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SOCIÉTÉ
DES
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS
MERLIN
U Puy, typographie de Marchcssou fils, boulevard Saint-Laurent, a3
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MERLIN
ROMAN EN PROSE DU XlIIe SIÈCLE
PUBLIÉ
AVEC LA MISE EN PROSE DU POÈME DE MERLIN DE ROBERT DE BORON
d'après le manuscrit appartenant a m. ALFRED H. HUTH
PAR
Gaston PARIS et Jacob ULRICH
TOME PREMIER
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PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT ET C^^
56, RUK JACOB, 56
MDCCCLXXXVI
Publication proposée à la Société le 28 mars i883. Approuvée par le Conseil le 2 5 avril i883, sur le rapport d'une commission composée de MM. Meyer, de Montaiglon et Picot.
Commissaire responsable : M. P. Meyer.
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Tiré à cent exemplaires sur ce papier
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MONSIEUR ALFRED H. HUTH
DE LONDRES
DONT LA RARE ET INTELLIGENTE LIBERALITE
A RENDU POSSIBLE
LA PUBLICATION DE CE MONUMENT
DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DU MOYEN AGE
ET QUI A MÉRITÉ AINSI
LA RECONNAISSANCE DU PUBLIC SAVANT
J
INTRODUCTION
INTRODUCTION
I. — LE MANUSCRIT
• E manuscrit qui a servi de base à la présente publication est un petit in-folio, haut de 29 centimètres et demi et large de 22 envi- ron. Il a été écrit à la fin du xiii^ ou au commence- ment du xiv^ siècle. Il comprend 229 feuillets de vé- lin; chaque page est divisée en deux colonnes contenant à peu près uniformément 87 lignes. En tête de chaque paragraphe se trouvent des capitales peintes. Le ma- nuscrit contient soixante-neuf miniatures, qui, remar- quables d'ailleurs par leur élégance et la finesse de leur exécution, ne présentent rien de particulièrement intéressant ^ .
Ce manuscrit a appartenu au « fameux M. Du Cange, d'Amiens, » comme l'indique une note qui s'y
I. Nous devons ces détails à l'obligeance de MM. Alfred Huth et Fr. J. Furnivall.
T. I a
H INTRODUCTION
trouve. Du Gange a écrit sur la première page : « Mes- sire Robert de Bourron ou de Berron est auteur de ce roman. Il se dit compagnon en armes de messire Helies qui a fait celuy de Lancelot du Lac ^ » C'est ce manuscrit qui est désigné, dans VIndex des écri- vains français en prose utilisés pour le Glossartum mediae et infimae latinitatis, sous ce titre : « Roman de Merlin par Robert de Bourron. » De nombreux mots empruntés au manuscrit possédé par Du Gange se trouvent à divers articles du Glossarium. Nous en avons relevé quelques-uns * ; on en trouverait sans doute bien d'autres.
Nous ne savons comment le manuscrit de Du Gange arriva en la possession du comte de Gorbière, connu comme homme politique et aussi comme bi-
1. Du Gange fait ici une erreur de mémoire; c'est le roman de Tristan qui est attribué à Hélie.
2. Voyez aux mots Adatictus (Rob. Bourron in Merlin, ms., ade- ser,t. \, p. 22), Beare (Robert. Bour. in Merlino ms., baer^ t. II, p. 70), Bustum (Robertus Burronus in Merl. ms., bu, t. I, p. 272), Cantellus (Robert Bourron in Merlino, cantel, 1. 1, p. 191, et deux autres citations), Caraula (Robertus Borronus in Ariuri Hist. fabu- losa ms., charroies, 1. 1, p. 166), 4. Chargia (Rob. Bourron. in Mer- lino ras., encarkier, t. I, p. 26), Consiliare (Robertus Bourronus in Merlino ms., conseillier, t. I,p. 28), i.Gradale (Robertus Bourronus in Hist. Merlini ms., graal, t. I, p. 32), Handseax (Rob. Bour- ron. in Poem. Merlini ms., hendure [pour heudure], t. I, p. io3) Horripilare (Rob. Bourron in Merlino ms., hiirepé. t. I, p. i63\ Mariscus (Robertus Bourronus in Merlino ms., marescherie, t. II, p. 4), Rcceptaculum (Robertus de Bourrono in Merlino ms., rc- chet, t. II, p. i83), Repositus (Robertus Bourronus in Merlino ms., repost, t. H, p. 36), Tasca (Robertus Bourronus in Hist. fabulosa Merlini et Arthuri, entechie, t. l, p. 122), etc.
LE MANUSCRIT III
bliophile. L'ancien ministre de Charles X mourut en i853, et ses livres, quelques années après, furent ac- quis par le libraire Bachelin-Deflorenne. Celui-ci sou- mit le manuscrit en question à Texamen de M. Pau- lin Paris, qui en apprécia l'importance et le signala à M. Fred. J. Furnivall. M. Furnivall soupçonna aussi- tôt, avec toute raison, que le ms. Corbière contenait roriginal, vainement cherché jusque là, d'une partie de la compilation anglaise de Malory connue sous le nom à^ Morte Davthiir. Interrogé par lui, M. Pau- lin Paris lui répondit par une longue lettre, dans la- quelle il lui communiqua une analyse sommaire du manuscrit, des conjectures sur ce que devait conte- nir la partie manquante de l'ouvrage \ et des idées gé- nérales sur le développement des romans de la Ta- ble Ronde *. M. Furnivall, dont on connaît le zèle et l'activité passionnée, fit imprimer cette lettre en grande partie et l'adressa aux administrateurs des principales bibliothèques publiques, leur demandant s'ils possé- daient un manuscrit de Merlin semblable à celui qui en faisait l'objet. Les réponses reçues ayant été néga- tives, M. Furnivall appela sur le manuscrit Corbière l'attention d'un amateur éclairé de Londres, M. Henry
1. La lettre de M. Paulin Paris, réduite à ce qui touche directe- ment le ms. Corbière, a été reproduite dans le magnifique catalo- gue des livres de M. Henry Huth publié par son fils. Voy. The Huth Library (Londres, 1880, 5 voll. in-8»), t. III, p. 954-957.
2. M. Paulin Paris, comme on le sait, a présenté à plusieurs re- prises des vues sur ce sujet et les a souvent modifiées. Ce qu'il écrivait en 18G9 ne représente pas les opinions qu'il a exprimées plus tard, en 1872 et en 1877.
IV I^r^RODUCTION
Huth, qui, malgré le prix élevé qu'on en demandait (400 livres ou loooo francs), se déclara prêt à en faire Pacquisition s'il était en bon état. Le manuscrit fut envoyé à Londres, et M. Furnivall, qui l'examina, reconnut qu'il y manquait plusieurs feuillets ^ Cette défectuosité décida le libraire parisien â abaisser ses prétentions, et M. Henry Huth acheta définitivement le manuscrit Corbière pour la somme de 260 livres (6260 francs).
M. Henry Huth avait l'intention de publier lui- même son manuscrit. A cet effet, il en fit exécuter une copie par une dame anglaise d'origine française, Mrs. Cooper. Cette copie, qui a servi à l'impression de notre texte, est faite avec beaucoup de soin et de con- science; la personne qui l'a prise, n'étant pas suffi- samment versée dans l'ancien français, a fait d'assez nombreuses erreurs de lecture, mais elles sont faciles à rectifier ; elle a figuré les mots ou les groupes de let- tres qu'elle ne parvenait pas à déchiffrer; elle a indi- qué avec exactitude les mots répétés, les lettres ex- ponctuées, les déchirures ou trous du parchemin, etc. Mrs. Cooper a mis aussi, en marge du texte, un som- maire du contenu, en anglais, beaucoup plus détaillé que celui que nous avons joint à notre édition.
M. Henry Huth renonça, nous ne savons pour quels motifs, à son projet de publication. En 1874, M. Hucher, ayant entendu parler du manuscrit par
I. Voyez t. I, p. 222 ; t. II. p. 27. Le premier feuillet du volume fait également défaut. Sur la fin, voy. p. l, ss.
LE MANUSCRIT V
M. Furnivall, demanda et obtint la communication de la copie de M. Huth. Il n'a à peu près parlé, dans son Sami-Graal {t. I, p. 335-365), que de la première partie, qui contient le Joseph d'Aritnathie mis en prose d'après le poème de Robert de Boron.
La Société des Anciens Textes Français ayant conçu le projet, que lui avait suggéré M. Furnivall, de publier la partie inédite du manuscrit Huth, elle s'a- dressa pour en avoir le moyen à M. Alfred Huth, qui, par la mort de son père, arrivée en 1878, en était de- venu le propriétaire. Avec une libéralité bien rare, non seulement M. Alfred Huth autorisa l'impression de son manuscrit, mais il voulut bien nous abandon- ner la copie qu'il en possédait. L'un des éditeurs ayant passé, en i883 et 1884, quelques mois à Londres, M. Alfred Huth fît transporter son manuscrit au Bri- tish Muséum, où il put être collationné avec la copie et fournir ainsi à l'impression une base certaine. En dédiant cette publication à M. Alfred Huth, nous n'a- vons pu acquitter qu'en partie la dette que tous ceux qui s'intéressent à la littérature du moyen âge ont contractée envers lui.
Le manuscrit DuCange-Corbière-Huth n'est pas ce qu'on peut appeler un bon manuscrit. Les deux pre- mières parties, qui contiennent des textes dont nous possédons de meilleures copies, nous montrent dans le copiste, plutôt sans doute que dans celui qu'il sui- vait, un scribe hdtif, préoccupé d'abréger son texte au point de le rendre parfois inintelligible, avec cela négligent et distrait. Il est possible que les défauts
VI INTRODUCTION
constatés dans les deux premières parties soient moins marqués dans la troisième, le copiste pouvant avoir eu pour celle-ci, qui est une composition à part, un ori- ginal autre et meilleur que pour les deux premières. Toutefois il est à craindre que là aussi il n'ait exécuté sa tâche avec légèreté et négligence. Nous n'avons corrigé dans cette partie que les fautes évidentes, en indiquant la leçon du manuscrit soit par les parenthè- ses qui entourent ce que nous retranchons et les cro- chets qui enferment ce que nous ajoutons, soit par la leçon fautive elle-même notée au bas de la page. Il est probable que la traduction espagnole, si nous l'a- vions eue sous les yeux, nous aurait permis un plus grand nombre de rectifications; quant à la version an- glaise, elle est presque partout beaucoup trop abrégée. Le manuscrit Huth, dont l'écriture est certainement française et non anglo-normande, porte les traces vi- sibles des formes de langage usitées dans les pays pi- cards ou wallons. Toutefois il ne donne pas exclusi- vement ces formes : il en contient aussi beaucoup de purement françaises; il nous offre, comme la plupart des manuscrits du moyen âge, une langue composite, résultant de l'intervention successive de copistes dont nous ne connaissons ni l'ordre ni le nombre. Il nous paraît probable, d'après un ensemble de considéra- tions qu'il serait trop long d'exposer, que le ma- nuscrit a été réellement exécuté dans le nord-est de la France et que l'ouvrage même qui en forme la plus grande partie a été composé dans cette région ; mais nous ne saurions le démontrer.
CONTENU DU MANUSCRIT Vil
II. — CONTENU DU MANUSCRIT
Le manuscrit Huth se divise en deux parties bien distinctes, quoique rien ne les sépare matériellement. La première va du début au tiers du fol. 76 a; elle se partage à son tour en deux morceaux. Le premier, qui finit au milieu du fol. 19 b, est une copie de la mise en prose du Joseph d'Arimaihie de Robert de Boron % dont on possède plusieurs autres manuscrits, et qui a été imprimée par M. Weidner - ; nous ne l'a- vons pas reproduite.
Le deuxième morceau (fol. 19 b-^b a) est égale- ment la mise en prose d'un poème de Robert de Bo- ron, du Merlin, dont nous ne possédons que 5o4 vers sous leur forme originale ^. Cette mise en prose se retrouve dans un grand nombre de manuscrits; mais elle n'a pas encore été imprimée, si ce n'est dans les éditions des xv*' et xvi^ siècles. C'est ce qui nous a engagés à publier la leçon du manuscrit Huth, bien qu'elle soit loin d'être bonne. On aura au moins sous les yeux une forme ancienne de ce récit impor- tant pour riiistoire des romans bretons, et notre texte
1. Le poème de Robert a élé publié, d'après le seul manuscrit connu (B. N. fr. 20047), par M. Francisque Michel, sous le titre de : Roman du Saint-Graal. Bordeaux, 1841.
2. Der Prosaroman Joseph von Arimathia. Oppcln, 18.S1.
3. V. 33 15-4018 du Roman du Saint-Graal, p. p. Fr. Michel.
VJII INTRODUCTION
pourra servir au philologue qui voudra en donner une édition critique. Nous nous sommes bornés à corri- ger quelques leçons trop fautives et surtout à combler quelques lacunes sensibles ' à Taide du manuscrit de la Bibl. Nat. fr. 747, le plus ancien et le meilleur, si nous ne nous trompons, de ceux qui nous ont con- servé ce texte.
Du fol. 75 ^ à la fin, le manuscrit Huth nous pré- sente un texte unique, du moins sous sa forme fran- çaise. C'est ce texte qui fait la grande valeur du ma- nuscrit que nous publions; il a, en effet, outre le mérite de la nouveauté, celui d'off'rir une importance considérable pour Thistoire littéraire des romans en prose de la Table Ronde. Nous n'avons pas l'inten- tion d'étudier ici dans tout le détail quMles compor- teraient les questions nombreuses et compliquées qu'il soulève; nous nous bornerons à les indiquer et à pré- senter rapidement sur quelques points les solutions qui nous paraissent probables.
III. -- LE MERLIN DE ROBERT DE BORON
Sans entrer dans la discussion épineuse des origines diverses de la légende du « graal », nous constaterons simplement qu'un chevalier, appelé Robert de Bo-
1. Les passages suppléés sont enfermés entre crochets.
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON IX
ron, composa, au début du xiii* siècle *, une suite de trois poèmes au moins % dont l'unité est formée par cette légende. Le Joseph fait connaître ce que c'est que le graal et annonce qu'il sera porté en Occident et plus tard trouvé par un chevalier de la race de Jo- seph d' Arimathie ; — le Percerai raconte comment ce chevalier trouva le graal et mit ainsi fin aux « mer- veilles de Bretagne » ; — le Merlin sert de transition entre ces deux poèmes, en transportant la scène en Bretagne, en introduisant Arthur, et en faisant par
1. Dans un passage souvent discuté, Robert dit qu'il avait fait une première rédaction de son poème « avec {o) monseigneur Gau- tier, qui était de Montbéliard » ; cela signifie clairement que la deuxième rédaction, la seule que nous ayons, a été écrite après 12 12, date de la mort de Gautier de Montbéliard. Gautier étant parti pour l'Italie, et de là pour l'Orient, d'où il ne revint plus, en I20I (voyez Villehardouin, éd. de Wailly, p. 533), on peut at- tribuer la première rédaction de Robert à une date un peu anté- rieure; mais, d'autre part, le frère aîné de Gautier, Richard, étant mort en 1237 (Huclier, t. I, p. 3o), il n'est pas raisonnable de sup- poser que Gautier fût né avant 1 160. Dès lors, Robert de Boron n'a guère pu écrire son premier ouvrage avant la composition du Per- ceval de Chrétien, qui ne doit pas être postérieure 1180. Nous avons d'ailleurs d'autres raisons de penser, contrairement à M. Birch-Hirschfeld, que les poèmes de Robert de Boron, loin d'ê- tre la source où a puisé Chrétien, ont été écrits assez longtemps après celui du poète champenois.
2. Nous pensons en effet, cette fois avec M. Birch-Hirschfeld (Die Sage vom Gral, p. 181 ss.), que le Perceval en prose publié d'après le ms, unique par M. Hucher (Le Saint-Graal , t. I, p, 4i5-5o5) est, comme le Joseph et le Merlin, fondé sur un poème de Robert de Boron. Sur la possibilité que ces trois poèmes ne forment pas l'œuvre entière de Robert, voyez ci-dessous,
p. XXII.
X INTRODUCTION
Merlin rappeler le sujet du premier poème • et pré- dire celui du second '.
Le Merlin de Robert de Boron ne lui a d'ailleurs pas coûté des efforts d'invention extraordinaires. Il Ta fabriqué en bonne partie à Taide de VHistoria Bri^ tonum de Gaufrei de Monmouth. C'est là qu'il a pris la naissance miraculeuse de Merlin, l'histoire des rap- ports de a l'enfant sans père » avec Vortigern, et celle des amours d'Uterpendragon avec Igerne, femme du duc de Cornouaille, amours dans lesquelles Uterpen- dragon est aidé par les prestiges de Merlin et dont Ar- thur est le fruit. Il est probable que Robert de Boron ne connaissait VHistoria que par un récit oral qui lui en avait été fait ou par une lecture ancienne, dont il avait gardé un souvenir fort inexact. Gaufrei nous dit que le roi de Bretagne Constantin avait trois fils, Taîné, Constant, qui était moine et fut fait roi après la mort de son père, Aurelius, qui régna après Cons- tant, et Uterpendragon, qui régna après Aurelius. Robert a brouillé tout cela : dans son livre, le roi Constant a un fils aîné appelé Moine (!), qui règne après lui \ son second fils s'appelle Pendragon et son troisième fils Uter ; après la mort de Pendragon, Uter prend le nom d'Uter Pendragon. Une telle confusion prouve que l'auteur était complètement étranger aux choses d'Angleterre; partout où nous la retrouvons nous pouvons affirmer que Robert de Boron, chez
r Voyez t. 1, p. 3i, 32-33, 94 de notre édition. 1. Voyez t. I, p. q8, et surtout la conclusion du Merlin dans le nis. 747 (P. Paris, Les Romans de la Table Ronde, t. 1, p. 347).
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON XI
qui elle s'est produite, est la source première. Cette confusion n'est pas d'ailleurs la seule. Sans parler de l'omission des traits qui ont le plus d'intérêt dans le récit de Gaufrei (comme les détails sur la ma- nière dont Vortigern fut séduit par Rowena \ This- toire de Vortimer, le massacre des chefs bretons par la trahison de Hengist, etc.), il suffit de signaler les erreurs que commet Robert sur les rares noms de lieux qu'il mentionne ^. Il n'y a pas d'erreurs sur le pays de « Norhombelande », le royaume d' «Or- kenie », la ville de « Garduel en Gales », les « plains de Salesbieres ^, » qu'il a gardés de ses sources sans rien y ajouter ; mais dès qu'il veut préciser, il tombe dans des méprises que n'aurait jamais commises quel- qu'un qui aurait connu la Grande-Bretagne autre- ment que par de très vagues récits. C'est ainsi qu'il
1. Il n'en est resté que la remarque sur garsoil, que nous avons empruntée (p. 38) au ms. 747, et qui n'est même pas sûrement de Robert.
2. Il oublie même, au début, de nous dire où est la scène du récit; ce n'est qu'à la page 33 qu'apparaît le nom à'Engleterve. Quand on emmène les frères du roi qu'a fait assassiner Vortigern, on les emmène «c en estranges terres viers orient, pour chou que de la estoient venu lour ancissour Cp. 36) ». Dans Gaufrei (vi, 8), il s'agit de la Petite-Bretagne, qui n'est nullement à l'orient de la Grande, Robert ne nomme ni l'endroit où Vortigern bâtit sa tour, ni la ville où on trouve Merlin, ni le château où Pendragon assiège Hengist, ni la ville où meurt Uter, etc. 11 a retenu le nom de Tinta- geul comme celui du château où l'époux d'Igerne l'avait laissée, mais il ne sait plus que cet époux (dont il omet le nom) était duc de Cornouaille; il en fait un duc de Tintagcul (p. 99 , et ne dési- gne nulle part le pays qui lui appartenait.
3. Cf. Wace, Brut, v. 7409.
XII INTRODUCTION
fait de Winchester un port de mer (p. 60, 61), et qu'il prend Lx)gres, le nom de l'Angleterre orien- tale dans Wace et Chrétien de Troies, pour une ville (p. i3o, i33), qui a un archevêque, et où se fait le couronnement d'Arthur. En voilà assez pour nous édifier sur la compétence de Robert de Boron en matière d'histoire et de géographie bretonnes : il doit le peu qu'il en sait à des souvenirs confus d'une traduction du livre de Gaufrei de Monmouth ; nous disons d'une traduction, d'abord parce que rien n'in- dique que Robert ait su le latin, ensuite parce que les noms d'hommes et de lieux qu'il cite dans une forme française ont à peu près celle que nous retrouvons par exemple dans Wace *.
Robert ne s'en est pas tenu toutefois à raconter autrement, d'une manière assez prolixe, ce qu'il se rappelait de VHistoria Britofium. Il a fait des chan- gements et surtout des additions notables, pour ac- commoder ce récit au plan qu'il se proposait. Tout ce qui concerne la conception surnaturelle de Merlin lui appartient. Il a pris évidemment dans l'évangile de Nicodème, dont il pouvait connaître une traduction ^, ridée du conseil tenu par les démons. Quant à la gé-
1. C'est probablement par Wace que Robert a connu l'histoire des Bretons; voyez ce qui est dit ci-dessous, p. xvir. II est à noter que Wace ne dit pas un mot de la signification du com- bat des deux dragons (voy. v. 8726 ss.), tandis que Robert (p. 57) en donne une, comme Gaufrei (viii, 3); mais ce n'est pas la même, et celle que donne Robert lui était bien naturellement suggérée.
2. Voyez: Trois versions rimées de l'Evangile de Nicodème, pu- bliées par la Soc. des anc. textes (i885).
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON XIII
nération de Merlin par un démon dans le sein d'une vierge, il en doit Tidée première à Gaufrei, qui, lui- même, indique Apulée comme sa source ; mais il paraît y avoir joint une application des idées qui circulaient sur la façon dont l'Antéchrist viendrait au monde : on croyait que, comme le Christ était né de Dieu et d'une vierge, son adversaire suprême naîtrait du diable et d'une vierge ^ Robert de Boron s'est emparé de cette idée, mais en l'atténuant assez heureusement : grâce à l'innocence de la mère de Merlin, le plan des dé- mons échoue cette fois ; Tenfant que l'un d'eux a en- gendré a bien la science et le pouvoir de son père, mais il l'emploie au bien, et Dieu y ajoute même la connaissance de l'avenir, qui manque au diable. C'est là une fiction qui n'est pas sans mérite ; il est mal- heureux que par la suite Merlin ne montre pas tou- jours cette vertu qu'on nous faisait attendre : le rôle qu'il joue dans les amours d'Uter et d'Igerne n'est rien moins qu'édifiant. Toute l'histoire de sa mère, des
I. « Nascetur autem ex patris et matris copulatione, sicut alii homines, non, ut quidam fabulantur, de sola virgine... In ipso vero etiam germinationis suae primordio diabolus simul intrabit in uterum matris suae, et sicut in vcntrem matris domini nostri Jesu Christi spiritus sanctus venit et eam virtute sua obumbravit et virtute replevit ut de spiritu sancto conciperet et quod nasce- retur divinum csset et sanctum, ita quoque diabolus in matrem
Antichristi descendet et totam eam replebit ut diabolo per
hominem coopérante concipiat. » Adson de Moutier- en -Der It 99*)» dan* Migne, Patrol. lat., t. Cl, col. 1294. On voit qu'Adson donne ici une version atténuée, mais il résulte de ses paroles que dans la croyance populaire l'Antéchrist devait être bien réellement le fils du diable et d'une vierge.
XIV INTRODUCTION
circonstances de sa naissance, de ses premières divi- nations, appartient à Robert de Boron, et n'est ni fort intéressante ni fort bien contée; cependant l'épisode de la mère du juge ne manque pas d'un certain sel.
Dès ce début de son roman, Robert introduit le personnage de Biaise, fort inutile au récit, mais très important pour le plan général de Tœuvre dont Mer- lin n'est qu'une partie. C'est à Biaise que Merlin ra- conte en résumé le sujet de Joseph, et qu'il annonce celui de Percerai ; c'est Biaise qui écrit toutes les aventures que Merlin lui communique, « et par son livre les savons nous ». Ce scribe imaginaire se re- trouve naturellement dans le Perceval de Robert.
Le voyage de Merlin, quand les messagers de Vor- tigern viennent le chercher, présente deux incidents qui ne se trouvent pas dans VHistoria Britomim : Merlin rit en voyant un vilain acheter du cuir pour réparer ses souliers, quand il sera mort avant d'arriver chez lui; il rit en voyant un homme suivre en pleurant le convoi d'un enfant dont il se croit le père, tandis que le vrai père est le prêtre qui chante en tête du convoi : les deux divinations sont immédiatement vérifiées. Ces deux histoires se retrouvent ailleurs : celle des souliers, avec quelques modifications, est attribuée à Merlin, mais dans de tout autres circons- tances (Merlin, devenu sauvage, a été capturé et est amené à la cour d'un roi), par Gaufrei de Monmouth dans la Vita Merlini ; elle est rapportée au démon Asmodée (amenéà Salomon à peu près comme le Mer- lin de la Vita) par une ancienne légende hébraïque;
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON XV
— celle de l'enterrement se retrouve, sans le nom de Merlin, dans un conte de Straparola, qui l'en- toure de circonstances analogues à celles que racon- tent pour la première la Vita et la légende talmudique. Où Robert de Boron a-t-il puisé ces deux anecdotes? S'il ne donnait que la première, on pourrait croire qu'il l'a prise dans la Vit a Mef^lini; mais, d'une part, la seconde ne s'y retrouve pas et se retrouve dans Stra- parola; d'autre part, la Vita donne deux autres échan- tillons de la science de Merlin, au moins aussi pi- quants, et que Robert n'aurait sans doute pas laissé perdre. Il est donc probable qu'il circulait oralement des contes sur les « devinailles » de Merlin, dont deux ont été recueillis et insérés ici par Robert ^
Nous passons rapidement sur les diverses méta- morphoses où se plaît Merlin et sur les tours peu plaisants qu'il joue à Uteret à Pendragon : ce sont là sans doute des inventions de Robert, qui ne méritent d'être remarquées qu'à cause des imitations qu'on en a faites dans d'autres romans. Nous signalerons seu- lement un épisode à propos duquel se pose aussi la question de source : c'est la triple prédiction faite au même personnage sous trois déguisements, et qui, toute contradictoire qu'elle paraisse, se réalise pour- tant entièrement. On a déjà remarqué ^ que cette historiette se retrouve dans la Vita Merlini de Gau-
1. Nous nous contentons, sur ccitc question curieuse, de ces indications générales, parce qu'il paraîtra prochainement sur ce sujet une étude détaillée dans la Rnmania.
2. P. Paris, Les Rumaus lie la TaMc Ronde ; t. Il, p. 5(1.
XVI INTRODUCTION
frei, et il est probable que c'est de là, par une trans- mission plus ou moins indirecte, qu'elle est arrivée à Robert de Boron. Elle n'a pas gagné en chemin : Tanecdote est plus piquante dans le latin de Gaufrei que dans le français de Robert, et on remarquera no- tamment que celui-ci ne connaît pas le déguisement en femme du jeune homme dont la mort est trois fois prédite. Or Pincertitude sur le sexe du personnage causée par ce déguisement en femme remonte à la source même où Gaufrei paraît bien avoir puisé la donnée de ce conte qu'il a, en le transformant d'ail- leurs sensiblement, introduit dans son poème. Cette source est la célèbre épigramme de V Hermaphrodite, qui est peut-être d'Hildebert de Lavardin, et sur la- quelle on lira avec profit une savante dissertation de M. Hauréau ^ L'épigramme, où le sexe du héros de l'aventure est douteux non-seulement en apparence, mais en réalité, attribue à trois divinités différentes les trois prédictions qui semblent inconciliables : Gau- frei a eu ridée assez ingénieuse de les faire émettre toutes trois par le seul Merlin, qui passe ainsi pour un imposteur jusqu'à ce que l'événement justifie sa véracité d'une manière éclatante.
Aux p. 94-98 est le passage capital du Merlin dans le plan de Robert de Boron : Merlin y raconte l'his- toire des deux tables saintes de Jésus et de Joseph, et engage Uter Pendragon à instituer la troisième, celle
I . Hauréau, Les Mélanges poétiques d'Hildebert (Paris, 1882). p. 141 ss.
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON XVII
qui devint la fameuse Table Ronde. A cette table est un siège vide, comme à celles de Jésus et de Joseph; Merlin prédit à Uter que ce siège ne sera rempli que sous son successeur, par un chevalier qui n'est pas encore né, dont le père n'est même pas marié, et qui aura d'abord mis à fin l'aventure du graal (p. 98) : il s'agit évidemment de Perceval, fils d'Alain le Gros, d'après le Joseph et le Perceval. Cette institution de la Table Ronde par Uter est une invention de Robert de Boron ; Wace nous dit expressément (on sait que Gaufrei ne mentionne pas la Table Ronde) que ce fut Arthur qui l'institua (v. 9998). C'est aussi Robert qui l'a placée à Carduel, au lieu de Carlion, ville qu'il ne mentionne pas et ne semble pas connaître.
Les amours d' U ter et d'Igerne sont racontées d'après Gaufrei, mais avec d'assez grandes divergences. No- tons d'abord que le récit de Robert de Boron parait bien remonter, plus ou moins directement, à la ver- sion de Wace, à en juger par certaines circonstances : ainsi le nom de Gorlois, mari d'Igerne dans Gaufrei, est omis par Wace et ne se retrouve pas non plus dans Robert ; le second des amis de Gorlois, celui dont Merlin prend la figure, se nomme Britilliis dans Gaufrei ; Wace en fait Bretel ou Bertel, et Robert lui donne le même nom. Mais notre auteur s'écarte de sa source en plusieurs points. La fête où Uter s'é- prend d'Igerne se tient à Londres, et à l'occasion de Pâques, dans Gaufrei \ Robert raconte deux fêtes suc- cessives, toutes deux données à Carduel, l'une pour Noël, l'autre pour la Pentecôte. Toute l'histoire de
T. I. b
XVIII INTRODUCTION
la séduction essayée par le roi est racontée ici avec beaucoup plus de détails, et non sans agrément; le caractère d'Igerne est plus soigneusement mis au- dessus de tout soupçon que dans le récit de Gaufrei. Son mari, comte ou duc de Gornouaille dans VHis- toria, est ici duc de Tintageul, par un oubli évident de la version primitive. Merlin ne se présente pas simplement quand on le mande, comme dans VHis- toria : il commence par faire au roi une de ses mys- tifications habituelles. Chez Gaufrei, après la mort de Gorlois, Uter épouse sa veuve sans autre forme de procès ; Robert raconte longuement les négociations et l'arrangement tout féodal auxquels cette union donne lieu. Mais la différence la plus essentielle entre les deux récits est dans ce qui concerne l'enfant né du premier commerce dlgerne avec Uter, caché par Merlin sous la figure de Gorlois ; Robert de Boron a fait là des changements considérables, qui rattachent intimement cet épisode à l'épisode final de son Merlin. D'après Gaufrei, le mariage d'Uter et d'Igerne se faisant aussitôt après l'aventure à laquelle Arthur doit la naissance, celui-ci passe tout naturellement pour le fils légitime d'Uter, et, quant son père meurt quinze ans après, il le remplace sans difficulté sur le trône. Il n'en est pas de même dans Robert, qui a fait de cet incident le point de départ d'inventions tout à fait romanesques. Le mariage d'Uter et d'Igerne n'a lieu chez lui que deux mois (p. 120) après la concep- tion d'Arthur : l'enfant ne peut donc guère passer pour le fils d'Uter, bien qu'il le soit réellement, et
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON XIX
Igerne elle-même attribue à un être surnaturel, qui avait pris la forme de son premier mari, la paternité de l'enfant qu'elle porte. Merlin, pour éviter tout scandale, se fait remettre l'enfant dès qu'il est né, et le confie à un « prudhomme » nommé Auctor ^, qui ignore la condition de Tenfant, et dont la femme le nourrit de son lait, remettant à une nourrice le soin d'allaiter l'enfant qu'elle vient de mettre au monde. Quinze ans après, Uter étant mort (Robert ne dit pas, comme Gaufrei, que les Saxons l'eussent empoi- sonné), la Bretagne se trouve sans roi. Arthur seul réus- sit, sans savoir d'ailleurs l'importance de ce qu'il fait, à enlever de l'enclume merveilleuse l'épée qui y est plantée, et qui doit assurer la royauté à celui qui la retirera. Il est ainsi désigné pour être roi; mais les barons du pays sont mécontents d'avoir un roi de si petite condition, car tout le monde le croit fils d' Auc- tor : on renouvelle l'épreuve de l'enclume, qui donne le même résultat, et, ce qui vaut mieux encore, les épreuves morales auxquelles est soumis Arthur mon- trent en lui toutes les qualités royales. On ne résiste plus alors, et l'archevêque de Logres (voyez ci-dessus, p. xii), après avoir fait Arthur chevalier, le sacre roi le jour de la Pentecôte.
Ce récit a visiblement pour objectif essentiel d'ac- croître le prestige et d'agrandir le rôle de Merlin, personnage principal de l'œuvre de Robert : il est
I . Telle est la forme de notre manuscrit; les autres donnent gé- néralement Antor.
XX INTRODUCTION
clair, en effet, bien qu'on ne le dise pas expressément, que répreuve de l'enclume a été disposée par lui. L'idée même de cette épreuve paraît puisée dans des légendes bibliques : elle rappelle, par exemple, This- toirc de la verge de Joseph, qui désigne, en fleurissant seule, celui qui doit être Tépoux de Marie. Il serait facile de remonter plus haut dans la recherche de ces désignations miraculeuses, et il suffit de rappeler le nœud gordien, ou, dans un autre genre, le cheval de Da- rius ^ On retrouve d'ailleurs des récits analogues dans plusieurs contes bretons; nous citerons surtout un passage de la première continuation de Perceval, où il s'agit de retirer du corps d'un chevalier mort, pour pouvoir le venger, un tronçon de lance, et où celui qui réussit seul à le retirer le fait par inadvertance *. Il est certain que Robert de Boron connaissait nombre de romans arthuriens, et il a pu puiser dans l'un d'eux l'idée de cette aventure; mais il y a mêlé des élé- ments de provenance diverse, et il paraît avoir eu seul l'idée de la rapporter à la désignation d'Arthur comme roi.
Un autre élément de cette histoire des premières années d'Arthur doit également son insertion dans le récit et sans doute son invention aux romans fran- çais antérieurs ; nous voulons parler de ce qui est
1. On peut aussi, à un autre point de vue, rappeler le perron d'acier qui, d'après la légende, servait à Aix-la-Chapelle, du temps de Charlemagne, à l'épreuve des épées. Voy. G. Paris, lîist. poé- tique de Charlemagne, p. 3 70.
2. Voyez Hist. litt. de la France, t. XXX (sous presse), p. Sa.
LE MERLIN DE ROBERT DE BORON XXI
raconté de Keu , le fils d'Auctor. Pour pouvoir nourrir Arthur, la mère de Keu confie son enfant à une nourrice étrangère, et c'est pour avoir sucé le lait d'une femme de condition inférieure que Keu devint « fel et faus et vilains » (p. 3o) ^ ; aussi Ar- thur, qui le fit son sénéchal, lui pardonna-t-il tou- jours tous ses défauts, considérant la manière dont il les avait acquis. Nous avons là une explication et du mauvais caractère que les romans, depuis Chrétien de Troies 2, attribuent à Keu, et de la singulière longa- nimité avec laquelle Arthur supporte d'ordinaire son peu courtois sénéchal; mais cette explication est sortie de la cervelle de Robert de Boron, et nous ne la re- trouvons nulle part, si ce n'est dans des récits qui re- montent plus ou moins directement au sien ^.
Le Merlin de Robert de Boron se termine au cou- ronnement d'Arthur (t. I, p. 146 de cette édition). Dans le meilleur manuscrit les mots « et tint son roiaume lonc tens en pais» sont suivis de cette remar- que finale : « Et je Robers de Boron, qui cest livre
1. C'est là une croyance fort répandue au moyen âge; voyez, par exemple, les Sept Sages, v. i85 ss., et cf. l'anecdote sur Ide, mère de Godefroi de Bouillon, qui fit dégorger à son fils le lait qu'en son absence il avait bu au sein d'une étrangère; on sait qu'on a raconté plus tard la même chose de Blanche de Castille (voyez Hist. litt. de la France, t. XXII, p. SgS). Cf. P. lA^y^v, Alexandre, t. II, p. 141.
2. Voyez Hist, litt. de la France, t. XXX, p. 5i.
3. On a même essayé une autre explication d'un fait qui, naturel- lement, surprenait (cf. Hartmann, Jwein, v. 2566). Dans la Ven- geance de Raguidel, l'indulgence d'Arthur est motivée par le fait que Keu aurait été l'oncle de la reine Gucnièvre (voy. Hist. litt. de la France, t. XXX, p. 63).
XXII INTRODUCTION
retrais ne doi plus parler d'Artu tant que j'aie
parlé d'Alain le fils Bron et que j'aie devisé par raison por quelles choses les poines de Bretaigne furent esta- blies; et ensi com li livres le reconte me convient a parler et retraire qués hom fu Alains et quele vie il mena et qués oirs issi de lui et quele vie si oir menè- rent. Et quant tens sera et leus et je avrai de cestui parlé, si reparlerai d'Artu et prendrai les paroles de lui et de sa vie a s'eleccion et a son sacre K » Le troisième roman de Robert de Boron, le Percevais ne tient que la seconde de ces promesses; il ne nous parle pas de la vie que mena Alain, mais débute ainsi : « Quant Artus fu coronez et l'on li ot fait tou- tes ses droitures *. » Peu après nous assistons
aux derniers moments d'Alain, qui envoie à la cour son fils Perceval. Il est donc permis de conjecturer qu'un poème de Robert de Boron, intermédiaire entre Merlin et Perceval, et qui racontait la vie et le ma- riage d'Alain, s'est perdu sans laisser de trace, ce qui n'a rien d'étonnant, si on songe que le Perceval de Robert ne nous est arrivé que dans un manuscrit du xiv^ siècle, mis en prose, et déplorablement altéré ^,
1. Ms. B. N. fr. 747, f® io2. Voyez P. Paris, les Romans de la Table Ronde, t. I, p. 357; Birch-Hirschfeld, Die Sagevom Gral,
P- 179-
2. Hucher, Le Saint-Graal, t. I, p. 141.
3. Il serait possible qu'il nous manquât également un poème en- tre le Joseph et le Merlin. A la fin du premier de ces ouvrages, Ro- bert fait toutes sortes d'annonces qui ne sont nullement réalisées dans le second. Cependant il faut remarquer que le manuscrit unique en vers de Robert fait, comme tous les manuscriu en
LA SUITE DU MERLIN XXIII
Les continuations jointes au Merlin par d'autres que par Robert de Boron firent négliger et bientôt com- plètement oublier la suite qu'il avait donnée lui- même à son œuvre. On remania considérablement le Joseph; on conserva le Merlin, qui contenait des faits indispensables pour l'intelligence de la légende du graal. Il nous reste à parler des récits par lesquels on remplaça ce qui suivait le Merlin,
IV. — LA SUITE DU MERLIN.
M. Paulin Paris a, le premier, remarqué que le Merlin de Robert de Boron s'arrête à l'endroit qui vient d'être indiqué ^ Ce qui, dans la plupart des ma- nuscrits, des éditions anciennes et des traductions étrangères, forme la suite et la fin du roman de Mer- lin est visiblement d'une autre main; M. Paulin Pa- ris a donné à cette composition, soudée au roman de Robert, le nom de Livre d'Arthur^ qui est parfaite- ment justifié par le contenu, mais qui a l'inconvénient de ne se trouver, à notre connaissance, dans aucun
prose, suivre immédiatement le Joseph par le Merlin. Robert, qui semble avoir composé son œuvre en s'y reprenant à plusieurs fois, a'a peut-être exécuté que les trois parties essentielles, Joseph, Merlin, Percevais se réservant de les relier par des poèmes qu'il a conçus, mais qu'il n'a pas écrits.
I. il suffit de renvoyer, sur ce point, aux livres de MM. P. Paris et Birch-Hirschfeld.
XXIV INTRODUCTION
manuscrit *. Quand on examine ce roman avec atten- tion, on voit qu'il a été composé après le ro- man de Lancelot^ pour le préparer, et pour servir de transition entre le Merlin de Robert de Boron et le Lancelot, En effet, comme on Ta vu, le Perceval de Robert de Boron, conclusion de son œuvre, avait été remplacé par d'autres compositions consacrées à la recherche et à la découverte du saint graal; ces com- positions avaient été fondues avec le Lancelot, dont elles sont aujourd'hui presque inséparables. Dès lors, entre le Merlin de Robert et le Lancelot, s'ouvrait une lacune considérable, dans laquelle devait se pla- cer, avec la fin des aventures de Merlin, l'histoire d'Arthur jusqu'au moment où Lancelot arrive à sa cour. C'est cette lacune que s'est proposé de combler l'auteur du « livre d'Arthur » *, il l'a fait, soit en déve- loppant des indications de Lancelot y soit en reprenant dans Gaufrei de Monmouth ou dans le Perceval de Robert, soit en compilant des récits de provenance di- verse. Ce n'est pas ici le lieu d'étudier ce roman, dont il suffit d'avoir marqué la place dans le développe- ment général des romans arthuriens en prose -.
Le manuscrit Huth nous offre une suite du Merlin de Robert de Boron toute différente de celle qu'on
1. Voyez cependant P. Paris, t. V, p. 356.
2. Le ras. de la B. N. fr. 337 contient du « livre d'Arthur » une rédaction qui, à partir d'un certain endroit, diffère complètement de la vulgate. Cette rédaction sera publiée par la Société des an- ciens /ejf/es et donnera l'occasion d'étudier différentes questions qui ne peuvent être abordées ici. Elle n'a, d'ailleurs, aucun rapport avec celle du ms. Huth.
LA SUITE DU MERLIN XXV
peut appeler la vulgate ^ ; c'est cette suite que nous de- vons examiner de près. Le manuscrit étant incomplet de la fin, nous ne savons au juste où elle s'arrêtait; il est probable cependant, comme nous le verrons, que cette partie, originale et unique, d'une compilation qui comprenait le Joseph et le Merlin de Robert et se ter- minait sans doute par une Queste du saint graal^ ne dépassait pas beaucoup l'endroit où s'arrête notre ma- nuscrit.
L'auteur de cette suite se donne, à plusieurs repri- ses, pour Robert de Boron. Le manuscrit ne présente, d'ailleurs, aucune division marquée à l'endroit où s'arrête le Merlin de Robert ^, La première question que nous devions nous poser est donc celle de savoir si on peut réellement attribuer à Robert de Boron la suite de Merlin que nous publions.
A cette question, il faut, sans aucun doute, répon- dre négativement, comme le feront voir les remarques suivantes ; il serait facile d'en augmenter le nombre, mais elles suffisent parfaitement à notre objet. Nous ne parlerons pas de la différence de ton et de style qui est pourtant si marquée entre les deux parties; nous n'insisterons pas sur ce fait que la suite de Merlin connaît un grand nombre d'aventures et de person-
i.On peut encore regarder comme une autre suite l'ouvrage singulier, et assurément composite, qui porte, sous des formes di- verses, le nom de Prophéties de Merlin. Voyez ci-dessous, p. xxxii.
2. T. I, p. 147. Dans beaucoup de mss. qui contiennent \t Mer- lin de Robert avec la suite ordinaire, il n'y a même pas de para- graphe à l'endroit où finit le premier.
XXVI INTRODUCTION
nages étrangers aux divers romans de Robert de Bo- ron; nous ne relèverons que les contradictions flagran- tes. Dans le Jqseph et dans le Merlin^ il est dit ex- pressément, à plusieurs reprises, que Perceval sera le fils d'Alain, fils de Bron; — • dans notre texte, il est fils de Pellinor (voyez notamment t. I, p. 2 58). Dans le Merlin^ on raconte que Merlin établit, pour Uter, la Table Ronde à Carduel en Galles, et il résulte claire- ment du contexte qu'elle n'en bougea pas; — dans notre suite on voit, sans qu'on comprenne comment, cette table transportée chez le roi Léodegan de Carmelide, et quand Arthur en devient possesseur, c'est à Gama- lot qu'il l'établit (t. II, p. 65). Le PercevalnoMs mon- tre Merlin se retirant au fond d'une forêt dans son e^- plumeor^où personne ne l'aperçoit plus, et où il attend, vivant, le jugement dernier (Hucher, Le Saint-Graal, 1. 1, p. 5o3-5o5) ; — ici il est « entombé » par la ruse de celle qu'il aime, et on ne voit pas clairement si dans sa tombe il est mort ou vivant. Enfin voici le plus déci- sif. Notre texte raconte longuement comment Merlin, en obligeant Igerne, mère d'Arthur, à se défendre d'une accusation publique, réussit à établir devant tous qu'Arthur était le fils du roi Uter Pendragon ; or Robert de Boron nous avait dit positivement qu'Igerne était morte avant Uter. Il est vrai que l'auteur de notre suite a supprimé, dans le Merlin de Robert, la mention de ce fait à l'endroit où elle se trouvait dans son original * ; mais, par distraction, il l'a lais-
I. C'est à la p. 127 du t. I, ligne i, que devrait se trouver la
LA SUITE DU MERLIN XXVII
séc subsister dans le discours que Merlin tient à Uter peu de temps avant sa mort (t. I, p. i3g) : « Tu ses bien que Ygerne ta feme est morte, et tu ne pues autre feme mais avoir. » Il résulte invinciblement de là que ce n'est pas Robert de Boron qui a composé la scène où figure Igerne après la mort d'Uter Pendragon 2, ni, par conséquent, l'ensemble de la continuation de Merlin.
Puisque l'auteur de la suite du Merlin n'est pas Robert de Boron, il ment quand il prétend l'être. Il usurpe ce nom dans neuf passages du ms. Huth; cinq de ces passages, qui touchent à d'autres questions, seront rappelés plus loin ; trois ne contiennent qu'une
phrase omise; elle se lit, par exemple, dans le ms. 747, f" 69 r" a : o EtUters Pandragons tint puis la terre lonc tans; si H avint une moût grant mescheance au chief de set anz, car sa famé Yguerne s'adola si de son anfent que perdu avait en son cuer que ele en prist une (si) grant maladie qui li dura deux anz et demi et plus, si que a morir l'en covint, si en fu a merveilles li rois trop dolanz et grant duel merveilleux en fist qui longuement li dura, car a merveille Tamoit. » Ce morceau manque également dans tous les autres manuscrits de Merlin que nous avons consultés, ainsi que dans les traductions étrangères, ce qui donne lieu à des conclusions que nous ne pouvons exposer ici sur le rapport de ces manuscrits avec la rédaction contenue dans le nôtre.
2. Robert, dans le Perceval, s'est borné à dire, en peu de mots, que Merlin avait révélé aux Bretons la vraie filiation d'Arthur :
« Si vint Merlin a la cort et vint oiant touz et lor dist : Seygnor,
il est bien droiz que je vous faz sages qui est cil que vos avés fait roi(8) par l'esleccion de nostre seygnor. Sachiez que il [est] filz au roi Uter Pendragon nostre seygnor lige, et enz en la nuit que il
fu(8t) ne(e)z le me fist il baillier, et je Tcnchargié a Antor et il
le norri volentiers... A icestc parole ont moût grant bruit et moût grani joie démené touz li baron del pais (Hucher, t. I, p. 416). »
XXVIII INTRODUCTION
simple mention (t. I, p. 192, 253; t. II, p. iSy); voici le neuvième (qui est en réalité le premier) : « Et tout li conte canques il estoit avenu d'Uter Pandra- gon et d'Ygerne, tout ensi conme li contes Ta ja de- visé; ne mes sires Robers de Borron ne veult mie ra- conter chou qu'il a autre fois dit, car il ne veult mie croistre son livre de tais (lisez tantes?) paroles, ains tient la droite voie (t. I, p. 162). » On voit qu'ici le continuateur prétend expressément être l'auteur de la première partie du Merlin, ce qui nous engage encore plus à nous tenir en garde contre ses assertions.
Parmi ces assertions, il en est une qui a pour l'his- toire littéraire une importance particulière, c'est celle, trois fois répétée, qui concerne un certain Hélie, dont le prétendu Robert de Boron parle comme d'un ami, d'un émule, et presque d'un collaborateur. La pre- mière mention de ce personnage se trouve à la p. 57 du t. II. Après avoir fait une annonce qui se rapporte au Lancelot (voyez ci-dessous, p. xxxviii), et avoir déclaré qu'il ne peut traduire tout ce qu'il trouve dans le livre latin du saint graal, l'auteur ajoute : « Et je prie a mon signeur Helye, qui a esté mes compains a armes et en joveneche et en viellece, que il, pour l'amour de moi et pour moi un poi allegier de celé grant painne, prenge a translater, ensi comme je le deviserai, une petite branke qui appartient a mon livre, et sera celé branke apielee li contes del brait, miervilleusement delitable a oir et a raconter. Ne je ne l'en sevraisse ja se je ne doutaisse que li livres fust trop grans; mais pour chou l'en départirai jou et li envoierai. Et je le
LA SUITE DU MERLIN XXIX
connois a si sage et a si soutil que je sai bien qu'il Tavera tost translaté, s'il i veult mettre un poi de painne; je li pri qu'il li mèche. Mais or laisserai a tant la priiere, car se Dieu plaist et lui, il le fera ensi que je li requier. » La seconde mention d'Hélie est à la p. 172 du 1. 11^ s'excusant cette fois de ne pas raconter les aventures de Baudemagus, notre romancier dit : « Mais de chose ne d'aventure qui li avenist en toute la voie ne parole mes livres, car mes sires Helyes mes compains a empris sa matière a recorder chi et a translater encontre celle partie pour un poi allegier de ma painne. » Il recommande ensuite à tous la lecture de cette « branche » de Baudemagus, et ajoute : « Car mes sires Helyes en a commenchié l'ystoire a transla- ter. » Enfin il nous parle encore d'Hélie et de son « conte del brait », en nous donnant l'explication de ce nom, à la p. 198 du même tome. Il raconte là que, Merlin une fois enfermé dans sa tombe, personne ne l'entendit plus parler, hors Baudemagus, qui y vint quatre jours après, quand Merlin vivait encore. « De ceste aventure que je vous devise chi ne parole pas chis livres, pour chou que li contes del brait le devise apertement. Et saichiés que li brais dont maistre He- lies fait son livre fu li daerrains brais que Merlins gieta en la fosse ou il estoit, del grant duel qu'il ot quant il aperchut toutes voies qu'il estoit livrés a mort par engien de feme et que sens de feme a le sien sens contrebatu. Et del brait dont je vous parole fu la vois oie par tout le roiaume de Logres si grans et si Ions conme il estoit, et en avinrent moût de mierveilles, si
XXX INTRODUCTION
conme la branke le devise mot a mot. Mais en cest livre n'en parlerons nous pas, pour chou qu'il le de- vise la. »
En lisant ces passages avec quelque habitude des procédés familiers aux écrivains du moyen âge, on ar- rive vite à en comprendre le véritable sens. Le faux Robert de Boron connaissait un roman, sans doute en prose, d'un certain Hélie, appelé le Conte du brait Merlin ou simplement du brait, et qui était consacré, au moins en partie et à son début, aux aventures de Baudemagus, lequel, ayant quitté la cour d'Arthur, arrivait dans la forêt de Damantes quatre jours après que Merlin y avait été « entombé », et entendait le dernier brait ou cri que poussait le devin avant de se taire pour jamais. Ce conte se rattachait au récit de Ventombement de Merlin, qui, comme nous le verrons tout à l'heure, est antérieur à notre roman. Le rédac- teur de celui-ci a feint qu'Hélie, l'auieur du Conte du brait, était son ami et son compagnon d'armes, et que lui, soi-disant Robert de Boron, l'avait prié de traduire à sa place la « branche » du livre latin qui racontait les aventures de Baudemagus et le brait de Merlin. Il nous montre plus tard le Conte du brait déjà commencé par Hélie, et à la troisième fois il le présente comme terminé. Tous ces artifices ne peu- vent évidemment être pris au sérieux. Le Conte du brait est perdu ^, et nous ne savons qui
I. Sur ce qui peut en subsister en espagnol, voyez la fin de cette Introduction. Ce n'est pas seulement dans notre roman qu'on voit mentionné \t Brait ; on le trouve aussi dans le passage suivant
LA SUITE DU MERLIN XXXI
est cet Hélie qui paraît l'avoir écrit. Le faux Robert l'appelant « mon seigneur Helie » et en faisant son compagnon d'armes, on pourrait y voir un chevalier, comme était le véritable Robert de Boron ; mais rien ne prouve que cette qualification soit digne de foi : elle peut très bien avoir été suggérée à notre écrivain pseudonyme par celle même de Robert, dont il prenait le nom, et par un passage du Joseph ^ Il serait donc possible que l'auteur du Brait Merlin fût le « maistre Elle » dont nous avons une imitation de VArsamato- ria d'Ovide ^. On pourrait encore songer à un « He- iyas », rimeur anglo-normand qui a traduit en vers décasyllabiques la prophétie de Merlin de Gaufrei de Monmouth % ou à Hélie de Winchester, traducteur
du Tristan, qui, il est vrai, se réfère directement à notre texte. L'auteur excuse Robert de Boron, auquel il attribue la Queste du saint Graal, de ne pas raconter en détail une folie de Lancelot : « Mes qui parfitement vodra oir les merveilles de ceste forse- nerie si voie l'estoire de[l] brait, quar ilec porra- il trover aper- tement toutes les choses que mi sire Roberz lesse [a] conter en son livre por ce que li troi livre soient tout d'un grant; quar pour autre chose ne fu translatée d'autre part l'estoire del brait fors por ce que l'enn i meist les choses qui en cest(e) livre seroientobliees â mètre. » (Ms. B. N. fr. 12599, fol. 242 c.)
1. C'est le fameux passage : A cel tens que je la retrais O mon seigneur Gautier en pais Qui de Montbelial estait. Le faux Robert parle de même de « mon signeur Helye ».
2. Hist. litt. de la France, t. XXIX, p. 458. Notez qu'au troi- sième passage cité de notre roman on lit « maistre Helyes »; mais c'est peut-être une simple faute de copiste.
3. Voy. Fr. Michel, Rapports au ministre, p. 226 ss. Deux autres manuscrits, anonymes, de la même version ont été signalés par M. P. Meycr (Romania, t. V, p. 470; Bull, de la Soc. des A. T., 1882, p. 53).
XXXII INTRODUCTION
des Distiques de Caton; mais c'est peu vraisemblable pour beaucoup de raisons : un homme qui écrivait un poème sur les aventures de jeunesse de Baudema- gus devait être Français et s'inspirer de Chrétien de Troies, qui fait jouer à ce personnage, devenu vieux, un rôle important dans son roman de la Charrette ^ Ce qui est surtout intéressant, c'est la série de falsi- fications subséquentes auxquelles a donné lieu cette fiction de notre romancier. Le soi-disant Robert de Boron dit simplement qu'Hélie était son « compa- gnon d'armes » ; il n'en fait nullement son parent et ne l'appelle pas Hélie de Boron. Nous croyons tou- tefois que ce sont les passages cités de son œuvre qui ont seuls servi de point de départ à l'invention du personnage d' « Hélie de Borron », parent de Robert,
i. Dans le Merlino italien {Historia di Mei-lino, Venise, 1480; VUa di MerlinOj Florence, 1495) traduit du français en iZ-jq, à Venise, un des personnages qui rapportent des prophéties de Merlin est un ermite appelé Elie; ses récits forment le cinquième livre de l'ouvrage. Sur le titre de l'édition de Venise, i5i6, on voit, groupés autour du tombeau de Merlin, d'un côté Blasio romiiOf Ptoîomio episcopo, Antonio episcopo, de l'autre Elia ro- mitOy La dona del lago, Meliadus. Cet Elie raconte ce qu'il sait de Merlin à Perceval le Gallois, qu'il a accueilli dans son ermitage; il n'est pas probable qu'il y ait là un souvenir de l'auteur du Conte du brait. Dans le texte français imprimé des Prophéties de Mer- lin, l'ermite qui reçoit Perceval n'est pas nommé et ses récits sont beaucoup moins longs (voy. ff. lxxxvii-xci de l'édition de la veuve Jehan Trepperel). — Il ne faut sans doute voir aussi qu'une coïn- cidence fortuite dans le nom de « maître Hélie de Toulouse » donné au plus sage des clercs qui expliquent les songes de Gale- haut et prédisent les aventures du graal dans la leçon la plus ré- pandue du Lancelot (voy. P. Paris, t. IV, p. 114, 119).
LA SUITE DU MERLIN XXXIII
lequel a pris et garde encore une place importante dans l'histoire littéraire. Voici comment nous nous représentons les étapes successives de cette fiction, qui n'est que le développement de la première inven- tion de notre romancier pseudonyme.
Il nous paraît probable que c'est dans le prologue de Guiron le Courtois ou Palamede que le person- nage d'Hélie de Borron a fait sa première appari- tion ^ L'auteur qui, dans ce prologue, s'attribue la composition du roman en tête duquel il est placé se donne le nom d'Hélie de Borron et semble bien prendre pour point de départ de ses dires le passage même de notre roman. Il nous raconte une histoire fantastique des romans en prose de la Table Ronde, qui seraient tous tirés du livre latin du saint graal : « Mes sires Luces de Gau . . . fu li premiers qui s'es- tude i mist et sa cure, bien le savons, et cil translata en langue françoise partie de Fistoire mon seigneur
Tristran 2; après s'en entremist mes sires Gasse
li blons, qui parenz fu le roi Henri ^ ; après s'en en-
1. Mss. B. N. fr. 338, 356; Brit. Mus. Addit. 12228 (Ward, Catalogue of romances, t. I, p. 364); Florence, Libri 5o. Ce pro- logue est imprimé en entier, d'après le ms. 338, par M. Hucher, Le Saint-Graal, t. I, p. i56.
2. L'auteur a pris à la lettre le prologue du Tristan, où Luce du Gast on de Gau prétend en effet être le premier à translater le grand livre latin du saint graal (qui, eût-il jamais existé, n'aurait rien eu à faire avec Tristan).
3. A ce Gasse le blond notre auteur n'attribue rien expressé- ment, et il n'est mentionné nulle part ailleurs. Peut-être ce per- sonnage n'est-il autre que Wace ou Guace, dont le nom était va- guement connu.
T. I c
XXXI V INTRODUCTION
tremist maistre Gautiers Map, qui fu clers au roi Henry, et devisa cil Testoire de mon seigneur Lance- lot du lac... Mes sires Robers de Borron s'en entre- mist après. » Il est clair qu'un homme qui classe dans cet ordre les auteurs des romans en prose ne connaissait ces auteurs que de nom, et, comme nous, d'après les manuscrits oià ils sont nommés. Il ajoute : « Je Helis de Borron, par la prière mon seigneur Ro- bert ^ de Borron et pour ce que compaignon d'ar- mes fusmes longuement, encommençai mon livre du bret ». C'est bien ce qui est dit dans notre roman; mais le prétendu Hélie ne sait pas au juste ce qu'é- tait ce « livre du bret » 2; il se rappelle seulement un passage assez peu clair de notre roman (II, 198), où on dit qu'il y est parlé de Tristan, « mais che n'est mie gramment. » Le reflet de ce passage se retrouve dans ces lignes du prétendu Hélie de Borron : « De mon seigneur Tristan n'iert mie cestui mien livre, car el bret en ai auques dit, et de li a on proprement un livre fait. » Le reste du prologue est rempli par un long verbiage et des vanteries de Fauteur sur le suc- cès qu'aurait eu son premier ouvrage. En parlant de lui-même, il lui échappe un mot qui le met en contra- diction avec la source où il puisait, c'est-à-dire notre roman : « Or commencerai donc mon livre el nom de Dieu et de la sainte trinité qui ma jouvenle tien-
1. Le mot Robeft manque dans le ms. 338, suivi par M. Hu- cher; mais il se trouve dans les autres : voy. Ward, p. 365.
2. La graphie bvet pour brait est fréquente (voy. Godefroy) ; elle a contribué à obscurcir le sens de ce mot.
LA SUITE DU MERLIN XXXV
gne en joie et en santé. » Il se donne donc ici comme jeune; mais le faux Robert de Boron avait dit en parlant d'Hélie (II, 67) : « Mon signeur Helye qui a esté mes compains a armes et en joveneche et en viellece. » On ne s'avise jamais de tout ^
L'épilogue que nous a conservé un seul manuscrit de Tristan 2, et où un prétendu Hélie de Borron ^ prend également la parole, est dans un rapport étroit avec le prologue du Giiiron. L'auteur de celui-ci dit qu'il écrit son livre après avoir terminé le Bret, pour plaire à son seigneur le roi Henri : « Et pour ce que je voi que li tems est biaus et clers et li airs purs, et la grant froidure de Tiver s'est d'entre nous partie, vueil commencier mon livre. » L'auteur de l'épilogue du Tristan dit : « Tout maintenant que la grant froi- dure de cestui yver sera trespassee et nous serons en
1 . Le ms. de Turin de Guiron le Courtois contient un tout autre prologue, qu'a publié M. Rajna (Romania, IV, 264). Ici l'auteur ne se donne plus le nom d'Hélie de Borron ; au contraire, il parle de « maistre Helye de Borron > comme d'un auteur qui, avec « maistre Gautier Moab », aurait écrit sur Lancelot. Ce prologue contient une phrase singulière sur le « Bret », où on pourrait comprendre ce mot comme le nom d'un écrivain : « De Tristan le Bret y en met ce qu'en peut estre. »
2. Ms. B. N. fr. 104; imprimé dans Hucher, t. I, p. 35. Une forme de cet épilogue beaucoup plus courte, où ne se trouve ni le nom d'Hélie de Borron ni le titre de Bret, se lit dans divers ma- nuscrits (B. N.,fr. 757, Brit.Mus. Egerton 98g, Asburnh. Libri i23) et a été imprimée (Hucher, I, 160 ; Ward, I, 363). Elle paraît bien n'être qu'un abrégé de la forme complète conservée dans le ms. 104.
3. Le ms. porte i5erroȔ, simple erreur de copiste.
XXXVI INTRODUCTION
la douce saison que l'on apele le tens de ver je me
retournerai adonc sur le grant livre dou latin, etc. ». Ce qui nous fait croire que l'épilogue du Tristan est postérieur au prologue du Guiron^ et sans doute d'une autre main, c'est que Fauteur de cet épilogue se figure que « le livre du bret » n*est autre que This- toire même de Tristan, tandis que l'auteur du prolo- gue, comme on vient de le voir, distingue nette- ment les deux ouvrages , et prétend seulement avoir, dans le Bret, parlé un peu (aitques) de Tristan. L'épilogue, au contraire, se termine par l'assertion que le livre auquel il est ajouté, c'est-à-dire le Tristan, « est apelez li livres dou bret » . On voit les malenten- dus se succéder 1. L'auteur de l'épilogue suit d'ailleurs, dans ses renseignements d'histoire littéraire, les don- nées du prologue de Guiron, En parlant de Robert de Boron, il ajoute ces mots : « qui est mes amis et mes paranz charnex », ce que le prologue ne disait pas expressément, mais indiquait assez par le nom seul d'Hélie de Borron. L'auteur de l'épilogue joint à ce nom des qualifications extravagantes, sur lesquelles les critiques ont disserté bien inutilement ^, Tout cela
1. Les critiques modernes ont vainement recherché ce que pou- vait signifier le mol Bret^ désignant une histoire de Tristan. Déjà au xine siècle on ne comprenait pas ce singulier titre, et un co- piste écrivait bravement : « Et apelent cest livre // bret (peut-être faut-il lire libret^ par un nouveau malentendu), pour ce qu'il est maîstre sor toz les livres qui oncques furent îdîxX de la table ronde ».
2. Voyez les justes remarques de P. Paris, Les Romans de ta Ta- ble Ronde, t. V, p. 36i.
LA SUITE DU MERLIN XXXVII
doit être purement et simplement rayé de l'histoire littéraire ^
Revenons à notre roman. Il a été fait, tout comme la suite ordinaire du Merlin que nous avons appelée la vulgate, pour relier le Merliji de Robert de Boron au Lancelot et à d'autres compositions. C'est ce dont il est facile de s'assurer en examinant les nombreuses allusions et prédictions qu'il contient.
Voyons d'abord ce qui concerne le Lancelot pro- prement dit '. T. II, p. 142-144, Merlin et la demoi- selle qu'il aime arrivent au château de Trèbe, y voient Elaine, femme du roi Ban, et son fils le petit Lancelot ou Galaad, âgé d'un an, et prédisent sur la reine, son ennemi Claudas et Lancelot, tout ce qui est raconté dans le roman consacré à ce dernier ^. Un peu auparavant (II, iSy), il est dit expressément : « Et sachent vraiement tout cil qui le conte mon sei- gneur Robert de Borron escoutent que ceste damoi- siele fu celé qui puis fu apielee la damoisiele dou lac, celé qui norrist grant tens en son ostel Lanscelot dou
1. Nous ne touchons pas ici à la question très difficile des ré- dactions diverses du Tristan et de la répartition de ce qui peut appartenir à « Luce de Gast » et au prétendu Hélie de Borron. Quant à croire avec Brakelmann (Zeitschr. fur deutsche Philologie^ t. XVIII, p. 85) que Robert de Boron a collaboré au Tristan, c'csl ce dont personne ne sera plus tenté aujourd'hui.
2. Nous suivons pour ce court exposé la division ordinairement adoptée du Lancelot en Lancelot proprement dit (comprenant Galehaut, Charrette, Agravain), Queste du saint graal, et Mort Arthur.
3. Voy. P. Paris, les Romans de la Table Ronde, 1. 111, p. i ss.
XXXVIII INTRODUCTION
lac, ensi comme la grant ystoire de Lanscelot le de- vise. » On lit en effet dans le Lancelot, à propos de cette même demoiselle et de son aventure avec Merlin, sur laquelle nous reviendrons : « Celé qui l'andormi et seela fu la damoisiele qui Lancelot en porta dedenz le lac ^ » Le prétendu Robert de Boron ne pouvait avouer plus naïvement qu'il écrivait une introduction au roman de Lancelot, roman inconnu au vrai Robert. Ailleurs, il est fait allusion à Futilité dont fut plus tard Guenièvre à Arthur, en inspirant à Lancelot un amour à cause duquel Galehaut, par amitié pour Lancelot^ se reconnut le vassal d'Arthur -. L'aventure du lit qui faisait perdre le sens et dont Lancelot détruisit l'enchantement, annoncée dans notre roman, ne paraît pas se retrouver dans le Lan- celot ^\mB\s notre auteur a fort bien pu l'inventer uniquement afin de rappeler la vertu de l'anneau de Lancelot, pour laquelle il renvoie encore une fois expressément au roman de Lancelot, et qui s'y trouve en effet ^; voici ses paroles (t. II, p. Sy) : « Et dura chis enchantemens dusques tant que Lanscelos... i vint, et lors fu li enchantemens de cel lit deffais, ne
1. Jonckbloet, Lancelot^ t. Il, p. xiii; P. Paris, /. c, p. 26.
2. T. II, p. 161. Voyez P. Paris, t. III, p. 246.
3. Elle n'est pas à confondre avec celle du lit aveniureux^^ em- pruntée par le Lancelot à la Charrette de Chrétien de Troies (voy. P. Paris, V, 23).
4. Voyez Jonckbloet, le Roman de la Charete, p. xxxvii : « Lors traist la dame de son doi un anelet, sel met a l'anfant en son doi, et li dit qu'il a tel force qu'il descuevre toz anchantemanr (ms. B. N. fr. 768, f. 32 fo). »
LA SUITE DU MERLIN XXXIX
mie par Lanscelot^ mais par un anelet que il poitoit qui descouvroit tous enchantemens; et cel anelet 11 avoit donné la damoisiele del lac, si coume la grant hystore de Lanscelot le devise ^ »
Le rapport du roman que nous publions avec la Queste du saint graal fera le sujet d'un examen par- ticulier. Quant à la Mort Arthur, qui forme aujour- d'hui la troisième partie du Lancelot, elle est éga- lement l'objet des allusions prophétiques de notre romancier. C'est là qu'on voit, comme il l'annonce (I, 178), que Guifflet, le fils de Do, fut le dernier des humains qui vit Arthur vivant - -, c'est là, comme il le fait prédire par Merlin (II, 58), que Lancelot tue Gauvain ^.
Enfin, le continuateur du Merlin a connu le Tris- tan en prose. Ce qu'il dit du Morhout d'Irlande, que Tristan doit tuer (II, 240), pourrait à la rigueur pro- venir des anciens poèmes 4; mais il n'en est pas de même du combat de Tristan et de Lancelot, prophé- tisé par Merlin (I, 23 1) : c'est un des épisodes les plus célèbres du Tristan en prose, et un de ceux qui, dans les diverses rédactions, se présentent avec le plus de variations ^. Quant à l'histoire de la visite faite
1. Cf. P. Paris, t. III, p. 126.
2. Voy. P. Paris, V, 35o.
3. P. Paris, V, 349.
4. Il faut noter que notre auteur place le combat de Tristan et du Morhout dans l'île Saint-Samson; ce trait, qui était dans le pocme perdu de Chrétien de Troics, se retrouve dans le roman en prose; voy. Romania, XV, ^43.
b. Indépendamment des mss. français du Tristan (par ex. ms.
XL INTRODUCTION
par la demoiselle du lac, sur la prière de Tristan, à la tombe de Merlin (II, 197), pour laquelle notre roman- cier renvoie expressément à « la droite ystoire de Tristram », et, moins clairement, à « la branke del brait », nous ne Tavons pas retrouvée dans le Tris- tan, mais il est fort possible qu'elle nous ait échappé au milieu des innombrables épisodes qui composent cette énorme et confuse histoire, et qui varient pres- que dans chacun des manuscrits que nous en avons.
Nous savons maintenant que notre romancier con- naissait le Coiîte du brait, le Lancelot, la Mort Ar- thur et le Tristan, tous ouvrages inconnus à Robert de Boron, et nous voyons qu'il a mis le principal intérêt de sa composition à préparer les récits de ces romans ou à les annoncer d'avance. Il nous reste à examiner cette composition en elle-même, et à déter- miner autant que possible les éléments dont elle est formée. Ces éléments peuvent se diviser en deux groupes principaux : développements d'indications pri- ses dans les romans ci-dessus indiqués*, récits qui n'ont pas cette origine.
Au premier groupe appartient presque tout ce qui concerne Arthur et Merlin. Dès le début, on nous raconte comment Arthur eut commerce avec sa sœur, femme du roi d'Orcanie, sans savoir le lien qui les unissait, et engendra Mordret, qui devait plus tard
730, f<» 3i5 b; ms. 12599, i° 109 a), voyez la compilation de Rus- ticien de Pise (ms. 1463, (° 20) et la compilation italienne de la Tavola Ritonda (ch. cxin). Un petit poème italien du xiv« siècle sur ce sujet a été publié par M. Rajna; voy. Romania, IV, 142.
LA SUITE DU MERLIN XLI
lui porter le coup mortel. Robert de Boron, dans son Perceval, ne sait rien de cette histoire, et ne fait de Mordret, comme Gaufrei de Monmouth, que le ne- veu d'Arthur ^ C'est dans le Lancclot que nous trou- vons pour la première fois cette invention étrange -, qui pourrait bien n'être qu'une imitation de l'anecdote célèbre sur César et Brutus ^. — La première aventure d'Arthur le met en présence de Merlin et de Pellinor, le futur père de Perceval (voyez ci-dessous) ; vient en- suite la scène de la justification d'Igerne et de la dé- monstration de la naissance royale d'Arthur. — Le défi des Romains (I, i8o) n'a pas de suite dans notre roman : il prépare un important épisode de la Mort Arthur 4. — Le combat d'Arthur contre Pellinor
I. Voy. Hucher, t. I, p. 495.
3. Voy. le ch. xvi du livre II des éditions. Mordret arrive chez un ermite qui lui dit qu'il tuera son père, lequel n'est pas, comme il le croit, le roi Lot; l'ermite dit à part à Lancelot que le père de Mordret est Arthur, « qui l'engendra en la femme du roi Loth d'Orcanie »; il prédit aussi à Mordret que son père le tuera, et parle d'un songe qui a annoncé à ce père leur terrible destinée. Plus tard, lors de la trahison de Mordret, Arthur se rappelle ce songe, et laisse échapper des paroles qui révèlent à ceux qui les en- tendent que Mordret est son fils, et non pas seulement son neveu.
3. La trahison de Mordret envers Arthur rappelait celle de Bru- tus envers César; de là à imaginer qu'Arthur, comme César dans l'anecdote en question, était le père de son meurtrier, il n'y avait qu'un pas. Mais on savait que Mordret était né de la sœur d'Ar- thur : il fallut donc qu'il fût le fruit d'un inceste. On peut songer aussi à une influence de la légende de saint Grégoire.
4. Voy. P. Paris, V, 349. Ce déh des Romains est déjà raconté, presque dans les mêmes termes, par Gaufrei de Monmouth, et se retrouve dans le Perceval de Robert de Boron (Hucher, t. 1, p. 491).
XLII INTRODUCTION
n*a d'autre but que d'amener Taventure de l'épée Escalibor, et la façon dont Arthur se procure cette épée est suggérée par le beau passage de la Mort Ar- thur où on voit le roi breton, à son dernier moment, faisant jeter son épée dans un lac d'où une main mys- térieuse sort pour la saisir ^ Quant au merveilleux fourreau, il semble n'avoir d'autre but que d'amener une des trahisons de Morgue envers son frère racon- tées dans notre roman (I, 267-272*, II, 168, 174- 228) *. Ce personnage même de Morgue n'est que le développement de diverses indications que le Lance- lot donne sur la sœur d'Arthur. — L'histoire de l'expo- sition des enfants nouveau-nés (I, 2o3-2 1 1), à la suite de la prédiction de Merlin sur Mordret, est une imita- tion de la légende du massacre des Innocents; la façon dont Mordret échappe au sort des autres enfants ne se trouve, que nous sachions, non plus que cette histoire elle-même, nulle part ailleurs. Cette cruelle et vaine précaution d'Arthur lui vaut l'inimitié de son beau- frère le roi Lot, et la guerre qui en est la conséquence; dans cette guerre, Pellinor tue Lot, et c'est pour cela que plus tard, dans un autre roman ^ ou dans une partie de notre roman que nous n'avons plus (voyez
1. Voy. P. Paris, t. V, p. 35o. On ne trouve rien de pareil dans les récits de la disparition d'Arthur antérieurs au Lancelot.
2. Voyez cependant ci-dessous, p. lxi, n. 2.
3. Peut-être dans le Conte du brait, qui contenait sans doute des aventures fort diverses. Nous avons vu qu'il débutait par un récit relatif à Bauderaagus ; il parlait aussi de Tristan, et s'il faut en croire le passage de Tristan cité plus haut (p. xxx, n. 1), il ra- contait UTïQ forsenerie de Lancelot.
LA SUITE DU MERLIN XLIII
ci-dessous), Gauvain doit venger son père en tuant Pellinor-, on annonce aussi qu'il tuera Agloval, fils, comme Perceval, de Pellinor, et c'est pour expliquer d'avance cette haine de Gauvain pour la famille de Pellinor que notre romancier a inventé l'épisode de la mort du roi Lot ^ — La singulière prétention du roi Rion sur la barbe des rois ses voisins, et notamment sur celle d'Arthur, forme le sujet d'un vieux conte celtique qui a été recueilli par Gaufrei de Monmouth, et qui se retrouve dans plusieurs poèmes ^ ; si notre auteur Ta inséré ici, c'est sans doute parce qu'il le trouvait déjà mêlé à l'histoire du « chevalier aux deux épées » (voy. ci-dessous, p. xlvii). — Le mariage d'Arthur avec Gue- nièvre, fille de Léodegan, roi du pays fantastique de Carmelide, était indiqué à notre romancier par le Lan- celot; c'est là qu'il trouvait aussi ce fait curieux que la Table Ronde appartenait, avant Arthur, au roi Léode- gan, et avait été cédée par lui à son gendre ^ . Ce fait
1. On annonce (I, 261; que Gauvain tuera, outre Pellinor, « Me- lodiam aisné fil » ; mais ce passage paraît gravement altéré. La mort d'Agloval, annoncée comme devant être racontée dans « la queste del saint graal » de Robert de Boron, n'est pas racontée dans la Queste que nous possédons ; voy. plus loin, p. Lvin.
2. Voy. Hist. litt. de la France, t. XXX, p. 243-243.
3. Voy. P. Paris, t. V, p. 104. Le manuscrit suivi dans cette ana- lyse (B. N. fr. 734, !• i3o d) se rattache au récit de la vulgate de Merlin; mais d'autres manuscrits du Lancelot,ç\\x\ contiennent cer- tainement la rédaction primitive, ne disent pas qu'Arthur eût servi comme écuyer chez Léodegan, trait qui provient du Merlin ordi- naire. Dans ces manuscrits (p. ex. fr, 339, f- 68 1» a; IV. 768, f. 16 s'bjon. rappelle simplement qu'Arthura reçu la Table Ronde de Léodegan comme dot de Gucnièvre; c'est cette indication qu'a développée notre romancier.
XLIV INTRODUCTION
était en contradiction flagrante avec la manière dont Robert de Boron avait raconté l'institution de la Table Ronde (voyez ci-dessus, p. xxvi); notre romancier n^a pas essayé d'expliquer comment la Table Ronde d'Uter Pendragon avait passé à Léodegan en Carmelide; il se borne (II, i6i) à le constater K — L'enchantement dont Arthur est l'objet de la part de sa sœur Morgue, son combat contre Accalon, le ban- nissement dlvain, la fuite et les prestiges de Morgue, paraissent ne se rattacher à aucun récit subséquent et être sortis uniquement de l'invention de Tauteur. On peut en dire autant de la guerre soutenue par Arthur contre cinq rois, où Keu fait des prouesses qui lui valent un siège à la Table Ronde (II, 159-168) ; peut- être cependant trouverait-on dans quelque passage du Lancelot la première suggestion de ces récits qui, en eux-mêmes, ne paraissent pas, surtout le second, avoir grande raison d'être.
La principale préoccupation du continuateur de Robert de Boron devait être de terminer l'histoire de Merlin, Il ne pouvait admettre ce que Robert en di- sait dans le Perceval (supposé qu'il connût ce ro- man), parce qu'il écrivait pour préparer le Lancelot,
I. Il ne s'est même pas soucié de mettre ses chiffres d'accord avec ceux de Robert de Boron. Celui-ci avait dit que Merlin avait établi la Table Ronde avec cinquante sièges, dont un vide (I, 96); la Table Ronde de Léodegan comportait i5o sièges: elle avait été réduite à 100, et le même Merlin, sans paraître s'apercevoir de la différence, complète par 49 élections le cbiâre de i5o moins un (II, 62, 67).
LA SUITE DU MERLIN XLV
et que le Lancelot, dès son début, nous présente Merlin comme enfermé dans une tombe par la de- moiselle du lac, tandis que le Percerai de Robert de Boron le garde en vie jusqu'après la mort d'Arthur. Tout ce qui concerne les rapports de Merlin avec Ni- nienne * n'est que le développement d'un passage du Lancelot où apparaît, pour la première fois dans la littérature française, au moins conservée jusqu'à nous, cette histoire des amours de Merlin avec une femme qui le trompe et finit par l'enfermer : « En la fin sot [Niniene] de par lui tant de mervoilles que ele Tan- gigna et lo seela tôt andormi en une cave dedanz la périlleuse forest de Damantes, qui marchist a la mer de Cornoaille et au reiaume de Sorelois. Illuec re- mesten tel manière que onques puis par nului ne fu seuz ne par nul home veuz qui noveles en seust dire.
I. Telle paraît bien être la vraie forme du nom. Nous avons re- levé dans les manuscrits de Lancelot les variantes Niniane^ Ni- niene, Nynyane, puis, par des fautes de copistes, Nivienne, Ni- menne, Nimainne et Jumenne; Viviane (forme adoptée dans les éditions) ou Vivienne semble également être une simple faute de lecture. Il est vrai que Ton a rattaché Viviane à un celtique C/jwj'- hlian, dont on a fait Vivlian, et qui signifierait « nymphe » (La Villemarqué, Merlin V Enchanteur-, p. 2o3); mais, comme veut bien nous le faire savoir M. Gaidoz, le mot Hwimleian ou Huimleian, qui existe seul en ancien gallois (Skene, Four Ancient Books of Wales, t, II, p. 20 et 23) et que M. Silvan Evans identifie à tort à Sibylla {ih.^ t. I, p. 372 et 484), paraît être un nom propre, d'éty- mologie inconnue; la traduction a nymphe » d'Ovven Pughe est imaginaire. Au contraire, le nom de Ninienne a une physionomie tout à fait celtique : Ninianits est le nom d'un saint breton, qui passe pour avoir été au v® siècle l'apôtre des Pietés (voy. AA. SS., Sept., t. V, p. 3 18).
XLVI INTRODUCTION
Celé qui Tandormi et seela si fu la damoisele qui Lancelot en porta dedanz lo lac '. » Il est probable que Fauteur du Lancelot avait puisé cette histoire dans un lai aujourd'hui perdu 2; c'est à lui seule- ment qu'appartient l'idée peu heureuse d'avoir iden- tifié Ninienne avec la dame du lac qui éleva le jeune Lancelot ^. Il suffit de lire tout ce que notre roman raconte de Merlin et de Ninienne pour voir qu'il n'a fait que développer l'indication du Lancelot : Ninienne est également, chez lui, née dans les mar- ches de la Petite-Bretagne; seulement il l'a identifiée avec une demoiselle de Northumberland qui figure dans un autre conte admis par lui, ce qui l'a obligé (ir, 143) à une fort gauche explication géographique. C'est également dans la « forêt périlleuse ^ » qu'a lieu
1. Jonckbloet, Lancelot, t. II, p. xii-xiir, d'après le ms. Bibl. Nat. fr. 768, fo 9. Tous les récits sur Vensenement de Merlin que nous avons en français remontent à ce passage. C'est ce récit du Lancelot qui avait également servi de point de départ au Conte du brait d'Hélie.
2. L'existence de lais anglo-normands sur Merlin est attestée par un passage du Renart (éd. Méon, v. i2i5o). Voyez aussi Je texte célèbre de Lambert d'Ardres, Mon. Germ., t. XXIV, p. 707.
3. La dame ou demoiselle du lac est un personnage tout à fait sympathique, tandis que Ninienne joue en somme un rôle odieux. D'ailleurs, dans les récits plus anciens sur Lancelot (voy. Roma- nia, X, 473), la dame du lac est une vraie fée, ce qui esP certaine- ment conforme à la tradition originaire; l'auteur du Lancelot au contraire rabaisse les fées au rang de simples mortelles ins- truites dans les arts magiques (voyez Jonckbloet, Lancelot, II, x).
4. Notre manuscrit ne donne pas le nom de « forêt de Daman- tes»; mais c'est bien probablement une simple omission de co- piste*
LA SUITE DU MERLIN XLVII
Ventombement de Merlin, décrit exactement comme dans le Lancelot, L'épisode de la forêt âCEn Val (i, 144) n'est qu'une imitation anticipée de cette his- toire.
Avant de disparaître pour jamais, Merlin est em- ployé à mainte reprise par notre romancier pour accomplir des merveilles, assez insignifiantes d'ail- leurs, et faire des prédictions qui relient le roman à ceux auxquels il est destiné à servir de préface. Nous avons relevé les plus intéressantes de ces annonces ^
En dehors de ces morceaux qu'on peut appeler pré- paratoires, notre roman contient trois épisodes dont il nous reste à parler : l'histoire de Balaain et de son frère, la triple aventure de Gauvain, Tor et Pellinor, la triple aventure de Gauvain, Ivain et le Morhout. L'histoire de Balaain pourrait bien reposer sur un poème épisodique : on en retrouve en tout cas le dé- but, avec le nom de « chevalier aux deux épées » et l'incident du roi Rion, dans le poème de Mériadeuc ou le Chevalier aux deux épées ^, L'aventure finale.
1. Il est parlé dans le Lancelot, sans autre explication, d'une pierre u qui a non li perrons Merlin, la ou Merlins ocist les deus enchanteors (P. Paris. III, 287 ; ms. SSg, f. 33; ms. 7G8, f. 1 14) ». On pourrait croire que ce passage renvoie au récit que fait notre roman de cet exploit de Merlin (11, 1 54-1 58) ; mais d'après le rap- port des deux romans, il faut admettre que le Lancelot fait allu- sion à une aventure de Merlin que nous ne connaissons pas, et que notre romancier, qui ne la connaissait pas non plus, a pris cette allusion pour point de départ de son récit.
2. Publié par M. Fœrster. Voy. Ilist. liU. de la France, t. XXX,
p. 337 S8.
XLVIII INTRODUCTION
sauf son dénouement tragique, rappelle de fort près un épisode du roman de Meraugis de Portles- gue\ » : c'est ici Gauvain et Meraugis qui jouent le rôle de Balaain et Balaan. Quant aux divers épisodes de l'histoire de Balaain, les uns, qui sont assez obscurs et incohérents 2, paraissent avoir été inventés pour la rattacher à Tcnsemble du roman, les autres sont des fictions dont il n'y a rien de par- ticulier à dire.
C'est dans cette dernière classe que rentre tout en- tière la triple aventure de Gauvain, Tor ^ etPellinor; nous avons là des spécimens des productions ordinaires de la pauvre imagination des auteurs de romans en prose : l'invraisemblance y est poussée jusqu'à l'ab- surde, sans réussir à piquer la curiosité, et l'absence
1. Voyez Hist. ïitt. de la France, t. XXX, p. 226-227.
2. On ne sait à quoi se rattachent les allusions du début (I, 219, 228, etc.), ni comment c'est le meurtre du chevalier d'Irlande qui causera la mort de Balaain (I, 229), ni comment le « coup doulou- reux » frappé par Balaain a les conséquences prédites par Merlin
(l. 264; II, 7).
3. Ce personnage, qui provient de Chrétien deTroies, est appelé « Tor (Estor, Ector), fils d'Ares » dans tous les textes, et quelques- uns ont fait de son père un roi d'un pays plus ou moins imaginaire. On ne voit pas pourquoi notre romancier s'est avisé de faire d'Ares un paysan et de donner à Tor pour vrai père le roi Pellinor (l'idée est singulière à propos d'un personnage qui porte toujours le nom de son père accolé au sien). 11 ne trouvait rien de pareil dans le Lancelot, où Tor, fils d'Ares, paraît avoir été remplacé par Hector ou Hestor des Mares (et non des Mates), dont le nom a bien l'air d'être une simple altération du sien; seulement Hector des Marcs est le fils bâtard non de Pellinor, mais du roi Ban, père de Lancelot.
r
LA SUITE DU MERLIN XLIX
presque complète de motifs pour les actions les plus graves fait de tous les personnages des mannequins qui n'ont rien de vivant '.
Le troisième conte du même genre nous montre Ivain et Gauvain, partis ensemble de la cour d'Arthur, et auxquels s'est adjoint le Morhout d'Irlande, engagés dans une triple aventure : chacun d'eux emmène une des trois demoiselles qu'ils ont rencontrées près d'une fontaine dans la forêt, et ils doivent se retrouver au bout d'un an. La fin de cette histoire n'est pas dans notre manuscrit, qui s'arrête presque aussitôt; mais on la connaît par la traduction anglaise dont nous parlerons tout à l'heure, et nous en donnons le résumé en note *. Elle est aussi aventureuse que l'autre, mais peut-être un peu plus intéressante. Il est possible
1. On a vu que notre romancier a fait de la « demoiselle chas- seresse » de cette aventure la même que Ninienne. Cela n'éclaircit pas l'histoire de cette demoiselle et de sa chasse, histoire qui est d'ailleurs aussi peu intéressante que peu claire.
2. Cette fin remplit les chapitres xx-xxviii du livre V de la com- pilation de Sir Thomas Malory. Gauvain, parti avec la demoiselle de quinze ans, a une aventure où intervient Ninienne, mais où n'est intéressée en rien la demoiselle en question, qui le quitte dès le début.— Le Morhout escorte la demoiselle de trente ans; il com- bat sept chevaliers et tue un géant, sans que ces prouesses aient non plus aucun rapport avec sa compagne. — La demoiselle de soixante a^s (notre manuscrit porte à tort soixante-dix) qui est avec Ivain reste également étrangère à ses exploits, qui consistent surtout dans un combat qu'il livre à deux frères pour faire triom- pher le bon droit d'une dame injustement dépossédée par eux. — Au bout de l'année, les trois chevaliers se retrouvent à la fontaine, où ils sont rejoints par un messager qu'Arthur a chargé de les re- trouver et de les ramener à la cour.
T. I J
INTRODUCTION
qu'elle ait formé un conte à part, annexé par notre auteur à son œuvre * .
V. — LA QUÊTE DU SAINT GRAAL
Le manuscrit Huth étant incomplet, nous avons à nous demander ce que contenait dans son ensemble l'œuvre de notre compilateur (outre la fin de l'aven- ture indiquée ci-dessus). Nous pouvons le rechercher par deux voies différentes, soit en examinant les indi- cations contenues à ce sujet dans cette œuvre elle- même, soit en cherchant ce qui peut s'y rapporter dans d'autres ouvrages. L'auteur nous donne sur l'é- tendue et les proportions de son livre des rensei- gnements qui paraissent assez précis, mais qu'il n'est malheureusement pas facile d'utiliser avec certitude. Le passage capital est celui qui termine notre premier volume : « Et sachent tout cil qui Testoire mon si- gneur Robert de Borron vaurront oir comme il devise son livre en trois parties. Tune partie aussi grant comme l'autre, la première aussi grande comme la seconde, et la seconde aussi grant comme la tierce. Et la première partie finist il au commenchement de
I. Il l'y a rattaché en donnant pour motif au départ d'Ivain et de Gauvain le bannissement prononcé contre le premier par Arthur, en haine de Morgue sa mère.
LA QUÊTE DU SAINT GRAAL LI
ccste queste, et la seconde el commenchement dou graal, et la tierche finist il apriès la mort de Lansce- lot, a chelui point meisme qu'il devise de la mort le roi March. Et ceste chose amentoit en la fin dou pre- mier livre pour chou que, se Testoire dou graal estoit corrompue par auchuns translatours qui après lui ve- nissent, tout li sage houme qui meteroient lour en- tente a oir et a escouter porroient par ceste parole savoir se ele lour seroit baillie entière ou corrompue, et connisteroient bien combien il i faurroit. » Voilà des soins fort obligeants pour les lecteurs, mais qui les laissent dans l'embarras. D'abord où commence le livre auquel s'applique cette tripartition ? A en juger par un passage rapporté ci-dessus (p. xxviii),où le faux Robert de Boron s'attribue positivement un récit du vrai Robert dans le Merlin, il faut regarder le Joseph et le Merlin comme faisant partie de Tœuvre en question. Il est certain, d'autre part, que la division en trois parties devait faire ces parties à peu près rigou- reusement égales, car cette considération seule peut expliquer le choix de l'endroit où se termine la pre- mière partie, peu après le début d'une aventure du chevalier aux deux épées qui se continue et s'achève immédiatement dans la seconde.
Si nous comptons d'après le nombre des feuillets du ms. Huth, nous voyons que la première partie, ainsi comprise, remplit juste i25 feuillets *; la seconde
I. La 2* colonne du v» du f. 126 n'est pas tout à fait remplie, et le f. 126 commence par une capitale un peu plus grande que les autres.
Lri INTRODUCTION
doit donc en remplir autant. Or notre manuscrit s'ar- rête au milieu du f. 23o; il ne contient donc pas la seconde partie tout entière. Mais ce manuscrit ne doit pas être seulement incomplet; le texte en est sans doute tronqué. Il se termine par ces mots : « Si laisse ore a tant li contes a parler et de la dame et del roi et de toute la vie Merlin, et devisera d'une autre ma- tière qui parole dou graal, pour chou que c'est li commenchemens de chest livre ^ » Si nous nous en rapportons à la division donnée plus haut, la se- conde partie doit finir avec « le commenchement dou graal » : nous serions donc bien arrivés à la fin de la se- conde partie ; mais cette seconde partie serait de vingt feuillets plus courte que la première, ce qui est beau- coup *. Il est probable qu'il faut la compléter en y ajoutant la fin, résumée ci-dessus en note et absente de notre manuscrit, de la triple aventure de Gauvain, Ivain et le Morhout, et quelques autres aventures encore ^. Le copiste les aura omises pour une raison
1. C'est-à-dire que le livre tout entier commence par parler du graal ; preuve nouvelle que le Joseph et le Merlin de Robert sont considérés comme faisant partie de ce livre.
2. Il n'y a pas à tenir compte du manque du io3* feuillet et de deux feuillets après le i35*; car leur perte est postérieure au folio- tage : on passe du f. 102 au f. 104 et du f. i33 au f. i38.
3. Ainsi le combat du même Gauvain contre Hector des Mares (cf. II, Ï40), à la suite duquel Lancelot faillit les tuer tous deux, semble bien, d'après les termes dans lesquels il est prédit, avoir été raconté avant le commencement des récits relatifs au graal: c Et ceste aventure devise cette ystoire anchois que on kieche a conter la vie de Perceval (t. Il, p. 228). » Le meurtre de Pellinor par Gauvain, maintes fois annoncé (voyez par ex. II, 11, i37), se place-
LA QUÊTE DU SAINT GRAAL LUI
OU pour une autre, avec l'intention de passer tout de suite à la troisième partie, intention qu'il n'a pas réa- lisée, à moins que son travail ne nous soit parvenu dans un état mutilé. Le livre, s'il était achevé, comp- terait encore environ cent vingt-cinq feuillets, conte- nant la troisième partie.
Que devait-il y avoir dans cette troisième partie ? Elle finissait, nous dit le romancier, après la mort de Lancelot et celle du roi Marc. La fin au moins en était donc une sorte d'épilogue donné aux romans de Lancelot et de Tristan '. Mais, essentiellement, ce devait être une Queste du saint graal.
En effet, tandis que le Lancelot et le Conte du brait sont, par l'auteur, expressément séparés de son œuvre propre, il donne la Queste du saint graal comme faisant partie de cette œuvre. Ainsi en par- lant de Gauvain il dit : « Et Agloval ochist il en la queste du saint graal, si comme mes sires Robers de Borron le devisera apertement en son livre (I, 26). » En annonçant l'aventure qui coûta la vie à la sœur de
rait aussi plus naturellement dans cette partie que dans la troisième ; mais rien ne prouve que cette histoire fût racontée dans la com- pilation dont le ms. Huth nous a conservé une partie. Il est fort possible qu'elle ait formé par exemple une des aventures du Conte du brait (voy. ci-dessus, p. xlii, n. 3).
I. On serait tenté de supposer dans le passage cité une faute du copiste et de lire Artu au lieu de March. Cette faute est pourtant peu vraisemblable. La mort du roi Marc n'est pas racontée dans nos manuscrits du roman de Tristan; mais elle fait le sujet d'un bizarre récit delà Tavola Ritonda italienne, qui a certainement une source française (t. I, p. 52 3).
UV INTRODUCTION
Perceval, il remarque : « Si coume li contes le devise en la grant queste dou saint graal; mais orc en laira li contes a parler, car bien en savrai deviser la vérité quant lieus en sera (II, 19). » Dans deux passages im- portants, où l'auteur déclare que ItLancelot tt\t Brait ne font pas partie de son livre, il appelle, d'ailleurs, ce livre « histoire du saint graal » . Le premier de ces pas- sages, dont nous avons déjà cité le début, se rapporte à l'anneau de Lancelot : « Cel anelet li avoit donné la damoisiele del lac, si come la grant hystore de Lans- celot le devise, celé meisme ystoire qui doit estre dépar- tie de mon livre, ne mie pour chou qu'il (lise:{ qu'ele) n'i apartiegne et que elle n'en soit traite, mais pour chou qu'il convient que les trois parties de mon livre soient ingaus. Tune aussi grant conme l'autre, et se je ajoustaisse celé grant ystore, la moiene partie de mon livre fust au tresble plus grant que les autres deus. Pour chou me convient il laissier celle grant ystoire qui devise les oevres de Lanscelot et la naissance ^, et voel deviser les neuf lignies des nascions 2, tout ensi comme il apartient a la haute istoire del saint graal, ne n'i con- terai ja chose que je ne doie, ains dirai mains assés que je ne truis en Testoire dou latin. Et je prie a mon
1. Peut-être faut-il supposer que le mot Galaad a été omis ici par le scribe.
2. Il faut peut être lire « les neuf lignies de Nascien »; cf. Queste, p. 119; Saint-Graal, t. 11, p. 323, 377, 402. La discussion de ce point nous entraînerait trop loin; nous ne l'aborderons pas ici. Il est possible d'ailleurs que tout ce passage soit altéré dans notre manuscrit.
