A “+ nu” OO F NOR | HARAS re { nr: de sie INA ME UNFaNr L HN uNnnmaernmen { : VAN 26,18 Ü HAMMAM W' L 2e È , 16 | (RP ls : HUNUNrAMMA 1 TENTE OS CRA CEURR, [IE OE , WHY YA “us CHA “le QEA LC te PLIRT À ARR Cent COCEMETS CE » sis (+ | MAPRTPI 1 d 117 : F4 | 12 È . “ TEA æ) RL A A ME A De : en ET par le Père … JOSEPHFRANCOIS LAFITAU, DE ++: OMPASNTE DE JESUS, ee | . DES IROQUOIS e biogiaäphique. par M. Hospice Verreau, e PEcoe Normale Jacques-Cartier - uw se du Père Lafitau., d’un fac mile de antographe et ue DE ee le gin-seng, FR le LA "AA : L EN MÉMOTRE PRÉSENTÉ A SON ALTESSE ROYALE MGR. LE DUC D'ORLEANS RÉGENT DE FRANCE, CONCERNANT LA PRECIEUSE PLANTE DU GIN-SENG DE TARTARITE, Découverte en Amérique par le Père JOSEPH-FRANCOIS/LAFITAU, Ÿ DE LA COMPAGNIE D£'JESU>, MISSIONNAIRE DES iROQUOTE DU SAULT ST. LOUIS. L —2+— NOUVELLE EDITION, Précédée d’une notice biographiqne, pa: M. Hospice Verreau,, , { Principal de l Ecole Normale Jacques-Cartier et accompagné d'un portrait du Père Lañtau, d’un fac simile de son autographe et | de la planche représentant le gin-seng. } a n | 32054, 3 £ ! LÉ: [O. MONTRÉAL TYPOGRAPHIE DE SENECAL, DANIEL ET COMPAGNIE, No. 4, Rue Saint Vincent, 1858. NN, NN D # Le - W/ WA LI GR sut), ? LE PERE LAFITAU ET LE GIN-SENC. 4 L’ancien gouvernement du Canada ne fut, on commence à en convenir aujourd’aui, ni si indifférent au développement des res- sources du pays, ni si ignorant de ses richesses géologiques et botaniques, qu’on avait paru le croire. Il est au contraire bien constaté que, tandis que l’expioration géographique de toute 1’Amé- rique du Nord était alors beaucoup plus complète qu’elle ne l’a été jusqu’à ces dernières années, tout ce qu’il y avait d’important au point de vue géologique avait été indiqué et presque toutes les exploitations du territoire et de ses produits commencées avec succès. Le gouver- nement avait même créé ou tavorisé diverses branches d’industrie qui ont été, depuis, complètement abandonnées, comme on pourra s’en convaincre en parcourant lHistoire du Canada de M. Garneau, et le Tableau des Progrès Inteilectuels et Matériels du Canada, par M. Bibaud, jeune. L’histoire naturelle du pays avait été étudiée par des hommes spéciaux ; et la Flore canadienne avait été décrite non seulement dans excellent ouvrage de Charlevoix, dont les gravures ne le cèdent en rien à ce qui peut étre fait de mieux de nos jours; mais encore dans plusieurs mémoires publiés dans les recueils des aca- démies ou dans des lettres et relations que l’on se disputait avec avidité. Autant le Canada est aujourd’hui profondément ignoré de la France, autant alors il excitait d’intérét. Les Jésuites, qui ont joué un si grand rôle dans la colonisation de PAmérique, ont aussi pris une place distinguée parmi les historiens et les naturalistes du nouveau monde. Leurs curieuses relations, qui se réimpriment actuellement à Québec, abondent en rensei- gnements et en descriptions de tout genre, et sont d’autant plus précieuses que, non seulement chaque père jésuite a profité de ses propres observations, mais a de plus réuni et et fait valoir celles de ses confrères. Dans une communauté, dans un ordre religieux, rien west perdu ; Pobservateur attentif, mais qui serait peut-être inca- Er pable de faire part de ses découvertes à la postérité, trouve à côté de lui Pécrivain habile, qui se hâte de recueillir et de transmettre ses récits. Après Charlevoix, le Père Lafitau est un des jésuites qui se sont le plus distingués comme historiens et comme naturalistes. Le Jour- nal de l’Instruction Publique, dont les rédacteurs s’eflorcent de réunir dans leur collection tout ce qui peut intéresser les amis sin- cères de la gloire de notre pays, commence aujourd’hui la repro- duction du Mémoire que ce savant missionnaire présenta au Duc d’Orléans, régeni de France, “ sur la précieuse plante du gin-seng,? qu’il venait de découvrir dans les forêts du Canada, mémoire fort rare maintenant et qui, accompagné comme il l’est, d’un fac-simile de la planche qui se trouve dans le volume publié à Paris , et d’un portrait avec autographe de l’auteur, sera pour les amateurs des souvenirs historiques du pays une véritable bonne fortune. Nous eussions aimé à joindre à ce mémoire une notice biographique quei- que peu étendue ; mais, malheureusement pour nous, le Père Lafitau était du nombre de ces apôtres zélés, dont la vie se résume dans leurs travaux et dans leurs écrits, où l’homme a toujours le soin de s’effacer derrière les grandes choses qu’il accomplit. C’est avec beaucoup de peine et grâce à l’obligeance du K. P. Martin et de M. le Commandeur Viger, que nous avons pu réumr quelques détails que nos lecteurs jugeront, sans-doute, bien insui- fisants. Joseph François Lafitau, naquit à Bordeaux, vers la fin du 17e siècle. Le Père Martin lui-même n’a pu uous donner l’année de sa naissance. De quelques notes qu’il vient de recueillir en Europe et qu’il a bien voulu nous communiquer, nous pouvons conclure que Lafitau étudiait la théologie à Paris, en 1710, et qu’il avait demandé au Père-Général la faveur d’être destiné aux missions du Canada. Un passage de son grand ouvrage, Moœurs des Sauvages, nous avait fait penser qu’il n’était venu dans ce pays que vers 1712 et non en 1700, comme on l’a écrit, et nous voyons aujourd’hui, qu’en effet, il arriva en Canada en 1712 et qu’il fut immédiatement envoyé à l’ancienne mission du Sault St. Louis. Cette mission, a cette époque, offrait encore beaucoup de fatigues et certains dangers, exposée comme elle l’était, aux premiers coups de l’ennemi ; mais aussi elle avait des charmes qui semblent n’avoir pas échappé au missionnaire lui-même. La vie sauvage avec sa rude poésie, les cris de guerre, l’alarme continuelle, le cliquetis des armes presque toujours retentissant ; et puis le grand fleuve tourbillonnant et allant se briser sur les écueils, les blanches maisons, les rares clochers qui commençaient à briller dans le lointain, au milieu de la forêt éclaircie et au-dessus de l’écume des flots ; tout ce paysage, si noüveau et si saisissant pour eux, devait frapper vivement l’imagi- nation des étrangers. Disons-le à notre grande honte, le Sault St. Louis est un de ces endroits trop inconnus, ou plutôt, trop méconnus de nos jours, où, à des beautés naturelles du premier ordre se rat- tachent des souvenirs historiques du pius vif intérêt. Tandis que les touristes européens, comme M. Marmier et M. Ampère, viennent pe R— serrer la main au pauvre prêtre de Caughnawaga (1), heureux d’ap- prendre quelque chose de sa bouche, nous n’allons, nous, dans ce lieu célèbre, que pour y prendre le chemin de fer et nous éloigner, à toute vapeur, de l’ancien théâtre de la foi et du courage. Cepen- dant, si nous entrions à la mission, on nous y montrerait peut-être _ encore le fauteuil qui a servi à Lafitau et la modeste chambre où Charlevoix vint plus tard prier, méditer et travailler. Ce fut dans l’ancienne mission du Sault, que le premier s’occupa surtout à préparer les matériaux de son grand ouvrage, intitulé : “ Les Mœurs des Sauvages Américains comparés aux Mœurs des premiers temps ;” comme il nous l’apprend lui-même : “ Pendant cinq ans, (2) dit-il, que j’ai passés dans une mission des sauvages du Canada, j’ai voulu m’instruire à fond du génie et des usages de ces peuples, et jy ai surtout profité des lumières et des connaissances d’un ancien missionnaire jésuite, le Père Julien Garnier,etc. Je ne me suis pas contenté de connaître le caractère des sauvages et de m’informer de leurs coutumes et de leurs pratiques ; j’ai cherché dans ces pratiques et ce scoutumes comme des vestiges de l’antiquité la plus reculée.” Au milieu de ce travail et au moment peut-être où il y pensait le moins, il eut le bonheur, qu’il avait longtemps ambitionné, de trouver, à quelques pas de sa demeure, cette célèbre plante du gin-sens dont on commençait à parler alors en Europe (3). Tous les détails de cette découverte sont rapportés avec une simplicité char- mante dans le mémoire auquel nous renvoyons les lecteurs: ïls y verront, en même temps, la description de la plante, ses vertus et les opinions qui partageaient les savants à son sujet. Il suffira de dire 1ci que le gin-seng, panar, est un genre de la famille des araliacées. Les Chinois, les Japonais et les Tartares, le préco- nisaient comme un remède universel, ce qui justifie le nom (pana- cée) que les savants lui ont donné (4). En Chine, il se vendait au poids de l’argent ; trois onces de ce métal pour une once de gin- seng. Aussi, la découverte qu’on en fit dans nos forêts produisit presque autant d’émotion, excita presqu’autant la cupidité que le fait aujourd’hui la découverte des plus riches mines de la Californie, de l'Australie ou de la Nouvelle Calédonie. Nous citerons, à ce (1) On écrit Caughnawaga et Cahnawaga ; mais la meilleure ortho- graphe pour la prononciation française est Kahnuwaké. D’après feu M. Marcoux et le M. de Lorimier, descendant des Iroquois par sa mère, ce nom signifie rapides. (2) Comme le Père Lafitau dit qu’il resta cinq ans missionnaire, et comme il est prouvé qu’il repassa en France en 1717, il est constant qu’il vint en Canada en 1712. Du reste, nous l’avons dit en commençant, cette remarque s’accorde avec les notes du Père Martin, (3) Bouillet place cette découverte vers 1712 : la Société Historique de Québec en 1720 ; mais Lafitau nous dit qu’il trouva le gin-seng en 1716, lorsque le fruit était dans sa maturité, c’est-à-dire, dans l'automne. (4) Du grec pan tout et anekomaï guérir. 