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MESSAGER
DES SCIENCES HISTORIQUES
ou
ARCHIVES
DES ARTS ET DE LA BIBLIOGRAPHIE
DE BELGIQUE.
LISTE DES COLLABORATEURS.
MM. D' P. P. M. Alberdingk Thijm, prof, à l'Universilé de Louvain. Beernaerts, avocat, à Malines. J. Béthuive-de ViLLERS, à Gand.
R. Chalon, membre de l'Académie de Belgique, à Bruxelles. G'*^ E. DE Barthélémy, conseill. Gén. de la Marne, à Couriiielois. Émilk de Borchgrave, chargé d'affaires de Belgique, à Belgrade. L'Abbé Hyacinthe De Bruyk , à Bru.xelles. Ch"' L. DE BcRBURE, membre de l'Acad. de Belgique, à Anvers. C'<^ DE Glymes, procureur du roi, à Gharleroi. A. Dejardin, capitaine du génie, à Liège. Fr. De Potter, homme de lettres, à Gand. L. Devillers, conservateur des Archives de l'État , à Mons. Alph. De Vlaminck, archéologue, à Termonde. A. Du Bois, avocat et conseiller communal , à Gand. J. Felsenhart, docteur en philosophie et lettres, à Bruxelles. L. Galesloot, chef de sect. aux Arch. du Royaume, à Bruxelles. P. Génard, archiviste de la ville d'Anvers. J. Helbig, bibliographe, à Liège.
H. Hymans, attaché à la Bibliothèque royale, à Bruxelles. Baron Kervyn de Lbttenhove, membre de l'Académie de Belgi- que, à Bruxelles. Le chanoine J. B. Lavaut, secrétaire el archiviste de l'évêché, à Gand.
F. Nève, professeur à l'Université de Louvain. N. NoLLÉE DE NoDtwEZ , à Bruxellcs.
Alex. PiNCHART,chef de sect. aux Arch. du Royaume, à Bruxelles.
J. J. E. Proost, docteur en sciences pol. et adm., à Bruxelles.
Ch. Rahlenbeek, à Bruxelles.
Max. Rooses, conservateur du Musée Plantin, à Anvers.
A. Siret, membre de l'Académie de Belgique, à S*-Nicolas.
Van Bastelaer, président de la Société archéol., à Marcinelle.
R. Van den Berghe, attaché à la Bibliothèque, à Gand.
G. Van der Elst, archéologue, à Roux.
Edw. Van Even, archiviste de la ville de Louvain.
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DES
SCIENCES HISTORIQUES
ou
DES ARTS ET DE LÀ BIBLIOGRAPHIE
DE BELGIQUE
Recueil publié par MM. le Comte de Limburg-Stirum, Sénateur, Docteur en droit, etc.; Ferdinand Vanderhaeghen, Bibliothécaire de l'Université, etc.; Béthune-d'Ydewalle, archéologue.
Emile Varenbergh, Membre de la Commission de statistique, etc., Secrétaire du Comité, à Gand.
ANNEE 1882.
GAND
IMPRIMERIE ET LITHOGR. EUG. VANDERHAEGHEN
rue des Cbamps, 62
1882.
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LES MONUMENTS DE L'EGLISE DE SOLESMES,
L'église du monastère de Solesmes, non loin du Mans, que le nom de Dom Guéranger a illustré de nos jours, est un des rares établissements monas- tiques de France, qui a pu traverser sans trop de dommages l'ère de dévastation révolutionnaire de la fin du siècle dernier. Elle a conservé ses riches monuments.
La tradition porte que le prieur de Solesmes, Jean Bougler, qui entreprit au XVP siècle la restauration de son église, confia l'exécution de ces monuments à trois italiens , voyageant pour se soustraire à la justice de leur pays, et venus admirer l'œuvre de Michel Colombe dans l'église du prieuré, Jean Bougler les aurait devinés à leur enthousiasme d'artistes et les aurait chargés d'exé- cuter le monument qu'il rêvait pour compléter l'embellissement de son église.
M. Cartier rapporte cette tradition dans l'in- téressant travail qu'il a consacré à la description de l'église de Solesmes ', mais il ajoute : « Cette légende est assez commune pour expliquer les
' Les sculptures de Solesmes, par E. Castiee, nouvelle édition. Le Mans, 1877.
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chefs-d'œuvre dont les auteurs sont inconnus. » C'est dire assez qu'il ne l'admet pas, et il n'hésito pas à attribuer ces belles sculptures à Corneille De Vriendt, plus connu sous le nom de Floris, l'auteur du célèbre tabernacle de l'église de Léau. Des écrivains belges se sont ralliés à cette opinion.
Le prieuré de Solesmes fut fondé au XP siècle, par Geoffroy le Vieux, seigneur de Sablé. C'était une dépendance de l'abbaye de la Couture, Cultura Dei, fondée au VP siècle par saint Bertrand, évo- que de Mans. Geoffroy, après avoir bâti et doté le monastère de Solesmes , l'offrit à l'abbé de la Cou- ture, qui y mit un prieur et des religieux de son abbaye.
Au XV® siècle, le monastère eut beaucoup à souffrir des guerres qui désolèrent cette partie de la France ; il partagea le sort de maints établis- sements monastiques ; les bâtiments furent in- cendiés , l'église ruinée et les archives furent perdues : après le couronnement de Charles VII et le départ des Anglais, les prieurs de Solesmes entreprirent de relever les ruines du monastère, mais ce ne fut qu'en 1470 que le prieur Philibert de la Croix commença la restauration complète de l'église ; une étude attentive de ce monument prouve qu'il la modifia, notamment le chœur, dont il changea la forme.
Guillaume Cheminart, qui avait succédé en 1486 à Mathieu de la Motte , continua les travaux de restauration de l'église et du prieuré de Solesmes, commencés par ses prédécesseurs. Guillaume Che-
minart fut, dit M. Cartier, un des grands prieurs de Solesmes et on doit associer son nom à celui du prieur Jean Bougler, dans la gloire artistique du monastère. Il abdiqua en 1495, mais il vécut jusqu'en 1550, aidant de ses conseils et de ses ressources ses deux successeurs, Philippe Moreau et Jean Bougler, dont il fut l'ami, et il est hors de doute que c'est lui qui fit exécuter les sculptures du tombeau de N. S., que l'on admire encore dans l'église de l'abbaye.
Ce monument, qui fut terminé en 1496, est placé dans l'aile droite du transept, contre le mur sud , qu'il occupe en entier ; il est divisé en deux parties.
L'ensevelissement du Christ forme le sujet prin- cipal de la partie inférieure. La grotte dans la- quelle se passe la dernière scène de la passion est formée par une voûte surbaissée, encadrée par des moulures ornées d'arcs trilobés et de rin- ceaux de feuillages ^ . L'artiste a choisi le moment où les disciples descendent le Christ dans le tom- beau, Nicodème et Joseph d'Arimathie tiennent le linceul sur lequel est étendu le corps du Sauveur. Derrière le tombeau, la Vierge soutenue par saint Jean; deux saintes femmes l'accompagnent ainsi qu'un des disciples qui porte un vase de parfums. La Madeleine, les mains jointes et dans l'attitude de la méditation, est assise au pied du tombeau.
• Cette partie du monument a été reproduite dans le travail de L. Veuillot : Notre Seigneur Jésus-Christ, avec une étude sur Vart chrétien par E. Cartier, publié chez Didot en 1875, p. 321.
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Deux soldats, revêtus de riclies armures, se tien- nent debout aux deux côtés du groupe contre les montants de l'arc.
Au-dessus du sépulcre, les prophètes David et Isaïe, placés dans des niches de style gothique, tiennent des banderolles avec un texte de TÉcri- ture, annonçant la Résurrection et la gloire du Sauveur. Enfin dans la partie supérieure les trois croix. Au centre, entre les deux niches contenant les prophètes, un ange debout tient la croix vide du Sauveur, qui domine toute la composition ; elle est placée entre les croix des deux larrons.
Tout le monument porte le caractère de la der- nière époque du style gothique, sauf les pilastres placés aux deux côtés de la grotte; les riches arabesques en style renaissance, dont ils sont or- nés, forment un sing-ulier contraste avec le monu- ment; mais à cette époque, ce mélange de style se remarque fréquemment.
Un des pilastres porte une inscription qui fixe la date de la construction; on y lit : m. coco. jjjjxx XVI. Karolo VIII régnante.
Ce travail a été attribué à Michel Colombe; cette attribution ne semble pas devoir être con- testée. Cet artiste appartient à la France par sa naissance et ses œuvres, mais il a sa place dans l'histoire artistique de notre pays ; c'est à lui que s'adressa Marguerite d'Autriche pour l'exécution du tombeau que cette princesse fit élever , dans l'église de Brou, à la mémoire de Philibert le Beau, duc de Savoie , son second mari. La i^rincesse confia à Jean Le Maire la mission de négocier
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avec Michel Colombe et elle l'envoya à cet effet à Tours, en 1511. L'accord conclu avec le sculpteur donne les détails les plus intéressants sur l'orga- nisation de l'atelier qu'il dirigeait et sur sa ma- nière de procéder. Colombe se chargea de faire lui-même le modèle en terre cuite du tombeau et s'engagea à le soumettre à la princesse.
]Michel Colombe exécuta également pour l'église de Saint-Sauveur à la Rochelle un saint sépulcre dans le genre de celui de Solesmes. Dans l'église de . Saint-Martin , à Doidlens, il j avait aussi un sépulcre du Sauveur, qui par sa disposition géné- rale et sous le rapport du style présente beaucoup d'analogies avec celui que nous avons décrit '.
En 1505 lut placé à la tête du monastère de Solesmes un homme distingué, Jean Bougler, que M. Cartier appelle le grand prieur de Solesmes; il gouverna le prieuré pendant plus de cinquante ans et y fit fleurir Tobservance, la science et les beaux-arts. Il rebâtit le cloître, la sacristie, res- taura l'église et entreprit de compléter l'orne- mentation de l'église , commencée par son prédé- cesseur. Dans la chapelle en face de celle contenant le tombeau du Sauveur, qui ornait l'aile droite du transept, il fit ériger un monument conçu dans le même ordre d'idées, représentant la mort de la Vierge ; il l'accompagna d'autres monuments dont l'ensemble formait une espèce de poème, dans le- quel il voulut retracer la mort et Texaltation de
• V. Églises et châteaux les plus remarquables de la Picardie et de V Artois. Amiens, 1846
la Vierge. Son œuvre est arrivée jusqu'à nous, mais dégradée et mutilée; on ne sait s'il eût le temps de la terminer, car l'unité manque dans le style et les sujets de ces divers monuments; (f l'architecture qui l'encadre ne se raccorde pas, dit M. Cartier, avec les parties environnantes ; les lignes principales sont à des hauteurs différentes, et tout indique d'autres artistes et même une autre époque ; » on a même mêlé au sujet princi- pal, des scènes qui n'y ont aucun rapport et qui ne devaient pas se trouver dans le plan primitif.
Deux des côtés de la chapelle ont été terminés, mais le monument qui s'appuyait sur le mur ouest du transept n'existe plus. M. Cartier a trouvé , dans une autre partie de Tégiise , une colonnade qui à ses yeux devait en faire partie, d'après les rapports que son travail offre avec l'œuvre des artistes emploj^és par Jean Bougler.
Le plan d'après ces indices comprenait les trois côtés de la chapelle; notre auteur se demande pourquoi ce plan n'a pas été suivi, il l'attribue à un vice de construction qui a dû causer de graves accidents dans la voûte de la chapelle ; on a été obligé de construire un arc supplémentaire pour soutenir l'arc primitif qui séparait la chapelle de la nef de l'église ; le pied droit de l'arc que l'on a été obligé de construire ayant notablement réduit l'emplacement nécessaire pour placer la colonnade qui devait s'y trouver, on dût renoncer à l'y met- tre. M. Cartier suppose également que le mur con- tre lequel s'appuyaient les monuments déjà érigés a cédé, qu'il a entraîné leur partie supérieure et
compromis la solidité des voûtes du grand arc qui toutes sont lézardées. Le fond, dit-il, a été rebou- ché en maçonnerie grossière, et c'est à peine si l'on retrouve quelques restes du mur en pierre de taille auquel étaient fixées les statues. Cette reconstruc- tion d'une partie de la chapelle expliquerait la différence notable que l'on remarque entre les diverses parties des monuments de l'église.
L'œuvre conçue par Jean Bougler est un poème en quatre chants : la mort de la Vierge, son ense- velissement, son assomption et sa vie dans l'église d'après la vision de l'Apocalypse.
Le groupe représentant la mort de la Vierge est posé contre le mur du transept, du côté du chœur; il est placé dans une niche formée par trois arcs surbaissés d'inégale grandeur. L'artiste a représenté la Vierge à genoux , s'affaissant sur elle-même, son fils lui apporte le pain eucharis- tique, elle est soutenue jjar saint Pierre et saint Jean; les disciples, les saintes femmes entourent la Mère du Sauveur *. Parmi les disciples se trouve Hiérothée, dont la statue est un peu plus grande que les autres ; au côté opposé se voit un religieux bénédictin ; d'après la tradition , ce serait le por- trait de ^lichel Bureau , le dernier abbé régulier de la Couture, ami et protecteur de Jean Bougler*;
' L'artiste semble s'être inspiré pour représenter la mort de la Vierge des idées développées par Cliclithovius, dans son livre sur l'Assomption de la Vierge ; la manière dont cette mort était repré- sentée était particulière à la Belgique et n'était pas usitée en France ni en Italie (Cartier, p. 101).
* Ce tombeau est reproduit dans l'ouvrage de L. Veuillot cité, page 549.
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aux deux côtés du monument se trouvent les sta- tues de Denis raréoj)agite et de Timotliée, disciple de saint Paul, placées sous de riches daies, ils s'appuient sur des inscriptions tirées de leurs œuvres.
Les colonnes qui supportent les arcs de la niche et les pilastres sont richement travaillés et chargés d'arabesques et de fleurs, rappelant le style italien; l'intérieur de la niche est remarquable par la ri- chesse et la beauté de ses ornements et la clef en pendentif terminée par un ange tenant une ban- derolle.
Contre le mur nord du transept, à côté de ce monument, se trouve l'ensevelissement de la Vierge ; l'artiste paraît avoir voulu imiter le tom- beau du Christ, auquel il fait face; la disposition de la scène est la même. La Vierge est couchée dans un linceul tenue par quatre personnages. Saint Pierre, au centre de la composition, con- temple une dernière fois la Mère du Sauveur que l'on va descendre dans son tombeau. Derrière lui deux saintes femmes et des disciples jettent un dernier regard sur la Vierge. Un des disci- ples montre un texte dans un livre, à ses côtés deux apôtres qui tiennent le linceul , à gauche saint Jean, à droite saint Jacques, aux pieds du tombeau un religieux bénédictin, dont la tête finement modelée nous offre le portrait de Jean Bougler, en face de lui un personnage drapé à l'antique , dont la physionomie rappelle les types de la renaissance , on pourrait peut-être y recon- naître le portrait d'un des artistes , auxquels
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J. Boiigier avait confié l'exécution du tombeau.
Sur le devant du tombeau un jeune religieux assis et lisant dans un livre, a été évidemment placé pour faire le pendant de la Madelaine du tombeau du Christ. Sa tête a malheureusement été mutilée. La face du tombeau est ornée de bas- reliefs sculptés avec beaucoup de soin, représen- tant l'histoire de Judith et celle d'Esther. Judith, suivie de sa servante Abra, montre la tête d'Holo- pherne aux défenseurs de Béthulie , Esther est prosternée aux pieds d'Assuerus, derrière le roi, Aman est attaché à la potence. Dans un autre bas- rehef au chevet du tombeau on voit Salomon ren- dant hommage à sa mère, à l'autre extrémité, le Chi'ist avec Marthe et Marie '.
Au-dessus de la scène de l'ensevelissement , quatre docteurs de TÉgiise contemplent la femme de l'Apocalypse et expliquent par les textes qu'ils indiquent de la main le mystère des douze étoiles qui la couronnent; ce sont saint Bernard, saint Anselme, saint Pierre Damien et saint Bonaven- ture. Ils sont représentés en buste dans des niches peu profondes arrondies par le haut.
De chaque côté de la grotte du tombeau deux docteurs de TÉglise, placés sous des dais riche- ment travaillés, tiennent un cartouche avec des inscriptions. Ces dais sont placés entre deux pilas- tres qui portent l'entablement sur lequel repose la partie supérieure du monument, où se trouve re- présentée l'Assomption de la Vierge, d'après le texte de l'Apocalj^pse.
* V. la planche qui accompagne cette notice.
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La scène de l'Assomption qui complète ce splen- dide monument est encadrée par un arc triomphal, formé par cinq voûtes d'inégale hauteur, suppor- tées par des colonnes canelées. Sous l'arc central, qui est plus élevé que les autres, le Sauveur reçoit sa Mère, deux anges soutiennent l'arche placée sous les pieds de la Vierge, et au bas on voit le roi David prosterné en jouant de la harpe; sous les arcs latéraux il y a des personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament, ceux du Nouveau Testa- ment ont pour chef saint Pierre. Aux deux extré- mités sous les arcs les moins élevés se tiennent deux anges qui portent devant eux une inscrip- tion. L'arc triomphal est surmonté d'élégants clo- chetons rappelant les édicules de saint-Eustache de Paris, et de ceux des portes latérales de saint- Pierre de Beauvais, le monument s'élève jusqu'à la voûte dont il suit les arcs.
M. Cartier rattache à l'ensevelissement de la Vierge quatre statues de personnages de l'Ancien Testament, portant des textes relatifs à la Vierge, qui ont été transportées dans la chapelle en face, et il suppose que c'est à la suite des dégâts occa- sionnés au monument par l'affaissement de la voûte, dont il a été parlé plus haut, que ces statues ont été déplacées. La partie supérieure aurait dû être refaite et il n'y aurait d'après lui que deux statues de l'œuvre primitive qui au- raient pu être utilisés, ce sont celles des deux anges qui soutiennent la tablette au-dessus de l'arche d'alliance. Mais il y a tant d'ensemble dans cette partie du monument que l'on peut difficile-
— li- ment admettre que l'on ait utilisé quelques-unes des anciennes sculptures, elle a dû être refaite dans son entier ; en tous cas son style diffère en- tièrement de celui du monument qui lui sert de base et il est dû évidemment à d'autres artistes. La comparaison entre les statues du Christ et de la Vierge qui figurent dans la scène de l'Assomption et celle de Tensevelissement, suffirait à le prouver. Les deux chérubins qui portent l'arche d'alliance et quelques autres figures de la scène de l'Assomp- tion, seuls, dit M. Cartier, rappellent les statues de l'ensevelissement; mais pour une œuvre aussi considérable on a dû partager le travail entre plu- sieurs sculpteurs, qui n'étaient pas tous également habiles.
Le troisième côté de la chapelle du transept devait recevoir une décoration analogue ; les frag- ments ont été placés dans la chapelle de droite ; leur exécution offre un tel caractère de ressem- blance avec celles des deux monuments que le doute sur ce point ne peut être admis. Ce dépla- cement eut lieu, probablement lorsqu'on répara les dégradations que la chapelle avait subies ; on ouvrit alors une porte dans cette partie de la chapelle pour établir une communication directe entre les nefs latérales et le choeur, on plaça au- dessus un autre monument, dont le sujet n'a pas de rapport avec le poème de Jean Bougler; c'est la scène de l'Enfant Jésus au milieu des doc- teurs. L'Enfant Jésus est assis sous le portique du temple, il interroge un docteur qui tient le livre des écritures devant lui ; Marie et Joseph arrivent
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tout joyeux de retrouver celui qu'ils cherchaient. Dans le fond, des docteurs discutent, l'un d'eux tient un livre entr 'ouvert, un autre docteur, placé derrière l'Enfant Jésus, se tourne vers un person- nage qui vient d'entrer et lui montre un texte de la Genèse.
Ce monument, d'un style très médiocre et d'une exécution froide, dénote une époque postérieure; il ne ne peut en aucun cas être attribué aux artis- tes qui ont exécuté les autres scènes représentées dans la chapelle.
On ne peut se refuser à reconnaître dans les monuments de Solesmes une influence italienne très prononcée, la légende les attribue à des sculp- teurs d'Italie, mais bien des artistes flamands et français sont allés s'inspirer à cette époque aux horizons nouveaux que la renaissance avait ou- verts, et en reprenant le chemin de la patrie n'ont- ils pu répandre sur leur passage les splendeurs de la renaissance, qui allait se substituer à l'art gothique ; celui-ci était déjà imprégné à cette épo- que de l'influence du progrès et il lui avait sacrifié la pureté de ces lignes.
Sous la protection d'un généreux Mécène ou le bâton à la main, l'artiste prenait le chemin de l'Italie, nombre de nos compatriotes allèrent s'y inspirer, et c'est à l'un d'eux que le prieur de Solesmes se serait adressé pour donner un corps à la splendide conception dont il voulait embellir son éghse. M. Cartier désigne Corneille de Vrient, plus connu sous le nom de Floris, M. Génard ad- met cette attribution dans la biographie qu'il a
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consacrée au brillant sculpteur anversois *. Les titres ne lui manquent ]Das pour oser lui attribuer une pareille œuvre; mais il est souvent difficile, à une époque où la mode se porte avec ardeur vers un genre particulier, de déterminer la part qui revient à chaque artiste, les apparences sont trom- peuses, on cliercbe à y joindre des preuves jplus positives, et ici ces preuves font défaut. On possède une date, elle est inscrite sur une des colonnes du monument qui faisait face au groupe de la mort de la Vierge, c'est l'année 1553. A cette époque, Corneille Floris venait de terminer le célèbre ta- bernacle de Léau, qui lui appartient incontesta- blement, et c'est dans cette œuvre, pour ainsi dire contemporaine, que l'on doit cliercher un point de comparaison.
La partie supérieure du monument de l'enseve- lissement de la Vierge, qui représente l'Assomp- tion, fait songer dans son ensemble au tabernacle de Léau, mais M. Cartier se refuse à y reconnaî- tre le travail du maître, il lui attribue seulement la partie inférieure du monument, ainsi que le groupe de la mort de la Vierge ; mais les person- nages de ces deux groupes ne rappellent guères les figures qui ornent le tabernacle de Léau % celles-ci ont un tout autre caractère.
Dans les ornements on remarque également une
• Biographie nationale, tome VII, p. 131.
2 On peut consulter pour étudier l'influence exercée par C. Floris sur l'architecture de son époque, le travail de M. Schoy, publié dans les Mémoires de V Académie, tome XXXIX.
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différence caractéristique; à Solesmes on ne re- trouve aucune réminiscence des motifs de décora- tion que Floris avait employés à Léau et qui donnent pour ainsi dire leur cachet aux produc- tions de l'École flamande. Floris aida même à propager ce genre d'ornementation par le recueil qu'il publia en 1556, à Anvers, et ouvrit la voie où le suivit d'abord son frère Jacques , ensuite Vredeman de Vriese. Comment peut -on s'expli- quer qu'il n'y en ait aucune réminiscence dans un travail qui vient se placer entre ces deux œuvres, qui ont tant de rapport entr'elles.
Des découvertes ultérieures viendront peut-être dissiper un doute que je crois fondé, et ajouter un nouveau fleuron à la gloire artistique de notre pays.
L'église de Solesmes est aujourd'hui déserte. Les monuments qui en font la gloire l'ont sauvée jadis de la destruction, puisse-t-il en être de même aujourd'hui.
L. St.
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LES TOMBEAUX D'HENRI II ET DE JEAN ffl,
DUCS DE BRABMT, A l'abbaye de villers.
Le temps n'est malheureusement pas éloigné où il ne restera de l'église abbatiale de Villers que des ruines informes, qui disparaîtront à leur tour : etiam periere ruinœ, selon l'expression de Virgile. Le cours des années, joint aux intempéries des saisons, exerce incessamment ses ravages sur l'édi- fice, qui se désagrège de jour en jour et s'émiette pour ainsi dire pierre par pierre. C'est une perte bien fâcheuse au point de vue de l'art et de l'ar- chitecture. Aussi ne peut-on déplorer assez amè- rement l'acte de vandalisme que posèrent les hommes, contempteurs du passé, qui, placés au pouvoir pendant la grande tourmente révolution- naire de la fin du siècle dernier, vouèrent à la destruction, en le mettant à l'encan, ce temple magnifique, ce vénérable monument du moyen âge, spécimen si intéressant de l'époque de tran- sition du style roman au style ogival * .
* Un architecte de talent, qui a fait une étude toute particulière des ruines de Villers, où il a séjourné des saisons entières, M. Ch. Licot, dit que « cette église est un des beaux spécimens de l'époque
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On sait que sous ses arceaux antiques, aujour- d'hui anéantis, avaient été inhumés Henri II et Jean III, ducs de Brabant, ainsi que Sophie de Thuringe, épouse du premier de ces princes.
On sait, d'un autre côté, avec quelle sollicitude les archiducs Albert et Isabelle songèrent à faire restaurer les monuments funéraires des ducs de Brabant et des autres souverains de nos provinces qu'ils considéraient comme leurs ancêtres. On leur dut, entre autres, le rétablissement, en 1620, d'un monument à la mémoire du vainqueur de Woe- ringen dans l'église conventuelle des Frères mi- neurs, à Bruxelles ', et l'exécution d'un cénotaphe
» de transition. » {Abbaye de Villers-la-Ville, de Vordre de Citeaux. Description des tnànes, avec plans et dessins. Bruxelles, 1877, in-8°, p. 60.) Il a exposé les plans de son deuxième travail sur les ruines à l'exposition des Beaux- Arts, en 1881, où ils lui ont valu la mé- daille d'or.
La remarque de M. Licot vient encore ajouter aux regrets qu'on éprouve en présence de la destruction d'un pareil monument, peut- être unique en son genre.
Telle est la célébrité des ruines de l'abbaye de Villers et tel est l'intérêt général qu'elles inspirent, que ces ruines ont fait de la part de M. Licot le sujet d'un second et important travail, qu'il a présenté au dernier concours pour le grand prix littéraire, fondé par le roi. C'est ce qu'à fait aussi M. Emile Coulon, architecte pro- vincial du Brabant, qui a eu pour collaborateur dans cette étude leu M. E. Van Bemmel. Mais la palme n'a été décernée à aucun des concurrents. Antérieurement, M. Coulon avait publié une descrip- tion des ruines, avec planches, dans les Bulletins des Commissions royales d'art et d'archéologie, t. XVII, p. 259 (1878). L'auteur, en- thousiaste de son sujet, cela se comprend, déplore, lui aussi, au point de vue de l'art , la destruction de l'église de Villers , qu'il considère comme un chef d'œuvre d'architecture ogivale.
» Histoire de la ville de Bruxelles par MM. Henné et Wauters, t. III, p. 103. Geschiedenis van hertog Jan den eersten van Braband en zyn tydvak jjar M. Charles Stallaeet; 1859, in-S", p. 287, et M. A. Wauters, Le duc Jean J^'". Le Brabant sous le règne de ce prince, p. 220. (Mémoire couronné par l'Académie royale, en 1862.)
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à la mémoire de Jean II, dans le chœur de l'église collégiale des SS. Michel et Gudule.
Adrien de Riebeke, premier roi d'armes des Pays-Bas et garde de la bibliothèque de l'archiduc Albert % appela, à la suite d'une mission dont il avait été chargé, l'attention de ce prince sur les tombeaux de Villers. C'est ce que nous apprend une requête du héraut à l'archiduc. En voici la teneur :
A Son Altèze Sérénissime,
Remonstre en toute humilité le conseiller et premier roy d'armes de V. A. S. que, passé quelques années V. A. S., désirant estre informée de la forme et anticquité du cha- peau ^ des ducqz de Brabant, pour à quoy satisfaire le remonstrant est allé en plusieurs endroictz visiter leurs Chartres et sépultures et puis en a donné raport par escript à V. A. S., et en quels termes il avoit trouvé lesdites sé- pultures, entre aultres, la sépulture d'Henri, IP du nom, duc de Brabant, qui mourut l'an 1247, érigée en tombe eslevée en l'église de l'abbaye de Villers, sur laquelle il est représenté au naturel, et dame Sophie, sa femme, pa- reillement vestue à l'anticque, la peinture et figures gas- tées, en sorte qu'on ne sçait congnoistre les escussons qu'il y at en allentour de ladite tombe, et sans aulcun escript,
• Adrien de Riebeke ou Van Riebeke appartenait à une famille noble de Gand. Il naquit en cette ville le 17 avril 1574, après Pâques, et mourut en 1625. Il était fils de Gaspar et de Nicole Van der Has- selt. Il y a à la Bibliothèque royale, fonds Goethals, un petit manus- crit (n» ] 420) de ce Gaspar, où il donne des renseignements précis sur sa famille et sur la naissance de ses enfants. Une généalogie de la même famille a été faite par Marius Voet, bourgmestre de Bruges. (Ibid., n» 736.)
* Pour couronne ducale.
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fors qu'un petit escript en parchemin pendu à ung pilier, à l'opposite de ladite tombe, subject à estre emporté, et ainsy la mémoire se perderat. Item, celle de Jehan, IIP du nom, duc de Brabant, qui mourut l'an 1355, érigée en tombe eslevée, devant le grand autel audit Villers, sur la- quelle il a esté représenté au naturel, selon les pièces qu'on en voit, aiant en allentour de ladite tombe plusieurs escus- sons armoriez, ladite tombe ruynée par les troubles et mutineries, sans qu'il y ait aucun escript, fors qu'un petit escriteau, comme dessus.
Lesquelles sépultures ledit roy d'armes lors remonstroit qu'il eut pieu à V. A. S., pour conserver la mémoire, les faire restaurer, avecq escripts convenables, ce que se pourroit faire à peu de frais et despens, surquoy, jusques à présent, n'est sorti aulcune effect. Mais, comme à présent est vacante la prélature de ladite abbaye, plaise à V. A. S. estre servie, en la pourvaiant, charger le nouveau prélat avecq la restauration et renouvellement desdites sépultu- res, au contentement de V. A. S. A quoy il ne pourra con- tredire, pour aultant que leur est ung honneur d'avoir telles sépultures, ung embellissement, décoration de leur église, et, au surplus, pour l'obligation de bienfaictz qu'ilz ont eu des ducqz de Brabant, prédécesseurs de V. A. S.
Quoy faisant, etc.
D'après cette requête, la statue de Sophie de Thuringe était couchée, comme celle de son époux, sur son tombeau. Il faut croire qu'elle disparut après la visite du roi d'armes, puisqu'aucun auteur ne l'a signalée ' .
* M. A. Wauters dit que cette statue ne figura jamais à côté de celle du duc. (Vancienne abbaye de Villers. Histoire de Vabbaye et description de ses ruines. Bruxelles, 1868, in-8°, p. 90.) Il est fâcheux que de Riebeke ne nous ait pas dit où et comment était disposée l'effigie de la duchesse Sophie. J'ajouterai à propos de la publication
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L'apostille que reçut la requête était conçue en ces termes :
Rapport fait à Son Altèze, soit ceste requeste envoyée à l'abbé esleii de Villers, afin qu'il pourvoye à ce qu'est icy requiz, dont le suppliant procurera l'exécution.
Fait à Bruxelles, le 23 de may 1620.
L'abbé élu de Villers était Henri Vander Heyden, natif de Louvain, prieur de l'abbaye de Saint- Sauveur, à Anvers. Il succéda à Robert Henrion, décédé ' . Ensuite de la démarche du roi d'armes de Riebeke, la lettre suivante lui fut adressée.
de M. Wauters, que cet auteur, en terminant, forme des vœux pour la conservation des ruines qu'il a décrites et dont il fait ressoi-tir toute la beauté. On ne peut que le répéter : ce sont là des vœux, bien légitimes, sans doute, mais stériles, à moins d'une puissante intervention, et oîi la chercher? Les ruines de Villers sont destinées à périr. Celui qui écrit ces lignes a vu l'église quand elle était en- core toute voûtée, ouvrage dont il ne reste plus un vestige. Ainsi finira le reste. M. Wauters ne se fait aucune illusion à cet égard. « Malheureusement, dit-il, elle (l'abbaye) se trouve dans un état de délabrement qui en rend la restauration presque impossible. Tant d'outrages accumulés en quelques années et l'action continue des pluies et des hivers l'ont transformée en un ensemble de ruines, où la dévastation ne cesse de marcher à pas de géant : les eaux minent les fondements des murs, les pignons, les voûtes, les arcs-boutants croulent et le sol s'encombre de débris. Bientôt, si l'on n'y prend, garde, il ne restera du noble monastère, fondé par saint Bernard, que quelques vestiges informes. »
* Les lettres de nomination de l'abbé Vander Heyden dénotent des institutions politiques si essentiellement diflférentes de celles qui nous régissent, que nous en donnons le texte comme une curio- sité. On remarquera la contradiction qu'il y a dans ce document. Les archiducs ordonnent aux religieux de procéder à l'élection d'un abbé et en même temps ils leur imposent celui dont ils ont fait choix. Comme le procès-verbal de l'élection manque aux Archives du royaume, on ne pourrait dire de quelle façon les choses se passé-
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Les Archiducqz.
Révérend père en Dieu, cher et bien araé, estans adver- tis que les sépultures et tombes des feus ducqz de Bra- bant, Henri II et Jean, IIP de ce nom, nos ancestres, ensevelis es l'église de Notre-Dame de Villers, sont telle- ment descheues et ruynées par les guerres passées, qu'il en reste bien peu de mémoire , sans que les abbez , voz prédécesseurs, aient eu soing de les relever, selon qu'ilz deussent avoir faict, en souvenance des belles et riches fondations dont icelle maison a esté bénéficiée par la pieuse libéralité desdits princes défunctz, nous vous avons bien voulu dire en ceste, que vous ferez chose agréable et digne de bon prélat de, à vostre première entrée en la- dite abbaye, donner ordre à ce que lesdites sépultures et antiquitez soient restaurées et éluminées, en sorte que la mémoire en puisse demeurer à la postérité, usant à ces fins de l'advis et adresse de nostre premier roy d'armes Riebeke, lequel, mieux informé en ce particulier de nostre bonne intention, vous sçaura donner la trace pour conve- nablement l'eâectuer.
Et confians que vous vous monstrerez en ce non moins religieux que diligent, nous prions le Créateur, etc. De Diest, le . . juing 1620.
L'abbé Vander Heyden, qui était un homme distingué * , tint-il compte de la lettre qu'on vient
rent. On voit seulement que les deux commissaires du gouvernement chargés, selon l'usage en pareil cas, de recueillir les suffrages des moines, étaient l'abbé de Cambron et Nicolas Van den Brande, conseiller au conseil de Brabant.
' La preuve, c'est qu'il fut nommé à l'exclusion de toute la com- munauté de Villers, où le gouvernement, il faut bien le croire, n'avait pas trouvé un sujet réunissant les qualités voulues pour lui conférer la direction du monastère. L'abbé Vander H'^yden établit à Villers une nouvelle bibliothèque et embellit l'intérieur de l'église.
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de lire? On n'oserait l'affirmer, puisque la statue de Jean III resta dans l'état de mutilation où elle se trouvait alors. Ce prince, rappelons-le en pas- sant, reposait devant le maître-autel « soubs une » tombe très magnifique , hautement relevée , » longue de dix pieds * et large de cinc, couverte » d'une très belle pierre de touche, avec sa figure » très bien taillée et richement ornée ; sa chemise » de mailles et armure toutes dorées, revestue >'> d'un surcot ou cotte d'armes et pardessus un )) baudrier militaire doré, auquel l'escusson de » ses armes est pendant, la teste ^ sur le front » ceinte d'un cercle ou couronne d'or chargé de » petits sautoirs de guelles. » Telle est la descrip- tion que nous devons à Butkens, qui a orné son ouvrage d'un dessin de la tombe \ Trente niches, dans le style ogival, étaient disposées autour du soubassement. Elles étaient vides quand Butkens les examina. Comme cet auteur et M. Wauters le font remarquer, les troubles du XVP siècle avaient eu de fâcheux résultats pour le monument. Les iconoclastes brisèrent les bras et les jambes de la statue, qui resta dans ce pitoyable état, malgré les recommandations de l'archiduc Albert. En cela, il faut bien en convenir, l'abbé Vander Heyden et ses successeurs se montrèrent très peu soucieux de la mémoire d'un si grand personnage, qui avait été un bienfaiteur de l'abbaye, comme le furent ses aïeux.
< M. Wauters dit par mégarde haute de dix pieds. {Ibid., p. 91.) " Elle reposait sous un dais en style ogival. ' Trophées du duché de Bradant, t. I*"", p. 420.
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Au moins ne peut-on pas faire ce reproche au roi d'armes de Riebeke, puisqu'il fit des démarclies pour qu'on restaurât le monument, œuvre due à un artiste fort habile nommé Colard Garnet ' . Celui-ci l'exécuta pendant les années 1363 à 1367, sous le régne, par conséquent, du duc Wenceslas et de la duchesse Jeanne. Il faut donc y voir un témoignage de la piété filiale de cette princesse, fille et héritière de Jean III et dernière descen- dante de son antique maison.
Le tombeau du duc Henri II avait échappé aux désastres du XYP siècle. Il était resté intact ou à peu près. Il se trouvait entre deux colonnes du chœur, à droite. De même que pour la tombe de Jean III, Butkens nous en a transmis un dessin, accompagné dune description sommaire. Il en résulte que cette tombe avait onze pieds de long, huit pieds trois pouces et demi de large, et quatre pieds, moins deux pouces et demi, de haut. La statue du duc, étendue sur le dos, était revêtue d une robe de pourpre et d'un manteau de couleur rouge, de gueules en termes héraldiques. Elle avait le front ceint d'uu bandeau de la même couleur. A chacun de ses côtés on voyait un ange, qui tenait un encensoir. Aux pieds était couché un lion, ou mieux, si l'on veut rester dans le lan-
'■ A. PiNCHART, Archives des Arts, des Sciences et des Lettres, pu- bliées dans le présent recueil. ( Foy. le tome !«■■, première série, des tirés-à-part.)
Les restes de la tomlie de Jean III se trouvent, paraît-il, au châ- teau de M. De Man de Lennick, à Hévillers. ^A. Wauteks, loc. cit., page 91.)
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gage héraldique , un lion rampant. Les douze niches du soubassement avaient conservé leurs statuettes, dont deux seulement se reconnaissaient à leurs armoiries : Henri I, père du défunt, et le seigneur de Perwez , son oncle * .
Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer la différence d'accoutrement et d'attitude des deux princes, tels qu'on les avait représentés sur leurs tombeaux. Henri II a la figure imberbe. Ses che- veux pendants, ses traits empreints de sérénité, sa longue robe ou tunique sur laquelle se détache néanmoins une ceinture à pendant, marque de chevalerie , crojons-nous , et que recouvre un ample manteau, ses mains jointes enfin, lui don- nent un air de cénobite. Jean III, au contraire, ayant toute la barbe, gisait, à part le heaume, dans l'équipement du guerrier, avec l'écu et la. dague au côté. Il portait fièrement sa cotte d'armes, écartelée aux armes des duchés de Brabant et de Limbourg, qui sont un lion aux émaux différents. C'était bien là « la mâle figure de ce valeureux » chevalier, de ce noble poète, qui répondit par un » chant de guerre au défi de dix-sept princes ^ -» Un autre détail à noter, c'est que le ceinturon et le baudrier de Jean IH paraissent être enrichis de pierreries, tandis que la ceinture de Henri II est tout unie et répond à là simplicité des vêtements dont ce prince est revêtu. Trait des mœurs du
* Jacques, baron de Walhaiu, issu de la maison ducale, et Arnoul, seigneur de Villers-Perwin, son petit-fils, avaient aussi été inhumés dans l'église abbatiale. (A. Wauters, loc. cit., p. 76.)
' A. WArTEES, loc. cit., p. 91.
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temps : ce même Jean III, si brillamment équipé, s'était fait ensevelir dans la bure et inhumer comme un moine ' .
Les deux tombes de Villers ont fait le sujet d'un mémoire de feu Mgr. De Ram, recteur magnifique de l'université de Louvain, qui paraît n'avoir pas été publié. Ceci demande quelques explications.
Dans la séance de la classe des lettres de l'Aca- démie royale, du 9 février 1846, M. De Ram pré- senta un mémoire intitulé : Recherches sur les sépultuj^es des comtes de Louvaiyi et des ducs de Bradant à Nivelles, à Afflighem et à Villers. Ce mémoire faisait suite aux recherches de l'auteur sur les sépultures des ducs de Brabant à Louvain ^ Bien que la classe eût désigné MM. de Gerlache et de Reiffenberg pour l'examiner, il n'en fut plus question ultérieurement ^ Toutefois, à la séance du 13 janvier 1851, M. De Ram déposa un nou- veau mémoire qui traitait de l'histoire des comtes de Louvain et de leurs sépultures à Nivelles \ 11 entretint en même temps ses confrères de la « notice w qu'il comptait leur présenter et dont
* « Anno M" CCC° LV°, in profesto beati Nicliolaï, obiit Bruxelle Johannes, hujus nominis Lotharingie, Brabancie et Lymburgis dux tercius, sacrique imperii marchio , in habitu monachali, qui rexit annis XLIII, et est sepultus sicut monachus in ecclesia abbatie Vilariensis. » (Chronique de De Dynter, publiée par M'' De Ram (Com- mission royale d'histoire), t. II, j). 689.) Le duc portait l'habit mo- nacal de l'ordre de Citeaux.
* Mémoires de l'Académie royale, t. XIX (1845).
' Voy. les Bulletins de l'Académie royale, 1" série, t. XIII, 1" partie, p. 169.
* Il a été publié dans les Mémoires de l'Académie, t. XXV.
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le sujet était « les sépultures ducales d'Afflighem, » de Villers, de Bruxelles et de Tervueren*. » Ce projet ne fut pas réalisé, car les Bulletins de rAcadémie ne font plus mention de ces notices. Lorsqu'en 1854 M. De Ram publia le tome II de la chronique de De Dynter, il signala dans une note, comme étant prêt à être livré à l'impression, l'écrit qui nous occupe ^ Enfin, plus tard, en publiant les œuvres de Molanus, il le cita, en y renvoyant le lecteur, comme s'il était réellement publié ^ La vérité est que cette publication est restée à l'état de manuscrit.
Outre la gravure donnée par Butkens, il existe à la Bibliothèque royale, section des manuscrits (n° 7781), un dessin à moitié colorié de la tombe d'Henri II et qui paraît avoir été exécuté anté- lieurement. Il est dépour\ii de texte et ne porte qu'une inscription commémorative que je crois devoir reproduire K Un autre détail à ajouter au précédent, c'est que le baron Le Roy a inséré dans son Théâtre sacré du duché de Brabant % l'éjDitaphe d'Henri II, d'aj^rès Molanus, dans les œuvres du- quel je ne l'ai pas trouvée ^
* Bulletins, t. XVIII, 1" partie, p. 129.
^ » Typis paratam habemus clisquisitionem (Recherches sur les sépultures des ducs de Brabant à Villers et à Afflighem), quâ illa Henrici II sepultura illustratur. » (T. II, p. 689, dans les publica- tions de la Commission royale d'histoire.)
'■' T. I, pp. 24 et 26, dans les mêmes publications.
* « Tumba Henrici II, Brabantise ducis, in ecclesia Yillariensi, de cujus in monasterium illud amore ac munificentia leguntur varia in abbate XIII" Ai'nulfo, sub annam 1240, electo. » [Voy. à ce pro- pos A. Wauters, loc. cit., p. 26.)
* T. I", 2e partie. Wallon-Brabant.
^ Édition citée de M. De Ram. Cette épitaphe existe dans un
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Quant à rinscription commémorative rappelée dans la requête du roi d'armes de Riebeke, je l'ai recueillie là où certainement il ne fallait pas s'y attendre : dans le dossier d'un procès plaidé, en 1632-1634, devant le conseil souverain de Brabant entre l'abbaye de Villers, demanderesse, et Charles d'Argenteau, chevalier, seigneur de Ligny, etc., défendeur. Le sujet du procès était la dîme de Ligny dont l'abbaye revendiquait la possession. Elle alléguait qu'elle l'avait obtenue de ce même duc Henri, son bienfaiteur, inhumé dans l'église abbatiale. Comme preuve de cette inhumation elle indiquait non seulement le tombeau du prince, mais l'inscription qui s'y rattachait '.
manuscrit de la bibliothèque royale, fonds Goetlials, n° 1621, Re- cueil d'épitaphes de Bruxelles et des environs. François Sweertius l'a publiée dans ses Monumenta sej)ulcraUa et inscriptiones jpublicœ privatœque dncatus Brabantiœ. Je présume que son insertion ne sera pas de trop ici.
Mundi terrorem marmor tegit hoc et honorem, Qui Brabantinus dux fuit et dominus. Quem Deus hùc misit, sub quo Brabantia risit. Quo vixit tuta sua gens, plebs altéra muta. Submisit magnum quemcunque, velut lupus agnum. Hoc probat Angensis, Dalensis, Juliacensis. Corde Deum rogitemus euni citô giorificari, Ut per eum aethereo capiti valent sociari Summa potentia gaudia cselica donat eidem, Cui Brabantia tota est patria subdita pridem. Obiit an, guljernationis Brabantie XXII.
* Elle fut transcrite dans une enquête faite à Villers, le 5 juin 1632, par Libert Van den Hove, conseiller au conseil de Brabant, juge commissaire délégué dans la cause, aidé d'un secrétaire. Voici en quels termes elle était conçue :
« Anno ab humanse salutis exordio m ce docimo, présidente Inno- centio tertio, pontifice maximo, romani imperii monarchiam tenente
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Ce n'est pas, semble-t-il, sortir du cadre de cet ai^ticle que d'y ajouter quelques renseignements qui se rattachent plus ou moins au sujet qu'on y traite.
En 1205, Henri I et Mathilde de Boulogne, sa femme, donnèrent aux religieux de Villers, pour le repos de leurs âmes et de celles de leurs ancêtres et de leurs descendants, deux lastes de harengs, à prélever sur leurs revenus à Calais'. Le duc fit une nouvelle donation dans la même intention en 1231. Elle consistait en une rente annuelle de 10 livres de Louvain, constituée sur la halle aux draps, à Anvers \
Ottone quarto, Brabantia? perat (sic) dux Henricus, ejus nominis primus, qui annos xlviii reguo potitus, Colonie Agrippine fatalem obiit mortem. Cujus monumentum Lovanii in œde (divi Pétri apos- toli; sacra, medio choro erectum visitur, Del'uncto pâtre, Henricus filius in dvicatu Bi'abantiee sufficitur, et cum esset princeps bellico- sus ac strenuus, ad Rlieuum et ad Mosam plurima bella gessit, fuit- que in Deum pius , divini cultus admodum amator. Condita sunt enim ab eo ceenobia dominarum iu Banco, extra muros oppidi Lova- niensis, et Vallis-Ducis, cisteruieusis ordinis, quod sumpsisse vide- tur appellationem ducis a conditore duce; qui vita functus est Lovanii, anno gubernationis suse xxii. Cujus corpus in hoc mouas- terio advectum fuit et hoc loco sepultum , anno a Christi ortu millesimo ducentesimo quadragesimo septimo , ab hujus domus conditione centesimo primo. Condebatur enim hoc Villariense ce- nobium anno Dominice Incarnationis millesimo centesimo xlvi.
» Anno Dominicse incarnationis mcclxxv obiit domina Sophia , filia sancte Elisabeth, uxor ejusdem Henrici, quse recondita est hoc ipso monasterio a latere viri sui. «
» BuTKENS, t. pf, p. 170, Preuves, p. 59, et Mm^us, t. III, p. 76.
* ]Mir.ï:us, t. III, p. 92. Par une charte, datée de Jodoigne, le 18 des Kalendes de mai 1184, Henri !«■■ confirma l'abbaye dans ses possessions et augmenta celles-ci. (Ibid., t. I, p. 287.) Il donna de nouvelles preuves de sa munificence , à Villers même, en présence de la duchesse Mathilde, des abbés de Vaucelles, de Clervaux, de Bouillon, de Looz, etc., le 24 mai 1197, et en l'année 1200. (A.Wau- TEES, loc. cit., p. 28).
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Au mois de mars de Tannée 1241, le duc Henri II était le commensal des religieux de Vil- 1ers, chez qui, apparemment, il goûtait les charmes de la tranquillité. Il voulut perpétuer le souvenir de ce séjour par une donation et par la fonda- tion de différents anniversaires. C'est ce que nous apprend une charte qu'a publiée il n'y a guère long-temps M. A. \\''auters'. EUe est datée de Villers, le jour de la Cène (28 mars) de l'année précitée. Le duc cède aux religieux, à titre d'au- mône et pour le salut de son âme et de celles de ses prédécesseurs, les deux tiers des revenus de trois cents bonniers de bois dans les forêts de Hez et Bossut K II leur laisse la faculté d'acquérir le troisième tiers, au dire d'hommes discrets, ses féaux, Daniel, chanoine à Nivelles, et W., cheva- lier de Haecht. Ces deux tiers étaient destinés à des pitances en vin et en poisson à distribuer aux moines le jour des anniversaires du duc, père du donateur, de sa mère, la duchesse Mathilde, de feu son épouse la duchesse Marie, ainsi que le jour de l'Annonciation. Une somme de six livres est affec- tée à chacun de ces jours. Pareille somme devait être employée à l'anniversaire du duc, après son décès.
Outre cette charte, M. "Wauters en a publié une qui la confirme et l'am^^lifie '. Elle est datée de Lierre, mois de mars 1298 (n. st.).
* Avialectes de diplomatique, dans les Bulletins de la Commission roj'ale d'histoire.
^ Elles étaient dans le voisinage de l'abbaye. ^ Loc. cit.
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Une sanction antérieure lui avait été donnée par le duc Henri III, dont la charte peut être considérée comme un véritable codicille. Nous la connaissons par un vidimus d'Aleyde de Bour- gogne, l'épouse d'Henri III . Le vidimus est du 5 mars 1261 (n. st.), tandis que la charte est du jour même où le duc Henri scella son testament, c'est-à-dire du 26 février précédent \ Examinons la substance de ce document.
Le duc assigne à sa fille Marie une somme de dix mille livres, monnaie de Louvain, à prélever sur le produit de la forêt de Soigne et à payer en dix annuités, de mille livres chacune. En outre, il fait une libéralité de mille livres à ses serviteurs et « garçons » en récompense de leurs services. Cette somme, à prendre sur le plus clair de ses revenus, devait être remise après son décès, par ses exé- cuteurs testamentaires, qui étaient, comme on le voit dans la charte, frère Gérard de Huldenberg, ancien prieur des Dominicains, à Louvain, frère Walter de Trêves, du même ordre, frère Pierre, lecteur des frères mineurs, à Bruxelles, et sire Gérard de Marbais. Le duc ratifie ensuite le don précité fait par son père aux religieux.
' Le vidimus et la charte sont transcrits dans un cartulaire de l'abbaye de Villers, offert, aux Archives du royaume, le 27 décem- bre 1879, par M. de Bavay, conseiller à la cour d'appel, à Bruxelles. On trouvera plus loin le texte de ces deux pièces. (Annexe IL)
Je signalerai comme se trouvant au folio 30 de ce cartulaire des lettres de Frère W., abbé de Clervaux, du mois de novembre 1238, au sujet de l'emploi d'une somme de trois cents livres, donnée au monastère par un de ses religieux, Gobert d'Aspremont, qui avait été un guerrier valeureux. (Voy. ce qu'en dit M. A. Wauters, loc. cit., p. 77.)
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Jean II ne se contenta pas de le sanctionner ; à l'exemple de son bisaïeul, il gratifia le monastère d'une rente annuelle s'élevant à trente livres, à appliquer par moitié à deux pitances, à distri- buer : Tune à l'anniversaire de son père, l'autre à celui de sa mère. Toutefois , le duc stipule qu'après sa mort, un tiers de la rente sera appli- qué à son propre anniversaire, les deux autres tiers conservant leur destination primitive. Il assigne la totalité de la rente sur la sixième part qu'il a dans les bois précités de Hez et de Bossut et en ordonne le paiement ponctuel. Ce fut à Alost, la veille de Xoël de Tannée 1299, que Jean II scella cet acte de fondation ' .
Le fameux Henri de Gueldre, évêque de Liège, qui tenait en grande estime Tordre des Citeaux et particulièrement Tabbaye de Yillers, s'est plu à rappeler à différentes reprises que le duc de Bra- bant, son oncle, avait reçu la sépulture dans cette abbaye, circonstance qui contribua aux faveurs que Tévêque accorda à celle-ci ^.
Le cartulaire mentionné plus haut nous fournit
* Annexe n° III.
» Voici comment il s'exprime : « Licet singula cenobia cistersien- sis ordinis in nostra diocesi constituta siucera diligamus in Clinsto karitate, specialius (?) tamen villarensis monasterii, ordinis predieti, nostre dyoc6sis , in quo dilectus et fidelis noster Henricus , bonee memorie, olim Lotharingie dux et Brabancie , carissimus noster avunculus, obtinet sepulturam, ampliori nos convenit pi'osequi gra- cia et favore, maxime cum venerabiles abbas et monachi illius loci precipui dicautur esse ordinis zelatores et odorem sancte vite et bone famé per orbem fere profudiut universum. » Ce document est daté du jour de saint Léon 1250. ^Cartulaire de Villers, fol. 32. Voy. aussi les pièces transcrites aux fol. 33 v° et 34 v° du même cartulaire.)
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la preuve que les religieux étaient en possession d'une charte spéciale relative à cette sépulture. Il est regrettable qu'elle n'ait pas été transcrite et qu'on se soit borné à en énoncer le titre, auquel seul nous sommes donc réduit. Aussi convient-il d'en prendre acte ', Il est à présumer qu'il y avait une charte semblable concernant l'inhumation de Jean III, mais le cartulaire de Yillers, embrassant cette époque, n'a pas jusqu'ici été retrouvé , que nous sachions.
Outre les anniversan-es des ducs de Brabant, on célébrait à Yillers celui de Marguerite, comtesse de Flandre. C'est ce que nous apprend une charte de la comtesse donnée à Valenciennes, en 1262. Une rente de dix livres de Flandre, à prélever sur l'espier {spicarium) de Lille, était consacrée à cette fondation \ Quant au motif qui porta la comtesse Marguerite à donner la préférence à un établisse- ment religieux lointain, situé hors de ses États, le document n'en dit mot.
L. G.
' De fiindatione altaris Evangelistarum, de sepuUura ducis et de missa ibidem celebranda. (Fol. 14 v°.)
' MiRuEus, t. III, p. 607. Il est étrange que cette charte ne figui-e pas dans le cartulaire de Villers.
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ANNEXES.
Lettres patentes des archiducs Albert et Isabelle nommant Henri Van der Heyden abbé de Villers.
20 mars 1620.
Albert et Isabel- Clara -Eugenia, infante d'Espaigne, par la grâce de Dieu, archiducqz d'Austriche, ducqz de Bourgoigue, de Lothier, de Brabant, de Lembourg, de Luxembourg et de Gueldres, etc. A vénérables, chers et bien amez les prieur, religieux et couvent de Nostre-Dame de Villers, de l'ordre de Cisteaux, en nostre pays et duché de Brabant, salut et dilection.
Comme à nous, comme ducqz dudit de Brabant, affiert et appartient d'avoir soigneux esgard que les prélatures, abbayes, prévostez, doyennez et aultres dignitez y estans, soyent pourveues de gens catoliques, doctes, de bonne vie et conversation, principalement en temps présent, pour y entretenir et conserver nostre sainte religion chrestienne, et que, par induit apostolique, droict de patronage, régales et aultrement, nous compète et ayons droict de aux préla- tures et dignitez de nos pays de par deçà (quand elles vacquent) nommer personnes souffisantes, idoines et à nous aggréables, et qu'estant par le trespas naguères advenu de damp Robert Henrion, vostre dernier abbé, ladite abbaye présentement vacante, nous ayons faict prendre informa- tion sur la qualité, idonéité et vie des religieux d'icelle, par où il nous est apparu des sens, prudence, régulière, bonne et catolique vie et conversation de vénérable nostre cher et bien amé, dom Henry Van der Heyden, prieur de
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Saiut-Saulveur en Anvers, sçavoir vous faisons, qu'ayans esgard aux causes susdites, vous consentons et requérons que, procédans à élection de vostre nouveau et futur abbé, vous eslisiez, acceptiez et receviez à icelle dignité ledit dom Henry Van der Heyden , comme personne à ce capable et à nous agréable, auquel consentons et permectons de pouvoir sur ce obtenir de nostre saint Père le Pape, de l'évesque diocessain ou aultre supérieur qu'il appertiendra, les bulles apostoliques et provision de confirmation à ce requises et nécessaires, et icelles mectre ou faire mectre à deue exécution, et, en surplus, prendre et appréhendre la vraye, réelle et actuèle possession de ladite abbaye et des droicts, fruits, proufficts et revenuz y appartenans, pour doresnavaut la tenir, régir et administrer, tant au spirituel, que temporel , en ce gardées les solemnitez en' tel cas re- quises et accoustumées.
Si donnons en mandement à nos très chers et féaulx les chef, président et gens de nos privé et grand conseilz, chancellier et gens de nostre conseil de Brabant, et à tous aultres nos justiciers, officiers et subjects cui ce regardera, qu'à vous, en ce que dit est, ils assistent si besoing soit, et, en oultre, facent ledit dom Henry Van der Heyden de ceste nostre présente nomination, accord et consentement plai- nement et paisiblement jouyr et user, cassans tous contre- dits et empeschemens au contraire : car ainsy nous plaît-il.
Donné en nostre ville de Bruxelles, le vingtiesme jour du mois de mars l'an de grâce mil six cens et vingt.
(Archives du royaume : collection de l'audience.)
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II.
Vidimus de la duchesse Aleyde d'une charte du duc Henri, son époux, par laquelle celui-ci donne et assigne
* à sa fille Marie une somme de dix mille livres, et fait une libéralité de mille livres à ses serviteurs, en récompense de leurs services.
(5 mars 1261, n. st.)
Aleidis, ducissa Lotharingie et Brabantie, universis pré- sentes litteras inspecturis, salutem in omnium Salvatore. Noveritis quod patentes litteras karissimi domini et mariti nostri, domini Henrici, ducis Brabantie , magne memorie, cujus anima requiescat in pace cum Domino, habemus et tenemus in hec verba.
Henricus, Dei gracia, dux Lotharingie et Brabantie, uni- versis présentes litteras inspecturis, salutem in omnium Salvatore. TJniversitatem vestram scire volumus quod nos ad opus dilecte filie nostre, Marie, dedimus et assignavi- mus decem mille libras Lovanienses de nemore nostro Son- hie, infra decennium capiendas, annuatim mille libras. Idem, dedimus mille libras Lovanienses de primis et para- cioribus redditibus et proventibus terre nostre per testamen- tarios nostros, scilicet : fratrem Gerardum de Heldeberghe, quondam priorem fratrum predicatorum in Lovanio, fra- trem Walterum de Treveris, ejusdem ordinis, fratrem Petrum, lectorem fratrum- minorum in Bruxella, et domi- num Gerardum de Marbais, post decessum nostrura, inter famulos nostros et garsiones distribuendas pro servicio quod nobis fideliter impenderunt. Item, donum et factum domini Henrici, patris nostri, magne memorie, ducis Bra- bancie, Villariensi monasterio de nemore de Heys, ratum et gratum habemus presencium testimonio litterarum.
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Datum apud liOvanium, sabbato post diem beati Mathie, apostoli, anno Domini 00""° sexagesimo.
In cujus eciam rei testimonium sigillum nostrum pre- sentibus apposuimiis. Datum sabbato ante diem cinerum, anno et loco supradictis.
(Cartulaire de l'abbaye de Villers, fol. 39.)
m.
Jean, duc de Brabant, fait un don à Vabbaye de Villers, pour la célébration des anniversaires de ses parents et du sien.
(Veille de Noël 1299).
Universis présentes litteras inspectons Joannes , Dei gracia, dux Lotharingie, Brabancie et Limburgie, veri- tatis noticiam cum sainte. Noverit universitas vestra quod nos, ob remedium anime nostre nostrorumque pre- decessorum, religiosis in Christo nobis dilectis abbati et conventui Villariensi , cysterciensis ordiuis , Leodiencis diocesis , in elemosinam perpetuam , pro duabus pitan- ciis , triginta libras pagamenti communiter pro tempore in Brabancia currentis, contulimus et couferimus, annua- tim solvendas anno quolibet dicto conventui , pro parte dimidia in die anniversarii domini patris nostri, et pro altéra dimidia in die anniversarii domine nostre matris, memorie recolende. Post nostrum tamen obitum de dictis triginta libris singulis annis in perpetuum dicto conventui die anniversarii dicti domini nostri patris decem libre, et die anniversarii domine matris nostre predicte decem libre, residue vero decem libre die nostri anniversarii in perpe- tuo celebrandi persolventur, De predictis autem triginta libris recipiendis ab eisdem religiosis hereditarie singulis annis assignamentum facimus ad sextam partem nostram
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quam habemus et tenemus hereditarie in silvis de Heys et de Bossut, mandantes receptori nostro Brabancie et ma- gistro nostrorum nemorum qui nunc sunt vel pro tempore fuerint, et intuitu nostre gracie ac favoris firmiter injun- gentes et distincte quatenus in hiijasmodi nostra conces- sione predictis religiosis nullum prestent impedimentum, qiiominus eadem pacifiée perpetuo perfruantur et eisdem in vendicationibus anniiis de predictis silvis faciendis cer- tam et securam fidejussionem de dicta summa triginta li- brarum faciant pleuius exhiberi, prout nobis factum fuit usque in diem hodiernum, et hoc sine alterius expectatione mandati et difficultate qualibet fideliter exequantur, non obstantibus assignameutis aliis factis, si que sint vel in posterum faciendis personis quibuscumque in dictis silvis per nos vel per nostros successores.
In quorum testimonium et perpetuam rei memoriam sigillum nostrum fecimus, et postulavimus sigilla dilecto- rum nostrorum fidelium, domini Godefridi de Brabancia, domini de Arscot et de Virson, avunculi nostri dilecti, Florentii Bertout, domini de Berlar, et Danielis de Bou- chout, senescalci Brabancie, militum, presentibus, apponi. Et nos, Godefridus de Brabancia, dominus de Arscot et de Virson, Florentins Bertout , dominus de Berlaer, et Daniel de Bouchout, senescalcus Brabancie, milites, ad requisicionem incliti principis domini nostri karissimi du- cis predicti, in signum veritatis premissorum, sigilla nos- tra, una cum suo, duximus presentibus apponenda. Datum apud Alost, in vigilia natalis Domini anno ejusdem mille- simo ducentesimo nonagesimo nono.
(Cartulaire de l'abbaye de Villers, fol. 53 v.)
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NORBERT CORNELISSEN.
... Cornelissen était originaire d'Anvers, où il naquit en 1769, mais il vécut à Gancl pendant un demi -siècle. Après avoir achevé ses études à TUni- versité de Louvain, il se fit soldat et combattit avec les patriotes dans Tannée de Yander ]Meerscli à 1 époque de la Révolution brabançonne. En 1 794, quand la Belgique fut devenue une province fran- çaise, il entra comme traducteur à la division de l'instruction publique à Bruxelles ; là son talent le fit juger digne d'être envoyé à TÉcole normale de Paris avec deux jeunes gens : Roupx3e, qui fut plus tard bourgmestre de la capitale et membre du Congrès national, et Van Meenen, qui fut lui aussi membre de cette illustre assemblée et président de la Cour de cassation.
Il ne resta que six mois à l'École normale et devint le secrétaire intime d'un Belge naturalisé français, qui fut ministre de la justice sous le Di- rectoire, après la révolution du 18 fructidor, le comte de Lambrechts. — A Paris il fit la connais- sance d'Ignace Yan Toers et de Yan Hulthem, deux des cinquante Gantois qui furent détenus
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comme otages dans la prison du Temple , et en 1799, il revint avec Yan Toers pour se fixer à Gand.
Il y fut secrétaire du commissaire exécutif dans le département de l'Escaut , et rendit de grands services en faisant redresser des injustices commises dans la liste des émigrés. Liévin Bau- wens, qui était alors maire de Gand, le nomma clief de la police administrative , puis secrétaire- adjoint de la mairie et il conserva ce poste jus- qu'en 1811.
C'est de cette époque que date sa popularité. Grâce à son caractère affable; à ses. connaissances variées, à son esprit souple et bienvaillant, il conquit des sympathies dans toutes les sphères so- ciales, en même temps que son étonnante activité le rendait Thomme indispensable dans toutes les sociétés scientifiques, artistiques et littéraires, qui furent toujours plus nombreuses à Gand que dans aucune autre ville de la Belgique,
La société des Beaux- Arts lui dut l'organisation de ces expositions annuelles où se révélèrent les talents de Paelinck, de Navez, de Van Assche, de Verboeckhoven , de Delvaux le statuaire , de Braemt le graveur. — La société de botanique reçut de ses mains une impulsion énergique pour l'organisation de ses splendides exhibitions flora- les. — En 1817, lors de la réorganisation des universités de TÉtat , il fut nommé secrétaire adjoint de celle de Gand. Plus tard il en devint le secrétaire inspecteur, pour ne cesser de l'être qu'en 1835. Il fut appelé aussi à faire partie de
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TAcadémie de Bruxelles, et il en fut un des membres les plus assidus , jusqu'à ce que la mort le frappa en 1849, pendant Tépidémie du choléra. Toute la ville de Gand esorta sa dépouille jus- qu'au cimetière de Saint- Amand, où repose sa cendre.
Voilà sa biographie esquissée à grands traits. On consacrerait aisément des heures à mettre en lumière les côtés originaux de son caractère, à rappeler des anecdotes dont il fut le héros et qui pendant cinquante années défrayèrent les con- versations de la cité.
C'est lui qui, en 1803, lors de la visite de Bonaparte, premier consul, invité à rédiger une inscription pour la façade de la petite bouche- rie, y fit nscrire cette phrase qui fut supprimée par ordre ;
Les 'petits bouchers de Gand à Napoléon le Grand.
C'est lui qui, se trouvant en présence du vain- queur des Pyramides pendant sa visite à l'école centrale, et voyant le héros ouvrir sa tabatière, y introduisit familièrement ses doigts sans en être prié , pour y puiser une prise qu'il huma avec délices devant Bonaparte étonné d'une pa- reille audace.
C'est lui qui, ayant oublié par distraction une pomme de terre dans la poche de sa redingote, fut tout étonné d'en voir sortir un jour un long jet végétal. — Le tubercule avait germé dans la pous- sière accumulée au fond de la poche.
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C'est lui qui se prenant lui-même pour victime de ses plaisanteries, adressa un jour à une société littéraire dont il était membre, des vers dans les- quels il était dit :
Cet escogriffe renommé,
Qui sous sa verdâtre douillette,
Ou sous un vieux surtout par les rats entamé,
D'un masque cynique, affamé,
Vient nous présenter la squelette.
Qui se croit Diogène et n'en est que le chien
Qui dans ses longs discours froids et secs comme lui, Distillant goutte à goutte en éternel ennui, Croit faire image et crie à Tonomatopée...
On lut la pièce en sa présence, et l'indignation de ses collègues empêclia le lecteur de continuer, après quoi Cornelissen déclara en riant que ces vers injurieux étaient son propre ouvrage.
C'est lui qui, dit-on, inventa le canard, que l'on a cru d'origine américaine. Un jour, il iit imprimer dans un journal qu'un canard en avait mangé 19 autres, le premier ayant été dévoré par le second, le second par le troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le vingtième eût englouti ses 19 confrères, pour mourir ensuite d une légère indigestion.
C'est lui qui imagina cette plaisante épithaphe :
Hier ligt de conseiller Lebegge, Er valt niets anders van te zegge.
C'est lui enfin qui . pour faire taire un an-
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cien favori de Napoléon , que celui-ci avait com- blé de faveurs et qui Tinsultait après sa cliute, lui adressa cette sanglante et spirituelle apos- trophe :
<■(. Vous prétendez que Napoléon était un gredin. Vous avez bien raison. S'il m'avait donné la meil- leure préfecture de l'Empire , s'il m'avait décoré de ses ordres et comblé de ses bienfaits, j'aurais le droit aussi de l'appeler gredin, mais comme je n'ai jamais reçu de faveur de sa part , vous seriez peut-être le premier à me contester le droit d'être ingrat et je ne veux pas donner dans ce panneau. »
Voilà l'homme , le citoyen , le fonctionnaire , — le philosophe, me permettrai-je d'ajouter le loustic'?
C'est le moment de dire ici comment je suis arrivé à prendre pour sujet d'une notice cette figure d'élite en qui se résume si bien l'esprit tour à tour sérieux et frondeur, l'enthousiasme juvénile en même temps que le sévère bon sens — la santé morale en quelque sorte — de cette ville de Gand qui fut le berceau d'Artevelde.
En cherchant dans la bibliothèque léguée à l'Académie par le baron de Stassart, j'y rencontrai les trois volumes offerts par Cornelissen à cet illustre doyen des lettres belges , trois volumes modestement cartonnés et portant ce titre Miscel- lanées, avec la suscription de omnibus aliquid, de tout quelque chose, ou pour parler plus correcte- ment, un peu de tout.
En ouvrant le premier volume je constatai qu'il
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était enrichi d'une note manuscrite et autographe de l'auteur, signée de ses initiales N. C. et datée de Gand, le 3 mai 1842.
La lecture de cette note, écrite d'une main trem- blante, de la main d'un vieillard, — Cornelissen avait alors 73 ans — me frappa vivement, et comme elle est entièrement inédite, je vais vous en donner lecture.
« Je prie mon honorable confrère M. le baron de Stassart, directeur de TAcadémie royale des sciences et belles lettres de Bruxelles, — c'était avant la réorganisation de la compagnie par Yan de Weyer sous le nom d'Académie royale de Belgique — d'accepter ce recueil de quelques- uns de mes opuscules comme un souvenir et de leur donner une petite place dans les rayons de sa bibliothèque — non parmi les ouvi-ages de mérite et d'importance, mais au milieu des ba- bioles, des facéties et des opuscules que les bibliognostes décorent du nom de raro., rariora. En effet , puisque tous ont été imprimés à un petit nombre d'exemplaires et, dans la véritable acception, quelques-uns ne sont pas seulement devenus rayées, mais introuvables. »
Cette annonce m'allécha. J'ai lu conscienscieu- sement les trois volumes et je n'ai j)as perdu mon temps. J'en ai fait d'abord le sujet d'une confé- rence au cercle artistique de Gand, puis j'ai con- densé mon récit pour qu'il ])i\i être publié dans ce recueil ouvert à tout ce qui intéresse la gloire des Flandres.
J'ai hâte de dire que , sauf quelques pages
reléguées tout à la fin de la collection , je ne trouvai ni babioles ni facéties.
On affirme que Cornelissen ne haïssait pas la gaudriole et que, le verre en main, il aimait parfois ces entretiens, dont parle le poète...
Honnêtes et permis,
Mais gais , tels qu'un vieux vin les conseille et les aime.
Mais il n'y a guère de trace de ce goût dans ses oj)Uscules. Ce qui le préoccupait avant tout et surtout, c'était la ville de Gand, sa gloire, ses souvenirs, sa prospérité morale et intellectuelle.
Ainsi la série des plaquettes qu'il envoie à M. de Stassart s'ouvre par un mémoire sur les chambres de rhétorique flamandes, lu en 1812, à une distribution de prix du grand concours de la Rhétorique de Gand.
1812! — Quelle date! C'était sous le premier Empire , à l'heure où la grande armée s'engageait dans les steppes de la Russie, à l'heure où le colosse commençait à vaciller sur ses pieds d'ar- gile, la veille de ces terribles lendemains qui devaient s'appeler Leipzig, ^Yaterloo, S*"^ Hélène.
Les sujets des concours de poésie française et flamande étaient les campagnes de l'Empereur, depuis la victoire de Friedland jusqu'à la paix de Tilsitt. Parmi les juges figuraient l'avocat Beyens de Bruxelles , Yan Hulthem , le bibliophile , dont le fonds constitua le noyau de la bibliothèque royale; Van Ertborn, qui légua plus tard son précieux musée à la ville d'Anvers, Hellebaut, l'éminent avocat, ancien primus de Louvain.
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Le lauréat du concours flamand fut Willems , le futur régénérateur des lettres flamandes. Il y avait un concours de déclamation en français et en flamand : sujets, le monologue de don Rodrigue dans le Cid de Corneille et la traduction faite en flamand pour la circonstance, puis un concours de vaUigrapMe , la copie de cent vers.
Le vainqueur fut le jeune Pierre- Jacques De Decker fils, du village de Zèle, près Termonde. Ce sont les noms , prénoms et lieux de naissance du futur ministre-catholique Pierre- J. De Decker. Mais ce n'est pas lui, car il n'avait qu'un an à cette époque et, si grande qu'ait pu être sa pré- cocité comme calligraplie , je doute qu'il ait con- quis des palmes académiques à un âge où l'on ne conquiert pas même ces palmes du martyre- qui n'exigent pas d'âge précis.
Il est curieux de voir Willems, le futur cham- pion de la langue flamande , convier sa muse à chanter l'Empereur et la France qu'il appelle sa patrie. Il est vrai que le président de la Chambre de rhétorique, M. Stobbelaers , termina son dis- cours aux lauréats en priant le public de « payer un tribut de reconnaissance et de fidélité à notre Empereur et Roi Napoléon le Grand , en faisant des vœux ardents pour la conservation de son auguste personne, et pour que bientôt de retour dans la capitale de son vaste empire , couvert de laui^iers et offi^ant l'olivier à un ennemi humilié et vaincu, il y jouisse de la gloire que lui méritent ses exploits militaires et la haute protection qu'il accorde aux sciences, aux arts et aux lettres. »
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Je dois dire qu'il n'y a rien de cette flatterie, de cette flagornerie à l'adresse du héros du jour dans le discours de Cornelissen. Bien plus, on j pourrait trouver des phrases qui ressemblent à une protestation. En efî*et, il raconte que lorsque le prince d'Orange, Guillaume le Taciturne, salué Ruioaert et protecteur de la patrie, fit son entrée solennelle à Gand , les Fontainistes allèrent au- devant de lui et récitèrent en sa présence des drames joyeux et des jeux de moralité ; des jeunes filles, représentant les Grâces et les Muses ^ chan- tèrent les exploits du prince, et l'une d'entre elles, représentant la Pucelle de Gand, lui ofî'rit un cœur d'or
Il ajoute que, lorsque le duc d'Anjou fut inau- guré comte de Flandre, les rhétoriciens surent trouver dans leur sein douze poètes assez versés dans la langue wallonne et même dans l'art de la flatterie, pour chanter les douze admirables vertus de Franchois, c'est-à-dire des vertus entièrement étrangères à ce prince ambitieux et faux.
Puis l'auteur écrit : « Le prince d'Orange avait souri aux hommages de la chambre et s'était attendri. Le duc d'Anjou eût dû rougir, et cette page de vos annales, Messieurs, « n'en est pas la plus belle. »
Il fallait un certain courage poiir parler de la sorte sous le règne de Napoléon et en présence d'un préfet de l'Empire . Mais Cornelissen fit mieux, et son discours, à un certain point de vue, fut un véritable événement historique. C'est en effet ce jour là, le 27 juillet 1812, que, pour la première
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fois, on vit apparaître sous son vrai jour et placer à la hauteur qui lui convient le tribun, le poli- tique et le diplomate dont la statue décore au- jourd'hui le grand marché de Gand, le Ruwaert de Flandre, Jacques Yan Artevelde.
Dans la note manuscrite qui figure en tête du volume offert à M. de Stassart, je lis ces lignes :
« Quand ce discours fut prononcé en 1812, les notes renvoyées à la fin étaient inte?^calées dans le texte. Ce fut la première fois que le grand nom de Jacques Yan Artevelde, si indignement outragé pendant quatre siècles, fut prononcé avec éloges à Gand même et du haut d "une tribune publique. Les recherches de l'auteur et les inductions qu'il en tira furent, en 1816, un titre jugé suffisant pour lui ouvrir les portes de l'Académie de Bruxel- les et de l'Institut d'Amsterdam.
» Depuis cette époque, l'auteur eut successive- ment la satisfaction de voir que la plupart des écrivains (et ils n'étaient pas nombreux) qui s'occupèrent de notre histoire pendant l'empire français adoptèrent en tout ou en partie ses opi- nions, ou ce qu'il appelait ses conjectures.
» Des écrivains dont le suffrage devait être pour Fauteur un titre honorable, retractèrent dans d'autres écrits leurs premières opinions. M. Dewez, l'auteur de Y Histoire de la Belgique, en fit candidement l'aveu dans un de ses rapports à l'Académie de Bruxelles. Le commentateur d'Oudegheerst , M. Lesbroussart père, y adhéra. M. Raepsaet, le chanoine De Bast, M. Yan Hul- them encouragèrent les recherches de l'auteur.
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» Aujourd'hui l'opinion sur le caractère de nos deux grands Ruioaerts est, sinon fixée et unanime parmi les écrivains de la Belgique, du moins généralement honorable. Mais il n'en était pas encore ainsi en France et en Angleterre, et une plus grande satisfaction attendait l'auteur.
» L'historien anglais, un des écrivains les plus estimés de l'époque, M. James, dans son histoire de la vie di Edouard, le Prince Noir, rend hommage au caractère d'Artevelde, et il avoue avec can- deur que c'est par suite des recherches de l'auteur et de M. Voisin, bibliothécaire de Gand, qu'il a adopté d'autres opinions.
)) Un dernier suffrage manquait à l'auteur et c'était celui de M. le baron de Barante. Pendant plusieurs années, nombre d'éditions et de contre- façons de VHistoire des ducs de Bourgogne furent faites en France et en d'autres pays, et partout le fatal nom de brasseur, source réelle de toutes les erreurs , restait accolé au nom du grand Ruioaert.
» L'auteur de ce discours l'envoya au noble historien, et après plusieurs lettres échangées, la dernière édition parait, où, dans une note expli- cite et suffisante, la mémoire d'Artevelde reçoit un tardif hommage de la part du grand écrivain. Il est vrai que le nom de Cornelissen est étrangement défiguré dans cette note. Les incorrections de ce genre sont fort communes dans les ouvrages de quelques écrivains français. Ici elle est de peu d'importance. M. Gachard, archiviste du royaume, n'en a pas moins cru devoir la rectifier dans la
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belle et bonne -édition qu'il a faite de l'ouvrage de 'SI. de Baraute. L'opinion finale de celui-ci sera d'un grand poids sur l'opinion que le monde littéraire adoptera dorénavant sur le caractère d'Artevelde et sur la grande influence qu'il a na- turellement dû exercer sur cette époque remar- quable de l'histoire de nos Flandres. »
Telle est la note écrite de la main de Corne- lissen. C'est donc lui qui le premier vengea le Ruwaert de Flandre des calomnies de Froissart et de ses copistes. Sa note est de 1842, peu de temps avant l'époque où je débarquai un soir dans la maison hospitalière de mon maître et bienfai- teur, cet excellent Moke, ce cœur d'or, cet émi- nent écrivain, dont assurément quelques-uns d'en- tre vous s'honorent d'avoir été les disciples. — C'est là, dans ce coin de la vieille abbaye de Baudeloo, devenue l'athénée communal, entre la bibliothèque universitaire et le jardin botanique, qui est une des vieilles renommées gantoises, — c'est là qu'entre érudits et patriotes s'acheva cette œuvre commencée par Cornelissen, de la réhabi- litation d'Artevelde, réhabilitation qui devait un jour devenir une apothéose. C'est là que des pro- fesseurs tels que Lentz , des étudiants comme Jacques de Winter, des artistes comme Félix de Vigne , venaient chercher des inspirations et des conseils pour cette noble entreprise de patriotisme et de reconstitution historique. C'est de là, de ce paisible et laborieux foyer que jaillit la flamme qui illumina cette gloire si pure d'un passé héroï- que. C'est là que germa la graine jetée par Cor-
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nelissen dans le champ fécond de la science ; c'est là que, témoin curieux et attentif, je vis éclore ce mouvement qui devait aboutir au bronze triom- phal de De Vigne et à la superbe cantate de notre illustre compatriote Gevaert.
Vous aurez remarqué tout-à-l'heure cette phrase de Cornelissen : « Quand ce discours fut prononcé, les notes renvoyées à la fin, étaient intercalées dans le texte. »
En effet, chose bizarre, dans ce discours im- primé, c'est à peine s'il est fait mention du nom de Jacques d'Artevelde, qui formait cependant l'objet principal de la harangue. Or, voici ce qui était arrivé. L'apologie du Ruwaert avait obtenu un vif succès ; l'auditoire en avait souligné les principaux passages de ses applaudissements, et l'on assure que le préfet impérial, M. Desmousseaux , qui assistait à la séance, n'avait pas craint de s'asso- cier à la manifestation. Le Moniteur officiel de l'Empire avait parlé en termes flatteurs du travail de Cornelissen. Celui-ci allait donc le faire im- primer, quand il fut appelé chez le préfet, qui le surprit très fort en lui disant qu'il devait retran- cher l'éloge d'Artevelde, ou se résigner à ne pas voir paraître son mémoire . — Vous entendez d'ici le discours du préfet ;
« Mon cher Monsieur, Artevelde était un révolu- tionnaire de la pire espèce, un démagogue, une sorte de Bobœuf , et ce serait un véritable scan- dale d'admettre qu'un préfet de Sa Majesté a pu ratifier par sa présence la glorification d'un pareil homme, l'éloge de l'insurrection contre un prince
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légitime, alors surtout que ce prince était Fran- çais.
L'Empereur pourrait se trouver atteint et ses ministres compromis par l'approbation de prin- cipes aussi dangereux.
— ■ Mais, monsieur le préfet, vous les avez applaudis vous même.
— Précisément, mon cher monsieur, je me suis laissé séduire par votre éloquence , mais après avoir réfléchi
— Mais , monsieur le préfet , le Moniteur^ en a fait 1 éloge....
— C'est encore plus regrettable.
Passe encore tant qu'on ne sait pas au juste ce qu'il a loué, mais quand on verra le texte....
— Vous l'avez entendu, monsieur le préfet.
— Précisément; c'est ce que je n'aurais pas dû faire , et puisque vous voulez bien m'honorer de quelque amitié, vous ne voudrez pas, pour une satisfaction d'amour propre, m'exposer à encourir un blâme et peut-être ma révocation. N'est-ce pas, mon cher M. Cornelissen? Vous ne le voudrez pas. Je vous connais trop pour vous en supposer capable....
— Vous avez raison, M. le préfet, mais, de votre côté , vous me témoignez trop d'estime pour vou- loir m'obliger à mutiler mon œuvre.
— Vous comprenez , mon cher monsieur, ce n'est pas moi. J'ai reçu des instructions de Paris. . . Si c'était mon affaire personelle...
— Eh bien alors, monsieur le préfet, vous pourriez écrire à Paris.
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C'est ce qui fut fait. Le préfet de police Real, ancien jacobin, qui n'avait dû son salut qu'à la chute de Robespierre le 9 thermidor, et que l'Empire avait fait comte comme tant d'autres , trancha la difficulté en permettant à Cornelissen de rejeter en notes à la fin de sa brochure les passages compromettants, et c'est ainsi qu'Arte- velde est devenu l'accessoire d'un discours dont il avait été le sujet principal.
L'Empiee était sauvé!
A cette période de la vie de Cornelissen se rattache un autre incident sur lequel a toujours plané un certain mystère. Quand Bonaparte, pre- mier consul, vint à Gand en 1803 et qu'il appa- raissait encore à la foule comme le sauveur de la société , la population , les autorités surtout , lui firent un accueil enthousiaste. Les monuments publics furent décorés d'inscriptions, les rues pavoisées , des arcs de triomphe érigés dans les grands carrefours.
Il y en avait un près de la porte de Bruges, rappelant les exploits les plus mémorables des campagnes d'Italie, avec les inscriptions Gand à Vhomme immortel! A Napoléon Bonaparte la ville de Gand reconnaissante!
Dans le grand salon de la Mairie , il y avait au moins cent inscriptions en latin, en français, en italien , les unes plus pompeuses que les autres , et entr'autres , sur la porte du salon de danse le Deus nohis hœc otia fecit, de Virgile, im Dieu nous a fait ces loisirs. Les grandes actions de la carrière civile et politique du Premier Consul étaient
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commémorées j)ar des emblèmes et des inscriptions à l'hôtel de la préfecture et dans la rue d'Orange. Il me faudrait une heure pour vous énamérer ces attributs et ces légendes que Yan Hulthem avait choisies dans les grands poètes et que Cornelissen fit impriyner. J'insiste sur ce mot, vous verrez tout à l'heure pourquoi. On glorifiait le 18 bru- maire , la pacification de la Vendée , la paix continentale, le concordat, le consulat, le traité de Luné ville, la Suisse pacifiée, la création de la légion d'honneur, le traité d'Amiens, et même l'annexion de la Belgique à la France, ce qu'on appelait le retour des Belges à leur véritable patine . A titre de curiosité je vous citerai l'inscription qui décorait la cage d'un aigle dans le jardin de la préfecture.
Napoléon, je vous salue,
Et je rends grâce à ma captivité
Parce qu'aujourd'hui mon œil en liberté,
Fixe un astre de près sans traverser la nue.
Si cet aigle , si libre dans sa cage avait pu parler ! . . .
Mais j'ai hâte d'arriver à l'incident que je men- tionnais tout à l'heure, et je vais donner la parole à Cornelissen lui-même, en citant une note auto- graphe du recueil de la bibliothèque de Stassart.
« Le premier consul, dit-il, avait paru lire avec intérêt les inscriptions en italien. M. Van Hulthem lui expliquait le sens des allusions la- tines. Le manuscrit était orné d'emblèmes allé- goriques. Bonaparte, que cela ennuyait probable-
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ment , rendit le manuscrit et dit à Van Hultliem : « Eh bien, c'est bon ! imj)rimez ça et je verrai. » Ainsi fut fait , sur vilain papier et fort incorrec- tement. Mais il j avait au i-erso de la première page une incorrection qui pouvait paraître une sanglante méchanceté, une indécente épigramme. M. Crétet, ministre de l'intérieur, la fit remar- quer. M. Van Hultliem s'avisa de la corriger à la plume, ce qui la fit ressortir davantage, et M. Salmatorès, espèce de maître du palais, refusa de remettre la brochure au Premier Consul. — Le bon Van Hultliem crut pouvoir se servir de l'intermédiaire de Madame Bonaparte, auprès de laquelle il avait un facile accès, mais il éprouva un pénible désappointement lorsqu'elle lui répon- dit : Fi donc! M. Van Hulthem, fi donc! c'est trop peu coquet, vous vous croyez toujours rue Chan- tereine .
M. Van Hulthem, désolé, jeta tous les exemplai- res au feu , à l'exception d'une douzaine qu'il avait distribués. — L'exemplaire qui fait partie du re- cueil en est un. Il est corrigé à la main. Or, voici la faute :
Il s'agissait d'une inscription allégorique , rap- pelant le débarquement de Bonaparte à Fréjus, et Ton avait choisi des vers du 6- livre de l'Énéïde. Virgile j fait parler Anchise, qui dit à Éiiée : « 0 mon fils, je te revois enfin, après avoir été tra?îspo)ié (vection) sur des terres et des mers loin- taines et avoir échappé à de grands dangers. »
On avait imprimé victum, ce qui voulait dire après avoir été VAixcu.
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Et, dit Cornelissen, cette faute typographique prêtait au moins à une allusion équivoque, qui pouvait sembler avoir été faite volontairement et avec méchanceté .
Étant donnés le caractère narquois et l'esprit caustique de Cornelissen, étant donné son projet d'inscrijDtion pour la petite boucherie, je serais assez tenté de croire que l'erreur n'était pas... tout-à-fait... involontaire. Cornelissen, qui avait revu les épreuves, était trop bon latiniste pour commettre par mégarde une pareille énormité ; puis il j avait péril à le reconnaître, et comme il a rangé les inscriptions dans le recueil de ses œuvres, je croirais volontiers qu'il a voulu ranger aussi celle-ci parmi ses traits d'esprit.
Une autre note, écrite de sa main, mérite d'être signalée, et elle l'est, je pense, pour la première fois.
Je vous ai dit qu'il y avait une inscription rela- tive au concordat. Elle était empruntée aussi à VÉnelde.
Sacra suosque tibi comendat Troja pénates.
C'est-à-dire :
Troie te recomynande sa religion et ses pénates. Troie était écrit pour Rome, pour l'Eglise. Rome te recommande sa religion et ses pénates. Après ce vers on lisait dans le manuscrit : » Les ministres des cultes font serment d'atta- chement aux lois. ))
Tu modo 'promissis maneas, servata que serves Troja fidem. c( Mais toi aussi, ô Troie, c'est-à-dire Rome,
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garde tes promesses , et puisque te voilà sauvée , sois fidèle à tes serments ! »
Cela était dans le manuscrit.
L'évêque de Gand, Mgr. Fallot de Beaumont, dit Cornelissen, me pria de rayer cette allusion. « On serait, me disait-il , tenté de croire le clergé capable de manquer à ses serments, et cela ne
SEEA JAMAIS.
« Monsieur de Gand, » je cite textuellement la note de Cornelissen, Mo7isieur de Gand a pu savoir en 1814 et en 1815 par lui-même, si le clergé de cette époque était encore celui de 1802 !
Allusion au jugement doctynnal qui est encore aujourd'hui le fond de toute la thèse épiscopale.
J'en ai fini avec la politique et je vais passer à un thème plus doux et qui renferme les éléments d'une étude intéressante pour les gens du monde, dont Cornelissen recherchait volontiers les ap- plaudissements.
La ville de Gand jouit dans le monde d'une célébrité spéciale. Elle est connue comme la Cité des fîeurs. Tout récemment en voyage, j'ai ren- contré un Russe qui réside dans une province lointaine sur les confins du Caucase. Il n'avait point de notions sur la Belgique ; mais il connais- sait une certaine ville de Gand où il était venu visiter les magnifiques serres de M. Van Houtte. La Société royale de botanique a fait rééditer, en 1837, un discours prononcé vingt ans auparavant, en 1817, par M. Van Hulthem, qui avait succédé comme président à M. Van de Woestyne. (Il eut lui-même pour successeur M. Van Crombrugghe).
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Dans ce discours, Yan Hulthem rappelle que dès le XYP siècle un savant botaniste français, Delobel, plaçait les Belges au premier rang dans lart d'élever les plantes. Dès lors Cliarles-Quint avait rapporté d'Afrique VŒuillet, et le fameux voyageur flamand Busbecq, avait importé d'Asie-Mineure \eLilas; un pharmacien d'Anvers, nommé Caudenberg, avait réuni dans son jardin de Borgerhout plus de 400 plantes étrangères ; un seigneur de Moerkerke en avait autant aux environs de Bruges. La femme du conseiller Hopperus, de Maliues, avait introduit en Belgique le grand soleil du Pérou, en même temps qu'un moine récollet de Gand portait dans l'Amé- rique méridionale le premier grain qui y fut semé. Un Belge était directeur du jardin botanique de Florence, un autre avait établi de magnifiques cultures aux portes de Londres. C'est à Gand qu'on avait construit les premières serres chaudes en vue de préserver les plantes des rigeurs de l'hiver. Au commencement du XVIP siècle, l'illus- tre évêque, Antoine Triest, cultiva dans son jardin, près de l'église "d'Ackerghem , toute espèce de fleurs et de plantes rares ; c'est lui qui institua la confrérie de S'" Dorothée à l'église de S* Michel , où les jardiniers et les fleuristes firent chaque année, jusqu'à l'entrée des armées françaises en 179-4, une exposition de fleurs le jour de la fête de leur patronne. Un échevin de Gand possédait en 1646 la plus belle orangerie de rEuro23e. A la fin du siècle , l'abbaye d'Eenaeme , près d'Aude- narde, avait une splendide collection d'orangers, de lauriers et de myrtes, dont la plujîart furent
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transportés au jardin botanique de Gand. Celui-ci dut son principal éclat à Van Hulthem et à un habile et savant jardinier, Jean Henri Mussche, dont le souvenir ne doit pas être perdu. Grâce à leur influence, la connaissance des plantes se ré- pandit dans la ville , où il y eut bientôt presque autant d"amateurs que d'habitants. Au milieu de rhiver, on vit devant les fenêtres d un grand nom- bre de maisons briller de tout leur éclat les plus belles plantes du Japon, de la Chine et des Indes. Gand, disait le célèbre De Candolle, dans un rap- port à la Société d'Agriculture de Paris, Gand semble être la ville privilégiée de la botanique . En 1808 se forma la Société qui existe encore et dont Jacques Van de Woestyne fut le premier président.
J'ai recueilli quelques renseignements d'où il résulte que la première exposition d'hiver en 1809 contenait 46 plantes. En 1837 on en compta plus de 5000. Ce chiffre est probablement doublé ou triplé aujourd'hui dans ces expositions qui ont acquis une célébrité universelle.
Mais ce que je veux mettre en relief ici, ce sont les discours charmants par lesquels, pendant trente années consécutives , Cornelissen illustra ces fêtes périodiques de fleurs , 'données dans ce qu'il appe- lait le Temple que Flore liartage à Gand avec Euterpe et Terpsichore, ces concours qu'il nom- mait la session des États provinciaux de la Flore flamande, et lors d'une exposition universelle, les États généraux de Vhorticidture européenne.
J'ai été séduit, entr'autres, par une définition charmante de la profession de jardinier, « Naguère
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encore, dit- il, le jardinage était nn métier, une profession vulgaire. Le jardinier était un manœu- vre, un ouvrier classé par l'opinion dans les rangs des prolétaires, et le peu qu'il gagnait à la sueur de son front pendant des heures d'un travail igno- ble et déprécié , s'appelait trivialement une jour- née, un salaire.
» Aujourd'hui, grâce à l'exemple des jardiniers de Gand, des horticulteurs, dans plusieurs grandes villes, salarient eux-mêmes des ouvriers et ont des prolétaires à leur service. Leur instruction et leur mérite, la dignité de leur parole et de leur main- tien les appellent au banquet des rois (H. Mussche, jardinier de l'université, avait eu l'honneur de diner avec le roi des Pays-Bas, et plus d'une fois avec le duc régnant de Saxe-Weimar, quand ce prince séjournait à Gand, où il venait voir son fils, le duc Bernard de Saxe-AVeimar, général au service des Pays-Bas).
)) Aujourd'hui, les grands jardiniers de Gand occupent comme la banque, le haut commerce, l'in- dustrie, un rang honorable dans la société, et pourquoi cela ne serait-il pas? Ne sont-ils pas commerçants et industriels eux-mêmes, et les pro- ductions de ce commerce, enfants de leur indus- trieuse intelligence, ne se répandent-elles pas dans toute l'Europe et déjà dans un autre hémisphère !
» Combien d'espèces hybrides, nées au milieu de nous sous l'influence et par les mystères de leurs opérations, nos jardiniers ne rendirent-ils pas aux Amériques et à l'Asie, étonnées de revoir l'Azalée, le Dahlia, la Camellia, filles plus belles
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que leurs mères ! Avec quelle admirable sagacité n'étudient-ils pas la plante, du jour même où la jeune étrangère est admise parmi les autres j^en- sionnaires du conservatoire? Et d'abord, comme s'il était initié aux mystères par lesquels la nature élabore et modifie les diverses couches àliumus végétal, le jardinier prépare le terrain que la plante demande pour le développeuient de ses forces; il a bientôt compris ses besoins, remarqué ses habitudes, ses caprices peut-être et ses mœurs. Ce n'est plus l'art, c'est la science, mais la science qui, malgré sa soumission aux exigences de l'in- dustrie, ne s'avilit pas.
« Quand on admire les serres, les orangeries, les conservatoires des jardiniers de Gand , l'étendue de ces vastes et élégants dépôts et les richesses qu'ils contiennent, ne croit-on pas y voir à la lettre les magasins, les fabriques et les ateliers du négociant et de l'industriel? Et enfin, grand nombre d'entre eux, assujetis au cens exorbitant que dans un moment de défiance la révolution a imposé aux villes, ne sont-ils pas avec Télite de leurs concitoyens, appelés à l'exercice du droit le plus noble de l'homme libre, la désignation de ses magistrats, en un mot ne sont-ils pas électeurs? »
Ceci était écrit en 1837, et cette parole vaut la peine d'être méditée. Uéleciorat alors était, non pas une chose banale , mais un honneur, et per- sonne n'eût essayé de corrompre des citoyens qui l'avaient conquis par le travail ardu qui seul inspire à l'homme l'indépendance, la dignité et la fierté civique.
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Cette même année on inaugurait te grand salon du Casino , ce qui prêtait à la fête une solennité spéciale ; pour la première fois aussi on admettait les dames à prendre part aux concours.
« Ce sexe aimable , disait Cornelissen , ce sexe qui emprunte aux grâces ses plus doux attraits de sa plus belle parure, ce sexe sera dorénavant associé aux plaisirs de la culture et appelé à par- tager avec les fleurs la gloire et les honneurs de triomphe. Comment en effet, aurions-nous pu exclure de nos Floralies cette séduisante moitié du genre humain que déjà la poésie des anciens couronnait de lis et de roses, quand elle n'avait guères encore à cueillir que des lis et des roses , mais aujourd'hui que la Flore d'un autre monde s'empresse de nous envoyer de toutes ces zones de la terre ces mille et mille corbeilles de fleurs inconnues , pourquoi la camellia du Japon et l'azaléa des Indes, plus blanches que la neige, et cette amaryllis à raies de pourpre , cultivées de la main des filles d'Eve , ces fleurs si blanches et si belles, placées à côté des branches de myrte et de l'oranger, ne partageraient-elles pas avec ces nobles arbustes le privilège de parer aussi le sein de la fiancée , au jour solennel où l'amour et l'hymen la conduiront au banquet nuptial !
» Si je m'interdis de nommer ces dames qui les premières se sont présentées dans ce lieu, c'est qu'elles m'écoutent ici même ; vous admirez leur courage, vous souriez à leur triomphe, et moi en les voyant je crois revoir les guerriers des temps héroïques et de l'époque des croisades et
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me rappeler Vaudax que viris concurrit. Mais plus heureuses que la Camille de Virgile et la Clorinda du Tasse , l'entrée en lice a été pour ces dames le signal d'un triomphe. »
Après cette galanterie aimable et raffinée, d'au- tant plus gracieuse qu'elle émane d'un vieillard , voici la note civique et patriotique qui éclate en termes sonores et harmonieux.
« Messieurs les juges, retournés dans vos foyers, pensez quelquefois encore à nous et à cette noble et grande cité que vous vous êtes accoutumés à appeler la métropole de Flore.
« Dites à vos concitoyens dans quel magnifique palais la Minerve de Gand enseigne l'universalité des sciences — dans quel autre édifice non moins grandiose , Flore et Euterpe réunies sous de com- muns auspices, y célèbrent leurs fêtes annuelles.
« Dites leur que dans cette ville et surtout dans vos institutions scientifiques vous n'avez trouvé que des esprits portés au bien général et réunis par des sentiments de dignité, d'union et de concorde ; que si pour ses habitants il est encore , quelques vœux à former, ces vœux, pour être accomplis et satisfaits, ne demandent que modé- ration, mesures légales et justice.
« Que vos paroles désintéressées , Messieurs les juges, aient du retentissement dans toutes nos provinces , et chez l'étranger rappellent sur cette cité , si puissante sous Tadministration des Com- munes et le protectorat d'Artevelde , une partie de cet intérêt historique qu'elle devait à la force de ses institutions , à l'importance de son com- merce et à l'industrie de ses habitants ! »
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Tant rhomme est dans ces quelques phrases , aimable et généreux, patriote et enthousiaste, spirituel et lettré, bon homme, hrave homme, j'oserais presque dire grand homme! si je ne craignais d'effaroucher sa mémoire.
Pour apprécier d'une façon complète la noblesse de son cœur, il faut lire les pages qu'il a consa- crées à raconter la vie et à honorer les œuvres de cet artisan dont j'ai déjà prononcé le nom, de Jean Henri Mussche , le jardinier du jardin bota- nique de Gand. Cet homme distingué mourut en 1835 et Cornelissen prononça son oraison funèbre. C'était par une froide matinée de décembre. L'orateur avait près de 70 ans et il dut abréger son discours par intérêt pour la santé de quelques autres vieillards comme lui qui assistaient, les pieds dans la neige et la tête découverte, à cette lugubre cérémonie. Il raconta avec une touchante éloquence la carrière laborieuse de ce simple jardinier qui, sans quitter son tablier et la ser- pette à la main, avait eu de longs entretiens avec la future impératrice Joséphine , avec le duc de Saxe-Weimar, avec le prince d'Orange, avec le roi Guillaume , qui lui donna une marque particulière de bienveillance en lagrégeant à l'ordre du Lion Belgique en qualité de frère. C'était une distinction fort rare et qui fut chaque fois la récompense de quelque action vertueuse ou d'un mérite spécial. Une pension de 200 flo- rins y était attachée. Mussche avait refusé la croix du Lion néerlandais, parce que rien, di- sait-il , ne lui eût paru j)lus ridicule que de s'en-
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tendre appeler M. le chevalier, « On me nomme si souvent le père Mussche , disait-il , on n'a qu'à dire le frère, et je pourrai continuer à vivre avec mes camarades jardiniers comme moi, et aller à l'estaminet boire avec eux le litre cVuytzet ou le petit verre de stomachique. » Mussclie était l'ami de l'évêque de Gand. L'ancien palais épiscopal avait une issue sur le jardin botanique et le prélat venait souvent causer avec le jardinier pendant que celui-ci s'occupait de ses plantes. Lorsqu'une sous- cription fut ouverte à l'effet d'ériger un monument à sa mémoire, on vit figurer sur la liste, à côté du nom de simples ouvriers, ceux du gouverneur de la province , du premier président de la Cour et des jjlus liantes notabilités gantoises. Tout cela fut rœuvre de Cornelissen, en même temps que la prospérité de la Société des Beaux Arts et de bien d'autres cercles gantois. Aussi, en 1837, les quatre sociétés réunies des Beaux Arts, de Botanique, de S'*' Cécile et de S* Georges lui offrirent dans un banquet au Casino une médaille d'or en reconnais- sance de ses services. Le discours qu'il prononça à cette occasion en réponse à M. Van Crombrugghe qui présidait le banquet, fut encore un petit chef- d'œuvre de bonhomie et cordialité sincère.
« Les sociétés, dont vous êtes l'organe, Mon- sieur, ont voulu, dit-il, résumer toute leur satis- faction en la portant sur moi seul , et elles ont eu raison de se hâter pour prévenir cet inexorable coup de faux, qui, par suite de la curiosité d'une jeune femme, notre mère à tous, dit-on, menace tour-à-tour les animaux sans plumes et à deux
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pieds, comme un philosophe grec, qui prétendait s'y connaître, nous a définis.
« Grâce à Dieu, moins vif, moins dispos, moins gai que je ne l'étais sous un autre règne, je n'en ai pas moins consacré une dose raisonnable de bon sens; c'est ce bon sens qui me souf&era à l'oreille le mot d'Horace, « Dételez à temps le vieux cheval , pour qu'il ne prête pas à rire à ses dépens. » C'est lui qui sera mon Gil Blas, lorsque mieux avisé que l'archevêque de Grenade, je comprendrai que ma dernière homélie (se ressen- tant des invalides qu'on m'a accordés) il sera temps de quitter la partie et de laisser à d'autres plus jeunes que moi, plus avancés d'ailleurs dans la marche et dans les progrès du siècle, la tâche de me remplacer, non pas avec plus de zèle, mais avec plus d'activité et d'énergie.
« Moïse , un peu plus vieux à la vérité et plus cassé que moi, se fit porter au haut de la mon- tagne, et ne pouvant plus combattre, il élevait les bras et applaudissait au triomphe d'Israël. Ainsi que lui , je ne mettrai pas les pieds sur la terre promise aux progrès accélérés de la raison et de l'intelligence humaine , mais il m'est doux de penser que dans l'humble sphère où le sort m'a jeté , moi aussi, qui ne suis ni prophète, ni, Dieu merci, législateu7\ j'ai pu concourir autant qu'il était dans mes faibles moyens, à conduire la génération naissante et libérale jusqu'aux limites de cette terre promise où elle entrera sans moi. »
On chercherait en vain dans la littérature mo- derne un langage à la fois plus simple et plus élégant, plus aimable et plus châtié.
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Le poëte Willems, dont il avait couronné les premiers efforts en 1812, lui rappela ce souvenir dans des strophes également charmants et qui rendaient bien les sentiments de reconnaissance et d'amitié de ceux qui fêtaient le vénérable jubilaire.
Heb ik d'eernaam niet verdient Dien gij mij zoo vroeg woudt geven, 'k Draag toch d'eernaam van uw vriend In den avond van uw leven , En geen wisslend lot , geen graf Neemt mij ooit dien eernaam af.
Billijk voeg ik dus mijn stem
Bij den lof der Geutenaren ,
Die u hier met nadruksklem
't Geen hun hart gevoelt verklaren ,
En in Flora's grootsclien tuin
Bloemen vlechten ora uw kruin.
Gentsche bloemen sieren 't baar Dat voor gentsche kunstvlijt grijsde, Want waar leeft de kunstenaar Wien uw pen geen eer bewijsde? Elk een roep dan, die u kent, Leef nog lang tôt roem van Gent!
Cornelissen aussi était poète. Il écrivait des vers avec une égale facilité en français, en flamand et en latin. — En 1826, il lut dans un banquet des curateurs de l'université de Gand une ode latine, en l'honneur, de son ami Ignace Van Toers; c'était une pièce remplie de fines allusions, dans
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lesquelles se confondaient gaîment Vénus et Thé- mis, Bacchus et S' Ignace, ainsi que les noms des vins et des mets latinisés pour la circonstance, les dindes aux marrons, gallos, pastaque castaneis ahdomina, et le vin de Tours, ou de Jésus, dulce nomine Jesu, ce vin,
Quod maturavit face scintillante comètes,
c'est-à-dire :
Qu'a mûri le feu de la comète de 1811.
Tous les convives étaient passés en revue et caractérisés dans un dialogue, et une note inscrite à la fin de la pièce nous apprend — toujours en latin — que parmi les convives figuraient les très illustres messieurs , dainssimi viri, De Ryckere et Haus, et deux jeunes gens de la plus haute esi)é- rance .^maximae speijuvenes, Rolin, père du ministre actuel, et Van Hufî"el — sans compter de nombreux amis, un essaim choisi de dames (7natronarum) et, comme il convient en des festins agréables, virgi- num chorus, c'est-à-dire un chœur de jeunes filles.
11 composa aussi en latin un poème mythologique sur l'origine du Camélia. — Puis un jour — c'était en 1818 — il n'avait alors que 49 ans — c'était la jeunesse — il chanta dans un banquet du salon de Flore des couplets passablement grivois sur l'origine du Dahlia. 11 les fit imprimer sous le nom de Knaep Van Dale et une note écrite de sa main dit que ce Knaep Van Daele était le concierge de la société, un bonhomme, une espèce d'idiot qui ne savait ni lire ni écrire. — « Je me suis souvent , dit-il , égayé à ses dépens ; au renouvel- lement de chaque année il pouvait compter sur
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quelque morceau de poésie qu'il distribuait aux membres de la société jDour en avoir des étrennes. »
L'analogie des mots Dale et Dahlia avait inspiré à Cornelissen l'idée de faire de la fleur une fille du concierge idiot. Le ton de ces couplets intimes n'en permet pas la lecture en public.
Il en est et peu près de même d'autres couplets composés en 1824 à l'occasion des noces du capi- taine De Man avec M"® Eugénie Yan de AValle. Je dis à peu près, parce qu'il est possible d'en citer quelques uns.
Elle est charmante et son bonheur S'exprime dans un doux sourire; Non moins aimable, son vainqueur Partage cet heureux délire. Quand jeune et svelte et faite au tour, Avec les beaux yeux d'Eugénie , Psyché venait trouver l'amour, Psyché n'était pas si jolie. ,
Prends y bien garde, aimable enfant, En le cherchant, tu veux connaître Les traits d'un dieu bien séduisant. Mais d'un dieu bien malin, bien traître ! ! Jeunesse, innocence, candeur. Tout tremble devant ses menaces ; Tu souris? Tu n'as donc pas peur? — L'amour ne fait pas peur aux grâces.