LA QUETE DU SAINT GRAAL LV
seigneur Helye, etc. » (II, 57). Plus loin, parlant de la branche du Brait ^ consacrée en partie à Baudemagus, et qu'Hélie est censé rédiger, il remarque : « Si n'est mie ceste partie dessevree de mon livre pour chou que elle n'en soit, mais pour chou que mes livres en soit mieudres (liseï mendres) et ma painne un poi alle- gie; et sachent tout cil qui l'ystoire dou saint graal voelent oir et escouter qu'il n'avront ja le livre eniire- ment s'il n'ont par dallés les grans contes de ceste
branke car chou est droitement une des brankes
del graal, sans quoi on ne porroit pas bien entendre la moiiene partie de mon livre ne la tierche (11,173).» Ainsi notre auteur, qui se prétend Robert de Boron, dit clairement que la troisième partie de son livre est une Quesie du saint graal. Cette Qiieste était mise par conséquent, comme la continuation de Merlin, sous le nom de Robert de Boron, et nous avons, en dehors de l'induction, des témoignages formels qui nous en attestent l'existence. Ces témoignages se trouvent dans le roman de Tristan. Décrivant une cour tenue par Arthur, l'auteur dit : « Trop i a haute chevalerie et biauté de dames ; tote bontez, tote biau- tez et tote joie est la assemblée a cest point. Lancelos i est et tout li autre chevalier de son lignage, fors que Galaaz tant solement : il n'i estoit encore mie venuz, mais il i vint a si grant désir et en tel manière com mes sire Robers de Borron le devise [apertementj en son livre. Il fetmolt grant parole en son livre de ceste cort, et por ce qu'il en parole assez soufisanment et devise les estranges aventures qui i avindrent et celui jor
LVI INTRODUCTION
meitnes, si com dou perron Merlyn [qui ariva desoz le paies le roi, et com] dou chevalier qui fu ars dou feu par la volenté devine, et com de Tespee qui rendi goûtes de sanc si tost com Gauvains la tint, qui ces aventures dont je vos faz orendroit mencion voldra veoir apertement si prende le livre de mon seignor Robert de Borron, quar il devise totes ces choses apertement, et por ce que il les devise assez soufisan- ment m'en tairai ge, quar anuis seroii de conter une aventure deus foiz, en son livre et en cestui ^ » A deux autres reprises le Tristan attribue expressément à Robert de Boron une Queste du saint graal ^. Il s'agit maintenant de savoir autant que possible ce qu'était cette Queste et dans quel rapport elle était avec le roman que nous possédons sous ce titre.
La Queste du saint graal, que M. Fr. J. Furnivall a imprimée ^ d'après deux manuscrits du British Mu- séum, n'existe aujourd'hui qu'incorporée au Lancelot, où elle s'intercale avant la Mort Arthur, qui forme la dernière partie de ce grand roman. Dans presque
1. Ms. 12599, fo 459 c; de même ms. 757, f» ibô d (nous avons emprunté à ce manuscrit les quelques mots omis dans le premier et restitués entre crochets; il présente, en outre, des variantes de peu d'importance). Le ms. 755 (f» i55 r») offre un texte abrégé.
2. Le premier passage se trouve dans les mss. 12599 (f" 461 dj^ 737 (fo 157 vo), jbb([o iby b) ;\& second dans les mss. 1 2599 (fo 463), 757 (t" 159 ro), 755 (fo 159 a).
3. La Queste du saint Graal in the french prose of (as it is sup- posed) maistres Gauiiers Map, or Waltcr Map. Edited by Frederick J. Furnivall. Printed for the Roxburghe Club. London, 1^64, in-4*.
LA QUÊTE DU SAINT GRAAL LVII
tous les manuscrits elle est attribuée, ainsi que la Mort Arthur, non à Robert de Boron, mais à « maistre Gautier Map », et si quelques manuscrits ne donnent pas ce nom, c'est simplement qu'ils Tont omis. Cepen- dant la Qiteste qui formait la troisième partie de notre roman et qui portait le nom de Robert de Boron res- semblait certainement beaucoup à celle qui porte le nom de Gautier Map. Notre auteur prédit l'aventure qui signalera l'arrivée de Galaad, fils de Lancelot, à la cour d'Arthur (II, 59-60) exactement telle qu'elle est dans la Qiieste du saint graal incorporée au Lance- lot K II annonce, comme nous l'avons vu tout à l'heure, une aventure de la sœur de Perceval qui lui coûta la vie (II, 19), et cette aventure se trouve identiquement dans la même Queste du saint graal *. Il n'est donc pas douteux que, quand il parle de celui qui remplira le « lieu vide » à la Table Ronde (II, 65), il entende, non plus Perceval, comme Robert de Boron 3, mais Galaad, comme l'auteur de la Queste attribuée à Gau- tier Map *.
1. Queste, p. 4 ss. ; Birch-Hirschfeld, Die Sage vont Gral, p. Sy. C'est par une faute qui aurait dû être corrigée que notre ms. porte : « Galaas essaia tout premiers par le los de son oncle •»; il faut corriger u Gavains. » On voit en eflet dans la Queste Arihur enga- ger Gauvain, qui n'avait pas envie de tenter l'épreuve, à essayer de retirer l'épée du bloc de marbre où elle est engagée.
2. Queste, p. 211 ss.; Birch-Hirschfeld, p. 48.
3. Il fait d'ailleurs, comme la Queste, de Perceval un chevalier vierge (I, 160).
4. Nous n'avions pas encore constaté ce fait quand nous avons imprimé la note de la p. 28 du t. II. Il n'y a pas de raison pour
LVIII INTRODUCTION
Mais d'autre part nous rencontrons dans notre texte plusieurs prédictions ou allusions relatives à la troi- sième partie qui ne se retrouvent pas dans la Queste que nous possédons. Perceval, pour notre auteur, est le fils du roi Pellinor ', du « chevalier à la bête glatis- sante » * ; pour le soi-disant Gautier Map, il est le fils du roi Pelleham 3, et ce n'est pas une simple variante graphique, puisque notre texte connaît également ce roi Pelleham et lui attribue un autre rôle ^. Notre roman- cier annonce formellement (voyez ci-dessus, p. \un) que dans sa Queste du saint graal il racontera com- ment Gauvain mit à mort Agloval, frère de Perceval ; or nous ne trouvons rien de pareil dans la Queste ac- tuelle, où Agloval ne figure qu'en passant. Notre ro- man dit que Gauvain, qui essaya le premier de reti- rer du bloc de marbre l'épée réservée à Galaad, en fut aussi le premier blessé, conformément à l'inscription
douter que Malory, ici comme ailleurs, ait reproduit exactement, mais en abrégé, son original.
1 . Dans Robert de Boron, Perceval est fils d'Alain le Gros.
2. Il serait trop long de poursuivre dans tous les romans en prose ce qui se rapporte à cette aventure de la « bcste glatissant », par- tout d'ailleurs assez mal expliquée.
3. Voy. Queste, p. 182; Birch-Hirschfeld, p. 46.
4. Voyez t. Il, p. 28 et ci-dessus, p. lvii, n. a. Le rôle que, d'après ce passage, Pelleham jouait dans la Queste annexée à notre roman, c'est le roi Pelles (le grand-père de Galaad) qui le joue dans la Queste du Lancelot. La manière dont il est blessé (p. 188) est tout autre; mais la façon dont Galaad le guérit (p. 241) est la même. 11 faut no- ter que dans le grand Saint Graal (Hucher, III, 295), comme dans notre roman, c'est Pelleham qui est le « roi mehaignié » que guérit Galaad.
LA QUETE DU SAINT GRAAL LIX
du pommeau de cette épée ^ ; la Queste raconte bien que Gauvain essaya le premier de retirer Tépée et plus tard qu'il en fut blessé ^ ; mais elle ne mentionne pas l'inscription et ne dit nullement que Gauvain ait été le premier que cette épée ait blessé. D'autre part le pas- sage de Tristan que nous avons cité relate, sur la scène de l'arrivée de Galaad à la cour d'Arthur, dans la Queste attribuée à Robert de Boron, des circons- tances que nous ne trouvons pas dans la scène corres- pondante de la Queste attribuée à Gautier Map, bien que d'ailleurs les deux récits se ressemblent de fort près ^. Il est donc probable que la Queste attribuée à Gautier Map est un remaniement d'une Queste plus ancienne, mise sous le nom de Robert de Boron, qu'a connue l'auteur de Tristan, et à laquelle se réfère no- tre roman, dont elle devait former, sinon seule, au moins essentiellement, la troisième partie. On peut trouver encore dans la Queste^ telle que nous l'avons, des vestiges de la forme plus ancienne, reconnaissables à certaines contradictions. Ainsi nous voyons, peu après le début ^, Baudemagus renversé par un cheva-
I. Voyez ci-dessus, p. lvii, n. i. a. QuestCy p. 177-178.
3. Ainsi nous voyons bien dans la Queste actuelle l'histoire du < perron » qui aborda devant le palais d'Arihur et dont Galaad seul put enlever l'épée (aventure prédite en termes identiques dans notre roman, t. II, p. 5q-6o); mais nous ne trouvons pas dans celte Queste le chevalier qui fut brûlé par la volonté divine, ni la men- tion des gouttes de sang qu'aurait rendues l'épée merveilleuse, au moment où Gauvain la saisit (voy. ci-dessus, p. lv).
4. Queste, p. 2b-26.
LX INTRODUCTION
lier blanc qui disparaît ensuite et qui est évidemment un être surnaturel ; ce chevalier semble bien être de l'invention du remanieur de la Queste. On transporte Baudemagus, grièvement blessé, dans une « blanche abeie ». Plus tard ^ Lancelot arrive dans une « blan- che abeie » qui doit être la même, et il y voit une tombe sur laquelle est écrit : « Chi gist li rois Bau- demagus de Gorre, que Gauwains li niés le roi Artu ochist ». Or la Queste ne raconte nulle part un combat de Baudemagus contre Gauvain ; mais notre roman (I, 274) annonce que Gauvain tuera Baude- magus, son meilleur ami ^. Il semble donc bien que la Queste a été remaniée négligemment par un au- teur qui en a retranché le récit du combat de Bau- demagus contre Gauvain, et qui a remplacé dans ce combat Gauvain par un être surnaturel, mais qui en- suite n'a pas pris soin de mettre le dénouement de l'aventure en harmonie avec ce changement. D'au- tres aventures de Gauvain, prédites dans notre ro- man, se trouvaient sans doute dans la Queste qui en formait la dernière partie ^.
1. Qtteste^ p. 23i.
2. Dans le début de la Mort Arthur, intimement relié à la Queste, Gauvain rappelle ce meurtre {Queste, p. 249), et ajoute : « Si ne fis onques chose dont il me pesast autant », ce qui concorde bien avec le passage cité de noire roman.
3. Dans le passage de la Mort Arthur cité à la note précédente, Gauvain reconnaît qu'il a tué dans sa quête du graal dix-huit che- valiers de la cour d'Arthur; cependant le texte que nous avons de la Queste ne lui en fait tuer qu'un, Ivain VAvoutre. Parmi les dix- sept autres, avec Baudemagus, se trouvait sans doute Agloval.
LA QUETE DU SAINT GRAAL LXI
La troisième partie de notre roman était donc es- sentiellement une Queste du saint graal, qui a fort probablement servi de base au roman que nous possé- dons aujourd'hui avec le même titre, et qui, mis sous le nom de Gautier Map, est incorporé au Lancelot, Mais cette troisième partie ne contenait pas unique- ment rtîistoire de la recherche du saint graal par les chevaliers de la Table Ronde et de sa découverte par Galaad, accompagné de Perceval et de Boort. Le ro- man se terminait, comme nous l'avons vu ci-dessus, après la mort de Lancelot et celle du roi Marc ; il est plus que probable qu'il parlait aussi de la trahison de Mordret, de la fin d'Arthur, de celle de Tristan et d'Iseut, et qu'il contenait encore d'autres aventures ^ Comme toute cette matière ne devait pas, d'après la déclaration de l'auteur, dépasser beaucoup la valeur de cent vingt-cinq feuillets, il faut que ces événements n'y fussent racontés que fort brièvement. Sans doute même, pour ce qui touche Arthur et Lancelot, Tris- tan et Marc, le compilateur se bornait à renvoyer aux
I. Le combat de Gauvain contre l'enchanteur Naborn, qui est annoncé (t. II, p. 222) comme devant être raconté plus tard (« si conme cis contes meismes le devisera apertement quant lius et tans en sera t>), pouvait bien se trouver aussi dans cette troisième par- tie. On y voyait Hgurer le fourreau merveilleux dont notre auteur, suivant son usage, a voulu nous faire connaître la provenance (I, 198), mais auquel il n'a su donner qu'un rôle tout à fait insi- gnifiant (I, 267-272; II, 219-222). — Il est probable aussi, d'après le passage (II, 228) cité plus haut (p. ui, n. 3) que l'histoire de la jeunesse de Perceval était racontée ou au moins rappelée au début de la troisième partie.
LXII INTRODUCTION
romans spéciaux qui les concernent, comme nous avons vu qu'il le faisait en divers endroits de son livre.
VI. — L ŒUVRE DU FAUX ROBERT DE BORON
En établissant qu'il existait une Queste du saint graal semblable en beaucoup de points à celle que nous possédons encore, dont l'auteur se donnait le nom de Robert de Boron, et qui formait le noyau de la troisième partie de notre compilation, nous n'avons nullement voulu dire que cette Queste fût du même auteur que la suite de Merlin que nous publions. Voici au contraire comment nous nous représentons les cho- ses : le Perceval de Robert de Boron avait été rem- placé par une Queste du saint graal où le héros pri- vilégié était non plus Perceval, mais Galaad; ce roman était mis sous le nom de Robert de Boron, par une supercherie qui se comprend sans peine, puis- qu'il était destiné à prendre la place du Perceval de Robert. D'autre part le Joseph et le Merlin de Ro- bert, réduits en prose, continuaient à porter son nom. Notre compilateur a fabriqué, avec les éléments que nous avons cherché à reconnaître, sa continuation du Merlin pour rattacher le Joseph et le Merlin à cette Queste, et il s'est donné tout naturellement lui-même pour Robert de Boron, auteur réel des deux premiers.
l'œuvre du faux ROBERT DE BORON LXIII
auteur prétendu du troisième de ces romans. Comme d'autre part il connaissait les romans de Lancelot, de la Mort Arthur^ de Tristan et du Brait Merlin, il a semé son oeuvre d'annonces et d'allusions relatives à leurs récits, et il a complété, par quelques emprunts qu'il leur a faits, la Queste qu'il comptait annexer à sa compilation. Il a divisé son œuvre en trois parties, dont la troisième seule a un commencement et une fin don- nés par le récit lui-même : elle était consacrée presque en entier (voy. I, 254; II, 280) au saint graal, c'est- à-dire à la Queste, sauf des renvois aux autres romans pour la fin des principaux personnages. La longueur de cette troisième partie l'a seule guidé dans la divi- sion en deux parties du reste de son œuvre : pour que les trois parties eussent une dimension égale, il a mis dans la première le Joseph, le Merlin et un fragment de sa continuation coupée à l'endroit voulu, dans la se- conde le reste de sa continuation. Ainsi s'est formée la compilation que nous ne possédons plus telle quelle, et qui a du d'ailleurs, comme nous le verrons, être réduite de bonne heure à une forme à peu de chose près aussi imparfaite que celle où elle nous est par- venue. La troisième partie a été négligée du moment où la Queste qu'elle contenait, remaniée en plusieurs points, a été incorporée au Lancelot. Quant à la se- conde, celle qui nous est arrivée dans le seul manuscrit Huth, elle fut plus tard également délaissée par suite de la concurrence victorieuse que lui fit l'autre conti- nuation du Merlin, celle que nous avons appelée la vulgate.
LXIV INTRODUCTION
Comme nous Tavons déjà dit, nous n'avons pas ici à examiner ce roman, qui est d'ailleurs un des plus connus et des plus facilement accessibles des romans de la Table Ronde en prose ^; nous devons simple- ment remarquer qu'il est absolument indépendant du nôtre, et que les deux continuateurs de Robert de Bo- ron, qui, d'ailleurs, prennent l'un et l'autre son nom, ont travaillé, sans se connaître, chacun de son côté; seulement, tandis que le nôtre a surtout visé à rattacher le Joseph et le Merlin à la Queste, l'auteur de la vulgate a écrit essentiellement une introduction au Lancelot. Ce qui appelle un instant notre attention, ce sont les coïncidences qui se remarquent entre les deux conti- nuations, et qui pourraient faire penser que l'un des auteurs a utilisé l'autre ou que tous deux ont travaillé d'après un même original. Nous croyons qu'il n'en est rien, et que ces coïncidences ont une origine très compréhensible : elles s'expliquent par la nature même du travail des deux continuateurs. Ils s'atta- chent l'un et l'autre à préparer ou à annoncer les événements racontés dans les romans dont ils écrivent l'introduction : il est donc naturel qu'ils se soient rencontrés quelquefois; mais là même où ils le font, leurs récits présentent trop de différences pour qu'on puisse les croire puisés à la même source. Nous avons relevé six de ces rencontres, dont nous allons dire un mot : on remarquera qu'elles portent uniquement sur
I. Outre les anciennes éditions et traductions, on en a une longue et fidèle analyse dans le tome II des Romans de la Tablé Ronde de M. Paulin Paris.
-1
[
l'œuvre du faux ROBERT DE BORON LXV
des faits communs â nos deux continuations et au Lancelot (ou à la Mort Arthur)^ la vulgate conte- nant peu d'allusions à la Queste du saint graal ^, et, si nous ne nous trompons, n'en contenant aucune au Tristan.
La plus frappante de ces coïncidences se pré- sente dès le début des deux romans : c'est This- toire du commerce d'Arthur avec sa sœur et de la procréation de Mordret. Cet épisode était indiqué aux deux auteurs par le fait que Mordret, dans le Lancelot, est présenté comme étant réellement le fils d'Arthur ^; il devait être placé tout au début du récit, pour que Mordret, frère cadet de Gauvain, Agravain, Gaheriet et Guerriès, qui figurent peu après comme chevaliers, ne fût pas séparé de ses frères par une trop grande distance d'âge. D'ailleurs, comme on peut s'en convaincre en lisant le Merlin ordinaire, les cir- constances de l'inceste sont toutes différentes, et l'his- toire de l'exposition des enfants et de ses conséquen- ces manque absolument dans la vulgate ^.
1. Voy. pourtant P. Paris, II, 277.
2. Voy. ci-dessus, p. xli.
3. Voy. P. Paris, t. II, p. io5 et suiv. M. P. Paris, à propos de cette aventure, remarque (p. 108) : a Robert de Boron avait déjà recueilli la même tradition de la conception de Mordret, mais avec des circonstances différentes. Artus, dit-il, l'avait engendré de sa soeur, une nuit qu'il croyait tenir dans ses bras la belle dame d'Irlande; et, quand ils surent la méprise, ils en eurent tous deux un grand repentir. On ne sait, et Boron ne le dit pas, quelle était cette dame d'Irlande. » — Nous ne savons d'où est prise cette cita- lion, ni ce qu'il faut entendre ici par « Robert de Boron »; M. P. Pa-
T. I e
LXVI INTRODUCTION
Dans le A/ifr/iVf ordinaire * comme dans notre texte, douze messagers viennent de la part de Tempereur de Rome réclamer le tribut que doit, dit-il, lui payer la Bretagne. Nous avons vu plus haut que ce trait était emprunté à Gaufrei de Monmouth et se retrouvait dans le Percerai de Robert de Boron. Mais dans notre texte ce défi des Romains n'a pas de suite im- médiate; il ne sert, comme nous l'avons dit, qu'à préparer un épisode du Lancelot, Dans la vulgate, au contraire, toute la guerre d'Arthur contre l'empe- reur de Rome est racontée, plus ou moins d'après Gaufrei de Monmouth, bien qu'un récit fort sembla- ble doive se retrouver dans la Mort d'Arthur.
Le roi Rion joue un rôle dans le Merlin ordinaire comme dans le nôtre; mais ce rôle est beaucoup plus important dans la vulgate que dans notre texte, et il n'y est pas du tout le même. D'abord il ne s'agit pas des barbes royales dont Rion, d'après la tradition conservée dans notre texte, faisait collection : Rion est roi de la Terre aux Géants, géant lui-même; il attaque Léodegan, et c'est en défendant son futur beau-père qu'Arthur le combat en personne et le vainc. Sauf le nom de Rion, tout cela n'a, on le voit, aucun rapport avec le récit de notre texte.
Nous avons vu que dans notre texte la Table Ronde
ris ne lui attribue en général que le Saint Graal et le Merlin pri- mitif, où il n'y a rien de pareil. Nous remarquerons seulement que voilà une troisième manière de raconter la conception de Mordret. Toutes trois ont pour source le passage obscur du Lancelot, I. P. Paris, II, 339.
I
L ŒUVRE DU FAUX ROBERT DE BORON LXVII
instituée par Merlin à Carduel se trouve, sans qu'on sache comment, transportée chez Léodegan, roi de Carmelide, père deGuenièvre. C'est là un fait que no- tre continuateur de Robert de Boron avait trouvé dans le Lancelot ^ et qu'il a admis, sans se préoccuper de le concilier avec le récit de Robert. Nous retrouvons la même contradiction chez l'autre continuateur; seulement il a essayé de la faire disparaître par une explication qui d'ailleurs, comme on l'a remarqué, est assez maladroite ^,
La mention du roi Ban, de sa femme et de leur fils appelé Galaad et surnommé Lancelot était indi- quée dans nos deux romans; mais elle se fait dans chacun d'eux d'une manière tellement différente qu'il n'y a lieu à soupçonner aucun rapport d'imitation ou de provenance commune.
Enfin dans les deux romans l'enchantement de Merlin par Ninienne devait évidemment avoir sa place, et dans les deux le récit qui en est fait se rattache au passage du Lancelot cité plus haut. Mais tandis que notre texte a fidèlement suivi l'indication du Lancelot, en se bornant à l'amplifier, le Merlin ordi- naire nous donne un récit très différent, d'ailleurs beaucoup plus intéressant et d'une vraie valeur poé- tique, qui remonte sans doute à une source particu- lière . La scène se passe ici dans la forêt de Briosque ou de Brocéliande (et non de Damantes), et Ni-
1. Voyez ci-dessus, p. xliii.
2. Voyez P. Paris, t. II, p. 125-127.
LXVIII INTRODUCTION
nienne, au lieu d'enfermer Merlin dans une tombe, Tentoure, par un secret qu'elle a appris de lui, d'une enceinte d'air impénétrable, dont elle sort à sa vo- lonté, mais que Merlin ne franchit plus jamais et qui le cache à tous les yeux. On voit que cette dernière rencontre est encore plus lointaine que les autres ^ Ayant assigné à notre roman la place qui lui re- vient dans révolution des romans en prose de la Table Ronde, il ne nous reste que peu de mots à dire sur la patrie, la date et la valeur de cette composition. Comme tous les romans en prose, le nôtre est de fac- ture purement française : Tauteur ignore l'Angleterre encore plus profondément que ne fait le vrai Robert de Boron; s'il n'est pas, comme le rédacteur du Merlin ordinaire, prodigue de dénominations géographiques fantastiques, il se borne en général à des désignations absolument vagues et ne donne d'autres noms de lieux que ceux qu'il trouve dans Robert de Boron ou le Lancelot, — Le manuscrit unique qui nous a conservé notre texte a, comme nous Tavons dit, des traces nombreuses de dialecte septentrional; il est probable qu'elles ne sont pas toutes imputables au copiste, et que l'auteur appartenait lui-même à la région picarde; toutefois nous n'en avons aucune preuve assurée. — Nous ne pouvons entrer ici dans
I . Mentionnons ici un autre récit de V « enserrement o de Mer- lin qui a également pour point de départ le passage du Lancelot cité plus haut et qui, tout en différant du nôtre, suit aussi très fidèlement l'indication du Lancelot: c'est celui qui est inséré dans les Prophéties de Merlin (éd. Trcpperel, f» lxx-lxxii).
L ŒUVRE DU FAUX ROBERT DE BORON LXIX
l'examen extrêmement compliqué de la date des diffé- rents romans en prose de la Table Ronde ; il nous suffira de dire qu'en plaçant la rédaction de notre compilation vers 1 225 ou i23o nous croyons avoir beaucoup de chances d'approcher de la vérité. — Quant à la valeur littéraire de la partie originale de cette compilation, elle n*a rien de bien remarquable, et nous avons déjà signalé plus haut la faiblesse de certains épisodes. L'histoire de Balaain est ce qu'elle offre de meilleur; le dénouement, qui paraît bien ap- partenir à notre auteur, en est vraiment pathétique. Pour le reste, c'est une suite de contes qui valent à peu près tous les autres du même genre, avec celte infé- riorité que les héros en sont, pour un grand nombre, des personnages qui ne nous intéressent pas, et que les aventures, variantes banales d'aventures mieux racontées ailleurs, nous fatiguent plus que les pre- mières par leur creuse et monotone invraisem- blance. Notre auteur n'avait pas l'imagination féconde et parfois réellement poétique des auteurs de Lancelot et de Tristan, et il ne nous semble même pas pou- voir être mis au même rang que son émule, l'autre faux Robert de Boron, qui a donné au Merlin sa continuation la plus connue. En préférant cette œuvre à celle que nous a conservée le manuscrit Huth, les gens du moyen âge ont en somme jugé comme il est probable qu'on jugerait encore.
LXX INTRODUCTION
VI. — TRADUCTIONS DE LA SUITE DU MERLIN
Malgré son médiocre succès, notre roman n'a pas été aussi délaissé quMl le semble au premier abord. Nous en possédons deux traductions, Tune en anglais, Tautre en espagnol.
La traduction anglaise est considérablement et fort heureusement abrégée. Elle fait partie de la vaste compilation de romans de la Table Ronde rédigée en anglais, en 1470, par un personnage, d'ailleurs in- connu, appelé Sir Thomas Malory, imprimée en 1485 par le célèbre Caxton, et souvent réimprimée depuis ^ Cest à un manuscrit analogue au nôtre que la Morte Darthure (pour prendre le titre, d'ailleurs inexact, que Caxton a donné au livre) a emprunté presque entièrement ses quatre premiers livres. Ma- lory, qui a voulu raconter une histoire complète d'Ar- thur et de la Table Ronde, a laissé de côté le Joseph et la plus grande partie du Merlin de Robert de Boron. Il commence son livre avec les amours d'U- ter Pendragon et d'Igerne, qu'il raconte fort sommai-
I. La plus fidèle (sauf pour quelques pages qui manquaient à l'exemplaire suivi) est celle qu'a donnée Soulhey en 1817. La plus commode à lire, parce que le langage y est discrètement rajeuni, est l'édition donnée chez Macmillan, en 1868, par Sir Edw. Stra- chey. On en annonce une nouvelle pour VEarly English Text Society.
TRADUCTIONS DE LA SUITE DU MERLIN LXXI
rement; il semble même qu'il manque matériellement quelque chose au début de son livre, car on nous pré- sente tout à coup Merlin mettant en œuvre son pou- voir surnaturel, sans que nous sachions qui il était et d'où il tenait ce pouvoir. Les quatre premiers chapi- tres du livre I sont tirés de Robert de Boron ; puis, pour les ch. v-xvi, Malory s'adresse au Merlin ordi- naire. Au ch. XVII, il commence à suivre notre texte *, et, sauf quelques modifications ou additions que nous ne relevons pas, et surtout sauf de fortes abréviations, il ne le quitte pas jusqu'à la fin du livre I. Il le prend au début, et termine son livre I à la p. 21 1 de notre édition, avec l'épisode des enfants exposés. — Le livre II, dont le début est assez singulier et semble un com- mencement de toute Tœuvre, est consacré à l'histoire de Balaain (appelé Balin le Sauvage); il comprend dix-neuf chapitres, et se termine à la p. 60 de notre t. IL — Le livre III, comprenant quinze chapitres, raconte le mariage d'Arthur, le renouvellement de la Table Ronde et la triple aventure de Gauvain, Tor et Pellinor; il correspond à ce qui, dans notre t. II, va de la p. 60 à la p. ïSq environ; mais la fin est très abrégée d'une part et de l'autre contient quel- ques traits qui manquent dans notre manuscrit. — Le livre IV, divisé en 28 chapitres, comprend toute la fin du ms. Huth, et en plus, comme nous l'avons remarqué ci-dessus, p. xlix, n. 2, le dénouement de
I. Déjà dans le ch. xvi, il y a un mélange de noire texte-, mais nous nous bornons à des indications sommaires, laissant le soin d'une comparaison minutieuse au futur éditeur de Malory.
LXXIl INTRODUCTION
la triple aventure d'Ivain, Gauvain et le Morhout. — Avec le livre V, Malory reprend le Merlin ordinaire, et au livre VI, il est en plein dans le Lancelot, dont toute la première partie paraît lui avoir manqué.
Le rédacteur de la Morte Darthure ne semble pas avoir eu sous les yeux la troisième partie de notre compilation : on ne voit nulle part dans son livre le meurtre de Pellinor et d'Agloval par Gauvain, ni d'autres événements annoncés comme devant être racontés dans la partie manquante du texte ou dans la Queste du saint graal incorporée à cette compilation, et qui ne se retrouvent plus aujourd'hui nulle part. Comme nous l'avons déjà dit, la Queste remaniée et annexée au Lancelot ^ fit disparaître la Queste plus ancienne, mise sous le nom de Robert de Boron, qui formait la troisième partie de notre roman.
L'ancienne traduction espagnole, toute incomplète qu'elle est, a pour nous plus d'intérêt que la version anglaise. Elle a été imprimée à Burgos en 1498. On n'en signale aujourd'hui qu'un exemplaire, qui fait partie de la bibliothèque de M. le marquis de Pidal, à Madrid 2. Mais le roman espagnol n'est pas une
1. C'est cette Qiieste remaniée qui a été suivie par Malory dans les livres XIII-XVIE de sa compilation.
2. Voy. D. Pascual de Gayangos, Libros de Cabaîlerïas (Madrid, 1857). p. Lxin. Cependant Fr. Mendez dans sa Typographia espa- hola (tomo I, Madrid, 1796, p. 285) dit avoir vu le livre entre les mains d'un libraire, qui le vendit à la Bibliothèque royale où Mendez le revit. On l'y a recherché sans succès. A la p. x, n. 7, de son Discurso preliminar, M. de Gayangos cite, sous un titre
TRADUCTIONS DE LA SUITE DU MERLIN LXXIII
simple traduction de celui que nous publions. Le ti- tre qu'il porte : El Baladro del sabio Merlin, c'est- à-dire exactement : Le Brait du sage Merlin i, pourrait même faire croire qu'il contient, non pas ce roman, mais le Conte du brait d'Hélie. Ce n'est toutefois vrai qu'en partie, comme le feront voir les détails que nous allons donner sur ce livre si peu connu. Nous les devons à Tobligeance du savant his- torien et littérateur M. Menéndez Pelayo, qui, grâce à Tamicale entremise de M. Alfred Morel-Fatio, a bien voulu les relever sur l'exemplaire de M. le mar- quis de Pidal, que celui-ci a mis libéralement à sa disposition. Nous regrettons de n'avoir pu examiner plus complètement ce volume; l'importance réelle qu'il offre pour l'histoire littéraire en justifierait assu- rément une réimpression.
Nous donnons à Tappendice la bizarre introduction et le prologue par lesquels le livre s'ouvre. L'introduc- tion paraît faite après coup et de pure fantaisie ; l'au- teur a emprunté au Saint Graal le nom d'Évalac (Ebalato), le possesseur de l'écu de Joseph d'Arima-
qu'il ne porte pas, le dernier chapitre de notre roman et lui donne le chiffre invraisemblable cccxxxix; mais il résume ce qui y est dit du dernier cri poussé par Merlin : c'est ce qui nous a indiqué l'intérêt que le roman espagnol devait avoir pour la présente étude. I. Le mot baladro est assez peu usité en ancien espagnol et a disparu de la langue moderne; c'est le substantif verbal de bala- drar, a crier très fort ». Diez voit dans baladrar une altération de balitare, < bêler », influencé peut-être par latrare. Nous serions peut-être plus portés à le rattacher à blaterare; cf. baladrone, « criailleur, fanfaron », et le latin blatero.
LXXIV INTRODUCTION
thie \ mais nous ne savons où il a pris le reste de son histoire. Le prologue, au contraire, est du traduc- teur ; il Toffre à un roi espagnol ^ qu'il n'est pas fa- cile d'identifier : nous ne connaissons pas, en effet, d'expédition du duc de Berri (il ne peut s'agir que de Jean, 1 360-141 6) en Espagne à laquelle puisse s'ap- pliquer ce que dit l'auteur. Mais cette description des horreurs d'une guerre, avec le trait classique de la mère qui dévore son enfant, a quelque chose de sus- pect ; on se demande si on a bien affaire au souvenir d'événements réels. Quoi qu'il en soit, le Uvre espa- gnol, imprimé à la fin du xv^ siècle, paraît appartenir au commencement de ce siècle. La table des chapi- tres, que nous imprimons en appendice, nous permet de nous faire une idée du contenu. Les dix-neuf^ pre- miers chapitres comprennent exactement le Merlin de Robert de Boron. A partir de là, les titres des chapitres sont à la fois tellement brefs et tellement peu précis qu'on pourrait hésiter sur ce qu'ils désignent. Cependant il n'est guère douteux que les ch. xx-xxiii (xix-xxii) n'aient compris tout ce qui, dans notre texte,
1. Voyez Hucher, Le Saini-Graal, t. II, p. 214.
2. C'est bien certainement le traducteur qui parle dans ce prolo- gue; la conjecture de Mendez, d'après laquelle il s'agirait de Char- les VII de France, à cause du rôle joué dans les guerres civiles de France par le duc de Berri, est donc inacceptable.
3. L'imprimeur a sauté les numéros des chap. x et xxxix, en sorte que le dernier chapitre, qui est en réalité le quarantième, comme l'indique le litre de la table, porte le n» xxxviii. Nous donnons dans ce qui suit aux chapitres leur numéro d'ordre réel, en mettant en- tre parenthèses celui de la table.
TRADUCTIONS DE LA SUITE DU MERLIN LXXV
va de la p. 147 à la p. 2i3 du tome premier ^ Les ch. xxiv-xxvii (xxiii-xxvi) semblent ne mener le récit que jusqu'à la page 264 du même tome; mais il est probable qu'ils contiennent aussi la fin de l'histoire du chevalier aux deux épées, et vont jusqu'à la p. 60 de notre t. II, ou même jusqu'à la p. 75, englobant ainsi le mariage d'Arthur et Fadoubement de Tor et deGauvain. Mais les chap. xxviii-xxx (xxvii-xxix) con- tiennent des récits qui ne se trouvent ni dans notre manuscrit ni dans l'abrégé anglais de Malory. Comme Baudemagus y joue le rôle principal, il est probable que ces récits sont empruntés au Conte du brait (voy. ci-dessus, p. xxix),que nous allons retrouver plus tard. La triple aventure de Gauvain, Tor et Pellinor et de la demoiselle chasseresse (t. II, p. 76-140) forme le sujet des chap. xxxi-xxxv (xxx-xxiv). Les chap. xxxvi- xxxvjii (xxxv-xxxvii) racontent le départ de Merlin et de Ninienne, la bataille d'Arthur contre les cinq rois, et, sans doute, Venserremeni de Merlin (t. II, p. 140- 173, 191 -198); rien n'indique que le traducteur espa- gnol ait admis l'épisode du combat d'Arthur contre Accalon (p. 168, 176-191, 198-228, 248-254), non plus que la triple aventure de Gauvain, Ivain et le Morhout (p. 229-248). En revanche, et c'est là ce que le roman espagnol présente de plus intéressant, il pa- raît certain que les deux derniers chapitres contiennent la traduction de l'épisode capital du Conte du brait, qui n'existe plus en français.
2. Le mariage de Morgue, annonc^î dans la rubrique du ch. x\iii (xxii), esi brièvement rapporte à la p. 201 de notre t. l.
LXXVI INTRODUCTION
On lit dans le roman que nous éditons (t. 1 1 , p. 172) que Baudemagus, dépité de voir Tor, plus jeune que lui, être avant lui de la Table Ronde, quitta la cour d'Arthur en jurant de n'y pas revenir avant d'avoir accompli de grandes prouesses et vaincu un compa- gnon de la Table Ronde. « Mais, ajoute le faux Ro- bert de Boron, de chose ne d'aventure qui li avenist en toute la voie ne parole mes livres, car mes sires Helyes mes compains a empris sa matière a recorder chi et a translater encontre celle partie pour un poi
alegier de ma painne Et sachent tout cil qui l'ys-
toire dou saint graal voelent oir et escouter qu'il n'a- vront ja le livre entirement s'il n'ont par dalés les grans contes de ceste branke, la plus delitable a escouter qui soit en tout le livre ; car sans faille au tans le roi Artu ne repaira nus rois a court si sages ne si deboi- naires ne si courtois comme fu Baudemagus puis qu'il fu couronnés del roiame de Gorre. Et devant chou qu'il venist a terre tenir fist il tant d'armes, com on trueve en la vraie ystoire, que bien en doivent tout boin homme oir le conte, et si feront il, che sai ge bien, car mes sires Helyes en a commenchié l'ystoire a translater, et si di ge malement l'ystoire, mais la branke, car chou est droitement une des brankes del graal. » Or le chap. xxxix (sans n*) du Baladro a pour titre : Como Baudemagus salià de la corte del rey Arthur muy despechado por que no le habian fecho caballero de la Tabla Redonda, é al rey é a los gran- des les peso; il racontait sûrement une partie de ces prouesses de Baudemagus que le faux Robert s'excuse
TRADUCTIONS DE LA SUITE DU MERLIN LXXVII
de ne pas rapporter parce qu'elles sont racontées par son ami Hélie. Plus loin, — et c'est le passage capital, — le faux Robert, après avoir narré l'enchantement de Merlin, enfermé tout vivant dans une tombe par sa perfide amie, ajoute ces mots (t. II, p. 197), que nous avons déjà cités en partie : « Si joint si et seele la lame au sarcu et par conjuremens et par force de paroles qu'il ne fu puis nus qui la peust remuer ne ouvrir ne veoir Merlin ne mort ne vif.... Ne il ne fu puis nus qui Merlin oist 'parler, se ne tu Baudemagus, qui i vint quatre jours après chou que Merlins i avoit esté mis, et a chelui point vivoit encore Merlins, qui parla a lui la ou Baudemagus s'assaoit a la lame lever, car il voloit savoir qui c'estoit qui en la tombe se plaignoit si durement. Et lors li dist Merlins : « Baudemagus, « ne te travaille a ceste lame lever, car tu ne hom ne « la lèvera Car je sui si fort enserrés et par paro- le les et par conjuremens que nus ne m'en porroit os- « ter fors celé meesme qui m'i mist. » De ceste aven- ture que je vous devise chi ne parole pas chis livres, pour chou que li contes del brait le devise apertement. Et saichiés que li brais dont maistre Helies fait son livre fu li daerrains brais que Merlins gieta en la fosse ou il estoit, del grant duel qu'il ot quant il aperchut toutes voies qu'il estoit livrés a mort par engien de feme et que sens de feme a le sien sens contrebatu. Et del brait dont je vous parole fu la vois oie par tout le roiaume de Logres si grans et si Ions comme il estoit, et en avinrent moût de mierveilles si comme la branke [del brait] le devise mot a mot. Mais en cest
LXXVni INTRODUCTION
livre n'en parlerons nous pas, pour chou qu'il le devise la. »
Le chapitre final du roman espagnol * contient précisément ce qui est annoncé ici comme se trouvant dans le Conte du brait. Nous n'en connaissons que la fin. Dans la première partie on raconte certai- nement comment Baudemagus, après diverses aven- tures 2, arrive, avec une demoiselle qu'il avait enlevée au Morhourn d'Irlande, dans la forêt de Datantes, entend les plaintes de Merlin dans son tombeau, quitte sa compagne pour aller à l'endroit d'où viennent ces plaintes, essaie de soulever la lame, et reçoit de Mer- lin Tavis de renoncer à cette vaine tentative. Le mor- ceau qui termine le chapitre, et que nous imprimons en appendice, nous décrit ce fameux brait que Mer- lin poussa en mourant, et quelques-unes des merveil- les qui l'accompagnèrent ^. Il n'est pas douteux que
1. Il doit avoir le n* xl; dans la table et dans le livre même il porte le n» xxxviii (voy. ci-dessous à V Appendice); mais il est sin- gulier qu il n'ait pas le même titre dans la table et dans le texte ; le titre du texte semble faire commencer le chapitre plus loin que ce- lui de la table.
2. Ce chapitre est fort long; il comprend plus de cinq feuillets pleins.
3. Parmi ces merveilles, il faut noter l'extinction des « candelas que él fizo arder siempre de luengo tiempo sobre los très reys que matô el rey Artur cuando venciô al hermano del rey Rion ». 11 faut Xwtirece au lieu de très; cela se rapporte à un passage de notre roman (I, 264) où Merlin annonce, en effet, que les cierges merveil- leux qu'il a mis aux mains des statues des treize rois vaincus s'é- teindront le jour de sa mort. Est-ce le faux Robert qui a fait cette annonce d'après une indication du Conte du brait? Est-ce, au con-
TRADUCTIONS DE LA SUITE DU MERLIN LXXIX
le traducteur espagnol n'ait emprunté ce chapitre et le précédent au Conte du brait ^ auquel, comme on Ta TU, il devait sans doute déjà les chap. xxviii-xxx de son livre. Il nous a ainsi conservé en partie l'œuvre d'Hélie, perdue en français.
Ilestprobable que ce traducteur a trouvé que la mort de Merlin faisait la fin naturelle du livre com- mencé à la naissance de ce personnage, et qu'il a volontairement laissé de côté toute la fin de notre ro- man ainsi que celle du Conte du brait; nous ne pouvons donc savoir jusqu'où allait le manuscrit de notre ro- man qu'il a suivi dans la plus grande partie de sa compilation. Le titre le plus naturel de cette compila- tion aurait été Merlin; il a préféré celui de Baladro de Merlin^ reproduction du titre d'un des livres qui lui en avaient fourni les éléments ; en mentionnant ce titre, il ajoute que ce roman sera volontiers entendu de beaucoup de gens, et en particulier des bons cheva- liers : il ne fait que répéter l'éloge qu'Hélie adres- sait à son oeuvre et qu'a reproduit le faux Ro- bert en disant (voyez ci-dessus, p. lxxvi) que « bien en doivent tout boin homme oir le conte » .
traire, le traducteur espagnol qui, se rappelant l'annonce, en a ajouté ici la réalisation^ Il est impossible de le savoir; mais la première hypothèse nous paraît la plus plausible.
LXXX INTRODUCTION
L'intérêt de l'ouvrage que nous publions consiste surtout dans les renseignements qu'il apporte sur rhistoire encore si obscure de la composition et des rapports des romans arthuriens en prose ; aussi est-ce sur ce sujet que nous avons cru devoir insister par- ticulièrement dans cette préface. Nous avons dit plus haut quelle nous semblait être la valeur littéraire du Merlin du faux Robert de Boron. L'intérêt linguis- tique de Touvrage est assez faible; nous ne nous sommes attachés dans le Vocabulaire qu'à relever les mots qui méritaient, à un titre quelconque, d'appeler l'attention.
Il nous reste à remercier encore de sa libéralité le possesseur du précieux manuscrit que nous avons reproduit, et à lui demander pardon, ainsi qu'au pu- blic, des retards trop longs apportés à la publication qu'il avait bien voulu nous autoriser à faire.
Gaston PARIS.
Paris, 14 juillet 1887.
APPENDICE
EL BALADRO DEL | SABIO MERLIN CON | SUS PROFECIAS
Ce titre remplit le recto du folio I ; le verso est blanc.
F. II. Recuenta el auctor la présente obra.
En tierra de Inglatterra uvo grandes conquistas é ba- tallas por que havia muchos grandes senores. E, demas de haver debates sobre las tierras [é] regnos, les havian por lener las creencias diferentes : que unos eran moros é otros ydolatres é otros cristianos. E entre todos estos grandes havia dos reyes, que muchas lides é batallas mas que los otros ovieron en uno, los quales havian nom- bre, el uno Ebalato e el otro Meridiantes, e eran tan ve- zinos que las tierras e terminos confinaban, las del uno con las del otro ; y â esta causa havian muy a menudo, comoarriba es dicho, grandes debates e quistiones. Entre las quales ovieron una grand batalla. E este Balato (sic) hcra en la sazon ydolatre, é no creya firmemente en la fee catholica. E en esta batalla que con Meridiantes uvo andava muy desvaratado, que en poco estubo de se per- der, él é los suyos, e traya el Balato (sic) un escudo que fuedeJosep Abarimatia,que conquirio en aquella tierra mucha gente e mucho ensalçô la cristiandad. E Ebalato T. I. f
LXXXII APPENDICE
andando asi en la batalla miro que su escudo, aunque avia en él rescebido muchos golpes, no le havian fecho scniimiento de qucbradura, antes corria sangre muy viva. E como él savia cuyo el escudo oviese seydo, que era grand amigo de Dios, é que su fecho no llebava remedio, criô ser muerto 6 desvaratado, pero puso en su voluntad que si Dios de aquella afruenta le escapava que se torneria cristiano é rcscibiria agua de baptismo. E en aquel instante con esta devocion tan crescida volviô contra su gente e acabdiliôla, que toda andava desba- ratada, é esforçôla con mucha animosidad é constancia. E volvieron tan osadamente contra Meridiantes é su hueste que en poco espacio los desvarataron é los echa- ron del campo, en que ganô Ebaiato mucha onrra e grandes tesoros. E prospero tornôse a su tierra, asî fizose baptizar muy secretamente por temor que de sus subditos havia, que si lo supiesen le matarian 6 se le alçarian con la tierra. E asi secreto viviô, teniendo la fee muy recta algunos tiempos. E fue ventura que de parte de algunos sus privados fue sabido por toda la tierra, é venieron sobre él é le prendieron é pusieron en hondas e grandes carceles por que muriese. E desto ovieron muy grand sentimiento su muger é los de su casa que cristianos eran. En especial ténia mucho sen- timiento de su prision un su maestresala que havia nombre Jaquemin y le amava en grand manera, é buscaba todas las vias é maneras que podia para le aconsolar e darle alguna recreacion en que pasase parte de las pe- nas e prisiones. E era este Ebaiato ombre que mucha parte del tiempo se exercitaba en leer escripturas assi contemplativase de la sagrada yglesiacomo cavallerosas que al militar oficio tocavan. E como este su maestre- sala esto sabia, é era assi mesmo ombre que muchas escripturas trasiornaba e leya, entre muchas que visto havia, paresciôle que un libro de Merlin era escriptura para exercicio e pasar tiempo, é acordôdele embiar ésu
APPENDICE LXXXllI
senor despues de otros que embiado le avia. Comicnçu decir con él hablando.
F. II v°. Comiença el prologo.
Principe serenissimo, sacro rey e senor muy pode- roso, la brevedad é fragelidad desta vida muy travajada e dolorosa, é la constancia de la inconstancia é variedad de fortuna, la mutacion asi mesmo de la voluntad é del pensamiento humano son las causas por que yo no he hecho en este comienço el prologo devido â vuestra exce- lencia. Dicho es del philosopho, serenissimo principe, que todos los subditos naturalmente â sus senores servir desean. E como deseoso me hallase de la tal disposicion, vino â mi memoria, entre otros libros que pasadohe, un libre del sabio Merlin, é paresciôme que para exercicio de vuestra majestad séria bien transferirle en otra lengua que le he leydo, para que entender se pueda, como quiera que vuestra excelencia tenga é aya visto famosa libreria de muchos é diversos libros asi catholicos como del mili- tar officio. Acostumbaron los antiguos, muy esclarescido senor, en los combitos e cotidianos yantares, despues de las principales viandas, traer fructas de diversas ma- neras, ca no entendian que la mesa hera sufficientemente servida si ella se proveya tan solamente de los necessa- rios manjares del cuerpo, si no se satisffazia tanbien àal- gunos deleytes que la gula pedia, aun que al estomago necessarios ni complideros no fuessen. E pues en el man- tenimiento corporal ay principales viandas, e otras no tanto, como son fructas, assi en las escripturas catholicas é caballerosas ay différencia. Esto digo, muy esclarescido senor, por que este tractado de Merlin, cotejado con los que vuestro claro ingenio aya visto, assi de la doclrina catholica como en otras sciencias, levantados los man- teles de las otras doctrinas, leeres por fructa este, para re- creacion de vuestro exercicio é condicion cavallerosa. Con gravcza grande, muy esclarescido senor, corre la
LXXXIV APPENDICE
pendola â escrevir los boUicios de vuestros reynos, como quiera que mi dezir en esto parezca superfluo por re- duzir lo à su memoria. Ocuriôme, entre otros muchos infortunios que vuestra excelencia pasado ha, uno que poco tiempo ha que padecistes con los del duque de Berri, que visles à. vuestros subditos sufrir infinitas mi- serias en tante grade que ne dubdavames de cerner diez mill desventuras é la carne de los ombres que raataban nuestros enemigos, é no obstante que viesen morir de fambre sus fijos é debdos, una rauger hambrentada co- miese de un fijo que le mataron, é de aquel hiziese parte ha être hije que ténia, é êtres infortunios increybles que alli se padescieron como vuestra excelencialosabe. E mi opinion es que no ha sido en estes tiempos rey ni prin- cipe ni senor que con tante anime oviese sefrido los infortunios nombrados; c pues en este infortunio que agora teneys el eterno Dios ordena vuestros négocies, de créer es que ninguno los pueda alterar. Concluyendo, esclarescido sehor, reciba vuestra excelencia el ofrescido présente deste su criado : pues de présente en al servir no puedo â la criança recebida, ocurriôme fazer lo que la buena muger fizo que ofreciô un solo dinero que ténia, que fue â Dios grata oferta; ca estimo mas délia la per- fetae devota voluntad que la grandeza de las otras ofer- tas de los ricos fechas con ambicion é vana gloria. Humil- mente suplicando â vuestra serenidad que dar quiera lo- gar en la mener parte del sene de su real e virtuosacon- dicion liumana al atrevimiento que mi sudeza de ingénie ha avide é ha ver podra en el suseguir de la présente obra.
F. III. Comienca la obra.
Serenissime principe é sehor muy poderoso, vues- tra excelencia ya en muchas partes é escripturas habra viste é leydo como aquel muy alto rey de los reyes é seûer uni versai sobre todos, Jesu nuestro Salvador, baxé a los intiernes
APPENDICE LXXXV
Le dernier chapitre commence au fol. G. En voici le titre et les premiers mots :
Cap. xxxviii. De como Baudemagus iva con la doncella que tomô d Morlot, é con un su escudero. Despues que Baudemagus tomô su doncella que no respondiô â Morlot a ninguna cosa de lo que le decia
Voici la fin» où est racontée le brait de Merlin, et qui termine le livre même, au fol. CV.
Un poco despues de hora de nona dio Merlin un grand baladro é un gemido tan espantoso que Baude- magus huvo grand miedo. E â cabo de una pieza fable no en voz de hombre mas de diablo, e dixo : * Ay ! mala criatura, é vil é fea é espantosa de ver é de oyr, mal aventurado de mal fazer, que ya fuiste flor de beldad é ya fuiste en la bendita silla en la gloria celestial con todo bien complido, criatura maldita é de mala parte, desconoscida é soberbia, que por tu orguUo quesiste ser en lugar de Dios, é por ende fuiste derribado con tu mezquina é cativa compana, é tirôte del lugar de alegria é plazer por tu culpa, e metiote en tiniebra é en cuyta, que te non fallescerâ en ningund tiempo, é esto bas tu por tu gran soberbia ! »
E quando Baudemagus esto oyô. fué
tan espantado que no supo que fiziese, é signôse muchas veces de las grandes maravillas que oia, e dixo entre si : € Desde hoy mâs me quiero ir de aqui. » E luego tornô de otro acuerdo é dixo : « Por cierto no lo faré, antes quiero esperar de que manera finarâ Merlin. » E él asi estando antel monumento, vino un gran trueno é pedrisco é tan grand so[n]ydo espantoso é tan grand es- curidad, que no viô ni punto mâs que si fuese noche cscura, aunque era un poco ante de nona. E oyô en la casa vuclta é alborozo tan grande como si estoviesen
LXXXVl APPENDICE
allî mil hombres, é que dièse cada uno las mayores vozes que pudiese, é havia entre ellas muchas vozes feas é espantosas, de las quales Baudemagus huvo grand miedo, que no se pudo tener en los pies, é paresciôle que le fallescia el corazon, é que toda la fuerza del cuerpo le menguaba, é cayô atordido en tierra, é muy sin virtud, ^ue creyô luego ser muerto, tanto huvo grand miedo. É él asi yaziendo en tierra, oyo un baladro tan grande como si mil hombres diesen vozes todos â una, é entre todas havia una voz tan grande que sonaba so- bre todas las otras, é parecia que lloraba al cielo, é decia aquella voz : « Ay ! cati vo, por que nasci, pues mi fin con tan gran dolorla hé? Di, mezquino Merlin, ré (^^/c^) donde vas â te perder? Ay ! que pérdida tan dolorosa ! » Estas palabras é otras muy sentibles dixo. E sobre esto Mer- lin callô é muriô, con un muy doloroso baladro, que fué en tan alta voz que, segun lo escribe el autor é otros muchos que desto fablaron, este baladro que entônces dio Merlin fué oydo sobre todas las otras voces, que sono â dos jornadas â todas partes. E hoy dîa estân ahî los padrones que los hombres buenos de aquel tiempo fizieron poner, é estân ahî porque sea sabido por dô fué la voz oyda é fasta dô llegô el sonido dtlla. E las can- delas que él fizo arder siempre de luengo tiempo sobre los très reys que matô el rey Artur cuando venciô al hermano del rey Rion fueron luego muertas, é otras muchas cosas acaescieron aquel dia que Merlin muriô, que las tovieron por maravilla. Por esto lo llaman el Baladro de Merlin en romance, el quai sera de grado oydo de muchas gentes, en especial de aquéllos caba- lleros que nunca fizieron villania, sino proezas é grandes bondades de caballeria, é cosas extraflas que fizieron los caballeros de la Tabla Redonda : desto dâ cuenta por extenso la historia del Santo Greal. Baudemagus esiuvo asi atordecido del espanto que huvo en oyr el baladro de Merlin, é tanto estuvo atordecido como uno pudiera
APPENDICE LXXXVII
andar una jornada. E desque en su acuerdo torno, viô tanta multitud de diablos que le paresciô que tota la tierra cobrian, é salio de alli con grant espanto é con mucho dolor por que no pudo remediar en cosa la muerie de Merlin, é assî como hombre el mas de los tristes fué a dô habia dexado su donzeila, la quai des- que le viô fué muy atribulada, porque le viô tan desfi- gurado, que a gran pena le conocia, é preguntôle con infinitos ruegos que le dixesse de que venia assî desfi- gurado é dô habia estado tanto tiempo. Baudemagus vistos los congoxosos ruegos que su donzeila le fazia se esforzô a fablar, que tal venia que con toda pena podia ser entendido lo que decia, é lo mejor que pudo contô punto por punto â la doncella lodo lo que habia visto é oydo. La donzeila se maravijlô de oyr las cosas que Baudemagus dezia, é rogôle queluego se fuesen de allî, Lo quai Baudemagus fizo, é fuesse por la montana a ver si podria fallar a Morlot ô a Meliadus el arreciado para acabarsu ventura como Merlin le habia consejado, é tanto anduvo que fallô a Morlot, é fizo con él su amistad, é enviaron la doncella honorablemente â su tierra. E fueron buscar a Meliadus, é â poco trecho le toparon, é Morlot quiso la primera batalla, é abaxaron sus lanzas, é de todo su poder se encontraron, é Mor- lot pasô a Meliadus la lanza por los pechos fasta la cira parte, é cayô muerto en tierra, é Baudemagus que lo viô pesôle, como quiera que asi ge lo habia dicho Mer- lin que habia de ser, segun arriba es dicho. Asi acabô Baudemagus su aventura, é partiéronse Morlot y el muy conformes, cada uno por su camino, Morlot a Ir- landa, Baudemagus a la côite del rey Ariur, é contô lo que habia visto, é la muerte de Merlin tan dolorosa que no le pudo poncr remedio, de lo cual todos los de la corie fizieron grand seniimicnto, en especial cl rey Artur que perdia en el grand pcrdida, é todo el reyno de Lon- dres asi mesmo, e fué tan llanteado por tantas partes
LXXXVIII APPENDICE
que nunca ningun principe ni senor tanto lo fué en el rcyno de Londres ni en otras provincias, é quedaron los caballeros de la Tabla alli por algunos dias que no fizieron caballerias ni cosa que de contar sea. Asi pasô la mucrte de Merlin, como arriba es dicho, é con mayor scntimienio que aqui escribir se puede; pero quien quiera puede coiegir por via de razon, un hombre que tanto servia al rey é reino, cuânta razon havian de llorarle todos. Ansi faze aqui fin el présente tratado, muyilustre senor, poniendo silencio a la pluma, supli- cando a vuestra real excelencia quiera recebirla présente copilacion, no por profano servicio mas con toda retitud é deseo de serviros fecha. E si en algo de lo por mî cscripto algund defeto se fallare, lo que non dubdo, muy esclarescido senor, à vuestra real majestad suplico lo mande corregir é emendar, que yo no de mio este libro copilé, mas transferile de una lengua en otra, por que me parescia a este vuestro propôsito 6 prission algo fa- zer, humilmente suplicando cuando vuestra serenidad quiera dar logar a mi tan pequeflo servicio en la menor parte de su real é virtuosa condicion humana.
Explicit liber. — Fué impressa la présente obra en la muy noble é mas leai cibdad de Burgos, cabeza de Cas- tilla, por Juan de Burgos. A diez dias del mes de Febrero del ano de nuestra salvacion de mil é quatrocientos é noventa é ocho anos.
Après cet explicit se trouve la table des chapitres.
Comiença la tabla del présente libro intitulado el Ba- ladro de Merlin, que trata desde su nacimiento fasta que muriô, en que hay cuarenta capitulos.
Capîtulo I. En que trata comos el diablo trabajô por engaftar las très doncellas hermanas fijas de su abuelo de Merlin.
Cap. II. Como una vieja se trabajô con toda diligencia de engaùar â una de las très hermanas.
APPENDICE LXXXIX
Cap. iii. Corao la mayor de las très hermanas donçellas filé à haber consejo con el ermitano Blayseu cômo se podria del diabloguardar.
Cap. IV. Como ios juezes mandaron que la madré de Merlin fuese melida en una torre, acompanada con dos mugeres fasta que pariese.
Cap. V. Como Ios juezes mandaron a la madré de Merlin que se retruxiesse a una câmara por fablar en su deliberacion.
Cap. VI. Como Blayseu por consejo de Merlin escribiô su libro é fechos.
Cap. vn. Como Ios maestros de Uterentraron en con- sejo para fablar en la edificaciôn de la torre.
Cap. VIII. Como Merlin é Ios mensajeros vinieron fa- blar con el rey.
Cap. IX. Como Merlin é el rey Berenguer é Ios de su corte se juntaron para oyr que synificaba lo de Ios dra- gones.
Cap. {sans numéro). Como Merlin dixo al rey Beren- guer ciertas profecias.
Cap. X. Como viniero Padragon é Uter su hijo (sic) con muchas fustas a tomar a Berenguer su reyno.
Cap. XI. Como el rey Uter é sus gentessalieron por las montaôas a buscar a Merlin.
Cap. xu. Como Merlin en hâbito de ermitano vino a Uter con unas cartas de su amiga.
Cap. XIII. Como el rey Uter é Merlin fueron a una ab- badia a ver un rico hombre que se tingia ser dolientc.
Cap. XIV. Como Padragon y Uter se combatieron con les Sansones é Ios desbarataron.
Cap. XV. Como Merlin vino a Ios onze di'as de Pcnte- coste, é el rey le saliô à recebir.
Cap. XVI. Como el rey moviô con su hueste para ir sobre el duque de Tintagucl.
Cap. XVII. Como el rey Ulcr Padragon adolecio é mû- rie.
XC APPENDICE
Cip. xviii. Como todos los perlados é caballeros del rcyno de Londres vinieron â la coronacion del rey Ar- tur.
Cap. XIX. Como el rey Artur durmiô con su hermana por que la non conociô.
Cap. XX. Como el rey Artur é Merlin fablaron como séria conocido por hijo del rey Uter Padragon.
Cap. xxr. Como se combatieron el caballero del ten- dejon e Giflete.
Cap. xxii. Como el rey Aurian pidiô al rey Artur por mujer â su hermana Morgayna, y èl ge la acetô.
Cap. xxiir. Como vino un caballero â la coite del rey Artur, é en presencia suya matô una doncella.
Cap. XXIV. Como Merlin dixo â los dos ricos hombres Baalin e Baalam dô estaba el rey Rion é su hueste.
Cap. XXV. Como Nero é sus gentes vinieron â la batalla con el rey Artur e fué vencido Nero e sus gentes.
Cap. XXVI. Como el rey Artur fizo enterrar al rey Lot.
Cap. XXVII. Como la muger de Ebron é su fija vinieron à pedir al rey Artur le fiziese merced de las tierras de su marido.
Cap. xxviii. Como Baudemagus se combatiô con su primo Anchises.
Cap. xxix. Como Morlot llevô de las tiendas una doncella.
Cap. XXX. Como Gai van é su hermano salieron de la corte del rey Artur, é llegaron â una praderia.
Cap. XXXI. De la pena que mandé dar la reyna Gine- bra é sus damas â Galvan por la muerte de una doncella.
Cap. xxxii. Como se combatiô Tor con el caballero que levé el sagueso.
Cap. xxxiii. Como Merlin fizo conocer en la corte quien era el padre é madré de Tor.
Cap. XXXIV. Como el rey Artur preguntô â Merlin quien era la donzella de quien el rey Pelinor traya la cabeza.
APPENDICE
XQI
Cap. XXXV. Como Merlin é la doncella del lago se partieron de la corte para ir a casa de su padre.
Cap. XXXVI. Como Merlin é la doncella del lago par- tieron para la pequena Bretana.
Cap. xxxvn. Como el rey Artur fizo batalla con los cinco reyes, é los venciô é matô a sus gentes.
Cap. (sans numéro). Como Baudemagus saliô de la corte del rey Arthur muy despechado por que no le ha- bian fecho caballero de la Taba redonda, é al rey é a los grandes les peso.
Cap. xxxvHi. Como Baudemagus tomô a Morlot de Irlanda una doncella.
Finis tabulae.
MERLIN
Jcsus-Christ
Hi endroit dist li contes que moult fu iriés ane- Les diables mis quant nostre sires ot esté en infer, et il tiennent conseil en ot jeté Adan et Evain et des autres tant 'P'^' 1"^°;'^' comme lui plot. Et quant li anemi sorent chou, si en orent moult grant merveille, ets'assambierent et disent : « Qui est chis hom qui nous a enforchiés et nos ferm[et]és brisies si que nule chose que nous eussiens reposte ne pot estre celée encontre lui (et) que il n'ait fait trestout chou que il lui plaist? Et nous ne cuidiens mie que nus hom peust naistre de feme qui ne fust nostres. Gis est ensi nés que nous (nen) n'avons nule partie en lui, et nous destruit et tormente au plus qu'il pot. Comment est il nés de feme que nous n'avons en lui nul délit terriien et si nous destruist ensi ? » Adont respondi li uns des ane- mis et dist : « Signors, che nous a destruit [que nous cuidiens que mieus nous vausist] , que membre(s) vous i que li prophète parloient, qui disoient que li fieus de (f, 20 ^) Dieu verroil en terre pour sauver les
a MERLIN
pecheours d'Adan(s) et d'Evain. Et nous alames, si presimes ichiaus qui che disoient que cil qui lors verroit en terre les deiiverroit des painnes d'infer. Tant le di- sent li prophète que ore est avenu. Si nous a tolu chou que nous avons perdu et chou que nous aviens saisi, que nous n'i poo[n]s riens prendre contre lui. Mais il nous a tolu tous chiaus qui croient en sa nativité et qu'i[l] nasqui de feme par tel forche que nous n'en eusmes onques riens ne nous ne presimes garde (ne) que il nous deust che faire. » a Et ne ses tu donques, » fait uns autres ^, « que il les fait laver d'iaue en son non? Et par tel non se lè- vent : el non dou père et dou fil et dou saint esperit, si que nous n'en porons nul avoir si que nous solions. Ore les avons tous perdus par le lavement que il font, si que nous n'avons nul pooir sour iaus dessi que il re- vignent [a nous] par oevres que il font.
« Cnsi abaisse nostre pooirs par chelui qui che nous a tolu. Et plus encore, que il [aj laissié menistres en terre qui les sauveront, ja n'averont tant fait de nos oevres, se il s'en voelent repentir et nos oevres guerpir et faire chou que li menistre lour diront. Par che les avons perdus tous. Moult a fait (nostre sires) C/. 20 ^) esperituel subs- tance que pour homme sauver vint en terre et daigna naistre de feme et souffri les tormens terriiens et nasqui de feme sans chou que nous n'en seusmes nient, et sans faire nul délit d omme ne de feme. Et quant nous i fu- mes venu, nous Tessaiames en toutes les manières que nous seusmes. Et quant nous Teusmes essaiié et qu'en lui n'avoit nule de nos oevres, si vaut morir pour sauver sur les moyens ^o'^n^^» Moult a chier homme, quant il si grant painne de reconquérir vaut souffrir pour li avolr et nous tolir. Et moult nous les hommes. deverieus pener comment nous le porriens avoir a faire
I. fait cil
MERLIN t>
nos oevres, en tel manière que il ne s'en peust repentir ne parJer a chiaus par cui il aroi(en)t le pardon que il acheta de sa mort. » Lors dient tout ensamble : « Nous avons tout pierdu, dès que il puet pardonner les pechiés dusques en la fin : se il le prent en ses ^ oevres, dont sera il sans. Et quant il avéra tous jors faites nos oevres, se Tavons nous pierdu, se il se repent. Ensi les perdons nous tous. »
Atant parlèrent entr'aus et dient : « Cil qui plus nous ont neut, che sont cil qui (plus) di[s]ent de sa venue en terre. Et che sont cil dont ligrans damages nous est venus. Et quant (f. 20 ^) il che plus disoient et nous plus [les] tormentions, si m'est avis que il se hasta pour iaus venir aidier et secourre, pour iaus délivrer des tormens que nous leur fais[i]ons souffrir. Mais comment porriens nous avoir un homme qui parlast a iaus et lour desist nos u jeur faudrait sens et nos proueches et nos affaires, si que nous avons un homme à eux pooir de [savoir] toutes choses faites, dites et alees ? Et ^^^' ^^^^ ^^ ^^^"^ se nous aviemes cel houme qui de che eust pooir, et il ^"^"'^^' '«"i" s^-
* ., r t g"^t ^^^ autres
seust ces choses dire et raconter, et il fust avoec les hommes. L'un autres hommes en terre, si nous porroit bien aidier et d'eux a le pou- ensegnier comme li prophète qui avoec nous estoient, voird'engendrer; que nous cuidiens que ja ne deust avenir. Ensi diroit ^' ^'^^^ ^"''' ^^'
•Il i_ j'.. ^ r ' '- ..i- ^ '^ vienne père d'un
Cil les choses dites et faites pries et loing et seroit ^ .
, , . ^ T 1- enfant qui leur
moult creus de maintes personnes. » Lors dient tout j^j^^j.^ ensamble : « Moult seroit bien csploitiet qui tel homme porroit faire, car moult seroit creus. » Lors dist li uns : « Je n'ai pooir dou conchevoir ne de faire semence en feme, mais se j'en avoie le pooir je le porroie bien faire, que je sai une feme qui fait et dist a devise canques je voel. » Et li autres dist : « Il i a tel de nous qui bien puet prendre samblance d^omme et conchevoir
I. ces
4 MERLIN
en feme. Mais iIconvi[e]nt que il le prenge aussi celee-
ment comme il porra plus.» Ensi ont pris lianemi conseil
(f. 20 ^) qu'il engend[er]ront un homme qui engingnera
les autres. Moult sont fol li dyable qui quident que nos-
tre sires ne sache cest oevre qu'il pourparloient entr'aus.
Et ensi prist li dyables a faire un homme qui eust son
mémoire et son sens pour engingnier homme et Jesu-
crist. Et bien poés savoir que moult est dyables faus,
qui cuide engingnier celui qui est sires de lui et de tout.
Ensi départirent lour conseil, et ont ceste oevre acordee
Un diable qui a faire. Et cil qui dist qu'il avoit pooir de la feme ne se
a tout pouvoir targa plus et vint au liu la ou elle estoit, si le tourna au-
8ur une femme ^ ^ ^^ volenté. Et douna canqucs elle avoit entre lui
se charge de pré- ^ . , , .
parer le succès. ^^ ^on signour a 1 enemi.
Avec les con- C>HELE feme cstoit feme a un riche homme, et cis seiis de cette hom avoit moult grant plenté de biestes et d'autres femme, il réduit ar^m riqueces. Et si avoit un fil et trois filles de celé
son mari et elle ^ i i i • r • i • i > i i •
au désespoir et à ^^^^ ^^ dyables conversoit. Li dyables ne s oublia mie, la mort. ains vint as chans ^ ou les brebis au preudomme estoient,
si en ochist une partie. Un autre jour vint a la feme, si li demanda comment il porroit son signour engin- gnier. Et elle li dist que il * ne le porroit en nule ma- nière si bien engingnier comme par prendre de la soie chose et de lui corechier : a Et il se courechera et (f. 21 <*') esragera tous vis, se tu prens les soies choses. » Lors s'en torna li anemis as biestes au preudomme, si en ochist une grant partie. Et quant li paslour virent les biestes lour signour ensi morir en mi les chans, si s'en esmiervillierent moult et disent que il l'iroient dire a leur signour. Lors s'en vindrent a lui et li disent que (que) ses bestes se moroient ensi en mi les chans.
I. a chiaus — i. elle
MERLIN D
Quant li preudom Toi, si s'en esmervilla moult et dist as pastours : « Es che voir que vous me dites? » Et il res- pondent : « Sire, oil. » Adont se courecha li preudom moult et s'esmervilla que ses biestes avoient a morir. Lors demanda as pastours : « Savés vous que mes brebis ont a morir? » Et il dient que il ne sevent que elles ont. Ensi remest a cet jour. Quant li dyables sot que li preu- dom fu corechiés de si peu, se li fu avis que se il li faisoit grant damage que il se corcheroit moult et il l'en averoit plus a sa volenté; si revint li anemis a(s) ses bestes et a deus biaus chevaus, si les tua tous ^ en une nuit. Et quant li preudom vit que la soie chose aloit ensi a mal, si fu moult courechiés et dist une parole moult foie que sa grans ire li fist dire, que il donna canques il avoit au dyable et canques il li estoit remés.
[f.2i ^) VOUANT li anemis sot que il ot celdon fait, si en fu moult liés et li commencha a courre sus moult dure- ment por * gringneur damage faire, si que il ne li laissa nule de ses bestes. Si en fu li preudom moult coure- chiés [et] en la grant ire ou il [fu] fou[i]t le compaignîe des gens. Si sot bien li dyables quant il li vit che faire que il feroit sa volenté de lui. Lors vint li dyables a un moult biel fil que il avoit, si l'estrangla en son lit. Au matin fu li enfes trouvés mors. Et quant li preudom vit que il ot perdut son fil, se désespéra et se meserra moult de sa creanche, et que il n'i pot plus recouvrer. Si en fu li dyables moult liés. Et lors ala a la femeau preudomme, par cui il avoit tout chou fait. Si la fist monter sour une huge en sen celier et mètre une corde en son col, puis dcscendi de la huge, si s''estrangla. Ensi fu trouvée toute morte, et quant li preudom vit qu'il ot picrdu sa
1. toute — 2. poc
b MERLIN
feme et son fil en tel manière, si s'en adola moult, et de
che grant duel prist une maladie dont il morut. Ensi
fait li dyables de chiaus que il puet traire a sa volenté.
Quant li dyables ot che fait, si en fu moult liés et pensa
Troisfiiies sur- comment il engingneroit les trois filles au preudomme
vivent; le diable qui estoient remeses. Dyables sot que il ne (f, 21 <:) les
cherche à les ga- porroit engingnier s'il ne faisoit lour volenté et che que
^^"' elles vaurroient. Il avoit un baceler en la ville qui moult
L'uned'eiiesse ouvroit a sa volenté, si le mena la ou les trois pucieles
laisse séduire par estoient, si en commcncha l'une a proiier. Et tant ala
un jeune homme ^^^ ^^j^ ^^ ^^^ ^jg jj l'engingua. Et quant il
et devient en- f, . . . _ 1 i- ^ -i- j , 1 »
^çjjjjg 1 Ot engingnie, si en fu moult lies. Et dyables n a cure
On le sait. de celee de che dont il est au deseure, ains veult que il
voist en apert devant la gent pour plus tost honnir. Ensi
fist dyables savoir au peuple che que il avoit fait par son
11 était alors pourcach et tant que li siècles le sot. En che tans estoit
de loi qu'une coustume quc feme qui estoit reprise d'avoutire, si elle
femme couvain- j^'g^j^j^ commuuc a tous, QUC OU en faisoit justiche. Et li
eue de péché é- . i . i • , - n
tait mise à mort, dyablcs, qui porcachc tous dis les siens a hounir, nst a à moins qu'elle tous cel ocvrc savoir et as hommes de la ville qui es- ne fût abandon- toient juge. Li vallès s'en fui et li feme fu prise et menée née à tous. devant les juges. Quant li juge le virent par devant iaus,
On mène la . ^ , ^ • • ^ o j
fille devant les ^^ ^^ orent moult grant pitie pour ramourau preudomme qui fille elle estoit, et disent : a Grant merveille poés veoir de tel homme qui fille ele estoit, comme il li est meskeu en poi de tans, qu'encor n'a gaires que il e(f. 21 ^)stoit uns des plus preudoumes de ceste ville. »
Li juge si se conseillèrent que il en porroient faire et
quel justiche il en prenderoient, si s'acorderent tout en-
qui la font secrè- samble que il renterr[er]ont une nuit toute vive pour la
tement enterrer honte de ses amis [, et il ensi le fisent]. Ensi fait li
^'^^* dyables honte et dolour a chiaus qui font ses oevres.
En la terre avoit un preudomme qui estoit bons con-
fessours, et oi parler de ceste merveille; si vint a[s]
juges.
MERLIN 7
deus serours qui remeses estoient, Taisnee et la mais- un prudhom- nee, si les prist a conforter et lour demanda com- me vient trouver ment cesle mésaventure lour est avenue de lour père ^^^ '^'^'^'' ^"^^^^^ et de lour mère et de lor serour et de lour frère. ^^^^^^ ^^ ^^^^^ Et elles respondent : « Sire, nous ne savons, fors tant que conseils. nous Guidons que Dieus (que Dieus) nous het, si nous suefifre cest torment avoir. » Et li preudom respont : « Vous ne dites pas bien. Dieus ne het nului, ains li poise que li pechieres se het. Et je ^ sai bien qu'il vous est avenu par oevre dou dyable(s). Et de vostre serour que vous avés perdue si vilment, saviés vous que elle fesist ceste oevre? » Et elles respondent : « Sire, nous n'en saviens rien. * Et li preudom lour dist : « Gardés vous de mau- vaises oevres, car li mauvaise oevre mainne Tourne et le feme a le (f. 22 ^) mauvaise fin. » Moult les aprent bien li preudom etensegne, se elles (s) i vausissent enten- dre. Et Paisnee ^ l'entendi moult bien et moult li L^ainée l'écou- plot chou que il disoit. Et li preudom li aprent moult te avec confiance. bien sa creanche, et ele i mist moult grant cure a savoir en faire et en dire et a escouter chou que il li ensaigne. Adont dist li preudom : « Se vous créés bien chou que je vous dirai, grans biens vous en venra encore, et serés m'amie et ma fille en Dieu, ne vous n'avrés ja si grant besoing ne si grant oevre a faire, se vous vous contenés a mon conseil, que je ne vous aie a consillier a l'aide de nostre signour. Ne ne vousesmaiiés pas,» dist li preudom, « car nostre sires vous aidera, se vous vous tenés a lui ; et si venés souvent a moi, car je ne ferai mie loing de chi estage. »
Ensi ot li preudom consillié les deus pucieles et mises en boine voie. L'aisnee crut moult bien le preudomme et ama moult le boin conseil que il li disoit. Et quant
I. se — 2. et cle aisnce
8
MERLIN
Le diable cour- Il dyablcs le sot, si Tem pesa moult, et ot paour que il roucé envoie une ne Ics perdist ; si sc pourpensa comment il les porroit femme qui lui est encinenicr. Illuecques près avoit une femequi par main-
d(ivou«ie à la ca- ^^ " . i . - . r -^ t?/ i c
^^^^ç tes fois avoit eu sa volente et fait ses oevres. Et celé feme
prist li anemis (f. 22 ^) et l'envoia la ou les deus pucieles estoient, si traist le maisnee a une part, que elle n''osoit traire l'aisnee pour chou que elle le vit maintenir si humblement. Puis li demande de son estre et de son couvine et li demande quel vie mainne sa suer. Et elle respont : « Elle m^a moult chiere et moult me monstre biel samblant. » Et dist : « Ma suer est moult pensive de ces mésaventures qui nous sont avenues, que ele ne fait biele chiere ne a moi ne a autrui. Et uns preudom qui toute jour parole a li de Dieu si l'a convertie et tornee a sa guise que ele ne fait se che non que il veult. » Et celé Elle lui persua- feme li dist : « Biele suer, mar fu vostresgens cors nés, car
de que sa sœur jamais n'averés joie tant comme il soit en la compaignie
l'empêchera de t t ' • i • i • * i j i •
., . . , vostre serour. He ! biele suer, se vous savies quel délit
goûter jamais les ...
plaisirs de l'a- ces autres fcmes ont, vous ne pris(i)eriés riens canques
mour, qu'elle lui VOUS avés. Nous avons tel joie quant nous sommes en la
représente com- compaignie des gens que nous amons, que se nous n'a-
me au-dessus de ^jgj^gg que une piechc de pain, si sommes nous plus
aise que vous n'estes, se vous aviés canques il a en cest
monde. Que vaut joie de feme quant il n'i a joie
d'omme? Biele amie,» fait ele, « je ledi(e) pour vous, que
ja n'avérés joie tant que vous serés avec vostre serour.
Et si vous dirai por coi. Vostre suer est B\sntt(f. 22 <^^ de
vous, c'est pour chou que elle avéra avant joie d'omme
que vous n'aiiés, se elle puet. Car elle ne soufFerra point
que vous en aiiés devant li. Et quant elle avéra eut son
délit, si neli caurrade vous. Ensi ar(i)és pierdu la joie de
vostre biel cors qui tant mar fu. » Et elle respont :
La fille objecte « Comment oseroie je faire che que vous me dites? car
le sort de la pre- ma sucr en fu morte vilainement et trop obscurément
mièrc sœur; ^g ioXxt tels oevres. » Et elle respont : « Vostre suer le
fist trop vilainnement et tropfolement, et mauvais con-
1
MERLIN 9
seil en prist. Mais se vous m'en créés, vous ne ser(i)és occoisonnee de chose que en faciès, et si ar(i)és tout (tout) délit de vostre cors. » « Je ne sai, « fait ele, « comment le puisse faire, ne je n'en oseroie parler pour ma sc- rour. »
C^UANT li dyables oi chou, si en fu moult liés, et set bien que il l'avra a sa volenté, si en mena sa feme. Et quant la feme en fu alee, la demoisiele pensa maintes fois a chou que la feme li avoit dit. Quant li dyables entendi que il le trouva si esmeue a sa volenté faire que elle meismes en parloit a soi seul a seul, si l'escaufa tant comme il puet, et tant que ele regarda son biau cors par nuit et dist que « voirement disoit voir la preude feme qui me dist que j'ai perdue la (f. 22 ^) joie de cest siècle, » tant que un jour avint que elle (le) manda la feme et li dist : « Certes, dame, vous me désistes voir de che que vous me désistes Pautrier que il ne caloit ma serour de moi. m Et celé li dist : « Biele amie, je le disoie bien. Encore l'en caurra mains, se ele avoit la soie joie. Ne nous ne fumes pour autre chose nées que pour avoir joie d'omme. » Et celé dist : « Je le vaurroie moult volentieres, se je ne cuidoie c'om m'o- chesist. » Et la feme respont : « On vous ochirra se vous le faites aussi folement que vostre suer fist. Mais je vous ensegnerai moult bien comment vous le ferés. » Et la puciele respont : « Dame, dites le dont. » Et la feme li dit : « Vous vousabandonnerés a tous hommes ; et mais la femme lui se vous en fuiiés de chiés vo sereur, et dites que conseille de s'a- vous ne poés durer a li,et cnsi ferés de vostre cors vostre ^^" onnerutous
... ... . , ,, . , les hommes, ce
volenté, ne ja ne troveres justice qui en paroit. Ensi poes ^j j^ mmrx issir fors de dangier, et quant vous avérés mené ceste vie hors de péril. et tant qu'il vous plaira, adont sera uns preudom tous liés se il vous a, pour vostre grant iretagc. Et se vous le faites ensi que je vous ai dit, si ponés avoir la joie
lO MERLIN
de cest monde. » La puciele otroie a la feme que
elle le fera ensi comme elle Ta dit. Ensi s'en fui la
La sœur ca- P^ciele en sus de sa serour (j 23 ^)qX. abandonna son cors
dette suit le con- ashoumes par le conseil de celé feme. Et moult fu [liés] 11
seii et quitte sa dyables quant il ot engingnié Tautre serour. Et quant
^"''* Taisnee sot que sa suer en estoit ensi alee, si s'en ala au
Celle-ci vient preudomme moult esfraee. Quant li preudom le vit si
trouver le pru- grand duel mener, si en ot moult grant pitié et li dist :
dhomme, qui lui „ Bicle amie, sainne toi, et si te commande a Dieu. Car
recommande de . ^ . i r r -. t-^ i ^ c • » •
bien se garder du )^ ^^ ^^^ ^^^^^ esfree[e]. » Et cele respont : t Sire, je n ai diable, pas tort se jesui esfree[e], car j^ai ma serour perdue. » Et
conta au preudomme comment elle s^en estoit alee, tout chou que savoir en pot. Et se li dist par vérité que elle s'estoit abandonnée a tous houmes. Et quant li preu- dom oi ceste mierveille, si en fu moult esfreés, et li dist : « Biele suer, dyables est encore entour vous, ne il n'avra jamais pais devant chou que il vous ara toutes engingnies, se Dieus ne vous gart. » Cele demande au preudomme : « Sire, pour Dieu, m'en porrai je garder ? Ja n'est il riens au monde dont j^ai[e] si grant paour que de chou que il (me) m'engint. » Et li preudom respont : • Se tu crois chou que je te dirai, il ne fengingnera pas. » a Sire, je vous querrai de canques vous me dites. » Chis li dist : « Dont crois tu le père et le fil et le saint esperit, et que ces trois viertus sont une meisme chose en Dieu, et que (/. 23 ^) nostre sires vint en terre pour sau- ver les pecheours qui vaurroient croire baptesme et les autres commandemens de sainte eglyse et des autres me- nistres que elle laissa en terre pour sauver chiaus qui querroient son nom et adrecier en boine voie? » Et elle dist : « Tout ensi comme vous le m'avés dit, ensi le croi et querrai tous les jours de ma vie. Et ensi comme il est sires et rois de tout le monde, tout ensi le croi jou. Et me gart si que dyables ne m'en puisse engingnier. » Et li preudom li dist : « Biele tille, se tu ensi le crois, dyables ne anemis ne nule autre mauvaise chose ne t'en porra
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engingnier. Je te pri que tu te gardes d'entrer en trop grant ire. De vérité je di que c'est la chose ou monde de ne pas se ou dyables se repaire plus volentiers que en homme et mettre en colère, en feme plainne de grant ire. Et pour icele chose te dois tu garder de tous mesfais et de tous les encombriers qui t'averront. Et en toutes les ires ou tu seras, ma douce amie chiere, si vien a moi et le me di tout ensi comme il t'averra. Et te rent coupable a nostre seigneur, et a toutes les fois que tu te couceras et lèveras, si te sainne j^. se sjg,ier en el non de la crois ou li cors Dieu fu mis pour pecheours se couchant et en et pour pécheresses raiembre des painnes d'infer {f. 23 ^j, '^'^ levant, el non dou père et dou fil et dou saint esperit, que dya- bles ne anemis ne te puist engingnier. Se tu le fais ensi que je le f ai commandé et dit, tu n'avéras garde de l'anemi. Et garde bien que la ou tu gerras que ill ait tout dis clarté, car li dyables het sour toutes [riens] et de notre ja- nostre clarté, ne il ne va pas volentiers la u clartés est. » m^i^ sans lu- Ensi aprent li preudom cheli, qui a grant paour que li '^''''"^• dyables ne Tengint.
Atant revint la puciele en maison, moult bien creans et moult bien humilians vers Dieu. Et li preudomme et les preudefemes vinrent a li et se li disent par maintes fois : « Damoisiele, vous devés estre effraee de vos sereurs qui si ont esté de mauvaise vie. Ore prendés boin con- seil en vous et boin cuer. Car vous (vous) estes moult ri- che feme et si avés moult grant iretage. Et moult en seroit liés uns preudom, se il savoit que vous vous tenis- siés en bien, si vous prenderoit moult volentiers. » Et elle respont : a Nostre sires me tienge si qu^il set que mestiers m'est. » Ensi fu celé damoisiele lonc tans en pais et mena moult bonne vie. Onques nus ne le pot en- gingnier, ne ne sot li anemis nule mauvaise oevre qu^ele fesist. Si l'em pesa moult, et bien sot que il ne le porroit engingnier, ne ne puet veoir comment il le
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puist mètre {f. 23 ^) en ses oevres, tant que il se
poLirpensa que il ne le porroit engingnicr de li
faire oublier chou ' que li preudom li ot dit , se
il ne le courechoit. Car elle n'avoit cure de ses *
oevres , ne ^ faire ne li pooit abielir. Lors prist
Le diable amè- li dyables l'autre serour, si l'en mena un samedi
ne, un samedi au soir en sa maison pour li courechier et pour
soir, la sœur ca- ^gQjj. ^^ jj j^ porroit engingnier. Quant la suer a
dette chez raîncc , , . . /. , . ," , . . •.
avec une bande ^^ boiue damoisiele Vint a lostel son père, si estoit de garçons. une grant pièce de la nuit alee, et amena un tropel de garchons avoec li. Et vi[n]rrent tout dedens Tostel. Et quant sa suer le vit, si en fu moult iree et dist : « Biele suer. Elles se que- VOUS ne deusslés mie estre chaiens venue tant que vous relient; voelliés lele vie mener, car vous me fériés avoir blasme,
chou dont jen'averoiemestier. » Quant sa suerlioi chou dire, si en fu moult irie por chou que ele disoit que elle en aroit blasme, se li dist que elle faisoit pis que elle ne fesist, et li mist sus que elle amoit le boin homme en mauvaistié, et, se les gens le savoient, elle seroit arse. Quant celé oi que sa suers li metoit sus tel blasme, si s'en courecha moult et dist que elle alast fors de sa mai- son. Etelle respont : a Autressifu ele a mon père comme le vostre. » Et quant celé oi que sa suer ne s'en iroit pas, si le prist par les espaules et le vaut bouter fors ; {f. 24 ^) celé se revenga, et li garchon qui estoient venu avoec li la sœur aînée est prisent sa serour et le bâtirent moult doleuresement, battue. ^g^^^ q^jg gjg Jqj. pj.jg^ ^ eschaper. Quant il l'orent tant
batue comme il vaurrent, elle s'en entra en sa chambre
et frema Puis. Et elle n'avoit fors son vallet et sa bais-
Pieine de co- siele, pour qui il le laissierent a batre. Celé fu en sa
1ère, elle se cou- chambre toute seule et se coucha en son lit toute vies-
che tout habii- ^^^^ ^^ commencha a plourer moult durement, et si ot
tce, oubliant les , . , , i, -^
moult grant ire en son cuer de che que sa suer i avoit
recommandations ^ ^ , ,.
du prudhommc, ^"si atornee, et en icele dolour s'endormi. Et quant h I . porroit oublier de f. engingnier chou — 2. ces — 3. se
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dyables sot que ele avoit tout oublié por le grant ire
ou elle estoit chou que li preudom li avoit commandé,
si en fu moult liés et dist : « Or puis je bien faire de cesti
che que je vaurrai. Geste est fors mise de la grasce de
sonsignouretde la grasce son maistre. Et bienporroiton
mètre en li nostre homme.» Icil dyables [qui] avoit pooir Le diable qui
de converser a feme lors en fu tous apparilliés et vint u en avait icpou-
elle estoit a li, et conchut. Et quant elle ot conchut, si voir profite de cet
,, _ .,,. ^^ n • i- • j oubU ct la rend
S esvella. Et en esveillier que elle fist, si h souvint dou ^^.^^^^^
preudoume qui le consilloit, et s^esveilla et se sainna.
Et quant elle ot faict(e) le signe de la crois si dist :
« Dame sainte Marie, que m'est il avenu? Je sui empirie
de tele comme je soloie estre (f. 24 ^) quant je couchai a son réveil,
en che lit. Biele glorieuse mère Jesucrist, garde Tame e"^ s'aperçoit
de moi de péril. Et tardés le cors et défendes del tor- '^"'^ '"'/"^ ^''
,^ . r y 1 1- 1 rivé malheur.
ment a Fanemi. » Lors se leva de son lit, et commencha a querre chelui qui che li avoit fait, car elle le cuidoit trouver.
1 uis quert a Puis de sa chambre, si le trueve fremé. Et ehc n'y com- quant elle le trueve bien fremé, si rechierke derechief la p"^"^ 'i'^"- chambre. Mais elle ne trova riens. Et quant elle vi chou, si se trouva toute engingnie de Tanemi. Lors se com- mencha a dementer et a reclamer nostre signeur, et dist : a Biaussire Dieus,par vostre pitié, sire, se il vous vient a plaisir, ne me laissiés honnir en cest siècle, ne que je fâche chose depechiédont je perde m'ame. » La nuis passa et li jours vint. Et si tost comme il fu ajorné, dyables en mena sa feme, quant elle li ot bien fait che par coi elle i fu amenée. Quant elle s'en fu alee et li garchon, celé issi de sa chambre moult iree plorant, si apiela son serjant ct li dist que il li amenast deus femes, et il si fist tantost.
jhi endroit dist li contes que quant les femes furent Eiie va trouver
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leprudhommeci yçj^ugg^ la damoisicle se mist a la voie pour aler a sen
lui raconte tout, co^fessour. Si erra(i) tant que elle vint la. Et quant li preudom le vit, se li dist : « Biele fille, tu as besoing, che m'est avis, car je te voi moult effree[e] et espoentee. » Et elle respont : « Sire, che m'est avenu que onques mais n'avint a feme. Si vieng a vous que vous me consilliés pour Dieu. Car vous m'avésdil que nus ne puetsi grant pechié faire, se [il] (li) en est vrais confès et repentans, et il en a fait chou que li confessours li ensegne, que il li sera pardouné. Sire, j'ai pechié, et bien sachiés que j'ai esté engign(i)e par anemi. » Lors li commenche a dire comment sa suer vint en sa maison et comment elle se courecha a li et elle et li garchon le bâtirent, et com- ment elle entra en sa chambre toute iree et frema Tuis moult bien. « Et pour le grant ire ou j'estoie je m'oubliai a segnier. Sire, ensi oubliai tous les commandemens que vous m'aviés dit, si me couchai en mon lit toute viestue. Et en la grant ire ou j'estoie m'endormi. Et quant je mesvillai, si me trovai honnie et despucele[e],sirecerquai ma chambre derechief, et alai a Puis, si le trouvai fremé, ne onques n'i trovai riens née, ne {f. 24 ^) ne vi ne seuch qui m'ot chou fait. Sire, ensi comme vous avés oit m'avint il et fui engingnie. Si vous pri pour Dieu que se li cors est tormentés que je ne perde l'ame. » Li preudom a bien escouté, si s'en esmiervelle moult. Car il n'oi onques mais parler de tel merveille. Si li dist : « Biele amie, toute plainne estes dou diable, et dyables 11 refuse d'à- ^o^^^^^^se eucorc en toi. Comment te confesserai ne je
bord de la croire, te donrai -penitanche de che? que je cuic vraiement que tu mentes, que onques feme ne fu ensement despu- celee ne en tel manière que elle ne seust de qui, ne au mains que elle ne veist chelui qui la despucheloit. Et tu me veuls faire a croire que ceste mierveille t'est avenue en ton dormant ! » Celé li respont : « Si me fâche Dieus sauve et me gart de tous tormens que je voir di.
puis, voyant Et VOUS le troverésbien. » Et il respont : « Tu as fait trop
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grant pechié que de obedienche trespasser que je t'avoie qu'elle dit vrai, commandée. Et par che que tu Tas trespassee t'en car- cherai je bien penitanche a tous les jours mais que lu viveras, se tu le veuls faire tele que je le te carcherai. »
Atant respont la damoisele : « Sire, vous ne me commanderés ja chose a faire que je ne le fâche. » Et il respont : « Dieu le t'otroit. Di[s] me tu que tu viens au conseil Dieu et as menistres de saint[e] eglyse? Chou est vraie confiessions et repentemens de faire et de dire a ton pooir selonc les commendemens de Dieu. » Et celé respont: < Sire, tout aussi comme vous l'avés dit le terrai jou a mon pooir, se Dieu plaist. » Cil respont : « Je croi bien en Dieu, se che puet eslrevoirs que tu m^as dit, que tu n'i avéras garde. » « Sire, * dist elle, « aussi me gart Dieus de vilonnie que je di voir. » Et li preudom dist : € Tu m'as acreanté a bien tenir la penitanche (a tenir) et a guerpir le pechié. » Et ele respont : « Sire, voire. » Et il dist : « Dont as tu guerpie toute luxure. Et je le te lui enjoint une desfenc tous les jours que tu avéras a vivre (et), fors cel(u)i chasteté perpé- qui vient en dormant, dont on ne se puet garder. Veuls ^^'^""^ tu le bien et t'en porras tu garder ?» Et elle respont : « Sire, cil bien, se vous estes (estes) pièges [envers Dieu] que je n'iere par che pechié dampnee, si comme il vousestabli en terre par son commandement. » Chele prent sa penitan- che moult volentiers, tele comme li preudom li carca, cm plourant, comme celle qui moult se repentoit de boin cuer. Et li preudom le sainne et assaut, et le met arrière en la creanche Jesucrist au plus que il puet. Et se por- pense comment che porroit estre voirs chou que elle li avoit dit. Quant il oi che pense, si sot bien que elle et lui promet de estoit engingnie (f. 2^ ^j de l'anemi, si l'apiele et li fist la faire absoudre boire de l'iaue el non dou père et dou fil et dou saint *^^ s°" P*^^''^- esperit, si l'en jeta seur li et li dist : « Garde que tu n'oublies mie les commandemens que je t'ai com-
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mandé. Et par toutes les fies que tu avras de moi be- soing, si vien a moi et puis te sainne et te commande tout maintenant a Dieu, et jeté mech en penitanche tous les biens que tu feras. »
Ensi s'en va la damoisiele en sa maison, et mena moult boine vie. Et quant dyables vit que il l'ot perdue et que il ne savoit que elle faisoit ne que elle disoit aussi que se elle n'eust onques esté, si en fu moult iriés quant il l'ot ensi perdue. Ensi remest la damoisiele en sa mai- son, et mena moult boine vie, tant que celé semence que elle avoit ou cors ne se pot plus celer, si engroissa et en- barni, tant que les autres femes s'em parcheurent. Et le regardèrent parmi les flans et li disent : « Biele suer, On s'aperçoit VOUS estes toute grosse. » Et elle respont : « Biele suer, de sa grossesse; VOUS dites voir. » a Dicus ! » font elles, « qui es che qui ciiePavoue,mais YQus ^ engroissie? » Et elle lor dist : « Se Dieus me dit qu'elle ne sait j^j^g^ délivrer a joic, je ne sai. » Et elles dient : « Le
a qui l'attribuer. n <■ •
vous ont tant d ommes tait que vous ne saves assener au quel? » Et elle dist : « Ja Dieu ne place que je en soie délivrée se onques a mon seuu(r) ne a ma ve(n)ue i ^ ot on- ques nus hom a faire en tel (f, 25 ^j manière (ne) que che me deust avenir. » Et celés qui chou orent oi se » sainnie- On ne la croit rent, et disent : « Che ne porroit eslre, ne che n'avint on- pas. ques a vous ne a autrui. Mais vous amés, espoir, coiement
chelui qui che a fait, que vous ne volés mie encuser. Mais certes grans damage ert de vous, que tantost que li juge le savront, si tost vous converra morir. » Quant elle oi que a morir le converroit, si en fu moult espoen- tee, et dist : « Aussi face Dieus lame de moi sauve que je ne vi onques celui ne ne connui qui che m'a fait. »
I. V. not — 2. SI
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Atant s'en vont les femes, et le tienent pour foie, et dient que mar i fu si biaus iretages et si biaus edefie- mens, que elle avoit tout perdu. Quant celé oi ceste pa- Eiie vient trou rôle, si en fu moult espoentee et vint a son confessour ver le prudhom- arriere et conta la parole(s) que les femes li disoient. Et ^'^' li preudom vit que ele estoit grosse de vif enfant, si s^en esmiervilla moult et li demanda se elle avoit bien fait sa penitance que il li avoit carchie. Celé respont : « Oie. » « Et avint vous onques chis pechiés que une fois? » Et elle respont : « Certes, sire, nenil. Onques puis ne m'a- vint ne devant, v Quant li preudom Toi, si s'en esmier- qui lui promet villa moult, et puis mist la nuit et r(u)eure en escrit si son aide. comme elle li ot conté, et dist : « Toute seure soiiés. Quant f/. 2^ ^) chis oirs qui dedens toi [est] naistera, je sa- vrai bien se tu m'a[s] voir dit u menti. Et j'a[i] bien crean- che en Dieu que, se che est voirs ensi que tu le m'as dit, que tu n'avéras ja garde de mort. Les granz paours en porras tu bien avoir. Quant li juge le savront, il te prendront pour avoir tes biaus edefis, et diront que il feront de toi justiche. Et quant il t^avront prise, si le me fai a savoir, et je t'irai consillier se je puis, et Dieus t'ai- dera se tu es tele comme tu dis ; il ne t'oubliera mie. » Atant li dist li preudom : « Va t^ent a ton hostel et soies toute seure et mainne boine vie, que boine vie aiue bonne fin a avoir. » Ensi revint la nuit la damoisiele a son hostel et s'estut em pais et moult se ti[e)nt simplement, et tant que il avint chose que li juge vinrent en la terre Les juges la et oirent ceste nouviele de celé dame qui ensi avoit citent. concheut, si Tenvolierent querre a son hostel pour ame- ner devant iaus. Et quant elle fu prise, si envoia querre le preudomme qui ensi Tavoit consillie. Et quant il le sot, si vint au plus tost qu^il pot. Et quant il fu venus, Elle mande le si l'apiclerent (li preudomme) li juge, si trouva que il prudhomme, l'avoient fait venir devant iaus. Et li juge moustrerent
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la parole a la damoisiele et au preudomme et disent que
elle ne set de qui ele est grosse, (f.26 ^) « Sire, cuidiés
vous que feme peust encarchier sans homme ? » Et li
qui décide les preudom respont : <c Je ne vous dirai pas canques je
juges à l'enfer- sai. Mais tant vous puis je bien dire, se vous volés mon
mer jusqu'à sa conseil croire, que vous ne ferés justice de li tant que
éhvrance après j^^ ^^.^ erosse, Car il n'est mie raisons ne drois, ne li
quoi lis en feront ° , . ...
justice s'ils veu- cnfes n'a mort deservie, comme chis qui onques pechiet lent. ne fist ne ne deservi, ne el pechié de la mère n'a il riens
fourfait. Se vous en faisiés justiche, dont porroiés vous savoir et dire que vous avriés chelui ochis qui pechié n'avroit fait. » Et li juge dient : « Sire, nous (nous) en ferons a vostre los. » Et li preudom dist : « Se vous en faites a mon los, vous le ferés bien garder en une tour, si que elle ne puist faire nule folie. Et metés deus femes avoec qui li aideront a délivrer, quant mestier en sera, et en tele manière que elles ne s'en puissent issir. Et le ferés bien garder tant que elle ait enfant. Et tant par mon los li lairés norrir que il puist mangier par soi et demander tous ses estavoirs. Et lors, se vous ne veés autre chose, si en faites vostre volenté et vostre plaisir. Et lor donnés chou que mestier lour sera. Et tout chou ferés par mon conseil, et se vous le volés autrement faire, je n'en puis mais. » Et li juge respondent : « Il nous est bien f/. 26 ^) avis que vous dites raison. » Tout ensi comme li preudom Tôt devisé il le fisent, et le misent en On renferme ^"^ maison de pierre, et fisent tous les huis d'ambes dans une tour par[s] fremer. Et misent deus des plus preudefemes que avec deux fem- il porent trouver avoec li. Et en haut laissierent une fe- "^"' nestre pour iaus livrer chou que mestiers leur seroit. Et
quant li preudom ot che fait, se parla a li de sa fenestre et dist : « Quant tu avéras eut enfant, si le fai baptisier au plus tost que tu porras. Et quant tu sera[s] mise fors et on te vaurra ardoir, si m'envoie querre. t
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JCnsi remest celé une grant pieche en la tour, et li juge orent bien atorné tout chou dont elles orent mestier, si Tont délivré as femesqui avoec li estoient. En tel maniè- re comme vous Tavés oi remesent laiens, et ot enfant quant Damedieu plot. Et quant il fu nés, si ot et deut L'enfant naît; avoir ^ (et savoir) le sens et le pooir de l'anemi, comme comme fils du chieus qui concheus en estoit. Mais li anemis Tavoit fait '^'^^^'^J* connaît
r , . . 1 , , r les choses pas-
folement, car nostre sires avoit rachate de sa mort [et ^^^g ^^ j^j^^ ^ avoit pardoné le pechié] por vraie repenlanche, et li cause de sa mère, anemis avoit cheli engingnie par dechevement. Car lui donne la con- cele, si tost que ele se senti engingnie, si cria mier- naissance des chi la ou elle dut, et quant elle ot che fait, si se mist en la garde et ou commendement de sainte eglyse et de ff. 26 0 Dieu, et bien fist les commandemens que ses confessours li ot commandé. Et pour chou ne vaut pas Dieus que dyables i perdist chou que il i deust avoir et che pour coi il le fist, pour chou que dyables si vaut que il eust son art et son pooir de savoir les choses qui estoient dites et faites et alees, et tout ichou seut il. Et nostre sires qui tout set, par la repentance de la mère et par la boine repentance de confiession que il sot qui en son cuer estoit, ne par son gré ne par sa volenté ne li estoit avenu, et par la force de baptesme dont ele estoit lavée es fons, vaut nostre sires que li pechiés ne li peust riens nuire, si donna a l'enfant pooir de savoir les choses a avenir. Par ceste raison sot cil les choses qui estoient dites et faites et alees de par l'anemi, et le seurplus que il sot des choses a venir vaut nostre sires que il seust con- tre les autres choses que il savoitpour endroit^ de la soie partie. Ore si se tourt a la qucle que il vaurra ; et se il veult il puet rendre au dyable son droit et a nostre si- gnour le sien. Car plus n'i a dyables formé fors le cors,
I. ot adont a. — 2. pour rendre
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et nostre sires met ens l'esperit por veoir et pour oir et
pour entendre a chascun selonc chou que il li preste sens
et mémoire et que il li plaist a douner, et il a cestui en a
plus douné que a autrui por (f. 26 <^) chou que grans
on verra de quel uiestiers H esloit. Lors verra on bien au quel il se devera
côté il se tour- tenir. Et quant les femes le virent et le rechiurent de
nera- terre, si n'en i ot cheli qui n'en eust grant paour, pour
L'enfant naît ^j^^^ g gj|gg le virent tout pelu et plus grant poil avoir
velu et épouvan- 1 1 • r • 1
te sa mère et les ^^^ ^^^^ n avoieut veut as autres enfans, si le moustre- deux autres fem- rent a la mcrc. Et quant la mère le vit, si s'en sainna et mes. dist : « Gis enfes me fait grant paour. » Et les autres fe-
mes dient : « Si fait il a nous meismes, que a painnes le poons nous tenir. » Et la mère dist : « Avalés le * [et commandés] que il soit baptisiés. » Et il li demandent : r. . i. . ■ Comment volés vous qu'il ait non?» Et elle dist; « Ensi
un le baptise, *
et on rappelle ^ue mes pcres ot non, qui ot non Merlins. »
Merlin, comme
^^ pcre e sa ^pj^j^g chou quc Mcrlius fu baptisiés, il fu carchiés a
la mère pour norrir. Et elle tant le norri et alaita qu'il ot
nuef mois. Et quant il les ot, si sambla que il eust un an.
