que je viens d’indiquer : Guillelme , Guillerme, Willelme, Willerme; Rodolphe, Rodulphe, Radulphe; Humbert, Hubert, Otbert, Obert, Opert; Richard, Ricard; Aymon, Aymonin, Aymoin, Aymonet; Hugues, Hugon, Hugonet; Wigues, Wigon, Guigues, Guigon, Guigonet, Guion, Guionet, Guidon, Guidet, Guy, Wuy; Guiffred, Guitfred, Gualfred, Gioffred, Joffred, Wiffred, Soffred; Gerold, Girold, Girod; Robert, Rupert, Ripert, Riffer, Ruder, Riter, Rumpert; Conrad; Galtier, Gauthier, Gauterin, Gonthier, Wauthier, Walter, Walcher, Walpert; Raymond; Bertrand; Lambert; Aymar, Aymeric, Aynard, Adémar, Albert, Arbert, Guibert, Wibert; Burchard; Guichard, Wichard; Amblard; Turumbert, Trombert, Rambert; Rol, Rolet, Rolon, Roland; Bermond; Jordan; Berlion; Jocerand; Borel; Rainaud, Rainald; Arluin; Gaschet; Henri; Garin, Warin; Durand; Boson, Bosonet; Falcon, Falconet; Torrenc, Torrestan ; Rotger, Roger, Rogier; Bonnivard; Rostaing; Théobald; Walver; Hermann, Armann; Oddon, Othon; Ponce; Uldrick, Ulrick, Udalrick, Uldurick, Ulderick , Oiderick, Oalrick; Jocelin; Conon; Bornon; Ebal; Ismion, Ismidion; Warner, Garnier; Arnald, Arnolf, Arnaud; Rigald, Rigaud, Regaud; Eberard, Everard, Evrard, Evraud; Rambaud; Fulcar, Fulger, Fulcher; Raynoard; Beéral, Beéroal, Beéraud, Bérard, Berold, Beéroard; Artald, Artaud; Savin; Chabert; Ancelot; Arlaud ; Bertet, Bertier, Bertold, Bertaud; Gilbert, Gansbert, Agelbert; Sicher; Adelprand; Othemar; Liefred, Ramfred, Valfred, Amalfred; Isard, Isoard, Isnard; Theotbert , Sinfred; Alberic, Amaldic ; Otgier, Ogier, Ougier, Ogeron; Altenulf; Allard; Galoin; Rurit; Auruc; Sigebold; Enguison, Inguizon; Hérold; Ingelbert; Amizon, Amizard; Landric; Winemer; Megial; Rarner; Kléfard; Adalgod; Goslin; Gerlan; Ildoin; Lituard; Azon; Garimund; Magnifred, Manifred, Maginier, Mainier; Odolbert; Odemar; Unipert; Sigefreld, Sigebold; Warembert; Riprand; Gundolf; Heilulf. Parmi toutes ces dénominations, dont la plus fréquente est incontesta- blement celle de Guillelme, Willelme, ou Guillaname, se trouve mélé assez souvent le nom d’Amédée, ou Amadée, d’origine essentiellement romaine; puis cà et là ceux de Thomas, de Pierre, de Jean, de Jacques et de quelques autres saints connus. Chose singulière, je n'y ai remarqué que très-rarement, malgré leur étymologie germanique, les noms de Frédéric et de Louis, si usités en Allemagne, en France et ailleurs, portés par tant d’empereurs, de rois et de princes. 248 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Les noms du calendrier latin, quand on les adoptait, prenaient vo- lontiers, méme chez les plus nobles races, la forme des diminutifs, par exemple: Perrod, Perret, Perrin, Perrinet, au lieu de Pierre; Jacquier, Jacquin, Jacomet, au lieu de Jacques; Janet, Janin, au lieu de Jean; Thomasset, Thomassin, au lieu de Thomas; Nicod, Nicolet, au lieu de Nicolas. Quant au nom de Nantelme, ou d’Antelme, que l'on rencontre presque partout, en Dauphiné, en Bresse, en Suisse, comme chez nous, il subissait aussi un grand nombre de transformations qui, outre celles que Jai énoncées précédemment, offraient les variétés de Lantelme, Lantelmin, Lantelin, Anserme, Ansermet, Nanterme, Nantermet, Mermet, Mermoz, Mermier etc. Jajouterai que des chartes fort anciennes, que je ne citerai pas ici, pour cause de briéveté, et qui appartiennent autant à la Savoie qu'au Piémont, mentionnent le nom, d’abord fort embarrassant, de Dod, Dodo, Dodoz, qui ne saurait étre , selon moi, que l’abreviation de Claude, usitée encore dans nos campagnes: Dodo de Salatio, dit une charte de l’antique chartreuse de Vallon: Dodo de Allodiis, dit une autre charte etc. En ce qui concerne les noms de femme, les types étranges qu'ils revétaient aux VIII et IX siècles, et dont fai donné plus haut un spécimen, se trouvaient déjà singulièrement adoucis au siècle suivant. Des documents que j'ai eu l’occasion de consulter, il y a peu d’années, aux archives cantonnales de Lausanne, documents qui figurent dans l’in- téressant régistre intitulé l'/nventaire analytique vert, et qui constatent des ventes de serfs de corps, faites à cette époque, fournissent bien encore parfois des dénominations présentant quasi le méme caractère que les premières, comme seraient Godérune, Ildedrude, Amaltrude , Adalgude, Gunthivère etc. ; mais on y découvre, en revanche, quelques appellations douces, gracieuses, sonores, telles que Walda, Cléfone, Eufonie, Agila etc. Lorsque nous arrivons à la période féodale, nous voyons s’opérer , dans ces noms, des modifications identiques avec celles qui concernent les noms d’hommes. Au nombre de ceux qui furent le plus en usage, on remarque surtout celui d'Adélaide avec ses variations infinies: Adélagide, Adélaginde, Adélainde, Adélasie, Adélais, Adéleide, Adélade, Alaîse, Alaxie, Alasie, Adélis, Aalis, Alice etc.; puis celui de Béatrix, qui reste toujours pur soit d’augmentatif soit de diminutif; puis celui de Berthe, si usité également, dont on faisait parfois Berthilie, et plus rarement Berthande; puis ceux d’Ermengarde, de Gisle ou Gisele, Engelberge, Mabilie, Briande, Mathile, Ellerade, Ita, Faidive, Garsende, Aynarde, PAR LÉON MÉNABRÉA 249 Reine, Gerberge, Richilde, Emma, Emmena, Mirade, Aliénor, Guigonne, Bertrande, Sybille, Isabeau, Léone, Léonette. Au XV siècle enfin une nouvelle et dernière révolution s’opère dans l’emploi des noms. Après une longue lutte, le calendrier romain l’emporte sur la nomenclature germanique. C'est alors que l’on voit toutes ces dé- nominations d’origine tudesque, dont la physionomie guerrière s’alliait si bien avec les géantes armures des seigneurs de cette époque, faire place à quelque chose de moins heurté, et s’il est permis de s’exprimer ainsi, de plus catholique: les Pierre, les Jean, les Jacques, les Thomas, les Francois, les Antoine, les Boniface, les Philippe, les Claude, les André, détrònent décidément les Adémar, les Hermann, les Torrestan, les Guiffred, et restent maîtres du terroir. C'est donc un Nantelme, que j'appellerai deuxième du nom qui, après les événements mentionnés à propos de l’expédition d’Amé III en Orient, va nous ramener à l’histoire de la famille de Miolans. Nous avons cons- taté que cette famille était dejà puissante au XI siècle, alors qu'elle fondait dans le canton des Bauges le prieuré de Bellevaux. Nous allons la voir maintenant concourir à l’érection d’un monastère plus important. Personne n’ignore quel homme fut S'-Bruno; tout le monde sait à la suite de quels travaux il parvint, à la fin du XI siècle, dans les mon- tagnes qui nous avoisinent, à élever la célèbre maison qui porte le nom de Grande-Chartreuse; c'était là une conquéte pour la civilisation, autant que pour la religion. L’admiration qu’excita cet institut, nouveau par sa forme, presque nouveau par son but, et évidemment de nature à frapper vivement l’imagination des monarques, des princes, des nombreux sei- gneurs et hauts personnages qui le visitèrent, fut telle, que partout on chercha à en etablir de semblables. Il y avait en effet je ne sais quoi de beau à voir ces religieux à vie austère, aller s'exiler au sein de ces affreux rochers, de ces foréts inaccessibles où, en se vouant à la prière, à la contemplation, ils avaient l'art, comme ils l’ont encore aujourd’hui, de tout vivifier autour d’eux, de rendre aimables, productifs, fertiles, les lieux naguère déserts qui les entouraient. Déjà en 1116 Ponce de Balmey, chanoine de l’église de Lyon, avait fondé en Bugey la célèbre chartreuse de Meyria; en 1138 les sires de Langin, de Ballaison et de Cervenc avaient fondé en Chablais celle de Vallon, la cinquiéme ou la sixièéme de l’ordre. En 1144 le comte Amé II, se rendant en Palestine, avait fondé en Valromey celle Senie II Tom. XXIII. 32 250 DES ORIGINES FÉODALES ETC. d’Arvières; en 1151 Aymon, sìre de Faucigny, avait fondé dans la vallée de l’Arve celle du Repausoir; en 1171 Hugues d’Arvillards, appartenant à lune des plus antiques races du Pagus Savogiensis, avait fondé sur la frontiore du Dauphiné celle de S'-Hugon; enfin en 1179 Guillaume, comte de Genève, voulant rendre gràce à Dieu de l’avoir délivré de ses ennemis qui le tenaient assiégé dans le chéteau de la Roche, avait fondé sur le penchant du Salève celle de Pommiers. Ce fut alors que, témoin de la prosperité croissante de ces pieux asiles, et cédant aux sollicitations du seigneur de Miolans, le comte Humbert III, fils d'Amé II, celui-là méme que l’église a admis dernièrement au nombre des saints, songea à satisfaire au voen des populations non moins qu'à son propre penchant, qui le portait aux ocuvres génereuses, en se faisant lui aussi le fondateur d’une de ces maisons si utiles et si vénérées. C'est dans un coin du frais plateau des Bauges, au milieu de ces silencienx pàturages, de ces majestueuses foréts de sapins, de chénes et surtout de frénes, dont les restes font encore aujourd’hui l’admiration des voyageurs, non loin de Bellevaux, au bord d'un petit torrent qui va poussant ses eaux capricieuses vers celles da Chéran, aux paillettes d'or, tout près d’un village appelé Aillon, que le prince et son confident jugè- rent à propos de poser les fondemenis de ce nouveau monastère. La charte inédite rédigée en souvenir de ce grand acte de pigté nous apprend de quelle manière se formaient au moyen dge ces précieux etablissements. Cette charte est curieuse; J'emploierai quelques lignes à en faire connaître les principaux points (1). Dès avant l'année 1183, comme cela se pratiquait presque toujours en semblable cas, un petit nombre de deyoués cénobites, deux, trois, quatre, cinq, peut-étre, avaient quitté la maison mere de la Grande- Chartreuse avec l’autorisation du supérieur, et s'étaient mis en quéte d'une retraite bien éloignée, bien sauvage, où ils pussent se livrer sans entraves aux rudes exercices de leur saint institut. Si l’espace ne me manquait, il me serait facile de démontrer par une foule de documents authentiques, que c’est ainsi que commencèrent la plupart de nos vieux (1) Je n’ai point relrouvé l’original de ce document; mais il en existe plusicurs copies, dont Ja plus exacle est, sans contredit, celle que l’on rencontre dans le t. I des P’rotocoles, consignements, aveur et dénombrements des fiefs, recus par le notaire Léger, 1758, 1773; ily en a aussi un exemplaire antique dans le cartulaire de la chartreuse d’Aillon, possédé aujourd’hui par M. Costa de Beauregard. PAR LEON MENABREA i 251 couvents (1). A la téte de ces pauvres moines allant, comme à la garde de Dieu, chercher au dehors quelque occasion glorieuse pour la religion, se trouvait un de ces hommes, plein d’intelligence et de zèle, dont la seule pensée était l’accroissement de l’ordre, auquel il appartenait. Cet homme s’appellait Guy. Dire comment il se fit que lui et ses compagnons dirigèrent leurs pas vers les Bauges, encore à demi barbares , c'est chose impossible ; ce qu'il y a de certain, c'est que, par analogie à ce qui avait en lieu en des circonstances pareilles, et à l’exemple méme de S'-Bruno , on peut croire qu'ils y vécurent d’abord au milieu des bois, dans de petites cases isoldes, construites par eux, et n’ayant pour subsister que les herbes, les racines qu'ils pouvaient recueillir et les aumònes des seigneurs voisins (2). Quoi qu'il en soit, à peine étaient-ils arrivés en cet endroit solitaire, qu'un des frères du sire de Miolans appelé Gauthier, touché du spectacle de tant d’abnégation et de vertus, résolut de quitter le monde et courut se jJoindre à eux (3). C'est alors que le comte Humbert IN prit le parti d’affermir les bases de ce monastère naissant. Nous ignorons l’époque précise où eut lieu la donation qu'il lui fit; car la charte destinée à en perpétuer le souvenir est depourvue de date; cependant il est certain qwelle est an- terieure à 1185, et tout porte è croire qu'elle est au moins de 1180. On y lit qu'Humbert, comte de Maurienne et marquis d’Italie, pour le salut de son me et celui des imes de son père, de sa mère et de ses parents, avait donné à la maison de Sainte-Marie-d’Aillon, de l’ordre des chartreux, par l’intermédiaire de Guigon, alors prieur de Meyria et plus tard evéque d'Aoste, l’universalité de ce qu'il possédait dans le territoire d’Aillon. « Et comme ce territoire, ajoute le donateur, n’abonde pas » en poissons, non multum abundat piscibus, je lui ai fait en outre » abandon è perpetuité de mon lac de la Thuille, lucum meum de = {1) Les chroniques de la Savoie, parlant de la fondation du célèbre monastère d’Aulps en Chablais, narrent longuement dans leur style naif ce que je ne fais ici qu’énoncer ; on y voit comment en ce temps deux bons preudhommes moynes de Clervaux prindrent congé de leur abbé pour alle» tenir vie solitayre en aucung lieu loingiain et devot....ete. (2) Voyez è la bibliothèque publique de Grenoble, dans le n° 124 des manuscrits, p. 24, Breve chronicon priorum Cartusie ab origine ordinis usque ad annum mexL. (3) Les expressions de la seconde des notices de la charte, que je vais essayer de commenter, l’indiquent assez clairement: Zoc autem factum est per manum Guigonis prioris illius domus presente criam Gauterio monacho fratre ipsius Nantellini, 252 > DES ORIGINES FÉODALES ETC. » Tuilli. » On sait que ce lac, situé sur le revers septentrional de Îa montagne qui porte son nom, est peu éloigné d’Aillon, et qu'il ne s’en trouve séparé que par le petit col du mont Cervin. Du reste, le prince deéclare formellement avoir été le fondateur de ladite maison, cujus domus fundator extiti. A la suite de ce premier document, et faisant en quelque facon corps avec lui, s'échelonnent cinq autres notices également sans dates, se rap- portant toutes à des cessions intervenues à des intervalles qui ne parais- sent pas très-rapprochés entre eux, puisque les derniers mentionnent le prieur Amblard successeur de Guy. Ces lambeaux, échappés au temps, offrent un véritable intérét, non- seulement au point de vue de l’histoire des développements primitifs de la chartreuse dont il est ici question, mais encore en ce qw'ils fournissent sur plusieurs des anciennes familles féodales de notre pays des données précieuses. Celui que l'on rencontre immediatement après la donation du comte Humbert est relatif aux libéralités des seigneurs de Miolans. Nantelme ou Nantelin de Miolans, son frère Guillaume, leurs femmes, leurs enfants, donnent au monastère d’Aillon, à l’acceptation de Guy son prieur, et avec l’intervention de Gauthier de Miolans, simple religieux, tout ce qu'ils possèdent dans le val d’Aillon, à partir du Crét-de-Vibert, a crepidine IWiberti, jusqu'è ses extrémes confins, per omnem vallem infra ipsius terminos. En compensation de ce don, les donateurs re- coivent de la part des moines la somme de 56 livres de monnaie forte. A cet acte, passé à Chambéry, sont présents Guillaume et Ameédée, sei- gneurs de ce lieu, et Gauthier, seigneur de la Ravoire. Jai déjà fait remarquer que les sires de Chambéry descendaient de l’une de ces an- tiques races gallo-romaines qui se maintinrent puissantes au milieu de nous en depit de la conquéte des peuples du Nord; ils faisaient, comme on l’a vu, profession de vivre sous la loi romaine, à raison de la nation à laquelle ils appartenaient. Ce n'est pas certainement le cas de raconter ici les divers faits qui les concernent, dont quelques-uns d’ailleurs sont assez connus; je me contenterai de dire que le document qui nous oc- cupe n'est pas sans importance dans leur histoire, si difficile à débrouiller à celte époque reculée. Quant aux sires de la Ravoire, ce méme document me paraît sur- tout précieux en ce qu'il contient, è ce que je crois, la plus ancienne notion qui nous soit parvenue sur ces illustres feudataires, que l’on trouve PAR LÉON MENABRÉEA 2553 au XIII siècle, possesseurs de plusieurs terres, maisons-fortes et chàteaux, tels que la Ravoire, Bassens, l’Aisse, S'-Alban, la Cluse, Montbasin, Pragondran, Verel, Domessin, Belmont ete. (1). Poursuivons. La charte qui vient ensuite se rapporte aux sires d’Apre- mont. Boson d’Apremont, d’après le conseil et selon l’exprès consente - ment de ses frères, Richard et Gautherin, donne à la chartreuse d’Aillon , représentée par Guy son prieur, tout ce qu'il possède d’enclavé dans les confins du territoire de ce couvent, depuis la Grotte en amont, « Spelunca superius, jusqu'à l'extrémité de la vallée; plus, la montagne et l’alpe de Rossane, et montem et alpem Rossane. L’acte est passé au ch- teau d’Apremont; Boson recoit des mains de Guy 2640 sols; Richard 20; Gautherin 15; et les individus appelés pour régler les affaires, 40 à diviser entre eux. On délivre en outre à un Guiffred d’Altilieu, qui sans doute s'était mélé utilement de cette transaction, une belle vache è titre de druele, ou de druerie, pro drueria, c'est-à-dire de cadeau, d’épingle, de pot-de-vin; car c'est là ce que signifiait jadis ce mot, dont l’acception primi- tive équivalait à bon vouloir et amitié, ainsi que nous l’apprennent plusieurs passages de nos anciens romans; témoins ces vers de Garin le Loherain: Vos drueries s'il vous plait me donnes; ei ces autres, tirés d'un vieux poéme que cite Ducange: Signe li fist de druerie Et cil ne la refusa mie. Ajoutons que la convention se termine en présence de Bernard, cha- pelain du lieu, d’Aymon de Bassens, de Pierre Pelavil et de Guillaume de Maynier, issus de ces petites familles de gentilshommes, qui faisaient hommages de leurs fiefs aux races plus nobles; les vassaux de Maynier, par exemple, étaient feudataires des sires de Miolans, comme je le dirai ailleurs; ceux de Bassens, des sires de la Ravoire etc. Le document que je viens d’analyser, est incontestablement d’une grande importance pour l'histoire des sires d’Apremont, de ces seigneurs redoutables et puissants qui n’apparaissent, en quelque sorte, que fugi- tivement, mais avec éclat dans nos annales, puisque je trouve en effet que vers le milieu du siècle suivant leur descendance directe avait déjà disparu. (1) Index general des fiefs , v. la Ravoire. 254 DES ORIGINES FÉODALES ETC. En 1284 la seigneurie d’Apremont était déjà possédée en partie par Rolet, sire de la Balme, et en partie par la famille du Chatellard en Bauges, qui tenait ses droits de Jacquemette de la Balme, alliée è l’un de ses membres et décédée, je ne saurais trop dire quand. Cette seigneurie devint en 1421 la propriété de Guigonne, épouse de Gaspard de Mont- mayeur, en vertu du testament de Catherine de la Ravoire, sa mère, veuve d’Aymon de la Balme: elle passa ensuite au pouvoir des princes de la maison de Savoie (1). i On sait que, situé sur le penchant de l’apre montagne qui lui a donné son nom, le chiteau d’Apremont, de méme que celui de la Ravoire, qui est peu éloigné de Chambéry, dominait la route qui se dirigeait jadis sur Grenoble. Admirable position militaire, il fut souvent pris et repris à des époques plus récentes, et devint le theatre de plus d’un trait de ma- gnanimité et de bravoure, en 1746, pendant la guerre des Espagnols. Après cette charte on en rencontre une troisiéme, qui, bien que re- lative à une dynastie Bressane, la très-illustre et très-haute race des sires de Varax, qui furent comtes et marquis, seigneurs de S'-Sorlin, de Richemont et de la Poype, n’a pas moins d’intérét pour nous que celles que nous avons parcourues jusqu'àè présent; car le cri de guerre, Yarax! que poussaient sur les champs de bataille ces fiers feudataires, à la téte des nombreuses lances qui d’ordinaire les suivaient, a laissé dans nos vieilles chroniques d’honorables retentissements. L'érudit Guichenon, qui a retracé leur généalogie, n’ayant point connu le titre que nous exami- nons, n'a pu faire remonter son travail qu'àè un Ulrich de Varax, qui vivait en 1250 environ, tandis que notre document nous reporte à plus de soixante ans au delì. La donation dont il va s'agir appartient à une époque, où le prieur Amblard avait succédé au vénérable Guy. Chabert de Varax, du con- sentement de ses fils Amblard et Bernard, pour le remède de son me, de lame de son père Amblard et des mes de ses parents, donne à l’église d’Aillon tout ce qu'il possède dans le territoire d’Aillon, depuis la Caverne ou Grotte, d’amont (ces expressions sont identiques avec celles que nous avons déjà remarquées) jusques en aval. Le monastère fait compter au denateur la somme de huit cents livres, monnaie viennoise. Interviennent à cet acte le procureur de la communauté, appelé Bernard, et un grand (1) Index general des fiefs, v. Apremont. PAR LÉON MÉNABRÉA 255 nombre de religieux, quamplurimis fratribus; outre le prieur ci-dessus cité, parmi les témoins de la convention, je découvre un Quintel de Varax, à qui fut remise une tunique, qui habuit tunicam, sans doute en guise de druerie, à l’exemple de ce qui avait eu lieu précédemment. On voit quel soin notre chartreuse, établie et accrue en si peu de temps, mettait, sinon à étendre ses domaines, du moins, chose plus im- portante encore pour elle, à les rendre compactes, adhérents les uns aux autres, de manière à former un véritable district, un canton, où il lui serait bientòt facile d’exercer une véritable juridiction, tant civile que poli- tique, ce canton ne devant pas tarder à se peupler par les efforts qu'elle se proposait de faire pour y appeler des habitants, en leur concedant des terres à la charge de divers tributs, de divers servis féodaux. Nous touchons maintenant à un avant-dernier document, tout aussi précieux que ceux que nous venons de parcourir, et davantage peut-étre 5 en ce qu'il regarde une race des. plus puissantes, dont les possessions touchaient à celles de la famille de Miolans, et qui joua au moyen fige un ròle toujours actif, toujours glorieux; je veux parler des sires de Conflans. Ce document nous apprend d’abord, que Ponce de Conflans avait acheté en Bauges, proche d’Aillon, sur la montagne dite de Morbiez, une assez vaste étendue de terrain, provenant de certains vassaux, 4 quibusdam militibus, appelés Guillaume et Nantelin de Maynier et Selvon d’Aiglières, ou plutòt des Glières, que des actes postérieurs. signalent comme ayant possédé des fiefs nobles dans la vallée de l’Isère. Or c'est précisément cette terre, que spontanément, librement, en vue seulement d’accomplir un acte pieux, solo intuitu pietatis, le dynaste de Conflans transfère, à titre de donation irrévocable , amissa omni requisitione, à la sainte église d’Aillon, en présence de Guigon, évéque d'Aoste, du prieur Amblard, de Bernard, procureur du couvent et des religieux les plus anciens, et seniorum domus. Les temoins appelés au contrat sont Guy des Allues, Guido de Allodiis, qui, sous la suzeraineté, je crois, des sires de Miolans, detenait la maison-forte des Allues, au-dessus de S'-Pierre- d’Albigoy, et Hugues d’Albiez, appartenant à une vieille lignée de gentils- hommes mauriennais, feudataires soit de l’évéque, soit du chapitre de Maurienne (1). (1) Les chartes inédites de la cathédrale de Maurienne fournissent un grand nombre de rensei- gnemenls sur ces seigneurs. 256 DES ORIGINES FÉODALES ETC. On y remarque en outre un Guiffred ou Wiffred de Miolans, /7iffredus de Mediolano, qui, selon toute apparence, avait déjà alors succédé & Nantelme, ce recommandable personnage que nous avons vu, ily a un instant, préter son concours au comte Humbert III, pour la fondation de notre monastère. Guiffred reviendra tout à l’heure, et nous le retrou- verons bientòt, avec Ponce de Conflans et quelques autres seigneurs, oc- cupant auprès du prince Thomas un poste important. Deux mots avant sur la famille de Ponce. Jadis il existait à Conflans sur la croupe de ce rocher pittoresque , où la plupart des savants croient decouvrir la place d’une station ro- maine, et qui s’élève à l’endroit méme où l’Arly se réunit à l’Isère, plusieurs chàteaux célèbres: le chàteau de Conflans proprement dit, que les princes de la maison de Savoie disputèrent long-temps à ses vrais proprietaires , les archevéques de Tarantaise , celui qu’on appelait le Chàtel- sur-Conflans, puis la maison-forte de la Conr de Conflans, appartenant l’un et l’autre à la famille de Conflans. Cette famille, dont le dynaste Ponce doit étre considéré comme le premier membre connu, était sans contredit aussi ancienne que celles des sires de Miolans, de Chevron, d’Uretières, de la Chambre, de Briancon, d’Ayton, de Chamoux qui l’avoisinaient. Je ne saurais dire préciséement à quelle époque la descendance directe de ces hauts feuda- taires S’éteignit; ce qu'il y a de sùr, c'est que moins d’un siècle après la fondation du monastère d’Aillon, que j'ai rapportée à l'année 1183, la seigneurie de Conflans se trouvait au pouvoir de la famille de Duing, qui dès lors prit le titre de Conflans-Duing. Il faudrait de longues pages à quiconque voudrait écrire l’histoire de ces seigneurs, au sujet desquels les renseignements abondent. Qu’il suffise de savoir qu’è raison des nom- breux fiefs qu’ils possédaient en divers lieux, ils se reconnaissaient vas- saux de l’église de Tarantaise, des comtes de Savoie et des comtes de Genève. En Tarantaise en effet ils étaient investis des terres de Cornillon, d’Aiguebellette, de Bosel, de Naves, de la Batie, de S'-Hippolyte, de Coeur. Ils eurent avec les comtes de Savoie de longues difficultés sur les termes de la juridiction qu’ils exercaient à Conflans. Hommes liges des comtes de Genève, pour ce qu'ils avaient conservé en Genevois, l’un d’eux se vit forcé en 1296 de vendre à ces princes, au prix de 2500 livres, somme fort considérable alors, un chateau que je ne saurais dire étre PAR LÉON MENABRÉA 257 celui de Chitel, plutòt que celui de la Cour, puisque l’acte ne le désigne que sous le simple nom de Castrum de Conflens, mais qui probablement fit plus tard retour aux successeurs du noble vendeur, car on les retrouve tous les deux entre leurs mains vers le milieu du siècle suivant. C'est assez sur ce point (1). La dernière notice que nous fournit la longue charte dent nous ve- nons de parcourir les différentes parties, est relative à une nouvelle do- nation que le comte Humbert IMI fit aux chartreux d’Aillon, du droit d’affouage et de pacage sur toutes ses lerres, memora et pascua per totam terram meam, spécialement des paturages de Villens, pour l’hivernage des brebis, ad hiemandum oves, et de ceux de Lannelour ou Lagnelajour, pour le part de ce petit betail, ad partum earumdem; et en outre, d’une forét destinée au chauffage des bergers, et nemus ad calefaciendum pastores. Le saint donateur mourut quelque temps après, c’est-à-dire le 4 mars 1189. Nantelme de Miolans l’avait précédé dans la tombe en laissant, comme nous l’avons remarqué, la succession à Guiffred, qui pouvait bien étre son fils: Guiffred ne mena pas longue vie. Une charte du mois de juin de la méme année nous le montre assistant avec Aymon de Briancon , Aymon de la Chambre et Ponce de Conflans, à la cession de la terre Mont-Bérenger , faite par le comte Thomas au chapitre épiscopal de Maurienne. Ces seigneurs, en téte desquels figure le sire de Miolans, y sont qualifiés de darones. On y voit quils formaient le conseil du prince, encore mineur, soumis à l’autorité de son tuteur Boniface, qui fut plus tard marquis de Montferrat, consilio baronum meorum. Dans cet acte le jeune fils d'’Humbert, tout en faisant aux chanoines mauriennais l’abandon du fief en question, avec tous les droits juridiques qui s’y rattachaient, et qu'on designait alors par la formule, omnes exactiones justas et in- Justas et omnes oppressiones et omne jus et injurias, se réserve néanmoins la connaissance du crime de félonie et des causes destinées à étre terminées par le duel, proditiones et duella. C'est à ce document que se rapporte (1) Index genéral des fiefs, v. Conflans. Serie II. Tom. XXIII. dD 258 DES ORIGINES FÉODALES ETC. an des titres que j'ai eu l’occasion de citer précédemment, à propos de ma digression sur cet objet (1). Rien dès lors n’indique ce que devint Guiffred, Il passa sans doute de vie à trépas, car, six ou sept ans après, un nouveau Nantelme, que jappellerai Nantelme III, possédait la seigneurie de Miolans, et s’ouvrait par son intelligence , sa bravoure, sa loyauté, une carrière qui, malgré le petit nombre et la concision des documents qui la concernent, font nécessairement supposer qu'elle fut aussi honorable, aussi brillante et beaucoup plus longue que celle d’aucun de ses devanciers; mais avant d’en deviser selon la convenance du sujet, et comme j'ai en quelque. sorte pris l’engagement de raconter les commencements de la chartreuse d’Aillon, je dirai, en peu de mots, ce que ce seigneur et le comte Thomas firent pour ce monastère. Ceci me fournira d’ailleurs l’occasion de revenir sur quelques-unes des familles dont j'ai déjà parlé, et d’en signaler quelques autres. Jai fait connaître, il y a un moment, de quelle manière Ponce de Conflans, ayant acheté de Willelme ou Guillaume de Maynier la mon- tagne de Morbiez en Bauges, en avait transferé, à titre gratuit, la pro- priété audit monastère. Or cet établissement religieux fut précisément ce petit vassal qui, suivant , un des premiers à s'insurger contre la prospérité eroissante de mon opinion, vivait sous la haute juridiction féodale de la famille de Miolans, et figurait parmi les hommes liges de cette illustre race. Il se mit è quereller les bons moines à propos de certains droits qu'il pré- tendait s'étre réservés. La contestation, devenue assez vive, fut portée devant le plaid, ou tribunal de Nantelme, qui fit dresser un acte authentique, scellé de son sceau, par lequel, du consentement de ce meme Willeime, de son fils Rotard, de sa fille Agnès et d’Aymon, mari de celle-ci, il déclara que tant lui que ses héritiers défendraient et maintiendraient fièrement, à l’avenir, toutes les possessions de la chartreuse, soit dans la montagne dont il s’agit, soit dans les territoires de Lugier et de l’Espinette, jusqu'à (1) Guichenon, Hist. de Sagoie, pr., p. 44. Les quatre seigneurs qui figurent dans ce document sont encore mentionnés dans une charte du ter avril de ladite année, dressée à Aiguebelle, è l’occasion d’une donation faite par le comte Thomas à l’hospice du mont Joux ou Grand-St-Bernard. Mon. hist. patr. Chartarum, t. IT, p. 951. PAR LÉON MÉNABRÉA 259 la Margeria. La désignation de Ponce, chapelain de Miolans, comme témoin de la protestation, indique que déjà alors existait au chateau de ce nom la chapelle qui fut investie plus tard de quelques-unes des attri- butions dévolues aux églises paroissiales. Sont déenommés en outre, sous la méme qualification, Aymon, vassal de Chamousset, Aymo miles de Chamosseto , et ce noble Guy des Allues, que j'ai cité précédemmt, quand j'ai parlé des donations du sire de Conflans. L’un et l’autre étaient bien sùrement, du moins en partie, les feudataires , les hommes, du sei- gneur de Miolans (1). Nonobstant la declaration solennelle, dont je viens de retracer le contenu, les vassaux de Maynier, ou de Maignin, car l’orthographe de leur nom varie beaucoup, ne lichèrent point prise et continuèrent à inquiéter les religieux si bien, qu'en 1205 il y eut entre les collitigants une nouvelle convention, où l'on voit figurer Guiffred, un des fils du Willelme ci-dessus cité, avec une qualification qui fait voir que sa famille tenait en fief de celle de Miolans, selon toute apparence et pour des motifs que je dirai bientòt , le village de S'-Jean-de-la-Porte, dont elle ne tarda pas à s’attribuer le nom, comme désignation patronymique, de Porta. La charte inédite, qui constate toutes ces circonstances, est intitulée carza Gwuiffredi fili Willelmi Maignini militis de S.° Johanne de Porta (2). Ce furent ces persécutions, jointes aux déportements d’un mauvais vassal, appelé Berlion de Chandieu, qui avait. pillé les domaines du monastère (3), et aux injustes prétentions des seigneurs et des habitants d'une localité des Bauges, dite la Composte, sur les paturages ou alpes de Charbon (4), ce furent, dis-je, ces tristes querelles qui, en presence de l’autorité méconnue des sires de Miolans, engagèrent le comte de Savoie è intervenir. Et en effet, par un acte de 1217 environ, ce prince prit ouverte- ment la chartreuse sous sa protection, en déclarant que quiconque viendrait à enfreindre ses prohibitions, encourrait sa colère et serait passible de son ban comital, consistant en l’amende de cent marcs d’argent, outre les (1) Cartulaire de l’église d’Aillon: cette charte est sans date. (2) Cartulaire de l’église- d’Aillon. (3) Guichenon, Mist. de Savoie, pr. , p.. 51. (4) Ibidem. 260 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » peines corporelles qu'il lui plairait y ajouter, cun maximo corporis tor- mento (1). Puis le 2 avril de la méme année, il fit donation è ses bien- aimés cénobites de la somme de quatre livres fortes, à prendre annuel- lement sur les revenus du péage de S'-Rambert en Bugey, en expliquant qu'il les destinait à un repas, convivim, que les religieux feraient en commun dans le couvent, aux fétes de Pàques. Ces sortes de réunions, auxquelles on donnait le plus souvent le nom de pitances, pitancie, étaient constamment, et les exemples en fourmillent, précédées et suivies de prières en commémoration des pieux bienfaiteurs de l’établissement. Toutefois, chez les chartreux, où le principe de l’iso- lement dominait en quelque sorte toute l’économie de l’ordre, on les rencontre moins fréquemment qu’ailleurs. Inutile de dire que Nantelme de Miolans assistait è cet acte avec plusieurs autres hauts feudataires (2). Je termine ces considerations en faisant encore remarquer qu’en ce qui touche le droit de protection sur la chartreuse d’Aillon, d’après mon opinion particulière, ce furent toujours les seigneurs de Miolans qui en demeurèrent saisis en premier ressort. Ce droit, bien qu'il ne fùt accompagné d’aucune espèce d’émolument, ressemblait par son but à ce qu’étaient les anciennes avoueries avant quela cupidité de cenx qui les possédaient, les eùt complétement dénaturées. Nous avons vu, il y a un instant, Nantelme de Miolans, dont je reprendrai bientòt l’histoire à un point de vue différent, interposer son autorité pour mettre un terme aux attaques des vassaux de Maynier contre ce monastère , avec toutes les clauses de manutention , de sauve- garde et de prohibition , usitées en pareil cas. Or, dans un document posterieur un fait semblable se reproduit. Ce document nous apprend qu’après avoir exempté le couvent susdiìt du péage établi sur le pont de Fréterive, apud pontem Fracteripe, pour le passage des bestiaux, le sire de Miolans prend de nouveau sous la foi du serment, prestito sacramento, l’obligation de le défendre et sanvegarder de toutes les entreprises, mofesties et infestations dont il pourrait étre l’objet, sous la condition qu’en cas de litige il acceptera la puridiction de ce seigneur, quod staret juri (3). (1) Guichenon, Mist. de Savoie, pr., p. 52. (2) Ibidem. (3) Cartulaire de l’église d’Aillon; cette charte est de mars 1239. PAR LÉON MÉNABREA 261 CHAPITRE XVI. ÉTUDE SUPPLÉMENTAIRE. Le comte Thomas. - Erreur de quelques historiens. - Vie active des seigneurs à cette epoque. - Les princes de Savoie en voyage. - Nantelme de Miolans. - Hommes d'armes, écuyers etc. - Titre de l'an AN96.- Chateau de Cornillon. - Chatellenie de St-Rambert. - Le comte Thomas poursuit avec bonheur ses entreprises. - Les sires de Miolans sal- lient à ceux de Faucigny. - Abbaye de Haut-Crét. - Guerre contre les Albigeois. - Le prince Thomas, Nanielme de Miolans et autres seîgneurs suìvent le roi de France dans celte triste expédition. - Donation è la Grande-Chartreuse. - Mariages des princesses Marguerite et Béatrix. - Clauses des contrats. - Transaction du comte Thomas avec l’ab- baye de St-Maurice-d' Agaune. - Régne glorieux de ce prince. - Role de Nantelme de Miolans. - Seigneurs de Chambéry. - La ville de ce nom passe aux mains du comte Thomas.-- Franchises accordées par ce prince. - Dernières années de Nantelme de Miolans. - Titre de AQ4A. - Nantelme IV; donation à Vabbaye du Betton. - Quelques mots sur ce monastère. - Titres relatifs aux seigneurs de Miolans de A252 d A424. - Reconnaissance passée par Jacques de Miolans en 1438. - Les biens des comtes de Montmayeur tombent au pouvoir des sires de Miolans. - Louis et son fils Jacques, derniers rejetons de cette noble race. - Le duc de Savoie hérite du chiteau de Miolans. - Hommes illustres de ce nom. Le règne du comte Thomas, de ce prince que j'ai déjà nommé, et qui en 1189 succéda au comte Humbert INT, son pere, fut incontesta- blement un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à la future grandeur de la maison de Savoie, tant en decà qu’au delà des Alpes. Un illustre écrivain, M" le commandeur Cibrario, lui a consacré un chapitre de son intéressante et savante histoire de notre monarchie; je ne puis mieux faire que d’y renvoyer le lecteur. Ne devant m'occuper ici que de la chronique du chàteau de Miolans, dont je recueille à grand’ peine les lambeaux, je commencerai par élaguer de ce rèégne memorable un fait qui, sur l’autorité de quelques vieux historiens, s'était Jadis singulièrement accrédité, et qui consistait a pré- tendre que le comte Thomas, menant à sa suite une quantité considé- rable de seigneurs, au nombre desquels se trouvait Nantelme de Miolans, avait concouru aux entreprises qui, d’abord sous la conduite de Thibaut, comte de Champagne, puis sous celle de Boniface, marquis de Moniferrai, constituèrent ce qu'on est convenu d’appeler la cinquième croisade; mais Guichenon et tous les auteurs venus après lui ont amplement démontré que c’était là une grave erreur. 262 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Plusieurs nobles feudataires de nos contrées prirent sans doute part à cette expédition , de meme qu'à celles qui la précédèrent, et auxquelles on donne le nom de troisiome et de quatrième croisades; toutefois ce ne fut jamais qu’isolément et par petits groupes. On les voit, comme autrefois, faire des dons aux abbayes, afin d’obtenir d’elles. l’argent né- cessaire au long et périlleux voyage d’outre-mer. C'est ainsi qu’en 1189, à l’époque où Philippe-Auguste, roi de France, et Richard-Coeur-de- Lion, roi d’Angleterre, venaient de former alliance dans le but de sauver les lieux saints, un Pierre de Clefs, chevalier, appartenant à une an- cienne famille da Genevois, désireux d’aller combattre les infidèles, fit une donation è l’illustre monastère de Tamié, fondé sur les confins des Bauges par les archevéques de "Tarantaise, et se mit en route pour la Palestine. Ces exemples d’enthousiasme se rencontrent assez fréquemment (1). Au reste, rien de plus actif, de plus mobile, de plus agité que la vie des seigneurs de ce temps-là. Les comtes de Savoie surtout n’avaient pas un instant de repos. Possesseurs de vastes domaines et de nombreuses chatellenies en Savoie, en Dauphiné, en Bresse, en Bugey, en Suisse, en Val-d’Aoste, en Piémont, on les apercevait constamment par monts et par vaux, visitant une terre, puis une autre; faisant des acquisitions, des échanges; étendant par d’habiles transactions leur suprématie sur les fiefs voisins; chàtiant les vassaux rebelles; accordant des franchises aux villes et aux bourgs; guerroyant contre les Dauphins de Vienne, les comtes de Genève, les sires de Faucigny; cherchant à saper sourdement la puissance politique des évéques; et ensuite repassant les Alpes pour se méler aux grandes questions qui préoccupaient alors l’Italie, et pour pro- fiter des éternelles dissensions de ce pays, afin d’y semer les germes du pouvoir qu’ìls y exercèrent bientòt, et jeter les bases d’une grandeur que leurs vues politiques, leur perséverance, leurs vertus guerrières et privées (on ne cite pas un mauvais prince dans la longue et illustre lignée de la maison de Savoie) devaient accroître nécessairement (2). (1) Anno Domini M. CLXXXIX Petrus de Cletis miles volens Jerosolimam proficisci dedit Deo et Sancte Marie Stamedii V obol. censuales. Charte citée dans une notice intitulée Narratio de funda- tione abbatie beate Marie de Stamedio, extraite du cartulaire de Tamier et faisant partie du n° 124 des manuscrits de la bibl. de Grenoble, p. 179 (2) On ne saurait se faire une plus juste idée du mouvement incroyable que les princes de la maison de Savoie et les seisneurs de nos contrées se donnaient au moyen age, qu’en s'amusant PAR LÉON MÉNABREA 263 Ces princes ne voyageaient pas seuls, on peut bien le croire. Ils se montraient toujours accompagnés d'un certain nombre de hauts feuda- taires, ou barons, qui les aidaient de leurs avis, et qui devinrent le noyau de cette espèce de conseil, connu plus tard sous la dénomination de Consilium cum domino residens. Les seigneurs dont je parle exergaient d’ordinaire une grande influence sur les affaires; ils se regardaient comme solidaires des determinations du suzerain. Aussi avait-on l’invariable habitude de les mentionner au bas des traités, des conventions, des actes importants, et manquait-on rarement d’y insérer la formule baronum nostrorum consensu , indiquant que tout s'était fait avec la maturité convenable. Parmi les éminents personnages qui, pendant trente ans, s'attachèrent à la fortune aussi brillante que variée et pleine de labeur du comte Thomas, on remarque Ayméric, Humbert et Guy de Briancon; Richard de la Chambre, Ponce, Guiffred et Thomas de Conflans; Humbert et Amedée de Villette; Pierre et Humbert de Seyssel; Pierre et Arluin de Chignin; Guiffred Mareschal, Berlion et Rodolphe de Chambéry; Guillaume et Guy de la Balme; Aymon de S'-Michel, Amédée d’Ayton, Guy de Gerbaix, Jacques de Chevelu, Ponce de Cuynes, Guillaume de Beaufort etc., enfin Nantelme de Miolans qu'on retrouve presque partout. A leur suite s'échelonnaient habituellement force hommes d’armes , écuyers, clients, pages, veneurs , huissiers , messagers, palefreniers, gens de cuisine, valets etc. Le prince avait ses chambellans, parmi lesquels figura longtemps en première ligne un Pierre du Touvet, qui successivement fut investi des fonctions de chancelier. Jean et Probus étaient ses clercs, ou écrivains, Maurice, son notaire etc. (1). à parcourir, aux archives de la Chambre des comptes à Turin, quelques-uns de ces innombrables volumes et rouleaux contenant les comptes des trésoriers généraux, des maîtres d’hòtel, des tré- soriers de guerre, des chàtelains ete. Ces documents sont pour notre histoire une source presque inépuisable de renseignements curieux. M. Cibrario a été un des premiers qui en ait tiré parti dans ses importantes publications. (1) Aux malériaux cités dans la note précédente, et particuli&rement aux comptes des maîtres d’hòtel de la Savoie, qui peuvent également fournir sur cet objet de précieux details, j’ajou- terai la collection des mèmes comptes formant un nombre assez considerable de volumes, intitulés Camera Domini Ils contiennent ce que l’on depensait chaque jour pour le service de la chambre du prince. 264 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Si maintenant nous ne répugnons pas trop à parcourir quelques-uns de ces faits qui, semblables à des jalons placés de distance en distance, nous révelent, av milieu de l’obscurité des siècles féodaux, ce que fut l’existence de tous ces princes, de tous ces seigneurs, qui contribuèrent à fonder notre monarchie, et qui posèrent les bases de notre nationalité, nous pourrons y trouver une foule de choses intéressantes, dignes peut- étre de fixer l’attention du lecteur. Ce sont, au reste, les actes auxquels le sire de Miolans paraît avoir pris le plus de part, qui serviront prin- cipalement de texte aux rapides observations qui doivent remplir ce chapitre. Une des premières circonstances où l’on rencontre le comte Thomas soccupant déjà, quoiqu'à peine sorti de tutelle , car il n’avait alors que dix-huit ans, des soins de son gouvernement, et déployant, avec le con- cours de ses fidèles barons, cette intelligence exquise et cette adroite prévoyance, qui formaient les principaux traits de son caractère, est relatée dans un titre des plus curieux, rédigé è Chambéry le jour de la fete de S'-André de l’année 1196. A cette époque les comtes de Savoie ne tenaient encore ni le Genevois, ni le Faucigny, ni le pays de Vaud, ni la Bresse: le Bugey méme ne leur appartenait qu’en partie, et de puissants voisins, par une énergique opposition, les empéchaient de réaliser les projets d’agrandissement, qu'ils meéditaient à l’égard de ce beau et riche pays. Là une célèbre abbaye que ses légendes proclamaient comme ayant été fondée au VI siècle par un pieux hermite appelé Domitien, possédait des biens immenses. Elle comptait parmi ses domaines la ville de S'-Rambert, le chiteau de Cornillon qui la dominait, ainsi que l’important territoire qui en dépen- dait. Acqueérir en ce lieu des droits seigneuriaux, s’y établir en tant que pouvoir politique, s'en attirer la juridiction , afin d’avoir plus tard les moyens d’écarter d’importantes rivalités, telle fut la pensée du comte Thomas, pensée qui d’ailleurs ne se présentait ici qu’ensuite du système que ses ancétres avaient constamment professé, et que ses successeurs continuèrent à suivre, guidés par leur génie et par les antiques traditions de leur famille. Dans ce titre, ou pour mieux dire, dans ces conventions passées en presence des évéques de Maurienne et de Grenoble, et dont l’observation fut jurée soit par Nantelme de Miolans, soit par la plupart des barons ci-dessus nommés, René, abbé de S'-Rambert, cède à perpétuité au comte PAR LÉON MÉNABREA 2065 de Savoie et à sa posteérité ledit chateau de Cornillon ou de S'-Rambert, avec toutes ses dépendances territoriales, sauf deux ou trois exceptions de peu de valeur, et encore tous les droits de justice et d’application de bans qui y sont attachés, sous la condition expresse que le comte susdit ne pourra jamais l’aliéner ou le distraire de son comté de quelque ma- niére et sous quelque prétexte que ce puisse étre, pas méme pour cons- tituer des dots à ses filles. Après diverses clauses relatives au partage du produit des péages, des leydes, du banvin, et des obventions et aux hommages des nobles etec., le prince prend l’engagement formel, sous la foi du serment, de defendre le monastère contre toutes sortes d’agressions et se soumet, à raison des concessions faisant l’objet du contrat, à prendre l’investiture de ce fief des mains de l’abbé, de qui il se reconnut par cela méme le véritable vassal, ez juravit abbati fidelitatem (1). C'est ainsi que prit naissance cette fameuse chatellenie de S'-Rambert qui, pendant les guerres dont le récit occupe de si longues pages dans nos chroniques, fut le ihéatre de tant d’évenements. Au reste, les comtes de Savoie ne cherchèrent jamais à décliner la reconnaissance qu'’ils devaient è l'illustre abbaye, nì à pervertir les obli- gations auxquelles ils étaient tenus envers elle: on voit en effet qu’en 1344, alors qu’un descendant de notre vieux Nantelme de Miolans, appelé lui aussi Nantelme ou Antelme, en fut nommé abbé, le Comte Vert ayant obtenu la confirmation et le renouvellement de la concession primitive , se soumit de bonne grace à la formalité de l'hommage féodal, qui eut lieu selon l’usage devant le grand autel de l’église du couvent (2). Passons rapidement sur les faits qui se produisirent durant les années qui suivirent la remarquable acquisition que je viens de rapporter. En 1198 le comte Thomas se trouvait encore en decà des Alpes, et terminait à son avantage quelques contestations, surgies entre lui et le monastère de S'-Maurice-d’Agaune, au sujet de la vallée de Bagnes (3). Peu après, refranchissant les monts, il confirmait les libertés accordées par son aieul Amé II à l’antique cité de Suse (4). (4) Guichenon, Mist. de Savoie, pr. , p. 45. (2) Guichenon, Mist. de Bresse, continuation de la 2 partie, p. 98. (3) Cibrario e Promis, Documenti, sigilli e monete, p. 110. (4) Mon. hist. patriae, leges municipales. Serie II. Tom. XXIII. 34 266 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Sur ces entrefaites l’empereur Henri VI était mort. Je ne dirai pas comment deux compétiteurs habiles, Philippe, duc des Suèves, et Othon de Saxe se disputèrent l’empire. Le premier, ayant réussi à se faire élire et couronner roi des Romains, arriva à Bale au mois de mai 1207. Là le comte Thomas alla le rejoindre en nombreuse compagnie, et obtint de lui une nouvelle investiture de tous ses domaines, auxquels le mo- narque bienveillant ajouta les villes de Chieri et de Tortone, ainsi que le chitean de Moudon (1). On connaît la lutte obstinée que Berthold de Zaeringen engagea avec le comte de Savoie à l’occasion de ce chateau, qui fut pour nous le prélude de la future conquéte du pays de Vaud. Cette sanglante que- relle où, avec l’assistance de ses barons et de leurs bonnes lances, le comte de Savoie eut le dessus, fut déefinitivement appaisée en 1211 (2). Durant cet intervalle de temps, Nantelme de Miolans, dont la fa- mille s’était alliée à la race princière des sires de Faucigny, avait été nommé tuteur d’Aymon, son jeune parent; on le renconire en cette qua- lité dans plusieurs actes de 1208, 1209, 1210 (3). En 1214 le comte Thomas, toujours préoccupé des importantes ques- tions quì s’agitaient dans l’Helvetie romane, se transportait à l’abbaye de Haut-Crét, où trois années ‘auparavant il s’était réconcilié avec le duc de Zaeringen. Là il fit plusieurs donations à cet antique monastère, auquel ses aleux avaient déjà fait beaucoup de bien; il lui céda entre autres une terre d’assez vaste étendue, située dans le territoire du célèbre chateau de Chillon. Ce chiteau, qu'un passage de la vie de l'illustre Wala, abbé de Corbie, publiée par les Bollandistes, ferait eroire avoir existé dès avant le règne de Louis-le-Deébonnaire, appartint pendant long-temps à des seigneurs particuliers, dont quelques-uns nous ont transmis leurs noms, aujourd’hui obscurs, Il devint ensuite la propriété de la maison de Savoie. Parmi les barons qui accompagnaient le prince Thomas, lorsqu’il s'ar- réta au couvent de Haut-Crét, on remarquait au premier rang Nantelme de Miolans, puis Pierre de Seyssel, Arluin de Chignin, Wiffred Mareschal, etc pRelc:a((D) 1) Guichenon, Mist. de Savoie, p. 48. (2) Cartulaire de l’eglise de Lausanne. (3) Voyez les documents de ma Notice sur l’ancienne chartreuse de Vallon. (4) Documenti, sigilli e monete, p. 116. PAR LÉON MÉNABRÉA 207 Arrive l’année 1216. La guerre que l’on faisait depuis le commen- cement de ce siècle aux Albigeois, à ces malheureux sectaires du midi de la France, qui, renouvelant les erreurs gnostiques des Manichéens , proclamaient l’existence de deux principes, niaient la résurrection, ad- mettaient le dogme absurde de la Métempsycose , repoussaient l’Ancien Testament, anathématisaient la plupart des sacrements institués par Jésus- Christ, cette guerre, dis-je, atteignait en ce moment son plus haut degré d’intensite. Protégés par les comtes de Toulouse, de Foix, de Comminges, par le vicomte de Beéarn, et méme par le roi d’Aragon, ils avaient pris une attitude des plus formidables, et menacaient presque d’angantir l’ordre et la religion dans les belles provinces qu’ils habitaient. C'est alors qu'une véeritable croisade fut préchée contre eux, et que le trop fameux Simon de Montfort, avec sa haine implacable et sa farouche intrépidité, se prit à leur faire tant de mal. Au reste, il faut le dire, en parcourant ce triste épisode, on doit se convaincre que si les excès furent grands, ils furent réciproques et que les partis purent à cet égard se considérer comme entièrement quittes. « Environ ce temps, dit un de nos vieux chroniqueurs, commenca » à s’enraciner cette detestable et damnable hérésie des Albigeois de » Besiers ès pais de Languedoc, Alby, Gascongne, Provence, Avignon, » Comté de Foix, Navarrois et autres lieux marchissans (confinant) ès » monts Pyrénées; les adhérens et fauteurs de laquelle hérésie avoyent » femmes communes, usans de péché contre nature, comme Sodomistes, » et entre lesquelz étoit le plus estimé qui se pouvoit saouler des plus » énormes et detestables ordures et paillardises, calomniant la sainte » Trinité; et generalement sous le prétexte de repréhension d’abus et » vices du Clergé commettoient tous les maux et meschancetez dont ils se » pouvoient adviser. — Furent iceux hérétiques maintes et diverses fois » admonestez et advertis par bons et sainis personnages, les preschans » en public et en privé, à ce qu’ils eussent à délaisser de telles malheu- » reuses opinions et une vie tant abominable. Ce que toutefois ne voulant » faire, ains s’envieillissans, de mieux en mieux en leur erreur, fut » preschée contre eux la croisade. » Ici Guillaume Champier, car c'est lui qui écrit, après avoir narré comment en 1216 Simon de Monfort remporta sur les Albigeois l’éclatante victoire où le roi d’Aragon perdit la vie, fait observer, avec son style 268 DES ORIGINES FÉODALES ETC. particulièrement coloré, que, bien que terrassés, vaincus, écrasés, ces infortunés ne se montrèrent que plus obstines. Et il continue ainsi: « Lors » convint à Lois de France, fils du roi Philippe-Auguste, de voyager » contre cieux hérétiques et là parachever une quarantaine par lui vouée » longtemps auparavant, prenant la croix, suivi aussi qu'il fut et accom- » pagné de plusieurs princes et grands seigneurs, savoir du comte Thomas » de Savoie, selon la chronique de Toulouse, de Philippe, comte de » St-Paul, de Gauthier, comte de Ponthieu, du comte Robert d’Alencon, » de Guichard de Beaujeu, de Mathieu de Montmorency, du vicomte de » Melun, des évéques de Beauvais et de Carcassonne, et grand nombre » de chevaliers et barons croiséz, tous lesquelz, le propre jour de Pasques, » sen vindrent à Lyon et de là marchèrent contre Vienne où leur vint » au devant le vaillant Symon de Montfort. » Ainsi qu'on le voit, c'est la chronique de Toulouse qui dans ce passage est citée comme autorité, en ce qui concerne la part que le comte Thomas prit à l’expedition dont il s’agit. Cette vieille histoire, en l’absence du témoignage de nos propres annales, ne suffirait peut-étre pas, toute respectable qu'elle est, pour constater ce fait, si nous ne possédions un document irrécusable, qui semble ne devoir laisser sur ce point aucune espèce de doute. Ce docu- ment, tiré des archives de la chartreuse d’Aillon, est précisément un de ceux que j'ai déjà eu l’occasion de mentionner; il concerne les fréquentes querelles que certains seigneurs, dits de la Composte, s’amusaient à faire aux religieux de ce monastère. Or, en prenant derechef ces humbles cénobites sous sa protection, désireux d’ailleurs de donner à cet acte de justice une couleur doublement pieuse, le comte a soin d’énoncer que, accompagné de ses barons, il est venu à Chambéry avec l’intention de diriger ses pas vers les Albigeois, et d’aller combattre ces hérétiques, en vue du service de Dieu; à sa suite on recontre Nantelme de Miolans, Humbert de Seyssel, Guillaume et Guy de la Balme ete., qui incon- testablement firent partie des vaillants hommes qui accompagnèrent le prince sur le théàtre d’une horrible guerre, qui ne devait pas encore finir de sitòt (1). De retour de cette triste croisade, où il ne fit probablement qu’une vapide apparition, le comte de Savoie, qui précédemment avait eu maille (1) Guichenon, Mist. de Savvie, pr., p. 5I. PAR LEON MENABRÉEA 269 à partir avec les marquis de Montferrat, ayant appris que les marquis de Busca lui refusaient l’hommage qui lui était dà, à raison de plu- sieurs chateaux et maisons-fortes situés en Piémont, se décida prompte- ment à repasser les Alpes, pour chitier les rebelles et les ramener à leur devoir. Il se mit en route, tou)ours escorté de ses infatigables barons et des redoutables lances qui les suivaient, et il arriva en Tarantaise, où sans doute afin d’attirer , selon les idées d’alors, la bénédiction du ciel sur ses entreprises, il fit une donation importante aux religieux de la Grande-Chartreuse. Dans cet acte, passé le 2 avril 1217, figurent encore les noms de Nanitelme de Miolans, de Thomas de Conflans et de quelques autres de ces preux Savoyards, qui porièrent si haut la réputation guerrière de nos contrées (1). A la fin d’octobre de la méme année, le prince, avec son nombreux cortége, était en voie de revenir de ce còté-ci des monts. Après avoir franchi le Grand-S'-Bernard, en compagnie de ses deux premiers fils , Ameédée et Humbert, il s’'arréta à l’abbaye de S'-Maurice-d’Agaune, et fit è ce monastère de genéreuses concessions (2). C'est en ce temps-là que le comte Thomas forma le projet de s'unir par des liens solides, par des liens de famille, è l’une des plus puissantes maisons de l’ancien royaume de Bourgogne. Il parvint è faire agréer è Artmann, fils d’Ulrich, comte de Kibourg, sa fille cadette, Marguerite; et quoique la jeune princesse ne fùt pas encore nubile, il jugea néces- saire que la promesse de mariage edt lieu, et fùt accompagnée de toutes les solennités usitées en pareille circonstance. Le contrat se fit au chateau de Moudon, aux calendes de juin de l’année 1218 ,° en présence d’un concours immense de princes, de barons, de nobles, parmi lesquels on remarquait Berthold, comte de Neuchàtel, Albert, comte de Habshourg, Rodolphe, comte de Thierstein etc. On assigna à la fiancée une dot de deux mille marcs d’'argent, à raison de laquelle le futur époux promit, à titre de donation ou d’augment, une somme semblable, et se soumit è payer, en guise de peine, deux autres mille marcs dans le cas où il viendrait à ne pas vouloir se marier et à deserter la convention. Selon l’usage, les parties prétèrent serment. a (1) Guichenon, Mist. de Savoie, p. 52 (2) Ibidem. 270 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Jurèrent aussi leurs aidants respectifs, savoir pour le comte de Kibourg les hauts personnages ci-dessus nommés, qui prirent l’obligation de se constituer individuellement cautions, ou otages, à Lausanne, ou à Moudon, lorsqu’ils en seraient requis jusqu'à l’entière exécution de ce qui avait été convenu; et pour le comte de Savoie, ses deux fils, Ameédée et Humbert, Nantelme de Miolans, Pierre de Seyssel, Ameédée de Villette, Guy de Gerbaix, Umbert de Bocsozel etc., qui également et aux mémes fins s'obligèrent à se rendre à Villeneuve, petit bourg nouvellement construit à l’'extrémité du lac de Genève, et à rester là en qualité de garants (1). Mais une négociation plus importante peut-étre que celle dont je viens de parler, puisqu’il s’agissait du mariage de Béatrix, soeur aînée de Marguerite, avec Raymond Bérenger, comte de Provence, ne tarda pas à se présenter. Le comte Thomas qui ambitionnait pour sa fille cette avantageuse alliance, et qui à cet effet devait se trouver, à une époque fixe, au chateau de Dronero, en Piémont, lieu assigné aux conferences, se hata de re- prendre la route d’Italie. En passant à Conflans, sa méère, la comtesse Béatrix de Bourgogne, qui l’accompagnait, fit à la chartreuse de Vallon, en Chablais, une donation, à laquelle lui et ses fils, déjà cités, donnèrent leur approbation: Nantelme de Miolans figure le premier parmi les témoins de l’acte (2). Ce fut le 5 juin 1219, à l’acceptation des évéques d’Antibes et de Digne, représentant le comte de Provence absent, que furent établies les clauses du contrat de mariage. On y convint, comme précédemment au sujet de Marguerite, qu'il serait compté, en dot, à la future épouse 2000 marcs d’argent, payables, une moitié à la prochaine féte de la Circoncision, et l’autre moitié un an après celle de Noél. Plusieurs hauts feudataires, à l’exemple de ce que nous avons vu s'étre pratiqué, il y a un instant, s'obligèrent, par serment, à se constituer otages de Raymond Berenger, tenere ostadia, jusqu'à l’entier payement de la somme pro- mise, savoir: Guillaume, marquis de Montferrat, Guillaume, marquis (1) Guichenon, Mist. de Savoie, pr., p 62. Cibrario a rectifié la lecon de Guichenon, à l’egard de ce document, dans le t. I, p. 260 de sa Storia della Monarchia di Savoia, d’après l’original de l’acte existant aux Archives de Cour. (2) Notice sur l’ancienne chartreuse de Vallon, documents. PAR LEON MENABRÉEA DI de Busca, Frédéric et Guy de Romagnan, Merle de Plozasco ete., qui à Saluces, qui à Suse, qui à S'-Ambroise; et quant aux seigneurs sa- voyards, tels que Nantelme de Miolans, Richard de la Chambre, Guy de Briancon, Guillaume de Beaufort, qui avaient aussi juré l’observation des conventions faites, ils prirent l’engagement de demeurer aux mémes fins, purement et simplement, au delà des Alpes, in Lombardia, sans s’obliger à une résidence plus précise, ce que firent également les deux jeunes princes, Amédée et Humbert (1). On sait que devenue comtesse de Provence, Béatrix s’attira l’admi- ration de tout le monde, autant par son esprit que par sa beauté; qu'elle présida maintes fois les cours d'amour, et fut l’idole des poétes. A peine cette ceuvre d’une politique habile était-elle achevée , que certaines querelles, que l’évéque de Lausanne semblait vouloir faire au comte Thomas, l’obligèrent à revenir en Savoie. Ayant passé le Grand- S'-Bernard, il s'arréta à l’abbaye de S'-Maurice et conclut avec ce mo- nastère un traité relatif à la juridiction qu'il pouvait avoir dans la vallée de Bagnes. On y reconnut formellement que la partie supérieure de ce val lui appartenait ; ainsi que la justice, les bans, la chasse, les cours d'eaux, les bois noirs, les hommages nobles etc.; et que, d’autre part, l’abbaye était fondée à revendiquer dans la partie inférieure de ce méme val plusieurs droits importants, et notamment le collectes d’automne è elle données autrefois par le comte Amé IMI, lorsque les moines lui remirent la table d’or, dont il se servit pour son voyage de terre sainte. L’acte qui contient ces reconnaissances fut signé à Villeneuve, où se trouvait Nantelme de Miolans, déjà dispensé sans doute de tenir les arréts en Lombardie, ainsi qu'un grand nombre de barons et les deux Jeunes princes, Amédée et Humbert, qui depuis quelque temps faisaient, comme on le voit, le rude apprentissage de leurs futurs travaux (2). Ceci réglé, le comte Thomas continua sa route vers Lausanne, où les pre- miers jours de juillet de l'année 1219 il termina ses différents avec l’église de cette ville. Lanfranc, évéque de Sion, Rodolphe, comte de Gruyères, Boson, vicomte d’Aoste, Nantelme de Miolans assistèrent à la transaction (3). (1) Cibrario et Promis, Documenti, sigilli e mon., p. 120. (2) Mon. hist. patriae; Chartarum, t. I, p. 1259. (3) Guichenon, Mist. de Savoie, p. 248. M. Cibrario a également relevé dans l’ouvrage ci-dessus cité, p. 262, une légère erreur de Guichenon concernant cette charte, que l’on peut d’ailleurs consulter aux Archives de Cour, 272 DES ORIGINES FEODALES ETC. Je ne suivrai pas le comte Thomas dans les nombreuses expéditions soit pacifiques, soit militaires, qui remplirent le restant de son règne dans ses guerres contre les marquis de Saluces et contre les Verceillais récal- citrants; dans la part qu'il prit aux intrigues, souvent sanglantes, de la ligue lombarde, qui continuait à subsister; dans les événements dont il eut à se méler, comme nouvellement vicaire de l’empire; dans ses vo— yages è Génes, à Marseille, où il déploya le talent d’un négociateur con- sommé; dans cette infinité de faits enfin, que résume la grandeur nais- sante de la maison de Savoie; ce que j'ai dit suflit pour remplir le but que je me suis proposé en commencant ce chapitre. Les personnes qui connaissent un peu l’histoire de notre pays, n’igno- rent pas que ce fut sous ce règne glorieux que plusieurs de nos villes et de nos bourgs recurent leurs franchises de la générosité du prince. Après avoir accordé la liberté aux habitants de Suse, d’Aoste et de quelques autres localités de moindre importance, le comte Thomas, que guidait un tact politique des plus exquis, crut le moment venu de réaliser un projet, dont les conséquences devaient obtenir un jour une grande valeur. Ce projet consistait à acquérir Chambéry, que des documents cer- tains désignent comme ayant été, dès les temps antiques, un centre actif de commerce, et de transformer ensuite ce lieu en une ville franche, qui serait devenue la capitale de la Savoie (1). Les faits qui se rapportent à cet événement, étant presque les der- niers où l’on puisse espérer de trouver encore des renseignements positifs sur le ròle que joua Nantelme de Miolans, et ayant été d’ailleurs le prelude de la decadence d’une des plus illustres familles féodales de nos contrées, celle des seigneurs de Chambéry , je leur consacrerai deux ou trois mots. Ces seigneurs qui, par la profession qu'ils faisaient à raison de leur origine, de vivre sous la loi romaine, appartenaient évidemment à l’une de ces antiques lignées, qui, sorties de souches gallo-romaines, s’étaient, à l’exemple de la maison de Savoie, maintenues puissantes au milieu de nous, en dépit de l’invasion des peuples du Nord, ces seigneurs, dis-je, (1) Plusieurs chartes du cartulaire de St-Hugues, evèque de Grenoble, mentionnent la mesure des grains, dite de Chambéry, comme ctant déjà fort en usage aux X et XI siècles: ad mensuram Chamberiaci. PAR LÉON MÉENABRÉA 27 3 possédaient de vastes domaines, que de riches alliances, parmi lesquelles je me bornerai è citer celle des sires de Faucigny, avaient singulièrement amplifiés. È Bien qu'à lépoque où nous sommes parvenus, ils eussent, à ce quil paraît, subi déjà quelques revers, ils ne laissaient pas d’occuper, comme Jadis , le premier rang dans la longue série des hauts feudataires de nos contrées. Or,ce fut en l’année 1232, et en veriu d’un acte des ides de mars que, cédant à des motifs que nous iguorons, ils se décidèrent à vendre au comte Thomas la ville de' Chambéry avec tous les droits qu'ils y exercaient. Ce n'est pas ici le cas d’examiner ce que les diverses clauses de cette vente renferment de curieux; je remarquerai seulement que le prix en fut fixé à la somme de 32,000 sols forts de Suse, faisant environ 90,000 franes de notre monnaie, laquelle le vendeur Berlion déclara avoir recue précédemment, et dont il fit è l’acquéreur bonne et due quittance, re- noncant, dà cet égard, à chacune des nombreuses exceptions que la loi écrite aurait pu lui attribuer pour revenir contre sa déclaration. Il se réserve expressément le chiteau de Chambéry , le quartier situé au-dessous, appelé citra castrum, ou subtus castrum, le péage qui en dépendait et qui conserva long-temps le nom de péage de Berlion, et enfin quel- ques autres droits de moindre importance. La lecture de ce document nous apprend que les sires de Miolans avaient aux portes de la ville une maison-forte, qui fut designée comme un des confins du territoire vendu (1). A peine ceci s’achevait-il, que le quatrième jour des nones de ce méme mois le comte Thomas, voulant réaliser ses généreuses intentions à l'égard des habitants du lieu qu'il venait de réunir è son domaine, leur accorda d’amples franchises. Ces sortes de concessions étaient encore rares à cette épogue; aussi celles dont je parle se firent-elles avec une grande solennité. Le prince et ses fils en jurèrent l’observation et se soumirent à encourir une excommunication qui serait prononcée par les meétropolitains de Vienne et de Tarantaise, dans le cas où ils viendraient à les enfreindre. Berlion dut jurer également, et avec lui Nantelme de (1) Cet intéressant document a été publié par M. le comte Sclopis dans le t. XXXIV des Men. de VAcad, de Turin, è la suite de son travail, intitulé Considerazioni storiche intorno a Yommaso I. Serie II. Tom. XXIII 35 274 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Miolans et Humbert de Seyssel. Le tout se passa chez les Templiers, in domo Templi, en présence d'une foule d’assistants. Plusieurs bourgeois signèrent l’acte (1). On sait que les franchises susdites servirent de modéèle aux chartes de liberté, qui furent successivement.données à nos villes et è nos bourgs; chartes précieuses qui, sans déroger au principe du droit féodal, con- tribuèrenti si puissamment au développement du commerce, de l’industrie et des arts (2). Le comte Thomas mourut peu de temps après. La plupart des barons qui formaient habituellement son cortége ne tardèrent pas non plus è disparaître. Quelques-uns d’entre eux, tels que Berlion de Chambéry, Nantelme de Miolans, Aymon de Briancon, Willelme de Beaufort, Humbert de Villette, continuèrent toutefois à se dévouer, quoique déjà vieux et cassés, aux intéréts de leur nouveau seigneur, Amé IV; car nous les retrouvons, en qualité de pacificateurs et d’amiables compositeurs, dans un acte mé- morable, passé le 23 juillet 1234, au chiteau de Chillon, par lequel ce prince termina avec ses frères les discussions qui s’étaient élevées entre eux tous, au sujet du partage de la succession paternelle (3). Des trois fils de Berlion, qui furent Guy, Guillaume et Rodolphe, celui-ci est le seul dont l’existence se prolongea jusque vers la fin du XIII siècle. Il fit, selon toute apparence, d’assez mauvaises affaires. On le voit, en effet, en 1260 vendre plusieurs de ses biens, situés en Faucigny, moyennant une somme de Goo livres de Vienne, avec clause de rachat, pour le cas où il reviendrait, dit-il, à meilleure fortune. Il vivait encore en 1290, alors que son fils Willelme aliéna d’autres biens qu'il possédait dans la méme province. Dès ce moment on n’entend plus parler, que je sache, de la famille de ces illustres seigneurs (4). Quant au chateau de Chambéry, devenu, on ne sait trop quand ni comment, la propriété d’Ottomard Alamand, il passa aux mains des époux Francois et Béatrix de la Rochette, qui en 1295 le cedèrent au (1) Cibrario et Promis, Doc., sig. e mon., p. 126. (2) Voyez le livre 2 de \' Mist. municipale et politique de Chambéry, dont je n'ai pu, jusqu'à present, publier que trois livraisons et que je compte reprendre bientòt. 3) Datta, Storia dei Principi di Suvoia del ramo d’ Acaia, documents du livre I, n.° 3. 4) Voyez le livre 2° de ce méme ouvrage, chap. 7, intitulé /7ist, des sires de Chambéry. J°y ai ndique toutes les sources où il ma été possible de puiser. PAR LÉON MEÉNABREA 275 célèbre comte Amé V, lequel en compensation leur assigna des rentes assez considérables sur diverses chatellenies de Savoie (1). Si nous voulions pousser maintenant nos investigations sur les dernières années de Nantelme de Miolans, nous pourrions parvenir peut-étre è res- saisir cette grande et noble figure du moyen fge, que nous avons eu tant de peine è exhumer, à demi effacée, des décombres où elle était ensevelie ; nous pourrions, dis-je, la ressaisir et la montrer jusqu'à l'année 1239, et s'il n'y avait pas en ceci une certaine temerité, jusqu'en 1241, ré- pandant partout son placide éclat, et s’éteignant au milieu des ceuvres pieuses dont d’obscures chartes nous ont trasmis le souvenir (2). Mais c'en est assez sur ce sujet, et je vais, d’une manière succinte, résumer les documents que j'ai pu recueillir touchant cette illustre lignée. En premier lieu nous rencontrons un acte du 8 juin 1241, portant inféodation et confirmation faite à Nantelme de Miolans du fief parvenu à feu Aimon d’Allod (3). i En 1251, le lundi des calendes de juillet, Nantelme de Miolans, probablement le quatriéme du nom, nous apparait assisté de ses deux fils, Nantelme et Viffred, dans un acte par lequel il fait donation, avec l’adhésion de ces derniers, à l’abbaye du Betton de tout ce qu'il pos- sède dans la montagne d’Arcluse, sauf ce qu'il avait donné précédemment au prieuré de Bellevaux. L’acte fut fait, en aumbne, è l'occasion de ses deux filles qui sans doute avaient pris l’habit dans l’abbaye susdite. En effet une Marguerite de Miolans y figure, comme abbesse, en 1270; cent ans plus tard, en 1376, une autre dame de Miolans (Antonine) est revétue de la méme dignité. L'abbaye du Betton est située dans la vallée fertile et plantureuse de la Rochette, au bas de la montagne, que les tours de Monimayeur do- minent audacieusemeni, et qui fait face du còté opposé au chateau de Miolans, divisant ainsi la vallée de l’Isère de la première vallée. Quoique ce monastère soit d’une importance très-secondaire, Jen dirai ici quel- ques mots. (1) Archives de Cour; Acquisitions. (2) Voyez la charte citée ci-devant. (3) Invertaire des fiefs de Savoie, garde-robe n.° 12, vol. 107, fol. 254. Arch. de la Chambre des comptes. 276 DES ORIGINES FEODALES ETC. L'origine de la juridiction dont jouissait cette abbaye doit nécessaire- ment étre recherchée dans les concessions émanées soit des comtes de Savoie, soit des seigneurs du voisinage. On trouve aux archives de Cour et à celles de la Chambre des Comptes à Turin un certain nombre de reconnaissances faites aux XIV, XV et XVI siècles, en faveur des pririces de la maison de Savoie. Je ne citerai que celle du 3 juillet 1341, faite par la venérable religieuse Egline de Villette, abbesse du Betton, laquelle confesse tenir en fief ladite abbaye; une autre du 6 aoùt 1391, et une troisiéme du 7 avril 1416. Dans ces actes, le couvent consigne tenir des comtes de Savoie, en fief lige et noble, divers biens, situés au Betton, au Bettonet, à Villard.léger etc., plus diverses rentes féodales, plus les hommages, servis, usages, tributs, qui lui sont dus par les lieux designés dans ces actes; enfin la juridiction qui lui appartient dans les limites de son enclos. Cette juridiction ne s’appliquait donc qu'à l’encelos, clavsum; elle comprenait le mère mixte empire et omnimode juridiction, exeepto ultimo supplicio et mutilatione membrorum. Ces expressions sont telle- ment fréquentes, qu'il est inutile de s’y arréter ici : cela voulait dire que dans son enclos l’abbaye possédait le droit de faire punir par les officiers, à ce par elle nommés, les personnes qui venaient è délinquer dans la circonscription susdite, à l’exception d’appliquer la peine du sang, peram sanguinis , jus gladiî, quì était réservée au suzerain, La plupart de nos anciens monastères étaient dans cette condition. Le couvent dont il s'agit, quelque restreinte que fùt cette juridiction iu point de vue territorial , eut souvent des contestations à cet égard, soit avec les chatelains de Chamoux et de la Rochette , soit avec des seigneurs voisins qui troublèrent maintes fois la vie placide des saintes recluses. Un acte du 21 décembre 1323 nous signale sous ce point de vue un seigneur appelé Pierre de Bettonet, possesseur du chaàteau de ce nom. Un autre acte du 16 aodt 1427 nous fait voir dans la méme dispo- sition un Jean de Seyssel, dont la famille avait acquis le fief de Bettonet de celle du vassal qui vient d’étre cité; et après bien des demeélés, le luce Emmanuel-Philibert, par ses lettres patentes du 15 septembre 1576 approuve et renouvelle au besoin les droits, priviléges et franchises du Betton: on les trouve dans l’ancien recueil des patentes existant aux Ar- chives Cameérales. Mais ces contestations, long-temps assoupies, se renouve- lèrent encore après que la seigneurie de Bettonet eut été vendue à Louis PAR LÉON MENABRÉA Polo] de Mellarède et érigge en comté; elles se perpéetuèrent jusqu’en 1730, où il y eut transaction. Revenons aux sires de Miolans. Le 3 Janvier 1252 Amédée IV, juge des questions qui existaient entre l’église de Maurienne et Pierre de la Chambre. Actum apud Aquabellam. . . . testes. ... Antelmus de Miolans (1). 1263 - 16 juin - Fidélité au comte de Savoie par Nantelme de Miolans pour le vicomté d’Aiguebelle (2)._ 1273 - 16 juin - Hommage au comte de Savoie par Nantelme de Miolans pour le chateau de Miolans et de Bonvillard (3). 1324 - 3 mars - Vient ensuite un autre Nantelme ou Antelme, que nous qualifierons de cinquième, lequel préte hommage au comte de Savoie à cette date, sans signification d’aucun fief. Vu au pied dudit acte la reconnaissance passée le 19 du méme mois par le susdit Antelme : 1.° De son chàteau de Miolans avec ses dépendances, et de la juridiction omnimode qu'il a; 2.° Quidquid tenet vel ipse vel alter de ipso apud Chigninum apud Bressentem Fornerii et Labam pro quibus debet cum aliis faveteriis nominatis homagium legium et xv libras fortes de placito (4). 1329 - 13 novembre - Le méme prete serment de fidélité pour les fiefs de Miolans et de Grésy (5). 1339 - 10 mai - Antelme, héritier de Rodolphe, seigneur de Miolans, recoit l’investiture du chiteau et du mandement de Miolans par Aymon, comte de Savoie (6). 1343 - 11 juin - Reconnaissance du fief du Mas, dit de Miolans, par Aymon, fils de Hugon de Chatellard (7). 1343 - 2 juillet - Antelme de Miolans; investiture de biens féodaux à lui appartenani ($). (1) Documenti, sigilli e mon., p. 188. Arch, de Cour. (2) Mémoires pris dans les Arch. de Cour et dans celles de la Chambre des comptesà Turin, concernant les requètes présentées ensuite de l’édit de 1752 pour l’investiture des fiefs, biens et droits féodaux. (3) Zbidem Nous ne reproduisons cette date qu’avec réserve; le texte è demi effacé en cet en- droit nous a laissé incertains entre 1263 et 1273. (4) Reynaud, t. IV, fol. 1, Arch. de Cour. (5) Arch. de Cour, Mémoires, etc. (6) Ibidem. 7) Reynaud, t. XIII, fol. 37, Arch. de Cour. (8) Ibid., t. XV, fol. 10, Arch. de Cour. 278 DES ORIGINES' FÉODALES ETC. 1358 - 3 mars - Reconnaissance passée par Humbert de Chevron, seigneur de Bonvillard, par laquelle il confesse tenir en fief lige, avitin et ancien du comte Ameédée de Savoie : 1° le chaàteau de Bonvillard et son district; 2° le mère mixte empire et omnimode juridiction ete.; 3° une rente féodale riére Bonvillard de tout ce qu'il y possède, à l’exception de 600 sols forts qu'il a, de franc-alleu, dans le mandemeni, ledit alleu acquis de l’alleu de Rodolphe de Montmayeur par Nantelme de Miolans, et excepté 100 sols forts de rente de franc-alleu, procédes de la dot de Jacquemette, femme dudit seigneur de Miolans. Le tout sous charge d'hommage lige et de la troisiéme partie de 25 livres fortes, vieilles , de plait, pour ledit chiteau de Bonvillard et pour celui de Miolans (1). 1360 - 1° octobre - Lettres de constitution de chàtelain de la terre et vallée de Miolans, par Antelme, seigneur dudit lieu (2). 1363 — 5 janvier - Transaction entre Jacques Lageret et Simon Angeleri, portant convention concernant le recouvrement des revenus et servis dus au seigneur de Miolans dans la commune de S'-Pierre-d'Al- bigny (3). 1376 - 19 mars - Fidelité prétée à Antelme, seigneur de Miolans, pour la maison-forte du Villard du Cros, par Pierre, fils d’Ansermet de la Fontaine (4). 1380 - 15 juillet - Jean, seigueur de Miolans; investiture pour les fiefs, bans et droits qu'il possède (5). 1392 - 30 octobre - Investiture de Miolans accordée au méme par Amé, comte de Savoie (6). 1421 - 25 février - Jacques de Miolans; investiture pour le fief et la vallée de Miolans, biens, rentes et droits féodaux (7). 1438 - 21 juin - Reconnaissance passée par noble seigneur Jacques de Miolans à feu égrége et puissant seigneur Jean de Miolans. Nous croyons devoir donner ce titre en entier, afin que le lecteur prenne une idée précise des richesses et de la variété des ressources de cette suzeraineté. (1) Arch. de Cour, Savoie. ( Edit du 5 aoùt 1752). (2) Garde-robe 4, paquet 14, Arch. de Cour. (3) Ibid. 5, paquet 14, Arch. de Cour. (4) Ibid. 6, paquet 14, Arch. de Cour. (5) Guigon-Marchand, Arch. de Cour, fol 56. (6) Ravais, t. XV, fol. 114, Arch. de Cour. (7) Bombat, t. IV, fol. 443, Arch. de Cour. PAR LÉON MENABREA 279 Il reconnaît tenir en fief: 1° Son chàteau de Miolans; 2° Le mère et mixte empire et omnimode juridiction qu'il peut avoir à cause dudit chatean et mandement de Miolans; les chemins publics, cours d’eaux, bois noirs, droits de régale, justice et tout ce qui peut appartenir à l’exercice d’icelle, jouxte les confins déesignés dans ladite reconnaissance ; 3° La juridiction omnimode sur les hommes demeurant dans le man- dement de Grésy et dans le village de la Fontaine, en quelque lieu que ce soit dudit mandement; 4° Le bois de chéne du plan d’Eyton; 5° Une pièce de bois appelée de la Serra, soit bois de Lasa, vers S'-Pierre-d’Albigny et Fréterive; 6° Une pièce de vigne d’environ six vingt fosserées (1), appelée Laya; i 7° Une pièce de pré, territoire de Miolans, appelé le pré Domaynon; 8° Une autre pièce de pré sur le territoire de Miolans; 9° Une autre pièce de pré, d’environ six seiterces, appelée Pré-Vieux, sous le chateau; i 10° Une autre pièce de pré, d’environ cinq seiterées, appelé Pré- Navet; 11° Une pièce de bois chanay sur le chateau; 12° Une pièce de. ... en Renardet; 13° Les chasses dans la vallée de Miolans, savoir, à lui dues trois fois l'année par les agriculteurs de ladite vallée, et par les hommes de. ...; pour chaque feu un homme, et au cas où quelque bonne chasse à venaison se vienne à perdre par leur faute et coulpe, ils seront tenus de demander au seigneur sa miséricorde; 14° Une maison, situge à S'-Pierre-d’Albigny, appelée la Croix, avec une pièce de vigne d’environ 50 fosserées, et une pièce de pré d’en- viron une seiterée ; 19° Une pièce de vigne d’environ 30 fosserées, située au territoire de la Lea; (7) Fosserdes, seiterées; manières de mesurer la terre ; les habitants de la vallée de l’Isère se servent encore de ces locutions. 250 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 16° Le pont, soit part de peaulx sur le fleuve de l’Isère, avec tous ses droits de pontenage et vaut au dit seigneur de Miolans, deductis omnibus, environ 400 florins , petit poids, de cense; 17° Quatre sols à lui dus par l’abbaye de Betton pour ledit ponte- nage de peaulx, avec l’avenage à lui dù par la paroisse de Chateauneuf. 18° Le pont de la Lea sur le fleuve de l’Isère, avec ses droits et appartenances ; 19° La mestralie du val de Miolans, valant cinq livres fortes de cense, quelque fois plus, quelque fois moins ; 20° Le ban du vin quil a dans toute ladite vallée, an mois de l'année à son choix; 21° Les leydes qu'il a à S'-Pierre et à Fréterive aux foires de S'-Christophe ; 22° Un fromage d’alpéage par. ... Lambert, du mandement de Miolans, pour chaque feu vendant des fromages; 23° Un fromage d’alpéage è lui dù, comme dessus, par chaque feu, par ceux de Rothanes, de Biciles et de S'-Germain, mandement des Bauges, au cas qu’ils fissent des fromages, et n’en faisant pas, ils doi- vent un denier fort par feu; 24° Une rasière d’avoine, mesure d’'Aiguebelle, due par chaque feu, riére la paroisse d’Eyton, pour le port, soit pour le pontenage de Fréterive; 25° Confesse tenir les toises des maisons qu'il percoit rière la ville de S'-Pierre-d’Albigny, et par chaque maison, de la part du devant, percoit 8 deniers forts ; 26° Le trezain du prix de toutes les maisons qui se vendent et aliè- nent en ladite ville ; 27° Une maison-forte situce apud Cresum, lieu dit au Crest, avec une pièce de vigne d’environ dix fosserées, et environ deux seiterées de pré y contigu; 28° Les corvées à lui dues par les bouviers, travaillant en la vallée de Miolans, tant de ladite ville, vallée, qu’étrangers, qui autrefois va- laient annuellement environ cing livres fortes, quelque fois plus, quelque . fois moins; 29° Confesse tenir les hommes, hommages, tant nobles qu’innobles, tailles, servis et autres tributs annuels, signifiés dans ladite reconnaissance, laquelle rente s’étend rière S'-Pierre-d’Albigny, Grésy, Lafontaine, Fréterive, divers territoires des Bauges, et autres deépendant des susdits lieux. PAR LEON MÉNABREA 281 Pour toutes lesquelles choses il déclare aussi devoir de plait en preuve, au prince, 16 livres, 3 sols et 4 deniers forts, de 25 livres fortes, dues audit prince, et le reste desdites 25 livres doivent les nobles et puis- sants Jean de Seyssel et Rodolphe de Villette, alias de Chevron, savoir: ledit Jean de Seyssel 1o sols, pour sa maison de Chignin et Boisserette et autres choses données en échange aux prédécesseurs dudit seigneur marquis d’Aix, par les prédécesseurs dudit seigneur de Miolans, et ledit seigneur de Villette doit la 3° partie desdites 25 livres fortes, qui re- viennent à 8 livres, 6 sols, 8 deniers forts, pour le chateau et man- dement de Bonvillard. Et en outre affirme qu/l lui est permis, de droit héréditaire et ancien, de prendre unzm frustrum, soit pièce de venaison dudit prince, quand le seigneur reconnaissant sera present à ladite venaison, lequel droit il confesse tenir en fief, comme dessus, pour lequel droit, il confesse devoir au prince de plait un bonnet, soit chapeau. —_ Arrière-fiefs: Item, confesse tenir en fief noble un florin d’or, de bon poids, de plait, è la mort de chaque tenancier, à lui dù par les frères d’Albert sur une maison-forte et ses appartenances, située près les Villards de Cone. Item, un florin d’or, de bon poids, à lui dî par noble Guillaume d'Eoncien, pour les deux pièces de pré et vigne, situées au lieu dit aux Corneilles. Item, un florin de Florence, à lui dù par noble André de Poypon, sur une vigne et un curtil, situé aux Cones. Item, un hommage noble et lige, è lui dî par noble Jean-Baptiste de la Palud pour sa personne seulement. Plus, des plaits à lui dus par nobile Mathieu Rogez, sur une route qu'il tient du seigneur de Miolans, et un chosel de maison sur le Mollard, que ledit Rogez tient à sa main. Plus, des plaits à lui dus par nobles Maurice et Louis de Quintal, pour raison des hommes et rentes qu’ils tiennent du seigneur de Miolans, dont partie de la rente est due sur le pontenage et émolument du pont de Pales, lesquels tiennent aussi du seigneur de Miolans leur maison , située aux Pales. Item, une rente à lui due par noble Claude de Montmayeur, pour une maison-forte, appelée la maison de Thouz, située au-dessus de S'-Jean- de-la-Porte, et diverses pièces de terre, bois chanay et rentes quil Serie II. Tom. XXIII 36 282 DES ORIGINES FÉODALES ETC. tient du seigneur de Miolans, en fief noble, et sous l’hommage , ainsi que pour le droit, que ledit Claude de Montmayeur a de vendanger sa vigne du Mouriez un jour avant ses voisins. Plus, la rente à lui due par noble Georges de l’Escheraine , pour une rente et maison, prés, vignes, bois, situés rière les Allues, et le garde des vignes, prés, terres et autres, qu'il tient du seigneur de Miolans. Item, une rente à lui due par les nobles Teilles (1). 1455 - 17 avril - Antelme, seigneur de Miolans; arrière-vente , à lui faite par le duc de Savoie, de la rente annuelle et féodale de 60 florins, dus par les particuliers de la vallée de Miolans (2). 1483 - 20 quillet - Investiture par le duc Charles à Antelme de Miolans, tant en son nom qu’au nom de Gilberte, sa femme, des terres, juridiction et mandement y declarés, et notamment d’Entremont-le- Vieux (3). On a vu précédemment la tragique histoire de Jacques de Montmayeur, et du president de Fésigny; or le 20 aoùt 1486, noble Richard, secré- taire ducal, recut une transaction entre le duc de Savoie, Charles et Antelme. de Miolans, mareschal de Savoie, tant au nom de ce dernier que de Gilberte, sa femme, à l’occasion des biens de noble Jacques de Montmayeur, qui avaient été confisqués par la Chambre des comptes. Ladite dame opposait que lesdits biens lui venaient, par substitution, en cas de decès dudit comte de Montmayeur sans enfants màles légitimes et naturels, et que lesdits biens substitues ne devaient étre sujets à commises. Il fut conclu que les chateaux, domaines, juridictions de Montmayeur, Villard-Salet, Les Marches, Cusy, Entremont-le-Vieux, Sillans, l’Etoile et S'-Pierre-de-Souci, resteraient à la dame Gilberte , après toutefois le decès dudit Jacques de Montmayeur et que les terres d'Apremont, de S'-Alban et de Briancon resteraient à son altesse (4). Ge trop célèbre Jacques, auquel on revient malgré soi, tant son caractère est coloré de teintes sombres, implacables, était fils de celui qui fut gouyerneur de la Savoie en 1450, et maréchal en 1455. C'est à tort que 1) Grosse de M. Pierre de Cusinens, n° 158, fol. 1 à 548, (2) Sommaire gencral des fiefs, Savoie. Arch. de Cour. (3) Arch. de Cour, Richard, 1483-88, fol. 375. (4) Protocole de Richard, fol. 29, Arch. de Cour. PAR LÉON MENABRÉA 285 les légendaires avancent qu'il plaidait avec sa nièce, par devant le sénat de Savoie, qui n’existait pas encore à cette époque, et ne fut créé qu'en 1559; ce fut devant le conseil ducal de Chambéry que la cause fut portée. Le banneret était menacé dans la plus grosse part de sa fortune ; lorsque sa ruine fut accomplie , il accomplit sa vengeance et trancha la téte au president de Fesigny, auquel je donne ce titre pour me conformer à la tradition, mais tout fait supposer qwil était le juge rapporteur, car son nom ne figure point dans la liste des preésidents du conseil ducal. La tradition dit encore, qu’après un simulacre de jugement un prétre con- fessa la victime qui fut tuége avec une doloire, espèce de hache énorme, qui sert à couper la vendange, quand elle est sur le pressoir. Voici l’annotation que j'ai extraite d’un vieux répertoire, tiré des. ar- chives du chateau de Chambéry: 23 juin 1486, sentence rendue par le conseil du duc Charles de Savoie contre Jacques de Montmayeur, icelle declarant confisquez les fiefs et biens dudit sire et le condamnant à lu peine de 500 marcs d'or pour crime de felonie. Il paraît que le procés intenté è ce seigneur è raison de l’assassinat du sire de Fésigny dura fort long-temps, car -on voit que déjà en 1472 des commissaires spéciaux avaient rescindé (peut-étre à cause d’un vice de forme) une sentence, absolument semblable è celle que l’on vient de lire; l’ordonnance de ré- scission portait: sauf en fisc à poursuivre ledit Jacques de Montmayeur pour repression des méfaits qui lui sont imputés. Ce farouche seigneur, dernier male de sa race, mourut en pays lointain; son chàteau fut rasé, comme je l’ai dit, et les deux tours qui restent, sont là comme deux piloris où demeure attaché le souvenir d’un crime. La famille des Montmayeur, à part quelques personnages d’éminentes vertus, tels qu’Amedée, évéque de Maurienne, Ameédée, abbé de S'-Michel de la Cluse, en Piémont , Hugues, archidiacre de Moutiers etc. , cherchèrent toujours à justifier leur redoutable devise, unguibus et rostro. i En 1487 hommage et investiture des mémes époux Antelme et Gilberte de Miolans (1). L’année 1489 voit se renouveler encore pour les mémes la donation et inféodation desdits biens et ‘appartenances (2). (1) Richard, t. IT, fol. 332, Arch. de Cour. (2) Ibidem, fol. 9. 284 DES ORIGINES FEODALES ETC. La noble dame Gilberte, que nous venons de citer, devenue veuve dudit seigneur Antelme, et Claude et Jacques de Miolans, leurs fils, re- coivent la méme investiture le 23 septembre 1491 (1). Nous touchons aux derniers reJetons directs de cette antique lignée; Louis, baron de Miolans, recoit l’investiture du chateau et du mandement d’Entremont et de ses dépendances le 19 octobre 1497; le 15 novembre de la méme année, il recoit celle de la seigneurie de Miolans (2); dans ce dernier acte nous voyons ce seigneur joindre à ses titres celui de comte de Monimayeur, auquel il avait droit, d'après la transaction relatée plus haut. Enfin, par son testament du 19 mai 1512, Louis prévoyant peut- étre que sa race touchait à son terme, et par un sentiment d’orgueil assez légitime, ne voulant pas que le majestueux donjon, symbole de la puis- sance et de l’illustration de ses aîeux, tombàt en mains vénales, institua héritier son fils Jacques, portant sa substitution en faveur des màles, et à défaut de ceux-ci, il prie le duc d’accepter son vieux chàteau de Miolans et ses dépendances (3), hommage touchant qui témoigne des sentiments de fidélité qui animaient le noble sire. Les temps étaient accomplis; nous voyons en effet le 21 novembre 1523, Charles III, duc de Savoie, Guillaume de Poitiers et Claudine de Miolans, sa femme, faire accord et concession en faveur dudit duc de tous les droits appartenants aux derniers sur le chitean de Miolans et ses dependances. Le 9 décembre suivant, le duc de Savoie passe une procuration pour prendre possession en son nom dudit chateau de Miolans (4). Outre la série que je viens d’'énumerer, les sires de Miolans four- nirent au sacerdoce plusieurs hommes éminents: voici ce que disent les mé- moires historiques de Lutheranus, au su)et de Gérard de Miolans (Nicolas IH pape): « Messire Gerard, né à Chevron, est de l’ancienne famille de » Miolans; il fut nommé évéque de Florence et ensuite pape le 9 dé- » cembre .1058, sous le nom de Nicolas SI, sacré le 31 janvier suivant. » Il régna deux ans, quatre mois et vingt-six jours, convoqua le concile » de Latran en 1059, où il publia le fameux décret, que l’on trouve 1) Richard, t. II, fol. 37. 2) Troillet, t. IV, fol. 113, Arch. de Cour. (3) Arch. de Cour, Garde-robe n° 8, paquet 14. (4) Arch. de Cour, Savoie et Garde-robe n° 10, paquet 14. PAR LÉON MENABRÉA 385 » dans Gratien, D. 23, sur l’élection du souverain pontife, et où il » obligea Berenger, archidiacre d’Angers, chef des sacramentaires , et » condamné pour la troisième fois, à se rétracter (1). » Deux evéques de Maurienne, Aymon I en 1276, Aymon IV en 1308, sont issus de la méme famille; ils maintinrent courageusement l’un et l’autre leur autorité temporelle contre des voisins ambitieux (2). Un Nantelme de Miolans, canonicus maurianensis , vivait en Van 1188. Un Gui en 1247, un Jean de Miolans en 1297 figurent également au nombre des chanoines de S'-Jean-de-Maurienne (3). i Plusieurs ont revétu l'humble habit de moine, d’autres étaient pourvus de la dignité abbatiale ; l’histoire des Miolans pourrait remplir de longues pages, mais ce serait dépasser le but que je me suis propose. Pour ce qui est des vastes possessions de ces seigneurs, tant en decà qu'au delà des Alpes, dans l’énumeration desquelles jen ai omis plu- sieurs, entre autres S'-Cassin, Puisgros, Caramagne, Cavallermaggiore en Piemont (4), elles passèrent è une maison étrangère, celle des Spinola, Garrès, de Cardès, branche de la maison de Saluces (5). (4) Cartons de M. Montreal, 2° brouillard des Mém. Lutheranus. Observations du P. Mabillon touchant les différentes condamnations de Berenger. Baronius, Arral. eccl. Dupin, B?0l. des auteurs eccl. au XI siele. La vie de Nicolas II se trouve dans le t. III, p. 309 des Rer. ital. script. de Muratori, p. 37, et i Nova concil. collect., par le cardinal Passionei, t. XIX, concernant les si- moniaques, la chasteté des prétres et la rétractation de Bérenger. (2) Besson et Grillet. (3) Mon. hist. patriae, 2 chart. , p. 1141, 1468, 1732. (4) Geoffroy de Miolans, seigneur de St-Cassin, en avril 1258 fait hommage au comte Boniface de Savoie pour le chàteau et fief de St-Cassin. - Arch. de Cour. (5) Sommaire général des fiefs, è. III, Miolars, grosse de Mr Jean Coste, n° 155, 7 aoùt 1616. - Reconnaissance passée par Mr Christophe Chambon, en qualité de procureur de dame Gabrielle, veuve de messire Jacques de Miolans. Minutes de Mr Falquet, vol. I, fol. 100, 24 décembre 1734. Consignement passé par messire Charles-Emmanuel-Henry-Joseph-Antoine de Saluces-Miolans- Spinola etc. , par lequel il déclare tenir et posséder, par le moyen de dame Pbhiliberte-Blanche, femme du feu seigneur Francois-Marie de Saluces, en vertu de la primogéniture purifiée en faveur de ladite dame, par le testament du feu seigneur Louis de Miolans, son père, du 19 mai 1512, et d’Urbain de Miolans, son oncle paternel, de l’année 1523, la baronnie de Miolans ete. 286 DES ORIGINES FÉODALES ETC, CHAPITRE XVII ETUDE SUPPLEMENTAIRE. Le chateau de Miolans proprement dit. - Son importance militaire. - Charles III, duc de Savoie. - Francois I vaincu è Pavie. - Le due de Savoie, hésitant entre lui et Charles-Quint, penche pour le dernier. - Suites de cette politigue.- Luttes avec Genève. - Francois I réclame au duc de Savoie la moitié de ses Etats. - H envahit la Savoie. - Le due se borne à défendre le Piémont. - Il abandonne Turin et se réfugie à Nice. - Charles-Quint veut livrer le chateau de Nice & Paul III. - Le duc de Savoie est près de céder. - Emmanuel-Philibert, son fils, dgé de dia ans, l'entraine è la résistance. - Morì de Charles III. - Emmanuel-Philibert fait un glorieua apprentissage. - Il rentre dans ses Etats. - Rémission lui est faite du chateau de Miolans en 1559. - Vertus civiles et mi- litaires de ce prince. - Miolans converti en prison. - Le P. Monod, victime de Richelieu , y est enfermé. - Le roi Charles-Emmanuel. - Son alliance avec Marie-Thérèse. - Sa valeur, ses succés. - Les Espagnols en Savoie. - L’Infant Dom Philippe. - Deléqués de Chambéry prisonniers à Miolans. - Leurs dépenses.- Lavini. - Son crime. - Ses malheurs, sa longue captivilé. = Inscriptions. - Cachots. - Le baron de VAllée de Songy. - Le commandant de Launay. - Le marquis de Sade. - Curieuse correspondance. - Evasion de Mr de Sade et de Mr de Songy. - Noms de divers prisonniers. - Physionomie du cheteau. Il est inutile de revenir sur l’antiquité du chateau qui fait l’objet de cette etude; la date de sa fondation restera perdue dans les nuages du passé, malgré les assertions de certains écrivains (1). En ces temps d’anarchie et de désolation, où la Savoie presque barbare était une contrée dangereuse, infestée par le brigandage , la nécessité se fit sentir de (1) Je citerai encore un passage, extrait des Ms. de Mr Bonnefoi, curé de Jarsy, dont toulefois plusieurs indications me semblent suspectes, mais je le reproduis aussi pour faire connaître ce qui a trait à Vorigine probable des sires de Miolans: « Les sires de Briangon, y est-il dit, portèrent » en 900 le nom de sires de Cur, ou de Ceur, parce que leur chàteau élait construit sur la pa- » roisse de ce nom, en haut d’un mòle. - En qualité de vicomtes de Tarantaise ces seigneurs » possédaient un chàleau à Moutiers, au nord-est de la ville. - Richard de Cur vivait en 900...... » il fonda le prieuré de St-Martin hors la ville, lui donna plusieurs terres à Moutiers, à Villaroger, » avec les dîmes du mas de Peeney, de la Roche, du Chàtelet, de l’Eau-claire, d’Altanicos ete. etc. » Il eut pour fils Richard II, surmtomme Diacori, qui fut pere d’Aymon. » (Besson p. 233). Aymon Cur, selon la généalogie ms. de Besson, vivait en l’an 1000. - L’archevèque Amizzo le nomma vicomte de Tarantaise: les comtes de Savoie, pour récompenser ledit Aymon des services qu’il avait rendus, lui inféodèrent le clàteau de Miolans. Depuis lors ce personnage el les siens auraient gardé le nom de Miolans..... Il aurait laisse cinq fils, dont V’aîné Artaud aurait commence la famille des Montmayeur ........ Or, en demélant le vrai du faux dans cette légende, on voit cependant que le chàtean de Miolans m’était pas d’une création récente à l’époque mentionnée. PAR LÉON MÉNABREA 287 defendre ces deéfilés étroits, où le voyageur ne péneétrait qu’avec crainte ; alors les rochers qui resserrent, de distance en distance, les gorges des Alpes se couronnèrent de forteresses; les seigneurs guerroyaient entre eux à outrance; les plus forts convoitaient les plus faibles, et une cer- taine harmonie semblait régner entre ces tours agriennes qui abritaient la violence et la spoliation; entre l’apre nature qui les environnait et les repaires, creusés aux flanes des montagnes, d’où s’élancaient les bandes affamées, auxquelles la terreur servait d’escorte. D’épaisses foréts de sapins étendaient au loin leur masse noire ; des torrents désordonnés descen- daient avec fracas des hauteurs, entraînant, à certaines époques de l’année, les arbres, les pierres, les rochers, tout ce qui leur faisait obstacle et compleétaient, pour ainsi dire, ce sombre tableau. Quoique les siècles et la civilisation aient adouci ces images, le chteau de Miolans conserve toujours son imposant aspect (1). Le lecteur n'a pas oublié sans doute sa position au sommet d’un roc nu, auquel il sert de créte et qui se detache des nombreuses montagnes, dont la chaîne non interrompue forme le pan septenirional de la vallée de l’Isère. Ce roc s'élève perpendiculairement à une hauteur prodigieuse; deux énormes tours, d’une architeciure différente, dominent la masse de l’édifice ; un double rang de fossées, une triple enceinte de murailles défendaient jadis ce manoir sur l’unique face où il pouvait étre attaqué; il fallait quatre heures de marche difficile avant d’atteindre la porte du donjon. Ces cons- tructions, dont la majeure partie est encore debout, appartiennent évi- demment è différentes périodes: ici l’on reconnaît, comme je l’ai dit, l’aire du seigneur féodal, la place de guerre, la prison d’état. Je n’entreprenderai point de conduire pas à pas le lecteur à travers les votites silencieuses de ce labyrinthe; il est des impressions qu’on ne saurait reproduire; tout un passé enveloppé de brumes se presse dans la pensée, depuis les jours éclatants où les illustres sires dominaient en maîtres, jusqu’aux heures desolées des pauvres captifs; mais, avant d’aller plus loin, achevons notre récit, Lorsque le duc de Savoie, Charles III, se vit possesseur du chateau de Miolans, son premier soin fut de fortifier une position qui le garantissait (1) Er 1856 Léon Menabréa dcrivait sa. notice sur Miolans; on a essayé de réparer le chdteau, mais sans resultat (car il croule de tous cotés ), depuis la mort de Vauteur, qui eut lieu en 1857 le 25 mai. 298 DES ORIGINES FÉODALES ETC. toujours mieux des entreprises de la France, malgré les embarras de ses finances absorbées en grande partie par les douaires assignés aux prin- cesses veuves de sa famille (1). Précisément à cette époque, son neven Francois I, roi de France, maître de la Lombardie et de la Ligurie, ayant pour alliées Venise et la Suisse, paraissait devoir étre en sécurité sur ses conquétes en Italie; mais ses luttes avec Charles-Quint changèrent les prévisions naturelles, et Charles III, flottant sans-cesse entre les deux rivaux, dut maintenir à grand’ peine ses possessions, en deépit des liens étroits de parenté qui l’unissaient à ces deux princes (2). Après les glorieux debuts du roi chevalier, la célèbre victoire de Marignan, la date du 27 avril 1522 devait signaler pour lui un premier revers; ce fut, comme chacun sait , le jour de la défaite de la Bicoque, qui fut ensuite suivie de la trahison du connétable de Bourbon. Mais Francois I, impatient d’effacer l’échec précédent, traversa les Alpes en 1524 et deboucha dans la vallée de Suse, du còté de Briancon; le due de Savoie se mit en devoir de faciliter, à travers ses états, le passage des troupes de son neveu; il alla méme à sa rencontre, et le monarque francais com- menca le siége de Pavie. Durant cette operation, Charles III qui n’avait eu garde d’oublier les sommations qui lui avaient été faites par ce dernier en 1518, au sujet de la partie la plus considérable de ses états qu'il revendiquait comme appartenant à la France, sollicité par sa femme, la princesse Beatrix, et aussi par ses propres intéréts , se concerta avec le connétable de Bourbon, fournit de l’argent et embrassa la cause de l’Espagne. La fortune se montra cruelle envers Francois I; vaincu à Pavie, il ne rentra en France qu’après une captivité de treize mois environ, au prix d’énormes sacrifices; la générosité n’était guère le point brillant du caractere de Charles-Quint. Nous ne decrirons ni les agitations, les secousses, les luites, ni les in- trigues de l'Italie aux prises avec l’ambition de deux souverains puissants; (1) Claudine de Bretagne, mère de Charles IMI, possédait le Bugey; Louise de Villards, fille de Jean de Savoie, comte de Genève, avait le Chablais; la celèbre Marguerite d’Autriche, veuve de Philibert-le-Beau , frère de Charles III, tenait la Bresse, le pays de Vaud, le Faucigny; et Blanche de Montferrat, sa cousine, veuve de Charles I, avait les plus belles villes du Piémont. (2) Louise de Savoie, mère de Frangois I, était seur de Charles IMI. - Béatrix de Portugal, sa femme, était sceur d’Elisabeth, épouse de Charles-Quint. PAR LÉON MÉNABRÉA 289 cette terre splendide semblait destinée è étre l’appàt de tous les partis; c'est du reste le sort éternel de la beauté et cle la richesse. Vient en 1529 le traité de Cambrai, qui garantit les droits et possessions de la maison de Savoie, tandis que Francois I s'engage è évacuer immédiatement la péninsule, renonce à la Savoie, au Piémont, au comté de Nice. Cependant Charles-Quint, ivre de succès, se rend à Bologne, où le pape Clément VII le proclame roi d’Italie, et pose sur son front la couronne de fer. La politique de Charles IMI ne varie point dans le fond; tout en mé- nageant de son mieux la France, il demeure lié à l’Espagne; assiste au couronnement de son beau-frère; celui-ci, pour le maintenir dans cette voie, lui donne la ville et le comté d’Asti è titre de dot de la duchesse Beatrix. Bien plus, à l’encontre de ce qui s’était pratiqué auparavant, où les princes de la maison de Savoie allaient d’ordinaire en France y recevoir leur éducation, ses deux fils Louis et Emmanuel-Philibert sont envoyés è Madrid dans le méme but. Francois I vit avec déplaisiv une innovation qu'il considéra comme un acte d’hostilité; il en résulta un sourd ressen- timent, qui ne tarda pas è éclater. Nous passerons sur l’hérésie de Genève, la révolte de cette ville contre la maison de Savoie, les concessions réciproques, la rupture definitive qui s’ensuivit ‘et la déclaration de guerre. L’armée ducale, forte de dix mille hommes, assiégea Genève, saccagea les faubourgs; pendant ce temps les Suisses, venus en aide aux Genevois, detruisirent, du còté de Morges, plusieurs chàteaux appartenant aux seigneurs dévoués è Charles INT; une nouvelle conciliation eut lieu, le vidomnat fut renda au due, les droits de l’évéque respectés; mais des excès recidivés forcèrent le clergé à se retirer; l’éveque s’établit à Gex, les chanoines se rendirent à Annecy, Afin de tenir téte à son rival, Francois I fit alliance avec les pro- testants d’Allemagne; il offrit aux Genevois sa protection; et sur le refus de Charles IM d’accepter une trève, il prit parti contre lui. Dans cette occurence la duchesse Béatrix sollicita l’appui de Charles-Quint; ce prince oublieux ne répondit que par une missive où il lui annoncait la mort de Louis son fils aîné. La situation devenait de plus en plus dangereuse, car Francois I renouvelait ses injonctions, et redemandait à son oncle ses principales provinces; celui-ci avait donc affaire aux Francais et aux Suisses qui voulaient le dépouiller. Le motif qui poussait le roi de France était le bruit d’un échange, par lequel la Savoie et le Piémont passeraient à Charles-Quint, tandis que Senie II. Tom. XXIII 37 290 DES ORIGINES FÉODALES ETC. le Milanais et le Montferrat iraient au duc de Savoie. Après maintes récriminations et plaintes réciproques, il n'y eut plus d’accommodement possible. Toutefois, avant de tirer l’épée, Francois I fit dresser un Mé- moire par lequel il réclamait: 1.° La succession mobilière de Philippe II et de son fils Fhilibert-le-Beau; 2.° Le comté de Nice et les villes du Piémont qui avaient été de la mouvance du comté de Provence; 3.° Diffé- rentes villes du marquisat de Saluces; 4.° L’hommage du Faucigny. Une dénégation lui est opposée: alors Frangois I stempare du Bugey, de la Bresse, de la Savoie; il entre dans Chambéry, y crée un parlement, or- ganise des tribunaux, substitue, autant qu'il le peut, les usages de sa nation à ceux que les siècles avaient consacrés. Charles III se bovna à defendre le Piémont; mais bientòt il n’était plus en sùreté dans sa capitale et il se retira à Verceil; Turin capitula (1). Victime de sa trop confiante politique envers l’Espagne, le duc de Savoie en était réduit au comté de Nice, lorsque le 6 novembre 1537 la tréve de Moncon suspendit les hostilités. Charles-Quint, afin de se ménager le pape Paul III (qui voulait rester neutre ), mettait sans pitié la derniére main à la ruine de son beau-frère, en le sollicitant de livrer au pape le chateau de Nice; le duc, hésitant, allait peut-étre céder, lorsque Emmanuel-Philibert, son fils, encore enfant (il n’avait que dix ans), encouragea son père à la resistance (2). Ne pouvant garder la ville, les soldats piémontais se cantonnèrent dans le chàteau, y conduisirent le jeune prince, pour le mettre à l’abri de toute tentative, et déclarèrent qu'ils s'enseveliraient sous les ruines plutòt que d’abandonner et le chàteau et l’héritier de leur souverain. Chaque fois qu'on leur enjoignait d’arborer l’étendard de Charles-Quint, ils y répondaient par le cri de guerre: Savoie! qui n'a jamais retenti en vain. Ces évéenements impressionnèrent à tel point Emmanuel-Philibert qu'il concut des lors le projet de reconquérir ses états l’épée à la main. Nous ne vetracerons pas la suite des vicissitudes du duc de Savoie; sitòt après la paix de Crespy en 1544, il espéra récupérer ses états; mais la mort de Francois I en angantit les conditions; Charles-Quint ne céda rien, la guerre se ralluma. 1) L’amiral Chabot prit possession de cette ville en 1536 au nom de la France. 2) Lorsque Charles III délibérait sur les exigences du pape et de l’empereur, le prince qui avait été amené là par son gouverneur, voyant l’incertitude de son pere, s’écria en brandissant sa petite épée et en montranit un modèle en bois du chàteau de Nice qui se irouvait sur une table ; Donnons au Pape le chateau de bois et nous défendrons si bien l’autre que nul n'y entrera. PAR LÉON MENABREA 291 A l’exemple de Francois I, son père, Henri II veut maintenir la Savoie et le Piémont sous sa dépendance; il va de Chambéry à Turin où il est recu en grande pompe; l’armée francaise a de nouveaux succès; elle s’empare de la ville d’Albe, de S'-Damien etc. en 1551. Cependant Charles II, las de lutter contre des adversités si tenaces, mourut à Verceil le 16 septembre 1553. Emmanuel-Philibert qui faisait glorieusement l’apprentissage de la guerre sous les drapeaux de Charles-Quint, apprit la mort de son père peu après avoir été élu général en chef des armées imperiales; il avait alors vingt-cinq ans; ce fut après de brillants faits d’armes, et longtemps ensuite, que ce prince fit son éntrée à Bourg-en-Bresse, avec la du- chesse sa femme; elle eut lieu le 11 octobre 1559 (1); Turin était encore au pouvoir des Francais, les portes de cette capitale ne s’ouvrirent, en definitive pour lui, qu’en 1563. Personne n’ignore que ce prince joi- gnait aux vertus guerrières celles qui font les grands souverains; on le considère avec raison comme le second fondateur de la dynastie de Savoie; sage administrateur, bon politique, il sut se plier aux circonstances, ré- tablit l’ordre, effaga les traces désastreuses qui avaient sillonné son royaume, favorisa les lettres, les sciences, l'industrie, et donna une nouvelle vie aux institutions d’un pays trop long-temps victime des étrangers. Jen ai dit assez pour démontrer la nécessité de mettre sur un pied solide de défense les lieux fortifiés qui se trouvaient placés sur le thé:itre de tant d’événemenis. Nous trouvons une donation et une rémission faite par le roi de France de la baronnie de Miolans, datée du mois d’aott 1559, peu de temps après le mariage d'Emmanuel-Philibert (2). Le 19 sep- tembre de la méme année émane un ordre du roi de France, qui enjoint au capitaine de Miolans de remettre audit duc de Savoie le cha- teau de Miolans (3). Ce fut environ vers cette époque qu’une révolution s’opéra dans le système militaire; l’art de la guerre se perfectionna et mit à néant les engins féodaux. Emmanuel-Philibert organisa une armée régulière et la (1) Il avait épousé, le 29 juin 1559, Marguerite de Valois, fille de Frangois I ei seur de Henri II, qui perdit la vie aux fètes de leur mariage ; cette princesse était douée des qualités les plus belles et les plus rares. (2) Arch. de la Chambre des Comptes, garde-robe 12; vol. 107, fol. 255. (3) Ibidem, fol. 256. 292 DES ORIGINES FÉODALES ETC. constitua solidement. Ce prince était un grand maître en ces matiéres: il éleva des citadelles, replaga sur leurs assises celles qui avaient été renversées, entre autres le fort de Montmeélian, qui devint l’un des bou- levards de la Savoie; en un mot, en recouvrant ses états, il tira sa force de lui-méme et des richesses inépuisables de son génie. Il serait trop long de narrer ici les grandes choses accomplies par cette puissanie volonté, pour cicatriser les blessures faites par l’occupation étrangère. Par suite des transformations opérées dans le système de deéfense, Miolans devenu sans importance militare, fut converti en lieu de réclu- sion: je ne saurais bien préciser la date de ce fait; il paraît qu'il avait eu lieu avant la fin du seizième siècle. Lorsque je visitai ce chateau, il y a quelques années, je cherchai è retrouver la chambre où une victime du cardinal de Richelieu (le célèbre père Monod) passa de vie à trépas; mais aucune indication ne vint è mon aide. Le père Monod, né à Bonneville en Faucigny, vers la fin du seizième siècle, avait abordé la carrière littéraire en publiant un ouvrage intitulé Alliance des Maisons de France et de Savoie, ouvrage qui, à travers le clinquant du panégyriste, laisse apercevoir l'homme nourri d’études sé- rieuses. Une seconde et plus importante production parut, sous son nom, en 1624; c’était l’histoire du pontificat d'Amédée VIII, de cet Amedee que le concile de Bile élut pape en 1439, et qui, quatre ans après, déposant volontairement la tiare, donna un si noble exemple de moderation. Le père Monod, présente à la cour et devenu confesseur de la régente Madame Royale, fut bientòt initié au secret des affaires; son génie le poussait à l’intrigue: la France, ou plutòt le cardinal de Richelieu, pour- suivait alors avec acharnement l’exécution de ses projets contre l’empire et l’Espagne ; la guerre civile du Piemont compliquait encore cet état de choses; Madame Royale, quoique alliée de Louis XIII, craignait de se soumettre avenglément aux exigences du cabinet francais; le cardinal qui soupconnait, non sans quelque raison, une influence de confesseur dans les défiances et les scrupules de la régente, mit tout en ceuvre à l’effet de s'emparer de la personne du P. Monod; il s'y prit de vingt manières sans y réussir. Cependant Madame Royale, voyant qu'on accusait. ouvertement ce jésuite d’entreteniv des intelligences avec l’Autriche, fut obligée de le faive arréter et d’accorder une expiation à la haine, aussi puissante qu’im- placable, qui s’attachait à lui. Le P. Monod fut enfermé d’abord à Coni, ra PAR LÉON MENABREA 293 puis trausféré à Montmeélian, puis à Miolans, où il mourut. Parmi les gerits dont il s’était occupé durant sa détention, on trouva un ZYaite de la faveur des princes. Le pauvre religieux savait mieux que bien d’autres combien cette faveur est fragile (1). Je rencontre un état des dépenses faites pour les prisonniers de Miolans qui porte la date de 1745, en septembre, sous le gouvernement espagnol. Charles-Emmanuel INI était alors sur le tròne; le traité de Vienne, conclu le 28 novembre 1738, avait réglé les destinées de la Lorraine, de la Pologne et de l’Italie; les rois d'Espagne et de Sardaigne, mécontents des résultats qui répondaient si peu à leurs sacrifices (le dernier surtout), refusèrent long-temps d’y adhérer; le roi d’Espagne se maintint plus que jamais dans l'idée d’expulser l’Autriche de l’Italie; toutefois l’équilibre était è peu près établi, dans cette contrée, entre les petits états dont elle était fractionnée. Par le concordat de 1741, le pape Benoît XIV avait renoncé à ses droits temporels dans le royaume de Sardaigne, et donné à Charles-Emmanuel et à ses successeurs le titre de Zicaire general et perpetuel du saint-siége; la paix et la prospérité semblaient établies pour de longues années; mais il en devait étre au- trement. L’empereur d’Autriche, Charles VI, était mort le 20 octobre 1740; cette mort ne tarda pas à embraser l'Europe ; il laissa sa vaste succes- sion à l’immortelle Marie-Thérèse, sa fille aînée; mais la plupart des souverains européens formèrent une ligue contre cette princesse et aspi- rèrent à la dépouiller. Le roi de Sardaigne mit en avant le contrat de mariage de son trisaeul (2) avec la fille du roi d’Espagne Philippe II, et redemanda le duché de Milan. De son còté la France, qui trouvait son interét à abaisser l’Autriche, fit alliance offensive et defensive avec l’Espagne, la Bavière, la Prusse et divers autres états. C'est alors que Marie-Thérèse développa cette rare énergie, d’autant plus remarquable chez une princesse si jeune: elle se mit résolument en devoir de tenir téte à l’orage. Charles-Emmanuel déploya dans ces circonstances toute l’habileté de sa politique; des négociations furent ouvertes simultanément avec Madrid, Vienne et Paris; il allait méme s’allier avec l’Espagne, lorsqu'il apprit que Philippe V, de concert avec 1) Corona reale, part. II, p. 184, (2) Charles-Emmanuel 1, 294 DES ORIGINES FÉODALES ETC. Louis XV, se proposait de donner Parme, Plaisance et le Milanais è l’infant Dom Philippe; en consequence il signa en 1743 avec la reine Marie-Thérèse un traité, dans lequel il introduisit certaines réserves qui le rendaient non obligatoire, moyennant un avertissement préalable de deux mois. La reine, en femme intelligente, agréa cette alliance , toute fragile qu'elle paraissait. La campagne s’ouvrit; Charles-Emmanuel, à la téte de quarante mille hommes, péneétra jusqu’aux bords du Panaro, petite rivière qui coule entre Modène et Bologne; jamais les princes de Savoie n’avaient été sur un pied de guerre aussi imposant; malgré cela, la détermination du roi était d’autant plus hardie, que onze mille hommes à peine des soldats de Marie-Thérèse défendaient la Lombardie; bref les deux armées firent le siége de Modène et de la Mirandola, qui ouvrirent leurs portes; la garnison fut retenue prisonnière; Charles-Emmanuel s’avanca sur Bologne et Rimini. Voulant opérer une diversion au delà des monts, le roi d’Espagne , blessé de voir son armée battue se replier du còté de Naples, envoya l’infant Dom Philippe s'emparer de la Savoie: la France livra passage è ses soldats: en apprenant cette invasion, Charles-Emmanuel revient à Turin, fortifie les frontières du Piémont, et malgré l’hiver qui s’avance (on était en octobre), il vole au secours de ses vieux serviteurs et va delivrer le berceau de sa famille ; en effet les Espagnols se retirent Barreau, mais cette tentative fut vaine; obligé de rentrer en Piémont, le roi effectua son retour avec assez de bonheur; placé à l’arrière-garde, il put de cette manière protéger ses munitions et ses malades à travers les neiges du mont Cenis; toutefois cette campagne coùta les sacrifices d’une bataille perdue; le roi la regarda comme une faute. Le joug des Espagnols, devenu plus lourd, était insupportable aux Savoyards ; Dom Philippe autorisait l’oppression , tout contribuait à le rendre odieux. Un complot s’organisa, il avait pour but d’enlever ce prince, durant la nuit, de l’arracher au sommeil, de le transporter en Piémont pour l’y retenir prisonnier; Charles-Emmanuel ne voulut point d’une entreprise qui s’écartait des lois de la guerre; l’Espagne se maintint donc en Savoie. De son còté la France essaya d’attirer à elle le roi de Sardaigne; c'était aplanir une barrière qui l’empéchait d’attaquer l’Autriche au coeur de ses possessions italiennes; cette tentative échoua; bien au contraire l’alliance avec Maric-Thérèse se resserra par de nouvelles promesses et PAR LÉON MÉNABRÉA 295 le 13 septembre 1743 le traité de Worms régla les interéts respectifs des deux souverains. La guerre cependant se prolongea durant plusieurs années; nous ne suivrons pas Charles-Emmanuel le long de cette bril- lante période de son histoire; cela nous mènerait trop loin. En avril 1748 la lutte de l'Espagne et de l’Autriche n'était pas ter- minée; l’infant Dom Philippe était encore à Chambéry, sy divertissant, au dire des historiens; mais vint le traité de paix d’Aix-la-Chapelle qui fut signé le 18 octobre de la meme année. Dom Philippe prit possession des duchés de Parme, Plaisance et Guastalla, avec réversibilité en faveur du roi de Sardaigne, si Dom Carlos, roi de Naples, était appelé au tròne d’Espagne, ou si la branche de Dom Philippe venait à s’éteindre; di- verses concessions faites à Charles-Emmanuel ne firent qu’étendre les perspectives de l’avenir qui promettaient à la maison de Savoie la gloire de rendre un jour l’Italie libre et maîtresse d’elle-méme. Revenons à nos prisonniers. En premier lieu je mets sous les yeux du lecteur la note curieuse, dont voici le titre: « Etat des dépenses faites à l’occasion de l’emprisonnement et traduction » des prisons de Chambéry au chateau de Miolans de MM. les délégués » Chambre, Guigue de Revel, Bailly, avocats, Philippé, Bavoux et Laracine, » pour n’avoir voulu commander les 900 paysans de la province de Savoie » pour aller travailler hors des Etats, soit proche d’Exiles (septembre 1 745).» On verra par ce document que le régime de ces prisonniers n’était pas d’une rigueur extraordinaire; leur détention devait durer un mois; le chevalier Le Blanc était alors gouverneur de Miolans; je. reproduis ce titre en entier à cause de son originalité. — « Pour les dépenses faites pour notre nourriture les 14, 15 et 16 sep- » tembre 1745, que nous sommes restés dans les prisons de Chambéry. ..... — « 18 septembre, payé au barbier de S'-Pierre-d’Albigny, venu » expréès pour nous raser: 2 l. — «€ Pour etrenne è une fille qui a apporté un pité de la part du » Sieur Curial: 0,10 s. — « Du 20 septembre, pour nos repas des 19 et 20, ayant eu le 19 » quatre étrangers à diner, trois le 20, et M. le Commandant et deux » officiers avec leurs valets à souper: 34 |. — « Du 23, pour nos repas des 21 et 22, ayant eu M. le Com- »» mandant, des officiers et des MM. de S'-Pierre: 33 I. 296 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » — « Du 24, au garcon qui nous a apporté un pàté du S* Curial: 0,10 S. — «A un garcon qui nous a apporté des truffes de la part du Sieur Lombard: o,10 s. — « Pour une petite caisse, eau clairette , du S° Dardel, pour faire politesse à M. le Commandant, afin qu'il ait des égards pour nous. — « Du 3 octobre, à celui qui a apporte des truites de la part du SF Lombard: 0,10 s. — « A celui qui a apporté des raisins de la part du S. Millioz : 0,10 S. — « Du 6 octobre, au cuisinier Ducrueux pour 17 jours quil a travaillé, à 15 sols par jour, attendu que 2’Aòtesse (la forteresse de Miolans) n'a plus voulu nous nourrir. » Le 8 octobre ils étaient dehors et diînaient à S'-Pierre. Passons à des souvenirs malheureusement plus tristes ; descendons aux cachots humides, qu'on dirait encore trempés de larmes. Parmi les inscriptions qui couvraient autrefois les parois de ces sombres demeures, quelques-unes ont échappé au rongement du temps: j'ai copié celle qui suit ; elle est en lettres majuscules et son interponctuation imite gros- sierement les formes du style lapidaire: O * MON * DIEU ME * VOTOM * FAIRE . PASSE ° POVREMENT . MA * IEUNESSE * AUX PRISONS * DE * MIOLAN ‘ POVR © N’AVOIR MAL * FAICT * — ET * VOICI © LA © 3 © PRISON © QUE * IE * SUIS * DEPUIS © LE © 29 © 1583 * POVRE © INNOCENS © L'ON * MAT AMENE ‘© CEANS © DIEU © LE © SAIT MO © DIEU © I AY * ESPERANCE © EN * TOY NE ° ME © LAS © IASMAIS MON * DIEU cH © 1585 - 1585 - Ailleurs on lit caprivus ....... puis des noms qui se croisent, s'entrelacent, se chevauchent. Dans la série de ces noms il en est un PAR LÉON MÉNABREA 297 que le peuple sait, qui se lie au souvenir d’un étre aussi malheureux que coupable, ce nom c'est celui de Lavin. Ce Lavin, ou Lavini, était un très-jeune homme, employé au secré- tariat des finances à Turin, sous le rèégne de Charles-Emmanuel, et qui connaissait le dessin et possédait l'art d’imiter à la perfection toutes les écritures. Le comte Stortiglioni, alors ministre, eut la pensée de fabri- quer de faux billets, semblables à ceux que le trésor royal mettait alors en cours, et de se servir à cet effet du talent funeste de ce jeune homme. Lavini résista, le comte usa de stratagème (1), puis entraîné, ou séduit, il obéit et en fabriqua pour une somme considérable. Mais le crime fut découvert; le comte Stortiglioni et son complice furent mis en accusation. Lavini parvint à sortir du royaume ; il s’enfuit è Paris, où il errait depuis quelques mois, lorsqu'il fut arrété en vertu de letires d’extradition. Voici la lettre adressée de Turin par M. Chiavarina è M. Des Ollières, Commandant à Chambéry: 12 octobre 1762 « Vous » recevrez M. par cette estafette et par le canal de la secreétairerie » d’Etat interne les ordres du Roi, tant pour faire recevoir au Pont-de- » Beauvoisin le nommé Vincent Lavini, prisonnier d’Etat, qui y sera » remis de la part de la Cour de France, que pour le faire traduire » par un détachement de vingt dragons à cheval jusqu'è Lanslebourg, » en le chargeant de la garde d’icelui et des effets qui seront remis » audit Pont au maréchal des logis du régiment des dragons de $. M. » lequel devra méme continuer à la retenir depuis Lanslebourg jusqu’en » cette capitale, où il le consignera à qui il lui sera ordonné par » M. le Gouverneur de Suse à son passage en ladite ville. » Une autre lettre de Turin, du 23 octobre 1762, du méme au méme contient ceci: « En l’absence de S. E. M. le comte Bogin, qui se trouve » à sa vigne et à qui vous ne laisserez pas M. d’adresser vos lettres, » j'ai eu l’honneur de rendre compte au Roi de celle que vous avez » écrite audit Ministre le 20 courant et par laquelle vons l'informez de » la rémission qui a été faite du prisonnier Lavini, lequel se serait » trouvé le 22 à Chambéry. » (1) On conte que le roi Charles-Emmanuel, visitant un jour les bureaux, passa dans celui où se trouvait Lavin, et demanda si l’on était content de lui: — Très-content, aurait répondu le comte Stortiglioni. .... à cela près, qu'on pourrait exiger de lui plus de docilité. — Le roi qui ne saisissait pas la tendance cachée de ces paroles, invita Lavin à l’obéissance. — Je vous avais bien dit que le roi y consentait, reprit à demi-voix le ministre. Serie II. Tom. XXIII. 38 295 DES ORIGINES FÉODALES ETC. On prétend que durant le trajet, afin de le priver de tout moyen d’évasion, on l’obligea à chausser des bottes dont les semelles étaient munies d’épaisses lames de plomb. Le procès suivit son cours; les deux criminels furent jugés par arrét du Sénat de Turin le 5 février 1765: telle est la substance de cette condamnation: « Sentenza nella causa del regio fisco contro il conte Carlo Maria Stortiglioni, del fu S. conte Gio. Steffano , della città d'Alessandria , abitante in questa, e Vincenzo Lavini, del fu Pietro, della città di Vercelli, già abitante nella presente, ed ultimamente in quella di Parigi, pronunziato maggiore d’anni 25 al tempo dell’infra espresso delitto; ambi ditenuti ed inquisiti: esso conte Stortiglioni della qualità di principal autore della fabbricazione e spendita dolosa di biglietti falsi ad imitazione di quelli di credito delle regie finanze, nelle tre spezie, cioè: una del capitale di L. 200 e le altre due del capitale di L. 100, colle rispetive date del 1.° gennaio 1750 e del 1.° aprile 1760, e per la somma di |. settanta mille e più, negli anni 1761 e 1762, in questa città. Ed inoltre il conte Stortiglioni d’aver fatto confingere in questa città, nella primavera dell’anno 1760, una scrittura colla data d’Alessandria e del 15 ottobre 1759, d’obligo del fu signor Paolo Maria Castellani Varzi della stessa città d'Alessandria per 300 zecchini, giliati effettivi, come essendo da lui imprestati e restituibili fra anni tre, allora prossimi, per esigere come abbia poi ingiustamente esatte col mezzo di detta falsa scrittura li sudetti 300 zecchini dal signor Lorenzo Castellani Varzi, figlio ed erede di detto signor Paolo Maria. Il Senato, unite le classi, udite le relazioni degli atti e visto il tenore delle regie patenti del 17 dicembre 1762 e delle altre del 20 dicembre ora scorso, ha pronunziato e pronunzia non esser luogo all’impunità per detto conte Carlo Maria Stortiglioni implorata, e doversi condannare come condanna il medesimo ad essere pubblicamente decapitato; doversi anche condannare come condanna il detto Vincenzo Lavini ad essere pub- blicamente appiccato per la gola, sino che l’anima sia separata dal corpo; l’uno e l’altro alla confisca dei beni, e solidariamente all’indennizzazione e spese. Torino li 5 febbraio 1765. — Caissotti p. p.; Craveri, relatore ». Le roi signa le lendemain des lettres patentes qui adoucissaient l’arrét precedent; le comte Stortiglioni et son complice furent condamnés à une detention perpétuelle, le premier dans les prisons, le second aux galères. PAR LÉON MENABREA 299 Lavini fut enfermé au chateau de Miolans la méme année de sa condamnation; plusieurs personnes distinguées, entre autres M."° la ba- ronne Du Noyer, adoucirent sa captivité, en lui procurant des crayons, des couleurs et des pinceaux, et donnant de cette facon un aliment è ses ins- tincts d’artiste. Lavini excellait dans le paysage; il le traitait ordinaire- ment à la plume. On a de lui une quantité de natures mortes, d’une imitation si parfaite que l’illusion résiste à l’épreuve des sens. Il signait infelicissimus Lavinius. Le vieux garde-forestier, qui résume actuellement toutes les dignités attachées naguère à l’antique résidence de Miolans, depuis celle de commandant jusqu’à celle de concierge , manque rarement de faire voir aux curieux la chambre de Lavini; cette chambre qui mesure environ 8 pieds de long sur 4 de large, est encore décorée d’une infinité de peintures. Je dois pourtant le dire, ces pein- tures, à l’exception de deux ou trois, accusent une main inhabile; les barbouilleurs qui se sont inspirés des ceuvres de l’artiste infortuné n’au- raient certes pas trop sujet de s’écrier comme Titien devant un tableau de Raphaél: anch'io son pittore. Ce que j'ai reconnu étre positivement de Lavini, c'est le reste d’une fresque encadrée dans un jeu de cartes, et représentant une ville avec ses remparts, coupoles, tours et clochers. Jai également remarqué une inscription qui pourrait bien lui appartenir; on sera peut-étre curieux de la lire : Si ces tortures et ces gaines Qui te pressent de toutes parts N’étaient quun effet des hazards, Affligé Je plaindrais tes peines: Mais si le bras de Dieu gouverne ta carrière, S'il compte tous tes pas, s'il guide ta lumière, Tu dois rire de tes douleurs; Que le ciel et la terre gronde Lorsque pour te braver L’enfer arme ses fureurs, Tu verras relever La Fleur qui se mire dans l’Onde. Ces vers sont très-mauvais et la Z/eur qui se mire dans l’Onde est une énigme, dont personne, hors le prisonnier, n’a eu la clef. Peut-étre 300 DES ORIGINES FÉODALES ETC. une vision fugitive lui est-elle apparue sur les bords riants de l’Isère , un rien apaise l’àme du captif, et le sauve du désespoir. Plusieurs personnes en Savoie possèdent des peintures et autres ouvrages de Lavin; il existe un baromètre emblématique (1), où l’on voit le temps. — Génie demandant au temps compte du temps. - Coq - Sablier - Serpent qui se mord la queue - Livre; puis le sonnet quelque peu baroque qu’on va lire: Le compte du temps. Le temps m’a demandé de ma vie le compte; Je lui ai répondu, le compte veut du temps, Car qui sans rendre compte a tant perdu de temps, Comment peut-il, sans temps, en rendre un sì grand compte? Le temps m’a refusé de differents à compte, En disant que mon compte a refusé le temps, Et que n’ayant pas fait mon compte dans le temps, Je veux en vain du temps pour bien rendre mon compte. O Dieu! quel compte peut nombrer un sì grand temps, Et quel temps peut suffire à faire un si grand compte! Vivant sans rendre compte, Jai négligé le temps; Hélas! pressé du temps et oppressé du compte, Je meurs et ne saurais rendre compte du temps, Puisque le temps perdu ne peut entrer en compte. Suivent des observations sur les variations du mercure , et au bas: « C'est peint et vernissé par l’infortuné Laving au chaàteau de Miolans, » l’an 1779, le 42° de son àge, le 17° de sa dure captivité. » Un autre travail représente Tiziano, et au bas sont tracés ces mots: « Dessiné avec de petites pailles, coupées à facon de plumes, par l’in- » fortuné R. V. L. enterré vif, enterré vif au fort de Miolans, l’an 1768 » (invitis custodibus). L’imperfection de cet ouvrage doit se rapporter, » en partie, au mauvais papier, à l’encre composée de charbon et au » defaut des instruments nécessaires, n’ayant le dessinateur que des pailles » pour plumes et des pinceaux faits avec ses cheveux, sans compas et » sans règle. Ainsi on ne saurait faire mieux. » De cette manière le malheureux dont nous nous occupons, abrégeait les heures et les années de sa detention; lorsqu’on s’identifie avec cette (1) Il appartient à M. Clert-Biron, de St-Pierre-d’Albigny. PAR LÉON MÉNABREA dor lugubre destinée, on trouve la mort préférable, car si la vie se prolonge dans de telles conditions, ce ne peut étre qu’aux dépens des facultés intellectuelles qui vont s’affaiblissant. Lavini dut tenter maintes fois d’étre traité avec moins de rigueur, mais nous ne savons jusqu’à quel point il y réussit; il paraît cependant que son sort fut toujours assez cruel; dans une lettre adressée au Gouverneur de la Savoie, le 8 aodt 1783 , M. de la Peysse, commandant de Miolans, s'’exprime ainsi: « Avant d’exécuter ce que V. E. a eu la bonté de me faire savoir » par sa lettre du 5 courant, à l’occasion du prisonnier Lavin , auquel » S. M. permet qu’on lui laisse prendre l’air dans l’enceinte du fort, » pendant quelques heures du jour, je prends la liberté de représenter » à V. E. qu’avec une garnison aussi faible et aussi délabrée qu’est » celle-ci, je ne pourrais répondre d’un prisonnier aussi insinuant et » aussi rusé qu’est celui-là, qui peut aisément corrompre l’invalide méme » que l’on luy donnerait pour le suivre, et je me verrais, malgré mon zèle » pour le service de S. M., exposé à perdre quarante quatre années de » service, et peut-étre quelque chose de plus pour un misérable qui ne » tient la vie que des bontés du Roy; d’ailleurs il a la chambre la plus » saine et la plus aérée du fort. » On voit que le Commandant de la Peysse n’était pas facile à émouvoir et qu'il tenait téte à des volontés supérieures; cependant les modestes voeux de Lavini devaient étre exaucés à la suite d’une plainte supréme dont voici la teneur: « Memoire adressé au roi par l’infortuné Lavini prisonnier au chateau » de Miolans. » Sil est vrai qu'il existe pour un homme un état pire que la mort, > » c'est celui d’un malheureux qui doué par la nature d'une sensibilité » extréme, après avoir traîné dans les fers les plus beaux jours de sa » vie, voit à chaque instant grossir le torrent d’amertumes dont elle est » abreuvée, et n’existe désormais que pour la douleur. Tourmenté par les » agitations du moment présent et par le souvenir amer des souffrances » passées, une vieillesse précoce, suite nécessaire d’un état si violent, » lui présente l’affreuse perspective d’un avenir encore plus affreux. « Tel est le sort de l’infortuné Lavini; forcé de vivre dans une nuit » profonde de désespoir et d’horreur, il se voit condamné à passer len- » tement par tous ces tourments avant d’arriver au terme fatal de son » supplice, et après peut-étre plus de 30 ou 4o années d’angoisses, de 302 DES ORIGINES FÉODALES ETC. = soupirs et de larmes, luttant contre la douleur et la mort, il ne restera plus à un étre si malheureux qu’un souffle de vie pour appeler la charité à son secours et l’appeler en vain. Mais si la tendre huma- nité peut réclamer ses droits, cet infortuné ose former un voeu pour l’accomplissement duquel le meilleur des rois, le plus doux des pères peut encore exercer sa clemence sans blesser la justice. « Convaincu depuis long-temps des dangers d’un monde perfide, se consolant de l’absence et de l’oubli méme des humains par la lecture et la meditation, la liberté n’a presque plus d’attraits pour un soli- taire qui voit chaque jour sa santé dépérir, et sera par là bientòt privé de la seule précieuse ressource qui lui reste de faire diversion à ses chagrins, en exercant innocemment les faibles talents dont l’abus lui attira la juste punition qu'il endure. Il ne demande pour toute gràce que l’agrément d’étre transféré dans le Piémont, dans une re- traite où il puisse respirer un air libre et moins vif. Le meilleur re- mède pour la maladie qui le mine est de se procurer, étant à la portée d’une ville, une nourriture conforme au régime qui lui est prescrit. » Puisque le ciel prospère à mes voeux vient de me susciter un protecteur généreux qui se charge de les porter au tròne, je sens re- naître dans mon coeur la douce espérance de les voir bientòt accom- plis. Le prince débonnaire qui daigna en des temps plus heureux m’accueillir avec bonté à ses pieds, et me combler de bienfaits, pour- rait-il repousser la voix gémissante d’un sujet conpable, à la véerité, mais qui a déjà expié sa faute par un plus grand nombre d’années qu'il n’en comptait au moment qu'il devint la victime de la séduction ?. .. .. et plus loin - La lugubre demeure de Lavini n’est qu’un sépulere d’où ila cessé de vivre sans jouir du repos qu’amène le trépas. Il est mort pour le siècle depuis bientòt 5 lustres; s’îl ouvre encore les yeux, ce n'est que pour verser des larmes qui arrosent le pain qui l’alimente; son coeur ne palpite que pour étre deéchiré par la douleur; s’il sonde son dame, ce n'est que pour étre penétré du plus amer repentir de sa faute Jef at etc. etc.» Enfin il termine par un voeu qui résume tacitement toutes ses espérances: Ze salut du prince. Ce mémoire, où l’on retrouve le langage ampoulé de la révolution francaise, ne laissait pas que d’étre attendrissant; la douleur était encore plus grande que la plainte. Il paraît que la réponse du roi ne se fit pas attendre ; le Gouverneur de la Savoie recut un billet royal où il est dit: PAR LÉON MENABREA 303 « Ayant déterminé par des motifs à nous connus de faire transférer » au chateau d’Ivrée le prisonnier Vincent Lavini, détenu dans celui de » Miolans, ensuite de ce qui a été prescrit par le billet du 11 juin 1765, » adressé au comte des Ollières pour lors commandant du duché de Savoie, » nous vous disons de donner en conséquence les dispositions conve- » nables pour que le susdit prisonnier, Vincent Lavini, soit traduit audit » chàteau avec toutes les précautions requises etc. etc. A la Vénerie, » le 2 juin 1786. V. Amé. » Lavini quitta Miolans peu de jours après (le 9 du méme mois), et fut interné au chateau d’Ivrée où il ne tarda pas à succomber. Avant de quitter la cellule où nous avons assisté aux longues souf- frances que je viens de décrire, je signalerai encore quelques inscriptions que J'ai retrouvées là et ailleurs; des vers arrétent d’abord mes yeux: Ce firmament qui sous ses voiles Cache des flambeaux si brillants, Et ces globes étincelants Où se promènent les étoiles, Fidèle, c'est pour toi, que ces belles lumières Eclairent l’univers et roulent leurs carrières; Quand tu voudras les acquérir Les tyrans * te feront la guerre; Ne crois pas mériter La gloire avant que de sonffrir; Il te faut imiter Ce roc que brise le tonnerre. Ailleurs on lit: Zes corbeaux passent au-dessus de nous. Plus loin: Sî labor terret merus invitet 1792. Puis encore: A BORTA RNI — hac liberet me rector olimpi dic lector queso mMox ma AIB 304 DES ORIGINES FÉODALES ETC. En pénetrant dans les souterrains, on arrive, de couloir en couloir, à l’entrée d'un cachot, qu’éclaire faiblement la fissure du rocher, dans les entrailles duquel le bon plaisir féodal a pensé de creuser un sépul- cre. On a quelquefois sans doute exagéré les cruautés des temps qu'on appelle barbares; mais le cachot que je décris ici ne se refuse à rien de ce que l’imagination la plus funèbre est capable d’enfanter; en remuant le sable humide de ce séjour du deésespoir on a retrouvé des ossements humains. Puisque Je suis à parler des cachots, je citerai une espèce de gehenne , ou caveau, dont on murait l’accès de telle manière que le patient ne recevait l’air et la nourriture que par une étroite barbacane. Pour ce qui est de ces puits garnis de pointes de fer où l’on preécipitait les condamnés, en les faisant marcher sur une fausse trappe, le peuple raconte cela de tous les chàteaux du monde; c'est l’éternelle légende des oubliettes. Parmi les prisonniers détenus au chàteau de Miolans, il en est en- core deux qui fixeront un moment notre attention; l’un se nommait de Songy, l’autre de Sade. On lit ce qui suit dans une note concernant le premier: « Noble Francois de Songy, baron de l’Allée, fut accusé de s’étre » introduit le 4 décembre 1770, sur les huit heures du soir, avec quatre » autres particuliers dans les prisons royales de Bonneville, dans le dessin » de procurer l’évasion de Benoît Baizelon, qui y était detenu pour » dettes; d’avoir à cet effet prétexté de lui rendre visite, et après avoir » bu et mangé dans lesdites prisons jusque sur les dix heures et demie » du soir, d’avoir fait revétir ledit Baizelon de l’habit et bourse à che- » veux d’un desdits particuliers, pour en imposer par ce déguisement » au concierge, et de lui avoir de cette facon procuré le moyen de » s’évader, comme effectivement il s’évada. « Ledit baron de l’Allée fut encore accusé d’étre allé la nuit du 26 » au 27 dudit mois de décembre sur les 11 heures et demie, enveloppé » d’une redingote, faire du bruit devant le corps-de-garde de Chéne, » et le soldat de Kalbermaten, Pierre Cone, qui était de garde , étant » sorti dudit corps-de-garde, et luy ayant demandé qui il était, d’avoir » ledit noble de Songy sorti une épée de dessous sa redingote, et en » avoir porté un coup audit Còne sous le teton droit, qui perea sa ban- » doulière et son habit, la pointe de l’épée s’étant arrétée sur le bou- » ton de cuivre que Còne avait à sa matelotte, après quoi noble de » Songy prit la fuite sur le territoire de Genève. » PAR LEON MÉNABRÉEA 305 Ce personnage avait, comme on le voit, la téte assez légère; il fut conduit à Miolans le 22 février 1772. M. de Launay qui était com- mandant de cette prison, accuse au Gouverneur de Chambéry réception du prisonnier en ces termes: « Je viens de recevoir, par ordre du Roy, joint è la lettre de S. E. » du 21 courant, M. de l’Allée de Songy, pour étre enfermé dans les » prisons de ce fort, et c'est sous l’escorte d’un brigadier et de quatre » dragons du régiment de S. Altesse. J'ai intimé, ensuite de votre lettre, » les ordres de S. E. au cantinier, lequel m’a répondu que, eu égard » à la grande cherté des vivres, il lui était impossible de nourrir ce » prisonnier pour un prix sì modique, étant un homme d’une très-forte » constitution, et auquel une paye de munition ne pourrait suffire pat » Jour, et qu'il se réglera volontiers à la paye des prisonniers d’Etat, » pour lesquels on me passe actuellement, outre les 10 sols par jour » fixés, ro livres d’augmentation par mois pour lit, blanchissage et barbe; » ce qui fait que je n’ai pu faire aucun prix fixe avec le cantinier. » Les portes de Miolans s’ouvrirent la méme année pour un homme, sur lequel le vice avait empreint de profonds stigmates, ou chez qui peut-étre il y eut autant de folie que de perversité (1). Le comte de Sade fut conduit à Miolans le 8 décembre 1772; son séjour dans ce donjon est assez accidente et se lie à celui de M. de l’Allée; je mets sous les yeux du lecteur ce que j'ai recueilli sur les incidents de son emprisonnement et de sa fuite; pour abréger, je me bornerai à des citations textuelles. — 1° Mémoire remis à S. E. le comte de la Marmora, ambassadeur du Roy è Paris, pour le faire tenir au comte de la Tour, commandant general du duché de Savoie: « La famille du comte et de la comtesse de Sade ayant appris la » deétention du comte de Sade au fort de Miolans, supplie S. E. M. le » comte de la Tour de vouloir bien donner des ordres pour que ce » gentilhomme y soit traité avec quelques égards, et qu'il lui soit procuré » tout le bien-étre possible qu’un homme de son état est dans le cas » de désirer, en tout ce qui ne pourra porter le moindre préjudice è » la sùreté de sa personne, ni faciliter son évasion, s'il voulait la tenter. (1) Le comte ou marquis de Sade a écrit plusieurs ouvrages d’une 1mmoralité repoussante; il est mort à Charenton. Serie II. Tom. XXIII. 39 306 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » » On desirerait aussi que son vrai nom ne fùt connu de personne que de S. E. M. le comte de la Tour. Sa malheureuse affaire, que des circonstances ont aggravée, ayant fait trop de bruit pour n’avoir pas inspiré des préventions ficheuses qu'il faut le temps d’affaiblir et de déetourner, c'est ce qui oblige à désirer qu'on ignore le lieu de sa retraite, et qu'il ne soit connu dans le fort que sous le nom de comte de Mazan quil a porté jusqu'ici. ..... ...-« L'on prie que les effets qu'il pourrait avoir avec lui, tant pour son utilité que pour son oc- cupation, nécessaire à un esprit aussi vif que le sien, lui soient remis, à l’exception de ses papiers, manuscrits, lettres, etc. etc., de quelque nature qu’ils puissent étre, que sa famille demande lui étre envoyés avec une petite boite ou coffret de bois, qu'on croit étre rouge, garni de cuivre, qui contient aussi des papiers. S'il l'a emporté avec lui dans le fort, l’on prie de tàcher de les ravoir sans qu'il puisse le prévoir et ne soustraire aucun des papiers qu'elle contient. Quant à la clé, si elle n°y est pas, on s’en passera. « Comme tous lesdits papiers n’intéressent que lui et sa famille, l’on désirerait que l’on voulùt les faire parvenir, sans étre visités, à M. l’am- bassadeur de Sardaigne sus-mentionné, qui aura la bonté de les re- mettre à sa famille. » — 2° Reponse de M. le comte de la Tour. « Le comte de la Tour a satisfait aux ordres de S. M. le Roy de Sardaigne, son maître, en faisant arréter et conduire au chateau de Miolans M. le comte de Sade. Il est certainement très-empressé de marquer à ses parents l’envie qu'il a de les obliger, ayant méme déjà prévenn leurs intentions dans la manière dont ils souhaitent que ce gen- tilhomme soit traité avec tous les égards dus è sa naissance, et les agrements qui peuvent adoucir l’amertume de sa situation. Il a donc chargé le commandant de ce chiteau d’engager M. le comte de Sade de déterminer lui-méme la manière dont il désirerait étre nourri et EDELEUEDAME St N Le méme commandant lui a donné une chambre et un cabinet è portée de son appartement, qui a été réparée contre les intempéries de la saison où nous sommes, mais en méme temps assurée contre toute tentative d’évasion. Un tapissier de Chambéry a fourni des lits, matelas, linge de table et de lit, des tables, chaises, et autres commodités qui ont paru nécessaires. Quoyqu'il aye etabli une sentinelle à sa porte, il luy laisse la liberté entière de PAR LÉON MÉNABRÉEA 307 passer quand il souhaite dans son appartement, et de se promener à son gré dans l’enceinte du donjon, avec la précaution cependant d’avoir toujours auprès de luy, pour lors, un bas officier qui le garde à vue. Son domestique est consigné è la garde de ce donjon et ne peut par conséquent sortir; il est défendu aux soldats de se charger d’aucune espèce de commission pour son maître et pour luy, que de lexprès consentement du commandant, qui ne permet pas à son prisonnier de recevoir ny d’écrire aucune lettre qu'il ne l’aye auparavant lue et cachetée luy-meme.......... ... + Lorsque M. de Sade fut arrété par le major de place de cette capitale, l’on ne trouva chez luy que quel- quesgihardesfdespeugde vale RR Son domestique, nommé Carteron, venant de Paris, parut à Chambéry deux jours après l’arrestation de son maître....... ; il se présenta de suite chez M. le comte de la Tour, qui luy permit d’aller vendre compte à son dit maître des commissions dont il était chargé pour luy, avec reserve de ne s’arréter à Miolans qu’une nuit, à quoy il obéit, puisque des le lendemain il vint luy demander un passeport pour aller jusqu'à Nice, par la route de la Provence, y prendre les coffres que le comte de Sade y avait laissés lorsqu’il y passa au com- mencement de l’automne, et les luy faire apporter............... Il ne convient nullement de laisser auprès de luy deux domestiques: ainsi dès que Carteron, qui doit étre préféré, sera de retour de Nice, son camarade, Armand, sera sur-le-champ congédié ...... AGOreto. ; Ce n'est pas que le comte de Sade ait été malade; l’on sait seulement que pendant qu'il a été à l’auberge de la Pomme d'or à Chambéry, et qu'il a habité depuis une maison de campagne, il est rarement sorti. L'on a debité qu'à son debut à Chambéry il avait une femme avec la i SERIO ei DIR. IR Les déepenses de sa nourriture et celles de son domestique à Miolans, y joint le loyer des meubles qui lui ont été fournis, vont à 282 L. par mois.» — 3° Lettre de M. de Launay, commandant de Miolans, au comte de la Tour, rt décembre 1772. (a ee Jai donné à ce prisonnier (M. de Sade) la méme chambre à feu qui fut occupée par feu M. le marquis de la Chambre, et un cabinet y contigu, pour son domestique . ........... Je fais fermer la première porte de son appartement, pendant la nuit, de manière qu'il ne pourrait s'évader que par la fenétre, dont je ne réponds pas. » 308 DES ORIGINES FÉODALES ETC. — 4° Du méme au méme, 28 décembre 1772. (St ..... Ensuite de la lettre du bureau d’Etat, jay jugé è propos de permettre audit M. le comte de Sade d’aller à la messe et » de se promener dans le bas fort, avec les précautions cy-après: 1° lors- » qu'il se promène dans le bas fort, la sentinelle avertit le sergent de » garde de le garder à vue, jusqu'à ce qu'il se retire; et Îorsqu'il se » promène dans le donjon, c'est la sentinelle qui le garde à vue, et l’on » tient toujours la porte de fer fermée, avec la sentinelle qui était autre- » fois à la barrière, et l’appartement où il reste est fermé à la clef pen- » dant la nuit. » — 5° Promesse du comte de Sade. « Je promets et donne ma parole d'honneur, qu’ayant été traduit » ce jourd’hui au fort de Miolans pour y étre détenu aux arréts, pro- » mettant d’exécuter tous les ordres qui me seront intimés de la part » de M. le commandant dudit fort, et de ne point enfreindre les défenses » par lui faites, de ne faire aucune tentative pour m'évader, et de ne point » passer la porte du donjon, ni permettre à mon domestique de le faire, » à moins que je n’en aye une permission spéciale, en foi de quoi je » me suis signé à Miolans le 9 décembre 1772, le marquis de Sade ». — 6° Du marquis de Sade au comte de la Tour, 31 décembre 1772. Il se plaint d’étre plus resserré dans sa prison que jamais. Cette lettre est accompagnée d’un mémoire où on lit: « Pour des raisons importantes » à la situation du marquis de Sade, il désirerait pouvoir se procurer » un certificat de M. le comte de la Tour, par lequel S. E. eù la bonté » de témoigner que ledit marquis de Sade, depuis le 27 octobre qu'il est » arrivé à Chambéry, jusqu'au 8 décembre qu'il a été conduit au fort » de Miolans, il a toujours eu une conduite irréprochable. » — 7 Lettre de M. de Launay au comte de la Tour, 8 janvier 1773. TI lui annonce que M. de Sade est dans une grande affliction, que sa santé se dérange, qu'il a des insomnies et qu'il faut lui envoyer un medecin. — 8° Lettre de M."° la marquise de Sade à M. de Launay, 1 jan- vier 1773. Elle se plaint que, non-seulement on n’exécute pas les ordres d’adou- cissement donnés pour son mari, mais qu'on manque aux égards et aux attentions qui lui sont dus à toutes sortes de titre. Elle menace le com- mandant de rendre compte à l’ambassadeur de sa conduite à ce. sujet. Signé Zaunay marquise de Sade. PAR LÉON MENABREA i 309 — g° Lettre de M. de Launay au comte de la Tour, è fevrier 1773. Le marquis de Sade l’a accablé d’injures, en prétendant qu'on ne lui laissait pas assez de liberté. « Votre Excellence verra par la lettre ci- » » ») jointe que j'ai l’honneur de lui adresser, les sentiments de reconnais- sance de M. le marquis de Sade à mon égard; j'ai sondé et fait exa- miner secrétement ce seigneur, je n’ai trouvé rien en luy de solide, et vois que toutes ses menées ne tendent qu'à pouvoir s'échapper; puisque, outre. les propositions qu'il m’avait faites, il a fait changer tout son argent de Piémont en argent de France, et qu'il s’informe sil ya un pont sur l’Isère, qui soit bien loin de la France, de facon que je ne puis pas répondre d’un prisonnier qui a la liberté dans le fort et qui peut escalader les murailles dans un instant, malgré toutes mes précautions et celles ...........(le reste est rongé). — 10. Lettre du marquis de Sade au comte de la Tour (sans date). “pl: .. « Péneétré de toutes vos bontés, je ne puis que vous en témoigner toute ma reconnaissance; il serait à désirer que M. de Launay voulùt les mettre à exécution; mais il est impossible de lui faire en- tendre qu'il faut qu’il sen rapporte à la lettre du ministre que V. E. lui manda, et il continue en conséquence, et contre ces mémes ordres du ministre, de me tenir ici très-resserré. Je vous demande instam- ment d’y mettre ordre; nous venons encore d’avoir avec ce comman- dant une crise violente dont le S." Ansart, témoin, pourra rendre compte à V. E. Je ne suis pas accoutumé qu'on me parle avec des F et des B, et cette manière de s'exprimer de M. de Launay m°’a porté à lui répondre un peu vivement. Je vous demande, en toute gràce, monsieur, de me mettre sous les ordres de M. le major, homme rempli de droiture et de politesse. Jose vous prévenir, monsieur, que c'est le moyen de prevenir à l’avenir quel (sic) esclandre ficheux: s’'il en coùte quelques frais pour ce changement, je suis prét à les payer; mais obtenez-moi cela, monsieur, je vous en conjure; soyez bien per- suadé, monsieur, qu'il y aura toujours un véritable danger à mettre un homme d’honneur, et qui a recu de l’éducation, sous les ordres de M. de Launay. Je suis avec respect de V. E. le très-humble et obéis- sant serviteur marquis de Sade. » La sevérité dont se plaignait M. de Sade avait quelques moments d’arrét, comme on le verra par ce qui suit; le brave commandant de Launay ne dormait pas sur des roses avec ce turbulent prisonnier d'un coté, et M. de l’Allée de l’autre. 310 DES ORIGINES FÉODALES ETC. — 11. Lettre de M. de Sade è M. de la Tour, 27 février 1773. Il avoue qu'il a joué au Pharaon avec M. de l'Allée. — « Le desoeuvre- » ment de la prison m’a fait Jouer, je l’avoue è V. E. Jai joué au Pha- » raon téte-à-téte avec M. le baron de l’Allée, et j'ai perdu 12 louis vigna. Bra. pasa Maintenant je ne puis cacher è V. E. que le méme » M. baron de VAllée a chambré mon domestique , jeune homme de fa- » mille et qui m'’est recommandé, et qui peut avoir du bien un jour, » et quiil lui a gagné au méme jeu cent louis d’or de France......» Il se plaint de ce que la fortune était avec trop d'acharnement du coté de M. de l’Allée. Il insinue que M. le commandant était instruit que l’on jouait et ne l’empéchait pas. M. de l'Allée ne manqua pas d’envoyer de son còté une réponse aux plaintes de M. de Sade; il s’ensuivit beaucoup de froideur entre ces deux messieurs; Je continue : — 12. Lettre de M. Ferrero de la Marmora è M. de la Tour. Paris, 1° mars 1773. « J'ai vu hier le ministre, M.le duc d’Aiguillon, à l’instance de qui » M. de Mazan (de Sade) est détenu; je lui ai fait lecture de la lettre » que M. de Launay, commandani du fort de Miolans, vous a écrite à » l’occasion de celle qu'il a recue de l’épouse de ce prisonnier....... ». M. de Launay est au-dessus de tout reproche ; il doit excuser la vi- » vacité d'une femme, mal informée et abusée par le crédit. que son » mari, qu'elle aime, conserve malheureusement sur son esprit. Il est » necessaire que l’on resserre plus que jamais M. de Sade; qu'on lu » retranche toute douceur, que toute communication au dehors lui soit » interdite; qu’on ne laisse pas surtout sa femme approcher de lui. » — 13. M”° de Sade à M. de la Tour. Barreau, 5 mars 1773. (E ARSA Je suis partie de Paris pour mes terres de Provence, » Jay pris la route de Grenoble, dans l’intention de voir mon mary; » mon devoir m’en imposait la loy, et mon coeur la necessite . ..... » Elle ajoute que, retenue à Barreau par un rhume violent, elle envoie un de ses amis à S. E. pour obtenir la grice qu'elle demande. — 14. M. Ferrero de la Marmora à M. de la Tour. Paris, 8 mars 1773. « Je fais affranchir aujourd’huy une lettre pour M. de Launay, qui » était restée à la poste, faute d’affranchissement; elle sera probablement » de M° de Sade; V. E. voudrait-elle bien en prévenir cet honnéte com- » mandant, et lui dire que s’il y trouve peut-étre une seconde saillie de PAR LÉON MÉNABREA 3II » la part de cette dame, il n'en fasse pas plus de cas qu’un homme » comme lui aurait dù faire de la première, et qu'il donne cela à la » situation vraiment à plaindre où elle se trouve. » — 15. M. de Launay è M. de la Tour, 12 mars 1773. « M. de l’Allée a joué avec le marquis de Sade et lui a gagné 12 » louis; on a joué à la bassette; M. Duclos a été partie au gain (ce » Duclos était lieutenant au bataillon des invalides de Miolans), on s'est » échauffg. — M. de Sade est un esprit très-léger, ce qui le rendra » toujours singulièrement à craindre, surtout tant qu'il sera lié avec » M. Duclos. — Loin de suivre mes conseils , il s'est toujours roidi contre Dirmone ste. | . Il a un jeune homme avec lui sous le nom de domestique, » qui est, à ce que je crois, le compagnon de ses debauches; ils font » méme courir le bruit qu'il est bàtard du duc de Bavière!...... on » attend l’autre domestique ....... MRS) Cette affaire de jeu paraît étre la méme, pour laquelle M. de Sade s’etait hate d’écrire au comte de la Tour; il avait marqué que la partie s'était faite en téte à téte avec M. de l’Allée, probablement afin que le S" Duclos ne fùt pas compromis: l’autorité de M. de Launay était assez peu respectée par ses subordonnés, à ce qu'il paraît. — 16. La marquise de Sade au bureau d’état interne, 18 mars 1773. « Dans le temps méme que je sollicite pour mon mari, on le res- » serre davantage; si mon approche est devenue un crime nouveau pour » lui, je suis bien à plaindre. Que dois-je penser de tant de rigueurs? » Qui peut les avoir occasionnées? J'attends, monsieur, que vous me fassiez » la gràce de m'en instruire; joignez-y celle d’appuyer auprès de votre » Roy la supplique que j'ai l’honneur de vous envoyer; c'est un hommage » que vous devez è l’innocence opprimée; je le réclame pour mon mari » et je l’attends des sentiments de votre coeur. » La marquise de Sade ecrivait bien mieux que son triste époux; la supplique dont elle parle commence ainsi: « Sire, « Une affaire malheureuse a force le marquis de Sade, mon mari, » de s'expatrier; il a cherché un asile dans vos états; il y était paisible, » lorsque des ordres supérieurs. l’ont prive de sa liberté, en le faisant » enfermer au fort de Miolans, où il est détenu depuis 4 mois. Mon » marì n'est donc pas assez malheureux d’étre flétri en France par un » arrét injuste, faut-il encore le punir doublement dans un pays où il 312 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » a rempli tous les devoirs qu’inspirent les lois divines et humaines? » V. M. a donné l’ordre de l’arréter parce que le ministre de France » requérait sa déetention. ........ » On peut se convaincre par ce qu'on vient de lire de tous les efforts qui furent mis en ceuvre par la marquise de Sade pour la délivrance de son mari; le commandant de Launay semble étre l’objet principal de ses ressentiments ; elle écrit derechef à M. de la Tour pour accuser ledit commandant de dureté envers son mari; elle le taxe, en outre, de ca- lomniateur pour des suppositions ou des révelations (difficiles è expliquer) sur la conduite de M. de Sade. Le 26 mars 1773 vient une lettre de Paris que M"° Masson de Launay-Montreuil, mère de la marquise de Sade, écrit au commandant de Launay: « J'apprends, Monsieur, dit-elle, que M. Du Clos, officier » de la garnison de Miolans, a encouru votre disgràce au sujet des ser- » vices rendus à mon gendre; je vous ferai observer, M. etc. etc. » Le commandant, éperdu au milieu de ces tracasseries, inquiet des menees de M. de Sade qui travaillait sourdement à son évasion, ne savait où donner de la téte. — 17. M. Ferrero de la Marmora à M. de la Tour. Paris 26 mars 1773 : « Jai regu successivement les deux lettres que V. E. m’a fait l'hon- » neur de m’écrire pour m’informer de l’arrivée de M"° la marquise de » Sade à Chambéry et des tentatives qu'elle a faites pour parvenir à » voir M. son époux à Miolans. Jai rendu compte à ce ministère, aussi » bien qu’aux personnes qui prennent un véritable intérét à ce qui les » regarde, et ils se sont montrés très-reconnaissants envers V. E. de ce » qu'elle a bien voulu les rendre inutiles par une conduite aussi remplie » de fermeté et de politesse, que celle dont elle a usé envers cette dame. » Ils espèrent, aussi bien que moi, qui partage avec eux ces sentiments, » que V. E. voudra bien tenir main aussi à l’exécution des derniers ordres » qu'elle me mande avoir recus de Turin à l’égard de ce prisonnier, et » qui sont relatifs aux prières que j'ai eu l’honneur de lui faire dans » mes précédentes à son sujet. Cela est non-seulement nécessaire à ses » vraîs intéréts, mais indispensable pour qu'il n’imnonde pas le public de » ses affreux dcrits, et de ses écrits et de ses memoires, qui ne font » qu’aggraver ses torts aux yeux des personnes raisonnables qui en ont » une exacte connaissance (M. de la Marmora ne veut pas méme qu'on » suppose qu'il a pu les lire). On vous prie surtout de vouloir bien PAR LÉON MENABNEA SILA >) contenir un nommé M. De Vanz Francois, habitant actuellement à w » Chambéry, qui sans vocation se porte pour son apologiste, et qui a » favorisé le debit de ses écrits et de ses lettres jusqu’au moment où » vous avez trouvé bon de l’arréter. » Voilà que le cormmandant de Launay se laisse toucher; il n’est plus sì soupconneux, si farouche; dans son honnétete il croit aux allures dou- cereuses et meélancoliques de son rusé prisonnier; pour un rien il en ferait un petit saint. — 18. M. de Launay à M. de la Tour, 1° avril 1773. « M. le marquis de Sade me montre tous les jours plus de con- mufiancée ria suo. ; il est inquiet et mélancolique de sa détention ..... o » le grand repentir qu'il ressent pourrait lui causer plus d’amendement » que plusieurs années de détention, qui au lien de lui faire changer de » conduite, pourraient davantage l’irriter ......» — 19. Du méme au méme, 9g avril 1773. « .....Je joins ici une lettre de. M. de Sade qui devient tous les » jours plus inquiet de sa détention, n’ayant aucune nouvelle avanta- » geuse, ce qui altere beaucoup sa santé ..... etc. » — 20. Du méme au méme, 16 avril 1773. « Sa nourriture, son domestique et tout ce qui est nécessaire dans » sa. chambre, se monte à 5 livres ra sols par jour, non compris » son linge, ses habillements, ses commissions è Chambéry; de méme » que bien des générosités et aumònes faites dans ce fort, se montent » à près de roo livres par mois ..... .. Je m'apercois qu'il ne dépense » que très-à-propos (le commandani avait le coup d’ceil juste)....... » Il s'est réeconcilié généreusement ‘avec M. de l’Allée, m’ayant prié de » ne point l’obliger à faire des excuses ........ » Le commandant de Launay touchait à la catastrophe dans le moment inéme qu'il se livrait è l’attendrissement; on l’avait si bien ébloui par des semblants de repentir qu'il croyait, de borme foi, n’avoir rien è re- donter ; le lecteur va voir comment ce digne homme ratonte cet événement. — 21. M. de Launay è M. de la Tour, 1% mai 1773. « V. E. verra par la ci-jointe que mes craintes n’ont pas été sans » fondement, et que M. le marquis de Sade, avec son domestique , se » sont évadés ce soir avec M. de l’Allée. Ils ont laissé toute la nuit leur » chandelle allumée dans leur chambre, ce qui a rassuré les sentinelles. » Jay fait visiter par tout le chteau, par où ils auraient pu passer, et Serie II. Tom, XXIII. 4o 314 DES ORIGINES FÉODALES ETC. je n’ay trouvé ni cordes, ni échelles, sinon la redingotie de M. de Sade dans les commodités de la chambre neuve où ils mangeaient, à portée de la cantine où il y a une fenétre d'un pied et un pouce de large et un pied et demi de hauteur, à la distance de plus de douze pieds; et c'est par là que je conjecture qu’ils sont sortis, et que j'ay encore trouvé le chapeau de M. le marquis dans les mémes commodites. « Il pourrait bien se faire qu'il ait été aidé du dehors par quelqu’un, et peut-étre encore par de l’argent, par quelque invalide, ou de quelque autre personne du fort. Jay fait enfoncer les portes de la chambre , et }'y ay trouve les deux lettres ci-jointes; ainsi V. E. et le ministre verrez qu'il n’est pas possible de tenir des personnes aux arréts dans ce fort, d’où l'on peut sortir de toutes parts, comme j'ai eu l’honneur de vous en prévenir cy-devant, quoique je ne laisserai pas d’en étre la victime. Je suis cependant encore heureux qu’ils n’aient pas pu parvenir à faire sortir les autres prisonniers, comme il serait facile lorsqu'il y a des prisonniers aux arréts, d’où il m’en pourrait coùter la vie, ce qu'ls auraient pu faire, s’il leur en était venu l’idée. » — 21. Lettre trouvée dans la chambre du marquis de Sade après son évasion, et adressée a M. de Launay, 30 avril 1773. « Monsieur, si quelque chose peut troubler la joie que j'ai de m°affran- chir de mes chaînes c'est la crainte où je suis de vous rendre respon- sable de mon évasion. Après toutes vos honnétetés et toutes vos poli- tesses, je ne puis vous cacher que cette pensée me trouble. Si mon attestation peut étre cependant de quelque poids vis-à-vis de vos supérieurs, Je les prie de la trouver icy dans la parole d’honneur authentigue que je leur donne, que bien loin de favoriser en rien cette fuite, vos soins vigilants l’oni retardée de plusieurs jours, et qu’en un mot je ne l’ai due qu’'è mes propres manceuvres. Vous étes d’ailleurs tout justifié par les attentions qu'on vous recommandait d’avoir pour moy. Naturellement porté d’adoucir le sort des malheureux qui sont dans votre chàteau, il était impossible d’allier avec l’honnéteté de ces procédés des attentions irop suspectes, qui ne pouvaient méme que déroger aux ordres que vous aviez recus à mon égard. Voilà, mon- sieur, les raisonnements dont vous pouvez tirer vos excuses, et je vous les garantis légitimes. Considérez d’autre part que je ne suis point un prisonnier d’état , et que ma famille qui seule m'a fait mettre ici, va donner tous ses soins à ce qu’il ne vous arrive rien. Vous vites PAR LÉON MEÉNABREA 315 l’empressement qu'elle montra au sujet de M. Ducloz et combien elle aurait été désespérée qu’un oflicier fùt sacrifié par rapport à moi. Cependant, par un excès de vivacité, auquel il ne sera peut-étre plus temps de remédier lorsque vous lirez cette lettre, vous courez risque de tout gàter et de rendre vos plus mortels ennemis ceux qui sans cela vont devenir vos plus puissants protecteurs ; je vais vous l’expliquer. Je profite pour m’évader d’un secours que ma femme m’envoie de mes terres; ce secours est composé de quinze hommes bien montés, bien armés, qui m’attendent au bas du chàteau, et qui tous sont déterminés à sacrifier leur vie, plutòt que de me laisser reprendre: vous voyez qu'il est inutile de compromettre votre garnison, et que méme tout autre secours extérieur ne saurait m’arréter. Si cependant il arrivait qu’apròs avoir massacré beaucoup de monde et en avoir fait écharper davan- tage, s'il arrivait, dis-jJe, que vous parvinssiez à me reprendre, ce ne serait, comme vous le croyez bien, que fort blessé, ou méme mort, car je défendrai ma liberté au peril de ma vie. Alors croyez-vous que mes parents vous auraient une grande obligation? Ils vous perdraient, soyez-en str. Quoi quil vous paraisse, ils m’aiment; j'ai une femme, des enfants, qui poursuivraient ma mort jusqu’'àè votre dernier soupir. Prenez le parti de la douceur ....... ; évitez l’eclàt..... ; ma belle- mere et M. le comte de la Tour qui recevront de mes nouvelles demain, seront convaincus que je ne tourne pas mes pas vers la France, ei que par consequent je remplis les vues de ceux qui désirent m’en tenir éloigné. Je ne venx que ma liberté, et n'ai que le désir de m’affranchir du joug insupportable des caprices d’une belle-mère qui devrait croire les barrières qui s’opposent à mon retour chez moy assez puissantes, sans chercher à m°en forger de nouvelles, et surtout du genre cruel de celles qu'elle se faisait un charme de choisir. « Il ne me reste plus, mon cher commandant, qu'à vous remercier de toutes vos bontés; j°y serai toute ma vie sensible ; je ne désire que des occasions de vous en convaincre; un jour viendra, je l’espère au moins, où il me sera permis de me livrer entièrement aux sentiments de reconnaissance que vous m’avez inspirés, et avec lesquels j'ai l’hon- neur d’étre votre très-humble et très-obéissant serviteur, le marquis de Sade. Miolans, ce vendredy 30 avril. P. S. « Je prie M" Dimier et Vellet de trouver icy. tous mes remerciments de leurs attentions et de leurs politesses; une fois libre, 316 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » mon premier soin sera de leur en témoigner toute ma reconnaissance » par des preuves non équivoques. » M. de l’Allée écrivit. de son còté au commandant de Launay; dans cette lettre il s'excuse de s’étre évadé, parle de sa reconnaissance ete. etc. Malgré ces belles protestations, M. de Launay dut perdre sa position de cette aventure; un procès fut instruit, et en 1774 il était remplace à Miolans par le Ch" de la Balme. Les deux fugitifs se rendirent à Genève. Voici encore deux ou trois lettres qui les concernent. — 22. M. de la Marmora à M. de la Tour, 14 mai 1773. « J'ai recu la lettre que V. E. m’a fait l’honneur de m'écrire le 7 » du courant, pour m’apprendre l'évasion du comte de Sade du fort de » Miolans, malgré la parole d’honneur qu'il avait donnée par écrit de » subir desormais tranquillement sa détention. Jen ai informe aussitòt » M®° de Montreuil qui, comme V. E. peut se l’imaginer, a appris cette » nouvelle avec une peine et un chagrin des plus vifs. Cette dame m'a » cependant dit qu'elle allait donner ordre à son correspondant à Genève » de faire payer les dettes légitimes que M. de Sade peut avoir faites » et laissées, tant dans le fort qu'à Chambéry. » — 23. M. le ministre Chiavarina è M. de la Tour, 21 mai 1779, Turin. . i « Le Roy a fait remettre è ce bureau les informations que V. E. a » transmises à celui d’Etat interne et qui ont été prises ensuite de l’évasion » de M. le marquis de Sade et de M. le baron de l’Allée, avec un do- » mestique dudit marquis nommé la Tour; et ensuite de l’examen qui » ena été fait ici, S. M. m’ordonne de dire à V. E. qu'elle fasse arréter » et mettre en prison le cantinier Joseph Jacquet, et qu'elle mande à » Chambéry M. le commandant de Launay, pour y garder les arréts, » jusqu'è ce qu'il en soit autrement ordonne. » Au milieu de ses tribulations M. de Launay recoit le 29 juillet une nou- velle lettre de la marquise de Sade. Elle s°y plaint de ce qu'on retient à Miolans les effets de son mari; elle accuse le commandant de procédés qui n’ont ni noblesse, ni bonne foi et qui ne font pas honneur è la nation: « Mon mari, dit-elle, est-il sujet de votre Roy pour étre vexé comme » il l'est par votre ministère? » Nous ne suivrons pas plus loin le marquis de Sade. Quant è -M. de Songy, baron de l’Allée, il fut arrété à Paris et ramené à Miolans dans l’été de 1774. Il en sortit le 17 mars 1778, ensuite d’un billet royal PAR LÉON MÉNABRÉA 3I 7 du roi V. Amédée, adressé à M. de la Tour; ce billet fat accordé à la sollicitation de noble Louise de Carpinel, veuve de Songy et mère du prisonnier ; ce dernier était natif d’Annecy. De nouveaux mefaits ; de nouvelles folies, le conduisirent une troisième fois à: Miolans en 1786; treize ans s'étaient passés depuis sa première detention; M. de VAllée était marié, mais il n’avait pas change. Nous retrouvons le vrai coupable: dans cette affaire d’évasion. Joseph Violon, d’Ermieux (S'-Gervais en Dauphiné), dans une requéte au roi V. Ameédée expose, qu’ayant été accuse et juge cowpable d’avoiv favorisé l’evasion du fort de Miolans de deux prisonniers, le marquis de. Sade et le baron de l’Allée de Songy, il a été condamné, après trois mois de prison, à un bannissement perpetuel des états de S. M. par sentence economique du 24 juillet 1975........ Il doit recueilliv les débris:d’ume succession ....... Il demande sa gràce (1). Je n’abuserai pas plus long-temps de l’attention du lecieur en lui faisant respirer avec moi l’air délétère des prisons, et m’arrétant aux épisodes de chaque captif; plusieurs ne seraient. pas sans intérét: woici encore le nom de quelques-uns de cenx qui furent détenus dans Miolans, depuis 1773 jusqu’en 1790: D'Adda, capitaine des invalides, Philippé, lieutenant des postes, Bonjeannis, l’abbé Poys, Guillot, Caffe, Cordé de Vonz, chevalier Avogadro, de Rochette, de Salagine, chevalier Tarin, l’abbé Marin, Barberis de Macerano, Dubouchet de Foray, Mouthon, cha- noine Mollot, Durand curé, de Gargon, du Col, Picolet officier, Rabo, 4 officiers de Savoie, un de Sardaigne, ainsi que MM. de S'-André, de Ballon, de Mouxi, de Tours, de Rochette, Gonin officier de Saluces, Couturier, MM. Rambert, Davallon etc. ete. Je n'ai pas encore tout è fait achevé mes pérégrinations dans f'inté- rieur du chiteau de Miolans; le lecteur qui aura la patience de m’ac- compagner remarquera que les portes ogives qui se lient à la masse pri- mordiale de l’édifice, sont invariablement composées de trois blocs, et que le bloc du milieu est d’ordinaire chargé d’un écusson. Si les historiens ne nous avaient conservé les armoiries de la maison de Miolans, nous les retrouverios là: bande or et gueule, de six pièces, avec la devise: Force m'est (2); pourtant ces ‘armoiries ne constituent point l’unique (1) Documents; Archives du chàteau de Chambéry. (2) Guichenon, pr., p. 184; Agostino della Chiesa, Fiori di blasoneria per ornar la corona di Savoia. Catalogue des chevaliers de l’ordre de Savoie, par Frangois Capré. 318 DES ORIGINES FÉODALES blason des ecussons dont je parle; on y trouve en outre aux deuxième et troisiéme quartiers celles de la famille de Montmayeur, de gueule è une aigle d’argent membrée d'azur; on peut en tirer la conséquence, que ce ne fut qu’après que le fief de Montmayeur fut dévolu aux sires de Miolans que ces grands feudataires élevèrent l’immense castel dont les ruines offreni au philologue et à l’artiste un si beau sujet d’études. Quand, tout à l’heure, je parlais des armoiries du chàteau de Miolans, jai oublié de citer une inscription singulière que j'ai découverte, proche de l’entrée principale du vieux manoir, en dehors de la muraille d’en- ceinte et parfaitement intacte. Cette inscription est composée de neuf lettres qui dans leurs formes se rattachent au type du XII siècle, sans pourlant que l’on puisse dire qu’elles appartiennent à l’écriture usitée alors: deux symboles, l’un ayant la figure d’un écusson triangulaire avec des filets posés en fasce et en chevron, l’autre représentant une espèce d’échiquier surmonté d’une croix et orné d’accessoires de moindre im- portance, couronnent ces mystérieux caractères. Il est possible que l’inscription dont il s'agit ne soit que le résultat d’une idée bizarre, comme était le VALER de Ferdinand IV, roi de Castille, le GLOVIS de Julien de Medicis, le chiffre XVII d’Elisabeth de Gonzague etc. etc. Après avoir gravi la tour du donjon, è laquelle on arrive par 107 marches, et celle de S'- Pierre, où l’on enfermait les jeunes gens non nobles, si vous aventurez vos pas sur le bord du mur è demi ruiné qui s’élève au penchant de l’abime, évitez de jeter les yeux à droite et à gauche, car l’eblowissement vous saisirait : lorsque ce passage dangereux est franchi, contemplez ces montagnes majestueuses qui s’élèvent successivement , et dont les cimes dentelées sont parfois couronnées de nuages fantastiques. Là tous les souvenirs des siècles passés, avec leur cortége d’histoires hé- roiques ou sombres, semblent défiler devant vous en phalange serrée; le regard se perd au loin dans l’espace, et devant cet horizon grandiose l’àme remonte à Dieu. En rentrant dans l’édifice on peut encore admirer la chapelle dont l’architecture a de belles proportions, puis on arrive à la salle d’armes maintenant veuve de ses trophées; enfin on traverse des décombres et l’on se trouve à l’ombre des formidables ailes d’une cheminée qui rap- pelle l’appetit des héros du moyen dge. Cette cheminée, aux gigantesques proportions, couvre de son manteau tout une usine culinaire, four, étuye, PAR LÉON MÉNABRÉA 319 potager, charbonnière etc. etc.; là sur de lourdes tables de chéne , les veneurs entassaient jadis les bouquetins, chevreuils, cerfs, daims, san- gliers, chamois; les fauconniers étalaient le faisan aux nuances métalli- ques, la perdrix becquée de rouge, l’albine au plumage blanc et le peuple varié des menus oiseaux. Le gàteau de Savoie, dont l’invention est due au cuisinier du Comte Vert, s’élaborait moins bruyamment au coin de l’office: quand on lit chez les ehroniqueurs la relation des fétes de nos aieux, on croirait que leurs estomacs avaient des proportions héroi- ques; mais les fétes comme les batailles, le cri de triomphe et le cri de douleur ont disparu: une brise légère et froide murmure constam- ment dans ces lieux désolés; de hautes herbes croissent dans les cours; des manteaux de lierre couvrent les parapets crénelés qui bordent_les terrasses; sur les corniches des fenétres se balancent des graminées aux fleurs jaunes, ou de fréles arbustes dont la graine y a été apportée par le vent. Là où retentissaient autrefois les lances des hommes d’armes, le hennissement des destriers, on n’entend plus que le bourdonnement de quelques abeilles qui butinent sur des touffes de mauves, ou la voix glapissante des oiseaux de proie. sio fia s30n lati dh so SE lara ein ri pier e vs u Lal sasbr A pda nato va beni SUUC tds saiaig itssudnd Lon leohiBa Rubrbabioinio ni ol ‘ez’ RITA e DS dv adito hl fé snteudan asia #0 a ceirnoB0* legni #0 baz sic y Iboinzalisa: n N” è ij o {a Î si na iparni eay duablareo tane Mar ceti lane ate Me NT ì LIM ch "WES: PPT ì a i p' E ha a i Mart TLNITN TRANBE SITA LIT TTO TI Le E); uo na RL è DI d 1 È I nasa. ie varea Tal (PI ail Mieli recai. pia UT LIO tà n. Ù hd fage Ù Ì ELLI a st vi é Ta l1 Ù * ' ila Um a Ù #7; vat 4 A D RETO % srt putin da ata tI. Ù fi fa pente] io | AR) INDI { i { TR UV. 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A ‘ TABLE DES MATIERES LIVRE DEUXIEME CHAPITRE 1. — Comtes de Genève; ils se disent issus d’Olivier, fils de Reniers. - Origine moins fictive de ces seigneurs. - Généalogie de Guichenon. - Ratbert. - Gérold figure au nombre des seigneurs qui résistent à l’autorité de l’empereur Conrad; celui-ci met la puissance entre les mains des évèques. - Aymon, premier comte de Genève dont la vie se dessine un peu clairement. - Itta, sa femme, fille du seigneur de Glane. - Possessions de ces comtes, leurs luttes avec les évèques. - Les mariages les enrichissent. - Leur importance; officiers de leur maison. - Familles illustres soumises à leur juri- diction. - Les seigneurs de Ternier. - Attributions des vicomtes. - Les sires de Ternier relevaient des comtes et des évéques de Genève. - Dicton populaire. - Diplòme de 1470. - Charte du XII siècle, série de documents. - Ramus. - Pierre retenu prisonnier par l’éveque de Genève. - Prétentions d’Amé V sur la ville épiscopale. - Girard de Termer. - Seigneuries de Viry. - Salenove. - Montfort. - Chàtillon Larringe. - Confignon. - Com- pesières. - Chenex. - Bardonnex. - Du Bois. - Rougemont. - Lancy. - Arcine. - Collonges. - Arlod. - Marval. - Peney. - Gex. - Corbières. - Sacconex. - Fernex. - Livron. - Divonne. - Graillé. - Burdigny. - Sergy. - Versonnay ........... LA SI pag. CHAPITRE II. — Combats acharnés entre les comtes de Genève, les comtes de Savoie, les sires de Faucigny et les Dauphins de Vienne. - Seigneurs de Langin. - Gérold est au nombre des bienfaiteurs de l’abbaye de Vallon. - Amaldéric. - Sires de Ballaison. - Cervene. - Lullier. - Villette. - Etrambières. - Troches. - Gaillard. - Monthoux. - Lullin. - Fernex. - Cholex. - Montforcheys. - Hermance. - Nernier. - lvoire et plusieurs autres. - Ville de la Roche. - Sires de Soirier. - Les Compeys, seigneurs illustres toujours mélés aux événements importants des époques où ils vivaient. - Leur puissance. - Curieuse transaction. - Les sires de Sales. - Ancètres du grand Saint. - Ils se vantent de tirer origine des prètres Saliens. - Leur cri de guerre. - Prétentions erronées. - Vidomnat et seigneurie. - La maison de Sales feudataire de Compey. - Son ancienneté et son développement. » CHAPITRE HI. — Famille de Clermont, Humbert, Aymard. - Ville d’Annecy. - On fait remonter sa fondation à une colonie d’Egyptiens. - Elle appartenait aux rois de Bourgogne au commencement du XI siècle. - Son développement durant le régime féodal. - Son chàteau. - Lessires de Menthon; Thomas; son testament; quatorze églises ont part à ses libéralités. - Ses descendants. - lls se divisent en quatre branches qui, elles-mèmes, se subdivisent en plusieurs autres. - Les seigneurs de Buing. - Rodolphe vend le chàteau de ce nom aux comtes de Genève. - Les.sires de Charveroche. - Pontverre. -. Foras. - Allinge; vastes possessions de ces derniers. - Nouveaux détails sur les sires de Chissé; Rodolphe, archevèque de Tarantaise périt viciime d’un affreux complot. - Vidomnat de Rumilly. - Porterie de Rumilly. - Vidomnat de Chaumont. - Id. de Genève. - Sires de Cruseilles. - Le bourg d’Alby, ses chàteaux et seigneurs. - Familles de Mont Vagnard. - Hauteville. - Les Clefs. - Sionnaz. - Mionaz. - Perly. - Lully. - Des Forets. - De Folliex. - Menthonex: - Pelly. - Du Wuache. - Copponex. - Charansonnex. - Choisy. - Dingy. - Serraval. - Alex. - Graisy. - Mouxi........... LIRA » CHAPITRE IV. — Evéque de Genève. - Hypothèses. - Contestations. - Ces prélats ont droit de seigneurie et de justice sur la ville. - Humbert. - Ardutius. - Hommages des comtes; coup hardi de ces derniers. - Sentence de l’empereur Frédéric. - Les que- relles renaissent. - Nantelin. - Arbitrage. - Ambition des princes de Savoie. - Pacte avec les bourgeois. - Guillaume de Duing, évèque. - Monitoires. - Excommunication. - Convention de 1290. - Vidomnes de Genève. - Leurs attributions. - Émoluments. - Procédures. - Le Vidomnat passe tour à tour des évèques aux comtes. - Pierre de Con- fignon. - Les princes de Savoie maitres de la ville de Genève. - Entreprises progressives sur la puissance temporelle du clergé. - Vidomnats inféodés à différentes familles. - Droit de battre monnaie, conféré exclusivement aux évéques. - Il est ensuite accordé aux comtes. - Pays de Gex. - Léonette. - Hommage è Béatrix de Faucigny. - Simon de Joinville. - Pays de Gavot. - St-Maurice-d’Agaune. - Chàteau de Vevey. - Ducs de Chablais. - Aymon. - Pierre. - Familles illustres suzeraines. - Leurs noms, titres, tours CQIChaA(eaUX GPL OSESITES KA EBIOLAy}r ISIS SLI REI » Serie II. Tom, XXIII, OM 25 2 CHAPITRE V. — Seigneurs de Faucigny. - Guy, évéque de Genève. - Ermerard, tige de cette maison. - Le bienheureux Ponce. - Ordre de progéniture. - Celle seigneurie passe aux Dauphins de Vienne. - Branches collatérales. - Sires de Lucinge et de Thoire. - Étendue du tervitoire. - Ville de Cluses, capitale. - Charge de sénéchal. - Fiefs soumis à cette suzeraineté. - Les Alamands. - Les sires de La Tour, de Bardonnéche et autres dignes d’ètre mentionnés. - Enchevètrement des possessions respectives; guerres qui en résultent. - Haut et bas Valais. - Circonscriplions. - Évéques de Sion. - Hugues obtient la dignité de comte. - Légende de St-Théodule. - La maison de Savoie s'agrandit. - Evéque Landric entaché de simonie. - Droit de régale odieux aux prélats. - Ils tentent de sy soustraire. - Hommages réciproques. - Officiers, baillis, sénéchaux, majors. - Analogie - Abbaye de St-Maurice. - Martigny. - Tour de St-Branchier. - Val de Bagne et celui d’Eniremont. - Redevances. - Chàteaux de Saillon, de Saxon et autres. - Ville de Sion. - Tours, domaines de plusieurs familles importantes. - Barons de la Tour. - Seigneuries situées sur la rive droite du Rhòne et en amont, vers les sources de ce fleuve. pag. 83 CHAPITRE VI. — Bresse et Bugey. - Régions distinctes. - Subdivision géographique. - Sires de Baugé; leur manoir. - Erreur de Guichenon. - Opinion des Bénédictins. - Dès le XI siècle ces seigneurs guerroyent contre leurs voisins. - Reynold; ses lettres à Louis-le-Jeune. - Sibille épouse le valeureux Amé V, comte de Savoie. - Sires de Coligny. - Leurs principales terres. - Ancien chateau de Lagneux. - Sires de la Baume. - Chàteau de Montfort. - Avidité des Dauphins. - Maison de Beaujeu, son antiquité. - Humbert 1II; ses moeurs déréglées. - Vision terrible. - Richesses des seigneurs. - Désignation de quelques-uns des principaux feudataires de la Bresse. - Les sires de la Palu. - Corsant. - Coucy. - Feillens. - Garrevod. - Mareschal. - Saix. - Varax. - Sires de Thoire; ils habitaient une forteresse sur les bords de l’Ain. - Tour de Matefelon. - Sires de la Balme. - Les sept fils de Hugues partagent sa succession. - Seigneurs de Chàtillon. - Luyrieux. - Rossillon. - Groiée et autres. - Domaine des comtes de Savoie dans le Bugey. - Chateau de Varey. - Evéques de Belley. - Petit Bugey. - Chautagne. - Manoir de Chatillon et de Chàteaufort. - Testament de la comtesse Béatrix. - Sires de Montbel. - Chevelu. - Gerbaix. - Bourg de Seyssel. - Famille de ce nom. - Ville d’Aix, résidence royale. - Sires d’Aix. - Humbert de Seyssel..... SIAVATEINE STATA SISSI ia » 102 CHAPITRE VII. Comitatus Savogiensis. - Ses limites. - Terre de Montfalcon. - Chambéry. - Prieuré de Lémens. - Sires de Chambéry. - Witfred. - Gauthier. - Aymo Clericus. - Le chàteau de Charbonnière, propriété de ces seigneurs. - Chartes. - Berlion cède la ville de Chambéry au comte Thomas; le chàteau reste enire les mains du premier. - Il devient plus tard la propriété du comte Amé V qui le fait rebàtir. - Fiefs de la Ravoire, de Challes et de Chignin. - Apremont. - Les Marches. - Citadelle de Montmélian. - Le Crét. - Bourg et chateau de la Rochette. - Seigneurs de ce nom. - Aventure de Guillaume de Montferrat. - Yours de Montmajeur. - Armoiries. - Gaspard. - Possessions de ces seigneurs. - Sombre histoire. - Chàteauneuf. - Sires de Miolans. - Leur devise. (Voir à la fin de cet ouvrage). - Vallée des Bauges. - Graisy. - Tournon. - Chevron. - Le pape Nicolas II. - Ville et chateau de Conflans. - Vallée de la Maurienne. - Aiguebelle. - Sires de Ia Chambre. - Vicomté de Maurienne. - ‘Îransaction. - Loys de la Chambre. - Évéques de Maurienne. - Fiefs divers. ............. LA ddOE SAS RIA 6) CHAPITRE VIMI. — Bourg d’Ugine. - Seigneurs de Faverges. - Giez. -. Beaufort. - Tarantaise. - Sires du Verger, de Tours et autres. - Briancon. - Seigneurs redoutables. - Humbert II parvient à les chàtier. - Vicomté de Tarantaise. - Guigues II et deux de ses fils meurent en Terre Sainte. - Guet-à-pens. - Collisions. - Hommages. - Vastes domaines de ces seigneurs. - Ville de Moutiers. - Bourg de Salins. - Juridiction des comtes de Savoie. - Fief de la Saulce. - Bozel. - St-Jacques-l’Assyrien. - Légende. - Archevèques de Tarantaise. - Détroit du Ciel. - Centron. - Sires de Villette. - Thibaud. - Humbert, vidomne. - Aime, l’Arima des romains. - Scex. - Tombeau d’un sire de Val-d'Isère. - Cité d'Aoste. - Ses antiquités. - Légendaires. - Enceinte de cette ville. - Evèques d'Aoste. - Leur puissance. - Forteresse mixte. - Droits de l’évèque. - Vicomté. - Portes. - Sections. - Sires de la Tourneuve. - Du Pertuis. - Comtes de Challant. - Sires de Quart, de Vallaise. - Chateau de Bard. - Chateau de Montjovet. - Hugues; son caracière indomptable, sa ruine. - Famille de Pont-St-Martin et autres. - Tour de Verres. Seigneuries diverses. - Chateau d’Aimaville. - Fiefs situés le long de la Doire. - Catégories. - Priviléges. - Supériorité de la maison de Savoie dans la vallée d’Aoste......... INA97 CHAPITRE IX. — Dauphiné. - Petite rivière d'Oron. - Comté de Vienne donné aux archevèques. - Chateau de Pupet. - Prétentions des comtes de Bourgogne. - Diplòmes. - Possessions des comtes de Savoie. - Les sires de Beauvoir. - Septème. - Feudataires de la maison de Savoie. - Sires de la Tour-du-Pin. - Berlion. - Albert. - Chateaux. - Origines des Dauphins. - Guigues-le-Vieux. - Il bat en brèche la puissance temporello des évèques. - Il entre à l’abbaye de Cluny. - Sa mort. - Son fils est le dernier male de la race des comtes d’Albon. - Provenance de ce titre. - Béatrix. - Lignée de cette princesse. - Guigues VII. - Son fils Jean meurt en bas age. - Anne, sceur et unique héritière de ce dernier, épouse Humbert de la Tour-du-Pin. - Le Dauphiné est cédé aux aînés de France. - Puissance des Dauphins. - Évèques de Grenoble. - Diplòome de 1178. - Chateau de St-Donat. - Juridiction indivise. - Officiers épiscopaux. - Prétentions des Dauphins sur le comté de Vienne. - Attaques incessantes contre les évèques. - Résistance. - Luttes sanglantes. - Juridictions respectives. - Archevéques de Vienne, abbés de St-Bernard de Romans. - Les Dauphins envahissent, en ce lieu, la moitié de la jJuridiction isouveraine .........- age DAGO DOLO AU o dg dI oe pag. CHAPITRE X. — Évéques de Gap et d’Embrun. - Comtes de Forcalquier. - Comtes de Provence. - Guillaume expulse les Sarrasins. - Ses descendants. - Tige des comtes de Die. - L'empereur Conrad octroie à l’archevéque Willelme la plénitude des droits régaliens sur la cité d’Embrun. - Prérogatives nouvelles. - La puissance de ces prélats est cependant limitée par les comtes de Forcalquier. - Les Dauphins prennent la quali- fication de comtes de Gap et d'Embrun. - Ils se déclarent vassaux de la chaire métro- politaine. - Traités. - Diplòmes impériaux en faveur des évèques de Gap. - Les Dauphins fomentent contre ces derniers l’esprit de révolte. - Ils se font céder par les habitants de la ville ce qu'on nommait le consulat. - Concordat. - Ses bases. - Possessions des évèques hors de Gap. - Vallée de Briancon, ‘attribuge par le roi Guntramn au siégge épiscopal de Maurienne. - Village de Rame. - Principauté du Brianconnais. - Elle fait partie du domaine. - Les habitants obtiennent d’amples priviléges. - Famille de Bar- donnèche. - Généalogie de ces seigneurs. - Familles du Viennois et du Graisivaudan. - Sires de Sassenage. - Bérenger. - Clermont. - Rossillon et autres. - Sires de Bocsozel. - Seigneurs de Maubec. - Enumération des principales races féodales du Viennois... » CHAPITRE XI. — Suite des familles illustres du Dauphiné. - Sires d’Hostung. - Rancurel. - St-Quentin et autres races historiques. - Tige des Alamands. - Plusieurs branches en dérivent. - Les Aynards. - Guigues, fils de Ponce, se rend en Lombardie près de l’empereur Barberousse. - Il va mourir à Exilles. - Juridictions diverses depuis Grenoble jusqu’aux frontières de la Savoie. - Le Graisivaudan; seigneuries qui s’y trouvent. - Sires de Beaumont, leurs chàteaux. - Petrus de Toveto. - Possessions des sires de Briancon, non encore mentionnées. - Ayméric. - Droits des comtes de Genève en Grai- sivaudan. - Bourg et chàteau de Césanne. - Seigneuries en decà des Alpes. - Rame. - 158 170 IBErOACA MN RMONESHErSCICHI- UDITE TA CRMIO LOL tI PINI) e ITA IR No » 188 CHAPITRE XII. — Barons de Meuillon. - Leurs chàteaux. - Leurs feudataires. - Barons de Montauban, vassaux des comtes de Forcalquier, puis des comtes de Provence. - En 1257 ils deviennent hommes liges des Dauphins. - Ce qu'on appelait le Domaine utile des Dauphins. - Division des états delphinaux. - ChAteaux de ces princes dans le Viennois. - Baillages. - Chatellenies. - Baillage du Viennois. - Terre de la Tour. - Chàteaux qui s'y trouvaient. - Possessions des Dauphins en Graisivaudan, en Embrunois, en Gapencois. - Baillage de Faucigny. - Vassaux illustres à l’étranger. - Les Dauphins sont à leur tour vassaux des empereurs d’Allemagne, hommes liges des rois de France. - Placés sous la mouvance de plusieurs évèques. - Sonmis aux comtes de Savoie et de Genève, à raison de certaines terres. - Dignités des Dauphins .............