4 Pb sujet, notre historien M. Garneau : ‘ Le gin-seng que les Chinois tiraient à grand frais du nord de l’Asie, fut porté des bords du St. Laurent à Canton. Il fut trouvé excellent et vendu très cher; de sorte que bientôt une livre, qui ne valait à Québec que deux francs, y monta jusqu’à vingt-cing francs. Il en fut exporté, une année, pour 500,000 francs. Le haut prix que cette racine avait atteint, excita une aveugle cupidité. On la cueillit au mois de mai au lieu du mois de septembre, et on la fit sècher au four au lieu de la faire sècher lentement et à l’ombre : elle ne valut plus rien aux yeux des Chinois, qui cessèrent d’en acheter. Ainsi, un commerce qui promettait de devenir une source de richesse, tomba et s’éteignit complètement en peu d’années.””’ Ceci prouve que nos pères méri- taient un peu le reproche qu’on nous adresse aujourd’hui, de vou- loir recueillir presqu’avant d’avoir semé. Toujours est-il qu’en 1754 on n’en exporta que pour 33,000 francs, et de ce grand commerce, il n’est resté qu’un dicton populaire que nous avons entendu plu- sieurs fois répéter à des vieillards dans nos campagnes: ‘ C’est tombé, ou ça tombera comme le gin-seng.” Le commerce du gin-seng a cependant continué à se faire de PAmérique à la Chine, e:, chose étrange que nous apprend le Dic- tionnaire de McCulloch, les marchands anglais l’ont, pendant long- temps, acheté des négociants des Etats-Unis, l’important en transit en Angleterre et l’exsortant à la Chine tandis qu’on aurait pu l’ex- porter du Canada. Aujourd’hui, les Américains l’exportent direc- tement eux-mêmes à la Chine. Depuis quarante ans une forte pro- portion de ce qui s’en consomme est exportée des Etats-Unis. La Chine et le Japon sont, du reste, les seuls pays où l’on paraisse croire aux vertus de cette plante et c’est, par conséquent, le seul marché qu’on lui conraisse. Le gin-seng s’exporte tantôt cru, tantôt préparé. [l en a été découvert dans les monts Himalaya, mais son expor- tation à la Chine ne paraît pas avoir réussi. Cependant, la concur- rence du commerce américain en a fait baisser le prix, et il ne se vend pas aussi cher que lorsque tout l’approvisionnement se faisait en Tartarie. Le sin-seug cru se vend à Canton de 60 à 70 piastres par picul (poids chinois équivalent à 1332 livres avoir du poids), et préparé il se vend de 70 à 80 piastres. En 1852, il en a été exporté des Eta‘s-Unis à la Chine 158,455 livres, équivalent à 102,703 piastres. Ii ne paraît point que le gin-seng de |’Amérique du Nord soit en rien inférieur à celui de la Tartarie, et sa dépréciation pen- dant un certain temps, a été dû uniquement aux causes que men- tionne M. Garneau. On ne voit point que celui des Etats-Unis se vende moins cher que celui de la Tartarie ou du Thibet, et, dans tous les cas, celui du Canada bien préparé doit valoir au moins celui des Etats-Unis. (C’est donc une branche de commerce assez importante encore aujourd’hui que nous avons perdue uniquement par notre faute, et qu’il ne tiendrait qu’à nous de reconquérir, puis- que le gin-seng croît encore dans nos forêts aujourd’hui comme au temps de Lafitau. La plante existe encore dans les environs même du Sault St. Louis, et M. St.-Germain, curé de St. Laurent, en a trouvé dans les bois du comté de Terrebonne. Dans son mémoire, le Père Lafitau s’occupe surtout d’établir OC “it “ L LE de St en Le LUNN 70 l’identité de la plante qu’il avait découverte avec celle qui était si fameuse à la Chine. On a nié depuis cette identité et aujourd’hui même, dans tous les dictionnaires (1), on attribue à tort au gin-sens d'Amérique une grande infériorité. Le passage suivant, d’un des mémoires publiés par la Société Littéraire et Historique de Québec, attribué à M. Querdisien Trémais par notre savant bibliosraphe, M. Faribault, corrobore ce que nous avons déjà dit, d’après M. Gar- neau, sur lunique cause de la dépréciation de notre gin-seng à la Chine (2): “ C’est ici, écrit l’auteur de ce mémoire, le lieu de dire qu’il eût peut-être été à souhaiter que la Compagnie des Indes eût eu le commerce du gin-seng. On n’en fait usage qu’à la Chine où la Compagnie seule a le privilége d’envoyer des vaisseaux. Autrefois ce commerce était presqu’inconnu en Europe, les Chinois tiraient le gin-seng de la Tartarie ; ce n’est que depuis quelques années qu’on l’a découvert en Canada. Dans le commencement, il ne vr'ait que trente à quarante sols la livre, séché et trié, et la Coiupagtie ne regardant point cet objet, permit aux officiers et supercargues de ses vaisseaux de la porter à la Chine en pacotille; mais, er 1751, s’étant aperçue que le commerce du gin-seng devenait consi- dérable, elle défendit aux officiers et supercargues de ses vaisseaux (1) On lit dans le Dictionnaire des Sciences et des Lettres de Bouiilet (1857) :—" En Asie, où on lui fait subir une préparation à cet effet, cette racine est livrée au commerce transparente. £a saveur en est aro- matique, d’abord sucrée, ensuite âcre et amère. Elle est tonique, stimu- jante et réparatrice. Les Chinois, les Japonais et les Tartares la préco- misent comme un remède universel, et l’empereur de la Chine s'en réserve le monopole. On la vendait encore, au siècle dernier, deux à trois fois son poids eu argent en Chine même. On ne la trouvait alors, dit-on, qu'en Tartarie, entre les 10e et 20e degrés de latitude est, à partir de Pékin, et les 39e et 47e degrés de latitude nord. Elle ne fut apportée en Europe qu’en 1606. Le Père Lafitau vers 1712 la trouva en Canada; mais /v gin-seng d.Amérique passe pour être inférieur. Du reste, il s’en faut de beau- coup que cette plante produise dans nos climats les merveilleux effets dont parlent les asiatiques. Peut-être la dessication, la vétusté, la ver- moulure sont-elles pour beaucoup dans cette infériorité. On cultive mais een le gin-seng dans nos jardins botaniques ; il s’y multiplie diffei- ement. (2). Considérations sur l’état présent du Cunada, octobre 1758, dans la # Collection de mémoires et de relations sur l'histoire ancienne du Ca- nada, d'après des manuscrits récemment obtenus des archives et bureaux publics en France, publiés sous la direction de la société littéraire et historique de Québec.”—Québec, W. Cowan et fils, 1840. On remarque que l’auteur écrit gin-sing. Lafitau et Charlevoix écrivent gin-seng, d'au- tres, ging-seng, d'autres enfin geng-seng. McCulloch dit que les Chinois appellent cette plante yan-sam et que les Tartares l’appellent orhota. En hollandais, en allemand et en italien c’est gin-seng ; dans cette dernière langue aussi gin-sem, On verra que Lafitau insiste beaucoup sur la signi- fication du mot chinois, qui veut dire les cuisses de l’homme, et sur celle du nom iroquois garent-oguen, qui a le même sens. La biographie universelle dit que le nom chinois se prononce gin-chen et que le nom Alandchou est orkhoda. PAS TR de s’en charger. Il valait alors douze francs en Canada, et la Compagnie l’acheta jusqu’à trente-trois francs la livre. A la Ro- -chelle, alors, les négociants de cette place donnèrent ordre à leurs correspondants à Québec, d’en acheier à tout prix; on en fit cher- cher partout sans avoir égard à la saison de le cueillir, et au terns de sécher à propos: on le mettait, au sortir de la terre, dans des fours ou à côté des poëles; ce gin-seng ainsi cueilli à contretems et mal séché, valut jusqu’à vingt-cinq francs la livre à Québec, et il en sortit, en 1752, pour environ 500,000 francs. Dans ce même temps, la Compagnie des Indes, qui pouvait se rendre ce commer exclusif, ne voulut point en demander le privilége ; elle on- tenta de ne point acheter des pu‘iculiers le gin-seng-mäl condi- tionné, et de prendre des mesures rour en faire-ueillir dans la saison convenable et le faire sécher à propos, en le gardant à Montréal une année entière, Le parti considérable qui avait passé à la Rochelle resta invendu. A force de sollicitations, la Compa- gnie des Indes en a acheté une partie; une autre a passé en Hol- lande, en Angleterre et en Espagne, et ce qui en reste à la