Une piecheapriès revint que li enfes fu en l'eage de dis
Quand il a dix- ^^ ^^^ mois et que les femes disent a la dame : « Dame,
huit mois , les nous vaurrious estre hors de chaiens et vaurrions râler
femmes deman- entre nos amis. Car il nous est avis que nous avrons
dent à s'en aller, chajens moult demouré, que chaiens ne poons pas tous
jours estre. » Et elle respont : « Certes, je n'en puis
mais. » Lors commencha a plorer et priier pour Dieu
La mère pieu- ï^erchi que eles sueffrent (/. 27 ^) encore un poi. Celé
re, voyant son s'cn va a une feniestre et tint son enfant entre ses bras
supplice qui ap- et commcncha moult durement a plourer. Et dist :
proche; ^ Biaus fius, je rechcvrai pour toi mort et si ne l'ai pas
deservie. Car il n'est nus qui sache la vérité de qui vous
fustes engenrés, ne ne puis estre creuc de chose que je
die. Ensi me couverra morir. »
1 . Et la mère dist as varies daual
MERLIN
Ènsi comme elle se dolousoit pour la mort et pour le torment que elle atendoit a avoir, li enfes regarda sa mère et dist : « Biele mère, ne t'esmaie mie; tu ne morras l'enfant parie eu- ja de chose qui te soit avenue pour moi. » Quant sa mère tre ses bras et Toi ensi parler, se li failli tous li cuers, si s^en esfrea et li ^"^ ^'^^ <ï"'^''^ "^ osta ses bras de son col et chai li enfes a terre. Et les femes "^^"'"'"^ p^^ p°"^
, r • t. . ^ ' •11- • lui; Cl^û £^t SI
qui estoient a la feniestre loirent \ si sailhrent sus etcui- effrayée qu'elle lo dierent que elle le vausist estrangler, et disent : «Que volés laisse tomber. vous faire de vostre enfant? Volés le tuer? » Et elerespont toute esbahie : « Je non. Mais je fui esbahie pour une grant merveille que il m'a dit, si m'en faillirent li bras et li cuers. » Et elles respondent : « Que'^ vous a il dit? » € Il m'a dit, » fait elle, « que je ne prenderai jamort pour 11. » Et celés dient : « Encore dira il autre chose. » Lors le prendent entre eles, si le commenchent a escouter por savoir se il parleroit (/. 2"] ^) plus. Mais il n'en fist on- ques samblant ne ne lour dist mot. Tant que il avint, après que uns Ions tans fu passés, que la mère dist as deus fe- mes : a Manechiés moi, si verres bien se il vaurra parler. » Lors le prist sa mère entre ses bras, que elle vausist bien que il parlast devant elles, si commencha a plorer. Et les femes disent tout maintenant : « Dame, moult sera grans damages de vostre biau cors, ki por tele créature se- rés arse. Moult vausist mieus que il ne fust ja nés. » Et li enfes respont : « Vous mentes ore : che vous a fait ma mère dire. » Quant celles l'oirent ensi parler, si en furent moult effraees, et dient : « Che n'est pas enfes, ains est uns dyables, qui set chou que nous avons fait et dit. » Et paro- lent a lui et le metent en mainte parole. Et il lour dist tant seulement : « Laissiés moi ester. Car vous estes foies et ii parie encore, pécheresses plus que ma mère n'est. » Et quant celés Toi- ù Peffroi des fcm- rent, si s'en esmervillierent et disent : « Ccstc chose ne '"^^"
I. loiront — 2. qui
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puct estre celee, nous le dirons aval au peuple. » Lors
vinrent lesdeus femes alafenestre et parlèrent as gens et
Elles racon- lour disent chou que li enfes lor avoit dit. Et quant il
lent, par les le- oirent ceste merveille, si disent que il estoit bien tans de
néires, cette mer- ^^^^^ justice de la mère. Si firent faire lettres et ajornerent
veille ; on décide , j r • .• ^ • t-^ i
u'ii est tem s ^* ^^^^ de ferc justice a quarante jours. Et quant les de faire justice lettres (f. 2y ^} furent aportees a la mère et que li jours de la mère. deson martyre li fu nommés, si en ot moult grant paour Et le fist a savoir au boin homme qui le consilloit. Ensi remest une grande pieche, que il n'i ot mais que set jours jusques au terme que elle devoit estre arse. Et quant il li membroit de cel jour, si ne savoit que elle en deust faire, si en fu moult espoentee et commencha a plourer. Et li enfes aloit par la tour et vit sa mère qui plouroit, si commencha a rire et a faire semblant de Elle pleure ; grant joie. Et les femes li dient : « Moult penses ore pau a chou que ta mère pense, qui en ceste semainne doit estre arse por toi. Maleoite fu Teure que tu fu nés, se Dieus ne l'amende ^ quant elle pour vous soufiferra tel martyre ! » Et li enfes respont : « Biele mère, or mentent. Ja ne sera hom, tant comme je vive, qui vous ost ochirre ne adeser ne mètre en justiche de mort fors Dieus. »
VOUANT la mère et les deus femes oirent l'enfant ensi parler, si en furent moult lies et disent : « Chis enfes ert encore moult preudom et moult sages, se Dieu plaist, qui teuls paroles set dire. » Ensi remest dusques au On amène la jour qui nommés fu. Et quant chou vint a cel jour, si mère et l'enfant furent les femes mises fors et la mère en (/*. 27 <^) porta devant le» juges; ^q^ enfant entre ses bras devant les juges. Et li juge fu- rent venu, si parlèrent a une part as femes qui avoient esté avoec la mère. Et lor demandèrent se c'estoit voirs que li enfes parlast ensi. Et elles lor content canques
I . ne lama
l'enfant rit et la rassure.
MERLIN 23
elles li ont oi dire. Et quant cil l'oirent, si s'en esmier- villierent moult et disent que moult li converra a savoir des paroles, se il la reskeut de mort. Ensi vinrent ar- rière. Et li preudom fu venus, cil qui la damoisiele con- leprudhommccst silloit. Lors dist li uns des juges : « Damoisiele(s), avés présent. vous mais que faire? Atomes vous or, que il vous con- vi[e]nt souffrir cest martyre. » Et celé respont : « Sire, se il vous plaisoit, je parleroie volontiers a cest preu- domme. » Atant l'en a donné li juges congié. Si s'en en- tra en une chambre , et li enfes remest defors. Si le mi- sent mainte gent a parole, dont gaires ne li fu. Adont parla la feme a son confessour et moult piteusement en plourant. Quant ele ot parlé de canques ele vaut, se li demanda li preudom : « Es che dont voirs que tes enfes parole si comme on dist?» Et celé respont : « Sire, oil. » Puis conta au preudomme chou que elle li oi dire. Et quant li preudom Toi, si dist : a Auchune mierveille averra de ceste oevre. » Lors s'en issirent de la cambre (f. 28 ^J entre li et la damoisiele, si trova son enfant defors et le prist entre ses bras et s'en vint tantost devant les juges. Et quant li juge le virent, si dient : a Dame, interrogée de dires vous qui est pères de cest enfant? Gardés que vous nouveau, eiie pei- ne le celés mie. « Et elle respont : « Seigneur, je voi bien «i^teàdire qu'elle
... . . , o- , . Tx- • • ne connaît pas le
que je sui livrée a justice de mort. Si n ait Dieus ja pi- - ^ ^^ ^^^ ^^^
tié ne merchi de moi si je le père vi onques ne ne con- fant.
nui ne [on]que[s] viers homme fui tant abandonnée que
il deust enfant engendrer en moi. » Et li juge respon-
dent : « Nous ne créons pas que che puist estre voirs. Et
si demanderons as autres femes se che ponoit avenir
que tu nous fais entendant. Car onques mais ne pot nus
tele miervielle oir. »
Atant se traient li juge a une part et parlèrent a maintes femes de chou que celé damoisiele lour faisoit entendant. Et dist li uns des juges : a Dames, vous qui
24 MERUN
chi estes, avint onques a nule de vous ne a autre dont
on oist onques parler que elle puist conchevoir ne
avoir enfant sans compaignie d'omme carnelment? »
Le» juges refu- Et celes dient que che ne porroit avenir. Quant li juge
8ent de la croire, oirent che, si s^en revinrent arrière a la mère Merlin et li
contèrent che que il ont oi dire as autres femes. « Et des
ore mais en est il drois que la justiche en soit faite.» Lors
saut avant Merlins, qui moult fu irés de ceste chose et de
Merlin proteste chou que il oi dire de sa mère. Et dist : « Signour, che
de l'innocence de ^q ^^^.^ j^jg gj jQg^ ^^g ff.28 *j justice en soit faite. Car
samcre 1 pren ^^ ^^ faisoit justice de tous chiaus et de toutes celes qui
le prudhomme a ' . ^
témoin, ^nt este en avoutire a autrui que a lour femes et a lor
maris, il en i aroit ja ars plus des deus pars de chiaus qui chi sont et de celes dont je sai aussi bien lour couvine que eles meismes font. Se je en voloie parler, je les feroie ja tous jehir. Sacés que assés en i a qui ont fait pis que ma mère n'ait. Car elle n'a coupes en chou que on li met sus. Et s'ele i a coupes, teuls coupes que ele a a pris cis preudom sur li. Et se vous ne m^en créés, demandés li. » Et li juge apielerent le preudomme et li demandè- rent se c'estoit voirs que Merlins lour avoit adont conté. Li preudom conte tout mot a mot canques la mère Merlin li avoit dit, [si li demandent] se che est voirs que ele di- soit, que tel chose li fust avenue. Et li preudom respont : a Je li dis que elle n^avoit garde envers Dieu ne enviers le monde, qui droit li feroit. Ele meesmes vous a conté commentelefuengingnie, et c^estmierveille de cest enfant, que ele encarka sans délit d'omme et si ne set qui Tengenra, et (/. 28 ^j si en fu confiesse et repentanset Ten carchai sa et lui fait établir penitance.» Et H enfcs dist au preudomme: «Vousavésen la date de la con- gs^rit r(u)eure toute et la nuit que je fui engenrés, si poés ception. j^.^^ savoir quant je nasqui et Teure que je sui nés. Et
par che poés bien savoir grant partie de l'euvre ma mère. » Et li preudom respont : « Vous dites voir. Mais je ne puis savoir dont chis sens te vient. Car tu ses plus que nous tout. » Et lors furent apielees les femes qui
MERLIN 25
avoient esté en la tour avoec la mère Merlin. Et contè- rent devant les juges le termine de Tenfant, de Pengen- rer et dou porter et del naistre par l'escrit au preudome, se le troverent ensi comme il le dist. Et 11 uns des ju- un des juges ges respont : « Pour chou ne sera el pas cuite, se elle ne dé^^iare que cela dist qui t'engendra et qui est tes pères. » Et li enfes se "^ ^"^^ i'^^' ^^
courecha et dist : « Jeconnois mieus mon père que tu ne 'î"^"'^'^°^^"o'"- p . , . T- • • ' 1 , '^^'' '"^ P'^'"*^ de
fais le tien. Et ta mère set mieus qui t engendra que la i'c„fant ; Merlin
moie ne set qui m'engenra. » Et li juges se courecha et lui dit : je con-
dist a Merlin : « Se tu ses riens dire sur ma mère, je le "^^^ '"ï'^"^ "^"^
terrai bien a droit. » Et Mierlins respont : « Je savroie ^"^^^ ^"^ ^°' ^^
.... ,. p . . . . , ,, . tien, et ta mère
bien dire sur 11, setuen taisoiesjustiche, que elle averoit ^ -, ., ^.
' ' 7 T. devrait être bru-
mieus mort deservie que la moie mère. Se je le te faz lée et non la connoistre a li meismes, si claimme ma mère quite, car mienne. Le juge ele n'a coupes en che que on li met sus. (f. 28 ^) Et elle '^^''^i^re que s'il dist voir de canques elle dist d^endroit m'eneenreure.» P'"^"^''^ ^^^^' ^^
^ ... .•»*,. . , • r , mère sera acquit-
Et quant li juges 01 Merlin ensi parler, si en fu moult ^-.^^ irés.Etdist: « Merlins, vostre mère avrés rescousse d'ar- doir, se il est ensi. Mais tant saches tu bien : se vous ne savés tant dire seur ma mère dont je vous croie et que la vostre remaingne em pais , saches on ardera vous avoec. »
Atant prisent jour entre le juge et Mierlin a le quin- sainne, et li juges envoia querre sa mère et fîst l'enfant et sa mère moult bien garder, et il meismes fu tous jours avoec les gardes. Et maintes lois fu li entes mis en paroles de sa ' mère et d'autrui, mais en tous les quinse jours pa- role n'en pot - on traire. Et quant vint a la quinsainne, si On fait venir la vint la mère a[u] juge. Et quant elle fu venue, si mist on "i^'c du juge. Merlin et sa merc fors de la prison et les ^ mena on devant le peuple. Et lors dist li juges : «Merlins, vés ci ma mcre seur qui tu dois parler. Orc di chou que tu li vculs
I. la — i. puci — 3. la
S6 MERLIN
dire. » Et li enfes respont : t Vous n'estes mie si sages comme vous cuidiés d'assés. Aies, si menés vostre mère en une maison tout priveement et amenas] vostre plus privé conseil, et jou apielerai le conseil ma mère, che est Dieus li tous poissans et ses confessours. » Lors furent si es- bahi {f, 2g ^) cil qui ces paroles oirent que a painnes porent il respondre. Mais li juge connoist bien que il dist que sages. Et li enfes demande a tous les autres ju- ges : « Segnour, se je puis délivrer ma mère par raison de cest homme, sera elle quite de vous tous? » Et il res- pondent : « Scelle eschape de cestui, elle ne trouvera ja mais qui riens li demant. » En ceste manière que vous avés oi s'en alerent en une chambre entre Merlin et le Devant le juge, juge. Et mena li juges sa mère et deus autres hommes deux amis à lui et de ses amis Ics plus preudommcs que il pot trouver. Et le prudhomme, |j enfes i mena le confessour sa mère. Et quant il furent assamblé, si dist li juges : « Ore pues tu dire a ma mère chou que tu veuls, par quoi la toie mère doit estre quite.» € Je ne voel pas,» fait Merlins, « ma mère desfendre contre tort, mais je li voel le droit Damedieu sauver et le sien. Et saches que ma mère n'a pas le torment deservi que vous li volés faire. Et se vous m'en créés, vous quite(re)- rés ma mère et lairés a enquerre de la vostre. » Et li ju- ges respont : « Ensi ne m'escaperés mie, plus vous cou- verra dire. » Et Merlins dist : « Vous m'avés asseuré et ma mère, (et) se je le puis desfendre, que vous le cuitiés? » Et li juges respont : « Che est voirs. » Et Merlins res- pont : « Vous volés ma mère ardoir por chou que je sui nés de \i (f* 2 g b) et pour chou que elle ne set qui en li m'engendra. Mais se je voloie, elle savroit mieus dire quels fieus je sui que tu ne savroies dire qui fu tes pères, et ta mère set mieus quels fieus tu ies que la moie mère ne porroit orendroit dire quels fieus je sui ^ » Et li juges dist : tt Belle mère, ne sui je mie vostre fins de vostre loial espous? »
I. elle sauroit mieus dire quels fieus tu ies que ma mère nesau- roit dire quel fieus je sui
MERLIN 27
Adont respondi la mère au juge : « Biaus fieus, oil. » Et Merlins parole et dist : « Dame, il vous converra voir dire se vostre fieus ne quite ma mère et moi. Se il le vo- loit faire sans plus dire, je m'en tairoie. » Et li juges respont : « Je n'en ferai nient. » « Vous i gaaignerés ja tant, » fait Merlins, « que vous trouvères vostre père par le tiesmoing de vostre mère. » Et quant cil l'oirent qui erent au conseil, si se saingnierent et eurent moult grant mervieille de chou que Merlins disoit. Et Merlins dist a la mère au juge : « Dame, il convi[e]nt que vous dites voir a vostre fil quels fieus il est. » Et la dame dist : « Dyables Sathanas, dont ne l'ai je dit? » Et Merlins res- pont : € Vous savés bien certainnement que il n'est pas fieus chelui que il cuide estre. » La dame fu espoentee, si dist : « A cui dont ?» Et il dist : « Vous save's bien ^iciin '"i fait que il est fieus a vostre prevoire. A ces ensaignes que la ^^°"<^'' ^^^ ''^
' c • Li^i» l'i vrai pcre du juge
première fois que vous assamblastes a lui que vous h de- ,
■• ^ T est un prctre.
sistes que vous aviés paour d'encarkier. Et il vous dist que vous n'encarceriés ja de lui, et que il meteroit en es- crit toutes les fois que il girroit a vous, ff. 2g ^) pour chou que il meismes avoit paour que vous ne couchissiés a autre homme et que vostre sires estoit mal de vous en cel ter- mine. Et quant il fu engenrés, ne demoura gaires que vous désistes que vous estiés mal baillie de chou que vous estiés de lui grosse. Se che est voirs ensi comme je Tai dit, si le connissiés. Et se vous ne le volés reconnois- tre, encore vous dirai je el. « Et li juges fut moult irés et demanda a sa mère : « Est che voirs que il dist? » Et la mère respont, qui moult fu espoentee, et dist : « Biaus fieus, créés dont chou que cis dyables dist? » Et Merlins dist : « Se vous ncl connissiés, je vous dirai encore (a) au- tre chose que vous savés bien et voirs est. » Et la dame se taist. Et Merlins dist: «Je sai canques il i ot fait et dit. Voirs est que quant vous vous sentislcs grosse, vous fe-
28 MERLIN
sistes querre le pais de vostre signour a voslre prestre, pour chou que vous vous voliés couvrir que vousfuissiés grosse de lui, et le cuist tant et pourcacha que il le fist et vous fist gésir ensemble od li. Ensi fesistes entendant au preudomme que li enfes estoit siens. Ensi le cuident mainte autre gent. Et chis meismes qui chi est le cuide pour voir que il fust fieus au preudomme. Et dès lors en cha avés ceste vie menée et menés encore. Et la nuit que vous meustes a venir (f. 2g ^J cha jeustes vous en- samble. Et au matin vous convoia il grant pieche. Et quant il se départi de vous, il vous dist en conseil en riant : « Biele suer, or pensés de faire et de dire canques a mes fieus vaurra.» Car il savoit bien que chis estoit ses fieus et par son escrit. » Quant la mère au juge oi Mer- lin ensi parler et que ele sot bien que il disoit voir, si s'assist et fu moult destroite. Et voit bien que il li con- verra dire voir. Et ses fieus le regarde et dist : « Biele mère, qui que soit mes pères, je sui vo(u)s fieus, comme fieus vous ferai. Mais dites voir se cis enfes dist vérité. » Et la mère respont : « Biaus fieus, pour Dieu merchi ! Je Le juge recon- ^^^ ^^ P"^^ celer, Car tout ensi comme il l'a dit est il. » naît que, puis- Et quant li juges l'oi, si dist : « Voir disoit cis enfes, qu'il qu'il épargne sa savoit micus qui estoit ses pères que je ne savoie qui mère, il ne peut gs^QJ^ jj miens. Et si n'est pas drois que je face justice de
condamner celle . iriji • t^j-^i**
de Merlin mais ^^ ^^^^ quaut )€ nel fach de la moie. » Et dist li juges a prie celui-ci de Merlin: a Mcrlius, je te pri pour Dieu, pour chou que je lui dire de qui il puisse ta mère descouper envers le peuple et toi, di moi est fils. Merlin ra- quj est tes percs. » Et Merlins dist : « Je le te dirai plus conte qu'un dia- p^^j. t'gmour que pour ta force. Je voel que tu saces que
ble l'a engendré, . . n ., •• • c-
mais que Dieu J^ ^^^ "^^^ " "" aucmi qui engmgna ma mère. Et saces en considération ^ue ccste manière d'anemis ont a non Ekupedes, et de sa mère, lui a repairent en Tair. Et chis m^a donné le sens de savoir les donné la science choses dites, faites et alees. Et pour chou sa ge la vie que
de l'avenir en ou- • ■r-> '
„ _, ta mère a tous lors menée. Et nostre sires vaut que je
trc de celle du . .
passé qu'il tient cusse tel mémoire pour la bonté ma mère et se boine de son pire. repentance, et, pour le commandement de sainte eglyse
MERLIN 29
que je croi, m'a donné tant de vertu que je sai les choses qui sont a aven'r en partie. Et si le pues savoir par chiou que je te dirai. » Lors le traist Merlins a une part et li dist : « Ta mère s'en ira et contera a chelui qui t'engen- dra chou que je lui ai dit. Et quant il orra que tu savras 11 annonce au la vérité, il avéra si grant paour de toi que il s'en fuira. )^è^ ^^^ ^^ p^'^- Et li dyables quels oevres il a tous jours menées si l'en ^'^' '''"^^"^ '^^ ^^
. . , . _ , mère, se noiera
menra a une rivière, et la se noiera. Et pour chou poes ^^ apprenant ce
prouver que je [sai] les choses qui sont a avenir. » Et li qui s'est passé.
juges respont : « Merlins, se chou est voirs que tu m'as
dit, je ne te mesquerrai ja mais. » Ensi départirent de
lour conseil et vinrent devant le peuple, et dist li juges
au peuple : « Chis enfes a bien rescousse sa mère d'ar- La mère de
doir. Et sachent tout cil qui cest enfant verront qu'il ne Merlin est acquit-
verront ja mais plus sage ne onques ne virent. » Et cil
respondent tout : « Dieus en soit aourés, se elle est res-
pitee de la mort. »
(f. 3o V >->Hi endroit dist li contes que Merlins rcmest avoec les juges. Et li juges en envoia sa mère et deus hom- mes avoecques li pour savoir se c'estoit voirs que Merlins li avoit dit dou prouvoire et de la mère au juge. Si tost que ele fu venue a son hostel, si parla au prou- voire en conseil et li dist la merveille que elle avoit oie. Et quant cil Toi, si fu si espoentés que il ne li pot mot Le prêtre se respondre, et lors se pensa que si tost que li juges verroit noie comme Mer- qu'i[l] l'ochiroit. Si s'en ala pensant fors de la ville. Et vint "" ''"'"'' P'*^^'^* a une rivière et dist que mieus li venoit que il se noiast que on l'ochesist, ne que il le fesist morir de vilainne mort. Ensi le mena ' dyables quels oevres il avoit faites qu''i[l] le fist sailir en l'iauc, si se noia . Et che virent cil qui en furent aie avoec la mère au juge. Pour chou dist li con- tes que f nusj ne se doit des gens fuir, que li dyables repaire
I . menai
3o MERLIN
plus tost avoecques (f. 3o V un homme seul que avoe- ques plusieurs. Ensi revinrent cil qui che orent veu- Et quant il furent venu la ou li juges estoit, si li contèrent Puevre si comme il Torent veue. Et au tierch jour comme il furent la s^estoit cil noiiés. Et quant li juges Toi, si s'en esmervilla, et vint a Merlin et li dist. Et Mer- lins en rist et dist au juge : a Or pues tu bien veoir se je te di voir. Et je te pri que tout ensi que je le te di[s] que tu le dies a Biaise. Et cil Biaises estoit confessours ma mère. » Et li juges conta a Biaise la merveille si comme elle avoit esté del prouvoire. Atant s'en ala Mer- lins entre lui et sa mère et Biaise, et li juge s'en râlèrent Le prudhom- d'autre part. Et cil Biaises fu moult boins clers et moult me, qui s'appe- soutieus. Quant il oi ensi parler Merlin et si soutilment, lait Biaise, s'é- • ^^ ^j ^^j^ ^ estoit qu'il n'avoit mie a celé eure
merveille de cette ^, , , , . . , . ... , ,
science d'un en- P^^^ "^ ^^^^ ^"^ ^^ demi, SI S esmiervilla moult dont si
fant de deux ans grans sens li pooit venir. Si se mist en moult grant
et demi. painne d*essaiier Merlin en mainte manière. Tant que
Merlins dist a Biaise : « Ne m'essaie mie. Car quant
plus m'essaieras, plus t'esmiervilleras. Mais fai che que
je te proierai et croi en partie chou que je te dirai,
si t'aprenderai a avoir l'amour Jesucrist. » Biaises
dist a Merlin : « Je t'ai oi dire et je le croi bien que tu
ies concheus dou dyable, si te redout moult que tu
Merlin lui ex- (f. 3o ^) ne m'cngingnes. » Et Merlins dist : « Il est
piique l'origine coustumc de tous mauvais cuers que il voient en tout
de ses dons sur- j^^j. fj^jj-g^s) et notent plus le mal que le bien. Ensi que
naturels, , • j- • . • r: j j ui •
tu m as 01 dire que je estoie nus dou dyable, aussi m'ois tu dire que Dieus m'avoit donné sens et savoir des choses qui sont a avenir. Et pour chou, se tu fuisses sa- ges, deusses tu savoir et esprouver au quel je me devroie tenir. Et saces tu bien que Dieus voult ^ que je seusse ces choses pour chou que dyable m'ont ' perdu, mais je n'ai pas pierdu lor engien ne lor art ^ Ains tieng d'aus che
I. veult — 2. dyables ma — 3. mon e. ne mon art
MERLIN 3 1
que tenir en doi. Mais je nel tieng mie pour lour preu, ne il, quant il me conchurent en ma mère, ne furent mie sage. Car il me misent en tel vaissiel qui ne devoit mie estre leur, et la bontés de li lour nuist moult. Mais s'il m'eussent concheu et mis en m'aiole, je n'eusse pooir de connoistre que Dieus est et fuisse leur. Et (puis) vint par li tous li tormens que ma mère ot de son père et des au- tres damages que tu li as oi conter. Mais croi chou que je te dirai de la foi et de la créance Jesucrist. Et je te etrengageùfaire dirai tel chose que nus, fors Dieus, ne te savroit dire. Si "" ''^"^^ ^^ ^^ en fai un livre. Et maintes gens qui orront che livre i^'^' i"' révé'^ra. que tu feras en seront millour, et s'en garderont de pe- chier, et feras (f. 3i ^) grant aumosne se tu le fais.»
Olaises respont a Merlin : « Je ferai volentiers le livre, Biaise y con- mais je te conjure el non del père et le fil et le saint es- sent, périt et de la deboinaire dame qui le cors Dieu porta et de tous ses angles et archangles et apostles et de tout canques de Dieu est, que tu ne me puisses dechevoir ni engingnier, ne faire chose qui au plaisir nostre signor ne soit.» Et Merlins respont : « Toutes les créatures dont tu m'as parlé me puissent nuire envers Dieu, se je te faich chose qui contre sa volenté soit. » « Ore me diras dont, » dist Biaises, « chou que tu vaurras de bien, car je le ferai dès ore mais.» Et Merlins dist : « Or quier dont enche et parchemin assés, que je te dirai moult de choses que tu métras en ton livre.» Et quant il ot tout ^ quis, si li conta Merlins les amours de Jesucrist et de Joseph tout et Merlin lui fait ensi comme eles avoient esté, et d'Alain et de sa compai- '^^"'"'^ ihistoirc gnie tout ensi comme il avoit aie, et comment Joseph se ,^. °''?'' . ^ '
*-' ' ' lain et des siens,
dessaisi dou vaissiel et puis dévia, et comment dyable(s) ^^^ ^aint vase et apriès toutes ces choses qui furent avenues prisent con- de sa propre nais- seil que il avoient perdu lour pooir que il soloient avoir '^^"'^c.
I. tous
32 MERLIN
seur les hommes, et se li conte comment li prophète lor* avoient mal fait, et pour chou [s'Jestoient. [acordé] en- samble * comment il feroient un (f, 3i ^) homme. « Et tu as bien oi et seu par ma mère et par autrui le painne et l'engien que il i ont mis. Et par la folie dont il sont plain m'ont perdu. » Ensi devisa Merlins ceste oevre et le fist faire a Biaise. Et moult s'esmiervilla Biaises des mierveilles que Merlins disoit, et toutes voies li sam- bloient estre boines et si i entendoit moult volentiers.
Merlin annonce Cndementiers que il entcndoit a ceste oevre faire, à Biaise son dé- gj dist Merlins a Biaise : « Il me converra de ceste chose part et lui prédit ^^ ^^j^ ^^^^j^ ^^^^ painne souffrir. » Et Biaises li
qu'il ira vivre 7 1- 1/ i- j- t
avec ceux qui demande comment. Et Merlms dist : « Je serai envoiies gardent le saint querre de viers occident. Et cil qui me verront querre graai; avront juré lour signeur que il m'ochiront et li porte-
ront le sanc de moi. Mais si tost comme il me verront et m'orront parler, si n'en avront ja talent. Et quant je m'en irai avoec iaus, tu t'en iras en ces parties ou les gens sont qui ont che saint graal, et tous jours mais sera ta painne et tes livres retrais et volentiers ois de toutes gens. Mais il ne sera pas en auctorité, pour chou que tu n'es pas ne ne pues estre des apostles. Ne li apostle ne misent onques riens en escrit de nostre signeur que il n'eussent veu et oi, et tu n'i mes riens que tu aies ^ veu et oi d'autrui que de moi.
« Et ensi comme je sui oscurs et serai enviers chiaus ou je ne me vaurrai esclairier, ensi sera tous li livres ce- lés, et peu avenra que ja nus en face bonté. Et tu l'en porteras quant je m'en irai avoec chiaus qui me verront querre. Si sera Joseph [et li livres des lignies que je t'ai
1. li — 2. assamble — 3. que tu naies
MERLIN 33
amenteues] avec le tien et le mien; et tu avras ta painne iis réuniront leurs
finee et tu seras teuls comme tu dois estre en lour com- Uvres et en feront
paignie ; lors si assamblera tes livres au sien, si sera bien "" ^^"'•
la * chose prouvée de ma painne et de la toie. Ensi en
avront mierchi, se iaus plaist. Et il proieront nostre si-
gnour por nous. Et quant li doi livre seront assamblé,
si i avra un biel livre. Et li doi seront une meesme chose
fors tant que je ne puis dire, ne drois n'est, les privées
paroles de Joseph et de Jesucrist. » Et Engletere n'avoit
adont eut encore roi crestiien ; ne des rois qu'i avoient
esté ne me tient a retraire fors tant que a cist conte
monte.
Ore dist li contes que un roi avoit en Engletere Le roi Cons- qui avoit non Constans. Et icilConstans régna uncgrant tant d'Angleterre pieche et si avoit trois fieus; si en ot un qui ot non Moi- ^^'^^^ ^^^^^ ^^'^
^T .. -^ T-»j ^i-^- TT- Moine, Pendra-
nes, et li autres avoit non Pandraeons, et h tiers Uters. /,.
' ^ ' gon et Lter ;
Et si avoit un senescal qui avoit non Vertigiers. Icil Ver-
tigiers estoit moult sages et engingneuset bons chevaliers
au tans qui estoit adont. Et Constans ala de vie a mort.
Et quant il fu mors, si demandèrent de cui il feroient ji ^y^Q^^i -. Moine
roi. Et li plus s'acorderent que il le feroient de(l) Moine, lui succède; il
Et quant Moines fu rois, si ot guerre, et Vertigiers fu ses est jeune et sans
senescaus. Et li Saisne guerrioient le roi Moyne. Et cil ^'^''^"'■' ^o" ^^-
, , , , „ . , . f . ncchal Vertigier
qui estoient de la loy de Homme vinrent pluiseurs lois devient tout-nuis- combatre as crestiiens. Et Vertigiers, qui estoit senescaus gant. de la terre, faisoit dou tout a son plaisir. Et li enfes qui rois estoit n'estoit pas si sages ne si preus que mestiers li fust. Et Vertigiers avoit moult de la terre trait a soi et lcs Saisnes les cuers des gens, et sot bien que il le tenoient pour preu. guerroyant le roi. Si li leva orguels, et dist, pour chou que il vit bien que ^'^•"tigicr refuse il n'estoit nus qui pcust chc faire que il faisoit, (si dist) ''' '"^^' que il ne s entrcmcteroit plus de la guerre le roi, si s en
34 MERUN
traist arrière. Et quant li Saisne oirent dire que Verti- giers avoit la guerre Juissie, si assamblerent et vinrent a grant ost seur les crestiiens. Et li rois Moynes vint a Ver- tigier et dist : < Biaus amis, aidiés la terre a desfendre, car je et tout cil qui i sont sont en vostre volenté. » Et Vertigiers respont : « Sire, or i aillent li autre, car Je ne vous puis mais aidier. Car il a gens en vostre terre qui me heent pour vostre service. Ore si voel qu'il aient ceste bataille, que je ne m'en entremetrai ja mais.» Quant li rois Moynes et cil qui avoec lui estoient virent que il ne Moine est vain- trouveroient autre chose en Vertigier, si s'en tornerent et eu. alerent combatre as Saisnes. Et li Saisne se combatirent
a iaus, si les vainquirent. Et quant il les orent vaincus, si s'en alerent et disent que il avoient tout perdu. Et di- sent que il n'eussent pas ceste perte faite se Vertigiers i eust esté. Ensi remest. Et li enfes ne savoit pas si bien maintenir terre ne n'avoit le cuer des gens comme mes- tiers li fust. Si l'aqueillirent li pluiseur en haine. Ensi remest une grant pieche. Et tant que li rois Moynes fu tenus a si malvais que il disent que il ne soufferroient Des barons du plus sa malvaisté. Lors vinrent a Vertigier, se li disent : pays viennent « Sire, nous sommes sans roi et sans signour, car chis trouver Vertigier ^^^^ ^^^^ avous ne vaut riens. Nous vous prions
et lui demandent r\- .. , . . / ^
d'être roi • il ré- P^*^^ l^teu que VOUS soiics rois et SI nous gouvernes. Car
pond qu'il ne il ^'est nus hom en ceste terre qui si bien le puist avoir
pourrait le deve- ne doic commc VOUS. » Et Vertigicrs respont : « Se il es-
nirque si Moine toit mors et VOUS et li autre vausissiés que je fuisse rois,
était mort. j^ j^ seroie volentiers. Mais tant qu'il vive je ne le puis
estre. » Cil oirent la parole Vertigier, si pensèrent chou
que il vaurent. Si s'en tornerent d'iluoc et prisent congié
a lui.
VOUANT cil furent venut en leur pais, si mandèrent de leur amis. Et quant lour ami furent venut, si parlèrent ensamble. Et cil qui avoient esté a Vertigier lour dient
. la couronne à
MERLIN 35
comment il avoient parlé a lui. Et quant lour ami oirent
chou, si disent : « Chou est ^ dou mieus a faire que nous
rochions. Et quant nous Tarons (f. 32 ^J ochis, si sera
Vertigiers rois. Et puis savra que il le sera par nous, et
que nous avrons mort le roi Moyne pour lui, si fera tout
chou que nous vaurrons. En ceste manière porrons nous
tous jours mais estre seigneur de lui. » Lors alornerent
entr'aus li quel d'iaus Tochirroient. Et lors si en esliu-
rent douze. Et icel douze s'en alerent la ou li rois Moynes Douze d'entre
estoit. Et li autre furent en la ville pour chou, si on eux tuent le roi
vausist a chiaus mal faire, qu'il lor aidaissent. Et icil ^lo»"^. ^^ offrent
j • , ., 1 • » r ,. la couroi
douze vmrent la ou il trouvèrent le roi Moyne, se li vertigier coururent sus a coutiaus et as espees, si Fochirent. Et che fu tost fait, car il estoit jovenes enfes. Et quant il Torent mort, si ne troverent pas qui granment en par- last ^ Et cil vinrent a Vertigier, se li disent : « Verti- giers, or seras tu rois, car nous avons ochis le roi Moyne. »
VOUANT Vertigiers oi que il (que il) avoient mort leur qui leur reproche signour, si en fu moult irés. Et lor dist : a Signour, sévèrement leur moult avés mal fait de vostre signour ochirre. Et je vous '^'""*^* lo que vous en fuiiés pour les preudommes de la terre, car il vous ochirront se il vous pueent tenir. Et il m'en poise moult que vous estes chi venus. » Ensi s'en râlè- rent. Et ensi fu mors li rois Moines. Et apriès chou avint que les gens {/. 32 ^) dou roiame s'assamblerent. Et quant il furent assamblé, si parlèrent entr'aus de qui il feroient roi. Et Vertigiers, si comme je vous ai dit, avoit il est fait roi. les cuers des gens et de la terre, si s'acorderent tout plainnement que Vertigiers fust rois. Ensi se sont acordé a Vertigier. A cel conseil (conseil) ot deus preudommes les gardiens qui gardoient les autres deus enfans, Pendragon et Uter. '^'^ Pendragon et Etcildoi enfant estoient Hl Constant et Irere au roy '^'^'*-"'" '"'■'"""''■
nent dans un pays étranger du I, en — 2. plaist côté de l'Orient
36 MERLIN
Moine qui mors estoit. Et quant li preudomme oi- rent que Vertigiers seroit rois, si lour fu moult avis que il avoit fait le roi Moyne ochirre. Si parlèrent entr'aus et disent : « Si tost comme il sera rois, si fera il ces deus enfans ochirre que nous gardons; et nous amames moult le père, car il nous fist moult de biens, et par lui avons nous encore chou que nous avons. Et moult seriesmes ore mauvais se nous ensi ces deus enfans laissiens (ensi) perdre. Et nous savons bien que si tost que Vertigiers sera rois, il les fera ochirre por chou que il set bien que li roiaumes doit estre leur, si les occhirroit ains qu'il fuissent en aage dou demander lour terre. » Lors dient li doi preudomme et s'acorderent que il s'en iront et en merront les enfans en estranges terres viers orient, pour chou que de la estoient venu (/. 33 ^) lour ancissour. Ensi les garderoient, que Vertigiers ne les porroit ochire. Tant firent que il en menèrent les deus enfans. Et d'aus ne vous doi je mie plus (plus) parler tant que li drois contes m'i ramaint. Mais tant puet on bien noter par cest conte ^ que on ne pert mie qui bien fait au preu- domme.
K^m endroit dist li contes que Vertigiers fu esleus a
Les meurtriers roi si comme je VOUS ai conté. Et quant il fu sacrés et
deMoinedeman- siies dou pais, si vinrent a lui cil qui le roy Moyne
le^ur récom'^^'n " avoient ochis. Et quant Vertigiers les vit, si ne fist on-
' ques nul samblant que il les eust onques mais veus. Et
cil s'embatirent seur lui et li commenchierent a repro-
chier que par iaus estoit il rois et que il avoient ochis le
roi Moyne. Et quant Vertigiers lour oi dire que il avoient
occhis lour segnour, si les commanda tous a prendre et
dist : « Vous meisme vous estes jugié, car vous n'aviés
(/. 33 ^) droit de lui ochirre. Et autressi fériés vous de
I . conter par ceste chose
MERLIN 37
moi, se vous poiiés. Mais je m'en savrai moult bien gar- der. » Et quant cil oirent ceste parole, si en furent moult espoenté, si disent a Vertigier : « Sire, nous le cuidames avoir fait porvostre pourfit, et pour chou que nous cui- diensque tu nous en amaisses mieus. » Quant Vertigiers Toi, si dist : « Signour, je vous mousterrai comment on doit amer tés gens comme vous estes. » Atant les fist ii les fait même prendre tous douze, si les a fait Hier a douze chevaus, et '^ '"o^t tant les fist detraire que pau en remest ensamble. Quant cil furent mort, si avoient moult grant lignage qui vin- rent a Vertigier, se li disent : « Vertigiers, tu nous as Leurs parents fait moult grant honte, qui nos parens et nos amis avés '^'^ciarent qu'ils
i-^j..i- j ^ • ,en tireront vcn-
ensi ochis et de si vilamne mort comme detraire as che-
geance ;
vaus. Nous ne ferons jamais de boin gré ton service. » Quant Vertigiers oi que cil le manechoient, si en ot moult grant despit, si leur respondi et dist que se il en par- loient, tout autretel feroit d'aus faire. Quant il l'oirent que il les manechoit, si en orent moult grant despit. Si li respondirent ireement, comme cil qui gaires ne le dou- toient, et disent : « Rois, tu manecheras canques tu vaurras. Mais itant te disons que tant que nous avrons (f. 33 ^) nul ami ne te faurra guerre. Et de chi en avant te desfions nous ; car tu n'iés mie nos sires, ne le terre ne tiens tu mie loiaument. Et saces que d'autretel mort comme tu as fait morir nos parens te couverra morir. » Et plus ne disent, si s'en vont. Et quant Vertigiers sot que a morir l'en convcrroit, si en fu moult irés. Ensi meut grans contenchons entre Vertigier et chiaus quels parens il avoit fait ochirre. Car cil amassent gent et en- ils lui lont la trent en la terre. Vertigiers ti(e)nt la terregrant tans apriès, sucrr*^ c» sont et maintes fois se combati a chiaus. Et tant s'i combati '^'^^^'^" ^" p^>^- que il les gieta de la terre. Et quant il furent fors, si de- vint Vertigiers si malvais a son peuple que il ne le po- rent souffrir, si révélèrent tout contre li. El quant Verti- '^'^'^^'f^''^'"' ^^^
, . r ' . . 1 . *J^ ^o" peuple, re-
giers Vit chou, si en fu tous espoentes que il ne le gic- cherche raiiiancc taissenl fors de la terre. Si rcnvoia Vertigiers par ses mes- des saisncs,
38 MERLIN
sages querre les Saisnes, et dist que il feroit pais a iaus.
Et quant liSaisneoirent que Vertigiers requeroit la pais,
si en furent moult lié. Et de ces Saisnes en i avoit un qui
avoit non Hangus, et plus fier fu des autres. Chis Hangus
avoit servi longuement Vertigier. Et tant le servi que
Vertigiers vint au dessus de sa guerre. Et quant sa
querre fu finée, si parla Hangus a lui, et li dist que ses
pueples ^ le haoit moult. Tant fist Hangus et tant pourca-
ct épouse la fille cha que Vertigiers prist une soie fille a femme. Et sa-
de Hangus, un chent bien tout cil qui che conte orront que [ce fu celé
c eurj. c es, • premièrement dist en Eneleterre s^arsoil. Je ne vous
bien qu'elle fût ^ . ^ i j u . r • - .
païenne. ^^^ ^^^ P^^^ parler de Hangus ne de son afaire ; mais]
moult furent dolant li crestiien quant il Tôt prise, et disent
maintes fois de teus i ot que il avoit grant partie laissiet de
sa creanche pour sa feme, qui n'estoit pas de la loy Jesu-
crist. Après sot Vertigiers que il n'estoit pas bien amés
de tous ses hommes. Et savoit que li fil Constant s'en
estoient aie en estraingnes terres et que il repairroient au
plus tost que il porroient. Et il sot bien que si tost que
il reverroient ou pais que che seroit por lui damage
II veut cons- faire. Si se porpensa que il feroit une tour si haute et si
truire une tour fQ^j-g qug jj n'averoit garde de nul homme. Et quant il
imprena e. roib ^^ Qj-g^t trois toises u^ quatre faites par deseure terre, si
fois les murailles ^ ' '
commencées s'é- chaoit tout jus. Ensi le fisent trois fois (fois), [ce dit li croulent. contes des estoires,] et trois fois chei.
C^UANT Vertigiers vit que sa tours ne porroit tenir, si en fu moult irés, et dist que ja mais n'avroit [joie] se il ne savoit pour coi sa tours cheoit. Lors fist mander par toute sa terre tous les sages hommes, et il i (/. 34 ^J vin- rent. Et quant il furent tout venu, si leur conta Verti- giers toute la merveille de sa tour qui ensi chaoit, et que riens n'i pooit durer que on i fesist. Si lour demanda
I. pères — 2. ver
MERLIN 39
Vertigiers a tous conseil. Quant li preudoume oirent Ses conseillers telle merveille et il virent Puevre toute cheue, si s'en "'y comprennent miervillierent moult et disent a Veriigier : « Sire, che ne '"''^"' ^^ ''^"S"^"
, ... M » 1 sent i consulter
puet nus savoir, che nous est il avis, se il n est clers. d^ sage^ cicrcs. Mais li clerc sevent moult par force de clergie que autre gent ne sav[r]oient mie. Et se tu le veuls savoir, tu ne le pues savoir se par iaus non. » Lors dist Vertigiers : « Il me samble que vous dites voir.» Atant fist mander tous les sages [clers] de par toute sa terre. Et quant il furent tout venu, si lor moustra Vertigiers celé miervelle, et il disent li uns a Fautre : « Chou est moult grant merveille que li rois nous a dite. » Et puis si traist li rois les plus sages a une part a conseil, si lour dist : « Signour, me savriés vous consillier pour coi ma tour chiet? Car riens que je i puisse faire ne puet tenir ne durer. Si vous vaurroie a tous priier que vous mesissiés painne par coi je le seusse, que on m^a dit que je nel puis savoir se par vous non. » Quant li clerc oirent chou que li rois {f. 34 ^) leur re- queroit [,si disent] : «Sire, nous n'en savons riens, mais il a chi de teuls clers qui bien le porroient savoir, s'il s'en voloient entremetre [, par une art qui a non astro- nomie]. » Et li rois respont : « Vous meisme qui chi estes, ki les connissiés mieus que je nefaich, si le sachiés entre vous li quel che sont. Et cil qui le savront ne s'en traient mie arrière, mais viegnent avant et dient hardie- ment. Et il ne m'en demanderont ja chose, mais que il dient pour coi elle chiet, que il n'avront. »
Atant se traient li clerc a une part a conseil. Et de- mandèrent li un a l'autre s'il en i a nul qui sache de cel[e] art. Lors en i a deus qui se traient avant et dient que « nous en savons assés, che quidons, pour tel chose savoir. Et si a chi d'autres clers qui en sevent.» Et li preudommc ^^^'^^ "l^^'
.... gncnt sept dcn-
dient : « Aies, si querés vos compaignons qui riens 1 ^^^ ^^^^ savants pueent savoir. » Tant quisent que set en i ot. Et de ces en astronomie.
40 MERLIN
set n'i ot nul qui ne quidast estre maistres a l'autre. Et ensi furent amenet devant le roi. Et li rois lour demande [se il quident que il lui sachent a dire] pour coi sa tour chiet. Et il respondent que oil, se il doit estre seuu par nul homme. Et li rois dist que se il li dient, que il lor donra chou que il vaurront. Ensi se départirent li rois et li (f. 34 <^) clerc dou conseil. Et li set clerc demourerent (avoec li), si s'entremisent moult de sa- voir pour coi celé tours chiet et comment elle se Ils ne découvrent porra tenir. Cil set clerc furent moult sage de tel art et rien : moult i misent grant entente. Et com plus s'en penoient,
et mains en savoient, et se n'i pooient riens trouver que une seule chose, et che que il i trouvoient ne tenoit riens a celle tour, che lour fu avis ; si en furent moult es- poenté. Et tant que li rois les hasta et les fist mander devant lui , si lor dist li rois : « Signour, que ne me di- tes vous chou que vous me devés dire? » Lors dient li clerc : « Sire, che est moult grant chose que tu nous de- mandes. Il convi[e]nt que tu nousen donnes encore jour dusqu*a onze jors.» Et li rois lor dist : « Je voel que vous l'aiiés. Regardés, si chier que vous avés vo cors, que vous le me sachiés a dire au chief de onze jours. » Et il respondent : « Si ferons nous sans faille. » Lors s'en alerent a conseil et demandèrent li uns a l'autre : « Sei- gnour, que dites vous de ceste chose? » Et il dient : « Nous n'en savons riens. » Ensi le demandent li uns a l'autre, ne li uns ne veult dire a l'autre chou que il set. Tant que il en i ot un qui estoit li plus sages (f. 34 <^) d'iaus tous, si lour dist : « Signour, faites le bien. Dites le moi tout a conseil li uns sans l'autre che que il en set. Et je n'en encuserai nul se par le conseil de tous ne le faich. » Et il respondent tout que il l'otroient bien et volentiers.
MERLIN 41
Atant traist cil qui estoit plus saiges de tous les au- tres chascun a une part a conseil. Et demanda Fun après l'autre a chascun son avis. Et chascuns li dist autretel parole li uns comme li autres, que il de la tour ne sa- voient riens, mais il veoient une autre mierveille : que il veoient un enfant de set ans qui estoit nés sans père d'oume terriien [et conceus] en une feme. Geste parole disent tout li set clerc. Et quant il les ot tous escoutés, si lor dist : « Venés tout devant moi ensamble. » Et il si firent. Et mais ils voient quant il furent tout venu, si lour dist : « Seignour, vous dans les astres avés tout dit une parole et si m'avés une chose celée. » qu'un enfant sans
T-.,,.j. ^ ^ j. , père les fera tous
Et il h dient : « Ore nous dites chou que nous vous ^^om-ir avons dit et che que nous vous avons celé(e). p Et il lour dist : « Vous dites que vous ne save's riens de celé tour comment elle peust tenir. Mais vous avés veut un en- fant de set ans qui est nés sans père d^oume terriien(s) et concheus en feme. Ne vous tout ne m'avés dit autre chose. Et (f. 35 ^) je vous dirai tant, que je voel que vous m'en créés, qu'il n'i a nul de vous qui(l) n'ait veut qu'il doit par cel enfant morir. Et je meismes l'ai veut certai- nnement aussi comme uns autres de vous. Et che est la parole que vous m'avés celée. Mais a chou devons nous conseil mètre dès que nous sommes tant devant nos mors. »
Atant dist cil qui estoit plus sages d'aus tous : « Se- gnour, se vous m'en volés croire, nous garderons bien Pour l'cvitcr. nos vies. Et vous savés bien se je vous ai dit voir. » Et cil dient que il dist voir : a Ore vous prions pour Dieu que vous mêlés conseil en nos vies.» Et il respon(den)t : « Bien seroit ore faus qui ne l'i saroit mètre. Savés vous
r -, -KT , ils conviennent
que nous terons? Nous nous acorderons tout a une pa- dédire au roi que rôle, et dirons que cek tours ne puet tenir ne ja mais ne sa tourne tiendra
4^ MERLIN
qucsionmcieau tcnra, sc il n'a el mortier del fondement mis del sanc a mortier le sang j.g| enfant q^jj gst nés sans père ; et qui porroit cel sanc
de l'enfant sans . * . '^ , , "^
père- mais il faut ^^^^^ ^^ metrc OU moFtier, SI tenra la tours et sera tous qu'on le tue des jors mais bonne. Et ensi le die chascuns pour soi, que li qu'on l'aura trou- rois ne s^aparchoive pas que nous avons tel chose es- v«i,ct sans qu'il meue. Et ensi nous porronsnousgarderdelamort [ctj do par au roi. çj^gj^j p^j. ^ui nous avons veut que (f. 35 ^) nous devons morir. Et faisons bien le roi desfendre que il ja ne le voie, mais cil qui le querront l'ochient la ou il le trou- veront, et le sanc de lui aporteront au roi. » Ensi ont H clerc lour paroles acordées. Et puis s'en vinrent devant le roi et li dient : « Sire, nous ne vous dirons pas tout nostre sens cnsamble, mais cascuns par soi, si savrés li quels vous dira mieus. » En ceste manière font li clerc samblant que li uns ne sace riens de l'autre. Ensi conte cascuns sa parole au roi et as cinc hommes de son conseil avoec lui. Et quant il orent oie ceste mierveille, si s'en esmervillierent moult, et dient que bien puet estre ceste chose voire, se che puet estre voirs que hom puist estre nés sans père. Et li rois tint moult ses clers a(s) sages, si lor dist : « Signour, vous m'avés tout ceste parole dite et cascuns par soi. Or le nous retraiiés dont tout en apert. » Et li rois lour retraist tout mot a mot si comme il li orent conié. Et lor[s] dient tout : « Sire, se che n'est voirs que nous vous avons dit, si faites de nous vostre comman- dement. » Et li rois lor demande se che puet estre voirs que nus hom puist naistre sans père. Et cil res- (f, 35 ^) pondent : a Nous n'en oismes onques mais parler que de cestui. Mais tant vous poons nous bien dire que chis est nés sans père. » Et li rois lour dist que il les feroit moult bien garder, et si envoieroit querre le sanc de l'enfant. Et il dient lors : « Sire, nous le volons bien, mais que tu l'enfant n'oies ne ne voies. Et commande que il soit ochis et que li sans de lui te soit aportés.
MERLIN 43
« En ceste manière que nous t'avons dit tenra ta Vertigier en- tours, se elle doit ja mais tenir. & Li rois fist mètre tous ^^''^ ^°"^- "^^^" ses clers en une forte maison et lour fist livrer chou que ^^sc"* p°"'" ^'"o"-
. , ^ ver l'entant , il
mestiers lour fu. Et prist ses messages et les envoia par(t) ]Q^^^. f^it jurer de tout deus et deus. Et de ces messages i ot douze. Et lour le tuer dès qu'ils fist li rois jurer sor sains que cil qui cel enfant porroit ''^"'■°"^^'0"V'^- trouver que il l'occiroit et qu'il aporteroit le sanc et que il ne revenroi[en]t dessi a tant que il Taroient trouvé. Ensi comme vous avésoi envoiaquerre li rois Merlin. Li mes- sage se départirent doi et doi et quirent par mainte terre et par maint pais, tant que doi des messages trouvèrent les autres deus, et quant il s'en furent entrecontré, si disent que il iroient (35 '^) une grant pieche ensamble. Ensi cavauchierent li message tout quatre, tant que il avint Quatre d'entre chose que il passoient un jour par mi un grant camp a eux arrivent près rentrée d'une vile. Et en cel camp avoit une compaii^nie ""^, j' ^ "^^
i r n voient des cn-
d^enfens qui choulloient. Et Merlins, qui toutes les cho- fants qui jouent à sessavoit, i estoit et vit les messages le roi Vertigier qui lu souie; parmi le queroient. Si se(s) traist Merlins le's un des plus riches ^^^ e»t Merlin enfans, pour chou que il savoit bien que il le mesaesme- q">« exprès, frap- roit, si haucha la croche, si en feri l'enfant en la gambe; ^^'^ .^^^^^ cnfanT et li enfes commencha a plourer et Merlin a laidengier qui rappelle en- et apieler fins sans père. Quant li message qui le que- tant sans père. roient oirent l'enfant ensi parler, si alerent tout quatre viers l'enfant qui ploroit, si li demandèrent : « Qui est cil qui t'a féru? » Et il dist : « C'est [li] fieus d'une feme que onques ne seult qui l'engendra, ne onques n'ot père. » Quant Merlins l'oi, sivint viers les messages tout en riant et lour dist : « Sienour, je sui chieus q ue vous (q ue vous) " '^'^ lui-meme
, ■ ,, \ 1 . / , ; aux messagers
queres et que vous aves jure(s) que vous ochirres et deves ,j, ^^^ ^.^j^j porter mon sanc le roi Vertigier. » qu'ils cherchent,
44 MERLIN
VOUANT li message oirent parler ensi Merlin, si s'en
esmervillierent (36 ^) moult et en furent tout esbahi, et
li respondirent [: « Qui t'a ce dit? • Et il respont]: « Jel
seuch très dont que vous le jurastes.» Et li message dient:
o Verras tu avoecques nous et nous t'en porterons ? » Et
Merlins respont : « Signeur, je douteroie que ne m^oce-
sissiés.» Et il savoit bien que il n'en avoient talent, mais
il le disoit pour iaus mieus apenser. Et Merlins lour dit :
et leur offre de * Signour, si VOUS me créantes que vous ne me ferés nul
les accompagner mal, je m'en irai avoec vous et se dirai au roi pour coi sa
et de dire pour- tours ne puet tenir, por coi vous veniésquerre mon sanc.»
quoi la tours'é- £j quant il oirent chou que Merlins disoit, si en furent
croule, à condi- ii-t-j-^i- h ^l» r
,., , tout esbahi. Et dist li uns a 1 autre : « Chis enfes nous
tion qu us ne le
tueront pas. dist merveilles. Et moult feriens grant pechié se nous Tochiiemes. » Et chascuns dist : « Je m'en voel mieus 11 prend congé parjurer. » Atant dist Merlins as messages : « Signeur, de sa mère, qui vous verrés avoec moi herbegier la ou ma mère est. Car est devenne non- j^ ^^ porroie aler avoec vous sans le congiet de ma mère et sans le congiet au preudomme qui est avoec li. » Et li messages dient : « Nous irons volentiers la ou tu vaur- ras. » Ensi les mainne Merlins en une maison [de nonains] la ou il avoit fait rendre sa mère, si commanda (36 *j a chiaus de laiens que il fesissent biele chiere as messages le roi Vertigier. Lors descendirent li message, et Merlins les en mena devant Biaise et li dist : « Veés chi che[us] que je vous di que il me dévoient venir querre pour ochirre.» Et Merlins dist as messages : « Signeur, je vous pri que vous dites voir a che preudomme de chou que je vous demanderai sans faillir, et tant voel jou bien que vous sachiés, se vous |mentés, je le savrai bien. » Et li message respondent : « Nous ne t'en mentirons ja [; mais tu meismes li conte, qui mieuz ses parler de nul de nous, et nous orrons bien se tu li diras nule mençonge]. » Et Merlins dist a Biaise : « Or entent bien chou que nous te
MERLIN 45
dirons.» Lors dist Merlins : « Signour, vous estes au roi qui a non Viertigiers. Et chis rois si fait faire une tour qui ne puet tenir, ains chiet tous jours. Et li rois manda clers pour savoir s'il en savoient riens pour coi elle cheoit. Si li disent qu'il li ensegneroient bien comment elle tenroit. Si gieterent leur sort, mais riens ne seurent de la tour pour coi elle cheoit, mais il sorent bien que j'estoie nés, si lor fu avis que je lour porroie bien nuire. Si s'assamblerent ensamble et disent que il m'ochiroient par chou que il diroient ^ au roi que la tour terroit se il i avoit de mon sanc qui estoie nés sans (36^ ) père. Et Vertigiers, quant il oi ceste chose, se li vint a grant mierveille, et quida que il dessissent voir. Et commandèrent au roi que il me fesist querre tant que je fuisse trouvés. Et disent au roi que il desfendist as ^ messages que il ne m amenaissent mie devant lui, et si t[ost] qu'il m'aroient trové qu'il m'oche- sissent et portaissent le sanc de moi por mètre el mortier de la tour. Et par ceste raison dient que elle tenroit. Et Vertigiers prist douze messages, si lor fist jurer atousque il m'ochirroient si tost que il m'aroient trouvé et li apor- teroient le sanc de moi. Ensi s'en alerent li message doi et doi. Et cist quatre se sont entrecontré et s'embatirent la u j'estoie. Et pour chou que je savoie bien que il me queroient me fis jou connoistre a iaus par un enfant que je feri pour chou que il me nommast. Ensi m'ont trouvé comme vous avés oi. Or lour demandés se je di voir. » Et Biaises lour demande, et il dient que ensi est il. Et li messagier content a Biaise que tout ensi comme il a conté dou roi et des clers ensi est il. Et Biaises se saigna et dist : « Se cil cnfcs vit par aage, il sera moult sages. Et si seroit moult grans damages si vous l'aviés ochis. n Et li message dient : « Sire, nous ameriemes micus a estre parjuré (3b ^) et que li rois nous tausist tous nos yretages. Et il' mcismcs,quilcsautrcs choses set, set bien
I. por chou que il disent — -i. il. que les m. — h. li
46 MERTJN
se nous en avons talent. » Et Biaises dist : • Vous dites voir. Et je li demanderai ja voiant vous. » Lors apiele Biaises Merlin qui s'en estoit aies pour chou que il vo- loit que il parlaissent ensamble, et li ^ dist tout cnsi comme il li ont conté. Et Merlins respont : « 11 ont voir dit. » Et Biaises li demande se il ont talent de lui ochirre. Et Merlins rist et dist: a Nennil encore.» Et li messa[ge] dient : tVous dites voir.» Etilli di[en]t: t Merlins, frère, verras tu avoec? » Et il di(en)t : « Oil, se vous me créan- tes que vous me menrés devant le roi et que vous ne soufferrés que nus maus me soit fais devant que jou aie au roi parlât. Et je sai bien que quant jou avérai a li parlé, je n'avrai garde. »
Cnsi creanterent li message a Merlin chou que il lour ot dit. Et Biaises dist : « Merlins, or voi je bien que tu me veuls laissier. Or me di que tu veuls que je face de ceste oevre que tu m'as fait commenchier. » Et Merlins res- pont : « Je t'en dirai : tu vois bien que Dieus m'a donné tant de sens et de mémoire que chis qui me quida avoir fait a son oes m'a pierdu, et fque] nostre sires m'a eslit a son service faire, et que nus hom ne puet faire che f3y ^J et de Biaise, au- [que je] faich 56 je non. Et vois bien que il m'en convient quel il dit de se aler avoec iaus au roi. Et quant je i serai [serai] li plus rendre en Nor- çj.gjjg ^^^ • onques fust en terre fors Dieus. Et tu i
homberlande, où , . , ,.,-.,.
il viendra sou- ^^^^^^ po"^ acomplir chou que tu as commenchie. Mais vent lui dire les tu ne verras mie avoecques moi, ains t'en verras par toi. merveilles à met- Et demanderas une terre que on apiele Norhomberlande. tre dans son h- g^ ^^jg ^gj.j.g gj ^^^ plainne de moult grans fo(i)rès, et si est
vre; plus tard il . -i • j ^ . , ,
ira re oindre ceux '^^^^^ estrange, car il 1 a de teus parties la u on n a en-
du lignage de Jo- core esté. Et la converseras, et je irai souvent a toi, et te
seph; dirai toutes les choses dont tu avras mestier a celé oevre
faire que tu fais. Et bien t'en deveras travillier, et tu en
I. lour
MERLIN 47
avéras moult bon loiier. Et (si) [ses tu quel ? tu] avéras a
ta vie acomplissement de * ton cuer et apriès la fine jo[i]e
pardurable. Et ton oevre sera retraite -tant comme cis sie -
clés duerra et volentiers oie. Et ses tu dont ceste grâce te
verra? Elle verra de la grasce que nostre sires donna a
Joseph, (et) a cui il fu donnés en la crois. Quant tu seras
bien travilliés pour li et pour ses ancisseurs et pour les
hoirs qui de son lingnage sont issu et tu avras tant de
boine oevre faite que tu doies estre en leur compaignie, je
t'ensegnerai la ou il sont, et {3'] ^) verras les glorieuses
saudees que Joseph eut pour le cors Jesucrist qui li fu
donnés. Et je voel que tu saces, pour toi faire plus certain
que Dieus m'a donné tel sens, que je ferai [de] tout le
règne la [u] jou irai travillier les preudommes encontre
un (roi) qui doit estre de cel lignage que Dieus tant aime ^
Mais je voel bien que tu saches que cist grant travail ne ii lui annonce la
seront devant le quart roi. Et cil rois a cui tans "* cil grant s'oire d'Artu ,
travail seront avra non Artus. Et tu t'en iras la ou je t'ai ^°^^ ^'''"^^ ^^^'
..... . , , tra aussi les hauts
dit,et)OU irai souvent a toi et te porterai toutes ces choses faits dans son li-
que je vaurai que tu metes en ton livre. Et saches tu que vre,
tes livres sera encore moult amés et prisiés de maintes gens
qui ja ne l'averont veut. Et quant tu l'averas fait, si le
porteras en la compaignie de ces boines gens qui ont ces
glorieuses saudees dont je t'ai parlé. Ne il n'avra per- que tout le mon-
sonne en ces parties ou je m'en vois que je ne te face ^«^^"'■a plaisir à
mètre auchune partie de sa vie de boins. Et saces que ^^^^'
onques nule vie de jans '' plus volentiers ne fu oie que sera
celé de che roi qui avra non Artus et des gens qui a ce
tans régneront. Et quant tu avéras tout chou acompli et
lor (3y <^j vies retraites, si avéras deservi tout chou que
il ont qui sont en la compaignie dou vaissiel que on
claimme graai. Et tes livres, por chou que tu en as fait
et feras de moi et d'aus, quant "^ tu seras aies et mors, si
I. a — 2. sera a retrairc — i. aman — 4. cil rois dcuant cui c. — b. diaus — 6. et
48 MERLIN
avra a non tous jours mais li livres dou graal, et sera moult volontiers ois. Car il i avéra moult peu de choses faites et dites qui ne soient pourfitables.»
tNsi parla Merlins a son maistre Biaise et li ensegna que il devoit faire. Et Merlins le clama maistre pour chou que il avoit esté maistres sa mère. Et li preudom quant il oi [Merlin] ensi parler, si en fu moult liés, et dist ; < Mer- lins, tu ne me commanderas ja chose a faire que je ne le face.» Ensi a Merlins atorné son [oirre a son] maistre. Et parole as messages qui sont venu pour lui querre, et lour dist : « Signours, venés avoec moi et s'oiiés le comman- dement de moi et le congié de ma mère.» Et il le font. Lors dist Merlins a sa mère : « On m'est venut querre de lontain- gnes terres, si i voel aler par vostre congié. Car il me con- vient rendre a Jhesucrist le service que il m'a donné por lui servir, ne je ne li puis rendre se je ne m'en vois en icele terre la ou cil preudomme me voelent mener. Et Biaises nostre maistres s'en ira, et si vous (3y ^J con- vient de nous deus desevrer. » Et la mère dist : « Biaus fieus, a Dieu soiiés vous commandés. Car je ne sui pas si sage que je vous doive retenir. Mais se il vous pleust, je vausisse bien que Biaises remansist.» Et Merlins dist : « Che ne puet estre. »
tNsi prist Merlins congiet a sa mère, et s'en va avoec Merlin, accom- les messages. Et Biaises s'em part et s'en va d'autre part pagnanticsmes-gj^ Norhombcrlaude , ou Merlins li ot commandé. Et uTi^ ville Tvoit Merlins et li message chevauchent ensamble. Et chevau- un vilain qui re- chcut tant ensamble un jour que il passèrent par mi une porte chez lui du ville. Et en celle ville avoit marchiet. Et quant il orent cuir qu'il vient y.^ y^Hg passée, si virent un vilain qui avoit achaté uns ac eter pour gj-^j^g soilers et si em portoit le cuir a(s) ses soUers affailier,
réparer ses sou- ^ ., , . . ^. .
liers.etiisemetà Car il voloit aler en pèlerinage.
MERLIN 49
rire; interrogé, il explique que le
Q-_,. .- ... . . T-i- viiain sera mort
UANT Merlins vit le vilain, si en rist. Et li message ^^.^^^ d'arriver
qui le menoient li demandèrent pour coi il avoit ris. Et chez lui; deux
Merlins dist : « Pour che vilain que vous veés chi. Ore des messagers le
li demandés que il veut faire de che cuir que il em porte, ^"^^^°^ '^^ '^
., ,. .1 ,, rt ' • -.^ voient, en effet,
et il vous dira que il en vaurra ses sollers anaitier. Et , ,,
^ tomber mort sur
vous le sivrés, et je vous di que il sera mors avant que le chemin. il viegne en sa maison. > Et quant li message Toirent, si le tinrent a grant merveille. Et il dient : « Chou a- (38 ^) riens nous volentiers veut se che puet estre voirs. » Lors alerent li message au viiain, se li disent que il voloit faire de ces sollers et de che cuir que il portoit. Et il lour dist que il voloit aler em pèlerinage, si en voloit ses sollers a- faitier. Et quant il oirent chou que il lour dist que Merlins avoit dit, si en orent moult grant merveille. Et dient : « Chis hom nous samble estre tous sains et tous haitiés. Nous le sivrons li doi de nous, et li autre voi- sent le leur chemin et nous atengent la ou il gerront. Car il feroit moult boin a savoir ceste merveille.» Ensi alerent li doi message apriès le vilain. Et le sivirent tant que il n'ot pas aie plus de demie liue quant il virent le vilain cheoir tout mort en mi la voie, ses saullers en son brach. Et quant il l'orent bien veut et esgardé, si s^en tornerent et atainsent lour compaignons, si lour content la merveille dou vilain. Et quant li compaignon oirent chou, si dirent que « moult firent li clerc que fol qui quiderent que nous (l)ochesissons si preudomme et si sage enfant comme chis est (enfant)! » Et li autre dient que il vaurroient mieus (38 *y avoir fait grant meschief de leur cors que il par iaus presist mort. Ceste parole orent dite a conseil, car il ne quidierent mie que Merlins le seust. Et quant il vinrent devant Merlin, si les mer- chia moult de chou que il avoient dit. Et il li demandè- rent : € Qu'en avons nous dit? » Et Merlins lour conte la parole ensi comme il Tavoient dite ; et quant cil l oi-
50 MERLIN
rent, si disent : « Nous ne poons riens dire que il ne sache. »
Dans une autre t^si chcvauchîerent par lor jornees tant que il fu- viiie, ils voient ^^^^ ^^ pooif Vcrtigler. Un jour avint que il passoient
l'enterrement ^.,, . . ^ . ^ -^ c i
d'un enfant • le P^*" ""® ^^^^^' ^^ ^"^^^^ ^^^ °^ * poftoit un enfant enterer. père le suit en Si avoit apriès le cors moult (le cors) grant duel d^ommes pleurant. Merlin et de femes. Et MefUns vit che duel et les prouvoires et rit, et dit que ce- [gg dg^s qui chantoient et qui portoient le cors entierer lui qui devrait j^q^j^ vistemcnt, si commencha a rire et s'arrestut. Et li
pleurer est le prê- ,. , , • m • • t^ «# i>
tre qui chante, et ï^^ssage 11 demandèrent pour coi il rioit. Et Merlins qui est le vrai dist : « Veés VOUS che prcudommc qui la fait tel duel? et père de l'enfant ; veés VOUS che prevoire qui la chante devant les autres? on constate en- jj ^^^^^ j^ ^^^j f^j^.^ jj preudom fait. > Et li message
core qu'il a dit , . _ . ^ i-. * # i • i r w
yj.^j dient : « Pour coi? » Et Merlins lor respont : « Le voles
vous savoir? » Et il dient : « Oil. » « Je voel^J<S* ^J bien, » fait Merlins, « que vous le saciés : que li enfes est ses fieus pour qui il chante. Et li preudom cui il n'apartient en fait duel, et cil qui fieus il est chante. Si m'est avis que chou est grant miervelle. » Et li message demandèrent Merlin : « Comment porrons nous che savoir? » Et Mer- lins dist : « Aies a la feme, se li demandés por quoi ses sires pleure et fait si grand duel. Et elle dira pour son fil qui est mors. Et vous li dires : « Dame, aussi bien sa je quels € fieus il est que vous faites. 11 n'est pas ses fieus, ains est t fieus a che prouvoire qui la chante, si que li prestres o meismes le set bien.» Et [que il meismes vous conta le terme que il fut engendrés. »
VOUANT li message orent entendu chou que Merlins lour a dit, si s'en alerent a la feme et li contèrent chou que Merlins lor avoit dit. Et quant la feme oi chou, si en fu moult espoentee, et lour dist : « Biau signour, por Dieu mierchi. Je sai bien que je ne le vous puis celer,
MERLIN 5 1
si VOUS en dirai tout le voir. Il est voirs tout ensi que
vous l'avés dit K Mais por Dieu nel dites pas mon si-
gnour, que il m'ochiroit se il le savoit. » Et quant cil
oirent chou, si s'en vinrent et le disent a lour compai-
gnons. Lors dient entr'aus que il n'ot onques el monde
millour devin (f. 38 ^J. Ensi chevauchierent entre Merlin Arrives près de
et les messages, tant que il vinrent a une jornee [près '^ résidence de
de! la ou Vcrtigiers estoit. Et lors disent li message : ^^'^^'s^^^ • ^^
w 1- . ^ messagers de-
« Merlins, tu nous deusses bien consillier, que nous ^nandent à Mer- porons bien dire que nous favons trové, mais nous nous iin ce qu'ils de- doutons por chou que nous ne t'avons ochis que nous vront lui dire, n'en aions son mal gré. » Quant Merlins oi chou, si sot "'^ '^^ craignent
, . .11- T- 1 1. o. qu'il ne les pu-
bien que il voloient son preu. Et lour dist : « Signour, ^.^^^ ^^^^ ^^.^.^
faites le ensi que je vous loerai, si n^en avérés ja blasme : épargné Merlin; (et puis) aies a Vertigier et li dites que vous m'avés trové. Et se li contés le voir que vous m'avés oi dire. Et li dites que je li mousterrai bien por coi sa tours ne puet tenir, par covant ^ qu'il face autretant des clers qui me voloient faire ochirre que il voloient que on fesist de moi. Et quant vous li avrés che dit, si faites chou que il vous dira seurement. » Li message s'en torne- rent et s"'en alerent a Vertigier. Et quant il les vit, si d'après son con- çu fu moult liés. Et lor demanda : « Signour, comment seii ils appren- avés vous esploitié? » Et li message respondent : a Sire, "^"^ ^" '"°^ '"
- . , ,, . . merveilles dont
au mieus que nous poons. » Lors apieierent Vertigier a .j^ ^^^ ^^^ ^^_ conseil et li contèrent toute Tuevre si comme il Tout ^^oins etiuipro- trouvee, et comment il trouvèrent Merlin, et se il vau- mettent que Mcr- sist, il ne l'eussent jamais trouvé (f. 3g ^). « Et il vint li" >"' ^'""^ '"^ moult volentiersa vous. » Etli rois disl : « Dou quel Mer- secret de lécrou-
.... . -^ XT j 1 11 Icnicntdela tour.
lin dites vous dont ? Ne deustes vous dont querre ren- fant sans père et me déviés vous apoiter le sanc de lui ? » Et il respondent : a Sire, c'est icil Merlins que nous disons qui est nés sans père. Et saces bien que c^est li plus sage et li mieudres devins qui onques fust en cest siècle fors
I . Il est V. qui vous la dit — 2. par coi
52 MERLIN
Dieus. Sire, tout ensi que vous le nous fesistes jurer que nous l'ochieriemes le nous dist il. Et dist bien que li clerc ne sevent riens pour coi votre tours chiet. Mais il le vous mousterra si que vous le verres a vos ieus tout apertement pour coi la tours chiet. De trop grans autres mierveilles nous a il dites. Et nous a envoiié pour savoir se vous volés parler a lui. Et se volés, nous Tochirrons bien la ou il est. Et doi de nos compaignons sont avoec Le roi les rend lui quî le gardent. » Et quant Vertigiers oi les messages responsables sur ensi parler, si dist a eus : a Signeur, se vous volés Mer- leur vie. y^^ raplegicr seur vos vies que il vous mousterra et moi
pour coi ma tours chiet, je ne voel pas ore que il soit ochis. » Et li message dient : « Nous le piégerons bien. » Et li rois dist : « Et dont Talés querre, car je voel moult volentiers parler a lui. » Lors s'en râlèrent li message et li (f. 3g ^) rois meismes avoec iaus. Et quant Merlins vit venir les deus messages, si rist, et lour dist : « Signour, vous m^avés plegié seur vos vies. » Et il respondent : « Vous dites voir. Nous volons mieus estre en aventure de mort que nous t^ochions. Et il nous en convint l'un faire. » Et Merlins respont : « Signeur, je vous en garde- rai bien, se Dieu plaist, de chou. » Ensi chevauchicrent entre Merlin et les messages contre le roi tant que il Quand Merlin encontrerent le roi. Et quant Merlins le vit, si le salua et voit le roi , il dist: « Vertigiers, parlés a moi en conseil. » Si se traist s'engage à faire a une part et apielc les messages qui Torent amené. Et connaître le se- quant il furent a conseil, si dist Merlins au roi : « Sire, cret, et emande ^^^^ m'avés fait querre pour vostre tour qui nepuettenir.
qu'on fasse venir , * , . . . ^ ^ .,
les clercs qui ^^ commandastes a chiaus qui me vmrent querre que il voulaient le faire m'ochesissent la OU il me trouvaissent, par le conseil des tuer. clers qui disoient que la tours ne porroit tenir se il n'i
avoit de mon sanc el mortier. Mais il vous mentirent. Mais se il vous eussent dit (mais se il vous eussent dit) que elle deust tenir par mon sens, il eussent voir dit. Et se vous me volés creanter que ferés autretant des clers que il voloient que on fesist de moi, (f, 3g ^) je vous
MERLIN 53
mouslerroie por coi vostre tours ne puet tenir et (le) vous ensegnerai, se vous le volés faire, comment elle tenra. » Et Vertigiers respont et dist a Merlin : « Se tu me monstres chou que tu me dois moustrer, je feroie des clers chou que tu vaurroies. » Et Merlins dist au roi : « Se jou en ment de parole tant soit petite, si ne me créés ja mais. Alons, si faites venir (venir) les clers. Et je lor demanderai pour coi la tours chiet. Et vous orrés que il n'en savront raison rendre. »
\Jre dist li contes que ensi amena li rois Merlin dus- Devant eux , ques a la tour qui se cheoit. Et li clerc furent mandé et '^^ P''^^ ^^ '^ venu devant le roi. Et quant il furent venu, si lour fist ^°"'^' Merlins demander par un [des] message[s] qui (1) l'avoient amené, si lour dist : « Signour, pour coi dites vous que ceste tours ne puet tenir?» Et li clerc respondent : « Nous ne savons riens du cheoir. (/. 3g ^) Mais nous avons dit le roi comment elle tenra. » Et li rois respont : « Vous en avés dit merveilles, que vous me commandastes a querre un enfant qui soit nés sans père. Mais je ne sai comment il puist estre trouvés. ))Et Merlins parole as clers et dist ; « Signeur, vous tenés le roi pour fol de chou que vous li faites querre tel chose, et savés bien entre vous que par cel enfant vous devés morir. Et pour chou faites vous le roi entendant que se il le faisoit occhirre por avoir de son sanc pour mètre ou mortier de la tour que elle ter- roit. Ensi pensastes vous que vous porriés faire l'enfant morir par cui vous déviés morir. » Quant li clerc oirent que li enfes disoit voir et que il cuidoient que nus ne le seust, si en furent moult espoenté, et bien sorent que a morir les converroit. Et Merlins dist au roi : « Sire, or Merlin les con- poés bien savoir que cil clerc me voloient faire ochirre a vaincd'avoirvou- l'ochoison de vostre tour. Mais pour chou que il avoient '" ^^ '"^'^^ ^^'^^'^
., , . . . i .,1 qu'ils avaient vu
sorti que il dévoient morir par moi vous nsent il chou .,. „,, ,„,.,
T ^ par leui bortijuii
a entendre. Et demandés leur, que il ne seront jamais si causcraiiia leur,
54 MERLIN
hardi que il vous osent mentir. » Et li rois lor demande se il disr voir, et il respondent : « Certainnement, sire, il dist voir. (f. 40 ^) Mais nous ne savons pas par cui il set ces nouvieles; si te prions tant comme a nostre si- gnour que tu nous laisses tant vivre que nous puissons veoir se il dira voir de ceste tour. » Et Merlins parole et dist : « Signeur, vous n'avés garde de morir tant que vous le voiiés. » Et li clerc Pen merchierent. Lors dist puis il déclare Merlins a Vertigier : « Veuls tu savoir pour coi ta tours que sous la tour ^j^jg^ ^^ j Tabat? Se tu veuls faire chou que je te dirai,
il y a une grande . , -c* -ij -nii-
eau ctsous l'eau J^ ^^ ^^ moustcrrai. bes tu que il a desous ceste tour? Il 1 deux dragons , a Une graut iaue. Et desous celé iaue * i a deus dragons un blanc et un qui ne Voient goûte. Si est li uns blans et li autres rous. rouge; quand on g^ gi sout desous deus grans pierres, et si [i] se(n)t moult met des pierres, j^.^^^ jj ^^^ l'autre, et sont moult grant et moult fort. Et
elles pèsent sur i,. ri ,n • r • .
eux. alors ils se ^uaut il Sentent que 1 iaue [et la terre s'Japoise [si dure- tournent et font ment sor els par la charge de la pi erre dont on fait la tour], tout crouler. si se tornent et [de si grant force que toute] Piaue [en tournoie, et] mainnent si grant bruit que quant qu'il est desus convient cheoir. Ensichiet la tours por ces deus dra- gons. Et faites ens garder, et se vous ne le trouvés ensi que je vous ai dit, si me faites ochirre. Et se vous le trou- vés, si soient mi plege cuite et li clerc encoupé ki de tout chou riens ne savoient. 1 Et Vertigiers responta Merlin et dist : « Se il en est ensi, dont es tu li plus sages dou monde. Or m'enseigne (f. 40 ^) dont comment je ferai la terre oster. » Et Merlins dist : « Tu le feras oster a chevaus et a charetes et as hommes (et) au col et (faire) On creuse, et porter loing. » Li rois fist tantost mètre les ouvriers, et on trouve l'eau; jgs gens de la terre le tinrent a moult grant folie, se il l'osaissent dire pour Vertigier. Et Merlins commanda bien les clers a (a) garder. Ensi commenchierent li ou- vrier(s) l'uevre. Et tant ouvrèrent que il trouvèrent r(es) iaue(s). Et quant il l'orent trové, si la descouvrirent et le
I. Celé iauaus
MERLIN 55
firent savoir au roi chou que il avoient trouvé. Et li rois i vint moult liement pour la merveille esgarder. Et amena Merlin avoec lui. Et quant li rois vit Tiaue, se li sambla moult grans. Et apiela deus de ses consilliers et dist : « Moult est chis hom sages qui savoit ceste iaue desous ceste tour, et encore dist que desous cesle iaue a deus dragons. Mais il ne savra ja tant couster que je ne fâche canqu'il me dira, tant que je truise les deus dragons.» Lors apiela li rois Merlin et dist : « Merlins, tu as voir dit de ceste iaue. Mais je ne sai se tu dis voir des deus dra- gons. » Et Merlins dist au roy : « Tu ne le saveras dus- ques a tant que tu le voies. » Et Vertigiers dist a Mer- lin : « Merlins, comment porrons (/. 40 ^J ceste iaue oster ?» Et Merlins dist : « Vous le ferés toute courre en boins fossés en mi les chans. »
A TANT furent li fosset commandé a faire et l'iaue on r<ipuisc. courut hors. Et Merlins dist a Vertigier : « Cist dragon qui sont desous ceste iaue, si tost comme il s'entresenti- ront, se combateront li uns a l'autre et s'entrochirront. Ore mande tous les preudommes de la terre pour veoir Merlin annon- la bataille des deus dragons. Etche iert moult grant sene- ^e que les deux fiance. » Et Vertigiers dist que il les fera moult volen- ^^^^so"^' .""^ f°i«
*^ ^ mis au jour, se
tiers mander. Lors fist li rois par toute sa terre mander combattront avec les preudommes et les clers et les lais. Et quant il furent acharnement tout venut, si lour conta Vertigiers toutes les grans mier- veilles que Merlins lour avoit dites et comment li doi dragon ^ se dévoient combatre. Lors dist li uns a Tautre : « Che fera il boin a veoir. » Et il demandent au roy se Merlins a dit li quels vaintera. Et li rois respont qu'il ne li a pas dit encore. Lors firent * li ouvrier courre l'iaue par les chans. Et quant elle fu hors, si virent les deus pierres qui estoient ou fons de Tiaue desus les deus dra- gons. Et quant Merlins les vit, si dist au roi : « Vecs vous
I. gragon — 2. furent
56 MERLIN
ces deus pierres? » Et li rois respont : « Oil.» Et Merlins dist : tt Desous ces deus pierres sont cil doi dragon.» Et li rois li dist : « Comment en seront il gieté? > Et Merlins dist : « Moult bien. Il ne se mouveront ja devant qu^il s^entresentiront. Et tantost se combateront tant que Pun en couvenra morir. » Et Vertigiers dist : « Merlins, me diras tu li quels vaintera? » Et Merlins dist : « A lor vaintre et a lour bataille a moult grant senefiance. Et chou que je t'en porai dire en savras tu. Tant t'en dirai volentiers a conseil, oiant de ces preudommes trois ou quatre. »
Atant apiela Vertigiers quatre des plus preudommes ou il se fioit plus, si lour a dit chou que Merhns lor ot dit. Et cil li loent que il li demande a conseil, et que il li die ains que il le voie. Et lors dist Vertigiers que il ont bien dit. « Et je m'i acort bien. Et il porroit apriès la ba- taille faire entendant chou que il vaurroit. » Lors apiela li rois Merlin, se li demande : « Merlins, di moi des deus dragons li quels sera vaincus. » Et Merlins dist : « Cist quatre homme sont bien de ton conseil? » Et il respon- dent : « Voire, x Lors dist Merlins : a Dont le te dirai jou et que le blanc voiant iaus. Je voel bien que tu saces que li blans ochirra tuera le rouge, le rous. Et saches que il avra moult grant (41 '^) painne ce qui aura une ^vant que il Tait ochis. Et che que il l'ochirra sera grant grande significa- genefianche. Ne je ne vous en dirai plus jusques apriès la bataille. » Lors furent illuec les gens assamblees. Et On trouve les li Ouvrier vinrent as deus pierres, si les descauchierent et dragx)ns; ils se trairent fors les deus pierres, si trouvèrent les deus dragons battent, et le q^J estoient si grant et si fier et si hideus, si en orenr
blanc tue le rou- ,^ . ^ . rr^
moult grant paour et se traient tout arrière. Et virent que li ^ rous estoit plus grans et plus hideus et plus fors que li blans *. Et fu bien avis a Vertigier que cis grans deust vaintre l'autre. Lors dist Merlins : « Viertigiers, ore
I. il — 2. biaus
MERLIN 07
doivent estre mi plege quite. » Et Vertigiers respont : « Si seront il. » Et lors traient les deus dragons Fun si priés de Tautre que il s'entresentirent. Et si tost conme li uns senti Pautre, si se tornerent et se prisent as dens et as pies, ne onques n'oistes que deus bestes se comba- tissent si cruelment que les deus dragons firent toute nuit et toute jour et l'endemain jusques a miedi, si que toutes les gens que illuec estoient cuidoient bien que li rous deust ochirre le blanc. Et tant que au blanc sailli fus parmi la bouche et par les narrines, si arst le rous. Et quant li rous dragons fu mors, si (41 ^) se traist li blans ^ dragons arrière, et se coucha, et ne vesqui puis que trois après quoi il ne jours. Et cil- ki orent celé mervieille veue disent que ^^'"^'^P^^^ '^°"- onques mais tel mervieille ne vit nus hom. Et Merlins dist : « Vertigiers, ore pues faire la tour tele comme tu Vertigicr bâtit sa vaurras, que ja ne le savras faire si haute que elle chiee ^°"'"- plus. » Lors commanda Vertigiers que li ouvrier i fuis- sent mis, si la fist si grant et si forte comme ^ plus pot. Et demanda maintes fois Merlin la senefiance des deus u demande à dragons et comment che pooit estre que li blans avoit ^'ciiin quelle est ochis le rous et que si longement en avoit eut li rous le '=^»'g"»fi'^ationdu
•11 T- x;r 1- i-i / combat des dra-
millour. Et Merlins responi : « Che sont toutes senehan-. ces des choses qui sont faites et de celés qui sont a ave- nir. Mais se je te disoie voir de chou que tu me deman- Merlin promet de des et tu m'asseuroies de chou que tu ne m^en feroies nul '"^ ^''■'^' ^^'^^ ^' mal ne ne soufferroies a faire, je te diroie toutes les sene- ^^^^ convoquer
- , , , , , les clercs qui vou-
hances et par devant tous les plus preudommes de ton ,3^^.,^ ^^ mort; conseil. » Et il dist que il l'en fera toutes les scurtés que il vaurra. Et Merlins dist : « Or va, si fai ton conseil mander, si me fai venir les clers qui sortirent de ceste tour et qui me vaurrent faire ochirre. » Et il si fist tan- tost. Quant ses consaus fu venus et li clerc, si parla Mer- Merlin leur pro- lins as clers et lour dist : « Signour, moult estes fol, '"'^^ ^"^ "'^ P^^ quant vous volés ouvrer d'art, et vous n'estes mie si ^^"'^^'^ ''^"'^ '"°"
s'ils loin ce qu'il leur dcufandera. I. rous — 2. cclc — 3. conques
58 MERLIN
boin ne si loial comme vous deussiés estre. Et par chou que vous estes fol et mauvais fallés vous a chou que vous devés faire et querre par la forche de Tautre art. Ens es elemens ne veistes vous riens de chou que il vous avoit demandé, car vous n'estes pas tel que vous le deussiés veoir. Mais vous veistes mieus que j'estoie nés. Et cil qui moi vous(t) moustra et qui le vous distetvous fist samblant que vous deussiés par moi morir le fist de duel de chou que il m'a perdu, et vausist bien que vous m'en fesissiés occhirre. Mais jou ai tel signour qui bien m'en gardera, se lui plaist, de lour engien, et je les ferai menchoingniers * del tout, car je ne ferai ja(de) chose por coi vous muiriés, se vous me créantes a faire * chou que je vous demanderai. »
Vç/UANT li clerc oirent que il furent respité de mort,
Ils s'y enga- si en furent moult lié. Et disent : « Merlins, tu ne nous
gent ; il leur fait demanderas ja chose que nous ne fâchons, se nous le
promettre de re- ^qq^^ faire. Car nous veons bien et savons que tu iés li
noQcer a leur art
plus sages hom qui soit en vie. » Et Merlins respont : « Vous m'avés créante que vous ne vous entremete- f4i ^J rés jamais de tel art. Et por chou que vous en avés ouvret commanc jou que vous en soiiés confiés, et metés vos cors en tel subjection que vos âmes ne soient dampnees. Et se vous me créantes chou que je vous ai dit que vous le(s) ferés, je vous en lairai aler. » Et li clerc Ten merchient, et li creanterent que il le feront et tenront chou que il lour a dit. En ceste manière déli- vra Merlins les clers, et tout cil qui virent que Merlins s'estoit si bien prouvés deviers les clers si l'en sorent moult boin gré. Et Vertigiers et sen consaus vinrent a lui et dirent : « Merlins, tu me dois dire lasenefiance des
I. menchoignieres — 2. dire
MERLIN 59
deus dragons. Car de toutes les autres choses que tu m'as
dit as tu dit ^ voir, et je te tieng au (s) plus sage(s) del
monde. Et pour chou te pri jou que tu me dies des deus
dragons la senefiance. » Et Merlins li dist : « Vertigiers, ^ï^riin cxpii-
11 rous dragons senefie toi, et li blans senefie les fieus ^^'^ ^ ertigier
01 T-. ^® qu'annonce le
Constant. » Et quant Vertigiers l'entent, si ot honte. Et combat des deux Merlins s'en aperchiut, se li dist : « Vertigiers, se tu veus, dragons : le dra- jem'en soufferrai de plus dire. Ne m'en saces or mie 8°» rouge dcsi- mau gré. » Et Vertigiers dist : « Chi n'a homme qui ne sne Vcrtigier ic
o a ^ dragon blanc les
soit de mon conseil. Et je voel que tu me dies outreement ^i^ ^e Constant. la (42 ^) senefiance, que tu ja de riens ne m'en espar- gnes. » Et Merlins dist : « Je t'a[i] dit que li rous dragons senefie toi, si te dirai por coi. Tu ses bien que li fil Cons- tant remesent petit enfant après la mort lour père. Et si ses bien que se tu fuisses teus que tu deusses estre, tu deusses et garder et consillier et desfendre aus contre tous chiaus dou monde. Et tu ses bien que de lourterreet de lour gent conquesta[s] tu avoir, par coi tu eus l'amour des gens de lour règne. Et quant tu seus que les gens de la terre t'amoient, tu te traisis arrière de lour afaire pour chou que tu seus bien que il aroient disete de toi. Et quant les gens de la terre vinrent a toi et il disent que li rois Moynes n^avoit mestier d'estre rois et que tu le fuisses, tu lour respondis malement que tu nel porroics estre tant que li rois Moynes vesquist. Ausi fainsis ta pa- role. Et cil a qui tu le desis entendirent que tu vausisses bien que il fust mors, et por chou l'ochisent il. Et quant il orent che fait, n'i demourerent que deus enfans qui s'en fuirent pour paour de toi. Et tu fus rois et tiens en- core les yritages. Et quant cil vinrent devant toi qui (42 ^) le roi Moyne avoient mort, tu les fesis ochirre pour faire samblant qu'il t'avoit de sa mort pesé. Mais che ne fu mie boine samblance, dès que tu presis lour terres et tiens encore. Et tu as fait ccstc tour por toi gar-
1. dis
60 MERLIN
der de tes anemis. Mais la tours ne te puet sauver, quant tu meismes ne te veuls sauver. »
V ERTiGiERs a bien oi et entendu que il dit voir, si dist a Merlin : a Je voi bien que tu iés li plus sages del monde. Ore te pri jou et requier que tu me conseilles contre ces choses et que tu me dies, se toi plaist, de quel mort je morrai. » Et Merlinsdist : a Se je ne te disoie la mort dont vous devés morir, dont ne te diroie je mie la senefiance des deus dragons. Mais je le te dirai. Saches que li rous dragons qui estoit si grans et si fiers senefie toi et ton mauvais corage, et chou que il estoit si pois- sans senefie ta force. Et li autres ki estoit blans senefie Tyretage as enfans qui s'en sont fui por toi. Et chou que il se combalirent si longuement senefie lour terre que lu as tenue si Jonc tans. Et chou que tu veis que li blans arst le rous senefie que li enfant t'arderont. Ne ne quide pas ke la tours que tu as faite que elle (42<^ ) te puist warandir que ensi ne t'en conviegne a morir. » Quant Vertigiers oi ensi parler Merlin, si en fu moult irés et plourous et li demande : ■ Ou sont il, cil enfant? » Et Ils arriveront Merlins dist : « II sonten mer et ont porchacié grant gent outre-mer ans ^^ ^^^ carsié lour nés et vienent pour faire justiche de
trois mois à Win- . . r • , i •
chester, et Verti- ^O'* ^^ dient pour voir que tu fesis lour frère ochirre, et
gierserapareux autressi t'ochirront il. Et saches que arriveront d'ui
vaincu et brûlé en trois mois au port de Wi[n]cestre. » Lors fu Vertigiers
comme Pa été le ^çy^\^ dolans quant il sot ceste nouviele et il sot que
^^ ^^' celé gent venoient, si demanda a Merlin : « Puet il estre
autrement? » Et Merlins respont : « Il ne puet estre que
tu ne muires del feu as enfans Constant, ensi comme lu
veis le blanc dragon ardoir le rous. »
Jlnsi dist Merlins a Veriigier que li enfant Constant venoient et arriveroient d'ui en trois mois au port de
MERLIN 01
Wincestre. Si fist semonre les soies gens au termine que Merlins li avoit dit pour venir contre iaus a la rivière. Et quant il furent tout venut ensamble, si ne sorent onques pour coi il les ot mandés, fors cil qui avoient esté au conseil. Ne Merlins ne fu illuecques mie, car si tost que il ot dit pour coi sa tours cheoit et la senefianche des deus dragons, il prist congié au roi, si s'en ala, et dist a Vertigier (42 ^) que il avoit bien fait chou pour coi il estoit la venus. Et ensi s'en ala Merlins en Norhomber- Merlin va trou- lande a Biaise et li conta ces choses, et il les mist en es- ^^^ ^'^^^^ ^"
,. , T7^ 1 r Norhombciiande
crit, et par son livre le savons nous encore. Et la tu , .