-0..... » 199 CHAPITRE XII. — Évéques de Valence et de Die. - Bulles de 1187 et de 1238. - Les habitants de Valence veulent se’ soustraire à la juridiction ecclésiastique. - Pos- sessions des évèques de Die. - Luttes. - Exactions. - Comtes de Die. - Guillaume. - Il afflige l’église de mille maux. - Lettre du pape Hildebrand. - Isard. - Alix. - Comtes de Valentinois. - Leur lignée se rattache à Guillaume-le-Grand, comte de Poitiers. - Tradition. - Contestations avec l’évéque Robert. - Adhémar. - ll devient le fléau de la religion. - Maître du chàteau de Quint, il répand la terreur aux alentours. - Sa déloyauté. - Ses descendants. - Comtes de Valeace et de Die. - Les Adhémar. - Les Artauds ou Isoards. - Comtes de Provence. - Notions purement nécessaires. - Marquisat de Provence. - Évéques de Vaison, de Sisteron et de Digne. - Curieuse enquòte dressée en 1211... » 205 CHAPITRE XIV. — frope suppLéMeNnTAIRE. — Chateau de Miolans. - Sa position. - Nombre des familles nobles de la Savoie. - Vasselage. - St-Bernard de Menthon et Mar- 324 guerite de Miolans. - Étymologie. - Le elergé civilisateur. - Nantelme de Miolans. - Il fonde une église et un couvent à Bellevaux. - Comment les établissements religieux deviennent des seigneuries. - Infractum banni. - Lex de forisfacto. - Duel judiciaire. - Jurisprudence des codes barbares. - Guy de Miolans. - Procès-verbal d'une audience solennelle du Comte Vert - Lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - Seconde croisade. - As- semblée de Vezelai. - Feudataires qui y interviennent. - Le pape Eugène IV. - Il vient à Turin auprès du comte Amé Ill. - Ils se transportent à Suse. - L’empereur Conrad - prend la croix. - Le comte Amé IH figure au premier rang des croisés. - Liste des principaux seigneurs qui forment sa suite. - Geoffroy de Miolans. - Forces du comte Amé III. - Lances, hommes d’armes, archers, arbalétriers, fans de pied etc. - Départ. - Situation des croisés. - Ils se divisent. - Conférence. - Siége de Damas. - Les croisés se retirent. - Enormes dépenses. - Retour désastreux. - Saintes épines ........... pag. CHAPITRE XV. — érupe suppeLémentAIrRE. — Nouvelle lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - Difficulté qu'on trouve à recueillir des documents authentiques. - Fréquence des mèmes prénoms dans la série des individus. - Nantelme, nom favori des sires de Miolans. - Emploi des noms propres, significatif. - Diversité des races dans notre pays. - La Savoie a moins souffert des invasions étrangères que les contrées limi- trophes. - Nomenclature de divers noms qui révèlent les origines. - Modifications durant la période féodale. - Le calendrier romain l’emporte sur les dénominations germaniques. - Nantelme II. - St-Bruno. - Grande-Chartreuse. - Le comte Humbert Ill fonde la chartreuse d’Aillon dans les Bauges. - Détails intéressants. - Gauthier de Miolans prend l’habit religieux. - Nouvelle générosité du comte Humbert. - Don fait par Nantelme de Miolans et sa famille. - Sires de la Ravoire. - Druèle ou druerie. - Sires d’Apremont. - Race de Varax. - Ponce de Conflans. - Guiffred de Miolans. - Le comte Humbert fait encore une donation à l’abbaye d’Aillon. - Il meurt peu après. - Charte du mois de juin 1139. - Contestations. - Mauvais vassal, Willelme de Maynier. - Pitances, pitaneie. - Le 217 droit de protection sur la chartreuse d’Aillon appartenait aux seigneurs de Miolans.. » 242 CHAPITRE XVI. — £rupe suppLémenTAIRRE. — Le comte Thomas. - Erreur de quelques historiens. - Vie active des seigneurs à cette époque. - Les princes de Savoie en voyage. - Nantelme de Miolans. - Hommes d’armes, écuyers etc. - Titre de l’an 1196. - Chàteau de Cornillon. - Chatellenie de St-Rambert. - Le comte Thomas poursuit avec bonheur ses entreprises. - Les sires de Miolans s’allient à ceux de Faucigny. - Abbaye de Haut-Crèt. - Guerre contre les Albigeois. - Le prince Thomas, Nantelme de Miolans et autres seigneurs suivent le roi de France dans cette triste expédition. - Donation è la Grande-Chartreuse. - Mariages des princesses Marguerite et Béatrix. - Clauses des contrats. - Transaction du comte Thomas avec l’abbaye de St-Maurice-d’Agaune. - Règne glorieux de ce prince. - Role de Nantelme de Miolans. - Seigneurs de Chambéry. - La ville de ce nom passe aux mains du comte Thomas. - Franchises accordées par ce prince. - Dernières années de Nantelme de Miolans. - Titre de 1241. - Nantelme IV; donation à l’abbaye du Betton. - Quelques mots sur ce monastère. - Titres relatifs aux seigneurs de Miolans de 1252 è 1421. - Reconnaissance passée par Jacques de Miolans en 1438. - Les biens des comtes de Montmayeur tombent au pouvoir des sires de Miolans. - Louis et son fils Jacques, derniers rejetons de cette noble race, - Le duc de Savoie hérite du chàteau de Miolans. - Hommes illustres de ce nom ................. ve. » 261 CHAPITRE XVII. — rupe supprémentatre. — Le chateau de Miolans pro- prement dit. - Son importance militaire. - Charles III, duc de Savoie. - Francois Il vaincu à Pavie. - Le duc de Savoie, hésitant entre lui et Charles Quint, penche pour le dernier. - Suites de cette politique. - Luttes avec Genève. - Frangois I réclame au duc de Savoie la moitié de ses Etats. - Il envahit la Savoie. - Le duc se borne à dé- fendre le Piémont. - Il abandonne Turin et se réfugie à Nice. - Charles-Quint veut livrer le chàteau de Nice à Paul III. - Le duc de Savoie est près de céder. - Emmanuel- Philibert, son fils, àgé de dix ans, l’entraîne è la résistance. - Mort de Charles III. - Emmanuel-Philibert fait un glorienx apprentissage. - Il rentre dans ses États. - Ré- mission lui est faite du chàteau de Miolans en 1559. - Vertus civiles et militaires de ce prince. - Miolans converti en prison. - Le P. Monod, victime de Richelieu, y est enfermé. - Le roi Charles-Emmanuel. - Son alliance avec Marie-Thérèse. - Sa valeur, ses succès. - Les Espagnols en Savoie. - L’Infant Don Philippe. - Délégués de Chambéry prisonniers à Miolans. - Leurs dépenses. - Lavini. - Son crime. - Ses malheurs, sa longue captivité. - Inscriptions. - Cachots. - Le baron de l’Allée de Songy. - Le commandant de Launay. - Le marquis de. Sade. - Curieuse correspondance. - Evasion de Mr de Sade et de Mr de Songy. - Noms de divers prisonniers. - Pbysionomie du chateau ...... » 286 325 LA ZECCA DI SCIO DURANTE IL DOMINIO DEI GENOVESI MEMORIA DI DOMENICO PROMIS ——_e-—— Approvata nell’adunanza del 9 luglio 1865. —_——_ Prefazione Dopo una guerra di venti e più anni avendo nel 1815 l’ Europa riacquistata quella tanto sospirata pace, subito cominciossi a sviluppare l’amore per gli studi storici, ed in conseguenza anche quello per la numismatica, soprattutto per quella parte che.spetta al medio evo, perchè campo nel quale assai eravi ancora a mietere. È bensì vero che sopra le monete a quest'epoca appartenenti molte opere già esistevano pubblicate sin dallo scorso secolo, ma nulla ancora si aveva per quelle coniate in Oriente dai Latini in seguito alla prima crociata. Ora di esse il primo che di proposito trattò fu il Marchant colle lettere settima e ventesima inserte ne’ suoi Me/anges de numismatique et d'histoire impressi nel 1817 e 1818; in seguito abbiamo molti articoli nelle pubblicazioni periodiche destinate a questo ramo di erudizione ed uscite di Francia, Germania, Inghilterra e Russia, ma soprattutto 326 LA ZECCA DI SCIO ECC. sono pregievoli le opere speciali del Saulcy col titolo Za numismatique des Croizades e Die Munzen des Johanniter - Ordens auf Rhodus del Friedlinder. Questi lavori però, puossi dire , sono fatti esclusivamente per illustrare le monete dei crociati francesi, ma se si eccettuano alcune poche pub- blicate dal prelodato Friedlinder, dal Kéhne, dal Lazari e dal Cumano (1), rimangono ancora inedite quelle che coniarono in Levante gli Italiani, e che preziose conservansi sia nelle pubbliche che nelle private collezioni, fra le quali certamente in questa parte primeggiano quelle di S. M. in Torino e del signor Paolo Lambros dotto e solerte numismatico in Atene. Tentando noi ora di riempiere almeno in parte questa importante lacuna della nostra numismatica colla illustrazione della zecca aperta da cittadini genovesi in Scio, a lui dobbiamo specialmente ringrazia- menti, avendo gentilmente messo a nostra disposizione quanto possiede che a quest'isola può spettare. Così dobbiamo esternare la nostra rico- noscenza ai signori Morel-Fatio di Parigi, Avvocato Gaetano Avignone e Luigi Franchini di Genova, P. Pellegrino Tonini di Firenze e Carlo Kunz di Venezia, che vollero favorirci i calchi o disegni di quelle monete da essi possedute e che ci mancavano, e con piacere noteremo che quasi tutte quelle che pubblichiamo furono da quest'ultimo mirabilmente disegnate ed incise su pietra. Ciò premesso, prima di addivenire alla descrizione di questa curiosa serie di monete, crediamo opportuno di dare una breve notizia degli avvenimenti di Scio dal decimo secondo secolo sino alla sua caduta nelle mani dei Turchi nel 1566. (1) Il Friedlinder illustrò un numero di monete dei Gattilusio nel Tomo I del Beitràge zur dlteren Munzkunde, e fu il primo il quale, pubblicando nei MNumismata inedita, Berolini 1840, due monete di Scio, seppe darne la vera attribuzione. ll Kéhne ne pubblicò di detta famiglia nel Tomo III delle Memoires de la Socicté d’ Archéologie et de Numismatique de St-Pétersbourg. Il Lazari ci diede le ossidionali di Candia e di Cipro, e due crazie di quest’ultima isola nelle Monete dei possedimenti veneziani di oltremare e di terraferma. 9 E Il Cumano una dei Zaccaria di Scio con apposita dissertazione pubblicò col titolo d’Illustrazione duna moneta argeniea di Scio sul disegno del Matapane di Venezia, DI DOMENICO PROMIS. 327 NOTIZIA STORICA DELL'ISOLA — 8263 Giace quest'isola, una delle Sporadi, non lungi dalle coste dell'Asia minore e poco distante da Smirne. Faceva parte dell'impero bizantino, quando sul 1170 i Veneziani se ne impadronirono ma per tenerla poco tempo, chè dopo avervi passato un inverno colla loro flotta, per causa della peste che ne decimava le ciurme (1), dovettero presto abbando- narla, e così subito venne ricuperata dai Greci; ad essi ancora appar- teneva quando Michele VIII Paleologo, affine di compensare i Genovesi dei soccorsi accordatigli per ricuperare Costantinopoli, col trattato di Ninfeo (2), nel 1261 loro concesse di possedere in varie delle principali città dell'impero, e fra queste in Scio, loggia, palazzo, chiesa, bagno, forno, giardino e case pei mercanti, e di avervi consoli, tribunali e la giurisdizione mera e mista nelle cause civili e criminali sopra tutti i loro concittadini. Ecco donde gli scrittori liguri derivano l’origine dei diritti della loro patria sopra quest'isola, quando solamente privilegi l’imperatore bizantino in essa aveva a Genova concessi, ed in momento di grande bisogno, con intendimento di spogliarnela subitochè propizia se gli (1) Chronicon Andreae Danduli, Muratori - Rerum Italicarum scriptores. Tom. XII, col. 295. « Crediamo di dover dire che una gran parte di queste notizie vennero da noi estratte dagli » scrittori bizantini, dall’archivio generale del regno in Torino, e dall’eccellente storia di quest'isola, » scritta col modesto titolo di articolo (Giustiniani familie aus Genua) dal dottore Hopf, Professore » e Bibliotecario dell’Università di Ronigsberg, ed inserto nell’ ANgemeine Encyklopàdie di Ersh e » Gruler, sessione 1.°, volume 68. » (2) Historiae patriae monumenta. Liber iurium reipublicae genuensis, Augustae Tauriporum 1854. Tomus I, col. 1351. 328 LA ZECCA DI SCIO ECC. offrisse l'occasione; ed infatti questa non dovette tardare a presentarsi, poichè tra i numerosi documenti che tuttora conosconsi relativi all’am- ministrazione di questa repubblica nei tempi di mezzo, nessuno si trova che faccia più menzione delle cose de’suoi cittadini in Scio dal sopraddetto anno sino al finir del secolo; anzi crederemmo che questo spogliamento fatto per parte dei Greci possa essere stato una delle cause per le quali l'ammiraglio genovese Benedetto Zaccaria, signore di Focea vecchia sul litorale della Natolia (*), trovandosi nel 1301 in quelle acque con un numeroso naviglio , sbarcata improvvisamente nell'isola una buona mano di soldati, riuscì ad impadronirsene senzachè dagli storici che ciò narrano appaia che ancora vi esistessero case di commercianti o magistrati della sua nazione. Ora dovendo parlare dei fatti di questo Zaccaria e de’suoi discen- denti, che ebbero signoria non solamente in Scio ma anche in altre parti dell'impero greco, crediamo utile di dire due parole sulla loro origine. Secondo il Ganducci (1) venne questa famiglia nel secolo XII da Gavi, terra nell'Appennino ligure, a stabilirsi in Genova, dove aveva già nel 1182 nel quartiere detto de castello casa con portico, ed il primo di essi del quale abbiasi notizia è un Zaccaria, padre che fu di altro Zaccaria detto, a distinzione di quello , de castro o de castello dal quartiere della città nel quale abitava, e questi doveva già possedere un magnifico asse, vedendo in carta del 1252 che per emancipare il suo quintogenito Giovanni gli aveva dato terre pel valore di cinque mila lire genovesi, le quali, visto che un fiorino d’oro di Firenze correva nel 1276 in Genova per soli soldi quatordici, che l’emina di grano vi costava da otto soldi, e circa dieci la mezzaruola di vino (2), facilmente si comprende qual egregia somma per quei tempi esse costituivano. Ora di questi cinque figli, nell'albero genealogico che crediamo bene d’inserire affine di poter conoscere qual grado di parentela esistesse tra quei Zaccaria dei quali abbiamo a trattare, riporteremo soltanto quelli che ebbero signoria in Scio, o che da essi discesero. (*) « Questi era già stato nel 1284 ammiraglio in patria, e tale era il prodotto dell’allume che » ricavava da Focea, che il suo figlio Paleologo troviamo averne venduto nel 1298 in una sola volta » cantari grossi 650 per L. 2000 di Genova. » (1) Famiglie genovesi. M.S. dell’archivio del regno in Torino, (2) Pandette Richeriane, fogliazzo I, ossia estratto dei protocolli dei notai di Genova. Archivio generale del regno. DI DOMENICO PROMIS ‘ozvn:9 Dif QUDIAIYIY 97)9PUDI 9]]UP 2]UIWDIDSI 1]nAVI1L 0UOS F4SSQUUD 9IDP_97109 10 143}0 nb ‘uan 1P By 199 910122999 PF — MON LIS VUUAODIONIA ITodoumueIso) Ip o10}eiodwI out ‘UaIO]{ ©I[op erodsop 030]00]eq 0UItEISO)) Tp 9I[Sout ODOTOTIVYA OSYHMO], UIOPO9], ID E[RIOS è EIUO]EJOr) IP aJuO7 UOI 0220], OPILUOOT]T 1p ©i8Y ‘\{ u09 OGTI SO SEVI + YOFL i AINOIUALNIO VIIQUYN — ——____ _ — erul ] UZIUOPog Ip tuesAYIET GI RaTaV IMIDIAR]E] tutto ]Sns uoI CGEL I ANOIMAINAIN 788] + 0amoTOLIvg EZRA | 0g AITANVI eLIO(] BIAQUIY | | U0I GSETLYET INNVAOID —GGEI-TIC] ONILAYIW. 62£1-IEV1{ ossaganIg | I Î = Ie ISEULIE,] èIrOpowog | CUIOOLI 709 uoI | 00UBIE) OUEJIIG 200 136] BuIqootI D 391 0GC| VIDAT | prelati 3 138] HTZONVI 363] OISIGAT, 00g] SITANVI CIEI-163] O901041vd OLIO) LUCI] 709 8881-876] ONITODIN — L83[-852] W1a0Nv«N c 0/EI-8F3f I OLLAGANAT l | | | 996; 9U 2014Eag 07 294 tom) v09 SEO AINODTAN €961=68TI SR 2D VIIVDIYZ èSTI Ou VIMVOOVZ Serie II. Tom. XXIII. 350 LA ZECCA DI SCIO ECC. Come sopra si è detto Benedetto I ebbe Scio nel 1301 colla forza, e non già, secondo alcuno storico scrisse, mediante il suo matrimonio con una figlia di Michele Paleologo (*); che se esso veramente ebbe luogo, ciò fu molti anni prima, poichè i due soli figli che di esso si conoscono, cioè Paleologo e Manuele, erano già li 12 marzo 1300 (1) in tale età da poter acquistare essi una casa in Genova a nome del padre, e ciò un anno avanti questa spedizione, a meno che egli l'abbia sposata in seconde nozze, ed allora ciò sarebbe dovuto avvenire dopo la convenzione fatta col suo successore Andronico II, il quale, quando lo Zaccaria si impadronì dell’isola, era in guerra coi Persiani, e vista la somma difficoltà di poterla in allora ricuperare, con esso trattò e convenne che gliene avrebbe lasciato l’intero possesso per dieci anni, ma coi patto che dovesse continuarsi a considerare come parte integrante dell'impero, adottando egli perciò il titolo di vicario imperiale e facendo scolpire sulle mura della città lo stemma dei Paleologi; scorso poi tal tempo dovesse essa ritornare all'antico suo signore (2). Il Calcondila invece scrisse (3) che l’imperatore trovandosi abbi- sognare di danaro, ebbe grosse somme da questo patrizio genovese, che perciò gli diede la prefettura dell’isola, ma per far concordare questi autori crederemmo che ciò avvenisse così, che cioè Benedetto per calmare Andronico irritato vedendosi da uno straniero tolta un'isola, ia quale doveva assai produrre al suo erario pel mastice estratto dal pistacio lentisco e che in grandissima quantità esportavasi, gli abbia offerto una vistosa somma ‘di danaro, che per la povertà del tesoro vuoto per le continue guerre coi barbari gli dovette tornar graditissima, e sia questo stato il mezzo per ottenere la suddetta convenzione. Lo Zaccaria frattanto per prepararsi a qualunque improvviso attacco, che era prudenza temere per parte dei Greci, subito diede mano a - () « Michele Giustiniani nella Scio sacra di rito latino (Avellino 1658) a pagina 7 scrisse che » Benedetto ebbe dal Paleologo per moglie una sua sorella ed in dote Scio, e cita in appoggio » della sua asserzione gli annali di Genova del da Varagine, come riferito dal Federico Federici » nelle Memorie Genovesi, c. 507, ma ciò non trovasi nè nel da Varagine nè nel Federici; dubi- » tiamo perciò che per errore al Zaccaria siasi attribuito ciò che il Foglietta negli E/og? degli uomini » chiari della Liguria (Genova 1579) a foglio 45 dice di Francesco Gattilusio che ebbe l’isola di » Metelino per dote della moglie, sorella dell’imperatore Giovanni Paleologo. » (1) Pandette Richeriane, fogliazzo A, foglio 6. (2 Cantacuzeni historiarum liber secundus. Bonnae 1828, pag. 370. ro Laonicì Calcondylae historiarnm libri decem, Bonnae 1842, pag. 521. DI DOMENICO PROMIS 35: ristaurare e maggiormente alzare le mura della città, onde dopo tra- scorso il convenuto decennio vedendo l’imperatore come le difficoltà per impadronirsi di Scio erano di molto cresciute, mosso dalle preghiere secondo gli storici bizantini, ma con maggior probabilità dai doni degli ambasciatori che il genovese avevagli mandato, gliene prolungò il pos- sesso per altri cinque anni, e indi per un nuovo quinquennio ancora. Secondo il Cantacuzeno (1) prima che quest’ultimo periodo scadesse, mancato ai vivi Benedetto, i suoi figlinoli Martino e Benedetto II, senza aspettarne il termine, ne domandarono il proseguimento per altri cinque anni, ma Andronico, chiamati i fratelli a Costantinopoli, li invitò a rinunziare al possesso dell’isola, oppure a tenerla con ben altri patti. Invece di aderire all’invito imperiale Martino si preparò alla difesa, ma Benedetto , il quale era con lui in lite per seimila bisanti d’oro che pretendeva essergli dovuti sull’eredità paterna, recossi dall'imperatore implorando giustizia contro il fratello. Questa con tutta facilità gli venne da Andronico promessa, purchè in tutto al suo volere si sottomettesse, al che avendo egli accondisceso, presto se ne videro le tristi conseguenze, poichè essendosi presentata avanti Scio la flotta greca forte di 105 vele, Benedetto, che trovavasi alla custodia del castello, subito lo con- segnò al nemico; onde Martino, vista la impossibilità di potersi difendere pel tradimento del fratello, offerse di trattare; ma ciò essendogli stato negato, uscito dalla città si arrese coi suoi agli imperiali, che lo riten- nero prigione, lasciando andare libera con quanto di prezioso potè seco portare la moglie coi figli e le serve; e ciò avvenne nell’anno 1329. L'imperatore offerse poi a Benedetto la prefettura dell’isola colla metà delle sue entrate, le quali ammontavano a circa cento ventimila bisanti d’oro, ma non volendo egli accettare tale proposta poichè pre- tendeva di continuare a possederla coi patti del padre, indispettito si ritirò a Galata, dove ad altro non pensando che a vendicarsi dell in- giuria che credeva essergli stata fatta dal Paleologo , raccoltevi otto galee genovesi, con esse fece vela verso Scio, e sbarcate le ciurme at- taccò la città, ma vigorosamente dai Greci respinto, lasciativi molti morti dei suoi, da quel lido fu costretto allontanarsi; per il che sentì tanto dolore che dopo sette giorni colto da colpo apopletico morì. Ora nel narrare questi avvenimenti troviamo che lo storico greco (1) Cantacuzenus, ut supra. 332 LA ZECCA DI SCIO ECC. confuse le persone, poichè dice la convenzione fatta con Benedetto I essere con esso stata prolungata due volte ed essere scaduta nel 1329, ma invece da sicuri documenti ci consta che successore in quella signoria gli fu il suo primogenito Paleologo , il quale fu padre di Martino e Benedetto II (1); e Benedetto I non era più in vita nel 1311, vedendo in atto rogato in Genova li 13 gennaio detto anno, che Paleologo si scrive figliuolo qguondam D. Benedicti Zachariae (2). Non trovandosi indi più menzione di esso in alcuna carta fatta in quella città, dobbiamo conchiudere che subito siasi recato in Scio, la- sciando in patria i figli Martino e Benedetto II soprannominati, che in atto ivi fatto li 27 marzo 1313 (3) sono detti figliuoli del vivente Pa- leologo (*). Deve però questi esser mancato ai vivi nello stesso anno o nel susseguente, non trovando più i fratelli menzionati in Genova, e constando che Martino era già signore di quest'isola nel 1315, essen- dochè con diploma delli 21 maggio di quest'anno (4) Filippo di Taranto, erede di Baldoino ultimo imperatore latino di Costantinopoli, e che con- tinuava a pretendere alla sovranità di quell’impero, unitamente alla moglie Catterina, investendolo del regno dell'Asia minore, e della signoria di Onussa, Marmora, Tenedo, Lesbo, Scio, Samo, Nicaria e Cos, mediante l'obbligo d’aiutarlo con 5oo soldati per riacquistare il trono di Bisanzio, lo chiama Martinum Zachariam de Castro dominum insulae Chii, prova che già era succeduto al padre e solo trovavasi nel dominio dell’isola. Ritornando ora a parlare delle convenzioni fatte dal greco impe- ratore coi Zaccaria, e che abbiamo vedute sì confuse da Cantacuzeno, per convenire che l’ultima, ossia la terza, sia scaduta, come infatti lo fu, col 1329, dobbiamo dire che la prima per dieci anni con Benedetto I dovette passarsi tra il 1309 e il 1310 e durare incirca sino al 1319: che si segnò la seconda con Martino e Benedetto II in quest'anno, (1) Pandette Richeriane, fogliazzo A, foglio 98. (2) Idem, foglio 10. 3) Idem, foglio 98. « Ci perdoni il sig. Hopf se noi non possiamo convenire con lui che Paleologo venisse anche » chiamato Benedelto II, poichè, come dimostriamo, del padre e del figlio i Greci fecero una sola » persona, così nemmeno, come egli crede, Martino e Benedetto poterono esser figli di Nicolò » che fu zio a Paleologo e padre solamente di Manuele marito di una Giacobina, della quale non » è detto il casato, ma che sola di tal nome troviamo fra le donne entrate nei Zaccaria. » (4) Giustiniani Michele. - Lettere memorabili. Vol. II. Roma 1669, pag. 4. DI DOMENICO PROMIS 3533 per cominciare la terza col 1324 e scadere col 1329, anno nel quale abbiamo veduto che vennero essi spogliati di Scio. Intanto Martino continuava a gemere nelle prigioni di Costantinopoli, ove rimase sino al 1338, quando fu rimesso in libertà sulle istanze del papa e del re di Francia. Dopo alcuni anni essendosi unito ai crociati che erano andati per conquistare Smirne sugli infedeli, perdè la vita in un fatto d’arme contro i Saraceni avvenuto nel 1345. Eragli già premorto il primogenito Bartolomeo, onde nei beni allo- diali gli successe l’altro figliuolo chiamato Centurione, il quale andato alla corte di Maria di Borbone, principessa d’Acaia, talmente seppe insinuarsi nelle sue grazie, che oltre all’aver avuto in dono molti feudi, in breve divenne uno dei più importanti personaggi della sua corte. Morta essa, per trovarsi affatto inetto il suo successore , assumendo Centurione il titolo di principe poco per volta si rese assoluto padrone dell’Acaia che trasmise al suo figlinolo Azane, il quale lasciò lo stato a Centurione II e diede sua figlia Catterina in moglie a Tommaso Paleologo despota della Morea. Questi dopo morto lo suocero, impadronitosi per tradimento nel 1432 della persona del cognato e del suo stato, in un coi figli lo mise barbaramente a morte, e tale fu il fine dei Zaccaria in Grecia, e non come da taluno fu detto che perdessero l’Acaia quando fu nel 1458 occupata dalle armi di Maometto II. Scio frattanto sotto il dominio dei Paleologi venne retta, in qualità di vicario imperiale, da Leone Caloteto, in compenso d'essere stato il principal motore a Costantinopoli per indurre quel sovrano a ripren- dere l'isola ai Zaccaria, e, caduto lui in disgrazia, ne fu dato il go- verno ad uno dei principali suoi abitanti detto dagli scrittori greci Caloianni Chibos, e dai liguri Gioanni Cibo (*), sotto il quale, come ora vedremo, venne nuovamente l’isola in mano dei Genovesi. Avvicinavasi la metà del decimo quarto secolo, quando dalle fazioni , dalle quali era da vari anni la città miseramente travagliata, fu cacciata da Genova la maggior parte dell’aristocrazia, che ritiratasi nelle riviere (1) « Questi, secondo il Cibo Recco negli Annali di Genova, che conservansi manoscritti nella Biblioteca di S. M. in Torino, apparteneva alla famiglia patrizia di tal nome, che traeva origine » da quelia città, ed anzi dice che ai suoi tempi, cioè nel secolo XVI, vi abitavano ancora alcuni » nobilissimi uomini venutivi da quell’isola. Questo Gioyanni poi doveva discendere da uno di quei » mercatanti genovesi stabilitisi in Scio sin da quando il loro comune vi ebbe nel 1261 tanti pri- » vilegi da Michele Paleologo. » 334 LA ZECCA DI SCIO ECC. continuamente venne la propria patria colle scorrerie per terra e per mare molestando. Principali ne erano i Grimaldi che, andati a Monaco loro terra, cogli amici attesero nel 1345 a radunarvi un esercito di 10,000 uomini e ad armare 30 galee (1); della qual cosa avutosi sentore dal doge Gioanni de Murta, subito pensò alla difesa della città, per il che incaricò alcuni popolani affinchè vi provvedessero. Siccome l’erario pubblico era esausto, questi deliberarono d’invitare quaranta quattro cittadini a mettere assieme a proprie spese una flotta, con promessa che dal comune sarebbe loro stato rimborsato l’esposto e compensati i danni, ipotecando per questo un’entrata di 20,000 lire sopra diverse gabelle, e concedendo anticipatamente le conquiste a farsi sino a che fossero gii armatori intieramente soddisfatti. Sopra questi quarantaquattro soli ventinove (*) concorsero ad armare caduno una galera, delle quali fu dato il comando al popolano Simone Vignoso (1), che ricevette dal doge la bandiera di San Giorgio, cioè colla croce rossa in campo bianco, così chiamata perchè era quella che mettevasi in mano al santo rappresentandolo a cavallo ed armato di tutto punto nell’atto di uccidere il drago, e che divenne lo stemma del comune. L'ammiraglio recatosi colla sua squadra avanti a Monaco, talmente spaventò i fuorusciti non ancora preparati a sostenere l’attacco, che fuggirono a Marsiglia, onde esso ritornato a Genova ed avviatosi verso Napoli dando il guasto per istrada a Terracina e Traetto in odio del conte di Fondi, continuò il suo cammino per il Levante affine di pro- teggere quelle colonie contro i Munsulmani. Giunto a Negroponte vi trovò 26 galere dei Veneziani e dei cavalieri gerosolomitani comandate da Umberto II delfino di Vienna, che gli offerse una grossa somma di danaro affinchè lo aiutasse ad impadronirsi di Scio; ma esso, vedendo quanto utile sarebbe venuto ai suoi dal (1) Giustiniano. Annali di Genova. Ivi 1537, carte 133. (*) « Questi furono Simone Vignoso, Lanfranco Drizzacorne , Guglielmo Solari, Guglielmo » Arangia, Giacomo Morando, Nicola Tarigo, Andriolo Pesario, Cosma Salvago, Nicola Cigogna, » Giacomo Ornio, Filippone Alpano, Luchino Goano, Tommasino Illione, Lodisio Perrone, Antonio » Rossi, Meliado Adorno, Federico Osbergerio, Leonardo Cornasca, Lodisio Panzano, Matteo Babo, Francesco Coconato, Pietro Rosasco, Ansaldo Olivieri, Ampugnino Cantello, Raffo Piscina, » Andriolo di Ceuta, Agostino Bennato, Antonio Viviani e Francesco Cottegario. » (2) Liber jurium reipublicac genuensis, Tomus II, col. 558. Augustae Taurinorum 1857. DI DOMEMICO PROMIS. 335 possesso di quest'isola, rifiutata l’offerta, immantinente salpò verso di essa, dove giunse li 15 giugno del 1346. Cinta subito d’assedio la città, dopo tre mesi l’ebbe a patti (1), indi convenne per la cessione del castello col già citato Gioanni Cibo me- diante 7,000 iperperi, vari privilegi e la cittadinanza di Genova, e così rimasto padrone di tutta l'isola, ne prese possesso a nome della sua patria inalberando sulla torre principale la bandiera della croce. Sbarcato alcuni giorni dopo il Vignoso sulle coste dell'Asia minore, vi occupò Focea nuova indi si impadronì di Focea vecchia, cioè dell’an- tica (*), già possedute dai suoi compatrioti e ricche per le miniere d’allume esistenti nelle loro montagne. Un fatto curioso è a notarsi nella convenzione che fece con questi abitanti li 20 seitembre, ed è la clausola che vi vollero inserta, cioè che nessuno dei Zaccaria, dei Cattanei (che vi avevano signoreggiato) o dei loro parenti giammai po- Q1IU- 5 risdizione, e percepirvi somma alcuna , il che proverebbe essere stato tesse in esse abitare, posseder case o distretti, avervi impiego o ben duro il loro governo. Aggiunti indi a questi acquisti le piccole isole di Samo, Nicaria, Demussa e Santa Panagia, e lasciato un numero sufficiente di soldati alla loro custodia, con vari dei proprietarii delle galere, che avevano anche la procura di quelli rimasti in Scio, partì l'ammiraglio per Genova, dove giunto trovò che il comune era nell’impossibilità di soddisfare le spese da essi fatte, che pretendevano ascendere ad oltre duecentotre mila lire, onde i rappresentanti dei ventinove armatori con- vennero col doge li 26 febbraio 1347 (**) che la suprema giurisdizione ed il mero e misto impero sopra queste conquiste restasse alla repub- blica, che vi avrebbe nominato i podestà ed i castellani, ma che il possesso utile, cioè il ricavo delle imposte dirette ed indirette ed il commercio del mastice e dell’allume ad essi dovesse appartenere, e per Ai iijiliiiéiiiii“i.............))li..U.U.il.i=.-m__lm.”riiÙÙb6O‘é 0a .]iliÎPleji PF: DÒ ©Ò©? smau Spyiiazulii.& (4) Cantacuzeni liber tertius. Bonnae 1831, pag. 543. (*) « Queste due città dagli scrittori italiani dei secoli XV e XVI sono chiamate Foglie vecchie » e Foglie nuove, denominazione alterata dal dialetto genovese, nel quale le Mocee dicevansi Fogge, » e siccome così anche chiamavano le foglie degli alberi, detto nome italianizzarono in Foglie. » (1) « Im quesl’atto già sopra citato, e che per essere stato anche inserto nell’originale del. Liber » gurium colla falsa data del 1447, fu stampato per doppio alla col. 1498 del Tomo II, è minu- » tamente narrato come fu condotta la cosa per ottenere l’armamento di questa flotta, e vi sono specificate le convenzioni fatte dal Vignoso. » 3536 LA ZECCA DI SCIO ECC. tale amministrazione, costituitisi in società sotto la denominazione di Maona (*), nominarono dodici massari scelti fra venti socii. x x s Di v PI s (") « Varie sono le opinioni circa l’origine ed il significato della parola Maora. Alcuni dicono che derivi dal greco Movos, unità, altri dall’arabo Me-unet, aiuto, favore, ed altri, avendo trovato nella marineria turca grossi bastimenti da essi detti Maore, credettero che da questo genere di navi la genovese compagnia avesse preso il suo nome. Nessuna però di queste opinioni ci parve soddisfacente, chè le due prime per nessun verso possono indicare un qualunque genere di asso- ciazione, ed in quanto alla terza per riconoscerla erronea, basta sapere che queste navi inventate dai Turchi, i quali avevano cominciato a costrurle come grosse galere, e poi tolti i remi, ne avevano fatto larghi bastimenti a vela, non potevano aver esistito avanti il secolo XV, quando solamente questa nazione cominciò ad avere propria marineria, anzi esse presso i vari storici non vedonsi nominate che dal 1500. Credemmo in conseguenza di dover cercare se nelle carte di Genova avessimo potuto scoprire la vera origine di tale parola, ed appunto nel fogliazzo A delle Pandette Richeriane troviamo gli estratti di tre atti notarili del secolo XIII, cioè al foglio 81 uno delli 18 aprile 1236, col quale un Giovanni di Lanfranco Tornatore cede a Baldoino de Vindercio i suoi diritti sull’ammontare delle perdite da esso fatte nella rissa avvenuta in Ceuta (d’Africa) tra ì Cristiani ed i Saraceni, cioè bisanli miliaresìi 58 1|2, i quali gli spettano è2 2/lis quos recipere debeo in madona de Septa et qui sunt super me scripti in dicta madona occasione damni et perditae dictae; unde cedo tibi omnia iura quae habeo occasione bisanciorum 58 1/2 în dicta madona; altro delli 15 maggio detto anno col quale Enrico Banchieri vien nominato procuratore da Ugo Fornari per esigere 900 bisanti milliaresi in Madora Septae e dovuti da quel re; ed al foglio 140 un altro pure fatto in Genova, però li 27 aprile 1237, per il quale Pietro d’Oria dichiara a Tedisio Fieschi quod de eo quod scriptum est în cartulario prudentium sepiem et quod dicitur Maona, con- tingunt tibi libras trecentum. Dal primo poi dei surriferiti atti, spettante alla prima metà del secolo XIII, si vede che esisteva una società di commercio, di quelle che ora diconsi barche, la quale chiamavasi Medora, e dal secondo ricaviamo che i direttori di altra simile socielà genovese nominavano IMaora il gran libro nel quale erano registrati gli averi dei suoi partecipanti, nome appunto col quale chiamaronsi indi quelle compagnie che possederono le entrate di Scio e di Famagosta. » Or tulti sanno come nei bassi tempi in Italia qualunque associazione o corporazione era sotto l’invocazione o protezione di un santo, e che la parola Madora così sola usavasi, come anche al presente, per indicare la Vergine Maria, onde non crediamo di errare dicendo che tali società volevano così significare che erano sotto la sua protezione, come posteriormente fu di quella detta di San Giorgio, e siccome nel carattere del dialetto genovese volentieri si sopprimono per amor di brevilà le consonanti, così, tralasciata la lettera D, dissero solamente Maona. » Il fatto di Ceuta al quale alludono le due carte del 1236 è distintamente narrato all’anno 1234 dal Caffaro (Muratori, Rerum Italicarum scriptores, Tomus VI. Annales Genuenses, col. 471-72-73); però non vi è detto che questi crocesignati Calculini o Calcurini, secondo il Giustiniani popo- lazione delle coste della Spagna verso la Biscaglia o la Navarra, i quali pare amassero portare le loro armi dove vi fosse molta preda a fare, e che poca dislinzione mettevano tra cristiani e maomettani, sulle coste d’Africa, appunto in vicinanza di Ceuta, bruciarono una nave chiamata S. Marco, propria di Giacomo Caracapa e Guglielmo Formica savonesi, il qual fatto si legge nel fogliazzo I delle citate pandette, nelle quali, oltre vari altri mercanti genovesi derubati , trovasi che un Ottobono della Croce nella rissa che ebbe luogo in detta città tra i suddetti e gli abitanti, perdette tanto grano per bisanti milliaresi 1516, delle quali perdite quel sultano si era obbligato d’indennizzarli, essendosi così con Genova convenuto per compensarla delle spese da essa fatte nell’allestire una numerosa flotta sotto il comando di Lanfranco Spinola per la sua difesa. (SI) DI DOMENICO PROMIS. 37 Stabilito il modo di elezione dei podestà di Scio e delle due Focee da farsi sopra una rosa di quattro cittadini da presentarsi dai maonesi , e sopra una rosa di sei pei castellani, se ne stabilirono i trattamenti; indi dichiarò il doge che posset dictus potestas (Sci) nomine comunis Januae cudi et cudi facere în insula Syi monetam argenti de liga et pondere de qua melius widebitur ipsi potestati, in qua moneta sint literae monetae ianuensis, et figurae ut deliberabitur per potestatem Syi et suum consilium, vel figura domini ducis Januensium et quae literae dicant Dux Januensium ez Cunradus Rex. Ex cujus monetae fabricatione si fuerit utilitas convertatur in utilitatem et profichuum dictorum par- ticipum. Item quod ducetur de Janua unus bonus sazator. Fu inoltre convenuto che della somma dovuta agli armatori, cioè delle L. 203,000 genovesi, in ragione di L. 7,000 per ciascuna galera. si formasse un numero d’azioni simili nella forma ai Zuoghi delle compere di Genova, le quali, almeno per la sesta parte ed oltre se volesse, fosse in potestà al comune di acquistare fra lo spazio di venti anni, e che qualora in detto tempo la totale somma venisse pagata ai comparteci- panti, il possesso di Scio ed annessi resterebbe allo stato. Tale fu il principio della più antica associazione mercantile di privati che posse- desse uno stato per proprio acquisto, e che quantunque non avesse tanti diritti e privilegi come quelle che sorsero nei secoli XVII e XVIII in Olanda, in Inghilterra ed altrove, tuttavia stante la sua buona costituzione ed amministrazione arrichiendo i suoi compartecipanti, potè durare assai più di quelle che le vennero dopo. A capo dell’amministrazione fu nominato lo stesso Vignoso , che subito attese ad ordinarla; ma frattanto l'imperatore Giovanni Canta- cuzeno, il quale trovavasi libero da alcuni potenti nemici, per il che sino allora gli era stato impossibile di attendere alle cose che succe- devano in quest’ isola, mandò nel 1348 ambasciatori a Genova (1) chiamando che, stante l’alleanza esistente tra lui ed il comune gli venisse essa restituita. Al che il doge rispose esser giusta la sua istanza, » ale armamento prova di quanta importanza fosse pel nostro comune questo scalo, per mezzo » del quale potevano con gran facilità commerciare coi mori sia di Marocco che di Spagna, ed » appunto per consoli usava mandarvi persone importanti, come vi vediamo nel 1237 Pietro ed » Ugo Lercari, il quel ullimo nell’anno susseguente fu da Lodovico IX, re di Francia, nominato » ammiraglio della flotta che lo doveva portare alla crociata di Affrica. » (1) Cantacuzeni liber quartus. Bonnae 1832, pag. SI. Serie IL Tom, XXIII gs 238 LA ZECCA DI SCIO ECC. ma che siccome Scio era stata occupata, senza il suo parere e consenso, da alcuni privati, i quali per questo avevano allestito a proprie spese una flotta, per indurli alla restituzione sarebbero stati necessarii grandi armamenti che il comune era allora nell’impossibilità di fare, aspettasse che col tempo, mediante molti maneggi, sarebbesi ottenuto che a lui nuovamente tornasse. Quindi inviò oratori a Costantinopoli, i quali con- vennero che tutte queste possessioni potessero per dieci anni godersi dai maonesi, purchè versassero annualmente 25,000 bisanti bianchi al te- soro imperiale, e che per segno di dipendenza s’innalzasse sul castello la bandiera greca. A questo il Vignoso formalmente si oppose, e colto il pretesto che in tal frattempo il già menzionato Giovanni Cibo, che aveva nominato castellano di Focea nuova, intesosi col governo bizantino, con una mano di Greci aveva tentato d’impadronirsi per sorpresa di Scio, nella quale azione perdè la vita, continuò, come prima, a tranquillamente governarla. Essendo dopo alcun tempo mancato di vita questo prode ammiraglio , e risiedendo in Genova la maggior parte degli azionisti, fu forza di dare in appalto la riscossione delle entrate dell’isola ad un’altra. società ugualmente composta di Genovesi, la quale, col nome di Maona nuova, erasi in essa già costituita pel commercio del mastice. Presto però es- sendosi dai vecchi maonesi venuto per affari di amministrazione a contestazione con essa, per metter fine alle loro vertenze s'indirizzarono le due Maone nel 1362 al doge Simon Boccanegra (1), che le condusse ad un equo componimento, pel quale la 72z0va in tutto subentrò alla vecchia, e si obbligò solidariamente a soddisfare in Genova a quanto potesse spettare a cadun suo partecipante. Questa nuova società, ai cui membri fu vietato di alienare a stranieri alcuna azione, era composta di Nicolò Caneto, Giovanni Campi, Raffaele Forneto , Francesco Arangio, Nicolò di S. Teodoro, Gabriele Adorno, Paol» Banca (in atto del 29 settembre 1376 segnato come membro del consiglio degli anziani col nome di Giustiniani), Tommaso Longo, Andriolo Campi, Luchino Negro, Pietro Olivieri e Francesco Garibaldi , che essendo dodici formarono un egual numero di azioni, alle quali si aggiunsero due terzi d’una tredicesima per Nicolò di S. Teodoro. Ogni azione si divise in tre Zeoghi o caratti grossi, che suddividendosi 1) Liber iurium. Tomus HI, col. 714. DI DOMENICO PROMIS. 239 in otto parti formarono 304 caratti piccoli, e di questi vari essendo stati venduti, passarono ai Reccanelli, che coi precedenti, abban- donando, ad eccezione dell’Adorno, il nome del proprio casato , adot- tarono quello di Giustiniani (*), e formatisi in albergo sono ancora oggi rappresentati da aleuni dei loro discendenti , e specialmente dal marchese Pantaleo Giustiniani Reccanello, principe di Bassano. D’onde traesse quest’albergo tale nome, che sin dal 1359 troviamo aver usato la nuova Maona, è ancora ignoto; tuttavia potrebbe essere che siccome in quelli anni questa risiedeva esclusivamente in Scio, la sua fattoria fosse in una casa spettante prima, cioè sotto il dominio greco, ai Giustiniani di Venezia; che se poi venne a possedere palazzi in Genova, questi non dovevano al certo anteriormente aver appartenuto a tali patrizii, non constando che alcuno di essi abbia mai avuto resi- denza in questa città. Adesso poi nemmeno in patria si ha più memoria del sito nel quale avesse stanza l’ufficio della Maona, composto prima di sei membri detti governatori, indi per legge del 1476 di nove. Cer- tamente che dovette risiedere in una delle due strade oggidi ancora da quest’albergo denominate, ed appunto in caduna di esse tuttora esiste un palazzo di costruzione antichissima, dei quali quello nella strada su- periore detto il Festone de’ Giustiniani, già tutto a zone bianche e nere, e che sebbene ora sia stato rimodernato per ridurlo a piccoli apparta- menti, tuttavia conserva sulla facciata in basso rilievo una Vergine seduta fra due santi, avente il bambino Gesù sulle ginocchia, e sotto la data dell’anno in cui fu scolpito , cioè MCC. L'altro poi posto sull’angolo della piazzetta esistente nella via inferiore, ed appartenente tuttora ad nno dei membri di quest’albergo, troviamo che sin dal 1380 era di proprietà di un Antonio Giustiniani, credo Longo. Su di esso vedesi ancora scolpito su marmo il leone alato di San Marco con iscrizione che lo dice tolto a Trieste in detto anno, e sulla porta ha lo stemma del castello col capo dell'aquila dell'impero, segno che esso vi fu collocato dopo il secolo XIV. Ora vedendo citato nelle Pandette Richeriane un contratto (') « I genealogisti antichi italiani, e fra essi il Zazzera, Della nobiltà d’Italia. Napoli 1615, ed » il Tommasini, Selva genealogica. Venezia 1699, trattando dei Giustiniani di Genova, ne fanno una » sola famiglia che credono d’origine comune con quella di Venezia, anzi il secondo li fa discen- » dere da un Marco stabilitosi in Genova nel 722 al servizio di Liutprando, re dei Longobardi; ma » crediamo affatto inutile confutare tali favole, quando, come vediamo dai documenti ; il contrario » ci risulta. » 340 LA ZECCA DI SCIO ECC. delli 7 marzo 1479 actum in platea albergi de Iustinianis, col quale i governatori della Maona nominano due notai biennali per servizio della medesima, e non trovando in Genova alcun altro sito denominato così fuorchè quello nel quale s’innalza questo palazzo, abbiamo tutta ragione di credere che in esso avesse tale ufficio la sua residenza. Venendo ora allo stemma giustiniano, esso fu da principio un castello di argento a tre torri merlate in campo rosso, probabilmente per quello di Scio, ma per concessione di Sigismondo imperatore delli 17 maggio 1413 a favore di Francesco Giustiniani Campi venne ad esso aggiunto il capo dell'impero, cioè un'aquila nera coronata in campo d’oro. Fu invece chi scrisse che col castello vi si volle rappresentare lo stemma di Genova, da molti tale anticamente creduto, ma errarono, chè questa città alludendo al suo nome, detto nei tempi di mezzo per corruzione Zanza, sin dal dodicesimo secolo aveva adottato, soprattutto sulle monete, una porta di città, come distintamente vedesi , per esserne il campo più largo, in una bolla di piombo di quell’epoca, che ha nel rovescio la protoma di $S. Siro, suo arcivescovo e protettore (*). Ritornando ai maonesi, affine di poter rimaner tranquilli per parte dei Greci, mandarono essi nel 1363 (1) tre dei loro soci, cioè Dome- nico Giovanni Olivieri, Raffaele Forneto e Pietro Reccanello a Costan- tinopoli all'imperatore Giovanni Paleologo colla preghiera, certamente accompagnata dai soliti doni, di confermare alla compagnia il libero possesso di Scio, ciò che ottennero con diploma munito della bolla d’oro, ma mediante un’annua retribuzione di cinquecento iperperi (**). Questi stessi patti troviamo poi confermati a Tommaso Giustiniani Longo nel 1367 (2), ed il suddetto tributo ancora pagato nel 1412. Abbiamo veduto che il comune di Genova nel 1347 si era riservato (*) « Con quest’occasione credo di fare cosa grata agli amatori della spragistica patria dando » la notizia d’un sigillo annesso ad una lettera scritta nel 1257 da Guglielmo Boccanegra, capitano del popolo di Genova, al capitano di Ventimiglia. Ecco come è descritto nell’atto notarile col juale essa veniva rimessa, e che per estratto è inserto nel fogliazzo II, foglio 38 delle Pandette Richeriane: Sigillum în quo erat sculptus agnus ferens verillum cum cruce super asta vexilli. Cir- cumscriptio sigilli talis erat. Plebs Tani magnos reprimens est agnus in agnos. Allusione manifesta dell'opposizione dei popolani ai maggiori cittadini. » (i) Speroni — Real grandezza della repubblica di Genova. 1669, pag. 206. ‘) «Il Foglietta a pag. 159 della sua Storia di Genova dice che il Paleologo concesse coll’atto suddetto facoltà ai maonesi di coniare monete d’oro; ma ciò rei due diplomi che cito non esisie, onde tale sua asserzione si vede affatto erronea. » 2) Speroni, pag. 206. DI DOMENICO PROMIS. 341 il diritto di riscattare nel termine di venti anni i Zoghi di Scio mediante lo sborso di 203,000 lire, e questi dovevano scadere nel 1366, ma nell’aggiustamento del 1362 detti fatali eransi protratti fino alli 26 feb- braio 1374, convenendosi che in caso d'acquisto Genova dovesse per essì pagare solamente L. 152,250 (1). Prima però che tal giorno giun- gesse, trovandosi il comune colle casse vuote per causa della guerra di Cipro, e non volendo, col lasciare scader l'epoca fissata pel riscatto, perdere i suoi diritti, fattasi imprestare da vari dei maonesi stessi la somma necessaria, acquistò li 21 novembre 1373 (2) dagli attuali possessori tutti i sopraddetti luoghi o caratti, che calcolati in numero di 2030, e non più a L. 100 caduno, come era stato in principio con- venuto, ma. a sole L, 75, formarono appunto la suddetta somma. Segnato l’atto di compra , il doge Domenico Campofregoso, col consenso del suo consiglio, subito tutti li rivendè agli stessi maonesi dai quali aveva ricevuto i denari per acquistarli e per la somma stessa sborsata (*), però obbligandoli a pagare annualmente all’erario duemila fiorini d’oro, e ad anticiparne quattordici mila a conto dei sette primi anni. Fu pure nello stesso atto stabilito che riguardo all’amministrazione di questi possedimenti continuasse ad essere in vigore la prima con- venzione; in quanto poi alla moneta poco si variò, statuendosi soltanto quod moneta quae cudetur seu stampetur in insula Scyi, stampiatur ct formetur cum literis et figuris monetae Ianuac, vel cum signis domini ducis Ianuae, cuius fubricacionis monetae et sechae utilitas et fructus doveva restare alla Maona. Infine il comune si riservò il diritto di ri- scattare per la stessa somma tutti i sopraddetti luoghi nei due anni che sarebbero scorsi tra il 21 novembre 1391 e lo stesso giorno del 1393, cioè fra vent'anni, durante i quali qualunque provento, sia di Scio che delie due Focee ed isole adiacenti, doveva restare in tutto utile ai maonesi. Passati ancora non erano sette anni che Genova , per poter sopperire > (1) Liber iurium. Tomus II, col. 783. (2) Idem, col. 782. (*) « Nel citato atto dei 1373 i suddetti trentotto luoghi furono calcolati L. 4,006. 11.9 caduno; » ma quantunque questa somma a primo aspetto compaia piccola, irovandosi che li 15 gennaio 1375 » (Pandette Richeriane) la metà d’uno di essi fu venduto in Genova L. 3,000, tuttavia se si Lien » conto delle somme che i nuovi acquisitori si avevano addossato obbligo di pagare al comune, si » vede che il contratto fu piuttosto equo. » 242 LA ZECCA DI SCIO ECC. alle enormi spese della guerra che sosteneva contro Venezia, cedéè li 16 marzo 1380 (1) per L. 100,000 al banco di S. Giorgio, con altre rendite, i suoi diritti sopra quanto annualmente doveano pagarle i Giustiniani, e continuando sempre maggiori le sue strettezze , senza aspettare l’epoca sopra convenuta pel termine stabilito, li 28 giugno 1385 (2) rinnovò cogli stessi l'appalto di Scio, però coll’ obbligo di pagare in due rate L. 25,000 e di aumentare l’annuo tributo di L. 2,500, e ciò mediante venne esso prolungato sino al 21 novembre 1416 coi due susseguenti anni pel riscatto. Questo termine fu poi li 11 marzo 1413 (3) di nuovo protratto, mediante l’offerta di L. 18,000 e la solita annua retribuzione, sino alli 21 novembre 1476. In quest'anno si riconfermò l'appalto sino alli 16 novembre 1507, e per un biennio ancora , e finalmente anche per compensare la Maona delle grandi | spese cui aveva dovuto sottostare per la difesa dell’isola in forza delle antecedenti convenzioni, se gliene lasciò il possesso sino allo stesso giorno del 1542. Dopo però che Genova , riacquistando la libertà, ebbe nel 1528 riformato il suo governo, e che aprendosi il libro d’oro della nobiltà la maggior parte dei maonesi vi venne inscritta (*), dal governo si rinunziò a qualunque diritto potesse avere sopra quanto ancora la Maona possedeva in Levante mediante l’annuo censo di L. 25,000, e così le rimase la total signoria di Scio sino a che ne venne spogliata dai Turchi. E questo quanto ai rapporti della società colla madre patria rela- tivamente al possesso dell’isola e sue dipendenze; ora ci rimane a dire alcuna cosa delle sue condizioni esterne. Come mezzo per poter con tranquillità e sicurezza attendere al (1) Archivio di S. Giorgio in Genova. Liber magnus contractuum. (2) Liber iurium. Tomus II, col. 1016. (3) Codice Giustiniano. Libro I. M. S. nell’Archivio generale del regno. (*) « Prima di tal epoca i membri di quest’albergo non erano ascritti alla nobiltà , e se Fran- » cesco Giustiniani Campi fu conte palatino, ebbe tal titolo personale nel 1413 dall’imperatore » Sigismondo; e siccome possedevano essi sulla seconda metà del secolo XV case nella contrada » della Chiavica, nella quale stava una loro loggia ed aveva stanza il loro albergo in quella di » Malcantone e della Croce di Caneto, come risulta dalle Pandette Richeriane, libro fasciato » di cartina, così fra le famiglie popolane dovettero, esser stati ascritti alle compagne P/ateae longae e Machagnanae, che comprendevano tali Corestagie ossia contrade popolari, secondo l’estratto di un registro del 1471, riporlato dal preclaro cav. Luigi Belgrano a pagina 252 dei » Documenti inediti riguardanti le due crociate di San Ludovico IX re di Francia. Genova, in corso è » di stampa. » DI DOMENICO PROMIS. ° 243 commercio, ogni sforzo sempre fece questa compagnia per mantenersi in ottime relazioni coi suoi vicini, anche con gravi sacrifizi procurando di conservare l’amicizia dei Greci e massimamente dei principi mun- sulmani dell'Asia minore, contuttociò trovossi alcune volte in grave pericolo la sua esistenza non solamente per parte di questi barbari che speravano di fare in Scio un grasso bottino, ma anche per parte dei Veneziani acerrimi rivali del commercio della sua nazione. Ed appunto già prima che avesse fine il secolo decimoquarto questi avevano occupata Focea vecchia ed i Turchi l’isola di Samo, ma presto riavutele , dovettero i maonesi per le due Focee prestare nel 1403 omaggio al sovrano dei Mongoli, e dopo la caduta di questo pagare un tributo al sultano dei Turchi, ed un’annualità di 500 ducati al Selgiuchida Sarruk-kan, pesi che però presto cessarono per interposizione di Pietro Zeno signore di Andros. Appena erasi ciò aggiustato, che, vedendo essi come Genova era caduta sotto il giogo di Francia, pensarono ad intieramente staccarsene, e gridata la libertà ne cacciarono il podestà altro loro proprio sosti- tuendovi; per poter poi provvedere alla difesa dell’isola, pel caso che il governatore francese intendesse di mandarvi una flotta, si fecero im- prestare dai commercianti in essa residenti 15,000 ducati, e nel giorno 21 dicembre 1408 ne proclamarono l’indipendenza. Ma giuntovi sulla metà dell’anno susseguente l’ammiraglio genovese Corrado Doria con un nu- meroso stuolo di galee, e senza spargimento di sangue avendo occupato il castello, li indusse a rientrare nell’obbedienza, e questo fu il solo tentativo di rivolta per parte dei maonesi. Due anni dopo, cioè nel 1411 (1), quando meno sospettavasi, sette navi di Catalani, nemici acerrimi dei Genovesi, sbarcarono le loro ciurme presso la città, e dopo averla battuta colle bombarde si ritirarono, sac- cheggiatine però prima i dintorni. I maonesi, armate in fretta cinque navi dei loro connazionali che trovavansi nel porto, alle quali poi si aggiunse una galea mandata da Dorino Gattilusio signor di Metelino, e messivi sopra 800 soldati, li raggiunsero nel porto d'Alessandria, e dopo varii giorni di combattimento ripresero il fatto bottino, col quale ritornarono nella loro isola. (1) Iohannis Stellae Annales Ianuenses. Muratori, Rerum Italicarum scriptores. Tomus XVII, col. 1238. 344 LA ZECCA DI SCIO ECC. Avendo nel 1413 inteso che sul trono ottomano era asceso Maometto Î e che era venuto a Smirne, subito mandarono ambasciatori a compli- mentarlo (1); ma nel mentre che cercavano i mezzi per guarentirsi dalla parte d’Oriente, venivano gravemente minacciati da Ponente, chè i Veneziani conoscendo come, stante la situazione interna di Genova, le sarebbe stato sommamente difficile di dare alcun valevole aiuto a Scio, nell’ottobre del 1431 (2) mandarono nell’Arcipelago sotto il co- mando di Andrea Mocenigo una flotta di 36 e più vele, la quale sbarcò nell'isola una numerosa soldatesca, che subito diede l'assalto alla città; ma valorosamente difendendosi i cittadini, grazie specialmente alla grande energia del podestà Raffaele Montaldo, dopo un forte cannoneggiare e vari assalti, lasciativi morti col capitano Scaramucia molti dei loro, dovettero scornati ritirarsi e non pensar più a tale impresa. I maonesi con questo poco o nulla ebbero a soffrire nel loro com- mercio, che anzi, grazie alla somma loro attività ed onestà, andossi talmente sviluppando, che i loro porti divennero i più importanti di quelle parti ed erano frequentati non solo dalle navi delle nazioni che toccano al Mediterraneo, ma persino dalle inglesi, che venivano a mer- canteggiarvi ed esportarne allume e mastice, e specialmente di questo caricavansi ogni anno da 430 quintali, che vendendosi 45 lire caduno faceva sì che a ciascuna duodena, ossia per ogni tre caratti grossi toc- cavano incirca 1500 lire (3), cosicchè compreso l'appalto dell’allume che veniva dalle Focee e le imposte che sopra vari oggetti percepiva la Maona, si calcolavano a centomila ducati d’oro «ascendere le sue entrate, somma in quei tempi assai considerevole. Questa condizione economica della società durava ancora prospera- mente verso la metà del secolo decimoquinto, quando contro le sue possessioni ebbero principio le minaccie e poi gli attacchi per parte dei Turchi. Sin dal 1435, essendosi il sultano Amurat IT impadronito delle due Focee, i maonesi, per timore di uno sbarco sopra Scio, col mezzo di ambasciatori gli avevano offerto un’annua retribuzione di quattro mila fiorini d’oro, e ciò mediante ottennero la loro restituzione e molti (4) Michaelis Ducae historia byzanlina. Bonnae 1834, pag. 106. (2) Giusliniani Andreolo - Poemelto inedito sopra l’assedio di Scio postovi dai Veneziani nel 1431. 3) Hopf — Articolo Giustiniani, pag. 333. DI DOMENICO PROMIS. 345 vantaggi pel loro commercio. Essendogli alcuni anni dopo succeduto Maometto Il, questi, dopo la presa di Costantinopoli nel 1453 e per la cui difesa tanto aveva operato il maonese Giovanni Giustiniani Longo, pensò di ridurre sotto la sua soggezione le varie signorie che i Latini ancora possedevano in Levante; e siccome tra esse Scio godeva la fama di esser un ricco emporio, così fu una delle prime di cui decise d’im- padronirsi, e colto il pretesto che i maonesi fossero debitori verso un Francesco Draperio, nobile e ricco mercante genovese di Pera, che pretendeva da loro quaranta mila aspri per allume di rocca, il quale debito essi gli negavano, contro l'isola mandò nel 1455 una flotta (1); ma siccome sin dal 1440 le fortificazioni della città erano state d’assai aumentate e nel porto trovavansi venti navi genovesi, arditamente essi risposero all’ammiraglio turco che nulla dovendogli, facesse pure quello che credeva. Visto egli che per essere la città troppo ben difesa eragli impossibile di prenderla, rovinate le campagne, se ne allontanò; ma ritornatovi amichevolmente ad istanza dello stesso Draperio, che tro- vavasi sopra una delle sue navi, s intese che due dei Giustiniani sarebbero andati ad Andrinopoli dal sultano per trattare; ma frattanio le ciurme avendo insultato i cristiani, si venne colle medesime alle mani, e nel ritirarsi esse sulle navi una se ne affondò. La flotta già maltrattata dal cattivo tempo si ritirò a Gallipoli, d’onde, d’ordine di Maometto, irritatissimo pell’accaduto, nuovamente partì sotto il comando d'altro bascià, il quale, prima occupate le Focee colla prigionia dei mercanti genovesi che vi si trovavano (2), si recò avanti Scio, ma i maonesi , affine di evitare una guerra della quale temevano le conseguenze, ven- nero a trattative e convennero di pagare 30,000 ducati per la nave perduta e 10,000 di tributo, e mediante questo confidavano di non essere più molestati da quei terribili vicini; ma d’assai s'ingannarono, chè quel governo nessuna occasione tralasciava per vessarli sempre colla speranza di estorquire loro nuovi denari, e questa si offerse quando nel 1486 (3) dopo aver Francesco de’ Medici con una galeotta recato molti danni al commercio turco, si ritirò per alcuni mesi nel porto di Scio; per il che fingendo i danneggiati di credere che i Giustiniani (4) Michaelis Ducae historia byzantina, p. 322. (2) Michaelis Ducae historia byzantina, pag. 333. (3) Bosio — Storia dell’ordine gerosolimitano, Tomo H. Napoli 1630, pag. 495. Serie II. Tom. XXIII. TS a 346 LA ZECCA DI SCIO ECC. sopra di essa avessero interessi, si indirizzarono al sultano perchè da essi facesse loro restituire il tolto. Baiazette, uditili, condannò i maonesi a questo ed inoltre ad una multa tale, che il pagarla sarebbe stato la loro rovina. Mandarono essi subito Lanfranco Pateri al gran maestro di Rodi Pietro d’Aubusson, pregandolo che interponesse in loro favore i suoi buoni uffici presso la Porta; ed esso in modo operò che ottenne venissero in tutto assolti, pel qual servizio gli inviarono in dono un magnifico bacile d’argento accompagnato da lettera di ringraziamento dell’ufficio della Maona in Genova. La condizione economica della società per tali fatti facevasi ogni giorno più critica, chè quantunque le sue entrate fossero tuttora pro- spere, tuttavia per poter pagare i tributi alla Porta, e pei forzati arma- menti che doveva fare affine di tenersi pronta a qualunque estero attacco, fu costretta a contrarre imprestiti, e mediante questi e nuove imposte sull’isola potè continuare a soddisfar ancora per molti anni agli obblighi cui erasi vincolata, e conservarne il possesso quantunque quasi abban- donata dalla madre patria, la quale mandando nel 1558 Giovanni Franchi quondam Francesco Tortorino, ambasciatore a Costantinopoli, gli diede per istruzione che qualora sapesse che i maonesi ve ne inviassero uno proprio, dovesse dissimulare la sovranità di Genova sopra Scio per ron dare alcuna causa di scandalo nè di ammirazione, ed a Nicolò Grillo, che vi doveva risiedere come bailo, a noi pare che non dobbiate pigliar alcuna cura di giurisditione nè di protettione de’ Sciotti nè de’ Peroti (1); e quantunque sin dal 1564 conoscesse i grandi preparativi che la Porta faceva contro quest'isola, per nulla si mosse, e lasciò che tanto essa come le altre sue colonie, abbandonate a se stesse, nelle mani dei Turchi miseramente quasi senza difesa cadessero. Correva l’anno 1566, e siccome, trovandosi i maonesi in grandi angustie, da due anni avevano ritardato al sultano il pagamento del solito tributo, che già era salito alla cospicua somma di 14,000 ducati d'oro annui, oltre i donativi di panno scarlatto ed altro agli ufficiali del serraglio, e per soprappiù il gran visir Maometto, uomo molto feroce, avendo fatto credere a Solimano (2) che l’acquisto di Scio sarebbe stato (4) Descrizione del viaggio dell’ambasciatore genovese a Solimano nel 1558, scritta per Marcan- tonio Morinello. M. S. dell’archivio generale del regno in Torino. 2) Bosio — Storia dell’ordine gerosolimitano. Parte INT. Napoli 1864, pag. 755. DI DOMENICO PROMIS. 347 di grande utile allo stato pel prodotto del mastice e pel comodo suo porto , esso ordinò al capitan bascià Pialì che ad ogni costo se ne impadronisse. Con 120 galee questi partì da Costantinopoli , e li 15 aprile 1566 fece capo ad un punto dell’isola detto Passaggio, dove divisa la flotta in tre squadre, come amico entrò ne’ suoi tre porti, e come tale ri- cevuto chiamò a sè il capo della Maona Vincenzo Giustiniani ed i dodici governatori , e subito fattili mettere in catene, trionfalmente entrò nella città che lasciò saccheggiare dai suoi soldati, e fatta inalberare sul castello in luogo della bandiera della croce rossa quella della mezza- luna, sopra cinque navi mandò a Costantinopoli i principali dei Giusti- niani colle loro donne e fanciulli. Dei ragazzi ventuno furono tolti ai parenti, affinchè , abbracciato l’islamismo, fossero allevati nel serraglio; ma diciotto amarono meglio morire nei tormenti che abbandonare la propria religione, e gli altri tre, abbenchè circoncisi, appena il poterono fuggirono a Genova ritor- nando al cristianesimo. Intanto i poveri maonesi stettero qualche tempo nelle carceri di quella città, indi furono rilegati a Caffa nella Crimea, donde, dopo alcuni anni, ad intercessione di Francia, ottennero i superstiti dal sultano Selim di ritornare a Scio o di andare a Genova, dove la maggior parte infatti si recò, ed i loro discendenti sempre, abbenchè imutilmente, reclamarono sino al 1805 dalla repubblica il rim- borso delle somme da essi versate nella banca di S. Giorgio a titolo di guarentigia: verso il governo, e che ammontavano a seicento luoghi col loro interessi. Di quelli che ritornarono a Scio vivono ancora vari discendenti, dei. quali molti, dopochè Genova nel 1814 venne annessa al Piemonte, ottennero la cittadinanza sarda, e di essi è Ignazio Giustiniani, tuttora vescovo del rito latino nell’isola. Questi poveri cristiani, abbenchè sotto il giogo dei Turchi, poterono ancora godere di una discreta libertà sino al 1694, quando, mediante il loro appoggio , venne l’isola occupata dai Veneziani (1); ma per la loro poca perizia nelie guerre di terra e per le cattive condizioni della flotta, presto essendo stati costretti a ritirarsi abbandonando per la fretta sino le munizioni militari, lasciarono che senza colpo ferire gli (4) Dell’acquisio e del ritiro dei Veneti dall’isola di Scio nell’anno 1694 (Trento 1710). 348 LA ZECCA DI SCIO ECC. Ottomani vi rientrassero (*). Allora per vendicarsi questi imposero ai Giustiniani enormi tributi, ridussero le chiese che ancora esistevano in moschee , e proibirono il loro pubblico culto ai cattolici. Così Scio, dopo essere stata per due secoli sì fiorente sotto il dominio di questa società di Genovesi, da contare sino a centoventi mila abitanti, e nei suoi porti sempre un gran numero di navi di tutte le nazioni del Mediterraneo, perduto il suo commercio e rovinati i magnifici edifizi e templi che i Giustiniani vi avevano innalzati, poco per volta venne ridotta a quel misero stato nel quale trovansi le varie isole dell’Arci- pelago soggette all'impero ottomano. MONETE DE’ ZACCARIA BENEDETTO I. Come già abbiamo veduto, questo ricco e prode genovese per conto proprio nell’anno 1301 s'impadronì dell’isola di Scio, e conservandovi apparenti segni di dipendenza dall'impero greco vi esercitò i diritti di sovranità, e siccome tra questi non ultimo certamente è quello di avere propria zecca, vi è tutta probabilità che ne abbia usato, quantunque sinora nessuna moneta che gli si possa attribuire si conosca, come nemmeno se ne trova menzione in alcun documento, poichè coll’atto rogato in Genova nel 1311 (1), pel quale il suo figliuolo Paleologo si obbliga verso Enrico Suppa ed Andriolo de Cucurno per la somma di perperi 5,504. 7 auri bonos ad sagium Sij, non volle già significare perperi battuti in Scio ma secondo il peso nell’isola usato , dovendo tale specie di moneta pesare un saggio. Siccome poi avremo in seguito soventi volte a far menzione di questo saggio, crediamo utile indicarne l'origine. Sin dai tempi dell’ im- peratore Costantino I si prescrisse un campione secondo il quale si avessero a lavorare i soldi d’oro e chiamossi exagium solidi, cioè saggio (*) « Essendosi questa impresa dei Veneziani fatta l’anno primo del dogato di Silvestro Valier, » coll’osella secondo l’uso allora coniata se ne volle conservare la memoria, meschina gloria di » governo cadente, » (1) Pandette Richeriane fogliazzo A, foglio 10. DI GIUSEPPE PROMIS 349 del peso del soldo; conservossene l’uso nei tempi di mezzo nell'impero greco, dividendolo in 24 caratti, e di essi 72 a Costantinopoli abbiso- gnavano per una libbra; e tale denominazione di caratti s’introdusse nella decadenza in Italia per distinguere i vari gradi di bontà ai quali si riconosceva l'oro nell’operazione chimica cui a tal effetto si sottopone, come per indicare le somme che da diverse persone si raccolgono, affine di costituire un capitale di una società mercantile od industriale, della quale secondo la somma esposta raccolgono i frutti. Ritornando a Benedetto, il non aversi alcuna sua moneta ed il non trovarsene cenno in alcun luogo, non proverebbe già che non debba esisterne, essendochè anche dei suoi nipoti, dei quali ne abbiamo alcune preziose, or sono pochi anni nessuna era nota; perciò non crederemmo impossibile che un giorno in qualche isola dell'Arcipelago, o nelle pro- vincie che lo toccano, qualcheduna se ne scopra, e forse anche col tipo del matapane o del tornese piccolo, perchè monete in quelle parti state da vari ed in gran copia battute. Dovremmo ora cercare se miglior fortuna si avesse per quelle del suo figliuolo Paleologo; ma prima, stantechè abbiamo a parlare di mo- nete battute in Oriente, crediamo necessario di dare alcuni cenni sopra quelle che nell’impero bizantino circolavano, e che in parte vedremo essere state dai nostri genovesi imitate. Esse dividevansi in due classi, cioè le battute nelle officine imperiali ed aventi un corso legale, e quelle o coniate nei possessi che vi tene- vano i Latini, o che provenienti dall’Italia per la loro eccellenza erano su quei mercati molto apprezzate. In questi tempi, cioè intorno al 1300, dalle officine greche si emettevano se in oro perperi e mezzi, se in argento milliaresi e caratti ed in rame stanmini o folleri. I perperi, nelle terre di Ponente, perchè coniati in Bisanzio chiamati bisanti, rappresentavano il soldo d’oro romano, e quantunque sovente di bontà inferiore agli antichi, tuttavia sempre settantadue ne abbisognavano per una libbra, pesando essi un saggio, dei quali per essa 72 ne vo- levasi, e dividevansi nominalmente in 24 caratti (1). Essi comunemente trovansi al titolo di caratti 23, ma se ne hanno del sultano d’Iconium (1) Della decima Fiorentina. Tomo III. Della mercatura di Balducci Pegolotti, trattato scritto sul 1330, pag. 23. 350 LA ZECCA DI SCIO ECC. eccellenti, che si distinguevano col nome di disanti saracinati (*). Questa moneta continuavasi dai Greci a battere ancora a tal bontà nel secolo XIV, come consta dall’atto sopracitato del 1311, nel quale leggesi perperos 5,504 7 auri bonos ad sagium Sij, quorum quilibet debet esse carat- torum 23 auri pagabili in Foggia oppure in Genova, calcolato cadun perpero compreso il cambio soldi rr di questa moneta ; più da altro dello stesso anno (1) avente perperos auri bonos et iusti ponderis ad sagium Peyrae, ed altro ancora del 1310 (2) col quale un tal Negro per L. 200 ricevute in Genova promette di pagare nello spazio di tre mesi, giungendo in Romania (**), ad Antonino di Quinto perperos 400 auri boni et iusti ponderis ad sagium Constantinopolis. Essi in questa carta furono contati per soldi ro genovesi, ma forse tale basso valore fu dato per causa del cambio, vedendo che furono valutati sempre di più, per esempio nel 1311 soldi 12 e 15, nel 1343 soldi 18, nel 1346 soldi 15, e soldi 14 nel 1352 (3). De’ soldi d’oro fu anche in grande abbondanza battuta la metà, e questi pezzi per contenere sopra un saggio suo peso legale sola- mente 11 caratti d’oro e 6 d’argento oltre 7 di rame (4) parevano affatto di argento, onde dai negozianti di Ponente, per distinguerli dai soldi d’oro aventi lo stesso impronto, si chiamarono disanti bianchi, ma nel commercio d'Oriente semplicemente perperiî vedonsi in generale detti. Essi furono contraffatti nel secolo XII dai re Lusignani di Cipro Ugo I, Enrico II ed Ugo III. Tali bisanti correvano per soldi ro quando il genovino d’oro valeva una lira, ed a Venezia (5) si contavano sempre per mezzo ducato d’oro. Vengono in seguito i mi/Ziaresi, dei quali 12 ne volevasi per un perpero ossia bisante bianco, e dividevansi in due caratti, composto ciascheduno di 18 folleri. Dai Latini furono nel 1200 chiamati grossi, (*) « Questi pezzi in carta di Genova del 1268 (ogliazzo I, fogl. 171 e 173) sono valutati » lire una genovese, cioè più del fiorino d’oro, che nel 1268 (idem foglio 176) correva per » soldi 14. 2 e 14. 4, corso però ben presto aumentato, chè nel 1329 (idem foglio 3) era salito a » soldi 25, al qual valore rimase sinchè sì cessò dal batterne quando si emisero i ducati larghi » migliorati, ed il fiorino di soldi 25 conservossi nominalmente sino al secolo XVI. » (1) Pandette Richeriane, fogliazzo A, foglio 10. (2) Idem, fogliazzo I, foglio 162. (**) « Col nome di Romania nei bassi tempi dagl’Italiani intendevasi l’impero greco. » (3) Idem, fogliazzo A, fog. 10. (4) Della decima fiorentina. T. III, pag. 23. (5) Marin — Storia civile e politica del commercio dei Veneziani. T. JII, pag. 63. DI DOMENICO PROMIS. 35: perchè tale era la denominazione che usavano dare alla loro maggiore mo- neta d’argento che a questa approssimavasi. Pesatine vari, cominciando | da quelli di Basilio I nell’ 870 sino ad Andronico II nel 1300, li trovammo variare tra i grammi 2.600 e grammi 2.080 per gli ultimi, onde in co- mune riconobbimo che 12 appunto dovevano equivalere ad un perpero. Metà dei milliaresi sono i carattî, monetine d’argento, il cui nome proviene dal greco Kepez:oy, equivalente alla parola latina siligua, voce che egualmente indicava un peso ed una moneta, ma che era sempre la ventiquattresima parte del soldo, e constavano di 4 tornesi piccoli (*). Abbiamo indi gli aspri o bianchi, che sono pure monete d’argento, ma essi non appartengono alla classe di quelle battute nella zecca di Costantinopoli, essendo stati coniati in Trebisonda da quegli imperatori, secondo il Pfaffenhoffen (1) dal 1235 alla metà del secolo XV, e con- stavano di 8 caratti, epperciò equivalevano ad un terzo di perpero bianco. Nei primi secoli dell'impero bizantino la moneta di rame chiamavasi follere dal nome del sacco di pelle nel quale usavasi portare, e se ne batteva a valori diversi; ma ai tempi dei quali trattiamo due soli si coniarono, cioè intieri e mezzi che furono detti dagli Italiani stanmini (2), e 32 se ne voleva per un milliarese, epperciò 334 facevano un perpero. Siccome essi non servivano che pel minuto commercio dell’interno del- l'impero, non trovansi mai nominati nei documenti che conosciamo, nei quali trattasi di monete. Ecco quale era adunque il rapporto fra tali specie di monete a quest'epoca : Il soldo d'oro 0 perpero buono dividevasi in 24 milliaresi. Il mezzo perpero o bisante bianco o semplicemente perpero. . . » 192 milliaresi. Il milliarese o grosso grande . . » 2 caratti. Il caratto o siliqua o grosso piccolo » 4 piccoli tornesi. Il piccolo o tornese piccolo . . . » 4 folleri ‘o stanmini. (*) « A questo proposito dobbiamo notare un errore occorso nella stampa o copia del Pegolotti, » ed è che dopo aver detto come si spende a Costantinopoli una moneta d’argento da 12 per un » perpero, soggiunge che mettesi detto grosso per quattro tornest piccoli, indi più basso parlando » del Veneto nota che per esso voglionsi otto di detli piccoli. come /o grosso grande del perpero » detto di sopra, ma ciò sopra non trovandosi sì vede che ivi cominciando a parlare dei grossi » da 8 piccoli saltossi agli altri da 4 cioè ai caratti. » (1) Essai sur les aspres comnenats, ou blanc d’argent de Trébisonde. Paris 1847. (2) Della decima fiorentina ut supra. 352 LA ZECCA DI SCIO ECC. E siccome parlando di esse sempre avremo a calcolarle mettendo per base il mezzo perpero o bisante bianco, così notiamo che bisante : = 12 milliaresi = 24 caratti = 96 tornesi piccoli = 384 folleri o stanmini. Passando alle altre che più si apprezzavano sui mercati dell'impero, e che o erano emesse dalle zecche dei crociati, o provenivano quasi esclusivamente dall’ Italia, esse erano i fiorinî d’oro, i grossi veneti, i tornesi piccoli e indi i gigliati. La più importante era il fiorino d’oro, fosse esso al conio di Firenze, di Genova o di Venezia, che appena comparve in Levante subito venne grandemente ricercato , e specialmente il veneto, conosciuto in causa della sua leggenda col nome di ducato, e che ancora pochi anni fa era in Oriente molto apprezzato. Esso, come abbiam veduto, nei primi anni del 1300 equivaleva a due bisanti bianchi. Tra le monete d’argento le prime che comparvero in Grecia nei tempi di mezzo furono i grossi di Venezia detti matapani, dei quali il Pegolotti scrisse che 12/3» a 13, sempre inteso secondo il cambio, ne abbisognavano per un perpero, e che dividevansi in otto tornesi piccoli. Secondo Martino da Canal (1) vissuto sulla metà del XII secolo, furono tali grossi fatti coniare dal doge Enrico Dandolo per la paga dei carpentieri che lavoravano a preparare la flotta, la quale nel 1203 portò i crociati in Grecia, stantechè l’altra moneta era troppo minuta, ma invece ben altre superiori ragioni devono aver indotto ad introdurre tale novità nella moneta. Tutti conoscono che quel governo, nel mentre che apparentemente si disponeva a concorrere per riconquistare i luoghi santi sui Saraceni, aveva intenzione di servirsi dell’opera dei cavalieri franchi per occupare l'impero greco col quale aveva ruggine, ed a tal impresa preparandosi , pensò di far battere una moneta che alla im- periale d’argento nel tipo e legge s’avvicinasse, la quale così vi sarebbe stata più facilmente ricevuta nelle minute contrattazioni con quella facil- mente confondendosi, e non saremmo lontani dal credere quanto da taluni fu scritto, che, giunta la flotta veneta al capo Matapane in Morea e fer- matavisi, il doge aspettasse ivi a distribuire i nuovi grossi, per il che dal sito il nome prendessero. Quelli che dopo i grossi ebbero miglior fortuna nel commercio d’Oriente furono i gigliati. Questa bella moneta d’argento battuta la prima volta da Carlo II d’Angiò re di Napoli sul 1300 a oncie rr e (1) Cronaca veneta — Archivio storico italiano T. VII, pag. 320 DI DOMENICO PROMIS. 353 soldi 3 (1), che corrispondono a denari 6; ossia a grammi 937 di. fine ed a pezzi 80 per libbra, onde del peso di, denari 3. 3: pari a grammi 4 cadun pezzo, fu. contraffatta a Scio, dai. Genovesi ,. come vedremo , a Magnesia di Sipilo dal sultano, Selgiuchide Ssaru-Kan (2), ed imitata dai cavalieri gerosolomitani in Rodi (*) e dai re di Cipro, i quali; tutti la lavorarono poco presso alla stessa legge. Anche fra questa classe di monete devono collocarsi altri aspri coniati specialmente dai cavalieri gerosolomitani in Rodi per lo stesso valor nominale di quelli di Trebisonda, cioè per 8 caratti, pari, a 16 tornesi piccoli, e di essi perciò tre facevano un bisante d’argento. Dopo questi aspri vengono i fornesi piccoli,, ed ecco come si intro- ducessero dalla Francia in Oriente. Vari baroni franchi in seguito alla; sopraddetta crociata essendosi impadroniti della Morea, le monete loro. nazionali vi portarono , con- tentandosi però di battervi solamente: di quella specie. più: necessaria: al minuto commercio, e che per essere. di, bassa: lega: procurava: al loro erario un maggior guadagno, cioè denari tornesi o tornesi piccoli, dei quali 12 facevano un grosso d’argento, fine. Tali pezzi però che nelle zecche del re di Francia lavoravansi a denari 3. 10 (3), vennero da essi alterati e ridotti a denari 2. ro (4) (**) ossia millesimi 20r. Come sinora risulta, si cominciarono a coniare dai principi di Acaia sulla metà del secolo XIII, e siccome si trovarono pel loro piccolo vo- lume assai commodi in un paese dove altra moneta bassa non esisteva che la grossa di rame, presto s’introdussero in tutto l’Arcipelago ed a Costantinopoli stessa, ed erano ricevuti in ragione di otto pezzi per un grosso matapane (5), onde davasene 96 per un perpero. (4) Della decima fiorentina. T. III, p. 184. (2) Friedlaender — Lateinischen Munzen der Sarcan oder Ssaru-Kan Seldsuken-Emirs in Lydien. Berlin. (£) « A_ Rodi si contava a bisanti bianchi, e. per uno di essi ci volevano gigliati 1 1|2, od' aspri 3, » o caratti 24, o tornesi piccoli 48. » A Cipro però le monete che lavoravansi erano in tutto uguali ai gigliati, ma nomavansi » bisanti bianchi o d’argento, od anche grossi grandi, che dividevansi in due grossi piccoli, in » 24 caratti ed in 48 tornesi piccoli. » (3) Le Blanc — Traité historique des monnoyes de France, pag. 315. (4) Della decima fiorentina. T. Ill, pag. 108. (*) « Conservammo il sistema duodecimale, perchè quello in uso sino a tutto il secolo XVIII, » riducendo però i vari marchi o libbre a. quello di Troyes. adottato nella zecca di Torino e corrispondente a grammi 245,896,338. » (5) Della decima fiorentina, T. III, pag. 23, 69, 93. Serie II. Tom. XXIII. “ x N 354 LA ZECCA DI SCIO ECC. Monete di rame dei crociati (non intendendo parlare di quelli di Soria e dei re d’Armenia) non esistono, chè invece dei folleri batterono tornesi piccoli i quali ne presero il luogo, vedendo che se alla Tana un aspro valeva 16 folleri (Pegolotti pag. 6), a Rodi esso valeva sei tornesi piccoli. Avendo specificato il rapporto esistente fra le varie specie di monete uscite dalla zecca di Costantinopoli, crediamo utile di notare anche quello che con esse avevano le monete ora descritte dei Latini. Il fiorino 0 ducato d’oro equivaleva a 2 bisanti bianchi. Tate lato MISI RIS: RI IACSN IENA TA TCQnAti. Il ‘grosso matapane. %. ©. .a 2 carati. I) \tornese piccolo a ddillcaratto? Essendosi adunque veduto don fossero le varie specie di monete correnti sul finir del XIII e nel XIV secolo sia nell'impero greco che negli stati posseduti dai crociati in Oriente, ciò che ci era necessario di conoscere per ben classificare quelle di Scio, e nessun indizio avendo che abbia emesso propria moneta Paleologo figliuolo di Benedetto Zac- caria nei pochi anni che ne ebbe il possesso, passiamo a descrivere quelle dei suoi figli, cioè le prime che conosciamo di questa celebre fami glia. MARTINO £ BENEDETTO II. Questi fratelli, come avanti si è detto, successero al padre Paleologo circa il 1314 nella signoria di quest'isola, ma risulta che per poco tempo dovettero assieme governarla e presto venire tra loro a rottura, poichè nella donazione già citata di Filippo di Taranto a favore di Martino, si qualifica questi nel 1315 come solo signore di Scio; tuttavia, abbenchè forse appena un anno siano stati uniti, una moneta col nome di ambidue i fratelli conosciamo, comunicataci dalla cortesia del sig. Lambros. Questa è di buon argento (T. I, N. 1) ed ha nel diritto una croce pa- tente colle braccia un po’ ornate nelle estremità e con quattro perle nei loro angoli: attorno leggesi + M. &. B. ZACHARIE, cioè Martinus et Benedictus Zacharie; nel campo del rovescio vedesi un castello con tre torri merlate, stemma crediamo della città, quando alle volte non fosse DI DOMENICO PROMIS. 355 quello dei Zaccaria ora direi ignoto (*), ehe forse potrebbe anche esserlo stato essendo questo ramo detto de Castro da un Zaccaria avo, di Be- nedetto I, perchè in Genova teneva casa e portico nel quartiere di Castello; comunque però la cosa sia, esso è quello che sempre vediamo sulle monete di Scio, e che in seguito fu adottato dai maonesi, i quali col nome di Giustiniani lo conservano qual proprio stemma sino al pre- sente. La leggenda attorno al campo in questo pezzo è + CIVITAS. SYI, scritto secondo i Greci che la chiamavano Xtos, nome che verso il se- colo XV venne alterato e latinamente detto Chios. L’esemplare che descriviamo è del peso di grani 15.6, pari a grammi 0.815 e d’argento buono, onde non può essere nè un grosso, nè un aspro, nè un tornese piccolo, ma siccome è improbabile che i 2 Zaccaria abbiano nella nuova loro moneta voluto altre imitare che quelle meglio conosciute nell'impero greco, chè altrimenti essa non avrebbe potuto essere che con difficoltà ricevuta, epperciò dobbiamo procurare di conoscere se il nostro pezzo non sia uno spezzato od un multiplo di una delle sopraddette. Esso dal tipo che offre e dalla legge dalla quale vedesi retto , appartiene senza dubbio alla stessa classe di quelle monetine che numerose abbiamo dei maonesi, come in seguito vedremo , e battute nel XIV e XV secolo; ora fra queste scegliendo le più antiche che sono le meglio conservate, quantunque nessuna nuova di zecca, esse ci danno in comune grammi 1, e siccome compariscono d’argento uguale a quello dei grossi e ne pesano la metà, essendochè delle minime frazioni trattandosi di monete tanto usate è impossibile potere tener conto, in conseguenza esser non possono che mezzi grossi da ventiquattro per un perpero, epperciò caratti. Abbiamo ancora. notizia dell’esistenza di due altre monete colle iniziali di Martino e Benedetto II senza però conoscerne il disegno, nè averne la descrizione, ma solamente la leggenda di uno dei lati, che quantunque poca cosa, crediamo però utile di dare. Una ha le (*) « Il Della Cella nelle Memorie di diverse famiglie di Genova e di Riviera estinte e viventi 1789 » (Manoscritto della Biblioteca del Re in Torino), a foglio 163 dà lo stemma dei Zaccaria inquartato » 1 e 4 d’oro, 2 e 3 di rosso, ed in appoggio cita il Rivarola Description chronologica , y genea- » logica, civil, politica y militar de la Serenissima Repubblica de Genova, su govierno antiquo y moderno. » Madrid 1729. Tomo I, fol. 471. Quest’autore però dice solamente che tale era quello usato dal ramo » che possedette la città di Porto Santa Maria in Spagna senza addurne prova; ma nè in Genova, » nè nelle possessioni che questa famiglia ebbe in Levante esso punto si trova. » 356 LA ZECCA DI SCIO ECC. lettere M. .&. B. Z..S. V. IMP., e l’altra M..&. B. Z. S. V. IMPR,, cioè Martinus et Benedictus Zacharie Sii Vicarii Imperatoris (*); leg- gende tali che non potendo esser contenute in una moneta se non di diametro piuttosto grande, ci lasciano credere che debbano appartenere a matapani simili a quelli dei quali ‘ora parleremo. MARTINO solo. Abbiamo veduto che Benedetto, indispettito contro il fratello, doveva già nel 1315 essersi allontanato da Scio, restandone così a Martino libero il possesso; e ciò non solamente ci viene detto dagli storici ma provato anche dalle monete che ci pervennero battute esclusivamente a suo nome. Esse sono d’argento e di due specie, matapani e tornesi piccoli, cioè di quelle de’ Latini che avevano corso nel commercio di Levante. Dei matapani ossia grossi contraffatti ai buoni di Venezia, diamo due esemplari con leggenda diversa, ma ambidue nel diritto, dove nel veneto vedesi S. Marco in piedi che tiene colla sinistra il libro dei vangeli e dà colla destra una bandiera al doge, che ad imitazione della figura dell’impe- ratore greco (come sta rappresentato nelle monete bizantine) tiene un rotolo nella sinistra, hanno in luogo di S. Marco figurato S. Isidero protettore dell’isola, ed invece del doge Martino. Nel rovescio evvi. il solito Cristo sedente in cattedra e tenente un volume sulle ginocchia , 5 con vicino al gomito destro un segno simile alla lettera O, ma che deve esser quello dello zecchiere. Accanto alla testa vedonsi le due solite sigle greche 1c xc, per Incws yprsos. La leggenda è in tutti e due gli esemplari disposta come nei veneti, cioè accanto al santo S. ISIDOR SYI, contro il vessillo DUX, parola messavi per semplice contraffazione nulla avendo a fare col nostro personaggio, al cui lato un esemplare ha M - Z - $ - IMPATOR (T. I, nivi2))p i ellialtro WMIBISZ SV MIMPA CINI n° 3) eioenManzius Zacharie Sii Vicarius Imperatoris. Del secondo non conosciamo il peso, avendone solamente avuto il sa « Si noti in questa leggenda il titolo di vicario dell’imperatore preso dai due fratelli, il » quale dovrebbesi pure trovare sulle monete del loro padre ed avo quando se ne avessero, e » che prova quanto abbiamo veduto essere ‘stato scritto dallo storico Cantacuzeno che ciò si era » convenuto tra quelli imperatori ed i Zaccaria. » DI DOMENICO PROMIS. 3057 disegno dalla cortesia del signor ‘Carlo Kunz, ma quello del primo ‘è grammi 1.845 , cioè incirca 200 millesimi meno dei veneti, dovuto questo anche all'essere esso per il lungo uso piuttosto scadente; nella bontà però pare uguale .a questi. L'altra specie di monete «che conosciamo ‘di Martino è ‘il tornese piccolo. Esso (Tav. I, n.° 4) è una contraffazione di quelli d’Acaia con queste varietà che la croce del diritto è patente ‘ed ‘ornata ‘con tre perle alle estremità di ciaschedun braccio , ed ‘attorno dove in quelli è il nome e titolo del principe nel nostro leggesi -- M + ZACHARIE ossia Martinus Zacharie, e nel rovescio, attorno al solito tempio :con- venzionale tolto dalle monete di Francia, il nome della città nella quale il tornese fu battuto, e così: CIVITAS SYI. Pesa grani 10.7 ossia grammi o. 550 e dall’estrinseco pare ‘eguale a quelli di Morea che sono a denari 2. 12 o millesimi 200 incirca. Queste sono le poche e rarissime monete che ‘abbiamo potuto co- noscere battute in Scio e spettanti a questa ricca ‘e potente famiglia genovese estintasi crudelmente nell’Acaia nel susseguente secolo, come già si disse. MAONESI. Caduta di nuovo nel 1329 l'isola sotto l'impero dei Greci, igno- riamo se vi abbiano conservato la zecca; imperciocchè , siccome in questi tempi non usavasi più di segnare le :monete ‘bizantine colle iniziali dei nomi delle città nelle quali si battevano, quando non ne varia il tipo è impossibile distinguere da quale officina siano esse uscite , meno che abbiano un qualche special contrassegno , che però sinora in nessuna si è scoperto. Restando adunque inutile qualunque ricerca circa questa zecca in quegli anni, passiamo a trattare delle monete che vi furono coniate durante il dominio che ebbe in Scio la società dei Genovesi conosciuta sotto il nome di Maona. Abbiamo già detto che Simon Vignoso con una flotta allestita da vari armatori suoi compaesani si era impadronito di quest'isola, e che mediante una convenzione , fatta col comune di Genova li 26 ‘feb- braio 1347, loro ne era rimasto il totale possesso sotto l’alta sovranità ‘ della comune patria. In tal ‘atto abbiamo notato che anche si era 358 LA ZECCA DI SCIO ECC. venuto a patti per l’affare della zecca e che si era convenuto che al podestà fosse lasciato libero di fissare l’impronto, peso e bontà delle monete che si avessero a coniare, purchè su di esse si conservassero le stesse parole che leggevansi sulle genovesi, cioè Dux Zanuensium e Conradus Rex. Siccome però il comune era essenzialmente retto da cittadini , qual più qual meno, tutti commercianti, i quali perciò com- prendevano di quanto grande importanza fosse il poter essere sicuri della bontà delle monete che si emettevano, perciò si ordinò che i maonesi per la loro zecca in Genova avessero a prendere un buon saggiatore, e questa prescrizione venne rinnovata nell’anno 1373. Non consta se il Vignoso rimasto nell’isola alla testa dell’amministra- zione della società vi abbia subito fatto lavorare la zecca, oppure se alcun tempo ancora la lasciasse inoperosa; tuttavia stando alle parole della convenzione del 1347, cioè che sulle monete dovessero essere literae monetae ianuensis et figurae ut deliberabitur per potestatem, ed all'altra del 1373, che esse fossero cum literis et figuris monetae Ianuae, vel cum signis domini ducis IJanuae, non possiamo a meno di attribuire a questi anni, e dire che devono essere esse le prime coniate dai maonesi quelle monete che conosciamo colla figura del doge, e che per il loro tipo e forma delle lettere patentemente vedonsi spettare a questo secolo. Di esse nessuna consta esistere d’oro, e probabilmente nei primi tempi in tal metallo non se ne dovette coniare, ma solamente di ar- gento, procurandosi d’imitare quelle che allora erano maggiormente ri- cercate, e che importate nell’Arcipelago da Napoli si lavoravano con successo nelle officine di Cipro e di Rodi. Queste sono i gigliati (Tav. I, n.° 5), dei quali uno ha da un lato la figura del doge seduto in cattedra, tenente colla destra uno scettro sormontato da croce e colla sinistra un globo pure crociato ; il suo capo è coperto da cappello in forma di cono tronco e dal quale pendono due nastri, colla leggenda + DUX - IANVENS - QUEN - DEVS - PTAGAT, cioè Dux /anuensium quem Deus protegat, il che vediamo sui fiorini e grossi di Simon Boccanegra che fu il primo doge dal 1339 al 1345. Dall'altro lato evvi una croce filettata , fiorita ed avente negli angoli quattro gigli esattamente come negli angioini, ed in giro la solita leggenda delle monete genovesi +- CVRADVS - REX :- ROMANORVM, sempre conservatasi in memoria di tale importantissimo privilegio con- «cesso al comune da questo Cesare nel 1138. DI DOMENICO PROMIS. 359 Pesa denari 3. 10. 14 pari a grammi 4. 407; per la qual cosa dobbiamo dire che si vollero conservare uguali ai buoni, ed avendone appunto esaminati alcuni di Carlo II e di Roberto d’Angiò si trovarono di denari 3.2 e 3.7, altri di Rodi di denari 3.6, e di Cipro, cono- sciuti col nome di bisanti bianchi, di denari 3.12 e 3. 15. La bontà loro ad essi non deve in conseguenza nemmeno esser inferiore che sono a denari 11.3, ossia a millesimi 927 (*). L’altra varietà del gigliato che conosciamo, ed a quest'epoca cer- tamente appartenente (Tav. I, n.° 6), è nel tipo esattamente uguale da ambi i lati a quelli di Napoli, però colle stesse leggende dell’antecedente, solamente che il nostro esemplare è un poco in esse mancante per esser alquanto corroso. Ne ignoriamo il peso ed il titolo per possederne il disegno comu- nicatoci dal Direttore del Museo di Copenhaguen, signor Tompsen, che la morte viene di rapire alla scienza. Inferiore a questo bel pezzo , e che si possa con certezza sotto quest'epoca classificare, altra moneta non conosciamo che una piccola pure d’argento, della quale possediamo tre esemplari con qualche va- rietà, e dei quali uno (Tav. I, n.° 7) da un lato presenta nel campo con sotto una rosetta, segno dello zecchiere, il busto di faccia del doge vestito, pare, di vaio e coperto il capo col cappello, come nel gigliato , a forma di cono tronco, e con due nastri da esso pendenti, con in giro -- DVX - IANVENSIVN, e dall’altra ha una croce patente con attorno =>- CVNRADVS - REX. Altro affatto uguale al suddetto (Tav. I, n.° 8), ma nel quale per proprio contrassegno il maestro della zecca in luogo della rosetta mise un anello. E finalmente un terzo ai precedenti pure simile (Tav. I, n.° 9g), però colla testa più piccola e così pure la croce; manca in esso il segno dello zecchiere. Di queste tre monetine quella che offre una miglior conservazione pesa grani 18. 18 pari a grammi 1, e paiono tutte alla stessa bontà del gigliato. (*) « Nella decima fiorentina (T. III, pag. 92 e 184) è detto che a Napoli i gigliati sono ad » oncie fi e soldi 3, che corrispondono al titolo in questo scritto usato, cioè denari 11. 3, e che » a Rodi sono a denari ii e sterlini 3, ed a pezzi 57 il marco; ma ridotto questo ‘peso a quello » di Troyes, ciaschedun pezzo risulterebbe di denari 3, 8, 20 incirca. » 360. LÀ ZECCA DI SCIO ECC. Cosa fosse questo pezzo, come si. denominasse e qual rapporto avesse coll’altro maggiore non ci venne fatto di trovarlo indicato.in alcun luogo, in conseguenza dobbiamo cercarlo. paragonando. la quantità di fine che l’uno e l’altro contengono. Il gigliato pesando grammi 4. 407, e concesso:che sia allo stesso titolo di quelli di Napoli e di Rodi, cioè a denari ri. 3 ossia millesimi 927, deve contenere di fine grammi 4; 085, così la nostra monetina calcolata alla stessa bontà e pesando. grammi r, darebbe grammi. 0. 927; ed appunto: grammi 4. 085 divisi per quattro danno grammi i. 021 ‘/4 di fine, quantità bensì di 100 millesimi incirca superiore a millesimi 927, ma da non tenersene conto trattandosi di monete piccole sempre sca- denti dal peso legale, tanto più che sonosi conservate nel minuto commercio: dell’isola forse per due secoli, chè nuove di zecca dovrebbero essere di peso assai maggiore, onde non possiamo aver dubbio che siano il quarto del gigliato e la metà del grosso matapane, in conseguenza di quei tali pezzi ai quali sempre vedemmo calcolarsi i fiorini d’oro, cioè caratti, come già si è detto descrivendo la moneta di Martino e Benedetto; II. Dopo questi ne rimangono ancora molti altri e tutti di uguale legge, ma che per la diversità dei loro conii e varia forma dei caratteri si riconoscono ad essi posteriori, e difficili a classificarsi, essendovene dei battuti dal finir del XIV secolo sino alla metà incirca del XV; onde prima di essi crediamo di descrivere tre ducati d’oro, i soli di questa zecca che conosciamo, sebbene altri debbanvisi essere stati coniati, e probabilmente tutti contraffatti a quelli di Venezia variandone solamente le leggende. Il primo (Tav. I, n.° 10) presenta nel diritto il doge ginocchione con manto e berretto. ducale nell’atto di ricevere il vessillo deila croce da un santo in piedi che tiene colla sinistra un libro, ed accanto al quale perpendicolarmente leggesi S :- LAVRETI per Sanctus Laurentius , titolare della cattedrale di Genova, non già della latina di Scio, la quale, secondo il Lupazzolo che vi abitava ed: è citato dal Giustiniani (1), era dedicata a S. Antonio; accanto al doge evvi il suo nome così T - DVX - IANVE, e contro la bandiera ripetuto il DVX per meglio imitare (1) Scio sacra di rito lalino, pag. 18. DI DOMENICO PROMIS. 361 il ducato veneto. Qual fosse il doge il cui nome cominciasse con tal lettera facilmente rinviensi, chè avanti al 1500 nella loro serie evvene un solo, e questi è Tommaso da Campo Fregoso eletto tre volte, cioè la prima nel 1415, la seconda nel 1436 e la terza nel 1437. Sotto quali di questi dogati il nostro pezzo sia stato coniato è impossibile dirlo , avendo il primo durato sei anni, il secondo uno ed il terzo incirca sei. Il rovescio suo nel tipo e nella leggenda in nulla differenziando da quello di Venezia, è inutile che si descriva. Esso è del peso di soli denari 1. 19, ossia grammi 2. 299, e siccome pare appena giungere a millesimi 850, deve perciò contenere incirca grammi 1.900 d’oro fine, quando il veneto ne avrebbe grammi 3. 450, e tenuto anche conto che lo sciotto essendo molto corroso, è in con- seguenza ben calante dal suo peso legale, contuttociò è sempre a questo immensamente inferiore. Il secondo (T. I, n.° 11) posseduto dal signor Morel-Fatio di Parigi, che gentilmente ce ne favorì il disegno, è simile nelle figure del diritto al precedente, ma il nome del doge che leggesi è RAFAEL ADV. per Adurnus, e l’asta del vessillo appare piantata sopra qualche cosa quasi totalmente cancellata, ma che deve essere una S iniziale di Scio, come dal susseguente pezzo rilevasi. Nel rovescio poi attorno alla figura del Salvatore evvi GLORIA. I. EXCEL. DEO ET I. TERRA P., cioè Gloria in excelsis Deo et in terra pax ; nel che varia dal veneto sul quale leggesi sempre Sit tibi Christe datum quem regis iste ducatum. Ne ignoriamo affatto il peso ed il titolo, ma non crediamo di andar molto errati dicendolo consimile all’antecedente. Questo doge essendo stato eletto nel gennaio del 1443 quando fu deposto Tommaso Campofregoso, volontariamente nello stesso mese del 1447 rinunziò a tal dignità, onde in un di questi quattro anni fu battuto il nostro ducato. Il terzo (T. I, N. 12), che conservasi nel museo Correr di Venezia e nel regio di Copenhaguen, è uguale ai precedenti, solamente che il nome è PETRUS D C F, ossia Petrus de Campo Fregoso, e che l’asta della bandiera è piantata visibilmente sopra la lettera S, come sopra dissimo per Sté; e questo quanto al diritto; nel rovescio poi non varia che in qualche lettera nella leggenda così: GLORIA . I. EXCE.DEO.ET.L. 85° TERA. Non abbiamo notizia del suo peso e bontà, ma non dovrebbe gran fatto variare dal primo. Serie IL Tom. XXIII 46 362 LA ZECCA DI SCIO ECE. Pietro di Campofregoso fu dal popolo innalzato a questa suprema magistratura quando nel dicembre del 1450 ne depose il suo agnato Gian Campofregoso, e durò nella signoria sino al febbraio del 1458, allorchè dovette cederla a Prospero Adorno; e questo è l’ultimo ducato di Scio che conosciamo, quantunque ancora per un tempo pare debbasi essersene battuti. Dopo questi ducati avremmo a collocare la serie di quelle monete d'argento che abbiamo sopra menzionate; siccome però variano dalle precedenti portando indi in poi tutte il nome della città quando le prime non l'hanno, così anzi tutto crediamo di dover rispondere alle obbiezioni che ci si potrebbero fare relativamente a quelle sinora descritte come bat- tute in Scio dai maonesi, cioè che non se le possano attribuire non leggendovisi il suo nome, nè veggendovisi il castello turrito che sempre si trova sopra quelle colle parole Civitas Sii o Chii. Cominciando adunque da quelle di argento, che sono le più antiche, procureremo di provare che nè a Genova direttamente, nè alle colonie che in quest'epoca essa possedeva in Oriente devono le nostre monete spettare. Per il tipo che presentano e per la loro specie non possono per alcun verso appartenere al sistema monetario in vigore in quella città, che fuori della porta e croce altro mai permise che fosse im- prontato sulle sue, che sempre si divisero in lire, soldi e denari. Nemmeno può dirsi che vi siano state battute per le sue colonie, chè il loro intaglio sente la lontananza dall’Italia , e poi alcuna sarebbesi nel suo territorio scoperta, quando tutte nelle isole dell'Arcipelago esclu- sivamente trovansi. In quanto alle colonie nelle quali per la loro im- portanza potevasi tener aperta una zecca, esse si riducono a Pera, Caffa, Famagosta e Scio. Nella prima certamente no, chè giammai si sarebbe tollerato dagli imperatori greci che in un borgo della loro capitale stranieri venissero ad usare di un tal diritto, del quale alcun cenno nemmeno trovasi nei diplomi coi quali essi ai Genovesi concessero quella residenza , così nessun pezzo sinora si conosce che per alcun indizio possale attribuirsi. Riguardo a Caffa, si hanno bensì sue monete, ma tutte piccole, basse e con leggenda araba da un lato, perchè esclu- sivamente battute pel commercio della colonia coi Tartari, e queste crederei aspri del secolo XV. Di Famagosta poi non conosconsi. che piccoli tornesi necessarii pelle contrattazioni dell’interno della città, chè per tutte quelle più importanti che si facevano colle altre parti DI DOMENICO PROMIS. 