Rochelle tombera en pure perte. Il est arrivé de là, que; malgré les défenses de la Compagnie, on en a chargé en contrebande dans ses vaisseaux, qu’il en est parvenu à la Chine par la voye de l’étranger, et que la quantité et la mauvaise qualité de ce gin-seng y a décrié totalement le sin-seng du Canada. La Compagnie des Indes vient de donner ordre de cesser d’en faire cueillir. ‘ Le gin-seng est plus on moins bon, suivant la qualité du ter- rein et le temps qu’il y a qu’il est en terre; mais tout le monde convient qu’il faut le cueillir en septembre et le faire sécher dans des greniers, sans feu. ÆEn 1752, on le cueillait en may; on le séchat au four pour pouvoir le faire passer la même année ; les habitants, trouvant plus de profit à chercher du gin-seng qu’à semer du blé, abandonnoïent leurs terres pour courir dans les bois, qui se sont trouvés incendiés, en plusieurs endroits, par le peu de précau- tions qu’ils prenoient en faisant du feu. | ‘ Si la Compagnie des Indes eût eu ce commerce exclusivement, elle n’auroit reçu que le gin-seng ‘séché à propos et cueilli en sep- tembre ; tems auquel les travaux de la Compagnie sont presque finis, et par ce moyen le gin-seng du Canada ne seroit point décrié aujonrd’hui en Chine. Observons que cette branche de commerce est de la nature de celles qu’il faut rechercher, parce qu’elle donne des profits réels à l’état: le gin-seng en Canada ne coûte que la peme de le cueillir, et la concommation s’en fait à la Chine. Obser- vons de plus, que ce privilége exclusif accordé à la Compagnie des Indes était analogue à celui qu’elle a déjà, et qu’il ne portoit aucun préjudice au commerce général.” On peut conciure de ce passage que nous n’exagérons point en disant que le gin-seng excita au Canada, chez nos pères (car il y a de cela un siècle seulement}, une fièvre assez semblable à celle que cause l’or de la Californie et des nouvelles régions aurifères de la rivière Frazer , dans ce moment. On négligeait l’agriculture et la perturbation amenée dans le pays par la chute de ce commerce, est bien indiquée , par le proverbe ou dicton que nous avons men- | À | | l | NS tionné. Dans l’état actuel des choses il n°y aurait rien de semblable à craindre. Ne paraît-il point, du reste,étonnant que les populations asia- tiques aient trouvé et trouvent encore , à cette racine , des propriétés médicales si puissantes , et, qu’en Amérique et en Europe, on ne lui reconnaisse aucune de ces vertus? Il est vrai que l’énergie des substances chimiques généralement employées dans la pharmacie moderne a fait tomber dans l’insignifiance la plupart des simples ; mais comment se fait-il, cependant , que la droguerie américaine , qui fait encore ou prétend faire un si grand usage des végétaux, n’aît pas exploité davantage une plante dont les asiatiques disent tant de merveilles ? Ne serait-il pas intéressant de constater avec soin l’effet qu’elle peut avoir dans nos climats ; aussi de déterminer l'influence qu’exercerait sur elle la culture , qui modifie quelquefois d’une si singulière manière ies propriétés des végétaux ? (1) Quoiqu'il en soit , la découverte du gin-seng en Canada a suffi- samment marqué dans notre histoire pour rendre mémorable le nom de Lafitau, illustré, du reste, par d’autres travaux. En 1717, ïl repassa en France pour les affaires de la mission du Sault St. Louis, comme il le dit dans une de ses lettres. Il s'agissait, en effet, d’obtenir de la Cour la permission de transporter le village Iroquois du Sault à endroit où 1l se trouve aujourd’hui. Les prin- cipales raisons alléguées étaient la supériorité du terrain sous le rapport de l’agriculture et les avantages que présentait le site pro- posé au point de vue stratégique. Il parait qu’il plaida si bien sa cause que le terrain nécessaire au nouvel établissement fut accordé Pannée suivante. Il présenta aussi un autre mémoire, qui se trouve traduit en anglais et imprimé dans le neuvième volume de la splendide collection de documents historiques que l'Etat de New- York fait publier actuellement sous la direction du Dr. O’Cellaghan. Ce document a rapport à la traite de l’eau-de-vie et signale les excès et les malheurs qu’elle cause parmi les peuples sauvages. (1) On lit ce qui suit dans un dictionnaire pharmaceutique américain à l’article gin-seng : According to the Chinese this root nourrishes and strengthens the body, checks vomiting, removes hypochondriasis, and all other nervous affections, and in short is capable of giving a vigorous tone to the system, even in old age and is a panacea for all corporal ills. It is administered in a variety of forms and the only ill result arising from overdoses they state to be a tendency to hemorrage. Several of the Jesuits who have used the Chinese root are of opinion that many of the properties attributed to it are real and that it is a truly valuable remedy. On the other hand, the trials made in the United States and in Europe with the american kind prove that it is merely a gentle stimulant with some slight antispasmodic qualities. No extended observations however have becn made on it, and as regard the Chinese variety it is dificult to come to any just conclusion for it can scarcely be possible that an article so long in use and so highly prized, can be wholly worthless, and yet there is every reason to believe that its beneficial effects should be attributed rather to the effects of imagination than to any extraordinary power in the root. ”’— Grifiith’s american edition of Christison’s dispensatory —Philadelphia 1848. ’ 10 — Une des remarques peut-être les plus habiles qu’il contient est cette réflexion que, malgré la pzssion qu’éprouvent les sauvages “pour l’eau de feu, comme ils l’appellent, eux-mêmes demandent à ètre délivrés de ce fléau, et que refuser une demande aussi héroïque de leur part c’est s’exposer à s’aliéner ces nations : lo. parce que les sauvages savent très bien que l’eau-de-vie détruit leurs nations eta déjà presque détruit celle des Algonquins, et parce que les coureurs de bois et les sauvages démoralisés par l’ivrognerie et chargés de dettes, prennent refuge chez les colons anglais et tra- vaillent ensuite à debaucher les autres sauvages et à leur montrer le chemin de Manhatte. Il cite , de plus , exemple des autorités de la Nouvelle-Angleterre elle-même, qui, sur la demande du Père Pierron, missionnaire dans les cantons [roquois, avaient promis de réprimer les abus de la vente des spiritueux. La lettre suivante du gouverneur de Manhatte (aujourd’hui New-York) nous parait telle- ment intéressante que nous croyons devoir la traduire. Elle était adressée au Pere Pierron, et Lafitau la citait à l’appui de sou zssertion : Fort James, 18 novembre 1618. “« Mox P£EreE, “ Votre dernière lettre me fait connaitre votre plainte secondée par celle des Chefs des Capitaines Iroquois, comme il parait plus amplement par leur requête incluse dans ja vôtre, concernant la trés grande quantité de liqueurs que certaines gens d’Albany se per- mettent de vendre aux sauvages, ce qui leur fait commettre de très grands excès et désordres, qui ne peuvent qu’augmenter si rien n’est fait pour les prévenir. En réponse, vous apprendrez que j'ai pris toutes les précautions possibles, et que je continuerai, par des amendes très rigoureusement prélevées, à empécher qu’on ne fournisse aux sauvages l’eau-de-vie en trop grande quantité, et je suis très heureux d’apprendre que d’aussi vertueuses suggestions nous viennent des païens à la grande hote de beaucoup de chré- tiens; mais ceci doit être attribué à vos pieuses instructions et à ce qu’étant vous-même formé à la plus stricte discipline, vous leur avez prêché la mortification autant par vos exemples que par vos préceptes. & Francis LovELACE.” Cette citation, dans l’état des relations de la France avec l’An- gleterre, n’était point ce que le Père Lafitau pouvait mettre de plus maladroit dans son mémoire qui, d’ailleurs, outre les motifs de religion et d’humanité, faisait valoir habilement les intérêts même du commerce et de la colonisation. Son succès cependant ne fut que partiel, comme le fait voir la note suivante : “ Divers mémoires ont êté envoyés au Conseil sur ce sujet, par MM. de Vaudreuil, Begon et Ramezay. Tous s’accordent sur les inconvénients du commerce de l’eau-de-vie ; mais le donnent comme nécessaire ; et M. de Vaudreuil ayant suggéié qu’il était indispensable d’allouer deux ou trois pots d’eau-de-vie, par tête, aux sauvages des pays d’en haut qui visitent la colonie, et même de les traiter modérément and. si. LE il au fort Frontenac ; ce sur quoi il fut délibéré en conseil le 31 mars 1716, qu’il était nécessaire de maintenir les défenses générales qui ont déja été faites ; mais en même temps de permettre le transport de l’eau-de-vie, en