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MIREILLE

POÈME PROVENÇAL

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4991. BOURLOTON. Imprimeries réunie», A, rue Mignon, 2, Pam

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MIREILLE

POÈME PROVENÇAL

DE

FRÉDÉRIC MISTRAL

TRADUIT EN VERS FRANÇAIS

PAR

le premier Président RIGAUD

AVEC LE TEXTE EN RE6ARD

QUATRIÈME ÉDITION REVUE ET CORRIGÉE

PARIS

IJBRAIKIE HACHETTE ET C'^

79, BOULEVARD SAIIIT-GERXAIN, 79 1884

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N

\

PRÉFACE

11 y a Ti'ngt ans environ, nn jeune homme pro« ^ençal publiait un poème en douze chants, écrit dans Fidiome de son pays et destiné surtout à mon- trer les ressources de cet idiome et à peindre les mœurs de ceux qui ont l'habitude de s'en servir.

Ce livre, écrit avec un talent qui tient du génie, a obtenu un succès prodigieux dans le monde pour lequel il avait été fait.

En même temps qu'il valait une grande renommée à son auteur, il imprimait une impulsion nouvelle an mouvement littéraire qui s'est produit en Pro- vence dans ces derniers temps, et qui, sans avoir la

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VI PRÉFACE.

prétention ridicule qu'on loi a prêtée, de détrftner la langue française^ n'a que le but plus modeste et plus sérieux de remettre en honneur et de main- tenir dans son intégrité celle que parlèrent les trou- badours.

La célébrité de ce poème ne s'est pas bornée là. A. la simple lumière d'une traduction littérale que l'auteur lui-même avait mise en regard du texte, il a franchi les limites du sol natal. La grande litté- rature française l'a applaudi par les mains de ses plus illustres représentants, et l'auteur de Faust, en l'introduisant sur la scène, lui a acquis une véri- table popularité.

Ce n'est pas tout encore; alors peut-être que dans la pensée de son auteur cette charmante idylle n'avait été écrite que pour les villages environnants, elle s'est envolée sur les ailes de la renommée, au delà même de nos frontières. Ni les monts ni les mers n'ont suffi pour arrêter son essor, et l'on ne compte plus aujourd'hui le nombre des traductions en langues étrangères à l'aide desquelles die a pénétré jusqu'aux extrémités de l'univers.

En présence de ce succès universel, qui ailleurs qu'en Provence n'avait pu avoir sa cause que dans la traduction mot à mot qui accompagnait le poème, je me suis souvent demandé quelles proportions il

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PRÉFACE. Vit

aurait prises si le texte lui-même avait pu ôlre connu et apprécié.

, Entre une traduction et un original il y a tou- jours un abime, car le génie d'une langue lui est propre et ne saurait passer dans une autre.

Cet abîme s'élargit si, l'original étant en vers, la traduction n'est qu'en prose : car alors le langage perd le charme et l'attrait particuliers que lui donnent la mesure, la cadence et le nombre.

Enfin cet abîme devient immense si la traduction, négligeant même la construction ordinaire des phrases qu'elle emploie, s'attache avec intention à ne donner que le sens des mots et à ne reproduire que la pensée.

Ces réflexions m'ont conduit à essayer de traduire Mireille en vers français; non point que j'aie ignoré qu'une traduction de ce genre ne pouirait jamais être qu'une imitation plus ou moins parfaite; mais parce qu'il m'a semblé que pour ceux aux yeux desquels le poème original devait fatalement demeurer lettre close, il gagnerait toujours quelque chose à être reproduit dans un langage qui, sans avoir la couleur du sien, en conserverait au moins le mouvement, le rythme et l'harmonie. En d'autres termes, j'ai voulu offrir une estampe à ceux qui ne peuvent pas avoir le tableau.

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nu PRÉFAGK.

S'il m'était permis de recourir à une image pour mieux expliquer ma pensée Je dirais que, rencontrant Mireille dans les champs elle est née et dans les- ^ quels il faut qu'elle vive sous peine de n'être plus elle; comprenant parfaitement Tidiome qu'elle parle et jaloux de la faire connaître à ceux qui ne le comprennent pas, j'ai pris cette gentille paysanne par la main, je l'ai revêtue du costume exigé pour paraître dans une société plus élevée, je l'ai exercée à balbutier de son mieux la seule langue qui y soit reçue, et sous ce nouvel appareil je la présente dans le monde.

Elle y réussira certainement, si ce déguisement ne lui donne pas un air trop emprunté, et si elle sait s'en servir pour laisser au moins deviner les ^ charmes divers qu'elle réunit en sa personne.

La quatrième édition que je publie aujourd'hui difTère des trois premières par un grand nombre de corrections dont j'ai pris l'initiative, ou qui m'ont été suggérées par les observations qu'on a bien voulu me faire.

Ces corrections tendent surtout à rapprocher de plus en plus la traduction du texte original sans cependant que j'aie jamais voulu renoncer à la mé- thode que je m'étais proposé de suivre, et devenir, en Tabandonnant, un traducteur absolument servile.

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PREFACE. IX

J'explique et je justifie ma résolution par un exeaipte.

> Â. la page i% à ravant*dernière strophe du pre- mier chant» Mistral a dit :

Li grihet, cantant dins li mouto,

Mai d'un cop fagueron escouto ; Souvent lou roussigndu, souvent Taucéu de niua

Dins lou bos fagueron calamo ;

E pertoucado au founs de Tamo,

Elo, assetado sus la ramo, Eu jusqu'à la primo aubo aurié pas plega Tiue.

J'ai traduit ainsi cette strophe :

Les grillons, dont l'herbe foisonne, ^ Ont cessé leur chant monotone ;

U rossignol s'est tu, sous les feuillages verts;

Elle, assise sur la ramée,

Sentait, dans son âme charmée.

Une iyresse inaccoutumée, El son front s'inclinait sous des pensers divers.

Il eût été bien facile de serrer le texte de plus près en modifiant ainsi les quatre derniers vers :

Elle, assise sur la ramée. Sentant, dans son âme charmée. Une ivresse inaccoutumée. Aurait jusqu'au matin tenu ses yeux ouveru.

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I PREFACE.

C*eât été presque textuel, et, cependant, à mon avis, c'eût été moins heureux. J'ai mieux aimé exprimer une autre pensée que celle du poète, alors que la sienne était déjà suffisamment rendue dans le reste la strophe, et alors surtout que celle que j'ajoutais était également dans la situa* (ion.

Eh bien ! ce que j'ai fait pour cette strophe, je l'ai fait pour quelques autres encore, toutes les fois qu'enfermé dans mon cercle de Popilius, et com- damné par mon programme à traduire Mireille sans une strophe, sans un vers, sans une syllabe de plus qu'à l'original, j'ai été réduit à la nécessité d'opter entre les exigences du texte et celles de la rime ou du génie de notre langue.

Mais, que les amis rigoureux de la fidélité se rassurent! ces licences ne sont pas très-fréquentes; et sur les six mille vers qui forment le poème, il n'en est peut-être pas dix dans lesquels l'écart existe au même degré que dans celui que je viens de citer pour exemple.

En tout cas, je le déclare, parmi les divers sys- tèmes de traduction sur lesquels la critique s'est exercée, celui que j'ai adopté m'a paru et me parait encore préférable. J'iguore si en le suivant j'ai réussi à donner au moins une idée du poème et

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PREFACE. n

du poète, à ceux qui ne pouyaient pas le comprendre dans sa langue ; mais ce que je sais bien, c'est que [j je n'ai pas voulu refaire, en le rimant, le diction- naire dout il avait lui-même accompagné son œuvre.

Qu'il me soit permis de dire enfin que le soin que j'ai donné à ce travail ne m'a pas détourné du moindre de mes devoirs, et qu'il ne serait pas juste de me reprocher cette diversion inaocente à l'aus- térité de mes fonctions.

É. R

IGAUn.

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ACADÉMIE FRANÇAISE

SÉANCE PUBLIQCB ANNUELLE do jeudi 4 août 18tt

EXTRAIT

Du RAPPORT DE M. CAMILLE DOUCET, SECRÉTAIRE PER- PÉTUEL DE l'Académie française» sur les concours DE l'année 1881.

Après avoir annoncé que trois ouvrages que l'Académie a distingués et réservés ont été placés hors concours, par la rai- son, pour Tun dos concurents, M. Egger, qu'il est membre de rinstitut, et pour l'autre, M. le baron de Dumreicher, qu'il n'est pas français, M. Camille Doucet arrive à parler du livre de M. le premier président Rigaud en ces termes :

Écrit par un Français, celui-là, par un bon Fran- çais quiy au mérite d'être un magistrat éminent, joint celui d'avoir, en prose et en vers, une plume élégante et facile, un autre livre, qui n'est pas de Mistral, mais qui en a l'air, s'est présenté à nous bravement sous ce titre : Mireille, poème provençal de Frédéric Mistral, traduit en vers par E. Rigaud, premier président de la cour d'Aix.

Ce livre a du malheur avec nous ; nous en avons avec lui.

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XIV

L'an dernier déjà, il frapait à la porte du concours Langlois et nous lui opposions tout d'abord cette fin de non recevoir : En fondant son prix de traduction, M. Langlois a voulu surtout répandre et vulgariser en France les chefs-d'œuvre anciens et étrangers. Mireille est un chef-d'œuvre, mais un chef-d'œuvre d'hier, fran- çais comme son auteur, qui vit encore, Dieu merci ! Vous ne pouvez donc concourir.

Mais alors, nous dit aujourd'hui le même ouvrage, an lieu d'une traduction ne v^ez en moi qu'une œuvre littéraire, un poème dont j'ai fait les vers et dont la forme est bien de moi, si le fond m'est venu d'un autre. Accueillez-moi à ce titre, non plus dans le concou i Langlois, mais dans le concours îfontyon, les poète sont toujours les bienvenus.

Si excellente que fût la traduction de M. le premier président Rigaud, nous ne pouvions vraiment y voir une œuvre personnelle, et nous avons l'écarter encore, avec chagrin, mais avec respect, en rendant hommage au mérite des vers, au talent du poète et à la dignité du magistrat qu'on ne saurait trop louer de consacrer ses loisirs au culte des lettres, loin que nous lui reprochions, comme il le dit avec tant de bonne grâce dans sa pré- face, cette divenion innocente à Vauitérité de ses fonctions.

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MIREILLE

POÈME PRO.VENÇAL

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MIRÈIO

CANT PROUMIÉ

LOU MAS DI FALABREGO

Etpoutieioan. Invoucacioun au Grist, nascu dinsla pattriho. Ua vièi panieraire, lièsle Ambrdsi, omë toun drôle, Vincèn, van de- manda la retirado au Mas di Falabrego. Mirèio, fiho de Mèste Ramoun, loa mèstre d6u mas. fai la benvengudo. Li ràfi après •oupa. fan canta Mèste Ambrdsi. Lou vièi. àutrl-fes marin, canto an coumbat navau d6u Balle Sufren. Mirèio quesliouno Vincèn. Récit de Vincèn : la casso di cantarido, la pesco dis iruge, km miracle di Sànti Mario, la courso dis orne à Nimei. Mirèio es ••pantado e soun amour pounchejo.

Gante uno chato de Prouvènço.

Dins lis amour de sa jouvènço, A travès de la Grau', vers la mar, dins li bla,

Umble escoulan dôu grand Oumèro,

léu la vole segui. Goume èro

Rèn qu'uno chato de la terro, £ii foro de la Grau se n'es gaire parla.

Emai soun front noun lusiguèsse

Que de jouinesso ; emai n'aguèsse Ni diadème d'or ni mantèu de Damas,

Vole qu'en glôri fugue aussado

Goume uno rèino, e caressado,

Pèr noeto lengo mespresado, Car cantao que pèr vautre, o pastre e gènt di mas!

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MIREILLE

CHANT PREMIER

LE MAS DBS MICOGOULES

Exposition.— InYocation au Christ, ne parmi les pâtres. UnTieui Tannier, Maître Ambroise, et son fils Vincent, vont demander l'hos- pitalité au Mas des Micocoules. Mireille, fille de Maître Ramon, le maître de la ferme, leur fait la bienvenue. Les laboureurs, après le repas du soir, invitent Maître Ambroise k chanter. Lo vieillard, autrefois marin, chante un combat naval du Bailli de SuAren. Mireille questionne Vincent. Récit de Vincent : l.i ehaste aux cantharides, la pêche des sangsues, le miracle des Saintes Maries, la course des hommes à Nîmes. Ravissement de Mireille, naissance de son amour.

Je chante une enfant de Provence.

Dans les amours de sa jouvence*. Par la Cran, vers la mer, et dans les champs de blé,

Humble écolier du grand Homère,

Je la suivrai. Gomme sa mère

Ne la destina qu'à la terre. Plus loin que la Grau d'Arle il s'en est peu parle.

Bien qu'elle n'ait que sa jeunesse Pour briller; qu'elle ne connaisse Ni diadème d'or, ni manteau de Damas, Je veux qu'elle soit exhaussée Comme une reine, et caressée Par notre langue délaissée , Carmes chants sont pour vous, pâtres et gens des mon !

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4 MIRÈIO, CANT I.

Tu, Segnour Dieu de ma patrio.

Que nasquères dins la pastriho, Enfioco mi paraulo e douno-me d'alen!

Lou sabes : entre la verdure,

Au soulèu em' i bagnaduro,

Quand li figo se fan maduro» Vèn Tome aloubati desfrucha Taubre en plen.

Mai sus Taubre qu'eu espalanco,

Tu toujour quibes quauco branco Ounte Tome abrama noun posque aussa la man,

Belle ji telle proumierenco,

£ redoulènto e vierginenco,

Belle frucbo madalenenco Ounte l'aucèu de Ter se vèn leva la fam.

léu la vese, aquelo branqueto,

E sa frescour me fai lingueto ! léu vese, i ventoulet, boulega dins lou cèn

Sa rame e sa frucbo inmourtalo...

Bèu Dieu, Dieu ami, sus lis alo

De nosto lengo prouvençalo, Fai que posque avéra la branco dis aucèu !

De-long dôu Bose, entre li pibo

E li sauseto de la ribo, En un paure oustaloun pèr Taigo rousiga

Un panieraire demouravo,

Qu'emé soun drôle pièi passaTO

De mas en mas, e pedassavo li canestello route e li panié trauca.

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MIREILLE, CHANT I.

Toi, Seigneur, Dieu de ma patrie» dans une humble bergerie,

Inspire, inspire-moi de ton souffle puissant! Tu le sais : quand sous la verdure Au soleil, près d'une onde pure, La figue s'enfle et devient mûre.

L'homme arrive et ravit tout le fruit, en passant.

Mais sur cet arbre qu'il ébranche,

Toi, tu conserves quelque branche Que l'homme ne peut pas atteindre de sa main;

Belle tige fraîche, odorante.

Où, d'une sève fécondante,

Un fruit précoce s'alimente. vient l'oiseau de l'air pour apaiser sa faim.

Moi, je la vois et je l'envie

Cette branche pleine de vie! Je vois, au gré des vents, s'agiter ses rameaux.

Ses fruits, et sa feuille immortelle !

Dieu beau. Dieu bon, fais que, sur l'aile

De notre langue maternelle, Je puisse atteindre aussi la branche des oiseaux *

Au bord du Rhône, sur la rive Que ronge en vain son eau captive,

A travers des bouquets de saules et d'osiers, L'œil découvre un modeste gite Qu'avec son fils un homme habite, Tous les deux du premier mérite

Pour manier les joncs et tresser les paniers.

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C MIRÈIO, GANT I.

Un jour qu'èron ansin pèr orto,

Emé si long fais de redorto : Paire, digue Yincèn, espinchas lou soulèu t

Vesès, eila sus Magalouno ^,

Coume lou nivo Tempielouno !

S'aquelo emparo s'amoulouno, Paire, avans qu'èstre au mas nous bagnareu belèu.

Hôu ! lou vènt-larg * brando li fueic... Noun !... acô sara pas de plueio,

Respoundeguè lou vièi... Ah! s'acô 'ro lou Rau*, Es diferènt !... Quant fan d'araire, Au Mas di Falabrego, paire ?

Sièis, respoundè lou panieraire.

Ah ! 'c6 's un tenamen di plus fort de la Graut

Tè, veseg pas soun ôuliveto? Entre-mitan i'a quàuqui veto

De vigno e d'amelié... Mai lou bèu, recoupé, (E n'i'a pas dos dins la coustiero !) Lou bèu, es que i*a tant de tiero Coume a de jour l'annado entiero

E, tant coume de tiero, en chasco i*a de pèd !

Mai, faguè Vincên, caspitello *! Dèu bèn falé d'ôulivarello

Pèr ôuliva tant d'aubre ! Hôu ! tout acô se faî I Vèngue Toussant, e li Baussenco ', De vermeialo, d'amelenco. Te van clafi saco e bourrenco!...

Tout en cansounejant n'acamparien bon mai !

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MIREILLE, CHANT L 7

Un jour qu'ensemble et d'un pas ferme Ils s'en allaient de ferme en ferme :

- Mon père, dit Vincent, regardez le soleil I

Voyez là-bas sur Maguelonne Ce nuage qui Tenvironne ! 11 s'épaissit et tourbiiloime» Nous poui*nons nous mouiller avec un temps pareiL

Non, mon fils, le vent vient du large, Et jamais la mer ne le charge.

Repondit le vieillard ; ah ! si c'était le Rau, Il faudrait dire le contraire !...

Quel est le labour qu'on peut faire Au mas des Micocoules, père?

- C'est un des tènements les plus forts de la Crau.

Vois d'ici sa belle olivette !

Un peu de vigne la complète Et quelques amandiers en ceignent les contours;

Mais le beau, c'est que, de l'année,

Chaque rang marque une journée.

Et que chaque file alignée. Contient autant de pieds que l'année a de joursl

Mais, dit Vincent, les oliveuses Sont-elles donc assez nombreuses

Four cueillir tant de fruits? —Oh! mieux que les moissons

Cette récolte est assurée,

Et les filles de la contrée, i

Dès que l'hiver fait sa rentrée, Ea cueilleraient bien plus en chantant leurs chansons

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8 MIRËIO, GANT I.

E Mèste Ambroi toujour parlavo..» E lou soulèu que trecoulavo

Di plus bèlli couleur tegnié li nivoulun; Ë li bouié, sus si coulado, Venien plan-plan à la soupado, Tenènt en Ter sis aguïado...

E la niue soumbrejavo alin dins la palun.

An î déjà s'entrevèi dins Tiero Lou camelun de la paicro,

Digue mai Yincenet : sian au reoatadout...

Aqui, vènon bèn li fedo ! Ah ! pèr l'estiéu, an la pinedo, Pèr dins Tivèr, la claparedo,

Recoumencè lou vièi... Hàu! aqui i'a de tout!

Ë tôuti aquéli grands aubrage

Que sus li téule fan oumbrage !

E 'quelo bello font que raio en un pesquiét Ë tôuti aquéli brusc d'abiho Que chasco autouno desabiho, E, tre que Mai s'escarrabiho,

Pendoulon cent eissame i grand falabreguiél

Ho î pièi, en toute la terrado, Paire, lou mai qu'à iéu m'agrado,

Aqui faguè Vincèn, es la cbato dôu mas... E, se TOUS n'en souvèn, moun paire, L'estiéu passa, nous faguè faire Dos canestello d'ôulivaire,

E mètre (mi maniho à soun pichot cabas.

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MIREILLE, CHANT I. 9

Et pendant tout ce beau partage,

Colorant de pourpre un' nuage, Le soleil sous les monts éteignait ses lueurs;

L'ombre tombait dans les vallées,

Et sur leurs bêtes accouplées,

Pique en Tair, le long des allées. Vers le repas du soir marchaient les laboureurs.

Mais déjà j'entrevois sur Taire, La meule de paille ; allons ! père,

Reprit Vincent, allons! le logis n'est pas loin.

Ob ! dit le vieux, quel beau domaine ' Heureux les troupeaux qu'on y mène ! Au bois, à rétable, à la plaine

Us ont tout à souhait, la provende et le soin.

Et tout ce verdoyant feuillage

Qui sur les tuiles fait ombrage. Cette source qui coule au milieu des viviers.

Et ces ruches pleines d'abeilles

Qui, travailleuses sans pareilles,

Suspendent en grappes vermeilles Cent essaims, chaque année, aux grands Micocoulier;»!

Oh ! puis, là, de tout ce qu'on louo, Dit aloi's Vincent, je l'avoue.

Ce qui me plait le plus, c'est la fille du mas;

Et s'il vous en souvient, mon père.

Ce fut elle qui nous fit faire

Ueux corbeilles de ménagère, Et mettre une anse neuve à son petit cab^s.

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10 MIRÈIO, GANT I.

En devisant de talo sorto, Se capitèron vers la porto. I^a chalouno venié d'arriba si magnan; Ë sus lou lindau, à i'eigagno, Ânavo alor lorse uno escagno.

Bon vèspre en toute la coumpagno ! Faguè lou panieraire en jitant si vergan.

Mèste Ambrôsi, Dieu vous lou douneî Digue la chato ; mouscouloune

La pouncho de moun fus, vès!... Vautre? sias tardié!

D'ounte venès? de Valabrego *?

^ Just! e lou Mas di Falabrego

Se devinant sus nosto rego. Se fai tard, avèn di, coucharen au paie.

£ 'mé soun fiéu, lou panieraire

S'anè 'seta su 'n barrulaire. Sènso mai de resoun, à trena tôuti dous

Uno banasto coumençado

Se groupèron uno passade,

E de sa garbo desnousado Crousavon e toursien li vege voulouatous.

Vincèn avié sege an pancaro ,

Mai tant dôu cors que de la caro, Certo, acô 'ro un bèu drôle, e di miéus estampa;

Emé li gauto proun moureto.

Se voulès... mai terro negreto

Adus toujour bono seisseto, E sort di rasin nègre un vin que fai trepa.

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MIREILLE, GIlÂNT L 11

En devisant de cette sorte. Ils arrivent près de Ja porte. Mireille, aux vers à soie avait donné son soin, Et sur le seuil, tâche finie. Des cieux admirait rharraonie.

Bonsoir, bonsoir la compagnie ! DitAmbroise en jetant ses osiers dans un coin.

Dieu vous le donne, Maître Âmbroise, Répond la fillette courtoise,

allais mettre une thie au fuseau que voici ;

J'y renonce sans qu'il m'en coûte...

Mais vous voilà bien tard en route !

D*où venez-vous ? De loin sans doute ? —Oui, de loin, c'est pourquoi nous cherchons gile ici.—

A ces mots, sur un banc rustique.

Us Tont installer leur boutique ; Et, sans plus de façon, tous les deux à la fois,

Dénouant leur gerbe pressée,

Une corbeille commencée

En un clin d'oeil est agencée Avec cent brins d'osier qu'ils tordent sous leurs doigts.

Vincent n'avait pas seize ans d'âge.

Mais, tant de corps que de visage. C'était, certe, un beau gars et des plus vigoureux

Et d'une trempe peu commune;

Brun, si Ton veut, mais terre brune

Donne un blé riche, et par fortune ^ U raisin noir produit un vin plus généreux.

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Il MIRÊIO, CANT I,

De quête biais fau que lou vege

E se prépare e se gaubeje, Eu lou sabié de founs ; noun pas que sus lou un

Travaiejèsse d'ourdinàri :

Mai de banasto pèr ensàrri,

Tout ço qu'i mas es necessàri, E de rous terreirôu, e de bràvi coufin ;

De panié de cano fendudo, Qu'es tout d'eisino lèu vendudo,

E d'escoubo de mi... tout acè, 'mai bèn mai, Eu lou façounavo à grand dèstre, Bon e poulit, de man de mèstre... Mai, de Testoublo e déu campèslre.

Lis orne èron déjà revengu dôu travai.

Déjà deforo, à la fresquiero,

Mirèio, la gènto masiero, Sus la taulo de pèiro avié mes lou bajan ;

E dôu platas que treviravo,

Chasque ràfi déjà tiravo,

A plen cuié de bouis, li favo... E lou vièi e soun fiéu trenavon. Bèn? vejan!

Venès pas soupa, Mèste Âmbrôsi?

Emé soun èr un pau renôsi Digue Mèste Bamoun, lou majourau déu mas.

An ! leissas donne la canestello !

Vesès pas naisse lis estello?...

Mirèio, porge uno escudello... Anl à la taulo! d'auti que devès èstre las.

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MIREILLE, CHANT L 13

Par quel art, avec quelle adresse

L'osier se prépare et se tresse, Lai le savait à fond ; non pas que sur le ûû

Il fit son travail ordinaire ;

Mais la corbeille élémentaire,

La manne, aux fermes nécessaire, Le panier, pour cueillir la figue ou le raisin.

Le balai, d'un débit facile,

Bref! tout engin, tout ustensile Fait d*osier, de milïet, de roseaux refendus,

Bon et joli comme il doit être,

U le faisait de main de maître...

Mais, de la jacbère champêtre. Déjà les journaliers au mas s'étaient rendus.

Déjà, sur la table de pierre,

Mireille, la gente fermière, Av.iil placé la fève avec le brin d'oignons;

Et de sa cuiller qu'il avance

Chaque valet, en abondance.

Puisait au plat de résistance... Ui vieillard et son fils tressaient toujours. ~ Voyons !

Viendrez-vous souper, Maître Arabroise?

Qu'au moins la faim vous apprivoise. Dit vivement Ramon, le souverain du mas;

Laissez donc votre corbeille.

Voyez les étoiles... Mireille!

Apporte encore une bouteille.... Allons! allons! à table, à cette heure on e^ii lasl

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U MIRÊIO, CàNT 1.

Anen! faguè lou panieraire.

E s'avancèron à-n-un caire De la taulo de pèiro, e coupèron de pan.

Mirèio, vilamen, braveto,

Emé rôli de Tôuliveto

garniguè 'n plat de faveto; Venguè pièi en courrènt i'adurre de si man.

Dins si quinge an èro Mirèio...

Coustiero bluio de Font-Vièio *, E vous, colo baussenco ^®, e vous, piano de Crau,

N'avès plus vist de tant poulido !

Lou gai soulèu Tavié 'spelido;

E nouveleto, afrescoulido, Sa caro, à flour de gauto, avié dous pichot trau.

E soun regard èro uno eigagno

Qu'esvalissié toute magagno... Dis estello mens dous èi lou rai, e meus pur;

ïé negrejavo de trenello

Que tout-de-long fasien d'anello;

E sa peitrino redounello Èro un pessègue double e panca bèn madur.

E fouligaudo, e belugueto,

E sôuvagello uno brigueto !... Ah ! dins un vèire d'aigo, entre vèire aquéu biaî,

Toute à la fes Taurias begudo !

Quand pièi chascun, à Tabitudo,

Aguè parla de sa batudo, (Cou nie au mas, coume au tèms de moun paire, ai! ai! ai!)

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MIREILLE, CHANT I. 15

Alors Ambroise se décide ;

Son fils le suit d*un pas timide ; Et, pendant qu'avec calme ils découpent leur pain,

Mireille, vilement, proprette,

Prend le plat de fèves, l'apprête

Avec l'huile de Tolivelte, Et, le sourire à TœU, le leur tend de la main.

Mireille avait ses quinze années..*

Bleus coteaux ! plaines fortunées (joi vites cette fleur sortir de son bouton.

Qu'il vous fut doux la connattre I

Le gai soleil l'avait fait naître;

La grâce anime tout son être, Uae fossette rit à son joli menton,

Son regard est une rosée,

Bavivant toute herbe brisée; Le rayon d'une étoile est moins doux et moins pur;

Sous ses cheveux noirs, se dessine

Un front serein, et sa poitrine

S*enfle assez pour qu'on y devine Deux pêches, fruit d'élite au moment d'être mûr;

Et puis folâtre, aimable, sage.

Peut être même un peu sauvage... On eût voulu la boire au fond d'un verre d'eau !...

Lorsque chacun, selon l'usage,

Eut parlé de son attelage.

Et du labour, et du pacage (Comme au temps de monpère,aux beaux jours de la Crau) :

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15 MTREIO, GANT I.

Bèn ? Mèste Ambroi, aquesto bruno, Nous n'en cantarés pas quaucuno?

Diguèron : es eiçô lou repas que se dor?

Chut! mi bons ami... Quau se trufo, Respoundè lou vièi, Dieu lou bufo

E fai vira coume baudufo?... Gantas vautre, jouvènt, que sias jouine emai fort!

Mèste Ambroi, diguèron li râfi, Noun, noun, parlan pas pèr escàfi!

Mai vèsl lou vin de Grau val tout-aro escampa De voste got... D'autI touquen, paire!

Ah I de moun tèms ère un cantaire, Alor faguè lou panieraire ;

Mai aro, que voulès ? li mirau soun creba ^U

Si ! Mèste Ambroi, acô recrèio : Gantas un pau, digue Mirèio.

Bello chatouno, Ambroi venguè dounc coume acô, Ma voues noun a plus que Taresto ; Mai pèr te plaire es déjà presto. E tout-d'un-tèms coumencè 'questo.

Après agué de vin escoula soun plen got :

Lou Baile Sufren, que sus mar coumando, Au port de Touloun a douna signau... Partèn de Touloun cina cent Prouvencau.

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MIREILLE, CHANT 1. 17

Eh bien ! Maître Ambroise, à la bruiie, N'en clianlerez-vous pas quelqu'une?

Dit l'un d'eux ; sans cela tout à l'heure on s'endort.

Chut ! dit Ambroise, l'ironie Doit tôt ou tard être punie,

Et Dieu le prouve à qui le nie.... Chante, toi, jouvenceau, toi plus jeune et plus fort!

Non, ce n'est point par moquerie. Dirent les valets, qu'on vous prie;

Voyez! Nos verres pleins veulent être levés!

Trinquons! et vous, chantez, grand père!

Ah ! de mon temps, et pour vous plaire, Dit le vieux, j'aurais pu le taire,

Mais l'orgue ne va plus, les soufflets sont crevés!

Oui, maître Ambroise, dit Mireille, Chantez un peu, cela réveille.

Ha voix est un épi dont est tombé le grain. Dit le vieillard, mais votre instance Sera comme une eau de jouvence. Et sans plus tarder il commence,

Après avoir vidé son grand verre de vin

Le bailli Suffiren, qui sur mer commande, Au port de Toulon a fait ses signaux.... Nous nous embarquons cinq cents Provençaux

2

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18 MIRËIO, GâNT I.

D'ènsaca FAnglés Tenvejo èro grando : Youlèn plus tourna dins nèstis oustau Que noun de TAnglés veguen la desbrando.

Mai lou proumîé mes que navegavian, N'avèn visl degun, que dins lis anleno Li vôu de-gabian voulant pèr centeno...

Mai lou segound mes que vanegavian, Uno broufounié nous baie proun peno I E, la niue, lou jour, dur agoulamn.

III

Mai lou tresen mes, nous prenguè l'enràbi : Nous bouié lou sang de degun trouba Que noste canoun pousquèsse escouba.

Mai alor Sufren : Pichouu, à la gàbi! Nous fai ; e subran lou gabié courba Espincho eilalin vers la costo aràbi...

IV

0 tron*de-bon-goi ! cridè lou gabié, Très gros bastimen tout dre nous arribo ! Alerte, pichoun ! li canoun en riboî

Cridè quatecant lou grand marinié. Que taslon d*abord li fîgo d'Anlibo ! N'i'en pourgiren, pièi, d'un autre panic.

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MIREILLE, CHANT I.

De battre TAnglais Tenvie était grande ; Nous ne voulons plus rentrer dans nos eaux. Sans qu'il soit défait ou sans qu*i] se rende.

n

Mais le premier mois que nous naTiguions, Rien n'est aperçu, sinon aux antennes De noirs goélands Tolant par centaines...

Mais le second mois qu'en mer nous voguions, Le temps fut mauvais aux humides plaines, Nos fonds s'emplissaient et nous les vidions

III

Le troisième mois nous eûmes la rage ; Le sang nous bouillait de ne rien trouver. Que nos vieux canons pussent enlever.

Nais alors Sufiren : Enfants, du courage î Soudain, se courbant pour mieux observer, Le gabier épie au loin vers la plage...

IV

Mille noms d'un nom ! cria le gabier. Trois gros bâtiments sont là, tout en face ! Alerte, petits ! les canons en place !

Cria sur-le-cbamp le grand marinier, Qu'ils talent d'abord des figues de Grassft, Puis ils en auront d'Un autre panier^

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^0 MiRËIO, CâMT I.

N*avîé panca di, se vèi qu'uno flamo : Quaranto boulet van coume d'uiau Trauca de TAnglés li veissèu reiau...

Un di bastimen, resté que Tamo! Long-tèms s'entèud plus que li canouD rau, Lou bos que cracino e la mar que bramo.

Vi

Di nemi pamens un pas tout-au-mai Nous tèn sépara : que bonuri que chalel Lou Balle Sufren, intrépide e pale,

E que sus lou pont brandavo jamai :

Pichotl crido enûn, que voste fiô calel

E vougnen-lèi dur 'mé d'ôli de-z-Ai !

VII

N*avié panca di, mai tout Tequipage Lampo is alabardo, i visplo, i destran, E, grapin en man, Tardit Prouvençau,

D*an soulet alen, crido : A l'arrambage! Sus lou bord angles saulan dins qu*un saut» E counienço alor lou grand mourtalage !

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MIREILLE, CHANT 1. t\

A peine a-t-il dit, tout n'est qu'une flamme ; Prompt comme l'éclair, un gros de boulets Bat la flotte anglaise à coups redoublés ;

L'un des bâtiments n'a bientôt que l'âme; Et longtemps encor, dans les airs troublés, Tonne le canon et gronde la lame I

VI

Un pas tout au plus de chaque vaisseau Nous tient séparés : ô douce allégresse ! Le bailli Suflren que le péril presse,

Debout sur le pont. Dieu! qu'il était beau I Mes enfants, dit-il, que votre feu cesse i Avec l'huile d'Aix, frottons-leur la peau!

VII

À peine a-t-il dit, que tout l'équipage S'élance à la vouge, au croc, au grappin, Et le Provençal, la hache à la main,

D'une seule voix crie : à l'abordage ! Sur le bord anglais nous sommes enfln, Et commence alors un affreux carnage!

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22 MIRËIO, CANT I

III

Oh! quéntibacèu! oh! que chapladis! Que crèbis que fau Taubre que s'esclapo Souto li maria lou pont que s'aclapo!

Mai que d'un Angles cabusso e péris; Mai d'un Prouvençau à TAnglés s'arrapo, L'estren dins sis arpo, e s'aproufoundis.

Sèmblo, parai? qu'es pas de crèire ! A qui se coupé lou bon rèire.

Es pameus arriba tau que dins la cansoun...

Certo, poudèn parla sens crento.

léu i'ère que teniéu Tempento!...

Ha! ha! tambèn, dins ma mémento. Quand visquèsse milo an, milo ail sara rejounf

Hoi!... sias esta d'aquéu grand chaple? Mai, coume un dai souto Tencbaple,

Deguéron, très contre un, tous escrapouchinal

Quau? lis Angles? fai en coulèro Lou vièi marin que s'engimerro... Tourna-mai, risoulet coume èro,

Repreuguô fieramen soun cant entamena :

IX

Li pèd dins lou sang, duré 'quelo guerro Desempièi dos ouro enjusqu'à la niue. Verai, quand la poudro embourgnè plus l'iae,

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MIREILLE, CHANT L t3

VIII

Dieu! <iael branle-bas! quel massaere on fit!

ÀTec quel fracas le mât se disloque !

Sous le tremblement le pont tombe en loque.

Plus d'un fier Anglais cbancelle et périt, Plus d'un Provençal le cogne et le choque, L'étreint dans ses bras, roule et s'engloutit.

Ce récit paraît peu croyable, Dit le vieillard imperturbable;

Et pourtant la chanson dépeint tout, trait pour trait ,

Ce qu'elle dit, c'est de l'histoire;

J'étais de quart, on peut m'en croire,

Et ce jour-)à, dans ma mémoire, Si je vivais mille ans, mille ans il resterait.

Quoi !... vous étiez de la bataille! Jour de Dieu ! Mais, sous leur mitraille,

Ds ont vous broyer; trois contre un, ils l'ont pu !

Qui? les Anglais!... On les fit taire, Dit le vieui marin en colère...

Puis d'une voix Sonore et claire Il reprit fièrement son chant interrompu;

IX

Les pieds dans le sang dura cette guerre Depuis midi plein jusque vers le soir ; Après la fumée, alors qu'on put voir.

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24 MIRÈIO, GANT 1.

Mai^caYO cent onie à nosto galèro; Mai très bastimen passèron pèr iue. Très bèu bastimen dôu rèi d'Anglo-Terro

Pièi quand s'envenian au pafs tant dous» Emé cent boulet dins nôsti murado, Emé Ycrgo en tros, vélo espeiandrado,

Tout en galejant, lou Baile amistous :

Boutas, nous digue, boutas, cambarado! Au rèi de Paris parlarai de vous.

XI

0 noste amirau, ta paraulo es franco, Tavèn respoundu, lou rèi t'ausira... Mai, pàuri marin, de-que nous fara?

Avèn tout quita, Toustau, la calanco, Pèr courre à sa guerro e pèr Tapara, E yeses pamens que lou pan nous manco!

XII

Mai se vas amount, ensouvène-te, Quand se clinaran sus toun bèu passage, Que res t'amo autant que toun équipage.

Car, 0 bon Sufren, s'avian lou poudé, Davans que tourna dins nôsti vilage. Te pourtarian rèi sus lou bout dôu det!

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l

MIREILLE, CHANT I.

Cent hommes manquaient à notre galère ; Nais trois bâtiments allaient bientôt choir, Trois beaux bâtiments du roi d'Angleterre !

Pais, quand nous YOguions yers Je doux pays, Avec cent boulets dans notre bordage, Vergues en tronçons, sans mâts ni cordage,

U Bailli prenant son plus doux souris : Amis, nous dit-il, allez je m'engage k parler de vous au Roi de Paris.

XI

^ 0 notre amiral, ta parole est franche,

Répondhnes-nous, le Roi Tentendra...

Mais dis-nous quel bien nous en reviendra ?

Nos enfants chéris, notre maison blanche,

Pour feire sa guerre, on s'en sépara,

£t nous n'avons pas de pain sur la planche I

XII

Mais dans tous les cas, Bailli, souviens-toi Qae, des courtisans qu'aura ton passage, Nul ne f aima plus que ton équipage.

Car, si nous pouvions refaire la loi. Avant de rentrer dans notre village. Nos bras mutilés te porteraient Roi.

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20 MIREIO, CANT L

XIII

Es un Martegau*2 qu*à la vesperado A fa la cansoun en calant si tis... Lou Baile Sufren parte pèr Paris;

E dien que li gros d'aquelo encountradu Fuguèron jalons de sa renoumado, Esi vièi marin jamais l'an plus vist!

A tèms lou vièi dis amarino

Acabè sa cansoun marino, Que sa Toues dins li plour anavo s'ennega;

Mai pèr li ràfi noun pas certo,

Car sens muta, la tèsto alerto,

E 'mé li bouco entre-duberto, Long-tèms après lou cant escoutavon enca.

E vaqui, quand Marto fielavo^^

Li cansoun, dis, que se cantavo! Ëronbello, o jouvènt, e tiravon de long...

L'èr s'es fa'n pau vièi, mai que provo?

Aro n'en canton de plus novo.

En franchimand, ounte s'atrovo De mot forço plus fin... mai quau i'entèndquicont

E dôu vièi su 'quelo paraulo,

Li boulé, s'aussant de la taulo, Êron ana mena si sièis couble au raiôa

De la bello aigo couladisso;

Ë sont la Iriho penjadisso,

En zounzounant la cantadisso Dôu vièi Valabregan, abéuravon li miôu.

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MIREILLE, CHANT L t7

XIII

C'est an Martégal, d'heureuse mémoire^ Qui fit la chansan qu'il chantait le soir.. Le Bailli partit, sans trop s'émouvoir,

Et les grands d'alors, oyant son histoire. Furent tous, dit-on; jaloux de sa gloire Et nul d'entre nous n'a pu le revoir !

Ainsi finit le cliant nautique,

A point, pour le marin antique, Car sa voix dans les pleurs n'a presque plus d'essor ;

Mais trop tôt pour les autres, certes.

Car muets, attentifs, alertes.

Leurs grandes lèvres entr'ouvertes, Ungtemps après le chant ils écoutaient encor.

~ Voilà, dît-il, dans mon jeune âge,

Les chants qu'on chantait au village î fis célébraient l'amour, la gloire, les combats...

Si l'air en a vieilli, qu'importe?

Je sais que la mode comporte

D'en composer d'une autre sorte. Avec des mots plus fins. . . mais qu'on ne comprend pas

A ces mots, se levant de table.

Vers le grenier ou vers Tétable, Paires et laboureurs, tous s'en étaient allés;

Et dans une belle eau courante.

Non loin de la treille pendante.

Fredonnant la chanson récente Les garçons de la ferme abreuvaient leurs mulets.

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28 MIRËIO, GANT I.

Mai Mirèio, touto souleto,

Ëro restado, risouleto, Hestado emé Vincèn, lou ûéu de Mèste Ambroi;

E tôuti dous ensèn parlavon^

E si dos tèsto pendoulavon

Uno vers Tautro, que semblavon Dos cabridello ^* en flour que clino un vent galoL

Ab! ço, Vincèn, fasié Mirèio, Quand sus Tesquino as ta bourrèio

E que t'envas pèr orto adoubant li panié. N'en dèves vèire, dins ti viage, De castelas, de liô sôuvage, D'endré, de yot, de roumavage!...

Naulre, sourtèn jamai de noste pijounici

Acô 's bèn di, Madamisello t De Tenterigo di grounsello

Tant vous levas la set que de béure au boucau ; E se, pèr acampa Tôubrage, Dôu tèms fau eissuga l'outrage, Tambèn a soun plesi, lou viage,

E Toumbro dôu camin fai ôublida la caud.

Goume tout-aro, tre qu'estîvo,

Tant lèu que lis aubre d*ôulivo Se saran toul-de-long enrasina de flour,

Dins li plantado emblanquesido

E sus li frais, à la sentido,

Anan cassa la cantarido, Quand vcrdejo e lusis au gros de la calour.

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MIREILLE, CHANT I. «

Mais la jeune fille enchantée

Près de Vincent était restée ; Et tout en se parlant, ils se buvaient des yeux;

Et leurs deux têtes rapprochées

l/une vers Faulre étaient penchées:

Tels, sur leurs tiges détachées, Deux lys vont l'un vers l'autre au gré d'un vent joyeux.

Ah çà ! disait la jeune fille. Quand, chargé de ta pacotille,

Tu vas, par ci par là, vendre quelque panier, En dois-tu voir, dans tes voyages. De vieux châteaux, des lieux sauvages, Des trains, des fêtes, des villages!...

Nous, nous ne sortons pas de notre pigeonnier!

Ne me plaignez pas trop, Mireille I

Du jus de l'acide groseille La soif s'étanche autant que si l'on boit au pot ;

Et si, pour amasser l'ouvrage.

Du temps il faut subir l'outrage.

Gai tout de même est le voyage. Et i'ombre du chemin fait oublier le chaud.

Ainsi, dès qu'on peut quitter l'âtre.

Sitôt que l'olivier verdâtre Est devenu tout blanc sous ses grappes en fleur.

Côtoyant le verger splendide,

Sur le frêne, au flair qui nous guide,

Nous poursuivons la cantharide. Qui verdoie et qui luit au fort de la chaleur.

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30 MIRÈIO, GANT L

Pièi nous li crouinpon i boutigo...

Quouro cuiéD, dins li garrigo^^, Lou vermé rouge ; quouro, i clar, anan pesca

De tiro-sang... La bravo pescot

Pas besoun de fielat ni d*esco :

Fa que de batre l'aigo fresco, Uiruge à vôsti cambo arnbo s'empega.

Mai sias jamai estado i Santo^^?...

Es aqui, pauro! que se canto, Àqui que de pertout s'adus li malandrousf

passerian qu'èro la voto...

Gerlo, la glèiso èro pichoto,

Mai quénti crid! e quant d'esvoto! 0 Santo, grandi Santo, agués pieta de nous!

Es l'an d'aquéu tant grand miracle...

Moun Dieu! moun Diéul quet espetaclcf l/n enfant èro au sôu, plourant, malautounet,

Poulit coume Sant Jan-Batisto;

E d'une voues pielouso e tristo :

0 Santo, rendès-me la visto, Fasié, vous adurrai moun agneloun banet.

A soun entour li plour coulavon. Dôu tèms, li caisse davalavon*^,

Plan-plan, d'eilamoundaut, sds lou pople agrouva ; E pas-pulèu la tourtouiero Moulavo un pau, la glèiso entière, Coume un gros vent dins li broutiero,

Cridavo : Grandi Santo, oh! venès nous sauva.

y Google

MIREILLE, CHANT L 31

Nous la vendons au premier bouge...

Puis nous cueillons le kermès rouge, 0 nous allons pêcher au lac le plus prochaii^

La sangsue... 0 pèche charmante!

Là, pas de filet, pas d^attente.

Pourvu qu'on batte Teau dormante, La sangsue à vos pieds vient se coller soudain.

Mais êtes-vôus allée aux Saintes?

C'est qu'on chante des complaintes, Et qu'un tas d'écloppés se donnent rendez- vous!

Un jour de douce souvenance.

J'y passai; quelle foule immense!

Quels élans! quelle confiance! 0 Saintes ! criait-on, ayez pitié de nous !

C'était l'an de ce grand miracle...

Je crois toujours voir ce spectacle! Un enfant était là, gracieux, ingénu,

Mais aveugle dès sa naissance,

Et disant : Saintes de Provence,

Ouvrez mes yeux ; en récompense iiî fiendrai vous offrir mon agnelet cornu. -

Les femmes pleuraient sur ses traces;

Entre-temps descendaient les châsses. Lentement, de là-haut, sur le peuple à genoux

Au moindre arrêt, l'Église entière,

L'œil fixé sur le sanctuaire,

Comme un grand vent dans la bruyère Criait : 0 Saintes Sœurs, ayez pitié de nous î

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33 MIRÈIO, CANT !.

Mai, dins li bras de sa meirino,

De si manoto mistoulino Tre que i'enfantounet pousquè touca lis os

Di très Mario benurouso,

S'arrapo i caisso miraclousOy

Emé l'arpiado vigourouso Déu negadis en quau la mar jito uno posti

Mai pas-puléu sa man aganto

Em' afecioun lis os di Saato, (Lou veguère !) subrao cridè l'enfantounet

Emé 'no fe meravihouso :

Vese li caisso miraclouso !

Vese ma grand touto plourouso! Anen querre, lèu, lèu, moun agneloun baiiet 1

E vous tambèD,.Madamisello,

Dieu vous mantèngue urouso e bello!

Mai s'un chin, un lesert, un loup, o 'n serpatas, 0 touto autro bèsti courrènto, Vous fai senti sa dent pougnènto, Se lou malur vous despoutènto,

Gourrès, courrès i Santo ! aurés léu de soûlas. -

Ansin fusavo la vihado.

La carreto desatalado Emé si grandi rodo ourabrejavo pas liun;

Tèms-en-tèms dins li palunaio

S*entendié dinda 'no sounaio...

E la niachoto que panlaio Au caut di roussi gnou apoundié soun plagnun«

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MIREILLE, CHANT I. dli

Mais soutenu par sa marraine.

Qui guidait sa marche incertaine. Dès que l'enfantelet, ses petits bras en l'air.

Peut saisir la sainte relique,

Il s'y cramponne et se l'applique

Avec la vigueur frénétique D'un naufragé qui trouve une planche à la merl

Et pas plus tôt sa main joyeuse

Touche la châsse bienheureuse, Qu'à l'état naturel son œil est revenu.

Oh ! dit-il, grâce inespérée I

Je vois la châsse vénérée f

Je vois mon aïeule éplorée 1 Gonrons vite chercher mon agnelet cornu!

Et vous aussi, Mademoiselle,

Que Dieu vous garde heureuse et belle I Mais ai jamais un loup, ou tout autre animal.

Vous mordait de sa dent cruelle ;

Si le sort, jaloux, infidèle,

Vous touchait jamais de son aile, Vite aux Saintes! c'est qu'on guérit de tout mal!

Ainsi, s'écoulait la veillée ;

Non loin de là, sous la feuillée. Le grand char projetait son ombre sur le sol ;

Le son aigu d'une clochette

Tintait dans la lande muette...

Et sur les ormes la chouette, Mêlait son cri plaintif au chant du rossignol.

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S4 MIRÊIO, CANT I.

Mai, dins lis aubre e dins li lono D'abord qu'aniue la luno dono,

Voulès, dis, que vous conte une fes qu'en courrènt D*en-tant-lèu gagnave li joie? La chatouneto digue : Solo ! E mai qu'urouso, la ninoio

En tenènt soun alen s'aprouchè de Vinçèn.

Ère à Nimes, sus TEsplanado, Qu'aquéli course èron dounado,

A Nimes, o Mirèio!... Un pople amoulouna

E mai espés que peu de tèsto,

Èro aqui pèr vèire la fèsto.

En peu, descaus e sènsô vèsto, Proun courrèire au mitan déjà venien d'ana.

Tout-en-xm-cop van entre-vèire

Lagalanto, rèi di courrèire, Lagalanto, aquéu fort que soun noum de-segur

Es couneigu de Tosto auriho,

Âquéu célèbre de Marsiho,

Que de Prouvènço e d'Italie Avié desalena lis orne li plus dur...

T'avié de cambo, avié de cueisso

Goume lou Senescau Jan Cueisso >M De large plat d'estam avié'n plen estanié,

Mounte si course èron escricho ;

E tant n'avié, de cherpo richo,

Qu'aurias jura qu'à si traficho, Mirèio, l'arc-de-sedo espandi se teniél

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MIREILLE, CHANT L 85

Pendant, dit le gars, que la lune Oscille et dort sur la lagune,

Voulez-vous qu'en passant je vous conte comment. Un jour de fête patronale, J'ai cru décrcreher la timbale?

Oui, dit la jeune Provençale

Qui soudain se rapproche un peu plus de Vincent

C'est à Nîmes, sur l'Esplanade, Vaste et superbe promenade,

Que ceci se passait... Un peuple aggloméré.

Et plus épais que poils de tête,

Se pressait pour voir la fête ;

Et, dans la lice toute prête. Des agiles coureurs le groupe était entré.

Tout à coup parut Lagalante,

Roi des coureurs, sans qu'on le vante; Lagalante, ce fort dont le nom, à coup sûr,

A sonner à votre oreille;

Ce ûls célèbre de Marseille,

Dont tout le monde dit merveille. Tant il battit de fois le rival le plus dur...

Quelle taille! quelle membrure!

Tout est vigueur en sa nature ; De larges plats d'étain son mur est constellé ;

Chaque plat marque une victoire;

On voit tant d'écharpes de moire

A son plafond, qu'on pourrait croire Que Tarc-en-ciel y loge et s'y tient étalé.

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86 MIRÊIO, OANT I.

Mai tout-d'un-tèms, beissant la tèsto. Lis antre cargon mai si vèsto...

Res emé Lagalanto auso courre. Lou Cri» Un jouveinet de primo traco, (Mai qu'avié pas la cambo flaco !) Ëro yengu mena de vaco

A Nimes, aquéu jour : soûl, ausè TagarrL

lén que d'asard me i'atrouvère !

Eh ! noum-d'un-gàrri ! m'escridère, Sian courrèire peréu!... Mai qu'ai di, fouligau

Tout acô vèn : D'aut ! te fau courre !

E jujas vèire : sus li moure,

E pèr temouin rèn que li roure, N'aviéu just courregu qu'après li perdigaut

Fauguè i*ana! Fa Lagalanto,

Qu'entre me yèire, ansin m'aplanto : •— Pos, moun paure pichot, liga ti courrejoun '1

E 'nterin, de si cueisso redo

Eu estremavo la mouledo

En de braieto facho en sedo, Que dès cascaTèu d'or à l'entour i'èron joun.

Pèr que l'alen se repause, Prenèn i bouco un brout de sause;

Tôuti, coume d'ami, nous toucan lèu la man. Trefouli de la petelego, '

Emé lou sang que nous boulego, Tôuti très, lou pèd sus la rego,

Esperan lou signau!... Es douna! Goome un lamp

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MIREILLE, CHANT L 87

En le voyant, la tête basse,

Tous les coureurs quittent la place...

Comment se mesurer avec un tel rival !

Seul, un berger, vaillant jeune homme. Le Cri, c'est ainsi qu'on le nomme. Flaire, se tftte, et trouve en somme

pour lui le combat n'est pas trop inégal.

Moi, témoin de tout ce manège.

Nom d'un bonhomme I m'écriai-je. Nous aussi nous courons!... Malheureux, qu'ai-je dit!

On encourage ma folie,

On m'excite dans mon envie,

Moi qui n'ai couru de ma vie. Qu'après quelques perdreaux échappés de leur nid!

Je me risque, arrive que plante.

Tu cours, petit? dit Lagalante, Serre donc ta chaussure ; oh ! serre, serre encor ;

En même temps, sa main calleuse

Enfermait sa chair musculeuse

Dans une brayette soyeuse, A laquelle pendaient dix joyeux grelots d'or.

Pour que le souffle s'y repose, Nos dents pressent un brin de rose;

Tous, comme des amis, nous nous tendons la main; Tressaillant, respirant à peine. Le sang bouillant dans chaque veine, Nous voilà tous trois sur Tarène,

attendant le signal!... il est donné! Soudain

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88 MIRÊIO, GANT L

Tôuti très avalan la piano !

tu! iéu! E dins Tandano Un revoulun de pôosso embarro nôsti saut!

E Ter nous porto, e k>u peu tubo...

Ohl qu'afecioun! oh! queto estubo!

Long-tèms, déu vanc que nous atubo, Creseguéron qu'en front empourtarian l'assaut!

Iéu à la fin prene l'avanço. Mai fugué bén ma maluranço!

Car, en estent que iéu, coume un fier fouletoun, A la perdudo m'abriyave, Tout-en-un-cop, meurent e blaye, Au béu moumen que 11 passave,

Darboune, court d'alen, e de mourre*bourdoun!

Mai éli dous, coume quand danson

Â-z-Ais li ChiYau*-frus», se lançon, Régla, toujour régla. Lou famous Marsibés

Gresié segur de l'avé belle!...

S'éi di qu'avié gen de ratello :

Lou Marsibés, Madamisello, Pamens trouTè soun orne en lou Cri de Mouriés^* !

Dintre lou pople que i'afloco,

Déjà brulavon de la toco^... Ma belle, aguessias vist landa lou Cri!... Vclou !

Ni pér li mount ni pér li servi.

Fa ges de lèbre, ges de cér?i

Qu'agon au courre tant de nérvi ! Lagalanto t'alon^o en ourlant coume un loup...

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MIREILLE. CHANT I.

Nous nous lançons dans la carrière

 Tenvi ; des flots de poussière Enveloppent nos pas; l'éclair n'est pas plus prompt!

Et le poil fume, et l'air nous porte ; .

C'est l'un, c'est l'autre qui l'emporte;

Telle est l'ardeur qui nous transporte, Qa'on s'attend à nous voir tous arriver de front!

Enfin, c'est moi qui prends l'avance ;

Mais ce fut ma maie chance ! Car pendant que mes bonds ardents, désordonnés.

M'aident à dévorer l'espace,

Âa moment je les dépasse.

Tout à coup, sur ma janâbe lasse. Je fléchis, court d'haleine, et vais donner du nez!

Eux, par contre, imitant la danse

Des Ghevaux-frux d'Aix en Provence, Gourent d'un pas réglé, bien réglé... qui l'eût dit?

Le Marseillais, chance cruelle

Alors qu'elle semblait si belle!

Le Marseillais, Mademoiselle, Cette fob se trouva dépassé par le Cri.

A travers la foule qu'ils fendent.

Et presque au but, leurs bras se tendent, Gomme pour le toucher... Ruisselant de partout,

Le Cri s'élance à tire d'aile ;

Ce n'est plus le daim qu'il rappelle

Ni le lièvre, c'est l'hirondelle ! Lagalante se rue en hurlant comme un loup...

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10 MIREIO, GAMTI.

E Ion Cri, courouna de gloio,

Embrasso la barro di joio ! Tôuti li Nimausen, en se precepitant,

Volon counèisse sa patrie ;

Lou plat d'estam au soulèu briho,

Li palet^ dinden, is auribo Gante Tauboi... Leu Cri reçaup lou plat d'estain.

E Lagalanto? Mirèio.

Âgroumeli, dins la tubèio

Que lou trapé d6u pople aubouravo à l'entour, Tenié sarra de si man jouncho Si dous geinoui ; e Tamo pouncho De rescomo que tant lou councbo,

1 degout de soun front eu mesclayo de plour.

Lou Cri Tabordo e lou salùdo :

Soute l'autin d'une begudo, Fraire, digue lou Cri, *mé iéu vène-t'enlôu!

Vuei lou plesi, deman la reno ! Vène, que beguen lis estreno ! Âlin, darrié li grands Areno, Pèr tu, coume pèr iéu, vai, i'a 'nca proun soulôu I

Mai, aubourant sa caro blavo, E de sa car que trampelavo Arrancant si braieto emé d*esquerlo d'or .

D'abord que iéu l'âge m'esbréuno, I respoundeguè, soun tiéuno ! Tu, Cri, la jouinesso t'assiéuno :

Em' ounour pos pourta li braio dôu plus fort.

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MIKEILLE, CHANT 1. 41.

Mais le Cri, couronné de gloire.

Touche le but... hurrah! victoire! On veut savoir son nom, on vient serrer sa main;

Le plat dans les airs se balance.

Les palets tintent en cadence.

Le tambour bat... Le Cri s'avance Et triomphalement reçoit le plat d'étain.

Et Lagalante? dit Btireille ;

Le pauvre vaincu de Marseille, \ccroupi, désolé, dévorant son aifronti

11 était là, dans la poussière. Ne supportant plus la lumière, Et, plus qu'à son heure dernière, U mêlait à ses pleurs les gouttes de son front»

Le Cri l'aborde et le salue ;

Au cabaret de l'Avenue,

Vioks, dit-il, oublier les caprices du sort !

Aux plaisirs succèdent les peines.

Viens, allons boire les étrennes !

Là-bas, derrière les Arènes, Pour toi, comme pour moi, le soleil luit encor!

Mais, l'œil éteint, la face blême. Toujours plus honteux de lui-même, U lire la brayette aux joyeux grelots d'or :

Puisque la force m'abandonne, Tiens, lui dit-il, je te la donne I En toi la jeunesse rayonne.

Tu peux, tu peux porter les grelots du plus fort.

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i% MIRËIO, GANT I.

Acô-d'aqui fugué sa dicho.

£ dins la prèisso que s'esquicho, Triste coume un long frais que Fan deseapela

Despareiguè lou grand courrèire.

Ni pèr Sant-Jan ni pèr Sant-Pèire,

En-liô jamai s'es plus fa vèire Pèr courre yo sauta sus Touire boudenfla. -^

Dayans lou Mas di Falabrego,

Ânsio Vincèn fasié desplego Di cause que sabié. Li rouito yenien,

E soun iue nègre flamejayo.

Ço que disié, lou brassejayo,

£ la paraulo i'aboundayo Coume un ruscie subit su 'n reyiéure maien.

Li grihet, cantant dins li mouto, . Mai d'un cop fagdëron escouto ; Souvent li roussignôu, souyènt l'aucèu de niue

Dins lou bos faguèron calamo ;

£ pertoucado au founs de Tamô,

Elo» assetado sus la ramo, Enjusqu'à la primo aubo aurié pas plega i^iae.

léu m'es d'avis, fasi' à sa maire, Que, pèr l'enfant d*un panieraire.

Parle rudamen bèn!... 0 maire, es un plesi De soumiha, Tivèr ; mai aro Pèr soumiha la niue 's trop claro : Escouten, escouten-rencaro...

Passariéu mi yihado e ma yido à Tausi t

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MIREILLE, CHANT I. 43

A ces mots, dans la foule émue,

Il se dérobe et s'insinue. Plus triste qu'un yieux pin quand la foudre le fend ;

Et depuis lors, aucune fête

Ne Ta plus vu, vaillant athlète,

Le regard fier et haut tète, Hi courir, ni sauter sur le bouc plein de vent.

Devant le mas, sous le feuillage.

Ainsi Vincent fait l'étalage De tout son gai savoir; son regard animé.

Son geste, sa pose éloquente

Secondent sa parole ardente.

Qui tombe rapide, abondante. Comme un orage dru sur un regain de Mai.

Les grillons, dont Therbe foisonne.

Ont cessé leur chant monotone ; Le rossignol s'est tu, sous les feuillages verts ;

Elle, assise sur la. ramée.

Sentait, dans son âme charmée.

Une ivresse inaccoutumée. Et aoB front s'inclinait sous des pensers divers!

Un fils de vannier, dit Mireille,

Parler ainsi ! Quelle merveille!... Linver, je le comprends, il est doux de dormir !

Mais l'été, quand Ysàt qui se dore

Joint le crépuscule à l'aurore.

Écoutons, écoutons encore.... le passerais mes jours et mes nuits à l'ouïr !

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NOTES DU CHANT PREMIER

* Quoique le mot jouvence, encore vsité dans la langue provençale) le soit peu dans la langue française, il nous a semblé qu'il trouverait ici sa grâce, en faveur de la fidélité de la traduction.

1 . Lou Mas di Falabrego (le Mas des Micocoules). Le mot fiutt^ maison rustique, ferme, métairie, est usité surtout dans Tar- rondissement d'Arles et en Languedoc. Dans la Provence orientale, on emploie de préférence le mot bastido, et dans le Gomtat celui de granjo.

Chaque Mas porte un nom distinctif et caractéristique : ainsi lou Mas de la Font, lou Mas de VOste, lou Mas Cremat lou Mas di Falabrego,

La falabrego est le fruit du micocoulier, en provençal /alo- breguié {Cdtis austraUs de Linné), grand arbre commun en Provence. Les mots mas et falabrego sont tous deux d'origine celtique. On prétend môme que Marseille, Massàlia, vient de mas Sàlyum, habitation des Salyens.

2. A iravès de la Crau travers la Grau). La Grau (du grec xpaOpoç, aride), vaste plaine aride et caillouteuse, bordée au nord par la chaîne des Alpines, au sud par la mer, au levant par les étangs du Martigue, au couchant par le Rhône. C'est TArabie Pétrée de la France. Elle est traversée par le canal de Graponne, qui la parsème d'oasis. (Voyez le chant VIII.)

3. Magalouno (Maguelonne), sur le littoral du département de l'Hérault. De cette cité, ancienne colonie grecque, il ne reste aujourd'hui qu'une église en ruine. M. Moquin-Tandon, membre de Tinstitut et poète languedocien, a composé, sous le nom de Carya magalonensis, une spirituelle chronique en langue romane sur les principaux événements dont cette ville (ùt le théâtre pendant les premières années du quatorzième siècle.

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NOTES DU CHANT I. 45

4. Vèni'larg (vent largue), qui souffle du large, brise de Ber

5. Lou Rau (le Rau), vent d'ouest qui amène quelquefois la pluie.

6. Câspi ou caspitello, interjection qui marque la surprise, pouvant se rendre par dame! iudieu!

7. LiBaussenco (les filles des Baux). Li Baui (les Baux) Tille ruinée, ancienne capitale de la maison princière des Baux. I A trois lieues d'Arles, au sommet rocailleux d'un versant des Alpines, sont épars les débris d'une ville qui, par le gran- diose du site, par l'ancienneté de sa fondation et l'importance do rôle qu'elle a joué dans les annales du pays, attire les pas da voyageur, exalte l'imagination de l'artiste, offre à la curio- nié des archéologues une abondante pâture, irrite et confond Murent leur docte sagacité. » (Jules Ganonge, Histoire de la «iUe det Baux en Provence.)

Gomme le nom de cette poétique localité reparaît plusieurs fois dans le poème, nous croyons que le lecteur lira avec plai- sir la description suivante, empruntée au môme auteur.

...KnÔn s'ouvrit une étroite vallée: je m'ii^clinai devant vue croix de pierre dont les débris sanctifient la route, et <IQand mon regard se releva, il s'arrêta étonné sur un ensem- Ue de tours et de murailles perchées à la cime d'un roc, tel <|ae je n'en avais jamais vu, excepté sur les œuvres le génie de la peinture s'est inspiré des plut fabuleuses imaginations de l'Arioste. Mais si mon étonnement fut grand à ce premier >ipeet, il redoubla lorsque j'eus gravi une éminence d'où la Tille entière se déploya devant moi : c'était un tableau de irandeur désolée comme ceux que nous fait rêver la lecture des prophètes; c'était, ce dont je ne soupçonnais pas l'exit- ^ee, c'était une ville presque monolithe. Ceux qui les pre- 'uers eurent la pensée d'habiter ce rocher taillèrent leur abri d«nt ses flancs; ce nouveau système d'architecture fut jugé iKm par leurs successeurs, car la masse était vaste et com- pacte : une ville en sortit bientôt comme une statue du bloc d*où l'art la fait jaillir : une ville imposante, avec ses fortift- cttioQs, tes chapelles et ne» hospices, une viUe l'homme

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46 NOTES DU CHANT 1.

femhlait avoir éternisé sa demeure. L'empire de cette cité s'étendit au loin; de brillants faits d*armes lui conquirent une noble place dans Thistoire, mais elle n*en fut pas plus durable que tant d'autres moins solidement construites . > L'action du poème commence au pied de ces ruines.

8. Valàbrego (Valabrègue), village situé sur la rive gauche du Rhône, entre Avignon et Tarascon.

9. ForU'Vièio (Font-Vieille), village situé dans une vallée des Alpines, aux environs d'Arles.

iO. Colo Baussenco (collines des Baux). (Voyez la note 7.)

11. £t mirau soun creba (les miroirs sont crevés). En pro- vençal on appelle mirau, miroirs, deux petites membranes luisantes et sonores que les cigales ont sous l'abdomen, et qui, par leur frottement, produisent le bruit connu sous le nom de chant. On dit proverbialement d'une personne dont la voix est brisée par l'âge : a li mirau creha, elle a les miroirs crevés.

12. Martegau (Martégal), habitant du Martigue, en proven- çal lou MarteguCf curieuse ville de Provence, presque entiè* rement peuplée de pécheurs, bâtie sur des Ilots, au milieu de la mer et de nombreux étangs, sillonnée de canaux en guise de rues, ce qui lui a valu le surnom de Venise provençale. Elle a donné le jour à Gérard Tenque, fondateur des Hospitalier! de Saint-Jean de Jérusalem.

13. QiuLnd Mario fielavo (quand Marthe filait), expressioii proverbiale qui signifie ; Dans un temps plus heureux, dans le bon vieux temps, par allusion peut-être à Marthe, l'hôtesse du Christ, qui, après avoir, selon la légende, délivré Tarascon du monstre qui ravageait son territoire, termina ses jours dans cette contrée, habitant une maisonnette aux bords du Rhône, et filant modestement sa quenouille au milieu de ses néophytes.

14. Cahridello (cabridelle, aster tripolium. Lin.), plante commune dans les marécages du Midi.

15. Garrigo (garrigue), lande il ne croit que des chénei- nains, agarrus.

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NOTES DU CHANT L 47

16. Sias januù estado i Santo (n'avez-yous jamais été aux Saintes?). Les Saintes-Maries-de-la-Mer, en provençal Li Santo, petite Tille de 543 habitants, située dans Tlle de Camargue, an bord de la mer, entre les embouchures du Rhdne. Une vénérable et poétique tradition y attire, le 25 mai de chaque année, de tous les points de la Provence et du Bas-Languedoc, une afiluence innombrable de pèlerins.

La légende rapporte qu'après la mort du Christ les Juifs contraignirent quelques-uns de ses plus fervents disciples à monter sur un navire désemparé, et les livrèrent à la merci des flots. Voici comment un vieux cantique français décrit eette scène :

LES JUIFS

Entrez, Sara, dans la nacelle, ^

Lazare, Marthe et Ifaximin, Glëon, Trophime, Saturnin, Les trois Maries et Marcelle, Buirope et Martial, Sidoine avec Joseph {A'Ârimatkie), Vous périrez dans cette nef.

Allez sans voile et sans cordage, Sans mât, sans ancre, sans timon, Sans aliments, sans aviron. Allez Cure un triste naufrage ! Retirez-vous d'ici, laissez-nous en repos, Allez crever pariùi les flots.

Conduite par la Providence, la barque vint aborder en Pro- tence, à l'extrémité de File de Camargue. Les pauvres bannis, ■Braculeusement échappés aux périls de la mer, se disper- lèrent dans la Gaule méridionale et en furent les premiers ^lôtres.

Marie-Magdelehie, l'une des trois Maries, se retira dans le désert de la Sainte-Baume, pour y pleurer ses péchés. Les deux autres, Marie-Jacobé, mère de saint Jacques le Mineur, etMarie-Salomé, mère de saint Jacques le Majeur et de saint lean l'Évangéliste, accompagnées de leur servante Sara, après avoir converti à la foi nouvelle quelques-unes des peuplades foisines, revinrent mourir au lieu de leur débarquement (T<^i le chant XU

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48 NOTES DU GHAMT I.

M. B. Laurens, qui a raconté et dessiné, dans le journal rillustration (t. XX, p. 7), le pèlerinage des Saintes Maries, ajoute : On dit qu'un prince dont le nom n*est pas désigné,' sachant que les corps des Saintes .Maries reposaient en cet endroit, y fit bâtir une église en forme de citadelle, pour la mettre à couvert de Tinvasion des pirates. Il fit bâtir égale* ment à Tentour de l'église des maisons et des remparts pour mettre les habitants du pays en sûreté. Les constructions que Ton voit encore aujourd'hui répondent parfaitement à cette dernière tradition.

» En 1448, après avoir entendu un sermon sur le bonheur qu'avait la Provence de posséder les dépouilles des Saintes Maries, le roi René alla visiter l'église bâtie en leur honneur, fit faire des fouilles pour trouver les saints ossements, et le succès de son entreprise fut constaté par l'odeur merveilleuse qui s'exhala au moment chaque corps fut mis à découvert. Il est inutile de dire tous les honneurs qu'on rendit à ces reliques et tout le soin qu'on en prit. >

i7. Li caisso davàlavon (les châsses descendaient) .

t Le chœur de l'église présente cette particularité d'être formé de trois étages : une crypte, qui est désignée comme étant la place même de l'antique oratoire des Saintes, un sanctuaire exhaussé plus qu'à l'ordinaire, et une chapelle supérieure sont exposées les châsses des reliques... Ce- pendant d'innombrables cierges tenus par les assistants s'allu- ment, et le cabestan dont la chaîne retenait la châsse des reliques se déroulant, cette châsse descend lentement de la chapelle supérieure dans le chœur. C'est le moment favorable aux miracles. Aussi un concours immense de supplications s'élève de tous côtés : Saintes Maries, guérisse* mon enfant! tel est le cri pénétrant qui vient arracher des larmes au cœur le plus froid. Tout le monde attend, en chantant des can- tiques, le moment il pourra faire asseoir sur la châsse un pauvre aveugle ou un épileptique, et quand il y est parvenu, tout le monde se croit exaucé. » (B. Laurens.)

18. Jan Cueisso (Jean de Cessa), seigneur napolitain, qui avait suivi le roi René, grand sénéchal de Provence, mort m

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NOTES DU CHANT I. 19

1476. Jan Cueisso est très populaire à Tarascon, le peuple loi attribue la construction du clocher de Sainte-Marthe. Il est enterré dans la crypte de celte église^ et sa statue couchée surmonte son tombeau.

19. Pos, moun paure pichot, liga ti courrejoun (tu peux» mon pauvre petit, lier les courroies de les souliers), c'est* à-dire te préparer à une course rapide : express. proT.

20. chivau-frus (les cheyaux frux), chevaux de carton peint, en usage dans les réjouissances publiques de la Pro- vence, et particulièrement à Aix, lors de la Fête-Dieu. Les cavaliers les ajustent à leur ceinture, et parcourent les rues en dansant au son du tambourin.

21. Mouriés (Mouriés), village au midi des Alpines.

22. Brvlavon de la toco (ils MilâietU du but), pour dire : ils touchaient presque le but.

23. Li palet ou cimhaleto (les palets) sont des disques d'acier qu'on frappe l'un contre l'autre comme les cymbales.

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CANT SEGOUND

LA CULIDO

UirMo cueie de fueio d'amourië pèr si magnan. •— D'asard, Vincèn lou panieraii'e passo au carreiroun vesin. La chato lou sono. Lou drôle coar, e pèr i'ajoda, moanto e m'elo sus Faubre. Charradisso di dous enfant. Vincèn fai la coumparesonn de sa sorre Vinceneto emë Mirèio. Lou nis de pimparrin. I^ branco routo. Mirèio emë Vincèn toumbon de Taubre. ^ L'amouroso chatouno se declaro. Lou drôle apassiouna dei- boundo. La Cabro d*or, la figuiero de Vau-OIuso. Mirèio es sounado pèr sa maire. Escaufèstre e separacioun di cali* gnaire.

Gantas, cantas, magnanarello S Que la culido es cantarello !

Galant soun li magnan e s'endormon di tres^; Lis amourié soun plen de fiho Que lou bèu tèms escarrabiho, Goume un vôu de blôundis abiho

Que raubon sa melico i roumanin dôu grès*

En desfiiiant vôsti verguello»

Gantas, cantas, magnanarello! Mirèio es à la fueio, un bèu matin de Mai.

Âquéu matin, pèr pendeloto,

A sis auriho, la faroto I

Âvié penja dos agrioto

Vincèn, aquéu matin, passé 'qui tourna-mai.

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CHANT DEUXIÈME

LA CUEILLETTE

linilto easille des fenillat de mûrier poor tes ren I foie. Pw hasard, Vincent, le laceommodeur de eorbeilles, passe an sentier veisin. ~ La jenne fille l'appelle. Le gars accourt, et, pour l'aider, monte evee elle snr l'arbre. Causerie des deux enfSantf . » Vincent fiUt le parallèle de sa sosar Vincenette et de Mireille. Le nid de pinsons bleus. La branche rompue. —Mireille et Vincent tombent de l'arbre. -^ La jeune fille déclare son amour. BHUante explosion du jeune homme.— La Chèvre d*or, le figuier de Vaucluse. Mireille est rappelée par sa mère. Émoi et séparation des deux amants.

Chantez, chantez, magnanarelles !

Les chants joyeux vont bien aux belles! Trois fois les vers à soie ont dormi leur sommeil ;

Dans les mûriers, fraîches, gentilles.

Se répandent lés jeunes filles.

Ainsi qu'on voit dans les charmilles Un Yol d'oiseaux s'ébattre au lever du soleil.

En cueillant les feuilles nouvelles, Chantez, chantez, magnanarelles I

Mireille est à la feuille un beau matin de mai. Coquettement, toutes pareilles, Au lieu de boucle à ses oreilles, Pendaient deux cerises vermeilles....

ViDcem faisait par son tour accoutumé.

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52 MIRÈIO, CANT II.

A sa bdrreto escarlalino,

Coume an \i gènt di marlatino, Avié poulidamen uno plumo de gau,

E'n irapejant dins li draiolo

Fasié fugi li serp courriolo,

E di dindànti clapeirolo Emé soun bastounet bandissié li frcjau.

0 Vincèn, faguè Mirèio

D'entre-mitan li verdi lèio. Passes bèn vite, que ! Vincenet tout-d'un-tèm

Se revirè vers la plantado,

E, sus un amourié quihado

Coume une gaio couquihado', Deslousquè la chatouno, e lande, count^Bt.

Bèn? Mirèio, vèn bèn la tomt

Hc! pau-à-pau tout 60 despueio...

^ Voulès cpe vous ^udeî— 0 !... Dôu tèms qu'eilamount

Elo risié jilant de siéule,

Vincèn, picani éfio. pèd lou tréule,

Escale Vmàare coume un gréule. Mirèio, n'a f«e tous lou vièi Mèsle Ramoua ?

Fasès li baisso! aurai li cuno,

léu, boutas! E *mé sa man primo, Elo en môusènt laramo : Engardo de lai :;ui

De Iravaîa 'n pau en coumpagno !

Souleto, vous vèn uno cagno !

Dis. léu peréu ço que m'enlagno, Bespoundeguè lou drôle, es just acô-d*aqiii.

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MIREILLE» CHANT IL 53

Sur le bonnet rouge écarlate

Qui le relève et qui le flatte, S'élerait gentiment une plume de coq ;

Et, de son bâton, dans sa ronde.

Il battait Técume de Tonde,

Ou la couleuvre vagabonde, Ou les cailloux poudreux qui roulaient sous le cboc.

Vincent! dit la fillette accorte,

Du haut du mûrier qui la porte, Mais tu passes bien vite...? vas-tu si matin...?

Vincent regarde à la cueillette,

Et dénichant sur sa branchette,

La jeune fille guillerette, n s'élance vers elle et bénit son destin.

Eh bien! Mireille, cette feuille Vient-elle bien? Elle se cueille.

Ftnt-il vous aider? Soit! Et ce petit démon,

Sur ce simple mot qui l'appelle. Là-haut, sur l'arbre rit la belle. Est déjà debout auprès d'elle...

Mireille, il n'a que vous, le vieux Maître Ramon?

Vous plairait-il que, par étage. Notre besogne se partage ? Vous le bas, moi le haut? Oui, dit-elle, il fait bon Avoir un peu de compagnie ! Seule on a la mélancolie !

Justement c'est la maladie

Qui m'affecte souvent, dit le jeune garçon.

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51 MIRÈIO, GANT IL

Quand sian eiça dins nosto bôri,

Mounte n'ausèn que lou tafôri DiSu Ilose tourmentau que manjo lis auvas,

Oh I de fes, quéti languitudo 1

Pas tant l'estiéu, que, d'abitudo,

Fasèn nôstis escourregudo, L'estiéu, emé moun pai, d'un mas à Tautre mas.

Mai quand lou verbouisset vèn rouge. Que H jour se fan ivernouge,

E longe li vihado ; autour déu recaliéu, Ëntanterin qu'à la cadaulo Quauque esperitoun siblo o miaulo, Sénso lume e sens grand paraulo

Pau espéra la som, tout soulet iéu em'éuf...

La chato fai à la lèsto :

Mai dounc ta maire, mounte rèsto?

Es morto!... Lou drouloua se teisè 'n moumenet, Pièi reprenguô : Quand Vinceneto Ëro emé nautre, e que, jouineto, GardaYO enca la cabaneto,

Alor èro un plesi ! Mai coume? Vincenet,

At uno sorre ? E la jouvênto,

Braveto qu'es e bèn-fasènto. Digue lou verganié ;... trop! qu'à la Font-dôu-Rôi,

Âliû en terro de Bèu-Gaire,

Ëro anado après li segaire,

Tant i'agradè soun galant faire Que pèr tanto l'an presse, e tante i'es dempièi.

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MIREILLE, CHANT II. 55

Vivre au loin, dans une mazure,

N'entendant rien que le murmure Dn Rhône qui s'écoule en rongeant les graviers ;

Quel ennui ! quelle solitude !

En été, la vie est moins rude ;

Car mon père et moi, d'habitude, Nous allons par les mas raccoutrer des paniers.

Mais l'hiver, quand dort la nature; Quand le houx rougit sa verdure;

Que la bise est dans l'air, qu'à la hutte, le soir» Passant par des portes disjointes. Elle entre et fait sentir ses pointes, Et qu'on est là» deux, les mains jointes^

Attendant le sommeil, sans parier, sans y voir!...

Comment, deux? dit la jouvencelle ; Mais ta mère demeure-t-elle ?