3653 dell’isola dipendenti dai re, come risulta dai documenti che ci riman- gono, sempre si usarono i disanti bianchi, i quali uscivano dalla zecca del principe. Non avendo Genova altre possessioni in Levante dove vi fosse zecca fuorchè Scio, e le nostre monete essendo state sicuramente lavorate in quelle parti, dove solamente trovansi , e visto che non sono nè di Pera, nè di Caffa, nè di Famagosta, ne segue che devono a quell’isola spettare tanto più che offrono quei dati che per queste furono prescritti dal governo della repubblica, come abbiamo antecedentemente veduto sia nella convenzione del 1347, nella quale fu detto che la loro leg- genda fosse Dux Januensium e Conradus Rex, quanto in quella del 1373, nella quale si ordinò che oltre tale scritto avessero la figura delle monete di Genova (cioè porta e croce), oppure fossero cum signis del doge, onde ne restava escluso il nome ed il segno ossia stemma della città, ed invece sostituiti i segni della dignità del doge, come è la sua figura stessa. Per quale causa poi indi si abbandonasse la leg- genda Dux Janue, e ad essa si sostituisse il nome dell’isola, è ignoto; tuttavia non crediamo di allontanarci dal vero dicendo che ciò deve esser avvenuto quando , caduta la repubblica negli ultimi anni del se- colo XIV. sotto il dominio di Francia ed alcuni anni dopo sotto quello di Filippo Maria Visconti, duca di Milano, ignorando i maonesi per la loro lontananza i cangiamenti di governo che continuamente si suc- cedevano nella madre patria, epperciò non potendo conoscere se da un doge eletto dal popolo oppure da un principe straniero fosse essa retta, credettero più sicuro partito omettere un nome che quando si emetteva la moneta in Scio forse poteva già esser tolto da quelle di Genova, e sostituirvi quello della città nella quale essa si lavorava. In quanto a quelle d’oro, che per tutto il loro assieme si vedono uscite da una stessa officina ed in Oriente nel secolo XV, esse paiono intagliate dallo stesso artefice che fece quelle contemporanee dei Gat- tilusio in Metelino, e che. sono contraffazioni dei ducati veneti con variazioni nelle leggende. Ciò che ne fa conoscere l’origine, si è che sopra due diverse, affine di distinguerne la provenienza , si collocò ai piedi dell’asta del vessillo un grande S, che altrimenti non si può spiegare che come iniziale del nome dell’isola , cioè .Scio ,, dalla quale appunto proviene l’esemplare che si conserva nel medagliere di S. M. Provata così l'attribuzione da noi data delle precedenti monete ai 364 LA ZECCA DI SCIO ECC. maonesi di Scio, prima ancora di ripigliare la descrizione di quelle monetine d’argento con castello e croce , delle quali si conoscono, tante varietà e che abbiamo già detto essere di quella specie detta caratti , crediamo di collocare un piccolo tornese che alle suddette non è cer- tamente posteriore, ma di cui non possiamo fissar bene l'epoca. Da una parte (T.I, n.° 13) ha il solito tempio, simbolo della chiesa cristiana, ed attorno CIVITAS O SII, e l'anello è contrassegno dello zecchiere : dall’altra vedesi una croce e +- CVIRADVS - REX - con tal forma di caratteri che annunziano il principio del XV secolo. Questo piccolo tornese pesa grammi o. 450 e probabilmente come quelli di Morea è a millesimi 200 incirca, onde avrebbe di fine grammi o. 090; ma tenuto conto che esso è scadente nel peso, oltrepassando in generale tutti il mezzo gramma, e che nelle monete basse sempre si riduceva la bontà intrinseca, cioè quella quantità di fine che corrisponde all’intiero d’argento buono , e ciò affine di ricavarvi grosso guadagno, stantechè sulle altre poco o nulla potevasi lucrare, possiamo dire che deve essere stato lavorato alla stessa lega degli altri che battevansi in Oriente, e cor- revano per un ottavo di grosso. Ora abbiamo a descrivere, abbenchè qual più qual meno quasi tutti scadenti dal peso legale per essere pel lungo uso logori, ma che appaiono egualmente retti dalla stessa legge delli avanti descritti, quat- tordici caratti collocati secondo che più antichi o moderni pel loro assieme ci parvero, tutti però aventi ugual tipo e leggenda. Il primo (T. II, n.° 14), che per la forma delle lettere vedesi più antico degli altri e probabilmente coniato subito dopo quelli colla pro- tome del doge, ha da un lato il castello con tre torri merlate ed attorno > 3% CIVITATE: 3: SI...,la quale ultima stella crediamo segno del maestro, e dall’altro una croce patente con due perlette alle estremità delle braccia ed in giro > 3% CVMRADVS % R...3%. Il secondo (T. II, n.° 15), con castello simile ma più rozzo, ha X- 3% CIVITATE St SYI % da una parte, e dall’altra attorno ad una croce patente >- 3% CVMRADVS 3% REX 3%. Il terzo (T. IF, n° 16) è uguale al suddetto in tutto, fuorchè dal lato della croce evvi >-. CVRADVS % REX %. Il quarto (T. II, n.° 17) ha il castello grossolanamente disegnato, e sotto ed alla sinistra un bastoncino segno dello zecchiere, colla leggenda + CIVITAS - SIY, quando i tre primi avevano civitate come DI DOMENICO PROMIS. 365 per dire battute nella città di Scio, e nel rovescio la croce patente con due perle alle estremità delle braccia, e > « CVMRADVS - REX; e tutti questi sono certamente anteriori ai susseguenti. Il quinto (T. II, n.° 18) ha dal lato della croce patente >- CIVITAS SII, e dal lato del castello + CVNRADVS REX. Il sesto (T. II, n.° 19) ha attorno al castello colle solite torri merlate >- CIVITAS - SIY - , ed attorno alla croce sempre patente -- - CVRRADVS - REX - Il settimo (T. II, n.° 20) sopra le due torri minori del castello vario dal precedente, e sotto il medesimo ha un punto per segno del nuovo maestro, ed attorno +- CIVITAS - SIY -, e dalla parte della croce >- » CVNRADVS - REX - L’ottavo (T. II, n° 21) tiene nel diritto un mal disegnato ca- stello e -- CIVITAS 3% SIX % per .Sîiy, e nel rovescio la croce e + CVNRADVS 3% REX. Il nono (T. II, n.° 22), con castello d’altro conio, ha + CIVITAS : SII - da un lato, e dall’altro la croce e + CONRADVS - REX - $ Il decimo (T. II, n.° 23), eguale al suddetto dalla parte del castello, ha da quella della croce -- CONRAD - VS - RES; il punto è segno di altro zecchiere. L’undecimo (T. II, n.° 24) ha nel diritto, uguale all’antecedente , la parola civitas molto imbrogliata, e nel rovescio attorno alla croce ripetuta la leggenda >- CIVITAS - SII - Il dodicesimo (T. II, n.° 25) ha da un lato il solito castello ed in giro -|- CIVITAS % REX, errore dell’intagliatore del conio che vi ripetè invece di Sii le ultime lettere del rovescio, e dall’altro +- CVNRADVS REX. Il decimoterzo (T. II, n.° 26) tiene l’istesso diritto dell’antecedente, ma dalla parte della croce ha una piccola varietà, cioè }- CONRADVS . REX - Il decimoquarto (T. II, n.° 27), improntato coll’istesso conio dei pre- cedenti dal lato del castello, da quello della croce ha -- CONRADVS : REX :, nuovi segni di zecca. Quantunque in queste tre ultime monete siasi messa la parola Rex in vece di Sii, tuttavia si conosce che anch'esse appartengono a quella serie, nella quale il nome dell’isola è scritta Siz, che poi cangiossi in Chii, onde crediamo di dover classificare dopo le sopraddette tutte quelle che al nuovo modo segnano il nome della città. 366 LA ZECCA DI SCIO ECC. Di queste conosciamo quattro varietà, tutte del diametro almeno d'un genovino di argento, e di sì bel conio che al primo colpo d’occhio conosconsi intagliate in Genova, od almeno da artisti italiani. La prima (T. II, n.° 28) e la più antica di esse, per avere nel diritto il solo castello colle tre ‘torri merlate , tiene in giro le solite parole -- : CIVITAS : & : CHI :, e nel rovescio ha una croce patente con >- : CONRADVS & REX - R'. Credo la stella del diritto segno del maestro. Pesa questo esemplare, comunicatoci dall’ intelligente raccoglitore di monete patrie signor Luigi Franchini di Genova, denari 1. 13. 12 pari a grammi 2, ed è d’argento fine. Questa moneta certamente fu coniata 2 nei primi anni del secolo XV, ed avanti che i maonesi avessero aggiunto allo stemma l’aquila imperiale, che abbiamo veduto concessa da Sigis- mondo nel 141: a Francesco Giustiniani Campi. In quanto al suo valore dal peso pare uguale ai matapani veneti, ma avendo trovato genovini d’argento battuti dal doge XIX tra il 1415 e 1421, e del peso di denari 1. 17 pari a grammi 2.188, ciò ci fece sospettare che potesse essere di tali grossi, e fatta battere nella zecca di Genova dall'ufficio della Maona per ragioni a noi ignote, dubbio che meglio si spiegherà colle susseguenti. La seconda (T. II, n° 29) ha da un lato il solito castello e sopra un'aquila nascente colle ali aperte e coronata , colla leggenda > : CIVITAS: % : CHII :, e dall’altro attorno ad una croce patente x : CONRADVS : REX : R' : cioè Romanorum. Pesa denari 2. 10.20 pari a grammi 3.300 e probabilmente è alla bontà di millesimi 950; onde non trovando che possa corrispondere ad alcuna frazione del gigliato , ed in conseguenza alle monete che si bat- tevano nell'isola, ci cadde in sospetto che, come il precedente, questo ed i susseguenti grossi siano dalla zecca di Genova usciti e dopo che ebbero i maonesi aggiunto allo stemma loro l’aquila. Questo dubbio divenne per noi probabilità quando abbiamo osservato che’ tali pezzi erano gli unici col nome di Scio, i cui esemplari sino all’epoca presente tra noi fossero conosciuti e rinvenuti in queste parti d’Italia, anzi quasi esclusivamente nelle provincie già formanti la repubblica di Genova , quando di tutti gli altri nessuno, per quanto ci consta, mai vi si scoperse. Abbiamo dunque voluto cercare se avessero alcun rapporto col grosso genovino che si lavorava dopo il 1421 nella capitale della Liguria, cioè DI DOMENICO PROMIS. 367 da quando i maonesi avevano potuto inquartare nello stemma l'aquila, ed appunto vediamo che Filippo Maria Visconti, duca di Milano e signore di Genova, dal 1421 al 1436 fece lavorare in questa città grossi, come abbiamo potuto riconoscere pesandone vari esemplari , di denari 2. 10 ossia di grammi 3.095 ed a millesimi 950 : inoltre che nel 1437 dal doge Tommaso Campofregoso (1) fu ordinato che il grosso dovesse essere a denari rr. 12 ed a pezzi 100 per libbra sottile, epperciò di grammi 3.171 pari a denari 2. 11.9 caduno , equivalendo questa a grammi 317. 095; ed avendo ancora verificato il peso di altri del doge XXVI battuti dal 1450 al 1457, e trovatili di denari 2. 12 sato ogni dubbio, restammo convinti che uguale a questo grosso deve , Ces- essere il nostro pezzo, e forse a tal legge venne lavorato per ottenere che anche nella madre patria la moneta d’argento di Scio potesse aver corso , e così anche si ricevesse nelle contrattazioni tra Genovesi e Sciotti, nelle quali non v'era l’uso che di contare a ducati. Altra ne segue simile alla suddetta in tutto (T. III, n.° 30), ad eccezione che manca la rosetta, ed invece per contrassegno ha nel campo a sinistra fra le due braccia superiori della croce un piccolo bi- sante. Ne ignoro il peso avendone solamente il disegno, ma certamente deve esser uguale a quello dell’antecedente. Altra evvene ancora nel tipo affatto alla anzidescritta uguale (T. III, n.° 31), ma di diametro un po’ inferiore, e con questa varietà che dopo la parola Chi prima dei due punti vi è una rosetta contrassegno del maestro della zecca. Dal suo peso, sebbene di soli denari 2. 10.2, 0 grammi 3. 100, vedesi essere stato lavorato alla stessa legge del num. 29. Dell’epoca degli anzidetti grossi e colla stessa leggenda altre monete non conosciamo che alcune frazioni del tornese piccolo, tutte tra loro simili nel tipo e solamente vari nei segni degli zecchieri , e per questo appunto crediamo opportuno di produrle. La prima di queste monetine (T. III, n.° 32) mostra da una parte il solito tempio dei tornesi con attorno @ CIVITAS 3% CHII 4, e dall’altra una croce potenzata con }- CONRADVS 3 REX 3% R. La seconda (T. III, n.° 33) ha la leggenda del diritto così : CIVITAS % CII 4 :, e quella del rovescio + CONRADVS - REX. (1) Gandolfi — Della moneta antica di Genova. Tomo II, pag. 234. 368 LA ZECCA DI SCIO ECC. La terza (T. III, n.° 34) tiene un punto sotto il tempietto ed attorno CIVITAS : 4 : CHII : 4% : da un lato e dall’altro > CONRADVS & REX - R- i La quarta (T. INI, n.° 35) ha CIVITAS & CHII &, e dalla parte della croce + CONRADVS - REX - R - La quinta (T. II, n.° 36) ha così la leggenda del diritto CIVITAS - CHII - , e quella del rovescio + CONRADVS R . Il peso in comune di questi cinque pezzi è di denari 1.17.10, pari a grammi 2. 210; onde la quinta parte resta grammi o. 442, e calcolati a denari 1 di fine, ossia millesimi 83, come appaiono essere, avremo per caduno grammi 0.037 d’argento incirca; epperciò vi è tutta pro- babilità che fossero la metà del tornese piccolo, mai in sì minuti pezzi cercandosi la corrispondenza esatta coll’intiero. E queste sono le monete che sinora vennero a nostra conoscenza essersi dai maonesi battute a nome proprio, cioè senza quello di prin- cipe straniero , sino alla metà del secolo XV, quantunque ne possano anche esistere anteriori, essendo Genova per causa delle intestine di- scordie continuamente passata in questo secolo dal dominio di Francia a quello di Milano ; tuttavia è probabile che ciò non avvenisse sin verso il 1450, quando gli Sforza ne conservarono per notabile tempo il pos- sesso; con tutto ciò di quest’epoca se ne ha una sola di argento battuta col nome di Galeazzo Maria duca di Milano, il quale, succeduto al padre Francesco nel dominio di questa città in marzo del 1466, la tenne sino al 1477, quando sollevatasi a furor di popolo e cacciatane la sua guarnigione, conservò per alcun tempo la riacquistata indipendenza. Questa moneta (T. III, n.° 37) da un lato ha il solito castello colla leggenda + C - R - R - CIVITAS & CHI % , cioè Con- radus Rex Romanorum Civitas Chii, e dall’altro la croce ed attorno -« GALEAZ - M - S - D - IANVE, cioè Galeaz Maria Sfortia Dominus Ianue, ed è del peso di grammi 1.445 e pare di argento buono. Tale pezzo, che positivamente si conosce essere stato coniato in Scio, quantunque scadente pel suo peso, non può essere che un grosso da due caratti. | Dopo quest'epoca non abbiamo più monete che possano con proba- bilità darsi che agli ultimi anni del secolo X.V; per contro dalla seconda metà di esso cominciamo a trovare qualche provvidenza dal governo di Genova data per le monete di quest isola. DI DOMENICO PROMIS. 369 Già sin dal 1440 Giovanni da Uzano nel suo libro della mercatura (1), trattando del cambio delle principali piazze di commercio di Levante con quelle di Ponente, aveva scritto che quello di Genova con Scio facevasi a fiorini contro ducati veneti: che i fiorini genovesi calcolati circa 4 !fa peggio di quelli di Scio (2), vi si spendevano per caratti 58 în 59, quando un secolo prima ne abbisognavano soltanto 48 (*). A spiegare tal rapporto fra queste due specie di monete abbiamo una sentenza arbitramentale data in Genova nel 1467 tra alcuni Giusti- niani de Forneto (3), nella quale ducati d’oro 100 di Scio sono valutati 125 fiorini. Al primo aspetto pare che i ducati sciotti, che sopra ab- biamo veduti effettivi ma assai scadenti, ora siansi battuti di ottima lega e peso; invece quando in questo secolo troviamo che si tratta sia in Genova che nelle sue colonie a fiorini, ancorchè alcune volte specificati d'oro, altro non devesi intendere fuorchè fiorini di conto (4), che con- servarono nominalmente il valore cui correvano anticamente i buoni o ducati effettivi, cioè L. 1 . 5, valore che s’accrebbe quando si comin- ciarono questi a migliorare nel 1422 (5) dalla repubblica di Firenze, accrescendo il peso dei nuovi di due quinti di fiorino sopra 96 pezzi, e coniandoli di un diametro un po’ superiore ai vecchi, onde furono detti fiorini o ducati larghi, il che presto venne imitato da Genova, dove per la prima volta li troviamo nel 1444 (6) per L. 2.2 di moneta buona (*), la quale in questa città stava come L. 1 a L. 1.5 di moneta corrente, proporzione conservatasi sino al finir del secolo. Ora venendo ai pochi atti governativi che ci venne fatto di conoscere (1) Della decima fiorentina. T. IV, pag. 134. (2) Idem, pag. 160. « Intendesi sempre quello di conto e non l’effettivo di Genova. » (") « Come si è veduto nel Pegolotti, che il fiorino d’allora, il quale equivaleva al ducato largo, » constava di due perperi, che si dividevano in 24 caratti. » (3) Pandette Richeriane. Libro fasciato di cartina, f. 204. (4) Seconda dissertazione sull’Agostaro del secondo Federico etc. Bologna, 1822, p. ff. (5) Il fiorino d’oro illustrato. Firenze, 1738, pag. 300. (6) Gandolfi — Della moneta antica di Genova. Vol. IT, pag. 248. () « Il Gandolfi a pag. 237 dice che in codice dell'archivio di S. Giorgio evvi che il fiorino essendo salito a soldi 47 venne nel 1444 ridotto a soldi 42, che quantunque non specificata si » conosce essere di moneta buona; ma o lui, o chi egli copiò, deve aver confuso tale specie di = x moneta allora solamente nominale col ducato largo, il quale, secondo lo stesso autore, si » spendeva nel 1448 per soldi 51 di moneta corrente, ossia soldi 40. 2. 1|2, e nel 1483 soldi 55 » pari a soldi 44 di moneta buona. » Serie II. Tom. XXIII 47 370 IA ZECCA DI SCIO ECC. relativi alle monete di quest'isola, di essi ‘il primo, colla data delli 2 di- cembre 1458 {1), è un ordine del doge che proibisce la spendita di un grosso di Scio di nuova stampa, allora venuto fuori col solito stemma dell’isola o meglio della Maona da una parte, e dall’altra colla figura di un uomo che tiene una croce in mano, il che ci lascia sospettare che fosse una contraffazione del gigliato o del mezzo gigliato coniato dai cavalieri di S. Giovanni in Rodi, nel quale vedesi il Gran Maestro. ginoc- chioni in atto di adorare una croce, ma disposto in modo che pare voglia tenerne l’asta con una mano. i ; Questa determinazione del doge non dicendosi che fosse stata presa per essere tal moneta cattiva, nè alcum'altra ragione per ciò adducen- dosi, ci fa credere che avendo essa il tipo da noi supposto, siasi fatta torre di circolazione sull’istanza di Giacomo di Milly, il Gran Maestro che allora presiedeva all'Ordine. Qualche anno dopo cominciansi ad avere alcune deliberazioni del comune di Genova adottate riguardo alle monete dell’isola per causa dell’essersi dai suoi rettori alterate. La prima venne presa, ad istanza di vari mercanti che con essa trafficavano , dai nuovi governatori della Maona sedenti in Genova, i quali radunatisi li 15 settembre 1479 (Docw- mento in fine) e sentito il parere degli anziani dell’Uffizio di Scio e dei primari mercanti della città, decretarono che a cominciare da un mese dopo la pubblicazione di detta deliberazione , per tutti i contratti fatti prima a ducati di Scio si dovessero questi calcolare a soli caratti 68 : che per quelli indi a farsi avessero ad essere per tre quarti in ducati larghi o gigliati, e per l’altro quarto in caratti contandone 80 per un ducato largo: che pure a datare da un mese fosse proibito il corso dei gigliati sciotti sino allora battuti, che indi si avessero a fondere : che in quella zecca si dovessero battere ducati larghi nel peso e bontà eguali a quelli di Genova e Venezia: che i gigliati da emettersi per l'avvenire avessero ad essere della bontà di denari 11.12 ed a $8 pezzi per libbra di Genova, ed a 11 per un ducato: che l’impronto delle monete d’oro e d’argento continuasse ad essere quello sino allora usato, e che per la loro stampa non avesse la Maona a ricevere diritto alcuno dalle per- sone che portasservi detti metalli in verghe, ma solamente la mercede 1) Archivio di Stato in Torino. Volume Diversorum all’anno 1458. DI DOMENICO PROMIS. 9g necessaria per gli operai. E questo decreto venne due giorni dopo sancito dal doge e dal consiglio degli anziani di Genova. Dunque da quest atto appare che non più si volevano gli antichi ducati dell’isola, che in prova dell’essere molto scadenti vennero tassati 20 caratti meno dei buoni nuovi introdottivi, i quali in conseguenza dovevano pesare grammi 3. 540 incirca ed essere a millesimi 1000, ossia «di denari 2. 16. 4/5 incirca, ed a caratti 24 di fine, ragguagliato il peso veneto a quello di Troyes ; così pei gigliati il peso di cadun pezzo doveva essere di denari 3. 6. 13 pari a grammi 4. 192, ed il titolo a denari 11. 12 o millesimi 958; epperciò vedesi che s'era. voluto portar la moneta a quella bontà che in prima aveva, la qual cosa non pare siasi ottenuta, chè troviamo in atto rogato in Genova il 5 maggio 1480 (1) che ducati di Scio 2500 sono ragguagliati a L. 4375 e così caduno soldi 35 di moneta buona genovese, quando in altri delli 16 marzo ed 8 giugno (2) dello stesso anno e pure rogati nell’anzidetta città, i ducati larghi sono detti valere soldi 55 di moneta corrente, che, calcolata ,, come sopra si disse, per un quarto di più della buona, equivalgono a soldi 44 buoni, e vedesi che quello di Scio a soldi 35 stava al largo di soldi 44 poco presso nella proporzione dei ducati come sono citati nel decreto del 1479, nel quale quello è tassato a caratti 68 e questo a 80. I rettori della Maona residenti in Scio, parte per troppa cupidigia di guadagno, parte anche per sopperire alle gravi spese che necessitava la difesa dell isola contro le continue minaccie dei Turchi come già abbiamo veduto, non solamente avevano alterato le monete d’oro e di argento, ma avevano persino avuto ricorso alla battitura di una moneta affatto falsa, poichè, essendo emessa come contenente una certa quantità d’argento , era intieramente di rame. Tal novità essendo causa di non lieve danno ai commercianti che frequentavano i mercati dell’isola, il governo genovese ordinò li 7 luglio 1484 (3) che fra quindici giorni dovesse essa esser tutta ritirata, met- tendo perciò a disposizione di quel podestà la somma di tremila ducati larghi, e prescrivendo che a quelli i quali la portassero in zecca si soddisfacesse o in tale specie di ducati calcolandoli denari 780 caduno, (1) Pandette Richeriane. Libro fasciato in carlina, pag. 258. (2) Pandeite Richeriane. Libro fasciato in cartina, pag. 256 e 259, (3) Archivio di Stato in Torino. Diversorum all’anno 1484. 372 LA ZECCA DI SCIO ECC. oppure in caratti di Scio in ragione di denari 6 il caratto. Ora da questo conosciamo che il ducato largo era pell’isola tassato a soldi 65, cioè, meno una frazione impossibile ad evitarsi pel diverso rapporto che esisteva fra le monete di Scio e quelle di Genova, allo stesso corso che vediamo avere in questa città nel 1510 (1), e che il caratto equivaleva a sei denari di questa moneta. La determinazione sopraccitata delli 7 luglio 1484 non dovette pro- durre tutto l’effetto che se n’aspettava, poichè troviamo che poco tempo dopo lagnanze per causa di tal moneta vennero nuovamente sporte ai rettori del comune, dicendo che qualora il volessero qualunque mer- cante con 5 a Gooo caratti tutta la avrebbe potuta ritirare; per il che il doge con decreto delli 13 agosto dello stesso anno (2) ne proibì as- solutamente il corso sotto la pena del doppio pagamento per chi volesse smerciarla. Tutti questi ordini pare che nessun risultato producessero , poichè ci risulta che quindici anni dopo, cioè li 29 aprile 1499 (3), sentendo il governo di Genova che le monete di Scio talmente erano scapitate, che qualora non vi si portasse pronto rimedio ne restava affatto rovi- nato il commercio, ordinò che indi innanzi fosse vietato il contrattare a ducati di Scio, aboliendone sino il nome per non potersi su di essi in alcun modo contare, e che tutti i contratti fatti a tale specie di moneta fossero ridotti a ducati larghi calcolandoli caratti 130 caduno e gli altri soli 68, dichiarando che nei pagamenti i larghi potessero entrare per tre quarti ed un quarto fosse di caratti, e che nessuno di essi, meno quelli di Lucca, perchè inferiori, si potesse rifiutare; finalmente che nella zecca dell’isola solamente di questi buoni si potesse stampare sia al conio di Venezia che a qualunque altro, e per la mano d’opera un solo caratto per ducato si ritenesse. Questo decreto nemmeno ebbe esecuzione, come ci prova un nuovo ordine emanato dal governatore del re di Francia in Genova li 8 feb- braio 1509 (4), pel quale, dopo essersi detto come il ducato di Scio era rimasto solamente di nome, nessuno più vedendosene in commercio, (1) Gandolfi — Della moneta antica di Genova. Vol. II, pag. 262. (2) Archivio di Stato a Torino. Diversorum all'anno 1484. 3) Idem, all’anno 1499. 4) Idem, volume dal 1507 al 1516. DI DOMENICO PROMIS. 373 e che contuttociò sempre di esso continuavasi ad usare nelle contrat- tazioni con grave danno dei mercanti , annullata qualunque anteriore decisione, venne ordimato che indinnanzi sempre avesse a contrattarsi ad aspri turcheschi, contandone 27 per un ducato sciotto, permettendo che i pagamenti inferiori ad aspri 300 si potessero fare in moneta mi- nuta in ragione di denari 15, od in caratti calcolandoli a pezzi 2 1 per aspro; ma qualora fossero a tale somma superiori, non se ne potesse dare più del cinque per cento; quando però le parti contraenti così amassero, fossero autorizzate a far i pagamenti in ducati larghi, con- tando ciascheduno per aspri 52. Inoltre, pel caso che i Turchi variassero il titolo o peso dei loro aspri, che si avesse subito a verificare quanti se ne contenesse in una libbra, ed allora i pagamenti si avessero a fare secondo la quantità di aspri riconosciuta in essa trovarsi. Da questo documento ricaviamo quale fosse il rapporto degli aspri turcheschi colle monete dell’isola e di Genova, essendovi detto che 27 aspri composti di caratti 2 2 equivalevano ad un ducato di Scio; ora moltiplicando 27 per 2 £ abbiamo caratti 67 2, cioè, meno una fra- zione, della quale è impossibile tener conto stante la diversa specie di tali monete, la stessa quantità per la quale nel 1499 era stato tassato il ducato sciotto; indi vi troviamo che per un aspro ci volevano de- nari 15, sottintesi di moneta corrente genovese, i quali moltiplicati per aspri 52 necessarii per fare un ducato largo, ci danno denari 780 ossia soldi 65, che, meno una piccola frazione causata come sopra, equivalgono a L. 3. 4. 6, valore cui essi vediamo correre in Genova nell’anno susseguente. Possiamo inoltre arguire che da molto tempo, e probabilmente sin da quando per la caduta di Costantinopoli sotto il giogo di Maometto II, essendosi intieramente cangiate le condizioni delle isole greche, non si battè più in Scio moneta d’oro (*); così da altro documento già citato (1), cioè dalla convenzione fatta da Genova con Solimano II nel 1558, nella quale è detto che le era concesso di stampare ducati sultanini, o altre sorte di quelli vorranno, così de' veneziani come i sciotti, o vero delle ‘ (‘) « Quantunque si abbia ragione di credere che ducati da lungo tempo più non si baltessero » in Scio, contuttociò continuarono nel commercio d’ Oriente ad essere in corso almeno sino » alla metà del secolo XVI, trovandosi, secondo lo Zon, (Cenni istorici intorno alla moneta veneziana . Venezia 1847, p. 26), tassati in una tariffa veneziana del 1543 con quelli di Rodi a lire venete 7. 6.» (1) Morinello — Descrizione del viaggio dell’ambasciatore genovese a Solimano nel 1558. 374 LA ZECCA DI SCIO ECC. loro stampe, inteso che. tali specie sarebbero ricevute nei mercati di Oriente, pare che si debba dedurre che i ducati di Scio dovessero essere uguali nel tipo ai veneti. Ritornando al decreto del 150g; esso è l’ultimo a noi noto nel quale trattasi della moneta di Scio, e dobbiamo credere che ulteriore variazione più in essa non avvenisse, o almeno che la madre patria più non intendesse prendervi parte, essendosi già detto che, per non mettersi in imbrogli colla Porta Ottomana, non permetteva nemmeno che sus- sistesse alcuna apparenza di relazione tra essa ed i maonesi. Avendo veduto quale fosse il sistema monetario introdottosi per le reciproche contrattazioni nell'isola sul principio del secolo XVI, resta a cercare se fra le monete che ancora ci rimangono battute da quest'epoca sino alla caduta della Maona nel 1566 alcuna esista che alle specie sopraddette possa appartenere. Delle tre d’argento , che tra queste si possono dire le più antiche, ma che spettano certamente al detto secolo, la prima (T. INI, n.° 38) ha da un lato nel campo il solito castello turrito col capo dell’aquila nascente e coronata, ed attorno >- CIVITAS - CHIT, e dall’altro una croce patente con due perlette alle estremità di ciaschedun braccio, ed in giro }- : CONRADVS - REX © R. Questo pezzo , gentilmente comuni- catoci dall'avvocato Gaetano Avignone, autore di una preziosa collezione di monete genovesi, pesa denari 2. 0. 17, pari a grammi 2. Goo e pari a millesimi geo incirca. La seconda (T. III, n.° 39) varia dalla precedente nei conii in questo che dal lato dello stemma in testa alla leggenda ha dopo la croce grande una piccola, e che nel rovescio non vedonsi le otto perlette alla croce, e la leggenda termina con RO - per Romanorum. Pesa quest’esem- plare solamente denari 1. 20. 22, cioè grammi 2. 400; però nella lega si riconosce dover essere uguale alla precedente. La terza (T. II, n.° 40), menochè è di diametro inferiore alle due prime, è ad esse affatto simile nel diritto , ma nel rovescio ha una croce patente e biforcata con attorno >- ‘+ CONRADVS - REX - RO - Questo pezzo, di cui abbiamo l’impronto per cortesia del signor Giulio Friedlaender, direttore del museo numismatico di Berlino , secondo quanto egli stesso scrisse (1), pesa '/ di /ozhs ossia grammi 0.915, e non dice quale ne sia la bontà. (1) Numismata inedita. Berolini 1840, p. 30. DI DOMENICO PROMIS. 375 Dai documenti citati conosciamo che ben prima ancora che il XV secolo terminasse si era già in Scio introdotta la monetazione ge- novese, avendo trovato grossi a questi uguali, e non più tornesi ma denari piccoli, frazioni del soldo ligure, e ai quali ragguagliavansi i caratti e persino i ducati; però di tali minuti pezzi non si coniò alcun effettivo restando sempre nominali, come nemmeno di aspri, essendo detto che dovevano servire i turcheschi, per il che non abbiamo veramente battuti in Scio che caratti, sempre contandoli per denari 6, e loro molteplici, e di questi non vè dubbio che sono i tre pezzi sopra de- scritti. Non ci fu però possibile di venir a constatare quanti caratti fosssero in ciaschedun pezzo contenuti, stante la troppo grande varietà che s'incontra nel peso dei diversi esemplari che conosciamo appartenenti alla stessa specie, e trovando nessun rapporto tra essi e le monete che a quest'epoca lavoravansi sia in Genova che nelle isole dell'Arcipelago ancora indipendenti dagli Ottomani; onde lasciando che altri più fortu- nato possa risolvere questa difficoltà, passeremo a descrivere quelle che sono alle precedenti posteriori, ed appartengono ad una serie di anni nei quali tutte le monete sciotte sono segnate con due iniziali, cioè del nome e cognome dei podestà che reggevano l’isola, però come Giustiniani, e sempre omesso quello del proprio casato. Che con esse il nome di quel magistrato e non quello dello zecchiere si abbia voluto indicare lo prova il trovarsi sempre dopo l'iniziale del nome di battesimo la lettera I per /ustinianus, nome dei vari podestà succedutisi sino al 1562, sulle monete del qual anno evvi V - I- iniziali conosciute del- cià Ga- l’ultimo supremo magistrato dell’isola , Vincenzo Giustiniani , g ribaldo. A capo di questa serie crediamo di dover collocare un pezzo pic- colo (T. II, n.° 41) avente nel diritto il solito castello turrito con sopra un'aquila nascente, il tutto accostato dalle lettere L - I, ed attorno >- 3 CIVITAS 3 CHII, e nel rovescio una croce biforcata e + CONRADVS 3 REX 3 R 3. Le lettere L. I. pare non debbano indi- care altri che Lorenzo Giustiniani Banca, che fu podestà in Scio nel 1483 (*) (#*). Quest esemplare poi pesa grammi o. 675, altri sonovi (*) « Il già lodato signor dottore Hopf fu quegli che cortesemente ci comunicò un lungo elenco » di questi podestà da lui raccolti nell’archivio Giustiniani in Roma ed in Genova. » (**) « L’autore anonimo della Storia di Scio, che conservasi nella biblioteca civica di Genova, 376 LA ZECCA DI SCIO ECC. di grammi o. 610 e grammi o. 445, e tutti di lega, come abbiamo rico- nosciuto , bassissima; onde non dubitiamo di dire che sono caratti , specie minima fra quelle d’argento che a quest'epoca battevansi ancora nell’ isola. In seguito non troviamo più monete basse, ma solamente di rame, e nella serie di queste la prima (T. IV, n° 42) ha il campo del diritto spaccato in due; nel primo evvi il castello e l’aquila coronata, e nel secondo il simbolo del tempio dei tornesi e sotto B : I, con attorno >- : CIVITAS - CHII, e nel rovescio una croce patente con + CONRADVS - REX - ROMA -, e pesa grammi 4. 580. Si è collocata questa per la prima perchè parci la più antica di tutte avendo quel tempietto che sulle altre non vedesi, e tenendo iniziali che non possono attribuirsi che a Battista Giustiniani Campi podestà nel 1487 e 1488. La seconda (T. IV, n.° 43) è uguale alla precedente, salvochè l’aquila è senza corona, e ciò per inavvertenza dell’ intagliatore del conio; è del peso di grammi 4. 400. La terza (T. IV, n.° 44) nel diritto colla stessa leggenda delle pre- cedenti ha nel campo solamente il castello turrito con sopra laquila nascente coronata, ed accostata dalle lettere N - I; nel rovescio poi attorno alla solita croce ha >- - CONRADVS - REX - ROMANOR - Pesa grammi 3. 000, ed un altro esemplare simile grammi 2. 100. La quarta (T. IV, n.° 45) è in tutto uguale alla suddetta, ma nel rovescio leggesi +2 - CONRADVS - REX - ROMANO -, e questa pesa grammi 4. 500. Chi si volesse indicare colle lettere N - I non è certo, tre essendo stati 1 podestà nel secolo XVI ai quali si possono attribuire questi pezzi, cioè Nicolò di Andriolo Giustiniani Campi, che lo fu nel 1512 e 1538, Nicolò di Vincenzo Garibaldo nel 1528 e Nicolò di Silvestro Giustiniani Campi nel 1504. La quinta (T. IV, n.° 46) dalla parte dello stemma ha le lettere D-I, e da quello della croce + CONRADVS : REX : RO -, ed è di grammi 4. 400. La sesta (T. IV, n.° 47) simile alla precedente ha dal lato della croce > : CONRADVS - REX - ROMA -, ed è di grammi 5. 420. » scrisse che le lettere L. I. indicano Lazzaro Giustiniani, ma nessun Lazzaro si conosce podestà » di Scio dopo l’anno 1400; onde abbiamo messo Lorenzo , che ci parve essere quello al quale » con maggior probabilità si può dare questa monetina. » DI DOMENICO PROMIS. 377 In questi due pezzi le iniziali D : I indicano Domenico di Gio. Antonio Giustiniani Campi che fu podestà nel 1529. La settima (T. IV, n.° 48) dalla parte del castello ed aquila ha 1: BI, le due prime lettere legate assieme, e dall’altra una croce un po’ ornata alle estremità delle braccia, e >- : CONRADVS - REX : ROMANORV - Pesa grammi 2. 600. Vari furono nel 1500 i podestà ai quali possono appartenere queste iniziali, cioè Giambattista di Brizio Giustiniani Forneto nel 1507-1521, Giambattista di Urbano Giustiniani Negri nel 1517 ed altri ancora che si tralasciano nulla potendo determinare. L’ottava ed ultima (T. IV, n.° 49), colle lettere F : I nel diritto, ha nel rovescio attorno alla croce >- - CONRADVS - REX . RO - ed è di grammi 4.605. È probabile che queste lettere F - I siano le iniziali di Francesco di Lorenzo Giustiniani Banca podestà circa il 1520. Queste sono le sole monete in rame che sinora conosciamo colle iniziali dei nomi di podestà di Scio; ma varie altre avrannosi ancora a scoprire essendo numerosi quelli che ressero tal carica dal 1500 al 1566; in quanto poi al loro valor nominale, siccome in questo secolo moneta minuta più non si battè, ad eccezione dei caratiz, a questa specie non rimane dubbio che esse spettino , quantunque più nessun rapporto abbiano cogli antichi del 1300 e dei primi anni del 1400, quando cioè lavoravansi d’argento; ed è in questo ad osservarsi quanto fossero scapitati abbisognandone nei primi tempi 48 per un fiorino buono, ed indi sul finire del 1400 sino 130, e forse più progrediendo innanzi li vedremmo diminuiti se avessimo documenti che di essi facessero ancora menzione. In quanto al trovarsi ora tutte le monete basse esclusivamente di rame, cosa che si è veduto essersi già dai maonesi tentata sin dal 1484, ci fa conoscere che essi, visto come in Oriente dai Munsulmani quelle anche emettevansi per ingordigia di guadagno , trovandosi ora a se stessi come abbandonati, subito ne ripresero la battitura vedendo quanto potevasi lucrare, nemmeno poi badando che almeno nel peso fossero i pezzi poco presso uguali; e se dobbiamo arguirlo dal numero che ancor al presente se ne va scoprendo, la quantità emessa dovette essere assai considerevole. Dopo queste monete mal battute e peggio intagliate, sul cader della Maona ne abbiamo alcune d’argento meglio lavorate e di più grazioso conio. Serie II. Tom. XXIII, 48 378 LA ZECCA DI SCIO ECC. La prima e più grande (T. IV, n.° 50) ha nel diritto il solito castello turrito sormontato da aquila nascente coronata, ed accostato dalle let- tere V : I, con sotto l’anno 1562, ed in giro - . CIVITAS - CHII; nel rovescio poi attorno ad una croce ornata >- - CONRADVS - REX - RO. Pesa denari 5.2 pari a grammi 6. 500 e potrebbe essere a denari ro. 20, ossia millesimi goo (1). La seconda (T. IV, n.° 51) che ci venne comunicata dal già lodato signor Franchini, abbenchè di conio più ristretto, è simile alla prece- dente dal lato dello stemma, ma dall’altro ha una croce fiorita con in giro > - CONRADVS - REX - ROMANO. Quest esemplare pesa de- nari 3.3 circa, o grammi 4. 000, come un altro simile del quale abbiamo un calco dal cortese padre Pellegrino Tonini, dotto nummografo di Firenze. La terza (T. IV, n° 52), quantunque di minor diametro, è uguale alle suddette nel diritto, ma nel rovescio ha una croce un po’ ornata alle estremità e la leggenda + - CONRADVS - REX - ROMA. Pesa denari 1. 13. 12 pari a grammi 2. 000, e l’ebbimo dal signor Franchini. La quarta (T. IV, n.° 53) è varia dalla precedente solo nella leg- genda del rovescio che è +- CONRADVS REX RO , e nel peso che è di grammi 1. 555. In questi pezzi, nei quali vedonsi le lettere V - I - iniziali di Vincenzo di Tommaso Giustiniani, già Garibaldo, podestà in detto anno 1562, abbiamo una piccola serie di moltiplici di caratti, che però non sappiamo come determinare esistendo troppa disuguaglianza nei pesi, poichè il primo non può corrispondere col secondo, del quale o dovrebbe essere il doppio o la metà di più, ma non sta nè per l'un caso nè per l’altro; il terzo sarebbe la metà del secondo, ma il quarto che dovrebbe essere ad esso uguale diminuisce di grammi o. 445 dal suo peso; per la qual cosa dobbiamo aspettare a stabilire il loro valore quando troveremo qualche documento che ci arrechi sopra tali monete alcun lume. Abbiamo ancora per comunicazione del prelodato P. Tonini un largo pezzo in rame, i cui conii furono certamente intagliati da un artista italiano (T. IV, n.° 54), nella cui terza parte superiore del diritto vedesi un’aquila nascente coronata, e nella parte inferiore in giro (1) Questa moneta venne già pubblicata dal Giustiniani a pag. 54 del libro La gloriosa morte de’ 18 fanciulli Giustiniani. Avellino 1656. DI DOMENICO PROMIS. 379 attorno il campo nel quale è il castello colle tre torri merlate, però toc- cando solamente l’orlo della moneta , la leggenda CIVITAT : CHIO MONET : IVSTINIANA; nel rovescio poi vedesi una piccola croce con attorno & CONRADVS & REX 4 ROMANORVM. Il suo peso è di grammi d. doo. Il Friedlaender (1) dal catalogo del museo Dunziano (Amburgo 1750, pag. 375, n.° 1921) cita una moneta con questa stessa leggenda, e che dalla sua descrizione appare uguale alla suddetta nel tipo, ma dice esser d’argento e pesare °|,; di /oths ossia grammi 4.575. Dal genere d’intaglio e dalla disposizione e forma della leggenda, che nulla hanno di comune colle monete del secolo XVI al quale dovrebbero spettare, abbiamo quasi certezza che questi pezzi siano opera di qualche falsario piuttosto moderno, e forse dello stesso che falsificò quello d’argento sopra descritto col n.° 49, abbelliendone l’impronto e por- tandone il diametro a 3 centimetri ed il peso a denari 5.23 ossia a grammi 7.625, ma che paragonato col genuino all'occhio pratico subito compare lavoro dei nostri tempi. Per nulla omettere dobbiamo ancora notare che Vlastos (2) descrive come sciotta una moneta che dice battuta prima dei Giustiniani, nel cui diritto sarebbe il busto di un arconte con quello di una bella giovane e la leggenda MONETA MACRI CHIO, e nel rovescio la fisura dello stesso arconte che sposò Eumorfia figlia di Sclerione. Da questa descrizione si vede che chi l’ebbe fra le mani non co- nosceva la numismatica del medio evo, poichè monete colla figura di un magistrato e della sua moglie con iscrizione latina e anteriori ai Giustiniani non possono esistere, avendo veduto che dal 1301 al 1329 apparteneva l'isola ai Zaccaria, e dopo il 1346 conosciamo quali furono le monete dei maonesi che tali impronti non poterono mai avere. Sotto i Bisantini poi non potevano aver leggende latine , e avrebbe dovuto esser in greco il nome dell’arconte in questione per dover essere di quella nazione; per il che crediamo che tale pezzo non pnò apparte- nere che al decimosesto secolo avanzato, e probabilmente vi era scritto, come in moltissime sopratutto di Germania, Moneta marchio per mar- chionis o marchionum, e perchè un po’ guaste le lettere si credè staccata (1) Numismata inedita. Berolini 1840, p. 30. (2) XIAKA HTOI ISTOPIA THE NHZOY XIOY. EPMOTHOAEI, 1840. Tom. II, pag. 45. 3 So LA ZECCA DI SCIO ECC. la finale CHIO, e senz’alcuna critica dall’autore si attribuì ad un ma- gistrato della propria nazione. Prima di chiudere la descrizione di questa ricca serie di monete sciotte diamo l’impronto d’una curiosa tessera in rame proveniente dall’Arci- pelago, non ultimo di quei tanti pezzi dei quali ci favorì il disegno il già lodato signor Lambros. Ha essa da una parte (T. IV, n.° 55) un castello a tre torri merlate e circondato da cinque rosette, e dall’altra una croce patente accantonata pure da quattro rose. Una delle torri è guasta da un contrassegno improntatovi sopra, che pare un T. È del peso di grammi 1.070, e vedesi lavoro del secolo XV. Il castello è uguale a quello delle monete di Scio, e perciò quantunque non abbia alcuna leggenda che ne provi l’origine, tuttavia senza timore di errare a quest'isola lattribuiamo per causa del suo tipo che così fatto non tro- vasi in Oriente che sulle monete dei conti di Tripoli, i quali però erano a questa data da due secoli estinti. Con ciò mettiamo fine alla illustrazione di questa quasi diremmo inedita officina monetaria, che sebbene appartenga ad un'isola vicina alle coste dell'Asia minore, tuttavia si può classificare tra le italiane, perchè apertavi prima da una potente famiglia di Genova, e indi con- servatavi sotto l’alta sovranità di detto comune da una società di mercanti liguri sino ad oltre la metà del secolo XVI, quando, ad eccezione di Cipro e di Candia ancora tenute dalla repubblica di Venezia , nessuno più vi esisteva dei tanti stati latini che in Oriente si erano formati in seguito alle crociate, e che sebbene assai più potenti, tuttavia molto prima di Scio caddero sotto il dominio ottomano. nur DI DOMENICO PROMIS. 381 Dall'archivio di Governo , sezione dei Collegi, sala ottava, filza Monetarum , e comunicatoci dalla cortesia del Cav. Avv. Desimom, imp. nell archivie governativo di S. Giorgio in Genova. DECRETUM PRO CUDENDIS MONETIS IN CHIO MCCCCLXXVLIII DIE XV SEPTEMBRIS. Speciali e prestanies Domini Novem Gubernatores civitatis et insule Chij in Janua constituti. Quorum nomina sunt hec: Raphael Justinianus q. Francisci — Gregorius Adurnus — Baptista Justinianus q. Johannis — Johannes Justinianus q. Vescontis — Thomas Justinianus q. Juliani —-Raphael Justinianus q. Thomae — Lucas Justinianus Antonii — Bernardus Paterius subrogatus loco q. Domini Bapliste de Goano et Franchus Justinianus de Banca. Certiores facti ex litteris et verbo quod monete argentee quae fiunt in Chio ita debiles et non idonee sunt. Ex quo fit quod locus ille propter ialem abusum ac pariter mercalores grandem iacturam patiantur et ob id volentes huic damno occurrere, habito prius consilio cum Magnificis Dominis Antianis et spectato officio Chii ac eiiam cum diversis civibus et mercatoribus ex prestantioribus civitatis laudantibus rei monetarie et solutionibus faciendis de remedio opportuno provideri ne ob ipsam causam civitas illa a solita mercatura decideret. Re ipsa mature revoluta et inter eos examinata pro bono et utilitate loci Chij et populorum illius insule ac mercatorum qui civitatem illam frequentanti. omni via iure modo ei forma quibus melius ei validius potueruni et pos- sunt. hoc solemni decreio perpeiuis temporibus valituro statuerunt deliberaverunt ac decreverunt: Quod omnes et singuli contraclus cuiuscumque conditionis qualitatis ac manerei (sic) in banc usque diem facti in civitate et insula Chij tam inter mercatores Januenses quam inter incolas et habitatores dicte insule seu extraneos vel alios cuiuscumque generis et nominis ita ut quipiam exclusus non intelligatur sed generaliter inclusus. et pariter ceteri contractus omnes de cetero faciendi a die publicationis pre- sentis decreti in civitate Chij et exinde per mensem proxime seculurum vigore quorum contractuum solvi debent ducati Chij ducali ipsi solvantur et solvi debeant ad rationem et computum caratorum sexaginta octo pro singulo ducato Chij. Item statuerunt et decreverunt ut ziliati fabrica ..(ti ?) in Chio non possint de. ...(cetero ?) elapso termino suprascripto expendi nec in solutum. dari nec insuper quis cogi possit directe nec per indireclum illos accipere statuentes ac decernentes quod elapso dicto termino de ipsis zilialis fieri debeat Bogionum in publica cecha. Item statuerunt et decreverunt quod staiim habita noticia presentis decreti cudi et fabricari possint et debeant in publica cecha dicte civitatis et insule monete auree et argentee videlicet ducati in auro largi boni auri et justi ponderis ac de liga approbata 362 LA ‘ZECCA DI SCIO ECC. proul suni ducati januenses et veneti el ziliati boni argenti videlicet de liga unciaruni undecim cum dimidia quorum octoginta octo numero ponderent libram unam ponderis januensis. et undecim valeant ducatum unum largum et que quidem monete auree et argentee cudantur et cudi debeant sub stampis solitis Chij. declarantes quod quelibet persona cuiuscumque gradus et conditionis existat possit fabricari facere in publica cecha videlicet ducatos aureos largos et ziliatos argenteos qualitalis et condictionis suprascripte solvendo mercedem operarii dicte ceche dumtaxat sine aliqua mercede et utilitate dicte Mahone. Item statuerunt et decreverunt quod a die publicationis presentis decreti et exinde per mensem proxime seculurum ut supra fieri debeant contractus in dicla civitate et _ insula ad rationem ducatorum in auro largorum boni auri et iusti ponderis prout su- perius diclum est. De quibus ducalis vel ziliatis argenteis bonitatis et ponderis de quibus supra fieri debeant solutiones omnium contractuum pro tribus quartis parlibus. et pro reliqua quarta parte karatorum ad ralionem de caratis octoginta pro singulo ducato largo. declarantes insuper ac statuentes quod omnes contraclus qui post terminum superius declaratum celebrabuntur et contrahentur in dicta civitate et insula non valeant nec teneant et ipso iure nulli et irriti remaneant nisi ut supra contrahantur et fiant ad computum et rationem monete de qua superius mentio facta fuit. Angelus Johannes de Compiano notarius et dicte Mahone cancellarius. MCCCCLXXVIIII DIE XVII SEPTEMBRIS. Illustris et excelsus Dominus Baplista de Campofregoso Dei gratia Januens. Dux et populi defensor, et Magnificum Consilium Dominorum Ancianorum ac spectatum officium Cinijposoe (sedens?) Janue in legittimis numeris congregati. Quorum hec sunt nomina: Bartholomeus Imperialis Prior — Gentilis de Camilla — Franciscus Scalia — Johannes de Moniardino — Guiraldus de Vivaldis — Mattheus de Ferraris — Lodisius Fugibertis (?) — Manuel de Grimaldis ceba — Benedictus Ususmaris — Thomas Sixtus Notarius — Franciscus de Saulo — Thomas de Auria. Spectati vero officii Chij nomina sunt hec: Nicolo Maruffus Prior — Thomas Gentilis — Petrus de Persio — Hieronimus de Mentesoro — Johannes Baplista Lomelinus — Hieronimus Salvagus q. M. — Antonius Spinula q. B. — Nicolaus de Brignali. Cum suprascriptam deliberationem per Gubernatores civilalis et insule Chij in Janua constitutos factam intellexissent omniaque in ea contenta. Cognoscentes illam cedere utilitati maxime illius insule, cui equum sit in omnibus iustis causis favere, omni iure via modo el forma quibus melius potuerunt et possunt ipsam deliberationem et omnia in ea contenta approbaverunt et ratificaverunt approbant et ratificant. Ita quidem ut DI DOMENICO PROMIS. 383 nullo umquam tempore opponi illi recte vel indirecte a quocumque possit. mandantes spectato nunc potestati Chij aliisque futuris nec non gubernatoribus Mahone dicti loci aliisque futuris quatenus sub pena fideiussionum per eos prestitarum et prestandarum que in casu contrafactionis irremissibiliter exigentur deliberationem ipsam observent faciantque ab aliis inviolabiliter observari. Volentes insuper et mandantes quod omnes et singuli ufficiales et magistratus comunis Janue ubilibet conslituti deliberationem ipsam observent nec cuicumque ipsi contravenire volenti audientiam prestent, sub pena sindicamenti aliaque graviori arbitrio ipsorum Ill.mi Dni Ducis consilii et officii. Et ne quis de suprascripta deliberatione ignorantiam possit pretendere mandatur dicto potestati ut de ea publico preconio in locis consuetis civitatis Chij noticiam faciat sub pena predicta. In quorum maius testimonium has nostras lileras registratas iussimus sigilli nostri impressione muniri. canna pi Ipo eco Ù net % aa) DE e tepol' DA NI PER RT nea to Pol ‘tec 1324 Masa ll fede o re, mai marte pia v va) datti RUISENE ITA Parah dec] spa ab î A bi PINO Lr ii ti Dei 4r la » a A ESC fs ì Ò \ Ai ” Cei A RT E ada DIETRO 0 = 9 Lia Dar. — È È pe à pa ‘ é ”" x % i LI ut (° ” TAV. I. TAV. II. TAV. IV. LA ETUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE CHEZ LES GRECS ET CHEZ LES ROMAINS E. EGGER MEMBRE DE L’INSTITUT DE FRANCE — ————___ Lu dans les seances du 17 et 31 décembre 1865. —T — A la distance des siècles, et malgré bien des différences dans la religion, la politique et la morale, notre société moderne conserve avec les sociétés anciennes, d’où elle descend, de nombreuses ressemblances. Nos meeurs et nos révolutions semblent souvent reproduire les moeurs et les révolutions de Rome et d’Athènes. Notre éducation classique , toute empreinte de l’esprit des anciennes républiques, en perpétue chez nous certains préjugés comme elle en perpétue les plus nobles principes. Ces analogies, naturelles ou transmises, entre le monde mo- derne et l’antiquité, donnent un intérét doublement sérieux à quelques pages de l’histoire grecque et de l’histoire romaine, comme celles que je me propose d’étudier ici. Je n'y ai pas recherché le plaisir de raconter, sous des noms grecs et latins, quelques scènes de nos annales; mais je n’ai pas à me défendre d’avoir voulu éclairer, par l’étude des faits anciens, un douloureux problème de morale qui semble ètre de tous les temps. Le spectacle d’événements récents est une légitime Serie II. Tom. XXIII. 49 386 ÈÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. occasion de reporter nos yeux vers l’antiquité, d’y rechercher les exem- plesttet les doctrines du fanatisme politique, pour les examiner de nouveau, avec le calme d'un jugement impartial. Notre profession d’érudits s'inspirerait d'une curiosité bien futile, si, dans ces vieilles histoires elle.ne recherchait qu’une distraction pour l’esprit, et non un enseignement pour la conscience. I Deux noms, d’un éclat sinistre, personnifient dans l’histoire ancienne, le meurtre politique, les noms d'Harmodius et d’Aristogiton. Rien n'est plus connu que le chant populaire, ou Scolior, en l’honneur de ces deux meurtriers d’un fils de Pisistrate. Autant est obscur le nom du poéte Callistrate à qui on l’attribue, autant l’oeuvre elle-mème est devenue célèbre : c'est comme la Marseillaise du peuple athénien. « Je porterai le poignard sous la branche de myrte, comme Harmodius » et Aristogiton, lorsquw'ils tuèrent le tyran et rendirent Athènes è la » liberté. » Cher Harmodius, on dit que tu n’es point mort, mais que tu » vis encore dans les îles des bienheureux, auprès du rapide Achille » et de Diomède le fils de Tydée. » Je porterai le poignard sous Ja branche de myrte, comme Harmodius » et Aristogiton, lorsque, dans les fètes d’Athènes, ils tuèrent le tyran » Hipparque. » Votre gloire durera toujours sur la terre, cher Harmodius, cher » Aristogiton, parce que vous avez tué le tyran et rendu Athènes à » la liberté. » (1). Ces vers d’une rudesse originale sont dans toutes les memoires. On connaît déjà un peu moins, sur cette prétendue délivrance d’Athénes , les sévères jugements d’Hérodote et de Thucydide. Hérodote pourtant soutient que les Aleméonides furent les vrais libérateurs de leur patrie ; mais qu’ Harmodius et son ami, par le meurtre d’un Pisistratide , irritéerent les autres fils de Pisistrate et rendirent ainsi plus étroite la (1) Chant conserve par Athénée, Diprosoph. XV, p. 695, A; attribue a Callistrate par Hésychius, au mot ‘Appodicv pé)os; cité par Aristophane, Lysistrata, v. 632; Acharniens, v. 990 et 1093, Guépes, v. 1226. C£ les Scholies sur le second passage d’Aristophane. PAR E. EGGER. 387 sujétion où vivaientles Athéniens (1). Thucydide, après une rigoureuse information sur ce .sujet, nous révélant les motifs infàmes de l’acte entrepris par Harmodius contre Hipparque, lui enlève jusqu'au caractère d’exaltation désintéressée où l’on cherche souvent. l’excuse du meurtre politique (2). Si anciens et si graves qu'ils soient, de tels témoignages ne pouvaient facilement prévaloir contre l’enthousiasme populaire, per- pétué jusqu'à nous, qui s'obstine à voir des héros dans les deux célèbres conspirateurs. La littérature. grecque est pleine de ces échos d’une admiration aveuglée par le patriotisme, et contre laquelle la critique ancienne a vainement proteste. A la veille du combat de Marathon, Miltiade, chez Hérodote, dit à l'archonte Callimaque, sous les ordres de qui était placée la petite armée athénienne: « Il dépend aujourd’hui de toi d’asservir Athènes, ou, » en l’affranchissant, de t’assurer pour jamais, dans le souvenir des hom- » mes, une gloire supérieure à celle d’Harmodius et d’Aristogiton (3) ». C'est là pour nous comme le premier éclat d’une fanfare qui se renou- vellera sur tous les tons, à travers les siècles, au théàtre comme à la tribune, dans les récits des historiens comme dans les discours des orateurs et des sophistes. Les arts se sont de bonne heure associés à ces hommages de la poésie et de l’éloquence. Il serait superflu d’énu- mérer, sur ce sujet, les innombrables témoignages de l’antiquité (4); mais il n'est. peut-ètre. pas inutile d’en apprécier quelques-uns, et d’éclairer, par quelque comparaison, la tradition relative aux deux héros libérateurs. C'est une étude de morale que n'a, je crois, essayé aucun des historiens modernes de la Grèce, et qui vaut bien la peine des recherches qu'elle peut corìter. Un des premiers documents authentiques de l’histoire d’Athénes est le serment que prononcaient, avant d’entrer en charge, les citoyens appelés à faire partie de l’Héliea, les Z/eZiastes, comme on les appelait alors. Or, dans ce serment, dont la rédaction semble remonter au temps de Solon mème, entre autres engagements solennels, les Héliastes (1) Herodote, VI, 123 et V, 55. (2) Thucydide, VI, 54. Cf. I, 20 et Maxime de Tyr, Diss. XXIV. (3) Herodote, VI, 109, où il faut remarquer la briéveté de ce petit discours, qui le rend d’au- tant plus vraisemblable. (4) On les trouve indiqués avec beaucoup de soin par Ilgen (Zxo)ik, id est carmina convivalia Graecorum. Iena, 1798) à propos du petit poéme de Callistrate. 388 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. prennent celui de n’appuyer jamais de leur vote ni le partage des terres et l’abolition des dettes, ni l’établissement d’ume tyrannie (1). A peine constituge, la démocratie athénienne cherchait donc sa sécurité entre deux menaces, son équilibre entre deux excès dont elle avait vu l'égal péril. Si elle ne voulait plus de maître unique, danger dont la preservait encore la celèbre loi de l’ostracisme, elle ne redoutait pas moins l’aveuglement des besoins de la foule ignorante, aveuglement qui a pris tant de noms et tant de formes dans les agitations de nos sociétés modernes. On dirait que les Athéniens ont marqué, il y a vingt-cinq siècles, les deux limites extrèmes entre lesquelles ont tou- jours oscillé les institutions des pays où l'homme vit de la seule vie qui convienne à l'homme civilisé, de la vie de citoyen. Mais contre les dangers du despotisme Athènes s’est-elle armée, dès lors, d'autres sévérités que de ce serment imposé à la conscience des Heéliastes? A-t-elle fait directement appel au tyrannicide? On pourrait le croire d’après le document que je vais traduire sur le texte, altéré peut-ètre, que nous en a transmis l’orateur Andocide (2). « Décret du sénat et du peuple. Prytanie de la tribu antide; Cligènes » secretaire; Boéthus épistate; Demophantus rédacteur de l’acte. L’effet » du présent décret est à partir du sénat des Cinq-cents tirés au sort » lorsque Cligènes était secrétaire de la première prytanie. » Si quelqu'un renverse la démocratie qui existe à Athénes, ou » exerce une charge après le renversement de la démocratie, qu'il soit » tenu pour ennemi des Athéniens, et puisse ètre tué impunément; que » ses biens soient vendus au profit de l’État, avec réserve du dixième » pour le trésor de la Déesse; que le meurtrier du criminel, ou » son complice soient tenus pour exempts de toute sowillure devant les » hommes et devant les Dieux. Tous les Athéniens jureront, dans un » sacrifice en forme, par tribus et par dèmes, de tuer celui qui aura » fait cette action. Le serment sera en ces termes: (1) Texte conservé par Démosthène, contre Timocrate, $ 149 (Cf. Schelling, de So/onis legibus, p. 33). Ce document a pu èlre alléré en quelques passages; mais l’authenticité n’en paraît guere contestable, malgré les doutes exprimés par M. Voemel. Je crois done qu'il aurait pu étre mis a profit par M. Freesse, dans sa dissertation, d’ailleurs instructive: der Parteikampf der Reichen und der Armen in Athen zur Zeit der Demokratie (Stralsund, 1848, 8°). 2) Sur les Mysteres, $ 93 (Cf. Schelling, de Solonis legibus, p. 7; et Schoemann, de Comitiis Atheniensium, c. XII, p. 131 et suiv.). — Démosthène, Contre la loi de Leptine, $ 159, trapserit une partie de ce texte et en confirme ainsi l’authenticite. PAR E, EGGER. 389 » Je tuerai de ma main, si je le puis, celui qui aura renversé la » démocratie dans Athènes, ou exercé une charge après le renversement » de la démocratie, celui qui affectera la tyrannie, ou aidera un autre » à l’établir. Si un autre que moi le tue, je le regarderai comme pur » devant les Dieux et les Génies, pour avoir tué un ennemi des Athéniens. » Je ferai vendre les biens du mort, et j'en attribuerai la moitié au » meurtrier, Sans en rien distraire ni par mes paroles, ni par mes actes, » ni par mes votes. Si un citoyen meurt en tuant le tyran, ou dans » cette entreprise, je le traiterai lui et ses enfants avec le mème honneur » quÒont obtenu Harmodius et Aristogiton, et leurs descendants. Tous » les serments qui ont été jurés à Athéènes, dans le camp, ou ailleurs, » contre la démocratie, je les déclare nuls et sans effet. » Que les Athéniens jurent donc ce serment légal, dans un sacrifice » en forme, avant les fètes de Dionysos. On appellera en outre beaucoup » de bonheur sur celui qui l’accomplira; on vouera au malheur la per- » sonne et la race du parjure (1). » Ce texte nous est donné, chez Andocide, comme une loi de Solon; mais il offre plusieurs indices d'une date moins ancienne; d’abord la teneur du protocole, qui appartient aux temps voisins de l’archontat d’Euclide et de la mort de Socrate; puis et surtout la mention des deux libérateurs d’Athènes, et des honneurs accordés à leurs descendants. En outre, tout semble prouver que Solon n'a pas encouragé, par une loi formelle, le tyrannicide. Diodore de Sicile lui fait honneur, il est vrai, d’avoir, pour ainsi dire, mis les armes aux mains d'Harmodius et d’Aris- togiton (2); mais c'est là une de ces figures de rhétorique, qu'il ne faut pas prendre à la lettre, surtout chez un écrivain de second ordre: Diodore n'a sans doute voulu marquer par ce trait que le vif amour de la liberté que les institutions de Solon devaient entretenir chez les Athéniens. D'ailleurs nous avons contre Diodore le témoignage authen- tique d'une loi de Solon conservée dans Plutarque (3), je veux dire la loi qui, réhabilitant les citoyens déchus de leurs droits (&7101) par swite (1) Avec ces formules d’imprécation on peut comparer les formules semblables dans les décrets de Mylasa qui seront cités plus bas; puis le n° 3044 du Corpus Inscr. graec., ei le n° 2851 de l'Ephémeride archéologigque d’Athènes. (2) Biblioth. Hist., IX, 1, $ 4: Ta tovrov vopodzcia radoriuabevtes tds Wuyks ‘Appòdtos rat ’Apratoyeitor sora)ie èmregeipara» tiv T6v Mewototparidoy &pyriv. Cf. X, 16. (3) Zie de Solon, c. 19. 3g0 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. de quelque condamnation antérieure à l’archontat du législateur, excluait de cette faveur les citoyens exilés pour cause de tyrannie. L’exil semble donc la seule peine légale qui fùt alors. portée contre l’usurpation du pouvoir, et ce n'est pas la loi, c'est un fanatisme tout spontané qui arma. contre les Pisistratides la main de leurs deux meurtriers. Solon lui-méème avait dédaigné de se faire souverain d’Athènes, quand ses amis l’y poussaient, quand l’état mème de la république semblait ly inviter (1). Mais il ne songea sans doute pas. à préserver sa patrie contre un pareil attentat par de tragiques menaces, comme celles qu'on lit dans le texte transcrit. chez Andocide. La passion republicaine n’'était pas alors exaltée à ce point. Athènes était, fire de sa liberté, mais encore peu inquiete de la perdre. Si elle pensait, avec son Iégis- lateur (2), que les grands hommes sont toujours un péril pour la démocratie , il ne paraît pas du moins qu'elle songeàt à sen préserver autrement que par l’étrange et salutaire rigueur de l’ostracisme. L’ex- périence ne tarda pas à irriter ses inquigtudes à cet égard. D’abord la longue domination de Pisistrate et de ses fils, puis l’invasion persane, qu’avait presque dirigée un des Pisistratides, Hippias, qu’avaient encou- ragée ou mollement combattue les petites royautés du nord et de l’oc- cident; puis la naissance d’un véritable parti persan en Gréce (3), toutes ces causes ravivèrent et entretinrent chez les vrais Hellènes l’horreur de la tyrannie; elles expliquent la loi sanguinaire qui n’aurait point eu de raison d’ètre au temps de Solon. Plus itard, et par un progrès naturel de l’opinion publique, les triomphes militaires de la démocratie athénienne sur l’aristocratie, que représentait et soutenait Lacédemone, furent volontiers assimilés au meurtre du Pisistratide. C'est presque à titre de continuateur de l’oeuvre d’Harmodius et d’Aristogiton, que Conon, vainqueur de Lacédémone, recut, comme eux, l’honneur d'une statue d’airain, comme eux et leurs descendants, des: immunités consi dérables (4). Ainsi se forma peu à peu, autour des deux héros, l’auréole (1) Ze de Solon, c. 14. (2) Vers de Solon conserves dans Diodore de Sicile, XIX, 1, et Diogène Laérce, I, 52. (3) Voir sur ce sujet le Mémoire de M. de Koutorga inséré au Recueil des Memoires présentés par divers savants à Vl Académie des Belles-Lettres, t. VI, ire série, ire parlie. ù 4) Démosthène, Contre la loi de Leptine, $ 68 et suiv. Cf. $ 18, 29, 127 et 159, où revient cette menlion des immunilés accordées à la famille des héros libérateurs. On la retrouve encore dans le discours contre Midias, $ 46. PAR E. EGGER. 391 brillante qui cachait sous l’éclat d’un succès, d’ailleurs contestable et contesté, la honte d’un assassinat inspiré par des motifs de vengeance privee. Les honorer dans leur personne et dans celle de leurs descendants devint comme un article de foi républicaine. Cette érection d’une statue n’était point d’abord l’honneur que l’on vit plus tard prodigué aux moindres bienfaiteurs de l'État; c’était presque une apothéose. Car, à l’origine, les Athéniens ne dressaient de statues qu’'aux dieux et aux personnages héroiques. Les meurtriers d’Hipparque furent les premiers dont la gloire parut autoriser une exception à cette règle (1). On a conservé le nom de l’artiste, Anténor, qui fondit la ‘statue d’Harmodius et celle de son ami, toutes deux entourées par les Athéniens d’une sorte de vénération religieuse. Enle- vées par Xercès, en 479, elles leur furent rendues par Alexandre ‘ou par un des Seleucides (2). Mais, avant cette restitution, un autre groupe avait été commande, pour remplacer l’ancien, au statuaire Critios. Il reste du premier, ou plutot de quelque reproduction qui en fut faite, à une date inconnue, une base avec inscription récemment découverte parmi les ruines d’Athénes, et l'on a cru en reconnaître une autre imitation sur un bas-relief retrouvé dans le voisinage du Prytanée (3). C'est, sans doute, à l’un de ces deux premiers monuments qu’était destinée la 132° épigramme de Simonide qui dit, en deux vers d’une precision toute archaique: « Une grande lumière se leva sur Athènes » quand Hipparque peéerit sous les coups d’Aristogiton et d'Harmodius. » Le célèbre Praxitèle, s'il n°y a pas erreur dans un témoignage de Pline sur ce sujet (4), fondit aussi en bronze les statues des deux libérateurs. Il est peut-étre moins démontré, mais il est pourtant naturel, que les Athéniens aient figuré jusque sur leurs monnaies ces deux mémes images: un petit groupe de deux héros armés, que nous offrent le tétradrachme attique marqué des noms de Mentor et de Moschion, rappelle d’une manière frappante deux belles statues du Musée de Naples où les anti- quaires paraissent d’accord à reconnaître la copie de l’un des trois (1) Pline, ist. Nat., XXXIV, 19, $ 10. (2) Pausanias, I, 8,65; Arrien, Expced. d° Alexandre, IT, 16, $ 13 et VIT, 19, S 4; Valère Maxime, II, 10; Exterza, 1. (3) Voir les textes réunis par R. Rochette, Lettre à M. Schorr, 2° éd., p. 203. (4) Hist. Nat., XXXIV, 19, $ 10, où il suppose étourdiment que ce fut ce groupe que les Perses avaient emporté en Asie. 3g2 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. groupes d’Anténor, de Critios ou de Praxitèle (1). Rien ne consacre mieux une renommée populaire que ne font ces sortes de représenta- tions. Elles simplifient à la fois et elles amiment le souvenir; effet qui devait ètre d’autant plus sùr, chez les Athéniens, que les statues des deux héros se dressaient dans l’Agora, auprès de la tribune où l'on discutait les grands intéréts de la démocratie. S'il faut en croire une tradition accueillie, trop légèrement peut- étre, comme tant d'autres, par Pline Vancien, une figure de lionne en bronze, ceuvre du vieux sculpteur Amphicrate, représentait indi- rectement la courtisane Lena, amie d'’Aristogiton, que le tyran avait fait torturer sans pouvoir lui arracher les secrets du complot. En signe de sa ciscrétion, les Athéniens avaient voulu que la statue n'eut pas de langue. A ce compte, Harmodius et Aristogiton auraient étendu jusqu'à leurs complices, jusqu' une courtisane , les priviléges de leur gloire (2). Signales ainsi comme des modéles du vrai patriotisme, ou plutot divinisés, comme l’affirment, sans métaphore, Démosthène et après lui Cicéron (3), comme l’atteste formellement Pollux (4), Harmodius et son ami n'eurent plus è compter avec la critique des historiens; ils furent désormais hors de ses atteintes, dans la région idéale où les placait une reconnaissance enthousiaste. L'histoire offre bien des exem- ples de ces meprises de l’opinion publique. Dans le cas dont il s’agit, la morale peu scrupuleuse des Athéniens ne songea pas méme à jeter un voile sur les traits qui déshonorent leur patriotique légende. Eschine, plaidant contre Timarque, nous parle de l'amour d’Aristogiton pour (1) M. E. Beulé, La Monnaie d’ Athènes, p. 335, fait, contre l’opinion de Stackelberg è cet égard, des objeclions assez graves, mais auxquelles paraît répondre avec suecès M. Friederichs dans un article de l’Archacologische Zeitung (juillet, 1859, n. 127) sur le groupe du Museo Borbonico. Au reste M. Beulé paraît avoir lui-mème renoncé à ses objections, puisque dans le VII chapitre de son ZMistoire de la Sculpture avant Phidias (Gazette des Beaux-Arts, décembre 1863) il repro- duit comme justement attribué aux deux héros athéniens le groupe qui figure sur les tetradrach- mes en question. (2) Pline, ist. Nat., XXXIV, 8, $ 19, temoignage ulilement discuté par Sillig, Catalogus Artificum, au mot Amphicrates, (3) Demosthène, sur l’.Ambassade, $ 280, et Cicéron, pro Milone, c. 29. Cf. id. Tuscul., disp. I, 48, 49, où l’on voit clairement quelle part eurent les rhéteurs dans cette renommée d’Harmodius et d’Aristogiton. (4) Onomasticon, VIII, 91: 6 moliuapyos.... dratidnot qòv èmsurdotov ùytiva séiv èv Tolto Arobavivtewy nad Tot mepi ‘Apuodio» ivayitet, | PAR £. EGGER. 393 Harmodius comme d'un argument que pourra bien alléguer sans em- barras le défenseur du vil débauché son adversaire dans le présent procès: « Un des stratéges, à ce que yentends dire, se presentera ici pour » le défendre, la téte renversée avec complaisance pour lui-mème, » comme il sied à un habitué des palestres, qui essaiera d’ébranler » toute l’accusation, en prétendant que j'ai apporté là non un grief » judiciaire, mais un principe de haute ignorance, et il mettra d’abord » en avant vos bienfaiteurs Harmodius et Aristogiton; il exposera leur » intime alliance et le service qu'elle rendit à notre patrie. On dit » méme qu'il ne s’abstiendra pas des poémes d'Homère et de ces noms » héroiques, et qu'il célebrera le prétendu amour d'Achille et de Pa- » trocle; et il célébrera la beauté, comme si jadis on en avait fait un » bonheur quand méme elle ne s’unissait pas à la vertu (1) ». Voyez avec quelle aisance il annonce un argument scabreux, qui ne semblait pas devoir troubler beaucoup la conscience des juges. Hypéride marque plus nettement encore l'’illusion complaisante qui, à la distance de deux sigcles et sous le reflet d’une gloire populaire , épurait l’amitié des deux héros. Dans son oraison funèbre de Leosthène il dit, avec un tour d’expression étrangement ingénieux, « qu’ils aimérent aussi fidèle- » ment les Athéniens, qu'ils s'aimaient l’un l’autre (2) ». Un procès, jadis célèbre, mais dont les pièces ne nous sont au- jourd’'hui connues que par de rares debris, se rapporte aux mémes souvenirs et nous les montre dans toute leur vivacité. Après les meurtriers d’Hipparque, Conon était le premier à qui l’on eùt décrété une statue d’airain. A cet exemple, et pour une grande victoire remportée sur les Lacédémoniens, Iphicrate sembla mériter ie méme honneur et méme de plus grands encore; car on proposait d’y ajouter ces faveurs ou indemnités que les Athéniens appelaient dopeat, et dont jouissaient les descendants d’Harmodius. Un de ces derniers, portant le nom de son ancétre, accusa d'illégalité le décret proposé au peuple. Le général athénien se défendit et défendit l’auteur de la proposition avec un discours que l’on disait composé par Lysias, mais que beaucoup de raisons permettent d'’attribuer è Iphicrate lui-mème. On en a conservé quelques traits assez remarquables. « Si, avant de (1) Contre Timarque, $ 132. (2) Oraison funebre, col. 13, p. 10, éd. Dehèque. Serie JI. Tom. XXIII, 50 394 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. » vous rendre service, ]y avais mis pour condition l’honneur de cette » statue, vous me l’auriez accordé. Ne me l’accorderez-vous pas quand » le service est rendu? Ce que vous promettiez avant l’acte, ne l’enlevez » pas après. » Ailleurs il reprochait amèrement au jeune Harmodius sa noblesse empruntée : « Harmodius, disait-il, et Aristogiton n'avaient » rien de noble avant d’avoir fait une noble action. Ma conduite me » fait plus leur parent que ne le fait la tienne. » Et enfin: « Ma race » commence avec moi, avec toi la tienne finit; » fiére parole qu'on a bien des fois appliquée aux descendants indignes des grands hommes, sans songer à quel propos et devant quel auditoire elle fut d’abord prononcée (1). La descendance d’Harmodius ne fut pas seule honorée comme on vient de le voir par les Athéniens. Plutarque nous raconte, à la fin de sa ie d'Aristide, comme un trait de leur générosité, qu'ayant appris qu'une nièce d’Aristogiton vivait seule et misgrable dans l’île de Lemnos, ils la marièrent en lui donnant pour dot un fonds de terre qui pouvait suffire è l’entretien de son ménage, et il assimile sans réserve cet acte d'humanité aux soins que prirent ces mèmes Athéniens de la descendance du vertueux Aristide. Il est étrange, et pourtant il est assez bien démontré que les Athé- niens étendirent jusque chez d’autres peuples ces encouragements au tyrannicide. Hypéride, par exemple, fit porter un décret en l’honneur d'Iolas, le prétendu auteur de la mort d’Alexandre-le-Grand , événement qui délivrait la Grèce d'une servitude tempérée par la gloire et par l’éloignement mème du conquérant Macédonien (2); mémes honneurs furent rendus aux meurtriers de Cotys le roi de Thrace (3). Il n'y a pas jusqu’au petit royaume de Phères, en Thessalie, qui m'ait paru quelque temps redoutable à la liberté grecque, au point que les cités helléniques accueillirent avec enthousiasme, d’'abord les meurtriers de Jason, puis, douze ans plus tard, ceux d’Alexandre son deuxièéme suc- cesseur (4) On voudrait douter de pareils faits; on peut méme en (1) Les textes relatifs à cette affaire sont réunis dans Holscher, De vita et seriptis Lysiae, p. 140 et suiv. (2) Le faux Plutarque, Ze d’Hypéride, p. 86, éd. Westermann. (3) Plutarque, Preéceptes politiques, c. 20; Contre Colotès, c. 32. (4) Diodore de Sicile, XVI, 14. Cf. XV, 60, et J. Liebinger, De Rebdus Pheraeis:(Berolini, 1862), p. 48 et suiv. (SS) PAR E. EGGER. 95 douter quand ils n’ont, comme le prétendu décret d'Hypéride, d’autre garantie que le témoignage d'un biographe sans critique. Mais ils sont pour la plupart garantis par de graves autorités. Une autorité indirecte, il est vrai, mais significative est celle de l’historien Callisthène. Philotas, l’ami d’Alexandre , lui demandant un jour quelle personne il croyait étre le plus honorge des Athéniens , il répondit que c’étaient Harmodius et Aristogiton, pour avoir détruit la tyrannie par le meurtre d’un des deux tyrans. Philotas lui ayant, en outre, demandé s’l jugeait que le meurtrier d’un tyran pùt trouver un refuge dans quelque cité grecque, il répondit qu’Athènes au moins recevrait le meurtrier, elle qui jadis, pour deéefendre les enfants d’Hercule , ne craignit pas de soutenir la guerre contre Eurysthée tyran d’Argos. C'était, on le voit, chercher bien haut dans l’histoire des preuves du dévouement d’Athènes à la cause de la liberté (1). Mais des autorités plus directes appuient les faits étranges que nous venons de rappeler. Au sujet du roi de Thrace Cotys, dans le discours contre Aristocrate, Démosthène conjure les Athéniens de ne pas décerner des honneurs exorbitants au lieutenant d’un roi barbare, et voici, entre autres arguments, comment il les détourne de cette imprudence par le souvenir de leur conduite inconsequente envers le roi Cotys. « Vous savez tous comme moi que vous lui avez donné » le droit de cité, sùrs que vous étiez alors de ses bonnes inten- » tions et de son amitié à votre égard. Vous l’avez mème couronné » de couronnes d’or, ce que vous n’eussiez pas fait le tenant pour un » ennemi. Et cependant, quand il devint un scélérat et un ennemi » des Dieux, quand il vous eut fait du mal, vous décernàtes aux » deux /niens ses meurtriers, Héraclide et Python, des couronnes » d’or avec le titre de citoyen. » Puis il leur cite Alexandre de Thes- salie, envers qui leurs sentiments n’ont pas moins varié, et il laisse voir que ce n'est pas le dernier exemple de ce genre en faveur de sa cause (2). En effet, plusieurs actes authentiques conservés sur les marbres d’Athènes, nous montrent assez souvent les Athéniens (1) Arrien, Exped. d’ Alexandre, IV, 10, $ 3. Cf. III, 16 et VII, 19; témoignages relatifs è la restitution faite par Alexandre des statues d’Harmodius et d’Aristogiton que les Perses avaient jadis enlevées. (2) Contre Aristocrate, $ 118 et suiv., éd. Voemel. 396 EÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. attentifs è entretenir de bonnes relations avec les souverains étrangers, fàt-ce méme avec ceux dont la littérature attique devait, plus d’une fois, médire. Après un traité conclu avec Artaxercès et les Lacédémo- niens, pour remercier Denys de Syracuse, qui leur avait rendu, en cette occasion, de bons offices, ils lui conférérent le droit de citoyen (1). Un décret en l'honneur de Spartocus, roi du Pont, est encore plus expli- cite (2); au roi des Molosses Arybbas les Athéniens confèrent d’abord le droit de cité , puis ils s'engagent à le défendre contre toute tentative criminelle , et ils le déclarent protégé par les lois qui protégent tout citoyen d'Athènes (3). Tantòt c'est l’intérét politique, tantòt c’est l’in- térét économique qui leur conseille ces utiles ménagements envers des rois dont quelques-uns furent de vrais despotes. Denys avait été un arbitre heureux dans des négociations difficiles; Arybbas appartenait à la famille royale de Macédoine, qui se faisait alors respecter de ceux mèmes qui ne l’aimaient pas; enfin Spartocus était roi d'un pays qui approvisionnait de blé une partie de la Grèce, comme il approvisionne encore aujourd'hui plusieurs contrées de l’occident. La prudence voulait que l'on ménageàt de pareils alliés. Je pourrais, comme Démosthène, multiplier, d’après les monuments , les témoignages de ce genre; il y en a méme qui engagent bien plus le peuple Athénien que ces déerets en l'honneur d'un chef de bandes mercenaires ou d’un petit despote. Ainsi lorsqu'à leurs dix tribus les Athéniens en ajoutèrent de nouvelles, et leur donnèrent des noms empruntés non pas aux héros de leur vieille mythologie, mais aux familles royales des Séleucides, des Attales et des Ptolémées (4), c’était lù une flatterie dont le témoignage reparaissait chaque jour dans leurs actes publics; car les divisions de la ville en tribus figurent en tète de tous les décrets du Sénat et du peuple; si bien que cette mention de la tribu Attalide, de la tribu Antiochide et (1) Corpus Inscr. graec., n. 856 et e, dans les Addenda, fragments dont le second doit ètre placé en tète du premier, dont il forme le protocole, selon la juste remarque de M. Brunet de Presle, Etablissements des Grecs en Sicile, p. 269-270. Ce savant fait aussi observer avec raison que dans l’acte en question Denys est appelé ro? (et non tyrar) de Sicile, selon les convenances du style officiel. (2) Rangabé, Antiquités helleniques, n. 446. Le n. 447 du mème recueil est un decret, contem- porain du precedent, en l’honneur d’Audoléon roi des Péoniens. (3) Rangabée, Antiquités hellérigues, n. 388. (4) Voir, par exemple, dans le Corpus inscr. graec., n. 111; et dans les Antiquités helleniques de Rangabé, n. 478 et 993. PAR E. EGGER. 397 de la tribu Ptolémaide est devenue pour nous un moyen de dater approximativement certaines pièces historiques conservées sur les marbres d'Athèénes. Il ne semble pas que les Athéniens aient jamais songé è faire disparaître (ce qui d’ailleurs et été difficile) tant de souvenirs de leur servitude passagère; ils se contentaient de maintenir également les souvenirs de leur indépendance. Quand, après la mort de Jules César, ils crurent un moment à la liberté, ils dressèrent des statues à Brutus et à Cassius, et il les placèrent à coté de celles d’Harmodius et d’Aristogiton, sur leur Agora (1): c'était, depuis bien des siècles, une place d’honneur, où l'on aimait à dresser, sous les yeux de tous, les monuments des bienfaiteurs de la république (2). La statue du roi Spartocus y coudoyait celles des meurtriers d’un tyran. Ce contraste nous étonne, mais, au fond, il s'explique par les inconséquences de la nature humaine, par la mobilité du caractère athénien, surtout par les diverses fortunes d’Athènes et les influences quelle exerca dans sa prospérité ou qu'elle subit dans ses défaites. II La passion démocratique et la haine des tyrans qui joue un si grand role dans les annales politiques d'Athènes, ne pouvait rester sans écho parmi les philosophes. Elle se montre, en effet, dans leurs livres, sous bien des formes. Le vrai fondateur de la démocratie athénienne, Solon tout le premier, avait sans doute médité sur la théorie des pouvoirs publics. Ses mémoires, Écrits en vers, et qui contenaient un commen- 2 taire de sa législation, en résumaient aussi l’histoire, et, d’après ce qui nous reste de ce singulier ouvrage, on peut juger quel intérèt il nous eùt offert pour l’étude que nous poursuivons (3). L’école socratique hérita de ces problèmes, et les discuta souvent avec passion. L'insuffisance morale, et quelquefois l’immoralité ouverte de l’enseignement que don- naient les sophistes, les encouragements trop faciles qu’y trouvait l’am- bition de citoyens puissants, riches et habiles, durent éveiller de bonne 1) Dion Cassius, XLVII, 21. Cf. Rangabé, Artiguités helléeniques, n. 478. (2) Rangabé, Artiquites helleniques, n. 565, fragment d’un décret athénien. (3) Solonis Atheniensis Carminum quae supersunt, praemissa commentatione de Solone poeta, dispo- suit, emendavit atque annotationibus instrurit N. Bachius. Bonnae, 1825, 8°. 398 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. heure les inquiétudes de Socrate et de ceux qui continuèrent son ceuvre. Sur cet état des esprits dans les écoles il nous reste bien des pages instructives dans les écrits de Xénophon, de Platon et d’'Isocrate. Xénophon, dans le petit dialogue intitulé Zieror, qui date proba- blement de quelques années avant la mort de son maître, représente le pogte Simonide s’entretenant avec le tyran de Sicile, qui l’avait attiré è sa cour. D'abord, ébloui par l’éclat de cette royauté magnifique, le poéte prenait Higron pour le plus heureux des hommes. C'est Hiéron lui-mème qui se charge de le détromper, en lui faisant voir toutes les inquiétudes et toutes les douleurs que cache le palais d'un tyran: pauvreté réelle au sein des richesses; défiance dans les relations de l’amitié méme Ja plus intime; difficulté de s’assurer une garde fidèle contre les révoltes du dehors et les attentats du dedans; souvenir, toujours présent au ceeur, des joies pures qu'on a connues dans la vie privée , et que ne connaît plus une royauté fondée sur la violence. Néanmoins devant ces confidences douloureuses, le poéte, ou plutòt le philosophe qui le fait parler, ne conclut pas précisément en républicain. Il conseille seulement au roi de Syracuse une facon de gouverner plus intelligente et plus humaine, qui réconciliera ses peuples, et le réconciliera lui-méme avec le pouvoir royal (1). C'était là une idée favorite de l’école socratique (2), idée que reproduisent plus d’une fois Isocrate et Xénophon. Devant les agitations du régime populaire, on rèvait volontiers l'image d’une sou- veraineté plus équitable et plus maîtresse d’elle-mème que ne Vest celle d'un peuple livré à tous ses emportements et aux passions, souvent égoistes de ses orateurs. Hiéron en Sicile, Évagoras en Chypre, et mème Cyrus en Perse servaient de prétexte ou de modéle à ces complaisantes utopies. L'autre disciple et interprète de la morale socratique dans Athénes, Platon, est plus explicite et plus. absolu dans les doctrines contre la tyrannie. Dans les dernières pages du Gorgias, il préte à Calliclès, élève de ce célèbre rhéteur, un hardi plaidoyer contre les principes les plus chers à la démocrate athénienne; il montre en un tableau d’une admi- rable énergie les prétentions insolentes d’un jeune ambitieux que les (1) Voir surtout le chapitre neuvième , où il propose l’idée de récompenses analogues à celles que nous décernons dans nos expositions publiques. (2) Voir la belle Etude sur Isocrate par M. E. Havet, en tète de l’édition de }' Antidosis, publiée par lui, en 1862, avec la traduction frangaise de Cartelier. i PAR E. EGGER. 399 sophistes ont enivré du sentiment de sa force, et qui considére les lois et l’égalité comme un attentat au droit des natures supérieures, au droit de l'homme de génie prédestiné à dominer ses semblables. La logique et la morale qui, par la bouche de Socrate, confondent bientòt cette ambition hautaine sont la logique et la morale d’un athénien qui prévoit un tyran dans le jeune et téméraire élève de la sophistique. La pensée qui ressort seulement du dialogue final du Gorgias est plus ouvertement exposée dans le neuvième livre de la République, où Platon l’analyse avec subtilité, et la discute avec un rare éclat d’éloquence. Recherchant les causes de la tyrannie dans l’àme de l'homme qui la fondera , et dans les vices du peuple qui doivent la subir, il trace de l'un et de l’autre une de ces peintures qui font bien pàlir la froide esquisse de Xénophon. D'un seul trait, par exemple, il nous fait pénétrer bien avant dans les misères de la société antique, lorsque, comparant le despote avec le simple particulier entouré d’une armée d’esclaves, il nous montre ce dernier protégé par l’Etat contre la révolte des libertés naturelles quil opprime, tandis que le tyran se trouve seul, sans appui ni défense, contre une nation toujours préte et toujours autorisée ‘è revendiquer ses droits (1). Certes il y avait dans ces pages des philosophes socratiques plus d'un encouragement aux vengeances violentes. « Bien loin, nous dit Xénophon, » bien loin que les villes vengent la mort des tyrans, elles accordeni » les plus grands honneurs aux tyrannicides. Loin de leur interdire les » choses sacrées, comme au meurtrier d’un simple citoyen, elles élèvent » des statues dans les temples aux auteurs de ces exploits (2) ». Platon, dans un passage célèbre, comparant au meurtre d’une mére l’attentat du tyran contre sa patrie, semble par cela méème appeler toutes les rigueurs de la justice humaine contre le fondateur‘d’un pouvoir inique (3). De tels exemples et de tels raisonnements pouvaient exalter jusqu'à la pensée de l’assassinat l’enthousiasme d’une jeunesse ardente. Mais estal (1) Voir ce morceau dans les Persces de Platonr par J. V. Le Clere (p. 300), où il est accom- pagné d’utiles rapprochemenis avec d’autres textes sur le mème sujet. (2) Hicron, c. 4. Plusieurs textes sur le méme sujet sont aussi réunis dans l’Anihologie de Stobée, c. 49, sous le titre Ydyos rupavvidos. Dion Cassius, LV, 15, imite visiblement l’/ieror dans les conseils qu'il fait donner par Mécène à Auguste. (3) République, livre IX. Cf. Cicéron, De Officiis, III, 21: « In ea civitate quae libera fuit, quaeque esse debeat, regnare... .foedissimum et teterrimum parricidium patriae. » 400 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. permis d’en conclure , que l’école de .Platon format, è vrai dire, des iyrannicides ? Plutarque voudrait nous le faire croire. Il attribue quelque part à l’inspiration de Platon le coup de main de Dion contre Denys le tyran de Syracuse, et le meurtre de Cotys, en Thrace, par Python et Héra- clide (1). Ailleurs, dans sa vie de Philopemen, le philosophe cite comme ayant été les maîtres de ce grand capitaine Ecdémus et Mégalophanes, disciples eux-mémes de l’Académie, qui avaient délivré du despotisme Mégalopolis leur patrie, en tuant par ruse le tyran Aristodémus; qui, plus tard, avec Aratus, contribuèrent à chasser Nicoclès, tyran de Sicyone; qui, enfin, sur la prière des Cyrénéens, rétablirent dans cette ville l’ordre long-temps troublé par les factions. Voilà des redresseurs de torts qui s'occupaient à des devoirs très-divers. Dion ne fut pas un tyrannicide , Ecdémus et Mégalophanes ne le furent qu'une fois, et nous les voyons employés dans Cyrène à une ceuvre de conservateurs très-pacifiques. L'Académie n'était donc pas précisément une école de politique républi- caine d’où sortissent régulièrement pour se répandre en Grèce de fana- tiques défenseurs de la liberté. Mais un nouvel exemple, qui est resté caché jusqu'ici dans les recoins de l’histoire ancienne, nous montre mieux encore combien il serait injuste d’attribuer à un enseignement aussi libre et aussi varié que fut celui de Platon et de ses successeurs la responsa- bilité de tous les actes commis par ceux qui en suivaient les lecons (2). Isocrate et Platon eurent quelque temps pour auditeurs Cléarque, jeune prince d’Héraclée, ville du Pont, que les révolutions de sa patrie avaient jeté dans Vexil. Il arriva un jour que le sénat d’Héraclée ne put contenir la revolution déchaîinée dans cette ville: le peuple lui demandait, selon le programme habituel en pareille circonstance, l’abo- lition des dettes et le partage des terres.. Après qu'on eut vainement invoqué l’aide de l’athénien Timothée et celle du thébain Epaminondas, quelques sénateurs, peut-ètre quelques partisans de l’ancienne famille royale, eurent l’idée de rappeler le jcune exilé. Cléarque ne se fit point prier ; mais en méme temps il prit ses siìretés contre l’inconstance des hommes, dont ce rappel lui était un témoignage. Il s’entendit avec un certain Mithridate, ennemi de ses compatriotes, dont l’ambition lui (1) Contre Colotès, c. 32. (2) Justin, Zistoriae Philippicae, XVI, 4 et 5, qu'il faut rapprocher des extraits de Memnon d’Heraclée dans la Bibliothèque de Photius, Codex 224. PAR E. EGGER. 401 prépara des ressources utiles. Le moment venu, il sut se débarrasser habilement d’un allié incommode, se faire, dans le peuple et dans l’armée, un parti puissant contre le sénat. Une fois str de ses nou- velles alliances, il convoqua un jour le peuple, se déclara le défenseur des intéréts populaires contre l’ambition des sénateurs, proclama , toutefois, qu'il ne voulait rien faire sans l’ordre de ses concitoyens ; que si le peuple se trouvait assez fort, à lui seul, contre les grands, il n'interviendrait pas dans le débat; mais que si on le jugeait bon è quelque service, ses soldats et lwi ils étaient prèts à se dévouer pour le bien public. Leur dévouement, comme on le devine , fut accepte. Bientot le sénat était dissous aux applaudissements de la foule; les sénateurs ou étaient emprisonnés ou prenaient, à leur tour, la route de l’exil, et Cléarque rétablissait sur les ruines de leur pouvoir éphémére l’autorité royale de sa dynastie. Il régna douze ans en véritable tyran, et son règne sanguinaîre finit par un assassinat qui, du reste, ne sauva pas Héraclée de la servitude; car Timothée, le fils de Cléarque, succéda paisiblement à son pere. Mais le plus étrange de cette histoire c'est que, suivant un récit dont l’autorité remonte peut-ètre à Théopompe, historien contemporain de ces événements mèmes (1), les deux princi- paux meurtriers de Cléarque, nommés Chion et Léonidés, étaient des disciples de Platon, qui tinrent à honneur d’appliquer dans leur patrie les beaux préceptes de leur maître. Ainsi Ja mème école aurait produit en quelques années et l’ambitieux, infidéle aux lecons de la morale platonique, et les conspirateurs patriotes, qui devaient le punir de son infidélité. Quoi qu'il en soit à cet égard, le bon Isocrate qu’avaient fort indigné les crimes de son ancien disciple, et qui, en général, augurait mal de la fortune des tyrans, montra pourtant, après la mort de Cléarque, quelque confiance à l’égard de Timothée qui lui succédait sur ce tròne reconquis par la violence. Il écrivit à ce jeune prince une lettre, qui est parvenue jusqu'à nous, et dans laquelle il l’enconrage à faire oublier par ses vertus les tristes souvenirs de la tyrannie pater- nelle (2). Gette fois au moins la philosophie fut, dit-on, écoutée par un roi capable et digne de la mettre en pratique (3). (1) On sait que les histoires de Théopompe sont le fond mème du livre de Trogue-Pompée dont le livre de Justin n’est qu’un abrége. o (2) Isocrate, Zettre VII; De la paix, $ 113. Cf. Lettre VI, adressée aux fils du tyran Jason (3) Voirles extraits de Memnon d’Héraclée, dans l’édition spéciale d’Orelli (Leipzig, 1816, in-8°). Serie II. Tom. XXIII. 5a |02 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. Les institutions et les moeurs d’Athènes rappellent naturellement celles de Sparte. Ces deux villes, qui représentent le génie, si différent, des deux races ionienne et dorienne, semblent avoir pris à coeur de se contredire en tout l’une l’autre, comme elles n’ont guère cessé de se combattre sur les champs de bataille , et le contraste de leurs senti- ments se montre en particulier dans l’idée qu'elles se sont faite du souverain et des moyens d’assurer ou de contenir son pouvoir. La Grèce, aux temps héroiques, ne connaissait guère qu'une royauté de droit divin, et à ce titre elle la respectait si bien que le meurtre d’une personne royale semblait alors. un sacrilége, à moins qu'il ne fùt autorisé par les dieux; ainsi parle précisément, chez Homére, un des prétendants è la main de Pénélope, en réponse à Antinoiis, qui avait proposé de tuer Télémaque (1). Sévères gardiens de ces traditions, les Doriens de Sparte ont voulu les concilier avec une juste défiance contre les abus du pouvoir monarchique. On sait combien était jalouse la sur- veillance exercée sur leurs rois par les éphores et par le sénat. On voit moins clairement comment se constituait la juridiction régulière pour juger un roi coupable de quelque crime contre l’État. L’histoire de Pausanias, telle qu'elle est racontée dans le premier livre de Thucydide, et l’histoire encore plus tragique d’Agis, que nous lisons dans Plutarque, sont aujourd'hui les seuls exemples où l’on puisse étudier en detail le sens des lois de Lycurgue en ces occasions solennelles. Or les deux procès de Pausanias et d’Agis, le second surtout, où se méla tant de violence, nous montrent à quel point il est difficile d’assurer par une sanction ‘efficace la responsabilité des rois, et comment les passions humaines faussent quelquefois les ressorts de la constitution la plus équitable. Si Pausanias s'était laissé corrompre par les ennemis de sa patrie, Agis, au contraire, était le défenseur des lois de Sparte; il voulait ramener ses concitoyens à la sévérité des anciennes coutumes, et c'est cet effort mème qui lui corta la vie. La constitution de Lycurgue fournit alors, è ceux qui protégeaient les abus, des armes contre celui qui 2 essayait de les réformer, et un noble jfeune homme périt, avec sa famille, victime d’une légalité trompeuse : triste spectacle qui nous inspire, au moins, quelque indulgence envers la démocratie athénienne. Athènes pese pilota, (PR LEO E a_n _nmmuesomqt dd Tr _r____———6@"#=" (1) Odyssée, XVI, v. 400 et suiv. PAR E. EGGER. 403 erra souvent, et elle souffrit beaucoup pour n’avoir pas su discipliner fermement ses libertés. publiques; Sparte n’erra, et ne souffrit guère moins pour s’'ètre fait une discipline d’austérité Iégale , qui formait de grandes vertus, mais sans empècher bien des vices, et qui fut impuissante contre bien des trahisons et des abus de la force (1). Entre ces deux excès, y a-t-il jamais eu chez les Grecs une consti- tution où toutes les facultés du citoyen aient trouvé leur juste part d’activité, et où la sagesse de la loi ait conjuré toute violence contre les dépositaires des pouvoirs publics? On chercherait vainement, je le crains, cette constitution idgale ailleurs que dans les utopies des philo- sophes, utopies qui n’appartiennent pas à notre sujet. III. L’histoire des états secondaires du monde ancien ne nous est parvenue que bien mutilée. On a vu pourtant qu'elle offre à l’observateur philo- sophe bien des faits qui méritent d’ètre étudiés. En ce qui concerne ces petites tyrannies, leurs origines, leurs excès, et les attentats sanglants par où d’ordinaire elles finissent, nous serions mieux instruits si nous possédions encore plusieurs ouvrages spéciaux, dont elles avaient fourni la matière, et dont les titres, avec quelques rares fragments, sont seuls parvenus jusqu'à nous (2): deux livres de Phanias, l'un sur les tyrans tues par vengeance, l’autre sur les tyrans de Sicile; deux livres de Baton de Sinope sur les tyrans de Syracuse et sur les tyrans d'Ephèse ; enfin celui de Charon de Carthage sur /es tyrans en Europe et en Asie; le traité de Théophraste sur Za tyrannie, et les recueils d’Aristote et d'Heraclide où étaient décrites les constitutions des divers états grecs et barbares, ont dù contenir aussi, sur ce sujet, maint détail aujourd’hui perdu pour nous (3). Mais le beau livre que le Stagirite, dans sa (1) Comment dire ailleurs que dans une modeste note mon regret de ne pouvoir, sur ce sujel, m’associer à tous les jugements d’un critique tel que M. Am. Peyron? Que ce me soit au moins une occasion de reconnaître les bons avis que je dois à cet éminent philologue pour la revision du present Mémoire, et de renvoyer mes lecteurs à ses savantes disserlations sur les anciens gouvernements de la Grèce, et particuli&rement sur celui de Sparte (Tucidide, della guerra del Peloponneso, libri VIII, volgarizzati ed illustrati con note ed appendici. Torino, 1861). (2) Fragmenta historicorum gracc., ed. C. Miller (Bibl. grecque de F. Didot), t. IT, p. 297, 298; t. IV, p. 349, 360. (3) Fragmenta historicorum graec., t. IT, p. 103-224. 