petites quantités, aux endroits proposés par M. de Vaudreuil. S’il juge à propos de renouveler les anciennes défenses, il devra le faire sans en changer la teneur. Observations. —La traite de l’eau-de-vie dont se plaint le Père Lafitau est évi- demment celie qui se fait dans les villes de la colonie, laquelle il est toujours nécessaire de supprimer. Fait et arrêté, le ler juin 1715 —Signé L. A. de Bourbon. Le maréchal d’Estrées—Par le Conseil, La Chapelle. Et plus bas: Faire savoir à MM. de Vaudreuil et Béson, que le Conseil a appris qu’un grand nombre de permis ont été délivrés en sus de ceux que l’on avait alloués. Défendre l'octroi d'aucun permis de ce genre sous quelque prétexte que ce soit. Accorder, une autre année, le nombre ordinaire de permis; et déclarer ensuite qu’il n’en sera plus octroyé. Les porteurs de ces permis devront en informer les sauvages afin qu’ils apportent leurs effets. Défendre d’inclure dans les permis qui seront donnés eu dernier lieu, la permission d’emporter de l’eau-de-vie même pour Pusage des voyageurs.” Tel fut, pour le moment, le résultat des efforts de notre mission- naire; mais les intérêts de son cher troupeau n’étaient pas les seuls qui le préoccupaient. La découverte qu’il avait faite devait trop influer sur le commerce et la prospérité du Canada, pour qu’il ne cherchât pas à la faire apprécier du gouvernement. Il présenta donc lui-même sa précieuse racine au Régent dont on a dû remarquer la signature au bas de l’arrêté du conseil. En l’honneur de ce prince, il appela le gin-seng du Canada : l’auréliane du Canada ?” (Aure- liana Canadensis) (1). Peu de temps après, il publiait le mémoire que nous reprodui- sons. Les exemplaires, nous l’avons déjà dit, en sont devenus tres rares. Il en existe un à la bibliothèque du Parlement (le second ou le troisième peut-être: on sait que notre bibliothèque nationale brûle périodiquement), et Sir L. H. Lafontaine en possède un autre, qu’il a bien voulu nous prêter et d’après lequel a lieu la réimpression actuelle (2). Cette complaisance mérite d’autant plus notre recon- naissance et celle du public, que ce livre est doublement précieux à celui qui le possède, par le fait assez singulier que c’est l’exem- plaire même offert par le Père Lafitau au Marquis de Vaudreuil, alors gouverneur de la Nouvelle-France. On lit, en effet, sur la première page, ces mots en écriture très fine: “ A M. le Marquis (1) Le Régent était, comme on sait, le Duc d'Orléans, et le nom latin d'Orléans, devenu cité sous l’empereur Aurélien, était Aurelianum. (2) Les recherches et les généreux efforts de notre Juge-en-Chef ont déjà enrichi nos annales de précieux documents. Sans parler de ceux qu’il a obtenus en France et de ses Observations, publiées dans les Ques- tions Seigneuriales, les motifs de son jugement, dans la cause de Wilcox et Wilcox, méritent d’être lus par tous ceux qui s’intéressent à la partie de netre histoire qui suit immédiatement la conquête. De". Vo de Vaudreuil :* et M. le commandeur Viger, qui possède plusieurs autographes de Lafitau, entr’autres celui dont nous publions un fac- simile, ne doute pas que ces mots n’aient été tracés de la main de missionnaire. Il semble étrange qu’après avoir pris tant d’intérêt au Canada le Père Lafitau n°y soit point revenu finir ses jours ; mais il resta en Europe quoiqu’il fut ardemment réclamé par le Supérieur de Qué- bec, le vénérable Père Julien Garnier (1). Bien que sur la liste des missionnaires de 1718 à 1719, il soit encore porté comme attaché à la mission du Sault St. Louis, une note, nunc Romæ, indique qu’il devait se trouver alors dans la ville éternelle, où il pouvait complèter ses études sur l’antiquité mieux que partout ailleurs. Plus tard il devint professeur de belles-lettres, poste comparativement hnmble si l’on considère la grande réputation qu’il s’était acquise ; mais qu’il rechercha sans doute par modestie et aussi pour pouvoir travailler plus facilement à son grand ouvrage. Les Mœurs des Sauvages, elc., terminés au mois de mai 1722, ne parurent qu’en 1724 On ne sait ce qu’il faut y admirer davantage, ou de l’exac- titude de Pobservateur ou de l’érudition du savant. Les conjectures du Père Lafitau se sont depuis changées en certitude ; personne ne doute aujourd’hui que Amérique n’aît. été peuplée par l’Asie, comme 1l le prétendait. Quant aux races particulières d’où il fai- sait descendre nos sauvages, rien dans les découvertes et les observations postérieures ne contredit victorieusement ses opinions, qui paraissent d’ailleurs si fondées, entourées qu’elles sont non seulement du prestige de l’érudition du texte ; mais de celui que produisent les admirables gravures dont ses deux volumes sont ornés. % Il cherche à prouver, dit la Biographie Universelle, que la plupart des peuples de l'Amérique viennent originairement de ces barbares qui occupèrent d’abord le continent de la Grèce et ses isles, d’où ayant envoyé de tous côtés diverses colonies pendant plusieurs siècles, ils furent obligés, enfin, d’en sortir, ayant été chassés en dernier lieu par les Cadméens. Ceux, ajoute Lafitau, qui connaîtront bien les peuples barbares de l’Amérique Septentrio- nale, y trouveront le caractère de ces Helléniens et de ces Peslas- giens. On ne peut nier que plusieurs des aperçus du Père Lafitau ne soient ingénieux, et que ce livre n’annonce une grande connais- sance de l’antiquité.?” Les types des diverses divinités, les cérémonies religieuses et les instruments même du culte chez tous les peuples dont il a seruté si savamment les mœurs, les monuments et les coutumes, établissent, du reste, cette identité des traditions humaines que Lamennais avait pris pour base de son système philosophique et théologique, et que, dans son aveuglement, Dupuis avait exploitée en sens contraire dans son Origine de tous les Cultes. Lafitau a fait parler cette ressemblance aux yeux de son lecteur dans ses belles gravures, (1) Le Père Garnier est un de ces vétérans de la foi dont la vie méri- terait d’être mieux connue. Il mourut, à Québec, à l’âge de 87 ans; il en avait passé 68 en Canada. | | Ë … bent x un late re : de à 5 Sen gl db de @assh Mt) di té moi de CR AS né dé PNR 7 +, a c'saure" R oc-le nisre on net 1e À dt die. e. NÉ Le put, 219 dont les dessins paraissent avoir été tracés par lui-même, ce qui en so: serait déjà un mérite qu’il ne faudrait pas dédaigner. L'ouvrage dédié au Duc d'Orléans est digne, sous ce rapport, du goût artistique de ce prince. Ilcontient 41 planches, contenant chacune d’elles un grand nombre de &ravures. Le frontispice représente le Temps dictant à l’histoire les admirables récits de l’Ancien et du Nouveau Testament (1). Un Dictionnaire Historique attribue au Père Lafitau une ‘ Vie de Jean de Brienne, empereur de Constantinople,” laquelle aurait vu le jour en 1727; mais il nous a été impossible de nous assurer de exactitude de cette assertion. En 1733, il publia ‘ PHistoire des Découvertes et des Conquêtes des Portugais dans le Nouveau Monde,” 4 vols. in-12. Le titre de cet ouvrage est incorrect, puisque lPauteur y décrit les conquêtes des Portugais en Asie et en Afrique plutôt que celles qu’ils ont faites en Amérique. À partir de cette publication on ne trouve plus le nom du Père Lafitau que dans une lettre qu’il écrivit de Paris en 1738. Ses derniers instants ne nous sont guères plus connus que les commencements de sa vie: l’année même de sa mort n’est pas très certaine ; toutefois on la place géne- ralement en 1740. Nous avions espéré trouver sur lui quelques ren- seignements précis, quelques détails dans les régistres du Sault St. Louis ; mais la perte de ces intéressantes annales, brûlées dans Pin- cendie de l’église de St. Rézis, où elles avaient éte transportées par le Père Gordon, est d’autant plus irréparable qu’il n’en existe pas même de copie au grefle. D’un.autre côté, les dictionnaires biographiques de PEurope disent peu de chose de l’historien des vieilles races de Amérique ; mais, en revanche, ils sont très explicites et tout particulièrement renseignés à l’égard d’un de ses cousins, évêque de Sisteron, qui, aux yeux de l’histoire, a le tort d’avoir été l’ami sinon la créature du cardinal Dubois (2). (1) Les exemplaires de cet ouvrage sont devenus assez rares et dispen- dieux. Il en existe plusieurs dans le pays. Celui du commandeur Viger est enrichi des notes précieuses de M. Joseph Marcoux, missionnaire des Iroquois de St. Régis, puis du Sault St. Louis, de 1813 à 1855, c'est-à- dire pendant 42 ans. Savant philologue, il composa une grammaire et un dictionnaire de la langue iroquoise, et plusieurs autres ouvrages encore inédits. Voir les Lettres sur l'Amérique de M. Marmier, et la Promenade en Amérique de M. Ampère. (2) Pierre François Lafitau, évêque de Sisteron, naquit