' » et lui raconte ces
Merlins lonc tans, tant que li ni Constant le vinrent événements.
querre. Ensi fu Vertigiers au port a tout grant gent et
attendi le jour que Merlins li ot dit. Et a cel jour
meismes au chief de trois mois vi(n)rent cil de Wincestre Au bout de
les nés en la mer et moult grant estore que li enfant ^"""'^ '"°^^ ^^^Z"
Constant amenèrent. Quant Vertigiers les vit, si com- f ^^ ?^°,'!, ^
^ ^ 1- r-1 Marquent a Win-
manda sa gent a armer et son port deffendre. Et li ni chester. Constant vinrent pour arriver. Et quant cil qui esloient a terre virent les confanons roiaus, si s'en esmervillie- rent, et tant que li vaissiel ou li fil Constant estoient prisent terre. Et lor demandèrent cil qui a terre estoient a cheus qui estoient en la mer : « Signour, qui sont cil vaissiel ?» Et cil respondent : « Elles sont a Pandragon et a Uter son frère, ces deusfieus Constant, qui repairent en lour terre(s) que Vertigiers tient comme faus et des- loiaus et lonc tans a tenue, et fist ochirre lour frère, si en viennent faire justice. » Et quant cil l'oirent qui es- toient a terre que c'estoieiu li hl lor signour, si virent bien que il avoient la forche (48 ^) et que se contre iaus se combatoient que il lour en porroit bien venir maus. Si le dirent a Vertigier. Et quant Vertigiers vit que li plus de{s) s(ag)es gens li failloient et que il se tenoient ja deviers Pandragon, si otpaour. Et dista(s) ses gens qui faillir ne li pooient f, que Hanguisli Saisnes li avoit envoies], que il garnesissent bien le chastiel, et il le firent au micus
62 MERLIN
qu'il porent. Et tant que les nés arrivèrent. Et quant
elles furent arrivées, si issirent fors li chevalier tout
armé et toutes les autres gens. Et quant il furent fors, si
Vcrtigier, a- alerent viers le chastiel. Et les gens qui virent venir
bandonné de la lour signour[s] vinrent contre iaus une grant partie et
plupart des siens, [j^^j rechiureut comme lour signour[s]. Et cil qui de-
se réfugie dans . tr • • r i i i i • i .
son château où ^^^^^ Vertigier furent entrèrent dedens le chastiel, si se il est brûlé. dcsfendireut au mieus qu'il porent. Et cil defors les as- saillirent moult durement. Ensi se desfendirent les gens Vertigier, et tant que Pandragons mist le fu ou chastiel et li fus le sousprit, si que il en arst une grant partie. Et en cel feu fu ars Vertigiers.
(43 ^) Ure dist li contes que ensi prisent li enfant
Constant le chastiel, et firent savoir par tout le règne que
il estoient venu. Et quant li peuples le sot, si en ot grant
joie, et vinrent tout a Fencontre d'aus et les rechiurent
comme lor signour[s] . Ensi revinrent li doi frère en lour
Pendragon de- règne et firent roi de Pandragon. Et il lour fu moult
vient roi; il fait la bons rois et moult loiaus. Et li Saisne que Vertigiers ot
guerre aux Sais- j^jg ^^ j^ ^^^^t tinrent lour chastiaus qui moult estoient
fort, et guerrioient tous jours Pandragon et les crestiiens.
Et tant le guerroiierent que maintes fois i perdirent et
gaaignierent, et tant que Pandragons fu assegiés devant
Il assiège Han- le chasiiel Hangus. Et tant i sist que il i fu la moitié de
gusdans un châ- j'an ou plus, tant que Pandragons assambla son conseil et
teau pendant plus parlèrent comment il porroient prendre che chastiel. Et
de six mois. ' , .,..,,.
Les cinq hom- ^^^^ ^^^ ^ ^^^ conseil avoit Cinq de chiaus qui avoient mes qui avaient €sté au conseil que Merlins avoit fait et dit a Vertigier et naguère trouvé des dragous et des enfans et de sa mort. Si apielerent Merlin disent Pandragon et Uter son frère, et lour disent ces mer- quii pourrait ^^.||gg ^g Merlins lour avoit contées, et que c'estoit li
donner le moyen . , , . • 1 1
de prendre le châ- Diieudres devins qui onques fust nés, et que se il le vo-
teau; loit dire, il diroit bien se cis chastiaus seroit pris. Et
quant (48 ^) Pandragons oi chou, si dist : « Ou seroit il,
MERLIN 63
li bons devins, trouvés? » Et cil dient : « Nous ne savons en quel terre, mais tant savons nous bien que nous avons parlet a lui, et se savons bien qu'il est en cest pais. » « Dont sera il trouvés, » dist Pandragons, « se il i est. »
Lors envoia Pandragons ses messages par toute la Pendragon en- terre pour Merlin. Et Merlins qui che sot si vint au plus voie des messa- tost qu'il pot dès qu'il ot parlet a Biaise, si se traist viers ^^^^ ^ ^^ recher-
^ .,, ., \ ,. . ^ . , che. Merlin leur
une ville ou il sot que h message estoient qui le que- ^ ^^.^-^ ^^ ^^_ roient. Et vint en la ville comme uns boskillons, une cheron, et leur cuingnie a son col, uns grans housiaus cauchiés et en dit que le château une cotele toute despanee, et fu moult hurepés et ot "^ ^^""^ p"^ 'i"'^- moult longue barbe et sambla homme sauvage. Et ensi p'^" '^ ^°^^ '^^
,, ^ • ^ r- ., , Hangus, que des
Vint en une maison ou h message estoient. Et quant il le cinq qui connais- virent, il le regardèrent a merveilles. Et dist li uns a sent Merlin deux Tautre : « Cil hom samble bien mal homme. » Et Mer- seront morts au lins ala avant, si lour dist : « Signour message, vous ne ^^^°"'" ^^^ "^"' faites mie bien le besoinene vostre sienour, que il vous ^^^^^^' ^^ ^^^
, , , • . ,, , . ^ Merhn ne sera
commanda a querre le devin qui a a non Merlins. » Et trouvé que s'il
quant li message oirent chou, si dist li uns a l'autre : veut l'être,
a Qué[s] dyablesa che dit a che vilain.^ » Et il respont :
« Se jou Teusse aussi a querre que vous avés, je l'eusse
(43 ^) plus tost trouvé que vous n'avrés. » A tant se
traient li message tout entour de lui et li demandent se
il savoit le devin qui a non Merlins. Et il respont : « Je
sai bien son repaire et il set bien que vous le quer(r)és;
mais vous ne le trouvères mie se il ne veult. i\iais tant
me dist il que ie vous desisse que pour nient vous tra-
villiés vous de lui querre. Et se vous le trouviés, ne
s'en iroit il mie avoec vous. Et dites a chiaus qui disent *
vostre signour le roi que li devins estoit en chel pais que
il disent voir. Et quant vous verres arrière, si dites vostre
signour que il ne prendera mie le chastiel devant que
I . ditent
64 MERLIN
Hangus soit mors. Et sachiés que de ceus * qui vous disent
que il connoissoient * Merlin n'a que cinq en l'ost, et
quant vous i verres, vous n'en trouvères que les trois.
et si le roi vient £( ç]^q (jj^gs a vostre signouf et a sen conseil que se il ve-
ic chercher lui- j^QJgj^^ gj^ ^.gg^g ^gr,g g^ qug fussent par che foriest, il
même dans les fo- ,, ,. ... . . ,. . .,
rCts de Norhom trouveroient Merlin, mais se li rois meismes n^i vient il beriande. ne troveront ja homme qui Ten amaint. »
JCnsi ^ ont li message bien entendu chou que Merlins lour a dit. Et il s'en torne, et au torner l'orent perdu. Et li message se saingnent et dient : « Nous avons parlet a un dyable; que ferons nous de chou que il nous a dit? » Atanf* parlèrent ensamble et disent (44 ^) : « Nous en irons arrière et dirons a no signour et a chiaus qui cha nous envoiierent ceste mierveille. Et se savrons se li dui en sont mort. » Ensi s'en revinrent li message, et tant chevaucierent que il vinrent la ou li rois estoit. Et quant li rois les vit, si lour dit : « Signour, avés trouvé Merlin ?» Et il dient : « Sire, nous vous dirons une chose qui avenue nous est. Mandés vostre conseil et ciaus qui che devin vous ensegnierent. » Et li rois les fait mander. Et quant il furent venu, si se traisent a une part a conseil. Et li message lor contèrent le mierveille que avenue lour estoit et toutes les choses que li vilains lour avoit dites, et de ces deus que il dist que il seroient Les messagers mort ains que il fuissent retorné en l'ost. Et li message revenus trou- ^j^ demandèrent noveles. Et on lour dist que il estoient
vent en effet deux r n t- -, • i • ■>
de ces hommes ^^^^ ^^"^ faille. Et quant il oiient chou, si s en esmier- morts; on soup- villierent moult de si lait homme et de si hideus, dont çonne que le bû- li message parloient, qui il pooit estre. Car il ne savoient cheron était Mer- mie qyg Mcilins peust prendre autre forme que la soie
Un.
I. que cil — 2. que vous quesissies — 3. Le paragraphe com- mence par erreur 4 lignes plus loin, après chou — 4. Atant est placé entre chou et que et commence le paragraphe
MERLIN 65
ne autre samblance, mais il leur estoit bien avis que nus ne pot taire che que il faisoit se il non. a Sire, » dirent il au roi, « nous (44 ^) cuidons que che soit bien Merlins meismes qui ait parlé a iaus. Car nus ne peust la mort de nos compaignons se il non dire ne de la mort Hangus fors que il. » Lors demandent li message en quel vile che fu que il le trouvèrent, et il dient : « En Norhomberlande, la ou il vint a nostre hostel. »
Adont dient li troi homme tout vraiement que che Pendr^goniais-
, .4 ,. •! »• 1- • • • • r se Uter au siège
a este Merhns, et il dist que li rois meismes 1 voist. Lors , . , . .
' ^ et va a la rechei -
dist li rois que il lairoit son siège a Uter son frère et que che de Merlin.
il iroit en Norhomberlande et cerqueroit les forés que cil
li avoit dites. Ensi atorna li rois son oirre et vint en
Norhomberlande. Et mena chiausavoec li qu'i[l] cuidoit
qui conneussent Merlin. Et quant il vint la, si demanda
nouvieles de Merlin. Mais li rois ne trouva onques qui
novieles Ten seust dire. Et quant li rois oi que on n'en
porroit oir nouvieles, si dist que il Tiroit querre par le
foriest. Lors chevaucha par les forés pour querre Merlin.
Si avint chose que li uns de chiaus qui esioient avoec li
trova ^ une grant plenté de bestes et un homme moult ^^^^^ ses gens
, . , -- . . , 1 . I- I . trouve dans la
lait et moult contrerait qui ces bestes gardoit. Et chisqui ^^^.^ ^^ homme le trouva li (44 ^) demanda qui il estoit. Et il disoit que très laid qui gar- 11 estoit de Norhomberlande, serjans a un preudomme. de des bêtes sau- Et cil li demanda : « Me savroies tu a dire nouvieles ^^6^^ <^^ ^s^"""^ d^un homme qui a non Merlin;* » Et cil qui gardoit les '^"''' P^"""""^ '^^""
xT -1 ... . 1 • seigner le roi sur
biestes dist : « Nenil, mais )e vi ersoir un homme qui me ^^^riin s'il vient dist que li rois le verroii querre par ces ^ forés. Savés vous le trouver. ent riens? » Et il respont que il est voiis que li rois le quiert. « Saveroies tu [enij riens et le" nous saveroies lu en- segnier? » Et il dist : « Je diroie le roi tel chose que je ne vous diroie mie. » Et cil rcspunt : « Vien, je t'i mcnrai la
. iroucreiu
€6 MERLIN
OU il est. » Et il dist : « Dont garderoie je malvaiscment mes bestes. Ne je n'ai mie besoing de lui, mais il a be- soing de moi. Je li diroie bien comment il trouveroit celui que il va querant. » Et il dist : « Je le t'amerrai. »
Lors se parti de lui et quist le roi tant que il le
trouva. Lors li conta che que il avoit trové. Et li roÎB
Le roi vient le dist .* « Mainne m'i. » Et lors le mena cil la ou il avoit
trouver; il lui l'ommc trouvé,se li dist : « Veschi le roi que jet'amainne.
annonce que Mer- /-^l•J•..\l .• i«j« rr.. -i
, Ore lidiist chou que tu me desis que tu 11 diroies. » Et il
lin se présentera , . ^ . .
à lui dans une "^^^ ^^ ^^' • " ^^ ^^^ t)ien quft VOUS querés Merlin, mais ville voisine, VOUS ne le poés ensi trouver devant che que il meismes voelle. Mais aies vous ent en une de vos (44^) boines viles près de chi. Et il verra a vous, quant il savra que VOUS l'atenderés. » Lors dist li rois : « Comment savrai que tu me dis voir ? » Et chis respont : « Se vous ne m'en créés, si n'en faites nient Car c'est folie de croire mau- vais conseil. » Et quant li rois Toi, se dist : a Dis tu dont que tes consaus est mauvais? • Et il dist : « Naje, mais vous le dites. Et tant sachiés vous bien que je vous en consillerai mieus que vous ne me savrés consillier.» Ensi où le roi se rend, ala H rois a Une de ses villes au plus près que il pot de Un prudhomme j^ ^^^^^^ g^ entrues que il sejornoit illuec, si avint un
vient l'y voir, et . , ^ . ,» , , • i , •
lui annonce de la l^^rque uns preudom vint en 1 ostel le roi moult bien
part de Merlin atornés et bien vestus et cauciés. Et dist a un chevalier :
qu'Uter a tué c Sire, menés moi devant le roi. > Et il l'i mena. Et
Hangus. quant il fu venus devant lui, se li dist : « Sire, Merlins
vous salue et si m^envoie a vous. Et se vous mande que
che fu il que vous trouvastes ou bois les bestes gardant, a
ces enseignes que il vous dist que il verroit a vous, et il
dist voir; mais vous n^en avés pas encore grant mesiier. »
Li rois respont : « J'ai tout dis bien mestier de lui. Ne
je n'eue onques si grant envie en nul homme veoir conme
de lui. M Et il respont : « Dès que vous che dites, il vous
mande par moi unes novieles. » Et li rois demande quels
MERLIN 67
novieles che sont (4}^ ^^ '. Et il dist que Hangus est mors : € Et Uters vostre frères l'a ochis. » Et quant li rois Tôt oi, si s'en esmiervilla moult et dist : t Puet chou estre voirs que tu me dis? » Et chis respont : « Il ne m^en com- manda nient plus a dire. Mais vous faites que fols que ne le créés tant que vous Paiiés assaiié. Envoiiés savoir se c'est voirs, et puis se le créés. » Et li rois dist : « Vous dites voir. » Lors prist li rois deus messages et les fist Pendragon en- monter sour les deus millours chevaus que il avoit, si voie des messa- lor commande(nt) que il aillent au plus tost que il pueent s^^^ P"""" ^'^"
^ , ,T T- ,• informer; ils ren-
et sachent se Hangus est mors. Et li message se partent ^outrent ceux dou roi et chevaucent au plus tost qu'il pueent. Et en- d'Uter qui ve- contrerent les messages Uter qui venoient dire les nou- "aient annoncer vicies que Hangus estoit mors. '^ '"^'"^ ^^ "«""
gus.
VOUANT li message se furent entrecontré, si s'entre- dient les nouvieles et tornerent arrière au roi. Et cil s'en fu aies qui son message avoit dit au roi de Merlin. Et li message qui retornerent et cil qui venoient furent devant le roi et li contèrent a conseil comment Uters avoit mort Hangus. Et quant li rois Toi, si desfendi as messages que il de cesie chose ne parlaissent. Ensi remest. Et moult s'esmervilla li rois comment Merlins avoit seu ceste chose. Ensiattendi (4-y ^) li rois en la ville pour savoir se Merlins verroit, et pensa en son cuer que si tost que Merlins verroit, il li demanderoit comment Hangus fu mors, cargaires de gent ne savoient sa mort. Ensi attendi Lnjourunau- li rois tant que un jour avint que il revenoit dou mous- ^"^^ "^'^ ^"""^"^
. . , , . , , • I , . se présente au
tier, SI vmt devant lui uns moult biaus preudom bien ^.^^ et lui dit de viestus et moult bien sambla preudom. Et vint devant le faire venir ceux roi et le salua et li dist : « Sire, k'atendés vous en ceste qui disent con- vile? » Et li rois se li ' dist : « Je attendoie que Merlins "^'^'"«^ Merlin. venist parler a moi. » Et li preudom li dist : « Sire, vous
68 MERLIN
n'estes mie si sages que vous le puissiés connoistre quant il parole a vous. Et apieléscheusqui vous avés amené qui Merlin doivent connoistre; si lor demandés si je porroie icil Merlins estre. » Et li rois s'esmierveilla moult et fist icheus apieler et lor dist : « Signour, nous attendons Mer- lin, mais il n'i a celui a mon ensient qui le connoisse. Et se vous le connissiés, si le dites. » Et il respondent au roi : « Sire, il ne porroit estre que se nous le veions, nous [ne] le connissions ' bien.» Et li preudom qui fu de- vant le roi dist : a Signeur, puet il mais connoistre au- trui qui soi meismes ne connoist mie bien? » Et il res- pondent : a Nous ne disons pas que nous le connissons de tous ses affaires, mais nous le connisterons bien, se nous le veions. » (4^ ^) Et li preudom respont : a II ne connoist pas bien homme qui ne connoist sa fai- En pariicuiier, ture, et sel VOUS mousterrai ore *. » Lors apiela le roi en il dit au roi qu'il ^^g cambre a conseil tout seul et li dist : « Sire, je voel est Merlin et qu'il ^^^^^ moult bien de vous et de Uter vostre frère. Et saches
va se faire rccon- ...,»,,• \r >
naître. ^^^ 1^ ^^^ ^'^ Merlins que vous estes venu querre. Mais
ceste gent qui me cuident connoistre ne sevent riens de mon estre. Et se le vous mousterrai ja. Aies la hors et si m'amènes cheus qui che dient que^ bien me connoissent. Et si tost comme il me verront, il diront qu'il m'aront trouvé, et se je voloie jamais ne me connisteroient. »
C/UANT li rois oi chou, si en fu moult liés, et dist :
« Merlins, je ferai canques tu vourras. n Et lors issi li
rois fors de sa chambre et ala en la sale au plus tost qu'il
En effet, il re- puet, et amena cheus. Et quant il furent venu en la
prend la forme chambre, si ot Merlins pris samblanche teleou il l'avoient
sous laquelle ils premiers veu. Et quant il le virent, si disent au roi :
! *!*'"* ^°""" « Sire, nous disons certainnement que c'est Merlins. » Et jadis, et se fait .' . ^ • r\ j*
reconnaître. Merlins dist au roi : « Sire, il vous dient voir.Ur me di-
I. connisterons 2. vous ore m. — 3. qui
MERLIN 69
tes vostre plaisir. » Et li rois dist : « Merlins, je te vaur-
roie moult priier, se il te plaisoit, que tu me dies se je
parlai puis a toi que je vileng en ceste part pour toi
querre. » Et Merlins dist: « Sire, je (45 ^Jsui li iiom a qui
tu parlas ou bois, qui gardoit les bestes, et sui cil qui
vous dist que Hangus esioit mors. » Quant li rois oi
Merlin et cil qui avoec lui estoient parler, si s'esmervil-
lièrent moult. Lors dist li rois: a Signour, vous connis-
siés malvaisement Merlin, quant il entra devant vous et
si(l) nel peustes connoistre. » Et cil dient : « Nous ne
le veismes onques mais tel chose faire. Mais, sire, nous
creonsbienqueii puetchou moult bien faire que nus autres
hom ne porroit taire. » Lors demanda li rois a Merlin :
« Merlins, comment seusies vous de la mort Hangus ? »
a Sire, je le seuch quant vous fustes cha venus, que n raconte au
Hangus vaut vostre frère ochirre. Et jou alai a vostre ''^^ '^^'"'"'^"^ '' ^
r i-j'i-vr-i i'ir\' i --i i prévenu son frère
frère, se li dis(t). Et la merchi de Dieu et la soie il m'en '. „
' ^ ^ Lier, que Han-
crut bien, si se garda de lui. Et je li dis bien la forche et gus voulait tuer, la viertu de lui. Car il devoit tous seuls venir au pavil- et comment uter, Ion vostre frère pour li occhirre. Et vostre frères quant je S'âce a cet avis, li avoie che dit, il ne m'en crei pas. Mais tant tist il que ^^"^ Hangus; il veilla celé nuit tous seus, que onques a nului ne le dist, et s'arma que onques nus ne le sot. Ensi garda vos- tre frères la nuit son paveillon tant que Hangu(e)s vint. Et quant il fu venus au paveillon, si entra (4b ^) et cerka vostre frère ou il le cuida trouver. Mais non fist, si vaut issir hors. Et vostre frères li vint au devant, si se combati a lui et Tôt tost mort, car il esioit desarmés. Car Han- gus n'i esioit venus se pour vostre frère non occhirre en dormant et por tost fuir arrière, se mestier li fust. » Quant li roisoi celé merveille que Merlins li dist, seli demande: t Merlins, en quele samblance estiés vous quant vous parlastes a mon frère? Car je m'esmierveille moult quant il vous crei. » Et Merlins dist : « Sire, je pris le samblance d'un homme viel et chenu, si parlai a vostre frère a con- seil, se li dis(t) bien que celé nuit, se il ne s'i gardoit. le
70 MERLIN
converroit morir. » Et li rois li demande : « Li désistes [que vos estiésj Merlins? » « Sire, encore ne set vostre frères qui li a dit, ne il ne le savra devant chou que vous li dires. Et pour chou vous mandai ge par vos honmes que vous n'avriés le chastiel devant chou que Hangus(t) fust mors. » Et li roisdist : « Merlins, biaus amis chiers, verre's vous ent avoecques moi ? car je ai grant mestier de vous et de vostre aide. » Et Merlins dist : « Sire, et plus tost iroie et plus tost se courcheroient vostre honme de chou que il verroienl que vous me querriés. Mais se vous i veés vostre {46 ^) preu et vous estes sages, vous ne lair(i)és ja por iaus que vous ne m'en créés por vostre besoigne faire et de vostre anui destorner. » Et li rois dist : « Merlins, vous m'avés ja tant fait et dit, que se chou est voir que vous aiiés mon frère garandi de mort, si comme vous dites, que je ne vous doi jamais douter ne mescroire. » Et Merlins dist au roi : « Sire, vous en irés et demanderés a vostre frère qui li dist chou que je vous ai dit. Et se il ne le vous set a dire, si ne me créés jamais de chose que je vous die. Et bien saches que je vaurrai que vous me connissiés quant je parlerai a vostre frère en tele samblance quant je li dis de la mort Hangus. » Et li rois dist : « Merlins, pour Diu, plaist il a vous que je le sache, quant mes frères parlera a vous? » Et Merlins respont : « Vous le saverés moult volentiers, mais gardés si cier comme vous vous avés que vous nel dites a autrui. Il lui annonce Car se je [vous] prendoie a ceste menchoigne, je ne vous qu'il viendra par- qugj.j.Qig jamais Une autre fois, et vous i avriés grin- onzicmc^lur à- ^^^^^ damage que je. » [Li rois li dist] : « Ja (eti puiske près celui où J^ VOUS a vrai une fois menti, si ne me créés jamais. » Pendra^n lui- Merlins dist : <ï Sire, je vous essaierai, che vous di je môme lui aura bien, en mainte manière. » Et li rois dist : «Che voel je ^" * bien. » « Et voel [bien, » fait Merlins, » t ] que vous
I. en
MERLIN 71
saichiés que je parlerai a vostre frère a Tonsime ^ jour que vous parle[ré]s a lui ^ »
(46 <^j Ore dist li contes que ensi s'acointa Merlins au roi Pandragon et prist congié a lui, si s'en ala a son maistre Biaise et li redist toutes ces choses, et Biaises le mist en escrit et par lui le savons nous. Et Pandragons pendragon va s'en vint par ses jornees tant que il vint la ou ses trouver uter qui frères esioit. Et quant Uter vit Pandragon, si en fu ^"' confirme le moult liés. Et Pandragons, si tost comme il sefurenten- ^^'^.^^'^.^ Merim,
° . et il lui annonce
tresalué, si traist son frère a une part ei h conte de la ^^^^ ,,^ p^.^^, mort de Hangus, si comme Merlins li ot conié. et li de- homme inconnu manda se il avoit voir dit : « Je ne sai, » dit Uter, « qui qui ra averti du le vous a dit, mais si m'ait Dieus, vous m'avés tel chose ^"^^'^ ^^ ^^a"-
,. . ... f T\' ^ gus viendra lui
dite que lene cuidoie que nusseust fors Dius etunspreu- " , .
^ ' ^ , ... parler dans onze
doms moult vieus qui en conseil le dist a moi, mais je ne jours. cuidoie que nus hom le seust ne le'^peust savoir. » Et Uters dist au roi : « Sire, pour Dieu, dires moi qui vous a ore che dit. Car moult m'esmerveil comment vous le savés \46 ^}. » Et il dist : « Je le sai bien, mais je vous pri que vous me dites ki li preudom fu qui vous sauva de mort. Car il m'est bien avis de tant que j'en * ai apris que, se il ne fust, Hangus vous eust ochis. » Et Uter li dist : « Sire, par la foi que je vous doi (que) je ne sai que il fu. Mais moult me sambla preudom et sages. Et pour chou que il me sambloit, le crei jou, car il ne me dist chose dont je nel deusse bien croire. » Et (li rois) dist : « Moult iist grant (qui) hardement qui en nosire ^ ost [etl en mon ^ pavillon me vautochirre. » Et Pandragons dist : « Connis- teriés vous jamais cel homme se vous le veiiés? » Et Uters dist : a Sire, je le connisteroie bien, che m'est il avis. » Et Pandragons dist : « Je vous faich bien a savoir que il
1 . la o. — i. moi. — 3. ne ne — 4. que icn — 3. vostre tre
73 MERLIN
parlera a vous d'ui en onze jours. Mais tant faites pour Tamour de moi que vous ne soies a cel jor fors que en- tour moi, tant que li jors soit passés, si que je voie cheus qui a vous parleront chelui jour. » Ensi l'ont pris li doi frère que il seront ensamble a cel jour. Et Merlins qui toutes ces choses savoir, (qui) por aus acoiniier et estre de bon acomplissement et de boine compaignie, a dit a Biaise comment li doi frère ont parlé de lui et comment li rois le veult essaiier. Et Biaises li demande(s) ; « Que vaurrés {4j ^) contre ces choses faire? » Et Merlins res- pont : « Il sont jovle homme et joli, et je ne les porroie en nule manière si bien traire a amour comme par faire et par dire une partie de leur volenté et par aus mè- tre en joie et par bieles risées Je sai, • dist Merlins, < une dame que Uters aimme, si verrai a lui, se li apor- terai unes lettres de par li, que vous me ferés, en tele ma- nière que il me croie de che que je li dirai. Ensi passerai cel onsime jour que il me verront ambedui et si ne me connisteront. Et quant venra l'endemain, je m'i acoin- terai d'aus deus ensamble, si m'en savront gringneur gré. » Ensi que Merlins le dist, le fist Biaises. Et Merlins Au onzième ^i"^ ^ l'onsime jour et ot prise la samblance d'un garchon jour, tous deux a l'amie Utcr. Et vint en la place la ou il le vit devant font grande atten- son frère, et li dist : « Sire, madame vous salue et vous tion, mais Mer- g^^Qjg ^^^ lettres. » Et Uters les prist qui en ot moult
lin paraît sous . . • , , . • .....
la forme d'un ^""^"^ J^^^ ^^ cuide bien vraiement que s amie h ait en- valet qui remet voiié, si le[s] fait lireauu clerc. Et les lettres disoient que à u ter une lettre il le creist de canques il disoii Et Merlins dist chou que d^uncdame qu'il Uters plus volenticrs ooit. Ensi fu Uiers cel onsime jour **"*• devant son frère. Et Uters fist moult grant joie a chelui
qui les lettres avoit aportees, et fu moult liés toute jour de la boine nouviele que il avoit oie (4y *j de s'amie. Et quant vint vers le viespre, si s'esmiervilla moult Pan- dragons de Merlin qui li ot en couvent a cel jour que il verroit parler a Uter.
MERLIN 73
Cnsi atendirent entre Pandragon et Uter son frère Merlin se joue tant que viespres furent passées. Et quant il fu bien '^'^^'^'" ^" •"' ^P" avespré, Uters et Pandragons se traisent a une part et p^'"^'^^^"^ ^°^^
' ^ ^ diverses formes.
commenchierent a parler ensamble. Et Merlinssetraist a une part et prist la samblance que il avoit lors quant il parla a Uter *. [Et s'en vint a sa herberge et demanda Uter, et l'en li dit quMl est au roi, et il l'envoie querre par un message qui li dit veiant son frère que uns moult biaus preudom le demande a son pavillon ] Et li rois [li] dist ^ : [« Je cuit ce soit] Merlins. » Et dist a Uter que il Talast querre. Et cil si fist et dist : « Sire, veés le chi. » [Et] quant li rois [le vit, sij demanda a Uter, se li prodom venoit qui de mort l'avoit garandi, que il li desist. Et il li dist que si feroit il sans faille. Ensi vint Uters a son pavillon et trouva le preudomme qui de mort Tavoit garandi (que il li desist). Et il le vit et le connut moult bien et li tist moult grant joie et parla a lui de pluseurs choses et li dist : « Sire, vous m'avés sauvé de mort. Mais de chou m^esmierveille jou que me sires m'a tout conté canques vous me désistes et chou que je fis quant vous fustes de moi partis. Et me dist que vous déviés hui venir, et m'a prié et commandé que se vous veniés que je {4j <=) li fesisse savoir. Et me dist ore que se vous esiiés che que je l'alaisse querre; mais moult mesmerveil comment il sot chou que vous m^aviés dit. » Et Merlms dist : « Il ne le peust savoir se on ne li eust dit. Aies le querre, se li demandés devant moi qui ^ li dist. » Atant s'en torna Uters pour aler querre le roi et commanda a chiaus qui furent fors dou pavil- lon quMl gardaissent bien que nus n'entrast laiens. Et Merlins, si tost que Uters fu fors, prist la samblance dou garchon qui avoit aporté les lettres. Et quant Uters et
I. a pandrajçon — ^.. vit — 4. que ii
74 MERLIN
Pandragon cuidierent trouver le preudommeel pavillon, si trouvèrent le garchon. El quant Uiers le vit, si dist : « Sire, je voi merveilles, que je laissai ore chi le preu- domme que je vous avoie dit, et ore n'i truis que ce var- let. Tenés vous chi, et je demanderai ces gens se il le virent issir ne che vallet entrer çaiens. » Ensi s'en issi Uters dou pavillon. Et li rois commencha a rire moult durement. Et Uters demanda a chiaus defors : « Veistes vous nului entrer chaiens puis que je alai querre mon frère? » Et il dient que nennil. Lors vint Uters au roi arrière, se li dist : « Sire, je ne sai que che puet esire. » Lors demanda Uters au {4^ ^) garchon : ■ Et tu quant ve- nis tu chaiens? » Et il dist : « Jou i estoie quant vous en alastes et vous parlastes au preudomme. » Et Uters se saigne et dist au roi : « Si m^ait Dieus, je sui tous en- chantés, ne onques mais che n'avint a homme que avenu m'est. » Et quant li rois oi ensi parler Uters, si rist.et sot bien en son cuer quec'estoit Merlins qui tout che faisoit. Lors dist li rois : « Biau frère, je ne cuidoie pas que vous [me] mentesissiés. » Et Uters respont : « Je sui si es- bahis que je ne sai que je doi dire. » Et li rois demande : « Qui est chis variés? » Et Uters dist : a Cest li vallès qui m'aporta les lettres devant vous. » Et li rois de- mande : a Connissiés le vous? » Et il dist : « Oil bien. » Et li rois si dist : « Uters, vous est il avis que che puet estre li preudom por coi vous me venistes querre? » Et Uters dist : « Che ne porroit pas estre. » Et li rois li dist : « Or alons entre moi et vous la fors. Et se il veult que nous le trouvons, nous le trouverons (nous le trouuerons) bien. » Atant s'en issirent ' dou pavillon et esturent une pieche. Et puis dist li rois a un de ses che- valiers : « Aies veoir qui est laiens. » Et cil i va et trueve le preudomme qui seoit en un lit. Et revint arrière et lour dist. Et quant Uters (.^ '') Toi, si en ot moult grant
I. isibsent
iMERLlN 75
merveille et dist : « Dieus aie ! Or voi je che que je ne cuidoie mie que nus hom peust veoir. Sire, veschi le preudoume sans faille qui me garandi de mort. » Quant 11 rois oi chou, si ot grant joie et dist que bien fust il venus. Et li rois li dist : « Sire, volés vous que je le die mon frère qui vous estes? » Et Merlins dist : « Je voel bien que il le sache. »
Atant dist li rois a Uter (qui connissoît bien les af- faires Merlin) : « Biau trere. [moult connissiés mal les affaires de cel preudomme. Et] ou est il li garchons qui vous aporta les lettres? » Et Uters li dist : « Sire, il estoit ore chi; k'en volés or taire? » Et li rois et Merlins com- menchierent a rire. Et Merlins apiele le roi a conseil, se li conte chou que il avoit dit a Uter de s'amie. Et li commande que il li redie devant lui. Lors apiela li rois Uter tout en riant et li dist : a Biaus frère, ou avés per- dut le varlet qui vous ap ^rta les lettres ?» Et quant Uters l'ot, si s'en esmierveilla moult et dist au roi : « Pour coi, sire, me ramentevés vous che vallet? » Et li rois dist : « Pour les boines novielles que il vous a aportees de la dame que vous savés. » Et se li dist : « Je vous en dirai chou que j'en sai devant che preudomme. » Et Uters res- pont : a Je le voel bien (48 ^), » Et il li otroie, pour chou que il ne cuidoit pas que nus hom le seust fors cil qui li avoit dit. Et li rois li conta tout mot a mot canques li variés li avoit dit. Quant Uters oi chou, si s'esmiervilla moult et li dist : « Dites moi comment vous le savés. » Et li rois li respont : a Si ferai jou, se chis preudom veult qui chi est. » Et Uters dist : « Sire, k'en lient il a che preudomme? » Et li rois dist : a Je nel puis faire se il ne le me commande. » Et quant Uters oi chou, si s'es- mervilla moult et commencha a regarder le preudomme et li dist : « Sire, je vous pri que vous commandés a mon frère que il le die si comme il (il) set, et qui(l; li
76 MERLIN
dist. » Et Merlin dist a Uter que il veut bien que il le die.
Adont dist li rois : « Biau frère, vous ne savés qui chis preudom est. Mais tant voel jou bien que vous sa- chiés que c'est li plus sages hom et li plus preudom dou monde, ei dont nous avons grignour mesiier, de son conseil et de s'aide; et tant saichiés vous bien que il a tel pooir comme je vous dirai, ne nus autres garchons ne vous aporta les lettres se il non. Et se est cil qui vous a dit les privées paroles de vosire amie. » Et quant Uiers ci chou, si en fu moult esbahis et dist au roi : « Sire, comment (48 ^) porroie jou chou croire? Car ce seroit la gringnour mierveille dou monde se che pooit estre voirs. » a Biau frère, » dist li rois, a vraiement le poés croire. » Et Uiers respont : a Sire, che ne porroie jou croire se je nel veoie autrement que par vosire dire. » Lors pria li rois Merlin que il Ten fâche auchune de- moustrance. Et Merlins dist : « Je l'en ferai assés. « Et lors dist Merlins au roi : « Sire, aies un peu la fors et je li mousterrai la samblance d'un garchon. » Et quant il Tôt prise, si apiela Uter et li dist : « Sire, je m'en voel aler, et si commandés chou que vous vaurrés. » Et Uters le commande a Dieu. Et lors vint li rois a son frère, se li dist a conseil et li demande : • Que vous est il avi^ de che vallet? A painnes querriés vous que che fust il qui parla ore a vous. » Et Uters dist : « Je sui si esba(ba^his que je ne sai que je doie vous dire. » Et li rois dist : a Soies tous certains que c'est chius qui fisl que Hangus ne vous ochist mie, et que c'est cil que j'alai querre en Norhomberlande, et que il a tel pooir qu'i[ll set toutes les choses faites, dites et alees, et des choses qui sont a ave- nir une grant partie ". Pour coi nous li deverions:
i. se uocl — ^. gramrneiit et pariie
MERLIN 77
bien priier que il fust bien acointes de nous, et que nous fesissiens par lui tous nous affaires. » Et Uters res- pont : « Sire, se il li (48 ^J plaisoit, teuls hom nous averoit boin mestier. »
A.TANT priierent li frère ambedoi Merlin que por Dieu et pour che que il le querroient de canques il vaur- roit que il remaingne entour aus. Et Merlins respont : • Signeur, vous devés savoir ambedoi que je sai toutes les choses cele[e]s que je voel savoir. Et vous, siie, » fait Les deux frè- Merlins au roi, « ne savés vous bien que je vous ai dit *^"' '^^^''^ ^^ '* voir de toutes les choses que vous m'avés demandées? » ''*^'^""^ "P°"'
. ' , voir de Merlin,
Et h rois respont : « Je ne te trouvai onques en nule lui demandent de mciichoigne. » « Et vous, Uters, et ne vous ai jou voir rester avec eux; dit de vostre amie de chou que vous cuidiés que nus hom i' y consent, sauf peust savoir? » Et Uters respont: « Vous m'avés tant dit '''"''' '"' ^^^ P^''"
, • . _ , fois nécessaire
que mais a nul jour ne vous mesquerrai. Et pour chou , , ^
^ . . ' ^ ^ de s'absenter; lis
que )e sai que vous estes si preudom et si sages vaurroie ne devront pas jou que vous fuissiés entour nous. » Et Merlins respont : s'en préoccuper, « Je i serai moult volentiers. Mais je voel que vous sai- et il les aidera chiés entre vous deus priveement mon affaire. Si sachiés ^o"i°"'"5- que il m'en convient par force, par fies, eskiver de la gent. Mais tant sachiés vous bien que en tous les lius u je se- rai serai je plus ramembrés de vos oevres que d'autrui. Et ja ne savrai que vous soiiés encombrés de nule chose que je ne vous viegne aidier a mon pooir. Mais tant vous pri jou que se vous volés avoir ma compaignie que vous n'en caille quant je m'en irai. Et toutes les fois quant je revemai, si me taiies grant joie devant la gent. Si m'en ameront micus li preudonme Et li mauvais, cil qui ne vous ameront riens, me harroni. Et se vous me moustrés biele chiere, il n'en oseront ja faire samblant. Et sachiés que je ne me mouverai pas en pieche de ma sam- blance, se a vous non priveement ne [me] mousteirai. Et
78 MKRLIN
verrai ja devant vous a vostre ostel. Et cil qui autre fois * m'avront veu vous courront dire que je suis venus. Et si tost coume vous Torrés, si faites samblant que vous en soiiés moult liés. Et il vous diront que je sui moult bons devins. Et vous demanderés tout seurement can- qucs vostre consaus vous loera, et je vous consillerai de toutes les choses que vous me demanderés. »
L>Hi endroit dist li contes que (4g ^) Merlins prist congiet a Pandragon et a Uter pour prendre samblance a quoi les gens de la terre le reconneussent. Quant Mer- lins s'en parti d'aus, si vint a cheus qui avoient esté dou conseil Verligier. Et quant cil le virent, si en furent moult lié, et maintenant coururent dire au royque Mer- lins estoit venus. Et quant li rois Toi, si en fu moult liés et ala a rencontre de li. Et cil qui amoient Merlin li disent : « Merlins, veschi le roi qui vient encontre vous. » Grans fu la joie que li rois fist de Merlin, si l'en mena a son hostel. Et si tost comme il fu laiens, les gens dou conseil le roi le traisent a une part, se li disent : t Sire, veschi Merlin qui est li mieudres devins qui soit. Mais priiés li que il vous die comment vous pren- derés cel chastiel et que il vous die a quoi la guerre des Saisnes et de vous venra. Et saichiés, se il veult, il le vous dira bien. » Et li rois dist que il li demandera moult vo- lentiers. Lors laissierent atant ester pour chou que li rois voloit Merlin moult honnerer. Et quant vint au Sur le conseil tierch jour apriès, si fu tous li consaus le roi assamblés. de Merlin, le roi Lors mist li rois Merlin a conseil de che que ses con-
fait la paix avec i- '^j-^ x*i' u- j • • ••
. . ^ saus 11 avojt dit : « Merlms, biaus dous amis, lou ai 01
ce qui restait des '
Saisnes, à condi- '^•'"^ ^^^ ^^^^ estes moult sages, si vous pri et requier que tion qu'ils éva- VOUS me di-(4Q ^j-tes comment je porrai cel chastiel cucnt le pays, avoif, et dc CCS Saisnes qui sont en ceste terre, se je les
I . qui autrement ne
MERLIN 79
en porrai cachier ou non. » Et Merlins dist : « Sire, or poés essaiier se je sui sages; je voel bien que vous sachiés que dès lors que il orent perdu Hangus, il ne béèrent onques puis fors a guerpir la terre et a fuir. Et si le sai- chiés demain par vos messages, et les envoierés laiens por querre trives. Et lors vous manderont qu'il vous lairont la terre qui vostre père fu, et les ferés conduire fors, et leur baillerés vostre[s] vaissiaus en quoi il s'en poront aler. » Et li rois dist : « Merlins, lu as bien dit. Et je lour ferai a savoir avant en autre manière, que je lour ferai requerre trives pour oir que il diront sans plus. » Lors i envoia li rois Ursin, un sien consillier, et deus avoec li. Et lors chevaucierent tant que il vinrent au chasriel. Et quant il les virent venir, si lor vont a rencontre et dient : tQuevoelentcil chevalier? » Et Ursins lor dist: «Signour, trives demandons de par le roi jusques a trois moys. » « Et nous nous en consillerons, » dient li Saisne. Si se traient a une part a conseil et dient communaument : « Nous sonmes tout aggtevé ue Hangus (4p ^) qui est mors. Ne nous n'avo(i)ns point de vitaille pour chaiens estre tant comme li rois trives demande. Mais mandons lui que il s'en voist et nous laist le chastiel, et nous le terrons de lui et treu Ten donrons chascun an dis che- valiers et dis damoisieles et dis faucons et dis lévriers et cent palefrois. » Et a che est venus lor consaus, ensi sont il acordé. Et le ' dient as messages ensi conme il l'orent devisé. Et li message s'en revinrent arrière au roi et li dient et a Merlin et as autres barons. Et quant li rois entendi chou, si demanda Merlin que il en feroit. Et Merlins respont que il ne s'en meskroit ja, car grans maus en venroit encore en la terre et el pais, • Mais man- dés lor orendroit sans plus attendre que il issent dou chastiel, car il n'ont que mengier si le feront ' volentiers, et que jamais trives n'avront se il n issent fors. Et vous
feroii
80 MERLIN
leur baillerés vaissiaus et nés en quoi il s^en poront aler. Et se il ne voeleni che faire, n^en prendés ja tant d'aus que vous ne les fachiés de maie mort morir. Et je vous sui pièges que quant vous les en lairés (5o ^) aler sauves lour vies que il n^orent onques si grant joie, car il Gui- dent tout morir. »
hnsi comme Merlins l'ot devisé, ensi le fist li rois au matin faire. Lors envoia ses messages pour faire ceste requeste. Et quant cil ki estoient ou chastiel Toirent, et il sorent que il s^en porront aler sauves lor vies, si ne fu- rent onques si lié. Car il ne savoient mais por coi il deus- sent recouvrer dès que il avoient perdu Hangus. Ensi le firent a savoir par toute la terre, et les fist li rois con- duire et mener au port, et lour donna vaissiaus en quoi il s'en alerent. En ceste manière que vous avés oi sot Merlins le corage(s) des Saisnes, et ensi les envoia li rois par le conseil Merlin, et ensi s'en alerent li Saisne fors de la terre Pandragon, et ensi remest Merlins tous sires dou [conseil le] roi, et si i fu lonc tans, tant que il oi un jour parlé au roi d'un grant afaire, si em pesa a un de ses Un des barons barons, si vint au roi et li dist : « Sire, vous faites grant du roi, jaloux de merveille de cest homme que vous créés. Et bien sachiés
Merlin, prétend ^^^^ j^ g^^^ ^jj ^ ^-^^ j^ jg dyabje. Et s'il VOUS
prendre sa scien- ,...,,.. , . ri »
. ^,. plaisoit, je 1 assaieroie en tel manière que vous [le ver-
ce de prophète r "> i n l ^
en défaut. Trois '"^^^ tout en apert. » Et li rois respont : • Je vueil bien fois déguisé, il que VOUS l'essaiés en tel manière que vous] nel cour- lui demande corn- ch(er)iés point. » Et il dist : a Sire, je ne li (5o ^) dirai ja ment il mourra, chose qui anuiier lui doive ne ne terai. » Ensi li otria li
Merlin lui an- . ^* ., . , . . . , i- '
nonce la pre- ^°'^* ^^ quant il 01 congiet doj roi, si en tu moult lies, mière fois qu'il Et cil estoii a la veuc dou siècle moult sages et plains de se cassera le cou felonnie et p[o]e[s]tis hom de grant riqueche et de en tombant depa,ens Up^. jq^j. ^^^^ ^ Merlin en la court, si le vit, et [li] rtst moult grant joie et moult biel samblance, si [rjapiela devant le lui a conseil a une part. A che conseil
MFRLIN 8l
n'otque cinq hommes, et chis dist au roi : « Sire, veés chi un des plus sages homfmes] dou monde. Et j'ai oi dire que il dist Vertigier sa mort et que il morroit de vostre feu, et il si fist. Et pour chou vous pri jou a tous pour Dieu, que vous savés bien que je sui malades, que vous li priiés que il vous die se il set de quel mort je morrai, car je sai bien, se il veut, il le savra bien dire. » Et li rois et li autre em prient tout Merlin. Lors respont Merlins, qui toute la parole de cheluiot entendue, et set bien Tenvie et le mauvais cuer que il portoit, se li ' dist : « Sire, » fait il au roi, « vous m^avés priié que je vous die de sa mort. Je le vous dirai. Or sacés bien le jour que 41 morra il kerra de son cheval et brisera le col. Et ensi partira ^ le jour de vie. »
^s^UANT cil Fentendi, si dist au roi : a Sire, vous oés bien (5o <^J que il m'a dit, et Dieus m'en gart. » Lors apiela le roi ^ a conseil d'une part, se li dist : « Sire, or vous souviegne bien que Merlins a dit, et je revenrai en- core a lui en autre manière, si l'essaierai » Ensi s'en ala cil en son pais et se mist en diviers abit. Et quant il s'i fu mis, si revint au plus tost qu'il pot et se fist malades. Et manda le roi a conseil que il amenast Merlin avoec lui en tel manière que Merlins ne le seust pas Et li rois li manda que il iroit volentiers, ne que ja Merlins par lui ne le savroit. Lors vint li rois a Merlin se li dist : « Merlins, alons moi et vous veoir un malade en lele vile. » Et Merlins respont en riant : « Sire, nus rois ne doit aler si seuls qu'il n'ait avoec lui au moins vint hommes. » Lors apiela li roi^ chiaus qu'il vaut qui avoec lui alaissent, et alerent veoir chelui. Quant li rois et sa compaignie vinrent la, li malades ot apparillie sa feme qui se laissa chcoir as pies le roi et li dist : u Sire, por
I. il — 2. partires — X. lapida li rois
82 MFRLIN
Dieu, faites moi dire a vostre devin de mon signeurse il garira. » Et li rois en Hst moult simple chiere et re- garda Merlin, se li dist : « Merlins, porriés vous savoir que ceste teme dist? Elle demande de son signour. » « Sire, » fait Merlins, « je voel bien que vous sachiésque chis malades qui chi gist ne morra mie de ceste maladie (5o ^J. r> Et li malades s'esforcha de parler par samblant et demanda Merlin : « Sire, de quel mal morrai je la seconde fois dont? » Et Merlius respont : « Le jour que tu morras qu'il sera pendu, seras tu trouvés pendus. » A ceste parole s'en torne Mer- lins de devant lui et Hst samblant que il fust courechiés, si laissa le roi en la maison. El che fist il pour chou que il voloit que li malades parlast au roi. Quant li malades le sot, si dist au roi : « Sire, or poés bien savoir se chis hom est faus et fse] il ment de chou qu'il m'a dit, quant il m'a donné deus mors a morir que l'une ne puel estre acordable a l'autre. Et encore Tassaicrai jou autre fois devant vous. Je irai en une abbeie et me ferai la malades, et vous envolerai querre par Pabbé et li abbes dira que jou sui uns siens moynes, et il dira que il est moult [d]es- trois et que il crient que il ne muire. Si vous priera l'abes que vous amenés vostre devin. Et je vous di que je ne Tassaierai que ceste fois. » Et li roisli otroie ceste chose.
tNsi s'em parti li rois de chelui et s'en vint arrière. Et cil s'en ala en une abbeie, si le fist (on) ensi comme il ravoi(en)tditauroi, et envoia l'abbé pourluiquerref'i/ ^). Et li rois i ala et mena Merlin. Ensi chevaucha li rois tant que il vint a l'abbeie. Et quant il i fu venus, il ala oir messe, se vint Tabbes a lui et bien quinze moines avoec lui, si pria au roi que il venist veoir leur moyne qui estoit malades et si i amenast son devin. Et li rois demanda Merlin se il iroit avoec lui. Lors apiela Mer- lins le roi et Uter son frère devant un autel et lour dist a aus deus : « Signeur, quant je plus vous acoint, et je
MERLIN 83
plus VOUS truis faus. Cindiés vous que je ne sache de quel mort c^^is faus morra qui m assaie? Si m'ait Dieus, je le sai bien et je le vous dirai. Et encore plus merville- rés vous de chou que je vous dirai que des autres deus choses [que je li ai ja dites]. » Et li rois dist : « Merlins, puet il estre voirs que hom puist ensi morir? » Et Mer- lins dist : • Sire, se il ne muert si, ne me créés jamais de riens, car je saFi) bien sa mort. Et quant vous avérés la soie veue, si m'en demanderés de la vostre. Et tant di jou a Uter que je le verrai roi ains que je départe de sa compaignie. »
Atant vinrent entre le roi et Uter et Merlin la ou li abbes les vaut mener, et dist li abbes au roi : « Sire, pour Dieu, faites moi dire a vostre devin se li moynes qui la gist porra (5i ^) garir jamais. » Et li rois li demande. Et Merlins fait samblant de courouch et dist a l'abbé : « Sire, il s'en puet bien lever, se il veut. Car il n'a mal et por nient m'en essaie. Car il le couverra morir de deus mors que je li ai dites et je li dirai la tierche plus diverse que nule des autres deus. Car après le brisier dou col et que il pendera noiera il. Toutes ces trois cho- et la dcrnicre ses li averront, ne ne [sef]aingne il plus. Car je sai bien q^^'»' sera noyé. tout son corage et tout chou que ses mauvais cuers pense. » Et cil se lieve a son séant et dist au roi : « Sire, Lebarontriom- or poés vous bien connoistrc sa folie et que il ne set que phe de cette con- il dist. Comment porroit chou csire que il porroit voir ""^^'^^'o"' dire? Car il dist le jour que je morrai que je briserai le col et penderai et noierai : tout chou m'averra le jour que je morrai. Ore saichiés bien que che ne porroit ave- nir ne de mi ne d'autrui. Ore gardés se vous estes sages qui tel homm créés et faites signour de vous et de vostre conseil, t Et li rois dist : « Je nel querrai jamais dusques adont que je sache se che iert voirs vraiemeiit. » Ore fu cil moult irés que il sot que Merlins ne seroit pas partis
84 MERLIN
dou conseil le roi dusques apriès sa fin. Ensi remest tous lour affaires et fut seut par tout chou que Merlins avoit dit de la mort a cel homme. Ensi f5i <^) fu chascuns en- tentis a chou que Merlins avoit dit.
mais peu de ApRÈs che lonc tans avint un jour que li preudom tcmp» après, la qui ensi devoit morir chevauchoit a grant plenté de gent, triple prédiction et vint a une rivière. Et seur celé rivière avoit un pont se réalise. ^q f^^^^ g^ ^gg palefrois achoupa et chei a genous. Et cil
broncha aval ei chai sur seii col en tel manic-e que il le brisa, et li cors lorna ouire et chai en Tiaue en tel ma- nière que uns des paus qui avoit esté du pont vies feri parmi sa roube, si que se[s] rains remesent en haut, et re- mest pendant la teste contreval, si que la teste et les es- paulles remesent en Tiaue Et cil si avoit avoec lui se|s] gens qui che virent. Et li cris fugrans levés si que la gent de la vile l'oirent, si acoururent par le pont et par l'iaue as nés au plus tost qu'il porent. Et quant il furent venu, si disent li preudomme a chiaus qui le traisentde Tiaue : « Signour, prendés garde se il a le col brisié. » Et cil le gardent et dient que oil sans faille. Quant cil qui estoient avoec Toirent, si s'en esmervillierent moult et dient : • Voirement dist il voir, Merlins, qui dist que chis hom briseroit le col et penderoit et noieroit. Moult par est faus qui ne le croit et canque il dist, que il nous samble bien que il (^i ^) dist voir. » Merlins qui cesre chose sot si vint a Uier qui l'amoit moult, se li dist la mort a cel homme si comme elle avoit estet, et li commande que il le desist au roi Et Uters vint au roi, se li conta comment chis avoit esté mors. Et quant li rois Toi, si s'en esmiervilla Merlin se résout moult et dist a Uter son frère : « Qui vous a chedi(s)t? » à ne plus dire Et il dist : « Sire, Merlins. » Et li rois commanda a Uter que des choses -j j- (Jetant quant che avint. Et Uters vint a Mer-
dont on ne saura ,. ,, , • t- «i i- n • • t- «i
lavéritc qu'après ^*"' ^^ ^* demande. Et il dist : « Il avint 1er. Et cil l'événement ; verront qui le diront au roi en sis jours ; et je m'en vois.
MERLIN 85
car je ne voel mie chi estre quant il verront, que il m'en meteroient en mainte manière de nouviele dont je ne lor vaurroie respondre. Ne je ne(n) parlerai plus devant le siècle se si oscurement non que il ne saveront que je di- rai devant que il le voient. »
kJre dist li contes que quant Merlins ot ensi parlé, si s'en ala en (52 ^) Norhomberlande a Biaise. Et Uters vint au roi, se li conta au roi ensi que Merlins H ot dit. Et quant li rois loi, si quida que Merlins fust coure- chiés, et demanda ou Merlins estoit aies. Et il respont : « Sire, je ne sai ou. Mais il dist que il ne voloit pas chi estre quant ces nouvieles verroient. » Ichi remaint dou roi et d'Uter er parole de Merlin qui fu en Norhomber- lande a Biaise, se li conta toutes ces choses et autres assés pour baillier matière (et) a faire son livre Ensi demoura dusques au sisime jour, que cil vinrent qui furent ala mort a cel houme. Et quant il furent venu, si contèrent au roi de celé merveille si comme il l'avoient veue. Lors dist li rois et tout cil qui l'oirent que nus n'est si sages conme Merlins est. Et disent que il ne li orront jamais dire chose qui avenir doive que il ne metent en escrit. o" «i<^cide qu'on Ensi l'ont devisé [Ensi fu conm^^nciés uns livre que on apelle par nom le livre des prophecies Merlin, de] ^ chou que il dist des rois d'Eiigleterre et de toutes les autres choses dont il parla puis. Et pour chou ne dist pas chis livres qui Merlins est ne dont il vint *, qu'il ne metoient en escrit fors que chou que il disoit. Et ensi demora Merlins une ^rant pieche la. Et en icel tans fu Merlins tous sires de Pandragon [le roi, que li Anglois apeloient par son droit nom de baiesmc Aurelius Am- broisius], et d'Uter son trcre. Et quant Merlins sot que il avoient ensi parlé et que il dévoient en escrit mètre
I. Cl pour au lieu des mots suppléés. — i. ne qui il tu
ccnra toutes ses
86 MbRLIN
ces paroles, si le dist a Biaise. Et Biaises li demanda :
« Merlins, seront leur livre autel conme je faich? »
Et Merlins respont : « Nennii. Il ne meteront en escrit
se chc non que il porront connoistre dusques il soit
avenu. » Ensi s'en vint Merlins arrière eu la court
le roi. Et quant il fu venus, se li contèrent les nouvieles
et c'est le livre autressi conme se il n'en seust riens. Et Merlins com-
des prophéties de me ncha lors a dire les oscures paroles dont ses livres
Merlin. f^ f^jg ^q^ prophesies c'on ne puet connoistre dusques
elles soient nouvieles avenues. Et apriès chou vint
Merlins a Pandragon et a Uter son frère, si lour dist
moult piteusement que il les amoit (tt) moult et voloit
leur grant pooir et preu et leur honneur. Et quant il
l'oirent, si s'en esmierviUierent moult et disent a Merlin
Il annonce au que il lour desist seurement canques il vaurroit et que il
roiqueiesSaisncs ne louf celast uule chose de lour affaire. Et Merlins res-
vont venir avec p^j^^ : « Je ne VOUS Cèlerai ja chose que je doive dire a
une grande ar- ^^ . i- • ni
inée vous. Et je VOUS dirai une grant merveille, che vous sera
avis.
« Membre vous i des Saisnes que vous gietastes fors de vo terre apriès la mort Hangus.-^ » Et il respondent : « Oil bien. » « Icil qui s'en alerent disent la nouviele as autres Saisnes de la mort Hangus, qui moult esloit de très (52 *j grant lignage. Quant les lignages oirent la nouviele que Hangus estoit mors et que cil estoient de la terre gieté, siont parlé ensamble et dient que il n'averont jamais joie tant que il avero(ie)nt vengié la mort Hangus, et cuident bien conquerre ceste terre. » Quant Pandra- gons et Uters l'oirent, si s'en esmierviUierent moult et demandèrent Merlin : « Ont il dont si grant gent que il puissent guerroiier nous? » Et Merlins respont : « Pour un homme que vous avés defensable en averont il deus. Et se vous ne le faites moult sagement, il vous destrui- ront et conquerront vostre règne. » Et il dient : « Nous
MtRLlN 87
le ferons tout a votre conseil, ne ja ne trespasserons chose que vous nous dites. » Et puis demandèrent Mer- lin : « Quant vous est il avis que cest[e]gent verront? » Et Merlins dist : « L'onsime jour de jung[nei], ne ja nus en vostre terre nel savra, se vous ne le savés. Et je vous de- manc que nus de vous n'en parout, mais faites che que je vous dirai : mandés tous vos hommes et vos clievaliers povres et riciaes, et se lour faites le gringnour joie que vous porrés, car il i a moult sens a garder cors d'ome, et les tenés près de vous. Et (52 ^) lour priiés que a lour pooir soient toute la daerrainne semai nne de jung(net) a vous a l'entrée des plains de Salesbieres. Et la assamblés tout votre pooir sour la rivière, si que vous lour puissiés desfendre. » a Comment! » fait li rois, « les lairons nous dont arriver? » « Oil, se vous m'en créés, et eslongier de et lui domic k la rive bien loing, si que il ne savront ja (ja) que vous moyen do k-s aiiés vo gent assamblee. Et quant il seront eslongiet, vaincre, vousiourenvoierés de vogent par devier(e s les vaissiaus pour faire samblant que vous ne volés pas qu^il s'en re- pairent. Et quant il verront chou, si s'en esmaieront moult. Et li uns de vous deus s'en voist avoec vo gent, et si aies si près que vous les fachiés logier maugré aus en sus de la rivière. Et quant il seront logié, si averont grant disete d'iaue, si s'en esmaieront li plus hardi d'eus. Et ensi les ferés tenir deus jours. Et au tierch jour vous combaterés vous a aus. Et se vous le faites ensi, je vous creanc que votre gent en averont la victore. » Et lors dient li doi frère : « Por Dieu, Merlins, se toi plaist, car nous di se nous morrons en ceste bataille. » Et Merlins lour dist : (53 '^ j a Signeur, il n'est nule chose qui ait commenchement qui(l) n'ait hn. El il n'est nus hom qui se doive esmaiier de la mort se il la rechoit si conme il doit, car chascuns qui vit doit savoir que il morra. Et ensi devés vous savoir de vous que aussi ferés vous, que nule hautece ne nule riquece ne vous puet garandir que vous ne muiriés. « Et Pandragous li dist : « Merlins, tu
88 MERLIN
me desis une fois que tu savoies bien ma mort aussi que tu savoies la mort de chelui qui t'assaioit. Et de la mort de chelui desis tu * vérité. Pour chou te pri jou, se il te plaist, que tu me dies la moie mort. » Et Merlinsdist : « Je voel que vous faichiés aporter entre vous deus les millours saintuaires et reliques que vous avés, et que vous jurés sour sains li uns et li autres que vous ferés chou que je vous commanderai por vostre preu et pour vostre honneur. Et quant vous Tarés juré, si vous dirai plus seurement che que mestiers vous sera. »
1 OUT ensi conme Merlins lot devisé il le firent. Et quant il l'orent juré, si disent : « Merlins, nous avons fait ton comman(deman)dement. Ore te prions nous, se il te piaist, que tu nous dies pour coi tu le nous as fait faire. » Et Merlins respont au roi : a Tu me demandes une question de ta f53 ^) mort et que il sera de ceste ba- taille, et je le te dirai. Savés vous que li uns a juré a Pau- tre? Je le vous dirai. Vous avés juré(s) que vous serés contre ceste bataille preudomme et loial viers vous meis- mes et viers Dieu. Et je vous ensegnerai comment vous serés preudonme et loia[l] et boin justichier. Je vouscom- manch que vous vous faciès confiés. Car vous le devés ore mieus estre k'en un autre termine por chou que vous savés que vous vous devés combattre. Et se vous estes tel que je vous di, seur soiiés que vous vainierés. Car il ne croient mie en la trinité, pour coi Jesucris vint en terre, et vous desfendés vostre droit yretage qui est vostres par droit. Et cil qui anchois morra en son droit tenant et sera acordés a la loy Jesucrist par le commandement de saint[e] eglyse ne doit gaires douter la mort. Et je voel bien que vous sachiés que puis que saint[e] église fu establie en ceste iile n'ot mais sigrant bataille ne n'avra de vo tans
I . de chelui que tu desis
xMERLlN 89
comme ceste sera. Et li uns de vous a juré a l'autre que
il fera son preu et sonneur. Et je voel que vous saichiés
que je nei vous dirai plus descouvertement, mais tant
sachiés vous bien que l'un * de vous deus convient le ù annonce aussi
siècle laissier. Et cil qui remanra fera (53 ^) la ou ceste que l'un des deux
bataille sera une chimentiere le plus biele et le plus ri- ^''^'"'^^ mourra
, ., \ T?^ ■ • «^^ns la bataille,
che que il porra par mon los. Et le vous créant que lou ,
^ r r / T ' et que le survi-
i aiderai tant que tout le tans que crestiientés duerra i vant lui fera, parra chou que jou i ferai. Je vous ai dit de Tun de vous avec l'aide de deus que il convient morir: ore pensés de estre preu- ^"^'eriin, la piu^ domme. » ^^"^ f^'^"''^
du monde.
Cnsi passa li termes et vint li jours de la - semonse. Et li doi frère orent bien fait che que Merlins lour avoit commandé. Et si vinrent a Penthecouste le lir court seur la rivière, et la assambla li peuples. La ot moult avoir donné et mainte biele chiere faite. Et lors i furent tant que il oirent dire que li vaissiel furent arrivé le pre- mière semainne de jungnet. Et quant Uters oi chou, si
.,,.,. ... .^ , rivent; la ba-
sot bien que Merlins li ot voir dit, si rist commander as ^^^n^ ^ .-^^^ ^ prelas de saint[e] eglyse qu'il n'eust honme en l'ost qui ne saiesbièrcs , et, fust confès et qui ne pardonnafst] tout l'un viers l'autre, comme MciHu Et cil lurent tout descendu des nés et orent terre prise et '"^^^'^ prédit, un
^ , • • ^ • , , . dragon vermeil
seiornerent huit lours, et au nuevisme chevauchierent. ^ .
. . _ , ... . , . , , apparaît en l'air.
Li rois Pandragons, qui bien savoit les nouvieles d'aus et ,^^ Bretons sont ot ses espies en Tost (et) sot que il chevauchierent, si lou(r) vainqueurs , et dist Merlin, et Merlins li dist que voirs estoit. Lors li l'^ndragon est demanda li rois comment il le feroit. Et (53 ^) Merlins ^"''• li dist : tt Vous i envoierés Uter demain atout grant plenté de gent. Et quant il sara et il verra que il seront bien eslon^iet [de la rivière et] de la mer, si se mete(nt) entre deus, si se (se) tiene(nt) si pries que il les -^ fache(nt) herbegier [en mi les cnansj, si traie(ni) airiere sa gent et
LosSaibUesar-
1» uns — z. sa — i. î>c
90 MERLIN
[au matin quant li Saisne vaurront errer si lor core sus et] les tiegne(nt) si près que il ne puissent chevauchier. Lors n'i avra chelui qui ne vausist estre la dont il estoit venus. Et ensi le face ^ deus jours a toute vo gent, (et) si tost comme li jours sera biaus et clers [lor corés seure a celé eure que] vous verres un dragon [vermoil] qui courra par l'air entre le ciel et la terre. Et quant vous avérés veut cel signe, si le pues combatre seurement, car ch'iert signes de ton non. Et tes gens averont la vic- toire. » [Et ensi se départirent. Et Merlins si vint a Uler, si li dist : « Pense d'estre preudom, que tu n'as garde de mort en ceste bataille. » Et Merlins s'en ala a Biaise en Norhomberlande, si li raconta tôt et dist, et Biaises le mist en escrii et par son livre le resavons nous encore. Mais or se laisi alant li contes de lui et de Mer- lin et reiorne a parler de Uter et de Pandragon cornent il esploitierent en la bataille as Saisnes.
V-/I endroit dit li contes que tôt ensi com Merlins Tôt devisé as deus frères il le firent. Car Uters sevra une grant partie de gent a cheval de l'ost, des plus fors et des meilleurs que il i pot onques eslire, si montèrent et chevauchierent tant qu'il virent l'ost des Saisnes qui s'estoient logié a la plaine terre, si se mistrent a bandon entre lor vaissiaus et lor pavillons, et les firent herbergier icelui soir en mi les chans sans iaue et loing de lor vais- siaus ou lor vivre estoient. Et Uters les tint si cors deus jours entiers que onques chevauchier ne porent ne près ne loing. Et au tiers jor fu li rois Pandragons venus a moult grant plenté de gent, si commanda sa gent apa- reillier et ses batailles ordoner. Et quant li Saisne virent les deus os, si furent moult esmaié. Et Uters et les soes gens lor coururent si durement sus qu'il les firent a force
I . t'ai les
iMtKLIN
91
reverser jusques sur l'ost Pandragon. Si avoit tel bruit et tel noise et si grant criée de gent que l'en n'oist Dieu tenant. Et il furent tout apareillié de ferir en la bataille quant li rois commanderoit, mais il atendoit que li mostres apareust que Merlins li dist. Mais ne demora puis gaires que li mostres lor aparut en l'air; car il vi- rent venir volant un dragon vermoil, et coroit par Pair et getoit feu et flamme par mi lou nés et par mi la boche, et s'en vint moult roidement bruissant par desus l'ost as Saisnes. Et quant li Saisne lou virent, si s'en esmaierent moult et a merveilles en orent grant paor. Et Pandra- gons et Uters distrent a lor gent que il sont descontit], et il orent veut tous les signes que Merlins lour ot dit. Si lour courent sus, canques chevaus porent ren- dre, les gens Pandragon. Et quant Uters vit que les gens le roi furent assamblees, si lour courut sus a toutes ses gens. Et cil vinrent contre iaus aussi hardiementu plus, si se combatirent moult [rjuistement li uns a Tautre, et si fu moult la bataille fiere et dure. Et en celé bataille qui moult fu crueuse fu mors li rois Pandragons.
54^ LNSi come vous avés oi fu fait[e] la bataille de ,.,,. , „, Salesbieres, et Pandragons fu moi s, et Uters vainqui la roi, il taii enter- bataille. Et moult i ot mort de gent. Et li Saisne i furent icr les morts. tout mort, que nus n'en eschapaqui i fust, car il les con- vint tous a noiier ou morir. Et ensi fu finee la bataille de Salesbieres. Apries la mort Pandragon remest Uters, et fu rois. Et fist tous les cors des cresiiens entierer et mètre en un lieu, et chascuns i traist de ses amis l'un apriés l'autre. Et Uters flst aportcr le cors de son frère avoec ses honmes, et rist escrirc le non de chascun sur sa tombe et qui il estoit. Et Uters fist lever Pandragon plus haut des autres, et dist que il ne feroit ja riens sor lui escrire, que moult scroicnl fol cil qui la tombe vcrroicnl, se il ne la connissoient. Quant Uters 01 chou fait, si vint a Londres
92 MbRLlN
a tous ses gens et tout li prélat de saint[e]eglyse qui sous lui (54 ^) estoient. llluecques porta Uters couronne. Et quant il lot trove[ej et portée, au quinsime jour après vint Merlins a court.
Moult fist li rois grant joie de Merlin. Et Merlins
li dist : « Uters, je voel que tu me dies a ton peuple chou
que je te dis des Saisnes qui venroient en ta terre, et le
couvent que tu m'eus entre toi et Pandragon et les sere-
mens que li uns jura a l'autre. » Et Uters le reconta as
ses gens tout ensi que entre lui et Pandragon avoient
ouvré de toutes les choses que Merlins lour ot dites del
dragon dont il ne sa voient riens ne que li autre. Lor dist
Merlins apriès la senefiance dou dragon. Dist Merlins
que li dragons [qui] estoit venus senertoit * la mort de
Il prend le nom Pandragon et l'essauchement dou roi Uter. Et (que il li
d'Uter Pendra- fu mis" a seurcnon^: pour Tounour de lui, pour la mons-
8**°- trance del dragon, et la senefiance de lui fu tous jours
apielés Uters Pandragons. Et ensi sorent li baron la volenté
et le commandement que Merlins avoit consilliet as deus
frères. Ensi remest une grant pieche et fu Merlins moult
bien d'Uter Pandragon et de son conseil. Et tant que il
avint après que Uter Pandragon fu en son règne. Et
iMeriiu, tx)ur Merlins l'apiela et li dist : « Que feras tu de Pandragon
honorer Pendra qui gist en Salesbieres? » Etli rois respont : « Je en ferai
gon, fait venir ^,^q^ q^g j^ vaurras. » a Tu me juras (^4 ^) que tu fe-
d'Irlande des . ^ , . . . . ' l^^. / \
. , „ , roies un chimentiere, et le meismes 1 aideroie a mon
pierres énormes ' '
qui sont encore pooir. Et je t'ai en couvent que nous ferons chose qui
au cimetière de i parra tant com li siècles durra. Or aquite ton serement,
Salesbieres. q^g j'aquiîerai moult bien ma parole. » Et li rois dist a
Merlin : a K'en porrai je faire? » Et il dist : « Or enpren
a faire tel chose qui onques ne fu seue et si en sera tous
jours mes parole ''. » Et il respont : « Jel ferai volentiers. » ,
1 . senehier — 2. mes — 3. a son trere — • 4. tel chose que ne^
MERLIN 9 3
« Ore envoie dont, » fait Merlins. « querre grosses pierres qui sont en Irlande, si i envoie tes vaissiaus et fai venir ces pierres. Ne il ne les saront ja si grans aporter que je ne les lieve. Et se lour irai monstrer celés que je voel que il aportent. » Lors i envoia li rois de moult grans vais- siaus a grant plenté.
VOUANT il i furent venut, si lour moustra Merlins moult grosses pierres et lour dist : « Veschi les pierres que vous emporterés. » Quant cil virent les pierres, si le tinrent a moult grant folie. Et disent que tous li mons n'en torneroit une, ne teus pierres ne mêleront il pas en leur vaissiaus, se Dieu plaist. Et Merlins lour dist : « Dont estes vous pour nient venu. » Et cil s^en revin- rent au roi, se li dient la mierveille que Merlins lour avoit commandé a faire, che que il cuidoi[enJt que nus ne peust faire el monde. Et li rois respont : (54 ^) « Or souffres tant que Merlins viegne. » Quant Merlins fu ve- nus, se li dist li rois chou que ses gens li avoient dit. Et Meriins respont : « Dès que il me sont failli, je aquiterai bien mon couvent. » Lors tist Merlins par forche d'art aporter les pierres dUrlande, qui encore sont en le chi- mentie[re] de Salesbieres. Et quant eles furent venues, si les ala veoir li rois, et mena avoec lui grant partie de son peule pour veoir celé mierveille des pierres. Et quant li rois et ses gens furent la, disent que il ne virent onques mais si grosses pierres, ne ne cuidoient mie que tous li mons en peust une remuer. Moult s'en esmicrvillicrent les gens comment Merlins les avoit fait illuec venir, que nus ne l'avoir veu ne seu. Va Merlins dist que il les te- sissent drechier. Et li rois dist : « Merlins, che ne por- roit nus taire fors Dieus, se tu nel faisoies. » Et Merlins dist : « Or vous en aies, [si avrai mon covent vers Pen-
aoit pas seuc et si orras tous jours mes paroles
94 MEtLIN
dragon aquité,] car jou avrai pour lui faite tel chose qui
ne porroit ' ja estre[par nul autre home mortel] asovie*.»
Ensi fist Merlins les pierres drecicr qui encore sont el
chimentiere de Salesbieres. Ensi remest celé oevre. Et
Merlins ama moult le roi et le servi lonc tans, tant que
il avint un jour que il le traist a conseil, se li dist : « Il
Merlin rcHèie converroit que je me descouvresisse a vous del plus haut
uu roi le grand conseil que je sache. Car je (55 <^) voi que tous chis pais
secret des deux g^^ vosires. Etpour chou que vous aim vous voel jou dire
tables saintes de i !> ^ • j u -i
^, . une chose. Dont ne vous sauvai i^e de Hangus que il ne
Jésus-Chnst et . nw , ...
de Joseph. ^ovi^ ochist mie ? Pour chou me deveriés moult amer. » Et li rois respont : « Il n'est nule riens que vous voelliés que je ne face a men pooir. » Et Merlins respont : « Se vous le faites, li preus en iert vostres. Car je vous ense- gnerai tel chose, par coi vous avrés l'amour de Dieu. » Et li rois respont : « Merlins, di seulement chou que tu veuls. Car tu ne diras ja chose qui puist estre faite par homme que je ne le iache. » Lors dist Merlins : a Sire, che vous sera ja moult estraigne chose que je vous dirai. Et je vous pri que vous le celés. Car je voel que li preus et li honneurs en soit vostres. » Et li rois créante Merlin que il n'en parlera ja. Lors dist Merlins au roi : « Sire, je voel bien que vous saciés que je sai les choses dites, fai- tes et alees, et que je le tiengpar nature d^anemi. Et nostte sires qui est poissans sour tout m'a donné sens de savoir toutes choses qui sont a avenir en partie. Et par che m^ont anemi perdu, que je n'ouverrai ja a le leur volenté. Ore savés vous dont li pooirs me vint de chou que je faich. Et je vous dirai chou que nostre sires (le) veult que vous sachiés. Quant vous le sarés, si gardés que vous en ouvrés a sa volenté.
OiRE, vous devés croire que nostre (^5 ^) sires vint I. porra — ^. seue
MERLÎN 9b
en terre peur sauver le monde, et que il sist a la chainne
et dist as ses apostles : « Un en i a de vous qui me tra-
« hira. » Et chis qui che fourtisi fu partis de sa compaignie.
si comme il dist. Sire, après chou avint que nostre sires
souffri mort pour nous, et que uns chevaliers le demanda
et Tosta dou torment ou il fu mis. Sire, apriès chou avint
que nostre sires fu resuscités et que chi[s] saudoiiers fu
apriès la mort Jesucrist en une déserte gastine, et il et
une partie de son lignage et autre grant peule que il
avoit avoec lui. Si [lor avint une moût grant famine, si]
se complainsent au chevalier qui estoit leur maistres, et
cil pria Dieu que il li moustrast pour coi il souffroient
celé mesaise. Et nostre sires li commanda que il fesist
une table el non de la table de la chainne [et tôt fust
carrée], et un vaissiel que il avoit, [ou Jésus et li
apostre mangierent a la chainne meist * sour cele table,
(et le vaissiel) [quant il l'avroit bien coverte] de blans dras
[et que il covrist le vaissiel tôt] fors par deviers lui. [Et
Brons, unssuens serorges, pescha un poisson qui fu mis
sorla table ensel mi leuencoste lou vaisseldevant Joseph.]
Et par cel vaissiel fu départie la compaignie des boins et
des malvais. Sire, qui a cele table pooit seoir, il avoit l'a-
complissement de son cuer. Sire, a cele table ai voit] tous
jours un lieu vient, qui senehe le lieu ou Judas sist a le
chaiime, [et] quant il oi • que nostre sires fli) disoit pour
lui si fu partis de la compaignie Dieu. (53 <=) Et ses lieus
fu wuis, fors tant que nostre sires assist un houme en
son lieu pour faire le conte des douze apostles. Ensi sont
ces deus tables convegnables. Ensi acompli nostre sires
cuer d'oume a cele table seconde. Et ces gens claimment
cel vaissiel, dont il ont cele grasce, graal. Et se vous m'en ^^ i^i p.opos
volés croire, vous establirés la tierche table el non de la d établir la irui
trinité. De ces trois tables senefia la trinités trois viertus. ^'^'"'=
Et je vous créant que se vous le faites, il vous en sera
I. un vaj-'sicl aiiou nij li auoii mis — .-.. sol
96 MERLIN
grans biens a Pâme et au cors. Et averront en vostre tans teus choses dont vous vous esmervillerés moult. Et se vous le volés faire, je vous aiderai moult. Et se vous le faites, je vous creanc que che sera une des choses dont il sera plus parlé au siècle. Se vous m'en créés, vous le ferés, et se vous m'en volés croire, vous en serés moult liés. » Ensi a parlé Merlins au roi. El li rois respondi : « Je ne Uier le charge ^^tl que nostre sires i perde riens por moi. Et si voel de le faire. bien que lu saces que je mech tout sour ti. » Et Merlins
dist : « Or esgardés, sire, la ou il vous plaira mieus a faire. » Et li rois respont : « Je voel que il soit la ou il te plaira. » Et Merlins dist : « Vous le ferés a Carduel en Gales, et la fai assambler {^^ <^) les gens de ton règne encontre toi a Penihecouste, et tu t'apareilles pour grans dons donner, et si me baille gens qui facent a mon vo- loir. Et quant tu vauras, je eslirai chiaus qui tel * seront que il (l)i doive[nt] estre assis. » Ensi le fist li rois savoir partout. Et Merlins s'en ala et fist faire la table. Et che remaint jusques a la semainne de Penthecouste que li rois vint a Carduel. Et quant il fu venus, il demanda Merlin conment il avoit esploitié. Et Merlins dist : « Sire, moult bien. »
Merlin fait la tNsi assambla H peuples a la Penthecouste a Car- table à Carduel ^iuel Assés i vint chevaliers et dames. Et lors dist li rois en Gales et choi- ^ jy^gj-jj^ ^ ^^ Quels eens esliras tu pour seoir a ceste ta-
sitcinquante,,, t-»#i f- m - 1 j
prud'hommes ^^^- ^^ ^^ Merlins dist : « Vous en verres chou demain pour y prendre que VOUS n'en quidastcs onques veoir. Mais je eslirai cin- place. quante des plus pieudomes de ceste terre, ne ja puisque
il i averont sis ne vaurront en leur pais retourner ne de chi partir. Et lors porrés veoir la senefiance del lieu wuit et des autres deus tables en la vostre. » Et li rois si dist : « Che vaurroie je moult volentiers veoir. » Et Merlins
I che
MERLIN 97
eslist cinquante des plus preudomes que il sot, si les fist seoir a la table et apiela le roi, si li moustra le lieu wuit, et maint autre le virent et si ne savoient que il senefioit ne (56 '^J pour coi il estoit wuis fors li rois et Merlins. Quant Merlins ot ce fait, si dist le roi que il s'alast seoir. Et li rois dist qu'il ne serroit mie tant qu'il eust veus cheus qui estoient a la table servir, si les fist li rois servir ains qu'il s'en meust d'illuec. Quant il fu- rent servi, si s'ala li rois seoir.
Ensi furent tous les uit jours, et li rois donna moult de biaus dons et de grans joiaus as dames et as damoi- sieles. Et quant vint que li baron prisent congié et que il s'en départirent, si vinrent as preudommes qui seoient a la table. Et li rois meismes lour demanda qu'il lour es- toitavis. Et il respondirent : « Sire, nous n'avons (jamais) talent de mouvoir jamais de chi, ains ferons venir nos femes et nos enfans en ceste vile, et ensi viverons au plaisir nostre signour ; car teuls est nostres corages. » Et li rois lour demanda : « Signour, avés vous tout tel co- rage? » Et il respondent tout : « Oil, si nous esmiervil- lons moult comment che puet estre. Car il i a de teuls de nous que onques mais ne virent li uns l'autre, et peu i a de nous dont li uns fust acointes de Tautre, et ore nous entramons autant ou plus comme fieus seut amer père. Ne nous ja mais, chu me samble, ne ferons (56 ^) desassamblee ne départirons, se mors ne nous départ. » Et quant li rois les ot ensi parler, si le tint a moult très grant merveille, et tout cil qui dire l'oirent en furent tout esbahi. Et li rois en fu moult liés, et commanda que il fuissent houncic en la ville aussi conme ses cors. Mciim annonce Et quant les gens furent départi, si dist li rois a Mer- q"^ 'ciitu videà lin : « Voiremcnt me disoics tu voir. Ore croi je bien i^ ta^^'c ronde ne
, ... ... . sera rempli qu'au
que nostre sircs vcult que ceste table soit cstablic ; mais , ,
T ^ ' ^ ' temps ou succc»-
moult m'csmcrveil dcl lieu wuit, et moult te vaurroie scurd'Uter
98 MERLIN
priicr, se tu le ses, que tu me desisses qui l'emplira. » Et
Merlins dist : <c Tant te puis jou bien dire qu'il ne sera
pas emplis en ton tans. Et cil qui remplira naistera de
par un homme celui qui engendrer * le doit. Et n'a point encore de feme
qui n'est pas en- prjge ne ne set riens qu'i[l] le doie engenrer. Et couverra
core n<^ et qui ^^ ^jj • gj^pjjj. |g ^JqJj acomplisse chelui [lieu] avant ou
aura d'abord ac- ^ . ^ ^ , . .1 • 1 11.
compii l'aventure ^^^ vaissiaus del graal siet, car cil qui le gardent ne le vi- du graal. rent onques acomplir ; ne che ne sera jamais en ton * tans,
ains averra au tans le roi qui apriès toi verra. Mais je te pri que tu fâches tes assamblees et tes grans cours en ceste (56 ^) vile, et que tu meismes i soies et tiegnes tes cours as festes anveus. » Et li rois dist : <c Merlins, je le ferai moult volentiers. » Et Merlins dist : « Je m'en irai ; tu ne me verras mais devant lonc tans. » Lors li demanda li rois : « Merlins, ou iras tu? Dont ne serras tu en toutes les festes en ceste ville que je i terrai? » Mer- lins dist : « Nennil, je n'i puis pas estre, que je voel que cil qui avoec toi sont croient chou que il verront avenir. Car je ne voel pas qu'il dient que che aie je fait qui(l) averra. »
V^Hi endroit dist li contes que Merlins s'em parti d'Uter Pandragon et vint en Norhomberlande a Biaise, se li dist ces choses et ces establissemens de celé table et maintes autres choses que vous orrés en son livre. Et ensi demoura Merlins plus de deus ans qu'il ne vint nient a court. Et ensi fu un grant tans que li rois tint uter tient une acoustumeement sa court a Garduel, tant que une fois grande cour à (S6 ^J avint un jour que il prist talent le roi que il se- arduei; monroit tous ses barons, et i amenaissent tout lor femes
et un et autre. Ensi les fist li rois semonre al Noël. Et envoia par tout ses lettres. Ensi comme li rois l'ot com- mandé si le firent. Et bien sachiés que il i vint grant
I. emplir — 2. tous
MERLIN 99
plenté de damoisieles, de pucieles et de chevaliers. Je ne
puis ne ne doi tous chiaus dire qui a celé court furent,
mais vous conterai chiaus et celés dont mes contes parole.
Tant voel je bien que vos ' sach[i]és que 11 dus de Tein-
taguel i fu, et si i amena sa feme Ygerne. Et quant li
rois le vit, si Fama moult en son cuer, n'onques ne l'en il s'éprend d'i-
f(es)ist samblant se de tant non que il le regardoit plus s^'""^' femme du
volentiers des autres. Et de che se prist elle meismes ",^ ^. '"^^^eu ,
• , celle-ci s'en aper-
garde et sot bien en son corage que li rois la veoit moult çq^j ^^ essaie de volentiers. Et quant elle s'en fu apercheue, si Teskiva au l'éviter. plus que elle pot et se targa a venir devant lui, car ele estoit moult preudefeme et moult biele. Et li rois, pour s'amour et pour chou que on ne s^en presist garde, en- voia joiaus a toutes les dames, et a Ygerne envoia cheus que il cuida que plus li pleusissent. Et elle vit qu'il en- voia a toutes les autres, si ne vaut ne n'osa refuser le sien don.
i^y ^) tNsi départi la cours, et ains qu'elle fust de- partie pria li rois a tous ^ ses barons que il fuissent arrière a la Penthecouste si conme il avoient esté a celé fcste, et aussi a toutes les dames. Et chascuns l'otroie moult vo- lentiers. Et quant li dus de Tintaguel se départi de la court, li rois le convoia et hounera moult. Au départir si dist li rois a Ygerne tant seulement que il voloit bien que elle seust que elle emportoit son cuer avoec lui. Et elle n'en fist ains samblant que elle l'entendist. Ensi pri- sent congié^ li uns de Tautre. Et li rois remest a Carduel et fist moult grant joie et reconforta moult les preu- doumes qui a la table seoient, mais tous '* dis fu ses cuers a Ygerne. Et ensi sousfri li rois dusques a Penthecouste. Et lors assamblcrcnt (assamblercnt) li baron et les dames.
!. lu — 2. tout — 3. conscl — 4 tout
100 MERLIN
Moult fu liés li rois quant Ygerne fu venue, et moult donna a celé feste grans dons. Et quant li rois sist au mengicr, si fist le duc et Igerne seoir decouste lui. Lors fist tant li rois par ses dons et par ses presens que Ygerne ne s'en pot plus desfendre [que ele ne seust bien] que li rois l'amoit. Ensi firent a celé feste grant joie, et moult hounera li rois ses barons, (^y ^) Et quant la feste fu passée, si s'en vauit chascuns râler en son pais, et prisent congiet. Et li rois lour pria et requist que il revenissent quant il les manderoit, et il li otroiierent tuit. Ensi de- parti la cours. Et li rois souffri le mesaise tout l'an. Quant che vint au chief de l'an, si se complainst a deus de ses privés et dist l'angoisse que il sousfroit pour Ygerne. Et il li dient : « Sire, que volés vous que nous en fâchons ? Vous ne commanderés ja chose que nous ne fâchons, se nous le poons faire. » Et li rois dist : a Conment porroie jou plus estre avoec Ygerne ?» Et il dient que se il aloit en sa terre qu'il en seroit blasmés et lesgenss'en apercheveroient. « Et que[l] conseil, «dist li rois, « m'en donriés vous dont ? » Et il dient : « Le millour que nous savrons. Faites semonre une grant court a Carduel et faites savoir a tous chiaus qui i verront que il ne s'en muevent devant quinsainne et que chascuns viegne atournés pour séjourner ^ quinze jours, et que chascuns de vos barons i amainne sa A une nouvelle f^"^^- ^"^^ porrés avoir l'amour Ygerne. » Et li rois fête, uter envoie les fist semoure. Et il vinrent tout a Carduel. Et li rois son conseiller ui- i donna moult de biaus dons. Moult fu liés li rois cel ^'aruT' "**" *^ jour que il tint court, si parla a un sien consillier (S7 *^) ^^^^^' qui avoit non Urfins, se li demanda li rois que porroit faire, que Tamour Ygerne rochioit,si que il ne pooit du- rer quant il ne la veoit, et quant il la veoit se li aliege
I. semonre
MERLIN 101
sa dolours, et que il ne puet vivre s'il n'a autre conseil de s'amour, et que morir Ten convenra. Et respont Ur- lins : «I Vous estes moult mauvais, qui pour le désir d'une feme cuidiés morir. Qui oi ains parler de feme qui bien fust priie et requise et (la) on peust donner a li et a cheus qui sont entour li, que elle ne fesist sa volenté? Et tu t'esmaies. » Et li rois respont : « Tu dis moult bien, et tu ses bien qu'il convient a tel chose. Je t'en pri que tu m'en aiues en toutes les manières que tu savras, et pren canques tu vaurras dou mien, et donne a cheus et a celés qui sont entour li et parole a Ygerne en tel ma- nière que tu ses que mestiers m'est. » Et Urfins dist : « J'en ferai mon pooir. » Ensi ont fine lour conseil. Lors dist au roi : « Gardés que vous soiiés bien del duc, et je penserai de parler a Ygerne. » Et li rois dist qu'il le fe- roit moult bien. Ensi l'ont empris. Li rois fist moult grant joie le duc tous les uit jours, et a sa compaignie donna maint biel jouel. Et Urfins parla a Ygerne, se li dist les choses que (^j ^) il cuidoit qui miens li pleus- sent, et li aporta par maintes fois moult de biaus joiaus. Et elle s'en desfent et n'en veult nul prendre, et tant que il avint un jour que elle traist a conseil Urfin et li dist : « Pour coi me veuls tu donner ces jouaus et ces biaus dons? y> Et il respont : « Pour vostre sens et por vostre grant biauté. Je ne vous puis riens donner, que tout li avoir le roi sont vostre , et tous ses cors a vostre plaisir et a vostre volenté faire. » Et elle respont : « Gomment? » Et il dist : « Pour chou que vous avés le cuer de lui tout entirement, et est vostres et obeist a vous. » Et elle res- pont : « Dou quel cuer dites vous? » Et il dist : « Dou roi. » Et elle se saingne et dist : « Dicus ! conme est li rois ^^^j^ ^„^ ^,j,,jj_ traîtres, qui fait samblant del duc amer et (de) moi [vcui] g„ect menace de honnir! Urfins,» fait ele, « gardcsque ja mais n'en parles, tout dire à son Et je voel que vous sachiés que je le diroie mon signour, et se il le savoit, il vous en converroit morir. Et si te di que je ne le cèlerai que ccstc fois. » Et il rcspoiii : « Dame,
mari.