40 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. politique, a consacré aux causes des révolutions, nous montre sur quelles observations variées et sur quelle longue expérience se fondait, alors déjà, la philosophie politique. Quelque isolée que soit pour nous cette ceuvre d’Aristote, et si rares que soient les ruines des monuments qui l’entourent, nous y pouvons voir qu'Athènes n'a pas eu seule, parmi les cités helléniques, le privilége d’élever ses citoyens dans l'amour des institutions libres. L’exemple de sa prospérité glorieuse, après l’expulsion des Pisistratides, dut sans doute étre contagieux parmi les Grecs. Hérodote en témoigne quelque part (1). Mais, en dehors mème de cette influence d’Athènes, on voit les peuples grecs agités, dès le VI° siècle avant notre ère, d'un besoin général de transformation. Les royautés s’affaiblissent ou tombent, et partout la liberte se crée des institutions plus ou moins démocratiques. La démocratie, à son tour, amène par ses propres excès plus d’un retour au despotisme. Bien des vicissitudes et des alternatives font passer le pouvoir tantòt du peuple aux aristocraties , tantòt des aristocraties à des tyrans, pour le remettre, après quelque attentat violent, aux mains d'une foule aussi peu capable de l’exercer qu’impatiente de le ressaisir quand elle l'a perdu. Il y a déjà sur ce sujet des réfle- xions d’une vérité profonde, sous forme sentencieuse, dans les vers de Théognis (2). Théognis est un Mégarien. Il parle du tyrannicide en homme pour qui cette idée est une sorte de lieu commun politique. Soit qu'il hésite à le condamner ou à l'absoudre, soit qu'à l’une de ses sentences une main étrangère en ait recousu une autre en sens opposé, on trouve dans son recueil l’une et l’autre thèse soutenue chacune en deux vers: i « Ne contribue pas, par l’espoir d’un vil profit, à grandir un tyran; » ne le tue pas non plus, quand tu as fait des serments devant les » Dieux ». Il veut dire, sans doute: quand tu as prété serment à son pouvoir. Puis ailleurs: « Coucher à terre, si tu le peux, un tyran mangeur » du peuple, c'est une ceuvre que les Dieux ne vengent pas (3) ». Sous ce rude langage on croit sentir l’ardeur des passions que tour- à-tour excite ou refrèéne le moraliste de Mégare. Vers le mème temps (1) Histoire, V, 78. (2) Vers 699 et suiv., ed. Welcker. (3) Vers 1147-1150, éd. Welcker (vulg. 683-4 et 1181-2). PAR E. EGGER. 405 un autre sage, Pittacus de Mitylène, de concert, dit-on, avec les frères du pogte Alcge, renversait un tyran, nommé Mélanchrus, qui opprimait Lesbos (1). Plus loin encore d’Athènes, Hérodote, le célèbre historien, natif d’Halicarnasse, d’abord exilé de sa patrie, y rentrait bientot pour contribuer à la chite du tyran Lygdamis (2). Une inscription beaucoup plus récente d’Halicarnasse se rapporte peut-ètre aux mèmes événements ou elle en suppose de tout semblables, dans la mème ville, è une autre époque de son histoire. On peut traduire ainsi la formule, assez bizarre: « Arès, fils de Néon, petit-fils d’Arès, arrière-petit-fils de Néon, » a recu de la ville les honneurs les plus élevés et les plus éclatants, » comme descendant des fondateurs et tyrannicides, dont la mémoire » est consacrée, et comme n’ayant jamais démenti la vertu et la grandeur » d’àme quil tenait de ses ancétres (3) ». Nous retrouvons là en pays dorien l’admiration et presque l’apo- théose du tyrannicide. Enfin, à une autre extrémité du monde grec, l’histoire de Corinthe nous offre la tragique aventure de Timoléon, faisant ou laissant assassiner en sa présence son propre frère Timophane, qui était devenu l’oppresseur de leur commune patrie. Plutarque nous a raconté en détail cei episode plein de graves enseignements. Il nous montre , après le meurtre , les longs remords de celui qui en avait été le principal auteur. Nulle part il ne laisse voir que les lecons ou les exemples de la politique athé- nienne aient été pour rien dans les desseins de Timoléon. Nouvelle preuve qu'il exagérait lorsqu'il représentait ailleurs les philosophes athéniens comme des professeurs de tyrannicide. Entre Hérodote et Plutarque , un autre écrivain, non moins cons- ciencieux, Polybe, flétrit sévèrement les petits despotes qu'il rencontre plus d’une fois dans l’histoire de son temps (4). Il parle en citoyen de la Gréce, non en citoyen d’'Athénes. Ainsi, en dehors de Sparte et de l’honorable effort tenté par la législation de Lycurgue, ce fanatisme de haine qui se croyait tout permis (1) Diogène Laèrce, Vies des Philosophes, 1, 74. (2) Suidas, au mot ‘Hpédoros. (3) Corpus inscript. graec., n. 2659, plus correcte dans Kennedy Bailies, Fasciculus inscriptio- num etc. (1846, 4°), n. 92a. (4) Voir, par exemple, II, 59 et suiv. 406 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. contre les tyrans, est presque universel chez les Hellènes, et se retrouve à toutes les dates de leur histoire. La philosophie, dans les Écoles, distinguait de son mieux entre le roi et.le tyran, et elle réservait pour le dernier tous ses anathèmes (1). Mais on ne voit pas qu'elle ait jamais eu de scrupule sur ce périlleux patriotisme qui fait d’un seul citoyen l’accusateur, le juge et le bourreau du tyran , ni qu'elle ait nettement réclamé pour ce grand principe que l'homme n'a, par lui-méme, aucun droit sur la vie de son semblable. En théorie, comme en pratique, l'usurpation, apparente ou réelle, du pouvoir mettait l’usurpateur hors la loi, et le livrait sans protection à tout bras qui s’armait pour la défense de la liberté. C'est la doctrine que soutient en termes formels le meurtrier d’un tyran de Sicyone dans le discours que lui préte Xeénophon (2). La force des choses mettait pourtant des bornes à ce droit. D’abord le tyrannicide atteignait rarement son but. Quelque resistance ou quelque réaction amenait la mort des meurtriers; le tyran, s’l avait péri, ne restait guère sans successeurs; c'est ce qui arriva précisément dans l’épisode qu'on vient de voir des annales d’Héraclée; ou bien la cité affranchie par la mort ou l’expulsion d’un tyran retombait dans des désordres qui lui faisaient regretter son premier état, comme cela se vit à Mégare, quand la tyrannie de la foule, excitée par les démagogues, remplaca celle de Théagène (3). Ailleurs une certaine mollesse des moeurs publiques décourageait les patriotes impatients de conspirer contre un prince méchant peut-ètre, mais tolérable et toléré. Ailleurs, enfin, une sage politique conseillait les ménagements au parti populaire, quand des vues d’intérét, moins nobles encore, ne le tenaient pas dans la sujétion non-seulement d’un prince national, mais souvent aussi d’un souverain étranger. Comme dans l’histoire d’Athènes, nous trouvons maint fait de ce genre dans l’histoire des États secondaires; deux exemples suffiront ici. La communauté des Cariens supportait peut-ètre avec regret le pouvoir (1) Aristote, Politique, VIII (V dans quelques éditions modernes), 8; et Polybe, V,.11; VI, 4. (2) Helleniques, VII, 3. Comparez surtout Polybe, 1I, 59; et Plutarque, 7?moléor, c. 5. Cette doctrine est jugée et résumée avec beaucoup de force par Montesquieu, Corsidérations sur la grandeur des Romains, fin du chap. 11. Comparez une note pleine de bon sens, sous sa forme piquante, de M. Michelet, Zistoire de France, IV, p. 171. (9) Platarque, Questions grecques, c. 18. PAR E. EGGER. 407 des Satrapes qui, sous la suzeraineté des rois de Perse, paraît avoir assez long-temps administré cette partie de l’Asie mineure. Mais c'est le sentiment tout contraire qui se montre dans trois décrets de la ville de Mylasa, dont le texte est aujourd’hui à notre Musée du Louvre. Le premier constate qu’un certain Araissis convaincu d’avoir conspiré contre Maussole, auprès duquel il avait été accrédité comme ambas- sadeur, vient d’èétre mis à mort, et que le peuple de Mylasa s’associe à cet acte de vengeance, en confisquant les biens du meurtrier au profit de Maussole. Le second décret prononce la confiscation contre des citoyens coupables d’avoir insulté des statues d’Hécatomnus , le père de Maussole. Le troisième nous apprend un attentat semblable contre Maussole , attentat suivi des mèmes répressions contre son auteur. Dans tous ces décrets Hécatomnus, Maussole et leur famille sont officielle- ment appelés dienfaiteurs de la ville, et la ville, on le voit, se montre reconnaissante de leurs bienfaits jusqu’à paraître excessive dans ses poursuites contre ceux qui les ont méconnus. Tout cela se passe bien près de la patrie d’Hérodote, sous le règne d’Artaxercès, c’est-à-dire , en un temps où les Hellènes d'Europe défendaient encore vivement leurs libertés républicaines (1). Deux siècles plus tard, voici un décret des habitans de la nouvelle Troie qui nous montre, sous une forme plus obséquieuse encore, la résignation d’une cité grecque è l’autorité du prince macédonien devenu son protecteur ou son maître. Le roi Antiochus-le-Grand, dont la famille protégeait depuis long-temps la nouvelle Ilion, et professait une piété particuliére pour les sanctuaires de: cette ville, a été blessé au col dans une bataille , et heureusement guéri par le médecin Métrodore , natif d’Amphipolis. Sur cette nouvelle que leur apporte une lettre du roi lui-méme , les Iliens décrètent en l’honneur de l’habile médecin toutes les faveurs qu'il était d’usage de décerner aux bienfaiteurs d’une ville, et ils l’admettent au nombre de leurs concitoyens (2). On le voit, si la Grèce compte encore quelques républicains farouches, elle compte aussi beaucoup de sujets gracieusement empressés à reconnaître les bons procédés d'un roi. (1) Corpus inscript. graec., n. 2691c; Franz, Elemenia epigraphices graecae; n. 73; Le Bas, Voyage archeol., Inser. V, n. 377, avec le commentaire qu’y a joint M. Waddington, continua- teur de M. Le Bas. (2) Corpus inscript. grace., n. 3598. 408 ÈTUDES D’HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. IV. Ces derniers souvenirs nous conduisent au temps de la domination romaine et à l'histoire de Rome, où le meurtre pour cause politique joue aussi un ròle important. Les Tarquins avaieni rendu la monarchie si odieuse que , jusque sous l’empire, le nom de roi fut détesté, et que les plus. méchants d’entre les empereurs s’'en défendaient comme d’une insulte (1). En fondant la République et en scellant cette fondation du sang méme de ses deux fils, Brutus sembla établir ‘en droit le recours à la violence contre tout retour de la tyrannie; ce droit trouva de bonne heure son expression dans la loi Valgria, qui tenait la vengeance toujours suspendue sur la tète du citoyen coupable cu seulement soupconné de prendre part à l’exercice d'un pouvoir oppressif et illégal (2). Depuis ce temps, les annales de la puissante république offrent maint drame qui rappelle ceux de la liberté hellénique aux prises avec les petites tyrannies sans cesse renaissantes en son sein. Qu'l s'appuyàt sur le peuple ou sur le sénat, quil sortit de la plèebe ou de la noblesse, le prétendant à la royauté recut mainte fois sa punition d'un bras spontanément armé par le patriotisme, et d’avance absous par la loi comme par l’opinion publique. Rarement l'humanité protesta contre cet appel è la force. Mais si, en cela, les moeurs et les institutions de Rome nous rappellent celles de la Grèce, du moins faut-il dire que Rome ne connut pas ces apologies oratoires ei ces théories du tyrannicide dont nous avons recueilli tant d’exemples dans la littérature grecque. Le Romain des premters siècles agit beaucoup plus qu'il ne parle. Ce sont les maîtres grecs qui lui ont donné les premiers, avec bien d’autres lecons, celle de l’amplification ‘oratoire sur ces sujets trop faciles à passionner dans une assemblée politique , dans une solennité nationale ou dans une école. Le vieux Caton, dans ses mémoires historiques, intitulés les Origines, regrettait quelque part, avec itristesse, que, faute d’éloquence et de génie pour les arts, Rome eit laissé presque obscures en ses annales des actions dignes de la gloire d’un Léonidas. Après avoir (4) Voir surtout là-dessus le témoignage expressif de Suetone, Caligula, c. 22. 2) Tite Live, II, 8; III, 5; Denys d’Halic., V, 19 et 70. PAR E. EGGER. 409 raconté le dévouement du tribun Crdicius qui, en se sacrifiant avec quatre cents braves, avait sauvé toute une armée romaine, « Voyez, » disait-il, comme il importe en quel jour un mème bienfait sera placé. » Le lacédémonien Léonidas est loué pour avoir fait mème chose que » Credicius. A cause de ses vertus , la Grèce l’a comblé des plus illustres » témoignages de sa reconnaissance; par des statues, par des inscrip- » tions, par les récits de ses historiens, de mainte autre manière » elle s'est montrée reconnaissante. Et ce tribun des soldats n’a eu que » peu d’éloges, lui qui avait fait mème chose, et sauvé la république (1)». Plainte doublement vraie et par l’idée qu'elle exprime et par le ton un peu embarrassé de cette prose encore inhabile aux grands effets oratoires. Néanmoins, si le Léonidas romain méritait mieux que la modeste men- tion qui nous est parvenue de son héroisme, je ne regrette pas quil ait échappé aux éloges des déclamateurs. Je le regrette encore moins pour des héros tels que l’ancien Brutus, tels que Servilius Ahala, tels que M. Brutus et Cassius. La sobriété mème des louanges dont l'histoire les entoure est comme un hommage rendu à la morale et à l’humaniteé. Il vaut mieux que ces sinistres figures ne nous apparaissent pas en- tourées d’une brillante aurégole: la gloire sans réserve ne convient qu’à des exploits d'un héroisme incontestable. Cicéron nous blesse , quand il entonne la trompette au lendemain des ides de mars, et quand il emprunte la phraséologie des orateurs athéniens; pour louer Brutus et ses complices les tyrarzoctones, comme il les appelle (2), ou pour saluer d’un augure trompeur la prétendue amristie proclamée dans Rome frémissante autour du cadavre de César assassiné (3). C'est bien assez que les passions humaines reproduisent, dans leurs excès, des spectacles qui se ressemblent, malgré la distance des moeurs et celle des temps; il ne faut pas ajouter è ces ressemblances les plagiats du langage. Au reste, à Rome, ainsi que tant de fois en Grèce , l’événement devait, cette fois, dissiper bien des illusions, tromper bien des espérances, déjouer bien des calculs, en assurant le triomphe d'une ambition habile sur d’autres ambitions inégalement généreuses. Octave allait s’appeler (1) Texte conservé par Aulu-Gelle, Nuits Attiques, III, 7. (2) Ad Atticum, XIV , 15; XVI, 15. Cf. Ad diversos, XH, 22; Pro Milone, c. 29; et Sugtone, Tiberius, c. 4. , (3) Plutarque, /ie de Ciceror, c. 39 (ailleurs 42), d’après Cicéron, P/ilippicae, I, 4. Serie IT. Tom. XXIII. (Sh (O) {10 ETUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. Auguste et fonder l’empire. On sait qu'il rencontra plus d'un assassin dans sa longue carrière. Dans la durée du régime impérial plus d’un despote , plus d'un soldat parvenu périt de mort violente. L'empire changeait de maître sans changer de servitude. L’expérience du monde romain montrait, sur un plus large théàtre, ce que la Gréce avait tant de fois éprouvé, l’impuissance du meurtre à régénérer les peuples et à fonder un bon gouvernement. La tradition républicaine survivait obsti- nément à ces épreuves. Elle se perpétuait dans les consciences , et la littérature sérieuse, comme la sophistique des écoles, nous l’atteste tour à tour. A cet égard il devient difficile de trouver une différence entre la société grecque et la société romaine, de plus en plus rapprochées l’une de l’autre, sous le régime impérial. Quintilien, au début de son douzième livre sur l’éducation de l’orateur, se demande si l’honnète homme pourra défendre en justice un meurtrier, et l’exception relative au meurtre d'un tyran se présente à lui comme un de ces cas où la morale hésite à donner un conseil (1). Les nomis de Brutus et de Cassius conservèrent long-temps un grand prestige. Sous Auguste, le rhéteur Albutius, qui n'était certes (on le sait d’ailleurs ) ni un philosophe nì un tribun, plardait à Milan une cause de meurtre devant le proconsul L. Pison, et il plaidait avec un grand succès. Les licteurs eurent à contenir les applaudissements. Alors Albutius, exalté par cet enthousiasme et par ces résistances, se mit à déplorer l’état de l’Italie « pour ainsi dire réduite un seconde fois en province romaine »; et comme une statue de Brutus était sous ses yeux, il alla fusqu'à l’in- voquer « comme le vengueur des lois et de la liberté ». Peu s’en fallut qu'il ne payàt cher sa hardiesse (2). On connaît le fameux mot de Tacite» à propos des funérailles de Junie: praefulgebant Brutus et Cassius eo ipso quod imagines eorum non wvisebantur (3). Nous suivons la trace de ces souvenirs irritants et douloureux dans Suétone (4), dans Appien (5), dans Dion Cassius (6). Appien a des pages d’une sévérité mélée. d’in- dulgence et mème de sympathie sur Brutus et Cassius, sur les vertus (1) Znstit. orat., XII, 1; t. III, p. 302, ed. Pottier. (2) Suétone, De claris rhetoribus, c. 6. (3) Annales, III, 76. (4) Tiberius, c. 64; Nero, c. 3 et 37; Galba, c. 3. (9) Guerre civile, IV, 114, 123 et surtout 132-135. (6) ist. rom., LVII, 24 et LXII, 27. I PAR E. EGGER. 4IL qui honorèrent leur vie, et sur le meurtre où ils eurent beaucoup de complices, et dont ils restent pourtant, par un effet mème de leurs vertus, les auteurs responsables aux yeux de la postérité. Vers le mème temps Plutarque, ce philosophe d’une morale ordinairement si judicieuse et si clémente, reste pourtant animé contre les tyrans de toute l’ardeur des passions républicaines. Un de ses arguments favoris contre la mollesse des doctrines épicuriennes c'est qu'elles rendent l’àme incapable de fortes actions, et que cette école n'a jamais produit un tyrannicide (1). Bien plus, lorsqu'il veut montrer que les femmes ne sont pas dépourvues de vertus viriles, il semble emprunter pour cela, avec une sorte de prédi- lection, è l’histoire grecque des exemples de femmes qui ont accompli de leur main, ou soutenu de leur complicité ce genre de meurtre si facilement absous par la philosophie ancienne (2). Voilà les idées que l’on professait, que l’on écrivait, qui circulaient dans le monde romain , en Italie comme en Gréèce , au premier siècle de l’ère chrétienne. Plutarque qui les accueille si complaisamment, n'est pourtant pas un Helvidius, ni un Thrascas; c'est méme un adversaire très-résolu des stoiciens et de leur rigide austérité. Comme citoyen et comme magistrat de sa petite ville de Chéronée, il subit avec résignation l’autorité, désormais inévitable, du proconsul romain (3). Il croit è la paix durable des nations sous la tutelle du peuple roi; il se fait mème de cette royauté personnifige. dans les Césars une idée fort semblable à celle que nos théologiens avaient du pouvoir royal sous Louis XIV: il y voit une délégation d’en haut, et il lui reconnati sans réserve le droit de dicter des lois aux peuples, comme. si les. peuples n'avaient jamais exercé ce droit dans leurs assemblées (4): Par un contraste plus étonnant encore, le stoicien Marc-Auréle, mais un stoîcien sur le tròne, flétrissait les tyrans avec. la méme liberté que Plutarque. Il semblait bien peu gèné par l’histoire méme de ses pré- décesseurs, quand il écrivait dans ses Meditations, avec une candeur étrange et noble en cette condition d’un César: « Jai senti, gràce à » Fronton, tout ce. qu'il y a dans un tyran d’envie, de duplicité , (1) Contre Colotès, c. 32. (2) De la vertu des femmes. (3) Preceptes politiques, c. 17. (4) De la foriune des Romains. 412 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. » d’hypocrisie, et combien il ya peu de sentiments. affectueux chez » ces hommes que nous appelons patriciens ». Il ajoutait, mélant les souvenirs de la Grèce et de Rome: « Mon frère Séverus m’a fait connaître » Thraséas, Helvidius, Caton, Dion, Brutus. Il m’a fait concevoir ce » que c'est qu'un état libre, où la règle est l’égalité naturelle des citoyens » et l’égalité de leurs droits; l’idée d’une royauté qui place avant tous » les devoirs le respect de la liberté des citoyens (1) ». Quel contraste ne font pas de tels témoignages avec les récits d'un Suétone ou d'un Lampride! et n’est-on pas étonné de sentir encore ce levain démocratique sous la prose d'un sage philosophe comme Plutarque, d'un César comme Marc-Aurèle, en un temps où il semblait impossible de réver mème le retour des institutions républicaines ? $ Mais ce contraste nous frappera plus encore si nous regardons ce qui se passe alors dans les écoles: lì, en effet, les rhéteurs et leurs éleves restent en possession des sujets les plus étrangers à la politique réelle de leur temps; ils contimuent à parler de tyrans et de tyrannicides comme on l’eit fait an temps de Périclès, avec une liberté de langage vraiment inconcevable, si elle ne s’expliquait, hélas! par le mépris attaché alors à ces misérables exercices de la parole. Les tyrans de l’École n’ont guère plus rien de commun avec ceux de l’histoire et de la réalité. Comme l’avoue Petrone (2), ce sont des espèces d’automates que l’on fait mouvoir en des représentations de pur apparat. L'histoire prétait quel- quefois à ces fictions des personnages réels, que le roman lui rendait tout défigurés. Tel est le tyran Phalaris, devenu le héros de deux petites déclamations de Lucien, et sous le nom duquel nous avons un recueil de lettres reconnues depuis long-temps pour apocryphes. Mais l’Ecole se passait facilement de modéles offerts par l’histoire. Le personnage du tyran était devenu un de ses lieux communs; elle le reproduisait sous toutes les formes, en mainte scène tragique, sans le moindre souci de l’'histoire et de la réalite. Ainsi, malgré toutes les jalousies de la police impériale, mème sous la menace des lois de majesté, lorsque le stoîcisme enseigne aux victimes de la tyrannie le devoir d’une résignation héroique , lorsque le Chris- tianisme inspire aux martyrs de la foi un courage plus calme et plus (1) Pensees, I, 11 et 14 (1) Saaricon, c. 1. PAR E. EGGER. 413 sublime encore, à travers ces lecons, ces vicissitudes et ces. réformes de la morale, le tyrannicide reste chez les rhéteurs un sujet familier de declamation ; il défraie les exercices de leurs écoles, et de ces écoles il descend jusque dans celles des grammairiens (1). Grecs et Romains traitent ce sujet avec une égale prédilection pour les belles phrases qu'il peut fournir, avec la méme indifférence pour les périls que peuvent soulever de telles discussions. Sénèque le père, au temps d’Auguste et de Tibére (2); Quintilien au temps de Néron et de Domitien (3); Lucien sous Antonin et Marc-Auréle (4); puis les commentateurs d’Hermogène (5); puis Libanius au IV° siècle (6); puis Choricius au VI° (7); enfin au XIV*, un rhéteur, à la fois fonctionnaire à la cour de Constantinople (8); des sophistes de toute langue et de toute religion feront déclamer leurs écoliers, et composeront cux-mémes des exercices, pe)étaz, comme disent les Grecs, sur des matières dont le fond est toujours quelque aventure de tyran assassiné ou détròné. Suivant l’usage séculaire, on supposait une loi, puis un acte conforme ou contraire à cette loi; ou bien on rapprochait , par un effort ingénieux, des circonstances qui donnaient à la cause du meurtrier une complexité, une étrangeté romanesque, tout exprès pour ménager des triomphes aux habiles inventeurs d’argu- ments, aux praticiens consommés dans la période oratoire. Par exemple, voici la matière que Lucien et Choricius ont traitée, chacun è sa facon, avec beaucoup d’élégance : « Un homme est monté à la citadelle dans l’intention d’y tuer le tyran ; il n'y a rencontré que son fils, et il a frappé l’enfant, faute de pouvoir frapper le père. Celui-ci est survenu, et trouvant le poignard dans le corps de son fils, il s'en est saisi et s'est. donné la mort. La république est donc sauvée, et le meurtrier du fils demande la mème récompense que s’il avait tué le (1) Apollonius Dyscole, dans sa Syrtaze (I, 6), analyse et discute, au point de vue grammatical, la phrase 6 qvpavvortivos ripdo0u (que le meurtrier du tyran soit honoré), qui est le texte de la loi sans cesse rappelée et commentée par les déclamateurs. (2) Controversiae, L 7 et 13. (3) Instit. orat., VII, 2, 3 et 7. (4) Le Tyrannicide, t. IV de l’éd. Bipontine. (5) T. V, pag. 160; t. VII, pag. 400 des R©etores graeci de Walz. (6) Le Philopolis, t. IV, pag. 798, éd. Reiske. (7) Le Tyrannicide, pag. 49 de l’édition des ceuvres de ce rhéteur par M. Boissonade (Paris, 1849, in-8°). (8) Le Tyrannicide. C'est la deuxième déclamation de Pachymère dans l’édition de M. Boissonade (Paris, 1848, in-8°). 414 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. père ». La matière que traite Libanius est plus subtile : une prétendue loi permet au tyrannicide de demander pour récompense tous les hon- neurs qu'il voudra; une autre veut qu’avec le tyran, ses fils aussi soient mis à mort; l’épouse d’un tyran ayant tué son mari, s’autorise de la première loi pour éluder la seconde, et demander au peuple la vie de ses enfants. Cette matière de déclamation circulait déjà depuis long-temps dans les Écoles. Cicéron la cite comme exemple de contro- verse en un de ses premiers ouvrages de rhétorique, où Montesquieu a pris imprudemment pour un texte historique la prétendue loi relative A la famille des tyrans (1). Pachymère semble avoir cherché quelque chose de plus extraordi- naire, en supposant un philosophe qui a persuadé au tyran d’abdiquer le pouvoir, et qui demande la mème récompense que s'il l’eùt mis à mort. On ne sait si l’on doit attribuer cette petite innovation à quelque souvenir des doctrines socratiques exposées dans l’Ziéron de Xénophon, ou au progrès des idées morales dans le christianisme. En général, les rhéteurs byzantins semblent fidèéles en toutes choses à l’esprit des anciens sophistes, prenant quelquefois, il est vrai, leurs exemples dans la Bible (2), au lieu de les prendre dans Homère, mais les étudiant toujours avec une curiosité , où ni la religion ni la morale n'ont la moindre part. Il est donc probable que Pachymère n’a pas le mérite dont on serait tenté de lui faire honneur. Il innove par la subtilité , sans nul souci des progrès de la morale. Ainsi comme il y avait une gymnastique qui ne préparait plus des soldats pour les camps et pour les champs de bataille, mais seulement des lutteurs pour les jeux publics, il y avait aussi des exercices d’élo- quence, qui ne prétendaient plus à former des avocats et des hommes d'État, mais seulement des sophistes diserts, bons tout au plus à de puériles exhibitions. Sénèque le père déjà s'en indigne (3), et pourtant il cèéde an goiùt de son temps en rédigeant ses cahiers de déclamateur frivole. Ce fut là une incurable maladie des sièécles de décadence. Mais dans cet abaissement de la parole et du got, rien n'est plus triste que de voir les déclamations de l’école amoindrir et déshonorer les plus (4) Ciceron, De invertione, II, 49. Cf. Montesquieu, Esprit des lois, 1I, 18. (2) Exemples dans les RXetores graeci de Walz, t. I, pag. 499 et suiv. (3) ) Voir notre Eramen critique des historiens d’ Auguste, c. IV, pag. 140 et suiv. V) PAR E. EGGER. 415 graves questions qui puissent agiter la conscience humaine. Le despotisme et ses misères, le patriotisme, ses entraînements et ses erreurs appar- tiennent de droit è la philosophie qui nous fait penser en hommes, è la rhétorique qui nous fait parler en citoyens. Rien n'est plus. triste que de voir les mots ainsi dépouillés de leur juste valeur, et servant à des passes d’éloquence dans l’auditoire d’un sophiste. Nous sommes plus sérieux, aujourd'hui, si nous ne sommes pas A toujours plus sages. Les agitations politiques du moyen dage et des temps modernes ont amené le meurtre de bien des princes; elles ont provoqué bien des apologies du tyrannicide. Plus d’un nom illustre figure dans ces controverses où il est bien rare que la raison philosophique ne soit pas offusquée par l’aveuglement des passions. Jean de Sarisbery et Saint-Thomas, Languet et La Boétie , Saumaise et Milton, l’Université de Paris par ses docteurs, la démocratie par ses publicistes, la Com- pagnie de Jésus par ses casuistes, enfin nos assemblées révolutionnaires ont discuté avec ardeur, et résolu, dans des sens divers, le terrible droit d’insurrection et les moyens de le mettre en pratique (1). Il y a dans les innombrables monuments de ces disputes, surtout de celles qui amenèrent ou suivirent la chite de la royauté francaise, en 1792 (2), (1) Sur cette partie toute moderne du sujet traité dans le présent Mémoire, je ne puis et ne veux renvoyer qu’à un petit nombre d’ouvrages spéciaux : 1° GC. Jourdain, La Philosophie de Saint- Thomas (Paris. 1858), t.I, p. 410 et suiv.; 2° Kervyn de Lettenhoven, Jean-Sans-Terre et l Apo- logie du Tyrannicide, t. XI, 2° série des Bulletins de l’Académie royale de Belgique ; 3° C. Labitte, Les Prédicateurs de la Ligue (Paris, 1841), Introduction, $ III (M. P. Tarbé, le laborieux éditeur des vieux poètes champenois, me signale, sous la date de 1559 et des annces suivantes, un grand nombre de chants composes en frangais par les protestants, et qui poussent à l’assassinat des chefs du parti catholique; il en prépare la publication); 4° A. Geffroy, Étude sur les pamphlets politiques et religieux de Milton (Paris, 1848), c. 5, chapitre duquel on peut rapprocher le curieux opuscule: Traité politique composé par 7. Allan, anglois, et tiraduit nouvellement en francois, où il est prouvc par l’ exemple de Moyse et par d'autres tirés hors de V'Écriture, que tucr un tyran titulo vel exercitio °est pas ur meurire (Lugduni, anno 1858, in-18°); 5° P. Janet, Zistoîre de la Phi- losophie morale et politique dans l’antiquité et les temps modernes (Paris, 1858), surtout livre II, c. 3, $ 2, et livre III, 2° section, c. 2 et 3. Il est à peine besoin de rappeler les célèbres Lettres àa un Provincial (Leltres VII et XIV). (2) En ce genre, j'ai eu sous les yeux vingt pamphlets' où pièces officielles, réunies dans le cabinet d’un amateur d’histoire, M, Ch. Renard, de Caen. Je ne citerai que le trait le plus caracté- ristique du délire où s’emporta la haine de la monarchie: c’est, dans le Monzteur, le procès-verbal de la séance du 26 aoùt 1792, où l’on voit Jean Debry, député de l’Aisne, proposer l’organisa- tion d’un corps de 1200 volontaires qui « se dévoueront à aller attaquer corps è corps, indivi- » duellement, les tyrans qui nous font la guerre et les généraux qu’ils ont préposés pour anégantir » en France les libertés publiques. » Appuyée par Chabot et Merlin, combattue par Vergniaud et Cers, la proposilion parvint jusqu’au bureau d’un comilé, mais elle y resta. 416 ÈTUDES D’'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. bien des pages brùlantes ou hérissées de sophismes; nulle part, du moins, on ne trouve chez nous la doctrine du tyrannicide et les idées qui sy rattachent amoindries par la puérilité des déclamateurs , com- promises jusqu'au ridicule dans des fictions romanesques. A cet égard, du moins, les écoles modernes ont rompu sans retour avec les tradi- dtions de l’antiquité. Sur la redoutable question de morale publique que soulève le droit des peuples devant l’usurpation ou devant l’abus violent du pouvoir souverain, nous avons acquis peu de lumières vraiment nouvelles. Entre la théorie la plus sage et la pratique, l’invincible force des passions humaines fait sans cesse renaître sous nos yeux des difficultés où la conscience hésite et s’interroge avec douleur. A ces difficultés Montesquieu ne répond guère mieux (1) que ne faisait Aristote il y a plus de vingt siécles. Seulement son langage mème témoigne, sur un sujet difficile à traiter sans émotion, d’un grand progrès de douceur dans les meeurs publiques, et c'est là peut-ètre ce qui distingue le plus nettement notre politique moderne de celle des peuples anciens. Sans entrer ici dans le détail d’une comparaison qui pourrait m’entraîner trop loin, qu'il me soit permis de rappeler un jugement où se résume bien pour moi la moralité des études qui précèdent. M. Daunou analysait un jour, au College de France , l’ouvrage de Polybe, et il était arrivé à l’histoire d’un tyran d’Argos, Aristomachus, mis à mort par ordre d’Aratus et d’Antigone qui l’avaient vaincu et pris à la guerre. Il cita les paroles étranges de l’historien qui juge ce tyran trop peu puni, et qui voudrait qu'on l’eit promené à travers toute la Grèce sous le fouet du bourreau, et il ajouta: « Vous voyez par ce » passage quelle idée les anciens avaient concue de l’usurpation ou » tyrannie. Polybe n'a été jusqu'ici accusé d’exagération par personne; » les censeurs de son style et de sa méthode s’accordent à rendre hom- » mage à sa sagesse et à sa moderation. Cependant son indignation » contre un usurpateur semble n’avoir aucune mesure, et un des signes » auxquels on peut reconnaître les progrès que la philosophie, ou, ce » qui revient au méme, la civilisation a faits dans nos derniers siécles, » c'est qu'aujourd’'hui aucun sage ami de la liberté ne demanderait que (1) Esprit des lois, XII, 18: « Combien il est dangereux, dans les républiques, de trop punir le crime de lèse-majesté. » PAR E. EGGER. 417 » l’usurpation fùt expiée autrement que par sa chute (1) ». Un savant grec, feu le d" Piccolos, qui assistait alors à la lecon de M. Daunou, me racontait naguères que ces paroles furent accueillies par les plus vifs applaudissements. Devant la chaire du vénérable Daunou tout donnait à de tels applaudissements un sens qui n'a pas besoin de commentaire et une autorité que mes réflexions ne pourraient qu’affaiblir. (1) Cours d’études historiques, t. XII, p. 123. On peut comparer avec ce morceau la 12 legon sur Xénophon (t. XI, p. 383 et suiv.), où M. Daunou juge avec la mème sévérité la doctrine de l’assassinat politique, à propos du meurtre d’Euphron raconté dans les Ze/lériques (VII, 3). See Serie IL Tom. XXIII. 53 TA SITI at NET d sila sa MRCRE RAS) Lea rr tip US, amen SOCI LIAN rerrari voy e ari LAI NOSNO UCI ì ab La bi AAA i: \ pori Vas a ‘gol de 24 AT À Ù pos anto (0 ETTI "” ELE savio. roca POLLO xaslòt a PR di 0 ql sa “ata «ron E Cm iena" dale e" dt" OB vv avena dr Mi org Mito RITO Li. Mii vini RArdt MAG Tatari ia i TIA cn | Pd cab lon è rex ii Prg n 1A rg lt ansi né si ‘nu GP ARZ dr pr tati EA ratti 044 vat» agi did aa bimeemit poe pia DRITTA di MT ET TOTTI UTI. VIN aa capa n > Lononinigini) Nbbpsiogita 30 rborgyi "086 Di frei it; - sio 19 ndo i Porn tota lst PURE vrrltrafiai È MT che: navigli iti ig.. dia birre. ORDOI. vedi sf abatà sl i der o mey dt ibi tirano Purg) ovo, chron cdi cha fragole obra, appaia eps ag avete - negre tre dr . DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA POETI DEL SECOLO XII E DELLE ORIGINI DEL VOLGARE ILLUSTRE ITALIANO MEMORIA DEL CONTE CARLO BAUDI DI VESME SENATORE DEL REGNO —see— Letta ed approvata nelle adunanze dei 15 e 29 aprile 1866. —_ _te=>- i. Mo e meritata lode fu data allo zelo, alla pazienza, e talora anche al coraggio, che in questo secolo dimostrarono i ricercatori di antichi codici e simili monumenti; sebbene pure di non minore zelo , convien confessarlo, e di coraggio e amore ai belli studi avevano dato esempio quegli eruditi, che, sopratutto nel secolo XVI e nel seguente, non solo trassero alla luce molti antichi scrittori e monumenti che anda- vano scoprendo in Francia, in Italia, in Germania, ma, con fatica e fra pericoli ora cessati, ne riportarono d’ Oriente numerosi avanzi della sapienza Greca e della Romana. — Ma in quanto riguarda l’importanza degli antichi scrittori e altri simili documenti discopertisi nel corso del presente secolo, credo che dessa, come suole al primo apparire di cose nuove, siasi molto esagerata; almeno per quanto riguarda le cose sia Greche e Romane, sia dei popoli che possono chiamarsi eredi diretti di 420 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. quelle due civiltà. E valga il vero; quali furono le scoperte di grande momento, o quale considerevole vantaggio venne per esse alla storia ed agli altri belli studii ? Fra le opere, o per parlare più veramente i frammenti di opere, di classici autori Greci e Latini scoperti in questo secolo, tengono senza dubio il primo luogo quelli di Cicerone de Republica; ma dessi, che non contengono un terzo nè forse un quarto dell’opera intera, preziosi certo come ogni qualsiasi scritto di Cicerone, quale ignota, importante notizia ci diedero tuttavia intorno alle instituzioni della Republica Romana, che pur l’autore ci poneva a. modello? o anche solo intorno alle opinioni di Cicerone medesimo, o di altri sommi fra i Romani? — Seguono in importanza i frammenti di alcune orazioni di Cicerone, e alcune orazioni di retori Greci; chè quant’altro in questo secolo si trovò di autori dell’aurea età, vuoi Greci vuoi Latini, non vale la pena se ne faccia motto. — Più numerose e di alquanto maggiore momento furono le scoperte di autori greci e latini delle età di argento ed inferiori, quali i frammenti di Frontone, di Gargilio Marziale, di Simmaco, di Merobaude, e di parecchi storici greci, da Polibio fino al VI secolo ; ma, convien dirlo, anche questi accrebbero di ben poco le nostre cognizioni intorno alla storia ed alle instituzioni di quelle età. Il solo ramo nel quale siensi fatte scoperte e numerose, e veramente importanti, si è la giurisprudenza Romana. E per non parlare della giurisprudenza Postgiustinianea, anzi neppure della Giustinianea, il testo della quale grandemente si migliorò, e si accrebbe di costituzioni finora mancanti: la giurisprudenza Antegiustinianea , e sopratutto quella del tempo dei giureconsulti classici, ricevette al tutto nuova vita per Te recenti scoperte, quali i Frammenti Vaticani publicati dal Mai, e sopratutto le Instituzioni di Gajo edite dal Goeschen; la quale ultima è a parer nostro, e di gran lunga, la più importante fra le opere di antichi autori venute alla luce in questo secolo. 2. Numerosi ed importantissimi documenti e scritti di vario genere si scopersero di recente, e si stanno ora publicando, in Sardegna (1), (1) Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arboréa, raccolti ed illustrati da PretRo MARTINI, Pre- sidente della Biblioteca dell’ Università di Cagliari. Cagliari, Timon, 1863: 1 vol. in-49, ‘con 6 tavole di facsimili. Appendice alla Raccolta delle Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea, per PIETRO MARTINI, Presidente della Biblioteca della R. Università di Cagliari. Cagliari, Timon, 1865. Ne sono publicati 2 fascicoli, ossia pagine 144; il 3° ed ultimo fascicolo è in corso di stampa. DI CARLO BAUDI DI VESME 421 riguardanti per la maggior parte la storia di quell’isola, dai tempi ante- riori alla conquista cartaginese , fino al compimento della conquista aragonese nella seconda metà del secolo XV; essi provengono da un convento di Oristano, sede appunto dei regoli di Arboréa, che ultimi in Sardegna caddero sotto la dominazione spagnuola. Non diremo, con alcuni critici di Germania, che l’importanza di questi documenti è tale, che per essi, se, come tengo per fermo ed evidente, sono sinceri, deve rifarsi la storia universale; ma a chiunque li prenda ad accurato esame apparirà, che per quei documenti non solo la storia politica e letteraria della Sardegna pel corso di parecchi secoli sorge a nuova vita, ma anche altri rami della storia e della letteratura ne ricevono notevole incremento. Lasciamo ad altri il trarne profitto per illustrare la storia di Sardegna dal tempo che si sottrasse alla dominazione Bizantina; forse noi stessi tenteremo un giorno di esporre quanto di nuovo quei docu- menti ne somministrano pei tempi anteriori a quella rivoluzione. Ora è mia intenzione soltanto di accertare, in modo da rendere, credo, impos- sibile ogni dubio , coll’ajuto di alcuni fra quei manoscritti di Arborea, e di due altri, che si conservano l’ uno nella Biblioteca dell’ Archivio Centrale di Firenze, l’altro nella Biblioteca Communale di Siena, l'età, e far conoscere le poesie di due antichissimi poeti in lingua italiana , GrÒerarpo DA Firenze ed Arpopranpo pA SienA, dei quali or fa pochi anni era ignoto perfino il nome. Colla scorta quindi dei medesimi, e di altri documenti, cercherò non solo di illustrare la vita di quei due poeti, e particolarmente di Aldobrando, e di alcuni altri loro contemporanei, ma inoltre di rischiarare le origini; non dei volgari italici, che sarebbe iroppo lungo tema ed in parte difficile, ma di quella che , con nome certo non troppo conveniente, Dante chiama lingua aulica 0 cortegiana, di quella più colta di modi, più regolare nelle forme e sopratutto nella sintassi, che inalzatasi, per opera principalmente di Toscani, al di sopra di tutti i volgari della penisola e della stessa Toscana, divenne la lingua rniobile e scritta, la lingua commune d'Italia, e prese difatti fino da quei primi tempi il nome di LINGUA ITALIANA. 5. È volgata opinione, che non avanti la prima metà del secolo XIII la lingua italiana sia stata adoperata nelle scritture, se mon forse in qualche breve ricordo od iscrizione; e particolarmente si teneva per certo, che allora soltanto sorgessero dapprima poeti, che scrivessero in quella nascente lingua. Solo fra i poeti italiani finora conosciuti 422 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Folcacchiero de’ Folcacchieri da Siena si volle da taluno far rimontare al secolo XII; ma non tutti (e crediamo a ragione) si mostrarono convinti degli argomenti addotti dal Senese De Angelis (2) in conferma della sua opinione; e nuovi documenti si traggono ora in luce, dai quali sembra provarsi, che difatti neppure Folcacchiero appartiene ad età più remota degli altri antichissimi fra i poeti in lingua italiana finora conosciuti. Questa persuasione intorno all’ età alla quale appartenessero i più an- tichi poeti italiani era sì universale, e tenuta come sì conforme al vero ed incontestabile (non ostante varie ed anche gravissime testimonianze contrarie ), che or fa pochi anni un erudito Toscano, Adolfo Bartoli, essendosi imbattuto in un codice della Biblioteca dell'Archivio di Stato di Firenze, contenente poesie di un Aldobrando da Siena, poeta fino allora ignoto, che in quel codice è detto nato in Siena l’anno 1112, e morto in Palermo il 1186: credette dovere, per questo solo motivo, tenere queste date come errate, e mutarle in 1212 e 1286. « È di me- » stieri avvertire, » dice egli, « come la data della nascita e della morte » di lui, quale è data nel Ms., non può non esser errata. La storia » delle lettere italiane non fornisce esempio di scritture volgari del se- » colo XIIL..... Ma se noi correggessimo il 1rr2 in 1212, e il 1186 » in 1286, avremmo rimossa la difficoltà più grave ». Bene è vero, ch'egli medesimo non si mostrò gran fatto persuaso della giustezza della sua congettura, e conchiude: « Noi sappiamo bene, che tutto questo » non può essere che congetturale, e vediamo quante ragioni potrebbero » esserci opposte. E se altri avrà modo di recar luce in tale argomento, » ne saremo ben lieti, poichè esso non ci sembra privo d'importanza (3) ». Avrebb’egli bensì avuto i mezzi di dileguare i dubii e sciogliere la que- stione, se gli fosse stato possibile di leggere per intero le poesie con- tenute in quel manoscritto; ma sventuratamente esse non solo sono in carattere assai minuto e difficile, ma inoltre, per l’umidità sofferta, e per altri guasti, il manoscritto in alcuni luoghi è d’impossibile lettura. Un solo sonetto, ed anche imperfettamente, ne potè ritrarre , il quale nulla non conteneva che valesse a rischiarare la questione. 2) Lettera Apologetica dell’ Abate De ANGELIS în favore di Folcacchiero Folcacchieri. Siena, 1818. Sarebbe a desiderare che venissero publicate le molte poesie che di Folcacchiero si dicono esistere nella Biblioteca Vaticana: vedi NamnuccI, Manuale di letteratura del Primo Secolo della lingua ita- liana. Firenze, 1856, Vol. T, pap. 16. (3) Nella Prefazione all’opera 7 viaggi di MARco Povo secondo la lezione del codice Magliabec- chiano più antico, reintegrati col Testo Francese a stampa. Firenze, Lemonnier, 1862, pag. LIX-LXVI. DI CARLO BAUDI DI VESME. 423 4. Or dunque avvenne, che le medesime poesie di Aldobrando che sono nel codice Fiorentino, si leggano anche, attribuite allo stesso, e coll’aggiunta di altre di lui e parecchie di altro poeta di quella età, in uno dei codici di Arboréa. Quindi l’ editore di quei Documenti Com- mendatore Pierro Martini, non volendo indugiare a rispondere all’invito dell’Adolfo Bartoli di recare maggior luce sulla questione, in una lettera a stampa al Professore Francesco Zambrini, Presidente della Commis- sione per i Testi di Lingua nelle Provincie dell'Emilia, nell’agosto dello scorso anno 1865 publicò una fra le canzoni di Aldobrando contenute nel codice cagliaritano, canzone di argomento storico, e che toglie ogni dubio intorno all’età in che fioriva quel poeta. — Rivoltasi maggior- mente per questa publicazione l’attenzione dei dotti sul presente argo- mento e su Aldobrando, si scoperse nella Biblioteca Communale di Siena un altro codice contenente le poesie dello stesso autore: in capo al quale si legge appunto la medesima canzone publicata dal Martini, indi altre poesie, poscia le notizie biografiche su Aldobrando che il Bartoli aveva publicato secondo il codice Fiorentino, ma alle quali, in quanto riguarda l'età in cui fiorì quel poeta, erasi ricusato di prestar fede; finalmente alcune annotazioni parte del trascrittore, parte posteriori. 5. Il codice Fiorentino , fatto per la prima volta conoscere , come dicemmo, e descritto, sebbene con qualche inesattezza, da Adolfo Bartoli, è un piccolo volume cartaceo di sole due paja di fogli, dell’altezza di quasi centimetri 20, e della larghezza di centimetri 14. In capo al recto del primo foglio si legge in mezzo, in due linee, l'intitolazione (4): | (A). Canzoni e Soneti di Messer | Aldobrando de Sena. Segue il testo in due colonne, in carattere minuto corsivo, della prima metà del secolo XV. La prima colonna del 1° foglio recto inco- mincia dal primo verso appunto colla canzone edita dal Martini Come (4) Per commodità delle citazioni che ci occorra di farne nel corso della presente Memoria distinguiamo con Lettere d’alfabeto progressivamente le varie intitolazioni, memorie, e altri passi qualsiasi, che riportiamo nella descrizione dei codici contenenti le poesie di Aldobrando. Nel tra- scriverli poi seguiamo costantemente il seguente metodo: sciogliamo le abbreviature, disgiungiamo o congiungiamo, ove occorra, le parole, aggiungiamo l’interpunzione, le apostrofi, gli accenti; nel resto conserviamo esattamente la scrittura del manoscritto. In alcuni luoghi, dove ci parve utile, indicammo con una linea | la distinzione delle linee, e con due || quella delle ‘pagine. 424 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. veglio guerrier, che ver primi anni; la seconda colonna e la prima pagina finisce col 3° verso della stanza 4° E coscienza mi spinge e dritto e amore. Questa prima pagina è in modo svanita, che sarebbe stato al tutto impossibile, col solo manoscritto fiorentino, publicare intera la canzone. La seconda pagina del 1 foglio contiene fino al verso 25 della stanza 7°, 4 onrati patti ed utili e sennati; la prima colonna del recto del foglio 2 ha il resto di quella canzone, e rimangono vuote quattro linee. In questa canzone nel codice Fiorentino le stanze non sono distinte luna dall’altra, se non in quanto il principio del primo verso di ogni stanza sporge un po in fuori, ma in modo non costante e poco evidente; ed una volta, ove si comincia a parlare di Papa Alessandro, simile indi- cazione è posta a mezzo una stanza. — Colla seconda colonna del recto del foglio 2 comincia la seconda canzone, Parva scintilla inver cenertî ascosa, fino al verso 52 Ed onne bon ovrare; la prima colonna del verso contiene il resto della canzone. La seconda colonna ha in capo l'intitolazione Sorezto, e seguono due sonetti, il secondo e il quarto fra quelli che publichiamo. Indi, non più a colonne, ed in carattere più grosso, ma della stessa mano, seguono, nelle due pagine del foglio seguente o 3, le notizie biografiche di Aldobrando state publicate dal Bartoli su questo manoscritto, e che qui ripublichiamo più esattamente, colla scorta di questo medesimo codice e del Senese, nel quale parimente si con- tengono (5). (B). $ 1. Hic poeta Aldobrandus natus est in civitate Sene (6) anno Domini MCXII, et obiit anno MCLXXXVI, etatis sue LXXIIINI (7), in civitate Panormi, ad quam confugit in extremis sue vite annis. $ 2. Cum magno ingenio preditus esset, literas ac scientias docuit in civitate Florencie apud ejus patruum (8), qui eum secum in (5) Per lo stesso motivo della commodità delle citazioni dividiamo queste notizie in paragrafi; nessun indizio di tale divisione si trova nei codici. — Fuorchè in alcuni luoghi più notabili non avverliamo le differenze fra il nostro testo e quello del Bartoli, provenienti dall’ essere stato in quella edizione poco fedelmente espresso il codice Fiorentino. (6) Il cod. Senese Siene. (7) Così il cod. Senese, il qual numero corrisponde alla differenza tra l’anno della nascita e quello della morte; il cod. Fiorentino ha LXXZII. (8) Così evidentemente ambidue i codici, e non mag. Pacinum, come stampò il Bartoli; onde diventa vana ogni ricerca intorno a questo imaginario Maestro Pacino. DI CARLO BAUDI DI VESME. 425 eamdem duxit; $ 5. set jam ab juventute magno amore exarsus ob suam linguam italicam, ad eam incubuit, magnam operam ob id ponens; ita quod carmina latina spernens, in quibus valde peritus erat, italico sermone varia carmina scripsit. $ 4. Nam in dicta civitate Florencie multi docti (9) existebant, et presertim quidam Gherardus, qui erat poeta etiam in dicto sermone italico, fuitque ipsius Aldobrandi magister. $ 5. Et ideo ab anno sue etatis XVIII fecit illum vulgo Soneto ad Jhesum crucifixum, quod pape Honorio dicavit, cum alio, quod vero perivit (10). $ 6. Plura alia carmina, ut fertur, composuit, set tantum superius inserta su- persunt, ut scio. $ 7. Tot vero sua carmina periere ob illius tem- poris guerras, ob invidias, ac etiam quia multos habuit inimicos, quia valde imperatoribus suisque officialibus qui Italiam vexabant adversabatur; $ 8. sicuti etiam periere perplura carmina aliorum poetarum, propter similes guerras, discordias, ac alia consimilia Italie dampna. Ai precedenti cenni biografici tiene dietro immediatamente, e della stessa mano, la seguente annotazione. (C) Hec supradicta carmina, una cum supradicto commentario , i que insimul leguntur in quodam parvo libro pergameneo, quod servatur (11) apud Egregium virum Dominum Andream de Speciali, regni hujus Sicilie thesaurarium, quodque, uti ipse dominus de Spe- ciali asserit, transumpsit ab alio antiquissimo libro pergameneo recondito in archivo conventus sancti Benedicti, sumpsi ego a supradicto parvo libro (12), in hac civitate Panormi, die intitulata XX mensis decembris, anno a nativitate Domini M° CCCC°XXXIIIM, de voluntate et consensu predicti Egregii Domini Thesaurarii , pro sua solita benignitate et animi bonitate. (9) Così ambidue i codici, non excelsi. (10) Così ambidue i codici; il Bartoli stampò cum alto quem vero premitto, ma con segno di dubitazione. (11) Il cod. Fiorentino ha recoditur (reconditur). (12) In vece di parvo, che hanno ambidue i codici, il Bartoli diede primo. La voce libro manca nel Fiorentino. Serie II. Tom. XXIII. (Oni 4 426 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Con queste parole finisce il verso del foglio 3 del codice Fiorentino. Il recto del foglio 4 è bianco; sul verso è scritto in caratteri più grossi: (D) Canzoni et Sonetti | di Aldobrando della città | di Sena, ch’a vissuto nel | anno M° CXII (13), et ha studiato | in civitate Flo- rencie, | et obit Panormi. || 6. Simile per contenuto al Fiorentino, in quanto riguarda Aldobrando, è il codice della Biblioteca Communale di Siena, del quale diede primo notizia quel Bibliotecario, Dottore Francesco Grottanelli, con una lettera da Siena in data 19 settembre 1865 diretta al Commendatore Pietro Martini, stata publicata nel giornale Cagliaritano /a Gazzetta Popolare dei 5 ottobre seguente , N° 227, e poco dopo ristampata nel secondo fascicolo ( ossia a pag. 144) dell’ Appendice ai documenti di Arborea. Dice in essa il Grottanelli, che avendo dalla lettera a stampa (della quale abbiamo fatto menzione ) del Martini allo Zambrini conosciuto, come detto Martini avesse rivendicato ad Aldobrando da Siena, coll’ autorità di una sua Canzone, un secolo, che il Bartoli gli aveva tolto: credeva fargli cosa grata annunziandogli, trovarsi nella Biblioteca Communale di Siena un manoscritto di Aldobrando simile al Fiorentino , e conte- nente , oltre altre poesie, la Canzone medesima Come wveglio guerrier che ver primi anni, stata dal Martini publicata secondo il codice Ca- gliaritano; ed aggiunge una breve descrizione del codice stesso, che noi qui descriveremo alquanto più ampiamente. 7. Il manoscritto Senese già fu di carte 61: ora mancano le prime 39; restano perciò sole 22. Venne recentemente legato in un volume mano- scritto miscellaneo della stessa Biblioteca, segnato A, IMI, 27, del quale forma i fogli dal 155 al 176, notativi di recente mano. Oltre questa numerazione recente si scorge l'antica paginazione segnata in numeri romani, in gran parte svaniti, e talora anche, a quanto pare, mancanti. Le prime quindici carte fra quelle ora superstiti, che formano presen- temente i fogli 155-169 del codice miscellaneo , contengono regole di aritmetica e conti varii in lingua catalana; e simile era il contenuto (13) Così il codice, non MCXAII/, come stampò il Bartoli. DI CARLO BAUDI DI VESME. 427 anche delle prime 39 carte ora mancanti, come appare da una anno- tazione che fra breve riferiremo del trascrittore delle poesie di Aldo- brando, che a questo suo dà nome di Ziber computorum. Dal foglio 17 cominciano le poesie di Aldobrando; e i fogli che le contengono non sono un'aggiunta posteriore al resto del codice, ma le poesie sono scritte su fogli rimasti bianchi in fine del liber computorum. In capo al fol. 170 si legge, con lievi differenze ortografiche, la medesima intitolazione che nel Fiorentino; segue indi la prima canzone, fino a due terzi circa del recto del foglio 173. Le stanze in questa canzone sono distinte con un leggero spazio vuoto lasciato fra l'una e l’altra, e col principiare del primo verso alquanto fuori linea. Dopo un breve spazio vacuo incomincia nella stessa pagina la seconda canzone, e finisce nel verso del foglio 174. Segue nella stessa pagina il principio del primo fra i due sonetti che si leggono nel Fiorentino, e termina in principio del foglio 175 recto; a questo succede nello stesso foglio , l’altro che parimente si legge nel manoscritto di Firenze: all'uno e all’altro è preposta l'intitolazione Sonetto. Indi, dopo una linea vuota, nella stessa pagina e nella seguente si leggono le notizie biografiche e l’annotazione del trascrittore, che abbiamo date descrivendo il codice Fiorentino (Doc. EB e €); e dopo queste immediatamente, e della stessa mano : (E). Die vero XXX mensis septembris, anno a | Nativitate Domini MCCCCLIII, in hac civitate Neapolis | in hunc meum librum com- putorum .scripsi ego supradicta | carmina, simul cum duobus co- mentariis superius | contentis, atque sumpsi a supradicto. tran- sumpto, quod erat in | carta papira. A questa, nel margine inferiore del foglio, è aggiunta un'altra anno- tazione (EF) di mano più recente, ed in lingua italiana, di carattere non difficile, ma sì svanito, che, oltre poche lettere qua e là senza senso, non mi fu possibile leggerne fuorchè in fine della prima e in principio della seconda linea le parole Aldobrando di Sena, ed in fine della quinta e nella sesta ed ultima le parole che poi qui (?) è stato maestro di ......Queste poche parole basteranno ad accendere vivo il desiderio, che un occhio più esercitato in questo genere di lavori , quale è quello del Pillito (il quale, e lo dico con intimo convincimento, 428 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. in abilità nel leggere e deciferare qualunque più svanita e difficile scrit= tura non ha pari in Italia, e forse pochi in Europa) riesca a darci anche questa annotazione , appartenente, a quanto pare, ad alcun possessore del manoscritto verso il fine del secolo XV o il principio del XVI. Sul recto del foglio 176 (ultimo del codice contenente le poesie di Aldobrando) è scritto in caratteri grossi, un po’ svaniti, ma pure aba- stanza leggibili : (G). Soneti et Cansoni d’un poeta | di Siena | morto 1186. E queste parole appunto furono quelle che, lette dalla persona alla quale in Palermo nel 1860 era venuto in mano il presente codice, che nel resto non potè deciferare, lo indussero a farne dono alla Biblioteca Communale di Siena. Più sotto, nella stessa pagina, si legge la seguente memoria di una copia delle poesie di Aldobrando, tratta da questo manoscritto l’anno 1501: (H). Dominus Johannes de la Nuga | Vicerex Regni Sicilie petiit | copiam horum carminum die XIII | decembris, quinta Indictione, 1501. | Iohannes de la Nuca vicerex. | Il werso del foglio non contiene che le sole parole in grossi caratteri : (E) ‘ Canzoni | e | Soneti | Le poesie in questo codice non sono scritte a due colonne, come nel Fiorentino; il carattere , poco diverso di forma, è tuttavia più grosso, più chiaro, e sopratutto assai meno carico di abbreviature; e sia per la sua forma, sia anche tenuto conto della ortografia (per esempio nella forma Siena sostituita il più delle volte alla primitiva Sera), pare alquanto più recente. Ma la scrittura ne è in alcuni luoghi assai svanita, e sopratutto nella prima pagina delle poesie. 8. Da quanto abbiamo esposto intorno a questi due manoscritti parrebbe a prima giunta che il Fiorentino sia stato trascritto l’anno 1433 dal piccolo codice in pergamena esistente presso il Tesoriere di DI CARLO BAUDI DI VESME. 4209 Sicilia Andrea Speziale ; il cui codice poi egli medesimo aveva tratto (transumpsit) dall’antichissimo esemplare parimente in pergamena esistente nell’archivio del convento di San Benedetto in Palermo ; e che dal Fio- rentino sia trascritto il Senese, il copiatore del quale dice di avere trascritte nel suo liber computorum le poesie e le due seguenti annotazion i (supradicta carmina simul cum duobus commentariis superius contentis ; vedi sopra i Doc. B e €) dalla copia fatta sull’esemplare dello Spezialé (e supradicto transumpto), la quale era in carta papira. E così cre- devamo noi pure; ma appena potemmo accuratamente esaminare e confrontare i due codici, nacque in noi la persuasione, che il Senese, come dimostra la circostanza del trovarvisi le poesie aggiunte al Zider computorum, è bensì la copia medesima tratta l’anno 1453 da quella tratta l’anno 1433 dall’esemplare dello Speziale; ma che il codice Senese non è tratto dal Fiorentino, nè questo è l’esemplare trascritto l'anno 1433 da quello in pergamena del Tesoriere Speziale, ma una copia, certo di poco posteriore, tratta o derivata da quella copia del 1433 ora perduta. 9. Di questa nostra asserzione non addurremo in prova alcuni passi, nei quali la lezione del Senese è bensì migliore che quella del Fiorentino, o certo diversa, ma nei quali la varietà può attribuirsi ad arbitrio od a congettura del copista; quali sono la divisione in due dei versi 21 e 22 della 1° stanza della Canzone I, i quali negli altri due manoscritti formano un verso solo; o la morte di Aldobrando indicata più retta- mente all'anno LXXIHI della sua età, e non al LXXHII come nel Fiorentino ; od il servatur invece di reconditur, e il supradicto parvo libro dove nel Fiorentino è omesso il Zibro nella annotazione del tra- scrittore la quale tien dietro alle notizie biografiche di Aldobrando. Ma in alcuni luoghi la discordanza fra i due codici è di tal natura, che la lezione del Senese non può venire ascritta a congettura del trascrittore, ma necessariamente deve ripetersi dall’esemplare che aveva dinanzi. Così in principio del 1° verso della stanza 5° della I Canzone il codice Fioren- tino legge 4 simil guisa, lezione in sè non cattiva, sebbene il consenso del codice Cagliaritano dimostri più vera la lezione del Senese £ a simil guisa. Così nella stessa Canzone all'ultimo verso della stanza 6° il Fio- rentino ha /ostro desiato a finimento giusto, dove il Senese, d’accordo col Cagliaritano, ha la vera lezione giunto. Similmente nel primo fra i Sonetti contenuti in questi due codici, nel Fiorentino si legge e preso 430 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Non me sento d'amore e ver dolore ; laddove invece d’amore il Senese ha amaro , lezione confermata dal Cagliaritano. Ma il luogo che dimostra ad evidenza che il codice Senese non può essere derivato dal Fiorentino, si è il verso 14 della stanza 4° della Canzone I, dove il Senese, come il Cagliaritano, ha la voce spurio, che il verso richiede, e che è omessa nel Fiorentino. Aggiungasi l’ indicazione delle stanze nella Canzone I, appena visibile, e spesso non osservata nel Fiorentino, evidentissima nel Senese; la retta disposizione dei versi nel Senese, l’uno scritto in fuori e l’altro in dentro nella Canzone IT, come da noi è fatto nella stampa : disposizione che non si trova nel codice Cagliaritano, e soltanto in parte ed in modo appena visibile nel Fiorentino. Finalmente nel manoscritto Senese in due luoghi sono omesse parole, lasciandone lo spazio vuoto, evidentemente perchè od erano perite od illegibili nell’ esemplare dal quale trascriveva; laddove si leggono nel Fiorentino, e di lettura non più difficile che quella del resto del manoscritto. — E queste due lacune dimostrano che all'incontro neppure il codice Fiorentino, che d'altronde appare alquanto più antico, non può essere copia del Senese; ma che ambedue, l'uno indipendentemente dall’altro, sono, il Senese trascritto, il Fiorentino o trascritto od almeno derivato, dalla copia in carta tratta l’anno 1433 da quella in pergamena del tesoriere Andrea di Speziale. 10. Queste osservazioni erano necessarie per dimostrare quale sia l'autorità e l’uso di questi due codici nel costituire il testo di Aldobrando: poichè se Yuno dei due codici fosse stato trascritto dall’altro, è evidente che dovrebbe tenersi conto soltanto del più antico, e che il più recente non sarebbe di alcun uso, fuorchè nei luoghi ove il primo si trovasse ora mutilo od illegibile. All’ incontro essendo i due manoscritti Puno dall’altro indipendenti, quantunque derivati dallo stesso esemplare; dove concordano, il loro consenso dimostra quale fosse la lezione della copia tratta dall’ esemplare del Tesoriere Speziale; il quale a sua volta era tratto dall’antichissimo libro in pergamena che si conservava nell’archivio del convento di San Benedetto. Ove poi i due codici dissentono , ta lezione dell’originale commune rimane a stabilirsi secondo le consuete regole della critica, e nel caso nostro principalmente coll’autorità del- l'altro codice contenente le poesie di Aldobrando, quello della Biblioteca di Cagliari. 11. Questo manoscritto, e d'origine e di contenuto, differisce al tutto dai due che abbiamo finora descritto. Il Codice Cagliaritano cioè non DI CARLO BAUDI DI VESME, 431 contiene, a propriamente parlare, una collezione delle poesie di Aldo- brando , ma di quelle del poeta Sardo, suo contemporaneo ed amico, Bruno de Thoro. Se non che questi alla raccolta delle proprie poesie aggiunse quella delle poesie di altri suoi contemporanei ed amici , Gherardo da Firenze, Aldobrando da Siena, e Lanfranco da Genova. Carmina sequentia, è detto nel codice Cagliaritano dopo le: poesie di Bruno de Thoro (vedi sotto, Doc. P), pertinent ad alios poetas, ..... qui omnes fuerunt quasi sibi coevi et valde ipsius amici, qui carmina sua eidem mittebant, et ipse illis. La verità di tale asserzione è provata dalla circostanza, che nell’esemplare della collezione di Bruno de Thoro, dal quale il codice Cagliaritano fu trascritto, si trovavano difatti le poesie di Aldobrando, di Lanfranco e di Gherardo, come ne fa fede un’altra annotazione dello stesso copista, dopo le poesie di Aldobrando: (vedi infra Doc. W): Zic sequuntur carmina pauca supradicti Gerardi de Florencia..... ac etiam carmina ejusdem Lanfranci. Pel Lanfranco inoltre è provato dal foglio publicato dal Pilito (14) e poscia dal Mar- tini (15), contenente una canzone e un sonetto di Lanfranco desumpta ex collectione carminum Bruni de Thoro; ed inoltre dalla testimonianza di un frammento di cronaca scritta da Mariano de Lixi, morto l’anno 1168, il quale riferisce, che dopo la morte di Lanfranco il suo amico Bruno ne raccolse con cura gli scritti. Finalmente pel Gherardo ciò si deduce, dal trovarsi alcune sue poesie in un altro fra i monoscritti di Arborea tuttora inedito , e nel quale appena può dubitarsi sieno passate appunto da questa Collezione di Bruno de Thoro. Sventuratamente il codice Cagliaritano non è una copia della Col- lezione intera di Bruno de Thoro, ma soltanto un estratto di quell’ampia raccolta, come appare dalla descrizione che daremo del codice. Il tra- scrittore omise molte poesie di Bruno perchè divenute illegibili per l'umidità ; parecchie e di Bruno e d'altri poeti ne omise, perchè già le aveva in altri quaderni, che per la maggior parte non giunsero infina i; Tape Si Ria f a noi. Pur qual è, il codice è preziosissimo, per le molte poesie che ci conservò del secolo XII, trascritte da persona intelligente ed accurata; tra le quali tutte quelle di Aldobrando contenute nei due codici Toscani, (14) Poesie italiane del secolo, XII appartenenti a Lanfranco de Bolasco Genovese, contenute in un foglio cartaceo del secolo XV, illustrate per IGNAZIO PiLLiTo. Cagliari, Fimon, 1859, pag. 10 (15) Pergamene, Codici e Fogli Cartacei d’ Arborea ecc., pag. 489. 432 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA -SIENA, ECC. ed altre per soprapiù che mancano in quei codici, di alcune delle quali tuttavia il trascrittore lascia incerto, se appartengano a Bruno de Thoro o ad Aldobrando. 12. Il codice Cagliaritano consta di un solo quaderno, di 24 fogli, alti circa 17 centimetri, e larghi 14 4. I fogli hanno una recente numerazione in cifre arabe in capo alle pagine; una numerazione antica, e contemporanea al codice stesso, in numeri romani sul margine inferiore a destra, appare ancora su parecchi fogli; essa combina colla numera- zione odierna, e dimostra , ciò che d'altronde già appariva dal contesto, che nessun foglio manca nel corso del manoscritto. Questo poi può in certo modo considerarsi come diviso in quattro parti, in fine di caduna delle quali il trascrittore lasciò alcune pagine bianche, per soggiungervi, come difatti fece talora, se più tardi gli avvenisse di trovare alcuna nuova cosa appartenente a caduna di quelle quattro parti. Nella prima di queste si contengono le poesie italiane di Bruno de Thoro. Im capo al primo foglio è scritta, di carattere assai sva- nito, la seguente, che può considerarsi come l intitolazione generale del codice : (K). Hec sunt carmina transumpta ex collectione carminum per poetam Brunum de Thoro peracta, in quibus continentur aliqua carmina ejusdem, ac aliorum poetarum. Indi, in carattere assai più leggibile, seguono parecchie poesie ita- liane di Bruno de Thoro. Riportiamo qui il primo Sonetto, perchè riguarda in certo modo Aldobrando, essendo diretto a Cola Usario , per ribattere Paccusa di questo amico di Aldobrando, che i versi di esso Bruno fossero brutti e disvalenti, Od acattati dal Cantor di Sena. (L). Ad Colam Usarium responsio. Non te caglia se soe più ner che Bruno, Sì ch’assembre un umile schiavo moro; Ch’in ciò m’acaterà dive taluno, A spalle mie gravar del non su’ oro, DI CARLO BAUDI DI VESME. 433 Ma sol te punga, e l’auda pure ognuno, Che soe quel rude ed atizato Thoro, Ch’al toco fier di vil mosca importuno Corre, e di corno dà, nè mira foro. Se i versi mei son brutti e disvalenti, Od acattati dal Cantor di Sena: Aldobrandus (16) Bon tengo il primo ver; secondo, menti (17). Ma fosse pur (che ’1 sdico), fior me pena: Che tor l’altroi è usanza; e manti venti Di rappador già fur, for cinta o pena. Segue nel recto ed in principio del verso del 1 foglio un Sonetto responsivo per le rime ad altro già conosciuto del poeta Lanfranco ; e poscia, nel modo seguente, la menzione e il primo verso di undici altri Sonetti di Bruno, dei quali alcuni diretti a Gherardo, ed uno ad Aldobrando , i quali il compilatore omise di qui trascrivere, perchè già li aveva in altro quaderno: (MI). Jam habeo in aho Quando el bello del ciel stellato manto. quaterno Idem La benefica pioggia alfin pietosa. Ad Aldobrandum Senensem Idem Assai me pesa e amara pur me torna. Ad Gherardum poe- Idem O famoso Cantor meo maestro e duce. tam Florencie Idem Tutto non abbia d’aquila le penne. Ad Parasonem Idem Donque, crudel, fo questo el tuo pensato. Ad dictum Gherardum resp. Zdem Se mea canzon, Gherardo, ti foe grata. Ad eumdem responsio Idem Lorchè lucente tutta gloria mostra. Ad Elenam reginam Idem Quando tua bocca, in cui natura ride. Ad camdem Idem Dilettoso horticel di fiori e frutti. Idem Della guerra che Amor ti fece ognora. Il resto del verso del 1 foglio e i seguenti fino a tutto il recto del foglio 4 contengono altri diciasette sonetti di Bruno de Thoro: alcuni amorosi; parecchi di vario argomento; gli ultimi ascetici. Tre di questi sonetti, e l’ultima terzina di altri cinque, erano già conosciuti, essendo (16) Annotazione in margine, della stessa mano che scrisse il sonetto. (17) Il cod. mente. Serie II. Tom. XXIII, (Sai (Ci 454 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. stati da lungo tempo publicati dal Martini quali si leggono nella III fra le Pergamene di Arborea. — Il verso del foglio 4 contiene dapprima l’indi- cazione e i due primi versi di sette canzoni che qui si trovavano nell’ori- ginale, ma che furono omesse dal trascrittore, perchè già le aveva altrove. (N). El fellone Amore, Jam habeo in epistola Amore guerria. muy ad Barisonem Ad Elenam D’Elena il nome in Grecia di gran fama, Che portò guerra e affanno. Jam habeo Ad Aldobrandum, quem ab Se ver l’amico l’uom gioj’ e conforto inimicis oppressum A le sue doglie e affanni. Idem MET NAelt Te diede el ciel un’angela compagna, Che d’allegranza magna. Idem Ad Constantinum jadi- Di voi canto, o Signore, cem Calarit. Che sì pietoso e gente. Idem Contro la noja mia, Per te, Signor, piacire. Idem Falsa lode non dea l’uomo usare Per fare altroi piacere. Idem Delle sette canzoni omesse, rimane la prima sola, conservataci nella pergamena III d'Arborea. Segue nella stessa pagina e nelle seguenti, fino a oltre la metà del recto del foglio 6, una canzone di Bruno de Thoro a Preziosa di Arborea giudichessa di Cagliari; della quale canzone una parte già era conosciuta. Indi nella stessa pagina si leggono le due seguenti annotazioni , la seconda dalla mano medesima che scrisse la precedente poesia, la prima inserita fra le linee da mano più recente: (0). Alia carmina predicti Bruni de Thoro sunt illegibilia et pe- rierunt propter umiditatem, inter que multa ad Constantinum Arboree judicem, et alios principes Sardos et extraneos. (P). Carmina sequentia pertinent ad alios poetas, et solum hec reperiuntur in collectione dicti Bruni de Thoro; qui omnes fuerunt quasi sibi coevi, et valde ipsius amici, qui carmina sua eidem mittebant, et ipse illis. DI CARLO BAUDI DI VESME. 435 Il verso del foglio 6 e il recto del 7 contengono una Canzone alla Vergine che incomincia O pietosa Maria, mar di conforto; ed a piè del recto ed in principio del verso dello stesso foglio 7 si legge la seguente annotazione : (Q). Hoc carmen tribuitur Aldobrando Senensi; sed multi | credunt pertinere ad ipsum Brunum de Thoro, et quod | illud scripsit in ultimis temporibus sue vite, quum || circa XC annos haberet; nam | natus est anno Domini M°C°X°, et | obiit anno M°CC°VT.. Lo scrittore aveva lasciato in bianco non solo il resto del foglio 7, ma anche i fogli 8 e 9, per aggiungervi quelle poesie di Bruno de Thoro che ancora gli venisse fatto di rinvenire; ma poscia riempiva il foglio g con un brano di antica cronica, nel quale si tratta di Bruno de Thoro. In principio, di mano della persona che scrisse il brano, vi ha un’ annotazione marginale relativa ad alcune correzioni ed aggiunte ch'egli fece posteriormente in detto brano coll’ajuto di un altro esemplare; ed in fine di altra mano, Vannotazione seguente, che ci dà il nome e l’età dello scrittore di quella cronica , che così veniamo a conoscere essere stato contemporaneo di Bruno de Thoro. (R). Hec sunt verba de quadam antiqua | cronaca, in qua fit mentio de illo | magno poeta Bruno de Toro, | que scripta fuit a Mariano de Lixi, | qui obit anno Domini M°C°LXVIII; sed | transumptor incepit et non perfecit correctiones, ut | supra. || 13. La seconda’ parte del codice, dal foglio 10 al 16, è destinata alle poesie di Aldobrando. In capo al foglio 1o si legge: (8). Hec certe sunt Aldobrandi de Sena. parole che evidentemente si riferiscono alla precedente annotazione (®) sulla Canzone alla Vergine, che molti negavano essere di Aldobrando; onde anche appare che queste parole furono scritte prima che il foglio 9g 436 DI GHERARDO DA .FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. venisse riempito col menzionato brano di cronica e. le annotazioni relative. Segue indi la Canzone Come veglio guerrier , che ver primi anni, che occupa fino ad un terzo circa del verso del foglio 13. Le stanze della Canzone sono distinte con uno spazio vuoto tra l’ una e l’altra, ed inoltre col principiare alquanto fuori linea il primo verso della stanza; la prima fra queste distinzioni manca fra la stanza 1° e la 2°, e fra la 7° e 18%; anzi in questo secondo luogo il verso non era stato principiato fuori linea, errore che fu poi emendato dallo scrittore medesimo. A. questa Canzone, dopo uno spazio vuoto di due linee, tien dietro l’altra Parva scintilla inver ceneri ascosa, della quale i primi versi sono divenuti in gran parte illeggibili per una macchia sulla carta; la canzone termina presso al fine del verso del foglio 14. A piè del foglio medesimo è scritta la seguente notizia su Aldobrando, meno pre- cisa e minuta che non quella contenuta nei codici Fiorentino e Senese, ma tuttavia per molti riguardi importantissima : (T). Aldobrandus Senensis versabatur in multis scientiis, et per- maxime in sacris | scripturis et theologia, cognovit peroptime linguam latinam, et studuit | etiam propriam sue patrie, quam auxit, expurgavit, ornavit et | expolivit, ita quod superavit ma- gistrum suum Gherardum, et omnes | suos coevos; set multas per- secuciones substulit et guerre discrimina et emulos, et | varia infortunia passus est, per que ingenii vis minuitur: et hoc clarius adnotatur | ex ipsamet stilis varietate quo in suis carminibus usus est, ubi poeta tum | nobilis tum plebeus adparet. | I fogli 15 e 16 erano lasciati vuoti, per aggiungervi quelle altre poesie di Aldobrando che al trascrittore venisse ancora fatto di rinve- nire; e difatti il foglio 15 fu più tardi, e con carattere assai più mi- nuto che non nelle precedenti poesie, dallo stesso trascrittore riempito con sette sonetti di Aldobrando, fra i quali il secondo e il settimo sono i due contenuti, ma con ordine inverso, nei codici Fiorentino e Senese. 14. La terza parte del Codice, dal foglio 17 al 21, ha la seguente intestazione: DI CABLO BAUDI DI VESME. 437 (U). Etiam hec carmina tribuuntur eidem Aldobrando; sed multi dicunt | quod pertinent ad cumdem Brunum, quamvis repe- riantur in collectione carminum | aliorum poetarum, et non | in primis suis, quod forsitan evenit errore transumptoris. | Seguono, fino ad un terzo circa del recto del fol. 21, tre canzoni, evidentemente di un medesimo autore: la prima contro la Maldicenza, . . . x . e comincia Za lingua del serpente , como è scritto; la seconda contro l’Ambizione: Ambizion! ahi crudele e ria disianza; la terza contro l’Ozio : L'uomo da Deo creato fu al labore. Indi, nella stessa prima pagina del foglio 21, si legge la seguente annotazione : (V). Hic sequuntur carmina pauca supradicti Gerardi de | Florencia, qui fuit magister prefacti Aldobrandi | de Sena et Lanfranci de Janua, ac etiam | carmina ejusdem Lanfranci: que omnia alibi habeo, | una cum parvo et nullius momenti carmine cujusdam | Ogerii, quem Ferdinandus de Fonte, qui ex eodem | descendebat, apellavit magistrum predicti | Lanfranci, contra omnium scri- ptorum sententiam ; qui etiam | notarunt tamquam inepta carmina cujusdam | Ogerii Ligurensis, coevus Michaelis Cancellarii. | E dopo, scritto posteriormente dalla stessa mano : (Xx). Hoc est fragmentum carminis predicti Gherardi, quod mihi deerat. E seguono le due quartine di un Sonetto , intricatissime ed oscure, né tali in modo alcuno da inspirare un alto concetto della vena poetica di Gherardo, nè della sua eccellenza nella lingua e nello stile. — Il verso del foglio 21 è bianco. 15. La quarta parte del codice, formata dei tre ultimi fogli, 22, 23 e 24, ha la seguente intitolazione : 438 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. (XY). Hic ponuntur carmina sardescha ejusdem Bruni, et primum vulgo dicti Sonetti. Segue una serie di sei sonetti in lingua sarda di Bruno de Thoro, fino a metà del recto del foglio 23; il resto di quel foglio e il seguente furono dal trascrittore lasciati, al consueto, vacanti, per aggiungervi quegli altri sonetti sardi dello stesso autore, che gli venisse fatto poscia di rinvenire. Sul margine esterno del verso del foglio 22 è scritta di traverso una lunga annotazione in caratteri minutissimi, nella quale si rivendicano a Bruno de Thoro questi sonetti sardi, che Ferdinando de Fonte ascriveva a Torbeno Falliti: annotazione che qui riferiamo a motivo delle notizie non prive d’importanza che contiene intorno agli esemplari che allora (prima metà del secolo XV) correvano della Col- lezione di Bruno de Thoro, che è, a nostro avviso , il solo fonte di quanto in Sardegna ci fu conservato delle poesie di Gherardo, di Aldo- brando e di Lanfranco. (7). Supradictus Ferdinandus de Fonte credebat, quod hec carmina sardescha vulgo Sonetti scripta fuerunt a magno poeta Torbeno Falliti, quia hoc stile multum adsimilatur suo; et. permaxime hoc suspicabatur, quia in his reperit phrasim 220n me leo plus affanno, qua ipse Falliti usus est circa finem sui poematis in judicis Hu- gonis laudem, et etiam alibi, et alia similia verba; et in hac sua opinione confirmabatur, quia in libro dicte Collectionis Bruni de Thoro quem ipse possidebat hi Sonetti deerant. Sed he raciones sunt frivole, et nihil valent. Et primo, quia lingua sardescha a dicto Bruno adhibita est magis pura, utpote antiquior; secundo, quia in dictis suis Sonetti leguntur aliqua verba que sunt italica, et que loquebantur a poetis sui temporis, et talia sunt dismente, disparente, sì lu sapes bonu, que certe non sunt sardescha ; tercio demum, quia deficiencia Sonetorum in suo libro non probat quod omnes eos non composuit, cum e contra reperiuntur in pluribus quos ego vidi, imo in quodam deerat canticum sardum Me has lanzadu, Amore. In hac parte ergo supradictus Auctor, et in alia que pertinet ad Ogerium, multum erravit, quamvis in aliis suis scriptis acuratissimus et fidelis. DI CARLO BAUDI DI VESME. 439 Dall’iscrizione che sopra abbiamo riferita , preposta alla quarta parte del codice Cagliaritano, appare che il raccoglitore intendeva qui tra- scrivere non i soli sonetti, ma tutte le poesie sarde di Bruno de Thoro, e che perciò alla quarta parte contenente i sonetti in lingua sarda doveva succedere una quinta, contenente le canzoni nella stessa lingua. Ma queste mancando, possiamo congetturare o che il raccoglitore abbia mutato consiglio, o più veramente che siano periti alcuni fogli in fine del manoscritto. Una sola fra le canzoni sarde di Bruno giunse infino a noi, quella citata nella nota marginale pur ora riferita; la quale canzone ci fu conservata, aggiunta posteriormente, ma forse dalla stessa mano, nella pergamena terza fra quelle di Arboréa, contenente alcune poesie di Bruno de Thoro. 16. Fra i monoscritti di Arboréa furono inoltre trovati alcuni fogli, avanzo di un codice scritto parimente nella prima metà del secolo XV, contenente una Raccolta di antiche poesie italiane e sarde. Sono i sei ultimi fogli del codice, più la metà superiore di un altro foglio.. La scrittura è minutissima, e in molta parte assai svanita. Il formato del codice era alto e stretto, di rt su 34 centimetri; sì che dove i fogli sono scritti per intero, contengono in una sola colonna circa go linee o versi per pagina. Così avviene nei primi cinque fogli interi; la prima pagina o recto del sesto ha soli dodici versi, coi quali finisce la can- zone cominciata nel foglio precedente. La seconda pagina o verso del foglio medesimo contiene soltanto la seguente annotazione, che può considerarsi come l'intitolazione dell'intero codice :. (AR). Carmina variorum poetarum et etatum, | et in diversis cir- cumstanciis ab ipsis | poetis facta: que collexit quondam Didacus | de Melia civitatis Ville Ecclesie; et nunc ea | possideo ego Michael Chela ejusdem | civitatis. | In capo al verso del mezzo foglio si legge : (BB) Hec sunt carmina sardescha, et primo | ponitur carmen Gi- tilini de Coria, | in eadem forma que facta fuit seu | verius refecta per P. Deligia, ad meliorem | et faciliorem intellectum , anno Domini M°CCC°LXXXXIII | 440 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Segue la canzone a Barbarita di Gitilino de Gorria, stata publicata dal Decastro (18), e dal Martini (19); ma qui al tutto rifatta e di parole e di metro. Ne manca il fine, colla metà inferiore del foglio. Siccome Gitilino fiorì in sul fine dell’ VII e sul principio del IX secolo, e la più antica fra le canzoni che si leggono nei fogli seguenti è del secolo XIII, pare che tra quel primo foglio dimezzato e i seguenti manchino parecchi fogli, nei quali si contenessero, o sincere o taluna forse rimodernate , altre antiche poesie sarde, probabilmente fra quelle dello stesso Gitilino; di Deodato da Gotane e di Michele Cancellario, che fiorirono circa un secolo dopo Grtilino ; di Ifredico, del quale abbiamo un bell’inno di guerra in occasione della invasione Saracena del 1002; e di altri poeti ora perduti. La prima parte del codice conteneva poesie antiche italiane, come dimostra l’iscrizione che abbiamo riferito (Doc. BB): Zec sunt carmina sardescha , et primo etc.; e difatti il recto del foglio medesimo contiene alcune poesie italiane. Desse sono, dapprima una canzone di 44 versi, a piedi della quale sta scritto : (CC). Ejusdem G. de Florencia. dal che appare, che già nel foglio precedente ‘ora perduto si conteneva alcun’altra poesia dello stesso autore. Segue un sonetto, colla medesima sottoscrizione ; dopo la quale manca la metà inferiore del foglio. Ma due altri sonetti sono scritti nel margine, e a piè di ciascuno è notato Ejusdem G.". Già a primo aspetto appena si poteva dubitare, che l’antico poeta G."* de Florencia fosse il Maestro Gherardo, del quale fanno parola le varie notizie biografiche di Aldobrando, ed a cui troviamo essere diretti alcuni fra i sonetti di Bruno (Doc. BE); ma il dubio è volto in certezza dai primi versi del terzo sonetto, che appare diretto appunto a Bruno de Thoro , al quale dice essere piaciuto lo scherzo ch’ egli aveva fatto sul proprio nome, volgendolo in ardo in guerra. (18) Nuovi codici d’ Arboréa, publicati dal canonico cav. ANGELO DEcAsTRO. Cagliari, Timon, 1860, pag. 87-88. (19) Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea, ecc., pag. 465-467. DI CARLO BAUDI DI VESME. 44I 17. Abbiamo minutamente ed accuratamente descritto gli anzidetti quattro codici, e riferito le varie memorie ed annotazioni che vi si con- tengono, perchè ivi sono i soli fonti, onde possiamo trarre quanto abbiamo di certo intorno ad Aldobrando, e al suo maestro Gherardo; nessun'altra memoria essendone rimasta in altro codice od antico scrittore. Nè ciò è maraviglia; poichè quanto numerosi sono i documenti e le memorie di ogni genere conservate negli archivii Fiorentini ed in altri della Toscana dalla metà del secolo XIII in poi, altrettanto scarse sono quelle dei tempi anteriori. 18. Dal confronto adunque delle varie surriferite testimonianze, sap- piamo che Gherardo nacque in Firenze, evidentemente nella seconda metà del secolo XI; poichè già in principio del terzo decennio del secolo XII ebbe a discepoli in Firenze Aldobrando, Bruno de Thoro e Lanfranco di Bolasco. A quel tempo molti dotti (ossia persone dedite allo studio delle lettere e delle scienze) erano in Firenze (in dicta civitate Florencie multi docti existebant; Doc. B, $ 4), fra i quali primeggiava lo stesso Gherardo (et presertim quidam Gherardus ; ibid.), noto anche per le sue poesie in lingua italiana (qui fuit poeta etiam in dicto sermone italico; ibid.). Pare che grande fosse la sua fama anche oltre i limiti di Toscana, e molto il concorso alla sua scuola; chè dei tre suoi discepoli che abbiamo nominato, l’uno è da Siena, il secondo da Cagliari, e il terzo da Genova. Bruno lo chiama O famoso Cantor , meo Maestro e Duce, e al giudizio di Gherardo sottoponeva i suoi versi. L'annotatore del codice Cagliaritano ci dice, che fu superato dal suo discepolo Aldobrando (Doc. 'E'); noi, se dobbiamo giudicare dalle poche cose che ci rimangono di lui, non dubitiamo di porgli inanzi il suo discepolo Bruno, e fors'anche Lanfranco. — È ignoto l'anno della sua morte; soltanto, siccome nel precitato suo sonetto diretto a Bruno de Thoro parla della canzone di questo a Preziosa, scritta evidentemente l’anno 1128 0 1129 (20), appare che Gherardo viveva ancora dopo quell’anno. (20) Da tutto il contesto della canzone appare che fu scritta avanti che Salucio, per la morte del padre Torcotorio avvenuta l’anno 1129, salisse al trono; nè potè essere scritta gran iempo prima, poichè Bruno si trovava allora appena nel diciannovesimo anno o nel ventesimo della sua età. Vedi sopra Doc. @, e le Tavole Cronologiche dei giudici di Sardegna presso il MARTINI, Per- gamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea ecc., pag. 76. Sembra inoltre che Bruno in detta canzone (st. 8, v. 9), accenni alla seconda carestia al tempo di Torcotorio, avvenuta l’anno 1127. Serie II. Tom. XXIII. 56 442 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 19. Maggiori notizie abbiamo dei due discepoli di Gherardo e con- temporanei di Aldobrando, Bruno de Thoro e Lanfranco; di essi trovandosi menzione anche presso altri scrittori e documenti sardi, o loro contemporanei, o di poco posteriori. - Poco diremo di Lanfranco di Bolasco da Genova. La sua nascita sembra doversi riferire ai primi anni del secolo XII; e siccome esso pure fu discepolo di Gherardo (Doc. Y : Gerardi de Florencia, qui fuit magister prefacti Aldobrandi de Sena, et Lanfranci de Janua), convien dire che passasse una parte della sua gioventù in Firenze. Ragioni di commercio lo condussero in Sardegna; dove una volta, presso Oristano, mentre stava caricando su una nave certe mercatanzie di un suo cognato, corse pericolo della vita in una baruffa tra Pisani e Genovesi, e fu salvato. da una mano di soldati mandata da Costantino I giudice di Arboréa, al quale era molto caro, e cui, vivente e dopo morte, celebrò colle sue poesie (21). Lasciata poscia Oristano, vi ritornò molti anni dopo per curarvi i beni che vi possedeva; e quivi morì l’anno 1162, nelle braccia di Bruno de Thoro, accorso da Cagliari all’annunzio della malattia dell’amico, del quale poscia, come sopra abbiamo accennato , raccolse con cura gli scritti (22). 20. Alquanto più a lungo tratteremo di Bruno de Thoro, sì perchè di lui ne rimangono più abondanti notizie, come principalmente perchè l'essere Bruno stato non solo contemporaneo ma anche amico di Aldo- brando, di cui parlò in parecchie delle sue poesie, alcune delle quali anzi furono indirizzate a quel poeta, fa sì che quanto diremo di Bruno servirà in parte a confermare ed illustrare l'età, le vicende, e le poesie stesse di Aldobrando. Bruno de Thoro apparteneva ad una famiglia sarda, ricca per com- merci; il suo bisavo inoltre avevasi acquistato onorata fama nelle armi in occasione della prima invasione di Museto in Sardegna (anno 1000). Bruno nacque in Cagliari l’anno 1110, di madre sarda, di Arborga, e di Thoro de Thoro, persona ricca ed istrutta nelle scienze, nato in Pisa, dove passò gran parte della sua vita; e Bruno ancor esso visse (21) « Los poetas et principalimente ipsu supradictu Lanfrancu, et ipsu Sardu Bruno de Thoro, » ancu multu famosu et amadu dae Costantine....... hant scriptu multas Jaudes etc. ». Zita di Costantino I giudice di Arboréa scritta dal Notajo Cola de Simaghi verso la fine del secolo XII: presso MarTINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea, pag. 294-295. (22) « Et etiam de scriptis ki bere recollesit ». Frammento di Cronica di Mariano de Lixi relativo al poeta Bruno de Thoro; presso MARTINI, Appendice alla Raccolta ecc., pag. 187. Vedi sopra Doc. R. DI CARLO BAUDI DI VESME. 443 ì suoi primi anni in Toscana, e vi apprese la paterna lingua italiana (23). Sebbene nessuna fra le memorie che abbiamo di quel tempo dica espres- samente di lui, come di Aldobrando e di Lanfranco, che fu discepolo di Gherardo, siccome tuttavia egli medesimo lo chiama, come dicemmo, suo maestro e duce (Doc. MI), ci pare probabile, che durante il soggiorno de’ suoi genitori in Pisa Bruno siasi trattenuto alcun tempo in Firenze alla scuola di Gherardo , e che ivi appunto abbia conosciuto Aldobrando, al quale fino alla più tarda età fu stretto di costante ami- cizia. Si recò poscia in Oristano, e vi era al tempo della morte di Costantino I già giudice di Arboréa (circa l’anno 1133), il quale alcuni anni prima (il 1127) aveva rinunziato al trono in favore del fratello Comita. Bruno, del pari che Lanfranco e altri poeti che erano a quella corte, celebrò con varie poesie le lodi di quel principe, chiaro per le sue virtù, e dal quale era molto amato (24). Essendo poscia Comita stato spogliato del regno e scommunicato dal papa pel suo mal governo, fu ricommunicato, a patto che partisse per la crociata, come fece difatti l’anno 1147 o il seguente, dopo aver rinunziato al trono in favore del suo figliuolo Parasone; ed in questa spedizione fu accompagnato da Bruno de Thoro, che era molto valente in armi. Comita morì in Terra Santa, incaricando Bruno di portare, come fece, una lettera e le ultime sue parole al figliuolo Parasone. Dopo breve soggiorno in Oristano Bruno passò in Cagliari, e di lù nuovamente in Oristano, dove si trat- tenne parecchi anni, ora dando opera alla poesia, ora addestrando , a richiesta del principe, la popolazione nelle arti di guerra. Tornato poscia a Cagliari sua patria, ne ripartì, come dicemmo, l’anno 1162 per Oristano, all’annunzio della malattia del suo amico Lanfranco, che morì difatti indi a ventiquattro giorni. Dopo la morte di Lanfranco continuò a trattenersi in Oristano ad instanza del giudice Parasone , e vi compose parecchie poesie (25); ma udita poscia la morte, avvenuta (23) « De Acetaliana lingua ki bere conoskebat, kerenlo omnes ?//as etiam de sua infantia, comodo » pater erat de Pisa, k'i remansit ». Citato Frammento di Cronica di Mariano de Lixi. — « Pater » ipsius Bruni appellabatur Thorus de Thoro, homo satis dives et in scientiis versatus, qui natus » est Pisis, de patre vero et matre Sardis, qui et que illuc convenerant et multum permanserunt » propter eorum negolia ac infirmitalem ». Annotazione di scrittore della prima metà del secolo XV al canto d’Iifredico, che verrà publicato nell’ Appendice alla Raccolta del MARTINI. (24) Vedi sopra not. 21. (25) « Et comodo ini fuit, est quod nova carmina composuit ». Citato Frammento di Cronica di Mariano de Lixi. 444 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. l’anno 1163, del giudice di Cagliari Costantino II, e come gli fossero succeduti la sua figlinola Agnese col marito Pietro di Torres, fece ancora ritorno a Cagliari presso quei principi, che celebrò co’ suoi versi (26). Non abbiamo notizie degli ultimi tempi della sua vita; sappiamo soltanto che continuò a poetare fino alla più tarda età; che nella sua vecchiezza, e certo dopo l’anno 1178, compilò una raccolta delle sue poesie, alla quale soggiunse una scelta anche di quelle de’suoi amici, Gherardo, Aldobrando e Lanfranco (27); e che morì in età decrepita l’anno 1206. Sappiamo finalmente, che da lui discendevano le famiglie conosciute in principio del secolo XV in Sardegna sotto i nomi di de ZRhore o de Thori: probabilmente gli odierni Detorri. 21. Oltre il codice estratto dalla collezione di Bruno de Thoro, il quale abbiamo sopra descritto, le sue poesie ci furono in parte con- servate da due altri manoscritti, che ambedue sono fra le carte di Arboréa. L'uno di questi è coevo all’autore ; è un foglio di pergamena, largo centimetri 41, ed alto ora soli 15 /, per esserne stata recisa la parte superiore, allorchè, in età incerta, fu convertito a coperta di libro: onde parecchie poesie forse vi mancano intere; di cinque sonetti qui non si legge che l’ultima terzina, i quali interi tuttavia, unitamente agli altri contenuti in questa pergamena, sono fra quelli conservatici dal codice sopra descritto. All’incontro da questa pergamena soltanto ci vennero conservate due canzoni di Bruno de Thoro, l’una italiana e l’altra sarda. Questa pergamena, scritta da un sol lato, ed in nitidi caratteri e ben formati, è probabilmente uno degli esemplari, che di alcune sue poesie l’autore presentò in omaggio o al giudice di Arboréa, o ad altra insigne persona di quella età. Sul rovescio della pergamena, di mano di un antico raccoglitore di documenti sardi, pronipote del celebre storico sardo Giorgio di Lacon, e che scrisse avanti l’anno 1326 (28), si legge in lingua catalana: P. (Pergami) XX. En aquesta pergami se contenen diverses poesies del Sard Bruno de Thoro (29). L'altro manoscritto si è un’ampia pergamena originale, scritta essa pure da un sol lato, e che, come l’altra, fu un tempo convertita a (26) « Et cartavit de supradicto judice et de suis precessoribus cum multo merito ». Ibid. » (27) Vedi sopra, Doc. Pe 7. (28) MartINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacci d’ Arborca, cce., pag. 140. (29) Intorno a questa Pergamena vedi la citata opera del Martini, pag. 130-138, e il facsimile delle Pergamene III e IV. DI CARLO BAUDI DI VESME. 445 coperta di libro; la quale contiene parte di una lunga lettera, scritta sotto il regno di Comita IV di Arboréa, e perciò tra l'anno 1238 e il 1253, da Giorgio di Lacon al suo nipote Pietro. Giorgio di Lacon, il quale senza fallo conobbe Bruno de Thoro, poichè già aveva presso a trent'anni quando morì il celebre poeta suo concittadino , in questa lettera al suo nipote, dopo aver parlato delle virtù di Preziosa di Arboréa giudichessa di Cagliari, così soggiunge : « Nec animum tamen adhibeas Bruno de Thoro Kallaritano, qui in extremo quorumdam suorum italicorum carminum in aliquarum illustrium Sardoarum mulierum honorem Pretiose fame labem aspersit, quod filii sui Salucii » (fra le linee dalla stessa mano fu aggiunto, a modo di spiegazione, sive C., ossia sive Constantini, nome che Salucio assunse poichè l’anno 1129, per la morte del padre Torcotorio II, sali al trono), « quem, ut ille ca- » nebat .......maxime diligebat, licentias dissimularet, imo ejusdem » dissolutos mores, superbiam , libidinem, ac denique ipsius infortunia » eidem matri tribuebat; aliaque plura de matre ac etiam de filio dixit, » que honesti hominis considerantiam non merentur; imo hic, cum tot » contradictiones animadyertet , injustam P(retiose) lubem recognoscet. » Ut autem harum contradictionum atque illius innocentie tibi persua- » sionem inducas, non me tedet nec tibi displiceat carminum que ad » ipsam pertinent principium saltem ac f(inem) referre, queque forsan » nondum habuisti » (30). Ed in uno spazio lasciato vuoto a fianco del contesto, che continua, della lettera, inserisce le stanze 1,9, 10, 11 e 12 della canzone a Preziosa, conservataci intera nel codice sopra descritto (31). 22. Quanto finora abbiamo detto e dei poeti contemporanei di Aldobrando, e: dei manoscritti che ci conservarono i suoi e i loro scritti, ci renderà più agevole il trattare ora di Aldobrando medesimo, della sua età, e delle sue poesie. Dalla descrizione che abbiamo dato del codice cagliaritano estratto dalla Collezione di Bruno de Thoro , e degli altri due manoscritti , il Fiorentino e il Senese, contenenti poesie di Aldobrando , appare che quanto rimane di questo poeta deriva da due diversi suoi originali : l'uno (30) MARTINI, 0p. cit., pag. 147-148. (31) MARTINI, op. cit., pag. 147-150: vedasi anche il facsimile della Pergamena IV, che contiene intere queste 5 stanze. 