à Bordeaux en 1685, d’un courtier de vin, et dut sa fortune à son esprit. Il entra fort jeune chez les jésuites et s’y distingua par son talent pour la chaire. Ayant été envoyé à Rome au sujet des disputes élevées par les jansé- nistes contre la bulle Unigenitus, il plut à Clément XI. Devenu évêque, il prit une part très active à la lutte prolongée entre Port-Royal et les jésuites. Il publia plusieurs ouvrages de polémique et plusieurs mande- ments. Ses ouvrages sont : “ Histoire de la Constitution Unigenitus,” 1757 et 1758, 2 vols. in-12 ; “ Réfutation des anecdotes ou mémoires secrets sur l’acceptation de la bulle Unigenitus par Villefort,” 3 vols. in-12 ; “ Histoire de Clément XI,” 2 vols. in-12 ; ‘ Sermons,” 4 vols. in- AE Grâce, cependant, à un portrait qu’un homme, qu’ii faut toujours nommer quand il s’agit d’antiquités canadiennes, M. Viger, a tiré de loubli, nous pouvons donner à nos lecteurs une idée assez pré- cise de la personne du célèbre missionnaire qui fait l’objet de cette. notice. (1) | | Le Père Lafitau était de taille ordinaire, il avait les traits de la figure fins et délicats, le teint blanc et coloré. Son front, ses yeux et toute l’expression de sa physionomie, indiquaient une vive et pénétrante intelligence. Sa contenance devait être pleine de noblesse et d’une douce fermeté. En un mot, il nous apparait comme un de ces hommes d’élite qui peuvent renoncer à la gloire humaine ; mais que eette gloire va couronner partout, dans la ca- bane du sauvage, dans le désert, tout aussi bien que sur un théâtre plus élevé. Hospice VERREAU. 12; “ La Vie et les Mystères de la Ste. Vierge,” 2 vols in-12, et plusieurs petits ouvrages ascétiques. Il mournt en 1764, à 70 ans, au château de Lurs, qui appartenait aux évêques de Sisteron.—Dict. Hist.'de Feller. (1) Le portrait que nous offrons à nos lecteurs était, ainsi que celui de Charlevoix, à la mission du Sault St. Louis, où personne, sauf M. Mar- coux, m'aurait pu les identifier, ce qu’il lui était facile de faire par la tra- dition transmise de missionnaire en missionnaire. Le commandeur Viger les fit restaurer et copier, par M. Duncan, pour son riche album. Le portrait de Charlevoix a été aussi reproduit par le pinceau de M. Antoine Plamondon, pour la cabine du vapeur qui portait le nom de l'historien de la Nouvelle-France. Cette toile a dà périr avee le vais- seau, brülé il y a quelques années, EC F7 4 VSD ) N hp 6 SE 1 | è MÉMOIRE PRÉSENTÉ A SON ALTESSE ROYALE MGR. LE DUC D'ORLEANS, RÉGENT DE FRANCE, CONCERNANT LA PRECIEUSE PLANTE DU GIN-SEXG DE TARTYARIE, DECOUVERTE EN AMERIQUE PAR LE PERE JOSEPH-FRANCOIS LAFITAU DE LA COMPAGNIE DE JESUS, MISSIONNAIRE DU SAULT ST. LOUIS. MOoxSEIGNEUR, Les ordres que Votre Altesse Royale envoya à M. Begon, (1) intendant du Canada, dès qu’Elle commença a prendre le soin du royaume, qu’il eut à contribuer à enrichir la botanique, et à favoriser ceux qui s’y occuperaient, ont été, ce semble, secondés du ciel par une découverte utile. Dans ce temps-là même, je trouvai dans ies forêts de la Nouvelle-France le Gin-seng des Yartares , si estimé à la Chine. Je regardai un évènement si heu- reux, comme une récompense de ce zèle que Votre Altesse Royale eut dès l’enfance pour perfectionner et pour faire fleurir les arts. A la Chine, Monseigneur, il n’est point de plante qu’on puisse comparer au Gin-seng. J’avoue que je me sentis agréablement flatté de cette idée quand j’en eus découvert en Canada. Ma joie fut plus grande encore lorsque je réfléchis que ma découverte ne serait pas tout-à-fait indifférente à un prince également attentif à proeurer l’avancement des lettres et l’avantage des peuples. A la vérité, j’ai longtemps appréhendé d’interrompre les soin: importants, que donne à V. À. R. le gouvernement d’un grand royaume , et de détourner son attention sur de petits objets. Enfin, j’ai cru qu’un esprit, supérieur comme le vôtre, n’est Jamais assez fatigué des affaires sérieuses, pour négliger entièrement les minuties même de littérature qui peuvent produire de Putilité au public. (2) M. Begon (Michel) fut intendant du Canada le 31 mars 1710 ; mais il ne vint au pays qu'en 1712. Il fut remplacé le 2 septembre 1726 par M. C. T. Dupuy et partit de Québec, le 19 octobre suivant. (M. S, du Commandeur Viger.) RE Dans cette persuasion, j’ai pris d’abord la liberté de lui faire présenter la plante que j’avais découverte. L’honneur que j’ai eu de la lui présenter moi-même , et la bonté qu’Elle a eue de ne pas dédaigner ce fruit de mes recherches, me donne aujourd’hui la hardiesse de rendre publiques mes remarques sur cette plante sous ’ les auspices et sous la protection de V. A. R. 4 Je n’avais jamais entendu parler du Gin-seng étant en France. Cependant cette fameuse racine était déjà connue en Europe depuis plusieurs années, par les relations des Pères de notre compagnie, à qui ont été les premiers à en parler. C’est ce qu’on peut voir dans | ! | Patlas chinois du Père Martini, dans l’histoire naturelle du Père Eusèbe de Nieremberg , et dans la Chine illustrée du.célèbre Père Kirker. Les vaisseaux français et hollandais qui nous l’ont apportée depuis, en ont rendu la connaissance plus certaine. Ce fut done par un pur hazard , que je commençai pour la pre- mière fois de connaître le Gin-seng. J’étais descendu à Québec - pour les affaires de notre mission, au mois d’octobre de l’année 1715. | On a coutume de nous envoyer toutes les années un recueil des lettres édifiantes des missionnaires de notre compagnie , qui travail- lent en divers lieux du monde au salut du prochain. Ces lettres sont pour nous, qui nous trouvons dans les mêmes fonctions de zèle , un puissant motif de soutenir avec constance les travaux pénibles de nos missions. Rien en effet n’est plus capable d’adoueir nos peines, et de nous animer, que l’exemple de ceux de nos Pères qui, se trouvant dans la même situation que nous, paraissent compter pour rien toutes leurs fatigues, et s’estiment heureux, quand il a plu au Seigneur de donner quelque succès à PEvangile | qu’ils prêchent , ou les consoler des obstacles et des traverses qui | rendent leurs travaux stériles. Parmi ces lettres il y en a aussi de curieuses qui concernent les diverses matières qui ont rapport aux sciences et aux beaux arts, et qui souvent sont des découvertes utiles pour le bien de l’état et des colonies. Etant donc à Québec, le dixième recueil de ces lettres me tomba entre les mains; J’y lus avec plaisir celles du Père Jartoux. J’y trouvai une description exacte de la plante du Gin-seng , qu’il avait eu lieu d’examiner dans un voyage qu’il avait fait en Tartarie , l’an 1709. L’empereur de la Chine l’y avait envoyé pour y faire la carte du pays. Îl arriva qu’au même temps un corps de dix mille Tartares était occupé à chercher le Gin-seng par l’ordre du même prince, qui par tribut en retire deux onces de chaque Tartare, et qui achète d’eux le reste au poids de l’argent fin. Cependant ce qu’il en paye n’est que la quatrième partie de ce qu’il le fait valoir dans son empire , où il est vendu en son nom. Pour annoncer les vérités de notre religion à des peuples barba- res, et leur faire goûter une morale bien opposée à la corruption de leurs cœurs , il faut auparavant les gagner et s’insinuer dans leurs esprits en leur devenant nécessaire. Plusieurs de nos missionnaires ont réussi en différents endroits par quelque teinture qu’ils avaient | de la médecine. Je savais qu’en travaillant à guérir les maladies du corps ils avaient été assez heureux pour ouvrir à plusieurs les UL AE ES JOUE — yeux de l’âme. Ils se sont souvent servi de ce moyen pour baptiser plusieurs enfants moribonds , sous prétexte de leur donner quelque remède. Je m’appliquois done d’autant plus sérieusement à la médecine , que les sauvages en sont très curieux, que quoiqu’ils aient de très bons remèdes, ils se servent encore plus volontiers des nôtres, et les employent préférablement aux leurs. Je me sentais en particulier du goût pour la connaissance des plantes , c’est ce qui me fit lire la lettre du Père Jartoux , par préférence aux autres lettres du même recueil. En parcourant cette lettre, et tom- bant sur endroit où ce Père dit, en parlaut de la nature du sol où croît le Gin-seng , que s’il s’en trouve quelqu’autre part du monde, ce doit être principalement en Canada , dont les forêts et les monta- gnes , au rapport de ceux qui y ont demeuré , sont assez semblables à celles de la Tartarie. Je sentis ma curiosité encore plus piquée par {espérance de le découvrir dans la Nouvelle France. Cette espérance était pourtant assez faible, et fit peu d’impression surmoi. Je ne retirai même de la lettre qu’une idée confuse et très imparfaite de la plante. Les occupations que j’eus pendant Phyver, qui est fort long et fort rude en