1 02 MERLIN
che sera m'ounours de morir pour mon signour. Ne on- ques mais dame ne se desfendi de tel chose que vous des- fendés del roi a avoir a ami. Car il vous aimme plus que tout le monde. Mais espoir vous vous gabés. Mais, por Dieu, aiiés merchi dou (^8 ^) roy. Et sachiés de voir qu'il vous en venra encore grans maus, ne vous ne H dus ne se puet desfendre contre la volenté le roi. » Et elle respont et dist em plourant : « Si ferai, se a Dieu plaist, je m'en desfenderai moult bien. Car je ne serai jamais en lieu ou il soit. »
Atant se départirent entre Urfin et Ygerne. Et Urfins
vint au roi, se li conta canques Ygerne li ot dit. Et li
rois dist que ensi doit boine dame respondre : o Nel lais-
Uier fait por- siés ja pour chou a proiier. » Un jour après avint que li
ter publiquement rois fu assis au mengicr et li dus seoit dalés lui. Et li
à igerne une j-qJj ^y^j^ devant lui Une moult biele coupe d'or. Et Ur-
coupc d'or où son ^ •ni • vi • i ■\r t^
*.,.... fins conseille le roi qu il envoie celé coupe Yeerne. Et
raari lui dit de ^ r d
boire pour l'a- li Tois dreche sa teste, si dist au duc : « Sire, mandés mour du roi. Ygerne que elle prenge celé coupe et ke elle i boive pour l'amour de moi. Et je li envolerai plainne de boin vin par un de vos chevaliers. » Et li dus respont comme cil ki nul mal n'i entendoit : « Sire, grans mierchis ; elle le prendera moult volentiers. » Et li dus apiela un sien chevalier etli dist : « Bretel, portés vous ceste coupe vos- tre dame de par le roi, et li dites que elle i boive pour Tamour de lui. » Bretiaus prist f^6' ^) la coupe et vint la ou Ygerne estoit et li dist : « Dame, li rois vous envoie ceste coupe, et mes sires vous mande que vous le pren- dés, et que vous i buvés pour l'amour de lui. »
Vj/UANT Ygerne l'entent, si en ot grant honte et rougi. Et prist la coupe et si but et le vaut renvoiier arrière. Et Bretiaus li dist : « Dame, me sires vous mande que
MERLIN 103
VOUS le retenés. » Et elle le retint. EtBretiaus s'en va de- vant le roi et le merchie de par Ygerne qui • onques mot ne li avoir dit. Lors ala Urfins veoir que Ygerne faisoit, si le trova moult pensive. Et quant les tables furent ostees, si apiela Urfin et li dist : « Urfins, par grant traison m'a envoiié vostre sires une coupe. Mais tant sachiés vous bien que je dirai a mon seigneur la honte que vous et il me pourcachiés. » Et Urfins respont : « Dame, vous n'estes pas si foie que vous ne sachiés bien que puis que feme di(s)t tel chose a son signour, ja puis ne le querra. Et pour che vous en garderés moult bien. » Et Ygerne respont : « Dehait qui s'en gardera ! » Atant départi Urfins d'Y- gerne. Et li rois ot mengié et fu moult liés, si prist le duc par la main et li dist : « Alons veoir ces dames. » Et il dist : « Sire, volentiers (58 ^). » Lors vont li rois et li dus en la cambre Ygerne. Mais li rois n'i ala fors que pour veoir Ygerne, et ele le sot bien. Ensi souffri chelui jour dusques a la nuit. Lors s'en ala a son ostel, et quant vint li dus, si le trouva en sa chambre plorant, et quant 18^'"'= rcvcie il le vit, si s'en esmiervilla moult et le prist entre ses bras ^°"^ "^ ^°" "^,^'"''
., . , ,, . ,. , , , . qui part secrete-
com cil qui moull ramoit, et li demande que ele avoit. ,j^g„j avecciie.
Et ele li dist : « Je nel vous cèlerai ja, car il n'est riens
que je tant aim comme vous. » Adont li dist tout l'afaire
le roi si comme vous Pavés oi, et que toutes ces dames
que il mande et ces assamblees ne fait il se pour li non.
« Et vous m'avez ore fait prendre sa coupe et me man-
daste[s] que je i beusse pour Tamour de lui. Et vous di bien
que je ne puis plus durer [a lui], ne a Urfin unsien consil-
lier. Et si sai bien que puis que je le vous ai dit, il ne puet
mais remanoir sans grant mal faire. Et je vous pri que
vous m'en menés, car je ne voel plus estre en ceste
ville. » Quant li dus ot oi et entendu che que sa feme li
dist, si en fu moult irés, car il l'amoit moult de grant
amour; si manda ses chevaliers en la vile a conseil. Et
I. que
104 MERLIN
quantil furent venu, si conurent' bien que lidusestoitirés. Etli dusior dist : «Signour, apparilliés vous por {^8 '^) chevauchier tout priveement que nus nel sache. Et n'en demandés ja pour coi, tant que je le vous die. » Et dient tout : « A vostre commandement.» Si dist li dus : « Lais- siés vo harnas sans vos armes et vos chevaus, et il nous sivroni bien demain, que je voel que li rois n'en sache mot, ne nus cui ^ je le puisse celer, que je m'en voise. » Ensi comme li dus commande, et il fu fait. Et li dus ot commandé ses chevaus a amener pour chevauchier. Et li dus et Ygerne chevaucierent au plus celeement qu'il porent. Ensi s'en ala li dus en son pais, et en mena sa feme. Au matin, quant il s'en fu aies, (fu aies) fu grans la uter, courrou- noise par la vile des gens le duc qui estoient remés. Li cts déclare que le j-ois sot au matin que li dus s'en fu aies, si en ot grant duc l'a offense en ^^^j ^^ ^^^^^ p^^^ j^ ^^iç, que il en Ot mené Ygerne.
quittant sa cour ^. , , i i- i . /i
sans congé ^^ manda tous ses barons et leur dist et lour monstra (la vérité) le honte et le despit que li dus li avoit fait qui aies s'en estoit et sans le congié de court. Et il respon- dent que il s'en esmiervellent tout et qu'il a fait folie. Ensi parolent cil qui ne savoient pour coi li dus s'en estoit aies. Et li rois lour dist : « Signeur, consilliés moi comment je le porrai amender. » Et il dient : « Sire, ensi ... comme il vous 1^50 ^j plaira. » Etli rois dist :« Je liman-
et lui envoie dire ' ■^-^ ' ^
de revenir; deral, sc VOUS le me loés, que il viegne amender le four- fait que il m'a fait, et tout ensi comme il s'en ala revie- gne arrière por faire droit. » Et tout s'i acordent.
ENche message alerent doi preudoume de par le roi et chevaucierent tant que il vinrent a Tintageul. La trou- vèrent le duc. Et quant il l'orent trouvé, se li disent che que li rois li mandoit. Et quant li dus oi qu'il le conver- roit arrière râler si comme il estoit venus, si sot bien
I. sauoient — 2. que
MERLIN 105
que il li en converroit mener Ygerne, si respondi as mes- sages : <( Or poés dire au roi que je n^ira(i] pas arrière a leduc refuse, sa court, car il a tant fait a moi et as miens que je ne le ^'"Pi'"!"^''. doi croire ne aler a sa court. Ne je n'en parlerai ja autre- ment, mais je en trai bien Dieu a garant, qui set bien qu'il m'a tant fait que je nel doi plus croire. » Ensi repai- rent ^ li message arrière au roi.
VOUANT li message s'en furent parti, si a mandé li dus les preudoumes de son privé conseil, si lour conta et dist [por] quoi ^ il en estoit venus de Carduel, et la desloiauté que li rois li pourcachoit de sa feme. Quant cil Toirent, si disent que che n'averra ja, se Dieu plaist, et que bien devroit mal avoir cil qui pourcache tel chose viers son homme. Lors dist li (^g ^J dus : « Signeur, je vous pri pour Dieu et por chou que faire le devés que vous m'aidiés a des- fendre ma terre, se li rois m'assaut.» Et il respondent que si(l) feront il moult volentiers, et li aideront si avant comme il porront. Ensi se consiila li dus as ses hom- mes. Et li message revinrent arrière au roy, se li contè- rent la response le duc. Et quant il l'oi, si [dist qu'ilj s'es- miervilloit^ moult de la folie que li dusavoit dite, car il le cuidoit moult a sage home. Et li rois prie as ses barons que il li aident a amender le honte de sa court que li dus li avoit faite. Et cil respondent que chou ne li puecnt il veer, mais il li prient tout ensamble pour la loiauté que il le fâche desfier avant a quarante iours. Et ensi le fist li rois, et lour pria que au chicf de quarante jours fuissent a Tintageul comme pour ostoiier. Et il dient que si feront il. Et li rois envoie ses messages pour des- fier le duc. Et quant il Torent desfié, li dus dist que il utcrfaii défier s'en desfendcroit se il pooit, et cil qui Forent desfic '^ '^^^■. s'en retorncrent, et li dus s'apparilla de lui dcsicndrc. Et
I. ripairent — 2. que — 3. scsmieruilla
I06 MERLIN
li message dicnl au roi que li dus s'en desfendera se on l'assaut.
et bientôt envahit VOUANT H rois ot chou oi, si en fu moult iriés, et envoia sa terre, par toute sa terre pour semonre ses barons, si les fist tous
assambler a Tentree de la terre le duc (^g <^j, si destruist et villes et chastiaus. Et si oi dire que li dus estoit a une part en un de ses chastiaus et sa feme en Fautre. Lors parla li rois a son conseil et lour dist que il le consillais- sent le quel il assaurroit avant. Et ses consaus li* loe que il voist assaillir le duc, que se il le prent il avéra le pais et la terre toute. Ensi s'en sont acordé, et li rois Potria, et quant il chevauchierent ou li dus estoit, si dist li rois a Urfin : « Urfins, quel conseil porrai je prendre d'Ygerne ? » EtUrfinsreipont : « Sire, de che c'onnepuet avoir se con- vient sousfrir. Et devés grant forche mètre a prendre le duc ; car, se vous l'aviés pris, vous en verriés bien a chief de Tautre affaire. »
et assiège le duc \^^i endroit dist li contes que li rois assist le duc en
dans un château, i ^* i o- • .. -. • u j
nd nt u'i ^^^ chastiel. Si 1 ert grant piecne que onques prendre ne
ne est dans Tin- le pot, si en fu moult dolans, et si estoit moult angois-
tagcui. scus pour Ygerne, (5g ^J et tant que il estoit en son pa-
Uter se désole villon, si plouroit. Et quant si homme le virent plourer,
de ne pas la voir; ^j ^^ aleicnt, et le laissiercnt tout seul. Et Urtins qui
estoit fors, quant il le sot, si vint devant lui et le trouva
plourant, si Ten pesa moult, et li demanda pour coi il
plouroit. Et li rois li dist : « Urfins, tu dois bien savoir
pour coi, que tu ses bien que je me (men) muir pour
Ygerne. Et je voi bien que morir m'en convient, car j'ai
perdu tout le repos que hom doit avoir; pour chou si sai
bien que je m'en muir. Car je ne voi comment je puisse
MERLIN 107
avoir garison. » Et Urfins li dist : ce Sire, vous estes moule
de foible cuer, que vous cuidiés morir pour une feme.
Mais je vous donrai boin conseil, se vous volés. Se vous umn lui conseille
faisiés querre Merlin et mander tant qu'il venist a vous, dcrccouriràMci-
il ne porroit estre qu'il ne vous en seust consillier. gç ''" = '"^'■^"i"'-^'
^. . . . , a dcfendu quVn
vous II dounissies canques ses cuers vaurroit. » Et li rois i-emovrit chcr- respont : « Il n'est riens que on peust faire nule que je cher. ne fesisse. Mais je sai bien que Merlins set bien ma des- trece, si criem que je Taie courechié de che que [li] lieus [vuis] de la table reonde fu assaiiés, qu'il i a moult grant pieche qu'il ne fu en lieu ou je fuisse ; ou espoir qu'il li ' poise quant je aim la feme de mon houme, mais certes (60 ^) je n'en puis mais, car mes cuers ne s'en puet par- tir. Et je sai bien que il me dist que je ne l'envoiaisse ja querre. w Et Urfins respont : « Sire, d'une chose sui je certains, que se il est sains et haitie's et il vous aimme tant comme il seut et il set la destrece que vous avés, et il ne demourra pas que il ne viegne a vous. » Ensi comfortc Urfins le roi, et li dist, se il faisoit biele chiere et grain joie et mandast ses houmes et fust avoec aus, il alegeroit grant partie de sa doulour. Et li rois dist que il fera moult volentiers che que il li conseille, mais l'amour Ygernc ne porroit il oublier. Ensi se comforta li rois une grant pie- che, et refist le chastiel assallir, mais il ne le pot prendre.
Un jour avint que Urfins chevauchoit par l'ost, tant in jour nnn qu'il encontra un homme k'il ne connissoit mie. Et cil icncunno un hom li dist : « Sire Urfins, je parleroie volentiers a vous ^''^'"^".^ '^''\ '"'
. r -r- T T ^ ,. 1- V. • ï , '^'^ qu il se char-
la fors. » Et Urfins li dist : « Et je a vous. » Lors s en ^^^.^^^ ,,j^,„ j^.
alerent fors de l'ost. Et Urfins descent a pié, pour par- faire p.ricr i ter
1er a lui, et li demande qui il estoit. Et il li dist : « Je ^ ';
sui uns hom vicus, et fui ja tenus pour sages quant je
fui jovenes, mais on dist que je radote. Mais je vous
nie
I. il
[o8
MERLIN
di a conseil que je fui n'a gaires a Tintageul, si fu a- cointes d'un preudomme qui me dist que (f. 60 ^) vostre rois amoit Ja feme au duc, et que pour chou li destruist li rois sa terre que li dus Ten mena de Carduel. Et se vous me volés croire et donner boin loiier, je sai tel homme qui vous feroit bien parler a Ygerne et con- seillier le roi de s'amour. » Quant Urfins oi ainsi par- ler le viel homme, si s'esmiervilla moult ou il prendoit chou qu'il disoit, se li prie que, se il set, que il li ensegne celui qui le roi en porroit consillier. Et il respont : a Je savrai anchois quel loiier li rois en donroit. » Et Urfins dist : « Quant jou avrai parlet au roy, te trouverai jou chi ?» Et il dist : « Vous me troverés ou moi ou mon mes- sage. » Et cil le commande a Dieu, si s'en va. Et Urfins vint au roi, se li dist tout chou que il avoit trouvé. Et uter devine que quant li rois Toi, si en rist et li demande : « Urfins, con- c'estMerhn. jj^jg j^ ^gj homme? » Et il dist : « Sire, c'est uns vieus hom. » Et li rois li demande : « Quant doit il reparler a toi? » Et Urfins dist : a Le matin, et me dist que li sa- che a dire le loiier que vous li donrés. » Et li rois dist : 11 se montre « Jou irai le matin. » Lors ala li rois la ou Urfins l'en sous les traits mena, si troverent un contrait, quant il furent issu de d'un infirme, j'ost , et li rois passa par devant lui, et li contrais li crie : « Rois, se Dieus acomplisse ton cuer de la chose du monde que tu plus aimmes, donff. 60 ^jne moi tel chose dont je te saice gré. » Et li rois rist et dist a Ur- fin : « Urfins, feroies tu riens pour moi? » Et iP dist : « Sire, oil, canques je porroie. d « Or va dont, > dist li rois, « si te donne a cel contrait, et li di que je te ai donné et que je n'ai chose avoec moi dont je soie (si) sai- sis. » Et Urfins s'ala seoir dalés lui tantost. Et quant li contrais vit Urfin , se li dist : « Que venés vous querre? » Et il dist : a Li rois veult que je soie vostres.» Et quant li contrais l'entendi, si s'en rist et li dist : t Li
I. li
MERLIN I OQ
rois s'est apercheus et me connoist mouk mieus que tu ne fais. Mais or t^en va au roi, se li di que il te feroit grant meskief faire pour sa volenté, et que je li manc qu'il s'est tost apercheus, et que mieus l'en sera. » Et Urfins vint au roi, se li conte. Et quant li rois oi chou, si chevaucha arrière grant aleure, et quant il vinrent la ou il 1 avoient trouvé, [si n'en trouvèrent point,] si dist li rois a Urfin : « Ses qui li hom est qui ier parla a vous en samblance de vieil homme ^? C'est cil meismes que tu as hui veu contrait*.» Et Urfins respont : « Puet il estre que hom se puet desfigurer? et qui est il qui ensi se des- figura? » Et il respont : « Saichiés que c'est Merlins qui ensi se gabe de nous. Et quant il vaurra parlera nous, il le nous fera bien savoir. » Ensi le laissierent ester. Et Merlins vint en la ten (f. 60 ^) te le roi en sa droite sam- blance et demanda ou li rois estoit. Et uns messages vint puisvienttrouver au roi, se li dist que Merlins le demandoit. Et quant li ^^ 'O' sous sa rois Toi, si en fu moult liés et s'en vint au plus tost qu'il ^""^"^ forme et im pot la ou Merlins estoit, et apiela Urfin : « Or verras chou ^r^'"*" j.'*!^^^"!."
' ^ plir sesdcsirss il
que je te dis, que Merlins est venus, et lesavoie bien que luijuredeiui ac- pour nient le querfrjoit on. » Et Urfins dist : « Sire, or cordcriedonqu'ii i parra se vous onques riens vausistes ne seustes faire a sa '"' J'^mandeia. volenté, car il n'est nus hom qui mieus or vous puist aidier de l'amour d'Ygerne.» Et Merlins vint a Urfin et li dist : « Se li rois me voloit jurer sour sains que il me donroit un don tel que je li demanderoie sauve s'ounour, je li aideroie a avoir l'amour d'Ygerne. Et toi meismes le convient jurer avant que tu ne t'en iras a rencontre. » Et Urfins respont : a Che poise moi qu'il n'est ja fait. » Et li rois otroie chou que Urfins " a dit [ ; et dit Uifins : « Mais] or pense comment il puist estre alegics.» Etquant Merlins ot ceste parole, si s'en rist et dist que « quant li serement seront fait, je vous dirai conment che porroit es- tre.» Lors fist li rois aporter les sains, et illuecques jura li lc roi jure.
I. conlrail — 2. qui lu trouuas cel vicl homme — 3. Merlins
110 MERLIN
roisetUrfins che que Merlins lour devise que li rois lidonra che que Merlins li demandera. Ensi furent li serement fait et Merlins les ot pris. (f. 61 ^) Lors dist li rois : 9 Or vous pri je, Merlins, que vous pensés de mon affaire comme li hom ou monde qui gringnour mestier en a. » Lors dist Merlins : t Sire, il vous converra aler en moult diverse manière la ou Ygerne est. Car elle est moult sage dame et moult loiausenviersDieuet enviers son signour. Mais ore verres quel pooir j'ai de vostre volenté accomplir. » Lors dist au roi : « Sire, je vous baillerai la samblance le duc si bien que de nului ne serés conneus. Et li dus a deus chevaliers qui sont si privé de lui que nus plus et d^Ygerne aussi : li uns a a non Bretiaus et li autres Jourdains. Je baillerai Urfin la samblance Jordain et je prenderai la samblanche Bretel, et je ferai ouvrir la porte dou chastiel ou Ygerne est, et vous ferai entrer laiens, et girrés a li. Et je et Urfins enterrons apriés vous par les samblances que nous prenderons. Mais vous en convenra moult main issir fors, quant nous serons laiens, que au matin orrons moult estranges nouvieles. Et si atornés votre ost a l'issir et vos barons. Et desfen- dés que nus n'aille viers le chastiel devant chou que nous soions revenu. Et gardés que vous ne le dites nu- lui homme ou vous voler aler que a nous deus qui chi soumes. » (f. 61 ^) Et Urfins et li rois respondent que il le feront tout ensi comme il Ta devisé. « Or vous aprestés, » fait Merlins, « car je vous baillerai ces samblances par voies. » Li rois se hasta de faire chou que Merlins li dist au plus tost que il pot. Et quant il l'ot fait, si dist a Merlin : « Avés vous apparillié? » Et il respont : « 11 n'i a fors de l'aler. » Atant se metent a la voie, et tant alerent Merlin donne qu'il vinrent au chastiel. Lors dist Merlins au roi : « Sire, au roi la forme du or VOUS remaués chi et nous en irons entre moi et Urfin. » duc, à lui et à LQj.g g.gj^ ^,Qj^^ gj donna samblance lui et Urfin. Et
UlÉln celle de ., ^ . , , , . .
deux de SCS che- ^^^"^ ^^ furent dessamble, si revinrent arrière au roi. vaiicrs; Merlius li aporta une herbe et si li dist ; « Sire, frotés
MERLIN 1 j I
vostre visage de ceste herbe et vos mains. » Li rois le fist, et quant il ot chou fait, si ot tout apertement le sam- blance le duc. Et lors dist au roi : « Sire, or vous sou- viegne se vous veistes onques Jourdain. » Et li rois dist : a Oil, je le connois moult bien. » Et Merlins vint a Urfin, si li remist la samblance Jourdain et lors l'amena par devant le roi. Et Urfins dist : « Je ne le connois pour nul homme se che n'est pour le duc. » Et li rois dist d'Urfin k'il li samble Jourdain. Et quant il orent un poi ensi esté, si regardèrent Merlin, si lour fu avis que che fust Bretiaus. Ensi parlèrent {f. 6i ^) ensamble et at- tendirent jusques a la nuit. Et quant il fu a la nuit un poi annuitié, si vinrent a la porte deTintageul. Et Mer- ns entrent ainsi lins apiela le portier, et li portiers et cil ki gardoient la dansTintageui; porte vi(n)rent tout apertement Bretel et le duc et Jour- dain , et ouvrirent la porte et les laissierent ens en- trer. Et quant il furent ens, si desfendi Bretiaus que nus ne desist que li dus fust venus. Asse's fu qui ala dire a la duchoise que li dus estoit venus. Et cil che- vaucent tant que il vinrent devant le palais. Lors des- cendirent et li rois traist Merlin a conseil, et Merlins lui, et li dist qu'il setiegne moult liement comme li dus. Et ensi vinrent li Iroi jusques a la chambre Ygerne, qui estoit ja couchie, et au plus tost qu'il porent firent il leur signour couchier.
Cnsi jurent li rois et Ygerne celé nuit, et en celé ic roi partage ic nuit engenra il le boin roi qui fu apiclés Artus. La dame ''^ d'Yi^'cmc et fist grant joie d'Uter Pandragon comme dou duc son si- '^"S^"-"^ •^'^"■ gnour que elle amoit moult (. Ensi avint que li rois et Ygerne jurent ensamble toute nuit, et en ccle nuit en- genra il Artu), dusques a Fajournee que nouvieles vin- rent en la ville que li dus estoit mors et ses chastiaus i.<> mmin on (f. 6i ^) pris. Les nouvicllcs vinrent moult celccmcnt '11'^'^"^ q"o ic laiens. Et quant Brciiaus et Jourdains qui cstoicnt ja ^^*"''-' "^'
112 MERLIN
levé oirent ces nouvieles, si vinrent la ou lour sires gi- soit, si dirent : « Sire, levés sus, si vous hastés et aies a utcr le dément, vostre chastiel, que vos gens cuident que vous soiiés et 8ort de Tinta- ^lors. )) Et il lour dist : € Che n'est pas merveille se il ^'■"' le cuident, car jou issi en tel manière dou chastiel que
nus n'en sot mot.» Il prist congiet a Ygerne et le baisa moult doucement au départir, voiant tous chiaus qui laiens estoient. Et puis issirent dou chastiel au plus tost qu'il porent, c'onques ne furent ravisé de nului, si fu li rois moult liés. Et Merlins li dist : « Sire, je vous ai bien tenu vos couvens. Or gardés vous que vous me tenés les miens. » Et li rois dist : a Vous m'avés fait la gringnour amour que on peust faire et le plus biel ser- viche que nus hom peust faire a autre. Et les vos cou- vens vous tenrai jou bien se Dieu plaist.» Et Merlins dist au roi : a Je le te demanc, et voel que tu saces que tu as gaaignié(e) un hoir, et que tu le m'as dounet, car tu ne le dois avoir. Et tel pooir coume tu i as tu le me don- ras. Et si fai mettre l'eure et la nuit en escrit que tu Ten- genras, si savras se je t'ai voir ff. 62 ^) dit. » « Et je t'ai juré, » fait li rois, a si le te ferai si comme tu l'as dit, et si le te doing.» Ensi chevauchierent jusques aune iaue : a celé iaue le[s] fist Merlins laver, et puis refurent comme devant. Lors chevaucierent dessi a Tost au plus Uter, ayant re- tost qu'il porent. Et si tost coume il (Iji furent venu, si prissafigure, re- houme s'assamblerent entour lui et li disent que li dus vientà son camp, ^^^^j^ mors. Et li rois lour demanda comment chou
où il apprend . 't--ii- ^ ^ i- «i»
qu'en effet 1 d c ^^<^^^ ^^^^' ^^ ^* ^^ conterent que le jour que il s em parti a été tué cette cstoit li OS moult coie et série: « Et li dus s'aperchut que nuit mc-me dans VOUS n'i cstiés mie, si fist sa gent armer et s'en issirent une sortie. ^Qut a piet et a cheval et se ferirent en nostre ost, et il
firent grant damage, ains que vo gent fuissent armé. Et li cris leva et la noise, et no gent s'armèrent et lour cou- rurent seure, et les remisent jusques devant la porte. La guenchi li dus, [et] fist moult d'armes, et iiluec fu ses chevaus ochis et il abatus; et iiluec fu mors li dus entre
I
en ncgocia- tions.
MERLIN I l3
no gent a piet qui ne le connissoient mie. Et nous hur- lâmes a iaus parmi la porte, et cil se desfendirent moult petit, puis que il orent perdu le duc. » Li rois dist que moult li poise de la mort le duc.
Ensi fu li dus de Tintageul mors et ses chastiaus Le roi exprime (J. 62 ^J pris. Li rois parla as ses barons et lour moustra son regret de la que moult li pesoit de la mesqueance le duc, si lor de- ^^^^ ^" ^^^ ^^
, .. ... , , son désir de l'a-
manda conseil comment il porroit ceste chose amender, mendercnversics qu'il ne voloit pas que il en fust blasmés, car il ne haoit siens : on entre pas le duc de mort : « Si l'amenderai a men pooir.» Lors en délibérations parla Urfins, qui moult estoit bien dou roi, se li dist : ^^ « Sire, dès que la chose est faite, si la convient amender au plus biel que on porra. » Lors traist Urfins grant planté de ses barons a conseil et lor dist : « Signour, comment loés vous que li rois amende a la dame le mort de son baron et as ses amis ? Car il vous en requiert con- seil, si Ten devés consillier a vo(sj pooir comme vostre si- gnour. » Et il respondent : « Nous le consillerons vo- lentiers, et vous nous consiiliés de chou qui mieus nous vaille a requérir ; car nous savons bien que vous estes moult bien de son conseil. » Et Urfins respont : « Cui- diés vous, pour chou se je sui bien de lui, que je li loe chose par derrière que je ne li loe par devant? Dont me terriés vous a traites. Et se li ' los estoit seur moi de la pais as amis a la dame, je en locroie tel chose que vous n'oseriés mie penser. » Et il respondent : « Nous vous en requérons (/. 62 <=) bien et savons bien que vous estes (et) deboin conseil, et nous vous prions que vous en dites vostre avis, si comme vous avés oi. » Et il dist : « J'en dirai mon avis, et se vous savcs mieus si le dites. Je loeroie que li rois mandast par tout (et) la ou li ami a la dame et au duc seroicnt et les fesist venir a Tintageul,
I. il
114 MERLIN
et li rois i fust et fesist la dame et ses * amis venir devant li et si lour fesist li rois querre pais de la mort le duc tele que s'il le refusoient qu^il en fuissent blasmé et li rois tenus por loiaus. » Ensi vinrent devant le roi, se li ont conté lour conseil, mais il ne dient mie que Urfins lour eust dit, car il l'ot desfendu. Si respondi li rois et dist : a Signour, a che conseil m'acort je bien, et je voel que il soit ensi conme vous Tavés devisé. »
Ensi manda li rois les parens le duc par les terres et que il venissenta Tintageul par boines trives, qu'il lour voloit amender toutes les choses dont il se plaignoient de lui. Et Merlins vint a conseil et (li) dist au roi : « Sire, savés vous qui che conseil a donné que vous faites?» Et li rois dist : « Naje, autrement que li baron le me loent. » Et Merlins dist : « Sire, il ne le vos * seussent pas entre iaus [tous itel loer], mais Urfins qui moult est sages et loiaus a porpensé la pais en son cuer la millour et la plus hounerabie qui soit. Et si nequide(nt) pasque nus le sace; et non fet il, et je seulement et vous cui ^ je Fai dit. » Et li rois (li) prie Merlin que il li die. Et Merlins le conte au roi. Et quant il Toi, si en ot moult grant joie et dist a Merlin : « Que m'en loés vous de ceste chose? » Et Merlins dist : « Je ne sai millour conseil douner ne plus loial, et si avras acomplie toute la volenté de ton cuer dont tu iés si desirrans. Et je m'en voel aler. Mais je voel avant parler a toi par devant Urfin. Et quant je m'en serai aies, tu porras bien demander a lui coument il a pensée ceste pais. » Et li rois dist que ensi le fera il. Atant fu Urfins apielés, et quant il fu venus devant
Merlin réclame J^us, si parla Merlins et dist : « Sire, vous m'avés en le don promis ; couvent que VOUS me donrés l'oir que vous avésengenré,
c'est l'enfant qu'ji ^'est pas raisons que vous le tiegniés a vostre fil.
qu'Igcrnc a con- çu;
1. les — 2. nen s. — 3. que
MERLIN ll5
Et VOUS avés la nuit et Peure en escrit qu'il fu engenrés, et si savés bien que vous Pavés engenré par moi; si seroit vostre li pechiés, se je ne li aidoie, car espoir encore porroit avoir sa mère grant honte de lui, et feme n'a point de sens cont[r]e chou qu'elle ne puet celer. Si voel que Urfins (f. 63 ^) en face(s) ses lettres et que il le terme et le nuit que il fu -engenrés i mèche ; il ne vous ne me verres mais devant le jour que il naistera, la nuit. Et je vous pri comme a mon signour que vous créés Urfin de canques il vous dira. Car il vous aimme de tout son cuer, ne il ne vous loera ja chose qui ne soit a vostre preu et a vostre hounour. Et je n^en parlerai mais a vous devant sis mois, mais je parlerai entre chi et dont a Urfin. Et che que je vous manderai par Urfin créés et faites se vous volés [estre] bien de moi et de lui et se vous volés vostre loiauté sauver d'or en avant. »
Ensi retint Urfins [le terme de] Pengendrement ^ de pour qu'elle ne l'enfant, etMerlins traist le roi a conseil : o Sire, tu te s'oppose pas à sa
j j "V7- i_ * 1- remise, Uter ne
prenderas garde que Ygerne ne sache que tu as a li geu. . , ■ , ,
Chou est la riens que plus le fera tenir en ta merchi : que i^,. q^^ ^'cj^ j^j
se tu li demandes de sa grossece et de qui elle est grosse, qui est son père.
elle ne savera trouver le père, si en avéra grant honte de
toi. Et chou est la chose dont tu me porras mieus aidier
que je aie Penfant.» Ensi prist Merlins congict du roi et
d'Urfin. Et li rois chevaucha tant que il vint a Tintageul.
EtMerlins s^en ala en Norhombcrlande a Biaise, se li conta
ces choses, et il les mist en escrit et par lui le savons
nous. Et quant li rois fu a Tintageul, si (de)manda ses
(/, 63 ^) hommes a conseil et lour demande qu'il fera
de ceste chose. Et il li dient : « Sire, nous vous loons
que vous fachiés pais a la duchoise et viers ses amis et
viers les amis au duc.» Ec li rois dist que il aillent parler
I. lenselgnemcnt
Il6 MERLIN
a li et que il [li] dient que elle ne se puet desfendre a lui, et se ele veult la pais, il le fera tout a sa volenté. A tant s'en alerent li baron a Tintageul. Et li rois remest et traist Urfin a conseil et li dist : « Que me loes tu de ceste pais? » Et li rois li fist entandant k'il savoit bien quUl avoit pourparlé. Et Urfins dist : « Sire, je l'ai pour- parlé. Ore savés vous bien se elle vous plaist. » Et li rois respont : « Elle me plaist bien, et je vaur- roie ja qu'elle fust chi. » Et Urfins dist : « Sire, ne vous entremêlés ja de Totriier, car je le querrai bien. » Ensi ont fine lour conseil. Et li message vinrent a Tin- tageul, si trouvèrent la duchoise et les amis au duc, se li contèrent comment li dus avoit esté mors et par son ou- trage. Et dient que moult em poise le roi, et que il en feroit pais a la dame et as ses amis. Et il voient bien que il ne se pueent tenir vers le roi, et loent bien li preu- domme a la dame et a tous ses amis la pais au roi. Et il respondent que il s'en consilleront, si se traisent a (f. 63 ^) une part. Lors dient li ami a la dame et cil au duc : « Li preudomme dient voir de chou qu'il dient que nous ne nous poons viers le roi desfendre. Mais oons quel pais il vaurroit faire a vous et a nous. En tele manière le puet li rois offrir qu'elle ne doit estre refusée. Et ensi le loons nous. » Et la dame respont : « Je ne me gelai onques dou conseil mon signour, non ferai jou del vostre.» En- si revinrent arrière de lour conseil. Et lors parla li uns des plus sages et dist as messages : « Signour, ma dame dist [que elle veut savoir] quel amende li rois vaurroit faire. » Et li message respondent et dient : « Nous ne sa- vons pas la volenté le roi, mais tant dist il que ill'amen- dera tout au dit de ses barons. » Et cil respondent : te Dont Tamenderoit il bien, se c'estoit voirs. Et vous estes si preudoume que vous liloerésbien, se Dieu plait, qu'il soit a sen hounour \ »
1. hounoir
MERLIN 117
Jcnsi prisent un jour dusques a quinsainne que la dame et si ami venront ^ devant le roi pour oir qu'il vaurra dire. Ensi fu pris li Jours, et li message vinrent devant le roi et li disent chou que il avoient trouvé(e) a la dame et as ses amis. Et li rois dist que conduite sera elle bien et tout cil qui avoec lui verront et que tout l'otrient vo (f. 63 ^j lentiers. Ensi sejorna li rois celé quinsainne, et orent entre lui et Urfin parlé de mainte chose. Et quant vint li jours de la quinsainne, li rois, si comme si baron li loerent, envoia la dame querre en ^ conduit. Et quant elle fu venue a l'ost, li rois fist tous ses barons as- sambler a son conseil et lour demanda que il voloient requerre de par la dame pour endroit celé pais. Li con- saus a la dame respont : « Sire, la dame n'est pas chi ve- nue pour demander, mais por oir que vous li offerrés de la mort de son baron. » Et quant li rois les oi, si les tint moult a sages. Et li rois traist a une part (le sien a) son conseil, et li rois lour demande : v Signour, que me loe's vous de cest affaire? » Et il respondent : a Sire, che ne puet nus savoir fors vostre cuers quel pais vous volés a iaus ne que vous lour volés offrir. » Et li rois respont : « Je le vous dirai. Vous estes tout mi homme et tout si preudomme que vous ne me mesconsillerés mie, si le mech dou tout seur vous. » Et il dient ; « Sire, vous nous cargiés moult. Dont commandés Urfin que il soit a nostre conseil, car nous riens n'en feriens se il n'estoit a nostre conseil. »
VOUANT li rois ot oi qu'il (f. 64 ^) demandoient Urfin pour iaus consillier, si fist samblant qu'il en fust liés^, et dist a Urfin : « Je t'ai norri et fait riche homme, et je
I. vinrent — 2. et — 3. iries
I 1 8 MERLIN
sai bien que tu iés sages. Va, si les conseille par mon commandement. » Et Urfins dist : « Si ferai je, dès que vous le loés. Mais tant voel je bien que vous sachiés que nus sires ne puet estre trop amés de ses honmes, et se il sont preudoume, il ne se puet pas viers iaus trop humil- liier pour avoir les cuers.» Ensi va Urfins au conseil as ' barons. Et quant il furent tout a une part trait, se li de- mandèrent : tt Urfins, que loés vous de ceste chose?» Et Urfins respont : « Vous avés oi que li rois se met seur vous. Ore alons a la dame et as ses amis pour savoir se il se meteront seur vous. » Et il respondent tout qu'il a bien dit. Ensi alerent parler a la dame et a son conseil. Et quant il furent devant lui, si dirent que li rois se me- toit del tout sour iaus et terroit la pais tele comme il le feroient, et il estoient venu pour demander se ses con- saus s'i meteroit. Et cil respondent : « De chou se doit on bien consillier.» Si s^en consillierent, et dirent que li rois n'en pooit plus faire offre que de soi(t) mètre sour ses ba- rons. Ensi s'acorda la dame et ses consaus (f. 64 ^J et li parent au duc qu^fl] s'i meteroient, et cil em prisent la seurté. Adont se traisent a consel et demandèrent li uns a l'autre que chascuns en looit. Et quant chascuns en ot dit son avis, il demandèrent a Urfin qu'il en looit. Et Urfins dist : « Je en dirai mon avis a tous. Signeur, vous savés bien que li dus est mors par le roi, ne il n'avoit pas faite chose dont il deust morir. N'est che voirs que je di? Et sa feme est remese chargie d'enfanz*, si savés bien que li rois li a sa terre gastee ; et est la mieudre dame dou monde et la plus biele et la plus sage. Et savés que A la conférence ^^ P^''^"^ ^^ ^"c Ont ore moult perdu en sa mort, si est des barons des ^^^^ ^^^^^^ 4^^ ^^ ^ois lour rende partie de lour pertes, si deux parts, Urfin que il peust avoir leur amour. D'autre part, vous savés propose qu'Uter que li rois est sans feme. Si di en mon dit que li rois ne épouse igerne et j^- ^g^ restorer son damage ne amender se il ne le prent,
que le roi Lot '^ '^ ^ '
d'Orkanie épouse
la fille du duc. i. les — 2. denfant
MERLIN 119
si m'est avis que il le deveroit bien faire et pour lui amender et ^ pour nos amours avoir et por tous chiaus dou règne. Et quant il avéra chou fait et otroiiet, que il marie le fille dou duc au roi Loth d'Orkenie qui chi est, et as autres amis fâche tant que il le tiegnent a ami et a signeur et a roi loial.
if. 64^) « Ur avés oit,» fait Urfins,« mon conseil [; or poés dire autre,] se vous [ne] vous i acordés. » Et il res- pondent tout : « Vous avés le mieus dit que nus peu[s]t penser. Et se vous l'osiés le roi retraire, et nous veions que il s'i acort, nous nous i acorderons tout.» Et Urfins respont : « Signeur, vous ne dites mie assés. Mais se vous vous i acordés plenierement, je recorderai la parole au roi. Veschi le roi d'Orkenie sur coi il gistgrant partie (partie) de la pais, et il die de la pais son avis.» Et il res- pont : « Ja pour chose que vous en aiiés seur moi dite ne vueu ge que la pais remaingne. » Et quant li autre l'oirent, se s'i acorderent tout. A tant vin[dren]t la ou li rois estoit, et la dame fu mandée et tous ses consaus. Et quant il turent tout venu, si lour dist Urfins et recorda la pais si comme il l'avoient pourparlee, et puis de- manda as barons : « Loés vous ceste acorde? » Et il res- pondent tout : « Oil. » Et Urfins se torne deviers le roi et li dist : « Sire, que dites vous? Dont loés vous Tacor- dement de ces preudoumes? » Et il respont : « Je le voel bien, se la dame et si ami s'i acordent et li rois Loth voelle prendre pour moi la fille au duc. » Lors respont li rois Loth : « Sire, vous ne me loe^rés] ja chose pour bien que je ne face pour vostre amour et pour (f. 64^) la pais.» Lors parla Urfins devant tous a chclui qui por- toit les paroles a la dame, et li demande : a Loés vous ceste pais?» Et il respont conme sages, et regarde la
I . que
laO MERLIN
dame et son conseil qui furent si morne et si piteus que
Piaue dou cuer lour montoit as ieus, si que de teuls i
avoi(en)t qui plouroient de pitié et de joie. Et chis meis-
Lcs parent» du j^ç^ qui devoit respondre plouroit et dist em plourant :
duc et igernc ac- ^ Onques mais si boine amende ne ffistl sires a houmes.»
ccptcnt avec jojc ; _^ , , , , , , , ,
Et demanda a la dame et as parens le duc : « Loes vous cestc pais? » La dame se teut. Et li parent a la dame et au duc parlèrent et dient tout : « 11 n'est nus qui ne le doive loer, et nous le loons bien. Car nous tenons le roi a si preudomme et a si loial que nous nous meterons de toutes les autres choses sour lui. » (et) Ensi fu creantee la pais d'une part et d'autre, et ensiprist Uters Pandragons Ygerne et donna sa fille au roi Loth d'Orkanie. Les nue- ches dou roi et d^Ygerne furent au tresime jour [après la quinzaine dou jor ou li parlement avoit esté, et trois se- maines devant le parlement avoit esté ocis le dus ; ensi poez conter deux mois entiers dès le jorj que li rois avoit geut a li en sa chambre. Et de la fille que il donna le roi les noces se font. Loth issi Mordrès et me sires Gauvains [et Agrevains] et De cette fille G[u]er[re]hès et Gahariès. Et li rois Neutres de Sorhaut mariée à Lot na- ot Fautre fille bastarde qui (/. 65 ^) ot non Morgans. Par quircnt Mordret, \q conseil de tous scs amis ensamble une autre fille qui Gauvain, Agre- ^^ ^ ^^^ Mofgue fist li rois aprcudre a kttre en une mai-
vain, Guerrehes , , • n . ... . ,
et Gaheriet. Une ^^" "^ relegion, et elle aprist tant et si bien que aprist les autre fille, Mor- sct ars, et si sot mierveilles d'un art que on apiele as- gan, épouse le roi trenomie, et elle en ouvra moult tost et tous jours, et de Sorhaut. Une moult sot de fisike, et par celé fisike fu elle apielee Mor- autre, orgue, j^ ^-^^ ^^^ autres eufaus adrecha li rois tous, et moult
est mise aux let- *-'
très et devient ^^^ ^cs parens le duc.
très savante.
uter interroge -l-Nsi Ot li rois Ygerne et la tint tant que la grossece igerne sur sa apparut, et tant que li rois gisoit une nuit avoec li, si grossesse ; jnist sa main sour son ventre et demanda de qui elle es-
toit grosse. Car elle ne pooit mie estre grosse de lui puis que il l'ot prise, qui n'avoit onques nulle fois geut a li
MERLIN 121
qu'il n[e r]eust en escrit, ne elle ne pooitpas estre grosse del duc, car il avoit grant pieche devant sa mort qu'il n*avoit geu a li. Et quant la dame ot chou, si ot honte et commenche a plourer, si dist em plourant : « Sire, de chou que vous savés ne vous puis jou faire menchoingne a croire. Ne autre chose ne vous dirai je mie, mais pour Dieu aiiés mierchi de moi; car je vous dirai merveilles et voir, se vous m'asseurés que vous ne me lairés (/. 65 ^j mie. » Et il l'en asseure que ja por chose que elle die ne le laira.
VOUANT la roine oi son signour qui l'asseura, si en fu eiic lui raconte moult lie et li dist : « Sire, je vous conterai merveilles. » qu'^^i'^ « ^^'^ i^ Et elle li conte comment uns hom avoit jeu avoec li en ^^'^^'"^*^ ^'""^ ''- sa chambre [en semblance dou duc son signour] : « Et avoit amené avoec lui deus des hommes ou monde que mes sires mieus amoit. Et ensi vint a moi en ma chambre, voiant toute ma gent, et jut ' a moi. Et je cuidai certainnement que che fust mes sires. Et chis hom engenra cel oir dont je sui grosse, et je sai bien que il fu engenrés la nuit que mes sires fu mors. Et gisoit encore avoec mi quant les nouvieles vinrent de sa mort. Lors me fist entendant que c'estoit mes sires et que ses gens ne savoient que il fust devenus, et ensi s'en ala. » Quant la roine ot sa nouviele contée, si respondi li rois et li dist : « Biele amie, gardés que nus hom ne nulle utcr lui dit de fcme ne le sache a cui vous le puissics celer, car vous en le tenu- secret, et
., , . , -^ T7.. • lu- de donner à quel-
senes honnie, se on le savoit. Et je vocl bien que vous , ,., ^, .
' . ' qu un qu il dcsi-
sachiés que cis enfes qui de vous naistra n'est pas ne g„^.r^i^.,^f^niu,ie miens ne vostres raisonnablement, ne jou ne vous ne fois né. Tarons a nostre oes, ains vous pri que vous le doingnics sitostcommeil naistera a chclui que je vouscom/"/*. 6^ '^J- manderai , si que ja mais n'orrons nouvieles de lui.»
I . vint
122 MERLIN
Et elle respont : « Sire, de moi et de canques a moi atient poés faire a vostre volonté. » Lors vint li rois a Urfin et li conta les paroles de li et de la roine. Et quant Urtins Tôt, si respondi et dist : « Sire, or poés bien sa- voir qu'elle est sage et loiaus, (et) quant de si grant des- conneue ne vous osa mentir. Et vous avés bien fait la besoigne Merlin , car il ne porroit en autre manière avoir l'enfant. »
Atant demoura jusques au sisime moys , que Mer- lins ot convent de revenir. Si vint et parla priveement a Urfin et li demanda nouvieles de chou que il vaut, et Urfins li dist voir de chou que il sot. Et quant il orent parlé ensamble, si manda li rois Merlin par Urfin. Et quant il furent tout trois ensamble, si dist li rois a Mer- lin si com il avoit ouvré de la roine et comment il avoient pourparlee la pais que il le prist a feme. Et Merlins respont : « Sire, Urfins est aquitiés dou pechiet quant il ot les ^ amours faites de ti ^ et de la roine. Mais je ne m'en sui mie encore aquitiés de che que je Paidai a dechevoir de l'engien que je fis et de l'engenrement que celé a de (f. 65 ^) dens li, que elle ne set de qui chou est. » Et li rois respondi : « Vous estes si sages que vous vous en savrés bien aquitier. » Et Merlins dist : « Sire, il convient que vous m'i aidiés. » Et li rois dist que il l'en aidera en toutes les manières que il savra, etPenfant Merlin vient set il bien que il li fera avoir. Et Merlins dist : « Il a en trouver le roi et ^este ville le plus preudommc de ceste terre, et si a le lui indique dans j^^ preudefeme et le plus afifaitie et entechie de toutes
la ville un prud- ; \,, , .^ . ,, u- j,
homme qui devra ^^^ ^""^"^^^ ^^'^"^^ 4^^ soient, et elle est acouchie d un
se charger de fil, et li sires si n'est pas trop riches hom ; si voel que
l'enfant. VOUS le mandés et que vous li doingniés del vostre en tel
manière que li sires et la dame juerront sour sains que il
1. tes — 2. li
MERLIN 120
noriront un enfant qui aportés lour sera et del lait meismes a la dame, et il feront leur enfant alaitier d^une autre feme , et chelui norriront comme lour fil de- mainne. » Et li rois dist : « Merlins, ensi comme tu le dis et je l'otroi. » Lors prist li rois congiet a Merlin et Merlins s'en ala a son maisire Bla[i]se.
Li rois fist le preudomme mander , et quant il fu uter le fait venus, si en fist 11 rois moult grant joie. Et chis s'esmer- venir et lui de- villa moult del roi qui tele joie li faisoit, et li rois li "^'"^'^'^''^''^"''■''
j. ^ r>- • 1 • -1 • • x^ /-/- ^» <ic faire allaiter
dist : « Biaus amis chiers, il convient que le (f. bb ^)
' n ; i^ / par sa femme un
me descuevre a vous d'une merveille qui avenue m'est, enfant qu'on lui Et vous estes mes hom liges, si vous requier par la foi remettra. que vous me devés que vous m'aidiés d^une chose que je vous dirai et celerés a vostre pooir. » Et cil dist : « Sire, vous ne me savriés ja riens commander que je ne face se je le puis faire. Et se je ne le puis faire, si le cèlerai jou bien. » Et li rois li dist : « Il m'est avenu une mer- veille en mon dormant. Car il m'estoit avis que uns preudom venoit a moi en mon dormant qui me disoit que vous estiés li plus preudom de mon règne et li plus loiaus ; et me dist que vous avés engenré un fil en vostre feme, qui est nés ; si me commanda ' [que je vous priasse] que vous sevrissiés vostre fil et mesissiés a une autre feme, et que vostre feme pour l'amour de moi et de vous alaitast un enfant qui li scroit apor- tés. > Et li preudom respont : « Sire, chou est moult grant chose que vous me dites. Et je vous pri que vous me diiés quant cis enfes nous sera aportés. » Et li rois li dist : « Si m'ait Dieus, je ne sai. « Et li preudom Auctor ic pro- dist qu'il fera sa volentc. Et lors li donna si biau don li '"^t, rois que li preudom en fu tous esbahis, et ensi se départi li rois del preudomme. Et vint li preudom a sa feme, se
I. en vostre f. que mest commande
et sa femme consent aussi
124 MERLIN
li con ta chou que li rois {f. 66 ^) li ot dit. Et quant elle Toi, si li sambla moult estrange chose, si dist : « Porrai je chou faire que je laisse mon fil pour un autre alai- tier? » Et il li dist : « 11 n'est nule riens que nous ne doions faire pour nostre signour. Et il nous a tant fait et tant nous pramet que il convient que nous faisons son plaisir. Et je voel outreement que vous le me créantes. » Et elle li dist : « Je sui vostre(s) et li enfes, si ferés de moi Ils donncmicûr ^^ ^^ ^^^ vostre volenté. Et je rotroi,car je ne doi estre de propre enfant à riens coutre VOUS. » Lors fu moult [liés] li preudom une nourrice. quant il Ot la volenté de sa feme. Lors li dist qu'elle que- sist qui lour enfant norresist avant c'om li aportast l'enfant. Ensi sevra li preudom son fil. Et avint chose que la roine fu preste d'acouchier, et le jour devant que elle acou- chast vint Merlins a court priveement et parla a Urfin et li dist : « Urfins, moult me lo dou roi qui a si sage- ment parlé a Auctor de che que je li avoie priié. Ore H di qu'il aille a la roine et se li die qu'el avra demain au soir enfant apriès la mie nuit. Et si li commant que elle le face bailiier au preudonme qui sera fors de la sale. » Et Urfins quant il Tôt entendu se li dist : « Merlins, dont ne parlerés vous au roi ? » Et Merlins dist : c Je n'i parlerai mie a ceste fois.» Lors vint Urfins au roi, se li dist chou que Merlins li ot commandé.
VOUANT li rois Toi, si en fist moult grant joie et dist : « Urfins, ne parlera il a moi ains qu'il s'en voist? » Et Ur- fins dist : « Nennil, mais faites chou que il vous con- mande. » Lors vint li rois a la roine, se li dist : « Dame, je vous dirai une chose, se m'en créés et faites chou que je vous commanderai. » Et la roine dist : « Sire, je vous querrai de canqu'il vous plaira, et ferai chou que vous me commanderés. » Et li rois dist : « Dame, demain au soir apriès la mienuit avérés enfant a l'aide de Dieu. Et je vous pri et commant que si tost conme il sera nés que
MERLIN 125
VOUS le faites baillier par une de vos privées femes au
premier houme qu'elle trouvera a l'issue de la sale. Et
commandés a toutes celés qui au naistre seront que
nule ne die que vous aiiés eu enfant, car grant honte
seroit a moi et a vous ; car pluiseurs gens diroient que il
ne seroit mie de moi, ne il ne sambie mie que il le doie
estre. » Et la dame respont : « Sire, il est voirs che que
jou vous ai autre fois conté. Et je en ferai chou que
vous commanderés; mais grant mierveille ai de chou
que vous savés ma délivrance. » Et li rois li dist •
« Dame, je vous pri que vous faichiés che (f, 66^) que
je vous commant. » Et elle respont : « Sire, je le ferai
moult bien, se Dieu plaist, » Atant se départ li rois de la
roine. Et tant qu'il plot a Dieu que Fendemain apriès
viespres li prist ses maus, et travilla jusques a celé eure
que li rois ot dit, si se délivra après la mienuit devant le vgcrne accou-
jour. Et si tost coume elle fu délivrée, apiela une feme che ; on remet
en qui elle se fioit moult et li di[st] : « Biele amie, pren cel ''^"^^^^ ^ '^^"'■•'"
. . , 11 • 1 1 1 qui l'attend, sous
enfant et si le porte a ruis de celé sale, et se vous trou- ^^^ forme incon- vés nul homme qui le demant, se li bailliés. Et si vous nue, à un endroit prendés garde quels hom che sera. )> Celé fist che que la convenu, roine li commanda, et mist l'enfant es plus riches dras qu'elle avoit, et puis si le porta a l'uis de la sale. Et quant elle i vint, si vit un homme ki mierveilles sam- bloit estre febles. Et celé li dist : « Bons hom, c'atendés vouschi?» Et il respont: « J'atent chou que tu m'a- portes. » Et elle li demande : « Quels hom estes vous ne que dirai je a ma dame qui j'ai son entant baillié? » Et il respont : « De canques tu demandes n'as tu que faire; fai chou que on te commande. » Et celé li tent l'enfant, et il le prent, ne onques puis que il le tint ne sot celé que il fu devenus. Et elle vint arrière a la dame, se li dist : tt Dame, j'ai baillié l'enfant (f. 67 ^) un vicl "homme ; je ne sai autrement qui il est. » La roine pleure coume celé qui moult a grant duel. Et cil a qui li en- ^^ • i^ remet fes fu bailliés s'en ala au plus tost qu'il pot a Auctor. Auctor.
126 MERLIN
Le matin le trouva si comme il aloit a la messe', et Merlins Tapicle, se 11 dist : « Auctor, je voel a toi par- ler. » Et Auctor le regarde, se li samble a miervelles preudom, el il li dist : < Sire, que plaist vous? » Et li vieus hom li dist : « Auctor, je t'aport un enfant, et si te pri que tu le faces nonir plus richement que le tien mcismes. Et bien saches que se tu le fais, grans biens t^en venra a ti et a tes hoirs. Et qui le te diroit tu nel querroies mie. » Et Auctor li dist : « Sire, est che li en- fes dont li rois m'a tant priiet del norrir? » Et cil res- pont : « Oil, sans faille. Et li rois et tout li preudomme t'en doivent priier. Et saches que ma priiere ne vaut pas mains d'un bien riche homme.» Et Auctor prist l'enfant, si le vit moult biel, si li demande se il estoit baptisiés. Et cis li dist que nennil : « Mais orendroit le fai bapti- sier. » Et Auctor respont : « Moult volentiers.» Et lors prist l'enfant et li demanda coument il avroit non. Et il li dist qu'il averoit non Artus : « Et je m en vois, car je n'ai chi rien que faire. Et a che t'aperchoi(s) que (f, 6y *y [grans biens t'en doit venir que] tu ne l'averas gaires euut quant vous ne savrés le quel vous amerés mieus ou vostre enfant ou cestui.» Et Auctor respont : « Sire, que dirai jou le roi qui le m'a baillié, ne vous qui estes? » Et cil li dist : « Tu ne saveras ore plus a ceste fois. »
Celui-ci le bap C>Hi endroit dist li contes que Merlins se parti d'Auc- tisedunomd'Ar- tor. Et Auctor fist baptisier Tenfant tout erraument, et tu, eti'éiùve. ot non Artus. Et lors emporta l'enfant a sa feme et li dist : a Dame, veschi Tentant dont je vous ai tant priie. » Et elle respont que bien fust il venus, et le prent, et demanda a son signour se il estoit baptisiés. Et il res- pont que il avoit a non Artus. Lors le prist la dame et l'alaitaet norri et le sien mist a norriche. Et li rois tint
I. le tr. a la m. si c. il a.
MERLIN 127
puis la terre lonc tans. Et puis avint que il chai en une grant maladie de goûte et des mains et des pies. Lors si Longtemps a- revelerent en pluiseurs lieus li Saisne en sa terre, et P''^^. uter étant tant li firent if. 67 0 de contraire qu'il s'en clama as ses "'''''^'' '"' '""
. , ,. - •! , • nemis se soulè-
barons, et si baron li loerent que se il s en pooit ven- ^^^^ gier qu'il s'en vengast. Et lors dist li rois que pour Dieu et pour lui que il i alaissent, si comme preudomme doi- vent faire pour leur signour. Et il respondent tout que il iront volontiers: si i alerent et trouvèrent les anemis le roi, et virent qu'il avoient grant partie de la terre traite a iaus. Si vinrent contre iaus, et les gens le roi ^^ . '" troupes
, , . . - qu'il envoie con-
assamblerent a iaus comme gent sans signour et furent tre eux sont vain- desconfi, et pierdi li rois illuec moult de ses hommes. eues.
VOUANT la nouviele fu aportee au roi que ses gens estoient desconfi, si en fu moult iriés. Et lors vint li re- manans de chiaus qui en la bataille avoient esté [, et se plainstrent moût durement]. Et quant li Saisne orent la bataille vencue, si crurent moult lour gent et esforchie- rent. Et Merlins, qui toutes ces choses savoit bien, si vint au roi, qui moult estoit foibles de sa maladie, et avoit auques de son tans usé.
VOUANT li rois sot que Merlins venoit, si en fu moult liés et pensa en son cuer que encore averoit il confort. Quant Merlins vint devant Utcr Pandragon (f, 67 ^), si fist moult biele chiere. Et Merlins dist : « Sire, vous es- tes moult effraés. » Et li rois dist : « Merlins, je n'en puis mais. Car vous savés bien que mi homme et cil dont je me cuidoie aidier et dont je ne cuidoie avoir garde m'ont mon règne destruit et mes houmes mors et descon- fis en bataille. » Et Merlins li dist : « Sire, or poés vous bien veoirque nus ne vaut riens en bataille sans signour. )'
128 MERLIN
Et li rois li dist : « Merlins, consilliés moi pour Dieu que
Merlin vient le j'en porrai faire. » Et Merlins li dist : « Sire, je vous di-
trouvcr, lui an- f^j yngs briés parolcs et privées que je voel que vous
nonce qu'il sera ^.^.g^g Faites semonre vos os et vos gens, et quant il se-
vainqueur s'il se , , , . r - i • •
fait porter en li- ^^^^ ^^"^ assamble, SI VOUS faites mètre en une litière et tierce la tctedes s^alés combatre a eus. Et saciés certainnement que il se- sicns, mais qu'il roHt descoufi. Et quaut VOUS les avrés desconfis, si saverés mourra aprcs a- ^-^^^ q^g ^gj.j.g ^^^^ signour ne vaut riens. Et quant vous tTiUc^et^"u'iKcrâ ^^^^^^ ^^^ ^^^^ ^^ départes vostre(s) tresor(s), que je voi une bonne fin. bien que VOUS ne poés gaires longement vivre. Et je voel que vous saichiés que cil qui ont les grans avoirs et muè- rent a tout, qu'il ne les pueent départir ne bien faire pour lor âmes (f. 68 ^)^ que lour avoir ne sont pas leur, ains sont chiaus qui(l) ne lour laissent bien faire, et saichiés que che sont li dyable. Et mieus verroit au riche qu'il n'eust onques riens eut des riqueches de ceste terriiene vie. Et les hounours ne sont se nuisement non as âmes, se on ne les départ si conmeon doit. Et [tu qui] ses avant que a finer t'estuet, si le dois bien départir en tel manière que tu n'en perdes la joie de (cest siècle de) l'autre siècle, que la joie de cestui siècle ne vaut riens enviers la joie de las- sus, et se te dirai por coi a uns seul mot : tu ses qu'il n'a el siècle si grant joie qui(l) ne faille (et quant on a en cest mortel vie este), et ces joies que on achate en Pautre siècle ne pueent morir ne faillir. Et canques on a en ceste mortel vie sueffre nostre sires a avoir pour esprouver de l'autre recouvrer ^ Ore convient dont ki veult estre sages que de chou que Dieus li a donné en ceste mortel vie qu'il en achat(ast) la vie pardurable. Et tu qui tant as eut de tous biens en cest siècle, quels biens as tu fais pour nostre signour? Je t'ai moult amé et moult je t'aime, et sach[i)es bien que nus ne te doit mieus amer de toi ; et je le tedi bien que tu ne pues durer apriès ceste victoire que tu C/. 68 ^) avras en cest estour et en
I. p. cspr. les autres
MERLIN 129
ceste bataille. Et saches bien que toutes les honneurs que li hom mainne en cest[e) siècle ne li pue[en]t tant va- loir comme li boine fins. Et se tu avoies tous les biens du monde fais et tu eusses malvaise fin, se seroîes tu en aventure de tout perdre ; et se tu avoies moult de maus fais et eusses boine fin, si averoies tu pardon. Et je voel bien que tu saces que tu n^en porteras ja riens de cest siècle que aumosnes et bien fais. Or f ai moustré et dit ton affaire. Tu ses bien que Ygerne ta feme est morte et tu ne pues autre feme mais avoir. Ensi remanra apriès ti ta terre sans oir, pour coi tu te dois moult esforchier de bien faire. Je m'en irai, car je n'ai plus a toi affaire. Mais Urfin prie k'il me croie quant mestiers sera. » Et li rois parole a Merlin et dist : « Fiere chose m'as contée, qui m'as dit que je vainquerai mes ane- mis. Et commant porrai je guerredonner a nostre si- gnour? )) Et Merlins respont : « Seulement par boine fin. Je m'en irai, et si te pri qu'il te souviegne de toi meismes apriès la bataille et de che que je t'ai dit. » Et li rois de- mande Merlin de [son] fil qu'il em porta. Et Merlins dist : a De che ne te tient il riens a enquerre, mais je voel bien que (f, 68 ^) tu saches que li enfes est boins et biaus et bien norris. » Et li rois dist : « Merlins, te verrai je ja mais? » Et Merlins dist : a Oil, une seule fois (fois) sans plus. »
Ensi s'en départirent entre le roi et Merlin. Et li En eiTd, itcr rois semonst ses gens et dist qu'il iroit contre ses anemis. est vaiiKiucm, Lors i ala et se fist porter sour une litière, si les trouva. Et il vinrent contre lui, si se combatircnt, et les gens le roi par le confort de leur signour les desconfirent et en ochirent a grant plenté. Ensi ot li rois le victoire de la bataille et destruist ses anemis. Et lors remest la terre tout cm pai.i.
l3o MERLIN
et meurt après Ensi conme[s) VOUS avés oi le fist li rois. Lors li sou- avoir fait beau- vint dc chou quc Merlins li avoit dit, si s'en repaira a coup de bonne» i^q^^qs. Et lors, quant il i fu venus, si manda tous ses oeuvres. grans tresors et ses grans avoirs. Et fist (a) savoir a toutes
manières de boines gens ou li plus ^ mesaaisié(e) de son rè- gne [estoient], si lour donna moult grans avoirs et grans aumosnes et bieles, et le sourplus départi par le conseil et la volenté des menistres de saint[e] église, et ensi ouvra li rois et départi la soie chose que onques nus avoirs n'i remest dont il fust ramembrans que il tout ne donnast pour Tamour de Diu et par (f. 68'^) le conseil Merlin. Moult s'umilia li rois viers Diu et viers ses menistres si doucement que il en orent pitié. Ensi le gardèrent ses gens malade un lonc tans, et tant que sa grans maladie li aggreva. Et ses peuples fu assamblés a Logres, qui moult avoient grant pitiet de sa mort, et veoient bien que a morir le convenoit. Tant fu malades que il afifoibli et amui et qu'il ne pot parler (si mui) trois jours. Lors vint Merlins en la ville, qui toutes les choses savoit. Et quant il i fu venus, li preudoume de la terre le firent ve- nir devant eus. Et quant il i fu venus, se li dient : « Mer- lins, or est mors li rois qui vous tant amies. » Et Merlins respont : v Vous ne dites mie bien : nus ne muert qui si boine fin face que il a fait, ne il n'est mie encore mors. » Et il dient que si est, car il a trois jours qu'il ne paria ne ja mais ne parlera. Et Merlins respont : « Si fera, se Dieu plaist. Ore en venés, si le vous ferai parler.» Et il s'en vont jusques la ou li rois gisoit. Et il firent toutes les fenestres ouvrir. Et li rois esgarda Merlin et se torna dcviers lui a son pooir et fist samblant que il le conneust. Et Merlins parole et dist as barons qui illuec estoient et as preias qui illuecques estoient de sainte eglyse : « Qui
I . et a tous les
MERLIN l3l
vaurra oir les paroles que li rois dira si se {f. 6g ^) traie près.» Et il li demandent : « Merlins, comment le cuides tu faire parler? » Lors se torna Merlins de l'autre part deviers le chief le roi et li consilla moult bas en l'oreille : « Rois, tu as faite moult bonne fin, se la conscience est tele comme la samblance. Et je te di que tes fius Artus sera chiés de ton règne apriès toi par la viertu de Jesu- crist. Et sera acomplissables de la table reonde que tu as fondée. » Et quant li rois oi ces miervelles que Mer- lins dist, si se traist viers lui et li dist : « Merlins, priiés li pour Dieu que il prit a Jhesucrist por moi. » Et Mer- lins parole a tous cheus qui illuec estoient et lour dist : « Signour, or avés oi chou que vous ne cuidiés pas que estre peust ; saichiés que c'est la daerrainne parole que il ja mais doie dire.» Et lors se leva Merlins et tout li autre qui grant mierveille orent eue de chou que li rois a parlé, ne il n'en i ot onques uns qui peust savoir que ja avoit dit a Merlin.
t NSI fina ^ li rois la nuit. Et li baron et li clerc et li ar- chevesque li firent le plus biel serviche et le gringneur honneur que il porent faire. Ensi fina Uters Pandragons, i ^ terre est et la terre remest sans hoir. L'endemain que li rois tu sans roi icgitimc; enterre's si s'assamblerent li baron et tout li prélat de '" grands du ro- sainte (f. 60 ^) église, et prisent conseil comment li peu- ^""""^ ^^on^^u
t . , ., , tent Merlin,
pies seroit gouvernes, ne il ne se porent acorder a nu- lui. Et lors disent ensamble que il se consillaissent a Merlin, qui moult estoit sages et de boin conseil ne onques ne sourconsilla. Ensi s'acorderent tout a Mer- lin, et lors l'envoiierent querre. Et quant il fu venus, si disent : « Merlins, nous savons bien que tu iés moult sages, et tu as moult amé les rois de cel règne. Et tu vois bien que la terre est remcsc sans hoir et que terre
I. tu
l32 MERLIN
sans signour ne vaut gaires. Pour chou te prions nous pour Dieu et requérons que tu nous aiues a eslire tel homme qui le règne puisse gouvrener au pourfit de sainte église et au salut dou peuple. » Et Merlins lour dist : « Signour, Je ne sui mie Dius que je doie tel affaire conseillier ne que je doie eslire roi ne gouvre- nour. Mais se vous acorde's a mon conseil, je le vous diroie. Et ne vous (vous) i acordés pas se je ne le vous doing boin. » Et il respondent : a Au bien et au pourfit de la terre nous doinst Dieus acorder. » Et Merlins lour dist : « J'ai moult amé cel règne et toutes les gens qui i sont. Et se je disoie que vous fesissiés de l'un de vous roi, je feroie bien a croire, et drois seroit. Mais il {f. 6g ^) vous est biele aventure avenue, se vous le volés con- qui les engage noistre. Li rois est mors dès la quinsainne de la saint à attendre Noci : Martin et d'illucc n'a ore gaires jusqucs au Noël ; et se Dieu leur mon- ^^^^ ^^^ couseil creés, je le vous donrai boin et loial
trera alors qui il , . ,. , . , i- -i j
faut choisir. Ils ^^ selonc Sainte église et le siècle. » Et il respondent s'y accordent, tout a un mot : « Mcrllns, di chou que tu vaurras, et nous te querrons de chou que tu diras. » Et il dist : a Signour, nous savons bien que la feste vi[e]nt ou li rois nasqui qui est sires de tous les rois et gouvreneres de toutes les choses qui sont et sousteneres de tous biens. Et je vous sui pièges, se vous le faites otroiier au peule, si comme chascuns a mestier de boin gouvreneur, que il par sa bonté et par sa humilité a celé feste qui est ^ apielee Noël, ou il li plot a naistre hom* si voirement que il nasqui rois de toutes choses, que a chelui jour nous eslise tel homme a roi, qui soit a son plaisir et a sa vo- lenté faire. Aussi vraiement nous fâche il vraie demous- trance a chelui jour de soi a son plaisir et a sa volenté en tel manieC/. 6g ^Jre que li peules connoisse que pour celé élection sera rois sans élection d'autrui. Et je vous creanc, se vous le faites faire au commun peuple, que
1. ert — 2. comme
MERLIN l33
VOUS en verres la senefianche. » Lors respondent tout a un mot et dient : « Merlins, chou est li mieudres con- saus que on peust donner. » Lors dient li un as autres : « Vous acordés vous a che conseil ? » Et il respondent tout : « Il n'est nus qui acorder ne s'i doive. » Et lors prient tout ensamble li barons as vesques et as archevesques^ que il au commun del peuple facent faire orisons et aumosnes, et par toutes les églises soi(en)t commandé et que chasquns [prestre] le face a savoir, [et face seurté] li uns a Fautre (et) que il en terront et nous avocc - les commandemens de sainte église et la senefianche que Dieus nous mous- terra. Ensi sont tout li baron acordé au conseil Merlin. Et puis prist congiet a iaus. Et il li prient que il revie- gne au Noël pour savoir se che sera voirs chou que il lour ensegne. Et Merlins respont : « Je n'i serai pas, ne ne nVi verres devant Telection. » Atant s'en ala Mer- lins a Biaise et se li dist ces choses que il savoit qui a venir estoient. Et li preudomme del roiaume et li me- nistre de sainte église firent ceste cose par tout savoir et que li preuf/". ']o ^jdomme del roiaume venissent tout au Noël a Logres pour veoir l(e)'election de Jhesucrist.
Ensi fu ceste chose seue et entendue par tout, et lors Artu a grandi; attendirent jusques au Noël. Et Auctor (qui) avoit l'en- Auctor, qui vient fant tant norri que il estoit grans escuiiers, ne n'ot alai- d'armer chevahcr
.*..,v !• 1 r r r ' ^ ^ ' ^' ' son fils Kc, amc-
tie d (e) autre lait que de sa feme [, et ses hus avoit alaitie ^^ ^ ^^ ^^^ ^ du lait d'une garce]. Et Auctor ne savoit gaires prcu le ^^^^ \^^ deux quel il amoit micus ou son fil ou lui, ne il ne l'avoit jeunes gens qui onques apielé se son fil non, et li enfes le cuidoit s'^ '■r*^^^"^ f"^>"- bien meismes. A le Toussains avint devant cel Nocl que il fist chevalier son fil [Ké]. Et au Nocl en vint a Logres aussi conme li autre et amena avoec lui ses deus fieus. La veille dou Noël vinrent tout ensamble et
I. ensamble et vcsque et archeuesquc — 2. que nous terrons
l34 MERLIN
clerc et prouvoire et tout li preudomme del roiaume, et orent bien fait che que Merlins lour ot commandé. Et quant furent tout venut, si menèrent moult boine vie et attendirent la venue de la festc si comme drois fu, et fu- rent a la messe de la mienuit et firent lour priieres a nos- tre signour qu'il envoiasl tel hom qui(l) fust pourfitables a le crestiienté maintenir. Ensi furent a celé première messe, et quant il l'orent oie, si s'en alerent teuls en i ot, et teuls i otqui re(/. 70 ^Jmesent ou moustier. Ensi attendirent la messe dou jour. Si ot maint hommes qui disent que moult estoient fol qui cuidoient que nostre sires mesist entention del roi(s) eslire. Ensi comme il par- loient, si avint que la messe sonna, si alerent tout au serviche. Et quant il furent tout assamblé pour oir, si fu apparilliés uns des plus preudom[mes] de la terre pour la messe chanter. Et devant chou qu'il chantast, si parla au puple et lour dist : « Signour, vous devés chi estre assamblé pour bien, et pour trois choses, si vous dirai queles : pour le sauvement de vos âmes, et pour Pounour de vos vie[s], et pour veoir le myracleque nostre sires fera hui, si li plaist, por nous donner roi pour maintenir sainte eglyse et pour desfendre le peuple et tout le roiaume.
a INous sommes tout en contenchon d'eslire l'un de nous. Et nous ne sommes pas si sage que nous seussife]- mes eslire le plus pourfitable. Par chou que nous nel savons, prions a Jhesucrist que il nous fâche hui de- moustrance d'avoir roi par son plaisir si voirement que il nasqui au jour d'ui. Et en prie chascun de vous au mieus que il savra. » Ensi le firent comme (/. yo <^) il lour ot commandé. Et il aia canter messe jusques a l'evangille. Et jà eurent offert de teus en i ot, si s'en alerent ensamble devant le moustier. Illuec avoit une grant place. Et quant cil qui avoient offert furent issu,
MERLIN l3b
si fu ajorné, et lors vinrent devant le moustier, et vi- Le jour de rent [devant la porte del moustier, devant la galileej un Noci, au matin, perron tout quarré ^ en quatre costes, si nesorentonques ^pp^'^^'^ ^^^^"ï
. , , . .1 r !• M • 1 l'tiglise un bloc
connoistre de quel pierre il fu et dient que il estoit de ^^ ^-^^^^^ ^^^ ,^_ marbre. Et sour cel perron avoit en mi lieu [une en- quel est une cn- glume de fier] largement demi pié (de fier) haute ^. Et ciumc, et dans parmi cel[e] englume ot une espee férue dusc'au heut. Et """^ c"ciumc est
.,,o- . • •• 1 fichée une épée ;
quant cil le ^ virent qui premiers estoient issu dou mous- tier, si en orent moult grant mierveille et vinrent arrière au moustier, si le disent au peule. Et quant li preudom qui cantoit la messe qui i estoit Toi, li archevesques de rarchevôque voit Logres Toi, si prlst l'iaue benoite et tous les saintuaires, sur répéedesict- si vint la tout avant et puis li autre après, et esgarderent ^'"^^ ^"^ ^•'^^"^
,,. .,x 1, .,. ^.^ . que Dieu désigne
moult le pierre et vi njrent 1 espee en mi lieu et jetèrent ^ , .
^ V / r / ^ pour roi celui
de l'iaue benoite sus. Lors esgarda li [archejvesques et vit • pourra reti- lettresd'or qui estoient a[u pomeldejl'espee, si les liut "*, rer rcpOe de l'en. et disoient que cil qui osteroit (/. yo '^j cele espee, il se- ciume. roit rois de la terre par l'élection Jhesucrist.
VOUANT li archevesques ot veut les lettres, si le dist Après des dis- au peule. Lors fu li perrons baillie's a garder a neuf preu- eussions sur ror- dommes et a cinq clers. Et lors dient que grant sene- '^'"'^ '^^"^ ''^'^"'''
f, . . TN- ... . on fera l'épreuve,
nance lour avoit Dieus moustree, si s'en vinrent arrière ^^^^ essaient
pour dire la messe et pour rendre grasce a nostre signour,
et cantent : Te Deum laudamus. Et quant li preudom
fu venus a Tautel, si se torna deviers le peule et lour
dist : a Ore pocs savoir que auchuns de nous iest bons,
quant nostre sires a fait pour nous tel demoustrance.
Et de la senefiance nous mousterra il a sa volente'. » Lors
canta li preudom la messe. Et quant elle fu dite, si [s'a]-
samblerent tout au perron. Et lors demandèrent li uns a
Pautre qui assaiera li premiers, et lors s'acordent tout qu'il
n'i assaieront ja fors si comme [IclocrontliJ mcnistic de
I une pierre toute quarrcc — 2. ente — 3. li — 4. lizoient
l36 MERLIN
sainte église. A ceste parole ot grant discorde. Car li plus haut et li plus (bas) poissant, qui plus grant force avoient, voloient assaier avant. A che ot mainte parole dite qui ne doivent mie estre retraites. Et li [archejvesques paria si que liplus d'aus Toirent : a Signour, vous n'estes pas si sage|com je vaurroie ne si pre[u]doume. Et (f. j i ^} tant voel je bien que vous saciés que nostre sires voit et set et en a'un eslit, mais ne savons le quel. Et tant vous puis je bien dire que riqueche ne gentillece ne fiertés n^i a mes- tier, se la volenté non a nostre signeur. Mais je me fi tant en lui que, se cil qui doit ceste espee oster estoit en- core a naistre, que elle ne seroit ja ostee devant qu'il l'os* te roi t. »
A che s'acordent tout li haut homme et li riche, [si] se traient a une part et dient que il s'acorderont a le volenté Tarchevesque et que il ouverro(ie)nt tout par [son] conseil. Et quant li archevesques Toi, si en ot moult grant joie et ploura de grant joie et dist : « Segneur, ceste humilité que vous avés dite est venue en vous de par Dieu. Et sach[ijés que j'en ouverrai tout a sa volenté et si que je n'en serai ja blasmés. » Chis parlemens fu pris devant la grant messe. Li archevesques lor a retrait que nostre sires a grant miracle fait pour nous et que moult a ci biele demoustrance ; car nostre sires quant il commanda ' justice en terre si le mist en espee, et Tespee fu baillie au commenchement des quatre ordres as chevaliers pour desfendre sainte eglyse et pour droite justiche tenir. Et nostre sires nous ^ fait ore (nous) par l'espee ceste élection. Et sachiés bien qu'il (f. y i b] est vcu et esgardé a qui il veult baillier ceste justice. Et ne se hastent ja li haut homme pour essaiier, car elle ne puet (estre) ne ne veult mie par riqueche ne par orgueil estre traite ; ne ne s'en
I. demanda — 2. se
aucun ne réussit.
MERLIN 1 37
courechent mie li povre se li riche Tassaient avant, car il est drois et raisons : car li plus haut homme et li gentil doivent essaiier avant. » Ensi s^acordent tout a chou que li archevesques dist, que il fâche essaiier Fespee a cui que il vaurra, et que il obéiront et terront pour signeur chelui qui Dieus en donra la grasce. Lors vinrent arrière, et li archevesques en eslit deus cent et cinquante des plus preudommes que il sot a son ensiant et lor(s) fist as- saiier a l'espee. Et quant il Forent assaiié, si commanda as autres que il i alaissent. Et lors l'aissaierent (tout) li mais uns apriès l'autre tout cil qui assaiier le vaurrent, mais r*^' ains n'i ot chelui qui oster le peust ne remouvoir. Et puis fu commandés li perrons pour garder a neuf preu- dommes. Et lors fu dit [au peuple] que ^ s'i assaieroit (u) qui assaiier s'i vaurroit, et bien i preissent garde li preu- domme qui cil seroit qui Tespee osteroit ^ [ ; mais onqucs ne pot estre ostee de nul qui i venist].
JuNSi fu l'espee tous les huit jours jusques au jour de Tan. Et furent tout li baron a le grant messe, et li ar- chevesques les sermonna et moustra (f. 7/ ^) dou bien che que il pot. Après lour dist : « Signour, je vous avoie bien dit que tout par loisir pooi(i)ent venir li plus lontain a l'espee oster. Ore poés savoir li quels Postera que Dieus l'a eslit. V Et il dicnt tout que il ne se mouvcront tant qu'il voient a cui Dieus en donra le don. Ensi fu la messe chantée, et alcrent li baron a leur osteus. Et après mengier si comme il soloient alerent li chevalier(s) be- Au jour de hourder defors la ville as chans, si alereni li plus des l'a" » ^^^ . <!"' sens pour veoir le behourdis. Et li neuf prcudomme qui ^'"'^"'^ '^'^'^ 'V '^^
1 1. -1 T- -1 11 . - jeux guerriers
gardèrent 1 espee 1 alerent. Et quant il orent behourdc j^^,.^ j^ ,^ y|„^.^
une grande picche, si baillierent lour escus a lour serjans envoie son frère
et cil commenchierent a behourder. Et tant behourde- Anu lui cher- cher son éptc en
ville; I. qui — 2. prent garde se il losleroii.
l38 MERLIN
rent que entre iaus leva une grande meslee, si que tout cil de la ville i acoururent. Auctor avoit fait de son fil l'aisné chevalier a la Toussains. Quant la meslee fucom- menchie, si apiela cil son frère, se li dist : « Va a mon hostel querre m'espee. » Chis fu moult preus et igniaus, si dist : € Sire, volentiers. » Lors vint a Tostel, si quist Artu ne la trouve l'espee son frère ou une autre, mais n'en pot nulle trou- pas; mais, pas- ver, si commencha a plourer et fu moult destrois. Et sant devant l'en- j^^.^ ^^^^ ^-^^^ arrière par de/7*. 71 ^Jvant le moustier ou
clumc, il saisit ,. . .,,.,,.
iv'pée, la retire ^^ pcrrons estoit, et Vit lespee, ou il n avoit onques as-
sans peine et la saiié. Lors se pensa que se il le pooit avoir que il le
porte à Ki. porteroit son frère, et vint tout a cheval, si le prist par le
heudure, si l'emporta et le couvri dou pan de sa cote. Et
ses frères qui l'atendoit defors la ville le vit venir, se li
ala a l'encontre et li demanda s'espee. Et cil dist qu'il ne
le pooit trouver, mais il en aportoit une autre, si traist
Ké, apprenant cheli de SOUS sa cote. Et il li demanda ou il l'a prise. Et
où il l'a prise, il u dist que c'est l'espee dou perron. Et Kés li prent, si
va trouver son j^ ^^^ dcssous le pan de sa cote et quist son père tant
D^rc et se Viintc —
de l'avoir retirée- ^"^ ^^ ^^ trouva. Et quant il l'ot trouvé, se li dist : ' a Sire, je serai rois; veschi Pespee dou perron. » Quant Auctor le vit, si s'esmervilla moult et li demanda com- ment il l'avoit eue. Et cil dist qu'i[l] l'avoit prise ou per- ron.
Qc
'uANT Auctor oi son fil ensi parler, si (le) ne l'en
crei pas, ains li dist que il savoit bien que il mentoit.
Lors s'en alerent viers Teglise entr'aus deus, et li autres
variés apriès. Quant Auctor vit le perron dont Pespee
estoit ostee si dist : « Kés, ne me ment pas. Comment
ostastes vous ceste espee? Carse vous me mentes ("/. 72 ^),
sel savrai jou bien, et ja mais ne vous ameroie. » Et cil
mais Auctor lui respont comme cil qui ot honte, et dist : « Sire, je ne
fait avouer lavé- vous mentirai pas. Artus mes frères le m'aporta, si ne sai
"^*^' comment il l'ot. » Quant Auctor Pot, si dist : « Bailliés
MERLIN iSg
le moi, biaus fieus. ^ JEt Auctor regarde derrière soi et et devant lui Ar- vit Artu et li dist : « Biaus fieus, cha venés, prenés Tes- tu remet à sa pee et si le remetés arrière de la ou vous le presistes. » ^^'^^^ ''"^p^*^- ^"'
T- » , . , 1, 1 11 adhère de nou-
Et Artus le prent, si le remet ens en 1 englume, et elle y^au à rcnciumc. se tint autressi bien comme devant. Et Auctor com- manda a Ké son fil que il li baillast. Kés le sace, mais ne li pot baillier. Lors s'en ala Auctor ou moustier et apiela ses deus enfans. Lors prist Artu entre ses bras, si dist : « Biaus sire, chiers fieus, se je vous pooie pourcachier Auctor annon- que vous fuissiés rois, quel mieus m?en seroit il? » Et ^^ -^ ^'"^'-' ^^'^^ Artus respont : « Sire, je ne(l] puis avoir ne cel bien ne ^'^^^ ^^!' ^^ ^^J
*■ , ' /. 1 ri apprend en me-
autre que vous n en sones [sires] comme [mes] pères. » j^^. ^^mps qu'il Et Auctor li dist : « Vostre pères sui jou coume de nor- n'est pas son reture, mais certes je ne sai qui vous engenra ne qui p^i"^- vostre mère fu. »
VOUANT Artus oi que cil qui il cuidoit qui fust ses ii lui fait pro- peres le denoia a fil, si ploura et ot moult grant duel. Et mettre, comme dist : « Biaus sire Diex, comment avérai jou bien, quant ^^^^ ^" ^"'"'^ j'ai failli //. 72 ^;a(u)pere?» Et Auctor li dist : a Biaus ^"J^ ^"' ^U^ sires chiers, comment que vous père aiiés eu, se nostre Ké'son scntchai sires veult que vous aiiés ceste grasce, et je le vous aiue et de ic garder a pourcachier, quel mieus m'en sera il? » Et Artus li quoi qu'il arrive; dist : « Sire, teuls comme vous plaira. » Lors li conte Auctor la bonté qu'il li avoit faite et comment il l'a norri et sevra son fil et le fist norrir a une estraingne feme, • pour coi vous deveriés moi et mon fil rendre le guerredon, que onques hom ne norri plus doucement enfant que je vous ai norri. Ore si vous pri que se vous avés ceste grasce et je le vous aiue a porcacbier que vous le merissiés a mon fil. » Et Artus li dist : a Sire, je vous pri que vous ne me desavoués pas de fil. Car je ne sa- vroic ou aler. Et se vous me pocs ceste grasce pourcacicr et Dieus veut que je Taie, je n'avrai riens qui ne soit en vostre commaiit. » Et Auctor lidist : « Biaus fieus, je ne
140 MERLIN
VOUS demanderai pas ore vostre règne, mais tant vous prie je quant vous serés rois que vous faciès vostre frère senescal de votre terre (en) en tel manière que pour four- fait que il face ne perde le senescauchie, que tous jours si Kc a des di- tant comme il vivra autres scnescaus ne soit. Et se il est faut», c'est qu'il fgi e^ fjjus gj vilains, vous (/. j2 ^) le devés bien sous- a <ii<5 pnvc du ^-^.j^ toutes les mauvaises choses qu'il a n'a il pri-
lait de sa mère et ' ^ . , , . , ? '^
a sucé celui dune ses se par le norriche ^ non qui l'alaita, et pour vous
femme inférieure, nofrir est il si desnaturés. Et pour chou le devés vous
mieus sousfrir. Si vous pri que vous li doingniés chou
que je vous demanc. » Et Artus dist : « Sire, je li doins
moult volentiers. » Lors le mena Auctor a Fautel, si le
jura Artus a tenir bien et a foi. Et quant il li ot juré, si
vinrent devant le moustier. Et lors fu la meslee remese,
si s'en vinrent li baron en Feglise arrière pour viespres
oir. Et lors apiela Auctor ses amis et son lingnage et dist
Tarchevesque : « Sires, veschi un mien enfant qui n'est
encore mie chevaliers, si me prie que je li face assaiiera
ceste espee ; si vous pri que vous apielés de ces barons. »
Devant tous Et il si fist. Et lors s'assamblcrcnt tout au perron, et
les barons réu- q^j^^t il (l)i furent, Auctor Commanda Artu(s) que il (le)
ms, Artu retire . ,. ' , , .,i i. . ., . ,
l'éfHie de l'enciu- V^^^^^^ ^ ^^P^^ ^^ ^^ baillast a 1 archevesque, et il si tist.
me. Et quant l'archevesques le tint, si le prist entre ses bras
et commenche a chanter en haut : Te Deum laudamus^.
JCnsi fu portés Artus el moustier. Li baron qui chou orent veut furent moult angoisseus, et dient que che neporroitpasestreque uns (/. j2 '^) garchons fust sires d'aus. Et li archevesques se courecha et dist : « Biau signeur, nostre sires set mieus qui chascuns est que vous ne sachics. » Et Auctor et ses lignages et grant partie de la gent se tenoient deviers Artu. Et li com-
i.norrechon— 2. Ces trois mots sont en tétc du paragraphe suivant.
MERLIN 141
muns del peuple et li baron de la terre se tenoient a rencontre. Lors dist li archevesques une hardie pa- role : a Signeur, se tout cil dou monde voloient aler contre ceste élection et nostre sires tousseus le vausist, si seroit elle. Et je vous mousterrai quel fianche j'ai en Dieu. Aies, Artus, biau frère, remetre l'espee ou vous le presistes. » Et Artus le reporta et le remist voiant tous, puis la remet; Et quant il Tôt remise, si parla li archevesques et dist : » Onques mais plus biele élection ne fu faite ne veue. Ore aies, signeur riche houme, et essaiiés se vous le por- rés oster. » Et il si font, mais ains n'i ot nul qui avoir le les autres cs- peust. Et li archevesques lour dist : « Moult est faus ki ^^Jcnt en vain contre la volenté de Dieu vait. » Et il dient : « Sire, nous d'en faire autant. n'alons pas contre sa volenté, mais il nous est moult es- trange chose que uns garchons soit sires de nous. » Et li archevesques lour dist que « cil qui l'a esleuut le con- noist mieus de vous. »
ff. y 3 ^) LoRS prient li baron Tarchevesque qu'il lait Les barons , l'espee el perron dessi a la Candeler, se s'i assaieront en- m<-'«-oiitents d'a- core pluisour que onques n'i assaiierent. Et li archeves- ^*^""" '■°' ^^ ^'
, . -^ . ,, , petite condition,
ques lour otria. Ensi remest 1 espee ou perron dusques a demandent un la Chandeler, et lors fu tous li peules assamblés et s'i répit jusqu'à la assaia qui essaiier s'i vaut. Et quant il s'i orent tout es- ciiandeieur. L'é- saiié, si dist l'archevesques : a 11 seroit bien drois que P'"'^"^'^ ^^^ ^'^""^
r • 1 1 . ' T • .. recommencée
nous fesissons la volentc Jesucrist.
« Alés, biaus fieus Artus, se nostre signour plaist que et réussit de mê- vous soiie's gouvreneres de cest peule, si me bailliés celé '^''* espee.» Et Artus va avant, se li baille. Et quant li arche- vesques le vit et li peuples, si plourerent de joie et de pitié et demandèrent : « A il mais chelui qui contre ^" convient
, . • -» T- ,. , N- 1 I 1 d'un nouveau ré-
ceste élection soit? » Et li r(o)iche homme respondcnt : -^ ^,3J^v^ p.-,. « Sire, nous vous prions encore que vous le laissiés dus- ques.
142 MERLIN
ques a Pasques. Et se il ne vi[e]nt adonques qui le peusl oster, nous obéirons par couvent a cestui. Et se vous le volés autrement faire, si fera chascuns au mieus que il porra. » Et li archevesques dist : « Obeirés ^ vous tout a lui de bon cuer, si je le lais? » Et il dien[t] tout : t Oil, et il fâche tous jours de la terre et dou règne a sa volenté. » Et li archevesques dist : « Artus, frère, remet Tespee el if. y 3 *j perron. Et se Diu plaist, vous ne faurrés ja au bien que Dieus vous apramis.» Et cil va avant, si rassiet Tespee en son lieu. Et quant elle fu rassise, si le fist couvrir, et elle s'i tint aussi comme elle ot onques fait. Et li archevesques qui avoit pris l'enfant en garde dist : « Artus, seurement sachiés que vous estes rois et sires de cest peuple. Et gardés que vous soiiés preudom. Et dès ore en avant gardés qui vous volés qui sache vos privées paroles et vostre conseil, et dounés et départes vos hou- nours et vos mestiers de vostre maison, tout autressi que se vous estiés ja rois. Car vous le serés, se Dieu plaist. » Artus respont : « Sire, jou mech canques Dieus veut mètre de bien en moi en la garde de sainte eglyse et en vostre conseil. Et eslisiés vous meesmes quels gens me seroient boin a faire le volenté nostre signour et au preu de la crestiienté. Et apielés se vous plaist a vous mon signour. » Et lors apiela li archevesques Auctor (et) se li moustra les boines paroles que Artus avoit dites.
La veille de LoRS H eslirent teuls consilliers comme il vaurrent. Pûques, les ba- £[ p^r \q conseil Tarchevesque et tous ses barons fist Ké rons demandent j^ senescal de sa terre. Et les autres choses laissa jusques
que le sacre soit ^ t- . y o , r> /• •
remisa la Pente » Pasqucs. Et,/. 7 J ^^ quant Pasques furent venues, si
côte : ils veulent s'assamblerent tout a Logres. Et quant il furent tout as-
c^prouver Artu. samblé la veille de Pasques, li archevesques les manda
tous en son palais pour consillier. Et quant il furent tout
I. obeissies
MERLIN 143
venu, si lour retrait chou que il veoit de la volenté Jhesucrist qui voloit par élection que li enfes eust le règne. El lors retraist les boin[e]s teches qu'il a en lui veut puis que il Pacointa. Lors dient li baron : « Sire, nous ne volons pas estre contre la volenté nostre signour, mais che nous est moult grant mierveille d'oume de si bas lieu qui ensi sera sires de nous. » Et li archevesques dist : « Vous n'estes pas boin crestiien, se vous volés aler encontre. » Et il dient : 0 Sire, nous n'irons pas, mais faites ent d'une partie a nos grés. Vous avés veut cel enfant sage et conneu de pluiseurs choses, et nous ne Tavons ne conneu ne essaiié, ne nous ne savons se pau non de son estre; si vous volons priier que anchois qu'il soit sacrés le nous laissiés essaiier quels hom il vaurra estre. Car se nous ^ veons son estre, il i avéra tel de nous qui bien le cuidera connoistre, se il veoit sa manière. » Et il dist : « Volés vous que on mèche en respit- son sa- cre? » Et il dient : « Sire, nous le volons bien, et soit (f, y 3 ^) respité(e) jusques a demain. Et se il avi[e]nt que [nous le trouvons tel] il (ne) doive estre rois, si metés le sacre en respit jusques a la Penthecouste. Ensi [vous] volons nous prier ^ que vous le fachiés^. » Et li arche- vesques respont : a Ja pour chou ne lairons. » Ensi dé- partent lour conseil, et l'endemain apriès a la grant messe si amenèrent l'enfant a l'élection, si rosla Artus Tespee si comme il avoit fait devant. Et lors le prisent et levé- rent en haut et le tinrent pour lour signour. Et lors li prient tout que il remeche Tespee arrière et que il parlast a iaus. Et il dist que il le feroit volenticrs, et lors remist Tespee ou perron arrière, et il le menèrent a la maistrc eglyse pour parl(er)er a lui et pour lui essaiier.
I. ou — 2. cscrit — 3. faire — 4. sachies
144 MERLIN
Ils le font en « SrRE, nous vcons bien que nostre sires veult que effet, et, le trou- ^qus soiiés Fois et sires de nous, et dès que il le veult Tant sage ^^^^ j^ volons, si VOUS terrons a signour et volons tenir
nos yretages de vous, et vous prions que vous respite's vostre sacre dusques a la Penthecouste, ne ja pour chou ne soiiés mains sires del règne et de nous. Et de chou volons nous que vous nous respondés sans conseil. » Et Artus respont : « Signeur, de chou que vous me dites que jou prenge vo(u)s houmages et que je vous {f, 74 ^j rende vos hounours et les tiegniés de moi, che ne puis je pas faire ne ne doi ', je ne puis vos hounours ne les autrui baillier ne gouvrener devant chou que jou aie la moie. Et de chou que vous me dites que je soie sires dou règne, che ne puet estre devant chou que jou aie eut le sacre et le couronne et Tounour del roiaume. Mais le respit que vous me demandés d'endroit le sacre vous donrai jou moult volentiers, ne je ne puis avoir sacre se de par Dieu non et de par vous.»
Vc/UANT li baron oirent chou que li enfes lour a dit, si dient que chis enfes sera moult sages, se il vit, [car] moult a bien respondu. Lors dient : « Sire, il seroit moult mieus que vous fuissiés couronnés et sacrés a le Penthe- couste. » Et dedens che obéirent a Artu par le congiet et libéral, Tarclievesque. Lors firent aporter les chiers avoirs et les
grans joiaus pour savoir s'il en covoiteroit nul. Et il demande a cheus de qui il estoit acointes de quel val- lanche chascuns estoit, et selonc chou qu'il oi dire de chascun, si faisoit. Quant il avoit tout pris les avoirs, si les deparloit ensi que je vous ai dit, selonc chou que
I . dou
MERLIN 145
chascun afferoit. Ensi donnoit a chascun (f, y4 ^) chou que plus li est[ov]oit.
Cnsi departoit les dons c^om li dounoit pour lui es- saiier, ne onques nul n'en retenoit. Et quant il le virent ensi maintenir, si n'en i ot nul qui ne le prisast en son cuer. Et bien disoient en derrière qu'il seroit de haut affaire, que il ne veoient en lui nule convoitise ne nule mauvaisté, que si tost comme il l'avoit pris autressi tost le ravoit il emploiié ; ne ne voient que tout si don ne ne font plus d'ob soient regnaule selon chou que chascuns iert. Ensi as- jcction. saiierent Artu que nule mauvaise teche ne porent en lui trouver. Et attendirent jusques a le Penthecouste. Et quant vint a la Penthecouste, si s'assamblerent tout li baron a Logres, et essaiierent a l'espee tout cil qui es- sayer i vaurrent, ne onques ne le porent avoir. Et li archevesques ot apparillié le couronne et le sacre a le veille de le Penthecouste le samedi au soir devant vies- La vciiic de la près. Par le commun conseil et par l'acort des plus des Pentecôte, rar- barons fist Tarchevesques Artu chevalier. Et celé nuit si *^^^^^^"*^
•11 * , . 1. • j • chevalier,
veilla Artus a la maistre église dusques au demain au jour que il fu ajorné. Si furent mandé tout li baron et assamblé a la maistre église. Et parla li archevesques a eus tous et lour (f, 74 <^) dist : a Signeur, veschi un homme que nostre sires nous a eslit par tele élection coume vous veés et avés veut dès le Noël en encha, que tout cil (qui sont) se sont essaiié a l'cspec qui essaiier s'i vaurrent, ne onques nel pot nus avoir fors Artus qui chi est. Et veschi les vestcmens roiaus et le couronne par le commun conseil et par vos bouches ' mesmes. Ore voel je, se il i a nul de vous qui contre ceste élection soit, qu'i[i] le die. » Et il respondent ensamble : « Sire, nous nous i acordons bien, et volons de par Dieu que il soit rois sacrés, en tel manière que se il i avoit nul de nous
r . boins 10
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viers cui il euust nule maie volenté de chou qu'il ont esté contre son sacre et contre s'election dusques a hui, que il lour pardoinst a tous communaument. » Et lors s*agenoillierent et crièrent tout communaument merchi. Et Artus pleure de pitié et s'agenoille viers aus. Et dist : € Signeur, je le vous pardoins, et prie a cel signour ki ceste hounour m'a consentie a avoir qu'i[l] le vous par- doinst. » Atant se levèrent et prisent Artu entre lour bras et l'en menèrent entre lour bras ou li roial vieste- ment estoient et l'en viestirent. Et puis fu 11 archeves- ques apparilliés pour la messe chanter, et dist a Artu : « Sire, aies querre Tespee et (f. 7^ ^) la justiche dont vous devés desfendre sainte église et la crestiienté gar- der. » Lors ala la porcessions au perron. Et puis com- manda li archevesques et dist : a Artus, se tu iés teuls que tu voelles jurer a Dieu et a son pooir d'aidier sainte eglyse et essauchier et tenir loiauté en terre et pais a ton pooir et maintenir droiture, si va avant et pren l'espee dont nostre sires t'a fait élection. » Quant Artus ci chou, si pleure de pitié et maint autre baron, et dist : « Aussi vraiement comme nostre sires est Dieus et sires deseure toutes choses qui sont, me doinst il forche et pooir de faire et de maintenir chou que vous avés [dit], si vraiement que je l'ai en talent.»
et le sacre le jour v-'RE dist li contes que Artus fu agenoilliés et prist de la Pentecôte. Pcspee as SCS mains jointes et le leva de Penglume aussi legierement comme se elle n'i tenist riens. Et lors porta l'espee entre ses mains (et) toute droite, et le menèrent a Tau-f/. ']5 ^>tel et il le mist sus. Et quant il il l'i ot mise, si le sacrèrent et oinsent et fisent tout chou c'on doit faire a roy. Quant Artus fu sacrés et la messe chantée, s'e[n] assirent dou moustier, si esgarderent, et ne virent point del perron, et ne sorent qu'il fu devenus. Ensi fu Artus esleus a roi, et tint la terre et le règne de Logres lonc tans a pais.