446 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. quello che Aldobrando mandò al suo amico Bruno de Thoro in Sar- degna , l’altro quello che portò seco nell’esiglio a Palermo. Nella sua nativa Toscana già al tempo di Dante non solo non era rimasta. traccia delle poesie di questo Autore, ma si era perduta la memoria perfino del suo nome; e del pari erano perite le poesie di quei molti suoi contemporanei, dei quali lo stesso Aldobrando dice che cantarono, E manti già trovaro, le discordie italiane, e le gesta delle città collegate, Con lausor, prode, e più valenza degna, A cui fior eo non salgo, } E men vicino (32). E che tutti questi fossero ignoti a Dante, appare non solo: dal suo silenzio, mentre ei cita molti poeti di gran lunga inferiori ,, sopratutto per pregio di lingua, ad Aldobrando; ma se ne ha anche un argomento positivo. Dice Dante (33), che tre sono gli argomenti, che in poesia si debbono trattare in volgare illustre: quod est uzile, quod est delectabile, quod est honestum; ossia salus, venus, virtus; o più chiaramente arma, amorem , rectitudinem. Porta esempii di caduno dei tre argomenti in lingua d’oco; in lingua del sì reca esempii soltanto dei due secondi , ossia di poesie morali e di amorose, aggiungendone per ragione: Arma vero nullum Italum adhuc invenio poetasse. Come mai avrebbe potuto Dante dire tali parole, se fossero state superstiti al suo tempo le poesie colle quali Aldobrando e gli altri suoi contemporanei celebrarono i fatti della Lega Lombarda? Ed anche nella Yîta Nuova, dove nega trovarsi poesie in lingua del sì che fossero di oltre 150 anni anteriori a quel suo scritto, questa medesima antichità concede alle sole poesie di amore, scritte in volgare, dic'egli, da chi « volle fare intendere le sue parole » a donna, alla quale era malagevole ad intendere versi latini » (34). Onde anche è probabile, che siffatte antiche poesie, delle quali neppure nel libro de Y/ulgari Eloquio non adduce verun esempio, fossero scritte non nel volgare illustre od italiano, come quelle di Aldobrando , di (32) ALrosranpo, Canzone I, st. 3, v. 5-25. (33) De vulgari Eloquio, Lib. II, cap. XI. (34) Zita Nuova, cap. XXV. DI CARLO BAUDI DI VESME. 447 Bruno e di Lanfranco, ma nei diversi volgari o vogliam dire dialetti locali. Aggiungasi, che le poesie di Gherardo, e molte fra quelle di Aldobrando, di Bruno e di Lanfranco, sono certo anteriori al 1141, al quale anno come estremo termine ci rinviano le parole di Dante. Le discordie cittadine, e forse più il soverchiare del partito ghibellino in gran parte d’Italia al tempo del secondo Federico, e lo splendore della sua corte, e la fama dei poeti che vi fiorirono , fecero sì che, spenta interamente la memoria dell’antica scuola Toscana, la poesia volgare si credesse da molti nata ai tempi di Federigo II nel mezzodì d'Italia, e perciò aver preso nome di Siciliana. 25. La doppia origine che abbiamo accennato dei manoscritti rima- stici di Aldobrando spiega come sia potuto avvenire, che maggior numero di sue poesie si sia conservato nel manoscritto Sardo, che non in quelli di origine Siciliana. Nessuna maraviglia, che Aldobrando, nella lunga ed agitata sua vita, abbia perduto molte delle sue poesie, sì che le sole quattro che si leggono nei codici Fiorentino e Senese siensi salvate con lui in Palermo; mentre intanto e quelle, e molte altre, eransi conservate presso l’amico Bruno de Thoro, al quale a mano a mano Aldobrando le aveva spedite. E qui dobbiamo notare una circostanza, importante per la critica del testo di queste poesie. I due codici di origine Palermitana, e nelle parole e perfino nell’ortografia, generalmente concordano col Cagliaritano; la quale concordanza di codici di origine diversa fino dai tempi del- l’autore ci è garante sicura della sincerità della loro lezione: sì che di pochi antichi poeti, e forse di nessuno, abbiamo il testo primitivo con tanta certezza ed esattezza stabilito. Pure in alcuni luoghi vi ha diffe- renza; e, non computati quei rari passi nei quali può attribuirsi a svista del trascrittore, ovunque tale differenza ha luogo, la lezione dei codici di origine Palermitana ha l’ aspetto di una correzione o miglio- ramento fatto posteriormente dall’Autore al suo primitivo dettato. Tale è nella Canzone I la lezione Onrati duci al verso 3 della stanza 6 invece di Guerrieri e duci che ha il codice Cagliaritano; trattandosi difatti in quei versi de’ soli duci; laddove dei guerrieri si parla più sotto in quella e nella seguente stanza. Lo stesso credo doversi dire delle varianti al verso 30 della stanza 7 della medesima canzone, e al verso 80 della canzone seguente. 24. Le poesie nell’antichissimo codice Palermitano in pergamena del 448 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. convento di San Benedetto (codice dal quale fu tratta la copia del teso- riere Speziale, dalla quale, per mezzo di un esemplare trattone l’anno 1438 ed ora perduto, derivano i due codici Fiorentino e Senese) sembrano essere state raccolte poco dopo la morte dell'Autore da un suo amico e familiare in Palermo, il quale aggiunse alle poesie i cenni biografici che abbiamo riferito (Doc. B; vedi anche Doc. €). E difatti, oltre l’essere detto antichissimo il manoscritto, dal quale avanti l’anno 1438 lo Speziale trasse la sua copia delle poesie, e di quello che il trascrittore chiama Commentario, contenente i cenni biografici di Aldobrando: nessuno, che non le avesse ricevute dalla sua bocca medesima, avrebbe potuto con- servarci intorno ad Aldobrando sì precise notizie, la sincerità delle quali è confermata e da un attento esame delle poesie medesime, e dalle concordi testimonianze contenute nella collezione di Bruno de Thoro. Ma sovratutto fra le cose riferite in quei cenni biografici alcune, e per sè stesse, e perchè appartenenti alla prima gioventù del poeta, sono di tal natura, che mal poterono pervenire a notizia del biografo Palermitano, fuorchè direttamente per mezzo di Aldobrando medesimo. Tali sono, l essere lui dapprima stato condotto in Firenze da un suo zio; ed il fatto dell’avere lui, in età di soli diciotto anni, composto e dedicato a papa Onorio due sonetti, ossia quello a Gesù crocifisso, ed un altro che quel biografo dice perduto; dei quali due sonetti ci occorrerà parlare fra breve. Nè queste sole, ma, a chi ben consideri, tutte le notizie contenute in quella breve biografia non solo portano 1’ impronta della sincerità, ma appajono scritte da persona contemporanea, ed alla quale. appieno erano conosciute le cose e le persone delle quali discorre. 25. Egualmente sincere, ma meno abondanti e minute, sono le notizie intorno ad Aldobrando contenute nel codice Cagliaritano (Doc. E). Noi siamo d’avviso, ch’esse siano dovute all'autore della collezione Bruno de Thoro, che le avrà probabilmente poste in capo alle poesie del suo amico, da lui aggiunte alla collezione delle proprie. Non possiamo difatti, se non per la forma almeno per la sostanza, attribuirle all’anonimo raccoglitore ed annotatore del codice nella prima metà del secolo XV; poichè, da quall’altro fonte, fuorchè dalla colle- zione di Bruno, avrebbe desso potuto trarre le notizie che ci dà intorno ad Aldobrando ed al suo maestro Gherardo , poeti anteriori a lui di presso a tre secoli, e dei quali (non avendo, come Lanfranco, vissuto È i o 1x in Sardegna ) per modo veruno non avrebbe potuto pervenire colà DI CARLO BAUDI DI VESME. 449 notizia certa dopo il tempo di Bruno, mentre ogni memoria ne era spenta perfino sul continente italiano , e per soprapiù la maggior parte della Sardegna era caduta sotto la dominazione Aragonese, e anche nel resto dell’isola era cessata la potenza, e quasi interamente il commercio. di Pisa. Inoltre in quei cenni su Aldobrando è detto, che le sventure avevano affievolito il suo ingegno, e che se ne scorgeva traccia nelle sue poesie, alcune delle quali apparivano sublimi, altre plebee. Ora siccome nel codice Cagliaritano si leggono tutte le poesie di Aldobrando che si trovavano nella collezione di Bruno de Thoro (solum hec repe- riuntur in collectione dicti Bruni de Thoro: Doc. P), nè alcuna fra quelle può certo dirsi plebea: convien credere che quel giudizio intorno ad Aldobrando e alle sue poesie sia dello stesso Bruno, che quelle poesie le quali giudicava umili e plebee abbia escluso dalla sna Raccolta. Aggiungasi, che in quella breve notizia su Aldobrando si asserisce che superavit ..... omnes suos coevos; giudizio, che quanto è naturale in bocca di Bruno de Thoro, altrettanto sarebbe e sotto alcuni aspetti ingiusto, e poco probabile, se si attribuisse ad alcuno scrittore Sardo posteriore , il quale non dubitiamo avrebbe dato la palma al magno poeta (35) suo connazionale Bruno de Thoro, come pare abbia fatto già il suo contemporaneo Mariano de Lixi (36). Onde anche vediamo, come noteremo fra breve, lo scrittore del codice Cagliaritano cercare di attribuire a Bruno alcune poesie, quantunque si leggessero in co/- lectione carminum aliorum poetarum et non in primis suis, e nella collezione medesima fossero ascritte ad Aldobrando, al quale senza dubio appartengono. Riassumendoci adunque diciamo, tenere noi per fermo che le notizie intorno ad Aldobrando nei codici Fiorentino e Senese furono scritte poco dopo la sua morte da persona stata in Palermo suo familiare; e quelle conservateci nel codice Cagliaritano doversi ascri- vere al suo contemporaneo ed amico Bruno de Thoro , sebbene forse dallo scrittore di quel codice trasportate di volgare in latino e mutate nella forma, od anche, ciò che tuttavia non crediamo, compendiate. 26. Passando ora ad enumerare ed esaminare le poesie di Aldobrando. (35) Così è chiamato dal secondo annotatore del codice delle poesie di Bruno de Thoro: « 7ec » sunt verba de quadam antiqua cronaca, in qua fit mentio de illo magno poeta Bruno de Toro » MarTINI, Appendice alla Raccolta, pag. 187. (36) Se bene abbiamo supplito le parole della lacuna: « (superavit poetas omnes) alios pri(ores) » Vedi MARTINI, Appendice alla Raccolta delle Pergamene ece., pag. 186-187. Serie II Tom. XXIII. 57 450 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. come quelle che, essendo in parte di argomento storico, contribuiscono ad accertare l’età e rischiarare la vita del loro autore, ed anche quanta parte abbia avuto nella formazione della nostra lingua italiana : noteremo dapprima, che gran parte delle sue poesie andò perduta (Doc. B, $ 6, 7; canzone II, st. 2, v. 1 e 18-25); sole rimasero certe di lui due canzoni e sette sonetti; più quattro canzoni che noi teniamo per fermo essere parimente di Aldobrando, al quale difatti erano ascritte nella collezione di Bruno de Thoro, ma che molti in Sardegna attribuivano a questo poeta loro compaesano. Nè, oltre queste, altre poesie di Aldo- brando si leggevano nella collezione di Bruno de Thoro (Doc. P.). 27. Fra le canzoni, certa di lui, e sotto ogni aspetto la più impor- tante, è quella, che già fu publicata dal Martini, colla quale Aldobrando celebra la vittoria di Legnano sopra Federico Barbarossa nel 1176, e la pace o più veramente la tregua sancita nell'agosto dell’anno seguente in Venezia. E diciamo la tregua di Venezia, non la pace di Costanza, conchiusa soltanto l’anno 1183; poichè dalle stanze 7 e 8 appare, che la canzone fu composta vivente tuttora Papa Alessandro III, il quale morì il 27 agosto 1181, quasi due anni prima della pace di Costanza. E siccome il poeta dice, che molti prima di lui avevano cantato quei grandi avvenimenti , E manti già trovaro, Me deredan lasciando: noi incliniamo a credere, che la canzone di Aldobrando debba ascri- versi all'anno 1178; e ciò tanto più, che in quell’anno Papa Alessandro, che era di Siena, dell’illustre famiglia dei Bandinelli, di ritorno da Venezia passò per quella città, e nel passaggio anche vi consacrò solennemente la chiesa catedrale. Non vi ha dubio, che le grandi, e d'altronde per la mas- sima parte meritate, lodi che dà Aldobrando a quel pontefice, cui vanta CIMIRIOI, Magno, e via maggio che tale, » Magno di pie vertù, Magno di cuore, » U’ regna benvoler, giustizia, amore, ecc. » non vha dubbio, dico, che tali lodi siano in parte dovute alla circo- stanza, che Papa Alessandro era nativo di quella, che il poeta chiama « .... infra cittadi tutte la sorbella Dolce mia patria Sena ». DI CARLO BAUDI DI VESME 451 Ed è probabile inoltre, che all’amico Cola a sospingere al canto Aldobrando, poichè era rimasto per manti anni muto, fosse occasione appunto la presenza in Siena del grande Pontefice , autore di quella pace memoranda , e concittadino del poeta. 28. La seconda canzone fu per certo scritta parecchi anni prima della precedente , poichè nei versi che qui riferiamo vi si parla come di fatto non troppo lontano del supplizio di Arnaldo da Brescia , avve- nuto l’anno 1155: Or del fellon Arnaldo già vicina Prevedeste la ruina, E manti pur toglieste all’infernale Sentina d’onne male, Che folle fra le fiamme, ahi membranza! Tutta purgò fallanza; Ch’assegnaste vil legno in gonfio mare Gran follore varcare,. Poi di sue mante merci al grave pondo Volto ne vien al fondo: E grav’esso avea l’alma di gramezza, E d’onne vil brutezza. Ne duole, che nessuno dei tre codici che ci conservarono questa canzone non ci dia il nome nè la patria della persona celebrata da Aldobrando ; che se fu tale, quale il poeta ce lo descrive, ben era degno che il suo nome giungesse alla più tarda posterità, esempio di prudenza , di operosità e di virtà cittadina. Che bon sete, prudente, e saggio sommo, A cui sì alto sommo Altr' uom non sale. E qual trovar paraggio D’uomo prudente e saggio ? Voi coltando le scienze e onne savere Che porta all’uom valere, Ed acquistando beni e onne riccore, Fama ed onrato onore, Già non obriaste el bon che maggio vale, Non finito, eternale ; 452 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Che con mante limosne e a largo dare, Ed onne bon ovrare, Acataste eternal bon, celestiale...... E tempo voi teneste più dell’oro Ver e ricco tesoro, Nulla perdendo in. laide cose o vane...... Ma tutto a comun bon tuttora usando ...... Ad opere, a consigli, a pietà vera...... Or del fellon Arnaldo già vicina Prevedeste la ruina, E manti pur toglieste all’infernale Sentina d’onne male...... Este son le vertù vostre più mire. In questa imagine di persona, che mentre acquista beni e onne riccore, ottiene al tempo medesimo Zama ed onrato onore, ed ajuta di consiglio i suoi concittadini, e li soccorre con mante limosne e a largo dare: chi non ravvisa uno di quei ricchi mercatanti , pei quali sursero a fama e potenza nel secolo duodecimo i communi italiani, e nominatamente i communi della Toscana? Ma laddove in questo nostro secolo dell’oro invalse il proverbio, che i tempo è moneta, qui troviamo più nobile e vera sentenza , E tempo voi teneste più dell’oro Ver e ricco tesoro; e questa persona intenta ad acquistarsi beni e onne riccore non disgiunti da fama ed onrato onore, la troviamo al tempo stesso, con esempio ora infrequente , . +... Coltando le scienze e onne savere, Che porta all’uom valere. Alcuno potrebbe sospettare, che questo ricco e dotto personaggio, qui celebrato da Aldobrando, sia quel medesimo Cola o Nicola, che Aldobrando chiama suo amico, e cui è indiretta e a cui instanza fu composta la canzone per la tregua di Venezia. Non dubito che questo Cola sia quel medesimo Cola Usario, il quale, per estollere al paragone l'amico Aldobrando, accusò Bruno de Thoro di facitore di brutti versi, DI CARLO BAUDI DI VESME. 453 e che se alcuna cosa era in lui di buono, ei l'aveva acaztato dal Cantor di Sena: onde n’ebbe l' irosa risposta di Bruno, che di sopra abbiamo riferito (Doc. IL). Ma da codesto Cola, o Cola Usario, crediamo al tutto diversa la persona, alla quale è diretta questa seconda canzone. Con Cola il poeta parla confidenzialmente, e come ad amico: all’altro ei parla con rispetto come a suo maggiore, e più d’una volta il chiama Signore, e parla di suo servaggio verso di lui. E qui noterò un'altra differenza tra le due canzoni : differenza che ci darà occasione di mostrare un antico e non irragionevole modo della nostra lingua. A Cola, suo eguale ed amico, il poeta parla in seconda persona singolare, ossia dà del #4; al personaggio celebrato in questa canzone parla in seconda persona plurale, ossia gli dà del voî. E del # nei primi secoli di nostra lingua si davano vicendevolmente due amici : così Dante con Nino giudice di Gallura, e con Forese, allorchè li incontra nel Purgatorio (37). Del tu dava parimente un superiore ad un inferiore; ma questi al superiore dava del voi. Così quando Dante nell’ Inferno incontra il suo maestro Brunetto Latini, gli dice »....0-. Siete voi qui, ser Brunetto? E questi risponde 2 +++... O figliol mio, non ti dispiaccia Se Brunetto Latini un poco teco Ritorna indietro ...... e con simile vicenda sino al fine di quel non breve dialogo (38). Questa diversità di modi e di parole e di pensieri, coi quali Aldo- brando si esprime nelle due canzoni, non ci lasciano dubitare, ch’esse sono dirette a due diverse persone. 29. Alla terza canzone che diamo di Aldobrando è nel codice Caglia- ritano, che solo ce la conserva, premesso un avvertimento del collettore (Doc. @): che i versi che seguono non sono di Bruno de Thoro come 1 precedenti, ma di altri poeti suoi contemporanei ed amici, ai quali esso mandava le sue poesie, ed a lui essi le loro. Un'altra annota- zione in fine della canzone soggiunge: che la canzone precedente viene (37) Purgatorio, Canto VIII e XXII_. (38) Inferno, Canto XVI. 454 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. attribuita ad Aldobrando, ma che molti la credono di Bruno de Thoro, che l’abbia composta negli ultimi anni della sua vita, allorchè aveva circa novantanni , e così circa l’anno 1200. — Per noi è indubitato , che questa canzone non appartiene a Bruno de Thoro, ma bensì ad Aldobrando. E per tacere della poca probabilità di una sì facile vena poetica in un uomo nonagenario, e di uno stile sì piano, quale troviamo in questa canzone, diciamo, raccogliendo il tutto in brevi parole, che in essa e stile, e vocaboli, e pensieri, e soave mollezza, e pregi e difetti, sono quali si trovano nelle altre poesie di Aldobrando, al tutto lontani dai pregi e dai difetti poetici, o di lingua, o di stile, di Bruno de Thoro. 30. Lo stesso, quantunque in grado minore, crediamo poter asserire delle tre canzoni sorelle, contro la Maldicenza, contro l'Ambizione, e contro l’Ozio, che nel codice Cagliaritano tengon dietro ai Sonetti di Aldobrando. Il raccoglitore delle poesie contenute in quel codice dichiara espressamente, che erano ascritte ad Aldobrando , e che difatti nella raccolta di Bruno de Thoro si trovavano in collectione carminum aliorum poetarum, et non in primis suis; asserisce tuttavia che multi dicunt quod pertinent ad eumdem Brunum, e che il trovarsi nella collezione fra gli scritti di altri poeti forsitan evenit errore transumptoris. Ma, oltrechè siffatti errori dei codici non si vogliono ammettere di leggiero nè senza gravi ragioni, e qui nessuna se ne adduce; e meno che mai possiamo ammettere siffatto errore di trascrittori trattandosi di una Col- lezione, della quale erano frequenti a quel tempo i manoscritti, diversi fra loro in alcuna parte (vedi Doc. Z), ma in questo concordi; un attento confronto fra le poesie di Bruno e quelle di Aldobrando dimo- strerà, che se nelle poesie di Bruno si trovano alcuni pochi tratti simili ad altri di queste canzoni, e forse indi imitati (39), in generale tuttavia per parole, e più per giro di frasi, e pel verseggiare, e più ancora pei pensieri, queste canzoni tanto ritraggono delle altre poesie di Aldobrando, quanto si scostano da quelle di Bruno de Thoro, Il principale forse fra questi tratti proprii di Aldobrando, e bastante per se solo a distinguere (39) Per esempio, ALDOBRANDO, Canzone VI, st. 7, vers. 4, « Che corpo ad alma fan, e mondo a Deo »; e Bruno pe Tuoro, Sonetto XXVIII, « Corp'ad alma, ahi lasso me! contando ». P , DI CARLO BAUDI DI VESME. 455 gli scritti dei due poeti, sono le continue reminiscenze bibliche, onde riboccano le poesie, perfino quelle di argomento amoroso, di Aldobrando, uomo permaxime versatus în sacris scripturis et theologia (Doc. W); e delle quali non si trova traccia nelle poesie, neppure in quelle di argomento religioso, di Bruno, uomo di guerra e di corte. Alcune altre differenze indicheremo, dove porremo fra loro a paragone questi due poeti; qui citeremo soltanto due locuzioni, che si possono dir proprie di Aldobrando , poichè ad ogni tratto s'incontrano nelle sue. poesie, e delle quali appena si trova esempio in Bruno de Thoro. La prima si è la voce ron adoperata come modo di paragone, coll’ omissione di una o più particelle che si richiederebbero a rendere intero il concetto. Così nella canzone I: Non tosco invidie amare; ossia invidie amare più che non è il tosco. E nella canzone II: E vertù chiare, non è sol lucioso; e con simile pensiero, ma con più parole e più maestà, come si conveniva all’alto subjetto, nella canzone III, alla Vergine: Oh como al tuo lucior tutto ciel luce! Non è certo lo sole a questa terra, Lorchè l’empie di luce, Poi della notte le tenebre serra. E nella canzone IV, di colui che presta orecchie alla maldicenza , dice il poeta: Ahi più sovente avvien, ch’esso si rende Del mesdicente plusor maggi’ odioso; ...... Talchè facendo a croje compiacenze Doppiare maldicenze, Non maldicente più malvagio e reo E laido lo creo; cioè, Zo credo più malvagio e reo e laido, che non è il maldicente E nella;\V: Spargano pure un mar di sangue umano Mille Caini, e più non lui spietati; 456 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. E finalmente nella canzone VI: E sì che tal par lui diventa cosa, Non è certo sentina più schifosa. L'altro modo che si può dir proprio di Aldobrando, perchè in lui è frequentissimo, quantunque se ne trovi qualche raro esempio anche in Bruno, ed in altri autori di quella età o di poco posteriori, si è la voce inver usata non per verso, ma semplicemente per in, come nei seguenti esempli: Penosi dì menando Inver corrotti e pianti. Canzone I; Parva scintilla inver ceneri ascosa. Canzone II ; Che nostra fragil nave Inver onde agitate a bono porto Ne adduci. Canzone III ; La lingua del serpente, como è scritto, Parte mette di tosco inver sè piena. Canzone IV ; Lo bon, che inver ben sua vita trova. Canzone V. Dal Glossario, che soggiungiamo alle poesie, apparirà, che non vi ha quasi voce notabile in queste canzoni, che non s’ incontri anche nelle rimanenti poesie di Aldobrando. 51. Fra i sonetti che di lui ci rimangono, uno è quello a Gesù Crocifisso, che il suo antico biografo (Doc. HB, $ 5) narra avere Aldo- brando composto l’anno diciottesimo di sua età, e così l’anno 1129, e dedicatolo a papa Onorio, unitamente ad un altro, che al tempo di quel biografo era perduto. Noi crediamo che questo secondo sonetto, al quale accenna il biografo Palermitano, sia il primo fra i due di argo- mento religioso, ossia quello sulle tribolazioni, che il codice Cagliaritano ci conserva immediatamente innanzi a quello a Gesù Crocifisso. Questi DI CARLO BAUDI DI VESME. 457 due, appartenenti all'anno 1129, sono così i più antichi sonetti di data certa giunti infino a noi. Dico di data certa, poichè ben può darsi che alcuno dei sonetti di Bruno de Thoro sia più antico; e molto più ciò può supporsi dei sonetti di Gherardo, come quello che fu maestro dello stesso Aldobrando, sebbene ciò solo non basti a dimostrare la maggiore antichità di quei sonetti, poichè in quell’anno, come abbiamo sopra notato, Gherardo era tuttora in vita, e tuttora poetava. E forse non andrà lungi dal vero, chi appunto a questo Gherardo attribuisca l’inven- zione del sonetto; una cosa diviene evidente, che non ne fu inventore, come alcuni opinavano, Guittone d'Arezzo. Gli altri cinque sonetti di Aldobrando sono di argomento amoroso, e pajono composti ad un tratto, formando serie e quasi un sol tutto. Col primo si descrive come il poeta s' innamori di una giovane altera e disdegnosa; nel secondo (che solo fra i cinque si legge anche nei codici Fiorentino e Senese) e nel terzo l’amante si duole della ritrosia e dei disdegni dell’amata; nel quarto invoca la morte solo rimedio a’ suoi mali; nel quinto si dice risorto a nuova vita e libero dall’antico amore, ed alla donna che chiede mercè risponde dispettoso , che ad altri affini suoi strali , « ch’eo per te non son renato ». 25. Enumerate le poesie di Aldobrando, non sarà inutile che su di esse soggiungiamo un breve giudizio, e le mettiamo al paragone, sia sotto l'aspetto della poesia, come per la lingua e per lo stile, con quelle degli altri poeti suoi contemporanei. Ed in quanto riguarda la lingua e lo stile, non dubitiamo di unirci al giudizio del suo amico Bruno de Thoro, o qual altro siasi l’autore dei cenni biografici conservati nel codice Cagliaritano : che Aldobrando non solo superò il suo maestro Gherardo, ma anche tutti i suoi contemporanei, quelli per certo dei quali ci rimase memoria. Nessuna parola o forma plebea, o disdicente a poesia, troviamo presso Aldobrando; molte voci e forme bensì, che in parte già al tempo di Dante, ed altre poco dopo, erano cadute in disuso; ma queste medesime, a chi ben le consideri, se ora sono da schivarsi per ciò appunto che condannate dall’uso , nulla hanno o di aspro, o di basso, o di oscuro (come alcune, per esempio , presso Bruno de Thoro), che le faccia riprovare per sè medesime. Alcune si distinguono dalle odierne in ciò solo, che, più vicine all’origine, Serie II. Tom. XXIII, 58 458 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. più ritraggono della forma primitiva od etimologica : come ingegno ed ingegnare per inganno ed ingannare; inde e ’nde per ne; audire per udire; onne per ogni; como e siccomo per come e siccome. Molte poi fra siffatte voci ora disusate sono tali, che per esse sarebbe a desi- derare l Oraziano « Multa renascentur, quae jam cecidere »; poichè di parecchie nel volgare italiano ora usitato mal si troverebbe altra che con eguale forza e dignità esprima il concetto: quali sono dispietoso per privo di pietà; bailito; corale e coralmente; cherere ; gradivo; misvolere; nescienza. Altre finalmente per armonia, e, direi quasi, per rotondità e per dignità, sovrastano alle voci od alle forme che l’uso conservò in loro vece: tali sono, se il giudizio non c’inganna, allegranza; coltare per coltivare ; dilettoso ; eternale ; guaimentare ; mesdire e mesdicente ; slungiare e slungiato; valenza. Tutte queste e le rima- nenti voci usate da Aldobrando, e che si discostano dall’uso ora com- mune, diamo raccolte in fine a modo di Glossario, confermate anche, ove occorra, con esempii di altri antichi autori. Ciò che diciamo delle parole, altrettanto dobbiamo dire della loro disposizione e cosiruzione, che quasi sempre procede piana, linda ed agevole, quanto in pochissimi non solo fra i poeti di quei primi secoli, ma anche fra quelli di età assai posteriore. 59. Ma egual lode non crediamo poter dare ad Aldobrando per quanto più direttamente riguarda la sua qualità di poeta. Abbiamo, come notammo , di lui cinque sonetti amorosi, pregevoli senza fallo per dolce armonia., e per rara soavità e leggiadria di elocuzione. Ma dessi tutti troppo evidentemente meritano il grave rimprovero che Dante faceva alle poesie: di Bonagiunta da Lucca, di Jacopo da Lentino e di Guitton d'Arezzo: essi sono sola opera d’arte, e non voce del cuore; e chi li legge, dileticato ma non commosso , ne trova la ragione in ciò, che Aldobrando non avrebbe, quando scriveva quelle sue poesie, potuto dire: I mi son un, che quando Amore spira, noto, ed a quel modo Che detta dentro vo significando. Se agli altri due sonetti, e alle canzoni, che trattano argomenti DI CARLO BAUDI DI VESME. 459 religiosi o politici, non si può fare simile accusa, è per altro in essi, e principalmente nelle poesie politiche , un altro non meno grave difetto: la loro fiacchezza, la mancanza di quell’agitante calescimus illo, che fa il pocta. Quale più bello, più grande argomento, che non quello trattato da Aldobrando nella sua maggiore canzone! quale che più dovesse accendere l’animo del poeta, sì che al nobile ardore inspirati i suoi versi tutta infiammassero la mente e il cuore del lettore , cui si pone- vano dinanzi le discordie e ie sofferenze italiane, quindi la concordia e la lotta e la vittoria, la gioja e l’alterezza fatte maggiori dalla me- moria dell’onta e dei danni anteriori, e l’imperatore cacciato, e poi sceso a patti colle città che voleva soggette, e che avevano rifiutato e colle armi scosso da sè il suo impero? Eppure non v ha in quella canzone, non dico già nulla dei tremendi fulmini dell’Alighieri, quando rimprovera e scuote la serva Italia, di dolore ostello, Nave senza nocchiero in gran tempesta: tanto non domandiamo, chè Dante non ha chi lo aguagli o se gii avvicini; ma Aldobrando è lungi troppo dal vigore di parecchie fra le poesie anche del suo contemporaneo Bruno de Thoro, sebbene questi trattasse argomenti per loro natura assai meno atti a scuotere ed accen- dere lo scrittore, e quindi il lettore, che non è quello della canzone di Aldobrando. Qual gelo, per esempio, non vi stringe a quel passo , dove, dopo chiesto a Papa Alessandro che colle sue orazioni allontani dalle città gli odii e le discordie antiche, soggiunge : poi (poichè) saggi sanno, Lasso! non division dar può che danno; quasi non colla esperienza delle proprie sventure, ma colla testimonianza ei saggi, fosse ad insegnarsi agl’ Italiani il danno della divisione e delle d ggi, f d g gl’ Ital ld della d dell iscordie ! anto più ci fa maraviglia in Aldobrapdo tale freddezza d die! E tanto p g di poesia in cosiffatto argomento, in quanto sappiamo essere lui stato inimicissimo della dominazione e delle prepotenze imperiali , in tanto, che per ciò terminava fuoruscito la travagliata sua vita lungi dalla terra nativa, nell'estremo confine d'’ Italia. 34. Non vogliamo tuttavia che l'accusa che qui facciamo ad Aldo- brando si spinga oltre i giusti confini. Non crediamo che nelle sue pgesie 460 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. sia ardore e vigore quale richiede l’argomento ; ma neppure le diciamo al tutto fiacche e senza vita: e prova ne sia il seguente passo, già sopra da noi accennato, dove Aldobrando celebra quelli suoi coetanei, che gli avevano quasi preclusa la strada, cantando avanti lui le nostre discordie e le sventure, l'unione e la vittoria: Canterò denque, ch’obedir l’amico È bon, cherente in questo dì tragrande, E d’onrevole onor a Italia grande. Nè merto alcon abramo, poi che dico Ver tuo saver è neente, e men anco ora, Che manti già trovaro, Me deredan lasciando. E forse caro In campo fora entrar, dispari in forza; Ma tu, meo Cola, meo intelletto sforza. Ma, lasso! che diraggio, o accrescer valgo, A quant’essi tuttora Con lausor, prode, e più valenza degna, A cui fior eo non salgo E men vicino, han detto, onde le regna, Le citadi e castella, Creber lor fama bella? Che già, com lor talenta ed estro assegna, Pianser la trista ancella, Fior non tacendo tanti laidi fatti Di vergogna e di pianto; E ad un membraro quanto Eternal gloria e onor ad essa adduce, A prodi onrevol atti i D’onne guerrier e duce, For fallo, ver servato. Onde tacere Me porta, loco alcono non parando, U’ mea lingua temprar. Nè privo d'affetto e di poesia è il tratto, dove Aldobrando si rivolge al suo concittadino Papa Alessandro, tessendone le lodi, ed invitandolo a tenere sotto la santa sua benedizione fra le città italiane DI CARLO BAUDI DI VESME. 46% la sorbella Dolce mia patria Sena; poi anch'ella Tegn° essa via, ch’ adduce a ver onore, Fuor cui è disvalente onne altr’ onranza, È tristizia allegranza, È villania tenuta onne prodezza. Forse maggiore vita e calore che non le superstiti avevano le canzoni giovenili ora perdute dell’autore, come pare accenni egli medesimo là dove dice, appunto nella citata canzone scritta l’anno sessantesimo sesto della sua età: El calamo stemprato e ’1 polveroso Meo libr’ abraccio, non già como pria, Ma con dottante mano, como porta Ad uomo veglio sia. Bene è vero che neppure le altre poesie che ci rimangono di Aldobrando portano maggior vigore di stile o di pensieri; in nessuna egli oltrepassa quella mediocrità, che non lascia vivere gli scritti dei poeti alle generazioni future. All’incontro, in facilità e dolcezza di eloquio, nella maggior parte delle sue poesie, non la cede ad alcuno fra i poeti nostri anteriori a Dante. Il sonetto, dove finge che Amore, in dilettoso giardino, lo incenda di quella, che pur gli diceva ritrosa ed altera, è cosa sì delicata e gentile, che non può leggersi senza un vivo sentimento di ammirazione e di compiacenza; e la canzone alla Vergine, se non per forza e maestà, certo per soavità e dolcezza, può reggere al paragone con molte fra le migliori delle innumerevoli scritte sul grande e leg- giadro argomento. dd. Riassumendoci adunque diciamo, che, a parer nostro, principale menda delle poesie amorose, d’altronde leggiadre, di Aldobrando, si è, che non partono dal cuore; tutte poi le sue poesie peccano per difetto di forti pensieri fortemente espressi, e ciò anche dove più ne era d’uopo; meno cade in fallo dove non forza si richiede, ma soavità e pacatezza di modi e di pensieri. Ma qualunque pur sia il pregio poetico di Aldo- brando, non ad esso si deve l’importanza de’suoi scritti, ma all'essere questi fra le antichissime cose scritte nella lingua commune d'’ Italia, ch'egli appunto fra i primi dirozzò ed arricchì, nel modo che fra breve vrenderemo a più accurato esame. 462 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 56. Bruno de Thoro cede di assai, generalmente parlando, ad Aldo- brando per facilità e chiarezza di stile, e bellezza di lingua; ma gli è, nè di poco, a parer nostro, superiore come poeta. In tutte le sue poesie, vuoi di amore, vuoi politiche, vuoi religiose, o di vario argomento, si scorge che le sue parole sono l’espressione de’ suoi pensieri e de’ suoi affetti; e il sentimento or gagliardo e or soave che lo inspira, sa tras- fonderlo ne’ suoi versi, e quindi nell'animo del lettore. Già abbiamo riferito (Doc. IL) il forte ed iroso linguaggio, col quale respinge l’ac- cusa di un amico di Aldobrando, che i versi di lui Bruno fossero brutti e disvalenti, Od acattati dal Cantor di Sena; vediamo ora con quali franche e gagliarde parole rimproveri alla regina Preziosa, giudichessa di Cagliari, la sua debolezza verso il figliuolo Salucio, del quale, dice, essa più ammirava la vana bellezza, che non cercasse di educarne lo spirito, e formarlo a virtà e prodezza: (DD) Non di bono arrichirlo, ahi viso insano! E d’orrata proezza, mal digiunto Esso servando punto, Ma di bealtate senza pretio dono Sommesso a corruzion siccomo vano, Era, Pretiosa. Voi Di sì gran guisa poi Non savevate altro desir nè bono; Ed onne sforzo era el tenere in corte, Più prode no, ma forte In benvoglienza, ed in bellor e forma, Como in quel viso, in cui lo ciel si forma, Li lumi sui catun pugnò beare, E felice nomare, Poi visto in mortal divin bellore, Como lieto suggetto fusse ed orma D’universal sermone: Ben voi tornò ragione Di piacenza, di gioja, onranza fuore; Como onne donna di valore in esso Intendeva, e già fesso N’avea lo core, o ardea di laida fiamma. DI CARLO BAUDI DI VESME. 463 Ma qual caval, ch’a libertà s’infiamma, Lo dicen pieno di soperbia; el corre, E sfrenato trascorre, U’ meglio gire lui talenta e aggrata. Se gl’indomati spirti esso rinfiamma, Mostra tutta sua possa, Affronta valli e fossa, E boschi e fiumi; e, s'ira pur gli è nata, Tutto calpesta audace e spezza e atterra. Ma ciò del figlio esto tal dir non serra; Chè tal sventure incontra, e più flagella. 37. Ora come saggio recheremo di Bruno ancora tre sonetti, due di amore, l’altro di argomento religioso, scegliendoli fra i più facili e chiari di parole e di costruzione. (EE). O donna, se ver ver vostro dir vane, Como pertene a donna dibonare, Pari a spermento che lo spirto dane, Fermar vi savrà bon el adovrare. Dite me amar, ma son proteste vane, Che di vento non è fumo a sbuffare, Poi pensier onne slungiato stane Di me men cale presto sia a finare. Ahi ch’ingegnar me vòi, via tutto saccio! Ch’ad altri duo amador, tutto di mene - Men sian, parasti rete, ed hamo, e laccio. Che ne morraggio è ver d’affanno e pene; Ma te traita verrò pianger avaccio: Che chi duo levri corre, nullo tene. (FF). Da quel dì che con più giocondo viso Ascoltasti pietosa la meo orare, E temprando tue labia a dolce riso L’alma di gioj’ mi festi inebriare: 464 Di GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Tale allegranza pari a paradiso, Che altra quagiù non evvi a paregiare, In me dimora ognor; e piue l’aviso, Le tue bellezze intendo più a membrare. Pietà, Bealtade, ah! due gradive suore, Sono donque tuoi don piacenti e rari, Che m'’assecuran eternale amore. M° acciò li merti como me son cari, A te consacro la mia vita e il core, Donna pietosa e bella senza pari. (GG) O come lo meo tempo passat’ aggio, Mondo seguendo, e sempre peggiorando, In amor folle ed altro vil servaggio, Corp’ ad alma, ahi lasso me! cantando. Che come sòno grato e plusor maggio Piacevil canto in bella zambra stando Tutt'alma inebbria, e tolle tristo usaggio, Sì ch’uom mistero obbria, ivi allegrando: A me così, ch’ a. grande disragione, A laidir e pagar di tanta peste, Alma obbriai, e che Dio seguir impone. Ma guai a chi laidisce pura veste, E dando sotto in ovre sue a ragione, Dà loco onrato a brutte, e schifa oneste ! Ma spesso, come si può scorgere da alcuni fra i brani qui riferiti, nelle poesie italiane di Bruno (e questo è il loro principale difetto) vi ha siffatta oscurità talora di parole, ma più frequentemente pel contesto intralciato e per le molte particelle e voci omesse e sot- tintese, che il senso ne va piuttosto indovinato, che non scenda, come presso Aldobrando, agevole e naturale dalle parole: grave difetto, che naturalmente molto nuoce anche al merito di Bruno come poeta, poichè ne vengono rallentati od impediti gli affetti e i sentimenti, ch’esso mi- rava a produrre sull’animo del lettore. 38. Poco diremo di Lanfranco da Genova. Di lui non abbiamo che DI CARLO BAUDI DI VESME. 465 una canzone e un sonetto. Questo è assai lieve cosa, e per pensieri e per forma inferiore di molto al sonetto col quale Bruno de Thoro gli risponde per le rime, sebbene pure non sia questo fra i migliori di Bruno. La canzone non manca di pregio ; e se vogliamo compararla colla seconda fra quelle di Aldobrando, come quella che, fra le poesie rima- steci di quella età, più le rassomiglia e per metro e per argomento : troveremo, che per forza e ricchezza di pensieri Lanfranco agguaglia e forse sorpassa Aldobrando; ma nella locuzione gli è talmente al di sotto, da non essere possibile il paragone; chè quanto è linda, chiara e scorrevole la locuzione del Senese, altrettanto quella del Genovese è oscura, rotta, impedita e contorta. . 39. Ma oltre Gherardo e i tre suoi discepoli, Lanfranco, Bruno e Aldobrando, ci rimane di quella età uno squarcio di prosa e una canzone, ripieni di tali bellezze di elocuzione e più di pensieri, che in questo esame e confronto degli scrittori italiani di quella età non è a passare sotto silenzio. Sappiamo dalla storia , che tra le figlie di Gonnario giudice di Arboréa (morto circa il 1120) fu Elena, pretesa in isposa da Barisone, nobile e ricco Oristanese, discendente dagli antichi regoli di Arboréa; ma che circa il 1125 dessa fu dal fratello Costantino I succeduto a Gonnario data in moglie a Costantino INIL giudice di Gallura. Nel frammento di prosa del quale parliamo è narrato, a nome di Elena medesima, come una sua aja, Susanna, con ogni lusinga ed argomento cercasse d’indurla ad acconsentire a Costantino che la chiedeva in isposa, e come le cantasse e le lasciasse scritta una canzone amorosa dello stesso Costantino, la quale Elena inserisce nel suo racconto. La lingua e lo stile, meno puri e più intralciati che non quelli di Aldobrando, sorpassano di assai quelli di Lanfranco; ma sì nella prosa come nella poesia vi ha tanta verità e tanta vita, tanta soavità di pensieri, tutte le ragioni che potevano indurre Elena a cedere alle instanze di Costantino vi sono con tanta grazia, ed insieme con tanta forza ed evidenza, enumerate ed esposte, e la poesia medesima è sì piena d’affetto e di dolcezza, che, non ostante qualche oscurità e simili difetti da attribuirsi principalmente all’età nella quale visse l’autore, a quel brano di prosa non esistiamo a dare, se non per la locuzione, cerio per la forza, per la gentilezza ed in generale pei pensieri, il primo o certo uno dei primi luoghi fra quanto in nostra lingua abbiamo in prosa anteriore a Dante; e la poesia ancor essa deve certo essere annoverata fra le migliori. Resterebbe a cercare chi sia l’autore di questo aureo frammento; ma Serie II. Tom. XXIII. 59 466 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. ciò ne trarrebbe troppo fuori dell'argomento. Rimandando adunque ad altro scritto l’addurre le ragioni che ci trassero in questa sentenza, qui diremo soltanto, che sì della prosa come anche della poesia teniamo autore la stessa Elena, che alla corte fraterna conobbe senza fallo Lanfranco e Bruno de Thoro, e che dallo storico Cola di Simaghi è detta doctissima et virtuosa (40) e da Giorgio di Lacon poeta ingenio ac animo prestans (41). E come abbiamo addotto esempii delle poesie di Bruno, così anche di questo leggiadro scritto crediamo dover dare alcuni saggi. Ecco, per esempio, come Susanna encomia Elena di bellezza, e cerca adescarla ad amore. (HIM). Madonna Ellena, una giovane voi par sì gran guisa graciosa e soprana di bealtate; cui occhi, sole, orbando amador forte allu- mati dai suoi raggi, non fere vetro; la boca che pande a conforto e savere, a dolci e piacenti canti, non furon delle Sirene;... piedi, che toccando la terra o li fiori, mai non struggono, ma menan vita se morenti; che assembrate divinal creatura ad ire orrato, non cosa in terra, poi volate a leggiere ali, non gite a pisanti piedi: a valente valer di sì rade fazon, voi sola sono in poder a gran stante, sdegnerete durar voi lo giogo d’amore? Non saverete ammollar durezza, voi fa altera ver lo vostro amadore? Qual serìa donna, in lui non porria amanza, poi ciò fosse rechesto; esso che di sè voi dona padronanza, e di vostro par è prode e di valimento, e di bealtà piacente?....Ed anco diciami: Ahi cara! voi siete certo già una vermiglia rosa, che fresca spande sua grata odoranza.... Voi siete barbara con lo vostro amadore, poi private della vostra amanza, e con voi gir consentite la verdura della gaja età, e, ciò più monta, a donna: chè tempo fugge, e noi non si ridona..... Tante vostre orrate amiche, pari a voi in bealtate e maneri, dai loro amadori pugnavan farsi amar, e speso han in pro lor prode labore; chè prode labore è orratamente amare; che così vol natura e Deo. E voi sola, mia cara e deletta, ve mostrerete orgogliosa, e disvolente d’amore?...... (40) Notaio Cora DE Simacm, scrittore degli ultimi anni del secolo XII o dei primi del XIII, nella sua ZMistoria de Costantine Juigue d’ Arbaree, presso MARTINI, op. cit., pag. 292. (41) Lettera di GiorGIO DI LAcoN al suo nipote Pietro di Lacon, presso MARTINI, op. cit., pag. 147. DI CARLO BAUDI DI VESME. 467 E quando poscia le parve, che Elena non desse retta a’ suoi inviti e alle sue lusinghe, così le grida e la rampogna : Maledetta fazzon....... vana e folle bealtate ....... per tal che assembra una pomposa nave, che di vaghezza è più non valente valer; che della proa e della poppa inaurata si misora, e mostra alberi argentati, e di ricchi drappi coverta e di varie figore ornata, fuor nochier che a timon sommetta, corre u’ venta, e infra gli scogli frange; non a pietanza già ma a riso move sua disventura. E dopo nuovi rimproveri e minacce, crucciosa si allontana. Della poesia a nome di Costantino ci sia lecito recare questi pochi versi, pieni di dolcezza e di affetto : (HE) Se a sì gentil fazzone E vostro fin bellore Ne va disgiunto Amore, Che è suo fedel campione, Più don non lo diria; Che il cielo si daria Per un ben che sì piace, - Un male che tutt’uom conquide e sface. Infra vostri amadori El più fedel me tegno, Onde non curo e sdegno Spine cogliendo a fiori. E se mea bona stella A voi me adduce, o bella, Infra spera e timore Si addimora lo core. © ® 0 0 0 e 0 0 9 0 0 Se 4 » e » 0 0 0 60 40. Dall’esame delle poesie passando ora a raccogliere le sparse notizie che ci rimangono intorno alla persona di Aldobrando, alla sua patria, alla età: in che visse, e alle sue vicende: dobbiamo notare, che 468 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. tali notizie sono scarse bensì, ma meno che non siano per molti altri dei nostri antichi poeti; e, quel che più importa, nelle parti più notabili sono confermate da siffatto concorso di certissime e concordi testimo- nianze, che riesce al tutto impossibile il porne in dubio la sincerità e l’esattezza. E cominciando dal nome dell'Autore, che altri volle Aldobrando , altri Aldobrandino (il che avrebbe potuto far supporre che appartenesse alla celebre famiglia Senese degli Aldobrandini), non solo i tre codici che abbiamo delle sue poesie consentono nel nome di ALposranpo, e lo stesso nome ha l’intestazione di un sonetto e di una canzone di Bruno a lui diretti (Doc. NE ed N), ma inoltre così egli chiama sè medesimo (Canzone I, verso ultimo). Similmente la patria di Aldobrando, Siena, è accertata dalle varie brevi biografie (Doc. BB, D e E) ed altre note (Doc. A, F, &, M, 0, $, V) contenute nei codici delle sue poesie; essa è confermata dalla testimo- nianza del suo amico Bruno de Thoro, che, nel sonetto sopra da noi riferito (Doc. IL), lo chiama il Cantor di Sena; e finalmente il poeta medesimo, rivolto al Senese papa Alessandro, dice Siena sua patria : Ma infra cittadi tutte la sorbella Dolce mia patria Sena a te plusore Raccomandar diletto. Intorno alla questione poi di maggiore importanza per la storia della lingua e della poesia italiana, quella dell’età in che visse il nostro Aldobrando, notiamo dapprima, ch’ei fu contemporaneo ed amico di Bruno de Thoro, al quale mandò le sue poesie e che ce le conservò unite alle proprie (Doc. H& e IP); oltrechè, come pur ora notavamo, ci rimane memoria e i primi versi di alcune poesie di Bruno a lui dirette; ed in altra, nel sonetto pur da noi riferito a Cola Usario amico di Aldobrando, rigetta come menzognera l’accusa che i suoi versi siano acattati dal Cantor di Sena (Doc. IL). Definita adunque l’età dell’uno, rimane accertata per necessaria conseguenza quella dell’altro poeta. Ora il tempo in che visse Bruno de Thoro è posto fuori di dubio da testi- monianza di storici anche contemporanei, da antichità di manoscritti contenenti le sue poesie, e dalle poesie medesime, molte delle quali sono di argomento storico, o. dirette a principi che. regnarono: nella prima metà del secolo XH, o nei primi anni della seconda metà. Ma, ciò che più monta, l'età in che fiorì Aldobrando è con. certissima ed DI CARLO BAUDI DI WESME. 469 “ncontrastabile testimonianza confermata dalle sue medesime poesie; dalle quali scorgiamo, che fu contemporaneo di Arnaldo da Brescia, morto l’anno 11553; e che poco dopo la pace di Venezia segnata l’anno 1177, in questo dì tragrande, E d’onrevole onor a Italia grande, con quella sua canzone, che tuttora abbiamo, conservataci da tutti tre i codici che ci rimangono delle sue poesie, celebrò la gloriosa vittoria di Legnano e la lieta pace. I cenni biografici contenuti nei due codici di origine Palermitana riferiscono la sua nascita all'anno 1112 (Doc. B, S 1; vedi anche Doc. BD); e questa data dobbiamo assolutamente tenere per vera, poichè, accertato che Aldobrando visse nel secolo XII, nessun argomento può addursi per rendere sospetta la narrazione di quel biografo; e quella data combina coll’altro racconto , dei due sonetti da Aldobrando nell’anno diciottesimo della sua età dedicati a Papa Onorio. Sopratutto poi tale data si trova confermata dalla testimonianza di Aldobrando medesimo, che nella citata canzone, scritta l’anno 1177 o il seguente, sì dice veglio; era difatti nell’anno 65° o 66° della sua età. 41. Accertata così in modo incontrastabile la verità del racconto dell’antico biografo intorno alle questioni del nome, della patria, ed a quella viepiù importante dell’età di Aldobrando, più francamente oramai procederemo in raccogliere ed ordinare le rimanenti notizie che di lui ci rimangono. Era Aldobrando di famiglia già da tempo venuta di Pavia, La possente Pavia, di miei parenti, Già fu stagione, scanno; e sembra che tuttora vi avesse amici o consanguinei, poichè fra i dolori, dei quali ebbe sovrapiena L’alma, la mente e il core, e che lo resero per manti anni muto, enumera Za vendetta di Lotar tiranno su quella città, avvenuta l’anno 1136. Altri cenni non abbiamo intorno alla sua famiglia. Il nome di Aldobrando sembra essere lo stesso che il langobardico di Ildebrando; al modo stesso che la illustre famiglia degli Aldobrandini è spesso nei documenti di quella età chiamata degli Ildebrandini. Ne’ suoi: primi anni da un suo zio venne da Siena condotto a Firenze, dove fu alla: scuola: di Gherardo (Doc. V), dal quale forse attinse Vamore della poesia italiana. Il suo antico biografo racconta, come, dotato di 470 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. ‘grande ingegno, avendo fino dalla prima gioventù a disdegno la poesia latina, nella quale parimente era assai valente, si accese di amore della lingua sua italiana, e in questa scrisse parecchie poesie (Doc. B, $ 3); e già nell’anno suo decimottavo, e così verso il finire del 1129 0 poco dopo, fece due sonetti, dei quali sopra abbiamo trattato, che dedicò a papa Onorio (Doc. EB, $ 5). (Moriva Onorio II l’anno 1130). Similmente nei brevi cenni che l'antico annotatore del codice arborese dà intorno ad Aldobrando (Doc. 'E), è detto che cognovit peroptime linguam latinam. Ma delle poesie latine di Aldobrando nulla ci è rimasto; nè fa maraviglia, e non è grave il danno. Lo stesso biografo soggiunge: « et studwit etiam » propriam sue patrie, quam auxit, expurgavit, ornavit et expolivit; » Ita quod superavit magistrum suum Gherardum, et omnes suos coevos ; » parole tanto più notevoli, in quanto sono di autore Sardo, il quale quivi a suoi conterranei non dubita di anteporre Aldobrando; ed a ragione, se li pone a confronto sotto l'aspetto della lingua e in generale della elocuzione, la quale, come notavamo, è di lunga più pura, più colta, più piana ed agevole presso Aldobrando, che non presso Bruno od altro qualsiasi dei poeti suoi contemporanei. Notevole è quel passo della I canzone di Aldobrando che sopra ab- biamo riferito, dove dice che prima di lui manti già trovaro (molti già poetarono ) con molta lode intorno alle discordie cittadine , ai fatti ora tristi e ora gloriosi di quella guerra, e alla pace di Venezia che le tenne dietro. E questi canti popolari di glorie e di sventure popolari senza dubio erano nella lingua del popolo, in volgare; chè le frequenti trasla- zioni che già nel secolo seguente vediamo essersi fatte di grammatica , come dicevano, in volgare, di opere destinate alle moltitudini, dimostrano che da queste il latino più non era compreso. Quale tesoro di storia e forse di poesia, quanti preziosi documenti dei primi tempi nei quali la nostra lingua si dirozzava passando dalla favella agli scrittori, andarono perduti, per incuria dei nostri maggiori, e per le discordie e le guerre cittadine! E questo medesimo cenno, che intorno ai poeti suoi contem- poranei ci lascia Aldobrando, sarebbe andato perduto unitamente a’ suoi scritti e ad ogni memoria di lui, se non ci fosse stato conservato, non nella sua terra nativa, ma in due isole italiane sì ma lontane; in una delle: quali fuoruscito terminava la travagliata sua vita, e nell’ altra gli toccò in sorte di avere un amico, che ebbe cura delle sue poesie, e le conservò colle proprie. DI CARLO BAUDI DI VESME 474 42. Nè solo allo studio della lingua e della poesia, ma Aldobrando attese alle lettere ed alle scienze, e ne tenne scuola in Firenze; anzi è detto di lui, che in molte scienze era versato, e sopratutto nella sacra scrittura e nella teologia (Doc. EB, $ 2; Doc. 'E'). Non perciò cre- diamo che fosse chierico; che a tali studii a quel tempo attendevano anche persone al tutto lontane dal chiericato. Dante non fu egli ver- sato parimente nelle sacre scritture e nella teologia, e non troviamo anzi il titolo di Zeologo scolpito in capo all'iscrizione composta da Giovanni del Virgilio da Bologna, che si leggeva sulla sua tomba in Ravenna? Nè intorno ad Aldobrando troviamo parola o cenno che lo faccia supporre uomo di chiesa, nè nelle sue poesie, nè in alcuna delle varie memorie che intorno a lui ci rimangono, e pare anzi dal generale loro contesto doversi dedurre il contrario. Altri, considerando quanto ardente inimico fosse degl’imperatori Te- deschi e dei loro ministri in Italia (Doc. B, $ 6), potrà credere che fra le schiere cittadine o della sua Siena o. di Firenze prendesse parte alle guerre contro il Barbarossa; e questi potrebbero confermar la loro opinione con ciò che il poeta, parlando di veglio guerrier che ver primi anni Del fior del tempo suo all’armi addutio tosto soggiunge : Ch’uom bailito da vil ozio è brutto, E maggio ove sua patria ange ad affanni. Ma anche questa non è che incerta e debole congettura; e dove il poeta descrive le angosce del guerriero vinto ed astretto a fuggire ramingo Lungo i monti, e i boschi, e fiumi, e piani: le parole che soggiunge e tali a prova dico Fatti me prossimani, pajono riferirsi piuttosto a disagi ec sventure altrui delle quali fu testi- monio , che non a fatiche e dolori onde avesse egli medesimo portato il peso. Delle proprie sventure dice in ben altra forma: E taccio meo, ch’a sciente Oltra è dir sofferente. 472 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 43. Altra questione fu mossa intorno al nostro Aldobrando. Adolfo Bartoli, che primo diede notizia di questo poeta, e che, non cono- scendone ancora le canzoni, non credette potere sulla fede della sola biografia contenuta nel codice fiorentino riportarne la età al secolo duo- decimo, sospettò che l’Aldobrando poeta fosse lo stesso, al quale, sotto il vario nome di Alebrando, Alebrandino, Aldobrandino, è attribuito un Trattato Della sanità del corpo, scritto in francese Vanno 1256 ad uso di Beatrice di Savoja contessa di Provenza, come ne attesta il più antico fra i codici di quest'opera, esistente nella Biblioteca imperiale di Parigi. Questo Trattato fu poscia traslatato in nostra lingua l’anno 1310 dal notajo Zucchero Bencivenni; opera e volgarizzamento tuttora inediti. Dava un’ apparenza di ragione alla congettura, il trovarsi I’ autore nei codici francesi detto da Firenze, e nel volgarizzamento italiano da Siena; il che si spiegava colla circostanza, dell’avere l’Aldobrando Senese stabilito la sua dimora e tenuto scuola in Firenze; onde agevolmente l’antico autore del prologo premesso a quel codice francese potè tenere Aldobrando. per Fiorentino. Ma ora che è accertato, che-il poeta Aldobrando fu di un intero secolo più antico che non supponeva il Bartoli, non v' ha più ragione o mezzo di aitribuirgli il trattato Della sanità del corpo. I quand’anche, come da altri fu fatto, volessimo rigettare come una favola che questo trattato sia stato composto a richiesta della famosa madre delle tre regine, non perciò ci faremmo a mutare senza altro fondamento la data del libro, e dirlo scritto non da altri nel 1256, ma dal nostro Aldobrando nel 1156; e ciò non solo perchè conviene andare assai guar- dinghi nel mutare così a talento le notizie trasmesseci dagli antichi documenti (e ne abbiamo una prova nell’errore nel quale un simile pro- cedere trasse il Bartoli), ma ancora perchè, se molti furono gl’Italiani che scrissero in francese nel secolo XIII, rari esempii e forse nessuno ne troviamo nel precedente. E meno ancora, quantunque non discor- dassero i tempi, sebbene il nostro Aldobrando sia detto versato în. molte scienze, e perciò fors’anche in medicina, sapremmo indurci ad attribuirgli questo trattato, se è vero, come ne attestano alcuni codici, che fu com- pilato in Parigi, dove, a quanto pare, il nostro Aldobrando non fu mai; come certo non fu, quale è detto l’autore di quel libro, medecin du Roy de France (42). (42) I viaggi di Marco Poro secondo la lezione del codice Magliabecchiano più antico, reintegrati col testo francese a stampa, per cura di ApoLFO BARTOLI; Firenze, Le Monnier, 1868; nella Pre- fazione, da pag. LIX a LXII. DI CARLO BAUDI DI VESME. 473 44. Maggiori e appieno sicure notizie avremmo senza dubio intorno ad Aldobrando , se non fossero perite le poesie a lui dirette dal. suo amico Bruno de Thoro, ma delle quali colui, che nella prima metà del secolo XV scrisse il codice Cagliaritano, inserì ai loro luoghi i soli primi versi, perchè già le aveva, dic’ egli, in altro quaderno (vedi Doc. MH ed N). Il sonetto inscritto 4d A/dobrandum Senensem comincia col verso Assai me pesa, e amara pur me torna, e sembra perciò alludere alla notizia giunta a Bruno delle persecuzioni ond'’era fatto segno il poeta Senese. — Una canzone di Bruno de Thoro ad Aldobrando cominciava coi versi Se ver l’amico l’uom gioj’ e conforto A le sue doglie e affanni, ed è intitolata 44 Aldobrandum, quem ab inimicis oppressum rogabat ut apud se confugeret. Si ha quindi una conferma della notizia dataci da ambedue i biografi di Aldobrando (Doc. BB, $ 7, e Doc. W) delle persecuzioni onde fu vittima. Vi scorgiamo parimente, che l'amicizia tra Bruno ed Aldobrando durò fino agli ultimi anni di questo poeta, nei quali (2 extremis vite sue annis) fu costretto ad esulare per iscampare dalla prepotenza de’ suoi nemici; e questa durata della loro amicizia si deduce anche dal vedere, che tra le poesie trasmesse a Bruno da Aldo- brando vi ha la canzone Come veglio guerrier, da lui composta nella sua vecchiezza, e, come vedemmo, soli otto anni prima della sua morte. — Alla detta canzone di Bruno nel codice onde fu tratto il Cagliaritano teneva dietro immediatamente una, della quale i due primi versi, soli conservatici dal trascrittore, sono: Te diede el ciel un’angela compagna, Che d’allegranza magna. Se l’inscrizione preposta nel codice Cagliaritano alla precedente canzone deve riferirsi anche a questa (e noi quasi il crediamo ; al modo stesso che l’inscrizione Ad Constantinum judicem Calarit. preposta alla canzone Di voi canto o Signore sembra doversi riferire anche alle due seguenti), verremmo da questi versi a conoscere, che le afflizioni di Aldobrando nella vita publica furono compensate dalle più pure gioje domestiche; e forse dovremmo dire discendente da questo nostro poeta Serie II. Tom. XXIII. 60 474 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. quell'Alebrando o Aldobrando, che abbiamo pur ora veduto nel secolo seguente medico del re di Francia, e autore di un trattato Della sanità del corpo ; e ci si spiegherebbe fors'anche come alcuni lo dicano Fiorentino, ed altri Senese, perchè originario dell’una e nativo forse dell’altra città, o da lunghi anni almeno in essa dimorante. Dalle poesie amorose che di lui ci rimangono nulla non è dato raccogliere intorno alla verità della nostra congettura, nè alle altre vicende della sua vita, essendo noto come a quei tempi, nè a quei tempi soltanto, tali poesie spesso si facessero meno a sfogo di passione, che non ad esercizio d’ingegno; e ciò, come sopra abbiamo avvertito, appare più che mai manifesto in questi sonetti di Aldobrando. 45. Le varie notizie rimasteci intorno a questo poeta consentono in ricordare le gravi persecuzioni ch’ebbe a soffrire da’ suoi nemici, cagionate sì dall’ invidia di emoli, sì dall’ardore col quale si oppose alle pretensioni ed alle vessazioni degl’ imperatori e dei loro uffiziali in Italia. Quanto difatti il suo animo fosse acceso contro gl’ imperatori germanici si scorge da varii passi della principale fra le sue canzoni ; poichè e Lotario I vi è chiamato #rarno (st. 2, v. 10); e quello che da Dante è detto 7 buon Barbarossa, dall’Aldobrando, quantunque già fosse segnata la pace a Venezia, ha nome di zrafero (ficrissimo) (st. 5, v. 23); infernale Fero dragon brutale (st. 6, v. 11-12); volpone (st. 8, v. 6); struttor delle cittadi onrate, A dritto lui negate (st. 5, v. 6). Ma in qual modo questo suo gagliardo avversare la dominazione imperiale sia stato cagione ad Aldobrando prima di persecuzioni, e poscia di morire fuoruscito nella lontana Palermo , forse rifuggitosi presso il re Guglielmo, male si può conoscere, sia dalle scarse notizie che ci rimangono della sua vita, sia dalla storia delle città della Toscana a quel tempo. Aldobrando, nato in Siena, si trasferì giovane in Firenze, dove fu scolaro di Gherardo, e poscia tenne egli medesimo scuola di lettere e di scienze. I casi fortunosi di Aldobrando sono adunque connessi colla storia e colle vicende di Firenze, o con quelle di Siena? Un attento esame degli avvenimenti politici di queste due città ci porrà forse sulla strada di definire per congettura la questione in modo non difforme dal vero. Fino da prima della metà del secolo XII incominciò tra Firenze e Siena una lunga lotta per gelosia di potenza, e nominatamente pel possesso dapprima di Montepulciano, e poscia di altre terre. Varie furono le vicende della guerra, ma più frequentemente i Senesi ebbero la DI CARLO BAUDI DI VESME. 479 peggio, in tanto, che una volta i Fiorentini si spinsero fino alle porte di Siena, e messo fuoco nei borghi, ne arsero una parte. Durante la lunga ed accanita lotta fra le due città mal possiamo comprendere, come ad Aldobrando bastasse l’animo di mantenersi lontano da quella, che pur ne’ suoi ultimi anni chiamava la dolce sua patria Sena, e continuasse a dimorare nella nemica Firenze. E da questa lotta appunto fra le due città ebbero , crediamo, principio le sventure del nostro poeta; poiché egli medesimo enumerando le cagioni che lo tennero per manti anni muto, e che D’orror tragran m’ han priso, e sovrapiena L’alma, la mente e il core, E già secca ogni vena: prima fra tutte adduce appunto le fraterne ire in onne passo Di questo loco a orranza già tenuto, E le discordie consumanti e gli odi Ver cittadi germane...... Non da matrigna già ma madre sorte. Oltreciò Firenze fu nel secolo XII costantemente ed unanimemente guelfa, ed in lotta contro le vicine città ghibelline, e sopratutto contro i signori del contado, che tenevano per l'impero, dal quale ripetevano i loro feudi, e del quale si facevano scudo contro i Fiorentini che a mano a mano cercavano di assoggettarli al loro commune. Siena invece durante la guerra della Lega Lombarda tenne bensì per la Chiesa, come ne fa fede il Villani (43), e, testimonianza in questo argomento assai più sicura, lo stesso Aldobrando, che dice della sua Siena, che anch'ella Tegn’essa via ch’adduce a ver onore. Ma in Siena la parte che teneva per la Chiesa e Il imperiale erano pressochè eguali di forze; e poco avanti il tempo della Lega Lombarda (43) « Nel detto anno 1184 Federigo primo imperadore...... assediò la città di Siena, ma non » l’ebbe. E queste novitadi fece alle dette città di Toscana, imperciocehè non erano state di sua » parte ». GIOVANNI VILLANI, Cronica, Lib. V, cap. XII. 470 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. gl’imperiali venutivi alle mani con quelli di parte contraria, li avevano cacciati della città; e poco di poi rientrati, ne cacciarono a loro volta gl'imperiali. Che anzi nel bollore medesimo della guerra contro Federico troviamo, che nei dintorni di Siena si tennero convegni dei deputati delle città e dei signori di parie imperiale, e che anzi dapprima Rinaldo arcivescovo di Colonia, e poscia Cristiano arcivescovo di Magonza, furono per l’imperatore in Siena. Pare adunque che in questa città il partito guelfo di poco soverchiasse, e forse meno per forza propria che non per l’ajuto e l'autorità di Papa Alessandro , che era egli medesimo di potente famiglia Senese. Morto questo Pontefice soli tre anni dopo che Aldobrando scrisse la sua canzone, piena di odio contro l’imperatore e 1 suoi seguaci, è probabile che, almeno per alcun tempo, il partito imperiale in Siena avesse il di sopra; a combattere ed opprimere il nostro poeta agli uomini di parte contraria si unirono, come ne attestano concordi le notizie palermitane e le arboresi, gli emoli e gl invidiosi. E già il poeta in più di un luogo accenna, che a più d'uno erano per riescire contrarie le parole che dettavagli coscienza, e diritto, e amore di verità; e nella licenza della canzone chiede a Cola, che difenda questa dai nemici, che cercheranno di farle onta per vendicarsi del caro suo Aldobrando ; e gli emoli e gl’ invidiosi egli pone fra quelli che più lo contristarono, e in lui seccarono ogni vena di poesia: Le seguenti Vili brighe a membrare, Non tosco invidie amare, E aitre miserie, e male spergitore. Crediamo adunque, che le tristi vicende della vita di Aldobrando debbano attribuirsi all’alterno soverchiare delle parti, imperiale e della chiesa, in Siena, congiunto alle brighe e all’astio degli emoli e degl’in- vidiosi; e che la sua fuga a Palermo sia stata prossima conseguenza della morte di Papa Alessandro, avvenuta, come abbiamo più sopra accennato , l’anno 1181. Ed in ogni caso questa fuga di Aldobrando a Palermo, quasi più non restasse un palmo di terra sicuro per lui o tranquillo sul continente italiano, non può rimandarsi molto oltre quel- l’anno, ne differirsi fino all’anno 1184 o 1185, nel quale Federico, già ridisceso in Italia per rinforzarvi le sue parti anche dopo segnata la pace a Costanza, fu in Toscana, dove assediò Siena ma non l’ebbe, DÎ CARLO BAUDI DI VESME. 499 come ne attesta il Villani; poichè, dicendone il suo biografo, ch'ei si rifugiò a Palermo in extremis vite sue annis (Doc. B, $ 1), appare ch’ei passò alcuni anni in quella città, nè vi si rifuggiva soltanto l’anno 1185; essendo ivi morto già l’anno seguente 1186, settantesimo quarto della sua età. 46. A quanto abbiamo esposto si restringono Îe notizie che ci riman- gono intorno ad Aldobrando: notizie scarse invero, e che intorno a parecchie circostanze della sua vita sono fondate in parte sopra indizii e congetture, più che sopra certe e chiare testimonianze; ma che cer- tissime sono nelle loro parti più essenziali, e particolarmente in quanto riguarda l'età e la patria dell'Autore. 47. Ma per quanta importanza possa avere per gli amatori della storia della nostra lingua e della poesia il conoscere scrittori italiani anteriori di circa un secolo ai più antichi, dei quali prima del disco- primento delle carte di Arboréa si avesse notizia: una speciale importanza hanno, a parer nostro, gli scritti di questi antichissimi poeti, e parti- colarmente quelli di Gherardo e di Aldobrando, in quanto appunto al lofo tempo e per loro opera crediamo essere sorta dai volgari.di Toscana, e nominatamente dal fiorentino, quella che, mutatasi poscia alquanto col volgere dei secoli, divenne ed è la lingua nobile e scritta, la lingua commune di tutta Italia. — Ma per meglio spiegare e confermare questa nostra proposizione sarà necessario, che da più alti principii prendiamo la nostra dimostrazione. 48. Consentono oramai tutti quelli che trattano dell’ origine delle lingue neolatine, che nell’imperio Romano contemporaneamente alla lingua colta e degli scrittori esisteva, probabilmente anche nelle città, certo poi fra i rustici, una, se così posso esprimermi, varietà della lingua mede- sima, la quale con proprio vocabolo potremmo chiamare dialetto, poichè appunto lingua parlata e non scritta, e simile ma pur diversa senza fallo nelle varie province, secondo la maggiore o minore influenza che sulla lingua venuta di Roma coi pubblici ufficiali, colle milizie, coi traffichi, vi ebbero, sopratutto nella pronunzia e nella costruzione, le antiche lingue in uso nei paesi conquistati. E resiringendo all'Italia il nostro discorso, noteremo, come delle voci e delle forme aliene dalla lingua seritta latina, e proprie dei volgari italici dei nostri giorni, troviamo fino dai tempi della republica esempii nella lingua rustica romana; esempii che divengono a mano a mano più 478 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. frequenti nei documenti dei tempi inferiori. Lingua scritta non pare essere stata mai questo romano rustico, nemmeno fra quelli che costan- temente ne facevano uso nel favellare. Se non che, come vediamo anche oggigiorno nella maggior parte dei luoghi dove altra è la lingua scritta altro il dialetto parlato, se persone idiote vogliono scrivere, intendono bensì ciò fare non ne! dialetto ma nella lingua, la quale tuttavia, senza avvedersene, deturpano di voci e modi tratti dal dialetto, nel quale sone usi di esprimere parlando i loro concetti: così avveniva allora, che nelle iscrizioni poste da servi o da altre. persone rozze, quantunque evidentemente appaja, che chi le poneva intendeva scrivere in latino , pure vi si trovano voci e modi del romano rustico, e in tanta maggior copia, quanto più le inscrizioni appartengono a persone incolte, e ven- nero poste non colla intenzione che passassero alla tarda posterità. Quindi copiose e notevoli sono, per esempio, tali forme proprie dei recenti volgari nei grafiti di Pompei, coi quali da servi o da liberti, da bot- tegaji, da soldati, e simil gente, si scrivevano sui muri avvisi, ingiurie, inviti, motti amorosi od osceni, imprecazioni, od altri simili sfoghi dell’animo non guidati dall'arte. Nei tempi più recenti occorrono fre- quentissime tali forme volgari nelle inscrizioni funebri cristiane, molte anche nei contratti e altri simili documenti giuridici, conservatici prin- cipalmente nei papiri. Ma quantunque la purità della lingua latina andasse di mano in mano corrompendosi anche presso le persone colte, (che ne facevano uso e negli scritti, ed anche tuttora, crediamo, nel parlar familiare), e vi s’ introducessero parole e sovratutto modi della lingua rustica: teniamo tuttavia per fermo, che ancora al principio del secolo VII la lingua latina propriamente detta, la lingua cioè degli scrittori, in Italia era ancora compresa dalle moltitudini. E ciò, oltre altri indizii, deduciamo da un passo di Gregorio Magno, dove in iscusa dei solecismi e delle voci non prettamente latine delle quali fa uso, adduce la necessità di farsi intendere dal popolo, pel quale scriveva e predicava; ma tale necessità non lo condusse sì oltre, che avesse ad abandonare o nello scrivere o nel predicare la lingua latina, e fare uso del rustico volgare. Che più? perfino durante i due secoli, nei quali la maggior parte d’Italia fu soggetta ai Longobardi, la sola lingua scritta in tutta Italia fu la latina, sebbene, pel crescente difetto di studii e altre cagioni, ciò che s' intendeva scrivere in latino riescisse sì intralciato di costruzione e barbaro di vocaboli e talmente ripieno di errori, che: DI CARLO BAUDI DI VESME, 479 quegli scritti sarebbero di lunga riesciti più piani ed agevoli ad intendere, se quei buoni notari o chierici li avessero stesi nel loro volgare. Due ragioni particolarmente mantenevano il latino come lingua scritta , non ostante che oramai a tutti fosse mal conosciuta, perfino a quelli che dovevano per ragione del loro ufficio, come i notaji ed i chierici, di continuo farne uso. Prima ragione erano le leggi, le formole giuridiche, la memoria e la maestà del nome Romano, della quale la lingua latina era avanzo e quasi perenne testimonianza ; nè ciò nelle sole parti d'Italia che rimasero soggette all’ impero, ma anche in quelle cadute sotto la dominazione Langobarda , nelle quali medesime l'umile -fortuna non aveva spente, anzi aveva forse rese più vive, le aspirazioni romane. Altra cagione non meno potente, e certo più durevole, fu la religione. Dal secondo secolo, per quanto pare , dell’era volgare, la Sacra Scrittura dal greco era stata traslatata in latino, in quella che communemente è conosciuta sotto il nome di versione italica antica. Essa, sebbene abbia frequenti idiotismi derivati dal volgare parlato, è tuttavia in latino pro- priamente detto, e del quale solo si faceva uso scrivendo ; ed in latino naturalmente erano e seguirono ad essere le preci, e quant'altro si riferiva al publico esercizio della religione : uso che presso noi sopravisse alla intera caduta del latino come lingua nazionale. 49. Ma se la lingua latina era tuttora la sola lingua scritta, può dimostrarsi con varii argomenti, come nella favella nei secoli VII ed VIII già si facesse uso esclusivamente dei volgari. La conquista avendo portato in Italia intere popolazioni Germaniche e di altre nazioni, le quali, come è noto, in breve, deposte le loro lingue, presero quella delle popolazioni in mezzo alle quali vivevano: è chiaro, che la lingua da essi parlata non potè essere l’antico latino, pressochè ignorato perfino dai notari e dai chierici, ma quella che volgarmente si parlava da tutte oramai le classi della popolazione. Di questa lingua, similissima già alla- italiana, numerose sono le tracce nelle leggi, nei contratti, e in tutte gene- ralmente le scritture di quella età. Nell’editto di Rotari troviamo parole prette italiane a, da, mano , capo, favola, cavallo, molino , lancia, spada, pero, noce, ulivo, rovere; olire quelle più numerose, italiane di indole, barbaramente latinizzate. Ma ciò che viepiù dimostra l’uso commune a quel tempo dei volgari italici, si è il vederli sopratutto impiegati dove, nelle cronache o nei contratti, o si riferiscono le parole di alcuna persona, evvero, colla consueta formola locus qui dicitur o altra simile, 480 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. s' indicano i nomi, pressochè tutti volgari, delle località delle quali si fa menzione. 50. Se non che in tutti questi passi troviamo bensì vestigia eviden- tissime dei volgari italiani, e parole volgari inserite nel contesto, ma gli atti medesimi appajono scritti in latino. Di tratti o proposizioni intere, che secondo la mente di chi le scrisse siano in volgare, troviamo i più antichi esempii di certa fede în atti stipulati in Sardegna (44). Nè è maraviglia ; poichè, siccome dal tempo che quest’ isola si staccò dalla dominazione Bizantina il greco e il latino avevano cessato di esservi lingue ufficiali, e tutti gli atti publici vi si stendevano nel volgare locale: ove in alcun atto intervenisse con Sardi persona del continente italiano, era naturale che, non potendo porre la sua sottoscrizione nel volgare dell’altro contraente, la ponesse nel proprio; al modo stesso che troviamo sottoscrizioni gotiche apposte da Goti ad atti latini in Italia. Ma qui è nostra intenzione esaminare le sole tracce dei volgari italici che troviamo sul continente d’Italia; il trattare l'importante questione dei volgari in uso in Corsica, in Sardegna, e in Sicilia, esigerebbe un lungo esame particolare. 54. Il più antico esempio, anzi il solo anteriore al mille, che sul continente italiano ci rimanga di un intero concetto deliberatamente espresso in un volgare italico , ci fu conservato in una carta originale dell’archivio di Montecassino, dell’anno 960, contenente un giudicato o placito di Aregiso giudice, in favore di quel monastero, per una lite di confini (45). In quel placito, che nel resto è interamente in lingua latina, il giudice Aregiso propone ai testimoni che testificando dicant: Sko cur CHELLE TERRE PER CHELLE FINI QUE CONTENE, PER TRENTA ANNI LE POSSETE parte sancri BenepICTI, et firmarent testimonia ipsa secundum lege per juramenta; ed i tre testimonii, i quali erano chierici, avvertiti ad uno ad uno (quem monuimus de timore Domini, ut quod de causa ipsa veraciter sciret, indicaret nobis), caduno a sua volta ripete la testimo- nianza: Suo che chelle terre per chelli fini che ki contene, trenta anni le possete parte sancti Benedicti. Da questo passo scorgiamo, come del volgare si facesse uso anche (44) Esempii riferiti nel Memoriale di ComitA DI ORRù, presso MARTINI, Appendice alla Raccolta delle Pergamene, ecc., pag. 124. (45) GaTTOLA, ad historiam abbatiae Cassinensis accessiones; T. I, pag. 68, 69. DI CARLO BAUDI DI VESME. 481 nei placiti, sebbene poi dal notajo si scrivessero per grammatica , ©, come anche dicevasi, per lettera, appellazione la quale essa pure dimostra, come il solo latino fosse allora lingua scritta. Così senza dubio in volgare già si facevano talvolta le omelie o prediche nelle chiese: del che abbiamo parecchie testimonianze, e fra le altre il celebre epitafio apposto a papa Gregorio V (morto l’anno 999) : Usus francisca, vulgari, et voce latina, Instituit populos eloquie triplici. 52. Ma se l’uso del volgare era divenuto oramai universale nella favella, non crediamo che prima del mille se ne facesse uso negli scritti, neppure in quelli pei quali il loro argomento più pareva richiederlo. E questo diciamo, non tanto indotti dall’argomento negativo, del non essere verun tale scritto pervenuto infino a noi, quanto mossi dalla prova positiva contraria, dell’esserci rimaste cose latine di quella età, che senza fallo sarebbero state composte in volgare, se di questo già si fosse fatto uso negli scritti. Ne sia ad esempio il ritmo da cantarsi dalle scolte alla custodia delle mura di Modena, che dal Muratori, crediamo a ragione, è riferito alla prima metà del secolo X. (46). L'uso dei volgari italici nelle scritture cominciò, a parer nostro , in sul principio del secolo XI, e d'allora in poi andò di mano in mano estendendosi. Ciò si dovette senza dubio in parte alla sorgente indi- pendenza dei communi dall'Impero durante la lunga lotta per le investi- ture; ma più di altra cosa vi contribuirono i commerci, e gli stabilimenti di vario genere, che molte città italiane già a quel tempo avevano fuori del continente Italiano. Di Venezia sappiamo da Dante, che essendovi in sul principiare del secolo XIV stato mandato ambasciatore di Guido da Polenta signor di Ravenna, e nel senato avendo incominciato a con- cionare in latino, che tuttora era la lingua pubblica e quasi direi ufficiale in tutta Italia, gli fu mandato dire, « che cercasse d’alcuno interprete, o mutasse favella » (47); onde appare che già da lunghissimo tempo il latino era ivi in disuso, poichè perfino quei gravi e venerabili Padri, (46) MuratORI, Antiquitates Italicae, T. INI, pag. 709, 710. (47) Lettera di Dante a Guido da Polenta, nelle Opere Minori di DANTE ALIGHIERI publicate dal FRATICELLI (Firenze, Barbera, 1857), Vol. IIT, pag. 500-506. Vedi anche FRATICELLI, Storia della Vita di Dante ( Firenze, Barbera, 1861), pag. 258-260. Serie II Tom. XXIII. FI dm 452 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. come li chiama Dante, più non intendevano altra lingua che il volgare loro nativo. Per simil modo Pisa e Genova, e per simile cagione, furono senza dubio fra le prime a far uso del volgare nelle scritture. Ambedue queste città fino quasi dal principio e durante tutto il corso del secolo XI ebbero parte aitivissima alla cacciata dei Saraceni di Sardegna; onde crebbero i commerci delle due città con quell’ isola, e Pisa ne ebbe aumento di potenza; poichè dei quattro giudicati, nei quali era divisa la Sardegna, tre vennero in mano di signori Pisani. È chiaro, che le relazioni sì di com- mercio come di signoria tra i Sardi e i Pisani non potevano aver luogo in latino, lingua a quel tempo quasi al tutto ignorata in Sardegna, nè certo gran fatto conosciuta dai mercatanti Pisani; esse dovevano aver luogo o nel volgare di Sardegna, o in quello italico di Pisa. Che desse ebbero difatti luogo nel volgare italico appare dall'essere scritti in questo gli antichi statuti delle città che erano soggette a Pisa, come il Brepe porius Kallaritani, e il Breve di Villa di Chiesa; ed in questa seconda città sulla facciata della chiesa principale leggiamo una iscrizione italiana dell’anno 1285, che dice, essere stata edificata quella chiesa. essendo podestà Messer Pietro Canino pel Conte Ugolino de Doneratico. Che più? nei tempi che precedettero la conquista aragonese, anzi lungo tempo ancora dipoi, la lingua italiana, introdotta dai Pisani e dai Genovesi, era divenuta lingua volgare di parecchie città di Sardegna; il che dimostra l'antichità di tale introduzione. Altro valido argomento dell’essere stato il volgare italiano introdotto in quell’'isola fino dal. secolo XI l'abbiamo in ciò, che già nella prima metà del secolo seguente vi vediamo fiorenti alla corte di Arborda i poeti dei quali sopra abbiamo trattato, Bruno de Thoro e Lanfranco, ed Elena figlia del giudice Gonnario di Arboréa. Ma se non può, a parer nostro, dubitarsi, che già nel secolo XI Pisa e altre città commercianti d’Italia facessero uso del volgare negli statuti e ordinamenti relativi al loro commercio, e nelle loro relazioni publiche e private coi popoli di lingua diversa ma pur affine alla loro: gli esempii ne sono periti, per le ragioni medesime, per le quali, sebbene ora sia indubitato che vi furono poeti italiani durante tutto il secolo XII, or fa pochi anni nonchè il nome, ne era al tutto perita fin la memoria. Un solo esempio ci rimane di statuto del secolo XI in volgare: gli Ordinamenta et consuetudo maris edita per consules civitatis Trani, portanti la data del 1063, stampati in fine degli statuti di Fermo in Venezia l’anno 1507. Noi, col Pardessus, e con altri parecchi, crediamo, DI CARLO BAUDI DI VESME. 483 non essere quegli ordinamenti un volgarizzamento dal latino, nè esservi probabile ragione per negare la loro sincerità; tanto più, che di questo statuto troviamo fatta menzione siàù in un documento dell’anno 11284. 5 Ma siccome in principio del secolo XVI ogni publicazione di antichi scrittori e documenti volgari soleva rimodernarsi, e rendersi più somi- gliante alla lingua allora usitata, teniamo per fermo che nella stampa del 1507 quello statuto perdette gran parte della primitiva sua forma napoletana; come vediamo, la locuzione essersi ancora maggiormente gni caso è a desiderare, che diligenti ricerche facciano ritrovare l'antico mano- rimodernata nella ristampa fattane in Fermo l’anno 158g. In o scritto di questi Ordinamenti e consuetudini di mare di Trani, che ora non fa molti anni pare si conservassero tuttora nell’archivio municipale di Fermo (48). 53. Ma e la dichiarazione che abbiamo addotto dei tre testimonii in favore di Montecassino, del secolo X., e alcune poesie che abbiamo del secolo XI, e insomma quanto in volgare fu scritto in Italia avanti il 1100, fu scritto nei varii volgari municipali, e non in una lingua che alcuno considerasse come commune a tutta Italia, o a gran parte di essa. Lingua italiana commune era il latino, del quale i volgari si tenevano come una forma corrotta; e chi di questi faceva uso, mirava soltanto ad essere compreso nella ristretta cerchia de suoi concittadini, o al più de’ suoi vicini. L'esame delle poesie di Gherardo e de’ suoi discepoli , e sopratutto di quelle di Aldobrando, e le notizie che intorno a questo ci danno i suoi antichi biografi, ci fanno conoscere, che loro si deve questo insigne merito, di avere cercato di creare una lingua commune italiana, diversa dai varii volgari allora in uso; e, ciò che è più note- vole, questo loro ardimento, corrispondente ai bisogni del tempo, ebbe un esito che sorpassò se non i loro desiderii, certo di gran lunga la loro aspettazione; sì che mentre, per esempio, la lingua francese del secolo XII è quasi al tutto altra lingua da quella di cadi. la lingua di Aldobrando è, con non gravi differenze, quella medesima, che per RESSE O RSI IAA SIRIO la rc rc©@@m@t@—@—t@—t1t1tt1t’@t@r1tTtt@ror@@#9 (48) Cantù, Schiarimenti e Note alla Storia Universale, Torino, 1841; Vol. IV, pag. 649, Not. — Ma non è esatto ciò che in questa nota dice il Cantù, che il Pardessus asserisce trovarsi detti statuti italiani di Trani in un esemplare in pergamena degli statuti di Fermo, anteriore certo al tempo della stampa. Il Pardessus dice semplicemente , nell’Archivio di Fermo trovarsi un esemplare in pergamena dell'edizione di Venezia 1507, nel quale esemplare parimente si trova il delto statuto di Trani in italiano. 454 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. gli scritti di Dante, del Petrarca e del Boccaccio divenne ed è la lingua commune d’Italia dalle Alpi al Lilibeo. 54. Abbiamo veduto, come, dei due antichi biografi di Aldobrando, l'uno dica ch'egli jam ab juventute magno amore exarsus ob suam linguam. italicam , ad eam incubuit, magnam operam ob id ponens (Doc. B, $ 3); e più chiaramente ancora l’altro biografo, che, come dicemmo, crediamo essere l’amico di Aldobrando Bruno de Thoro: cognovit peroptime linguam latinam, et studuit etiam propriam sue patrie, quam auxit, expurgavit, ornavit et expolivit (Doc. T). 55. Prima di farci a spiegare il senso, e, direi quasi, la portata di queste parole, e quale sia la parte avuta da Gherardo, e più da Aldo- brando, nella formazione della lingua italiana, crediamo utile premettere alcune osservazioni. La prima riguarda un tentativo simile a quello di Aldobrando, che più tardi fu fatto intorno ad altri dialetti italici, come appare dalle seguenti parole di un insigne filologo, che publicò parecchi antichi scritti in volgari italiani : il signor Adolfo Mussafia, Professore di Filologia neolatina nell’ Università di Vienna. « Fu già da molti osser- vato,» dic’egli, « che durante i primi due secoli della nostra letteratura, » allato alla lingua del centro d’Italia (che mercè i numerosi ed illustri » suoi scrittori si sollevò ben tosto alla dignità di lingua scritta, com- » mune all'intera penisola) esisteva nel settentrione d’Italia una specie » d’idioma letterario, il quale sebbene in certe parti tenesse or dell’uno » or dell’altro dialetto, secondo la patria dello scrittore, aveva però » molti caratteri communi. Era un parlare non privo di coltura, con » non poche reminiscenze latine, con gran numero di quelle eleganze » che non erano nè toscane, nè provenzali, nè francesi esclusivamente, » ma proprie di tutti gl’idiomi neolatini che nel medio evo pervennero » a letterario sviluppo. Se le condizioni letterarie e politiche le fossero » state propizie, una tal lingua scritta si sarebbe fissata nel settentrione » dell'Italia, e sarebbe diventata un nuovo idioma romanzo, molto affine » all'italiano, ma pure distinto da esso, a quel modo ed ancor più che il » catalano, a cagion d’esempio, era dal provenzale. Per buona ventura » dell’Italia tali condizioni mancarono ; cosicchè fra breve quest'ombra » di lingua letteraria, speciale al settentrione, sparì » (49). Questo (49) Monumenti antichi di Dialetti italiani, publicati da ApoLro MussariA, Professore di Filologia neolatina nell’ Università di Vienna (Estratto dai Rendiconti delle tornate dell’Accademia delle Scienze di Vienna, Classe filologico-storica, Vol. XLVI, pag. 113); Vienna, 1864; pag. 7 (119). DI CARLO BAUDI DÌ VESMÈ. 485 medesimo ingentilimento di volgari parlati, onde formarne una lingua scritta, Gherardo e Aldobrando tentarono dei dialetti toscani, e sopratutto di quello di Firenze, città nella quale scrivevano e tenevano scuola ; sì che la lingua italiana verrebbe ad essere l'antico dialetto fiorentino , con introduzione di alcune, quantunque non numerose, voci di altri dialetti toscani, ma sopratutto con numerose e notevolissime modifica- zioni ed aggiunte, non già dal provenzale (del quale, ora tanto più che abbiamo tratte addietro di un secolo le origini della lingua scritta com- mune d'Italia, l'influenza sul nostro idioma verrebbe a dimostrarsi ridotta a poco e pressochè al nulla), ma dal latino, che da tutti gli scrittori, da Gherardo e da Aldobrando a Dante, da Dante infino a noi, fu considerato come fonte inesauto e legitimo, dal quale aggiungere alla nostra lingua dignità , numero e ricchezza. 56. L'altra osservazione, che intendiamo premettere alle nostre consi- derazioni sull’origine e la natura del volgare illustre italiano, riguarda i motivi che, a creder nostro, indussero Aldobrando a questo suo ten- tativo. Era ed è tuttora opinione, che nel secolo XI e nei prossimi seguenti fosse spento ogni pensiero d’Italia; e che l’amore della patria si restringesse all’affetto al proprio commune, o al più alla provincia. Un attento esame della condizione politica d’Italia a quei tempi dimostra, come questo modo di vedere sia in molta parte lontano dal vero. Oltre il sentimento religioso, che di tutti in quella età era il più universale e il più potente, il sentimento che bene spesso tutti gli altri soverchiava era, sì come suole, quello, non già della patria, ma della parte o fazione cittadina, alla quale caduno apparteneva; a questo la patria, a questo sovente si posponevano gli averi e la persona. ‘l'eneva il secondo luogo l’amore del commune nativo; ad esso cercavasi di procacciare gloria, potenza, ricchezza, e di rendere al paragone poveri e deboli i communi vicini. Nessuna cura della provincia, o della regione che si voglia chiamare, nè mai di essa troviamo menzione presso gli scrittori di e non solo non 2 quella età, fuorchè a modo di espressione geografica ; sarebbe venuto in mente ad un Fiorentino , ad un Senese, ad un Pisano di promuovere la ricchezza e la potenza della Toscana, nè ad un Mila- nese, ad un Pavese, ad un Cremonese, ad un Cremasco quella della Lombardia, ma anzi nella propria provincia soleva caduno avere i suoi più aspri nemici. All'incontro non al tutto nè in tutti era spento il pensiero dell’Italia: parecchi documenti lo dimostrano , ed ora ne fa 486 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. nuova fede la canzone I di Aldobrando. Questo pensiero dell’Italia presso gl’'imperiali o ghibellini si confondeva colle memorie del Romano impero, senza por mente che all'ombra di quel nome, tuttora amato e riverito, eravamo spogliati e malmenati da sovrani stranieri; dall'impero i ghibellini auguravano potenza e grandezza all'Italia, in tanto, che vediamo la signoria degl’imperatori.germanici sull'Italia e su Roma invocata perfino da uomini preclari per ingegno e amanti della patria, quali Dante e Petrarca. Quelli che tenevano per la Chiesa miravano invece specialmente alla indipen- denza e alla potenza dei loro communi; difficilmente in alcuno scrittore di parte guelfa troveremo menzione dell’Italia, e certo non mai troveremo fatti voti per la sua unità e potenza. Fra i pochi guelfi presso i quali troviamo memorata l’Italia, è Aldobrando. Senese, e perciò Toscano ed Italiano, ha poche ma affettuose parole alla do/ce sua patria Sena; non un motto, nè pur un lontano cenno, della Toscana; frequente invece e calda memoria della patria commune Italiana. Egli riprende il calamo da lunghi anni deposto, mosso dal desiderio di cantare in questo dì tragrande E d’onrevol onor a Italia grande. le) E nel parlare della battaglia di Legnano, della quale rende grazie al Degli eserciti Dio, padre amoroso, soggiunge 2 E a simil guisa inver Legnan sovvenne, U’ inchinati a’ suoi pie’ gl’ Itali figli. .... 7 Imploraron vittoria a umil cherere:; e più sotto: Nè rimango lavdando di coraggio Voi, car, gentili, e prodi di prodezza, Onrati duci, che con fier fortezza Non mai pensata, e senno ad altr'uom maggio, Menaste la battaglia, e universale Di gran stante vittoria, Maggio non tornerà a Italia gloria. DI CARLO BAUDI DI VESME. 48 I Egli, cento trent'anni avanti Dante, rimproverava agl’ Italiani le fraterne ire in onne passo Di questo loco a onranza già tenuto, E le discordie consumanti e gli odi Ver cittadi germane, D’onne lausor assempro inver le strane, Non da matrigna già ma madre sorte, Unica che d’onor fu onrata forte. Né egli fu solo fra i suoi contemporanei ad amare l'Italia, ed a cantarne le glorie, le colpe e le sventure; come appare da quello che è fra i più bei tratti della canzone, e nel quale rammenta coloro che avanti a lui poetando Pianser la trista ancella, Fior non tacendo tanti laidi fatti Di vergogna e di pianto; E ad un membraro quanto Eternal gloria e onor ad essa adduce, A prodi onrevol atti D’onne guerrier e duce. Ed altrove, volto a papa Alessandro: Infra la santa tua benedizione Ne tien, ed òra, mai tornar fra noi Antica briga, ahi! grave aonita offesa, Ma le citadi e suoi Perseverare a bon contro il volpone, Odio e tosco slungiando, Ma a comun bon pugnando, Non a loro dannaggio, ma difesa Di dritti universal. Avverso agl’ imperatori, mai certo non bramò, come Dante, di vedere l’Italia unita sotto la loro dominazione; egli sperava, generoso delirio! l'Italia felice e potente per la concordia delle cento sue città. Ma in una cosa bramò l'Italia una, e, sebbene soltanto dopo il volgere di alcuni secoli, l’ottenne: nella lingua, per la quale egli, come narra il suo 488 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. cronista, fu acceso di grande amore, e che, da lui arricchita e fatta bella, fu ricevuta dapprima dai migliori fra i poeti suoi contemporanei e fra quelli del secolo seguente; finchè Dante compì l’opera iniziata da Aldo- brando, e, colle parole e coll’esempio condannati tutti i volgari municipali italiani, la rese, in modo non perituro , solo volgare illustre , volgare italico. Nè fu breve opera nè agevole: tanto le antiche memorie facevano tuttora considerare il latino come vera lingua illustre e commune ita- liana (50). Lo stesso Dante scrisse in latino non solo le lettere e altre opere, ma, nonch’altro, il trattato Del Zolgare Eloquio; e per tutte le sue opere volgari, fuorchè le poesie minori, si crede obligato a render ragione, perchè non le abbia scritte in latino. La Vita Nuova ei dichiara averla scritta in volgare ad istanza dell’amico Guido Cavalcanti, al quale era diretta, e che, come già Aldobrando, pare avesse la lingua latina a disdegno (51). Nel Convito impiega molta cura e molte parole a scol- parsi di averlo scritto in volgare; asserisce che molte cose si dicono in latino, che in volgare mal si possono esprimere; che era come un dare pan di biado per pan di frumento; ma che pur gli era forza di scrivere in volgare, perchè quello era quasi un commento alle canzoni volgari (52). In latino parimente aveva cominciato a scrivere il Divino Poema; e la lettera di frate Ilario del Corvo, e il Carme di Giovanni del Virgilio, e la Vita scritta dal Boccaccio, ne dimostrano, con quale universale consenso dai dotti di quella età fosse riprovato Dante, per non essere stato costante nel primo proposito , e non avere scritto il suo Poema in latino anzichè in volgare (53). 57. Crediamo superfluo il dimostrare, come questo volgare italiano di Dante, e di quelli che lo seguirono o lo precedettero, non è il vol- gare toscano. Noi teniamo per fermo, che come non vi ha ora, così, e forse meno ancora, ai tempi nei quali surse la lingua italiana non vi fosse un volgare commune a tutta Toscana, ma sì il volgare fiorentino, il senese, l’aretino, il pisano, il lucchese, e così via; sebbene confessiamo, (50) Come all’italiano troviamo dato il nome di latiro volgare, così all’incontro l’idioma lalino è chiamato italiano (lingua itala) dal Petrarca, De rebus familiaribus, Lib. XXIV, ep. IX. (51) DantE, Zita Nuova, cap. XXXI; Inferno, Canto X, v. 63. (52) Dante, Convito, Trattato I, cap. V-XNI. 53) Lettera di Frate ILARIO DEL Corvo ad Uguccione della Faggiola, presso FRATICELLI, Storia della Vita di Dante Alighieri, cap. XII, Not. 1 (Firenze, Barbera, 1861, pag. 358-359); JOANNIS DE Vireiio Danti Alagerii Carmen, vers. 6-24; Boccaccio, Zita di Dante (a pag. 64-65 dell’edizione preposta al Commento sopra la Comedia; Firenze, Le Monnier, 1863). DI CARLO BAUDI DI VESME. 489 che una qualche similitudine ed analogia avevano tra loro i varii dialetti toscani, e, credo, anche il romano. E questa varietà di volgari ne viene confermata da Dante, che parecchi ne prende ad esame (54); ed anche fra gli scrittori posteriori troviamo tracce frequenti e manifeste di questa varietà: quantunque in parte venga spesso coperta, sia dall’ uso allora commune agli scrittori di modificare i volgari, sebbene non con certe norme, con voci e fogge latine; sia perchè la nuova lingua colta, Ia lingua italiana, che loro sorgeva a fianco, aveva grande, quantunque spesso inavvertita, influenza su quanto volevasi scrivere sì in fiorentino, come in qualsiasi altro volgare toscano. 