Canada, achevèreut presque de effacer. Ce ne fut qu’au printemps qu’étant obligé de passer sou- vent par les bois, je sentis renaître en moi l’envie de faire cette découverte , à la vue d’une multitude prodigieuse d’herbes dont ces forêts sont remplies , et qui attiraient alors toute mon attention. Je tâchai donc de rappeler les idées que je m’en étais formé. Je parlai à plusieurs sauvages. Je leur dépeignis la plante de la manière que je pus. Ils me firent espérer que je pourrais en effet la découvrir. La nécessité a rendu les sauvages médecins et herboristes ; ils recherchent les plantes avec curiosité , et les éprouvent toutes ; de sorte que sans le secours d’une physique bien raisonnée, ils ont trouvé par un long usage, qui leur tient lieu de science, bien des remèdes nécessaires à leurs maux. Outre les remèdes généraux ;, chacun a les siens en particulier, dont il est fort jaloux. En eflet, rien n’est plus capable de les accréditer parmi eux que Ja qualité de bons médecins. [1 faut avouer qu’ils ont des forêts admi- rables, pour des maladies dont notre médecine ne guérit point. ls se traitent à la vérité un peu rudement , et dosent leurs purgatifs et leurs vomitifs comme pour des chevaux ; mais ils excellent dans la guérison de toute sorte de plaies et de fractures, qu’ils traitent avec une patience extrême, et avec une délicatesse d’autant plus mer- veilleuse que jamais ils n’y employent le fer. Ils guérisent leurs malades en peu de temps, par la propreté qu’ils entretiennent dans une plaie , elle parait toujours fraîche , et les remèdes qu’ils y appli- quent sont simples , naturels et de peu d’apprêts. Les Français, dans ce pays-là, conviennent qu’ils Pemportent sur nous en cette matiére. J’ai vu moi-même des cures surprenantes. Les missionnaires qui sont toujours avec les sauvages , qui ont toute leur confiance , et qui parlent communément leur langue comme eux-mêmes , sont presque les seuls en état de tirer d’eux des secrets dont le publie pourrait profiter. Cependant, ils ne paraissent pas y avoir pensé jusqu’à présent. Aussi, n’ont-ils pas été aussi heureux en découvertes que nos missionnaires du Pérou et du Brésil. Je 2 SR m’imagine qu’ils ont été détournés par la crainte de paraître approu- ver par leurs recherches , les superstitions des jongleurs ou des médecins , qui dans les commencements de l’établissement de la colonie , étaient le plus grand obstacle qu’ils trouvaient à la prédi- cation de l'Evangile. Les questions que j’avais faites aux sauvages sur le Gin-seng ne m’avancèrent pas beaucoup. Je puis dire qu’elles ne me profitèrent qu’autant qu’elles me donnèrent lieu de faire d’autres découvertes que j’espère perfectionner quand je serai de retour à ma mission. J’ose me flatter que je pourrai donner dans la suite des connaissan- ces au publie , qui feront plaisir à ceux qui aiment la botanique , et dont notre médecine pourra tirer quelque secours. (1) Ayant passé près de trois mois à chercher le Gin-seng inutile- ment , le hazard me le montra quand j’y pensais le moins , assez près d’une maison que je faisais bâtir. [Il était alors dans sa matu- nté ; la couleur vermeille de son fruit arrêta ma vue. Je ne le con- sidérai pas longtemps sans soupçonner que ce pouvait être la plante que je cherchais. L’ayant arrachée avec empressement , je la portai plein de joie à une sauvagesse que j’avais employée pour la cher- cher de son côté. Elle la reconnut d’abord pour l’un de leurs remè- des ordinaires , dont elle me dit sur le champ l’usage que les sau- vages en faisaient. Sur le rapport que je lui fis de l’estime qu’on en faisait à la Chine, elle se guérit dès le lendemain d’une fièvre intermittente qui la tourmentait depuis quelques mois. Elle n’y fit point d’autre préparation que de boire l’eau froide où avaient trempé quelques-unes de ces racines brisées entre deuxépierres. Ælle fit depuis deux fois la même chose, et se guérit chaque fois dès le même jour. Quelque présomption que j’eusse que la plante était du Gin-seng, je n’osais pourtant rien assurer n’ayant que des idées confuses de la lettre du Père Jartoux , que je n’avais pas en main, et dont l’ex- emplaire était à Québec. Je pris donc le paiti de faire une descrip- tion exacte de la plante trouvée en Canada ; je lenvoyai à Québec à un homme intelligent (2), afin qu’il la confrontât avec la lettre et avec la planche gravée , qui représente le Gin-seng de la Chine. On n’eut pas plutôt reçu ma lettre, qu’on partit pour Montréal et qu’on se rendit à notre mission, qui n’en est qu’à trois lieues. La personne habile et moi parcourûmes les bois, où je lui laissai le plaisir de la découvrir elle-même. Nos recherches ne furent pas longues. Quand nous en eûmes ramassé divers pieds, nous allâmes les confronter avec le livre dans une cabanne. À la vue seule de 11 planche, les sauvages reconnurent leur plante du Canada. Et comme nous en avions en mains les diffé- (1) On voit par ce passage que le Père conservait l’espoir de revenir au Canada. Comme il demeura en France, nous ne devons pas être sur- pris s’il ne s’est plus occupé de ces découvertes. (2) Cet homme intelligent, que le Père ne nomme pas, ne serait-il pas Michel Sarrazin, médecin du Roi et membre correspondant de l Académie des Sciences, célèbre en Canada par ses connaissances et par ses travaux ? UE PU, A AE ee dr à nc UA 7/77 740) 19 — rentes espèces, nous eûmes le plaisir de voir une description si exacte et une si juste proportion avec la plante , qu’il ny manquait pas la moindre circonstance dont nous n’eussions la preuve devant les yeux. Ma surprise fut extrême, quand sur la fin de la lettre du Père Jartoux, entendant explication du mot chinois qui signifie ressem- blance de l’homme, ou comme lPexplique le traducteur du Père Kirker, cuisses de l’homme , je m’apperçus que le mot iroquois garent-oguen (1) avait la même signification. En eflet, garent-oguen est un mot composé d’orenta , qui signifie les cuises et les jambes, et d’oguen, qui veut dire deux choses séparées. Faisant alors la même réflexion que le Père Jartoux sur la bizarrerie de ce nom, qui n’a été donné que sur une ressemblance fort imparfaite , qui ne se trouve point dans plusieurs plantes de cette espèce , et qui se ren- contre dans plusieurs autres d’espèces fort différentes , je ne pus m'empêcher de conclure que la même signification n’avait pu être appliquée au mot chinois et au mot iroquois sans une communica- tion d’idées, et par conséquent de personnes. Par là je fus confirmé dans lopinion que j'avais déjà et qui est fondée sur d’autres préju- gés, que l’Amérique ne faisait qu’un même continent avec lAsie, à qui elle s’unit par la Tartarie au nord de la Chine. (2) Quoique le Père Jartoux ait donné , comme je Pai dit, une des- sription exacte et fort détaillée de cette plante, je ne laisserai pas de la donner ici pour y ajouter les observations que j’y ai faites. La grande quantité qui m’en a, passé par les mains , donnera de Ia créance à mon récit. La racine a deux choses qu’il faut observer : une espèce de navet qui en fait le corps, et le collet du navet même. Le navet qui fait le corps de la racine est peu différent de nos navets ordinaires. Quand on Pa lavé il paraît blanchâtre en dehors et un peu raboteux. Quand on l’a coupé en travers, on voit un cerele formé par la première écorce qui est assez épaisse, et un corps ligneux fort blanc, qui représente un soleil par plusieurs lignes droites tirées du ceñtre au parenchyme , lequel en fait la circonfe- rence. La racine en séchant jaunit un peu, mais le dedans de ia racine coupée en long ou en travers conserve toujours parfaitement sa blancheur. Ces navets sont différens les uns des autres. 