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RE dist que un mois * après le couronnement un mois après le roi Artu vint a une grant court que li rois Anu tient sa semonst a Carduel en Gales la feme le roi ^°"''- /^^ ^^^"^^ Loth d'Orkanie, serour le roi (i fu). Mais quoi que elle " !^°\
' N / ~i -1 y vient avec ses
fust sa suer, [si] n'en savoit elle riens. La dame vint fiisGauvain,Ga- moult richement a court a grant compaignie de dames et heriet, Agravain de damoisieles. Et ot avoec li grant plenté de chevaliers. etCuerrehis; Et amena avoec li quatre fieus que elle avoit eut dou roi Loth, qui estoient moult bel enfant et de tel aage que li ainsnés n avoit que dis ans seulement, et estoit li aisnés apiele's Gavai ns et li autres Gahariès, et li tiers Aggra- vains et li quars Guerrehès.
tnsi vint la dame a court o tout ses enfans qu^elle avoit moult chiers. Et elle estoit de si grant biauté plainne que a paines peust on veir ne trouver sa pareille de biauté. Si l'a moult (f. y 5 ^) houneree li rois pour chou que elle estoit roine couronnée et de haut lignage conme dou roy Uter Pandragon. Moult fist li rois Artus grant joie de ^ la dame et moult le festia et li et ses en- fans. Li rois vit la dame de grant biauté plainne, si Artu, ne sachant l'ama durement, et la fist demourer en sa court deus P^s qu'elle est sa mois entiers. Et tant qu'en chelui terme il gut a li et ^°^"'"' ^'^""^ ^^ ^
,.,,, .^^ ^ ,/. ^ d'elle Mordrec,
engenra en h Mordrec, par cui tant grant mal furent ^^j^^j^pj^^j^^J puis fait en la terre de Logres et en tout le monde. le trahir.
.Dorrr conut ^ li frères carneument sa serour et
I . Le manuscrit ne présente pas ici d'autre division que celle d'un paragraphe ordinaire — 2. uns rois — 3. da — 4. conchiut
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porta la dame chelui qui puissedi le traist a mort et mist a destruction et a martyre la terre, dont vous porrés oir viers la fin dou livre. Qant la dame s'en fu ralee en son pais, une moult grant aventure avint au roi Artus, [que il Ji a bientôt un li fu avis] en son dormant qu'il estoit assis en une kaiiere, songe qai j'in- gj comme il l'avoit commandé, et deseur lui avoit si grant ^"'*^** plenté d'oisiaus que il s'esmiervilloit dont il pooient tout
estre venu. Et quant il ot veut celle samblance, se li fu avis que d'autre part revenoit avolant uns grans dragons et moult grans plenté de griffons avolant et aloient parmi le roiaume de Logres et a mont et a val (f, y 5 <^), Et par- tout la ou il aloient argoient canque il encontroient, et apriès iaus ne demoroit chastiaus que tous ne fust ars et destruis, et ensi metoit a gast et a destruction trestout le roiaume de Logres. Et quant il avoit chou fait, il re- venoit tantost et assailloit lui et tous chiaus qui avoec estoient, si que li serpens ochioit et metoit a mort tous chiaus qui avoec le roi estoient. Et quant il avoit chou fait, il couroit sus au roi trop vilainnement. Et lors commenchoit d'aus deus la bataille trop dure et trop felenesse, si avenoit que li rois tuoit le serpent, mais il remanoil trop durement navrés, si que a morir l'en con- venoit.
Li rois ot si grant paour de cest songe qu'il s'en es- villa et fu tant a malaise qu'il ne sot quel conseil il peuust prendre de soi, que onques puis toute la nuit ne Le lendemain pot dormir, ains pensa tous jours a ceste chose. A Ten- iivaà la chasse; demain quant il fu jours, il dist as ses hommes : « Ap- parilliés vous et montés, car je vaurrai aler cachier.» Et quant il oirent son commandement, si le firent. Et quant il furent apparillié, li rois monta sour un cheval grant et fort (f. j5 ^)y viestus d'une roube a cacheour, si s'en parti de Carduel a moult grant compaignie de serjans et de chevaliers. Et quant il furent entré en la foriest, il
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aqueillirent un cierf grant et parcreu, si laissierent les chiens aler après. Li rois qui bien estoit montés com- mencha a sivir le chierf devant tous ses compaignons et moult se hasta d'aler après, si que il les ot eslongiés en petit d'eure plus de deus liues englesques, si que il ne les vit ne ne (les) sot quel part il estoient.
hîisî fu li rois eslongiés de ses houmes, et keurt après u perd ses hom- son chierf tant com il puet. Et tant le cacha en tel ma- mes, et son che- niere que li chevaus ne le pot plus soustenir, ains chai ^^' ^^^^^ "^^""^ mors desous lui. Quant il se senti a pié, si ne sot que ^°"^ "'" faire, car si houme estoient moult loing de lui et dou chierf. Et li chiers en va grant oirre, si que li rois en ot en poc d'eure pierdu la veue, si s'en vint tout a pié (a pie) apriès le cierf, car il cuide(nt) bien que sa gens i doivent venir tout a tans et que il l'aient pris tout certainnement. Et li rois est cheus et lassés et tressuans, ne ne puet en avant, ainss'assietsour une fontainne. Aussi tost comme n se repose ff. j6 ^) s'est assis, il commencha a penser a chou qu'il P^" ^'""^ ^°"' ot veut la nuit en son dormant. Et en che qu'il pensoit il ^^'"^' escoute et ot uns grans glas de chiens qui faisoient aussi grant noise que se il fuissent trente ou quarante, et ve- noient viers lui, che li samble, si cuide que che soient si lévrier, si lieve la teste et commenche a regarder celé part dont il les ot venir. Et ne demoura gaires que il vit venir une beste moult grant, ki estoit la plus diverse et voit venir une qui onques fust veue de sa figure qui tant estoit estrain- bctccirangc, gne de cors et de faiture, et non mie tant defors comme dedens son cors '.
I. // manque ici quelque chose; cf. Malory, I, ly : The noise was in the beasi's bcUy like unio the qucsling of tbirty couple hounds.
iSO MERLIN
La beste vint grant oirre a la fontainne et moult avoit grant talent de boivre. Et quant Ji rois Tôt bien es- gardee, si se commencha a saingnier et dist a soi meis- mes par soi : « Ore vol jou les gringnors merveilles que jou onques mais veisse. Car de si divierse beste coume ceste est n'oi jou onques mais parler. Et se elle est mier- villeuse par defors, encore est elle plus miervilleuse par dedens. Car je puis oir et connoistre tout apertement que elle a dedens son cors brakès tout vis qui glatissent. Onques mais ou roiame de Logres ne furent trouvées ne veues teus {f, y6 ^) mierveilles. »
Ensi dist li rois de la beste. Et si tost comme elle ot
dans le corps de commenchiet a boire, le[s] biestes qui dedens li estoient et
laquelle jappent glatissoient s'acoisent et se tinrent coiement. Quant elle
des chiens. ^^ ^^^ g^ £^ \ss\it de la fontainne, si recommancierent a
glatir autressi comme il faisoient devant. Et fisent au-
tretel noise comme fesissent vint braket apriès une
beste sauvage. Ensi repaire la beste de la fontainne a
grant noise et a grant glatissement. Li rois la regarde
toutes voies, si esbahis de la mierveille que il vit que i}
ne savoit se il dormoit ou se il veilloit. Et s'en ^ ala
grant oirre, si que li rois en ot tost pierdue Toie et la
veue. Et quant il lot pierdue, il recommencha a penser
plus qu'il n'avoit fait devant. Endementiers qu'il estoit
Arrive un che- en si grans pensées vint devant li uns chevaliers, et estoit
vaiicr qui se dé- ^quI a pié, et dist* : « Os tu, chevaliers, qui la penses, di
&oie d avoir per- ^^^j ^j^^^ • ^^ demanderai. » Li rois lieve la teste et
du son cheval, » , ,. . ,. o.. i ,- •
sans quoi il au- ^^ ^^ chevalier, SI h respont : « Sire chevaliers, que dé- fait atteint la bc- mandés vous? » « Je vous demant, » fait li chevaliers, te, qu'il suit de- « sc VOUS veistes par ichi passer la diverse beste, celé qui
puis un an.
I. Et che en — 2. uns cheualiers dist et est. t. a p.
MERLIN ibl
a dedens soi les glas des brakès? » a Certes, » fait li rois, « je la vi vraiement, ovenff. y 6 <^;droit estoit elle chi. Elle ne puet pasestreeslongiedeus liues.» « Ha! Dieus, n faitli chevaliers, « que tant sui mescheans ! Seore ne fust mes chevaus (ore) mors, ataint Teusse, si fust ma queste affinée. Ha! Dieus, je Tai sivie un an entier et plus pour savoir la vérité de li. »
« C-«ouMENT, sire chevaliers, » fait li rois, « si l'avés si longement sivie? » « Sire, oil. » a Et por coi, biau sire? Itant vous loeroie jou que vous le me desissiés, s'il vous plaisoit. » « Certes, » fait li chevaliers, « che vous dirai jou bien. Il est voirs et nous le savons bien que ceste beste doit morir par un houme de mon parenté, mais il convient que che soit li mieudres cheva- liers qui doive issir dou règne et de nostre lignage. Ore est il ensi que on me tient au milleur chevalier de nostre terre et de toute no contrée. Et pour chou que je voloie counoistre se j'estoie li meudres de nostre lignage, pour chou l'ai jou si longement sivie et [sui] aies après lui, si ne Tai mie dit pour vantance de moi, mais pour savoir la vérité de moi meesmes. » « Ciertes, » che dist li rois, € assés en avés dit, sire chevaliers. Ore vous en poés aler quant il vous plaira.» a A pié? » fait li chevaliers; « ains attenderai auchune aventure de chevalier ou de serjant qui Dieus amaintcha (/. 76^)^ qui son cheval me voellc douner. »
Ln che qu'il parloit ensi au roi venoit uns escuiiers un Ocuycr celé part montes sour un grant cheval fort et isnicl et d'Artu survenant aloit le roi querant au plus que il pooit. Quant li rois avec un dicvai, le vit venir, il li dist : « Descent et me lais monter sour '"^ ^^^ ^^'"^ '"^
, , , . , , . , , . . , , . , prendre pour sui-
cel cheval, si voel aler apncs une bicstc qui de chi s en , , ..
' ' * vrc la bete, mais
vait. » « Ha î sire, » fait li chevaliers, « vous ne fcrcs pas ic chevalier s'm-
j52 MERLIN
digne, scmpare (el vilounie que VOUS sour ma beste vous embatés et que du cheval, et s'en -.^ cachic SI loiic tans, mais faites que courtois, donnés
va ; Artu et lui ' . , , , . ^ . , .
se promettent de ^^^ ^^® chcval, SI me remetcrai en ma queste, car je n ai se combattre plus que demorer. Et se je par le defaute de vous la perdoie, urd. la honte en seroit vostre et li damages miens. » « Sire
chevaliers, » fait li rois, « vous avés la queste tant lon- gement menée que assés la devés laissier. Ore remanés, et je la maintenrai pour vous et tant que Dieus m'en doingne l'ounour, se lui plaist. » a Coument ! » fait cil, a dans mauvais chevaliers, si vous volés embatre seur ma queste a force, qui tant m''a lassé et travillié? Certes non ferés. » Et lors traist la ou il voit Tescuiier et le jeté jus dou cheval et monte sus ains que li rois i soit venus. Et lors dist au roi : « Dans mauvais chevaliers, or ne vous sai je gré se je m'en vois apriès ma beste. Ore re- manés, et je m'en irai. Et saff. y 7 «jc[i]és se je vieng en lieu, je vous guerredonnerai moult bien che que vous m'avés fait, que vous me voliés tollir ma queste. Et de che seulement que vous en si haute queste comme ceste estoit vous voliés entremetre, de che vous lien ge a fol et a chaiiif. Car certes vous n'estes pas chevaliers qui de si haut affaire se doive entremetre. » « Chevaliers, » fait li rois, a tu me diras che que il te plaira et je t'escouterai, mais tant sach(i)es tu bien que se je te cuidoie trouver hui u demain, fust près ou loing, je iroie après toi, et te mousterrai au branc d'achier que je sui au mien espoir aussi boins chevaliers comme tu iés et aussi dignes d'une grant queste coume tu iés.» « Il ne t'en couverra ja gran- ment chevauchier, » fait li chevaliers, « se tu me veuls trouver, car je demeure tout dis en ceste foriest pour sivre ceste beste. » a Dont te creanc je, » fait li rois, « que ja mais ne serai aise devant que je sace et que j'aie esprouvé li quels est mieudres chevaliers de nous deus. » « Quant tu me vaurras trover, » fait li chevaliers, « si vien a ceste fontainne. Et saces que se tu m'i veuls mètre jour que tu m'i trouveras, car il n'est nus jours que je n'i
MERLIN l53
viegne. » « Ore t'en pues aler, » fait li rois, « car je ne quier plus savoir de ton affaire. »
(f. jj ^] Atant s'em parti 11 chevaliers et s'en vait grant oirre celé part ou sa beste s^en estoit alee. Et li rois vint a rescuiier, se li dist qu'il s'en aille et li amaint uns autre cheval. Et cil^ s'en revient grant oirre tout a piet la ou il cuida ses compaignons trouver, et li rois remaint illuec touls seus et recommanche a penser aussi comme il faisoit autre fie. Illuec demoura li rois grant pièce tant pensis de ces aventures ^ qu'il avoit le jour veues que il ne [se] savoit preu consillier. Et en chou qu'il estoit si pensis si vint Merlins devant lui en samblance d'un survient Mer- enfant de quatre ans. Il connut bien le roi si tost li» sous la forme comme le vit, si le salue, et ne fait mie samblant qu'il '^'"^ '^^^^"^ '^^ seuust qu'il fust rois. Et li rois dreche la teste, se li dist : '^"^^^^ *"^" « Valeton[s], Dieus te beneie ! Qui iés tu? » Et Merlins respont: a Je sui uns valiès d'estraignes terres, mais moult m'esmerveil que vous pensés issi au chevalier, que ne me samble (f. yj) pas que nus hom qui riens vaille doive penser a chose dont il puet bien trouver conseil.» Li rois regarde Penfant, si s'esmierveille de chou qu'il parole si sagement. « Enfes, je ne quit pas que nus hom fors Dieus me peust consiUier de chose que je pense. » « Cier- tes, » fait Merlins, « tu ne penses chose que je ne sache, ne ne fesis hui chose que je ne seusse. Sire, que vous estes esbahis pour noient ! Car tu ne veis chose en dor- mant qui ne viegne a avenir. Ensi plaist il au créa- teur dou monde. Et se tu as veut en dormant ta mort, tu ne t'en dois pas esbahir. » Et quant li rois ci Merlin qui ensi parla , si n'est pas mierveille s'il en fu esbahis. Et Merlins dist encore : « Pour chou que tu aies gringnour merveille te deviserai jou que tu son-
I. sil — 2. de cel auenture
l54 MERLIN
gas a nuit. » « Par mon chief, » fait li rois, c se tu chou me pues faire» encore [le] terrai jou aplusgrant merveille que je n'ai hui oies ne veues. » « Et je te dirai, » fait Merlins. « Lors s'en venras a grignour pensée que tu ne faisoies devant. »
Lors li raconte son songe tout ensi comme li rois Tôt songiet. Et quant li rois l'a bien entendu, il se sainne de la merveille qu'il en a, si respont erraument : « Tu n'iés pas hom que on d(r)oie croire, mais anemis. Car par sens d'oume ne porroies {f. yj ^) tu pas savoir si repostes choses que tu m'as chi devisees. » « Por chou se je te devis des choses [repostes], » fait Merlins, « ne pues tu pas dire par raison que je soie anemis. Mais je te prou vé- role a droit que tu iés dyables et anemis Jhesucrist et li plus desloiaus chevaliers' de ceste contrée. Car tu iés rois sacrés, [et] en celé honneur et en celé dignité fus tu mis Il dit à Artu seurement par la grasce Jhesucrist 'non par autre. Artus, qu'il a commis un j^ 35 fait si trés grant desloiauté que tu as geu carnel- pcciic horrible en j^gj^^ ^^ ^^ serour gcrmainnc que tes perès engenra et ta
ayant commerce . . * ^ t • • 1
mère porta, si i as engenre un ni qui lert teuls conme Dieus set bien, car par lui verra moult de grant mal en terre. »
Atant respont li rois, trop honteus de ceste parole, et dist : « Anemis drois, de chou dont tu m'acuses ne pues tu estre certains, se tu ne ses vraiement que j'aie serour; mais che ne pues tu savoir ne tu ni autres, quant jou meismes ne le sai. Ne nus, che me samble, ne puet estre certains de ceste chose plus comme moi; mais je n'en sai riens. » a Par foi, » fait Merhns, a tu ne dis pas voir. Je
I. et le plus desloial cheualier — 2. en ceie dignité de la grasc^ jhesucrist seurement tauoit mis
avec sa sœur,
MERLIN l55
sui mieus certains de caste chose que toi, car tu meismes n'en ses riens. Car je sai bien qui fu tes pères et qui fu ta mère et [qui sont] tes serours. Et (f. jS ^) nonporquant il a grant tans que je ne les vi, et si sai bien que eles sont sainnes et vives. » Lors se reconforte moult li rois de ceste chose. Et nonporquant il ne cuide mie que cil li die vérité, car il cuide bien que che soit anemis. Et non- porquant il li dist : « Se tu me pues certefiier de mon père et de ma mère et de mes serours, et me fâches con- noistre dou quel lignage je sui issus, ja ne savras de- mander chose que je ne te doingne pour que je l'aie en ma baillie. s> o Le me créantes tu comme rois ? » fait Merlins. a Car bien saces se tu me mentoies, grignour mal t'en porroit avenir que tu ne cuides. » « Je le te creanc, » fait li rois, « loiaument. » « Et je le te dirai, » fait Merlins, « et t'en ferai certain assés prochaine- ment.
0 Je te di, » fait Merlins, «que tu iés geniieus hom et de si haut lignage conme fieus de roi et de roine. Et fu tes pères preudom et boins chevaliers.» « Coument ! » fait li rois, « sui jou dont si gentius hom comme tu dis? S'il estoit ensi, je ne fineroie jamais ne averoie gran- ment de repos devant que je avroie mis en ma subjec- tion la gregnour partie dou monde. » « Certes, » fait Merlins, « il ne demourra mie pour chou que tu n'aies assés gentillece. Ore garde que tu en feras. Car se tu iés aussi preu(/. yé^f'Jdom comme tes pères fu, tu ne perderas ja terre, ains en conquerras assés. » « Et com- ment, » fait li rois, « ot non mes pères? Che me pues tu bien dire. » « Certes, » fait Merlins, « il ot a non Uters et lui rcvèic qu'il Pandragons et fu sires de toute ceste terre. » « En non ^^^ fi'=^ dLicr. Dieu, » fait li rois, a se chis dont tu m'aparoles fu mes pères, je ne puis faillir a cstrc preudom. Car de chclui ai jou tant oi parler que je sai bien que il fu si preudom
l56 MERLIN
que il ne peust pas issir [de lui] malvais oirs, se mierveilles
ne fust. Et ciertes se il estoit bien voirs, si le creroient ja
moult envis li preudomme de cest pais. » t Je lour ferai
a savoir si bien, » fait Merlins, « qu'il en seront tout
bien certain, anchois que chis mois soit passés, si que il
connisteront de voir que tu fus fieus Uter Pandragon et
la roine Igerne[estJ ta mère.» t Mierveilles me dis,» fait li
rois, « si k'a painnes t'en querroie jou, se te dirai pour coi.
Se je fuisse lieus de chelui que tu me dis, on ne m'eust
pas mis en la main d'un tel vavassor comme chis est qui
me norri, et si ne fuisse pas si mesconneus comme je sui.
Car il ne puet pas estre que cil qui me norri ne me con-
neust, et il meismes me dist que il n'estoit pas mes pères,
et que il ne savoit qui j'estoie. Et tu qui iés uns estranges,
comment (/. 76* <^) puet chou estre que tu en saches
mieus la vérité que cil entour qui j'ai esté tout mon
eage? » « Se je ne t'ai dit vérité, » fait Merlins, «t de can-
ques tu as chi oi, ne me ren pas chou que tu me dois. Et
saches que je ne le te disoie pas pour despit de ti ne pour
haine, mais pour chou que je t'aing. Et si t'ai tel parole
orendroit dite que ja mais ne sera par moi descouverte,
et saches (le) vraiement que je le cèlerai aussi bien conme
tu meismes : c'est dou pechié de ta serour a qui tu as
geu carneument, ensi comme je t'ai dit. Si ne (te) cèlerai
mie autant pour l'amour de toi ceste chose conme pour
l'amour de ton père qui moult m'ama, et moult fist pour
moi et je pour lui. » « Dis tu ceste chose pour voir? »
« Oil, certes, » fait Merlins. « En non de Dieu, » fait li
rois, « ore te di je dont que d'ore en avant ne te querrai
Artu refuse de je mais de chose que tu me dies. Car tu n'es mie de
croire cet enfant, Paage que tu peulsses onques avoir veut mon ^ père, se che
qui dit avoir été ^^ (j^ers Pandragons, pour coi il ne pot onques riens l'ami de son père. ^ ° ' ^ . _ 1
faire pour toi ne tu pour lui. Et pour chou te requier jou que tu t'en ailles de chi, que après ceste menchoinge
I. ton
MERLIN I 5 7
si aperte que lu me veus faire acroire pour vérité ne (le) quier jou plus avoir la compaignie de toi. m
' (f- 7^^) VOUANT Merlins entent ceste parole, il fait Merlin s'c- samblant que il soit moult courechiés et se part errau- '°*8"e» puis re- ment dou roi et se met tantost en la foriest la ou il la vit p^'^^'^J^"^ ^ ^~
. gure d un vieil-
plus empressée. Et lors canga la samblance que il avoit ^^^^^ adont et prent la forme d'un viel home et anchiien de Taage de quatre vins ans, si feble par samblance k'a pain- nes pooit il aler. Et fu viestus d^une grise roube. En tel abit vint devant le roi, si ot samblant de sage homme. Et salue le roi aussi que s'il [ne] le conneust, et li dist : « Dieus vous gart, sire chevaliers, et vous doinst vostre pensé bien mener a cief. Car il m^est avis que vous n'estes pas bien aise. » « Dieus le face, sire preudom, » fait li rois ; « car ciertes jou en aroie boin mestier. Et venés vous seoir, s^il vous plaist, avoec moi, tant que mes escuiiers viegne. » Et lors s^assiet Merlins d'encoste lui et commenchent en- et s'entretient tr'aus deus a parler de maintes choses, si trueve li rois ^^cc le roi. Merlin si sage en toutes les choses qu'il enquiert qu'il s'esmierveille tous. Et lors li dist Merlins : « Queleochoi- sons vous faisoit penser si durement, quant je vi(e)ng chi ? » « Sire preudom, » fait li rois, « onques hom de mon aage ne vit autant {f. jg ^) de mierveilles en un pau de tans ne n'oi onques que j'ai eut en dormant et en veillant puis ersoir. Et la chose que je tieng a plus grant mierveille, si est que uns enfes de petit aage vint orendroit a mi qui me dist teuls paroles que je ne cuidaisse pas que nus hom morteus seuust fors mi seulement. » « Sire, » fait li preu- dom, a de chou ne vous devés vous pas miervillier, que il n'est nule si celée chose que elle ne soit descouverte. Et se la chose estoit faite desous terre, si en seroit la vérités seue deseure terre. » Lors dist Merlins au roi : « Sire, pour Dieu, ne soiiés a malaise ne ne pensés tant, mais dites moi que vous avés. Et je vous en consillerai en tel ma-
l58 MERLIN
niere que vous vous terré[s] a assené de toutes les choses dont vous estes en doutance. »
Li rois regarda le viel houme, se li fu avU qu'il es- toit moult sages hom et a la chiere de lui et as paroles qu'il entent, si pense qu'il li dira partie de son affaire et partie l'en chelera. Et lors li conmenche a conter son songe tout ensi conme li contes a devisé. Et li dist la vé- rité de la beste et dou chevalier. Et quant il li ot conté tout chou quil li plot, Merlins li respont : a Sire, de et lui explique {f. 'j () V ccst souge VOUS aiderai je quant je porrai sans son songe : un moi mesfaire. Sachiés que vous tornerés a dolour et a es- chevaiier qui est g-j ^^ chevalier qui est engenrés, mais il n'est encore
conçu mais non ^ , _^ , • • ,
encore ne causera P^^ ^^^* "^^ ^^^^ ^^^^ roiaumcs en Sera dcstruis, et 11 preu- sa perte et celle domme et li bolu chcvalicr dou roiame de Logres en se- du royaume de ront detreuchict et ochis. Et li pais en remanra or- Logres. phcuins de boins chevaliers que tu i verras a ton tans.
« Ensi remanra ceste terre déserte par les oevres de che-
lui pecheo(i)r.» a Certes, » faitli rois, « s'ilavi[e]nt ensi
conme vous me dites, trop sera chis domages outrageus,
et mieus vaurroit ^ ore, che m'est avis, et gringnour au-
mosne seroit que celé chaitive personne et chis chaitis
cors qui doit naistre fust destruis si tost comme il naistera
que tant de grans maus avenissent par lui. Et puis que
vous m'en avés tant dit, il ne puet estre que vous ne sai-
chiés bien quant il naistera et de qui, si vous pri que
Merlin refuse VOUS me le dites, Car ja si tost ne naistera sour terre que
de faire connaître je le ferai ardoir, s'il plaist a nostre signour que je sache la
»oU nié'*^"'^''*^''' ^^^^^^ ^^ s^ naissance. » « Certes, » fait Merlins, « ja, se
Dieu plaist, la créature nostre signour ne rechevra (f, y g ^)
ja par moi mal. Car comment qu'il soit trechieres viers la
I. vaurront
MERLIN 1 59
fin, tant conme il sera innocent seroit il desloiaus qui Pochiroit. Et je vousdi que je me senc si cargiet de mon pechiet et si coupable(s) a nostre signour que ja, se Dieus veult, ceste desloiauté ne ferai que enfes, créature noient nuisant, reçoive ' mort par mon conseil. Ne ne m'en re- querés pas, que de che ne feroie je nient. » « Dont haés vous cest(e) regnet rop mortelment, » fait li rois, « et si vous mousterrai comment. Vous dites, et je le croi bien, que par un chevalier sera li roiames de Logres désertés et tor- nés a destruction. En ne vaurroit il dont mieus que cil par cui ceste grant dolour venra fust destruis seus, que tant de gent morussent par ses oevres ?» « Oil voir, » fait Merlins, « mieus vaurroit sa mors que sa vie. ï> « Dont vous di jou, » fait li rois, « mieus vaut ^ que vous le nous dites, de qui il naistera, que vous le nous celés, car par le descouvrir porra estre la terre garandie et par le celer perdue. » t Sire, > fait Merlins, « [je cuit bien] que li descouvrirs ^ vaurroit mieus, qui vaurroit garder au preu de la terre. Mais quel chose que la terre i gaaignast, jou i perderoie trop. Car je i perderoie Tame de moi, dont il m'est ore plus que (f. yg <^) de tout che pais. Et pour chou le vous cèlerai jou. Je voel mieus m'ame sau- ver que la terre. » k Itant me poés vous bien dire, » fait li rois, € quant il naistera et en que[I] lieu.» Et Merlins commenche a sorrire et li dist : « Par* chou le quides tu trouver. Mais non feras, car a nostre signeur ne plaist mie. » « Ciertes, » fait li rois, a si ferai. Se je sai Teure de son naistre et le pais ou il naistera, ja ceste terre ne sera destruite par lui, car je le desavancherai. » « Et je le te dirai, » fait Merlins, t et si i faurras dou tout. Sa- ches qu'il naistera le premier jour de may et ou roiame de Logres. j» « Est che voirs? » fait li rois. « Oil, che saches tu, » fait Merlins. a Et je m'en tairai a tant, » fait li rois, <c que ja plus n'en demanderai. Mais or me
I. recueure — 2. vint — 3. celers -- 4. Por
l60 MERLIN
redi plus : de tout chou que je te demanderai me dois tu assener.
Quant à la w- a JN *A pas'gramment que chi vint une beste la plus di- te, elle a trait yierse dont jou oisse onques parler, divierse de fachon et aux aventures du gs^-^nge^ g^ avoit dedens soi bestes qui glatissoient. Et che me samble songes, car il m'est bien avis que nule créature terriiene puisse mètre sa vois fors tant que elle soit au ventre de sa mère.» « Certes, » fait Merlins, « se tu en iés esbahis, je ne m'en {f, 80 •^) esmierveil, que sans faille c'est mierveille a oir et a veir. » « Or me di, » fait li rois, « que chou est. > « Che est, » fait Merlins, « une des aventures dou graal. Si ne t'en pu je plus dire, car a mi n'en affiert plus : plus preudom que et clic sera expii- jg ^e sui le te dira. » « Et qui est il? » fait li rois. « Il quée à u^e"" par j^'gst eucore pas cngeurés ne nés, » fait (li rois) Merlins,
Perccval le Ga- . ., ^ , ^. ' , -X ■ ^, i.-
lois, le chevalier «mais il sera prochainnementengenres. Et si 1 engend[er]- vicrge, qui sera « Ta, fait il ^ li chevaliersquc tu veis qui cachoit la beste.» le 6is du cheva- Lors dist li rois a Merlins : « Ses tu que je l'aie veut ? » hcr^ qui chasse ^ jg jg g^^j j^jg^j^ ^ ^^^^ -j^ ^ g^ ^gg convenances qui sont
entre vous deus sai ge toute la vérité. » « Ore me di, » fait li rois, « quels chevaliers est il? » « Tu le savras bien, » fait Merlins, « se tu Tassaies au jouster. Ne ja plus ne te dirai de lui a ceste fie, mais tant te di ge de la beste que tu n'en savras ja la vérité de l'aventure devant que cil qui de cestui istera le te fera connoistre. Et cil avra non Percheval li Galois, pour chou que de Gales sera nés, et sera uns des boins chevaliers dou monde et gracieus viers nostre signeur, qu'il gardera sa virginité si seurement et si miervilleusement qu'il istera de famé vierges et en sa , mère enterra vierges. Ceste viertu avra li chevaliers qui
de ceste besie te dira l'aven^/. 80 ^Jture. Et ja n'en seras assenés devant que il le te die. »
I. li fait
MERLIN l6l
« iln non Dieu, » fait li rois, < assés me converra dont attendre, s'il est ensi comme tu me dis. » « Ensi sera il, > fait Merlins. « Et tu k'en ses? » fait li rois. « Es tu dont si certains des choses qui sont a avenir? x^ « Oil voir, » fait Merlins ; « ceste grasce m^a Dieus otroiie la soie mierchi. » « Puis que tu des choses a avenir iés certains, » fait li rois, « moult deveroies bien savoir celés qui ont esté faites a ton tans. » » Certes, » fait Merlins, a si sa ge. Pau a on fait des choses en che pais puis que je sui nés qui a retraire fâchent que je ne sace tout vraiement. » « Dont me savras tu, » faitli rois, a a dire d'une chose dont je moult désire a savoir. » « Je le te dirai, » fait Merlins, « car je sai bien que tu me veuls demander.» a Tu le ses? » fait li rois: « encore ne le t'ai je pas dit. Comment puet chou estre? » « Tu verras bien, » fait Merlins, )> se je le sai. Ore te tais un peu et si escoute.» Lors li dist : « Tu me veuls demander : qui i^jernn ^^^ ^^_ fu mes pères ? Et tu ne cuides pas que nus le sace puis suite au roi qu'il que tu ne le ses. Mais si font aucun. Et si te ferai •"'f'^'"^'-o""^»^''c. connoistre que je le sai. Et a cheus de che pais ferai je ^'"^' .'^"'^ ^°"*'
^ . r , ,., ' de qui il est fils.
connoistre qui fu tes pères, pour chou qu il en sont en doutanche. »
(f. 80 <=) Li rois dreche sa main et se saingne de la grant mierveille qu'il a oie, si dist a Merlin : « Tu me lais merveillier de teus paroles, que tu me dis chou que je pense, ne je ne cuidaissc pas que nus hom fors Dieus peust che faire. Pour chou, se il teplaist,sueffre que jeté connoisse, et me di comment tu as non. Et se il [te] plaist remanoir en ma compaignie, il n'est riens que tu me
r , 7 . . Il Uii apprend
requières que je ne face pour le grant sens dont lu les ^,^^,^^^.^ -|, ^.^^ garnis. » « Rois, » fait Merlins, « je sui chius qui ne me Merlin,
II
102 MERLIN
cèlerai jamais viers toi. Saches que je sui Merlins lî boins devins dont tu as tantes fois oi parler. »
Ore dist li contes que quant li rois ot ceste parole, il est tant liés que nus hom plus, si tent les bras a Mer- lin et li di(s)t : « Ha ! Merlins, puis que tu iés cil dont tout li sage dou siècle parolent, je ne te mesquerrai ja mais de parole que tu me dies. Pour Dieu, se tu me veuls mètre [a] aise, certe(/. 80 ^;)fie moi de chou dont je puis loi révèle sa sui en si grant doutance. » « Volentiers, » fait il ; « je te naissance d'Uter di de voir que li rois Uters Pandragons fu tes pères et Pendragonetd'i- t^engenra en Ygerne, mais elle n'estoit mie encore roine.» gernc, Adont li cont(r)e par quel decevanche il jut ' a li premiè-
rement. « Et quant je soi que tu dévoies naistre, je te de- mandai a ton père en don. Et il dist que volentiers tedon- roit a moi, por chou qu'il savoit bien que je l'amoie de grant amour. » Apriès li conte la vie de lui et l'afaire et comment il le fist norrir dou lait dont Ké[s] devoit estre norris, et tout li conte canques il estoit avenu d'Uter Pandragon etd'Ygerne, tout ensi conme li contes l'a ja comme monsei- devisé. Ne mes sires Robiers de Borron ne veult mie gncur Robert de racoutcr chou qu'il a autre fois dit, car il ne veult mie Borron l'a déjà croig^rg son livre de tais paroles,ains ti[e]nt la droite voie
raconté. , .
et dist :
Artu voudrait VOUANT H rois Ot oi loute sa uaissauce et son estre, îl cacher à tous le ^ist a Merlin : « Merlins, tu amas moult mon père et péché qu'il a corn- ^^^j^ j- ^^^ loiaus, et il ne t'amoit mie petit. Tu ses de
mis avec sa sœur; r • i «i i i rx t-.*
mais il n'y a pas ^^^^ afaire plus que tout Cil dou monde. Pour Dieu,
moyen. consllliés moi comment je porroie celer mon pechié de la
feme le roi Loth que jou ai carnelment conneue. Chc
ne te puis je celer, car je sai bien que tu le ses, ne je ne
I- )"g
MERLIN l63
vaurroie (f. 8i ^) pour riens que li mondes le seust ensi comme il m'est avenu. » « Se je t'ensegnoie a celer cel pechié, » fait Merlins, « si pecheroie mortelment. Car tel troi le sevent, cil qui mieus sont de ta chambre, qu'il converroit primes a morir, ne tresque la ne te consilleroie pas. Mais de che que tu saces et li peuples sace que tu iés fieus Uter Pandragon(s) m'entremeterai je tant que je lour face apertement connoistre. » « Je ne demantplus a toi, » fait li rois, « car adont m'averoies tu trop servi. »
Endementiers qu'il parloient ensi de ceste chose, Leshommesdu
vinrent celé part li homme le roi qui l'aloient querant ro» le rejoignent,
par mi la foriest. Et quant il troverent lor signour, il en '^^ °" retourne à f 1 • • 1- !• '1 11 • ^ • Carduei. Sui ra-
turent moult joiant et li disent que il Tavoient trop quis ^.^ ^^ i\<^x\\\\
et a mont et a val. Li rois monte maintenant sour un sien Artu convoqué
cheval, et fist monter Merlin sour un autre, si s'en tor- tous les barons à
nerent erraument a Carduei. Et Merlins ala toutes voies ^acour.
consillant au roi, et li ensegnoit comment il fera que li
homme dou roiaume savront vraiement qu'il fu fieus
Uter Pandragon. « Et je voel, » fait il, « que vous mandés
entour ceste jusques a trois jornees a tous vos barons
qu'il soient de diemenche en uit jours a vostre court,
et amaint chascuns avoec soi sa moillier. Et autrcssi
ferés %2i(8i ^^voir a la roine Ygerne, et li mandés que
elle amaint avoec soi Morgain sa fille. Et lors quant elle
sera venue etli haut baron seront assamblé en vostre sale,
je ferai itant a l'aiue de Dieu que je li ferai connoistre
que vous estes ses fieus. » Et li rois dist quMl ne quiert
plus, a Si médites,» fait Merlins: a que cuidiés vous qui
che fust qui parloir ier a vous a la fontainne en samblance
de jovenchiel ?» « Je n'en savoie que cuidier, » fait li rois,
« mais or pense jou bien que che fustes vous , car j'ai
maintes fois oi dire que vous mués vostre samblance en
tel couleur que vous volés, vostre forme en tel samblance
164 MERLIN
qu'il VOUS plaist. Et pour chou ne croi je mie que che fust autres que vous meismes. » « Certes, » fait Merlins, « che fui je vraiement. Et tout ensi que vous en avés esté decheus fu vostre mère decheue par samblance le nuit que vous fustes engenrés. Car elle quidoit dou roi Uter Pandragon que che fust ses sires qui a li geust. »
Tant ont parlé en tel manière qu'il vinrent en la chité, et descendi li rois en sa court et fist Merlin descen- dre et l'en mena avoecques lui en son palais, si li fist moult grant joie et moult grant feste. Et maintenant transmist ses briés a tous ses barons qu'i[l] fuissent au jour déterminé a sa court a Carduel (81 <=). Ne n'oublia pas qu'il n'envoiast son propre message a la roine Ygerne, que elle ses propres cors i fust, ne n'i envoiast autrui por li, et amenast avoecques li Morgain sa fille.
t NSI furent mandé li un et li autre a la court a Carduel. Et il s'esmervillierent moult pour coi li rois les mandoit; si i vinrent li un [et li autre] por chou qu'il voloient oir qu'il diroit. Quant la roine Yeerne oi que li rois leman-
Igerne s'y rend J . ,, , ,., ,. * . ,.
avec son gendre ^^^^ ^ court, elle ot paour k il ne 11 vausist tolir sa terre le roi Loth et ses et dou tout desirctcr, si manda le roi Loth et sa fille et parents, uifin et tout sou autrc parenté a venir a court a li, et que se li Auctor y sont j.Q-g jj voloit faire tort par auchune aventure, il li aide-
Aussi.
roient a tout lour pooir. Merlins manda Urfin qu'il ve-
nist a court, et chil i vint si tost que il sot que Merlins
i estoit, si en fu moult liés et moult li fist grant joie
quant il le vit. Li rois fist venir Auctor a court. Et quant
il i fu venus, Merlins prist Auctor et Urfin ensamble et
dist a Urfin : « Tu ses bien que Uters Pandragons me
donna sen premier oir a faire ma volenté. » « Voirs est, » Merlin s'entend r -^ n n • • l- 1 - -t r » ^ vi
avec eux ^^^ Urfins : a je sai bien le jour que il fu nés et qu'il vous
fu bailliés. » « Et vous, » fait il a Auctor, a savés qui vous
MERLIN l65
bailla Artufs)? » Et Auctors regarde (8i ^) Merlin, se li respont : « Vous le me baillastes et a chelui jour. » Se li nomme le jour. Et lors sont ambedui ramembrant par le jour et par l'eure. Et pour chou que Merlins lour fait entendant que Artus fu fieus Uter Pandragon, si dient que onques mais si grant joie n'avint ou roiaume de Logres que li baron feront quant il orront ceste chose. Car il le contrehaoient et despisoient por chou que il ne savoient nule chose de son parenté.
VJTRANT fu la joie que li rois fist a Urfin. Car Merlins li avoit fait entendant que si haut baron querroient moult Urfin de ceste chose, meesmement pour chou que Urfins avoit esté moult privés de Uter Pandragon le roi. Merlins dist a Auctor : « Auctor, garde chelui jour que tu aies en ta compaignie tes voisins qui sevent bien le tans que Artus te fu bailliés. » Et cil dist qu'il avra teuls tiesmoinsde ceste chose qui bien en feront a croire. Ensi demoura Merlins avoec le roi dusques au jour qu'il vin- rent a court ensi comme il estoit commandé.
A chelui jourot grant gent a court et grant peuple. Et la roine Ygerne i vint moult richement et a grant compaignie de chevaliers (82 ^). Et toutes voies avoit elle moult grant paour que li rois ne li vausist tolir sa terre et que elle ne tenist pas si grant pais en sa main comme elle tenoit, pour chou que feme estoit. Quant elle fu venue a court, li rois li fist moult biele chicre et moult la rechiut bien entre li ei sa compaignie, et com- manda as ses serjans qu'il l'ouneraissent et tenissent chiere sur tous chiaus de laiens. Et cil en firent bien son com- mandement, mais moult s'esmervillierent pour coi c'cs- toil. Si i ot auchun qui bien savoit l'afaire de lui et de
1 66 MERLIN
la femc le roi Loth, si qu'il cuidoient vraiement que il fcsisi a la mère ceste fcste pour l'amour de la fille.
En chclui jour que je vous di peussiés veoir ou
palais le roi maint boin chevalier viestu et apparilliet
biel et richement et mainte biele damoisiele et mainte
biele dame prisie de biauté ; mais sor toutes celés qui le
La plus belle jouT i furent emporta le pris et Founour de biauté Mor-
dame est Morgue, g^g ja fille Igcrne. Et sans faille elle fu bêle damoisiele
a sœur d'Artu; j^gq^gg a celui terme que elle commencha aprendre des
mais elle devint' ^ ,7 • • ..xy-otx
laide plus tard enchantemcns et des charroies; mais puis que h (f, 82 ^) quand elle se fut auemis fu dedens li mis, et elle fu aspirée et de luxure et donnée au diable, de dyable, elle pierdi si otreement sa biauté que trop
devint laide, ne puis ne fu nus qui a bêle le tenist, s'il
ne fu enchantés.
Le soir de la VOUANT les tables furent mises et il furent assis par cour uifin se Jaiens, Ulfins vint par devant le roi et dist si haut que lève et accuse ^^^^ j^ pQ^ent bien oir : « Rois Artus, moult m'esmer-
Igeme d'avoir ., , , ^ , , , . i
supprimé le fils ^^^^ "^ chou quc tu suefires que dame desloiaus et tele qu'elle avait eu que elle ne deveroit pas tenir terre mengue a [ta] table. Et d'Uter. qui vaurroit la chose mener si haut comme la vérités
mousterroit, il trouveroit tout apertement qu^il a en li murdre et traison. Et puis que on te tient a si vaillant (a si vaillant) homme, [et tu] sueffresquesidesloial mengue a ta table, certes, on ne te doit pas tenir pour roi, mais pour le plus desloial houme dou siècle. » Li rois fait samblant qu'il soit trop courechiés de ceste parole, si respont erraument : « Ulfins, garde te bien au commen- chier que tu ne dies parole que tu ne puisses prouver a vraie. Car tu en seroies tenus pour fol et si t'en poroit mal avenir.» t Sire, je sai bien que a vostre table mengue tele qui mengier n'i doit ne ne doit tenir terre, si tient ele de biele (J. 82 c) et de riche grant partie. Car elle fist,
MERLIN 167
a mon tans et au vostre, murdre et desloiauté si grant que elle ne pot faire grigneur. Et se elle estoit tele que elle le vausist noiier, je seroie près dou ^ prouver encontre le milleur chevalier de la^ court, s'il en i avoit nul si hardi qui pour li ceste chose desfendre vausist et entrer en camp encontre moi. d « Par foi, » fait li rois, « assés en avés dit. Or convient que vous dites, voiant tous ces barons, le non de cheli que vous accusés si malement. » a Certes, » fait il, <f che vous dirai bien. C'est la roine Ygerne qui la siet. Ne elle ne sera ja si hardie que elle l'ost noiier. »
Lors fait li rois moult grant samblant qu'il soit tous esbahis de ceste merveille, si dist a la dame : a Dame, vous oés bien que chis chevaliers dist seur vous. Orc gardés que vous en ferés, que se il pooit prouver devant la court chou que il dist, vous estes celé qui ja mais ne terroit plain pié de terre en ma poesté. Et se je meismes le voloie souffrir, si feroie jou ma honte. Car ciertes tel dame com il dist ne deveroit pas a mon regart remanoir ou siècle, mais estre condampnee pardurablement ou estre mise dedens terre toute vive. » La roine est toute esba//. 82 <^yhie de chou que Ulfins li met sus, pour chou que elle set bien qu'il connoist grant partie de ses affaires. Et neporquant ele respont tout sans conseil d'autrui : « Sire, s'il avoit tendu son gage de prouver sour moi murdre et desloiauté, je cuic bien que auchuns m'en desfenderoit a l'aieue de Dieu. Car certes onques de tel felounie ne m'entremis, che set bien Dieus. » Et Ulfins saut maintenant avant etient son gage en la main le roi et dist si haut que tout le pueent oir : « Signour baron dou roiaume de Logres, sachiés que ceste querrclc vous touce autant comme moi. Car vecs ichi la roine
I. de — 2. sa
l68 MERLIN
Ygerne qui conchut dou roi Uter Pandragon dou commenchement qu'i[l] se fu de 11 acointiés un hoir, et quant 11 fu nés, on sot bien que il fu malles; mais elle qui plus baoit au destruisement de cest règne que au preu ne vaut pas que li malles i remansist, ains Tenvoia ne sai ou morjr u faire autre fin, a tele eure qu'il ne fu puis a mon ensient nus qui vérité seust de celé créature. Rois Artus, en ne fist ceste dame desloiauté de chelui mesmes qui de li estoit issus ? Si passa ses cuers desloiaus et félons toutes manières d'autres mères, car toute[s] mères aimment lour enfans natureuff. 83 ^)ment. Et se elle voioit noiier que elle ceste desloiauté n^'euust faite, je seroieprès dou prouver. Mais je ne cuic mie quUl m'en conviegne a veslir hauberc, car ele set bien que je di vérité. »
Li rois fait samblant que il tiegne la chose a moult
grant miervelle, si se seigne et regarde la roine et dist :
« Haï dame, es che voirs que chishomdist? Certes,
malement avés esploitié, s'il est ensi que il dist. » Et ele
est si honteuse que elle ne set que respondre. Car elle
set maintenant que chis dist vérité. Et lors lieve une
grant noise et une grant friente en la court. Car li povre
et li riche qui de ceste chose orent oi la parole en
commencierent tout a parler, et dient que Ulfins pooit
bien voir dire et que la roine estoit bien digne de le mort
rechevoir, quant elle avoit ensi ouvré. Et li rois les fait
acoisier et taire. Et quant la cours est acoisie, li rois dist
a la roine : « Dame, respondés a che que cis chevaliers
igernc éper- VOUS met SUS.» Et elle est si espoentee, pour chou que elle
due maudit Mer- se sent coupable de che que il dist, que elle tramble
Un , cause de son toute de paour. Et lors dist une parole en guise de
malheur, {^mo, qui ait grant doutance : « Ha 1 Merlins, maudis
soies tu ! En ceste dolour m'a[s] tu mise, car tu euus
l'enfant et en fesis ta volenté (/. 83 *j. » Et lors parole
MERLIN 169
Merlins et dist a la roine : « Dame, pour coi maudistes
Merlin ? Il vous valut et aida mainte fie et a vous et au
roy Uter, ne ja ne fust li rois au point ou il fu, se
Merlins ne fust.» Et elle le regarde, si respont : « S'il nous
fist bien au commenchement, il le nous vendi bien au
daerrain. Car le premier enfant que Dieus nous ot qui a emporte cet
envoiiet emporta il, si ne sai qu'il en fist, si moustra enfant.
bien qu'il estoit estrait (dou dyable) d'anemi, quant il ne
vaut mie tant attendre que li enfes fust crestiiens, ains
remporta anchois qu'il eust rechut baptesme, pour
chou que il ne voloit mie que Dieus euust part en la
créature.» « Dame,» fait Merlins, « je diroiemieus vérité
de ceste chose que vous ne fériés, se je voloie. » « Ghe ne
porroit estre, » fait elle, « car vous ne le porriés mieus
savoir que je fach. » « Sire, » fait Merlins au roi,
« vous plairoit il a oir pour coi Merlins enporta [ren-
fant ?» « L'emporta il dont ? » fait li rois. « Oil, » fait
Merlins, « vraiement le saciés vous. Et si vous conterai,
si vous plaist, comment che fu, mais que vous faciès
jurer a la roine seur sains que elle ne mentira de vérité
que je li die. » Lors fait maintenant aporter les sains en
mi le palais la ou il mengoient. Et la roine se lieve de la
table et dist a Merlin : « Je ferai cest serement, mais
que (f. 83 ^) vous me dites qui vous estes. » Et elle jure
erraumentsour sains qu'elle ne [le] desdira de vérité qu'il
die, si baise les sains et se relieve. Et li rois le fait asseoir
la ou elle estoit devant. Et lors dist a Merlin : « Dites
chou que vous avés promis. » « Sire, si ferai jou volen-
tiers. » Et lors saut la roine avant et dist a Merlin : « Je
voel que vous diiés vostre non anchois que vous diiés
autre chose. » Et il se met erraument en sa^ samblancc Merlin répand
vraie, en autele comme clic Tavoit autre fois veu, si alors sa vraie
respont Merlins : « Dame, se vous ne savés mon non, je ^"""'^'
le vous dirai, mais je quidai que vous me conncussiés, et
I. la
J70 MERLIN
VOUS le deussiés bien faire, car autre fois me veistes vous ja. » Et elle le regarde et si l'en connoist maintenant. Et lors respont a Merlin : « Ore sa ge bien que vous m'avés occoisonnee de ceste chose, si avés fait desloiauté, che m'est avis, car che que je fis de mon enfant fis jou par le commandement mon signour le roi, si convient que vous l'enfant rendes ou vous i morrés; car, par mon chief, on le vous bailla, che sai ge tout vraiement. Et se vous le volés noiier que bailliés ne vous eust esté, je vous en feroie honnir dou cors, {f. 83 ^J que ja pour tous vos enchantemens ne remanroit. »
Lors commenche Merlins a sorrire, et dist au roi : a Sire, la dame dist chou qu'elle veult, et je li consent ^ pour chou que haute dame est ; mais encore di je bien, se il vousplaisoit, je diroie chou que jou commenchai a dire pour [quoi] Merlins en porta l'enfant. » Et li rois respont : « Je voel avant savoir de vostre bouce se vous estes Merlins, si que mi baron l'oent apertement. » Et il res- pont : « Je sui vraiement Merlins. » Et tout li autre baron qui autre fois Tavoient veut et qui adont le reconnurent escrient a une vois : « Sire, chou est Merlins, vraiement le saciés vous. » Ne il ne cuidoient point que li rois le conneust. Lors les fait taire li rois, et quant il sont acoi- sié, si dist a Merlin : « Merlins, il convient que vous respondés a chou que la dame vous demande. » « Sire, de quoi? » « De l'enfant, » fait il, « qui vous fu bailliés.» o Pour Dieu, » fait la dame, « faites, sire, m'ent droit, s'il vous plaist, voiant les barons de vostre règne. » Et li rois dist a Merlin : « Merlins, respondés, qu'il le vous convient faire.» « Sire, > fait il, « volentiers vous res- ponderai. Et sachiés que je ne vous mentirai de chose (f. 84 ^J que je chi vous die.
I. conterai
MERLIN 171
« VoiRS tu que li enfes dont nous parlons ichi me fu dounés dès lors que il estoit au ventre sa mère. Et le m'otria ses pères que je Faveroie, ou fust u marie u fe- mele. Et quant il fu a naissance, si comme Dieu plot, il m'en tinrent si bien convenent qu'il m'en saisirent. Je avoie le père moult amé, si en devoit estre mieus au fil, et si fu il ; car, si tost comme j^en fui saisis, je le mis en sauve main et en boine garde [a teus] qui le norrirent aussi doucement et plus qu'ail ne firent lor enfant meis- mes. Et se chius a qui je le baillai voloit noiier que je et raconte qu'il a ne li eusse baillié, je li feroie connoistre par mi la bouce, ^""^"^ l'enfam à ou il vausist ou non.» Lors se torne celé part ou Auctor "'^ °^\ , 'l"'
• somme de le fai-
seoit et li dist : « Auctor, je vous demande chou que je re connaître. vous baillai, celui enfant dont Uters vous proia tant dou norrir. Et sach[i]ésque che est cil que on me demande.» Et Auctor respont : « Merlins, sach[i]és pour voir que je en ai fait tant que tout cil dou roiame m'en deveroient savoir boin gré.» « Rendes le moi, » fait Merlins, « aussi comme je le vous baillai. » « Aussi fait, » dist Auctor, « ne le puis je rendre, car n'est pas a moi, ains sui je a lui ; mais je le vous mousterrai grant et (f. 84 ^) par- creu, mais vous le me baillastes petite créature et povre chose. »
Lors se drece en estant et vint au roi et li dist : « Sire, ne vous poise se je touche a vous. » Et li rois dist que non fait il. Et il le prent maintenant par le Auctordcsignc puing et dist a Merlin : « Merlins, veschichou que vous ''^'^°'' me baillastes : en ai ge fait bonne garde? » « Se che est il, » fait Merlins, « tu n'en dois pas estre blasmés, mais encore ne t'en querrai je mie devant chou que tu Me
I. te
172 MERLIN
m'aies maintenant mieus fait connoistre. » Et Auctor et prouve parte- j-^gp^j^^ : « Je le prouverai par le tiesmoing de tous mes
moins qu'Arlu /. ... ^ . . ^ ,.r,, ^ ^ .,,.,
Mt bien l'enfant voisins, qui Diensevent lejour qu i[lj me fu baillies, etont qu'on lui a con- puls tout dis esté avoec l'enfant. » Et li voisin que Auc- fi*' tor avoit fait venir a court sallent avant et dient que de
che que il dist tiesmoignent il. Et Merlins respont : a Vous ne dites riens entre vous tout, mais tant me dites se vous savés le tans que il fu baillés. » Et il rescrient tout a une vois : « Nous le savons bien. » « Et combien puet avoir, » fait Merlins, a que il li fu bailliés? » « Il avra prochainnement quinze ans, î font il. Et il* dient le jour ou li quinze * an dévoient estre acompli. Et li cha- pelains qui baptesme li avoit donné dist a Merlin : « Merlins (J. 84 <^)^ il rechiut baptesme de ma main a chelui jour meisme qu'i[l] te vont disant, et il porte mon non, non mie pour moi, mais pour chou que il fu com- mandé ensi a Auctor, che me dist Auctor meismes. »
Lors dist Merlins as barons qui laiens estoient : « Segneur baron de Logres, me puis je tenir a paiié de che que cil vont tiesmoignant? » Et il dient : a Merlins, nous vous en tenons bien a paiiet, car on les tient a(s) loiaus gens. » a Par foi, » fait il, a dont ne serai je hui mais encoupés a mon ensiant de chou dont je sui accusés en ceste court. » Lors dist a la roine : a Dame, vous m'avés demandé vostre premier enfant qui donnés me fu de Tacort le roi, et je le vous rent moult autre qu'il [me] fu bailliés.» Lors prent Artu par le brach et li dist : a Artu[s], tes pères te douna a moi en guerredon de tout mon service. De chou que tu fus miens (te) cui ge k'en- core te porrai je aparler et a droit, mais tant di jou sour ma vie et sour canques je tieng de Dieu que je voel que tout sachent que la roine Ygerne est ta mère et que tu iés
I. li - 2. .xvij.
MERLIN 173
ses fieus, et H rois Uters Pandragonst'engenra le première nuit qu'il vint a ta mère ; si convient que tu ailles a li et le requier[e]s comme ta mère et elle ti coume son fil. Et vous, segneur baron {f. 84 ^) dou roiame de Logres, di que plus nedesprisiésvostre signour pour chou que vous ne connissiés son lignage. Je sui Merlins qui sai les obscures choses et les repostes, che savés vous bien, et pour chou me devés vous croire de chou que je vous di- rai. Sachiés que vous devés amer et prisier vostre signour, pour chou premièrement que vous Peustes par la grasce nostre signour, ne mie par autre ; apriés pour chou qu'il est de son aage li plus sages princes qui soit ou roiame de Logres ; après pour chou qu'il est si gentieus hom comme cil qui est engenrés dou roi Uter Pandragon. Et pour chou que vous Favés tenu pour vil dusques chi en vos cuers, pour chou que vous ne connissie's dont il estoit estrais, vous requier jou que vous dès ore mais ne Paiiés contre cuer, mais com droiturier segnour le tenés et par Tesgart de nostre signour et par lingnage. »
A. che mot commenche la joie par laiens trop grant cette révcia- et trop miervilieuse. Car li rois se lieve de la table et tion produit une keurt a la roine sa mère la ou il la voit, et l'acole et joie générale. Ar- baise, et elle autressi lui, et pleurent ambedui de joie et ^" ^^ ^^ '"^^"^
- /., _ ,. , . , -, /, s s embrassent en
de pitie. Et quant li baron voient ceste chose, se il (le) eus- pleurant. sent Dieu ne fuissent il pas plus liet. Et dient que Mer- lins ne mist onques (/. 8çy ^) si grant joie ou roiame de Logres com il a orendroit, « et beneois soit Dieus qui a ceste fois l'a ceste part amené! car de la connissance et de la gentillece vaurra mieus a tout nostre vivant li roiau- mes de Logres.» Grant fu la joie de ceste connissanche ou roiame de la grant Brctaigne en tous les lieus ou li rois Artus estoit sires. Et dura celé feste quinze jours tous pleniers.
74 MERLIN
Un jour un é- Un jour que la feste estoit grant et plenicrc et li rois caycr arrive à la f^ gggis HU disncr et il ot eut le premier mes, avint que cour, escortant ^^^ escuiiers vint tout a cheval en mi le palais, qui estoit
un chevalier mor- . , r ) ^
tellement bicssii ; P^^ terre, et apoftoit devant soi un chevalier navré mor- teument, et estoit férus tout de nouviel d'une lanche par mi le cors, et estoit encore garnis de son hauberc et de ses cauches de fier, mais son hiaume il n'avoit pas en son chief.
Li escuiiers portoit devant soi le chevalier. Et quant (f. 8^ ^) il vint a l'entrée de la sale, il ne trouva qui li contredesist, et pour chou vint il tout a cheval devant cheus qui mengeoient.Et il descendi maintenant et mist son signour a la terre, qui estoit jonchie d'erbe verde, et lors dist si haut que tout cil de laiens le porent oir : a Rois Artus, a toi me fait venir li grans besoins que jou ai de t'aide et de ton secours, et se te dirai pour coi. Voirsestque tuiésroi[s] et sires de ceste terre parla grasce de nostre signour, et quant tu fus saisis dou roiaume tu creantas le peuple que tu amenderoies a ton pooir tous les mesfais que on feroit en ta terre, fust chevaliers ou autres. Et il est ore cnsi avenu c'uns chevaliers, ne sai qui il est, a par son orgueil mon signeur orendroit ochis en celé foriest chi dalés. Ore i parra comme vous ven- gerés la mort de mon segnour. »
Li rois est moult courechiés de ceste nouviele, si en devint tous pensis, ne n'entent pas a chose que li escuiiers die. Et Merlins le commenche a regarder et dist : « Rois, es tu esbahis de ceste nouviele ? Onques n'i pense, car trop averoies a faire se tu te voloies courechier toutes les fois que tu verras a court tés nouvieles avenir. Che
MERLIN 175
est la première aventure qui if. 85 ^ est a ta court ave- nue, si me poise moult que li commenchemens en est teuls, car li signes en est malvais et anieus. Fai ceste mètre en escrit et les autres après ensi conme elles aven- ront ou roiaume de Logres. Et saces que anchois que tu trespasses de cest siècle en seront tantes avenues que li escris qui en sera fais porra faire un grant livre. Ceste parole t'ai jou dite pour chou que je ne voel pas que tu t'esbahisses de teus aventures, ains voel que tu te man- tiengnes vighereusement quant tu les verras avenir. » Et li rois respont qu'il ne vit onques teuls choses avenir en sa terre, et pour chou en a il esté un poi esbahis plus qu'il n'eust se elles fuissent avenues souvent. Lors de- mande a l'escuiier ou est li chevaliers qui cestui ochist : « Par foit, » fait li escuiiers, « qui a lui vaurroit aler,il le jj g^ pj^i^t porroit trouver dedens la foriest a Tentree, en une prae- son maître ait été rie qui est enclose de brokes et a un paveillon tendu victime d'un che- d'encoste une fontainne. Et est li paveillons li plus ri- vaher qui a dres- ches et li plus cointes que je onques veisse. Et demeure ^ "? pav'iion illuec de nuit et de jour a le compaignie de deus escuiiers force tous les seulement. Et a fait a un arbre qui est devant son pa- chevaliers à joû- veillon [f, 85 ^) drechier glaives et escus, et convient a ^"^^ contre lui. chascun chevalier qui par illuec trespasse jouster a lui. ■ c( Par Dieu, » fait li rois, a de grant mierveille s'est en- tremis chis chevaliers et de grant cuer li vint, quant il veult assaiier tous les trespassans. Ore convient que on ait conseil sour ceste chose, car il a commenchié chou dont nus ne s'osa entremetre. Et vous, Merlins, qui sa- vés que on doit faire, je vous pri que vous m'en con- silliés.» « Ciertes, » fait Merlins, «si ferai je. Etceste ma- nière je vous ensegnerai ore si que elle sera tenue tout vostre vivant, mais apriès ne verra nus si preudom en ceste terre qui maintenir la puisse, car il ne varront mie tant. Ore escouiés, je vous dirai. Et vous, signour che- valier qui ci estes, s'il vous samblc que je die bien, si le dites.
176 MERLIN
« VoiRS est que chis chevaliers a commenchié ces aventures chevaliers encontre autre , et puis qu'il a commenchiet en tel manière, il convient que chou qu'il a mesfait soit amendé par un chevalier. » « Dont con- vient il, j fait li rois, a que uns chevaliers de ceste cort i voit? » « Voirs est, » fait Merlins.
A ces paroles sailli avant uns escuiiers qui servoit
Un jeune hom- devant le roi, et avoit non Gifflès li fieus Dou, et l'amoit
medeiâgedAr- jj ^^.^^5-, /^ ^Qa) de moult grant amour.car Gifflès estoit
tu, Gifflet, filsde , . ' . . !^ •. j r 1 •*.
' du t>iaus et gens et vistes et estoit de 1 aage le roi Artu, en
roi' de le faire tel manière qu'il n'avoit que trois mois plus que li rois. chevalier, pour H vint devant le roi moult apiers et dist : « Sire, je vous qu'il puisse aller gj ^^xs\ dusques chi au mieus que je peuch. Et si vous combattre le che- • 'gj^ euerredon de mon serviche me doingniés ar-
vaher de la foret. ^ ^ ° , , . /^ . • .
mes et me faites chevalier. Car ciertes je ne quic pas que de la main a plus preudomme de vous peusse a che tans d orendroit armes porter. Pour chou vous pri jou que vous me faichiés chevalier, biau sire, si irai veoir main- tenant qui chis chevaliers est qui ensi a par son orgueil encommenchiet a ochirre les chevaliers trespassans. Et se vostre cours en est vengie par mon cors, je n'en de- verai estre blasmés. » « Gifflet, biaus amis, » fait li rois, « vous estes trop jovene a emprendre si grant chose conme ceste est vraiement encontre un chevalier esleu. Et certes je sai bien que s'il ne fust boins chevaliers et de haut affaire il n'eust ja encommenchiet si grant chose. Pour chou vous loe jou que vous souffres de cest affaire, car jou i envoierai auchun autre de chaiens ki plus est durs de cest mestier que vous n'estes. » « Sire, » fait Gifflès, a chou (/. 86 ^) est li premiers dons que je vous aie requis puis que vous premiers portastes couronne : se je onques iis chose qui vous pleust, ne m'en escondi-
MERLIN 177
siés. » Et lors se met a genous devant li et li prie tout em plourant. Et li rois li dist : « Je te donrai chou que Artu, malgré tu requiers, mais che poise moi, se Dieus m'ait, car je lui, est obligé d'y faing moult, si ne porra estre que je n'en soie dolans s'il «^Q'^sentir. t'en meskiet. Ore atten jusques a le matin que je t'adou- berai et te donrai armes. Et lors f en poras aler au che- valier, se li cuers le te loe. » Et cil dist qu'il attendera dont dusques a demain puis que li rois le veult, et moult Ten merchie de chou qu^il li a ottroiié.
Cnsi remest celé chose. Li rois fist mètre en une chambre de laiens le chevalier au plus aise qu'il pot, mais il ne vesqui que trois jours après, car trop mor- telment l'avoit l'autres chevaliers féru. Au soir vint Mer- lins au roi et li dist : « Vous amés moult Gifflet et vous Merlin dit le avés droit, car il vous aimme de tout son cuer et a esté soir au roi que norris avoec vous ; se vous di que se vous ne metés con- ^^^^^ "*^ ^^^"^
résister à ce cnC"
seil, il ne revenra ja vis de la ou il ira demains ; car trop ^^jj^^. . ^,^^^
est li chevaliers de la foriest boins chevaliers et de grant autre que celui
proeche. (/. 86 ^j Et savés vous qui il est? » « Nennil, » qui chassait la
fait li rois. « Ore saciés dont, » fait Merlins, « que che bcte jappante ;
est li chevaliers a qui vous parlastes avant ier, et cil qui
avoit si longement maintenue la cache de la miervilleuse
beste; dont il averra queseGifflès^ qui est (boins) jovenes
hom et tenres vait a lui, chis qui est fors chevaliers et
durs et anchiiens l'avra maintenant ochis, se la bataille
dure longement. Et se Gifflès^ore moroit en che point il faut qu'Artu
d'orendroit, che seroit domaces trop grans ^ ; car se il vit ^^^^^ ^'"^'^^' '^"'
. , . ^ , ^,. . , doit plus tard le
par aage, il sera aussi boins chevaliers u mieudres que j^jgj^ggj.^jj.j,^.jj.g chis n'est (se il vit longement par aage). Et se vous di une ic dernier homme chose que vous verres encore avenir : il ^ sera li chevaliers qui le verra vi- dou monde qui plus longement vous tenra compaignie, v^"^: et apriès chou qu'il vous avéra laissiet, ne mie par sa vo-
1. gifflet — 2. grani — 3. et
lyS MERLIN
lente mais par le vostre, ne sera nus chevaliers qui com- paignie vous tiegne puis ne qui vous voie * si ce n'est en songe. Et che sera li gregnours dolours que a vo tans aviegne el roiame de Logres. »
A cest mot commencha li rois a penser durement, que il aperchoit maintenant que c'estoit de sa mort dont Merlins parloit, si en fu tous escommeus a celé fois. Et Merlins (f. 86 <9 li dist : « Rois, que penses tu? Ensi es- tuet que les choses aviegnent comme nostre sires [les] a ordenees. Ne t'esmaie mie, que che que je t^en ai dit nV verra pas en mon vivant. Et se tu muers, aussi fera chas- Artu mourra cuns. Et Certes se tu savoies comme de honnerable mort d'ailleurs hono- ^^j^Qj-j-g^g ^^ ^-^^^ eseoiroifels moult, et [par droit] si
rablement, tandis f . ' ^ ,. ./ -* ^ * i^
que lui Merlin f^^oics tu. Et poes bien dire que nos mors sont moult il sera honteuse- divierses, la moie et la toie. » « Pour coi ? » fait li ment mis tout vi- rois'; « iche me dites.» « Pour chou», fait il, « que vant en terre. tu morras a hounour et jou a honte. Et seras richement ensevelis et je serai tous vis mis en terre. Et c'est bien honteuse mort. » Li rois se saingne de la parole qu^ii entent, si dist : « Conment I Merlins, si morras si deshonnereement comme vous me dites? » « Ne je ne voi chose [, » fait Merlins, «J qui destorner m'en puisse fors Dieus seulement. » « Che est merveille, » fait li rois, « quant par ton grant sens ne te pues destorner de si grant mésaventure comme tu contes a moi. » « Ore lais- sons a parler de ceste chose », fait Merlins; « car je n'ai(t) dit chose qui n'aviegne tout ensi conme je l'ai devisé. Mais de Gifflet parlons, qui est em péril de mort se nous n'i metons conseil. Voirs estquMl ne lairoit pour homme nul que il n'alast jouster au chevalier si tost conme il sera adoubés, (f, 8j ^J si averra que li chevaliers qui est de si grant force le portera a terre de la première jouste ; et
I. voist
MERLIN 179
puis si vi[e]nt a la mellée des brans, illuec avéra Gifflès
del tout perdu : car chis estli mieudres fereres d'espee qui
soit en tout che pais. Ore gardons que on en porra faire. »
« Certes, je ne sai, » fait li rois. « Et je le vous dirai, »
fait Merlins. c II est voirs que vous le ferés chevalier. Et Pour sauver
quant il avéra recheu de vostre main l'ordre de chevalerie, G'^^^» ^^^^ '"^
il ne vous osera par droit escondire le premier don que '^^^^^^[^ ^°"^"
* ^ -^ ^, me don de reve-
vous 11 demanderes. Et saves vous que vous li querres ? „jj. gp^^s ,a pre. Que si tost qu'il avéra jousté au chevalier qu'il s'en re- mière joute. venra, ou s'il ^ li avi[e]nt bien de la jouste, ou s'il l'en mesavient. Et par ceste requeste porra il estre garandis de mort. » Et li rois dist que cis consaus est boins et loiaus.
Artu arme Gif- flet chevalier et lui demande ce
A Tendemain fist Gifflet li rois Artus chevalier, et il Le lendema estoit grans et biaus d'aage et legiers durement. Et si tost comme li rois li ot donné l'ordre de chevalerie, se li dist, voiant tous chiaus de la place : « Gifflès % je vous ai fait don chevalier, vous ne me poés escondire le premier don que je vous demanderai.» « Sire, che est voirs ; demandés, car je sui près dou donner a vous a mon pooir. » Et li rois li dist : « Je voel que si tost que vous avérés jousté au chevalier, ou (/. Sj ^) bien vous en kiece ou mal, que vous en repairiés sans plus faire, soit a pié ou a cheval. » Et cil dist : « Sire, puis qu'il vous plaist, si ferai jou a men pooir. » Lors fait venir ses armes et dist qu'il ne demorra plus qu'il n'aille veoir le chevalier. Et quant il est tous armés, il monte seur sen cheval et prent un escu et a son col le met, et on li aporte une moult boine glaive et fort, et il se part maintenant de court en tel manière ^'^^^ p^""^ qu'il ne veult avoec soi mener serjant ne escuiier. Et li rois remest en son palais moult pensis, car il amoit Gifflet degrant amour. Les tables furent mises, et s'assirent tout
I. ensi — 2. gifflet
l8o MERLIN
par laiens. Et en che que H rois mengoit, es vous par
Entrent dans laiens entrer douze hommes qui tout estoient vestu de
le palais douze [yi^^ç samit. Et estoient tout li honme viel et anchiien
vieillards vCtus • i i , • , v • i
de blanc et por- ct tout blanc dekenissure(s), et portoit chascuns en samain tant des branches "^1 rain d'olive par senefiance. Quant il vinrent devant d'olivier. le roi, il s'arresturent et le saluèrent tout, et il lour rendi
lour salut comme cil qui assés savoit. Et Tun d'eus prist
la parole sour lui et dist :
iisréciamentà « Kois Artus, che te mande H empereres de Roume rtu de la part ^ j ^^^^ jj signeur teriien doivent obéir que tu envoies
de l'empereur de -i , . !•/>.<->, -«.t»*
Rome le tribut ^ Rou'^e tcs treus que tes roiames doit. (f. 8y ^) Ne li
qu'il lui doit. tau ^ mie sa rente longement plus que elle li a esté tolue,
car grant mal en venroit a toi premièrement et puis a tes
honmes, et la terre en seroit destruite. Or garde bien que
tu oevres sagement a ceste fois, car tu ne poes ore garir
de mort se lu nel fais. » Quant il ont dite lour parole en
Arto dit qu'il tel manière, li rois respont : « Signeur[s], je neti(e)ngon-
ne tient son ro- quesdcRoume nul[e] chose, ne janequier quej'entiegne,
yaume que e g^ cj^qu que je(n) ticng je le tieng de Dieu seulement, qui
en ceste poesté et en ceste grasce me mist, au destruise-
ment de m'ame se je n^i faich chou que je doî, et au sau-
vement se je i tieng le peule comme pères le doit tenir.
A chelui dont, signour[s], qui en ceste hautece me mist sui
je tenus que je li rende treu de toutes les hounours qui
en sa baillie m'avenront, mais a nul autre je ne sui tenus,
car nus autres ne me mist en possession. Pour coi je voel
bien que vous dites a vostre empereour qu^il ne fu mie
sages quant il tel parole me manda, que je sui chius qui
riens ne li renderoie, ne riens ne terroiede lui. Ains vous
di bien que s'il estoit demain entrés en ma terre pour oc-
coison de gerroiier, il neverroit ja mais a Roume, se Dieus
ne me nuisoit trop dure('/. 8y ''/'ment. Et gardés que
I . tant
MERLIN l8l
VOUS ne soiiés ja mais si hardi que vous en ma terre entrés pour teuls paroles anonchier, que mal vous en porroit venir de vos cors. Et saichiés que se vous ne fuissiés mes- sage(s), je vous fesisse honnir, ne ja n'en eussiés autre chose, » fait li rois. « Ore vous desfions nous dont de par Les messagers le pooir de Roume et de par toutes les terres qui sougites le défient et s'en sont a lui, si vous disons bien que vous ne fesistes on- ^°"^' ques chose dont si grant mal vous doive avenir. » « Aies vous enr. » fait li rois, « car bien avés fait vos mes- sages, ï)
Atant se départent cil de devant le roi, et vinrent en la court, si montent. Et li rois remest entre ses gens et commencha a parler de remper[e]our et dist qu'il n'estoit bien sages quant il 11 avoit mandé qu'il li envoiast treuu, car che ne feroit il a nul homme terriien. Mais or laisse li contes a parler dou roi et de sa compaignie et retorne a Gifflet.
(J, 88 '^) vJre di(s)t li contes que quant Gifflès se fu Gifflet arrive partis de la court il chevaucha, tout ensi armés comme ^" pavillon du il estoit, grant oirre, et tant qu'il vint a la forest, si se J'^^J^'"^^" ^'^ '-^ torna celé part ou il cuida le chevalier trouver plus le- gierement. Tant a aie en tel manière qu'il vint en la praerie ou li chevaliers s'estoit logiés, et vint alafontain- ne, et le paveillon si biel et si cointe vit comme s'on Teust devisé. Et a Fentree dou paveilon estoit atachiés uns chevaus grans et fors plus noirs que meure, et de- vant a un petit arbrissiel pendoit uns escus a(u) chevalier. Quant il voit chou, il point son cheval celé part et et le provoque; s'adrece viers Tescu et le porte a terre. Et li chevaliers saut maintenant fors dou pavillon et dist a Gifflet la ou il le voit : a Ha ! sire chevaliers, vous n'avés mie fait que courtois qui mon escu avés abatu. A moi vous deussiés
1 83 MERLIN
prendre, se je vous eusse mesfait, et non pas a l'escu ki riens ne vous demandoit. » Et Gifflès ^ respont qu'il Ta fait ou despit de lui : « Or Tamende, se tu as le pooir.» « Or me dites par corioisie, » fait li chevaliers, « a qui vous estes. » Et Gifflès ^ dist qu'il est au roi Artu. « Voire, » fait il, a or (f, 88 ^ me dites, par la foi que vous li de- vés, chou que je vous demanderai. Combien a que vous celui-ci, sachant fustes chevaliers? » t Certes, i fait Gifflès, «vous m'avés qu'il est chevalier ^^^^ conjuré que je ne vous mentiroie pas. Je vous di l'engage àTenon- loî^iument que je rechui(t) au jour d'ui l'ordre de cheva- cer à un combat lerie de la main le roi Artu(s) meismes.» a Voire, » fait inégal; cil, a si estes si nouviaus chevaliers, et avéssi grant chose
entrepris comme de combatre encontre moi, qui sui uns des plus rennomés chevaliers de ma terre? Or vous en raies arrière : que nostre sires vous face preudomme. Et ciertes si serés vous, se Dieu plaist, que hautement avés encommenchié de cevalerie. » « Comment dont! cheva- liers,» fait Gifflès \ « si volés que je m'en aille sans jous- ter a vous ? Che ne porroit estre. » « Si ferés, » fait li chevaliers; « car je ne jousteroie a vous ore, que se je vous blechoie, je ne seroie jamais liés. Car j'ai espérance que vous serés encore preudom et boins chevaliers a l'aide de Dieu. » « Tout che ne vous vaut riens, » fait Gifflès ^ « Il convient que vous montés et prendés vostre escu et vo glave, si jousterons ensamble. Et se vous chou me refusés, vous me ferés faire une chose qui a honte me sera tornee : car je sui a cheval, si vous fer[r]ai la u vous estes a pié. »
mais Gifflct le {f. 88 ^) VOUANT li chevalicrs ot ceste parole, il res- menaçant, pont tout en sourriant : « Certes, sire chevaliers, se Dieu
plaist, vous ne commencherés ja a faire vilounie pour de- faute de moi. » Lors vint a son cheval, si monte et prent
I. gitttet
MERLIN l83
son escu et sa glave, et lors dist a Gifïlet : « Sire cheva- liers, encore vous loeroie jou ceste chose anchois que pis vous en venist.» Et Gifflès dist que ja Dieus ne li ait se il ensi le laisse. Et li chevaliers respont qu'il ne l'en priera hui mais, si broche le ceval des espérons et s'adrece a Gifflet, et il refait tout autretel, si s'entrevinrent tant il joute contre lui comme il porentdes destriers traire, et s'entrefierent et si^ ^t le renverse as- [s'entredounent] les gringneurs cols qu'i[l] se porent en- ^" . durement tredouner. Gifflès fait sa glave voler en escars. Et li che- valiers, qui a droit le ^ prist comme cil qui bien en estoit acoustumés, le fiert si durement qu'il li perche l'escu et l'aubierc, se li met par mi le costé senestre le fer de la glave a tout grant partie del fust, si que li fers parut de l'autre part. Et de tant li avint il bien que la plaie ne fu mie morteus. Il l'enpaint bien conme cil qui estoit de grant forche, si le porta tout enviers a la terre, et au parcheoir^ brisa la glaive, si que chis remest a la terre tous enferrés. Et li chevaliers fait outre son poindre et revint arrière. Et quant il vit (f. 88 ^) chelui qui a terre gisoit qui n'avoit pooir de soi relever, il descent errau- ment et cuide bien qu'il l'ait mort, si en est trop coure- chiés et le plaint trop durement, et dist que c'est damages, que se il vesquist longuement il ne peuust faillir a estre boins chevaliers, car il estoit trop hardis. Lors li deslace le hiaume et li oste et li abat la ventaille pour le vent recueillir. Et quant cil a esté grant pieche en tel ma- nière, il revint en son pooir, si se dreche aussi vighereu- sement que se il fust tous sains, et vint a son cheval, que li chevaliers avoit retenu, si monte assés bien comme de chevalier qui moult estoit navrés durement. Et prent son escu, et il ot remis son hiaume, et lors dist au cheva- lier : « Certes, sire chevaliers, je ne puis dire que vous Gifflet se rcicvc, ne soiiés preudom et boins chevaliers ; assés savés mieus et, fiJcic à sa pro ferir de la laiiche que je ne cuidoie ; mais se Dieus me con-
I. si et — 2. adoroit li. — 3. percheoir
1 84 MERLIN
saut, se je eusse plus congiet de faire enviers vous [que] de lanche, ja pour chou que je sui navrés ne remansist que je ne vous essaaisse a Tespée. » Et cil respont : « Certes, sire jovenes chevaliers, vous avés assés cuer pour com- menchier une grant chose. Nostre sires vous doinst le pooir de vous eslever, car ensi ser(i)és vous uns des boins che(f. 8g ^)valiers dou monde. » Il ne respont a riens que li chevaliers li die. Ensi en vait grant oirre, si na- vrés que uns autres hora, s'il ne fust de trop grant cuer, ne se peust tenir en sele pour riens dou monde.
revient à la cour, Ensi chevauce tant que a la court vint a eure de où on panse ses vespres, et il estoit encore tous enferrés. Et il en vint en plaies. j^ g^jg ^Q^^ ^ cheval, et quant li rois le vit venir san-
glent si coume il estoit, il li dist trop courechiés : 0 Ha! Gifflès \ or vous vausist mieus que vous fuissiés remés. Je vous disoie bien que vous n'av[r]iés durée au chevalier. Que vous en samble il? » « Sire, se Dieu[s] m'ait, c'est li mieudres chevaliers que je veisse piecha et li plus cour- tois que je onques trouvaisse. Car il jousta moult a en- vis a moi pour chou qu'il me veoit si jovene houme, et au daerrain il m'euust ochis si li pleust, mais il ne vaut, ains me rendi mon cheval et me dist que trop li pesoit de chou que il m'ot navré. » « Par Diu, » fait li rois, a vaillans est li chevaliers, et bien est gratieus et de chevalerie et de cortoisie. Pleust ore a Dieu que je le re- samblaisse! » Lors sont mandé li mire, si font desa[r]mer Gifflet et le desfererent, et dient au roi qu'il n'a garde de morir, car il le cuident bien garir assés prochainne- if' ^9 y ment. Mais (c)oren laisse li contes a parler de Artuseièvcia lui, et dist que li rois Artus pensa moult au chevalier la nuit, s'arme en ^^jf Et se il peust aler a lui si couvertement que si '^''^'^^' homme ne le seussent, volontiers le fesist ; et tant fu li
I gitflet
MERLIN l85
rois pensis celé nuit, si dormi peu et pensa moult. Et un peu devant chou qu^il deuust ajorner, il apiela un sien cambrelent qui moult estoit ses privés, se li dist : « Va, si me porcache orendroit mes armes a cheval et canqu'il affiert a chevalier, et fai ceste chose si couvertement que nus ne le sace ne mais tu seulement. » « Ha! sire, » fait il, « k'en volé[s] vous faire? » « Ne te caille,» faitli rois : « ne t'esmaie, car je revenrai, se Dieu plaist, a eure de prime. »
t^His n'ose refuser le conmandement de son signour, si keurt et appareille vistement canques ses sires li ot commandé. Et quant il vint en la cambre, si trueve que li rois estoit vestus et ^ cauchiés. « Sire,» fait il, « tout che que vous me commandastes est apparillié. » « Che me plaist moult, » fait li rois, si prent ses armes mainte- nant. Et quant il est tous armés, si fait son cheval me- ner fors de la chité par un jardin qui d'encoste sa cham- bre estoit. Quant li rois fu hors des murs, il monte en ^^ ^^^.^^^ j^yj,,^ son cheval et prent son escu (/. 8g <=J et sa glaive. Et pour aller com- lors dist a soncambrelent: « Je voelque tu remaingne[s] battre le chevalier sous^cest arbre, et m'aten tant que je reviegne. Car se tu de la forêt. aloies laiens, mi houme t'acoisonneroient pour moi quant il ne me trouveroient. » Et cil dist : « Sire, vous dites voir. Et pour chou remanra je et vous atlenderai tant que Dieus vous ramaint. ))
Atant se part li rois de son cambrelent tout ensi ar- Aujour,iircn- més com il estoit, et cevauchc le petit pas del cheval tant contre dans la fo- comme a la foriest vint, et lors fu li jours grans et biaus r^t^io'»", poul- et clers. En che qu'il fu mis en la foriest, il encontre ^"'^'P^'-^'^'^^û.
XM \- -1 r • . .1 • • chcrons qui veu-
Merlmquisen afuioit canques il pooit pour trois vi- 1^,^^,^,^^^.^; Artu
les met en luite. I. a — 2. scur
l86 MERLIN
lains, leur cuingnies a leurs cols dont (dont) il li voloîent
coper la teste. Et quant li rois voit Merlin et il le con-
noist, si en fu moult esbahis, si vint au vilain qui de
plus près le venoit ataignant et dist : € Fui, vilains, ne
le touce pas, car je te tuerai maintenant.» Et quant cil
voit le chevalier armé qui le manace, il tour[ne] en fuies et
se fiert en la forest la ou il se cuide plus tost garandir,
et aussi font li autre, qui n'avoient pas petit de paour
dou chevalier armé. Et li rois vint a Merlin et li dist :
« Merlins, vous estiés près de mort se Dieus ne m'eust a
che point amené seur vous. » « Ne vous esmaiC/. 8g ^'Jiés
Merlin lui dit dont, rois, » fait Merlins, « car vous estes plus près de
qu'il va courir un j^^ ^oxx que je n'cstoie se on ne met conseil en votre
gran anger.car ^^^^^^^ » a Et VOUS que savés ? » fait li rois. « Je le sai
Il n'a encore ni la . *■
force qu'il aura bien, » fait Merlins. « Dont n'estes vous cha venus pour plus tard ni une combatre au chevalier dou paveillon? » « Oil voir, » fait épée comparable ]\ fois. « Orc sac[i]és de voir, » fait Merlins, « que vous à celle de son ad- ^,j ^verés ja durée, et si vous dirai pour coi. Il est durs
vcrsïiirc
chevaliers et fors et ausés del mestier et preus et hardis, et vos estes jovenes et tenres, ne n'estes pas en si grant force de la moitiet que vous serés encore tresqu'a cinc ans, ne ne Pavés ausé, si n'avés armeure qui riens vaille, ne espee tele comme elle vous afiferroit, et il a les mil- lours armeures, en mon ensient, qui soient en che pais. Et avoec chou il a une espee qui bien affiert a roi tele, car ele est par convent la meillour que chevaliers q ui soit en che pais ait en sa baillie. Ore esgardés que vous estes bien garnis encontre lui. Je ne voi chose qui vous doive orendroit valoir fors boin cuer et le hardement dont vous estes plains. Dont je vous pri que vous retor- nés, car trop seroit grans duels et damages [que vous], qui devés venir a très grant honnour et a trop ^ g[r]eignour chose que vous ne sariés (f. go ^J cuidier % perissiés en tele manière. » « Merlins, vous ne me poriés dire chou
1. 1res — • 2. cuidies
MERLIN 187
por coi je retornaisse devant che que j'aie le chevalier Mais Artu veut essaiié a l'espee et a la lanche. » « Et puis que mon absolument ce conseil ne volés croire, » fait Merlins, « ore vous en con- viegne bien, car je ne m'en entremeterai hui mai[n)s.»
Lors dist li rois a Merlin : « Merlins, pour coi vous cachoient ore li vilain ?» Et Merlins commenche a sor- rire et puis si dist : « Il me cachoient pour une parole que je leur dis et si estoit vérités. » Et li rois demande quels ele fu. « Che vous dirai je bien, » fait Merlins.
a VoiRS est que quant j'aloie ore par ceste forest Merlin lui ra- ainsi seul comme vous veés, aventure me mena sour ces conte que lesbû- vilains qui caupoient deus kaisnes et se hastoient moult ^hérons im en durement de(l) les mettre par terre. Et je lor dis : « Pour q°?ii^'J"ur avait coi vous hastés vous si de ceste besoigne ? )> « Pour chou p,édit leur mort qu'il nous est besoing, » respondent il. « Voire, a ma- prochaine, qui va leure,» fis jou, a si vous est grant besoing que vous venés e» effet arriver. « a votre honte. Certes c'est grant folie, car bien sach[i]és a que vous de tant les verres plus tost abatus, de tant « recheverés vous plus tost mort. Carli dui de vous seront « pendu a ces kaisnes meismes, et li tiers sera ochis d'une a de (f. go ^J vos cuingnies.» Quant il oirent chou que je disoie, si en furent moult tormenté [de] la parole et me coururent sus, les cuingnies en leur mains, pour moi oc- chirre. Il m'eussent mal fait, s'il eussent loisir eut. » « Ore me dites, Merlins, est il voirs qu'il leur avenra ensi conme vousl'avés dit? » « Certes oil,» fait Merlins, « que si tost comme il seront la ' venu il s'entremelleront ja ensamble pour un cheval qu'il achatcront entrevoies; car chascuns le vaurra avoir a sa part pour chou que li marchiés lour samble boins. Et pour chou montera cn-
I. la
1 88 MERLIN
tr'aus trois la mellee, si ochirront 11 dul qui frère sont le tierc, qui est lour cousins germains. Et maintenant verra sur le fait meismesla justice de la ville, qui les fera saisir et pendre as chaisnes meismes que il averont aporté dou bos, pour chou que si près seront trouv(i)et li fust.» Et li rois commenche a sorrire de ceste chose et dist que ceste aventure que Merlins set ne set il mie de par Dieu, mais de par le mal esprit. « Or ne parlés plus, i) fait Merlins, « de mon savoir ; je cuic qu'il vous vaurra encore mieus que toute vostre poesté. »
Ils arrivent au 1 ANT Ont aie parlant en tel manière qu^il vinrent en pavillon ; Merlin la praerie ou li chevaliers {f. go <=) s'estoit logiés. Et isparait. quant li rois se regarda, il ne vit Merlin ne loing ne
près, si prist a sorrire et dist que moult a afaire qui le dyable veult garder : il cuidoit bien que Merlins fust en- core d'encoste lui, et ore Ta si dou tout perdu qu'il n'en (nen) set ne vent ne voie. Quant li rois vint dalés la fontainne, si trouva le chevalier tout armé fors d'escu et de glave qui se seoit en une kaiiere a l'entrée dou Artu provoque paveillon. Li rois li dist sans saluer : « Sire chevaliers, le chevalier; q^j y^^g Commanda a garderie trespas de ceste forest en tel manière qu'il n'est chevaliers estraingnes ne privés qui(l) trespasse par mi la foriest le chemin qu'il ne con- viegne jouster a vous? » « Sire chevaliers, » fait il, t jou meesmes em pris le congié sur moi sans auctorité et sans grasce d'autrui. » « Vous estes trop mesfait, » fait li rois, a en tant quant vous a tout le mains n'en prisistes con- giet au signeur de la terre. Et je vous commanc de par lui que vous ostés votre paveillon de chi, et ne soiiés ja- mais si hardis que vous vous entremêlés de tel chose faire. » Et il respont qu'il n'en laira riens pour lui ne pour autrui devant chou que aventure ait amené cheva- lier qui par armes le puisse conquerre. « Par mon chief, » fait li rois, « ore est cil venus ff, go'^) qui par armes
MERLIN 189
VOUS conquerra, ou Je serai en ceste place honnis et re- creans. Et pour chou voel jou que vous vous gardés de moi, car je vous desfi, et montés isnielement sour vostre cheval, u autrement vous feroie jou toute vilounie la ou vous en estes ensi tout a piet. »
Li chevaliers respont qu'il a oi maint orgilleus par- iis joutent 1er dont il prisoit moult petit l'orgueil, et si fait il de cestui , et bien le cuide mètre en mesure en peu de terme. Lors vint a son cheval, si monte, et prent son escu, sa glaive, et demande au roi Artu(s) s'il veultjouster. Et il respont qu'il n'est venus ceste part pour autre chose. Si s'entreslongent erraument plus que uns arpens une première ne dure, et s'entrevienent grant oirre les glaives abais- sies, si s'entrefierent si durement que les glaives volent en pièces, et s'entrehurtent des cors et des visages si que il en sont estourdi et estonné, mais ne chei ne li uns ne li autres a celé fie, ains s'em passent outre ambedui mal arreé et tout desconreé. Et quant il furent mis ou repairier, li rois met la main a Tespee et vaut courre sus au chevalier. Mais li chevaliers dist : « Ha I sire cheva- liers, s'il vous plaist, (f. gi ^) si ne commenchons mie encore la mellee des brans, mais je vous dirai que nous ferons, et si sera grant cortoisie. Nous avons lanches a grant plenté, fortes et boin[e]s, [si en prenons] et re- commenchons entre moi et vous a jouster tant que li uns de nous d'eus chiece. Après quant li uns de nous sera cheus, lors porrons nous, s'il vous bien plaist, commen- chier le caple. » Et li rois dist que che veult il bien. Et maintenant aporte li chevaliers deus glaives, si en baille et une deuxième l'une au roi et l'autre retient, et lors rencommenche a fo'^ sans résuu jouster a lui, et laisse courre li uns a l'autre, et refont ^''^• voler leur glaives en escars, mais nus d'eus ne versa a terre. Et lors dist li chevaliers al roi : « Si m'ait Dicus, sire chevaliers, je ne sai qui vous iestes ; car vous estes li
igO MERLIN
mieudres jousteres que jeonques Irouvaîsse. Si n'ensoiiés mie orgilleus, que je ne le di mie pour amour que j'aie a vous, mais pour le bien que jou i voi. »
Li rois ne respont a riens que li chevaliers li die. Et cil li redist : a Je vous pri que vous joustés encore la tierce lanche. » Et li rois li dist que il ne l'en faudra ja tant com il puist son cors tenir en sele. Et cil li reporte à la troisième, erraument une autre lanche, et il la prent ; nonporquant si se doloit il moult de[s] deus joustes qu'il avoit {f,gi ^) faites, car trop estoit li chevaliers de grant force. Lors laissent courre moult aireement li uns viers l'autre, et si poise moult chascun de chou qu'il n'a son compaignon abatu ; si s'entrevienent si angoisseusement qu'il samble bien a la friente des chevaus que la terre doive fondre devant eus, et quant il s'entraprochent si s'entrefierent si durement qu'il metent les fers des glaives par mi les escus; mais ii hauberc sont si fort ambedui qu'il ne se pueent entamer. Il vinrent de grant force, si font les glaives voler ^ em pièces, et par [le] hurter qu'il firent des le cheval d'Artu cors et dcs escus vole a terre li chevaus le roi sour sen est renverses et cors. Et li autres chevaliers fait outre son poindre et re- s'enfuit dans la yiept assés tost. Et li rois fu ja relevés de terre, mais de son cheval il n'ot point, car il se fu férus en la forest. Et quant li chevaliers voit le roi a piet, il li dist : « Sire chevaliers, vous savés bien comment il est et connissiés bien que jou ai(e) le meillour de la bataille, car vous estes a piet et je sui a cheval. Mais par mi chou que vous estes li mieudres jousteres que je onques trouvaisse vous qui- terai je de ceste bataille, s'il vous plaisoit ; car je en nulle manière ne vaurroie qu'il vous avenist honte en lieu u je fuisse.» (J. gi ^) Et li rois dist que ja, se Dieu plaist, pour chou se il li est ore mesavenu au jouster ne laira il
. volées
MERLIN 191
ja sa bataille, ains le siurra dusques a la fin, et qui Dieus en donra l'ounour, si la prengne. Quant li cheva- liers oi ceste parole, si respont : « Comment! (se) vous [vous] volés combatte a moi qui sui a cheval et vous estes a pié? si veés vous bien que j'en ai le milleur. » « Gom- ment que vous en soiiés au desus, » fait li rois, a ma ba- taille ne laira je mie, car je n'averoie ja mais hounour, en chou que je sui encore sains et haitiés. »
VIDANT li chevaliers voit que autrement ne puet es- Le chevalier tre, il se pourpensa lors d'une proueche ki adonques descend alors du n'avoit esté faite ou roiame de Logres, et puis la firent ^*^"' ^^ îiscom- ensi maint preudomme. Li rois tint l'escu en cantel et f ^,^"^ '^'^ ^ Tespee en la main, et s'adrece viers celui qui a cheval es- toit. Et quant cil le voit venir, il se traist un poi arrière et dist au roi : « Sire chevaliers, souffres vous; ja se Diu plaist ne me combaterai a vous tant comme je soie a cheval et vous a pié. Car certes se je vous conqueroie en tel manière n'i avroie ja hounour. » Lors descent errau- ment et atache son cheval a l'entrée de son paveillon, et lors embrace Tescu et trait l'espee et (f. gi ^} dist au roi : « Sire chevaliers, ore avérai jou gringnour honnour de combatre a vous que je n'eusse a cheval. Mais encore vous loeroie jou en droit de bien que vous laissiés ceste bataille ester. » Et li rois dist que che ne feroit il en nule manière. Et lors laisse li chevaliers courre, et li donne grant cop sour sen escu, si qu'il en abat un cantel. Et li rois n'est mie lens, ains li donne par mi le hiaume si grant cop que il puet amener de haut, si que li cheva- liers est tous cargiés dou cop soustenir. Mais il estoit fors et hardis et ausés de tel mestier et savoit de l'escre- mie, si tient le roi si court a l'espee trenchant que an- chois que chis premiers assaus remansist ot li rois deus plaies ou cors dont uns autres hom se tenist a mort fcrus de la menour, si ot ja moult pierdu son sanc, car l'espee
192 MERLIN
àu chevalier estoit de moultgrant bonté. Etli rois (toutes) voies, qui de grantcuer et degrant hardement estoit gar- nis, s'esforce toutes voies et endure que cil giete seur lui menu et souvent, mais il n^ot pas esté si lens' qu'il n'ait au chevalier trait assés par pluiseurs parties, car il li ot fait plaies assés, petites et grans.