—Elle est morte !... A ces mots, Vincent essuie un pleur;

Puis reprenant : Quand Vincenette

Vivait chez nous, gente sœurette,

Elle égayait la maisonnette... ~ Eh quoi, Vincent! le ciel te fit don d'une sœur?

Oui, d'une sœur modeste et sage» Et bonne fille de ménage ;

Trop bonne... car naguère à la ferme des Puits.

Là-bas, en terre de Beaucaire,

Elle eut si bien le don de plaire,

Que le maître, pour ménagère L'a prise à son service et la garde depuis.

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65 IIIREIO, GANT 11.

doDcS d'èr, à ta sourreto?

Quaa? iéu? pas mai! Elo èi saureto,

E iéu siéu, lou yesès, bnm coume un courcoussoun...

Mai pu]éu, sabés, quau reverto ?

Vous ! Vôsti tésto disaverto,

Goume 11 fueio de la nerto Vôsti peu aboundousy dirias que soun bessoun.

Mai pér sarra la claro telo

De Yosto couifo, bèn mies qu'elo Iliréio, avès lou fîéu !... N'es pas laido, tambèû,

Ma sorre, nimai endouroiido ;

Mai TOUS, de quant sias pu poulido !

Miréio aqui, mita culido, Leissant ana sa branco : Oh ! dis, d'aquéu Vincèn! ••*

Gantas, cantas, magnanarello!

Dis amourîé la fueio es beUo, Galant soun li magnan e s'endorraon di très ;

Lis amourié soun plen de fiho

Que lou bèu téms escarrabiho,

Goume un yôu de blôundis abiho Que raubon sa melico i roumanin déu gres.

Alor, m'atroves galantouno Mai que ta sorre? La chatouno

Faguè 'nsin à Vincèn. De forço, eu responndè.

E qu'ai de mai? Maire divino ! E qu'a de mai la cardelino

Que la petouso mistoulino, Scnoun la bèuta même, o lou cant, e Testa !

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MIREILLE, CHANT II. 57

Et ta sœur te ressemble-t-elle?

Nom, rien en moi ne la rappelle,

Elle est blonde et je suis noir comme un cucerou... Vous plutôt ! la taille, l'aisance, Vous donnent quelque ressemblance ; C'est surtout la même abondance

De beaux cheveux roulés autour de votre front.

Mais combien vous savez mieux qu'elle

Las serrer sous votre dentelle !... Ma s(Bur n*est pas plus mal qu'une autre assurément,

Mais vous, sans que je l'humilie,

Ah! que vous êtes plus jolie!...

Là, Mireille, à moitié cueillie Laisse échapper la branche et dit : Oh! ce Vincent !•••

Chantez, chantez, magnanarelles !

Des mûriers les feuilles sont belles, Trois fois les vers à soie ont dormi leur sommeil ;

Dans les mûriers, fraîches, gentilles.

Se répandent les jeunes filles.

Ainsi qu'on voit dans les charmilles, Un vol d'oiseaux s'ébattre au lever du soleil.

Donc, tu me trouves plus gentille Que ta sœur? dit la jeune fille

Qui s'en doutait iin peu. De beaucoup, dit Vincent.

Et qu'ai-je de plus? 0 coquette! Mais qu'a donc de plus la fauvette Que la piteuse mauviette.

Sinon la beauté môme, et la grâce et le chant !

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58 MIRËIO, GANT 11.

Mai encaro? Ma pauro sorre, Noun vas aguë lou blanc dôu porrc!

Goume Taigo de mar Yinceneto a lis iue Que bluiejoa e clarejon.... Li vostre coume un jai negrejon , E quand dessus me beluguejon,

léu me sèmblo que chourie un cigau de TÎn cuc^«

De sa voues linjo e clarinello.

Quand cantavo la PeirounellOy Ma sorre, aviéu grand gau d'ausi soun dous acoi*d ;

Mai vous, la mendi;o resouneto

Que me digues, o jouveineto !

Mai que pas ges de cansouneto Encan to mouu auriho e bourroulo moun cor

Ma sorre, en courrènt pèr li pâti, Ma sorre, coume un brout de dàti

S'èi roustido lou coui e la caro au soulèu; Vous, bello, crese que sias facho Goume li flour de la pourracbo ; E de Testiéu la man mouracho

Noun auso caressa voste front blanquiiièu

Goume uno damo de gandolo

Ma sorre es enca primacholo ; Pecaire! dins un an a fa tout soun croissent...

Mai de l'espalo enjusqu'à Tanco,

Vous, 0 Mirèio, rèn vous manco !

Miréio, lâchant mai la braneo, E touto rouginello : Oh ! dis, d'aquéu Vincèn!

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MIREILLE, CHANT IL 59

Mais encdr?— Dans ce parallèle.

Le prix ne sera pas pour elle, PftuTre sœur! Son œil bleu sous ses longs cils reluit;

Le vôtre est noir; votre prunelle

Scintille et plus vive et plus belle.

Et sur moi quand elle étincelle, 0 semble que je boive un godet de vin cuit.

Quand, de sa voix douce comme elle.

Elle chante la Peyronelle, Rien ne me plaît autant que le chant de ma sœur;

Mais que votre fine languette

Dise un seul mot; cette bluette

Plus qu'aucune autre chansonnette Enchante mon oreille et transporte mon cœur.

En courant par les pâturages.

Gomme un fruit des palmiers sauvages lia sœvir brûla son teint et sa chair au soleil*,

Vous, votre chair n'est pas brûlée.

L'été ne vous a point hâtée,

Et, dans le creux de la vallée, Les roses et les lis n'offrent rien de pareil!

A régal d'une sauterelle.

Ma sœur est encor toute grêle ; La pauvrette ! Elle a fait sa croissance en un an !

Mais! de l'épaule à la ceinture.

En vous, Mireille, rien ne jure....

Mireille, rouge outre mesure. Lâche à nouveau la branche et dit : Oh ! ce Vincent t

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60 HIRÊIO, GANT II.

Eu desfuiant vôsti Tergnello»

Gantas, cantas^ ma^nanarello!... Ansin li bèus enfant, do Taubre pa90uioa8

Escoundu souto loti ramage,

Dins rinnoucènci de soun âge

S'assajavon au calignage. Pamens, de mens en mens, li serre èron neblous.

Amonnt sus li roco pelado,

Sus li grand tourre esbarboulado Ounte trèvon, la niue, li vièi prince di Baus,

Licapoun^fér^ que blanquejavon,

Dins l'estendudo s'enauravon,

E sis alasso fouguejavon Au soulëuy qiM déjà caufavo lis avaus. ,

Oh f n'avôu rèn fa! que yergougnol Elo Tenguè 'mé 'n èr de fougno.

Aquéu galo-bon-tèms dis que vèn m*ajuda, Pièi me fai rèn que faire rire.... Anen ! d'aut ! que la man s'cstii> » Que pièi ma maire pourrie dire

Qu'ai panca projin de biais, o, pèr me marida.

Val, val, dis^ tu que te vanta vjs, Moun paure ami ! se te lougaves Pèr la cueie à quintau, la fueio, crcse que. Quand fuguèsse touto en pivello, Pourries manja de regardello ^ !

Me cresès donne uno ganch^lio? Ilespoundeguè lou drole^ un brigpuloun mouquet.

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MIREILLE» CHANT II. 61

Ea cueillant les feuilles nouTelles,

Chantez, chantez, magnanarelles ! Aiiif i ces beaux enfants, sous les rameaux ombreux.

Dans l'innocence de leur âge.

De Tamour et de son langage»

Faisaient le doux apprentissage . Déjà de moins en moins les monts étaient brumeux;

Là-haut, vers les roches pelées,

Sur les grandes tours écroulées reviennent la nuit les vieux princes des Baux,

Volant de nuage en nuage,

Les saores, de leur blanc plumage.

Faisaient le brillant étalage. Et le soleil déjà chauffait les chôneteaux.

Mais nous n'avons fait rien qui vaille,

Reprend la fillette qui raille; Ce drôle dit qu'il vient pour m'aider, et voilà

Qu'il n'est bon qu'à me faire rire;

Allons! susl que la main s'étire!

Sans quoi, ma mère pourrait dire Qu'on ne s'établit guère avec ce flegme-là.

Pour cueillir la feuille nouvdle,

Petit vantard, ajouta-t-elle. Si jamais tu louais tes œuvres à prix fait,

Je gage que tout ton salaire

Ne te vaudrait pas de l'eau claire !

Ce serait une épreuve à faire, Beprit, entre ses dents^ le gars peu satisfait.

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C2 MIRËIO. GANT II.

Bèn ! qaau sara meiour cuièire,

Madamisello, Tanan vèire ! E zôu ! 'mé li dos man, feroun, atravali,

Vague de torse e môuse ramo !

Plus de resoun ! plus de calaroo !

(Perd lou moussèu fedo que bramo. L'amourié que li porto es tout-aro culi.

Fuguèron lèu, pamens, à pauso.

Quand sias jouine, la bello causo ! Estent qu'au même sa metien la fueio ensè%

Un cop li poulit det cherescle

De la chatouno, dins Tarescle '',

Se devinèron entre-mescle Emé li det brûlant^ li det d'aquéu Vincèû.

Elo emai eu trefouliguèron ;

D'amour si gauto s'enflourèron, E tôuti dous au eop, d'un fiô noun couneigu

Sentiguéron l'escandihado.

Mai coume aquesto, à resfraiado,

Sourtié sa man de la fiiiado, Eu, de la treboulino enca tout esmouga :

Qu'avès? Uno guèspo escoundudo

Vous a belèu, dis, pougnegudo? Noun sai ! clinant lou front, elo respoundô plan.

E sènso mai, chascun se bouto

A tourna cueie quauco brouto.

Emé d*iue couquin, tèsto souto, S'espinchavon pamens quau ririé de davan.

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MIREILLE, CHANT IL 61

Faisons assaut, Mademoiselle!...

Et soudain le couple s'attelle Aa traYai],des deux mains; tout Tarbre est farfouillé;

Deci, delà leur bras se lance ;

Le caquet fait place au silence

(Agneau bêlant perd sa pitance). Le mûrier qui les porte est bientôt dépouillé.

Ici, pourtant, vint une pause.

Être jeune, ô la belle chose! Gomme dans un seul sac les brins étaient roulés,

Sous la toile, leur main s'avance.

Il se fit, par inadvertance,

(Honni soit donc qui mal y pense I) 11 se fit que leurs doigts se trouvèrent môles.

Et sur-le-champ ils tressaillirent,

Et leurs beaux visages rougirent; D'an feu qu'ils ignoraient, tous les deux à la fois,

Sentirent leur âme brûlée ;

Et comme Mireille troublée,

Sortait sa main de la feuillée, Vincent l'interpellant de sa plus douce voix :

Qu'avez-vous? dit-il; une abeille

Vous aura piquée, ô Mireille ! ^ Je ne sais... répond-elle à voix basse au vannier.

Et pendant que chacun butine

Sur les brindilles qu'il incline.

D'un œil coquin, à la sourdine. Ils épiaient aussi qui rirait le premier.

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64 MIRËIO» CÂNT II.

Lou pitre batié!... La fueio Toumbè piéi mai coume la plueio ;

£ quand piéi au saquet yenié que la meticn, Li dos manoto blanco e bruuo, Que fugue esprès o pôr fourtuno, Venien foujour uno vers Tuno,

Memamen qu'au travai grand joio éli prenien.

Gantas, cantas, magnanarello, En desfùiant yôsti verguello!...

Vel ve! tout-en-un-cop Mirèio crido, vel

Qu'es acô ? Lou det sus la bouco. Vivo coume un créu su 'no souco,

Dre de la branco ounte s'ajouco Fasié signe dôu bras... Un nis... qu'anan avél

Espèro !••• E 'n retenènt soun gréule, Coume un passeroun long di téule,

Yincèn de branco en branco a boumbi vers lou nis.

Au founs d'un trau que de nature,

Entre-mitan la rusco duro,

S'èro fa, de l'emboucaduro Li picbot se vesien, flame e boulegadis.

Yincèn qu'à la branco torto Yen de nousa si cambo forto, E penja d*uno man, dins lou trounc baumclu Furno emé l'autro. Un pau plus auto, Mirèio alor, la fiamo i gauto :

Qu'èi I demande cauto-cauto.

De pimparrin! De-que? De bèu sarraié bla.

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MIREFLLE, CHANT II. 65

Et leur cœur battait... et la feuille Cédait à la main qui la cueille I... \ lorsqu'ils la mettaient dans le sac, coup sur coup. Et la main blanche et la main brune. Soit à dessein, soit par fortune. Avaient une étreinte commune ; £t ce petit jeu les amusait beaucoup.

Chantez, chantez, magnanarelles, En cueillant les feuilles nouvelles!...

Vois! vois! dit tout-à-coup la fillette ; viens voir! Mais qu'est-ce donc? Et vive, alerte, Le doigt sur la bouche entr'ouverte. Elle indique sa découverte

de l'autre main... tJn nid... que nous aHons avoir!

Attends !... et retenant ITialeîne, Comme un écureuil sur .un chêne,

Vmeent de branche en branche a bondi vers le nid.

Au fond d'un trou qui^ d'aventure,

S'était fait sous l'écorce dure.

On découvrait par l'ouverture Ugroupe d'oisillons dont il était garuL

Vincent, à la branche rugueuse Colle sa jambe vigoureuse ;

Suspendu d'une main, dans le tronc caverneux -

Il fouille de l'autre ; Mireille Du haut de sa branche surveille ;

Qu'est-ce, dit-elle? ~ Une merveille, Deiptwparrtiii.--Commcmt-Oui,de beaux pinsonshleus! .

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C6 MIRfilO, CANT II.

Mirèio esclaûguè lou rire.

Que! dis^l'as jamai ausi dire?

Quand, dous, trouvas un nis au bout d'un amourié, 0 de tout aubre que lou semble, Passe pas Tan que noun ensemble La santo Glèiso vous assemble

ProuTèrbi, dis moun paire, es toujour vertadié.

0, fai eu; mai fau apoundre Qu'aquelo espère pôu se foundre,

S'avaiis que d'éstre en gàbio escapon li pichot.

Jèsu, moun Dieu! dono-te garde I Gridè la chato; e sènso tarde Rejoun-lèi bèn, que nous regardo!

Ma fisto ! lou jouvènt respond coume eiçô,

Lou miéus que li poudèn rejougne Sarié bessai dins Yoste jougne...

Ah! të, baio! verai!... Lou drôle quatecant

Mando sa man dins la caforno ; £ sa man pleno que s'entomo Quatre n'en tiro de la borne.

Boudiéul digue Mirèio en aparant, oh! quant

Queto nisado galantouno ! ! ! pecaire^ uno poutouno ! E, folo de plesi, de milo poutounet Li devouris e poumpounejo ; Piéi em' amour plan-plan li vejo Souto soun jougne que gounflejo...

! ! paro la man, cridè mai Yincei.et.

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MIREILLE, CHANT II. 67

Mireille alors pouffe de rire; .

Ne Tas-tu jamais ouï dire? Lorsqu'on découvre à deux un nid sur un mûrier,

Ou tout arbre qui lui ressemble,

n faut moins d'un an pour qu'ensemble

La sainte Église tous rassemble... Proveri>e ne ment pas et l'on peut s'y fier.

Oui, dit Vincent, mais on ajoute Que cet espoir se fond en route.

Si tel qui prend le nid laisse échapper l'oiseau.

Jésus ! mon Dieu ! prends donc bien garde. Reprend-elle, et sous bonne garde Serrons-les ; cela nous regarde I

Ma foi, répond alors le galant jouvenceau,

A mon sens, la meilleure cage

Serait votre joli corsage... —C'est juste, donne doncl... Et Vincent,dans le creui,

Plonge sa main et la ramène

De petits pinsons toute pleine ;

Quatre ou cinq y tenaient à peine. Bon Dieu! cria Mireille, en ouvrant de grands yeux,

Qu'ils sont gentils I que je les baise !.••

Encor! encor! ne vous déplaise! Et folle de plaisir, de baisers continus

Doucement elle les caresse.

Et puis les coule avec adresse

Dans son sein qui renfle.... ô liesse! Eeprit tincent, tiens! tiens! en voici trois de piusj

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68 MIRÊIO, CANT II.

Oh! li poulit! Si tèsto bluio An d'uioun fin eoume d'aguïo !

E lôu mai, dins la blanco e lisqueto presoun.

Très pimparrin elo recato;

E, dins lou sen eaud de la^chato,

La cottvadeto que s'amato Se crèi que Tan remessp au founs de soun nisoun..

Mai, de bon? Vincenet, n'i'a 'ncaro?

0 ! Santo Vierge ! Ve, tout-aro

Dirai qu'as la man fado 1 Eh ! pauro que vous slas? Li pimparrin? quand Yen Sant Jorge, Fan dès, douge iôu, emai quatprge, Souvènti-fes!... Mai tè! tô! porge,

Li cago-nis!... E tous, belle bomo, adessiasf

Goume lou drôle se despènjo,

E qu'elo vite lis arrènjo fièn delicadamen dins soun fichu flouri...

—• Ai ! ai I ai ! d'une voues tendrino

Subitamen fai la mesquine.

EL vergougnouso, à la peitrino S'esquicho ii dos man. *— Ai ! ai! ai ! vau mouri !

Houi! houi! plouravo, me grafignont

Ai! me grafignon e m'espignonl Courre lèu, Vincenet, lèu!... Es que, i'a 'n monmen...

Que vous dirai? dins Tescoundudo

Grande e vivo èro resmoû|;udo!

Fa 'n moumen, dins la bando aludo Avien, li cago-nis, mes lou bourroulamen.

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HIJtEILLE, CHANT II.

Beaux mignons! leur tète est si fine Que Tœil à peine s'y dessine 1

Et trois de plus vont voir la prison des amours ; Dans le sein de la jeune fille Bientôt toute la volatille, Gomme une noix dans sa coquille,

Croit avoir de son nid retrouvé le velours.

Est-ce tout? dit la jouvencelle.

Pas encor. Quelle ribambelle ! Jamais on n'en vit tant! Vous oubliez un peu

Qu'un pinson, quand rien ne le gêne Pour pondre ses œufs, peut sans peine Dépasser même la douzaine ! . . . Yoici les derniers nés!... et vous, beau creux, adieu!"

Vincent aussitôt se décroche;

Mireille au fond de leur sacoche Laisse les oisillons se blottir à leur gré...

Quand tout à coup, sur sa poitrine

Portant ses mains, elle s'incline

Pudique, et d'une voix câline : ^ ! a! I dit-elle, ! ! je crois que j*en mourrai.

Oh ! les méchants qui se rebiffent!

Ils m'égratignent et me griffent I Accours, Vincent. Disons que depuis un moment.

Dans ce joli nid de commande,

L'agitation était ^ande,

El que, dans l'innocente bande, l^s derniers avaient mis le bouleversement. ^ .

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70 MIRÊIO, GANT IL

£ dins l'estrecho valounado,

La foulîgaudo moulounado Oue noun pôu libramen faire soun roudelot»

A grand varai d'arpioun e d'alo»

Fasié, dins li mounto-davalo,

Gambareleto sènso egalo, Fasié long di gatis mtlo béu redoolet.

Ai! ai! véne lèi querre! lampo, souspiravo. E coume pampo

Que Taure atremoulis, coume di cabrian Quand se sent pouncho une junego, Ansin gémis, sauto e se plego La chatouno di Falabrego...

Eu pamens i'a ifoula.%. Gantas, en desfuiam,

En desfuiant TÔsti jitello, Gantas, cantas, magnanarello ! Sus la branco ounte pleure eu pamens a Youla:

La cregnès donne bén, la couligo? Eu fai de sa bouco amigo.

Eh! coume iéu, dins lis ourtigo. Se descausso proun fes tous falié barrula,

Goume farias? E pèr rejougne Lis enfoumiau qu'a dins soun jougne.

Eu porge, en risènt, soun bounet de marin. Déjà Miréio, sout l'estofo Que la nisado rendié gofo, Mande sa man, e dins la cofo

Un pèr un adeja tome li pimparrin;

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MIREILLE, GUANT H. 7i

Les bords de la tiède vallée

Compriment trop la troupe ailée. Qui cherchant autour d'elle un lit plus spacieux,

S'aidant de la griffe et de Taile,

Montant, tombant, et de plus belle.

Risquant une chute nouvelle, Le long des doux talus roulait à qui mieux mieux.

Ai! ai . Vincent, viens donc les prendre,

Dit-elle d'une voix plus tendre, Et comme un pampre vert sous la brise tremblant.

Ou comme un faon, quand une abeille.

Vient bourdonner à son oreille.

Ainsi se trémousse Mireille. Alors, Vincent s'élance auprès d'elle. . . En cueillant,

En cueillant les feuilles nouvelles.

Chantez, chantez, magnanarelles ! —Mireille! lui dit-il, cessez de pleurnicher;

Mais que feriez-vous, pauvre amie.

Si, tous les jours de votre vie.

Sur le chardon ou sur l'ortie, Ainsi que moi, nu-pieds, il vous fallait marcher?

Et pour remplacer le corsage,

Imaginant une autre cage. Il présente en riant son bonnet de marin ;

Et Mireille, à moitié guérie.

Puisant dans sa gorge arrondie,

A plusieurs reprises marie Ali rooge du bonnet le bleu du pimparrin.

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72 MIRÊIO. GA-NT tl.

Déjà, 'mé lou front clin, pecaire!

£ revirado un pau de caire, Déjà lou risoulet se mesclavo à si plour;

Semblablamen à Teigagnolo

Que, lou matin, di courrejolo

Bagne li campaneto molo» E perlejo, e s'esbéu i proumiéri clarour...

E aoutp éAi vèn que la branco

Tout-en-un-cop peto e s'escranco!.. Au coui dôu panieraire, elo, en quilant d'esfiraii.

Se precepito e sei'embrasso;

E dôu grand aubre que s'estrasso.

En un rapide viro-passo Toumbon, embessouna, sus lou souple margai...*

Fres ventoulet, Larg e Gregàli»,

Que di bos boulegas lou pâli. Sus lou jouine parèu que voste gai murmur

Un moumenet mole e se taise !

Fôlis aureto, alenas d'aise !

Donnas lou tèms que l'on pantaise, I^Hi tèms qu'à tout lou mens pantaison lou bonurf

Tu que lalejes dins ta gorgo»

Vai plan, vai plan, pichouno sorgo !

Dîntre ti cascagnôu menés pas tant de brut! Pas tant de brut, que si dos amo Soun, dins lou même rai de flamo, Partido coume un brusc qu'eissamo..

Leissas-lèi s'emplana dins lis èr benastru!

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MIREILLE, CHANT il. 71

Déjà le front baissé, pauvrette !

Et détournant un peu la tête, Un sourire indécis se mêlait à ses pleurs;

Gomme on voit l'bumide rosée,

De la campanule rosée,

S'écouler en perle irisée, Et puis s'éTaporer aux premières lueurs. ••

Mais voilà qu'à moitié pourrie.

Sous eux la branche éclate et crie I... An cou du beau vannier, avec un cri perçant»

Mireille tend un bras avide;

Mais l'arbre sous eux fait le vide,

Et par une cbute rapide Us tombent enlacés sur le gazon naissant...

Fnûs zépbirs, brise aux doux arômes,

Qui des bois balancez les dômes. Respectez un moment cette ivresse du cœur!

Zéphirs, retenez votre haleine !

Folles brises, soufQez à peine !

Paix au rêve qui les entraine. Qu'ils aient au moins le temps de rêver le bonheur I

Toi qui gazouilles sous la mousse,

Source limpide et fraîche et douce. Coule plus lentement sur ton lit de galets !

Pas de bruit, tais-toi, car leur âme.

Dans le même rayon de flamme.

Ravie en extase, se pâme... Ohl laisse-les monter vers les cieux étoiles t

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74 MIRÊIO, GANT Kl.

Mai elOy au bout d'unô passado,

Se daveré de la brassado... Meus palînello soun H flour dôu coudounié.

Pièî sus la ribo s'assetèron,

Un contre l'autre se boutèron.

Un moumenet se regardèron, E m' acô parlé 'nsin lou drôle di panié :

Vous sîas rèn faeho mau, Mirèio?... 0 la vergougno de la lèio,

Aubre déu diable, aubras qu'un divèndre an planta. Que la marrano t'agarrigue, Que l'artisoun te devourigne, E que toun mèstre t'abourrigue !

Mai elo, em' un tramblun que noun pôu arresta .

Me siéu pas, dis, facho mau, nàni! Mai, coume un enfant dins si Hini,

Que de fes plourinejo e noun saup per-de-que. Ai quaucarèn, dis, que me grèvo ; L'ausi, lou vèire, acô me lève ; Moun cor n'en boni, moun front n'en rèTO

B lou sang de moun cors noun pôu demeura quet

Belèu, digue lou panieraire. Es de la pôu que vosto maire

Vous cbarpe qu'à la fueio avès mes trop de tôm? Coume iéu, quand yeniéu subr'ouro, Estrassa, moustous coume un Mouro, Pèr èstre ana cerca d'amouro...

Oh! noun, digue Mirèio, autre peno me tén.

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MIREILLE, CHANT II.

Mais elle, alors, le cœur malade. Se dégagea de Tembrassade...

Moins pâles sont les fleurs du cognassier fleuri. Bientôt sur la rive ils s'assirent. Tout près Tun de l'autre ils se mirent, Et pendant qu'ensemble ils s'admirent.

Voici comment parla le jeune bomme attendri :

Belle! vous seriez- vous foulée ! 0 mûrier, bonté de l'allée !

Arbre infernal, planté sans doute un vendredi. Que ta sève au vent s'évapore, Qu'un ver atroce te dévore. Et que ton vieux maître t'abhorre I

Hais Mireille en tremblant le contemple et lui dit :

Vincent! je ne suis pas blessée! Mab si bien qu'elle soit bercée,

L'enfant quelquefois pleure et ne sait pas pourquoi ;

Ainsi coiive dans ma poitrine

Un mal inconnu qui la mine,

Mal étrange! langueur divine, Qui me trouble et m'enivre en s'eroparant de moi !

C'est peut-être que votre mère Vous aura dit, d'un ton sévère.

Que la cueillette aux champs n'allait pas assez bien, Tout comme on me monte des gardes, Lorsque, parfois, aux heures tardes, J'arrive, ayant frippé mes bardes...

Non, répondit Mireille, autre peine me tient.

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75 MIRËIO, GANT II.

0 belèu uno souleiado, Faguè Vincèn, vous a'mbriado.

Sabe, dis, uno yièio, aperamount i Bau (le dison Taven) : tous asaigo Bén sus lou front un got plen d*aigo» £ lèu, di cervello embriaigo,

U rai escounjura gisclon dins lou cristau.

Noun, noun I respoundè la Gravenco; Lis escandihado maienco

N'es pa'i chato de Grau que podon faire pôul... Mai en que sièr de te deçaupre? Dins moun sen acô pôu plus cauprel Vincèn, Vincèn, vos-ti lou saupre?

De tu siéu amourouso!... Au bord dôu rajeirôu,

Ëmai rèr linde, emai la tèpo, Emai li yièi sause de cepo^ Fuguèron claramen espanta de plesi!...

Ah I princesso, que, tant poulido» Agués la lengo tant marrido,

Lou psuiieraire aqui s'escrido,. Ta de que pèr lou sôu se traire estabousî !

Goume I de iéu vous amourouso? De ma vidasse encaro urouso

Anes pas vous jouga, Mirèio, au noum de Diôuf Me fagués pas crèire de cause Qu', aqiii dedins uno fe 'nclauso. De ma ;iiort sarien pièi l'encauso !

Mirèio^ d'aquéu biais tous trufés plus de iéu!

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MIREiLLË, CHANT II. 77

C'est un coup d& soleil peut-être^ Dont il faudrait se rendre maître;

Je sais aux Baux, dit-il, yers la gauche en montant.

Une matrone qu'on appelle

La Taven, et qui, sûre d'elle.

Au front qu'atteignit Tétincelle, Applique un Terre <i'eau qui l'attire à l'instant.

Non, non, dit la fille candide. De son rayon le plus perfide.

Le so ne peut rien sur les filles de Grau!

Ha peine, hélas! est moins frivole».

Mais de celle qui me désole

Je sens que le secret s'envole, Vincent, Vincent, je t'aime I... Au bord du clair ruisseau,

Les saules du bosquet humide, Le gazon frais et l'air limpide, ^rent pris à ce mot d'un doux frémissement!...

Ah ! reine, quand on est si belle. On devrait être moins cruelle !

Dit Vincent, l'œil fixé sur elle. Et lent à revenir de son saisissement.

Quoi l vous de moi, vous amoureuse?

D'une existence encore heureuse N'allez donc pas troubler le fragile bonheur !

Ne raillez pas, je vous en prie,

Car bientôt votre raillerie

Pourrait bien me coûter la vie! Ktié pour v^ raison et pitié pour mon cœur!

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16 MIRÊIO, GANT II.

Que Dieu jamaî m'emparadise, Se i'a messorgo en ço que dise !

Vai, de créire que t'ame aeô fai pas mouri, Vincèn!... Mai se, pèr marridesso, Noun Tos de iéu pèr ta mestresso, Sara iéu, de malo tristesso,

Sara iéu qu'à pèd me veiras coumbouri !

Oh! digues plus de cause ansinto! De iéu à tous i'a 'n laberinto,

L'enfant de Méste Ambroi fagué 'n bretounejant. Vous, sias dôu Mas di Falabrego La rèino davans quau tout plego... Iéu, banastié de Valabrego,

Siéu qu'un ^ndard, Mirèio, un trevaire de champ !

Eh ! que m'enchau que moun fringaire Siegue un baroun o 'n panieraire.

Mai que m'agrade à iéu ! respoundeguô lèu £ toute en fiô coume une liandro. Mai se noun tos que la malandro Fure moun sang, dins ti peiandro

Perqué donne, o Vincèn, m'aparèisses tant bèu?—

Davans la vierge raubativo. Eu resté mè, coume di nivo Quand toumbo pau-à-pau un aucéu pi vêla '®.

Sies donne masco, piéi fagué proumte, Pèr que ta visto ansin me doumte,

Pèr que ta voues au su me mounte, E me rende foulas coume un ome enchusclat

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MIREILLE, CHANT H. 79

Dans les enfers que Dieu me plonge

Si ma parole est un mensonge ! La foi dans mon amour, Ta> ne te tuera pas...

Mais si ton âme indifférente

Ne veut pas de moi pour amante,

C'est moi qui, faible et languissante. Viendrai jusqu'à la mort me traîner sur tes pasi

P^ler ainsi, c'est presque un crime f Entre nous existe un abîme.

Répond le fils d'Ambroise en la considérant.

D'un superbe et yaste domaine,

Vous^ Mireille, vous êtes reine...

Moi^ je suis un bomme de peine, Un batteur de campagne, un pauvre juif-errant !

Eh I que me Mi à moi qu'un homme Soityannier ou soit gentilhomme.

S'il me plaît, si je l'aime, et s'il est comme il faut ?

Âh ! si tu veux que je reprenne

La paix du cœur, la paix sereine.

Sous tes grossiers habits de laine Pourquoi donc, ô ViacentI m'apparais-tu si beau? *--

Devant la vierge ravissante Il resta là, bouche béante. Gomme un timide oiseau qu'un aigle a £sisciné. Puis, repris d'une ardeur soudaine:

Mais qu'es-tu donc, fée ou sirène. Pour qu'aucune parole humaine

Gomme la tienne id m'tût jamais dominé?

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80 MIRÈIO, GANT II.

Lou veses pas que ta brassado

A mes lou fiô dins mi peusado? Car, ! se vos lou saupre, à Tagrat que de iéu,

Paure pourtaîre de bourrèio,

Vogues faire que ta risèio,

T'ame peréu, t'ame, Mirèio ! Tame de tant d*ainour que te devouririéuf

V

T'ame, que se disien ti labro : Vole la Gabro d'or ", la cabro

Que degUQ de mourtau ni la pais ni la mous» Que sout lou ro de Baus-Maniero '^ Lipo la moufo roucassiero, 0 me perdriéu dins li peiriero,

0 me Teiriés tounm la cabro déu peu rôus!

Tame» o chatouno encantarelio, * Que se disîés : Vole uno estelio;

Fa ni tra?ès de mar, ni bos, ni gaudre foui. Fa ni bourrèu, ni fiô, ni ferre Que m'ap)antèsse ! Au bout di serré, Toucant lou cèu, Fanariéu querre,

£ Dimenche Fauriés» pendoulado à toun coui

Mai, 0 bellasso! au mai t'aluque. Au mai, pecaire! m'emberluquel...

Veguère uno fîguiero, un cop, dins moun camin« Arrapado à la roco nuso Contre la baumo de Vau*Gki80 : Maigro, pecaire ! i lagramuso

dounarié mai d'oumbro un clôt de jaus^emin I

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MIREILLE, CHANT 11* 81

Ne Tois-tu pas que ton langage

Me surexcite et m'encourage? Eh bien ! sache-le donc, dût cet aveu naïf

D'un pauvre vannier qui s'oublie.

Paraître un acte de folie.

Je t'aime aussi, fille accomplie. Et je te mangerais, tant cet amour est vif!

Je t'aime tant que si ta lèvre

Me murmurait : Je veux la Ghèvroi La Chèvre d'or que nul ni ne pait ni ne trait.

Qui, sous le pic de Baus-Manière,

Lèche la mousse de la pierre.

Ou je mourrais dans sa tanière, Ou la Chèvre au poil roux à tes pieds béleraiti

Je t'aime tant que si le voile

De la nuit avait une étoile Qui te tentât ; il n'est ni feu, ni torrent fou,

Ni vent que l'orage accompagne

Qui m'anétât dans ma campagne I

J'irais plus haut que la montagne. Et l'étoile demain brillerait à ton cou !

Mais plus je t'admire, ô bel ange !

Et plus ma raison se dérange !... I

A Vauclnse,une fois,ie vis sur mon chenûn j

Un figuier de maigre venue.

Cramponné sur la roche nue.

Donnant une ombre plus ténue Que celle de l'hysope ou celle du jasmin.

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S3 MIRËIO, GANT IL

Un cop pèr an yers si racino Yen flouqueja Toundo Tesino ;

E Taubret secarous, à Taboundouso font

Que mounto à-n-éu pèr que s'abéure, Tant que n'en yôu, se bouto à béure.«« D'acô tout l'an n'a proun pèr viéure.

Goume à l'anèu la péiro, à iéu acô respond:

Que siéu, Mirèio, la figuiero,

E tu, la font e la fresquiero S basto, à iéu pauret! basto, une fes de l'an.

Que pousquèsse, à geinoui coume arc.

Me souleia i rai de ta caro !

E subre-tout de poudé 'ncaro Te floureja li det d'un poutoun tremoulant! -^^

Mirèio, d'amour tresananto, L'escoutavo... Mai éu l'aganto,

Eu l'aganto esp^u ; contro soun pitre fort L'adus esperdudo... -i- Mirèio! Subran coume eiçô dins la lèio S'entendegué 'no voues de vièio,

magnan, à miejour, manjaran rèn, alort

Dedins un pin, en grande fogo, Un vôu de passeroun que jogo,

Emplîsson, i^ de fes, d'un chamatan galoi La vesprado que s'enfresquèiro ; Mai d'un glenaire que li guèiro Se toul-d'uti-cop toumbo la pèiro,

De tout cure, esfraia, tabouscon dins lou boL

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MIREILLE^, ^BÂNT tL 1

Une fois Tan, yerssàracioe

Vient clapoter l'oùdéToisine, £t ses flots abondants abreuvent l'arbrisseau.

Mais il faut, arrêt trop sévère,

Que cette eau epii le désaltéré

Lui suffise une année entière... Tout ceei me va mieux que la pierre à Tanneau :

Je suis le figuier, ô ma reine, Et toi la fraîcheur, la fontaine;

Et pûissé-je à genoux, là, comme tu m'y vois. Une fois l'an, pas davantage, Pauvre fou, pour calmer ma rage. Boire aux splendeurs de ton visage,

£t d'un baiser tremblant te becqueter les doigts I

Mireille d'amour palpitante,

L'écoutait.... d'une main brûlante, Ld la prend, éperdu, cherchant à l'amener

Contre sa poitrine... Mireille!

Fit soudain une voix de vieille

Qui vint vibrer à son oreille : Alors! les vers à soie à midi vont jeûner!

Souvent le soir, sur un vieux chêne, .

Un vol de moineaux se démène, En cherchant bruyamment son gîte pour la nuit ;

Qu'un jeune glaneur de passage

Lance un caillou dans le feuillage.

Aussitôt cesse le tapage, fit le Toi effrayé vers les coteaux s'enfuit.

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94 MIRÏIO, GANT IL

Desmeinouria de l'escaufèstre, Ansin fugis pèr lou campèstre

Lou parèu amourous. Elo, de-vers lou mas, Sènso muta, part à la lèsto, Bmé sa fueio sus la tèsto... Eu, planta coume un sounjo-fêsto,

T/arregardo landa peralin dins Fermas,

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MIREILLE, CHANT IL 85

Ainsi, troublé par le message,

Le jeune couple se dégage De ses doux entretiens remis à d'autres temps;

Mireille, agile et bientôt prête,

Court au mas, son sac sur la tête...

Lui, debout conmie un songe-féte, La suit des yeux, au loin, courant à travers champs I

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NOTES DU CHANT DEUXIÈME

i. MagnanareUo (Magaanarelles). Oa désigne par ee mot les femmes préposées à l'éducation des vers à soie, magnan,

2. S'endormon di très (ils s'endormirent de leur troisième somme). Les vers à soie vivent à Tétat de larve trente-quatre jours environ, et dans cet intervalle changent quatre fois de peau. Â rapproche de chaque mue, ils s'engourdissent et ces- sent de manger, dormon. On dit dourmi de la premiero , di dos, di très, di quatre, ce qui signifie littéralement dormir de la première (mué), des deux (mues), des trois (mues), etc.

8. Couquihudo (cochevis, àlauda cristata. Lin.).

4. Vin eue (vin cuit), moût qu'au sortir de la fouloireonfait bouillir dans un chaudron, et qui, étant cuit à point, rappelle, après un an de bouteille, la couleur et le goût des meilleurs vins d'Espagne. Les Provençaux le boivent dans les festins, et principalement an repas de Noël.

5. Capoun-fèr (sacre), sacre d'Egypte (tmitur percnoptenu Gm.), oiseau de proie.

6. Regardello (regardelles), mets imaginaire. Manja de re- gardello, manger des yeux, mâchera vide, comme dit Rabelais.

7. Aresde (cerceau qu'on adapte à la gueule d'un sac pour le tenir ouvert). On donne en général le nom d'arescle aux bois de fente dont on fait les sas, les cribles, les tambours, les boisseaux.

8. Margai (ivraie). Il s'agit de l'ivraie vivace (loUum p^ renne. Lin.), ray^grass des Anglais.

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NOTES DU CHANT IL 87

9. Grtgàli, 0egau, ou simplement grè (vent grec), vent du Bord-est

10. Pivda (fasciné). Leverbeptvela ou pipa signifie l'action, fraie ou imaginaire, par laquelle un reptile attire à lui un oiseau, et même une personne. Le peuple attribue cette attrac* tion à une aspiration irrésistible, qui peut néanmoins èlre interceptée par le passage subit d*un corps étranger.

il. LaCahro ttor (la Chèvre d*or), trésor ou talisman que le peuple prétend avoir été enfoui par les Sarrasins sous Tun des antiques monuments de la Provence. Les uns prétendent qa*^e ^t sous le mausolée de Saint-Remy, d'autres dans la grotte de Corde, d'autres sous les roches des Baux. Cette tradition, dit George Sand (les Visions de la nuit dans les ean^gnes), est universelle; il y a peu de ruines, châteaux ou nonastères, peu de monuments celtiques qui ne recèlent leur trésor. Tous sont gardés par un animal diabolique. M. Jules Ganonge, dans un charmant recueil de contes méridionaux, a rendu gracieuse et bienfaisante la poétique apparition de la Chèvre d*or» gardienne des richesses cachées au sein de la terre. »

12. BauS'Maniero (Bau-Manière), rocher à pic au nord de la ville des Baux. Cette localité tire son nom des escarpe- ments qui l'entourent; car en provençal le moi baus veut dire escarpement, précipice, ei Baus-Maniera, Baus-Besso, sont les noms que portent encore divers quartier! du territoire des Raox.

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CANT TRESEN

LA DESGOUCOUNADO

Li recordo proovençalo. Au Mai di Ftlabrego, un gai rondelet do cliato detcoacounon. Jano-Mario, maire de Mirèio. Taven, la masco di Bani. La malo-viito. Li descottcounarello fan, pèr pasfo-tèms, de ea$Uu en Prouvènço. La fièro Lauro, rèino de Pamparigousto. -~ Glemënco, rèino di Baus. Lon Ventour. loa Rose, la Darènço. Azalals e Vi6uIano. La Court d'amour. Lis amour de Mirèio e de Vincèn descuberto pèr Nourado. •> Li galéjade. Taveo la masco fai teisa li chato : Termitan âôm Leberoun e lon tant pastre. Noro canto Magali.

Quand li pausito soun braveto, Qu'à plen barrau lis ôoliveto

Dins 11 gerlo d'argelo escampon l'ôli rous. Quand, sus li terro e dins li draio D6u garbejaire que varaio Lou grand càrri reno e trantraio,

E tuerto de pertout 'mé soun front auturous ;

Nus e gaiard coume un luchaire, Quand Bacus yen, e di chauchaire

Coundus la farandoulo i vendèmio de Grau ; £, de la caucadouiro emplido, Quand la bevèndo benesido, Souto li cambo enmoustousido,

Dins rescumouso tino escapo à plen de trau.

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CHANT TROISIÈME

LE DÉPOUILLEMENT DES COCONS

Les réeoltes provençale!. Au Mai dei Micocoulei une jojeuM rénnion de jeunes filles détache des rameaux les cocons des vers à soie. Jeanne-Marie, mère de Mireille. Taven, la sorcière des Baux.— La mauvaise œillade. ~ Les dépouilleases de cocons, pour passer le temps, font des châteaux en Provence.— La fière Laure, reine de Pamparigouste. Glëmenee, reine des Baux. ~ Le Yen- lour, le Rhône, la Dnrance.— Azalals etViolane.— La Cour d'amour. Les amours de Mireille et de Vincent divulgués par Norade. RaUlerie des jeunes filles.— La sorcière Taven leur impose silence: Termite do Lnberon et le saint pfltre. Nore chante Magalt.

Quand les récoltes sont honnêtes,

Qa'à pleins barils les olivettes Epanchent l'huile rousse aux jarres du cellier;

Quand les gerbes gisent sur place,

El que le char qui les ramasse,

Gémit, cahote sous leur masse, W heurte de partout avec son front altier.

Quand des fouleurs la troupe est prête.

Que Bacchus, héros de la fôte, les mène en farandole aux vendanges de Crau;

Que de la fouloire profonde,

Sous leurs pieds rouges qu'il inonde,

Le moût s'écoule à pleine bonde Dans la cuve écumante et fait le vin nouveau;

y Google

90 MIRÊIO, GANT III.

E, clarinèu, sus li genèsto

Quand li magnan mounton en fèsto Pèr fiela si presoun bloundinello ; e que lèu

Aquéli toro mai qu'alto

S'ensevelissoD, à cha milo,

Dins si bressolo tant sutilo Que vous sèmblon teissudo em' un rai de soulèa;

Âlor, en terro de Prouvènço,

Ta mai que mai divertissènço l Lou bon muscat de Baumo^ e lou Ferigoulet'

Alor se chourlo à la gargato ;

Âlor se canto e l'on se trato ; ;

Alor se vèi e drôle et chato An son dôu tambourin fourma si vertoulet.

léu claramen siéu fourtunado I Sus mi canisso encabanado

Quéti flo de coucoun !... Un bos raiéus enseda» Un plus riche descoucoun^ge, L'aviéu plus nst dins lou meinage, Vesino, dempièi moun jouine âge,

Desempièi Tan de Dieu quç npU9 .siaQ marida. «-•

Ddu tèms que lou coucoun se trio»

Ansin disié Jano-Marlo, Dôu Tièi Mèste Ramoun ounourado mouié«

De Mirèio ourgueiouso maire ;

E li vesino. e li coumaire,

En trin de rire e de desfaire» Ëron à spun entour, dins la magnanarié.

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MIREILLE, CHANT III. 91

Quand sur les genêts se déploie

La pléiade des vers à soie, Qui montent pour filer leurs brillantes prisons;

Quand, diligent autant qu'habile,

Chaque ver s'enferme à la fîle,

Dans une trame si subtile Qall semble qu'au soleil elle ait pris ses rayons ;

Alors, ea terre de Provence^

Tout est fête et réjouissance ! Le bon Muscat de Baume et le Férigoulet

Se boivent à la régalade ; . _

Alors on chante et l'on gambade;

On entend la joyeuse aubade . ^ Du tambourin battant sous l'air du galojobet. ^

Tnument I je suis d^ plus he^ureuses J

Et sur mes tiges plantufeuses Quels bouquets de cocons!... J'en dois faire l'ayett,

Jamais pareil décoconage

Ne s'était vu dans mon ménage.

Depuis qu'à la fleur de mon âge, h !ne suis mariée ainsi qu'il plut à Dieu.

Pendant que le cocon se trie^

Ainsi parlait Jeanne-M^rie, Du vieux paitre Ramon vénérable moitié,

De Mireille orgueilleuse mère;

Autour d'elle mainte commère

Et caquèteuse et familière, . . . , . v 1 L'aidait avec Tentrain d'u^e bonne. ao^itf^t 11 . a; . .

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93 MIRÊIO, GANT III.

Descoucounavon : elo-memo, Mirèio, à tout moumen, i femo

Pourgié li broat d'avaus, H dot de ronmania Ounte, à Fôudour de la mountagno» Tant Toulountié 'mé soun escagao La noblo toro s'embaragno

Que, coume rampau d'or, n'éron clafi dedin.

Sus l'autar de la Bono Maire *, Jano-Mario à si coumaira

Venié douac, aièr, femo, anére lèu pourta De mi brout lou plus bôu pèr dèime : Ânsin lau, tôuti U milèime ; Car es pièi elo qu'à bel èime

Coumando, quand plais, i magnan de mounta.

léu, digue Un dôu Mas de TOste, Ai belle pôu que me n'en costc !

Ix)u jour que tant boufavo aquéu gros Levantas, (D'aquéu laid jour vous n'en remembre !) Aviéu leissa, pèr destinèmbre, A brand lou fenestroun dôu membre...

Adès n'ai coumta vint, canela * sus lou jas !

Taven, pèr donna soun ajudo,

Peréu di Baus èro vengudo. \ Zèu Taven digue : Toujour, mai que li vièi,

Gresès, li jouine, de counouisse !

Mai fau que l'âge nous angouisse,

Fau que l'on ploure e que l'on gouisse : Alor, mai bèn trop tard, l'on vèi e l'on counèi î

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MIREILLE, GQANT III. 93

On décoconnait : elle-méin6

Aux auxiliaires qu'elle aime NireiQe présentait les jets de romarin;

Odorante et saine brindille,

Qu'en filant, la noble chenille

Orne tant et tant qu'elle brille Comme une palme d'or sortant de son écrin.

Sur l'autel de la sainte Vierge, Au lieu d'un bouquet ou d'un cierge,

Dit Jeanne, hier encpr, j'ai pris soin de porter

De mes brindilles la plus belle;

Ce soin m'est doux, j'y suis fidèle; * Car, somme toute, c'est bien elle Qui parle aux vers à soie et leur dit de monter.

Moi, dit Iseult du Mas de l'Hôte, J'ai commis une grande faute!

Le jour que tant soufflait l'autan impétueux» (De l'oublier que Dieu me garde !) Pour n'avoir pas clos, par mégarde, La fenêtre de ma mansarde,

le Tiens d'en compter vingt aussi blancs que des œufe I --

Taven des Baux, qui donnait l'aide,

Dit alors : La leçon est raide ! Mais vous la méritez en croyant tout savoir !

Apprenez donc que la science

Ne vient que par l'expérience.

Et qu'il est tard, quand on commence ^pouvoir se flatter de connaître et de voir!

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94 MIRÈIO, CAÏ^T m

Vàatri, li femotartaTellOy

Se Tespelido parèis beJIo, Lèu-lèu que pèr carriero anas en bardoniant :

Fa mi magnan qu'es pas de crèire

Goume soun bèu! Venès lèi vèirel

L'Envejo rèsto pas à réire : Darrié vous à chambro escalo en remotuniant

Fan gau! te dira la vesîno ;

Es bèn tout clar qu'as ta crespino^ ! Mai tant lèu de contre elo auras vira lou pèd.

Te dardaio, renTejonsOy

Uno espinchado verinouso

Que te li brulo e te 11 nouso!... Es l'aoro, dires pièi, que me lis engipè *1

Dise pas qu'acô ndun fagué, Respoundè Zèu. Goume que vague,

Poudiéu bèn, aquéu jour, barra moun fehestroun -* Di verinado que Tiue lanço, Quand dins la tèsto briho e danso, Faguè Taven, n'as donne doutançoT...

B sus Zèu entremen mandavo d'iue feroun.

Oh ! pau-de-sén qu'emé l'escaupre Fumant la mort, creson de saupre

La vertu de l'abiho e lou secret déu mèu t Quau t'a pas di que, davans terme, Pôu, un regard lusènt e ferme, D6u femelan torse lou germe,

Di vaco poussarudo agouta li mamèu!

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MIREILLE, GHANT lU.

Vous autres, femmes sans cervelle.

Si réclosion parait belle. Dans tous les carrefours vous allez babillant t

Mes vers à soie! Oh! de la vie

Je n'en eus tant f J'en suis ravie;

Venez donc les voir! Et l'Envie Vous soit dans l'escalier et m0nte en gromtnelant'.

Qu'ils sont beaux l dira ta toisinoi Tu naquis avec la crépine,

Cest é?id3nt I Et puis, quand nul ne la verra, Le front en dessous, l'envieuse Darde une œillade venimeuse, Qui te les noue ou te les creuse !...

Et tu diras après : le vent me les plâtra !

Moi, je n'exclus aucun système. Répondit Iseult, tout de même,

En fermant sa fenêtre on se garantit mieux!

Du maléfice que l'œil lance. Quand sous les cils il se balance. Tu doutes donc? Quelle ignorance!

Et Taven en parlant la dévorait des yeux !

Insensé, qui pour sonder l'être Fouille la mort et croit connaître

U vertu de l'abeille, et le secret du miel ! Mais ne sais-tu pas qu'avant terme. Un seul regard, luisant et ferme, Des femmes peut tordre le germe,

Dénaturer le lait et le changer en fiel!

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m MIRÈIO, GANT IIl.

Is auceloun vèn la mascoto,

Rèn qu'à Taspèt de la machoto ; Au regard de la serp degoulon tout-d'abord

Lis auco,... e souto llue de Tome, Tu, vos qu'un verme noun s'endrome ?. . .

Mai, contre i'iue dôujuvenome, Quand trespiro l'amour, la flamo, o l'estrambord,

Mounte es la chato proun savènto Pèr s'apara? Quatre jouvènto

Lcissèron de si man escapa li coucoun : Que fugue en jun, fugue en ôutobre» Toun aguïoun fau toujour qu'obre. Que ! cridèron, vièi coulobre !

Li drôle?... digo4é qu'avançon un brigoun!

Noun ! yenié la gaio ninèio. N'en voulén ges! parai, Mirèio?

Se descoucouno pas, faguè, tôuti li jour : Sabe une fiolo, dins l'estivo, Qu'anas trouva fort agradivo... E MirèiOy despachativo,

Davalo dins lou mas escoundre sa ronjour.

Bèn! iéu, mi bono, siéu bèn pauro! Acoumencè la fièro Lauro.

Mai s^ d'escouta res, iéu, l'aviéu envela. Quand lou rèi de Pamparigousto ' De sa man me farié soumousto, Sarié moun cbale, ma coungousto.

De lou vèire sèt an à mi pèd barbela!

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MIREILLE, CHANT IIL ^

Le seul aspect de la chouette

Aux oisillons tourne la tête ; Au regard du serpent Taigle tombe du ciel,...

Et tu voudrais qu'une chenille

Au regard de Thomme qui brille

Pût résister?... 0 pauvre fille! Quand l'œil d'un amoureux lance son trait mortel,

La vierge ne peut se défendre... Quatre fillettes au cœur tendre

Laissèrent de leurs mains échapper les cocons; Mais bientôt reprenant leur œuvre : ■— Faudra-t-il donc, vieille couleuvre, Que sans cesse ton dard manœuvre !

Les garçons te font peur ?... Qu'ils viennent, les garçons t

Pas une ici ne les redoute;

L'amour vaut moins cher qu'il ne coûte ; Mireille, qu'en dis-tu? Je dis que toute ardeur

S'éteint, si rien ne la réveille ;

Et je cours prendre une bouteille

Dont la liqueur fera merveille... A ces mots, elle fuit pour cacher sa rougeur...

Et comme on devisait encore,

Ainsi parla la fière Laure : Je suis pauvre, mais si, de n'avoir pas d'époux

J'avais fait vœu, le roi de France

Viendrait m'offrir son alliance.

Que ma plus douce jouissance Serait de le laisser sept ans à mes «enoux !

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0g MIRKIO, GANT III.

-- léu noun ! aqui digue Gleinènço»

Se quauque rèi, pèr escasènço, De iéu veni' amourous, pôu arriba bessai,

Subre-tout s'èro jouine e lèri

£ lou plus bèu de soun empèri»

Que, sènso taat de refoulèri, lie leissèsse pèr eu mena dins soun palaû

Mai uno fes que m'aurié messo

Emperairis e segnouresso, Emé capo ufanouso, à papàrri d'orfré,

Em' autour de ma tèsto caudo

Uno courouno qu'esbrihaudo,

Rèn que de perlo e d'esmeraudo, M'envendriéu,iéu la rèino, i Baus, moun paure endrél

Di Baus fariéu ma capitalo 1

Sus lou roucas que iuei rebalo, De nôu rebastiriéu noste vièi castelas :

Tapoundriéu uno tourrello

Qu'emé sa pouncbo blanquinello

Ajougneguèsse lis estello ! E pièi, quand voudriéu un pauquet de soûlas.

Au tourrihoun de ma tourriho,

Sènso courouno ni mantiho, Souleto emé moun prince amariéu d'escala.

Souleto em' eu, sarié, ma iistol

Cause de bon e de requisto

Peralin de perdre sa visto. Contre lou releisset, couide à couide apielal

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MIREILLE, CHANT IIL 90

Pas moi ! reprit alors Clémence,

Et si le roi, par occurrence, De lues faibles appas devenait amoureux»

Surtout s'il était galant homme.

Et le plus beau de son royaume.

Ah ! pour le coup, vous verriez comme Je serais bientôt prête à me rendre à ses vœux.

Mais du jour je serais reine,

Impératrice et souveraine. Sous mon manteau de pourpre, en mes riches lambrif ,

Lorsque j'aurais ceint la couronne.

Qui d'or et de rubis rayonne.

Fuyant l'ivresse qu'elle donne. Je reviendrais aux Baux, mon pauvre et beau paysl

Les Baux seraient ma capitale !

Sur leur roche monumentale, lia main rebâtirait leur noble et vieux château ;

Fendant l'air, attirant la vue,

Une tourelle à flèche aiguë

Irait se perdre dans la nue ! Et puis, de temps en temps, sur le donjon nouveau,

Sans diadème, sans mantille,

Sous mes habits de jeune fille, J'aimerais à monter avec mon amoureux...

Quel plaisir ! Quelle jouissance.

Tout seuls, coude à coude, en silence»

Suspendus sur le vide immense. Vers l'horizon au loin de promener ses yeux \

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100 MIRÊIO, GANT III.

De vèirc en pi en, fasié Glemènço,

Moun gai reiaume de Prouvènço Coume un claus d'arangié davans iéu s'espandi ;

E sa mar bluio estalouirado

Souto si colo e si terrado,

E li grand barco abandeirado, Poujanto à plen de vélo i pèd dôu Castéu d*I;

E Ventour ^ que lou tron labouro, Ventour que, vénérable, aubouro

Subre li mountagnolo amatado souto eu, Sa blanco tésto fin qu'is astre, Goume un grand e vièi baile-pàstre Qu'entre li fau e li pinastre.

Coula 'mé soun bastoun, countèmplo soun vaciéu;

E lou Rose, ounte tant de vilo

Pèr béure vènon à la filo En risènt e cantant s'amourra tout-de-long»

Lou Rose, tant fier dins si ribo,

E qu'Avignoun tant-lèu arribo,

Gounsènt pamens à faire gibo, Pèr veni saluda Nosto-Damo de Dom ;

E la Durènço, aquelo cabro,

Alandrido, feroujo, alabro, Que rousigo en passant e cade e rebauJîn»

Aquelo chato boulegueto

Que vèn déu pous 'mé sa dourgueto,

E que degaio soun eigueto En jougant 'mé li chat que troTO pèr camin.

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MIREILLE, CHANT IIL fOi

De Yoîr, dans sa magnificence,

Mon gai royaume de Provence S'étendre et caresser mon regard attentif;

Sa mer bleue aux splendeurs lointaines.

Et ses collines et ses plaines.

Et ses navires par centaines Cinglant à pleine voile autour du château d'If;

Le Yentour que la foudre assiège,

Et dont le front couvert de neige, Bien au-dessus des monts courbés sous son niveau.

Va se perdre dans les nuages ;

Tel qu'un pasteur des anciens âges,

A travers les hêtres sauvages, Debout, bâton planté, contemple son troupeau ;

Le Rhône, fier même â sa source,

Dont les flots baignent, dans leur course. Tant de belles cités, qui fond sur Avignon,

Et qu'aux abords de cette ville.

On voit, vers la plaine fertile,

S'infléchir en courbe docile, Pour aller saluer Notre-Dame de Dom;

La Durance capricieuse,

Qui, dans sa carrière orageuse. Déracine l'osier, abat le romarin.

Gomme une folle jeune fille.

Revenant du puits, éparpille

L'eau de sa cruche qui vacille, Et joue avec les gars qu'elle trouve en chemin.

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102 MIRÊIO, GANT IIL

Tout en disent eiçô, Glemènço,

La gènto rèino de Prouvènço, Quitè sa cadiereto, e dins lou caneslèu

Anè veja sa faudadouno.

Âzalaïs, bruno chatouno,

Emé Viôulano e sa bessouno (Qoe si gènt d'Ëstoubloun menavon lou castèu),

Azalals ', bruno chatouno,

Emé Viôulano sa bessouno. Au Mas di Falabrego ensèn venien souvent*

L'Amour, aquéu terrible glàri

Qu'is amo tèndro e nouvelàri

Se plais qu'à faire de countràri, l'avié donna d'ardour pèr lou même jouvènt*

Azalaïs levé la tèsto :

Fiheto, perqué sian en fèsto, Meten, dis, qu'à moun tour fugue la rèino, iéul

E que Marsiho emé si vélo, £ la Giôutat, que ris em* elo, Emé Seloun e sis ameio, Béu-Gaire emé soun Prat, tout açô fugue miéu I

Damiseleto e bastidano, D'Arle, di Baus, de Barbentano,

Diriéu, à moun palais landas coume d'aucèut Vole chausi li sèt pu belle, E pesaran dins Tarchimbello L'amour que troumpo o que barbèlo...

Gaiamen, tôuti sèt, venès teni counsèu!

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MIREILLE, CHANT IIL 103

Tout en parlant ainsi, Clémence,

La gente reine de Provence, Qmtte sa chaise et va vider son corbillon.

Âzalaïs la pastourelle

Avait Violane auprès d'elle ;

L'une de l'autre était jumelle, (Leurs parents cultivaient la terre d'Estoublon).

Azalaïs la pastourelle,

Et Violane sa jumelle. Tenaient souvent jaser chez le père Ramon ;

L'amour qui fait tout par caprice,

Chez qui tout est ruse et malice,

Avait, par surcroît d'artifice. Enflammé les deux sœurs pour le même garçon.

Azalaïs leva la tète :

Admettons, pour combler la fête. Dit-elle, qu'à mon tour je sois femme d'un roi I

Que Marseille et sa Ganebière, Toulon et sa rade guerrière. Salon, la belle jardinière, Et Beaucaire et son Pré, tout cela soit à moi !

0 vous, dirais-je, dont on parle. Filles des Baux ou filles d'Arle,

Venez dans mon palais que dore le soleil ;

Je veux qu'il s'y tienne audience ;

Que l'amour vrai, que l'inconstance '

Y soient pesés à la balance. •• Sept, prises parmi vous, formeront ic conseil.

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\0\ MIRÊIO, GANT IIL

Ni'a pas pèr èstre maucoorado, Se i'a 'n parèu que bèn s'agrado,

Que, la mita dôu tèms, noun posque s'aparia? Mai iéu, Azalaïs la rèino, Dins moun empèrî, malapèino ! De quauco injuste e laide gèino

Se jamais un parèu se vèi countraria,

An tribunau di sèt chatouno Trouvara lèi que perdouno !

Pèr jouièu o pèr or, de sa raub^ d'ounour Quau fara pache, à sa mestresso Quau fara 'scorno vo treitesso, Au tribunau di sèt beilesso

Trouvaran lèi terrible e venjanço d'amour 1

E quand pèr une se rescontro Dous calignaire ; vo, pèr contro,

Quand se vèi dos chatouno amoureuse que d'un. Vole que lou counsèu désigne Quau mies ame, quau mies caligne, E d' èstre ama quau es pu digne...

Enfin, e pèr coumpagno au bèu damiselun,

Sèt felibre vole que vèngon ;

E, 'mé de mot que s'endevèngon, E niounte enaussaran lou noble roudelet.

Vole qu'escrigon sus de rusco

0 sus de fueio de lambrusco

Li lèi d'amour ; e tau di brusco Lou bonmèu coule, tau v^n coula si coublet.

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MIREILLE, CHANT HL 105

N'est-ce pas chose désolante.

Que souvent, malgré leur attente. Deux cœurs faits pour s'aimer ne puissent pas s'unir t

Eh bien ! je jure, moi, la reine.

Que si jamais, dans mon domaine,

Un couple que l'amour enchaîne Voit briser sans raison ses rêves d'avenir»

A la Gour rendant sa sentence

Il trouvera loi de clémence. Pour or ou pour joyau, de sa robe d'honneur

Qui fera pacte; à son amante

Qui fera trahison sanglante ;

Dans sa justice intelligente Lff Gour le frappera de la loi de rigueur.

Qu'une même fille convienne

 deux garçons, ou qu'il advienne Que deux filles aient l'œil sur le même garçon ;

Il faudra qu'à tel ou tel signe

La Gour reconnaisse et désigne

Le plus aimable et le plus digne... Enfin, pour rehausser l'éclat de ma maison.

J'y veux amener sept poètes. Qui, de myrtes ornant leurs têtes,

Aux arrêts de la Gouï* unissent leurs chansons > Et qui, sur Técorce des hêtres. De l'amour, dans leurs jeux champêtres. Gravent les lois, en toutes lettres ;

Le miel ne sera pas plus doux que leurs leçons 1

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f08 MIRÈIO, GANT III.

Ântan, di pin sonto lou tèomey

Ansin Faneto de Gantèume ^^ Dévié parla segur, quand soun front esfela

De Roumanin e dis Aupiho

Enluminavo li mountiho ;

Ansin la Goumtesso de Dio ^^^ Quand tenié court d'amour, segur dévié parla.

Mai, à sa man tenènt un fiasco, Belle coume lou jour de Pasco, Dins la chambre di femo, en aquéu tèms d'aqui, Mirèio ère tourna yengudo :

An, se fasian une begudo ! Acd 'sgaiejo la batudo,

Faguè ; femo, aparas, avans de persegui. *

E dôu flasquet bèn garni d'aufo, La liquoureto que rescaufo, Dins la tasso, à-de-rèng, raie couroe un fiéu d'en

léu l'ai facho, aquelo menèslro, Digue Mirèio; s'amajèstro Quarante jour sus la fenéstro,

Pèr fin que lou soulèu n'adoucigue lou fort.

l'a de très erbo de mountagno ; E lou sumoustat que H bagne N'en garde une sentour qu'embaimo l'estonma.

Mai, que ! Mirèio, veici qu'a no Vèn à-n-aquesto, ve, chascuno, Se quauque jour ère en fourtuno,

Nous a di ço que, rèino, aurié lou mai ama ;

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MIREILLE, CHANT III. 107

Ainsi, sur les vertes collines,

De Romanin dans les Alpines, Panette de Gant«(kne a souvent parler;

Et tel est aussi le langage

Que sans doute, dans son jeune âge.

Aux Cours d'afnour du voisinage, La comtesse 4e Die aimait à moduler.

Mais, pendant ce temps«là, Mireille

Arrive, montrant la bouteille Qa*aux rayons du cellier elle vient de choisir;

Et vive, et gaie, et sémillante,

A tout verre qm se présente

Verse la liqueur enivrante, Qa'on célèbre à la ronde et qu'on boit à plaisir.

Et de la bouteille épuisée Quand toute la liqueur rosée^ Goutte à goutte, eut passé dans chaque verre plein t

C'est moi, dit-elle, qui l'ai faite; n faut, pour qu'elle soit parfaite, La laisser, pendant qu'où l'apprête»

Quarante jours entiers exposée au serein ;

Trois fines herbes de montagne. Qu'un clou de girofle accompagne. Un donnent le parfum qui réchauffe le cœur.

C'est fort bien, dit alors Norade, Venant de boire sa rasade,

Mais tout à l'heure, en sa ballade. Chacune a dit ici son rêve de bonheur;

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108 MIRÈIO, GANT IIL

Tuperéu, digo lèu, Mirèio, Digo-nous tambèn touQ idèio ! Que Youlès que vous digue?... Urouso emémigènt, A noste mas de Grau countènto, Ta pas rèn autro que me tènto.

Ah ! faguè "lor una jouvèato, Verai, ço que t'agrado es ni d'or ni d'argent 1

Mai, un matin, iéu m'ensouvène...

(Perdouno-me, se noun lou tène, Mirèiol), èro un dimars ; veniéu de buscaia;

Goume anave èstre à la Grous-Blanco»

Emé moun fais de bos sus Tanco,

T'entre-veguère, dins li branco, Que parlaves em' un, proun escarrabiha !....

Quau ? quau ? cridèron. De mounte éro t

Emé lis aubre de la terro, Nourado respoundè, destriave pas bèn ;

Mai, se noun troumpo lou parèisse, Me semblé bén de recounèisse Aquéu que li panié saup tèisse, Aquéu Valabregan que dison Vincèn.

Oh ! la capouno, la capouno ! Esclafiguèron li chatouno.

Avié 'nvejo, parèis, d'un poulit gourbelin.

E i'a fa 'ncrèire au panieraire

Que lou vouiié pèr calignairel

Oh ! la pu belle dôu terraire Qu'a chausi pèr galant Vincèn lou rampelint

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MIREILLE, CHANT III. 103

Mireille, de ta préférence Fais-nous aussi la confidence ! Près d'une mère tendre et d'un père indulgent, Â notre mas de Grau, contente. Rien autre au monde ne me tente.

Oh ! toi ! reprit l'impertinente,

Ce qui te plaît le plus n'est ni d'or ni d'argent S

Un matin, je me le rappelle...

(Et, malgré moi, je le révèle). Je revenais du bois, c'était jour de mardi;

Gomme j'arrive à la Groix-Blandie,

Avec mon fagot sur la hanche,

Je te vis derrière une branche. Avec un beau jeune homme et pas mal dégourdi! •••

Qui donc? qui donc^ crièrent-elles. - Songez que les feuilles nouvelles

Me gênaient, dit Norade, et qu'à peine en passant

Je l'ai vu; mais, à sa tournure.

J'ai reconnu, je m'en crois s^re,

Ge jeune homme, brun de figure. Qui tresse des paniers et qu'on nomme Vincent.

Oh ! la coquette ! Oh I la Mponne ! Sans doute, que Dieu lui pardonne !

Sus doute pour avoir de plus jolis paniers.

Au vannier elle en fit accroire...

Voyez donc la plaisante histoire !

La plus belle du territoire, toi prend pour amoureux Vincent le va-nu-pieds I

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110 MIRÊIO, GANT III.

E la galejavon. Toat-d'unOy

E sus la caro de cadiino Permenanl tout au tour un regard de galîs :

Malavalisco vàutri, pèco!

Faguè Taven. Que la Roumèco '*

Vous rendeguèsse tôuti méco ! Passarié ion bon Dieu dins soun camin d'Alis,

Que se n'en trufarien, esturto ! D'aquéu Vincèn, à toute zurto,

Es bèUy parai? de rire!... £ sabès ço que tèn, Paure que paure?... Ausès Touracle : Même davans soun tabernacle, Dieu, uno fes, moustrè miracle I

Vous lou pode afourti, s'èi passa de moun tèir.

Ëro un pastre : toute sa Tido,

L'avié yiscudo asséuvagido, Dins Taspre Lebereun i3, en gardant soun avô.

Enfin, de-vers lou cementèri

Sentent plega soun cors de fôrri,

A Termitan de Sant-Ouquèri Vonguè se counfessa, coume èro soun de?ô«

Seul, esmarra dins la Vau-Masco ^^^ Desempièi si proumiéri pasco,

Dins glèiso ni capello avié plus mes li pôd; Tayié passa de la memôri Même sis ourol... De sa bôri Eu mountè donne à Termitôri,

E davans l'ermitan jusqu'au sôu se courbé.

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MIREILLE, CHANT IIL ili

Et comme pluie oa comme gréle^ Les traits railleurs fondaient sur elle ;

Qaand lançant tout autour un regard de travers Taven leur dit : Filles maudites 1 Pour tous les ragots que vous fîtes, Que vos lèvres soient interdites !

Passerait le bon Dieu dans les cieux entrWvertSi

Qu^elles s'en moqueraient, les foJlesi

Voilà qu'en vos propos frivoles Voos raillez sans merci ce malheureux Vincent l.».

Qui le connaît ?... Oyez l'oracle :

 deux pas de son tabernacle.

Une fois Dieu fit un miracle! Je puis vous l'affirmer, le fait est tout récent.

C'était un pâtre : pauvre hère,

Qui vécut toiyours solitaire, En gardant son troupeau dans l'âpre Luberon ;

Quand la vague odeur de la bière

Lui vint du fond du cimetière.

Songeant à son heure dernière. Gomme tous, il voulut implorer son pardon.

Or, depuis sa plus tendre enfance.

Perdu dans l'ombre et le silence. Dans église ou chapelle il n'était plus entré ;

Tout ce qu'un bon chrétien doit croira

Avait fui loin de sa mémoire!...

Pourtant il gagne l'oratoire I>e Saint-Ëucher, et tombe aux pieds de son curé.

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m MIRËIO, GANT III.

De que vous acusas, moun fraire? Digue loa capelan. Pecaire !

Respoundeguè lou vièi, iéu m*acuse qu'un cop Dins moTia (roupèu, un galapastre (Qu'es un aucèu ami di pastre) VouJastrejavo... Pèr malastre

Tuère em'uncaiau lou paure guigno-co!

Se noun lou fai à bel esprèssi, Aquel ome dèu èstre nèsci !

Pensé Termito... Ë lèu roumpènt la counfessioan :

Anas penja su 'quelo barro, fai en estudiant sa caro, Voste mantèu, que iéu vau aro,

Moun fraire, yous douna la santo assoulucioun.

Aquelo barro que lou prèire,

Pèr lou prouva, fasié vèire, Ëro un rai de souléu que toumbavo en galis

Dins la capello. De sa jargo

Lou bon vièi pastre se descargo,

E, creserèu, en Ter la largo... E la jargo tengué, pendoulado au rai lise!

Ome de Dieu! cridè Terraito... E tout-d'un-lèms se precepito

I geinoui dou sant pastre, en plourant soun sadou :

Iéu, se pôu-ti que vous assôugue? Ah! de mis iue que Taigo piôugue,

E sus iéu vosto man se môugue. Que vous sias un sautas, e iéu un pecadout

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MIREILLE, CHANT lU. 113

Accusez Yos fautes, mon frère, Dit Termite. Voici, mon père.

Ce dont je me confesse : Un jour dans mon troupeau

Arrive une bergeronnette

Oiseau propice à la boulette ;

Horreur! pendant qu'elle volette. fai, d'un coup de caillou, tué le pauvre oiseao.

Vraiment! ou cet homme plaisante Ou sa raison est cbancelante !

Pensa le cbapelain, qui, pour voir de plus près,

Si c'était bêtise ou malice.

Lui dit: A cette perche lisse.

Allez pendre votre pelisse, Car je vais vous bénir et vous absoudre après*

Or, cette perche imaginaire

N'était qu'un beau rayon solaire Qui du haut du vitrail tombait obliquement.

Plein de foi, le pâtre s'avance

Saisit sa pelisse et l'y lance....

Et la pelisse, en récompense, Demeure suspendue à son rayonnement.

Homme de Dieu! cria l'ermite. Qui tout ému se précipite

Aux pieds du pauvre pâtre, en pleurant de tout cœur:

Puis-je encor faire mon office!

Que de larmes mon œil s'emplisse.

Et que votre main me bénisse ! Car vous êtes un saint, moi je suis un pécheur.

B

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tu MIRÈIO, GANT III ^

E Taven finiguè soun dire.

I chato avié coupa lou rire. Acô mostro, Laureto alor ajusté 'nsin,

Acô mostro, e noun lou countèsti,

Que noun fau se trufa dôu vièsti,

E que de tout peu bono bèsti... Mai, chato, reyenen. Goume un gran de rasin,

Nosto jouineto majouralo,

Ai vist que venié vermeialo, Tant lèu que de Vincèn lou dous noum s'éî ausi;.;^

Ta mai que mai!...^ejanl poulido,

Quant duré de téms la culido ?

En estent dous, Fouro s'ôublido. Es que! 'mé *n calignaire, avés toujour lesil...

Travaias, descoucounarello! NTa panca proun, galejareilo?

Hiréio respoundé; farias dana li sant!

Oh ! dis, mai vés ! pér vous counfoundre. Pu léu que de me véire apoundre A-n-un marit, me vole escoundre

En un couvent de mourgo, à la flour de mis an.

Tan-deran-lan ! tan-deran-léron 1 Tôuti li chato ensén cantèron.

Aneu ! eiçô sara la bello Magali,

Magali, que, dôu grand esglàsi Qu'avié pér Tamourous estàsi, En Arle au couvent de Sant-Blàsi,

Toute vivo, amémai courre s*enseveli.

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MIftEILLE, CHANT III. 115

Taven finit son histoire...

Un frisson gagna Tauditoire. Ceci prouTe, dit Laure, et ne le nions pas,

Que rhabit ne fait pas le moine,

Et qu'au plus maigre patrimoine

Tout champ peut donner bonne avoine... Mais, filles, revenons, revenons sur nos pas;

Au seul nom de Vincent, Mireille

A pris une teinte vermeille... Je Tai vu, ceci cache un mystère profond...

Etait-il tard, voyons, jolie.

Quand la cueillette fiit finie?

Lorsqu'on est deux, l'heure s'oublie ! Avec un amoureux le temps n'est jamais long!...

Mais, travaillez donc, paresseuses f Cessez surtout d'être railleuses,

Dit-elle ; vos propos feraient damner le^ saints I Eh bien I que ceci vous confonde ; Sachez qu'avant que je réponde A l'amour d'un homme en ce monde.

Le dottre pourrait bien servir d'autres desseins,

Tra la la la ! Que vous en semolel Répètent les filles ensemble;

Elle veut imiter la belle Magali,

Qui ne devait jamais se rendre. Qui, plutôt que de laisser prendre Son cœur par un sentiment fendre.

Aima mieux au couvent le voir enseveli.

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H6 MIRËIO, GANT IIL

Noro» an! d'aut! tu que tant bèn cantef, Tu que, quand vos, Tausido espantes,

Ganto-ié Magali, Magali qu'à Tamour Escapavo pèr milo escampo, Magali que se fasié pampo, Aucèu que toIo, rai que lampo,

E que toumbè pamens, amourouso à s<mn tour*

0 Magali, ma tant amadof.,.

Goumencè Noro ; e l'oustalado A l'obro redoublé de gaieta de cor;

£ coume, quand d'une cigalo

Brusis la cànsoun estivalo,

En Cor téuti reprenon, talo U chatouno au refrin partien téutis en Cor.

MAGALI

0 Magali, ma tant amado, Mete la tèsto au fenestroun ! Escouto un pau aquesto aubado De tambourin e de viéuloun.

Es plen d'estello, aperamount L'auro es toumbado.

Mai lis estello paliran, Quand te veiran

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MIREILLE, GHÂNT III. 117

Allons, allons, gentille Nore,

Toi, dont la yoix est si sonore. Chante-lui Magali, Magali qu'à Tamour

On croyait à jamais rebeUe ;

Qui, pour mieux fuir son étincelle.

Trouvait toujours ruse nouvelle, Et qui tomba pourtant amoureuse à son tour.

0 Magali, ma tant aimée t.. .

Nore entonne, et la maisonnée Redouble pour Touvrage et d'entrain et de cœur ;

Et, comme aux champs, quand la cigale

Agite sa frêle cymbale.

Le chœur suit ; d'une ardeur égale, Les filles an refrain partaient toutes en chœur.

MÂ6AL1

0 Magali, ma tant aimée! Ecoute un peu mon gai refrain ; Parais ! et tu seras charmée. Du son joyeux du tambourin.

D'étoiles d'or, le ciel est plein.

L'onde est calmée ; Mais quand les astres te verront.

Ils pâliront.

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li« MIRÈIO, GA^NT m.

Pas mai que déu murmur di broundo De toun aubado iéu fau cas 1

Mai iéu m'envau dins la mar bloundo Me faire anguielo de roucas.

0 Magali, se ta te fas

Lou pèis de Toundo, Iéu, lou pescaire me farai.

Te pescarai! ' "■ -

Oh! mai, se tu le fas pescaire. Ti vertoulet quand jilaras,

Iéu me farai Taucèu voulaire, M'eûYOularai dins li campas.

0 Magali, se tu te fas

L'aucèu de Taire, Iéu lou cassaire me farai, Te cassarai.

I pcrdigau, i bouscarido. Se vènes, tu, cala ti las, Iéu me farai Terbo flourido

£ m'escoundrai dins li pradas-

0 Magali, se tu te fas

La margarido, Iéu Taigo lindo me farai, T'arrousarai.

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MIREILLE, GHÂMT III. flO

Pas plus qu'un autre bruit du monde» Tes chants ne peuvent me toucher; Et je m'en vais dans la mer blonde Me faire anguille de rocher,

- 0 Magali, si tu te fais

Poisson de l'onde, De l'onde j'irai m'approcher

Pour te pêcher!

Si je te vois sur le rivage Voulant me prendre dans tes rets. Je deviendrai l'oiseau sauvage Qui vit à l'ombre des forêts.

0 Magali, si tu te fais

Oiseau volage,

Au bois, tu me verras passer

Pour te chasser.

Si jamais de l'oisellerie Je vois les engins préparés^ Je deviendrai l'herbe fleurie Qui forme le tapis des prés.

- ' 0 Magali, si tu te fais

Verte prairie, Eau vive, j'irai m'épuiser A t'arroser.

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190 MIRÈIO, GâNT III.

Se tu te fas Teigueto lindo, léu me farai lou nivoulas, £ lèu m'enanarai ansindo A rAmerîco, perabasi

" 0 Magali, se tu t'envas

AlinisIndOy L'auro de mar iéu me farai.

Te pourtarai !