Connais-tu les superbes droits Qu'Hymen donne? Ce soir peut-être Il essayera plus d'une fois De te prouver qu'il est le maître.. . Tu ris encore?
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Je m'arrête — car on pourrait ne pas rire et rae prendre pour un naturaliste . — Je supprime donc les plus jolis couplets ; ce qu'ils contiennent, je pourrais vous le dire, mais je me tais par res- pect pour les mœurs , et je me borne à citer la fin :
. . . . Reçois nos vœux , Beau , brave et galaut capitaine , Amour avait formé ces nœuds ; Qu'amour eucor rive ta chaîne, Hymen te doit d'autres beaux jours. Epoux, aime ta femme; père, Vois dans tes fils autant d'amours. Embellis des traits de leur mère.
Jeunes époux, toujours amants, Pour embellir votre existence, Vous possédez mille talents Tout sera pour vous jouissance. — Brillant et noble enfant de Mars , Aimable compagne des grâces. Cultivez l'amour et les arts, Et le bonheur suivra vos traces.
Vous voyez quelle souplesse il y a dans ce talent , à mon avis , trop peu apprécié , en dépit des honneurs qu'on lui a décernés.
Il n'y a pas de sujet qu'il n'ait traité d'une façon toujours supérieure, pas une face du mou- vement artistique et littéraire de son temps qu'il n'ait entrevue et mise en lumière , pas une gloire de sa ville d'adoption qu'il n'ait signalée, toujours avec la même chaleur d'âme et la même énergie de conviction. En 1818, il allait à Bruxelles,
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prier le peintre David d'exposer à Gand l'un de ses tableaux qui venait d'obtenir un brillant succès à Bruxelles , Eiœharis et Telemaque . « Vous devez aimer cette ville amie des arts », lui dit-il, et il obtint que le tableau fût exposé à Gand au profit des ouvriers indigents. Puis il consacra à l'œuvre de David une éloquente notice, en marge de laquelle il a écrit de la main cette jolie remarque :
« M. David me dit en riant qu'il n'avait pensé ni à Homère ni à Fénelon en composant son tableau; Et moi, lui répondis-je, je n'ai songé qu'à Homère et à Fénelon en appréciant votre œuvre. »
Son travail produisit un tel effet , que la société de Beaux Arts, après l'avoir entendu, vota d'en- thousiasme une médaille d'or au peintre. Corne- lissen avait illustré de la même façon les œuvres les plus remarquables d'Odevaere et de Mathieu Van Brée. Il est intéressant de voir comment à cette époque la capitale des Flandres savait hono- rer les arts. Un jeune peintre, qui devait plus tard acquérir une grande notoriété en Belgique, Joseph Geirnaert , d'Eecloo , venait d'être pro- clamé lauréat à Bruxelles. Cornelissen se mit à la tête d'une députation de la société des Beaux Arts pour conduire le jeune Geirnaert dans sa ville natale et y assister à une fête qu'on y avait pré- parée en son honneur. Un cortège composé de quatre voitures partit de l'hôtel de Wellington le 21 décembre 1818. A mi-chemin, à Waerschoot, il fut rejoint par le commissaire du district,
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M. Pecsteen, le bourgmestre et les régents d"Eec- loo, et une garde d'honneur à cheval, formée des volontaires de la société d'harmonie de S*^-Cécile.
— Quand on arriva à Eecloo, le cortège se compo- sait de trente attelages, escortés par toute la popu- lation du Meetjesland, le conducteur de la voiture principale tenant dans les mains une touffe de branches de lauriers. Les cloches sonnaient comme aux jours de fêtes religieuses, mêlant leur voix à celles des boites d'artifices ; lliôtel de ville était brillamment décoré, le curé vint dans la salle commune féliciter son paroissien , après lui l'instituteur communal, puis une troupe de jeunes filles appartenant aux meilleures familles de la cité. Un banquet réunit soixante convives dans la salle du tribunal, orné des bustes de Guil- laume P"" et de Pierre Paul Rubens. Le président associa dans le même toast le père du jeune artiste et le curé de la ville ; le curé proposa la santé du commissaire du tyran. M. Geirnaert lui- même porta un toast à son maître M. Paelinck, et le tout finit par un bal, qui se prolongea jusqu'au lendemain, sans le curé bien entendu.
— C'était le bon temj)S : — Dans une petite com- mune flamande toutes les forces vives de l'intelli- gence et de la fortune s'unissaient pour fêter un artiste, et Cornelissen était l'âme de ce mouve- ment qui, sous son impulsion active et généreuse, s'affirmait sans relâche à Gand et dans toute la province.
La même année , au mois d'avril , la confrérie des arbalétriers de S^-Georges avait inauguré son
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nouveau Parc d'Ackerghem et célébré en même temps le jubilé de son directeur, M. François Bernard Huyttens. Ce fut encore Cornelissen qui dans cette circonstance se rendit l'interprète des sentiments patriotiques de ses confrères. Le dis- cours qu'il prononça à cette occasion est une page d'histoire. Il rappelle un passé glorieux, l'époque où les étendards de Flandre portés par les ancêtres des frères de S*-Georges flottèrent avec honneur sur les remparts de Constantinople ; cet autre temps où, sous le règne de Philippe le Bon , la confrérie fit un appel à 150 villes et bourgs de la Belgique, où les hérauts de S*-Georges allèrent en grand costume faire un appel à leurs confrères jusqu'à Ludick (Liège), jusqu'à Amiens; où des milliers de chevaliers concoururent pour les prix, où la ville de Tournai j emporta la palme dans les esbatements en langue wallonne, qui était celle de la cour, et la ville d'Audenarde dans les esbate- ments en langue flamande, qui était celle des Georgistes de Gand. Il rappela le banquet donné au Prince, entouré des premiers seigneurs flamands et bourguignons dans la cour de S*-Georges, alors un des plus somptueux bâtiments de la ville, le peloton du Prince, formé de dix seigneurs, concourant avec eux pour les prix et n'en rempor- tait aucun , parce que le prince ne réussit pas à abattre l'oiseau ; puis les fêtes données sous Maxi- milien, roi des Romains, que son mariage avec l'héritière de Bourgogne avait rapproché de la Flandre ; l'archiduc , plus heureux que Philippe ,
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abattant le perroquet, qui fut abattu plus tard aussi par Charles-Quint.
Il rappela le comte de Lens, maire de la ville, attachant le 1'' avril 1814, à la cravate du drapeau de la confrérie, une médaille aux armes commu- nales, avec une légende signalant ses services, puis le roi Guillaume inscrivant son nom dans l'album de la société , tout à côté de celui du grand Guillaume d'Orange , qui s'associa aux travaux de la confrérie en 1560, et immédiatement après ceux des comtes d'Egmont et de Hornes et de l'illustre Marnix de S*'' Aldegonde.
Que de noblesse, de patriotisme et de sereine grandeur dans cette carrière de bourgeois lettré, que j'ai essayé d'esquisser devant vous. Quelle belle application de ce mot de Térence : Rien de ce qui est humain ne m'est étrange?^ !
Dans tout ce que je vous ai cité, jamais un sen- timent banal, jamais un mot vulgaire, toujours la plus exquise délicatesse mêlée à la conviction la plus profonde , et cela parce que Cornelissen avait en lui deux vertus qui sont des boussoles avec lesquelles on ne s'égare jamais : l'amour de son pays, et le culte de Thonneur.
Au temps où nous vivons, on a tâché d'inventer une phraséologie nouvelle, on se plaît à accom- moder l'idée du beau, du grand et du vrai d'après des formules inscrites dans une pharma- copée d'où sont bannis le respect et l'enthou- siasme, considérés comme le vieux bric-à-hrac d une gloire éteinte et d une société disparue. — Qu'on nous permette de garder quelque admira-
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tion pour la vieille école, qui avait des procédés plus simples, plus aimables, plus naïfs et allant plus droit au cœur. Je vous ai raconté Thistoire d'un vieux bourgeois de Gand. Je vous souhaite d'en compter beaucoup de pareils parmi vous dans Tavenir.
Loms Htmans.
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UNE ANCIENNE
IMPRESSION DE PIERRE SCHŒFFER
LES SCRIBES OU COPISTES APRÈS L'INVENTION DE LA TYPOGRAPHIE.
L'impression de Pierre Schœffer, dont je vais dire quelques mots, est loin d'être inconnue; elle a été décrite maintes fois. Mais ces nombreuses descriptions laissent toutes à désirer et les biblio- graphes qui en ont parlé, n'ont pas remarqué toutes les particularités singulières qu'elle pré- sente et qui méritent cependant d'être signalées.
n s'agit de VExpositio brevis et utilis super toto psalterio du cardinal Turrecremata ou Torque- mada, édition de 1474. Ces commentaires sur les psaumes eurent un très grand succès, et comptent des éditions fort nombreuses pendant la seconde moitié du XV" siècle. Ils parurent pour la pre- mière fois à Rome en 1470; l'édition de Mayence de 1474 n'est que la troisième de celles qui sont jjourvues d'une date, et cependant Schœffer les réimprima encore deux fois de suite, en 1476 et 1478.
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L'édition de 1474 est un petit in-folio de 173 feuillets à longues lignes ; Brunet ne compte que 171 £f. , tout en constatant que Hain en indique 173 ; il n'aura sans doute pas fait entrer en ligne de compte les deux feuillets préliminaires de la dédicace au pape Pie IL
Brunet et Hain sont d'accord pour compter 35 et 36 lignes à la page. La vérité est que les ]3ages entières ont, presque sans exception, 35 lignes. Je ne suis même parvenu qu'à décou^T:*ir deux excep- tions. La page verso du feuillet 98 a effective- ment 36 lignes, de même que la page recto du feuillet 101.
Le texte de l'ouvrage est exécuté avec les carac- tères de la fameuse Bible de 1462. Le premier ou les premiers mots de chaque psaume sont impri- més avec les caractères les moins forts, ceux de la souscription, du célèbre psautier de 1457. Les lettres initiales des mots en gros caractères des commencements de chaque psaume sont laissées en blanc et remplies en rouge ou en bleu par le rabricateur. Quant au texte, le typographe a em- ployé, pour la première fois, dans cette édition de 1474, des lettres initiales gothiques assez ori- ginales, pour remplacer celles tracées à la main. Ce fait a déjà été signalé par le bibliothécaire Fischer; mais ce qu'il n'a pas remarqué, c'est que. l'impression était commencée lorsque le typo- graphe s'avisa de fondre ces initiales. Aussi, le commencement du livre n'offre-t-il que des ini- tiales tracées à la main. Puis, lorsqu'on a com- mencé à employer les initiales fondues, il paraît
que l'on n'en avait pas encore suffisamment ; elles alternent d'abord avec les initiales tracées à la main, ainsi qu'on va le' voir.
Les dix premiers feuillets du volume, en y com- prenant les deux feuillets de dédicace, n'ont que des lettres initiales tracées à la main ; il en est de même du recto du onzième feuillet. Au verso de ce feuillet commencent les initiales imprimées ; mais d abord alternativement avec celles écrites ou peintes. Ainsi pour les feuillets 12, 13, 14 et 15, initiales peintes au recto, imprimées au verso. A partir du feuillet 16 jusqu'au feuillet 21, c'est au contraire le recto des feuillets qui a les initiales imprimées et le verso qui présente les initiales écrites. Enfin, à partir du feuillet 21 jusqu'à la fin de l'impression, toutes les initiales du texte sont imprimées.
Ainsi qu'il a été dit, le volume commence par deux feuillets, dont le verso du second est en blanc, contenant la dédicace du commentateur adressée au pape Pie II.
Le verso du feuillet 81 n'a que 18 lignes en tout, de sorte que la moitié à peu près de ce feuillet est restée en blanc. J'avoue ne pouvoir deviner la cause de cette anomalie. Les 15 pre- mières lignes terminent le psaume 67, puis viennent ces trois lignes, dans lesquelles on an- nonce le 68'"® psaume :
PSALMUS LXVIII.
in quo de passione xpi.
Vox filij ad patrem ex persona hûamitatis.
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La première ligne dn feuillet 82 ne contient que les premiers mots du psaume en gros caractères :
(S) Aluû me fac de us.
La courte souscription, en caractères rouges et en cinq lignes, se trouve en haut du verso du ITS""" et dernier feuillet, comme suit :
Relier ejidissini (sic) cardinalis, tituli sancti Sixti do- mini io=yiannis de Tiirrecremata, expositio breuis et vtilis super || toto psalterio, Mogfttie impssa, Anno dni Mcccclxxiiij || tercio Idics septembris p petrû Schoyffer de gernszhem féliciter est consûmata.
En dessous le double écusson.
On de^^^ait s'attendre , d'après l'introduction dans ce livre d'initiales imprimées pour le texte, que la besogne de la personne chargée de rubri- quer et d'enluminer, a été bien allégée. Or, il n'en est rien du tout, au moins en ce qui concerne l'exemplaire que j'ai sous les yeux. Cet exemplaire est rubrique et enluminé, en couleurs rouge et bleue, avec une grande profusion. On ne s'est nullement contenté d'ajouter les petites initiales restées en blanc au commencement du volume, et les grandes initiales qui étaient toutes restées en blanc. Lorsque les initiales du texte sont impri- mées, on les a fait partout ressortir par des traits en couleur rouges. En outre, chaque page offre des mots fort nombreux soulignés ordinairement en rouge, parfois, mais plus rarement, en bleu. Vers le milieu du volume, la couleur bleue semble avoir fait défaut à l'enlumineur ; du moins n'a-t-il plus employé que la couleur rouge. Arrivé vers
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la fin de sa tâche laborieuse, sa main paraît s'être lassée, un certain nombre de grandes initiales étant restées en blanc dans mon exem23laire. Dans les derniers feuillets , toutefois , ces omis-sions n'ont plus eu lieu.
Puisqu'il vient d'être question d'enlumineurs dïmprimés, qui n'étaient autres que les anciens scribes ou copistes de manuscrits , parlons-en quelque peu, et examinons si, comme on nous l'assure, ils furent ruinés par l'invention de Gutem- berg. Xous examinerons également s'ils furent les grands ennemis des tjpogTaphes, ou bien s'ils parvinrent à s'entendre av^ec ceux-ci.
Beaucoup d'auteurs, maints historiens de l'im- primerie, ont trouvé bon de nous débiter, sur les copistes et les premiers typographes, de fort johes fables, mais qui toutefois ne valent pas celles du bon La Fontaine. Donnons-en quelques échan- tillons et accordons d'abord la parole à Lambinet :
ce Les t} pographes de Paris eui'ent , dans le commencement, pour ennemis, les copistes, qui gagnèrent leur vie à transcrire les manuscrits et à les altérer par leur ignorance. Geux-ci présen- tèrent requête au parlement contre eux. Ce tribu- nal, aussi superstitieux que le peuple, qui prenoit les imprimeurs pour des sorciers, fit saisir et confisquer leurs hvres. Louis XI défendit au par- lement de connoître de cette affaire, et fit rendre les imprimés aux typographes ' . »
' Origine de Vimprimerie d'après les titres authentiques, Paris, 1810,t. I, p. 234 et 285.
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Paul Dupont nous raconte la belle et surpre- nante histoire qui suit; elle est du même genre, mais appliquée à Fust, au lieu de letre aux an- ciens typographes de Paris :
« Lorsque les premiers ouvrages eurent été imprimés à Mayence, Fust en envoya à Paris des exemplaires, et il chargea des agents de les vendre. Il s'y rendit lui-même plus tard et y exerça son commerce sous les yeux de la Sorbonne. Comme on ne connaissait pas encore Tusage des carac- tères imprimés, on prit ces volumes pour des manuscrits, tout en ne se rendant pas compte de leur parfaite identité, et on les paya fort cher. Mais les copistes, effrayés pour leur industrie, présentèrent aussitôt requête au parlement et obtinrent que tous les livres venus de l'étranger seraient saisis et confisqués. Les ornements en encre rouge, qu'on disait en ces temps d'igno- rance , d'avoir été tracés avec le sang des co- pistes (!!), donnèrent lieu au soupçon, puis à Taccusation de magie. Fust et ses facteurs furent emprisonnés '. »
Dupont termine cette émouvante histoire en rapportant l'intervention de Louis XI, qui cassa l'arrêt du parlement et évoqua cette affaire à son conseil. Les allemands furent remis en liberté et remboursés de leurs ouvrages saisis. On voit que Fauteur est de bonne foi dans ce qu'il rapporte ainsi sans preuve aucune. Il y ajoute même cette réflexion que peu s'en fallut que Timprimerie en
' Histoire de Vimprimerîe, Paris, 1854, t. I, p. 92 et 93.
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France ne fut ajournée, et la civilisation retardée peut-être d'un siècle !
Même dans notre pays, il a été question de la prétendue opposition des copistes, lors de l'intro- duction de l'imprimerie à Gand. Voici ce que dit le savant bibliothécaire Vanderliaeglien dans son excellente Bibliographie gantoise (t. I, p. 3).
« M. D.-J. Vander Meerscli, dans ses Induc- tions, explique l'arrivée de cet artiste (Arnoud de Keysere) dans cette petite ville de la Flandre (Au- denarde), en supposant qu'il aurait voulu se sous- traire ainsi aux tracasseries des copistes coalisés, que l'art nouveau de l'imprimerie menaçait de ruiner. Cette conjecture n'est pas dénuée de fon- dement. »
Il est toutefois permis, ce me semble, de ne pas admettre cette conjecture, dénuée de toute espèce de preuves, et qui ne parait pas même vraisem- blable. Les copistes, d'ailleurs, auraient eu tort certainement, s'ils craignaient d'être ruinés par les productions typographiques d'Arnoud de Key- sere, qui, comme chacun le sait, sont bien peu nombreuses.
Aucun document ancien, aucun auteur contem- porain, ne nous apprend que les copistes furent ruinés lors de l'introduction de la typographie. Bien des circonstances connues nous indiquent au contraire qu'il n'en fut pas ainsi.
Tout au plus pourrait-on alléguer en faveur de l'opinion que les copistes furent ruinés par l'in- vention de Gutenberg les vers suivants de l'impri-
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menr lyonnais Jean Trechsel, publiés en 1489 :
Sic primes in huxo concisa elementa premendi ParvcB quidem scribe damna titlere bono; At ubi divisas Germania fudit in ère, Inciditque notas iisque ter usa fuit. Exemple inventis cesserunt artibus omnes, Quas solers potuit scr ibère dextra, notas Sic priîts in pretio mendicat dextera donec, Calluit impressos docta ligare libros, Principioqne rudem nunc artem hanc ipse J-oannes Trechsel eo diixit, quo nihil ulterius.
Ces vers, passablement médiocres, peuvent se traduire de la sorte :
ce Ainsi les premiers éléments de l'imprimerie, taillés dans le buis (la xylographie) n'apportèrent que peu de dommage au scribe habile. Mais lorsque TAllemagne s'avisa de fondre et de sculp- ter le métal (la typographie), et qu'elle en fit un grand usage, tous ces caractères, qu'une main laborieuse pouvait tracer, durent céder à ces inventions ingénieuses. De sorte que cette même main, jadis estimée, dut se tendre pour recevoir l'aumône, jusqu'à ce qu'elle eût appris à relier les livres imprimés. Cet art nouveau, d'abord gros- sier, Jean Treschsel l'a porté si loin, qu'il ne peut être porté plus loin. »
Il ne faudrait pourtant pas attacher trop d'im- portance à ces vers, écrits pour servir de souscrip- tion à un livre, et pour vanter sa marchandise. On ne peut prendre au sérieux tout ce qui y est dit. Ainsi il est connu que plusieurs copistes, avant l'invention de la typographie, exerçaient' déjà en
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même temps l'état de relieurs. Ensuite, n'en dé- plaise à maître Jean Trechsel, typographe esti- mable d'ailleurs , les premières impressions de Gutenberg et de Schœffer, qu'il ose nommer gros- sières, sont bien supérieures aux siennes!
Je pense que l'on peut affirmer hardiment que les anciens copistes ne furent pas ruinés par la découverte de la typographie et que ces copistes s'entendirent fort bien avec les anciens typo- graphes.
A la longue, cela est vrai, cette invention mer- veilleuse devait mettre fin à la corporation des copistes. Mais ceux-ci eurent bien le temps, et plus que le temps nécessaire pour se préparer au changement survenu.
Il est vrai encore que la découverte de la typo- graphie fit, petit à petit, tomber le prix des ma- nuscrits et la main-d'œuvre des copistes. Mais ceci n'eut lieu que graduellement, et cette inven- tion elle-même apporta à l'activité des scribes et des enlumineurs des éléments nouveaux.
Lors des débuts de la typographie, on voit un grand nombre d'anciens copistes et scribes, deve- nir des imprimeurs, des correcteurs et des protes. Et ce changement de métier, il faut l'attribuer bien plutôt à l'attrait qu'avait le nouvel art, qu'à la crainte de manquer de pain en continuant l'ancien.
En effet, quel grand nombre de manuscrits, exécutés avec ou sans luxe, ne possédons-nous pas, qui ont été écrits après l'invention de la typographie, dans la seconde moitié du XV" et dans la première moitié du XVP siècle? Ces ma-
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nuscrits si nombreux nous prouvent assez que les anciens copistes trouvaient encore amplement de l'occu^Dation. Les frères de la vie commune, ces célèbres scribes qui gagnaient leur vie principale- ment en copiant les manuscrits, et qui, en plu- sieurs de leurs maisons, érigèrent plus tard des imprimeries, exécutèrent encore des manuscrits fort tard. On possède encore, entr 'autres à l'église de Saint-Cunibert à Cologne, un très bel antipho- naire achevé par eux en 1553 '.
Si les premiers typographes ont fait, par leurs productions, une concurrence dangereuse aux tra- vaux des copistes, ils leur ont fourni, en compen- sation , matière à une industrie importante et toute nouvelle.
Que l'on veuille bien se souvenir que, à un très petit nombre d'excex^tions près, les impressions du XV*" siècle (tirées généralement à trois cents exemplaires au moins), ne sortaient pas, entière- ment achevées, des mains des typographes. Il fallait donc les compléter, y ajouter les rubriques, peindre les initiales, etc. On imitait par là fidè- lement les manuscrits, non pas, comme on l'a souvent prétendu à tort, pour faire passer ces imprimés pour des manuscrits, mais pour se con- former au goût des acheteurs , esclaves d'une longue habitude. Cette tâche revenait aux copistes et leur donna pendant longtemps une amx3le besogne. Pour les acheteurs riches, ils se mirent à orner ces impressions à l'égal des beaux ma-
' Voir Madden. Lettres d'un bibliographe, 4« série, p. 176.
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nuscrits; pour les pauvres, on devait se contenter du nécessaire. Ces derniers, comme aussi les moines et le petit clergé séculier, faisaient sou- vent ce travail eux-mêmes. Les premiers typo- graphes ont laissé des espaces en blanc, pour j peindre, souvent en or et en couleurs, non seule- ment de grandes et de petites initiales , mais encore des miniatures. Dans toutes les grandes bibliothèques publiques, dans beaucoup de petites collections particulières , on peut voir des in- cunables tantôt imprimés sur vélin, tantôt sur papier, qui sont ornés de superbes initiales, mi- niatures et bordures, comme il s'en trouve dans les vieux manuscrits.
Les anciens imprimeurs vendaient leurs pro- ductions au gré des acheteurs, tantôt achevées, tantôt avec les initiales restées en blanc. On trouve encore des exemplaires qui n'ont jamais été rubri- ques, mais c'est là une exception assez rare.
Un fait assez étrange, est celui que les premiers typographes ne se soient pas affranchis, dès le commencement, du concours des copistes ou ru- bricateurs. Ils l'ont bien essayé, mais, après avoir prouvé qu'ils étaient en état de le faire, ils y ont renoncé pendant fort longtemps, soit par égard pour ces copistes, soit pour ne pas aller à rencontre d'une habitude invétérée.
On se souvient sans doute que le tout premier livre portant nom de lieu et de typographe, ainsi qu'une date complète, le superbe psautier de 1457, a été achevé sans le secours de la plume ou du pinceau, avec de fort belles initiales gravées.
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C'était là une terrible menace, suspendue sur la tête des copistes; toutefois, cette menace ne fut point suivie d'effet. Après avoir montré ce qu'il pouvait faire, Pierre Schœffer laissa pendant toute sa vie, à très peu d'exceptions près, leur part aux enlumineurs et copistes. Il faut, je crois, aller jusqu'en 1492 pour trouver un livre, im- primé par Pierre Scliœffer, dans lequel rien ne réclame l'aide de l'enlumineur. Je veux parler de la Chronique des Saxons, en bas allemand, livre ^orné de nombreuses gravures en bois et de belles grandes initiales, également gravées en bois. Il ne faudrait pas en conclure, néanmoins, qu'à partir de 1492 les typographes avaient renoncé à em- ployer les services des enlumineurs. L'époque à laquelle les imprimeurs s'affranchirent définitive- ment de leurs concours, varia selon les pays et selon les typographes. Jean Schœffer, fils aîné et successeur de son père, laissa encore des~ blancs pour enluminer les initiales dans sa première pro- duction , le Mercurius Trisniegistus, imprimé en 1503. Dans l'exemplaire de ce livre que je pos- sède, ces blancs n'ont pas été remplis.
Enfin, dans les premières années du XVP siècle, les typographes ne laissèrent plus, en général, aux enlumineurs et rubricateurs, le moindre mo- tif d'exercer leur industrie, qui avait ainsi duré pendant plus d'un demi siècle. Cependant l'habi- tude était enracinée, et ces industriels ne lâchèrent pas prise pour cela. Par ci par là on voit encore pendant longtemps des livres rubriques et enlu- minés, bien qu'il n'y eût plus le moindre prétexte
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pour le faire. J'ai sous les yeux deux exemples de cette industrie retardataire ; ce sont deux volumes imprimés à Mayence, Tun en 1544 et Tautre en 1548, mais abondamment rubriques, enluminés et soulignés en couleurs rouge et bleue, et qui l'ont été à Liège. A Liège donc, tout près d'un siècle après lïnvention de la typographie, cette indus- trie subsistait encore, et peut-être en existe-t-il des exemples encore plus récents.
Les vieux copistes, en mettant la dernière main aux anciennes impressions, paraissent avoir eu souvent une idée assez haute de l'utilité et de Timportance de leur travail. On les voit se nommer dans des souscriptions manuscrites d'impressions oii les typographes avaient négligé ou dédaigné de le faire. On les voit dater leurs travaux dans des imprimés non datés par les imprimeurs. Par- fois aussi ils ont nommé les imi^rimeurs des livres anonymes qu'ils avaient enluminés. Soyons donc reconnaissants envers ces vieux copistes qui, en agissant ainsi, ont souvent fourni des éclaircisse- ments précieux pour la bibliographie, pour l'his- toire de l'invention de la t^qoographie.
H. Helbig.
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LES NORMANS.
LEURS FAITS ET GESTES EN BELGIQUE.
I.
Dans les premiers jours de septembre 891, l'em- pereur Arnoulf remportait une victoire signalée sur les Normans campés à Louvain. Leur ayant tué cent mille hommes selon les chroniqueurs , son triomphe mit fin à leur domination en Belgi- que. Depuis plus de soixante, ans ils avaient occupé alternativement diverses localités de notre pays.
La recherche des causes de ces longues hostili- tés n'est pas sans intérêt pour nous, et nous re- monterons jusqu'aux éléments qui constituèrent leurs ligues, et provoquèrent leurs désastreuses expéditions. Chacun d'eux entraîné à la conquête du butin, commençait par exercer la piraterie. Ils s'animaient d'autant plus que le danger leur j ré- sentait plus d'obstacles à vaincre. Familiarisés avec la tempête , ils s'exaltaient à la vue des vagues écumantes de l'Océan, et jouissaient de la
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lutte qu'ils avaient à soutenir contre elles ', tout en cinglant vers la côte où ils voulaient exercer leurs déprédations. Ces dispositions aventureuses des nations germaniques sont déjà signalées par Tacite, qui nous dit que lorsqu'une longue paix amène l'oisiveté dans la tribu les chefs de la jeu- nesse vont faire la guerre contre quelque peuple étranger ^
Ces dispositions avaient porté leurs fruits bien longtemps avant que le nom de Normans fut pro- noncé sur nos côtes, où les Saxons les avaient précédés.
Lors de l'invasion germanique en Gaule , l'an 256, alors que les Franks entamaient la frontière de l'Empire, ils furent aidés par les tribus saxon- nes qui quatre ans plus tard se constituèrent en ligue, fédérée à celle des Franks, sous le nom desquels ils dévastèrent les côtes de l'Océan. Ils s'attribuèrent peu à peu des stations sur ces ri- vages, et un siècle plus tard les autorités romaines signalent l'existence du Littus Saxoïiicum : leurs escadres se rencontraient souvent entre l'embou- chure de la Seine et celle de la Vire. En 372, attaquant l'Empire par mer, ils se rendirent maî- tres des fleuves et de leurs af&uents qu'ils remon- taient avec leurs légères embarcations. Refoulés vers le Nord , leurs détachements furent surpris et massacrés par l'empereur Yalentinien en 374. On croit que Dejnze fut le théâtre de ce car-
• Cerisier, Histoire des Provinces -Unie s , t. I, p. 127. ' De Moribus germanorutn, XIV.
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nage ' . Il parait que ce fut à la suite de cet évè- uement que les Frisons, ancien alliés des Franks, s'unirent aux Saxons. Ou dit que leur roi Richold recula les frontières de ses états jusqu'au midi de toutes les bouches de l'Escaut.
Au V* siècle les Saxons occupèrent Arœgenus, qui est Bajeux ; mais antérieurement Grainville, Grcmone, Pas d'Authie, ^patiacus '\ Mardik, Mar- cis, et toute la côte de Flandre étaient en leur pouvoir. Les traces de leur dialecte se retrouvent entre la Panne et Westeinde % canton qui fut le théâtre d'un épisode du poëme Goedeoen ; Wul- pen, entre Furnes et Ypres, y est mentionné, ainsi qu'Ettelghem qui y est entrevu comme la rési- dence d'un personnage de cette légende K
Les Franks connurent l'établissement de ces corsaires sur cette côte. Leurs chroniques légen- daires les nomment Riitheni , et leur territoire Ruthenia % tant sur notre rive que sur celle d'Albo; Rutupiœ, Richborough en a tiré son nom, comme Rodenburg , et le pagus Rodinensis ^ . Ce mot Rutheni signifie donc Rouges, et fait croire qu'à cette date reculée l'autorité maritime de leurs flottes appartenait aux Reudingi ou Reu- digni, l'une des sept tribus confédérées que signale
1 Am. Marcel, XX"\T^I, cajj. 5. ' Bulletin des antiquaires de la Morinie, 1879. ' Debo, Vlaamsche Idiotikon. — Ils occupèrent les rives de l'an- cien Watergang, où l'on connut Saxhaven, aujourd'hui Hulst.
* D"" Snellaert, Hist. de la littérature flamande, p. 22. ' SrFF. Pétri, Orig. Frisiœ, lib. I, 8.
* T>' Henry, Hist. d'Angleterre, lib. I, c. 2.
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Tacite ' . Les flottes saxonnes croisant dans nos parages et dans ceux de la Grande-Bretagne re- crutaient leurs équipages sur toutes les côtes de la mer du Nord et dans la Baltique, et l'une ou l'autre tribu s'y trouvait prépondérante. Ainsi, au V^ siècle la prépondérance était passée aux Jutes. Yet- ou Geat, peuplade danoise sous l'impulsion de laquelle s'effectua eu 449 l'émigration saxonne en Albion ^ Bientôt la dénomination de Saxons attribuée aux pirates de nos côtes s'évanouit pour faire place à celle de Danois, Demi qu'à partir de 715 nous voyons disparaître pour ne plus connaître que des Normans.
Grégoire de Tours, à l'occasion d'une invasion en Austrasie avenue en 516, se sert du mot Dani ^ Cette aggression paraît avoir été inspirée par les fils de Raguacaire , tombé victime de la politique de Clovis \ C'est d'eux , assure-t-on, que sont issus les sires de Ponthieu et de Vimeux. Ces Danois étant remonté la Meuse furent défaits par Théodebert, fils du roi Thierri I, non loin de Kuik ~\
Cependant, entre les années 477 et 527, les Saxons fondèrent clans la Grande-Bretagne leurs divers royaumes qui donnèrent insensiblement à cette île le nom d'Angleterre, après qu'en 547 les Angii y eurent fondé le royaume de Bernicie ; tan-
* De Movibus germ., XL.
* PiNCKEETON, Êtabliss . des Scythes, p. 320. ' Lib. III.
* Dkpping, Ecrpéd. mnrit. des Normans, t. I, p. 60.
* Conf. Léo, Beavmlf. apud Sloet, t. I, p. 6.
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dis que Pinkerton pense que celui de Mercie fut originairement colonisé par les Frisons ',
Le mode qui présidait à la composition des escadres de ces corsaires explique la cause de la diversité des populations qui composaient leurs équipages. La loi du Jutland, qui appartient au XIII" siècle, donne plutôt une forme fixe et plus régulière à des usages anciens qu'elle n'en crée des nouveaux. C'est j^ourquoi nous regardons les dispositions qu'elle renferme comme se trouvant en germe dans les siècles voisins du VII® ^ Le pays était partagé en districts maritimes haunlag ; chacune d'eux devait fournir un vaisseau com- plètement équipé et approvisionné : un de ces vaisseaux portait quatorze hommes, capitaine et second compris. Cette organisation des forces maritimes des Danois nous parait analogue à ce qui existait en Frise sous la désignation des sept zélandes qu'Emmo Werumensis a nommé Septem Villas Frisiœ maritimas '. C'est dans les prescrip- tions de cette organisation que l'on trouve ce qui incombe à tout Frison libre; il doit combattre avec cinq armes pour défendre son pays : la bêche, la fourche, le bouclier, le glaive et la lance ^
Si nous lisons qu'un seigneur Adroald qu'on
^ PiNCKERTON, lib. cit., p. 322.
* Malleh, Hist. de Danemark, t. III, p. 483. ^ Alting, Frisia pars Altéra, p. 63.
* Onde vriesche tvetten, I, 2. — Lex electione, 5. On lit dans Han- NONIUS, p. 83 v° :
Ligonem
Hastam, ensem et Clypeum furcatoque ore Bidentem.
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dit Saxon « fit don de Sithiu pour y construire le monastère de Saint-Bertin en 648 ; nous entre- voyons d'autres parts que les Saxons ou Danois n'étaient pas en bonne intelligence avec les habi- tants de l'intérieur. Les légendes de Flandre font périr le forestier Antoine sous les coups des Bar- bares à une époque rapprochée de la destruction du château d'Assche en Brabant, et de l'existence de troubles graves dans l'intérieur du pays. Ces faits peuvent avoir eu pour conséquence la guerre de Pépin d'Herstal contre les Frisons % anciens alliés des Franks, mais continuant à pratiquer officiellement le paganisme sous le roi Radbode I. Mais Kadbode étant mort et Charles Martel ayant vaincu les Neustriens, il porta la guerre en Frise, soumit la nation et imprima une vigueur nouvelle aux missions chez elle ^ Si cette propa- gande eût quelque succès, ce ne fut point sans opposition, et de là un élément uouveau d'anta- gonisme s'établit entre les Franks d'une part, et les Frisons et Saxons d'une autre, condition qui donna lieu à une influence manifeste sur les événements de l'âge suivant. Le sujet mérite, nous semble-t-il d'attirer un instant notre at- tention.
• Depping, Exp. mark, des Normans, I, p. 61. — Varenbeegh, Ann. de V Académie, t. XXIV, p. 453.
* SiSMONDi, Hist. des Français, t. I, p. 263. — Messager des Scien- ces historiques , 1867.
3 Beda. Hist. eccl. angliœ, lib. V, 12. — J. Baselius, Nederland- sche Sidpitius, p. 63.
— 93
II.
La Frise rapporte rintrodnction de la foi chré- tienne chez elle à saint Égysthe , contemporain de saint Materne, c'est-à-dire au règne de Con- stantin ; mais le nombre des fidèles y demeura inférieur à celui des Franks établis dans l'Em^Dire. A part la réaction qui se manifesta sous Julien, les édits de Constantin et de ses successeurs con- tinuèrent à saper le culte du paganisme romain, jusqu'à ce que les décrets de Théodose, lui enle- vant ses édifices et ses biens en faveur du nou- veau culte, le proscrivirent définitivement dans tout l'Empire. Si donc des prêtres de lancienne religion adoptèrent le nouveau culte pour con- server la position sociale dont ils jouissaient, d'autres persistèrent dans leurs opinions, et s'exi- lèrent chez les Barbares qui continuaient à pro- fesser sinon des croyances, au moins des rits qui rappelaient les leurs. Ces émigrations entrevues par des écrivains du siècle dernier, ont depuis lors fourni des preuves irrécusables '. Une entre autres est la trouvaille faite dans un tumulus du Yermeland , en Suède , d'un grand vase cinéraire en bronze , portant pour inscription : Apollini Geanko Doxum Ajmmilius Constans. Pe^f. Tem- PLi ipsius. V. s. L. M. ^
'■ Conf. Max Wirth, Fondation des états germ., t. I, p. 177 et la note 2. — Dai'lincourt a tiré parti du fait dans sa Caroléïde. — Le Crata repoa signale des Mithriaques parmi les payens réfugiés en Germanie. Berlin, 1778.
' C. Engelhardt, Statuettes romaines, etc. Mémoires des anti- uaires du Nord, 1872, p. 48.
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La divinité nommée dans cette inscription est particulière aux Gallo-Romains , et le nom Con- STANS du prêtre révèle le IV« siècle, époque où ce nom était vulgarisé. Cet exilé, parmi les nations germaniques , ne fut certainement pas le seul de sa profession qui après avoir tout perdu, et regar- dant la cause qu'il servait comme définitivement vaincue sous la domination des Césars, a porté au loin sa haine contre le christianisme, lui attri- buant comme Sjmmaque , tous les malheurs de l'Empire, et excitant à la vengeance, des popula- tions menacées de voir leur culte encestral dé- truit si les Franks triomphaient. Ces sentiments propagés dans une population guerrière , avide de déprédations , allaient plus tard lorsque les revers l'auraient atteinte, donner lieu à de ter- ribles représailles.
En Saxe pourtant comme en Frise, on vit beau- coup d'individus embrasser les croyances chré- tiennes , mais en ces pays il ne se trouvait pas de clergé privilégié, qui eût pu redouter la con- currence des missionnaires hostiles à sa propre autorité *. Il n'en était pas de même en Scandina- vie , pays qui nourrissait un sacerdoce fortement organisé, exerçant une autorité sans bornes sur tout ce qui se rapportait à la religion 2. Snorron nous apprend que le Nefgiœld ou Naskat était un impôt levé sur le peuple entier en faveur des ministres du culte. Le sacerdoce comprenait plu-
* Mallet, Hist. du Danemark, t. III, p. 312. " Idem, ibicl., 1. 1, p. 127.
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sieurs classes de prêtres. La première était celle des Droites; venait ensuite celle des Skaldes ou cliantres, dont la poésie célébrait la puissance des dieux et les prouesses des braves ; enfin les Tyr- spakurs ou devins ' . Les Skaldes ne chantaient que sous l'inspiration des Drottes en communi- quant ainsi leurs injonctions dans les camps et sur les flottes, tant en Suède et Danemarck qu'en Norvège. Dans les armées et sur les flottes nor- mannes, ces chants exaltèrent les guerriers contre tout ce qui avait le nom de chrétien, comme on peut le constater par le mépris qu'affecte pour eux le Skalde auteur de la Saga de Ragnar- Lodbrok.
Dans la sphère des idées directrices des groupes sociaux du Nord, les Saxons se trouvaient placés au premier rang contre le Midi. Ils se montraient de turbulents voisins pour les Franks , dont ils pillaient parfois les cantons limitrophes , et à l'occasion massacraient les habitants qui osaient leur résis'ter lorsqu'ils venaient enlever leur bé- tail. Dès l'ère mérovingienne, il avait fallu lutter contre eux, et nonobstant les avantages rempor- tés ensuite par les Carlovingiens , les Franks ne parvenaient pas à dompter l'esprit opiniâtre des Saxons. C'est à cause de cela que Charlemagne leur fit la guerre à outrance. En même temps qu'il combattait leur indépendance politique vi- sant la conquête de leur souveraineté nationale,
' Benjamin-Constant, De la religion, t. V, pp. 93 et 101. Olau3 Magnus, t. I, lib. III, C. VIL
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il se faisait aider par le clergé romain pour ren- verser leur culte pajen. Aussi, après que saint Libuin, dans l'une de ses missions sur les rives du Weser, eût menacé les Saxons de toute la colère du plus grand roi de TOccident qui, pour venger la divinité, détruirait leur état % cette guerre prit-elle tout le caractère d'une guerre de religion. Le culte de la Saxe était intimement lié à ses mœurs, à ses lois, à son état politique qui subit la conquête définitive en 804, après trente-deux campagnes pendant lesquelles s'illustra le chef saxon AVittekind. Dès 775, son allié Rodbode II, roi des Frisons, vaincu par les Franks, s'était réfugié en Danemark, après son échec de 777 et le prince saxon alla le rejoindre à la cour de Sigourd que nos chroniques nomment Sigefried, d'après le dialecte saxon comme le dénonce la désinence fried^. Cette puissance paj^enne vouait toute sa sympathie à la cause du peuple saxon , dont le territoire la séparait des Franks , mais alors elle n'était pas en mesure de soutenir la Saxe par les armes ; la bataille de Bravella en 774 ayant mo- mentanément annulé ses forces militaires.
Après des revers réitérés, Wittekind se décida à faire sa soumission. Son pays était désolé, la fleur de la nation massacrée, et ses dieux étaient désormais convaincus d'impuissance. En 785 il accepta le baptême avec son frère Abbon, qui
• Viti Sancti Libuini, § 5, p. 336.
* Ce Sigefried est désigné par l'épithète de Ring, la désinence saxone se retrouve dans Godefried, qui pour les Danois n'aurait bien pu n'être autre que Godvaert, d'où notre Govaert.
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dans la défense l'avait veillamment soutenu, avec le roi Radbode II, lequel termina sa carrière à l'abbaye d'Egmond en 792. Ils avaient du reste introduit le germe d'une revanche dans le cœur des Danois.
Dans rintervalle , les relations de ces derniers avec les Franks étaient pacifiques. Les ambassa- deurs de Sigourd s'étaient rendus à la diète de Lippespring en 782, dans le but de maintenir les bons rapports entre les deux nations. Sur les conseils de Wittekind, ils consentirent à ce que les missionnaires se rendissent en Danemark ' ; le plus célèbre d'entre eux fut le frison Ludger. Mais cette même année, à la suite du massacre de Verden , toute la Saxe s'était soulevée , les alliés. Frisons, s'emparèrent du siège épiscopal d'Utrecht, se ruant partout sur les prêtres et s'attaquant au culte chrétien '. A la fin tout plia sous la volonté du grand Karel, qui enleva la j)lus grande partie de la population de la Holsace, la transplanta dans les Gaules , et particulièrement en Flandre. Peu à peu les Saxons s'habituèrent au christianisme, quoique le souvenir de leurs anciennes divinités, auxquelles ils s'étaient décla- rés prêts à ajouter Jésus-Christ % se conservât longtemps très vif parmi eux. Plusieurs siècles après, des rits payens étaient encore pratiqués secrètement sur le Brocken, nonobstant la police
* Mallet, livre cité. p. 109.
" Max Wirth, livre cité, pp. 295 et 320.
3 Livre cité de Mallet, p. 114.
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rigoureuse de la cour Véhmique, dont Charle- magne avait doté sa conquête ^ L'opposition des Saxons violemment rendue muette, a laissé quel- ques traces de cette lutte religieuse. Nous avons entendu chanter les vers suivants qui nous re- portent à cette terrible guerre :
Ich will mir nicht lassen taufen, Viellieber soll ich mir versauffen Und springen iu der tiefer Meer.
Paroles dont l'écho allait retentir sur les flottes danoises.
m.
Le Danemark, devenant le refuge des Saxons, accueillit avec eux leur haine des Franks, et celle du culte au nom duquel ils exerçaient tant de violences. Proscrits et Danois confondirent leur aversion et leur désir de vengeance. C'est dans l'exaltation de ces sentiments qu'il faut chercher la cause première des irruptions danoises, aux- quelles les aventuriers de toutes les contrées du Nord ne tardèrent pas à s'allier.
La transplantation dans les Gaules des habi- tants de la Holsace causa une telle émotion chez la nation limitrophe, que Gothric, que nous nom- mons Godefried, roi des Danois, mit une force
* Hegewisch. Geschichte der Reg. Karl der Grosse, t. VI, p. 828-* BoKE, Notice sur les Francs-juges. — Mallet, t. III, p. 105. — Vaehnewyck, Hist. van Belgis, lib. III, cap. 37. — Reiffenbeeg, Résumé de V histoire des Pays-Bas, t. I, p. 157.
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considérable sur pied , - marcha contre Charle- magne, et après quelques succès s'empara de la Frise. Déjà il se préparait à marcher sur Aix-la- Chapelle, quand il fut tué par un des siens. Les conjurés mirent sur le trône son neveu Hemming, au détriment de ses fils '.
Ce meurtre d'un roi dans la prospérité de la victoire, révèle que deux partis divisaient son jDeuple. Les princes franks, perpétuant la poli- tique de l'ancien empire, favorisèrent l'un d'eux afin d'affaiblir l'autre, et intervinrent bientôt dans ces luttes intestines sévissant entre les en- fants d'Hemming et ceux de Godefried. Des par- tisans de ce dernier se préparaient à attaquer le territoire des Franks. En 820, treize vaisseaux de corsaires parurent sur la côte de Flandre. Leur équipage ayant aterri, fut repoussé après avoir enlevé quelques bestiaux et brûlé quelques ca- banes \
Harald, que nos chroniqueurs ont nommé Heriold, avait remplacé Hemming sur le trône danois. Celui-ci ayant imploré l'assistance de l'em- pereur Louis le Débonnaire, en obtint des secours pour récupérer la couronne qu'il avait perdue. Dans l'intervalle il s'était fait baptiser en 826 ; et sur les injonctions de Fempereur, il favorisa la prédication du christianisme dans ses États, sous la direction de saint Ansgaire, né en Frise, qui mérita la qualification d'apôtre du Nord. Mais
* Warnkœnig et Gérard, Carlovingiens, t. II, p. 210.
* EiNAED, Ad antiu/H 820.
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Harald ne sut point se maintenir, le parti advers, rejDrésenté par Eric I, que nos chroniques ont nommé Horicus Senior, lui ravit la couronne et le chassa du royaume : le parti payen triomphait alors parmi les Danois.
Harald, accompagné de ses frères Hemming et Roric, vint implorer la bienveillance de l'empe- reur Louis qui lui donna en bénéfice la portion de la Frise dont Duerstede était le centre, en même temps qu'il investit Hemming de l'Ile de Walcheren, et Roric du Kennemerland, à charge par eux de s'opposer aux courses et aux dépré- dations des Danois sur nos côtes : conditions identiques à celles qu'imposaient les Césars aux Germains quils accueillaient dans les Gaules*. Cependant l'empereur continua à s'immiscer dans les affaires intérieures du Danemark, sans perdre de vue le triomphe désiré de l'Eglise dans cette région. C'est pourquoi, en 832, il gratifia saint Ansgaire du monastère de Thourout, pour qu'il en fît une école missionnaire au moyen d'élèves recrutés en Frise, en Danemark et même chez les Slaves, qui seraient destinés à porter la foi nouvelle dans leurs pays respectifs ^ Hambourg fut désigné par l'empereur pour être le siège du diocèse septentrional qui englobait les Danois, les Suédois et les Norvégiens, et à l'archevêché duquel il plaça saint Ansgaire. Le diplôme en fut dressé à Aix- la -Chapelle en 834 '.
' Conf. Gérard, Lettres sur Vhistoire, VIII, IX et X. * Wastelain, Des. de la Gaule-Belgique, p. 385. 3 HuiTFELD, Hist. dan., t. I, p. 23.
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Cette création cVune institution toute nouvelle sur leurs frontières, porta Tirritation des Danois à toute extrémité; dès lors les grandes expédi- tions aggressives furent décidées chez eux et les Vikingers ne tardèrent pas à se montrer sur les rivages de la Gaule, qu'ils considéraient comme offrant le plus riche butin, en même temps que le siège de la population qui leur était le plus anthipathique.
Les indications recueillies sur la composition des flottes normannes nous apprennent que le nombre des hommes qu'elles portaient a été con- sidérablement exagéré par les chroniqueurs. L'expédition des treize barques conduite en 820 contre la Flandre, ne se composait que d'environ deux cents hommes, si nous prenons la base du Haunlag ; et si cette flotille était formée de Snak- kers au plus cinq cent cinquante. De même, les deux cents bateaux avec lesquels Gothric aborda en Frise, portaient dans le premier cas 2800 hommes, dans le second 8000; enfin, les sept cents barques qui allèrent porter les Normans sous les murs de Paris en 845, n'auraient compté qu'une dixaine de mille hommes, au lieu des qua- rante mille que signalent les écrivains. Il est vrai que par la suite les Danois construisirent des vaisseaux portant 140 à 150 hommes, mais si dès lors des navires de cette dimension furent con- struits, ils ne formaient point la flotte entière; leur nombre était encore restreint *.
' Mallet, Hist. du Dan., t. I, p. 234.
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Les anciens écrivains ont donc fort exagéré le le nombre des guerriers normans ; à moins d'ad- mettre que des indigènes, rebelles aux autorités frankes, se soient joints aux envahisseurs, comme le signale Verlioeven ' , et comme laffirmeEeginon, pour la dernière expédition des Normans sur notre territoire.
L'année même de la création du siège épiscopal de Hambourg, une flotte danoise alla dévaster la Frise et piller Duerstede et Utrecht, résidence de l'évêque Alfried Adelen, compatriote de saint Ansgaire \
Souvent le principal but d'une expédition des corsaires danois était d'exercer des représailles sur quelques provinces qui servaient d'asile à d'autres corsaires '\ C est ce qui arriva en 837 à l'égard deWalcheren où Hemming, frère d'Harald, fut tué avec le comte Eggihard. Après ces succès les Danois détruisirent AVitlam à l'embouchure de la Meuse * et s'emparèrent d'Anvers. Dans cette expédition il s'agissait surtout de se venger de la famille d'Harald qui continuait à fomenter des troubles en Danemark.
A la nouvelle des désastres subis par Hemming, l'empereur Louis, renonçant à un voyage projeté,
* Inleyding tôt de alonde middentyten, enz., Belgische historié. pp. 206 et 209. — Voir aussi Aug. Thierry, Conquête de l'Angle- terre par les Normands, t. I, p. 107.
* Hamconius, Frisia, p. 108 recto.
3 Mallet, Hist. du Danemarck, t. I, p. 231.
* (I Hodie ejus rudera in insula Goeree visuntur. » J. B. Des- ROCHES, yEpitotnes, t. I, p. 207. — Theganus, Vita Ludovici in Pertz, II.
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revint en hâte à Goncireville, d'où il emmena son armée», pour marcher contre les envahisseurs, et se dirigea sur Xymègue. A son approche les Normans décampèrent avec leur butin, et l'em- ^Dereur ayant garni de troupes sa frontière du nord, le pays ne fut plus troublé par ces inva- sions tant qu'il vécut.
IV.
La mort le saisit le 20 juin 840, et Lothaire I, son successeur, ne sut point conserver cette po- sition avantageuse : de ses contestations avec ses frères résulta la campagne de 841 , qui vit son parti écrasé à Fontenai. Pendant cette campagne, Harald, qui lui était demeuré fidèle, avait eu la charge de défendre le passage de la Moselle ; mais devant les armées réunies de Louis le Germa- nique et de Charles le Chauve , il avait été saisi de crainte et avait pris la fuite. Lothaire ne l'ou- blia pas, comme on le verra plus loin.
En 842, les vainqueurs ayant fait proclamer la déchéance de Lothaire à Aix-la-Chapelle, celui-ci n'entendait pas renoncer à l'empire, et pour récupérer son pouvoir et se constituer une armée, il accorda d'abord aux Saxons l'usage de leurs lois ancestrales, et s'allia ensuite aux Normans qui se hâtèrent de lui fournir des secours.
Lorsque Louis et Charles apprirent ces dispo-
* Thegancs, Hludovici imperatoris.
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sitions, ils en furent tellement effrayés qu'ils se rapprochèrent de l'empereur pour traiter avec lui, et convinrent que moyennant la rupture de ses alliances, ils lui restitueraient ses Etats et sa dignité impériale.
Ces alliances rompues, Lothaire se tourna vers Harald qu'il traita en ennemi; il lui envoya des comtes franks qui le tuèrent dans sa résidence, et emprisonnèrent son frère Roric. Ce dernier parvint à s'échapper et se réfugia d'abord auprès de Louis le Germanique, qui trouva bon de le ménager en vue de démêlés éventuels avec son frère Charles ou avec Lothaire. Une couple d'an- nées plus tard Roric se rendit en Danemark, équipa une flotte et, se réunissant aux autres corsaires, alla infester les côtes des Etats de Lothaire et de Charles le Chauve '. Lothaire, im- puissant à le vaincre, finit par négocier avec lui, et en 847, à la suite de la diète de Mersen, il se l'attacha en l'investissant du bénéfice de Duer- stede qu'avait tenu son frère Harald, et aux mêmes conditions qu'il en avait joui. Godefried, fils de Harald, obtint un bénéfice de même nature, peut-être bien dans le delta de l'Escaut 'K
Dans l'intervalle qui s'était écoulé depuis l'al- liance de Lothaire avec les Normans, ces derniers avaient immédiatement mis les circonstances à" profit pour se ruer sur la Neustrie qui présentait
• Annales Pythean. ad ann. 850. — Pkudens, Trie, apud Pertz, t. I, p. 445.
* Conf. MoKE, La Belgique ancienne, pp. 316 et 317.
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la proie la plus riche. C'est lepoque pendant laquelle le Roi de la Mer, Ragnar-Loclbrok, qu'Adam de Brème appelle Lodjjarchus, s'illustra aux dépens de la Gaule, en 845, 46 et 47, et qu'il saccagea la Flandre maritime, comme le rappelle son chant de mort :
Hjuggu ver met hjarvi Hild var synt i vexti Athr Freyr konimgr felli J. Flamingja veldi *.
Selon le cartulaire de Saint-Bertin, c'était com- munément à la bouche de l'Ysère, Iserœ portus, que les Normans attérissaient ^ Mais alors ces envahisseurs maritimes avaient un allié puissant qui leur ménageait une diversion, c'était Roric qui, remontant l'Escaut, investit Gand en 846 et livra, dit-on, ses monastères aux flammes ^ C'est la seule époque à laquelle Bauduin Bras de Fer ait pu lutter en Flandre contre les Xormans, car entre son mariage et son décès, avenu en jan- vier 879, son comté ne subit aucune attaque de ce genre \ Cependant, les annales de Saint-Bertin indiquent une agression à l'année 864 % mais on doit se demander s'il n'y a pas ici interposition de chiffres et s'il faut lire 846? La confusion est plus facile encore eu chiffres romains, seuls em-
» Apud Alp. De Vlaminck, Ann. de VAcad. d''archéol., t. XXXIV, page 480.
* GUEEABD, p. 107.
' Warnkœnig et Gérard, Hist. des Carolingiens, t. II, p. 223.
* P. A. F. GÉRARD, Lettre X. Revue trimest., t. XXVII, p. 212.
* Conf. De Bast, Bauduin V, comte de Flandre.
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ployés dans les vieux titres : VHP XLIV au lieu de LXVI. Ce fut pendant ces expéditions que Port-de-Vic (Quantovie '), Hambourg et Norden furent saccagés et pillés. Nithard se sert des mots Cantwich, Haniicig et Nordwich. C'est sans doute de là que Marcus van Yaernewyk nomme Hamme ^ (Hamwich) parmi les localités dévastées dans ce siècle. On a mis en doute la réalité des combats livrés aux Normans par le Bras de Fer '. Cependant, des auteurs anciens, et entre autres celui de la Vita Sancti Winoci, les confirment. Seulement Bauduin n'était pas alors comte de Flandre, mais le chef militaire du i3ays; en 842, Ebbo, archevêque de Reims, lui donne le titre de Maechio, terme qui alors traduisait plutôt l'idée de Maarschalk (Magister ^quitum) que celle de Markgraaf\
Malgré leurs fureurs fanatiques les Normans éprouvaient parfois de généreuses impulsions. « Quand un combattant s'était vigoureusement défendu, dit Mallet ^ le chef norman lui deman- dait son amitié et devenait son frère d'adoption. « Un incident de cette nature j^ourrait bien s'être produit entre Lodbrok et le Bras de Fer, après quoi le Roi de la Mer eut cinglé vers Lœthra pour y remettre à Eric I sa part du butin conquis dans la Gaule ^
' Wastelain, Desc. de la Gaule Belgique, p. 329.
• Hist. van Belgis, lib. IV, cap. 41.
3 P. A. J. Gérard, Lettre X, p. 212 du tome 27. Revue trimest.
♦ Il y des doutes sur l'authenticité de cette lettre d'Ebbo.
* Hist. du Danetnark, t. I, p. 232.
* Warnkœnig et Gérard, Hist. des Carolingiens, t. II, p. 222.
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Les discordes, sans cesse renaissantes, qui sé- vissaient entre les frères carlovingiens, trouvaient de réclio dans les populations quïls gouvernaient. Chacun de leurs royaumes comptait dans les limites de son territoire de nombreux mécontents, prêts à soutenir lun ou l'autre des antagonistes de son souverain. Cet état de choses n'avait pas tardé à être connu des nations du Nord, dont les rois usèrent bientôt des mêmes moyens que les princes franks avaient employés contre eux. Comme ceux-ci, ils cherchèrent donc des alliés jDarmi les mécontents de ces divers Etats du midi qu'ils jugèrent avoir choisi leur point d'appui dans l'éghse. C'est en conséquence qu'à la suite des pirateries que les Danois avaient exercées sur les côtes d'Angleterre, ils prirent sous leur pro- tection les Juttes du Kent dont les West-Saxons venaient de s'annexer le territoire, et que dès l'année 844 ils prirent pied sur le sol d'Albion. C'est dès lors que germa chez les peuples du Nord le projet d'une campagne générale contre les institutions et les peuples du midi, qui entraî- nait pour ces marins la soumission préalable de l'AngleteiTe.
C. Van der Elst. (A continuer).
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VARIETES,
Potiers de Gand. — Avis du Conseil de Flandre sur une requête des potiers de Gand demandant que l'on inter- dise l'entrée de la poterie étrangère dans le pays, et que les Archiducs les autorisent à ériger une confrérie. Le Conseil est d'avis que l'on pourrait interdire la vente de la poterie de Hollande, sauf pendant la foire de mi-carême, mais que l'érection d'une confrérie est contraire à la con- cession ('aroliue de cette ville.
L. St.
« Très honorez seigneurs,
» Messieurs, nous avons receu lettres de Leurs Altezes du 27* de juing dernier, avecq la requeste à icelles présen- tée de la part des pottiers manans de ceste ville de Gand, par laquelle ils remonstrent qu'ilz se trouvent grandement intéressez par l'apport de toutes sortes de pots hors des Provinces-Unies par deçà et vente d'iceulx, suppliant par- tant qu'il plaise à Leurs Altezes leur octroyer de pouvoir divertir et deffendre par tout moyen l'apport de semblable manufacture et pots apportez en la dicte ville de Gand des dits provinces, ensemble leur consentir d'en toutes les villes subalternes et villaiges soubz l'obéissance de Leurs Altezes povoir vendre toutes sortes de pots et telz que bon leur semblera, et pardessus ce povoir ériger et dresser une confrérie, en choisissant à ce ung aultel oii bon leur sem-
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blera pour y faire célébrer le service divin ; nous enchar- geant Leurs Altezes de veoir et visiter la dite requête et sur ce que s'y requiert rescrire à voz seigneuries nostre advis pour après en être ultérieurement ordonné.
» Pour à quoi satisfaire, Messieurs, avons préalablement faict communiquer la dite requête aux échevins de la keure de la ville de Gand, et après avoir reçu leur rescription ensemble la déclaration desdits suppliants, faicte par devant leurs députez, que leur intention ne seroit de prétendre octroy pour povoir vendre leurs pots par eulx faicts en toutes villes et villaiges par deçà ny même interdiction de de l'ouvrage et manufacture quy se faict à Nuerbecque, se contentans qu'il plaise à Leurs Altezes doresnavant oster et interdire l'apport et vente de la manufacture de terre, pots et aultrement, hors desdits Provinces-Unies, et quant et quant leur consentir de povoir ériger une confrérie; sur lesquels deux poincts, ayant meurement délibéré et le tout examiné et considéré, nous est advis que Leurs Altezes, pour bénéficier les suppliants inbabitants de leur dite ville de Gand, leur polroient bien octroyer de povoir divertir et oster tout ouvraige de pots quy s'apportera des dits Provinces- Unies en la dite ville de Gand, et à cest effet y interdire la vente d'iceulx, saulf ceulx qui s'ammesneront à la foire de my-quaresme, lorsque tous et quelconques ouvraiges, ma- nufactures et marchandises estraugieres s'admectent et se peuvent vendre durant icelle, d'aultant plus que par le besoingné dudit magistrat sur ce subject est représenté que la dite manufacture venant d'Hollande et se distrahant par deçà, n'est à beaucoup près de si bon alloy que celle de noz pottiers par deçà. Mais quant à l'érection de leur pré- tendue confrérie, pour estre leur requeste contre l'expresse disposition de la Caroline, ne nous semble expédient de la leur accorder. Ce que néantmoins remectons.... » De Gand le xiiiy de juillet 1612. »
((Jorrespondance du Conseil de Flandre, a° 1612, n" 80).
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CHRONIQUE.
Metz et Thionville sous Charles-Quint, par Ch. Rahlen- BECK, in-8°, Bruxelles, 1880. — En histoire, comme en toute autre branche des connaissances humaines, personne ne se contente plus d'une nomenclature sèche et aride des faits. Sous peine de re- prendre les vieilles allures du chroniqueur, l'historien est obligé d'indiquer les causes des événements et de faire des recherches sérieuses dans le but de les expliquer. On ne subit plus de bonne grâce l'influence des préjugés.
Jamais cette vérité n'a été mieux appliquée qu'à propos de la prise de Metz et de Thionville par les Français au XVP siècle. Ces deux villes, dont la première était qualifiée de « boulevard du Saint- Empire , i> furent conquises inopinément par la France , puis an- nexées à ce pays, en dépit des efforts faits par leurs anciens pos- sesseurs pour les reprendre. Toutes les particularités concernant ces événements étaient plus ou moins connues par les chroniques ; des historiens les avaient mentionnées en rapportant toujours les mêmes erreurs, basées sur les mêmes préventions. Personne ne s'était enquis de la question de savoir comment les Français se sont emparés de ces deux places, comment ils les ont conservées, com- ment nos souverains ne sont pas parvenus à les reprendre. Ces événements, qui de prime abord semblent tout à fait locaux, inté- ressent cependant l'histoire générale de l'Allemagne et celle du Luxembourg en particulier, quand ils sont traités comme le fait M. Rahlenbeck.
L'auteur précité les examine tour à tour, les discute, les appro- fondit, en mettant à pi-ofit tout ce qui a été publié à ce sujet, et en
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consultant les papiers d'Etat. C'est assez dire qu'aucune source n'a été négligée.
Avant d'entrer en matière, M. Rahlenbeck se demande : y a-t-il eu une république messine, comme le soutiennent certains auteurs ? Les grandes familles de la cité épiscopale ont-elles vendu leur ville aux Français ? L'évêque Lénoncourt a-t-il été leur complice? A toutes ces questions l'auteur répond carrément : non, et il le fait, preuves en mains.
Nous partageons complètement sa manière de voir au sujet des libertés accordées aux Messins, et pour cause. A l'instar de ce qui se passait dans les autres villes d'Allemagne, soumises à des seigneurs ecclésiastiques, les habitants de Metz, placés sous l'auto- rité de leur évêque, jouissaient de libertés très larges, selon les idées de l'époque, sans cependant avoir obtenu les prérogatives des villes libres ou impériales. Toujours faible, le clergé mettait la bride sur le cou à la bourgeoisie, quand il s'agissait d'abattre une aristo- cratie rapace, fière et altièrè. Il préférait les libertés, voire même les séditions de la bourgeoisie, à l'exploitation et à la tyrannie de la noblesse. L'histoire de la ville de Worms est là pour le prouver d'une manière péremptoire.
En présence de ces faits, M. Rahlenbeck n'a pas eu de peine à démontrer que la répulilique messine existe seulement dans l'ima- gination de M. Klippfel. Metz jouissait de privilèges très grands et de libertés très larges, confisqués plus tard au profit des conquérants.
De l'avis de l'auteur, ce n'est ni le protestantisme de quelques familles patriciennes et bourgeoises, les de Heu en tête, ni l'ortho- doxie romaine bien constatée des Gournay, des Raigecourt et des Baudoche qui la firent passera la France, mais une fausse sécurité, mal placée dans une neutralité encore plus mal comprise. Sans doute il y a du vrai dans cette appréciation. Mais après avoir bien médité le livre de M. Rahlenbeck, on se demande s'il ne faut pas chercher la cause du désastre un peu plus haut, et si la ville de Metz n'a pas subi les fluctuations malheureuses de l'empire au XVI« siècle? Les discussions religieuses entre catholiques et pro- testants n'ont-elles pas perdu l'empire, au point de subir l'influence de l'étranger et de voir son territoire envahi par son éternel ennemi, la France? Changez le nom d'empire germanique en empire byzantin au moment de l'arrivée des Turcs ; remplacez le nom de Constan-
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tinople par celui de Metz, lorsque les Ottomans assiégèrent la pre- mière de ces villes ; substituez Français à Turcs, et vous aurez abso- lument les mêmes causes, les mêmes effets, les mêmes péripéties.
Deux partis, à la fois politiques et religieux, convaincus chacun de marcher dans la voie de la vérité , repoussaient l'égalité des droits, convoitaient la suprématie et se disputaient le pouvoir dans la ville de Metz, lorsque l'ennemi était aux portes. La France sut mettre cette division à j)roflt pour s'emparer d'une ville sans dé- fense, déchirée par les factions. Metz dut malheureusement subir le sort qui attend tout pays divisé par les partis. De tout temps il est plus facile de remuer les masses par la passion que par le raisonne- ment; les mauvais instincts parlent toujours plus haut que la froide raison. M. Rahlenbeck lui-même paraît bien pénétré de ce fait lorsqu'il dit : « On ne saurait en disconvenir, la résistance des ma- gistrats protestants avait été aussi longue, aussi acharnée que pos- sible. Ils voulaient bien donner encore, en cédant à la force, des marques de respect et d'obéissance ; mais leur amour pour la per- sonne du souverain légitime s'était éteint. » Quand le prestige du chef de l'empire tombait, celui-ci devait choir également. Tout le monde y contribuait fatalement. « L'or français, dit M. Rahlen- beck, avait joué un grand rôle en Allemagne depuis un quart de siècle; on était habitué à le palper, à compter dessus. Cette fois encore, c'est vers la France, qui vient à lui les mains pleines, que se tourne l'Electeur de Saxe. On finit par s'entendre et le fameux traité secret de Chambord nous dit à quel taux usuraire Henri II avança son argent. Non content du titre de vicaire du Saint-Empire et de la garantie que lui donnaient les signatures des princes confédérés, il voulait, en attendant mieux, avoir la garde et le gouvernement de quatre villes impériales de langue française. » Les quatre villes ouvertes à la France , avec réserve expresse des droits de l'empire, étaient Metz, Toul , Verdun et Cambrai. Singulière restriction, introduite au traité pour la forme seulement, et que William Cecil, ministre de la reine d'Angleterre, qualifiait à juste titre de pro- messe aussi retentissante que peu sincère.
En vérité le rôle des confédérés n'était ni honnête , ni patrio- tique. Volontiers ils trahissaient les intérêts du pays pour soigner les leurs. Malheureusement Charles -Quint en avait lui-même donné l'exemple lorsqu'il acheta les voix des Electeurs pour obtenir la
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couronne impériale. L'or espagnol et du Nouveau Monde lui avait ouvert le chemin au trône ; et sous le rapport de l'honorabilité, ses partisans ne valaient guère mieux que leurs ennemis.
Y a-t-il dès lors lieu de s'étonner de la décadence de l'empire et du triomphe de la France, quand celle-ci s'emparait des villes alle- mandes situées près de ses frontières?
Au moment où la France faisait la levée des troupes destinées à la conquête de ces places, l'empereur aurait bien pu mettre à profit les tendances des Huguenots en France , dans le but de faire une diversion. Mais, ajoute M. Rahlenbeck, Granvelle s'en effrayait, et Corneille DeSceppere, autre diplomate de Charles-Quint, n'osait pas arriver à une pareille extrémité. Ils abhorraient tous deux une alliance avec des mécréants. A notre avis les seuls scrupules de ces hommes d'État n'arrêtèrent pas l'empereur. L'histoire nous apprend qu'en politique ce monarque était un peu plus honnête homme que ses voisins. Lorsque les rois de France cajolaient en Allemagne les protestants qu'ils pendaient chez eux, pour confisquer ensuite leurs biens et en distribuer les produits à leurs coreligionaires allemands, Charles répudiait de pareils moyens. Peut-on lui en faire sérieuse- ment un grief bien fondé ? Evidemment non , quoiqu'en politique tous les moyens sont considérés comme bons. L'Allemagne le com- prit ainsi. Elle s'aperçut combien le titre de défenseur des libertés publiques , pris par un monarque étranger, était fallacieux de sa part, et qu'il faisait l'office d'un simple masque destiné à la tromper. Plusieurs princes confédérés se déclarèrent déliés de leurs promesses envers Henri II, « et, ajoute M. Rahlenbeck, plus d'un d'entre eux se disposa à aller rejoindre l'armée que Charles-Quint rassemblait alors pour rejeter les Français hors de la Lorraine. »
L'empereur mit à profit ces bonnes dispositions. Il s'était décidé à attaquer Metz en dépit de sa sœur qui voulait attendre la bonne saison. Mais le duc d'Albe, chargé de diriger l'attaque, fut aussi malheui'eux dans son entreprise qu'il le fut plus tard aux Pays-Bas. Il ne réussit pas, et la France resta en possession du boulevard du Saint-Empire. Les causes de l'insuccès de cette enti'eprise sont par- faitement expliquées par M. Rahlenbeck d'après des sources d'une authenticité incontestable, trouvées en grande partie aux aixhives du royaume à Bruxelles.
Malgré cet insuccès, l'Allemagne ne renonça pas définitive-
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ment à l'idée de reprendre la Lorraine et Metz ; mais d'autres préoccupations, celles de la question religieuse, absorbèrent toute l'attention des confédérés. Celle-ci primait la principale; en d'autres termes l'intégrité du territoire allemand fut sacrifiée aune question d'opinion religieuse.
L'auteur raconte aussi tous les détails de la mission de Boisart à Metz, dans le but de s'enquérir de tout ce qui s'y passait avant la prise de la ville par les Français, enquête fastidieuse et irutile. Quand il fallait pourvoir la place d'une bonne garnison destinée à repousser toute attaque de la part des Français, le gouvernement, toujours à court d'argent, passait son temps à des futilités, à des querelles de ménage.
A ce propos M. Rahlenbeck prend chaudement le parti des pro- testants, surtout des de Heu, gens à convicîtions profondes; tandis que d'autres personnages avaient la conscience singulièrement large, prête à tourner à tous vents.
Le chapitre consacré à la prise de Thionville, sous le règne de Philippe II, intéresse plus particulièrement la Belgique. C'était un premier démembrement du duché de Luxembourg, suivi bientôt d'autres conquêtes plus cruelles encore pour les Pays-Bas. Philippe II et les Espagnols furent aussi malheureux dans cette affaire que dans mainte autre occasion. A ce propos M. Rahlenbeck dit : Philippe veut nuire autant que possible à la France, mais il ne veut aider en rien dans sa querelle l'Allemagne, d'abord, parce qu'elle est aux trois quarts hérétique, ensuite parce qu'elle lui avait témoigné une vive répugnance quand Charles-Quint avait voulu lui assurer la succes- sion à l'empire. Ce n'était pas précisément, à notre avis, un motif semblable qui guidait Philippe IL Chez lui, comme chez tout autre souverain, les nécessités politiques primaient avant tout. C'était mal- heureusement de tradition immémoriale aux Pays-Bas de répudier le lien qui unissait nos provinces à l'Allemagne, et de l'invoquer seulement en cas d'absolue nécessité. L'Allemagne en fit autant, et oublia bien souvent aussi que quand une maison brûle , celle du voisin est en danger.
Le livre de M. Rahlenbeck est écrit avec verve et entrain ; on le lit avec plaisir.
Ch. Piot.
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Découvertes archéologiques. — Il y a quelques mois, des chas- seurs étaient en campagne dans l'île de Formentera, aux Baléares. En poursuivaient leur proie à travers les broussailles, ils se trou- vèrent soudain en présence d'une excavation profonde qu'ils réso- lurent d'explorer. Des ronces en défendaient l'entrée; plus loin, des blocs de pierre énormes. Il fallut de la peine et du temps pour rendre libre le passage. Mais à mesure qu'ils pénétraient dans la cavité, leur étonnement grandissait. La galerie qui s'étendait devant leurs pas était creusée par la main de l'homme, à gauche et à droite, sur les murs, des caractères nombreux autant d'indéchiiïrables.
Après plusieurs heures d'efforts, ils pai-viurent enfin dans une pièce sxDacieuse d'une architectui-e arabe admirablement conservée et au milieu de laquelle se détachaient deux magnifiques tombes d'une forme très originale et d'une indescriptible richesse.
Poussés par la curiosité, nos chasseurs archéologues improvisés eurent la pensée de pousser leurs investigations plus loin.
Une sorte de couvercle en métal, d'un travail bizarre et compli- qué, défendait les deux sépulcres. Sans trop de difficultés, ils par- vinrent à le soulever. Et quelle ne fut pas alors leur stupéfaction ! Une momie reposait dans chaque sarcophage. Celle de droite sem- blait appartenir à une jeune femme, celle de gauche à un homme plus âgé. Leur stature était colossale. Sur la tête de la jeune femme, un diadème d'une inestimable valeur, en supposant que les pierre- ries qui l'enrichissent ne soient pas fausses, jette ses feux au loin; un collier de perles énormes orne son sein ; ses doigts sont couverts de bagues, et deux escarboucles d'un rouge foncé et d'une dimension inconnue sont attachées à ses oreilles. L'homme porte au front la couronne impériale et dans la main droite un sceptre.
Dans la petite île de Formentera, il n'est bruit que de cette dé- couverte. Le trou était connu depuis longtemps par les gens du pays, mais on pensait qu'il servait de repaire aux serpents, si nom- breux dans cet endroit. Des six chasseurs en question, quatre sont l'estés dans l'île pour protéger leur trésor pendant que les deux autres se sont transportés à Madrid pour rendre compte aux auto- rités de leur importante découverte.
— Deux fouilles très intéressantes sont pratiquées en ce moment à Keims, au lieu dit des Trois l'iliers.
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Une splendide trouvaille vient d'être faite ; il s'agit de deux sépul- tures gallo-romaines de femmes. Au bout de la première tombe on a trouvé un médaillon égyptien; à la tête du deuxième cadavre, dans le deuxième cercueil, se trouvaient une magnifique patène en terre rouge dite de Samos, deux barillets en verre avec anse et inscrip- tion romaine à la base. Aux pieds, une fiole en verre ayant contenu du parfum, deux épingles ivoire et bronze très originales, un gra- phitum également en bronze et pointu ; à l'une des extrémités une palette pour enlever les caractères défectueux gravés sur la cire recouvrant des ardoises sous forme de tablettes, un autre barillet en terre avec autre inscription latine, derrière lequel gisait de champ le portrait sur verre de la femme inhumée.
Ce merveilleux olijet d'art, peint de différentes couleurs, repré- sente un buste de femme à la coiffure de Madone, aux yeux bleus et aux cheveux noirs bouclés tombant naturellement sur les épaules ; l'exijression de la physionomie, la bouche fine et délicate, le menton mignon et le nez au profil droit et aquilin nous reportent à l'époque posthume de ces madones que Raphaël savait si bien peindre. L'ar- tiste qui a exécuté cet objet d'art nous laisse tout rêveur devant cette merveille.
Les traits, aux couleurs vives, ont d'abord été appliqués sur un verre tendre recuit ensuite au four; la chaleur, à dose modérée, a facilité petit à petit l'immixion dans le verre; l'irisation, les aspéri- tés globuleuses et le léger brouillard du verre font reconnaître l'objet comme gallo-romain, au moment où la cendre de bois était employée dans la fabrication de la verrerie. Le verre est découpé ou plutôt-cassé selon la forme du buste.
Au milieu de la profondeur de la tombe, dans l'une des parois, avait été creusé un trou rond dans lequel se trouvait un coffret re- couvert de larmes de bronze, avec sa serrure et sa poignée ; dans ce coffret étaient deux vases lacrymatoires en verre, un bracelet en jais, deux épingles en ivoire sculpté et sept coquilles marines.
— Une autre découverte remarquable a été faite sur les bords de la Loire.
Un pêcheur, en cherchant sous les pierres du rivage de petites anguilles, à découvert un trou rond, creusé dans l'argile de la berge et remj)li d'armes et de bijoux.
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Certaines pièces ont un intérêt exceptionnel, l'une entre autres dont on ne connaît qu'un seul exemplaire, trouvé dans un des lacs de la Suisse. Des haches, des marteaux, des gouges, des pendeloques, bracelets, anneaux, grains de colliers, une foule d'objets destinés à l'équipement des guei-riers, tels que des agrafes de ceinturon, umbos de boucliers, têtes de lances et de javelines, des épées brisées, des poignards, etc., etc.
Ces objets avaient été réunis pour servir. à une de ces fonderies celtiques, comme celles de Saint-Père-en-Retz et du Jardin des Plantes publiées par M. Parenteau. .
En l'absence du conservateur, M. Pitre de Lisle, membre de la
commission administrative du musée, a suivi cette découverte et_
pratiqué des fouilles sur les lieux de la trouvaille ; il a retrouvé
tous ces beaux objets ensevelis depuis plus de vingt siècles dans les^,
grèves de la Loire (500 ans peut-être avant l'ère^ chrétienne), et
maintenant disposés dans les vitrines du musée de l'Oratoire. Ce
sont en quelque sorte les archives métalliques du Portus Namne-
tum à l'époque homérique des Gaules. .
{Estafette).
— La Gazette d' Augshourg reçoit d'Athènes la nouvelle que l'on vient de découvrir en Morée un théâtre antique dont il est fait men- tion dans Pausanias et Strabon. Ce théâtre qui pourra, paraît-il, être déblayé et restauré à peu de frais, se trouve près du village de Mamussia, dans le démos d'^gium (autrefois Vostitsa) , sur une haute crête de montagne d'oîi l'on aperçoit le golfe de Lépante, toute la plaine d'JEgium, et la chaîne de montagnes jusqu'à Corinthe.
On n'avait encore mis au jour que fort peu de débris anciens dans cette partie de la Grèce. A ^gium même, une des douze cités de la Ligue achéenne oh Agamemnon réunit les chefs grecs avant la guerre de Troie, on n'a retrouvé que quelques murs sur le coteau qui domine le port, puis des soubassements d'un temple et un sou- terrain. Ou sait cependant, par les descriptions de5 historiens , qu'iEgium renfermait plusieurs temples et de beaux édifices.
Pour se rendre au village de Mamussia, près duquel vient d'être découvert ce théâtre antique, on passe par ce fameux couvent de Mégaspiléon (la grande grotte), que fonda au XIIP siècle l'impéra- trice Euphrosyne et qu'acheva Constantin Paléologue. Mégaspiléon,
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le plus grand des couvents grecs après celui du mont Athos, est situé au pied du mont Cyllène, au sommet d'un rocher qui domine la vallée du Buraïcus.
C'est une vaste grotte, haute de 30 mètres, large de 60, creusée dans une paroi à pic de 100 mètres de hauteur. Une grande porte extérieure, avec meurtrières, donne accès sur une magnifique ter- rasse ombragée de vieux arbres.
L'entrée même de la grotte est fermée par un mur percé d'innom- brables fenêtres, sur lequel viennent s'appuyer des galeries, des escaliers, des pavillons de toutes formes et de toutes couleurs de l'effet le plus pittoresque, construits en bois et disposés en 300 cellules.
Chaque cellule est garnie de tapis, de quelques meubles, de fusils et de poignards ; elle peut recevoir quatre moines. On montre, dans l'église du couvent, le portrait de la Vierge miraculeuse (Panagià), très vénérée en Grèce, et qui est attribué à saint Luc. C'est cette image en cire qui a parlé et pleuré plusieurs fois, au dire des moines, pendant la guei're de l'Indépendance. Dans leur cave, ces derniers possèdent d'énormes foudres qui rappellent, par leurs dimensions, le tonneau d'Heidell^erg. Leur bibliothèque contient des livres anciens et quelques manuscrits, entassés pêle-mêle dans des armoires qu'ils ouvrent rarement.
Les propriétés que possèdent les moines de Mégaspiléou en Achaïe et en Elide sont considérables et mal cultivées. Un certain nombre d'entre eux lial:)itent les métokbis, ou fermes où se récolte le raisin de Corintlie et oîi ils élèvent de nombreux ti'oupeaux. Mégaspiléon est situé sur la route de Kalavrita à Patras, qui conduit à la vieille forteresse connue sous le nom de « Château de Morée. »
D'après les archéologues, le théâtre retrouvé aux environs de Mamussia appartenait à l'ancienne ville de Kerynia, décrite par Pau- sanias dans son Voyage en Grèce.
— Dans une récente séance de l'Académie des incriptions et belles- lettres de Paris, M. Gaston Maspero, professeur d'égyptologie au Collège de France, a fait une communication verbale sur les résultats des fouilles auxquelles il vient de présider dans la vallée du Nil. Trois points ont été attaqués à Alexandrie, à Saggarah et à Thèbes. A Alexandrie, on ii'a recueilli qu'une statue, d'ailleurs très remar-'
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quable, représentant un personnage du nom de Hor. C'est un spéci- men cosmique du mélange de l'art grec avec l'art égyptien.
A Thèbes, des fouilles ont mis au jour une cassette où étaient entassés 36 momies et sarcophages royaux, appartenant notamment à Ahmès 1", à Anemophès !•■'", à Ramsès II, à Séti I", à Tounières III. Le catalogue rapide qui a été dressé sur le champ mentionne i^lus de 5,000 objets, parmi lesquels 5 papyrus, 3,600 statuettes funérai- res, une quantité de vases canopes, de bijoux en or et en argent.
A Saggarah, les fouilles ont mis au jour la tombe de deux rois de la sixième dynastie (haut empire). Un de ces rois est Merenra. Sa momie a été retrouvée presque intacte; la chevelure, les yeux, la forme générale des traits ont souffert le moins possible ; bien qu'un pied manque et que la mâchoire inférieure soit tombée , on peut aujourd'hui, à l'aide de la photographie, reproduire en partie l'as- pect d'un pharaon qui vivait il y a plus de cinquante siècles. La momie est celle d'un homme de taille un peu au-dessous de la moyenne, à la tête caractéristique : cet homme est un fellah.
Cinq pyramides ont été ouvertes à Saggarah. Trois ont fourni un nombre considérable de textes du plus haut intérêt. Outre les textes, il faut signaler les tombes royales. C'est d'abord le dernier roi de la V« dynastie. Oueas (an 3951 avant notre ère), puis son successeur, le l^" roi de la Vie dynastie, Teté ; enfin, l 'avant-dernier roi de la Vie, Papi II (an 3683j.
Les textes de la tombe d'Amas correspondent à 800 lignes d'hiéro- glyphes. M. Maspero y a retrouvé des textes liturgiques et magi- ques, en partie déjà connus, mais qui offrent cet intérêt capital, de prouver que le canon des livres religieux d'Egypte était déjà fixé au XXX VI^ siècle avant notre ère. Tous les dieux du panthéon égyptien y sont nommés, depuis les plus grands jusqu'aux génies secondaires, même les dieux thébaiens, comme Amason, qu'on ne s'attendrait pas à trouver à Memphis, capitale de la IIP à la VlIP dynastie dans le cours de 1161 ans.
— Près de Bagdad, une ville liabylonienne vient d'être découverte par le savant archéologue Hormuzd Rassam, qui dirige en ce mo- ment des fouilles à Ninive et à Babylone pour le compte du British Muséum. Cette ville est située dans le vieux canal Nahr Malka ou Fumen Regium. D'après VAthe7iœum, M. Rassam y aurait déjà re- cueilli de nombreuse inscriptions cunéiformes et hiératiques.
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-r- D'après le Courrier de la Meuse, le peintre Van de Winke vient de trouver dans une église de ^•illage aux environs de Ton- gres un Roger Van der Weyden, représentant le Martyre de Saint- Laurent. II est occuper en ce moment à le restaurer.
— On a fait récemment, aux environs de Ninove, une découverte particulièrement intéressante sous le rapport de la céramique bruxelloise ; il s'agit de douze plats de porcelaine de différents gen- res, tous également remarquables par la beauté et la richesse de la décoration. Cinq de ces plats portent la marque de Panneel et Chap- pel à Bruxelles. Deux autres sont marqués, dans la pâte, d'initiales non encore signalées jusqu'à présent. Cette découverte est due à M. Edmond De Deyn, qui possède un cabinet d'antiquités fort re- marquable.
— On a reconnu, sur le teritoire même de Menton, dans les Alpes Maritimes, les restes de monuments d'une antiquité si reculée, dit V Avenir de Menton, que leur origine est inconnue de l'histoire. Tout ce qu'on en peut dire avec quelque certitude c'est que leur construc- tion est de beaucoup antérieure à l'occupation romaine.
On trouve ailleurs, dans les Alpes Maritimes, qui semblent appar- tenir à la raême époque, notamment près de Grasse, et, d'après les instruments en pierre et la poterie grossière qu'on a recueillis dans leur enceinte, quelques archéologues ont cru pouvoir les considérer comme appartenant à la période néolitique de l'âge de pierre. Ils les ont classés sous le nom général de camps préhistoriques. Mais ces camps diffèrent sensiblement de ceux qu'on a signalés sous le même nom en d'autres pays.
Ces monuments sont des enclos elliptiques ou circulaires, entou- rés de murs massifs en pierres sèches. On les suppose des centres d'habitation. Leur diamètre varie d'une douzaine à une centaine de mètres. Leurs murailles sont de 2 à 4 mètres d'épaisseur, de 2 à 5 mètres de hauteur, et les pierres, presque toujours de grande dimension, ont parfois un volume de 6 mètres cubes. Un de ces camps se trouve sur le versant est de la colline de la Tourraca, à 100 mètres au nord de la route nationale, un peu en avant du point où elle traverse le cap Martin ; le plus massif de tous dans sa con- struction est situé au quartier Ricard, au-dessus du cap de la Veille
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et de la chapelle du Bon- Voyage, entre les deux routes nationales et sur le flancs escarpé de la montagne. Pour éviter une escalade dangereuse, il vaut mieux s'y prendre par la route de la Turbie.
Il est digne de remarque qu'on n'a pas encore signalé, dans les Alpes Maritimes, un camp de construction aussi grossière, et qui semMe par conséquent indiquer une aussi haute antiquité. A côté, on voit une vaste grotte naturelle, hahitée peut-être à une époque encore plus reculée que celle des camps. Une autre enceinte circu- laire se rencontre à la Peimenerga, au-dessus de la Roquebrune.
La plus vaste couronne, la colline Les Mulets, au-dessous de la carrière de Monte-Carlo, mais la mieux conservée, est Lou-Casté, à une demi-heure de la Tourbie, sur le sentier de Peglion.
Les trois premiers camps dont il vient d'être parlé ont été recon- nus depuis quelques jours seulement.
— A Pompéï, dans une maison qui n'est pas encore entièrement déblayée, on a découvert une nouvelle et gracieuse fontaine en mosaïque à fond bleu avec encadrement de coquillages. Comme les autres, elle a la forme d'une rotonde ; mais elle est à toutes supé- rieure par les peintures dont elle est ornée.
La voûte représente la mer avec Yénus Aphrodite qui sort de la coquille. La déesse tient par un bras un petit Amour qui sort de l'eau. Ça et là jouent d'autres petits Amours. Sous ce groupe un Amour embrasse un dauphin précédé d'une Néréide. Sur la rive, il y a à gauche, un groupe de deux femmes en protil et di-apées, l'une debout, l'autre assise, la main droite levée dans un geste d'ad- miration.
De l'autre côté du groupe, une figure de femme en pied ; au cen- tre, une autre figure de femme tourne le dos au spectateur et, agenouillée devant une cassette, elle regarde la mer.
{Journal des Aj'ts).
— Des recherches, faites par ordre du ministre, rue Lacépède, à Paris, sous la direction de M. Toudouze, viennent d'amener la découverte , à 2 mètres de profondeur, dans le sable , d'un sarco- phage en plâtre de plus de 2 mètres de long sur 50 centimètres de large. Ce sarcophage contenait des ossements humains dans un état de parfaite conservation ; on voit parfaitement deux crânes, l'un plus
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gros que l'autre, ce qui paraît faire croire qu'un homme et une femme y ont été placés ; au pied on a trouvé une magnifique médaille en bronze d'une conservation admirable, à l'effigie de l'empereur Néron; en exergue se trouve la mention : Nero imperator, de l'autre côté : Senatus populusque romanus et la date 60.
Il résulte de cette découverte curieuse pour la science et l'histoire que ce versant de la montagne Sainte-Geneviève était affecté aux sépultures.
Les recherches vont continuer sur la place de la Vieille-Estrapade.
Académie royale des sciences , des lettres et des beaux- arts DE Belgique. — Classe des Beaux-Arts. — Programme de concours pour 1882. — Première question. — « Quelle était la composition instrumentale des bandes de musiciens employées par les magistrats des villes , par les souverains et par les corporations de métiers, principalement dans les provinces belges, depuis le XV** siècle jusqu'à la fin de la domination espagnole ? Quel était le genre de musique qu'exécutaient ces bandes ? Quelles sont les causes de la dispai-ition presque totale des morceaux composés à leur usage? »
Deuxième question. — « Faire l'histoire de la céramique au point de vue de l'art, dans nos provinces , dejjuis l'époque romaine jus- qu'au XVIII® siècle. »
Troisième question. — « Rechercher les origines du bas-relief et du haut-relief, et faire un examen critique des développements et des modifications que ce mode de sculpture a subis aux différentes époques de l'art et dans les divers styles. »
Quatrième question. — « Déterminer les caractères de l'architec- ture flamande du XVI*^ et du XVIP siècle. Indiquer les édifices des Pays-Bas dans lesquels ces caractères se rencontrent. Donner l'ana- lyse de ces édifices.
La valeur des médailles d'or, présentées comme prix pour cha- cune de ces questions, est de mille francs pour \k première, pour la troisième et pour la quatrième , et de huit cents francs pour la deuxième.
Les mémoires devront être adressés, francs de port, avant le l®"" juin 1882, à M. Liagre, secrétaire i^erpétuel de l'Académie (Palais des Académies).
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Architecture. — La Classe met au concours un projet d'entrée monumentale en tête d'un tunnel de chemin de fer, traversant les Alpes.
Le tunnel aura une largeur de 12 mètres.
Les plans , coupe et élévation devront être faits à l'échelle d'un centimètre par mètre.
Musique. — La Classe met au concours la composition dhm trio pour piano , violon et violencelle.
Par mesure exceptionnelle , ce concours est limité exclusivement aux musiciens belges.
Un prix de mille francs , attribué à chacun des sujets précités, sera décerné à l'auteur de l'œuvre couronnée.
Les plans, ainsi que les compositions musicales, devront être remis au secrétariat de l'Académie avant le l^"" septembre 1882.
Programnie du concours pour 1883. — Pretnière question. — « Faire l'histoire de l'architecture qui florissait en Belgique pen- dant le cours du XV« siècle et au commencement du XVP , archi- tecture qui a donné naissance à tant d'f difices civils remarquables, tels que halles , hôtels de ville, beffrois, sièges de corporations, de justices, etc. "
Décrire le caractère et l'origine de l'architecture de cette période.
Deuxième question. — << Faire une étude critique sur la vie et les œuvres de Grétry , étude fondée autant que possible sur des docu- ments de première main; donner l'analyse musicale de ses ouvrages, tant publiés que restés en manuscrit; enfin, déterminer le rôle qui re\aent à Grétry dans l'histoire de l'art au XVIIP siècle. »
Troisième question. — « Définir le réalisme et indiquer son influence sur la peinture contemporaine. »
Quatrième question. — '• On demande la biographie de Théodore- Victor Van Berckel, graveur des monnaies belges au siècle dernier, avec la liste et la description de ses principales œuvres , ainsi que l'appréciation de l'influence que cet éminent artiste a pu exercer sur les graveurs de son époque. »
La valeur des médailles d'or présentées comme prix pour ces questions sera de mille francs pour la première, de huit cents francs pour la deuxième et la troisième, de six cents fra»ics pour la qua- trième question.
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Les mémoires devront être adressés francs de port , avant le lei-juin 1883, à M. J. Liagre, secrétaire perpétuel, au Palais des Académies.
Peinture. — « On demande le carton d'une frise décorative qui serait placée à 5 mètres du sol dans un hôpital militaire et repré- sentant les Secours en temps de guerre. Grandeur, 2 mètres mini- mum, 3 maximum. »
Le carton doit avoir 0™,75 de liaut sur 2™ ,25 de développement.
ScuLPTXJEE. — « On demande une statue monumentale person- nifiant l'Électricité. Hauteur 1™,30. »
Un prix àQ mille francs , attribué à chacun des sujets précités, sera décerné à l'auteur de l'œuvre couronnée.
Les cartons ainsi que les statues devront être remis au secrétariat de l'Académie avant le l^"" septembre 1883.
L'Académie n'acceptera que des travaux complètement terminés ; les cartons et statues devront être soigneusement achevés.
'^Ihert <M.^ sculp. (^aTid/.
CAVES DE LA GRANDE FAUCILLE.
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SOUVENIRS ARCHÉOLOGIQUES
DE
LA VILLE DE GAXD.
xin.
La Grande Faucille.
Un des quartiers de la ville de Gand qui a conservé le plus grand nombre d'anciennes con- structions est celui qui comprend les abords de riiôtel de ville ; dans la rue Haute porte notam- ment, on en voit plusieurs qui nauraient besoin que d'être débarassées du brillant badigeon qui les dépare pour reparaître à peu près intactes avec leur aspect ancien ; quand on se place au Marché au Beurre et qu'on se dirige vers le Sablon , on trouve toute une série de bâtiments , les uns à l'aspect sombre, d'autres moins sévères, qui ont gardé bien des restes de leur architecture pri- mitive : d'abord l'hôtel Saint-Georges ou l'ancienne Halle avec sa grande fenêtre gothique et ses écus- sons taillés, à son extrémité se trouvait la Loeve, où l'empereur Charles Quint signa une de ses or-
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cloniiances en 1540 *; plus loin la maison du Grooie Moriaen, reconnaissable à son enseigne portant un More, le Samsoen, qui a subi hélas de fâcheuses restaurations, et la rue se termine par un grand bâtiment en pierres de taille, connu jadis sous le nom de la Grande Faucille, de Groote Zickele, pour la distinguer de sa voisine la Petite Faucille, dont elle est séparée par une rue appelée an- ciennement Zickelstraetje ; en face de celle-ci le Pellicaen, dont la date de construction est mar- quée sur les clefs d'ancre de sa façade ; en traver- sant le Sablon, on passe devant la maison dite de Verloren aerbeyt ", et l'on se retrouve devant la Grande Faucille.
Ce quartier est un des plus anciens de la ville ; la riche bourgeoisie de la ville semblait l'affec- tionner, elle était venue s'y grouper autour de Thôtel de ville ; ce quartier avait aussi l'avantage d'être situé dans la partie la plus élevée de l'an- cienne cité.
La Grande Faucille était, dès le XIV^ siècle et même peut-être déjà avant cette époque, la pro- priété d'une famille qui en avait pris son nom : de la Faucille ou van der Zickelen ; « ceux de ce nom, dit L'Espinoy 3, ont par plusieurs siècles faict leur demeure et ceste ville , on en void encores pour le présent deux beaux édifices de la demeure or- dinaire desdicts van der Zickele, dont l'une appe-
' Gachard, Documents relatifs aux troubles de Gand, p. 358. ^ « Huu9 ende erfve ghenaempt den Verloren aerbeyt, up den houck van den Zantbergh over de Groote Zickele (1580). » * Recherches, p. 487. Y. aussi p. 436.
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lée la Grande Faucille a esté depuis quelque temps en ça aclieptée par Messire Simon Rodrigues , baron de Rodes , et l'autre appelée la Petite Fau- cille, appartient à présent au seigneur de Haverie. Ils portent de gueulles à trois faucilles d argent émancliées d'or. )> .
Les détails que donne L'Espinoy prouvent qu^il connaissait très bien la position des deux maisons dont il parle; les indications qu'il donne suffisaient de son temps pour reconnaître leur situation , et il aura jugé inutile de donner d'autres détails.
On a voulu rattacher la famille van der Zickelen à une famille de la Faucille qui habitait la Nor- mandie, et dont un des membres aurait été allié à la fille du célèbre connétable du Guesclin ; leur fils, nommé Simon, serait venu se fixer à Gand et aurait épousé Théritière de Nazareth. La famille van der Zickelen était connue à Gand bien avant la naissance du connétable ; en 1305 on trouve un Simon van der Zickelen qui, en sa qualité d'un des cinquante hommes de la ville de Gand, ratifie le célèbre traité d'Athies, conclu entre les Flamands et Philippe le Bel, roi de France *. Ce Simon van der Zickelen habitait déjà sans doute la rue Haute porte, il est cité dans l'obituaire de Téglise Saint- Jean, actuellement Saint-Bavon, où il est indiqué comme descendant d'un Everdeus de Falce, supra altam Po)iam; ce nom de de Falce était la traduc- tion de son nom de famille, et on lui avait donné le qualificatif de la rue Haute porte pour distinguer
* Codex diplom. Flandiiœ, p. 49, par le C'« de Limbukg-Stircm.
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cette branche de la famille de celle qui habitait, ultra Schaldam, au-delà de l'Escaut. L'obituaire de Tégiise Saint- Jean mentionne encore d'autres membres de cette famille vivant vers la fin du XIIP siècle, entre autres un Nicolas de Falce, curatus de l'église , dont Tobit se célébrait le 7 juin. Les travaux exécutés au pont du Brabant- dam ont mis au jour une pierre tombale d'un membre de la famille van der Zickelen. Cette pierre tombale, que l'on peut faire remonter éga- lement à la fin du XIIP siècle, est formée d'une grande dalle, ornée au milieu d'une faucille ; à l'entour on lit l'inscription suivante : Hie?' leghet
Merin L{ ]schfs ver Alieen doch. van der Ziecklen.
Bid over har ziele.
Il ne semble pas que la famille van der Zickelen ait fait partie des lignages qui ont gouverné la ville de Gand pendant la majeure partie du XIIP siècle sous le nom de XXXIX ; mais à partir des premières années du XIV^ siècle, on rencontre fréquemment son nom parmi ceux des échevins de la ville.
Le baron de Saint-Génois a décrit il y a quel- ques années dans le Messager des Sciences histori- ques * les restes d'anciennes constructions atte- nantes à la maison du comte de Thiennes, à la rue Haute porte ; cette maison , dont le baron de Saint-Génois ignorait le nom, n'est autre que la Grande Faucille, et si l'on ne croit pas pouvoir faire remonter la maison actuelle jusqu'au XI Y*"
* Messager des Sciences historiques, 1851, p. 371.
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siècle, nous dirons qu'elle occupe l'emplacement de Tancienue. L'auteur que nous avons cité rap- porte une tradition d après laquelle cette maison aurait été la demeure de la famille Rjm, et qu'elle aurait compris jadis tout le terrain situé entre les rues Haute porte, du Refuge et des Régnesses jusqu'à la hauteur de la rue du Séminaire, mais il ajoute que ce qui est resté debout de cet édifice n'est pas de nature à conformer la tradition sur ce dernier point, et il ne croit -pas que les deux tourelles et la chapelle qu'il décrit et qui existent encore, faisaient partie de l'ancienne habitation des Rym.
Il ne semble pas pouvoir être mis hors de doute, qu'à une époque quelconque tous ces bâtiments n'ont formé qu'un seul bloc , et c'est l'opinion exprimée en 1771 par des arpenteurs qui avaient été chargés d'examiner la mitoyenneté des murs séparatifs des diverses maisons qui occupaient Tespace comjîris entre ces trois rues ; ils pensent que tout le terrain depuis la ruelle qui traversait l'ancien jardin de la confrérie de Saint-Georges jus- qu'à la rue des Régnesses a appartenu primitive- ment à un même propriétaire, et qu'il a subi des démembrements successifs. On en connaît un qui a eu lieu au milieu du XVP siècle; dans un par- tage conclu en 1531 entre la veuve de Gilles Halsberch et ses enfants, on scinda la Grande Faucille ; Tune des deux parts donnait sur la Haute porte et l'autre sur la rue des Régnesses ou la Régnesse, tout court, comme on disait alors; le bâtiment qui forme le coin de la rue du Refuge et
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de la rue des Eégnesses, en face de la Biesekapel, aura été détaché du second lot et cédé à l'abbaye d'Eename, pour y établir son refuge, sans doute à l'époque des guerres de religion ; c'est ce bâti- ment que décrit le baron de Saint-Génois dans sa notice ; les galeries représentées dans la gravure jointe à son article ont une telle ressemblance avec celles existant encore actuellement dans la maison dont nous nous occupons, et qui sont men- tionnées dans l'acte de partage cité plus haut, que l'on pourrait attribuer leur construction à un seul et même propriétaire ; ceci nous reporte aux pre- mières années du XVP siècle. Il est impossible de suivre les modifications subies par ces propriétés antérieurement au XV** siècle, certains indices porteraient à faire croire que les corps de logis donnant sur la Haute porte et formant actuelle- ment une seule maison, ont été primitivement trois habitations distinctes. Ces bâtiments étaient isolés les uns des autres par ce qu'on appelait dans la coutume de Gand des tusschenioeghe ou entre- murs ' ; c'étaient des espaces vides laissés entre les murs de deux héritages voisins, qui donnaient aux murs une épaisseur qu'en réalité ils n'avaient pas ; les étages ne sont pas au même niveau et les sou- terrains n'étaient pas tous réunis ; chacun de ces corps de logis était suffisant pour former une habi- tation séparée, et les façades des deux pignons por- tent des traces évidentes de transformations. La Grande Faucille étant une propriété allodiale, ce
* V. Coutume de la ville de Gand, rubrique XVIII, article 22.
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qu'on appelait à Gand vry hnys, vry erve, pouvait être divisée entre les cohéritiers dans les limites très larges, fixées par la coutume. Les propriétés qui se trouvaient dans cette catégorie étaient des alleux, soumis à un régime identique à celui qui régit la propriété au XTX" siècle ; les terres allo- diales étaient très nombreuses en Flandre, c'est ce qui explique la division du sol et l'égale répar- tition de la fortune entre les diverses classes de la société.
Le père de Simon van der Zickelen fut victime d'une de ces nombreuses guerres de famille qui viennent attrister bien des pages de l'histoire des villes pendant toute la durée du moyen âge , notamment aux époques de troubles civils, quand Fautorité se trouvait impuissante à faire respecter les droits de la justice; il fut blessé par Gilles, '^ fils de JMachelin de Saint-Bavon , qui accusait Simon van der Zickelen et son frère Nicolas de s'être approprié sans titre une maison à la Haute porte qui lui appartenait ainsi qu'à ses frères, et se disait victime d'un déni de justice.
La moitié de cette maison était échue, pendant leur minorité, aux enfants de Machelin, par le décès de leur grand'mère ; ils étaient à cette époque sans tuteur et se trouvaient à l'étranger pour ap- prendre le gaulois, de loalsch, et faire leurs étu- des. A leur retour à Gand ils firent le partage de leurs propriétés; la maison de la Haute porte échut à Gilles de Saint-Bavon, mais il ne put s'en mettre en possession , les deux frères van der Zickelen prétendant qu'ils l'avaient légitimement
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acquise de la personne qui avait autorité pour la vendre et ils lui opposaient délai sur délai. Après avoir patienté pendant trois ans, il semble que Gilles de Saint-Bavon, pour se faire justice par lui-même, attaqua Nicolas et le blessa. Une récon- ciliation, zoendinc, eut lieu entre les deux parties, toutefois Gilles ne parvint pas à rentrer en posses- sion du bien auquel il prétendait. Il s'adressa alors au comte de Flandre pour être réintégré dans ses droits. Entretemps le blessé était mort, peut- être des suites des blessures qu'il avait reçues; Gilles de Saint-Bavon demanda au comte de main- tenir, malgré cela, les termes de la réconcilia- tion, parce que la mort de Nicolas avait eu lieu trop longtemps après sa blessure pour pouvoir lui être imputée. Les documents de l'époque ne nous apprennent plus rien sur la suite de ces événements *.
Ce Simon van der Zickelen laissa un fils nommé également Simon; celui-ci fut chargé en 1336 par le comte de Flandre de recevoir une somme de 30,000 livres qui lui était due par la ville ; il est renseigné parmi les personnes qui avaient prêté de l'argent à la ville de Gand, en 1337, et il avait pris à bail la même année le droit d'accises sur le vin 2. C'est lui ou son père que l'on a donné pour époux à Jeanne Uutendaele, dame de Nazareth.
* Gaillard, Inventaire analytique des chartes des comtes de Flan- dre, n» 835. (V. aux Annexes.) La série de documents analysés par V. Gaillard remonte presqu'en entier aux dernières années du XIV^ siècle. Je crois pouvoir attribuer la même date à celui-ci.
^ V. comptes de la ville, a" 1336-1337.
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Simon laissa deux fils, Simon et Jean, et une fille nonnnée Marie, qui épousa Siger de Hembiese.
Jean van der Zickelen ou de la Faucille, comme l'appelle Froissart, fut « uns sages et notable homme », il joua un certain rôle dans les événe- ments qui signalèrent l'histoire de Flandre dans la seconde moitié du XIV* siècle.
Louis de Nevers, par une charte du 7 mai 1359, réunit au fief que le dit Jean possédait à Naza- reth, deux biens censaux qu'il possédait dans la même commune, entr'autres Yhof ter Zickele dit Mayeghem, il étendit au fief entier le droit de justice qu'il exerçait à titre de son fief primitif, et il créa Jean et ses successeurs écoutètes héré- ditaires de Nazareth avec les droits v afférents * . En 1362, Jean van der Zickelen, receveur du comte de Flandre, intervint, avec le doyen des petits métiers de Gand et celui des tisserands, pour amener la réconciliation entre les familles Alyn et Ejm, et mettre un terme à la rivalité existant depuis longtemps entre ces deux puissantes familles.
On ne sait pour quelle raison Simon Rym, qui appartenait au métier des tisserands, avait en 1353, aidé de ses partisans, fait périr dans l'église de Saint- Jean, à Gand, Henry Alyn, son frère Siger et leur serviteur. La tradition porte que la jalousie n'était pas étrangère à ce meurtre. Après de longs débats la réconciliation entre les deux familles avait été conclue devant le comte de
' De Potter et Beoegkaeet, Geschiedenis van Nazareth, p. 32.