Le combat est 1 ANT dure en tel manière que li uns et li autres est long, et monsei- (f.g2^) assés travilliés. Et che avoit au roi moult aidié gneur Robert de j| gg^^j^ j^q^j^ pjug legiers et plus vistes que li au-
Borron dit que le ^ 1 ,. , . . , • , .
roi aurait bien pu ^^^^ chevalicrs n cstoit, qui cncore n'avoit barbe ne gren- «tre vainqueur ; HOU, ains iert jovencs enfes. Et se il fust aussi bien ar- més et d'espee et de toutes choses comme li autres chevaliers estoit, me sires Robiers de Borron = qui cest conte mist en escrit di(s)t tout apertement que li rois peust bien avoir au loing le plus biel de la bataille, a chou qu'il n'eust mie tant perdu de sanc comme il avoit. Et chou estoit une chose qui auques l'avoit alenti et tolut grant partie de sa force et de son pooir.
Après le premier assaut, quant il se furent un poi
reposé, rapiela li chevaliers le roi a la bataille. Et cil
l'assaut vighereusement, mais moult le fesist encore plus
tost se pour le sanc ne fust dont il avoit perdu foison.
Si avint a chelui cop que li rois haucha l'espee pour ferir
le chevalier, et li chevaliers refist tout autretel pour ferir
au roi, se il peust, et ensi que les espees vinrent l'une
contre l'autre et li achier s'entrecontrerent, convint que
mais son épée H piour brissast et faussast. Et pour chou que l'espee au
se brise contre chevalier cstoit la millour et la plus dure, en copa il Tes-
celle du cheva- pegigj.oi(t) tout outre par mi par devant le heut^jC/. p2 ^)
I. lent — 2. birron -- 3. heus
MERLIN 193
si que li brans l'en chei a terre, et le heudure en re- mest le roi en sa main.
V^ANT li rois voit qu'il a s'espee perdue, il n'est pas bien asseur, a chou que il se sent navret et travillié et connoist son anemi a tre's boin chevalier, si ne set que faire, car ore se voit il em péril de perdre la vie et toute l'ounour terriiene, ne si n^ot onques mais si grant dou- tance comme il a orendroit. Et quant li chevaliers le vit sans espee, il se ^ pensa qu'il le metera jusques a paour de mort pour savoir s'il en porroit traire parole de couardise, car de tant set il bien qu'il est drois hardis. Lors commencha a gieter sor lui plus et plus; et li dé- pêcha son hiaume et son escu et son hauberc. Et li rois se cuevre toutes voies de tant d'escu comme il avoit, et endure et suefFre le force dou chevalier; et il avoit tant apris de Tescremie que peu avient que li chevaliers le fiere se sour son escu non. Si s'esmierveille moult li Ceiui-d engage chevaliers comment li rois puet tant soustenir, car che Artu à s'avouer set il bien qu'il a trop perdu de sanc, se li pèsera trop si ^''*'"'^"' le mainne a mort, car moult Ta trouvé boin chevalier et preu, et le prise sour tous chiaus qu'il encontrast onques. Lors dist au roi pour essaiier qu'il dira : « Sire chevaliers, vous savés bien comment il est. Vous estes aies, se vous (f.g2^) ne vous tenés a outré et a vaincu de ceste bataille. Et bien sachiés, se vous ne vous metés del tout en ma merchi, vous n'avérés ja raenchon que je ne vous caupe le chief. » a Certes, dans chevaliers, » fait li rois, « vous estes fols de ce requerre. Ja se Dieu plaist pour paour de mort ne dirai parole qui a honte me peust torner, car certes je doue plus honte que je ne faich le mort. » a Che n'a mestier, » fait li chevaliers : « a dire vous comvient autre chose, ou vous estes a la mort vc-
194 MERLIN
nus. » « Quant la mort verra, » fait li rois, € a reche-
voir le me converra. Mais je ne cuich mie que la mors
me soit encore si prochainne comme vous le dites.» Et
lors jeté l'escu a terre et tant comme il tenoit de l'espee
mais il refuse, et, en sa main, et court au chevalier et Pembrace par mi les
Raisissant le chc- fl^ns et le licve haut de terre un pié ou plus et puis le
vaher, le jette à ^^^ ^ ^^^ ^^^^^ desous lui, si qu'il le tient entre lui et la
terre, sans pou- _..,.., ,., r
voir le tuer faute terre. Et Cil chei SI durement qu il en tu tous estounes.
d'arme. Et li rois ahert son hiaume si fort qu'il en derront les
las, et li esrache dou chief, ou cil voelle u non, et le gete en voiles. Et se il euust adont euut de quoi le chevalier damagier, finee fust la bataille ; mais il avoit les mains toutes vuides, se ne li pot mesfaire rien se petit non.
(f- 9^ V Vc^ANT li chevaliers voit qu'il est ensi au
desousquechi[lJ l'a mis desous lui etli a tolut son hiaume,
il n'est pas bien asseur ; car se li rois puet tant faire que
il tiegne as ses mains l'espee, qui assés estoit près de lui
et qui estoit cheue des mains au chevalier au cheoir qu'il
fist a terre, il connoist bien qu'il a Testour perdu. Et
Celui-ci serre pour chou s'csforcc pour paour de mort, et prent le roi
Artu si fort qu'il de toute sa fofce as deus bras, si l'estraint encontre son
lui fait lâcher - g- Purement qu'il li fu avis qu'il doive d'angoisse
prise, le renverse ^ . . , .tir i> «i-
sousiui,etvaiui "^o^^^> ^^ P^^^ ^^ P^^^^ ^* ^^ force, tant 1 cstraïut chis couper la tête, durement. Et quant li chevaliers voit le roi laskier, il vient desus et met le roi desous. Et se traist viers l'espee et tant fait qu'i[l] la prent; et si tost qu'il la ti[e]nt, il est si dolans de la painne et dou travail qu'il a souffert et de la paour qu'il ot euue que il en oublie toute deboinai- reté, et s'appareille dou roi cauper la teste. En çou qu'il li voloit cauper les las dou hiaume, Merlins,qui près d'il- luec estoit et avoit tout dis regardé la bataille, quant il voit le roi em péril de mort, il li est avis que il porroit bien trop attendre, car s'il demeure un peu il n'i verra ja mais a tans.
MERUN 195
Lors vint celé part si grant comme il puet {f, g3 ^) oirre, et trueve que li chevaliers avoit ja au roi osté le ^ hiaume fors de la teste. Et quant il voit celé chose, il a q"and Merlin paour et trait au chevalier : « Chevaliers, ne le touchiés ''^"'^'^'^ <^^^"' '^'^
, f r -^ j 1 ^ r • 1 • 1 que son adversai-
ne plus ne h faites de mal : car tu feroies le roiame de , . »
. , re est le roi Artu.
Logres orfenin de boin signour. » « Gomment ! » fait li L'autre n'écou- chevaliers, « es che dont li rois Artus? » « Oil, certes, » tant rien, Merlin fait Merlins. Et cil fu courechiés, si dist que ja pour chou ''endort d'un ne laira qu'il ne l'ochie, si dreche l'espee pour ferir. Et '°'''"^'" "''^^■ quant Merlins voit chou, si gete son enchantement si ^"'^' qu'il fait endormir le chevalier desus le cors Artu[s). Et Merlins dreche sus le roi et li dist : « Ore pues tu veoir que mieus te vaut mes sens que ta proueche. Et che te di[s] je hui matin qu'il averroit.» Li rois se dreche erraument et trueve le chevalier qui dormoit et qui(l) ne se remuoit de riens, si quide bien qu'il soit mors et que Merlins l'ait ochis par son enchantement; si dist erraument a Mer- lin : « Ha I Merlins, mal as fait qui cest chevalier as mort : ja mais chis damages n'iert recouvrés ; car chou estoit a mon ensient li mieudres chevaliers dou monde. Si vausisse mieus, se Dieus me consaut, avoir pierdu le milleur chastiel que j^aie que tu Teusses ensi ochis. )> t Comment ! » fait Merlins, « quides tu dont qu^il {f. g3 ^) soit mors? » « Il le me samble, » fait li rois. « Ore saches, » fait Merlins, « qu'il est tout vis, et qu'il ne s'esveillera ja devant che qu'il me plaira. » « A poi, » Artu voit com fait li rois, a que je n'ai esté hounis par m'espee qui me ^'^" ""'^ ''^""'^
r -11- XT 1 j- • • .• f • XA ,. <^'P^e lui est nc-
failli. » « Ne le vous disoie je bien, » fait Merlins, ccssairo; Merlin « qu'elle ne vous averoit ja durée? Et saces que je ne lui dit qu'il n'y sai en che pais c'une boine espec, et celé est en un lach en a dans ic pays ou fées habitent. Se celle poés avoir, elle vous durroii ''"'""'^ bonne, tresqu'a la fin. » « Ha! biaus amis Merlins, » fait li rois, [^c'veiiieuse- c'iic
est dans un lac,
i.li
196 MERLIN
où habitent les « porriés VOUS faire que je l'eusse? » « Je vous merrai fc^es; iifaudraes- ^-^^^^ ^ f^j^ j^grlins, « dc chi la ou elle est; mais pour
sîivcr dc l'âVOir • • • • ▼— »
. ., ,. ' moi ne la porriés vous avoir, car je n'i ai pooir. Et ne-
majs Merlm ne • * 1 •
peut la procurer, porquaul je sai bien que vous Taveres et en tel manière que vous vous en esmervillerés trop.
a Ore en alons entre moi et vous chiés un hermite, si vous i reposerés a nuit mais. Et demain, quant on se sera pris garde de vos plaies et elles seront affaities, lors nous em partirons ensamble et irons celé part ou je t'ai dit que l'espee est, s'il est ensi que adont puissons chevau- chier, mais je me doue que vous ne soiiés navrés si dure- ment qu'il vous nuise a errer. » Et li rois respont qu'il n'a plaie qui le' chevauchier li^ toille. Lors monte li rois seur le cheval au chevalier a qui (f. g3 <^) il s'estoit com- iis vont se lo- batus, si s'en vait avoec Merlin. Et il le mainne en un Rcr chez un cr- hermitage en une montaigne, et estoit li hermites moult preudom et de sainte vie, et avoit esté mierveilles boins chevaliers au siècle, et savoit assés de plaies garir.
mite,
VOUANT li rois fu laiens descendus, on le desarme, et li preudom prist garde de ses plaies, si dist au roi qu'il n'euust doutance, car il gariroit assés legierement, a qui panse les chou qu'il n'avoit nule plaie qui moult fust périlleuse. plaies du roi. Le Chclui jouT dcmoura laiens li rois, Merlins avoec lui, et surlendemain l'enje^ain, que onques ne s'en murent. Lors s'em parti- rent et alerent tant qu'il vinrent a la mer auques près. Merlins torna a diestre viers une montaigne, et tant ala ils viennent à un qu'il vint a un lach, et il dist au roi ; « Rois, que te lac près de la samble deccstc eaue?» « Merlins, » fait li rois, « elle me '"'=' • samble parfonde durement, et si est en tel manière que
nus hom ne s'i meteroit qui ne fust pcris. » « Certes, »
I. a — i.\c
MERLIN 197
fait Merlins, « vous dites voir. Nus n'i enterroit sans le
congiet as fées qui ne fust mors erramment. Et bien sa-
chiés que en cest lach estla boine espee que je vous di[s].))
« En cest lach? » fait li rois. « Et comment le porra on
avoir? » « Che verres vous, » fait Merlins, a assés pro-
chain(/. g3 ^jnement, se Dieu plaist. » Endementiers
qu'il parloient en tel manière, il regardèrent en mi le Du milieu du
lach et voient une espee apparoir par desus l'iaue en une 'aciis voient soi-
main et en un brac qui apparoit tresque au keute, et ^^'"""^'"^^^''"^"^
^ • . ^ ,. , j, -Il .1 • une épce ; il n'y
estoit viestus h bras d un samit blanc, et tenoit la mains
' a aucun moyen
l'espee hors de l'iaue. a Or poe's veoir, » fait Merlins, de rapprocher. a Tespee dont je vous ai conté, celé que vous en porte- rés. » « Ha ! Dieus, » fait li rois, t comment la porriens nous avoir? Car en cel lach ne se porroit nus hom met- tre qui péris ne fust. » « Dieus vous envoiera auchun conseil, » fait Merlins. «Or attendons encore, » fait Mer- lins, « unpoi.» Ensi qu'il tenoientparolede Tespee, atant voient une damoisele qui venoit par de viers la mer. Et Anive une de estoit si escaufee qu'il sambloit bien que elle fust venue 'ï^oiseiie, moult grant oirre, et chevauchoit un palefroi noir petit ne mie grant.
Q.
UANT elle vint priés du lac, si salue le roi, et Mer- qui les salue, lins li rent son salut, et elle lour dist : «f Je sai bien que '^''^'''" •"' *^^- vous attendes tant que vous ailés celé espee en aucune '"^" '^ manière. Mais c'est folie de béer a l'avoir, car ja sans faille ne l'avérés si par moi n'est. » « Ciertes, damoi- sele,» fait Merlins ', « je le sai bien (f. g4 ^J que on ne le puet avoir se par vous n'est ; car se nus fors vous le deust avoir, je le seusse bien. Mais vous avés si cest lac en- chanté que après chou ne vaurroit nus enchantemens. Et pour chou vous vaurroie jou priier en guerredon que ^c donner l'épOe vous l'alissiés querre et le bailliés a mon signour le " '^'^"
I . li rois
igS MERLIN
roi. Carche savons nous bien quMl n^est pas orendroit ou monde en qui ele fust mieusemploiie comme en lui.» Elle y consent « Che sai gc bien, » fait elle. « Et pour chou me sui jou s'il promet de lui hastee de chevauchier que je fuisse a tans a vostre venue; accorder le prc- ^j ^^^^ jj g gijj ^^ creantoit que il me donroit le pre- mier don qu'elle . , ... .... ,, ,.
lui demandera ^^^^ "°^ ^^^ ^^ " requerroie, je iroie querre 1 espee et h Artuie promet, donroie.» Et li rois li créante qu'il li donra, se che est dons que il puisse donner. « Ge ne vous demant, » fait Elle marche a- elle, a plus. » Si se met erranment en l'iaue et passe par lors sur l'eau, desus tout a pict sec, en tel manière que ses pies ne au- prend Vépéc et la ^^.^ ^^^^^ ^^ ^. ^ç, ^^ douillet, si vint a l'espee et le prent.
donne au roi. Le „ , . . , . , ...
bras rentre dans ^t la main qui la soustenoit se reboute en riaue, que l'eau. plus ne parut a celé fie. Et la damoisiele revint au roi et
il dist : « Sire, veschi l'espee. Et sachiés vraiement que je ne cuic pas qu^il ait deus aussi bonnes en tout le monde. Et certes se je cuidaisse que elle ne fust bien (f. g4 ^) emploiie en vous, vous ne Teussiés pas, car il i a plus rice trésor que vous ne cuidiés. »
Li rois prent l'espee et moult en merchie la damoi- siele. Et elle li dist : « Sire, je m'en vois de chi, car moult ai a faire aillors. Or vous souviengne bien que vous me devés un guerredon ; car je le vous demanderai par aventure plus tost que vous ne cuidiés. » Et il li respont que il li doit voirement : demander le viegne quant il li plaira, car il s^en aquitera a son pooir. Et Elle s'en va. elle s'em part maintenant, et Merlins le commande moult a Dieu et moult le merchie de ceste bonté. Et li rois regarde Tespee et voit que li fuerres estoit a mer- Le roi admire veilles riches, si le prise moult. Puis traist fors l'espee, l'épiie; si la regarde et la voit si boine et si biele a son avis qu'il
ne cuide mie qu'il ait si boine ne si biele en tout le monde. Et Merlins dist au roi : « Sire, que vous samble de ceste espee ?» « Je la prise tant,» fait li rois, « k'il n'a el monde chastiel pour coi je la donnasse, ne je ne cuit
MERLIN 199
pas que nule armeure puisse contre li durer, par coi
preudom le tenist en sa main. » « Or me dites : le quel
prisiés vous mieus, ou le fuerre ou Tespee? » « Je prise
mieus, » fait li rois, « Tespee que le fuerre , s 'il en i
avoit teuls cent (f. g4 ^), Et nonpourquant chis est li
plus biaus et li plus riches que je onques veisse, ne je
ne cuit pas que el monde ait nul si biel. » a Certes,
sire, » fait Merlins, « or sai ge bien que vous estes po-
vrement connissans de la bonté que la damoisiele vous a Merlin lui dit que
faite. Saichiés vraiement que li fuerres vaut mieus que '^/°"^''^^" ^^"^
teuls dis espees ne font: car il est d'un cuir qui a tel "^^<^"^ 'i"*^ '^ '^•;
/ • 1 • 1 ^^> *'^^ CQmi qui
viertu que ja nom qui sour lui le porte ne perdera sanc i^ p^^.^^ ^^ p^^ ne ne rechevra ja plaie mortel, pour qu'il soit armés a recevoir de bies-
raison. » sures mortelles.
Jlusi dist Merlins dou fuerre de l'espee, et il disoit voir, mais comment che peuust estre ne le devise pas li contes orendroit, ains atent ceste chose a conter dusques pius tard Mor- a celé eure que l'istoire le devise, comment Morgue sa sue déroba ce seur li embla pour baillier a son ami qui au roi Artu se ^°"'"'"^^" p°"^ '^ devoit combatre. Et pour chou que celé li embla eust li ^i qui combattait rois esté ochis, se ne fust la porveance de Merlin. Et Anu ; c^est ce qui tresqu'a chelui point atent li contes a deviser conment sera raconté par che pooit estre que li fuerres fust teuls. '^ ^"'^^'
VOUANT li rois entendi que Merlins looit tant le Merlin prédit fuerre, il li dist : « Merlins, es che vérité que tu médis? » ^"^ '^ fourreau « Tu nel savras ja apertement, » fait Merlins, « devant ^^^.^ ^!''^°I'^ ^"
, . , , . roi, qui alors en
que tu raveras perdu; mais adont le connisteras tu appr^^-j^^j-a la va- quant tu Faveras perdu. » « Conment! Merlins, le per- icur. derai je dont? » « Il te sera emblés, » (f. ()4 ^) fait Mer- lins. « Atant m'en lai le demander, que je n'en diroie plus. » Atant s'em partirent ambedui dou lac, si em porta li rois respe[e], et la chainst entour lui, si fu moult
200 MERLIN
liés de chou que aventure li avoit envoiie si riche chose. Tant ala en tel manière entre lui et Merlin qu'il vin- rent la ou il s'estoit devant combatus au chevalier, si troverent le paveillon aussi biel et aussi riche comme il l'avoient autre fois veu, mais dou chevalier ne trouvè- rent il point.
Li rois demande a Merlin : « Savés vous que chis chevaliers est devenus ? » « Oil, » fait Merlins, a je le vous dirai. 11 avint orendroit que aventure amena ceste part un chevalier de vostre court que on apiele Heglan, et est de la chité de Camaloth. Quant il s'entrevirent, il s'entrecoururent sus, et tant dura la mellee que He- glan torna en fuies comme cil qui plus ne puet durer, et avoit paour de morir. Et ensi commencha la cache viers Carduel, et que elle ait ^ tant durée je vous di que nous Tenconterrons la ou il le sieut vers la chité. » « Je vous di dont, » fait li rois, « qu'il ne puet faillir a la melle[e] de la moie part. Car s'il ne trouvoit auchun qui le mesist au desous, ja mais chevaliers ne passe- (/. ^5 ^jroit par devant son paveillon qui s'en alast qui- tes de la bataile. » « Ciertes, » fait Merlins, « ja par mon conseil ne l'asaurrés a ceste fois, que vous nU ave- riés nule hounour, a chou que vous estes frès et auques reposés, et il est lassés et travilliés. » Et li rois dist dont laira il la bataille a ceste fois. Lors demande il Merlin : « Dites moi comment che puet estre que la damoisiele aloit par deseure l'eaue a pié sec. » Et Mer- lins commencha a rire et dist : « Sire, il n'estoit pas ensi comme vous veistes % mais je vous dirai comment il est dou lac, car je le sai bien.
I. ot — 2. vees
MERLIN 201
a VoiRS est qu'il i a un lac grant et miervilleusement Merlin explique profont. Et en mi lieu de cel lac a une roche ou il a au roi que sur ic maisons bieles et riches et palais grans (grans) et mier- '^ciiy a un pont
... . ., . 11» invisible, par où
villeus; mais il sont si tout entour clos d encantement ^ „^^ ., .^,^ .
' a passe 1(1 ucinoi-
que nus qui par dehors soit nel puet veoir, s''il n^est de ^ciie. laiens. Et la ou vous veistes que la damoisiele se mist n'avoit il point d'iaue, ains est uns pons de fust que chascuns ne puet pas aperchevoir. Et par illuec endroit passent cil qui laiens vont, car {J. g^^) il voient le pont, che que autre gent ne voit mie. « En non Dieu, » fait li rois, « ensi quide jou bien qu'il soit, car autre- ment ne fust elle mie passée si tost. »
tNsi vont parlant tant que il aprochierent la chité. Et lors encontrerent li rois et Merlins le chevalier del paveillon. Il ne li disent riens ne autressi ne fist a eus, ains passent outre, si s'en entra li rois en la chité; mais Artu revient à onques ne veistes si grant joi[e] coume cil de la chité li '^ ^'"*^' " '"^'"'*^
£. ., - . ... sa soeur Morgaiu
firent quant il le virent, car il avoient euut trop grant ^^ .^^ urien paour de lui. Chelui soir que li rois fu revenus, li re- quist li rois Uriiens Morgain sa serour a feme. Et il li douna moult volentiers, car il ne le peust mie mieus marier en houme de sa terre ; et avuec chou li douna il grant partie de son règne, et li douna un chastiel que on apieloit Taruc, et seoit chis chastiaus sour mer, mais tant estoit fors que nus plus.
Li rois Uriiens de Garlot fist nueces grans et mier- villeuses, et moult fu liés de chou qu^il estoit si haute- ment mariés. Et la première nuit qu'il gieut avoec Mor-
302 MERLIN
quieneutYvain. gain engcnra il Yvain le fiP au roi Uriien. Li rois
s'em parti des noches et vint aCarlion. Et la u il se seoit
Artu étant à un jour a sa table, vint uns chevaliers devant lui (et)
Cariion reçoit un moult cointement vestus et moult richement acesmés, et
message du roi ^-^^ .j . ,j ^^ ^.^j j^ ^^ jj |g ^j^ ^^^^ç, ^^^ houmes l Rion de Norga- t^ . . , i i- • t^- i- • j xt
les, qui lui récia- * '^^^^ Artus, che te mande li rois Rions, h sires de Nor- me son hommage gales, qu'il a conquis tresqu''a onze rois qui tout sont en et sa barbe, pour son service. Et en ramembrance de ceste victoire a il la joindre à celles pj.jg jg ^.j^j^gj^yj^ des rois la barbe et en a fait orler un c onze rois c- ^.^^ mantiel. Mais pour chou qu'il te prise plus que nul
jà vamcus, dont ' . ^ * i i
il a bordé un ^^'îl ^^^ conquis te mande il que, se tu ne veuls perdre manteau. ta terre, vien a lui et se li fai houmage et la rechoif de li.
Et a cest commandement li envoie la barbe : il le fera mètre es ataches de son mantiel. Et ensi le fais qu'i[l] le te mande, u autrement tu ne pues faillir qu'il ne te toille ta terre, car encontre son pooir ne poroies tu durer. »
Artu rit et rc- Li rois Artus se rist dou commandement. Et quant fuse. \[ messages ot parlé, si dist li rois : « Biaus [amis], il ne
me samble mie que je soie chis a qui li rois Rions t'en- voia ; car je n'euch onques barbe, trop sui encore jove- nes, et se je encore bien Tavoie ne l'aroit il pas : mieus ameroie avoir perdu le cief. Et de tant comme il m'en a mandé le tien ge au plus fol dont jou oisse onques par- ler. Se li di que se il entre en ma terre por moi forfaire d'auchune chose, il n'avéra pooir dou revenir s'avéra eut chose qui li anuiera. liant li di de par moi.» Et cil dist que cest message (f. g5 ^) li fera il bien, si s'en tome devant le roi et s'en rêvait sa voie. Et quant il s'en est partis, li rois en parole assés et dist qu'il n'oi onques mais parler de si fol mandement ne de si orgilleus come chis li mande. Et apriès demande a cheus qui entour lui estoient : « A il nul de vous qui counoisse le roi Rion? »
I. li fieus
MERLIN 203
« Sire, • fait uns chevaliers qui avoit non Narran, « pie- ch'a que je le counuch. Sachiés qu'il est uns des biaus chevaliers dou monde, et de toutes les guerres qu'il em- prent il ne commenche nule dont il ne viegne bien a chief a s'ounour. Et pour chou me doue je moult qu^il ne vous mèche au desous ains la fin de la guerre. » Et li rois dist, quoi qu'il l'en doie (a) avenir, il vaurroit ja que il fust venus pour guerroiier.
AssÉs parlèrent de ces choses. Et li rois dist un jour a Merlins : « Merlin, par tans aprochera li termes que vous désistes que chis naisteroit par cui oevres chis res* nés torneroit a destruction. Or sachiés que ja enfant ne naistera el roiame en chelui mois que jou ne face pren- dre et mètre en une tour ou en deus ou en trois, se tant en convient. Et illuec les ferai norrir tant que j'aie eu conseil de chou que vous m'avés dit. » « Rois, » fait Merlins, « pour nient vous (f. gô ^) en travilliés. Et sa- ciés que vous ne le trouvères pas, ains averra ensi comme je vous ai dit, car ensi le convient estre. » Et li rois dist que tout ensi le terra il que il l'a beé a faire.
Ensi attendi li rois desque près del terme que dis Le terme ap- avoitesté. Et lors fait ci[e]rkier par tout le roiame de Lo- piochant où doit grès que tout li enfant dou roiame de Logres li fuissent "'"^'^ ''""^''"^ ^'^'
^ , ^., , , . ... • , . ,• tal, le roi fait
aporte. Cil del pais necuidaissent mie legierement que li conduiredansdes rois en vausist faire tel micrveille comme il fist, se li en- tours tous les en- vola chascuns son enfant. Et tant l'en aporterent, ains funts qui nais- que li jours venist que li enfes Mordrès fust nés, qu'il en ^'^"^• fist bien mètre en une tour plus de cinc cent et cin- quante, et li ainsnés n'avoit pas d'aage plus de trois se- mainnes.
204 MERLIN
Cnsi fisent li povre et li rice, que si tost que leur enfant estoient né, maintenant qu'il avoient crestiienté, qu'il les faisoient aporter au roi, et il conmandoit tantost que on les estoiast en ses tours. Li rois Loth, qui connissoit que sa feme estoit grosse et toute preste de [ajcouchier, de- manda maintes fois au roi qu'il par voloit faire de tous ces enfans qu'il faisoit ensi assambler, et il li celoit toutes La femme du voies, que riens ne li voloit dire. Quant il sot que sa feme roiLothaccouche ^^^qI^ délivrée et vit que li enfes estoit nés, il le fist bap-
d'un fils qu'on ,^ ai** • ^*i tii'/i'\
appelle Mordrcc. (^' 97 V tisier et ot uon en baptesme Mordrec. Il dist (dist) a la roine sa feme: « Dame, je voel envoiier vostre fil au roi vostre frère; car ensi i envoient tout.» a Je le voel bien, » fait la dame, « puis qu'il vous plaist. »
Loth l'envoie au LoRS fist li rois mètre l'enfant en un berchuel qui roi Artu d'après j^^j^ estoit biaus et riches. Et en che que la mère metoit seborres. ^enfant dcdeus le berchuel, il avint que il se hurta el chief desus, si qu'il ot une grant plaie en mi le front qui puis i parut tous les jours de sa vie. Li rois fu moult courechiés de la plaie et aussi furent tout li autre. Et pour chou ne remest il pas que il ne le mesissent u ber- chuel. Apriès le misent en une nef a grant compaignie de dames et de chevaliers, et dist li rois qu'il s'en iront ensi par mer et conduiront l'enfant jusques au roi son oncle, a Et quant vous serés la, se li dites que je li en- voie son neveu. » Et cil dient que cel message feront il bien, se Dieus les laissoit venir a droit part.
iIn tel manière se partirent de la chité d'Orkanie li homme le roi Loth. Et li vens se feri ou voile de leur nef, si les eut en poi d'eure si eslongiés dou port que il ne virent terre de nule part. Ensi coururent chelui jour
MERLIN 205
el la nuit autressi, car uns orés commenche si grans en la mer que tout cil de (/. g6 9 la nef commenchierent a crier : « Ha! Jhesucris, ne nous laissiés chi périr. Aiiés pitié de nous et de ceste petite créature fil de roi. » Ensi crioient li un (s) et li autre et reclamoient sains et saintes et faisoient veus et afflictions. Et la mers fu si esmeae et li vens engroissiés que la nef vint hurtant a une roche, si le vaisseau qui le fu erramment esquasse en plus de dis pièces. Et furent porte fait naufra- tout cil de la nef péri, fors seulement Fenfant qui el ber- ^^' chuel se gisoit. Si avint que li berchues aloit fîotant sour la rive, après chou que li autre estoient tout noiié. Et Penfantseui sur- lors vint celé part uns peschieres qui aloit querans pois- vit, il est recueilli sons et estoit en un petit vaissiel. Et quant il trouva le p^"^"" pêcheur, bierchuel et Fenfant en rive, il en fu a merveillies liés et si prist et Tun et l'autre et mist tout dedens son vais- siel. Mais quant il vit que li enfes estoit si richement atornés, comme chis qui tous estoit mis en dras de soie et en autres vesteures, il pensa bien errant qu'il estoit estrais de haute gent, si en fu plus liés que devant. Il se mist erramment arrière et prist le bierchuel a tout l'en- fant et le mist a son col et s'en retorna grant oirre viers la ville, et ala par une destornee a son ostel, en tel ma- nière que il n'i parut, si monstra a sa feme qui laiens (f. gô ^j estoit chou que Dieus lour avoit envoiié. « Certes, » fait la dame, « moult a chi bicle aventure, et Dieus l'a fait pour nostre garison. Car de la riquece de cest bierchuel nous porrons vivre bien et cortoisement vint ans, si quide que ceste chose nous ait Dieus faite pour nous en voiier secours »
« Uame, )) fait li preudom, « chis enfes est de haut lignage, che poons nous bien connoistre. Il converra qu'il soit norris au mieus que on porra. Car se Dieus don- noit que cil dont il est estrais le peussent reconnoistre, il nous en seroit de mieus, et bien nous en feroient. Et
206 MERLIN
il ne puet estre que il ne soit reconnneus ains lonc terme. Et encore loeroie je mieus que nous le portissons ensi comme nous l'avons trouvé au segneur de ceste terre que nous le tenissons. Car se il pooit savoir par nule aven- ture que nous l'eussons trouvé et ne li eussiens porté tout maintenant, il nous feroit destruire nous et nostre lignage.» Et la dame ^ dist que chou est li mieudres con- sauset li plussainsque il -a donné. «Oreenalonsdont,» fait il, « entre moi et vous, si ferons au segneur le pré- sent de cest enfant. » Et elle s'i acorde bien.
Ensi prisent Mordrec et s'en partirent de l'ostel et
s'en aie//, gj ^^rent droit au chastiel qui tout le pais
qui le porte au justichoit, et trovereut laiens le signour, qui estoit apie-
seigneurdupays, j^^ ^^\^^^ ij Derr[e]és et avoit unpetitfildeTeagedecinc
Nabur le Desrcé; . . ^ ] . , , r. , ^ ^..
celui-ci le fait semaïunes qui estoit apieles Sagremor : puis fu il com- éiever avec son pains de la table reonde, et fu chevaliers miervelles bons, fils Sagremor, etotuon en son droit uou Sagrcmorli Derr[e]és, si comme li contes le devisera cha avant apertement. Moult fu Na- bur liés de l'enfant que cil li aporterent ; car bien pensoit qu'il estoit estrais de boine gent et de haute et de poissant ou biel apparillement qu'il avoit entour lui. Il douna au peskiere de son présent tel guerredon que cil s'en ti(e)nt bien a paiiet. Et li sires fist retenir Tenfant et mètre avoc Sagremor son fil ; si les fist ensi norrir en- samble, et dist que se Dieus les amendoit tant qu'il ve- nissent en l'aage de estre chevalier, il les feroit faire chevaliers ensamble.
Cnsi eschapa Mordrec de péril, et tout li autre furent et le fait guérir noiié. Car ensi aloit l'aventure. Li dus Nabur le fist garir d'une plaie qu'il de la plaie qu'il avoit en mi le front. Et trouva [en] un
avait au front*
1. li sires — 2. elle
MERLIN 207
escrit qui el bierchuel estoit que on Tapieloit Mordrec, mais il ne trouva plus en Pescrit de sa naissance et de son lignage. Ensi trouva Mordrec secours et aide apriès le péril de la (f. gj ^) mer. Mais or laisse li contes a parler atant et retourne au roi Artu[s).
Li rois Artus, che dist li contes, ot fait assambler Artu pense h en ces tours les enfans qui en son pais naissoient, si ^^^""^ ^"^'" ^°"^
.1 . , T-.^ ^ !• ^ 1 -Kit les enfants qu'il
comme je vous ai devise. Et quant li termes dont Mer- .,
' ^ a réunis; mais il
Ims avoit parlé fu passe's, li rois pensa qu'il feroit tous ^ un songe dans les enfans occhirre; car il cuidoit vraiement que chis i lequel n reçoit le fust dont si grant mal dévoient venir, et qu'il fust en '^°"s<^*'^e^^^^";- celé compaignie. Un soir qu'il sefn) dormoit en son lit li ^^"^^^^"^ f^^^^
- . , , . . , . dans un vaisseau
tu avis que devant lui venoit uns nom si grans que on- ^^^^ jj^^ç ques n'avoit veu plus grant, et le portoient quatre bestes, mais li rois ne pot onques connoistre quelles elles es- toient.
Li hom disoit au roi : « Rois, pour coi appareilles tu si grant mal a faire, qui volés destruire teuls créatures saintes et innocentes qui sontencore pur[e]s etne[te]sdela porreture ^ dou monde? Encore venist mieus au creatour dou chiel et de la terre qu'il ne t'eust pas donné la grasce qu'il ra toi otroiie. Il t'avoit establi a estre pas- tour de ces gens, et tu iés devenus desloiaus et anemis. Quel chose te pucent ore avoir mesfait ces créatures que tu veus meire a destruction? Ciertes, se tu le fais, li haus maistres qui te (f., 97 ^) misten cest[e] poésie ou tu iés pendera si grant vengeance de toi qu'il en sera a tous jour mais parler. »
I purtc
208 MERLIN
Li rois regardoit le ' preudomme, si estoit tous esba- his de che qu'il li disoit, si commcncha a penser en ceste chose. Et li preudom ii redist : « Je te dirai que tu feras, si t'en deveras bien tenir a vengié. Fai les tous mètre en une nef en la mer, et soit la nef sans maistre, et soit [li] voiles tendus. Etpuis faiManef espoindre enla mer, et puis aille de quel part que li vens le merra. Et adont se il pue[en]t eschaper de tel péril, bien mousterra Jhesucris qu'il les aimme et qu'il ne veult pas la destruction des enfans. Et ceste chose te doit bien souffire se tu ^ n'iés li plus desloiaus rois qui onques fust en terre. » Li rois disoit au preudomme : « Ciertes, miervilleuse venjanche m'avés ensegnie. Ja autrement ne l'esploiterai fors ensi comme vous Tavés dit. » « Che n'est pas venjance que tu feras, car il ne mesfirent onques riens ne a toi ne a autrui(i), mais chou est pour ta volenté acomplir, et pour chou que tu cuides par ceste chose destorner la destruc- tion delroiame de Logres ; mais non feras, car elle averra tout ensi comme li fieus a l'anemi le t'a devisé. »
Il se décide à Atant s'esveilla li rois, et li fu bien avis que (f, gy ^J
agir ainsi, encorc cstoit devant lui li preudom qui a lui avoit parlé.
Et quant il vit que che est songes, il se commande a
nostre signeur et fait signe de la crois en son vis. Et dist
que tout ensi comme il a songié des enfans le fera il.
Gel jour fist apparillier une nef assés grant; mais onques
ne le sorent a celé fie cil meismes qui Tapparilloient por
quoi il le faisoit faire. Au soir, si tost comme il fu anui-
et embarque les tié, si fist H rois prendre tous les enfans, qui estoient par
enfants au nom- conte sct Cent * et douze, et les fist mètre dedens la nef.
bre de 7 1 2
I. li — 2. fu — 3. ti — 4, Le manuscrit porte viint; c/. ci-des- sus, p. 20 3
MERLIN 209
Et quant il furent dedens mis, li rois fist tendre le voile de la nef, et li vens qui estoit levés seferi maintenant de- dens le voile, si que la nef fu en peu d'eure empainte en la haute mer.
Cnsi furent li enfant mis en aventure de morir. Mais a nostre signour ne plot mie qu'il fuissent ensi pe- rillié, qu'il veoit les créatures qui n'avoient pas deservi a périr en tel manière. Et mist tel conseil par sa miséri- corde^ que la nef arriva a un chastiel que on apieloit le vaisseau est Amalvi. Et estoit li chastiaus (et) biaus et bien seans, et poussé près d'A- en estoit sires uns rois qui avoit esté paiiens lonc tans, '^^^^'' ^^ '^^"'^
. ., . , . , .. , . le roi Oriant, pè-
mais il estoit de nouviel crestiiens, et moult amoit nos- ^^ ^'Acanor qui tre signeur et doutoit, et avoit eut de famé siue un fil fut plus tard sur- tout de (f. g8 ^) nouviel, si apieloit l'enfant Acanor, nommé le Laid mais puis fu ses nous cangiés ^ en la court le roi Artus, et W''^^'^'- pour chou qu'il n'estoit mie biaus chevaliers, mais noirs et harlés a la samblance de son père, et estoit si preus et si hardis que nus plus, ore Tapielerent il par tout le Lait Hardi. Et de lui parole li contes moult de fies la ou (o)il se traist de la queste dou graal et devant.
VOUANT la nef fu venue de la rive dou chastiel que je Oriant trouve vous di, il avint que li rois Orians fu issis fors de laiens, '«^^ ^"^^"^s et s'é-
^ . . • • 1 I 1- r merveille.
et avoit avoec soi grant compaignie de chevaliers, et fu venus par aventure juer seur le port; et quant il vit la nef qui fu arrivée, il dist a cheus qui avoec lui estoient : « Alons veoir celé nef por savoir qu'il a dedens, car il me samble qu'elle viegne de loing.» Lors vont celé part grant aleure pour chou que il voient que au roi plaist. Et quant il sont venu a la nef et entré dedens et il true- venl si grant plenté d'enfans comme il (l)i avoit, si se
I. misirecorde — 2. cargics
14
210 MERLIN
saingnent de la merveille qu'il en ont. Et li rois dist as ses compaignons : c Dieu merchi, dont puet estrc que cil enfant pueent venir, ne qui en puet tant assam- bler ne mètre ensamble ? Car je ne cuidaisse pas qu'il en eust autant en tout le monde. » « Par mon chief, Un chevalier ^y*. gS bj sire, )) fait uns vieus chevaliers au roi, « je vous qui revient de ^[^q^ qu^ c'est, que ja ne vous en mentirai. Voirs est que
Logres lui dit • j t -.
^ ,. . c» o „ aventure me mena aventurer ou roiaume de Logres, et
que c est sans ^ '
doute Artu qui tant quc je vi(e)ng en la court le roi Artu(s). Illuec sans les a ainsi fait a- faille alns quc je m'en parte(se)sisse vi ge que li rois bandonner ; Artus faisoit assambler tous les enfans dou roiaume de Logres, ensi comme il naissoient, et les metoit on es tours le roi, mais nus ne pooit savoir pour coi li rois le faisoit. Ore cuide jou bien et croi qu'il soit vérités que li baron dou roiame les aient mis ensi en mer pour au- chun mal par aventure qui lour en devoit avenir, [et] il ne porent pas souffrir qu'il en morussent devant eus. Et pour chou les firent mètre en mer el conduit de nostre signour et en ^ l'esgardement de fortune. Et che puet chas- cuns veoir que se li baron amaissent autant lour vie * comme lour mort, il n'eussent mie laissiet aler le vais- siel sans gouvreneur. »
A che mot respondi li rois : « Je croi que vous me dites voir de canques vous me dites, et bien me samble", vérité. Or gardons que nous en porrons faire des enfans/ Car puis que Dieus le[s] nous a envoiié[s], je vaurroie qu'il fuissent mi(eu)s en lieu ou peu de gent les i seussent. Car (f. g8 ^) puis que li rois les fist mètre en aventure de mort, je sai bien que se li rois pooit savoir que je les eusse, il ne m'en savroit ja gré, ains m'en harroi{en)l par aventure, ne se haine je ne vaurroie en nule ma- nière, car maus em porroit venir a moi et a ma terre. »
I. el — 2. vis
MERLIN 2 I I
« biRE, » fait li vieus chevaliers, « je vous dirai que vous en porrés faire. Metés en ceste nef gent qui sacent de mer, et puis envoiiés ces enfans en auchun(s) de ces repaires en auchune isle de mer. Et certes on (ne) les porra (ja) si coiement tenir que li rois Artus n'en orra ja parler. » Ensi comme il le devisa le fist li rois faire, si les fist mètre en un sien repaire et mist norriches avoec iaus on les expédie tant comme il lour convint. Apriès il fist faire un chas- '^^"s un château tiel boin et fort, et quant il fu fais, li rois l'apiela pour \";°" 'pp'^''' '"
, , . . ^ . ' ^, . 1 • ,. châtel aux Gen-
1 amour d eus le chastiel as Gen[v]res. Mais or laisse h ^,^.^^ contes d^aus et retorne au roi Artu(s).
Ore dist li contes que quant li ba/y. g8 '^Jvon dou Les barons de roiame de Logres sorent chou que li rois avoit fait de ^05^<^^ s'indi- leur enfans, il en furent tant dolant que nus plus. Il s"'"^/|' ^"''^'''
' ^ r ment de leurs en-
vinrent a Merlin por chou qu'il savoient qu'il estoit si f^^^s ; Merlin les
bien dou roi, et li disent : « Merlins, que porrons nous apaise en leur en
faire de ceste desloiauté que chis rois a faite? Onques ^^P'^i^^"^^^^^'-
nus rois ne fist si grant. » « Ha ! biau signeur, pour ^°"*
Dieu, » fait Merlins, « ne vous aires si durement. Car
ceste chose a il fait pour le commun pourfit dou roiame
de Logres. Car bien sachiés vraiement k'en che mois ou
nous sommes maintenant est nés en che pais uns enfes
par quels oevres et par quel pourcach li roiames de
Logres doit estre si essiliés c'apriès lui ne remenra preu-
domme qui ne rechoive mort en une bataille campel. Et
ensi doit chis pais remanoir orfenins et desnués et de
boin roi et de bons chevaliers. Et sachiés que ceste chose
n'est raie fable, ains est aussi vérités comme vous veés
que je parole a vous. Et pour chou que li rois vausist
volentiers que ceste dolours fust destourbee ne que elle
n'avenist ja a son tans ne de lui ne de vous a il fait des
enfans chou qu'il en a fait. »
2 12 MERLIN
VOUANT li baron oirent ceste parole, il dient a Mer- lin : a Nous dites vous voir qu'il l'a fait pour celé enten- cion? » « Oil, se {f, gg ^) Dieus m'ait, » fait Merlins. « Et encore vous di jou plus de vos enfans. Saichiés vraiement qu'il sont tout sain et tout haitiet et eschapé de péril de mort, car a nostre signeur ne plaisoit mie qu'il morussent. Et anchois que viegne dis ans, en ver- res vous les plus sains et haitiés. » Quant il entendent que Merlins lour dist ensi, il en sont moult plus aise quUl n'estoient devant, si se restrainsent de leur ire(s) et de leur maltalent, car il creoient outreement Merlin de canques il lour disoit, si clamèrent le(i) roi quite de canques il en ot fait, et disent que jamais ne l'en sa- vront mal gré. Ensi acorda Merlins le roi as ses barons, si em peust grant mal estre avenu ou pais, si Merlins n'i eust mise cest[e] acorde.
Artu reçoit Jj ^ jq^. g^^j^ jj j.Q.g ^ ^^^ disner, et ot la eut tous ses
l'annonce que r ^ -, -A i «m i • i • i i •
Rion est entré [ï^^^]. Et enchou qu il parloient laiens par le palais, atant dans ses terres Voient uu chevalier entrer en la sale, et fu tous armés a cheval, mais il estoit teuls atornés que li sans li saloit par les costés en plus de trois lieus, et ses chevaus estoit teuls atornés du^ courre qu'il avoit fait qu'il chai desous lui en mi le palais si tost comme il fu entrés. Et li che- valiers qui estoit assés vistes et legiers sailli sus et dist au roi : o Sire, if-gg ^) nouvieles vous aporc assés anieu- ses et mauvaises. Li rois Rions est entrés en vostre terre a si grant gent que aine grignour ne veistes, si vait vos- tre terre ardant et dévastant et ochiant vos hommes la ou il les puet trouver. Et a ja pris de vos chastiaus ne sai
.de
MERLIN 2l3
quàns. Se vous n'i metés autre conseil, vous ares toute vostre terre perdue dedens brief terme. »
Li rois qui escoute ceste nouviele respont au cheva- liers : « U laissas tu le roi Rion? Garde que tu me dies voir. » « Sire, je le laissai a un vostre chastiel que on apiele Tarabel, ou il avoit le chastiel assis a si grant plenté et assiège le châ- de gent que [c'ert] une fine merveille. » a Ore assiece, » te^u de Tarabei; fait li rois, « que je le ferai lever(e) a sa honte, se Dieu (s) plaist, assés prochainnement. » Lors commande a chiaus de laiens qu'il desarment le chevalier et le mainnent es chambres, et se prengent garde [de] lui. Et cil le font ensi comme on leur ot commandé. Et li rois commande erraument a faire les briés et les envoie a mont et a val as ses barons et lour commande qu^il viegnent erramment ii mande ses a Camaloth sans nul autre delay. Etquantli baron [s]orent iiommes pour le que li rois les mandoit a si grant besoing, il s'appareil- '^o'^''a"''e. lent au plus tost qu'il porent et hastent de (f. gg ^} venir a la chité, si em peussiés ^ veoir assambler dedens trois mois plus de quatre mil chevaliers, dont li plus couart quident estre preu et hardi.
E^ ,. . j , , .. c ^ Le jour où il va
NSI Ot 11 rois mande ses houmes, et il furent venu . .
' partir, une de-
assés esforchiement. Et le jour qu'il doit monter vint moiseiie, envoyée laiens une damoisiele riche et de grant biauté plainne, et par la dame de estfoit a] la dameapieleeladamedeTisled'Avalon.Si dist l'îic d'Avaion, se au roi : a A toi m'envoie, rois, ma dame de l'isle d'Ava- •''"'^"^^ '' ^^
, , ..... cour, et lui de-
lon pour chou que je soie aidie et secourue en ta court ,na,ideson aide d'une chose qui moult me grieve et dont je ne cuic ja- Eiie est ceinte mais estre délivrée, se en ta court je ne sui deUvree. » d'une cpdc dont Lors oste de son col un mantiel dont elle estoit affublée ""^ "^^ pourra et lors dit au roi : « Rois, veschi une espee que jou ai '^^"o"^'" '<^'*^<-'«-
' ri/ ^^g^ 5, ce n est le
meilleur clieva- I . peussier lier du pays.
214 MERLIN
chainte entour moi, si comme tu pues veoir; mais saches que je n'en puis mie faire si ma volenté que je la puisse traire del fuerre ne desçaindre ^ d'entour moi, car che n'est mie chose qui soit a femeotriee, ne a chevalier s'i[lj n'est li mieudrcs chevaliers de cest pais et li plus loiaus sans trecherie et sans boisdie et sans traison. Mais qui teus sera, si porra desnoer le[s] renges' de Tespee et apor- ter avoec soi l'espee et délivrer mo[i] de che(/! gg ^) dont je sui malement encombrée; car tant que je l'eusse tout dis ensi avoec moi ne porroie jou jamais avoir ne bien ne repos. » •
VOUANT li rois entent chou que la damoisiele di- soit, il respont : « Certes, damoisiele, vous me faites moult esmiervillier. Car il ne me samble mie que chas- cuns ne peust bien oster d'entour vous celé espee que vous avés chainte. » « Or sachiés, » fait elle, a sire, qu'il n'est pas ensi conme vous cuidiés ; car nus ne la porroit deschaindre s'il n'est teus comme je vous ai devisé. ■ « Par foi, » fait li rois, « dont s'i doit bien chascuns es- saiier, cil qui sont chevalier. Car grant honnour i con- querra chisqui la porra deschaindre^. Car par chou me- ner a chief monsterra il qu'i|l] soit li mieudres chevaliers de son pais et qu'il soit si bien entechiés comme vous avés dit. Et pour chou que je sui sires de ceste terre et de tous chiaus qui chaiens sont l'essaierai je tout premiers, non mie por chou que je cuic estre le millour chevalier de cest pais, mais pour donner essample as autres qu'i[l] Tas- saient.» Lors se lieve li rois Artus de la ou il se seoit, et vait a la damoisiele (/! 100 ^), [et] prentlesrenges"* del'es- pee, si lescuide desnoer, mais de che ne puet estre : qu'il cuidoit que che fuissent unes renges comme as autres es- pees. La damoisiele li dist : « Ha 1 rois, n'i metés mie si
I. descainbre — 2. règnes — 3. deschainbre — 4. règnes
MERLIN 2l5
grantforche, car force n'i vaut riens. Cil qui merra ceste a-
venture a fin n'i metra mie si grant painne. » Lors s'en va Artu, puis tous
li rois aseoir et dist a cheus qui avoec lui estoient : « Ceste les autres, ics-
aventure n^est pas moie. Ore Tessaiiés entre vous, et qui ^^^^"^ ^" ^^"^'
Dieus en donra Tounour, si la prengne. » Et lors i as-
saient tout li baron li un apriès les autres, mais onques
n'i ot nul qui les renges ^ en peust desnoer. Ensi i assaiie- sauf un pauvre
rent tout cil de laiens, ne mais uns povres chevaliers qui chevalier , exilé
estoit nés de Norhomberlande. Chisavoit estédesiretés de ^^ Norhomber-
par le roi de Norhomberlande pour un parent le roi qu'il n^eurtre, et dom
avoit ochis, etl'avoitCon] mis em' prison plus de demi an, on ne faisait nui
si en iert de nouviel issus. Et pour chou estoit il si povres cas à cause de sa
qu'il n'avoitsi petit non. Mais s'il estoit povres d'avoir, il Pauvreté.
estoit riche[s] de cuer et de hardement et de (pro) proueche,
qu'en tout le roiame de Logres n'avoit pas a chelui tans
millour chevalier. Et pour chou que povres sambloit,
l'en faisoit [on] honte(ou) entre les gens (autres), ne nule
parole n'estoit (f. loo ^i de lui ne nus ne s'en prendoit
garde; car on ne tient mie bien grant conte de povre gent
entre riches.
V^ANT tout cildou palais, povre et riche, orent assaiié l'espee fors que cil seulement, li rois, qui bien cuidoit que tout i fuissent venu , si dist a la damoisiele : • Dame, il vous convient aillours aler, se vous volés es- tre délivrée. Car chaiens, che m'est avis, ne trouvères vous nul qui vous en délivre. Che me poise chierement; car se cil de mon ostel peussent ceste chose mener a fin, je i eusse hounour grant. » « Ha 1 Dieus, » fait elle, « si ' » demoiselle m'en irai je donques si desconsillie de ceste court ou il a ^*^"^ ^'^^ ^"^'"' tant de preudommcs et de boins chevaliers? Ciertes, or ne sage mais ou aler, quant j'ai chi failli. Carj'avoie ja esté en la court le roi Rion, ou je ne poc trouver
X. règnes — 2, om
2l6 MERLIN
autre conseil que je faich ichi orendroit. • • Damoi- siele, » fait li rois, « nous ne vous poons douner autre conseil orendroit, puis qu'a nostre signeur ne plaist. » « Ha! Dieus, » fait elle, « si m'est ore avis qu'i[l] me con- verra dès ore mais souffrir ceste painne, cest martyre et ceste dolour, et si ne l'avoie je pas deservi. »
Lors commencha la damoisielle a plorcr moult du-
(/*. 7 00 <^jrement, si dist qu'elle s'en ira. Et commanda le
roi a Dieu et toute sa compaigne. Et quant li povres
chevaliers voit qu'elle ne demourra plus et qu'elle s'en
mais le chevalier vait dou tout, si saut outre li chevaliers. Et estoit moult
exilé demande à dolaus de chou quc nus ne li avoit commandé qu'il s'as-
essaycr aussi, saiast a l'espee si comme on avoit fait as autres, si huce
la damoisiele et li dist oiant tous chiaus de laiens : • Ha!
damoisiele, par courtoisie attendes tant que je aie eu
l'espee assaiie aussi comme li autre ont fait.> Et elle le
voit de si povre affaire par samblance qu'elle ne se puet
celer qu'elle ne die : « Certes, sires chevaliers, je croi
que vous l'assaierés pour noient ; car je ne querroie pas
a essient que vous fuissiés li mieudres chevaliers de ceste
sale, ou il en a orendroit tant de boins. » Et il est tous
honteus, si respont par courouch : « Damoisiele, ne
m'aiiés en despit pour ma povreté : je fui ja plus riches.
Encore n'a il nul chaiens a qui je veaisse mon escu. »
Il réussit, et Lors prent les renges ^ de l'espee et met les mains as neus
garde l'cpvie pour et les desnouc erraumcnt et tire l'espee a lui. Et lors
lui, bien que la ^j^^ ^ |^ damoisiele : a Or vous en poés aler toute deli-
dcmoiselleluian- ,, , . .1,
^Qj^^g vree quant il vous plaira, mais 1 espee me remanra, car
il m'est avis que je l'ai gaaignie.» Lors la trait dou fuerre, si la commence (f. 100 '^J a. regarder et la voit si biele et si boine par samblant qu'il n'en vit onques nule qu'il prisast autretant. Et lors le remet ou fuerre, et la damoi-
1 . règnes
MERLIN
217
siele li dist erramment : « Sire chevaliers, vous m'ave's délivrée et si i avés moult grant hounour conquis; car il est prouvée chose et aperte par ceste oevre que vous estes li mieudres chevaliers de chaiens. Mais pour chou se vous m'avés délivrée ne fu il pas el convenant que Tespee vous remansist ; si vous pri que vous le me ren- des, ensi comme il avoir doit courtoisie en vous selonc la prouece qui i est.» Et li chevaliers dist que l'espee ne li rendera il pas, s^il en devoit estre tenus a vilains de tous chiaus de la court. « Et je vous di, » fait elle, « que se vous l'em porte's qu'il vous en mal averra. Car bien sachiés que li hom qne vous primes en ochirrés sera li qu'il en tuera hom ou monde que vous plus amés.» Et il dist que l'es- l'iioni^c qu'il ai- pee em portera il, se il meismes en devoit estre ochis. '"^ •'-^ ""^'^^ a Voire , » fait elle , « ore ensi soit , puis qu'il vous plaist. Et bien sachiés que vous ne l'avérés mie deus mois eue que vous vous en repentirés. Mais je vous di- rai encore une autre mierveille, et saciés que elle averra tout ensi comme je le vous conte orendroit : anchois que chis ans soit passés vous (f. 10 1 ^) combaterés vous a et qu'avant un un chevalier qui vous occirra de l'espee et vous lui. Et '^" ii sera lui-mô- pour chou que je ne voloie pas que ceste mésaventure "^*^. ^^" ^^^ ^^^^'^ avenist a si boin chevalier comme vous estes Tcn voloie jou porter ; car se Dieus me consaut, tant comme elle fust ensi que chevaliers ne la portast, n'en eussiés garde que vous morussiés d'armes. Orc le portés, se il vous plaist, que bien sachiés que vous em portés vostre mort avoecques vous. » Et cil li dist que se la mors i devoit estre, si l'em portcroit il, car trop li samble Pespee boine et biele. Lors dist a un sien escuiier qui devant lui estoit : a Va, si m'aporte mes armes et amainne mon cheval, que je sui cil qui plus ne demourraa ceste court; car il m'ont bien monstre a cest ostcl que povretcs fait tenir mains preudoumes vil. »
2l8 MERLIN
Li escuiiers se part de laiens pour faire le comman- dement de son signour. Et li rois qui ot veu ceste chose trop estoit honteus de la parole qu'il ot oi dire au che- valier, si vient a lui et li dist : « Ha ! sire chevaliers, pour Dieu ne vous poist de chou que j'ai esté vilains viers vous. Je sui tous près que je le vous amène a vostre vo- lenté et a vostre esgart. Mais certes je ne vous connissoie, si n'en doi pas estre blasmés ; car il a tant de preudom- mes chaiens que je ne sai au quel je doive courre. Or remanés chaiens, sire chevaliers, je vous (f. joi ^J em prie. Et je vous creanc que ja mais tant comme je vive ne vous faurrai a compaignie. Car ja chose ne me sarés demander que je ne le vous dongne a mon pooir pour chou que vous remaingniés de ma maisnie. » Et li che- valiers respont k'il ne remanroit a ceste fois en nule ma- nière pour prière c'on l'en fesist ne pour don que on li seust donner. Et li rois dist [que] de ceste chose est il moult dolans, car il ne vit piech'a mais chevaliers en sa court dont il amast autant la compaignie coume il fesist de lui.
JVlouLT parloient tout cil de laiens del chevalier qui
a (a)mené a fin l'aventure ou tout li autre avoient failli, si
dient li auquant qu'il savoit d'enchantement et qu'il l'a
plus fait [par enchantement] que par la prouece de lui. En-
dementiers qu'il parloient par laiens d[e c]es choses, atant
Arrive la de- cs VOUS Une damoisicle tout a cheval qui laiens entra, et
moiseiie qui avait tout eusi commc elle cstoit montée vint devant le roi et
donne à Artu l'é- |j ^jj^^ . ^ Rqîs, tu me dois un guerredon ; acuité t'ent voiant
pcc u ac. tous ces preudommes de chaiens.» Et li rois regarde la da-
moisiele et connoist que che est celé qui Tespee li donna,
si respont : « Certes, damoisiele, un don vous doi jou voi-
rement, si m'en aquiterai a mon pooir. Mais se il vous
MERLIN 219
plaisoit, dites moi une chose que je vous obliai ademan- (f. lOi ^jder. » a Et que es che? » fait elle, a C'est li nons de l'espee que vous me dounastes. » « Or saiciés, » gHe lui en ap- fait elle, t que Tespee est apielee par son droit non Esca- prend le nom, libor. » « Ore demandés, » fait il, « chou qu'il vous Escaiibor, et lui plaira, car je le vous donrai, se je le puis faire.» « Je vous '"•^'^'^"^^ ^^ °" demanc, » fait elle, « la teste [de] la demoisiele qui celé j^j^. c'est la tête espee aporta chaiens ou dou chevalier qui Fa. Et savés ou de la demoi- vous, » fait elle, a pour coi je demanc si miervilleusdon? seiie qui a appor- Sachiés que chis chevaliers ochist un mien frère preu- ^^ ^'*^p'"'*^ °^ ^^ domme et boin chevalier, et ceste damoisiele fist mon *^^^^^'^'' ^^\ ^
' détachée, qu'elle
père occhire. Pour chou si vaurroie volentiers estre ven- ^^-^^ comme
gie ou de Fun U de Fautre. » meurtriers, l'une
de son père, l'au- tre de son frère.
VOUANT li rois entent ceste demande, il se traist ar- ^^^^ ^^^ ^^^^^, riere tous esbahis et dist : « Damoisiele, pour Dieu vous fait de cette re- pri que vous me demandés une autre chose. Car certes quCte; de cel don m'aquiteroie jou moult mauvaisement viers vous : car certes il n'est nus qui a mauvaisté ne a felenie ne le me peuust atorner, se je faisoie ochirre auchun de ces deus qui riens ne m'ont mesfait. » Et quant li cheva- mais le chevalier liers entent que la damoisiele demande son chief, il vient exilé reproche ù viers la damoisiele et li dist : « Haï damoisiele, moult la demoiselle d'a-
. , 'r 1 1 j ^ • • voir empoisonné
vous ai longement qui[se]; plus a de trois ans que je ne f.- V lui) vous final de {f. lOi ^j querre. Vous estes celé qui arsis- tes de venin mon frère. Et pour chou que je vous haoie si mortelment ne ne vous pooie trouver ochis jou vostre frère. Mais puis quMl est ensi avenu que je vous ai chi trouvée, ja mais ailleurs ne vousquerrai. »
LoRS traist Fespee du fuerre. Quant la damoisiele le cttirantrépcciui voit venir, elle s'en vaut aler fors de la sale pour escha- '^""p^ •'^ ^^^^• per des mains de chelui. Et il li dist : « Cestui mestier vous ren ge : ou lieu que vous demandastes ma teste au
une
220 MERLIN
roi, li donrai jou la vostre. » Lors fait un saut tresqu'a la damoisiele et la fiert de l'espee si durement qu'il li fait la teste voler a terre. Et lors prent Tespee et le chief et vient au roi et li dist : « Sire, or saichiés que veeschi le chief de la plus desloial demoisiele qui onques entrast en votre court. Et encore vous en avenist mains maus, se elle repairast longement en vostre court, et maint mal vous en avenissent; si vous di bien que onques si grant joie n'avint en nule terre que on fera en la terre de Nor- homberlande, si tost c'om savra la mort de li. »
Artuentredans C^UANT li rois volt cestc aventurc, si est trop coure- grande co- chiés, si respont au chevalier : « Certes, dans chevaliers,
'^^^^ vous avés (f. 102 ^) fait la gringnour vilounie que je on-
ques veisse faire a tel chevalier que je cuidoie que vous fuissie's. Ne je ne cuidaisse pas que nus chevaliers, fust estranges u privés, fust si hardis qu'il me fesist si grant honte comme vous avés fait. Car certes gringnour honte ne me peust nus faire que d^ochirre damoisiele devant moi qui estoit en mon conduit, que je dévoie garandir; car puis que elle estoit en mon ostel, ne deust elle avoir garde ne doute de nului tant l[i] euust mesfait, ains le deuust mes osteus garandir encontre tous tant comme elle fust dedens. Tés estoit la manière et la coustume de mon ostel, que vous avés enfrainte et depechie premiè- rement par vostre orgueil ; si vous di bien que se vous estiés mes frères, si vous repentirés vous de che fait. Ore wuidiés ma court vistement et aies fors. Et bien sachiés que je n^en serai gramment liés devant (vous) que chis grans orguels soit vengiés. »
Vç/UANT li chevaliers entent que li rois est si courre-
chiés de ceste chose, il s'aperchoit adont qu'il ot fait trop grant mesprison et trop grant fourfait de la damoisiele
MERLIN 22 I
ochirre voiant le roi meismes. Lors s'agenoulle devant et malgré les cx- le roi et li dist : « Haï (/"•/ 02 ^) sire, pour Dieu merchi. cuses du cheva- Je reconnois bien que je sui trop durement mesfais. ^'^'"' '' ^"' ordon-
T-k TN» 1 '1 -vi 1'^ T-^i- • ne de sortir do sa
Pour Dieu pardounes le moi, s il vous plaist. » Et li rois
r ^ '^ cour.
dist qu'il n'a talent qu'il li pardoinst. « Non, sire? Ore faites tant de courtoisie a tout le mains, pour chou que a vostre court sui venus, que je aie trives de vous et de vos hommes. » « Ciertes, » fait li rois^ « non avérés, ains leurpri et requier qu'il facent tant que ceste honte soit vengie ; car aussi perdent il comme jou faich. Car quant vous ne pour moi ne pour eus n'en laissastes riens, si poons bien dire que petit nous prisastes, quant pour l'onnour de nous ne pour doutance n'en laissastes vous vostre felounie a faire. Et aies de chi, que vous n'en tro- verés en moi autre chose a ceste fie. »
V/UANT li chevaliers entent qu'il n'i prendra plus ne [ne] porra mierchi trouver de son mesfait, il se lieve de de- vant le roi et se part de sa court et s'en vient a son ostel. Et toutes voies s'em porte avoec lui le cief de la damoi- siele. Et quant il est a son ostel venus, il trueve son es- Le chevalier, cuiier et li dist : « Veschi le cief de la damoisiele que '"^'"'"^ ^^^^^ '"*'
., • • 1 ^ • rr-^ 1 ^ r- T dit à son écuyer
1 avoie si longement quise. » « Et ou le trouvastersl ,..
-..,__.,,. -^ qu il compte a-
vous? )) fait cil. Et il 11 conte erramment comment elle priser Artu eu s'estoit venue devant le roi et comment (/. 102 ^) elle lui rendant mort avoit demandé son chicf, et il dist outreemcnt tout chou o" ^'^ ^o" ^""'-'- qui estoit avenu et le rcsponse le roi et le département '"' ''^ '^^ ^'°"' de la court. Lors commcncha li variés a plourer trop du- rement et dist a son signour : « Hal sire, mal avés es- ploitié, quant vous avés par vostre fourfait le compaignie de la court et l'acointancc del roi perdue pour ceste da- moisiele. Mal fust elle onqucs née! » « Ore ne t'esmaie,» fait il, « que se j'ai par mon forfait [tant] fait que j'ai perdu la compaignie dou roi, je ferai prochainnement, se Dieu plaist, qu'il sera (prochainnement) apaisiés a moi, se nus
222 MERLIN
frans chevaliers se puet apaisier pour prouece qui en honme peust estre. » « Et qu'en baés vous a faire? » fait li escuiicrs. « Je bee,» fait li chevaliers, «que li aporte la teste dou plus mortel anemi et de chelui que il redoute plus orendroit, ou que je li envoie tout vif en sa prison.» a Et qui est cil? » fait li escuiiers. « Che est, » fait il, a li rois Rions, li plus poissans hom que je saiche oren- droit cl monde fors seulement le roi Artu(s). Et tout soit il ore moult poissans, si le cuic je amener a l'aide de Dieu a la merchi le roi Artu(s). Et che sera une chose pour coi je deveroie bien trouver pais enviers le roi [J, 102 ^) Ar- tu(s), se ja mais la dévoie trover. » « Ore vous en doinst Dieus pooir, » fait li variés ; « car certes je désir moult que il aviegne si conme vous Tavés dit. » « Je te dirai voirement, » fait li chevaliers, « que tu feras. Tu te par- II l'envoie en tiras de moi et t'en iras ou roiame de Norhomberlande Norhomberiande g^ q^ porteras avoec toi la teste de la damoisiele, et la
annoncer la vcn- , ^ . , ^ ' vi ^ r^^i - \
ecance u'i f é présenteras a mes amis la ou tu ses qu'il sont. Etlor(s) de celle qui avait porras dire que ensi m'en sui vengiés de celé qui mon tu(i son frère, frcfc ochist et en tel lieu ou il avoit plenté des millours chevaliers del monde. » Chil dist que tout cel message fera il bien, mais il demande comment il le porra trou- ver au revenir. « Je cuic, » fait il, « que tu me troveras en la court le roi Artu(s). Car ains que tu reviegnes avrai jou, se Diu plaist, faite ma pais viers le roi. »
et il part, ayant LoRs prent ses armes, si monte en son cheval et àsaceinturedeux ^^^^^^^ y^ .-j ^^ ^^ j^ damolsicle dejoustc cele k'il
épées, la sienne .,.,., , ^ » t-
et celle qu'il vient po^toit devant, SI qu'il en ot deus a son coste. Et prent
de conquérir. un escu et une glaive gros[se] et fort et se part de la ville
et s'adrece cele part ou il cuidoit que li rois Rions fust a
tout son ost, et li escuiiers s'en rêvait d'autre part en
son commandement.
1
MERLTN 223
(f. 104^)^ ^ -Ct si te mousterrai comment il est. Voirs Merlin raconte est que elle a un frère moult boin chevalier, preu et ^ ^'"^^ ^"^ '''^ ''e- hardi, assés plus iovene que elle n'est. Et ceste damoi- "'"'"'^"'^ -i"' -^
. , . ^ ' ... , u 1- 1 apporté rcpce à
siele, SI comme je le sai bien, a ame un chevalier le ^a ceinture avait plus desloial et le plus félon qui soit ou roiaume de un amant que son Logres. Ore avint puis que li chevaliers qui frères estoit f^'^'e (îi tiie) a a celé damoisiele encontra par aventure chelui que elle ^""^ ^"^"^ ^''•""
-, , , . vcnaer, clic s'est
amoit. Il s entrecoururent sus et tant se combatirent ,, ■ - , ^
adressée a la da-
ensamble que li frères ochist l'ami a la damoisiele. Dont me de nie d^A- elle ot si grant duel que (jamais) elle dist que ja mais vallon; cciic-ci ne seroit aise devant que elle avroit pourcachiet la mort '"^ ^ attaché l'é- de son frère. Elle estoit moult bien de la dame de l'isle P''' ^" '"irisant
... . Il t , ,. *iue celui qui la
d Avalon , se h pria tant qu elle le vengeast de son frère détacherait la
qui son ami li avoit ochis, et elle dist que elle l'en feroit vengerait de son
aide ; et maintenant le chainst de l'espee que elle aporta fi^^'e:
en ceste court et dist a li : « Il convient que chis qui
« ceste espee deschaindra soit li mieudres chevaliers de sa
« contrée et li plus loiaus et sans toute trecherie. Or le
(( quiertantque tule truises. Et saches quechiusqui t'en
a deliverra metera ton frère a mort par force de chevale-
« rie ; et ensi t^en vengera il de chou dont tu iés plus
« courechie. »
Cnsi rechiut ceste desloiaus demisiele Y^s-ff. 104 ^J
I. Le fol. I o3 manque dans le manuscrit. Voici en bref, d'après Malory (l. Il, c. 4}, ce qui y était raconté : Un chevalier d'Irlande, appelé Lanceor, demande et obtient d'Artu la permission de sui- vre le chevalier exilé pour le punir de l'affront qu'il a fait au roi. Merlin arrive, et explique ce qui vient de se passer : la demoiselle qui a apporté Vépée attachée à sa ceinture (et qui est encore de- vant le roi) est la plus perfide qui ait jamais existé. Le discours de Merlin continue par les premiers mots du fol. 104, qui corn- mencent cet alinéa
2 24 MERLIN
pee pour chou que ses frères en recheust mort, et si fera et c'est ce qui ar- [{^ car [[ en sera ochis assés prochainnement. Et si n'a- rivcra en effet; ^^^^^ ^^ ^^^^^ ^^ ^^j^ ^^^j ^^^ a son frère, ains en
mais de cette i- ., , . . . . . f
jMîe pc^riront le* "^orront Cil dui que je connois vraiement qui sont li deux meilleurs millor chevalier dou roiaume de Logres. Ore esgardés chevaliers du ro- com grant dolour averra par l'esmeute de li. Certes il me yaumc. samble et si est voirs que elle euust mieus deservi mort
que celé qui orendroit morut ichi.» « En non Diu, Mer- lins, » fait li rois, « vous dites voir. Car il me samble qu'elle morut par trop grant desraison. » Et quant la damoisiele entent que li rois s'acorde a Merlin, elle ne La demoiselle demeure plus en la court, ains s'en vait grant oirre fors s'en va. Je laieus. Et li rois dist a Merlin :
a Merlins, que porra on faire del chevalier qui tant a ma court desprisie que pour moi (et) ne pour tous chiaus qui i estoient ne laissa qu'il n'ocheist la damoisiele voiant nous tous? » « Ha! sire, » fait Merlin, « ne parlés ja de sa mort. Certes c^est damages qu'il ne doit durer longuement, car a merveilles est preudom et boins che- valiers. Et saichiés que ces dis ans ne morra nus cheva- liers en votre court de cuî vous plaingniés autant sa mort comme de cestui quant vous savrés qu'ifl] sera dé- viés. Pour chou vous pri jou pour (f, 104 <^) Dieu, sire, que vous cestui mesfait li pardoingniés. Que bien saiciés qu'il est teuls hom a cui on (le) doit bien pardonner un grant mesfait. Et certes se vous le connissiés aussi bien com je le connois, vous vous en repentiriés seulement de chou que vous li avés dit. Et a vous, signeur baron, qui li savés mal gré de che mesfait, je vous pri que vous n'aiiés plus enviers lui maie volenté. Car bien saichiés que il (l)amendera hautement cestui mesfait a la court ains brief terme. Et bien mousterra qu'il deveroit mieus avoir Tespce que nus qui ore soit en vie. » « Hal Mer- lins, » fait li rois, « il me samble que vous le connissiés
ai d cc'.ut
;!ge pour 1^
MERLIN 2 2D
bien. Pour Dieu dites moi qui il est? » « Je vous [di], »
fait Merlins, « (di) qu'il a a nonBalaain[s] li sauvages, et ^:c^;;u a-
est, che sai ge bien, li millours chevaliers dou monde, -'^^ 'o^^-'ioi
par coi je le plains. Car sa mors verra anchois qu'il ne
fust mestiers au roiaume de Logres. » i-,ai"aai:i w. Sau-
Aage : ^a mort
prochain-,.- sera
VOUANT 11 baron entendent che que Merlins dist, il se "' refraingnent tout de[l] maltalent qu'il avoient devant au '^'' chevalier, et prient chascuns pour lui et dient que nostre " sire le conduie en quel lieu qu'il voise. Et li rois meismes n'en est mie si maltalentis come il estoit devant, car il creoit Merlin de canques il {/'. 104 ^J disoit; si ' vaurroit ore qu'il n'eust mie parlet au chevalier si tele- nessement comme il parla. « Ha! rois, » fait Merlins, « chou est a tart que tu soies de li percheus. Sachiés qu'il ne te feraja mais courtoisie ne compaignie se petit non : che est damages. » Et ensi parole li uns et li autres del chevalier. Et li rois dist a Merlin : « Merlins, que medi- M^i'inannooLt; tes vous dou roi Rion ? Me porra il nuire de noient? » '\'^'^^i^ '^,'" '^'' « Chevauche, roi, asseur, » fait Merlins, « que nostre sires ^Ji^jon. te fera assés gringnour honnour que tu ne cuides, ne il ne t^a pas mis en la hauteche ou tu iés pour si tost faire tresbuchier. Pour chou ne t'esmaiier, car il te secourra en tous lieus, se che n'est par vo defaute 2. » Ensi parole Merlins au roi et le chasiie del chevalier. Et li rois li respont qu'il se repent moult de chou qu'il li a dit. Mais a tant laisse ore li contes a parler [d'aus] et retorne au chevalier d'Irlande ensi comme il est partis de son ostel.
O,
're dist li contes que quant li (/. io5 ^) chevaliers ^^'P>^"J'"'« '^ se fu partis de son hostiel ensi armés comm.e il estoit, il '^'"')'"^' '
. r '''"^^ atteint Ha-
chevaucha et issi fors de la ville et trouva les esclos dou i,,i,i ^i 1^ j,.i,^
qui — 2. dcfaiic
2'iO MERLIN
chevalier qui devant lui s'en aloit. Et neporquant il ne le connissoit mie très bien. Mais aventure le mist en chelui meisme chemin ou il aloit. Tant chevaucha en tel manière le grant aleure qu'il ataint au pié d'une montai- gne le chevalier qu'il aloit querant. Il li crie de si loins com il cuide qu'il le puistoir: « Dans chevaliers, tornés cha cestui escu, u je vous ferrai par derrière, si arois gringnour honte. »
ijaiaaiu icco.n- "^ ^^" paroles sc regard e Balaain[s] etconnoist que bat à ro-ret et !c joustcT le Convient erramment, se li a dit si haut que chis ^^<^- le puet bien entendre : « Chevaliers, anchois que tu jous-
tes a moi, di moi a cui tu iés. » Et cil respont : « Je sui au roi Artu(s) qui cha m'envoia pour ton damage. Je te desfi, et te garde de moi, car a jouster te convient. » Et cil respont : « Certes, che poise moi que tu iés a lui. Car se je t'ochi, or serai je plus coupables a lui que je n'estoie devant, et si mêlerai en tel manière mesfait seur mes- fait. » Lors li adrece le cheval et joint l'escu encontre son pis, [et] baisse la glaive. Et cil li vint de si grant oirre comme il pooit de cheval traire, se li perce l'escu et brise li la glaive en mié le pis, mais de la sele ne le re- mue. Et li chevaliers le fiert si durement qu'il li perce {/. io5 ^) l'escu et li ront les mailles dou hauberc et li met parmi le cors la glave si que li fers a tout grant par- tie del fust apparut de l'autre part. Il vint de grant for- che, si Fempaint a terre par desus la crupe dou cheval. Et au retraire qu'il fait de la glaive se taist cil qui sent la destrece de la mort. Et cil fait outre son poindre, et re- torne maintenant, et traist l'espee ; car il ne cuidoit pas encore que li chevaliers fust mors. Et quant il est venus seur lui et il a un peu demouré, il voit tout entour lui la terre qui estoil toute couverte de son sanc. Et lors s'a- perchiut il bien qu'il est mors, si l'em poise très dure- ment pour chou que de la maison le roi Artu(s) estoit. Il
MERLIN 227
commenche a penser que il porra faire ; car volentiers li
fesist auchune hounour, se il peust. Et en chou qu'il
pensoit en tel manière, a tant es vous une damoisiele qui L'amie du chc-
venoit celé part si grant oirre conme elle puet chevaucier. vaiicr d'Irlande
Et quant elle fu venue tresque la ou li chevaliers eisoit, ^"'"^^'^"^ ^^ '^
,, j ^ ,, ... . voyant mort se
elle descent erramment ; car elle ne cuidoit encore ïTiie^^^g^j.gQj^ ^
quUl fust mors. Mais quant elle le connoist et aperçoit,
(f, io5 ^) elle commenche a faire un duel si grant que
cil qui la regarde dist bien qu'il ne vit onques autre tel.
Celé se pasme et repasme. Et quant elle est a chief de
pieche revenue de pasmison et elle a pooir de parler, elle
dist a Balaain : « Ha ! sire, deus cuers avés ochis en un
et deus cors en un, et deus âmes ferés perdre pour une. »
Lors prent l'espee au chevalier et le traist dou fuerre et
dist : a Amis, après vous me convient aler. Car il me
samble bien que j'aie trop demouré de la mort; se elle
fust aussi douce conme ceste me samble, onques gens ne
morussent si a aise conme nous fesissons. » Lors se fiert
de l'espee par mi le pis si durement qu'elle se met la pointe
par mi le cuer. Et lors se tient près dou chevalier, ne
onques Balaains, qui l'espee li voloit oster des mains
quant il vit que elle se voloit occhirre, ne se puet si has-
ter que elle ne s'en fust férue ' anchois.
Os
UANT il voit ceste aventure, il ne set que dire; car il est si durement esbahis qu'il ne set s'il dort ou s^il veille. Car il ne vit onques ou siècle chose dont il s'cs- mervillast autant conme il fait de ceste, si dist que loiau- ment amoit la damoisiele et que il ne cui (f. io5 '^j doit pas que en cuer de fcme peust entrer amour (de femme) si vraie. Endemeniiers qu'il rcgardoit a ceste chose, que il pensoit que il porroit faire de Tun et de Tautrc, car il- luec ne les baoit il pas a laissier, il regarde vicrs la foricst
I. furuc
228 MERLIN
et en voit issir Balaa(i)n son frère armé de toutes armeu-
res, ne n^amenoit avoec soi en sa compaignie fors que un
Baïaain voit scul escuiier. Quant il le voit venir, il 11 vait a l'encontre
arriver son frère q^ jj ^rie que bien soit il venus. Cil qui l'entent le con-
aiaan , qu il j^jg^^jf p^j, j^g gj-mes qu'il avoit autre fois veues. Si tost
croyait en prison. . ....
comme il le reconnoist, il gieta son hyaume fors de sa teste, et lors le veissiés plourer de joie et de pitié, et li dist : « Ha ! frère, je ne vous cuidai ja mais veoir. Par quel aventure estes vous délivrés de la dolereuse prison ou vous estiés? » Et il respont que la fille le roi meismes l'en délivra, et se elle ne fust, encore i demourast il. a Mais quel aventure, » fait il, « vous amenoit cha? » « Certes, Balaains', on me dist au chastiel de[s] quatre perrieres que vous estiés délivrés, et que on vous avoit veut a la cour le roi Artus. Et pour chou venoie je cha si grant oirre que je vous i cuidoie trouver. Or me dites se vous i avés esté. » Il dist (f. io6 ^) que il en vint tout Il lui raconte orendroit. « Et pour coi vous em partistes vous? » Et il ses aventures. \{ conte tout ' maintenant tout chou qu'il a veu et de le court et de l'espee et de la damoisiele qu'il ochist, pour coi il s'est si tost partis de court ; car autrement il de- mourast gramment avoec la compaignie des autres preu- dommes ; et puis encore que il s'en départi li est il si mescheat qu'il a cest chevalier ochis : che poise li moult durement. « Et de ceste damoisiele, » fait il, a comment est elle morte? » Et il li conte erraument. Lors li res- pont Balaa(i)ns que loialment amoit la damoisiele, et pour la loiauté qui estoit en li ne faudra il jamais damoisiele qui d'aide le requière. « Et de ces cors, frère Balaain, qu'en porrons nous faire? » Et il li dist que il n'i set mè- tre conseil, se Dieus li ait.
I. balaam — 2. tant
i
MERLIN 229
Ènsi comme il estoient en ceste parole, atant es vous Aniveun nain un nain qui de la chité estoit issus et venoit si grant oirre comme il pooit del cheval traire. Et quant il est venus dessus ' les cors et il les reconnoist, il commenche a faire trop grant duel et detirer ses cheviaus et debatre ses paumes ensamble. Et quant il a cel duel assés mené, il demande as deus chevaliers : « Dites moi li quels de vous deus occhist cest homme.» Et Balaains ^ respont : o Por if . 106 ^) coi le demandes tu? » « Pour che, » fait, « que je le voel savoir. » « Et je te di, » fait il, « que je Tochis, mais che fu sour moi desfendant, ne onques ne m'en fu biel, se Dieus m'ait, ains m'en pesa et poise en- core. » « Et de ceste damoisiele, » fait li nains, « me re- dites la vérité, puis que vous del chevalier le m^avés dite. » Et il li conte erramment tout chou que il en avoit veu, et comment la damoisiele meismes s'ochist pour l'amour del chevalier. « Certes, » fait li nains, a se elle le fist, che n'est mie grant merveille; car li chevaliers es- toit uns des vaillans chevaliers del monde; et esloit lieus de roi. Et bien saichiés que en chou que vous l'avés qui prédit à Ba- ochis avés vostre mort pourcachie. Car il est de si boine 'aainquciomcur-
, . ... , ,. r ,^. tre du chevalier
eent et estrais de si vaillant chevaher que nus tors Dieus j,, , . , «
° _ ^ ^ ^ d Irlande lui cou-
ne vous porroit garandir que vous n'en morussiés si tost icraiavic. comme la vérités en sera ja contée de sa mort a son pa- renté; car il vous querront anchois par tout le monde qu'il ne vous trouvaissent. p a Or ne sai, » fait li cheva- liers, « qu'il en averra, mais il m'en poise, non mie pour doutance que j'aie de ses parens, mais pour l'amour le roi Artu(s) qui chevaliers il estoit. »
I. dessus venus— 2. balaams
23o
MERLIN
Arrive le roi Cndementiers quc li dui chevalier parloient ensi au
Marc, qui épousa ^ain issi fors de la forest li rois Mars, f/. loô*^) qui
epuis scut . 1 j^ ^^ ^ ^^^g Yseut la blonde, si comme chis contes
se rend chez son '^ '
suzerain Artu ; mcismes devisera apertement pour chou que conter i con- vient pour une aventure dont li Graa[u]s parole. Li rois Mars avoit adont esté couronnés nouvielement, ne n'a- voit pas d'aage plus de dis et set ans, et aloit au roi Artu(s) pour lui aidier de sa guerre, car toute sa terre estoit sou- gite au roiame de Logres. Quant il fu venus la ou li dui cors gisoient a la terre et il en sot la vérité ensi comme li dui frère li contèrent, il dist qu'il n'avoit onques mais oi parler de damoisiele qui si loiaument amast : pour Tamour et pour la loiauté de li fera (fera) il hounour a l'un et a l'autre.
apprenant l'aven- LoRS Commanda que toute sa maisnie descendist, et tare du chevalier il le firent errammeut. Et il dist : « Je voel querre par d'Irlande et de cest(e) pais une tombe la plus biele et la plus riche que on
son amie, . , /< i / i i
porroit trover, et le fach on cha aporter au plus tost que on porra, car bien saciés que je sui cil qui ja mais ne me remuerai de ceste place devant qu'il soient enterré en- samble en tel lieu meisme ou il rechurent mort. » Quant cil oirent ceste parole, il commenchierent a querre par le pais et jus et sus, et tant qu'il trouvèrent (f. 160'^) en une église une tele comme li rois demandoit. Il la firent aporter la ou li rois estoit, qui avoit ja fait tendre son pa- villon en la place, comme cil qui ne se voloit pas remuer devant chou qu^il euust fait chou qu'il baoit a faire. il leur fait faire Quant il vit que la tombe fu aportee, il fist mètre les cors une tombe, avec ^^ ^gj.j.g ^55^5 richement et la tombe dessus. Et fist en- une mscnption ^g^-jjjgj. ^^ pj^ jg j^^ tombe desus lettres qui disoient :
qui dit que la git ^ j r ?• •
Lancer, fils du roi Chi gtst Lancer y fins au roi d'Irlande, et datés li gist d'Irlande. Mer- Lionc s'amtc, qui pour le duel de li s'ochist si tost conme
MERLIN 23 1
elle le vit mort. Li rois fist mètre au gros chief de la lin, en ngurc de tombe une crois de fust biele et riche, car assés i avoit ^''^'"' <^^"t «ur or et argent et pierre de déverses manières. Et en chou J;^ ^Q"^"^*^ ^"''-'" "
,.,,..., . ,# ,. . , '"2" combattront
qu il se voioit partir, il avint que Merlins vint celé part jes deux plus
en samblance d'un fort vilain, et commencha a escrire au loyaux amants
cief de la tombe lettres d'or qui disoient : En ceste du monde, Lan
place assambleront a bataille li dui plus loial amant que ''^^^^ ^"^ ^^^ ^^
a lour tans soient. Et sera celé bataille la plus mîervil-
leuse qui devant eus ait esté ne qui après celé soit sans
mort d'oume. Et quant il a che fait et il a bien regardé
le brief, il commencha a escrire en mi lieu de la tombe
et escrit ff. loj ^J deus nous, et estoit li uns des nons
Lanscelot dou lac et li autres Tristrans. Et quant il a
che fait, li rois qui regarde l'euvre s'esmerveille trop de
chou que uns vilains si rudes puet che faire, si li demande
qui il est. « Rois, » fait Merlins, « che ne te dirai je pas,
mais tu le savras encore a icel jour que Tristrans li loiaus
sera pris avocc s'amie, et dont te dira on teuls nouvielles
de moi qui te desplairont. »
LoRS dist a Balaain * : a Sire chevaliers , occoisons de grant dolour, pour coi souffris que ceste damoisiele s'ochist? » « Je ne me poc, » fait cil, « si haster que ele ne se fust ochise ains que je li peusse oster Tespee de la main.» « Tu ne seras mie si lens, » fait Merlins, « comme Merlin prédit tu fus chi, quant tu ferras le dolereus cop par coi troi ^ Baïaam qu'il
^ , ^ • 1 • .. .. j frappera le dou-
roiame en seront a povrete et en essil vint et deus ans. ,
^ lourcux coup qui
Et saces que onques si dolereus ne si lais ne fu fais par causera pendant un homme ne n^iert comme chis cops sera, car toutes 22 ansia détresse dolours et toutes misères en averront; si m'est avis que '''^ ^""«'s royau- nous avons recouvré en toi Evain notre mère : car tout '^" ^^ blessera
, ..11 ^ 1 le plus saint
aussi conme par ses oevres avint la grant dolour et la ^ "^ ^ . ..
• ^ homme qui soit
grant misère que nous tout comparons et es painnes m, monde. I. balaam
232 MERLIN
sommes de jour en jour, aussi seront [c]il de trois roiames en povreté et (/*. loy ^) en escil par lecop que tu ferras. Et tout aussi comme il avoit desfens del ' dolereus fruit a mengier, et ensi a il desfens' del haut maistre meismes de che faire que tu feras. Si n'averra mie caste dolour pour chou que tu ne soies li mieudres chevaliers qui orendroit soit el monde, mais por chou que tu trespas- seras le commandement que nus ne doit (ne doit) trespas- ser, et mehaingneras ^ le plus preudomme viers nostre Signeur qui orendroit soit el monde. Et se tu savoies comme cest[e] dolours sera grans et comme elle sera chie- rement comparée, tu diroies que uns seuls hom ne fist onques si grant dolour en terre comme tu i meteras, si sera encore tele eure que tu vaurroies mieus estre mors que tu eusses cel cop féru. » Lors demande li chevaliers qui il est qui ensi devise de lui les choses qui sont a avenir. Et Merlins respont : « Tu nel savras pas ore a ceste fois ; mais qui que je soie, il t'averra. » Et Balaains respont : « Ja Dieus ne le voelle que tu dies voir de ceste chose. Et se je cuidoie que si dolereuse chose avenist par moi comme tu devises, je m'ochiroie anchois que ne t'en fesisse menteour, et j'aroie droit de che faire; car mieus vaurroit ma mors que ma vie. »
(f. 107 ^) Apriès chou qu'il ot parlet ne demoura
plus Merlins, ainss'en ala d'autre part si soutilment * que
li rois Mars ne li autre qui la estoient ne sorent que il
fu devenus. N'il n'ot mie granment aie quant ilencontra
Biaise. Il li vient a l'encontre et li fait joie grant et
Merlin s'éioi- miervilleuse et il li dist : « Biaises, bien soiiés vous venus.
gne; il rencontre Ore m'aquiterai jou de chou que je vous ai pramis en
Bia.se et •"» ^it j^Qj.j^Qj^^gj.|^j^jg ^^^ y^-^ ^^^^^ pcnsé Comment vous
d'aller l'atteudrc ., ,•/-.,/ r^
àCamaiaot. peussies mener vo livre a fin. Aies vous ent en Cama- I . desfendu les — 2. desfendu — 3. menchongneras — 4 seulement
MERLIN 233
lahot et illuec m'atendés. Et quant je revenrai de la honte le roi Rion et de ^ veoir le mescheant chevalier comment il se provera en ceste grant bataille ^..» Lors li demande Biaises quant il cuide revenir. « Dedens un mois, » fait il, « m'avras tu. Et ses tu ou tu me trouveras? Dedens Camalaoth meismes. » Et Biaises se part mainte- nant de Merlin, si que li uns s'en va d'une part et li autres d'autre. Mais ore laisse li contes a parler de Mer- lin et de Biaise et retorne a Balaa[ijn et a son frère.
if. 107 ^j Ure dist li contes que quant che vint au Marc se sépare départir, que li dui frère tornerent d'une part pour aler ^^^ deux frcrcs; a Tost le roi Rion, et li rois Mars torna viers la chité. Li ^'"^ ^'^'^"^ ^"^
, , 1 ,. T-. T> , .X • Balaain s appelle
rois demande au chevalier son non. Et Balaafmis, qui ne j^ chevalier aux voultpas que ses frères soit conneus, dist au roi : « Sire, deuxcpées. bien le poés savoir. Les deus espees qu'il porte sont senefience de son non. Si saichiés que quant vous orrés parler du chevalier as deus espees, che ert de lui. » Et li rois respont que bien doit avoir cestui non, puis que il porte les deus espees.
Atant se partirent li un des autres. Et li dui cheva- Les deux frères lier s'en alerent droit vers Tost le roi Rion. Si n'orent marchant contre
.1, ...i •• xK \' -î Rion rencontrent
pas eramment aie quant il aconsivirent Merlin qui s en .. ,.
^ , *■ ^ . Merlin sous une
aloit le chemin a pié, mais en autre samblance cstoit nouvelle forme. qu'il n'estoit adont quant il parla a eus a l'autre fois. 11 n leur donne le s'arresta a eus et lour dist : « Ou aies vous ?» « A toi moyen de sur- qu'en affiert ? » fait Bal[a]ain| si. « Que nous porroit il va- f""'"'^'"*^ ^ '^ ""''
, . , ,. . T. • , • r . le roi Rion peu
loir, se nous le te disons ?» « Il vous porroit bien, » fait ^ ,„.,,
' ^ ^ . accompagne.
Merlins, « tant valoir que se vous voliés et osiés entre- prendre chou que je vous diroie, onques a deus cheva- liers [n'Javint autant d'où (/. 108 ^) nour conmc il vous
I. ve — 2. Lacune
234 MERLIN
aver[rJoit ains demain le jour, que vous porriés en ceste nuit venir a chief de chou que vous aies querant, et conquerre si grant hounour qu'il en seroit parlet a tous jours mais. » Et Balaain[s] li demanda pour lui essaiier : « Et que ses tu que nous alons querant? » « Je sai, » fait il, a que vous aies querant le damage au roi Rion de tous vos pooirs. Mais canques vous pensés a faire ne vous vaurra autant comme chou que je vous ensegnerai, se vous avés hardement dou faire. Et saichiés que vous le porre's legierement mener a chief par la proueche de vous deus, se cuers ne vous faut. »
VOUANT il oirent (fait) ceste parole, il s'en esbahissent tout, se li respondent : « Ore nous ensegne comment nous porrons conquerre si grant hounour comme tu nous dis. Et se nous voions qu'il puist avenir, nous le ferons tout ensi comme tu le nous ensegneras. » « Et je vous ferai, » fait il, « entendre chou que je vous di.
a kJre saiciés que li rois Rions, qui chi près est herbe- giés a tout son est, a pris un parlement de venir a nuit gésir avoec la feme le duc {/. io8 ^) des Vaus; si saichiés qu'il s'en partira de son ost pour venir au chastiel ou la dame demeure. Si tost comme il sera anuitié verra, en sa compaignie quarante chevaliers, dont li un seront armé et li autre desarmé. Et par mi celle terre verra il armés d'unes armes vermeilles et montés seur le grin- gneur cheval de toute sa compaignie : a ches ensegnes le porrés vous connoistre. Ceste chose vous ai je descou- verte pour chou que se vous avés cuer et hardement d'entreprendre a desconfire le roi, je vous connois ambe- deus a si preudommes que je sai bien que vous en avérés le pooir, se cuer ne vous faillent. Ne onques mais n'avint si grant hounour deus chevaliers conme il vous averra ;
MERLIN 235
Car bien sachiés que vous retenrés le roi tout pris en tel manière que vous l'em porrés enmener en la prison le roi Artu(s) ou en autre lieu s'il vous plaist. »
VOUANT il entendent ceste parole, il en sont assés plus liet que devant, si dient a Merlin : « Comment te querrons nous de ceste chose? Car se nous savons que che puet estre vérités, nous ne lairiesmes por tout che roiarae que nous ne li (fuis) {f. io8 <^) fuissiemes a ren- contre. » « Je vous dirai, » fait Merlins, « que je vous ferai. Je m'en irai avoec vous dusques a tant que je vous avrai mis en la voie par ou li rois verra. Por chou que vous soiiés plus asseur de moi que de ma parole, je demourrai avoec vous tant que je vous aie moustré le roi et sa compaignie. » Et il dient que en tel manière iront il avoec lui ; car se il les voloit dechevoir ne mètre en nul péril, che seroit cil qui tout au commencement s'en repentiroit, car il en morroit tous premiers. « N'aiiés doutance, » fait Merlins, « car se Dieus me consaut, ja par moi ne vous verra maus ne a chevalier qui au roi Artu(s) voelle aidier ; car sans faille che est li hom el monde que je vaurroie orendroit plus son essaucement. »
Qy
_UANT il entendent che que Merlins lour ot dit, il respondent : « Puis que chou veuls faire que tu avoecques nous verras, et nous ferons a no pooir chou que tu nous amonnestes. Mais s'il ensi est que li rois n'i viegne et que tu nous dies menchoigne de ta parole, saces que nous t'ochirrons. » « Je voel, » fait il, « que vous m'ochiés se li rois n'i vient. Mais se vous perdes par vos mauvaistés a lui prendre, je ne voel mie que {J. io8^) mal m'en avie- gne. Ore alons dont ensamble, » fait Merlins; si acueil- lent maintenant leur chemin, tant que il vinrent en une montaigne, li dui a cheval et li tiers a pic. Et se il li pleust,
236 MERLIN
li uns des deus frères l'euust mis sour son cheval, mais il ne vaut, ains dist que il iroit a piet a celé fie.