Se tu te fas la marinado, Iéu fugirai d'un autre las : Iéu me farai Tescandiliado

Déu grand soulèu que found lou glasî

0 Magali, se tu te fas

La souleiado, Lou yerd limbert iéu me farai, E te béurai I

Se tu te rendes l'alabreno Que se rescound dins lou bartas, Iéu me rendrai la luno pleno Que dins la niue fai lume i masc I

0 Magali, se tu te fas

Luno sereno, Iéu belle nèblo me farai, T'acatarai.

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MIREILLE, GHAMT ICI. 12!

*- Si tu te fais l*onde limpide» Nuage, moi, je deviendrai. Et là-bas, loin, dans la Floride, Par le ciel bleu je m'en irai t

0 Magali, si tu te fais

Nuage humide. Vent doux, j'irai me délecter

A te porter !

Si tu te fais brise légère. Je fuirai d'un autre côté. Je serai la brillante sphère Du grand soleil qui luit Tété !

0 Magali, si tu te fais

Rayon solaire. En lézard je m'allongerai, Je te boirai !

Si ton astuce se promène En lézard yert dans les hallien, Moi, je serai la lune pleine. Qui la nuit guide les sorciers !

0 Magali, si tu te fais

Lune sereine. Je deviendrai brouillard léger Pour t'ombrager.

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122 MIRÈIO, GANT III.

Mai se ]a nèblo m'eumantello. Tu, pèr acô, noun me tendras; léu, bello roso viergineUo, M'espandirai dins Tespinasl

0 Magali, se tu te fas

La roso bello, Lou parpaioun iéu me farai^ Te beisarai.

Vai, caliguaire, courre, courre ! Jamai, jamai m'agantaras.

Iéu, de la rusco d'un grand roure Me yestirai dins lou boujscas.

0 Magali, se tu te fas

L'aubre di moure, Iéu lou ciot d'èurre me farai, T'embrassarai I

Se me vos prene à la brasseto, Rèn qu'un vièi chaine arraparas... Iéu me farai bianco moungeto

Déu mounastié déu grand Sant Bias !

0 Magali, se tu te fas

Mouujo blanqueto, Iéu, capelan, counfessarai, E t'ausirai t

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MIREILLE, CHANT III. 19^

Si tu te fais la brume pâle , Pour voiler mon disque argenté. Moi, d'une rose virginale J'aurai l'odeur et la beauté !

7- 0 Magali, si tu te fah

Fkiur du Bengale, Papillon^ j'irai m'y poser

Pour te baiser.

Oh! vole, vole à perdre haleine t Ton vol sera désespéré;

Gar de l'écorce d'un grand chône Au bois je me revêtirai.

0 Magali, si tu te fais

Yeuse ou frêne, Moi, lierre, au pied, j'irai pousser. Pour t'embrasser 1

Si le lierre vers moi se penche, Croyant m'enlacer à son gré,

Sous un long voile, un beau dimanche, J'entre au couvent de Saint-André!

0 Magali, si tu te fais

Nonnette blanche. Moi, prêtre, je confesserai, Je t'entendrai t

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124 MIRËIO, GANT III.

Aqui li femo ressautèron;

Li rous coucoun di man toumbèroo.. E cridavon à Noro : Oh ! digo, digo pièi

Ço que faguè, 'n estent moungeto,

Magali, que déjà, paureto !

S'èi facho roure emai floureto, Luno, soulèu e nivo, erbo, auceloun e pèi.

De la cansoun, reprenguè Noro, Vous vau canta ço que demoro.

M'erian, se m'ensouvèn, au rode ounte elo dis Que dins la clastro yai se traire, E que respond l'ardent cassaire Que i' intrara pèr counfessaire..*

Mai d'elo tourna-mai ausès l'entra vadis :

Se d6u couYènt passes li porto, Téuti 11 mounjo trouvaras Qu'à moun entour saran pèr ortOi Car en susàri me veiras 1

' 0 Magali, se tu te fas La pauro morto,

Adounc la terro me farai, Aqui t'aurai t

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MIREILLE, CHANT III. 12$

Ici les femmes se pâmèrent ;

Les cocons roux leur échappèrent... Et toutes s'écriaient : Mais dis-nous, sans retard.

Ce que fit, derrière sa grille,

Magali, cette pauvre fille.

Qui tour à tour, fut rose, anguille. Lune, soleil, nuage, oiseau, lierre ou lézard.

De la chanson, répliqua Nore, Il reste peu de chose encore ;

l'en étais, je crois bien, à ce couplet qui dit Que Magali se fait nonnette, Pour échapper, sous sa cornette, A son amoureux qui la guette...

Toici quel fut enfin le moyen qu'elle prit :

Si tu franchis la sombre porta Du monastère reculé, Les nonnes t'y feront escorte Autour de mon cercueil scellé 1

- 0 Magali, si tu te fais La pauvre morte.

Moi, la terre je deviendrai, Là, je t'aurait

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m UIRÈÎO, GANT III.

Aro coumencd eniin de crèire Que noun me parles en risènt : Yaqui raoun aneloua de vèire Pèr souvenènço, o bèu jouvônt!

0 Magali, me fas de bèn!.«.

Mai, tre te vèire,

Ve lis es^ello, o Magali,

Coume an pali^*!

Noro se taiso; res mutavo.

Talamen bèn Noro cantavo, Que lis autro, enteria, d'un clinamen de front

L'acoiunpagnavon, amistouso,

Goume li mato de moutouso

Que, penjouleto e voulountouso, Se laisson ana 'nsèmble au courrènt d'uno font.

Oh ! lou bèu tèms que fai deforo 1

En acabant jyustè Noro... liai déjà M segaire, à Taigo d6u pesquié,

De si daioun lavon la goumo...

X]luei-nous, Mirèio, quàuqui poumo

Di sant-janenco, e 'mé 'no toumo Nautre anaren gousta sout li falabreguié.

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MIREILLE, CHANT Ilf. Iti

Tu ne deviendras pas la terre, Car je vais me rendre à tes vœux; Voici mon annelel de verre, Pour souvenir, bel amoureux!

0 Magali, je suis heureux !...

Mais toi, sois fièrel Car, les étoiles ont pâli, Vois! Magali!

Nore se tut ; tout fit silence* Le front des filles en cadence.

Pendant qu'elle chantait, d'un léger penchement Semblait lui battre la mesure ; Telle la verte chevelure Du souchet sur une onde pure.

Ondoie avee ses plis et suit son mouvement.

Oh! iit Nore, quel temps superbe

Il doit faire là-bas sur l'herbe!... Mais déjà les faucheurs au cristal des viviers,

De leurs faux vont laver la gomme...

Qu'à son tour notre ouvrage chôme !

Gaeille-nous, Mireille, une pomme, Et nous irons goûter sous les Micocouliers !

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NOTES DU CHANT TROISIÈME

1. Lou bon muscat de Baumo (le bon muscat de Baume). Baume, village du département de Vaucluse, produit un vio muscat estimé.

2. Lou Feiigoulet (le Ferigoulet), excellent yin qu'on ré- colte sur un coteau des collines de Graveson (Bouches-du- Rhône). Ferigoulo signifiant thym en provençal, le vin de Ferigoulet, comme son nom Tindique, rappelle agréablement le parfum de cette plante.

/3. La Bono Maire (la Bonne Mère), la sainte Vierge.

4. Canela (blanchis) se dit des vers à soie atteints de la terrible maladie appelée muscardinej due au développe- ment d*une moisissure qui leur donne une apparence plâ- trée.

5. As ta crespino (tu es née coiffée). Crespino, coiffe, membrane que quelques enfants portent sur la tête en venant au monde, et qui est aux yeux du peuple un indice de bonheur.

6. Engipè (plâtra). (Voyez la note 4, même chant)

7. Pamparigousto (Pamparigouste). Pays imaginaire, comme celui de Cocagne.

8. Lou Ventour (le Ventour), haute montagne, â 48 kilo- mètres au nord-est d*Avignon, s'élevant tout â coup à 1911 mètres au-dessus du niveau de la mer, isolée, escarpée, visible de quarante lieues, couronnée de neige durant six

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NOTES DU CHANT III. 129

mois de Tannée. C'est à tort que les géographes écrivent VerUoux au lieu de Ventour. Les populations voisines de cette montagne prononcent unanimement Ventour, Un de ses appendices porte le nom de Ventouret, et un certain vent du nord s'appelle la Ventoureso^ parce qu'il vient de ce côté.

9. AiàlaUt forme provençale du nom propre Adélaïde.

10. Fanette de Gantelme. Estéfanette, et par abrévia- tion Fanette, de la noble famille des Gantelme. présidait, vers 1340, la Cour d'amour de Romanin. On sait que les Cours d'amour étaient des assises poétiques les dames les plus nobles, les plus belles, les plus savantes en Gay-saber, jugeaient les questions de galanterie, les litiges d'amour, et décernaient des prix à la poésie provençale. La belle et célè- bre Laure était la nièce de Fanette de Gantelme, et faisait partie du gracieux aréopage.

Non loin de Saint-Remy, au pied du versant septentrional des Alpines, on voit encore les ruines du château de Ro- manin.

11. La comtesse de Die, célèbre trouveresse du milieu du douzième siècle. Les chants qui nous restent d'elle contien- nent des élans plus passionnés quelquefois et plus voluptueux que ceux de Sapho :

Bels amies, avenèns e bos, (^uora us tendrai en mon podert E que jaguès ab os un ser, E que'us dès un bais amoros I

12. La Roumèco (la Roumèque), espèce de vampire méri- dional. Voici comment la décrit le marquis de Lafare^Âlais, dans ses Castagnados :

Sus vint arpo d'aragno S'escasso soun cors brun... Soun ventre que regagno. De fèbre e de magagno Buso l'orre frescnn.

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130 NOTES DU CHANT III.

13^ Leberoun (Lubéron), chaîne de montagnes du départe* ment de Vauclusc.

14. Vau-Masco (Yalmasque, vallée des sorciers), yallée du Lubéron, habitée jadis par les Yaudois.

15. On trouvera à la fin du volume l'air populaire sur le- quel a été composée la chanson de Magali.

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CANT QUATREN

LI DEMANDAIRS

I^ou tèms di vi6uleto. Li pescadou d6u Martegue. Très cali- l^naire vènon demanda Ilirèio : Alàri lou pastre, Veran lou gardian, Ourriaa lou toucadou. Alàri, ai capitau d'ayë. La toundeaoun.

Visko d'un escabot que davalo dis Aup, anant en iyernage. Entre-viato d' Alàri emé Ilirèio. Lis Antico de Sant-Roumië* Liéurèio d6u pastre, lou coucourelet de bouis eserincela. Alàri es chabi. Lou gardian Veran. Li cavalo blanco de Gamargo.

Veran demando Mirèio à Mèske Ranioun. Lon Yièi loa reçanp en grand joio, Mirèio lou refuse. Ourrias, lou doumtaire de tao.

Li brau nègre séuvage. La Ferrado. Ourrias e Mirèio à la font. Lou toucadou es chabi.

Véngue lou tèms que H viôuleto,

Dins li pradello frescouleto, Espelisson à flo, manco pas de paréu

Pèr ana li cueie à Toumbrino !

Véngue lou tèms que la marino

Âbauco sa fîèro peitrino E respire plan-plan de tout! si mamèu,

Manco pas bèto e sicelando ^

Que déu Martegue 2, à bèlli bando,

S'envan de si paiolo ' embourgina lou pèis S'envan, sus Talo de si remo, Escampiha sus la mar semo ; Véngue lou tèms qu'entre li femo,

L'eissame di chatouuo e fleuris e paréis.

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GHANT QUATRIÈME

LES PRÉTENDANTS

La saison des violettes. Les pêcheurs du llartigue. Trois pré- tendants briguent la main de Mireille : Alari, le berger; Vëran, le gardien de chevaux ; Ourrias, le toucheur de taureaux. Alàri, ses richesses en brebis. La tonte. La transhumance ; description d'an grand troupeau qui descend des Alpes. —Entrevue d' Alari et de Mireille.— Le mausolée de Saint-Remy. —Offrande du berger, la coupe de buis sculpte.— Alari est ëconduit. Véran, le gardien de chevaux. Les cavales blanches de Camargue. Vëran de- mande Mireille à Maître Ramon.— Joie et bon accueil du vieillard; refus de Mireille. Ourrias, le dompteur de taureaux. Les taureaux noirs sauvages. La Ferrade. Ourrias et Mireille à la fontaine. Le toucheur est ëconduit.

Vienne le temps les prairies

De violettes sont fleuries, Que d'amoureux aux champs pour aller les cueillir,

A pleins bouquets, sous la verdure I

Vienne le temps calme et pure,

La mer apaisant son murmure. Semble se pâmer d'aise aux baisers du zéphir.

Que de vieux pécheurs au Martigue, l Qui, sans péril et sans fatif^ue.

S'en vont sur leurs bateaux tendre au loin leurs filets.

S'en vont, sur l'aile de leurs rames

S'éparpiller parmi les lames... !

Vienne le temps grandes dames Et fillettes des champs tendent aussi leurs rets.

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134 MIRÈIO, CANT IV.

Que pastourello vo coumtesso Prenon renoum de poulidesso,

Manco pas calignaire, en Grau e i castelas; E rèn qu'au Mas di Falabrego N'en venguè très : un gardian d'eg(^ Un peîssejaire de junego,

Em* un pastre d'avé, tôuti très bèu droulas.

Venguè premié lou pastre Alàri.

Dison qu'avîé milo bestiàri Arrapa, tout Tivèr, long dôu clar d'Entressèn*,

I boni bauco salabrouso.

Dison qu'eiça quand Iqu blad nouso,

Dins li grandis Aup fresqueirouso Êu-meme li mountavo» entre que Mai se sèut.

Dison peréu, e m'es de crèire, ^ Que, vers Sant Marc, i'a nôu toundèire

Que, très jour, toundien, e d'ome renouma! E iéu noun comte aquéu que lôvo Lis aus de lano blanco e grèvo Ni lou mendi que sènso trèvo

Carrejavo i toundèire un douire lèu chima.

Mai quand la caud pièi s'apasimo, E que la nèu sus li grand cimo

Adeja revouluno i terraire gavot, De l'inmènso piano Gravenco Pèr destepa l'erbo ivemenco. Dis âuti coumbo Déufinenco

Falié vèire descendre aquéu ricbe escaboi!

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MIREILLE, CHANT IV. 135

Que de soupirants dans le monde

Vont courir la brune et la blonde. L'un à rhumble chalet, l'autre au manoir altier I

G'esf ainsi qu'au Mas que signale

Sa richesse proverbiale,

A très-peu de jours d'intervalle, Il en vint trois : un pâtre, un gardien, un bouvier.

Alari, le pâtre, commence.

Ses grands troupeaux, en abondance. Paissent pendant l'hiver au quartier d'Ëntressen;

Mais de la caillouteuse plaine ,

Lui-même, en prudent capitaine.

Vers la montagne il les emmtoe. Dès que de Mai fleuri le souffle se ressent.

On dit, et ce n'est pas un conte,

Que pour en achever la tonte Neuf tondeurs de renom mettaient au moins trois jours;

Sans parler de l'homme de peine

Qui choisit et classe la laine.

Ni du bergerot qui promène Le broc sans cesse vide et qu'il remplit toujours.

Quand du froid on sent les approches.

Et qu'aux sommets des grandes roches La neige tourbillonne avec son blanc manteau.

De la montagne pastorale,

Chassé par la froide rafale.

Et venant vers l'herbe hivernale, il était beau de voir descendre ce troupeau !

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136 MIREIO, GANT I?

Falié vèire aquelo escarrado

S'esperlounga dins la peirado! En front de tout lou rai, Tagnelun premieren

Sautourlejo pèr bando gaio...

Ta Tagnelié que lis endraio.

L'ensounaiado bourriscaio, £ li poutre, e M saumo, à béudre li seguien.

D'escambarloun dessus la bardo,

Es Tasenié que n'a la gardo : Dins lis ensàrri d'aufo, es éli, sus lou bast,

Éli que porlon la raubiho,

E la bevèndo e la mangiho,

£ dôu bestiàn que s'espeio lia peu enca saunouso, e l'agneloun qu'es las.

Gapitàni de la bregado,

E li bano revertegado, Après venieu de frcmt, en brandant si redoun,

E lou regard vira de caire,

Cinq fîèr menoun cabessejaire;

Darrié li bôchi vèn li maire, E li fôli cabreto, e li blanc cabrctoun.

Troupo courriolo emai groumando. Es lou cabrié que la coumando.

U mascle de Tavé, li grands esparradou

De quau li mourre en l'èr se drèisson, Dins la carrairo aqui parèisson : A si grand bano se counèisson,

Très fes envertouiado autour de Tausidou ,

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MIREILLE, CHANT IV. 137

Quel spectacle, quand cette foule

Le long du chemin se déroule ! En tète l'agnelier, que les jeunes agneaux

Siiivent en ordre de bataille...

Un peu plus loin, par rang de taille.

Les ânes avec leur sonnaille S'avancent au milieu de leurs ànons pouveaux.

A califourchon, sur sa selle,

L'ânier les a sous sa tutelle. Dans les paniers cordés, sur le bât, ce sont eux

Qui portent le pain, le breuvage,

Les ustensiles de ménage.

Les peaux qu'un récent habillage Laissa rouges de sang, et l'agneau souffreteux.

De front sur la même rangée,

Cornes en l'air, barbe allongée, l-iO regard de travers, en princes du troupeau.

Cinq boucs à tête menaçante ,

Branlent leur clarine bruyante;

Puis viennent la chèvre arrogante. Et la chevrette folle et le petit chevreau ;

Race indocile, à dent cruelle.

Du chevrier lassant le zèle. Les mâles des brebis, les béliers conducteurs,

Dont les museaux dans l'air se dressent.

Après les chèvres apparaissent ;

Leurs Altesses se reconnaissent Aux cornes dont trois plis modèrent les hauteurs ,

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t38 MIRÊIO, GANT lY.

E peréu (ounourable signe

Que d6u troupèu acô 's li segne)

An li costo flottcado e l'esquino tambèn. Caraino en tèsto de la troupe Lou baile-pastre, e de sa roupo Li dos espalo s*agouloupo.

Mai lou gros de Tarmado arribo d'un tenènt*

E 'n une pôusso nivoulouso,

E di proumiero, e di conchouso, Gourron lis agnelado, en bramant loungamen

Au belamen de si berouge;

E, lou coutet flouca de rouge,

Ensèn pôussejon lis anouge B li môutoun lanu que ?an paloutamen ;

Li pastriboun de vouto en vôuto, £ qu'i chin cridon : A la vôutol

E, pega sus lou flanc, Tinnoumbrable Taciéu, Li nouvello, Ji tardouniero, E li segoundo, e li manière, E li fegéundi bessouniero ^

Qu'an peno à tirassa soun ventre empachatién.

Escarradoun tout espeiôti.

Entre li turgo, li yièi môti Qu'an agu lou dessouto i batèsto d'amour»

Emé li berco e li panarde,

Glauson enfin la rèire-gardo,

Aret creba, triste desfardo. Qu'an perdu tout ensén e li bano e l'ounour.

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MIREILLE, CHANT lY. 139

Gomme encore aux nombreuses houppes Qui s'échelonnent sur leurs croupes.

Cest devant les béliers, son bâton à la main. Ayant au bras sa houppelande, Que le chef des pâtres commande. Qu'il morigène et réprimande

Tout membre du troupeau qui quitte son chemin*

Dans un nuage de poussière.

Le gros de l'armée est derrière ; Les brebis répondant par de longs bêlements

Aux bêlements de leur lignée ;

Les gros agneaux vieux d'une année,

Ayant la tête enrubannée; Et les moutons laineux qui marchent à pas lents.

Les bergerots, aides modestes,

Qui par leurs cris et par leurs gestes Encouragent les chiens courant et bondissant

Pour maintenir la discipline;

Puis toute cette plèbe ovine.

Qui, les flancs marqués de résine, A du mal â traîner son ventre embarrassant.

Puis enfin, à l'arrière-garde.

Tous ceux que leur âge retarde ; Les moutons de rebut, les brebis sans valeur.

Les invalides, les boiteuses.

Et Jes béliers à peaux galeuses.

Qui dans les luttes amoureuses Perdirent â la fois les cornes et l'honneur.

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140 MIRÈIO, CANT IV.

E tout acô, fedo e cabraîro. Tant que n'i*avié dins la carrairo,

Èro d'Alàri, tout, jouine e vièi, bèu o laid.,. £ davans eu quand davalavon, Qu'à cha centeno d^filavon, ÀTié sis iue que se chalavon...

Pourtavo, coume un scètre, un rebatun de plai.

E 'mé si blane chinas de pargue Que lou seguien dins li relargue,

Li geinoun boutouna dins si guèto de peu, E rèr seren, e lou front sàvi, L'aurias cresu lou bèù rèi Dàvi Quand, sus la tardo, au pous dis àyi

Anavo, en estent jouine, abéura li troupèu.

Vaqui Mirèio que vanego

Davans lou Mas di Falabrego ! Digue lou pastre... Oh! Dieu ! m'an di la verita :

Ni dins lou plan, ni sus l'auturo,

Ni pèr verai, ni pèr pinturo,

léu n'ai ges vist qu'à la centuro vague, pèr lou biais, la gràci, la béuta!

Que, rèn que pèr la vèire, Alàri

S'èro escarta de soun bestiàri. A dre d'elo pamens quand fugue : Pourriés-ti,

fai d'une voues que trémolo,

Me faire vèire uno draiolo

Pèr travessa li mountagnolo? Autramen, chatoj ai pôu de pas me n en sourti.

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MIREILLE, CHANT IV. 14f

Et tout cela, Tavant, Tarrière,

Béte fine, béte grossière, leune ou vieux, blanc ou noir, tout était d'Âlaril,..

Leur nombre et leur bonne tenue.

Quand il en faisait la revue,

Délectaient son cœur et sa vue... Un gouBdin blanc était son sceptre favori»

Et quand, suivi le long du fleuve

De ses grands chiens de Terre-Neuve,

Les genoux boutonnés dans ses guêtres de peau, Il promenait ses goûts champêtres, Vous auriez cru voir sous les hêtres, David, au puits de ses ancêtres.

Allant dans sa jeunesse abreuver son troupeau

Mais tout à coup voilà Mireille

Qui se promène sous la treille I . Ciel ! dit-il, on m'avait bien dit la vérité ,

Et pas plus en cliair qu'en peinture

Je n'ai connu de créature

Qui puisse aller à sa ceinture, Pour la taille, le port, la grâce et la beauté.

C'était pour la voir,, on s'en doute,

Qu'Alari s'était mis en route; i Et dès qu'il l'aperçut, voulant la pressentir :

Belle ! dit-il, d'un air timide,

Je cherche un avis qui me guide

A travers cette côte aride. Sinon, j'aurais grand peur de ne pas en sortir.

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142 MIRÊIO, GANT IV.

Fa que de prene la drechiero, Vés ! respoundè ]a masag^iero,

E pièi de Pèîro-Malo enregas lou désert, E caminas dins la vau torto, Fin que vegués uno grand porto, Emé 'no toumbo que suporto

Dons generau de pèiro, eilamount dins lis ir ^;

Ëi ço qu'apellon lis Antîco.

Gramaci! lou jouvènt replico... Milo bèsti d'avé, pourtant ma marco, en Grau,

Mounton deman à la mountaguo, E iéu précède la coumpagno Pèr marca dins la campagne, Li coussou, la couchado, e peréu lou carrau.

E tout de bèstio finol... E quouro Que me maride, ma pastouro

Entendra tout lou jour canta lou roussignèu... E s'aviéu Tur, belle Mirèio, Que tu vouguèsses ma lîéurèio, Te semoundriéu, noun de daurèio,

Mai un vas que t'ai fa, de bouis, e flame-nôu.

E de parla tant lèu s'arrèsto, Goume un relicle, de sa vôsto

Sort un coucourelet taia dins lou bouis viju, Gar, à sis oureto de pauso, Amavo, asseta su 'no lauso. De s'espassa 'n-aquéli cause;

E rôn qu'emé 'n coutèu fasié d'obro de Dieu!

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MIREILLE, CHANT IV. 143

Vous n'avez qu'à suivre la voie

Qui sur la droite se déploie. Dit Mireille; par vous allez aux déserts

De Peyremale, et de la sorte

Vous atteignez la gi*and6 porte

Et le grand tombeau qui supporte Deux généraux de pierre élevés dans les airs

C'est ce qu'on nomme les Antiques ,

Des Romains ce sont des reliques. Merci, dit le berger, mille bétes demain

Doivent aller à la montagne ;

Quoiqu'un pâtre les accompagne.

Je fais moi-même la campagne , Pour marquer la couchée et montra le chemin.

C'est la fleur de ma bergerie... ' Et si jamais je me marie, Ma femme sera plus que la femme d'un toi ;

Et si toi, belle, d'occurrence.

Tu voulab de mon alliance.

Je t'offrirais en récompense Un beau vase de buis que j'ai taillé pour toi.

Et sans attendre de réponse.

De sa veste, sa main s'enfonce, U sort un, vase roux fait du buis le plut beau.

Car bien souvent pour se distraire.

Dans sa demeure solitaire,

Alari se plaisait à faire Des œuvres d'un grand art du bout de son couteau.

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144 MIREIO, CàNT IV.

E d'uno man caseareleto

Escrincelavo de clincleto Pèr la niue, dinç lou champ, mena soun abeié;

E sus lou càmbis di sounaio,

E sus Tos blanc que li mataio,

Fasié de taio e d'entre-taio, Ede flour, e d'aucèu, e tout ço que vouliô.

Mai lou vas que venié d'adurre,

Aurias nega, tous Tassegure, Qne i'aguèsse passa coutèu de pastrihoun :

Uno massugp bèn flourido

A soun entour èro espandido;

E dins si roso alangourido, Dous fabrôu peissien, fourmant li manihoun.

Un pau plus bas, vesias très fiho

Qu'èron segur très meravihol... Pas liuen, des$outo un cade, un pastourèu dourmii,

Li fouligàudi chatouneto

Se n'aprouchavon plan-planeto,

E metien sus la bouqueto Uno alo de rasin qu'ayien dins soun pani&

E lou pichot que soumihavo

Tout risoulet se revibavo ; Ë l'uno di chatQuno avié Ter esmôugu**.

Sens la cot^lour dôu racinage, ,

Aurias di que li personnage

Èron viéu di1is aquel ôubrage... Sentie ^n^aro lou nôu, i'avié panca begu.

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MIREILLE, CHANT IV, 145

Ainsi de sa main fantaisiste

11 découpait, mieux qu'un artiste. Des claquettes de bois pour garder les troupeaux ;

Sur le collier d'une clarine,

Ou sur l'os blanc qui s'y dandine,

Il gravait des fleurs d'églantine, Des arbres et des fruits, des nids et des oiseaux.

Mais le vase fait pour Mireille

Était une telle merveille, Que nul ne l'aurait pris pour l'œuvre d'un berger ;

On y voyait, entre autres choses.

Un grand rosier chargé de roses ;

Et gracieuses dans leurs poses, Deux biches formaient Tanse avec leur pied léger.

Un peu plus bas, sur des fougères,

Folâtraient trois jeunes nergeres. Non loin d'un pastoureau dormant sous le rosier;

Et sur sa lèvre souriante,

Chacune d'une main prudente,

Avec une grâce charmante. Suspendait un raisin puisé dans son panier.

Et l'enfant comme pour leur plaire

Entr'ouvrait un peu sa paupière ; Et Tupe des trois sœurs avait 1 air tout ému ;

Les herbes, les fleurs, le feuillage.

Les traits de chaque personnage.

Tout vivait dans ce bel ouvrage... Et dans ce vase neuf personne n'avait bu.

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146 MIUÈIO, CANT IV.

En verita, digue Mirèio, Pastre, fai gau, vosto liéurèîo...

E TespinchaYO. Pièi partiguè tout d'un bound :

Moun bon-ami n'a 'no plus bello : Soun amour, pastre ! E quand me bèlo, 0 feu que baisse li parpello,

0 dins iéu sente courre un bonur que me poun.*.

E la chatouno, coume un glàri

Despareiguè... Lou pastre Alàri Estremè soun vasèu ; e plan-plan, à l'erroiir^

Eu s'enanè de la bastido,

E la pensado entreboulido

Qu'aquelo chato tant poulido Pèr autre que pèr eu aguèsse tant d'amour 1

Au même Mas di Falabrego

Venguè tambèn im gardian d'ego. Veran. Aquéu Veran venguè déu Samba*.

Au Sambu, dins li grand pradello

Ounte fleuris la cabridello*,

Avié cent ego blanquinello Despounchant di palun li rousèu escambo.

Cent ego blancol I^a creniero»

Coume la sagno di sagniero, Onndejanto, fougouso, e franco dôu cisèu.

Dins sis ardèntis abrivado,

Quand pièi partien, descaussanado,

Coume la cherpo d'uno fado, En dessus de si côu floutavo dins lou cèu.

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MIREILLE, CHANT IV. 147

Oui, votre coupe est fort jolie

Dit Mireille, et d'un œil d'envie Elle l'admirait. . puis, partant d'un air moqueur :

Mais j'en sais une bien plus belle,

L'amour de mon ami fidèle;

Et quand sur moi luit sa prunelle, Il faut baisser les yeux ou mourir de bonheur...

Comme un lutin qu'un diable étrille^

S'évapora la jeune fille... El le berger confus, fermant dans son étui

La coupe qu'on ne veut pas prendre,

Repartit sans pouvoir comprendre

Gomment une fille aussi tendre Concevait tant d'amour pour un autre que lui !

Bientôt, aux heures matinales.

Arrive un gardien de cavales, Véran, le beau Véran ; il venait du Sambuc;

Du Sambuc, aux immenses plaines,

De cabridelles toutes pleines.

ses cavales par centaines Epointaient les roseaux et vivaient de leur sae.

Cavales blanches I Leur crinière

S'étalait sur leur tête altière. Ondoyante, tou£fue et franche des ciseaux ;

Et sitôt qu'à leur fougue innée

Leur course était abandonnée.

Comme l'écharpe d'une Fée, Elle flottait dans l'air fument leurs naseaux.

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148 MIRËIO, GANT lY.

Vergougno à tu, raço oomenenco :

Li cavaloto camarguenco ^®, Au pougnènt esperoun que i'estrasso lou flâne,

Goume à la man que li caresso,

Li veguèron jamai soumesso.

Encabestrado pèr traitesso, N'ai vist despalria liuen déu pàti salan;

£ 'n jour, d'un bound rabin e proomte, Embardassa quau que li mounte^

D*un galop avala vint lègo de palun, La narro au vent! e revengudo Au Vacarès ", que soun nasoudo. Après dès an d'esclavitudo,

Respira de la mar lou libre salabrun.

Qu*aquelo meno séuvagino,

Soun elemen es la marino : D6u càrri de Netune escapado segur,

Es encaro tencho d'escumo ;

£ quand la mar boufo e s'embrumo,

Que di veissèu peton li gumo, Li grignoun de Gamargo endihon de bonur,

E fan brusi coume uno chasso Sa longo co que tirasse ;

E gravacbon lou sôu, e sènton dins sa car Intra lou trent déu dieu terrible Qu'en im barrejadis ourrible Môu la tempèsto e Tendoulible,

E bourroulo de founs li toumple de la mar.

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MIREILLE, CHANT IV. U9

Honte à toi, grande race humaine !

La belle cavale arlésienne. Ni sous râpre éperon qui déchire ses flancs.

Ni sous la main qui la caresse.

N'eut jamais la moindre faiblesse ;

J'en ai vu qu'une main traîtresse Put dérober un jour aux pacages salants ,

Et qui, d'une secousse prompte,

Jetant bas l'homme qui les monte. Du vaste Valcarès flairant le lac amer.

Après de longs jours de souffrance.

Revinrent, malgré la distance.

Aux lieux chéris de leur naissance, Pour respirer l'air libre et salé de la mer.

Car à cette race sauvage

La mer fut donnée en partage ; Ct sans doute échappée au char du dieu des flots.

Elle est encor teinte d'écume ;

Et quand l'eau s'enfle sous la brome,

Le poil de la cavale fume, Ct l'étalon s'entend hennir dans les ilôts.

Sa queue onduleuse, incertaine.

Avec bruit dans l'air se promène; Son pied gratte le sol, car il sent dans sa chair

Sous une puissance invisible,

Pénétrer le trident terrible

Du dieu dont l'humeur irascible Bouleverse à son gré les gouffres de la mer.

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150 MIRÈIO, GâNT 1Y

Aquéu Veran li pasturgavo.

En Grau un jour que traûcavo, Enjusquo vers Mirèio, ac6 s'es di, Veran

Se gandiguè. Car en Camargo,

E fin qu'alin i bouco largo

D*ounte lou Rose se descargo, Se disié qu'èro bello, e long-tèms lou diranl

yenguè fier, emé reboundo

A Tarlatenco, longo e bloundo, Jitado sus Tespalo en guiso de mantèu;

Emé taiolo cbimarrado

Goume uno esquino de rassado,

E capèu de telo cirado Ounte se rebâtie lou trelns déu soulèu.

E quand fugue davans lou mèstre Bon jour à tous emai benèstre I

Dôu Rose camarguen siéu, dis, un ribeirôu ; Siéu lou felen déu gardian Péire : Es pas que noun lou déugués véire. Qu'au mens vint an 'mé si courrèire,

Moun grand, lou gardian Péire, a cauca voste eiréuf

Dins la pal un que nous enrodo,

Moun segne-grand n'avié 1res rodo *2, Vous n'en souvén I Mai, méstre, oh I se yesias dempièi

Lou riche crèis d'aquéu levame I

Podon n'en toumba li voulame 1

N'avén sèt rodo emé sèt liame^^i ^ Longo-mai! o moun fiéu, respoundeguè lou vièi.

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MIREILLE, CHANT lY. 151

Véran gardait aux pâturages

Toutes ces cavales sauvages. On beau jour vers Mireille il dirigea ses pas;

Car dans tout le delta du Rhône,

Et jusque là-bas vers la zone

le fleuve aux mers s'abandonne, U n'était bruit que d'elle et de tous ses appas i

Il y vint confiant et leste.

Sur son épaule ayant sa veste Selon Tus Ârlésien ; dans son simple appareil»

Une écharpe bariolée , Â sa ceinture était roulée ;

Un chapeau de toile cirée Réfléchissait au loin les rayons du soleil.

Et quand Ramon vint à paraître :

Ronjour, dit-il, illustre maître ! Dn Rhône camarguais je suis un riverain,

Et petit-fils du gardien Pierre,

Dont le souvenir doit vous plaire ;

Car pendant vingt ans sur votre aire, il revint vous aider à fouler votre grain !

Lui, dans ses jours les plus prospères.

N'eut jamais plus de quinze paires De beaux et bons chevaux ; mais depuis, quel écart!

Ah ! viennent des moissons superbes t \ Nous aurons, nourris par nos herbes.

Autant de chevaux que de gerbes I Ah ! puisses-tu longtemps, répondit le vieillard.

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m MIRËIO, GâNT IV.

0, lougo-mai n'en vegues naisse,

E li coundugues dins lou paisse ! Ai couneigu toun grand ; e certo, acô 'ro em' eu

Uno amista de longo toco !

Mai quand pièi Fage nous desfioco,

A la clarta de nosto moco ^^ ûemouran en repaus, e Tamistanço, adieu!

Es pas lou tout ! yenguè lou drôle, E noun sabès qu'èi que vous yole :

Mai d*un cop, au Sambu, quand vènon li Grayen Querre de càrri d'apaiage, Entandaumens que de si yiage Fajudan faire lou bihage,

Di chatouno de Grau arribo que parlen;

E m'an retra vosto Mirèio Tant de moun goust, qu'à voslo idèîo Se trouvas Veranet, voste gendre sara.

Veranet ! Pousquèsse lou vèire, Gridè Ramoun, que de toun rèire De moun ami lou gardian Pèire

Lou sagatun fleuri noun pou que m'ounoura!

£ coume un ome que rend gràci

Au Segnour Dieu, dins lis espàci

Aubourè si dos man 'm' aquesto esclamacioun :

Mai qu'agrades à la pichoto, (Gar es souleto e la mignotol) En premierage de la doto

Lou sant toustèms t^ayèngue e la benedicioun!

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MIREILLE, CHANT lY. 153

Au milieu de tes pâturages,

Voir prospérer les élevages ! J'ai connu ton aïeul ; il se rencontre peu

D*amitiés d'aussi bonne trempe ;

Mais quand la jeunesse décampe,

A la clarté de notre lampe Nous restons en repos, et les amis, adieu !

Ce n'est pas tout, dit le jeune homme;

Voici ce que je veux, en somme : SouYont, lorsque au Sambuc les gens du littoral

Viennent charger notre fourrage,

Pendant qu'on en fait l'emballage,

Des fillettes du voisinage Nous jasous entre nous, sans croire faire mal.

On m'a tant parlé de Mireille Qu'un instinct vague me conseille De demander sa main, et me dit d'espérer..

Véran ! Chez moi rien ne s'oppose Au vœu que ta parole expose,

Car de ton aïeul, et pour cause. Le rejeton fleuri ne peut que m'honorer.

Et tel qu'un homme qui rend grâces Au Seigneur Dieu, dans les espaces 11 levait â la fois et les mains et les yeux.

Puisses-tu plaire à la petite ! Fille unique, elle est favorite ; Et qu'avant la dot, ton mérite

Vaille à tous tes souhaits le sourire des cieux !

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164 MIRÈIO, GANT lY.

E sono quatecant sa chato, E dis lèu de que se trato. Palo subitamen, lou regard enebi, E tremoulanto de cregnènço :

Mai vosto santo couneissènço, faguè 'nsin, paire, en que pènso,

Que vougués, liuen de vous, tant jouino me chabi?

Ve, fau que plan acô se mené, M'avès agu di, pèr se prene

Pau counèisse li gènt, fau n'èstre couneigu...

E li counèisse, qu'es encaro?...

£ dins la nèblo de sa caro

Subitamen pareiguè claro L'no douço pensado.... Un matin qu'a plôugu,

Se yèi ansin li flour negado A travès Taigo bautugado. La maire de Mirèio aprouvè sa resoun... E lou gardian emé 'n sourrire :

Mèste Ramoun, dis, me retire ! Car déu mouissau, ai à vous dire

Qu'un gardian camarguen counèis la pougnesoun. -

Au mas, dins lou même estivage,

Venguè, di pàti dôu Sôuvage **, Pèr vèire la chatouno, Ourrias ^^ lou toucadou.

Déu Séuvage, negro, malino,

E renoumado es la bouvino...

I souleias, à la plouvino, Souto lou batedis di glavas negadou.

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MIREILLE, CHANT lY. ,165

Et vite en conseil de famille

Il mande et sa femme et sa fille. Père, dit celle-ci, tremblant sur ses genoux»

Mais votre sainte intelligence

Sait-elle bien ce qu'elle pense.

En voulant, par cette alliance. Me condamner si jeune à m'éloigner de voust

Souvent votre parole sage

M'a dit que pour le mariage 11 fallait avant tout connaître, être connu...

Et qu'est-ce encore que connaître ?.•>

Et sous sa chair qu'elle pénètre.

Aussitôt on vit apparaître Une douce pensée... Un matin qu'il a plu»

On voit ainsi les feuilles blondes

Sous les plis nébuleux des ondes. La mère de Mireille admira sa raison.

Et Véran sous un fin sourire :

Maître, dît-il, je me retire.

Car du moustique, puis-je dire. Un gardien camarguais connaît bien l'aiguillon.

Enfin des steppes du Sauvage

Arrive, après un long voyage. Un dernier prétendant, Ourrias le grand toucheur.

Entre toutes, cette contrée

Par ses bœufs noirs est illustrée;

Et, que la terre soit givrée. Ou qu'elle se fendille au fort de la chaleur.

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t5« MIRÈIO, CANT IV.

Aqui, tout soul emé si bravo, Ourrias tout l'an li pasqueiravo.

Nascu dins la manado, abari 'mé li biôu, Avié di biôu Testampaduro, E Tiue sôuvage, e la negruro, E Vèr menèbre, e Tamo duro...

Un bihoun à la man, lou vièsti tra pèr son.

Quant de cop, rufe desmamaire,

D'entre li pousse de si maire N'avié pas derraba, desteta li vedèu!

E sus la maire encourroussado

Rout de barroun uno brassadO,

D'aqui que fuge Tespôussado, Ourlanto, e revirado entre li pinatéu!

Quant de doublen e de ternenco <', Dins li ferrado i* Camarguenco,

N'avié pas debana! N'en gardavo, lambèn, A Tentre-cibo, uno cretasso Coume lou niéu qu'un tron estrasso; E lis engano e li tirasse

De soun sang regoulant s'èron tencho pèr tèm.

Èro un bèu jour de grand ferrado.

Pèr veni faire la virado, LiSanto, Faraman, Aigo-Morto, Aubaroun*^

Avien manda dedins lis erme

Cent cavalio de si plus ferme.

Aqui pamens ounte es lou terme, E mounle un pople foui embarro un vaste round.

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MIREILLE, CHANT IV. 157

Seul en ces lieux, loin de tout maître,

Ourrias, tout Tan, les faisait paître ; Nourri dès sa naissance au milieu du troupeau,

Des bœufs il avait la structure,

Et l'œil farouche et Târae dure,

Je dirais presque la nature... Un bâton à la main, habit bas, le front haut.

Que de fois de ses mains grossières,

11 a soustrait au sein des mères, Les yeaux Tétourdissant de leurs cris enfantins.

Et de sa trique renforcée.

Battu la mère courroucée.

Qui s'enfuit enfin harassée. Hurlante et retournant la tête entre les pins.

Combien de bœufç et de génisses,

Quand la Ferrade ouvre ses lices, N'a-t-il pas terrassés avec son bras de fer!

Si bien qu'une balafre énorme

De son front altérait la forme,

Et qu'on montre encor sous un orme, La place de son sang le sable fut couvert.

C'était un beau jour de Ferrade.

Pour ranger les bœufs en brigade, Albaron, Faraman, les Saintes, lieu béni,

Par les landes et par les bermes,

Avaient envoyé de leurs fermes.

Tous leurs cavaliers les plus fermes. Vers le point le peuple en cercle est réuni.

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158 MIRÈIO, GANT lY.

Destrassottna dins la sansouiro,

Acoussegui de la tichouiro Que tanco au galop lou bouiènt toucadou,

A courso folo, tau e tauro

Venien coume un brounzimen d'auro,

En escrachant sagno e centauro, Venien de s'acampa, très cent, au marcadou.

La troupelado banarudo S'aplanto, espavourdido e mudo.

Mai, Tarmo dins li costo, à coucho d'esperoon» Très fes encaro fan batre Lou virouioun de Tanfitiatre, Coume lou chin après lou matre,

Goume après li ratié Taiglo dôu Leberoun^.

Quau lou creirié ? de sa cavalo, Contre l'usage, Ourrias davalo.

i porto de Tareno amoulouna, li biôu Terriblamen subran s'esbrandon, E dins Tareno lèu s'alandon Cinq bouvachoun, que sis lue brandon,

E que traucon lou cèu de si fier cabassôu !

Coume lou vent Ourrias s'abrivo,

Coume lou vent après li nivo, y secuto à la course, à la course li poun ;

Quouro à la course li davanço,

Quouro li cote emé la lanço,

A Tendavans quouro danso, Quouro li remoucbino emé 'n dur cop de pottfig.

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MIREILLE, CHANT IV. 15»

Surpns et traqués d'importance,

Par le bâton à triple lance, J)ont les pique au galop le toucheur véhément,

Trois cents taureaux, à course folle.

Gomme un rugissement d'Éole,

En foulant aux pieds Therbe molle, Viennent se rassembler au lieu du marquement.

Sans trop savoir ce qui s'apprête,

La foule bovine s'arrête. Pourtant il faut encor que sous l'âpre aiguillon,

Avec plus ou moins de bravoure,

Trois fois de suite elle parcoure

Le cercle d'hommes qui l'entoure ; Ainsi tourne l'oiseau fuyant devant l'aiglon.

Bravant l'usage et la prudence,

Bientôt Ourrias à pied s'avance. Aux portes de l'arène, agglomérés, les bœufs

Soudain s'ébranlent dans leur masse ;

Issus d'ime meilleure race.

Et de l'oeil dévorant l'espace. Cinq jeunes bouvillons s'élancent devant eux l

Gomme le vent suit un nuage,

OuiTias à leur suite s'engage; S'il n'est pas sur leurs flancs, il n'est jamais bien loin;

Quelquefois même il les devance,

Puis il les heurte de sa lance,

Puis devant eux il se balance. Et puis il les gourmande avec un coup de poing.

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160 MIRÈIO, GJiNT IV.

Ai ! tout lou pople di maû pico : Ourrias, blanc de pôusso oulimpico,

Pèr ]i bano, à la courso, à la fin n'a près un» £ tèsto 0 mourre, e forço à forço ! Vôu desclava si bano torse, Lou nègre moustre, e se bidorso,

E bramo de furour, e niflo sang e fum.

Yano furour I bound inutile !

Lou bouvatié, d'un cop sutile, Âmourro à soun espalo, enié troussant lou côu,

L'orro testasse dôu bestiàri ;

E rudamen e pèr countràri

Butant la bèsti, coume un barri Ë crestian e bestiau barrulon pèr lou sôu.

Une esglairado cridadisso

Estrementis li tamarisso : Bon orne, Ourrias ! bon orne !... E cinq drôle espala

Tenien lou brau. De soun empèri

Pèr marca lou balistèri,

Ourrias éu-meme pren lou fèrri, E 'mé lou fèrri caud rime lou malu.

Un vôu de fiho d'Arle, en selle,

Emé lou sen que bacelle, Enflourado au galop de si cavalet blanc,

Vènen i'adurre une grand bano

Rase de vin ; e dins la plane,

Zéu mai ! lou fouletoun s'esvano... Un vôu de cavalié liseguisson, brûlant.

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MIBEILLE, CHANT TV. 161

Mais qu'est'^e ? Le peuple en délire

Bat des mains; des bœufs qu'on admire. Par les cornes Ourrias a saisi le plus grand ;

Et force à force, et mufle à tête.

Pour lui dérober sa conquête,

Dans tous les sens la pauvre béte Se tortille et mugit, et renifle du sang.

Vaines fureurs ! bonds inutiles !

Le bouvier de ses mains habiles Appuie à son épaule, en lui tordant le cou,

L'homble tête de la brute ;

Maître passé dans cette lutte.

D'un grand coup sec il la culbute, Et rhomme et l'animal s'affaissent sous le coup.

Une clameur, dont l'&ir frissonne, S'étend jusqu'aux rives du Rhône :

Bonhomme, Ourrias ! Bon homme ! Et cinq gars s'épaulant, Quoique avec une peine extrême. Tiennent le boauf ; comme baptême De son triomphe, Ourrias lui-même

Le marque sur la croupe avec un fer brûlant.

Soudain de jeunes Arlésiennes,

La tête au vent, la main aux rênes, Caracolant de front sur de beaux chevaux blancs.

Lui portesnt une corne pleine

D'un vin exquis ; et vers la plaine.

Dans la voile qui les ramène. Part à leur suite un vol de cavaliers brillants.

H

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HIRËIO, GANT IV.

Ourrias yèi que biôu à-n-abatre...

E n'en demoro encaro quatre ; Mai coume lou daiaire es à toumba lou fen

Tant mai ardent que mai n'en rèsto,

I durs esfors de la batésto

Sèmpre que-mai eu tenié tésto, E de quatre animau despouderô li ren.

Taco de blane, bano superbo,

Lou que restavo toundié Terbo... Ourrias ! n'i'a proun ! n*i'a proun ! téuti li vièi vaq«îé

cridéron. Vano restanco !

Contre lou brau di taco blaoco,

Lou ficheiroun pausa sus l'anco, Relent, despeitrina, déjà se bandissié.

Zan ! coume en plen mourre l'encapo,

Lou ficheiroun toIo en esdapo. L'atroço pougneduro endeméunio lou braa;

Lou toucadou sauto i bano»

Partott ensèn» e de la piano

Eusén afoudron lis engano. Sus si lôngui fourquelio apiela d'à chivau,

Li Taquié d'Arle e d'Aigo-Morto

Tenien d*à ment la lucho forto ; A vmcre, tôuti dous feroun, acarnassi,

L'orne doumtant lou biôu bramairOy

Lou biôu ero pourtant lou doumtaire,

E' m' un lengau escumejaire I Jpant, tout en courrènt, soun mourre ensaunousi.

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MIREILLE, CHANT IV. 103

Les taureaux qu'il s'agit d'abattre

Sont encore au nombre de quatre. Riais, comme le faucheur qui doit faucher un pré.

Est d'autant ptus vif à l'ouvrage

Qu'il en reste encor davantage,

Ourrias ranime son courage, Et, sur les quatre, trois ont bientôt chaviré.

Taché de blanc, cornes superbes.

Le cinquième tondait les herbes... Ourrias 1 assez 1 assez 1 C'est le cri général.

Vains propos ! Gomme une avalanche.

Sur le bœuf roux, à tache blanche.

Il fond, le trident sur la hanche, Et suant, le sein nu, tente un combat final.

D'un coup qu'il porte en pleine face.

Le trident trop faible se casse ; Au trait qui Ta percé, l'animal pantelant.

Dans sa rage, n'a plus de bornes ;

Ourrias d'un bond saisit ses cornes.

Et tous deux, dans les salicornes ils partent, emportés vers le marais salant.

L'œil ûxé sur l'homme et la brute,

De loin, le peuple suit la lutte; Qui sortira vainqueur de ce duel à mort ?

Tantôt c'est l'homme qui l'emporte ;

Tantôt la bête est la plus forte ;

La béte folle en quelque sorte. Léchant son sang qui coule et sa bave qui sort.

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tu MIRÈIO, CANT IV.

Misericôrdi ! lou biôu gagno ! Coume une vilo rastelagno, L'orne i'a darbouna da?ans, dôu vanc qu'ayié. ..

Fai lou mort ! fai lou mort ! En terr o Lou biôu'mé si pivèu Taferfo,

E, dins lis èr, sa tèsto fèro A sèt cano d'autour lou bandis à l'arrié.

Uno esglaiado cridadissp

Estremends li tamarisso... Âlin Huen lou pauras val toumba d'abouchoun,

Amahiga. Dempièi pourtavo

La creto que lou descaravo.

Sus la cavalo que mountavo, Venguè dounc vers Mirèio, arma de soun pounchoun.

Aquéu matin, la piéuceleto

Ëro à la font touto souleto ; Avié 'stroupa si manclio emé soun coutihoun

E netejavo li fiscello ^i

Em la counsôudo fretarello.

Santo de Dieu ! coume èro bello, Quand dins lou sourgènt clar gafavon si petoun !

Ourrias faguè : Bonjour, la bello, Bèu? refrescas vôsti fiscello? A-n-aquéu sourgènt clar^ se vous fasié pas mai, Abéurariéu ma bèsti blanco.

Oh ! n'es pas Taigo, eici, que manco, Respoundeguè : dins la restanco

Poudès la faire béure, autant coume vous plai.

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MIREILLE, CHANT ÏV. 165

Grand Dieu ! le bœuf a la victoire ! Chute fatale pour sa gloire, L'homme a roulé par terre entraîné par l'élan.

Fais le mort, fais le mort, s'écrie La foule anxieuse, attendrie ;

Mais l'animal dans sa furie L'accroche et loin de hii le lance sur le flanc.

Une clameur dont ïsâr frissonne

S'étend jusqu'aux rives du Rhdne ; Ourrias n'en mourut pas ; mais le jeune imprudent.

Par sa balaÊre à la figure,

Rappelle encor son aventure...

Donc, il enfourche sa monture Et s'en vient vers Mireillo, armé de son trident.

Ce jour-là, la gente fillette

A la fontaine était seulette ; Elle avait retroussé manches et tablier

Pour mieux nettoyer sa vaisselle '

Avec les feuilles de la prèle.

Saintes de Dieu! Qu'elle était belle. Au fond du dair ruisseau baignant son petit pied t -

Ourrias lui dit : Bonjour, la belle ; Donc, vous rincez votre taisselle ! Si vous le permettez, à cette source-là J'abreuverai ma pauvre bét«.

A celte écluse l'eau s'arrête, Dit-elle, accueillant la requête.

Vous pouvez l'abreuver autant qu'il vous plaira.

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\£fi niKtXO, GANT IV.

Bello, digue Fenfant séuTage, Se, pèr mariage o roomavage,

Venias à SéuYO-Riau 22, ounte la mar s'entend, Bello, n'aurias pas tant de peno ; Car la vaco de negro meno, Libre e feroujo, se permeno,

E jamai noun se mous, e li femo an bèu tèm.

JouYéttt, ounte li biôu demoron. De languimen li chato moron.

«- Bello, de languimen, en estent dous, n'i'a ges !

Jouvént, quau eilalin s'esmarro, Dison que béu uno aigo amaro,

£ lou soulèu i'usclo la caro... ^ Bello, souto li pin à Toumbro tous tendres.

Jouvènt, dison qu'i pin i'escàlo De tourtouioun de serp verdalo !

Bello, avèn li\flamen, avèn li serpatié

Qu'en dBsplegant soun mantèu rose fan la casso, long dôu Rose.....

Jouvént, escoutas (que vous crose), Soun trop liuen, vôsti pin, de mi falàbreguié.

Bello, entre capelan e fiho, Noun podon saupre la patrie

Ounte anaran, se dis, manja soun pan un jour.

Mai que lou manje eraé quau ame, JouYènt, rèn autre noùn reclame Pèr que de moun nis me desmame.

Bollo, s'açô 's ansin, dounas-me voste amour 1

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MIREILLE, CHANT IV. 167

Belle ! dit le bouvier sauvage, Si jamais, en pèlerinage,

Vers la Sylve-Réal vous veniez au printemps. Vous n'auriez pas autant de peine, Car la vache en son grand domaine Libre et farouche se promène ;

Comme on ne la trait point, la femme a du bon temps.

Au pays les bœufs demeurent. Bouvier ! d'ennui les femmes meurent.

Belle ! il n'est pas d'ennui quand on l'éprouve à deux.

Bouvier! qui va sur cette plage, Ne boit plus qu'un amer breuvage ; Le soleil brûle son visage.

Belle! vous vous tiendrez sous les vieux pins ombreux.

^ On dit, bouvier, que sous leur ombre Se cachent des serpents sans nombre.

Belle, dans mon pays, les oiseaux échassiers.

Hérons, flamants, mieux que personne. Leur font la chasse au bord du Rhône.

Bouvier, votre raison est bonne.

Biais vos pins sont trop loin de mes Micocouliers.

Belle! fille qui se marie Ne sait pas en quelle patrie

Le destin lui fera manger son pain un jour.

Bouvier ! pourvu que je le mange De compagnie avec mon ange.

Mon bonheur sera sans mélange.

Belle ! dans ce cas-là, donnez-moi votre amour.

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16S MIRËIO, GANT IV.

Jouyènt, Taures, digue Mirèio ;

Mai *qué]i planto de ninfèio Pourtaran peravans de rasin couloumbau,

Auperavans vosto fourcolo

Jitara flour, aquéH coto

Goume de ciro yendran molo, Ë s'anara pèr aigo à la vilo di Bau!

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MIREILLE, CHANT IV. 1G9

Bouvier ! lui répondit Mireille,

Vous l'aurez ; mais alors la treille Au lien de paîsiDfs noirs aura des bigarreaux;

Sur votre trident, sans épines,

Naîtront des roses purpurines;

Le soleil fondra ces collines, Et Ton ira par mer à la ville des Baux.

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NOTES DU CHANT QUATRIÈME

1. SicéUmdo (sicelande), espèce de bateau.

2. Martegue (Martigue). (Voyez chant I, note 12«)

3. Paiolo (paillole), espèce de grand filet à mailles étroites.

4. Clar d^Entressèn (lac d'Entressen), dans la Grau.

5. Bessouniero (bessonnière), brebis qui met bas des ju- meaux.

6. Un portique, avec un tombeau, qui supporte deux géné- raux de pierre.

A une demi-heure de Saint-Remy, au pied même des Al- pines, s*élèvent, Tun à côté de Tautre, deux beaux monu- ments romains. L'un est un arc de triomphe, Tautre un magnifique mausolée construit sur trois étages, orné de riches bas-reliefs, et surmonté d'un gracieux campanile, que sou- tiennent dix colonnes corinthiennes à travers lesquelles se montrent debout deux statues. Ce sont les derniers vestiges de GUmumy colonie marseillaise détruite par les barbares.

7. A Verrour, entre chien et loup, au crépuscule.

8. Lou Sambu (le Sambuc), hameau du territoire d'Arles dans rile de Camargue.

9. Cabridello (cabridelle). (Voyez chant I, note U.)

10. La Camargo (la Camargue), vaste delta formé par la bifurcation du Rhône. Cette île, qui s'étend depuis Arles jusqu'à la mer, contient 74727 hectares de superficie. L'im-

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NOTES DU CHANT IV. 171

mensité de set horûons, le silence grandiose de ses pltines unies, son étrange végétation, son mirage, ses étangs, ses essaims de moustiques, ses grands troupeaux de bœufs et de chevaux sauvages, étonnent le voyageur et font penser aux pampas de TAmérique du Sud. (Voyez chant X.)

11. Lou Yaearès (le Valcarès), dans l'île de Gamargne, est on vaste ensemble de marécages, d'étangs salés et de lagunes. Vacaré$ est formé du mot vaco et de la désinence provençale aré$y qui indique la réunion, la généralité. 11 signiAe un lieu oti sont de nombreuses vaches. Cest ainsi que de vigrno, vigne, hareOy barque, riho, rive, on a fait vignarés, vignoble, b<Br~ Cirés, flotte, ribeirés, rivage.

12. Rodo (rodes). La race sauvage des chevaux camargues est employée au foulage des gerbes. Ces animaux se comptent par roke (roue, cercle). La rode est. composée de six liens {liame); le lien est une paire, la rode contient par conséquent douse chevaux.

13. Liame (lien). (Voyez la note précédente.)

14. il la clarta de nosto moco la clarté de notre lampe). La moco est un tronçon ' de roseau qu'on suspend dans les mas aux solives de la salle à manger. Elle porte la lampe romaine appelée calèu,

15. Lou Sauvage (le Sauvage), vaste contrée déserte, nom- mée aussi petite Camargue, circonscrite au levant par le petit Rhône, qui la sépare de la grande Camargue, au midi par la Méditerranée, au couchant et au nord par le Rhône mort et le canal d'Aigues-Mortes. C'est le principal séjour des taureaux noirs sauvages.

16. Ourrias, forme provençale du nom propre Eliéar,

17. Quant de doublen e de temenco (combien de bouvillons et de génisses). Un bouvillon d'un an s'appelle en provençal un anouhle; de deux ans, un doublen ; de trois ans, un temen. Une temenco est une génisse de trois ans.

18. Ferrado (ferrade), opération pastorale qu'on célèbre à Arles avec beaucoup d'appareil, et qui consiste à réunir tous

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172 NOTES DU CHANT IV.

les jetines bœiifs dans un espace déterminé, pour les marquer au chiffre du propriétaire avec un fi^ rouge.

19. Li Santo (les Saintes). (Voyez chant I, note 15.) (Fa- raman, Aubaroun), Faraman, Albaron, hameaux de la Camar- gue. — (Aigo-Morto.) Aigues-Mortes (Gard), C'est dans le port de cette ville que saint Louis s'embarqua deul fois pour la Terre Sainte. François I** et Charles-Quint y eurent une entrevue en 1539.

20. Leheroun (Luberon). (Voyez chant III, note 12.)

SI. FiseelU) (édisse), faisselle, vase de terre dont le fond est percé de petits trous, destiné à former et à faire égoutter les fromages. Fiscello, du latin fiscdla, même signification.

22. Séuvo-Riau (Sylve-Réal), forêt de pins-parasols, située dans la petite Camargue. (Voyez ci-dessus, note 14.) Un petit fort, construit dans ces parages pour protéger la navigation, domine cette tle et porte aussi le nom de fort de Sylve-Réal.

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CANT CINQUEN

LA BATESTO

Lou bouTitM s'entorno, furious d6u refus de Mirèio. Galig^nage de Mirëio emô Vincèn. L'erbo di frisoun. Ourrias rescontro Viacenet, e brutalemen cerco reno. Li pr^it : Jan de l'Ourse. ^ Mourtalo batèsto di dous rivau dins la Grau vasto. Vitôri e generouseta de Vincenet. Treitesso dôa toucadou. Ourrias trauco Vincèn d'un cop de ficheiroun, e fugis au galop de sa cavalo. Arribo au Rose. Li très barquitf fantasti. Lou batèu s'enarco souto lou pas de l'assassin. La niue de sant Medard : proucessioun di negadis sus lou dougan dôu flum. Ourrias s'aproufoundis. Danso di Trèvo sus lou pont de Tr^n* co-Taio.

L*otimbro dis aube s*aloungavo ; La Ventoureso boulegaYO ;

Lou soulèu avié 'ncaro on parèu d'ouro d'aut ^ E li bouié que labouravou Vers lou soulèu se reviravon De tèms en tèms, car desiravon

Lou retour dôu seren, e si femo au lindau.

Lou toucadou se retournavo :

Dins sa cabesso remeuavo L'escorno que venié de reçaupre à la font.

Sa teste èro destimbourlado,

E de sa ràbi recatado

De tôms en tèms li iancejado jitavon lou sang e la vergougno au front.

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CflANT CINQOIÈME

LE COIBAT

l.e bouvier s'en retourne, furieux du refus de Mireille.*— Les amours Je Vincent et de Mireille. - La Valisneria «ptr<li#. Rencontre d'Ourrias et de Vincent. Brutale agression du bouvier. Les invectives : Jean de l'Ours. Combat à mort des deux rivaux dans la Grau déserte. Victoire et générosité de Vincent. Félonie du toucheur. •— Ourrias perce Vincent d'un coup de trident et fuit au galop de sa cavale. II arrive au Rhône. Les trois bateliers fantastiques. La barque se révolte sons le poids de l'assassin. La nuit de Saint-Médard : procession des noyés sur la rive du fleuve. Ourrias est englouti. Danse des Trêves sur le pont de Trinquelaille.

Les trembles allongeaient leur ombre; Le Ventour devenait plus sombre ;

Le soleil rayonnait encore à Thorison; Mais, Tœil fixé sur la colline, Le laboureur voit qu'il décline, Et marque enfin l'heure voisine

De celle qui lui rend le frais et la maison.

Le bouvier marchait solitaire. Ruminant la réponse amére

Qu'auprès de la fontaine il reçut eu passant. Sa tête était bouleversée, £t de temps en temps la pensée De son avance re poussée

Lui jetait au visage et la honte et le sang.

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176 MIRÈIO, CANT V.

E tout en lampant dins li terro, Remiéutejavo sa coulèro ;

E de l'aspre despié qjie gounflo soun lèa, I code que la Grau n'es pleno Couine un bouissoun de sis agreno, Pèr se batre aurié cerca reno !

Àurié de soun pounchoun fichouira lou soulèu!.

Un porc-singlié que de sa tousco

An fa parti, e que tabousco Sus li moure désert de TOulimpe ^ negras,

Âvans de courre sus li chino

Que lou secuton, revechino

Lou rufe peu de soun esquino. En amoulant si pivo i pèje di blacas.

A Tendavans dôu gardo-vaco

Que lou mourbin pounchouno e maco, Dins lou même draiôu lou bèu Vincèn venié,

E dins soun amo risouleto

Revassejavo i parauleto

Que Famourouso piéuceleto Tayié dicho un matin dessouto l'amouriô*

Dre coume un camé de Durènço ,

Eu caminavo ; e de plasènço C de pas, e d'amour clarejavon sis èr ;

L'aureto molo s'engourgavo

Dins sa capiiso que badavo ;

Dins li coudelet caminavo, Descaus, e lôugeiret, e gai coume un lesert.

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« ATIRËILLË, CUANT V. 177

En frappant le sol de sa laoce, Il s'excitait à la vengeance;

Son cœur était si plein de colère et de fiel, Qu'à défaut d'autres adversaires. Pour passer ses ardeurs i^errières, Il eût cherché querelle aux pierres;

Il eût de son trident voulu percer le ciel...

Pour mieux assurer sa défense»

Le sanglier que l'on relance Des gorges de l'Olympe à ses sommets déserts*

Au moment d'attaquer en face

La meute en feu qui le pourchasse.

Cherche un secours à son audace En aiguisant ses dents aux troncs des chênes verts*

Vis-à-vis d'Ourrias qui promène

Le dépit dont son âme est pleine, Venait le beau Vincent dans le même sentier ;

El dans son âme souriante.

Il rêvait de sa douce amante,

Et de la scène ravissante,^ Du jour de la cueillette à l'ombre du mûrier.

Droit devant lui, battant la plage,

n cheminait, et son visage Rayonnait à la fois et de paix et d'amour;

Dans sa chemise qu'elle frôle,

Tourbillonnait la brise molle ;

Il cheminait, le petit drôle, Pieds nus, d'un pas léger, gai comme un troubadour.

12

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m MIRÈIO, CANT V.

Souvènti-fes, à Touro fresco

Ounte la terro s'enmouresco, Alor que dins li prat li fùeio de tréuloon

Se replegon afrejoulido,

Is alentour de Isrbastido

Ounte restavo la poulido, Venié, tout treboula, faire lou parpaioun.

E d'escoundoun, emé *n fin gàubi» y*

Dôu lucre d'or o dôu reinàubî, Imitavo de liuen lou canta dindoulet :

La jouTeineto afeciounado

Qu'a lèu eoumprés quau Ta sounado»

Venié lèu à la bouîssounado, Cauto-cauto, e lou cor douçamen tremoulet.

E lou clar de luno que dono

Sus li boutoun de courbo-dono ; E l'aureto d'esliéu que frusto,à jourfali,

L'auto barbeno dis espigo,

Quand, souto la molo coutigo.

En milo e milo regoumigo Se fringouion d'amour coume un sen trefouli ;

E la joio desmemouriàdo

Qu'a lou chamons, quand à si piado Tout un jour a senti, dins li ro dôu Queiras %

Li cassaire que lou fan courre,

E qu'à la Jongo sus un moure

Escalabrous coume uno tourre, '

Se vèi souly dins li mêle, au mitan di counglas ;

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MIREILLE, CHANT V 179

Souvent à l'heure la nuit sombre

Verse aux vallons sa première ombre. Ou, dans les prés fleuris, Therbe de la saison.

Toute frileuse se replie,

Aux abords de la métairie,

demeure sa douce amie, U venait tout troublé faire le papillon.

Blotti sous un arbre, en cachette.

Du tarin d'or, de la fauvette U roucoulait le chant savamment imité ;

Soudain, Tardente jouvencelle.

Comprenant la voix qui l'appelle,

Vite à la haie habituelle Venait furtivement et le cœur agité.

Ni le clair de lune qui donne

Sur le bouton de l'anémone ; Ni le zéphir frôlant à la chute du jour

Les épis à barbe naissante,

Qui dans la plaine jaunissante

Balancent leur tige élégante. Et flottent comme un sein agité par l'amour;

Ni la joie éperdue, immense

Du daim que le chasseur relance. Quand, pressé par la meute attachée à ses pieds,

11 peut, ranimant son courage.

S'élancer sur un pic sauvage.

Et des chiens défier la rage. Dans l'asile qu'il trouve au milieu des glaciers;

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*^ MIRÊIO, CANT V.

N'es qu'uno eigagno, «n coumparanço

Di moumenet de benuranço Que passavon alor e.Mirèio e Viocén...

Mai parlen plaa, o mi bouqueto.

Que li bouissoua an d'auriheto !

Escouadu dius roumbro caieto, Si man d'à pau à pau se mescla?on ensén.

Pièi se teisavon de long rode,

E si pèd turtavon li code ; E tantost, noun sachent que se dire autramen,

Lou calignaire nouTelàri

GouDtavo en risènt lis auvàri

Que i'arribavon d'oordinàri : Ë li niue que dourmié souto lou fiermamen,

£ di chin de mas li dentado

Contre sa cueisso enca cretado. E Mirèio, tantost, de la vueio e déu jour

racountavo sis oubreto,

E li prepaus de sa^naireto

Emé soun paire, e la cabreto Qu'ayié desverdega toute uno triho en flour.

Un cop Vincèn fugué plus méstre : Sus Terbo rufo dôu campéstre

Coucha, coume un cat-fér, veugué de rebaloun Toucant li péd de la jouineto... Mai parlen plan, o mi bouqueto, Que li bouissoun an d'auriheto I

Miréio ! acordo-me que te fague un poutoun !

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MIREILLE, CHANT V. iU

Rien de cela n'est comparable

A l'ivresse, au charme ineffable Des courts moments qu'alors ces deux enfants passiaient. . .

Vincent était près de Mireille

Alais parlons bas : quand l'eau sommeille.

Chaque buisson a son oreille ; Et petit à petit leurs deux mains se pressaient.

Puis venait un profond silence;

Puis un signe d'intelligence ; Puis lorsque le sujet manquait à l'entretien,

L'amant aux naïves allures.

Parlait de ses mésaventures,

De sa peur des loups, des morsures Qu'au vu de ses haillons lui fit un mauvais chien ;

Des nuits que, sous son sac de toile,

II passait à la belle étoile. Mireille, gentiment, lui contait à son tour,

Les petits secrets du ménage ;

Le ver qui se mit au fromage.

Le lait qui tourna, le ravage iju*à la tonnelle en fleur la chèvre fit un jour.

Vincent, une fois, sentit naître

Cette ardeur dont on n'est plus mattre ; Et souple, en tapinois, enclin à tout oser,

Il vint jusqu'aux pieds de Mireille...

Mais parlons bas : quand l'eau sommeille.

Chaque buisson a son oreille ; Mireille I accorde-moi de te faire un baiser !

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182 MIRÈIO, CANT V.

Mirèio, dis, manje ni beye, De ramour que de tu receve I

Mirèio I voudriéu estrema dins moun sang Toun alen que iou vent me raubo ! A tout Iou mens, de Taubo à Taubo, Rèn que sus Torle de ta raubo

Laisso-ma que me yiéute en la poutounejant I

Vincèn ! acô 's un pecal nègre I E li bouscarlo emé li piegre

Van pièi di calignaire esbrudi Iou secret.

Agues pas pôu que se n'en parle, Que iéu deman, ve, desbouscarle Toute la Grau enjusqu'en Arle !

Mirèio ! vese en tu Iou paradis escrèt I

Mirèio, escouto : dins Iou Rose, Disié Iou fiéu de Méste Ambrose,

Ta'noerbo, que nouman Verbeto di frisoun •: A dos floureto, separado Bèn sus dos plante, e retirado Au founs dis oundo enfresqueirado.

Mai quand vèn de Tamour pèr éli la sesoun,

Une di flour, toute souleto, Mounto sus Taigo risouleto,

£ laisse, au bon soulèu, espandi soun boutoun ; Mai, de la vèire tant poulido, l'a l'autre flour qu'es trefoulido, E la vesès, d'amour emplido.

Que nado tant que peu pèr faire un poutoun.

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MIREILLE, CHANT Y. i85

Ton amour» dit-ii, ô bel ange.

Fait que je ne bois ni ne mange. Mireille, je voudrais enfermer dans mon sang

Ton souffle que Tair me dérobe,

Mais tout au moins, de l'aube à l'aube,

Rien que sur l'ourlet de ta robe, Laisse-moi me rouler, rouler en la baisant.

De ce que tu veux Dieu s'offense, Dit Mireille pour sa défense ;

Et d'ailleurs les secrets des amants trop hardis Sont divulgués par la fauvette.

Pauvre volatile indiscrète ! J'en fais demain rafle complète...

Mireille! dans tes yeux je vois le paradis t

Mireille! écoute : Dans le Rhône,

Pousse une herbe à laquelle on donne Vulgairement le nom d'herbette des frisons;

Elle a deux fleurs bien séparées

Sur deux tiges, et retirées

Au fond des ondes diaprées ; Mais que le temps d'aimer vienne au cours des saisons,

L'une des deux fleurs, la première,

Monte sur l'eau vers la lumière, Et s'ouvre aux doux rayons qui viennent l'iriser;

Et l'autre, en la voyant si belle,

Loin d'accuser cette infidèle.

Tressaille, et montant après elle, Rage tant qu'elle peut pour lui faire un baiser.

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i&i MIRÈIO, CANT V.

E. tant que peu, se desfrisouno

De TembuscuD que Tempresouno, D'aqui, paureto ! que roumpe soun pecoulet ;

E libre enfiu, mai mourtinello,

De si bouqueté palioello

Fruste sa serre blanquiaello... Un pouleun, pièi ma mert, Mirèio !... e sian soulet.

Elo ère paie ; eu pèr délice

La miravo... Dins soun brouliee, Coume un cat-fèr s'enarco, alor, e vitamen

De soun anqueto enredounido

La chatouneto espavourdido

Vôu escarta la man ardido Que déjà Tencenturo ; eu tourna-mai la prcn«..

Mai parlen plan, o mi bouqueté,

Que li bouissoun an d'auriheto ! Finisse ! elo gémis, e lucho en se toursènt ;

Mai d'uno caudo caranchouno

Déjà lou drôle Tempresouno,

Gauto sus gauto... La chatoune Lou pessugo, se courbe, e s'escapo en risènt.

E 'm* acô pièi la belugueto

De iiuen eu se trufant : Lingueto * !

Lingueto! iécantavo... Es ansin, éli dous. Que semenavon à la bruno Soun blad, soun poulit biad de lune S Mauno ilourido, ur de fourtuno

Qu'i pacan coume i rèi Dieu 11 mande âboundous.

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BIIKEILLE, CHANÎ V. 185

Sans que sa force l'abandonne,

Hors de l'algue qui l'emprisonne, Elle arrive, et brisant ses humides linceuls,

Suant Tamour par chaque feuille,

Sur sa jumelle qui l'accueille,

Elle se pose et puis s'effeuille... Un baiser! puis ma mort... belle ! nous sommes seuls* —*

Elle était pâle ; avec tendresse,

Lui l'admirait... Dans son ivresse, 11 cherche à la saisir... mais elle, lestement»

Écarte la main trop hardie

Qui touche à sa taille arrondie ;

11 l'enlace, elle se délie... La résistance ajoute à son entraînement...

Mais parlons bas : quand l'eau sommeille,

Chaque buisson a son oreille; Laisse-moi, laisse-moi, dit-elle en se tordant;

Plus elle dit, moins il la laisse...

Ravit-il enfin sa caresse...?

On le croit; mais la fine pièce Le pince, se recourbe et rit en s'évadant;

Et puis après, vive, animée.

D'un peu plus loin, sous la ramée. Elle lui fait la nique avec ses jolis doigts!

Ces enfants, chose assez commune,

Semaient ainsi leur blé de lune;

Manne fleurie, heur de fortune, ,

Qui tombe en abondance aux manants comme aux rois !

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186 ^IRÈIO, CANT Y.

Un vèspre douoc, en la Grau vasto^

Lou bèu trenaire de banasto A Tendav^ns d'Ourrias venié dins lou draiôu.

Lou tron d'uno chavano acipo

Lou proumier aubre que lou pipo,

E, riro bourrouiant si tripo, Veid coume parlé lou doumtaire de biôu :

Es belèu tu, fiéu de baudrèio, Que l'as enclauso, la Mirèio ?

En tout cas, o 'speia, d'abord que Vas d'alio I)igo-ié 'n pau que m'enchau d'elo E de soun mourre de moustelo, Pas mai que dôu vièi tros de telo

Oue te cuerbe la peu!... Tauses, bèu margoulin? -

Vincenet ressauté ; soun amo Se revibè coume la flano ; Soun cor boumbiguè coume un fio-grè que part :

Pauto ! vos donne que te coustible, E que moun arpo en dons te gible? fai en l'alucant, terrible

Goume quand, afama, se reviro un léupard.

E de soun iro li trambleto

Fasien ferni si car viôuleto . Sus la grave, dis l'autre, anaras mourreja!

Gar, as li man trop mistoulino,

E noun sies bon, raubo-galino>

Que pèr gibla *n brout d'amarino, Pèr camina dins Toumbro, e pèr gourrineja !

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MIREILLE, CHANT V. 187

Un soir donc, dans la Grau pai8â)ley

Au devant du toucheur terrible, Venait le beau Vincent dans le même sentier.

On sait que la foudre déchire

Le premier arbre qui l'attire ;

Et, dans son orageux délire. Voici comment parla le farouche bouvier :

Alors ! fils de femme tarée, C'est toi qui l'as énamourée,

La Mireille I Eh bien donc, lorsque tu la Yerras, Puisqu'on ta voile le vent souffle, Et que tu la vois, toi, maroufle. Ois-lui qu'entre elle et ma pantoufle,

S'il me fallait choisir, j'aurais de l'embarras.

Vincent tressaillit, et son âme

Se réveilla, comme la flamme

D'un foyer mal éteint qui ressuscite et part.

Ah I dit-il, rustre qu'on renomme ; Mais tu veux donc que je t'assomme I Et son œil le regardait comme

Regarde l'oeil du tigre ou l'oeil du léopard.

Et tous les traits de son visage Bouillaient de colère et de rage. Morveux I tiens, sur le sol je vais te placarder,

Oit l'autre, d'un air impassible ;

Car tu n'es bon, vannier sensible,

Que pour ployer l'osier flexible. Pour cheminer dans l'ombre et pour vagabonder!

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tas MIRËIO, GANT V.

0, coume torse Famarino, Respond Vincèn qu'eiçô 'nverino,

Vau torse toua galet !... Ye ! ve I fuge, se pos,

Fuge, capoun, qu'ai la maliço !

Fuge, 0, Sant Jaque de Galiço !

Revoiras plus ti tamarisso, Car vai, 'quest poung de ferre, embroDiga tis os !

Meraviha de trouva 'n orne Sus quau enfia sa ràbi gome :

Un moumen ! respond lou vaquié regaguous. Un moumenet, moun jouine tôchi, Qu'abren la pipo !... £ de sa pôchi Tiro un boursoun de peu de bochi,

Ë'n nègre cachimbau qu'embouco ; e desdegnous :

Quand te bressavo au pèd d*un ourse •, T'a jamai counta Jan de l'Ourse ',

Ta bôumiano de maire 1 à Vincèn digue *nsin. Ta Jan de TOurse, Tome double, Que, quand soun mèstre, emé dous couble, Lou mandé fouire si restouble,

Ârrapè, coume un pastre arrapo un barbesin,

Li bèsli tôutis atalado, E su 'no pibo encimelado Li bandiguè pèr l'èr, emé l'araire après I E tu, marrias, bonur t'arribo Qu'apereici i'a ges de pibo I...

Levarîés pa 'n ai d'une ribo,

Grand porc ! n'as que de lengo ! £ Vincèn, à Tarrèst,

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MIREILLE. CHANT V. 18U

Oui, comme on tord l'osier flexible» Répondit le vannier sensible,

Je te tordrai le cou ; vois, vois, fuis si tu peux ;

Fuis, coquin, car j'ai la malice»

Fuis, ou saint Jacques de Galice

M'aidant à hâter ton supplice. Je fais craquer tes os sous ce poignet nerveux !

Ravi de trouver sous sa patte,

Quelqu'un sur qui sa rage éclate : Un moment reprit Fautre, et respirons un peu ;

AvaQt de se battre on s'équipe ;

Permets-moi d'allumer ma pipe.

Soudain embouchant sa tulipe. De son briquet sonore il fait jaillir le feu.

Dis donc, pour meubler la mémoire, T'a-t-on jamais conté l'histoire

D'un géant du Midi qu'on nommait Jean de l'Ours?

Sache donc que ce personnage,

De quatre bœufs au labourage,

Conduisait mi jour l'attelage ; Et comme celui-ci marchandait son concours ,

Saisi d'une fureur sublime.

D'un peuplier visant la cime. Il y lança les bœufs et la charrue avec...