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Flandre le 5 mai 1362, grâces à Imtervention dont il a été parlé plus haut; la famille Rym avait été condamnée à fonder, en réparation de ce crime, l'hospice connu sous le nom d'hospice Alyn ou de Sainte-Catherine. Cette condition fut exécutée, et le 10 novembre 1364 les échevins de Gand déclarent que Simon van der Zickelen avait remis entre les mains des proviseurs et des admi- nistrateurs de l'hospice les sommes provenant de la part contributive des parents du côté paternel dans le zoengeld, et destinées à l'entretien de l'hos- pice. Simon avait fait cette remise du consente- ment des autres parents paternels, entr'autres de Jean, son frère, de Pierre van der Zickelen et de son frère Nicolas. Un autre Jean van der Zickelen, dit du Marché aux Poissons, figure aussi dans ces débats, également à titre de parent et de partisan de la famille Aljai ' . Nous retrouverons plus loin des. traces de cette rivalité de famille ; les Rym avaient, faut-il croire, la haine vivace.
En 1363, Jean de la Fauchille était trésorier du Hainaut et de Hollande ^ Il fut également au service du comte de Flandre, qui l'envoya en Angleterre avec d'autres députés, auxquels s'étaient joints ceux des Quatre Membres de Flandre, pour terminer certains différents com- merciaux. La paix fut promptement rétablie, et une convention signée à Marcq, près Calais, le
• Les détails de ce procès ont été relatés dans un article du baron DE Saint-Genois, inséré dans le Messager des Sciences historiques de l'année 1850, p. 98, etc.
=* Mon. anc. du comte UE Saint-Genois, t. I, p. 303.
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20 mars 1372, termina le différend '. En 1378 il fut appelé à assister à un duel auquel Pierre de Craon avait voulu provoquer Louis de Namur ; ce duel devait avoir lieu à Lille le 20 janvier 1379, mais la provocation n'eut pas de suites ^
Froissart, en parlant de 1 émotion produite à Gand par le meurtre de Roger d'Auterive, bailli de Gand, tué par les Gantois, cite Jean de la Faucille ; il le rangerait volontiers parmi « les sages et les riches hommes, » dont « il ne estoit nul qui osât corriger ceux qui celle outrage avoient fait. » « Jean de la Faucille, dit-il, qui pour ce temps, en la ville de Gand, estoit un moult renommé homme et sage, quand il vit que la chose étoit allée si avant que on avoit si outrageusement occis le baillif pour le comte, sentit bien que les choses venroient à mal ; et afin qu'il n'en fut souspeçonné du comte ni de la ville il se jjartit de la ville de Gand, au plus quoiement qu'il put, et s'en vint en une moult belle maison qu'il avoit au dehors de Gand. Et là se tint et fit dire qu'il étoit deshaitié, ni nul ne parloit à lui fors que ses gens. Mais tous les jours il ojoit nou- velles de Gand ; car encore j avoit-il la greigneure partie du sien, sa femme, ses enfans et ses amis. Ainsi se dissimula-t-il grand temps '. »
Olivier d'Haut erive, par représailles du meurtre du bailli, avait pris quarante barques de Gand et
'■ IvERVYN, Histoire de Flandre, III, p. 412.
^ Kervyn, id., p. 424.
3 Chronique de J. Froissaht, liv. II, chap. LV.
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mutilé les bateliers; les Gantois, pour répondre à ce défi , s'emparèrent de la ville d'Audenarde (22 février 1380) dont ils occupèrent le marché; quelques bourgeois de Gand, Simon Bette, Gilbert de Gruutere, Jean van der Zickelen, qui pas- saient pour appartenir secrètement au parti des Leliaerts, interposèrent leur médiation, la guerre cessa presque aussitôt : les Gantois évacuèrent Audenarde le 12 mars *.
Jean van der Zickelen périt en duel à Lille quelques années plus tard d'une bien triste façon. Laissons encore la parole à notre chroniqueur; son récit donne une idée des factions qui agitaient la ville de Gand à cette époque.
Après avoir parlé de la défaite des Gantois à Eenham, de la mort de Ernouls Clers (octobre 1380) et du mécontentement qui régnait en ville à cause de la guerre dans laquelle les Gantois étaient engagés avec le comte, il dit :
« Quant les nouvelles furent venues à Gand que Ernouls Clers estoit mors et leurs gens desconfis, si se commenchièrent li pluiseur à esba- hir et à dire entre yeulx : « Nos besongnes se portent mal. Petit à petit, on nous ochist nos capitainnes et nos gens. Nous avons mal exploitié de avoir esmeu guerre contre no signeur le conte, car il nous usera tous petit à petit. A mal nous retourneront les hainnes de Gisebrest Mahieu et de Jehan Lion. Nous avons trop soustenu et eslevé les oppinions de Jehan Lion et de Piètre don Bos ;
» Kervyn, cité, p. 447. — Fboissart, liv. II, chap. LXVI.
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ils nous ont bouté si avant en ceste guerre et en ceste haine envers le conte nostre signeur, que nous n'y poons, ne savons trouver voie de merci, ne de pais. Encores vauroit-il mieux que XX ou XXX le comparaissent que toute la ville. »
)) Enssy dissoient li pluiseur en requoy l'un à l'autre; car généralement n'estoit ce mies, pour la doubtance des mauvais qui estoient tout de une secte et qui s'eslevoient en puissance de jour en jour. Qui en devant estoient povre compaignon et sans nulle cliavance, ores avoient-il or et argent assés ; car, quant il leur en falloit et il s'en com- plaindoient as leurs cappitaines, il estoient oy et tantost conforté, car on avisoit aucuns simples hommes et riches en la ville, et leur disoit-on : « Aies et se dites à tels et à tels que il viengnent » parler à nous ». On les aloit quere. Ils venoient (ils n'osoient contester) ; là leur estoit dit : « 11 » fault à la bonne ville de Gand à présent finance j) pour payer nos saudoyers qui aident à garder » et à deffendre nos juridictions et nos franchises, )) il fault vivre les compaignons » . Et là metoient avant finance, toute celle qu'on leur demandoit; car ils se désissent clou non, ils fuissent tantos mort, et les amesist-on que il fuissent traître à la ville de Gand et que il ne vosisseut mies l'onneur et le proufit de la ville. Enssi estoient li garçon et li mauvais maistre, et furent tant que la guerre dura entre eulx et le conte leur signeur, et au voir dire, se li rice et li noble en la ville de Gand estoient batu de tels verghes, on ne les en devoit ou doit point plaindre, ne il ne se poevent escuser
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par leur record meismes que il ne fuissent cause de tous ces fourfais. Raison pour quoy : quant li contes de Flandres leur envoya son baillieu pour constraindre et justicliier aucuns rebelles et mau- vais, ne pooient-il tous demorer dallés luy et avoir conforté à faire justice? Liquel y furent? On en trueve petit. Il avoient ossi cliier, à ce que il monstrèrent, que la cose alast mal que bien et que il eussent guerre à leur signeur que pais, et bien pooient sentir et cognoistre que se il fais- soient guerre, povres gens et mesclieans gens seroient signeur de leur ville, et cliil seroient leur maistre et ne les osteroient mies quant il vorroient, ensi comme il est avenu.
» Jehan de la Faucille par li dissimuler et par- tir de la ville de Gand et venir demorer en Hay- nau, s'en cuida purgier et oster, et que des haynes de Flandres, tant dou conte son signeur que de la ville de Gand, dont il estoit de nation, il n'en fust en riens demandés ; mais si fu, dont il morut, et vraiment chea fu damages, car cils Jehans de le Faucille, en son tamps, fu uns sages et très notables liomes ; mais on ne poet à présent clopyer devant les signeurs, ne leurs consaulx ; il y voient trop cl ère. Il avoit bien sceu les autres aidier et consillier, et de ly meismes il ne sceut prendre li milleur chemin. Je ne say de vérité se des articles dont il fut amis de messire Simon Rin au chastiel de Lille, il fu coupables ; mais li chevalier, avoecq le perverse fortune de ly, qui tourna tout à un fais sour ly, le menèrent si avant qu'il en morut; et ousi ont fait toutes les cappitainnes de Gand
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ou quoiement ou ouvertement, qui ont tenu et soustenu rébellion encontre leur signeur, et ossi ont moult d'aultres gens de la ville de Gand, meismement ceulx, espoir, qui couppe n'y avoîent, si com vous orès recorder de point en point en l'histoire ci après *. »
Le duel dont parle Froissart eut lieu à Lille le 25 septembre 1384, en présence du duc de Bour- gogne, qui venait de succéder à son beau-père.
Au commencement de l'année 1383, Jean avait été accusé de complicité avec Philippe d'Arte- velde, et il avait été cité à la cour du roi Char- les VI pour se disculper ; il n'eut pas de jDcine à se justifier pleinement, mais à son retour, de nou- velles accusations l'attendaient à Lille ; Simon Rym lui reprochait d'avoir trahi les secrets des plus nobles familles de Gand, et d'avoir été cause du supplice de son oncle Simon , mis à mort par les Gantois en 1380. Quoiqu'il en fût de ces accu- sations, Simon le provoqua à un combat judiciaire; van der Zickelen réclama, mais vainement, l'in- tervention du duc Aubert de Bavière, le duel eut lieu en présence du duc, van der Zickelen y fut tué 2.
* Chronique de Fkoissart, t. IX, p. 372 de l'édition de M. le baron Kervyn.
* Les auteiirs fixent la date de la mort de Jean à l'année 1384, toutefois dans les Monuments anciens du comte de Saint-Genois (t. I, p. 346), on trouve à l'année 1386 une reconnaissance scellée par Jean van der Zickelen et d'autres seigneurs, par laquelle il re- connaît que c'est par gi-âce que le duc Aubert de Bavière l'a fait sortir de prison, et promet de se soumettre à ce qui sera jugé contre lui. — En tout cas sa femme était veuve en 1388.
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Jean van der Zickelen avait épousé Elisabeth Sersanders, il en eut une fille nommée Marguerite, dame de Nazareth, qui fut mariée à Gui de Hon- court, bailli de Vermandois; celui-ci, dit-on, fut également tué à Lille en un combat judiciaire par un autre membre de la famille Rym, Baudouin.
Simon van der Zickelen, frère de Jean, remplit à différentes reprises les fonctions d'échevin de Gand*, il occupa aussi des charges de finances comme son père et son frère, il était garde de la monnaie de Gand en 1388 et de Bruges en 1392. Il avait hérité de sa nièce Marguerite la seigneu- rie de Nazareth.
Ce Simon est le premier membre de sa famille qui soit positivement connu comme propriétaire de la maison dont il portait le nom -.
Par acte du 7 mai 1362, Simon van der Zicke- len acheta de Jean Borluut, fils ser Gherem, et de son épouse Marie Rjm, fille de Jean Rym, in de Scelstrate, tous les droits qu'ils possédaient sur une maison située à la Haute porte, vis-à-vis du petit Pélican, au coin de la rue longeant la maison dite « de Sickelen '. » Ce sera sans doute à dater de cette époque que la maison achetée par Simon van der Zickelen aura pris le nom de Petite Fau- cille, pour la distinguer de sa voisine. A la mort
» Il fut échevin de la keure en 1368, 1371, 1377 et 1380.
* De Potter, etc., cité, p. 27. — D'après le Charterboeck der Ryke Claren, il était propriétaire de la Faucille en 1405.
3 Gand, Keurboeck, a» 1369, p. 45. — Le 28 avril 1400, Ghelnoet Damman vend une rente de 6 liv. j)ar. sur une maison à la Haute- Porte, à côté de celle de Simon van der Zickelen, appelée la Petite Faucille [Schepenbouh, 1400-1401, p. 55).
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de Simon, la Petite Faucille fut partagée entre ses enfants, son fils Vincent acquit de son beau- frère , Jean Wittoen , capitaine de Biervliet , la part qu'il avait héritée de sa femme Marguerite (ou Barbe) van der Zickelen ; il recéda ensuite les deux parts qu'il avait dans la maison et le jardin située derrière la dite steede ou maison aux tuteurs de son neveu Pierre van der Zickelen *.
Le 20 septembre 1508, Catherine van der Zic- kelen, veuve de Colard le Bagneteur , vendit à liiévin van der Vesten, fils de Jacob, ticheldecker , couvreur de tuiles, la maison nommée « de Cleene Zickele, » sise à la Haute porte, au coin de la « Zic- kelstraetkine » et en face du Pelicaen , ainsi que les jardins qui s'étendaient derrière la Grande et la Petite Faucille, de l'autre côté de la rue ^ A l'époque de l'Espinoy, nous avons vu qae cette maison appartenait au seigneur de Haverie.
Je ne suivrai pas les mutations de cette pro- priété , les détails qui précèdent suffisent pour en indiquer la situation d'une manière exacte et fixer celle de sa voisine.
Simon van der Zickelen, qualifié dans un acte de Tannée 1401 de « eersame, weerde ende wise, » laissa plusieurs enfants de son épouse Marie van Lanchsweerde, entre autres Victor, Vincent, dont nous avons déjà parlé, et George, qui fut élu abbé de Saint-Bavon le 29 octobre 1505, il avait anté- rieurement occupé les fonctions de prieur du mo-
< GancI, Keurboeck, a" 1432-1433, p. 4.
* Gand, Jaerregister, a° 1508-1509, p. 11. — Voir uu autre acte du 20 octobre 1509; id. 1509, p. 81 v".
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nastère ; il mourut eu 1418, couseiller d'état du duc de Bourgogne ' .
Victor van der Zickelen, fils aîné de Simon, fut appelé différentes fois, de 1404 à 1425, aux fonc- tions d'éclievin, en 1413 et en 1416 il fat clief- échevin du banc de la Keure, et en 1421 et 1425 chef-échevin du banc des Parclions. Son énergie à défendre contre le conseil de Flandre les fran- chises de la ville, amena entre Téchevin et Simon de Fromelles, président du conseil, un conflit dont il a été rendu compte dans ce recueil ^ La ville de Gand considérait comme attentatoires à ses pri- vilèges les nouvelles attributions pour la juridic- tion d'appel conférées au conseil par le duc Jean sans Peur en 1409; le président du conseil qui trai- tait de factieuse l'opposition que faisait Victor van der Zickelen, s'était permis de lui adresser des injures qui l'amenèrent devant le conseil du duc; il lui avait dit entre autres qu'il était un aussi méchant séditieux que le furent Jacques et Philippe d'Artevelde. « Ces paroles, lit-on dans le rapport des échevins chargés de faire l'enquête, attaquaient la position et l'honneur de Victor van der Zickele, aussi gravement que l'on puisse s'at- taquer à un honnête homme. » Le président fut condamné à demander pardon et à rétracter pu- bliquement les reproches outrageants qu'il avait adressés à l'ancien échevin, et eu outre à faire le
' Van Lokeeen, Histoire de Vabbaye de Saint Bavon, p. 137, 231. Le procès-verbal de son élection lui donne le nom de « de Falce. »
* Messager des Sciences historiques, 1861, communication de M. De Bubscher.
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pèlerinage de Saint-Pierre de Rome. (Sentence des 4 et 14 juin 1423).
La première année que Victor remplit les fonc- tions d'éclievin, il fut désigné parmi les députés que les quatres membres de Flandre chargèrent de présenter au nouveau duc Jean sans Peur, à son entrée à Gand, une requête contenant les griefs des Flamands et de lui exposer la détresse du commerce et de l'industrie *. En 1410 il fut envoyé en Angleterre par le duc de Bourgogne et les quatre membres de Flandre pour tâcher de réta- blir les relations commerciales avec ce pays 2.
Il avait succédé à son père dans sa seigneurie à Nazareth, dont il eut à défendre les droits contre Eobert de Bouvere, bailli d'Audenarde, au sujet du droit de meilleur catel ou meilleure dépouille, que le bailli d'Audenarde lui déniait, prétendant qu'à moins de concession spéciale, le comte de Flandre seul avait le droit d'exercer ce prélève- ment. Le conseil de Flandre refusa d'admettre les théories du bailli, qui fut débouté; il reconnut au seigneur de Xazareth les droits de toute justice sur sa terre, et déclara que le droit de meilleur catel était un droit ordinaire qui n'était pas com- pris parmi les quatre cas réservés au souverain '. Son fils Nicolas eut également à soutenir un pro-
* Kervtn, Histoire de Flandre, IV, p. 129.
* ICeevyn, id., p. 162. — Eu 1427, Victor van der Zickelen donne quittance d'une somme qui lui était due par la comtesse de Hai- naut. — Saint-Genois, Mon. anc, I, p. 409.
^ Archives du conseil de Flandre, Acten e)isentencien,J., 14:12-27, p. 67. Cette sentence ne porte pas de date.
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ces pour sa seigneurie de Nazareth, mais il ne s'en tira pas aussi bien , car il fut obligé de faire abat- tre le gibet qu'il avait fait dresser (1465).
Victor van der Zickelen avait épousé Isabeau Sloeve, fille de Jean, il en eut plusieurs enfants qui se trouvaient en 1431 sous la tutelle de Bau- douin de Gruutere et de Siger Sloeve ' .
Nicolas van der Zickelen, fils aîné de Victor, fut seigneur de Nazareth et de Weldene à Zeever- ghem ; il fut appelé à différentes reprises à exercer les fonctions d'échevin de la ville, qui semblent être devenues héréditaires dans sa famille ; son nom se rencontre pour la première fois dans les listes scabinales en 1436; en 1463 il est cité en qualité de commissaire du prince pour le renou- vellement des lois en Flandre ^
On retrouve le nom de van der Zickelen pen- dant les troubles qui agitèrent la ville de Gand au milieu du XV^ siècle , et qui se terminèrent à la malheureuse bataille de Gavre. La ville, en pleine révolte contre le duc, se trouvait sous la dictature de trois hooftmans qui exerçaient tout le pouvoir, beaucoup de personnes avaient quitté la ville, l'autorité des magistrats était si peu respectée que les échevins, parmi lesquels se trouvait Pierre van der Zickelen, avaient dii fuir.
Le 27 mars 1452, Nicolas et Pierre van der Zickelen, Etienne de Liedekerke, Gui Scoutete et
» Gand, reg. de la ketire pour 1431-32; acte du 11 octobre 1431. » Il fut échevin de la keure en 1442 , 1448, 1450 et 1461 ; des parchons en 1436, 1451 et 1454.
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d'autres des plus notables bourgeois furent som- més de rentrer dans la ville dans un délai de huit jours, sous peine d'être déclarés ennemis de la cité et de voir leurs biens confisqués *. Déjà le 9 décembre de l'année précédente Nicolas van der Zickelen, Pierre van Heertvelde et Henri Goetliaels avaient dû subir un interrogatoire ^
Le 14 mars 1459, Nicolas van der Zickelen, fils de Victor, achète des proviseurs de la confrérie de S*-Georges à Gand, une maison à la Haute porte, située entre le jardin de la confrérie et la maison den Grooten Moor, avec une sortie dans le R}n- gasse. Dans la cession étaient comprises diverses servitudes de passage et autres, en faveur de la propriété de Nicolas van der Zickelen qui y abou- tissait. La maison qui faisait l'objet de la transac- tion, était appelée de Groole Loeve '.
Nicolas van der Zickelen, par contrat du 15 sep- tembre 1442 , avait épousé Isabeau van der Meersch, fille de Philippe et de Marguerite de Vaernewyck; ceux-ci avaient assuré à leur fille la seigneurie d'Oomberghe et la cour de Soem- berghe *.
Philippe van der Zickelen, fils aîné de Nicolas, fut seigneur de Nazareth et Ooml3erghe ; son nom se retrouve cité à différentes reprises, de 1476 à 1490, dans les listes des échevins de la ville. En 1488 il fut envoyé à Bruges par la ville de
' ScHAEïES, Dagboek der gentsche CoUatie, pp. 251-252.
« Idem, idem, p. 130.
^ DiERicx, Mém. sur la ville de Gand, p. 85. — Jaerregister, p. 67.
* Jaerregister, 14:42, f° 61, V" L'EspiNOï, p. 275.
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Gand pendant la captivité de rarchidiic Maximi- lien. Après la délivrance de l'arcliiduc, il alla rejoindre les troupes de Philippe de Clèves , qui avait été créé capitaine général de l'armée flamande , organisée pour s'opposer aux troupes du duc de Saxe, qui était venu au secours de Maximilien '.
Philippe van der Zickelen avait épousé Marie Crupenninck, fille de Josse, dont il laissa deux enfants, un garçon et une fille. Le fils, Jacques van der Zickelen, seigneur de Nazareth, fut marié à Isabeau van der Hoyen, fille de Pierre et de Jossine Cooman. Isabeau van der Zickelen, fille de Philippe, avait été mariée en premières noces à Thierry de Beaufremez, seigneur de Bossut sur TEscaut. Il surgit à l'occasion de ce mariage un long procès entre la ville d'Audenarde et Philippe van der Zickelen qui avait pris en main les in- térêts de sa sœur. Le procès fut porté devant le Parlement de Paris et tranché en faveur de la ville par arrêt du 18 juillet 1517.
La ville d'Audenarde avait réclamé d'Isabeau van der Zickelen, qui était bourgeoise de cette ville à l'époque de son mariage avec le seigneur de Bossut, le droit d'issue ou du dixième denier, que la ville avait le droit d'exiger de toute per- sonne bourgeoise quand elle épousait un homme qui n'avait pas cette qualité, parce qu'elle perdait ainsi ses privilèges ; mais au lieu de l'imputer seule- ment sur la valeur de ses meubles et de ses pro-
• Kervyn, cité, V, pp. 415-458.
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priétés allodiales, elle prétendait que ce droit était dû également snr les fiefs. La sentence du conseil de Flandre, rendue le 17 juin 1516 \ avait donné gain de cause à la ville , et Taffaire fut de là portée au Parlement de Paris , comme nous Pavons dit. Cette jurisprudence, qui était toute exceptionnelle paraît-il, était fort favorable à la ville et celle-ci tenait beaucoup à la faire préva- loir; mais elle ne fut pas maintenue dans la cou- tume d'Audenarde, décrétée au XVIP siècle, il fut stipulé que les fiefs seraient affranchis du ])aie- ment de ce droit.
Isabeau épousa en secondes noces Jean Dam m an, seigneur d'Oomberghe *.
Jacques van der Zickelen, seigneur de Naza- reth % fut le dernier membre de la famile qui pos- séda la Gra7ide Faucille ; il mourut sans postérité masculine, son fils Jean étant mort jeune. Jacques mourut le 23 mai 1520; il fut enterré dans Péglise de Nazareth, devant Pautel de la Vierge, sous une tombe en métal. On y lisait : Hier liclit mer Jacohs van der Zickele, heere vaji Nazareth, die starfanno 1520 den 23 Meye \ Sa veuve, Elisa- beth van der Hoyen, fille de Pierre et de Jossine Cooman, épousa en secondes noces Gilles Hals- berch dit Aelgoet ; elle devait avoir certains droits sur la Grande Faucille, car pour les liquider^ on
* Conseil de Flandre, Acten en sentencien, B, 1514-17.
* Conseil de Flandre, Acten van Zekeren, 153.3-35, p. 39.
^ Par relief du 3 wedemaent, 1514. — Audenaerdsche Mengelin- gen, VI, p. 423.
< De Potter, cité, p. 74.
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fit le partage devant les échevins de la ville le 12 août 1531 ; une part pour elle et l'autre pour les enfants qu'elle avait eus de son premier ma- riage : Philippote, mariée à Philippe de Gruutere, Françoise et Gérardine. L'acte qui en fut passé donne des détails très précis sur l'ensemble des constructions et sur les limites à établir entre les deux lots qui devraient être faits '.
Le premier lot comprenait la partie de la maison donnant sur le Sablon, Cvoorderhuus, il aboutissait à Fouest à Lié vin Moeraert, à l'est à la rue; ce lot contenait les galeries, les chambres comjDrises dans la partie de devant, le jardin, les dépen- dances telles que les écuries donnant au fond du jardin ainsi que la vante, la cave qui se trouvait sous la maison d'été, 7 some)-huus, qui était oc- cupée jDar Jean Damman. Le second lot devait comprendre la partie de la maison, fachtet^hiius, donnant sur la Gidderstrate dans le Rynesse ^ il aboutissait d'un côté aux écuries du premier lot, où l'on devait établir un mur de séparation dont on indiquera l'emplacement par des piquets, et de l'autre à la rue menant au Sablon. Ce lot allait jus- qu'à la grande et la petite salle de la maison de devant où serait établi le mur de séparation. Le mur devait être bâti à frais communs d'après les in- dications stipulées dans l'acte, le jardin séparé par un mur d'une brique d'épaisseur, le puits qui s'y trouvait devait rester au propriétaire du premier lot. Pour égaliser les parts, on chargea le second
» Gand, registre Gedeele, 1530-31, p. 80.
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lot d'une rente r achetable de 4 liv. 10 se. de gros, qui prendra cours au 15 octobre 1532, en faveur du premier lot. Philippe de Gruutere, qui avait eu le choix, moyennant le paiement d'une somme de 10 liv. de gros, choisit la partie donnant à la Haute porte; il la céda ensuite à ses deux filles, Philippote et Quintine de Gruutere. L'aînée, après avoir été mariée à Philippe de Coudenhove, qui mourut, dit-on, le 5 octobre 1536, se remaria avec Jacques van den Nesse ; Quintine épousa Adrien de Saint-Génois.
En 1540, pendant que l'empereur Charles-Quint séjournait à G and pour mettre fin aux troubles qui agitaient la ville, le légat du Saint-Siège vint l'y rejoindre et, s'il faut en croire le Me^norieboek der stad Ghent, il fut logé à la Grande Faucille *.
Ce légat était le cardinal Alexandre Farnèse, fils de Pierre-Louis Farnèse, duc de Parme et de Plaisance, et de Hiéronyme des Ursins, et petit-fils du pape Paul III; il fut fait cardinal à l'âge de quatorze ans. Le pape l'envoya en France en 1539 en qualité de légat, pour y assister à l'entre- vue que devaient avoii' François I et l'empereur Charles-Quint; il suivit l'empereur aux Pays-Bas, mais ayant eu à se plaindre du peu de bonne foi de ce prince, il se retira en Italie ^ Pendant son
' « Item op den 23 der vorseider maent (sporkele 1540), quam biunen Ghent de legaet van den paus, ende was innegehaelt met al- den processien van Ghent ende was ghelogiert in de Groote Sickele by den Santberch. » (Memorieboek, II, p. 177.)
* D'après l'article du Dictionnaire de Moreri, mais cet article sur le cardinal Farnèse ne doit être accepté qu'avec réserve, car il le fait naître en 1530!
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séjour à Gand il autorisa l'empereur à supprimer Tabbaye de S*-Bavon ' , dont l'emplacement devait servir à la citadelle projetée par Charles-Quint. C'est le seul acte dont le souvenir se rattache à la mission qu'il remplit auprès de l'empereur, d'ailleurs il n'exerça ses fonctions que pendant peu de temps ; il fut remplacé la même année par le cardinal Marcel. Il avait succédé à l'anversois Pierre van der Yorst ^
L'empereur était entouré à Gand d'une cour nombreuse et brillante : son frère Ferdinand s'y trouvait ainsi que les ducs de Gueldres et de Clèves; les ambassadeurs de France l'y avaient aussi suivi; l'un d'eux, Georges de Selve, évèque de La Vaure ou de Vaure % écrivait de Bruxelles au connétable peu de jours avant son départ pour Gand : « du fait de Gand, nous écrivons au Roy ce que l'Empereur nous en a dit et M. de Gran- velle aussi, lequel dit qu'encore que l'Empereur soit beaucoup plus enclin à la douceur qu'à la rigueur, si est délibéré d'user du conseil que vous lui avez donné, et en effet il semble que jusques à ce que l'Empereur soit dedans la ville avec la force, les fols, qui y sont en bon nombre, ne per- dront point toute leur audace, et les bons n'au- ront point assez de cœur pour se déclarer tout ouvertement ; mais à la venue de Sa Majesté, l'on
' Gachard, Documents relatifs aux troubles de Gand, p. 687.
' Le 15 septembre 1540, le cardinal Marcel donna des lettres pour régler le service des chapelleuies à Gyzenzele et Ylierzele. (Note de M. le chanoine Lavaut.)
' V. Gallia christiana, t. XIIT, p. 331.
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ne fait aucnn doute q[u'il n'en vienne à bout à son bon plaisir ; il veut aussi que nous nous rendions là, combien que les autres ambassadeurs ne bougent encore d'icy '. » L'évêque de La Taure était encore à Gand au mois d'avril.
Dans une relation du séjour de l'empereur dans sa ville natale, publiée par M. Gachard, on trouve des détails sur l'arrivée du légat du Saint-Siège ^ : « Pendant le temps que l'empereur séjourna en sa dicte ville de Gand, y viendrent devant Sa Maigesté le cardinal Frenese, chancelier de l'église Romaine et légat de nostre sainct père le Pappe Paulus tercius, il estoit fort josne homme si comme d'environs l'eage de vingt ans, et estoit ledit car- dinal accompaingné que pour le conduire et gou- verner, en tant qu'il estoit fort josne, d'un autre cardinal qui estoit anchien et nonche de nostre dict sainct père le pappe devers le Maegesté Im- perialle, et avoient avec eulx en leur compaignie plusieurs évesques, prélats et autres genz ecclé- siastiques en bon nombre et grant estât, que nostre dit sainct père envoyoit tous ensemble devers l'Empereur pour aucuns grans affaires non sceues ne venues à la cognoissance de cest auteur. Ils séjournèrent quelque temps par devers Sa Majesté au dict Gand, et les affaires achevez, pour les quels ils avoient ainsy esté envoyez de Romme, ilz retournèrent avecq tout leui' train et estât
» Lettre du 10 février 1540 (n. s.). — Ribier, Lettres et mémoires d'État. Blois, 1660, in-folio. Cité par Gachard et Kervyu de Let- teuhove.
' Gachaed, ouvrage cité, p. 68.
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devers nostre dit saint père. Se ne fut point sans grande despence, car le voyage est fort loing pour telle et si grande compaignie. A Fentrée que le dit cardinael fait en ladicte ville de Gand tout le clergie d'icelle alla an devant de luy à crois et confanons, revestus de cappes et liabitz sacerdotaux, en tant qu'il estoit légat du Saint Siège Appostolicque, comme aussy allèrent au devant de luy pluiseurs grands princes et seigneurs temporelz, aussi y estans en la dite ville de Gand, et principallement ceux du Royaulme de Napples et des Ytallies, il fut fait audit cardinal de Frenèse fort grand hon- neur et bon recueil, en tans que comme chancel- lier de Téglise Rommainne il est après le pappe la seconde personne en la dicte église. »
Le grand concours de monde qui se trouvait à Gand dans ce moment avait dû amener des cliffi- cultés pour les logements, car l'empereur porta le 5 mai 1540 une ordonnance pour en fixer le taux ; il y dit entre autres : <( et quand au service de la maison, comme de nappes, serviettes, etc., se payera à la discrétion tant de celluy estant logé que de son lioste, et selon qu'ilz en s'en seront aidez et en auront usez. » S'il y a d'autres litiges on devra se référer au maître de sa maison ' .
Jacques van den Nesse , chevalier , garde de l'épargne du roi Philipj)e II et receveur général des confiscations, prit en 1559 en engagère pour un terme de trente ans, la seigneurie de Nazareth, dont il n'était qu'écoutète héréditaire, ce qui lui
' Gachaei"), Troubles de Gand, p. 680.
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permit de prendre le titre de seigneur de Naza- reth; le 12 juillet 1557, de concert avec ses deux belles-sœurs, Ysabeau et Quintine, et les héritiers de Philippe de Coudenhove, premier mari de sa femme, qui étaient Rogier van Berckel, époux de Livine van Coudenhove, Georges van Themseke, en qualité de mari de Jacquemine van Coudenhove, et les enfants de Jean de Coudenhove, il avait vendu à François de Cortewille, greffier de la chambre du Conseil en Flandre, l'entière maison dite de Groote Zickel ; dans la vente étaient comprises les dépendances, les galeries et les caves {vouten) de la maison; celle-ci, d'après l'acte passé devant les échevins de Gand, aboutissait d'un côté à la petite rue menant à l'église de Saint-Jean et à la Rynghenesse et de l'autre à Georges van der Piet et au jardin de la confrérie Saint-Georges. Cette cession avait été faite pour le prix de 504 liv. de gros 7 se. 6 deniers.
De Kempenaere parle dans ses mémoires de l'épouse de Jacques van den Nesse, il dit qu'elle s'était occupée de l'art de guérir et avait rendu ainsi bien des services aux malheureux, mais qu'elle avait diminué sa fortune, et celle de son fils Jean avait été également compromise ^
Jean van den Nesse pour satisfaire ses créan- ciers et éviter les frais du décret, avait été obligé de vendre sa seigneurie de Nazareth (1603), qui
* « Zy had vêle landeryen, verstond zicb eenigszins aen de ge- neeskunst en hielp vêle gebrekelyke arme lieden ; doch zy verloor veel van hare fortuin door eenen al te gemeen omgang met zekereu Spanjaard, terwyl liaar man van den Nesse in Spanje was. »
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fut achetée par Pierre Damant, évêque de Gancl. Le prix en avait été fixé à 12,500 florins, plus un denier à Dieu à payer par Tacquéreur aux pau- vres et à régiise de Xazareth et une somme de 100 florins j)our un bancquet *.
Pierre Damant avait également acheté la Grande Faucille, qu'il revendit au mois d'octobre 1607 à Simon Rodriguez, baron de Rodes. L'évêque Da- mant, fils aîné de Pierre Damant et d'Anne Bave, avait hérité de son père une très grande fortune, due à d'heureuses spéculations. Son père, après avoir été conseiller d'État, avait été nommé chan- celier de Brabant; une de ses sœurs, d'après une histoire de sa famille, avait été mariée au célèbre Yiglius; lui-même fut d'abord prévôt de Sainte- Pharaïlde à Gand, ensuite prévôt de Saint- Sauveur à Utrecht et doyen de la cathédrale de Saint- Bavon. « Il estoit d'une forte complexion, de stature médiocre; il avoit l'aspect vénérable et l'âme humble, nullement propre pour desmesler des grandes affaires, aussy ne s'en est-il entre- mit. » Il fut enterré à Saint-Bavon en la chapelle où il s'était fait bâtir une somptueuse sépulture de marbre ^
Simon Rodriguez d'Evora, « honneste, riche et puissant homme et chevalier », comme l'appelle L'Espinoy, avait acheté en 1602 du roi Henri IV la seigneurie de Rodes; mais peu d'années après, le roi Louis XIII revendiqua la seigneurie en se
« De Potier, cité, pp. 28, 36, etc.
* Généalogie man. de la famille Damant. — V. Almanak der geeatelijkheid in het bisdom van Gent, 1380, P jaar, p. 84,
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fondant sur le droit de retrait que lui accordait la coutume du pays d'Alost, et intenta un procès qui ne fut terminé qu'en 1627, plusieurs années après la mort de Rodriguez, en faveur de ses héri- tiers, qui restèrent en possession de cette terre <.
A différentes reprises Simon Rodriguez avait prêté des sommes considérables aux gouverneurs généraux des Pays-Bas, et notamment aux Archi- ducs Albert et Isabelle ; la tradition rapporte qu'il ne voulut jamais en recevoir le remboursement et qu'il en brûla les titres, apparemment quand il reçut chez lui les Archiducs, auxquels il offrit dans sa maison d'Anvers une splendide hosjiitalité, notamment ceux des sommes qui avaient particu- lièrement servi au maintien de l'indépendance nationale ; il n'est pas étonnant que les mémoires contemporains signalent la magnanimité de ses sentmients et la grandeur de ses richesses.
Il fit à Anvers d'importantes fondations en faveur des pauvres ; il y avait aussi fait élever avec son épouse, en 1586, dans l'église des Récol- lets, une somptueuse chapelle revêtue de marbre destinée à leur servir de sépulture, et il y fit ériger un monument à la mémoire de ses parents.
Simon Rodriguez mourut à Anvers le 23 mai 1618; il avait laissé de son épouse Anne Ximenez d'Aragon un fils nommé Simon, qui mourut sans être marié, et trois filles, Gracia, qui épousa en 1617 D. Francisco de la Vega, Marie, mariée à
* V. art. de M. Galesloot, Annales de la Société d'Émulation de Bruges, t. XXXI.
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Charles Rym, baron de Bellem, et Anna dont il sera parlé plus loin.
Dans le partage des biens de Simon Rodriguez d'Evora et d'Anne Lopez Ximenez, fait entre leurs enfants, Anna Rodriguez d'Evora, veuve d'Emma- nuel de Bourgogne, seigneur de Lembecq, reçut pour sa part la maison « que lesdits ses père et mère avaient en la ville de Gand, appelée la Grande Faucille, en la rue dite Santbergli, avec tous ses appendances et dépendances » ; elle lui fut attri- buée pour le prix de 10,000 florins. Simon, son frère, eut dans sa part une maison « en la ville d'Anvers à la Mère, vis-à-vis du couvent des frères Mineurs », pour le prix de 50,000 florins une fois, il fut stipulé que si sa part excédait celle de ses frères et sœurs, il en paierait Tintérôt à raison de six et un quart pour cent (xlcte du 18 novembre 1634:, passé devant le notaire Fr. De Rop).
D'après un acte du 20 mai 1632, les autres copartageants étaient Marie Rodriguez d'Evora, Gracia, mariée à Francisco Rodriguez d'Evora y Vega, chevalier, gentilhomme de la maison de S. M. C. et Simon Rodriguez, baron de Rodes.
Antoine François de Bourgogne, fils unique d'Anne Rodriguez, entra dans la Compagnie de Jésus et vendit la maison de Gand à son cousin Lopo Marie Rodriguez de-Evoray Vega, marquis de Rodes, seigneur de Ter Saele, chevalier de l'ordre militaire de S aint- Jacques , gentilhomme de la maison du roi ; il fut adhérité de la maison le 22 mars 1662.
Lopo Rodriguez était fils de D. Francesco de
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Yega et de Gracia Roclriguez, sœur aînée d'Anne citée plus haut. Il avait reçu à son mariage de son oncle Simon Rodriguez, la baronnie de Rodes, qui fut érigée en marquisat en sa faveur par diplôme des 14 et 27 juillet 1682.
Lopo Rodriguez naquit en 1620, il entra jeune au service de TEspagne, il fut blessé en 1651 au siège de Dunkerque. Après le siège de cette ville il se retira à Gand. En 1677, quand Louis XIV attaqua par surprise la ville de Gand où se trou- vaient le trésor de l'Espagne pour le service de la guerre et le magasin des munitions, Rodriguez se mit à la tête des troupes bourgeoises et se dévoua courageusement à la défense de la ville; il se dis- tingua dans la défense de la porte nommée de l'Empereur dont la garde lui avait été confiée. Dans les lettres patentes de l'érection de la terre de Rodes en marquisat, on rappelle qu'il alla sous le feu de l'ennemi cberclier de l'autre côté de l'Escaut sept à huit cents palissades qu'il lui fallait pour défendre un endroit faible de la place.
« Qu'aj^ant manqué le nombre de sept ou huit cents palissades pour une lune, par laquelle la ville courait le plus grand danger d'être prise, et sans lesquelles elle ne pouvait se maintenir, ni résister aux assauts que là on faisait continuelle- ment pour n'être en état de défense; à quoi n'ayant pu trouver aucun moyen pour remédier et pourvoir à cette nécessité urgente, le susdit baron de Rodes auroit oifert d'exposer sa vie et d'aller en personne avec quelques-uns de ses gens les arracher et tirer au dehors de la ville à la vue des
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ennemis et dessous le tire de mousquet, comme il a fait, passant en plein jour avec une petite barque TEscaut et les fossés de la ville avec tant de bon- heur et' de succès, qu'en moins de quatre heures de temps et avec perte tant seulement de deux hommes, il les a arrachés et emportés de la ville. '-> Après la reddition de la ville (9 mars 1678), Rodriguez se retira à Bruxelles et refusa, pour se conformer aux ordres du roi d'Espagne, de payer la contribution de guerre que les Français lui avaient imposée. Sa femme et sa famille, qui étaient restées à Gand, furent, parait-il, plus d'une fois menacées par les Français ; elles n'eurent rien à souffrir personnellement, leur maison paraît avoir été respectée, mais les propriétés qu'il avait en Flandre, et notamment le château de Ter Saele, aux environs de Gand, où il faisait sa rési- dence, furent saccagées.
Lopo Marie Rodrigaez avait épousé, par contrat du 21 mars 1658, Anne-Isabelle de Cortewyle, dame de Laecke, fille d'Emmanuel de Cortewvle et d'Isabeau de Gruutere. Leur fils aîné, Jean- Joseph-Louis Rodriguez, marquis de Rodes, habita la Grande Faucille qui avait été occupée par ses parents. Il était né à Gand le 2 octobre 1667 et y mourut en 1716; il avait épousé Marie-Émérence de Blondel, fille de Jacques-Horace de Blondel, conseiller des domaines et des finances du Roi, et d'Isabelle-Françoise de Clercq, dite d'Olmen; ces deux époux laissèrent une nombreuse posté- rité : trois fils et . quatre filles , ceux-ci après maintes contestations relativement à la propriété
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de la maison paternelle la vendirent ; par acte passé devant le notaire André-François De Backere, les 15 et 18 janvier 1735, elle fut cédée à Philippe Joseph de Béer, seigneur de AVyckhuyse, Onlede, Bevere, etc., pour le prix de 15,400 florins de change forte monnaie, par le baron Dons de Lovendeghem, époux de Marie-Madeleine Rodri- guez, agissant au nom d'Emmanuel Rodriguez d'Evora y Vega, seigneur de Moorseele et d'Em- manuel-Joseph-Marie de Rodes, et par les enfants d'Anne-Antoinette Rodriguez et de J.-B. Haccart, bourgmestre d'Audenarde, qui avaient hérité la part de leur oncle maternel Lopo- Marie Rodri- guez, baron de Berleghem.
Philippe-Joseph de Béer mourut le 4 novembre 1746; après sa mort la Grande Faucille, restée indivise entre ses enfants, fut habitée par sa veuve Jeanne-Caroline-Reine de Peellaert, sa seconde femme, qu'il avait épousée le 5 février 1722. Un partage fait le 9 novembre 1754 en avait attribué la moitié aux enfants de Charles-Joseph-Philippe comte de Lalaing et de Marie-Camille de Béer, décédée le 29 décembre 1743; celui-ci avait sou- levé diverses difficultés au sujet de cette propriété, les échevins en avaient même le 20 octobre 1757, autorisé la vente, finalement elle fut vendue à François-Théodore-Laurent comte de Thiennes, par acte passé devant le notaire DeVriese le 14 novem- bre 1776; les vendeurs étaient Jaspard-Philippe de Béer, seigneur de Beveren et Hulsvelde, François- Antoine baron de Plotho d'Ingelmunster, en qua- lité d'époux de Marie-Reine-Joséphine de Béer, et
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Joseph van Crombrugglie, agissant au nom du comte de Lalaing.
Lorsque les troupes françaises, sous les ordres de Pichegru, envahirent la Belgique aj)rès avoir repoussé les Autrichiens, le comte de Thiennes ne se croyant plus en sûreté, émigra en Hollande avec sa famille et se réfuo^ia à Delft ; il v retrouva les abbés de Saint-Pierre de Gand, de Baudeloo, de Tronchiennes et de Waerschot. A l'entrée des Français à Gand, sa maison fut mise sous séquestre, comme bien d'émigré, et remise au citoyen Cousin, inspecteur des effets militaires, pour y établir ses magasins. Le départ du comte de Thiennes avait été si précipité, qu'il n'avait eu le temps de rien emporter, tous ses effets, les bijoux de sa femme étaient restés dans sa maison; le citoven Cousin, ne pouvant y établir ses magasins tant que les meubles se trouvaient encore dans la maison, fit inviter les préposés des agences du commerce et d'approvi- sionnement établi au pays conquis, par arrêté du comité du Salut public du 24 Florial au II, à la faire évacuer; ceux-ci firent dresser un inventaire des meubles et en firent transporter une partie à l'en- trepôt établi à l'ancien évêché; ils firent ou\Tir deux secrétaires contenant les objets d'argenterie, après en avoir fait faire Testimation par un bijou- tier, ils les transportèrent à leur domicile. Une autre partie des meubles fut mise sous scellé et confiée à la garde de Cousin.
Les Français avaient en entrant imposé à la ville une contribution de guerre de 7 millions de livres tournois, que devait ,être fournie par les
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ecclésiastiques, les nobles et les grands capitalis- tes; la part contributive du comte de Thiennes avait été fixée à une somme relativement modé- rée, elle était de 6000 livres, ceci était dû sans doute à sa qualité de cadet de famille. Pour mieux assurer le paiement de cette contribution la muni- cipalité de la ville et du Vieux bourg de Gand avait, par circulaire du 19 Fructidor an II (5 sep- tembre 1794), établi pour chacune des personnes dont le nom se trouvait inscrit dans la liste des imposés un curateur qui devait avoir soin de faire rentrer les amendes ; elle avait pris encore d'au- tres mesures de garantie, elle avait permis à tout le monde de verser le montant de l'amende, en lui accordant de ce chef un droit d'hypothèque sur le bien grevé, en lui constituant ainsi une vé- ritable rente qui donnait droit à la jouissance d'intérêts. Le paiement de la somme imposée au comte de Thiennes fut fait par Marie-Claire Baulez . Jean De Temmerman, son curateur, en donna quittance le 4 Frumaire an III (24 novembre 1794). Les événements qui s'étaient passés en France ayant rendu un peu de tranquilité à ce pays, beaucoup d'émigrés s'étaient hâtés de revenir pour bénéficier de l'arrêté des représentants du peuple près les armées du Xord, Sambre et Meuse du 9 Germinal an III (29 mars 1795), qui stipulait que les <f personnes qui se trouveraient rentrées dans l'étendue du pays conquis à l'époque de la pro- mulgation du présent arrêté, seront rétablies provisoirement dans la jouissance de leurs pro- priétés. »
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Par un arrêté des représentants du peuple près l'armée du Nord, Sambre et Meuse en date du 2 Messidor an III (20 juin), signé par Lefebvre de Nantes, le citoyen François de Tliiennes fut réin- tégré dans la libre possession de ses propriétés, et il fut ordonné que les scellés et le séquestre rais sur elles seraient levés à la diligence de la muni- cipalité. L'arrêté qui réintégrait le comte de Tliiennes dans ses propriétés, accordait le même bénéfice au citoyen Jean- Joseph Gérard, chanoine de Saint-Bavon, aux citoyennes veuve de Waha et Marie-Claire Dolisy, veuve de Charles Dusart, et à Jacques Nuyttens, prêtre.
Depuis cette époque la Grande Faucille a conti- nué à appartenir à la famille de Tliiennes. C'est là que mourut le dernier membre de cette famille; la situation de sa maison , placée pour ainsi dire sous le vieux Beffroi, doit lui avoir inspiré les vers qu'il adressait à cet importun voisin :
Ennuyeux et bruyant Beffroi,
Qui résonne tous les quarts d'heure,
Hélas! ai-ie besoin toi
Pour savoir qu'il faut que je meure? '
A l'extérieur la maison, dont nous avons fait l'historique, se compose de trois corps de logis, bâtis en pierre de taille; celles-ci donnent à sa façade un air sombre et sévère; Tintérieur, sauf la galerie dont il a été parlée plus haut et ses vouten ou caves, n'a conservé aucune trace d'ancienneté;
* V. la notice du baron de Saint-Génois sur le comte de Tliiennes. Messager de 1865, p. 243.
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à la fin du XYIP siècle, la maison a subi de nom- breuses modifications, que la révolution française n'a pas permis de compléter ; les tentures de Chine, les dessus de porte de Yan Eeysscliot ont remplacé les anciennes tapisseries, les vieux cuii^s de Cor- doue, il ne reste plus de traces des anciennes boi- series, la porte d'entrée elle-même, ornée de deux grands écussons sculptés, a disparu sous l'empire d'un des plus actifs et d'un des plus tj^ranniques agents de destruction, quoiqu'on continue tou- jours à lui rendre hommage, la mode ou le goût du jour. La galerie du porche, qui date du XVP siècle a été conservée, elle est formée d'arceaux surbaissés, portés par des colonnes cylindriques en pierre blanche, sans aucun ornement,* au fond de la galerie se trouve une porte en bois sculpté, de style gothique; elle conserve encore les traces de la peinture noire et blanche, mise en sautoir, dont on l'avait recouverte, cette peinture rappelle celle des volets qu'on retrouve dans les gravures des ouvrages de Sanderus et dans les tableaux du XVIP siècle. La chambre qui se trouvait au-dessus du porche avait une voûte en bardeaux qui existe encore en partie, elle était éclairée, du côté du jardin, par une grande fenêtre ogivale qui a dis- paru depuis longtemps.
La porte d'entrée était surmontée d'une voûte surbaissée formée, par une moulure dont les extré- mités se terminaient par un soubassement; elle semblait plutôt être faite de légères colonnettes qui venaient se rejoindre.
L'archivolte, ornée de feuilles de chêne et d'en-
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trelacs, était soutenue par deux animaux, l'un rappelait Tours de l'écusson de la famille de Béer, mais la porte doit être antérieure au séjour de cette famille dans la maison, à gauche il j avait un singe ; on ne s'explique pas l'origine de ces orne- ments. A gauche également on retrouve l'ancien éteignoir destiné à éteindre les flambeaux que portaient le soir les coui'eurs qui précédaient les carosses.
Le bâtiment où se trouve la porte d'entrée est en pierres de taille, d'un bel appareil et travaillées avec soin, il a dû être élevé au X\t siècle, les deux pignons, donnant sur la rue Haute porte sont plus anciens, ils sont également en pierres de Tournai, mais à peine dégrossies; l'appareil plus régulier que celui du château des Comtes, du Ryhocesteen à la rue Basse, et de quelques autres constructions de la ville, indique qu'ils ont été bâtis à une époque postérieure. Les chapiteaux qui couronnent les j^iliers des caves de la maison peuvent servir à fixer cette époque, car tout donne lieu de croire qu'elles ont été faites en même temps que les pignons; le même genre de pierres a été employé pour les deux.
Les pignons ont subi certaines modifications qui ne permettent pas de se rendre bien compte de leur physionomie primitive ; il semble toutefois qu'il devait y avoir une porte d'entrée dans le pignon qui donne contre la ruelle du Refuge ; ces remaniements ont été faits j)ostérieurement au XV*" siècle; on y a employé des pierres blanches. Les pignons sont en pierres bleues jusqu'au faîte, leur forme ne semble pas avoir été modifiée.
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Les caves qui s'étendent sous la Grande Fau- cille ont seules été conservées intactes ; sous le rapport des constructions souterraines, il j a peu de villes qui soient aussi bien partagées que la ville de Gand, on peut la comparer à la ville d'Arras. On en retrouve dans toutes les parties de Tancienne ville ; ce sont, peut-on dire, de vérita- bles cryptes dont les voûtas sont supportées par de massifs piliers. Elles ne sont pas toutes de la même époque, leur style et la forme des chapi- teaux des colonnes permettent de les distinguer parfaitement; le type des plus anciennes se re- trouve dans le bâtiment connu sous le nom de château de Gérard le Diable , au quai du Bas- Escaut, il y a une autre cave du même genre dans une maison de la rue Haute porte (n° 34), mais elle est dans des proportions plus restreintes. Celle du Ri/hovesteen, qui a été décrite dans ce recueil, mérite aussi d'être mentionnée , elle n'est pas voûtée, le plafond en est formé d'épais madriers juxtaposés qui soutiennent le rez-de-chaussée. Un des plus beaux spécimens de souterrains du XIIP siècle est celui du cellier de l'ancienne abbaye de Saint-Bavon, il a une grande analogie avec les caves de la Grande Faucille , ce sont les ^ mêmes piliers, la disposition est aussi la même, aussi peut-on les dire contemporains ; ce cellier est divisé également en deux parties par une rangée de colonnes dont le travail est le même. « Les voûtes en berceau de cette cave, dit M. Yan Lokeren, s'appuient sur de fortes colonnes cylin- driques à chapiteaux quadrangulaires ornés de
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crocliets et reliées entr'elles par des arceaux sur- baissés * . )) Il croit que ce cellier a été construit sous l'abbé Baudouin II, qui gouverna l'abbaye de 1223 à 1251; cette date me semble la date extrême à laquelle on puisse la faire remonter, et peut-être faudrait-il leur en assigner une un peu plus récente.
Différents auteurs, frappés de l'intérêt qu'offrent ces constructions, s'en sont occupés, mais leurs impressions diffèrent. Voici ce qu'en dit le baron de Saint-Génois, qui s'occupait précisément de la partie de la ville où se trouve située la Grande Faucille.
« Aucune partie de notre ville n'a mieux con- servé sa physionomie primitive intacte et inal- térée que les caves de nos anciennes maisons patriciennes et bourgeoises; là se retrouve vrai- ment le vieux Gand, tel qu'il existait il y a cinq ou six siècles. Là rien n'a été changé ; immenses souterrains creusés dans le sol, voûtes hardies soutenues par de gros pilliers à frises grossières, murailles épaisses destinées à défier les ravages de l'humidité et du temps, tout nous y atteste la soli- dité avec laquelle nos ancêtres construisaient les édifices de quelque importance {steenen). Bien rarement ces caves ont été défoncées, et alors même que les maisons étaient divisées, réparées et dix fois reconstruites, on trouvait leurs fonde- ments trop bien établis pour songer à leur en
• Van Lokeren, Histoire de V abbaye de Saint- Bavon,!^. 98, pi. 27. — V. la planche jointe à cette notice.
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substituer d'autres. De là ces traditions de pas- sages souterrains, de cachots, d'oubliettes, qui se rattachent aux édifices privés et publics de plu- sieurs de nos anciennes rues; c'est surtout aux abords de lliôtel de ville que cette observation est plus frappante. Il est peu de maisons de la rue Haute porte, de la rue Basse, du marché au Bourre, de la rue Saint-Jean, des rues qui avoi- sinent le Beffroi et Saint-Bavon, où l'on ne puisse voir encore de ces caves vastes et profondes, qui s'annoncent par un caractère architectural à la fois grandiose et hnposant. Parmi ces souterrains nous signalerons particulièrement ceux qui s'éten- daient sous l'ancien hôtel {steen) de la puissante famille Rym, lequel occupait le sommet de la rue Haute porte, vis-à-vis du Sablon, et s'étendait par derrière dans les rues du Refuge et des Regnesses. » C'est de la Grande Faucille dont s'occupait le baron de Saint-Génois, qu'il donne pour habita- tion à la famille Rym, il a suivi en ceci d'anciennes traditions ' .
Nous mettons en regard de cette description celle que nous en donne un auteur français.
Henri Cauvin,. dans son Roi de Gand, nous fait une description un peu fantaisiste des caves de Gand, elle s'applique , il est vrai, à une autre partie de la ville, mais toutefois il a exagéré son type, les anciennes caves étaient bien étanches, on en a eu la preuve lors des grandes inondations qui ont affligé la ville de Gand en 1872, il y a
' Ann. de la Société des Beaux-Arts de Gand, 1848-1850, p. 338.
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rV anciennes caves au Reep qui n'ont pas eu à souffrir de riiumidité.
« Nous sommes dans le quartier de la Tannerie, dit van Bruggel à son compagnon, veuillez me suivre de près, nous allons avoir un pas difficile à franchir.
» Van Bruggel fit descendre à Hector de Presles cinq marches de Tescalier de pierre dont Textré- mité baignait dans le canal; puis lui désignant à droite un étroit passage formé par une saillie de pierre qui s'élevait au-dessus de l'eau verdâtre.
» — Il faut que nous passions ici, clit-il, faites comme moi et tenez-vous solidement aux anneaux du mur.
» Les deux jeunes gens avancèrent avec précau- tion sur ces pierres couvertes de mousse glissante; un faux pas les eût jetés infailliblement dans le canal.
» Lorsqu'il eût parcouru environ cinq ou six mètres van Bruggel s'arrêta, tira son poignard de sa ceinture et frappa trois coups avec le pommeau contre une porte verrouillée, haute de trois pieds à peine. A cet endroit la saillie du mur s'élargis- sait en plateforme. Deux à trois bateaux plats semblables à celui auquel Hector avait dû jadis son salut, allongeaient leurs formes noires sur Teau dormante.
» Hector et van Bruggel, debout a côté l'un de l'autre, attendaient qu'on répondit au signal qui venait d'être donné; à travers les fentes de la porte basse filtrait une faible lumière.
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» Un bruit de voix vague et confus parvenait à leurs oreilles. Tout à coup la porte s'ouvrit.
» — Venez, dit van Bruggel, en prenant son compagnon par la main.
» Les deux jeunes gens se baissèrent, franchirent le sol et après avoir descendu quelques marches se trouvèrent dans une grande cave éclairée par des flambeaux de résine et qui présentait le plus singulier aspect.
» Les murs ruisselants d'humidité, couverts d'excroissances spongieuses, étaient garnis ça et là de larges peaux toutes roidies, qui exhalaient une odeur nauséabonde.
» Cinq torches collées contre ces murs remplis- saient la cave d'une fumée aveuglante.
» Des escabeaux, des cuves renversées servant de tables, jonchaient le sol mouvementé et cou- vert de flaques d'eau saumâtre.
» A la voûte de la cave pendaient des provi- sions salées et fumées, telles que harengs, jam- bons, tronçons d'anguilles de mer attachées par de longues cordes à demi pourries.
« Dans les coins on apercevait vaguement quel- ques coffres vermoulues sur lesquels étaient jetées des couvertures de laine grossière.
« Au milieu de cette atmosphère lourde, épaisse dont Tâcreté malsaine vous prenait à la gorge, s'agitaient une dizaine d'hommes déguenillés, au visage noirci, chaussés de gros sabots et vêtus de lambeaux de cuir grossièrement rapiécés.
» Quelques-uns étendus sur des coffres ou sur des planches placées à terre, essayaient de goûter
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un peu de repos. D'autres travaillaient; un peu plus loin, on apercevait trois hommes coiffés de chapeaux déformés et tout effrangés; assis sur des escabeaux, ils faisaient sauter des dés sur le sol et jouaient sans doute leur pain du lendemain.
» Au sortir de cette sombre cave les deux jeunes gens éprouvaient un grand soulagement en sentant l'air frais de la nuit leur frapper le visage.
» — Les malheureux ! fit Hector , comment peuvent peuvent-ils vivre dans un pareil tombeau.
» — Oui, c'est affreux, dit van Bruggel, en poussant un profond soupir. Vous les avez vus les pauvres gens, ils sont tous rongés par de cruelles fièvres ; aucun d'eux peut-être n'atteindra Tâge de quarante ans ! Celui qui nous a parlé le premier et qui parait un peu plus vigoureux que ses com- pagnons, a déjà les cheveux tout blancs et cepen- dant il touche à peine à sa trentième année. Ah! messire, si on savait toutes les misères qui sont renfermées dans ces caves du canal ! Des quartiers tout entiers, celui-ci par exemple, sont bâtis, on peut le dire, sur la mort... mort lente, terrible, implacable, qui s'approche peu à peu de ces infor- tunés avec son long cortège de souffrances et d'in- firmités prématurées, les serre dans ses mains de fer, les prend à la gorge et les étouffe avec des raffinements inouis de cruauté ! Je vais vous mon- trer cette nuit de lugubres spectacles, car c'est surtout dans ces caves funestes que se trouvent ceux qui doivent nous aider ' . »
^ Henby Cautain. Le Roi de Gand.
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Qu'on me pardonne d'avoir transcrit cette page par trop réaliste ; mais c'est pour protester contre son inexactitude.
En examinant ces substructions, on se demande quelle était la destination de ces souterrains con- struits, peut-on dire, à si grands frais. Ils servaient sans doute de magasins ou d'ateliers pour les tisse- rands ou d'autres artisans ; ils convenaient parfai- tement pour le tissage ; mais ces souterrains auront plutôt été destinés à servir de magasins. Les bour- geois de la ville, même ceux qui appartenaient aux familles nobles, exerçaient presque tous une industrie, et au XIIP siècle la grande industrie était le tissage de la laine ou de la toile. On choi- sissait de préférence les parties les plus élevées de la ville pour y établir les dépôts de marchandises. Le grand nombre de ces magasins ne doit pas nous surprendre, dès le XIIP siècle l'industrie avait pris un grand essor à Gand, et pendant le cours de ce siècle, sous l'administration des XXXIX, elle acquit un très grand développement ; c'est ^ cette époque que l'on peut aussi faire remonter la construction de la majeure et de la plus importante partie des caves de la ville de Gand.
On possède peu de renseignements sur l'industrie et le commerce de la Flandre au XIIP siècle. On connaît ses rapports avec l'Angleterre, l'impor- tance des relations avec ce paj^s a décidé bien souvent du sort de la politique de nos souverains, ils savaient que les habitants de la Flandre ne pouvaient se passer des laines de l'Angleterre, et celle-ci trouvait dans nos ateliers le meilleur dé-
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bouché pour la dépouille de ses troupeaux. Mais on ne sait guère quelles étaient les lois écono- miques qui régissaient la production, le système du travail limité entrait tout-à-fait dans les idées de cette époque, on en trouve la trace dans un document bien précieux qui se trouve aux archives de rÉtat à Gand : les échevins demandent « ke nus marchans de laine ne de dras ne pora faire ouvrer fors x sas de laine par an » ; mais en même temps on j voit percer des idées que Ton est sur- pris d'y rencontrer; les échevins de Gand s'adres- sant à la comtesse de Flandre, lui disent : « Que plus de marchans de laine et de dras ara en Gant et plus i ouverra on de laine et plus i fera on de draperie, et que plus grant marchnndise i ara tant waigneront plus les povres gens. Dame, et quant marchandise est grande en le vile che nous samle pourfis au coumun. » Cette lettre ne porte pas de date, mais son écriture indique qu'elle fut écrite au XIIP siècle, et elle a dû être adressée à la com- tesse Marguerite qui eut tant de démêlés avec les échevins de pand. Elle est antérieure à 1279, car •la comtesse mourut cette année. Ce document intéressant mérite d'être publié en entier :
« A nostre noble dame confesse de Flandres et de Hay- nau, nous, vostre eskevin et li consences de la vile de Gand, vos faisons asavoir que nos avons ordene por (le pro)fit de le vile et pour le preu dou commun en tel manière com prendra quatre preudomes yre taules ou ii au mains, et chil seront adies sour le Haie ou on fait le marclian(dise) des dras ; et quanque ou veadra ou achètera, che fera on devant eaus et ara on enconvent le dete devant eaus. £t
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cliil quatre ou cloi aront un clerc ki metra en escrit le dete et le jour. Et se il avenoit queli dete ne fust paie au jour, cils cui li dete seroit venroit devant ces quatre preudomes ou II devant dis, et se plaindroit de se dete, et dont iroient cliil quatre ou cliil doi a clielui ou envoieroient a celui qui le dete devroit, et li diroient kil paiast de le dete dedeus un mois, et se il ue le paiast, cliil quatre ou chil doi recorde- roient cou devant les eskevins et dois seroient tenu d'aler a celui qui devroit li dete et pander sour le sien ou sour son cors ; cli(elu)ys a ,cui on devroit le dete doit venir devant ces quatre ou ces ii pour plaindre de se dete... ne il est raie paie, et se il ne le fesist il seroit a tel fourfait que li baillius et li eskevin deursement; et que le dete coni fera de marchandise ou d'autre cose ou de desierte, cora ne puet paier fors de deniers, ses et laine marchande que on vendra a Gant ; quant ce venra au peser on le pèsera en linchuis toute hors de lescharpelliere, et portera on celé escarpelliere toute wide, si com le voie, et le portera on envois. Et que nus ne pora baréter drap a laine ne laine pour drap; et que nus ne pora demander se dete devant son jour, et que nus ne pora demander se dete ne faire demander après chu que solaus sera escouses at maison doume dou coumun, et ke nus marchans de laine ne de dras ne pora faire ouvrer fors x sas de laine par an, et que nus ne pora envoler laines a maisons de poures gens se le n'est acatee a droit achat et pesée, ensi cou a dit devant, et com face peser laines et tout autre avoir en balances, sauf le droit dou trosne. Dame, on vous a fait a entendre que ce seroit pourfis ou commun que liom qui fust mar- chans de laine ue fust mie marchans de dras. Dame, ce n« seroit mie boin ne pourfis a le vile, ne au commun, ne a nului, fors as marchans des laines. Dame, nos vos disons pour voir que plus de marchant de laine et de dras ara en Gant et plus i ouverra on de laine et plus i fera on de
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draperie, et que plus grant marchandise i ara tant waigne- ront plus les poures gens, Dame, et quant marchandise est grande en le vile, che nos samle pourfis au coumun.
» Dame, chil ki vous font autrement a entendre, c'est pour lor preu raesme.... chius ki est marchans de dras se il a laine, il vent se laine a poures gens et prendent les dras des poures gens plus haut que il ne les vendroient en autre lieu quant li jours vient de le laine. Dame, tout chou nos samble boin as poures gens et pourfitables, si vos prions. Dame, que vous le soufres en tel manière que devant est dit et chou prendrons nos sour nos sairemens ke ce nos samle li plus grand pourfis a tout le coumun, et de chu. Dame, nos deves vous croire, et de tos ces poins ordenerons nous les fourfais par vo conseil. Dame, et se il ia nul point ki boins ne vous samle, Dame, nos venrons a vous quant vous vaurres en lieu la u nos porons venir sauvement, et si vous monsterrons raisons par quoi, Dame, cist point vos sanleront boin et pourfitable a tout le komun. »
L. St.
ANNEXE.
Cest chou que Gilles de Saint-Bavon monstra encontre Symon de la Faucille.
« Edele hère, grave van Vlaendren, ontfaerme u der groete scade die ic Gillis, Maechleins zone van Sente Baefs, hebbe ghehadt ende hebbe van Glaise van der Zickelen ende van Symone, zinen broeder, de welke hebben ghehauden ende hauden met haren onrechte husinghen ende hervach- ticliede ligghende up de Hoghepoert, van der Avelker husin- ghen ende hervachtichede mi ende minen broeders verstarf wetteleke deene helft van mire vrouwen mire audermoeder, iij tiden dat wi waren weesen ende onbejaert ende buten
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lands, omme walscli te leereii ende in scolen, ende zonder voecht; ende aise varinglie aise wi quamen binnen lands, so quamen wi voer wet, ende begherden dat men ons dade in onse wettelic ghedeel gbelj'c dat ons verstorven was van onser auder moeder ; doe qnam Clais van der Zickelen ende Symoen zyn broeder ende werden ons ende zeiden dat zyt hadden gbecocht ende ghecreghen wettelic jegben den ghenen dies raaclit hadde te vercopene, ende doe vraglieden wi hem ende daden vraghen wàe bis was dier hem vercochte ende macbt badde ons goed te vercopene zonder wi zelve, noint ne wilden zyt ons berecbten no negheweerden, ende ledden ons aldus een jaer, een ander ende een derde, ende aldoes volgheden wys voer scepene. Ende doe gbeviel dat ic ende mine broeders deelden ende dar mi Gillise dit voer- seide goed gbeviel te ghedeelle, dwelke voerseide goed zi mi bebben bleven ontlioudende ende nocb ontliouden met haren onrecbte ende miins ondanckens, ende en es niemen diemen aldus ziin goed ontbilde ben zoude bem vernoieu, ende ziin enegbe dingbe glievallen tuscben Glaise voerseit ende rai die ziin gbevallen omme myn goed dat zi mi ont- liouden bebben ende ontbouden, ghelyc dat hier voerseid es, hère, ende dit bied ic u kenlic te makene al soe aise u ende der wet redene zal dincken.
» Edel hère grave van Vlaendren, ic Gillis versouke an u oemoedelike, aise an minen glierecbten hère, dat ghi mi doet bebben mine ervacbtichede ende raine husiughe ende weseleke huere der af van der tyt dat ziit ghehouden beb- ben met haren onrecbte. Ende hier toe doet so vêle dats y goed dauc wete ende de weerelt hère spreke.
» Ende wilde yeraene jegben dese redene voerseid iet segghen daer af begheere ic Gillis transscrifte te bebben om rai daer up te beradene ende te doene al dat ic u scul- decli bem te doene. — Edel hère, ende ic bidde omme Goede dat ghi rai houdt in rechte na de manière van den
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bliveiie glielyc cîat scepene paysierres kenlic es. Glii lieere pnde weet wel dat Clais van der Zickelen levede een alf jaer ende meer ende wandelde biimen syn huus sider dat hi de quetsinghe onttinc. Ende daer na binnen Clais leevene so bleef mens ende versoenet wettelike, also liii lieere wel kenlic es. Ende dat zoendinc beghere ic Gillis voorseit wel ende wettelic te houdene. Ende also gheliic glielovet Clais selve te houdene binnen sinen levene. Ende na dit soendinc so leevede Clais eenen langhen tyt, ende bi allen desen redenen vorseit segglie ic Gillis al was Clais doet ghetoegt der wet dat mi dat niet en es sculdech te doene enne bem sculdech quyt te wesene van der doet. »
(Gaillard, I>w. des chartes des co)ntes de Flandres, n° 835).
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LE COMTE DE LAVAL
RÉINTÉGRÉ DANS LE CHATEAU ET LA SEIGNEURIE DE GAVRE
PAR UN ARRÊT DU GRAND CONSEIL DE MALINES. (19 décembre 1494.)
Philippe de L'Espinoy, que Ton consulte vo- lontiers pour l'histoire des anciennes seigneuries du comté de Flandre, s'exprime en ces termes au sujet de celle de Gavre : « Le seigneur de Gavere » fut jadis un grand et puissant baron en Flan- )) dres, et est ceste terre succédée à ceux de » Laval (de la maison de Montmorency) par l'al- » liance de Béatrix, fille unique et héritière de » Rasse, seigneur de Gavre, et de sa première » femme. Ceux de ceste famille en ayant jouys » longues années, Guy, comte de Laval, l'a ven- » due, avec plusieurs autres belles parties, à » messire Jacques de Luxembourg, seigneur de » Tiennes, l'an mille cincq cent quinze, en faveur ^) de qui elle fut érigée en comté par l'empereur )) Charles-Quint, l'an mil cincq cent dix-neuf, et •>y depuis par Philippe, deuxiesme du nom, roy
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» d'Espaigne, en principauté, en faveur de Jean, )) comte d'Egmont, a^'ant espousé Françoise de » Luxembourg, sœur aisnée dudit seigneur de » Fiennes, dame héritière de Gavre. Ceste terre » est un des cincq membres du pays et comté » d'Alost, et les anciens seigneurs portoyent leur » bannière armoyée de gueulles à trois lyons » d'argent * . »
Ainsi s'exprime Fauteur de la Recherche des anliquitez et noblesse de Flandres.
En me livrant, il y a peu de temps, à des recherches dans les registres aux arrêts du grand conseil de Malines, conservés aux Archives du royaume 2, mon attention se porta sur un juge- ment qui mérite d"être publié intégralement, car il a à la fois un caractère historique et politique. En outre, il nous donne une idée de la manière de plaider à une époque déjà bien éloignée de nous, mais qui tient néanmoins déjà à la renaissance des lettres. La façon dont les instruments de la justice étaient rédigés a aussi son côté instruc- tif. Voici donc le texte de cet intéressant arrêt, qui, bien que conçu dans le vieux langage fran-
* Pour l'histoire de la seigneurie de Gavre on renvoie à l'ouvrage de MM. De Potter et Broeckaert : Geschiedenis van de gemeenten der pt'ovincie Oost-Vlaanderen, t. VII. Le présent recueil, année 1875, renferme une notice historique de M. le comte de Limburg- Stirum, intitulé : Le château de Gavre, d'après un ancien sceau. Voir aussi Sandertjs, Fla^idria illustrata, t. III, p. 157, où la notice sur Gavre est accompagnée d'une vue du château.
* Grande et précieuse collection, commençant à l'année 1470 et finissant à 1794, u"^' 307-564 de l'inventaire provisoire des archives du grand conseil.
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çais, laisse peu à désirer sous le rapport de la lucidité.
Maximilian, par la grâce de Dieu, roy des Romains, toiisiours auguste, d'Uuguerie, de Dalmacie, de Croa- ohie, etc., et Philippe, par la mesme grâce, archiducs d'Austriclie , ducs de Bourgoigne , de Lothier , de Brabant , de Lembourg, de Lucembourg et de Gheldres, contes de Flandres, de Thirol, d'Artois, de Bourgoingne, palatins, de Haynaut, de Hollande, de Zeelande, de Namur et de Zuytphen, marquis du Saint-Empire, seigneurs de Frise, de Salins et de Malines, à tous ceulx qui ces présentes lettres verront, salut.
Comme puis naguères procès se feust meu et pendant en nostre grant conseil -entre noslre bien amé cousin le conte de Laval, impétrant et demandeur, d'une part, et Melcior de Masmunstre, escuier, grant veneur de Flandres, et Jehan de la Porte, adjournez et deffendeurs, d'autre, sur ce que nostredit cousin disoit comment lui compétoit et appartenoit la terre, chastel et seigneurie de Gavere, tenue de nostre perron d'Alost, de laquelle, après avoir fait les devoirs de relief, hommage et autres à ce apparte- nans et baillé son dénombrement , il avoit tousiours plaine- ment et paisiblement joy, ensemble ses officiers et commis, en nom de luy, sans empeschement, jusques à ce que les guerres et divisions subvindrent , que lors elle fut mise en noz mains ou d'aucuns ausquelz en avions disposé. Disoit encores que, tant par la paix dernièrement faite en la cité de Senlis, contenant expressément que chascun retourne- roit à la joissauce de ses biens, comme en vertu de certaines noz lettres patentes de mainlevée particulière, obtenues d'abondant par nostredit cousin, icellui devoit de plain droit estre réintégré et remis en ladite terre, chastel et Seignourie de Gavere, pour en joir en tous prouffis et émo-
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lumens que il faisoit auparavant lesdites guerres. Et com- bien que les choses clessusdites eussent par certain huissier d'armes esté signiffiées ausdits Melcior de Masmunstre et Jehan de la Porte, en leur faisant commandement de eulx départir dicelle place et en seuffrir et laisser joir nostredit cousin et ses officiers et commis, selon et en ensuivant ledit traicté de paix. et mainlevée, néantmoins en contrevenant k iceulx, avoient esté reffusans et en demeure. Pourquoy ilz eussent esté adjournez à comparoir à certain jour passé en nostredit grant conseil , pour dire les causes de leur reffus ou delay, répondre , et , en oultre , procéder comme de raison. Auquel jour ou autre entretenu dicellui, comparans lesdites parties en icellui nostre grant conseil par leurs procureurs, de la part de nostredit cousin eust esté ramené à fait ce que dit est, concluant, partant, afin que, en le faisant joir dudit traicté de paix et de sesdites lettres de mainlevée , il feust préalablement et avant tout euvre, remis et réintégré réalement et de fait en la joissance et possession de sesdites terre, chastel et seigneurie de Gavere et appartenances d'icelle , telle qu'il estoit auparavant lesdites guerres et divisions, et lesdits adjournez condempnez et constrains à Fen laissier joir et à luy rendre et restituer tout ce quilz en avoient receu depuis ledit traictié de paix, avec tous intérests et dommaiges quil avoit soustenu au moien de leur dite indeue occupacion, et à fin de despens, requérant néantmoins ladjoinction de nostre procureur général, à cause de l'infraction de ladite paix.
A quoy, pour la part des adjournez, eust esté répondu et soustenu, au contraire, disans que, depuis le trespas de feuz seigneur et dame de Laval et dudit Gavere, ledit comte, impétrant, n'avoit jamais relevé ne droitturé ladite place, terre et seignourie de Gavere. Et quant ores il auroit fait tous les dcbvoirs à ce nécessaires, que non, sy devoit
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icelle place demorer en noz mains, à cause qu'elle faisoit frontière à ceulx de Gand, et, d'autre part, pour ce que du temps des guerres de Flandres, du vivant de feu nostre très cher seigneur et grant père de nous , Roy, et aïeul de nous, Archiduc, le duc Philippe, que Dieu absoille, le chastel dudit Gavere luy estoit contraire, il nousloisoit, comme' contes de Flandre, toutes et quanteffois que bon nous sembloit, feust paix ou guerre, mectre capitaine et chastellain audit chastel , pour le tenir avec tel nombre de gens qui lui seroit ordonné , en prenant leur paiement sur ladite terre et seigneurie et les revenues dicelle, selon que le contenoit plus à plain le traictié et accord depuis fait entre ledit feu duc Philippe et ladite feue dame de Laval, dame dudit Gavere', Disoient aussy que, au temps des guerres et divisions , pour ce que nostredit cousin tenoit parti à nous contraire, nous eussions fait saisir et mectre en nostre main ladite terre de Gavere et donnée icelle, comme confisquée, à feu sire Renier Mey, chevalier, auquel avoit convenu entretenir plusieurs sauldoyers audit chastel durant les guerres de Flandres et aussy le refectionner et réparer, et tellement que, tant à ceste cause, comme pour raison de ses gaiges, lui estoit deue certaine grosse somme de deniers, laquelle eussions voulu et ordonné estre prinse , levée et paiée sur les rentes et revenues de ladite seigneurie auparavant qu'il en seroit débouté , ainsi qu'il povoit apparoir par lettres de ce faisant mencion. Disoient encore que, après le trespas dudit feu sire Renier, il nous avoit pieu donner et transporter audit de Mas- munstre le droit, tel qu'il avoit icellui feu en ladite seigneurie et sur ce lui fait expédier noz lettres patentes de commission , en tel cas pertinentes , en vertu desquelles il avoit joy, comme encore faisoit dicelle place, et, oultre
i En 1453. {Voy. plus loin.)
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plus, en démonstrant nostre voulenté, et que voulions ledit chastel estre tousiours en noz mains , eussions escript audit Masmunstre, par noz lettres closes, soy tenir illec, et que nostre plaisir estoit que le testament dudit feu sire Renier Mey feust accomply, et que ce qui lui estoit deu lui feust paie. Concluans lesdits adjournez par ces raisons et moiens et par plusieurs autres de par eulx alléguez affin que , nonobstant lesdites lettres de mainlevée , ledit conte ■"de Laval ne feust réintégré en ladite place et seignourie de Gavere en vertu de ladite paix ne autrement , que préala- blement il neust furny et paie lesdits deniers, faisant aussy demande de despens, et requérans, au surplus, l'adjonc- tion dudit procureur général.
Et pour la part de nostredit cousin pour réplique fuit dit qu'il apparoit deuement des reliefs , hommages et autres devoirs par lui fais de ladite saignourie, tant par lettres, comme autrement, et que ledit Masmunstre estoit commis en icelle seignourie au moien que nostredit cousin estoit en patti contraire et non à autre cause, parquoy il nestoit recevable à débattre ledict traictié de paix et mainlevée particulière depuis ensuie. Et quant aux autres choses mises avant par lesdits adjournez, disoit qu'elles estoient impertinentes ou cas présent et ne dévoient estre receus à les alléguer et mectre avant, et, par ces raisons, persistoit nostredit cousin en sesdites fins et conclusions.
Lesquelles parties ainsy oies en demande, deffense, réplique et duplique, icelles eussent esté appointées à escripre par brièfves mémoires à leurs fins plaidoiées, et à justitfier leursdits mémoires de telles lettres et tiltres que bon leur sembleroit dont elles auroient Mnc inde vision ou copie, pour les contredire et débattre par ung mesme volume, et à mectre le tout au greffe de nostredit grant conseil, pour, après le tout veu,leur faire droit ou autre tel a])pointement qu'il appartiendroit par raison, A quoi
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eust esté fourni, et, depuis, par lesdites parties ou leurs? procureurs requis très instamment droit leur estre sur ce fait.
Savoir faisons que, veu et visité en nostredit grant con- seil le procès desdites parties, et tout ce que par icellui appert, et considéré ce qui fait à veoir et considérer en ceste partie et qui peut et doit mouvoir. Nous, à grande et meure délibéracion de conseil, par ceste nostre sentence deffinitive et pour droit disons que, en vertu de ladite paix de Senlis, nostredit cousin de Laval sera réintégré en ladite place, terre et seignourie de Gavera et appartenances dicelle, pour en joir selon ledit traictié de paix, et con- dempnons ledit Masmunstre à ce souffrir et à restituer ce quil en a receu depuis ladite paix et aux despens de ceste instance , saulf à nous tel droit et action que povons avoir en ladite place et seignourie à cause de reliefs et devoirs non fais se fais nont esté , et aussy tel droit que y povons avoir en vertu dudit traictié fait, l'an lui, touchant ladite place entre ledit feu duc Philippe et feue dame de Laval, en son vivant dame de ladite terre.
En tesmoing de ce nous avons fait mectre nostre scel à ces présentes. Donné en nostre ville de Malines, le xix^ jour de décembre lan de grâce mil cccc et quatre-vins et quatorze, et des règnes de nous, Roy, assavoir : de cellui des Romains le ix^ et desdits de Hongrie, etc., le qua- triesme '.
Le demandeur dans ce débat était Pierre de Laval, seigneur de Loné, Benais, etc. Étant de- venu l'aîné de la maison de Montmorency-Laval par la mort d'Anne, dame de Laval, arrivée en
• Cet arrêt est transcrit dans le registre n" 319. L'écriture en est fort soignée.
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1465, il prit les armes pleines de cette maison. Anne de Laval était rarrière petite -fille de Guy de Montmorency, sire de Laval, etc., qui épousa Béatrix de Gavre , fille unique de Rase , sire de Gavre. Ce fut par ce mariage que la terre de Gavre entra dans lïllustre maison de Montmorency '. On a vu par le passage extrait de louvrage de L'Espinoy que Guy, comte de Laval, la vendit à Jacques de Luxembourg. Ce comte Guy était fils du comte Pierre de Laval, le demandeur en cause. Celui-ci étant français, il n'y a rien détonnant qu'il ait pris le parti des ennemis de Maximilien d'Autriche. Toutefois, il disait la vérité lorsqu'il soutenait dans ses plaidoiries qu'il avait rempli envers ce prince ses devoirs de vassal. Le compte de Jean Le Prévost, seigneur d"Eertbrugghe et en Bailleul, conseiller du duc Charles de Bourgo- gne et son grand bailli du comté d'Alost et de la ville de Grammont, du 5 mai 1466 au 12 jan- vier suivant, témoigne que, dans cet intervalle, Pierre de Laval releva : 1° le château et la seigneurie de Gavre. 2° « Le moulaige à vent et le cours de l'Escaut et la pescherie en icelle. 3° Le boutelgierye de Flandres *, avec ses émo- lumens et libériez. 4° La seigneurie d'Oorde- ghem et Smettelede, et 5" le vivier et woestine sur le j\Ioer, avecq la nouvelle terre y ajDparte- nant. )) IMais comment le scribe qui écrivit ce
' Voy. la généalogie insérée dans le Dictionnaire de la. noblesse de France de De la Chenaye-Desbois et Badier, qui ont surtout uti- lisé V Histoire de la maison de Montmorency par le savant Duchesne.
* La charge de boutellier.
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compte *, a-t-il pu dire que le seigneur de Ga^T:"e fit ces reliefs par suite du décès de la dame de La- val, sa mère, chose qu'on lit en toutes lettres dans le compte? La mère de Pierre de Laval était Char- lotte de Sainte-Maure, dame de la Faigne, au Maine, fille de Jean, comte de Benaon et seigneur de Nesle ^ Le scribe s'est évidemment trompé. Ces reliefs eurent lieu à la mort d'Anne de Laval, dame héritière de Gavre.
L. G.
Archives du royaume, chambre des comptes, reg. ri° 13553.
* Généalogie citée.
186
ADALBERT DE TRONCH I EN NES.
ÉVÊQUE DE PARIS (1016 A 1020).
I.
La chronique du monastère Sainte-Marie de Tronchiennes nous signale, au milieu du X*' siècle, un personnage célèbre par sa noble origine, ses vues ambitieuses et ses longues mésaventures : Albert ou Ascelin, le troisième prévôt connu de cet établissement religieux. Elle résume en ces mots sa vie agitée : « L'an 951, mourut Rey- nier {Eeyne^ms)^ prévôt de Tronchiennes, auquel succéda Albert , nommé aussi Ascelme , né de Baudouin, comte de Flandre, et d'une concubine. Il fut frère d'Arnoul et devint évêque de Paris. Chassé par les Parisiens, il revint en Flandre auprès d'Arnoul son frère, qui lui donna tous les revenus de V oppidum de Tronchiennes, ainsi que le titre de prévôt du monastère, où il y avait alors seize chanoines... » Plus loin, à la date de l'an 977, la chronique ajoute : « Cette année mourut le R. Dom Albert, fils de Baudouin le Chauve, comte de Flandre ^ . ->•>
* Corpus chron. Fland., t. I, p. 59G,
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Il y a dans ces détails, reproduits aussi par l'historien Meyerus *, plusieurs erreurs évidentes qui ont dérouté plus d'un écrivain, Albert (ou Adalbert % comme l'appelle le moine du Mont- Blandin, auteur de son épitaplie), ne fut point un bâtard de Baudouin le Chauve, qui mourut Tan 918. L'inscription qui se lisait jadis sur sa tombe, le disait iils de Baudouin fils d'Aimoul, ce qui ne saurait s'appliquer qu'à Baudouin III, le Jeune, né d'Arnoul I dit le Vieux, puisque Baudouin II, le Chauve, était issu du comte Baudouin I, Bras de Fer.
Le chroniqueur qui semble n'avoir eu que des idées fort embrouillées sur l'histoire de la Flandre au X® siècle, se trompe encore en affirmant, qua son retour de Paris, Adalbert revint auprès de son frère Arnoul. Ce retour, nous le verrons, n'eut lieu que vers l'an 1020, alors qu' Arnoul II avait cessé de vivre depuis près de quarante ans,
* Aiin. rerum Fland., ad ann. 951, 977.
* Le nom d'Adalbert qu'un moine de Saint -Bavon éci-it Adhelbert en 1010, a subi une foule de variantes sous la plume des historiens belges et étrangers. Ils l'appellent tantôt Albert ou Azelin, formes qui, avec celle i^Adcdbert , sont employées indifféremment par des personnages de ce nom à la même époque. La forme Azelin a donné une foule de variantes, telles que Ascelin, Aselin, Asselin, Ecelin. On trouve aussi Anzelin, Anselin, Enselin et même Adelelin ou Adelin. Dans la chi'onique de Tronchiennes , Ascehne (Ascelmus) est sans doute une lecture imparfaite pour Ascelin (Asceimus). Geammaye {Aiitiq. Fland. (1708) Gandav., p. 27, col. 1), écrit Armdphus sive Ascelinus. Il est certain qu'Arnoul II, le Jeune, a eu un frère du même nom que le sien. Nous le constatons dans un acte de donation fait, le 10 octobre 983, en faveur de l'abbaye Saint-Pierre de Gand : « Coram his testibus : Arnulfo Juniore Marchyso, Arnulfo et Odone et Rainero fratrilms suis, Theodorico comité, etc. » (Cf. Ann. abb, S. Pctri, Van de Putte. p. 110).
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puisqu'il mourut le 30 mars 988. Par suite, Tan- née 977 donnée pour le décès d'Adalbert, est éga- lement fausse, et Walter, son successeur, selon la chronique, n'a pu prendre à cette époque la direc- tion du monastère, à moins qu'il ne Tait partagée avec le bâtard de Baudouin III. Quoi qu'il en soit, le prévôt Walter, qu'on dit avoir rempli sa charge l'espace de quarante-huit ans et être mort en 1025, n'a laissé dans l'histoire aucune trace de son administration. D'un autre côté, Adalbert, au commencement du XP siècle, nous est signalé par un contemporain, un moine de Saint-Bavon, sous le titre de « Rector Sanctœ Mariœ », c'est-à-dire prévôt ou abbé du monastère Sainte-Marie de Tron chienne s * .
La seule date qui nous semble acceptable est celle de l'année 951, où, selon le chroniqueur, Adalbert prit la succession de Reynier. D'après Marchantius, ce fut le comte Arnoul I dit le Vieux, son grand père, qui lui conféra cette dignité, d'où il prit son surnom 2. Baudouin III, son père, épousa cette même année Mathilde, lille d'Her-
* Acta SS. Belgii, t. II, p. 564.
' Adalbert que Baldéric, l'auteur prétendu de la chronique de Camljrai, nomme Azelin de Troncliiennes [de Truncinis villa) et Marchantius (Flandria, édit. ]596, p. 188), Alhevtns Dronganus, fut ainsi appelé, non, comme l'a cru Jules de Saint-Genois {Biugr. nat., t. I, v° Ascelin], parce qu'il naquit dans cette localité, mais parce qu'il fut l'usufruitier en titre de cette propriété seigneuriale et de sa prévôté : « Sub eo {scil. Arnulpho I) commemorantur viri nobiles, hisce gentilitiis cognomentis... Albertus Dronganus, ob possessos, dono Comitis, reditus oppidi tune et prceposituree cano- picalis Trunciniensis. » {Loc. cit.).
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mail, duc de Saxe ', et, pour éviter toute compé- tition entre son bâtard et ses enfants légitimes, il aura voué Adalbert à la cléricature.
Baudouin III, lors de son mariage, ne pouvait compter que seize à dix-sept ans, puisque, d'après un contemporain , son père , Arnoul I , n'avait contracté son union avec Alix, fiUe d"Heribert, comte de Yermandois, qu'en l'an 934 2. Le nou- veau prévôt de Troncliiennes devait donc être encore tout petit enfant, puisqu'il n'est pas pro- bable qu'il vînt au monde avant l'année qui pré- céda le mariage de son père. Cette date, que nous pouvons adopter, justifie convenablement le titre de senior qui lui est donné en 1010, et celui de senex que dix ans plus tard lui applique un autre contemporain, Fulbert de Chartres.
La chronique de Tronchiennes affirme qu' Adal- bert gouverna sa communauté Tespace de vingt- cinq ans. Il n'en prit probablement en mains la direction que lorsqu'il fut âgé d'une vingtaine
* Meteeus, Op. cit., ad annum 951. — Baudouin paraît déjà dans un acte de donation en faveur de Saint-Pierre de Gand en 939. Il était alors encore enfant. Sans doute Folcuin [Cartul. de l'abbaye de Saint-Bei'tin, publié par Guérard, p. 153; exagère un peu quand en racontant qu'il a vu dans l'abbaye, en 961, le comte Baudouin et sa femme Mathilde, il dit que la comtesse était « Nuperrime des- ponsata. »
2 Flodoardi Annales (apud Pertz, t. III, p. 382, ad annum 934) : « Arnulfus de Flandris, filiam Heriberti, olim sibi juramentis alte- rutro datis depactam, sumit uxorem. » Flodoard, né en 894, mourut en 966. — Les Annales Elnonenses minores (apud Pertz, t. V, p. 19) indiquent aussi ce mariage, mais sans fixer une date positive. Ou y trouve, 931-949, ce qui pourrait avancer de deux ou trois ans l'épo- que assignée par Flodoard, et donner à Baudouin III une vingtaine d'années lors de son mariage avec Mathilde.
13
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cV années, vers Tan 970, pour la céder temporaire- ment à \Yalter en 995 '. Ce fut à cette époque qu'aspirant à de plus grands honneurs, Adalbert vit pour lui commencer une suite de déceptions qui dura un quart de siècle. Le seul souvenir qu'il laissa de l'administration de sa prévôté ne lui fait guère honneur. Le chroniqueur lui re]3roche d'avoir aliéné quatre bénéfices du monastère de Tronchiennes, pour en doter autant de chevaliers. Cette blâmable dissipation ne fut sans doute pas étrangère aux intrigues que nous lui voyons nouer si malheureusement à la fin du X"" siècle.
n.
Le siège de Cambrai était devenu vacant, le 27 septembre 995, par suite de la mort de son titulaire Rothard. Cet événement enflamma Tam- bition d'Adalbert de Tronchiennes, bien que tout nous montre qu'il fut loin de réunir en sa per- sonne la science et les autres qualités requises pour remplir dignement de si sublimes fonctions. Cependant notre prévôt avait des motifs d'espérer qu'il serait agréé par l'empereur de Germanie qui était en communauté de sentiments politiques avec les comtes de Flandre. Arnoul II , frère d'Adalbert, fidèle aux principes de sa maison,
* M. Siegfried Hirsch (Jahrbucher des Deutschen Reichs iinter Heinrich II, t. II, p. 31fl, note 21 croit pouvoir placer la nomination d'Adalbert à la prévôté de Tronchiennes entre les années 970 et 980, afin sans doute de faire coincider sa renonciation avec la pre- mière tentative qu'il fit en 905, pour parvenir au siège de Cambrai.
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avait- refusé en 987 de reconnaître le roi Hugues Capet. Il ne pouvait, dit Meyerus, supporter en sa qualité de descendant de Charlemagne, le préju- dice notable causé par l'usurpation de ce prince aux héritiers légitimes du glorieux empereur • , Appuyé par son neveu Baudouin Y le Barbu, qui depuis 988 avait succédé à Arnould II, Adalbert chercha à gagner Sophie, sœur d'Othon III, alors abbesse de Gandersheim. Cette princesse était d'ailleurs fort remuante et semble s'être beaucoup coniplue dans des intrigues de ce genre. L'appât de l'or ne fut pas oublié par Adalbert auprès de Sophie pour mieux l'intéresser au succès de son entreprise, ]Mais il trouva un puissant compétiteur dans Erluin, archidiacre de Liège, dont la nomina- tion était appuyée par Notger, son maître et son évêque, et par Mathilde, abbesse de Quedlinburg et tante de l'empereur Othon III. De plus, x\rnoul, comte de Valenciennes, plaida chaudement la cause du protégé de Mathilde. Celui-ci était d'ailleurs tout à fait digne de remplir de si hautes fonctions. Très versé dans les connaissances sacrées et pro- fanes, il avait déjà plusieurs fois visité Rome, et partout où il avait paru il jouissait d'une grande réputation.
Notger, averti des démarches d'Adalbert de Tronchiennes , invita Erluin à se rendre sans retard auprès de Mathilde, dont il était connu et estimé. Le prélat ne doutait point que son archi-
» Meyërtts, Op. cit., ad aun, 987. — Warnkœnk}, Histoire de la Flandre, t. I, p. 152.
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diacre ne fût favorablement accueilli et n'obtînt la mitre disputée, grâce à la protection de celle en qui Othon III avait la plus grande confiance.
L'empereur, qui était alors en Quedlinburg, en Saxe, se trouva ainsi dans une situation fort déli- cate, entre sa sœur et sa tante; mais il écouta sagement Mathilde, et à Tinsu de Sophie, il donna le siège de Cambrai et d'Arras à Erluin '. Cette nomination eut lieu le 9 octobre 995, jour où l'Église célèbre la mémoire de saint Denis. Othon, devenu empereur en 983, n'avait pas encore été couronné de la main du pontife romain. Comme le trouble qui régnait alors dans l'Église de Eheims empêchait Erluin d'y recevoir l'onction épiscopale, l'empereur partit pour Rome avec le nouvel élu. Ils n'y étaient point encore arrivés, lorsqu'au mois d'avril 996, ils apprirent à Timproviste que le pape Jean XV venait de mourir d'une fièvre maligne. La présence d'Othon en Italie eut une grande influence sur l'élection de Brunon, son neveu, qui était dans le clergé de sa chapelle. Brunon fut proclamé en avril 996 et prit le nom de Clément V. Après son sacre, qui eut lieu le 3 mai, il donna la couronne impériale à Othon III et con- sacra aussi le nouvel évêque d'Arras et Cambrai ^
La préférence qu'avait montrée l'empereur pour Erluin, au détriment d'Adalbert, mécontenta vive- ment son neveu Baudouin V le Barbu, successeur
1 Ann. Quedlinh., apud Pertz, t. III, ad an. 995. — Wilmans, Jahrbûcher des Deutschen Reichs unter... Otto III, p. 82, n. 6.
* Gesta episc. camerac. , 1. I, c. 110. — Wilmans, Op. cit., p. 88 sqq.
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d'Arnoul le Jeune. Tandis que le comte de Flandre attendait l'occasion de se venger, notre prévôt, retiré à Gand, faisait un saint et noble usage de ses richesses en comblant de ses bienfaits les ab- bayes de Saint-Pierre et de Saint-Bavon. Cette dernière était alors gouvernée par Tabbé Erem- bold, qui, le 26 avril 1003, avait commencé la construction de Taile de l'ouest de son monastère. La générosité qu'il montra dans cette circonstance mérita à Adalbert le titre de fondateur de cette abbaye <. Nous verrons aussi les moines du Mont- Blandin l'honorer du même nom, pour le récom- penser d'un semblable service.
m.
Six ans après la tentative d'Adalbert pour obte- nir le siège de Cambrai, Othon III mourut et avec lui s'éteignit la branche Carlo vingienne. Le saint empereur Henri II, dit le Boiteux, lui succéda. La bienveillance qu'il montra pour Godefroid d'xlr- denne fournit à Baudouin le Barbu Foccasion de se venger d'Arnoul de Yalenciennes à qui il attribuait l'échec de son oncle Adalbert. Henri avait donné la Lotharingie à Godefroid. Les comtes de Namur et de Louvain, qui avaient épousé les sœurs d'Othon III, protestèrent , et de là surgit une guerre qui dura de 1004 à 1007. Plusieurs princes prirent part à leur querelle et parmi eux Baudouin
1 Acta SS. Belgii, t. II, p. 564. — Van Lokeken, Hist. de Vabbaye de Saint-Bavon, p. 47.
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le Barbu. Celui-ci passa l'Escaut, attaqua Valen- ciennes et en chassa le comte Arnoul. Il s y main- tint victorieusement contre les efforts réunis du roi de France, du duc de Xormandie et de Tem- X3ereur. Henri II, en 1007, finit par lui accorder rinvestiture de cette ville et plus tard des îles de la Zélande. Plusieurs écrivains font dater de là le lien féodal qui unit jadis la Flandre à l' Alle- magne ' ; mais déjà alors nos comtes étaient vas- saux de Tempire pour la principauté d'Alost et aussi pour quelques terres situées sur la rive gau- che de TEscaut (le pays de Waas et les Quatre- Métiers) , conquises au X^ siècle par l'empereur Othon le Grand -.
Trois ans après la fin de cette guerre, en 1010, nous rencontrons à Gand iVdalbert de Tronchien- nes, dans une circonstance solennelle dont un moine de Saint-Bavon nous a conservé le souvenir. Cette année, dit-il, sous le roi Robert, le raarcgTave Baudouin étant procureur de l' abbaye de Saint- Bavon et de Saint-Pierre , et du temps du prélat Erembold, le bruit s'était répandu parmi le peuple de Gand, que les reliques de Saint-Bavon avaient disparu du lieu de leur sépulture. Pour calmer l'émotion populaire provoquée par ces rumeurs.
* M. Kervts de Lettenhove et Warnkœnig, Hiat. de Flcmdre, t. I,'pp. 231-232. — T. I, p. 153. M. Kervyn de Lettenhove, sur la foi de la chronique de Tronchiennes, donne Adalbert pour le fils de Baudouin le Chauve. Adalbert aui-ait ainsi eu, à cette époque, au moins quatre-vingt ans, et lors de son épiscopat de Paris, il eut été plus que centenaiic.
« Gesta pontificum cameracensium, publiés en 1880 par le R. P. Ch. De Smedt, S. J., Bollandiste, p. 67, note 3.
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on résolut d'ouvrir publiquement le tombeau du saint, le l*"'" août, fête de Saint-Pierre-aux-Liens. Ce jour-là, on se mit àrœuvre au milieu d'un concours extraordinaire. Dans l'assistance se trouvaient plu- sieurs personnages de distinction, savoir : Adhel- bert le Vieux, fondateur du monastère de Gand et abbé de celui de Sainte-Marie; Festrade, avoué de l'abbaje de Saint-Bavon, et Landbert, qui était chargé d'un commendement militaire*. Les reli- ques du saint furent retrouvées intactes , à la grande joie de l'assistance. Pour permettre à tout le monde de. les contempler, on les transporta à la butte de la sainte Croix {Berge Cruys) , près de Gand, où s'opérèrent de nombreux miracles. L'an- née suivante arrivait à l'abbaye Saint-Bavon, le saint pèlerin Macaire, évêque, qu'Adalbert a dû voir et qui vint probablement au monastère de Tron- cliiennes , puisque l'auteur de sa vie rapporte que le saint visita les églises des environs de Gand -. Saint-Macaire mourut à l'abbaye qui lui avait donné l'hospitalité, le 10 avril 1012. Au commen- cement de cette même année, allait s'éteindre aussi
» Acta SS. Belgii, t. II, pp. 5G4-566. Voici les termes dont se sert le moine de Saint-Bavon : « Adbelbertns senior, fundator cœnolni Gandeusis ac rei'tor sauctae Mariœ. >> Le mot senior semble indiquer qu'Adalbert était entré dans la vieillesse. D'après nous, il avait alors plus de soixante ans, ce qui nous met d'accord avec les Bollandis- tes (Acta SS. Belgii, loc. cit.). Il se pourrait néanmoins qu'il faille traduire le mot senior par seigneur, ou qu'il n'j' eût là qu'un quali- ficatif qui le distinguât d'un autre Adhalbert, plus jeune.
* Acta SS., t. I, Aprilis, p. 886 : « Impatiens siquidem quietis inlructuosEe (Macarius), frequentabat ecclesias proviuciœ Ganden- sis. « Cette vie de Saint-Macaire fut écrite par ordre de Siger, abbé de Saint-Bavon (1066-1073;.
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Erluin, évéqiie de Cambrai et d'Arras, que nous avons vu préférer à Adalbert seize ans auparavant. A la nouvelle de la dangereuse maladie qui mena- çait la vie de ce prélat, l'ambition s'était rallumée au cœur d'Adalbert de Tronchiennes. Le siège qu'il avait inutilement brigué était plus que jamais digne d'envie, depuis qu'Erluin avait obtenu, en 1007, de l'empereur Henri, le titre de comte de Cambrai, pour lui et pour ses successeurs '. Adal- bert, cette fois, résolut de s'adresser directement à l'empereur lui-même. Celui-ci se trouvait alors à Erwitte, en Westplialie. Les envoyés d'Adalbert firent diligence et furent même les premiers à annoncer à Henri la mort prochaine d'Erluin. Leur requête fut d'autant moins agréable à l'em- pereur qu'ils ajoutaient à leurs instances la pro- messe de magnifiques jorésents. Ils insistèrent vivement sur la convenance qu'il y avait d'accor- der à Adalbert la faveur dont son prédécesseur l'avait naguère frustré. L'empereur ne refusa point positivement, mais il pria les envoyés d'attendre qu'au moins Erluin eût cessé de vivre : il ne con- venait pas de lui nommer sitôt un successeur. Les messagers qui étaient sans doute des seigneurs fla- mands , conclurent de cette réponse qu'ils avaient beaucoup à espérer pour leur protégé, et ils re- prirent le chemin de Gand. Mais tandis qu'ils retournaient, la nouvelle du décès d'Erluin arriva soudain à leurs oreilles. Aussitôt ils rebroussent chemin et vont retrouver l'empereur. Mais leurs
' Mir.î;u9, Notitia eccl. Belgii, p. 141 .
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instances-, ni leurs présents ne purent ébranler la sage fermeté de Henri, qui déjà d'ailleurs prenant conseil de son entourage, avait nommé le 1^'' fé- vrier un successeur à Erluin. Il avait fixé son choix sur son chapelain Gérard, fils d'Arnoul de Florinnes, natif du pays de Liège. Gérard prit congé de l'empereur le 3 février, pour se rendre dans sa ville épiscopale, au moment même où Erluin venait d'expirer ' .
Baudouin Y, le Barbu, ne parut pas s'offenser cette fois du choix fait par l'empereur au détri- ment de son oncle. En effet, le chroniqueur raconte que lorsque Gérard s'achemina vers Cambrai pour aller prendre possession de son siège, le comte de Flandre, alors à Yalenciennes, alla à la rencontre de Gérard pour le féliciter. Il se joignit même avec sa suite aux abbés Richard et Bertold et au comte Heriman d'Eenham qui escortaient le nou- vel élu et il l'accompagna dans Cambrai. Au mois de mars, Baudouin assista également à la consé- cration sacerdotale que l'empereur invita Gérard,
• Gesta episc. Camerac, 1. I, c. 122, et ]. III, ce. 1 et 2. — Xous avons suivi le récit du chroniqueur de Cambrai, nous écartant de son commentateur Colvenier qui , comme beaucoup d'autres , fixe l'élection de Gérai'd à l'année 1013, ce qui ferait supposer que le siège de Caml>rai resta vacant une année entière. Bethmann [Mon. liist. Germ., t. VII, p. 465, note 51) fait remarquer que l'empereur Henri a pu dissimuler ses intentions devant les envoyés d'Adalbert et choisir, dès le 1<='' fés'rier 1012, Gérard comme successeur d'Erluin. Ce qui a induit en ei'reur, c'est que d'une part, beaucoup d'histo- riens fixent la date de la mort de ce dernier au 3 février 1012, et que la nomination est rapportée au l*"" du même mois. Cependant, de l'avis de Bethmann, tout ce qui est raconté par le chroniqueur sur Baudouin le Barbu, se rapporte, selon tout le monde, à l'année 1012 ^CIV. M. SiG. HiRSCH, Op. cit., t. Il, p. 321).
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encore simple diacre, à venir recevoir àXimègae. Ce fut, selon le même chroniqueur, dans cette circonstance que Henri II donna à Baudouin l'in- vestiture de l'île de Walkeren, ce qui nous fait sup- j)oser que le comte, à la demande de l'empereur, s'était cette fois pleinement désintéressé des pro- jets d'Adalbert ' . Le nouvel éveque de Cambrai reçut la bénédiction épiscopale le 27 avril 1012 -.
IV.