II les cache £nsi acueillircnt lor chemin tant qu'il vinrent en ***T ^"/^'î"^* une grant montaigne et la ou il avoit grant plenté d'ar- tendre. ^^^^* ^^ Merlins les mainne desous les arbres et lor dist :
« Ichi remanrés et demourrés tant que li rois viegneceste voie. Et aaisiés ces chevaus et vous meismes, se vous le poés faire. » Et il descendent erraument, si ostent a lour chevaus lour frains et les laissent paistre, si s'aaisent de tant conme il pueent, mais che fu poi, car il n'orent la nuit ne a boire ne a mengier.
tNsr attendirent desous les arbres tant que la nuis fu venue. Et Merlins estoit avoec iaus toutes voies et parloit a eus de mainte chose pour iaus reconforter. Et maintes fois li demandèrent qui il estoit. Et Merlins leur disoit : « Uns hom sui teuls comme vous poés veoir. A vous {f, log ^) k'en apartient del demander, mais que je vous face veoir chou que je vous ai pramis? » Et il li dient que il ne li demandent plus. Et Balaains dist toutes voies a Merlin : a II ne me samble pas que voussoiiés preudom, quant vous ne vous osés nonmer. » a Quels que je soie, » fait Merlins, a je vous di qu'il sera plus parlé de mon sens apriès ma mort qu'il ne sera de vostre prouece. Et si estes vous uns des boins chevaliers dou monde et des hardis. »
tNsi parloient entre eus trois ensamble de moult de choses. Et quant la lune ' fu levée biele et (et) clere, Merlins dist as deus frères : « Apparilliés vous, car
1. la biele
MERLIN 287
li rois aproce. » En chou qu'il disoit celé parole, il voient par devant eus passer seur un grand destrier un escuiier tout seul qui s'en aloit si grant oirre comme il pooit dou cheval traire. Et li chevaliers as deus espees demande a Merlin : « Ses tu qui chis est qui chi s"'en va si grant oirre? » a Oil, » fait Merlins, « c'est li messages le roi qui s'en vait devant pour dire a la feme le duc que li rois i vient. Ore vous apparilliés, car il ne demourra mie gran- ment ; et pour Dieu, se vous onques fustes boins cheva- liers, si le monstres a ceste fie; car certes vous poés ichi conquerre hounourqui ja mais (f. log ^) ne vous faurra. Et se cuers vous faut ' que couardise se puisse embatre en vous, saichiés que nule riens ne vous porroit garandir que vous ne fuissiés ochis et detrenchié(s). Car cil qui avoec le roi vienent ne sont mie si niche que il n'aient tost acon- neu se vous estes preudomme u non.
« A ceste fois vous di jou, biau signour, pour chou que vous poés a che point d'ore mètre pais ou roiame de Lo- grès et vengier le roi Artu(s) del homme dou siècle qui plus le puet nuire. Et je vous di que se ore faillies que le roi ne relingniés, jamais ne verres en si boin point. » a Ore ne vous esmaiiés, » font il; « car, se Dieu plaist, nous en verrons bien a cief. » Lors montent en leur chevaus et prendent lour escus et lour glaives, et il estoient en l'om- bre des arbres, si que cil ki par le chemin trcspassoient nés peussent pas veoir a l'ensient.
VOUANT il orent un poi esté en tel manière qu'il es- toient remonté et garni de lour escus et de lour armes et de lour glaives, si oient friente de chevaus venir qui ja avoient monté le tertre et paroient el plain de la mon-
I. fait
238 MERLIN
A la nuit ar- taigne, eî H plains duroit ' bien uit liues englesques de lé
rive en effet Rion, ^^ ^^^^ ^^ ^^^^ ^^ ^^^j^ ^^ ^^^ j^j^^ ^^^ {orestff. lOQ ^) allant à un ren- , . , ,.,,,, ^ .
dcz-vous d'à- ^^ ^^^^^ et grant qui pourprendoit le plus de la montai- mour; gue. Ensi attendent un petit après chou qu'il orent veut
venir les premiers qui au roi tenoient compaignie; et il venoient petit et petit, car li chemins par les tertres es- toit estrois pour aler a la montaigne, que il n'i pooit aler fors que uns seus chevaliers. Quant il apparut en la mon- taigne jusques a dis compaignons le roi, si se voloient laissier courre, car moult estoient désirant d'assambler a eus, et Merlins lour dist : a Attendes encore un peu tant que li rois soit venus en la montaigne, et lors le porrons sousprendre a essient; car cil qui avoec lui ver- ront seront si esbahi de legier. » Et il dient : « Pour Dieu, ne nous faites mie trop atendre longuement. » « Ne vous entremetés ja, » fait Merlins, « car je vous en dirai moult mieus le point que vous meesmes nel con- nisterés. » Et cil se tinrent tout coi après ceste parole.
il est accompa- A cief de picces, quant il porent bien estre en la mon- gné de 40 cheva- taignc trcsqu'a vint et deus chevaliers, si dist Merlins as iiers; mais les ^^^^ freres : « Vous souvient il de chou que je vous dis
deux frères rat- . . , , . .
taquent à l'im- "^^ matin et comment VOUS porries le roi connoistre?
proviste, Ore le poés connoistre apertement. Ore i parra que vous
ferés; Q.2s(f. log ^) huimais Pavés ^ vous contre vous. » A cest mot n'i atent plus li chevaliers a deus espees, et laisse courre celé part ou il voit le roi si grant oirre comme il puet del cheval traire, et li crie de loing : « Garde toi, roi ! » Et le fiert si durement qull li perche le hauberc, car escu n'avoit il point, et li met par mi le costé destre le fer de la glaive, qu'il apert de l'autre part; mais il ne la prise mie si parfont que la plaie fust mor- teuls. Il l'empaint bien, de chou qu'il vint si roidement
I. diroit — 2. les aues
I
MERLIN 2.HJ
a si grant oirre, si le porte si durement a terre que li rois est tous esquasse's au cheoir et se pasme de la grant an- goisse qu'il sent et caide morir en la plache. Et Balaans, qui voit son trere em péril, relaisse courre as autres la u il voit la gringnour presse, et avint qu'il encontra pre- mièrement le neveu le roi; il le fiert si durement de toute sa force qu'il li met par mi le cors le fier de sa glaive, si l'empaint a terre qu'il n'a pooir de soi relever; car la mors l'avoit ja souspris. Et quant chascuns des frères ot fait son cop, il metent les mains as espees et commenchent a départir grand caus et d'une part et d'au- tre, et abatent chevaliers et font tre (f. iio 'V buchier des chevaus. El tout li autre sont si esbahi des mierveilles qu'il voient que cil font qu'il cuident bien qu'il soient plus de cent; si lour est avis qu'il ne porront durer, a chou qu'il voient lour compaignons cheoir des chevaus menut et souvent. Et quant li autre, qui apriès le roi ve- noient et montoient encor la montaigne, voient la meslee commenchie et de lor compaignons les uns fuir et les autres agesirs mors et navrés, il cuident bien qu'il soient agaitiet de toute l'ost le roi Artu,si torn(e)rent erramment en fuies, et ne voient comment il se puissent eschaper, si se laissent cheoir a val la montagne, car ensi cuident il bien fuir et eschaper; mais la valee estoit si roste et si haute qu'il laissent la doutouse mort et emprendent la certainne; car nus qui a val se laisse cheoir ne la puet eskiver qu'il ne muire erraument.
Cnsi furent torné a desconfiture la rnaisnie ie roi on tuent as, et Rion, si en ot tant ochis des quarante ciievaliers que il <"it ic^ 12 au- \\ç,x\ remest en vie que douze et li ' rois seulement, et cil ^'^"^' '^"'"' ^'"" cstoient tel atorné et des plaies et des blccheures que on '^'^""''''"'• lour avoit fait que il ni ot chelui qui cust pooir de soi
240 MERLIN
relever, et gisoient aussi comme mort. Et {f. iio ^) quant li dui frère virent qu'il avoient si outreement des- confi lour anemis, il vienent au roi pour veoir s'il estoit (encore) mors, si li deslacent le hiaume et li ostent de son chiet et li abatent sacoife de fer pour recueillir le vent et pour reprendre s'alainne. Quant il ot esté une pieche en tel manière et il fu auques reposés, il giete un souspir aussi comme uns hom qui vi[e]ntdepasmisonset oevre les ieus, et il dient : « Tu iés mors sans merchi trouver, se tu ne fianches prison. » Et il lievent les espeeset font sam- blant qu'il li voellent le chief trenchier. Et quant il voit les espees nues que cil traient sour lui, il a doutance de morir, si lour dist errament : « Ha! franc chevalier, ne m'ochiés mie; vous poés plus gaaignier en ma vie que en ma mort; car de ma mort ne vous puet il nul preu venir, mais de ma vie si fait, ne il n*est riens que je ne faiche pour ma vie sauver. « « Dont nous fianchiés, » font il, < que vous ferés chou que nous vous commanderons. » Et il lour fiance. Et il l'asseurent adont, et dient que il n'a garde d'eus, car plus ne li feront mal ; si revienent as autres qui n'estoient pas encore mie moult navré, si dient qu'il estoient mort, s'il ne leur/^. iio ^J fianchent a te- nir prison la ou il commanderont. Et cil qui orent paoul' de mort le tianchenr, et lors les asseurent lui dui frère, et dient que ja plus ne les adeseront.
Merlin leur dit Cndementiers qu'il parloient de ceste chose, si de mener leurs yint a eus Mcflins et dist as deus frères : « Je voel un prisonnier^ a • pj^j-jgj. ^ vous ; tomés cha, » et il i vont. Et il lour
Artu, qui leur ,. ^ ,, 1 , •
.»nrn un «r-^v "ist '. € Il VOUS est moult faiett avenu de ceste aventure.
saura un grc e\-
trcmc d'un tel Nostre sires vous a fait moultgrand hounour, quant vous service; ils le si haut houme comme li rois est avés pris par vostre vas- tiouvcronticsoir ggjjjgg q^.^ ^q^^^ ^Jj.^j ^^g ^.^^g ferés, sc volés acquerrc
même au château ,, ,, , , • » , ^ •
. ™, . , 1 amour et 1 acordance dou roi Artu si; si mouves orcn-
dc larabel. ^ ^ ' '
droit de chi et conduisiés avoec vous jusques au chastiel
i
MERLIN 241
de Tarabel ces prisons. Et li chastiaus n^est mie loing, si vous est si bien avenu que vous trouvères le roi Artu, et je vous di que il vient anuit gésir a tout grant plenlé de son ost; et je vous di qu'il atent a demain la bataille dou roi Rion a moult très grant doutance, car on li a bien dit qu'il i a trop gringnour gent par deviers i'ost le roi Rion que il n'ait par deviers son ost; et pour chou n'est il pas orendroit asseur, ains atent la bataille C/. I/o ^) a moult grant doutanche, ne il n'a en sa com- paignie homme si hardi qu'il n'ait doute pour les nou* vieles c'on lour a aportees del grant peuple. Et pour chou que li os est ore en si grant esmai vous di je bien que vous ne porriés faire chose pour le roi Artu(s) ne li apor- ter nouvieles que autant li plaisent comme cestes feront, meismement en cestui point d'orendroit. » « Ore nous dites, » font il, « se nous i trouverons tout pour voir le roi Artu(s) la ou vous le nous ensegniés. » « Oil, » fait il; « et se vous vous hastés bien, vous trouvères qu'il ne sera pas encore couchiés quant vous verres la. « Ha ! Deus,» font il, «et tant nous seroit bien avenut, se nous le poons trouver et parler a lui, ains qu'il fust ajornés! » « Se vous i estes aussi tost comme je serai, vous i verres anchois que je le vous aie devisé(e). » Et cil dient que bien verront il dont a tans, car il i cuidc[nt] estre aussi tost comme il i sera. « Or vcnés dont tost, car je i serai pro- chainement, » fait Merlins, si se part d^eus. Et cil vien- nent au roi et a ses compaignons et lour dient : « Nous vous coumandons sour hanches que vous vous partes orendroit de chi, et alons au chastiel de (/. /// ^) Tara- bel sans repos nul; et illuec vous renderons au roi Ar- tu(s) de par nous deus. » Et lors rcspont Balaan : « Je ne voel mie de par nous deus, mais de par le chevalier as deus espees. » Et li ' rois Rions dist : « Je vous di sour ma fiance que je ne porroic en nulc manière chcvaucier que
I. il
242 MERLIN
je ne fuisse mors d'angousse anchois que je venisse tres- qu'au chastiel. Or metés conseil sour ceste chose. » Et il fonterrament une bière chevaucherece et metent le roi dedens, puis descendent de la montaigne. Et quant il sont venut au plain, si se hastent de tost aler assés plus qu'il ne lour fust mestiers, car moult estoient tuit na- vré. Neonques ne se targierent d'aler pour le roi ; car li dui frère les hastoient, si errèrent en tel manière a grant Ils y arrivent, dolour tant que il sont au chastiel venu. Et quant il vin» remettent les cap- ^^^^^ ^^ l'entrée, H doi frère remesent dehors et disent a i s au por ler j^^j^j ^^j j^ porte gardoit : « Biaus amis, vois tu chefs]
qui leur ouvre, en n r o * l j
le priant de les prisonnier[s] que nous amenons au roi Artu(s) ?Mamneles
remettre au roi. devant le roi et garde que tu n'en perdes nul. Et nous
te disons certainement que li rois n'ot piecha mais si
grant joie comme il avra de ceste aventure si tost comme
il connistera qui sont (f, m ^) li prisonnier. » Il dist
qu'il soient tout asseur, que il rendera les prisons au roi.
Et Merlins, qui s'estoit ja avanchiés, fu venus au roi, et
trouva qu'il n'estoient pas encore endormi, ains parloit
en sa cambre au roi Marc et a quatre autres barons, et
prendoit conseil de sa guerre, ne il ne Ten savoient preu
consillier, car trop redoutoient a assambler au roi Rion
pour les nouvieles qu'il avoient oies de son peuple. Et
Merlin annonce lors vient avant Merlins et dist au roi : « Rois, nouvieles
à Artu la prise t^aport et bieles et boines a toi et a tous chiaus de cest(e)
de Rion, règne, et les plus riches nouvieles qui piecha mais ave-
nissent en tout cest roiame. Saches que li plus poissans
anemis que tu aies est pris et vient a ta mierchi a estre
prisons par la plus biele aventure dont tu oisses onques
parler. »
Li rois lieve la teste et voit que c'est Merlins qui ceste nouvele li raconte. Il demande : < Di moi, Merlins, qui chis anemis est. » * Che est, » fait il, < li rois Rions, qui est pris et vient cha, si que tu le verras ja en ta sale.» Et
MERLIN 24D
li rois en est tous esbahis de ceste nouviele, car il ne puet mie croire que che soit voirs, si dist : « Puet che dont estre voirs, Merlins, que che soit avenu ensi comme tu le m'as contet? »(/./// ^; « Oil voir, » fait Merlins, c et le verras apertement anchois que on peuust avoir chevaucié une Hue englesque. Ore vien ors en celé sale entre toi et tes barons, si te contien si biele et si haute- ment et a si grant hounour, et tout cil qui avoec toi se- ront se tiennent bien cointement, si que li rois Rions en soit tous esbahis, quant il verra en ta présence. » Et quant li rois entent que ceste chose est avenue si a cierte comme Merlins li conte, il en devient tous esbahis et dist : « Ha ! Dieus, beneois soiiés vous, quant vous (a) si grant hounour me faites sans ma déserte ! x>
Lors est moult liés et moult joious, et mande par mi les osteus dou chastiel a tous ses hommes que il viegnent a lui. Et il vienent erramment si grant plenté que toute la sale en fu raemplie. Et lors ne demoura gaires après ceste chose que laiens entrèrent li douze chevalier le roi Rion qui le roi aportoient en la bière chevauceresse. Et qui est introduit, quant il entrèrent laiens, il commenchierent a faire le se dcciarc vaincu, grignour duel, et misent la bière en mi la sale tout en plorant. Et quant li rois Rions se vit entre ses barons et sot que devant lui estoit li rois Artus, il se drecha en son estant ensi cou(/. 11 1 ^jme il pooit, car moult es- toit navrés durement, et demande li quels estoit li rois Artus. Et cil de laiens li enseignicrent. Et il en vait erramment celé part, et s'agenoulle devant lui, et li dist : « Rois Artus, a toi m'envoie(i) en ta prison li chevaliers a deus espees, qui [m'a conquis] par le grignour mier- veilleque je onques veisse, a l'aide d'un seul homme, et si avoie avoec moi chevaliers quarante armés : si a tous mes hommes mors entre li et son compagnon, forsccs que vous ichi veés. Et moi meismeseuust ilochis sans repos qucrrc,
244 MERLIN
se je ne li eusse acreanté corne rois que je me meteroie ou*» treement en vostre prison. Or m'en aquite de chou que li creantai, car je me met del tout en vostre manaide, si porrés ore faire de moi canques il vous plaira, ou de Tocirre ou de laissier vivre. » Li rois respont que tel prison ne refuse il mie. Et lors vienent li autre avant et font autretel comme li rois avoil fait, et il les rechoit, moult joious de ceste aventure que Dieus li avoit envoiie. Et li rois li dist : « Sire, pour Dieu, se vous ne baés a ma mort, faites moi mètre en tel lieu ou je puisse reposer, la ou on prendera garde de moi. Et je vous di que il le convient, {f. i\2 ^y* car je sui si durement navrés que autrement ne porroie jou durer gramment sans morir, a chou que jou ai gramment de mon sanc perdu puis que et est remis aux je fui primes navrés. » Et li rois commande erramment mains des méde- qug Qfj pj-enge lui et SCS compaignons et les mèche es chambres de laiens, et leur amaint on les mirres qui de lour plaies se prengent garde. Tout ensi comme li rois le commande le firent cil de son ostel ; car il en menè- rent le roi et ses compaignons es chambres de laiens. Et lors dist li rois a Merlin : « Ses tu qui li chevaliers est qui tant de bonté m^a faite qu'il a envoie en ma prison si riche homme comme li rois estoit? » a Sire, » fait Merlins, « je le connois bien, et s'il vous plaist je le vous dirai. » « Et moult ^ me targe, » fait li rois, « que , . je le sache, et moult le désir.» « Or saichiés, » fait Mer-
Le roi, appre- * ' '
nant le nom de lin, « que che est H chevaliers qui, en vostre court et celui qui lui en- voiant VOUS mcismes, fist si grant outrage coume d'o- voie ce prison- chirre la damoisielc, dont vous vous courchastes si a lui
nier,luipardonne , . , , . ^ ^,
^ . que vous le congiastes de vostre court.» « Che me poise, ï» voir mais il est f^'^ li rois, a que je le congiai; or m'en repent, car bien loin. Merlin an- a il amendé le mesfait de la damoisiele. Ore vauroie, se nonce au roi qu'il il li plaisoit, que il revenist a court. Et se je li avoie dit va avoir à lut- ^hof/. 112 ^Jst qui desplcust, je li amenderoie tout a sa
ter contre deux j r > #
ennemis redouta- bles, le frère de i. comment
MERLIN 245
volenté. Car certes il a plus fait pour moi que chevaliers Rion, Nero, tt k morteus peust faire, ensi que je cuidoie. » « Rois, » fait beau-frère d'Ar- Merlins, « or laissiés ceste parole a tant; assés Pavés dit. ^"' '^ ^°' ^°^^^
-, 1, . • • • • d'Orkanie, furi-
Vous ne laveres em pièce mais en vostre compaignie,
' ^ ^ r o > eux parce qu'il
non par aventure ja mais. Mais pensés a une chose dont croit sou fiis il vous est orendroit mestiers. » « Ore dites, » fait li rois, Mordrcc noyé a- « car je n'en ferai nient se par vo conseil non. » « Je vec les autres vous demant, » fait Merlins, a se vous vous devésassam- ^"^^"^^■ bler as hommes le roi Rion. » « Comment dont ? » fait li rois, « ne se deveront il dont tenir en pais, puis qu'il savront lour signour en ma prison? » « Rois, » fait Mer- lins, « che saichiés vous de voir que il ne porroient en nulle manière croire que che fust vérités que vous l'eus- siés ensi en vostre prison. Et d'autre part s'il le savoient bien, si a li rois un frère, riche roi et poissant, que on apiele Nero ; et si ^ vous di que chis les fera assembler a vous et a vo gent, comment qu'il leur en doive avenir. Et pour che vous devés mètre conseil en vo(u)s affaires et garnir vous si bien encontre vos enemis qu'il ne vous puissent sousprendre mauvaisement. » Et li (f. 112 ^) rois respont : « Merhns, je ne ferai nule riens faire se par vostre conseil non. Ore nous dites chose qui nous puisse valoir, car nous volons user dou tout a vostre conseil. »
« Ici vous voel acoîntier, » fait Merlins, « d'une chose dont ^ vous cuideriés bien venir a chief se je ne le vous disoie, et chou est chou qui vous puet tollir vos terres.» Et il dist : « Nous volons user dou tout a vostre con- seil. > « Je vous di que vous avcs a faire demain a tel gent qui moult font a redouter. Premièrement '^ a la compaignie le roi Rion, qui ne sont mie si poi de gent qu'il ne soient plus que ne soient vostre homme.
I. Le ms. commence ici un paragraphe et lit Knsi — 2. t|ui 3. Le ms. fait ici un paragraphe
246 MERLIN
En cheus sans faille n*a mie trop grant péril a eus atendre, car il avront assés petit hardement, si tost comme il savront comment il lour est avenu del roi Rion, et pour chou qu'il seront si durement descom- forté de lui porront il legierement estre desconfi, et si seront il sans faille. Mais encore soit il ensi que vous en viegniés au deseure a vostre volenté, vous di je que vous avés a faire a chelui qui ne porra gaires mains nuire dou roi Rion. Et savés vous qui c'est? C'est li rois Loth d'Orkanie vostre serorges, qui est li mieudrcs che- valiers que vous sachiés en votre roiame (f. 112^) de cheus meesmement qui portent couronne. Et il est mal de vous et vous het moult (moult) mortelment. Et savés vous pour coi ? Vous savés bien que[l] felonnie vous fesis- tes des enfans que vous mandastes par vostre terre que on vous aportast. Et che fu ou tans que vous faisiés les enfans prendre que vostre serour la feme le roi Loth ot un enfant. Il le misent en mer pour vous envoiier. Et quelque chose qu'il avenist de l'enfant, fust mors ou visi il cuide vraiement que on le vous ait aporté et que vous l'aiiés mis en mer aussi comme les autres. Dont il ont enviers vous acueilli si très grant haine, et tout aussi vostre serours comme li rois, (et) que il ont fait assambler tous les preudommes et les boins chevaliers dou roiame d'Orkanie et les ont fait venir jusquesaCamalahot, aussi comme che fust pour vostre aide; mais che n'est mie voirs, ains est del tout pour vostre nuisement ; dont nous verrons avenir demain, quant nous verrons a bataille encontre le frère le roi Rion, qu'i[l] vous verra entre lui et sa compaignie, quant 11 autre vous seront au devant : che sera tout(e) a une eure. Ore gardés que vous porrés faire de ceste aventure. Car je ne (f. ii3 V ai dit chose qui ne vous aviegne tout ensi comme je le vous ai dit, se Dieus me consent. »
MERLIN 247
VOUANT li roi entent ceste aventure, il n'est mie peu esbahis, car li rois Loth estoit li hom de sa terre que il redoutoit plus, si dist a Merlin : * Je ne sai que dire, puis que li rois Loth me veult mal. Car chc est cil de ma terre en qui je me fiaisse plus au grant besoing, et pour cui je fesisse plus. Et je le dévoie faire, che m'es- toit avis. » « Il est tout ensi, » fait Merlins, » que vous en savrés demain la vérité. » a Ore me dites, » fait li rois, a que on porra faire : que se il me vienent au derrier et mi anemi me sont au devant, ensi porra estre li roia- mes de Logres en aventure de perdre toute hounour. » « Je vous dirai, » fait Merlins, a que vous ferés. Vous avérés conseil de ceste chose tel comme je vous dirai. Li rois Loth est moult preudom et boins chevaliers; moult le doit on redouter pour trop de choses. Mandés li pre- n engage Artu mierement amistié, et li faites a savoir que il ne laisse en à envoyer des nule manière que il ne sekeure le roiame de Logres si messagers à comme il le doit faire, et que il li prenne pitié de la cou- ^°^'^' '^'^^'^ ^°"^
j , . ^ j , . , j prcs avec son ar-
roune, que li hounours del roiame ne dechiee par le de- ^^^^ ^n lui de- faute de lui. Et li faites savoir que vous volés que il mandant son sc- conduie vostre première bataille et que il face porter cours et promet- vostre confanon, et qu'il ait a mainte^/. ii3 ^jnir Fou- tantdeiuiamcn-
j . 1-1 j • 1 ^ dcr toute injure.
nour dou règne ensi comme loiaus homme se doit aler et aidier a maintenir l'ounour de son signour; et se vous li avés mesfait en riens dou siècle, vous li amanderés a sa semonse si hautement comme li baron dou roiame de Logres le savront deviser. Et tout chou li mandes oren- droit, et puis s'orrons chou, que il nous remandera, si avrons conseil. » « Et ou cuidiés, » fait li rois, « qu'il soit trouvés? » a II est, > fait Merlins, a près de chi a deus lieues englesques a tout son ost, ne n'atent tant seulement fors tant que vous soiiés assamblcs as hommes le roi Rion, et lors vous cuidc il Icgicremcnt dcsconlirc. Ore vous hasics de lui mander chou que je vous ai dit.
248 MERLIN
Car vous n'avés que demeurer, a chou que li roi apro- chera tost. »
Lors apiele li rois deus de ses chevaliers et lour dist qu'il aillent au roi Loth a ferir des espérons, et lour carge son message au mieus qu'il le set faire. Et cil se partent erramment de court et tant font qu'a l'ost le roi Loth vienent, et vont droit a son mestre* tref et le saluent de par le roi Artu(s). Et puis li content le message tout ensi comme il lour avoit este cargié, et que il ne le lais- saissent mie a lour ensient. Quant li rois Loth che en- tent que li rois Artus mande, (f. 1 13 <^) il ne se refresne Loth reçoit fort point de son mal talent, ains respont as messages : « Di- mai le message ^^^ yostre signour que a m'aide a il failli et a tous les
et déclare qu'il , . . ,. . r - •■
ne fera jamais la ^^^"^ ^^^ 1^ ^^ porroie faire, se 11 mousterrai au plus tost paix avec Artu. que je porrai (et) que je ne li doi pas aidier, mais nuire a men pooir de tant comme je li porrai. » « Comment? sire, » font li message, « sera il dont ensi? » t Oil, » fait il, « en tel manière que je ferai mon pooir de lui tollir terre et d'oster le couronne del chief, car il l'a bien de- servi, ne homme si desloiel comme il est ne deust por- ter couronne au mien esgart, puis qu'il fist si très grant desloiauté comme d'ochirre les enfans de son règne. Et se li baron dou roiame fuissent si preudomme comme il deussent estre, il ne l'eussent ja puis tenu a signour, ains l'eussent ochis et destruit, si comme on doit faire roi desloial et mauvais. Et aies vous ent de chi; bien li dites qu'il ne trouvera ja pais en moi devant que jou aie vengiet men fil, la petite créature que il deust amer tant comme sa char meisme, et il le destruist et mist a mort sans déserte , par coi je le destruirai , se Dieus le me vcult soufifrir. Et itant li dites que je li manc.» Et cil dient ke cest message feront il, mais moult
I. désire
MERLIN 249
lor ^ poise qu'il n'ont en ("/. ii3^) lui trouvé millour conseil.
A tant se partent li message, et montent, et vont tant que au roi Artu(s) vienent, se li content tout chou que il orent trouvé ou roi Loth. Et li rois en est moult dolans et moult en est plus esmaiiés qu'il ne seut. Et Merlins li dist : « Rois, ne te desconforte, car nostre sires te se- courra. Et bien sachiés qu'il ne te mist pas en si haute segnourie pour oster t'en si delivrement, se tu trop ne li mesfais. Ore chevauce tout asseur et ordene tes gens au mieus que tu savras. Et je te di que nostre sires te fera hui le grignour hounour qui piecha mais avenist a roi pecheour. Et je (vous) voel que tu te rendes confès de toutes les choses (que) dont tu te sens coupables vers nos- tre signour. Et je te di que che est une chose qui moult te pourfitera et moult te porra aidier. »
1 DUT ensi comme Merlins le consilla au roi, tout ensi Artuscprcparc le//. 114 ^) fist il. Et si tost comme il fu ajorné, il or- 'i '-'«'"''^'ittre. dena ses hommes et vit quMi avoit bien mil chevaliers, sans les serjans a piet et a cheval. Et establi errant dis batailles, et demanda as ses honmes s'il iroit avant ou il atenderoit en cele place ses anemis. Et il li locnt que il les attende iJluec, si ne seront pas lour cheval lasset ne iravilliet de courre parmi la plainne. Ensi ot li rois Ar- tus ses batailles ordenees , et se fu arrestés en mi liu d'une plainne pour attendre ses enemis ensi comme il verroient, si ot moult amonnesté ses hommes de bien faire, si que l'onnour dou roiame de Logres ne fust le jour perie par defaute d'eus. Et cil li respondircnt qu'il volloient tout mieus morir en la place mcismes cju'il
250 MERLIN
n'eussent Tounour de la bataille. Mais or laisse li contes a parler de lui et de sa compaignie, et retorne a conter des deus frères qui le roi Rion avoient amené au roi Artu(s).
Baïaain et Ba- //. //^ i^JvJre dist H contes quc quant li dui frère laan apprennent ©rent baillié lour prisons en la main dou portier, il se c ez un ermite p^r^jj-ent de Tarabel. Etchevaucent viers un(e) hermitaee
qu'il va y avoir ^ . , . t • l
une grande ba- ^^^ P^^^ " illuec estoit a unc liue cnglcsque. Li cheva- taille entre Artu liers a deus especs estoit moult acointes de l'ermite, si ctNero. l'apiela tant que il le connut, et ouvri erramment son
huis, et le rechuit en son ostel entre lui et son frère a moult très biele chiere, et les aaisa de canques il pot et lour donna a mengier pain et eve, car autre chose n'a- voit il en sa maison. La nuit jurent laiens li dui frère et aaisierent lour cors et lour chevaus de chou qu'il trouvè- rent en l'ostel, si dormirent jusques a l'endemain. Au matin, quant solaus fu levés, il se levèrent et se firent ar- mer a lour escuiiers. Et lors (dist et) vi(e)nt laiens uns val- lès qui estoit parens a l'ermite, qui lour dist : « Nouviel- les vous sai a dire mervilleuses. En che jour d'ui sera chi près la gringnour bataille qui onques fust ou roiaume de Logres. Car li rois Artus et li honme le roi Rion as- sambleront orendroit en bataille campel en une plainne cha devant. » « Ses le tu bien? > fait li fj. 114 <^) cheva- liers. € Oil, » fait il, « car j'ai veut les banieres drechier au vent. Ore en soit (il) nostre sires en l'aide dou roi Ar- tu(s), car certes che seroit damages trop dolereus s'il en estoit mis au desous. » Lors se traient a une part et prendent conseil entr*aus deus qu'ils porroient faire, et Balaans dist : « Sire, comment vous plaist il que nous alons a ceste bataille ?» « Je voel » [, fait Balaains,] » que nous alons (ceste bataille et) celé part [ou la bataille doitestre]. Et quant nous verrons que li frères au roi Rion sera meus en ceste bataille, lors nous adrecerons
MERLIN
25
a lui ; et s'il nous avenoit si bien, ou par le volenté de nostre signour ou par autre chose, que nous le peus- sons sousprendre entre ses honmes, je ne cuic pas qu^il escapast legierement dusques [a tant] qu'il averoit fait en- vers nous auchun plait a nostre volenté. Et se Dieus nous faisoit si boins eureus que nous le peussons prendre et mètre es mains le roi Artu(s), je cuic que encore troveroie je bien ma pais envers lui et avroie s'acointance et s'a- mour aussi que jou avoie avant que je ochesisse la da- moisiele.» Et il s'acordent bien a ceste chose, si viennent a Termite et prendent congiet a lui et s'em partent er- ramment, et s'en vont celé part ou il sevent que la ba- ils s'y rendent. taille devoit estre, si n''orent gaires aie quant il voient (f. 114 ^) toute la campagne couverte de chevaliers ar- més, et voient d'une part et d'autre les ensegnes drechies au vent et les banieres bieles et riches de divierses cou- lours. Et Nero li frères au roi Rion savoit ja bien nou- vielles de son frère qui estoit pris, mais il Favoit si bien celé de ciaus de l'ost que il n'en i avoit encore nul qui en seust la vérité, ne mais uns siens cousins germains qui li avoit conté. Et au matin quant li haut baron de l'ost demandèrent ou li rois estoit, lour respondi il : « Chevauciés asseur, car entre moi et lui conduirons la première bataille, ou la daeirrenne. Or ne vous esmaiiés, car ja caup ne ferrés sans sa compaignie. »
Ch tel manière et Nero ses batailles ordenees, et en fist dis aussi comme li rois Artus avoit fait; mais moult avoit plus de gent par deviers lui que par deviers le roi Artu(s). Et quant il les ot ordenees au mieus qu'il pot, il envoia avant les trois premières, si peussiés veoir, [a l'jas- Après divers sambler desdeusos, lanches brisier et chevaliers cheoir, et succès. chevaus courre tous esiraiiers et loing et près, qu'il n'es- toit nus qui les retenist, car trop avoit chascuns a enten- dre [a] autre chose. Mais (/. 1 15 ^) cil qui par deviers le
2Ô2 MERLIN
roi Artu(s) estoient n'avoient pas tant de gent, si souffri- rent moult et endurèrent au commenchement, et s*il ne fuissent si preudomme et si boin chevalier comme il estoient, legierement peussent estre desconfi. Mais il estoient viste et legier et de boin aage et jovene houme tout li plus et abandonné de mort rechevoir ains qu^il perdissent honneur en la bataille, et cest[ej chose iour tist tant endurer chelui jour que assés en i avoit de mors et de mehaigniés. Quant les lanches furent brisies, il misent d'une part et d'autre les mains as espees, si corn- menchierent les meslees si morteus et si périlleuses que en peu d'eure peust on veoir la place toute couverte de chevaliers mors et de mehaigniés. Mais toutes voies par esfors gaaignierent li houme le roi Artu(s) la place, si que la desconfiture torna sour les hommes le roi Rion, si k^a force convi(e)nt les dos torner as trois premières batailles, et se ferirent sour les autres compaignons qui les venoient secourre de tout Iour pooir. Et avoit en celé compaignie trois batailles toutes ordenees. fervestues et bien armées.
{f. IIS ^) A cel encontre ot porté a terre grant plenté des hou mes le roi Artu(s) et assés en i ot de navrés et de malmenés, car trop estoient peu de gent encontre cheus qui sour eus estoient venu, si i peussent tost rechevoir mort en tel manière que ja n'en eschapast pies que tuit ne fuissent detrenchié. Mais li rois Artus Iour envoia trois batailles pour eus secourre, bien ordenees et appa- rillies. Lors se tinrent auques bien. Et nonpourquant trop avoit plus de gent par deviers le roi Rion que par deviers le roi Artu(s). En tel manière assamblerentd'am- besdeus pars toutes les batailles : car quant li un avoient le pis, si estoient errant secourut de leur compaignons. Et quant li rois Artus vit que '[Et] li doi frère
\. Il y a ici une lacune
MERLIN 253
se furent mis en la bataille, et dient que trop ont voyant les gens attendu a lour anemis grever, et que trop longuement d'Artu, moins les ont laissiet ester. Lors s'adrechent viers la daerrainne "«"ii-^'"^^^' ri'cr,
, ^ .,, , . -^T ^ -^ ^ I ils entrent dans
bataille, celé meismesou Nero estoit, et se tornent la ou , ^ . .,,
' ' la bataille, et font
il voient la gringnour presse, si encontrerent en lour des prodiges. venir deus chevaliers que on tenoit a moult preudom- mes. Il lor metent les glaives parmi les cors, car li escu ne li hauberc ne Iqs ff. 7r5<^jporent garandir contre les fers, si les portent des chevaus teuls atornés qu'il n'ont de mire mestier, car il estoient ambcdui navré a mort, et au (per)cheoir qu'il font brisent ambedeus les glaives. Il metent les mains as espees et commenchent a départir as uns et as autres grans caus, si abatent cheva- liers et ochient, et esrachent hyaumes de testes et escus de cols, et font ambedui grant mierveilles d'armes, voiant leur anemis, que nus nés voit qui n'en soit esbahis. Et Baïaain se sert se auchuns me demandoit de la quele espee c'estoit que '^^ ^o" ancienne li chevaliers a deus espees ^ se combatoit, ie responde- '^^^''^*^' '^^ "°" *^
. , / . . , ,', ^ . r celle de la demoi-
roie que che estoit de la soie et ne mie de l'espee qui fu a g^.,,^ ^ont il de- la damoisiele ; car de celé espee ne se combati il onques vait plus tard devant le jour que il fu mis ou camp contre Balaan son tuer son frère et frère, si qu'ill ocist par mesconnissance son frère de celé ""^^^ ^""^ P^'" '"'•
^ r 1 1 • .. I 1 • • comme le racon-
espee, et ses frères le rochist de celé meismes, si comme n > . j
^ ' » tcra Robert de
Robers de Borron le contera ja avant a la seconde partie Borron. de son livre.
GArtii, Kc, Hcr RANT fu chelui jour la bataille en la plainne de niidc Rivci, font Tharabel, si le fist moult bien li rois Artus ichclui jour, ^'^ grandes et moult en ochist et mehaigna, et bien moustra as ses p'^""'*^-"': '"*'*'*^
//. .. • 1 , ' 1 • T- T-i -1 "^l n'approche
a(j. lit) '^ynemis la bonté de s espee Escalibor ; si acha- j^, chevalier aux terent chierement chou que elle trcnchoit si bien, car il deux cpccs. dont en ochist de sa main de la propre espee, ains que la ba- amu dit que ce
taille fust Hnee, plus de vint chevaliers et en mehaigna '>'"t pas un che- valier conunc un autre , mais un I. que il se c. Ctrc surnaturel.
254 MERLIN
plus de quarante. Et Kés H seneschaus le refist moult bien endroit soi, et tant fist icelle jornee qu'il acueilli los et pris qui li dura lonc tans après. Et autressi le refist bien Hernil de Rivel, qui a chelui tans estoit assés jove- nes chevaliers. Mais nul bien fait que il fesist chelui jour ne il ne autre ne fu tant loés comme che fu que fist li chevaliers a deus espees. Car cil faisoit une chevaleries si apertes, en quel lieu que il venoit, que tuit le regar- doient a merveilles, ne il ne disoient pas que il fust che- valiers morteus, mais auchuns monstres, ou auchuns anemis que mésaventure avoit la amené. Et li rois Artus meismes, quant il l'ot bien esgardé, et il vit les merveilles que il faisoit, il dist que che n'estoit pas chevaliers conme autres, mais hom nés sour terre pour destruction de gent. Et ceste parole dist il a Gifflet, qui puis fu en maint lieu retraite.
Merlin va trou- (f.ii6^) lInsi fu la bataille mellee et commcnchie ver Loth et essaie d'une part et d'autre. Et Merlins s^en fu aies au roi Loth, de le ramener en ^^ ^j,^^^^ qu'il apparilloit ses hommes tant comme il
lui disant que . ^, ^*, .. /at-i ,-i. »»i.
Mordrcc n'est pas pooit pour aler seur le roi Artu(s). Et lors h dist Merlins : mort; « Hé! rois Loth, tu as esté dusques chi moult loiaus
hom viers ton signour naturel. Ore iés ensi comme cil qui se recroit de boines oevres faire viers sa fin. Tu as esté dusques chi loiaus ; ore quant tu t'aproces de ta mort si veuls devenir desloiaus et monstrer tout aperte- ment ta desloiauté au peuple. Ore regarde : comment peusses tu faire si grant desloiauté conme de lui faillir au besoing quant il se combat pour toi et pour son peu- ple, et met son cors en aventure por toi et pour tous les autres oster de la subjection as estranges princes? Et tu sour cest péril li appareilles encore un autre ! Car la ou il met son cors por toi desfendre et de tes anemis, tu t'apareilles de lui occhirre a ton pooir. Ore garde se chou est desloiautés et felonnie.» a Merlins, » fait li rois.
MERLIN 255
€ se je le haç, che n'est pas mierveille. Car il a fait tout de nouviel la gringnor desloiauté que rois fesist onques, si en a adamagié tous les f/. 1 16 ^) haus hommes de cest règne. Et moi meismes en a il apovroiié d'un hoir meis- mes que Dieus m'avoit envoiié; si ne regarda onques a chou qu'il estoit mes fieus, qui estoie li plus haus hom de son règne, et je estoie si ses amis que je avoie sa se- rour a feme, et a chou que mes enfes estoit ses niés. Or regarde que sa felonnie fu par se desloiauté. »
« vJr me dites, » fait Merlins, <( quides tu dont qu'il ait ton enfant ochis? » « Oil, » fait li rois : « je le sai tout certainnement : il le mist en la mer avoec les au- tres, par coi je ne l'amerai ja mais ne ne quier qu'il ait amour ne concorde nule entre moi et lui, mais guerre a tous les jours de ma vie. » « Rois, » fait Merlins, « tu as tort ; tu ne deusses mie dire chose ou il n'eust vérité. Saches que Mordrec est vis. Et se tu voloies laissier [l'Jem- prise que tu as orendroit faite, je te creanc que je le te mousterroie tout sain et tout vif' dedens deus mois. » « Je n'en querroie nullui, » fait li rois, « pour parole que on m'en seust dire devant que je le veisse. » « Et k'en veuls tu faire? » fait Merlins. » « Je ne m'en parti- rai ja, » fait li rois, « se par bataille non. Et illuec m'en vengerai, se la mors (f. 1 16 ^) no. m'en destorne. » « Et je te di, » fait Merlins, « se tu en aventure de la bataille te mes, je te di que tu en seras honnis. Car tu en reman- ras recreans et i seras pris et ti homme li pluiseur ochis ; et si me deusses bien croire de chou que te di, car tu n'ois onques dire que je fuisse menchoigniers de parole que je affremaisse pour vérité; si t'en repentiras se tu ne fais chou que je te lo. » Et cil dist qu'il ne lairoit pour homme qu'il ne s'en mesist en aventure de querrc vcn-
I. VIS
256 MERLIN
janclie.» « Ore t^en conviegne bien, » fait Merlins, a car certes tu t^cn repentiras tele eure que ne le porras amen- der. Et chis repentirs verra trop a tart, si sera damages grans. »
mais Loth ne Endementiers que Mcrlins parloit ensi au roi , il
veut rien cnten- j^y^jj piuseurs barons en la place, dont chascuns disoit
re ; u moins ^^. . ^ p^^^ j gjj.g p^^j. £)ieu faites chou que Merlins
Merlin le retient ' * ' ^
par enchante- VOUS loe. Ja ciertes de son conseil ne verra maus a vous ment, ne a autre. » Et li rois dist toutes voies que ja n'en fera
riens. Et Merlins, qui bien savoit que a celé eure se corn- batoit li rois Artus, et s'il avenist que li rois Loth li cou- ru[s]t sus a celé fois que damages empeust avenir grans, et toutes voies Merlins tenoit le roi tout dis en sa parole, et le faisoit a lui entendre, et le destourboit d'aler avant au plus que il pooit. Ne il ne quer(r;oit (f. 1 16 ^) que li rois euust plus de respit fors tant seulement que il eust vaincu les hommes au roi Rion. Et pour chou fist Mer- lins demourer le roi Loth dusques a eure de tierce. Et le tient en tel manière qu'il ne chevaucha pas de lonc ^ plus de quatre arpens de terre. Et tout chou fist il par enchantement, tant que il peust veoir que la bataille de- voit avenir. Il secourut tant le roi Artu(s) toutes voies, qu'il aimme mieus et voloit mieus que li rois Artus fust sains et haitiés et li rois Loth fust ochis. Et il savoit bien que li uns d'aus deus i morroit, se la bataille feroit ensamble.
tant qu'arrive la Apriès eure de tierce tout droit avint que uns mes- nouveiie qu'Artu sagcs vint devant le roi Loth, et li dist : « Sire, nouvieles a complètement ^^^g aporch assés mcrviUeuses. Li rois Artus a vaincu Rio,'/ ^'^^^^^ ^^ ^^^ hommes le roi Rion. Mais onques ne veistes si grant
1. loing
MERLIN 267
bataille ne si pesant conme ceste a esté, car trop en i a de mors et d'une part et d'autre. Mais en fait avant li rois amener tant de prisons qu'il sont plus de cinc cens, tous rices hommes a mon ensient. » Quant li rois entent ceste aventure, il en devint tous esbahis et regarde tout en- tour lui pour savoir se il veist Merlin ; car il li voloit coper la teste, pour chou {f. ii'j ^) qu'il estoit ore bien apercheus que Merlins l'avoit enchanté et fait atargier tout de gré. Et lors dist as ses hommes : a Merlins m'a Loth se dcsok mort: se je eusse dès hui matin chevauchié a esfors, je ^^ ^°" retard, eusse le roi desconht et gaaignie ma querele. Or en sui ai.. plus loing que je ne fui ^ onques mais, ne ja mais tant moins bataille comme je vive n'avrai le roi en aussi boin point comme aux gens d'A^rtu, jou avoie hui matin. Or ne sai jou que faire. Car se je '^^ ^*^ ''■'"'" ^^'^' m'en vois a lui, il me fera prendre com son anemi pour "^'^'" ^°"'^''^- chou que je ne vauc faire chou que il me requist; et se je m'en vois en ma terre, il assamblera ses houmes et venra a ost sour mi, et ensi destruira moi et ma terre, queja n'en avra merchi autrement que je eusse de lui, se je en venisse au dessus. Ensi ne sai je prendre conseil. Je ne voi ma sauveté de nule part. » Et lors li respont uns siens chevaliers qui estoit ses cousins germains : « Sire, vous ne troverés ja merchi viers le roi, se vous ne la desraisniés au branc d'achier. Assamblés seurement a lui, car nostre sires vous donra l'ounour de la bataille. » t Allons dont, » fait li rois : « ja mais ne m'en quier aler se par la bataille non. » Lors demanda li rois au mes- sage : « A bien grant gent li rois Artus avoec lui ? » « Certes, nenil, » fait (/. 1/7 *) li vallès, <c et sont pres- que tuit navré et alassé li plus frès, de ceste bataille qu'il ont hui vaincue. »
< \Jr alons dont, » fait li rois, « et gardés que vous
I. SUl
258 MERLIN
le faites si miervilleusement k'en vostre venir n'en re- maingne nus en sele. * Et cil dient qu'il en sont prest (puis) puis que au roi plaist vraiement. Lors n'i ot plus demouré, ains ordenerent maintenant lour batailles, et s'en vont tout lour chemin tout droit viers l'ost le roi Artu(s). Et Merlins fu ja revenus au roi, et le trouva na- vré en plus de huit lieus de plaies petites et grans, et vit que si houme le desarmoient pour chou qu'il alast plus aise, car il ne cuident pas que il le convenist com- Meriin annon- t>atre ichelui jour. Et lors dist Merlins au roi : « Ha ! ce l'approche de rois, pren ton hauberc [ne] ne te desarme pas, car tu as Loth au roi, qui plus a faire que tu ne cuides. Veschi le roi Loth d'Orkanie se désarmait, entre lui et tous ses barons qui vienent a ost sour toi, si en poes ja veoir les ensaignes lassus en celé montaigne, [et] les confanonsdrechiés ^ qui cha vienent grant aleure encontre toi.» « Ha! Dieus,» fait li rois, « tant a chi grant pestilence! Geste painne m'envoiiés vous pour mon pe- chié. Ore cuide que li preudommecomparront chou que Les barons j^ "i^ sui mesfais viers vous. » Et quant li baron enten- d'Artui'encoura- dent celé parole, il n'i a cel (f. iij <^) qui toute pitié Rcm, n'en ait en son cuer, si respondent : « Rois, ne l'esmaie
mie, mais chevauce tout asseur, que nostre Sires te con- duira et te metera au dessus de tes anemis en tel ma- nière que tu avéras victoire la ou il avront toute des- hounour. »
notamment l'un -
deux, qui avait LoRs parla uns chevalicrs de la compaignie le roi, fait des merveii- g^ ^.j^g estoit cil qui tant longement ot cachié la diverse eb pen ant le ^^^^ ^j^jg ^^j p^jg meismcs engeura Parcheval, si
combat, et qm ' , . ^ , , . r- -i i. •
n'était autre que co^rnc chis contes le devisera apertement. lit il 1 avoit le chevalier qui si bien fait en la bataille ichelui jour que nus n'estoit avait longtemps prisiés a bien faire fors que il et li chevaliers a deus es- chassé la bctedi- ^ seulement et ses frères. « Sire, » fait il au roi, « on-
vcrse. et qui de- vait être le père de Perceval. i • lirechicr
MERLIN 259
ques de chou ne vous esmaiiés, que bien sachiés que vous vainterés. » Et li rois respont : « Sire chevaliers, la vostre merchi de chou que vous m'avés si durement ai- dié. Ore sachiés bien que toute ma fiance est en Dieu et en vous et es autres prcudommes. Et certes s^il estoient par devise tout autel chevalier conme vous estes, je sai de voir qu'ail averotie]nt courte durée. Et je vous pri que vous me dites qui vous estes, car je ne vous connois pas as armeures que vous portés. » « Je nel vous cèlerai mie, » fait il: « je sui li chevaliers a qui vous veistes siure la diver (f. iij ^} se beste. Et par la bonté que je Savoie en vous vous sui ge venus aidier, ne mie por chou que je règne tiegne de vous, che savés vous bien. » « Certes, j fait li rois, « vous en terrés quant il vous plaira, que vous en estes bien dignes. » Quant il orent lour batailles ordenees, il s'en vont droit viers les hom- Les deux ar- mes le roi Loth. Si peussés veoir a rencontrer des deus mées se choquent batailles assés gringnour abateis ^ de chevaliers et plus ^^^^ '^ '^'"^
,. . , ., , . ... grande violence.
grant mortalité de gent que il n avoient huimais eues, car il estoient boin chevalier et d'une part et d'autre, et s'entrecontrerent si morteument que vous en peussiés veoir au premier abateis * teuls cent jesir a terre dont les armes estoient parties des cors.
V-/ELE bataille sans faille (qui) tant tu crueus et fele- nesse que elle commencha a eure de tierce et dura dus- ques a eure de viespres. Et se li rois Loth ne fust si très bons chevaliers comme il estoit, si houme eussent esté plus tost dcsconfi que il ne furent. Mais il tous sens sous- tenoit si le fais de la bataille par deviers soi, que tout cil qui Tesgardoient se sainnoient a mierveilles que il puet endurer la moitié de chou que il souffroit. Il enpren- (f. 118 ^J doit si toutes les proueches et tous les caus a
I abatic
200 MERLIN
faire, voiant tous cheus qui atendre Tosoient, qu'il nU avoit si hardi par devers le roi, pour qu'il Peust bien re- gardé, qui devant ses cous n'eust toute paour. Et quant li rois vit ceste merveille et ill ot bien reconneu le roi Loth, il dist : « Ha ! Dieus, quel damage (que) quant si preudom conme cis est se mesfait si durement ! Car par Loth,aprèsdcs la proueche que je voi en li m'est il bien avis qu'il soit- prouesses mer- bien dignes d'avoir tout le mont en sa baillie. » Li rois Tôt, veilleuses, ren- qui ne baoit a autre chose fors qu'il peust le roi Artu(s) ochirre. Il laisse courre toute l'espee traite, comme cil qui ne baoit fors a sa mort. Et quant li rois Artus le voit ve- nir, il ne fu pas si bien apparilliés de lui rechevoir, si traist son frain arrière et jeté encontre le cop son escu. Et cil, qui ot son cop entesé, failli a ataindre le roi, si aconsiut le cheval droit parmi l'archon par devant, et l'espee fu boine et trenchans, li cous vint de haut et li rois fu de vertu plains, si fiert le cheval si durement qu'il le trenche tout par mi les espaules, si que li chevaas chiet mors a la terre et li rois si tresbuce par dessus le col. Et lors (f. 1 18 ^) cuide bien li chevaliers a la diverse beste que li rois fust mors, si en est moult dolans et dist que chis damages est trop grans, car cil dou roiame de Lo- gres ne recouverront a roi si preudomme comme chis es- toit : « Se le vengerai, se je onques puis. »
Lors laisse courre au roi Loth l'espee traite. Et
quant cil le voit venir il ne le refuse pas, ains l'atent
tout outreement et sans escu, car li siens li estoit cheus
erraument en la place. Et cil le fiert si durement que li
mais est tué par hyaumes ne la coife de fer nel garandist qu'il nel pour-
le roi Pciiinor, le fende lout jusques ens espauUes. Il estort son cop, si fait
chevalier à la voler le roi Loth a terre. Et quant cil d'Orkanie voient
bote; les hommes ^^j^gj^i caup, il devienent si esbahi qu'il ne sevent quel
d'Orcanie sont ..-ii- ^ j ^-i.. «-i
conseil il doivent prendre, quant cil est mors en qui il
mis en dcroute. . y ^ , . i i .,i • • r
avoient tant de fiance de vaintre la bataille, se ja mais fust
MERLIN 261
vaincue. Et quant li homme le roi Artu(s) voient celui mort, qui tout le jour les avoit plus damagiés et empi- riés que la moitiet de ses compaignons n'avoient, si se rasseurent moult plus que il ne firent huimais, si cour- rent sus tous eus sour chiaus d'Orka {f. iiS <^) nie, et il les ochient et abatent et mehaignent le plus qu'il porent. Et cil sont si espoentet qu'il ne pueent longuement souf- frir, ains tornerentlesdosetv(u)uidentvistement la place et s'en fui(r)ent si grant oirre comme il pueent des che- vaus traire, conme cil qui ne béent fors qu'a lour cors garandir, car il voient bien que la desconfiture est dou tout tornee sour eus. Et cil les encauchent ki morteu- ment les heent, si les detrenchent et ochient si espesse- ment que li chemin en remainnent couvert par la ou il trespassent. En si furent desconfit cil d'Orkanie, si rechiu- rent chelui jour tel honte que lor fu reprochié longue- ment, et tout dis lour fu mise la traisons devant qu'il avoient fait en camp pour desloial et pour traitour et mauvais de lour lige signour. Et il furent descomfi, et ocist ^ Pellinor le roi Loth d'Orkanie. Et tout si fil quant il vinrent a chevalerie [voudrent vengier la] honte [de leur père] et de tout lour parenté, dont Gavains ^ ochist puis [Pellinor et] Melodiam aisné fil, et Agloval Acausedcceia ochist il en la queste del saint graal, si comme mes sire=^ Gavain, fîis de
T> 1 • 1 r» 11* 1- Loth, tua plus
Robiers de Borron le devisera apertement en son livre. ^^^^ pdiinor et Mais se Percheval li gentius chevaliers, qui ff. ii8^) ^^^ ^^ux nis, frères estoit Agloval, seuust la mort Agloval a chelui ircres de Pcrcc- point que elle avint, il eust Agloval vengiet sans faille, val, comme le a che qu'il amoit Agloval plus que nus frères amast ^^^°"^^^''*' ^"^^"^^^ autre.
VOUANT la bataille fu vaincue si outrcemcnt que de
I. H uns — 2. il; tout ce passage est gravement altéré — 3. meismes
202 MERLIN
tous chiaus d'Orkanie n'i ot un remés qui ne fust u mors ou pris, H rois fist prendre ces chevaliers qui mort es- Le roi Artu tolent et fist mètre les cors tous ensamble en une roche fait enterrer les qui moult estoit profonde, et dessus fist faire une eglyze, "^°'"^*- ou on priast pour les âmes de chiaus qui laiens estoient
enterré. Des autres cors ne fist on mie si grant feste, fors k'en terre furent mis et par bos et par plaingnes. En la bataille le roi Rion fu si avenu que tuit chil ^ douze roi furent occhis. Li rois fist prendre les cors et les fist mètre ensamble en l'église saint Estevene de Camalaoth, et fist escrire chascun dessus son non. Mais dou roi Loth, pour chou que moult l'avoit amé, fist il assés gringnour feste, car il (il) le fist mètre en une tombe moult biele et moult riche. Et fist pour hounour de lui en cel lieu meismes une église estorer qui puis fu de haut (f. iig ^) pris et sera tant comme li siècles duerra. Et fu celé église apie- lee l'iglise de saint Jehan.
A l'enterrement La Toinc sa fcmc et tout si quatre fil, qui moult es- de Loth, Gavain, toieut biel enfant, vinrent a Tenterrer, si i ot moult grant âgé de onze ans ^^^j ^^ ^^^ ^^^ ^^ j^^ autrcs, Car moult amoient le roi
seulement, jure tit--tt.. •• **■ r
de le venger Loth. Li rois Uriiens 1 vmt et Morgue sa feme, si en- chainte que elle estoit toute preste d'avoir enfant. Elle estoit moult malicieuse durement et moult savoit de tin- tin et de maie pensée. Et quant li rois fu enterrés, Ga- vains ses aisnés fieus, qui moult estoit biaus enfes dure- ment et n'avoit encore d'aage que onze ans, en fist duel si mervilleus que tout cil qui le veoient en avoient pitiet grant. Et quant il ot faite la plainte de son père tele que nus hom de son aage ne pot faire plus biel, il dist une parole qui bien fu entendue et ne fu pas oubliée, et fu la parole tele : « Ha ! sire, tant m'a endamagiet dolereuse- ment li rois Pellinor qui vous a occhis, et tant a nostre
I. touschi
MERLIN 203
lignage abaissiet et apovri par la vostre mort ! Et li roiames de Logres meismes certes en sera plus apovris quMl ne fust a set millours rois qui i soient. Ja Dieus ne place, sire, que je face chevalerie (f. i ig ^) qui soit loee dus- ques que j'en aie prise tele venjance que on en doit pren- dre, c'est ochirre roi pour roi. » Et Gavains l'avoit ja si bien apris que li rois Pellinor li avoit son père ochis. De ceste parole s'esmervillierent moult cil qui Toirent, car moult estoit haute, meesmement de tel enfant comme Gavains estoit a cel terme. Si disent li auquant qui Ten- tendirent : « Haute parole a chis enfes dite. Encore ven- gera il son père. » Et il le fist tout ensi comme il le dist, car puissedi occhist il le roi Pellinor et deus de ses en- fans.
Li rois Artus, qui moult estoit liés de si biele aven- vainqueur de ture que nostre sires li avoit envoiie, dist que as octaves treize rois, Anu feroit il faire la feste de ceste victoire. Lors fist faire ^^'^ p^^"'' ^" douze rois de métal seurareentés et dorés richement, et /^"^
*-' ' leurs statues qui
avoit chascun en son chief une couronne d'or, et avoit s-inciincnt dc-
chascuns escrit son non en son pis devant. Et avoec chou vant la sienne,
fist faire un roi en samblance dou roi Loth, au plus
samblant que on le pot faire. Aprièsces rois fist faire un
autre roi plus dis tans riche que tuit li autre n'estoient,
et fu fais en samblance dou roi Ariu(s). Et quant toutes
ces ymages furent parfaites, li treize furent {f. iig c) fait
en tel manière que chascuns tenoit en sa main un can-
deler, mais li autres, cil qui estoit fais en la samblance
dou roi Artu(s), tenoit en sa main une espce toute nue en
samblance qu'il manechast les gens. Quant toute celé
oevre fu acomplie, li rois fist mètre les ymages en la
maistre forterece de la tour en haut dessus les creniaus,
si que tout cil de la chité le v[e]oient apertement, et tint
chascuns des rois un gros chicrgc alumé. Et en mi liu
des douze estoit l'image le roi Artu[s), assés plus haut qu'il
204 MERLIN
n'estoiint tuit, et tenoit s'espee en sa main et faisoit samblant quMl manechast cheus qui entour lui estoient. Et cil toutes voies li estoient enclin aussi conme il li criaissent merchi d'auchun mesfait.
, , ,„ OuANT ceste chose fu ensi faite conme je vous devise,
et donne une ^«- ' '
grande fcte. io^s commencha la feste dedens Gamalaoth, ki dura huit
jours tous pleniers. Et le premier jour que elle fu com-
menchie, quant li rois Artus regardoit, il dist a Merlin
qui dejouste lui estoit : • Merlins, il me samble que chi
eust trop biele chose se cist chierge peussent tout dis
durer en tel manière que il n'estainsissent point de
if. I ig ^) nuit et de jour ne par vent ne pour plueve
Merlin fait par que il feist ^ » « Certes, » fait Merlins, « je le vous ferai
enchantement ^^^^^ p^^g durer que VOUS u'oseriés cuidier. ■>» Lors fait
que es cierges j^^jj^^gj^^j^^ 5qj^ enchantement, et puis dist au roi : « Rois,
tenus par les sta- ^ • '
tues des rois saciésquecist chierge n'esteinderont devant que l'ame [me] brûlent toujours; départira du cors. En chelui jour qu'il estainderont aver- iis s'éteindront j-qj-^j deus merveilles en ceste terre : car je serai livrés a cependant le jour ^^^^ engin de fcme, et si fera li chevaliers as deus es-
ou Merlin mourra r o , , r
par ruse de fem- P^^s le dolereus caup encontre le desfence nostre signour, me, et où lèche- pour coi les aventures dou saint graal averront, espe- vaiier aux deux ciaument OU Toiaume de Logres. Et lors commencheront épées frappera le j^^ dolours et les tcmpestes par toute la grant Bretaigne,
douloureux coup . ., . ,
qui fera commen- ^^ averront SI souvent que tout cil qui les verront ave- cer en Grande nir cn scront tout csbahi, et duerrontsans doutance vint
Bretagne les mer- et dcuS anS. »
veilles du saint graal.
« jVIerlins, » fait li rois, « par ceste parole que vous m^avés devisee porroie je bien connoistre le jour que trespasserés soit près ou loing. » « Voirs est que ensi porrés vous savoir, » fait Merlins, « le jour que les aven-
1 , feust
MERLIN 265
tures commencheront. Car adont estainderont cist chierge el sera espandue une grant obscurtés ens en mi lieu dou jour tout par mi ceste terre, si qu'il ne verront goûte {f. 120 ^) entour eure de miedi. Et a celé eure meismes averra que vouschacerés, et serés descendus dalés une fon- tainne pour la beste ochirre, et lors vous sourvendra l'oscurtés, si que vous ne sarés que vo beste sera deve- nue ; si vous di que a chelui terme ne serés vous sans grant doute et sans grant paour. » Li rois s'esmiervilia de cest afaire, si dist a Merlin : « Merlins, vous me poés bien dire quant ch'averra. » « Ja nel savrés par moi, » fait Merlins, « ne vous ne autres. » Et li rois l'en laisse a tant ester, mais il li demande d'autre part : « Dites moi Artu demande que li rois Pellinor est devenus et li dui frère qui si bien '^^ ^^^ ^'^"î ^c- se prouvèrent en la bataille. Ge les fis querre et loing et ^'""' ^''^''" ""' près, ne ne porent estre trouve. Et il ont tant tait pour moi que je ne serai ja mais aise devant que je lour aie guerredonné a mon pooir. » « Je vous di, » fait Merlins, Merlin dit qu'il « que les deus frères ne verres vous mie si tostconmevous "c les reverra que cuidiés. Et quant vous les verres, ne vous en sera jj po"'" '-" ^^'O'"" "
, , ., r . • déplaisir.
point bel, car il vous feront tout anui par mesconnis- sanche. »
AssÉs parlèrent celui jour de maintes choses, et tant Merlin rccom- que Merlins dist au roi : « Rois Artus, je ne serai mie «nande à Artu de eramment avoec vous, mais une chose vous dirai jou ^"^" ^''^''^'' ''"'"
^ . \, , r •'^ fourreau de
dont vous me qucrres (/. 120 ^) se vous estes sages. Le ^^^ .^.^^ fuerre de votre espce gardés bien, que je vous di bien que vous ne trouvères ja mais si mervilleuse se vous ia perdes. Ne en nule main ne le metés se vous ne vous i fiés trop durement, car se li fuerres estoit reconneus, vous nel bailleriés jamais. Et bien peuustes avant ier veoir que li fuerres vous valut : car vous eustes en la bataille plui- seurs plaies, ne pour chou ne perdistes vous gaires de sanc. » « Je le garderai, » fait li rois, « a men pooir. »
266 MERLIN
Chelui jour fist li rois Rions houmage au roi Ar- tus et rechuit sa terre de lui. Et li rois Artus establi (li) rois par trestous les roiames qui estoient desous lui. Assés parlèrent li un et li autre des chierges qui ensi ar- doient. Et quant Morgain sot que Merlins avoit che fait par enchantement, elle s'apensa que elle s'acointeroit de lui et aprenderoit tant de son sens que elle porroit faire par tout ou elle vaurroit partie de sa volenté.
Morgue, sœur *-ORS s'acointa de Merlin et li pria que il li apresist
dArtu, inspire de che qu'il savoit, par couvent que elle feroit pour lui
de l'amour à canques il li oseroit requerre. Et quant il le voit de si
Merlin, qui lui gra^t biauté , il l'enama moult durement et li dist :
courde secretT' ** I^^i^e» pour coi le VOUS celeroie je? Vous ne me vaur-
rés chose requer (f. 120 ^) re que je ne fesisse a mon
pooir. » « Sire, grans merchis, » fait elle : a che verrai
je bien, que ore vous requier jou que vous m'aprendés
tant d'enchantement qu'il n'ait feme en ceste terre qui
plus en sache de moi. » Et il dist que che li aprenderoit
il bien. Se li aprist tant en poi de terme, a chou que elle
estoit soutive et engingnouse et curiouse d'aprendre, que
elle sot grant partie de chou que elle desirroit, et moult
li plot la scienche d'ingromanchie et Fart. Quant vint
Elle met au au terme de l'enfanter, elle ot un enfant marie que on
monde un fils apiela en baptesme Yvain. Et ce fu puis chevaliers re-
appeié Yvain. noumés de grant proueche et de grant force. Quant elle
ot tant apris d'art d'ingromanchie comme il li plot, elle
Elle chasse Mer- cacha d'entour lui Merlin, pour chou que elle s'aperchut
lin, qui s'éloigne bien que il Famoit de foie amour, et li dist que elle le
de la cour. fgroit hounir se repairoit plus entour li. Il en ot duel
moult grant, mais mal ne voult faire pour chou que
moult amoit le roi Artu(s), si s'en fui d'enlour li au plus
tost qu'il pot.
MERLIN 267
El roiame i avoit un chevalier moult bicl homme Attu contk lo et preu de son cors durement, que elle amoit de fine fourreau à sa amour et il li autressi. Tant ala l'uns entour l'autre qu^il ^^^^^ Morgue.
t ji , .1 . , CcUe-ci a un
la connut (f. 120 ^) carnelmenl, si plot tant a la dame ^^^.^^^^ son affaire que elle Tama sour tous hommes. Et elle re- pairoit dou tout en l'ostel le roi, et li rois se creoit plus en li que en riens dou siècle, et pour la fiance qu'il avoit en li li bailloit il a garder l'espee et li disoit tou- tes voies : « Pour Dieu, gardés le moi, et le fuerre tenés encore plus chier que autre chose, car che est li garne- mens ou siècle que je mieus aim et que je doi plus chier tenir. » Quant elle oi ceste chose, elle s'en esmervilla moult que che pooit estre, si le dist au chevalier que elle amoit. Et quant il Toi, il li respondi : « Ore vous pri jou, se vous onques m'amastes, que vous saichiés pour coi il a le fuerre si chier, car sans raison n'est che mie.» « Je le vous savrai, » fait elle, « prochainnement a dire, se je puis. »
Un jour le demanda au roi. Et il se crfejoit moult en ^ ayant appris li, se li conta erramment pour coi il avoit si chier le "^'^" ^ ''^^^^
r T^ r • r • 11 » • .• «merveilleuse du
fuerre. « Par foi, » fait elle, a ore m en aves tant dit fourreau, ciic en que ja mais hom ne Tavra entre mains, se vous seulement fait taire un pa- n'estes. Ore le garderai moult plus chierement que je ne reiipour donner fesisse devant. » Au soir revient ses amis et elle li conta ''^ ^'''^' ^ *°"
, !• /• f • ,• . ,. amant.
erramment tout chou que h (f. 121 ^) li rois li avoit dit. a Par foi, » fait cil, « puis qu'il a si grant vertu, je le voel avoir. » « Je le vocl bien, » fait elle, « mais vous at- tenderés tant que j'aie fait contrefaire un fuerre qui sam- blables soit a cestui et de fachon et de samblance. Car se je le vous dounoie ore et li rois le dcmanJoit après et je ne li peusse moustrer ou chclui ou autrctcl, il me destruiroit erramment. » « Ore vous en hasics dont, »
208 MERLIN
fait il, t car ja mais ne serai aise devant chou que je Taie. »
Lors manda Morgain un honme a venir devant lui qui s'entremet{er)oit de teuls oevres, [si liconmanda] que un autretel lui en fesist. Et cil le regarda, si dist que si feroit il bien, mais qu'il eust toutes eures devant lui l'es- sanplaire. Morgain le mist dedens une des chambres de laiens, pour chou que li fuerres ne fust perdus. Et cil ou- vra la dedens tant que un autretel en ot fait, et furent ambedui si semblable qu'il n'avoit mie trois hommes el monde qui connussent Tun de Tautre. Quant li ouvriers ot che fait et Morgue vit que tout estoit fait très bien a point, elle ot paour que cil ne la descouvrist en auchun lieu [et] que li rois ne l'ochesist, s'il en pooit savoir la vérité, si fist tantost {f. 121 bJ coper la teste a chelui et le cors fist gieter en mer. Lors manda a son ami qu'il venist parler a lui, et il si fist. Et en che qu'il estoit en sa cham- bre, [et] il regardèrent les fuerres Pun et l'autre, il avint que li rois Artus entra en la sale, qui venoit de cachier. Il furent esbahi et orent doute que se li rois les trouvast ensi sens qu'il le ^ tornast a mal, si s'en fuirent l'uns d'une part et l'autres d'autre es chambres de laiens, et laissierent les fuerres en un lit, l'un dessus l'autre, et l'espee dessus un tapie. Li huis de la chambre fu(st) clos, si que nus n'entra laiens. Et li rois entra en sa cambre et trouva Mor- Mais elle con- gain qui a lui fu venue devant. Quant elle otgrant pièce fond le vrai et le demouré avoec lui, elle revint la dont elle estoit partie faux, et lui donne devant. Et lors regarde les fuerres, si ne connut l'un de l'autre, car trop estoientsanlable, si en fu toute esbahie. Lors li avint, ensi conme a Diu plot, que elle prist le boin fuerre et mist dedens l'espee, mais elle lecuide faire autrement. Lors bailla a son ami meismes tout enccl jour
I. li
MERIIN 269
l'autre fuerre et li dist : « Ore avés chou la cui ^ bontés ne
porroit pas estre eligie legierement. Je vous en ravest. » Et
chisprent le fuerre, qui bien (f. 121 <^y cuida estre paiiés,
si remporte avoec lui. Cele semainne meismes il avint i/amam, ayant
que il se combati a un chevalier qui ses anemis estoit et ^'^ gncvemcnt
rencontra en une forest. Et fu ensi que cele chose ou il '^'*^'''^' ^^^^ ""
n'y i-'j« • 1-1 • c combat maigre le
se noit plus ne h aida riens ne riens ne li valut, ains f u . .,
f^ ^ ' fourreau , croit
si navrés en cele bataille et tant i perdi del sanc k'il en que Morgue v\ deut estre mors. Mais toutes voiiejs s'en eschapa ensi trompé exprès, comme il pot, et vint a son ostel si navrés et si malme- c^^'^^^^-^ venger
, ' ,-i\ ' ^ • I ^ • 1 II r 1 en racontant au
nesque a painnes se(il pooitil tenir en sele. Il fu moult .,
* "^ ' ' roi latralnson de
dolans de ceste aventure, car il cuidoit bien que elle ^a sœur. Teust decheu tout de son gré, si pensa qu'il s'en venge- roit, se il onques pooit. Mais il ne veoit pas comment il le peust faire, s'il ne le disoit le roi Artu(s). Lors s'apensa conment il le porroit descouvrir en tel manière qu'il n*en savroit ja mal gré a nului fors a Morgain.
Un jour ala li rois chacier en une forest grande et i^c chevalier parfonde. Et avint que li chevaliers le sivoit plus près '"*'^''*'' ^^ ''^' '** que nus des autres. Et fu chose que li rois perdi toute sa '"''"^°" *■' ''^ compaignie fors cel chevalier. Et quant il out tant ca- chié comme li plot, il s'en tourna f/. 121 ^J entre lui et le chevalier, et lors commenchierent il a parler de moult de choses, et tant que li chevaliers li dist : a Sire, je vous diroie une chose se je cuidoie que mal ne m'en avenist. Et sachiés que je le vous dirai pour voslre prcu et pour vostre pourfit. n « Dites, » fait li rois, a que ja mal ne vous en averra, mais tout bien, se je voi que mes preus i soit. » « Sire, » fait li chevaliers, « je vous pri merchi d'une chose que jeavoic apparillie a faire a vostre nuisement, et si vous dirai que c'est. Voirs est que Mor- gue vostre serour vous het, et si ne sai por coi c'est ; mais
I. chou que
270 MERLIN
cele haine par est si grans que elle pourcache voslre mort toutes voies en toutes les manières que elle puet. Pour coi elle me manda avant ier a venir devant li, et me fist jurer sour sains que je feroie outreement che que elle me requerroit. Et quant je och fait che serement, elle me dist : « Je voel que tu me venges en tel manière « que tu Tochies sans délai. » Et je li respondi : « Dame, « che ne porroie je faire que je ne morusse.» « De che, » fait elle, t n'as tu garde. Car je te baillerai tel garne- * ment que tant comme tu le porteras sour toi tu ne per- « deras goûte de sanc ne ne recheveras plaies morteus. » Lors me bailla le fuerre d'uf'/. 122 ^)nc espee et dist : « Je le te doing : chis te vaurra tant comme je t^ai de- a visé. Et saches que se tu me venges de mon frère ensi tt comme je le t^ai conté, trop ^ te ferai (faire) riche homme a a tous les jours de ta vie. » Sire, ensi me dist vostre se- rour. Mais pour chou que jou sui vostre hom liges, ne ne doi vostre mal pourcachier por chose quMl aviegne, che vous reconnois jou, et vous pri que vous vous gardés de li. Que bien saichiés que elle ne het autant riens comme vous. *
Q,
UANT li rois entent ceste parole, si [se] saingne de la mierveille que il en a, et demande le fuerre au cheva- lier : « Ore me bailliés le fuerre. Et saches que je me ven- gerai moult bien de ceste desloiauté. » Et cil li baille er- ramment, qui bien cuide avoir fait sa besoigne. Et li rois mais Morgue, s'en retorne droitement au chastiel ou il avoit laissiet prc venue par Morgain. Mais Merlins, qui par ses agais et par son en- Merhn, s'enfuit chantcment savoit canques li rois avoit dit au chevalier,
en faisant dire ^«i-^ i- • •^••' l.«i-i
, quant il vit que li rois venoit si aires au chastiel, il sot
au roi que le ^^ ,^ '
fourreau lui a cle voir qu'il ochirroit erramment Morgain, se elle ne étc' volé, s'estoit errammeut destornee. Il amoit moult Morgain,
MERLIN 271
tout fust il ensi que elle l'en eust cachié d'entour li; si vint a (/. 122 ^J (a) li grant oirre et li dist : « Vous estes morte et hounie. » Et lors li conte tout erramment del roi et del chevalier. Et quant elle entent que la chose va ensi, elle a trop grant paour que li rois ne la fâche des- truire, si crie merchi a Merlin et s'agenoulle devant li et li dist: « Ha! Merlins, aiiés merchi de moi. Aidiés moi a cest besoing, car autrement seroie jou hounie. Et certes lu ses bien que je onques ne di au chevalier che dont il m^a au roi accuset. » « Comment vous en porroie jou aidier? P fait Merlins. « Je le te dirai bien, » fait elle. a Vous remanre's ichi, et je monterai seur men palefroi et m'en isterai de cest chastiel et ferai samblant que je m'en voelle dou tout aler. Et quant li rois verra et il de- mandera de moi, vous li ferés entendant que on m'enbla Pespee a tout le fuerre, et pour la doute oi ^ je si grant paour que je n'osai demourer chaiens, pour la doutance que je avoie de mon frère. Et li chevaliers iert honnis. )> Et Merlins dist que tout chou fera il bien pour l'amour de li. Et elle fait erramment enseler un sien palefroi, et repont laiens le fuerre que elle gardoit, pour chou que li rois ne le trouvast, et ^maintenant se parti dou chas- tiel toute seule sans compaignie.
(f. 122 ^) Apriès chou ne demoura gaires que li rois revint del bois, et ot trouvé sa compaignie. Et quant il i fu venus, et -il demanda erramment ou Morgue sa scrour estoit. Et Merlins saut avant et dist au roi : « Sire, ma- lement vait ; elle s'en est fuie de vostrc ostel et s'en vait en son roiamc. » « Et pour coi s'en vait elle? » fait li rois, a Sire, pour chou que on li embla par ne sai quel mésaventure le fuerre d'une espec que vous li avics bail- lie a garder, et li aviés dit que elle le vous gardast chie-
I . ai — 2. se
272 MERLIN
«
rement sour toutes choses. Or l'a perdu par auchun des- loial chevalier qui estoit entour lui, si redoute tant vostre corouch que elle ne vous osa attendre, ains s'en est alee. »
sur quoi le roi VOUANT H rois entent ceste nouviele, si chiet erram- trancheiatêtcdu ment en un nouviel penser, et cuide bien adont que li chevalier, fait rc- chevaliers ait emblé le fuerre et qu'il li ait dites paroles hiTrend°iT"four- P^^"^ auchune haine de Morgain. Lors est moult coure- reau. ciés et regarda trop ireement le chevalier et li dist :
a Ha ! sire chevaliers, a poi que vous ne m'avés fait faire la gregnour desmesure que (li) rois fesist piecha. Car se jou eusse a che point d'orendroit ma serour trouvée, je Teusse ochise par vos paroles. Mais je connois ore bien que vous estes menchoingniers de tout chou que (f. 122 ^) vous me fesistes entendant. » Lorstraist Tespee et li dist : « Veschi vostre loiier de vostre faus message. » Et le tiert si grant coup qu'il li fait le chief voler plus d'une lanche loing del bu. Et lors dist a Merlin : « Quel part cuidiés vous que ma serour soit trouvée? » Et il li ensegne. Et li rois envoie après li au ferir des espérons; si la trouvèrent cil qui raler(en)ent querre en uneabbeie de nonnains, et l'amenèrent au roi. Et quant il la vit, il li rendi le fuerre, et li dist : « Ore la gardés mieus une autre fois. Car aventure le m'a rendu. Et se je vous euusse chi trouvée, vous Teussies chier comparée. » Et encore cuidoit li rois que celui fuerre que il tenoit fust cil qui avoec Fespee li ot esté ' donnés. Ensi fîslMorgue par son engien pais vers son frère, qui mort elle pourcachoit a son pooir. Li rois ne s'en aperchuit pas qu'elle baast a nul mal, et pour chou la tint il entour soi.
i.q
ui auoec li estoit
MERLIN 273
Li rois Uriiens repaira moult (f, i23^)sl la court Merlin prédit leroiArtu(s) pour l'amour de sa feme, qui toutdis i estoit ^""^ Baudema- et de jour et de nuit. Et pour chou que elle estoit si sou- s"=" J*^"»'^ ^""-
' ^ * sin du roi Lrieii,
tive en moult de choses i'amoit moult li rois Artus; s^^a tue par mais puis le hai il trop mortelment, si comme chis con- cavain, qui est tes le devise, et a droit, que elle le dut faire occhirre. Li ^«" meilleur ami rois Uriiens avoit un sien cousin qui moult estoit biaus enfes et fiers, et estoit si sages de son eage que tuit s'en esmervilloient, ne nul enfant qui fu a chclui tans ou roiame de Logres ne tenoit on a si gracieus, car il estoit et biaus et preus et gracieus. Li enfes estoit de Teage de dis et set ans, tout près de rechevoirTounour de chevale- rie. Et li rois Uriiens n*amoit riens ou siècle autant comme il faisoit lui, et l'apieloient tout communaument Baudemagus. Il repairoit trop volentiers avoec le fil le roi Loth, c'on apieloit Gavain, et avoec Gahariet son frère, ne il n'amoit nule conpaignie autant comme il amoit la compaignie d'aus deus ; ne il n'estoit aisnés de Gavain que sis ans.
Un jour orent li enfant laiens servi par mi le palais, et avoit ja li rois mengiet, et il s'aloient par laiens es- banoiant tout troi. Et estoit Baudem(/. /^J^jagus en milieu, et tenoit son brach dcstre sour Gavain et son seniestre sour Gaharie[t], et trespaserent en tel manière tout iroi par devant Merlin. Et il les prist a regarder et commencha a airer de mal talent et de courouch, si dist mai-ntenant si haut que li pluiseur de laiens le porent bien oir: « Haï Baudemagus, a ta destre est par cui tu périras, si est damages, car en cest pais ne morra en ton vivant ne a ton tans plus sages prinches de toi. » Geste parole oirent li pluiseur, et si ne l'entendirent pas très bien; car des choses qui cstoicnt a avenir ne savoicnl il
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274 MERLIN
riens. Et li rois Artus li demanda quMl li desist encore que clie est qu'il a dit ; mais il ne li veult dire. Et cil qui l'avoient oi(e) le disent au roi tout ensi comme il Tavoient oi dire. Li rois le fist erramment mètre en escrit, et si ne savoit il pas que chou estoit a dire ; mais puis entendi il bien ceste prophesie, car il le sot vraiement, que me sires Gavains ochist puis Baudemagus.
AssÉs parlèrent par laiens de Baudemagus li un et H autre a celé fois, et tant que li pères Saigremor, qui dalés le roi Uriien estoit et estoit venus a court a chelui jour, cil meismes qui faisoit Mordrec norrir avocc son fil, dist au roi Uriien : « Sire, moult vous devés es- goir de si hon(f. I23 ^Jne norreture comme vous avés fait en Baudemagus. Car certes je ne sai ore en tout ccst pais nul damoisiel qui tant fâche a prisier comme il fait. Et pleust ore a Dieu que je eusse un autretel hoir comme il est, car certes je le tenroie moult chier. » « En non Diu, » fait li rois Uriiens, <i je Tainc tant que je ne cuic mie que se che estoit mes fieus que je l'amaisse plus ; si Taim plus pour le bien que je voi en lui que je ne faich pour chou qu'il m'apartiegne.» A ces paroles sailli avant Merlins et dist au père Sagremor : « Li rois Uriiens se puet plus esgoir de sa norreture que vous ne faites de la vostre, et esgoira; car il verra sa norreture et que l'enfant Venir a bien, et vous verres que la vostre vous fera mo- cicvc par le père rir aius vo(u)s jours d'une glaive ague trenchant. Et li de Sagremor yns de CES deus qui ore sont assamblé occhirra l'autre;
(Mordrec) le fera ^j -^ ^-^^^ ^-j.^ ^^^^ ^^^^ j^j^ j^ 1^^ avoec Tai-
mourir. . , r^ .,..,. , i i »
gniel. Tout ensi s esjoira h uns en la mort de l autre. Et chelui jour averra que la bataille morteus sera faite en la plaingne de Salesbieres, quant li haute chevalerie del roiame de Logres sera tournée a mort et a destruc- tion. »
MERLIN 275
A ceste parole s'esmervillierent li un et li autre, si la disent crramment au roi. Et li rois vtsfj, 128 '^jpondi : « Che sont des prophesies Merlin. Mettes ceste en escrit avoec les autres. » Et cil si firent a cui il l'ot commandé. Lors dist li rois a Merlin : « Merlins, tant me dites se ches choses que vous dites oiant moi averront a mon tans. » « Oil, voir, » fait Merlins; « je ne di obscure parole dont vous n^en connissiés bien la vérité ains que vous trespassés de cest siècle. » Et li rois dist que che veult il moult bien.
A Tendemain entour eure de miedi que li rois ot un jour le roi fait tendre ses pavillons dehors le chastiel en une prae- ^'°'' P^^^^f" "" ne, et fu ses très desus ens ou chemin entre petis ar- '^''^^^'''^[ ^"""»=-
,..,.. . . . , ne grand deuil et
bnssiaus, h rois se sentoit un poi pesant, si se coucha en refuse de lui dire
son pavillon, et ot commandé * que tout se partissent pourquoi.
d'illuec entour fors que ses cambrelens. Il commencha
a penser a une chose qui moult li desplaisoit, et en cel
penser estoit tant dolans que nus plus, et pour chou
ne pooit il cheoir en repos. Endementiers qu'il estoit en
cel penser, il escoute et ot venir tout le chemin le frientc
d'un cheval qui assés venoit grant oirre, et hennissoit
li chevaus et faisoit la plus fort friente del monde. Li
rois saut sus de son lit pour veoir quel chose c'cstoit, et
saut fors de son pavillon, et trueve que tuit si cambre-
lenc se dormoient /'Z. 124^). Et il voit que deviers le
chastiel de Meliot venoit uns chevaliers armés de toutes
armes, et faisoit le gringneur duel del monde, et disoit en
son langage : « Ha ! Dieus, ou deservi jou qu'il me cou-
venist a faire si grant mal ne si grant dolour ? Ne je ne
voi que le puisse acomplir. Ja n'estoie jou pas acousiu-
I. commanda
276 MERLIN
mes de faire si grans desloiautés. » Et quant il a ceste parole dite, il recommence son duel aussi grant ou grin- gnour comme il faisoit devant. Et quant il vint devant le roi, li rois li dist : « Ha! sire chevaliers, je vous pri par courtoisie que vous me dites pour coi vous faites cel duel si grant. » Et li chevaliers respont : « Sire, je ne vous dirai nule chose, car vous n'estes mie poissans de l'amender. » Si s'en vait outre sans plus dire. Et quant li rois voit quMl n'en savra plus, il est trop do- lans, si dist a soi meismes : « Ha ! sire Dieus, tant m'en poise que je ne sai pour coi chis chevaliers est si a mal aise ! » Et li chevaliers s'en vait toutes voies son droit chemin viers une montaigne, et li rois le regarde tant comme il puet et dist : « Ha ! Dieus, tant me poise que Il envoie après je ne sai le secré de cel chevalier ! » Et en che qu'i[lj le lui le chevalier regardoit ne demeure mie gramment qu'il voit venir au aux deux épecs, jj-jj^gj-s del chemin le chevalier a deus espees, le cheva- lier ou (f. 124 ^) monde que il looit plus a chelui tans de pris d'armes, et venoit droit a lui. Et quant il voit le roi, il li vait a l'encontre et li dist : « Sire, je sui appa- rilliés por vous faire canques je porroie en cest siècle. » « Vous le m'avés bien moustré, » fait li rois, « n'a pas lonc tans. Mais encore vous prie jou que vous fachiés pour moi une chose qui ne vous grèvera pas gramment au mien cuidier. » Et cil dist que se elle li devoit bien grever, si l'essaiera il puis ^ qu'il l'en requiert. « Je vous pri, » fait li rois, « que vous ailliés apriès un chevalier qui par chi s'en vait. » Se li monstre la voie par ou li che- valiers s'en aloit: « Et faites tant par amours ou par autre chose que il viegne tresqu'a moi. Et saichiés que je ne le voel pas por son mal, mais je vaudroie ore savoir, se il li plaisoit, pour coi il en aloit ore par chi si grant duel fai- sant. » (( Sire, » fait li chevaliers a deus espees, c grant mierchis, quant il vous plaist. Puis que vous le me com-
I. plus
MERLIN 277
mandés, jou irai volentiers et le vous amer[r]ai, se Dieu plaist. »
Lors monte sour son cheval et s'en part dou roi et s'en vait moult grant oirre apriès le chevalier, si n'a pas gramment chevauchié qu'il le vit devant lui aler , et avoit unes (f. 124 <=) blanches couvertures et a lui et a son cheval. Et li chevaliers a deus espees se haste tant de chevauchier qu'il Tataint au piet d'une montaigne. Et dejouste lui avoit une damoisiele qui li disoit : « Pour coi faites vous duel? Se vous nel fesissiés, si le fesist uns autres. » Et il respondoit : « Je vausisse mieus estre mors passé a dis ans qu'il me convenist a suivre ceste aventure. » Et toutes voies menoit son duel, et lors vint a lui li chevaliers a deus espees et li dist ; « Sire, Dieus vous conduiel » Et li autres li respont que Dieus le be- neie. « Biaus sire dous, » fait cil a deus espees, « je vous vaurroie priier pour Dieu et pour chevalerie que vous retornissiés un poi tant que vous eussiés parlé au roi Artu(s) qui vous demande.» Et il li respont : « Sire, ne vous poist : je vous di que je ne porroie retorner a ceste fois en nule manière. Et pour Dieu nel tenés a or- guel; car certes se je le peusse faire, je le fesisse volen- tiers. » « Ha ! » fait cil a deus espees, a sire, pour Dieu nel dites pas a certes : se vous ne tournés arrière, vous m'avrés mort et malbailli, car j'ai créante au roi que je vousamerrai en auchune manière. » Et cil dist qu'il n'en retornera pas; car il ne porroit. « Et bien saichiés, » fait il, € que se je Tc(f. 1 24 ^Jtornoïc qu'il m'en mcskcr- roit. » € Se vous ne retornés, » fait li autres, « vous me ferés faire une vilonnie, car je m'en prcndcrai a vous a bataille pleniere; si m'en poise, se Dieus or m'ait, pour chou que preudomme me rcsamblcs.» t Coument ! » fait li autres chevaliers : « si me couverra combatrc a vous se je ne retorne? Par foi, je n'oi onques parler de si
278 MERLIN
grant desraison. » « En non Dieu, » fait cil as dcus cs-
pees, « il vous en convient venir; si m'en poise, se Dieus
qui le ramène, m'ait; mais a faire le me convient, car je creantai au roi
mais après avoir que je fcroic mon pooir de vous ramener. » « Par foi, »
jure, s'il luj ^gjj jj autres, « je sai bien, se je m'en vois avoec vous,
arrive malheur, ... , , . ,
de poursuivre la ^" " ^^ meskcrra en auchune manière [et] qu'il me con- quête que l'in- verra a laissier ceste queste ou je sui entrés. Et quant je connu a corn- Tavrai laissic, qui sera cil qui le prendera? » « Je le niencce. prendrai, » fait cil as deus espees, « ne ja mais ne la
laira[i] dusques a la mort tant que je l'aie achievee. » « Se vous le me vol[i]és fiancier, » fait li chevaliers, « je m'en retorneroie. » Et il li fianche. « Ore m'en retornerai je, » fait li chevaliers; t mais bien saichiés que je voel que vous me prendés en vostre conduit, si que li blasmes en soit seur vous meismes ; car créante vous le m'avés. » Et cil respont que che veult il bien.
A TANT retorne li chevaliers (/. i25 ^) et dist a che-
lui a deus espees : « Aies devant, car je vous siurrai. »
Et cil se metent el chemin, si oirrent tant en tel manière
Arrivé non loin qu'il aprochent le paveillon. Et quant il sont près k'a
du roi, l'inconnu une archie, li chevaliers qui derrière venoit s'escrie ;
meurt, frappé par ^ j^^ j gjj.^ chevaliers qui les deus espees portés, mors
une ance que ., ^ j ,^ ^ . ^^ : ^^ ^j^^j ^^ VOStre Con-
tient une main ^ ' ^
invisible. duit. Se je sui ochis avoec vous, si en iert la honte vos-
tre et li damages miens. » A che mot se regarde li che- valiers as deus espees et voit que chis estoit cheus del cheval a la terre. Et il retorne maintenant et descent, et quant il est venus a lui, il treuve qu'il est férus par mi le cors d'une glaive si durement que li fiers li passe tout outre par mi le cors. Lors est tant dolans que nus plus, si dist : « Ha! Dieus, honnis sui quant chis preudom est ensi mors en men conduit! » Et li chevaliers li dist a moult grant painne : « Sire chevaliers, mors sui. Li blasmes en doit estre vostre. Ore vous convient entrer
MERLIN 279
en la queste que j'avoie encommenchie et mener a fin selonc vostre pooir. Montés seur mon cheval, qui mieus vaut que li vostre, et aies apriès la damoisiele que vous veistes en ma compaignie. Ceie vous merra la ou vous devés aler, et vous mou(f. 12^ ^jsterra en brief terme chelui qui m'a ochis. Ore i parra comment vous me vengerés. » Et si tost comme il a cest[e] parole dite, il s'estent * maintenant, et lors li part l'ame dou cors.
Li rois Artus fu la venus anchois que li chevaliers fust mors, et oi grant partie des paroles qu'il avoit dites. Et chil a deus espees li dist: « Sire, je sui honnis, quant si preudom comme chis estoit est mors en mon con- duit. » « Certes, » fait li rois, « je ne vi onques si grant ï-e chevalier merveille comme ceste est. Car je le vi ferir, et si ne vi ^^^ ^'^^^ ^^"^ mie chelui qui le feri. » Lors prent li chevaliers la glaive ^^^'°"^^'' ^ ^"
'■ * " moiselle qui doit
dont il estoit férus et li traist fors del cors. Puis dist au ^^^■^ indiquer la
roi : « Sire, je m'en vois de chi, si vous commanc a quête à pomsui-
Dieu, que je sui cil qui ja mais n'enterra en vostre court ^'^^•
devant que j'aie cest chevalier vengié et mené a fin la
(que) queste que il avoit encommenchie. > Et lors vint
au cheval le chevalier et monte, et prent son escu et s'en
part des pavillons, si s'en vait apriès la damoisiele. Et li
rois remest au chevalier encoste lui, et estoit si esbahis
qu'il ne set qu'il doie dire. Entrues que il se regardoit
vinrent illuec si canbrelent et li disent : « Sire, quia
cest chevalier occhisP» t Ne sai, » fait il, « se Dieus
m'ait. » A ces paroles qu'il disoient vint Merlins entr'eus,
qui dist : ff. i25 ^) « Rois, ne vous esbahissiés pas de
ceste aventure, car encore en verras tu de plus mervil-
leuses, mais fai faire une tombe biele et riche, et metés
dedens le cors del chevalier, et faites dessus la tombe es-
crire : Chi gist li chevaliers mesconneus. Et saches
I . sestut
280 MERLIN
que a che jour que tu savras le non de lui avra si grant joie en ta court que devant ni après n'i orras au- tre qui soit aussi grans. Et devant l'eure nel savras. » Li rois le fist ensi conme Merlins li ot dit.
Or laisse li contes a parler dou roi et de Merlin et parole del chevalier as deus espees, et pour conter com- ment il vi(e)nt de la queste a chief, et comment il fist le cop par coi les aventures avinrent el roiame de Logres qui durèrent vint et deus ans, et comment il ochist son frère îci finit la pre- par mesaveuture et ses frères lui. Et sacent tuit (que mière partie du ^Qut) cil qui Testoire mon signeur de Borron vau- livre de inonseï- ^^^ /2ç''jront oir comme il devise son livre en trois
gneur de Borron, . ,, . ... ,, ,
qui en a trois P^rti^s, 1 unc partie aussi (aussi) grant comme 1 autre, la de même gran- première aussi grande comme la seconde, et la seconde deur; la seconde aussi grant conme la tierche. Et la première partie fenist finit au commen- -j ^^ commeuchement de ceste queste, et la seconde centien u graa ^j commcnchemcnt dou eraal, et la tierche fenist il (il)
et la troisième à o > v /
la mort de Lan- apnès la mort de Lanscelot, a chelui point meisme qu'il ceiot et du roi devise de la mort le roi March. Et cest[ej chose amen- ^^'"■c. joit en la fin dou premier livre pour chou que [se] l'es-
toire dou graal estoit corrompue par auchuns transla- tours qui après lui venissent, tout li sage houme qui meteroient lour entente a oir et a escouter porroient par ceste parole savoir se elle lour seroit baillie entière ou corrompue, et connisteroient bien combien il i faur- roit. Puis qu'il a ore ensi devisé l'assenement de son li- vre, il retorne a sa matière en tel manière.
FIN DU TOME I
Le Puy. — Imprimerie de Marchessou fils, boulevard Saint-Laurent, i3
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1/^96 Merlin
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