Eh bien ! franchement, je regrette

Qu'aucun arbre ici ne s'y prête ;

Car je t'assure qu'à son faite Tu percherais bientôt, jeune petit blanc-bec.

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190 MIRfcIO, GAMT Y.

Conme unlebrié tanco un bestîàri,

Tancavo aqui soun aversàri. Qae, digo ! crida¥0 à s'esgargamela,

Long galagu, que t'estrampales

Sus ta ganchello, bèn ? davales

0 te da¥ale?... CSales? cales, Aro qu'anan sache quau tetè de bon la ?

Ks tu, gusas, que portes barbo t

Te caucarai coume uno garbo t Es ta qu'as mespresa la vierge d'aquéu mas,

Mirèio, la flour dôu terraire ?

0, iéu, lou marrit panieraire,

léu, Yincenet soun calignaire, Yau lava ti mesprés dlns toun sang, se n'en as !

Mai lou yaquié bramo : Arri ! àrri !

Bôumian, calîgnaire d'armàri ! Espéro, espèro-me! Sus-lou-cop sauto au sôu

Apereila li vèsto volon ;

Picon di man, lis èr tremolon ;

Souto éli li caiau regolon ; Un sus l'autre à la fes parton coume dous biôu.

Ansin dous brau, quand sus lis erme

Lou souleias dardaio ferme, An Tist lou peu courons e li large malu

D'uno vaco jouino e moureto

Bramant d'amour dinsH sarreto...

E sus-lou-cop lou tron li peto, E d'amour sus-lou-cop yènon foui e calu.

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MIREILLE, CHANT V 191

Grand pore! ta n'as que de la langue, Dit en épiçant sa harangue,

Vincent, qui du regard le tenait à Tarrét :

Perché comme un polichinelle,

Tu t'écarquilles sur ta selle;

Descends don» de ta haridelle, Et nous verrons alors qui téta du hon lait !

C'est toi, brigand, qui vas en guerre?

Je te briserai comme verre, Tu tins contre Mireille un propos offensant ;

Eh bien ! mécréant, c'est moi-même,

Moi, le chétif vannier, qui l'aime.

Qui te donnerai ton baptême ; Mais ce sera, tonnerre ! un baptême de sangl

Ah ! ah t tu veux vtne bataille! Bohémien, amoureux de paille!

Eh bien, soit! dit Ourrias, en sautant de cheval.

Et tous les deux quittent leur veste;

Leur main ne s'arme pas du ceste;

Mais le poing suffisant de reste. Ils fondent l'un sur l'autre avec un cœur égal.

Ainsi quand deux taureaux sauvages,

Dans les steppes des pâturages. Aperçoivent de loin, sous les feux du soleil,

Une jeune et belle génisse.

Leur poil tout à coup se hérisse,

Tout leur être, au feu qui s'y glisse, b'une fureur jalouse éprouve le réveil ;

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IW MIRÈIO, CANT V.

Pièi arpatejon, piêi s'alacon, Prenon Ion vanc, e zéu! s'ensucon.

E prenon mai Ion yanc, e de mourre-bourdoun Fan restounli H cop de tèsto. Longo e marrido es la batèsto, Car es rAmour que lis entèsto,

Es TAmour pouderous que ii buto e li poun.

Ansin éli dous tabassayon, Ansin, feroun, s'escabassayon.

Oarrias a recassa lou proumié layo-dènt; Mai coume l'autre lou menaço D'un nouyèu cop, sa grand manasso S'aubouro en Ter coume une masso,

E d'un large gautas amassolo Vincèn.

Tè! té! frestèu, paro aquéu lèpi!

Tasto, moun orne, s'ai lou grèpi !

Se cridon l'un à l'autre. Ardit! comto, bastard, Li blayeirôu monnte s'enfounso La rintraduro de mis ounso !

E tu, moustras, comto lis ounço,

Lis ounço de sang yiéu qu'espiron de ta car! —^

Alor s'arrapon, se péutiron,

S'agroumoulisson e s'estiron, Espalo contro espalo, em' artèu contre artôu ;

Li bras se trosson, se fringouion

Coume de serp que s'entourtouion ;

Souto la peu li yeno bouion, Lis esfors fan tibia li tento di boutéu.

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MIREILLE, CHANT V. «fOÔ

Us trépig^nent et ;3e provoqu0.nt, > i A coups de tête ils s'entrt?-cboquent.

Et, le mufle abaissé, raniment leur jardeur* - ^...a.^

La bataille est longue et cruelle, .. . t

Car c'est ramour. qui les harcèle, . ■■

Et qui, pour prix de la quer^lle,^ i i^

Leur montre la génisse attendant le vainqueur, o ^ i.

Ainsi luttaient nos deux athlètes^ -'. . H Ainsi s'entre-choquaient leurs têtes :. . IL

Les coups partent ; Ourrias attrape le premier; :. .1 Mais, comme l'autre en son £Midacç . ...ï Tentait de Tatteindre à la face, . î

Sa main se lève dans Tesp^ce, m t

Et d'un large soufflet étourdit le vannier., ?

Tiens voilà , pour toi, camarade I .

Et toi, pare cette gourmade!

Se disaient-ils entre eux. Tu n'y verras plus daîr, . . Aveuglé par la meurtrissure ^

Qui bouleverse ta figure. .. . .

Monstre! guéris donc la blessure.. b Par ton sang épais s'échappe de ta chair.

Puis ils se heurtent, se saissisiseat, .

Se redressent ou s'accroupissent, . Épaule contre épaule, œil sur qeil, corps à corps ; i ^

Leurs bras se croisent et se tordent .

Gomme des serpent? qui se mordent ;

De leur peau les yeiues déhordeot ; .. * Sur leurs jarrets tendus se lisent leurs efforts. . > ^ i : '

13^

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iOi MIRÈIO, CANT V.

Long-tèms, innaoubile, s'estellon,

Emé li flanc que bacellon, Coume quand bat de Talo un pâlot estardoun :

Imbrandable, la lengo muto,

Un coûtant l'autre dins sa buto,

Coume 11 pielo grande e bruto D6u pont espetaclous qu'encambo lou Gardoun^

E tout-d'un-cop se desseparon, E tourna-mai li poung se barron,

Lou trissoun tourna-mai engruno lou mourtié : Dins la furour que li counjoungio, Yan di dent, van dis ounglo... Dieu! quénti cop Vincèn i'ajounglo!

Dieu! quénti bacelas mando lou bou?atié!

Abasimanto éron li mougno Qu'aquest largaYO à plen de pougno ;

Mai lou Valabregan, rapide e picadis Coume uno grelo que desboundo, A soun entour boundo e reboundo, ReYOulunous coume tino foundo.

—> Veiciy dis, lou turtau, gourrin, que t*esp6utisl

Mai coume tors Tesquino à rèire, Pèr miéus pica soun empegnéire,

fjou gaiard toucadou subran Tarrapo i flanc^ A la manière prouvençalo Te lou bahdis darrié Tespalo, Coume lou blad dessus la palô,

E vai pica de costo apereila au mitant

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MIREILLE, CHANT V. 195

Longtemps encor ils se raidissent;

Leu' s flancs rentrent ou >Vlargissent, Comme quand bat de Taile un malheureux aiglon ;

L*air manque à leurs voix oppressées;

Ils s'accotent, dans leurs noussées,

Comme les piles entassées Du splendide aqueduc jeté sur le Gardon.

Puis, tout à coup, ils se séparent.

Mais d'autres assauts se préparent; Derechef le pilon égruge le mortier ;

Dans la fureur qui les entraîne.

Leurs dents même servent leur haine...

Dieu! quels beaux coups Vincent assène! Dieu ! par quels beaux soufflets riposte le bouviej !

La gr^le même un jour d'orage

Ne fouette pas Tair davantage; Mais soudain le vannier tournant autour de lui.

Comme un tourbillon qui se lève,

Ne lui laissant ni paix ni trêve :

Tiens, voici le coup qui t'achève, Misérable ! dit-il, ton dernier jour a lui.

Comme il tord son dos en arrière

Pour mieux frapper son adversaire, Le vigoureux bouvier Tempoigne par le flaae,

Et, lutteur de la bonne école, .

Il le soulève et par bricole,

Gomme un brin de paille qui vole» Il je lance à dix pas sur le sable brûlant.

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196 MIRÈIO, GANT V.

Acampo ! acampo Teiminado Qu'euié toun mourre as darbounado,

E s'araes lou pôutras, vermenoun, loanjo e béu!

Proun de di I bésti mal-estrucho, i*a que li très cop que fan lucho ! Respond lou drôle, en quau s'encucho

L'amar vérin. Lou sang mounto au bout di peu.

Se relévo, lou panieraire,

Gourae un coulobre ; e, fier luchaire, A Tagrat de péri vo de venja soun noum,

Part sus lou Caraarguen sôuvàge,

Ë d'une forço e d'un courage

Meravihbus pèr aquel âge, Talongo dins lou pitre un mourtau cop de poung.

Lou Gamarguen trantaio, tasto

Pèr coûta soun esquino vasto ; Mai à sis iue neblous semble quatecant

Qu'à soun entour tout fai que courre ;

La tressusour mounto au mourre,

E pataflôu! coume uno tourre Toumbo lou grand Ourrias, au mitan dôu trescamp !

La Grau èro tranquilo e mudo.

Aperalin soun estendudo Se perdié dins la mar, e la mar dins l'èr bla

Li ciéune,.li fôuco lusènto,

Li becaru, qu'an d'alo ardènto,

Venien de la clarta mourènto Saluda, long di clar, li béu darrié belu.

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MIREILLE, CHANT V. W

Va, dif-il, mordre la poussière ; La terre est bonne nourricière.

Si la saveur t'en plait, vermisseau, manges-en!

Uu éciiec n*est pas une preuve ; Je veux une seconde épreuve,

Dit Vincent que la honte abreuve. Et dont chaque poil sue et s'injecte de sang.

Sur ce, le vannier se relève ;

Devant ses yeux flotte le rêve De la vierge aux doux yeux dont son cœur est l'autel ;

Et d'une force et d'un courage

Qui sont au-dessus de son âge.

Il fond sur le bouvier sauvage. Et lui porte au sein gauche un coup de poing mortel.

Sous le coup celui-ci chancelle.

Son bras fléchit, son sang se gèle ; La lumière vacille à ses yeux nébuleux;

Autour de lui tout tourbillonne,

Le vent de la mort l'environne,

Et, comme une énorme colonne. Il tombe avec fracas sur le sol rocailleux.

La Crau dormait silencieuse;

Au loin, la plage vaporeuse Se perdait dans la mer et la mer dans l'air bleu;

Ici, les macreuses lustrées.

Les flamants aux ailes pourprée:;

Au bord des mares azurées. Venaient au jour mourant dire un dernier adieu t

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198 MIRÊIO, GANT V.

Dôu vaquié la ca?alo blanco

Toundié dis agarrus li branco ; E vueje, lis estriéu, li grands estriéu ferra,

Balin-balôu contro soun ventre...

fireguigno mai ! se noun t'esvcvilre

Lis orne, aro, bregand, pos sénli-e S'a la cano vo au pan se dèvon mesura !

Dins lou silènci dôu campèstre,

Lou panieraire, d'un pèd mèstre, Esquicbavo lou pies d'Ourrias amaluga.

Souto la cambo que lou sarro,

Lou toucadou luchavo encaro,

E pèr li brego e pèr li narro Racavo à gros mouchoun un sang encre e maca.

Très cop vouguè jita de caire

Lou pèd ounglu dôu panieraire ; Très cop d'un tai de man lou fiéu de Mèste Ambroi

L'esterniguè mai sus la gravo,

Ë lou vaquié qu*escumejavo,

Emé d'iue torge, retoumbavo En boufant e badant coume un orre bôudroi "•

Lis ome, donne, o barataire,

Lis a pas tôuti fa, ta maire ! Hncenet cridavo. I biôu de Séuvo-Riau

Vai, vai counta quento es ma pougno!

Vai-t*en escoucdre ti boudougno,

Toun arrouganço e ta vergougno Au founs de ta Gamargo, au mitan de ti brau !

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MIREILLE, CHANT V. 199

Du bouvier la jument sauvage Des kermès broutait le feuillage; Et vides, et pendants, les étriers de fer Oscillaient le long de son ventre...

Remue encore et je t'éventre. Il est temps que ta morgue rentre,

Ce n'était pas le cas de se montrer si fier,

Disait Vincent qui le domine.

Et du pied presse sa poitrine, Plus radieux qu'un coq monté sur ses ergots.

Ourrias, d'une vigueur éteinte.

Se débattait sous cette étreinte.

Et la terre au loin était teinte Du sang que sa narine y répandait à flots.

Trob fois, d'une forte secousse,

Ourrias, haletant, le repousse; Trois fois aussi Vincent, d'un rude coup de main.

Le cloue à la terre sanglante.

Ourrias, dont la faiblesse augmente,

Retombe, la bouche béante. Et promène en tous sens son regard incertain.

Ainsi donc, les forts de la terre Ne sont pas tous fils de ta mère,

Disait Vincent; au fond de ta Sylve-Réal,

S'il te reste un peu de vergogne,

Va cacher ta honte et ta trogne!

Va! parle à tes bœufs de ma poigne. Et dis-leur quelquefois le nom de ton rival!

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Kfi MIRÈIO, CANT V.

Acd di, lâché la bestiasso. Tau un toundèire, dins la jasso,

Relèn entre si cambo un grand aret banard; Mai tant-Jèu i'a toumba soun àbi, Sus lou malu mando un bàbi, E lou bandis. Goanfle de ràbi,

Ansin, e tout poussons, lûa vaquié sauto e part.

Uno pensado maladito

A travès champ I6u precepito ;

Jitavo d'escouménge ; ourlant e femissènt, Dins lis avaus, dins li genèsto Que cerco douncî... Ail ai! s'arrèsto... Ai ! ai I ai ! brando sus la tisto

Soun ficheiroun terrible, e lampo sus Vincén;

Quand se v^uè souto la lanço,

Sènso revenge ni 'speràu^o, ' Vincenét paligué co'ume au jour de sa mort : . Noun que la mort fugue duro,

Mai ço qu'aclapo sa naturo,

Es de se vèire la caluro D*un feloun que reugaiio a vie fa lou plus fort.

Traite ! ausariés ? faguô que dire.

E, voulountôus coume un martîré, S'aplanto... Altn, alin, dins lis aubre èscdundu^

l'avié lou ihais èa mestresso.

Se viré 'mé grand tendresse,

Coumè pèr dire à* la pastresso : Miréio, espincho-nlë, cfuè vaû ifhouri pèr tu!

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MIREILLE, CHANT V. tOl

Gela dit, il le cougédie.

Tel on voit, dans la bergerie, Un tondeur retenir sous sa main un bélier ;

Et puis, quand il a pris sa laine,

D'un geste ou d'un mot qu*ii comprenne,

11 le délivre. Empli de baine, Ainsi congédié s'éloigne le bouvier.

Jtfais de quelle borrible pensée

Sa tête est-elle traversée? Pourquoi donc tout à coup rebrousse-t-il cbemiu?

Dans les genêts, dans les broussailles.

Que cherche-t-il ? Dieu des bataillas !

Permettras-tu ces représailles ? Il fond sur le vannier, son trident à la main.

Contre le fer de cette lance

Vincent n'a rien pour sa défense ; 11 pâlit, le pauvret, à l'aspect de la mort;

Non point que la mort lui soit dure,

Mais de la douleur qu'il endure

De se voir ainsi la pâture D'un félon que la ruse a rendu le plus fort.

Traître! dit-il, et sans plus dire^

Vincent se résigne au martyre... Au loin, le mas qu'il aime à ses yeux vient s'offrir ;

Sur cet asile qui la tente

Se fixe sa prunelle ardente,

Comme pour dire à son amante : C'est pour toi que je meurs, regarde-moi mourir.

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toi MlHfilO, GANT ?•

0 béu Vincent d'aijiielo qa'amo

Enca pantaiavo soun amo... Fai ta preiero ! Ourrias vengaè coume un tron,

D'uno voues despietouso e ranco.

E de soun ferre aqui lou trauco.

Em' un fort gème, sus la bauco Lou paure verganié barrulo de soun long.

E l'erbo plego, ensaunousido ;

E de si cambo enterrousido Li fournigo de cbamp fan déjà soun camin.

Mai lou toucadou galoupavo.

Au clar de luno, sus la grave,

Tout en fugént eu prejitavo, Aniue li loup de Grau van rire, à tau festin !...

La Grau éro tranquilo e mudo.

Aperalin soun estendudo Se perdié dins la mar, e la mar dins Ter blu;

Li ciéune, li fôuco lusènto,

Li becaru, qu'an d*alo ardènto,

Venien de la clarta mourènto Saluda, long di clar, li béu darrié belu.

E galopo, vaquié, galope,

Que galouparas!... Hopo! hopo ! venien coume acô lis esclapaire verd *•

A sa cavale que chauriho

Dis iue, di narro e dis auribo.

Souto la luno déjà briho Lou Rose, entre-dourmi dins soun lié descubert

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MIREILLE, CHANT Y. 903

0 beau Vincent ! celle qiril aime Remplissait son heure suprême 1

Allons ! fais ta prière, aimable jouvenceau,

Dit Ourrias, dont la voix fulmine, Et baissant sa fourche assassine, 11 lui transperce la poitrine; L'infortuné vannier tombe sur le carreau.

Et rherbe ploie, ensanglantée ; Et sur sa jambe contractée

Des milliers de fourmis font déjà leur chemin

Mais Ourrias, fier de sa prouesse, S'enfuyait à toute vitesse. Grommelant de sa voix traîtresse :

Ce soir, les loups de Grau riront de leur festin.

La Grau dormait silencieuse ;

Au loin la plage vaporeuse Se perdait dans la mer et la mer dans Tair bleu;

Ici, les macreuses lustrées.

Les flamants aux ailes pourprées.

Au bord des mares azurées. Venaient au jour mourant dire un dernier adieu i

Et galope, vacher, galope!

Galope toujours! hoppe! hoppe! Du milieu des étangs criait le crabier vert

A sa jument dressant Toreille.

Pendant que la terre sommeille,

Du haut du ciel la lune veille; Le Riiône s*endormait dans son lit découvert.

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201 MIRÊIO, GANT Y.

¥

Goume un roumiéu de Santo-Baumo ^^

Que, nus, de lassige e de caumo S'estalouiro e s'endor au founs d*un vabre. Hôuî

L'ausès?... hôu de la ratamalo !

Hôu! hôu !... En cuberto vo'n calo,

Me passarias 'mé ma cavalo? De liuen lou capounas crido à ires barqueirôu.

Vène lèu, véne, bono-voio ! Respoundeguè 'no voues galoio,

Que, pèr vèire mounta de la niue lou calèu,

Entre li remo e la partego

Lou pèis entrefouli vanego.,.

La pesco presse, acô boulego, Moun oihel Touro es bono... Abordo, abordo lèu.

En poupo lou fena ^^ s'assèto.

La cavalo, darrié la bèto, Nadavo, la caussano estacado à Testrop.

E li grand pèis, vesti d*escaumo,

Abandonnant si fôunsi bauino,

Dôu Rose mouvien la calaumo, E lusènt, boumbissien à Tentour de la pro.

Mèstre pilot, douno-te gardo !

La nau, semble que vên panarde I E lou qn'avié parla, pèd sus banc i^, sus lou rèm Tourna se pleguè coume un vise.

Fa 'n moumenet que me n'avise... Pourtan un raarrit pes, vous dise,

Respoundè lou pilot; e pièi digue plus rèn.

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MIREILLE, CHANT V. «0»

Gomme un pèlerin en voyage : Qui, lassé du pèlerinage, S'endort près de sa gourde au milieu d'un rayin,

Ohé ! ohé ! pécheurs de Tonde, Sur votre barque vagabonde.

Ma béte et moi, courant le monde, Pouvez-vous nous passer jusques au bord voisin?

Arrive, garnemeut, arrive I Répond une voix de la rive ;

Pour voir monter au ciel la lampe de la nuit, Près de la barque qui brandille, Le poisson circule et frétille; ^

La pèche presse, Teau seiutille;...

Aborde, garnement, mais aborde sans bruit. «-

Le brigand s'assied sur. l'arrière;

La cavale nageait derrière. Suspendue nu licol tenant aux cavillots.

Des poissons de toutes les tailles, .

Vêtus de leurs blondes écailles.

Quittaient en foule leurs rocailles. Et près des avirons serpentaient sous les flots.

Prends bien garde, maître pilote, Il semble que la nef ballole,

Dit l'un des bateliers qui, couple et pied sur banc, Se tord comme un sarment de vigne.

Je le vois bien, et c'est un signe Que nous portons charge jmaligne.

Répond le nautonier qui se t^it à l'instant

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t06 MIRÈIO, GANT Y.

La ratamalo trantaiavo

D'un biais, de l'autre, gansouiayo D'un balans esfraious coume un orne ebria.

La ratamalo èro raarrido,

Avié H post mita pourrido...

^^Tron de Dieu! lou toucadou crido..* C s'arrapo à l'empento, e s'aubouro esfraia.

Mai, souto uno invesiblo forço,

La nau sèmpre que mai bidorso, Coume uno serp en quau un pastre em' un clapas

A coupa lis esquino. Sôci,

Perqué fasès aquéu trigôssi?

Voulès dounc que me nègue? i môssi Vetiguè lou toucadou, pale coume un gipas.

Pode plus mestreja la barco! Respoundè lou pilot. S'enarco

Souto iéu, e boumbis coume uno escarpo fai : As tua quaucun, misérable ! Iéu?... Quau te l'a "U?... Que lou diable, S'acè 's verai, 'mé Suun rediable

Me péu-tire subran au foons di garagai !

Ab! countuniè lou pilot blave, Es iéu que me troumpe ! ôublidave

Qu'es aniue Sant Medard. Tout paure negadis, Di toomple afrous, di revôu sourne, Pèr founs que Taigo Tencafoume, Sus terro aniue fau que retourne.

!^a longo proucessioun adeja s'espandiSt

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MIREILLE, CHANT Y. 207

Gomme au plus fort d'une tourmente, Deci, delà, la nef errante Vacillait comme un homme aux vignes du Seigneur. La vieille barque, assez mauvaise, * Avait pourri sous la falaise...

Tonnerre ! on n'est pas trop à Taise, Dit Ourrias, qui se lève et change de couleur.

Mais, sous une invisible force,

Toujours le roulis se renforce;

Comme un serpent blessé la nacelle se tord.

Vous voulez donc que je me noie, Dit le bouvier, dont Tàme ploie. Tant la tempête se déploie,

Et tant Tonde bouillonne et monte vers le bord !

Ce n'est plus moi, dit le pilote Qui gouverne ma galiote ;

Et quelque esprit malin la pousse de travers :

Tu versas le sang, misérable!

Moi ! qui Ta dit? Oh ! que le Diable, Avec sa fourche impitoyable.

Me tire, si c'est vrai, dans le fond des enfers!

Que ton jurement s'interrompe, Dit le pilote, je me trompe ;

C'est, et je l'oubliais, la nuit de Saint-Médard.

Les malheureux noyés, que Tonde

Retient dans la gorge profonde,

Cette nuit reviennent au monde; J'en vois le groupe entier qui s'ébranle et qui part.

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i08 MIRÈIO, GANT Y.

Ve-lèil.v pàuris aroo plourouso!

Ve-lèi ! sus la ribp peirouso Mounton à pèd €Lescau3 : de si vièsli limai

De soun peu amechouli, coulo

A gros degout Taigo treboulo.

Dins l'oumbro, souto li piboulo, Gaminon à xenguiero, em' un cire aluma.

Goume regardon lis estello!

Dôu sablas que lis empestello En derrabant si cambo arrampido, pecai!

Emé si bras blu, 'mé sa tèsto

Mounte la nito encaro rèsto,

Es éli, coutne uno tempèsto, Que tuerton lou batèu d'aquéu rude trautai.

Toujour qu^ucun de mai arribo,

E mounto, afeciouna, la ribo. Goume bevon Ter linde, o la visto di Grau»

E la sentour que vèn di fôure!

E coume trovon dous lou môure,

En regardant si vièsti pleure!... Toujour quaucun de mai mounto dôu cadarau!..*

Ta de vièi, de joui ne, de femo,

Disié lou mèstre de la remo... Goume espôusson la fungo e Tourrour dôu pesquiét

De forme descarnado e berco ;

De pescadou qu'èron en cerco

D'aganta lou lampre e la perco, E qu'i perco em' i lampre an servi de pasquié.

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MIREILLE, CHANT V. âU9

Vois! vois leurs âmes affligées

Sur le bord du fleuve rangées ! Ils y montent pieds nus; de leurs habits fangeui»

De leur chevelure sablée,

Découle encore une eau troublée,

Et dans l'ombre, sous la feuillée, Un grand cierge à la main ils marchent deux à deux.

Gomme ils regardent les étoiles!

C'est en se dégageant des voiles Que Tonde sablonneuse a formés autour d'eux.

Qu'avec leurs bras bleus ou leur tète.

Heurtant notre barque inquiète,

Ils font sur l'eau cette tempête. Qui rend en ce moment le trajet dangereux.

Toujours quelqu'un de plus arrive

Et gravit ardemment la rive. Comme ils boivent l'air pur et l'aspect de la Crau»

Et l'odeur de l'herbe coupée !

Même sous leur robe trempée,

Comme ils aiment cette équipée ! Toujours quelqu'un de plus monte du fond l'eau ;

Dans ces bizarres amalgames,

On voit des vieillards et des femmes

Sortir de leur étui de fange et de limon; *

Des formes qu'on ne peut pas rendre, Des pécheurs qui cherchaient à prendre La perche ou le carpillon tendre,

Et qui servent de proie au tendre carpillon.

14

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tiO MIRËIO, GANT V

Ve! regarde aquéu vôu qu'esquiho,

Descounsoula, ^us li graviho... Es li bèlli cbatoano, es li folo d'amour,

Qae, de se vèire separado

De Tome ama, desesperado,

An demanda la retirado Au Rose, pèr nega soun inmènso doulour!

Ve-^lèil... 0 pàuri pichounello! Dins la soumuro clarinello,

fioulegon, si sen nus, em' un tau rangoulun, Souto Taugo que li mascaro, Que, de soun peu neblant sa caro A long trachèu, iéu doute encaro

S'es d'aigo que regoulo, o s'es Tamar plourun. -

Lou pilot quinquè plus. Lis amo A la man tenien uno flamo, E seguien à la mudo, e plan, lou ribeiréSé Aurias ausi Youla'no mousco...

Mèstre pilot ! mai, dins la fousco, Vous sèmblo pas que soun en bousco?

fai lou Camargueo, d'orre e d'espaime près.

0, soun en bousco... Ve, pecairel Goume testejon de tout caire!

Cercon li bonis obro e lis aie de fe Que sus la terro semenèron, Espés 0 clar, quand passèron. Tre qu'apercevon ço qu'espèron,

Goume au fres margaioun vesèn courre Tavé,

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MIREILLE, CHANT V, «Il

Vois cette foule qui s'élève

Inconsolable sur la grève !... C'est l'essaim langoureux des malades du cœur,

Des jeunes filles fiancées

Aux doux objets de leurs pensées,

Et qui, se voyant délaissées. Se jetèrent à Teau pour noyer leur douleur

Dieu î quelle triste caravane !

Dans l'obscurité diaphane Palpitent leurs seins nus, demeurés amoureux^

Et, de l'amour triste dépouille,

Sous l'algue verte qui les souille ,

On ne sait si l'eau qui les mouille Provient du fleuve môme ou coule de J îurs yeux. *

Le pilote se tut. Les âmes, De leur cierge élevant les flammes, Cheminaient près du fleuve en silence, à pas lentâ. Autour tout se tait, tout repose.

Ne semble-t-il pas, à leur pose. Qu'elles recherchent quelque chose?

Dit Ourrias, aflaissé sur ses genoux tremblants.

Oui, ces revenants sont en quêle D'une bonne œuvre qu'ils aient faite,

D'un acte d'espérance ou d'un acte de foi, D'une aumône, d'une prière. Simple hommage qu'à leur manière. Pendant qu'ils étaient sur la terre

Ils aient offert au Dieu dont ils suivaient la loi;

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212 MIRÈIO, GANT

Se precepiton; e, cuUdo,

Entre si man l'obro poulido Vèii uoo flour; e quand, pèr un bouquet n'an proun,

A Dieu, alègre, lou fan vèire,

E vers li porto de Sant Pèire

La flour eaiporto lou cuièire. Dins Fengrau de la mort toumba de reviroun^

I negadis ansin Dieu même

Douno un relais pèr se roderoe. Mai souto lou glavas dôu fluve segrenous,

Avans que l'aubeto s'enaure,

Ve-n-en que tournaran s*enclaure :

Negaire de Dieu, manjo-paure, Tuaire d'orne, traite, escabot vermenous.

Gercon uno obro que li sauve,

E noun poussigon dins lis auve Que pecatas e crime, en formo de caiau

Mounte soun artèu nus s'embrounco.

Fin de miôu, fin de cop de rounco !

Mai éli, dins Terso que rounco. Sens fin barbelaran lou perdoun ceiestiau!

Goume un bregand à-n-un recouide,

Ourrias aqui Tarrapo au couide : L'aigo dins lou batèul! Ta Tagouta, respond,

Tranquile, lou pilot. En aio,

Ourrias agoto, e zou ! travaio

Goume un perdu!... De Trenco-Taio <^ Li Trèvo '^ aquelo niue dansavon sus lou pont.

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MIREILLE, CHANT V. ^^3

Dès qu'ils en trouvent quelque reste,

L'œuvre se change en fleur modeste ; Heureux qui peut former un bouquet de ces fleurs!

Car, aussitôt, chacune d'elles

Revêt des couleurs immortelles.

Et le bouquet, prenant des ailes, S'envole et porte l'âme en des mondes meilleurs.

C'est ainsi qu'aux noyés eux-mêmes

Dieu donne des moyens suprêmes Pour adoucir leur sort en payant leur rançon ;

Tel autre d'entre eux, au contraire,

Assassin, voleur, adultère.

Avant que le jour nous éclaire, S'en ira sous les eaux reprendre sa prison,

Et dans quelque sens qu'il se meuve,

Devra heurter au lit du fleuve. Des pierres meurtrissant ses pieds et ses genoux.

c Fin d'àne, fin de coups de trique, »

Dit un proverbe véridique ;

Mais Dieu ne veut pas qu'il s'applique Aux morts qui n'ont rien fait pour calmer son courroux.-

Ourrias, voyant l'eau qui s'élève,

Houleuse, sans merci ni trêve : Nous périssons, dit-il... Prends l'écope, répond

Le malin pilote, qui raille.

Ourrias à vider l'eau travaille,

Et vide et vide... ATrinquetaille, Les Trêves cette nuit dansèrent sur le pont.

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214 MIRÈIO, CANT Y.

E z6u ! agoto, Ourrias, agoto, Qu'agoularas!... La cavaloto,

Pèr se descabestra, folo! Blanco, de-qu'as? As pôu di mort ? dis soun mèstre Qu'a li peu dre de l'escaufèstre. E, sournaru, iou toumple eiguèstre

De long déu breganèu afloco, ras à ras.

Sabe pas nada, capitànil... La sauvarés la barco ? Nàni !

Encaro un yira-d*iue, la barco toumbo à foun... Mai, de la dougo, ounte varaio La proucessioun que tant t'esfraio, Li mort nous van manda 'no traio...

E coume a di, la barco au Rose se prefound.

E, dins la liuencho escuresino,

E di viholo fouscarino Qu'i man di negadis tremolon, un long rai

D'uno ribo à Tautro lampejo.

E coume, au soûl eu que pounchejo,

Coume uno aragno que fielejo Se laisse resquiha de-long déu fiéu que trai,

Li pescadou (qu'èron de Trèvo!) Au rai claret que fai co-lèYO

Se guindon, e lèu-lèu s'esquihon tout-de-long. D'entre l'aigo que l'enmourraio, Ourrias peréu mando à la traio Si man crespado!... A Trenco-Taio,

Li Trèvo, aquelo niue, dansèron sus Iou pont!

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MIREILLE, CHANT V. tl5

Oui, vide, Ourrias, avec courage,

Vide encor!.... La jument sauvage Veut rona)re son licol.,. Mais, Blanchetle, qu'as-tu?

Âs-tu peur des morts? dit son maître.

Qui, lui, tremblait de tout son être.

Et sur le point de disparaître, Le canot, bord à bord, par la vague est battu.

Ciel ! dit Ourrias, la barque est pleine ;

La sauverez-vous, capitaine? -^ Non ; encore un clin d'œil et le flot Tengloutit;

Mais, pendant son dernier tangage,

Les morts vont jeter du rivage

Une corde de sauvetage... U dit, le Rhône s'ouvre et la barque périt.

Et dans l'obscurité lointaine,

La lueur blafarde, incertaine. Des cierges tremblotants, projette un rayon clair

Qui va de l'une à l'autre rive.

Et comme, dès que l'aube arrive.

Une araignée agile et vive. Glisse le long du fil qu'elle file dans l'air;

Tels, les pécheurs qui sont des Trêves,

Au rayon qui joint les deux grèves. S'élancent vivement et glissent tout le long.

A ce câble, dont Teau s'émaille,

Vainement, de toute sa taille,

Ourrias s'élance... A Trinquetaille,. , »

Les Trêves, cette nuit, dansèrent sur le pont.

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NOTES DU CHANT CINQUIÈME

Olympe, haute montagne, sur les limites du Var et des BouchesHlu-Rhdne.

2. Queiras, vallée des Hautes-Alpes.

3. Verhtto di frisoun (i'herbette aux boucles), {valisnena spiraliSy Lin .}; plante qu*on trouve dans le Rhône et dans les mares qui Tavoisinent, aux environs de Tarascon et d*Arles.

4.. Lingueto! mot intraduisible, qu*on répète en riant à quelqu'un, et en lui montrant quelque chose de loin ou de haut, pour exciter sa convoitise.

Quasi bramoti fantolini e vani Che pregano, e H pregato non risponde. Ma ver fare ester hen lor voglia acuta, Tien alto lor disio e nol nasconde,

(Dante, Pttrgatorio, c. xxnr.)

5. Blad de luno (blé de lune). Au propre, faire de blad de lunOf signifie dérober du blé à ses parents à la clarté de la lune. Blad de luno, au figuré, désigne les larcins amoureux

6. Ourse (ansérine ligneuse), {chenopodium fruticomm Lin.), plante commune au bord de la mer.

7. Jan de V Ourse (Jean de TOurs), héros des contes de veillées, espèce d*HercuIe provençal auquel on attribue une foule d'exploits. 11 était fils d'une bergère et d'un ours qui Tavait enlevée, et avait pour compagnon de gloire deux aven-

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NOTES DU CHANT V. 217

turiera d'une force fabuleuse. L*un se nommait Arrache^Mon- tagne, et l'autre Pierre-de-Moulin.

8. Lou pont espetaclous qu'encambo lou Gardoun (le pont prodigieux qui enjambe le Gardon), le pont du Gard.

9. Boudroi (Baudroie) ou diable«de-mer, poisson hideux.

10. EsclapairCt crabier vert (ardea viridiSy Lin.) ; oiseau de l'ordre des échassiers, ainsi nommé (esclapaire signifie feU' deur de bois)^ à cause de son cri : Hat Ha!

11. Santo-Baumo (Sainte-Baume); grotte célèbre, au milieu d'une forôt vierge, près de Saint-Maximin(Var), dans laquelle se retira sainte Magdeleine pour faire pénitence. (Voyez le chant XI.)

12. Fena, mauvais sujet, sacripant, scélérat. Horace a dit dans le même sens en parlairt d'un méchant homme : Fenum habet in cornu. C'était proverbial chez les Romains; et ce dicton venait de Tusage l'on était autrefois de mettre du foin aux cornes des taureaux dangereux, pour avertir de 8*en garder.

13. Pèd sus banc (pieds sur banc). Mettre pieds sur banc (mètre pèd sus banc)^ en terme de marine, c'est mettre le pied sur le petit banc qui est devant le siège des rameurs, pour faire plus de force, et au figuré, travailler avec ardeur, (flonnorat, Dict, provençal. )

14. Trenco-Taio (Trinquctaille), faubourg d'Arles, situé dans la Camargue, et réuni autrefois à la cité par un pont de tateaux.

15. Trèvo (Trêves), lutins qui dansent à la pointe des 9ndes, quand le soleil ou la lune fait miroiter les eaux.

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CANT SIÈISEN

LA MASCO

A l*aubo, très pourcatié trovon Vincën dins soan sang, ettenda dins lis erme de Grau. L'aduson à la brasseto au Mas di Falabrego.

Digressioun : lou Felibre se recoumando à sis ami, H felibre de Prouvènço. Douleur de Mirèio. Porton Vincèn au Trau di Fado, cafourno dis Esperit de niue e demouranço de la masco Taven, escounjurarello de tout mau. Li Fado. Mirèio acoum- pagne soun calignaire dins li borno de la mountagno. La Man- dragouro. Lis aparicioun de la baumo : li Fouletoun, TEsperit Fantasti, la Bugadiero dôu Ventour. Raconte de la masco : la Messo di mort, lou Sabatdri, la Garamaudo, lou Gripet, la Bam- baroucho, la Ghaucho-Vièio, lis Escarinche, li Dra, lou Ghin de Gambau, lou Baroun Gastihoun. L'Agnèu nègre, la Gabro d'or.

Taven escounjuro la plago de Vincèn. Enauramen e pron- fetiso de la masco.

A Taubo claro se marido

Lou clar canta di bouscarido. La terro enamourado espèro lou soulèu,

Vestido de frescour e d'aubo,

Coume la chalo que se raubo,

Dins la plus bello de si raubo Espèro lou jouvènt que i'a di : Parten lèu.

En Grau très orne caminavon,

Très pourcatié, que s'entournavon De Sant-Chamas lou riche, ounte ère lou marcaU

Venien de vendre sa toucado*.

E, tout en fasènt la charrado,

Sus Tespalo, à Tacoustuinado, Pourtavon sis argent dins si roupo ainaga.

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CHANT SIXIÈME

LA SORCIÈRE

A Taube du jour, trois porchers trouvent Vincent étendu dans le désert de la Crau et baigné dans son sang. Ils l'apportent dans leurs bras au Mas des Micocoules. Digression : appel du poète à ses amis, les poètes de Provence. Douleur de Mireille. On porte Vincent à l'antre des Fées, repaire des Esprits de la nuit et habitation de la sorcière Tavèn, charmeuse de tous maux. Les Fées. Mireille accompagne son amant dans les excavations de la montagne. La Mandragore. Les apparitions de la Caverne : les Follets : l'Esprit fantastique, la Lavandière du Ventour. Récits de la Sorcière : la Messe des Morts, le Sabbat, la Gara- maude, le Gripet, la Bambarouche, le Cauchemar, les Escarinchest les Dracs, le Chien de Canibal, le baron Castillon. L'Agneau noir, la Chèvre d'or. Tavèn charme la blessure de Vincent. Exaltation et prophéties de la sorcière.

L'oiseau chante, sa mélodie

A l'aube claire se marie. Sous sa robe d'aurore, attendant le soleil,

La terre tressaille... Ainsi celle

Qui fuit la teute paternelle,

Sous sa parure la plus belle. Attend le jouvenceau qui donna ce conseil.

Dans la Crau cheminaient trois hommes,

Trois porchers, emportant les sommes Faites à Saint-Chamas, du prix de leurs troupeaux.

Et jasant de leur renommée,

Du temps, du pays, de l'armée.

Sur l'épaule, à l'accoutumée, Us portaient leur argent serré dans leurs manteaux. .

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220 MIREIO, CANT V!.

Quand tout-d*un-cop : Chut! cambaraîo, Fai un di très. Fa 'no passado Que me sèmblo d'ausî souspira dins li brusc.

Hôu ! fan lis autre, es la campano > De Sant-Martin o de Maussano S

0 belèu bèn la Tremountano Que gansouio en passant li tousco d'agarrus. -^

Goume acabavon, di genèsto Sort un plagnoun que lis arrèsto, Un plagnoun tant doulènt que trancavo lou cor.

Jèsu! Maia! tôuti faguèron,

Fa mai que mai ! E se signèron, Ë d'aise, d'aise, caminèron De mounte li plagnoun venien toujour plus fort.

Oh! que 'spetaclel Dins Ferbage,

Sus li caiau, 'mé lou visage Revessa pèr lou sôu, Vincèn èro estendu :

La terro à Fentour chaupinado,

Lis amarino escampihado,-

E sa camiso espeiandrado, E Ferbo ensaunousido, e soun pitre fendu?

Abandonna dins la campagne,

Emé lis astre pèr coumpagno, Aqui lou paure drôle avié passa la niue,

E Faubo umido e clarinello,

En picant sus li parpello,

Dedins si veno mourtinello Kdviscoulè la vido, e durbè lis iue.

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MIREILLE, CHANT VI. 221

Quand tout à coup : Faites silence, Dit Tun; à petite distance. J'ai cru, dans les buissons, entendre des sanglots.

Bah ! dit Tautre, c'est la liane Qui gémit sous la Tramontane, Ou bien la cloche de Maussane

Qui sonne l'Angelus, diane des dévots.

Ces propos s'achevaient à peine. Quand, de la clairière prochaine, S'échappent des soupirs qui leur navrent le cœur.

Bonté de Dieu ! tous trois crièrent : C'est bien étrange ! Ils se signèrent Et doucement s'acheminèrent

Vers le lieu d'où partaient ces accent? de douleur.

Dieu! quel spectacle! Sur la mousse.

Dans les cailloux l'herbe pousse, Renversé sur le dos, Vincent était gisant !

La terre à vmgt pas dévastée,

Sa boite d'osier tourmentée.

Sa chemise déchiquetée. Sa poitrine percée, et le sol teint de sang !

Abandonné dans la campagne,

Avec la lune pour compagne, le pauvre vannier avait passé la nuit ;

Nuit d'angoisses ! nuit douloureuse !

Mais l'aube humide et lumineuse,

En touchant sa lèvre poudreuse. Semblait avoir remis un peu de vie en lui.

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Î22 MIRÈIO, GANT VI.

E li très orne, tout en aio,

Quitèron tout-d'un-tèms la draio ; K, courba tôuti très, faguèron un brès

De si roupo, qu*espandiguèron;

Pièi entre tôuli lou prenguèron

A la brassetOy e Faduguèron Au Mas di Falabrego, ounte èro lou plus près...

0 dous ami de ma jouvènço,

Valent Felibre de Prouvènço, Qu'escoutas, atentiéu, mi cansoun d'autre-tèms :

Tu que sabes, o Roumariho,

Entrena dins tis armounlo

E li plour de la pacaniho, E lou rire di chato, e li flour dôu printèms ;

Tu que di bos e di ribiero Gerques lou sourne e la fresquiero,

Pèr toun cor coumbouri de pantai amourous. Fier Aubanèu! e de ti soubro. Tu, Crousihal, qu-à la Touloubro Fas mai de noum, que n'en recoubro

De soun Nostradamus, Tastroulô souloumbrous ^ !

E tu tambèn, Matiéu Ansèume,

Que, di triho souto lou tèume, Regardes, pensatiéu, li chato que fan gau t

Ë tu, Pauloun, fia galejaire;

E tu, lou paure trenquejaire,

Tavan, umble cansounejaire Emé li grihet brun qu*espinchon toun magau!

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MIREILLE, CHANT VI.

£t d'un mouvement unanime

Les trois porchers vers la victime Marchèrent, et soudain lui firent un berceau

De leurs manteaux qu'ils déployèrent ;

Puis, dans leurs bras ils le serrèrent.

Et lentement ils le portèrent Vers les Micocouliers aimés du jouvenceau...

0 doux amis de mon enfance,

Vaillants Félibres de Provence, Qui suivez, attentifs, mes chansons d'autres temps :

Toi qui, dans tes chants, Roumanille !

Unis, sous un air de famille,

Les rires de la jeune fille Et les larmes du peuple et les fleurs du printemps!

Aubanel! toi qui des bois sombres

Cherches la fraîcheur et les ombres Pour ton cœur inondé de ses rêve? émus!

Toi, Crousillat, qui fais la gloire

De Salon, et dont la mémoire

Illustrera plus son histoire Que les quatrains obscurs de son Nostradamusl

Toi qui, sous le berceau des treiUes^

Rêveur candide, t'émerveilles Des filles du pays, doux Anselme Mathieu!

Toi, cher Paul, au malin sourire!

Toi que Taspect des champs inspire»

Modeste Tavan ! dont la lyre Chante Tabeille blonde et le papillon bleui

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ni MlRElO, GANT VI.

Tu mai, que dins li durençado

Trempes encaro ti pensado, Tu qu'à liôsti soulèu caufes lou franchimand,

Moun Adôufe Doumas : grandido,

Quand piéi Mirèio s'es gandido

Liuen de soun mas, novo e candido, Tu que Tas, dins Paris, menado pèr la man !

Tu 'nfin, de quau un vent de flamo

Ventoulo, emporte e fouito Tamo, Garcin, o fiéu ardent d6u manescau d'Alen!...

Vers la frucho belle e maduro,

0 vàutri lôuti, à mesure

Que iéu escale moun auturo, Alenas moun camin de voste sant alen!...

Mèste Ramoun, bonjour I diguèroii

Li pourcatié, quand arribèron : Aven trouva, pecaire ! aquéu paure jouvént

Aperavau dins la champino ;

Poudés cerca de pato fine.

Car a*n bèu trau à la peitrino! Sus la taulo de pèiro alor pausou Yincén.

Au brut de la malemparado,

Mirèio cour, despouderado, .)ue venié dôu jardin, e sus Tanco tenîé

Soun pi en panié de liéume; courron

Tôuti lis orne que labouron...

Mirèio, en Ter si bras s*aubouron; Maire de Dieu I pièi quilo, e toumbo soun panié.

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MIREILLE, CHANT TI. ii5

Toi qui viens baigner tes pensées

Aux eaux qui les avaient bercées ; Toi dont notre soleil récbaujQfe les écrits !

Adolphe Dumas, qui, l'année

ma Mireille, à peine née.

Loin de son mas fut entraînée, La tenais par la main en lui montrant Paris I

Enfin toi, dont un vent de flamme

Emporte, agite et fouette Tâme, Garcin, ô fils ardent du maréchal d'Allein!....

A mesure que j'escalade

Le mont mûril ma grenade,

0 vous tous, brillante pléiade. De votre sainte haleine aérez mon chemin!...

Hé! bonjour! maître! s'écrièrent

Les porchers dès qu'ils arrivèrent; Nous venons de trouver ce jeune homme en passant <

Là-bas, sur la lande saline ;

Voyez sa plaie à la poitrine ;

Vite un morceau de toile fine ; -^ Et sur la grande table ils déposent Vincent

Au bruit qui de partout éclate,

Mireille accourt en toute hâte , Son panier sous le bras, rapportant du jardin

Divers légumes ; tout émue

La ferme entière est accourue ;

Mireille d'une voix aiguë 8*cxclame et son panier s'échappe de sa main.

IB

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S26 MIRÊIO, GANT VI.

Vincènî mai que l'an fa, pecaire! Qu*as tant de sang ? De soun fringaire

Ausso alor douçamen la tèsto, e*n bon moumen Lou regardo, mudo, atupido, Pér la doulour coume arrampido. De lagremo grosso e rapido

S*inoundavo enterin Tauturoun de soun sen.

De Tamouroaso pichouneto Vincèn couneiguè la maneto : Ë d'une voues mourènto : Oh ! dis, agués pieta! Ai de besoun que m'acomnpagne Lou bon Dieu, car siéu bèn de plagne !

Laisse que ta bouco se bagne, Faguè Mèste Ramoun, d'un pau d'agrioutat K

0, béu- lou léu, qu'acô remountô, Reprenguè la jouvènto. E, proumto,

Arrapè lou flasquet ; e degout à degout. En parlant lou fasié béure, E levavo lou mau-viéure.

De I au malur Dieu vous deliéurOy Vincèn coumencè mai, e vous pague de tout!

En refendent uno amarino,

L'esquichave sus ma peitrino, Quand lou fèrri m'esquifo e me pico au mamèu. -^

Vouguè pas dire que pèr elo

S'èro batu coume uno grelo...

Mai sa paraulo, d'esperelo, Uevenié vers Tamour, coume la mousco au mèu.

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MIREILLE, CHANT VI. fil

Mon beau Vincent! pauvre victime!

Mais qui donc a commis ce crime? Dil-eile, et de son bras lui faisant un coussin.

Et relevant un peu sa têt**,

Elle le regarde, muette,

Et de sa paupière en cachette S'échappent de gros pleurs qui vont mouiller son sein.

Vincent, que tout ce bruit réveille,

Reconnaît la main de Mireille. «> Oh ! merci d'avoir pris pitié de mon état i

Dit-il ; quelle crise est la mienne !

J'ai besoin, pour que j'en revienne,

Que Dieu lui-même me soutienne. Donnez-lui, dit Ramon, un peu d'agriotàt.

Oh ! oui, bois-en, cela ravive, Reprit Mireille, et prompte et vive

AppDrtant la liqueur, pour le fatiguer moins, La lui fait boire goutte à goutte.

Que Dieu, dit-il, qui nous écoule. Ne sème pas sur votre route

De pareils accidenta et vous rende vos soins !

En refendant une baguette

D'un osier trop dur, ma serpette M'a fait au sein ce mal qui n'a rien de mortel.

L'amant discret, sous une fable.

Déguisait le fait véritable.

Mais bientôt sa parole affable Revenant à l'amour comme la moucha \n miel :

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228 MlftÈIO, CANT Vî.

La doulour, dis, de vosto caro

Mai que ma plago m'es amaro ! Ço qa*av[an coumença, lou canestèu poulit,

J*au do une, parèis, que noun s'acabe,

£ que la treno se derrabe!...

Pèr quant à iéu, Miréio, sabe Qu'auriéu de voste amour vougu lou vèire empli.

Mai tenès-vous aqui!... que vegue

Yôstis iue dous, e que bègue La yido enca'a brisoun ! vous demande pas mai...

Vous demande... se poudias faire

Quaucarèn pèr lou panieraire :

Ai alin moun paure yièi paire Qu'es escranca de l'âge, e mort pèr lou travai.

Mirèio se descounsoulavo...

Dôu tèms, elo pamens lou lavo^ Ë l'un de l'escarpido esfalo lou velout,

D*autre lèu landon vers l'Aupiho

Gerça li bonis erbouriho.

Mai sus-lou-cop Jano- Mario ; Au Trau di Fado *y auTrau di Fado pourtas-lou t

Tant mai la plago es dangeirouso,

Tant mai la masco èi pouderouso ! Zôu donne ! au Trau di Fado, à la coumbo dlnfèr.

Quatre lou porton... Dins li peno

Que di Baus formon la cadeno,

En un rode que l'alabreno Trèvo, e qu'en virouiant marcon li capoun-fèf.

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MIREILLE, CHANT VI.

Auprès du mal que je vous cause, Le mien, dit-il, est peu de chose !

Vous souvient-il qu'ensemble, en nous jouant, un jour.

Nous ébauchions une corbeille ?

Il faudra que Toeuvre sommeille... . Et cependant, Dieu sait, Mireille, Combien j'aurais voulu l'emplir de votre amour I

Restez ; que mon œil reçoive

Vos doux regards, et que je boive La vie encore un peu; je ne veux rien de plus...

Je me trompe... tâchez de faire

Quelque chose pour mon vieux père.

Qui vit dans son mas solitaire, Perdu pour le travail et par l'âge perclus.

En l'écoutant, la pauvre amante Lavait la plaie encore saignante ; Les uns de la charpie apprêtaient le velours ; D'autres couraient dans les vallées Chercher les herbes signalées.

Portez-le donc au Trou des Fées, Leur dit Jeanne-Marie, et vous sauvez ses jours ;

Plus grave sera la blessure.

Plus la guérison sera sûre. C'est juste, répond-on, et vers le Val d'Eafer

Quatre le portent. Sous la roche.

la salamandre s'accroche.

Et qui des Baux défend l'approche, Sur un point indiqué par les sacres dans l'air.

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230 MIRÈIO, GANT VI,

Di roumauin entre li mato,

A flour de roco, un trau s'acato.

Alin dedins, despièi que lou sant Angélus^ En i'ounour de la Vierge, pico ~ Lou brounze clar di baselico, Alin dedins li Fado antico,

Pèr toustèms, dôu soulèu an fugi lou trelus.

Ësperitoun plen de mistèri,

Entre la formo e la malèri Erravon, au mitan d'un linde calabrun.

Dieu lis a vie fa mié -terrestre

£ femenin, coume pèr èstre

L'aroo vesiblo di campèstre, E pèr di proumiés orne amansi lou ferun.

Mai li Fadeto, bèu coume èron, Di iiéu dis orne s'aflamèron ;

E, li foulasso! au-liô d'enaura li mourtau Vers 11 celèstis esplanado, Di passioun nostro apassiounado, A nosto fousco destinado,

Coume d'aucèu pipa, toumbèron d'amoundauL

Dins la gorgo estrechano e rudo

De la caforno sournarudo, Li pourtaire pamens avien leissa Vincèn

Se dayala de resquiheto.

Em' eu, dins Tescuro draieto

S*avcnturè que Mireieto, Hecoumandanl son amo à Dieu, camin fasènt.

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MIREILLE, CHANT VI. f3l

Au milieu des vertes broussailles,

La terre entr'ouvre ses entrailles. Dans cet antre désert aux sombres profondeurs,

Depuis que des saintes rosées

Nos terres furent arrosées,

L'antique légion des Fées Du soleil pour jamais évite les splendeurs.

Êtres charmants ! pleins de mystère,

Entre la forme et la matière. Au-dessous des Esprits, au-dessus des humains.

Dieu les créa femmes et belles,

Aûn que les races mortelles

Pussent, en s'appuyant sur elles. Éviter les écueils semés sur leurs chemins.

Mais, hélas I aux ardeurs grossières

Elles cédèrent les premières; Et bien loin d*élever les hommes vers le ciel.

On les vit, reines détrônées

Et de la grâce abandonnées,

Vers nos communes destinées Redescendre en perdant le sceptre origineL

Dans la gorge étroite et pierreuse

De la caverne merveilleuse. Les porteurs essoufQés avaient laissé Vincent,

Qui se coulant et par glissade,

Une main sur son sein malade.

Battait cette pénible estrade ; Uireille le suivait d un pas timide et lent.

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232 MIRÊIO, GANT VI

Au founs d6u pous que li carrejo, Dins uno grando baumo frejo

Se devinèron ; e, souleto au bèu mitan^ E dius li souoge ennivoulido, Taven la masco, agroumoulido, Tenié 'no blesto de calido...

E tristo que-noun-sai tout en la regardant :

Paure peu d'erbo serviciable!

Li gènt te noumon blad-dôu-diable, Rcmiéutejavo, e sies un di signe de Dieu !

Alor Mirèio la saludo ;

Ë couine entameno, esmougudo,

L'estiganço de sa vengudo, La masco, sens leva la tèsto : Lou sabiéu!

£ pièi sa voues atremoulido

S'adreissè mai à la calido : Pauro flour de la tepo ! es ti fueio e ti gre

Que li troupèu tout Tan rousigon,

E, pecaire ! au mai te caucigon,

Au mai tis espigau espigon, Ë vestisses de verd tant Tuba que Fadré.—

Taven aqui faguè 'no pauso.

Dins un crevèu de cacalauso Un lumenoun cremavo, e fasié rougeja

La paret mouisso de la roco;

Sus la fourquello d*uno broco

Tavié 'no graio, e toco-à-toco Uno galino blanco, em' un crevéu penja.

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MIREILLE, CHANT VI. 233

Au fond du puits qui les amène

Vers le fantastique domaine» Ils arrivent enfin et rendent grâce à Dieu.

Taven de brumes entourée.

Tenant d'une main assurée,

Un brin de brome, herbe sacrée, De la première grotte occupait le milieu.

<^ Pauvre brin d'herbe secourable,

Les gens te nomment Blé du Diable, Disait-elle, ignorant tout le bien que tu fais!...

Alors Mireille la salue;

Et lorsqu'elle veut, tout émue,

Dire l'objet de sa venue, Taven l'interrompant lui dit : Je le savs^is*

Ensuite sa voix chevrotante,

S'adressant encore à la plante : Pauvre fleur du gazon, c'est toi que les traupeaux

S'en vont broutant toute l'année,

Mais plus leur dent s'est acharnée,

Plus la montagne est gazonnée, Et plus le sol verdit sous tes bourgeons nouveaux.

Ici, Taven fit une pause.

Une petite flamme rose. Du creux d'un escargot dont elle débordait.

En lueur douteuse s'épanche ;

Sur la fourchette d'une branche,

A côté d'une poule blanche, Perchait une corneille ; un crible au mur pendait

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234 MIRÈIO, GANT VI.

Qnau que fugues, digue la maseo Subitamen e coume nasco,

Eh! que m'enchau? la Fe camino de-plegoun,

La Garita porto li plego,

£ noun s'esiîarton de la rego...

Banastounié de Valabrego, Te sentes fe? Me sente'! Enrego moun regoun!

Adraiado coume uno loubo

Qu'emé sa co li flanc se zoubo, Pèr un trau desparèis la masco. Estabousi^

Lou Valabregan e Mirèio

Après van. Davans la vièio,

S'entendié dins Torro tubèio Youlastreja la graio, e la clusso clussi.

Davalas lèu, qu'es déjà Touro De se cencha de mandragouro!

E lèu, de-rebaloun, de-tirassoun, parèu Que Tun de l'autre noun se brando. Van à la Toues que li coumando. En uno baumo enca plus grando

Venié se relarga l'infernau gourgarèu.

Vaqui! Taven faguè signe... 0 plante santo de moun segne

Nostradamus! brout d'or, bastoun de Sant Jôusè,

E vergo masco de Mouïse !

Crido ; e de l'erbo que vous dise,

Cregnènlo, couronné li vise Emé soun capelet qu'à geinoun pause.

y Google

MIREILLE, CHANT VI. ^ 235

Qui que vous soyez, homme ou femme, Dit la sorcière qui s'enflamme,

Peu m'importe ! pourvu que vous ayez la foi ;

La foi qui, ferme et quoi qu'on dise,

Marche droit au but qu'elle vise ;

Vannier, réponds avec franchise, As-tu la foi? Je l'ai. C'est bien, alors, suis-moi !

Gomme une louve qui s'excite

Au moment de quitter son gite, Taven dinirautre obscur commence à s'enfpncer;

Vincent et Mireille derrière

La suivent ; devant la sorcière

On entendait joyeuse et ûère Voleter la corneille et la poule glousser.

Hâtez-vous, car il faut encore Geindre nos reins de mandragore !

Et rampant, se traînant, d'un mouvement égal,

Ges esclaves de la légende

Vont à la voix qui les commande.

Vers une grotte encor plus grande Allait s'élargissant le couloir infernal.

Voilà I... leur dit Taven d'un signe. Puis elle ajoute : 0 baume insigne !

Fleur d'or! Nostradamus! Bâton de saint Joseph!

Verge magique de Moïse ! . . .

Alors, à l'herbe qu'elle avise,

Graintive, elle enroule à sa guise Son chapelet, s'incline et disant de rechef,

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236 MIRÈIO, GANT YL

Pîèi s'aubourant : Es l'ouro, es Toiiro De se cencha de mandragouro ! De la plante ereissudo à rasclo dôu roucas Guei très jitello : n'en cûurouno Elûy lou drôle, la chatouno...

Avans toujour ! E s'enfourgouno Ardente mai que mai, dins li sourne traucas.

Emt de lume sus Tesquino Pèr enclarj Tescuresino, Un vôu d'escarava camino davan.

Jouvènt ! à tout camin de glôri Tasoun travès de purgatôri... An ! courage ! dôu Sabatôri

Anan aro, ai! ail ai! franqui lis espravant. -*-

N*avié panca barra la bouco,

Uno auro forte li remouco E copo Talen, subit : Amourren-nous!

Di Fouletoun veici lou trounfle !

Goume un croupas, de grelo gounfle,

Soute li croto passo à rounfle L'eissame vagabound, quilant, revoulunous.

Passon; e, de tressusour trempe, Li très mourtau sènton si tempe Ventoula, bacela de l'alo di Trevan,

Goume un glas pelado e jalèbro.

Anas pu liuen pica ténèbre, Taven cridè, bando menèbro !

Isso, mata-bladl isso! o garas-vous davani

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HtlbEiLÈE, GUANt VÏ. 234

Qu'avant d'entrer, il faut encore

Geindre ses reins de mandragore. Elle en cueille trois brins aux fentes du rocher,

D'un des trois elle s'environne,

Pose les autres en couronne

Au front du couple, et s'abandonne Aux sombres cavités dont on n'ose approcher.

Le dos chargé d'une lumière,

Dont la route obscure s'éclaire. Un troupeau d'escarbots cheminait devant eui.

Il n'est pas de si beau voyage

Que ne traverse un grain d'orage,

Dit Taven; allons, du courage! Les horreurs du Sabbat vont passer sous vos yeux.

Un vent froid soufiQant avec rage.

Soudain leur cingle le visage Et leur coupe le soufle. -- Enfants ! prosternons-nous !

Les Follets arrivent !.... et telle

Qu'on voit parfois tomber la grêle,

Tel, sous les cryptes, pêle-mêle, Vient l'essaim des Follets allant comme des fous.

Ils passent ; et leurs grandes ailes Fouettant l'air au loin autour d'elles.

Le trio voyageur sent fléchir ses genoux; Taven cria : Bandes funèbres. Allez là-bas dans les ténèbres Tordre à votre aise vos vertèbres ;

Allez, esprits malins, allez, ou rangez-vous!

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838 MIREIO, GANT VI

Oh! Il pudènt! lis esbroufaire!..* E dins lou bèn que poudén faire,

Dire pièi que nous faugue emplega talo gènti Car, 0, de même que lou mège Souvent tiro lou bon dôu pièje, Pèr la vertu di sourtilège

Fourçan, nautre, lou mau à coungreia lou bèn;

Gardian li masco. E noun i'a causo , Qu'à nosto visto reste clauso.

E mounte lou coumun vèi uno pèiro, un fouit, Uno malandro, uno coundorso, destrian, nautre, uno forço Que dins sa rusco se bidorso,

Goume souto la raco un vin nouvèu que boui...

Trauco la tino : la bevènto N'en gisclara touto bouiènto ;

Destousco, se tu pos, la clau de Salamounl Parlo à la pèiro dins sa lengo, £ la mountagno, à toun arengo, Davalara dins la valengo!...

£ sémpre descendien dins li cauno dou mouul.

Uno pichoto voues, malino Goume un quilet de cardelino»

Alor fai : Hoi! hoil la coumaire Tavea Viro lou tour ma tanto Jano, Viro lou tour, e pièi debano, La niue, lou jour, soun fiéu de lanot

E crèi (iela de lano, e fielo que de fen !

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MIAEILLE, CHANT YI. t39

Les Follets ! il n*est rien de pire ;

Oh! la vilaine engeance!... et dire Qu'il nous faut quelquefois les prendre pour soutien !

Car de même qu'un empirique.

Guérit souvent par un toxique,

Par une puissance magique, Nous, nous forçons le mal à produire le bien.

Car nous, nous sommes les sorcières.

Et rien n'échappe à nos lumières, Et dans ce qu'on croit être une torpille, un arc.

Un fouet, une pierre, une amorce,

Nous discernons, nous, une force

Qui bouillonne sous son écorce. Comme le vin nouveau bouillonne sous le maro...

Percez la cuve, et la cuvée

En jaillira tout achevée ; Découvre si tu peux la clef de Salomon^

Parle dans sa langue à la pierre.

Et la montagne, à ta prière.

Au vallon ira tout entière... Et leurs pas s'avançaient sous les grottes du mont

Une petite toix aiguë,

Comme un cri d'oiseau qui s'englue. Lui dit alors: Hoï! hoï! Nuit et jour y avec soin,

Elle filey ma tante Jeanne,

Et puis dévide en sa cabane ;

Mais, fatalité qui la damne! Croyant filer la laine elle file du foin.

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lié MIRÈIO, GAMt Vt.

E z6u! ma grand! "que lou tour vire !

Em* acô 'n Ter, vague de rire, Tout coume quand endiho un poutre desmama,

De-qu'es aquelo voues parlante Que quouro ris e quouro canto? Venguè Mirèio tremoulanto...

Uoi ! hoi! en répétant soun rire acoustuma,

Faguè la voues enfantoulido, Quau es aquelo tant poulido? Ail ! laisse, mourranchoun, qu'auboure toun fichu.. Laisso qu'auboure... Es d'avelano Que i'a dessouto, o de miôugrano? E la paureto bastidano :

Ai! ! anavo crida. Taven fai lèu : Chat!

Agues pas pôul acô 's un glâri

Bon que pèr faire de countràri ; Es aquéu fouligaud d'Esperit-Fantasti :

Quand dins si bono se devino,

Te vai escouba ta cousino,

Tripla lis iôu de ti galino, Ëmpura lou gavéu e vira toun roustit ;

Mai, que prengue un refoulèri,

Pos dire adieu I... Que treboulèri! Dins toun oulo, largo un quarteiroiin de sau ;

Ëmpacho que toun fiô s*alume ;

Te vas coucha? boufo toun lume;

Vos ana i vèspro à Sant-Trefume *? T'escound o te passis tis ajust dimenchau*

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MIREILLE, CHANT YI. i41

Çà, tourne le rouet, grand'mèret— *

Et puis sautillante, légère, De rire et de hennir comme un jeune poulain.

Quelle est cette voix chevrotante,

Qui tantôt rit et tantôt chante?

Demanda Mireille tremblante. ^ Hoï ! hoï ! dit en prenant son sourire malin

L'Esprit à la voix enfantine ;

Laisse-moi voir, gentiUe mine, Si, sous ton fichu blanc, tout est de bon aloi.

Et s'il y croit, pour tes conquêtes,

Des grenades ou des noisettes !

A ces paroles déshonnêtes Mireille allait crier ; Taven lui dit : Tais-toi,

C'est un lutin peu redoutable

Malin sans doute, mai^ bon diable, C'est TEsprit Fantastique, un vrai cerveau félë;

Lorsque la bonne humeur domine,

Il triplera ton agneline»

Mettra'^de l'ordre à ta cuisine, Cuira ton omelette ou ton petit salé;

Mais qu'il soit pris par un caprice.

Adieu, soudain, tout bon office! Il fourre à ta marmite un quarteron de sel ;

Il éteint ton feu qui s'allume ;

Il cache ou frippe ton costume ;

Tu vas à la messe, il t'enrhume, Te suit même à l'église et brouille le miasel

iG

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m- MIRÈIO, GANT VI.

Tèî tè!... vièi cro, giblo ti pounclio l L'ausès, la «arrello mau vouncbo ?

Lou levènti lèu-lèu respond, o, carcan, La niue, quand dormon li ciiatouno Tire plan-plan sa cubertouno ; Lis espinche, nuso e redouno,

E que, folo de pôu, s'amaton en pregant.

Yese si dos coucoureleto Que van e vènon, tremouleto ;

Vese... E TEsperitoun s'enanavo eilalin Emé soun rire... Sout li baumo, Li mascarié faguèron cbaurao ; E dins lis oumbro e la calaumo

Entendien dégoûta sus lou sôu cristalin,

Dégoûta Ion trespir di vôuto, E rên qu'acô, de vôuto en vôuto.

E veici, peravau dins la vasto negrour, Veici qu'uno grand formo blanco, Qu'èro assetado su 'no estanco, S*aubourè drecho, un bras sus Tanco.

Vincèn, coume un queiroun, aplanta de terrour :

E s*aqui même pousquèsse èstre

Un degoulôu, de Tescaufèstre Mirèio tout d'un vanc se trasié. - Que vos,

Taven cridè, long escamandre,

Pèr que ia tésto se balandre

Coume uno pibo?... Mi calandre, Faguè pièî au parèu qu'a la mort dins lis os:

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MIREILLE, CHANT VL 243

Tiens ! tiens ! vieux croc I rive tes pointes ! Oui, je reste peu les mains jointes,

Lui réplique aussitôt l'espiègle ; oui, maintes fois

La nuit, quand dort une fillette.

Je découvre un peu sa couchette,

Je vois sa jambe rondelette. Je vois sa main faisant de grands signes de croix ;

Je vois son sein qui se soulève

Sous l'influence d'un doux rêve. Je vois... A ce point-là, l'Esprit heureusement

Fit trêve à ses espiègleries.

Et sans autres agaceries

Finirent les sorcelleries... On n'entendait au loin que le bruissement

De l'eau qui filtre goutte à goutte

Par les fissures de la voûte. Mais voici que, là-bas, au bout de l'horizon

Sur le noir duquel elle tranche.

Se dessine une forme blanche.

Debout et la main sur la hanche. Vincent à cet aspect d'un horrible frisson

Sentit son ftme traversée. Et Mireille bouleversée Volontiers dans un puits eût caché sa frayeur.

Que veux-tu donc, grand escogriffe, Sous le nuage qui t'attife,

Comme une robe de pontife ? Dit Taven ; puis, parlant au couple voyageur :

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til MIRÊIO, CANT Yl

Coancissès pas la Bag^adiero?

Sus Mount-Venlour (qu'èi sa cadiero) Quand la reson, d'en bas, pèr un long nivo blanc

Li gènt la prenon; mai, o pastre,

Lèu! lèu! que voste avé s'encastre!

La Bugadiero de mal-astre Acampo à soun entour li niro barrulant;

E quand n'i'a proun pèr la bugado.

Sus lou mouloun, revertegado E 'mé furour, bacello e rebacello : à bro.

N'en tors la raisso emé la flamô,

E, sus la mar que mounto e bramo,

A la gàrdi de Nosto-Damo Li marin palinoos recoumandon sa pro !

E lou boulé de-vers Testable

Goucho... Un sagan espaventable tanco tourna-mai la paraulo entre dent :

E de miaula de cato-miaulo,

E de brandamen de cadaulo,

E de piéu-piéu, e de paraulo A mita dicho, e 'n quau lou diable soûl entend.

Gin! gin! poun^pouni... Quau es que pico

Sus de peirolo fantastico?... C d*es(ras, e de rire, emé d'esquichamen

Goume de femo abasimado

Dins lou moumen de si ramado;

Pièi de badai, pièi de bramado» E s6u! lou roumadan e li gingoulamen!

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MIREILLE, CHANT YL 945

Gonnaissez-TOiis la Lavandière,

Que Ton voit errer d'ordinaire, Aux cimes du Ventoui*? d'en bas, sur ces hauteurs,

Les bonnes femmes du village

La prennent pour un grand nuage;

Quand elle vient, gare à l'orage Qui porte l'épouvante et sème les malheurs !

Elle convoque les nuées.

Et de leurs masses remuées Elle exprime à la fois l'eau, le vent et le feu ;

Et^ si terrible est la tourmente

Que, sur la vague blanchissante.

Le nautonier pliant sa tente S'enfonce dans sa barque et s'abandonne à Dieu.

Et le bouvier devers i'étable

Chasse... Un tumulte épouvantable Arrête de nouveau sa parole entre dents ;

Miaulements de chattemites.

Choc de chenets et de marmites.

Colères des âmes maudites. Jurons interrompus, blasphèmes, cris stridents.

Sons de cymbales, coups de triques

Sur des chaudières fantastiques; Uanse macabre en branle, en avant, au rebours.

Bruit de feiTailles remuées.

Voix de femmes exténuées,

Longs bâillements, larges huées, Sabbat, qu'à l'enfer mèiûe on n'entend pas toujours!

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ÎM MIRÈIO, GANT VI.

Pourgès la man, que vous arrape ! E dounas siuen que noun s'escape

f.a courouno de masc que vous cencho lou front ! Ë dins si cambo aqui s'encoufo Goume uno pourcado qu'esbroufo : Un quilo, un japo, un reno, un boufo.

SSouto un lançôu de nèu quand la Naturo drom.

Pèr uno niue ventouso e claro,

Quand li cassàire de fanfaro Espôusson li roumias tout -de-long di valat,

Ansin passeroun e machoto,

Destrassouna dins sa liechoto

E 'spavourdi, parlon à floto, E 'mé 'n brut d'auriflant s'embourson au fielat.

Mai alor Tescounjurarello :

I, mau-vivènti sautarello ! Ârrif... malavalisoo à vàutril... passas-tne!

E coussaiant la chourmo impure Emé soun drai, dins la sournuro Trasié de ciéude, de figure. De raio Inminouso e couleur de vermé.

Entraucas-vous dins vôsti borno, 0 maufatan!... quau vous destorno?

I dardaioun de (iô que pougnon vôsti car, Sentè.s dounc pas que sus TAupifao Lou soulèu rous encaro briho? Pendoulas-vous i roucassihof

Pèrli rato-penado es encaro tiop clar...

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MIREILLE, CHANT VI. 247

Mettez une main dans la mienne. Et qu*à vos fronts l'autre maintienne

Le magique rameau d'où dépend votre sort,

Dit Taven ; et vers eux se rue,

Une troupe immonde, incongrue,

Qui blesse et Touîe et la vue. Ainsi, sous les frimas quand la nature dort,

La nuit, par un ciel sans brouée,

Quand le chasseur à la fouée Bat les buissons neigeux qui bordent les ruisseaux;

Des oisillons la bande ailée.

Dans ses nids de mousse éveillée,

A grand bruit, à toute volée, S'engouffre dans les rets tendus le long des eaux.

Mais aussitôt la charmeresse :

Fuyez ma verge vengeresse, Femmes de triste vie!... arriére I... je le veux...

Et toutes ces hordes impures,

A travers les grottes obscures.

S'enfuyaient devant les 6gures

Que son crible traçait en rayons lumineux.

Glapissez-vous dans vos cavernes. Vous qu'on ne voit qu'aux heures ternes !

Aux aiguillons de feu qui piquent votre chair.

Ne sentez-vous pas qu'à la terre

Le jour verse encor sa lumière î

Ne passez pas votre frontière! Pour les chauves-souris il fait encor trop clair...

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848 MIRÊIO, GANT VI.

E de tout caire patusclavon,

E li brut pau-à-pau moulavou. -* Fau vous dire, au parèu digue Taven alor,

Que di Trevan eiçô 's la cauno,

Tant que, sus lis estoublo jauno,

Lou jour laisso toumba sa mauno ; liai uno fes que Toumbro estènd soun drap de mort ,

Eiça quand la Vièio ^ encagnado Mando à Febrié sa reguignado,

Uins li glèiso deserto e clavado à très tour, Anessias pas, femo tardiero, Lou front pendent su 'no cadiero, Resta 'ndourmido!... A la sourniero,

Pourrias vèire li bard s'eigreja tout autour;

E s'atuba li lumenàri,

E, courdura dins lou susàri, Li mort, un aro, uu pièi, s*ana mètre à geinoun;

Un capelan, pale coume éli,

Dire la Messo e l'Evangéli;

E li campano d'esperéli A brand, ploura de clar emé de long plagnoua !

Parlas, parlas-n'en i béulôli :

Dins li glèiso, pèr béureTôli Di lampo, quand, l'ivèr, davalon di clôuquié»

Demandas-ié se vous mentisse,

E se lou clerc que sèr Tôufice,

Que met lou vin dins lou calice, N*es pas soulet d'en vido à la ceremounié!

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MIREIILË, CHANT VL. U9

Et cette verte remontrance

Rétablit l'ordre et le silence. Sachez donc, dit Taven au couple épouvanté,

Qu'aussi longtemps que la jachère

Des rayons du soleil s'éclaire,

Les fantômes font leur repaire Des lieux dont devant vous s'ouvre l'immensité;

Mais dès que Février fait place

Au mois orageux qui le chasse, Dans les temples déserts fermés à triple tour.

N'allez pas, femmes, trop à Taise

Vous endormir sur votre chaise...

Vous pourriez, ne vous en déplaise, Voir s'ouvrir lentement les tombeaux d'alentour.

Et s'allumer les luminaires.

Et cousus dans leurs blancs suaires, Les morts s'agenouiller sur leurs bancs respectifs ;

Le grand-prêtre de ce concile

Dire la Messe et l'Evangile,

La cloche devenir mobile D'elle-même, H dans l'air pleurer des glas plaintifs.

Parlez-en plutôt à l'effraie

Dont, la nuit, l'église s'effraye Quand, pourboire à la lampe, elle entre avec le vent.

Elle vous dira, sans malice,

Si le clerc qui sert à l'ofQce,

Et qui met le vin au calice, Au milieu de ces morts n'est pas le seul vivant.

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J

I 250 MIRËIO, GANT VI.

Eiça quand la Vièio encagnado, "

Mando à Febrié sa reguignado, Pastre, se noua voulès, espelonfi de pôu,

Resta sèt an, li cambo redo,

Enclaus aqui 'mé vôsti fedo,

Rintras pulèu dins vôsti cledo, Pastre ! lou Trau di Fado a bandi tout soun vôul

E dins la Grau, de quatre cambo ^

0 de voulado, se rambo Tout ço qu'a fa lou pache; e pèr li draiôu tort,

Li Matagoun de Varigoulo ^

E li Masc de Fanforigoulo*

Van veni dins li ferigoulo. En farandonlejant, béure à la tasso d'or.

Vés! coume dansou li garngo ^! ^

En fernissènt de rembourigo, Déjà la Garaumaudo espère lou Gripet...

Hui! la panturlo endemouniado!

Gripet, morde la carougnado

E *stripo-Ia de grafignado... Desparèisson... Vés mai que fan orre e tripet!

Aquelo, eîlavau, que patusclo

Terro-bouiroun dins li lachusclo, Goume un laire de niue que fuge en s'amourraut,

Es la Bambafoucho mourrudo !

Entre sis arpo loungarudo

E sus sa tèsto banarudo Emporte d'enfantoun, ténti nus e plourant...

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MIREILLE, CHANT YI. 251

Et lorsque Février fait place

Au mois orageux qui le chasse. Si TOUS ne voulez pas vous voir clouer au sol^

Avec vos bétes désolées,

Et pour sept ans ensorcelées.

Rentrez moins tard... Le Irou des Fées Au royaume du jour a lâché tout son vol!

Et là-bas, dans la Grau stérile.

Pendant qu'arrivent à la file Tous ceux que leur sermeot engage, on voit encor

De tous côtés, venir en foule

Les magiciens de Varigoule,

Les sorciers de Fanfarigoule, Et, faisant le rondeau, boire à la coupe d'or.

Voyez les Garrigues qui dansent!

Avant que leurs ébats commencent Voyez la Garamaude attendant le Gripet !

Arrière, Guénippe endiablée !

Toi, de ta dent bien affilée

Gripet, mors cette échevelée ! Ils parlent... et plus loin se prennent au toupet!

Dans le fond, celle qui s'esquive

Vers les broussailles de la rive. Gomme un voleur de nuit qui fuit en se baissant,

C'est la sauvage Bambarouche,

Qui^ suivant son instinct farouche,

Emporte et serre dans sa bouche Les enfants dérobés à leur mère en naissant.

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2551 MIRÈIO, GANT VI

Eila, vesès la Ghaucho-Vièio?

Pèr Ion canoun di chaminèio, Davalo d'à cachoun sus Testouma relent

De Tendourmi que se revèsso ;

Hudo, se i'agrouvo ; Tôuprèsso

Goume uno tourre, e i'entraTèsso De sounge que fan afre e de pantai doulènt.

Ausés desgounfouna li porto?

Lis Escarinche soun pèr orto, Pèr orto lou Marmau, lou Barban... Dins Termas,

Fan nèblo; enjusquo di Geveno,

Emé si ventre d'alabreno,

Li Dra s'acampon à dougeno, E 'n passant, pataflôu ! destéuiisson li mas.