11 y en a qui ont beaucoup de fibres et d’autres qui n’en ont point ou presque point. Quelques-uns sont simples , longs et unis sans se diviser ; d’autres M. Dufrène pense que le véritable nom iroquois du gin-seng est Te karent- eicen. La particule Te indique la dualité et doit toujours s’employer lors- qu’elle parle de deux choses ; mais dans une bouche iroquoise, la pronon- ciation de ce mot est très douce F°Karent-oken. Quand au changement du g en #, on le trouve assez souvent dans les différentes dialectes iro- quois. (2) EH y a sans doute plas qu’une simple consonrance enfre l'iroquois orenta et les mots orhota, orkhoda, employés, le premier par les Tartares, le second par les Mantchoux pour désigner le gin-seng. CRE au contraire se distribuent en deux ou trois branches. Alors ils ne représentent pas mal le corps d’un homme depuis la ceinture en bas, ce qui lui a fait donner le nom de Gin-seng ou de Garent- ogüen. Le collet de la racine est un tissu tortueux de nœuds où sont imprimés obliquement et alternativement tantôt d’un côté tantôt de Pautre , les vestiges des différentes tiges qu’elle a eues , et qui mar- quent ainsi l’âge de cette plante , qui ne produit qu’une tige par ar: J’ai trouvé dans plusieurs le reste des tiges des deux ou trois années précédentes au-dessous de celles de l’année qui court , et au-dessus de celle-ci on voit se former en automne celle qui doit pousser le printemps d’après. En comptant les nœuds j’ai vu des racines qui marquaient près de cent ans. On voit souvent sortir du collet d’espace en espace deux ou trois de ces navets simples, aussi bien que quelques fibres, ce qui peut étre l’effet d’une trop grande abondance de sève , qui trouvant une issue par le collet, forme une nouvelle racine , ne pouvant se répan- dre et circuler toute entière dans la tige. On voit quelquefois sortir 21 ; un nouveau collet à côté du premier, qui devient alors stérile, cette plante n’ayant jamais qu’une seule tige. La tige sort du collet environ deux ou trois pouces avant dans la terre. La difficulté qu’elle trouve à la percer et à se faire jour la gauchit (1) un peu ; mais dès qu’elle en est sortie , elle s’élève à la hauteur d’un pied ou même de plus d’un pied. Elle est ordmaire- ment fort droite et assez unie. Tandis qu’elle est dans la terre, la terre la blanchit ; mais dès qu’elle arrive au grand air, elle se colore d’un beau vert glacé d’un rouge amarante qui se confond et se perd aussi bien que ce vert foncé, à mesure qu’elle approche du nœud. Ce nœud se forme au sommet de la tige, et il est le centre de trois ou quatre branches , que je nomme ainsi, pour me conformer à la manière de parler du Père Jartoux, qui appelle branches ce qui n’est proprement que les queues des feuilles. Ces branches s’étendant horizontalement et s’écartant également les unes des autres, forment avec leurs feuilles une espèce de parasol renversé et assez arrondi. La couleur d’amarante et de vert se renouvelle au nœud , et se dégrade insensiblement en approchant des feuilles. Quelques-unes de ces tiges n’ont que deux branches. Il s’en trouve , au rapport du Père Jartoux , qui en ont cinq ou même sept. Je n’en ai point vu de si touffues en Canada. Les plus communes sont de trois ou quatre branches. Celles qui en portent quatre sont les plus belles et les plus agréables à œil. Chaque branche contient cinq feuilles inégales, et qui partent toutes d’un même centre, elles s’étendent en forme d’une main ouverte. La feuille du milieu est plus grande que les deux voisines , et celles-ci sont plus grandes que les deux plus basses. Le Père Jartoux dit qu’on ne voit jamais moins de einq feuilles à chaque branche ; j’en ai vu qui n’en avaient que quatre ou même que trois. Îl est cepen- dant facile de voir que c’est alors un dérangement produit par une cause étrangère ou par la faiblesse de la plante, qui n’a pas eu assez de suc pour se développer toute entière, et qui est devenue monstrueuse faute d’aliment. Les feuilles de la nouvelle plante sont oblongues, dentelées, et d’une finesse extrême ; elles se retrécissent et s’allongent vers la pointe. Le dessus de la feuille est d’un vert foncé , le revers en est plus blanchâtre , plus: uni et fort transparent. Les fibres qui se répandent sur toute sa superficie sont plus saillantes sur ce revers, eton y distingue de petits poils blancs et droits qui s’élèvent de distance en distance. Il faut cependant beaucoup d’attention pour les obServer , et on ne les apperçois bien qu’en les plaçant horizon- talement entre l’œil et la lumière. | Les couleurs de la tige et des branches s’éclaircissent à mesure que la plante approche de sa maturité; le vert se change en un blanc terne , le rouge n’est plus si foncé , et dans lautomne les feuilles en séchant prennent ou la couleur ordinaire de la feuille morte , ou une couleur vineuse pareille à celle des feuilles de la vigne rampante. (1) La force à se courber. SUR L. 4 Au centre du nœud où se forment les branches , s’élève un pédi- cule d’environ cinq à six pouces, qui paraît être la continuation de la première tige, et soutient un bouquet de petites fleurs. En son temps, de très beaux fruits leur succèdent. Ils sont entés par leur base sur autant de petits filets ou pédicules particuliers de la lon- gueur d’un pouce et déliés à proportion, écartés à égale distance les uns des autres en forme sphérique. Ils composent une ombrelle à peu pres semblable par sa figure à celle du lierre , mais bien diffé- rente par la beauté de son fruit. Ces pédicules sont d’une couleur plus vineuse que le reste. | Je ne pus examiner la fleur du garent-oguen en 1716, que je le découvris ; le fruit était alors dans sa maturité. Ainsi, quand je Penvoyai en France, je n’en pus pas bien rendre raison. Je me trompai même, en prenant pour la fleur de petits fruits avortés ; mais l’ayant examinée au printemps passé, voici ce que je crois ÿ avoir observé. Quand le bouquet commence à s’épanouir , on voit 8e développer une fleur fort petite, mais bien ouverte et bien distincte. Elle a cinq feuilles blanchâtres en forme d’étoile, comme le font communément les fleurs des plantes en parasol ou en ombrelle. Elles sont soutenues par un calice, au centre duquel on voit un pis- til recourbé en deux petits filaments , et environné de cinq étamines couvertes d’une farine gruméleuse extrêmement blanche. Je ne puis rien dire de l’odeur ayant oublié d’y faire attention ; du moins elle n’avait pas d’odeur forte, puisque je ne m’en suis pas apperçu. Ces étamines sont bientôt desséchées , et cette poussière farineuse s’évopore en peu de temps. Le pistil de la fleur en s’unissant au calice devient un fruit, prend la figure d’un rein. Il se voûte par son sommet, où le calice de la fleur lui fait une couronne à cinq rayons, au centre de laquelle paraît la pointe du pistil ; à ses extrémités il s’arrondit en onillon, et s’applatit par ses côtés, où il se distingue par des lignes épaisses de bas en haut , en manière de côtes de melon ; mais à mesure que ce fruit se remplit, ces lignes s’effacent et paraissent peu sensibles ; la peau se rafine , devient plus mince , plus délicate , et couvre ure pulpe en chair spongieuse un peu jaunâtre , d’où sort un suc vineux et qui est à peu près du goût de la racine et des feuilles. Ce fruit est d’abord d’une couleur vert foncé, il blanchit en approchant de sa maturité ; quand il est mür, il est d’un beau rouge carmin, et il noircit en séchant à mesure que la peau se colle sur les noyaux. Quand le fruit est parfait , 1l renferme deux de ces noyaux sépa- rés en deux cellules, et posés sur le même plan. Il y a de ces fruits qui n’en ont qu’un et semblent un rein coupé par le milieu. J’en ai trouvé un disposé en forme triangulaire et qui avait trois noyaux. Ces noyaux ont aussi la figure d’un rein, ils sont durs, distingués en côtes de melon comme le fruit ; l’amande en est blancke , et d’un goût un peu amer, ainsi que le reste de la plarite. Outre ce bouquet on remarque souvent un ou deux de ces fruits portés sur des pédicules séparés et attachés au pédicule commun à deux pouces au-dessous de l’ombelle. Quelquefois il en naît plu- sieurs qui partent du nœud d’où sortent les branches. J'ai vu une de ces plantes qui me parut plus extraordinaire, elle avait un second, de it osé à RTE «&, # UT |: bouquet bien formé qu’elle portait sur un second pédicule commun , qui s’élevait à côté du premier. (1) e - Le Père Jartoux dit que c’est alors un signe qu’on en doit trouver d’autres en suivant le rumb de vent que ces fruits indiquent. Je n’ai point remarqué, au pays où j'étais, que cette observation fut juste. Je crois qu’on n’en peut rien conclure si ce n’est que ces plantes ont plus de force, qu’elles sont mieux nourries , et que peut- être elles sont dans un terrain ou dans une situation plus avanta- geuse à leur accroissement. On devrait, ce semble , porter le même jugement des tiges qui ont plus ou moins de branches. Il serait natuiel de croire qu’elles les produisent ou plus hautes ou en plus grand nombre, à propor- tion de leur force , et d’ailleurs que leurs racines devraient être plus grosses et mieux nourries, à mesure qu’elles vieillissent. Après tout , ce ne sont point là des règles sur quoi l’on doive comp- ter. On voit des tiges très hautes qui n’ont que deux branches, &t d’autres qui en ont quatre qui sont fort basses et fort petites. Il se trouve des racines fort vieilles qui sont très-maigres , d’autres au contraire qui n’ont que sept ou huit ans , et qui sont singulières par leur grosseur. La même racine est peut-être plus charnue une année , et plus maigre l’année d’ensuite , du moins est-il certain qu’elles souffrent diverses altérations selon les saisons. Au prin- temps elles sont très spongieuses et leur suc n’a point de consis- tence. J’en ai vu l’expérience dans celles qui ont été cueillies en ce temps-là. Elles ont