58. Ma noi contendiamo, che neppure il volgare fiorentino, sebbene più d'ogni altro d’Italia e della stessa Toscana, sia affine alla lingua scritta o commune d'Italia, la quale da esso direttamente deriva; tuttavia nè può ora, nè poteva pure in quei primi secoli, dirsi una cosa medesima con essa lingua, nè questa perciò chiamarsi fiorentina. Presso tuiti difatti, senza veruna eccezione, i più antichi scrittori troviamo a questa nuova lingua dei poeti dato il nome di italiana. Il biografo palermitano di Aldobrando, che, come sopra abbiamo dimostrato, scriveva negli ultimi anni del secolo XII, dice di lui, che ab juventute magno amore exarsus ob suam linguam 1rALicam, ad eam incubuit, ...... ita quod carmina latina spernens, in quibus valde peritus erat, rALico sermone varia car- mina scripsit; e poco poi parlando di Gherardo, dice che erat poeta etiam in dicto sermone rrALico (Doc. BE, $ 3 et 4). E lo storico Mariano de Lixi, contemporaneo di Aldobrando, di Lanfranco e di Bruno, chiama italiana la lingua usata da Bruno nelle sue poesie (55). Per simil modo Giorgio di Lacon, nella lettera al suo nipote Pietro, scritta, come abbiamo altrove notato, tra l’anno 1238 e il 1253, cita con queste’ parole una canzone di Bruno de Thoro: în extremo quorundam suorum rrALIcORUM carminum in aliquarum illustrium Sardoarum mulierum honorem (56). Ed italiana parimente è detta costantemente questa lingua nel Memo- riale di Comita Orru, scritto poco dopo la morte di Giorgio di Lacono, circa l’anno 1271 (57). Appena è d’uopo avvertire, che non altrimenti (54) De Vulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIII (55) Presso MARTINI. Appendice alla Raccolta delle Pergamene ecc., pag. 187: « De Sardescha et » de Acetaliana lingua, ki bene conoskebat,....... comodo pater erat de Pisa ». (56) MARTINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborca, pag. 147. (57) MARTINI, Appendice alla Raccolta delle Pergamene ece., pag. 118-126. Serie II Tom. XXIII, 62 490 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, EGC. la nostra lingua è chiamata da Dante: se non in quanto nell’opera De Vulgari Eloquio, secondo il frequente suo uso di appellare Zazini gl'Italiani, le dà nome di Latino volgare: « Istud, quod totius Italiae est, Latinum vulgare vocatur » (58). Nel Convito poi Dante chiama la lingua nella quale egli scrive volgare italico (59), parlare italico (60) ; e porta molti argomenti « a perpetuale infamia e depressione delli » malvagi uomini d'Italia, che commendano lo volgare altrui, e lo loro » proprio dispregiano; ..... e tutti questi cotali sono gli abominevoli » cattivi d’Italia, che hanno a vile questo prezioso volgare » (61). E quando egli in faccia a tutta Italia, nonchè a Toscana e alla sua Firenze, condannava tutti i volgari locali d’Italia e nominatamente i Toscani, ed asseriva, altra cosa essere quello che chiama #upiloguio dei volgari municipali toscani, altra il volgare commune nel quale scrissero i Fio- rentini Guido Cavalcanti, Lapo Gianni, egli Dante, il Pistojese Cino (62), 1 Bolognesi Guido Guinicelli, Guido Ghislieri, Fabricio ed Onesti (63) : quando ciò Dante asseriva, non sorse, neppure fra i suoi concittadini, chi gli contradicesse. E per l'autorità del nome, e perchè, se pur l'avesse voluto, non avrebbe potuto trarre alcuno in errore in cosa allora a tutti nota e manifesta, la testimonianza di Dante in questo argomento fu sempre tenuta di tanto peso, che quando nel secolo XVI surse più calda che mai la questione intorno al nome che si dovesse dare alla limgua di Dante, quelli che la tenevano per fiorentina si appigliarono per lo più al partito, di dichiarare, non essere quel libro opera di Dante. Ma già il Villani, contemporaneo di Dante medesimo, quantunque e nella sua vita politica, e nella sua Cronica, si domostri costante e caldissimo fiorentino, avverso ai rimanenti Toscani, nonchè agli altri Italiani, pur tuttavia non solo non contradice all’ asserzione di quel suo concittadino, ma anzi, sebbene biasimi alcuni scritti ed opinioni di Dante, del libro De ZYu/gari Eloquio dice che : « con forte e adorno latino E con BELLE RAGIONI riprova » tuttii volgari d'Italia » (64); non solo non contradicendo, ma parendo (58) De Vulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIX. (59) Convito, Trattato I, cap. VI. (60) Trattato I, cap. XI. (61) Zrattato I, cap. XI. (62) De Vulgari Eloquio, Lib. II, cap. XII. (63) Ibid., Lib. I, cap. XV. (64) Cronica di GIOVANNI VILLANI, Lib. IX, cap. CXXXVI. DI CARLO BAUDI DI VESME. 491 così comprovare col suo suffragio la sentenza dell’Alighieri. È dello stesso Villani è notevole un altro passo: quello dove, enumerando i baroni e signori che l’anno 1312 furono con l'imperatore Arrigo in Pisa, nomina tra gli altri, «il conte D’Alvagna d’Alamagna, chiamato Luffo- » mastro, cioè in latino Mastro Siniscalco » (65). Non crediamo si possa addurre esempio anteriore alla metà del secolo XIV, di autore, dal quale la lingua italiana illustre, la lingua nella quale scrissero Dante e gli altri migliori da lui nominati, sia stata appellata volgar fiorentino, o con qualsiasi altro nome fuorchè quello di latino volgare, o di italiano (66). 59. La più antica autorità che soglia addursi. per provare che la lingua italiana non sia altro che il volgar fiorentino, si è quel passo del Boccaccio, in principio della quarta Giornata del Decameron, dove dice che, estimando che il rabbioso vento della invidia non dovesse percuotere che le alte cime, egli si era ingegnato di andare non sola- mente pe’ piani, ma per le profonde valli; e perciò aveva scritto le sue Novelle non solamente in fiorentin volgare ed in prosa, ma ancora in istile umilissimo e rimesso quanto più si possano. Bene è vero, che all'argomento tratto da questo passo del Boccaccio molte difficoltà si potrebbero opporre. Ed in prima, la stessa asserzione del Boccaccio, che per fuggire dai morsi della invidia scrisse in fiorentin volgare ed in istile rimesso, dimostra che v'era a suo avviso medesimo un volgare (63) Zbid., Lib. IX, cap. XXXVII. (66) Diciamo la lingua nella quale scrissero Dante e gli altri migliori da lui nominati; con ciò sia che nel secolo XIII e nel seguente molti, ed in Toscana ed in altre parti d’Italia, scrissero non nel volgare italico, ma nei loro volgari municipali; come ne attesta Danto medesimo (de /ulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIII) di Bonaggiunta da Lucca, di Gallo da Pisa, di Mino Mocato da Siena, di Brunetto Latini da Firenze; e se ciò poco appare nelle edizioni che abbiamo di alcuni fra quegli scrittori, si deve alle mutazioni introdotte prima dagli amanuensi, e poscia in più gran copia dagli editori. — Per simil modo l’anonimo antico Volgarizzatore del Trattato de Regimine Principum di Ecipio Romano, dice di averlo traslatato di latino in francescho, e di francescho in toscano; e certo quel Volgarizzamento Del Governamento de’ re e de’ prenzi (publicato dal Corazzini su un codice del 1288: Firenze, Le Monnier, 1858) non è in volgare italiano. Veggasi la 7'avola dichia- tiva di voci e locuzioni nuove 0 poco usitate, a pag. 315 e seguenti dell’ edizione citata; ed inoltre ciò che il Corazzini dice a pag. XLVII-XLIX della Prefazione: che questo Volgarizzamento è senza dubio in dialetto senese; averlo nella stampa ridotto a moderna scrittura quanto si poteva senza nocumento o della storia della lingua, o del dialetto in che fu dettato; avere perciò raddoppiato le consonanti e reciso le soperchie vocali, scrivendo accompire, acconcio, ingegnoso, voce, invece di acompire, aconcio, ingegnioso, vocie; avere raddrizzato le voci storpie, quali albrito, grolia, ecc. — Rese senza fallo per tal modo il libro di più agevole e meno tediosa lettura; ma s’ingannò, credendo che ciò potesse farsi senza nocumento 0 della storia della lingua, o del dialetto în cui fu dettato. 492 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. più nobile per le cose da trattarsi in alto stile, quello insomma che Dante chiama volgare illustre, volgare latino (appellazione più volte usata, come vedremo, dal Boccaccio medesimo), volgare italico. Appare inoltre che qui il Boccaccio, onde schermirsi dai morsi degl’invidiosi, non solo ha nascosto il vero, ma ha detto ciò che pur sapeva esser falso : poichè chi fia che gli conceda, che quella opera, alla quale appunto maggiormente deve l’alta sua fama, sia scritta in istile umilissimo e rimesso quanto più si possa? e per simil ragione possiamo negargli che sia scritta in fiorentin volgare; come al Castiglione diciamo che ne dà la baja, quando asserisce di avere scritto lombardo (67). E che nella mente del Boccaccio: l’idea di vo/gar fiorentino si collegasse con quella di cose scritte ir. istile umile e rimesso , appare anche da un simile luogo del Filostrato, dove dice di averlo composto «in leggiere rima, e nel mio fiorentino idioma » (68). Ben altrimente parla della sua Teseide, che a più riprese dice scritta în Zatino volgare. Nè è maraviglia. Boccaccio conosceva il libro di Dante de 7ulgari Eloquio , di quel Dante del quale dice, come a lui « adolescentulo primus studiorum dux et prima fax fuerit » (69); è naturale adunque, che usasse le denominazioni e tenesse le opinioni di quello, ch’ei venerava e seguiva come maestro. Quindi è che nel seguente passo in fine della Teseide (70), notabile anche perchè può dirsi quasi un volgarizzamento di un passo sopra da noi citato di Dante nel libro appunto De Yu/gari Eloquio, Boccaccio dice, che in volgare latino erasi scritto di onestà e di amore, ma che nessuno prima di lui aveva trattato delle cose di guerra. « Poichè le Muse nude cominciaro » Nel cospetto degli uomini ad andare, » Già fur di quelli i qua’ l’esercitaro » Con bello stile in onesto parlare , » Ed altri in amoroso le operaro ; » Ma tu, mio libro, primo a lor cantare » Di Marte fai gli affanni sostenuti, » Nel volgare latin non più veduti ». (67) Nella Dedica del Cortegiano a Don Michel de Silva, Vescovo di Viseo. (68) Nella Dedica o Prologo; ed. Moutier, pag. 8. (69) Francisci PerRARCAE De rebus familiaribus, Lib. XXI, ep. AV, Johanni de Certaldo. (70) Libro XII, stanza 84. DI CARLO BAUDI DI VESME. {93 Da molti fu questo passo in varii modi o spiegato 0 corrotto ; nè mancò chi lo accoppiasse col verso del Poliziano « E canta ogni augelletto in suo latino , » e con altri di simil fatta, e spiegasse /azizo non come sinonimo di ita- liano, ma di idioma; sì che secondo questi cotali potrebbe dirsi, che un tale parla in Zazino fiorentino, in latino lombardo, che più? in Zatino inglese o in latino tedesco. Latino qui non è idioma, ma significa italiano, come nel passo sopracitato del Villani; e ciò appare dal confronto del corrispondente passo di Dante, e dalla Lettera Dedicatoria della Teseide alla Fiammetta (71), dove il Boccaccio così si esprime: « Trovata una » antichissima storia e al più delle genti non manifesta, bella sì per la » materia della quale parla, che è d’amore, e sì per coloro de’ quali » dice, che nobili giovani furono e di real sangue discesi: in /atino » volgare, e in rima, acciocchè più dilettasse , ....... ho ridoîta Laddove ci attesta di aver scritto le sue novelle in fiorentin volgare, « in prosa, e in istile umile e rimesso: questa antichissima storia di nobili giovani e di real sangue discesi espone non in prosa ma in rima, né vuol parere di averla scritta in fiorentin volgare, ma apertamente pro- fessa scriverla in latino volgare, in quello che secondo Dante zotius Italiae est. Un altro esempio dello stesso modo di dire ci fornisce nella dedica del Volgarizzamento della IV Deca di Tito Livio ad Ostagio da Polenta, ad istanza del quale si era accinto a quel lavoro: « ho proposto » di riducere in latino volgare (72) X libri di Tito Livio Patavino, » composti delle storie Romane sotto titolo de bello Macedonico ; acciò » che da quello il quale, d’alta grammatica e di forte costrutto, molto » è alli più ad intendere difficile, possano li non letterati prendere e grazioso » frutto ». Bene è vero, che oltre i precitati vha un altro passo, non » dalle storie diletto, e dalle magnifiche opere e virtuose avvertito , ch'io mi sappia, finora, dove il Boccaccio chiama fiorentina gione, « perchè a comporre così grande, di sì alta materia, e sì notabile libro, la lingua di Dante; dove cioè, nella Vita di questo poeta, rende ra » com'è questa Comedia, nel fiorentino idioma si disponesse, e perchè » non più tosto in versi latini » (73). (71) Opere del Boccaccio, ed. Moutier (Firenze, 1827-1834); Vol. IN, pag. 3. (72) Così i manoscritti; le edizioni male di Zaino în volgare. (73) A pag. 64 dell’edizione preposta al Comerto sopra la Comedia, Firenze, Le Monnier, 1862. 494 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 60. Come abbiamo esposto la sentenza dell’Allighieri e riferito alcuni passi del Boccaccio relativi alla natura e al nome del nostro volgare, addurremo ora quanto ci venne fatto di trovare presso il Petrarca, che valga a dimostrare qual fosse la sua sentenza; poichè a questi tre sommi nostri principalmente si deve, se la lingua nobile surta già dal volgar fiorentino, e che da due secoli lottava con quello e cogli altri volgari d'Italia, tutti li soverchiò, e prima del cadere del secolo XIV divenne lingua commune e sola scritta fra i volgari italiani. — Chi volle dimo- strare che il Petrarca intendesse scrivere non in alcun volgare muni- cipale, ma in un linguaggio commune a tutta la penisola, citò in prova i celebri versi a Laura : « Del vostro nome, se mie rime intese » Fossin sì lunge, avrei pien Tile e Battro, » La Tana, il Nilo, Atlante, Olimpo e Calpe. » Poichè portar nol posso in tuite quattro » Parti del mondo, udrallo il bel paese, » Ch’Apennin parte, e ‘1 mar circonda e l’Alpe » (74). Ai quali si possono aggiungere quegli altri di non dissimile sentenza, in principio della sua Canzone all'Italia : ( Italia mia, benchè ‘1 parlar sia indarno » Alle piaghe mortali » Che nel bel corpo tuo sì spesse veggio: » Piacemi almen, ch'i miei sospir sien quali » Spera ’1 Tevero e l'Arno, » E 1 Po, dove doglioso e grave or seggio ». Nella stessa Canzone troviamo inoltre, come presso Dante e Boccacio e molti altri di quella età, usata l’appeliazione di Zatino per Italiano (75). Il Petrarca non trattò mai direttamente la questione; e dove gli occorra di accennare scritti in lingua italiana, suole indicarli semplicemente col nome di scritti volgari o în lingua materna. Le opinioni politiche del (74) Parte I, Sonetto XCVI, O d’ardente virtute ornata e calda. 75) « Latin sangue gentile » Sgombra da te queste dannose some; >» Non far idolo un nome Vano, senza soggetto ». Parte IV, Canzone IV. DI CARLO BAUDI DI VESME. 495 Petrarca, il quale dichiara che nessuno fra’ suoi contemporanei lo egua- gliava in amore all’ Italia, e la natura de’ suoi studii , dimostrano manifestamente , ch'egli considerava la lingua nella quale poetava, non come particolare a Firenze, città dove pur mai non pose il piede, ma come lingua commune a tutta Italia; ed italiana difatti la troviamo detta da lui in una sua lettera recentemente scoperta: « disputabis.....non barbarice, sed italice » (76). 61. Abbiamo veduto come Boccaccio talora chiamasse fiorentino quel volgare, che altrove da lui medesimo, e prima di lui da tutti, era detto volgare /atino od italico. Di questa incertezza di denominazione fu cagione, l'essere difatti il volgare italico derivato dal fiorentino, e ad esso affine più che ad aliro d'Italia; e più ancora l'essere Fiorentini Dante e gli altri sommi fra gli scrittori nostri volgari. Crebbe col tempo l’incertezza e la contesa; altri volendo che la lingua nostra sia e. si dica italiana , altri dicendola toscana, altri pretendendola pur fiorentina. Fra questi il Machiavello (77) chiama meno inonesti quelli che vogliono che sia toscana, inonestissimi quelli che la dicono italiana; ed in isconcio modo malmena Dante, perchè tenne quest ultima sentenza. Altri pendono incerti, od accettano sì l’una che l’altra appellazione; come il Varchi, il quale, dopo aver riferito che alcuni chiamano la nostra lingua volgare, alcuni fioren- tina, alcuni toscana, alcuni italiana , alcuni cortegiana: sebbene creda più propria e più vera lappellazione di fiorentina (78), pur tuttavia con- chiude accettando qualunque di detti nomi, solo escluso (né in ciò troverà chi gli contradica) quello di cortegiana (79). E siccome il Varchi alta- ‘mente venerava Dante, il quale, secondo lui, «pare che sapesse tutte » le cose, e tutte le dicesse » (80): non osando contradire alla autorità di un tanto nome, e conoscendo di quanto peso in siffatto argomento fosse la sua testimonianza, s’ appiglia infine al partito di negare esso pure, che il Libro Di Y'o/gare Eloquenza sia opera di Dante (81). 62. Nostro intento è di mostrare qui brevemente, come la lingua (76) Leltera tratta da un codice Barberiniano, e publicata dal Fracasseto, nella sua edizione delle Epistole del Petrarca (Firenze 1863) ol. III, pag. 515; dove è la quinta dell’Appendice. (77) Discorso ovvero Dialogo in cui si esamina, se la lingua in cui scrissero Dante, il Boccaccio e il Petrarca si debba chiamare italiana, toscana o fiorentina. (78) Veggasi, per esempio, VARCcHI, Ercolano, 7. II, pag. 358 dell'edizione dei Classici di Milano. (79) VarcnIi, Ercolano, T. I, pag. 193 e 195. (80) Ivid., T. I, pag. 64. (81) Ibid., T. I, pag. 77-85. 496 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALBOBRANDO DA SIENA, ECC. italiana, sebbene derivata direttamente dal volgare fiorentino, non è iuttavia con esso una cosa sola; e d’esporre in che, nel formare la lingua scritta italiana, si siano allontanati dai volgari parlati quei nostri antichissimi, dei quali dopo sette secoli risorgono a nuova vita, e a fama più duratura, la memoria e le poesie. 63. Le diversità tra il volgare italiano e il volgare fiorentino possono, a parer nostro, dividersi in tre classi: di parole, ossia parole proprie dell'uno e non dell'altro volgare; diversità grammaticali; e finalmente diversità ortografiche, e nella formazione delle parole. 64. E cominciando dalle prime, appena credo necessario portare esempi di parole italiane che non sono fiorentine ; tanto sono nume- rose, da Aldobrando a Dante, da Dante ai nostri giorni. Ne adduce parecchi esempii lo stesso Machiavello, quantunque pur contenda ad ogni costo, e a malgrado di Dante medesimo, che la lingua di Dante sia fioren- tina. Di queste parole alcune sono tratte da altri volgari italici; alcune anche da lingue fuori d'Italia; molte più dal latino, che pressochè tutti gli scrittori Italiani, anche Fiorentini, sempre considerarono come legitima ed inesausta sorgente onde arrichire la nostra lingua; non poche final- mente s introdussero e giornalmente s'introducono da varie parti d'Italia, ad esprimere cose ed idee che non erano conosciute, e perciò non ave- vano nome; e molte di tali voci, ma spesso alquanto trasformate, furono, per la necessità delle cose, ricevute nel volgar fiorentino. Pochi esempii addurremo della schiera, che pur è assai numerosa, di voci fiorentine che non sono italiane, ossia che non furono ricevute nella lingua commune d'Italia; e questi riferiremo coll’autorità appunto di scrittori fiorenuni. Primo per età e per dignità viene Dante, il quale volendo dare un saggio di parole e modi, come dice, non cortegiani ma municipali, di varii volgari Toscani, dei Fiorentini adduce i seguenti: manuchiamo; introcque non facciamo altro (82). Convien notare tuttavia, che manucare e inirocque si leggono nella Divina Comedia; perchè Dante opinava, come egli medesimo ne attesta, che nello stile umile , quale volle si dicesse quello del suo poema (83), si potesse far uso anche di parole appartenenti ai volgari municipali (84). Altri esempii di voci 32) De Yulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIII. 83) Lettera di Dante a Can Grande della Scala, $ 10, nelle Opere Mizori di DANTE ALIGHIERE publicate dal Fraticelli (Firenze, Barbera, 1857), vol. III, pag. 540, 542. (86) Sì confronti Ne Vulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIX, con Lib. II, cap. I et TIL DI CARLO BAUDI DI VESME. 497 e modi fiorentineschi ne adduce il Passavanti, il quale, parlando di quelli che volgarizzando la Sacra Scrittura l’avviliscono, dice così: « e alquanti » meno male che gli altri, come sono i Toscani, malmenandola, troppo » la ’nsucidano e abbruniscono; tra quali i Fiorentini, con vocaboli » Isquarciati e smaniosi, e col loro parlare fiorentinesco , istendendola » e facendola rincrescevole , la ’ntorbidano e rimescolano con occi, e » poscia, aguale, e vievocata, pudiansi, e maipursie, e berregiate, » c’avrete delle bonti se non mi ramognate » (85). — Terza ed ultima addurremo la testimonianza del Varchi, col suo tara dara e la ronfa del Vallera, e altri simili modi, coi quali un tratto si piace berteggiare il suo interlocutore conte Ercolani. Parlando fiorentino e non italiano, non era inteso; onde questi gli risponde: « Se voi non favellate altra- » mente, io il vi terrò segreto ancorachè non mi ponghiate credenza; » perchè non intendo cosa che vi diciate » (86). 65. Le diversità grammaticali, e sopratutto nella conjugazione dei verbi, non sono numerose. Sola, e a modo d'esempio, addurremo la principale, ossia la sostituzione dell’o alla nelle terze persone plurali di certi tempi. Così già presso il Malispini troviamo cessorono, rovinorono, e presso Dino Compagni ruborono, andorono, abandonorono, e simili. Tale mutazione si fa più frequente presso alcuni scrittori Toscani del secolo XV e del seguente, i quali nei loro scritti italiani si piacciono d’inserire forme e modi non italiani ma fiorentineschi ; onde, per esempio, presso il Poliziano troviamo costantemente eron, schierono , abondono, cascono. Siffatte forme, sebbene vive tuttora nel volgar fiorentino, non passarono nella lingua. commune d’ Italia: del che un recente scrit- tore, Giosuè Carducci, benemerito editore delle poesie italiane del Poliziano da lui restituite alla vera lezione, cerca render ragione in questi termini: « Dopo il Bembo specialissimamente, la lingua toscana » diventò lingua della nazione ; se non che, per ridurla a condizione » di lingua comune almeno nella scrittura, convenne sottoporla a leggi » o regole, che furono ricavate non dal popolo Toscano ma da due scrit- » tori esclusivamente, il Boccaccio e il Petrarca; nè sempre bene. Ne » conseguì, che indi in poi la lingua scritta molto perdè dell’agilità e (85) PASSAVANTI, Specchio della vera penitenza, Trattato della Scienza (ed. Lemonnier, Firenze, 1856, pag. 288). (86) Varcmi, Ercolano, ed. cit., T. II, pag. 252. Serie II. Tom. XXIII. 653 498 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. » ingenuità primitiva, e dovè procedere compassata e guardinga ..... » Si sa che i Fiorentini usavano terminare in oro ed oronro le terze » persone plurali di certi verbi che nella lingua comune escono in ano » ed drono: e il Poliziano anche in ciò seguitava l’uso fiorentino. Ora » questi fiorentinismi ecc. » (87). Ma, diremo noi, quale fu la cagione, che Dante, il Boccaccio suo ammiratore e seguace, il Petrarca, non fecero uso di tali forme, che tuttavia l'uso conservava vive nel popolo, ed anche presso alcuni scrittori, della loro Firenze? La ragione si è quella, che venne quasi di volo indicata, ma non avvertita, nel citato passo del Carducci: che Boccaccio e Petrarca, e lo stesso dicasi del loro antesignano Dante, e lo stesso, soggiungiamo, di Aldobrando , e degli antichi che ne seguirono le tracce, non intesero scrivere nel volgare fiorentino, ma nella lingua commune d’ Italia, che, nata bensì dalla toscana o a più vero dire dalla fiorentina, tuttavia in non poche cose se ne discosta. — Presso Aldobrando nelle terze persone dei passati perfetti troviamo costantemente non la forma della quale abbiamo citato esempii dai due antichi Fiorentini, Malispini e Dino Compagni, ma le due forme che più si accostano alla latina, e che rimasero alla lingua commune italiana, aro (proprio della poesia) ed aroro; per esempio #rovaro, membraro , imploraron (implorarono). 66. Resta che tocchiamo dell'ultima varietà che abbiamo detto distin- guere la lingua italiana dal volgar fiorentino, voglio dire le diversità ortografiche, ossia le trasposizioni, i cambiamenti, le aggiunte e i troncamenti di lettere; le quali variazioni, ora maggiori e ora minori, ma per lo più soggette a certe norme, formano appunto una delle prin- cipali distinzioni fra lingue o dialetti affini. Il fiorentino, come gli altri dialetti italici, derivava, siccome abbiamo notato, dalla lingua latina rustica; ma in questo passaggio di un volgare non fissato dalla scrittura, ma trasmettentesi unicamente colla viva parola, durante un lungo volgere di secoli, l’antica lingua rustica romana subì modificazioni e prese forme diverse. Di queste modificazioni e nuove forme, che il volgare parlato prese in Toscana, e nominatamente in Firenze, il maggior numero e di gran lunga le più importanti furono (87) Delle Poesie Toscane di messer Angelo Poliziano, Discorso di Grosuk CARDUCCI, (Le Stanze, l’Orfeo e le Rime di messer Angelo AmBROGINI POLIZIANO, rivedute e illustrate da Giosuè Carducci; Firenze, 1863), pag. XCI. DI CARLO BAUDI DI VESME. 499 conservate nella nuova lingua italiana; altre non furono accettate dai primi che vollero innalzare il volgar fiorentino alla dignità di lingua scritta italiana; i quali, rifiutate quelle forme del volgare parlato che loro parevano o rozze; od oscure, o meno ragionevoli, nella lingua scritta ristabilirono la forma latina. Ma al tempo stesso molti continuavano ad adoperare le forme volgari, che i migliori avevano ripudiate ; e questi cotali conservatori delle forme del volgare parlato sono appunto quelli che Dante chiama, numquam in vocabulis et constructionibus desuetos vilescere (388). Avvenivà pure, che molti si sforzavano bensì di scrivere nella lingua commune, nella lingua di Dante e dei migliori che l'avevano preceduto, ma, tratti dalla consuetudine del parlar gior- naliero, alla lingua italiana frammischiavano parole e modi municipali ; come all'incontro quelli che intendevano scrivere in volgare municipale, vi mescevano voci e modi tratti o dal latino, o dagli scrittori che facevano uso della nuova lingua, che, principalmente nell’ Italia centrale e nella meridionale, ogni dì più andava estendendosi, e divenendo la lingua propria delle scritture. Così per lungo spazio, durante il secolo XIII e il XIV, troviamo in uso, o separati o spesso anche frammisti, il volgare italiano ed i volgari municipali: il primo principalmente presso i poeti, ed in generale presso quelli che intendevano che la loro voce fosse intesa in tutta Italia; i volgari municipali negli scritti destinati ad uso ed utilità locale, come le cronache , gli statuti municipali, le lettere, le opere popolari di argomento religioso, ed altri simili dettati di umile natura, dove lo scrittore non mirava che ad esporre în piano volgare, per servirmi della espressione del Villani (89), a’ proprii con- cittadini i suoi pensieri. Finalmente dopo Dante, Boccaccio e Petrarca, che seguirono la forma introdotta dai migliori fra gli antichi poeti, essendo questi tre scrittori divenuti, e durati per lungo tempo, quasi la sola norma del bello e corretto dire, le forme fiorentine da questi rifiutate caddero per la maggior parte del tutto ; a segno che quelli che sono veri ed antichi modi proprii del volgar fiorentino, da molti ora sono falsamente reputati semplici arbitri e storpiature di copisti. Appena è necessario soggiungere, come vi ha dei casi, nei quali i tentativi di quegli antichi di sostituire la forma latina alla volgare (88) De Vulgari Eloquio, Lib. II, cap. VI. (89) Giovanni VILLANI, Cronica, Lib. I, cap. I. 300 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. caddero in fallo, e la forma volgare restò alla lingua commune. Ma di ciò sono rari gli esempii presso Aldobrando, che sembra essersi con molto discernimento posto all'impresa di orzare, expurgare, augere et expolire la lingua italiana. Se parecchie fra le parole da lui adoperate sono. ora in disuso, all'incontro quasi tutte le forme latine da lui e dalla sua scuola sostituite alle volgari sopravissero, e, mai non divenendo fiorentine, restarono proprie della lingua italiana. Troviamo all’ incontro alcune poche voci, alle quali Aldobrando conservò la forma volgare fiorentina, ma questa non fu ricevuta nella lingua italiana. Tale è il verbo obbriare (costantemente usato anche da Bruno de Thoro, e dalla maggior parte degli scrittori del secolo XII) per obbliare; tale aitri per altri, forma fiorentina essa pure, e tuttora in uso fra ’l1 popolo di quella città e nel contado. 67. E qui volendo dimostrare con esempii tali trasposizioni e cam- biamenti di lettere proprii del volgar fiorentino , e che, rifiutati da Aldobrando e da’suoi seguaci, non passarono alla lingua commune italiana: per meglio guardarci da errore o di luogo o di tempo, trarremo i nostri esempii dai più antichi scrittori che fecero uso di quel volgare. Dob- biamo notare tuttavia, che molte di siffatte anomalie sono proprie non del solo volgare fiorentino, ma di altri volgari toscani, e di altre parti d'Italia; ma non essendo da essi derivata la nostra lingua, il discorrerne è estraneo al nostro argomento. Mutazione dell'e in «. Malispini avidente , sagreto , sanatore, settan- rione, spargiatore; molte di queste forme trovansi parimente presso il Villani; frequentissimo è presso gli antichi piatoso e piatanza. Presso Aldobrando invece leggiamo spergitore, pietoso , dispietoso , pietanza. Mutazione dell’e in i. Malispini pillicciari, risistere, ristituire ; presso parecchi antichi rigrigerte e nigrigenza, anzi questa seconda voce tro- viamo tuttora presso Gherardo da Firenze. Ma Aldobrando ha negli gente; ha parimente /e porte , invece della forma /e porti, usitatissima presso gli antichi scrittori Fiorentini; e rechere per richere. Mutazione delli in e. Dino Compagni vettoria; Malispini trebuso , temoroso, ipocresia; Aldobrando vittoria , ipocrita, ipocrisia. Nel volgar fiorentino la lettera Z dopo il c e il g si muta in 7, con- servando tuttavia il suono duro alla consonante precedente, sì che il eZ eil gZ si converte in chi e ghi: quindi da clamare, chiamare; da clavis, chiave; da glans, ghianda; da gleba, ghiova; da glacies, ghiaccio, e così via. In alcune poche voci invece, come apparirà dagli esempii, il cl e DI CARLO BAUDI DI VESME. Soi il g/ presso i Fiorentini si convertiva in er e gr. Questo / dopo il e 0 il g è talmente contrario all’indole del parlar fiorentino, che perfino 1 nomi proprii ne furono mutati, e di papa Clemente in Firenze si fa papa Chimenti o papa Chimento; e per lo stesso motivo quelli che scris- sero in volgar fiorentino hanno, e il basso popolo e del contado dice tuttora, grolia per gloria. Ma gli scrittori in lingua italiana già fimo dai primi tempi scossero in parte il giogo di questa forma volgare, e spesso adottarono la latina; onde presso Aldobrando, per esempio, gloria e glorioso, e presso Lanfranco clemenza. Similmente a mano a mano s'in- trodussero dal latino nell'italiano nuove voci aventi questo suono alieno dall’indole del volgar fiorentino, e ciò particolarmenie quando avveniva agli scrittori di dover traslatare dal latino vocaboli, che l’uso non aveva ancora fatti volgari: tali sono clima , cliente, clangore, declamazione , globo, gladiatore (90). Talvolta anche la nuova voce, direi quasi latina, introdotta dagli scrittori, soverchiò e fece andare in disuso la preesistente voce fiorentina; così ora diciamo clero ed ecclesiastico e gleba invece di chieresia e cresiastico e ghieva 0 ghiova, forme che si trovano presso i Malispini ed altri antichi. Di altre rimase alla lingua italiana la doppia forma; sì che, per esempio, oltre le forme fiorentine chiostro , chiosa, chiosatore, abbiamo claustro, glossa, glossatore. Similmente molti sì antichi che moderni usano declinare, inelinare, invece delle schiette forme di origine fiorentina dichinare, inchinare. Troviamo la forma latina inclina presso Bruno de Thoro; la fiorentina inchinato presso Aldobrando. È noto, come presso i Fiorentini l'inferno siasi trasformato in nin- ferno, voce adoperata non solo dagli autori di novelle e nello stile rimesso, ma anche da quelli che trattano gravi argomenti, per esempio nelle prediche di Fra Giordano, e nella Cronica dei Malispini. Appena crediamo necessario di avvertire, che Aldobrando fa uso della forma primitiva zrferno. Similmente la denominazione latina paradisus deli- tiarum per indicare il paradiso terrestre erasi trasformata nel volgar fio- rentino in paradiso diliziano; Aldobrando lo chiama il dilettoso paradiso. Non altra lettera forse quanto la 7 nel fiorentino, e quasi in tuiti gli altri volgari italici, va soggetta a maggiori anomalie. Spesso viene mutata di luogo, talora aggiunta, talora sostituita ad altra lettera, e particolar- mente alla Z quando segua una liquida; talora invece tolta, per cedere (90) La forma vera fiorentina abbiamo nella voce a ghiado. 502 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. il luogo a consonante più dolce. Esempii ne siano 4/fritto, albitro, fragello, cresiastico, obbrigare, probucare, scorpesono, istormenti, valentre, fedire, che troviamo presso i Malispini, Dino Compagni, ed altri dei più antichi. L’Aldobrando rigettò tali forme corrotte, e ritraendo , se così posso esprimermi, la lingua a’ suoi principii, scrisse a//litto, arbitrio, flagello, e così via. In una voce sì desso come Bruno conservarono, come no- tammo, la forma volgare, nel verbo obbriare per obbliare. 68. Potrebbero addursi altri di siffatti cambiamenti di lettere, e di troncamenti, allungamenti, congiungimenti di parole, e altre simili forme proprie del volgar fiorentino, e comprovate coll’autorità dei più antichi scrittori in quel volgare. Ma era nostro proposito recare quelle sole, delle quali nelle poesie di Aldobrando ci rimanevano contrarii esempii, pei quali si dimostrasse come da lui fossero rifiutate , restituendosi in loro vece quelle che più si approssimavano alla ortografia della lingua latina, madre di quel volgare, ch'egli si era proposto di augere, expur- gare, ornare et expolire (Doc, N): importante innovazione, che, seguìta dai migliori fra i poeti suoi contemporanei , e poscia fra gli scrittori del secolo XIII e del XIV, venne a formare principalissima differenza tra i volgari toscani, e la lingua commune italiana. E che Aldobrando sia stato l’autore di questa innovazione, appare non solo dalle testimo- nianze de’ suoi antichi biografi, alle quali riescirebbe al tutto impossibile dare altra interpretazione, ma ancora dalla circostanza, che tuttora presso Gherardo, maestro di' Aldobrando, e stato, come le citate me- morie ne attestano, superato dal suo discepolo, troviamo tali forme del volgar fiorentino che poi furono rifiutate da Aldobrando , per esempio nigrigenza per negligenza, e pretosa per petrosa. 69. Nè potrà dirsi, come molti tuttavia affermano, che queste mu- tazioni e trasposizioni di lettere, ed altre siffatte storpiature, sono bensì proprie del volgar fiorentino, ma soltanto di quello parlato dalla più bassa plebe, o dalla gente del contado; dalle persone colte essersi fatto e farsi uso della più retta forma, ricevuta oramai per commune con- senso nella nostra lingua. Bene è vero che oggigiorno le persone colte in Firenze sfuggono parlando siffatti modi; ma perchè allora essi parlano italiano, e non il volgare loro nativo. Non può d’altronde negarsi, che anche il volgar fiorentino presso le persone colte andò di mano in mano ed insensibilmente avvicinandosi (come, in vario grado, avviene a tutti 1 volgari italiani) alla lingua scritta e commune d'Italia, anche presso DI CARLO BAUDI DI VESME. 503 queste persone tuttavia ritenendo molto della sua indole e delle forme native. Noi abbiamo tratto i nostri esempii non dal parlare del volgo fiorentino ; troppo più gravi o più numerose varietà avremmo dovuto addurre , e tali, che ne apparirebbe, essere il fiorentino più diverso dall’ italiano, che non parecchi altri volgari d’Italia: noi li abbiamo tratti dalle scritture di uomini colti, come già l’antichissimo Gherardo, e come i Malispini, il Villani, il Compagni, che appartenevano alle primarie famiglie di Firenze, ed erano saliti nel loro commune ai primi onori. Ed un assai maggior numero di forme volgari noi troveremmo nei loro scritti, se in molta parte non fossero state tolte dagli editori, e se gli autori stessi non avessero spesso abandonato negli scritti molte delle voci e forme, delle quali facevano uso nel loro parlare : tratti dall’ influenza , allora potentissima, del latino, che era considerato tuttora come lingua italiana pei differati, e per chi volesse scrivere, come dicevano, per grammatica; ed inoltre dall'esempio e dalla influenza grande già, quantunque poco avvertita, dei poeti e degli altri scrittori, che, abandonato il volgar fiorentino, cercavano di scrivere nél nuovo volgare italiano. 70. Altri invece opporranno, che siffatte storpiature , in maggiore o minore quantità secondo la qualità delle persone, sono bensì proprie del volgare fiorentino parlato; ma che all’incontro le forme che sole oramai sono ricevute nelle scritture sono e furono usitate dagli scrittori Fiorentini, certo almeno dai migliori, fino dai primi tempi nei quali si cominciò a scrivere nella nostra lingua. Di buon grado ciò concediamo, anzi è appunto ciò che cerchiamo di dimostrare: che il volgar fiorentino, da Aldobrando e da’ suoi seguaci che l’adoperarono nei loro scritti, fu accresciuto, espurgato , ingentilito , in somma mutato in modo, che ne surse quasi un altro volgare; sebbene molti, anche a quel tempo, con- tinuarono a scrivere non in questa nuova lingua, ma in fiorentino e negli altri loro volgari municipali. Al più si potrebbe contendere, che anche a questo nuovo volgare debba darsi nome di fiorentino, dal vol- gare ond’è derivato. Ma a ciò si oppone l'intenzione dei creatori di questo nuovo volgare, molti dei quali non erano neppure Fiorentini ; ed Aldobrando quando cantava la battaglia di Legnano Di gran stante vittoria, Maggio non tornerà a Italia gloria; 504 DI GHERARDO DA FIRENZE £ DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. è que suoi contemporanei, dei quali egli dice che Pianser la trista ancella, Fior non tacendo tanti laidi fatti Di vergogna e di pianto; E ad un membraro quanto Eternal gloria e onor ad essa adduce, A prodi onrevol atti D’onne guerrier e duce: - per certo intendevano parlare non nel volgare della sola Firenze, ma în quello di tutta Italia. — Vi si oppone inoltre, come sopra abbiamo veduto, l'autorità di tutti i più antichi infino a Dante, e quella di Dante medesimo, che costantemente appellarono questo nuovo volgare italico, e non mai fiorentino; vi si oppone finalmente la circostanza, che questa lingua non è per nulla, anche ora, più propria di Firenze o di Toscana, che non del resto d’Italia, nè ivi, per confessione degli stessi Toscani, meglio scritta o parlata. — Mentre adunque resta, a parer nostro, indubitato , doversi alla Toscana e particolarmente a Firenze l’onore di aver dato culla alla lingua nostra italiana, alla lingua di Dante, del Boccaccio, del Petrarca, e che questa ivi nacque dal volgar fiorentino, non in Sicilia (gr) nè in altra parte d’Italia: conchiudiamo per altra (91) Crediamo inutile di confutare la favola del Lucio Drusi da Pisa, riferita da PIERFRANCESCO GiameoLrari nel Gello (Firenze, 1549, pag. 132-137). Il Sonetto ch’ei riferisce sotto nome di Aga- tone Drusi ha al tutto l’aspetto di lavoro del secolo XVI; nessuno mai vide il codice antico, dove si dice leggersi quel sonetto; ed in ogni caso il grard’arolo di un contemporaneo di Dante non ci farebbe rimontare che al 1200 circa. Oltreciò, se tutti gli scritti di Lucio Drusi erano periti con lui, nè egli aveva lasciato opera d'inchiostro, come potè il suo pronipole asserire, che E di seztenze e d’amorosi detti e di dolcissime parole ei vinse e Dante e Arnaldo, e tutti i più pregiati di quella età? Ma sopratutto, nella condizione presente degli studii sulla formazione delle lingue neolatine, è manifesta la falsità dell’asserzione , che quel preteso Drusi i parlar sicilian giunse col nostro; asserzione che non ha altro scopo, fuorchè di conciliare il primato dei Toscani in falto di lingua, coll’opinione allora da tutti ricevuta, e ora pressochè da tutti rifiutata, che lingua e poesia ci sieno venuti di Sicilia. E più ancora dell’asserzione medesima, è assurda la spiegazione che se ne aggiunge: « Ma ditemi, come congiunse Lucio il parlar siciliano al vostro? Terminavano, rispose Carlo, que’ nostri antichi la maggior parte delle lettere per consonanti. ...... Et i Siciliani per l’op- ‘2 posilo le finivano con le vocali....... Dicono adunque che Lucio, considerando la nostra pro- » nunzia et la siciliana, et vedendo che la durezza delle consonanti offendeva tanto l’orecchio , > quanto per voi medesimo conoscete per le rime de’Provenzali: cominciò, per addolcire et mili- î gare quella asprezza, non a pigliare le voci de’ forestieri, ma ad aggiungere le vocali nella fine > di tutte le nostre. Il che se bene per allora non piacque molto, se non a pochi: dopo la morte nientedimeno di esso Lucio, conoscendosi manifestamente la suavità et la dolcezza di tale pro- DI CARLO BAUDI DI VESME. 505 parte, che questa lingua non è una cosa medesima col volgar fiorentino, e che divenne ed è lingua commune italiana. 71. Crediamo avere con incontrastabili testimonianze dimostrata l’antichità dei poeti italiani Gherardo da Firenze e Aldobrando da Siena, dei quali publichiamo le poesie, e ‘di Lanfranco da Genova, Bruno de Thoro da Cagliari, ed Elena di Arboréga ; e sotto un aspetto in parte nuovo, a nostro avviso, abbiamo trattato l’antica nè ancor risolta questione delle origini e della natura della lingua italiana. Resta ora che altri, o seguendo o combattendo le nostre opinioni e i nostri argomenti, e sopratutto prendendo a diligente e ragionato esame, e confermando con esempii tratti dai migliori testi, l’indole e le forme direi quasi carat- teristiche dei volgari toscani, e nominatamente del fiorentino, porti nuova luce alla questione, che certo è fra le più importanti per la storia ‘della nostra letteratura, come anche per definire l’indole e le forme legitime della lingua italiana. 72. E qui dovremmo por fine a questa nostra dissertazione , se ancora. non ci restasse a rispondere ad una interrogazione , che da alcuni ci venne fatta, e che forse molti più ci faranno, al leggere questo nostro scritto: come mai per noi, contro la testimonianza di Dante, del Petrarca, e di altri antichi, e contro il consenso di tutti i moderni fino a questi tempi recentissimi, siasi potuta ammettere la sincerità di scritture italiane, alcune delle quali verrebbero a risalire ai primi decennii del secolo XII, e che quasi tutte, per pregio anche di lingua, oltrepassano la maggior parte di quelle del secolo seguente (92); e ciò » nunzia, cominciarono i Toscani a seguire la regola delta. Et non solamente nelle composizioni » rimate, ma nelle prose ancora, et nel favellare ordinario dell’uno con l’altro ». — A tutti è noto, e posto oramai fuor di questione, che le terminazioni per vocali ci vennero direltamente dal romano ruslico, e che perpetui esempii se ne trovano nei documenti dei tempi anteriori anche di più secoli al preteso Lucio Drusi. (92) È notabile a questo proposito il seguente passo del precitato Memoriale di ComitA DI ORRÙ, scritto circa l’anno 1271 (MARTINI, Appendice alla Raccolta, pag. 126): « Per sos quales ultimos » exemplos de ipsa lingua italiana, qui est multu bella, et pro causa de ipsos, pro confunder su » supradictu Misser Paulu, illi narrari bas, qui custa tale lingua de custos est multa plus pura » de culla qui hoe usatsi dae ssos poetas presentes de Italia, qui l’hant corrupta cum ipsos verbos » over parabulas qui hant inventadu et inferquidu pro accatari ssa rima; et eciam scrivent disa- » visadamente: pro ipsa quale causa ipsa lingua de hoe non est culla de su passadu, et in locu de meliorari hat pejoradu ». Senie II, Tom. XXIII. 64 506 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. da noi siasi potuto asserire sull’autorità di manoscritti o supposti, dicono , o di dubia sincerità, e che perciò non possono far fede in sì grave questione, e contro tante antiche e nuove concordi testimonianze. — Noi invece non solo non abbiamo creduto dover dare principio a questa nostra dissertazione col dimostrare la sincerità delle carte di Arboréa, e dei due codici, Fiorentino e Senese, di Aldobrando ; ma neppur ora crediamo dover spendere parola su quest argomento. Per noì, che le cento volte abbiamo avuto fra le mani ed esaminate le carte di Arboréa, la loro autenticità è indubitata quanto quella dei più - sinceri antichi manoscritti. Fu lungo tempo qui dinanzi a voi, Signori e Colleghi, l'antica pergamena del secolo VII, contenente il ritmo in onore di Jaleto; e nessuno di voi ebbe ad opporre al giudizio della Commissione da voi nominata, che dopo maturo esame la dichiarava sincera (93). Fu parimente dinanzi a voi la pergamena del secolo XIII, contenente parte di una lunga lettera di Giorgio de Lacon, e in essa inserito appunto uno squarcio di una delle canzoni di Bruno de Thoro; e la massima parte di quella pergamena, con le cinque stanze della canzone, avete tuttora dinanzi agli occhi fedelmente rapresentata, nelle. stesse dimensioni dell’originale, in una fotografia di assai bella esecuzione : e quanti videro o la pergamena o la fotografia furono unanimi in confessare la sincerità del documento. Fu dinanzi a voi il codice Garneriano, contenente vite di antichi illustri Sardi; fu ed è tuttora dinanzi a voi il foglio conte- nente l’inno di guerra d'Ilfredico contro i Saraceni; e quanti fra voi li esaminarono, li dichiararono sinceri. E per venire a quello che più d'appresso ci riguarda , ho coi miei occhi diligentemente esaminato e collazionato i tre manoscritti di Aldobrando , e quello di Gherardo ; due di essi, il Fiorentino di Aldobrando, e il Cagliaritano contenente le poesie di esso Aldobrando e di Bruno de Thoro, ed inoltre la per- gamena del secolo XII contenente alcune poesie dello stesso Bruno, sono ora stesso dinanzi ai vostri occhi, e nessuno di voi mosse dubii sulla loro sincerità. Dichiaravala evidente ed incontrastabile anche un insigne filo- logo, il celebre Tischendorf, al cui esame , nel recente suo passaggio in questa città, sottoposi quei manoscritti (94). (93) Rapporto della Giunta Academica intorno alla Pergamena Sarda contenente un Ritmo storico del fine del secolo settimo; nelle Memorie della Reale Academia delle Scienzé di Torino, Serie II, Tomo XV, Parte II, pag. 305 e segg. (94) Ed il medesimo giudizio ne diedero i signori Cesare Guasti Segretario dell’Academia della DI CARLO BAUDI DI VESME. 307 In tale stato di cose non tocca nè a me nè ad altri di cercare di comprovare l’esistenza e la sincerità di manoscritti, che là sono a ma- nifestarla per sè medesimi a chiunque si faccia, ad esaminarli : spetta a chi li tenga per apocrifi, ad esaminarli accuratamente, a dimostrarne la falsità, e a rendere qualche ragione, se non certa, almeno probabile, almeno possibile, intorno all'autore o agli autori di quegli scritti, e del quando, dove e come quei numerosi manoscritti siano sorti in Sardegna, e i due di Aldobrando in Palermo. Chè a distruggere l’argo- mento proveniente dall'esistenza di quei manoscritti nelle varie biblioteche, e dalla testimonianza che della loro sincerità diedero quanti li esami- narono , è poca cosa o un sorriso di disprezzo, ovvero il dichiarare che quei manoscritti sono impostura sì evidente, che non ha d'uopo di essere dimostrata; nè punto ci muove anche l’asserzione, che odo da alcuni, che le notizie ivi contenute sono troppo nuove, troppo importanti, perchè si abbiano a reputare sincere. E quando leggo, per ésempio, in una recente d’altronde pregevole dissertazione di un giovane Tedesco sulle cose di Sardegna, che gli avrebbero fornito importanti notizie le carte di Arboréa, ma che non ne faceva uso, perchè quei documenti erano tutti nostris diebus ficta ac fabrefacta (95): non so se Crusca, Carlo Milanesi Professore di Paleologia, Dott. Francesco Grottanelli Bibliotecario della Biblioteca Communale di Siena, e Luciano Banchi Segretario del R. Archivio di Stato di Siena, ai quali, durante la stampa della presente Memoria, diedi ad esaminare la pergamena del secolo XII contenente poesie di Bruno de Thoro ,.la fotografia di quella del secolo XIII, e il codice delle poesie di Bruno e di Aldobrando. (95) « Quantum vero lucis obscuris istis Sardiniae temporibus inde a VII usque ad XI saeculum » afferrent membranae illae Arboreenses, quae Oristani nuper reperlae esse dicuntur, nisi adul- » terinae suppositaegue omnes essent habendae! » « Atque id primum confiteri debemus, arctissimo quodam vinculo omnia ista monumenta inter » se conjungi ; confirmatur alterum altero, quaeque in uno per se conspecta obscura manere possunt, » multam ex ‘altero lucem accipiunt; quam ob rem aut omnia sincera, aut omnia uno opere eadem- » que industria ficta ac simulata. Quod quidem, sicuti recte judicavit Martinius, saeculo XV vel » antea fieri non potuit, nimis enim difficile fuisset. Aliter res sese habet, postquam Mannus Sar- » diniae historiam confecit ». « Nos vero sine ulla dubitatione tam rhithmum illum Ihaleticum quam reliqua monumenta Arboreensia, quorum unumquodque una cum altero aut stare aut corruere necesse est, adbibitis, » auctis, exornatis, que Mannus et ceteri de Sardinia conscripserunt, nostris diebus — quid non mortalia pectora cogis, historiae sacra fames! — ficta ac fabrefacta esse contendimus ». > . De insula Sardinia, contentioni inter Pontifices Romanos atque imperatores materiam praebente , Corsicanae quoque historiae ratione adhibita. Dissertatio inauguralis historica, quam consensu et aucto- ritate amplissimi Philosophorum ordinis in alma litterarum Universitate Friderica Guillelma ad summos in Philosophia honores rite capessendos die XXII m. februarii a. MDCCCLXVI, %. XI, publice defendit auctor ALFREDUS Dove Berolinensis. Berolini, typis Lange; pag. 4, 30, 36. 508 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. mi muova più a compassione la leggerezza colla quale pronunzia un sì riciso giudizio su documenti da lui non mai visti in originale, e della maggior parte dei quali non conosceva: neppure il contenuto ; o se più mi tragga a disdegno il vedere accusate. d’impostura persone insigni nelle lettere e di fama illibata, che quanti li conoscono sanno essere incapaci di farsi autori o complici di una tal frode. 75. Reputerò non ultimo fra i frutti di questo mio lavoro, se con- tribuirà a richiamare l’attenzione dei dotti sulle carte di Oristano che si conservano nella biblioteca di Cagliari: chè sarà certo di vantaggio alla scienza, sia che alcuno pervenga a dimostrarne la falsità; sia che per questo esame, come è per me cosa indubitata, si faccia viepiù palese la sincerità di quella ricchissima sorgente di notizie, dai tempi anteriori alla dominazione dei Cartaginesi in Sardegna fino alla metà del secolo XV, dalle quali non solo nasce a nuova vita la storia di quell’isola, ma, come ora per mezzo delle poesie e delle notizie che publichiamo di Gherardo e di Aldobrando, si correggeranno molti errori e si riem- piranno molte lacune anche nelle altre parti della storia letteraria e politica d’ Italia. DI CARLO BAUDI DI VESME. 509 74. Resta che facciamo alcune parole intorno al modo da noi tenuto nel dare alla luce queste antichissime poesie di Gherardo e di Aldo- brando. Ed in prima dobbiamo avvertire il lettore, che niuna diligenza ci parve soverchia o troppo minuta, trattandosi di una prima edizione di antichissimi scritti, nei quali tutto può avere importanza ad illustrare le origini, l'indole e la storia della lingua e della poesia italiana. Nel dare il testo delle poesie abbiamo necessariamente dovuto sciogliere le abbreviature , numerose; ma generalmente non difficili, che s'incontrano nei manoscritti, e particolarmente nel Cagliaritano e nel Fiorentino ; abbiamo disgiunto le parole, scritte spesso di continuo e congiunte in una sola nei manoscritti; o congiunte le sillabe di una stessa parola, ivi disgiunte, od appiccicate alla parola seguente o alla precedente ; abbiamo aggiunto le apostrofi e i segni d’interpunzione, dei quali nessun vestigio è nei nostri codici; nel resto, e pel testo e. per l’orto- grafia, abbiamo fedelmente espresso la scrittura dei manoscritti , non allontanandoci da essa in alcuna cosa anche leggera, senza avvertirne in nota il lettore. In quelle fra le poesie di Aldobrando che si leggono non nel solo Cagliaritano, ma anche nei manoscritti Fiorentino e Senese , abbiamo notato tutte le varianti anche leggere, e quelle di semplice ortografia , o dovute a manifesto errore del trascrittore. Le sole varietà delle quali abbiamo creduto bastante fare qui cenno sommario, senza tenerne conto a ciascun luogo nel riferire la scrittura dei manoscritti, sono le seguenti: 1° Il codice Cagliaritano suole porre la sigla della voce latina et invece della particella italiana congiuntiva e, anzi alcuna volta perfino invece del verbo è; alcune rare volte ha let per e anche il Senese. Noi riteniamo costantemente la vera scrittura e coll’autorità del codice Fiorentino; e ciò tanto più, in quanto la misura del verso dimostra bene spesso la verità di tale lezione, della quale d'altronde troviamo esempio nello stesso codice Cagliaritano, e che è confermata dalle due antiche pergamene, l’una del secolo XII l’altra del seguente, contenenti versi di Bruno de Thoro. » 510 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 4° Molta inconstanza e varietà trovasi e tra i varii codici, ed in ciascuno con sè medesimo, nell'uso delle consonanti doppie; la doppia è frequentemente omessa, sopratutto nel Fiorentino. In quelle poesie di Aldobrando, che si leggono nel solo codice Cagliaritano, siamo stati in ciascun luogo fedeli al manoscritto ; anche nelle rimanenti poesie abbiamo in ciò principalmente seguito il Cagliaritano, col quale per lo più concorda il Senese. Che in ciò la scrittura del Fiorentino sia dovuta a solo arbitrio di copista, ce ne persuade , oltre altri argomenti, la circostanza, che talora di varie voci corrispondenti per rima vi è in alcuna conservata la doppia, in altre omessa. 3° Finalmente dobbiamo avvertire, che alcune rare volte nei mano- scritti è tralasciata la lineetta sopra i parole, indicante l’omissione di alcuna lettera, e nominatamente della n. Ogni altra diversità anche leggera che si troverà tra la lezione nostra e quella dei manoscritti, o dei varii manoscritti fra loro, verrà da ‘noi annotata. E ciò tanto più abbiamo creduto di dover fare, in quanto il consenso quasi costante del codice Cagliaritano cogli altri due, prove- nienti, come abbiamo notato, da un altro originale di Aldobrando, ne fa certa testimonianza, che, e pel testo medesimo e per l'ortografia , la scrittura del codice rapresenta fedelmente quella dell’autore; il quale a sua volta sembra che anche nell’ortografia procedesse non a caso, e con assai meno varietà ed incostanza, che non fecero la maggior parte degli scrittori dei secoli prossimi seguenti. E qui giova avvertire, che la scrittura dei manoscritti che riproduciamo è quasi sempre italiana e conforme alla pronunzia, e non foggiata alla latina, come in quasi tutte le scritture della seconda metà del XIV e in quelle del XV secolo. È già da parecchi fu avvertito, che la scrittura dei manoscritti italiani del principio del secolo XIV ed anteriori è assai meno latina e più sincera, che non quella dei tempi prossimi seguenti. 75. Laddove le poesie di Bruno e di Aldobrando, sì nei manoscritti Cagliaritani come nel Fiorentino e nel Senese, sono scritte da persona accurata ed intelligente, sì che gravi o frequenti errori non fanno dif- ficile la restituzione del testo: quel Didaco di Milia da Villa di Chiesa (Iglesias), al quale dobbiamo la raccolta di poesie che ci conservò la canzone e i sonetti di Gherardo, pare fosse al tutto ignaro della lingua italiana , o almeno per certo, che delle antiche ed oscure poesie che trascriveva di Gherardo non intendesse sillaba. Quindi la divisione delle DI CARLO BAUDI DI VESME OLI parole quasi sempre errata, e fatta, ben può dirsi, a caso; lettere tras- poste, non infrequenti gli errori di scrittura, e sopratutto le lettere simili, come n ed w, c e £#, ad ogni tratto scambiate; omessa costan- temente la lineetta sopra le parole, destinata a tener luogo di alcuna lettera sottintesa. À queste difficoltà si aggiunga la minutezza dei caratteri quasi. svaniti, e l'oscurità del dettato dell’antico Gherardo: e ben pos- ‘siamo dire che ha del maraviglioso, come il Pillito abbia potuto deciferare, e con rara abilità emendare ed interpretare, almeno in parte, questo prezioso monumento di poesia italiana. Diamo adunque la canzone e il terzo sonetto di Gherardo secondo la lezione del Pillito. Il quale non essendo finora riescito a deciferare i due primi sonetti, abbiamo tentato noi medesimi di darne la lezione; ma fallimmo nel tentativo; sì che ci parve quasi miglior consiglio omettere quei due sonetti del tutto. Ci siamo infine decisi a conservarli, nella fiducia che pur questo nostro infelice abozzo possa essere di qualche ajuto a chi dopo di noi si accinga, con maggiore ingegno e fortuna, alla restituzione di queste antichissime e difficili poesie. Affinchè tuttavia possa ognuno tentare di esse tutte quella diversa lezione od interpretazione che reputi migliore, diamo a fronte dei pochi tratti restituiti la lezione del codice, quale potemmo” ritrarla, con tutti i suoi errori; e per soprapiù ne rappresentiamo l’intera imagine in un facsimile tratto dal Pillito, col confronto del manoscritto, da una fotografia circa due volte e mezzo maggiore dell’originale. — Quindi per le poesie di Gherardo non reputiamo necessario di indicare, come facciamo per quelle di Aldobrando, ogni qualvolta la lezione ricevuta si scosta da quella del manoscritto; potendo ciò scorgersi col confronto del testo originale, che riproduciamo , col testo corretto. 76. Alle poesie di Gherardo per la loro oscurità, e alla canzone maggiore di Aldobrando, sì perchè in alcuni luoghi alquanto oscura, sì per la grande sua importanza storica, aggiungiamo una parafrasi in prosa; alle altre poesie ci parve bastante apporre alcune note, a spiegazione dei passi più oscuri. Parecchie di queste sono tratte dall’edizione che del- l’intero codice Cagliaritano aveva preparato il Martini nell’Appendice alle Carte di Arboréa; edizione che, rimasta imperfetta per la morte del- l'Autore, viene proseguita e sarà fra breve condotta a termine dall’Autore della presente Memoria: queste annotazioni verranno distinte col nome del Martini. Perla canzone e pel terzo sonetto di Gherardo la spiega- zione è in gran parte tratta dalle annotazioni, che riproduciamo, del Sita DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Paleografo cav. Ignazio Pillito. Le voci oscure o disusaté che si trovano in queste poesie di Gherardo e di Aldobrando verranno raccolte in fine ed interpretate, ed, ove occorra, confermate di esempii, in un Glossario. Oltre il facsimile intero, del quale sopra abbiamo parlato, della pagina contenente la canzone e i tre sonetti di Gherardo, diamo abondanti facsimili dei varii manoscritti che contengono poesie di Bruno de Thoro e di Aldobrando: ossia della pergamena coeva contenente alcune poesie di Bruno de Thoro (vedi sopra, $ 21 e 37); di quella del secolo XIII contenente parte della sua canzone a Preziosa (S 21 e 36); e dei tre manoscritti cartacei del secolo XV, il Cagliaritano, il Fiorentino e il Senese. Fu nostra intenzione con ciò, non solo di porre sott'occhio in quale forma nei varii manoscritti si leggano queste antiche poesie, ma sopratutto di viepiù dimostrare l’antichità e la sincerità dei manoscritti che le contengono. 77. E qui non sappiamo astenerci dal chiudere questo nostro scritto col rinnovare il voto che più sopra facevamo , che non solo si rivolga l'attenzione dei dotti sugli antichi monumenti che qui publichiamo , e sulle numerose e importanti questioni che li riguardano; ma che nomi- natamente, da persone che prendano i manoscritti ad accurato esame, venga in modo certo, e che precluda la via ad ogni dubio o controversia per l'avvenire, dimostrata o la falsità, ovvero la sincerità e l’importanza, delle carte di Arboréa, e con esse dei. manoscritti Fiorentino e Senese di Aldobrando. CANZONE E SONETTI GHERARDO DA FIRENZE Serie IL Tom. XXH_II. 514 CANZONE E SONETTI Qualche rera fere voi cha jcutate uro mal seco euoler biuco eourare E de sider nisague pcui simore elague Pghero eso noecal disuare dto odesi di ragio un solo face e date tal chemesti sono cati coueti Cele oure no mster uicor eueto pte solsta taupio euaiero LI baroe ema snadiero isenaue citrii magioini chesti li fiori racatar se meza atica ese pan confuso acuta guisa che magio n sidica do (31) INTERPRETAZIONE Qual richiesta alle fiere! Voglio ch'attutiate (*) i vostri mali sen- timenti , e brutte opere e volontà, e desiderio di sangue, per cui si (*) Di questo oscurissimo passo ho ammesso la lezione e l’interpretazione del Pillito ; quantunque appieno non mi persuada; ma non mi se n’offerse altra più probabile. Annotazioni del Pillito (1) Qual richiesta alle fiere! (2) Voglio ch’attutiate. (3) Instinto. (4) Preghiera. (5) Che divarii. che muti. (6) Le cose dette, cioè il mal istinto, voler brutto, ecc. (7) Intendasi : dirò. (a, hi (Sad DI GHERARDO DA FIRENZE. CANZONE Qual cherer a fere!' Voi’ ch’aitutate * Vostro mal sento 5, e voler brutto e ovrare, E desider di sangue, Per cui si more e langue. Preghero ‘ esso non è tal disvare ® 3 Detto °. Onde sì diraggio un solo fate, Ed a te tal”, che mesti * Sòno ?, canti, conventi ‘°, Cele, ovre, non mister", vittor e venti *, Per te sol sta, taupino e vaniero ', 10 Barone e masnadiero ‘“, ; In Sena, ’ve ” ti crii ‘’. Ma giorni chesti Li Fiori '* racatàr '? semenza antica, E separan confuso ?° a tutta guisa, Che maggio non si dica **, SS 15 muore e langue. Questa non è preghiera tale da variare ciò ch'io dissi; onde sì dirò un solo fatto, e tale : che in Siena, dove ti fai grande, per te stanno mesti musica, canti, adunanze, gli scherzi, le opere e il riposo, 1 vincitori e i vinti ; il tapino e il vanitoso , il barone e il masnadiero. Ma in questi giorni Firenze racquistò l’antica semenza , e in ogni maniera separa ciò che confondesti, acciò che più non si dica, (8) Misti. (9) Suono. (10) Convenzioni. (11) Non mestiere , cioè ozio, inerzia. (12) Vincitori e vinti. La rima dimostra che nell’originale leggevasi vezti, non verto. (13) Tapino e vanitoso. (14) Cavaliere. (15) In Siena, ove. (16) Dal verbo criare, creare: ti decanti. Così costruireì questo periodo: Che in Sena ove ti crii Barone e Masnadiero, per te sol, tanpino e vaniero, stan misli suono , canti, conventi, celie, ovrare, non mister, vittor e vinto. (17) Ma questi giorni; ma oramai. (18) Intenderei Firenze. (19) Raccattarono, rivendicarono, (20) Ciò che hai confuso (21) Affinchè più non si dica, non si ripeta. CANZONE E SONETTI (91) a (©») u cuto i uolsti boe mala uisa malo porto rime e dio a te dao Cechi amister pesero for i cede eran purore prede oita adira agiusto ver luifao 20 amicie ogi unque asento Edi spiageza lora Onela borecosa poi tuto foe aduto a sperdi meco machedo leredin verchifai dolia ala mete n fose gia ria uolia tal laurador da lumileno trice paga tomala ratro ez apamira laso inoire sui sudorme sdice mani gri geza giano polo adira sa chetua necel chapa apro uedeza edarse uol noi trar nubi nemiche uluom suo pa mediche edoe gual se meza doque meo o lupo gai metara cata sa ptosa e ratacal cui cadu cesti efor guisomi sueturamata vo (SI come tu ogni cosa, e bene e male, involvesti, ponesti insieme, a talento. Ma il rimedio apportato è a te di danno; che chi intende ad alcun ministero senza darsene pensiero, e prende rame per oro puro, a buon diritto gli amici e chiunque ha senno gli fanno onta e gli si volgono a sdegno; ed allora ogni lavoro ed ogni cura gli torna a dispiacere, poichè tutto riesce a sperdimento. Ma a che dolerti, o di chi si duole la tna mente, se già non fosse della tua ria volontà ? Tale il lavoratore, (22) Mentre tutto involgesti, confondesti. (23) A tuo talento. (24) Ma il rimedio porto (dai Fiori) fu ate dannoso. (25) Mestiere. (26) Fuor pensiero. (27) Spiegherei: che chi si accinge a un’opera spensieratamente. (28) E prende rame per oro puro. (29) Onta. (30) Chiunque. (31) Senno. Cioè : certamente promuove l’onta e lo sdegno degli amici, e di chiunque ha senno. (32) Dispia- cenza, dispiacere. (33) Ogni lavoro, fatica. (34) Cura. (35) Poichè. (36) Addotto, condotto. (37) Ma di che dolerti? (38) E contro chi ti lagni ? (39) Contro la tua mente (se già non DI GHERARDO DA FIRENZE. Vi 4 U’ tutto involsti ? bon e mal a visa ”. Ma lo porto rimedio è a te danno ” ; Che chi a mister”, pensero for ?, intende ?’, E ram pur oro prende ?, Ointa © ed ira a giusto ver lui fanno 20 Amici, e ogni unque ’ ha sento; E dispiagenza * lora Onn’è labor # e cora #, Poi #* tutto foe addutto * a sperdimento. Ma che doler ”, ed inver chi fai dolia * A la mente, non fosse già ria volia # ? Tal lavrador ‘° dall’umile notrice “ Pagato mal ‘, aratro e zappa mira Lasso! in noire #, e sui sudor mesdice “:; Ma nigrigenza ‘ già non ponlo ad ira, so Ch° è tua ‘’, nè Cel ch’'ampera a provedenza ‘7, Ed arse * vol noi # trar nubi nemiche °°, U’ l’uom suo pan mendiche. Ed onne qual * semenza. Donque, o meo Lupo, gaimentar © a tanta sò Pretosa 5 e ratta * cal * cui t’adducesti, E for guis’ onne °° misventura manta ”, 19 at mal pagato dall’umile commune nutrice, la terra, mira, lasso! con noja aratro e zappa, e maledice i suoi sudori; ma non si adira contro la negli- genza, che è pure la tua colpa, nè contro il cielo che comanda di essere providenti, e che lottiamo contro le arse nubi ch'ei manda nemiche ai raccolti, sì che l’uomo ottenga colla preghiera e colla fatica il suo pane, ed ogni altro frutto della terra. Dunque, o mio Lupo, non devi tragger guai a motivo del sì pietroso e ripido sentiero, e per le molte sventure fosse contro la tua rea volontà). (40) Così l’agricoltore. (41) Dalla terra. (42) Mal corrisposto. (43) Noire, con noja. (44) Maledice. (45) Così, per negligenza. (46) Intendasi la negligenza. Qui rimprovera la negligenza usata dall’individuo di cui parla. (47) Con provvidenza. (48) Aride, secche. (49) Vuol a noi. (50) Costruiscasi: e vuol trar (trarre, mandare) a noi arse nubi nemiche. (51) E qualunque altra. (52) Rammaricarti. (53) Così, per pietrosa. (54) Ripida. (55) Calle; in genere feminino. (56) E for onne guisa, cioè oltre ogni modo. (57) Grande disventura. 5:18 CANZONE E SONETTI no dei nefo micio auisar foruia chebecu ifedi contra rio sia Para mico credo mai festi noi acosi gliche spme copta euita atore corta tuofa loe dogua malo la uradore sedi spiacete foecuo labore 40 ciusdem G."“ de florecia e gravi oltre misura, nelle quali tu medesimo ti sei condotto. Nè mi fo a notare ciò fuor di proposito; che bene io credo che colui che sia (58) Nè fommiì ad osservar ciò fuor di proposito. (59) Costruirei: che è ben cui crede sia contrario fedel amico parer, cioè: che ben sta a chi crede d’essergli contrario un parere DI GHERARDO DA FIRENZE. DI Non dei. Nè fomi ciò a visar for via ”; Che ben cui fedel contrario sia Parer amico, credo ° manifesti 40 Noj’ °° a consigli che spermento ° porta, E vita a core © torta *. Tuo fallo è donqua, malo lavradore, Se dispiacente foe tuo labore. Ejusdem Gherardi de Florencia. avverso ad un parere amico e fedele, manifesti no]a a consigli dettati dall’esperienza, e da una vita tormentata da cure. Tuo fallo è dunque , o malo lavoratore , se ingrato riescì il tuo lavoro. sincero e leale. (60) Noja. (61) Sperimento, esperienza. (62) Dalle cure. (63) Tormentala, consumala. (Sai CANZONE E SONETTI Chi piagedo pche meo mico fio e tassa general cor meo speciale e dotta sal macolta asol diuio e compiaca talmore epoi r j uale Juol ce sie color mal musio ecom pia chetri scira rue di suale edi a ver luomo docco si uicio also no dalo aloueo sicotale ad esor brar che dujo legerioso ora tra graue scue raggio emesto acuo color e auisa dirdo gljoso ..ale do rata i ferta che fu questo onnagio uia doglorifa mipeoso talche ua ...bo fa lo merto presto eiusdem G." de florecia 10 ‘DI GHERARDO DA FIRENZE, 921 SONETTI Chi piangendo perchè meo ’mico fino, E tassa general cor meo speciale, E dotta salma tolta a sol divino, E com pianta tal more, e poi rivale. I color sino E com disvale E dia ver l’uomo, dotto, si vicino AI lo veo sì cotale Ad Ora tragrave sì verraggio, e mesto A tuo color, e a visa dir doglioso. Quale dorata infertà che fu questo, Onn’aggio via doglior fammi penoso, Talchè va .. bon fa lo merto presto. Ejusdem Gherardi de Florencia. Serie II. Tom. XXITE. 66 I CANZONE E SONETTI Sidoear rulio guaue mori rassa via (0 vra) ou aie a penado dlIcioso dadegri ser uoi tuo chegia p assa Al imo seude i ueresa el gioioso Acola mico la s io doglia etassa gran uo chicio riseuto tuon 0joso Ahi di sagiaza sua e mea pur tuassa ma gio siaffritto pi alcome poso Sicin pcaa moricor pte slugiare pari a contrati togielche al sicotada chemor a Alcide raspadiuare viagel ora ed auilo mio sada p uol eresso puco desiare mate chiereo lordor te maco agrada ” eiusdem G." (#13 10 DI GHERARDO DA FIRENZE. , L D2 II. Si. . Vostra . penando dolcioso Da . i | che già passa AI .giojoso A doglia tassa Gran i fuo nojoso Ahi di saggianza tua e mea M°aggio sì affritto, pari al come poso. Se in perta amor .in cor per te slungiare ada Che mora Alcide are Vi sada Per voler esso punto desiare; Ma te chier’eo lordor, te manto agrada. Ejusdem Gherardi. U? [S) da CANZONE E SONETTI Com tebo saue ilmeo cheardo i guerra mei avisi olo tuo chi torquelore chefor perta lo gioco e besi serra piacete nome dl cuobo seniore talche com saui eninesta terra O) chechi aude sola rouetar tutore sciele magio dichido ge e derra so veco inesto e date or rato onore ealatua bela evertual Preciosa vercui giatesi for giove niagara iù similsomise chiquesto mecosa epoiora misicria agui sarara medi vertu edam orintu gioiosa tazo di lecco eada senar mi para ejusdem G." Come a te pare buono il mio CHE ARDO IN GUERRA, io ravviso ancor migliore il tuo Cai rorque L'orE; che lo scherzo è senza danno, e in esso ben si racchiude il piacente nome del tuo buon Signore. Sicché come avviene in questo mondo, che talora chi ode diventa più dotto di chi insegna ed erra : così io son vinto in questo, e tua è la lode Annotazioni del Pillito 1) Come a te piace. (2) È chiaro chie il poeta accenna a giuoco di parole da lui formato sul proprio nome, cioè da Gherardo, ardo in guerra. (3) Meglio io ravviso. (4) Questo simil giuoco di parole fu appunto usalo da Bruno de Thoro nella canzone in lode di Preziosa, ove disse Chi le ore... torque per indicare il nome di Torcotore o Torcolorio marito di Preziosa. ‘5) Senza DI GHERARDO DA FIRENZE. 525 III. Com te bon save ' il meo - CHE ARDO iN GUERRA È -, Mei avis’io * lo tuo - CHi TORQUE L’ORE ‘ -; Ch’è for perta * lo gioco, e ben si serra _ Piacente nome del tuo bon Seniore °. Talchè, com s’avien in esta terra, 5 Che chi aude ? sol ® aroventar ? tuttore *° Sciente maggio di chi doge" ed erra, Son vento ‘ in esto; ed a te orrato onore "i. E a la tua bella e vertual " Pretiosa,. Ver cui già ’ntesi for * gioveni a gara, 10 Simil ‘ somise ‘” chi questo me cosa *. E poi ora mi si cria '?: a guisa rara, Mendi, vertù ed amor in tu’ giojosa Canzon diletto, ed assennar mi para ?°. Ejusdem Gherardi. e l'onore. E per simil modo chi mi è cagione di ciò (Torquitore) sog- giacque alla tua bella e virtuosa Preziosa, della quale i giovani già furono accesi a gara. È poichè ora mi si crea l’occasione, dirò , che nella giojosa tua canzone difetti, virtù ed amore, tutto mi diletta in guisa rara, e m'insegna a far senno. perdita. (6) E ben vi si ratchiude, vi si spiega, il nome piacevole del tuo buon Signore: cioè lo stesso Torcotorio II, Giudice di Cagliari. (7) Chi è discepolo. (8) Suole. (9) Addiventare. (10) Spesso. (11) Più sapiente di chi insegna. (12) Sono in ciò vinto. (13) Ed a te solo è dovuto l’onore. (14) Virtuosa. (15) Furono. Di cui già invaghironsi. (16) Similmente. (17) Sottomise. (18) Colui che mi causa, che diede origine a queste rime, cioè Torcotorio. (19) Crea. (20) E poichè ora mi si offre, devo dirti, che piaccionmi oltremodo quelle mende, quelle virtù e quegli amori, dipinti nella tua graziosa canzone, che mi si presenta ad insegnamento, 526 CANZONE E SONETTI DI GHERARDO DA FIRENZE. IV. Albor (1) ch'a te me stringe snaturato Scolar nesciente di meo sento punto Da te dispar in che si vuol legato Nè legge meglio che sia l’uom disgiunto. . Esso scolar nè a legger pensa e dato 3 Che tal punto di scriver già fu giunto, E sì lo cumplo u’ dole meo senato (2) Torna gran gio)? da tal sozor unto. INTERPRETAZIONE DEL PILLITO (3). Amore snaturato che a te mi stringi, non sapendo io qual sia la mia fine (oppure, incerto io dell’avvenire), intendo distaccarmi (4) da ‘ te, dissentendo in ciò che torna a legame; nè vi è miglior legge (stato) per l’uomo che il celibato, che l’esser libero sciolto da legame. hf gla giunto il momento di scrivere in tal modo; è così appunto, lo compio, Nè pensi che tale mio distacco sia detto di leggieri, perchè è acciò, se prima era unto da tal sozzore, ora dal mio senno (ossia da questo mio divisamento) ne torni gran gioja. (1) Così il codice; il Pillito emenda Amor. (2) Così il codice; il Pillito emenda w’ de lo meo sennato. (3) Da MARTINI, Appendice alla Raccolta, ecc., pag. 179. (4) Questa significazione del verbo scolare, qui, ed altrove presso Bruno de Thoro, il Pillito appoggia coll’autorità di Fra Guiltone, Sonetto XLYIT, verso 8. ® CANZONI E SONETTI ALDOBRANDO DA SIENA 527 3 RR Di n | hi ; Ci ARIMA 1 i) x : ; ; META ; ESS COSELITO SI OLESMA IVA TeiLI papiro AA LIE ATI PI IS ig ES: (pate î LI FEVER I OPEL] 89 OT ti ua 4 188) ui ato Cara. gia ne Doo ij I po ; i 1 DE) VALLI 7 ' î i ro dt 3 ‘ANA QUIS fi "alpi 57 MT Mea TRAD. Ì i rac papi dA rl 4 i Pafrrti did Vate ti Na n ; ‘ x n 1 j IRE i i) AI i NA ; PA r CI È ‘ f % ti a i Li * h n s 4) nd ' DI ALDOBRANDO DA SIENA. 529 CANZONI 1. Come veglio guerrier, che ver primi anni - Del fior del tempo suo all’armi addutto (Ch’uom bailito da vil ozio è brutto, E maggio ove sua patria ange ad affanni), Della penosa dolce sua moliera 5 Slungiato vane, e poi A Vist ha battaglie e suoi Fedeli campioni parte arcisi e presi, U? corpo salva, per manti anni e mesi Lungo i monti, e i boschi, e fiumi, e piani, 10 D’onne poso, non fera, Stae privo, transe (e tali a prova dico Fatti me prossimani); f. Come vecchio guerriero, che condotto all’armi in sui primi anni del fiore di sua gioventù (chè brutta cosa è l'uomo in preda ad ozio vile, e sopratutto quando la sua patria è travagliata e in affanni), se ne va lungi dalla afflitta dolce sua moglie, e poi ch’ ha visto battaglie . e parte de’ suoi fedeli compagni uccisi o presi, quando gli avviene di scampare la vita, per molti mesi ed anni sen va errando lungo i monti e i boschi e i fiumi e i piani, e più di qualsiasi fiera sta privo di ogni riposo (e in prova dico fatti tali, che a me sono vicini); ma Canzone I. Gonservataci da tutti tre i codici, Cagliaritano, Fiorentino e Senese ; ma nel Fiorentino la prima pagina, che contiene fino al verso 3 della stanza 4, è svanita in modo, che in molta parte è d’impossibile lettura. Stanza £, verso 1. Come. Così i codici Fiorentino e Senese; Como il Cagliaritano. — v. 5. dolce. Il cod. Cagl. forte; vedi il Glossario a questa voce. — v. 12. dico. Il cod. Cagl. dice; contro il senso e la rima. Serie II. Tom. XXUI, i 63 s. 170D. (Sai (GS) te) CANZONI E SONETTI Ma ’Ifin pace tornando e arbitrio antico Alla goleata terra , De U° lieto il porto afferra, i Sua car fedel moliera, A vecchiezza già ’ddutta Non ad età, ma strutta A misagi, ad affanni, e noja, manti a Penosi dì menando | Inver corrotti e pianti, Che non di donna appar già che figore, For onne gioja ch’ ha la perta priso, U’ giojoso l’abraccia e corpo stringe, DO Sue forze aver gli è viso, Suo poder ritemprar e spirto e core. Con amanza la baccia Ed altra fiata abbraccia, Nè da essa, in cui intende, si distringe: di alfine tornando pace e l'antica libertà alla desiderata sua patria, allorchè lieto afferra il porto, mentre giojoso abbraccia la cara sua moglie fedele ) 510] 5 7 e la stringe al seno, già tratta a vecchiezza non dalla età, ma consunta le 20 5 2 dai disagi, dagli affanni, dal tedio, e dai molti penosi giorni passati l'oJali9) D 2 2 to) nel corrotto e nel pianto, sì che priva di ogni gioja, toltale dalla perdita sofferta, già più non sembra che abbia figura di donna: gli pare riavere le antiche forze, e ritemprare il suo vigore, e lo spirito , e il cuore; con amore la bacia, e più fiate l’abbraccia, nè sa staccarsi eni suo affetto : da lei alla quale è rivolto 0g V. 47. meliera. Il cod. Cagl. molizre; male, poichè deve rimare con fiera, v. 141. — v. 20. misagi. Reputo assolutamente vera questa lezione dei codici Fior. e Senese; il -Cagl. ha miserie. — v. 24 e 22. Così dapprima aveva opinato doversi distinguere questi due versi, e così difatti ha il cod. Senese; negli altri due sono scritti di seguito, come un solo verso. — v. 25. figore. L'antico scrittore del cod. Cagl. aveva scritto figora, ma poi corresse figore, e così hanno anche gli altri due codici. — v. 24. ch’ha. Il cod. Cagl. che ha; gli altri due cha. — v. 27. core. Il Cagl. cuore. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 531 2. Cos io, poichè per manti anni muto, Nè posso vergognar, rimasi, ahi lasso! Da poi le fraterne ire in onne passo Di questo loco a onranza già tenuto, i le discordie consumanti, e li odi 3 Ver cittadi germane, D’onne lausor assempro inver le strane, Non da matrigna già ma madre sorte. Unica che d’onor fu onrata forte: E la vendetta di Lotar tiranno, . 10 Quando con altri prodi 1 La possente Pavia, di miei parenti, Già fu stagione, scanno, Chiusero lui le porte; e le seguenti ©. 10. Vili brighe a membrare, o Non tosco invidie amare, E aitre miserie, e male spergitore {E taccio meo, ch’a sciente F. 1°, col. Oltra è dir sofferente), D’orror tragran m’ han priso, e sovrappiena 20 2. così io, poichè rimasi per molti anni muto (nè posso averne vergogna, poichè, ahi lasso! le fraterne ire in ogni parte di questa ‘erra già tenuta in pregio, e le discordie che tutto consumano e gli l 5 Plesso, Ss odii fra cittadi sorelle, che già alle città straniere furono esempio d'ogni opera lodevole, e che nacquero non da matrigna ma da madre che fra tu fu onor v ll regio ; la vendetta « iranno he fra tutte f ata e avuta in pregio; e la vendetta del t Lotario, quando la possente Pavia, luogo d’onde, già è gran tempo, vennero i miei genitori, congiunta ad altri prodi, chiusero a lui le porte; e le seguenti brighe di vile ricordanza, e invidie amare che non è sì amaro il tosco, e altre miserie e male distruggitore; e taccio il mio proprio, che a chi Jo conosce per prova il parlarne è troppo doloroso: m'hanno preso di grandissimo orrore, e ricolma l’anima, Stanza 2. verso 20. orror. Il cod. Cagl. error. to (Oy) VI N CANZONI E SONETTI L’alma, la mente e il core, E già secca onne vena: Fi calamo stemprato e il polveroso Meo libr’ abbraccio, non già como pria, Ma con dottante mano, como porta ca Ad uomo veglio sia; Con grande gioia e voler car amoroso, Non possente valere, Poi è obedir mistiere. Ma simmi, o Cola meo, fedele scorta. _ fi3-90 ò. Canterò denque, ch’obedir amico È bon, cherente in questo dì tragrande, E d’onrevol onor a Italia grande. Nè merto alcun abramo, poi, che dico Ver tuo saver è neente, e men anco ora, ne Che manti già trovaro, Me deredan lasciando. E forse caro In campo fora entrar, dispari in forza; la mente el cuore, e già inaridita ogni vena di poesia): poichè è mestieri obedire, stringo ora la penna stemprata e il polveroso mio, libro; sebbene ciò faccio non già col vigore antico, ma con mano tremante, come si conviene ad uomo che sia vecchio; con grande ‘gioja e con grato amoroso volere, ma con deboli forze. Ma sii a me tu, o. mio Cola, fedele scorta. ò. Canterò dunque ; che buono è obedire l’amico, che di ciò mi richiede in questo giorno grandissimo, e grande all’ Italia di fama ono- rata. Nè bramo di ciò mercede ; poichè ciò che dico è un nulla a petto del'tuo sapere: ed ora meno che mai, che molti già poetarono, lasciando ame l'ultimo luogo. È forse caro costerà l’'entrare in campo, essendo V. 27. gioia. Il cod. Senese gioj. Stanza 3, verso 3. onrevol. Il cod. Cagl. onrevole. — v. 5. anco ora. Il cod. Fior. ancora, ossia ancora. b) (©14 DI DI DI ALDOBRANDO DA SIENA. Ma tu, meo Cola, meo intelletto sforza. Ma, lasso! che diraggio, o acerescer valgo, 10 A quantessi tuttora i Con lausor, prode, e più valenza degna, A cui fior eo non salgo i E men vicino, han detto, onde le regna, Le cittadi e castella ta Creber lor fama bella? i Che già, com lor talenta ed estro assegna, Pianser la trista ancella, Fior non tacendo tanti laidi. fatti Di vergogna e di pianto; , DI) E ad un membraro quanto Eternal gloria e onor ad ess’adduce, A prodi onrevol atti D’onne guerrier e duce, For fallo, ver servato. Onde. tacere do Me porta, loco alcono non parando, U’ mea lingua temprar. Ma ’Icona cosa Già chero dir trovando, Poi rimanendo me d’ingrato fere, impari in forza; ma tu, o mio Cola, afforza il mio intelletto. Ma, lasso! che dirò? o che posso io aggiungere a quanto dessi già hanno detto con lode, utilità e valore più degno, ai quali io non-salgo, anzi neppur mi avvicino, onde i regni, le citiadi e le castella accrebbero la bella loro rinomanza ? Che già come loro aggradiva, e l'estro loro insegnava , piansero la trista ancella, punto non tacendo tanti laidi fatti di vergogna e di pianto; e insieme, senza errore, e fedeli alla verità, rammentarono quanto di onore e di eterna gloria arrechino ad essa le prodi azioni onorate d'ogni guerriero e duce. Mi sento perciò tratto a tacere , più non trovandomi dinanzi luogo alcuno, dove esercitare la mia lingua. Ma pur voglio dire alcuna cosa poetando, poichè rimanendo in silenzio Y. 42. prode. Il cod. Fior. prod. — v. 22. ad ess'adduce. Il cod. Cagl. ad essa adduce. STAN: È ib, col. 1. 534 CANZONI E SONETTI - Ch'esso slungi meo core, i 30 E possanza d’amore; Chè render deggio a te mercè amorosa. i. Alcona cosa donque vo cantando, _Tuttochè a alcon contrar; ma como il core, E coscienza mi spinge, e dritto, e amore Di vertà, men a fiore disusando Che da rispetto tragga o da paura, Non fatti già crescendo, Ma lodato a gran guisa ripetendo, Como s’addice a bon figliol amante: Ch'uom non dicendo stancar deve, e mante l'rovar ragioni di sua terra a proe;: 19 E chi per vil rancura, Ben conoscendo o lausor onne, tace, È snaturato, e soc Nesciente, spurio, cui savere spiace, L'orto suo maldicente, incorrerei taccia d'ingratitudine, e che questa allontani da te il mio cuore e la possanza di amore; chè a te, mio Cola, devo rendere mer- cede amorosa. 4. Vo adunque cantando alcuna cosa, sebbene ad alcuno sia per riescire contraria; ma come mi spinge il cuore, e coscienza, e giustizia, e amore di verità, contando meno che nulla tutto ciò che provenga da rispetto o da paura, non accrescendo i fatti oltre il vero, ma ripetendo altamente le lodi meritate, come si conviene ad un buon figliuolo amante; chè l’uomo non deve stancarsi di dire, e di trovare molte ragioni a pro’ della sua terra; e chi conoscendo alcuna cosa buona o lodevole, tace per vile rancura, è snaturato, e (il so) ignorante, Stanza 4, v. 5. rispetto. Il cod. Cagl. respetto. — v. 9. figliol. Il cod. Cagl. figliolo. — v. 12. o: Male il cod. Fior. a. —.v. 44. spurio. È omessa questa voce, con manifesto errore , nel cod. Fior. vi (6) DI DI ALDOBRANDO DA. SIENA Matto, ragiono, e neente. ‘ Laudi donque eternali al Re di Sione, in cui sol è possanza; Che punir tiene a usanza Con mortal guerre ov’'è tragrave offeso, DU Ed esse poi compone, A pia mercede sceso, Degli eserciti Dio, padre amoroso. Simil, posto a pietanza a nostro pianto, Questo gaudioso giorno sì abramato, 29 Di grande onore e santo, Addusse, ahi providenza! noi giocoso, For onne nostro merto; Così mostrando certo, Che como grava solve ad un peccato. sO 3. E a simil guisa inver LEGNAN sovvenne, U’ inchinati a’ suoi pie’ gl’ Itali figli, spurio, nemico del sapere, maldicente i suoi natali, matto (com’ io argomento), e uomo da nulla. Sieno dunque lodi eternali al Re di Sionne, in cui solo è possanza, e che è uso punire con guerre mortali colà dove è troppo gravemente offeso; e queste guerre poi compone, sceso a pietà di noi, Dio degli eserciti, padre amoroso. Per simil modo, tratto a pietà dal nostro pianto (ahi providenza!), ci addusse senza alcun nostro merito queso lieto giorno tanto desiderato ; così mostrando evidenteinenie, che come aggrava la mano, così scioglie dal commesso peccato. 5. E per simil guisa. sovvenne a Legnano, dove inchinati a’ suoi piedi i figli d'Italia, fidando in lui nei pericoli contro l’esercito fiero V. 16. ragiono. Così 1 codd. Fiorentino e Senese, e così deve leggersi; vedi Glossario, alla voce ftagiono. Il cod. Cagl. ha ragione. — v. 27. Addusse. Nel codice Senese è lasciato vuoto lo spazio di. questa voce. Stanza 5, v.4. E a. Il solo cod. Fior. A. — v. 2. suoi. I codd. Fior. e Sen. sui. — gl’Itali. Nel Fior. manca. l'articolo. S_171b. (ce) 536 CANZONI E SONETTI In lui fidando inver provar perigli Coll’esercito fier che vicin venne, Imploraron vittoria a umil cherere Sur lo struttor delle cittadi onrate, A dritto lui negate. Poi, tutto bon, ver dritto già sapendo, Forte ardor e valore n Lor benevol crescendo, essa concesse; 10 Di cui, sì como intendo, Foe frutto dolcior, tracarca messe n Esta tregua e ver poso, - Ch’ in questo dì giojoso Con piacente piacer e gioia gaudiamo 1o Con allegranza tutta, Non mente ad altro addutta (Chè gaudere è ragion poi noje tante); Ed essa pur mietiamo Dalle corali e sante Belle alliganze, e più dalla corale Onorata concordia d’amore, \ 20 che loro si fece incontro, umilmente domandando imploraron vittoria sul distruggitore delle onorate città, a dritto a lui negate. Poichè Iddio, tutto bontà, ben conoscendo il giusto loro diritto, accrescendo in essi forte ardor e valore, benevolo concesse essa vittoria, della quale, sì come intendo, fu frutto dolcezza, e messe abondante questa tregua e vero riposo, che in questo lieto giorno festeggiamo con soave piacere e con gioja, e con intera allegrezza, nè mente ad altro distratta, ché è giusto rallegrarci dopo noje tante; e la medesima abondante messe di tregua e riposo mietiamo parimente per l’ajuto delle sincere e sante belle alleanze, e più per la sincera onorata concordia d’amore, che V. 6. ciltadi onrate. Il cod. Fior. citadorrate. ossia cilad’orrate. — v. ‘8. dritto. Male il cod. Cagl. diritto. — v. 9. ardor. Meglio così i codici Fior. e Sen.; il Cagl. ardir. — v. 14. sì como intendo. Il Fior. e il Sen. si com’ intendo. — v. 42. dolcior. Così il Cagl., ed altrove anche gli altri due codici, i quali qui hanno dolzior. — v. 45. gioia gaudiamo. Il Fior. gioî guadiamo. — v. AT. ad altro addutta. Il Fior. ad altro a addulta. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 55 —l Ch'al trafer fu d’orrore, e d’ardimento AI generoso core Di tutti prodi e città sorte. Ahi! tale DÒ Dogliosa vien membranza, Ch’ inver nulla costanza Null’atto onne tornò, ma perdimento. 6. Nè rimango laudando di coraggio Voi, car, gentili, e prodi di prodezza, Onrati duci, che con fier fortezza Non mai pensata, e senno ad altr’ uom maggio, Menaste la battaglia, e universale Di gran stante vittoria, Maggio non tornerà a Italia gloria. Laude pur tengan somma ed eternale Quei nobili campion di valor forte, Ch’a vendicare lor misera sorte i E coral amarezza , in camp’ entraro (Shi © inspirò orrore a quel fierissimo, e ardimento al generoso core di tutti i prodi, e delle città insorte. Ahi! con qual dolore ci rammentiamo , che per difetto di costanza ogni nostra azione tornò vana, e valse a perdimento. 6. Nè rimango dal lodare di tutto cuore voi cari, genuli, e valoro- sissimi duci onorati, che, con fiera fortezza oltre ogni credere e con senno senza pari, guidaste la battaglia, e l’universale grande vittoria , della quale non altra recherà all’Italia gioria maggiore. Somma lode e perenne abbiansi pure quei nobili campioni di forte valore , che, a ven- dicare la misera loro sorte, e i dolori ond’era amareggiato il loro cuore, Stanza 6, v. 3. Onrati duci. Così il cod. Fior.; Guerrieri e duci il Cagl.; nel Sen. è lasciato vuoto lo spazio della prima parola, e poscia si legge e duci: onde sospettiamo, che nell'originale Palermitano si leggesse dapprima come ha il cod. Cagl., e poscia, cancellato il Guerrieri e, l'Autore vi sostituisse la migliore lezione conservataci dal cod. Fior. Vedi Memoria, $ 23. — v. 7. non. Male il Fior. no. — v. 441. coral..... camp. Il cod. Cagl. comale o. cUMPO. Serie II Tom. XXIII. 68 535 CANZONI E SONETTI Contro quel infernale l’ero dragon brutale, D'onne distruggitor essa in stagione; E tanti aitri cui caro do D° Italia il lume foe da terre alcone. Voi pure, alme beate, Ch’ inver lo ciel vagate, Da quel lucioso ed eternal beliore Dhe! gioite, gioite, E a letitia venite Con noi vostri figlioli, che qua giuso, Vostro imitando amore, Leggi e diritti conservando od uso, Infra crudeli pugne, e morti, e danni Di Fuor alcona dottanza ognor ausanti (Ch’ausar è proezza inver estremo punto, Quanto villan dottanti, Siccome storia dae e fatti ed anni), Gloriosi alfin vincemmo, i E giocondi ottenemmo Vostro desiato a finimento giunto. US) (Sì entrarono in campo contro quell’ infernale fero dragone brutale, distrug- gitore a quel tempo di ogni cosa; e tanti altri, ai quali da alcune terre fu caro lo splendore d’ Italia. E voi pure, anime beate, che vagate nel cielo, da quel luogo risplendente e di eterna bellezza, deh! gioite, gioite, e venite a parte della letizia con noi vostri figlioli, che qua giuso in terra, imitando il vostro amore, conservando le nostre leggi, e i diritti, e le nostre consuetudini, senza timore alcuno fra crudeli pugne e morti e danni, ed ognora ardimentosi (che a chi è in estremo pericolo, fosse pure timoroso quanto villani, l'ardire torna a pro'; e la storia ne addita gli esempii e i tempi), gloriosi alfine vincemmo, e giocondi oltenemmo giunto a compimento ciò che voi desideravate. V.AT. Voi pure. lì Cagl. Voi pur. — v. 24. e. Manca nel Cagl. — v. 29. Siccome. Il Sen. Siccomo. — ‘ed ‘anni. Tutti tre i cod. scrivono e danni. — v. 32. desiato. Il Sen. disiato. — giunto. Male il Fior. giusto. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 539 7. E di voi a catun, prodi guerrieri, Laude pur vegna, che col nobil sangue Contro i ladron e più venenos’angue Vendicando onoraste Questa nodrice di bon cavalieri, > Cui onque null’ invidia è dell’antico; E noi questo bon poso preparaste, Vostro sudato noi gustando frutto Di gioja, d’allegranza, e dolcior tutto. Ed a te pur lausor maggio dar deo, (0 Papa ALEssANDRO, che como grandezza A nome membri in te e dessa proezza, Grandemente operasti, a viso meo (Ch’ognunque aprova saggio che ’nde dico); Onde Magno in te vale, i La E tal sei magno, e via maggio che tale: Magno di pie vertù, magno di cuore, U’ regna benvoler, giustizia, amore; Ch’a lasse membra tutte questo poso 7. E lode pur venga a caduno di voi, o prodi guerrieri, che col 5 ’ È 5 9 nobil sangue contro i ladroni e più velenosi serpenti, vendicando onoraste questa Italia, nutrice di buoni guerrieri, e che per nulla non ha ad invidiare le antiche sue glorie; e a noi preparaste questa buona quiete, onde noi gustiamo il frutto dei vostri sudori, frutto di gioja, d’allegrezza e di ogni dolcezza. Ed a te pur debbo dare lode maggiore, Papa ALessanbro, che come col tuo nome rammenti grandezza e prodezza, così ora grandemente operasti, a mio parere (ed ogni saggio approva ciò che ne dico); onde bene ti sta l’appellazione di Magno, e tal sei magno, e viemaggiore che tale: magno di pie virtù, magno di cuore, nel quale regna benvoler, Stanza 7, v. 2. col. Il cod. Fior. di. — v. 10. maggio. Il cod. Fior. magior. — v. 12. membri in te. Il cod. Sen. membr'in te. — e dessa. Così il cod. Sen. e il Cagl.; edessa il Fior., onde può leggersi anche ed essa. — v. 43. operasti. Così il Cagl.; i codd. Fior. e Sen. operaste. — v. 47. vertù. Il cod. Fior. virtù. C. 13) 540 CANZONI E SONETTI Nel tuo cuore abbramato, 20 Provido e più pietoso, Trattasti, e ti fu dato Di speciale onoranza, Di gioja e d’allegranza A onrati patti ed utili e sennati, Che tuo savere degno, Fuor decedente ingegno, Con discrezione tutta ha mercantato; Di cui ne vanno grati Gli agnel ch’adduci al prato: SI Po’, in senno tuo fidati, Speran pace proceder perpetuale, Ch’a fatti di dolcior smenta onne male. 19 (ST 8. Dhe! tn trabeato e santo, a Deo secondo, Suo mirador a mondo, D'onne vertude assempro (Nè ben mea lingua tempro, Chè disval, te laudando, debil pondo): 5 giustizia, amore; e che provido e più pietoso procurasti alle lasse membra tutte questo riposo bramato nel tuo cuore, e lo conseguisti a patti onorati ed utili e prudenti, in ispecial modo onorevoli, e appor- tatori di gioja e d’allegrezza, i quali la tua degna sapienza, con molto senno e senza frodolento inganno, ha mercantato ; del che ne vanno grati gli agnelli che guidi al prato, poichè, fidati nel tuo senno, sperano sia per succedere perpetua pace, che coi dolci suoi frutti faccia dimen- ticare ogni male, 8. O tu Beatissimo e Santissimo, primo dopo Dio, e suo specchio, sua imagine, in questo mondo, esempio di ogni virtù (nè a degno suono accordo la mia lingua, chè in lodarti vengono meno le deboli mie forze): V. 22. fu. Così i codd. Fior. e Sen.; il Cagl. foe. — v. 23. speciale. Il Sen. special. — v. 27. Fuor. Il Cagl. For. — v. 30. ch’adduci. Il Cagl. che meni. ì ES DI ALDOBRANDO DA SIENA. Infra la santa tua benedizione Ne tien, ed òra, mai tornar fra noi Antica briga, ahi! grave aonita offesa, Ma le citadi e suoi Perseverare a bon contro il volpone, "0 Odio e tosco slungiando, Ma a comun bon pugnando, Non a loro dannaggio, ma difesa Di dritti universal; poi saggi sanno, Lasso! non division dar può che danno. 15 Ma infra cittadi tutte la sorbella Dolce mia patria Sena a te plusore Racomandar diletto, poi anch'ella Tegn’ essa via ch’ adduce a ver onore, Fuor cui è disvalente onne altra onranza, È tristizia allegranza, È villania tenuta onne prodezza, È laidire ferezza; Ma tutt’esto vertù coroni e amore. ro iS tienci sotto la santa tua benedizione, e prega che mai non facciano ritorno fra noi le antiche discordie e le ahi! gravi aborrite offese, ma 5 che le cittadi e i loro cittadini perseverino a bene contro la vecchia volpe, allontanando da sè l’odio e il livore, onde combattere a commune vantaggio, e a difesa dei dritti di tutti, e non a danno l’uno dell’altro; chè i saggi ne insegnano, lasso! che dalla divisione non può venire che danno. Ma fra tutte le città godo in raccomandarti principalmente la bellissima dolce mia patria SienA; poichè anch'essa siegue quella strada che conduce a vero onore, fuori del quale ogni altra onoranza è senza pregio, l’allegrezza è tristizia, ogni prodezza è tenuta quasi villania, e la fortezza come cosa brutta. Ma presso noi tutto questo sia coronato da virtù e da amore. Stanza 8, v. 12. Ma a comun. Il Sen. Ma comun. — v.1A7T. Sena. Il Sen. Siena. — v. 20. Fuor cui. Il Senese For cui. — altra onranza. Il Cagl. altronranza, cioè altr’onranza. Sì TOT 342 CANZONI E SONETTI 9. A te, meo Cola, esta canzone invio, Di nullo pregio, tuttochè a vertate. Che dove tu’amorosa bonitate Ad un parar agrati tuo e mio, Catun prega tener me compatuto; E di’, ch’onde pagare Tuo cherere gentil, ha me paruto Sol dar che tengo, e trare Che meo coraggio intende; e pensa mente. Ma salvala, se m’ami coralmente, o) Dal tarlo non, che certo, A mendo tutto e sòno disvalente, Suo è sol degno merto; Ma dai nemici, ch'a essa più aontando, Vendicheran del caro tuo ALpogranpo. 3 (3,4 9. A te, o mio Cola, invio questa canzone , di nessun pregio in sè medesima, ma nella quale si dice il vero. Che se l’amorosa tua bontà ben vorrà tenere nel medesimo conto il tuo e il mio, prega che ognuno mi tenga per compatito ; e di’ che, onde sodisfare la gentile tua richiesta, mi parve di dover dare la sola cosa ch'io tengo, e trar fuori ciò che sente il mio cuore, e pensa la mente. Ma, se m’ami di cuore, salva questa mia canzone, non già dal tarlo, che è la sola cosa che meriti, per le molte mende onde è ripiena e per difetto di armonia; ma dai nemici, che accumulando contr essa le onte, si vendicheranno del caro tuo ALpoBRANDO. Stanza 9, v. 2. tuttochè a vertate. Così il cod. Cagl.; tuttoch' a vertate il Fior. e il Sen. — v. 3. tu amorosa. Il cod. Sen. tua umorosa. — v. 4. parar. Il Sen. pare; lezione non ispregevole, ma da non accettarsi contro il consenso del cod. Cagl. col Fior. — v. 9. pensa mente. Male il cod. Cagl. pensumento. — v. 11. non. Il Fior. no; lezione da rifiutarsi pel con- senso degli altri due codici nella lezione non, e perchè nel cod. Fior. s’ incontra lo stesso errore a st. 6, v. 7. — v. 13. sol. Manca nel Cagl. — v. 414. ch'a essa. Il cod. Cagl. che a essa. DI ALDOBRANDO DA SIENA, II. Parva scintilla inver ceneri ascosa, C. 13b o TARDA COMO Che disaccorta ancella, di A mirador intesa, ad amadore, O magio aitro follore, In zambra obriò, sì che scopiando ardente, Grave incendio possente Adoventa in stagion, for onne paro S. 1735 Cui pianse uom suo caro: Ad essa assembro la corale amanza Ch’a vostra gente usanza 10 E vertù chiare, non è sol lucioso, Ho nel core nascoso Già gran stagion, ma ch’onne via celare E rinchiusa menare Più non sono in possanza, poi, com’essa, LE Fiamma tragrande spessa Adoventando, m’arde gran desio (E siami bon dir mio) Di mostrarlo inver fatti onne stagione, A bon dritto e ragione, 1 Su E a tutta guisa tenga in mio potere, E cape meo valere. Ma che faraggio, o tengo valimento Di far? Lasso! spavento, Signor, far voi gradiva cosa e degna; Che meo volere ingegna, Gt 19 (SH Canzone II. Anche questa si trova in tutti tre i codici; ma nel Cagl. i primi 17 versi per un’antica macchia sulla carta sono in parte pressochè illegibili — v. 5. , col. 1. Acataste eternal bon, celestiale , For cui bon tutto è male: V. 34. S'a. Il cod. Cagl. Se a. — v. 33. s'in me. Il cod. Cagl. se în me. — valer. Così il cod. Sen.; gli altri due vfer. Il senso è: se trovate in me cosa che vaglia, fatene uso, com’ io desidero. — v. 23. rame. Il Fior. ram. Intendi: grandemente ricca e preziosa; che tanto non è l’oro a paragone del rame, o questo a paragone del piombo. — v. 41. prudente. Il Fior. prudent. — v. 43. Altruom. Il Cagl. Altrom. — v.47. Ed acquistando. Così il Sen. ; E acquistando il Fior.; Ed aquistando il Cagl. — v. 49. il bon. Il cod. Cagl. el bon. — v. 59. chi a. Così il Cagl.; cha il Fior. e il Sen. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 545 Chè mal fa chi, a curar mondane cose, So Neente per l’alma pose, E, a bestia par, onne carnal desire For pensier d’aitro gire. E tempo voi teneste più dell’oro Ver e ricco tesoro, go Nulla perdendo in laide cose o vane, Da vera via lontane, Ma tutto a comun bon tuttora usando, Dolci frutti fruttando Ad opere, a consigli, a pietà vera, dA Nè esso non prode pera: Sì che non voi della vigna padrone Chere d’ozio ragione. Or del fellon ArnaLpo già vicina Prevedeste la ruina, n0 E manti pur toglieste all’infernale Sentina d’onne male, Che folle fra le fiamme, ahi membranza! Tutta purgò fallanza; Ch’assegnaste vil legno in gonfio mare Gran follore varcare, Poi di sue mante merci al grave pondo Volto ne vien al fondo: E grav’esso avea l’alma di gramezza, E d’onne vil brutezza. 80 Este son le vertù vostre più mire, Ch’accendon meo desire Amando e voi servendo, bon Signore, Con car corale amore. aL] ar V. 57. Qui va sottinteso, dal verso precedente, il verbo pose. — v. 60. Ver. Il Gagl. Vero. — v. 641. Nulla. Male il Sen. Nullo. — o vane. Bene così il Fior. e il Sen.; il Cagl. omette 0. — v. 69. — lultora. Il Fior. e il Sen. tultore. — v. 65. a pietà. Il Sen. et pietà. — v. 73 e 74. ahi membranza! Tutta purgò fallanza. Nel cod. Cagl. si legge Tutte e fallanze; e lo scrittore mutò membranze dove dapprima aveva posto membranza. — v. 80. brutezza. Il cod. Cagl. laidezza. i Serte II Tom. XXIII. 69 S. 174, 546 CANZONI E SONETTI Esta Canzone donque voi presento, 85 Tutto ch’a stil disconcio e disvalente , A voi non confacente. Infra speranza sammi avere attento Venga usato da voi lo bon servaggio, Che v’offre meo coraggio; Onde voi non, cui dirlo è strano, el mondo Sappia esto amor meo ver voi profondo. 90 V. 86. Tutto ch'a stil. Il cod. Cagl. Tuttochè a stil. — v. 90. v'offre. Il cod. Fior. vi offre. — v. 92. esto. Il cod. Cagl. este. — meo. Nel cod. Cagl. meo è aggiunto da mano posteriore , la stessa che scrisse la seguente breve notizia biografica su Aldobrando. DI AIDOBRANDO DA SIENA. 547 III. f. O pietosa Maria, mar di conforto, c. 60. Che nostra fragil nave, Inver onde agitata, a bono porto Ne adduci al lume di fidata stella; Ahi! pietosa e sorbella 5 Gioja nostra giojosa, Madre bona amorosa, Da me, tuo figlio, dhe! recivi un Ave, Tutto men dolce e gradivo di quello , Che suavemente esciva dal pur ore Lu Dell’Angelo Gabriello, Magno e fedel messaggio del Signore, Lo gran mister del Verbo te nunciante, Che, lo Spirto divino cooperante, Nascer dovea dal verginal tu’ amore. 15 2. Ave, del Verbo Madre immacolata, Sopra tutti eminente, La più felice, giocondosa e beata; Poi fin dall’orto fosti la più pura Innocente creatura, > Di privilegi piena, Di gratie viva vena, Sicomo a Madre dell’Onnipossente. Per te dal più fatal eternal danno Campati fummo, e addutti a miglior via, 10 Nostro tollendo affanno; Chè Madre e Redentrice sei, MARIA, Soffrendo in cuor, se in corpo non li senti, Flagelli, spine, chiodi, e più tormenti Del Figlio tuo in sua passione ria. (ti Canzone IN. Conservataci dal solo codice Cagliaritano ; vedi Memoria, $ 29. Stanza 2, v. 8. Sottintendi : sì conviene. 549 CANZONI E SONETTI 5. Ave, ave, degli Angeli regina, Nel ciel forte onorata, Poi onne spirto e santo a te si china; Chè como lor donasti Redentore , i Essi te laude e onore, u Venerazion, diletto, Sommession e respetto. Oi como fra tutt’essi sei esaltata! Oh como al tuo lucior tutto ciel luce! Non è certo lo sol a esta terra, i Lorchè l’empie di luce, Poi della notte le tenebre serra. Oh com’ a destra del Divin Figliolo A onranza siedi, e sì vicino, solo Mercè gli cheri a chi nol serve ed erra! lo 4. Ave MARIA possente, ave advocata Dei peccator, e spera Dell’alma nostra a carne tribolata , Dei deboli difesa ed aitoro, Degi° infermi restoro, 2 Dei poveri riccore, Degli afllitti dolciore, Grato conforto e più allegranza vera. A me donque, el più misero e dolente, Infra perigli dona forte schermo, 10, Sì che ’nde sia vincente, E guarenza amorosa a corpo infermo; Onde, lavato da onne ria laidezza, S'accenda lo meo cor di tua purezza, Te servendo e tuo Figlio a voler fermo. do 5. E lorchè avvien che parta da esta vita, All’alma mea dottante e perigliosa Contr’ al fatal nemico porgi aita. Si che giunga alla gloria tua giojosa. Stanza 8, v. 1. degli Angeli. Il cod. deglangeli. — v. 10. cioè: Non è certo sì lucente lo sole ecc. Vedi Glossario, alla voce Non. E/ DI ALDOBRANDO DA SIENA. 949 IV. i. La lingua del serpente, como è scritto , Parte mette di tosco inver sè piena, Che, lorchè frange in mordendo, essa Nel sangu’ello diffonde dell’afflitto: Così la lingua di quell'uomo pena In disfamar altroi, nè fiore cessa Di mesdir, como appena si discioglie Ad onta del fratel parlando e danno Tutto dolce, pian, soave ascoso inganno A parole piacenti e più gioconde, DU) Che nel malvagio cor tenea nascoso, Nè più trovava poso, E del miser onranza infetta e fama, Queta facendo brama Di veder aonito e ad altri scherno, io Talento rio d’inferno! Suo prossiman infra mestitia e doglie. (Ir 2. Con fina ipocrisia finge el fellone Del suo fratel coral parlar fra amici, Fallanze sue già rimembrando ovrate, Non da odio mosso, ma da compassione. Ah ipocrita vil! como ciò dici? 3 S’accontra compassion fuor caritate? Ma se di te cal poco, com calere D’ello ti puoi, di cui laidisti onore , E vil rendesti, onor e fama fuore? Ma nè coi tal, ch’ascoltan tuo mesdire, 10 Poi caritate avire. Canzone IV. Anche questa canzone e le due seguenti ci vennero conservate dal solo codice Cagliaritano ; vedi Memoria, s 20. Stanza 1, v. 10. Dopo questo verso manca un settenario colla rima in onde; ma siccome il senso corre, rimane incerto se l’omissione si debba al poeta o al trascrittore. 170. 550 CANZONI E SONETTI x Ben donque è detto, e pur catun consente, Che del vil mesdicente La lingua è lingua terza: sua impiagando Coscienza, e via piagando i do Di mortal colpo, non è acuto strale, Cui guarenza non vale; Tal disacorto sè poi altri fere. 5. Laidendo appresso fama del fratello A detti amari di rancura pieni; E le oreglie di tutti gli ascoltanti D’essi infettando. Ma altro pur di fello; Che laude già sommette certo tieni Lo più caro fra sui amici manti, E tal sè chiama già fedel campione. Ahi! lupo d’agnel lane vestente; Ah! traditor e fero can tacente, Che non disviando calli a maldicenza, LO O smentendo fallenza, A viso, a moti e più mostra approvare, Quanto dura ascoltare Ad onta dell’amico e sperdimento. Ma com tal rio talento US Coi segni accorda di coral amore, Che lui mostra tuttore, O col dolce e aggradivo suo sermone? (31 Stanza 2, v. 14. Lingua terza, qui vale lingua trifida o. triplice; e manifestamente vi si allude all'antica opinione, che tale fosse la lingua del serpente. È detta triplice quella del maldicente, perchè fa triplice ferita, ossia 1° impiaga la coscienza del maldicente di mortal colpo, peggiore di quello di acuto strale, e contro cui non vale rimedio; come avviene a chi disaccorto fere sè medesimo dopo aver ferito altrui; 2° ferisce la fama del fratello con detti amari di rancura pieni; 3° e con essi infetta le orecchie degli ascoltanti. Stanza 8, v. 4-7. Senso: Ma vi ha altro che pur sente di scelerato; perchè occulta ogni lode di certuno che tu reputi il più caro fra i molti amici di chi ascolta, e come tale si chiama suo fedel campione. MarTINI. — v. 9. In alcune parti d’ Italia chiamano Lraditore il cane, che morde prima di abbajere. — v. 10-14. Che non iscostandosi dalla strada della maldicenza, nè dimenticando , intralasciando , il fallire, cogli sguardi, coi modi, e con ogni mezzo mostra approvare quanto sta ascoltando ad onta ece. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 4. Ahi! più sovente avvien, ch’esto si rende Del mesdicente plusor maggi’ odioso, Lorchè lo move a più longiato dire, Che più occulto saver affare intende; E quando pur gran cura pon, disioso Di forzior fatti e circostanze audire Sul misero sommesso a maldicenza, Perchè piacevol lui vile sermone Maggio s’abbelle e più diletto done; Talchè facendo a croje compiacenze Doppiare maldicenze, Non maldicente, più malvagio e reo E laido lo creo, Per lo dispregio e più dannevol enta Sopra quel miser monta Posto da lui a infamia e villania; Sì che più cortesia Non acontra ver l’uom, ma disfidenza. 5. Mesdicente, e tu c° hai preso acordanza Di meter tuo fratel a disonore, L’alma tua nè Deo guardando fiore A seguir tua disianza: Pensa che fu da Deo lingua formata A lui sempre laudare, E a lo tuo prossiman assempro dare; Ch’onne a bon fine cosa foe creata : E tu con maldicenza tua sovente, Ahi! par facesti a quella del serpente, Ed esso tu doventi. Ahi! uom assegna, Che bestia doventar cosa è a te indegna. Cit (Ch (N) CANZONI E SONETTI V. i. Ambizion, ahi! crudele e ria disianza Di che all’uom piace e in sua possanza el vole, Tu sei, se viso meo errar non puole, Fiume, che l’orgogliosa sua abondanza Trae da due surgenti Impure già e fetenti, Che sì lo spingon, non è più furioso Lo mare tempestoso. Prima, soperbia, primer vizio è detta, Cupideza, seconda, maledetta {0 Passion, for mezzo e fine, d’onne avere Riccore, onor, avere. La mente quella grava, Ed esta poi lo voler deprava; Ed ambe gran ruina, Acciocchè l’alma a corruzion vicina. GL 2. Guai sor guai all’uom, che, for sennato, Menar da esso consente in sue nere onde, Poi sue malizie tutt’ el disasconde, Ed arrivando al fin usa desiato; Si pugna calonniando L’innocente, e vessando Lo bono, ch’inver ben sua vita trova: Puro amico nè giova, E di sotto è tradito a vil maniera, Chè vil s'accontra non amanza vera, E l’altro al mondo tu van procacciare, Perchè t’inde galeare, EI onne via già tenta, Sè desviando, e che più lui vil talenta Usa, per forze ed ovre Violente, suo onde odiato covre. ut Canzone V. Stanza 1, v. 10-12. Maledetta passione smisurata, tendente ad avere ogni riechezza, onore, possessione. — v. 15. Sottintendi : arrecano. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 3 Spargano pure un mar di sangue umano Cento Caini, e più non lui spietosi; Lo mondo si disfaccia, e tutto posi In sperdimento: ad esso ponsi mano , Ch’adduce al proprio fatto, Rifacendo. su sfatto. Ahi crudeltate! dispietatamente Alma tenendo neente ; Par a fere selvagge fuor ragione, Nulla si ten coscenza e religione. Ecco lo mare borrascoso u? volle Quel fiume gonfio e folle ; Ecco dove trascorre , Esso già detto tutto più non. corre. Quella passion crudele, Per quasi cui fu anciso el giusto Abele. 4. Uom ferma lo piede ove trabocchi- Profonda valle d’alto imonte al sommo, Male facendo bon, vil lo bon sommo. Apri, mercè, della tua mente gli occhi , E mira a bon ragione, Che con tal ambizione Del bon Dio, en lo ciel tutto provede Come mistere vede, Miscompor providenza forte intendi, E dispost’ onne misfacendo offendi. Esto pensier onne stagione sia, Secondo visa mia, A te di grata guida, E di campion e più fidat’ aida; Sì como è di spavento i Gran a chi tenga di fee solo sento. C. 198 10 (215 Stanza 3, v. 15-16. Costruisci: Quasi quella passion crudele (ossia: passion crudele), per cui fu anciso il giusto Abele. Serie II. Tom. XXIII simile a quella (DR 19b. SI CANZONI E SONETTI WII î. L'uomo da Deo creato fu al labore, Ed a ciò nasce, com l’augel al volo, Così che pone l’uom querente e solo, Di sue angoscie tracarco e di dolore. Ch’anzi nel dilettoso paradiso, U’ fra delizie a viso Fu posto dal Creatore Il primer uomo nostro genitore, Labore fu assegnato, E certo lui fu dato, Com’ avea d’ innocenza il pregio fino, Custodire e coltare il bel giardino. 2. Ma, poi laidito sì prezioso dono Col rio fallo di disobbedienza, Che di miserie e morte fu comenza, E di danni eternal, for onne bono: La terra fu da Deo maledetta, Di spine e sprocchi infetta; E l’uom perciò fu addutto A laborarla con sudor, se frutto Brama ch’essa gli dia, E car notrice i’ sia, Finchè ritorni ad essa onde fu tratto, U?, como in anti foe, polve vien fatto. 5. Tutti donque, o uomo, in noi miriamo, O, como è a dir forziore e più montante, Figli di miser genitor peccante, E noi pur tali for dottanza, e siamo Tenuti ad un labore recherere, E dovemo un mistere, Con sudore e gran pena (2 Ci DI ALDOBRANDO DA SIENA. 555 Addutti, usare a pensar bon appena, E ognor forte pugnare, Tutto compiendo affare 10 A nostro proprio stare rispondente; Chè, fuor pugnar, non è guerrier vincente. 4. E chi riman seguendo suo labore E negligente piace ad ozio stare, Od in mondan gauder gioja mertare, D’uomo segno obria e onne colore, E a divinal giustitia pur s’oppone, ù A error da punizione; Chè non è già nescienza, Ma ben voler, che volle rio a fallenza; E d’altre pur si grava: Chè fontana ozio è prava 10 Di manto mal e laido movimento Dei vizi, e d’onne bon consumamento. 5. Ed inver me s’adduca l’uom ozioso: Di vil impuro amanza sarà inceso, Da ria soperbia e gloria vana preso, Di più piacevol cibi ognor goleoso; Di vestir onne paga suo talento; s Al corpo posamento Consente for maniere: Fin che infocata lui più luce fere, A vil mentire indutto, A laido dir e brutto; 0 Canzone VI. Stanza 3, v. 8. Così fu corretto dalla stessa mano che scrisse la canzone ; dapprima leggevasi Addutti usare a bon pensare appena, non solo in questo luogo, ma anche dopo il verso 6, dove questo verso era stato scritto per errore, e poi cancellato. Stanza 4, v. 9. Sottintendi: fullenze. Stanza 5, v. 2. impuro. Così il cod.; credo tuttavia doversi leggere impura o impur’, come emendò il Pillito. — v. 8. Forse: finchè non lo fere la luce. più infocata ; ossia, il fuoco infernale. C.202 556 CANZONI E SONETTI E sì che tal per lui doventa cosa, Non è certo sentina più schifosa. 6. E passo pur, chè loco non consente, Manti e plusor malvaggi rei delitti , D’avoltro, ladrocinio, infami scritti , E omicidi, di cui lo fa saccente La malvaggia dell’ozio infame scuola, 5 Che isface, non consola, Ville, citadi e regni, Che non stuta ma tiene incesi sdegni. Ahi vizio maledetto, Quanto dannoso detto! 10 Ma pur quanto tal provo e più ragiono, Più nel mondo ti fai loco in comono. 0.201 7. Quanti invero, ahi lasso! ad occhio veo In giochi, in danze, in piacenter sermoni, Intesi sol a corpo gioj’ si doni, Che corpo ad alma fan, e mondo a Deo. Ah! quanti, che non sta lor loco, audendo D Nuovi e più via collendo Da sui vicin fidati Acciò faccian soggetto lor parlati. O tempo della vita, Di valenza infinita, Lu) Como dall'uomo mal ne vieni usato, Colla perta d’un bon eternal beato! 8. Inutil servo, pensa ben che quando Ti parerai al tuo Signor, allora Conoscerai, ma tal che non è più ora, Stanza 7, v. 5. Ahi quanti dei quali non è luogo (ai quali non tocca) stanno udendo e sempre più raccogliendo nuovi discorsi dai fidati loro vicini, per farne soggetto dei proprii loro discorsi! — v. 9-40. Si confrontino con questo passo i versi 59 e segg. della Canzone Il: E tempo voi teneste più dell'oro Ver e ricco tesoro, ecc. DI ALDOBRANDO DA SIENA. L’inganno che t’addusse giocondando E quanto dovenisti orbo bendato. Ahi! qual dolor ti è dato, Qual confusion e pena, Mostrando voita man, seria già piena Di bon merti acquistati L Coi tuoi labor ovrati, Dovevi presentar al tuo Signore, Ricevendo lo merto al tuo labore. 9. Ahi miser! se finor non l’ hai appreso: Sentenza su di te posa, che tutto Arbor non conducente degno frutto Sarà reciso, e poi al foco inceso. Ahi! che lo momento già vicina Di tua eternal ruina. Torna a sento, o infelice; Che già dell’arbor sta sulla radice La mano recidente, Ed esso eternalmente Cadrà a banda d’austro o d’aquilone: Ma perch’ esso fu steril, è ragione Cada su questa, ove seder volea L’Angel ribello che Michel sfacea. v) 10 Stanza 8, v. 8. Mostrando vuota la mano che già seria piena di buoni meriti ...... che dovevi presentare al tuo Signore. Stanza 9, v. 12-44. Intendi: perch’esso arbore fu sterile, è rag ione cada su questa banda, ossia a banda d’aquilone, ove voleva sedere l’angel ribello che fu disfatto da Michele. Cia C. 15. F.2b, col.2 S.174b (Sai (Sx; (9°) CANZONI E SONETTI SI0 NENTI Crede talun, che le tribolazioni En esto mar s’accontran di dolore Non valgan sì, che sian mezzo e ragioni Per procacciare l’eternal bellore; Poichè fra tante l’uom dure passioni > Bon amorta voler e indura core, E che pensando l’alma al suo Creatore, Pac’ interna richer, fuor afflizioni. Ma ciò grav’ è fallanza, e ad un mattia; È tal, perchè è a dir: bon Deo provede, Ch’ognor contraro lui gaudere sia. E sommi che pensivo men si vede Di Deo chi ’nver piacer mondan disvia, Nè con l’afflitto loco all’alma cede. Il. Quando te, Gesù, miro in croce appeso, Divinal sacrificio d’amore, Ben dico: Poi crudel tanto t’ ho ’ffeso, ; Tu portasti la pena al meo follore. Sonetto l. Si legge nel solo codice Cagliaritano , e pare essere quello del quale il biografo Palermitano dice, che da Aldobrando nell’anno diciottesimo della sua età fu dedicato, unita- mente al seguente, a Papa Onorio. — v. 10-11. Può interpretarsi: è tale (è fallanza e mattia), perchè sarebbe quanto dire: buon Dio provede, che il godere gli sia sempre con- trario. Il Pillito spiega: è tal, perchè con ciò si verrebbe a dire, che il buon Dio provede il contrario a poterlo godere, cioè le tribolazioni. Ma o si ammetta l’una o l’altra interpre- tazione, questi due versi mi pajono in contradizione colla sentenza del Sonetto. Sonerto II. Conservatoci in tutti tre i codici, e menzionato nella citata biografia di Aldobrando. — v. 3. ho ’ffeso. Il cod. Fior. toffeso; e gli altri due (hoffeso. — v. 4. pena al. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 909 Ma coi fatti non detto provo, e preso Li Non me sento d’amaro e ver dolore, Nè, alla tua passione e morte inteso, Mi stempro in pianto ed ho contritto il core. Ahi! ben so, che del mond’ onne mattezza , Carnal bombanza, e vanitade insana, 10 Tien meo core bailito a tal durezza. Ma tu, meo bon Gesù, bontà soprana, Dhe! fa che senta tutta tu’ amarezza, E te sol ami, d’onne bon fontana. ULI. Venti e più vidi giovane giojose In dilettoso e bel giardino ameno, Ove, poi colte le vermiglie rose Ed altri fiori, ne abbellavan seno; Poi con dolci canzoni ed amorose Rendean quel loco d’allegranza pieno. In tale Amor, che l’ali sue nascose, Scegli, me disse con parlar sereno, Il Fior. penal (pen' al). — v. 5. delto. Il cod. Fior. detti. — v. 6. amaro. Male il cod. Fior. amore. — v. 7. passione. Il Fior. passion. — v. 8. Mi. Il cod. Cagl. Me. — il core. Il cod. Cagl. elcuore. — v. 9. mond’onne. ll cod. Sen. mondo onne. — v. 13. tw amarezza. Il cod. Fior. tua amarezza. Sonetti II-V. I cinque Sonetti che seguono formano catena, nè possono disgiungersi l’uno dall'altro, nè mutarsi il loro ordine. Uniti fra loro devono essere parimente i due precedenti, composti, come dicemmo, da Aldobrando nell’anno diciottesimo della sua età, ed insieme dedicati a Papa Onorio. Ma questi due nel codice Cagliaritano sono posti ultimi, cioè dopo i cinque di argomento amoroso. All'incontro, dei due soli Sonetti conservatici nei codici Fio- rentino e Senese, quello di argomento amoroso è posto secondo; il primo è quello a Gesù crocifisso. Coll’autorità adunque di questi due codici derivati dall'originale dell'Autore, noi abbiamo creduto dover preporre agli amorosi i Sonetti di argomento religioso; poichè la circostanza dell’essere stati composti nella prima gioventù di Aldobrando ci persuade, che sono i più antichi; nè di molto peso a stabilire l'ordine di queste poesie può essere il cod. Cagl., tratto dalla Collezione di Bruno de Thoro, poichè questi raccolse e ordinò, forse meno retta- mente, poesie stategli inviate dal loro Autore alla spicciolata, nel corso di lunghi anni. Sonetto II. Conservatoci dal solo cod. Cagl. C. 152 CANZONI E SONETTI Chi che di queste più t'aggrata. Ed eo: Piace a me la primera. Ed ei: Mal vedi; 10 Essa quant’ ha divizie, ha orgoglio, e veo Soprana sì, ch’Amor sdice, se ’l chiedi. In ciò sparì; ma disprezzando , oh Deo! D’essa m’incese. Or va, e ad Amor credi. IV. Spietata donna e maggio, via te chiamo, Esta mercè me doni for paraggio, Misvolendo lo meo fedel servaggio, Poi già gran tempo me tenesti all’amo? Ahi! che di vita maggio morte abbramo, Che tal disio, disperato, ind’aggio, Rimembrando con qual crudel coraggio Grado sapesti usar motto: Or disamo. Però pensando alla tu’ amanza antica, Forte spera me tien, che tal dicesti 0) A gabbo, od a provar che pense o dica. Ma col primer, ahi! l'amor meo offendesti , Col secondo non ben te conti amica, Se vai dottando che saver potesti. VE È questo lo compiuto guiderdone. Con che merti lo meo, crudel, amore? Questa la spera che donasti al core, Lorchè languiva sol in tua intenzione? , V. 44. ed Amor credi. Era scritto dapprima ed Amore credi, ma poscia fu aggiunto un « fra l’e e il d della voce ed. Sonetto IV. Si legge in tutti tre 1 codici, e da tutti tre anche lo diamo intero a modo di facsimile. — v. 4. via. Il Cod. Cagl. ora. — v. 4. tenesti. Il cod. Fior. tenest. — v. 6. disio. Così il cod. Sen. ; dst0 il Cagl. e il Fior. — ind’ aggio. Così il Cagl.; end’ aggio il Fior. ; nd’aggio i) Sen. — v. 12. meo offendesti. Il Cagl. e il Sen. meoffendesti , ossia meo ’ffendesti. Sonetto V. (Questo Sonetto sì legge nel solo codice Cagliaritano. DI ALDOBRANDO DA SIENA. 561 Bestia non è, che fuor riprensione Ad ira monte, e slugni dal signore; E tu, donna, onne mia fallanza fuore, Di me ti slogni? Non è a rio fellone? Ahi! dispietosa e non pensiva sei; Che pena tu me doni for paraggio, Se mio innocente cor poni fra rei. Ma poi che di morir desio grand’aggio, Che durar in tal pena i giorni miei, M’ancidi meglio, che pur n°’ hai coraggio. VI. Ben mal morte non è, ma bono certo, Ch’alfin a manto mal pone guarenza, Sì che di tanto guaimentar esperto Com rea tradolce uomo fa semenza. Che como rio penar si pone a merto Ù Como fuor dritto ognun si fa a potenza, Como bono scuder in rio deserto Dal suo signor fu tratto fuor fallenza. Che giova questo rimembrar paziente, Che tra triboli e spine morte trova? 13 Nò, che tal è morir duratamente. Per l’amaro dolor che meo cor prova Onne dì più spietato e più nocente, Nulla guarenza, morte fuor, me giova. Sonerto VI. Anche questo si legge nel solo codice Cagliaritano. — v. 2-8. Interpreterei : Sì che avendo fatto prova di tanti guai, conosco come una rea semenza sì faccia all'uomo dolcissima. Che come il soffrire a torto si pone a merito quando alcuno si fa potente fuor di ragione, o come un buono scudiero in rio deserto fu dal suo signore tratto senza errore sulla retta strada: che giova ecc. Crediamo tuttavia che l’oscurità provenga in parte dall'essere i versi 4-6 guasti per colpa del trascrittore. Nel v. 6 il cod. ha potere; fu corretto potenza dal Pillito in grazia della rima. — v. 10. morte. Il Pillito crede si abbia a leggere merto; e pare giusto. MARTINI. Seme IL Tom. XXIII PI 562 CANZONI E SONETTI VII. Ora, crudel, me brami, poi da morte, Qual Lazzaro, già a vita fui risorto. Ma tal sono, ch’al tuo gridar più forte Non ho più oreglie; sì che a te son morto. Lorchè dalla tua man lo stral fu sorto, i Altra possente già disviollo forte; E fu questa ragion mio fe’ gran torto Visar sbendato per mia buona sorte. Vidi adesso tuo’ inganni, e la ruina, In cui miser cadeva for sennato, 10 Sì ch’al suo fin mia vita fu vicina. Ed or mercede cheri al tuo peccato? Ani! villana, ti slogna, e ad altri affina Tuoi strali, ch’eo per te non son renato. sonetto VII. Anche questo Sonetto ci fu conservato dal solo codice Cagliaritano. — v. 7. fu. Così emendò il Pillito; il cod. ha fa. Il senso è: E fu questa ragione, che per mia buona sorte mì fe’ vedere a occhi sbendati il gran torto che io pativa. —_ => e=—— (Cn Sì (SS) CORREZIONI ED AGGIUNTE — MU — Ar $7. Durante la stampa del presente lavoro avendo nuovamente a miglior agio potuto esaminare il manoscritto Senese di Aldobrando, dobbiamo in alcuna parte correggere e rendere più compiuta la descrizione che abbiamo data di quel codice. — Il manoscritto Senese, alto millimetri 215, largo 145, è ora di un solo quaderno, di rr paja di fogli, e così di fogli 22. Oltre la recente numerazione dei fogli del codice miscellaneo, si scorge tuttora l'antica paginazione in numeri arabici, cominciando dal numero 40; onde appare che mancano in principio fogli 39, probabil- mente due quaderni. Questa antica numerazione cessa col Liber com- putorum , ossia col foglio 54; i sette fogli dapprima lasciati bianchi in fine del codice, e dove poscia da altra mano, e con assai diverso carattere ed inchiostro, vennero trascritte le poesie di Aldobrando e le memorie relative, sono segnati colla sola recente numerazione dei fogli del codice miscellaneo, del quale questo quaderno ora forma parte. La marca della carta è una specie di corona tagliata da una linea verticale. Nella prima canzone da principio le stanze sono scritte di continuo, e senza distinzione dall’una all’altra ; la quarta è distinta col principiare del primo verso alquanto fuori linea; le seguenti inoltre con un leggero spazio vuoto fra l'una e l’altra stanza; un maggiore spazio è lasciato tra la stanza 8° e la licenza. — In capo al verso dell’ultimo foglio è scritto a destra di chi legge: En napols 22 de Jun. 1453; e poco più 55 sotto a sinistra: /n napoli 22 giugno 1453. È più sotto in grossi caratteri : (1) Canzoni e | Soneti. 564 DI GHERARDO DA FIRENZE.E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. Il principio dell’annotazione dell’antico trascrittore del codice del Tesoriere Speziale (Doc. €) nel codice Senese è: Zec supradicta car- mino una cum supradicto preinserto comentario; nel codice Fiorentino è omessa la voce preinserto. Non ci eravamo ingannati, che di grande importanza per la storia della letteratura italiana doveva essere l'antica annotazione nel margine inferiore del verso del penultimo foglio; e nel tenere per fermo, che il Pillito sarebbe riescito a deciferare quella svanita scrittura. Il nuovo esame del codice mi aveva dato bensì di leggere alcune parole di più che dapprima non mi fosse riescito, ma non sì, che ne apparisse il senso dell’annotazione. Presi partito di far fotografare la pagina del manoscritto, e trasmetterne copia al Pillito. Non solo abile paleografo , ma perito nelle varie lingue nelle quali furono scritti i documenti che formarono argomento de’ suoi studii, il latino, il catalano, lo spagnuolo, l'italiano de primi secoli, il sardo delle varie età e province, con mi- rabile sagacità e giustezza cogliendo il senso e le parole degli antichi scritti, ne agevola la lettura. Della quale sua perizia, ed inoltre dei lunghi suoi studii di storia sarda, darà fra breve una novella prova colla publicazione ed illustrazione che prepara delle poesie sarde, importan- tissime per la storia, contenute nel manoscritto che ci diede la canzone e i tre sonetti di Gherardo. Ricevuta la fotografia, a volta di corriere mi mandava la lezione di quella annotazione nel seguente modo: (F) In isti dui canzoni et dui soneti di lo quondam Messer Aldobrando | di Siena, vi pregamu di cori, quisti versi vuglati legiri, et | vuglati prestari tuta quilla atencioni si requedi per | lo intendimento di quilli, et honori di lo dito poeta, | qui è stato maestro di li Siciliani. || Ossia : Zn queste due canzoni e due sonetti del fu Messer Aldobrando di Siena, vi preghiamo di cuore che questi versi vogliate leggere, e vogliate prestare tutta quella attenzione che si richiede per l intendimento di quelli, e per l'onore del detto poeta, che è stato maestro delli Siciliani. Affinchè ognuno possa più agevolmente verificare, come da noi tu fatto , l'esattezza della lezione del Pillito, nel codice Senese abbiamo inserito un esemplare della fotografia ; poichè in essa, come non di rado DI CARLO BAUDI DI VESME: 565 avviene, la scrittura più appare ed è di meno difficile lettura che non nel manoscritto ; ed agli altri facsimili che uniamo alla presente Memoria, aggiungiamo quello della precedente annotazione, che noi medesimi abbiamo, non senza grave difficoltà, delineato. Già la circostanza, dell'essere Aldobrando vissuto parecchi anni in Palermo (vedi Memoria, $ 45, fin.), dove ebbe amici che dopo la morte ne raccolsero con cura le poesie superstiti, e con affetto ne traman- darono ai posteri la memoria (S 24), dava luogo a supporre, che appunto per mezzo di Aldobrando fosse dapprima stato trapiantato in quell’isola il volgare italico, nel quale scrissero coloro che Dante chiama primores Siculorum, e del cui volgare dice, che nihil differt ab illo quod laudabilissimum est (1): volgare che evidentemente nè è il Siciliano, nè da esso deriva. Questa importante annotazione del codice Senese aggiunge ora una testimonianza storica, e di un Siciliano, a quanto prima non poteva dirsi che per congettura, quantunque probabile; e finisce di sciogliere un gran nodo nella storia della lingua e della poesia italiana. Che se oramai non pare dubio, che la lingua italiana fu dapprima portata in Sicilia da Aldobrando, e probabilmente dopo lui da altri esuli di Toscana, non però diremo che questa, e il resto dell’Italia centrale e l’Italia superiore, ricevessero più tardi nuovamente la lingua italiana dai Siciliani. E Gherardo ed Aldobrando avevano tenuto scuola in Firenze; più volte abbiamo citato il passo della Canzone I di Aldobrando, scritta l’anno 1178, dove dice che molti altri avevano cantato i fatti ora lieti ora avversi della guerra degl Italiani contro Barbarossa. Se nel seguente secolo e fino ad oggi perì la memoria del nome di Gherardo e di Aldobrando, sopravisse la loro scuola. Bene è vero che, per la stretta affinità fra la nuova lingua italiana e i dialetti municipali di Toscana, e quella e questi durante tutto il secolo XIII vi fiorirono a paro e furono adoperati negli scritti: distinzione che poco e .male si discerne ora, perchè negli autori che ci rimangono di quel tempo le forme proprie dei varii dialetti vennero tolte in parte dai copisti, e poi maggiormente dagli editori; ma è tuttavia certissima per le numerose vestigie che ne rimangono, e per la indubia testimonianza di Dante (2), che nota parecchi di coloro che fra i Toscani scrissero in volgare illustre , e di (1) De vulgari Eloguio, lib. I, cap. XII (2) Ibid. , cap. XII. 566 DI GHERARDO DA FIRENZE È DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. quelli che all'incontro fecero uso del turpiloquio dei volgari municipali. Soltanto dopo Dante la lingua italiana ottenne sui dialetti municipali vittoria certa ed universale, quantunque, particolarmente per alcuni generi di scritti, lungo tempo contrastata non solo nell'Italia superiore, ma nella stessa Toscana. In Sicilia all'incontro, per la grande differenza tra la nuova lingua e il volgare locale, i due idiomi si mantennero al tutto distinti; e durante gran tratto del secolo XII la lingua italiana vi ottenne incon- trastabile il primato presso gli scrittori, e, per lo splendore delle corti di Federico II e di Manfredi, nelle quali la poesia italiana era in fiore, la fama se ne estese a tutta Italia. « Quia regale solium erat Sicilia, » dice Dante, « fuctum est ut quidquid nostri praedecessores vulgariter » protulerunt, Sicilianum vocetur; quod quidem retinemus et nos, nec » posteri nostri permutare valebunt » (3). Ma in ciò fu Dante falso profeta ; chè anzi già egli medesimo avvertiva, come al suo tempo quella lode più non fosse meritata. Durante la dominazione Aragonese i Siciliani decaddero rapidamente nel pregio della lingua, e cessò il loro primato e la fama, soverchiata dapprima da quella der Toscani e nominatamente dei Fiorentini, e poscia anche da quella degli scrittori di altre parti d’Italia; in tanto che già il Petrarca ebbe a dire : i Siciliani, Che fur già primi, e quivi eran da sezzo (4), ossia, che già tennero il primo luogo, e ora occupano l’ultimo. Le scemate relazioni fra la Sicilia e il resto d’Italia fecero sì, che in breve tempo il luogo della lingua italiana vi fosse nuovamente occupato dal siciliano, e in parte dal catalano. Sembra oramai non potersi mettere in dubio, che Gherardo ed Aldo- brando furono i padri, e quasi direi i creatori, di quella lingua, della quale ora tutta Italia fa uso nelle scritture, e che Dante appella Lazinz vulgare o volgare italico, distinto da tutti i volgari municipali, e com- mune a tutta Italia (Memoria, $ 58); e che per mezzo di Aldobrando, esule in Palermo nel penultimo decennio del secolo XII, fu trasportato in Sicilia, e rese illustre quell’isola sotto i re della casa di Svevia. (3) De vulgari Eloquio, cap. XII. (4) Petrarca, Trionfo d’ Amore, Capitolo IV, v. 35-86. DI CARLO BAUDIÎ DI VESME. 907 AL $ 28 Nel breve sunto della presente Memoria, da me publicato lo scorso maggio negli Atti della R. Accademia delle Scienze di Torino, vol. I, pag. 490-497; avendo inserito il cenno che intorno ad Arnaldo da Brescia si legge nella Canzone II di Aldobrando, il Dottore Francesco Grottanelli, Bibliotecario della biblioteca communale di Siena, tosto pose mente ad una circostanza di grande momento per |’ intelligenza della stessa canzone, e per la biografia di Aldobrando. Arnaldo da Brescia fu preso e consegnato all’ imperatore Federico nel territorio appunto di Siena; e dapprima la sua presenza, e poscia la prigionia e il supplizio, dovettero destare grande e discorde rumore fra i numerosi fautori e gli avversarii, che aveva nella popolazione di quella città e dei dintorni. — Ecco in qual medo il Grottanelli (lettera dei 25 agosto 1866) mi scriveva intorno a questo argomento : « Quando Arnaldo, per aver suscitato disordini in Roma, indusse » il pontefice Adriano IV a sottoporre all’interdetto la città, 1 Romani, » essendo prossima la pasqua (1159), inviarono il Senato al Papa, pro- » mettendo che l’eretico Arnaldo e i suoi seguaci sarebbero mandati in » esilio. Così fu fatto, e la città venne liberata dall’interdetto. Arnaldo » fugitivo fu arrestato dal Maestro Ospitalario Diacono di San Nicola, » presso Bricola in val d'Orcia, poco lungi da San Quirico, diocesi di » Montalcino, già di Chiusi. (Bricola, modernamente /e Briccole, è un » aggregato di case e poderi a destra di chi va a Roma, sopra un tronco » abandonato della sirada regia romana, fra le stazioni postali dell’Osteria » della Scala, e di Ricorsi, distante da Siena circa dieci leghe.) I Visconti » e signori del vicino castello di Campiglia gliel tolsero dalle mani, e, » datagli ospitalità, lo veneravano come profeta. Intanto T' imperatore » Federico, avviatosi verso l’eterna città per esservi incoronato, giungeva » a San Quirico in Osenna; dove essendo venuti alcuni cardinali ad » incontrarlo , gli presentarono una lettera del Papa, nella quale, fra » altre cose, gli chiedeva che facesse consegnare l’eretico ad essi » cardinali. Federico, che voleva essere incoronato, costrinse il Viscente ? 365 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. S » di Campiglia a consegnare Arnaldo. La sua causa, dice Ottone di Fri- » singa, fu riservata all'esame dell’imperatore; ed egli, consegnato al » Prefetto di Roma, fu giustiziato. » Queste particolarità relative al luogo della cattura di Arnaldo furono » sceverate dagli errori ed inesattezze di varii scrittori, quali sono il » Guillon, Biographie Universelle; il Niccolini, Arnaldo da Brescia; il » Novaes, Storia dei Pontefici; ed il Guerrazzi, Battaglia di Benevento, » da Carlo Troya, nelle osservazioni communicate all'Autore dell’Articolo » sopra Arnaldo da Brescia, nella Civiltà Cattolica, Serie I, Tomo IV, » pag. 35 e 129, che ve le inseriva in nota. Il Troya, per iscoprire la » verità, si fermò sul seguente passo del biografo d'Adriano IV cardinale » d'Aragona (vedi Hadrian. IV, apud Muratori, Rer. Ital. Scriptt., 1°. III, » p. 442): Post salutationem vero literas ei apostolicas porrexerunt, et » Domini Papae exposuerunt mandatum. In quibus continebatur inter » cetera, ut redderet eisdem cardinalibus Arnaldum haereticum, quem » vicecomites de Campania abstulerunt Magistro O. Diacono Sancti Ni- » colai apud Bricolas, ubi eum ceperat, quem tamquam prophetam in » terra sua cum honore habebant. Rex vero, auditis Domini Papae » mandatis, continuo missis apparitoribus cepit unum de icecomitibus » illis: qui valde perterritus, eumdem haereticum in manibus cardinalium » statim restituit. Anche Ottone di Frisinga dice, che Arnaldo fu preso » ne’ confini della Toscana. » È da notare, che il Troya confonde i Visconti di Campiglia con » 1 Conti Aldobrandeschi di Sovana e di Santa Fiora, dinastie affatto » distinte, ed aventi il condominio di Campagnatico , castello in val » d’Ombrone Senese verso Grosseto ». Mettendo a fronte le parole della Canzone con questo fatto, dell'essere stata la presa di Arnaldo un avvenimento, possiam dire, Senese; diamo come prima conseguenza, che quel Signore, grande per dottrina, per ric- chezze, e per autorità fra i suoi concittadini, del quale Aldobrando celebra le lodi, e che previde prossima la rovina di Arnaldo e ritrasse molti dal seguirne le dottrine, era da Siena. E quasi siamo ora meno alieni dal credere, che possa essere quel medesimo Cola Usario, al quale è diretta la canzone prima in ordine, ma ultima di tempo, fra quelle di Aldobrando. Dal Sonetto di Bruno a Cola Usario argomentiamo che questo era ricco (Doc. EL, vers. 3-4); e ricco era il Signore celebrato nella seconda canzone dal nostro poeta. Desso coltivava DI CARLO BAUDI DI VESME, 669 le scienze e onne savere Che porta all’uom valere; e similmente parlando a Cola dice Aldobrando: che dico (ciò che dico) x Ver tuo savere è neente; e a lui sì rivolge, perchè dia forza al suo intelletto. Certo doveva Cola essere persona potente nella sua città, poichè Aldobrando lo prega a farsegli scudo contro i nemici e gl’invidiosi; e potente appare la persona celebrata in detta seconda Canzone. Che anzi siamo d’avviso, che l’iroso sonetto ad Colam Usarium di Bruno de Thoro sia una risposta per le rime ad un sonetto di Cola; e forse dal sonetto medesimo trasse letteralmente l'accusa, che ribatte, che i versi di Bruno tI son disvalenti , Od acattati dal Cantor di Sena. La differenza di modi poi, usata dal poeta nelle due canzoni, può spie- garsi col lurigo decorso di venti anni tra la prima e la seconda; nel quale intervallo il don servaggio unito a corale amanza potè convertirsi a poco a poco in vicendevole vera amicizia , e il rispettoso voi cedere il luogo al ge familiare. Da questa canzone, trattante di cose Senesi, si conferma infine mag- giormente, che male non ci apponevamo nell’opinare, che le persecuzioni e l'esilio di Aldobrando furono conseguenza delle vicende politiche non di Firenze, ma della sua nativa Siena (Memoria, $ 45); come l’anno- tazione in lingua volgare che sopra abbiamo riferito del codice Senese, e la testimonianza dell’ essere Aldobrando stato maestro dei Siciliani , viepiù comprovano che il suo soggiorno in Palermo fu di parecchi anni, e cominciò probabilmente il 1181, tosto dopo la morte di Papa Alessandro. Nell’Archivio di Siena sono in non piccol numero le carte partico- larmente della seconda metà del secolo XII; un accurato studio delle quali varrà forse a darci alquanta maggior luce intorno ad Aldobrando e a Cola Usario; e certo a rischiarare di assai la storia tuttora oscuris- sima di Siena in quella età. Serie II. Tom. XXIII, 72 970 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. IIl Non è mia intenzione di trattare la questione tanto agitata delle origini della poesia italiana, nè della influenza che su questa e sulla lingua nostra abbia avuto la poesia provenzale; che sarebbe troppo lungo tema, e tale per ampiezza e per importanza, da dover formare argomento di apposito lavoro, pel quale conosco mi verrebbero meno il tempo e le forze. Lasciando adunque ad altri il trattare di proposito il bello, e oramai, parmi, non difficile argomento, credo utile lo esporre bre- vemente, quale opinione abbia destato in me lo studio degli scritti in lingua italiana appartenenti al secolo XII dal Martini (1) e da me pub- blicati, e il loro confronto cogli scritti che prima si conoscevano in lingua italiana, e con quelli dei Provenzali. Diciamo dunque, essere noi fermamente d’avviso, che e la lingua e la poesia italiana del secolo XII surse indipendente da quella dei Provenzali, e fu di origine e d’indole al tutto italiana. Nel secolo XIM invece l'influenza della poesia provenzale fu grande sulla poesia italiana, che ne venne non migliorata, ma infiacchita e corrotta, sì per la forma come per la sostanza; sì che fra la numerosissima schiera dei poeti italiani del secolo XIII anteriori a Dante, non uno forse, in vero valore poetico, eguaglia i pochi che ci rimangono del secolo XII. Ma se questa influenza fu grandissima, quantunque passaggera, sulla poesia, fu al tutto leggeris- sima, nè molto estesa, e vie meno durevole, sulla nostra lingua. E bensì vero che la maggior parte dei poeti del seolo XIII anteriori a Dante, e forse tutti, sono per agevolezza di stile e purezza di lingua inferiori ad Aldobrando, e per poco non dissi anche a Bruno de Thoro; ma questo scadimento delia lingua non deriva, o solo in minima parte, da intro- duzione di parole e di modi provenzali; e la numerosa schiera di parole (1) Le poesie di Bruno de Thoro si leggono presso il MARTINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arboréa, a pag. 132-138, e 148-150; e nell’ Appendice alla Raccolta ecc, pag. 147-161, e 179-182. Quelle di Aldobrando nell’ Appendice, pag. 162-177. Quelle di Lanfranco di Bolasco in Pergamene ecc., pag. 489-493. La prosa e la canzone di Elena di Arborca in Pergamene ece., pag. 119-125 Un frammento di Gherardo (Sonetto IV fra quelli della nostra edizione) nell’ Appendice, pag. 179. Alcuni minori frammenti inseriti nel Memoriale di Comita de Orrù nell’ Appendice, pag 124-125. DI CARLO BAUDI. DI VESME. St italiane che taluno disse di origine provenzale (2), sono nostre native, e ci vennero non dal provenzale, ma dal latino rustico, origine commune delle due lingue e delle altre romanze (3). Che anzi molte fra le voci e modi, che con maggiore apparenza di vero si dicono di origine pro- venzale o francese, non solo li troviamo di uso. commmne in Ttalia anteriormente a questa pretesa influenza straniera, e già dalla prima metà del secolo XII, sì che fra gli scrittori di quel secolo troviamo, per esempio, costantemente manzi per molti, e tra (abbreviato da o/tra) come segno del superlativo; ma tali modi divennero sempre più rari nel secolo seguente, che pure fu quello della maggiore influenza dei Provenzali, e caddero in breve interamente in disuso, soverchiati dalle voci. e dai modi latini, preferiti a buon diritto dai nostri scrittori. La corruzione e il decadimento della lingua nel secolo XIII non deriva adunque da mescolanza del provenzale, ma da minor valore degli scrit- tori; ed inoltre da una circostanza, notata da Dante, ma che i moderni negarono o non avvertirono, che gran parte cioè dei poeti di quel secolo intesero scrivere e scrissero non nella nascente lingua italiana, creata da Gherardo, da Aldobrando, e dalla loro scuola, ma nei loro (2) VarcHI, Ercolano, ed. cit., 7°. II, pag. 68-72. Sull’autorità del Bembo pone a modo di esempio una lunga serie di voci, che dice derivate dal provenzale. Di esse alcune sono di origine iedesca, come a randa e landa; alcune ci vengono dal greco, come tomba e martire; la maggior parte ven- nero dal romano rustico a noi, e poco diverse alla maggior parte delle altre lingue neolatine, come obliare (che corrompevasi in obriare), uopo, cherere, talento, dottanza e dottare, angoscia, assai, anzi, battaglia, cavalcare, combattere, inverno, lontano, montagna, menzogna, strano, ed altre simili, che non so come sia potuto venire in mente ad alcuno di farci venire dal provenzale. Altre infine sono di più incerta origine, ma neppure queste vi ha motivo di farcele venire dal provenzale, come brame danza, gioja, senno, cambiare, cominciare, trovare, toccare. (3) Non sappiamo astenerci da riportare qui una postilla marginale, assai bella, e sotto molti aspetti notabile, apposta dal trascrittore Giovanni Puliga (12 metà del secolo XV) al Memoriale di Comita de Orrù: « Aragonenses et Catalani, qui quasi unam et eamdem linguam habent Provenzalium , asserunt o quod ipsorum omnium lingua dicitur romancium. Sed ego puto quod romancium est quacvis lingua » quae efformata fuit a romana rustica; unde omnes naciones habent earum romancium, jurta ipsarum » pronuncias et verborum terminaciones, in quo una ab alia differebant, non recedendo multum a dicta » latina rustica sive romancio; sed pracedicti populi et Provenzales terminant eorum verba in n, s,t,r, » et Italici semper in a, e, i, 0, ut in praesenti memoriali infra videtur. Et hae linguae sunt multum « similes italicae; nam si vocabulo dic adjungatur o, erit dico Italianorum; idem de present, presente » fit, de vertaî, vertate. Zdem dicatur ut praedicta vocabula eveniant etiam sarda. Et concludo, quod » omnes Italiae naciones, vel aliae vicinae a Romanis dominatae, in accipiendo corum linguam reti- » nuerunt carum propriam pronunciam et terminaciones, nec una ex dictis nacionibus » dedit aut abstulit ab alia, sed omnes a dicto latino rustico formatae sunt, et omnes sunt » romancium ». 572 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. volgari municipali: nuovo argomento della poca influenza che sulla nostra lingua ebbe quella dei Provenzali. È Dante, amantissimo di questo nostro ch’ei dice prezioso volgare italico, combatte con ogni sforzo quelli che lo insudiciano coi turpiloquii loro municipali; ma non fa cenno alcuno di voci e modi, che ci siano venuti da lingue straniere. Sì per lingua come per poesia il secolo XIII infino a Dante fu, gene- ralmente parlando, secolo di decadenza, se non sotto l’aspetto del nu- mero, sotto quello per certo del valore degli scrittori; esso fu, a fronte del secolo precedente, ciò che al secolo di Dante e del Petrarca fu il secolo XV, secolo dei Petrarchisti. i E questo ci trae naturalmente a richiamare ancora una volta V’atten- zione dei filologi italiani sulla questione dei volgari italiani nei primi secoli della nostra lingua, e in che differissero fra di loro, e dalla lingua italiana allora nascente. Non computati alcuni scritti parziali e imper- fettissimi su pochi dialetti, e nominatamente sul Senese, il solo Dante trattò finora la questione nel suo libro De Zulgari Eloquio; le cui asserzioni e i cui giudizii, non compresi finora o non creduti, possono bensì in alcuna parte essere rettificati, ma saranno necessariamente il punto e l’autorità principale, onde si dovrà partire nel trattare l’impor- tante questione (4). Per tale via soltanto si potrà fare aperto ciò, che finora nessuno seppe o potè dichiarare, come avvenga cioè, che nel se- colo XII si abbiano scrittori volgari non solo fra loro diversi nel pregio della lingua, ma anche spesso nelle forme quasi caratteristiche della (4) Di minore autorità, ma pure di non lieve peso in questo argomento, è la conforme testimo- nianza, finora, certo, da nessuno avvertita, di un umile frate, il quale, a quanto pare, mai non lesse non dirò il trattato De Yu/gari Eloquio e il Convito, ma neppure la Divina Comedia: l’antico anonimo Volgarizzatore della Schala Paradisi di San Giovanni Climaco; il quale nei seguenti ter- mini si scusa della imperfezione del suo Javoro e della poca esattezza del volgarizzamento ( nel Prologus vulgaris traslatoris, che segue l'indice dei capitoli, secondo il testo del manoscritto della Biblioteca privata del Re in Torino): « Io frate, che agio priso a traslatare questo libro de latino in vulgare. ...... de non sapere ben » dechiarare me accuso: perciò che de li vocaboli vulgari so? molto ignorante, perciò ch'io li aggio » poco ussati, anche per ciò, che le cose spirituali et alte non se possono sì propriamente exprimere per » parole vulgare come se exprimono per lalino et per gramatica, per la penuria de li vocaboli vulgari, » e perciò che omne contrada à suoi proprii vocabuli vulgari diversi da quelli de le altre contradi; » ma la gramatica e ?l latino non è così, perciò ch'è uno apo tucti Latini. Perciò ve prego che me » perdonate; se io non ve dechiaro perfectamente le sententie et le veritade de questo libro, non è defecto » del libro, nè de lo Sancto che lu scripse, ma è defecto de lu ignorante traslutore. Prendete dal povero » quello che potete, et per carità ve piaccia de pregare Dio per me. » DI CARLO BAUDI DI VESME. 593 lingua medesima; e come sia potuto avvenire, che spesso hei più antichi, ovvero nei non Toscani, per esempio nei Bolognesi e nei Siciliani; si trovi lingua più pura e più italiana che non in parecchi fra i più recenti, e fra i Toscani; e troveremo che ciò avvenne, perchè durante tutto il secolo XIII la nuova lingua italiana e ì volgari municipali italici, più o meno schietti, erano in uso contemporaneamente: sì che mentre alcuni scrittori facevano uso della nuova lingua; altri si servivano dei loro volgari municipali, ed altri finalmente mescolavano più o meno le parole ed i modi dell’una è degli altri ; tutti poi, più o meno; frammettendovi voci o forme latine. — E per dimostrare la cosa con esempii, e questi tratti di preferenza da prosatori, poichè nella forma corrente e na- turale della prosa meglio che fra gli sforzi della poesia e della rima si può discernere la vera indole della lingua: diremo che, generalmente parlando, è in piana e vera lingua italiana il Volgarizzamento dal latino intitolato Fiore di Retorica di Fra Guidotto da Bologna, scritto fra l’anno 1254 e il 1265; il Volgarizzamento dei Trattati di Albertano giudice da Brescia per Soffredi del Grazia, notaro Pistojese, scritto poco avanti l’anno 1278, è in dialetto pistojesé, ma con frequenti tracce dell'influenza che sui dialetti italici, e nominatamente sui toscani, aveva la nascente lingua italiana ; e finalmente le Lettere di Fra Guittone d'Arezzo sono un misto informe di lingua italiana e di dialetti, al quale l’autore credette di accrescer pregio frammettendovi voci straniere, o latine, o già cadute in disuso, ed inoltre rendendo quanto più poteva intralciati ed oscuri i periodi (5): in tanto che, sotto l’aspetto della lingua, alle lettere di Fra Guittone non dubito di dare l’ultimo luogo fra gli seritti in prosa, che ci rimangono di quella età (6). — Ma a svolgere l'importante (5) Questo periodare intricato di Fra Guittone, e la ragione che ne adduciamo, già erano stati notati dal Boltari (Lettere di Fra Guîttone d’ Arezzo; Roma, 1745; Not. LXXIII) nei seguenti ler- mini: « Veggasi da questo periodo la rozzezza del parlar toscano de’ tempi di Fra Guiltone, e » quanto l’ordine delle parole, 0, come dicono i Grammatici, la costruzione, fosse imbrogliata. .... » Può anche essere, che nel parlar comune non fosse così intralciata, ma che il nostro Autore » pretendesse con ciò di scrivere con eleganza maggiore. » (6) Di Fra Guittone, anche come poeta, diede a mio avviso troppo mite e favorevole giudizio il Nannucci (Manuale della Letteratura del Primo Secolo della lingua Italiana; Firenze. 1856; Vol. I, pag. 160 e segg.). A cui basti l'animo di leggere gli scritti in versi di Fra Guittone, e partlicolar- mente i sonetti, orridi per lingua, pieni di bisticci, quasi al tutto vuoti di poesia, e nei quali tuttavia più che nelle canzoni il Nannucci (pag. 167) dice ravvisarsi # progresso dell’arte e della favella, dovrà confessare con Dante, che Fra Guittone è fra quelli in verbis et constructionibus non desuetos vilescere, e che A voce più ch'al ver drizzan li volti coloro che Di grido in grido per lui 574 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. argomento della classificazione, se così dir posso, degli antichi nostri scrittori, con l’ampiezza e coll’accuratezza che si richiede, è necessario un lungo e diligente studio degli scrittori nostri del secolo XIII, dei quali perciò è a desiderare ci vengano date accurate edizioni, e conformi agli antichi manoscritti; poichè finora gli editori quasi tutti li tradus- sero, direi quasi, nella lingua commune o nobile italiana, spogliandoli a bello studio, per quanto fu in loro, delle forme plebee, o proprie dei varii volgari, che erano state adoperate dagli scrittori, e che a torto furono scambiate in arbitrii e storpiature di copisti. danno pregio. Guido Guinicelli fu contemporaneo a Guitton d’Arezzo, ma alquanto più antico; e pure, qual differenza, e per lingua e per poesia, fra questi due! E notisi, che nell’edizione delle Poesie di fra Guiltone curata dal Valeriani (Firenze, 1828) furono tolte quasi interamente le forme di quello che Dante chiama turpiloquio municipale, che troviamo negli antichi manoscritti di questo Autore, ed in parte nell’edizione del Bottari delle Lettere. Cagione dell’errore del Nannucci si fu, l’avere lui, col Valeriani, attribuito a Guilton d’Arezzo i sonetti, che nell’edizione fiorentina pur ora citata sì leggono sotto i numeri da CCXI a CCXXXIX, da pag. 212 al fine del Volume II, tratti dalla Raccolta delle Rime Antiche; mentre questi sonetti, troppo sotto ogni aspetto discordi da quelli genuini di Fra Guittone, sono certissimamente di altro poeta, e probabilmente di Onesto Bolognese; e da questi 29 sonetti, non dai 200 circa che precedono, sono tratti tutti gli esempii, che il Nannucci adduce per dar prova della favella e della musa non infelice di Fra Guittone. DI CARLO BAUDI DI VESME 575 IV AI VERSI DI ALDOBRANDO (Canzone I, stanza 6, v. 15-16) E tanti aitri, cui caro D’Italia il lume foe da terre alcone. A. questo luogo nel codice Cagliaritano, dalla stessa mano che scrisse la canzone, è aggiunta in margine la seguente nota : (HIHI) De Sardis interfuerunt | D equites et DCC | pedites bene et sufi|cienter armati; sicut in |] omnibus temporibus in similibus | circumstanciis interfuerunt Sardi | in Italia. | Non v'ha dubio che prese abbaglio l’antico trascrittore, facendo in- tervenire una schiera di Sardi in favore degl'Italiani alla battaglia di Legnano. Ecco ciò che dice a questo proposito il Martini (1) : « A chiarimento della nota latina apposta alla stanza 6° della Canzone » è da osservare, che Federigo combattette a Legnano coll’esercito » giuntogli d’Alemagna, e colle sole congiunte forze dei Comaschi a lui » fedeli: giacchè la celere mossa dei Milanesi e loro collegati gli aveva » impedito di unirsi coi Pavesi e col Marchese di Monferrato (Muratori , » Annali, a. 1177). Ond’è che non posso riferire alla battaglia di » Legnano l'intervento dei cinquecento cavalieri e settecento fanti Sardi, (1) Appendice alla Raccolta delle Pergamene, Codici e fogli Cartacei di Arborea, per PieTRO MARTINI, Presidente della Biblioteca della R. Università di Cagliari. Cagliari, 1863, pag. 164. 976 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. di cui si parla nella succitata nota, sia nel campo degl’Imperiali, sia in quello degl’ Italiani. Piuttosto io credo che l’annotatore , non bene esperto dei singoli fatti guerreschi avvenuti in Italia a quei tempi for- tunosi, abbia, nella confusione delle memorie sarde di circa tre secoli prima, attribuito a Legnano il concorso di Sardi guerrieri, avveratosi in Italia in altri fatti d'armi. Locchè lasciano travedere le parole : sicut in omnibus temporibus in similibus circumstanciis interfuerunt Sardi in Italia. Invero, posti i vincoli che legavano gran parte della Sardegna all'Italia, e particolarmente a Genova e più a Pisa, è facile a credere, che nelle guerre degli stessi tempi ed in altre i Sardi com- battessero in Italia al soldo di quelle due città, o d’altre , o di signori ghibellini od imperiali, non guelfi. E così dico, argomentandolo sia dalle relazioni di Pisa e Genova col Barbarossa, sia dall’elevazione che questi fece a re di Sardegna di Parasone II, giudice d’Arboréa. Dunque l'isola stava col partito ghibellino. » pag. lin. ERRORI DA EMENDARE 427 DA DOO CIO RS XXX° 26 PAPI n papiria 429 3 PIPUTOTIAIA AIA papiria 433 I Harder pare SES. lo auda pur 434 7 SELL DA GIOCA cor 0a XV 456 15 agitate 000) ieuea Sarto agitata 457 21 Levioì sicriuaznaloa. «Ito 92. 462 16 ahi viso insano! ..... ahi! viso insano, 21 Era, Pretiosa. Voi .... Era, Pretiosa, voi. 26 CROMO Ai gi A e forma. 463 32 LE IRR CAARESA PRESCRSZAG A SILURI LL lo 464 4 Lepore eee Se 465 33 ESISHIAMOMIEI Ce Dia Rane esitiamo 477 22 UerR est cre A ae le 480 32 POSSIATE possette TAVOLA 1. | Cd 2 © ta DS est cr ne. ehi ee e 3ELT1 È sven n ti 3 539% LE pro en rn si DÌ 108, Ce Go — SEX a ie id d SAL ni db va xa JA A ae e Ì ©f GG sz“ « (0° n (I VId re ge o ast è “i I9 dala iaia (e Rigi il creo ia I < È esa n Sa x lago © Pellito et Vesme delineare. || TAVOLA Il Pergamena III Da O5on nafeveruepuoftyo Sar uane | Co Te aloe Son 123 i Pani a Jpraro che 7) fpro Same ferma csi farpa bo elado ue itemeamap ma fon prehte vane (I hedi mentone fumoa fbuffaye a penfieone fhinqiaroftane — ame mécale pito 1a afine àÀ b ch 1623 narme norwia tumofacio abaltyòno imadorinuio di mene (I fian paltizeree bamo elato Che ne moyfaggio euer daffsno & pene Natetratta nero prangeranano — Che chi Suo leupacorye nullo tene i; Por È pane, ferus Sf porge Sl pd Gn 0 fr Perg amena IV 7 T | i (ESS5 m 7 IE Q nilo GL forma A Ta; fu catuni pe cate Cielicelmo mare (1) vaflo mm er Fi (oo Nero ipo fuffe da va Q sonctfa IA Emuotthno ra dioe Di pace di Gioja onvanza tuo re Bro oggi donna diva ore meffo Jutedera egiafe (©) BY avea core 0 ardea ISS Vesme detlinceaviL. 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Abbiamo perciò raccolto in questo Glossario tutte le voci che troviamo in Gherardo ed in Aldo- brando, che più non sono di uso volgare ai nostri giorni; sebbene della maggior parte sia evidente la significazione, e molte non siano neppur ora al tutto disusate, almeno in poesia. Ai soli modi o più oscuri, o più insoliti, o altrimente più notabili, abbiamo aggiunto esempii di antichi autori, a schiarimento od a conferma. Avvertiamo ancora, che molte fra le voci oggidì fuori d'uso adoperate da quegli antichi, come Deo; meo, onne, recivere, auro, laude, per Dio, mio, oggi, ricevere, oro, lode, a nostro avviso neppure aì tempi di Aldobrando non appartenevano ai volgari parlati, ma sono fra quelle che quei primi nostri tentarono donare alla nuova lingua italica traen- dole dal latino: voci che non poterono prevalere contro l’uso volgare, e che perciò non furono, come altre che quegli antichi sostituirono per simil modo secondo le forme latine , ricevute dagli scrittori dei tempi posteriori, dai quali prese norma la nostra lingua, o almeno non diven- nero di uso commune. Serie II, Tom. XXIIK MI DI 56 GLOSSARIO GLOSSARIO A GHERARDO DA FIRENZE Appurto - c. 2. ArFRITTO - Ss. Il, 8. Acco - s. I, 11; II, 8. ArrutARE - c. 1. — Similmente Guitton d'Arezzo, son. CXL, v. 10: Acciò che tu li artuti onne su’ ardore. — E astutare; Tommaso di Sasso: Ché non si può astutare Così senza fatica uno gran foco. AMPERARE per imperare - c. dI. AROVENTARE per adoventare - s. II, 6. ASssENNARE per far senno - s. II, 14. Aupire - s. HI, 6. AvvenIrsi - s. IM, 5. Row per buono - s. 1, 14. Car per calle, feminino - e. 32. — Sulla voce calle in genere feminino vedi Nannucci, Manuale della Letteratura del Primo secolo della Lingua Italiana, 2% ediz., Vol. I, pag. 431, not. 4. Cera per celia - c. 9. - CHERERE - c. 1. UnieRERE - s. JI, 14. Com - s. I, 4; 111, 1; 5. Convento, adunanza - c. 8. — Dante, Inferno, I, 122: Quelli che muojon nell'ira di Dio Tutti convengon qui d'ogni paese. Cora per cura - c. 23; 49. — Fra Guittone, canzone VIII, st. 5, v. 5-7: Nè mia donna w piacere Mi fue giorno giammai tanto quant'ora; Ch'ogni soperchia cora ecc. Cosare per causare - s. III, 11. — Elena d’Arboréga: E risane lo mal che in me si cosa. — Guitton d'Arezzo, c. XX, sf. 2, v. 12-14: lo dolce sperare, Che ’1 qguiderdon del bon servir lor cosa, Fa star sempre la lor vita giojosa. Csiare per creare - c. 12; s. III, 12. — Frequente presso gli antichi. Bonaggiunta Urbiciani: Aspettando quel ponto ch'eo desio Di ciò che crio in voi, gentil criatura. Cumpure - s. IV, 7. DesIipER - c. 3. DicettARE, neutro passivo - s. III, 14. DispraGeNza per dispiacenza - c. 22 — Frequenti sono presso gli antichi gli esempii di piagenza; per esempio, Guitton d’Arezzo, canz. 1X, st. 1, v. 13; canz. XIII, v. 51; Lemmo Orlandi, nei Poeti del Primo Secolo della Lingua Italiana; Firenze, 1816, Vol. II, p. 213. Similmente piagere, piagente, piagimento , ecc.; forme tutte proprie dei volgari municipali. A GHERARDO DA FIRENZE. 979 Disvari per disvarii, da disvariare - c. III — Guitton d'Arezzo, canz. XXXVIII, st. 11, v. 5: Ma disvari membranza a ciò dolere. Docere per docere, insegnare - s. III, 7. — Vedi Dispragenza. DocLiore - s. I, 13. DoLcroso - s. 1I, 11. Eo - s. HI, 14. Esro - s. III, 5; 8. Fare forse per fatto - c. 6. Fino per bello - s. I, 1. For per fu - c. 24. For - c. 37; 38; s. HI, 3. GAIMENTARE - c. 35. ‘ Groy - s. IV, 8. Giovene - s. IN, 10. JIsrertà per infermità - s. I, 12. — Dante da Majano, nei Poeti del Primo Secolo della Lingua italiana, Vol. 11, pag. 491: E se gravato sei d’infertà rea. Inteso per innamorato - s. II, 10. Invorsri per involvesti - c. 16. Lasore - c. 4. Lavrapore - c. 27; 43. Lora per allora - c. 22. — Guitton d'Arezzo, canzone MII, st. 3, v. 3: E quanto brutto più loco fui lora. — Gillio Lelli, nella Raccolta dell’Allacci, 353: Lor che da lui ricece il ben perfetto. Lorpor - s. II, 14. Maggio per maggiore - s. Ill, 7. Maegio per maggiormente - c. 15. Manto - c. 37; s. Il, 14. Mei per meglio - s. II, 2. — Frequente presso gli antichi. Anche Dante ha me’, tronco di mei; Inf. I, 112: Ond'o per lo tuo me’ penso e discerno. — Purg. XU, 68: Non vide me’ di me chi vide il vero. Mro - s. I, 14; 2; II, 1. MespiRE - c. 29. Mister - c. 18 — Now mIsTER per riposo - c. 9. MisvenTURA - c. 37. NesciENTE - s. IV, 2. NrarIcenza - c. 30. — Guitton d'Arezzo, sonetto CXXVII, v. 3: Pigrizia, negrigenzia, e miser poso. — Vedi anche le Note 24 e 167 del Bottari alle lettere di Fra Guittone. È forma propria del dialetto fiorentino e di altri toscani. - 580 i GLOSSARIO Norre - c. 29. — Bruno de Thoro, canzone a Preziosa, st. 3, v. 2: Alma pietosa, di noîr refetto. — Guitton d’Arezzo, sonetto IX, 10-12: come gioire Senza presso noire Puot'uom alcun. i NorRIce - c. 27. — Per umile notrice presso i poeti di quella età troviamo indicata la terra. A questo esempio di Gherardo, e a quello presso Aldobrando, aggiungi l’altro, quan- tunque più oscuro, presso Bruno de Thoro, canzone a Preziosa, st. 8. Ogni unque per chiunque - c. 21. OrntA - c. 20. Om - s. IV, 4. Onne - c. 2; 37; s. I, 13. Orrato - s. III, 8. Orrato ONORE - s. JII, 8. Ovra - c. 9. OvRARE - c. 2. S ParaRE per imparare, insegnare - s. II, 14. PeR omesso - c. 19. Perra - s. IMI, 3. Poi per poichè - c. 24. Precnero - c. 5. — Vedi Vor. Preroso per pietroso - c. 36. — Guitton d'Arezzo, canzone VI, st. 4, v. 2-3: santa anche Scrittura Dice la via de’rei grav e pretosa. ProveDENZA - c. 31. Quar per qualunque, qualsiasi - c. 34. RACATARE - c. 13. Ram tronco, per rame c. 19. Rarto per ripido - c. 36. — Guitton d'Arezzo, canzone VIII, st. 9, v. 6-7: d'ogni monte il sommo È sempre estremo e ratto. Saggiranza - s. Il, 7. SaveRrE - s. III, 1. ScieNTE - s. III, 7. Scorare - s. IV, 2; 5. — Bruno de Thoro: scolare în pensier soe, como Deo, Da tal amanza, e brutto tuo laidire. — Guitton d'Arezzo, sonetto XLVIII, v. 8: Como di sè iscolar possa l’amore. Sensore per Signore - s. III, 4. — Dalla voce Senior, che già nella bassa latinità trovasi adoperata in non dissimile significazione, il più antico: esempio si trova in una legge di Costantino dell’anno 313: « sicutì etiam sub domino et parente nostro Diocletiano seniore » Augusto eadem plebs urbana immunis fuerat »: e. 2 C. Th. de censu sive adscriptione (10,2). SennaTO sostantivo - s. IV, 7. i Sento: - c. 2; 29; si IV, 2. Scunerare - s. II, 9. SommeTTERE - s. III, 11. A GHERARDO DA FIRENZE. 581 SpERDIMENTO -.c. DU. Spermento - c. 41. — Guitton d'Arezzo, son. LXVIII, v. 5: Ma non vor mi crediate for spermento. Tassare - s. I, 2; Il, d. Taupino - c. 10. — Guitton d’Arezzo, son. LIX, v. 2: Perchè taupino io voi tanto dottare? — Onesto Bolognese: Ahi lasso taupino! altro che lasso Non posso dir, sì sono a grave miso. Torquere - s. III, 2. Tra, segno di superlativo -s. I, 10. TraR per frare o trarre - c. 32. Turtore - s. IMI, 6. Y (vedi il Glossario ad Aldobrando) - c. 33. Vaniero - c. 10. Vento per vinto - c. 9; s. III, 12. — Guitton d'Arezzo, son. LXXXVII, v. 7-8: m'ha gioja sì vento, Ch'a forza campo, se non mi conquide. Verraggio per vedrò - s. I, 10. Vertù - s. III, 13. VirtuaLe per virtuoso - s. I, 9. Visa (4) - c. 16; s. I, 11. Visare - c. 38. Vittore per vincitore - c. 9. Trovasi anche presso Bruno de Thoro. Vor per voglio - c. 1. — Guitton d'Arezzo, son. LII, v. 1-2: il mio preghero Voi' che intendiate. 552 GLOSSARIO GLOSSARIO AD ALDOBRANDO DA SIENA A, segno del terzo caso, omesso avanti ai pronomi; modo frequentissimo presso gli antichi AMINA RO AVA LOL SIAE A per che - c. I, 1, 4: men a fiore, per men che fiore, ossia. men che nulla; 6, 4: senno ad altr'uomo maggio, ossia senno maggiore che altr’uomo. A per come - s. I, 10. A per con - c. I, 5, 5; 1I, 65; II, 4, 15; IV, 3, 2; VI, 4, 6. A per da c. III, 4,3: Dell’alma nostra a carne tribolata, ossia tribolata da carne (dalla carne). A per di - c. IV, 5, 12: bestia doventar cosa è a te indegna, cioè indegna di te - s. V-8 AN peniari (CUI, 12: O NEL AVO: 2: ad ozio stare per stare în ozio. A per per - c. I, 1, 19-20; 3, 30. A per secondo - c. I, 9, 2: a vertate per secondo verità. AspeLLare - c. IV, 4, 8; S. II, 4 ABBRAMARE e ABRAMARE - c. I, 3, 4; ‘, 25; 7, 20; s. IV, 5. ACGATTARE - c. II, 53. AcciocnÈ per percioché - c. V, 1, 16. AccontRARE e AcontRarE per incontrare - c. IV, 2, 6: S'accontra compassion fuor caritate? - 4, 18; V, 2, 10; s. I Acorpanza - c. IV. 5, 1. ADDURRE - c. 1, 3, 22. ADDUNTONACA ISO 00, 10 I ZO 82 VISI? CONS IS MILINO: ADOVENTARE - e. II. 7; 17 Ap uN per ad una, insieme - c. 1, 3, 21. Apvocata - c. HI, 4, 1. AcaIo per lo - c. Il, 29; s. IV, 6; V. 12. AGGRADIVO, che aggradisce, grato - ce. IV, 3, 18. Similmente Elena d’Arboréa: tutto colle e pisa, fuor onne parvente d’aggradivo. Qui RIO sostantivo, per aggradimento. AGGRATARE 0 AGRATARE, aggradare - c. 1, 9, 4; II, 39; s. HI, 9. Aipa per aîta - c. V, 4, 1". Arroro, aitorio, ajuto, dal latino adjutorium - c. II, 4, 4. Amro per altro. - e. I, 2, 17; 6, 15; II, 4 Atcono per alcuno - c. I, 3, 26; 27; ; AE NONA0: AtLeGRranza - c. I, 5, 16; 7,9; 24; 6, 21; II, 4,8: s. III, 6. Se ne trovano esempii ancora nei poeti del secolo XIV. ALLiGanza, lega, alleanza - c. I, 5, 21. ArtroI per altrui - c. IV, 16. AmMapore - c. II, 3. AMANZA per amore - c. I, 1, 28; II 9; V, 2, 10; VI, MV! AmorTARE, ammortare - s. È, 6 ANCIDERE - s. V, 14. ‘AD. ALDOBRANDO DA SIENA 583 Anciso - c. I, 1, 8; V, 3, 16. Ancrre, neutro - c. I, 1, 4: ove sua patria ange ad affanni. Anti per avanti - c. VI, 2, 12. Aosrto - c. I, 8, 8; IV, 1, 15. Aontane per fare onta - c. I, 9, 14. AsseGNnaRE per insegnare - c. I, 3, 17; II, 75; IV, 5, 11. — Guitton d'Arezzo, sonetto LITI, v. 13: veritate assegna, che ben è d'esser dea per bon usaggio. AssemgrAaRE per assomigliare, comparare - c. II, 9. Assempro, esempio - c. I. 2, 7; 8, 4; IV, 6, 7. Artento da attenere - c. II, 88. Infra speranza sammi avere attento Venga usato da voi lo bon servaggio, Che v'offre meo coraggio. Aupire - c. IV, 6; VI, 7, 5. Auro - c. Il, 37. Ausante per osante, che osa - c. I, 6, 26. Ausane per osare - c. 1, 6, 27. Avige per avere - c. IV. 2, 11. Avortro per adulterio - c. VI, 6, 3. — Presso gli antichi trovasi anche per adultero. Baccrare per baciare, raddoppiata la c a motivo dell’accento ; e questa parimente è l’origine dell’altra forma, ora parimente disusata, dasciare - c. I, 1, 28. — Vedi Bottari, Lettere di Fra Guittone, not. 29%. Barito - c. I, 1, 3; s. II, 11. BerLore - c. I, 6, 19; s. I, Bomganza, nel vocabolario della Crusca è spiegato allegrezza, giubilo, gioja; ma nel secondo dei due esempii che qui addurremo pare piuttosto per vanità, vanagloria. - s. II, 10; Cama! bombanza, e vanitade insana, Tien meo core bailito a tal durezza. — Elena d’Arboréa: le mie guance e le mani appianava, laude onne rennovando, onde eo bombanza ne avessi. Box, feminino, tronco avanti consonante - c. V, 4, 5. BoniratE - c. I, 9, 3. Borrascoso - c. V, 3, 11. Briga, lite, contesa - c. I, 8, 8. Nel più antico volgarizzamento dei Distici di Catone, Litis praeteritae noli male dicta referre, è tradotto: Le rie cose delle brighe passate non ricordare. Caramo - c. I, 2, 23. CaronniarE - c. V, 2, 5. Car, tronco avanti consonante - c. I, 1, 17;:2, 27; 6, 2; VI, 2, 10. Caruno - c. I, 9, 5; IV, 2, 12. Cue omesso - c. I, 2, 28; IV, 4, 15; V, 4, 7; VI, 8, 8. Vedi inoltre Por per poiché. Cnr per ciò che - c. I, 3, 4; 4, 5; 7, 14; 9,8; V, 1,2; 2, 14; s. IV, 14. Cue per più che - s. V, 10. s CHE ’NDE, vedi ’NDE. CHERERE - c. I, 3, 2; 28; 5, 5; 9, 7; HI, 3, 15; s, VI, 12. Cai cne - s. III, 9: Scegli, me disse con parlar sereno, Chi che di queste più l’aggrata. 584 GLOSSARIO Correre - c. VI, 7, 6. Corrare - c. II, 45; VI, 1, 12. — Guitton d'Arezzo: Agricola @ nostro Signore, Non terra ma cori coltando. Com - c. I, 3, 17; IV, 2, 7; 3, 15; VI 1, 2; s. VI, I Comenza - c. VI, 2, 3. Como - c. 1, 2, 9%; 25; 4, 2; 8; 28; 30; 5, 11; 7, 11; 1II, 3, 4; 859; 13; IV,4, 1: 7; 2,15; VI, 2,192; 307, dd VIS 6,7: Comon, Comono - c. II, 63; VI, 6, 12. Compatuto - c. I, 9, 5. Coxpurre FRUTTO - c. VI, 9, 3. Consumamento - ec. VI, 4, 12. Contraro — c. I, 4, 2; s. I, 11. Coraggio per cuore - c. I, 6, 1; 9, 9; II, 30; 90; s. IV, 7; V, 12. Corare - c. I, 5, 20; 21; 6, 11; 11, 9; 84; 1V, 2, 2; 3, 16. CorarmenTe - c. 1, 9, 10. Coscenza - c. V, 3, 10. CovRrI Creo rE — c. V, 2, 16. per credo - c. V, 4, 13. CrescERE attivo per accrescere - c. 1, 3, 16; 4, 5; 5, 10. Croso - c. IV, 4, 10. Dar per da, verbo. - c. 1, 6, 2; 29; II, 38. Davnageio - c. I, 8, 13. DecEDERE per ingannare, dal latino decipere. La Crusca ha soltanto Decetto e Decezione, alle DELIT quali voci i recenti vocabolari aggiunsero Decettorio. Pare fosse voce non infrequente presso i nostri antichi - c. I, 7, 27: A onrati patti ed utili e sennati, Che tuo savere degno, Fuor decedente ingegno, Con discrezione tutta ha mercantato. — Bruno de Thoro: sì mene non hane Decedente Amore. — Lanfranco di Bolasco, eanzone, v. 34: Como fo engegniata forte deceduto Da la sua moliere. — Fra Guittone, canzone IV, st.5, v. 5: Che Sanson decedesti e Salamone. E canzone IX, st. 5, v. 5: Crudeli, aggiate mercede De'figlivoli vostri e di vui; Che mal l’averebbe altrui Chi se stesso decede. E canzone XLIII, st. 8: Non sembiante d'amor, non promissione. .... Vi commova, poi voi tanto decede. — E con forma più fio- rentina Dante da Majano: Mante fiate può l’uom divisare Cogli occhi cosa, che lo cor dicede. to - c. VI, 6, 2. Ciliamo questo passo per dimostrare che non è al tutto esatta l’asser- zione del Nannucci, Manuale della Letteratura del Primo Secolo della Lingua italiana (seconda edizione, Firenze, Barbera, 1856), Vol. / pag. 387, not. 3, che presso i nostri antichi non fosse conosciuta ancora la voce delitto. Vi ha bensì in tale asserzione parte di verità. La voce delitto era italiana, dagli scrittori tratta dal latino delietum, onde anche nella prima sillaba conservò la forma latina; laddove da defectus, passò alla lingua italiana non defetto, ma la forma toscana difetto. Deo per devo - c. I, 7, 10. Dro per Dio - c. I, 8,11; 1V, 5,3;5; VI 1, 1; 2, 5; 7, 4; st I, 10; 13; IM, 13: Derepano - c. I, 3, 7. DESIA Desvi DiLET to per desiderio - c. I, 6, 32. are - c. V, 2, Toso - e. VI, 1, 5; s HI, 2. AD ALDOBRANDO DA SIENA. 585 Disasconpere, palesare - e. V, 2, 3. DiscrezionE per discernimento, avvedimento, senno - c. I, 7, 28. Disrmenza - c. IV, 4, 17. DisaratArRE, disgradare, non esser grato - c. HI, 30. Distanza per desio, desiderio - c. IV, 5, &; V, 1,1. Disiper - c. II, 34. Di sorto per di soppiatto - c. V, 2, 9. DispiEToso, contrario di pietoso - s. V, 9. Vedi Spieroso. DistRINGERE per distaccare, contrario di stringere - c. I, 1, 30: Né da essa, in cui intende, si distringe. Non mi venne fatto di trovare altro esempio di questa voce in questa significazione: all'incontro, e presso gli scrittori del secolo XIII e presso i seguenti, è frequente per stringere fortemente. Disusare - c. I, 4, 4: men a fiore disusando Che da respetto tragga o da paura. DisvaLeNTE, privo di valore - c. I, 8, 20; 9, 12; II, 86. — Bruno de Thoro, son. I, v. 9: Se è versi miei son brutti e disvalenti. DisvaLeRE, non valere - c. I, 8, 5. Disviare GALLI, prendere sentieri fuori via - c. 1V, 3, 10. Divimate - c. VI, 4, 5; s. II, 2. Divizie - s. III, 11. Dogtroso - c. I, 26. DoLciore per dolcezza - c. I, 5, 12; 7, 9; 33; HI, 4. 7. Donque - c. I, 3, 1; &, 1; 17; IV, 2, 12; VI, 3, 1. Doppiare - c. IV, 4, 11. Dortanza per dubitanza, dubio - c. VI, 3, 4. — Nel seguente esempio trovansi usate promiscuamente le due voci dottanza e dubitanza. Meo Abbracciavacca: Amante, Madonna eo dotto. Madonna. Di che hai dottanza? A. Non mi cangiate. M. Di. ciò non temere. A. Non m'assicuro. M. E pur hai dubitanza? DorraAnza per timore - c. I, 6, 26. DortarE per dubitare c. I, 2, 25; s. 1V, 14. Trovasi anche esempio di DurraRE, voce più prossima alla sua origine. — Guido delle Colonne: £ tanto più da Amor che vince tutto. Perciò non dutto-Ch' Amor non vi smova. DortaRE per temere - c. I, 6, 28; III, 5, 2. DovemRE - c. VI, 8, 5. DovenTARE - c. IV, 5, 14; 12; VI, 5, 1f. DURATAMENTE - s. VI, 11. Ext articolo per è! - c. I, 2, 23; II, 91; HI, 4, 9; IV, 2,1; V1,2 EL per ello o egli - c. V, 2, 3; 13. ELto - c. IV, 1,4; 2, 8. Ex per ?n - s. II, 8. En Lo - c. V, 4, 7. Eo - c. 1, 3, 13; s. II, 9; VII, 14. Estro! - ‘c. 1°, 5, 135 8/2%;,9)015: 11525; 9257 1119, 10; IVI, 4 405,015 Vf, 1/6; 5, 1f; SO RIVAOI EreRrnaLe - c. I, 3, 22; 4, 17; 6,8; 19; II, 50; 53; III, 2, 9; VI, 2, 4; 7,12; 9,6; 515 ETERNALMENTE - c. VI, 9, 10. Senre IL Tom. XXIII 74 556 Ì GLOSSARIO Fartanza - cc: 11; 74; IV, 2,3; s. 1,9; Vo. Farcenza - c. VI, 4, 8; s. VI, 8. È Fer per fede - c. V, 4, 16. Fenezza per fortezza - c. I, 8, 25. Fier per forte (tronco al feminino) - c. I, 6, 3. Ficora - c. 1, 1, 23. Finimento - c. I, 6, 32. Fino per bello - c. VI, 1, 11. Fior e riore - c. I, 3, 13; 19; IV, 1,6; 5, 3: L'alma tua nè Dio guardando fiore, A seguir tua disianza — Similmente Guitton d’Arezzo, canz. XLII, st. 5, v. 6: S0 né amico né Dio guardando fiore, A seguir bene amore. Vedi ciò che notiamo più sotto, alla voce MacgIo per maggiore. For per fu - c. 1, 5, 12; 6, 16; 7, 22; IV, 5, 8; VI, 2, 12. Forcore - c. Il, 4; 76; s. II, 4. Fort= ce. 011, 2: 8 N25 SOT SAVA 89 AVIO 0A RS 7; s. IV, 2; V, 10. Vedi Fuor, Fuore, e For sENNATO. For sennato o Forsennato; nell’uno o nell’altro modo può leggersi nei due seguenti passi: c. V,2, 1: Guai sor guai all'uom, che, for sennato, Menar da esso (fiume) consente in sue nere onde. — s. VII, 10: Vidi adesso tuo’ inganni, e la ruina, In che miser cadesa for sennato. Forte, avverbio, per molto - c. I, 1, 5: Della penosa forte sua moliera (secondo la lezione del cod. Cagl.). — II, 36; III, 3, 2; VI, 3, 9. Forziore - c. IV, 4, 6; VI, 3, 2. FrurttanE FRUTTI - c. II, 64. Fuor - c..I, 6, 26; 8, 20; IV, 2, 6; VI, 3, 12; s. I, 8; V, 5; VI, :6, 8. — Vedi For e Fouore. Fuor per fuorchè - s. VI, 14. Buores= te. IV 293 SV (artare, ingannare - c. V, 2, 12. — Guitton d'Arezzo, sonetto XVII: Dispiacciati oramai, amico, d’ esso Più galcar te stesso. E sonetto CLVI: te pregian matti e credan tanto, Ma galcati saccenti non sono. Gaopere - c. I, 5, 15; 18; VI, 4,3; 512. Gauproso - c. 1, 4, 25. Gente per gentile - c. II, 10. — Similmente Bruno de Thoro: Di voi canto, o Signore, Che sì pietoso e gente. Frequente presso gli antichi. Giroconpare - c. VI, 6, 4. (Groconposo - ec. III, 2, 3. Giocoso per lieto, festevole - c. I, 4%, 27: Questo gaudioso giorno sì abramato ..... A Addusse, ahi providenza! noi giocoso. { Gior - e. VI, 7, 3. — Altrove abbiamo gioia monosillabo, come c. I, 2, 27: Con grande gioia e voler car amoroso. — Molti sono d’avviso, che dovunque presso i poeti si legge Pistoia dissillabo, gioia, noia monosillabi, si debba leggere tronco Pisto?”, gio”, no, e così in altre simili voci. Non v ha dubio, che questa forma si trova frequentemente presso i nostri antichi, presso i quali la lingua scritta, meno soggetta a regole, ammetteva spesso AD ALDOBRANDO DA SIENA. ey ì troncamenti in uso ne’ volgari parlati; sì che nonchè gio, troviamo perfino esempio di gio’, e altri peggiori. Ma simili troncamenti sono al tutto contrarii all’ indole della lingua commune italica; ed i nostri migliori, Dante, Petrarca, Boccaccio e gli altri, dai quali questa prese norma e legge presso gli scrittori avvenire, mai non mozzarono a tal modo le voci, sì che, per esempio, i buoni codici della Divina Comedia sono con- cordi in leggere Tegghiaio, Uccellatoio. Onde io tengo per fermo, che dove presso i nostri migliori troviamo, per esempio, Pistoia dissillabo e noia monosillabo, non debba tron- carsi la voce, ma abbia luogo semplicemente un trittongo, come in miei, tuoî, vuoi: e in gioia un quadrittongo, come in figliuor, lucciuoiî, 0 che piuttosto anche questi non siano che trittonghi, e che la prima è abbia soltanto l'ufficio di rammollare la conso- nante precedente. Ed una prova di tal nostro modo di vedere abbiamo in ciò, che di simile contrazione di vocali in una sola sillaba abbiamo esempio anche in mezzo di una parola; per esempio, nozoso dissillabo. Messer Polo (Poeti del Primo Secolo della Lingua Italiana, Vol. I, pag. 30): Che aggio, bella, della noiosa gente. Gioysa GIososa - c. ITT, 1, 6. — Vedi PrsceR (PIACENTE). Giovana - s. III, L: Venti e più vidi giovane giojose. GoLraro per bramato, come GoLrare per dbramare, da gola; da non confondersi con Gacrare. Il vocabolario ha soltanto Gorare e GoLrare - c. I, 1, 5. GoLeoso, goloso, e per metafora bramoso - c. VI, 5, 4. Grapivo - c. II, 25; 111, 1,9. Grapo per a grado - s. IV, 8. (rramezza - c. IH 79. Gran avanti vocale - c. V, 4, 16. GUAMENTARE - s. VI, 3. Guarenza - c. HI, 4, 12; IV, 2, 17; s. VI, 2, 14. 1 per gli - c. VI, 2, 10. IncENDERE - s. 1II, 1%. Inceso - c. VI, 5, 2;6,8;9 4 È InpE, che più sovente trovasi ’npe, e talora eNpE, e dal quale derivò il pe, parimente anti- quato;, e il ne, che restò in uso in loro vece - c. V, 2, 11; s. IV, 6. Vedi ‘pe. Inera - c. 1, 6, 25; 8, 6; 16; II, 88; III, 4, 10; IV, 1, 17. Incegnare per ingannare - c. IT, 26. Similmente Bruno de Thoro: AM! che ingegnar me vdi, via tutto saccio. — E Guitton d'Arezzo: hailo ingegnato tanto, ch'ello te crede Dio possente e santo. — Vedi anche InceGno. Inceeno per inganno, è voce della cadente latinità, e trovasi già nelle leggi Langobar- diche - c. I, 7, 27. In ‘rare - s. MI, 7. INTENDERE IN per amare - c. È, 4, 30. IntENZIOnE per amore - s. V, 4. Inver penieni- cul; 45122; 02; 07; 5, 1; 03: 276) 18527010 di; 191007153; 01V, 47285 V, 2,7; s. I, 13. — Si trova anche presso Bruno de Thoro e presso Lanfranco; non mai in Gherardo, nè in Elena d’Arboréa. Rarissimi esempii mi venne fatto trovarne in scrittori del secolo XIII; per esempio: Anonimo Romano (Martini, Appendice, pag. 125) Bella qual rosa inver giardin piacente. — Loffo Bonaguidi (Poeti del Primo Secolo della 588 GLOSSARIO Lingua Italiana, vol. IT, pag. 262): Ahi, Dio mercè, avrò giammai riposo? O troveraggio inver l'amor riparo? Israre - c. VI, 6, 6. Laporare - ec. VI, 2, 8. Lasore - c. VI, 1, 1; 9; 3, 5; 4, 1; 8, 10; 12. “ Laprocinio - c. VI, 6, 3. TAIDIRES="C STIVA VIII Laipo - c. IV. 4, 12; VI, 4, 11; 5, 10. Lactpare - c. I, 6, 1; 8, 5; 1V, 6, 6. JEAGDET CRIS RITI RVAo: Lausore - c. I, 2, 7; 3, 12; 4, 12; 7, 10. Lonciato - c. IV, 4, 3. Lucrore - c. IMI, 3, 9. ” Lucroso - c. I, 6, 19; II, 11. Lur, detto di cosa - e. VI, 5, 11. Maio per maggiore - c. I, 6, 4; 7; 7, 10; 16. Magno di pie vertù, magno di cuore, E tal sei magno, e via maggio che tale. — (Guitton d'Arezzo nella canzone XIV ha due versi tanto simili a questi, che quasi ci portano a credere che le poesie di Aldo- brando non fossero ignote a Guittone: Magne di tua vertù, magne d'amore ..... Tal se' e tanto, e via maggio che tale - II. . Vedi altro esempio sopra in Fiore. Maggio per maggiormente - c 1, 1, 4; II, 49; IV, 4, 2; 9; s. IV, 1; 5. Mamere - c. VI, 5, 7. Manto, per molto - e. 1, 1,9; 205 2) 143,65 4,9; 10 6£L, 7170 IV NAVINO 11; 6, 2: s. VI, 2. — Opinano quasi concordemente i filologi, che questa voce gli antichi nostri scrittori abbiano tratta dal provenzale o dal francese. lo non so indurmi a credere che ci sia venuta di sì lunge una voce di uso tanto commune, e credo che questa fosse la vera e antica voce fiorentina, che poi fu soverchiata dalla voce molto, della quale non si trova esempio presso i più antichi, e che gli scrittori diedero al volgare illustre, ossia alla lingua italiana, traendola dal latino; e fors’anche era in uso in alcuno dei volgari toscani, e certo in parecchi altri volgari italici. "Quanto più studio gli scritti dei nostri antichi, tanto più mi persuado, che l'influenza del francese e del provenzale sull’ italiano non ebbe luogo prima del secolo XIII, e fu grande ma non durevole sulla poesia, leggera e ancor meno durevole sulla lingua. Le voci che l’italiano ha communi col provenzale gli vennero non da questo, ma dall'origine commune ; e le numerose voci che molti scrittori toscani, anche fra i migliori, e particolarmente i traduttori di scritti francesi, tolsero da quella lingua nella seconda metà del XIII e nella prima del XIV secolo, non poterono prendere radice nella nostra lingua: come ciancellare (chanceler); croccia (croche); orage (orage); melea (mélée); ed altre di simil fatta. Mattia - s. 1,9. Me per mi -.c. I, 3, 26;.8. INIL 8; IV, 2; VW, 10. MegLio per piuttosto - s. V, 14: M’ancidi meglio, che pur n'hai coraggio. Mempiranza - c. I, 5, 26; ll, 73. MeuBRaRE - c. 1, 2, 15; 3, 21; 7, 12. 4 Men per nemmeno - c. I, 3, 14. AD ALDOGRANDO DA SIENA, 589 Men a riore per men che nulla - c. I, 4, Meo - c.-I, 2, 18; 24; 30; 3,9; 30; 7,3; 8; 4; 9,1; IL, 26; 39; 51; 82; 92: III, 4, 14, 5, 2; s. II, 4; 12; 14; IL 3; V, 2; VI, 12. MercantARE PATTI - c. I, 7, 28. MerrarE - c. VI, 4,3; s. V, 2. Mero - c, I, 3, 4; VI, 8, 12; s. V, 10. MespicenTe - c. IV, 4, 2; 13; 5, 1. Mespire - c. IV, 1, 7; 2, 10. Mezzo - c. V, 1, 11. Mirapore - c. I, 8, 2; II, 3. — Guitton d'Arezzo unisce specchio e miwradore, che pur sono una cosa sola: E specchio e mirador d'ogni vilezza. Miro per maraviglioso - c. Il, 81. Misaci - c. I, 1, 20. — Elena d’Arboréa: A guiderdon de’ miei misagi. Miscompor - c. V, 4, 9. Misrare - c. V, 4, 10. Misrere - c. V, 4, 8; VI, 3, 6. Mismere - c. I, 2, 29. MisvoLERE - s. IV, 3. Mowiera - c. I, 1, 5; 17. MontAnTE - c. VI, 3, 2. Morrat al plurale - c. I, 4, 20. ’nDE - c. I, 7, 14; SI, 4, 11. Vedi Inpe. NEENTE - c. I, 3, 5; 4, 16; 11, 56; V, 3, 8. NescienTE - c. I, 4, 14. Nescienza - c. VI, 4, 7. Non per non tanto, non è tanto, e simili - c. I, f, 11; 2, 16; II, 11; 27; 37, Ill, 3, 10; IV, 2, 16; 4, 12; V, 1, 7; 3, 2; VI, 5, 12. Vedi anche s. V, 12-14. Di questo modo, alquanto oscuro ma di molta forza, che s'incontra anche, quantunque più rara- mente, presso Bruno de Thoro, e frequentissimo presso Elena d’Arboréa, ed una volta sola in Lanfranco, non mi venne fatto di trovare esempio presso altri antichi. NotrIcE - c. VI, 2, 10. - OsriIare - c. II, 5; 49; VI, 4, &. Ocnunque - c. 1,.7, 14. 4 OLtRA, segno di superlativo, come rrA, ma staccato dalla voce - ec. 1, 2, 19. Onne aggettivo - c. I, 1, 11; 24; 2, 3; 7; 22; 24; 3, 24; 4, 12; 28; 5, 28; 7, 12; 33; 8, 3; 20; 22; II, 7; 13; 15; 47; 52; 57; 72; 80; III, 3, 3; 4, 13; IV,5,8; V,1,11; 2,13; 4, 11; VI, 2, 4; 4, 4; 12; 5, 5; s. II, 9; 14; V, 7; VI, 13. Credo che la voce volgare fosse ogni, e che Aldobrando e altri abbiano più frequentemente posto oNNE, perchè voce più conforme all'origine latina. Onwe sostantivo - c. I, 6, 14; V, 4, 10. Onoranza - c. 1, 7, 23. Onque - c. I, 7, 6. Onranza - c. I, 2, 4; 8, 20; III, 3, 14; IV, 1, 13. OnraTo - c. I, 2, 9; 5, 6; 6,3; 7, 25; II, 35; 48. OnRraTO oNoRE - c. Il, 48. 990 GLOSSARIO OnnevoLE - c. I, 3, 3; 23. OvnrEvoLE oNORE - c. I, 3, 3. Questi modi di dire, come gioja giojosa, onrato onore, onrevole onore, piacente piacer, ed altri simili, assai frequenti presso gli antichi, possono consi- derarsi quasi superlativi dei sostantivi. Guitton d’ Arezzo: E mi vi dono appresso, in quanto vaglio Di fedel fede e d'amoroso amore, Fedel bon sersitore. Orare - c. I, 8, 7. Ore per bocca - c. HI, 1, 10. OrEgLIE - c. IV, 3, 8; s. VIL 4. Orto per nascita - c. 1, 4,14; HI, 2, 4. Ovra - c. V, 2, 15. Ovrare - c. IH, 52; IV, 2, 3; VI, 3, 10. Pagare per appagare - c. I, 9, 6; VI, 5, 5. — Guitton d’Arezzo: Nè mai altro pagare Ne può già, che lo ben ch' ha noi promesso. } PiarAeero = e. II, 43; 1V,,2; V. 10. Parare - c. I, 3, 26; 9, I. Pararsi - c. VI, 8,2. ParLato, sostantivo - c. VI, 7, 8. Paro - c. II, 7. Paruro - c. 1, 9, 7. Parvenza - c. II, 30. Parvo - c. Il, 1. Penare - c. IV, 1, 5. Pensivo - s. 1, 12; V, Per omesso - c. V, 3, PerigLIoso - c. II, 5, PerPETUALE - c. I, 7, 32. Perrate re: 1;ed; 24: VI 121 PraceNTE PIACER - c. 1, 5, 15. Vedi OnrEvoLE oNoR. PracENTERE - c. VI, 7, 2. PracERE (nota costrutto) - c. VI, 4, 2. Pieranza - c, 1, 4, 24. Prumo per piombo - c. I, 37. Prusore, avverbio - c. I, 8, 17; IV, 4, 2; VI, 6, 2. Anche questa voce, ora disusata, reputo di origine italiana e non francese; e l’avverbio più sè lombardo altro non è che il plusore, ridotto alla forma di quel dialetto. Por per dopo - c. I, 5, 18; IV, 2, 18; s. 1lI, 3. Por per poichè - c. 1, 1, 6; 2, 3;:29; 3, 4; 7, 31; 8, 13; 18; II 38; III, 2, 4;.3, 12; VAI INA RIVE VO: VISAE Ponpo - c. I, 8, 5. Portare - c. 1, 2, 25: con dottante mano, como porta Ad uomo veglio sia, ossia come si conviene. Posamento per riposo — c. VI, 5, 6. PosoTCMEROA O AO RIVA] Pravo - c. VI, 4, 10. PrimeRro - (e. V, 1595 4VI, 1 85/5 IE10:91V 142! Priso - c. I, 1, 24; 2, 920. AD ALDIBRANDO DA SIENA. 591 Prope per utilità - c. I, 3, 12; II, 66. Vedi Pro. Prope pi PrRODEZZA - c. I, 6, 2. Proe per prode, utilità - c. I, 4, 10. Proezza - c. I, 6, 27. Prossimano, aggettivo - c. I, 1, 13. Prossimano, sostantivo - c. IV, 1, 17; 5, 7. Pcenarsi per sforzarsi - c. V, 2, 5. PunarE in questo senso è frequente presso Bruno de Thoro ed Elena d’Arborga, e si trova anche presso gli scrittori del secolo XII. Puore per può - c. V, 1, 3. QuERENTE - c. VI, 1, 3. Racrono - c. I, 4, 16: È snaturato e, soe, Nesciente, spurio, cui savere spiace, L'orto suo mal- dicente, Matto, ragiono, e neente. — VI, 6, 11: Ma pur quanto tal provo e più ragiono, Più nel mondo ti fai loco in comono. — Elena d’Arboréa: Matta e folle bealtate anzi misera, ragiono, acciochè (perciocchè) tien sé stessa a gabbo, e accata sovente altrui dispregio. — Lanfranco di Bolasco: Insomma tutte in voi vertudì sono, Siccome eo ragiono. — Guitton d’Arrezzo, sonetto X: Dispregio onor ragiono, Dannaggio prode, e gaudio dispia- cere. E sonetto CXVI: Né saggio chi è poeta nè dottore, Nè ricco uom per molto auro ragiono. Rancura - c. I, 4, 11; IV, 3,2. RecnerERE = c. VI, 5, 3. Vedi RicHERERE. ReEcIDENTE - c. VI, 9,9. Recivere - c. JII, 1, 8: Da me tuo figlio dhe recivi un Ave. — Bruno de Thoro: Receiver for mamere Voi usate, obriando fasto. È voce che Aldobrando e Bruno, come più conforme al latino recipere, tentarono sostituire al fiorentino ricevere; ma questo e non.quello fu ricevuto dai nostri migliori, e restò alla lingua italiana. Reena, plurale - c..I, 3, 14. Guitton d'Arezzo lo concorda con l’articolo mascolino: È ben di tutti è regna serebbe degno di portar corona; ed altrove, con forma anche più riprovevole: Ed in terra ed in ciel gaudi tua regna. Renato - s. VII, 14. Respetto - c. II, 3, 7. Restoro - c. III, 4, 5. Riccore - c. II, 47; DI, 4, 6; V, I, 12. RicnerERE - s. 1, 8. Vedi RecHERERE. RIMANERE per rimanersi, tralasciare - c. VI, 4, 1: E chi riman sequendo (dal seguire) suo labore, E negligente piace ad ozio stare. SaccentE - c. VI, 6, 4. SaverE per sapere - c. I, 3, 5; 4&, 14; 7, 26; II, 45; IV, 4, 4; s. IV, 14. — Pare che questa fosse la forma volgare, poichè si trova frequentissima presso gli antichi, e ne resta traccia nella voce Savio, ed altre. ScienTE - c. I, 2, 18. Scuper - s. VI, 7. Spire - s. II, 12. SenNATO, sostantivo, Vedi For SENNATO. 592 GLOSSARIO Sennato, aggettivo - c. I, 7, 25. Sento - c. V, 4, 16; VI, 9, 7. Servaggio - c. II, $9; s. IV, 3. Srare - c. VI, 9, 14. Srarto - c. V, 3, 6. SI o Sì omesso - c. V, 2, 2. Siccomo - c. 1, 6, 29; III, 2, 8; V, 4, 15. SLonerare - c. I, 1, 6; 3, 30; s. V, $; VII, 13. SLunerare - c. I, $, 11; s. V, 6. SuenTERE, dimenticare, obliare - c. 1, 7, 33; IV, 3, 11. Soe per so - c. I, &, 13. SoFFERENTE - c. 1, 2, 19. Sommesso - c. IV, 4, 7. SOMMETTERE - c. IV, 3, 5. Sommo, sostantivo, per sommatà - e. II, 42; V, 4, 2. In ambedue i luoghi rima con sommo, aggettivo. SoperBIa - c. V, 1, 9; VI, 5, 3. Soprano - s. III 12. Sor - ce. V, 2, 1: Guai sor quai all’uom, che for sennato Menar da esso consente in sue nere onde. — Guitton d'Arezzo, son. CXXXI: E guai sor guai a chi più n'ha conforto. Sorserto - c. I, 8, 16; III, 1, 5. Spera - c. 1II, 4, 2; s. IV, 10; V, 3. SperpIMenTo - c. IV, 3, 14; V, 3, 4 SpergITORE - c. I, 2, 17. ; Spieroso, privo di pietà, e differisce da Spierato - c. V, 3, 2. — Lapo Gianni: Amor, io prego la tua nobiltate, Ch'entri nel cuor d’esta donna sptetosa, E lei facci amorosa. Sprocco - c. VI, 2, 6. SraE per sta - c. I, 1, 12; II, 37. STAGIONE per tempo - c. I, 2, 13; 6, 14; 11, 7, 13; 19; V, 4, dl. STANTE (DI GRAN) - c. I, 6, 6. Similmente Elena d’Arboréa: a valente valer di sì rade fazon, voi sola sono în poder a gran stante, sdegnerete durar voi lo giogo d'Amore? StEMPRATO - c. I, 2, 23. SrrotTo - c. I, 1, 19. STRUTTORE - c. I, 5, 6. STUTARE, estinguere - c. IV, 6, 8. — Similmente Asrurare. Tomaso di Sasso: Ché nor st può astutare Così senza fatica uno gran foco. Sur per suoî - c. IV, 3, 6; V, 7,7. Sor - c..1,5, 6. Tar - c. VI, 8, 3: allora Conoscerai, ma tal che non è più ora, L'inganno. — S. IV, 10; Forte spera me tien, che tal dicesti A gabbo. In questo secondo luogo forse è per tale cosa. Tecne - c. I, 8, 19. TempRrarRE LA LINGUA; similitudine presa da Temprane LA PENNA; vedi SreMPRATO - e. 1, 3, 2; 8, Terzo per triplice - c. IV, 2, 14. TorLERE - c. III, 2, 11. AD ALDOBRANDO DA SIENA. 593 Tonnane - c. I, 6, 7: Di gran stante vittoria, Maggio non tornerà a Italia gloria. Tra, segno di superlativo - c. I, 2, 20; 3, 2; 4, 20; 5, 23; 8, 4; II, 16; s. VI, 4 — Vedi Tracarco, ed OLtRrA, dalla quale seconda voce credo derivata questa forma di superlativo, e non dal francese nè dal provenzale. Nessun esempio troviamo del superlativo in èssimo negli scrittori italiani superstiti del secolo XII, anzi neppure nei più antichi del seguente. Oltre il tra non infrequente presso gli antichi è il sopra, come soprasaccente, sopravillano. Tracarco - c. T, 5, 12; VI, 1, 4. Transire — c. 1, 1, 12. Trare, trarre - c. I, 9, 8: trare Che meo coraggio intende, e pensa mente. Qui per ritrarre. Similmente Lapo Gianni: Zo non posso leggieramente trare Il nuovo esemplo, ched ella somiglia. Trovare per poctare - c. I, 3, 6; 28. Turto per ogni o intero - c. VI, 3, 10. Turto per tuttochè - c. II, 1, 9. Turrora per sempre - c. I, 3, 11; II, 65. Turrore - c. IV, 3, 17. U? per ube o ubi, ossia ove - c. I, 1, 9; 16; 25; 3, 27; 5, 2; 7, 18; V, 3, 1; VI, f, 6; 2, 12. Varenza - c. 1, 3, 12; VI, 7,19. Vauimento - c. II, 23. Vane per ne va - c. I, i, 6. Vesenoso - c. I, 7, 3. Vro per veggo - c. VI, 7, 1; s. HI, 11. VER per verso - c. I, 3, 5. Ver tuo saver è neente. Qui per a fronte, a paragone. VERTATE - c. I, 4, 4:9,2. i Verrà - c. I 7, 17; 8, 3; 24; II, 11; 61. Vessare - c. V, 2, 6. Vicmmare c. I, 3, 14; V, 1, 16; VI, 9, 5. In simile significazione Guitton d'Arezzo, canz. V, st. 6: E dee te, Amor, portare, Secondo natural legge divina, Catuno a chi vicina Con ello in Cristo sì come a sè stesso. Visa - c. V, 4, 12: Esto pensier onne stagione sia, Secondo visa mia, A te di grata quida. Visare - s. VII, 8. Viso per avozso, opinione - c. I, 7, 13; V, 1,3. Viso (4) - c. VI, 1, 6. Viso per parso - c. I, 1, 26. Vorro - c. VI, 8, 8. È in uso tuttora presso la plebe fiorentina. Votre per volve - c. V, 3, 412; VI, 4, 8. Non infrequenti esempii se ne trovano presso gli scrittori del XII e anche del XIV secolo. Zamgra - c. II, 5. Il cod. Cagliaritano ha cramra. Trovasi zampra anche presso Bruno de Thoro, ed Elena d’Arboréa; e sì ciambra che zambra presso scrittori del secolo XIII. Serie IL Tom XXIIEK 75 INDICE DEI FACSIMILI Favora EH. Raccolta di Poesie fatta da Didaco di Milia da Villa dî Chiesa (Memoria, $ 16 e 75). Canzone e Sonetti I-III di Gherardo da Firenze. Tavora II. Pergamena HI di Arboréa, del secolo XE (Memoria, $ 21). 1. Iscrizione esterna, di mano del principio del secolo XIV (Memoria, $ 21 ) 2. Sonetto di Bruno de Thoro (Memoria, $ 37). ‘ Pergamena IV di Arborea, del secolo XHHE (Memoria, $ 21). A. Stanza 42 della Canzone di Bruno de Thoro a Preziosa (Memoria, $ 36). Tavora II. Codice Cagliaritamo (Memoria, $ 11-15). . Intitolazione od annotazione in principio del codice (Memoria, $ 12). Sonetto di Bruno de Thoro (Memoria, $ 37). Stanza 12 della Canzone di Bruno de Thoro a Preziosa (Memoria, $ 36). Annotazione del trascrittore dopo la Canzone a Preziosa (Memoria, $ 42). Annotazione del trascrittore in capo alla Canzone di Aldobrando Come veglio guerrier (Memoria, $ 13). 6. Aldobrando, Canzone I, stanza 7, v. 11-16. TEO, AS . . stanza 9, v. 40-15. 8. È Canzone II, v. 69- 80. 9. Ceoni biografici su Aldobrando (Memoria, $ 13). 10. Aldobrando, Sonetto IV. 14. Annotazione premessa alla Canzone IV di Aldobrando (Memoria $ 14), e versi 4-4 di della Canzone. 12. Frammento di Gherardo (Sonetto IV), ed Annotazione premessavi dal trascrittore. (SO Tavora EV. Codice Fiorentino (Memoria, $ 5). . Intitolazione (Memoria, $ 5). . Aldobrando, Canzone TR stanza 7, v. 11-16. : . Stanza 9, v. 10-15. Canzone I, v. 69- 80. Sonetto IV. . Cenni biografici su Aldobrando (Memoria, $ 5). Cai) Tavora V. Codice Senese (Memoria, $ 6-7 e Aggiunte e Correzioni al $ 7). 1. Libro di conti, o Liber computorum. 2. Intitolazione (Memoria, $ 5). 3. Aldobrando, Canzone I, stanza 7, v. 11-46. È ... Stanza 9, v. 10-15. Canzone II, v. 69- 80. Sonelto IV. 7 Cenni biografici su Aldobrando (Memoria, $ 5). . Nota del trascrillore del codice (Memoria, $ 7). 9 Annotazione di mano posteriore, in volgare (Memoria, 8 7, e Aggiunte e Correzioni). 10. Annotazione intorno a una copia tratta dal codice Senese l’anno 1501 (Memoria, $ 7). outro IENDEICE ti emi CLASSE DI SCIENZE MORALI, STORICHE E FILOLOGICHE D ES ORIGINES FÉODALES dans les Alpes occidentales; livre deuxième, Polo E ME RARO e SR PARI La Zecca pi Saro durante il dominio dei Genovesi; Memoria di IDOMAENICOMBROMISTNO A A NILO Érupes d’histoire et de morale sur le meurtre politique chez les Grecsi et chez Jes Romains:; par E. Eccer . |... +. » 389 Di GHERARDO DA FirENZE e di ALposranno DA SIENA, Poet del secolo XII, e delle Origini del volgare illustre italiano ; Memoria del Conte Carlo Baupr pr VEswE . . . . . » 419 Pata Co PI pu da. dA Dot pitone png # sà DE VR 1% | “nioiodgit ‘TANDO; RTAS NIRO dt % PIO } LI RETTO gia LA vo: Arr 9 Mini: Pg tha pati = A M% bo: Futuna PENTA I PO fur Ra RADO ì ® a j DITA Diogardela di dot Ma di ciosa ROL) I pat SR ale A x GAL tetano 1. wi; STI Doo ie sins anni i plain vga nl bensi | h, a, NA anate aaa na 3A (9g ù al Ris s Che di > I LI t ì AIA SAGA NP iv ’aab a 1y Preil j È EI tà (ltd Loser ar Wo ik (VT i iù nis0rc0@ fioroni isf alato fi sicinmmb Gsod: so i di +) x = Aiggivi ; Ta pera: del È Wi vo o i 4 Ja di sifu — anioni È x n vu Ls Ha aaa dn ingr, FAL al soit Lu vrliziona si me alviam dh k cis dAC at sadad Le dad i anta Ist solo A ARTS ATE SI «Anne Aa agpagnoazà ih 5 asmanvi” Add Oddi ; Sava aneglov Joli inign) alli a «Ik lo gra anita td, via obiett atto) lb su e \ " i i PI 4 dì * a iii dii — CI DI i ” = (a 4 MI, to n n V° Si stampi: FEDERIGO SCLOPIS, PRESIDENTE, Eugenio Sismonpa Ji Segretari. Gaspare GoRrRESIO La Ni i b i Ù n di Li Si È Dr AItUDÌ IC sara ara: II | SUNEREERI smnonzt viasgui i! f L) 9 x d 4 Ì F Uh Ù) CI LI 4 \ V \ IN i) î Ù A a MAST I . SNA CASE ri RIDE, UTILI Di MOTO CARRO I on A 100 n ; OA n ù Ì na îi DA ù coi : i DA ì N i ) 7 De RD i È î TS I Fi ì ( î IT ì I DI Ù Rotta UN OOO] = Te î v f | tolo Î ; i i ATEI OLII orem iS ns e iti DICI SAI DIA rn ere devi PIENE. era era piani miranti ra eenizsa ped Mo pra v]