Que tarabastl... 0 Luno, o Luno,

Que mau-passage t'encantuno, Pèr daT^la, tant roujo e largo, sps li Bau?...

Aviso-te d6u çhin que japo,

0 Luno folo ! Se t*arrapo,

T'engoulara coume une papo, Car lou chin que t'aluco es lou Ghin de Cambaut

Mai quau ansin brando lis éuse?...

Ai I soun troussa coume de féuse ; E di iiô de Sant^Èume, à saut, à vertouioun,

Boumbis la flamado gancherlo ;

E d'estrepado, e 'n brut d'esquerlo

Eslrementis la Grau eslerlo.,. Lou galop enrabia déu Baroun Gastiboum!

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MIREILLE, CHANT YI. !fô8

Voici le Cauchemar terrible,

Qui la nuit descend invisible Sur le sein agité du malade qui dort,

L*enivre d'une fausse ivresse,

Sous sa lourde masse l'oppresse

L'étouffé et lui glisse sans cesse Des spectres effrayants et des rêves de mort.

Qui donc souléVe cette porte?

C'est TEscarinche qui l'emporte ; En groupes vaporeux le Marmal, le Barban

Prennent leurs ébats ; des Cévennes,

Avec leurs hideuses bedaines.

Les Dracs accourent par douzaines. Dévalisant les toits qui craquent en tombant

Quels aboiements I 0 Lune, ô Lune,

Quel est l'astre qui t'importune Pour dévier ainsi de ton chemin normal t

Prends garde, si le chien aboie.

Ce n'est ni de peur ni de joie ;

Tu pourrais devenir sa proie. Car le chien qui te guette est le chien du Cambal I

Mais qui branle ainsi les yeuses t..

Sous leurs formes capricieuses Les feux Saiiit-Elme au loin, de sillon en sillon.

Fout leur agile pirouette ;

J'entends le bruit d'une clochette

Retentir dans la Grau muette ! Le galop enragé du baron Castillon.,. -^

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J

] 254 MIRÈIO, GANT ?U

Rauco, desalenado, estenco,

S'éro arrestado la Baosseoco. Mai subran : Tapas- vous, faguè, 'mé lou faudau, i

Tapas Tauribo e li parpello,

Que l'Âgnèu Nègre nous apello!

Quau?... aquel agneloun que bèlo? Digue Vincèo. Mai elo : Âuribo soiirdo, e d'auti

Malur, eici, pér quau trebuco !

Mai que lou pas de la Sambuco ^^ Dangeirous èi lou pas dôu nègre Banaru.

Goume aro venès de l'entendre,

A 'n teta-dous, un bêla tendre

Que TOUS atiron à descendre. I Grestian imprudent que se viron au brut, .

Fai lusi Tempèri d'Erode,

L'or de Judas, e dis lou rode Mounte la Gabro d'or fugue di Sarrasin

Aclapado. Fin que degolon,

Môuson la Gabro tant que Tolon ;

Mai à Tangôni quand rangolon, Fagon pièi demanda lou sacramen divin!

li'anouge nègre resposto

Em' uno rousto sus li costo. E pamens, e pamens, i tèms que sian. mau tèms

Escoussura de toute déco,

Quant n'i'a d'amo alucrido e seco.

Ai I las! que mordon à sa leco E qu'à la Gabro d'or fan tuba soun encens !

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MIREILLE, CHANT VI. âC

Haletante et tirant la langue,

Taven avait clos sa harangue; liais reprenant soudain : Du voile couvrez-vous,

Et fermez Toreille, dit-elle ;

C'est l'Agneau Noir qui nous appelle.

Qui donc? cet agnelet qui bêle? Dit Vincent. Oui, dit-elle, alerte! et gare à nous !

Malheur souvent à qui s'engage

Dans ce redoutable passage ! C'est le pas périlleux, le pas de l'Agneau Noir,

Comme vous venez de l'entendre,

Son accent doucereux et tendre

Vers lui vous engage à vous3*endre... Aux Chrétiens imprudents qui restent pour le voir,

11 conte l'histoire d'Hérode

Celle de Judas, l'épisode D'une Chèvre enfouie au temps des Sarrasins;

Chèvre d'or, que toute leur vie

Us pourront traire à faire envie ;

Mais à l'heure de l'agonie Qu'ils veuillent s'abreuver aux sacrements divins !

Sourd à leurs vœux, l'Agneau maussade

Leur répjnd par une ruade. Et pourtant, triste aveu! que d'hommes florissants

Qui n'obtinrent un sort propice

Qu'en s'enr^lant dans sa milice,

Et qui, gangrenés par le vice. Devant la Chèvre d'or font fumer leur encens!

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S56 MIR&IO, GANT VI.

Aqui lou cant de la galmo

Très cop fende la nevoulioo. «* Dins la tregenco baumo, à la perfin, enfant,

Sian arriba! digue vièio.

Lou panieraire emé Nirèio,

Souto uno grando chaminèio, Veguèron sèt cat oegre, au fougau se caufant.

Veguèron, entre H sèt mascle»

Uno oulo de ferre au cremascle ; Veguèron dous coulobre en formo de tisoun,

Que racavon à plen de goulo

Dos flamo bluio au quiéu de l'oulo.

Pèr cousina voslo bourroulo, Vous serves d'aquéubos, ma grand? 0»moun garçounl

Brulo, acô, miéus que gens de busco :

Es de souquihoun de lambrusco. Mai, en cabessejant, Yincèn : De souquiboun,

De souquihoun, lou voulès dire..*

Mai fasen lèu, qu'es pas de rire.

Uno grand taulo de pourfire, Au centre, espandissié soun large Tirouioiiu.

A proucessioun e blanquinello,

Milo coulouno, clarinello Coume li jaleiroun que pènjon di cubu, î,

D'aqui parton, pèr ana courre

Souto li racine di roure

E la foundamento di moure ; Inmènsi galarié que li Fado an dubt^rt,

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MIREILLE, GUâNT VI. 257

Mais tout à coup la poule chante :

C'était Tannonce triomphante Qu'à la treizième grotte on arrivait enfin.

Dès lors, la course est terminée ;

Taven à Mireille étonnée

Montre sous une cheminée Sept chats noirs se chauffant avec un air malin.

D'une crémaillère insolite

Pendait une énorme marmite; Deux grands dragons ailés en forme de tison

Vomissaient par chaque narine

Un jet de flamme purpurine.

C'est pour faire votre cuisine Que vous avez ce bois, grand'mère? Oui, mon garçon;

C'est un bois de valeur insigne

Choisi parmi des ceps de vigne. Des ceps ! reprit Vincent ; vous plaisantez toujours,

Grand'mère, et pourtant j'ose dire

Que c'est peu le moment de rire.

Une grande table en porphyre Au centre de la grotte étalait ses contours.

Pompeusement, quatre par quatre.

De grandes colonnes d'albâtre, Semblables aux glaçons qui pendent à nos toits,

Donnent accès aux galeries

Ouvertes du temps des Féeries»

Et sur leurs piles arrondies Soutiennent les rochers que couronnent les bois.

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iné ' MIRÈIO, GANT VI.

Popgiî majesluous, qu'amago

Uno lusour neblouso e vago ; Meravihous emboui de temple, de palais.

De peristil, de laberinto,

Goume n'en taièron ansinto

Ni Babijouno ni Gourintû, E qu'un alen de Fado esvalis, quand plais.

Âqui li Fado Tafaiejon : Goume de rai que trantaiejon,

Emé li chivalié iqu'enfadèron antan Gountùnion la vido amourouso^ Dins lis andano souloumbrouso D'aquelo tranquilo chartrouso..*

'lilai chut! pas i parèu dins Toumbro s'acatant!

L'encantarello, déjà lèstô, Quouro dreissavo sus la tèsto,

Quouro de-vers lou sou beissavo si bras nus. Sus la grand taulo de pourfîre, Goume Laurèns lou sant martire, Èro coucha sènso rèn dire

Yincèn lou panieraire, emé sa plago au bust.

Ferouno, creissegudo en taio Pèr l'esperit que la travaio

E d'un vent proufeti gounflo lou galet, Ta\en, dins l'oulo que revouiro A grossis oundo boulidouiro, Planto subran Tescumadouiro.

A soun entour li cat fasien lou rondelet

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MIREILLE, CHANT VI. 250

Porches majestueux qu'éclaire

Une vague et pâle lumière. Ensemble menreilleux de temples, de palais» . Vaste et majestueuse enceinte,

Qu'aux jours de leur grandeur éteinte, .

Ni Babylone, ni Corinthe, Aux yeux du monde ancien ne montrèrent jamais.

C'est le domaine des Fées;

Là, que toujours bien attifées, Avec les chevaliers, leurs anciens amoureux,

On les voit reprendre leur vie

D'amour et de mélancolie...

Mais chut! voilà qu'on s'apparie...! Paix aux couples errants dans les sentiers ombreux !

Et déjà prête, la sorcière.

Tantôt levait sa tête altière Et tantôt vers le sol abaissait ses deux mains;

Et sur la table de porphyre.

Comme Laurent pour son martyre,

Vincent étendu, sans mot dire , Attendait bravement les secours surhumains.

Sous le souffle qui la travaille,

Taven avait grandi de taille ; La flamme du génie illuminait son front ;

Et pendant qu'elle précipite

L'écumoire dans la marmite.

Les chats faisant la chattemite, Les sept chats autour d'elle étaient rangés en rond.

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260 MIRÈIO, GANT VI.

Venerablo, emé la menèstro,

La masco, de la man senèstro Esbouiènto à Yincèn soun pitre descata;

£, lis iue fisse, n'escounjuro

La doulourouso pougneduro

Ea remoumiant à voues escuro : Cristèi nat Crist èi morti Crist M ressuscita!

Cristressuscitaraf.,. Mestresso

Goume i fourèst la grand tigresso Qu'alongo, après la casso, un cop d'arpo au flanc rous

De sa tremoulanto vitimo.

Sus la frucbaio que trelimo

Ânsin la masco alor emprimo Très fes emé Tartèu lou signe de la crous.

E de sa bouco, à touto zurto,

La paraulo desboundo, e turto 1 pourtau ttivoulous de Tendevenidou :

0, ressuscitara ! Lou crese !

De la colo entre li roumese

E li frejau, alin lou vese Que mounto, emé soun front que sauno à gros degout !

£ dins li roumio e dins li clapo Mounto soulet; sa crous Taclapo...

Mounte èi, pèr Teissuga, Yerounico?... Mounte es Âquéu brave orne de Gireno, Pèr Tauboura, se 'n-cop s'arreno ? Emé soun peu que se destreno,

Si Mario plagnènto ounte soun?... Fa pas resl

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:iIRËILLE, GHâNT VI. 261

Puis de la liqueur qu'elle en tire

Avec un solennel sourire, Elle échaude le sein de Vincent agité ;

Et Tœil fixe, d'une main sûre,

Elle charme enfin la blessure.

Pendant que sa bouche murmure : Christ est net Christ est mort! Christ est ressuscité!

Christ ressuscitera h,, La vieille,

Triomphante, montre à Mireille L'œuvre accomplie, et comme un tigre au fond des bois.

Après la chasse qui l'anime,

Met sa griffe sur sa victime.

Sur Vincent, la sorcière imprime Trois fois avec l'orteil le signe de la croix.

Soudain sa face s'illumine

Et sa parole sibylline. Sondant les profondeurs de l'obscur avenir .'

Christ ressuscitera, j'en jure.

Enfants, par sa double nature.

Je le vois pendant qu'il endure Plus de maux qu'un mortel n'en puisse soutenir!

Il monte, il monte son Calvaire,

Le sang coule de sa paupière... donc est Véronique afin de l'essuyer?

Sous sa croix, il marche avec peine,

donc est Simon de Cyrène ?

donc est Marthe ou Madeleine. Pour suivre la victime et pour s'apitoyer?

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252 MIRËIO, GANT YI.

E dins Toumbrun e la terriho,

Avau, richesso emai pauriho Lou regardon que rnounto, e dison : Mounte vai

Ëiné sa fusto sus l'espalo,

Aquéu, amount, que sèmpre escalo?

Sang de Gain, amo carnalo, Dôu pourtair^ de Grous n'an de pieta, pas mai

Que se vesien dins lou campèstre Un chin aqueira pèr soun mèslre !...

Ah I raço de Jusiôu, que mordes en furour La man que t'abaris, e, (orso, Lipes aquelo que t'endorso, Dins la mesoulo de toun orso

(Lou vos ?) davalaran li frejoulun d'ourroup I

E ço qu'es pèiro vendra pôusso...

E de Tespigo e de la dôusso Vai esfraia ta fam lou mascarun amar...

Oh I que de lanço ! oh ! que de sabre !

Sus quénli molo de cadabre

Vese boumbi Taigo di vabre!... Pacefico tis erso, o tempestouso mar!...

Ai ! de Pèire la barco antico

Is àspri roco mounte pico S'èi esclapado!... Oi-ve ! lou mèstre pescadou

A dôumtna l'oundo rebelle ;

Dins uno barco novo e bello

Gagno lou Rose, e reboumbeilo Emé la crousde Dieu plantado au trepadou!

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MIHKILLË, GHÂIST VI. 2

11 suit sa marche douloureuse ;

Et THumanité dédaigaeuse Le regardant monter se dit : Mais va-t-il

Avec sa poutre qui Taccable,

Ce novateur infatigable?

Sang de Gaïn ! race coupable ! Us ne plaignent pas plus ce porte-croix viril

Que s'ils voyaient, sans le connaître,

Un chien lapidé par son maître. Tourbe semblable aux juifs et plus coupable qu'eux I

Tu vois le jour et tu Téviles,

L'ombre est là, tu t'y précipites,

Le sang divin perd ses mérites ; L'iniquité triomphe... Ah! puisque tu le veux,

Ton blé séchera, peuple indigne !

Le ver dévorera ta vigne ; Pour ta soif et ta faim tu seras soucieux...

Mais d'où viennent ces cris d'alarmes?

Contre qui fôurbit-on ces armes?

Oh ! que de sang ! Oh ! que de larmes ! Tempétueuse mer, calme tes Ilots houleux !

La barque de Pierre chavire !

Sur la roche qui la déchire. Elle vole en éclats ., mais le maître patron

A dominé le flot rebelle.

Et dans une barque plus belle,

Il gagne le Rhône et l'y scelle Avec la croix de Dieu plantée à son timon»

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864 MIRÈIO, GANT VI.

0 divin arc-de-sedo I inmènso, Eterno e sublimo clemènço!

Vese uno terro novo, un soûl eu que fai gau» D'oulivarello en farandoulo Davans la frucho que pendoulo, E sus li garbo de paumoulo ^^

Li meissounié jasent que teton lou barrau.

E, desnebla pèr tant d'eisèmple, Dieu es adoura dins soun lèmple... E la masco di Baus, acô di, 'mé lou det

1 dous enfant mostro uno draio Qu'un fîéu de jour au bout raîo, Menu, menu... Parton en aio,

E la gaugno aferado, e courbant lou coutet.

De soulo terro, au Trau de Cordo *> Lou bèu parèu enfin abordo;

Remounton au soulèu... Acatant lou roucas Emé si rouino e soun vieiounge, MountMajour, Tabadié di mounge» Taparèis coume dins un sounge.

Se fan uno brassado, e gagnon lou jouncas.

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MIREILLE, CHANT Vl. t(&

Bel arc-en-ciel I Lueur immense I

Éternelle et douce clémence ! L'âge d'or rajeuni revient de son exil,

Les prés s'émaillent sous leurs herbes.

L'olivier a des fruits superbes.

Et je vois sur de grandes gerbes Les moissonneurs gisants qui tètent le baril ;

Et révélé par tant d'exemples,

Le Christ est béni dans ses temples. Et cela dit, du doigt la sorcière des Baux

Montre aux deux enfants une voie,

Qui, sombre, étroite, se déploie

Vers la lumière ; et non sans joie. Ils partent en pliant les genoux et le dos.

Par souterrains au Trou de Corde

Enfin le jeune couple aborde. En voyant le soleil qui dore l'horizon,

Mont-Majour dont le toit s'affaisse

Sous le poids lourd de la vieillesse,

Saisis d'une soudaine ivresse Ils s'embrassent l'un l'autre et gagnent la maison!

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NOTES DU CHANT SIXIÈME

1. Saint-Martin, Maussano (Saint-Martin, Maussane), vil- lages de la Grau. {Tramountano) Tramontane vent du nord- est.

2. La Touloubre, petite rivière qui se jette dans Tétang de Berre, après avoir traversé le territoire de Salon, patrie dn poète Gt oussiliat.

Lasirolo souloumbrous, (Nbstradamus, le sombre astrologue Michel de Nostre-Dame, ou Nostradamus, à Saint-Kemy en 1503, mort à Salon en 1565, exerça la médecine avec un grand succès sous les derniers Valois. 11 s'adonna aussi aux mathématiques et à l'astrologie, et publia en 1557, sous le nom de Centuries ^ les fameuses prophéties qui ont rendu son nom si populaire. Gharles IX le nomma son médecin en titre et le combla d'honneurs.

3. Agrioutat (agriotat), liqueur composée d'eau-de-vie et de sucre, et dans laquelle on fait macérer des cerises courte* queue.

4. Trau di Fado (trou des Fées). Nous aimons à citer notre ami Jules Ganonge, parce qu'il a décrit avec bonheur la plu- part des lieux chantés dans ce poème.

« Au fond d'une gorge bien nommée Enfery je suis des- cendu dans la grotte des Fées; mais, au lieu des gracieux fantômes dont mon imagination l'avait peuplée, je n'y ai trouvé que voûtes sous lesquelles il faut ramper, bloc.« en- tassés, chauves-souris et profondeurs ténébreuses. Je viens de dire que cette gorge était bien nommée Enfer ; nulle part,

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NOTES DU CHANT VI. âÔ7

en effet, je n*ai tu de roches aussi étrangement tourmentées ; elles se dressent, se creusent, se prolongent sur le vide en gigantesques entablements, jardins aériens qui soutiennent des végétations échevelées ; elles s'ouvrent en défilés comme ce bloc des Pyrénées fendu par le glaive de Rolland. (His* toire de la ville des Baux. Avignon, Aubanel frères.)

En comparant la description de l'Enfer de Dante à ce paysage bouleversé, cyclopéen, fantastique, on devient con- vaincu d'une chose : c'est que le grand poète florentin, qui voyagea dans nos contrées et séjourna même à Arles, a visité la ville des Baux, s'est assis sur les escarpements du valoun dlnfèr, et, frappé de cette désolation grandiose, a conçu, au milieu de ce cataclysme de pierres, la configuration et le sombre caractère de son Infemo. Tout ramène à celte idée, et le nom de la gorge elle-même, Infèry et sa forme amphi- thé.^trale, qui est donnée par Dante à l'Enfer, et les grandes roches détachées qui en forment les gradins,

in ta l'estremilà d'un' alta ripa

Gbe facevan gran piètre rotte in cerchio,

et le nom provençal de ces escarpements eux-mêmes, bauSt italianisé par le poète, baho, et donné par lui aux escarpe- ments de son lugubre entonnoir.

5. Sanl'Trefume (Saint-Trophime), cathédrale d'Arles, bâtie au septième siècle par l'archevêque saint Virgile. Fré- déric Barberousse y fut sacré empereur en 1178.

6. « Vers le temps la Vieille irritée— lance à Février sa ruade.

Eica quand la Vièio encagnado llando à Febrié sa reguignado.

Les paysans du Midi ont remarqué que les trois derniers jours de février et les trois premiers de mars amènent pres- que toujours une recrudescence de froid, et voici comme leur imagination poétique explique cela :

Une vieille gardait une fois ses brebis. C'était à la fin du mois de février, qui, cette année-là, n'avait pas été rigou-

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268 NOTES DU CHANT VL

reux. La Vieille, se croyant échappée à Thiver, se permit de narguer Février de la manière suivante :

Adieu, Febriël 'Më U febrerado M'as fa ni peu ni pelado 1

c Adieu, Février 1 Avec U gelée Ta ne m'as fait ni peau ni pelée 1 »

La raillerie de la Vieille courrouce Février, qui va trouver Mars : « Mars! rends-moi un service! Deux, 8*il le faut! répond Tobligeant voisin. « Prète-moi trois jours, et trois que j*en ai, je lui ferai peaux et pelées ! »

Presto-me lèu très jour, e très que n'ai, Peu e pelado farai I

Aussitôt se leva un temps affreux, le verglas tua Therbe des champs, toutes les brebis de la Vieille moururent, et la Vieille, disent les paysans, regimbait, reguignavo. Depuis lors, cette période tempétueuse porte le nom de Reguignado de la Vièio, ruade de la Vieille. (Voyez la note 8 du chant VII*.)

7. VarigoulOt Baumo de VaiHgoulo (Varigoule, grotte de Varigoule), profonde caverne du Lubéron, du côté de Murs (Vaucluse).

8. Fanfarigoulo (Fanfarigoule), vallée de la Grau, du côté d*Istre (Bouches-du-Rhône),

9. Garrigo (Garrigues). (Voyez chant I*, note 15.)

10. Lou pas de la Sambuco (le pas de la Sambuque), défilé redouté des voyageurs, dans les montagnes de la Sambuque, 4 l'orient d'Aix.

11. Paumoulo (paumelle), orge à deux rangs (hordeum distichum, Lin.).

12. Cordo (Corde), t A Torient d*Arles s'élèvent deux col- lines qui, primitivement, n'en durent former qu'une, mais qu'un marais sépare aujourd hui. Dans le sommet nu, rocail- leux et plat de la moins haute, les Geltes pratiquèrent jadis

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NOTES DU CHANT VI. t69

en forme .de glaive une excavation couverte de blocs gigan- tesques. Les Sarrasins campèrent, dit-on, sur cette colline; en souvenir de Gordoue, ils lui donnèrent le nom de Corde, qu'elle porte encore aujourd'hui. Des traditions merveilleuses l'animent et la poétisent : c'est la Couleuvre-fée, Mélusine ^ovençale ; c'est surtout la Chèvre-d'Or qui fait trouver le? trésors cachés, mais rend incurablement tristes, au sein d( leurs richesses, ceux qui ne les méritent pas.

« L'autre colline, plus grande, porte le nom presqqe ro- main de Mont-Majour. (Jules Canonge, lUustrationi 29 mai 1852.)

Sur cette colline sont les ruines gigantesques de la célèbre abbaye de Mont-Majour. Quant à la grotte de Corde, elle porte aussi le nom de Trau-di-Fado, comme la grotte des Baux; et, d'après la croyance populaire, ces deux excavations com- muniquent entre elle9«

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CANT SETEN

LI VIÈI

Lon viëi panieraire emë soun ûéu, asseta darans lou lindaa de sa bdri, trenon uno canestello. Lou ribeirés d6u Rose. Vincèu dis k soun paire d'ana demanda Mirèio en mariage. Refus e remoustranço d6u vièi Vinceneto, sorre de Vincèn, pèr ajuda soun traire à touca Mèste Ambroi, conto l'istdri de Sivèstrc emë d'Alis. Parlènço de Mèste Ambroi pèr lou Mas di Falabrego. L'arribado e lou gousta di meissounië. Mèste Ramoun. Lou labour. Rccit d'Ambrùsi, responso de Hamoun. La taulo de Calèndo. Mirèio declaro soun amour pèr lou fiéu dôu panieraire. Amaliciado, cmprecacioun e refus di parent. Endignacioun de Mèste Ambroi. Napouleon eli grandi guerro. Encagnamcn de Mèste Ramoun. Lou soudard labouraire. Farandoulo di meissounië à Tentourdôu fiA de Sant Jan.

Vous dise, paire, e vous redise

Que n'en siéu fôu!... Cresès que riseî En tissant Mèste Ambroi emé d'iue treboula

Fasié Vincèn à soun vièi paire.

Lou mistrau, pondérons courbaire

Dis àuti pibo dôu terraire, A la voues dôu jouvènt apoundié soun ourla.

Davans soun cabanoun dôu Rose,

Large coume un crevèu de nose, Lou vièi, sus un to d*aubre« èro asseta au calaac,

E desruscavo de redorto ;

Lou jouine, agrouva sus la porto,

Entre si man adrecho e forto PIcgavo en canestello aquéli vergan blanc.

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CHANT SEPTIÈME

LES VIEILLARDS

Lo vieux vannier et son ûls. assis devant le seuil de leur cabane tressent une corbeille. Paysage des bords du Rhône. Vincent engage son père h aller demander la main de Mireille. Refus et remontrance du vieillard. Vincenette, sœur de Vincent, se joint à son frère pour fléchir Maître Amhroise, et raconte l'histoire de Sylvestre et d'Alix. Départ de Maître Ambroise pour le Mas des Micocoules. L'arrivée et le repas des moissonneurs. Maître Ramon. labour. Récit d'Ambroise, réponse de Ramon. La table de Noël. Mireille avoue son amour pour le ûls du vannier. Courroux, imprécations et refus des parents. Indi- gnation de Maître Ambroise. Napoléon et les grandes guerres* Emportement de* maître Ramon. Le soldat laboureur. Farandole des moissonneurs autour du feu de la Saint-Jean.

Je dis, père, et je dis encore Que j*eii suis fou, que je Tadore.

A son vieux père Ambroise ainsi parlait Vincent, Les yeux fixés sur son visage ; Pendant qu'un vrai mistral sauvage, Courbant les arbres du rivage,

Opposait à sa voix son souffle étourdissant.

Devant sa hutte à peine grande Gomme une coquille d'amande,

A Tabri, sur un tronc, le pauvre et vieux vannier Écorçait des harts ; vers la porte. Pensif, fiévreux en quelque sorte, Le jeune homme, d'une main forte.

Tressait ces osiers blancs en forme de panier.

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Î72 MIRÈIO, CANT YII.

Lou Rose, enmalicîa pèr l'auro, Fasié, coume un troupèu de tanro.

Courre sis erso treblo à la mar; mai eici, Entre li tousco d'amarino Que fasien calo einai oumbrino, Uno mueio d'aigo azurino,

tiuen dis oundo, plan-plan venié s'emperesL

De Tibre, long de la lauseto,

Rousigavon de la sauseto La rusco amaro ; alin, à .travès lou cristau

De la calamo countinuio,

Apercevias li bruni luio

Barrula dins li founsour bluio, A la pesco di pèis, di bèu pèis argentau.

Au long balaus dôu vent bressaire» Aqui de-long li debassaire

Avien penja si nis ; e si nis blanquinèu, Teissu, coume uno molo raubo, £mé lou coutounet qu'is aubo L'aucèû, quand soun flourido, raubo.

Boule gavon i brout de verno em' i canèu.

Rousso coume uno tourtihado S

Uno chato escarrabihado, D'un large capeiroun espandissié li pie.

Trempe d'aigo, su *no figuiero.

Li bestiàri de la ribiero,

Nimai li piegre di broutiero, N'avien pas mai de pôu que di jounc tremoulet.

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MIREILLE, r.HAI«T VU. «7$

Poussé, troublé par la rafale,

Gomme un grand troupeau qui détale. Le Rhône vers la mer pressait son mouvement;

Mais ici, dans une échancrure

Qu'entoure un rideau de verdure.

Une grande mare d*eau pure Loin du fleuve venait s'alentir mollement.

IjOs castors, le long de la rive,

Rongeaient de leur dent incisive L'écorce au suc amer des saules étêtés ;

Là-bas, sous le cristal de l'onde,

On pouvait voir la loutre blonde

Plonger dans la vase profonde Pour pêcher les poissons aux reflets argentés.

Aux verts rameaux des aubépines

Les gracieuses pendulines Avaient pendu leurs nids; et leurs jolis nids blancs,

Tissus comme une molle robe,

Du coton que l'oiseau dérobe,

Sous la forme d'un petit globe, Oscillaient au-dessous des feuillages tremblants.

Aussi blonde que la touselle, Une charmante jouvencelle Aux branches d'un figuier croissant au bord des eaux , Étendait un filet humide. Loin de la fuir l'oiseau timide. Touché de sa grâce candide,

Badinait avec elle à l'ombre des roseaux.

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«74 MIRÈIO, CANT VII.

l^ecaire ! èro la chatouneto De Mèste Ambrôsi, Yinceneto.

Sis auriho, degun i'avié 'ncaro trauca ; Àvié d*iue blu coume d'agreno *, Emé lou sen boudenfle à peno ; Espinouso flour de tapeno

Que lou Rose amourous amavo d'espousca.

Emé sa rufo barbo blanco Que toumbavo enjusqu'is aiico, Mèste Ambroi à soub fiéu respoundè : Bartavèu, De tout segur lou dèves èstre, Car de ta bouco sies plus mèstre !

Pèr que l'ase se descabèstre, traire, fau que lou prat fugue rudamen bèu !

Mai en que sèr que tant vous parle?

Sabès coume èi!... S'anavo en Arle, Li fiho de soun tèms s'escoundrien en plourant.

Car après elo an rout lou mole...

Que respoundrés à voste dro'e,

Quand saubrés que m'a di : Te vole ! Richesso e paureta, foulas, te respoundran.

Paire, partes de Valabrego ; Anas au Mas di Falabrego,

E lèu-lèu ! à si gènt racountas tout coume es! Digas-ié que Ton dèu s'enchaure Se l'orne èi brave e noun s'èi paure ; Digas-ié que sabe reclaure,

Desmaienca li vigno e laboura li grès.

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MIREILLE, CHANT VU. 275

C'était la jeune Vincenettc,

Sœur de Vincent, pauvre fillette, Sans perles à son cou, mais pouvant s'en passer ;

Ses yeux bleus étaient sa parure;

Fleur des champs, que sous la verdure,

D'une joyeuse éclaboussure Le Rhdne amoureux d'elle aimait à caresser.

Avec sa barbe rude et blanche Et qui descend jusqu'à sa hanche :

Pauvre foui répondit maître Ambroise à Vincent J

Oui, pauvre fou ! car ton langage Part d'un cerveau qui déménage.

Quand l'âne court au pâturage, Père, c'est que le pré le tente rudement!

Mais à quoi sert que je vous parle I Vous savez bien qu'en terre d'Arle» Des filles de ce type et de cette beauté. On n'en fait plus ; sachez de même Qu'un jour, sans aucun stratagème, Elle m'a dit ces mots : Je t'aime !

Mon fils, pèse ceux-ci : Richesse et pauvreté !

Père, partez sans plus attendre, Allez me proposer pour gendre;

Dites à ses parents toute la vérité ;

Dites-leur, avec politesse, ' Que vertu vaut mieux que richesse;

Que je sais avec quelque adresse Labourer en hiver, moissonner en été ;

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176 MIRÈIO, GANT VII

Digas-ié mai que si sièis couble, Sout moun gouvèr, cavaran double ;

Digas-ié que siéu orne à respeta li vièi ; Digas-ié que, se nous separon, Pôr toujour nôsti cor se barron, E, tant iéu qu'elo, nous entarronl...

Ah ! fagué Méste Ambroi, sies jouioe, aqui se vôL

Acô 's riôu de la poulo blanco ! >

Acô 's lou lucre ^ sus la branco ! Auriés gau de Tavé ; W acô lou sounaras,

proumetras la papo au sucre,

Gingoularas fin qu'au sepucre...

Jamai veiras veni lou lucre Se pausa sus toun det, car noun sies qu'un pauras.

Mai d'èstre paure es dounc la pèsto f Yincèn en grafignant sa tèsto

Cridè. Mai lou bon Dieu qu'a fa de causo ansiu, Lou bon Dieu que me vén esclaure D6u soulet bén que me restaure, Es-ti juste?... Perqué sian paure ?

Perqué, déu vignarés embala de rasin.

Lis un cueion toute la frucho, E d'autre an que la raco eissucho? Mai Ambroi tout-d'un-tèms aussaiit lou bras en l'èr ;

Treno, vai, treao ti pivelio, E lévo acô de ta cervelle ! Desempiéi quouro la gavello

Piepren lou meissounié?... Lou loumbrin o la serp

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MIREILLE, CHANT VU. 277

Qu'avec vous, j'ai fait bon ménage;

Que rien ne vaut un attelage Que le maître conduit après qu'il l'attela ;

Et qu'enfin, briser notre chaîne,

C'est vouloir, à date prochaine,

La mort de leur tille et la mienne. Jeunesse! dit le vieux, je te reconnais là!

Tu vois l'œuf de la poule blanche,

Tu vois le lucre sur la branche, Et tu veux l'attirer vers ton gîte indigent;

Fol espoir ! tentative vaine !

Tu perdras ton temps et ta peine...

Flairant ailleurs meilleure aubaine. Le lucre s'enfuira, car tu n'as pas d'argent.

Mais, dit Vincent, aigri de reste, La pauvreté, c'est donc la peste !

Mais lorsque le bon Dieu, qui laisse à mes voisins

Les biens que sa bonté leur donne,

Me reprend à moi son aumône,

Est-il juste? Lorsque eu automne Le vignoble à foison a mûri ses raisins.

Sied-il qu'à la cuve remplie, L'un ait le vin, l'autre la lie?... Mais Ambroise, aussitôt, levant les mains au ciel :

Abstiens-toi de plaintes pareilles, Mon flls, et tresse tes corbeilles; Que dirais-tu donc des abeilles

flemontrant à celui qui récolte le miel?

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278 MIRËIO, GANT YII.

Adonne pôu dire à Dién : Peirastre, Que noun de iéu fasiés un astre ?

Perqué, dira lou biôu, m*as pas créa bouié ? A-n-éu lou gran, à iéu la paio !... Mai noun, moun fiéu : marrido o gaîo, Tôuti, soumés, tenon sa draio...

cinq det de la man soun pas tôuti parié !

Lou Méstre fa fa lagramusot Tén-te siau dins toun asclo nuso,

Béu toun rai de souléu e fai toun gramaci. Mai, vous ai pas di que Tadore Mai que moun Dieu, mai que ma sorre ? Me la fau, paire, o senoun more !...

E coume pèr liuen d'eu bandi Taspre soucit,

De-long dôu flume que rounflavo, Eu en courrént se desgounflavo.

Vinceneto, la sorre, en pleurant alor vén, E fai au vièi panieraire : Avans de maucoura moun fraire, Ausès-me, pai ! Ta 'n labouraire,

Au mas ounte serviéu, qu'èro amourous tambén ;

L'éro de la fiho dou méstre,

Alis ; eu, disien Sivéstre. Au travai (tant l'amour 1 avié fa courajous!)

Èro un loup ! en toute obro abile,

Abarous, matinié, doucile...

Li méstre, anas, dourmien tranquile. Un matin... regardas, paire, s'es pas fachous^

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MIREILLE, CHANT YH. 270

Que dirais-tu du ver de terre

A l'astre enviant sa lumière, Ou des bœufs convoitant les ailes des oiseaux?

Mon fils, il faut suivre sa voie

Et prendre toujours avec joie

Le sort que le ciel nous envoie... Les cinq doigts de la main ne sont pas tous égaux*

Si le maître t'a fait reptile.

Sur ta roche tiens-toi tranquille, Et rends grâce en buvant ton rayon de soleil.

J'ai dit, père, et je dis encore

Que j'en suis fou, que je l'adore.

Qu'un feu terrible me dévore. Et que j'ai besoin d'elle et non pas de conseil.—

Et tout en tenant ce langage,

Vincent arpentait le rivage. Mais alors en pleurant, Vincenette, sa sœur,

S'approche et dit : Âpprenex, père,

Avant de désoler mon frère.

Ce que le désespoir peut faire; A la ferme j'étais, un jeune laboureur,

Plus tendre aussi qu'il ne faut l'être,

Aimait la fille de son maître ; Lui s'appelait Sylvestre, elle avait nom Alix ;

Laborieux, rangé, docile.

Pour tout ouvrage difficile

Sylvestre était le plus habile. Tant l'amour, de cet homme avait fait un phénix !

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280 MIRÈIO, GAMT VII.

Un matin, la mouié dôu mèstre

Enteiideguè parla Sivèstre : Gountavo d'escoundoun soun amour à-n-AIis.

A dina, quand lis orne intrèron

E qu'à la taulo se yirèron,

Lis iue dôu mèstre s'empurèron I Traite I dis, toun comte, e passo que t'ai vist ! -^

Lou bon ràfi partiguè. Nautre

S'espinchavian dis un is autre, Mau-countènt e 'spanta de lou vèire embandi.

Très semano, dins H roi^mpido,

Lou veguerian courre bourrido

Is alentour de la bastido. Tout desvaria, morne, avala, mau vesti ,

Quouro estendu, quouro à grand course ;

La niue, Tentendian coume uno ourso Ourla souto li triho en apelant Alis!...

Mai un jour, pièi, un fiô venjaire

Que flamejavo i quatre caire

Gounsumè la paiero, o paire, Ë dôu pous lou trihau daverè 'n negadiaj

Aqui s'aubourè Mèste Ambrôsi :

Enfant pichot, digue renôsi, Pichoto peno ; grand, grand peno. E mounto d'aut.

Cargo sis âuti garramacho

Qu'éu-meme autre-tèms s'èro facho,

Si bon soulié garni de tacho, Sa grand bouneto roujo, e camino à la Grau.

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MIREILLE, CHANT VIL 28i

Un ii\2tin, l'épouse du maître

Le vit, hélas ! de sa fenêtre Causant avec Alix d'un air trop dégagé;

Et le soir, quand la compagnie

Des gens du mas fut réunie,

Lui reprochant sa félonie, Le maître lui remit son compte et son congé.

Sylvestre partit sans mot dire.

Nous, nous ne songions pas à rire, Désolés de le voir chasser si rudement ;

Et pendant plus d'une semaine

On le vit, comme une âme en peine.

Traînant sa colère et sa haine. Aux alentours du mas rôder furtivement.

Épier tout d'un œil sauvage.

Et parfois même, dans sa rage, Troubler du nom d'Alix le silence des nuits...

Puis un jour, une flamme étrange,

Venant d'une main qui se venge,

Dévora la meule et la grange. Et le corps d'un noyé fut retiré du puits !

A cet exemple qui l'entraîne :

Enfant petit, petite peine. Dit Ambroise en grognant; grand garçon, grand fardeau!

Puis il monte, prend aux filoches.

Ses grands houseaux, ses deux sacoches.

Met ses bons souliers à caboches. Son large bonnet rouge et marche vers la Grau.

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m MIRËIO, GANT VIL

Erian aa tèms que li terrado

An si recordo amadorado : Èro, TOUS trouvarés, la ?ueio de Sant Jan.

Dins li draiôu, long di baragno,

Déjà, pèr noumbréusi coumpagno,

Li prefachié de la monntagno Venien, brun e poussons, meissouna nôsti champ ;

E li voulame en bandoulière

Dins li badoco de fîguiero ; Ensouca dons pèr dons, chasco sôuco adusént

Sa ligarello; uno flaveto,

Un tambourin flouca de veto

Acoumpagnayon li carreto, Ounte, las dôu camin, li vièi èron jasent

E 'n ribejant long di tousello

Que, sont lou vent que li bacello, Ouiidejon à grands erso : 0 moun Dieu ! li bèu blad!

Quénti blad drud ! fasien en troupo;

Acô sara de belle coupo !

Vès I coume Tauro lis estroupo, E peréu coume en l'èr soun lèu mai regibla !

Veici qu'Ambroi s'ajougnè *m' éli :

Soun tôuti preste coume aquéli, Vôsti blad prouvençau, moun segne ? fai subran

Un di jouvènt. Fa li blad rouge

Que soun encaro darrierouge ;

Mai, en durant lou tèms aurouge, Veirés que li voulame à Tobro mancaran!

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MIREILLE, CHANT VII. 283

En ce temps-là, dans la nature,

Toute récoite devient mûre. C'était un jour de juin, yeiile de la Saint-Jean ;

Sur tous les points de la campagne,

Les moissonneurs de la montagne,

Qu'une gaité franche accompagne. Venaient à nos moissons fournir leur contingent.

Leurs faucilles en bandoulière

Se croisaient sur leur gibecière ; Accouplés deux par deux, chaque couple amenait

Sa lieuse gente et proprette ;

Le tambourin des jours de fête

Battait autour de la charrette, lassé du chemin levieillard se tenait.

Et tout en longeant les touselles.

Que les vents frôlaient de leurs ailes : 0 mon Dieu I disaient-ils, ô mon Dieul les beaux blés!

Voyez comme l'ivraie est rare !

Quelle coupe ceci prépare I

Si parfois le ciel est avare, Cette année, en revanche, il nous aura comblés !

Et pendant qu'Ambroise s'avance :

Grand-père, vos blés de Provence Sont-ils, comme ceux-ci, déjà mûrs, dit lun d'eux?

Non, mon enfant, car tout influe Sur leur marche et sur leur venue ; Mais si ce vent frais continue.

Vos bras pour les couper seront trop peu nombreux f

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$84 MIRÈIO, GANT VII.

Bemarquerias li très candèlo, Pèr Nouvè ? semblavon d'eslello :

Rapelas-vous, enfant, que i'aura granesoun Pèr benuranço ! Dieu vous ause, E dins voste èrri la repause, Bon segne-grand ! Entre li sause,

Emé lou bouscatié lis orne de meissoun,

Entanterin que s'avançavon,

Bounamen ansin devisavon. E s'atrovo qu'au Mas di grand Falabreguié

Peréu venien li meissounaire.

Mèste Bamoun, en permenaire,

Dôu mistralas desengranaire Venié vèire pamens ço que lou blad disié,

E de l'espigado planuro

Eu iravessavo la jaunuro, D'auro en auro, à grand pas ; e li blad roussînèu :

Mèstre, murmuravon, es Touro !

Vès coume Tauro nous amourro,

E nous estraio, e nous desflouro... Boutas à vôsti det li dedau de canèu ! *

D'autre yenien : Li fournigo

Déjà nous mounton is espigo ; Tout-escas plen de cai, nous derrabon lou gran.,<

Vènon pancaro li gourbiho ?

Aperalin dins lis aubriho

Lou majourau yirè li ciho, E souQ iue peralin li descuerbe subran.

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MIREILLE, CHANT YII. 285

Jamais, je crois, les trois chandelles De Moël ne furent plus belles, Et c'est un signe sûr de bonne grenaison.

Oh ! grand-père, Dieu vous entende l Reprit alors toute la bande.

Et qu'en abondance il répande Les récoltes aux champs, la joie à la maison !

C'est en échangeant ces paroles

Qu'ils cheminaient le long des saules. Or, par hasard, au Mas des grands Micocouliers^

Tous ces moissonneurs de passage

Dirigeaient aussi leur voyage.

Maître Ramon en homme sage, Seul au milieu des champs qui lui sont familiers»

Écoutait ce qu'en leurs poèmes Les blés jaunes disaient eux-mêmes» De la pluie ou du vent, du ver ou de Toiseau:

Maître, murmuraient-ils, c'est l'heure t Voyez! la bise nous effleure... Portez-nous dans votre demeure.

Et mettez à vos doigts vos doigtiers de roseau.

D'autres disaient : Les fourmis folles

Se glissant sous nos alvéoles. Même avant qu'il soit mûr, nous arrachent le grain...

11 est temps que le grenier s'ouvre.

A ce moment, Ramon découvre

A travers l'ombre qui les couvre, L'essaim des moissonneurs arrivant à grand train.

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286 MIRÈIO, CÂNT VII.

Entre paraisse, tout l'eissame

Desfourrelèron li youlame, Ë dins Ter au soulèu li fasien trelusi,

E li brandavon sus la tésto,

Pèr saluda 'mé faire fèsto.

Mai à la troupelado agrèsto Dôu plus liuen que Ramoun pousquè se faire ausi:

Bèn-vengu sias, toute la bando! cridé ; lou bon Dieu vous mando.

E lèu de ligarello aguè 'n brande noumbrous A soun entour : 0 nosle mèstre, Toucas un pau la man ! bèn-èstre Posque emé vous longo-mai èstre !

NTaura de garbo à Fiero, aquest an, Santo Grous! .

Noun fau juja tout pèr la mino, Mi bèus ami ! Quand pèr l'eimino ^

Aura passa Teirôu, alor de ço que tèn

Saubren lou just. S'èi vist d'annado Que proumetien uno grana^o A fai d'un vint pèr eiminado,

E pièî fasien d'un très!... Mai fau èstre countènt.

E *mé la fàci risouleto,

Toucavo en tôuli la paleto ; Àmistadousamen parlavo à Mèste Ambroi,

E tout-bèu-just prenien la lèio

De la baslido, que : Mirèio !

Garnisse lèu la cicourèio, E vai tira de vin, cridavo, tron-de-goi !

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MIREILLE, CHANT Vit. ^7

Et quand leurs yeux se rencontrèrent,

Tous ]es moissonneurs dégainèrent Leur faucille, et dans Tair la faisant resplendir,

Us la brandissaient sur leur tête,

Pour saluer et faire fête.

Puis à la troupe qui s'arrête, Du plus loin que Ramon puisse se faire ouïr :

Que Dieu, dit-il, qui vous envoie, Vous bénisse et vous tienne en joie!

Oui, maître, et vous aussi ! lui répondent en chœur Les moissonneurs et les lieuses, En lui tendant leurs mains calleuses; Honneur aux terres généreuses !

A l'aire, cet été, que de gerbes. Seigneur !

Ne jugez rien à la figure. Mes bons amis ; quand la mesure

Nous aura dit son mot, alors on pourra voir.

Au cours de certaines années

J'ai cru, sur de bonnes données.

Aux moissons les plus fortunées ; Puis, au dernier moment, la récolte, bonsoir!

Et gracieux pour tout le monde, Il touchait la main à la ronde. Ayant pour maître Ambroise un soin particulier ; Et du plus loin qu'il voit Mireille :

Va remplir, dit-il, ta corbeille

Des plus beaux fruits, et sous la treille Apporte-nous du vin, le meilleur du cellier!

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Î88 MIRËIO, GANT Vit.

Lèa aquesto, à pléni faudado,

Vujè sus tauio la goustado ; Ramoun, lou bèu proumié, se i'assèto à-n-un bout,

£ léuti fan coume eu. En briso

Lou pan croustous déjà se frise

Souto la dent que l'enfreniso, Enterin que li man pescon i barbabou.

La taulo fasîé gau, lavado

Goume uno fueio de civado ; Lou cachât ' redoulènt, Taiet que fai tuba»

Li merinjano à la grasiho^

Li pebroun, cousènto manjiho,

Li blôundi cebo, à la rapiho Dessus li yesias courre, à bel èime escampa.

Mèstre à la taulo coume au fouire» Ramoun, qu'avié contre eu lou douire,

De tèms en tèins ï'aussave, e : D'aut ! chourlen un cep : Quand i'a de pèiro dins lis erine, Pèr que la daio se referme, N'en fau bagna lou tai, e ferme !

E lis orne, à-de-rèiig, aparaven lou got.

Bagnen lou tai I £ dôu grand inde

Lou vin raiave, rouge e linde, Is àspri gargassoun di gourbihaire. Pièi,

Venguè Ramoun à la taulade,

Se 'n-cep la fam èi sa ioulado,

E li force reviscoulado, Pèr bèn acoumença, segound l'usage vièi.

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MIREILLE, CHANT VU.

Et Mireille, d'un air aimable,

Place le goûter sur la table. Ramon va le premier s'asseoir à l'un des bouts,

Et marque ainsi sa préséance ;

Alors tout le monde s'avance.

Et chaque convive en silence. En grignotant son pain, attaque les ragoûts*

La table dûment préparée

Luisait sous sa toile cirée. L'oignon qui pique à l'œil, l'ail, terrible alimenti

L'aubergine bonne en friture,

Le piment, fort de sa nature,

Le cachaty rude nourriture, Du milieu jusqu'aux bords roulaient confusément.

Ramon habile à tout conduire, A ses côtés ayant la buire, A fréquente reprise en montrait le goulet:

Amis, disait-il, la gargouille, Si rien n'y passe, prend la rouille ; Quand la faux est sèche, on la mouille.

Et chacun à son tour tendait son gobelet.

Mouillons la faux ! Et du grand vase Le vin limpide se transvase

Dans le gosier brûlant des joyeux faucilleurs, Puis Ramon dit à l'assemblée : - Mes amis, Theure est écoulée ; La joie au repas s'est mêlée,

Selon l'usage antique, allez en grapilleurs»

19

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890 MIRËIO, GANT VIL

Coupas, dias li bos de rebrouado. Ghascun yoste balaus de broundo;

Qu'en làupi li balaus s'amoulounon. Mi fiéa. Quand l'auto làupi sara lèsto, De-vèspre, coumphren lou rèsto, Car de Sant Jan aniue 's la fèsto,

Saut Jan lou meissounié, Sant Jan Tami de Dieu !

Ânsin lou mèstre li couraando.

Dedins la sciènci noblo e grando Que faa pèr mena 'n bèn, que fau pèr coumanda,

Que fau pèr faire espeli, souto

La tressusour que degouto,

L'espigau blound i négri mouto, De n'en saupre coume eu res poudié se vanta!

Sa vido èro paciènto e sobro ;

Es yerai que si lônguis obro, Ëmé lou pes dis an, Tavien un pau gibla;

Mai au tèms dis iero, à la caro

Souvènti-fes di jôuini miarro,

Fier e galoi, pourtavo encaro Sus la paumo di man dous plen sestié de blad.

Gouneissié Taflat de la luno, Quouro es bono, quouro impourtuho»

Quouro buto la sabo e quouro Tentussis ; E quand fai rodo, e quand es palo. E quand es blanco vo pourpalo, Sabié lou tèms que n'en davalo.

Pèr eu lis auccloun, lou pan que se mousis,

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MIREILLE, CHANT VIT. tdi

Couper, au pied des roches blanches,

Chacun votre fagot de branches ; Entassez-les; placez une bigue au milieu;

Qu'un drapeau flotte sur le faite !

Puis, nous irons, tambour en tète,

De saint Jean célébrer la fête, Saint Jean le moissonneur, saint Jean Tami de Dieu. -*

Tels furent les ordres du maître.

Dans Tart utile de connaître Les hommes qu'à la ferme il devait régenter.

Et dans l'art plus utile encore

De semer et de faire éclore

L'épi dont la terre se dore. Nul d'être son égal ne pouvait se vanter.

Sa vie était sobre et modeste,

Et quoique le travail agreste Et de nombreux hivers l'eussent un peu courbé,

Au temps son aire était pleine

Des plus forts gars de son domaine.

Devant eux il portait sans peine Sur la paume des mains deux pleins setiers de blé.

Il savait les jours la lune

Donne ou refuse la fortune ; Uuand elle eide la sève ou qu'elle l'engourdît;

Les temps variés qu'elle amène.

Selon qu'elle est rouge ou sereine

Ou qu'un anneau pâle la gêne. Pour lui les oisillons, le pain qui se moisit,

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291 MIRÈIO, CANT VIL .

E li jour nègre de la Vaco •,

Pèr eu li nèblo qu'Avoust raco, E li contro-soulèu, e Taubo de Sant-Glar,

Di quaranteno gabinouso,

E di secaresso rouinouso,

Di pountannado plouvinouso, E peréu di bons an èron li signe clar*

Dins uno terro labourivo^

Quand la faturo es tempourivo, Ai de-fes agu vist, alalado au coutrié,

Sièis bèsti grasso e nervïouso ;

Ëro uno visto mervihouso!

La terro, bleto e silenciouso, Plan-plan devans la reio au soulèu se durbié*

E li sièis miolo, belio e sano, Seguien de-longo la rersano ;

Semblavon, en tirant, coumprene pèr-de-que Fau que la terro se laboure : Sens camina trop plan, ni courre, De-vers lou sou beissant lou mourre,

AtentÎTO, e lou côu tiblant coume un arquet.

Lou fin bouié, Tiue sus la rego,

E la cansoun entre li brego, Tanavo à pas tranquile, en tenènt soulamen

L'estevo drecho. Ansin anavo

Lou tenamen que semenavo

Mèste Ramoun, e que menavo, Uf.nîous, coume un rèi dins soun gouvernamén!

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BIIREILLE, CHANT VIL f93

Les jours néfastes de la Vache,

Ceux d'Août, quand le soleil se cache» L'étrange parhélie et Taube de Saint-Glair»

Des quarantaines pluvieuses

Ou des sécheresses poudreuses,

Ou des périodes frileuses, Ou bien d'un temps propice étaient le signe clair.

Dans une terre labourable.

Quand la saison est favorable. J'ai vu parfois six bœufs, que sa main attelait.

Traîner une énorme charrue

Sous leur effort à peine mue ;

£t la terre qu'elle remue Lentement sous le soc au soleil s'étalait.

Et les six bœufs à forte haleine.

En tous sens parcourant la plaine. Allant et revenant sur le même sillon.

D'un pas réglé, la tête basse.

Sans que leur constance se lasse.

Semblaient comprendre sous leur masse Qu'il faut semer avant de faire la moisson.

Le fin bouvier, Tœil sur la raie.

Fredonnant une chanson gaie. Les suivait impassible, et tenait seulement

Le manche droit. Heureux domaine

Que Ramon retenait sans peine

Sous sa mouvance souveraine. Plus glorieux qu'un roi dans son gouvernement'! .

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294 MIRÈIO, CANT VIL

Déjà pamens levant la fàcî,

Lou majourau disié li gràci E signavo soun front; e di travaiadou

L'escarrado partie, galoio,

Pèr alesti lou fiô de joio.

D'uni van acampa de boio, D'autre, di pin negras toumba lou ramadou.

Mai li dous yièi réston à taulo, E Mèste Âmbroi pren la paraulo :

Vène, iéu, o Ramoun, vous demanda counsèu. y'arribo uno àrsi qu'avans Touro Me coundurra mounte se plouro ; Car noun vese coume ni quouro

D'a(iuéu nous de malur poudrai trouva lou sèu !

Sabès (pi'ai un drôle : jusqu'aro,

D'uno sagesso mai que raro M'avié donna li provo, e toustèms. Auriéu tort,

Se veniéu dire lou countràri.

Mai touto pèiro a si gavàrri,

Lis agnèu même an si catàrri, E Toundo la plus traito es aquelo que dok\

Sabès qu'a fa, lou sounjo-fèsto?

S'es ana mètre pèr la tèsto Uno chato qu'a vist de riche meinagié..*

E la vôu, e la vôu, lou nèsci!

E tant viôulènt èi soun desfècî,

E soun amour de talo espèci Que m'a fa peu! En van i'ai moustra sa.foulié;

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MIREILLE, CHANT VU. «9&

Déjà pourtant pour rendre grâce,

Le maître, au ciel levait sa face, Et se signait au front; déjà des moissonneurs

Partait la troupe qu'il envoie

Ramasser pour le feu de joie,

L*un Ja brindille qui flamboie, L'autre le pin qui fume en donnant ses lueurs.

Les deux vieillards restent à table ;

Croyant le moment favorable, Ambroise dit : Je viens demander vos conseiU

Sur une peine qui m'arrive ;

Fasse le ciel que j'y survive !

Car, à coup sûr, âme qui vive Ne fut jamais troublée à des dejprés pareils I

Mon fils, seul Qls dont je sois père.

Fut d'une sagesse exemplaire Jusqu'à l'heure je parle, et ceirtes, j'aurais tort.

Si j'osais dire le contraire ;

Mais tout bonheur a sa misère ;

On voit des agneaux en colère, Et l'eau la plus perfide est souvent Teau qui dort.

Imaginez-vous que ce drôle

Sottement a fait son idole D'une fille qu'il vit chez de grands tenanciers..

Il la veut, arrive que plante.

Et sa folie est si méchante

Qu'à vrai dire elle m'épouvante, Et m'a fait quelquefois accuser les sorciers! ^

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t^ MIRËIO, GANT YII.

En Tan i*ai di qu'en aquest mounde Richesso crèis, pauriho founde...

Gourrès dire à si gènt que la vole à tout près, A respoundu ; que fau s'encfaaure Se Tome es brave e noun s'es paure. Digas-ié que sabe reclaure,

Desmaienca H vigno e laboura li grès.

Digas-ié mai que si sièis couble Sont moun gouvèr cavarau double ;

Digas-ié que siéu orne à respeta li vièi; Digas-ié que, se nous separon, Pér toujour nôsti cor se barron, E tant iéu qu'elo, nous entarron !

Aro donne, o Ramoun, que vesés ço que n'èi,

Digas-me s'emé mi roupiho

Anarai demanda la fiho, 0 bén se leissarai mouri moun drôle... ^ Pôu !

Ramoun fai, noun largués vélo

Sus un tau vent. Eu nimai elo,

Boutas, mouriran pas d'aquelo I Es iéu que vous lou dise, Ambroi, n'agués pas pôu.

Moun ome, en voste Hoc e plaço,

Fariéu pas tant de cambo lasso : Acoumenço, pichot, de garda toun repau,

vendriéu sènso mislèri,

Que s'a la fin ti refouléri,

Ve! fan esniôure lou tenipèri, Sarnipabiéune 1 ve I i'endôutrine em' un pau.

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MIREILLE, CHANT VU. 297

En vain lui dis-je qu'en ce monde

Pauvreté fond, richesse fonde; Gourez à ses parents dire que je la veux,

Répond-il; dites-leur sans cesse

Que vertu vaut mieux que richesse,

Que je sais avec quelque adresse Ébourgeonner la vigne et conduire les bœufs,

Qu'avec vous, j'ai fait bon ménage;

Que rien ne vaut un attelage Que le maître conduit après qu'il l'attela ;

Et qu'enfin, briser notre chaîne.

C'est vouloir, à date prochaine,

La mort de leur fille et la mienne. Et maintenant Bamon, en sachant tout cela.

Dites-moi, si sous ma guenille

Au mas trône cette fille Je dois me présenter, ou bien laisser mon ûls '

Se consumer dans son envie?...

Bah! dit Bamon, quelle folie!

Laissez courir la maladie ; 3

Âmbroise I on n'en meurt pas, c'est moi qui vous le dis;

Et si j'étais à votre place.

Un beau matin, de guerre lasse.

Je dirais à mon fils : Va, ton mal n'est pas neuf,' On le connaît de longue date ; ^ Si ton cœur trop plein se dilate," ^

Serre-le mieux;..,, ou, sij'éclatèv^' <

Fichtre! je t'endoctrine avec ce nerf de boeuf. ^ >

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«98 MIREIO, CANT VU.

Alor Ambroi : Quand l*ase bramo,

Tanés doun;C plus traire de ramo : Arrapas un barroun, e 'm' acô 'nsucas-Iou!

E Ramoun : Un paire es un paire;

Si vou^ounta dèvon se faire ;

Troupèu que meno soun gardaire Grucis, à tèms o tard, dins la gorgo dôu loup.

Qu'à soun paire un fiéu reguignèsse, De noste tèms, ah ! Dieu gardèssel

L'alirié tua, belèu!... Li famiho, tambèn, Li yesian forto, unido, sano, E resistèi\to à la chavano Goume un brancage de platane !

Avien proun si garrouio, acoto, lou sabèn.

Mai quand lou vèspre de Galèndo ^ Souto soun estelado téndo,

Acampavo. loi^, rèire e sa generacioun, Davans la taulo benesido, Davans ta taulo ounte presido, Lou rèire, de sa man frounsido,

IJiegayq ^ut acô dias sa benedicioun I -<*

Mai, afebrido e blavinello, L'enamoi^rado pichounello

Vèn alpr à soun paire : Adounc me tuarés,^ 0 paire I Es iéu que Vincèn anio, E, davans Dieu e Nosto-Damo, Res aujre qu'eu n'aura moun amo!... •«

Un tilènci mourtau li prenguô téuti 1res»

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MIREILLE, CHANT VU. 299

Bon! quand la bête est affamée, Vous lui supprimez la ramée !

Prenez donc un gourdin et rompez-lui le dos»

Oui, mon vieux, un père est un père. Et sa volonté doit se faire ; Troupeau qui mène sa bergère

Chez le loup tôt ou tard verra craquer ses os.

Qu'à son père un fils fût rebelle,

De mon temps ! Vous la baillez belle !

n l'eût plutôt tué... Les familles, aussi. On les voyait, fortes et saines. Résister aux crises humaines Comme aux vents résistent les chônes!

On se brouillait parfois, le monde est fait ainsi ;

Mais à Noël, quand la coutume.

Près de la bûche qu'on allume. Rassemblait les parents pour le repas béni,

L'aïeul, devant la table ornée

Des plus beaux produits de l'année,

Élevait sa main décharnée, Bénissait tout le monde et tout était fini.

Mireille écoutait, pâle, émue...

Quand soudain, ferme et résolue, Elle dit à son père : Eh bien ! immolez-moi,

Père, c'est moi que Vincent aime!

El fussé-je à Theure suprême,

Devant la Vierge et Dieu lui-même. Je lui voûrais encor mon amour et ma foi ! -—

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800 MIRÈIO, GANT YII.

Jano-Mario es la proumiero Que s'aubourè de la cadiero :

Ma flho ! la resoun que vènes d'alar^ fai ansin 'mé H man jouncho, Es uno esconio que nous councho, Es uno espino d'aigo-espouncho

Que nous a pèr long-tèms nôsti cor trafigal

As refusa lou pastre Âlàri,

Âquéu qu'avié mile bestiàri ! Refusa Yeranel lou gardian ; rebuta,

Pèr ti manière besuqueto,

Ourrias, lou tant riche en vaqueto!

Em' acô pièi, em' un fresque to, Em* un galo-bon-tèms te vas encoucourda *®!

Bèn ! i'anaras de porto en porto

Einé toun gus courre pèr ortol Sies toulo tiéuno^ parte, abôuinianido!... Boa!

Assôcio-te *mé la Roucano,

Einé Beloun la Roubicauo !

Sus très caiau, emé la Gano, Vai couire ta bouiaco à la sousto d'un ponti

Mèste Ramoun leissavo dire ;

Mai soun iue, lusènt coume un cire, Soun iue parpelejavo e jitavo d'uiau

Soulo sis usso espesso e blanco.

De sa coulèro la restanco

Pièi à la longo se desranco, E Toundo J boui feroun s'esclafis dins lou riau ;

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MIREILLE, CHANT Vlî. 301

Tous trois sont pris d'un long silence...

Jeanne-Marie enfin s'avance : Ma fille ! le propos que tu viens de lancer.

Les deux mains jointes, lui dit-elle,

A ma tendresse maternelle

Fait une injure trop cruelle Pour que le souvenir puisse s'en effacer f

Alari ! ce pâtre qu'on cite.

Tu Tas congédié bien vite! Véran le beau gardien, Ourrias le grand toucheur.

Tu les as mis en quarantaine...

Et puis, un vannier dans la gêne.

Un fou qui court la prétentaine, Un va-nu-pieds, suffit pour fasciner ton cœur.

Eh bien! vas-y de porte en porte. Avec ton gueux servant d'escorte I

Tu t'appartiens, va-t'en, pars, bohémienne.... Bon! Prends pour compagne la Roucane, Avec Belon la Roubicane, Et sur trois cailloux, près d'un âne,

Fais cuire ton souper sous la voûte d'un pont!

Ramon écoutait sans mot dire. Son œil brillait comme la cire,

Roulant dans son orbite, et jetant des éclairs; Enfin sa colère déborde. Gomme, des harpes qu'on accorde. Quand tout à coup casse une corde.

S'échappe un son strident qui vibre dans les airs :

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8^« MIRÈIO, CANT VII.

A resoun, o, ta maire I parte, Ë que Taurige liuen s*esvarte!...

Mai noun, demouraras, veses?... Quand saubricu

De t'estaca *mé lis enfèrri,

E de te mètre i narro un fèrri,

Coume se fai à-n-un gimèrri ; Veguèsse-iéu subran toumba lou fiô de Dieu !

De facharié morno e malaulo,

Veguèsse-iéu foundre ti gauto, Goume la nèu di colo à Tuscle déu soulèu!

Mirèio ! coume aquelo graso

D6u fougueiroun porto la braso;

Goume lou Rose, quand s*arraso, Fau que desbouude, e ve ! coume acô 's un caièu,

Rapello-te de ma paraulo :

Lou veiras plus!... E de la taulo Em' un grand cop de poung destrantaio ramploor.

Goume l*eigagno sus li berlo,

Goume un rasin que si pouperlo

Plovon à Taure, perlo à perlo Mirèio entanterin escampavo si plour.

Quau m'a pas di, malayalisco ! Repren loa vièi, bret de la bisco,

Ambroi, quau m*a pas di que vous, vous, Mèste Ambrui,

Aguès, 'mé voste tantalôri,

Entrepacha dins vosto bôri

Aquel infâme raubatôri I... L'ondignacioun, aquest, Tenaurè tout revoL

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MIREILLE, CHANT VIL 803

Oui, pars, vilaine, et bon voyage !

Et qu'au loin éclate Torage !... Mais non, tu resteras, vois-tu, quand je devrais,

Te mettant au rang des esclaves.

Sous le poids d'ignobles entraves

Te clouer au fond de mes caves ! Dût la foudre m'atteindre, et dussent tes attraits»

Privés du soin qui les protège.

S'évaporer, mieux que la neige Ne s'évapore aux feux des premiers jours de Mai,

Je mettrai un à tes intrigues!

Gomme un ûguier porte des figues ;

Gomme le Rhône rompt ses digues Alors qu'il ne peut plus s'y tenir enfermé.

Souviens-toi de cette parole :

Tu ne reverras plus ce drôle !.. Et d'un grand coup de poing qu'il frappe en ses fureurs,

La table entière est ébranlée ;

Et comme pleure la fouillée

Quand un orage l'a mouillée, Mireil/e en même temps laissait couler ses pleurs.

Mais, dit Ramon qui se ravise,

Et que la colère électrise : Qui m'assure que vous, mattre Âmbroise, oui, que vous,

Avec votre progéniture,

N'ayez pas dans votre masure

Machiné cette forfaiture ? Là, l'indignalion allumant son courroux;

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304 MIRÈIO, CANT VII.

MalaD de Diéut cridè tout-d'uno,

Se ravèn basse, la fourtuno, Vuei aprenès de iéu que pourtan lou cor aut!

Que sache encaro, n'es pas vice

La paureta, nimai brutice !

Ai quarante an de bon service, De service à l'armado, au son di canoun raul

Just manejave uno partego,

Que siéu parti de Valabrego Pèr môssi de veissèu. Emplana sus la mar,

Sus la mar tempestouso o lindo,

Ai vist Fempèri de Melindo,

Emé Sufren ai treva Tlndo, E) mai que la marino> agu de jour amarl

Soudard peréu di grandi guerre,

Ai barrula touto la terre, Em' aquel aut guerrié que mountè dôu Miejour,

E permenè sa man destrùssi

De TEspagno à Fermas di Rùssi ;

E coume un aubre de perùssi Lou mounde s'espôussavo au brut de si tambour I

£ dins Tourrour dis arrambage, E dins l'angouisso di naufrage,

Li riche, pèr acô, n'an jamai fa ma part! E iéu, enfant de la pauriho, Iéu que n'aviéu dins ma patrie Pas un terroun à planta reio,

Pèr elo, quarante an, ai matrassa ma car!

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MIREILLE, CUkm VU. 905

Malheur! lui dit AmbroîseijSQ fao^ ? > On peut, sans éu 3 homme de r^çe, 1 \voir une âme noble et porter le cœur haut? /

Et la pauvreté, que je sache,

N'a rien qui vicie ou qui tache;

Pendant quarante ans, sans relâche. J'ai servi mon pays en suivant son drapeau;

 peine grand comme le pouce^

Je suis parti pour être mousse ; Errant sur la mer calme ou les flots en courroux

Au gré du vaisseau qui les scinde,

J'ai vu l'empire de Mélinde,

Avec Suffren, j'ai couru l'Inde, Et passé bien des jours qui n'avaieqt rien 4e dpuiç.

Ainsi fait ^ Vart de la guerre,

J'ai suivi sur toute la terre, Ce guerriei", le plus grand des guerriers de nos jours 5

En Prusse, en Espagne, en ilussie,

Mille fois, j*ai risqué m^ vie,

Pendant qu'au gré de son envie. Il secouait le monde au bruit de ses tambours.

Et dans l'horreur des abordages.

Et dans l'angoisse des naufrages. Les riches, après tout, n'ont jamais fait ma p|f(]

Et moi, qu'au banquet de la vie.

Nul Dieu propice ne convie.

Moi qui q'ai rien dans ma patrie. Quarante ans, de mon corps je lui fis un rem|^rl(^

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80G MIRËIO, GANT VIL

E couchavian à la plouvino,

E manjavian que de canino ! E jalous de mouri, courrian au chapladis,

Pér apara lou nouai de Franco...

Mai, d'acô, res n'a remembranço !

En acabant sa remoustranço, Pèr lou mas bandiguè sa jargo de cadis.

Qu'anas bousca vers Mount-de-Vergue "

Lou Sant-Pieloun ** î lou vièi rouërgue Banibaio coume eiçô Mèste Àmbroi, emai iéa

Ai ausi l'orre tron di boumbo

Di Toulouuen clafi la coumbo ;

D'Ârcolo ai vist lou pont que toumbo» E li sablas d'Ëgito embuga de sang viéu!

Mai, de retour d'aquéli guerre,

A fouire, à bourjouna la terro Nous sian mes coume d'orne, à se desmesoula,

De pèd e d'ounglo ! La journado

Èro avans l'aubo entamenado,

E la luno'di vesprenado Nous a vist mai d'un cop sus la ti'enco gibla !

Dison : La terro es abelano I Mai, coume un aubre d'avelano,

En quau noun la tabasso à grand cop, donne rèn ; E se coumtavon, dèstre dèstre ^\ Li moutihoun d'aquéu bèn-èstre Que moun travai me n'a fa mèstre,

Coumtarien^i degout de moun front susarènt!

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MIREILLE, CHANT VII. 9&I

Et souvent couchés sur la dure,

N'ayant pour toute nourriture Qu'un pain noir, nous trouvions que le sort le plus beau»

C'était de mourir pour la France....

Et votre indigne défiance

Est aujourd'hui ma récompense ! . . . A ces mots, par la ferme il jette son manteau.

Bah ! dit l'autre, exhalant sa bile.

Ce chant lyrique est inutile; Respect à vos chevrons! mais chacun a les siens!

Gomme vous, j'ai joué mon rôle,

Toulon fut ma première école.

J'ai vu tomber le pont d'Arcole, Et rougi de mon sang les sables égyptiens!

Mais après ces trop longues guerres,

A piocher, à fumer nos terres, Nous vîmes qu'il fallait demeurer attachés

De pied et d'ongle ! et la journée

S'ouvrait avant la matinée,

Et plus d'une fois, étonnée, La lune nous surprit courbés sur nos louchets t ^

On dit la terre généreuse !

Mais sans la bêche qui la creuse. Ingrate et désolée elle ne donne rien ;

Et si l'on désirait connaître

Par quel moyen, au toit champêtre.

Je mis l'aisance et le bien-être. Mes gouttes de sueur l'indiqueraient très bien.

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30g^ MIRËIO, GANT Vil.

Santo Âno d'At ! pièi fau rèn dire ! Aurai adounc, coume un satire ^S

Rustica de-countùnio, e manja mi grapié,

Pèr qu'à l'oustau lou viéure abounde,

Pèr que de-longo se i'apounde,

Pèr me mètre à l'ounour dôu mounde,

Pièi dounarai ma fiho à-n-un gus de paie !

Anas-vous-en au tron de Diéune ! Gardo toun chin, garde moun ciéune.

Tau fugue dôu pelot lou parla rabastous £ l'autre vièi, s'aussant de taulo, Prenguè sa jargo emé sa gaulo, E n'apoundè que dos paraulo :

Adessias ! Quauque jour, noua fugues regretous !

E lou grand Dieu emé sis ange

Mené la barco e lis arange !... E coume s'enanavo emé lou jour fali,

Souto lou vènt-lerrau que bramo»

Banejè dôu mouloun de ramo

Uno longo lengo da flamo. Au tour, li meissounié, de joio trefouli,

Emé si tèsto fièro e libre

Se revessant dins Ter que vibro, fôuti, d'un même saut picant la terro ensèn,

Fasien déjà la farandoulo.

La grand flamado, que gingoulo

Au revoulun que la ventoulo, Empuravo à si front de rebat trelusènt.

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MIREILLE, CUAMT VU. 31

Sainte Anne d*Apt ! il faut se taire... J'aurais donc comme un mercenaire

Subi le poids du jour, pâti, vécu de rien. Pour rendre ma terre féconde. Pour qu'à ma maison tout abonde. Pour me mettre à l'honneur du monde^

Et puis je donnerais ma fille à ce vaurien !

Ah ! plutôt que le ciel s'écroule !

Garde ton coq et moi ma poule. Ainsi parla Hamon en termes peu discrets ^

Ambroise alors, quittant sa place,

Prend son bâton et sa besace,

Et part en disant à voix basse : Adieu! mais quelque jour n'ayez point de regrets!

Et que Dieu suivi de ses anges

Mène la barque et les oranges !... Et comme il s'en allait, avec le jour changeant,

Sous la brise, à l'accoutumée.

S'élève du tas de ramée

Un trait de flamme et de fumée. Les moissonneurs joyeux en cercle se rangeant.

Avec leur tête fiêre et libre,

La renversant dans l'air qui vibre, Et frappant de leurs sauts la terre en même temps.

Faisaient déjà la farandole ;

La grande flamme qui s'envole

Sous la bourrasque qui la frôle, Attisait sur leurs fronts des reflets éclatants.

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3W MIRÈÏO, GANT V!î. .

Li belugo, à remoulinado,

Mounton i nivo, aferounado . Au crucimen di trounc toumbant dins lou brasas.

Se mesclo e ris la musiqueto

Dôu flahutet, revertigueto

Goume un sausin dins H branqueto... Sant Jan, la terro aprens trefoulis, quand passas!

La régal ido petejavo ;

Lou tambourin vounyounejavo, Grèu e countinuous, coume lou chafaret

De la mar founso, quand afloco

Pasiblamen contre li roco.

Li lamo fore di badoco £ brandussado en l'èr, li dansaire mouret,

Très fes, à grandis abrivado,

Fan dins li flamo Ja Bravade ^^, £ tout en trépassant lou rouge cremadou,

D*un rèst d'aiet trasien li veno

Au recaliéu; e, li man pleno

De trescalan e de verbeno, Que fasien benesi dins lou ûô purgadou :

Sant Jan I Sant Jan ! Sant Jan ! cridayon.

Tôuti li colo esbrihaudavon, Coume s'a vie plôugu d'estello dins Toumbrun...

Enterin la rounflado folo

Empourtavo Tencèns di colo

Emé di fiô la rougeirolo Vers lou Sant, emplana dins lou blu calabrun.

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MIREILLE, GUANT VII. 811

Furibondes, continuelles.

Dans Tair montent les étincelles ; Au craquement des troncs tombant avec fracas . .

Au milieu du brasier rougeâtre, ^

Se mêle avec son tril folâtre '

Le son du fifre ami du pâtre- Saint Jean ! le sol entier tressaille sous vos pas!

De plus en plus la flamme brille;

Comme aubade au feu qui pétille Le tambourin bourdonne un air grave, imitant

La plainte vague et continue

Du flot qui flue et qui reflue ;

Brandissant leur faucille nue, Les danseurs bruns, suivant un usage constant,

Font trois fois, par mainte gambade.

Autour des flammes Ja Bravade; El puis joyeux, fringants, pour mieux s'entretenir

Dans rivresse qui les entraîne.

Ils sautent le feu, la main pleine

De tresses d'aulx et de verveine Qu'ils jettent dans la cendre et qu'ils y font bénir : '

Saint Jean I Saint Jean I criait la foule ;

Et pendant qu'au loin se déroule Un vaste cercle d'or à l'horizon en feu,.,.

A l'envi, les brises badines

Emportaient l'encens des collines,

Et les bluetles purpurines, , Vers saint Jean qui planait dans le fond du ciel bleu.

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NOTES DU CHANT SEPTIÈME

1. Taurtihado (tortiilade), gâteau en forme de couronne, fait de fine pâte, de sucre, d*œufs et d'anis.

2. Agreno (prunelle), fruit du prunellier.

3. Cett Vœuf de la Poule blanche : expression proverbiale, pour dire une chose rare, précieuse, à laquelle on tient beau- coup. Les sorciers allaient avec une poule blanche aux carre- fours, au clair de lune, et évoquaient le diable par ce cri trois fois répété : Pèr la vertu de mapou/o^tonco/Juvénal, en par- lant d'un homme heureux^ dit : Gallinœ filius albœ,

4. Lucre (lucre), tarin de Provence {fringUla spiriuSt Lin.), oiseau 'd*un beau jaune et dont le chant agréable a passé en proverbe.

5. Dèdau (doigtiers), doigtiers de roseau que les moisson- neurs adaptent aux doigts de leur main gauche, afin de ne pas se blesser avec la faucille.

6. Eimino (hémine), boisseau. Héminée {eiminada\ mesure de superficie^ 8 ares 75, variable selon les pays.

7. Cachât (cachât), fromage pétri qui acquiert par la fer- mentation un goût excessivement piquant. Ce mets figure journellement sur Ja table des valets de ferme, ou ràfi.

8. Les jours néfastes de la Vache, vulgairement U Vaquei- riéu. Ce sont les trois derniers jours de mars et les quaCre

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" NOTES OU CHANT Vil. 313

premiers d'avril, période redoutée des paysans. On a vu, dans la note 7 du chant VI, ce que les Provençaux entendent par la Vieille» Voici la suite de ce fabliau :

Quand la Vieille eut perdu son troupeau de brebis, ello acheta des vaches ; et, arrivée sans encombre à la fin de mars» elle dit imprudemmet :

En escapant de Mars e de Marsèu, Ai escapa mi yaco e mi vedèu.

ttars^ blessé du propos, va sur-le-champ trouver Avril :

Abriëu, n'ai plus que très jour : presto-me-n'on quatre, Livaco de la Vièio faren batrel

Avril consentit au prêt...; une tardive et terrible gelée brouït toute végétation, et la pauvre Vieille perdit encore son troupeau.

9. Calèndo. Noël est la principale fête des Provençaux.

10. S'^ncoucourda signifie au propre acheter une courge pour un melon; au figuré, se tromper^ se mal marier.

11. Mounl'de-Vergue (Mont-de-Vergue), colline au levant d'Avignon.

12. Lou Sant'Pieloun, le Saint-Puy (le Saint-Pilon), nom du rocher à pic dans lequel est creusée la grotte se retira sainte Magdeleine. (Voyez la chant XI.)

13. Désire à dèstre (pas à pas). Le Dèetre est une mesure Agraire, la centième partie de Veiminado, environ neuf cen- tiares.

14. Coume un Satire (comme un satyre). Pour dire tra^ vailler comme un nègre, on dit en Provence travailler comme un Satyre. Les anciens ont pu prendre les nègres sauvages

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3U NOTES DU CHANT Vil.

pour des divinités des bois qu'ils nommèrent satyres, et dans l'esprit du peuple, ces deux mots ont pu devenir syno- nymes.

15. Bravado (bravade), décharge de mousqueterie qu'on faisait autrefois au moment d'allumer le feu de la Saint- Jean, et, par extension, cérémonies préliminaires et saut de ce feu.

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CANT VUECHEN

LA GRAU

Desesperanço de Mirèio. ~ Atrencaduro d'Arlateaco. La chato, au mitan de la niue, fugis l'oustau peirau. Vai au toumbèu di Sànti-Mario, que soun H patrouno de Prouvènço, li suplica de touca si parent. Lis Ensigne. Tout en courrënt à travès de Grau, rescontro li pastre de soun paire. La Crau. la guerre di Gigant. Li rassado, li prègo-Diëu d'estuublo, li parpaiouri, avertisson Mirèio. Mirèio, badanlo de la set, e n'en poudènt plus de la caud, prègo sant Gènt, que vèn à soun secours. Rescontre d'Andreloun lou cacalausië. Eloge d'Arle. Récit d'Andreloun : istùri d6u Trau de la Capo, li cauco, li caucaire aproufoundi. Mirèio coucho au tibanèu de la famiiio d'Andre- loun.