Deux fois repoussé par l'empereur d'Allemagne, Adalbert, qui voulait à tout prix parvenir à l'épis- copat, semble avoir dès lors tourné ses regards du côté de la France où régnait le roi Robert. Ce prince, selon quelques clironiquem's, avait jadis épousé, à l'âge de dix-neuf ans, la veuve d'Ar- noul le Jeune, frère d'Adalbert. Mais bientôt après il l'avait répudiée au grand scandale de ses sujets, en donnant pour motif que Susaime était trop avancée en âge \ Peut-être le roi Robert
1 M. SiG. HtRSCH, ibidepi.
2 Chron. S. Andreœ cameracesii (apud Pertz, t. VII, p. 528).
3 Plusieurs historiens affirment qu'après la mort dWrnoul le Jeune, sa veuve Rosala, fille de Bérenger, roi des Lombards, se remaria avec Robert, fils de Hugues Capet, et changea son nom de Rosala en celui de Susanne. Elle poi'ta le titre de reine {regina) et vécut à la cour des rois de France {in aida région Franciœ). M. Ker- VYN DE Lettenhove (Hist. de Flandre, 1847, t. I, p. 230, note 4) croit y qu'il n'est point d'erreur historique plus grave » que celle qui affirme que cette union ait eu lieu. Le savant historien ajoute que Susanne porta le titre de reine, parce que les filles de roi le portaient, et que l'expression : in aida regnm Franciœ, doit s'éten- dre d'une maison désignée sous ce nom. Voici pourtant un texte
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voulut-il profiter dans la suite des démarches d'Adalbert pour faire oublier au comte de Flandre,
fort positif d'un historien contemporain de grande autorité, qui confirme le mariage de Susanne et justifie d'une autre minière son titre de reine. Richer, qui mit la dernière main à son histoire en 9y8, s'exprime comme suit : « ... Robertus rex cum in imdevicesimo œtatis anno, juventutis flore vernaret, Susannani uxorern génère Jta.licam, eo quod anus esset, facto divortio repudiavit , Qua repii- diata, cum ea quœ ex dote acceperat , repetere vellet , nec ei rex adquiesceret , aliorsum animum transvertit. A qua etiam die, sua qvœrens , régi insidias moliebatur. Nam nionasteriolutn castru)n quod in dote acceperat, ad suum Jus refundere cupiens, cu)n id effi-
cere non posset, secus eutn (sic) aliud nntnine (lacune) extruxit ;
rege intérim occupato, circa Odonis et Fulconis facinora. Ex cujus munitione arbitrahatur posse omnem navium convectationem prohi- beri, cum sibi advenientes sese prius afférent, unde et eis transitum idterius inhibere valeret. Hujus repudii scelus, a nonnulis qui intel- Ugentiœ purioris fuere, satis laceratum, eo tempore fuit, clam tamen, nec putenti refragatione culpatum. » (Richeri histor., lib. IV, apud Pebtz, t. III, p. 651). M. Kervyn de Lettenhove, pour prouver que le mariage de Robert avec Susanne ne peut pas être admis , dit : « Robert ne se sépara de Berthe qu'en 998, et épousa la même année Constance, qui hii survécut. » Mais Richer place le fait qui nous occupe avant ces deux unions. Robert, dit-il, n'avait alors que dix- neuf ans. Ce prince étant né en 970, et Aruoul le Jeune, mort en i*S^, le mariage de Susanne eut lieu l'année suivante, 989. Elle avait reçu en dot le château de Montreuil-sur-Mer [Castrum Monastirio- lum) et ne pouvant obtenir ce bien qu'elle réclamait après sa répti- diation, elle en bâtit un autre, sur la rive droite de la Canche, un peu en aval de Montreuil {secus eian aliud... extruxit)^ afin d'arrêter les navires avant leur entrée dans le port. Montreuil à cette époque était port de mer. M. Kervyn de J^ettenhove prouve fort bien que les mots « in aulà regum Francorum, » ne signifient pas « la cour des rois de France, » mais une maison qui portait ce nom. Il s'ap- puie sur une charte de 1122, citée par les Bénédictins [Ann. ord. S. Ben., t. IV, p. 56; : « Suzanna regina propter nimiam quam habebat erga ecclesiam nostram (le monastère d'EInon ou Saint- Amand) devotionem, post obitum mariti sui, Arnulfi videlicet, mar- chionis Flandrise, in aulà regum Franciœ ante monasterium mansit, muliaque bénéficia cum variis ornamentis ecclesiœ nostrse contulit. » L'auteur anonyme des Annales Elnonenses tninores ne s'est-il pas
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Baudouin le Barbu, l'injure qu'il lui avait faite dans la personne de sa mère. A cette époque Tévêque Baynald II occupait le siège de Paris. Selon la chronique de Saint-Denis, ce prélat mou- rut le 12 septembre 1016 '. Nous ignorons quels moyens Adalbert employa dans cette circonstance pour arriver à un but si ardemment poursuivi de- puis plus de vingt ans. Un historien prétend qu'il
trompé, quand s'appuyant sur le texte qui précède, il affirme que Susanne, après la mort de son mari, se retira à Elnon où elle habita ante nionasterùcm? Ce lieu devrait avoir été dans ce cas un des nombreux palais royaux d'où les rois de France datèrent leurs chartes. Nous avons constaté dans Mabillon [De Re diptamatica , 1. IV), qu'Elnon (Saint-Amand, Nord) ne paraît point dans la liste des 163 résidences royales citées par Dom Michel Germain, non plus que dans celle des éditions de Du Cange. D'après nous, ante monas- terium in aulà regum Franciœ, ne signifie autre chose que Montreuil, nommé Monasterium et Monasterioîum, où Hugues Capet bâtit un château royal que Hariulfe nomme Castrutn reginum et l'auteur des Gestes de Louis VIII, Castrum régis Franciœ. D. M. Germain fait mention de cet ancien palais royal. (Mabillon, loc. cit.) Cfr. Lefils, Histoire de Montreiiil-sur-Mer et de son château (18601, ch. III, IV, V. Cet auteur qui s'est servi de Richer, semble n'avoir pas remarqué le texte intéressant que nous avons cité plus haut.
' Raynald vivait encore en août 1015. {Cfr. Hist. Franc, senon., ap. Pertz, t. IX, p. 369, et Hist. reg. Franc, monast. S. Dionisii, ibid., p. 404:). Ai^rès cette date ou ne trouve plus de lui aucune trace. La chronique abrégée de Saint-Denis dit qu'il mourut en 1016, tandis que les registres de Vendôme le fout vivre jusqu'au 6 jan- vier 1020, ce qui est impossible. On est d'accord j)our fixer le com- mencement de l'épiscopat d' Adalbert à l'an 1016. La date de 977 indiquée par la chronique de Tronc hiennes et adoptée par Claude Falchet, et celle de la mort de Raynald fixée par quelques-uns à l'an 1020, ont été causes des singulières erreurs commises par le Gallia christiana ^édition de 1656), qui fait d' Adalbert le 56e évêque de Paris, après en avoir fait aussi le 50*. {Op. cit., t. I, pp. 414 et 418). Le Gallia christiana (2* édition, t. VII, p. 41) corrige cette erreur et rétablit l'ordre indiqué d'abord par le Gai. christ, de Roberti (1626, p. 102).
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devint d'abord chanoine de Notre-Dame de Paris * . Quoi qu'il en soit de cette assertion, Adalbert de Tronchiennes se trouva dès Tan 1016 à la tête de cette église. Mais son épiscopat ne fut guère heu- reux, et par le peu de renseignements que nous possédons encore sur son administration, on voit clairement que le roi Robert eut du regret d'avoir écouté le remuant prévôt du monastère Sainte- Marie. En effet, au bout de peu d'années, celui-ci se vit forcé de renoncer à sa charge pastorale pour rentrer en Flandre. Aj^rès l'abdication d'Adalbert, le roi de France se trouva visiblement embarrassé vis-à-vis des prélats de son ro3^aume. Nous en avons pour preuve le soin qu'il prit de consulter le pieux et savant Fulbert, évêque de Chartres, pour lui soumettre le choix de Francon, jadis son chancelier et maintenant doyen de l'église de Paris. Fulbert lui répondit par cette lettre pleine de franchise, où l'on x^eut voir aisé- ment la critique du choix antérieur :
« Votre Majesté me fait l'honneur de me man- der qu'Elle a l'intention de nommer le seigneur Francon, évêque de l'église de Paris. Je n'ai rien à redire à cette élection si l'évêque en question est un clerc apte, s'il est bien lettré et sil a le talent de la parole. Il convient que tout évêque ait ces qualités, et qu'en outre, il soit aussi vigoureux et habile administrateur. Si donc l'évêque de Sens et
* Bu Breul, Le Tliéàtre des antiquités de Paris (1639), p. 52. — Remarquons que cet auteur dédouble également la personne d'Adal- bert, dont il fait d'abord le 52« évêque sous le nom d'Adelin, puis le 59^ sous celui d'Albert ou Ascelin. [Ibid., pp. 51-52,.
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ceux des autres sièges de la province, jugent qu'on peut procéder canoniquement à son élection, vous pouvez compter sur mon consentement, quoique je n'aie point été appelé à discuter la valeur du candidat. Je ne prétends en aucune manière aller à rencontre de ce que vous croyez pouvoir faire devant Dieu. Je souhaite que votre Majesté reste pleine de santé '. »
Une autre lettre écrite vers l'an 1020, par le même prélat, à Francon, récemment élevé au siège de Paris, nous montre sous une autre face l'admi- nistration éphémère d'Adalbert. Cette pièce semble justifier le soupçon de simonie dont un historien moderne a chargé sa mémoire ".
» Au vénérable Francon, évêque de Paris, Fulbert, humble prêtre.
)> Je pleure sur vous, mon très cher ami, en vous voyant déchu à ce point de votre vertu passée. Jadis vous vous plaigniez à moi de ce que votre prédécesseur avait eu la sacrilège témérité de donner à des profanes les bénéfices des autels. Et maintenant, vous me conseillez de faire de même! 0 ciel! 0 terre! Que dirais-je! Ou bien, comment trouver des termes assez énergiques pour vous blâmer comme vous le méritez? Mais je réprime pour le moment l'indignation qui m'emporte. J'attendrai que je vous voie pour vous
1 Epistola G5« (olixn. 88»), apud Migne, t. CXLI, p. 228. * GaboURD, Hist. de Paris, t. I, p. 195.
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accabler de mes invectives. Dans l'entretemps, portez-vous bien ^ . »
Il nous reste à signaler une troisième lettre qui, suppléant à des documents qu'on a probablement fait disparaître -, contient des renseignements bien précieux sur l'abdication d'Adalbert de Tron- chiennes. Cette pièce curieuse est due à la même plume que les précédentes. Elle nous prouve que l'évêque de Paris eut à lutter contre l'antipathie de son clergé et de son peuple qui blâmaient ses actes, et qu'Adalbert fut forcé de céder devant l'orage que ses fautes avaient accumulé sur sa tête. Il nous serait difficile pourtant de préciser toutes les raisons qui amenèrent une décision aussi désagréable pour un homme qui, pendant de si longues années et avec tant d'ardeur, avait brigué l'épiscopat. Quoi qu'il en soit, Adalbert prétexta des infirmités graves, et après avoir écrit au roi Robert, il alla le trouver en personne pour lui faire part de sa résolution. Il pria le roi de lui nommer un successeur et lui signala Francon, doyen de l'église de Paris. Robert l'autorisa à renoncer à son siège, et Adalbert repartit pour la Flandre. Ce départ eut lieu vers l'an 1020. Fran- con monta sur le siège épiscopal à la satisfaction du clergé et du peuple.
' MiGNE, Op. cit., Epist. 49» (olim 69*), p. 226.
* Dubois, Hist. eccles. Paris, t. I, p. 633. Cet auteur avoue que, malgré toutes ses recherches, il n'a pu rencontrer une seule fois le nom d'Adalbert dans les archives de l'église de Paris. 11 croit qu'où aura détruit des documents pour les causes relatées dans les lettres de Fulbert de Chartres, — Bul^us, Hist. universit, Paris, t. I, p. 580.
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Cependant Adalbert avait laissé à Paris des amis qui lui restèrent attachés après son abdication. Ils recueillaient tous les bruits qui ne manquèrent pas de circuler dans Paris et les lui signalaient dans leurs lettres. Adalbert en conçut un vif cha- grin ; il regretta même d'avoir renoncé à sa charge et il mit tout en œuvre pour la recouvrer. Fulbert de Chartres qui avait dirigé sa conscience, prit la défense de son ancien pénitent et fit tous ses efforts pour faire cesser les bruits peu flatteurs qui avaient cours sur son compte. Le charitable pré- lat répondait à ceux qui recherchaient malicieuse- ment les motifs de la retraite d'xVdalbert , que celui-ci, habitué à la vie monacale, n'avait pu se faù^e à la charge pastorale. Cette parole rapportée à Adalbert le piqua vivement. Il écrivit à Fulbert une longue lettre pleine de colère et osa même accuser l'évêque de Chartres et son métropolitain Léothéric de Sens, d'avoir révélé le secret de sa confession. Ce trait alla au cœur de Fulbert qui lui répondit par une lettre pleine de fermeté. Il mit Francon au courant de cet incident regret- table en lui transcrivant sa réponse à Adalbert :
« J'ai cru inutile de vous transcrire, pour vous le transmettre, Tinterminable radotage de notre vieillard : vous en pourrez facilement deviner le sens, si sens il y a, par la courte réponse que je lui ai faite. Voici ce que je lui ai écrit :
» Fulbert à Albert ' , son vénérable frère dans le Seigneur et son collègue dans le sacerdoce.
' Dans plusieurs éditions il n'j^ a que A, première lettre du nom de l'ancien évoque. Comme son vrai nom n'était que peu connu, des
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» A Dieu ne plaise, mon frère, qu'on ajoute foi à ce que vous avez écrit, que mon archevêque et moi, nous ayons révélé votre confession. Quelle calomnie! C'est un affront que vous nous faites! En écrivant de pareilles choses, vous vous montrez peu reconnaissant envers ceux qui vous ont rendu service, et ils n'ont pas mérité l'outrage que vous leur infligez. Nous avons publié avec fidélité, ce que nous savions ou ce que nous espérions de bien de vous, et cela pour prouver votre hon- nêteté et confondre ceux-là surtout qui voulaient attribuer votre abdication à l'avarice, à la pusil- lanimité ou à quelque passion inavouable. Si vous nous avez déclaré en confiance des péchés secrets, nous les avons cachés avec soin ; mais si vous nous avez confessé des fautes dont le peuple avait connaissance, il nous a été impossible de Tem- pêcher d'en parler.
)> J'ai vu aussi par votre lettre que vous avez été peiné de ce que j'aie dit que vous aimiez la vie du cloître. Je ne vois pas en quoi cela vous peut porter préjudice. Pourquoi donc vous en offenser? L'amour de la vie religieuse vous rendrait digne plutôt qu'indigne de l'épiscopat que vous redeman- dez, s'il n'y avait pas quelque autre obstacle. Y en a-t-il quelqu'un de ce genre, et quel est-il? Xous vous croyons assez sagace pour ne pas l'ignorer, si réellement il existe et que vous ne le dissimulez point.
auteurs se sont avisés d'interpréter cette lettre par Avesgaud, évê~ que du Mans à cette époque (Migxe, Op. cit., p. 146). Cette erreur a été corrigée par plusieurs éci'ivaius [Hist. litt. de France, t. VII^ p. 269). 14
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» Au reste, si vous voulez intenter un procès pour recouvrer votre siège, je ne vois pas à qui vous pourriez le faire, car personne ne vous a chassé; personne n'a envahi votre charge malgré vous. C'est vous-même qui avez spontanément renoncé à l'épiscopat, pour cause de maladie, ainsi que vous le disiez. Vous avez, et tous le savent, renoncé à la sollicitude pastorale et à votre siège. Vous avez demandé au roi, de vive voix et par écrit, de nommer à votre place Francon, alors doyen de Téglise de Paris, ou tout autre qu'il lui plairait de désigner. S'il en est ainsi, et que, par suite, Francon vous a été substitué par l'élection du clergé et les suffrages du peujDle, avec l'agré- ment du roi et l'approbation du pape, et en suite, par l'ordination que lui a conférée le métropoli- tain de Sens, qu'avez-vous à y redire? On n'a rien fait en cela qui ne soit conforme aux décrets de saint Grégoire, qai a dit : Il ne faut ni nommer un successeur à un évêque quelque malade qu'il soit, à moins qu'il ne le demande, ni refuser de rem- placer celui qui renonce volontairement à son siège.
» Mais s'il y avait quelqu'autre chose qui vous rendît indigne de l'éj^iscopat , et c'est à vous de le savoir, ne pas vouloir le reconnaître, serait pour nous chose si grave, qu'à nos yeux vous seriez incapable de remonter sur votre siège. Ces- sez donc d'écouter ceux qui vous inspirent et vous poussent; cessez de fatiguer de vos ennuyeuses missives les rois et les princes, cessez enfin de vous ingérer pour gouverner encore Téglise de
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Paris. Car, franchement, elle avoue qu'elle ne regrette pas de vous avoir perdu, comme elle ne s'est pas réjouie de vous posséder. Votre présence ne lui a pas fait faire un pas dans la doctrine ; votre départ ne lui a causé aucun dommage. Adieu. Pensez à nous. »
Cette réponse si vigoureuse arrêta sans doute les efforts d'Adalbert. Il paraît ne pas avoir sur- vécu longtemps à ses infortunes. D'après le cartu- laire de l'église Notre-Dame de Paris, il mourut le 24 août, vers l'an 1020 '. Son épitaphe au contraire indique, sans millésime, le 29 janvier. Il est pro- bable qu'il faut placer ce fait à l'an 1021. Adalbert de Troncliiennes fut inhumé dans la chapelle de la Vierge, à Saint-Pierre de Gand. Là reposaient déjà Baudouin le Chauve, Arnoul le Vieux, Lietgarde sa fille, qui avait épousé Wichman, comte de Gand, et Mathilde, femme de Baudouin III, son père. Ce dernier était mort à Bergues-Saint-Winoc , le 1 janvier 962, au retour d'une expédition contre les Normands, et il avait été inhumé au monastère Saint-Bertin.
Les pierres tombales de ces princes subsistèrent jusqu'en 1566 : elles furent détruites par les gueux. Les religieux de Mont-Blandin firent gra- ver sur la pierre sépulcrale d'Adalbert le souvenir de sa dignité épiscopale, celle de son origine et
• Cartahiire de Véglise de N.-D. de Paris, t. IV^, p. 135 : « De domo Santé Marie, obieunt Albeitus ejnscopus, etc. On lit en note : 24 août vers 1020. La date de l'année 1020 est probable puisque l'année suivante Francon, évoque de Paris, signe comme tel une cbarte du roi Robert [Hist. des Gaules et de la France, t. X, p. 603).
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des bienfaits, dont, à l'exemple des comtes de Flandre, il s'était plu à gratifier leur monastère. C'est ce qui explique le titre de fondateur de cette maison religieuse. Ce monument ne rappelait en aucune manière la dignité de prévôt de Tron- cbiennes, à laquelle il doit avoir pleinement re- noncé à la fin de sa vie. On j lisait ces quatre distiques barbares ' :
PAUSAM MEMBEOEUM PASTOEI PAEISIORUM
HOC DAT ADALBEETO SUMMA TEIAS TUMULO. mJNC SIBI BALDUIXUS GEXEBARAT MARCHIO DIVUS,
FLLIUS AEXULPm, PAR PATEE DE PAEILI. CUM DAT BIS BIXAS FEBEUARTCS lEE KALEXDAS,
TEREK\ DEPOSUIT, C^LICA PEOMEEUIT. HAXG TIBI FUXDAVI, TEIAS ALMA, DOMUMQUE DIT A VI,
QUA PEECIUM VENIE SUXTO PEECES ANIME.
C'est-à-dire :
« L'auguste Trinité donne, dans cette tombe, le repos aux restes d'Adalbert, évêque de Paris.
» Le puissant marcgrave Baudouin, fils d'Ar- noul, digne de son père, lui donna la vie.
» Le quatrième jour des calendes de février, il quitta la terre et mérita le ciel.
)) Trinité sainte, c'est en ton honneur que j'ai fondé et enrichi cette demeure, afin que les prières qu'on y offre obtiennent le pardon à mon âme. »
F. KlECKENS, S. J.
» Cette épitaplie a été reproduite par plusieurs historiens d'après Sanderus [Fland. illust., t. II, Auctarium ad t. I, p. 30). Nous la transcrivons sur le MS. 1G530 de la bibliothèque de Bourgogne : Chronicon Blandiniense, p. 21. Celle de Sanderus en diffère par les quelques variantes que voici : P"" vers : pansant pour pausani ; pas- tu)-is pour pastori. 3^ vers : sic 2)our sibi. 7« vers : dicari pour ditavi. — Nous respectons l'orthographe de notre manuscrit.
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DONATION ENTRE VIFS
faite, en iggl, par madeleine de la toeee , veuve dTeycius Puteanus.
En Belgique , à la fin du règne des archiducs Albert et Isabelle, la littérature latine était culti- vée avec un très grand succès. Non seulement le pays comptait des gTands artistes, mais aussi des écrivains d'une incontestable valeur. Les poésies de Sidronius Hosschius , Guilielmus Becanus, Fr. de Montmorency, Jacobus Wallius, Justus Rjckius et Hermanus Hugo renferment des beautés de pre- mier ordre.
Parmi les hommes qui contribuèrent le plus à ce mouvement littéraire, il est juste de citer Eeycics Puteanus , l'un des publicistes belges les plus féconds du XYIP siècle. Né à Venlo en 1574, il étudia la philosophie au collège des Trois couron- nes, à Cologne, et le droit à l'Université de Lou- vain. 11 s'appliqua ensuite aux belles lettres à Milan. En 1606 il succéda à Juste Lipse, son illus- tre maître, en qualité de professeur de littérature latine à l'Université de Louvain, et occupa cette chaire avec distinction pendant quarante ans.
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Puteanus était un homme d'une haute intelli- gence. Le cardinal Bona l'appelle : Vir eriiditis- simus et omni docùnnâ refertus. Son admirable organisation, secondée par l'extrême régularité de son genre de vie, lui permit de mener de front Tétude approfondie des belles lettres, de l'histoire, de la philosophie, de la peinture et de la musique. Ailleurs nous l'avons fait connaître comme poète flamand d'un incontestable mérite '.
Le savant avait épousé, à Milan, le 25 février 1604, Maeie-Madeleine-Catheeine Tcrrina ou DE LA ToERE, qui appartenait à l'aristocratie de cette ville italienne. On a prétendu qu'elle descen- dait des anciens princes milanais. Cette femme lui donna quatorze enfants, sept fils et sept filles. Une de ses filles, Anne-Christine Puteanus, épousa, le 8 janvier 1648, Sixte- Antoine Milser, chevalier de l'ordre militaire du Christ. C'était un jeune homme très distingué, qui édita en 1662, chez André Bouvet, à Louvain, les lettres de son beau- père.
L'archiduc Albert, qui appréciait les mérites de Puteanus, le nomma, en 1608, son historiographe et lui octroya, en 1614, la survivance du poste de gouverneur du château des ducs de Brabant, à Louvain, dont le titulaire, Josse Piypacker, mou- rut cinq ans après. Ce château était situé sur une colline, qu'on nomme vulgairement le Mont César. Du haut de cette montagne , Ton jouit du plus beau point de vue qu'on puisse trouver dans nos
' Eendracht van Gent, 1848.
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contrées. Le savant s y fixa en 1619. Il était telle- ment enchanté de sa demeure qu'il lui donna le nom de forteresse de Pallas {Arx PallacUs). A partir de 1619, il datait ses lettres de Loimnii in Arce regia.
En 1610, le savant, toujours plein de zèle pour l'avancement des études , avait érigé une société littéraire pour les étudiants de l'Université, à la- quelle il donna la qualification de Palestra bonœ mentis. C'était dans cette académie au petit pied que ses élèves venaient s'exercer, sous ses yeux, à la déclamation et lui rendre compte de leurs progrès littéraires. Il transporta la Palestra au château ducal et lui donna aussi une nouvelle impulsion.
En 1617 Puteanus reçut au château de Louvain la visite des archiducs Albert et Isabelle. D'autres personnages illustres vinrent l'y voir. En 1642 il y donna l'hospitalité à la célèbre Anna Roemers, d'Amsterdam, à la fois artiste et poète, qui avait en Hollande une réputation comme Mademoiselle de Scudery ou Mademoiselle de Piambouillet en France. C'était l'amie de Yondel, de Cats, de Hooft et d'autres illustrations de l'époque. Elle était également liée avec Rubens, qui lui dédia la plan- che de sa Susanne, gravée, en 1620, par Lucas Vosterman. Anna Roemers séjourna plusieurs jours au château de Louvain.
Après la mort de Puteanus le gouvernement du château passa à son gendre Sixte-Antoine Milser.
Pendant son séjour à Milan, notre savant avait captivé les bonnes grâces du cardinal Frédéric
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Borromée , cousin de saint Charles et son succes- seur dans rarchevêché de cette ville. Ce prélat l'associa à ses travaux. Il lui faisait même revoir ses sermons avant de les prêcher. Après son retour en Belgique, le savant continua ses relations avec le cardinal milanais. Éprouvant une grande dévo- tion envers saint Charles Borromée, il s'adressa à son ancien protecteur à l'effet d'obtenir des re- liques du saint en faveur de l'église de Saint- Pierre, à Louvain. En 1620 le cardinal donna à la collégiale de la vieille cité brabançonne , outre d'autres reliques de saint Charles, un vêtement en soie blanche, orné de broderies en or, que le saint avait eu l'habitude de mettre aux grandes fêtes de l'église. Il confia ces objets à Antoine Dandelain, négociant à Milan, avec prière de les faire parve- nir à Éryciu s Puteanus, pour être remis par ses soins au conseil de fabrique de Saint-Pierre. Les reliques furent reçues avec joie par la population louvaniste. Une casette en argent massif, surmon- tée d'une statuette de saint Charles, fut confec- tionnée pour les y déposer; cette casette existe encore. A cette époque la chambre de Rhétorique la Rose possédait, à l'église de Saint-Pierre, un oratoire dédié à sainte Dorothée, sa patronne. En 1620 cette association littéraire adopta saint Char- les Borromée comme second patron. L'autel de son oratoire fut placé sous l'invocation du saint arche- vêque de Milan. Une confrérie fut érigée en son honneur en vertu d'une lettre de Jacques Boonen, archevêque de Malines, du 23 juillet 1638. Putea- nus , qui contribua largement à répandre le culte
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de saint Charles à Louvain, exprima le désir d être enterré dans l'oratoire dont il a été parlé plus haut. Il mourut au château de Louvain, le 17 sei^tembre 1646, âgé de soixante-douze ans. On transporta son corps à l'église de Saint-Pierre et on l'inhuma devant l'autel de saint Charles Bor- romée.
Madeleine de la Torre lui survécut pendant dix- sept ans.
Nous avons dit que Sixte-Antoine Milser succéda à son beau père dans le poste de gouverneur du château de Louvain. Après la mort de Puteanus, Madeleine de la Torre continua d'habiter, avec son gendre, le vieux manoir ducal. Xourrie et vêtue aux frais de Milser, elle ne voulait pas quitter ce monde sans récompenser cette libéralité. Au com- mencement du mois de février 1663, la bonne femme était malade et souffrait de la goûte à la main droite. Elle fit appeler le notaire x\.Yan Heus- den, et, par donation entre vifs, elle transporta aux époux Milser-Puteanus ce qui suit : 1° le por- trait de feu son mari Erycius Puteanus, peint par Théodore Van Loon ; 2'^ Tous ses meubles ; B"* une somme de 1000 florins promise à son mari par Philippe IV, roi d'Espagne ; 4° une somme de 410 florins promise au même par Son Excellence François de Melo; 5*^ une somme de 400 florins prêtée à son gendre Jacques Du Pont ; 6" tous les manuscrits non imprimés délaissés par son mari.
Nous avons retrouvé l'acte de cette donation dans les protocoles du notaire Van Heasden , ac- tuellement déposés au greffe du tribunal civil de Louvain. Voici le texte de ce document :
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« Op lieden den 6*" februari a» 1G63 comparerende vuor my, als openbaer notaris, ende in de presentie van de getuygen hier onder geuoempt, vroiiwe Magdalena Tor- EiANA, weduwe van Avylen den hoocbgeleerden heere Eeicius PuTEANTS, sieck van licbaeme te bedde liggende , maer nocbtans baer verstant wel gebruj'kende , die welcke beeft verclaert ende verclaert, l)y desen, by gifte, metten leven- den lyve, gecedeert ende getransporteert te hebben aen Jo'' Sixtus-Antonins Milsser ende vrouwe Christina Puteaniis, haeren schoonsone ende docbter, alhier présent ende danc- kelyck accepterende : ierst het portraict van -vvylen haeren mau, geschildert by Théodore van Loon. Item, aile haere meubelen ende haeffelycke goederen. Item, eene pretentie van duysent guldens eens, aen wylen haeren voorsc. man belooft by Syne Majesteyt van Spaignien. Item, eene pre- tentie van vier hondert ende tien gulden vuyt eene meer- dere pretentie van acht hondert gulden aen -wylen haeren man belooft by Syne Excellentie don Francisée de Melo ; ende ten lesten alnoch eene pretentie van vier hondert gnlden geleeut aen jo'' Jacques Du Pont, haeren schoon- sone, waer van sy de twee hondert hadde getransporteert aen Jo"" Margareta Puteanus ', oock haere dochter, die hy aen haer niet en heeft betaelt, mitsgaeders oock den intrest van de geheele somme. Daerenboven cedeert aen den selven haeren schoonsone ende dochter aile de ongedruckte boec- ken by Avylen haeren man gemaeckt, ende is dat vuyt con- sideratie van haere montcosten ende cleederen ende andere nootsaeckelyckheden, t'sedert de doodt van haeren man, by den voorsc. haeren schoonsone ende dochter genoten, verclaerende oversulckx de vrouwe donatrice aen allen tgene voorts is geeh recht oft actie meer te pretenderen,
• Marguerite Puteanus épousa, le 12 avril 1648, François-Eusèbe Milser, frère de Sixte-Antoine Milser.
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constituereiide voorts omvederoepelyck een yecler, thooncler (lezer, om cleze doiiatie voor aile hoff ende lieer compétent te vernyii^en ende te herkennen per omittens ratura. Aldus gedaen ende gcpnsseert, date als boven, ter presentie van Joncker Charles Philippe Maillart ende Meester Peeter Eaps, getuygen tôt deze geroepen ende gebeden. Ende de donatrice ende getuygen gevraeclit synde oft sy conden schryven, heeft de donatrice geantwoort jae ; maer mits sy in haeren grooten vinger is hebbende het tierecyu, uyet anders te commen maecken als een cruys; dan hebbeu de getuygen met hunne naemen dese geteeckent.
Dit is het merck van de voor se. dvnatrice verclaerende ut swpra.
+ Signé : Chaeles Philippe Mailliaet.
Peetee Raps. My présent als notaris quod attester, A. Van Heusden, notaris, 16G3. »
Madeleine de la Torre mourut au château de Louvain, le 14 février 1663. Sou acte d'inhumation est inscrit comme suit dans le registre des décès de la paroisse de Sainte-Gertrude :
« 14 februari is ghestorven Jouf. Magdalena Tueeina, Aveduwe van den heer Ericius Puteanus, raedtsheer ende historieschryver van syne catholycke JNlajesteyt. Is begra- ven tôt Gemblours. »
Conformément au vœu qu'elle avait exprimé, son corps fut inhumé à l'abbaye de Gembloux.
Ed. Vax Evex. LouvAix, le 4 avril 1882.
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LES NORMANS.
LEURS FAITS ET GESTES EN BELGIQUE '.
Nous avons vu que Roric et Godefried s'occu- paient à piller et à ravager les côtes de la Gaule, sans négliger toutefois les soins de leur vengeance contre l'empereur Lothaire, auquel, en fait, ils étaient en train d'enlever la Frise. Dans ces courses, les Xormans, remontant TEscaut, incen- dièrent et pillèrent en 851 le monastère de Saint-Bavon, considéré comme ressortissant à UAustrasie ^ Dans la voie qu'il avait suivie, l'em- pereur ne pouvait que s'unir à Charles le Chauve pour repousser les Xormans, et c'est ce qu'il fit. Cette guerre se prolongea encore pendant deux campagnes sur le teri^itoire français, et ne se ter- mina que par la rançon de son royaume que
1 Suite. — Voir page 87.
2 Cette attributiofi est contestée par le motif que le cours d'eau qui séparait le monastère de la ville portait le nom de Onde Leye (vieille Lys?), mais Leye avait la signification générique de dériva- tion, écoulement. — Conférez : Messager des Sciences historiques, 1881, p. 152.
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Charles compta à Roric en 853. En même temps Godefriecl obtenait la concession de parages le long de TEscaut, pour y abriter ses flottes '.
L'empereur mourut à Pruim le 28 octobre 855, après avoir partagé ses Etats entre ses trois iils ; Louis, laine, obtint l'Italie ; Lotliaire, l'Austrasie, à laquelle il donna son nom; et Charles, la Pro- vence ou royaume d'Arles, qui, à sa mort, échut à son frère Lothaire en 863.
Roric et Godefried , au début du régne de Lothaire II, furent reconnus comme princes de Frise, mais les Normans du parti contraire s'en offusquèrent, ils envahirent leurs Etats et pillèrent Duerstede leur résidence ^ ; déprédations qu'ils renouvelèrent en 859. Le Danemark, de son côté, était en proie aux dissenssions, Eric I étant mort vers 862, son petit-fils Eric II (Horicus junior) lui succéda •\
La fausse position dans laquelle le roi Lothaire II s'était mis par -son divorce, amena Louis le Ger- manique et Charles le Chauve à se réunir à Douzy, afin de délibérer sur les avantages qu'ils pour- raient en tirer i. Ils mirent à profit son absence en Provence et en Italie. Les Normans utilisèrent cet état de choses qui facilitait leurs maraudages sur notre territoire. C'est Tépocjne probable où, en ennemis de la famille de Harald, ils ravagèrent
' FoLcriN , De Gestis abat. Lob., cap. 10. — Ann. Pytheani adan. 853.
* Prtjdentius, Tricens ad anniim 857.
^ Lacombe, Abrégé de Vhist. du Nord, p. 63.
* WAKNKŒ>aG et Gérard, Hist. des Carulhigiens, IT, p. 272,
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d'une part la vallée de l'Yasel ', et dune autre, qu'après avoir incendié Anvers et le monastère de Deurne, ils allèrent brûler Malines ^ Ces épi- sodes, que les hagiograplies ont classés sous Tan 837, nous paraissent appartenir h cette époque. C'est ainsi qu'en 870 les Normans se sont trouvés en possession d'Anvers, lors du célèbre partage. On se souvient que Charles le Chauve avait concédé le mouillage de l'Escaut à Godefried. L'extension que celui-ci s'en attribua s'explique par la nécessité d'avoir sa base d'opérations ap- puyée sur les deux rives, pour résister aux agres- sions des ennemis danois de sa fainille. Roric tenait actuellement son bénéfice, à charge de s'opposer au débarquement des corsaires normans. Aussi était-ce comme à un allié que l'archevêque Hincmar lui écrivit pour lui raj^peler cette charge; c'était encore sous la même appréciation qu'il s'adressait à l'évêque Hungerus d'Utrecht, lui de- mandant d'engager Eoric à ne donner ni secours ni asile à Bauduin Bras de Fer, ravisseur de Judith. Nous concluons de ces particularités que les relations entre ce comte et les Normans étaient amicales; aussi n'avons-nous pas rencon- tré jusqu'ici, que les j3«^/ Flandrensis et Rodonen- sis eussent été dévastés alors, comme ce fut le sort de quartiers plus méridionaux.
' B"" Sloet. — Le texte de Hincmar porte actuellemeiît in pago Italiœ residit pour Isalae.
* « Porro pet- fluvium Scildam ad villam Turniniun pervenerunt. » Vita Sancti Gommari.
219
V.
Le roi Lothaire II mourut le 8 août 8G9, eu Italie, où il s'était rendu. Le divorce, qu"il avait obtenu par décision d'uu synode épiscopal, venait d'être déclaré nul par le pape Nicolas, son second mariage rompu, et par conséquent ses héritiers naturels, qui en étaient issus, se trouvaient illégi- times. Sa succession revenait donc à son frère Louis II, roi d'Italie et empereur. j\Iais ses oncles en jugèrent autrement, et Charles le Chauve ne tarda pas à s'emparer de la Lotharingie, dont bientôt Louis le Germanique réclama sa part. C'est ainsi que ces compétitions aboutirent au célèbre partage de 870.
Tandis que ces discordes incessantes sévissaient dans la famille carlovingienne, et amenaient la dispersion des éléments de l'autorité nationale, dont les comtes commençaient à s'attribuer les débris, un mouvement en sens inverse se produi- sait dans les pays du Nord. Harald aux beaux Cheveux, roi de Norvège, soumettait successive- ment les Jcu'ls ou seigneurs de son pays, et y constituait la monarchie. Cette révolution avait poussé les vaincus à chercher un refuge sur l'océan au moyen des flottes qu'ils avaient équi- pées, et qui s'unissaient aux expéditions lointaines des corsaires danois. Depuis plus de vingt ans, disait-on, il y avait plus de Danois sur mer que sur terre ' . Aussi le peuple entier ne portait-il que
> Mallet, Introduction, t. I, p. 230,
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des habits de matelots, afin d'être toujoui-s pi*èt à s'embai^quer au pi*emier signal. De là des désigna- tions particulières telle que celle de Lodbi"ok '. Les prouesses de Ragnai* et surtout les dépouilles qu il avait rapportées de Fi'ance en 846 *, avaient sui-excité renthousiasme guerrier entretenu i>ar les Scaldes, non seulement à Letlira. où se célé- braient tous les neuf ans des sacrifices humains, mais encolle parmi les Suédois et les Norvégiens. Toutefois^ le mobile de ces guerres changeait peu à peu de nature. Les Jai*ls songeaient moins sou- vent qu'ils étaient du nombre des 432,000 guer- riers que commandait Odiu pour la défense du WaUialla contre les géants de Sui*tur, figurés par les chefs des ai*mées de l'Eglise, qu'ils ne brûlaient d'acquérir des dépouilles, au prix de glorieux dangers, et une part du butin pour eux-mêmes. Telle fut la carrière de Rolf, Rolw, que nous avons nommé Raoul. Rùd&îphus^ et enfin Rollon, que le roi Harald proscrivit de son iwaume pour avoir, malgité ses édits, exercé des déprédations en Xoi-vège même.
RoUon se réfugia aux lies Orcades, où il se i-encoutra avec d'autres normans pix)scrits comme lui; car, en fondant sa monarchie, Harald aux beaux Cheveux avait peuplé l'océan de hai-dis guenierSj dont l'esprit d'aventure en poussa plu-
* * Us s^j r.: ;.u:-; :.':. : i-^cwttik'i •A'è cùiir ■.ri—v-. L-v.î lie SîtanwP. • MAsaosit. L-i".;-; s:..r 1' ! < ':. "^"ife . p. 16"2 r» -ifire^ï K-i.ïy, p. 237. — Chr lj2dbinié^=:P.iM>rw'^kf Fîr t-jruOw. Arai^:. TMerry. teni. Z.«3<i# par poil?
* Wj^stswassiG ait. GixJLSD. Hèsl. det Cusm^jugims, t. Il, p. 2^.
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sieurs à aller coloniser l'Islande. Les Xormans ne tai"(lèrent point à rejoindre les Danois campés dans la Xortluimbrie et l'East-Anslie avec les- quels ils marchèrent contre les Anglo -Saxons. Dés lors on put constater qu'un esprit de suite présidait à leurs opérations stratégiques : Rollon eu était l'àme. Après s'être emparé de la plus grande partie du pars et tué le roi Ethelred. ils "^"assurèrent un point d'appui sur le continent, pour au besoin porter secours à leurs compatriotes attaqués par les Anglais. Ils cinglèrent donc vers les bouches du Ehin, de la Meuse et de l'Escaut, qui pouvaient recevoir leurs flottes et^ en 873, débarquèrent sur les côtes de Frise, comme nous l'apprennent les annales de Fulde. Rollon exigea que les habitants lui payassent des conti'ibutions. mais ils refusèrent, disant qu'ils n'en devaient qu'au roi Louis de Germanie. On en vint aux mains et les Xormans lurent battus avec une perte de 800 hommes '.
Les chroniques disent que le chef fut tué ; mais il ne peut s'agir de EoUon quelles nomment Rothdpkus, et attribuent un Radbode pour roi aux Frisons , tandis que les traditions de la Frise , tenant compte de la suppression de la royauté à cette époque, nomment pour chef Hessel Hermana -.
' « PriBio impetii cîesus est Rodolfas cnni Danis octingentis. » Des Koches, lib. cité. p. 210. — « Octingentis eormn ciuu ipso due e iuterfectis. — HAMCOSirs. Frhia. p. 39.
» Id. ibid., p. 39.
15
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Nous ne possédons aucun écrit contemporain local touchant cette expédition ; mais elle peut être élucidée par la comparaison des différents textes. Ici nous trouvons dans une vieille chro- nique que Rollon aborda avec ses Normans et Gello avec ses Danois, qu'ils détruisirent Voor- burg et Noordwyk au nord du Rhin, et que ce fut alors que saint Jeroen (Juriaen) fut tué par les barbares \ Serait-ce Gello qui subit la dé- faite, Noordwyk^ se trouvant près de Kinhem? car le lieu du combat n'est indiqué par aucun auteur.
Mais un fait plus certain, c'est que Rollon s'em- para de Welcheren et s'y établit pendant cette même année.
Ces expéditions, en tant qu'elles n'étaient diri- gées que contre l'Angleterre ou la France, n'offus- quaient pas les rois de Danemark, et cela d'autant moins qu'ils y trouvaient une source de revenu par le prix de l'asile accordé aux corsaires dans leurs ports. Mais il n'en était plus de même quand des déprédations étaient commises contre un état limitrophe avec lequel il fallait éviter un conflit. C'était ici le cas à l'égard de Louis le Germanique. Aussi voyons-nous qu'en 873 Sigourd II ^ députa
1 « Eene lieete Gello ende quam met sjiien Denen, ende eeue
heete Rollo die quam met synen Normans onder welcke was die
heylige priester Sinte Jeroen, ende wordt gevangheu ende word onthooft. » Het Oude Gouds Cronykxken, p. 15.
* Alting. Notitio pars altéra, p. 58, vox Fortrapa, et p. 134, vox Nortga .
^ Surnommé Œil de Serpent ; il était fils de Lodbrok et avait suc- cédé à Eric ]]. i^i'os chroniques le nomment Siijefriedus.
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à la diète de Worras pour traiter du maintien de la paix et de la liberté accordée aux marchands des deux nations de trafiquer réciproquement dans les deux pays ' .
Vers le même temps le prince Roric, le norman qui tenait la Frise en bénéfice , disparait de l'histoire. Son nom est mentionné dans la saga d'Olaf Tryggsen"^; disant que Godefried, l'enva- hisseur de l'empire de Charlemagne , tua Roric, prince des Frisons. Y a-t-ilici confusion d'époque, et Roric aurait-il péri dans l'agression de Rollon, dont son neveu Godefried était l'allié?
Si dès lors Godefried convoitait la position qu'avait occupée son oncle Roric, un autre pré- tendant, jeune encore, étudiait dans l'enceinte de labbaje deLobbes. sous la direction de Hilduin, le supérieur spirituel : c'était Hugues, fils du roi Lothaire II, qui avait pris la défense de ce mo- nastère contre les déprédations d'Hubert, frère de sa première femme, et avait rétabli Tordre dans rintérieur. Dés son enfance Hugues avait été élevé dans cette maison , que sa mère Waldrade avait toujours protégée 5.
Charles le Chauve ne craignait rien de ce jeune prince qui n'avait que quinze ansenviron quand il voulut s'emparer de la partie lotharingienne attri- buée à Louis le Germanique. Il le tolérait, mais ne le protégeait point, à l'opposé de ce que firent
^ Annales Fuldenses.
^ Gramm. I, Note in Meursio, § 2, p. 88.
^ Th. Lejei'ne, L'ancienne ahbaye de Lobbes, p. 47,
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les carlovingiens de l'est. Hugues serait un jour un allié de Godefried. Des écrivains des derniers siècles 1 placent à cette époque Tirruption en Flandre des Normans commandés par Hasting, qui eût ravagé Cadsand, détruit Rodenburg et saccagé Ondenburg, nonobstant les efforts du comte au bras de fer.
Hasting-Guthroen, campé en Augleterre, était l'allié de RoUon, et conséquemment ces faits se rapportent à l'an 879 ou 880. Les réparations que ces désastres nécessitèrent appartiennent donc à Bauduin II le Chauve et non à son père -.
A la mort de Louis le Germanique % Charles le Chauve s'était fait déclarer empereur et s'em- pressait de s'emparer de la portion lotharin- gienne revenant à Louis de Saxe, son neveu; mais celui-ci l'ayant revendiquée par les armes, infligea au roi de France une honteuse défaite à Andernach, le 8 octobre 876. Dès lors la période de troubles et d'anarchie s'accentue tous les jours davantage dans notre pays. Les sources manquent le plus souvent pour Thistoire de cette période, et les événements se compliquent de telle façon qu'il n'est pas toujours possible d'en suivre le fil. Il y a anarchie dans la vie privée comme dans la vie politique \ le vol, le meurtre, le rapt sont à
' Chronyche van Vîaenderen, N. D. en F. R., t. I, p. 34.
2 Meyerus donne la date de 880 pour la destruction de Rodenburg et Aldenburg. — Conf. Feyt et Van de Casteele, Hist. cCOuden- bui^g, p. 9.
3 Le 8 août 876.
* Warnkœnig et Gérard, Hist. des Carolingiens, t. II, p. 280,
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Tordre du jour, sans qu'il soit nécessaire de les attribuer aux Normans ; les indigènes ne leur cédaient point en barbarie.
Charles le Chauve, mort en 867, eut pour suc- cesseur son fils Louis le Bègue, qui ne régna que deux ans , et dont les enfants ne parvinrent à recueillir la succession qu après avoir triomphé des intrigues des grands.
Cet état de choses, connu des princes nor- mans fut mis à profit pour préparer et organiser, leur grande expédition , contre la France spé- cialement ' .
Rollon et ses troupes auxiliaires de Danois éta- blis en Grande-Bretagne 2, s'était en maint com- bats heurté pendant quatre ans au Grand Alfred, qui força les Danois en 877 à le reconnaître pour roi des Anglo-Saxons , On sait que chez les Scan- dinaves, quand deux guerriers s'attaquent et luttent sans pouvoir se vaincre après tout un jour de combat, ils jettent bas les armes, se tendent la main et se jurent fidélité ^ Un inci- dent de ce genre dut rapprocher Rollon d'Alfred, que l'on trouve plus tard son fidèle allié '. La tradition affirme et ajoute que Rollon s'engagea à ne plus attaquer TAngieterre et consentit à être baptisé. L'histoire nous apprend pourtant que Rollon reçut le baptême en 912 et prit le nom de
'■ Mallet, Introduction, t. I, p. 240.
2 Gouvernés là par Gmlruu, leur roy, nommé aussi Hasting.
3 X. Marmikr, Lettre VIII, sur Vlslande, p. 249.
* Lacombe, Hist. du Nord, t. I, p. 63. — Guillaume de Jumiège, lib. II, cap. 5.
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Kobert; mais la première allégation ne doit pas être absolument rejetée. Le moine de Saint-Gall dit qu'en 826 un danois de la suite de Harald demanda le baptême pour la vingtième fois '. On ne doit pas oublier que d'après le culte d'Odin l'on faisait une ablution sur les nouveau-nés mâles en leur imposant un nom ' ; le signe sensible était seul compris du payen.
Rollon, après son traité avec Alfred, réunit les gens de sa suite et leur annonça qu'une révélation lui promettait un sort glorieux en France et pour eux un asile assuré ^ De Guy se, qui écrivait vers 1385, y voit une vision céleste procurée par Notre-Dame! Les compagnons crurent leur chef qui se rendit à ses mouillages de Walcheren, où il prépara et combina sa grande expédition contre les Gaules. Cette vaste entreprise occupa tous ses talents ; pour l'organisation, pour la stratégie, pour les marches loin de l'Angleterre où les Da- nois, qui en occupaient toujours une partie, se trouvèrent privés à tout jamais de son concours. La vision, si bien comprise, ressemble singulière- ment à une inspiration communiquée par le Grand Alfred. Tous les auteurs s'accordent à reconnaître à Kollon une habileté et une sagesse peu com-
* A. G. B. ScHAEYES, Essais sur les croyances et usages, p. 94.
' Mallet, Introduction, p. 314, ch. XII.
' Id. ibid., p. 240. — De Guysb, Ann. de Hahumt , t. IX. Il donne 'à Alfred le nom (ï Anselme? — Robert Wace, qui vivait en 1150 et écrivit le roman de Rou, avait jiroduit cette vision. Guillaume de Jumiège, mort en 1135, donne à Alfred le nom d'Alstem. Il con- firme son alliance intime avec Rollon. Livre II, cap. 8.
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niLine. Il était généreux, infatigable, d'une taille avantageuse et d'une noble figure '.
Depuis une vingtaine d'années les flottilles nor- mannes remontant la Seine, la Loire et la Ga- ronne, rançonnèrent les Gaules; le butin, que les habitants défendaient fort mal, était le mobile de leurs courses. Ils ramenaient ces dépouilles dans le Nord pour les vendre aux marchands de Vineta - ou de Lunden, qui j trouvaient une source de bénéfices; ces agissements attirèrent l'attention de l'autorité. Sigurd II permit aux pirates de se retirer dans ses ports moyennant un droit, et chargea les corsaires d'imposer des tributs aux populations qu'ils vaincraient, ainsi que dans les temps modernes les puissances barbaresques l'ont encore pratiqué.
Rollon n'avait pas tardé à se mettre en rapport avec tous les Normans opérant dans les Gaules, et il ne tarda pas non plus à être leur chef réel. Il s'était allié avec le danois Sighefried et avec Godefried, le neveu de Roric. Les possessions de ce dernier n'étaient plus sous la domination nor- manne ; Rollon débuta par vouloir les récupérer et marcha contre les Frisons que commandait un Radbode ; il les mit en fuite ^ et hiverna à Wal- cheren. Pendant cet hiver, de 879, fin janvier, dit-on, Bauduin Bras de Fer mourut.
• Mallet, Ihid., p. 242. — Hemskr. Harald saga, oap. 24. ^ Cette ville périt dans un tvemblement de terre et fut remplacée plus tard par Jomsburg (Wollin).
^ Guillaume pe Ju.aiiège, Hist. Normanomm, lib. II, cap. 8.
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Les forces normannes ne faisaient que s'ac- croître, et si l'on peut s'en rapporter aux annales de Saint Bertin, les Danois envoyaient tous les cinq ans sur les flottes leurs jeunes gens en âge de faire la guerre.
En juillet 879, les flottes normannes remon- tèrent nos rivières, TEscaut et la Meuse, se par- tageant en deux corps d'armée. Lorsque ces envahisseurs apercevaient sur les rives des trou- peaux gardés par peu de monde, ils exerçaient le droit de Slrandliug, c'est-à-dire la presse des vivres \ C'était là le fléau des campagnes, et les malheureux habitants des îles de Zélande qui en étaient les premières victimes , implorèrent le secours des Frisons et des princes lotharingiens qui les avoisinaient.
Abandonnée à elle-même depuis Roric, la Frise citérieure s'était donné un chef national. Son choix dut, par une tendance fort naturelle, se por- ter sur quelque membre de son ancienne famille l'oyale; et c'est d'après cette présomption que nous identifions son chef actuel Piadbode au personnage promu en 901 au siège épiscopal d'Utrecht, et duquel il est dit qu'il était descendant du roi Radbode II. Il avait étudié sous le célèbre Nanon de Stavoren, à l'école du palais de Charles le Chauve ^ Ce Hadbode ne fut pas le seul prince
' DeppinG, Hist. des expéditions maritimes des Normands, t. II, ch. 8.
* Hamconii, Frisia, p. 108 verso. — C. Stai.laert et Van dee Haeghen, De Vinstruction au moyen âge, p. 27.
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qui, selon Fexpression de Sigebert, ait « échangé son baudrier contre la tonsure » ; en 997, Ans- fried aussi renommé en guerre qu'en paix, passa à la même dignité ecclésiastique, sur le même siège. Les Frisons vinrent au secours de la Zélande, d'accord avec Régnier de Hainaut marchant sur Gand, dont Rollon avait fait sa place d'armes, après avoir pillé et saccagé ses deux monastères. Les Frisons furent battus et Radbode fait prison- nier. Dans l'intervalle la flotte avait débarqué un renfort sur les côtes de Flandre qui, après avoir brûlé et pillé Thérouenne , s'achemina vers Gand ' , le quartier général. Thorhout, où était situé le séminaire des missions du nord, se trouvant sur sa route, fut saccagé et brûlé ^ De Gand, l'armée, longeant l'Escaut en le remontant, formait deux bandes, une sur chaque rive. Celle de l'ouest se fit un point d'appui à Courtrai, marcha sur Tour- nai qu elle pilla , saccagea et incendia , ainsi qu'Arras et tous les monastères qui se trouvaient sur la route. La bande du levant se répandit dans l'ancien Brabant, y détruisit les monastères de Meerbeke, Soignies, Nivelles, et poussa ses dépré- dations jusqu'à la Sambre \ Leuze avait égale-
» A cette expédition doit se rapporter la destruction du Koden- burg et d'Aldenburg.
* Selon ScHAETES, p. 283 du t. III de la Belgique et les Pays- Bas, etc., ce serait le Bras-de-Fer qui eût reparé Thourout, fait qui nous paraît appartenir à Bauduin II.
= Le sac de Nivelles est douteux. — Celui de Landen en 853, livre cité, p. 202, n'est pas admissible. Cette localité n'avait pas de mo- nastère ; et Schaeyes lui attribue un acte de 046, qui se rapporte à Gemblours, assertion reproduite p. 36 du t. III de Patria Belgica.
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ment subi la destruction, et c'était dans cette direction que Rollon lui-même poursuivait sa marche en luttant, pied à pied, contre Régnier au long Col, auquel la tradition donne pour allié Gérard de Roussillon*. Buissenal et Blaton au- raient, dit-on, été les théâtres de combats achar- nés, desquels Rollon sortit victorieux. Mais il y avait un succès qu'il ambitionnait avant tout, c'était la capture de Régnier. Aussi, ayant dressé une ambuscade contre lui, il parvint à s'assurer de sa personne. Il le retint à Condé qu'il venait de prendre et de saccager, ainsi qu'Antoing. On sait que, touché des instances de l'épouse de Régnier, il abandonna sa part de rançon, qui était la moitié, et rendit la liberté à notre prince. Conti- nuant à remonter l'Escaut, les Normans pous- sèrent leurs ravages jusques dans le Cambraisis, mais là ils trouvèrent, parait-il, une sérieuse résistance.
Rodolphe, second fils de Bauduin Bras de Fer, avait hérité dé cette ville, où, parait-il, son frère Bauduin se trouvait à cette époque. Il se mit à la tête des troupes, attaqua les Normans et les pour- suivit jusques dans la forêt de Mormal où il leur infligea une sérieuse défaite 2,
A la mort de Louis le Bègue (10 avril 879), Louis de Saxe avait d'abord été appelé, par le parti du chancelier Gozlin, à succéder au roi
' Conf. C. A. DuviviER, Revue trtm., t. IV, p. 181. * De Smet, apud Warnkœnig et Gérard, Hist. des Carolingiens, t. II, p. 303.
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défaut. Il se rendit en France avec ses troupes, mais il préféra renoncer à toutes ses prétentions en faveur des enfants de Louis le Bègue, moyen- nant que ceux-ci lui fissent abandon de la partie lotliaringienne que leur père avait possédée. Cet arrangement conclu, Louis de Saxe s'en revenait vers le Rhin avec ses troupes et suivait la grande voie romaine vers Cologne, quand il se heurta à Tliiméon ' contre un groupe de Normans, qu'il attaqua et finit par disperser, non sans efforts.
Cependant Rollon continuait sa marche au midi, tant par mer que par terre. Gand et Courtrai étaient les quartiers généraux de ses forces de terre , lesquelles , la campagne sui- vante, attaquèrent de nouveau Arras, Corbie, Péronne et les villes de la Somme qui furent toutes pillées et dévastées. En présence de ces ruines successives, le jeune roi Louis III appela ses troupes, les conduisit contre les Normans et remporta sur eux la mémorable victoire de Saul- court, près Abbeville (881). Huit mille Normans, selon les chroniques, furent mis hors de combat avec leur chef Gormo, qui perdit la vie, succès qui donna lieu à un chant de guerre dont le texte nous a été conservé ^.
La nouvelle de cette défaite parvint rapide- ment à Courtrai, puis à Gand, et atteignit tous les groupes de Normans disséminés dans le pays,
'■ Cn. DuviviER, AiDi. d'archéologie et (l'histoire, t. III, p. 43. ^ WiLLEMS, Monuments delà langue romane et de la langue tudes- que du IX^ siècle, Gand, 1845.
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qui , atterrés , clierclièrent un refuge sur leurs flottes, et cii]glèrent par la Meuse et le Rhin vers Tîle de Betuwe. Lorsque ces Normans eurent pris terre, ils allèrent saccager et brûler Birten ', entre Xanten et Rlieinberg, et de là s'emparèrent de Xjmègue où ils se fortifièrent.
A peine Louis de Saxe fut-il informé de ces événements, qu'il se mit à la tête de ses troupes et marcha pour reprendre la ville. Mais les tra- vaux de défense étaient si bien conçus et exé- cutés, que le siège traînait en longueur. Pendant une sortie des assiégés le comte Everard fut fait prisonnier; et bien que les assiégeants fissent peu de progrès, les Normans firent des ouvertures pour que le siège fut levé. L'hiver étant fort rude ce qui rendait la poursuite des travaux impossible. Le roi accueillit la demande de l'ennemi qui con- sentait à se retirer. Le comte Everard recouvra la liberté contre la rançon que paya Evesa, sa mère, et les Normans promirent solennellement de ne plus jamais attaquer les Etats du roi Louis de Saxe. Ils évacuèrent la ville après avoir livré aux flammes le palais impérial, et regagnèrent leurs vaisseaux qui les portèrent vers l'océan \
Louis de Saxe mourut à Frankfort au mois de septembre 882 et la couronne passa à son frère Charles le Gros.
' Baiobzuna, vid Sloet, t. I, p. 50. — Alting traduit ce nom par Sluis (l'Écluse) et d'autres par Berg-op-Zoom? Des Koches y re- rnnnait Birten. jEpitomes, t. I, p. 237.
- liEGiKO, Chroii., I, 592. — Ann. Fuldens, I, 394. — Pertz.
,-) o O
VI.
Ce roi, qui devint empereur et commanda à un territoire aussi étendu que celui sur lequel avait dominé Cliarlemagne , n'avait aucune des qualités nécessaires à un clief d'état. En face de lui , au-delà de ses frontières , régnait un véritable grand homme, le corsaire norman Rol- lon, qui, après des expéditions savamment com- binées et courageusement conduites, finit par se faire attribuer cette partie de la Neustrie à la- quelle il donna le nom de son peuple, pays où il montra des vertus qui firent le bonheur de ses sujets.
Nous avons reconnu en lui l'auteur de la campagne de Tan 880, pour laquelle il avait choisi notre territoire comme base de ses opé- rations, appuyées sur la Frise. Godefried, fils de Harald, était son allié, et nous ne pouvons ou- blier que ce prince avait grandi sur les rives du Bas-Escaut; qu'il avait à diverses reprises poussé ses excursions dans Imtérieur, et que par conséquent les ressources stratégiques de notre territoire lui étaient particulièrement con- nues. Nous le trouvons maintenant accompagné d'un nouveau personnage , Siegfried , l'allié de Rollon.
C'était de Walcheren que Rollon transmettait aux flottes l'ordre d'aller détruire et piller les mo- nastères de la Neustrie, d'où s'élevait la supplica- tion : A furore Nonnanorum libéra nos, Domine!
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C était de Rollon encore quêtait parti Tordre de remonter l'Escant et la Meuse afin de s'as- surer le bassin de ces rivières, où les armées pouvaient se ravitailler par le Strandhug ou le pillage. Dès cette époque on s'aperçoit que Rollon et Godefried se préoccupaient de créer un établissement stable et définitif, Rollon s'était emparé de Rouen qu'il n'abandonna plus. Gode- fried songeait à s'emparer de la partie lotharin- gienne que son oncle Roric avait eu en bénéfice. Ses anciennes relations dans le pays l'avaient mis en rapport avec des personnages notables , tels que Albéric et ses frères, Guibert, Rotbert, Etienne, qui plus tard fut un des seigneurs in- surgés contre Zuentibold, et Thibaut, gendre du feu roi Lothaire II, dont il avait épousé la fille Bertlie. Celle-ci paraît avoir obtenu des biens en Provence, dont son père avait hérité la couronne au décès de son frère Charles. De là, ce Thibaut d'Ardenne fut désigné plus tard sous le nom de Thibaut d'Arles '.
Les circonstances dans lesquelles se trouvait Godefroid l'amenèrent à utiliser le mécontente- ment de ces seigneurs et à soutenir les prétentions de Hugues, frère de Berthe -, tout en songeant peut-être dès lors à épouser sa sœur Gisèle. Comme ses sœurs, Hugues était enfant de Wal- drade dont le mariage avait été annulé à Rome ; mais dans une position analogue à celle de son
» A. VoGEL, Ratherins von Verona, p. 5. — Regino ad annum 883. — De Vaddere, Origine des ducs, p. 142'»''. » Aimonis contin., lib. V, cap. 40, etc.
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ancêtre Cliarles Martel, il se regardait comme fondé à tenter la fortune pour acquérir la cou- ronne délaissée par son père. Dès lors, pensons- nous, les plans furent dressés pour que Godefried et Hugues se partageassent la Lotharingie.
En même temps qu'en 881 les vaisseaux nor- mans, sous les ordres de Godefried et de Sieg- fried, remontaient la Meuse, une escadre qui mouillait dans le Kinhem, en face de Vroon *, traversait le Schirmer et le Zuiderzee, remontait l'Yssel et allait brûler De venter ^
Sigfried, ayant remonté la Meuse, plaça son camp à Elsloo près de Temboucbure de la Glieule. De là, il se répandit au loin, à l'est et à l'ouest du fleuve, où il étendit ses troupes jusqu'à la Dyle, dont il assura le passage par Toccupation d'une plaine qui plus tard fut Louvain '\ Maes- triclit, Tongres, Liège, Cologne, Bonn, Neusz, Zulpich, Juliers, Inda, Stavelot, Malmédi, sont pillés, dévastés et incendiés par les Normans qui, n'emparant d'Aix-la-Cliapelle, mirent leurs che- vaux en fourrière dans la cathédrale et dans le palais.
Le 5 avril 883 Trêves éprouva les mêmes ra- vages, et ce ne fut qu'à Metz que l'évêque Walo tenta de s'opposer à ces flots de barbares, mais sa troupe fut défaite et lui tué. Ce fut pendant ces
* « Inter kineraum et urbera proclivius solum veterem portura indicat. » Alting, Pars II, p. 193.
^ Ann. Fuldens. — Pertz, p. 397.
' Conf. F. Hennaux, Les Normans, p. 282 du Messager des Scien^ ces historiques, 1847.
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campagnes de 882 et 883, que Gérard, qui devint la souche de la famille de Hostade, s'empara de Namur qu'il défendit courageusement contre les envahisseurs et où il les empêcha de ravager l'Eutre-Sambre et Meuse. Dès la première cam- pagne on avait imploré le secours de l'empereur qui marcha contre Elsloo avec une nombreuse armée. Après un siège de douze jours sans succès, dit-on, Luitward, évêque de Yercelles, engagea Charles le Gros à négocier avec Ten- nemi ' . En conséquence , il compta à Sigfried une somme énorme pour qu'il abandonnât le pays, et accorda en toute souveraineté royale à Godefried, les territoires que son oncle avait possédés en bénéfice, ainsi que l'autorisation d'épouser Gisèle, pourvu, dit-on, qu'il se fît bap- tiser, quoiqu'il paraisse que ce fils de Harald, tilleul de Louis le Débonnaire et élevé parmi nous, eût déjà reçu le baptême.
C'est pendant la campagne de 882 qu'il faut, nous semble-t-il, placer l'épisode de saint Ever- mere, pèlerin frison, qui subit le martyre avec sept autres, périssant sous les coups de Hakkon, nom assez répandu en Danemark pour recon- naître ici un chef de Normans. Russon, près Tongres, fut le théâtre de cet événement, qui y est encore commémoré ^
» Comparez Elfeg, dans Thierry, Conqttête de V Angleterre, t. I, pp. 101-102.
2 Stechee, Revue de Belgique, t. XIX, p. 269. — Folcmar, évêque d'Utre(;ht, fit rendre les honneurs funèbres au martyr, en 968. — Hamconii Fkisia, pp. 80 et 109.
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- Ou s'étonne aujourcVliui de ce que les Normans si braves et parfois si généreux, aient été cruels et impitoyables à Tégard des prêtres et des moines, gens sans armes et inoffensifs. Mais il n'en était pas ainsi à leurs yeux, qui ne voyaient en eux que des magiciens, suppôts de Surtur et des mauvais génies marchant à l'assaut de la ville céleste d'Ass^ard. Les sacerdoces des cultes rivaux attribuent toujours aux mauvais génies les pro- diges vantés de leurs antagonistes'. Quand les Normans voyaient les moines fuyant à leur ap- proche, abandonnant tout, sauf leurs châsses à reliques, ils considéraient celles-ci comme des talismans ; ils cherchaient à s'en emparer ou à les détruire par l'incendie, afin que leur pouvoir magique ne s'exerçât plus contre eux. Le feu leur servait en même temps à supprimer tout abri où l'ennemi eût pu trouver un refuge.
Réginon nous apprend que les indigènes qui s'étaient alliés à Godefried, ne différaient des Normans qu'en- ce qu'ils s'abstenaient de ces actes de violence. Cela s'explique : les prêtres étaient ceux de leur propre culte ; les abris étaient ceux de leurs compatriotes.
Ce dut être dans les mêmes années que Bauduin le Chauve, rentré en Flandre, s'efforça de réparer les désastres de l'occupation normanne ; peut-être bien sous la protection du roi Alfred d'x\ngieterre , dont il épousa la fille Elstrude en 884.
La position souveraine qu'avait obtenue Gode-
' Benjamin Constant, D,i la religion, liv. II, cliap. 6.
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fried et le mariage qu'il avoit contracté souriaient aux visées du prince Hugues, qui jusque là n'avait trouvé d'appui que dans la branche germanique de sa famille. L'irrégularité canonique de sa nais- sance ne l'oiFusquait point. Au-delà du Rhin sur- tout cette condition paraissait sans importance, comme l'indiqua dans la suite le choix de l'empe- reur Arnoulf et celui de son tils Zuentibold. Hugues avait été d'abord, en 880, gratifié par Louis de Saxe du duché d'Alsace et de labbaje de Lobbes, où il avait été élevé sous Tabbatiat d'Anségise. l\ paraît que sous Hugues, Hilduin- Tasson d'Ardenne et proche parent du comte Thiebaut'. continua Tadministration spirituelle du monastère qu'il avait exercé sous Carloman, son prédécesseur ^
Hugues, dont le caractère ne nous est connu que par les écrits de ses adversaires, n'était pas à la hauteur du rôle qu'il avait choisi : celui de faire triompher la souveraineté lotharingienne en regard de celles de France et de Germanie. Bien que ses beaux-frères Godefried et Thibaut fussent ses alHés et en quelque sorte ses maîtres, on ne peut lui refuser la qualité de précurseur de la nationa- lité belge '\
Les chroniqueurs de cet âge barbare nous le montrent atteint du même esprit de violence que ses sauvages contemporains. Ils racontent qu'épris
' A. VoGEL, Ratherius von Verona, p. 31. * Th. Lejetjne, iJancientie abbaye de Lobbes, p. 47. ^ Conf. E. DE BoRCHGRAVE, Les précurseurs de la nationalité belge. Bulletin de V Académie d'arcliéologie, t. I, p. 843.
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des charmes de Friderata, femme de Gnibert, Tun des comtes qui lui étaient dévoués, il fit tuer ce dernier; et, comme un autre David, épousa sa Betlisabée ' .
Ptéginon relate, sous la date de 885, les négo- ciations conspiratrices de Hugues avec son beau- frère Godefried , pour en obtenir des secours et des troupes auxiliaires afin de récupérer la couronne paternelle , regnum paternum , lui pro- mettant, dit-il, de lui abandonner la moitié de son royaume, s'ils étaient vainqueurs, medietatem ipsins regni i^ro munere pollicitur.
Ces négociations remontaient au moins à 883, car le même Réginon nous dit d'une part qu'en 884 Godefried autorisa les Danois, dont les vais- seaux mouillaient dans le Kinhem, à venir hi- verner dans rintérieur ; qu'en conséquence ils voguèrent vers Test, remontèrent TYssel et, avec Tautorisation du roi Godefried, s'établirent à Doesburg, et le printemps venu s'en retournèrent dans rOcéan; et d'une autre part, que l'armée normanne fit à la même date un camp retranché à Louvain, qui devint bientôt leur quartier géné- ral. Ce fut là sans doute le point de ralliement des affidés du prétendant Hugues, d'où ils purent recruter leurs soldats indigènes. Toutes ces allures des insurgens ne se passèrent point sans être aperçues. Le comte Henri, qui commandait en Saxe, et qui était un ennemi acharné des Xormans, était venu poster son camp en vue de Doesburg,
1 D. Bouquet, t. IX, p. 36.
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pour s'opposer aux déprédations que les réfugiés auraient pu commettre '.
Cependant Godefried était en paix avec l'empe- reur, qui paraissait éviter tout prétexte de rup- ture. Mais dans la position qu'il avait prise, le roi norman des Frisons se trouvait poussé à entamer une nouvelle négociation, dont Tissue devait lui dicter sa conduite ultérieure.
n députa à Charles le Gros deux de ses comtes, Gérolf et Gardolf, qu'il avait chargés de demander à l'empereur la concession de quelques localités sur le Haut-Rliin où se trouvaient des vignobles, afin qu'il pût récolter du vin, dont la production était impossible dans ses États. Cette demande effraya la cour, qui y vit une tendance à s'établir au cœur de l'empire. Comme les armées nor- mannes étaient agaerries et leurs chefs supérieurs en tactique à ceux que le César pouvait leur opposer, il fut décidé, conformément au conseil du comte Henri, de recourir à la ruse pour se défaire d'un ennemi redoutable. L'empereur ren- voya les députés avec la mission d'annoncer à leur maître que des envoyés spéciaux iraient prochai- nement lui faire connaître les intentions du César. Le comte Henri fut mis à la tête de la députation et chargé de l'exécution du complot qu'il avait suggéré, n s'adjoignit d'abord le comte Everard, celui qui trois ans auparavant avait été fait pri- sonnier, et dont, avec ou sans motif, Godefried
» Pertz, Mon., I, 594, apud Sloet.
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avait confisqué les biens ' ; il fit partir également des soldats isolés auxquels il fixa i^our point de ralliement un lieu indiqué sur la frontière de rÉtat norman, et pour ôter toute méfiance, il se fit accompagner par AVillibert, archevêque de Cologne.
Prévenu de la mise en marche de la députation, Godefried alla l'attendre à Herispich, aujourd'hui Sjnjkschen polder, aux limites du Betuwe. Les envoyés furent introduits ; ils abordèrent le sujet qu'ils firent traîner en longueur, quand enfin le comte Everard intervint, comme il était convenu avec le comte Henri, pour exposer ses propres griefs, ce qu'il fit avec tant d'aigreur, que le nor- man irrité répondit sur le même ton. Everard alors tira son épée et transperça le roi qui tomba sur le sol. Henri le fit achever parles soldats qu'il avait tenu en réserve et commanda à l'archevêque de s'emparer de Gisèle et de l'amener à Charles le Gros. Quelques jours plus tard, Hugues, séduit des promesses insidieuses émanées du comte Henri, se rendit à Gondreville, ancien palais royal voisin de Toul, qu'avait habité le roi son père. Il y fut saisi par le comte Henri qui, sur les ordres de l'empereur, lui arracha les yeux et l'envoya au monastère de Saint-Gall. Quelques temps plus tard il fut transféré a Pruim où il mourut ^
Tel est le récit de Réginon qui jusqu'en 899 fut abbé de Pruim et par conséquent en position
' Situés, paraît-il, entre l'Amstel et le Veclit, et qui eût le nom de Danemarca, depuis ce fait. Vide Altikg, II, p. 43. * Regiko, ad annwn 885.
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d'être bien informé; nous devons donc admettre tous ces faits comme historiques. Mais un roman légendaire donne une autre fin à ce prétendant. D'après ses récits Hugues aurait péri sur un dans un combat entre Franks et Normans; Berthe et Gisèle, ses sœurs, se seraient rendues de nuit dans la plaine et, à la lueur de la lune, auraient découvert et enlevé le corps de leur frère pour lui donner la sépulture à Notre-Dame de Laeken ' .
Quoi qu'il en ait été, la conjuration Belgo- Xormanne était écrasée; par ces deux attentats le comte Henri assurait quelque tranquillité au gros empereur. Mais les meurtriers payèrent la peine de leur crime : Henri, que son zèle avait porté à aller soutenii^ Paris contre les Normans en 886, fut criblé de coups de flèches par l'ennemi; Eberliard fut tué en 898 dans une partie de chasse par le comte Walger, fils de Gérolf "".
YH.
Tandis que Rollon se maintenait à Rouen d'où ses flottilles continuaient à rançonner les Gaules, son allié Sigfried opérait autour de Paris, où la nouvelle de l'assassinat du roi de Frise lui parvint. Immédiatement il se replia vers le nord, et ayant atteint Louvain, il en fit son point d'appui pour y
- Conf. Mann, Hist. de Brux-elles, p. 10.
2 Regino, apvxd Pertz, I, p. 608. — Hamconius, Frisia, p. 40: titre ce comte Henri de dux Brabantice?
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organiser la plus gi'ande expédition que les Xor- mans eussent lancée contre la Gaule. L'armée qu'il j constitua se dirigea par terre et par mer sur Rouen, pour aller ensuite assiéger Paris. Afin de se débarrasser de ses ennemis, Charles le Gros négocia et compta une grosse rançon à Sigfried, auquel il abandonna la Bourgogne pour que le siège de Paris fut levé. Les troupes normannes rentrèrent donc en grande partie chez nous pour se cantoner sur les deux rives de la 'Meuse et autour de Louvain, où ils dominèrent pendant sept ans '.
Cependant le gros et incapable empereur, tombé dans le mépris de ses sujets, peu estimables eux- mêmes, fut déposé, et le 11 décembre 887, Arnulf fut élu roi de Germanie. Les circonstances lui commandaient de s'attaquer aux Xormans, dont les troupes, selon les rapports, se seraient alors trouvées réunies sur le Haut-Escaut. Mais au con- traire, il apprit bientôt qu'elles étaient en train de dévaster Liège et Aix-la-Chapelle, et il donna Tordre à l'armée qui se trouvait de ce côté du Rhin de marcher à l'ennemi. Celui-ci mit les troupes royales en pleine déroute, après avoir fait succomber dans Taction Tarchevêque de Mayence et les comtes Sunderold et Arnold qui les com- mandaient.
A la nouvelle de ces désastres le roi de Germa- nie leva une nouvelle armée, à laquelle il donna
' Des Roches, ^pitomes, t. I, p. 218. — F. Henaux, Messager des Sciences hisio7-iqiies , 1847, pp. 282 et 286.
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pour point de ralliement les bords de la Meuse vers Liège. Mais les Normans en furent prompte- ment instruits, et marchant à la rencontre de leurs ennemis, ils traversèrent la Meuse au-dessous de Liège, probablement à Navagne; laissant l'armée royale sur leurs flancs, ils allèrent se poster dans la vallée de la Gueule, où ils purent s'appuyer sur leur ancienne forteresse d'Elsloo. On en vint aux mains aux environs de Fauquemont, et la victoire demeura aux Normans qui, enivrés de leurs succès continuels, firent retentir la vallée de leurs cris Gulia, dès lors leur cris de ralliement dans toutes leurs hostilités subséquentes. Il nous semble que l'écho s'en repercuta jusqu'à Ponte, en Gueldre, où la légende, sous un aspect allégo- rique, nous montre la victoire de Wikert et Lupold sur une bande de Normans ' .
C'est à la suite de cette victoire que l'on peut fixer la mort de Siegfried, en Frise \ 11 paraît s'y être rendu pour y reprendre la couronne dé- laissée par son allié Godefried; mais les Frisons, depuis l'assassinat de ce roi, songeaient à récu- pérer leur indéiDcndance que ces dominateurs étrangers ne respectaient guère. Nous voyons dès lors les comtes frisons accroître leur puissance, et Gerolf, le vieux serviteur de Godefried, être en 889 gratifié de donations par le roi Arnulf ^
' Vaernewyck, Hist. van Belgis, liv. IV, cap. 31, in fine, p. 127. 8elon C. Miclmëls, un rocher rive droite de la Meuse, à 5 kilom. sud de Venloo, porte le nom de Saut du Normand. Revue trimestrielle, VI, p. 248.
2 « Frisiam petivit, ubi interfectus est. » Des Roches, JSpitomes.
' Sloet, Oork,, p. (53. — Conf. S. Styl , Opkomst en bloei der Nederlanden, p. 14.
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Siegfried campait avec une partie de son armée dans les états frisons et négociait avec quelques grands pour s'établir dans le pays. Dans un entre- tien qu'il eut avec Vitho, l'un d'eux qu'il avait reçu dans sa tente, ce frison le tua d'un coup de pierre à la tempe, en 890, dit-on '.
Lorsqu'Arnulf eut apjjris la déroute de ses troupes , il leva une nouvelle armée à la tête de laquelle il se mit lui-même, et ayant passé la Meuse , il alla investir Louvain , désormais le quartier général de l'ennemi, et y remporta Féclatante victoire dont Sismondi a rendu un compte si exact dans son Histoii^e des Français, en reproduisant la narration des annales de Fulde. La domination normanne était renversée; seize de leurs drapeaux portant les corbeaux fatidiques du dieu père de la victoire, qui s'honorait du titre d'iiicendiaire ^ illustrèrent le triomphe du futur empereur. Lorsque ces nouvelles parvinrent aux matelots qui stationnaient dans la Meuse, la crainte les saisit, et ils allèrent se réfugier dans les bois entre Meuse et Rhin, pays où ils exer- cèrent leurs brigandages toute l'année 892 ; mais traqués de toutes parts et attérés au nom d'Ar- noulf, ils quittèrent la contrée ^
Troupe de soldats, les Normans ne cherchèrent point à coloniser sur notre sol, cependant comme
' Hamconii, Frisia, p. 40 recto.
* J. Van der Maelen, Les partis et leurs insignes, p. 7. — AuG. Thierry, Conquête de V Atigleterre par les Normands , t. I, p. 100 (liv. II). — Suider, L^ Incendiaire . — Mallet, Edda, p. 63.
3 Des Roches, JEpitomes, t. I, p. 221.
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individus, il en resta qui se mêlèrent aux habi- tants, surtout en Zélande et sur les rives de TEscaut*, où ils se fondirent dans la popula- tion. Odin avant donné la victoire à leurs enne- mis, ils le regardaient comme privé de sa toute puissance et n'hésitaient plus à se soumettre à l'Eglise. Dans ce siècle les arguments étaient jugés par des guerriers, et les batailles gagnées amenaient à croire ce qu'il plaisait au vainqueur d'imposer -.
Les Normans vaincus, le parti insurrectionel continua à se dissoudre, car l'oppression éprouvée par la population à l'occasion du Strandhug ou Blackmail, avait enfin lassé les habitants. Aussi, l'anarchie déjà grande sous l'administration offi- cielle, n'avait fait que croître sous la domination étrangère et pajenne, que l'on pourrait qualifier de résultat d'une croisade du paganisme contre l'Eglise. Si des combattants indigènes se trou- vaient encore à Louvain parmi les envahisseurs, on peut afifii-mer que d'autres marchèrent contre eux sous les drapeaux du roi Arnoulf.
Les Romains avaient été les instituteurs des peuples de l'occident, et l'Église qui avait recueilli leur succession, exerçait son rôle d'éducatrice par la civilisation romaine principalement ^ Aussi tout ce qui était le produit de cette ancienne civi- lisation fut-il attaqué, renversé, détruit ou annulé
» J. Lepetit, Ned. Rep., pp. 186 et 193. — Couf. Moke, La Bel- gique ancienne, pp. 316-317.
» Mallet, Hist. de Danemark, t. III, p. 129.
3 Max \yiRTH, Fondation, etc. Introduction, pp. 36 et 47.
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par les expéditions des Normans. Cette civilisa- tion venant du midi s'était répandue en descen- dant nos rivières, la réaction se produisit contre elle par voie inverse : c'est en remontant nos fleuves que les corsaires vinrent la supprimer. Dès lors un travail de reconstitution se prépare pour aboutir aux assises sur lesquelles devait s'élever un jour l'édifice national belge. L'une d'elle avait été entrevue par le vainqueur de Louvain.
De cette domination de sept années, alliée à l'opposition indigène, il demeura quelque chose qui surnagea à la dispersion des Xormans. Le roi comprit que la Lotharingie cherchait à être elle- même *, et le 11 mai 895 elle obtint un roi distinct de la Germanie, Zuentibold, fils d'Arnulf, qui, malheureusement, tout à fait étrano-er au carac- tère national et nourri dans les préjugés de son pays d'origine, perdit quatre ans plus tard, la couronne, la vie et le pays qui avait été confié à sa garde.
C. Van dee Elst.
1881.
* « Das Streben nach SelbstanJigkeit sollte in unschàdlicher Weise erfuUt, ja zum Nûtzen des neuen deutschen Konigs ausgebeu- tet werden. » A. Voghel, Ratherius, p. 5.
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VARIÉTÉS
Épitaphe du duc Chaeles de Loreaine (1654). — L'épitaphe était un genre de littérature fort en vogue au XVIIe siècle, elle sadressait même à des personnes par- faitement en vie; réservée souvent à l'éloge, elle pouvait être une arme à deux tranchants et servir à satisfaire des rancunes politiques; celle du duc Charles de Lorraine appartient à cette dernière catégorie, c'est une satyre poli- tique adressée au duc au moment de sa chute :
Adeste mortales,
Respicientis et despicientis fortune
Prodigium obstupescitel
Ego Carolus dux Lotaringie
Cesarum progenips
Regum consanguineus
Principum affinis
Perfidus omnium necessarius
Infidus omnium mercenarius,
Multis suppetias, nuUi auxilium tuli.,
Ducatum,
Quem mihi paterna successio obtulit,
Geminis simul nuptijs stabilitum
Gallus
Successû belli abstulit
^lagnum hoc damnum
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Iberus regum maximus
Annuis stipendijs et quotidianâ indulgentiâ
Siio damno pensavit, religionis ludibrio :
Regione exutus omnium regionum excuvias,
Féliciter, an infeliciter dicam? ambigo,
Congessi.
Numquam in discrimine, semper in picturâ armatus,
Numquam militibus, nisi disciplina largus.
Numquam erga i<imiliares,nisi sarasinis, liberalis,
Sic auro et milite stipatus,
Kunc utroque orbatus,
Perduellionis accusatus,
ludefensus et reus,
Vivus hoc sepulchro, haud pulchro claudor,
Numquam nisi morte liV'crandus.
Heu me miserum !
Anversa, fortunam meam, aversam et eversam, gaudet.
Nemo est qui condoleat quia omnes offendi
Kemo est qui succurrat quia omnes fefelli
Nemo est qui misereatur quia omnibus nocui,
Me vivente et sciente,
Hereditatem meam adit, ex asse, non scriptus hères
Cujus ego fretus amicitiâ, et gratiâ abusus.
Neque superiorem, neque parem agnovi ;
Heu ex creso ditissimo
Irus pauperrimus
Documentum posteris exhibeo,
Neminem ante mortem esse beatum.
Hoc vivi ducis Lotharingie epitaphium
Ita editum et inter vulgus Gandavi
Dispersum est, post ejusdem ducis discessum
Versus Hisj)anias.
Il est inutile tle retracer la vie agitée du duc de Lorraine ; après avoir trahi tous les partis, il finit, après s'être une dernière fois brouillé avec la France, par se réfugier à Bruxelles ; il y fut arrêté par ordre de la cour d'Espagne,
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de concert avec celle de Tienne, et enfermé à Anvers. Il fut dirigé peu après vers l'Espagne et interné à Tolède *.
Cet emprisonnement, qui était considéré comme une violation du droit des gens, fit dans le monde, dit Dora Calmet, le bruit que Ton peut imaginer -, il donna lieu à une polémique des plus vives entre les partisans et les adversaires du duc.
L'archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur général des Pays-Bas, publia un manifeste pour justilier la conduite du gouvernement espagnol '" ; la cour souveraine de Lor- raine et de Barrois, réunie à Luxembourg, à la réception de ce manifeste rendit un arrêt par lequel elle déclara cet emprisonnement injuste et injurieux, et contraire au droit divin et humain.
Le nom du duc Charles n'était pas inconnu à Gand, et c'est peut-être le souvenir d'événements de date assez ré- cente qui avait fait accueillir dans cette ville la satyre que nous publions. Ces souvenirs se rattachaient à un épisode peu édifiant de la vie du duc Charles, qui a été relaté récemment *.
Le duc s'était marié secrètement, du vivant de sa pre- mière femme, avec Béatrix de Cusance, plus connue sous le nom de Madame de Cantecroix, et pour régulariser sa position il avait demandé au pape d'annuler son premier mariage. Le pape avait exigé la rupture de tous rapports entre le duc et Madame de Cantecroix ; sur leur refus de se soumettre à cette condition ils furent excommuniés en
' V. Hist. de V emprisonnement du duc Charles IV de Lorraine, détenu par les Espagtiols dans le château de Tolède, in-8°. Cologne, P. Marteau, 1688.
« Histoire de Lorraine, t. III, p. 490.
' Ce manifeste a été imprimé à Gand, chez Baud. Manilius, en 1654 (V. Bibliogr. gardoise, t. II, p. 146).
♦ Le logement de Madame de Lorraine à Gand, par E. DE BoKCH- graat: [Bull, de l'Académie, 2« série, t. XXXVI, n" II).
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1642. Le duc et Béatrix cessèrent d'habiter ouvertement ensemble, mais ils se virent secrètement.
Par un bref du 22 novembre 1645, le pape Innocent X assigna Gand pour résidence à Madame de Cantecroix, qui avait promis de ne point sortir de la ville, le duc, de son côté, s'engagea à ne pas y eiitrer.
Mais Madame de Cantecroix ne semblait pas pressée de se rendre dans sa nouvelle résidence, prétextant qu'elle ne trouvait dans cette ville aucune habitation dont elle pût s'accommoder. Le gouverneur général des Pays-Bas, marquis de Castel-Rodrigo , intervint et écrivit au ma- gistrat de Gand d'installer la princesse soit dans une maison sur le Kauter, soit dans l'hôtel de Wacken, près l'église Saint-Michel, qu'il disait être vide. L'hôtel de Wacken était situé au Poel et avait servi d'habitation à Charles-Quint en 1556 ^ Quant à la maison située sur le Kauter, le gouverneur faisait peut-être allusion à l'habita- tion du seigneur de Ruddershove, premier échevin de la ville.
Le magistrat de la ville, cédant aux menaces du gouver- neur général, installa de force l'escorte de la princesse dans l'hôtel de Wacken ; mais le conseil de Flandre se montra plus énergique, il fit savoir au marquis de Castel- Rodrigo que, jusqu'à décision ultérieure de Son Excel- lence, il avait cru devoir mettre bon ordre aux agissements du magistrat, et il finit par déclarer qu'aucune coutume, loi, privilège ou droit local ne permettait de recourir en pareil cas à des mesures de coercition (Dépêche du 28 avril 1646).
Une infraction aussi grave aux privilèges de la commune avait dû nécessairement causer une vive émotion dans la ville et le souvenir sans doute n'en était pas perdu. On peut
* DiEKicx. Mém. sur la ville de Gand, II, p. 233.
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s'expliquer à ce titre la conservation de cet écrit, perdu dans une liasse au milieu d'autres avec lesquels il n'a aucun rapport '.
La princesse paraît avoir trouvé à s'installer dans la maison de campagne que Tévêque Triest s'était fait bâtir à Akkerghem, mais en tous cas elle n'y fit pas un long séjour.
Le duc, malgré ses défauts et les malheurs qu'il avait attirés sur son pays, avait conservé l'affection de ses sujets. Les Vosgiens, lit-on dans une histoire d'une ville de ce pays, sous un joug étranger ne perdirent rien de leur affec- tion pour leur prince; ils semblaient même redoubler de dévouement en proportion des efforts du vainqueur pour les en détacher, bien que le prince ne tînt aucun compte de cette affection, qu'il eût le tort de regarder comme une impossibilité de faire mieux -.
L. St.
Cession pae ]\L\kguerite de Bourgogne de joyaux a Gui de Barbexsox, dit l'Aedexois, en 1435. - Nous avons trouvé l'acte ci-joint dans les opérations de triage de l'ancien greffe scabinal de Mons, reposant aux Archives de l'État en la dite ville. Il nous a paru présenter un intérêt suffisant pour être communiqué au Messager des Sciences historiques. Au point de vue de l'art, il donne une curieuse énumération des joyaux d'or et de la vaisselle d'argent que Marguerite de Bourgogne, dans un besoin d'argent, remit à son conseiller Gui de Barbenson , dit l'Ardenois. Ce gentil- homme était seigneur de Doustieune et avait fait relief de
' Archives de l'État à Gand. Don d'Hane Steenhuyse, n° 116.
* Hist. de la ville de Saint-Dié, par Geavier. Épinal, 1836, p. 269.
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ce fief dépendant alors du pays de Liège, le 10 mars 1435 '. Il était fils de Jean de Barbenson.
Nous n'insistons pas davantage sur la valeur de notre charte; les érudits sauront mieux que nous utiliser les renseignements qu'elle contient, pour une époque où les arts étaient surtout en Belgique en grand honneur.
Emle Prud'homme.
20 Février 1435 (1436 n. st.)
Margueritte de Bourgongne ducesse de Baivier, confesse de Haynnau , Hollande et Zeelande , faisons savoir à tous que , pour nos affaires et chertaiue cause qui ad ce nous mouvoit et meisment pour notre évident pourfit, avons baillié et délivré es mains de notre féal conseiller Ghuy de Barbenchon dit Ardenois, seigneur de Donstiévène, les parties de nos joyaux d'or et vaissielle d'argent chi-après dénommées , est assavoir : ung coller d'or garni de vingt balaix , quarante grosses perles , vingt aultres moittaines et quarante plus petittes, pesant ensy garny que dit est, trois mars, chincq onces ou environ.
Item^ une nef d'argent dorée, deffaissant en deux pièces leur a, au milieu dou mast, une pippe de ciùstal et à chacun debout de le dite nef ung chastiel , pesans la dite nef chincquante noef mars et une once ou environ.
Item, deux grans pos d'argent dorés, leur a sour chacun couvercle une blancque frasette , yceux pos pesans enssam- ble vingt-quatre mars et quatre onces , et deux boutteilles d'argent dorées, leur a à chacune un vert tissut de soie estoffet d'argent doret et à chacune boutteille ung couver- cle d'argent doret, pendant à une kaynne d'argent tout
' S. BoEMA^s, Seigneuries féodales de l'ancien pays de Liège, dans Bulletin de V Institut archéologique liégeois , t. IX , p . 257,
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doret, pesant tout enssamble sy que dit est, seze mars mains une once u environ.
Item, deux pos de lot d'argent dorés , tailliés et hachiés pesans enssamble dix-wuit mars six onces. Item, un bachin barbierech d'argent doret sepmet sour le bort de rosettes , pesant noef mars deux onces , et six hanas d'argent doret à piet et yceux buillonnés, pesant enssemble dix-noef mars six onces. Auquel dit Ardenois nous avons donné et par le teneur de ces présentes lettres donnons plain povoir , com- mission et auctorité dez devant dites parties de nos joyaux dor et vassielle d'argent, vendre, donner, quitter, obliger et transporter à bourgois, cambgeurs, orfèvres et aultres, soit pour sceurtet de rentes ou pentions viagères vendre sus et quierquier tout ensy que bon lui samblera par lettres, oyuwes ou aultrement et les deniers recepvoir et en baillier quittance souffissans et ossy pour racater ou par lui , le dit Ardenois , commettre à ycelles rentes , racater et reprendre nos dits joiaux dor et vassielle d'argent se ly cas esqueoit, et de ce donner et baillier arrière quittance souffisans et généralement pour es choses devant dites en leur dépen- dances et en chacune d'elles otaut et otel faire en touttes manières comme meismes feriens et faire pouriens se présentes y étions ; promettant loyaulement par notre foy à tenir ferme et estable tout ce que par le dit Ardenois en sera fait, vendut, quittet, obligiet, transportet ou aliéuet, comment que ce soit, sans de riens faire ne aller à lencontre. Car desmaiutenant pour touttefois , nous avons quittet et quittons absolument celui, ceuxu celles à cui ou ausquelx nos dis joyaux et vassielle seroient u seront vendut, quittet u transportet, comme dit est dessus. En tiesmoing desquelles choses devant dites nous avons à ces présentes lettres fait mettre et appendre notre séel. Et sy requerrons à nos chiers et bien amés Guillaume de Quaroube et Jehan de Mons que eux qui présent ont estet et pour ce spécialement
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de nous hucquiet et appiellet comme hommes de fief à notre trèschier et amé neveu le duc de Bourgongne et de Brabant, conte de Haynnau et de Hollande aux dessus dit transport et commission faire et passer sy que devant est dit, vueillent mettre et appendre leurs sceaux à ces présentes lettres avoecq le notre en chertification de vérité. Et nous li dit hommes de fief pour ce que nous fusmes présents et spécia- lement appiellet comme hommes de fief anodi très-redouhté seigneur le duc, au-dessus dit transport et commission faire et passer comme dit est , en avons nous , à la requeste de notre très-redoubtée dame dessus nommée , à ces présen- tes lettres mis et appeudus nos seaux avoecq le sien en a probation de vérité.
Che fut fait au Quesnoy le viugtysme jour du mois de février Fan mil quatre cens et trente chincq.
Orig. sur parch. sceaux enlevés. — Archives de l'État à Mons. — Trésorerie des chartes des Comtes de Hainaut.
Sur le dos est écrit : Unes lettres dou wagement de juyaux.
Leur, là où. Pippe, tige. Bacldn Barbierech, Cuvette allongée, en métal avec un anneau pour
la suspendre au mur. Buillonnés, Ornés de boulons ou clous saillants.
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CHRONIQUE.
Des recherches faites dans les greniers et magasins du Musée de Gand, ont remis au jour plusieurs tableaux et des toiles décoratives d'un ancien maître gantois , Nicolas De Liemaker, plus générale- ment connu sous le nom de Roose. Entr'autres panneaux décoratifs se ti'ouvent ceux qu'il peignit pour des arcs triomphaux élevés à Gand lors de l'entrée du prince Ferdinand d'Autriche, gouverneur des Pays-Bas sous Philippe IV (1635). Les toiles découvertes sont altérées par de maladroites retouches , mais on espère pouvoir les restaurer convenableznent. De Liemaker né en IGOl mourut en 1646.
{Journal des Beaux- Arts .)
Société des Sciences , des Arts et des Lettres du Hainaut. — Concours de 1882. — Littérature. — I. Une ou plusieurs pièces comprenant au moins cent vers sur un ou plusieurs sujets laissés au choix de l'auteur.
IL Une nouvelle en prose.
III. Une pièce de théâtre.
IV. Une histoire de la poésie française en Belgique depuis 1830.
V. Biographie d'un homme remarquable par ses talents ou par les services qu'il a rendus et appartenant au Hainaut.
VI. Beaux-Arts. Une étude sur les monuments funéraires du Hainaut antérieurs au XIX® siècle.
VIL Essai sur l'histoire des arts du dessin dans le Hainaut depuis le règne de Marie-Thérèse jusqu'à nos jours.
VIII. Histoire. Écrire l'histoire d'une des anciennes ville du Hainaut, excepté Soignies, Péruwelz, Saint-Ghislain , Enghien, Beaumont, Fontaine-l'Evêque et Binche.
IX. Enseignement. De la part à faire à l'étude des langues an- ciennes et à celle des langues modernes dans l'enseignement.
Le prix pour chacun de ces sujets est une médaille d'or. Les Mémoires devront être remis franco, avant le 31 déc. 1882, chez M. le Président de la Société, rue du Grand Quiévroy, à Mons.
I IlER\X)ORE LIOHT l'.E.ORAVÊ JoNCIIEEkFR;\NCHOY;5 VA WYCÎIin'\'S SCFIILGNAI^E IN SYNE TYT GHEWEESTHEH RENDE MAN VAAX^APENE EN ReNDVENDELE OF GVYDÔ VANDE RENDE VA ORDÔNAN VAN MARQ}'Ye(VÂN WRE WERE VA REVERE
'i< Trésorier van groote caste ele va Ghedt Capitein va een ve;ndele
KNECHTE InT JaER- 1566JECI1E^ DE HERETICQ}'E REBELLE VAN CoN:MA""
endaernaerCap"'en lievtn xvvhet vende l Colonnel van Grave van
ROFA'X GOVVERNEVR \^ VLAI:N >< EN COLONNEL VAN IV VENDELE DER BVRGHELICKE WACHTE TE DIESTE VA GoD,DE HELIGHE KERCKE Co Ma"^^" ^ EN SYNE STADT \^ CTHENDT, DIE OVERLEET DE XIIl'^ J ANNEV^- ARY l-ÎOO, EN lONCVI^MARYE VAN POLLYNCHOVE FMol^ DANEELS SVOOR^''^^ lO'> FRANCHOYS VC'ETTELU;KE MVVS^VR DIE (WERLEET DE XVHlf IVLY • 1 fS f . ■^ BIDT \'()OR DK ZIELEN.
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>S(centVuk,lK.V,in5eVvvcfC-"iJ-?etvt, fl'^ru.Qqe
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CUIVRE FUNÉRAIRE
DE
FRANÇOIS VAN WYCHHUUS,
A SAINT-BAYON.
Ce monument est le seul de ce genre qui se trouve encore dans les églises de Gand , grâce sans doute à sa position dans le coin obscur de la chapelle de Sainte- Anne, lieu de baptême de Charles V.
Le mauvais goût du XVIIP siècle transforma cet oratoire en entrée latérale, mais les fabriciens actuels, mieux inspirés, lui ont rendu en partie son caractère religieux en j rétablissant les fonts baptismaux transférés le 17 janvier 1766 dans la chapelle de N.-D. des VII Douleurs. Celle-ci fut également changée plus tard en entrée latérale au côté sud du grand portail.
Le cuivre funéraire dont nous voulons parler est en laiton et mesure 0'",99 sur 0'",62. La partie supérieure forme un tympan arrondi, accolé en doucine au champ principal, d'après la forme des
17
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panneaux peints ou sculptés de la renaissance flamande. La lame est encadrée dans une bordure eu pierre de taille, large de 0'",11 avec une saillie moulurée de 0™,07. D'après le caractère de l'épo- que, le bas est taillé en biseau avec une projection de 0-'\16. La planche ci-jointe reproduit le dessin que nous avons tracé en réduisant les proportions à Téclielle de 0"',02 par décimètre.
Déjà au XY^ siècle la famille van AVychhuus était l'une des plus anciennes et des -pins consi- dérées de la Flandre. Vers 1415 Marguerite van Wj^cliliuus épousa Jean van der Dilft, dont le fils François fut père de Jean van der Dilft , bourg- mestre d'Anvers en 1498 *.
Jean I van "Wychliuus eut pour mère une van den Driessclie et épousa en troisièmes noces Jossine de Crâne, fille de Nicolas et d'Adrienne Goetgliebuer ^ Jossine mourut le 5 mars 1553. Elle donna le jour à Jean II, mari d'Anne Tayaert, et à François.
Celui-ci vint au monde vers 1520. Il épousa Marie van Pollynchove, née le 25 février 1528, veuve depuis le 26 novembre 1547 de Nicolas Bave , gentilhomme de la maison de la reine de HongTie, gouvernante des Pays-Bas. Marie eut pour père Daniel van Pollynchove , échevin de Gand en 1555 % fils d'Adrien et de Jossine Knibbe, dit Caselberghe, et époux de N... Duriuck, fille
• Généalogie de la famille de Coloma, p. 27.
■^ Quartiers généalogiques des fatnilles nobles des Pays-Bas, Co- logne, MDCC LXXVI, p. 112.
3 Sandercs, Fland. ill., l, p. 160.
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de Pierre et de Philippine van Wyemersch ' . Ces détails expliquent la présence des quartiers figurés avec leurs émaux en couleur sur le cuiwe funé- raire de François van Wychhuus.
De sa première union Marie van Pollyncliove eut deux filles, Anne et Françoise Bave. Anne fut la première femme de Christophe van Huerne et mourut le 21 décembre 1580, à lage de trente- cinq ans, laissant trois enfants morts sans alliance. Françoise épousa le 6 août 1577 Nicolas Ballet, grand- bailli de la ville et châtellenie de Warneton. Leur fils , Emmanuel , fut la souche des branches Ballet, de Thiennes et van der Meere, qui brillè- rent pendant trois siècles parmi les familles patri- ciennes d'Audenarde et de Gand -.
Du mariage de François van "Wychhuus avec Marie van Pollyncliove naquirent trois filles et neuf fils. L'un de ceux-ci, officier dans la com- pagnie de son père, fut tué à Gand, le 22 juillet 1573, par un de ses cousins, dans une querelle soulevée à un repas de funérailles \ Trois au- tres fils décédèrent au service du roi, et pour cette raison ils sont représentés avec leur père et leur frère en costume guerrier. Les cinq autres moururent avant leur mère, qui descendit dans la tombe le 17 juillet 1585, à Tâge de cinquante- sept ans et 5 mois.
Des trois filles que Marie procréa dans sa der- nière union, l'aînée, Marguerite, épousa le 9 novem-
* Quartiers généalogiques, p. 28.
"^ Hellin, Supplément généalogique, pp. 197 et suiv.
^ Ph. de Kempenare, Dagregister, p. 117.
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bre 1589 messire Robert. Masclielier. La seconde, Marie, épousa le gentillioinme X... Latitens, dont le fils Nicolas eut de sa femme, Polyxène Ramiè- res, Guillaume François Lautens, qui embrassa l'état ecclésiastique, obtint le grade de licencié en théologie et devint successivement curé de Wes- trem-Saint-Denis , curé de Saint- Michel le 7 dé- cembre 1694 et chanoine gradué de Saint-Bavon le 6 septembre 1697. Ce digne prêtre mourut le 14 novembre 1717 et fut enterré dans la chapelle de Sainte- Anne, auprès de son bisaieul François van Wychhuus ' .
La cadette des filles de ce dernier, Antoinette, prit le voile dans l'abbaye de Zwyveke, à Ter- monde. Par respect pour sa sainte vocation, elle occupe sur le cuivre funéraire la place d'honneur, immédiatement à la droite de sa mère.
François van Wychhuus fut l'un des principaux chefs du parti catholique et royaliste en Flandre. Il débuta par le grade d'enseigne dans la bande d'ordonnance du marquis de la Verre, seigneur de Bevere. Investi de la confiance illimitée du comte de RoeuLx, dont il fut l'un des meilleurs officiers, il se vit préposé à la garde du trésor du château de Gand. Nommé le 23 août 1566, par le magistrat catholique, l'un des quatre capitaines des milices bourgeoises levées pour réprimer les excès des Iconoclastes, il remplit ce poste périlleux avec bravom^e et énergie , sans interruption pendant douze ans , jusqu'au règne éphémère du trop
' Hellin, Hist. chronol., p. 321.
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fameux Premier^ de Go,nd , Jean van Hembyze. Dans l 'entretemps François joignit à son comman- dement la dignité d'échevin de la Keure en 1568 et en 1571, par le choix dn sire de Noircarmes et des antres commissaires du duc d'xVlbe. La bande de van "S^Vclihuns se distingua, non seulement par la répression des émeutes à l'intérieur de la ville, mais encore par son ardeur à poursuivre les Gueux de mer sur tout le littoral de la Flandre, depuis Assenede jusqu'à Anvers .
Lors du coup d'état de van Hembyze qui opéra, le 28 octobre 1577, rarrestation du duc d'Arschot, du conseiller Jacques Hessels, d'Arthur de Ghis- telles et des évêques d'Ypres et de Bruges, les sicaires du sire de Ryhove recherchèrent ardem- ment le capitaine gantois et parvinrent à arrêter l'un de ses fils, probablement François dit le Jeune pour le distinguer de son digne père. Ce dernier tomba enfin entre les mains des Gueux et fut amené à Gand avec le curé de Melle, le procureur général De Cock et plusieurs autres notabilités catholiques. Son beau-frère, le capitaine Baele, vint partager sa captivité le 15 mars 1578.
Relâché après une longue et dure incarcération, notre héros ne perdit pas courage. Le 10 mars 1579, les partisans de Ryhove et van Hembyze, au mépris de la foi jurée, se jetèrent , l'épée nue à la main, au milieu des ofîices, dans les églises catho- liques, blessèrent et dispersèrent les fidèles, pillè- rent le peu d'ornements échappés aux ravages antérieurs, profanèrent les tombes et les autels, brisèrent les sculptures et traînèrent aux postes
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du IMarclié aux Grains et de la place du Vendredi les débris des l)oiseries , pour les livrer aux flammes.
A la vue de ces excès sacrilèges , François van Wycliliuus ne put contenir son indignation et, engagea vivement les assistans à réprimer la force par la force. Nous sommes dix contre iin, s'écria-t-il ; à moi, Catholiques, nous repousserons aisément nos agresseurs! La voix du vaillant capitaine fut peu écoutée. Comme presque tou- jours , l'audace du mal triompha du droit et du nombre. Autour de van Wyclihuus s'étaient grou- pés les anciens échevins Philippe de Gruutere, Jean de Bette, Josse Triest, Pierre Cortewyle et Pierre de Vos avec quelques notables. Tous furent arrêtés et traînés en prison '. Cette captivité du- rait encore au mois de juillet 1579.
Après la réduction de la ville, l'un des premiers actes du prince de Parme fut de récompenser les services du brave cajiitaine, en le créant quatrième échevin de la Keure le 15 novembre 1584, et en le réintégrant dans le commandement de sa va- leureuse compagnie. Nous le retrouvons comme échevin de la Keure en 1588 et comme capitaine en 1590. Le noble vieillard termina, le 13 jan- vier 1599, sa carrière orageuse, mais noblement remplie au service de Dieu, de TÉglise et du roi.
Depuis le triomphe de la Croix sous Constantin, le mystère du divin Crucifié fut le sujet de prédi- lection des artistes chrétiens ; mais, surtout dans
' De Kempenare, Dagregister, p. 223.
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les Pays-Bas au XVP siècle, quand la rage des Ico- noclastes s'acharna de préférence sur les croix des jubés, des autels et des calvaires, la représentation du Sauveur mourant se multiplia sur les monu- ments funéraires, comme une protestation calme mais énergique contre les sacrilèges du temps. Antérieurement, l'image du Rédempteur en croix était souvent accompagnée de celle des deux au- tres personnes divines. Telle la Sainte Trinité fut figurée , par exemple , sur la dalle tumulaire de Gheerof de Key, décédé à Leerne-Sainte-Marie en 1353. Au XVP siècle ce symbolisme disparaît et la scène du calvaire se présente dans toute sa vérité.
Que rintention des familles en deuil embrassait plus que le souvenir des défunts, nous prouve le texte même des épitaphes de cette époque. Ainsi la famille de Vos lit placer sous le triptyque de Tautel de Saint- André , dans la crypte de Saint- Bavon, Finscription suivante :
Cette table d'autel a été dressée par damoiselle Gertrude de Vos, en mémoire et recordation de la mort et passion de Notre Seigneur et Rédempteur Jhs Christ, au devant de laquelle et au dessous le marbre de feu noble chevalier mes- sire Jean de Vos sont enterrées trois de ses filles, à sçavoir : la d^ c/amelle Gertrude, laquelle trépassa le 15 janvier 1612, et dam^^^^ Margrite de Vos, laquelle décéda le 11 d'' octo- bre 1384, et de dame Anne de Vos, femme de Messire Anthoine Triest, chevalier, seign^ de Merlebeke, Rudders- hove, etf", laquelle trépassa le 24 october 1577. Priez pour leurs âmes. Amen!
1604.
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Dans ces représentations du Calvaire, on voit sur larrière-plan le Christ en croix, tantôt seul comme sur le cuivre de van Wyclihuus, tantôt accompagné soit de sa Mère et de l'apôtre Saint- Jean, soit des patrons des défunts, comme sur le tableau mortuaire d"01ivier Van Minjau et d'Amel- berge Slanghe avec leurs 31 enfants, appendu à l'un des piliers de Tégiise de Saint-Nicolas.
Les personnes dont on rappelle le souvenir oc- cupent l'avant-plan et sont agenouillés, les hom- mes à droite, les femmes à gauche de la croix. Sur la lame de Saint-Bayon un double prie-dieu drapé est occupé par le père et la mère, dont les armoiries réunies en un losange dominent le champ de l'inscription.
Toutefois dans les groupes nombreux les parents et les plus âgés des enfants sont seuls à genoux, et derrière eux se dressent les têtes des autres défunts.
Ailleurs toute la famille joue un rôle actif dans la scène principale, x^insi dans le triptyque cité plus haut, le grand panneau figure le Calvaire, mais les volets représentent à Tintérieur le Cruci- fiement et la Descente de croix, et à l'extérieur toute la famille de Vos aidant le Christ à porter l'instrument de son supplice.
Dans d'autres monuments l'inscription s'adresse directement au visiteur, pour l'engager à méditer le mystère sanglant. Citons entr'autres le qua- train inscrit sur le monument élevé en 1606, dans la crypte de Saint Bavon, à la mémoire de Fran- çois van Lummene, gendre du fameux van Hem-
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byze, et représentant le défnnt revêtu de son armure et agenouillé devant le Sauveur en croix :
Aspice, mortalis; pro te datur hostia talis. Cur non miraris ? Morior ut non moriaris ; Testes sunt clavi, per quos tua crimina lavi, Mortem morte domo, ne moriatur homo.
Au XVII- siècle, quand la paix rendue à FÉglise eut entièreinent calmé les esprits religieux, la re- présentation de la Passion et de la mort du Christ fit place à celle de sa glorieuse Résurrection, ex- pression des espérances et des consolations d'un horizon plus serein.
A côté du cuivre tumulaire de son époux fut encastrée une lame consacrant le souvenir de Marie van Pollynchove. Outre les quartiers de PoUynchove , Knibbe , Durynck et Wyemersch , cette plaque portait en chef deux écus en losange, tous deux partis de Pollynchove, avec Bave dans le premier et Wychhuus dans le second. Entre les quartiers était gravée l'inscription suivante :
Hier licht Edele ende loeerde Joncvr.
Marie van Pollynchove,
f* Joncheer Daneels, gheselnede was van
Joi" Franclioys van Wycbhuus ,
schilcnape, ende te vooren v:ed. van Joncheer
Xiclays Bave, schilcnape,
p Joncheer Adriaen ,
die overl. den 20 Novemhris 1547, icaerhy sy hadde
Joff. Anna ende Franchoise Bave.
Ende hy Joncheer Franclioys , 5 dochters ende
9 sonen, die dese haere yieghen sonen
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overlevende, loaervan de 4 mannen vanjaeren
loesende, overleden in dienst van de
Coninckl. Majesteyt : sy stierf den i 7 hoymaent 1585.
Zy heeft geleeft 57 jaeren 4 maenden en 22 daeghen.
Bidt voor de zielen.
Enfin dans la même chapelle se voyait encore, vers le milieu du siècle dernier, un tableau funèbre, aux armoiries de Bave étant : de giieides à 6 roses cVor, posées 3, 2 et 1; au chef iV argent à 3 arbres arrachés de sinople, et timbrées à\me rose de Vécu entre un vol de gueules. En outre les quartiers de Bave, Wielant, Halewyn et Milet encadraient cette épi t avilie :
Hiervooren licht hegraven edele ende weerde
Joncheer Niclays Bave ,
schilcnape, p Joncheer Aclriaen ,
in syn leven edebnan, ende van den huyse
van de hooghgheboren ende moghende Vr.
Mevrouive Marie , Coninghinne,
Douaghiere van Hongaryen, Bohemen,
Régente ende gouvernante van de Nederlanden,
van de keyserl. Majesteit., die dese werelt
overleet den 26 novembre 1547.
Ajoutons, pour compléter ces dernières données qu'Adrien, le père de Nicolas, fut bourgmestre de Bruges et décéda le 9 juin 1538. Il avait épousé Louise de Halewyn, fille de Bernard, greffier au parlement de Paris, et de X... Milet. De ce mariage naquirent Anne Bave, mère de l'évêque Damant, et Isabelle Bave, femme de messire Jacques Martin, dont le fils Jean fut licencié en droit civil et ecclé-
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siastiqiie, et devint successivement chanoine gra- dué et chantre de Saint-Bavon. Jean Martin décéda le 11 mars 1593 et fut enterré près de son oncle Nicolas Bave, dans la môme chapelle de Sainte- Anne '. Louise de Halewyn trépassa le 25 mars 1534 et fut inhumée avec son mari à Notre-Dame de la Potterie. à Bruges '.
Le chanoine J.-B. Lavaut.
* Hellin, Hist. chroii., p. 144.
' Quartiers généalogiques, t. I, p. 28.
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LE CRIME DU SEIGNEUR DE CONDÉ.
I.
Il ne s'agit point ici d'un priuce.de la maison de Bourbon. La ville de Coudé en Hainaut, comme cela arrivait parfois sous le régime féodal, se par- tageait encore au XYI" siècle en deux fiefs : la seigneurie du château qui avait passé des Dam- pierre aux Bourbons et la seigneurie propriétaire, dite de la Feuillie, dont un certain Jean de la Hamaide, vivant en 1404, avait lié le sort à celui de sa seigneurie de Renaix. Cette dernière ville était dans le même cas que Condé. Elle -avait eu plusieurs seigneurs à la fois, à savoir : l'abbaye d'Inden, le chapitre de Saint-Hermès et les sires de Watripont; mais déjà, en 1280, Gui de Dam- pierre, comte de P'iandre, en était devenu seul et unique propriétaire. Après lui la seigneurie de Kenaix appartint successivement aux comtes de Namur, aux Bourbon-Dampierre et aux de la Hamaide. Cette dernière famille conserva cette terre, ainsi que Condé, pendant plus d'un siècle,
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Isabelle de la Hamaide, en qui s'éteignit sa race, étant morte en 1526 seulement '.
Cette noble dame avait épousé le comte Jean d'Oettingen', l'un de ces nombreux gentilshommes allemands venus en Belgique avec l'empereur Maximilien I, et qui, pour la plupart, ne regret- taient au milieu de nous ni les sites de la Forêt noire, ni les bords du Danube, ni même les trem- blants vassaux qui les attendaient là-bas. Cela ne doit pas nous étonner. Chacun de nous ne demande pas mieux que de se voir entouré de gens heureux et libres, chacun de nous préfère le luxe, la bonne chère, les plaisirs sans cesse renaissants, au morne tableau d'une commune misère , d'un commun esclavage; c'est pourquoi, à la iin du XV*" siècle, de France, d'Allemagne et d'ailleurs encore on affluait dans nos provinces ^ comme aujourd'hui on court en Amérique, et, d'habitude, on y restait, on y faisait souche.
La fille unique du comte Jean d'Oettingen et d'Isabelle de la Hamaide contribua pour sa part à cette oeuvre d'assimilation, en accordant sa main au baron Guillaume de Roggendorf, en le rendant père de deux fils et d'une fille '\ L'aîné de ces
'■ GuiCHARDiN, Description des Pays-Bas, édition de 1567, p. 352. — G. B., Recherches historiques sicr la ville de Renaix. Gand, 1856, p. 26. L'auteur de ce petit livre est M. l'abbé Gustave Battaille. — Arch. gén. de Belgique. Chambre des comptes, reg. n" 21484 et 21485.
^ L'abbé Battaille écrit Dottinghen, et ne donne aucun renseigne- ment sur le personnage.
^ Marius VoET, Manuscrits généalogiques, bibl. l'oyale de Bruxel- les, coll. Goethals. MS. n° 735, fol. 119 v".
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enfants, Christoplie, connu en France sous le nom légèrement défiguré de comte de Roquendolf, est ce seigneur de Condé dont nous voulons ici racon- ter riiistoire.
L'entreprise nous a séduit, parce que son crime, officiellement constaté, est cependant demeuré un mystère pour les contemporains. Quelques-uns en parlent, mais jamais autrement qu'à mots cou- verts. Ainsi Louis de Guicliardin se contente de nous apprendre que Christophe de Roggendorf, « pour certain dédain qu'il prit contre son prince, » se retira premièrement en Turquie, et, en après, » vint demeurer en France où, comme seigneur » valeureux et bien qualifié, il a bonne provision » et traitement du roi de France, d'autant qu'ici » se vendirent ses biens '. »
Le docte italien, qui avait passé en Belgique la moitié de sa vie, devait en savoir davantage; s'il juge à propos de pousser la prudence jusqu'à nous laisser deviner que le prince dédaigné par son vassal n'était autre que Charles-Quint, c'est qu'il résidait à Anvers quand parut, en 1567, la pre- mière édition de sa Description des Pays-Bas, et qu'en ce moment là la censure se montrait plus rigoureuse que jamais. Il était aussi dangereux de blâmer le défunt empereur ou son fils Philippe II, que de se moquer du pape ou de la Sainte-Église.
Et si Guicliardin, qui n'était certes pas un trem- bleur, a craint de se compromettre, nous ne devons pas nous étonner de posséder si peu de renseigne-
' Description des Pays-Bas, édition d'Anvers de 1567, p. 352.
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nients sur la vie intime de notre César gantois. Un Tallemant des Réaux et un Saint Simon ont man- qué à son règne. Il s'en suit que nous n'en con- naissons bien que les victoires et les revers, tandis que les lâchetés, les infamies et les faiblesses, dont la connaissance serait indispensable pour formuler un jugement définitif, nous échappent presque complètement. Cette lacune, que d'autres ont regretté avant nous, n'a pu être comblée jus- qu'ici. On a fouillé en vain les bibliothèques et les archives. M. Gachard n'a mis bien en évidence que les écarts de régime de Charles-Quint, désespé- rant ses médecins et sa bonne sœur Marie de Hongrie, et ramenant, chaque fois plus terribles, ses accès de goutte. Seul M. Bergenroth, enlevé trop tôt à la science historique, a été plus heu- reux. Il a pu établir que le trop gourmand empe- reur avait fait passer pour folle sa mère, la reine Jeanrue, et l'avait claquemurée afin d'être plus tôt, en son lieu et place, souverain d'Espagne et des Indes.
Pourrons-nous, à son exemple, mettre la main sur des documents révélateurs et raconter en quoi consistait le crime du seigneur de Condé? Peut- être. Si les archives de Bruxelles sont mieux connues et surtout mieux tenues que celles de Simancas, il s'en faut cependant de beaucoup qu'elles nous aient livré tous leurs secrets.
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ÏI.
Et tout d'abord, dans la recherche de rinconnu, s'il faut s'étonner de quelque chose, c'est du sans façon vraiment curieux avec lequel nos auteurs héraldiques ont laissé de 'côté les familles, les alliances et les personnages sur lesquels, au point de vue social, politique ou religieux, il y avait quelque chose à dire. C'était à ce qu'il paraît, leur manière de faire la cour au pouvoir, de flatter la vanité des uns, de satisfaire l'orgueil des autres. Aujourd'hui ces falsifications et ces supercheries n'ont plus de raison d'être, et la généalogie, si elle veut être prise au sérieux et justifier sa pré- tention d'être l'une des branches de la science historique, doit se hâter de réparer les brèches faites à sa réputation.
Il faut qu'elle prenne des allures sérieuses, qu'elle renonce, une fois pour toutes, à une pru- derie hors de saison, qu'elle soit enfin rien de plus ni rien de moins que l'humble servante de la vérité. Un moment, en 1865, nous avons cru que M. Jules Huyttens, qui s'était mis bravement à la tête d'une société héraldique, allait faire pour la Belgique ce que d'Hosîier avait fait pour la France, Hubner pour l'Allemagne et Dugdale pour l'An- gleterre. Il est probable que les intéressés n'au- ront pas répondu à son aj^pel, car, à notre connaissance, on n'a rien entrepris de sérieux jusqu'à présent sur le terrain héraldique. Nous en sonnnes toujours à nous demander ce que sont
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devenues ces innombrables familles belges rejetées hors du sol natal sous les règnes de Charles-Quint et de Philippe II, et aujourd'hui, par exemple, que nous nous occupons d'un comte de Roggendorf, né en Belgique, qui y a occupé des charges pu- bliques importantes, nous constatons que chez nous son nom n'est rapporté nulle part. Pas un seul de nos généalogistes des trois derniers siècles, nous parlons ici de ceux dont les travaux ont été publiés, ne daigne s'occuper de lui. Le vieux Gauhe, auteur d'un dictionnaire de la noblesse du Saint-Empire romain, est plus généreux. Il le mentionne en passant, pour dire qu'il mourut à la fleur de l'âge '. C'est une erreur. Christophe de Roggendorf a fourni une longue et brillante car- rière. Il survit de plus d'un quart de siècle à son père, tué par les Turcs en 1541. Ce dernier mérite à tous égards une mention spéciale. Il accompagne en 1501 l'archiduc Philippe le Beau et l'infante Jeanne d'Aragon en Espagne en qualité d'écuyer tranchant, et il retourne avec eux clans ce pays en 1506 comme chambellan à quarante-huit sous '\ D'aussi modestes débuts ne l'empêchent point de faire rapidement son chemin à la cour. Marguerite de Savoie est à peine installée comme gouver- nante générale des Pays-Bas, qu'elle lui donne la lieutenance de la Frise. Son énergie et son cou- rage conservèrent cette province à Charles-Quint.
• Des heyliclien roemischen Reichs genealogisch historischen Adels- Lexicon, 2t«'" Theil. Leipzig, 1747, p. 966.
' Gachard, Collection des l'oyagss des souverahis des Pays-Bas. Bruxelles, 1876, t. I, pp. 147-350.
18
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Quand, en 1518, il renonça à ce commandement, quelle fut sa récompense? Les chiffres ont ici leur éloquence habituelle. Guillaume de Roggendorf reçoit une gratification de 2000 livres de 40 gros, monnaie de Flandre, qui le rembourse à peine de ses dépenses extraordinaii^es '. Par contre les honneurs lui arrivent. Il est nommé gouverneur du jeune roi Ferdinand, le frère de Charles-Quint. Ces nouvelles fonctions , lui convenant peu , ne Fempêchent pas d'aller guerroyer à cœur joie en Gueldre, en France et en Espagne. Il passe géné- ral en chef, devient capitaine des gardes du corps, chevalier de Calatrava et vice-roi de Catalogne. Un jour, l'invasion des Turcs en Allemagne lui fait abandonner tout cela ; à la voix de son ancien élève, le roi Ferdinand de Bohême, il court dé- fendre Tienne contre les Turcs, repousse ceux-ci, et trouve un glorieux trépas en voulant les chasser de la forteresse d'Ofen en Hongrie 2. Il était en ce moment là conseiller intime de guerre, général feld-maréchal et grand-maître héréditaire de la cour d'Autriche. Le roi Ferdinand, plus recon- naissant que Charles-Quint, avait obtenu en sa faveur de son frère Térection de sa terre de Gun- terstorf en comté. Comme ses titres et biens reve- naient par droit d'aînesse à notre personnage, celui-ci s'appela dès lors comte de Roggendorf. Quant à sa charge de grand-maître de la cour de
' Gachard, Rapport sur les archives de Lille. Bi'uxelles, 1841, p. 310.
« HùBNER, Historia politica, v. \X , 869.
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Vienne, il la transmit à son frère, le sire de ]\Iellenbourg et à ses descendants. Elle passa en 1620 aux Trautsohn.
m.
On n'était pas, dans ce temps là, impunément un grand seigneur. Christophe de Roggendorf sut bientôt ce qu'il en coûtait d'être à la fois comte de Gunterstorf et baron de Condë et de" Eenaix, et capitaine de la garde allemande. Il était de toutes les fêtes de la cour de Bruxelles, de tous les voyages, de toutes les guerres de Charles- Quint; c'est assez dire que, loin de pouvoir refaire sa fortune, il dut Tébrêcher chaque jour davan- tage. Cette vie haletante, sans répit et sans com- pensation d'aucune sorte, fut longtemps sans lui arracher ni plainte ni murmure. A la fin cepen- dant, harcelé par ses créanciers, il eut recours au remède ordinaire des gens de sa classe. Etant veuf de Jossine de Jauche, dame de Mastaing et de Masmines, il songea à se remarier'. Ce fut sur Marie de Rubempré, douairière de Noircarmes, qu'il jeta les yeux, un peu parce qu'elle était sa cousine, beaucoup parce qu'elle était fortunée et bien en cour. Il fut agréé par la raison que, de son côté, la douau'ière de Noircarmes cherchait à conclure une bonne affaire; elle avait des fils,
» Bibl. royale de Bruxelles, coll. Goetlials, MSS. n° 735. Marius Voet cite Vinchaut p 218 et De Rouck p. 271, auxquels uous ren- voyons le lecteur.
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tandis que Roggendorf n'avait qu'une fille mariée au baron d'Oettingen.
Elle commença ])Rr avancer de Targent à son mari; elle lui en fit donner par sa mère, la douai- rière de Bièvres, puis, un beau jour, ces deux femmes prétendirent que Roggendorf les avait ruinées, et firent si bien que, Cliarles-Quint étant intervenu, fit pencher la balance de la justice en leur faveur *.
C'était assez dans son habitude quand l'intérêt de sa politique le lui commandait, mais ici il doit y avoir eu autre chose. Peut-être une intrigue amoureuse, la goutte qui tourmentait l'empereur lui laissant souvent quelques mois de répit qu'il utilisait alors de son mieux. C'est du moins ce qu'il nous semble résulter du rapport qu'en fait au roi Henri II, d'Aramont, son ambassadeur en Turquie ^
» La douairière de Bièvres, dout il est ici question, doit être Anne de Montenacken, veuve de Charles de Rubempré, seigneur de Biè- vres. Elle avait été dame d'atours de Jeanne la Folle. Quand Rog- gendorf eut prit la fuite, elle se lit délivrer, de concert avec sa fille, les bijoux que le comte avait déposés en garantie chez un banquier anversois. En voici la preuve authentique : « Moi, Guillaume Ogier, .) prebstre et ehappelain de M™" la comtesse de Roggendorff, con- » fesse avoir receu les pièches contenues au blanccj de ceste selon » deux lettres missives , l'une de Madame de Bièvres en date du .) 24 septembre 1545 et l'aultre de Madame la comtesse de Roggen- » dorff, escript à Lazarus Tucher pour la mesme cause, lesquelles » luy promets rapporter endedens deux mois prochain venant. Tos- » moing mon cygne ('y mis le xxvi de septembre (pie dessus (Signé) .) Guillaume Ogier. » (V. Archiv. gén. de Belg. Chambre des comp- tes, reg. n° 21485.)
Cette saisie est postérieure à la décision des tribunaux en faveur des deux dames et a sans doute pour but de prouver que le comte a disposé de bijoux qu'il ne lui appartenaient pas.
2 G. RimEB, Lettres et mémoires d'estat. Paris, 1867, t. 11, p. 14.
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Ce diplomate a rencontré à Venise notre per- sonnage, qui ne lui cache pas qu'ayant été dé- pouillé j)ar Tenipereur au profit de sa femme, avec laquelle il ne s'accordait guère, il a résolu, dans son désespoir, d'offrir son épée au Grand Seigneur, comme à l'ennemi le plus irréconciliable de son ancieu maître. Or, le comte Roggendorf, comme nous le prouverons, tenant peu à l'argent, ce doit avoir été le soin de son honneur qui Ta poussé à embrasser un parti désespéré. Le connétable de Montmorency, son ami de vieille date, écrit de son côté à d'Aramont pour avoir de ses nouvelles. Nous entrons ici en plein roman. Roggendorf s'est rendu de Venise à Raguse, alors au pouvoir des Turcs. Comme il n'y reçoit point de réponse à ses offres de service, il va droit à Constantinople.
Soliman le Grand, se dit-il sans doute, ne peut manquer de bien accueilhr le fils du général im- périal qui lui a infligé les plus cruels revers. En cela il se trompe, le Sultan, en vieillissant, a si bien perdu cette ardeur, qui le poussait à vouloir réduire le monde entier sous sa loi, qu'au moment où Roggendorf débarquait à Constantinople, il venait de signer une trêve avec Charles-Quint. Xotre personnage comprend qu'il n'a plus rien à espérer; il annonce en conséquence à l'ambassa- deur de France que, fatigué de se voir pressé tous les jours de se faire mahométan, il est résolu de s'éloigner aussi secrètement que possible. Il s'em- barque pour Marseille, mais son navire est pris X3ar des corsaires, et il est ramené chargé de chaînes à Constantinople, où, plus malheureux
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que jamais . il n"a d'autre alternative que de changer de religion ou de perdre la vie.
Le comte d'Aramont intervient en sa faveur '. (( Pour ne laisser un personnage de telle qualité )^ en si grand danger pour la bonne volonté que » j'avois connu qu'il portoit au service du Roy, » écrit-il le 27 février 1548 à Montmorency, « j"ai )) prins la hardiesse de requérir sa vie et déli- » vrance au Grand Seigneur de la part du Roy, )) pensant certainement qu'il ne lui déplairoil pas » que son nom et faveur eust préservé ledict comte » de ce danger. Et ayant led. Grand Seigneur » accordé sa déli^Tance à la requeste du Roy, » après luy avoir ordonné de Taller remerchier, » j'ay bien voulu luy donner les moyens de ce » faire. Et pour ce, Monseigneur, qu'il a^ous plaira » entendre par luy le désir qu"il a d'estre employé » au service du Roy, et le moyen qu'il peult avoir » de luy estre utile, il ne m'a semblé le devoir » accompaigner d'autre particulière recomman- » dation auprez de vous, estant personnaige de » soy-mesme recommandable. »
Deux mois lAws tard Roggendorf arrive à la cour d'Henri II. Il y est reçu non comme un fugi- tif, mais comme un ami attendu. Charles-Quint en éprouve un dépit si vif qu'il charge Saint-Mauris, son ambassadeur près de la cour de France, « de protester au nom de la paix de Cresp}' contre les honneurs rendus à son sujet fugitif qui a offensé la ckrétienté toute entière '. »
' GuiLL. RiBiER, ouvrage cité, t. II. p. 125.
^ Arch. gén. de Belgique. Amlience. Liasse ii" 39. Miuute de la
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IV.
Cet ordre de Tempereur nous apprend enfin de quelle nature est le crime du sire de Condé. Il est accusé d'avoir renié la foi de ses pères, et cette accusation nullement fondée, ainsi que nous le savons déjà, suffit au conseil privé des Pays-Bas pour déclarer exécutoire à bref délai la sentence de banissement perpétuel, de dégradation et de confiscation mobilière et immobilière , portée contre lui le 6 mai 1547 '.
Un ancien page de Roggendorf, Guillaume Mangart, qui s'intitule chanoine de Condé, assiste plein d'indignation à cette oeuvre de pillage. Comme nous croj^ons que ce serait gâter son récit de clierclier à en rajeunir les termes, nous le rap- portons ici mot à mot :
<( Monseigneur, » écrit-il à son ancien maître le 22 juin 1548, <■<. ung bruit a couru ici que si » on scavoit aulcun qui allasse ou escripvisse » vers vostre seigneurie, qu il en seroit grande- » ment reprins , néantmoins , veu la lettre de )) vostre seigneurie, nay voulu laisser de vous » escripre ceste, et que plus est, si n'eusse craint )» avoir aucunes fasclieries, je me fusse trouvé
lettre de Charles-Quint à Saiut-Mauris , datée de Bi-uxelles le 31 mai 1548.
' Cette sentence, qu'il eut été si important de connaître, ne se retrouve pas à Bruxelles. M. Dehaisne , conservateur des archives départementales du Nord, a bien voulu nous faire savoir qu'elle ne se rencontrait pas non plus dans le dépôt confié à ses soins.
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passé six semaines ou uiig mois en France pour vous advertir de ce qui s'est passé et passe journellement.
» Quant aux nouvelles, il en a tant de vieilles que de nouvelles qui se font et disent tous les jours que j'en ay horreur de ley voir et les ouyr, de la honte qu'on vous a fait en vostre absence d'avoir emmené vos meubles et vendu public- quement, n'ayant riens laissé en la maison jusqu'à détacher les fenestre de la feuillie. Ce m'estoit, Monseigneur, un gros regret de veoir passer telles choses, mesme aussy des parolles que plusieurs gens ont mis dehors à vostre dés- honneur, ce que pense bien vostre seigneurie en estre advertie. Et si je pouvois estre vers vous, j'en dirois beaucoup plus que n'en scauroye escripre. Monseigneur, j'ay est bien dolent après avoir entendu la fortune vous avoir esté si con- traire, combien que, avant icelle seue, l'on tenoit vostre seigneurie pour mort, disant qu'es- tiez exécuté honteusement, mais je ne le voulus jamais croire, et ay tousjours soustenu le con- traire aiant tousjours fiance en Dieu qu'ainsy n'estoit, car il paroit que Dieu a exaucé les prières de vos bons serviteurs comme je suis tenu de faire tant que je vive, et tout ce qui sest passé l'a esté à la grande poursuyte de Madame, comme aucuns personnaiges p)euvent vous avoir escript plus au long ' . )>
' Arch. gén. de Belgique. Audience. Liasse ii" 39* Lettre origi- nale, de Condé le 22 juin ]5i8.
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Voici donc un prêtre qui, au risque de se com- promettre, déclare que la comtesse de Roggendorf , non contente d'avoir ruiné son mari, répand de faux \)i'uits sur son compte, clierche à lui causer de nouveaux ennuis.
Est-ce qu'elle s'en défend au moins? Pas le moins du monde. Nous n'avons rencontré qu'une seule lettre d'elle, mais une lettre qui la condamne et que, probablement pour ce motif, Philippe de Croy, duc d'Arscliot et grand bailli du Hainaut, cà qui elle était adressée, envoya à Marie de Hon- grie, gouvernante des Pays-Bas '. La comtesse de Roggendorf prétend (c qu'elle n'a jamais su à quoi attribuer le départ clandestin de son mari. » Elle suppose toutefois que des faux amis l'auront poussé à ce coup de tête en lui disant du mal d'elle et en lui persuadant qu« l'empereur aurait dû le distinguer davantage. Elle dénonce enfin le sire d'Aimeries pour avoir déclaré qu'il donnerait bien dix mille florins pour faire revenir le comte de Turquie. Ce gentilhomme s'en vanta. D'autres amis de notre personnage font aussi bonne conte- nance. Le chanoine Mangart, de Condé, appelé à déposer, le 5 juillet 1548, par devant M'' Viglius, conseiller d'état, se distingue entre tous. Il parle comme il écrit. A la question : « Savez-vous pour- quoi le comte s'est mis au service du roi de France? » Il répond : « Pour se venger du trai- tement cruel qu'il a dû subir en Turquie », ce
» Arch. géiiér. de Celgiquc. Aiulieuce. Liasse u" 30. Lettre origi- nale, sans date.
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qui était accuser indirectement l'ambassadeur de Charles-Quint d'avoir provoqué ces rigueurs.
A la question : « Croyez-vous que ledit comte a été justement condamné à la confiscation de ses biens comme rebelle à l'empereur et comme ennemi de la foi? » IMangart répond : « Je ne sais; la sentence n'a pas été publiée h Coudé », ce qui signifie, nous semble-t-il, que le doute est permis toutes les fois que l'usage n'est pas observé. Tout dans ce procès politique est étrange. C'est au mois d'avril 1545 que Roggendorf quitte brusquement la Belgique, et ce n'est qu'au bout de trois ans qu'on saisit ses meubles, qu'on met ses propriétés en vente. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps? Était-ce parce que le comte, qu'on avait supposé mort ou disparu à jamais, venait de reparaître à la cour de P'rance, ou bien parce que ceux, qui avaient eu intérêt à le pousser à un acte de folie, craignaient maintenant son retour? Dans tous les cas cette crainte était chimérique. Sa haine contre l'empereur et contre la comtesse, sa femme, était si vive qu'il n'avait -pas même réfléchi que se battre contre l'Espagne, c'était se battre contre son pays natal, ses anciens compagnons d'armes, ses amis et ses serviteurs. A part cela, sa conscience était droite, sans reproche, son cœur tendre et compatissant.
Le crime qu'on lui impute, pour lequel, dit-on, on le dépouille de ses biens, emplois, charges et privilèges, pour lequel on le déclare déchu de sa noblesse, n'existait pas avant qu'on l'eût trompé et ruiné. C'est la sœur de Charles-Quint elle-même, c'est la reine Marie de Hongrie qui l'affirme.
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Roggendorf avait écrit de Eatifbonne et de Venise à ses anciens servitenrs de venir le re- joindre'. L\m d'eux, son page Mangart, fait le voyage de Venise, mais ses scrupules religieux sont plus vifs que son attachement pour son maître, et il rentre en Belgique pour ne point vivre au milieu des infidèles; en outre, Etienne de Mesmay, son secrétaire, se contente de lui mander de Condé, le 12 juillet 1545, que, s'il ne peut se mettre en route, c'est faute d'argent, et il ajoute : « Par lettre commune de nous tous , » composée par le bailly de Renaix, entendrez ce » qui s'est ici démené depuis vostre absence, dont » de tout ce n'eust esté rien sans votre absence, » laquelle a esté regrettée par maints bons per- » sonnaiges vos amyz ; mesme la Royne en a esté i> bien marrye et esl)ahie, pourquoy c'est que » ainsy vous estes absenté, disant que n'aviez » occasion de craindre, puisque n'avez en rien » offensé ni commis homicide ni crime de lèse » majesté, et que, si fussiez venu vers elle, elle )) eust redressé toutes choses mal entendues si » bien qu'eussiez eu contentement \ »
Certes, Marie de Hongrie était une maîtresse femme, d'un esprit merveilleusement fertile en
' Arch. géu. de Belgique. Audience. Liasse n" 39. La lettre de Roggendorf du 2 mai 1546 est très lisiblement datée de Reconfort. Ce nom de lieu francisé ne peut être que Regensbourg, nom allemand de Ratisbonne, ou celui d'un château situé sur les bords de la Regen, l'un des affluents du Danube. On a le choix. Notie supposition se base à la fois sur l'itinéraire de notre personnage et sur les bizarre- ries ordinaires de la prononciation et de l'orthographe du XVI' siècle.
^ Arch. gén. de Belgique. Audience. Liaase n» 'àd. Copie.
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expédients, mais il est douteux que dans le cas du comte de Roggendorf elle eût trouvé le moyen de rétablir la paix de son ménage et Tordre dans ses finances, car pour cela elle aurait dû entrer en lutte avec Charles-Quint, le forcer de convenir de ses fautes et de délier les cordons de sa bourse, deux choses que ceux, qui approchaient journelle- ment l'empereur, savaient être aussi difficiles l'une que l'autre. Il s'en suivit que la reine Marie s'en tint aux paroles de regret sympathique que nous avons rapportées. Celles-ci n'en sont pas moins d'une grande importance. Elles nous disent que les sujets de plainte que notre personnage avait contre l'empereur étaient bien loin d'être de noto- riété publique, puisque la gouvernante générale des Pays-Bas elle-même n'en était informée que d'une façon incomplète. 11 s'en suit qu'il aurait pu dissimuler, essayer de se résigner; il préféra une lutte loyale, une vengeance à ciel ouvert.
Faut-il l'en blâmer? Nous ne pouvons nous y résoudre, ne connaissant pas beaucoup mieux que la reine de Hongrie l'étendue de l'offense. C'est pourquoi nous nous contentons de dire que c'est toujours beau, toujours louable de ne point cour- ber le front sous Ja loi du plus fort, de protester hautement contre tout acte d'ingratitude ou d'ava- rice sordide, de tenter l'impossible pour laver une injure. Le respect de soi-même est à ce prix. Ainsi quand même on viendrait, par après, nous dé- montrer que Charles-Quint n'a fait autre chose que mettre par sa faute le pauvre Roggendorf dans la situation de ne pouvoir acquitter ses dettes,
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nous n'en verrions pas moins là une excuse suffi- sante à un acte de désespoir. Qu'on aille au fond de toutes les révoltes des vassaux de Charles- Quint, les grands comme les petits, les ducs de Gueldre ou de Clèves, comme les Brandebourg, les la Marck et les Furstenberg, on verra toujours que les premiers torts ne sont pas de leur côté. La politique intérieure de Charles-Quint a res- semblé de trop près à celle de Louis XI, roi de France, pour ne point faire comme celle-ci, et avec un succès moindre, il faut bien Tavouer, beaucoup de mécontents et énormément de victimes.
V.
Nous connaissoiis les états de service du père de notre personnage. Les siens méritent également d'être rapportés. Il combat les Maures en Espagne, les Turcs en Hongrie, les Français en Picardie, en Champagne et en Lorraine. En 1543, à l'époque de son malencontreux mariage avec Marie de Rubempré, il est capitaine de la garde allemande de l'empereur et chef d'une bande ménagère de cent cinquante hommes à cheval'. C'est en cette double qualité qu'il fait en 1543 la campagne du Luxembourg et en 1544 celle de Saint-Dizier ; il se distingue en plusieurs rencontres, et, loin d'en retirer honneur ou profit, il ne parvient pas même
' Archives gén. de Belgique. Audience. Dépêches de guerre, vol. 3G7, fol. 69. La patente impériale créant une nouvelle bande ménagère en faveur de Christophe de Roggendorf, seigneur de Condé, egt datée de Bruxelles le 22 novembre 1542.
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à être payé de ses débours et de ses avances. Nos grands seigneurs des Pays-Bas sont tous dans le même cas, ils ne se font pas faute de s'en plaindre. Le prince d'Orange, entre autres, nous raconte dans sa justification que son traitement de général sous Cliarles-Quint était à tel point dérisoire, qu'il lui suffisait à peine pour payer les serviteurs qui dressaient ses tentes. Dans de telles condi- tions si une guerre se prolongeait, elle devenait forcément ruineuse pour les officiers qui y pre- naient part.
Quand Eoggendorf était en campagne ou en garnison, il n'avait droit, comme chef de bande, pour lui et ses deux pages, qu'à soixante Carolus d'or par mois et devait avoir huit chevaux, comp- tés à raison de onze Carolus d'or par mois et jjar cheval. Ses chevaux l'emportaient donc sur lui et ses pages de vingt-deux Carolus. A cette absurdité venaient s'en joindre d'autres. Il était responsable de la solde de ses gens , de leur conduite et de leur équipement. Un jour, à Soissons, il fit pendre deux de ses soldats pour avoir volé un ciboire, et sa sévérité fut grandement applaudie. Il n'y avait que les subsistances dont les généraux de Charles- Quint n'eussent pas à se préoccuper. Eoggendorf disait sans doute comme ses pareils : celui qui n'a pas assez dïntelligence pour se tirer d'affaire, n'est pas digne d'être soldat; qu'il aille au diable. Mais alors pourquoi j^endait-on les voleurs? C'était sans doute pour punir les maladroits. Notre per- sonnage cependant était fort aimé de ses subor- donnés. Cela s'explique. 11 n'agissait pas comme
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tout le monde. On le vit rentrer à Condé, la cam- pagne de France terminée, traînant derrière lui ses malades et ses blessés.
On ne connaissait point dans ce temps là les hôpitaux militaires, et cela par la bonne raison que Ton ne faisait encore qu'ébaucher Torganisa- tion des armées permanentes telles que nous les connaissons. Les lettres patentes de Charles-Quint disent tout simplement : « Quand nous ne vou- » drons plus entretenir nos gens aux champs ni en » garnison, et qu'ils auront reçu de quoi se reti- nt rer en leurs maisons, leurs gages cesseront '. » Donc, tant pis pour ceux qui sont malades ou estropiés. Le XVI- siècle n'admet pas les invalides. Le comte de Roggendorf est plus humain. Il charge Tun des plus pauvres bourgeois de Condé, un certain Jean Mansart, de soigner dans sa mai- son ses compagnons d'armes éclopés. Ce brave homme s'en acquitte de son mieux, et, pour sa récompense, ce n'est qu'au bout de quatre ans de démarches, en 154:9, qu'il est remboursé de ses frais, se montant à cent treize livres monnaie de Flandre K Cet argent ne provient pas, ainsi qu'on pourrait le croire, de la trésorerie de guerre de remj)ereur, il est pris sur le bénéfice revenant au souverain dans la confiscation des biens meubles et immeubles du comte Christophe. Ce fait, que nous avons rencontré par hasard, nous seml3le
'- Arch. géu. de Belgique. Audience. Dépêches de guerre. Reg. n^' 367, fol. 50.
^ Arch. gén. de Belsiique. Chambre des comptes. Reg. n° 21485, fol. 89.
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éclairer crime vive clarté le manque d'ordre, de prévo3^ance, d'humanité et de justice des gouver- nements du bon vieux temps.
Tous ils se ressemblaient. Le régime bour- guignon, encore debout dans nos contrées sous le règne de Charles-Quint, n'était ni meilleur ni pire que celui des autres pays. Si cependant nous voyons qu'à cette époque en Belgique on proteste avec plus d'énergie qu'ailleurs, cela tient au carac- tère national, à notre esprit communal, à nos habitudes de franchise, à notre éternel besoin de liberté. Sous ce rapport nos gentilhommes diffé- raient peu de nos bons bourgeois. Les chevaliers de Tordre de la Toison d'or sont leurs avocats ordinaires. Nous les voyons à la cour de la gou- vernante Marie de Hongrie tenir un langage d'une licence extraordinaire. L'empereur marche à sa perte ; il ne veut point qu'on le lui dise, mais eux ils ne cesseront de le répéter, car le paj^s n'en peut plus, car leur ruine à tous est imminente. C'est le prélude de notre révolution de 1566. On ne peut leur fermer la bouche, couverts qu'ils sont par leurs privilèges, on ne peut non plus les chasser du Conseil d'état, mais on se prive autant que possible de leur concours à l'armée et dans les ambassades. La confiance de l'empereuur va aux aventuriers espagnols, italiens et bourguignons. Si Koggendorf, malheureux en ménage, à bout de ressources et d'expérience, quitte la partie, les autres demeurent.
Le comte de Boussu élève la voix en leur nom. Il est général en chef, le duc d'Albe lui est pré-
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féré pour commander en 1552 1" armée impériale devant Metz, et il proteste en ces termes : « Comme » il ne faut point d'autre capitaine général que le » duc d'Albe, on pourroit bien économiser une » foule de hauts officiers de par deçà, et je suis du » nombre de ceux qui ne tiennent pas à dépenser » inutilement leur argent '. » Seize ans plus tard, tandis que Roggendorf joue un rôle important à la cour de France, les grands -seigneurs de Belgique, qui ont protesté contre un régime de défiance et d'exploitation à outrance, sont pour la plupart ruinés. Quelques-uns ont fui leur patrie, quelques autres ont porté leur tète sur Técliafaud. Ces derniers on les a grandis depuis outre mesure ; on en a fait des martyrs de nos libertés publiques, on leur a dressé des statues. Notre Roggendorf, en sa qualité de déserteur bien avisé, n'aura jamais la sienne, et cependant, en y regardant de près, en tenant un compte exact des cii'constances et des caractères, il serait injuste de dire qu'il valait moins qu'eux. Que disait-il en 1545 en se rendant à Constantinople? Plutôt turc qu'esclave sous Charles-Quint. Et que disaient nos nobles et nos bourgeois de 1566? Plutôt turcs que sujets de PhilijDpe II et du pape. Les deux cris se valent.
VI.
On sait que l'alliance des Turcs n'empêcha point François I de traquer avec zèle les protestants de
* Arch. gén. de Belgique. Lettres des seigneurs, vol. VII, fol. 382.
19
Lettre à la reine Marie. Orig
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son royaume ; elle ne gêna pas davantage le comte de Roggendorf. Il continua d'aller à la messe, de se croire et de se dire un parfait chrétien. Il passa constamment pour tel à la cour de France, tandis qu'à Bruxelles, à la suite d'une procédure qui est restée un mystère, le Conseil privé de l'empereur l'avait mis hors la loi comme apostat. La passion politique a de tout temps donné lieu à de pareilles contradictions. La reine Marie de Hongrie elle- même n'y échappe point. Elle condamna en 1548 Roggendorf, en qui elle n'avait vu trois ans aupa- ravant qu'un mécontent, qu'un ambitieux facile à satisfaire. Or, en ces trois ans, notre personnage, malgré sa bonne volonté, n'avait pu nuire en rien à l'empereur et mériter ce revirement d'opinion, La mission de M"" Nicolas de Landas à Condé en témoigne '. Ce personnage, le même qui vingt ans plus tard défendra pour la forme, devant le Conseil des troubles, le malheureux comte d'Egmont, est chargé par la reine Marie de recueillir à Condé tous les dires, lettres et papiers quelconques se rapportant à notre personnage, 11 fait de son mieux , n'apprend rien de grave , et rentre à Bruxelles après avoir cité à comparaître devant le Conseil privé de Tempereur le bailli de Condé, celui de Renaix, Georges Rollin, seigneur d'Ai- meries, et le chanoine Guillaume Mangart, On craignait à la cour de Bruxelles quelque chose comme une conspiration , puisque Ponthus de
' Arch. gén. de Belgique. Audience. Liasse n" 30. Lettre de Marie de Hongrie à M« de Landas. De Bruxelles, le 19 juin 15i8. Minute.
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Lalaing, gouverneur de Cambrai, est également chargé de se faire délivrer par Vabbé de Yaucelles les lettres qu'il a reçues du comte de Roggendorf et les copies de celles qu'il lui a adressées * .
Un fait bien naturel et bien innocent avait donné naissance à toutes ces enquêtes et perqui- sitions. Roggendorf avait le mal du pays, et, comme il ne pouvait rentrer dans sa maison, il voulait au moins avoir auprès de lui ses anciens serviteurs. Il s'adresse dans ce but à Etienne de Mesmay, son ci-devant secrétaire , et celai-ci , trompant sa confiance, livre à la justice sa lettre et son messager. Cette vilenie a peine à se com- prendre quand on a lu la lettre du comte, qui ne respire que loyauté, franchise et affection.
« Estienne, écrit-il, je me retrouve, grâces à » Dieu, le plus heureulx et content gentilhomme j) qui soit au monde. Après avoir discouru la for- » tune plus que jamais nul aultre, me voye ainsy )) rechu de ce bon roy '" et de tons ces princes, et » tretté % ce que en briefves paroles vous aye » voulu advertir, car je suis seur que de mon bien » serez content et bien aise, et ne doubte que » desia longuement en estes adverty. Ung servi- )) teur de madame la princesse d'Orange i m'a
' Arch. gén. de Belgique. Audience. Liasse n° 39. Lettre orig. de Pontlius de Lalaing à Marie de Hongrie, de Cambrai, le 22 juin 1548. — Lettre orig. (interceptée) de Wolfgang d'Oettingen au comte de Roggendorf, de Condé, le 9 juin 1548.
* Henri II, roi de France.
^ Traité dans le sens de convié et fêté.
* Il s'agit ici d'Anne de Lorraine, fille du duc Antoine et veuve en premières noces de René de Chalon, prince d'Orange. Elle servait
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)) faict dire que si je désiroje vostre venue vers w moy que ne faulderiez incontinent y venir. Je » nay voulu faire response quelconque aud. servi- >) teur, mais vous cognoissant léal et vieul bon » serviteur, je n'ay voulu laisser par cestes vous » advertir que ne scauriez me fere plus grand )) plaisir au monde que de vous en venir, vous » asseurant que ne fauldray à vous bien tretter, )) mais de vostre parlement nen faites semblant à » homme vivant. Faindez ' de vous en aler en )) quelque aultre lieu pour vous en venir premiè- » rement en diligence. En après que j'auray jiarlé » à vous, vous pourrez, si bon vous semble, re- )) tourner et faire votre cas de là pour vous en » retourner de deçà. Je suis icy si près de vous » que par Lorraine en quatre jours vous y pou- » rez trouver, comme ce porteur, lequel soudain » despescherez , vous dirast. Me fiant entièrement » en vostre amytié que m'avez tousjours portée, w je ne mettrais nulle doubte que ne soyez icliy » bientost, où vous serez le plus que bien venu » que sera la fin. Après m'estre recommandé de » bien bon cœur à vous, je prie le Créateur qu'il )» vous doint sa grâce. Fait à Genville le vi de » Juing 1548. Vostre bon amy, le conte de Rog-
» GENDOEF -. »
comme sa belle-sœur Chrétiemie de Danemarck, duchesse tlouai- rière de Lorraine, la politique de Charles- Quint, et se remaria en 1549 avec Philippe de Croj', duc d'Arschot, chevalier de la Toisou d'or, grand bailli du llainaut et généralissime des bandes d'ordon- nance des Pays-Bas. Vers la fin de sa vie elle se fixa à Louvain.
' Feignez.
^ Arch. gén. de Belgique. Audience. Liasse n"^ 27. Roggendorf écrit Genville pour Joinville.
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M' Louis de Schore, président du Conseil privé, n'aimait pas, à ce qu'il parait, les traitres, car bien loin de remercier Etienne de Mesmay de son zèle pour le service de l'empereur, il ordonna qu'il fût enfermé à la Steenporte, alors l'une des principales prisons de Bruxelles, avec le messager du ci-devant sire de Condé qu'il avait dénoncé. Une fois sous les verroux, Mesma}^ écrivit sa confession'. Elle est assez conforme au récit de sa victime, un certain Godefroid Lefebvre, qui lui avait remis deux lettres, l'une de son maître, le comte de Roggendorf, Fautre d'Antoine de Cliailly, vidame d'Amiens. Nous connaissons la première, la se- conde n'avait évidemment été écrite par un ami de Roggendorf que pour dérouter la police impé- riale, dans le cas où elle se serait montrée trop curieuse -. Elle est datée de Nancy et porte la date du 6 juin 1548, qui est aussi celle de la lettre de
' Arch. gén. de Belgique. Audience. Liasse n° 39. Voir le docu- ment intitulé : « S'ensuyvent les principaulx propoz qui ont esté » dictz et tenuz à moy Estienne de Mesmay, par le laquet lequel ma » apporté lettres de Mgr de Roguendorf lesquelles jay délivrées à » Mons. le Président et arriva devers moy en caste ville de Bruxelles » le xiii'' du présent mois de juing 1548 en%-iron des vu ou viii lieu- » l'es du soir. »
' Idem. Cette lettre est ainsi conçue : « Seigneur Estienne. Jay » entendu que navés encoires meistre et que désiriez trouver quel- » que bon party. Ayant entendu vostre honneste vie, jay volu tous " escripre ceste pour vous offrir que, si me volez servir en estât de » secrétaire, je vous donneray honneste trettement, et vous en pou- » rez venir en ceste ville oi^i je seray eucoires quinze jours, où nous " conclurons. Vous me manderez par ce porteur vostre intension, « lequel je mande expressément vers vous. A tant Dieu vous doint » sa grâce. Fect à Nansy le vi de juing 1548. Vostre bon amy.
» Chailly. »
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Roggendorf à Mesma}^ : or, le porteur de ces deux lettres n'ayant j)u le même jour être à la fois à Joinville et à Xancy, notre supposition se trouve vérifiée.
Il avoue d'ailleurs, qu'ayant quitté Roggendorf le 6 juin, il a pris la route de Brahant, qui passe par Sedan et non par Xancy, qu'il est arrivé le 12 à Nivelles, où la mère de Mesmay lui a donné l'adresse de son fils à Bruxelles, et qu'il a pu rejoindre le lendemain ce dernier à l'auberge de la Tête cTor.
Ici se passe une scène qui touche de trop près à notre sujet pour que nous ne la rapportions pas dans ses moindres détails. C'est Mesmay que nous laissons parler.
YIL
« Mercredi dernier, qui était le deuxième mer- » credi de ce mois de juin, le laquais de Mgr de » Roggendorf vint me trouver en ma chambre sur » les sept heures du soir. Il me remit deux lettres )) de la part de son maître, et me dit qu'au mo- » ment de son départ le connétable de France, » qui était présent, lui recommanda de faire )) bonne diligence et de me saluer de sa part. » Quand j'eus pris connaissance des lettres qu'il » m'ap23ortait, il déclara qu'il était chargé de me )> dire de bouche que le comte de Roggendorf me » priait instamment d'aller vers lui sans délai, et » que, si je me hâtais, je le trouverais encore à )) Joinville où il l'avait laissé.
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>•> Je demandai alors audit laquais s'il avait » apporté d'autres lettres ou s'il avait quelque »> autre message à faire. Il me répoiidit que non '. » Je le retins alors à souper dans la salle com- » mune. Là, en pleine table, il déclara être à » Mgr de Roggendorf, Je lui demandai alors quel » était l'état du comte et quels gens il avait autour » de lui. Il me répondit qu'il avait dix mille livres » à dépenser par an, que le roi de France lui avait )> donné onze mille écus pour monter sa maison, » et que les meilleurs gentilshommes de France, » rivalisant de générosité à son endroit, lui avaient » déjà envoyé une douzaine de chevaux. Le Roi » lui avait en outre promis de lui donner bientôt « la charge de cinquante hommes d'armes. Il était » de la chambre du Roi avec de plus beaux pri- » vilèges que tous les autres grands maîtres de » France, car il pouvait porter, jusqu'en la » chambre du Roi, sa jaquette de mailles et son » pistolet, ce qui n'est permis à aucun autre. » Quant à ses gens, il avait deux pages, deux » laquais, un cuisinier et quelques autres domes-
* Cette assertion est inexacte à moins que le comte de Roggen- dorf n'ait envoyé presque en même temps avec des letti-es deux de ses serviteurs eu Belgique. Voici, en effet, ce que nous lisons dans une lettre de W. d'Oettiugen à Roggendorf du 9 juin 1548. « Mousei- » gneur. Tant à nouvelles ne scay aultre chose sinon que ung rostre » laqnay, qui fust venant de Mgr d'Aimeries, a esté à Condé de la » part de Mad. vostre bonne sœur disant quil avoit apporté lettres « adressant à la royne et une à Mad. la sénescliale, la douagière. » Comme nous savons que Godefroid Lefebvre, le messager de Rog- gendorf, arrêté le 13 juin dans la soirée à Bruxelles , avait quitté Join\alle le 6 du même mois, il est pour ainsi dire impossible qu'avant le 9 (date de la susdite lettre), il ait pu se trouver à Condé
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» tiques. Il avait envoyé deux de ces derniers à » Constantinople pour en rapporter une tapisserie » et d'autres objets qui étaient restés là bas.
» Je lui demandai si ledit comte avait auprès » de lui ceux qui l'avaient suivi lors de sa retraite » du pays. Il me dit que oui, me nommant le )) cuisinier Berte et le page Marin. Je les connais » bien tous deux, le cuisinier est un allemand et » le page un italien. Le comte avait d'abord eu » l'intention de confier ses lettres audit Berte, » mais qu'il avait, par après, changé d'opinion. » Je lui demandai s'il savait ce qu'était devenu le » valet de chambre du comte, un certain Léon w Lecocq ' . Il me répondit qu'il était demeuré à » Venise et qu'il avait entendu dire au comte que » ce même Lecocq ayant voulu l'empoisonner, il » lui avait donné congé, — Comment, m'écriai-je, » se fait-il que le comte n'en prit point une autre » vengeance? Il me dit qu'il n'en savait rien et » parla d'autre chose. Cependant, de propos en » propos, il en vint à vanter la grande intimité de » son maître avec Mgr le connétable et à raconter » comme quoi le comte, s'en allant d'ici, courut )) grand risque d'être surpris en un passage par » les gens de l'empereur, et que c'était tout au » plus s'il avait eu une demi heure d'avance sur
' Si ce Lecocq n'est pas un empoisonneur, il a toutes les allures d'un espion. Wolfgang d'Octtingen écrit de Coudé, le 9 juin 1548, à Roggendorf : « Je suis esté en terrible paine sur le grand dangier » que avez esté comme a escript Lecocq à son frère Gérardin de » Venise, là oîi il est pour le présent. » (V. Arcli. géu. de Belgique. Audience. Liasse n" 39.)
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» 'quatre chevaucheurs armés qui avaient Tordre » de s'emparer de sa personne. Et ce sont là les » propos dont je puis me souvenir. »
Cette confession n'est pas complète. Sur plus d'un point la mémoire fait défaut à Mesmay. Son compagnon de geôle et sa victime nous apprend pourquoi il Fa dénoncé à la justice. Il avait peur de se compromettre; il avait peur aussi de com- promettre sa créance. « Savez-vous j), lui dit Mesmay, « qu'il a été sévèrement défendu de )) recevoir des lettres du comte de Roggendorf, ') et que vous êtes en danger de finir vos jours en » prison. » Et, ce conseil donné, au lieu de ren- voj'er sur l'heure le messager de son ancien maître, i] le retint à souper ; il le fit j^arler devant témoins. Cette vilaine action tourna à son profit. Le conseil des finances accueillit le compte d'apothicaire qu'il lui présenta, et ordonna par sentence au receveur Nicolas Faurel de lui payer, sur les de- niers provenant de la confiscation des terres de Renaix et de Condé, la somme de dix-huit cent quarante livres six sous et dix deniers, pour res- tant de gages à lui dus jusqu'au 1 mars 1548, comme ancien secrétaire du comte Roggendorf, qu'il avait refusé de suivre en 1545, et auquel, depuis trois ans, il n'avait rendu des services d'aucune espèce '.
Voilà bien, prise sur le fait, la justice du bon vieux temps. Certaines créances et des plus légi-
' Arch. gén. de Belgique. Chamlire des comptes. Reg. n° 21485, fol. 89.
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times sont contestées on réduites , tandis qu'Etienne Mesmay. qui n'a, à Tappui de ses prétentions, aucun titre sérieux à faire valoir, reçoit sans diffi- culté ce qu'il lui plaît de réclamer. La comtesse de Roggendorf a la même chance. Elle fait un procès au Conseil des finances et elle obtient, par sentence du 8 mars 1549 (1548 av. P.), sur les deniers provenant de la vente de la seigneurie de Renaix et des meubles du château de Condé, une somme de trente mille cinq cent treize livres mon- naie de Flandre '.
YIII.
Les autres créanciers du comte avaient cepen- dant des déclarations accablantes pour Madauie de Roggendorf. Nicolas Faurel, le receveur des exploits du Grand Conseil de l'empereur, a eu soin de les rapporter dans ses comptes, et il aug- mente par là notre étonnement et nos soupçons. Le riche marchand anversois Charles de Cocquiel déclare que l'argent qu'il réclame <^< a été prêté au comte de Roggendorf et à dame Marie de Rubempré, sa compagne, pour subvenir à leurs nécessités, et que cette danœ a consenti au déx}ôt de certaines bagues et ^tierres es mains de M. Lazare Tucher eti sûreté de ce prêt ^. )>
La veuve du concierge de l'hôtel de Condé confirme à la fois la responsabilité des deux époux
' Arch. géu. de Belgique. Chambre des comptes. Reg. u" 21485, fol. 89. ' Idem, idem, fol. 89.
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et leur détresse. Elle déclare que dès le mois de septembre 1544, c'est-à-dire après le siège de Saint-Dizier, ses maîtres étaient si gênés, arrêt ayant été mis sur les gages du comte, que feu son mari, Antoine Lefebvre, avait dû leur avancer, sur leurs deux signatures, cent cinquante livres, « pour subvenir à leurs urgentes affaires \ » On rembourse cette somme sans tenir compte de cette double garantie et des intérêts dus depuis cinq ans. On est plus sévère encore envers le plumas- sier qui a livré à la bande ménagère du comte de Roggendorf « les plumes devant servir pour aller en guerre » ; on lui réduit son compte de près de moitié -. Pourquoi? C'e^t assez difficile à dire, à moins que Messieurs des finances n'aient fait le raisonnement suivant : cette fourniture a évidem- ment été faite pour le service de Tempereur, donc S. M. devrait en prendre la moitié à sa charge, mais, comme S. M. n"a rien ordonné à ce sujet, cette moitié ne sera pas remboursée. Les amis du comte de Roggendorf, qui lui ont donné de l'ar- gent de la main à la main, sont assimilés sans distinction aucune à la veuve du concierge de Condé : ils n'ont droit qu'au principal de leurs créances. Faisons les défiler devant nous en les portraitant, autant que possible, d'un simple trait au passage.
' Arch. gén. de Belgique. Cliambre des comptes. Reg. u» 21485, fol. 88. — Audience. Liasse n° 39. Lettre d'Antoine de Zeelande à Roggendorf. De Bruxelles, le 7 décembre 1544.
2 Reg. n" 21485, fol. 80. « A Catherine de Laugele, 59 liv. 1 s. au lieu de 125 liv. 13 s. qu'elle réclamait. "~
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Voici cVabord Georges Rollin, seigneur cl'Aime- ries, qui n'a jamais fait mystère de ses sjanpathies et de son indignation ; puis viennent le chevalier Haller de Hallerstein, le maître d'hôtel de la reine de Hongrie, qui regrette également son ami Rog- gendorf bien plus que son argent', Georges de Berseele, seigneur d'Ysche, Renaud du Burmania, drossart de Coevorden, Michel de Gillis, secrétaire de l'empereur, Maximilien de Marzille ', gentil- homme de la maison de l'empereur, Pierre But- kens, contrôleur général de Tartillerie, et Séraphin de Taxis, cousin et commis du maître des postes de l'empire. Tous ont fini par présenter requête à l'empereur ; c'est ainsi que nous savons que leurs créances sont postérieures au second mariage de Roggendorf, une seule exceptée. Comme le comte était assez proche parent de Marie de Rubempré, il avait dû obtenir du Saint-Siège une dispense, et, pour ne pas perdre trop de temps, il avait prié Séraphin de Taxis de la faire demander à Rome par courrier extraordinaire. Il avait eu sa dispense, mais il avait parfaitement oublié d'en paver le port, se montant à cent quarante-huit livres de
« Arch. géii. de Belgique. Audience. Liasse n" 39. Lettre d'Es- tieune Mesmay à Roggendorf du 12 juillet 1545. « Le raaistre dhostel •■ Haller a eu un merveilleux regret de vostre absence et démonstre » bien qui! vous aimoit aussi. » C'était contre un reçu signé de Mesmay (lu'il avait prêté au comte deux cents livres de Flandre. (\". Chambre des comptes, reg. n" 21485.)
•2 I^a requête de ce personnage porte qu'il a prêté au comte de Roggendorf cent écus d'or, « alors que l'empereur était devant Cateau Gambrésis. » (Reg. ci-dessus.)
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quarante gros ' . Cette dette n'est pas la seule qui soit caractéristique, qui mérite d'être notée.
Nous allons maintenant parler des autres, parce que notre but n'est pas seulement de tracer un portrait, mais d'oiïrir la représentation aussi vive, aussi exacte que possible de Texistence d'un grand 'seigneur avant le compromis des nobles qui les fit tous gueux. D'ailleurs la nature des dettes d'un gentilhomme ne nous renseigne pas seulement sur ses mœurs et son caractère, elles nous donnent la juste mesure des gens de sa caste et de son époque. Roggendorf n'eut pu se dire le digne courtisan de Charles-Quint et le digne contemporain de Fran- çois I, s'il n'avait pas été, comme ces deux princes, un vert galant. Il a des enfants naturels, et il s'occupe d'eux jusqu'au jour où ses chagTins conju- gaux et ses emljarras financiers les lui font perdre de vue. Un jeune garçon a été mis par lui en apprentissage chez le pâtissier de la reine de Hongrie, qui l'entretient et le nourrit pour la bagatelle de vingt-quatre livres de Flandre par an '\ Il a aussi une fille appelée Susanne, dont
' Même reg. Cette dette , assez originale, est rapportée par le receveur Nicolas Faurel, en ces termes : « A Séraphin de Taxis, » commis du maistre des postes de l'Empereur, la somme de 148 liv. » à luy deue par le jadis conte de Roggendorf, pour avoir fait cou- » rir la poste dois la ville de Bruxelles vers Romme, pour obtenir » certaine dispense apostolique pour pouvoir prendre en mariage » dame Marie de Rubempré, ayant pour ce déboursé la susdite » somme. »
La parenté de Roggendorf avec sa seconde femme remontait à sa grand'mère Isabelle de la Hamaide, fille de Jean, seigneur de Renaix et de Condé, et de Jeanne de Rubempré, dame de Bousies.
"■' Arcli. géu. de Belgique. Chambre des comptes. Reg. n° 21485.
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l'éducation a été confiée à Tabbesse de Beauprez, près Granimont. Le couvent se plaint dans sa requête à l'emperear, de n'avoir point reçu « depuis cinq années, achevées à la Noël de 1549, la pension due pour Fentretien de ladite fille bâ- tarde » '. Cette pension était de cinquante-six livres par an. soit plus du double de la somme réclamée pour le même objet par le pâtissier de la reine. On pourrait donc en conclure que déjà au XVP siècle l'éducation des filles coûtait plus cher que celle des garçons. Que devient le com- mensal et rélève du pâtissier bruxellois M" Mathieu Bahuyct? Nous n'avons pu le savoir. Avec la bâtarde Susanne nous sommes plus heureux. Une lettre de Tabé de Vaucelles à son bon ami le comte de Rog'gendorf, que le gouverneur de Cambrai saisit au vol et envoie à la cour de Bruxelles, nous renseigne en ces termes : « J'espère bientost la visite de vostre bonne sœur damoiselle îsabeau et de la petite de Beauprez ^ » Cette petite de Beauprez ne peut être que Suzanne de Roggendorf . Le reste de la lettre nous apprend que ces deux femmes étaient allées en France se mettre à la tête de la maison du comte. Le pauvre homme, trompé et dépouillé par sa femme et par les Turcs, trahi par son secrétaire, presque empoisonné par son valet de chambre, trouve au moins dans le dévouement de deux pauvres femmes, ses très
' Même coll., même reg.
* Arcli. gén. de Belgique. Audience. Liasse ii« 39. V. lettre de Jean, abbé de Vaucelles. De Vaucelles le 13 juin 1548.
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proches parentes, un dédommagement, une conso- lation.
On comprend qu'il se soit écrié alors : « Allons, je me retrouve encore une fois le plus heureux et content gentilhomme qui soit au monde ! »
IX.
Le comte de Roggendorf était tombé à la cour de France au beau milieu de la querelle du prince de la Roche sur Yon avec d'Andelot, et il avait eu à se défendre de prendre parti. Son attitude réser- vée charma le roi Henri II, tandis qu'elle aug- menta le désir de Charles-Quint de lui causer de nouveaux chagrins. De là sans doute Tordre donné à Jean Croissart et à Adrien Le Miquiel, deux huissiers d'armes, de faire transporter, partie à Yalenciennes et partie à Bruxelles, tous les meu- bles, bagues, jo3'aux et vaisselle du ci-devant seigneur de Condé, pour y être vendus à l'encan <. La dispersion des témoins muets de sa vie passée, de ses souvenirs de famille, des derniers vestiges de la somptuosité de ses ancêtres , devait être d'autant plus sensible à notre personnage que, pour ravoir une tapisserie oubliée dans la préci- pitation de son départ de Turquie, il avait envoyé deux de ses laquais à Constantinople, Donc, si cette vente mobilière fut une vengeance impériale , on peut dire qu'elle fut bien trouvée. On a l'air
' Arch. génér. de Belgique. (Y. comptes de M. Nicolas Faurel, n" 207.
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toutefois de ne vouloir j)oint lui donner cette signification.
Les sonneurs de trompe qui, à Bruxelles et à Valenciennes , annoncèrent la vente treize jours durant à l'avance et chaque jour deux fois par tous les carrefours des deux villes, eurent *( ordre d'ap- prendre au peuple que la vente se faisait à la requête et poursuite des créanciers du ci-devant comte de Roggendorf ' . » Cette mise en scène officielle ne se borne point à cette déclaration peu véridique. On publie aussi que le crime du sire de Condé consistait « dans sa retraite à Raguse, pays du Turc » ^, tandis qu'on sait fort bien qu'au moment de la vente de ses biens meubles et im- meubles il se trouvait à la cour de France. La vente fut peu fructueuse à Valenciennes. C'était à prévoir, mais le gouvernement avait voulu sans doute qu'elle se J'ît dans la ville de Belgique la plus rapjorocliée de la frontière, afin qu'on en parlât en France et que le comte de Roggendorf en fût plus tôt averti. Son indignation fut par- tagée par ses anciens serviteurs et ses amis. « On n'a rien laissé en vostre maison de Condé » , lui écrit à ce propos le chanoine Mangart, « on a mesme esté jusqu'à détacher les fenestres de la feuillie, ce qui m'estoit, Monseigneur, un gros
» Arcli. gén. de Belgique. Chambre des comptes. Reg. n" 21484, fol. 37 et 38.... « La somme de 78 sols a esté payée par le clerc des » opronpers ou sonneurs de trompe, qui par le temi:)s de treize jours, » deux ibis le jour, a sonné lad. trompette par tous les quarrefours » de la ville de Bruxelles. »
* Idem, idem. , fol. 37.
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regret de veoir passer de telles choses ^ '> Un autre lui écrivit sans doute que sa femme avait eu l'impudeur de se montrer à Bruxelles à Fhôtel de Liedekerke, où se faisait la vente, et de marquer les bijoux lui appartenant en propre.
Ces bijoux lui furent rendus en vertu d'une sentence du Conseil privé du 20 novembre 1549. L'huissier d'armes, Adrien Le Miquiel, mentionne le fait dans son inventaire général de confiscation et le receveur du grand Conseil de l'empereur le rapporte également, et il ajoute : <c Madame de » Roggendorf prétendoit encore d'aultres joyaulx, » accusant son mary de les avoir emportés lors de » son partement de par-deça ^ »
Nous n'aurions rencontré, à la charge de la comtesse, que cette seule note de M*" Xicolas Faurel, qu'elle nous suf&rait pour juger combien cette femme était méchante et avide. Il est clair pour nous que, si son mari avait été le malhonnête homme qu'elle dit, il se serait arrangé de façon à ne point laisser derrière lui pour dix mille livres de pierreries et de joyaux \ Le voleur, le vrai coupable, c'est elle, car il y a là des créanciers qui attendent depuis des années, et elle n'a pas honte de rogner leur part par ses éternelles reven- dications et réclamations. Ah, si elle n'avait pas été la veuve de l'ancien sommelier de corps de l'empereur ou quelque chose de plus, il est fort
» Idem. A-udience. Liasse n" 39. ^ Chambre des comptes, reg. 21484, fol. 37. id. id. id. fol. 39.
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probable qu'elle n'aurait eu ni tant d'audace ni tant de bonheur !
Ce qui, en tout cas ne saurait être nié, c'est que dame Justice, sous le règne de Charles-Quint, portait un double bandeau sur la vue ou, en style Yulgaii-e, avait de grandes complaisances pour le pouvoir souverain.
L'invention du crime du seigneur de Condé au profit de la femme du condamné n'en est pas le seul et unique exemple. Nous en avons rencontré d'autres en fouillant dans les archives.' Ainsi, eu 1541, la prévôté de Meersen fut ôtée à dom Gode- froid d'Aspremont-Lynden et donnée au cardinal de Lenoncourt, archevêque de Reims, parce qu'on voulait se faire de puissants amis en France.
Toujours, on le voit, des cadeaux faits avec l'argent d'autrui; c'est un système. Charles-Quint abdique et le procédé demeure, non, mieux que cela, on le perfectionne.
En décembre 1555 — on était déjà sous Phi- lippe II de sinistre et sanglante mémoire — connue il importait à la politique espagnole de maintenir la Lorraine en son ancienne neutralité, le Conseil privé ordonna au grand Couseil de Malines de considérer le comte de Vaudemont comme ne te- nant point le parti de France, afin que le procès, qu'il avait intenté à sa belle-mère la princesse de Gavre, pût être vidé, « ainsi que par droit on trouvera convenir et appartenir ». Les juges de Malines comprirent à demi mot et s'exécutèrent. Si l'on songe que la princesse de Gavre était la mère du comte d'Egmont, on ne saurait discon-
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venir que ce dernier fut un grand niais de gagner, peu de temps après, les batailles de Saint-Quentin et de Gravelines au profit du roi Philippe II qui, à lexemple de Charles-Quint, trouvait sans doute que ruiner ses vassaux, c'était travailler à assurer sa propre sécurité.
Et, à ce compte là. Schiller a eu raison de prêter au prince d'Orange ce mot s'adressant à d'Eg- mont et devenu célèbre : « Adieu, comte sans tête » . Le despotisme ne respecte rien et rien ne lui est sacré que lui-même. Pour faire tomber la tête d'Egmont, il lui fallait fouler aux pieds les privilèges de Tordre de la Toison d'Or, dernier refuge de notre fierté et de notre indépendance nationale; pour désespérer le prince d'Orange, qui lui avait heureusement échappé, le despotisme espagnol fit de même bon marché des privilèges de l'Université de Louvain et vola au prince son fils aîné le comte de Buren. Que firent les vic- times? Toutes, les unes après les autres, elles sui- virent l'exemple du comte de Roggendorf et se tournèrent vers la France, si bien qu'on ne saurait, en bonne justice, condamner notre personnage sans frapper de la même sentence le prince d'Orange, Marnix et bien d'autres. Si Roggendorf eut été allemand au lieu d'être belge, ainsi que l'avoue Charles-Quint lui-même en écrivant à son ambassadeur en France qu'il était originaire de ses pays patrimoniaux', c'eût été autre chose,
' Aich. gén. de Belgique. Audience. Liasse n" 39. — Minute d'une lettre de Charles-Quint à Saint-Mauris. De Bruxelles, le 31 mai 1548.
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parce qu'il avait été défendu aux gens d'Outre- Rhin, sous peine de la vie, de porter les armes en France. Le roi Ferdinand tint compte de cette différence, et les terres de Roggendorf et de Gunterstorf, situées en Autriche, ne furent pas confisquées \ C'était une première consolation. Il nous reste à rapporter les autres.
X.
Quand Henri II apprit que Charles- Quint, non content de confisquer les biens meubles et immeu- bles de son protégé et de le déclarer indigne et infâme, avait fait rompre ses armoiries, il lui en octroya de nouvelles. Celles-ci étaient d'azur à sept lis d'argent rangés en chef trois par trois et un en pointe ^ Le roi de France prétendit qu'en agissant ainsi il ne portait nullement atteinte aux stipulations de la récente paix de Crespy, et cela pai la bonne raison que le comte de Roggendorf s'était mis à Constantinople, y étant en danger de vie, sous la protection de son ambassadeur le comte Gabriel d'Aramont, et ne s'était pas, par conséquent, réfugié directement des Pays-Bas ou de la Franche-Comté dans ses États. C'était vrai ; ce qui l'était également, et ce qui fait tomber
• Idem, idem. Lettre de Wolfgaiig d'Oettingen à Roggendorf. De Condé, 9 juin 1548. Oi'ig. « On dit (ju'en toutes vos maisons d'Au- » triche les serviteurs se maintiennent à l'accoustumée sans que » l'on eusse fait quelque deffense du roy (Ferdinand I) et cela nous » donne encore (juch^ue Ijoime espoire de vostre retour. »
" VoET, V. ses MSS. généalogiques. Coll. Goethals, à la Biblio- thèque royale de Bruxelles, n" 735, fol. Ht).
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le principal chef craccusation du Conseil privé des Pays-Bas, c'est que notre personnage n'avait pas renié la foi chrétienne. Ce qui, après cela, devait arriver, c'est que Charles-Quint, à bout d'argu- ments, finit par déclarer que le roi de France aurait dû comprendre qu'un misérable de l'espèce du ci-devant comte ne méritait ni protection ni pitié. Henri II ne comprit qu'une chose, c'est qu'il n'avait pas fait assez, et il donna k Roggendorf, en manière de compensation, le marquisat des îles d'Hyères en Provence ' .
Des services signalés, un dévouement sans borne répondirent à tant de faveurs. Quand la guerre recommença entre la France et l'Espagne, Roggen- dorf eut sa compagnie d'hommes d'armes et servit sous les ordres du connétable de Montmorency. A la fameuse entrevue de Chambord, où les princes allemands ligués contre Charles-Quint cédèrent sous condition au roi Henri II, Cambrai, Metz, Toul et Verdun, les quatre villes de langue fran- çaise de l'empire allemand, parce qu'elles étaient épiscopales, il joua le rôle de négociateur et de traducteur. De là datent ses rapports avec le margrave Albert de Brandebourg, qu'il retrouva au mois d'octobre 1552, sous les murs de Toul, à la tête d'une armée de vingt mille hommes et fort indécis sur l'attitude qu'il devait prendre ^ Il s'agissait d'acheter son concours, mais celui-ci, jaloux du duc de Guise, eut des prétentions si
» Idem., fol. 119.
^ V. notre livre : Metz et Thiunville sous Charles-Quint, Bruxelles, 1880, p. 202.
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exorbitantes qu'on résolut de l'écraser. Montmo- rency et Coligny s'y employèrent sans succès. Quelques mois plus tard, Metz étant demeurée à la France malgré le secours apporté par le mar- grave à Charles-Quint, Roggendorf fut chargé par Henri II d'aller en Allemagne, afin de rassurer les princes de la ligne de Smalcalde et de leur démon trer que sa ferme volonté de garder Metz , Toul et Verdun était un témoignage éclatant en faveur de ses bonnes intentions.
Cette mission de confiance, c'était mieux qu'une fiche de consolation, c'était une revanche offerte au sujet humilié, déshonoré par son souverain. Ce que l'évêque de Bayonne, Mgr de Fresse, n'avait pu faire, notre personnage le fit. Il ranima la haine des Allemands contre Charles-Quint au con- tact de la sienne. Les instructions secrètes qu"il emporta avec lui de Paris en janvier 1554, disaient qu'il devait surtout contrecarrer la candidature au trône impérial du prince d'Espagne Philippe II. Frapper le père dans son fils, dans la suprême ambition de sa vie, dans la dernière espérance de sa vieillesse, quelle vengeance plus complète au- rait-il pu espérer! Il s'en délecta, voyageant lente- ment, s'arrêtant dans chacune des cours électorales d'Allemagne tout le temps qu'il fallait pour gagner et convaincre les ]3i'inces et leurs conseillers, et cela jusqu'au jour où son nom et ses malheurs lui
' G. RiBiER, Lettres et mémoires d'estat. Paris, 1677, II, 507. (Voir Instruction du comte de Roguendolf envoyé eu Allemagne de la i^art de S. 31., pour offrir secours au roy de Bohême et autres princes d'Allemagne contre l'Empereur. 2i janvier 155-4.
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valurent laccueil le plus flatteur de Ferdinand I, roi des Romains. Les savants travaux de Ranke et de Maurenbrecher nous dispensent du soin de prouver à nouveau que ce frère de Charles-Quint était devenu secrètement son ennemi, parce que cette attitude vis-à-vis du sentiment public dans l'Allemagne entière, était le seul moyen de con- server aux Habsbourg la couronne impériale, et que lui aussi était père de famille.
Nous avons eu déjà l'occasion de dire que Fer- dinand I ne confisqua point les terres que Roggen- clorf possédait en Autriclie ; il fit davantage encore pour le compagnon de ses jeunes années, pour le fils de son ancien gouverneur, il lui conserva son nom, son titre et sa charge de grand-maître de sa cour, parce que tout cela était d'origine autri- chienne. Et il avait strictement le droit d'en agir de la sorte, la diète d'Augsbourg de 1548 ayant prononcé la séparation politique définitive des états héréditaires de la maison de Bourgogne — l'un des principaux griefs de nos révolutionnaires du XYP siècle — d'avec l'Allemagne. Il s'en sui- vait que les décisions du Conseil privé des Pays- Bas et du grand Conseil de Malines, sur lesquelles d'ailleurs on était, à ce qu'il parait, suffisamment édifié à la cour de Vienne, n'avaient pu atteindre notre "personnage que comme seigneur de Condé et de Renaix. De ces deux terres, celle de Renaix, qui avait seule une valeur considérable, fut adju- gée le 6 novembre 1549 au ];)rix de 62800 livres de Flandre à Nicolas Perrenot de Granvelle, pre- mier conseiller d'État et garde des sceaux de
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Charles-Qaint. A ce propos le consciencieux rece- veur du Grand Conseil de Malines, M" Nicolas Faurel, nous apprend que, les rentes dont cette terre était chargée une fois remboursées, il de- meura, au profit du trésor impérial, une somme de 47500 livres versée entre ses mains par M" Othon Viron, maître des comptes à Bruxelles '.
Cette liquidation a, comme tout le reste, sa mo- ralité que voici : A César, comme de juste, la part du lion dans la dépouille de son serviteur mal- heureux dont la ruine est son œuvre ou, tout au moins, celle de sa politique mauvaise. Mais, à côté de cela, à l'exécuteur en chef des hautes œuvres impériales, au fils de Thumble forgeron d'Ornans en Franche-Comté, l'honneur de prendre rang désormais dans la noblesse de Flandre, de substi- tuer sa roture gauloise à nos vieilles races patri- ciennes, dont le vif attachement au sol natal, aux mœuis et coutumes des ancêtres est devenu sus- pect depuis qu'on se plaint tout haut d'être gouverné par des étrangers, d'être systématique- ment exploité et ruiné. C'est en ce moment là qu'intervient tout à coup le gendre de Roggendorf , Jean baron d'Oettingen et seigneur de Masmines. 11 proteste contre la vente de la baronnie de Renaix et fait valoir ses droits sur cette terre en sa qualité de seul et dernier héritier de Jacqueline d'Oettin- gen, fille d'Isabelle de la Hamaide. Il se mit à plaider avec tant d'acharnement et de bonheur,
' Ai'ch. géii. de Belgique. Chambre des comptes, reg. n° 21484. V. le chapitre intitulé : Aultre recepte de la terre et seigneurie de Henaix.
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qu'Antoine de Granvelle, évêque d'Arras, et ses frères se virent obligés de transiger avec lui, le 19 avril 1559, pour une grosse somme d'argent ".
Le chancelier Nicolas Perrenot n'avait jamais mis les pieds à Renaix, La mort l'avait surpris à la diète d'Augsbourg le 15 août 1550. Il avait disparu de la scène du monde avec la conviction que son génie avait réussi à aplanit* devant son maître le chemin devant le conduire à la monar- chie universelle. Orgueilleuse et folle espérance! Loin de vaincre l'opposition des Allemands et des Belges, Charles-Quint et ses successeurs immédiats se virent plus d'une fois obligés, à l'exemple des Granvelle dans l'affaire de Renaix, de signer un compromis, de consentir à un abandon de prin- cipes.
Quelle revanche plus belle notre ci-devant sire de Condé aurait-il pu espérer? Aussi s'arrête-t-elle là. A son retour de sa mission d'Allemagne, de 1556 à 1558, il porta les armes contre Philippe II, sans qu'il nous soit permis de dire à quelles actions militaires il prit part. Il faut croire qu'il rendit de nouveaux services, puisque le roi de France lui accorda, le 7 septembre 1561, la croix de Saint-Michel'.
Quand et comment mourut-il? Nous l'ignorons. Tout ce qu'il nous est permis de dire, c'est qu'en 1567 Guichardin parle de lui comme s'il était encore envie. Dans ce cas il aurait assisté, dernière
' G. B., Recherches historiques sur la ville de Renaix. Gand , 1856, p. 29.
' Marius Voet, MSS. généalogiques, t. II, fol. 119 v.
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compensation, aux débuts de Tune des plus légi- times et des plus glorieuses révolutions que vit jamais le monde. Aucun Roggendorf. n'y joue un rôle, mais, par contre, les enfants de la femme du comte Christophe, les Noircarme, j paraissent au premier rang parmi les serviteurs du despotisme, parmi les plus âpres à s'attribuer les biens confis- qués sur les rebelles. Leur fortune n'en fut ni plus solide ni plus durable. Et maintenant, pour finir, quel enseignement pouvons-nous tii^er de ce récit?
C'est que l'histoire, qui est la justice de Dieu, ne saurait se tromper comme la justice des hom- mes. Elle se plaît à remettre toute chose en sa place, à écarter les complaisances, les flatteries, les mensonges intéressés, à faire briller sur le monde, dans son incomparable éclat, le soleil de la vérité.
La justice de Charles-Quint a pu condamner Christophe de Roggendorf, la justice meilleure de. l'histoire étend sur lui sa clémence et le réhabilite à nos yeux. Pour être tardive cette réparation n'en est pas moins utile et bonne. Elle sert de leçon : elle nous montre qu'à côté des lois hu- maines, qui n'ont pas même une compensation à offrir aux victimes des erreurs judiciaires, il y en a d'autres qui ne s'égarent point et finissent tou- jours par rendre à chacun ce qui lui est dû.
Ch. Rahlexbeck.
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UNE LETTRE DE YAN HULTHEM.
-««A^JBÎy-V^^-
Noiis recevons de M. le sénateur Lammens la communication d'une pièce fort intéressante que nous publions avec empressement, en la faisant précéder de la lettre qui lui a servi d'envoi.
Gand, 10 novembre 1882.
Monsieur,
Lorsque j'ai eu le plaisir de vous rencontrer, il y a quelques jours, je vous ai parlé d'une lettre autographe de notre célèbre bibliophile, M. Van Hulthem, qui se trouvait annexée à un volume acquis par moi à la vente de la bibliothèque de M. l'archiviste Edmond De Busscher.
Vous m'avez exprimé le désir d'en recevoir une copie , et de la publier dans le Messager des Sciences historiques. Telle est aussi la pen- sée du bibliothécaire, M. Ferd. Vanderhaeghen, à qui j'ai communiqué la lettre et qui m'écrit à ce sujet : « Je viens de lire avec grande satis- » faction la lettre de M. Van Hulthem, mon » illustre prédécesseur, et je m'empresse de vous
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» remercier de m"avoir communiqué cette pièce » si intéressante. Elle est bien réellement de la » main de Van Hulthem : il ne peut y avoir » aucun doute à cet égard. L'idée de la publier » dans le Messager des Sciences historiques est » heureuse , et j'espère que vous y donnerez » suite. »
Vous jugerez par vous-même, cher Monsieur, s'il y a lieu d'accueillir la pièce dans votre recueil.
Le premier alinéa de la lettre est relative à des intérêts privés. C'est la seconde partie qui est intéressante : elle fait connaître la situation de l'instruction publique à Gand en 1806, et ce qu'était la Bibliothèque communale au commen- cement de ce siècle. En quelques lignes, Van Hulthem trace le portrait du bon bibliothécaire, et l'on serait tenté de croire que son successeur actuel a posé devant lui dans une sorte de vision de l'avenir.
Agréez, Monsieur, l'assurance de mes senti- ments de cordiale estime,
Jules Lammens.
A Monsieur Emile Varenbergh, secrétaire de la rédaction du Messager des Scie7ices historiques.
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Paris, 18 oct. 1806.
CH. VAN HULTHEM, membre du Tribunat *, à Monsieur Dellal'aille, maire de la ville de Gand, officier de la Légion d'Honneur.
Monsieur,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 13 de ce mois ; j'avois déjà prévenu votre désir, j'ai été il y a 6 jours au ministère de l'intérieur, j'ai démontré combien il étoit injuste d'arrêter le payement des rentes, tandis qu'on avoit augmenté l'octroi municipal pour payer cette dette sacrée, et tandis que dans plusieurs villes de la Belgique, telles que Bruxelles, Lou- vain, Malines, etc., on en fesoit le payement. On m'a dit que vous ferez bien de reproduire la demande d'être autorisé à les payer, dans le budget de 1807, et qu'on tâchera de le faire accorder. Il est inutile de vous observer com- bien il importe d'insister sur cet objet, vous le sentez aussi bien que moi. Le sort des rentiers doit naturellement intéresser en leur faveur , lorsque l'on pense à tout ce qu'ils ont perdu par la liquidation, par le mauvais payement de la banque de Vienne et de l'empereur d'Autriche, par les remboursements en assignats et les contri- butions extraordinaires qu'on a levées
Un autre objet est digne de toute votre sollici- tude, c'est l'instruction publique qui, dans notre
' Les mots soulignés forment un en-tête imprimé de la lettre.
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département, est dans une nullité presque abso- lue. Si on n'y porte un prompt remède, il n'en pourra résulter qu'une génération ignorante et mal élevée, et dont les suites se feront sentir pendant longtems. Le gouvernement a arrêté d'établir un Lycée à Gand, on n'y a jusqu'ici donné aucune exécution; il faut que M. le préfet écrive au ministre, afin que le gouvernement se décide, ou à établir le Lycée, ou à y laisser établir une bonne école secondaire qui vaudra peut-être au- tant, car un pareil état ne peut durer.
Dans cette nullité presque al)solue d'instruction publique, on a quelque obligation à M. TEvêque d'avoir établi des écoles latines au séminaire, qui, quoique insuffisantes, valent mieux que de n'avoir rien. L'école de médecine que le gouvernement vient d'établir près les hospices, aura aussi son utilité, en formant des officiers de santé, des chirurgiens et des sages-femmes. J'aurois désiré, et j'en. ai fait la proposition à M. le préfet, qu'on y eût ajouté un jarofesseur de Botanique; nous avons un beau jardin de plantes, déjà riche et qui acquiert tous les jours de nouvelles richesses végétales; nous avons vu lorsque M. Coppens donnoit la leçon de botanique, par quel grand nombre d'élèves elle étoit fréquentée ; il convien- droit de rétablir cette leçon avec d'autant plus de raison que nous avons un excellent sujet qui a fait d'excellentes études, qui a suivi pendant deux ans la leçon et les herborisations de M. Ri- chard , grand Botaniste , qui a fait de grands progrès dans toutes les branches de l'art, qui à
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beaucoup d'esprit naturel ajoute beaucoup de talens et de connaissances, et qui dans peu de jours va faire sa licence en médecine et en chi- rurgie. On pourroit supprimer la place d'aide qu'on donne à M. Beyts, dont il peut se passer, autant que les autres professeurs, qui tous pour- roient demander un aide ; et en ajoutant aux 600 frs. qui forment le traitement de l'aide, 600 autres frs., on aura un bon professeur de Bota- nique; on trouvera facilement ces 600 frs. pour cette année sur les dépenses imprévues, et pour l'année suivante on pourroit les ajouter au budget. Je serois sûrement fâché qu'on privât quelqu'un de sa place, mais comme l'arrêté pour l'établisse- ment de l'école de médecine n'admet que 6 pro- fesseurs, c'est une nécessité à laquelle il faudra recourir ; d'ailleurs il faut en tout préférer l'uti- lité publique. Je vous prie donc très instamment de prendre ces réflexions en considération.
La bibliothèque est un autre objet qui mérite toute votre attention, ainsi que celle du conseil municipal. Une bonne bibliothèque est une source permanente d'instruction. Toutes les grandes villes de l'Italie, de l'Allemagne, de la Hollande, de la France, plusieurs villes même de la Belgique, telles que Bruxelles, Louvain, Malines, Anvers, Tournai, etc. , avoient des bibliothèques publiques, lorsque Gand en manquoit encore : cependant depuis longtemps on en avoit reconnu l'utilité : Sa7iderus, à qui la Flandre a tant d'obligation, en avoit exprimé le vœu dans sa Dissertatio parœnœ- tica pro Bibliotheca puhlica Gandaviim, ad magis-
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tratum et proceres ejusdem urbis (1633, in-4*') ; on voit que lors de la publication du premier volume de sa Flandria iUustrata en 1641, le magistrat de Gand préparoit une salle dans la partie neuve de l'hôtel-de-ville pour y placer la bibliothèque publique ; le malheur des tems mit probablement alors un obstacle à l'exécution de cet utile éta- blissement. Depuis 9 ans on est parvenu avec beaucoup de soins et infiniment de peines à ras- sembler une bibliothèque, qui contient déjà un grand nombre de bons ouvrages, mais à laquelle il en manque encore beaucoup pour rendre la collection complète, ou du moins telle qu'il con- vient d'en avoir dans une grande ville. Lorsque l'école centrale existoit, on avoit 3000 frs. par an pour acheter de nouveaux ouvrages et compléter les collections commencées ; depuis que la biblio- thèque a été donnée à la ville, cette somme a été réduite à 1200 frs. ; ne seroit-il pas juste de l'augmenter jusqu'à 2000 frs.? — Le traitement du bibliothécaire qui montoit à 3000 frs. est réduit aujourd'hui à 1200 frs. Une bibliothèque est un corps sans âme et devient absolument inutile lorsqu'elle n'est pas pourvue d'un biblio- thécaire savant, intègre, intelligent et zélé; rien n'est plus rare qu'un bon bibliothécaire; il faut de grands talents et des connoissances très mul- tipliées 230ur le former. Un bon bibliothécaire se doit entièrement à ses devoirs ; tout son tems doit être occupé aux soins de sa place et à acquérir de nouvelles connoissances, afin de pouvoir répondre à ceux qui ont recours à ses lumières, et lorsqu'on
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a le bonheur de trouver un homme pareil qui se sacrifie entièrement à ses devoirs, qui emploie uniquement ses talens (dont il pourroit tirer une bien plus grande utilité pour lui) à ses fonctions honorables, mais pénibles, peut-on réduire son traitement à la modique somme de 1200 frs., tandis qu'on donne à un commis, à un chef de bureau jusqu'à 2000 frs., sans compter les autres émoluments qu'il retire de sa place? Le conseil municipal est trop juste pour le penser ; à Mons, qui n'est qu'une petite ville, on donne au biblio- thécaire 2000 frs. et un logement ; la ville d'Anvers qui n'a qu'une petite bibliothèque, donne à son bibliothécaire 1800 frs. La ville de Gand devroit donner au moins 2400 frs., mais vu la pénurie des moyens et la dette dont la ville est actuelle- ment chargée, on pourroit pour le moment modé- rer le traitement du bibliothécaire à 2000 frs.
Il faudroit aussi donner au bibliothécaire un aide ou sous-bibliothécaire ; il convient qu'il y ait dans la bibliothèque au moins deux personnes assidûment ; d'ailleurs un bibliothécaire peut devenir malade, il doit aller aux ventes pour acheter les livres qui manquent à la bibliothèque ; il faut donc quelqu'un qui puisse le remplacer. Il me paroit qu'on pourroit donner au sous-biblio- thécaire 1000 frs.; on pourroit prendre pour cet objet un prêtre instruit, ou un autre homme qui n'a pas de grands besoins. J'espère qu'on ne trouvera pas ce traitement trop considérable.
En général, il faut le dire, l'instruction a été jusqu'ici trop négligée dans notre pays ; si on n'y
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porte un prompt remède, on ne sera jamais de niveau en connaissances avec les habitants des autres départemens, et il me paroît qu'on ne peut rien négliger pour cet objet ; sans doute la pro- bité vaut mieux que l'instruction, mais l'une s'allie très bien à l'autre, et il ne suffit pas de vouloir le bien, il faut encore des moyens pour Fopérer,
Il est inutile, Monsieur le Maire, d'en dire davantage ; ces vérités vous sont connues ; le zèle patriotique, dont vous êtes animé, est trop sincère* pour ne pas vouloir ce qui peut être utile à vos administrés. J'espère que vous ferez valoir ces raisons au conseil communal, qui est trop juste et qui aime trop le bien général et la splendeur de la grande et belle ville, destinée à croître encore en grandeur et en puissance , pour ne pas lui procurer les moyens qui puissent y contribuer.
Kecevez, je vous prie, l'assurance de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur de vous saluer.
Ch. Van Hulthem.
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VARIETES.
Areêt du grand conseil de Malines qui maintient le
MAGISTRAT DE LA VILLE DE GrAJIMONT DANS LE DROIT DE CRÉER DES BOURGEOIS FORAINS.
(20 juillet 1521.)
Les droits de la ville de Grammont étaient contestés par les « nobles et vassaux » du comté d'Alost, qui alléguaient que des habitants de leurs terres et seigneuries ne se fai- saient admettre à la bourgeoisie, à Grammont, que pour frauder les droits de mainmorte qui leur étaient dus et aussi pour frustrer leurs créanciers et se soustraire à des poursuites judiciaires de ce chef. Ces fraudes sont expli- quées tout au long par les plaignants, demandeurs en cause. Sous ce rapport, Tarrêt dont on publie ici le texte est loin d'être dépourvu d'intérêt. Ce qui ajoute à cet intérêt, c'est l'intervention du procureur général au grand conseil, qui se joint aux demandeurs pour défendre les intérêts de l'empereur, celui-ci en qualité de comte de Flandre et possesseur du comté d'Alost, lequel, soit dit en passant, comprenait deux villes fermées : Alost et Grammont, et cent soixante-douze paroisses ou villages ' . Ici également on fraudait les droits de mainmorte. Il est inutile de le dire, ces droits, restes de servage, étaient odieux, et il est
* Ceci d'après l'arrêt même. Les auteurs varient sur le nombre de ces villages.
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tout naturel qu'on clierchât à les éluder *, L'arrêt, dans l'exposé des débats, nous apprend de quelle façon cela se pratiquait. Toutefois, la cour ne tint pas compte du réqui- sitoire du procureur général et donna gain de cause aux défendeurs, comme on va le voir. Seulement, le lecteur devra s'armer d'un peu de patience pour lire ce document, qui , outre qu'il est étendu , oftre ça et là un passage obscur. Subsidiairement, nous donnons aussi le texte d'un arrêt, bien moins long, du grand conseil, prononcé le 3 février 1526 (n. st.), entre Josse Bloudel, seigneur de Pamele, béer de Flandre, impétrant ou demandeur, et les écbevius d'Audenarde, opposans ou défendeurs, touchant le droit de créer des bourgeois à Audenarde , droit partagé par le demandeur, dont la seigneurie s'étendait dans cette ville.
L. G.
Charles, par la divine clémence, esleu empereur des Romains, tousiours auguste, roy de Germanie, de Castille, etc., à tous ceulx qui ces présentes lettres verront, salut.
Comme parcidevant, assavoir l'an XV'= et deux, les nobles et vas- saulx de nostre pays et conté d'Alost eussent remonstré par certaine
* L'arrêt cite, entre autres, le droit de meilleur catliel, qui était, comme on sait, la meilleure pièce de l'ameublement, laquelle revenait au seigneur à la mort de tout chef de famille. Si les héritiers voulaient la garder, ils devaient cou]3er la main du défunt et l'offrira la place. De là la dénomination de mainmorte. Le comté d'Alost, qui avait eu longtemps ses seigneurs propres, ayant été réuni, en 1175, à la Flandre, par Philippe d'Alsace, ce prince affranchit les habitants d'Alost du di'oit en question. Ajoutons que les droits de mainmorte dus au prince, comme comte d'Alost, forment l'objet des articles 1-8, rubrique I, de la coutume de ce qu'on nommait les deux villes et pays d'Alost *. Pour l'histoire de ce territoire on renvoie à l'ouvrage de MM. De Potter et Broeckaert, Geschiedenis der Stad Aalst voor- yegaan van eene historische schets van H voormalige land van Aalst.
* Voy. aussi les dispositions contenues dans l'édit de Charlos-Quint, du 16 mars 1541 (n. st.), ou " concession coroline » pour la ville de Grammout. {Placards de Flandre, liv. III, p. 281.)
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leur requeste comment ceulx de la loy de nostre ville de Grantmont ou fait de leurs privilèges, et mesmementde celluy de la bourgeoisie d'icelle ville, s'abusoyent journellement et faisoient contre la forme et teneur d'iceulx privilèges et aussi contre et au préjudice des drois, tant de nous à cause de certains terres que avons en ladicte conté, que d'iceulx noz vassaulx, à cause de leurs fiefs, terres et seigneuries qu'ilz avoient en icelle conté, contre aussi le bien de la chose publicque et de la justice, pour les inconvéniens qui en sui- voient par lesdicts abuz et excès, comme le tout avoit esté déduit par ladicte requeste, requérant pour ce lesdits nobles et vassaulx provision sur icelle. Surquoy leur eussent esté accordées certaines lettres de commission, en vertu desquelles certaine information eust préalablement esté faicte et prinse sur le contenu de ladicte requeste, et depuis, icelle information veue et visitée, eussent esté accordées certaines lettres patentes pour en vertu desquelles ceulx de la loy de nostredicte ville de Grantmont eussent esté adiournez à compa- roir pardevant les chancellier et gens du grant conseil de feu bonne mémoire, mon très redoubté seigneur et père, le roy don Philippe de Castille, que Dieu absoille, pour ledict privilège de leur bour- geoisie et autre, se aucuns en ayoient, veoir déclarer estre par eulx forfaiz et les priver du bénéfice et fruyct d'iceulx au moyen desdicts excès et abus, et, au surplus, respondre au procureur général lors de mondict seigneur et père à telles fins et conclusions que pour les causes avantdictes, leurs circonstances et dépendances, il vouldroit contre eulx et chascun d'eulx prendre et eslire, pocéder et aler avant en oultre, comme il appartiendroit par raison. Et au jour sur ce servant, comparans ledict procureur général, impétrant, et les- dicts vassaulx de nostre pays et conté d'Alost par certains leurs procureurs se joindirent avec luy, d'une part, et ceulx de la loy de nostredicte ville de Grantmont par certain leur procureur, d'autre, de la part dudict procureur général, impétrant, en faisant sa de- mande, eust, entre autres choses, esté dit et remonstré que nostre- dict pays et terroir d'Alost estoit une notable conté, appartenant lors mondict seigneur et père, et maintenant et de présent à nous, comme conte de Flandres, et que en icelluy pays avoit deux villes fermées assavoir : Alost et Grantmont, et ou terroir et plat pays cent soixante-douze paroiches ou environ dont il en y avoit xxi ou environ appartenant nuement audict conté, et qu'on appelloit Sgra-
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venpropre, en chascun desquelz villages ou paroiches y avoit ledict conte officiers de justice, si comme baillys et esclievins, qui avoient congnoissance de tous cas et adiugeoient les amendes et forfaictures au prouffit dudict conte, jusques à lx livres et en desoubz, et quant aucun y terminoit vie par mort ledict conte y avoit droit de meilleur cattel et encoires ung autre droit de morte main, qui estôit la moictié des meubles quant aucun natif esdits villages alloit de vie à trespas en ladicte conté d'Alost hors d'aucuns desdicts xxi villagres, tous lesquelz drois de meileur cattel et de morte main ledict conte per- dôit par ladicte bourgeoisie de Grantmont et d'Alost. Oudit terroir avoit aussi plusieurs fiefs, terres et seigneuries appartenans ausdicts vassaulx oîi iceulx vassaulx avoient toute justice, haulte, moyenne et basse, et leur appartenoient plusieurs drois, si comme le droit de meilleur cattel et les loix et amendes adiugées jjar leur justice, chascun en sa seigneurie. Et quant à nostre dicte ville de Grant- mont, elle estoit une ville fermée et privilégée et avoit parcidevant esté fondée, érigée et édifiée par feu le conte Guy, conte de Flan- dres et de Haynau, et sans point de doubte, ce que avoit meu ledict conte Guy et autres ses successeurs à priviléger ladicte ville avoit esté afin qu'elle feust habitée et pœuplée, et par ce moj'en fortifiée et augmentée, comme leursdicts privilèges le déclaroient, et ainsi qu'il apparissoit aussi par la ratification que feu le duc Jehan Bourgoingne en avoit fait, lesquelz privilèges, selon leur teneur, texte et vray entendement, estoient seullement octroyez pour les bourgois demourans et résidens en ladicte ville, et avec ce aians héritaige en icelle, sans fraude, et non à autres, et partant lesdits de Grammont n'avoient quelque privilège, povoir ou auctorité de faire ou créer aucuns bourgois forains demourans et habitans esdicts paroiches et terres appartenans audiot conté d'Alost ou ausdicts vassaulx , qui povoient et deussent joyr les previléges de la dicte ville, au préiudice des drois ledict conte et lesdicts vassaulx avoient eu leursdictes terres. Mais ce non obstant, lesdicts de Grantmont en eulx abusant grandement et excédant la teneur de leursdicts préten- duz privilèges, s'estoient ingérez de faire et de créer bourgois de ladicte ville plusieurs des subgetz, manans et demourans, tant es terres dudict conté, que es terres desdicts vassaulx, lesquelz ilz entendoient faire joyr des privilèges de ladicte ville, comme s'ilz eussent manans en icelle, ou quilz y eussent héritaige, sans fraude,
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comme dit est, et n reste fin, quant les officiers de justice dudict conté ou des vassaulx voul oient pi'endre cognoissance de leurs sub- gectz et manans qui se disoient ettre bourgois de Grantmont, ceulx de la loy d'icelle ville envoioj^ent leurs lettres par lesquelles ilz défendoient de non en prendre court ne congnoissance, et, pour . coulorer leur fait, quant ausdicts bourgois forains et par manière de fraude et collusion, ilz adhéritoient lesdicts boui'gois forains en certaine pièche de terre contenant environ deniy bonnier, estant en ladicte ville, laquelle ilz appellojent la terre commune en laquelle ilz avoyent enbérité mil et mil bourgois, et si ny avoit aucun qui y eust ung piet d'béritaiges. Lesquelles manières de faire estoient abuz et collusions contre la teneur et entendement desdicts j)riviléges, qui seroient tant seuUement octroyez pour peui)ler ladicte ville et pour les bourgois demourans en icelle et qui y seroient vrayement adbéritez, sans fraude, comme dessus est dit, et avec ce que lesdicts manières de faire estoient contre la teneur et texte desdicts privi- lèges, aussi estoient elles contre le bien publicque et la justice, en tant que soubz umbre desdicts bourgoisies se commettoient plusieurs fraudes et abuz en diverses manières, et, entre autres, quant aucun des subgects et manans desdicts terres appartenans et au conte et ausdicts vassaulx avoit commis quelque delict, craindant à estre pugny par la justice dudict conte ou desdicts vassaulx, il se faisoit bourgois dudict Grantmont, et s'il estoit attraict pardevant la justice du lieu où il seroit deraoui'ant et auroit commis le délict, il obtenoit desdicts de Grantmont lettres de deffence de non en congnoistre, attendu qu'il seroit leur bourgois, et, après lesdicts deffences, si l'officier du lieu vouloit avoir le malfaiteur pugny, il convenoit qu'il en fist sa poursuite j)ardevant lesdicts de Grantmont, lesquels tenoient l'officier si longuement en procès qu'il estoit constraingt de soy en déporter, veu mesmes qu'il faisoit la poursuite à ses despens, et qu'il avoit peu d'esjjoir d'en avoir recouvrir; et si l'officier n'en faisoit la poursuite, lesdicts de Grantmont n'en faisoient aussi aucune pugni- tion, et par ainsi demouroient les délicts inpugniz contre le bien publicque et au retardement de la justice. Aussi quant aucuns debteurs demourans esdicts terres du conte et des vassaulx doub- toient estre poursuyz par leurs créanciers pardevant la justice où ilz estoient demourans, ilz se faisoient bourgois dudict Grantmont, et quant le créditeur les vouloit poursuir pardevant la justice du lieu,
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ilz se cleffeudoient de leur bourgoj'sie et est oit le créditeur constraiuct de les aller poursuyr audict Grantmont, qui estoit aucunefoys six ou sept lieues de son domicilie, comme ceulx de Boi'iiehem et autres qui estoient distans à ladicte ville de Grantmont de six à sept lieues, lesquelz de Bornehem estoient la pluspart bourgois dudict Grant- mont, nonobstant qu'ilz n'estoient que à trois ou quatre lieues d'Alost, et pareillement ceulx de Renaix et d'illec environ et d'au- tour de Grantmont, qui n'estoit que trois ou quatre lieues distant dudict Grantmont se faisoient bourgois de la ville d'Alost, qui estoit aussi VI ou vu lieues : le tout à celle fin de autant plus travailler et faire despens en vain à leurs povres créditeurs, et quant le crédi- teur à grant despence et travail avoit commenchié pardevant les- dicts de Grantmont sa poursuite contre son debteur, et qu'il avoit obtenu deux ou trois defFaulx, le debteur, avant la dernière journée, se desfaysoit secrètement de sa bourgoysie, et tellement, que quant le créditeur avoit fait toutes ses poursuites et qu'il entendoit avoir coutumasse, sa partie, lesdicts de la loy de Giantmont déclaroient qu'ilz ne le trouvoyent point estre leur bourgoys, et, à ceste fin, les aucuns s'estoient faitz et desfaictz trois ou quatre foys en ung an de leurdict bourgoisie, qui estoit une fraude évidente et non tollérable, et par ce moyen perdoit ledict créditeur toutes ses poursuites et la despense et si ne consuivoit point son deu, et povoit encoires le mesmes debteur devenir de rechief bourgoys de ladicte xalle et pareillement traveillier son créditeur, soubz umbre dudict prétendu privilège. Et quant aucun desdicts bourgoys forains estoit arresté en aucunes des terres et seigneuries du conte et des vassaulx par la justice des lieux, ilz se faisoyent eslargir par lettre de bourgoysie, sans baillier quelque caution , combien que souvent ilz estoisnt insolvens et s'absentoient du pays, après qu'ilz estoient eslargiz, et par ce demouroient les créditeurs fraudez et frustrez de leur droit. Et advenoit aussi souvent que aucun povre laboureur avoit gaigné quelque petite chose par sa labeur de fouyr ou autre stil , s'il avoit à faire à aucun desdicts bourgois, il convenoit de i)oursuir sa debte audict Grantmont, et aj-moit mieulx perdre sa labeur et son deu que en faire illec sa longue poursuite. Lesdictes bour- goysies foraines estoient aussi au grant préjudice de la justice, drois et amendes appartenant audict conte, à cause de ses terres dont dessus, en tant que au moyen de ce que lesdicts bourgois fo-
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rains se disoient exempts de la justice des lieux oîiilz estoient demou- raus, ilz ne povoyent estre par icelle justice condempné en quelque amende au pioutEt dudict conte, s'il ne leur plaisoit. Et si disoient lesdicts bourgoys aussi estre exempts des drois du meilleur cattel et de mortemain que icellui conte avoit en sesdictes terres, comme des- sus, tellement qu'il u'avoit comme point de prouffit desdicts drois, à cause de la multitude et grant nombre desdicts bourgoys, comme il apparistroit par les comptes du grant bailly d'Alost, bailly de Nyneve et autres, et estoit le dommaige du meilleur cattel _et de mortemain esdictcs xxi paroiches, que portoit annuellement ledict conte, à cause de ladicte bourgoysie beaucop plus grant que le prouffit qu'il ne avoit des amendes jugées par lesdicts de Grantmont, et mesmes quant aucun desdicts manans se sentoient malades et qu'il y avoit apparence de mort, ilz devenoyent bourgoys de ladicte ville pour frauder et non payer ledict droit de mortemain ou de meilleur cattel, et s'il venoit à convallessence, il se deifesoyt de ladicte bourgoysie, qui estoit encoires une évidente fraude et abuz, car pour six ou sept patars ils se faisoient bourgois, et poui' autant d'argent ilz se deflaisoient de ladicte bourgoysie, qui estoit peu de chose au regard de la perte et dommaige que ledict conte et vassaulx y avoient, comme dessus est dit; et seroient aussi par ce lesdicts vassaulx fort préjudicié, en tant que par l'abus desdicts bourgoysies foraines la justice qu'ilz dévoient avoir sur les subgectz, manans et habitans, en leurdicts seigneuries, leur seroit osté et tollue, et si seroient frustrez des drois, loix et amendes à eulx appartenans à cause de leursdicts fiefs, terres et seigneuries, contre droit et raison, et au grant amoindrissement d'iceulx leurs fiefs dont ilz dévoient liommaige au prince. Par tous lesquelz fais, raisons et moyens, et que aussi lesdicts de Grantmont de leur autorité avoient ainsi usé de leursdicts bourgoysies foraines et par ce usurpé et fait acte appartenant à la haulteur du conte, sans en avoir octroy ou pi-ivi- lége, et dont seroient ensuiz telz abus, fraudes et inconvéniens contre le bien publicque et de la justice, et au grant préiudice des drois dudict conte et des vassaulx, comme dessus est dit, de la part dudict procureur général, impétrant, eust esté conclu afin qu'il feust dit et déclaré lesdicts de Grantmont, pour les abus et excès dessus- dicts, avoir perdu et fourfait tous et queizconcques leurs privilèges, ou si non droit, toutesvoyes sur ce en préalablement et sans soy en départir, que lesdicts de Grantmont feusseut condempnez d'eulx
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régler doresenavant selon le texte de leursdicts previléges, assavoir en faisant joyr d'iceulx les habitans et ayans leurs propres biens et liéritaiges en ladicte ville et banlieue d'icelle, et non autres, et, pai'dessus ce, pour lesdicts excès et abus au prouffit du conte en la somme de six mil Pliilipus d'or, ou auti-ement pugniz et mulctez, à l'arbitraige de la court. Et de la part desdicts nobles et vassaulx, joincts avec ledict procureur général, eust esté contendu au cas que les conclusions d'icelluy procureur général, quant à la fourfaicture desdicts privilèges ne lui feussent adiugées, afin qu'il feust dit et déclaré que lesdicts de Grantmont seroient tenuz d'eulx régler selon la teneur desdicts privilèges, et que nul joyroit d'iceulx privilèges fors les bourgois, manaus et demourans en ladicte ville, ou y ayans liéritaige, sans fraude, et non autres, requérans aussy provision en cas de j)rocès, veu niesmes que desdicts fraudes, excès et abus appa- rissoit par information précédente. Et disoient lesdicts procureur général et vassaulx leurs conclusions estre bien fondées, car quant audict j)rocureur général, il estoit notoire que de droit quicoucques s'abusoit de son privilège et excédoit la teneur d'icelluy, comme avoient fait lesdicts de Grantmont, ainsi que dessus est dit, il perdoit et fourfaisoit sondict privilège et en devoit estre pugny et corrigié, par quoy iceulx de Grantmont dévoient aussi perdre leursdicts pri- vilèges et estre pugniz et corrigiez, et quant ausdicts vassaulx, les privilèges de Grantmont avoient seullement esté octroyez pour les bourgois, manans et demourans en icelle ville et y ayans béritaige, comme dit est dessus, pourquoy ilz se dévoient régler selon le texte d'icelluy privilège, sans les excéder et extendre au préiudice des- dicts vassaulx et des drois à eulx appartenans, à cause de leursdicts fiefs, terres et seigneuries.