Quau tendra la forto lîouno, Quand, de retour à soun androuno,

Véi plus soun lîounèu? Ourlanto sus-lou-cop, Lôugiero e primo de ventresco, Sus li mountagno barbaresco Patusclo... Un cassaire mouresco

Entre lis argelas i'emporto au grand galop.

Quau vous tendra, fiho amourouso?... Dins sa chambreto souloumbrouso

Mounte la niue que briho esperlongo soun rai, Mirèio es dins soun lié couchado Que plouro touto la niuchado, Ëmé soun front dins sa junchado :

Nosto-Damo-d'Amour, digas-me que faraif

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CHANT HUITIÈME

LA CRAU

Désespoir de Ifireille. Toilette d'Arl($8icnne. La jeune fille, au milieu de la nuit, fuit la maison paternelle. Elle ya au tombeau des Saintes-Mariés supplier CCS patronnes do la Provence de flëciiii ses parents. Les constellations. Dans sa course à travers la Crau, elle rencontre les bergers de son père. La Crau, la guerre des Géants. Les lézards, les mantes religieuses, les papillons arertisscnt Jilireille. Mireille haletante de soif, accablée par la chaleur du jour, implore saint Cent, qui la secourt. Ren- contre d'Andrelon le ramasseur de limaçons. Éloge d'Arles. Récit d'Andrelon : légende du Trou de la Cape, le foulage des gerbes, les fuuleurs engloutis* -^ Mireille passe la nuit sous la tente de la famille d'Andrelon.

Qui tiendra la Homie mère, Lorsque, rentrant dans son repaire

Elle s'y trouve plus son jeune lionceau? Rugissante, au flair qui la guide. Jusqu'au fond du désert aride. Elle court;... mais non moins rapide

Disparaît le chasseur qui pilla le berceau.

Qui te tiendra, fîlle amoureuse !

Dans sa cliambre silencieuse, . )ont un rayon de nuit éclaire la paroi,

Mireille en pleurs, Tâme oppressée,

Sur sa couche bouleversée,

Disait d'une voix affaissée : Notre-Dame d'amour, de grâce, inspirei-moi !

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818 MIRÈIO, GANT YIIL

0 marrit sort que m'estransines !

0 paire dur que me chaupines, Se vesiés de moun cor l'estras e lou coumbour,

Auriés pieta de ta pichoto !

léu qu'apelaves ta mignotOy

Me courbes vuei souto la joto, Goume s'ère un fedoun atrinable au labour!

Ah ! perqué noun la mar s'enverso,

E dins la Grau largo sis erso ! Gaio, yeiriéu prefoundre aquéu bèn au soulèa,

Soulo encauso de mi lagremo !

0 perqué, d'uno pauro femo,

Perqué nasquère pas iéu-memo, Dins quauque trau de serp!... Alor, alor, belèu,

S'un paure drôle m'agradavo, Se Vincenet me demandavo,

Lèu-lèu sariéu chabido !... 0 moun bèu Vincenet, Mai qu'emé tu pousquèsse viéure, E t'embrassa coume fai Téurre, Dins li roudan anariéu béure !

Lou manja de ma fam sarié ti poutounet!

£ coume, ansin, dins sa bressolo,

La bello enfant se descounsolo, Lou sen brûlant de fèbre e d*amour fernissènt;

De si proumiéris amoureto

Goume repasso lis oureto

E li passado tant clareto, revèn tout-d'un-cop un counsèu de Vincèn î

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MIREILLE, CHANT YIII. 819

0 sort cruel qui me désole !

Père dur, dont je fus Tidole, Si tu savais mon trouble et mon déchirement,

Tu prendrais pitié de ta fille !

Moi que tu trouvais si gentille,

Par un sot orgueil de famille, Tu troubles mon bonheur, et tu fais ton tourment 1

Ah ! que la mer n'envahlt-elle

La Grau de sa vague rebelle ! le la verrais sans peine engloutir nos trésors...

Nos trésors ! Richesse importune,

A qui je dois mon infortune !

D'une naissance plus commune, Que ne suis-je donc née ?... Alors, peut-être, alors»

Parmi les garçons de mon âge

Me recherchant en mariage On m'eût laissé le choix!... Oh ! ma main dans ta main.

Doux Vincent, si, dans ta chaumière.

Pouvait couler ma vie entière,

J'irais boire l'eau de Tornière, Et tes baisers seraient le manger de ma faim !

Et pendant qu'ainsi dans les larmes La belle enfant noyait ses charmes. Pendant que lentement au chevet de son Ht

Passaient, en images riantes, I Toutes ces scènes ravissantes

Dont vivaient leurs âmes aimantes. Un conseil de Vincent lui revint à l'esprit ;

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H20 HIRÈIO, CANT VUI.

0, crido, un cop qu'au mas venguères Es bèn tu que me lou diguères :

S'un chia foui, un lesert, un loup o 'n serpatas, 0 tout autro bèsti courrènto Vous fai senti sa déni pougnènto; Se lou malur vous despoutènto,

Gourrès, courrès i Santo, aurés léu de soûlas M

Vuei lou malur me despoutènto, Parlen ! N'en revendren countènto.

Âcô di, sauto léu de soun blanc linçoulet; Emé la clau lusénto duerbe Lou gardo-raubo que recuerbe Soun prouvimen, moble superbe.

De néuguié, tout fleuri souto lou ciseleU

Si tresouroun de chatouneto

Ëron aqui : sa courouneto De la proumiero fes que faguè sôun bon jour;

Un brout de lavande passido ;

Une candeleto, gausido

Quasimen toute, e benesido Pér esvarta li tron dins la soumo liunchour.

Elo, em' une courdello blanco,

D*abord se nouso, au tour dis anco, Un rouge coutihoun, qu'elo-memo a pica

D'uno fine carreladuro,

Meraviheto de courduro;

E sus aquéu, à sa centuro, Un autre bén plus bèu es léu mai atrenca.

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MIREILLE, CHANT VIII. 821

Oui, c'est bien toi, s'écria-t-elle,

Toi qui m'as dit : c Mademoiselle, Si prr hasard un loup, ou tout autre animal

Vous mordait de sa* dent cruelle;

Si le sort jaloux, infidèle.

Vous touchait jamais de son aile, Vite aux Saintes ! C'est qu'on guérit de tout mal f >

Puisque le malheur me tourmente.

Partons ! je reviendrai contente. Et sautant aussitôt de ses petits draps blancs,

De son lit frôlant la descente,

Elle ouvre avec la clef luisante

Son bahut, armoire élégante De noyer ciselé que brunirent les ans.

Tous les trésors de sa jeunesse

Étaient : son livre de messe, Sa couronne du jour la première fois

Elle reçut la sainte hostie ;

Un brin de lavande flétrie ;

Le cierge autour duquel on prie, Pour éloigner la foudre au signe de la croix.

Par un lacet de couleur blanche.

Elle noue autour de sa hanche Un rouge cotillon qu'elle-même a piqué ;

Beau travail ! charmante piqûre !

Petit chef-d'œuvre de couture !

Sur celui-là, fond de parure. Un autre bien plus riche est bientôt appliqué;

21

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3Î2 MIRfclO, CA!«T VIII.

Kèi, dins ono èso negro, esqnicho

Lôageiramea sa taio richo, Qa'ono espingolo d'or snfis à ressam ;

Pèr treneto longo e branello

Scan péa pendoulo, e i'eimiaiitello

Si dos espalo Manqouiello. Mai elo, n'arrapant 11 trachèa sépara^

Lèu lis acampo e li restroupo,

 pleo de man lis agonloapo D'oDO dentello fino e clareto; e 'no fes

Li bélli floto ansin reslrencho.

Très cop poulidamen li cencho

Em' un riban à bloio tencho, Diadèmo arlateo de sonn front jooine e fres.

Met soon faudau ; sus la peitrino,

De sonn fichu de mousselino Se croso à pichot pie lou vierginen teissut;

Mai soun capèu de Prouvençalo,

Soun capeloun à grandis alo

Pèr apara li caud mourtalo, Oublidé, pèr malur, de s'en curbi lou su.»

Acô fini, Tardènto chato

Pren à la man si dos sabato ; Dis escalié de bos, sens mena de varai,

Davalo d'escoundoun ; desplanto

Déu pourtau la tanco pesante ;

Se recoumando i boni Santo, E pari, coume lou vent, dins la niue porto-esfrai.

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MIREILLE, CHANT VIII. 3^3

Elle entoure sa taille fine

D*un corset noir qui la dessine, Et qu'une agrafe d'or suffit à contenir;

Ses cheveux, hors de leur résille,

Couvraient, comme d'une mantille.

Ses épaules de jeune fille ; Mais, du bout de ses doigts, prompte à les réunir,

Elle en forme une double tresse,

Les tord, les roule et les redresse ; Une dentelle blanche en devient le soutien;

Sur la touffe ainsi préparée.

S'enroule en spirale serrée

Un ruban à teinte azurée, De son front jeune et frais diadème Arlésien.

Tablier mis, sur sa poitrine . De son fichu de mousseline Se croise à petits plis le tissu virginal ;

Mais son chapeau de Provençale,

Abri de forme originale.

Contre la chaleur tropicale. Elle le laisse au clou par un oubli fatal...

Ainsi prête dans sa parure,

Elle prend aux mains sa chaussure ; Par l'escalier de bois et sans le moindre bruit,

Descend, toute lumière éteinte,

Du verrou recule Tétreinte ;

Se confie à la Vierge sainte. Et part comme le vent dans l'horreur de la nuit.

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aS4 MIRÈIO, GANT VIIL

Ëro l'ouro que lis Ensigne

I barquejaire fan bèu signe. De TAiglo de Sant Jan, que se vèn d'ajouca *

1 péd de soun Evangelisto,

Sus li très astre mounte elo isto.

Se vesié trantaia la visto ; J.ou tôms èro seren, e sol, e 'sperluca.

E dins li planuro estelado

Precepitant si rodo alado, Lou grand Càrri dis Amo, alin, dôu Paradis

Prenié la mountado courouso,

Emé sa cargo benurouso ;

E li mountagno tenebrouso Regardavon passa lou Càrri vouladis.

Mirèio anavo davans elo,

Goume antan Magalouno 3, aquelo

Que cerquè tant de tèms, en pleurant, dins li l>cr., Soun ami Pèire de Prouvénço, Qu*éu empourta pèr la viôulènço Dis oundo, èro restado sènso.

i counûgno pamens dôu terraire entre-fos,

E dins lou pargue recampaire,

Tavié li pastre de soun paire Qu*anavon déjà môuse; e d'uni, 'mé la mnni

Tenènt li fedo pèr lou mourre,

Inmoubile davans li fourre,

Fasien teta lis agnèu bourre, C de-longo entendias quauco fedo bramant.

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MIREILLE, CHANT VllI. m

C'était J'heure des feux sans nombre

BriJJent au fond de la nuit sombre ; De Taigle de saint Jean, ce satellite ailé

Qui sous ses pieds a fait son aire,

La triple étoile qui Téclaire

Faisait clignoter la paupière ; Le temps était serein et le ciel constellé. .M

Au fond de la voûte étoilée

Précipitant sa marche ailée, Le grand Char des Esprits, aux célestes hauteurs, .>.;

Portait sa charge vénérée ;

Au loin, dans Tombre retirée,

Du majestueux Empyrée La montagne en silence admirait les splendeurs. , j

Mireille au hasard s'abandonne ;

Elle va comme Maguelonne Du temps des chevaliers allait, au pied levé,

Chercher, avec persévérance.

Son ami Pierre de Provence,

Victime de son imprudence. Cependant aux confins du terrain cultivé,

Dans le parc, la troupe ovine

Venant de paître, se confine, Les pâtres matineux allaient traire le lait;

Les uns sous Tabrivent fragile.

Tenant la brebis immobile.

Faisaient téter Tagneau docile. Pendant que dans le parc tout le troupeau bêlait.

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326 MIRëIO, gant VIIL

D'autre couchavon li maniero Vers lou môusèire ; à la sourniero,

Assela su 'no pèiro, e mut coume la uiue, Di pousso gounflo aquest tiravo Lou bon la caud : loa la 'spiravo A long raiôu, e s'aubouravo,

Dins li bord escumous dôu cibre, à visto d'iue.

Li chin èron coucha, tranquile; Li bèu chinas, blanc coume d'ile,

Jasien de-long dôu cast, 'mé lou mourre alounga Dins li ferigoulo ; calaumo Tout à l'entour, e som, e chaumo Dins lou campas que sent qu'embaumo..

Lou tèms èro seren, e sol, e 'sperluca.

E coume un lamp, à ras di cledo

Mirèio passe. Pastre e fedo, Coume quand lis amourro un subit fouletoun,

S'amoulounèron. Mai la fiho :

Emé iéu, i Sànti-Mario

Res vôu veni, de la pastriho? E davans, fusé coume un esperitoun.

Li chin dôu mas la couneiguèron,

E dôu repaus noun bouleguèron. Mai elo, dis avaus frustant li cabassôu.

Es déjà liuencho ; e sus li mato

Di panicaut, di canfourato,

Aquéu perdigalet de chato Lando, lando I Si pèd toucavon pas lou sôu...

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MIREILLE, GHANT Yiii 327

D'autres gardaient sous leurs auspices

Celles qui ne sont plus nourrices, Et les poussaient ensuite au trayeur compétent,

Qui, d'un vieux tronc faisant sa selle,

Exprimait de l'ample mamelle

Le bon lait chaud qui s'amoncelle Dans la seille écumante et pleine en un instant

Les chiens étaient couchés tranquilles;

Les beaux chiens blancs las, immobiles» Allongeaient près du parc leur grand museau voilé

Par le thym ou par la bruyère ;

Tout alentour, repos, mystère,

Sommeil de la nature entière; Le temps était serein et le ciel constellé.

 ras du parc Mireille passe,

Et les brebis, Toreille basse^ S'agglomèrent soudain, surprises par la peur;

Mais évitant les causeries :

Qui laisse ses brebis chéries

Pour me suivre aux Saintes-Mariés? Dit-elle, et dans les champs fuit comme une vapeur.

Gomme les chiens la reconnurent.

Point après elle ils ne coururent. Et pareille à l'oiseau, dont l'air soutient le voI>

Déjà loin, frôlant la ramille

Des bois nains dont la Grau fourmille.

Ce gracieux perdreau de fille Vole, vole! ses pieds ne touchaient pas le sol...

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3S8 MlRfilO, CANT YIU

Soufènti-fes à somi passage,

Li courreli qae dins Teiimge, Au pèd di reganèu, doormien agromnouli,

De sa dourmido treboulado

Subran partien à grand voolado ;

E dins la Grau sourno e pelado Crida?oii : Courreli! courreli! courrelit

Ëmé si peu losènt d'eigagno,

L'Aubo, entremen, de la rooantago^ Se vesîé paa-à-pau davala dins loaplan;

E di calandro capeludo

Lou vôu cantaire la saludo ;

E de l'Aupiho baumeludo^ Semblavo qu'an soulèu se mouvien li calanc

Acampestrido e secarouso, L'iumènso Cran, la Grau peirouso

Au matin pau-à-pau se vesié destapa ; La Grau antico, ounte, di rèire Se li raconte soun de crèire, Souto un déluge counfoundèire

Li Gigant auturous fuguèron aclapa.

Li testoulas ! ein' uno escalo,

Em' un esfors de sis espalo Gresieu de cabossa TOunnipoutènt ! Déjà

De Santo-Vitôri lou serre ^

Èro eslrassa pèr lou pau-ferre;

Déjà rAupiho venien guerre, Pèr n'apoundre au Ventour li grand baus eigreîa..

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MIREILLE, CHANT VIIl. Ztd

Souventes fois à son passage.

Les longs courlis qui sous Thcrbage, Au pied des chéneteaux avaient trouvé leur lit,

Troublés dans leur couche isolée,

S'élançaient à grande volée,

Et dans la Crau sombre et pelée, Trahissaient leur effroi parleur étrange cri.

Cependant la riante Aurore,

Vers les campagnes qu'elle dore, Sur son char lumineux s'achemine à pas lents;

L'alouette, allant vers la nue.

De ses champs joyeux la salue;

Sur l'Alpine, à première vue. Les sommets au soleil paraissent vacillants.

A cette lumière naissante,

Sous ses cailloux, la Crau luisante Reprenait lentement son vague coloris;

La Crau, désert inexplicable.

Steppe aride où, selon la Fable,

Sous un déluge épouvantable. Les Géants orgueilleux furent ensevelis.

Les insensés! dans leur audace,

Gomme on escalade une place, ils voulurent, dit-on escalader le ciel !

Déjà leurs bras et leurs machines,

Du mont Victoire et des Alpines

Qu'ils ont fouillés jusqu'aux racines, Ont fait sur le Ventour un pic artificiel;

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330 MIRËIO, CANT VUl.

Dieu duerb la man ; e lou Maïstre, Emé lou Tron, emé FAuristre,

De sa man, coume d'aiglo, an parti tôuti trcs : De la mar founso, e de si vabre, E de si toumpie, van, alabre, Espeiicega lou lié de mabre,

£ 'm' acô s'enaurant, coume un lourd sagarés,

L'Anguieloun, lou Tron e TAurislre, D'un vaste curbecèu de sislre

Amassolon aqui lis oumenas... La Grau, 1 douge vent la Grau duberto, La mudo Grau, la Grau deserto, A counserva Torro cuberto...

Nirèie, sèmpre-mai, d6u terradou peirau

Prenié Talôngui. Li raiado

E lou dardai di souleiado Empuravon dius Ter un lusèut tremoulun;

E di cigalo garrigaudo,

Que grasihavo Terbo caudo,

cimbaleto fouligaudo Kepetavon sens fin soun long cascarelun.

Ni d*aubre, ni d'oumbro, ni d'amo I Gar, de Testiéu fugènt la flamo,

l.i noumbrous abeié que rasclon, dins l'ivèr, L'erbeto courte, mai goustouso. De la grand piano sôuvertouso, Dins lis Aup fresco e sanitouso

Èron ana cerca de pàsquié sèmpre verd.

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MIREILLE, CHANT VIII. 331

Quand fout à coup Dieu se ravise ;

Pour déjouer leur entreprise, Il mande TOuragan, la Foudre et le Mistral :

L'homme s'insurge et cherche à mordre;

Allez ! dit-il, et sur cet ordre,

Ces trois ministres du désordre S'engouffrent dans la mer, leur humide arsenal.

Fouillent à fond son lit de pierre,

Et, remontant vers la lumière, Versent sur les Géants des torrents de galets...

Depuis ce temps la Crau déserte.

Aux douze vents toujours ouverte.

De ces cailloux resta couverte... Mireille, cependant, dans ces champs désolés,

S'avançait toujours davantage ;

Le soleil dardant sur la plage, Attisait dans les airs un luisant tremblement ;

Et sur les plantes estivales,

Les infatigables cigales.

Agitant leurs frêles cymbales. Recommençaient sans fin leur long claquettement.

Point d'arbre, point d'ombre, point d'àme !

Car, de Tété fuyant la flamme, Les troupeaux si nombreux, qui broutent en hiver

L'herbe courte mais savoureuse,

Qui naît dans la Crau caillouteuse,

Au sein de la montagne ombreuse. Etaient allés chercher un gazon toujours vert

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332 MIRÊIO, GANT VIII.

Souto li fiô que Jun escampo,

Mirèio lampo, e Jampo, e lampo ! E li rassado griso, au revès de si trau,

S'entre-disien : Fau èstre folo

Pèr barrula li clapeirolo,

Em' un soulèu que sus li colo Fai dansa li mourveu ^ e li code à la Crau ! •->

E li prègo-Diéu, à Toumbrino

Dis argelas : 0 pelerino, Enlourno, entourno-te ! venien. Lou bon Dieu

A mes i font d'aigo clareto,

Au front dis aubre a mes d'oumbreto

Pèr apara ti couloureto, E tu, rimes ta caro à Tuscle de Testiéu !

En van peréu ravertiguèron

Li parpaioun que la veguèron. Lis alo de TAmour e lou vent de la Fe

L'emporton, coume l'auro emporto

Li blanc gahian que soun pèr orto

Dins li sansouiro d'Aigo-Morto. Tristas, abandonna di pastre e de Tavé,

De liuen en liuen, pèr la campagno,

Parèis un jas cubert de sagno... Quand pamens se veguè, badanto de la set»

Au bruladou toute souleto,

Ni regouloun ni regouleto,

Trefouliguè 'no brigouleto... E faguè : Grand Sant Gènt, ermito dôu Bausset^ !

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MIREILLE, CHANT VIII. 833

Sous la chaleur qui la. désole,

Mireille vole, vole et vole ! Ct les grands lézards gris, sur le bord de leurs trous,

Disaient entre eux : Mais c'est folie

De sortir de sa closerie

Par un ciel dont Tinteropérie Drûle aux coteaux les buis, aux plaines les cailloux * ^

A genoux, sous une aubépine.

Les mantes disaient : Pèlerine, Rebrousse ton chemin! la divine bonté

A mis pour toi Tonde aux fontaines,

Et Tombre et la rosée aux plaines,

Et dans nos solitudes vaines Tu viens brûler ton front au hâle de Tété!

Vainement aussi l'avertirent

Tous les papillons qui la virent; Les ailes de Tamour et le vent de la foi

L'emportent comme un vent d'orage

Emporte un oiseau de passage

Qui planait là-haut sur la plage. San? pâtre, sans brebis, ouverte, en désarroi,

De loin en loin disséminée,

Une masure abandonnée Montrait ses murs fendus et son toit défoncé..

Dans cette immensité sauvage,

Mireille seule et toute en nage.

En quête du moindre breuvage. Se souvient de saint Gent, ermite du Bausset!

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33i MIRÈIO, CANT VIII.

0 bjèu e jouine labouraire,

Qu'atalerias à voste araire Lou loup de la mountagno ! o divin garrigaud,

Que durberias la roco dure

A dos pichôti couladuro

D'aigo e de vin, refrescaduro Pèr vosto maire, lasso e mourènto de caud ;

Car, coume iéu, quand tout soumiho, Avias plaça vosto faraiho,

E, soulet emé Dieu, i gorgo dôu Bausset Vous trouvé vosto maire. Ansindo, Mandas- me 'n fiéu d'eigueto lindo, 0 bon Sant Gènt ! Lou grès que dindo

Me crèmo li peiado, e more de la set !

Lou bon Sant Gènt, de Tempirèio,

Ëntendeguè prega Mirèio : E Mirèio, autant lèu, d'un releisset de pous,

Alin dins la champino raso,

A vist belugueja la graso.

E dôu dardai fende la braso, Coume lou martelet que travèsso un espousc.

Èro un vièi pou s tout garni d'èurre. Que li troupèu i'anavon béurc.

Murmurant douçamen quàuqui mot de cansoun, Ta *n pichot drôle que jougavo Souto la pielo, ounte cercavo Lou pau d'oumbreto qu amagavo ;

Goiilro, avié 'n panié plen de blanc cacalausoun.

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MIREILLE, CHANT 71II.

Beau laboureur, dit-elle, émue,

Qui sûtes, pour votre charrue Apprivoiser le loup ; Solitaire enchanteur.

Dont la main, domptant la nature,

Fit jaillir de la roche dure

Deux filets de vin et d'eau pure Pour votre mère lasse et mourant de chaleur!

Vous qui, comme moi pauvre fille,

Aviez quitté votre famille. Lorsqu'un jour le hasard, aux gorges du Bausset,

Vous fit rencontrer votre mère ;

Donnez-moi donc un peu d'eau claire,

Un peu d'eau qui me désaltère. Et qui baigne mes pieds brûlés par le galet ! ^

Le bon saint, qui prétait l'oreille.

Exauça le vœu de Mireille : Et d'un bienheureux puits, soudain à l'horizon,

Voyant reluire la margelle,

Mireille y vole à tire-d'aile.

Plus légère que l'hirondelle Qui regagne son nid au toit de la maison.

C'était un puits couvert de lierre.

Avec son abreuvoir de pierre ; Fredonnant gentiment quelques mots de chansons,

Un petit gars de bonne mine.

Avec une grâce enfantine,

A l'ombre que l'auge dessine, Jouait près d'un panier plein de blancs limaçons.

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336 MIRËIO, GANT VIU.

E Tenfantoun, dins sa man bruno,

Lis agantavo, udo pér uno, Li pàuri meissounenco ' e 'm' acô venié :

Cacalaus, cacalaus mourgueto.

Sorte lèu de ta cabaneto.

Sorte lèu ti bèlli baneto, 0 senoun, te roumprai toun pichot mounastié.

La bello Gravenco enflourado, E qu'au ferrât s'èro amourrado, Auhourè tout-d'un-cop soun poulit mourranchoun

Mignot, que fas aqui? Pauselo.

Dins lou baucage e ]i lauseto, Acampes de cacalauseto ?

L'avès bèn devina ! respoundè lou pichoun,

Vès ! quant n'ai dins ma canestello !

Ai de mourgueto, de platello^, De meissounenco... E pièi, li manjes?— Iéu?pas mai!

Ma maire, tôuti li divèndre,

Li porto à-n-Arle pèr li vendre,

E nous entourno bon pan tendre... sias agudo est ado, en Arle, vous ? Jamai.

Hoi ! sias jamai estado en Arle î siéu esta, iéu que vous parle !

Ai ! pauro, se sabias la grande vilo qa'es^ Arle ! Talamen s'eslalouiro Que, dôu grand Rose que revouiro. N'en lèn li sèt escampadouiro!...

Arle a de biôu marin que paisson dins si tes,

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MIREILLE, GUANT Vfll. 837

Ce panier, c'était sa fortuae.

L'enfant, prenant de sa main brune Chacun des limaçons, lui chantait ce refrain :

Escargot, escargot, nonnettet

Sors vite de ta maisonnette;

Montre-moi ta double lunette, Sinon, ton petit cloître est broyé sous ma main.

Et quand Mireille un peu 'pourprée, Dans Teau se fut désaltérée, Releyant tout àcoup son minois ravissant :

Mignon, que fais- tu là? dit-elle; Tu cherches sous la pimprenelle Des limaçons ? Mademoiselle,

Vous avez deviné, lui répliqua l'enfant.

Voyez-en la longue séquelle ;

J'ai la nonnain, j'ai hplatelle, Lamomonnienne....— £tpuistulesmanges?^Non,m<îii

Ma mère, à qui je dois les rendre,

Au marché d'Arles va les vendre,

Et nous rapporte du pain tendre

La viles-vous jamais, vous, Arles?— Non, jamais

Quoi ! vous ne connaissez pas Arle? Je la connais, moi qui vous parle;

Dieu! quelle belle ville et quel riche pays !

Arle étend si loin ses pâtures,

Uue du Rhône et de ses coupures

Elle tient les sept embouchures; Arle a des bœufs marins errant dans ses pâtis ;

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338 MIRÈIO, GANT VIU.

Arle a soun cavalin sôuvage;

Ârle, dins rèn qu'un estivage, Mcissouno proun de blad, pèr se nourri, se vôu,

Sèt an de file ! A de pescaire

Que carrejon de tout caire ;

A d*intrepide navegaire Que van di liuénchi mar afrounta 11 revèu...

E tirant glôri mervihouso De sa patrie souleiouso,

Disié, lou galant drôle, emé sa lengo d'or, £ la mar bluio que trémolo, E Mount-Majour que pais 11 mole De plen gourbin d'oui ivo molo,

Ë lou bram qu'i palun fai ausi lou bitor.

Mai, 0 ciéuta douço e brunello,

Ta meraviho courounello, Oublidè, lou pichol, de la dire : lou cèu,

0 drudo terro d'Arle, douno

La bèuta puro à ti cbatouno,

Goume li rasin à Tautouno^ De senteur 1 mountagno e d'aleto à Taucèu.

La bastidauo, inatentivo,

Èro aqui drecho e pensativo : Bèu jouveiuet, se vos, faguè, veni 'mé iéu,

Emé iéu vène ! Sus li sause

Avans que la reineto s'ause

Ganta, fau que moun pèd se pause Do Tauiro man dôu Rose, à la gàrdi de Dieu !

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MIAEILLË, CHANT VIII. 2^^^

Arle a parmi ses élevages,

Sa race de chevaux sauvages ; Le blé d'un seul éfé peut la nourrir sept aus; ; ^ ^

Elle a des lacs aux eaux limpides ^

se font des pêches splendides ;

Des navigateurs intrépides Qui vont aux grandes mers ailfronler les autans... --, ^

Et cet enfant, se faisant gloire

De son pays, dans sa mémoire. En conservait f image, et dans sa langue d'or,

Il disait la mer et ses rives,

Mont-Majour et ses perspectives,

Ses meules broyant les olives, Et les cris qu'aux marais fait ouïr le butor. ^ -^

Mais, oubli qu'explique son âgo i

0 cité douce, ô doux rivage ! Il oubliait, l'enfant, de dire que le ciel ^ ,.

Donne à tes filles pour couronPiC

La beauté pure, comme il donne

Les raisins dorés à l'automne Aux coteaux les senteurs, à Tabeille le miel I ,.

Mireille, assez inattentive,

Était debnut et pensive : Beau gars! dit-elle, il faut que je quitte ce lica,; .

Avant que le cri monotone

De la raine verle résonne

Je veux avoir passé le Rhône, Veux-iu me suivre? Viens à la garde de Dieul j

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âlO MIRÈIO, GANT Vllt.

Lou drouloun digue : Pecaire f

Gapitas bèn : siaa de pescaire. E;né nous-autre, aniue, souto lou tibanôu,

Vous coucharés au pèd dis aubo,

Ë dourmirés dins vosto raubo ;

Moun paire, piéi> à la primo aubo^ Deman vous passara, dins noste breganèu.

Oh ! noun, me sente enca proun forto Pèr, este niue, resta pèr orlo...

Que Dieu vous en préserve ! adounc vouiès aniue Vèire la bando que s'escapo, DouIèntO; dôu Trau de la Capo 1 Ai! ai! ai! ai! se vous encapo,

Cm* elo dins lou gourg vous fai passa pèr iue 1

E qu*es aquéu Trau de la Capo?

Tout en caminant dins H dapo, Vous countarai acô, fiheto!... E coumencè :

Tavié *no fes uno grando iero ^ Que regounflavo de garbiero. Sus lou dougan de la ribiero, ï)eman veirés lou rode ounte acô se passé*

Despièi un mes, emai passavo, Sus iou plantât que s'espôussavo

Vtt roudet camarguen de-longo avié cauca. Pas uno vôuto de relàmbi ! Sèmpre li bato dins Tengàmbi V E sus Teirôu poussons e gàmbi.

mounîagno d espigo à sèmpre cavauca ,

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MIREILLS, CHANT VIIL Ui

Le gars lui dit : Mademoiselle,

Vous rencontrez bien ; la nacelle De mon père qui pêche est à deux pas d'ici ;

Cette nuit, si l'abri vous tente, ^

Vous dormirez sous notre tente ;

Et demain, à Taube naissante, Mon père passera le Rhône, et vous aussi.

Merci, non ; j'aurai le courage De passer la nuit en voyage

Ah! gardez- vous- en bien, car vous pourriez, la nuit Voir venir du trou de la Cape La bande en pleurs qui s*en échappe ; Malheur à celui qu'elle attrape;

Avec elle à l'abîme il est bientôt conduit !

Mais qu'est-ce donc que cette histoire?

Oh! dit-il, le fait est notoire.

Et fier de le conter, bien vite, il commença ;

11 était une fois une airo,

l'on était en train de faire

Le foulage... Vers la rivière, Vous verrez le lieu même oti ceci se passa.

Depuis un grand mois, dénouées,.

L'une après l'autre secouées, I/iS gerbes, des chevaux avaient senti le poids.

Pas un seul instant de relâche!

Toujours tout le monde à la tâche !

Et sur le pavé qu'elle cache La montagne d'épis se hérissa cent fois !

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m MIRÈIO, G4NT YIII.

Fasié 'n soulèu !... lia derrabado **

Semblavo, dison, atubado. E li fourco de bos, de-!ongo en Ter, fasien

Sauta de revoulun de blesto ;

£ lou pôutras, e lis aresto,

Goume de flècho d'aubaresto, I narro di chî?au de-longo se frasien.

0 pér Sant Péire o pér Sant Gbarle

Poudias souna, campano d'Arle ! Ni fésto ni dimenche au paure cavalun !

Sèmpre la matrassanto cauco,

Sémpre Taguiado que trauco,

Sèmpre la cridadisso rauco Dôu gardian, aplanta dins Tardent revoulun!

L'a?are mèstre, i blanc caucaire

Encaro a?ié bouta, pecaire ! Lou mourraioun... Venguè Nosto-Damo d'Avoust

Déjà, sus lou plantât que fumo,

Li liame, coume de coustumo,

Viravon mai, trempe d'escumo, Lou fege arrapa i costo e lou mourre bavous.

Veici que tout-d*un-cop s'acampo

E la chavano e la cisampo... Ai ! un cop de mistrau escoubeto Teirôu ;

Dis afama (que renegavon

Lou jour de Dieu) lis iuo se cavon ;

Lou batedou mounte caucavon Trantaio, e s'entre-duerb coume un nègre peirôu!

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MIREILLE, CHANT VIII. 343

Il faisait un soleil torride !

L'airée entière était splendide. Et sans cesse dans Tair, sous les fourches de bois.

Bondissait la gerbe brisée ;

Et, lancés d'une main aisée,

Les épis à barbe frisée Allaient piquer le nez des clievaux aux abois.

Pour la Saint-Pierre ou la Saint-CharleSy

Vous pouviez sonner, cloches d'Arles! Ni fête, ni dimanche, aux pauvres animaux !

Toujours le harassant foulage.

Toujours l'aiguillade au passage;

Toujours le cri rauque et Toutrage Du gardien immobile au milieu des chevaux!

Aux blancs fouleurs, Tavare mattre

Avait de plus prescrit de mettre f^ muselière... Vint la Notre-Dame d'Août;

Déjà sur les gerbes dressées.

Toutes les bêtes harassées,

D'écume blanche tapissées, Tournaient, la tête basse et les forces à bout.

Tout à coup la foudre étincelle.

L'air s'emplit de pluie et de grêle... Et tout est balayé par un coup de mistral;

Des affamés, dont nul n'observe

Le saint jour que Dieu se réserve,

L'œil se creuse, le bras s'énerve; L'aire s'ouvre et se change en un gouffre infernal t

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3ii MIRÊIO, GANT VIII.

La grand bancado remoulino,

Goume en furour ; de la toumplino, Fourquejaire, gardian, gardianoun, rèn pousquè

Se n'en sauva ! Lou mèstre, Tiero,

Lou drai, li cabro, H garbiero,

Li primadié, la rodo entiero, Dins lou toumple sens founs tout s'aproufoundiguè!

Me fai ferni ! digue Mirèio.

Oh ! n'i'a bèn mai, o vierginèio ! Deman, dires bessai que siéu un foulinèu ;

Veirés, dins soun aigo blavenco, Jouga lis escarpo e li tenco ; £ li merlato palunenco De-countùnio à Fentour canta dins li canèu.

Vèngue lou jour de Nosto-Damo. Lou soulèu, couronna de flamo,

A mesuro que mounto à soun pounliûcat, Emé Tauribo contre terro Boutas- vous plan, plan, à Tespèro : Veirés lou goui'g, de linde qu èro,

S'ensourni pau-à-pau de Toumbro dôu pecatf

E di founsour de Paigo fousco,

Goume de Talo d'uno mousco Ausirés pau-à-pau s'auboura lou zounzoun ;

Pièi es un clar dindin d'esquerlo ;

Pièi, à cha pau, entre li berlo,

Goume de voues dins uno gerlo. Un orre chafaret qu*adus la fernisoun !

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MIREILLE, CHANT VIII. 845

Sous l'ouragan qui les travaille^

En un instant, le blé, Ja paille, Les fourches, les râteaux, les trois bigues du yan,

Les sacs, la mesure, la pelle.

Hommes et chevaux pêle-mêle.

Tout tourbillonne, tout chancelle, Tout roule et s'engloutit dans le goufire béant !

Ciel ! dit Mireille, j'en frissonne I

Et quoi ! ce récit vous étonne. Reprit le gars, voici qui paraîtra plus fort I

Demain, si la chose vous tente, Vous verrez, dans l'eau transparente, Frétiller la carpe brillante, Et le merle siffler sous les roseaux du bord.

Vienne le quinze Août ! à mesure

Que, sous sa blonde chevelure. Le soleil dans les airs commence à resplendir,

Penchez- vous un peu sur le vide.

Vous verrez le gouffre limpide.

Prenant une couleur livide, Sous l'ombre du péché lentement s*assombrir !

Des profondeurs de l'onde impure

S'élève d*abord un murmure. Pareil au bruit que fait une mouche en passant ;

Ce bruit, vague au moment d'éclore,

Devient de plus en plus sonore,

Comme la voix dans une amphore. Qui s'enfle et se prolonge en s'y réfléchissant i

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346 MIRÈIO, CANT VIII.

Es pièi un trot de chiyau maigre

Que sus i*eir6u un gardian aigre Lis esbramasso e couche emé de maugrabiéo.

Es d*estrepado rabastouso ;

Es uno terre despietouso,

Âspro, secado, s6u?ertouso, Que respond coume uno iero ounte caucon» Testiéit

Mai à mesure que décline

Lou sant soulèu, de la toumplino Li blastème, li brut, se fan rau, mourtinèu ;

Toussis la manado gancherlo

Aperalin ; soute li berio

Galon li clar dindin d'esquerlo, E canton mai li merle au bout di long canèu.

Tout en parlant d*aquéli cause,

'Mé soun panié de cacalauso Davans la chatouneto anavo lou drouloun.

Lindo, sereno, acoulourido

Pèr lou tremount, la colo aride

Emé lou cèu déjà marido Sis àuli peno bluio e si grand testau blound ;

E lou soulèu que, dins la cintre

De si long raj, plan-plan s'enintro, Laisse la pas de Dieu i palua, au Grand-Glar <>,

Is oui i vie de la Vau-Longo **,

Au Rose qu'eilavau s'alongo,

I meissounaire, qu'à la longo Atibouron soun esquino e bevon lou vont Larg.

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MIREILLE, CHANT VIII. 347

Puis, c'est un trot de chevaux maigres.

Dont en jurant, des gardiens aigres Excitent la paresse avec brutalité ;

C'est un tumulte indescriptible,

C'est un piétinement pénible

Sur un sol âpre, sec, horrible, Sonore comme une aire Ton foule Tété.

Mais aussitôt qu'à la colline

Le soleil du quinze Août décline, Le blasphème, les bruits s'éteignent sous les eaux;

Insensiblement tout s'apaise.

Tout se tait ; et ne vous déplaise,

Les merles viennent à leur aise, llecommencer leurs chantsi^au bout des longs roseaux.

Et narrateur plein d'abondance,

Avec son panier qu'il balance. Devant la jeune fille allait le jeune gars;

Pendant que l'aride colline.

Qui des feux du soir s'illumine.

Mêlait au ciel qu'elle avoisine. Et ses mamelons bleus et ses chênes épars.

Et sur la fin de sa carrière.

Le soleil, cachant sa lumière. Laissait la paix du soir aux étangs, aux murnis.

Au cours du Rhône qui serpente,

A la petite nef flottante,

Aux moissonneurs pliant leur tente. Et relevant le dos pour boire le vent frais.

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348 MIRÈIO, GÂMT VIU.

E lou drouloun digue : Jouvènto,

Al in, vès la telo mouvènto De noste tibanèu, mouvènto au ventoulet t

Vès, sus Taubo que fai calo,

Vès, vès moun fraire Not qu*escalo !

Segur aganto de cigalo, 0 regarde belèu se tourne au tendoulet.

Ai ! nous a vist!... Ma sorre Zeto,

Que fasié la courbo-seto, Se reviro... e vêla que vers ma maire cour

dire que, sens tiro-laisso,

Pou alesti lou boui-abaisso.

Dins lou barquet déjà se baisse, Ma maire, e pren li pèis que soun à la frescour.

Mai éli dous, d'uno abrivado Goume escalavon la levado :

I cridè lou pescaire, espincho, que fai gau, Femo !... Bèn lèu, pèr mau que vague, Noste Andreloun, crese que fague Un pescadou di fier que i'ague ! '

Velou que nous adus la rèino di pougau I

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Mireille, chant viii. uo

Le gars dit à la jeune fille :

Voyez là-bas, sous la charmille.

Notre fente blanchir; voyez mon frère Not, Qui vient de quitter ses sandales, Pour mieux grimper aux trembles pâles, Afin d'attraper des cigales.

Ou de voir de plus loin si j'arrive bientôt.

Il nous a vus!... car ma sœur Zette,

Qui l'épaulait et qui me guette Elle aussi, vers ma mère a bondi d'un seul saut,

Pour lui dire qu'elle se presse

De préparer la bouille-abaisse ;

Et déjà ma mère se baisse Pour prendre le poisson dans le fond du bateau.

Et d'un pas leste et sans fatigue.

Gomme ils avaient gravi la digue : Femme! dit le pêcheur, voilà qu'en notre fils

L'instinct de la pèche s'éveille '

Cet Andrelon fera merveille !

Vois-le, mettant dans sa corbeille Le plus beau des poissons que jamais on ait pris!

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NOTES DU CHANT HUITIÈME

1. Courtes i Sanio (coures aux Saintes). (Voyez chant I", note 15.)

2. L*Aigle, constellation.

3. Magalouno (Maguelonne). D'après un vieux roman de chevalerie aussi populaire que celui des Quatre fils Âymon, le comte Pierre de Provence, ayant enlevé Maguelonne, fille du roi de Naples, s'enruit avec elle à travers monts et vallées. Un jour que Maguelonne s'était endormie au bord de la mer, un oiseau de proie enleva un bijou de santal qui brillait au cou de la princesse. Son amant monta sur une nacelle pour suivre Toiseau sur la mer; mais soudain une tempête s'éleva, et emporta Pierre en Egypte, il fut accueilli et comblé d'honneurs par le Soudan. La belle Maguelonne s'éveilla et se mit, tout éplorée, à chercher son ravisseur. Après une foule d'aventures romanesques, ils se retrouvèrent en Provence, Maguelonne, devenue abbesse, avait fondé un hôpital, autour duquel, selon cette chronique fabuleuse, s'éleva plus tard la ville de Maguelonne.

4. VAupiho baumeludo (l'Alpine caverneuse) ^ épithète mo* tivée par les grottes des Baux et de Cordes qu'on trouve dans cette montagne.

5. De SantO'Vitôri lou serre (le morne ou pic de Sainte- Victoire), à Torient d'Aix : haut escarpement qui tire son nom de la grande victoire remportée par Marins sur les Teu- tons, à Pourrières, dans le voisinage.

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NOTES DU CHANT VIII. 351

6. Li mourven (les morvens), genévriers de Phénicie (JU" niperus Phosnicea, Lin.).

7. Sant Gènt, ermito dôu Bausset (saint Cent, ermite du fiausset), jeune laboureur, de Monteux, qui, au couimeuce- ment du onzième siècle, se retira dans la gorge tlu Bausset (près de Vaucluse) pour y vivre en ermite. Son ermitage, et la fontaine miraculeuse qu*il fit jaillir, dit la tradition, en implantant ses doigts dans le rocher, sont le but d'un pèle- rinage très fréquenté.

8. Meissounenco (hélice des moissons)^ hélix caespitunit nommée meissounenco, parce qu'après la moisson elle monte et se colle le long des chaumes.

9. Mourgueto (nonnain), hélix vermiculata, ^ Platello (platelle), hélix algira. ifoissonniennes, (Voyez la note pré- cédente.)

10. Derrabado, improprement traduit par airée, signifie arrachis. Ce mot désigne les gerbes qui ont déjà subi un pre- mier piétinement de chevaux, et qu'on arrache de dessous Tairée pour les soumettre à un nouveau foulage.

11. Grand-Clar (Grand-Clar), vaste étang de la Crau, entre les Baux et Arles.

12. Vau-Longo (Vallougue), vallée des Alpines-

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CANT NO U YEN

l'assembLado

J>osoulaciottn de Ifèste Ramoun e de Jano-Mario, quand troroii plus Mirèio. Tout-d'un-tèms lou vièi mando souna e acampo dinsl'iero t6utili travaiadou d6u mas. Li segaire, li raslelarello* lou feneirage. Li carretié, l'estremage di fen. Li bouié. Li meiâsounië, la meissoun, li glenarello. Li pastre. Récit de Laurèns de Gdufc, capoulié di meissounië : lou cop de voulame.

Récit d6u segaire Jan Bouquet : lou nis agarri pèr li fournigo.

Récit d6u Marran, baile di ràfi : la marco de mort. Récit d'Antèume, lou baile-pastre. Antèume a vist Mirèio qu'anavo i Sànti-Mario. Estrambord e prejit de la maire.— Partènço do la famibo pèr avë Mirèio.

Li grand falabreguié plouréron ;

Adoulentido, s'embarrèron Dins si brusc lis abiho, ôublidant lou pasquié

Plen de lachusclo e de sadrèio.

x\vès rèn vist mounte èi Mirèio ?

demandavon 11 ninféio, I gèntis argno bluio adounado au pesquié.

Lou vièi Ramoun emé sa temo, Tôuti dous gounfle de lagremo^

EnsèU) la mort au cor, asseta dins lou mas^ Amaduron soun coudoun > : Cerlo, Fau aguè Tamo escalaberto!... 0 malurouso ! o disaverto !

De 11 folo jouinesso o terrible estranias !

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CHANT NEUVIÈME

l'assemblée

Désolation de Maître Rainon et de Jeanne-Marie, ep s'apercevant du l'absence de Mireille. Le vieillard mande aussitôt et rassemble dans l'aire tous les travailleurs de la ferme. Les faucheurs, les faneuses, la fenaison. Les charretiers, la rentrée des foins. Les laboureurs. Les moissonneurs, la moisson, les glaneuses. Les bergers. Récit do Laurent de Goult, chef der'raoisson- aeurs : le coup de faucille. Récit du.faucheur Jean Bouquet : le nid envahi par les fourmis. Récit du Marran, chef des garçons de charrue : le présage de mort. Récit d'Antelme, chef des pâtres. Antelme a vu Mireille allant aux Saintes-Mariés. -^ Transports et invectives de la mère. Départ de la famille h la poursuite de Mireille.

Les grands Micocouliers pleurèrent, Et les abeilles s'enfermèrent Dans leurs ruches de bois, oubliant les rosiers, Qu'elles avaient hantés la veille.

Auriez-vous aperçu Mireille ? Se disaient l'un l'autre à l'oreille,

Les beaux alcyons bleus adonnés aux viviers 1

Le vieux Ramon avec sa femme» Les yeux en pleurs, la mort dans l'âme. Assis au fond du mas que glace ce départ, Couvaient ensemble leur colère.

Abandonner ainsi sa mère ! Disaient-ils; ô douleur ainère!

De la folle jeunesse ô déplorable écart !

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35i MIRÈIO, GANT IX

Nosto Mirèio bello, o gafoî

0 plour! 'mé lou darrié di piafo S'éi raubado, raubado em' un abôumiani!...

Quau nous dira, desbadarnado, Lou lié, la cauno acantounado Ounte lou laire Ta menado?... E brandayon ensèn si front achayani.

Emé la saumo e lis ensàrri

yenguè lou chourlo, à i'ourdinàri ; E dre sus lou lindau : Bonjour ! Veniéu cerca,

Mèstre, lis iôu e lou grand-béure 2.

Enlourno-te, maladiciéure ;

Cridè lou vièi, que> tau qu'un siéure, Me sèmblo que sènso elo aro siéu desrusca !

D'uno souleto escourregudo, Entourno-te de ta yengudo, Cliourlo ! à travès de cliamp parte coume l'uiau ! Que li segaire e labouraire Uuiton H daio e lis araire!

1 meissounié digo de traire

Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau :

Que vèngon m'atrouva ! Tout-d'uno,

Mai lougeiret que la cabruiio, Part lou varlet fidèu; travèsso, dins li grès,

Li bèus esparset rouge; passe

Entre lis éuse di ribasso;

Franquis d'un bound li draio basse; Sent déjà li perfum dôu fen toumba de-fres.

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MIREILLE, CHANT IX. 355

Enfant d'une grâce achevée,

Mireille nous est enlevée Par un homme de rien, un chenapan, un gueux!...

Qui nous dira, pauvre affolée.

Le lieu, la caverne isolée

le larron t'a recelée?... Et leurs sourcils tremhlaient sur leurs fronts orageux.

Avec Tânesse du ménage

Vint réchanson, selon Tusage, El debout sur le seuil : Bonjour, je viens quérir

Maître, les œufs et le grand-boiro.

Certes, ton zèle est méritoire,

Dit le vieux, dans son humeur noire, Mais il me touche peu car je n'ai qu'à mourir!

Cependant, échanson, écoute !

Retourne aux champs, reprends ta route. Et par moûts et par vaux va-t'en comme l'éclair.

Dire aux hommes du labourage, Des prés, des moissons, du pacage.

Qu'ils aient à quitter leur ouvrage. Qu'un grand malheur m'arrive, et sans parler plus clair.

Dis-leur qu'ici je les appelle.

A ces mots le valet fidèle. Au mandat qu'il reçoit prompt à donner ses soins,

Part de son pied le plus agile.

Et, traversant le sol stérile ,

Atteint bientôt le pré fertile, Guidé par le parfum que répandent les foins.

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356 MIRÊIO, GANT IX.

Dins li luserao bèa nourrido.

Auto, e de blu tôuli flourido, Entend cruci de liuen la dàio; à pas egau

Véi avança li fort segaire,

Sus Tandano plega : de caire,

Davans Tacié desverdegaire, Cabusso la panouio en marro que fan gau.

D'enfant, de chato risouleto,

Dins Fandaiado verdouleto Rastelavon ; n'en vèi que meton à mouloun

Lou fen adeja lest; cantavon,

E li grihet (que desertavon

De davans li daio), escoutavon... Sus un brancan de frais que tiron dous biôu blound,

Âlin plus liuen, vèi, auto e largo,

L'erbo fenalo que se cargo : L'abile carretié, sus lou viage, eilamount,

A grand brassôu, de la pasturo

Que i'embarravo la centuro,

Fasié mounta sèmpre Tauturo, Acatant parabando, e rodo, emai timoun.

E 'mé lou fen que tirassavo, Quand piéi lou càrri s'avançavo.

D'un bastimen de niar aurias di Tembalun! Veici pamens que lou cargaire S'aubouro dre coume un targaire, E tout-d'un-tèms crido i segaire :

Segaire! aplautas-?ous, i'a quauque treboulunl

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MIREILLE, CHANT IX. S67

Dans les luzernes bien nourries.

De bouquets bleus toutes fleuries, Il reconnaît de loin le son que la faux rend;

11 voit tous les faucheurs en ligne,

Au pas que Tandain leur assigne,

Abattre Therbe qui s'aligne En tombant de côté sous l'acier dévorant.

Des enfants, des filles rieuses,

Passant derrière les faneuses. Râtellent en chantant et mettent en tas ronds,

liO foin qui perd sa couleur verte,

Pendant que Je grillon alerte

Écoute, tremble et puis déserte... Sur un char de bois blanc que traînent des bœufs blonds,

Il voit plus loin la haute masse,

Du foin qu'on charge et qu'on entasse; L'habile charretier sur la charge, là-haut,

En s*y plongeant jusqu'au visage, Fait tant et tant que le fourrage,

S'élevant toujours d'un étage. Finit par déborder sur tout le chariot.

Et lorsque avec le foin qui traîne,

La charrette roule avec peine. Vous croiriez voir passer un bâtiment de mer.

Ayant du vent et de la marge !

Quand tout à coup Thomme qui charge,

D'une voix qui résonne api large : Faucheurs, dit-il, je vois quelque trouble dans l'air!

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358 MIRÈIO, CANT IX.

Li carreteiroun, qu'à fourcado

pourgissien l'erbo secado, Tourquèron li degoul de soun front tout coulant!

E, sus la cenglo de sa taio

Pausant la costo de la daio,

fers la planuro ounte dardaio Li segaire tenien la visto, en amoulant.

Orne ! escoutas qu*a di lou mèstre,

fai lou mandadou campèstre : Chourlo, m'a di, subran parte coume Tuiau!

Que li segaire e labouraire

Quiton li daio e lis araire ;

1 meissounié digo de traire voulame; i mendi, de leissa lou bestiau :

Que vèngon m'atrouva! Tout-d'uno, Mai lôugeiret que la cabruno,

Part lou varlet lidèu : encambo li regoun Mounte trachisson li garanço, D'Alten 3 preciouso remembranço ; Vèi de pertout PAmaduranço

Que daurejo la terro i fiô de soun pegoun.

Dins li gara 'stela d'auriolo *, Vèi, caminant darrié si iniolo,

Li ràfi vigourous, courba sus lou doubli Vèi, de soun ivernenco dormo, La terro qu'en mouto disformo S'eigrejo, e dins la rego einormo

Li guigno-co segui l'araire, entrefoulî.

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MIREILLE, CHANT IX. 359

Les aides dont la fourche jette

L'herbe sèche sur la charette, Pour essuyer leurs fronts relèvent leurs chapeaux;

Et les faucheurs changeant d'allure,

Prennent en main la pierre dure

Qu'ils ont pendue à leur ceinture, Et regardent au loin en aiguisant leur faux.

Oyez la parole du maître, Leur dit le messager champêtre :

Échanson, m*a-t-il dit, pars, va comme l'éclair Dire aux hommes du labourage Des prés, des moissons, du pacage. Qu'ils aient à quitter leur ouvrage,

Qu'un grand malheur m'arrive, et, sans parler plus clair,

Dis-leur qu'ici je les appelle.

Et sur ce, le valet fidèle. Reprenant son élan, enjambe les billons

se cultive la garance,

D'Althen, heureuse souvenance;

11 voit partout la Providence Dorant et mûrissant les fruits et les moissons.

Aux guérets bordés de rigoles.

fleurissent les aurioles, Il voit les laboureurs marchant après les bœufs,

Avec leurs araires énormes

Soulever des mottes difformes.

Et sur les sillons uniformes, Le hochequeue en joie accourir derrière eux.

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360 MIRÈIO, GANT IX.

^ Orne ! escoutas. qu'a di lou mèstre 1

fai lou mandadou campèstre : Chourlo, m'a di, subran parle coume l'uiau!

Que li segaire e labouraire

Quitoa )i daio e lis araire ;

l meissounié digo de traire Li voulame; i mendi, de leissa lou bestiau :

Que vèngon m'atrouva ! Tout-d'uno,

Mai lôugeiret que la cabruno, Part Ion varlet fidèu : e sauto li valat

Tôuti ilouri d'erbo pradiero ;

Trauco li blànqui civadiero ;

Dins li grand terrado btadiero K rousso d*espigau, s'esmarro apereila.

Quarante meissounié, quarauto Coume de flamo devouranto,

De soun vièsti fougous, redoulènt, agradiéu. Despuiavon la terro ; anavon Sus la meissoun que meissounavon, Coume de loup ! Desvierginavon

De soun or, de sa flour, e la terro e Testiéu.

Darrié lis orne, e 'n lôngui ligno

Coume li maiôu d uno vigno, Toumbavo la gaveilo à-de-rèng : dins si bras»

ligareilo afeciounado

Léu acampavon li manado;

£ léu, la garbo estent quichado Em' un cop de geinoun, la jitavon detras.

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MIREILLE, CHANT IX. 361

Oyez la parole du maître, Leur dit le messager champêtre :

Échanson, m'a-t-il dit, pars, va comme Téclair Dire aux hommes du labourage Des prés, des moissons, du pacage, Qu'ils aient à quitter leur ouvrage,

Qu*un grand malheur m'arrive, et, sans parler plus clair,

Dis-leur qu'ici je les appelle.

Et sur ce, le valet fidèle, Reprenant son élan, enjambe les fossés

Tout fleuris d'herbes prairiales,

Et passant les avoines pâles,

Jusques aux terres principales Et rousses d'épis mûrs, il court à pas pressés.

Quarante moissonneurs, quarante. Comme une flamme dévorante, ' Enveloppaient le sol et rasaient sa toison ;

Beaux champs de blés ! splendeurs rurales ? Vous tombiez sous leurs mains brutales ! Ils dévirginaient, les Vandales ! De leur fleur, de leur or, la terre et ta saison!

Les moissonneurs en longues files,

Abattaient les tiges mobiles. Et la javelle en ordre après eux foisonnant,

Les lieuses disséminées,

La prenaient à pleines poignées,

Et d'un coup de genou cognées Les gerbes à l'arrière allaient s'échelonnant.

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382 MIRÈIO, GANT IX.

Goume lis alo d'un eissame

Beluguejavon li voulame ; Deluguejavon coume, à la mar, li risènt

Mounte au soulèu jogo la larbo ;

E counfoundènt si rùû barbo,

En garbeiroun lis àuti garbo, En garbeiroun pounchu, mountavon à cha cent.

Acô semblavo, pèr H terro,

Li pavaioun d'un camp de guerro : Coume aquéu de Bèu-Caire, autre-tèms, quand Simoun

E la Grousado franchimando,

E lou légat que li coumando,

Venguèron, zôu! à touto bando, Sagata la Prouvènço e lou Comte Ramoun!

Mai enterin li glenarello, D'aqui, d'eila, van, jougarello, E si gleno à la man ; enterin, i canié,

0 di garbiero à Toumbro caudo, Manto chatouno fouligaudo, Souto un regard que Tesbrihaudo,

S'alangouris : Amour tambèn es meissounié.

Orne? escoutas qu'a di lou mèstre, fai lou mandadou campèstre : ChonrloI m'a di, subran parte coume l'uiau; Que li segaire e iabouraire Quiton li daio e lis araire;

1 meissounié, digo de traire

Li voulame , i mendi, de leissa lou bestiau.

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MIREILLE, CHANT IX. 8C3

Les faucilles auprès des gerbes

Reflétaient des rayons superbes; Elles ctincelaient, comme le flot rieur,

le carrelet téméraire

Vient jouer avec la lumière...

Entre-temps la récolte entière En cent gerbiers pointus gisait au champ d'honnciur.

Us ressemblaient, hissés sur terre,

Aux pavillons d'un camp de guerre : Tel qu'en eut autrefois Beaucaire, quand Simon,

Croyant que Dieu le lui demande,

S'en vint, avec toute sa bande,

Sous le Légat qui les commande. Égorger la Provence et le comte Raymond I

Bientôt arrivent les glaneuses.

D'ici, de là, gentes, rieuses. Leurs glanes à la main ; à l'ombre du buisson.

Croyant que nul ne la regarde,

Parfois l'une d'elles s'attarde,

Avec un jeune homme... Prends gardo. Jeune fille, l'amour fait aussi sa moisson !

Oyez la parole du maître. Leur dit le messager champêtre :

Échanson, m'a-t-il dit, pars, va comme l'éclair Dire au\ hommes du labourage, Des prés, des moissons, du pacage, Qu'ils aient à quitter leur ouvrage.

Qu'un grand malheur m'arrive, et, sans parler plus clair,

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364 MIRÊIO, GANT IX.

Que vèngon m'atrouva! Tout-d'ono, Mai lôugeiret que la cabruno,

Part lou varlct fidéu ; dins lis ôulivié gris Pren lis acôurcbi ; mounte lampo, Di Tignarés trosso la pampo, Coume un rêvés de la cisampo;

tout soûl, velaqui dins li canto-perdris.

Dins Testendard di Crau brusido^ * Souto d'éusino abouscassido, Destousco aperalin li troupéu achauma :

Li pastrihoun, lou baile-pastre,

Fasien miejour sus lou mentastre ;

En pas counrien li galapastre Sus l'esquino di fedo en tnn de remiauma.

De nivoulino clarinello,

E voulatilo, e blanquinello, De la mar plan-planet s*enauravon : belôu,

Dins lis autour inmaterialo,

Quauco santouno celestialo,

De soun velet de couventialo S'èro delôugeirido en Trustant lou soulèu

Orne ! escoutas qu'a di lou mèstre,

fai lou mandadou campèstre : Chourlo, m'a di, subran parte couroe Tuiau;

Que H segairc e labouraire

Quito n li daio e lis araire ;

I meissounié digo de traire Li Toulame; i mendi, de leissa lou bestiau. -^

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MIREILLE, CHANT IX. S65

Dis-leur qu'ici je les appelle.

Et sur ce, le valet fidèle, Ueprenant son élan, vers les oliviers gris

Porte sa course vagabonde,

Franchit la roubine profonde,

fclt terminant son tour du monde. Arrive enfin aux lieux chante la perdrix.

Au fond de la vaste étendue.

De la Crau blanche, aride et nue, 11 aperçoit de loin les troupeaux endormis :

Les bergers couchés sous un chêne,

Faisaient un peu de méridienne;

La bergeronnette sans gène, Courait et sautillait sur le dos des brebis.

Léger, diaphane, un nuage

S'élevant plus loin sur la plage. Semblait du haut des airs protéger ce sommeil ;

Peut-être qu'en quittant la terre

Pour le ciel, une nonne austère

Du voile pris au monastère. S'était-elle allégée en frôlant le soleil !

Oyez la parole du maître.

Leur dit le messager champêtre : Échanson, m*a-t-il dit, pars, va comme Téclair

Dire aux hommes du labourage,

Des prés, des moissous, du pacage,

Qu'ils aient à quitter leur ouvrage, Qu'ils viennent, et qu'ici je parlerai plus clair.

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366 MIRÈIO, GANT iX,

Adounc li daio s'arrestèron,

E Jis araire s'aplantèron ; quaranto gavot que toumbavon li blad,

Adounc quitèron li voulame,

E venguèron coume un eissame

Que, de sa brusco parti flame, Au brut di chaplachôu su 'n pin vai s'assembla.

Au mas venguè li ligarello,

Venguèron li rastelarello, Venguè lou carretié 'mé si carreteirouû ;

Venguè li pastre, li glenaire,

E li tout-obro amoulounaire,

Venguè lis engarbeirounaire, Leissant toumba li garbo au pèd di garbeiroun.

Morne e mut, dins Tiero tepouso,

Lou majourau e soun espouso Esperavon Tacamp ; e lis orne, esmougu

De ço qu*ansin li destourbavon,

Autour dôu mèstre se rambavon,

E disien, coume arribavon : Nous avès manda qujerre, o mèstre, sian ?engu!

Mèste Ramoun aussè la tèsto :

Sèmpre à meissoun la grand tempèsto ; Pauras que tôuti sian ! pèr tant qu'anen d'avis,

Sèmpre au malur fau que Ton pique !

Oh! digue, sens que mai m'esplique.

Mi bons ami, vous n'en suplique, Lèu digue-me, chascun, ço que saup, ço qu'a vist.

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MIREILLE, CHANT IX. 867

Alors tous les travaux cessèrent,

Et les travailleurs cheminèrent, En suivant réchanson qui vint les appeler !

Gomme les abeilles nouvelles,

Au moment poussent leurs ailes,

Au bruit des rustiques crécelles. Sur un arbre, en essaim, viennent se rassembler.

Au mas revinrent les lieuses.

Derrière elles les râteleuses, Avec ses adjudants revint le charretier;

Vinrent aussi les faucheurs d'herbes,

Les pâtres, les glaneurs imberbes,

Enfin les entasseurs de gerbes, ÏAis laissant retomber tout autour du gerbier.

Près de Taire, sur la pelouse,

Le vieux Ramon et son épouse Étaient debout, le front plissé par le souci ;

Les hommes jaloux de connaître

Ce qui leur vaut de comparaître.

Disaient en approchant du maître : Vous nous avez mandés, ô maître, nous voici f

Alors Ramon levant la tête :

Après le calme la tempête. Dit-il ; pas de bonheur qu'un revers ne suivit !

Pas de ciel qui soit sans nuage I...

Sans que j'en dise davantage,

Mes amis, que dans son langage, Chacun raconte ici ce qu'il sait, ce qu'il vit.

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3c» MIRËIO, GANT II.

Laorèns de Gôut ^ aqui s'avanço.

N'a vie pas, dempièi soun enfanço, filanca 'no soulo fes, quand bloundejon li blad,

De se gandi 'mé sa bedoco

I piano d'Arle. Vièio roco

Ounte la mar en van afloco, Goume un queiroun de glèiso avié lou ten brûla*

Yièi capitàni dôu voulame,

Que lou soulèu roustigue, o brame

Lou Maïstrau, de-longo à Tobro lou proumié ! Avié 'm* eu si sèt drôle, ruste, Mouret coume eu, coume eu roubuste... Li meissounié, coume de juste,

L'avien, tout d'un acord, chausi pèr capoulié.

S'acô 's verai que plôu o nèvo,

Quand, rouginas, lou jour se lèvo, Ço qu'ai vist, coumencè Laurèns de Gôut, segur,

Mèstre, nous marco de lagremo.

Dieu ! esvartas lou terro-tremo !

Èro de matin : Taubo mémo Déjà vers lou Pounènt fasié courre Fescur.

Trempe d'eigagno, à Tabitudo,

Anavian faire ta fendudo. Sôci, rapelen-nous de lou bèn adouba,

dise, e d'enavans!... M'estroupe,

A moun prefa, galoi, me groupe;

D6u proumié cop, mèstre, me coupe! l'a trente an, bèu Bondiéu ! que noun m'éro arriba !

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MIREILLE, CHANT IX. 3o0

Sur ce, Laurent de Goult s'avance,

Laurent qui, depuis son enfance. N'avait jamais manqué, quand on coupe le l)lé,

De se rendre avec sa faucille,

Aux champs d*Ârles. Chef de famille,

En qui la vieille vertu brille, Gomme un pilier d'église ayant le teint brûlé ;

Bref dans ses mots, vif dans ses gestes.

Vétéran des troupes agrestes, A Tœuvre le premier, vigoureux, bien planté.

Ayant sept fils dont Forigine

Se lisait sur leur bonne mine....

Les moissonneurs, on le devine. L'avaient élu pour chef à l'unanimité.

S'il est vrai que l'aube rougeâlre

Marque une pluie à tout abattre, Ce que j'ai vu, dit-il, ô maitre respecté,

Ne nous présage que des larmes ;

Dieu ! rendez vaines mes alarmes !

Ce matin, munis de nos armes. Aux premiers feux du jour chassant l'obscurité,

Résolus, l'humeur enjouée.

Nous allions faire la trouée : Compagnons, ai-je dit, allons au plus pressé,

Et de l'entrain et de l'adresse î...

Sur ce, vers le sol, je me baisse.

Et du premier coup, je me blesse ! Jamais depuis trente ans je ne m'étais blessé!

24

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370 MIRÈIO, CANT IX.

£ coume a di, mostro sis ounso Qu'ensaunousis la plago founso.

Li parent de Mirèio an que mai pregemi. E Jan Bouquet, un di segaire, Pren la paraulo de soun caire, Tarascounen e Tarascaire,

Dèu clapas de jouvènt, mai dous, e bon ami.

Ha ! quand courrié la vièio masco, Lagadigadèut la Tarasco/

Que de danso, de crid, de joio c d'estampèu La vilo morno s'enlumino, Res que faguèsse en Goundamino, Mies qu'eu o de meiouro mino,

Voulastreja pèr l'èr la Pico e lou Drapèu •,

Entre li mèstre dôu segage Âurié près rèng, i pasturgage,

S'aguèsse dôu travai bèa lengu lou draiôu; Mai quand venié lou tèms di YOto, Adieu Tenchaple ! 1 grand riboto Souto Faut in o dins li croto,

I lôngui farandoulo, em' i courso de biôu,

Ëro un timoun, un fena ! Mèstre,

Coume daiavian à grand dèstre, Goumencè lou jouvènt, souto un clôt de margai,

Descate un nis de francouleto

Que boulegavon sis aleto ;

E vers la mato penjouleto, Pèr vèire quant n'i'avié, me clinave tout gai;

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MIREILLE, GH4NT IX. 371

A ces mots, il montre à la foule

Ses doigts couverts du sang qui coula...

I^s parents de Mireille ont encor plus gémi. Perçant la foule qui le masque S'avance alors, d'un pas de Basque, Jean, Chevalier de la Tarasque,

Joli bloc de garçon, mais doux et bon ami I

Ah ! quand la Tarasque à son aise

Court la cité Tarasconaise ! Quand de danses, de cris, de plumes au chapeau,

La ville morne s'enlumine,

Il n'est personne en*Condamine

Uui ni avec meilleure mine, Voltiger dans les airs la Pique et le Drapeau.

Dans les concours de l'art champêtre^

Sa faux l'aurait fait passer maître, S'il eût été plus sage et plus laborieux ;

Mais, que survînt la moindre fête,

11 avait autre chose en tête ;

C'était Nanon, c'était Suzelte, Ou bien la farandole, ou les courses de bœufs !

Donc Jean s'avance et dit : Mon maître,

Le jour ne faisait que de naître, Que déjà dans les prés nous fauchions à grand train;

Quand tout à coup ma faux s'arrête

Devant un beau nid d'alouette ;

Aussitôt je baisse la tête Pour compter les petits dont je le voyais plein.

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372 MIRÈIO, <iANT IX.

Oli! noum de sort! pàuri bestiolo!

De fournigasso, roujo e folo, D6u nis e di nistoun venien de s'empara :

Très èron déjà mori ; lou rèsto,

Empesouli d'aquelo pèsto,

Sourtié foro d6u nis la tèsto, Que semblavo me dire : Oh! venès m*apara!

Mai uno nèblo de fournigo Mai verinouso que d*ourligo,

Ferouiio, acamassido, alabro, li pougnié; E iéu, apensamenli qu'ère Conlro lou manche de moun ferre, Dins la garrigo entendeguère

La maire qu*en pleurant pieu ta vo e li plagnié.

Aquéu récit de maluranço

Es tourna-mai un cop de lanço :

Dôu paire e de la maire a gounfla lou segren. E coume, en Jun, quand vers la piano Mounto en silènci la chavano, Que, cop sus cop, la Tremountano '

Uiausso, e que lou tèms de tout caire se pren,

Vèn lou Marran. Dins li bastido Soun noum avié de restountido ;

E lou vèspre, enterin que li miôu estaca Tiron di grùpi la luserno, Souvent li ràfi, quand iverno, Abenon l'ôli di lanterno,

En parlant de la fes que venguè se louga.

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MIREILLE, CHANT I\. C73

Sort fatal! pauvres bestioles !

D'affreuses fourmis rouges, folles, Éparses dans le nid semblaient le soulever;

Trois petits étaient morts; le reste

Sous la vermine qui l'infeste

Semblait de la voix et du geste Me dire; Doux faucheur! oh! venez nous sauver!

Hélas! la formidable armée,

De plus en plus envenimée, Les perçait à plaisir de ses mille aiguillons;

Et moi, dans mon âme pensive,

Appuyé sur ma faux oisive, ^

J'écoutais la mère plaintive Qui dans le champ voisin pleurait ses oisillons.

Ce récit comme bien Ton pense,

Perce d'un nouveau coup de lance. Les parents déjà pris d'un noir pressentiment.

Et comme en Juin, quand vers la plaine

Un orage au loin se promène.

Et que, sous le vent qui l'amène, D'éclairs et de bruits sourds s'emplit le firmament»

Vint le Marran. Son nom superbe

Avait passé presque en proverbe; Et le soir, quand les bœufs revenus du labour.

Tirent des crèches les luzernes,

Souvent les valets subalternes,

Épuisaient l'huile des lanternes, En parlant du succès qu'il eut, au mas, un jour.

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874 MIRÊIO, GâNT IX.

S'èro loug-i pèr li semenço :

Chasque bouié lèu acoumenço D'enrega sa versano ; e lou Marran, pamen,

Èro darrié que de sa riho

Tascoulejavo lis auriho,

0 Taramoun o li tendiho, Counie un que, de sa vido, a touca restrumen«

Te vas louga pèr labouraire, E sabes pas mounta 'n araire,

Desgaubia! cridè lou proumié carretié. Tène qu*un verre emé soun mourre Miéu&que tu, gafagnard, laboure f

Vosto escoumesso, iéu Tauboure, Respoundè lou Marran ; e quau sara coustié»

De iéu 0 de vous, perdra, balle,

Très lou vidor!... Sounas dôu graile!

Li dos reio à la fes an fendu lou gara. Li dous bouié vers Taulro ribo Prenon signau en dos grand pibo... Li dous fourcat fan pa 'no gibo!

Pèr lou rai dôu soûl eu li cresten soun daura.

Rampau de Dieu! adounc faguèron Li lougadié tôuti tant qu'èron,

Vosto enregado, baile, es d'un orne de bon E d*uno man rèn mal-adrecho ! Mai fau tout dire : es bèn tant drecho, Âquelo d'eu, qu em' uno flecho

Se pourrie de-segur enfiela tout-de-long?

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MIREILLE, GUÂNT iX. 876

11 venait aider aux semailles ;

De la terre ouvrant les entrailles, Chacun des laboureurs suivait son mouvement,

Et le Marran passait derrière

Tenant dans sa main son araire,

A peu près, comme eût pu le faire Un homme qui jamais n'a touché l'instrument.

Dis donc ! as-tu loué ton œuvre Gomme maître ou comme manœuvre?

Lui crie, en ricanant, le premier laboureur ; Je tiens qu'un porc, avec sa trogne, Mieux que toi ferait ta besogne !

Peste soit à celui qui grogne. Réplique le Marran, qui se pique d'honneur ;

Parions cent francs, camarade t

Et le pari suit la bravade. On s'apprête, on s'excite, on se regarde, on part ;

Droit comme un I chacun arrive

Au peuplier qu'à l'autre rive

Ils avaient pris en perspective... Pas le plus petit coude et pas le moindre écart !

Jour de Dieu! dit la galerie.

De tant d'adresse abasourdie, Maîtres, soyez tous deux fiers de voire sillon !

En vérité, celui de droite

N'est pas fait de main maladroite;

Mais l'autre a sa ligne si droite, Qu'une flèche pourrait le suivre tout du long?

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376 MIRÊIO, GANT i&.

£ Jou Marran gagné li joio.

Au parlamen que desmeinoio Lou Marran^ éuperéu, venguè douncescampa

Soun mot amar ; digue tout blave :

Adès en coutreiant siblave;

Èro un brisoun dur : me tablave D'alounga 'n pau la juncho, e 'm' acô d'acaba.

Tout-en-un-cop vese mi bèsti Rebufela soun pelous vièsti ;

Vese la fernisoun e Tesfrai tout ensèn

Que fan aplanta 'qui moun couble E chauriha; iéu, vesiéu double, Yesiéu lis erbo dôu restouble

Se clina vers lou sôu en s'escoulourissèot.

Couche mi bèsti : la Baiardo

Em' un èr triste m'arregardo, Mais brando pas ; Falet niflavo lou cresten;

Ua cop de fouit lis.eigarreto...

Parton esglaia ; la cambeto,

Uno cambeto d'ôume, peto; Emporton bacegoun e joto ; e pale, esten,

A iéu m'a près coume un catàrri ;

Un aucidènt invoulountàri A fa cruci ma maisso ; un frejoulun me vèn ;

E sus mi car estabousido,

E sus ma tèslo agarrussido

Gouiiie li tèsto de caussido, Iéu ai senti la Mort qu'a passa coume un vèntî

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MIREILLE, CHANT IX. 377

Et le Marran eut la victoire!

Mais en tout cas, voici l'histoire Qu'à son tour, au conseil, il eut à raconter î

Tantôt, dit-il, d'un pas tranquille,

Je faisais ma tâche ; l'argile

La rendait dure et difficile, Et pour en voir la fin, il fallait se hâter.

Tout à coup mes bêtes hennissent;

Sur leur dos leurs poils se hérissent ; Leur oreille se dresse, et sans choc apparent.

Net et court s'arrête l'araire ;

La vue à mes yeux n'est plus claire,

Je vois l'herbe de la jachère Se pencher sur le sol en se décolorant.

Je les pique au flanc : la Bayarde

Triste, immobile, me regarde; Falot flaire du nez l'arête du sillon;

N'obtenant rien des coups d'épingle,

D'un grand coup de fouet je les cingle-..

La paire part, brise la tringle, Cl me laisse tout seul avec mon aiguillon.

Et stupéfait à ce spectacle,

Survivant comme par miracle, Immobile, muet, devant ce trait du sort,

J'étais là, glacé d'épouvante...

El, telle qu'on la représente.

Avec sa grande faux luisante. Au fond des cieux troublés je vis passer la Mort ?

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878 MIRÈIO, GANT iX.

Bono Maire de Dieu ! acato De toun mantèu ma bello cbato!

Gridè la pauro maire em' un crid desouia.

Es à geinoun aqui toumbado

E vers li nivo encaro bado...

Veici qu'arribo à grand cambado Lou baile Antèume, pastre e môusèire de la.

Qu'èi qu'avié dounc tant matiniero, Pèr treva 'nsin 11 cadeniero?

Digue lou baile Antèume en intrant au counsèu.

Nautre erian claus dins nôsti cledo.

En trin de môuse nôsti fedo ;

E sus li vàsti claparedo Lis estello de Dieu clavelavon lou céu.

Uno amo, uno oumbrinello, un glàri Frusto lou pargue ; de resglàri Se tenon mut li chin, s'amoulouno Favé.

Parlo-me dounc, se sies bono amo ! Se sies marrido, tourne i flamo !

En iéu pensère... A Nosto-Damo, Mèstre, n'ai pas lesi d'entamena 'n Ave,

Emé iéu, i Sànti-Marlo,

Res vôu veni de la pastriho?...

Uno voues couneigudo alor crido. E 'm' ac6 Tout s'esvalis dins lou campèstre. Quau vous a pas di, noste mèstre, Qu'èro Mirèio ! Acô pôu èstre?

Tout lou mounde à la fes adounc fai sus-lou-cop.

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MIREILLE, CHANT IX. 370

Mère de Dieu ! sous ta mantille

Daigne abriter ma chère fille, S'écrie, à ce récit, la pauvre mère en pleurs;

Et tremblante, à genoux tombée,

Elle était là, tout absorbée,

Quand soudain, à grande enjambée, Accourt le chef Antehne, un des pâtres trayeurs.

Qu'eut-elle donc, j'en rêve encore. Pour devancer ainsi l'aurore?

Dit Anselme, en prenant la parole à son tour.

Nous étions dans le parc, les pâtres

Contenaient les agneaux folâtres;

Sur nous, au fond des cieux bleuâtres, Les étoiles brillaient, en attendant le jour.

Une âme, une ombre, un spectre passe ; Soudain le troupeau se ramasse ; f^s chiens restent muets, couchés sur le pavé.

Si tu pars du ciel, viens, belle âme! Sinon, retourne dans ta flamme, > Dis-je en moi-même ; à Noire-Dame

Je n'avais pas le temps d'adresser un Ave.

Qui laisse ses brebis chéries Pour me suivre aux Saintes-Mariés?...

Dit une voix d'enfant, qui comme une vapeur

S'envole loin du parc champêtre.

Eh bien ! ce spectre, ô notre maître.

C'était Mireille ! Peut-il être Que Mireille fût là, dit tout le monde en chœur?

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S^ MIRÊIO» GANT IX.

Mirèio ! countuniè lou pastre, L'ai visto à la clarta dis astre,

L'ai visto, iéu vous dise, e m'a fusa davan ; L'ai visto, noun plus talo qu'ère, Mai dins sa caro tristo e fèro Se couneissié que, sus la terro.

Un cousent desplesi dounavo lou vanc f

D'entendre la debalausido.

Entre si man enterrousido

Lis orne en gémissent piquèron à la fes.

1 Santo menas-me lèu, drôle! Grido la pauro maire : vole, Ounte que vague, ounte que vole,

Segui moun auceloun, moun perdigau de gresf

Se li fournigo l'agarrisson,

Fin que d'une, mi dent que trisson Manjaran, trissaran fournigo e fourniguié!