A quoy, pour la j)art desdicts de Grantmont, adiouniez, eust esté respondu et soustenu, au conti'aire, disans entre autres choses, que ladicte ville de Grantmont estoit de très ancliien temj)s fondée et érigée par nos prédécesseurs, contes de Flandres, située' et assise sur les limites de Flandres, Ilaynau et Brabant, à laquelle cause plusieurs contes de Flandres leur avoient donné ceiiains beaulx privilèges pour s'aydier à soustenir et entretenir, et, entre autres, feu Guy, conte de Flandre et marquis de Namur, eu l'an mil cent llllxx Jix «, donna et octroya à ladicte ville certain privilège, ap-
' C'était Thierri d'Alsace qui régnait alors en Flandre.
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prouvé par les contes de Haynau et duc de Bi'abant, lors estant, contenant plusieurs poins et articles à l'advautaige d'icelle ville, et, entre autres, que se aucun forain aclietast et acquist héritaige dedens ladicte ville, selon le jugement des eschevins d'icelle, il estoit francq, de quelque condition qu'il feust, et estoit par ce appelle bourgois de ladicte ville, et si tel bourgois forain vouloit il avoit la faculté de laissier la bourgoisie d'icelle ville, p)oui'veu qu'il eust illec satisfait sa debte ou promesse. Et semblable privilège et d'une mesme teneur avoit esté donné, concédé et octroyé à ladicte ville par Bauduiu, conte de Flandres et de Haynau, en l'an mil deux cens soixante-quatorze, au mois d'octobre. Ensuivant lesquelz privilèges lesdicts de Grantmont avoient de tout temps receu et admis à la boui'goisie d'icelle ville tous les habitans forains audict pays et conté d'Alost, qui à icelle avoient voulu et désiré estre receu, et les avoient entretenu et aydie entretenir en leur franchise et liberté, selon pri- vilèges, sans avoir commis aucune fraude ou mésus, en recliepvant, retenant ou délaissant iceulx bourgois forains. Et combien que ces choses considérées, ledict procureur général, impétrant, ne eust eu cause ne matière de à la cause dicte vexer, traveillier ou molester lesdicts de Grantmont, adiournez, néantmoins, s'étoit ingéré d'ob- tenir, soubz umbre de son donné à entendre, autre que véritable, soubz correction, telles lettres patentes, dont dessus, à tort et sans cause, veu les privilèges contenans telz poins que dessus. Concluant, partant, iceulx de Grantmont, adiournez, que ledict procureur géné- ral à avoir obtenu les lettres patentes dont dessus et au jour servant contendu, et semblablement lesdicts vassaulx, joinctz avec luy, que iceulx adiournez t'eussent privez de leurs privilèges touchant le fait de leur bourgoisie foraine, et avec ce condempnez en grandes amendes pecunielles, comme ayans mal usé de leursdicts privilèges, ne faisoient à oyr ne à recevoir, et si à recevoir faisoient, que non, ceste fin préalablement et par ordre wydee et sans en départir si n'avoient ilz cause et se aucune malvaise ne leur seroient leurs con- clusions adiugées, mais d'icelles lesdicts adiournez déclarez quites, délivrés et absolz, faisans contre lesdicts vassaulx joincts demande de despens, dommaiges et interests. Disoient lesdicts adiournez et deÔendeurs leurs conclusions estre bien fondées, car il apparoistroit de leurs privilèges, telz que dessus, confirmez par noz j)rédécesseurs, selon lesquelz privilèges iceulx adiournez avoient droit de affranchir
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les habitans forains auclict conté d'Alost qui achetoient quelque héritaige en ladicte ville de Grantmont, et ne seroit pas trouvez que iceulx adiournez eussent receu ou admis aucun forain à la Ijourgoi- sie de ladicte ville, que premiers il n'eust acheté quelque héritaige en icelle ville en payant les drois acoustumez. Aussi ne seroit jamais trouvé que lesdicts adiournez, en l'ecevant aucun forain à la bourgoisie de ladicte ville, eussent commis quelque fraude ou abuz, ains seroit trouvé qu'ilz les avoient tousiours receu et recevoient journellement quant le cas s'y offroit, selon l'usance et coutume que de très anchien et de tout temps en tel cas avoit esté observée. Ne seroit aussi jamais monstre par lesdicts procureur général et joincts, que lesdicts adiournez eussent commis aucuns fraude ou abus en recepvant lesdicts bourgois et i^ar les privilèges dont dessus ung chascun bourgeois forain avoit faculté de délaisser et habandonner ladicte bourgoisie, toutes et quantesfoys que Ijon luy sembloit, dont aussi avoit tousiours esté usé de tel et si long temps qu'il n'estoit mémoire du contraire, en payant toutesvoyes par ceulx qui haban- donnoyent ladicte bour'goysie xxxv gros de nostre monnoie de Flandres, et ainsi ne seroit point trouvé que lesdicts adiournez par- souffrir aucun bourgois forain habandonner ladicte bourgoysie ne autrement, touchant ce point eussent commis aucune fraude ou mésus. Parquoy s'ensuivoit que iceulx adiournez dévoient obtenir leursdicts fins et conclusions. Et ad ce que lesdicts procureur géné- ral et joincts disoient que, selon le texte du privilège, les bourgois devroient demourer en la ville et non dehors, afin mesmes que icelle ville feust bien i^euplée et habitée, respondoyent lesdicts adiournez que ledict texte estoit expressément au contraire, car selou icellui, ai^rès que ung foi'ain avoit acquis héritage en ladicte ville, selou le jugement des eschevins d'icelle ville, il estoit fait boni-gois franc de son corps et du meilleur cattel, ensemble aussi du droit de morte - main, et si avoit option de demourer partout où il luy plaisoit en la conté d'Alost. D'autre part, privilège devoit quelque chose attri- buer oultre droit commun, autrement ne pouvoit estre dit privilège. Or selon droit commun, ceulx qui venoient en ladicte ville, pi-en- doyent la franchise et y demouroient an et jour, estoient boui-gois d'icelle ville, pour laquelle bourgoysie faire ou aquerre n'estoient nécessaires ausdicts adiournez aucuns privilèges, comme il estoit tout cler, et ainsi lesdicts procureur et joincts estoient grandement
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abusez de vouloir soustenir que, selon lesdicts privilèges, iceulx adiouruez ne pouroient avoir bourgois forains. Ad ce que lesdicts procureur général et joincts disoient que, selon le texte dudict pri- vilège, avant que aucun foroin povoit estre receu à bourgoisie, estoit nécessaire qu'il eust acquis quelque hérilage en ladicte ville, et que lesdicts adiournez le recevoient et adhéritoient en quelque place commune, en icelle ville, sans qu'ilz eussent ungpiet de terre à eulx appartenans, respondoient lesdicts adiournez que jamais il ne seroit trouvé qu'ilz eussent abusé de leursdicts privilèges ne fait contre le texte d'icelluy, car quant aucun vouloit estre receu à bourgoisie foraine, il comparoissoit pardevant les eschevins, en nombre du moins de deux, le mayre de ladicte ville présent, et après qu'il avoit requis ladicte bourgoisie et qu'elle luy estoit accordée, faisoit serment et promesse des lors en avant estre bon et lèal au conte et à ladicte ville, et ledict serment fait, l'un des eschevins se levoit de son siège et se deshèritoit des biens et hèritaiges api:)artenans à ladicte ville, en valeur de xx gros, et, en après, audit héritaige estoit inhérité ledict bourgois, en payant lesdicts xx gros au prouffit de ladicte ville, et par dessus ce deux gros au prouffit du conte. Et telle cos- tume et usance avoit de tout temps esté observée à la réception des bourgois forains, et jamais autrement n'en avoit esté usé, la- quelle coustume et usauce estoit bonne et vaillable et approuvée pour souffissante, selon le jugement desdicts eschevins, ce qu'il souffi- soit selon la teneur de leurs privilèges. Et davantaige, sur ce point sentence avoit esté rendue jjar feu conte Loys de Flandres et de Nevers, le xvi^jourde mars en l'an mil trois cens soixante trois, sur procès lors pendant d'entre la dame de Boulaer, demanderesse, d'une part, et ceulx de la loy de Grantmont, deffendeurs, d'autre, ■par laquelle, entre autres poins, la clause desdicts privilèges avoit esté interprétée et dit que si avant que lesdicts eschevins affirme- roient par serment que leurs bourgois forains avoient acquis en ladicte ville hèritaiges, sans fraude, que iceulx bourgois joyroient et debvoient joyr de la franchise et liberté à eulx octroyé, par lesdicts privilèges. Par quoy s'ensuivoit que lesdicts demandeurs et joincts à malvaise cause s'eSbrchoient soustenir que lesdicts adiournez et delfendeurs abuseroient de leurs privilèges en l'acquisition d'hèri- taiges, en ladicte ville, par leurs bourgoys forains, attendu qu'ilz les acquestoient selon le jugement des eschevins et qu'ilz offroyent par
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serment affirmer que lesdicts bourgoj's avoyent acquis héritaige en ladicte ville, sans fraude, selon l'interprétacion de la clause contenue audict privilège, faicte par ladicte sentence. Ad ce que par ladicte bourgoisie foraine adviendroient plusieurs inconvéniens, et, entre autres, que les malfaicteurs demouroient inpugnyz, comme dessus a esté déduit, ceste allégation estoit bien frivolle et trouvée à vou- lenté, car quant aucun bourgois forain avoit commis ou plat pays ou ailleurs quelque crisme ou délict, les adiouruez le coudempnoient au prouffit du conte en la somme de lx livres parisis, où par la jus- tice du lieu où il estoit demourant il seroit seullement condempné au profit du seigneur du lieu en la somme de m £.. parisis, ou en autre petite amende, et par ainsi le prouffit que le vassal en auroit venoit plus grant au prouffit du conte, et si tel bourgois estoit prins pour cas criminel, lesdictz adiournez, s'il y esclieoit ban, le bannis- soient hors de tout le pays de Flandres, où, pour le mesme cas, la justice du lieu où icellui cas seroit perpétré ne le banniroit et ne le pouroit bannir, si non hors de la juridiction du lieu; et quant telz malfaiteurs obtenoient lettres desdicts adiournez pour empêscher la justice du vassal soubz lequel ilz estoient demourans, le bailly de Grantmont, au nom du conte, en prendroit la cause et se faisoit partie pour ledict conte, et estoit tel l)ourgois tenu de luy venir respondre pardevant lesdicts adiournez, en tel estât qu'il estoit par- devant la justice du lieu. Ad ce que lesdicts bourgois forains renon- choient à leurdicite bourgoisie quant ils vouloyent, et que, partant. Ton ne les savoit pardevant quelle justice traictier et convenir, respondoyent lesdicts adiournez que, selon les mots ex]pres de leurs privilèges, lesdicts bourgois avoient faculté de renuncher à leur l)Ourgoisie en payant pour issue le droit à ce introduit. D'autre part, lesdicts demandeurs et joincts coutendoient que lesdicts deffen- deurs n'eussent bourgois forains, or quant ils avoient renunchié à leur bourgoysie, ilz n'estoient plus bourgois mais subgects à la jus- tice du lieu où ils estoient demourans, et de telle condicion que au l^aravant, parquoy lesdicts demandeurs s'abusoient bien de vouloir inpugner que lesdicts bourgois ne povoient renoncher à leur l)our- goysie. A ce que l'on recevroit àbourgoys forains personnes malades et prouchaines de mort, pour les affranchir, ensemble leurs hoirs, des drois de meilleur cattel et de mortemain, lesdicts adioui^nez ne rccepvoient aucun s'il n'estoient présent, allant, séant et parlant, et
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ainsi ladicte allégation estoit bien vaine et frustre. A ce que quant aucun debteur demeurant au plat pays doubtoit de son créancier estre poursuy pardevant la justice du lieu pour sa debte, il s'avan- clioit d'acquérir ladicte bourgoisie et obtenir lettres desdicts adiour- nez, par lesquelles il constraindoit la justiee du lieu cesser, il estoit loisible à chascun demourant au pays d'Alost, en accomplissant les solempuités requises, acquerre ladicte bourgoysie quant bon luy sembloit, bien entendu s'il estoit adiourné par la justice du lieu pour quelque cause paravant qu'il feust bourgois, il estoit tenu res- poudre à Ifidicte cause, nonobstant bourgoysie depuis acquise. Et que plus estoit, si aucun demourant ou plat pays ayant commis quelque crisme, mésus ou délict acqueroit ladicte bourgoysie paravant qu'il feust poursuy ou adiourné pour la cause dicte, il ne joyssoit de ladicte bourgoysie à cause de tel crisme, mésuz et délict par avant commis. A ce que souvent ung bourgois convenu pour quelque deu pardevant la justice du lieu se aydoit de sa bourgoysie et luy dé- laissie par ladicte justice du lieu, renonclioit secrètement à sadicte bourgoisie pour frustrer le créditeur de son deu, tellement que ledict créditeur perdroit toute la desj)ence et poursuj-te par luy faicte, icelle allégacion se trouveroit, à correction, non véritable, car ung bourgois, après que en quelque cause il avoit allégué et soy aidie de sa bourgoisie, non obstant quelque allégation qu'il feist après, il seroit traictie et demoureroit bourgois jusques en fin de cause. A ce que quant aucun bourgois forain ou ses biens estoient arrestez pour avoir payement de quelque debte, les justices des lieux ou autres officiers ayans fait l'arrest estoient coustraints les relaxer, sans cau- tion, dont souventefoys ensuivoit grans inconvéniens, j)Our ce que les debteurs se i^ovoient absenter, sans avoir satisfait à leurs créan- ciers, respondoient lesdicts deffendeurs que, sur leurs bourgois ayans biens inmeubles souffisans pour payer leurs debtes, ne convenoit faire arrest eu corps ne en biens, mais s'il y avoit queLxue bourgois suspect de fuyte et non ayant biens souffisans pour furnir à la demande que Pou luy fait, en tel cas lesdicts deffendeurs, quant ilz en estoient requis, les mettoient en arrest, et scmblablement déte- noient le corps et leurs biens ou les biens de leurs bourgois arrestez quant il y avoit cause et que deuement ilz en estoient requis et sommez. Ad ce que lesdicts demandeurs disoient que les bonnes gens du plat pays ne savoient acquérir payement de ce que lesdicts
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bourgois leur dévoient, fors que à grant paine et despeuces exces- sive , ladicte allégation estoit bien frivoUe, car ceulx du plat pays désiroient beaucoup plus faire poursuyte, puisque faire leur conve- noit, par devant lesdicts défendeurs, que pardcvant la justice des lieux du plat pays. A quoy ilz avoient bonne raison pour ce que en démenant procès audict lieu de Grantmont, ilz avoient seul- lement à payer à leurs procureurs deux patars pour le jour, et quant ilz avoient i)rocès pardevant les justices des lieux il leur convenoit, avec le payement de leur procureur, aussi payer les journées des hommes et autres officiers qui aux plaix estoient pré- sens; à cause de quoy les poursuyvans payoient chascun jour entre deux, trois et quatre livres parisis, et souventesfoys plus et davan- taige. Pour confondre toutes les allégations desdicts demandeurs, si ladicte ville de Grantmont perdoit la bourgoisie foraine, elle seroit entièrement destruite et mise à ruyne, car premièrement, elle per- droit le droit de xx gros de la réception de chacun bourgois, en après la revenue de vu gros que ung chacun bourgois payoit annuel- lement à ladicte ville, et avec ce l'assise d'icelle ville, laquelle estoit fort augmentée par la hantise d'iceulx bourgois forains, et aussi XXXV gros que ung chacun payoit en renunchant à ladicte bour- goisie, avec plusieurs autres prouffits, et si perdroit aussi le conte deux gros de la réception de chacun bourgois, le viii^ denier de l'assiz et maltostes de ladicte ville, qui viendroit grandement au néant, ne feust la hantise d'iceulx bourgois, comme dit est; perdroit encoires le conte les xl nobles d'or que ladicte ville luy payoit annuellement à cause de ladicte bourgoisie, les amendes de lx livres esquelles lesdicts bourgois estoient journellement par les eschevins d'icelle ville condempnez, et avec ce son domaine et autres grans drois qu'il tenoit chascun an de ladicte ville. Semblablement, les rentiers ne sauroient acquerre payement de leur deu dont consé- quanment s'ensuiveroit l'abandonnement d'icelle ville. Pour les- quelles causes et autres, ledict procureur général, impétrant, en accomplissant le deu de son office avoit mieulx matière de faire procès pour les deffendeurs, que autrement, et ainsi qu'il faisoit, sçustcnans lesdicts deftèndeurs par ces raisons et moyens et plu- sieurs autres leurs fins et conclusions telles que dessus.
A quoy pour la part dudict procureur, impétrant, et joincts eust esté replicquié et premiers i ad ce que lesdicts de Grantmont,
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deffendeurs, auroient usé de telles bourgoisies foraines que dessus de si longtemps qu'il ne seroit mémoire du contraire car es choses qui dépendoient de la haulteur du prince et dont la possession ne se povoit en commencher sans privilèges, l'on ne pouvoit acquérir droit par quelque coustume ou usance que ce feust. Or le fait des bour- goisies et de donner povoir d'avoir ou créer bourgois estoit des choses appartenans à la haulteur du prince, et ne se povoit encom- mencher à possesser sans privilège exprès, mesmes par villes aians et congnoissans souverain, parquoy, puis que le privilège desdicts de Grantmont ne contenoit par exprès de povoir créer ou avoir bour- gois forains, iceulx de Gi-antmont ne povoient acquérir ce droit ou privilège par quelque usance ou possession , mais se devoit leur privilège estroitement entendre et comme le texte d'icelhiy eonnoit, et non plus avant, et ainsi quant ores lesdicts de Grantmont en eussent usé au contraire, ilz en avoient abusé et excédé, par quoy ladicte usance ne devoit estre tenu pour vaillable, ne telle que au moyen d'icelle l'on d'eust avoir acquis quelque droit, mais se devroit dire et appeller excès, abus et corruptelle, et, d'autre part, si une coustume estoit trouvée contre le bien publicque et de la justice, ou qu'elle tournast à la trop grande foule d'autruy, elle se devoit révoc- quer et abolir, par quoy à plus forte raison se devoit révoquer et aliolir ladicte usance abusive dont lesdicts de Grantmont n'a- voieut quelque privilège exprès, et laquelle seroit si exhorbitante et dont sourdroient tant d'abus et fraudes contre le bien de la justice et au préjudice du droit d'autruy, comme dessus. Et quant à la sentence dudict feu conte Loys de Flandres et de Nevers, lesdicts demandeurs prendoient à leur avantaige la consession que faisoient lesdicts deffendeurs, qu'il estoit requis que les bourgois eussent héritaige en ladicte ville, sans fraude. Or, il estoit tout cler et notoire que ou cas présent y avoit fraude évidente, car il n'y avoit bourgois qui sauroit dire ou monstrer qu'il eust ung piet d'héritaige en ladicte ville à luy appartenant , comme dessus est dit, par quoy ladicte sentence ne faisoit riens au prouffitz desdits deffendeurs. Et quant aux grands prouffitz que auroit le conte à cause de la création desdicts bourgois, l'on ne povoit dire que les- dicts prouffitz procéderoient pour avoir par ledict conte ou ses prédécesseurs octroyé privilège de user par lesdicts de Grantmont desdictes bourgoisies, car ilz n'avoient aucun, comme dit est, et
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ainsi quant ores lesJicts alnis et excès de user desdicts bourgois forains seroient abolis et mis jus, le conte devroit tousiours lever et avoir lesdicts prouflfitz eu laissant joyr lesdicts de Grantmont de leurs privilèges, selon leur forme et teneur, ijersistans, partant, les- dicts demandeurs par les raisons et moyens par eulx ci-dessus allé- guez et plusieurs autres en leursdicts fins et conclusions.
A quoy pour la part desdicts de Grantmont, deffendeurs, eust esté duplicqué, au contraire, persistans aussi par les raisons et moyens, telz que dessus, et plusieurs autres, en leursdicts fins et conclusions.
Lesquelles parties, ainsi oyes eussent esté appointiées contraires et en enqustes, et, icelles faictes et parfaictes d'une part et d'autre, parties eussent conclu sur fais principaulx, servy de reproches et contredicts, et finablement conclu en droit dès le mois de novembre de l'an XV^et huyt. La judicature duquel procès lesdicts de Grant- mont, deffendeurs, eussent par certaine longue espace de temps poursuybien diligamment, mais ilz n'en avoient peu consuyr, avoir, ne obtenir icelle, obstant que plusieurs desdicts vassaulx d'Alost, joincts, n'avoient servi de leurs procurations à court, et à ceste cause iceulx deffendeurs eussent obtenu certaines noz lettres pa- tentes et en vertu d'icelles et par certain nostre huissier d'armes fait adiourner pardevant ceulx de nostre grant conseil ordonné à Malines, à certains jour passé, plusieurs desdicts vassaulx dudict pays et conté d'Alost, non ayans servi de procuration, comme dit est, pour par eulx ou leurs procureurs en leurs noms souffisamment fondez par lettres de procuration venir advoer ou desadvoer les procédures faictes et démenées en leurs noms au procès dessusdict, pour ce fait estre procédé à la détermination et judicature d'icelluy procès ou autrement, ainsi ({ue faire se devroit par raison. Auquel jour servant feussent venus et comparez plusieurs vassaulx dudict pays et conté d'Alost qui avoient esté adiournez à la fin et ainsi que dessus par divers leurs procureurs, lesquelz, en vertu de leurs pro- curations ad ce spéciales, avoient advoé les procédures du procès, conclu en droit, comme dessus, dont eust esté accordé acte ausdicts deffendeurs, lesquelz, depuis, eussent très instanment poursuy la judicature dudict procès, et, à ceste fin, obtenu certaines noz lettres closes et comparu par plusieurs fois par leurs procureurs et sollici- teurs en nostredict grant conseil.
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Savoir faisons que, veu et visité en icelluy nostre grant conseil le procès desdicts parties, et tout ce que par icelluy appert, et consi- déré ce que fait à veoir et considérer en ceste partie, et qui peut et doit mouvoir, nous, à grande et meure délibération de conseil, par ceste nostre sentence diffinitive et pour droit avons absolz et ali- soillons lesdicts de Grantmont, deffendeurs, des fins, demandes et conclusions de nostre procureur général et vassaulx de nostre conté d'Alost, joincts, tant ceulx qui ont esté au procès depuis le commen- chement, que ceulx qui, comme dessus, ont advoé, saulf à nous et à noz successeurs, contes et contesses de Flandi'es et d'Alost, nostre haulteur et auctorité de povoir en temps futur ordonner et modérer sur le fait de la bourgoisie foraine litigieuse, selon que, pour le bien de nous et des ville de Grantmont, terroir d'Alost, nobles, vassaulx et subgects, verront estre à faire et que le cas le requerra, et con- dempnons les adjoincts que dessus en la moictié des despens, le tax d'iceulx réservé aux gens de nostredict grant conseil.
En tesmoing de ce nous avons fait mettre nostre sel à ces pré- sentes. Donné en nostre ville de Malines le xx<= jour de juillet l'an de grâce mil cincq cens et vingt ung, et de noz règnes, assavoir des Romains le tiers, et d'Espaigne le sixiesme.
(Grand conseil de Malines, registre n°338, fol. 67).
3 Février 1525, 152G (n. st.).
Charles, etc. A tous ceulx qui ces présentes lettres verront ou orront, salut.
Comme ou mois de janvier de l'an XVc et dixsept procès se feust meu pardevant noz amez et féaulx les président et gens de nostre grant conseil à Malines, dentre nostre amé et féal chevalier et vassal, Messire Josse Blondel, Seigneur dePamele, ber de Flandres, impé- trant de certaines noz lettres patentes touchant la création de bour- goisie, d'une part, et les eschevins de nostre ville d'Audenarde, oijposans et adiouruez, d'autre, alléguant icelluy impétrant comment en l'an IIIlxx et six * pour mectre jus et obvier à plusieurs différenz meuz et apparans encoires de plus en plus mouvoir d'entre lesdicts eschevins et conseil d'Audenarde et nostre procureur général de
< Lisez 1486.
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Flandres, d'une part, et feu Josse Blondel, père dudict impétrant, d'autre, pour raison et à cause des bourgoisies, france veritez et de la congnoissance des matières civiles et criminelles, fut par les chancelier et gens du grant conseil pour lors de feu nostre très chier seigneur et père le roy de Castille, cui Dieu absoile, conceu soubz son bon plaisir certain appointement du consentement de nostredict procureur général de Flandres, contenant pluiseurs poins et articles, et, entre autres, les poins et articles qui s'ensuivent. Premiers, que ledict impétrant, seigneur de Pamele, auroit en nostre ville d'Au- denarde, sur sa seigneurie de Pamele, baillifz, amman, sept jurez, ung clercq et varlet desdicts jurez, à cause de laquelle seigneurie ledict seigneur de Pamele par ses officiers illecq a d'ancien temps joy et usé, doit jojt et user, tant sur les bourgois ou bourgoises de nostredicte ville d'Audenarde, que autrement, en cas civil, des pré- héminences, drois, prérogatives, et congnoissances telz que cy-après sont déclarez, assçavoir : de tenir registre reposant soubz les jurez de Pamele et en icelluy enregistrer les bourgeois d'Audenarde, qui par demeure ou habitation eu nostre dicte ville d'Audenarde, sur la seigneurie de Pamele, auront acquis la bourgoisie qui s'appelle en thiois ;poorters van versitte, ceulx qui, à ce titre, succéderont et descenderont de eulx et des bourgois qui d'anchienneté et par hoirie ont esté, et quant à présent sont enregistrez oudict livre et registi'e et non autre, que les jurez de Pamele sont tenuz rapporter par nom et surnom aux eschevins de nostredicte ville d'Audenarde les personnes estans enregistrez oudict livre et registre à Pamele, pour iceulx par les clercqs desdicts eschevins et comme bourgois d'Audenarde estre enregistrez ou livre et registre où l'on est acous- tumé enregistrer lesdicts bourgois, appelle en thiois \epoortersbor<ck, reposant soubz lesdicts eschevins d'Audenarde, comme parcidevant et d'anchienneté l'on a usé et accoustumé de faire. Et au regard des bourgois ou bourgoises de nostredicte ville d'Audenarde, qui par filtre de habitation et demeure ou par hoirie et succession doresena- vant seront enregistrez à Pamele, telz bourgois et bourgoises seront tenuz, et quatre jurez de Pamele avec eulx, comparoir pardevant lesdicts eschevins d'Audenarde pour illecq estre sermentez quant le cas le requiei't, et oultre y estre enregistrez et intitulez comme bourgois d'Audenarde, à la congnoissance desdicts eschevins d'Au- denarde et présens lesdicts jurez de Pamele, par les clercqs desdicts
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eschevins, et se partissent les prouffis à ce ordonnez à ceulx d'Au- denarde et de Pamele également, moictié par moictié, et après iceluy enregistrement ainsi fait, les clercqs desdicts esclievins sont tenuz sur-le-champ en bailler l'extraict ausdicts jurez de Pamele, pour en oultre ainsi les enregistrer à Pamele. Et ne se peuvent en autre foiTne ou manière lesdictes personnes enregistrer tant d'un costé que d'autre, sur paine de dix ^e. parisis chascune fois que le contraire seroit trouvé estre fait, moictié à nostre prouffit, et l'autre moictié au prouiïit de la partie intéressée, et est de nulle valeur ce que aultrement en auroit esté fait. Lequel appoinctement eust par eulx esté rendu et ordonné entretenir par les parties comme icelle ont fait du contenu. Auquel appointement ledict impétrant et ses prédécesseurs ont tousiours joy et usé paisiblement et sans em- peschement, au veu et sceu desdicts adjournez, de si longtemps qu'il n'est mémoire du contraire. Et combien que partant il ne feust loisible à iceulx adjournez contrevenir audict appoinctement, et en ce faisant baillier audict impétrant et ses subgects aucun distourbier ou empeschement, en la possession et joyssance de ce que dit est, ce non obstant iceulx adiournez se seroient depuis aucun temps advan- chiez recevoir et enregistrer secrètement ung Colard Arandeau, Geroeme Hillebrouck, Pauwels Goessewyn et une Jennequin Micque- jotz et autres, eu contrevenant par ce, tant audict appoinctement, comme aussy à la joyssance et possession dudict impétrant. Pour à quoy remédier et pourveoir ledict seigneur de Pamele a esté en 7iécessité ces choses nous donner à congnoistre. Sur quoy luy eus- sions fait depeschier lesdicts lettres patentes, en vertu desquelles certain nostre huissier darmes sur ce requis, eust fait les comman- demens y contenuz , au surplus les mectant à exécution, selon leur forme et teneur. Ausquelz commandemens iceulx d'Audenarde se sont opposez. Pour laquelle leur opposition ledict huissier exploi- teur les eust adiournez à estre et comparoir en nostredict grant conseil à certain jour passé. Auquel jour servant, comparans lesdictes parties, ou procureurs pour elles en jugement, de la pai-t dudict im- pétrant ont esté ramenées à fait sesdicts lettres patente et conclu par pluiseurs raisons et moyens de par luy alléguiez, affin de l'inté- rinement d'icelles, et en les intérinant qu'il feust dit à bonne et juste cause les avoir obtenu et fait faire les commandemens y conte- nuz, que à tort et mauvaise cause lesdicts adiournez si seroient
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opposé et non obstant laquelle leur opposition dont ilz desclier- roient les commandemens à eulx fais sortiroient leur plain et entier effeot, faisant demande de despens, requérrant, en oultre, l'adionc- tion de nostre procureur général.
A quoy pour la part desdicts de nostre ville d'Audenarde, adiour- nez, eust esté respondu et pour responce dit et proposé comment il estoit vra}' que en nostredicte ville d'Audenarde sei-oient trois regis- tres esquelz l'on escript et enregistre les bourgois et bourgoises d'icelle nostre ville, dont le premier rexjose soubz les jurez de Pamele, l'autre et le second soubz les eschevins dudit Audenarde, que l'on appelle en thiois de poortersbouck van Pamele, qui seroient les registres dont l'appoinctement par ledict impétrant alléguée fait mencion. Le tiers est ung registre reposant soubz lesdicts eschevins d'Audenarde, en la maison de la ville, que l'on appelle den poorter- bouck van Audenarde, qui ne seroit comprius en l'appoinctement dessusdict, duquel troisiesme registre les jurez de Pamele ou le seigneur de Pamele n'ont que congnoistre ou veoir, ne des personnes enregistrées en icelluj', mais en a la congnoissance de tout temps appartenu et appartient aux eschevins d'Audenarde, disant, en oultre, que lesdicts eschevins ont droit et sont en possession de recevoir à bourgois les personnes demourans en la seigneurie de Pamele, aians acquis par don du prince ou achat droit de bourgaige d'Audenarde, auroient pareillement usé de recevoir personnes de- mourans en ledict seigneurie de Pamele, venans pardevant lesdicts eschevins sans jurez de Pamele, vequérans parvenir à la bourgoisie d'icelle nostre ville et estre receuz comme liourgois, que l'on appelle en thiois poorters van versitte. Seroient aussi en possession d'enre- gistrer et inscripi'e ou registre l'eposant soubz lesdicts eschevins, appelé de poortersbouck van Audenarde, les bourgois ayans acquis ladicte bourgoisie par don du prince ou par achat, appelez poorters van versitte, comme dessus, demourans soubz la seigneurie de Pa- mele, et ceulx qui de eulx descendent et sont descenduz par hoirie et succession, sans la congnoissance desdicts jurez de Pamele, concluant, partant, et par pluisieurs autres raisons et moyens afin que ledict impénetrant, faisoit à oyr ne à recevoir en l'impétration et exécution desdites noz lettres patente, et si à recevoir faisoit, que non, si n'avoit-il cause ni action; que, partant, lesdicts adiournez sy seroient à bonne et juste cause opposé, et en les déclairant bons
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oj^posans seroient -déclairez quictes , délivrés et absolz des fins, demandes et conclusions dudict impétrant, faisant aussi demande de despens.
Sur quoy de la part dudict impétrant eust esté réplicquié et de celle desdicts adiournez duplicquié, chacune des parties persistant es fins et conclusions par elles autresibis prinses l'une contre l'autre, et finablement, api'ès que lesdictes parties ont esté bien et au long oyes en tout ce quelles ont volu dire et alléguier de bouche, elles eussent par lesdicts de nostre grant conseil esté appoinctées d'escripre par brieves mémoires à leurs fins plaidoyés, et leursdicts mémoires justiffier de telles lettres, tiltres et munimens que bon leur semble- roit, dont elles auroient hitie inde vision ou copie, pour les contre- dire et débatre par ung mesme volume en la manière accoustumée, et ce fait mettre le tout au greffe de nostredict grant conseil ende- dans certain temps à ce ordonné, pour après, le tout veu, faire droit à icelles parties ou autre tel appoinctement qu'il appartiendroit par l'aison. Auquel appoinctement par ambedeux les parties eust esté satisfait et depuis le procès desdicts parties estant ainsi fumy, mesmes après ce que les eseriptures hinc inde servies par lesdicts parties auroient esté veues et visitées, icelles parties eussent par lesdicts de nostre grant conseil esté déclairés contraires en leurs fais, ordonnant pour ce qu'elles auroient commis, qui s'informeroit sur la vérité d'iceulx, recevi-oit reproches et salvations, et parinstrui- rait le procès jusques en diffinitive exclusivement, et icelluy instruit et mis en estât de jugier, le rapporteroit ou i-envoyeroit au greffe du susdit nostre grant conseil cloz et scellé, comme il appartient, ende- dans le temps à ce préfigié, pour après, le tout veu, estre fait et dit droit ausdicts parties, ou autre tel appoinctement qu'il appartien- droit de faire par raison. En ensuivant lequel appoinctement, certain commis député par nous eust procédé à faire les enquestes desdictes parties hinc i7ide, comme eussent aussi j)roduit plusieurs tiltres et enseignemens, conclu depuis sur fais principaulx, servy de reproches et salvations, et finablement, en renonchant à plus aucune chose produire, conclu en droit. Que le procès desdicts parties estant ainsi instruit et mis en estât de jugier, ledict seigneur de Pamele, impé- trant, nous eust depuis bien instamment supplié et requis que nostre plaisir fuyst luy faire administrer droit et justice sur ledict procès, pour et à cesle fin, comparant par pluiseurs et diverses fois par les procureurs et commis de nostredict grant conseil.
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Savoir faisons que, veu et visité eu icelluj' nostre grart conseil le procès desdictes parties, et tout ce que par icelluy appert, considéré aussi ce qui faisoit veoir et considérer en ceste partie, et qui povoit et devoit mouvoir, nous, à grande et meure délibération de conseil, par ceste nostre sentence diffinitive disons et pour droit que bien a esté impétré par ledict seigneur de Pamele, et mal opposé i)ar les- dicts opposans, révocquons et mectons au néant la réception et inscription faicte par lesdicts opposans des quatre personnes nien- cionnées en la venue en court dudict impétrant, et deffendons aus- dicts escbevins et conseil de nostre ville d'Audeuarde de recevoir ou admectre à bourgois d'Audenarde les manans sur la seigneurie de Pamele, synon en présence de quatre jurez de Pamele, et selon la forme et manière contenue audict accord et traictie de l'an IlII^x et six, mencionné en ce procès, et non autrement, et si condempnons lesdicts opposans es despens de ce procès, le taux d'iceulx réservé ausdicts de nostre grant conseil.
En tesmoing de ce nous avons fait mectre nostre scel à ces pré- sentes. Donné en nostre ville de Malines le tiers jour de février l'an de grâce mil cincq cens et vingt cincq et de nosdicts règnes, etc. (Grand conseil de Malines, registre n» 342, fol. 243).
Vente d'objets d'art provenant d'anciennes con- fréries. — La cour d'appel de Gand vient de rendre un arrêt qui offre beaucoup d'intérêt pour les propriétaires d'objets provenant des anciennes corporations et gildes; il doit également recevoir son application pour les objets provenant de toutes les autres institutions qui ont été sup- primées à la révolution française '.
Cour d'appel de Gand, 2« chambre. Présid. de M. De Meren,
12 juillet 1882.
Meuble. — Corporation supprimée. — Reyendication par l'état. — VÉtat ti'est plus fondé à revendiquer, à
» Belgique judiciaire, 1882, 2). 955 et suiv.
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charge du trésorier dhme société d'agrément les objets mobiliers récemment aliénés pour celle-ci, sur le fondement que ces objets ont appartenu au siècle dernier à une an- cienne corporation ou gilde supprimée dont les biens ont été réunis au domaine, et qiCils ont été possédés depuis par une association ou société particidière n'ayant pas de per- sonnification civile.
L'État n'est pas davantage fondé à réclamer , soit des dommages-intérêts du chef de cette aliénation, soit, à défaut de restitution des objets, le prix provenu de la vente. (LipPENS contre I'État belge).
Nous donnons les termes de l'exploit qui font connaître les circonstances dans lesquelles l'action a été intentée.
L'État belge a assigné M. Lippens devant le tribunal civil de Gand , pour :
« Attendu qu'en vertu des décrets du 24 avril-2 mai 1793 et du 7 thermidor an II, légalement publiés en Bel- gique , tous les biens de l'ancienne corporation, gilde ou confrérie existant à Gand , depuis plusieurs siècles , sous le nom de gilde S^ Georges, ont été, à la suite de la sup- pression de la dite gilde comme personne civile, réunis au domaine de l'État ;
» Attendu que parmi les objets composant l'avoir mobilier de la confrérie supprimée, se trouvaient, outre les archives (consistant en un livre destiné à l'inscription des noms des membres à dater du XV^ siècle et plusieurs autres docu- ments se rapportant aux faits et gestes de la confrérie avant sa suppression) , un calice en vermeil ciselé , du poids d'un kilogramme et seize décagrammes , une lampe en argent et une coupe de même métal;
» Attendu que le domaine n'a.j|^nais disposé de ces objets; qu'il n'en a cédé à ];_ Vvne ni la propriété, ni la jouissance légale ; que néanmoins il est certain qu'une société d'agré-
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ment destinée à former ses membres au tir à l'arbalète, s'étant constituée à Gancl sous le nom de Société de St. Georges ou Confrérie de Varhcdète , les personnes composant la dite société ont eu la détention effective des objets indiqués ci-dessus, sans qu'il conste soit envers elle, ut sinfftUi, soit envers une prétendue société, dépouillée de tout caractère juridique, de l'existence d'un titre légal de propriété ou de possession , appuyant la dite détention de fait;
» Attendu qu'au cours des années 1874 et 1875, les trois objets d'art susmentionnés, ont été successivement aliénés, savoir: le calice en vermeil pour la somme d'environ 22,000 fr., la lampe en argent pour celle de 1000 fr., et la coupe pour celle de 600 fr. ;
» Attendu que ces ventes ont été opérées par le défendeur, qui en a touché le prix, ce, d'après que les circonstances eu font juger, en sa qualité de trésorier de la prétendue Société de Saint- Geo^^ff es et au nom et pour compte de la dite prétendue société ;
» Attendu qu'en agissant ainsi, le défendeur a, sans droit ni titre , aliéné le bien de l'État et qu'en dehors de toute question de bonne ou de mauvaise foi ou d'erreur de droit ou de fait , il s'est rendu responsable envers l'État, des actes par lui posés ainsi que de leurs conséquences ;
» Qu'il doit, dès lors, à l'État, restitution des objets vendus, ou tout au moins , s'il existe un obstacle légal à la revendi- cation des objets vendus entre les mains des possesseurs actuels, indemnité envers l'État de la valeur des objets aliénés ;
» Qu'à cet égard , si les prix de l'aliénation de la lampe et delà coupe (ensemble 1600 fr.) ne peuvent être contrôlés dans les circonstances où la vente en a été opérée, il n'en est pas de même pour le prix du calice en vermeil, lequel , vendu par le défendeur à un antiquaire , pour le prix net
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de 22,000 fr., a été presque immédiatement revendu pour la somme de 30,000 fr., à un tiers qui le possède encore et en otïre la restitution à l'État contre remboursement dudit prix d'achat;
» Attendu que le défendeur, détenteur en fait des regis- tres et papiers de l'ancienne confrérie supprimée , en doit également faire la remise à l'État, s'agissant d'objets attri- bués au domaine en vertu des lois de suppression ;
» Y voir et entendre dire pour droit que le défendeur aura à faire remise au domaine, du calice en vermeil (poids 1^ 16), de la lampe et de la coupe en argent, dont question ci- dessus , ainsi que de tous les registres , archives , documents ayant appartenu à la confrérie ou gilde Saint-Georges, supprimée en vertu du décret de 1793, comme étant biens appartenant au domaine et dont celui-ci ne s'est jamais dessaisi ou n'a autorisé l'aliénation ;
» Faute de ce faire dans le mois de la signification du jugement à intervenir, se voir condamner dès à présent pour lors , à payer à l'État :
» 1° Pour les objets d'art aliénés, la somme de 31,600 fr. avec les intérêts du jour de la demande;
» 2*^ Pour la non remise des registres et archives, la somme de 20 fr. par jour de retard, sans préjudice à toute autre mesure d'exécution par saisie ou contrainte , qu'il écherrait de faire décréter par justice, ou à laquelle il y aurait lieu de recourir selon la loi ;
» Action évaluée, pour la compétence, à la somme de 40,000 fr. »
Sur cette assignation , le défendeur invoqua la prescrip- tion, sauf pour les archives qu'il offrit de restituer, et fit remarquer qu'il n'y avait aucun motif de croire que les objets revendiqués n'avaient pas été vendus par l'admini- stration des domaines et rachetés par des membres de la corporation supprimée qui avaient continué à se réunir, comme constituant une société d'agrément.
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Le 4 août 1880, le tribunal civil de Gand rendit le juge- ment suivant:
Jugement : « Vu les pièces, ouï en audience publique les parties en leurs moyens et conclusions :
« x^ttendu que le défendeur ne conteste pas que les objets d'art dont il s'agit au procès ont ai)partenu à l'ancienne confrérie ou gilde de Saint-Georges, supprimée par le décret du 24 avril-2 mai 1793 , rendu exécutoire en Belgique par arrêté du directoire exécutif le 7 pluviôse an V, et dont les biens ont été réunis au domaine ;
» Attendu que le défendeur oppose à l'action de l'État la prescription trentenaire, conformément à l'art. 2262 C. civil;
!> Attendu que ce moyen n'est pas fondé; » Qu'en effet il est de principe certain, proclamé par arrêt de la cour de cassation du 3 juin 1875 (Belg. Jud., 1875, p. 819), que l'État n'a pu perdre la propriété des objets lui appartenant en vertu du décret prérappelé, par le simple fait de la non détention ou dépossession , aussi longtemps qu'un tiers n'a pas acquis lui-même le droit de propriété par l'un des modes d'acquisition , énumérés aux art. 711 et 712 C. civil.
» Attendu qu'il suit de là, que, pour prétendre en avoir acquis la propriété par la prescription acquisitive , le dé- fendeur devrait justifier avoir eu la possession des objets par lui détenus avec tous les caractères énumérés en l'art. 2229 C. civil;
» Attendu qu'à cet égard le défendeur invoque le prin- cipe « en fait de meubles possession vaut titre ; » qu'il ne justifie pas avoir possédé en vertu d'une cause légale d'ac- quisition , ni à titre de propriétaire ;
» Qu'il se borne à dénier avoir possédé pour l'État; mais (lue cela fût-il vrai, cette détention n'a pu lui conférer aucun droit de propriété;
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» Attendu que c'est donc à juste titre que l'État demande la restitution des objets dont il est resté propriétaire, et qui sont détenus sans droit par le détendeur, ou la valeur des objets illégalement aliénés par le défendeur , et ce à titre de dommages-intérêts;
» Attendu en ce qui concerne les archives , registres et documents provenant de l'ancienne confrérie de Saint- Georges, que le défendeur n'en conteste ni le droit de propriété au profit de l'État , ni le droit , de la part de ce dernier, de les revendiquer;
» Par ces motifs , le tribunal , faisant droit, de l'avis con- forme de M, Van Wekveke, substitut du procureur du roi, déclare non fondé le moj'en de prescription opposé par le défendeur; condamne le défendeur à restituer à l'État les objets par lui revendiqués , ayant appartenu à l'ancienne confrérie ou gilde de Saint-Georges, supprimée par le décret du 24 avril-2 mai 1793, à savoir: un calice en ver- meil , une lampe et une coupe en argent , ainsi que les regis- tres , archives et documents , dans le mois de la signification du présent jugement, sous peine de dommages-intérêts à libeller par état; condamne le défendeur aux dépens... (du 4 août ] 880. — Plaid. M^Iês Van Biervliet c. Ad. Du Bois).
» Appel fut interjeté par M. Eug. Lippens. »
Aerêt. —^ a Sur la fin de non recevoir :
» Attendu que s'il est vrai que l'État belge est proprié- taire des objets dont il réclame la restitution et que l'appelant n'en a été que le détenteur précaire, il est incon- testable que cette détention a engendré, pour l'appelant, l'obligation de restituer lesdits objets lorsqu'il eu serait requis, et pour l'État, une action personnelle en restitution qu'il exerce aujourd'hui;
» Attendu que le fait de l'appelant d'avoir aliéné un ou plusieurs de ces objets a pu créer contre lui, outre l'obli- gation de restituer, une obligation subsidiaire de payer des
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dommages-intérêts à l'Etat, mais u'a pu avoir pour consé- quence de modifier la nature de l'action de ce dernier;
» Que c'est donc à tort que l'appelant conteste la receva- bilité de la demande, se fondant sur ce qu'elle ne réunit pas les caractères de la revendication, laquelle, d'ailleurs, en fait de meubles n'est admise qu'au cas de vol ou de perte de la cliose réclamée, ce qui ne se présente pas dans l'espèce;
» Au fond , attendu que suivant l'exploit introductif d'instance, l'appelant a été assigné aux fins de se voir et entendre condamner au principal, à faire remise au do- maine d'un calice en vermeil (poids 1 ^- 16), d'une lampe et d'une coupe en argent , ainsi que de tous registres , archives et documents ayant appartenu à la confrérie ou gilde de Saint-Georges, supprimée en vertu du décret de 1793, et subsidiairement à payer : !« pour les objets d'art, ci-dessus détaillés, la somme de 31,GO0 fr. avec intérêts du jour de la demande; 2° et pour la non remise des archives, 20 fr. par jour de retard;
» Attendu que cette demande est fondée sur ce que, par suite du décret du 24 avril-2 mai 1793, tous les biens ayant appartenu à ladite gilde ont été réunis au domaine de l'État; que le domaine n'a jamais disposé de ces objets, qu'il n'en a cédé à personne ni la ])ropriété ni la jouissance légale; que néanmoins, il est certain qu'une société d'agré- ment destinée à former ses membres à l'exercice du tir à l'arbalète, s étant constituée à Gand sous le nom de Société de Saint-Georges ou Confrérie de l'arbalète, les personnes composant la dite société ont eu la détention effective des objets dont il s'agit, sans qu'il conste, soit envers elles ut sin- guli, soit envers une prétendue société dépouillée de tout caractère juridique, de l'existence d'un titre légal de pro- priété ou d'une possession, appuyant la dite détention de fait ;
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» Attentlu qu'en ce qui concerne le deuxième point, no- tamment les archives, l'appelant a déclaré acquiescer à la demande ;
» Attendu que le décret du 24 avril-2 mai 1793, en dé- clarant nationaux les biens meubles et immeubles qui avaient été possédés par les chevaliers ou par les compa- gnies connues sous les noms ù.'' arquebusiers, archers, arba- létriers, coulevriniers ou autres corporations, sous quelque autre dénomination que ce fût, a, dans son article 2, or- donné que : « Ces biens seront adjugés de suite en la forme » et avec les conditions prescrites pour l'adjudication des » autres biens nationaux ; »
» Attendu que, par l'effet de cette disposition et indé- pendamment de toute considération à déduire de la nature des biens dont s'agit au procès, on ne pourrait soutenir que ces dits objets ne sont pas susceptibles de propriété ])rivée ;
» Attendu qu'aucune loi ni aucun principe ne s'oppose à ce que plusieurs personnes constituées en société, celle-ci même déi)Ouillée de toute individualité juridique, possè- dent en commun un ou plusieurs objets déterminés;
» Que pareille possession commune a, pour les intéres- sés, les mêmes caractères et les mêmes conséquences ju- ridiques que si elle était exercée par eux en dehors de tout lien de société, ou bien, sauf les effets de l'indivision à régler entre eux, que si elle était exercée par une seule personne ;
» Attendu, comme il est dit ci-dessus, l'intimé pose en fait, que partant il reconnaît que les personnes composant la Société Saint-Georges ou confrérie de l'arbalète à Gand, ont eu la détention effective des objets dont il réclame la restitution ;
» Qu'en agissant en leur nom et pour leur compte, en sa qualité de trésorier de la dite Société, l'appelant a vendu les objets litigieux ;
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» Attendu qu'en matière mobilière, la loi attache les effets de la propriété à la possession, laquelle n'est autre chose que la détention qu'on exerce soi-même (art. 2279 et 2228 du Code civil), et que l'intention de posséder pour soi-même est la conséquence légale du fait de la détention, à moins qu'il ne soit prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre (art. 2230 du Code civil) ;
» Attendu que pour justifier du fondement de sa de- mande, l'intimé aurait donc eu à spécifier le titre précaire en vertu duquel il prétend que les membres de la Société vSaint-Georges ont eu la détention, et à en faire la preuve ;
» Attendu qu'il n'a point fourni, ni offert de fournir cette preuve; qu'il s'est borné aux allégations vagues et purement négatives rappelées plus haut, savoir : que l'État n'a jamais disposé des objets dont s'agit, qu'il n'en a cédé à personne ni la propriété ni la jouissance légale, et qu'il ne conste d'aucun titre légal de propriété ou possession appuyant la détention qu'il critique;
» Attendu, d'ailleurs, que l'intimé n'a pas même justifié que tous et chacun des objets dont il demande la restitu- tion ont été attribués au domaine par le décret de 1793 ;
» Qu'i] résulte, en effet, des pièces produites par l'intimé lui-même, qu'un calice et accessoire, ayant appartenu à la gilde de Saint-Georges, a été vendu en 1579 à un orfèvre, et qu'il est douteux que le calice vendu par l'appe- lant au prix de 22,000 fr. ne soit pas le même.
» Attendu qu'il n^est pas contesté que les membres de la Société Saint-Georges sont depuis plus de trente ans en possession des objets litigieux;
» Attendu qu'à la faveur des termes généraux de l'art. 2235 du Code civil, ceux des membres actuels de la dite société qui n'ont pas possédé personnellement pendant ce laps de temps, peuvent compléter leur prescription, en joignant à leur possession indivise celle des membres qui ont cessé de posséder ;
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» Attendu que dans cette occurrence, et en faisant abstraction de la bonne foi des possesseurs que l'appelant n'a pas invoquée, acceptant ainsi le débat sur le terrain où l'intimé l'avait placé dès le début de l'instance, eu invo- quant « la responsabilité de l'appelant en dehors de toute » question de bonne ou de mauvaise foi, » c'est à bon droit que le dit appelant se dit couvert par la disposition de l'art. 2262 du Code civil, aux termes duquel il serait dis- pensé de produire un titre, alors même que sa mauvaise foi fût établie ;
» Par ces motifs , la Cour, ouï en audience publique M. l'avocat-général de Gamond en son avis, faisant droit et rejetant comme non fondées toutes fins et conclusions contraires des parties, confirme le jugement dont appel, en tant qu'il condamne l'appelant à restituer à l'État les archives réclamées; met à néant ledit jugement pour le surplus; émendant, condamne l'appelant à payer à l'État la somme de 5 francs pour chaque jour de retard dans la remise des archives dont s'agit ; déclare l'intimé non fondé en sa demande en ce qui concerne le calice, la lampe et la coupe en argent et condamne l'intimé aux dépens des deux instances... » (Du 12 juillet 1882. — Plaid. MM'^' Ad. Du Bois c. Van Bieevliet).
Observations. — Au même différend sur lequel est intervenu l'arrêt qui précède, se rattache un rapport au Conseil communal de M. Vuylsteke, imprimé dans le Mé- morial administratif de Gand, 1875, p. 502 , et la lettre de M. le Ministre de l'Intérieur Delcoue, :
A M. le Gouverneur delà province de la Flandre orientale.
Bruxelles, le 4 janvier 1876. Monsieur le Gouverneur,
L'administration n'a pas perdu de vue la revendication à laquelle peut donner lieu la pièce d'orfèvrerie, remise
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autrefois à la Société de Saiut-Georges par les arcliidiics Albert et Isabelle et vendue par cette Société à M. de Roth- schild, de Paris. Il résulte de l'examen auquel cette affaire a été soumise par le département de la justice, que l'État a un droit de propriété à faire valoir sur cet objet, et que dès lors l'annulation de la vente peut être poursuivie légi- timement. J'ai, en conséquence, cru devoir faire auprès de M. de Rothschild des démarches pour connaître ses inten- tions, et je viens d'apprendre qu'il est disposé à restituer l'objet acquis par lui contre remboursement du prix qu'il en a payé.
Il y a lieu, M. le Gouverneur, d'informer la Société de Saint-Georges de ces faits, en ne lui laissant pas ignorer que, si elle refusait de terminer à l'amiable la contestation dont il s'agit, je serais obligé à regret de soumettre l'affaire aux tribunaux et de mettre en jeu la responsabilité des membres de la Société de Saint-Georges.
J'attendrai pour prendre une décision à cet égard jus- qu'à ce que vous m'ayez fait connaître le résultat de la communication à laquelle je vous convie.
Le Ministre de l'Intérieur, Delcoue.
N. B. — Il est intéressant de recourir à l'avis du Minis- tère public que. la Cour de Gand n'a pas suivi. Cet avis a été publié depuis dans la Belgique judiciaire, 1882, p. 1172.
La décoration des villes. — VArt moderne \ dans son numéro du dimanche 24 septembre dernier, contient sur la
• L'Art moderne, paraissant le dimanche, revue critique des arts et de la littérature. — Bruxelles.
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décoration des villes; fontaines, hretèqiœs, enseignes, grilles de fenêtres, un article qui mérite d'être signalé; en voici une partie :
« Certaines villes, chacun l'aura remarqué, attirent et retiennent. De leurs rues, de leurs carrefours, de leurs places , se dégage un charme auquel on ne résiste pas. On )'• séjourne une semaine , quand on se proposait de n'y passer qu'un jour; elles vous ramènent à elles par une attraction mystérieuse , après que vous les avez quittées. Telle est , par exemple , Nuremberg. Telles sont Salzbourg , Prague , Schaffhouse, vingt autres, dont le souvenir, au retour d'un voyage, alors que les iuq)ressions reçues se classent dans la mémoire, reste vivace et efface même celui des grandes capitales.
» A quoi tient ce phénomène? Quel est le talisman que possèdent ces bonnes vieilles villes pour triompher de celles de leurs rivales qui ont à leur service la coquetterie , les séductions des monuments, des palais, des musées? Elles n'en ont qu'un, mais sa puissance est infaillible : c'est qu'elles ont, comme par hasard, échappé à la banalité bête des villes que l'on construit de nos jours; c'est qu'elles ont conservé , dans la perspective de leurs rues , dans la phy- sionomie de leurs maisons, dans l'aspect de leurs quartiers, l'originalité, la variété, qui se perdent de plus en plus.
» Au lieu de se plier aux exigences de l'alignement , les architectes d'alors ont trouvé, avec beaucoup de raison, que si la ligne droite est le plus court chemin pour se rendre d'un point à un autre, c'est aussi le plus monotone; ils se sont donc bien gardés de percer ces rues en forme d'I , qui fait l'orgueil des administrations communales; au lieu de calquer toutes les maisons sur un plan unique, ils ont donné à chacune son caractère particulier. La régularité attriste l'œil, avide d'imprévu; la symétrie ennuie. Aussi ces anciennes villes, avec leurs ruelles tortueuses qui s'en-
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chevêtrent, ces maisons qui se soucient fort peu les unes des autres, débordent par leurs balcons, leurs bretèques? leurs tourelles en encorbellement, ont-elles des séductions auxquelles n'atteindront jamais les villes régulièrement bâties, d'après toutes les règles prétendument indispen- sables à l'hygiène publique et à la sécurité des passants,
» Doit-on en inférer qu'il faille condamner les rues larges, les boulevards, les avenues et construire des villes comme on les bâtissait au moyen âge? Ce serait aller au delà de notre pensée. Mais au moins peut-on profiter des enseignements qu'elles nous donnent au point de vue artis- tique et leur emprunter ce qui les rend pittoresques. L'ar- chitecture repose tout entière sur des emprunts de ce genre, dont les époques, les climats, les habitudes et l'art modi- fient l'objet. C'est peut-être le seul art qui supporte les réminiscences; le talent de l'architecte consiste moins, en eiïet , à inventer qu'à appliquer ingénieusement et à per- fectionner ce qui existe.
» Si l'on examine ce qui contribue à l'originalité des villes dont nous parlons, on découvre que ce sont, avant tout, les jolies fontaines qui décorent la plupart des places et carrefours , puis les maisons , les bretèques , les enseignes ? les trottoirs couverts d'arcades , les supports des lanternes et autres motifs de décoration, tels que les grilles de fenêtres en fer forgé, remplaçant nos odieux volets. Tout cela peut être aisément refait de nos jours et combattre heureusement la monotonie qui envahit nos cités.
» On ne songe guère aux fontaines. On croit que rien n'est plus décoratif qu'une statue; et, soit pour flatter quelque vanité , soit pour imposer une trêve momentanée aux plaintes des sculpteurs , on dresse des statues médiocres à toutes les médiocrités. Dans certaines villes, à Munich, par exemple, ces bonshommes de marl)re ou de l)ronze se multiplient avec une inquiétante rapidité. Tous grotesques
La grande Faucille à Gand.
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d'ailleurs, clans leur pose convenue et imposée à l'artiste, dans leur accoutrement ridicule. En Italie, c'est dans les Campi-Santi qu'on érige les monuments de ce genre ; chacun peut aller, quand il le veut , revoir les traits des siens au cimetière sans donner à ses concitoyens l'obligation de les contempler continuellement sur une place publique. Ils n'étaient pas déjà si barbares, les ulémas qui ont, tout récemment, jeté bas la statue d'Ibraham-Paclia. L'érection des statues, d'après eux, est contraire à la religion musul- mane. Ne pourrait-on pas dire qu'elle offense la religion artistique? La démonstration convaincante s'en trouve en Belgique où les erreurs de ce genre pullulent et font la joie des visiteurs étrangers; on ne peut plus constamment et plus efficacement dépraver le goût général. Au moyen âge , on élevait des statues sur les tombeaux ; on les plaçait dans les cathédrales , où le souvenir des morts est en harmonie avec la sainteté du lieu. Mais il ne venait à personne l'idée de dresser un socle sur une place publique et d'y mettre un monsieur quelconque , sous le prétexte bizarre d'embellir la ville. Voyez, à Nuremberg, si la Fontaine de la Vertu, celle de V Homme aux Oies et la Belle fontaine, si la fontaine des quatre hippopotames, à Salzbourg, si les deux fontaines du Graben et celles du Marché aux Fruits , à Vienne, ne sont pas autrement décoratives que des statues! Et remarquez que les sculpteurs ne se plaindraient pas si on leur donnait l'occasion de faire des œuvres de ce genre, puisqu'elles laissent toute liberté à leur imagination et à leur talent d'exécution. Sans sortir de Bruxelles, n'avons-nous pas d'ailleurs, comme exemple, la jolie fontaine qui décore le Sablon? Et un peu plus bas , une statuette de bronze , dont la grâce naïve a fait le succès, n'a-elle pas réjoui, amusé, intéressé bien plus que ne l'eut fait un buste , occupant la même niche? » Nous avons parlé dernièrement des bretèques , comme
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les appelle M. Yiollet-Leduc , des échauguettes, des mira- dores, comme disent les Espagnols. Nous avons dit dans quelle mesure cette ingénieuse transformation des balcons s'allie avec notre climat, combien elle se prête aux caprices de l'architecte , à quel point elle aide à la décoration des rues en rompant la monotonie de la ligne droite. Il y a, à Nuremberg et à Schaffhouse, plus de bretèques que par- tout ailleurs; toutes sont différentes. Parfois elles sont superposées, de façon à faire un avant -corps de deux ou trois étages, qui projette sur la façade de grandes ombres, accusant les reliefs. D'autres fois , elles sont isolées , suspen- dues à l'angle des habitations, effaçant le coin déplaisant, arrondissant la ligne. Quelques-unes sont couvertes d'ara- besques délicates comme une guipure. Le plus splendide modèle est à Inspriick. Il est orné de peintures, coui-onné d'un toit doré qui lui a donné son nom. Lorsque l'œil s'est habitué à cette ornementation, toute maison qui en est privée semble incomplète et fait songer involontairement à une gorge sans rondeurs ou à un visage sans nez.
» Un mot encore des enseignes, sur lesquelles nous reviendrons quelque jour. Le sujet est intéressant, et notre ami Octave Uzanne, du Livre, n'a pas craint de leur consacrer une étude spéciale. On a généralement supprimé les enseignes 'parlantes, pour y substituer de grosses lettres dorées ou de simples écriteaux. Les marchands de tabac , les gantiers et les barbiers ont seul conservé leurs attri- buts : la carotte, le gigantesque gant blanc ou rouge, le petit plat à barbe en cuivre sont, en effet, les seuls objets qu'il nous soit parfois, à nous flâneurs , amoureux du passé , donné de contempler. Ces minces vestiges des enseignes disparaîtront sans doute quelque jour, ainsi qu'a disparu toute cette amusante ménagerie de coqs peinturlurés, dressés sur leurs ergots , de lions d'or étincelants , de che- vaux, de chats, de lièvres, de poissons, qui faisaient la
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joie des promeneurs d'autrefois. C'est dans de vieilles villes comme Nuremberg, Salzbourg, Inspriick, Méran, qu'on retrouve les enseignes du bon temps, se déployant avec toute l'exubérance de leur capricieuse ornementation, avec leurs arabesques de fer forgé, leurs feuillages dorés, leurs pampres , leurs floraisons touffues et pleines de fantaisie.
» La mode a supprimé tout cela; elle a jeté bas les comètes, les vierges, les soleils radieux, souriant de leurs bons yeux clignotants , tout ce qui transformait le paysage urbain en musée naïf et curieux. Avec eux, elle a emporté la poésie des rues. Ne se trouvera-t-il pas quelque marchand assez intelligent pour comprendre cette vérité et donner l'exemple d'un retour aux vieux usages? Nous avons vu récemment, au boulevard Central, une tentative de ce genre. Elle est des plus heureuses. Nous ne nommerons pas la maison : on nous accuserait de faire de la réclame. Déjà , dans un grand nombre de rues, la bretèque charme le regard; à Liège notamment, dans l'île du Commerce. Bien- tôt elle sera populaire et nos architectes l'auront per- fectionnée et variée. Ne pourraient-ils aussi, lorsqu'ils construisent une maison de commerce, risquer d'y accrocher une de ces belles enseignes qui formaient à elles seules , autrefois , toute la décoration d'une rue ? Ne pourraient-ils aussi, ressuscitant lentement une industrie qui a été une de nos gloires nationales, substituer aux volets ces grilles ouvragées qui, tout en remplissant le même but, embellis- sent une demeure et l'animent d'un souffle d'art? On se préoccupe des monuments historiques, de leur restaura- tion, de leur conservation; rien de mieux. Mais ne faut-il pas compléter cette entreprise utile en rendant les villes dignes de ces monuments précieux, en empêchant que le cadre ne se dégrade au point de n'avoir plus avec l'œuvre aucune harmonie? »
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Le carillon d'Ath en 1717. — Dans une notice sur : La tour et le carillon de Saint-Julien à Ath *, M. Fourdin a donné des détails intéressants sur les vicissitudes de la tour de Téglise Saint- Julien et sur les modifications appor- tées au carillon de cette tour ; il est inutile de revenir sur ces détails très précis, mais il y a un point sur lequel est intervenue une sentence du conseil souverain du Hainaut vient jeter sa note discordante; cette sentence, imprimée sans doute à l'époque du procès auquel la confection du carillon d'Ath en 1717 a donné lieu, contient des curieux renseignements et à ce titre elle mérite d'être reproduite ^.
« Le carillon d'Ath, qui existait déjà en 1520, avait reçu des accroissements successifs et il jouissait, dit M. Four- din, au commencement du XVIIP siècle d'une réputation méritée par l'accord de ses timbres. Le conseil de la ville, voulant lui donner un cachet plus musical encore, en fit renouveler et augmenter le matériel par décision du 31 mai 1715. »
Le collège échevinal s'adressa à Guillaume Willockx ', fondeur à Anvers, qui s'engagea, par contrat du 31 mai 1715, à refondre la deuxième et la troisième cloche, et à ajouter au jeu existant une octave et demie composée de 18 cloches; ces cloches devaient être rendues de parfait accord avec la première et grosse cloche, au ton de C, sol, fa, ut, sur l'orgue. Mais quand on fit l'essai du jeu nou- veau, on constata qu'il y avait une discordance d'un deiiii- ton avec l'ancien, et qu'il était, en un mot, musicalement impossible de manier les accords des deux jeux (Rapport
» Annales du cercle archéologique de Mous, t. Vil, pp. 97 et suiv.
' Cette sentence se trouve à la bibliothèque de l'Université de Gand, c'est un petit in-4" de 8 pages, sans date ni lieu d'impression.
^ Le nom du fondeur est écrit de diverses manières dans les do- cuments relatifs à ces transactions, tantôt Willocx ou Wilhocx, tantôt Witlockx.
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de ^Yilluckx, du 29 juin 1719). Le fondeur proposa au magistrat de la ville de refondre les cloches de l'ancien jeu au nombre de 14, du poids total de 15,000 livres.
Cette proposition fut accueillie, et Willockx, par acte du 4 juillet 1716, s'engagea à fournir nne seconde octave et demie de 16 cloches, qui devaient être des plus fines et d'une consonnance irréprochable avec la première, la deuxième et la troisième cloche.
« La ville, ajoute M. Fourdin, n'eut pas à se repentir du sacrifice imposé à ses finances, la refonte fut couronnée d'un prodigieux succès, on eut un chef-d'œuvre qui con- stituait avec le bourdon une sonnerie complète de 37 tim- bres, qui a fonctionné jusqu'à l'incendie de l'église en 1817.
Mais ici l'article de M. Fourdin contient une lacune, que vient nous révéler la sentence du conseil de Hainaut; les membres du magistrat, qui avaient sans doute l'oreille très fine, refusèrent d'accepter le nouveau jeu installé à la tour, jugeant que le fondeur n'avait pas rempli exactement les conditions de consonnance irréprochable auxquelles il s'était engagé, ils n'avaient pas complètement tort; l'affaire fut portée devant le conseil souverain du Hainaut, qui nomma une commission d'experts chargée d'examiner les nouvelles cloches. Cette commission était composée de M** Casimir le Liégeois, prêtre bénéficier, maître de la musique de la collégiale de Saint-Pierre, à Lille ; d'Antoine Willemeau, carrillonneur de la métropole de Cambrai et organiste; de Thomas Mathieu, musicien et chantre du chapitre de 8aiute-Waudru, à Mons ; de Jacques Pauwels, ancien carillonneur et puis organiste à Hal, et de Charles Pieters, carillonneur d'Alost.
Les experts, après avoir fait jouer le carillon pendant une heure par le carillonneur de Bruxelles, montèrent à la tour pour faire l'examen de toutes les cloches ; ils consta- tèrent une différence de ton entre quelques-unes des nou-
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velles cloches et les ancieunes , mais ils déclarèrent que « ces défauts doivent être très peu considérés, d'autant plus qu'ils ne sont perceptibles d'enbas que par les oreilles les plus fines y prêtant une grande attention, » et deux des experts déclarèrent dans leur déposition turbière que « l'on pourroit faire pis que mieux en corrigeant les dé- fauts. » A la suite de cette enquête le conseil souverain de Hainaut, par sentence du 8 janvier 1718, déclara que le magistrat d'Atli devait accepter le nouveau carillon et qu'il devait en payer le prix suivant la convention.
A Ath le 30 de Décembre 17 17.
Nous Conseiller Du Puis (pour l'empêchement du Con- seiller Cornet) et le Greffier Desfossez adjoint, Nous étant transporté au dit Ath, pour effectuer la relivrance du Carillon de laditte Ville, avec les experts choisis par le
Verbal du vingt deuxième de ce mois, d'entre le S"" ,
comme Procureur de Guillaume Willocx, maître fondeur demeurant à Anvers, d'une part, les Sieurs Henry François Dizambart et Ferdinand Van den Habiel , Députez des Echevins de la ditte Ville d'Ath, sont comparu par devant nous les avants nommez, et comme experts Maître Casimire le Liégeois, Prêtre bénéficier et Maître de la Musique de la Collégiale de S. Pierre à Lille, âgé de 26 ans, Antoine Willemeau, âgé de soixante-quatre ans, carillonneur de la MétropoUe de Cambrai depuis quarante-trois ans et Orga- niste depuis douze, Thomas Mathieu, Musicien et Chantre du Chapitre Sainte Waudru, âgé de quarante-deux ans, Jacques Pauwels, âgé environ vingt-deux ans, ayant fait fonction de Carillonneur d'Halle depuis onze ans et plus, et depuis environ ans celle d'Organiste, et Charles Bieters, âgé de vingt ans, Carillonneur d'Alost depuis deux ans, qui sçait aussi jouer de l'Orgue, lesquels Experts ont
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prêté entre nos mains et en présence des parties les ser- ments en pareil cas requis, après que ledit Pauwels eût preste le Serment d'interpréter fidèlement et exactement et raporter semblablement ce que pouroit dire ledit Pie- ters et lui avoir explicqué le serment à prester par lui, pour ledit Pieters ne sçavoir la langue Françoise.
Après quoi nous avons fait monter sur ledit Carillon le Carillonneur de Bruxelles choisis du consentement des Parties pour jouer ledit Carillon qu'il a joué sur tous les tons naturels, majeurs et mineurs selon l'instruction lui donné par lesdits Experts, pour remarque l'état dudit Carillon, et ayant été écouté l'espace d'une heure ou envi- ron, ledit Carillonneur est descendu, et puis nous sommes montez avec lesdits Experts où ils ont faits toutes les preuves nécessaires et examiné comment le Carillon étoit pendu, la scituation des Marteaux et touché ledit Carillon, Octave par Octave, Ton par Ton, Quinte par Quinte et Tiers par Tiers naturels, majeurs et mineurs, pour recon- noître l'état dudit Carillon, puis lesdits Carillonneurs experts ont jouez différentes pièces de toute sorte de Ton ])0ur reconnoître à fond l'état dudit Carillon, son bon et ses manquemens et puis lesdits ayans ensembles conferrez sur leurs observations respectives et ledit Pauwels ayant explicqué audit Pieters les remarques qu'avoient fait les autres experts et raporté à ceux-ci celles dudit Pieters, ils ont unanimement répondu par la bouche dudit Liégeois, sous leurs serment ci-devant mentionné qu'ils ont remar- qué ledit Carillon d'un son si sonore, si nette, si harmo- nieux, qu'ils n'en ont point ouï d'approchant, sauf que ledit Liégeois en son particulier et ledit Pieters par ledit Pau- wels ont dit que celui de Gand étoit assez approchant pour le son et l'harmonie.
Quant à la concordance des tons ils l'ont trouvez parfait sauf que le B la Ré, qui est la deuxième Cloche d'embas,
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est environ un huitième ton trop haut, que le B fa si Bémol de la première Octave, qui est la neuvième Cloche, est aussi environ un huitième de Ton trop haut, qui cependant est d'accord avec sa quinte supérieure et finalement le diesis de G. Ré sol de la seconde Octave si peu trop bas, qu'à peine peut-on s'en appercevoir étant sur le Carillon.
De sorte qu'un Ton, suivant les règles de Musique ne se divisant qu'en neuf parties, ils peuvent dire que le Carillon est accompli puisque ces défauts doivent être très peu considérez, d'autant plus qu'ils ne sont perceptibles d'em- bas que par les oreilles les plus fines y prêtant une grande attention, ainsi qu'ils ont observez eux-mêmes entendant ledit Carillon d'embas d'oii ils ont conclu que ledit Carillon loing d'être rejette doit être considéré et estimé comme une pièce très rare, et que loin d'y vouloir corriger lesdits deifauts, il seroit dangereux d'y faire pis que mieux ; après lecture ils ont persistez et signez interprétation faite audit Pieters par ledit Pauwels, étoient signez : W. C. le Liégeois, Prêtre Bénéficier et Maître de Musique de la Collégiale de Saint Pierre à Lille, Antoine Wilmeau, Thomas Mathieu, Jaques Pauwels, C. G. Pieters,
Charles Pieters étant recomparût assisté de Jaques Pau- wels, ayant tous deux prestez nouveau serment respectives pour ledit Pieters ne sçavoir le françois comme dit est ci- devant, a dit par ledit Pamvels qu'il persistait dans sa déposition turbière , ayant adjouté pour raison d'expé- rience qu'il a apris à jouer du Carillon sur celui de Ton- grelo, qu'il a aussi joué sur celui de Gand, et sur celui d'Alost comme dit est, qu'ils sont harmonieux tous trois et considérez pour grands, mais qu'il n'y a pas de comparai- son d'aucuns d'iceux d'avec celui d'Ath par raport à l'accord des Cloches. Après lecture et explicatien lui faite parlçdit Pauwels il a signé, étoit signé C. G. Pieters.
Jaques Pauwels étant recomparu et après nouveau ser-
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ment prêté a persisté eu sa déposition turbière et pour la conforter a dit qu'il a joué sur le Carillon de Maliues, qui n'est point si sonore et est moins d'accord que celui d'Ath, qu'il a aussi ,été appelle comme experts pour jouer le Carillon de Saint Nicolas à Bruxelles, dernièrement brisé, et ne Fa point trouvez meilleur que celui d'Atb, finalement qu'il a aussi joué sur celui de Nivelles et celui de Soignies, lesquels ue sont point à beaucoup prez si perfectionné que celui d'Ath, quoique celui de Nivelles l'appproche. Après lecture a signé, étoit signé Jacques Pauwels.
Antoine Wilmeau, après nouveau serment prêté, a per- sisté dans sa déposition turbière et a dit qu'il n'y sauroit rien adjouter sinon que son Carillon de Cambrai n'est point si sonore que celui d'Ath, que les Cloches sont beau- coup plus fortes , mais que les petites ne sont point si bonnes et que généralement parlant celui de Cambrai n'est point si bon à beaucoup prez que celui d'Ath. Après lecture a persisté et signé ; étoit signé Antoine Wilmeau.
Thomas Mathieu étant recomparu, après nouveau ser- ment, prêté a persisté dans sa déposition turbière, disant qu'il n'y sauroit rien adjouter, ayant répondu selon la connoissance de sa science et par la connoissance qu'il a des claviers, déclarant que ce qu'il a dit dans sadite dé- position turbière que l'on pouroit faire pis que mieux en corrigeant les défauts, il ne l'a point dit par science, mais à sa pensée par raport à la petitesse des défauts. Après lecture a persisté et signé, étoit signé Thomas Mathieu.
Maître Casimir Liégeois étant recoraparu, après nouveau serment prêté, a persisté dans sa déposition turbière, disant qu'il n'y sauroit rien adjouter ayant répondu selon la connoissance de sa science et par celle qu'il a des cla- viers , déclarant que ce qu'il a dit dans sa déposition turbière que l'on pouroit faire pis que mieulx en voulant corriger les défauts"^ il ne l'a point dit par science, mais
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selon sa pensée par raport à la petitesse des défauts. Après lecture a signé, étoit signé AV. C. le Liégeois, Presbit.
Ainsi fait et achevé, étoient signé F. Du Puis et Des- fossez, avec Annotation de l'année 1717.
Collationé et trouvé conforme à FOriginal par le sou- signé Greffier du Conseil souverain d'Hainau, le 8 jan- vier 1718.
B. Desfossez.
Sentence.
'Revu, au Conseil Souverain de l'Empereur et Roi en Hainau, la Requête de Guillaume Witlock *, Maître Fon- deur, du 20 Décembre 1717, contre les Sieurs Eschevins de la Ville d'Ath, le Verbal de comparition du 22, le besoigne fait à Ath le 30 à l'intervention d'experts choisis par les parties, et l'écrit des Défendeurs, le tout considéré.
Les Grand Bailly, Président et Gens dudit Conseil de Sa Majesté Impériale déclarent que les devoirs conçu seront effectuez selon l'instruction donné au Conseiller Rappor- teur, cependant le Carillon dont il s'agit sera reçu et les défendeurs en paieront le prix à liquider amiablement ou par-devant le Conseiller Rapporteur suivant leurs conven- tions, la Consulte a soutenir par les défendeurs. Ainsi prononcé le 8 de janvier 1818. Etoit signe, Desfossez.
L. St.
» A Anvers.
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CHRONIQUE.
DÉCOUVERTE d'antiquités ROMAINES. — On a mis au jour, au mois (le septembre de cette année, dans les travaux pour la construction du chemin de fer d'Orléans, des restants de constructions romaines très importantes. Les fouilles, dii'igées par M. de la Monardière, professeur à l'école de droit de Poitiers, et par le P. Lacroix, de la compagnie de Jésus, furent menées avec activité ; en peu de jours les ouvriers avaient déblayé un espace de 7 hectares, où M. Lersch, inspecteur des monuments historiques, releva l'existence de divers monuments :
1" D'un temple de 70 m. de façade sur 114 de long.
2° D'un établissement thermal qui couvre 2 hectares et dont les piscines, les hypocaustes, les canaux, les dallages existent encore.
S® D'un théâtre pourvu de gradins et de vomitoires, dont la scène a 90 mètres de large.
4° Des maisons, des hôtelleries, des rues entières. Dans les mai- sons, qui sont ornées de sculptures, on a trouvé quantité d'objets usuels en fer, des poteries, etc.
Ces découvertes ont été faites sur un terrain limitrophe des com- munes de Mégné, de Chasselenil et de Jaunan, et du hameau de
Grandpont.
(Moniteur belge).
L'art et l'industrie d'autrefois dans les régions de la Meuse BELGE '. — M. de Linas, connu déjà des lecteurs du Messager des
• L'art et l'industrie d'autrefois dans les régions de la Meuse belge, souvenirs de l'ecrposition rétrospective de Liège en ISSJ, par Charles de Linas. Paris, Arras, gr. in-S", 167 jip. et planches.
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Sciences par ses publications archéologiques, nous offre un nouveau travail l'elatif à la Belgique. « Si remarquable qu'elle fût dans son » ensemble, dit-il, l'Exposition rétrospective de Bruxelles en 1880, « péchait néanmoins par le détail;.... la place très large accordée » à l'élément civil ne dissimulait pas assez d'évidentes lacunes au » sein de l'art religieux, et les souvenirs de Malines en 1864, durent >> se présenter fréquemment à la mémoire des visiteurs érudits. »
Le Messager a déjà rendu compte de l'exposition de Liège, mais nous ne cro^'ons pas tomber dans des redites eu parlant du livre de M. de Linas.
Tout en se promenant dans l'exposition de Liège, décrivant la Vierge de Rupert, la boucle de Tongres, etc., l'auteur rappelle des souvenirs recueillis ailleurs : ces petites digressions ont l'avantage qu'elles établissent une comparaison entre diverses exhibitions ré- trospectives.
M. de Linas j)arle longuement de l'orfèvrerie religieuse, il passe ensuite aux objets en métal moins précieux, à la dinanderie, à la ferronnerie ; les chapitres V, VI et VII sont l'espectivement consa- crés à la sculpture et à la statuaire, à la peinture, à la paléographie, aux tissus, dentelles, broderies.
Le chapitre VIII parle de l'ameublement civil, et longuement des grès et verres.
L'auteur teinnine en tirant une espèce de morale des diverses expositions qu'il a visitées et décrites. « Celles de Bruxelles et de » Dusseldoi'ff, dit-il, al>outissent chacune à un résultat distinct, » conséquence de l'ancien modus vivendi des deux pays. En Bel- » gique, préj)ondérance marquée de l'élément civil, tandis que » l'élément religieux domine en Allemagne. » L'exposition de Liège fournit d'après lui, une troisième conclusion, c'est qu'en Bel- gique, malgré tout, il est encore possible d'organiser la représenta- tion paléontologique de branches de l'art industriel d'une région ou d'une province, tandis qu'il est devenu impossible de le faire en France, grâce « aux razzias juives et auvergnates qui écrément à » plaisir les villes et les campagnes », grâce aussi à une centralisa- tion trop absorbante, dont le résultat est de dessécher dans un même pays « deux sources mères de l'art, l'initiative et l'émula- » tion. Dans ces conditions spéciales, les Liégeois, du haut de leur » tenace autonomie, viennent d'ai)pliquer le plus rude soufflet qui se
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» puisse donner sur la joue de l'idole révolutionnaire nommée cen- » tralisation, idole qui emprisonne les intelligencns dans une cami- » sole de f'oi-ce, et écrase sans merci le germe de toute initiative » provinciale. »
Les planches intercalées dans l'ouvrage représentent : Un ange en cuim^e repoussé et doré, la chûsse de Saint- Servais , le fronton de la châsse, le reliquaire de Saint- Candide , la clef de Saini-Hubert, la clef de Saint-Servais , im coffret en bois et étain doré, un reliquaire byzantin, le bâton de Saint-Servais, la crosse en ivoii^e, dite de Saint- Servais, V étoffe de la chasuble de Saint-Servais.
Emile V....
L'Église de N.-D. de Pamele a Acdenakde '. — Cette monogra- phie est plutôt uu album contenant les plans d'ensemble et de dé- tail de la belle église de Pamele, précédés d'une notice historique de peu d'étendue. Le frontispice, ainsi que le texte, ont été exécutés par la société Saint-Augustin (maison Desclée De Brouwer, Bruges et Lille), et sont réellement remarquables; les plans, dessinés par M. Van Assche, sont lithographies par Stepman à Gand.
Pamele, vers la fin du XII^ siècle, était une église paroissiale; mais cet édifice bientôt reconnu insuffisant, fut remplacé un demi siècle plus tard par im autre, qui est l'église actuelle, commencée en 1234 par Arnould de Binche. Depuis son achèvement jusqu'à la fin du siècle dernier, c'est à j^eine si on y mit la main. A d'autres on toucha pour les détruire ; quant à celle-ci on oublia même de la restaurer, ce qui fait que le temps, poursuivant son oeuvre, Notre-Dame de Pamele se trouva en 1788 dans un état de délabrement tel que les architectes experts en proposèrent la démolition. La révolution française la sauva en empêchant l'exécution de cette proposition : tour à tour prison, magasin, hôpital, l'église fut plus tard rachetée et transfor- mée ou plutôt travestie dans le goût de l'empire. Aujourd'hui ce beau monument de style ogival primaire est en voie de complète restauration. Félicitons tous ceux qui ont contribué à cette œuvre.
Emile V...
• Recueil d'^églises du moyen âge en Belgique, par AuG. Van AsscHE, architecte à Gand, 1 vol. Monographie de l'église de Notre-Dame de Pamele à Aiulenarde, in-fol., 38 planches.
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Académie royale de Belgique. — Classk des Bkaux-Arts. — Concours pour 1883. — Partie littéraire. — Première question : « Faire l'histoire de l'arcliitecture qui florissait en Belgique pen- dant le cours du XVe siècle et au commencement du XYI^, architec- ture qui a donné naissance à tant d'édifices civils remarqua1)les, tels que halles, hôtels de ville, belirois, sièges de cori^orations, de jus- tices, etc. »
Décrire le caractère et l'origine de l'architecture de cette période.
Deuxième question. — « Faire une étude critique sur la vie et les œuvres de Grétry, étude fondée autant que possible sur des docu- ments de première main ; donner l'analyse musicale de ses ouvrages, tant publiés que restes en manuscrit ; enfin, déterminer le rôle qui revient à Grétry dans l'histoire de l'art au XVIIIe siècle. »
Troisiètne question. — « Définir le réalisme et indiquer son in- fluence sur la peinture contemporaine »
Quatrième question. — « On demande la biographie de Théodore- Victor Van Berckel, graveur des monnaies belges au siècle dernier, avec la liste et la description de ses principales œuvres, ainsi que l'appréciation de l'influence que cet éminent artiste a pu exercer sur les graveurs de son époque. »
Médaille d'or de mille francs, pour la première question, de huit cents francs pour la deuxième et la troisième , de six cents francs pour la quatrième question.
Les mémoires devront être adressés francs de port, avant le 1 juin 1883, à M. J. Liagre, secrétaire perpétuel, au palais des Académies.
Sujets d'art appliqué. — Peinture. — « On demande le carton d'une frise décorative qui serait placée à 5 mètres du sol dans un hôpital militaire, et représentant les Secours en temps de guerre. Grandeur, 2 mètres minimum, 3 maximum. »
Le carton doit avoir O^^.Tô de haut sur 2™, 25 de développement.
Sculpture. — « On demande une statue monumentale person- nifiant l'Électricité. Hauteur l^^SO. »
Un prix de mille francs, attribué à chacun des sujets précités, sera décerné à l'auteur de l'œuvre couronnée.
Les cartons ainsi que les statues devront être remis au secrétariat de l'Académie avant le 1 septembre 1883.
Classe des lettres. — L Concours annuel pour 1884. — Pre- mière question. — « Faire connaître les règles de la poétique et de
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la versification suivie par les Rederykers au XVe et au XVI« siècle. »
Deua-iéme question. — « Faire l'histoire du cartésianisme en Belgique.
Troisième question. — Étudier le caractère et les tendances du roman historique depuis Walter Scott.
Quatrième qtiestion. — « Faire l'histoire des origines, des déve- loppements et du rôle des officiers fiscaux près les conseils de justice, dans les anciens Pays-Bas, depuis le XV»- siècle jusqu'à la finduXVIIK »
Cinquième question. « Faire, d'après les auteurs et les inscrip- tions, une étude historique sur l'organisation, les droits, les devoirs et l'influence des corporations d'ouvriers et d'artistes chez les Grecs et les Romains, en comprenant dans cette étude les Grecs de l'Asie- Mineure, des îles et de la Grande Grèce. »
Sixième question. — « Faire l'histoire de la dette publique belge, considérée dans ses rapports avec les finances de l'État, l'adminis- tration publique et la situation économique du pays. »
Septième question. — « Faire un exposé comparatif, au point de vue économique, du système des anciens coi-ps de métiers et des systèmes d'associations coopératives de production formulés dans les temps modei'nes. »
Une médaille d'or de huit cents francs pour chacune de ces questions.
Les mémoires devront être adressés, francs de port, avant le 1 fé- vrier 1884, à M. J. Liagre, secrétaire perpétuel, au palais des Académies.
II. Concours extraordinaibes. — La Classe proroge, jusqu'au 1 février 1883, le délai pour la remise des manuscrits en réponse aux concours suivants pour les prix de Stassart, de Saint-Génois et Teirlinck :
A. Prix de Stassart. — 1» S^ijet d'histoire nationale (3« période). — Prix de trois mille francs au meilleur travail en réponse à la question suivante :
« Apprécier l'influence exercée au XVI« siècle par les géographes belges, notamment par Mercator et Ortelius.
» Donner un exposé des travaux relatifs à la science géographi- que qui ont été publiés aux Pays-Bas, et de ceux dont ces pays ont été l'objet, depuis l'invention de l'imprimerie et la découverte de
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l'Amérique jusqu'à l'avènement des arcliiduos Albert et Isabelle. On s'attachera, à la fois, h signaler les œuvres, les voyages, les tentati- ves de toute espèce par lesquels les Belges ont augmenté la somme de nos connaissances géographiques, et à rappeler les publications spéciales, de chaque nature qu'elles soient, qui ont fait connaître nos provinces à leurs propres habitants et à l'étranger. »
2" Biographie dhin Belge célèbre (5'^ période). — Prix de six cents francs à l'auteur de la meilleure tiotice consacrée à Simon Stévin.
B. Peix de Saint-Genois (préniière période). — Prix de quatre cent cinquante francs au meilleur travail, rédigé en flamand, en ré- ponse à la question suivante :
« Welke invloed werd op de uederlandsche letterkunde geoefend door de fransche uitwijkelingen die zich, na de intrekking van het Edict van Nantes, in de Nederlanden hebben gevestigd. »
« Quelle influence ont eue sur la littérature néerlandaise les ré- fugiés français qui se sont établis aux Pays-Bas, après la révocation de l'Édit de Nantes. »
C. Prix Teiblinck. — Prix de mille francs au meilleur ouvrage en réponse à la question suivante :
« Faire l'histoire de la prose néerlandaise avant Marnix de Saint- Aldegonde. »
D. Prix Castiau. — La première période du prix Castiau sera close le 31 décembre 1883.
Prix de mille francs, à l'auteur du meilleur travail belge, imprimé ou manuscrit :
« Sur les moyens d'améliorer la condition morale, intellectuelle et physique des classes laborieuses et des classes ijauvres. »
E. Prix Joseph De Keyn. — La première période du second concours annuel pour les prix Joseph De Kein sera close le 31 décem- bre 1882.
Cette période consacrée à V enseignement du premier degré, com- prend les ouvrages d'' instruction ou d'' éducation, à Viisage des élèves des écoles primaires él d^adultes.
Peuvent prendre part au concours : les œuvres inédites, aussi bien ([ue les ouvrages de classe ou de lecture, qui aui'ont été publiés du 1 janvier 1881 au 31 décembre 1882.
Un premier prix de deux mille francs et deux seconds prix de mille francs chacun, pourront être décernés.
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LES ADUATUQUES, LES MENAPIENS ET LEURS VOISINS.
Posilioii géographique de ces peuples à l'époque de Jules César.
Dans un travail portant pour titre : La Ménajne et les contrées limitrophes à Véiioque de Jules César ' , nous avons essayé de déterminer la position géo- graphique des peuples du nord de la Gaule, spé- cialement de ceux qui habitaient le sol de la Bel- gique actuelle, et à ce propos nous nous sommes permis d'émettre quelques idées nouvelles sur l'interprétation à donner aux Commentaires de l'illustre proconsul.
L'emplacement assigné par nous aux x\dua- tuques et aux Ménapiens ayant soulevé des cri- tiques assez vives de la part d'écrivains qui jouissent d'une notoriété méritée dans le domaine de l'histoire et des lettres, nous croyons devoir rentrer en lice un moment pour défendre notre
• Annales de V Académie d'archéologie de Belgique, 3« série, t. IV.
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manière de voir contre les attaques dont elle a été l'objet; ces attaques, à notre avis, ne sont rien moins que fondées, ainsi que nous allons cliercher à l'établir dans les pages suivantes *. Néanmoins, nous nous félicitons hautement de les avoir pro- voquées, parce qu'elles nous procurent l'occasion de contrôler nos propres assertions, de les amen- der au besoin dans ce qu'elles avaient de trop hasardé, et enfin de les défendre dans ce qu'elles
' Afin de permettre au lecteur de se prononcer en pleine connais- sance de cause, nous lui mettons sous les yeux trois cartes ou esquisses de la Gaule belgique : la première représentant cette con- trée telle que nous avons pu la reconstituer au moyen des données fournies par César, la deuxième dressée suivant les projections de Napoléon III, et la troisième conforme au tracé de M. Wauters.
En examinant ces deux dernières, on remarquera que le défunt empereur des Français s'est surtout inspiré de la conception de d'Anville. Il a été sui%'i dans cette voie par beaucoup de géographes de France et d'Allemagne. M. Wauters, lui, s'est laissé guider de préférence par Schayes, dont il a modifié le système en ce sens qu'il restitue aux Eburons la Campiue, expulse les Aduatuques de l'entre-Sambre-et-Meuse et donne un autre emplacement aux clients des Nerviens. C'est à la même manière de voir que se rallie M. Piot, sauf qu'il concède aux Aduatuques toute la Hesbaie, entre la Meuse la Sambre, la Dyle et le Démer, de sorte que pour lui Tougres- Aduatuca est situé chez les Aduatuques, au lieu de l'être chez les Eburons.
M. Schuermans ne donne aucun territoire aux Aduatuques ; il les éparpille dans des forteresses le long et aux aboi-ds de la Meuse. M. Gantier adopte la distribution géographique de Napoléon III, excepté en ce qui concerne les Ambivarites, qu'il supprime, et" les clients des Nerviens, qu'il dissémine chez les Ménapiens et les Mo- rins. Enfin, M. Henrard bouleverse toute la Gaule belgique pour arriver à conclui-e que le camp d'Aduatuca se trouvait aux environs de Virton.
Nos bibliothèques publiques ne sont pas riches en ouvrages alle- mands traitant de la matière. Ceux que nous avons j)u consulter ne s'écartent pas sensiblement des systèmes exposés ci-dessus.
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nous paraissent avoir de juste et de raisonnable. Aussi, bien loin d'éprouver du regret « d'avoir » soulevé de nouveaux sujets de controverse par » rapport à une question qui a déjà été discutée » souvent j), nous ne faisons nulle difficulté de reconnaître que c'est à cela précisément que visaient nos efforts, ainsi que nous avons eu soin de le déclarer dans l'introduction. C'est au public lettré à se prononcer. Seulement nous tenons à constater que la question, bien loin d'avoir reçu précédemment une solution définitive, comme quelques-uns se l'étaient figuré, restait enveloppée des ténèbres les plus épaisses, qu'un débat contra- dictoire seul pouvait dissiper.
Nous diviseroiis notre présente étude en deux parties, la première sera consacrée aux Adua- tuques, la seconde aux Ménapiens et à leurs voisins .
LES ADUATUQUES. I.
SITUATION GÉOGKAPHIQUE DES ADUATUQUES ENTEE LA MEUSE ET LE EHIN.
Signalons d'abord cette observation de M. Wau- ters. (c Dans ce que M. de Vlaminck dit des autres » peuples de l'ancienne Belgique il y a une foule » d'assertions neuves et en partie contestables. » A rimitation de quelques auteurs allemands, » notre écrivain rejette les Aduatuques ou Adua-
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» tiques à l'est de la Meuse, ce qu'il considère » comme une inéluctable nécessité, et ce que je )) rejette comme absolument inacceptable '. » Comme cette sentence de l'honorable académicien ne s'appuie ni sur un commencement même de preuve ni sur aucune considération de quelque ordre qu'elle soit, on ne trouvera pas étrange que nous ne nous y arrêtions pas, d'autant plus que l'opinion de notre contradicteur au sujet de la position des Aduatuques nous étant connue par ses précédentes publications, nous aurons plus d'une occasion de la rencontrer. En attendant, il aurait pu se convaincre que nous n'avons nullement été puiser nos inspirations en Alle- magne, mais qu'elles sont nées de l'étude atten- tive des Commentaires. Si nous sommes arrivé, quoique partant d"un point de vue différent, au même résultat que nos érudits voisins d'outre- Rhin, ne serait-ce pas un indice que nous sommes réellement sur la voie de la vérité et ne devrions- nous pas, dans cette coïncidence même, trouver un stimulant et un encouragement?
Un autre critique, M. Caumartin, dans un article intitulé : Encore un mot sur la situation! des Ébu- rons et des Aduatuques ^, exclusivement consacré à la réfutation de ce que nous avions écrit par rapport à cette dernière peuplade, débute par nous reprocher de chercher bénévolement et sans preuves suffisantes « à déloger les Aduatuques
• UAthenœum belge, année 1880, p. 42.
' Annales de la Société archéologique de Namur, t. XV, pp. 224 et suiv.
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» de la province de Namur où, jusqu'à ce jour, les M géographes et les historiens les ont placés, et )) où, depuis des siècles, ils dorment de leur der- » nier sommeil *. »
Ne dirait-on pas, en lisant ces lignes, que jus- qu'ici les savants ont été unanimes à fixer l'habitat de cette nation dans le Namurois et qu'il n'y a eu jamais de divergence à ce sujet? Or, la vérité est que l'emplacement des Aduatuques a toujours été considéré comme un des problèmes les plus ardus, les plus obscurs de notre géographie an- cienne.
« Que dire, s'écrie Des Roches, dim peuple i dont on a cherché la demeure dans différentes contrées des Pays-Bas, sans que personne puisse > se vanter de l'avoir trouvée avec précision ^ » Écoutons maintenant Schayes : « La position géographique des Aduatuques est beaucoup plus obscure que celle des Éburons, car ce ) n'est que sur de simples probabilités qu'on a ) cru pouvoir la fixer dans une partie quelconque de la province de Namur % » M. Wauters , à son tour, s'exprime ainsi : Restent les Aduatuques, ce peuple mystérieux, -dont l'origine, quoique attestée par le conqué- rant des Gaules, semble un fait impossible; dont la position, après maintes tentatives, est
» Ibidem, p. 227.
* Histoire des Pays-Bas autrichiens, t. I, p. 195. ^ La Belgique et les Pays-Bas avant et pendant la domination romaine, t. I, p. 32.
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» encore incertaine ; dont la disparition échappe )) aux recherches de l'historien ' . »
C'est à cause de lïmpuissance où l'on se trou- vait de domicilier convenablement les Aduatuques quun savant, très estimable d'ailleurs et très versé dans les choses de l'antiquité, M. le prési- dent Schuermans, a été jusqu'à soutenir qu'ils ne possédaient pas de territoire propre, mais occu- paient des forteresses le long et aux abords de la Meuse ^
Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit de cette conception, non moins ingénieuse qu'inacceptable, et qui trahit si bien la perplexité extrême de ceux qui voudraient concilier les paroles de César avec cette idée depuis longtemps accréditée, quoique erronée, suivant nous, que les Aduatuques confinaient directement auxNerviens.
On le voit, par ce qui précède, les convictions étaient loin d'être arrêtées et, en rouvrant la controverse, en présentant une solution nouvelle, nous ne devions certes pas nous attendre à Taccu- sation de vouloir renverser un dogme historique, à moins qu'on ne considère comme une audace excessive et digne d'un « esprit aux allures aven- tureuses )) % le fait d'attaquer une théorie indivi-
* Nouvelles études sur la géographie ancienne de la Belgique, p. 61.
2 Bulletins de Vinstitut archéologique liégeois, t. VIII, p. 345. — Bulletins des commissions royales d'art et d'archéologie, 10» année, pp. 280 et 348. — Topographie des voies romaines de la Belgique, par C. Van Dessel. Introduction, p. x.
^ Le rapport du jurj' du concours quinquennal d'histoire natio- nale (1876-1880) en parlant de nos ouvrages, ajoute : « Les mémoi- res sur le pagus Mempiscus et sur la Flandre impériale, attestent
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duelle. Du reste, nous lavouons de bonne foi, au lieu du produit de « fouilles heureuses et de découvertes récentes « , nous n'apportons au débat que des déductions tirées du texte de César, seul arsenal où il nous soit permis de puiser. Si nos adversaires ont d'autres ressources à leur dispo- sition, ils auraient vraiment tort de ne pas en faire état ; cela vaudrait en effet mieux que les « raisonnements » les plus concluants du monde. Aujourd'hui on semble avoir définitivement abandonné Fintention d'installer les Aduatuques dans l'entre- Sambre -et- Meuse, mais beaucoup d'historiens inclinent encore à les chercher dans la Hesbaie, entre la Dyle, le Démer et la Meuse '.
uu esprit ingénieux et indépendant, mais aux allures moins aven- tureuses. » Bruxelles, 1681, p. 13. Nous tenons à prouver à l'hono- rable rapporteur que nos conclusions concernant la situation des jieuplades de l'ancienne Belgique n'étaient j)as aussi téinéraii-es qu'il se l'est figuré.
' M. "Wauters ne semble pas s'être fait une idée bien nette de la situation géographique des Aduatuques. Sur sa carte de la Gaule au temps de César, il place ce jjeuple enti'e la Dyle et le Démer jusque tout près de Tongres, ayant au midi les Pleumoxes qui s'étendaient depuis les environs de Wavre jusqu'à lîuy.
Dans son texte, au contraire, il donne aux Aduatuques la partie de la province de Brabant, située à la droite de la Dyle et à la gau- che du Démer, ainsi que la partie de la province de Namur à la droite de la Sambi'e. « On ne peut guère les placer, dit-il, cpe dans la con- trée située d'une part, entre la Sambre et le Démer ; d'autre part, entre la Dyle et la Gette, dans la Hesbaie occidentale, entre les Nerviens et les Eburons. » [Nouvelles études, p. 62). Qu'il nous soit permis de faire remarquer que cet espace, qui comprend à peine 60 kilomètres de long, sur 30 de large, soit 72 lieues de superficie, es[ absolument insuffisant; il ne représente x^as encore en étendue la plus petite de nos provinces belges. « Il est impossible, avons- nous dit ailleurs, (pi'un peuple riche et puissant, qui avait imposé un tribut aux Eburons, qui possédait plusieurs places importantes et
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Prouver que cette dernière région n'a pu leur appartenir et qu'il faut, de toute nécessité, fixer leur habitat entre la Meuse et le Rhin, tel est l'énoncé de la proposition à défendre. Le lecteur jugera si nous y avons réussi.
César nous apprend que les Aduatuques for- maient une fraction de la grande horde des Cimbres et des Teutons qui, en l'an 103 avant J.-C, franchit le Rhin avec le dessein de se répandre sur la Gaule belgique, mais qui, refou- lée vers le sud par nos vaillants ancêtres, ne laissa sur le bord occidental du Rhin qu'une division de 6000 hommes chargée de veiller à la garde des bagages et de tout ce que l'armée ne pouvait traîner à sa suite * . Les Aduatuques avaient donc pour mission de conserver intact le dépôt confié à leur vigilance et de se trouver sur le passage de la grande armée lorsque, revenue de son expé- dition lointaine et chargée de dépouilles , elle reprendrait le chemin de la patrie. La précaution était sage assurément, mais les événements pri- rent une tournure toute différente de celle qu'on
dont la population s'élevait à environ 116,000 habitants, se soit laissé confiner, entre la grande Nervie et la vaste Éburonie, sur un territoire aussi resserré. » (La Ména^ne, p, 42.) Un nouvel examen n'a fait que nous fortifier dans ce sentiment.
» CÉSAR, De bello gallico, Uv. II, 29. — Il est probable que ce furent les Teutons seuls qui, vers 103 av. J.-C, passèrent le Rhin, installèrent une arrière-garde chez les Élmrons et allèrent se joindre aux Cimbres dans le pays des Vélocasses aux environs de Rouen, d'oîi les deux hordes, après s'être heurtées à la résistance des Belges, se répandirent vers le sud.
Tite-Live dit des Cimbres : « Reversi in Galliam in Vellocassis se Teutonis conjunxerunt. » Epitome, lib. LXVII.
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avait prévue : au lieu de reparaître eu triompha- teurs, les Germains furent défaits par Marins, près d'Aix en Provence, et exterminés, dit-on, jusqu'au dernier, à Verceil.
Nous avions, dans notre ouvrage cité plus haut, exprimé quelques doutes sur l'authenticité du chiffre de 6000 combattants que César attribue au détachement des Aduatuques, en faisant remar- quer qu'il faut sans doute lire seœdecim millia au lieu de sexniillia,^m.^(]u.Q^ d'après les calculs basés sur l'accroissement normal de la population et abstraction faite des pertes subies par la guerre meurtrière qu'ils avaient eu à soutenir de la part des clans voisins, les Aduatuques ne pouvaient s'être multipliés en 46 ans au point de se trouver en état de fournir un contingent de 29,000 guer- riers à l'armée de Boduognat. On nous répond qu'à ce noyau de 6000 hommes valides se joignirent apparemment les débris de la horde détruite ainsi qu'une foule de mécontents et d'aventuriers d'au- tres nations. Cette supposition, d'abord mise en avant par Grandgagnage, cadre assez mal avec les termes : Tpsi erant ex Cimbris Teutonisque prognati *. Et pourtant, si nous l'acceptons comme véridique, elle fournit un excellent argument à l'appui de notre thèse, en ce sens qu'il eût été matériellement impossible à la petite troupe de s'enfoncer jusqu'au cœur de la Belgique, sinon avec la perspective inévitable d'être écrasée et anéantie par les populations- hostiles de ce pays.
' CÉSAE, II, 29.
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Il faut donc , dans tous les cas , établir les Aduatuques sur le bord du Rhin, aux portes de la Germanie, d'une part, sur la route des Gaules, de l'autre, à l'endroit où César lui-même les place, citra ff/wnen Rhenwn depositis, là où leur station- nement était utile et répondait à une nécessité stratégique. Et cette conclusion s'impose si impé- rieusement, elle concorde si bien avec la lettre et l'esprit des Commentaires, que ceux-là mêmes n'ont pu l'éluder qui sont d'une opinion différente de la nôtre, a Nous avons vu, dit Schayes, que les Aduatiques qui dans le principe habitaient également (comme les Sicambres) les bords du Rhin, étaient aussi un reste des Cimbres '. » M. Caumartin n'est pas moins affirmatif : Peut -on prétendre , dit-il , que le territoire occupé en dernier lieu par les Aduatuques constitués en corps de nation, était bien le même que celui où ils campaient n'étant encore qu'une arrière-garde chargée seulement de la défense des impedimenta de la grande armée? Je ne le pense pas, et je vois deux étapes dans l'odyssée des Aduatuques. La première, tempo- raire, commandée par les circonstances, pouvait très bien, et je dirai môme devait forcément se trouver entre la Meuse et le Rhin , car avant de songer à attaquer le clan belge pour tâcher de s'établir sur leur territoire, la horde cim- brique dût, avant tout, se préoccuper des
• La Belgique et les Pays-Bas avant et pendant la domination romaine, t. UT, j). 5.
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M impedimenta, les placer le plus loin possible des » atteintes de l'ennemi, et naturellement chez la » peuplade la plus faible ; cette première étape, » c'est le canip proprement dit, Aduatuca, étape » provisoire; la seconde, fixe et définitive, après « que, victorieux des Éburons, ils eurent conquis » à la pointe de l'épée une seconde patrie et, )) admis dans la confédération belge, eurent pris » ou reçu le nom de Aduatuques ' . »
Nous verrons plus tard ce qu'il faut penser de cette prétendue seconde étape. Il suffit pour le moment d'avoir constaté que, de l'aveu même de nos contradicteurs, c'est entre le Rhin et la Meuse qu'il convient de chercher le campement du petit corps préposé par les Cimbres et Teutons à la garde du gros bagage de leur armée.
Aussi longtemps que la horde resta intacte et que la crainte de son retour et l'espérance de voir bien- tôt cesser l'occupation étrangère, firent prendre patience aux peuplades belges, elles ne tentèrent, à ce qu'il parait, aucun eff'ort sérieux pour se débarrasser des intrus; mais la nouvelle de la destruction des barbares ne leur fut pas plutôt parvenue, qu'elles se ruèrent sur le détachement isolé, qui tint vaillamment tête et qui, après plu- sieurs années de luttes, entremêlées de succès et de revers, finit par rester maître du terrain, acceptant la paix des uns et l'imposant aux autres. Les Aduatuques s'établirent donc dans ces lieux, hune sibi domicilio lociim delegetnint, où nous
* Atm. de la Société archéologique de Namur, t. XV, pp. 232-233.
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les retrouvons en l'an 57 avant Tère vulgaire, à répot][ue où les légions firent leur entrée dans la Gaule belgique.
II.
LA BATAILLE DE LA SAMBEE EUT LIEU, NON PEÈS DE HAUTMONT, MAIS AUX ENVIRONS DE THUIN ou DE CHAELEROI.
A la suite d'une campagne vigoureusement conduite. César était parvenu en fort peu de temps à étendre sa domination sur les Rèmes, les Suessions, les Bellovaques et les Ambianes ; il lui restait à compléter et à consolider ses victoires par la soumission des Nerviens et des autres clans du nord de la Gaule. A cet effet, il s'avança à la tête d'une armée forte de huit légions, soutenue par de nombreux auxiliaires gaulois et belges, et suivit probablement l'antique voie qui aboutit à Cologne, et qui passe par Cambrai, Bavai, Binche, Gembloux, etc., lorsque, après trois jours de marche sur le territoire nervien, il apprit par des prisonniers que la Sambre ne coulait pas à plus de 10 milles de son camp et que les Nerviens étaient massés sur l'autre rive, avec les Atrébates et les Véromanduens, leurs alliés; qu'ils y attendaient les Aduatuques, déjà en route pour les rejoindre ; enfin, que les femmes, les enfants et les vieillards avaient trouvé asile dans des marais et des estuai- res inaccessibles '.