Se l'abramado Mort-peleto

Te voulié torse, iéu souleto

Ëmbrecarai sa daio bleto, E dôu tèms, fugiras à travès li jounquié f

E pèr lou champ, Jano-Mario, Que la cregnènço desvario, Scmenfivo en courrènt si desvaga prejit.

Carretié, tendo la carreto, Vougne Tessiéu, bagno li frète, E lèu atalo la Moureto *,

Qu*es tard, disié lou mèstre, e qu'avèn long trejit!

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MIREILLE, CHANT IX. 381

C'était Mireille et bien Mireille, Reprit le pâtre ; à mon oreille

Aussi bien qu'à mes yeux vous pouvez vous fier ;

Comme je vous vois, je l'ai vue,

Non telle que je l'ai connue.

Mais triste, morose, abattue. Comme une biche en pleurs qu'on va sacrifier! ^

A cette nouvelle fatale. Une tristesse générale Plana sur le conseil muet comme un tombeau.

Aux Saintes, vite qu'on me mène I Dit Jeanne-Marie, hors d'haleine ; qu'il volète, ou qu'il s'engraine.

J'irai le retrouver mon beau petit perdreau!

Si les fourmis te font la guerre,

Va, mes dents, jusqu'à la dernière Broîront et mangeront fourmilière et fourmis !

Si la mort pâle et décharnée

Veut te prendre, avec ma cognée

J'ébrècherai sa faux damnée ; Entre-temps tu fuiras, toi, vers des bras amisi -—

Et par les champs, Jeanne-Marie S'en allait comme une Furie, Frappant l'air de ses cris, le sol de ses talons.

Charretier, couvre la charrette. Oins l'essieu, mouille la clavette, Et vite attelle la Mouretle,

Il est tard, ditle maître, et les chemins sont longs !

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882 MIRÈ^O, CANT IX.

Ë SUS lou càrri bacelaire Jano-Marlo mounto, e Taire

S'emplissié mai-que-mai d'estrambord pietadous Ma belJo mignoto!... Glapouiro, Erme de Grau, vàsti sansouiro, A ma chatouno que langouiro,

Emai tu, souleias, fugues amistadous!...

Mai, Tabouminablo mandrouno

Que pôutirè dins soun androuno Ma chatOy e de-segur i'a veja, i'a 'mpassa

Si trassegim e si boucôni,

Taven ! que tôuti li demôni

Qu*espaventèron Sant Antôni, Sus il roco di Bauste vagon tirassa!,..

Dins lou trantran de la carreto S*esperd la voues de la paureto...

E lis ome dôu mas, en espinchant se res Apareissié dins la Grau Ituncho, Plan s'entournavon à la juncho... Urous, entre li lèio juncho,

vôu de mousquihoun revoulunant au fres.

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MIREILLE, CHANT IX. 383

Sur le char couvert de sa lente

Monte la mère gémissante, S'aidant comme elle peut de ses bras détaillants,

Et d'une voix désespérée,

S'écriant : Mireille adorée !

Plages, étangs, mer azurée, £t toi, brûlant soleil, soyez-lui bienveillants*...

Ou, fei la vieille enchanteresse

Ma fille, t*a versé l'ivresse. Le. jour tu parus dans ses antres déserts .

Taveu matrone abominable.

Que la haine de Dieu t'accable !

Ou mieux encore que le diable Vienne te prendre aux Baux et te traîne aux enfers!...

Sous les cahots du char qui roule

La voix se perd... Toute la foule Cherchant, si de Mireille, au loin, vers les marais,

La silhouette se dessine,

Du côté des champs s'achemine...

Heureux, sur la verle colline. Les vois de moucherons tourbillonnaient au frais !

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NOTES DU CHANT NEUVIÈME

1. Amaduron soun coudoun (mûrissent leur douleur). Cou- doun signifie, au figuré, lourd chagrin, poids douloureux qu'on a sur le cœur; au propre, coing. Ce mot, sans le dernier sens, dérive du grec xuS(;&viov, fruit de Gydon, coing ; dans le pre- mier, de x6toç, profond ressentiment.

2. Grand-béure (grand-boire), petit repas que les moisson- neurs font vers les dix heures du matin.

3. Jean Althen, aventurier arménien qui, en 1774, intro- duisit la culture de la garance dans le comtat Venaissin. En 1850, on lui a élevé une statue sur le rocher d'Avignon.

4. Auriolo (auriole), centaurée du solstice {cenfaurea solstitialiSy Lin.), plante qui pullule dans les chaumes, après la moisson. Ses fleurs jaunes, et les épines étoilée's de leur in- volucre, lui ont valu son nom provençal, qui signifie auréole.

5. Goût (Goult ou Agoult), village du département de Vau- cluse, qui a donné son nom à Tune des plus illustres maisons de Provence.

6. Tout le monde a entendu parler de la Tarasque, monstre qui, d'après la tradition, ravageait les bords du Rhône et qui fut dompté par sainte Marthe. Chaque année les Taras- conais célèbrent leur délivrance par l'exhibition d'un simu- lacre de ce monstre, que des hommes portent à la course à travers les rues ; et à des époques plus ou moins rapprochées, on rehausse cette fête par une foule de jeux. Ceux de la Pi- que et du Drapeau, mentionnés dans le poème, consistent à

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NOTES DU CHANT NEUVIÈME. 385

faire voltiger gracieusement, à lancer à une grande hauteur et à rattraper avec adresse un étendard aux larges plis ou une longue javeline.

Lagadigadèu est la célèbre ritournelle d'une chanson populaire attribuée au roi René, et qu'on chante à Tarascon dans cette fête. En voici le couplet le -plus connu ;

Lagadigadèu I La Tara SCO ! Lagadigadèu! La Tara SCO De Caslèu! Lcissas-Ia passa, La vièio masco I Leîssas-Ia passa Que vai dansa.

En Coundamind. La Condamine (Condominium) est un quartier de Tarascon. On retrouve cette dénomination dans plusieurs villes du Midi.

7. Tremountano (tramontane), veiit du nord-est, et par extension nord-est.

8. La Moureio (la Mourette), nom de mule. Dans les cam- pagnes, on désigne ordinairement les bêtes de somme par la couleur de leur robe. Les noms les plus communs sont blan- quet (blanc), mouret (noir), brunèu (brun), falet (gris), haiard (bai), roubin (bai clair).

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CANT DESEN

tk GAMARGO

Ifirèio ptMO Ion Rose dins lou barquet d'Andreloun, e countùnio sa courso à travès la Camarço. Li dougan dou Rose enire la mar 0 Arle. Descripcioun de la Camargo. La calour. La danso de la Vicio. Li mountiho. Li sansouiro. Blirèio es ensu- i*.ado p6r un cop de soulèu sus li ribo de l'eslang d6a Vacarcs. Lis arabi la rcvènon. La roumiéuTO d'amour se tirasse jusqu'à la glèiso di Santo. La prepiiero. Lavesioun. Discours di Sànti-Mario. La vanita duu bonur d'aquest mounde, la nécessita e lou mérite de la soufrènço. Li Santo, pèr refermi ioa cor, raconton à llirèio sis esprovo terrestre.

Desempiéi Arle jusqu'à Vènço *,

EscoQtas-me, gèntde Prouvènço! Se trouvas que fai caud, ami, tôutis ensèn^

Sus lou ribas di Durcnçolo,

Anen à santo-repausolo î

E de Marsiho à Valensolo Que se cante Mirèio e seplagne Vincèn!

1 Lou pichot barquet fendié Taigo,

Sens mai de brut qu uno palaigo ;

IjOu pichot Andreloun menavo lou barquet; E Tamourouso qu*ai canlado Em* Andreloun s'èro avaslado Sus lou grand Rose; e, d*assetado,

Counlemplavo lis oundo em* un regard foiisquet.

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CHANT DIXIÈME

LA CAMARGUE

Mireille passe le Rhône dans la nacelle d'Andrelon et poursuit sa course à travers la Camar^pie. -r- Les bords du Rhône entre la mer et Arles. Description de la Camargue. La chaleur. Le mirage. Les dunes. Les tansouires. Mireille est frappée d'un coup de soleil, sur les rives de l'étang du Valcarès. Les moustiques la rappellent à la vie. La pèlerine d'amour se traîne jusqu*à l'église des Saintes-Mariés. La prière. La vision. Discours des Saintes Maries. La vanité du bonheur de ce monde, la nécessité et le mérite de la souffrance. Les Saintes, pour raffermir le courage de Mireille, lui font le récit de leurs épreuves terrestres.

Depuis Arles jusques à Yence,

Écoutez-moi, gens de Provence ; S'il fait trop chaud pour vous, amis, allons gatment,

Sur les bords d'une Durençole,

Nous étendre sur Therbe molle I

Mais de Marseille à Valensole, Que Ton chante Mireille et qu'on plaigne Vincent !

Des joncs qui la tenaient cachée,

La nef fragile est détachée ; Le petit Andrelon de ses bras gracieux

La conduit dans la traversée ;

Mireille, la tête baissée.

Sur le grand Rhône balancée, Ed contemplait les flots d'un regard soucieux.

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388 MIRËIO, GANT X.

E disié Tenfant remaire :

Ve! coutne es large dins sa maire

[.ou Rose I... Jouveineto, entre Camargo e Grau, Se farié de bèlli targo I Car aquelo isclo es la Camargo, E peralin tant s'espalargo

Que dôu fluve ariaten vèi bada li sèt grau. «-

Coume parlavo, dins lou Rose Tout resplendènt di trelus rose

Que déjà lou matin f espandissié, plan-plan Mountavo de lahut : di vélo L'auro de mar gounflant la telo, Li campejavo davans elo

Goume uno pastourello un troupèu d'agnèu blanc.

0 magniftqui souloumbrado !

De frais, d'aubo desmesurado Miraiavon, di bord, si pège blanquinous;

De lambrusco antico, bestorto,

Fenvertouiavon si redorto

E dôu cimèu di branco forto Leissavon pendoula si pampagnoun sinous.

Lou Rose, emé sis oundo lasso E dourmihouso e tranquilasso,

Passavo; e regretousdôu palais d'Avignoun, Difarandoulp e di sinfôni, Goume un grand vièi qu'es à Tangôni, Eu pareissié tout malancôni

D'ana perdre à la mar e sis aigo e soun noum.

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MIREILLE, CHANT X. 389

Tout en ramant sur sa nacelle,

L'enfant disait : Ma jeune belle, Vois-tu comme le fleuve est large dans son lit!

La Camargue est sur l'autre rive,

La Camargue, île productive,

par sept bras le Rhône arrive A la mer qui l'attend et qui rensèvelit.

Pendant qu'il tenait ce langage, L'aube semait sur le rivage

Ses rayons tamisés aux feuillages tremblants ; Au ciel s'effaçaient les étoiles. Les bateaux montaient ; de leurs voiles Le vent de mer poussait les toiles,

Comme une pastourelle un troupeau d'agneaux blancs.

Salut! ombrages magnifiques Des trembles, des frênes antiques.

Se mirant dans le fleuve et buvant à ses eaux ! Salut! lianes tortueuses, Qui pendez aux branches rugueuses. Et d'un arbre à Tautre amoureuses,

Enlacez dans les airs vos flexibles rameaux !

Majestueux, calme, tranquille,

Le Rhône immense au bord de l'île. Passait; et, regrettant le palais d'Avignon,

Les chants, les fêles, l'harnionie

Qui charment sa rive bénie,

Semblait pris de mélancolie D'aller perdre à la mer et ses eaux et son nom.

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390 MIRÈIO, CANT X.

Mai Tamourouso qu'ai cantado Sus lou dougan èro sautado :

Gamino, lou pichot cridavo, tant ({ue Trouvaras de camin ! Li Santo A sa capello roiraclanlo Tout dre te meuaran. Aganto,

Acô di, si dos remo, e Tiro soun barque t.

Souto li fiô que Jun escampo, Mirèio lampo, e lampo, e lampo!

De soulèu en soulèu' e d'auro en auro, vôî Un plan-païs inmènse ; d*erme Que n'an à Tiue ni fin ni terme ; De liuen en liuen e pèr tout germe.

De ràri tamarisso... e la mar que parèi...

De tamarisso, de counsôudo, D'engano, de fraunio, de sôudo *,

Amàri pradarié di campèstre marin, Ounte barrulon Ji brau nègre £ li cavalot blanc : alègre, Podon aqui libramen segre

Lou venlihoun de mar tout fres de pouverîn.

La bluio capo souleianto S'espandissié, founso, brihanto,

Couronnant la palun de soun vaste countour, Dins la liunehour qu'alin clarejo De-fes un gabian voulastrejo ; De-fes un aucelas oumbrejo,

Ermito cambaru dis estang d*alentour.

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MIREILLE, CHANT X. 891

Au point que le pilote marque,

Mireille saute de la barque. •^ Marche, lui dit Tenfant, va, le chemin est beau;

Les Saintes, en voyant ton zèle,

Te conduiront à leur chapelle.

Et cela dit, de la nacelle U ressaisit la rame et la remet à Teau.

Par une chaleur tropicale

Notre intrépide Provençale Vole de vent en vent, de soleil en soleil ;

Devant elle une plaine immense

Qui finit la mer commence ;

l'œil, de distance en distance. Distingue un tamaris ou quelque arbre pareil...

Ces tamaris mêlés aux prêles,

Aux arroches, aux soudes grêles. Sur des sables règne un silence éternel,

Forment les vastes pâturages

Où, bœufs noirs et chevaux sauvages

Viennent, sur les humides plages. Respirer Tair marin tout imprégné de sel.

Cependant la voûte azurée.

D'un brillant soleil éclairée. Couronnait les marais de son vaste contour;

Pour toute vie au paysage.

Parfois, au loin vers le rivage.

Un chevalier au noir plumage. Solitaire aux longs pieds des étangs d'alentour;

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392 MIRÈIO, CANT X.

Es un cambet^ qu'a li pèd rouge;

0 'n galejoun * qu*espincho, aurouge, S drèisso fieramen souu noble capelut,

Fa de très lôiigui plumo blanco

La caud déjà pamens assanco :

Pèr s*alôugeri, de sis aoco La chalouno desfai li bout de soun fichu.

E la calour, sèmpre mai vivo, Sèmpre que mai se recalivo ;

E déu soulèu quemounto à Tafrèst déucèu-sin^ Dôu souleias li rai e Tuscle Plovon à jabo coume un ruscle : Sèmblo un lioun que, dins soun ruscle,

Devouris dôu regard li désert abissin !

Souto un fau, que farié bon jairel Lou blound dardai beluguejaire

Fai parèisse d'eissame, e d'eissame feroun, D'eissame de guèspo, que volon, Mounton, davalon, e tremolon Coume de lamo que s'amolon.

La roumiéuvo d'amour que lou lassige roump,

E que la caumo desaleno, De soun éso re ^ouno e pleno

A leva Tespingolo ; e soun seo, bouleguiéu Coume dos oundo bessouneto Dins uno lindo fountaneto, Sèmblo d'aquéli campanelo*

Qu'en ribo de la mar blaiiquejon dins l'estiéu.

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MIREILLE, CHANT X. 3S

Parfois un bihoreau farouche,

Qui, vous regardant d un œil louche,

Redressait fièrement son plumet élégant,

Fait de trois longues plumes blanches. •• Mireille, retroussant ses manches, Dégage bientôt de ses hanches

Les bouts de son fichu devenu fatigant.

Car, chaque heure nouvelle apporte

Une chaleur toujours plus forte ; Et trônant au zénith, du haut des cieux sereins.

Le soleil, sur la terre ardente,

Versait sa flamme ruisselante.

Tel un lion, que la faim tente. Dévore du regard les déserts abyssins!

Sous un grand hêtre et sur la mousse

Dieu! qu'une halte eût été douce! On croyait voir dans Tair, sous un prisme trompeur,

Des essaims de guêpes légères,

S'agitant, usant leurs colères.

Sous le feu des rayons solaires. Alors la pauvre enfant qu'essouffle la chaleur.

Et que la fatigue exténue,

Ote de sa main ingénue L'épingle à son corsage ; et son sein agité

Comme les flots d'une onde pure

Sous les souffles de la nature,

Ressemble à ces fleurs d'aventure Qu'aux rives de la mer on voit blanchir l'été.

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894 MIRÈIO, GANT X.

Mai pau-à-pau davans sa visto

Lou terradou se desentristo; E veici pau-à-pau qu'aperalin se mon

E trelusis un grand clar d*aigo :

Li daladèr ^, H bourtoulaigo,

Autour de Ferme que s'enaigo Grandisson, e se fan un capèu d'ourobro mèo.

Ëro uno visto celestino,

Un fres pantai de Palestine ! De-long de Taigo bluio uno vilo lèu-lèu

Alin s'aubouro, emé si lisso,

Soun barri fort que Tempalisso,

Si font, si glèiso, si téulisso. Si clôuchié loungaru que crèisson au soulèu.

De bastimen e de pinello,

Emé si vélo blanquinello Intravon dins la darso ; e lou vent, qu'èro dons,

Fasié jouga sus li poumeto

Li bandeiroun e li flameto.

Mirèio, emé sa man primeto Eissugué de soun front li degout aboundoos;

E de vèire tal espetacle,

Gujè, moun Dieu ! crida miracle 1

E de courre, e de courre, en cresènt qu'èro aqui La toumbo santo di Mario. Mai au mai cour, au mai varlo La ressemblanço que Tesbribo,

Au mai lou clar tabléu de liuen se fai seguL

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MIREILLE, CHANT X. :>95

Mais tout à coup, ô douce ivresse,

La Camargue perd sa tristesse ; Voici qu'à Thorizon s'étend et resplendit

Un beau lac plein d'une eau limpide;

Près de là, sur le sol humide,

Le pourpier, ailleurs si timide, En longs rameaux ombreux s'élève et s'arrondit

C'est une vision divine,

Un vrai rêve de Palestine! Sur les bords de ce lac, de mousse revêtus,

Vers le fond d'un golfe tranquille.

S'élève bientôt une ville,

Avec ses maisons à la file. Ses temples, ses palais et ses clochers pointus.

Des bateaux déployant leurs flammes,

Fendaient les eaux avec leurs rames; Et les grands bâtiments, banderoles en l'air,

Et toute voile desserrée.

De la rade abordaient l'entrée.

Mireille, aussitôt rassurée. Oublie en un instant tout ce qu'elle a souffert,

Et rayonnante, à ce spectacle,

Elle croit que, par un miracle. Cet amas de maisons à son regard offert.

Marque le but de son vayage;

Mais, hélas! vers la douce image.

Plus elle va, plus le mirage Recule devant elle et fuit dans le désert.

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306 MIRÈIO, CANT X.

Obro vano, sutilo, alàdo,

Lou Fantasli * Tavié fielado Em' an rai de soulèu, tencho emé li coulour

Di nivoulun : sa tramo feblo

Finis pèr tremoula, vèn trebJo,

E s'osvalis coume uno nèblo. Mirèio rèsto soulo e nèco, à la calour.

E z6u li camello de sablo, Brulanto, mouvènto, ahissablo !

E zôu la grand sansouiro^, e sa crousto de sau Que lou soulèu boufigo e luslro, E que cracino, e qu'escalustro ! E zôu li plantasse palustro,

Li canèu, li triangle, estage di mouissau!

Emé Vincèn dins la pensado, Pamens, dempièi lôngui passade,

Ribejavo toujour Tesmarra Vacarés ; Déjà, dfija di grandi Santo Vesié la glèiso roussejanto, Dins la mar liuencho e flouquejanto

Crèisse, coume un veissèu que poujo au ri 1k Ires.

De rimplacablo souleiado Tout-en-un-cop Tescandihado

tanco dins lou front si dardaioun : vcla, 0 pecaireto î que s'arreno, E que, long de la mar sereno, Tounibo, ensucado, sus Tareno...

0 Grau, as toumba flour! o jouvènt, plouras-In !..

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MIREILLE, CHANT X. 3^^

Œuvre vaine, subtile, ailée.

Que les lutins avaient filée Avec des vapeurs d'ombre et des feux de soleil !

Trame aérienne que la brise '

De son souffle volatilise.

Et que Mireille, en sa surprise, Croit avoir vue en songe aux heures du sommeil

Vogue donc encor, misérable,

Dans les grands océans de sable ! Et seule et sans secours et sans abris voisins,

En avant, dans les vastes plaines,

Dans les solitudes peu saines,

Dans les herbes paludéennes. Et dans les roseaux verts, asile des cousins I

Ayant Vincent dans sa pensée,

Déjà la triste fiancée Du vaste Valcarès allait quitter le bord ;

Déjà, des Saintes immortelles,

Elle voyait les trois chapelles.

Sous leur forme de citadelles, Croître, comme un vaisseau qui cingle vers le port.

Tout à coup, ardent, implacable,

Le soleil, dont le feu Taccable» Lui darde ses rayons dans le front ; la voilà

Seule au bord de la mer sereine,

Sans une main qui la soutienne,

Tombant sous ?$on poids qui Fentraine... 0 Crau! ta fleur périt; jeunes geiii pleurez-la !<..

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838 MIRÈIO, CANT X.

Quand lou cassaire de la coumbo

De-IoDg d'un riéu vèi de couloumbo Que bevoD, innoucènto, e que s'aliscon, lèu

Qu'entre-mitan li bouissounaio

Emé soun armo vèn en aio ;

E sèmpre aquelo qu'engranaio Es la plus bello : ansin faguè lou dur soulèu.

La inalurouso èro eslernido

Sus lou sablas, estavanido. D*asard, aqui de-long, passé 'n vôu d'arabi ;

E *n la vesènt que rangoulavo,

E soun blanc pitre que gounflavo,

E dôu rebat que la brulavo Pas un brout de mourven que vèngue la curbi,

Pietousamen li mouissaleto

Fasien viéuloun de sis aleto, E zouiizounavon : Lèu! poulido, lèvo-tel

Lèvo-te lèu ! qu'es trop malino

La caud de la palun salino !

E pougnien sa tèsto clino. E la mar, entremen, de si fin degoutet.

Contre li flamo de sa caro

Bandissié l'eigagnolo amaro. Mirèio se levé. Doulènto, e gingoulant :

Ait de ma tèsto f plan-planeto

Se tirasse la chatouneto ;

E, d'enganeto en enganeto, 1 Santo de la mar venguè balin-balant

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MIREILLE, CHANT X. ^ 9

Quand le chasseur de la vallée

Surprend le soir, sous la feuillée, Des colonr.bes buvant le long d'un clair ruisseau.

Et battant Tonde de leur aile ;

Du plomb qui part sous Tétincelle

Il atteint toujours la plus belle ; Ainsi fit le soleil aux plaines de la Grau.

La malheureuse était gisante

Sur la poussière incandescente. Un grand vol de cousins survint en ce moment,

Gent peu tendre de sa nature !

Mais, en voyant cette figure,

Ge sein que la douleur torture, Leur petit cœur lui-même eut un bon mouvement.

Et les cousins, pleins d'un beau zèle,

Tourbillonnant tout autour d'elle, Lui bourdonnaient ces mots : c Viens! belle, lève-toi!

Gar cette zone n'est pas sûre!

Puis, à la pauvre créature.

Tous, venaient faire une piqûre; Et la mer, à son tour, prise d'un doux émoi;

Jetait sur sa face embrasée,

Ses fines gouttes de rosée. Mireille se leva croyant presque à sa fin :

0ht de ma tête! cria-t*elle;

Et derechef, vers la chapelle»

Tirant le pied et traînant l'aile, Aux Saintes de la mer, la pauvre arrive enfin.

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400 MIRÈIO, GANT X.

E de plour dins si parpello,

Contro h bard de la capello, Que lou toumple maria bagno de soun trespir,

Piqué sa tèsto, la paureto !

E, sus lis alo de Taureto,

Entanterin sa preguiereto Veici coume eilamount s'enanavo en souspir :

0 Sànti Maiio, Que poudés eu flour Ghanja nôsti plour, Glinas lèu Taurihe De-vers ma douleur !

Quand veirés, pecaire! Moun reboulimen E moun pensamen Vendrés de moun caire Pietadousamen.

Siéu uno chatouno Qu'âme un jouveinet, Lou bèu Vincenet ! léu l'ame, Santouno, De tout moun senet !

léu Tame I iéu Tame, Coume lou valat Amo de coula^ Coume Taucèu flame Amo de voula.

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MIREILLE, CHANT X. 401

Devant la Majesté divine,

A deux genoux elle s'incline ; Longtemps elle s'excite à ces élans pieux

Que le vieux temple favorise;

Et puis, sur l'aile de la brise,

Voici comment, à peine émise. Sa prière aussitôt s'envolait vers les cieux.

Glorieuses Saintes, Qui pouvez en fleurs. Changer tous nos pleurs, Écoutez mes plaintes. Calmez mes douleurs!

Mon malheur insigne. Étant raconté. Avec vérité, Vous paraîtra digne De votre bonté I

Je me suis éprise D'un garçon charmant; M a nom Vincent ; Et, quoi qu'on en dise. Je l'aime ardemment !

Je l'aime de même Qu'au riant ruisseau. Aime à couler l'eau ; Je l'aime, comme aimp A voler l'oiseau.

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402 MIRÈIO, CANT X.

E voloii qu'amosse Âquéu Vià nourri Que vôu pas inouri ! E volon que trosse L'amelié flouri !

0 Sànti Mario Que poudès en flour Ghanja nôsti plour, Ginas lèu Taurilio De-vers ma doulour !

D'alin siéu vengudo Querre eici la pas. Ni Grau, ni campas, Ni maire esmougudo Qu'arrèste mi pas !

E la souleiado, Emé si clavèu E sis arnavèu, La sente, à raiado, Que poun moun ccrvèu.

Mai, poudès me crèire I Dounas-me Vincèn ; Ë gai e risènt, Vendren vous revèire Téuti dous ensèn.

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MIREILLE, CHANT X. 403

. Ef Ton veut de force, Qu'en mon pauvre cœur, Meure celte ardeur ; On veut que j'écorce L'amandier en fleur f

Glorieuses Saintes, Qui pouvez en fleurs Changer tous nos pleurs, Écoutez mes plainles, Calmez mes douleurs.

Vers ce sanctuaire, Dieu m'en est témoin, Je viens de bien loin, Des pleurs de ma mère N'ayant aucun soin !

Et sans m'être plainte D'un chemin si long, A travers mon front. J'ai senti l'atteinte D'un soleil de plomb t

A mon cœur qui tremble Accordez Vincent, Et d'un cœur fervent. Nous viendrons ensemble Vous prier souvent !

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404 MIRÈIO, CANT X.

L'estras de mi tempe Al or cal ara ; E dôu grand ploura Momi regard qu'èi trempe. De gau lustra.

Moun paire s'oupaoso A-n-aquel acord . De touca soun cor, Vous èi pau de causo, Bèlli Santo d'or!

Emai fugue duro L*ôulivo, lou vènl Que boufo is Avènt, Pamens Tamaduro Au poun que counvèn.

La nèspo, Tasperbo, Tant aspro au culi Que fan tressali, Fa proun d'un pau d*erbo Pèr li remouli " !

0 Sànti Mario, Que poudès en flour Chanja nôsti plour, Glinas lèu Tauribo De-vers ma doulour !

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MIHEILLË, CHANT X. 405

Toute ma tristesse Alors se fondra. Dans ce bonheur-là ; Mon œil d'allégresse Alors reluira!

Mon père s'oppose A ce doux accord ; Adoucir mon sort Vous est peu de chose. Belles Saintes d'or!

L'olive si dure Qu'elle soit avant, L'olive à l'A vent Cède et devient mûre Au souffle du vent!

Quelque temps qu'il faille Pour y réussir, La nèfle, à loisir, Sur des brins de paille Finit par mollir!

Glorieuses Saintes, Qui pouvez en fleurs. Changer tous nos pleurs. Écoutez mes plaintes, Calmez mes douleurs !

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406 MIRÈIO, GâNT X.

Ai de farfantello ? Qu'es?... lou paradis? La glèisû grandis, Un baren d'estello Âmount s'espandis !

0 iéu benurouso ! Li Santo, moun Dieu I . Dins rèr sènso niéu Davalon, courouso, Davalon vers iéu!...

0 bèlli patrouno, Èi vous, bèn verai!.., Escoundès li rai De vôsti courouno, 0 iéu mourirai !

Vosto voues m'apello?... Que noun vous neblas, Que mis iue soun las!... Mounte es la capeilo ? Santo !.. . me parias ?. . .

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MIREILLE, CHANT X. ^^

Qui tire ces voiles ? A mes yeux ravis, Les arceaux grandis Se couvrent d*étoiles.*« Suis-je au paradis?

Extases heureuses! Les Saintes, mon Dieu, Du fond du ciel bleu, Viennent radieuses Sur un char de feu...

0 belles patronnes, C'est vous, c'est bien vrai!... Cachez sans délai. Vos riches couronnes, Ou bien j'en mourrai !

Votre voix m'appelle ! De grâce, voilez Vos fronts étoiles ! va la chapelle ..I Saintes!... Vous parlez.,,?

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403 MIRÈIO, GANTX.

E dins l'estàsi que Temporto,

Desalenado, inita morto, Mirèio, d'à-geinoun, ëro aqui sus li bard,

Li bras en Ter, la tèsto à rèire ;

E dins li porto de Sant-Pèire,

Sis iue fissa pareissien vèire L'autre mounde, à travès la teleto de car.

A si bouqiieto que soun mudo ;

Sa caro belle se tremudo, E soun amo e soun cors dins la countemplacioan

Nadon estabousi : dins TAubo

Que cencho d'or lou front dis aubo,

Palis d^ même e se derraubo Lou lume que vihavo un orne en perdicioun.

Très femo de bèuta divine,

Pèr un draiôu d'estello fine, Davalavon d'amount ; e coume, au jour levant.

Un escabot se destroupello,

Lis aut pieloun de la capello

Emé Tarcèu que Tencapello, Pèr durbi camin, se garavon davan.

E, dins Ter linde, blanquinouso,

Li très Maiio luminouso Davalavon d'amount : une, contre soun sen,

Tenié sarra 'n vas d'alabastre ;

E, dins li niue sereno, Tastre

Que douçanien fai lume i pastre, Pou roîraire soulet soun front paradisen I

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MIREILLE, CHANT X. 409

Et dans l'extase qui l'emporte

La pauvre fille à demi-morte, Haletante, à genoux, les bras levés en l'air,

La tête penchée en arrière, .

Par la grand'porte de saint Pierre,

Croyait voir, en pleine lumière, L'autre monde à travers le voile de la chair.

A ce jour d'une autre nature,

Son visage se transfigure, Et son âme et son corps, dans un rêve enivrant,

Nagent transportés : devant l'aube,

Éclairant le réveil du globe.

Ainsi pâlit et se dérobe, La lampe qui veillait au chevet d'un mourant.

Trois femmes à formes divines.

Par un sentier d'étoiles fines, Venaient du haut du ciel ; et comme, au point du jour,

Un troupeau s'enfuit pêle-mêle.

Les hauts piliers de la chapelle,

La voûte et l'arceau qui la scelle. Pour les laisser passer s'ouvraient avec amour;

£t dans les brumes vaporeuses,

Les trois figures lumineuses. Descendaient vers le sol : Tune contre son sein,

Tenait un beau vase d'albâtre.

Et la lune à lueur blanchâtre.

Qui, la nuit, éclaire le pâtre. Peut seule rappeler son front de Séraphin.

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410 MIRËiO, GAMT X.

I jo de Tauro, la segoundo Laisso ana si treneto bloundo»

E camîno, moudèsto, un rampau à la man La tresenco, jouineto encaro, De sa blaiico mantiha claro Escoundié 'n pau sa bnino caro,

E si négri vistoun lusien mai que diamant.

Vers la doulénio quand fuguèron, En dessus d'elo se tenguèron,

Inmoubilo, e 'm^ acô parlavon. Tant dous E clarinèu èro soun dire, E tant afable soun sourrire, Que lis espino dôu martire

Fiourissien dins Mirèio en soûlas aboundous

t

Âssolo-te, pauro Mirèio :

Sian 11 Mario de Judèio ! Âssolo-te, fasien, sian li Santo di Baus !

Assolo-te! sian li patrouno

De la barqueto, qu'envirouno

Lou trigos de la màr ferouno, E la^mar, quand nous yèi, retoumbo léu à paus!

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MIREILLE, GHâNT X. 411

Au souffle du vent, la seconde

Livre sa chevelure blonde, Et chemine, modeste, une palme à la main;

L'autre un peu brune et jeune d'âge

Cachait à moitié son visage

Sous un long voile qui l'ombrage Et modère le feu dont son regard est plein.

Vers Mireille quand elles vinrent,

Au-dessus d'elle, elles se tinrent, Immobiles, avec d'ineffables accents;

Et si suave était leur dire.

Et si gracieux leur sourire,

Que les épines du martyre Fleurissaient dans son sein en bouquets ravissants :

t

Console-toi, pauvre Mireille ; Ta plaihie a frappé notre oreille !

Nous vînmes de Judée aux collines des Baux f Nous sommes les Saintes Maries, Veillant sur ces terres chéries, Cal irïant la mer dans ses furies.

Et protégeant l'esquif qui vogue sur ses eaux I

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m MIRÈIO, GANT X.

Mai, que ta visto atnount s'estaque! Veses lou camin de Sant Jaque ?

A dès i'erian ensèn, alin de l'autre bout ; Regardavian, dins lis estello, Li proucessioun que van, fidèlo. En roumavage à Goumpoustello

Prega, sus soun toumbèu, noste fiéu e nebout.

E 'scoutavian li letanio....

E lou murmur di fountaniho, Lou balans di campano, e lou déclin dôu jour,

E li roumiéu pèr la campagno.

Tout rendié glôri, de coumpagno,

À TApoustôlJ de TEspagno, Noste fiéu e nebout, Sant Jaque lou Majeur.

E, benurouso de la glôri

Que remountavo à sa memôri, Sus lou front di roumiéu mandavian lou bagoun

Dôu serenau, e dedins Tamo

vejavian joio e calamo.

Pougnént coume de jit de flamo, Es al or que vers nautre an mounla ti plagnun.

0 chatouno, ta fe 's di grande ;

Mai, que nous peson ti demande ! Vos béure, dessenado, i font de Tamour pur !

Dessenado, avans qu'èstre morto,

Vos assaja la vido forto

Que dins Dieu même nous trcsporto ! Dempièi quouro as avau rescountra lou bonur ?

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MIREILLE, CHANT X. 413

Âu-dessus des brumes opaques, - Vois-tu le chemin de saint Jacques ? Nous le suivions tantôt sur notre char de feu;

Du haut de la voûte éternelle,

Nous voyions la troupe fidèle

Des gens venant à Compostelle Tihercher la tombe oii dort notre fils et neveu.

Nous écoutions les litanies....

Et la brise et ses harmonies, lies cloches qui sonnaient, les cantiques en chœur

Des pèlerins sur la montagne,

Tout racontait ce qu'à Dieu gagne

Ce grand apôtre de l'Espagne, Notre fils et neveu, saint Jacques le Majeur.

Et bienheureuses de la gloire

Qui remontait à sa mémoire, Nous versions la rosée au front des pèlerins ;

Ou mieux, nous versions dans leur âme

La douce paix qu'elle réclame.

Poignante comme un jet de flamme, C'est alors que ta voix nous a dit tes chagrins.

Ta foi, jeune fille est bien grande ;

Mais que répondre à ta demande ? Aux eaux de l'amour pur tu veux plonger ton cœur I

Et tu crois, ô folie extrême,

Trouver ce bonheur suprême

Qui nous égale à Dieu lui-même ! Ou donc, as-tu là-bas rencontré le bonheur ?

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414 MIREiO, GANT X.

L'as vist dins Fome riche ? Gounfle, Estalouira dins soun triounfle,

Nègo Dieu dins soun cor e tèn tout lou camin ; Mai, quand es plen, toumbo Tiruge ; E que fara de soun gouufluge. Quand se veira davans lou Juge

Que dins Jerusalén intravo su 'n saumin ?

L'as vist au front de la jacudo,

Quand de soun la, touto esmougudo, Porge lou proumié rai à soun enfantounet ?

Ta proun d'uno malo tetado ;

Ë, sus la brèsso descatado,

Regardo-la, despoutentado, Que poutounejo mort soun paure pichounet !

L'as vist au front de la nouvieto, Quand, plan-planet, dins la draieto

Gaminavo à la glèiso emé soun nôvi?... Vai« Pèr lou parèu que lou chaupino, Âquéu.draiôu a mai d'espino Que Tagrenas de la champino.

Car tout n'es eilavau qu'esprovo e long travai !

E 'ilavau Toundo la pu claro, Quand l'as begudo, vèn amaro ;

Eilavau nais lou verme emé lou fru nouvéu, E tout degruno, e tout se gasto... As bèu chausi sus la banaslo : L'arange, tant dous à la tasto,

\ la longo dôu tèms vendra coume de fâu f

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MIREILLE, CHANT X. 415

L*as-tu trouvé dans la richesse?

Que sert d'avoir, dans son ivresse, Renié Dieu, rempli la terre de son nom ?

Après le beau temps le déluge ;

Et l'or n'est qu'un pauvre refuge

Quand on arrive aux pieds du Juge, Qui dans Jérusalem entrait sur un ânon !

L'as-tu vu chez la jeune mère

Qui sur son lit, joyeuse et flère. Prodigue au nouveau-né ses baisers éperdus?...

Que le moindre souffle morbide

Vienne altérer ce front candide.

Et le berceau redevient vide. Et le ciel dans ses rangs compte un ange de plus!

L'as-tu vu dans la fiancée,

Qui, des plus doux rêves bercée, Monte, au milieu des siens, les marches de l'autel ?...

Oh ! va ! pour peu qu'elle y chemine,

Ce chemin, comme Téglantine,

Pour elle aura plus d'une épine ; Car là-bas rien n'est stable, encor moins éternel !

Et là-bas Ponde la plus claire

Devient une boisson amère ; Le ver, au fruit nouveau, naît avec le printemps ;

I/or le plus pur a son mélange ;

La perle tombe dans la fange;

Et si douce que soit l'orange. L'amertume s'y met à la longue du temps !

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416 MIRÈIO, GANT X.

E tau, te sèmblo que respiron,

Dins Yoste roounde, que souspiron !...

Mai quau sara 'nyejous de béure à-n-un sourgènt Que noun s'agoute e se courroumpe, En soufrissènt, que se lou croumpe, Fau que la pèiro en tros se roumpe,

Se Toulès n'en tira la paiolo d'argent.

Urous adounc quau pren li peno,

£ quau en bèn-fasént s'abeno ; E quau plouro, en yesènt ploura lis autre ; e quau

Trai lou mantèu de sis espalo

Sus la pauriho nuso e palo ;

E quau 'mé Tumble se rebalo, E pèr Tafrejouli fai lampa soun fougau !

E lou grand mot que Tome ôublido,

Veleici : La mort es la vido ! E li simple, e li bon, e li dous, benura !

Ëmé Taflat d'un vent sutile,

Amount s'envoularan tranquile,

E quitaran, blanc coume d'ile, Un mounde ounte li Saut soun de-longo aqueira.

Tambèn, oh ! se vesiés, Mirèio,

Pereiçamount de Tempirèio, Coume veste univers nous parèis marridoun,

E folo, e pleno de misèri

Vôstis ardour pèr la matéri,

E vôsti pôu dôu cementèri ! 0 pauro ! belariés la mort e lou perdoun t

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MIREILLE, CHANT X. 417

Tel parait nager dans la joie

Qui dans la tristesse se noie ! - Qui veut boire une eau pure et jamais ne changeant,

Doit Tacheter par la souffrance !

l^a volonté, c'est la puissance!

A qui brise sa résistance, Le rocher livre enfin la paillette d'argent !

Heureux donc qui, dans ses largesses

Épuise toutes ses richesses ! Qui, lorsqu'il voit des pleurs, cherche à les essuyer!

Qui du bien, faisant son idole,

Revêt le pauvre, le console

De son pain ou de sa parole. Et pour le réchauffer allume son foyer !

Et le grand mot que l'homme oublie,

Le voici : La mort, c'est la vie ! Car à la mort, les bons, les simples et les doux,

Gomme Tenlant qui rompt ses langes.

Iront sur les ailes des anges.

Grossir les célestes phalanges, Loin d'un monde trop plein de méchants ou de foQs.

Ah ! si tu voyais, pauvre fille.

Des hauteurs le soleil brille, Combien votre univers est chétif à nos yeux,

Et combien nous paraissent vaines,

Vos jouissances et vos peines.

Et toutes vos choses humaines, La mort serait alors le plus cher de tes vœux.

27

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4IB MIRÊIO. GANT %,

Mai, de daTaos que louèla 's{Hga6,

En terro fau que rebouligue ! Es la lèi... Emai nautre, ayans d'avé de rai|

ÀTèn begu l'aigre abéurage ;

E pèr enfin que ioun cooprage .

Prengue d'alen, de nostaviage Voulèn te racounta lis àrâ e lis esfr^.

E se teisèron li très Santo;

E lis oundado caressante, Pèr escouta, courrien de-long déu ribeiré^,

A troupelado ; li pineclo

Faguèron signa à la vernedo ;

E li gabian e lis anedo Veguèron s'amata l'inmènse Vacarés/

.12

E lou soulétt emé la )uno, i ]....■ ^ Dins la liunchour que's*enipalqnp,:

Adourèron, clinant si frountas çreqiesân; .

E la Gamargo salabro.uso

Trefouliguè... Li Benurouso, Pèr douna voie à Taniourouso,

Au bout ^d'i|n moumonct coum^ncèron ansin :

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MIREILLE, CHANT X. 419

Mais avant d'orner le parterre,

La fleur doit germer dans la terre; C'est la loi ; nous de même, au temps de neti'e &»1,

Nous avons bu Tàmer breuvage ;

Et, pour soutenir ton courage

Nous allons de notre voyage Te raconter Teffroi, le trouble et le péril.

A ces mots, les Saintes se turent.

Et tantes les vagues s'émurent, . Courant vers le rivage afin d'écouter mieux;

Les pins, du haut de leurs collines.,

Firent signe aux plantes marines;

Et calmant ses ondes mutines, L'immense Valcarès devint silencieux.

Plus loin, derrière la lagune,

On vit le Soleil et la Lune Incliner à la fois leur front respectueux ;

La Crau, la Camargue adorèrent ;

Les cimes des monts s'abaissèrent ;

Et les trois Saintes commencèrent. Commencèrent ainsi leur récit merveilleux ?

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NOTES DU CHANT DIXIÈME

i. Vénço (Vence), petite ville du département du Var, du côté d^Antibes, ancien évêché.— Zhirenpoto. On donne ce nom aux divers canaux dérivés de la Duraace. Valensole, petite ville des Basses-Alpes.

2. De souléu en soulèu e (fauro en auro (de soleil en «oleil et de vent en vent;, locution usuelle en Provence pour dire: Du levant au couchant, du nord au midi.

3. Tamartsso (tamaris), tamarix gallican Lin. Engano (salicorne), salicomia fruticosa, Lin. - Fraumo (arroche- pourpierj, êtriplexportulacoide$. Lin. Soudo tsoiide), saUola ioda. Lin., végétaux communs dans la Camargue.

4. Cambet. Ce nom désigne plusieurs oiseaux de Tordre des échassiers, principalement le petit Chevalier aux pieds rouges (tringa gambetta. Lin.), et le grand Chevalier aux pieds rouges (scolopax calidrix, Lin.).

6. Gali^oun (bihoreau), ardea nydicorax. Lin., oiseau de l'ordre des échassiers, qu*on appelle aussi motm.

6. Campaneto, les campanules qui, au rivage de la mer, étalent en été leur blancheur

L*auteur a voulu parler ici . te la belle fleur qu*on nomme en provençal Uedemar {panciatium maritimum. Lin.).

I. Daladèr (du latin alatemus), phyllirea latifoliat Lin., grand arbrisseau de la famille des jasminécs.

8. Lou Fantatti (le Fantastique), autrement nommé Esprit faïUasti, follet, lutin dont Taction se manifeste par des e8|)ic-

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NOTES DU CHANT X. 421

gleries. Pour plus de détails sur cette croyance populaire» voyez chant VI, strophes 41 et suiv.

9. Sansouiro (sansouire), vastes espaces stérilisés et couverts d*efOorescences salines par le voisinage et rinfiitration de la mer.

10. Mourven (morven), genévrier de Phénicie.

11. C'est assez d*un peu d'herbe pour les ramollir.

On fait mûrir et ramollir sur de la paille les nèfles et lot cormes.

13. Vacaré» (le Valcarès). (Voyez chant iV» note 10.)

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CANT VOUNGEN

LI SANTO

Li Sinli Mario raconlon qu'après la mort d6u Crist, fuguèron em- bandido, emé d'àutri disciple, h la bello eisservo de la mar, a 4)u'abourdèron en Prouvènço, « que coQiivertiguëron li pople d'aquclo encountrado. La navigacioun. La tempèsto. Arri- bado en Arle di gant despatria. Arle rouman. La fèsto de Venus Sermonn de sant Trefume. Gounversioun dis Arlaten. Li Tarascounen vënon imploura lou secours de Santo Marto. La Tarasco. Sanl Marciau à Limoge ; Sant Savournin à Toulouse; Sant Estrdpi en Aurenjo. Santo Marto doumto la Tarasco, e pièi counvertis Avignonn. La papauta en Avignoun. Sant Lazari k Marsiho. Santo Madaleno dins la baomo. Sant Massemin à- z-Ais. Li Sànti Mario i Baus. Lou rèi Reinië. La ProuvèafiO unido à la Franco. Mirèio, vierge e martiro.

L'aubre de la crous, o Mirèio, Sus la mountagno de Judèio

Èro encaro planta: dre sus Jerusalén, E dôu sang de Dieu encaro ime, Cridavo à la ciéuta dôu crime, Endourmido avau dins Tabime :

Que n'as fa, que n'as fa dôu rèi de Betelèn ?

E di carrière apasimado Mountavon plus li grand bramado ;

Lou Gedroun tout soulet gingoulavo eilalin ; Ë lou Jourdan, de languitudo, S'anavo escoundre i soulitudo, Pèr desgounfla si plagnitudo

 Toumbro di rastencle e di verd petelio.

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CHANT ONZIÈBfE

LE8 SAINTES

Les Saintei Maries racontent comment, après la mort du Gkfffst, ayant été livrées à la merci des flots avec plusieurs antres dis* ciples, elles abordèrent en Provence et convertirent les peuples de cette contrée. La navigation. La tempête. ^ Arrivée des Saints proscrits à Arles. Arles romaine^ La fôte de Vénus. ^ Discours de saint Trophime. Conversion des Artésiens. Les Tarasconnais viennent implorer le secours de Sainte Marthe. La Tarasque. Saint Martial à Limoges; Saint Saturnin à Toulouse; Saint Eutrope à Orange. '^ Sainte Marthe dompte la Tarasque et ensuite convertit Avignon. La papauté à Avignon. Saint Lazare à Marseille; Sainte Magdeleine dans la grotte ; Saint Maximia à Aix ; les Saintes Maries aux Baux. ~ Le roi Rend. La Provence unie à la France. Mireille, vierge et martyre.

L'arbre de la croix, ô Mireille!

Du sang qui Tarrosait la reille, Était encore humide, et sur Jérusalem,

Planant, comme sur un abîme,

La voix de la sainte Victime,

Criait à la cité du crime: Ou'as-tu fait, qa*as-tu fait du roi de Bethléem?

Les clameurs de la populace A la stupeur avaient fait place ;

Le Gédron seul gardait sa désolation ; Et le Jourdain, aux rives saintes. Pour mieux donner cours à ses plaintes, Sous Tombre des verts térébinthes.

Semblait se dérober aux regards de Sion.

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it4 MIREIO, GANT XL

E loa paure pople éro triste,

Car vesié bèn qu^èro soun Griste Âquéu que de Ja toumbo aussani loa curbecèu,

A si coumpagno, à si cresèire

Ëro tourna se faire vèire,

E pièi» leissant li clau à Péire» S'èf 0 eoume un eigloun enaura dins lou céu 1

Ah ! Ion plagnien, dins la Judèio,

Lou bèu fustié de Galilèio ! ]éOn fustié di peu blound qu'amansissié li cor

Emé lou méu di parabole,

E qu'à bel éime sus li colo

Li Dourrissié 'mé de caudolo, E roucaro si ladre, e revenié si mort !

Mai li déutour, li rèi, li prèire,

Touto la chourmo di vendéire Que de soun temple sant lou mèstre avié cassa ;

Quau poudra teni la paui'iho,

Se murmuréron à Tauribo,

Se dins Sioun e Samario Lou lume de la Grous n'èi pas lèu amoussal^

Alor li ràbi s'encagnèron,

E H martire temounièron : Aloi' Tun, coume Estève, ère aqueira loul viéu.

Jaque espiravo pèr Tespaso,

D'autre, engrana souto uno grasot...

Mai sout lou ferre o dins la braso. Tout cridavo en mourènt : 0, Jèsu 's Fiéu de Dieu !

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MIREILLE, GHâNT XI. 425

Et le pauvre peuple est tout triste,

Car il Yoit bien que Jean-Baptiste A dit la vérité sur l'homme glorieux,

Qui, de sa tombe ouvrant la pierre,

Avait reparu sur la terre,

Et puis laissant les clefs à Pierre S'était comme un aiglon envolé vers les deuxl

On le plaignait dans la Judée,

Le charpentier de Galilée! Jésus, aux blonds cheveux, apprivoisant les cœurs.

Avec le miel des paraboles,

Renversant les vieilles idoles.

Montrant Terreur des vierges folles Et prodiguant le baume à toutes les douleurs !

Mais les docteurs pharisaïques.

Et les prêtres des rits antiques. Et les vendeurs du temple, entre eux, à demi-voix.

Se disaient : Mais bientôt la lie

Va prendre la suprématie.

Si dans Sion et Samarie Nous n'obscurcissons pas les lueurs de la Croix!

Alors les rages éclatèrent.

Et les martyres témoignèrent ; Etienne est lapidé, fier d'être au premier rang ;

Puis, Jacques périt par l'épée ;

Puis, commence cette épopée.

Oh toute victime frappée Pour confesser sa foi la signait de son «ang !

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426 MIRÈIO, CANT Xî;

Nautre, H sopre emé li fraire, Que lou seguian pèr tout terraire,

Sus uno ratamalo i furour de la mar, E sènso vélo e sènso remo, Fuguerian embandi. Li femo, Toumbavian un riéu de lagrenio ;

Lis orne vers Ion cèu pourtavon soun regard

Deja, déjà vesèn s'enconrre

Ouliveto, palais e tourre; Vesèn de Taut Carmel li serre e lis estras,

Qu'aperalin fasien la gibo.

Tout-d'un-cop un crid nous arribo :

Nous reviran, e sus la ribo Vesèn uno chatouno. Aubouravo si bras,

En nous cridant, touto afougado :

Oh ! menas-me dins la barcado, Bleslresso, menas-me I Pèr Jèsu, iéu peréu,

Vole mouri de mort amaro î

Èro nosto servènto Saro ;

E dins lou cèu la veses aro Que lou front lusis coume uno anbo d'abréu.

Liuen d'aqui TAguieloun nous tiro ; Mai Salomé, que Dieu ispiro,

Is erso delà mar a jita soun velet... 0 pouderouâo fef... Sus Toundo Que sautourlejo, bluio e bloundo, La chato, que noun se prefoundo, '

Vcnguè dôa ribeirés à noste veisselct,

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MIREILLE, CHANT XI. 4i7

Nous autres, troupe plus obscure, - Sur un esquif, à l'aventure, ^

Aux fureurs de mer fthnes jetés, épars ; Frêle esquif, sans voiles ni rames, Qui nous emportait tous, les femmes, Gardant nos douleurs dans nos âmes.

Les hommes vers le ciel élevant leurs regards.

Bientôt, à Thorizon tranquille

S'effacent les tours de la ville ; l]!intôt, dans le ciel bleu la crête du Garmel

Échappe à la vue attentive ;

Tout à coup un cri nous arrive;

Nous regardons, et sur la rive, Une fille apparaît, levant ses bras au eiel>

Et nous criant : Troupe fidèle,

Prenez-moi dans votre nacelle. Je veux ma part de gloire et ma part de péril,

La palme des martyrs me tente I

C'était Sara notre servante,

Que tu vois resplendissante Avec son front brillant comme une aube d'avril.

Pendant que soufQait le Zépbire,

Salomé, que Dieu même inspire, Avait jeté son voile aux vagues de la mer..,

0 foi puissante! ô foi profonde!...

Sur cette toile mise à Tonde,

Sans que jamais le flot l'inonde, Sara vient jusqu'à nous en dépit de l'enfer ;

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428 MIRËIO, GANT XI.

E TAguieloun la campejavo, E lou velet la carrejavo.

Pamens, quaad dins la fousco eilalin vegucriaa Gimo à cha cimo desparèisse Lou dous paîs, e la oiar crèisse, Fau Tesprouva pèr lou counèisse

Lou langui segreuous qu'alor seuiigueriaD I

Adieu ! adieu, terro sacrado !

Adieu ! Jiidèio mal astrado, Que coussaies ti juste e clavelles toun Diéut

Aro, ti Yigno emé ti dàti

Di rous lioun saran lou pàti,

E ti muraio, lou recàti Di serpatasi... Adieu, patiio, adieu, adieu!

Uno ventado tempestouso

Sus la mariao séuvertouso Couchavo lou batèu : Marciau e SaTournin

Soun ageinouia sus la poupo ;

Apensamenti, dins sa roupo

Lou yièi Trefume s'agouloupo ; Gontro eu èro asseta Tevesque iMassemin.

Dre sus lou tèume, aquéu I^azàri Que de la toumbo e déu susàri

Avié 'ncaro garda la mourtalo palour,

Semble afrounta lou gourg que reno : Em' eu la nau perdudo enmeno Marto sa serre, e Madaleno,

Gouchado en un canloun, que plouro sa douleur.

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MIREILLE» CHANT XI. i29

Et le vent l'aidait de son aile,

Et le voile flottait sous elle ! Pourtant, dans le lointain, quand nous vîmes les monts

Cime par cime disparaître,

La mer seule nous apparaître,

Qui dira ce qu'en nous put naître De nostalgie amère, et de regrets profonds!

Adieu I terre trois fois sacrée.

Adieu maltieureuse cou née, Qui tourmentes le juste et fais la guerre à Dieu 1 ^

Les lions, dures représailles,

Viendront dévorer tes entrailles 1

Et les serpents, dans tes murailles. Feront leur nid !... Adieu! belle patrie, adieu!

Cependant sur la mer houleuse,

Vogue la barque aventureuse ; Martial sur la poupe auprès de Saturnin^

Au ciel adressait sa prière ;

Sans que rien puisse Ten distraire,

Trophime pensait au Calvaire; Non loin était assis Tévéque Maximin ;

Sur le tillac était Lazare,

Ce mortel que la mort avare Dut rendre à la lumière, et qui, d'un air vainqueur,

Affronte l'orageuse plaine;

A ses côtés, la nef emmène,

Marthe sa sœur et Madeleine Gisante dans un coin et pleurant sa douleur.

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430 MIRrJO, GANT Xf.

La nau, que bnton li deroôni,

Meno Esirôpi, meiio Sidôni, i^ôusè d'Arimatk), e Marcello, e Gteoaa;

E, d'apiela sus lis escaume,

Au silènci d6u blu reiaume

Fasicn ausi lou cant di Saume, E 'nsèn repetavian : haudamm te Deum I

Oh ! dins lis aigo belugueto Goume landavo la barqueto !

Nous sèmblo enca de vèire aquéli fouleloun Que retoursien en revoulino Lou pouverèu de la toumplino, Pièi, en couiouuo mistoulino,

S'csvalissien alin coume d'esperitoun.

De la mar lou sonlèu mountavo,

E dins la mar se recatavo ; £, toujour cmplana sus la vaslo aigo-sau,

Ck)urrian toujour la bello eisservo.

Mai dis estèu Dieu nous preservo,

Car dins si visto nous réserve Pèr adurre à sa lèi li pople prouvençau.

Un malin sus téuti lis autre, Fasié téms sol : de davans nautre

Vesian courre la niue 'mé soun lume à la man, Coume uno véiiso matiniero Que vai au four couire si tiero ; L'oundo, aplanado coume uno ioro,

Dou balèutoul-bôu-just balié li calaman.

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MIREILLE, CHANT XI. 431

La nef, que la mer enveloppe,

Conduit, enfin, Sidoine, Ëutrope, Joseph d'Arimathie et Marcelle et Gléon ; i

De temps en temps, l'un ces hommes

Charmait les humides royaumes

Du chant sublime de nos psaumes v '

Ei le chœur réi^iaii: Laudamm te D0^mt

Oh! sur Tonde limpide et belle

Comme glissait notre nacelle | Il me semble encor voir ces souffles tournoyants,

Frôlant l'écume qui bouillonne,

L'unir à l'air qui l'environnei.

Et puis en légère colonne S'évanouir au loin sur les flots souriants.

Le jour, sur la mer qu'il colore,

Naissait, mourait, naissait encore; Et nous, au 'gré des vents, ballottés par les eaux» ; .

Nous errions sur notre gondole...

Mais Dieu remplaçait la boussole ;

Car il nous réservait le rôle De porter l'Évangile aux peuples provençaux.

Un matin, plus que de coutume.

L'aube s'éclaire et se parfume; i

Nous voyions la nuit fuir, sa lanterne à (a main^j . Comme une veuve matinale.

Qui va, pour sa table frugale,

Cuire son pain; la mer égale

Nous laissait doucement foire notre ckevfïvi^. >^ .1

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in MIRÊIO, GANT XI.

n'apereilalin nais, se gounflo,

E porto ourrour dins l'aino, e rounflo Un brul descouueissable, un sourne brounzimen,

Que nous penètro li mesoulo,

E sèmpre mai ourlo e gingoulo.

Isterian mut ! La visto soulo, Tant liuen que poudi' ana, tenié Taigo d'à-menl.

E sus la mar que s'agrounchavo,

La broufounié se raproucharo, Rapide, fourmidablo 1 e morto à noste enlour

Ëron lis erso ; e, nogro marco,

Enclauso aqui tenien la barco.

Alin, tout-en-un-cop s'euarco Une mountagno d'aigo, esfraiouso d'autour.

De nivoulas encourounado,

La mar entiero amoulounado, E que boufo, c que bramo, o Segnour! en courrènt

Venié sus nautre : à la subito,

Un cop de mar nous precepito

Au founs d'un toumple, e nous rejilo A la pouncbo dis erso, espavourdi, mourèiu I

Quéntis espaime ! que destourne !

De longs uiau fcndon lou sourne E poto cop sus cop d'ospaventàbli Iron!

E tout rinfèr se descadeno

Pur englouti nosto careno...

La l^bechado < siblo, reno, E contre lou patdu bacello ndsti front.

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\

MIREILLE, CHANT XL 488

Mais voilà qu'au loin, vers la terre, '

Un bruit comme un bruit tonnerre, S'élève dans les airs et nous glace de peur;

Ce bruit, redouble, s'accentue,

Et l'œil fixé sur l'étendue.

Aussi loin que porte la vue, Chacun de nous regarde et redoute un malheur.

Bientôt, hélas ! de proche en proche.

On sent que la rafale approche. Et dans les airs troublés promène son courroux;

La mer tremblait à son passage ;

Et cependant, triste présage !

La nef ne fait plus son sillage, Et tout est immobile et calme auprès de nous.

Tout à coup s'élève â distance

ÏJne trombe d'eau qui s'avance Vers nous en mugissant; pleine de nos sanglots,

En tous sens la barque s'agite,

Lorsqu'une éecousse subite

Dans le gouffre la précipite. Puis la fait remonter à la cime des Ûotsf

Une nuit noire est survenue ;

Les éclairs sillonnent la nue; La foudre éclate et gronde à coups précipités;

On dirait que, par sa haine,

L'enfer lui-même se déchaîne

Pour engloutir riotrt» carène. Et déjouer ainsi des plans prémédités.

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434 MIRÈIO, GANT &1.

Sas l'esquinau de si camello

Tan<ost la mar nous encimello; Taiiiost, dins la founsour di négri garagai,

Ounte barrulon li lasàmi

Li biôu-marin e li grand làmi,

Anan entendre lou soulàmi Di negadis, que Toundo escoubibo, pecai I

Nous veguerian perdu I S*enverso Sus nôsti tèsto uno gi*ando erso,

Quand Lazàri : Moun Dieu, serve^nous de timouu, M'as davera 'n cop de la toumbo... Ajudo-nous ! la barco toumbo I Goume Tauroun de la palourobo,

Soon crid fend la chavano e volo peramount.

De Faut palais ounte triounflo Jèsu Ta vist; sus la mar gounflo

Jèsu vèi soun ami, soun ami qu'en-tant-léu Vai èstre aclapa souto Toundo. Sis iue 'mé 'no pieta prefoundo Nous countémplon : subran desboundo

A Iravès la tempèsto un long rai de souléu.

A {/e/uia/ sus l'aigo amaro

Moun tan e davalan encaro ; E trempe, e raatrassa, boumissèn l'amarun.

Mai lis esfrai tout-d'un-tèms parton,

Li lamo fièro s'escavarton,

Li nivoulado al in s'esvarton, La lerro verdouleto espclis dôu clarun.

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MIREILLE. GUANT XI 435

Et longtemps dare ce supplice;

Et tantôt la vague nous hisse Sur des montagnes d'eau qui bouillonnent dans Fair;

Et tantôt de ces hautes cimes.

Gomme acharnée à ses victimes.

Elle nous descend aux abîmes. Et nous mêle éperdus aux monstres de la mer !

Croyant à notre heure dernière,

Lazare fait cette prière : Une fois, ô Jésus tu m'as rouvert les yeux,

Et je suis sorti de la tombe...

Aide-nous, ou la barque tombe !

Gomme l'essor de la colombe, Ce cri perce la nue et vole dans les cieux.

Jésus, des hauteurs de l'espace,

Voit le péril qui nous menace ; U voit son doux ami qui l'implore àgciMUx;

Et pris d*une pi lié profonde.

Apaisant la foudre qui gronde,

U lance aux colères de l'onde Un rayon de soleil qui glisse jusqu'à nous.

AUeluiat de la tourmente,

Ce rayon marque la détente ; Le vent tombe ; des flots nous vomissons le fiel ;

On voit s'éclaircir le nuage,

Qui nous avait porté l'orage;

L'espoir ranime le courage, Et la terre apparaît à la clarté du cieL

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436 MIRP.10, GANT XT.

Long-tèms; 'nié d'afrousi turladp,

Nous tn'goussejon lis oundado. Pici se courbai! enfin davans H primo nau

Soute un alen que lis abauco;

I^ primo nau, coume uno plauco \

Fuso entre li roumpênt, e trauco De làrgi flo d'escumo emé soun carenau.

Contro uno ribo sènso roco,

Alléluia tïSL barco toco; Sus l'areno eigalouso aqui nous amourran,

E cridan lôuli : Nôsli tèsto

Qu'as pôutira de tempèslo,

Fin qu'au coutèu li vaqui lésto A prouclama ta lèi, o Grist I Te lou juran f

A-n-aquéu noum, de joaissénço, La noblo terro de Prouyénço

Parèîs estrementido ; à-u-aquéu crid nouvèu, E lou bouscas e lou campèstre An trefouli dins tout soun èstre, Coume un chin qu*en sentent soun Éfiôstre,

cour à Tendavans e fai lou bèu^bèu.

La mar avié jita d'arcèli...

Paternoster,quiesinc(Éli, A nosto longo fam mandéres un renos;

A nosto set, dins lis engano

Faguères naisise uno fountano ;

E miraclouso, e lindo, e sano, Gisclo cnca dins la gîèîso ounte soun nôstis osf

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MIREILLE, CHANT XL 4Ô7

Et cependant le flot, rebelle Lutte encor contre la nacelle;

A la fin il se rend; le sombre tourbillon, Sous la force qui le maîtrise, S'éloigne,... et poussé par la, brisie, A travers une onde soumise, ; '

Le bateau suit sa ligne et trace son sillon. . . ; "

Sur uu sable couvert de mousse, AUcluià! le vent nous pousse ; . ; :.

Nous mettons pied à terre, «t uoi^ nous prosternons, . En ciiarit tous : Puisque no^ tûtes Viennent d'échapper aux te^ipétes, Jusqu'à la mort les voici prêtes t

\ proclamer ta loi. Christ ! nous te le jurons!

A ce nom de paix, la Provence

Du nouveau règne qui s'avance Pressent les jours lieureux dès lopgtemps annoncée ; i

I a forêt, la lande champêtre : .

En tressaillent dans loiit leur être,

Comme un chien qui revoit sou maître i Le fête en l'assaillant de ses bonds empressés» .1

Pour nous, la mer sur ses rivages

Avait semé des coquillages. Père f tu nous donnais notre p^in quotidien f . :

En complément à cette aubaine.

Tu fis jaillir une fontaine,

Dont l'eau miraculeuse et saine Goule encor dans l'église au puits qui la QpnUent.* ..

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438 MIRÈIO, GANT XI.

Plen de la fe que nous afougo, Déu Rose prenèn lèu la dougo ;

De palun en palun caminan à l'asard ; E pièi, galoi, dins lou terrairc Trouvan la traço de Paraire ; E pièi, alin, dis Emperaire

Vesèn li tourre d'Arle auboura Testendard.

A Touro d'iuei sies meissounierOy Arle ! e coachado sus toun iero,

Pantaies em' amour ti glôri d'àutri-fes ; Mai ères rèino, al or, e maire D'un tant bèu pople de remaire Que, de toun port, lou vent bramaire

Noim poudié travéssa Tiumènse barcarés.

Roumo, de nôu, t'avîé vestido

En pèiro blanco bèn bastido ; De ti grandis Areno avié mes à toun front

Li cent vint porto ; aviés toun Gièri ;

Aviés, princesse de TEmpèri,

Pèr espHSsa ti refoulèri, Li poumpous Aquedu, lou Tiatre e Flpoudrom.

Intran dins la ciéuta : la foulo Mountavo au Tiatre en farandoulo.

E z6u! mountan em' elo; aumitan di palnî, A Toumbro di temple de mabre, Se gandissié lou pople alabre, Coume quand rounco dins li vabre

Un lavàssi de plueio, à l'oumbrino di plai.

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MIREILLE, CHANT XL A3»

Pleins de la foi que Dieu nous donne,

Nous suivons la rive du Rhône ; De marais en marais, nous marchons au hasard ;

Nous trouvons enfin dans la plaine

La trace de la race humaine,

Et bientôt la Cité romaine Aux tours d'Arles au loin montre son étendard.

A cette heure, Arles, tu moissonnes.

Rêvant peut-être à ces couronnes Qu'en des temps plus heureux te départit le sort.,.

Car à ton berceau, tu fus reine,

Et la mer était ton domaine,

Et le vent passait avec peine Dans la forêt de mâts qui remplissait ton port.

C'est Rome qui, de tes carrières.

Avait extrait tes blanches pierres; C est elle, qui, mettant tes monuments caducs

Au niveau des splendeurs romaines,

Avec leurs portes par centaines,

Bâtissait tes belles Arènes Ton Cirque, ton Théâtre, et tes grands Aqueducs.

Nous portons nos pas dans la ville ;

Avec une ardeur juvénile, iJî foule du théâtre assiéf^eait les degrés ;

Nous j pénétrons avec elle ;

Sous la tente elle s'amoncelle;

Comme on voit la pluie ou la grêle, S'abattre à gros bouillons sur le tapis des prés.

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iAO MIRÊIO, GANT XI

0 maladicioun ! o vergougno t

1 son moulan de la zarabougna,

Sas lou pountin dôu Tiatre, emé lou pitre nus>

Un vôu de chato viroulavon,

E su 'n refrin qu^ensén quilavon,

En danso ardènto se giblavon, Au tour d'un flo de mabre en quau disien Venus.

La piiblico eoibriagadisso

bandissié si bramadisso ; Jouvènto einai jouvènt répéta vou : Canten ! ^

Canteh Venus, la grand divesso

De quau prouvèn touto alegresso !

Canten Venus; la segnouresso, La maire de la terrb e déu pople Arlaten !

Lou front aut^ la narro duberto,

L'idolo, encourouna de nerto, Dins 11 nivo d'encens pareissié s'espoumpi ;

Quand, endigua de tant d'audançô,

E derrouinpènt e crjd e danso,

Lou vièi Trefume que se lanço, ^

En aussaut si dous bras sus lou mouude atupi,

D'uno Youes forto : Pople d'Arle,

Escouto, escouto que parle! Escouto, au npum déu Grist!... Ë n*en digue pas mai.

Au frouncinien de sa gi^aiido usso

Vaqui Tidolo que brandusso,

Gènço, e déu pedestau cabusso, Em' eu li dansarello an toumba de l'esfrai I

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MIREILLE, CHANT XI. 441

0 douleur! ô honte l 6 délire !

Aux sons langoureux d'une lyre, Sur la scène, en plein jour, les bras et les seins nus,

Un vol de filles éléganles.

S'excitant de leurs voix stridentes,

Dansaient des danses indécentes Autour d'un bloc sculpté qu'elles nommaient Vénus.

L'enthousiasme populaire

Poussait des clameurs pour leur plaire ;, Et des chœurs répétaient selon le mode ancien :

Chantons Vénus ! c'est ïa déesse ' De qui nous vient toute allégresse! ;

Chantons Vénus rEnchanteresse, La mère de la terre et du peuple Arlésieu I

L'idole de, fleurs couronnée,

De flots d'encens environnée. De ces hommages vains semblait s'enorgueillir ;

Lorsque indigné de tant d'audace,

Le vieux Trophime en qui la grâce

A placé ce souffle efficace Qui donne l'éloquence et qui. la fait jaiîjj? :

Peuple esclave de tes idoles, ,

Dit-il^coutè mes paroles, ' Écoute au nom Christ!— Et sans un mot de plus,

Au feu dont son œil étmcellé,

Voilà que l'idole chancelle,

Et que s'abiment avec elle, Les ballets et les chœurs roulés et confondus I

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U2 MIRÈIO. CANT XI.

Se fai qu'un crid, s*entènd qu'ourîado;

Vers li pourtau de Iroupelado S'engorgon, e pér Arle escampon Tespravant;

Li majourau se descourounon,

Li juvenome s*enferounon,

En cridant : Z6u ! nous envirounon..: En l'èr milo pougnard lusisson tout d*un yane«

Pamens, de nosto vestiduro

L'enregouïdo saladuro ; De Trefume lou front seren, coume enciéuc^a

De clarour santo ; e, mai poulido

Que sa Venus enfrejoulido,

La Madaleno ennivoulido, Tout acô, 'n moumenet, li faguè recula.

Mai alor Trefume : Gènt d'Arle, Eseoutas-me que iéu vous parle !

cridè tourna-mai, après me chaplarés ! Pople arlaten, vènes de vèire Toun dieu s'esclapa coume un vèire Au noum dou miéu ! Anes pas crèire

Que ma voues Ta pouscu : nous-àutri sian pas rcs.

Lou Dieu qu'a 'sclapa toun idolo

N*a ges de temple sus la colo ! * Mai lou jour e la niue veson qu'eu eilamount ;

Sa man, pèr lou crime sevèro.

Es alarganto à la preièro ;

Es eu soulet qu'a fa la terro, Es eu qu'a fa lou cèu, e la mar, e li mount.

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MIREILLE, CHANT XI. 443

Un frisson parcourt rassemblée ;

Vers les portes amoncelée, La foule fuit et sent son courage faillir ;

Les \ ieillards brisent leur couronne

La Jeunesse nous environne,

Pousse des cris dont Tair résonne. Et, la dague à la main, cherche à nous assaillir.

Et cependant, l'onde salée,

A nos robes encor mêlée ; Le grand front de Trophinie vient se refléter

L'éclat de son âme sereine ;

La beauté de la Madeleine,

Eclipsant leur Vénus païenne, Tout cela les arrête et les fait hésiter.

Peuple esclave de tes idoles,

Écoute, écoute mes paroles, Dit de nouveau Tropbime, après tu me tueras!

Si ce bloc, brisé comme verre.

Vient d'être renversé par terre.

Ce n'est pas moi qui pus le faire, C'est mon Dieu; seul il est; nous, nous ne sommes pas.

Celui qu'annonce cet exemple.

Ici n'a point encor de temple ; Mais le jour et la nuit le chantent dans les airs ;

Sa main pour le crime sévère,

Est généreuse à la prière ;

C'est lui seul qui fit la lumière, Et le ciel et la terre, et les monts et les mers!

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444 MiREIO, GANT 1^1.

Un jour, de soun auto demoro,

A vist soun bèn manja di toro ; A vist béure à l'esclau si plour e soun verifi;

£ jamai res que lou counsolp !

A vist lou Mau, pourtant Testolo,

Sus lis autar teni Tescolo ; Toun fihan, Ta vist courre à Tafronl di gourrin !

E pèr espurga tau bx'utice,

Pôr bouta fm au long suplice De la raço oumenenco estacado au pieloun,

A manda soun Fiéu : nus e paure,

Emé pas un rai que lou daure,

Soun Fiéu es davala s'enclaure Dins lou sen d'uno Vierge ; es na sus d'estoubloun !

0 pople d'ArlCj penitènci !

Coumpagnoun soun eisist)èn<â, . Te poudèn afourti si miracle : eilalin,

Is encountrado mounte coulo

Lou bloupd Jourdan, entre une foub

Espeiandradp q mau sadoulo, L'avin vist blanque^ dins sa raubo de lin 1

E nous parlavo qu'entre nautre

Falié s*ama lis un lis autre ; Nous parlavo 4$ Dieu, tout bon, tout pouderoùs,

£ dôu reiaume de soun Paire,

Que noun sara pèr li trouiupaire,

Lis auturous, lia usurpaire, Mai bèn pèr li picbot, ii simple, li plourous

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MIREILLE, €HANT XI. 445

Un joiiF, des hauteurs qu'il habile,

Il a vu la terre maudite ; La vertu méprisée et le vice en honneur;

l/esclave que nul ne console ;

11 a vu le Mal en étole,

Sur les autels tenir école ; La débauche livrer assaut à la pudeur !

Et pour laver ces immondices,

El pour mettre fin aux supplice? De la race d'Adam qu'il créa pour le ciel,

Il a voulu que, sous le chaume,

Pauvre et nu, loin de son royaume,

Son Fils bien-aimé se Ht homme. Dans le sein d'une Vierge, au milieu d'Israël t

0 peuple d'Arles î pénitence!

Compagnons de son existence, Nous pouvons affirmer ses prodiges sans fin ;

Dans ce coin reculé du monde,

le Jourdain roule son onde.

Nous avons vu sa tête blonde, Et les plis ondoyants de sa robe de lin f .

Il nous disait que ses Apôtres

Devaient s'aimer les uns les autres ; Il nous parlait de Dieu, des anges, des démons,

Et du royaume de son Père,

Dont une consigné sévère

Exclura les grands de la terre. viendront les petits, les simples et les bons.

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1 '

446 MIRÊIO» GANT XL

E fasié fe de sa dôutriao

En caminant sus la marine ; Li malaut, d'un cop d'iue. d'un mot H garissié;

Li mort, mau-grat lou sourne barri,

Soun revengu : vaqui Lazàri

Que pourri isié dins lou susàri !... Hai, rèn que pèr acô, boufre de jalousie,

Li rèi de la nacioun Jusiolo L'an près, Tan mena su 'no colo,

Clavela su 'n trounc d'aubre, abéura d'aroarun, Cubert d'escra sa sanlo fàci, E pièi auboura dins l'espàci En se Irufant d'eu!... ~ Gràci ! gràci !

Esclatè tout lou pople, estoufa d6u plourun ;

Gràci pèr nautile ! Que fau faire

Pèr desarma lou bras dôu Paire ? Parle, orne de Dieu, parle! e s*èi de sang que v6u,

semoundren cent sac.refice !

Inraoulas-ié vôsti délice,

Inmoulas veste fam de vice, Uespoundeguè lou Sant en se jitant pèr s6u.

Nàni, Segnourl ço que t'agrado,

N'es pas l'ôudour d'une luado, Ni li temple de pèiro : âmes, âmes bèn mai

Lou très d'arloun que Ton presènto

A l'afama, ve la jeuvènto

Que vèn à Dieu, douce e cregnènla, Oufi-i sa caslcla coume une fleur de Mai.

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MIREILLE, GUANT XI. 447

Et ses leçons et ses oracles

Il les prouvait par des miracles ; Il marchait sur la mer, multipliait les pains,

CAangeait en vin l'eau de fontaine,

Ramenait la Samaritaine,

Rendait Lazare à Madeleine,,.. Et c'est pourquoi les Rois et les Juges hautains.

Jaloux de sa sainte doctrine

L'ont conduit sur une colline. L'ont ahreuvé de fiel, l'ont cloué sur la croix.

Ont craché sur sa sainte face.

Et l'ont élevé dans l'espace

En le raillant... Oh! grâce, grâce ! Dit avec des sanglots tout le peuple à la fois ;

Grâce pour nous I Que faut-il faire

Pour désarmer le bras du Père? Est-ce du sang qu'il veut? oh! parle, dis-le-nous,

Nous immolerons cent génisses.

Immolez ()lutôt vos délices

Vos dérèglements et vos vices, Leur répondit le saint en tombant à genoux.

Non, Seigneur, ce que tu préfères.

Ce n'est pas Todeur des viscères. Ni le sang des taureaux par le feu consmné;

C'est l'aumône, c'est la prière,

C'est le cœur de la vierge austère.

Qui vient au fond d'un monastère T'offrir sa chasteté comme une fleur de Mai. ~-

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448 MIRÊIO, GâNT Xt.

Di bouco d6u grand Apoustdli

Ansin raie coume ud sant ôli La paraulo de Dieu : e plour de regoula,

E malandrous e rusticaire

De beisa sa raubo, pecaire !

E lis idolo, de tout caire, Sus li graso di temple alor de barrula t

Entaaterin, en testimôni,

L'Avugle-na (qu'éro Sidôni), Moustravo is Arlaten si vistoun neteja ;

En d'autre Massemin rccito

Lou Glavela que ressuscite,

La repentènci qu'es necito... Arle, aquéu même jour, se faguè bateju !

Mai, coume uno auro qu'escoubiho

Davans ela un fiô de broundihp, Sentèn l'Esprit de Dieu que nous buto. E veicî,

Coume partian, uno embassado

Qu'à nôsti pèd toumbo, apreissado«

En nous disent : Uno passade, Estrangié dôu bon Dieu, vougués bèn nous ausi f

Au brut de vôsti grand miracle

E de vôsti nouvéus ouracle, Nous mando à vôsti pèd nosto pauro ciéulà.,,

Sian mort sus nôsti cambo! Alabre

De sang uman e de cadabre,

Dins nôsti bos e nôsti vabre Un moustre, un fléu di diéu, Barrulo... Aguès pieta!

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MIREILLE, CHANT XL 449

Ainsi parla le yieux Trophime ;

Et sous sa parole sublime, On voyait les cœurs fondre et les larmes couler,

Les coupables demander grâce,

Les malades baiser sa trace,

Et, cédant au souffle qui passe, Les idoles s'enfuir et les temples crouler.

A l'appui de cette éloquence,

Sidoine, aveugle de naissance, En montrant ses beaux yeux tâchait d'en imposer ;

Maximin parlait du baptême.

Ce Sacrement que Dieu lui-môme

Oppose à l'antique anathème; Et tout Arles, le soir, s'était fait baptiser.

Mais semblable au vent qui balaie

Les émondes de la futaie , Nous sentions l'Esprit Saint nous pousser devant lui ;

Quaiid tout à coup, sur notre estrade,

Se précipite une ambassade

Qui, de la prochaine bourgade. Venait pieusement implorer notre appui.