* Les uns ont cherché cet aljri dans les environs de Malines ou
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Sur cet avis, il se dirigea vers la Sambre et bientôt s'engagea en cet endroit une des batailles les plus mémorables dont les annales de notre pays fassent mention. Les Belges, conduits par Boduognat, roi des Nerviens, réussirent d'abord à culbuter l'ennemi et à le rejeter au delà de la rivière. Il y eut même un instant de désarroi tel que la cavalerie trévire, qui servait parmi les auxiliaires de César, croyant la bataille perdue, lâcha pied et courut annoncer à sa cité le massacre de l'armée romaine. Cependant, celle-ci reprit bientôt ToÊfensive, et ce fut au tour des Belges de plier. Bref, ils essuyèrent une défaite si grave que la nation des Nerviens en fut presqu'anéantie « .
On désigne ordinairement Hautmont ou Berlai- mont comme lieu de la lutte, mais comment con- cilier ces positions avec cette particularité connue que l'armée romaine foulait depuis trois jours le territoire nervien lorsqu'elle reçut avis de la proxi- mité des Belges"? Or, de Cambrai à Berlaimont ou Hautmont, il n'y a guère que 8 lieues. On ne saurait admettre que les Romains aient eu besoin de trois jours pour faire ce court trajet. Le vil- lage de La Buissière près de Thuin, proposé par
de Termonde, les autres sur les bords de la Helpe, d'autres encore sur ceux de la Haiue vers Mous ou de la Senne vers Bruxelles, mais aucun de ces endroits, ni même aucune partie de l'ancienne Nervie ne possédant des bas-fonds assez étendus pour avoir pu ofïrir une retraite sûre aux familles menacées, nous croyons devoir placer les estuaires et les marais [aestuaria ac paludes], dont parle César, dans la Zélande ou à proximité.
• CÉSAR, II, 16 à 27.
^ ""Quumper eorum fines triduum iter fecisset. » César, II, 16.
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Baert', répond mieux aux exigences du texte et, à moins que l'on ne découvre dans les environs de Charleroi un point plus convenable encore, on peut, ce semble, lui donner la préférence.
Que dire ici du système de M. Wauters, qui met les Belges sur la rive gauche de la Sambre et fait arriver les Romains par la rive droite? Ce savant suppose, en effet, que César, pour opérer sa jonc- tion avec la cavalerie trévire, se porta vers l'est, passa, sans le savoir, la Sambre près de sa source et après avoir rejoint les Trévires prit la direction nord^ Voilà, on en conviendra, une assez singu- lière manœuvre. Ainsi, le grand capitaine, qui traînait déjà à sa suite un gros de cavaliers numi- des, d'archers crétois, de frondeurs baléares, ainsi que de nombreux auxiliaires gaulois et belges', serait allé s'enfoncer dans le canton le moins important, le plus agreste de la Nervie, à travers les forêts de ïhiérache et de Fagne, dans l'unique but de recueillir sur sa route quelques cavaliers trévires ! Il nous répugne de le croire'. Si l'on ne veut pas concéder que ceux-ci firent toute cette campagne avec lui, au moins faut-il admettre qu'ils le rejoignirent, soit à Amiens, soit à Cambrai.
Mais, objecte M. Wauters, la position des Ner- viens à la droite de la Sambre ne couvrait rien, ni le pays des Atrébates, ni celui des Véroman- duens, ni le cœur de la Nervie, ni la capitale de
• Mémoires siirles campagnes de César dans la Belgique, p. 58.
* Nouvelles études, p. 113.
^ Césak, II , 7. — « Quumque ex dediticiis Belgis reliquisquo Gallis complures, Csesarera secuti, una itei* lacèrent. » Ibid., II, 17,
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ce pays, et puis, dans cette hypothèse, les Tré- vires ne peuvent, comme le veut le texte, se sauver dans leur pays : « car s'ils courent droit devant » eux, ils se dirigent vers Mons ou Valenciennes, » ce qui n'est nullement le chemin allant de la » Sambre aux Ardennes ; s'ils tournent à droite ou » à gauche, ils rencontrent d'un côté la forêt de )) Mormal, qui les oblige à un long détour; de » l'autre côté il leur faut s'enfoncer dans laNervie, « traverser le pays des Aduatuques, passer la )) Meuse; dans l'un et dans l'autre cas, ils n'arri- )) vent dans leur pays qu'après l'annonce de la » victoire de César'. » M. Wauters semble oublier que nos ancêtres étaient des demi-barbares , très braves, très courageux, intrépides jusqu'à la témérité, mais fort peu au courant de la science de la guerre, telle que la comprennent nos géné- raux modernes. Ils savaient se battre vaillamment, choisir même un poste avantageux, mais on les eût fort étonnés en leur parlant de mouvements stratégiques, de tactique militaire. Couvrir le centre de leur pays, à quoi bon? Vainqueurs, ils chasseraient l'ennemi; vaincus, ils vendraient chè- rement leur vie et succomberaient avec gloire. D'ailleurs, s'ils avaient eu l'intention de couvrir leur pays ce n'est pas à La Buissière, à l'extrémité orientale de la Nervie, qu'ils seraient allés se poster, mais bien aux environs de Cambrai ou dans la forêt de Mormal, du côté par où les Romains devaient arriver,
' Nouvelles études, p. 121 .
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Et quant aux Tré vires, on ne s'imaginera pas sans doute que, saisis d'une terreur panique, ils coururent tout d'une traite jusqu'à la Moselle, sans même regarder en arrière. Ny a-t-il donc pas de gués en aval de La Buissière, et, à défaut de gués, eût-il été si difficile à des cavaliers de cette trempe de traverser la Sambre à la nage? Les Bataves se jetaient par escadrons entiers dans le Rhin et passaient ce fleuve avec leurs chevaux et complètement armés, sans rompre les rangs. Ces simples réflexions suffisent pour démontrer que le système de M. Wauters présente bien des côtés faibles et ne saurait prévaloir, malgré le talent que l'auteur a mis à le dévelojDper.
M. Gautier qui, à l'exemple de Des Roches, place le théâtre de la lutte à Presles, est persuadé, lui aussi, que les Romains marchèrent du côté droit de la Sambre , et voici comment il raisonne : « En suivant la route que nous avons tracée (de » Bray-sur-Somme à Walcourt, par Péroune et » Fresnoy-le-Grand), César n'a pas dû franchir la » Sambre à Landrecies, il est arrivé à Walcourt » fe-ans avoir vu la rivière. La seule objection de » Napoléon III et du général von Gœler contre la )) marche des Romains par le côté droit de la
1.
» Sambre tombe ainsi. Mais il y a plus. César )) désigne lui-même le cheinin que nous lui faisons » suivre. Avant d'entrer chez les Xervieus, il dit )) que ce peuple «f confinait aux Ambiens. » C'est » indiquer clairement qu'il a passé du pays des » Ambiens da.ns celui des Nerviens. Il n'a, ]3ar » conséquent, pas pu passer par Cambrai, car, en
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» ce cas, il eût dû entrer dans le pays des Atré- » bâtes et en second lieu seulement dans celui » des Nerviens ' . »
Singulier raisonnement. Certes, le pays des Ambianes (ou Ambiens) touchait à celui des Ner- viens et, en quittant l'un. César a immédiatement posé le pied dans l'autre, mais nous voudrions bien savoir pourquoi il serait d'abord entré dans le pays des Atrébates qui n'était nullement sur sa route % tandis qu'au contraire, en suivant l'itiné- raire indiqué par notre auteur, il était obligé de traverser le territoire des Véromanduens, ce qui est bien autrement invraisemblable.
m.
CÉSAE SOUMIT LES ÉBUEONS ET DÉFIT LES ADUA- TUQUES l'an 57 AVANT J.-C.
César, ayant vaincu les Nerviens, résolut de porter ses armes contre les Aduatuques qui, dans cette campagne, avaient fait cause commune avec
• La conquête de la Belgique par Jules César. Bruxelles , 1882 , p. 113. Ce livre, très bien écrit et d'une lecture agréable, contient des a^jerçus ingénieux, notamment en ce qui concerne la population ancienne de notre pays, la position géographique des Morins, etc., mais l'auteur ne semble pas se douter que la plupart des idées qu'il expose ont été combattues et sont abandonnées depuis longtemps en Belgique.
* L'ancien diocèse de Cambrai qui, d'après les savants les plus autorisés, correspond à la cité nervienne, englobait une lisière de terrain sur la rive gauche de l'Escaut aux environs de Cambrai. Par suite d'une omission du graveur, la carte annexée à notre ouvrage La Ménapte. ne reproduit pas cette lisière. La rectification a été faite dans les tirés à part.
26
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eux et étaient accourus à leur aide avec toutes leurs forces, mais qui, à l'anuonce du désastre de leurs alliés, avaient rebroussé chemin et étaient rentrés dans leur pays. Les Aduatuques, prévoyant le danger, abandonnèrent leurs villes et leurs forteresses et allèrent s'enfermer dans une seule place forte, admirablement défendue par la na- ture, entourée de hauts rochers et accessible seulement d'un côté, qu'ils garnirent d'une double rangée de murailles très élevées.
D'abord incrédules sur Tefficacité des travaux d'approche de l'ennemi et pleins de confiance dans la solidité de leurs retranchements, ils ne soup- çonnèrent le danger que lorsqu'ils se virent bloqués dans une ligne de circonvallation, et qu'une grande tour de siège s'ébranla pour battre le rempart en brèche. Effrayés autant qu'étonnés de ce spectacle si nouveau pour eux, ils offrent de se rendre et, reçus en grâce, livrent la plus grande partie de leurs armes. Cependant, durant la nuit, ils tombent par surprise sur le camp romain et essaient de l'enlever. L'issue de la lutte ne pouvait être douteuse; 4000 Aduatuques y perdirent la vie et, le lendemain, le proconsul fit vendre la population à l'encan ' .
Où donc était située cette fameuse citadelle des Aduatuques? On Ta cherchée à Falais, à Beau- mont, à Bavai, à Binche, à Douai, à Rocroi, à Anvers, à Montaigu, à Tongres, à Xamur, à Phi- lippe ville, à Hastedon, à Embourg*, au mont
' CÉSAR, II, 30-33.
' Le général von Cohausen, M. von Kampen et d'autres écrivains
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Falhize près de Huy, à Kessel-Loo, dans vingt endroits différents, sans consulter d'autre bous- sole que les indications topographiques assez concises de César, et bien souvent sans se deman- der si remplacement choisi correspond à la situation géographique du peuple en question. Cette diversité d'opinions contradictoires est, à notre avis, un indice clair et net que la clef du mystère n'est pas trouvée et qu'il importe de déterminer au préalable les limites dans lesquelles les recherches doivent se circonscrire.
Ceci nous ramène à examiner si les Aduatuques établis sur la rive gauche du Rhin, transférèrent plus tard leur pénates au-delà de la Meuse.
Constatons d'abord que César ne fait pas la moindre allusion à ce prétendu transfert, dont il eût sans doute jugé utile de nous instruire, si réel- lement il avait eu lieu. Mais, loin de là, en parlant de ce peuple, il nous laisse sous l'impression de ces mots significatifs citra flwnen Rhenu'in clepositis, rapprochés de ces autres hune sibi domicilio locum delegerunt^ qui en forment le complément.
On se demande quel mobile aurait pu pousser les Aduatuques à émigrer. La contrée située entre la Meuse et le Rhin n'était-elle pas fertile et giboyeuse ? N'offrait-elle pas une étendue suffisante et beaucoup plus en rapport avec la population
allemanfls cherchent l'oppidum des Aduatuques à Embourg, au con- fluent de l'Ourthe et de la Vesdre, ce qui est admissible ; mais pour- quoi y placent-ils aussi le castellum Aduatuca des Éburons? La juxtaposition de ces deux localités est contraire à toutes les données de César.
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aduatucienne que le j)etit canton de la Hesbaie? Ne possédait-elle pas des retranchements naturels, des retraites sures, des moyens de communication importants? Ne confi hait-elle pas à la Germanie où, eu cas de malheur, les descendants des Teutons eussent pu trouver la même hospitalité quy trouvèrent plus tard les Tenchtères et les Usipètes? Enfin, n'était-elle pas devenue par un long séjour et par suite d'habitudes prises, une seconde patrie pour le clan qui Toccupait? On cherche en vain les motifs qui auraient pu déterminer celui-ci à l'aban- donner.
M. Caumartin croit nous embarrasser beaucoup en nous rajjpelant que César, après la défaite des Nerviens, se porta en avant à la rencontre des Aduatuques, en côtoyant le cours de la Sambre : « Ne suit-il pas de là, dit-il, que les Aduatuques » étaient indubitablement les premiers adversaires » qui s'offraient à César en quittant la Nervie? )) D'après la carte de la Gaule Belgique de M. de )) Vlaminck, si César avait cheminé sur la rive » droite du fleuve, il aurait d'abord rencontré les » Tréviriens et leurs clients ; sur la rive gauche » il serait de suite entré dans l'Éburonie. Mais » non. en sortant de la Nervie, il met immédiate- )) ment le pied chez les Aduatuques, assiège leur j) forteresse oppidum Aduatucorum et s'en empare. » Premiers jours de septembre. Que conclure de » là? Que les Aduatuques confinaient bien réelle- » mentaux Nerviens, et qu'en marchant au nord- » est, vers le confluent de la Sambre et de la
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» Meuse, c'était eux seuls que César devait ren- » contrer les premiers * . »
Cette opinion ayant été souvent émise et paraissant rencontrer encore beaucoup d'adhé- rents, nous croyons devoir en faire justice une bonne fois.
Pour ne pas rendre son récit languissant, César, après avoir raconté sa victoire sur les Nerviens, passe, presque sans transition, à sa campagne contre les Aduatuques. Il agit à la manière des romanciers qui, au début d'un cha- pitre, transportent tout à coup l'action sur une scène nouvelle. Il néglige donc à peu près tous les préliminaires, pour nous mener directement devant la forteresse des Aduatuques. Sa descrip- tion y gagne en couleur ce qu'elle perd en préci- sion. Heureusement, d'autres passages nous permettent de reconstituer dans leur ensemble les événements intermédiaires. Ainsi, nous savons, par son récit même, que durant les quelques semaines qui s'écoulèrent entre la bataille et la prise de l'oppidum", il régla le sort des vaincus; qu'il fit droit aux supplications des vieillards, des femmes et de toute cette partie de la population qui avait été mise à l'abri dans les marais et les
' Ann. de la Société archéologique de Xamur, t. XV, pp. 233-234.
* M. Gantier suppose que César eut besoin de i^lus de deux mois pour réduire la forteresse des Aduatuques [La conquête de la Belgi- que, p. 179). Dion Cassius parle seulement de plusieurs jours : « Oppugnantemque id Csesarem per multos dies rejecerunt, donec ad macbinarum iauricatiouem se convertit. » (Dion Ca-ssius , lib. XXXIX, cap. IV.)
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estuaires ; qu'il intima l'ordre aux nations voisines d'avoir à respecter les frontières des Nerviens ' . Ces voisins étaient les Atrébates, les iVmbiens, les Véromanduens, les Suessions, les Rèmes, les Con- druses et lesÉburons, car nous ne nommons ni les Morins, ni les Ménapiens, premièrement parce que ces deux peuples n'étaient pas encore entrés en négociations avec César et, en second lieu, parce que les derniers, d'après nous, ne confi- naient pas à la Nervie.
Il envoya ensuite Crassus, avec la septième légion, dompter les peuplades échelonnées le long de rOcéan\
Il s'occupa aussi de la condition politique des Véromanduens et des Atrébates qu'il venait de réduire à merci, donna un roi à ceux-ci', et enfin reçut la soumission des Éburons .
Ce dernier événement, le seul qui nous inté- resse, porte un coup fatal à la thèse de notre adversaire, qui se figure que l'occupation de l'Éburonie n'eut lieu que l'an 53 av. J.-C. « Les » Tréviriens, dit-il, ne furent soumis qu'à la )) cinquième campagne, la sixième seulement vit )) l'occupation de l'Éburonie^. »
C'est une complète erreur : les Trévires firent leur soumission dès la première campagne^; quant aux Éburons, il suffit de renvoyer au cha-
1 CÉ3AR, II, 28. ' CÉSAR, II, 34. a CÉSAR, IV, 21.
* A7m. de la Société archéologique de Namur, loc. cit., p. 234. « CÉSAR, I, 37; II, 24.
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pitre 28 du livre III des Commentaires pour faire voir que dès l'année suivante (an. 57) toutes les tribus de la Gaule avaient mis bas les armes, à Texception des Morins et des Ménapiens*. Nous pourrions corroborer cette démonstration en rap- pelant que l'armée romaine traverse continuelle- ment rÉburonie, par exemple lors de la campagne contre les Usipètes et les Tenchtères, lors de l'ex- pédition contre les Ménapiens, lors du joassage du Rhin, lors de l'expédition dans l'île de Bretagne. César envoie même une garnison chez les Éburons, oii elle est parfaitement accueillie par les deux rois du pays ^ Il résulte en outre de l'allocution prononcée par Ambiorix devant les délégués de Sabinus et de Cotta, que ce chef avait déjà reçu pour lui et son peuple plusieurs faveurs insignes de César". M. Caumartin allègue donc, bien à tort, que l'assefvissement des Éburons ne date que de la sixième campagne ; c'est au contraire la répres- sion de leur révolte qui eut lieu à cette époque. Pour s'en convaincre on n'a qu'à parcourir le livre VI des Commentaires.
Si César ne parle pas d'une manière expresse de la soumission des Éburons, n'est-ce pas parce que ce succès remporté sur une nation aussi débile, civitatem ignobilem atque hmnilem Eburo- mim, ne méritait pas de figurer dans ses bulletins de triomphe, comme ne pouvant ajouter aucun lustre à sa gloire? Du reste, comme il ne nomme
1 CÉSAR, II, 35 ; III, 28 ; IV, 22 ; VI, 5.
' CÉSAR, V, 24, 26. ' ■' CÉSAR, V, 27.
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jaroais les Éburons lorsqu'il traverse leur territoire, il n'est guère étonnant qu'il ne fasse pas mention d'eux lors de sa marche contre les Aduatuques.
IV.
LE TEREITOIEE DES ADUATUQUES NE CONFINAIT PAS A CELUI DES NEEVIENS.
Nous avons invoqué ailleurs une autre raison encore pour démontrer que l'Aduatuquie ne tou- chait pas immédiatement à la Nervie, puisque lors de la bataille de la Sambre, les Aduatuques, malgré leur diligence, ne purent arriver à temps pour prendre part à la lutte : « Nous le savons par » César, dit M. Wauters, tandis que les Nerviens, » unis aux Yéromanduriens et aux Atrébates, lut- )) talent contre les Romains sur les bords de la )) Sambre, les Aduatuques se mettaient en marche » pour venir à leur aide. Leurs frontières se trou- » valent donc à quelque distance, car si leur point » de réunion avait été peu éloigné du champ du » combat, leur cavalerie, leurs guerriers d'élite )) auraient pu prendre les devants et apporter aux » Nerviens un appui qui eût probablement été )) décisif '. ^) Cet argument, quoique produit à l'occasion d'une autre controverse, n'en vient pas moins renforcer notre thèse.
Écoutons aussi M. Roulez : « Je fixerai ici » l'attention sur deux circonstances du récit de » César qui semblent s'opj^oser également à ce
* Nouvelles études, p. 61.
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qu'on leur assigne cette position (Namur, pour Vojypichim des Aduatuques). Après trois jours de marche dans le pays des Nerviens, César apprend par des prisonniers que ceux-ci se trou- vaient sur les bords de la Sambre avec les Atrébates et les Vermandois, et qu'ils y atten- daient encore les troupes des Aduatuques qui étaient en chemin. La bataille ne se livra au plus tôt que le lendemain, et les Aduatuques qui n'avaient pas encore rejoint leurs alliés, apprenant leur déroute, rebroussèrent chemin. Ils avaient donc eu besoin de plusieurs jours de marche pour arriver au rendez-vous; comment cependant concilier ceci avec la courte distance qu'il j a entre Namur et Presle qu'on regarde communément comme l'endroit où eut lieu la bataille? D'un autre côté, si César s'était trouvé si près de leur pays, n'aurait-il pas profité de la terreur que leur avait inspirée sa victoire, afin de les accabler entièrement et leur aurait-il laissé le temps d'abandonner leurs villes et leurs forts pour se retirer avec ce qu'ils possédaient ) dans une seule forteresse \ » Ces réflexions sont justes et irréfutables.
L'éloignement seul a donc empêché les Aduatu- ques de se joindre à temps aux Nerviens. Ils con- naissaient les péripéties de la lutte des Romains contre les Suessions, les Bellovaques et les Am- bianes. Ils savaient par leurs courriers que César
* Mémoires sicr les campagnes de César dans la Belgique, p. 19, en note.
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était entré sur les terres des Nerviens, que ceux-ci avaient pris les dispositions nécessaires pour mettre en sûreté leurs femmes et leurs enfants; ils n'ignoraient pas que les Atrébates et les Véro- manduens étaient arrivés à destination, que toute l'armée nationale bivouaquait sur les bords de la Sambre dans l'attente de l'ennemi qui avait assis son camp à dix milles de là', et cependant ils n'étaient pas encore assez avancés dans leur mar- che pour que leur jonction avec les guerriers de Boduognat pût s'opérer pendant la nuit qui précéda la bataille ou seulement pour que l'annonce de leur approche iDÛt électriser le courage des com- ]:)attants et leur faire tenter un suprême effort. Ne doit-on pas en conclure que leur distance du lieu du combat était assez considérable et avions-nous tort dans ce cas de soutenir que ce détail ajoute une force nouvelle à notre argumentation?
Que si, au contraire, on les installe à la gauche de la Meuse, leur retard ne s'explique ni ne se justifie d'aucune manière. En effet, l'entre-Sambre- et-Meuse touche au champ de bataille, et la Hes- baie n'en est éloignée que de 8 à 9 lieues. Sous le rapport de la proximité, ils se seraient donc trou- vés dans des conditions infiniment meilleures que les Véromanduens et les Atrébates et, partant, ils auraient dû être les premiers au rendez-vous.
Il y a plus. Le bruit de la prise de l'oppidum
> « Iiiveniebat ex captivis, Sabim flumen ab castris suis non amplius niillia passuum decem abesse. » César, II, 16. — Roulez avait rai- son de dire que la bataille n'eut lieu au plus tôt que le lendemain, puisque l'armée romaine avait déjà établi son campement de nuit.
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des Aduatiiqiies et de la cruelle punition infligée à cette malheureuse nation frappa de terreur la tribu germanique des Ubiens, dont les frontières touchaient par le lihin au pays envahi, et qui se hâta de demander la paix et d'envoyer des otages'.
Déplacez le théâtre de l'action, transférez -le en deçà de la Meuse et l'émotion subite des Ubiens n'a plus de raison d'être. Un danger éloigné ne provoque pas ce sentiment d'angoisse qui pousse aux résolutions extrêmes. On ne songe à capi- tuler que lorsque le péril est là, imminent, tangi- ble, lorsque l'ennemi est aux portes et que, soit épouvante, soit désir de se le rendre favorable, on se résoud à entrer en négociations avec lui.
M. Gantier a imaginé une autre combinaison pour expliquer l'absence des Aduatuques à la bataille de la Sambre. Il reconnaît qu'ils ont dû être avertis immédiatement par Boduognat de l'approche de César et qu'ils sont accourus à marches forcées ; mais au lieu de les faire partir de Namur où, d'après lui, était leur principal oppidum et le centre de leur pays, il les fait venir
* « His rébus gestis, omni Gallia pacata, tanta liujus belli ad bar- bares opinio perlata est, uti ab his nationilnis, quae trans Rhenum. incolereut, mitterentur legati ad Cœsarem, qure se obsides daturas imperata facturas, pollicerentur : quas legationes Csesar, quod iu Italiam Illyricumque properabat inita proxinia sestate ad se reverti jussit. » César, II, 35. — L'année suivante, le proconsul ue parut pas dans la Belgique orientale, mais il y vint l'année d'ensuite (55 av. J.-C.) et les plénipotentiaires ubiens s'emjjressèrent d'aller lui re- nouveler leurs oftres de soumission. (V. César, liv. IV, 8.) — « Uliii autem, qui uni ex transrhenanis ad Csesarem legatos mise- rant, amicitiam fecerant, obsides dederant. >- César, IY, 16 ; YI, 9.
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de Givet et leur fait côtoyer la Meuse de Givet à Namur et la Sambre de Namur à Farciennes'. Est-il possible de confesser plus ingénument son embarras?
Les raisons avancées par M. Piot pour reléguer les Aduatuques à la gauche de la Meuse sont encore moins concluantes. Nous n'en relèverons que deux, parce que ce sont les seules que nous n'ayons pas réfutées jusqu'ici.
« Si les Aduatiques, dit cet écrivain, avaient été » établis à la droite de la Meuse, César n'aurait » pu dire que la population la plus dense de )) l'Éburonie se trouvait entre le Rhin et la )) Meuse ^ »
Pourquoi donc? La population d'une contrée n'est pas toujours en raison directe de son étendue territoriale. Ainsi, aujourd'hui, le pays corres- pondant à l'ancienne Èburonie occidentale, tout couvert de landes et de marais, est relativement peu peuplé, tandis que la population est très dense de l'autre côté de la Meuse.
« Aux renseignements fournis par le conqué- » rant romain, poursuit M. Piot, Dion Cassius en )) ajoute un autre plus précis encore. Selon cet » écrivain, les Aduatuques étaient les voisins des » Nerviens'. » En effet, dans son livre XXXIX, ch. IV, le prosateur grec rapporte que les Aduatu- ques, partis pour porter secours à leurs voisins
» La conquête de la Belgique par Jules César, p. 120. * Les Êhuro7is et les Aduatiques, dans le Messager des Sciences historiques, année 1874, p. 151. ' Loc. cit.
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[les Nerviens], aj^ant appris leur défaite, retour- nèrent aussitôt chez eux ' . La citation serait assu- rément décisive si, au lieu d'émaner d'un auteur du IIP siècle qui n'a jamais connu les Aduatuques, disparus bien longtemj)s avant lui, et qui ne fait que paraphraser César pour tout ce qui concerne le récit de la conquête des Gaules, elle provenait d'une source contemporaine. Cassius, égaré par la concision de César, comme la plupart de nos historiens du reste, a cru présenter un résumé fidèle de son modèle, alors que, sans s'en douter, il introduisait un détail inexact.
Il nous sera permis, en passant, de faire remar- quer la confusion qui règne dans l'article publié j)ar M. Piot, par suite de la singulière interpré- tation qu'il donne à certains passages de César, entre autres à celui où il est question de Tinstal- lation des quartiers d'hiver de Sabinus et Cotta en Éburonie, et dont il résulterait, d'après lui, que l'auteur des Commentaires établit une distinc- tion entre le pays éburon et celui sur lequel régnaient Ambiorix et Cativolcus, les chefs des Éburons^ Inutile de nous appesantir sur ces bizarreries, qui ne reposent que sur un malentendu évident.
Un des écrivains qui se sont le plus récemment occupés de la question, le général C. von Veith,
< « Intérim Aduatuci, qui et génère et animis Cimbri erant , Nerviis vicinis suis oj)itulatum profecti, postquam de iis jam actuni esse senserunt domum reverterunt. » Dion Cassius, liv. XXXIX, cap. 4.
^ Loc. cit., p. 140.
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ne touche à aucune des difficultés que nous venons de soulever ; il néglige entièrement le côté géogra- phique, le côté essentiel d'après nous, et se borne à constater, — ce qui est contesté par d'autres, — qu'au point de vue militaire le mont Falhize, au nord-est de Huy, déjà signalé par le- colonel von Goler', convient à la description de César ^. Cette solution, nous n'avons pas besoin de le dire, ne satisfait pas plus aux exigences d'une saine cri- tique que celle proposée par le docteur Boue, qui crut avoir trouvé l'oppidum tant cherché sur le plateau de Ferschweiler près d'Echternach, en pleine Trévirie ' !
V.
LE CASTELLUM ADUATUCA DOIT ETEE CHEECHE A LA DEOITE DE LA MEUSE. RAISONS QUI MILITENT CON- TEE l'e]MPLACE]MENT DE TONGEES.
Une objection sur laquelle on semble insister est celle-ci : Ambiorix, ayant défait les légions de Sabinus et de Cotta devant Aduatuca, courut avec sa cavalerie soulever les Aduatuques, en ordon- nant à son infanterie de le suivre, puis il se rendit chez les Nervieus pour les exciter également à la
* Von Gôlek, Câsars gallischer Krieg in den Jahren 58 bis 53 vor Christus, 1858, p. 83.
* Von Veith, Oppidum Aduatucorum von Câsar belagert ini Jahre 57 vor Christus, dans le Monatsschrift fur die Geschichte Westdeutsch- lands. Trêves, 1880, p. 229.
^ Jahresbericht der Gesellschaft fur nutzliche Forschungen. Trê- ves, 187G.
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révolte '. Ces termes peditaiumque se subsequi jiibet nous condamnent, assure-t-on, d'une manière formelle et renversent de fond en comble notre système qui force les troupes d'Ambiorix à des marches et contre-marches inutiles, d'abord pour franchir la Meuse, ensuite pour la repasser, tan- dis qu'il résulte du contexte des Commentaires que le chef éburon n'a eu qu'à traverser l'Aduatuquie pour se trouver sur le territoire des Nerviens.
Supposons, un instant, qu'Aduatuca soit réelle- ment la localité connue de nos jours sous le nom de Tongres, on est amené à se demander si les expressions rapportées plus haut doivent être entendues dans ce sens que l'infanterie avait à suivre pas à pas les cavaliers d'Ambiorix, en par- courant identiquement le même itinéraire, ou bien si elles signifient que le gros de l'armée devait rallier son chef, soit en route, soit à destination, après que celui-ci aurait accompli sa mission chez les Aduatuques? Par sa marche naturellement plus lente, l'infanterie ne pouvait se tenir sur les talons de la cavalerie et il importait assez peu de prendre des directions différentes dès qu'elles convergeaient au même but, puisque l'ennemi, renfermé dans ses retranchements, se trouvait dans l'impossibilité d'inquiéter la marche. Du reste. César qui parle ici d'une opération à laquelle il n'a pas assisté,
* « Hac Victoria sublatus Ambiorix, statim oum equitatu in Aduatucos, qui erant ejus regno finitimi, proficiscitur ; neque noc- tem neque diem intermittit peditatumque se subsequi jubet. Re demonsti-ata, Aduatucisque concitatis, postero die in Nervios perve- nit. » César, V, 38.
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mais rapporte simplement ce qu'on lui a raconté, peut avoir employé le mot suivre dans l'acception de rejoindre; or, comme il ny avait de Tongres à la frontière des Aduatuques que trois lieues à peine, ainsi que M. Caumartin le reconnaît lui- même, il était facile à Ambiorix d'aller avertir ses voisins avant de courir chez les Ner viens, c'était l'affaire de quelques heures, d'autant plus que l'on peut considérer la phrase neque noctem neqiie cliem intermittit ' comme se rapportant à la chevauchée entière, tant chez les Nerviens que chez les Adua- tuques.
Ainsi, même dans l'hypothèse que nous venons d'indiquer, de l'identité d'Aduatuca et de Tongres, l'expression pecUtatumqiie se subsequi jubét peut, à la rigueur, se justifier.
Mais nous n'admettons nullement cette identité, et plus nous étudions le texte des Commentaires, plus nous nous affermissons dans la persuasion que la capitale des Tungres n'a eu rien de commun avec le fameux castellwn témoin du désastre de Sabinus et de Cotta.
Sans doute, Tongres a été une ville marquante de la Gaule belgique et peut rappeler en sa faveur, et son enceinte murée, et les nombreuses anti- quités romaines découvertes sur son territoire, et sa position sur la voie antique de Bavai à Cologne, et le nom à'Atvaca que lui donne la carte de Peu- tinger et celnid'' Aduaca Tongrorum que lui attribue
' Par ces expressions, César fait entendre que le chef éburon ne perdit pas une minute de temps, qu'il fit la plus grande diligence pour arriver à destination, en un mot, qu'il voyagea jour et nuit.
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ntinéraire d'Antonin et même celui d'Aticacutum qui figure dans Ptolémée. Tout cela prouve que Tongres existait du temps de l'Empire et avait acquis même une assez grande célébrité, puisqu'il devint chef-lieu de cité et plus tard siège d'un évêché, mais cela n'établit nullement son identité avec l'Aduatuca des Commentaires.
Lorsqu'on lit attentivement et sans idée pré- conçue la narration de César, le sentiment le plus naturel qui s'impose à l'esprit est que le camp de la XIV® légion occupait un emplacement situé entre la Meuse et le Ehin, dans la partie la plus peux^lée de l'Éburonie ' , dans la région transmosane gouvernée par Ambiorix et qui confinait au pays des Aduatuques", qu'il n'était qu'à une médiocre distance du Rhin, sans aucun fleuve intermé- diaire '% enfin qu'il se trouvait à peu près au milieu du territoire éburon\ L'emplacement de Tongres réunit-il ces conditions? Correspond-il seulement au signalement topographique donné par César? Avec Ernst, Grandgagnage et bien d'autres, nous n'hésitons j)as à répondre négativement. En effet, en admettant que la forme Aduatuca, aujourd'hui généralement adoj^tée, soit la vraie (car il y a des
* « In Eburones, quorum pars maxima est inter Mosam ac Rhe- num. » CisAE, V, 24.
* « Ambiorix, statim cum equitatu in Aduatucos, qui erant ejus regno finitimi. » César, V, 38.
' « Magnam manum Gerraanorum conductam Rhenum transisse : hanc adfore biduo. » César, V, 27. — « Subesse Rhenum. » César, V, 29. — « Tribus horis Aduatucam venire potestis. » César, VI, 35.
* « Aduatuca, id castelli nomen est. Hoc fere est in mediis Ebu- ronum finibus. » César, VI, 32.
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Avariantes dans les manuscrits), cette ville n'a pour elle, en tout et pour tout, qu'une assez forte homo- nymie, ce qui n'est j^as un indice suffisant, d'au- tant plus que, suivant certains érudits, Aduatuca est un terme générique, et ce qui donne quelque poids à cette opinion c'est qu'il paraît avoir existé d'autres localités de ce nom, telles que Voppidum Aduatucorum, VAtuaca des Tongrois, VAutuaœhe près de Waremme, VAtiech près de Tongres (qui représente peut-être l'Atuaca primitif des Tungri)^, de même qu'il y eut plusieurs Lugdunum, plusieurs Noviomagus, plusieurs Noviodunum, plusieurs Cas- tellum, etc. ^
L'objection présentée par le général Creuly, qu'un même nom de lieu ne se rencontre jamais deux fois dans la même cité, ne nous touche guère, puisque la cité des Éburons était entièrement dif- férente de celle des Tongrois, qui ne s'éleva que plus tard et s'étendait dans d'autres limites ; d'ail- leurs tout permet de supposer qu'Atuaca fut bâti, longtemps après César, par les Tongrois, nouveaux venus dans le pays. -
' Fabri-Rossius, Aduatuca et Aduatuci, dans le Bulletin de V In- stitut archéologique liégeois, t. X, p. 86. — Schuermans, Bulletins des coynniissions royales d^histoire et d'archéologie , 10* aiiuée, p. 281. — Voil' aussi Erkst, Histoire du Limbourg, t. I, p. 172.
* « La ressemblain-e-de noms entre l'oppidum des Aduatuques et celui des Eburons, dit M. Gantier, ne doit pas nous étonner. Adua- tuca n'était pas un nom propre, mais un nom commun; il signifiait forteresse où l'on garde les biens. Aduatuca, ou mieux Aduacca, comme l'écrit Ptolémée, venait du mot germain Odwacca, en alle- mand Gutsioache. Namur était l'aduatuca des Aduatiques, Tongres celle des Eburons et Bavay celle des Nerviene. « La conquête de la Belgique par Jules César, p. 184.
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On a voulu aussi tirer argument de révaluation des distances indiquées par le conquérant romain, mais on n'a pas réfléchi à ceci, c'est qu'avant d'in- troduire ce nouvel élément dans la discussion, il eût été prudent de s'entendre sur la valeur de l'unité itinéraire adoptée par César, en d'autres termes de se mettre d'accord sur le point de savoir s'il faut compter par milles romains de 1481.5 mètres (1481.75 d'après Canina, 1473 suivant d'autres), par milles drusiens de 1666.7 mètres, par lieues gauloises de 2222 mètres, par milles de marche effective (c'est-à-dire en tenant compte des dif&cultés et des détours des chemins) de 1234.6 mètres; qu'il eût fallu en outre fixer la position réelle des camps de Quintus Cicéron et de Titus Labiénus, et déterminer vers lequel de ces deux camps se dirigèrent les cohortes à leur sortie d'Aduatuca'. Or, tous ces points sont loin d'être élucidés.
Il est vrai, les partisans de la cause de Tongres ne se découragent pas si vite : appelant à leur aide la science stratégique, ils essaient de reconsti- tuer à leur manière le plan d'ensemble des canton - nements de l'armée romaine en l'an 54. M. Wau- ters notamment dispose les quartiers d'hiver comme suit : César à Amiens ou Bray-sur-Somme, Fabius à Térouane, Cicéron à Assche, Sabinus et Cotta à Tongres, Labiénus à Rocroi. De cette manière, le proconsul pouvait au premier signal
• Nous nous rangeons de l'avis de ceux qui les font marcher dans la direction du camp de Labiénus.
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se porter vers les campements de ses lieutenants , sans avoir à franchir aucune grande rivière et sans qu'aucun obstacle naturel vînt entraver sa marche . « Si on déplace Aduatuca, ajoute-t--il, si on la » rejette au delà de la Meuse, cette belle combi- » naison n'existe pas. Aduatuca, menacée pendant )) l'hiver, n'aurait pu être facilement secourue. )) Les Tré vires, les Germains étaient proches; le )) fleuve mieux alimenté que de nos jours, devait » rouler un volume d'eau tel que le traverser eût » été difficile et dangereux ^ . »
La combinaison de M. Wauters est fort belle, en effet; nous ne lui trouvons qu'un léger défaut, c'est de l'être trop. Si César avait été, en cette cir- constance, riiabile stratégiste qu'on suppose, il n'eût pas commis la faute grave de disséminer ses légions sur un espace immense, de les laisser en l'air, sans aucune communication entre elles*. Aussi, voyez les conséquences : les malheureux soldats se sentant isolés et comme perdus entre la Meuse et le Rhin, éloignés de tout secours, avec la perspective de voir apparaître sous peu les Germains, n'écoutèrent que la voix du désespoir et quittèrent leur abri, j)our tomber aussitôt dans
' Quelques observations en réponse de M. Grandgagnage, à propos de V Aduatuca de César, p. 8, dans les Bulletins de V Académie royale de Belgique, 2« série, t. XV, n« 2.
» a Cette faute militaire, dit M. J. Liagre dans un rapport lu à la séance de la classe des lettres de l'Académie royale du 9 janvier 1882, eut des conséquences désastreuses, et c'est probablement le désir de l'amoindrir aux yeux du public, qui est cause des inexacti- tudes calculées, des réticenses, des contradictions que l'on remarque dans le récit de César. »
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l'embuscade qui leur était tendue. Ambiorix n'avait-il pas annoncé que les ennemis arrive- raient le surlendemain, hanc adfove biduo? Sabinus en était tellement convaincu qu'il engagea ses compagnons à partir sur le champ. « Ce n'est pas le moment, dit-il, de délibérer longuement, le Rhin est proche et nous ne pouvons échapper au danger que par une prompte fuite, Rhenum subesse, imam esse in celeritate positam salutem. »
Et croit-on que si les Romains avaient eu la Meuse pour rempart du côté de la Germanie, ils eussent ainsi lâchement abandonné leur poste, alors qu'avec une poignée de troupes, ils pou- vaient interdire le passage du fleuve à toute une armée, comme le firent les Ménapiens lorsque les ïenchtères et les Usipètes essayèrent une première fois de franchir le Rhin? Ernst a très bien com- pris cet épisode : « il fallait se hâter, dit-il, pour M n'être pas surpris par les Germains. Cependant » si le camp eût été à la gauche de la Meuse, il »> leur eût encore fallu franchir ce fleuve, et com- » ment l'auraient-ils passé, étant dépourvus de » bateaux; au surplus les Romains étant à même « de leur en disputer le passage, comment pou- » vaient-ils craindre d'être surpris par ces Ger- » mains? ' »
On réplique que la Meuse était guéable près de Visé. L'était-elle? Alors comment se fait-il qu'au- cun des soldats romains échappés d'Aduatuca ne parvint à la traverser pour porter à Cicéron la
* Histoire du Limbourg, t. I, p. 179.
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nouvelle du désastre, tandis que plusieurs rejoi- gnirent le camp de Labiénus? En admettant même que le gué existât, les Romains ne pouvaient-ils le défendre ?
César a si bien compris l'imprudence qu'il avait commise en disloquant son armée et en l'éparpil- lant sur un aussi grand espace que, dans ses Com- mentaires, il ne sait comment se disculper; il allègue tour à tour les révoltes subites, la disette des vivres, la faible distance existant entre les cantonnements qui tous, dit-il, étaient compris dans une étendue de cent mille pas ' ! C'est évidem- ment pour répondre à un reproche direct de ses détracteurs ou du moins pour échapper à une critique éventuelle qu'il nous apprend que la majeure partie des Éburons habitaient entre la INIeuse et le Rhin, Ebiœones, quorum pars maxima est inter Mosam acRhenum.
« Pourquoi, se demande Ernst, cette observa- « tiou que le gros de la nation demeurait entre » ces deux fleuves est-elle placée ici plutôt que )) dans les chapitres antérieurs où César avait » parlé des Éburons, si ce n'est pour indiquer plus » particulièrement où ces troupes allaient cam- » per^? » En effet, quelle nécessité le poussait à consigner ici ce détail exceptionnel, totalement étranger au récit, s'il n'eût eu à cœur de justifier le choix qu'il avait fait d'un emplacement aussi
» « Atque harum tamen omnium legionum hiberna (praeter eam, quam L. Roscio in pacatissimam et quietissimam partem ducendam dederatj millihus passiium ceutum contiuebantur. « Césak, V, 24.
* Eknst, Histoire du Limbourg, t. I, p. 178.
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excentrique, à la droite de la Meuse, s'il n'eût senti le besoin d'expliquer à ses concitoyens qu'il y avait là une population nombreuse à surveiller et que le ravitaillement devait y être plus facile que dans l'Éburonie occidentale, beaucoup moins peuplée et offrant par conséquent moins de res- sources ?
Ces diverses considérations sapent dans sa base l'hypothèse de l'identité d'Aduatuca et de Ton- gres, et l'on s'étonne que cette cause si compro- mise ait pu rallier tant d'adhérents.
Nous avons exposé précédemment les raisons qui, suivant nous, tendent à prouver que la célèbre forteresse ne date que de l'époque de la conquête et qu'elle fut créée de toutes pièces par Sabinus et Cotta lorsqu'ils établirent leurs quar- tiers d'hiver en Éburonie. « On prétend, avons- » nous ajouté, que le nom d'Aduatuca existait » avant César, qui se borne à le rappeler : Achta- » tuca , id castelli nomen est. Entendons -nous. » Lors de la première occupation d'Aduatuca par » les Romains, ce lieu ne portait pas, à ce qu'il » semble, de dénomination particulière, du moins » César, qui raconte longuement toutes les péri- » péties de l'abandon du camp, ne lui en connaît » aucune. Ce n'est que longtemps après que cette » appellation apparaît sous la plume du grand » écrivain romain. Or, ne peut-on pas conjecturer, » par exemple, que les habitants du pays auront w baptisé le castellum abandonné d'un nom tiré » du vocabulaire germain et dont l'auteur des » Commentaires n'a pas dédaigné de faire usage.
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» Ainsi s'expliquerait comment les Éburons qui, » à ce qu'on assure, ignoraient l'art des fortifica- » tions et n'avaient aucune place de guerre, » s'habituèrent à désigner le camp retranché » établi sur leur territoire d'un nom servant chez » leurs voisins les Aduatuques à désigner les » castella * . »
Cependant, beaucoup de savants inclinent à croire qu'Aduatuca est antérieur à l'invasion ro- maine et, à en juger par son nom, doit avoir été ou occupé quelque temps par les Aduatuques ou fondé par eux pour maintenir dans la soumission les Éburons lorsqu'ils étaient leurs tributaires. ( Aduatuca, dit M. Wauters, appartenait aux Éburons. Oui, en l'an 55 avant l'ère chrétienne ; ) mais deux ans plus tôt César avait exempté les ) Éburons du tribut qu'ils payaient aux Aduatu- ques et délivré le fils et le neveu d'Ambiorix, que ces derniers gardaient enchaînés. En outre, il avait vendu à l'encan 53,000 Aduatuques. N'est-il pas présumable qu'en trafiquant des ha- bitants il aura trafiqué du sol? Et à qui aura-t-il vendu les champs qui restaient déserts, si ce n'est à la population la plus voisine, à celle qu'il venait de délivrer de l'oppression et avec la- quelle il avait contracté alliance "? » Ceci, qu'on veuille bien le remarquer, est une simple conjecture, mais comme elle peut renfer- mer un fond de vérité, nous nous ferions un
' La Ménapie, p. 49.
' Bulletins de V Académie, royale de Belgique, 2® série, t. VIII, n" 4.
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scrupule de la rejeter à la légère; seulement, il faut s'entendre. 11 est possible, après tout, que les Aduatuques, à la suite de la prise de leur oppidum et de renvoi en esclavage de leur population valide durent restituer, le long de leurs frontières septentrionales, une lisière du territoire qu'ils avaient conquis sur les Éburons ; il est possible aussi que dans cette lisière ainsi rétrocédée se trouvait une localité du nom d'Aduatuca, quoique tout cela paraisse bien invraisemblable, mais nous nous refusons formellement à admettre que l'an- nexion fut complète et que les Aduatuques furent obligés de chercher une autre patrie. Nous met- tons au défi de trouver dans les Commentaires un seul texte pouvant justifier une pareille inter- prétation.
Où donc, en définitive, était placé le mystérieux castellum objet de controverses si ardentes? A notre avis, il doit être recherché dans l'angle formé par la Meuse et la Roer. C'est là, et là seu- lement que l'on a quelque chance de le découvrir. Déjà un grand nombre d'archéologues des plus compétents ont tourné leurs regards de ce côté. Les uns ont désigné Juliers, Gressenich, Roi duc, Aix-la-Chapelle ; les autres , Fauquemont , AVit- tem, Groesbeeck, Houthem, Fouron-le-Comte , Limbourg, etc. Ce n'était pas de leur part une simple présomption basée sur un étroit esprit de clocher, c'était le résultat de réflexions fortement mûries. Si leurs indications sont divergentes, si jusqu'ici l'accord ne s'est pas établi, cela tient avant tout à la difficulté de reconnaître le vo-
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cable latin sous son travestissement moderne, et cette difficulté se comprend lorsqu'on songe que près de vingt siècles ont passé sur les évé- nements, que le pays a été bouleversé de fond en comble à différentes reprises, que les docu- ments de cette époque lointaine ont disparu et que la plupart des dénominations locales ont été ou totalement changées ou défigurées au point de devenir méconnaissables. ]!*\éanmoins, au milieu des incertitudes, des tâtonnements que de telles recherches comportent, il y a comme une tendance à circonscrire celles-ci dans une zone déterminée.
Parmi les localités proposées, il en est une surtout qui nous a toujours paru réunir à un degré remarquable les conditions requises de situation et de topographie, c'est Aix-la-Chapelle, l'ancienne civitas Aquensis des Romains *.
Cette ville, déjà signalée par le général Renard % est située à deux journées de marche ou 63 kilo- mètres en ligne directe du Rhin ' ; elle se trouve,
• La dénomination vulgaire Aachen pourrait bien n'être qu'une forme syncopée de Aduatnca ou Aduatucum. Dans notre pensée, Sabinus et Cotta prirent la direction du sud-ouest, et c'est dans les bois actuellement encore existants entre Vaels et Sippenaeken, d'un côté, Cornelimiinster et Einatten, de l'autre, qu'ils furent attaqués par les Êburons. Quant à la colline derrière laquelle les légionnai- res allèrent fourrager lors du coup de main des Sicambres sur Adua- tuca, nous croyons qu'il faut y voir le Lousberg.
* Histoire militaire et politique de la Belgique, V^ partie, p. 441. ' M. Creuly, pour répondre à une objection de Grandgagnage,
soutient que ïongres se trouve à deux journées de marche seulement du Rhin. >' ïongres, dit-il, réalise parfaitement la condition énon- cée, cette ville étant à quatre-vingt-dix-huit kilomètres du Ehin eu ligne droite, ou en mesure itinéraire, évaluée d'après la règle dont
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comme le veut le texte, à peu près au milieu du territoire des Éburons, si l'on prend celui-ci dans le sens de sa plus grande étendue , c'est-à-dire en y comprenant l'Aduatuquie qui en faisait jadis partie ' .
Et à ce propos, il n'est pas inutile de faire observer que César confond parfois les deux peuples sous une même appellation; ainsi, lors- qu'il raconte que les Éburons licencièrent leurs troupes après la mort d'Indutiomare (Y, 58), il n'entend pas parler des Éburons seuls, mais de l'armée réunie des Éburons et des Aduatu- ques (V, 56).
Ajoutons que, depuis leur défaite, les Adua- tuques, autrefois riches et puissants, maintenant misérables et décimés, avaient perdu tout ascen- dant politique, tandis que les Éburons, relevés de leur abaissement par César et peut-être, comme on le prétend, rentrés en possession d'une frac- tion du territoire qui leur avait été enlevé, s'étaient
noiis avons déjà fait usage dans le cours de ce travail, à cent dix-sept kilomètres, qui font, à très peu de chose près, deux marches de cavalerie, telles qu'on les compte ordinairement dans les armées modernes. » {Revue archéologique, nouv. série, t. IV, p. 437). — L'ho- norable général raisonne comme s'il s'agissait d'une expédition de cavalerie seulement , tandis qu'Ambiorix menace les Romains de l'attaque de toute une armée, en majeure partie composée d'infan- terie. Le chef éburon se trouvait en mesure d'être d'autant mieux renseigné que les choses se passaient dans son royaume particulier et qu'un courrier pouvait lui avoir été expédié pendant l'opération du passage.
" N'oublions pas que César venait du pays des Ubiens et eut à traverser la forêt des Ardennes pour atteindre son objectif Adua- tuca {VI, 29). Rappelons aussi que l'Ardenne s'étendait alors jusque tout près d'Aix-la-Chapelle.
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mis à l'avant-plan par l'énergique action d'Am- biorix. Ces réflexions si simples expliquent bien des points en apparence contradictoires et illu- minent d'un jour nouveau tout un côté du récit du conquérant romain.
VI.
EXTERMINATION DES ÉBUEONS ET DES ADUATUQUES.
Les événements qui suivirent immédiatement la destruction des légions de Sabinus et de Cotta et lassant du camp de Cicéron , n'offrent aucune particularité digne d'être relevée au point de vue de l'objet qui nous occupe. Annotons toutefois que le chef trévire Indutiomare réussit à gagner à sa cause les Nerviens, les Ëburons et les iVdua- tuques, qui s'apprêtaient déjà à volera son secours lorsque l'annonce de sa mort leur parvint \
Cependant, l'année suivante, à la voix respectée d'Ambiorix, ils coururent de nouveau aux armes et entraînèrent à leur suite les Ménapiens et les autres clans d'origine germanique habitant en deçà du Rhin * ; mais César qui, sur ces entre- faites, avait augmenté l'effectif de son armée, les prévint, en pénétrant avant le retour du prin- temps chez les Nerviens, qu'il obligea à fléchir le genou \ Peu de temps après, il entra dans le pays des Ménapiens, la seule nation de la Gaule qui
» CÉSAE, V, 56, 58.
' CÉSAR, VI, 2. =• CÉ3AR, VI, 3.
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jusqii alors eut refusé de lui envoyer des députés et d'accepter ses conditions de paix, et la soumit à son tour '. Il passa ensuite chez les Trévires et, après son excursion en Germanie, revint jusqu'à Aduatuca, dont il fit le centre et le pivot de ses opérations ultérieures ^.
' César, YI, 5, 6.
* Tout récemment, M. le colonel Henrard a publié clans les Mé- moires de V Académie royale de Belgique, t. XXXIII, sous le titre de César et les Èburons, un mémoire dans lequel il soutient cette thèse que le castellum Aduatuca occupait l'emplacement de Vieux- Virton (commune de Saint-Mard). Pour aboutir à pareille conclusion, l'au- teur n'hésite pas à l'enverser toutes les notions que l'on possédait sur la géographie ancienne du pays. Il chasse notamment les Con- druses et les Pémanes du territoire que, sur la foi de documents très concordants, on leur avait toujours assigné; par contre, il place les Aduatuques entre la Meuse, l'Ourthe et la Semoy ; donne aux Ména- piens un territoire exagéré, s'étendant de l'Aa à l'Ahr, prolonge aussi outre mesure le pays des Trévires et réduit celui des Renies aux proportions d'un canton de troisième ordre; il rejette les Ebu- rons loin du Rhin dans l'Ardenne, déplace la mer et la rapproche du point oh le Rhin se divise en deux branches, et, non content de tous ces bouleversements que rien ne légitime, il remanie aussi le texte du seul témoin oculaire des événements : à la place de Mosa (CÉSAR, IV, 15), il prétend qu'il faut lire Mosella (la Moselle); à la place de Scaldis (VI, 33), il propose de mettre Carus (le Chiers); il rend m niediis Eburonwn finibus (VI, 32) par v< au milieu de la frontière éburonne commune au pays des Trévires » et traduit ad Oceanum ve7'sus (ibid.), par « vers la frontière septentrionale de la province de Liège! » Cette façon d'interpréter les Commentaires s'écarte trop des règles ordinaires de la polémique historique pour que nous puii^sions entreprendre d'en présenter la réfutation. Nous préférons renvoyer le lecteur à l'appréciation qui en a été faite par les honorables commissaires rapporteurs de l'Académie. Un point sur lequel nous sommes heureux de nous rencontrer avec le savant officier est celui relatif au mode de construction du pont jeté sur le Rhin. M. Henrard estime comme nous, mais démontre avec infine- ment plus de compétence, que le pont établi par César, était un pont de chevalets et non un pont de pilotis. Nous le remercions d'avoir si bien développé les idées que nous avions émises à ce sujet dans notre ouvrage sur la Ménapie (p. 60}.
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Les Éburons, avertis par leur clief des sinistres projets du proconsul, n'opposèrent aucune résis- tance. Un grand nombre se réfugièrent dans la forêt des Ardennes, d'autres se cachèrent dans d'immenses marais; ceux qui demeuraient du côté de la mer cherchèrent un abri dans les îles que les marées laissaient à découvert à l'heure du flux ; plusieurs aussi s'expatrièrent.
Pour traquer les fuyards, César partagea son armée en trois colonnes. Il envoya Labiénus, avec trois légions vers l'Océan, -le long des frontières des Ménapiens ; Trébonius , avec trois autres légions, fut expédié vers les contrées qui tou- chaient aux Aduatuques; le général romain lui- même se dirigea vers l'Escaut, avec le dessein d'explorer, à son retour, l'extrémité de la forêt des Ardennes, où on lui avait dit qu'Ambiorix se tenait caché •.
L'explication des mouvements stratégiques de César, qui a toujours si fort embarrassé nos con- tradicteurs, devient dans notre système d'une
« Cé^ar, VI, 33. — Il semble résulter du contexte que César se porta d'abord en droite ligue sur l'Escaut , mais ayant appris que son intrépide adversaire avait été vu sur la lisière des Ardennes, il rebroussa chemin et poussa une pointe vers cette forêt. Ceux qui ne lui font prendre (ju'une seule direction sont certainement dans l'er- reur; il parcourut successivement deux directions différentes, en premier lieu, vers l 'Escaut, ad flumen Scaldem (Santvliet, Berg-op- Zoom), ensuite vers les Ardennes, e.rtreniasqiie Arduennœ partes (Namur, Huy, Liège). Ce détail a son importance, ne fut-ce que pour empêcher qu'à l'avenir on ne prolonge plus arbitrairement l'Ardenne jusqu'à l'Escaut. A ce propos, nous croj'ons devoir ren- voyer le lecteur aux considérations que nous avons émises, relative- ment à rétendue de cette forêt, dans notre ouvrage sur la Ména- pie, p. 63.
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simplicité extrême : Labiénus fouille les marais de Peel jusqu'au Biesbosch actuel et à l'île d^ Beyerland ; Trébonius explore les plaines, les bois et les gorges entre la Meuse et le Rhin; César parcourt la région entre la Meuse, l'Escaut et la Dyle, donc aussi la Hesbaie. Toute l'Éburonie à la fois est mise à feu et à sang et la dévastation ne se borne pas, comme on l'a prétendu à tort, à la moitié la moins peuplée, par conséquent la moins importante, la moins riche du pays, ce qui non seulement eût été absurde, mais ce qui est formellement contredit par le texte *. Les dépré- dations commises par les Sicambres dans l'Éburo- nie transmosane indiquent, au surplus, que cette région avait déjà été sillonnée par les Romains, très avides de butin, comme on sait, et qui auront eu soin de n'abandonner aux barbares que les reliefs de la curée.
Cette mission de Trébonius du côté du pays des Aduatuques, c'est-à-dire entre Meuse et Rhin, mise en opposition avec la marche de César vers l'Escaut et la jDointe extrême des Ardennes, c'est- à-dire vers Berg-op-Zoom, d'une part, et Liège et Namur, de l'autre, fournit une preuve nouvelle que les Aduatuques n'habitaient pas la Hesbaie, mais qu'il faut les placer à la droite de la Meuse, dans le rayon parcouru par le lieutenant du proconsul «.
' « Hsec in omnibus Eburonum partibus gerebantur. » Césab, VI, 35. - « Quum in omnes parles finium Ambiorigis aut legiones aut auxilia dimisisset atque omnia csedibus, incendiis, rapinis, vastasset, magno numéro hominum interfecto aut capto. >> Hihtius, De bello gallico, lib. VIII, 25.
* Nous reviendrons sur cet épisode au chapitre XI.
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Enfin, ce qui achève la démonstration et ne laisse subsister aucun doute , c'est ce passage catégorique, décisif, où César assure que les Sègnes et les Condruses séparaient les Trévires des Eburons, Segni Condrusique ex gente et nimiero Gernianorwn qui sunt i7iter Ebiirones Trevirosqiie ». De nombreux documents permettent de reconsti- tuer l'ancien pays des Condruses; il s'étendait entre la Meuse, FOurthe et l'Amblève, sur le ter- ritoire connu de nos jours sous le nom de Con- droz ^ et qui portait au moyen âge celui de pagus
> César, VI, 32.
" Sur notre carte de la Gaule belgique, nous n'avons pu, faute de données, indiquer que d'une manière hypothétique les frontières occidentales de l'Aduatuquie. Il serait possiltle que, de ce côté, elles se renfermassent entre la Vesdre et l'Amblève ; ce qui est certain c'est que cette rivière boi-nait au nord-est le pays des Condi'uses que, par erreur, nous avions étendu jusqu'à la Vesdre. — Un chan- gement plus important introduit dans notre nouvelle carte se rap- porte à la position des clients des Nerviens qu'à l'exemple de certains savants nous avions relégués dans l'entre-Sambre-et-Meuse. Il est vraisemblable qu'une partie au moins de ces peuplades habitaient au delà de la Nervie, par rapj^ort à l'endroit par où Ambiorix péné- tra dans le pays après sa victoire sur les Romains , car si toutes avaient été établies dans la province actuelle de Namur, à la gauche de la Meuse, il eût été facile au chef éburon de les avertir lui-même et le sénat nervien n'eût pas eu besoin de leur expédier des cour- riers (César, V, 39). D'autre part, l'ien ne prouve que le pays situé entre l'Escaut et la Lys ait jamais appartenu à la Morinie (et encore moins à la Ménapie); il est même fort douteux qu'il ait été compris dans le pagns Mempiscus des t^mps postérieurs. Nous ne pouvons non plus accepter l'opinion de ceux qui placent les Grudiens dans la terre de Groede près de l'Écluse, et les Levaces dans le pays de Waes. Cette position est en contradiction complète avec les données de César, de Strabon et de Dion Cassius. — Quant aux Ambivarites, petite peuplade dont le nom figure à peine dans l'histoire, ils sui- vaient à !a guerre la bannière, soit des Eburons, soit des Nerviens, dont ils constituaient un pagus peu important. Leur situation n'est
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condnistensis . La position géographique du pays des Sègiies est plus incertaine, néanmoins on a des raisons de conjecturer qu'il confinait par l'est au précédent. Or, n'est-il pas évident qu'en pla- çant les Aduatuques dans la Hesbaie, les Con- druses ne pouvaient plus être intermédiaires entre les Éburons et les Trévires? Ou bien César s'est trompé, ou bien il faut renoncer à établir les Con- druses dans le Condroz. Que l'on essaie, comme on voudra, de tourner la difficulté, il n'y a pas à sortir de ce dilemme.
Ainsi, cette seconde étape imaginée jDar M. Cau- martin dans l'odyssée de l'arrière-garde des Cim- bres et des Teutons est une hypothèse sans consistance qui s'écroule au premier souffle de la critique.
Nous allons plus loin et nous prétendons que, dans le système de nos adversaires, les diverses circonstances du récit de César sont inexjDlicables et inconciliables entre elles, tandis que dans le nôtre elles s'enchaînent naturellement et logique- ment , sans donner lieu à aucune équivoque. Aussi, quoi que l'on fasse, on sera toujours obligé, en dernière analyse, de laisser les Aduatuques entre la Meuse et le Rhin, dans le seul territoire que le texte positif et sainement interprété des Commentaires autorise à leur attribuer.
pas connue, mais on peut admettre qu'ils demeuraient assez loin du pays de Nimègue, puisque la cavalerie tenchtère envoyée dans leur pays ne put être prévenue à temps de l'approche des Romains (CÉSAR, IV, 9, 12, 16). Certains auteurs les domicilient dans la Hes- baie occidentale, et ils n'ont peut-être pas tort.
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LES MÉNAPIENS. VIL
LES MÉNAPIENS n'hABITAIENT NI LE BRABANT SEPTEN- TRIONAL NI LA GUELDRE, MAIS LA SUD-HOLLANDE ET LA ZÉLANDE.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que des Aduatu- ques; occujDons-nous actuellement des Ménapiens.
Commençons par bien faire ressortir, afin d'évi- ter à l'avenir tout malentendu, que dans notre ouvrage sur la Ménapie nous avons soutenu une thèse et émis une hypothèse.
La thèse, la voici : Au temj)s de Jules César, les Ménapiens n'habitaient ni l'ancien duché de Clèves, ni le pays de Nimègue, ni le Brabant septentrional, ni la Flandre, comme on l'a sou- tenu, mais la Zélande et la Sud-Hollande *.
' Il serait oiseux de reproduire ici les diverses considérations que noua avons développées dans notre précédent travail pour démon- trer que les Bataves, de même que les Caninéfates, appartenaient à la nation ménapienne et que c'est par leur territoire que les Tench- tères et les Usipètes, après avoir traversé le Rhin, pénétrèrent en Gaule. Rappelons seulement que César lui-même indique l'endroit où la traversée s'effectua : Usipètes Germani et item Tenchteri magna cum multitudine hominum fliimen Rhenicm transieriait, non longe a tnari, quo Rhenus infliiit (VI, 1). « Comme il s'agit du bras princi- pal du Rhin, c'est-à-dire de celui qui se jette dans la mer au dessous de Noordwijk-lez-Leyden, il s'ensuit que la région gauloise de la Ménapie s'étendait au sud de cette loi-alité, sur la rive gauche du fleuve. Or, l'île des Bataves occupant seule cet emplacement, il faut de toute nécessité admettre quelle était habitée par les Ménapiens. Cette conclusion, rigoureusement logique, est inattaquable. Elle cadre d'ailleurs si bien avec toutes les circonstances connues de la
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L'hypothèse se rapporte à la date probable de leur transfert de la Zélande dans la Flandre, date que, par approximation, nous avions cru pouvoir fixer vers la fin du IIP siècle de notre ère.
Rappelons en peu de mots les principaux points du litige.
Les savants, désireux de concilier le récit de César avec les notions disséminées dans les actes du moyen âge relatives à l'existence du pagus Mempiscus, avaient d'abord imaginé de partager les Ménapiens en deux tribus distinctes et séparées, l'une habitant la Flandre, à la gauche de l'Escaut, l'autre la Gueldre et le duché de Clèves ; mais cette combinaison ayant été reconnue impossible, on essaya d'attribuer aux Ménapiens la Flandre, la Zélande et la Campine *. Ici encore, il faut le reconnaître , on se butta à des difficultés imprévues, que l'on crut pouvoir tourner en reliant la Flandre au pays de Clèves par une longue et étroite bande de terrain s'étendant entre les rives du Waal et de la Meuse, depuis la Zélande jusque vers Venloo ou Ruremonde sur la Meuse et Wesel ou Neuss sur le Rhin, avec une emprise sur la rive droite de ce fleuve ^
conquête des Gaules et se prête si merveilleusement à l'explication du texte, que l'on s'étonne vraiment de ne pas l'avoir vu formuler plus tôt. » (La Ménapie, p. 11.)
• MM. Wauters (Ballet, de VAcad. royale de Belgique, 2® série, t. XV, p. 276) et Creuly [Revue archéologique, nouv. série, t. VIT, p. 386) ont parfaitement démontré que les Ménapiens n'occupaient pas la Campine ou le Brabant septentrional.
* A. Wauters, Nouvelles études sur la géographie ancienne de la Belgique, p. 11. — PiOT, La Ménapie pendant la domination des Romains, dans les Annales de la Société d'Êmrdation de Bruges, 3» série, t. IV, p. 289.
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Comme cette dernière opinion semble avoir pré- valu chez les savants belges, nous pouvons consa- crer tous nos efforts à la battre en brèche, sans plus nous préoccuper des autres systèmes aujour- d'hui abandonnés '.
Franchement, on a quelque peine à se faire à l'idée de cette bande de territoire attachée aux flancs de la Zélande, aplatie entre la Batavie et l'Éburonie et se déroulant comme un immense apiDendice jusqu'au-delà du Rhin ^ et l'on se demande de quels moyens de défense les habitants pouvaient bien disposer pour s'y maintenir.
A part cette singularité, des motifs très puis- sants nous forcent à rejeter les Ménapiens de l'entre-Meuse-et-Waal et à établir ainsi une solu- tion de continuité entre ceux de la Zélande et ceux de l'ancien duché de Clèves '.
On sait que lorsque César eut dispersé l'armée des Tenchtères et des Usipètes, il se mit à la poursuite des fuyards entre les deux fleuves, Jus-
* M. Gantier, en plaçant les Ménapiens dans la Campine et dans l'Entre-Meuse-et-Rhin . jusque vers Neuss, ne fait que reproduire l'opinion de Napoléon III, qui était aussi celle du géographe Sanson. M. Henrard donne aux Ménapiens un tei-ritoire extraordinairement étendu : la Flandre, tout le nord des Pays-Bas, la Campine et l'Entre-Meuse-et-Rhin jusqu'à l'Alir (au sud de Bonn) où, d'après lui, ils confinaient aux Trévires !
« Un simple coup-d'œil jeté sur la carte publiée par M. Piot fait ressortir ce qu'il y a d'étrange dans cette conception, et cependant la Ménapie n'y est prolongée, à l'est, que jusqu'au Rhin.
' Pour mettre les Ménapiens de la Zélande en communication avec ceux d'outre-Rhin , M. Wauters est obligé de leur donner la partie orientale de l'île de Bataves. (Voir sa carte de la Belgique au temps de César.) Nous marchons de surprise en surprise.
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qu'à l'endroit où leurs eaux se confondent et où la plupart des barbares périrent dans les flots '. Cette langue de terre n'était donc pas imprati- cable, et si les Ménapiens y avaient élu domicile, comme on le présume, qu'est-ce qui eût empêché César de les j atteindre? Mais cette région était si peu la Ménapie que le conquérant romain qui, en toute autre circonstance, raconte si volontiers ce qu'il entreprend contre les Ménapiens, n'en fait pas même mention, alors que, suivant nos adversaires, il aurait été en train de fouler leur sol.
M. Wauters nous fournit à ce sujet un argu- ment sans réplique. Parlant de l'expédition de César en Ménapie et des ponts construits par les Romains pour y pénétrer, il ajoute : « En Gueldre )) un travail de ce genre n'eût pas été nécessaire, » car après avoii^ passé la ]\Ieuse dans les endroits » où elle est guéable, le général romain pouvait » prendre à revers cette défense naturelle de la » Ménapie orientale '\ » Cela est incontestable et démontre que les Ménapiens occupaient un territoire d'un accès beaucoup plus difficile.
Une autre conséquence de leur séjour en Gueldre serait l'obligation de leur concéder sur la rive droite du Rliin une portion du territoire apparte- nant aux Sicambres, c'est-à-dire à cette fière nation qui répondit à César que l'empire romain finissait
' M Et, quum ad confluentem Mosee et Rheni pervenissent, reli- qua fuga desperata, magiio numéro interfecto, reliqui se in flumen prEecipitaverunt. » Césae, IV, 15.
* Nouvelles études, p. 14.
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au Rhin ' , et qui n'eût certes pas toléré qu'un peuple aussi faible que les Ménapiens, possédant déjà un espace plus que sujSisant, eu égard à sa population, vînt empiéter sur son domaine.
On suppose, il est vrai, qu'après l'envaliissement de leur pays par les Tenclitères et les Usipètes, les Ménapiens l'abandonnèrent définitivement pour se concentrer en Flandre. C'est fort mal connaître nos ancêtres que de les croire capables d'avoir quitté sans esprit de retour leurs demeures et leurs bourgades, que les Barbares avaient bien pu saccager et incendier, mais qui eu peu de temps pouvaient renaître de leurs ruines, leurs terres cultivées d'en deçà et d'au delà du Rhin, leurs bois sacrés, leurs lieux de sépulture, les mille traces enfin de leur existence quotidienne. Une nation ne renonce pas avec tant d'insouciance à son territoire. Aussitôt lorage passé, elle s'em- presse de rentrer dans ses foyers. Ainsi agirent les Carnutes en l'an 51, après que de leurs propres mains ils eurent détruit les villages qu'ils avaient été obligés de fuir-. Ainsi firent les Bituriges et les Bellovaques qui, à l'arrivée des Romains, s'étaient réfugiés dans les cités voisines ^
Comment d'ailleurs expliquer qu'après la disper- sion des Germains, les Ménajoiens ne seraient pas retournés dans un pays dont nul ne leur contestait la possession, car il est indubitable que les Romains ne firent aucune teutative pour les en expulser;
* « Populi romani imperium Rlieuum finire. •> Césak, IV, 16. » CÉSAR, YllI, 5.
' CÉSAR, Vm, 3 et 7.
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qu'ils les y maintinrent au contraire après leur soumission, ainsi qu'il résulte à toute évidence du récit de César'.
Il était du reste conforme à la politique de Rome de conserver aux peuples vaincus leurs limites territoriales; or, les Ménapiens, après leur asser- vissement, n'ayant plus fait mine de secouer le joug, on ne conçoit j)as pourquoi ils auraient dû renoncer à une partie de leur antique patrimoine.
Que l'on ne s'j^ trompe pas : les pays de Nimègue et de Clèves notamment n'ont jamais été habités par les Ménapiens. César ne dit nulle part qu'il les y a trouvés; au contraire, il donne à entendre que c'était là la demeure des Éburons, dont la majeure partie habitaient entre la Meuse et le Rllin^
VIII .
LA FLANDRE ÉTAIT PEUPLÉE DE MORIXS AU TEMPS
DE CÉSAR.
Après avoir fait voir que l'entre-Meuse-et-Waal n'a pas servi d'habitat aux Ménapiens, il nous
' Césae, VI, 6. — M. Wauters estime comme nous que les Ména- piens restèrent eu possessiou de leurs terres un moment envahies par les Germains, car en parlant du sac de l'Eburonie, il ajoute : « Arrêtons -nous à ce passage où César distingue si nettement les directions difiëi-entes prises par les fugitifs. On y voit que l'Eburonie atteignait les environs de l'Océan et les rives de quelques-uns de ses affluents. Mais, dira-t-on, ces affluents, c'étaient le Rhin vers Wesel; la Meuse, vers Grave. L'objection ne résiste pas à un examen sé- rieux, car les Ménapiens habitaient de ce côté; c'est là, à proximité du Wahal, qu'ils furent surpris par une invasion des Tenchtres et des Usipètes, l'an 55 avant notre ère. » Nouvelles études, p. 58.
' « Éburones , quorum pars maxima est inter Mosam ac Rhe- num, » CÉSAR, Y, 24.
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reste à prouver que la Flandre ne peut, à plus forte raison, leur être assignée comme lieu de séjour à l'époque de la conquête.
Nous avons cherché en vain dans les Commen- taires de César, à propos de ce quïl raconte de la Ménapie, une seule ligne, une seule phrase, une seule allusion, directe ou indirecte, pouvant se rapporter à la Flandre. La description qu'il donne ressemble fort peu à ce pays, qui, quoiqu'on en dise, n'a pas autant changé d'aspect physique qu'on veut bien le prétendre, mais, en revanche, beau- coup à la Hollande et à la Zélande. C'est pousser l'hyperbole au delà des limites permises que de soutenir avec Schayes « que la Flandre ne formait » alors pour ainsi dire dans toute son étendue )) qu'un seul marécage au sein duquel s'élevaient » çà et là des îlots couverts de taillis ' . » Un sem- blable portrait peut avoir été ressemblant dans les temps préhistoriques, mais personne n'admet- tra qu'il en était encore ainsi un demi-siècle avant l'ère vulgaire. Sans doute, il existait à cette époque, spécialement dans la Flandre zélandaise et peut- être aussi vers le sud-ouest, le long de l'Yser et de l'Aa, des marais étendus qui n'ont disparu que graduellement, grâce à l'industrie de Thomme. L'Escaut et ses affluents, avant qu'une longue chaîne de digues n'eût refréné leurs débordements, se répandaient dans les terres riveraines et j^ro- voquaient parfois des inondations désastreuses,
* Schayes, La Belgique et les Pays-Bas avant et pendant la do- mination romaine, t. I, p. 321; t. II, pj^. 161 et suiv.
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comme ce serait encore le cas si les digues capita- les venaient à disparaître ; mais il ne faut pas se figurer que ces inondations étaient permanentes. Pendant l'été, les eaux, moins gonflées qu'elles ne le sont de nos jours, rentraient dans leur lit et la contrée reprenait sa physionomie habituelle. C'est donc durant la mauvaise saison que la Flandre, dans quelques-uns de ses cantons, offrait une cer- taine analogie avec la Ménapie, et ce qui ajoutait à là ressemblance c'était surtout la profondeur de ses bois composés de taillis et de broussailles.
César parle des marécages de la Morinie, c'est- à-dire de la Flandre', mais il semble résulter de son récit qu'ils n'avaient ni l'étendue ni la persis- tance de ceux que l'on rencontrait plus au nord vers les bouches de la Meuse et du Rhin, oii nous plaçons la Ménapie, et qui rendaient ce pays pres- qu'inabordable\ On se rappellera en effet qu'à son retour de l'île de Bretagne, le proconsul envoya ses légions à la poursuite des Morins qui ne purent trouver dans leurs marais, desséchés par les chaleurs de l'été, l'abri qu'ils leur avaient offert l'année précédente, lorsque, également tra- qués par les troupes romaines, ils réussirent, grâce aux pluies de l'automne, à se dérober par une retraite habile aux atteintes de l'ennemi \
Une particularité dont on n'a pas suffisamment
' CÉSAR, m, 28; IV, 38.
» CÉSAR, lY, 38 ; VI, 5, 6.
^ « Qui quum propter siccitates paludura, quo se reciperent, non
liaberent, quo perfugio superiore anno fuerant usi, omnes fere in potestatem Labieni venerunt. » César, IV, 38.
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tenu compte, quoiqu'elle ait été signalée par un liomme compétent en ces matières, c'est que les découvertes d'antiquités romaines dans les Flan- dres se sont faites aussi bien dans les plaines basses que sur les hauteurs. Les substructions se rencontrent à une profondeur où on les établirait encore de nos jours ' .
D'un autre côté, la naissance de la plupart de nos villes, Anvers, Gand, Bruges, Termonde, Malines, Lierre, toutes situées dans des bas-fonds, s'expliquerait difficilement si l'on s'arrêtait à cette conclusion que le pays était inhabitable à cause des inondations.
Nous avons fait allusion tout à l'heure à la pre- mière expédition de César en Morinie. Il n'est pas inutile d'y revenir un instant et l'on comprendra tantôt pourquoi.
Quoique l'été touchât à sa fin, le proconsul avait voulu terminer sa campagne par la soumission des Morins et des Ménapiens, les seuls peuples de toute la Gaule qui ne lui eussent pas envoyé de délégués pour traiter de la paix. Il partit donc de chez les Venètes% où il venait de porter la guerre, et franchit la Canche pour pénétrer en Morinie. Les habitants, unis aux Ménapiens qui
* « Et ce n'est pas là, dit M. Galesloot, en parlant des substruc- tions découvertes sur le territoire de Mespelaer lez-Termonde, un des moindres sujets d'étonnement de voir, que cet endroit si bas et si marécageux a été habité dès les temps des Romains. La province de Brabant sous Vempire romain, dans la Reçue d'histoire et d'ar- chéologie, t. I, p. 266.
« Peuples du canton de Vannes, dana la Bretagne française.
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étaient venus les rejoindre, au lieu de défendre leurs frontières, adoptèrent unetout autre tactique; ils se retirèrent dans les terres basses et les forêts qui couvraient le centre et le nord de la Flandre, et lorsque Tennemi, parvenu au commencement de ces bois, voulut j poser son camp, ils fondirent sur lui et lui tuèrent beaucoup de monde. César réussit cependant à les repousser et pour les atteindre il employa ses soldats à se ira,jer une large route à travers bois. Ce travail avança si rapidement qu'au bout de quelques jours on eut fait une trouée considérable ; mais au fur et à mesure que les légionnaires avançaient, les Belges s'en- fonçaient plus avant dans l'épaisseur des fourrés, jusqu'à ce qu'à la fin les Romains, assaillis par les pluies torrentielles et démoralisés par leur insuc- cès, replièrent leurs tentes*.
Il n'y a pas à en douter, la lutte se livrait alors en pleine Flandre. « Ainsi que le suppose avec raison Des Roches, avons-nous dit ailleurs, c'est la Morinie qui fut le théâtre de l'expédition dont nous venons de rapporter les principales péripé- ties, et un passage du livre IV des Commen- taires (§ 38) ne laisse aucun doute à cet égard. Mais nous estimons que les événements se passèrent, non aux environs de Hesdin et de Saint-Pol, mais au cœur même de la Flandre, dans les environs de Gand, couverts à cette époque d'immenses forêts et de marais qui s'éten- daient à perte de vue jusqu'aux confins de la
' CÉSAR, III, 28, 29.
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Zélande , patrie des Méuapiens , alliés des Morins * . )>
M. Gantier arrive aux mêmes conclusions que nous. Il estime que 3000 légionnaires furent occupés au travail de déboisement. « Si nous » admettons, dit-il, que la coupe des arbres eut » lieu sur 500 mètres de largeur et qu'elle dura )' huit jours, les Romains purent avancer de )) plusieurs lieues et arriver entre Tliielt et Gand, )) même jusque près de cette dernière ville *. »
IX.
REFUTATION DU SYSTEME DE CEUX QUI PLACEKT LES MÉNAPIEKS EN FLANDEE.
M. Wauters a découvert dans les Commentaires deux passages qui, d'après lui, permettraient de considérer la Flandre comme ayant été peuplée de Ménapiens dès le temps de la conquête ro- maine : lors de son départ pour l'Ile de Bretagne, en l'an 55 av. J.-C, le proconsul, laissant une garnison à portus Iccius, le lieu d'embarquement, donna ordre à ses lieutenants T. Sabinus et L. Cotta d'aller soumettre les tribus encore indépendantes de la Morinie ainsi que les Ména-
' La Ménapie, p. 23.
* V. Gantier, La conquête de la Belgique par Jules César, p. 200. — M. Henrard est du même avis : « C'est le Boulonnais, dit-il, la Flandre et le pays de Waes, c'est-à-dire tout le littoral delà mer du Nord jusqu'à l'eraliouchure de l'Escaut qui semble avoir été le théâtre des opérations. » Jules César et les Êburons, p, 24.
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piens qui n'avaient jamais manifesté Fintention de se rendre ; mais cette excursion en Ménapie échoua piteusement : le corps expéditionnaire ne réussit qu'à ravager des champs de blé et à brûler quelques cabanes ; il revint à son point de départ sans avoir rencontré les Belges. « Est-il possible » d'admettre, s'écrie M. AYauters, que Titurius et » Cotta, s'écartant du portus Icchis, auraient été )) porter la dévastation à trente lieues de là, vers » Utrecht ou Arnhem, risquant à la fois de s'égarer » dans des cantons presque inaccessibles, de voir » couper leurs communications avec le port où » César avait laissé les bagages de son armée, de » compromettre, en un mot, le salut de toutes les » légions ? ' . »
Nous avouons ne pas bien comprendre ce que l'expédition des deux officiers romains offrait de si particulièrement dangereux. César et ses légats nous ont habitués à des marches autrement har- dies qu'un parcours d'une trentaine de lieues. Pour n'en citer qu'un exemple, rappelons qu'après la bataille de la Sambre, pendant que le proconsul, avec le gros de l'armée, alla assiéger l'oppidum des Aduatuques, Publius Crassus fut envoyé à plus de 200 lieues de là, avec une seule légion, pour dompter les peuples maritimes habitant la Normandie et la Bretagne française ^
Diverses circonstances permettent d'affirmer que la mission de Sabinus et Cotta avait réellement
' UAthenœum belge, 1880, p. 41. ' César, II, 34.
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un but lointain : d'abord l'attaque des Morins dirigée contre l'équipage des deux navires de transport revenant d'Angleterre ' , qui certes n'eût pas eu lieu si les légions avaient opéré en Flandre; ensuite, la tâche confiée à Labiénus de châtier les Morins et qui prouve assez que les autres lieute- nants Titurius et Cotta étaient occupés au loin '\
Notre honorable adversaire a conséquemraent eu tort de considérer Texcursion de ces derniers en Ménapie comme une simple promenade mili- taire ; c'était au contraire une expédition armée très fortement organisée, composée de cinq lé- gions et dont révolution dura plus d'un mois, puisque les troupes ne rentrèrent au camp d'Ic- cius qu'après que César lui-même j eut ramené sa flotte de l'Angleterre et qu'immédiatement après l'armée fut disloquée pour être envoyée dans ses cantonnements dliiver '. Faisons remar- quer en outre qu'à ce moment la sécurité des légions n'était nullement compromise, la catas- trophe d'Aduatuca n'ajant pas encore démontré le danger qu'il pouvait y avoir à laisser circuler les troupes en rase campagne
Le deuxième passage sur lequel M. Wauters s'appuie pour placer dans les Flandres- les Ména- j^iens ou du moins une partie de ceux-ci n'est guère plus concluant ; qu'on en juge : exaspéré de la résistance continue des Ménapiens qui, seuls
' CÉSAR, IV, 37. « CÉSAR, IV, 38. ' CÉSAR, loc. cit.
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de tous les Gaulois, refusaient de lui envoyer des délégués, César, à la tête de cinq légions, d'un corps d'auxiliaires et de sa cavalerie, se décida à envahir leur territoire. Il partagea son armée en trois colonnes qui pénétrèrent dans ce pays au moyen de jDlusieurs ponts. « Où cliercher ces der- » niers ? demande M. Wauters. Il ne faut pas )) songer à l'Escaut inférieur, sur lequel on ne » peut en jeter qu'au prix d'eiïorts extraordi- )) naires. La Meuse en aval de sa jonction avec le w Wahal, et le Wahal lui-même, dont les rives )) sont d'une nature marécageuse, se prêtent peu » à la narration de César, qui parle de cette )) construction de plusieurs ponts comme d'une « circonstance insignifiante. Entre Arnhem et •) Termonde aucun point n'est favorable à l'éta- » blissement rapide de moyens de communication » de ce genre « . »
Nous croyons avec notre savant contradicteur que l'Escaut inférieur, à cause de sa largeur, convient peu à l'établissement de ponts ; en effet, ce sont de véritables bras de mer qu'on rencontre en aval d'Anvers ; mais le Waal n'offrait pas les mêmes difficultés : ses eaux, quoique larges, n'avaient pas la rapidité du Rhin ^ On comprend
* UAthenœjitn belge, loc. cit.
* « Nam Rhenus uno alveo continuus, aut modicas insulas oir- cumveniens, apud principium agri Batavi, velut in duos amues divi- ditur, servatqiie nomen et violentiam cursus, qua Germaniam praî- vehitur, donec Oceano misceatur; ad Gallicam ripam latior et placidior adflueus : verso cognomento Vahalem accolœ dicunt : mox id quoque vocabulum mutât Mosa flumiue, ejusque immenso ore eumdem in Oceanum eflunditur. " Tacite, Annales, II, 6.
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donc très bien que César j ait pu jeter des ponts, lui qui en dix jours de temps est parvenu à en construire un sur le Rhin même.
Sans doute, les bords du Waal étaient maréca- geux, et ceci confirme pleinement ce que César dit du pays des Ménapiens : qu'il était entouré de profonds marais et couvert de bois touiîus, perpe- tuis pjaludibits silvisqiie muniti, ce que répètent Strabon, Orose et Dion Cassius. César, il est vrai, n'entre pas dans de longs détails sur la confection de ces ponts, qui étaient peut être des ponts de bateaux ou de radeaux, mais cependant, il croit devoir en faire mention, ce qui démontre que ce n'était pas là une cliose insignifiante, car il a passé et repassé maintes fois l'Escaut et la Meuse, et jamais il ne parle des ponts qu'il a construits sur ces cours d'eau. Pour les troupes romaines le passage des rivières ne présentait pas un obstacle sérieux ; ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lors du premier j^as- sage du Rhin, qui pouvait être regardé comme un événement, puisque jamais encore les armées de la République n'avaient franchi ce fleuve, que le proconsul juge à propos de sortir de sa réserve habituelle. Et quant aux marais, on n'ignore pas que lorsqu'ils ne pouvaient être contournés ou autrement évités, les Romains les traversaient également au moyen de ponts. Qui sait si quel- ques-uns de ceux que César fit construire pour entrer dans la Ménapie ne rentraient pas dans cette dernière catégorie de travaux ?
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X.
LES MEXAPIENS NE SE SONT ETABLIS DANS LA FLANDEE QUE POSTÉRIEUREMENT A CESAR,
M. Gautier tient, à propos de la question qui nous occupe, un raisonnement qui mérite cVêtre reproduit. « Voici, dit-il, l'argument militaire qui » démontre irréfutablement que les Morins habi- » talent la Belgique et touchaient, quoi qu'on en » dise, aux bouches de TEscaut. César prend, en » Tan 55 avant J.-C, la résolution de traverser )) la mer, pour aller punir les habitants de la » Grande-Bretagne, qu'il accusait d'avoir livré )) des secours aux Belges. Il se dirige des environs » de Bonn vers le port Iccius (Calais), passe Ni- » velles, Lille, arrive près de Saint-Omer et nous » apprend qu'étant là il se trouvait chez les )) Morins, d'où la traversée était la plus courte. Il ^) venait donc de passer par la région méridionale » de leur pays. Une grande partie des Morins de » ces environs lui envoient des députés. L'enva- )•> hisseur reçoit leur soumission ; puis il charge ses » lieutenants Sabinus et Cotta de se rendre dans » les cantons morins qui n'avaient pas encore » déjDOsé les armes. Si la Morinie n'avait eu que » l'étendue que certains géographes lui donnent, » César n'eût pas eu besoin d'y organiser une » expédition; il eût couvert tout le pays, en » ouvrant ses colonnes sur l'espace de quelques » lieues. Il est évident que les cantons morins )) qu'il voulait réduire se trouvaient à une distance
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» assez foi'te, et ce ne pouvait être que dans la )) direction de la Ménapie, ce qu'il dit du reste » lui-même, donc vers le bas Escaut.
» Après son retour d'Angleterre, se tenant dans » les environs de Calais, César juge utile d'entre- )) prendre une seconde ou plutôt une troisième » expédition contre les mêmes cantons morins. )) Cette fois, c'est Labiénus qu'il envoie avec deux » légions vers Bruges et Anvers. Labiénus se mit >-> en route et arriva loin^ car les marais étaient )) desséchés par les chaleurs de l'été (César, IV, 38). w En supposant qu'il n'avança que d'une vingtaine » de lieues belges, il a dû atteindre les environs » de Bruges et d'Eecloo. Cependant César nous » fait comprendre clairement qu'il ne parvint pas » au bout du pays. Pour arriver jusqu'à son extrême limite, il eût dû pousser jusqu'à Anvers*. »
On peut ne pas être d'accord avec M. Gantier sur les détails topographiques; on peut lui con- tester l'assimilation qu'il fait d'Iccius portus et de Calais, mais son argumentation dans le cas spécial qui nous intéresse ne sera pas aisément réfutée.
L'emplacement des Ménapiens en Flandre sou- lève une foule d'autres objections toutes également graves. Est-il besoin de rappeler ce que nous avons écrit au sujet de la disj)roportion énorme qui existe entre la population de la Ménapie, telle qu'elle résulte des chiffres de César, et l'étendue territoriale de cette contrée, telle que les savants
' V. Gantier, La conquête de la Belgique par Jules César, p. XV.
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belges la délimitent? « Comment, avons-nous dit, » supposer que les Ménapiens, race industrieuse, » adonnée avec succès à la navigation, à l'agricul- » ture, à rélève du bétail, dont les bourgades et » les exploitations couvraient les deux rives du )) Rliin, auraient occupé, et ce avec une popula- » tion trois fois moindre que leurs voisins les » Morins, un territoire trois fois plus étendu? On » sent d'instinct qu'il y a là une anomalie contre » laquelle le bon sens proteste * . »
En effet, il est impossible d'admettre qu'une région aussi vaste, s'étendant des bords de l'Yssel à ceux de l'Aa, comprenant les pays de Clèves et de Nimègue, le Bommelerwaard, les îles de la Zélande et toute l'ancienne Flandre, n'aurait eu qu'une population de 36,000 âmes, alors que la Morinie, rapetissée d'après les mêmes érudits aux proportions d'un canton d'une dizaine de lieues, tant en longueur qu'en largeur, en aurait possédé une de 100,000 âmes% c'est-à-dire que sous le rapport de la densité de la population aucun pays de la Gaule n'aurait pu être mis en parallèle avec la Morinie. Et c'est dans ce territoire exigu, resserré entre la Canclie , l'Aa et le Xeuf-Fossé qu'il faudrait en outre cliercher les marécages et les immenses forêts où nous avons vu tantôt les Romains s'enfoncer à la suite des Morins ! Cela est-il sérieux ?
' La Ménapie et les contrées limitfojyhes, p. 13.
" M. Gantiei" estime qu'au lieu de quadrupler, il faut quintupler le contingent militaire des Belges confédérés pour avoir le chiffre de leur population. Les raisons qu'il donne nous semblent concluantes.
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La principale raison alléguée par nos adver- saires pour installer en Flandre les Ménapiens de César se déduit de ce qu'au moyen âge la contrée portait le nom de territorim^i Menapiorum; qu'il y a donc lieu de croire que cette dénomination remonte à la période gauloise, puisque déjà sur la carte routière romaine dite table de Peutinger et qui date du IIP siècle, figure un Castellum Meiiapioritm, aujourd'hui Cassel, département du Nord. Mais c'est là une supposition toute gratuite, très facile à renverser. En effet, de ce que la Flan- dre était occupée par les Ménapiens à l'époque de la confection de la carte, il ne s'ensuit aucunement qu'il en était déjà ainsi deux ou trois siècles auparavant. Ainsi, parce que sous l'Empire les Ubiens habitaient le pays de Cologne, prétendra- t-on qu'ils y résidaient du temps de César? Rien ne serait i^lus contraire à la vérité historique, attendu qu'il résulte de textes authentiques qu'au moment de la conquête ils étaient établis à la droite du Rhin, dans l'ancien duché de Nassau, et que leur transfert ne remonte qu'au gouvernement d'Agrippa (vers l'an 35 av. J.-C.)
De même la Flandre a donc très bien pu être peuplée de Morins un demi-siècle avant J.-C. et de Ménapiens à l'époque où la carte fut dressée ; or, c'est justement ce que nous n'avons cessé de soutenir.
On cite toujours le Castellum Menapiorum pour démontrer l'antériorité du séjour des Ménapiens en Flandre, mais on perd de vue que ce nominal, loin d'indiquer un établissement gaulois, dénote
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an contraire une origine romaine relativement moderne. Il est même fort probable que Cassel a été dans le principe un poste d'observation bâti par les Romains pour maintenir dans le devoir les Ménapiens nouvellement transplantés en Morinie, car on sait par César lui-même et par Dion Cassius que ceux-ci ne possédaient pas de villes, mais habitaient des cabanes éparses dans les bois '.
Remarquons en outre que si Cassel avait appar- tenu aux Ménapiens dès Tépoque de la conquête, César s'en fut certainement rendu maître lorsqu'au retour de sa première expédition en Germanie (an 55), il passa à proximité de cette ville avec toute son armée pour aller s'embarquer h port us Iccius. A son défaut , Labiénus qui reçut la mis- sion de pacifier les Morins indomptés , ou Fabius qui établit ses quartiers d'hiver en Morinie en 54, n'auraient pas manqué l'occasion de réduire la forteresse du seul peuple de la Gaule qui restait encore à vaincre.
Il est un fait dont nos adversaires ne parvien- dront jamais à donner une explication satisfai- sante et qui répand un grand jour sur le débat : une partie considérable du. pagus Mempiscus s'éten- dait au loin dans le diocèse des Térouanais ou des Morins; ainsi les villages de Boeseghem, Crom- beke, Eecke, Esquelbeque,Hames-Boucres,Ledrin- ghem, Nordausque, Oxelaer, Strazeele,Terdegem,
' CÉSAR , III , 29 ; IV, 4. — « Ipse (Csesar) postea in Morinos eorumqiie finitimos Menapios arma convertit. NuUam tamen eoruni parteni subegit : nam illi non iirljes liabentes sed in tuguriis habi- tantes > Dion Cassius, Historia romana, xxxix, 44.
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Toiirnehem . AVatten , ^\'est-Vleteren , tous attri- bués au Mempisc par les actes du haut moyen âge, se trouvaient néanmoins compris dans le diocèse de Térouane ' ; Cassel même ressortissait à cette circonscription ecclésiastique. Encore une fois, ne faut-il pas en inférer que ce ne fut que postérieu- rement à César, que les Ménapiens obtinrent l'au- torisation de se fixer dans la Morinie septentrio- nale , comme les L biens avaient obtenu celle de s'établir dans l'ancienne Aduatuquie?
Et que Ion ne vienne pas nous objecter qu'ils ont pu être refoulés au midi de TYser et de TAa postérieurement à la création des circonscriptions diocésaines : nous tenons la preuve que dès le III" siècle, donc lono-temps avant Torganisation des évêchés en notre pays, longtemps avant la subdivision de la province Belgique en cités par Honorius, leur transplantation était effectuée.
On le voit, de toutes parts des obstacles insur- montables se dressent dès qu'on veut appliquer à la Flandre les endroits où César parle de la Ména- pie, et malgré soi on est ramené à la solution que nous avons proposée et qui seule satisfait à toutes les exigences du texte. Si Ton peut hésiter quant à Tépoque exacte du transfert, on ne saurait dans aucun cas le placer avant le règne d'Auguste, ainsi que nous croyons l'avoir surabondamment démontré-.
' ^"oir le tableau des localités attribuées au pagits Mempiscus, dans notre ouvrage sur la Ménapie, pp. 112 et suiv.
* Parmi les diverses raisons que nous avions alléguées à l'appui de notre opinion, M. Wauters en conteste deux. D'après lui, il n'est
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XI.
LES TEXCHTÈRES ET LES USIPÈTES ENVAHIRENT LA MÉNAPIE JÎT PASSÈRENT LE RHIN ENTRE UTRECHT ET LA MER DU NORD.
Un passage de César détermine, d'après nous, d'une manière indiscutable la situation de Tan- cienne Ménapie, et nous demandons. la permission d'insister sur ce point parce qu'il rétablit la dis- cussion sur son véritable terrain et lui donne une base fixe et solide.
Lorsque les Tenclitères et les Usipètes, chassés de leur pays, se présentèrent, dans Farrière saison de l'an 56 avant J.-C, sur les bords du Rhin, près de son embouchure dans la mer, ils y trouvèrent les Ménapiens, dont les cultures s'étendaient sur les deux rives du fleuve. Grâce à Femploi d'un stratagème assez banal, ils réussirent à pénétrer dans le pays et y hivernèrent. Au printemps sui-
pas étonnant que les premiers marquis de la Flandre aient reçu la qualification de pyinceps ou cornes Morinorion, attendu que leurs états englobaient presque tout l'ancien diocèse de Térouane ou des Morins. Cela est vrai , mais ils englobaient également l'ancien diocèse de Tournai et s'étendaient par conséquent sur toute la Mo- rinie primitive. X'est-il pas naturel dès lors de supposer qu'on a dorme à ces princes un titre général s'appliquant à la totalité de leurs possessions, plutôt c^u'un titre spécial n'en désignant qu'une fraction? Quant à la suprématie c^ue la ville d'Arras s'arrogea sur toutes les auti-es villes de Flandre, notre docte contradicteur i^rétend qu'il y a erreur, attendu qu'à aucune époque Arràs n'exerça comme municipe une prééminence sur les autres communes flamandes. Ceci mérite réflexion. Disons, à notre décharge, que nous avons suivi Warnkônig, qui lui-même s'en rapporte aux anciens historiens de la Flandre, organes sans doute d'une antique tradition.
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vant, ils entreprirent des incursions plus avant dans la Gaule, mais battus par les Romains, les débris de leur horde se réfugièrent chez les Sicambres ' .
Les Tenchtères et les Usipètes entrèrent donc dans la Ménapie à iDroximité de lendroit où le Rhin se déverse dans la mer du Nord, Rhenum transierunt, non longe a mari quo Rhésus m finit; or, des trois branches principales formant le delta du fleuve, il ne peut évidemment s'agir ici ni de celle qui, sous le nom d'Yssel, se décharge dans le Zuiderzee ou Flevo lacus et qui, à ce qu'il paraît, n'existait pas encore au temps de César, ni de celle qui, sous le nom de Waal ou Wahal, se joint à la Meuse , car alors les Barbares auraient dû passer deux fois le Rhin et traverser l'île des Bataves, ce que César n'eût pas manqué de nous apprendre, mais bien du bras du milieu, de celui qui a toujours porté le nom de Rhin et qui débouche dans la mer entre Noordw}^^ et Katwyk, au nord de Leyden, et c'est effectivement à cet embranchement que l'écrivain romain fait allusion lorsqu'il dit que les Tenchtères et Usipètes franchirent le Rhin près de son embouchure.
On a essayé de contester la conclusion que nous avions tirée de ce passage, en faisant remarquer (c que pour César, comme pour tout habitant de » la Gaule centrale et de l'Italie, le point de sépa- » ration du Wahal et du Rhin proprement dit sera )) toujours considéré comme peu éloigné de la
» CÉSAR, IV, 1,4.
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» mer'. >> L'argument est faible; en effet, ponr un habitant de la Gaule centrale et de l'Italie, aussi bien que pour un habitant de la Gaule belgique, la ville d'Emmerich, aux environs de laquelle on veut que la traversée des Barbares ait eu lieu*, sera toujours à une distance de 220 kilomètres ou 44 lieues en ligne droite du bord de la mer; or, à ce compte, toutes les localités de la Belgique et des provinces rhénanes pourraient être considérées comme assises le long du littoral, ce qu'il serait absurde de prétendre. On le comprendrait à la rigueur s'il s'agissait d'un pays inconnu à César et si le nom du Rhin apparaissait pour la première fois dans son récit, mais ce n'est nullement le cas ici. Le conquérant romain connaît parfaitement la Gaule belgique ; il l'a parcourue depuis trois ans ; il l'a fait étudier par ses explorateurs ; il a porté ses armes jusqu'au confluent de la Meuse et du Rhin et, circonstance plus remarquable, dans son livre IV où il raconte l'invasion des Tenchtères et des Usipètes, il décrit lui-même tout le cours du Rhin et nous apprend entre autres que depuis la bifturcation du Waal et du Rhin proprement dit jusqu'à la mer il y a une distance de 80,000 pas. Il est donc évident qu'il ne peut avoir fourni, con- tre ses habitudes, un renseignement aussi complè- tement vague, aussi absolument inexact que celui qu'on prétend lui endosser. D'ailleurs, s'il avait voulu désigner les environs d'Emmerich, pourquoi
* h'Athenœicm belge, loc. cit.
» D'autres écrivains indiquent Wesel, qui est encore plus éloigné de la mer.
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aurait-il insisté sur le voisinage de la mer? Ce détail était npn seulement inutile, mais ne pouvait servir qu'à égarer le lecteur. En disant que les Germains, pour pénétrer dans la Ménapie, passèrent le Rhin, Rhenum transieru7it , la phrase était complète et correcte, pourquoi a-t-il jugé opportun d'ajouter incontinent : non longe a mari quo Rhenus influit, si ce n'est pour appeler l'attention sur une particula- rité qui a son importance, en un mot pour indiquer l'endroit précis où la traversée s'effectua? sans cela il faudrait l'accuser d'avoir écrit pour ne rien dire, ce qui appliqué à un écrivain aussi concis, aussi sobre de détails, paraîtra toujours un reproche immérité.
L'interprétation dans le sens que nos adversaires indiquent semblera encore plus bizarre si Ton con- sidère que dans leur système, le Rhin ne côtoie la Ménapie que sur un petit parcours, à l'est, du côté opposé à la mer. Eh bien, voilà le résultat auquel on aboutit lorsqu'on détourne les expres- sions de César de leur acception naturelle et logique.
Quant au choix que firent les Barbares de cet endroit de traversée près de la mer, dans une contrée marécageuse, « au lieu de forcer le passage » du fleuve dans un pays favorable à leurs mouve- » vements, » on peut se demander si ce choix dépendait d'eux ; on semble oublier que les Tench- tères et les Usipètes erraient à l'aventure depuis trois ans, vivant de pillage et de rapines, repoussés des uns comme des hôtes incommodes, s'imposant aux autres, aux peuplades les plus faibles, dévo- rant les approvisionnements dont ils parvenaient
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à s'emparer, comme ils le firent chez les Ménapiens, et reprenant ensuite leur course vagabonde. Dieu sait à la suite de quelles vicissitudes, de quelles luttes, de quelles misères, ils avaient été entraînés vers rembouchure du Rhin. Pour des hordes de cette esx^èce, les profondeurs des bois et les fon- drières n'offraient pas d'obstacles , elles passaient leur vie à les parcourir, elles y étaient dans leur élément. « Ni les étangs ni les bois, dit César, en » parlant des Sicambres, n'arrêtaient ces hommes )) nés dans la guerre et le brigandage ' . »
Des Roches a compris, à peu près comme nous, la marche des Germains, car il les fait déboucher enOaule par le pays des Caninéfates, entre Utrecht et la mer. « En effet, dit-il, s'ils eussent passé le fleuve entre le fort de Schenck et Dusseldorf (qu'il me soit permis d'employer les noms mo- dernes pour plus de clarté), ils auroient trouvé le bord oriental occupé par les Sicambres et non par les Ménapiens; ce seroit une ignorance grossière que d'étendre si loin les frontières de ces derniers. D'ailleurs leur longue route ne pouvoit guère aboutir en ces endroits sans qu'ils eussent passé sur le ventre aux Suèves qu'ils fuyoient, ou qu'ils fussent retournés dans leur ancienne patrie dont leur dessein étoit de s'éloigner. Auroient-ils passé le Waal entre le fort de Schenck et le confluent de la Meuse? On trouvera le même inconvénient, en ce que l'une et l'autre rive dans toute cette étendue
' CÉSAK, VI, 35.
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étoient habitées par les Bataves. Il est donc démontré qu'ils ont dû passer plus bas. En sor- tant de leur patrie ils se seront bien gardés de courir à la rencontre des Snèves qui occupoient tout le milieu de la Germanie. Ils auront marché vers le pays des Cimbres au delà de TElbe, et de là vers les bords de la mer Baltique. Puis retournant vers l'Océan, ils l'auront côtoyé en tirant vers la Frise. Ensuite ils auront traversé la Hollande : les Caninéfates qui l'habitoient les auront laissé passer de gré ou de force; enfin dans les environs de Gorcum et de Heusden, ou plus bas encore, ils rencontrèrent pour la pre- mière fois les Ménapiens de la Belgique '. » I)es Roches ne se trompe que sur un point, c'est quant à l'endroit où la horde rencontra les Ména- piens, et son erreur provient de ce qu'il n'a pas soupçonné le véritable emplacement de ce peuple, qu'il fixe en Campine.
XII.
- CESAE ET STEABON PLACENT POSITIVEMENT LES MÉNAPIENS A l'eMBOUCHUEE DU EHIN.
Nous avons vu l'écrivain romain domicilier les Ménapiens sur les deux rives du Rhin, près de la mer du Nord. Devant une affirmation aussi caté- gorique, il n'y aurait à hésiter que si un autre texte quelconque en altérait ou en atténuait la
' Des Roches, Histoire ancienne des Pays-Bas autrichiens , t. II, p. 77.
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portée, mais loin d'y contredire, les différents passages des Commentaires où il est question de la Ménapie concourent tous à lui donner plus de netteté. Rappelons, en effet, que César fait des Ménapiens les voisins des Éburons et dépeint leur pays comme entouré de marais perpétuels, hérissé de bois épais : Erant Menapii projiinqui Ebuy^onum ftnibus, perpeluis paludibus silvisque 7nuniti * ; que pour pénétrer sur leur territoire, il eut recours à la construction de ponts : pontibus effeciis, enfin que Labiénus, en poursuivant les Éburons, qui pjroœimi Oceanum fuerunt, se dirigea vers la mer du côté du pays des Ménapiens, ad Oceanum versus in eas partes^ quœ Menapios attingiint *.
Ce dernier épisode est j)articulièrement instruc- tif. César, en vue d'assurer le succès de la san- glante exécution qu'il médite, se met en devoir d'isoler complètement l'Éburonie : il se jette sur le territoire des Nerviens qu'il saccage et d'où il ramène de nombreux otages; il réduit la Ménapie, où il laisse l'atrébate Commius avec sa cavalerie ; ensuite, par un vaste mouvement tournant, il rejoint Labiénus qui, dans l'intervalle, a complè- tement battu les ïrévires, et passe sur le territoire des Ubiens pour s'assurer qu'aucun secours ne viendra de la Germanie '\ On sent à la lecture des
' César, VI, 5. * CÉSAR, VI, 33.
2 Pourquoi, dira-t-on, César ne prend-il pas les mêmes précautions vis-à-vis des Bataves, dont le pays était contigu et dans les maré- cages boisés duquel les Éburons auraient si facilement pu trouver un asile? Erreur, Commius avec sa cavalerie veillait de ce côté; Bataves et Ménapiens ne formaient en réalité qu'un seul et même peuple.