Étrangers du bon Dieu, dit-elle.

Notre bourgade, à la nouvelle Des miracles nombreux qui s'opèrent par vous,

Vient implorer votre assistance

Contre la terrible puissance

D'un monstre de la pire engeance ; Étrangers du bon Dieu, prenez pitié de nous !

4.1

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iSO MlRÊiO, GANT XI.

La bèstio a la co d*un coulobre, A d'iue mai rouge qu'un cinobre;

Sus Tesquino a d'escaumo e d'àsti que fan pdu. D'un gros lioun porto lou mourre, E sièis pèd d'orne pèr mies courre; Dins sa cafomo, souto un moure

Que doumino lou Rose, emporte ço que pou.

Tôuti li jour nôsti pescaire S'esdargisson que mai, pecaire!

fi 11 Tanuscounen se bouton à ploura. Mai, sèiiso pause ni chancelle, Marte s'escrido : Emé Marcello léu i'anarai! Moun cor bacello

De courre à-n-aquéu pople e de lou deliéura. --

Pèr la darriero fes sus terre. Nous embrassan, emé l'espèro

De nous revèire au céu, e nous desseparan. Limoge aguè Marciau; Toulouse De Savoumin fugue l'espouso; E dins Aurenjo la poumpouso,

Estrôpi lou proumié semenè lou bon grau.

Mai ounte vas, tu, douce vierge? £m' une crous, em' un asperge,

MartOy d'un èr seren, caminayo tout dre Vers la Tarasco : li Barbare Noun poudènt crèire que s'apare, Pér espincha lou coumbat rare,

Êron téuti mouiita sus 11 pin de Tendre.

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MIREILLE, CHANT XI 451

Ce monstre est muni d'une queue Qui bat l'espace d'une lieue;

Il a l'air d'un lion, des dards, des yeux ardents, Un long dos hérissé d'écailIes, Six pieds d'homme, et pour victuaijies, Dans un grand trou, sous des broussailles,

Il porte le butin qu'il fait avec ses dents.

Et dans la rage- qui l'anime. De plus en plus il nous décime... Et les Tarasconnais se prennent à pleurer.

Moi, j'irai, dit Marthe attendrie, Avec Marcelle mon amie ;

J'irai, car je brûle d'envie De courir à ce peuple et de le délivrer.

Alors, l'Apostolat commence;

On s'embrasse avec l'espérance De se revoir au Ciel. Au cœur du Limousin

Martial va prêcher; Toulouse

De Saturnin devint l'épouse ;

Et rempli d*une ardeur jalouse, Eutrope dans Orange apporta le bon grain.

vas- tu donc, vierge émérite, Avec ton vase d'eau bénite,

Ta croix sur la poitrine et ton grand aspersoir?

Voyez î C'est Marthe qui s'avance Vers le monstre, avec confiance. Parmi les flots d'un peuple immense

Qui doute et qui se hisse aux arbres pour mieux voir.

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45^ MIRÈIO» GANT XI

Destrassouna, poun dins soun soustre, Aguèsses vist boumbi lou moustre!...

Mai souto Taigo saoto a béu se trevira, De-bado reno, siblo e boufo... Mario, em' ua prim seden de moufo, L'embeurgino, l'adus que broufo...

Lou pople tout entié courreguè l'adouraî

Quau sies? La cassarello Diano?

Venien à la jouino Grestiano, 0 Minervo la caslo e la forto? Noun, noun,

respoundegué la jouvènto :

Siéu de moun Dieu que la servènlo!

E quatecant lis assavènto, E 'm' elo davans Dieu pleguèron lou getnoun.

De sa paraulo vierginenco Piqué la roco Avignounenco.

E la fe taldFTien à bello oundo gisclè, Que li Clemén e li Gregôri Plus tard, emé soun sant cibôri, Vendran béure ; pèr sa glôri

l'a Roumo qu'cilalin setanto an tremoulé!

Pamens, déjà de la Prouvénço Mountavo un cant de reneîssénço

Que fasié gau à Dieu : Tas agu remarca,

Tre qu'a plôugu *n degout de piueio, Goume tout aubre e louto brueio Aubouron lèu sa gaiofueio?

Ansin tout cor brûlant courrié se refresca.

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MIREILLE, GJlANT XL i53

Prise en sursaut, dans sa retraite, Eusses-tu vu bondir la bétel... Mais en vain, sous Feau sainte elle hurle en courroux.

Et siffle, et souffle et se trémousse,

Marthe, prenant un brin de mousse,

L'enlace, l'attire et la trousse. .. r.e peuple bat des mains et tombe à ses genoux.

Qu es-tu, dit-il, femme ou déesse?

Es- tu Diane chasseresse Ou Minerve la chaste et la forte? Non, non !

Répondit Marthe triomphante.

De mon Dieu je suis la servante.

Et la foule reconnaissante. Depuis lors la vénère et s'incline à son nom.

Bientôt après, à son approche,

Avignon entr'ouvrit sa roche Dont une foi si vive et si pure coula.

Que les Clément et les Grégoire,

Plus tard, avec lei^r Saint Ciboire,

Y boiront; et que pour sa gloire, Pendant sept fois dix ans Rome même en trembla.

Déjà, dans toute la Provence

S'élève un chant de renaissance. Avez-vous remarqué, quand il vient de pleuvoir.

Combien la feuillée étincelle ;

Combien, sous l'onde qui s'y mêle

Elle est plus brillante et plus belle? Ainsi tout cœur flétri renaissait à l'espoir.

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454 MIRÈIO, GANT XI.

Tu mémo, auturouso Marsiho,

Que sus la mar duerbes ti ciho, Ë que rén de ta mar noun te pôu leva l'iud,

E qu'en despié di vent couutràri

Sounjes qu*à l*or entre ti barri,

A la paraulo de Lazàri, Ifebalères ta visto e veguères ta niuel

E dins rUvèuno ' que s*aveno

Emé li plour de Madaleno, Lavères davans Dieu toun orre queitivié...

Vuei tourna-mai drèisses la tèsto...

Davans que boufe la tempèsto,

Ensouvène-te, dins ti fèsto, Di plour madalenen bagnant tis éuliviét

0 colo d'Ais, cresten arèbre

De la Sambuco ^ vièi genèbre, Grand pin que vestissès li baus de TEsteréU;

Vous, mourven de la Trevaresso,

Redigas de quinto alegresso

Yôsti coumbo fuguèron presso, Quand passé Massemin pourtant la crous em' on !

Mai, alin, la veses aquelo

Que, si bras blanc sarra contre elo, Prègo au founs d'une baumo? Ai! pauro! si r-r..

Se maçon à la roco dure,

E n'a pèr toute vestiduro

Que sa bloundo cabeladuro, E la luno la viho emé soun lumenoun

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MIREILLE, CHANT XI. 455

Et toi, Marseille! ville altière !

Toi, que rien n'avait pu distraire Des flots bleus sur lesquels Tamour de For te suit;

Malgré cet amour qui t'égare.

Sur l'anse ta flotte s'amarre,

A la parole de Lazare Tu ramenas tes yeux et tu pus voir ta nuit !

Les larmes de la Sainte-Baume,

Avec leur poétique arôme, En descendant vers toi lavèrent tes fumiers;

Si la soif du lucre te tente,

Souviens-toi, Cité florissante,

Qu'une sublime pénitente De ses pleurs abondants baigna tes oliviers !

Ville d'Aix, mont de la Victoire,

Vaste p!aine vit la mémoire De Narius vainqueur; grands pins de l'Estérel,

Collines de la Trévai*esse,

Parlez-nous de la douce ivresse

Qui mettait les cœurs en liesse, Quand passa Maximin en vous parlant du ciel !

Dans le lointain, la vois-tu celle

Qui, ses bras blancs serrés contre elle, Prie au fond d'une grotte? Ah ! ses pauvres genoux

S'éraillent sous leur meurtrissure ;

Elle n'a contre la froidure

Que l'ampleur de sa chevelure, Et la lune la veille en passant sous les houx.

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456 MiRËlO, GANT XI,

E pèr la yèire dins la baumo,

Lou bos se clino e fai calaumo; E i'a d'ange, tenènt lou batre de si cor.

Que respinchon pér une esclèiro;

£ quand perlejo sus la pèiro

Un de si plour, en grand pressèiro Van lou cueie e lou mètre en un calice d'or..

N'i'a proun, n'i'a proun, o Madaleno !

Lou yènt que dins lou bos aleno T*adus dempièi trento an lou perdoun déu Segnour;

E de ti plour la roco mémo

Plourara sèmpre, e ti lagremo

Sèmpre, sus touto amour de femo, Goume uno auro de nèu, jitaran la blancourl

Mai dôu regret que Pestransino

Rèn counsoulavo la mesquine : Ni lis aucelounet qu'en foulo au Sant-Pieloun

Pèr èstre benesi, nisavon,

Ni lis ange que Tenaussavon

A la brasseto, e la bressavon Sèt fes tôuti li jour, en l'èr sus H valoun!

A tu, Segnour, à tu revèngue

Touto lauséiyo! à nautre avèngue De te vèire sens fin tout lusènt e verai !

Pàuri femo despatriado,

Mai de toun amour *embriado,

De toun eterno souleiado Avèn, nàutri peréu, escampa quàuqui rai î

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MIREILLE, CHANT XL 457

Et pour la voir dans son extase,

Les rocs s'inclinent sur leur base; Les Anges en voyage arrêtent leur essor

Au-dessus de ce sanctuaire ;

Et lorsque sur la froide pierre.

Un pleur tombe de sa paupière. Ils vont le recueillir dans un calice d'or...

Assez! assez! ô Madeleine!

Depuis trente ans, dans son haleine, Le zéphir t'a porté le pardon du Seigneur ;

Dieu voudra même qu'à toute heure.

Autant que toi ta grotte pleure,

Aiin que ta fratche demeure Puisse à tout cœur aimant donner la paix du cœur !

Mais du regret qui la consume,

Rien n'adoucissait l'amertume, Ni les petits oiseaux nichant dans le vallon

Pour que la Sainte les bénisse ;

Ni les Anges, dont la milice

La berce au bord du précipice, Et sept fois tous les jours l'élève au Saint-Pilon f

A toi, Seigneur! à toi revienne

Toute louange ! A nous advienne De te voir à jamais au sein de tes splendeurs!

Nous aussi, pauvres exilées,

Mais de ton amour affolées.

Vers tes doctrines révélées Nous avons pu peut-être attirer quelques cœurs!

y Google

458 MIRËiO, GANT XI.

Colo Baussenco, Aupiho bluio,

Vèski calanc, vôstis aguîo, De nosto predicanço à toustèms gardaran

La gravaduro peirounenco ^

I soulitudo paluuenco,

Au founs de l'isclo Camarguenco, La mort nous alôujè de nôsti jour ôubrant

Goume en toute cause que toumbo, L'ôublit rescoundè lèu li toumbo.

La Prouvènço cantavo, e lou tèms courreguè; E coume au Rose la Durènço Perd à la fin soun escourrènço, Lou gai reiaume de Prouvènço

Dins lou sen de la Franco à la fin s'amaguè.

rranço*, emé tu meno ta sorre!

Digue soun darrié rèi, iéu more. Gandissès-vous ensèn alin vers Tayeni

Au grand pres-fa que vous apello.»

Tu sies la forto, elo es la belle :

Veirés fugi la niue rebelle Davans la resplendour de vôsli front uni. -^

Reinié faguè 'c6 bèu. Un sero Qu'entre dourmié dins sa coucero,

mouslrerian lou rode ounte èron nèstii os : Emé dougé evesque, si page. Sa belle court, sis équipage, Lou rèi venguè sus lou ribage,

E soute lis engano atrouvè nôsti cros.

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MIREILLE, CHANT XI. 459

Crête des Bauxl pics des Alpines!

Vous qui, de nos leçons divines. Avez goûté le charme et reçu la primeur.

Gardez-en le saint héritage t

Pour nous, au terme du voyage,

Ici môme, sur cette plage, La mort nous allégea de nos jours de labeur.

Hélas I comme atout ce qui tombe.

L'oubli pesa sur notre tombe. La Provence chantait; le temps suivit son cours.

Et comme au Rhône la Durance

Perd à la fin son existence.

Le gai royaume de Provence Sous le sceptre français s'endormit pour toujours*

France, conduis ta sœur chérie,

Dit son vieux roi quittant la vie; Allez d'un pas égal vers le grand avenir

Auquel le destin vous appelle ;

Toi sois la forte, elle est la belle;

Et vous verrez la nuit rebelle Fuir l'éclat de vos fronts que ma main vient d'unir.

Mais, avant que sa prévoyance

Eût consommé cette alliance, René, pour mieux marquer notre champ de repos.

S'en vint un jour sur ces rivages.

Avec sa Cour, ses équipages.

Douze évoques et douze pages. Et sous le sable humide il recueillit nos os...

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460 MIRÊIO, GANT XI.

Adieu, Mirèio!... L'ouro volo,

Vesèn la vido que trémolo Dins toun cors, coume un lume en anant s'amoussa..

De davang que Tamo lou quite,

Parten, mi sorre, parten vite !

Yers'li bèlli cimo es necite Qu'arriben davans elo, es necite e pressa.

De roso, uno raubo neyenco

Alestissen-ié : vierginenco E martiro d'amour, la chato vai mouri t

Flourissès-Tous, celèsti lèio !

Sànti clarour de Tempirèio,

Ëscampas-vous davans Mirèio!... Glèri au Paire, em' au Fiéu, em* au Sant-Esperit!

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MIREILLE, CHANT X;!. 461

Adieu, Mireille!... l'heure vole,

Et ta belle âme qui s'envole Ne tient plus à ton corps que par un léger fil. ..

Puisque Dieu veut qu'elle le quitte,

Devançant cette âme d'élite.

Partons, mes sœurs, et partons vite, Pour annoncer au ciel son retour de l'exil!

Roses et lys, blanche tunique.

Préparons tout; vierge pudique Et martyre d'amour, Mireille est à sa fin ;

Ouvrez-vous, portes éternelles !

Inondez*la, clartés nouvelles !

Anges du ciel, battez des ailes! Et gloire soit au Père, au Fils, à l'Esprit Saint I

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NOTES DU CHANT ONZIÈME

i. LabechadOf en italien libecciata. Tempête occasionnée par le vent du sud-ouest appelé lobé, qu*on fait dériver du grec Xi66voToc, même signification.

2. Plauco (colymbe à crête), podiceps cristatus Lin.» oi* seau de Tordre des palmipèdes.

3. Et dans TEuveaune qui s*alimente avec les pleurs de Magdeleine.

L*Huveaune, petite rivière qui prend sa source à la Sainte- Baume (Yar), passe à Aubagne, et se jette dans la mer, à Marseille, au bout de la promenade du Prado.

Une pieuse et poétique légende attribue son origine aux larmes de sainte Magdeleine.

A. Sambuco (Sambuque), montagne à l'orient d*Aix. - Et- teréu (Estérel), montagne et forêt du département du Var. Mourven de la Trevaresso : mourven, genévrier de Phénicie. La Trévaresse, chaîne de montagnes entre la Touloubre, la Durance et le canal de Graponne.

5. Sant'Pieloun (Saint-Pilon). Voy. chant VII, note 12.

6. La gravaduro peirounenco (la trace.gravée dans la pierre). On a vu, dans le récit des Saintes Maries, que la barque des saints proscrits aborda à Textrémité de Tile de Camargue. Ces premiers apôtres des Gaules remontèrent le Rhône jusqu'à Arles, et de se dispersèrent dans le Midi. On dit même que Joseph d'Arimathie alla jusqu'en Angleterre. Telle est la tra-

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NOTES DU CHANT XJi. 463

dition arlésienne. U tradition des habitants des Baux reprend alors et continue l'odyssée des saintes femmes : elle dit que ees dernières Tinrent prêcher la foi dans les Alpines, et que pour éterniser le souvenir de leur prédication, elles gravèrent miraculeusement leurs effigies sur un rocher. Au levant du ro- cher des Baux, on voit encore ce mystérieux et antique mo- nument; c*est un énorme bloc détaché, debout sur le pen- chant d*un précipice, et taillé en aiguille. Sur sa face orientale sont sculptées trois figures grandioses, objets de la vénération des populations voisines.

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GANT D0U6EN

LA MORT

Lou puis dis trange. Li Stnto remounton au paradis. ^ Lou paire emë la maire arribon. Li Santen mounton Mirèio à la capello auto, ouate i'a li relicle •• La glèisc di Sinti Mario. Li eupli- cacioun. La pli^o camargoenco. Vincèn arribo et sa doulour desboundo. Lou cantico di Santen. Darriero vesioun de Mirèio : vèi li Sànti Mario emplanado dins la mar. Darriero pa- raulo e luminouso mort de la chatouno. Li coumplancho, la de- sesperanço.

Au païs dis arange, à Touro

Que lou jour de Dieu s'esTapouro ; E que li pescadou, qu'an cala si jambin,

Tiron si barco àja calanco;

E que, leissant parti la branco.

Sus la cabesso vo sus l'anco Li chato en s'ajudant cargon si plen gourbin ;

Di ribo ounte TArgèns ^ varaio, Di piano, di coulet, di draio,

S'enausso peralin un long Cor de cansoun. Mai belamen de la cabruno, Gant d'amour, èr de cantabruno, Pau-à-pau dins li colo bruno

S'esperdon, e Tèn Toumbro emé la îanguisoun.

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CHANT DOUZIÈME

LA MORT

Le ptys des orançes. Les Saintes remonlont dans 1c ciel.— Arrivée du père et de la mère. Les Saintins montent Mireille à la cha- pelle haute, sont déposées les reliques. L'église des Saiot«is Maries. Les supplications. La plage de Camargue. Arrivée de Vincent, éclat de sa douleur. Le cantique des Saintins. Dernière vision de Mireille : les Saintes Maries lui apparaissent sur la haute mer.— Dernières paroles et radieuse mort de la jeune fille. Les plaintes, le désespoir.

Au pays que l'orange dore, Quand le jour de Dieu s'évapore, ^^Quand le pécheur, ayant tendu tous ses engins. Revient à sa cabane blanche, Et que, laissant partir la branche. Ou sur la tête ou sur la hanche. Les femmes s'entr'aidant chargent leurs paniers^pleîiit;

Des bords ou TArgens se dessine.

Des bois, des champs, de la colline. Un long chœur de chansons s'élève vers la nuit.

Mais tour à tour, cris d'hirondelle.

Chants d'amour de la pastourelle,

Airs de chalumeau, péle-méle. Tout s'éteint... la nuit tombe et le calme la suit.

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466 MlRElO, GANT XII.

Di Mario que s'envoulavon

Ansin li paraulo cala von, CalaTOQ pau-à-pau, de ni?o en nivo d'or :

Semblavo un resson de canlico,

Semblavo uno liuencho musico

Qu'en dessus de la glèiso anlico S'enanaTO emé Tauro. £lo, sèmblo que dor

E que pantaio ageiuouiado,

E qu'uno estranjo souleiado Encourouno soun front de nouvèlli bèuta.

Maiy dins lis erme e li jouncado,

Si vièi parent tant l'an cercado

Qu'à la perfin l'an destouscado; £ dre, souto lou porge, alucon espanta.

Prenou pamens d'aigo signado, Mandon au front sa man bagnado.

Sus lou bard que respond e la femo e lou viôi Dedins s'avançon... Espaurido Goume quand subran uno trido Yèi li cassaire.: Moun Dieu! crido.

Paire e maire, ounte anas?. E de vèire quau vèi,

Mirèio toumbo aqui. Sa maire,

Em' un visage lagremaire, cour, e dins si bras l'aganto, e disié :

Qu'as, que toun front es caud que brulo?

Noun es pa 'n sounge que m'embulo.

Es eb |u'à mi pèd barrulo. Es elo, es moun enfant t.. . E plouravo, e risié.

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MIREILLE, CHANT XIL 467

Du groupe divin qui s'envole,

Ainsi s'éteignait la parole, En montant lentement vers les nuages d'or ,

Gomme l'écho d'un saint cantique,

Qu'au-dessus d'une Basilique,

L'air emporte... A l'église antique, Mireille est à genoux; on dirait qu'elle dort,

Et qu'elle rêve et que les Anges,

Par des rayonnements étranges D'une beauté nouvelle illuminent ses traits...

Mais ses parents l'ont tant cherchée,

Qu'aux lieux qui la tenaient cachée,

A la fin, ils l'ont dénichée ; Et debout sous le porche, ils sont stupéfaits !

Après avoir, selon le rite,

Trempé leur main dans l'eau bénite, Sur le sol résonnant la femme et le vieillard

S'avancent à pas lents... Mireille,

Au bruit qui frappe son oreille,

Sort de son extase, s'éveille. Et de ses vieux parents rencontrant le regard.

Tombe là, muette... Sa mère

Courant vers elle, la première, La saisit dans ses bras, et folle en ses douleurs :

Qu'as-tu? qu'as-tu? lui disait-elle,

Ton front brûle... ô ma fille belle I...

Et pendant qu'elle l'interpelle, iJn rire convulsif se mêlait à ses pleurs.

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468 MIRÊIO, GANT XIL

MirèiOy ma bello migiioto. Es iéu que sarre ta manoto,

léu touQ paire!... E lou vièi, que la douleur esten recaufavo si man morte. Lou vent déjà pamens emporto La grand nouvello : à plen de porto,

Dins la gièiso, esmougu, s'acampon li Santen >.

Mountas-la, mountas la malauto! Venien ; à la capello-z-auto

Mountas-la, tout-d'un-tèms ! que toque li sants os ! Dins si caisse miraclejanto Que baise nôsti grandi Santo De si bouqueto aogounisanto !

Li femo tout-d'un-tèms Tarrapon entre dos.

De-pèr-d'aut de la gièiso belle.

Ta tr«f autar, i'a très capello Bastido uuo sus Tautro en blo de roucas viài.

Dins la capello sousterrado

Ta Santo Saro, venerado

Di brun Bôumian; mai aubourado, La segoundo es aquelo ounte èi Tautar de Dieu.

Sus 11 pieloun dôu santuâri,

La capeleto mourtuàri Di Mario, amoundaut, s'enarco dins lou cèii,

'Mé li relîcle, sànti laisse

D'ounte la gràci coule à raisso...

Quatre clau pestellon li caisse, Li caisse de ciprés emé si curbecèu.

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MIREILLE, CHANT XII. 469

Mireille ! ma belle mignonne, Sens-tu la main que je te donne ?

Parle, disait Ramou réchauffant dans ses mains

Sa pauvre fille à demi-morte...

Dans un instant, le vent emporte

La nouvelle de porte en porte, Et dans réglise, émus, s'assemblent les Saintins.

Au chœur de la chapelle haute. Disaient-ils, montez-la sans faute ;

Qu'elle touche les os, les os miraculeux! Oh! oui ! que ses lèvres éteintes, S'appliquent aux reliques saintes ! Et dans leurs pieuses étreintes

Les femmes sur-le-champ la saisissent à deux.

L'église, Tune des plus belles. Se subdivise en trois chapelles. Portant l'une sur l'autre en blocs de rochers vifs. Dans la plus basse, retirée, Est sainte Sara, vénérée Des Bohémiens à peau cuivrée ; L'autre au-dessus du sol élève ses massifs ;

Sur les piliers du sanctuaire.

Est la chapelle mortuaire Des Saintes, élevant sa voûte dans les cieux.

Là, dans des châsses magnifiques.

Reposent les sainles reliques ;

Trésor, dont des caisses antiques Gardent, sous quatre clefs, le dépôt précieux.

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470 MIKÈIO, GANT XII.

Un cop, chasque cent an, H duerbon : Urous, urous, quand li descuerbon,

Aquéu que pôu li vèire e li touca! bèu tems Aura sa barco e bono estello, E de sis aubre li jitello Auran de frucho à canestello,

E soun amo cresènto aura lou bon toustèms.

Uno bello porto de cbaine Hejoun aquéu sacra doumaine,

Richamen fustejado, e doun di Béu-Gairen. Mai subre-tout ço que Taparo, Noun es la porto que lou barro, Noun es lou barri que Tembarro :

Es Taflat que vèn di relarg azuren»

La malauto à la capeleto, Dins la Tiseto Tirouleto

lia mountèron. Lou prèire, en subrepelis blanc, Buto la porto. Dins la pôusso, Goume un ôrdi grèu de si dôusso^ Qu'un fouletoun subran espôusso,

Téuti sus lou bardât s'aboucon en quilant :

0 bèlli Santo umanitouso, Santo de Dieu, Santo amistouso !

D'aquelo pauro chato agués, agués pieta! Agués pieta I la maire crido. Vous adurrai, se *n-co 's garido, Moun anèu d'or, ma crous flourido,

E pèr yilo e pèr champ iéu l'anarai canta!

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MIREILLE, CHANT XH. l71

Une fds par siècle on les ouvre :

Bienheureux, lorsqu'on les découvre. Celui qui peut les voir et surtout les toucher!

Il a beau temps, et bonne étoile;

11 peut, endormi sous sa voile,

Attendre qu'au ciel se dévoile Ce bonheur qu'ici-bas il s'épuise à chercher.

Au seuil de ce sacré domaine.

Se trouve une porte de chêne, Présent des Beaucairois et d'un travail exquis;

Mais sa défense la plus sûre

N'est ni la clef ni la serrure.

Ni le haut rempart qui le mure, C'est la faveur qui vient des célestes parvii.

Donc, à la plus haute chapelle.

Par l'escalier de la tourelle. On monte la malade ; un prêtre à surplis blanc

Parait et force le passage.

A son aspect, tout l'entourage

Comme un blé mûr sous un orage, S'incline, se prosterne et sur un ton dolent :

Saintes, dit-il. Saintes puissantes! Saintes de Dieu, Saintes aimantes!

De cette pauvre enfant, ayez, ayez pitié !.••

Pitié ! disait Jeanne-Marie, Et si par vous, elle est guérie, Je vous promets ma croix fleurie»

Et le miracle au loin en sera publié!

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47d MIRËIO, GANT XII.

0 Santo, acè 's ma pesqueirolo!

0 Santo, acè 's ma denierolo I Gémis Mèste Ramoun en turtant dins Toumbrun

Emé sa tésto atremoulido.

0 Santo, à-n-elo, qu'es poulido,

Innoucentouno, enfentoûlido, La vido counvèn : mai iéu» yièi sabourun.

léu, mandas-me fuma li maulo!...

Lis iue barra, sénso paraulo, Mirèio éro estendudo. Ëro alor sus lou tard.

Pèr que l'auro tamarissiero

Reviscoulésse la masiero,

Dessus li lauso téulissîero L'avien entre-pausado, en yisto de la mar.

Car lou pourlau (qu'es la parpello

D'aquelo benido capello). Regarde sus la glèiso : alin, pereilalin,

D'aqui se vèi la blanco raro

Que joun ensèn e desseparo

Lou céu redoun e Taigo amaro; Se yèi de la grand mar l'eterne remoulin.

De-longo lis erso foulasse Que s'encayaucou, jamai lasso

De s'esperdre en bramant dins li mouloun sablous; De-vcrs la terro une planuro Qu'a gens de fin ; pas une auturo Qu'à soun entour fague centuro;

Un céu inménse e clar çus d'ern^e espetacloui.

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MIREILLE, CHANT XIL i73

0 Saiates, c'est ma fortune!

C'est ma fille, je n'en ai qu'une ! Disait mattre Ramon heurtant les bancs de bois

Avec sa tête qui chancelle ;

Qu'elle vive I elle est jeune et belle ;

Moi, je suis vieux, la mort m'appelle. C'est moi qui dois mourir; à l'ombre de la Croix,

Creusez ma tombe au cimetière...

Cils abaissés, tête en arriére, Mireille était gisante; on n^y voyait plus clair;

Pour que la pauvre créature

Respire une brise plus pure.

Sur les dalles de la toiture, On l'avait déposée en face de la mer.

Car l'ouverture par laquelle

S'éclaire la haute chapelle. Mène au toit qui s'étend en face de l'autei ;

On voit de la ligne ronde

Qui, là-bas, loin, au bout du monde,

Divise et joint le ciel et l'onde ; On voit la mer, avec son murmure éternel ,

Avec ses vagues insensées

Qui, l'une sur l'autre entassées. S'élancent vers le sable leur rage se perd ;

De l'autre côté, c'est la tcrre^

Uniforme, sans une pierre.

Sans un seul tertre qui l'enserre ; Un ciel immense et pur sur un vaste désert;

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lU MIRÈIO, GANT IIL

De clarinèlli tamarisso

Au mendre vent boulegadisso ; De long campas d'engano, e dins Toundo pér-fes

Un vôu de ciéune que s'espurgo ;

0 bèn, dins la sansouiro turgo,

Uno manado que pasturgo, 0 que passo en nadant l'aigo déu Vacarés K

Mirèio enfin, d*un parla feble,

A murmura quàuqui mot trahie : De-yers la terro, dis, emé de-vers la mar

Sente yeni dos alenado

Uno di dos èi serenado

Goume l'alen di matinado ; Mai l'autre es espannado, ardènto, e sent Tamar*

E se teisè... De-yers la piano,

E de-yers lis oundo salano, Li Santen sus-lou-cop regardèron yeni :

E n'en yeson un qu'esfoulisso

De reyoulun de terro trisso

Dayans si pas; li tamarisso Parèisson davans eu s'encourre e demenî.

Es Yinceuet lou panieraire!...

Oh! paure drôle e de mau-fraire! Soun paire Mèste Âmhroi pas-pu-lèu i'aguè di :

Moun fiéu, sara pas pèr ti hrego

J^u poulit hrout de falahrego!

Que tout-d'un-tèms de Valabrego, Pèr la vèire enca *a cop, parte coume un handit.

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MIREILLE, CHANT XU. 475

Des tamaris au clair feuillage ;

A leurs pieds une herbe sauvage Qui tapisse le sol, et dans Ponde parfois

Un vol de cygnes qui s'épure ;

Ou bien, dans la maigre verdure,.

Un troupeau de bœufs qui pâture, Ou qui traverse un lac pour atteindre le bois.

Mireille enfin, agonisante,

Murmure d'une voix tremblante : Le côté de la terre et celui de la mer

M'apportent une double haleine ;

L'une des deux me rassérène ;

L'autre au contraire ne m'amène Que trouble, inquiétude et désespoir amer.

Et vers la mer et vers la plaine

Promenant leur vue incertaine. Les Saintins aussitôt voulurent voir venir :

Soudain, à très grande distance.

Parait un homme qui s'avance

A travers la savane immense. Et si léger que l'air semble le soutenir.

C'était Vincent, l'amant fidèle

Qu'agite une frayeur mortelle, Et qui, dès que son père eut brisé son espoir.

Le cœur rempli de son amante,

Avait repris sa marche errante,

Et voulu, dès l'aube naissante, Une dernière fois essayer de la voir.

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476 MIRËIO, GANT Xll.

£n Grau dison : Es i Santo.

Rose, palun, Grau alassanto, Rèn Tayié detengu de courre enjusqu'i tes.

Mai pas-pu-léu es dins la gléiso,

Pas-pu-lèu ?èi aquelo prèisso,

Pale» sus lis artèu se drèisso, E cridaTO : Mounte es? ensignas-me mounte esf

Es ainoundaut à la capello,

Dins uno angôni que trampello ! E lèu coume un perdu mounte lou marridoun.

Entre la vèire, vers lespàci

Levé si man einai sa fàci :

Pèr encapa tàli desgràcî» A Dieu» cridè lou paure» à Dieu que i'ai fa dounc?

Âi-ti coupa la gargamello

En quau tetére li mamello ? Escumerga, m'an vist abra moun cachimbau

Dins uno glèiso à la viholo?

0 tirassa dins lis auriolo

Lou Grucefis, à la Jusiolo? Qu'ai fa, malan de Diéul pèr agué tant de mau?

Pas proun que me Tan refusado, Enca me Tan martirisado !

E 'mbrassé soun amigo ; e de vèire Vincén De la grand forço que trenavo, Lou mounde foui qu'envirounavo Sentien soun cor que tresanavo,

E pôr eu trasien peno, e plouravon ensèn.

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MIREILLE, CHANT XII. 477

Quand il sut qu'elle était aux Saintes, Ni temps, ni fati^es, ni craintes, N'arrêtèrent ses pas jusqu'aux Ilots lointains ; Mais dès qu'il entre à la chapelle, Dans son anxiété cruelle :

Saintins! dit-il, donc est-elle? Dites, dites-le-moi, charitables Saintins !

Elle est haut, la pauvre fille. Gomme une lampe qui vacille,

Lui dit-on ; et Vincent y monte d'un seul trait; Et l'apercevant,, de la porte. Pâle, étendue, à demi-morte :

Mais pour me traiter de la sorte,

0 Dieu, s'écria-t-il, mais que t'ai-je donc fait?

Âi-je coupé la gorge à celle

Qui m'allaita de sa mamelle ? Ai-je allumé ma pipe aux lampes du saint lieu?

Ai-je pillé les sacristies?

Ai-je traîné dans les orties

La Croix ou les Saintes Hosties? Mais encore une fois, que t'ai-je fait, mon Dieu ?

J'admets qu'ils me l'aient refusée ;

Mais me Tavoir martyrisée!... Et pendant qu'il parlait, la prenant sur son cœur.

Il l'embrassait avec tendresse;

Et sympathique à cette ivresse

La foule autour de lui se presse S'afQige de sa peine et pleure son malheur.

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478 MIRÈIO, CANT XII.

E coume, i vabre d'uno coumbo,

Lou brut d'un gaudre que trestoumbo Vai esmôure lou pastre amount sus li cresten,

Déu founs de la gléiso mountavo

La voues dôu pople que cantavo,

Ë tout lou temple ressautavo Déu cantico tant béu que sabon li Santen :

0 Santo, bèlli mariniero

Qu*avès chausi iiôsti sagniero Pèr i'auboura dins Ter la tourre e li merlet

De Tosto glèiso roussinello,

Goume fara dins sa pineilo

Lou marin, quand la mar bacello, Se mandas pas léu >oste bon ventoulett

Goume fara la pauro avuglo?

Âh! noun l'a sàuvi nimai buglo Que poscon gari soun lamentable sort;

E, sens muta, tout lou jour isto

En repassant sa vido tristo...

0 Santo, rendès-ié la visto, Que i'oumbro, e toujour i'oumbro, es pire que la mort!

Rèino de Paradis, mestresso

De la planuro d'amaresso, Glafissès, quand vous plais, de péis nôsti fielat :

Mai à la foulo pecadouiro

Qu'à vosto porto se doulouiro,

0 blànqui flour de la sansouiro, S*èi de pas que fau, de pas emplissès«1al

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MIREILLEl, CHANT XII. 479

Et comme au fond d'une vallée

Quand roule une onde échevelée, Le bruit en monte au pâtre assis sous les grands pins;

Ainsi, vers Mireille mourante,

Montait la voix retentissante

Du peuple en prière qui chante Le cantique si beau que savent les Saintins :

0 Saintes ! belles marinières !

Qui sur nos humides frontières Avez daigné bâtir vos tours et vos créneaux!

Que deviendra, dans la tourmente,

Le voyageur que la mer tente.

Si votre main compatissante Ne mesure la brise à Taile des vaisseaux?

Qui soutiendra, dans son épreuve,

I^a pauvre femme aveugle et veuve, Si vous n'adoucissez la rigueur de son sort?

Elle est là, triste et solitaire.

Se rappelant sa vie entière...

Saintes ! rendez-lui la lumière, La nuit, toujours la nuit, c'est pire que la mortf

0 grandes Saintes, souveraines.

Des mers qui baignent ces domaines. Sur un signe de vous s'emplissent nos filets...

Sauvez-nous de tous les naufrages.

Aux cœurs troublés par les orages.

Suaves fleurs de nos rivages ! Si c'est la paix qu'il faut, de paix emplissez-les! -

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480 MIRÈIO, GANT XII.

Ansm li bon Santen pregavon,

Emé de crid que vous trancavon! £ Keici que li Santo à la pauro que jai

Boufèron un brisoun de voio ;

E sa caro un brisoun galoio

S'enflourè d'uno douço joio, Car de véire Yincèn i'agradé que-noun-sai .

Moun bel ami, de mounte vènes?

faguè. Digo, t'ensou^ènes De la fes qu'emé tu parlavian eila au mas,

Asseta 'nsèn souto la triho ?

Se quauque mau te desvarlo.

Courre léu i Sànti Mario, Me diguères alor, auras léu de soûlas...

0 Vincenet, que noun pos ▼èire Dins moun cor coume dins un véire !

De soûlas, de soûlas, n'en regounflo moun cori Moun cor es un lauroun que verso : Abelimen de touto merço, Gràci, bonur, n'ai à re verso !...

Dis Ange dôu bon Dieu entre-vese li cor...

Aqui Mirélo s'abaucavo,

E dins l'estendudo alucavo : Sembla vo, peralin au fin founs de Ter blu,

Véire de cause espetaclouso.

Piéi sa paraulo nivoulouso

Reeoumençavo : Urouso, urouso Lis amo que la car en terro detén plu

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MIREILLE, CHANT XIL 4M

Ainsi, sous la chapelle antique,

Retentissait le saint cantique ; £t les Saintes alors, à Mireille qui git.

Redonnèrent un peu de vie ;

Et sur sa figure pâlie.

Parut une heureuse embellie. Car Taspect de Vincent ravivait son esprit.

D'où viens-tu, mon ami fidèle,

Oh! d'où viens-tu ? lui disait-elle. Te souvient-il qu'un soir, dans un récit charmant^

Assis ensemble sous la treille.

Tu murmurais à mon oreille :

Si jamais vous souffrez, Mireille, Vite aux Saintes, c'est qu'est le soulagement I

Ah! Vincent, si tu pouvais lire

Sous les palmes de mon martyre, Tu comprendrais combien fut sage ton conseil;

Dans mon cœur que la grâce inonde,

Espoir, bonheur, tout surabonde ;

Je plane au-dessus de ce monde, Et j'en découvre un autre au delà du soleil 1 .—*

Mireille alors portait sa vue

Aux limites de l'étendue. Et disait voir au loin, dans les clartés de l'air.

Les choses les plus merveilleuses;

Puis en paroles nébuleuses.

Elle ajoutait : 0 bienheureuses Les âmes que la mort dégagea de la «hair 1

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m MIRÈIO, GAMT XII.

Vincèn! as vist, quand remountafoo, flo de lume que jitavon!...

Ah! dis, lou libre béu que se n'en sarié fa, S*aquéli resoun que m'an dicho, Fin-que d*uno, s'èron escricho ! Yiocèo, que lou plourun esquicho,

I^aché mai soon gounflige un moumen estoufa :

Batto Us agué visto ! basto !

Eu cridé, coume uno langasto Me sariéu à si raubo arrapa tout bramant...

Oh! i'auriéu di, rèino ceièsto,

Soulet recàti que nous résto,

Prenès-me lis iue de la tèsto, E li dent de la boueo, e li det de la man!

Mai elo, ma bello fadeto,

Oh! rendès-me-la gaiardeto!.., Velèi ! velèi veni 'mé si raubo de lin

Elo subran se bouto à faire.

E 'n boulegant pèr se desfaire

D*entre la faudo de sa maire, De la man vers la mar fasié signe eilalin.

Quatecant tôuti se dreissèron,

De-yers la mar téuti fissèron, E la man sus lou front : Eilalin descurbèn,

Venien entre éli, rèn pèraro,

Senoun alin la blanco raro

Que joun lou céu e l'aigo amaro... . NouP; se véi rèn yéni... Si ! si! regardas bèn\

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MIREILLE, CHANT XU. 483

Mon doux Vioeent, les as-tu vues

Quand elles remontaient aux nues, Brillantes de clartés?... Quel beau livre on eût fait,

Des paroles qu'elles m'ont dites, s Si la plume les eût écrites !

Mais pris par des transes subites. Les larmes dans les yeux, le visage défait :

Ah! oui, que ne les ai-je vues

Quand elles remontaient aux nues! Reprit-il, car alors leur barrant le chemin.

Je leur aurais dit : Cour céleste,

Seule ressource qui me reste,

Donnez-moi donc plutôt la peste, Prenez mes yeux, mes dents, et les doigts de ma main,

Mais elle, Tamour de ma vie,

Qu'elle ne me soit pas ravie!... Les voici, les voici, leur barque s'aperçoit!

Mireille alors se met à dire.

Je vois leur bouche me sourire !

Et dans son gracieux délire. bas, loin, vers la mer, elle étendait le doigt.

Et tous aussitôt se levèrent.

Et tous les regards se portèrent Vers la mer. Mais au loin nous ne découvrons rien.

Disaient-ils, si ce n'est l'écume

Qui, de la plaine d'amertume,

Va se confondre avec la brume... On ne voit rien de plus. Si, si, regardez bien ;

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48i MIBÈIO, GANT XII.

Soun su 'no barco sénso vélo,

Gridè Mirèio... Davans elo, Vesès pas coume Toundo aplano si revôu ?

Oh I qu'es bèn éli I L'èr clarejo,

E l'alen siau que li carrejo

Lou mai plan que pôu voulastrejo... Lis aucèu de la mar 11 saludon à vôu.

La pauro chato rayassejo... Sus la marino que rougejo

Vesèn que lou souléu.que vai se cabussa.

Si! si! lis èi, fai la malauto; Boutas ! moun iue noun me desfauto, E quouro founso, quouro-z-auto,

0 miracle de Dieu! sa barco vèn d'eiça!

Mai déjà venié 'scouldurido, Coume uno blanco margarido

Que lou dardai la rimo, entre que s'espandis E Vincenet, Tesfrai dins Tamo, Âgrouva contro aquelo qu'amo, La recoumando à Nosto-Damo,

La recoumando i Santo e Sant dôu Paradis.

Avien abra de candeleto...

Cencha de Testolo viôuleto, Venguè lou capelan *mé lou pan angeli

Refresca soun palai que crèmo ;

dounè pièi rouncioun estrèmo,

E la vougnè *mé lou sant crèmo En sèt part de soun cors, segound lus catoull.

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MIREILLE, CHANT XII. 485

Ne Toyez-vous pas ces trois femmes

Voguant sur un bateau sans rames? Les flots, avec respect, y viennent affluer ;

Une clarté surnaturelle

Scintille autour de la nacelle;

El du battement de leur aile, Les oiseaux de la mer semblent la saluer...

La pauvre enfant!... Elle délire!... Et sur la mer, elle a beau dire.

Hors le soleil couchant, rien ne se voit d'ici.

Oh ! ce sont bien elles, vous dis-je, Et leur barque sainte, ô prodige ! Vers ce bord même se dirige ;

Ouvrez, ouvrez les rangs; à genoux, les voici!

Mireille, que la fièvre agite.

Plus pâle qu'une marguerite. Sentait la chaleur fuir de ses sens engourdis;

Et le front baissé vers la terre,

Les pleurs inondant sa paupière,

De sa plus ardente prière, Vincent la recommande à tout le Paradis.

On avait allumé les cierges...

Récitant Toffice des vierges. Arrive alors le prêtre avec le pain du ciel.

Aliment de l'heure suprême ;

Il lui fait Tonction extrême.

En Toignant avec le saint chrême Sur sept points de son corps, selon le rituel.

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486 MIRËIO, CANT XU.

D*aquéu moumen tout èro en paoso ;

Noun s'entendié dessus la lauso Que Varemus déu préire. Au flanc de la paret,

Lou jour-fali que se prefoundo

Esvaîissié si clarta bloundo,

E la marine à béllis oundo Plan-plan venié se roumpre em'un long chafarel.

Ageinouia, soun tendre amaire,

Emé sonn paire, emé sa maire, Trasien de tèms en tèms un senglut rau e sourd.

Anen ! digue Mirèio encaro,

La desparlido se prépare...

Anen I touquen-nous la man aro, Que dôu front di Mario aumento la lusour.

A l'eodavans, H flamen rose CourroQ déjà di bord dôu Rose...

Li tamarisso en ftour coumençon d'adoura. 0 boni Santo ! me fan signe D*ana *m' éli, qu'ai rèn à cregne, Que, coume entèndon is Ensigne,

^ barco en Paradis tout dre nous menara.

Mèste Ramoun digue : Migo, D'avé 'strassa tant de garrigo,

De que val me servi, se partes dôu maset? Car i'afecioun que m'ajuda?o. De tu venié î La caud lardavo, Lou fiô di mouto m'assedavo...

Mai te vèire empourtavo e la caud e la set!

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MIREILLE, CHANT XH M

Un triste et solennel silence

Régnait dans toute Tassistance» Pendant que le saint prêtre étouffant ses sanglots.

Accomplissait son ministère ;

Le jour mourant, au sanctuaire,

Versait une faible lumière, Et les vents y portaient le murmure des flols.

Agenouillés, Tàme attendrie,

Vincent, Bamon, Jeanne-Marie, Se tenaient auprès d'elle et Tinondaient de pleurs.

Allons ! dit Mireille plaintife.

Le moment du départ arrive.

Car une auréole plus vive Entoure en ce moment le front des Saintes Sœurs.

Les flamants roses auprès d'elles,

Accourent en ouvrant leurs ailes ; Les tamaris en fleur commencent d^adorer;

Les bonnes Saintes me font signe

De les suivre, et qu'en droite ligne

Au ciel, dont je leur parais digne, La nef nous conduira, sans pouvoir s'égarer. -*

Ramon lui dit : Mireille, amie^

Le nom, la fortune, la vie, A quoi bon tout cela, sans Tamour de mon cœur!

De toi me venait le courage.

Et si mon ardeur à l'ouvrage

Parfois me mettait tout en nage, Ton aspect emportait la soif et la chaleur I

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488 MIRËIO, GANT XII.

Se 'n-cop veirés à voste lume Quauque sant-féli que s'alume,

Bon paire, sara iéu... Li Santo, sas la pro, Scan drecho que m'espèron... Eto ! Esperas-me 'oo passadeto... Vau plan, ié«, que sien malauteto...

La maire alor esdato : Ohl noun, noon, acô 's tropl

Yole pas, vole pas que mores I Emé iéu vole que demores !

E pièi, ma Mireiouno, e piéi, se 'n cop vas bén, Anaren ?ers ta tanto Aurano Pourta 'n canestèu de miéugrano : Oi Baus n'èi pas bèn liuen Maiano,

E se pôu dins un jour faire lou vai-e^Yèn *,

Noun, es pas liuen, bono meireto! Mai, boutas! lou farés souleto!...

Ma maire, pourgès^me mis ajust blanquinéu...

Vès li blanco e bèlli mantiho

Qu'an sus resjj^io li Mario!

Quand a neva sus li mountiho. Pas tant bléujo éi la nèu, la tafo de la néu!»

Lou bran trenaire de garbello

crido alor : Moun tout, ma belle, Tu que m'aviés dubert toun fres palais d'amour,

Toun amour, éumomo flourido ^ !

Tu, tu pèr quau ma labarido

Coume un mirau s'èro clarido, E sens crento jamai di mariidi rumeur;

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MIREILLE, CHANT Xll. 489

A votre lampe, d'huile pleine. Quand vous verrez une phalène,

Père, ce sera moi... les Saintes sur la nef Du doigt me montrent leur patrie... Un moment ! Saintes, je vous prie, Voyez! je suis toute meurtrie...

Et la mère, à ces mots, éclatant derechef :

Non, je ne veux pas que tu meures; Je veux qu'avec moi tu demeures;

£t puis, si le bon Dieu te rend à mon amour. Nous irons chez ta tante Auranne Porter des pommes, sur notre âne; Les Baux sont si près de Maillane

Qu'on peut faire aisément le voyage en un jour.

Oui, la course est facile à faire, Mais vous la ferez seule, ô mère...

Mère, préparez-moi mes beaux vêtements blancs!

Voyez les mantes si jolies

Qu'ont sur Tépaule les Maries ?

Quand il neige sur les prairies Lu neige a des reflets bien moins étincelantt! *

Le brun vannier, debout près d'elle

Lui dit alors : Mon tout, ma belle, Toi qui m'avais ouvert ton frais palais d'amour.

Ton amour, aumône fleurie,

Rayon par qui ma triste vie

D'un peu d'espoir fut embellie. Gomme l'est untachot par un rayon du jour I

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490 MIRfilO, GANT XII,

Tu, la perleto de FrouTénço,

Tu, ]ou soulèu de ma jouvènço, Sara-ti di que iéu, ansin, dôu glas mourtau

Tant Iéu te vegue tressusanto?...

Sara-ti di, vous, grandi Santo,

Que Taures visto angounisanto Ë de-bado embrassa vôsti sacra lindau?

Su 'cô-d'aqui, la jouveineto

respoundeguè plan-planeto : 0 moun paure Yincén, mai qu'as davans lis iue?

La mort, aquéu mot que t*engano,

Qu'es? uno néblo que s'esvano

Ëmé li clar de la campano. Un sounge que reviho à la fin de la niqe 1

Noun^more pas! Iéu, d'un péd proumte

Sus la barqueto déjà mounte... Adieu» adieu!... Déjà nous emplanan sus mor!

La mar, bello piano esniougudo,

Déu Paradis éi Tavengudo,

Car la bluiour de Feslendudo Tout à l'entour se toco emé lou toumple amar.

Ai!... coume l'aigo nous tintourlo!

De tant d'astre qu'amount penjourlo. N'en trouvarai bén un, mounte dous cor ami

Libramen poscon s'ama!... Santo,

Es uno ourgueno, alin, que canto?... >

£ souspirè l'angounisanto, E revessè lou front, coume pèr s'endourmi...

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MIREILLE, GUANT XIL 491

Toi, la perle de la Provence,

Toi, fleur de grâce et d'innocence, Sera-til dit qu'ainsi, sous le froid de la mort,

Je verrai tes lèvres éteintes?...

Sera-t-il dit, ô grandes Saintes,

Que ni ses larmes ni ses plaintes N'auront touché vos cœurs et désarmé le sort?

Là-dessus, Mireille mourante

Lui répondit d'une voix lente : 0 mon pauvre Vincent, quelle erreur te séduit !

La mort, que tu crains, que j'implore,

N'est qu'un brouillard qui s'évapore

Aui premiers rayons de l'Aurore ; Un songe qui s'envole à la fin de la nuit f

N«D, je ne meurs pas, je m'éveille !

Tu It reverras, ta Mireille!... Adieu, le veni nous pousse, et nous gagnons la mer!

La mer, belle plaine azurée,

Du Paradit route assurée.

Car la voûte de l'Ëmpyrée Confine de tout point avec le gouffre amer.

Vois -tu comme T^u nous balance!

Oh ! parmi tant d'astres, je pense. Il en sera bien un deux cœurs, sans gémir,

Puissent s'aimer et le dire !...

Qu'entends-je au loin? Est-ce une lyre...?

Et Tagonisante soupire. Et renverse son front comme pour s'endormir...

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4M MIRÈIO, GANT XII.

Is èr de sa risènto caro, Aurien di que parlaro encaro...

Mai déjà li Santen, à Tentour de TenfaDt Un après l'autre s'arançavon, E 'm* un cire que se passavon Un après l'autre la signa von...

Atupiy si parent arregardon que fan.

En liogo d'èstre mourtinouso,

Ëli la yeson luminouso ; An bèu la senti frejo, an cop descounsoula

Noun volon pas, noun podon crèire.

Mai Vincèn, en, quand la vai vèire

Emé soun front que pènjo à rèire, Si bras enregoui, sis iue coume entela :

Es morto!... vesès pas qu'es morto? E coume torson li redorto,

A la desesperado eu tourseguè si poung ; Ë 'mé si bras foro di mancho, Acoumencèron li coumplancho :

Fa pas que tu que saras plancho ! Emé tu de ma vido a toumba lou cepoun!

Es morto!... Morto? Es pas poussible!

Fan qu'un demôni me lou sible... Parlas, au noum de Dieu, boni gènt que sia 'qui.

Vautre, avès agu vist de morto :

Digas-me s'en passant li porto

Risoulejavon de la sorte!... Pas verai qu*a sis èr quasimen lyougui?

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MIREILLE, CHANT Xll.

A Tincarnat qui la colore^

On dirait qu'elle vit encore... Nais chacun des Saintins, muni d'un cierge blond.

L'un dernère l'autre s'avance.

Et sur la défunte, à distance,

Jette l'eau bénite en silence... Les parents atterrés contemplent ce qu'ils font.

Loin que la vie en soit absente.

Pour eux, sa face est rayonnante ; Au coup qui les accable, heureux de résister,

Tout leur semble encore un mystère !

Mais au front qui penche en arriére,

A l'œil dont la clarté s'altère L'amant infortuné ne pouvant plus douter:

Elle est morte! hélas, elle est morte!... Et, tordant les poings, il s'emporte

Contre le sort cruel qui lui ravit son bien... Et puis, plus tendre en sa colère :

Va, dit-il, on aura beau faire. Nous aurons le même suaire,

Car le iil de tes jours était aussi le mien !

Mais que dis-je! Elle vit peut-être.. Ld mort! à quoi la reconnaître!

Parlez, au nom de Dieu, vous tous qui m'entourez; Vous avez voir une morte ! Dites, quand la mort nous emporte, Sourit-on jamais de la sorte?...

Les traits ne sont-ils pas autrement altérés?

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404 MIRÈIO, GAMT XII.

Mai de-que fau?... viron la tèsto, Soun tôuli gounfle ! Ah ! n'i'a de rèsto !

Ta voues, touu dons parla, iéu l'entendrai pas plu!. Aqui de tôuti lou cor boundo. Un lavàssi de plour desboundo, Lou crèbo-cor au plang dis oundo

Apoundeguè subran un desbord de senglut.

Ansin, dins uuo grand manado.

Se 'no temenco es debanado. A Tentour dôu cadabre estendu pèr toujour,

Nôu yèspre à-de-rèng, tan e tauro

Van, souloumbrous, ploura la pauro,

£ la palun, e Toundo, e Tauro De si doulourous bram restountisson nôu jour.

Vièi Mèste Ambroî, plouro toun drôle!

Ai! ai! ai! Vincèn fasié, yole, Santen, que dins lou cros em elo m'cropourtés...

Aqui, ma belle, à moun auriho

Tant-e-pièi-mai de ti Mario

Me parlaras;... e de couquiho, 0 tempèslo de mar, aqui nous acatcs !

Bràvi Santen, de vous me fise!...

Fasès pèr iéu ço que tous dise : Pèr un dôu coume aquéu es pas proun lou ploura \

Gavas-nous dins Tareno molo

Pèr tôuti dous qu'une bressolo !

Aubouras-ié 'no clapeirolo, Pèr que l'oundo jamai nous posque sépara!

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MIREILLE, CHANT XII. il5

0 ciel ! ils font la sourde oreille ; C'en est donc fait, ô ma Mireille! Ta voixy ton doux parler, je ne l'entendrai plus!...— Alors, des yeux de tout le monde. Une averse de pleurs débonde, I Et de tous les cœurs à la ronde,

S*échappent des regrets et des sanglots confus.

Ainsi, quand meurt une génisse. Les bœufs, avant qu'on l'enfouisse.

Viennent près du cadavre, étendu pour toujours. Neuf soirs de suite au pâturage, De la mort contempler l'ouvrage ; Et les vents et le marécage.

De leurs mugissements retentis&ent neuf jours.

I

* Oh ! pleure, mon vieux père, pleure !

Disait Vincent; oh! que je meure! Et près d elle, ô Saintins, venez m'ensevelir!...

Là, belle, dans nos rêveries.

Nous parlerons de tes Maries...

Et là, de coquilles fleuries, 0 tempêtes des mers, puissiez- vous nous couvrir !

Oui, Saintins, je vous en coigure.

Pour un deuil de cette nature. C'est peu de s'attendrir et c'est peu de pleurer!

Sous le sable, la vague glisse.

Qu'un même tombeau nous unisse!

Qu'un tas de pierres l'affermisse. Pour que l'eau vainement cherche à nous séparer !

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496 MIRÊIO, GANT XII.

E d'enterin qu'i liô mounte èro

Se turtaran lou front sus terro Dôu remorsy iéu em' elo, enclaus d'un blu seren^,

Souto lis aigo atremoulido,

0, iéu 'mé tu, ma tant poulido !

Dins de brassado trefonlido Longo-mai e sens fia nous poutounejaren

E, desyaga, !ou panieraire

A la perdudo vèn se traire Sus lou cors de Nirèio, e lou desfourtuna

Dins si brassado fernetico

Sarro la morto... Lou cantico,

Eilavau dins la glèiso antico, Goume eiçô tourna-mai s'entendié ressouna :

0 bèlli Santo, segnouresso

De la planuro d'amaresso, Ciafîssès, quand vous plais, de pèis nôsti fielat!

Mai à la foulo pecadouiro

Qu'à vosto porto se doulouiro,

0 blànqui flour de la sansouiro, S'èi de pas que fau, de pas emplissès-la !

Maiano (Boucch-dôu-Rose), lou bèu jour de la Candelouso de Can 1859.

FIM

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MIREILLE, CHANT XIL 497

Et pendant qu'au Mas solitaire,

ËuXy du front heurteront la terre, Mous, leur laissant les pleurs, la honte et les affrouis

Sous l'eau, par le ciel embellie,

Moi près de toi, ma si jolie,

Dans notre amoureuse folie, A jamais et sans fin nous nous embrasserons !

Et le vannier hors de lui-mémç.

Les yeux hagards, la face blême. Par un dernier élan se laissant entraîner.

Dans une étreinte frénétique

Serre la morte... Le cantique

Là-bas, dans la chapelle antique. Vaguement, à nouveau, s'entendait résonner :

0 grandes Saintes, souveraines

Des mers qui baignent ces domaines, Sur un signe de vous s'emplissent nos filelsl

Sauvez-nous de tous les naufrages !

Aux cœurs troublés par les orages.

Suaves fleurs de nos rivages. Si c'est la paix qu'il faut, de paix emplisses-les.

La Mignarde^ près Aix (BoucheMiu-Hhône), le beau Jour de la Chandeleur de Vannée 1879.

PI»

32

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NOTES DU CHANT DOUZIÈME

1, Argèns (Argen»), rivière du département du Vàr.

2. Li Santen (les Sainlins)» habitants de la ville des Saiates- xMaries

8. Sansouiros (Sansouire). (Voy. chant X, note 8). Vacarés IVaîcarés). (Voy. chant IV, note 10).

4. Maillane, village de l'arrondissement d*ArIes, patrie de Tauteur.

5. Oumomo Hodtido (aumône fleurie), aumône que le pau- vre qui Ta reçue donne à un autre pauvre, poéuque locutioo qui signifie par extension rare bienfait*

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MAGAU

MÉLODIE PROVENÇALE POPULAIRE

cbaut.

^umo.

0 Ma.ga . li, ma tanl a . 0 Ma. ga . Il, ma tant ai ,

ma -do, Mens la tèstoau Te. nes.lrount * Escoufoon - e, B - cou - ta un peu mon gai re-frain, Pa-raîgl et

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pau aipiesto mi. ba. do De tambou. rin e de tîou.

tu se -ras char-më-e. Du son jo- yeux, du tam-bou-

loun. Ei picn des- Ullo è-pe. raniouiUÎ Caurocs tomn. -rin. D'é-toi-les (Por, le ciel est plein, L'onde est ctl-

.ba.doiMa^Hses-tel-lo pa.li. ranQiwndie %cLranî. iné-e, Mais quand les astres te ve-rroiit, ils pû-li-rontl

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TABLE

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TAULO

CAKT PROUMIÉ LOU MAS Dl FALABRE60

Espottsicioun. ~ Invoucacio(ti au Grist, na,scu dinsla pastriho. Ua vièi panieraire, Hèste Ambrôsi, emé soud drôle, Vincèn, van de- manda la retirado au Mas di Falabrec^o. Mirèio, fiho de Mèste Ramoun.lou mèstre déu mas, fai la benvengudo. Li ràfi après foupa, fan canta Mèste Ambrdsi* Lou vièi, àutri-fes marin, canto un coumbat navau ddu Baile Sufren. Mirèio questiouno Vincèn. Récit de Vincèn : la casso di cantarido, la pesco dis iruge, lou miracle di Sànti Mario, la courso dis orne à Nimes. Mirèio es espantado e soun amour pounchejo %

CANT SEGOUND LA CUUDO

Mirèio cuie de fueio d'amourië pèr si magnan. —- D'asard, Vincèn lou panieraire passo au carreiroun vesin. La chato lou sono. Lou drôle cour, e pèr i'ajuda. mounto em' eio sus Taubre. Charradisso di dous enfant. Vincèn fai la coumparesoun de sa sorre Vinceneto emë Mirèio. Lou nis de pimparrin. La branco routo. -^ Mirèio emé Vincèn toumbon de l'aubre. L'amourouso chalouno se declaro. Lou drôle apassiouna des^ boundo. La Gabro d*or, la figuiero de Vau-Gluso. Mirèio es sounado pèr sa maire. Escaufèstre e separacioun di cali- gnaire. •••••••. «, 50

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TABLE

CHANT PREMIER » ftB MAS DES MIG0C0ULG8

Exposition.— Invocation au Christ, ne parmi les pâtres. —Un v!e„^ Yannier, Maître Ambroise, et son Gis Vincent, vont demander l'hos- pitalité au Mas des Micocoules. —Mireille, fille de Maître Ramon, le maître de la ferme, leur fait la bienvenue. Les laboureurs, •près le repas du soir, invitent Maître Ambroise à chanter. Le vieillard, autrefois marin, chante un combat naval du Bailli de Sofliren. Mireille questionne Vincent. Récit de Vincent : la chasse aux cantharides, la pêche des sangsues, le miracle des Saintes Maries, la course des hommes à Nîmes. Ravissement de Mireille, naissance de son amour 9

CHANT DEUXIÈME LA CUEILLETTE

Mireîlle cueille des feuilles de mûrier pour ses vers à soie. Par hasard, Vincent, le raccommodeur de corbeilles, passe au sentier voisin. Laieune fille l'appelle. Le gars accourt, et, pour l'aider, montAvec elle sur l'arbre. Causerie des deux enfants.

Vincent fait le parallèle de sa sœur Vincenette et de Mireille.

Le nid de pinsons bleus. La branche rompue. —Mireille et Vincent tombent de l'arbre. La jeune fille déclare son amour. ~ Brûlante explosion du jeune homme.— La Chèvre d'or, le figuier de Vaucluse. Mireille est rappelée par sa mère. émoi et séparation des deux amants 51

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504 TAULO.

CAlfT TBESEN LA DESCODCOUNADO

lii reeordo prouvencalo. An Mas di Falabrego, un gtLÏ roudelet do chato deacoucounon. Jano-Mario, maire de Mirèio. Taven, la mateo di Bans. La malo-Tiato. Li desconcounarello fan, pèr passo-tèms, de eastèu en Prouvènço. La fiero Laaro, rèino de Pamparigoasto. Glemènço, rèino di Baus. ~ Lou Yen tour, Ion Rose, la Durènço. Asalaîs e Vi6uIano. La Court d'amour. Lia amour de Mirèio < }e Viicèn descuberto pèr Nourado. Li galejado. Taven la ntsu iai teisa li chato : l'ermitan d6n Leberoun e Ion sant pastre. •— Noro canto Magali 88

CAHT aUATMai LI DEMANDAIRE

Lon tèmt di vi6uleto. Li peacadou ddu Martegne. Très cali- gnaire v^non demanda Mirèio : Alàri lou pastre, Veran Ion gardian, Onrrias lou toucadou. Alàri, si capitau d'avë. La toundesoun.

Visto d'un escabot que davalo dis Aup, anant en ivernage. Entre-visto d'Alî^ri emë Mirèio. Lis Anticode Sant-Roumië. Liëurèio d6u pastre, lou coucourelet de bonis escrincela. Alàri as chabi. Lou gardian Veran. Li cavalo blanco de Gamargo.

Veran demando Mirèio à Mèste Ramoun. Lou vièi lou reçaup an grand joio, Mirèio lou refuse. Onrrias, lou doumtaire de tau. •— U brau nègre sauvage. La Ferrado. Onrrias e Mirèio à la font. » Lou toucadou es chabi 133

CAHT CniQUEN LA BATftSTO

Lou bouYatid s*entoumo, furious ddu refus de Mirèio. Galignage do Mirèio emé Vineèn. L'erbo di firisoun. Ourrias rescontro Vineenet, e brutalamen iëcerco reno. Li prejit: Jande l'Ourse. Mourtalo batèsto di dons rivau dins la Grau vMto. Vitôri e generouseta de Vineenet. Treitesso d6u toucadou. Ourrias tranco Vineèn d'un cop de ficheiroun, e fugis au galop de sa cavalo. Arribo au Rose. Li très barquië (àntasti. Lou batèu s'enarco souto lou pes de l'assassin. La niue de sant Medard : proucessioun di negadis sus lou dougan d6u flum. Onrrias s'aproufonndis. Danso di Trèvo sus lou pont de Trenco- T«io 474

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TABLE. 505

CHANT TROISIÈME LE DÉPODItLEMENT DES COCONS

tes récoltes provençales. Au Mas des Micocoules nné joyeuse réunion de jeunes filles détache des rameaux les cocons des vers à soie. Jeanne-Marie, mère de Mireille. Tavèn, la sorcière des Baux.~La mauvaise œillade. Les dépouilleuses de cocons, pour passer le temps, font des châteaux en Provence, La fière Laure, reine de Pampariçouste. Clémence, reine des Baux. Le Yen- tour, le Rhône, la Durance.— Azalaïs et Violane.— La Cour d'amour. Les amours de Mireille et de Vincent divulguées par Norade. Raillerie des jeunes filles.— La sorcière Taven leur impose silence: l'ermite du Luberon et le saint pfttre. Nore chante Magali. . 89

CHANT ODATRIÈME LES PRÉTENDANTS

La saison des violettes. Les pécheurs du Martigue. ~ Trois pré- tendants briguent la main de Mireille : Atari, le berger; Véran, le gardien de chevaux; Ourrias, le toucheur de taureaux. Alàri, f^es richesses en brebis.— La tonte.— La transhumance; description d'un grand troupeau qui descend des Alpes. Entrevue d'Alari et de Mireille. Le mausolée te Saint-Remy. Offrande du berger, la coupe de buis sculpté.— Alari est éconduit.— Véran, le gardien de chevaux. Les cavales blanches de Camargue. Véran de- mande Mireille à Maître Ramon. Joie et bon accueil du vieillard; refus de Mireille. Ourrias, le dompteur de taureaux. Les taureaux noirs sauvages. La Ferrade. Ourrias et Mireille à la fontaine. Le toucheur est éconduit 133

CHANT CINQUIÈME LE COMBAT

Le bouvier s'en retourne, furieux du refus de Mireille. Les amours de Vincent et de Mireille. La VaLisneria spiraiis. Rencontre d'Ourrias et de Vincent. Brutale agression du bouvier. Les invectives : Jean de l'Ours. Combat à mort des deux rivaux dans la Crau déserte. Victoire et générosité de Vincent. Félonie du toucheur. Ourrias perce Vincent d'un coup de trident et fuit au galop de sa cavale. Il arrive au Rhône. Les trois batoliors fantasticpies. La barque se révolte sous le poids de l'assassin. La nuit de Saint-Médard : procession des noyés sur la rive du fleuve. Ourrias est englouti. Danse des Trêves sur le pont de THnquetaiUe ...<.... i75

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606 TAULO.

CANT SniSEN LA MASCO

A Taubo, très poareatië troTon Vincèn dins soun sang, ettendu diot lit emie de Crta. L'aduton h la brasseto au Mas di Falabrego.

Digressioun : loa Felibre se recoamando à fis ami, li felibre de Preuvènço- Doulour de Mirëio. Porton Vincèn au Trao di Fado, cafourno dis Bsperit de niue e demouranço de la matco Tavea, escounjurarello de tout mau. Li Fado. Mirèio acoum- papno soun ealignaire dins li borno de la mountagno. La Man- dragonro. Lis aparicioan de la baumo : li Fouletoun, l'Esperit Fanlaati, la Bugadiero dôu Yen tour. Raconte de la masco : la Messo di mort, Ion Sabatèri, la Garamaudo, lou Gripet, la Bam- baroucho, la Cbancho-Vièio, lia Escarinche, li Dra, lou Ghiti de Ganbaa, lou Baroun Gastihoun. L'Agnèn nègre, la Gabro d'or.

Taven escounjuro la plago de Vincèn. ^ Enauramen e prou- fetiso de la masoo. 3<8

CANT 8ETEN U VIÈI

LoQ Tièi panieraire emd soun fiëu, asseta davans lou lindaa de sa bôri, trcnon uno canestello. Lou ribeirës d6u Rose. Vincèn dis h sonn paire d'ana demanda Mirèio en mariage. Refus e remoustranço d6u vièi. Vinceneto, sorre de Vincèn, pèr ajuda sonn fraire à touca Mèste Âmbroi, conto l'istdri de Sivèstre emë d'AIis. Partènço de Mèste Ambroi pèr lou Mas di Falabrego. L*arribado e lou gousta di meissounié. ~ Mèste Ramoun. Lou labour. Récit d'Ambrôsi, responso de Ramoun. ~~ La laulo de Galèndo. Mirèio declaro soun amour pèr lou fiëu dëu panieraire» Amaliciado, emprecacioun e refus di parent. Endignacioun de Mèsie Ambroi.— Naponleon eli grèuOi guerro. Bncagnamen de Mèste Ramoun. Lou soudard labouraire. Farandonlo di meissounié à Tentour d6u fid de Sant Jan 970

CANT VUECHEN LA CRAO

DtMsperanço de Mirèio. Atrencaduro d'Arlatenco. ~ La chato, •u mitan de la niue, fugis l'oustau poirau. Vai au toumbèa di Sànti-Mario, que soun li patronne de Prouvènço, H suplica de

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TABLE. 507

CHANT SIXIÈME LA SORaÈRI

à raabe du jour, trois porchers trouvent Vincent étendu dans le désert de la Crau et baigné dans son sang. Us rapportent dans leurs bras au Mas des Micocoules. Digression : appel du poèto à tes ainis, les poètes de Provence. Douleur de Mireille. On porte Vincent à l'antre des Fées, repaire des Esprits de la nuit et habitation de la sorcière Tavèn, charmeuse de tous maux. hes Fées. Mireille accompagne son amant dans les excavations de la montagne. La Mandragore. Les apparitions de la Caverne : les Follets : l'Esprit fantastique, la Lavandière du Ventour. Récits de la Sorcière : la Messe des Morts, le Sabbat, la Gara> maude, le Gripet, la Bambarouche, le Cauchemar, les Escarinches, les Dracs, le Chien de Canibal, le baron Castillon. ~ L'Agneau noir, la Chèvre d*or. Tavèn charme la blessure de Vincent. Exaltation et prophéties do la sorcière. 319

CHANT SEPTIEME LES VIEILLARDS

Le Tieux vannier et son fils, assis devant le seuil de leur cabane, tressent une corbeille. Paysage des bords du Rhdne. Vincent engage son père à aller demander la main de Mireille. Refus et remontrance du vieillard. Vincenette, sœur de Vincent, se joint à son frère pour fléchir Maître Ambroise, et raconte Thistoire de Sylvestre et d'Alix. Départ de Maître Ambroise pour le Mas des Micocoules. L'arrivée et le repas des moissonneurs. Maître Ramon. Le labour. Récit d Ambroise, réponse de Ramon. La table de Noël. Mireille avoue son amour pour le fils du Tannier. Courroux, imprécations et refus des parents. Indi- gnation de Maître Ambroise. Napoléon et les grandes guerres. Emportement de Maître Ramon. Le soldat laboureur. •— Farandole des moissonneurs autour du feu de la Saint-Jean. . f7l

CHANT HUITIÈME LA GRAU

Désespoir de Mireille. Toilette d'Arlësienne. La jeune fille, au milieu de la nuit, fuit la maison paternelle. Elle va au tombeau des Saintes Maries supplier cet patronnes do la Provence de fléchir

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508 TAULO.

toiica si parent. LU Blftigne. Tout eu conrrènt à travès de Graa, rescontroli pastre ée soun paire. La Grau, la guerro di Gigant. ~ Li rassado, H prègo>Diëu d'estuublo, H parpaioun, avertiston Mirèio. Mirëio, badanto de la aet, e n'en poudènt plus de la caud, prègo sant Gènt, que vèn à soun secours. Rescontre d'Andreloua lou cacalausié. Eloge d'Arle. Récit d'Andreloun : istdri d^u Trau de la Gapo, li cauco, 11 caucaire •proufoundi. -*- MirUo coucho au tibanèu de la famiho d'Andre- loun. , 816

Cktn IfOUVEN L'ASSBMBLADO

Desoulacionn de Ifèste Ramoun e de Jano-Mario, quand troTon plus Mirèio. -^ Tout-d'un-tèmt lou Yiëi mando souna e acampo dinsTiero t6ull li travaiadou déu mas. Li segaire, li rastelarello» lou feneirage» Li carretié, l'estremage di fen. Li bouië. Li meissounitf, la meissoun, li glenarello. Li pastre. Récit de Laurèns 4ft Gdut, capoulié di meissounië : lou cop de voulame.

Récit déu segaire Jan Bouquet : lou nis agarri pèr li fournigo.

Récit ddtt Marran, baile di ràfi : la marco de mort. Récit d'Antèume, lou baile-pastre. Antèume a vist Mirèio qu'anaro i Sànti-Marlo. Estrambord e prejit de la maire. Partènço de la famiho pir are Mirèio 353

CAMT DESEN LA GAMARGO

Mirèio passe Ion Rose dins lou barqnet d'Andreloun, e eonntànio sa course à trlrès la Gamargo. U dougan d6u Rose entre la mar e Arle. Deicripcioun de la Gamargo. ~ La calour. ~ La danse de la Vièio. Li mountiho. La sansouiro. Mirèio es ensucado pèr un cop de sOulèu sus li ribo de Testang d6u Vacarés. Lis arabi la rerènon. -* La roumiéuvo d'amour se tirasse jusqu'à la glèiso di Santo. La priero. La vesioun. Discours di Senti Mario. La Tanita ddtt bonur d'aquest mounde, la nécessita e lou mérite de la sottfrinço. Li Santo, pèr refermi lou cor, raconton à Mirèio sis esproTo terrèttro 386

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TABLE. 503

•es parants. -^ Les constellations. Dans sa course à travers la Grau, elle rencontre les bergers de son père. La Grau, la guerre des G4tnts. Les lézards, les mantes religieuses, les papillons aT«rtissent Mireille. Mireille haletante de soif, accablée par la chaJ«ur du jour, implore saint Gent, qui la secourt. Ren^ contre d'Andrelon le ramasseur de limaçons. Éloge d'Arles. Ré(ft d'Andrelon : légende du Trou de la Cape, le foulage des i^^rbes, les fouleurs engloutis. Mireille passe la nuit sous la 0nte de la famille d'Andrelon 31

CHANT NEUVIÈME L'ASSEMBLÉE

Désolation de Maître Ramon et de Jeanne-M^i'ie, en s'apercerant de l'absence de Mireille. Le vieillard mande aussitôt et rassemble dans l'aire tous les traYailleurs de la ferme. ~ Les faucheurs, les faneuses, la fenaison. Les charretiers, la rentrée des foins. Les laboureurs. Les moissonneurs, la moisson, les glaneuses. Les bergers. Récit de Laurent de Goult, chef des moissonneurs : le coup de faucille. Récit du faucheur Jean Bouquet : le nid envahi par les fourmis. Récit du Marran, chef des garçons de charrue : le présage de mort.— Récit d'Antelme, chef des pâtres. Antelmea vu Mireille allant aux Saintes Maries. -^Transports et invectives de la mère, Départ de la famille à la poursuite de Mireille. . . 353

CHANT DIXIÈME LA CAMARGUE

Mireille passe le Rhône dans la nacelle d'Andrelon, et poursuit sa course à travers la Camargue. Les bords du Rhône, entre la mer et Arles. Description de la Gamargue. La chaleur. -~ Le mirage. Les dunes. Les Sansouires. Mireille' est frappée d'un coup de soleil, sur les rives de l'étang du Valcarés. Les mous- tiques la rappellent à la vie. La pèlerine d'amour se traîne jus- qu'à l'église des Saintes Maries. La prière. La vision. Dis- cours des Saintes Maries. La vanité du bonheur de ce inonde, la nécessité et le mérite de la soufifîrance. Les Saintes, pour raffermir le courage de Mireille, lui font le récit de leurs épreuves terrestres 387

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MO TAULO.

CANT TOOGEIf U SANTO

I Sknti Mtrto nconton, qu'après la mort dôu Grist, (ùguèron i dido, emi d'àutri disciple, à la bello eisserro de la mar, e qu'abolir- dèroo en ProuYènço, e que counvertiguèron li pople d'aquelo en- eountrado. La narigacioun. -~ La teoipèsto. Arribado en Arle di Sant despatria. Arle rouman. La tàsto de Venus. Ser- moun de Sant Trefume. Gounversioun dis Arlaten. Li Taras- counen vènon imploura lou secours de Santo Marto. La Tarasco.

Sant Marciau à Limoge; Sant Savournin à Toulouse; Sant Estrdpi en Aurenjo. Santo Marto doumto la Tarasco. e pièi counvertis Avignoun. La papauta en Avignoun. Sant Lazàri à Marsiho. Sanlo Madaleno dins la baumo. Sant Massemin à-x-Ais. Li Sànti Mario i Baus. Lou rèi Reinié. La Prouvènço uuido à la Franigo.

Mirèio, vierge e martiro . 412

GAirr DOUGUEN LA MORT

Lou païs dis arange. Li Santo remounton au paradis. ~ Lou paire emé la maire arribon. Li Santen mounton Mirèio à la capello auto, mounte i'a (i relicle. La glèiso di Sànti Mario. Li supli- cacioun La plajo camarguenco. Vincèn arribo e sa douleur desbotindo. Lou cantico di Santen. Darriero vesioun de Mi- rèio : vèi li Sànti Mario emplanado dins la mar. Darriéri paraulo, e luminouso mort de la cfaatouno. Li coumplanclio, la désespé- rance . ..,.....•••... 464

MvsiGO OB Magali. 400

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TABLE. 511

CHANT ONZIÈME LES SAINTES

tes Saintes Maries racontent comment, après la mort du Christ, ayant été livrées à la merci des flots avec plusieurs autres disciples, elles abordèrent en Provence, et convertirent les peuples de cette contrée. La navigation. La tempête. Arrivée des Saints proscrits à Arles. Arles romaine. La fête de Vénus. Dis- cours de Saint Trophime. Conversion des Artésiens. Les Taras* connais viennent implorer le secours de Sainte Marthe. ~ La Ta- rasque. Saint Martial à Limoges; Saint Saturnin à Toulouse; Saint Butrope à Orange. Sainte Marthe dompte la Tarasqiie, et ensuite convertit Avignon. La papauté à Avignon. Saint Lazare à Mar- seille; Sainte Magdeleine dans la grotte; Saint Maximin à Aix ; les Saintes Maries aux Baux. Le roi René. La Provence unie à la France. Mireille, vierge et martyre 423

CHANT OOUZIÈIIS -* LA MORT

Le pays des oranges. Les Saintes remontent dans le ciel. Arrivée du père pt de la mère. Les Saintins montent Mireille à la cha- pelle haute, sont déposées les reliques. L'église des Saintes Maries. Les supplications. La plage de Camargue. Arri- vée de Vincent. Éclat de sa douleur - Le cantique des Samtins.— Dernière vision de Mireille : les Saintes Maries lui apparaissent sur la haute mer. Dernières paroles, et radieuse mort de la jeune illlc. Les plaintes, le désespoir. ...» 465

MUSIQUE OB MaOALI. ...••••.*••..•...*.• 4(^

499i.B0URL0T0N. -* Imprimeries réunies, A, 2, rue Mignon, Paris.

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