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Commentaires que son principal objectif est de faire le vide autour de TEburonie et d'empêcher Ambiorix, son indomptable ennemi, de chercher un refuge chez les nations voisines. Cette préoccu- pation se trahit dans toutes ses actions. C'est ainsi qu'il menace les Sègnes et les Condruses et leur fait promettre solennellement de repous- ser sans pitié les Ebm^ons qui tenteraient de s'introduire chez eux. Toute retraite est coupée aux malheureux proscrits qui se trouvent enfer- més dans un cercle de fer dont rien ne peut les tirer, car, s'ils fuient vers le nord, ils risquent de tomber entre les mains de Commius; à l'est, ils rencontreront les farouches Sicambres ou les Ubiens, alliés de Rome; au midi, les Tré vires, les Sèg-nes et les Condruses, et à l'occident les Xer- viens leur barrent le chemin. Il ne leur reste d'autre alternative que de se cacher dans les Ar- dennes, dans les marais de Peel ou dans les lies de la Zélande, et ce sont en effet ces directions que nous leur voyons prendre. Mais le féroce Romain ne laissera pas si facilement échapper sa proie. Du camp d'Aduatuca, où il a concentré son armée et où le parc général a été transporté, il envoie Trébonius avec trois légions du côté du pavs des Aduatuques, qui, ainsi que nous l'avons démontré, habitaient entre la Meuse, le Rhin et les monts Eifel; il ordonne à Labiénus de se porter vers les îles de la mer, le long des frontières des Ména- piens, c'est-à-dire le long du Waal jusqu'au Moer- dvk: lui-même se dirio-e d'abord vers l'Escaut (Berg-op-Zoom) et ensuite vers l'extrémité de la
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forêt des Ardenues (Namur, Liège). Ce déploie- ment ciixulaire de rarmée, destiné à envelopper rÉburonie entière dans une vaste ruine, ne s'ex- plique pas dans le sj^stème de nos adversaires, suivant lequel l'armée romaine n'aurait opéré qu'à l'ouest de la Meuse, mais, par contre, il cadre admirablement avec la lettre et l'esprit des Commentaires. En effet, l'une des causes qui firent choisir Aduatuca pour y établir le quartier gé- néral, c'est que ce camp, dont les retranche- ments élevés par Sabinus et Cotta subsistaient encore, était situé à peu près au milieu du terri- toire voué à la dévastation, hoc fere est in mediis Ehiironum finihus. Quand César nous fait-il con- naître ce détail important? C'est au moment où il s'apprête à lancer ses colonnes. Ce n'est pas de sa part une simple indication topographique, c'est un renseignement indispensable à Tintelli- gence de ses opérations militaires. D' Aduatuca, pris comme point central, ses légions se répan- dront dans tous les cantons de TÉburonie et vraisemblablement jusqu'au sein de l'Aduatuquie , hœc in o'mnihiis Ehuronum jjcu^tibus gerebantur, et ne se contenteront pas de ravager, à la gauche de la Meuse, le territoire de Cativolcus, rex dimidiœ partis Eburoniim, qui n'était plus à craindre, puis- qu'il s'était empoisonné, mais s'acharneront aussi sur le territoire d'Ambiorix, celui des deux rois éburons qui avait fait le plus de mal aux Romains et que César considérait comme son ennemi per- sonnel.
Si l'on restreint, au contraire, la dévastation
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à l'Ébiironie cismosane et si Ton accepte l'assimi- lation de Tongres à Acluatuca, le quartier général se trouve, non plus vers le milieu, fere in mediis finibus, mais vers la limite méridionale du pays, où il est exposé tout à la fois aux incursions des Sicambres et aux entreprises désespérées des Éburons de la rive droite renforcés des fugitifs de la rive gauche. En outre, dans ce cas, il faut de toute nécessité diriger les trois colonnes unique- ment vers le nord et le nord-ouest, c'est-à-dire vers la Ménapie, tandis que les Commentaires nous enseignent que Labiénus seul reçut mission de prendre cette direction , et enfin , argument décisif, il faut faire parcourir à Trébonius identi- quement le même itinéraire qu'à César ' .
Un passage de Strabon, que nos contradicteurs laissent prudemment dans l'ombre, prouve que
' Tous les arguments produits par M. Gantier (p. 230) pour attri- buer à Ambiorix la souveraineté de l'Éburonie occidentale peuvent être appliqués avec succès à la défense de notre thèse. « C'est Ambiorix. qui dirige l'attaque, quoiqu'il fût le plus jeune des deux souverains. Il commandait parce qu'il était chez lui. Si l'action avait eu lieu sur le territoire de Kativolk, c'est celui-ci qui l'eût dirigée.
» C'est avec Aml)iorix et non avec Kativolk que négocient les Romains. Ambiorix prend l'engagement de laisser traverser libre- ment « son » territoire. (Illud se ■polliceri et jurejurando confiv)nare tutum ite>- per fines siios daturum.)
» César nous apprend qu'Ambiorix payait un tribut aux Aduati- ques qui étaient < ses » voisins [Quod Aduatucis fînitiinis suis pen- dere consuesset). »
Ajoutons qu'Ambiorix est constamment en relations avec les Ger- mains et les Trévires ; que les cohortes de Trél)ouius ravagent cruel- lement son royaume, dont les Sicambres achèvent la mise à sac, enfin que ces mêmes Sicambres n'ont pour ainsi dire qu'à traverser le Rhin pour se trouver avec leur armée devant Aduatuca, situé à quelques lieues seulement du fleuve [César, VI, 35j.
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soixante ans après la conquête, les Ménapiens habitaient encore, aux rives du Rhin, les mêmes régions où César les avait connus, où il les avait combattus et où, après leur soumission, il les avait laissés jouir en paix de leurs anciennes possessions territoriales. Voici ce que dit Strabon : <( Les » derniers [des peuples de la Gaule vers le Nord] » sont les ^lénapiens qui habitent, de chaque côté » des bouches du Rhin, des marais et des bois » composés non d'arbres de haute futaie, mais de » broussailles épaisses '. « C'est la confirmation explicite des termes de César, mais ici Tindication est plus précise : c'est bien à l'embouchure du fleuve, iiirimque ad ostia Rheni, que Strabon place les Ménapiens.
Il est commode de négliger cette citation, de l'écarter comme non avenue ; ce procédé simplifie singulièrement la controverse, mais la critique historique ne se contente pas de pareils expé- dients; elle exige que l'on tienne compte de tous les éléments du problème et surtout de ceux qui peuvent en être considérés comme les facteurs principaux. Or, nous tenons pour démontré qu'il n'y a réellement dans les auteurs de l'antiquité, pour la période dont il s'agit, que deux passages qui déterminent d'une manière directe l'emplace- ment des Ménapiens ; ce sont ceux que nous venons de relever , celui notamment où César raconte rinvasion des Tenclitères et des Usipètes dans le
* « Ul tirai sunt Menapii, qui utrimqne ad ostia Rheui paludes in- coluut et silvas humilis densneque materis; ac spiuosaj. » Strabon, livre IV.
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pays des Ménapiens : flumen Rhenitm bmnsierunt,
non longe a mari quo Rhenus influit quas regio-
nes Menapiï incolehant et ad utramqiie ripam fiii- minis agros œdificia vicosque habebant ', et celui où Strabon place ce peuple exactement au même endroit : Menapii qui utrimque ad ostia Rheni paludes incolunt et silvas ^.
Ayant à opter entre l'attestation concordante et décisive de César et de Strabon, contemporains des faits qu'ils exposent, et la négation d'écri- vains de nos jours qui n'appuient leurs assertions que sur de vagues rapprochements, on conçoit que notre choix ne saurait être douteux.
Le j)assage cité de Strabon n'est du reste pas le seul que l'on puisse invoquer. Cet auteur corro- bore ailleurs encore notre manière de voir, en faisant des Sicambres les voisins des Ménapiens ^ Nous croyons même pouvoir interpréter dans un sens favorable à notre thèse les termes dont il se sert pour énoncer que les habitants des pays rhé- nans ne s'embarquaient pas d'ordinaire aux bou- ches du Rhin, c'est-à-dire chez les Ménapiens, mais chez leurs voisins les Morins, « Qui a Rheni » 2Mrtibus trajiciunt, ii non ex ipso solvunt ostio, » sed a Morinis Me^iapiorum conterniinis *. » Les mots Menapiorum co7itenninis semblent n'avoir été ajoutés que pour indiquer que la traversée de
' CÉSAR, IV, 1,4.
' Strabon, loc. cit.
' " Juxta illos [Menapios] sedes habent Sugambri Germani. » Strabon, IV. * Stbabon, IV.
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Belgique eu Augleterre ne s'effectuait pas cliez les Ménapiens p/«ce5 à Vemhouchure du Rhin, mais chez leurs voisins du sud. Ainsi compris, ce pas- sage fournit une nouvelle preuve à l'appui de notre opinion.
Quelle conclusion tirer de tout ce qui jirécède, sinon que du temps de Jules César, les Ménapiens habitaient effectivement la Zélande et la Hollande ; qu'ils occux^aient x^ar conséquent Tancienne île des Bataves et les autres terres marécageuses dont le panégyriste Eumène donne cette triste descrip- tion : « Cette contrée, César, que par tes victoires y> tu as délivrée de Tennemi, que traverse l'Escaut » dans son cours tortueux et qu'embrassent les » deux bras du Rhin, s'il est permis de le dire, ce )) n'est point une terre ; elle est tellement imbibée » et trempée des eaux, que non seulement là où )) elle est marécageuse, elle fléchit sous le pied » qui la foule, mais là même où elle parait le plus » ferme, elle tremble sous les pas, et l'agitation » qui se communique au loin prouve qu'une légère » et mince écorce surnage sur les eaux ; de sorte » qu'on pourrait dire avec justesse que pour com- » battre sur un sol aussi incertain, le soldat )) devrait être exercé aux combats de mer. jNIais » ni les embûches de ces lieux trompeurs, ni les » nombreuses forêts n'ont pu garantir les bar- » bares * . »
L'impression qui reste à la lecture des autres historiens et géographes qui parlent de la Ména-
' Ex panegyrico Eumenîi in Constantiiim, cliap. 6.
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pie n'est pas moins désolante. Nous avons vu en effet que Strabon place les Ménapiens dans des marais et des bois; il ajoute que les habitants avaient aussi des îles situées au milieu de ces marais, où ils se réfugiaient au besoin avec toute leur famille * . Dion Cassius et Orose parlent dans le même sens de la Ménapie \ Enfin, les chroni- queurs du moyen âge nous décrivent sous des couleurs non moins sombres les îles de la Zélande et la Batavie \
XIII.
APRÈS LA DÉFECTION DES BATAVES , LES AUTRES CLANS MÉNAPIENS CONTINUÈRENT A HABITER LA ZÉLANDE.
Nous avons expliqué dans notre précédent tra- vail les liens qui unissaient les Bataves aux autres Ménapiens, dont, suivant nous, ils formaient une tribu principale. A peine subjugués, ils se rallièrent loyalement à leurs vainqueurs et leur rendirent dans la suite de signalés services, mais par ce fait même ils creusèrent un abîme entre eux et les clans restés indépendants de la cité et finirent par abandonner la dénomination ethnique de Ména- piens pour ne conserver que leur nom cantonal particulier de Bataves. La qualification de citoyen
' " lasulas habentes in paludibus exiguas. « Strabon, IV".
' « Deinde Meaapios, qui sibi propter immensas paludes atque iiiipeditissimas silvas munitissimi videljantur, tribus agniinibus in- vadit. » Okose, Historia roniana, VI, 10.
^ V. ScHAYES, La Belgique et les Pays-Bas, t. III, pp. 70 et suiv.
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de la Ménapie, Menapiœ civis, que le prosateur Anrelius Victor * donne à un habitant de la Bata- vie«, prouve cependant que le souvenir de leur commune origine n'était pas entièrement perdu au IIP siècle.
L'histoire offre plus d'un exemple de ce genre et, sans sortir de nos annales, nous pouvons en citer un frappant : Autrefois on désignait sous le nom de Pays-Bas l'ensemble du territoire qui s'étend entre la mer du Nord, l'Allemagne et la France et qui forme aujourd'hui deux monarchies séparées. En. 1830, une partie de ces provinces, la i^lus vivace et la plas peuplée, se détacha pour s'ériger en nationalité distincte sous le titre de royaume de Belgique; elle répudia définitivement le nom de Pays-Bas qui devint l'apanage exclusif des cantons septentrionaux et acquit en peu de temps une importance telle qu'elle éclipsa ces derniers. Sup- posez maintenant que, par suite d'événements politiques favorables, la Belgique, poursuivant le cours de ses destinées, en arrive à remplir un rôle prépondérant en Europe, on aura la reproduc- tion exacte de ce qui advint des Bataves il y a vingt siècles.
Tacite, ayant à nous dépeindre les Bataves comme nation, ne fait pas mention de leur com-
' « Quo bello Corausius, Meaapise civis. » Aurelids Victor, Be Cœsaribus , 30.
* « Dum tedificandis classibus Britannite recuperatio compara- tur, terrain Bataviam, sub ipso qiKjndam alumuo suo, a diversis Francorum gentibus occupatam, omui hoste purgavit. » Ecmène, Panegyricum in Constantium Cœsarem, cap. 5.
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munauté antérieure avec les Ménapiens, et cela se conçoit : à cette époque déjà ils s'étaient illustrés comme peuple autonome, n'ayant plus aucune attache avec leurs anciens congénères et suivant une ligne de conduite politique diamétralement opposée.
11 importe de remarquer aussi que le célèbre historien romain, qui fait un si brillant portrait de la nation batave, ne cite qu'une fois et très inci- demment les Ménapiens ' qui végétaient dans leurs bois et marais de la Zélande, tandis qu'au contact de Rome les Bataves avaient atteint l'apogée de leur grandeur et remplissaient le monde du bruit de leurs exploits.
On pourrait soutenir à la vérité, et nous le reconnaissons volontiers , que les textes histori- ques n'exigent pas d'une manière absolue l'adjonc- tion de nie des Bataves aux cantons de laMénapie. En effet, en limitant cette lie à l'espace compris entre le vieux Rhin, le Waal et le Lek, les Ména- piens de la Zélande et de la Sud-Hollande con- servent la position que César et Strabon leur assignent aux bouches du Rhin.
Ce système, dans lequel Thypothèse de l'identi- fication des Ménapiens et des Bataves est écartée, ce qui réduit à néant jusqu'à la dernière objection de nos adversaires, nous séduit par plus d'un côté, et nous ne ferions nulle difticulté d'y adhérer si, d'autre part, nous n'étions arrêté par certains scrupules assez graves, que nous allons exposer brièvement.
1 Tacite, Historiée, IV, 28.
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En premier lieu, lorsq^ue les Rèmes présentè- rent à César le relevé des forces respectives des Belges , ils nommèrent tous les peuples du nord de la Gaule, les Ménapiens, les Éburons, les Ner- viens, les Morins, les Aduatuques, etc. ', mais ne firent aucune mention des Bataves qui, s'ils avaient formé une cité distincte, eussent nécessairement trouvé place dans cette énumération et eussent dû fournir à la confédération leur contingent de guer- riers ^ En second lieu, il est évident que s'ils étaient restés libres. César, à la fin de sa troisième campagne, n'eût pas jîu affirmer que la Gaule tout entière était pacifiée, à l'exception des Morins et des Ménapiens ^ Et cependant, on ne découvre dans les Commentaires aucune trace de leur sou- mission , bien que Ton sache pertinemment que cette soumission eut lieu*.
Telles sont les considérations qui nous empê- client d'accepter une solution dans le sens indiqué.
Après César et Strabon, on ne trouve dans les
1 César, II, 4.
^ On a dit que cette liste est incomplète, puisque d'autres tribus belges n'y figurent pas, mais cette lacune s'explique : les Trévires s'étaient déjà soumis, de même que les Rèmes. Les Leuques, les Médiomatriques , les Triboques n'opposaient pas de résistance ou faisaient cause commune avec l'envahisseur. Quant aux peuplades vassales, les Sègnes, les Centrons, les Grudiens, les Levaces, les Pleumoxes, les Geidunes, les Ambivarites, elles suivaient l'étendard de leurs patrons.
' « Quod omni Gallia pacata Morini Menapiique supererant, qui in armis essent neque ad eum unquam legatos de pace misissent. » CÉSAK, III, 28. — Au commencement de la sixième campagne, les Ménapiens étaient le seul peuple qui ne se fut jamais humilié devant César (VI, 5).
* Voir la Ménapie, p. 71.
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écrits anciens que quelques notions incertaines concernant les Ménapiens. Ils furent soumis à leur touî , probablement par Tibère qui, au témoignage de Paterculus, vainquit les Caninéfates ' . Ces der- niers suivirent la fortune des Bataves ^; mais les autres tribus concentrées dans les îles de laZélande, qui constituaient désormais tout le territoire mé- napien , en furent-elles immédiatement expul- sées^?...
XIV.
A QUELLE ÉPOQUE LES MENAPIENS ABANDONNÈRENT- ILS LA ZÉLANDE POUR SE FIXER EN FLANDRE ?
Il est certain qu'à une époque qui peut être placée entre le règne d'Auguste (an 37 av. J.-C), et celui de Constantin (an 306 après J.-C.) les Ménapiens descendirent dans l'ancienne Morinie, c'est-à-dire en Flandre, où l'on trouve, comme nous l'avons vu, des traces de leur séjour dès le IIP siècle. Leurs colonisations donnèrent lieu à une désignation géographique nouvelle, celle de 2)agus Memjiiscus^ déjà en usage au VII- siècle.
' « Intrata protinus Germauia , subacti Caninéfates , Attuarii ^ Bructeri , reeepti Clierusci , qui videlicet antea devicti fueraut a Druso, subdit. » Paterculus, II, 105.
* C'est ce qui résulte de plusieurs passages de Tacite.
' Il est assez étonnant de voir M. Wauters maintenir les Ménapiens en Zélande jusque sous l'Empire. « La Méuapie, dit-il, devint une cité romaine et les Romains y eurent des établissements importants jusque dans les cantons les moins facilement accessibles, notam- ment à West-Cappel et à Domburg dans Tile de^Yalcllereu. » [JSnu- velles recherches, p. 16.) Si telle est sa conviction, nous sommes bien près de nous entendre quant à l'hypothèse.
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Nous avons avoué notre impuissance à déter- miner la date précise à laquelle cet événement eut lieu. Les idées que nous avons émises ne doivent naturellement être acceptées que sous bénéfice d'inventaire, et à cet égard nous ne croyons pas que quiconque lira notre ouvrage puisse sy méprendre. Voici du reste dans quels termes nous nous sommes exprimé,
« En ce qui concerne les causes qui donnèrent lieu à la transmigration des Ménapiens, nous en sommes malheureusement réduit aux conjectures.
« Voici notre opinion à ce sujet.
» Les guerres incessantes de César avaient con- sidérablement appauvri la Gaule; ses répressions impitoyables achevèrent de la ruiner. De la nation des Nerviens, jadis si puissante il n'existait plus que d'infimes débris; les Éburons étaient exter- minés, les Aduatuques morts ou réduits en escla- vage, les Tré vires décimés. Il fallait bien, si Ton ne voulait régner sur des déserts, songer au repeu- plement de la Belgique. Les premiers gouverneurs envoyés dans nos contrées comprirent la situation et songèrent aux moyens d'y remédier. Marcus Agrippa, un des plus illustres lieutenants d'Octave, commença par autoriser la transplantation à la gauche du Ehin des Ubiens, dont le domicile pri- mitif était un peu plus au midi, mais du côté opposé du fleuve ' . Des Roches croit qu'il faut
' « Trans fluvium (Rhenum) ad. ista loca liabitabant llhii, quos non invites Agrippa iutra Rhenum traduxit. » Stkabon. lib. I\". — « Ac forte accideret ut eam gentem , Rheno transgressam, avus
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attribuer à ce même Agrippa rétablissement de quelques autres colonies, telles que les Tungres du pays de Liège*, les Sunuques de Juliers et du Limbourg, les Bétases du Hageland, les Toxandres de la Campine, qui ne furent pas connues de Césars
w II est hors de doute, comme nous l'apprend Strabon,que les successeurs d' Agrippa suivirent le système inauguré par celui-ci : « Les Romains dit- » il, transférèrent une partie des Germains dans la » Gaule, mais d'autres cherchèrent un refuge dans )) les contrées les plus lointaines de l'Allemagne ^ » L'émigration des Ménapiens et leur établissement dans la Flandre, sont manifestement dus à des causes identiques.
» Rappelons à cette occasion que la Morinie, ayant poussé la résistance beaucoup plus loin que la Ménapie, avait plus souffert de la répression.
Agrippa in fidem acciperet. » Tacite, Armales, lib. XII, 27. — « Ne Ubii quidem, quanquam romana colonia esse meruerint, ac libentius Agrippinenses conditoris sui nomine vocentur, origine erubescunt, transgressi olim, et expérimente fidei super ipsam Rheni ripam collocati, ut arcerent, non ut custodirentur. » Le même, De moribus Germanorum, 28. — Il est heureux que Strabon et Tacite aient constaté le fait du transfert, car Dieu sait quelle peine il en coûterait aujourd'hui pour convaincre les savants que les Ubiens n'ont pas habité de tout temps le pays de Cologne.
' « Secundum quos ad orientem Tungri Ijarbari concessam siln ab Augusto imperatorum primo regionem iucolebant. » Procope, Hist. hell. Gothic, I, 12.
2 Des Roches, t. II, p. 263.
3 « Prima Gerniania3 regio est ad Rhenum, a fontibus ejus usque ad ostia, atque hic tiuininis tractus latitudo est Germanise occidua. Hujus partis populos Romani partim in Galliam traduxerunt; reli- qua migraverunt in penitiores Germanire partes, ut Marsi ; sed et Sicarabrorum exigua restât portio. » Strabon, Vil, p. 290.
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Déjà, au retour de la première expédition de Bre- tagne, les Morins, à raison de leur attaque contre l'équipage militaire de deux navires de transport, avaient été traités comme rebelles. Plus tard, lors du siège d'Alésia, ils fournirent un contingent de 5000 hommes à l'armée nationale deVercingétorix * . L'insuccès de ces tentatives n'améliora certes pas leur condition, car on n'ignore pas avec quelle âpre cruauté César punissait, chez les Gaulois, chaque velléité de soulèvement. En l'an 29 avant J.-C, ils essayèrent de nouveau, à l'exemple des Trévires et d'autres nations voisines, de secouer le joug odieux de Rome, mais Caius Carinas, lieu- tenant d'Auguste, les fit rentrer dans l'obéissance et rejeta les Suèves, qui étaient venus à leur secours, au-delà du Rhin ^ Ces défaites successives et les exécutions sanglantes qu'elles entraînèrent à leur suite, portèrent un rude coup à la Morinie. Sa population déjà fort clairsemée disparut pres- que complètement dans les cantons septentrionaux du pays. Pour repeupler ces solitudes, Tibère, dit- on, fut obligé d'y transplanter en l'an 8 avant l'ère vulgaire, plusieurs milliers de Sicambres et de Suèves, qu'il avait défaits et dont une partie, sous le nom de Gugernes, se fixa dans l'Eburonie trans- mosane^
* « Imperant iEduis... Suessionibus, Ambianis, Mediomatricis, Petrocoriis, Nerviis, Morinis, Nitiobrigibus quiua millia. » César, VII, 75.
^ « Nam C. Carinas Morinos aliosque eoi'um rebellionis socios domuerat, Suevosque Rhenum magno numéro transgresses pro- fligaverat. » Dion Cassius, LI.
' « Suevos et Sicambros, dedentes se, traduxit in Galliam, atque
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c( Ce même Tibère, de concert avec son frère Drusus, acheva la conquête du nord des Gaules et de toute la contrée située entre le Rliin et l'Yssel. Parmi les peuples qu'il soumit, Paterculus cite entre autres les Caninéfates ' , d"où l'on peut con- clure à bon droit que la Ménapie entière tomba alors sous le joug des Romains. »
« L'émigration du peuple ménapien fut-elle la conséquence de cet événement?... Instinctive- ment nous inclinons à reculer de trois siècles la date de ce transfert et à la fixer après la révolte de Carausius, vers l'an 290". »
Il est inexact que l'autorité de Pline puisse être invoquée contre notre système ; c'est contre cette dernière hypothèse qu'il faudrait dire, carie texte de Pline, quelle que soit Tinterprétation qu'on lui donne, se concilie parfaitement avec notre thèse, si l'on admet que l'évacuation de la Zélande eut lieu postérieurement à César.
Si Ton nous concède ce point, qui pour nous est capital, il ne reste plus qu'à s'entendre sur la question, fort intéressante sans doute, mais infini- ment plus controversable, de la date du transfert.
Tacite, dont on a invoqué le témoignage, ne fournit aucun renseignement utile au sujet de
in proximis Rheno agris collocavit. » Suétone, m Augusto, 21. — « Germanico bello quadragintn millia deditiorum trajecit in Galliam, juxtaque ripam Rheni sedilmg assignatis, collocavit. » Suétone, ùi Tibeino, 9. Conf. Eutrope, Breviar. hist. roni., VII, 31.
' « Intrata protinus Germania , subacti Caninéfates , Attuarii , Eructeri, recepti Cherusci, qui videlicet antea devicti fuerant a Druso, subdit. » Patercclus, II, 105.
^ La Ménapie, p. 78.
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l'emplacement des Ménapiens à son époque ; il se borne à raconter que Civilis, alors campé aux environs de Neuss sur le Rhin, ordonna à une de ses divisions d'aller au delà de la Meuse harceler les Ménapiens, les Morins et les autres clans occu- pant le nord de la Gaule ' , ce qui peut s'entendre aussi bien de la Zélande que de la Flandre et du Boulonnais, ces trois pays s'étendant, lun connue Tautre, au-delà de la Meuse, par rapport au camp du chef batave.
Pline, qui est antérieur à Tacite, donne sur la Gaule belgique des détails beaucoup plus nom- breux, mais l'interprétation du naturaliste romain n'est pas aussi aisée qu'elle le paraît au premier abord, et plus d'un commentateur y a perdu ses peines.
Suivant Pline, toutes les côtes de l'Europe, depuis le nord jusqu'à l'Escaut, étaient habitées par des nations germaniques ■^ Il ajoute que toute la Gaule désignée sous le nom général de Chevelue est divisée entre trois peuples séparés surtout par des fleuves : la Belgique, de l'Escaut à la Seine; la Celtique ou Lyonnaise, de la Seine à la Garonne ; l'Aquitaine appelée auparavant Armorique, de la Garonne à la chaîne des Pyrénées \ A partir de l'Escaut, il nous montre les Toxandres répartis en
' « Ille, ut quique proximum, vastari Ubios Ti'everosque, et alia manu Mosam amnem transire jubet, ut Menapios et Morinos et extrema Galliarum quaterent. » Tacite, Historiée, IV, 28.
' « Toto autem hoc mari ad Scaldim usque fluvium, Germaniœ accolunt gentes. » Pline, IV, 28.
3 Pline, IV, 31.
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plusieurs peuplades de dénominations différentes, puis, du côté de la mer, les Ménapiens, les Morins, les Oromansaces, les Britains, les Ambiens, les Bel- lovaques; à l'intérieur des terres, les Castologes, les Atrébates, les Nerviens, lesVéromanduens, etc. , enfin les Bataves et les autres habitants des îles du Rhin ' .
En lisant attentivement cette description, on ne peut s'empêcher de remarquer combien Pline est en contradiction avec lui-même et avec les autres écrivains de l'antiquité, et l'on serait tenté de se demander s'il n'a pas désigné j)ar erreur l'Escaut pour le Rhin ou la Meuse.
En effet, au lieu de finir la Germanie au Rhin, qui marquait sa limite naturelle et historique, Pline la prolonge jusqu'à l'Escaut et ne commence la Gaule belgique qu'à partir de ce dernier fleuve : a Scalde ad Seqiianam Belgica, tandis que vers la fin du même paragraphe, il comprend dans cette même Gaule belgique toutes les terres situées entre le ^Yaal et l'Yssel, soit entre l'embouchure de la Meuse et celle de la Flie, notamment les îles des Bataves, des Caninéfates, etc., Batavi et quos in insulis diximus Rheni^ .
• « A Scakle ail Sequanam Belgica.... A Scakli incoluut extera Toxandri pluribus nomiuibus. Deinde Meuapii, Morini, Oromansaoi juncti pago, qui Gessoriacus vocatur : Britanni, Ambiani, Bellovaci. Introrsus, Catuslugi, Atrébates, Nervii liberi, etc.. Batavi et quos in insulis diximus Rheni. » Pline, IV, 31.
* Voici ce passage : « In Rheno ipso prope centum millia passuum inlongitudinera, uobillissima Batavorum insula et Cannenufatum et aliee Frisiorum, Chaucorum, Frisiabonum, Sturiorum, Marsaciorum, quse sternuutur inter Hélium et Flevum; ita appellantur ostia, in
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D'un autre côté, tout en n'étendant les popula- tions germaniques que jusqu'à TEscaut, ad Scaldim usqiie fliivium, il place néanmoins dans la Belgique diverses tribus dont la nationalité teutonique ne saurait être contestée. Ainsi, les premiers qu'il cite à partir de TEscaut, les Toxandres ont toujours été considérés comme Germains; les Nerviens se vantaient tout haut de 1 être ; les Tongrois venaient d'outre Rhin, de même que les Bétases, les Sunu- ques, les Ubiens et les Gugernes, bref, la presque totalité des clans domiciliés dans la Belgique sep- tentrionale étaient d'origine germanique.
Admettra-t-on avec certains interprétateurs que Pline a eu en vue, tantôt la géographie physique, tantôt la géographie politique? Doit -on croire, avec d'autres, qu'il établit une distinction entre la seconde Germanique et la Belgique, subdivisions créées par Auguste lorsque, étant venu à Narbonne en Tan 27 avant J.-C, il organisa les trois provin- ces de la Gaule conquise par César? ou bien faut-il adopter l'opinion de ceux qui suggèrent que du temps de Pline, comme du temps de César, l'Es- caut se jetait dans la Meuse {Scaldis qiiod infïuit
qufe effusus Rhenus, ab septentrione in lacus, ab occidente in am- nem Mosam se spargit. » Pline, Historia naturalis, IV, 14. — Schayes [La Belgique et les Pays-Bas, III, p. 82) s'est évidemment trompé en prenant le Helius de Pline pour l'embouchure même de la Meuse; cette embouchure fait en réalité suite au Helius qui, à nos yeux, n'est autre que le Waal. Si le mot Helius, assonance de Walius, dont l'orthographe est à peine altérée, ne le disait pas, les termes mêmes dont l'auteur romain se sert ne laisseraient aucun doute à cet égard. Quant à l'autre bras du Rhin, que Pline appelle Flerus, on ne peut voir en lui, ce nous semble, que l'Yssel qui se décharge dans le Zuiderzee ou Flevo lacus de Tacite.
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in Mosam, Césae, VI, 33), ou plutôt que les deux fleuves confluaient dans un delta commun auquel on a donné le nom de Zélande?
Ce sont là de simples suppositions, mais ce qui donne une certaine apparence de vérité à la der- nière, c'est que Pline, après avoir énuméré toutes les tribus répandues entre les branches du Rhin, les Bataves, les Caninéfates les Frisons, les Chau- ques, les Frisiabons, les Sturiens et les Marsaces, en dépasse pas le Waal et la Meuse, excluant ainsi la Zélande entière, et que les premiers peuples qu'il place en Belgique sont les Toxandres de la Campine et les Ménapiens de la Zélande.
En définitive donc, le texte de Pline est plutôt favorable que contraire à notre hypothèse.
Ouvrons aussi Ptolémée. Ce géographe qui floris- saitvers l'an 140 de J.-C, dans sa description de la Gaule belgique, nomme successivement les Bel- lo vaques, les Ambiens et leur ville Samarobriva, les Morins et leur ville Térouane. cr Ensuite, dit-il, )) après le fleuve Tabuda (Escaut?), les Tungres et )) leur ville Atuacutum (Tongres); ensuite, après » la Meuse, les Ménapiens et leur ville Castellum ; » au-dessous de ces peuples s'étendent, le plus au » nord , les Nerviens et leur ville Baganum )) (Bavai)'. »
' « Post quos siiniliter Ambiani et civitas eorum Samarobriva. Post quos Morini, quorum ad ortum mediterrauea civitas Taruauna. Deinde post Tabudam flumen Tungri et civitas Atuacutum. Deinde post Mosam fiuviiim Menapii, et civitas eorum Castellum. Sub prœ- dictis autem gentibus protenduutur maxime septentrionales Nervii quorum civitas Baganum. » Ptolémée, Geographia, II, 9.
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Si l'identité du Castelhim (Ka^TcWov) de Ptolémée et du Castelhim Menapiorwn de la table de Peutin- ger pouvait être démontrée, il en résulterait que, déjà au IP siècle de notre ère, les Ménapiens auraient été établis dans la Morinie, mais la position que le géographe alexandrin assigne à son Castellum, au delà de la Meuse, au nord de la Nervie, par consé- quent dans le pays des Bataves ou des Caninéfates , rend cette assimilation extrêmement problémati- que, d'autant plus que le nom de Castellum ou Castrum était assez commun dans nos contrées et se retrouve encore fréquemment sous la forme de Caester, Kastel, Kessel, Gastel, Gestel, Casterlé, etc.
Orose, que l'on a également apx3elé à la rescousse, n'ajoute aucune indication à celles que l'on possé- dait déjà. Il rapporte que les Ménapiens demeu- raient en face de Tîle de Bretagne, entre les Bataves et les Morins, ce qui peut s'appliquer aussi bien à la Zélande qu'à la Flandre « .
Voici enfin la carte de Peutinger, document attribué au IIP siècle, mais dont on ne possède qu'une copie du XIIP. C'est, comme nous l'avons dit, le seul monument ancien qui projette une lueur fugitive sur ces ténèbres, en ce sens qu'on y voit figurer la ville de Cassel sous le nom de Castellum Menapiorwn, d'où l'on peut induire qu'à cette époque l'émigration était accomplie.
En somme, l'histoire primitive des Ménapiens
' « Britannia à meriJie Gallias habet , cujus proximum litus transmeantibus civitas aperit,qu8e dicitur Rhutubi portus : unde haud procul à Morinis in austro positos Menapios Batavosque prospec- tât. » Orose, De Gallis, I, 2.
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présente les phases suivantes. Antérieurement à rinvasion romaine, ils vivaient à l'état d'indépen- dance, dans un territoire boisé et marécageux qui s'étendait sur les deux rives du Rhin, utr inique ad ostia Rheni, et englobait la Sud-Hollande, la Zélande et la partie de la province de Gueldre comprise entre le vieux Rhin et le Waal. 53 ans avant J.-C, César défit leur armée et leur enleva un canton important. File des Bataves, mais ainsi que le constatent expressément Salhiste, Ammien Marcellin et Publius Victor, il ne parvint pas à s'accaparer de la région maritime ou paludéenne du pays'. Quelques années plus tard, Tibère, envoyé par Auguste, vainquit les Caninéfates, autre tribu ménapienne qui habitait entre le Lek et la mer et qui dès lors suivit la condition politi- que des Bataves, devenus puissants sous le protec- torat de Rome. Le reste de la nation, confiné dans les îles de la Zélande et subjugué à son tour, con- tinua d'y vivre quelque temps et obtint enfin l'au- torisation de se fixer dans la Morinie septentrionale ou Flandre \
Il serait possible que ce dernier événement coïn-
* « Onmes Gallias nisi qiia paUidibus iuvise fuere, ut Sallustio docetur auciore, post decennalis belli mntuas clades subegit Csesar socieiatique nostras fœderibus junxit feternis. » Ammien Marcellin, XV, 12. — « Iles romana plurimum imperio valuit, Sex. Sulpiuio et M. Marcello coss., omni Gallia cis Rhenura inter mare nostrum atque oceanum, nisi quœ a paludibus invia fuit, perdomita. » Pu- blius Victor, Breviarium ro)nanum. — Il suit de là que César se vante en laissant accroire qu'il a soumis toute la cité ménapienne.
' Strabou observe qu'à son époque la Gaule entière en deçà du Rhin appartenait aux Romains. « Nunc omnes qui intra Rlienum degunt quieti Romanis parent. > Strabon, lib. IV.
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cicla avec l'établissement des Ubiens dans le pays de Cologne, cependant, il est plus probable qu'il n eut lieu que plus tard, peut-être même après la révolte de Carausius (an 289 après J.-C).
XV.
ORIGINE GERMANIQUE DES MBNAPIENS.
A propos de l'origine des Ménapiens, M. Wauters entre dans d'assez longs développements pour prouver que ce peuple descendait plutôt des Gaulois que des Germains, tandis que nous avions soutenu l'opinion contraire. On pourrait discuter à perte de vue sur cette question de races qui jusqu'ici a été très imparfaitement étudiée. Le plus prudent nous a toujours semblé de s'en tenir aux enseigne- ments de l'histoire et aux déductions de la logique . S'il est vrai, ainsi que nous avons cherché à le prouver, que les Ménapiens, de même que les Bata- ves, descendaient de la nation germanique des Cattes*, la solution est toute trouvée; or, dans tout ce que racontent les anciens, rien n'infirme cette idée. Tacite nommément, en parlant des Bataves, assure qu'ils tiraient leur origine des
' Schayes fait remarquer que le souvenir des Cattes se reflète en- core dans un grand nombre de noms de lieux. « En effet, dit-il, deux endroits de la Hesse, appelés l'un Battenburg, l'autre Battenhausen, semblent y signaler l'existence des Bataves, de même que les villages de Kattenburg et Kattendreclit en Hollande, près de Rottei-dam, Katswoude, près de Monikendam et i^rès de Beverwyk, Kattenbroek près de Monfurt, Katlyk dans les Seveuwolden (Province de Drenthe), Katsand et Katernesse aux frontières de la Flandi-e, Kats et Katten- dreclit en Zélande retracent à la mémoire l'origine des Bataves et leur première patrie ». [La Belgique et les Pays-Bas, t. III, p. 2.)
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Cattes dont, à une époque qu'il ne précise pas, une colonie prit pied dans le nord de la Gaule où elle occupa entre autres une île alors déserte • . Cette colonie, souche suivant nous de la nation ou, si l'on veut, de la confédération ménapienne entière, était composée de plusieurs clans qui se partagèrent les terres abandonnées ^ Un d'entre eux s'empara de la grande île du Rhin aj)pelée l'île des Bataves. Un autre, celui des Caninéfates, s'installa au bord de la mer, entre le Rhin, le Waal et le Lek^; d'autres enfin se répandirent dans les îles de la Zélande ; ces derniers seuls conservèrent la qualification de Ménapiens, alors que, fiers de leur alliance avec le peuple romain et parvenus à un degré de civiHsa- tion supérieur, les Bataves l'avaient abandonnée depuis longtemj)s *.
♦ « Batavi, doiiec trans Rlienum agebant, pars Cattorum : sedi- tione domestica pulsi, extrema gallicse orse vacua cultoribus, simul- que insulam inter vada sitam occupavere, quam mare oceanus a fronte, Rhenus amuis tergum ac latera cii-cumluit. « Tacite, Histo- riœ,\Y, 12.
* M. Gantier fait, à propos du mot Belgium, employé par César, une réflexion fort juste et qui peut s'appliquer parfaitement aux Ménapiens. « On dit aujourd'hui la Hollande pour tous les Pays- Bas, l'Autriche pour toute la monarchie austro-hongroise, quoique la Hollande et l'Autriche ne soient que des provinces. Nous avons probablement affaire ici à une appellation analogue. » [La conquête de lu Belgique par Jules César, p. 225.)
3 « Missi ad Canninefates qui consilia sociarent. Ea gens partem insulee (Batavorem) colit, origine, lingua, virtute par Batavis ; nu- méro superantur. » Tacite, Historiée, IV, 15. -
^ Dans sa description du cours de la Meuse, César cite les Bata- ves (IV, 10), mais ne parle pas de leur nationalité ménapienne. Cela doit-il surprendre ? Si dans une description géographique du cours de l'Escaut, par exemple, on lisait que le fleuve côtoie le pays de Waes, en conclûrait-on, — alors que tout le contexte prouverait le contraire, — que les Wasiens ne sont pas des Belges?
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Il est vrai que Tacite, en racontant cet événement, ne nomme pas les Ménapiens. Préoccupé unique- ment du rôle des Bataves qui par leur formidable soulèvement tenaient TEmpire en échec, il ne s'inquiète guère des insulaires de la Zélande qui depuis près d'un siècle, confondus dans la masse des vaincus, semblaient avoii' disparu de la scène; cependant les termes qu'il emploie prouvent que, en dehors de l'île circonscrite par la mer et les deux bras du Rhin, d'autres terres furent enva- hies et que d'autres clans que celui des Bataves eurent part au partage '.
En rapprochant ces divers faits de ceux que nous connaissons par les Commentaires de César, on peut, d'après nous, en tirer la conclusion que Bataves, Caninéfates et Ménapiens procédaient tous des Cattes.
Il résulte du reste du témoignage de César que presque tous les peuples de la Gaule belgique étaient Germains d'origine, i^le^^osque Bel g as esse orfos ab Germanis; c'est déjà une présomption pour que les Ménapiens, habitants des marches extrêmes, le fussent. Ils étaient encore à cheval sur le Rhin, alors que depuis longtemps toute peuplade gauloise avait été refoulée vers le sud : autre indice remar- quable. Ils avaient aussi le caractère réfléchi et tenace des Germains et en donnèrent plus d'une
' Les Bataves n'eurent pas toute l'île qui porta leur nom, les Caninéfates en possédaient une partie, comme nous l'avons vu, mais l'importance politique des premiers était telle que Tacite n'hésite pas à leur prêter un rôle prépondérant et exclusif dans le passage que nous avons transcrit en note à la page précédente.
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fois des preuves, à rencontre cle ces Gaulois dont la versatilité était proverbiale.
S"ils s'allient de préférence aux Morins, nation maritime comme eux, c'est que vivant de la même vie, affrontant les mêmes dangers, ayant les mêmes habitudes, exerçant la même industrie, cette alliance s'imposait en quelque sorte d'elle- même. Ce serait pourtant une erreur de croire, comme on l'a prétendu ' , qu'ils ne se liguèrent pas avec les autres peuplades germaniques, notamment avec les Nerviens, les Aduatuques et les Eburons. Dans une circonstance mémorable, à la mort d'In- dutiomare, ils se coalisent avec les Trévires, les Nerviens, les Aduatuques et les autres Germains cisrliénans - ; ils accordent leur appui à Ambiorix et par l'intermédiaire des Trévires concluent un pacte d'alliance avec les Suèves '. L'adjonction des Ménapiens à ce groupe de peuples est un fait assez" significatif et plaide également pour leur origine teutonique.
Les études d'anthropologie ne sont pas d'un grand secours ici; en effet, si les cheveux blonds et les yeux bleus sont communs chez les Flamands d'aujourd'hui, tandis que les cheveux noirs et les yeux bruns abondent chez les Wallons, cela prouve tout simplement que la Flandre a été repeuplée par des Germains dont elle parle encore la langue, et c'est justement ce que nous prétendons en allé- guant que les Ménapiens y descendirent dès avant
' Nouvelles recherches, p. 18. « César, VI, 2. 3 César. VI, 5.
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le IV* siècle et repeuplèrent ces pays à peu près déserts. Que des débris de l'ancienne population gauloise, même antérieure aux Morins, s'y soient conservés, il n'y aurait là rien d'étonnant, et ceci donnerait l'explication de ces races de petite sta- ture, à cheveux noirs et à yeux bruns que l'on rencontre encore en certains endroits de la Flan- dre*, et dont M. Huyttens a décrit le type et les habitudes dans ses Études sur les mœurs, les super- stitions et le langage de nos ancêtres les Ménapiens (p. 30).
C'est évidemment à la même cause qu'il faut attribuer les désinences gauloises ou celtiques de certains noms de lieux, telles que Ganda, Torna- cum, Viroviacum , Cortoriacuni , Lisia, Scaldis , Noviomagus, Lugdiinum, etc.
Quelques savants, s'étayant d'un texte de Pom- ponius Mêla % se sont crus autorisés à soutenir qu'au point de vue ethnographique, les Morins étaient la dernière nation gauloise dans le nord,
* Ce serait une erreur de croire que les deux races se diutiuguaient par la couleur de leurs cheveux et de leurs yeux. Les Gaulois comme les Germains avaient les cheveux blonds et les yeux clairs. La plupart des ethnographes attribuent à la population noire ou brune de la Gaule une origine jiréceltique, quelques-uns même veulent la ratta- cher à la race ligure. « Eu réalité, dit M. Vanlerkindere, dans ses Recherches sur Vethnologie de la Belgique, il y a une proportion notable d'hommes petits et à chevelure foncée même dans les pro- vinces flamandes. Il n'est pas pei-mis de les rattacher à l'un des deux grands rameaux que l'histoire nous montre existants sur notre sol. Germains et Celtes, en effet, étaient blonds, c'est ce qui est hors de toute contestation. » (p. 48).
2 « Pertineutque ad ultimos Gallicarum gentium Morinos , nec portu quem Gesoriacum vocant quicquam habent notius. o Pompo- Hius Mêla, Be Gallia, lib. III, 2.
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par opposition aux Ménapiens de race germanique ; mais n'est-ce pas un peu forcer la note? A nos yeux l'expression ultimi hominu?n, renouvelée de Virgile et devenue proverbiale ' , a une tout autre portée et signifie que les Morins occupaient l'ex- trémité du continent de la Gaule, au-delà duquel on ne trouvait que quelques îles , domaine de rOcéan.
Il n'entre pas dans notre plan de rechercher si les Flamands forment une race distincte qui, anté- rieurement au VIP siècle, sous le nom de Fla7i- drenses, s'est implantée dans le pays entre la Lys et la mer du Nord et en a chassé ou absorbé la population ménapienne. Cette questionne se ratta- che en aucune façon au sujet que nous avions à traiter; elle est d'ailleurs fort complexe, et quand même on parviendrait à la résoudre, on n'aurait pas prouvé pour cela que les Ménapiens étaient ou n'étaient pas Germains d'origine.
Alph. de Vlaminck.
» it ExtremiquehominumMorini, Rlienusquebicornis. » Virgile, Enéide, VIII, v. 723.
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VARIETES,
Autorisation accordée a Antoine Kindt, d'exercer
SON ART et invention. 1611.
Les Archiducqz,
Chiers et féaulx, comme dez l'unziesme d'aoust dernier, nous avons pour le terme de dix ans accordé à Anthoine Kindt de povoir, à l'exclusion de tous ceulx ne l'ayans fait jusques alors, exercer son art et invention de graver avec diverses figures et ornemens toutes sortes de chamois et peuaux de moutons, ensemble toutes manufactures de lin, laine et sayette, selon que verrez plus particulièrement par les exemplaires de nostre ottroy que sur ce luy avons fait despescher. Allans cy-jointz pour en faciliter la puldi- cation, nous vous encliargeons de à le réquisition que vous en sera faite de la part dudit Anthoine Kindt les faire pu- blier par toutes les villes et lieux de notre pays et conté de Flandres oii Ton est accoustumé faire cryz et publications et à l'entretenement et observation de nostre dit ottroy procéder et faire procéder contre les transgresseurs et désobéyssans par Tex"" des paines y apposées sans aulcune faveur, port ou dissimulation, et ny faites faulte. A tant, chiers et féaulx, Nostre Seigneur vous ait en sa sainte garde. De Bruxelles, le XX*' de janvier 1611. G. V.
(Signé : Gerrez). ?
Publié au consistoire public du conseil le 7 sporcle 1611. (A nos chiers et féaulx les Prés, et conseillers de n^ conseil
^ ' '' {Corresp. Conseil de Flandre).
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L'abbaye de Soleilmont et la ville de Gand. — Nous comptons publier prochainement les pièces les plus importantes des archives conservées à Soleilmont *.
Il y aura là une large place pour le cartulaire de cette abbaye, désigné sous le nom (TEstot du Monastère.
En attendant que tout paraisse, nous en détachons deux titres de rentes, les seules pièces du recueil qui soient en langue flamande. Elles nous ont paru présenter de l'inté- rêt, non seulemeut pour l'histoire du monastère, mais aussi pour celle de la ville de Gand. Peut-être même, la numis- matique trouvera-t-elle à en tirer profit.
Commençons parle résumé ou l'analyse de ces pièces.
Pour subvenir à l'entretien des armées du duc de Bour- gogne, Charles le Téméraire, la ville de Gand consentit à lui prêter une somme de 30000 francs-à-cheval, autorisée par lettres patentes datées de Corbie, le 15 avril 1471.
La vente de rentes fut à cette époque un des moyens employés par les villes pour créer des ressources. Dans la circonstance présente, les magistrats de la ville de Gand résolurent d'en vendre pour une somme d'un rapport annuel de 400 livres gros de Flandre, remboursables au denier seize ou au-delà.
C'est dans ces conditions qu'un habitant de Lille, Etienne, fils de Jean de Moustier, acquit, au prix de 64 livres gros, une rente annuelle de 4 livres, payable par moitié le 1 novembre et le 1 mai.
» « Plusieurs auteurs font remonter à l'an 1088 la fondation de » l'abbaye de Soleilmont, située non loin de Fleurus. Ils ajoutent » que le comte de Namur, Henri dit l'Aveugle, et le pape Gré- » goire VlIT la favorisèrent de leur protection. C'était une maison .) de l'ordre de Saint-Benoît.
« En 1237, le monastère fut agrégé à l'ordre de Cîteaux et placé » sous la direction de l'abbé d'Aine. Une bulle du pape Grégoire IX 1) confirma l'institution et la mit sous la protection du Saint-Siège ), (1239;. » L. Devillers. Chartrier de V abbaye de Soleilmont.
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Dans l'acte constitutif de cette rente, il est stipulé que tous les biens, revenus et accises de la ville eu sont grevés ; et que le créancier pourra, en cas de non paiement, exercer des poursuites judiciaires aux frais de la ville, avec la faculté de faire une dépense journalière de trois gros pour chaque livre arriérée, et de payer le cinquième denier du même arriéré au juge, soit laïque, soit ecclésiastique, à qui il en aura appelé.
Cependant la ville pourra rembourser la rente au denier seize, sauf à opérer ce remboursement en florins de Bour- gogne ; six de ces florins équivaudront à 21 gros ; ils doivent avoir le poids et l'aloi de ceux que le prince fit battre au commencement de son règne, et qui sont à 19 carats, avec tolérance d'un douzième, et de 72 pièces au marc.
Le capital fut, en effet, remboursé à Etienne du Moustier, au mois d'octobre 1477; mais la rente fat constituée au profil de Catherine Tselleberchs, veuve d'Antoine Bruuschs, qui en gratifia l'abbaye de Soleilmont, où sa fille avait pris le voile.
Il ne sera pas inutile de faire remarquer le changement des conditions du remboursement dans cette nouvelle constitution de la rente. Ce remboursement doit être fait au denier vingt, mais la ville ne sera plus tenue de le faire avec la monnaie précédemment convenue ; il suffira de payer en monnaie courante du j o ur
Tel est le résumé des deux pièces dont nous communi- quons ici le texte.
Quatre livres de gros que nous doit la ville de Gand.
1471.
Allen den ghenen die deze présente lettren zullen zien of hooren lezen, schepenen van beede den bancken vander
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steede van Glient eiicle Leecle de dekenen over eiide inden name van liemlieden ende vanden gheraeenen lichame vander vorsz. stede saluut, doen te wetene dat unte dien dat omen t'hulpen te commene ende te helpen dragliene de groote ende excessive costen die al nu langhen tyt onze harde glieduchte heere ende princlie heeft moeten onder- houden en draglien ende conduite van zynder teghe woor- diglier wapeninglie tonderlioudene de zelve en te betaelne zyn vêle van wapenen ende andersins in diverssche manie- ren te zynder eeren, ter versekertlieden ende payse van zynen landen, lieerlicheden ende ondersaten, wy gliecon- senteert, en glieaccordeert liebben liberalic te vercoopene up over ende den ghemeenen lichame vander vorsz. stede de somme van vier hondert pondeu grooten sjaers vlaem- scher munten erflic te lossene den penninc zestiene of daerboven, omme metten penningben commende vander vorsz. vercoopingben te fyneerne ende leenene den vorsz. onzen harde gheduchten heere ende prinche de somme van dertich dusentich ryders te vier stelle grooten tsiars der vorsz. vlaemsche munten, waertoe de vorsz. onze geduchten heere ende prinche ons gheottroyert ende gheconsenteert heeft zyne opene lettren van ottroye ghegheven en zyne stede van Corbye, den vyftiensten dach van aprille int dit jaer eenentseventich naer paesschen lestleden, omme de vorsz. vercoopinghe te moghen doene naerden untwysene vanden zelve ottroye, so eyst dat wy by zade advyse ende consente vanden notabelen ende ghegoedden vander vorsz. stede over ons ende den ghemeenen insetenen derzelver teghewoordich ende toecommende vercocht hebben, ende by virtute van dezen vercoopen wel ende ghetrauwlic onzen gheminden Stevin de Moustier f Jans, te Ryssele, de somme van vier ponden grooten siaers eeuwelyker en erflyker renten vlaemsche munten, zullic als onze vorsz. gheduchte heere en prinche ende zyne naercomeren Graven
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en Graefvedinnen van Vlaendren zuUen doen ontfaen van liaren rentten en doumanien in Vlaendren ende dit omme de somme van viere en t'sestich ponden grooten der vorsz. munten die wy lienen vanden vorn. Stevin de Moustier als coopère ontfaen hebbende, ende bekeert in dat vorsz. es zo vare als zy hebben moglien streeken. Avelke vorsz. vier ponden grooten siaers eemvelycker ende erflycker renten wy beloft hebben en beloven by onzer trauwen ende eeren te betaelene vulcommelic den vorsz. coopère of den gheve- nen die cause, macht of updracht daer toe hebben zal, bringhere deser letteren of vidimus daer af onder zeghel auctentyc, te twie paymenten in elc jaer danof d'een heelft over d'eerste paeyment vallen zal den eersten dach van novembre on dit jaer duns' vier hondert een en tseventich eerstcommende, ende dander heelt over dander paeyment den eersten dach van meye int jaer XIIII" twee ende tseven- tich daer naer volghende ofte binnen vyftien daeghen naer elc paeyment onbegrepen by alzo dation ofte deghene die dlast vander vorsz. renten te betaelne vander vorsz, stede weghe van Ghend hebben zullen dies versocht zyn binnen derzelver stede by den vorsz. coopère of by den bringhere sbriefs of vidimus als boven, ende hebben hiertoe verbonden ende verbinden ons allen tsamen en elc van ons by zondere aile de ^ssysen, renten, revenuen, ende ander goed vander vorsz. stede van Ghend ende tgoed van elken van ons zon- derlinge ende van onzen naercomeren poorters der selver stede liggende en roerende, zowaer ende te wat steden die gheleglien zyn ofte bevonden zullen werden, de welke wy ghestelt ende ghehabandouneert hebben , stellen ende habandonneeren by dezen ter heerlyker executien van allen heeren, rechters, jugen ende wetten gheestelic ende weerlic omme by arreste van onzer ende onzer naercommers licha- men ende goede voerscreven, zo waer die bevonden zullen zyn an deze zyde of an ghene zyde vander zee of berchs, ons
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ende onzen naercomers te bedwingliene ter bethalinghen van den acliterstellen vander vorsz. zente met allen den costen die de vorsz. coopère of bringhere sbriefs by t'gbe- breke van paeymente hebben zoude ende boven dit hebben \vy geconsenteert ende consenteren by dezen evennare dat wy in ghebreke waren van eenicli vanden vorsz. paeymenten te betaebie naer dat wy ofte deghene die dlast van betaehie als boven hebben zullen vanden vorn. coopère of van den bringhere sbriefs of vidimus als boven deughdelic versocht zullen zyn dat hy ofte de vorsz. bringhere sbriefs ommere de vorsz. vyftien daghe naer elc paeyment leden zynde up der vorsz. stede ende onzer ende elken van ons ende onzer naercomers costzal moghen vertlieeren tewat plaetssen hem ghelieven zal toter vuller betalinghe vanden vorsz. paey- menten, elcx daeghs drie groote der vorsz. munten van elken pond groote dat men verachtert wezen zoude. Welke theere daent alzo ghemele, wy al nu kennen schuldich zynde ghelyc de vorsz. principale rente ; voort hebben wy hem gheconsenteert dat hy ofte de vorsz. bringhe sbriefs zal by ghebreke van paeymente moghen gheven in giften wat heeren dat hem ghelieven zal, gheestelic of weerlic, den vyfden penninc van dits wy verachtert wezen zouden omme ons ende onzen naercomers te bedwinghen ter betae- linghen vanden vorsz. achterstellen, costen ende ooc vanden vorsz. ghiften, zonder de zelve achterstellen yet te vermin- deren, ende hebben gherennunciert ende zyn afghegaen, renumcyeren ende gaen af als te dezen van allen gratien van costen ende respyten die wy zouden mogen impetreren van onzen heleghen Vader den paus, van onzen souverainen lieere den coninc van Vranckerycke , van onzen vorsz. harde geduchten heere ende prinche of haren naercomeren of van wat andren lieere dadt ware, gheestelic of weerlic, by causen van eeneghen lasten ons ondercommende, als van cruusvaerden, orloghen, heervaerden of andre, van
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allen privilegen glieimpetreert ofte impetreeren van al] en costumen, subtylheden, cautelen en exceptien, als dat wy de vorsz. peuninghen niet ontfaen te hebben noch bekeert in dat vorsz. es, van dat wy l)edrogen zonden zyn boven deu rechter heelft ende van allen andren bescudden die ons te baten oft den vorsz. coopère of bringhere sbriefs als boven tachterdeele comen zonden moglien in eenighe ma- nieren en zonderlinghe den rechte dat zooght, dat ghee- meene renuncyatie of verthien niet en dogt behouden dien en wel verstaende, dat besprec ende voorwaerde es, tus- schen ons ende dien vorsz. coopère int vercoopen vander vorn. somme van vier pond grooten sjaers eeuwelyker ende erflyker renten, dat wy of onze naercomeren, trege- ment vander vorsz. stede bebbende inden name vander zelver stede, zullen moglien de vorsz. rente quiten of coopen en lossen tallen tyden alst ons ofte ons naercomeren ghe- lieven zal, mids Avederglievende ende betalende voor elc pond groote erflic zestien ponden grooten .... wechdra- ghende zesse bourgoinsche guldenen voor ende twinticb stelle groote munte vorsz. zulcke van gbewichte en aloye als onze vorsz. gheduchten heere en prinche, corts naer tontfanghen van zyne vorsz. lande en graefscepe van Vlaen= deren, dede mnnten ende slaen binnen den zelven zynen lande, te weten neghentien carate fyn goud inghelsclie no])ele vanden coninc Heynric van Inghelant gherekent over fyn ten Xllsten deele vanden carate ter remedien van XXII int gbewichte vander troyschen maerc emmer naer tuntwysen vander instrnctien derzelver munten of de werdde van dien in andren ghelde, ende waert dat deze lettren by branden of andren meskiene bedorven,ghestolen, ghescuert of gliecrasseert worden en de vorsz. coopère of de ghene die rechte eu cause ter vorsz. rente hebben zoude, oorcondde by eede dat alzo ware, zo worden wy gehouden eene nieuwe lettre van gelyken inhoudene hem te ghevene
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. up zynen cost , in oorcondscepeu van welken dinglien hebbeu wy deze lettren gliedaen zegelen metten zeghele van verbande der vorsz. stede van Ghend. Ghemaect ende ghegheven iut jaer ons heeren dunst vier hondert een en tseventich den laetsten dach van Aprille, aen het original in parkement was hangende eenen zegliel in groen was met eenen dobbelen steerte en onderteeckent G. Staubrouc.
Lettre touchant la vente de quatre livres de gros que dessus, l'on s''at accorde qu'elle seroit remboursable au denier vingt en monyioye de Bourgoigne courante au temps du remboursement.
An allen den glienen die dese présente lettren zullen zien of horen lesen, scepenen en raed vander stede van Ghend saluut, doen te wetene dat naer dien dat Stevin Moustier Janssone, wonende te Ryssele, die \vy onlancledenbescre- ven hadden te commene of zendene by ons by den tréso- riers van deser vorsz. stede, overbringhende de lettren van verbande van vier ponden grooten siars vlaemschen munten erflic te lossene, die by tandien tyden cochte up dese vorn. stede den penninc zestiene, penninghe omme ons de zelve rente weder over thebbene ende hem te betaelne zyne principale somme ende penninghe vander vorsz. rente ende tghevallene crois verschenen toten eersten daghe van octo- ber nu lesleden, alzo wy uter name vander vorsz. stede dadt doen moghen ende in andre ghelyke rente te lossene by virtute van zekeren lettren van ottroye die wys hebben van onzen harden geduchten heere en prince, van den vorsz. trésoriers uter name van deser vorsz, stede, ontfaen ende ghehadt heeft zyne voorn. principale somme en coopscat ende ooc de ghevallene rente naer loop van tyde toten voorsz. eersten daghe van october ende also de principale lettren vander rente overghegheven ende in onzen handen
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ghelaten als niet meer reclits noch causen claer toe heb- beude, so eist da wy ter narendster bede ende versouke van zekeren notableu persoenen onze poortren, de voorsz. vier ponden grooten siaers erflic te lossene ende de gheele cause ende actie van diere overgbegbeven ende up gbedra- gen bebben ende by desen presenten dragben up ende gbeven over Katbelinen Tselleljercbs, weduwe van wyleu Antbonis Brunscbs^ onze poortersse, inden uame ende ten proffyte van den cloostre van Solyaumont, int land van Namen, vander ordene van Cbistiaux, daer Zoetin Brunscbs haer docbter religieuse ende professe inné es, met wiens penuiugben de voorsz. Stevin du Moustier gberembourseert ende betael beeft gbeweest vander lossinghe van derzelver rente ende verloope van diere zo voorsz. es, omme den voorn. cloostre of cause en actie vanden zelven cloostre hebbende, de voorsz. vier ponden grooten tsiaers erflie die altyts blj'ft staende te lossene en de payementen van diere
als die vallen, ende voort over ons ende over
onse naercomeren in den name .
verscbynen zullen van nu voort an te bebbene, beifene, iunene, ontfanc eu gebrukene svoorsz. cloosters proffyten en propregoede kenuende voort over ons ende over onse naercomeren in wette in den name vanden voorsz. stede dat de voorsz. Katbeline Stellebercbs, in den name van den vorn. cloostre, de somme ende de coopscat vander zelver rente gbesteet ende gbecocbt beeft elken penninc erflic te losseue up twinticb penningbe cens wecb dragbende en tgbuent dat datte meer beloopt dan den penninc zestiene also de voorsz. Stevin die gbecocbt badde ende dat de begbingbe van dien bekeert es int proffyt en zaken vander voorsz. stede dies bebben wy over ons eu de onse naerco- meren inden name van deser zelrer stede gbereserveert ende besproken metten voorsz. Katbeline, in den name vanden vorn. cloostre, dat wy of onse naercomeren ter
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lossinghe vandeu voru. vier ponden groote tsiaers zuUen ontstaen met te betaelne en over te legghene voor elc pont groote erflic twintich ponden groote eens wecli draghende ende ghevallene rente verschenen toten daghe vander zelver lossinghe in zulken ghelde als dan ghe- meenlic cours ende ganc hebben zal binnen der lande van Vlaendren, zonder in de zelver lossinghe de voorsz. stede gehouden te wesene de voorsz. lossinghe te doene met zes bourgoinsschen guldenen voor een en twintich scelle groote, hoewel dat de voni. principale lettren vanden zelven vier ponden groote siaers daer dueur onze lettren gheintweert zyn, mencioen maken, de zelve lossinghe te doene met zes boiirgoinsche guldenen te zulken pryse als vorsz. es, van welken verbande in dat point de vorsz. Katheline inden name vanden vorsz. cloostre af gheghaen es en gherenunciert by desen ghegheven in kennessen der waerheden onder den zeghel van zaken der vorsz. stede van Ghend, den derden dach van octobre int jaer ons heeren dunst vier hondert vier en tseventich. Het original lettren was bezeghelt met eenen grooten zeghele in groen wasse ende dobbelen steerten van parkemyne ende gestoken duer de principale lettre, aldus geteekent : Smiteee.
M. Van Spilbeeck, Directeur des Dames Bernardines de Soleilmout.
Catalogue descriptif et historique du musée royal DE Belgique (Bruxelles) précédé d'une notice histo- rique sur sa formation et ses accroissements , par Edouard Fétis, b" édition, Bruxelles, 18S2. — Ce cata- logue, très bien fait, qui peut servir de modèle, est précédé d'une notice intéressante sur le Musée des tableaux,
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laquelle n est pas toujours flatteuse pour les administra- teurs anciens. Il contient de précieuses indications sur Torigine et l'histoire de chaque tableau, sur les diverses attributions, le sujet représenté, les signatures vraies ou fausses qu'on y peut lire, les gravures qui en existent, en un mot tout ce que contiennent les catalogues modernes les plus complets.
Au n" 27 nous rencontrons un portrait de prix, celui de Thomas Morus, par Holbein, qui a appartenu à l'hôpital de la Byloke à Gand, au siècle dernier. Comment en a-t-il été enlevé pour passer à Bruxelles? C'est ce qu'aucun document ne fait connaître.
Une autre œuvre également d'origine gantoise, c'est le n" 19, Adam et Eve, des frères Van Eyck, les célèbres fragments de la grande composition de l'Agneau mystique de l'église Saint-Bavon à Gand. L'acquisition de ces deux volets par l'État a eu lieu moyennant V le payement de 50,000 francs destinés à des verrières, 2° l'abandon par l'État de six volets de l'Agneau mystique peints par Michel Coxcie, 3° l'exécution aux frais du gouvernement de copies des volets d'Adam et d'Eve faites pour rétablir en son ensemble l'œuvre des frères Van Eyck. Les six volets de Michel Coxcie, qui sont des copies ayant appartenu à la collection de Guillaume II, remplacent « les volets qui » furent, dit M. Fétis, vendus à vil prix en 1819 par les » administrateurs de l'église à un spéculateur qui les fit » passer à l'étranger. Ils sont aujourd'hui au Musée de » Berlin. » Ajoutons que ces « administrateurs de l'église » cathédrale, étaient MM. les chanoines Lesurre et De Volder, et transcrivons le texte de la quittance délivrée à l'acheteur : Ontvangen , y est-il dit, van Myyiheer L.-J. Van Nieuwenhuyze dry duyzend guldens courant tôt voldoening van zes stuks deur schilderyen aen hem afgeleverd. — Gent, 19 december 1819. — De Volder.
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Les pièces du procès qui a été intenté par la Tille de Gand aux deux chanoines vendeurs reposent aux archives de la ville. Des extraits en ont paru dans la Belgique judi- ciaire, XXII, p. 237, et XXVII, p. 1215.
Une autre toile du Musée qui a également appartenu à Gand, c'est le no 406 : le Seigneur voulant foudroyer le monde, de Rubens. A la fin du siècle dernier cette toile ornait le maître-autel de l'église des Récollets de Gand, sur l'emplacement du palais de Justice actuel. Elle fut transportée au Musée du Louvre, sous la première répu- blique, et si elle s'y fut encore trouvée en 1815, lorsque les alliés reprirent les chefs-d'œuvre dont la France avait dépouillé les pays conquis, elle eût sans doute été restituée par le roi Guillaume à la ville de Gand. Mais cette toile avait fait partie du premier envoi que le Musée de Bruxelles reçut de l'administration centrale en 1802. La capitale tient donc cette œuvre de la conquête française, au préju- dice de Gand.
Voici du reste un document curieux (jui se rattache à l'enlèvement de ce tableau et d'une autre toile (nous igno- rons laquelle) de l'ancien couvent des Récollets, l'an II de la République :
« Deu onderschreven guardiaen der PP. Minderbroeders Recolleeten binnen de stadt Ghendt verklaert geinsinueert te syn en ontfangen te hebben, eene requisitie van de mu- nicipaliteyt der selve stadt Ghendt door Petrus Pauwels, messagier van de voorseyde municipaliteyt, quart voor den negen uren s'avondts, ora uyt onse kercke te laeten volgen twee schilderyen, verklaerende daer en boven dat de voor- seyde schilderyen op hedent tusschen drye en vier uren naer noene syn afgedaen door baes Schryvere en syne knecht en door orders van eenen franschen borger, die syne commissie gevraegt synde , niet en heeft gethoont, en de voorseyde schilderyen savonds outrent ten seven uren, ver-
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geselscbapt synde van eene gewapende waclit, heeft komen halen en doentransporteren, soo hy>eyde, naar liet bisdom. » Actum desen elfsten fructidor, liet tweede jaer der fransclie Republycke.
» F. EuPLiANiTJS DE Belz, guard. »
Les communes vérités dans le droit flamand, tel a été le sujet du discours prononcé à l'audience solennelle de rentrée de la Cour d'appel de Gand par M. le procureur général Lameere, et qui vient d'être publié [Belgique judi- ciaire, 1882, p. 1521). L'année précédente le savant procu- reur général avait pris pour sujet de son discours : Le recours au chef de sens dans le droit flamand, et en 1881 : Du formalisme du droit flamand au moyen âge. Tous les amis des études bistoriques, tous ceux qui sont désireux de voir se répandre le goût et la connaissance de notre passé doivent applaudir au cboix fait de M. Lameere de sujets puisés dans Tbistoire de notre législation au moyen âge, et liront avec plaisir ses excellents discours, qui forment cbacun une étude complète, puisée aux sources mêmes. Il y a une trentaine d'années, M. le procureur général Raikem donnait pour l'ancien droit liégeois l'exemple que M. La- meere suit aujourd'bui pour la Flandre, et on lui doit une série de discours qui ont conservé pour l'étude de la légis- lation de Liège au moyen âge une valeur impérissable. Il en sera de même des discours de M. le Procureur général de Gand. A. D.
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CHRONIQUE.
Vekte Hamilton. Londres, juin et juillet 1882. — La vente des collections du palais Hamilton rappelle par les hauts prix atteints une vente qui a passionné tout Paris il y a quelques années, celle des collections du comte Pourtalès ; les collectionneurs s'y étaient également donné rendez-vous, et semblent avoir mis le même en- train pour ne pas laisser échapper les trésors qu'ils convoitaient ; les objets d'art sont en ce moment de mode, ils atteignent des prix que l'on réservait jadis seulement aux tableaux, et ils font peut- être tort à ceux-ci.
Les collections d'Hamilton comprenaient des tal)leaux, des meu- bles, des objets d'art, des porcelaines, des miniatures, etc., mais leur possesseur qui avait une prédilection pour les meubles du XVIIe et du XYIII' siècle, possédait peu d'objets antérieurs à cette époque.
Toutes les écoles étaient représentées, peut-on dire, dans la ga- lerie des tableaux ; en fait de maîtres allemands il y avait des Hol- bein, des Diirer; parmi les maîtres flamands, on comptait les meilleurs, Van Dyck, Rubens, etc. Les Teniers de la collection ont été peu appréciés, il y avait quelques beaux Steenwerck.
Les Yan Dyck n'ont pas atteint des prix bien élevés, sauf le por- trait de la princesse de Phalsbourg, sœur du duc de Lorraine, qui a été payé 2,100 livres sterling; les deux portaits de Charles I ont été payés l'un 808 liv., l'autre 997 liv.
Il y avait bon nombre de Rubens ; son Daniel dans la fosse aux lions a été payé 4,900 liv., quoique le mérite de ce tableau ait été discuté par certains critiques d'art.
Des Centaures, du même maître, 2,100 liv., et la Naissance de Vénus, 1,680 liv.
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Un tableau de Van Huyssum (groupe de fleurs dans un vase, n° 30 du catalogue) a atteint le prix de 1,228 livr.
Un paysage d'Hobbema (n^* 49); 4,252 liv.
Ostade, Scène de Cabaret (n-^ 37); 1,837 liv.
Un portrait de Rembrandt (n° 29); 703 livr. Les portraits de Durer et de Holbein n'ont pas atteint ce prix.
Les meubles réunis dans cette collection formaient la principale attraction de la vente ; le prix atteint par quelques-uns d'entre eux donnera une idée de la vogue dont ils jouissent actuellement.
N° 174. Cabinet Louis XIY, par Boule; 2,205 liv.
Un ameublement style Louis XVI, composé de trois pièces, a été divisé ; c'était un travail de Biesener, avec ciselures, par Gouthière, il avait été fait pour la reine Marie Antoinette. — Le secrétaire (no 301), portant la date de 1790; 4,400 livr.
La commode (n° 302) datée de 1791; 4,100 livr.
La table à cerise (n« 303) ; 6,000 liv.
N° 517. Commode Louis XV avec panneaux en marqueterie; le chiffre royal sur la serrure ; 3,560 liv.
N" 528. Commode Louis XVI en marqueterie ; 2,290 livr.
N» 1296. Cabinet Louis XVI en ébêne incrusté de laque noire et or, monté par Gouthière ; 5,200 liv.
N° 1297. Secrétaire Louis XVI, ébêne incrusté de laque noire et or , par Gouthière , au monogramme de Marie Antoinette ; 9,000 liv.
N° 1298. Commode Louis XVI, en ébêne avec panneaux de laque incrustée d'oiseaux et plantes • en or sur fond noir du même ; 9,000 liv.
N° 1286. Un bureau et commode en ébêne ; 3,050 liv.
N» 1806. Une commode Louis XV, en marqueterie, monture en bronze; 5,900 liv.
N" 982. Table carrée pour jeu d'échecs, en fer damasquinée, pro- venant de la collection Soltykoff, a été payée 2,000 liv.
N" 297. Une pendule Louis XVI , par Robin , cadran émaillé ; 630 liv.
Quelques émaux ont atteints aussi des prix fort élevés.
N» 970. Un plat ovale en grisaille, sur fond noir relevé de dorure, dont le milieu représentait le festin des dieux d'après Raphaël (émail de Limoges; 1,150 liv.
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N" 973. x'^doration des Mages, signé Pénicaud; 1,265 Hv.
N» 977. Triptyque avec sujets religieux, par Nardon Pénicaud ; 1,265 liv.
Les objets d'art, les miniatures étaient représentés dans cette collection par queli^ues spécimens remarquables.
N° 488. Une aiguière de jaspe avanturine avec anse richement ciselée et montée en or ; 2,280 livr.
N° 187. Table oblongue en porphjTe égj'ptien antique sur pied, en bronze doré ; 9-45 liv.
N° 191. Buste de l'empereur Auguste, en ancien porphyre égyp- tien; 1,732 livr.
N" 160. Deux bouteilles en jaspe vert pâle avec fleurs incrustées ; 1,522 liv.
N° 2164. Une tête laurée d'Auguste, camé en onyx ; 840 liv.
N°* 1529-1530. Deux émaux de Petitot, portraits de J. de Lulli et de Louis XIV, ont été adjugés pour 81 livr. et 66 livr. Le portrait du duc de Bourgogne, par le même, a atteint le prix de 650 livr.
N" 1615. Le portrait de Jacques II, par Hilliard; 2,200 liv.
N° 1598. Le comte de Sandwich, par S. Cooper ; 255 livr.
En fait de céramique , il y avait une fort nombreuse collection de porcelaines du Japon et de Chine, des Sèvres et autres.
N" 162. Deux vases en porcelaine de Sèvres, fond bleu, monture en or moulu, ciselure en haut relief, par Gouthière ; 1,680 liv.
N° 1003. Les Saisons. 4 bustes emblématiques en vieille faïence de Rouen, par Vavaseur; 2,250 liv.
N" 509. Vase avec couvercle en vieux Sèvres, fond turquoise, avec bandes et festons en blanc et or, entourant un médaillon avec figures; 1,510 liv.
N'^ 1698. Figure de Triton sur socle, par Handler, directeur de la fabrique royale, à Meissen, 1731; 61 liv.
N° 919. Une aiguière cannelée avec bassin, faïence de Nevers; 148 liv.; le pendant 105 liv.
La porcelaine du Japon et de la Chine occupe une large place dans ces collections, citons quelques chiffres d'adjudication :
N° 122. Deux vases mandarins, à fond noir, feuillage eu relief; 1,239 liv.
Deux vases à couvercle, emaillés de fleurs et ornements de cou- leur verte; 900 liv.
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N° 1-17. Un coffre ohlong en vieux laque du Japon, noir avec l^aysage d'or en relief, qui avait appartenu à l'empereur Napoléon I. 735 liv. .
N"» 348. Deux vases de Chine vert céladon ; 810 liv.
N° 466. Deux jarres mandarines, avec figures et paysages ; 578 liv.
Un vase en émail de la Chine, décoré de bandes dorées ; 200 liv.
La vente s'est terminée par les livres et les gravures; cette partie était la moins intéressante; un Aide aux armes de Grolier a été payé 250 liv.
La vente a rapporté eu tout la somme de 10,714,175 francs.
La librairie Remington a publié un splendide catalogue de cette collection, avec prix d'adjudication, il est orné d'une cinquantaine de gi'avures, il est intitulé : The Hamilton Palace collection, Illus- trated py-iced catalogue. London, Remington, 1882, in-4" de 244 pag. avec 59 planches.
Le Triomphe de l'église chrétienne sur la synagogue. Tableau DE Hubert Van Eyck, copié par M. Frans JSIeerts. — Il y a envi- ron six à huit mois, le gouvernement a chargé M. Frans Meerts d'aller copier, au Musée de Madrid, un tableau que les connaisseurs (lui ont eu la bonne fortune de l'examiner, ont diversement attril)ué à l'un ou à l'autre des frères Van Eyck.
M. Meerts a, depuis lors, rempli sa mission, et sa coj)ie a été expo- sée au Musée royal de peinture, à Bruxelles (salle flamande).
« N'ayant pas visité le Musée de Madi-id, il m'est absolument im- possible d'émetti'e un avis sur la valeur de ce travail, en tant que coj)ie. Mais ce que je puis dire, c'est ce que des personnes compé- tentes qui ont vu l'original, déclarent la copie en tous points remar- quable, que le faire minutieux des gothiques y est scrupuleusement étudié et imité, et que le caractère des différents personnages du tableau, caractère que nous révèle si nettement la belle photographie éditée par la maison Brauu et C'«, paraît aussi avoir été compris ^ saisi et reproduit très délicatement. Du reste, Meerts est passé maître en ce genre de travail et les belles copies italiennes que nous avons vues de lui et dont nous avons pu apprécier le mérite et la fidélité sont également là pour témoigner en faveur de la copie nouvelle. »
H Le tableau représente le Triomphe de Véglise chrétienne sur la
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synagogue et il offre avec le célèbre rétable des frères Tan Eyck, à Gand, un indéniable air de famille. »
« La disposition générale est à peu près la même, avec cette diffé- rence, qu'ici les divers personnages du poème sont étages sur trois rangs, tandis qu'à Gand ils ne le sont que sur deux. Dans l'un comme dans l'autre des deux ouvrages le Maître de l'univers, aj^ant à ses pieds l'Agneau mystique , domine triomphalement le sujet principal qui se déz'oule à ses pieds; à ses côtés, sont assis, la Vierge Marie et Jean l'Evangéliste ; enfin, les enfants de chœur, revêtus de riches costumes ecclésiastiques, célèbrent sa gloire par des canti- ques qu'accompagnent les accords de l'orgue, de la harpe et des violes. »
» Un décor d'architecture gothique, surmonté de trois ■flèches d'église, travaillées à jour, sert de cadre à l'ensemble de la com- position. »
« La fontaine sacrée, source de la Rédemption, divise en deux parties égales la zone inférieure du tableau, à Madrid comme à Gand. A sa droite, le pape et l'empereur, agenouillés avec d'autres person- nages laïques et religieux, représentent les diverses autorités ayant concouru à l'établissement de l'église chrétienne; à sa gauche, le groupe succombant et fuyant des rabins et des docteurs de l'église juive. »
M Quel est l'auteur de ce curieux rétable, fort probablement un des plus anciens spécimens de ce qu'était l'art de la peinture en Flandre pendant les quinze ou vingt premières années du XV* siècle? On ne possède aucun document concernant le nom du peintre, celui du personnage qui commanda l'œuvre, ni la date précise à laquelle elle fut exécutée. »
« Passavant, qui a vu le tableau, croit qu'il est de Hubert Van Eyck, l'aîné des deux frèi-es; Cro\\-e et Cavalcaselle, qui l'ont vu également, le donnent à Jean, le second; Alfred Michiels, qui ne l'a pas vu, dit qu'il est des doux fz'ères et de la sœur réunis (!). Les quatre auteurs, au surplus, sont unanimes pour célébrer sa magnifi- cence de couleur, de dessin et d'exécution : a Couleur brillante et harmonieuse , exécution soignée , dessin délicat , œuvre qui tout entière trahit la main d'un maître ", dit Passavant; « splendide dessin, coloris vigoureux, exécution puissante..., une des plus belles productions de Jean Van Eyck », disent Crowe et Cavalcaselle.
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Quant à Michiels, qui n'a pas vu l'œnvre, il répète comme siennes les appréciations des auteurs précédents, en ajoutant malicieuse- ment « qu'il a vu avec un extrême plaisir la concordance de leur opinion avec la sienne. »
« A ces diverses appréciations j'en ajout ex'ai une nouvelle, due cette fois, non pas à un écrivain, mais à un artiste, à un peintre ; comme on va le voir, elle diffère essentiellement des opinions précédentes^ C'est l'appréciation d'Emile Wauters, notée à ma demande, il y a quatre mois, devant le tableau même. »
« L'œuvre, m'écrit mon frère, passe ici pour un Jean Yan Eyck. Elle est certes curieuse à suivre, intéressante à interroger; mais sous le rapport du dessin, de la couleur et de l'exécution, c'est, en somme, un panneau très inférieur parmi les vraies grandes œuvres du XV" siècle flamand. »
i< Seule, l'imagination dont fait preuve l'auteur dans la présenta- tion du sujet frappe et retient. Mais quelle dureté dans la facture! Quelle sécheresse métallique, aussi matérielle dans l'architecture et les ornements que dans les chairs et les vêtements : sécheresse des tons, qui sont heurtés, sans finesse et sans harmonie. »
« Oià est ce pinceau si onctueux, si velouté, si gras, que révèlent les tableaux authentiques de Jean Yan E^^ck qui sont à Bruges, à Gand, Berlin, Paris, Londres, Francfort et Dresde?... Où sont ses chaudes colorations et son exécution souple et fei'me? Est-ce là une œuvre de celui qui possédait la plus puissante, la plus raiïinée et la plus riche palette du XY« siècle? Est-ce là un Jean Van Eyck?
» Non ; pour ma part, je ne le crois pas. »
« Cette opinion, étudiée et pesée, froidement réfléchie et émise par un juge compétent en la matière, est confirmée, sous tous les rap- Xiorts, par la copie de Meerts. Elle renverse, je pense, définitivement l'attribution du tableau de Madrid à Jean Yan Eyck. »
« Passons à Hubert, à Hubert seul, car la collaboration des deux frères que quelques auteurs ont érigé en système, en se basant sur celle, toute fortuite, du rétable de Gand, ne résiste pas à l'examen. »
« Les documents peints , authentiqués par une inscription quel- conque nous manquent complètemant pour refaire à Hubert un catalogue parmi les centaines de tableaux gothiques flamands inno- més que l'on rencontre à chaque pas dans les musées de l'Europe. Ou lui a quelquefois donné — très arbitrairement — un portrait
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par-ci, un saint Jérôme par-là. Mais rien n'est venu appuyer ces hypothèses imaginaires. Jusqu'ici nous manquons donc essentielle- ment de base, de point de comparaison pour pouvoir dire d'un tableau : ceci est l'œuvre d'Hubert Van Eyck. »
« Si le nom de cet artiste est parvenu jusqu'à nous, il le doit à V Agneau mystique, à V Agneau 7nystigue seul. En effet, le rétable de Gand mentionne dans l'inscription de son cadre que Hubert « com- mença » le tableau et que Jean l'acheva. »
« Ce n'est pas ici la place d'examiner ce sujet trop spécial de la part qui revient à chacun des deux frères dans l'exécution du fameux polyptique. Les aperçus nouveaux que nous avons à émettre sur cette question déjà si discutée, nous les réservons pour une notice intitu- lée : Hubert Van Eych, étude historique et critique, et qui sera publiée dans quelques jours. »
« Bornons-nous à dire aujourd'hui que l'unique base que nous pos- sédions et qui puisse nous mettre sur la trace d'Hubert est la com- position de V Agneau mystique, le groupement des personnages, leurs attitudes, le jet de leurs draperies, travail qui appartient incontes- tablement à l'aîné des frères, puisqu'il est reconnu que, seul, il commença le tableau. «
0 Or, l'esprit et l'ordonnance ds la composition de l'Agneau, les attitudes des figures principales, l'aiTangement caractéristique de leurs vêtements se retrouvent avec une indiscutable analogie dans le tableau de Madrid, tableau qu'il n'est pas possible au surplus de rattacher ni par le style, ni par le faire, ni par l'aspect de couleur à l'œuvre d'aucun maître connu du XY<* siècle. »
« Le seul auquel il puisse donc être attribué avec quelque vrai- semblance est Hubert Van Eyck. »
« Et ainsi nous nous expliquons comment les chroniqueurs du XV^ et du XVI" siècle ne parlent pas plus d'Hubert que s'il n'avait pas existé ; comment son nom n'est cité nulle part avant Guicciardini (1567); enfin, comment Albert Durer — un bon juge, celui-là — dans le journal de son voyage aux Pays-Bas (1520-21), où il men- tionne les noms et les travaux de Jean, de Van der Weyden, de Vander Goes, de Memling, de Gossart, de Metsys, ne dit pas un mot qui puisse faire supposer l'existence de Hubert. C'est qu'en efiet, le Triomphe de l'église chrétienne sur la Synagogue est un talileau qui révèle un artiste d'un mérite très secondaire. S'il nous montre un
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metteur en scène habile, il dénote, par contre, un exécutant peu intéressant, un dessinatur sans caractère, un coloriste médiocre, en somme, un artiste n'ayant aucun titre pour prendre place dans \e cénacle des grands peintres flamands du XV* siècle. »
« Si son nom, inscrit sur le cadre de V Agneau mystique, passe avec éclat à la postérité, c'est au génie de son frère qu'il le doit. Celui-là seul a droit au titre glorieux de père de la peinture flamande et de chef de cette école fameuse dont Fromentin a dit, avec tant de rai- son, qu'il semblait qu'elle ait fait dire à la peinture son dernier mot et cela dès sa première heure. »
« Le tableau de Van Eyck n'est pas le seul tableau dont le Gou- vernement ait commandé la copie. »
« M. Lambrichts a copié le Portrait du bouffon Pejeron, une œuvre hors ligue, paraît-il, et qui passe pour le Capo d'opéra d'Antoine Mor, ce magnifique portraitiste que l'on ne peut apprécier qu'après avoir vu les musées de Madrid et de Vienne. »
« M. C. Meunier copie, à Séville, la Descente de croix d'un peintre flamand espagnolisé, Pierre de Kempener, dit Pedro Campana. »
« M. De Kesel copie, à Turin, les Enfants de Charles I, de Van Dyck, œuvre cai)tivante, exquise de coloris, de distinction, de grâce enfantine. »
« Sous peu de jours, sans doute, nous aurons l'exposition de la copie de M. Lambrichts, qui a été livrée par son auteur. En attendant, il y a lieu de remercier le gouvernement de nous avoir mis à même d'examiner le très remarquable travail de M. Meerts. Cette question des copies est très discutable, et on ne saurait la discuter avec fruit si. avant l'emmagasinement de ces peintures dans les réserves de la direction des beaux arts, on ne les plaçait sous les yeux du public et de la critique. »
A. J. "Wauters.
Vente de la bibliothèque Sundeeland. — Cette bibliothèque, réunie en grande partie vers le commencement du siècle dernier par le comte de Sunderland, et devenue la propriété de la famille des ducs de Marlborough, était conservée au château de Neuheim, que le fameux duc devait à la reconnaissance nationale. Les premières enchères eurent lieu au mois de décembre dernier; il y a eu trois Béances depuis lors ; une cinquième aura lieu en avril 1883. Il y avait
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là (les livres des plus rares et des plus précieux, c'était une des collec- tions les plus riches qu'ait jamais formées un particulier. Les cata- logues sont dressés dans l'ordre alphabétique, ce qui est l'usage en Angleterre. Les bibliophiles et les grands dépôts littéraires se sont disputés toutes ces richesses avec un véritable acharnement : le Musée britannique y a fait d'importantes acquisitions ; les enchères
ont fait monter les prix à un taux fort élevé.
Emile V...
Sedulitts de Liège, par Henri Pirenne *. — Nous rendons compte ici d'un simple opuscule, il est vrai, mais d'un opuscule dont les soixante-douze pages sont du plus grand intérêt sous le rapport de l'histoire et de l'histoire littéraire. Sedulius de Liège est un poète ii'landais, qui chassé de sa patrie par l'invasion normande, passa sur le continent et fut accueilli par l'évêque de Liège Hartgar au milieu du IXe siècle. Ce IX^ siècle, dit l'auteur, qui fut partout un siècle de progrès, paraît à Liège ne compter pour rien, parce qu'on ignore son histoire. Sedulius, bien que n'étant pas chroniqueur mais poète, retrace cependant partiellement l'histoire de Liège au IX« siècle; voilà comment il se fait que ses écrits, retrouvés à la bibliothèque royale de Bruxelles, sont précieux à un autre point de vue que celui de la forme littéraire. Le manuscrit des oeuvres de Sedulius, le seul connu, contient quatre-vingt dix-sept pièces, qui ne constituent peut-être pas l'œuvre complète; une partie a déjà été publiée par M. Emile Grosse, à Kœnigsberg, et par Ernest Dùmmler, à Halle. M. Pirenne publie en appendice les poésies qui n'avaient pas encore vu le jour jusqu'ici et y joint un fac-similé du manuscrit.
L'auteur n'a pu découvrir l'époque de la naissance de Sedulius, ni celle de sa mort; ce poète s'était tellement identifié avec sa nouvelle patrie, son nom est tellement lié à l'histoire littéraire liégeoise du IX« siècle, qu'au lieu de l'appeler Sedulius Scottus, on
peut bien l'appeler avec raison Sedulius de Liège.
Emile V...
* Pages 72. Extrait des Mémoires de V Académie royale de Belgi- que, in-S", tome XXXIH.
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Maison dv Roi a Bruxelles. — Rapport présenté, au nom du collège et de la section des travaux publics, par M. l'écherin Wal- ravens. — Dans sa séance du 17 décembre 1879, la Section des travaux publics, après avoir examiné les plans présentés par M. Ja- maer, architecte de la ville, a émis le vœu que la Maison du Roi soit achevée et complétée suivant les données fournies par une étude comparative des monuments du même style et de la même époque. Elle a désigné une commission composée de trois de ses membres, MM. Beyaert et Trappeniers, pour examiner le travail de M. Jamaer. Cette Commission nous a remis le rapport suivant ;
Messieurs,
La Commission chargée de l'examen du projet rédigé par M. Ja- maer, architecte de la ville, pour la reconstruction de la Maison du Roi, s'est occupée de l'étude de ce pi'ojet en se basant sur ce prin- cipe, qu'elle croit devoir être admis : qu'il convient, non seulement de rétablir cet édifice remarquable dans l'état où il était avant la démolition, mais même de le compléter selon le projet adopté par ' ses fondateurs à l'époque de sa construction pi-imitive ; en un mot que la Maison du Roi devait être reconstruite telle que l'avait proje- tée, en 1515, son éminent architecte Antoine Keldermans.
Ainsi, chacun de nous peut se rappeler qu'il existait à la façade de cet édifice, au rez-de-chaussée et au premier étage, des naissances de voûtes des nervures et des œillets d'ancrages en fer, indiquant d'une manière certaine l'intention de construire des galeries cou- vertes longeant toute la façade au rez-de-chaussée et au premier étage. Les fouilles du sol ont de plus mis à découvert les fondations de ces galeries ; il ne peut donc y avoir aucun doute sur ce point.
Mais la commission, afin de bien fixer son appréciation, a cru devoir, en outre, demander à M. Wauters, archiviste de la ville, de l:)ien vouloir rechercher dans les archives tous les plans ou docu- ments qui pourraient aider à la rédaction du projet.
M. Wauters, avec la grande compétence que nous lui connaissons, a fait les recherches les plus minutieuses. Il n'a découvert aucun plan, aucun dessin datant de l'origine de la Maison du Roi (ancienne Maison de pain), mais il a trouvé, aux archives du royaume, des documents curieux relatifs à cet édifice. Yoici le rapport de M. Wau- ters, avec les conclusions qu'il a tirées de l'examen des documenta dont il s'agit :
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« La Section des travaux publics, par l'intermédiaire de M. Gode- froy, conseiller communal, m'a fait demander s'il existait quelque preuve écrite du projet que l'on aurait eu anciennement de décorer la Maison du Roi d'une tour.
» Après avoir relu ce que j'ai écrit à ce sujet, il y a près de qua- rante ans, dans le Messager des Sciences historiques, recueil qui paraît encore à Gand, j'ai revu les documents oîi j'avais puisé mes renseignements et qui se trouvent aux archives du royaume, dans la coUectien dite de l'Ancienne chambre des comptes.
» Ce qui suit est le règlement adopté pour la construction de » l'édifice appelé la Maison au Pain..., et cela comme on a commeucé » à le bâtir sous la direction de maître Antoine Keldermans, de » bienheureuse mémoire. »
Au premier article, on trouve ce qui suit :
o En premier lieu et en ce qui concerne le grand escalier, on » l'établira de manière à y faire une tour, comme le modèle l'in- )' dique ; les murs resteront épais, dans leur nudité (c'est-à-dire non » compris les saillies), de deux pieds et demi, et, au milieu, au tra- » vers de l'escalier, ovi viendra le clocher ou campanile (spille), on » élèvera un mur et de même encore deux maete (mot dont j'ignore » la signification) à côté, là où viendront les bollen, de grandeur et » de largeur suffisantes. ».
« Quelle que soit la signification des mots dont le sens reste indé- cis, il est évident que, dans la pensée des architectes de la Maison du Roi, l'édifice devait avoir une tour surmontée d'un clocheton.
n Dans le même document, à la fin, on dit encore que, au milieu du bâtiment, il y aura une bretèque {pnge), avec six degrés, pour lesquels on emploiera les deux pilliers du milieu de la galerie.
» Ainsi donc, encore une fois, on voulait orner l'édifice d'une galerie.
» Voilà, ce me semble, des arguments assez sérieux, surtout si on
les attache aux vestiges de constructions qui ont été mis à découvert.
» L'' Archiviste communal,
» (Signé) Alphonse Wauters. » 3 décembre 1881.
De ces documents résulte, non seulement la confii'mation du projet de construire les galeries longeant la façade et dont il est fait men- tion ci-dessus, mais encore l'intention formelle d^ériger un clocher ou campanile au-dessus de l'entrée centrale, établie en bretèque.
— 501 —
C'est d'après ces données que M. l'architecte Jamaer a rédigé son projet. La Commission a consacré plusieurs séances à examiner ce projet dans tous ses détails, et, à l'unanimité de ses membres, elle émet l'avis : qu'il convient de rétablir les galeries du rez-de-chaussée et du premier étage, disposées devant la façade principale, et dont on a retrouvé les fondations dans le sol, les naissances des nervures des voûtes contre la façade ainsi que des œillets en fer des ancrages ; qu'il y a lieu d'établir la bretèque centrale avec tour projetée au X7Ie siècle par Antoine Keldermans.
Les étages supérieurs de la tour recevraient un carillon qui se ferait entendre pendant les fêtes et les réjouissances publiques célé- brées sur la Grand'Place.
La Commission estime que dans l'étude définitive il faudrait tenir compte de certaines modifications qui lui ont été suggérées par l'examen des plans avant-projet.
Ainsi les fûts des colonnes de la galerie du rez-de-chaussée de- vraient présenter moins de hauteur.
Les rédents fixés aux arcades des galeries seraient supprimés.
La bretèque devrait avoir plus d'encorbellement à la hauteur de la corniche du bâtiment et la tour devrait retraiter d'une manière moins sensible sur la largeur de la bretèque qui lui sert de base ; la terminaison de la tour devrait être remplacée par une disposition mieux en rapport avec le style de l'architecture de cette époque.
Les surfaces bâties de la bretèque et de la tour seraient plus compactes, plus remplies, afin de se rappprocher davantage de la structure donnée à la tour de l'hôtel de ville d'Audenarde, érigée à la même époque par l'architecte Henri Van Pede, le même qui fut chargé de la construction de la Maison du Roi après la mort d'An- toine Keldermans.
Les fenêtres couronnant la corniche, disposées à la hauteur de la naissance de la toiture, devraient avoir un aspect moins sévère et une forme plus mouvementée.
Les pignons qui terminei'ont les façades latérales vers les rues des Harengs et de Chair-et-Pain ont été acceptés dans toutes les parties qui les composent , et l'architecte tiendra compte de quelques observations de détail, quant aux encorbellements des tourelles dis- posées à l'angle de ces façades.
L'idée de rendre visible la charpente de la toiture a été accueillie
— 502 —
très favorablement. L'ossature en bois de chêne naturel donnera à la salle du deuxième étage un caractère qui rappellera les projets mis à exécution par les architectes du moyen âge dans les grandes salles qu'ils étaient appelés à décorer.
Il est entendu cependant que cette charpente sera exécutée dans des conditions de simplicité en rapport avec la destination de la salle qu'elle recouvre. Le plafond de l'hôpital de la Biloque à Gand, celui de l'église de Baudour [Hainaut), etc., nous offrent des exemples identiques, que nous rencontrons également dans les grands monu- ments de style gothique élevés en Angleterre.
Bruxelles, le 15 décembre 1881.
(Signé) H. Beyaeet, J. Godefeot, A. Trappeniees.
La Section des travaux publics a admis à l'unanimité le rapport de la Commission spéciale, et, d'accord avec elle, nous avons l'hon- neur, Messieurs, de vous proposer d'en adopter également les con- clusions.
[Moniteur des Travaux publics).
Académie d'archéologie de Belgique a Anvers. — Concours DE 1883. — Premier sujet ■■ Prix 500 francs. — Un travail concer- nant l'archéologie de l'ancien comté de Hainaut.
Le choix du sujet est abandonné à l'auteur.
Second sujet : Prix 500 francs. — La biographe d'Abraham Ortelius.
Ce prix est fondé par le Congrès international de géographie.
Les réponses doivent être envoyées, franc de port, avant le l^"" décembre 1883, au secrétariat de V Académie d'' archéologie de Belgique, à Anvers, 15, rue Léopold.
— 503 —
NÉCROLOGIE.
Edmond De Busscher, archiviste de la ville de Gand, membre de l'Académie royale de Belgique, officier de l'ordre de Léopold, clieva- lier de la Couronne de Chêne, est mort à Gand le 17 janvier 1882; il était né à Bruges le 18 janvier 1805. De Busscher était membre d'un grand nombre de sociétés savantes, vice-président de la commission provinciale des monuments, et de la commission provinciale de sta- tistique ; depuis l'organisation de la commission pour la publication de la Biographie nationale, il y remplit les fonctions de secrétaire ; il était membre du comité fondateur de la Chambre Syndicale Pro- vinciale des Arts Industriels à Gand, membre de la commission direc- trice de l'Académie des Beaux- Arts à Gand, membre honoraire du corps académique des Beaux-Arts d'Anvers, et depuis 1847 secrétaire de la Société Royale des Beaux-Arts et de littérature à Gand. Ses principales publications sont : Précis historique de la Société Royale des Beaux-Arts, des Mémoires sur l'abbaye de S^-Pierre et sur celle de S'-Bavon, un ouvrage intéressant sur les mœurs flamands, Juste Billet, chroniqueur gantois du XVII^ siècle, et deux volumes remarquables intitulé : Recherches sur les peintres gantois du XI V^ et du X Ve siècles, et Recherches sur les peintres et les sculpteurs gantois du XVI^ siècle. 11 a également dorme le texte des ouvrages à planches de Félix De Vigne : Description historique du cortège des comtes de Flandre ; Notice sur les arbalétriers gantois; Confrérie de Saint Georges ; Album, des personnages du cortège historique de 1852; Albutn et des- cription des chars du cortège et comtes de Flandre, etc., et publié de nombreux notices dans la Biographie nationale '.
* Voir Annuaire de V Académie royale de Belgique, 1883, p. 389.
— 504 —
Le colonel d'état-major Adam est mort à Bruxelles le 13 janvier 1882. Il possédait des connaissances très étendues en géodésie et en astronomie, et dirigea avec talent l'institut cartographique militaire.
Edouard de Biefve, né à Bruxelles en 1809, est mort au mois de janvier 1882. C'était un peintre de talent qui, avec De Keyser, Gallait, Wappers, affirma les tendances rénovatrices et nationales de l'art en Belgique, en 1830 ; on a surtout de lui le Cotiiproinis des nobles, la Flagellation, un Chevalier flatnand, etc.
Aimable Casterman, colonel du génie, né à Tournai, est mort à Bruxelles le 9 mai 1882. C'était un ancien combattant de 1830. Il a publié : Notice historique et chronologique sur la ville et les fortifica- tions de Ternionde ; Notice historique et chronologique sur la ville et l'ancien château d^Huy ; Les agrandissements et les fortifications d'Anvers depuis Vorigine de cette ville, en collaboration avec Torfs.
Edouard-Constant Van Damme-Bernier, né à Eecloo en 1806, est mort à Gand le 27 mai 1882 ; il rendit de nombreux services à l'art par les encouragements qu'il accorda aux écoles de dessin d'Eecloo et de Furnes. Van Damme occupa plusieurs fonctions administrati- ves ; il était chevalier de l'ordre de Léopold.
Eugène Simonis, sculpteur de grand talent, ancien directeur de l'Académie royale des lieaux arts de Bruxelles, membre de l'Acadé- mie royale de Belgique, est mort à Bruxelles au mois de juillet 1882, âgé de soixante-douze ans. Né à Liège, élève de l'Académie de cette ville, il compléta ses études en Italie, où il fit un long séjour, et, lorsqu'il revint se fixer à Bruxelles, il obtint de brillants succès dans les genres les plus variés. On lui doit notamment la statue de Godefroid de Bouillon, le frontispice du théâtre de la Monnaie, le mausolée du chanoine Triest à Sainte-Gudule, V Innocence au Musée royal de Belgique, les lions et l'une des quatre libertés de la colonne du Congrès, et un grand nombre de bustes ; on se rappelle aussi sa statuette de petit enfant pleurant sur son tambour crevé, qui obtint un succès populaire. Eugène Simonis, marié à M''" Eugénie Orlian, était l)eau-frère de M. Frère-Orban, actuellement ministre des affai- res étrangères de Belgique.
— 505 —
Jean-Paul-Louis-François-Édouard Dulaurier, membre de l'Insti- tut de France, est mort à Meudon le 21 décembre 1882 ; il était né à Toulouse le 29 janvier 1807. C'était un savant orientaliste. Il laisse de nombreux ouvrages.
Henri-Adrien Prévost de Longpérier, mort à Passy le 14 janvier 1882, était né à Paris le 21 septembre 1816. Il s'est fait comme archéologue une réputation européenne. Il n'a pas publié de grands ouvrages, mais a donné de noralireux mémoires aux revues scienti- fiques françaises ; le Bulletin de l Académie royale de Belgique ren- ferme quelques-uns de ses travaux.
Le R. P. Caliier est mort au mois de mars à l'âge de soixante-quinze ans. C'était un archéologue fort savant qui laisse de nombreux et remarquables ouvrages. Citons entre autres la Monographie de la cathédrale de Bourges et Mélanges d'' archéologie, dans lesquels sont reproduites les pièces du trésor des sœurs de Notre-Dame à Namur.
— 506 —
TABULE DES MATIÈRES.
ANNEE 1882.
NOTICES ET DISSERTATIONS.
Les monuments de l'église de Solesmes. Par L. St. . . . 1
Les tombeaux d'Henri II et de Jean III, ducs de Brabant, à l'abbaye de Villers. Par L. G 15
Norbert Cornelissen. Par Louis Hymans 37
Une ancienne impression de Pierre Schœffer. — Les scribes ou copistes après l'invention de la typographie. Par H. Ilelbig. 74
Les Normans. Leurs faits et gestes en Belgique. Par C. Van der Elst 87, 216
Souvenirs archéologiques de la ville de Gand. XIII. La Grande Faucille. Par L. St 125
Le Comte de Laval réintégré dans le château et la seigneurie de Gavre par un arrêt du grand conseil de Malines. (19 dé- cembre 1494.) Par L. G 177
Adalbert de Tronchiennes, évêque de Paris (1016 à 1020). Par F. Kieckens 186
Donation entre vifs faite, en 1661, par Madeleine de la Torre, veuve d'Érycius Puteanus. Par Ed. Van Even 209
Cuivre funéraire de François van Wychhuus, à Saint-Bavon. Par le chanoine J.-B. Lavaut 257
Le crime du seigneur de Condé. Par Ch. Rahlenbeck . . . 268
Une lettre de Van Hulthem 315
Les Aduatuques, les Ménapiens et leurs voisins. — Position géographique de ces peuples à l'époque de Jules César. Par Alph. De Vlamiuck 373
507 -
VARIETES.
Poteries de Gand. Par L. St 108
Épitaphe du duc Charles de Lorraine (1654). Par L. St. . . 248 Cession par Marguerite de Bourgogne de joyaux à Gui de Bar-
benson, dit l'Ardeuois, en 1435 252
Arrêt du grand conseil de Malines qui maintient le magistrat de la ville de Grammont dans le droit de créer des bourgeois
forains. Par L. G 22S
Vente d'objets d'art provenant d'anciennes confréries . . . 344
La décoration des villes 354
Le carillon d'Ath en 1717. Par L. St 360
Autorisation accordée à Antoine Kindt, d'exercer son art et
invention. 1611 477
L'abbaye de Soleilmont et la ville de Gand 478
Catalogue descriptif et historique de Musée royal de Belgique (Bruxelles) précédé d'une notice historique sur la formation
et ses accoissements, par Edouard Fétis 486
Les communes véi'ités dans le droit flamand. Par A. D. . . 489
CHRONIQUE.
Metz et Thionville sous Charles-Quint, par Ch. Rahlenbeck.
— Ch. Piot . . '. 110
Découvertes archéologiques 115
Découverte d'antiquités romaines. — Moniteur belge. . . . 867 L'art et l'industrie d'auti-efois dans les régions de la Meuse
belge. — Emile V 367
L'église de N.-D. de Pamele, à Audenarde. — Emile V... . 369
Vente Hamilton 490
Le triomphe de l'église chrétienne sur la synagogue. Tableau
de Hubert Van Eyck, copié par M. Fraus Meerts. — Écho
du Parlement 493
Vente de la bibliothèque Sunderland. — Emile V 497
Sedulius de Liège, par Henri Pirenne. — Emile V 498
Maison du Roy à Bruxelles 499
— 508 —
Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-Arts de Belgique. — Classe des beaux-arts. — Programme de con- cours pour 1882 122
Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut. —
Concours de 1882 256
Académie royale de Belgique. — Classe des Beaux-Arts. —
Concours pour 1883. — Partie littéraire 370
Classe des lettres. — I. Concours annuel pour 1884 .... 370
II. Concours extraordinaires 371
Académie d'archéologie de Belgique à Anvers. — Concours
de 1883 502
NÉCROLOGIE.
Edmond De Busscher 504
Le colonel d'état-major Adam . 504
Edouard de Biefve 504
Aimable Casterman 504
Edouard-Constant Van Damme-Bernier 505
Eugène Simonis 505
Jean-Paul-Louis-François-Édouai'd Dulaurier 505
Henri-Adrien Prévost de Longpérier 505
Le R. P. Cahier 505
Planches.
L'ensevelissement de la Vierge à l'abbaye de Solesmes ... 1
La Grande Faucille à Gand 125
Caves de la Grande Faucille 166
Cuivre funéraire de François van Wychhuus, à Saint-Bavon. 257
Carte de la Belgique à l'époque de Jules César 373
Carte de la Gaule Belgique à l'époque de Jules César, d'après
le système de Napoléon III 373
Carte de la Gaule Belgique à l'époque de Jules César, suivant
le système de M. Wauters 373
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