diminué considérablement, au lieu que celles qu’on cueille en automne sont plus fermes, plus solides , et ne dépérissent pas , comme ayant atteint le point de leur maturité. Il y a des tiges particulières qui ne portent jamais de bouquet. Alors ce gin-seng ne ressemble pas mal de loin à la salsepareille , qu’on appelie en Canada par corruption chassepareille. Ce nest point la çarça pariila des Espagnols, qui est une espèce de smilax : mais une autre plante qui jette une tige d’un pied ou d’un pied et demi de haut, terminée par trois ou quatre branches, qui d’ordinaire produisent chacune cinq feuilles, c’est là ce qui de loin la fait res- sembler au gin-sens. Je dis de loin , car à l’examiner de près on y trouvera une différence essentielle et presque totale. Celle-ci jette une racine grêle , également unie, fibrée de distance en distance et tres longue , ce qui lui a fait donner le nom de T'sioterese ou de longue racine. Elle marque son âge par des anneaux entassés les uns sur les autres , et les tiges qui se renouvellent toutes les années, (1) Toute cette description est d'une exactitude vraiment admirable, Un de nos amis nous écrit qu’après l’avoir lue attentivement, il a pu recon- naître la présenee du gin-seng dans le bois de St Joseph du Lac des Deux-Montagnes. Nous même, avec M. le Commandeur Viger, et M. Bellemsre, nous en avons cueilli plusieurs pieds des plus beaux. et encore chargés de leur fruits près de l’.Abord à Ploufe, et tous ceux à qui nous les avons montrés nous ont témoigné à peu près la même surprise que les sauvages témoignèrent au P. Lafitau en reconnaissant “leur plante du Canada ”— C’est là le gin-seng : mais il y en a partout! Toutefois nous verrons plus loin qu’il y en a peu dans le district de Québec. NT "Ve sortent du centre de ces anneaux à fleur de terre, où elles commen- cent par un gros bouton. Une seule racine de cette plante produit jusqu’à trois collets , d’où s’élèvent autant de tiges. Le fruit ne soit point de la tige qui porte les brancies et les feuilles ; mais il s’élève de la racine même sur un pédicule d'environ cinq ou six pouces; d’où maussent une , deux, ou même trois ombelles ou bouquets sem- blables à ceux du lierre. Son fruit est petit, noir, pentagone cou- ronné , et renferme de petites semences. Les feuilles s’étendenr comme celles du gin-seng , elles ne naissent point du même point central, mais d’espace en espace , le long des branches qui n’en ont quelquefois que trois , assez souvent sept , mais plus ordinaire- ment cinq. Les Français en foi.i une grande estime, et les sauvages la mettent au rang de leurs vulnéraires , mais élle n’est que dela troisième espèce. Quand jenvoyai le gin-seng en France dans Pesprit de vin , une personne qui avait eu ordre de le chercher, y apporta cette salseparelle ; elle ne s’y serait pas méprise si elle avait fait toutes ces observations. Ii est d’autant plus surprenant qu’elle ne les ait pas faites qu’elle avait le livre en mam. Etant en Canada je n’avais garde de m’imaginer qu’en France on put révoquer en doute si la plante que javais découverte était le véritable gin-seng. Je ne le connaissais que par la lettre du Père Jaïrtoux , je n’en avais jugé que par la conformité que je trouvais entre cette plante et la planche qu est gravée dans la lettre du Père Jartoux , et par l’exacte description qu’il en fait. Je me persuadais que la comparaison qu’on ferait de cette planche et de cette lettre avec la plante entière que j’envoyais dans l’esprit de vin sufhrait pour en convaincre d’un seul coup d’æil. Cette plante se conserve en- core dans le cabinet de monsieur de Jussieu, docteur en médecine de la Faculté de Paris, qui remplit aujourd’hui avec beaucoup d’éclat et de réputation le poste de professeur royal des plantes au jardin du roi , dans lequel 1! a succédé à monsieur Fagon et à monsieur de Tournefort, deux des plus habiles hommes que ia France ait eu dans la médecine.et dans la botanique. Il me semble même qu’on devrait en être convaincu par la com- paraison seule qu’on ferait des racines venues du Canada avec celles qu’on apporte de la Chine. Je les ai en eflet examinées et confron- tées depuis que je suis à Paris. Il faut convenir que plusieurs sont si ressemblantes, qu’on ne pourrait les discerner si elles étaient confondues. Cependant celles de la Chine , à parier en général , se distinguent par une couleur un peu plus jaune , que les Chinois aiment , et qu’ils lui donnent par artifice de la manière dont Je le dirai ci-après. Elles ont de plus une certaine transparence ; qu’elles acquièrent en vieillissant , les pores de la racine étant alors plus droits , et les fibres plus pressées et plus unies; Peau bouillante dans laquelle on les fait macérer peut encore y contribuer. Cependant j’ai appris que monsieur Dauti d’Isnard , docteur en médecine , ancien professeur royal des plantes au jardin du roi, avait fait naître des doutes à l’Académie Royale des Sciences, et qu’ils avaient paru très-bien fondés à quelques personues de cet illustre corps. Toute la difficulté roulait sur l’autorité qu’on devait donner au EL" Père Jartoux. On lui opposait celle de M. Kæmpier , auteur alle- mand , qui a imprimé en 1712, un livre intitulé: Amænitglum Exoticarum Politico-Phisico-Medicarum. ... Fasciculi V. &c. En parlant du gin-seng il nous donne une figure de cette plante entie- rement diflérente de celle du Père Jartoux. Ainsi, autorité pour au- torité, 1} paraissait qu’il y avait raisonnablement lieu de douter. Le mérite de celui qui proposait le doute en pouvait fonder un plus que suffisant. Monsieur Kæmpier n’est pas le seul qu’on puisse opposer au Père Jartoux. Monsieur Jean-Philippe Breynius a fait imprimer à Leyde en 1700 , une dissertation sur cette racine , et a fait graver une figure de la même plante , qui n’a nui rapport avec celle de M. Kæmpfer, et à celle du Père Jartoux. Il est vrai qu’il ne fait, ce semble , que la hasarder , ne sachant quel parti prendre , tant les auteurs varient sur ce point. Il en cite plusieurs , et surtout Mentzelius, qui en donne sept ou huit figures d’un genre tout différent. Il rapporte ensuite la raison de cette variété , qu’il attribue aux divers noms qu’on lui donne. Il est probable que ces différents noms sont les noms de diverses plantes qu’on aura, mal à propos , confondues avec une seule. Il est facile à des gens qui se trouvent dans un pays étranger de tomber dans cette forte erreur par rapport à plusieurs choses, mais surtout par rapport à une plante qui est étrangère elle-même au pays où ils se trouvent. On raisonne avec des peuples dont on n’en- tend point la langue et dont on n’est point entendu. On comprend une partie des choses qui se disent par gestes et par signes, on croit comprendre le reste , et de là naït ordinairement une confusion qui divertit ceux qui sont au fait. J’ai souvent eu ce plaisir en voyant les Français jargoner avec nos sauvages , et je suis tombé souvent moi-même dans le cas avant que je susse leur langue. Il paraît donc vraisemblable que tous les auteurs qui nous ont donné des figures différentes de cette plante , ue nous les ont don- nées que sur des mémoires infidèles , trompés eux-mêmes par d’au- tres qui l’avaient été avant eux. Il paraît naturel au contraire de croire que le Père Jartoux qui a vu la plante en Tartarie , endroit où tout le monde convient qu’on ia recueille , et qui s’y est trouvé avec ceîte armée de Tartares que l'Empereur de ia Chine employait à Ja ramasser , nous en a donné une figure et une idée plus juste que M. Kæmpfer et les autres auteurs qui n’y ont jamais été. La figure que le Père Jartoux a dessinée lui-même doit paraître d’autant moins suspecte , qu’elle se trouve très-parfaitement con- forme à la plante découverte en Canada. On peut dire même que celle-ci ne la été qu’à la faveur de cette figure et sur les conjec- tures de ce Père. Ïi a raisonné juste en jugeant sur l’idée qu’on lui avait donnée du Canada, que cette plante y devait croître plutôt qu'ailleurs , à cause de la ressemblance de climat et de terroir qu’a cette partie de lAmérique septentrionale avec les forêts de la grande Tartarie. C’est sur ces raisons que M. de Jussieu et M. Vaillant m'ont fait Phonneur de me dire qu’ils ne doutaient point que la plante du Père Jartoux et celle qui vient du Canada ne fussent le véritable MN) | 2e gin-seng. L’un des deux m’a ajouté qu’il ne croyait pas que déso+- mais on en püt douter. Ce qu’on pourrait dire pour justifier M. Kæmpfer, qu’on ne croit pas avoir voulu imposer au public de gaieté de cœur, c’est qu’il se peut faire qu’il croisse au Japon une plante doïit la racine a quelque rapport au gin-seng, mais dont la tige et les propriétés sont bien différentes. [l semble l’avoir voulu insinuer lorsqu'il dit qu’il est défendu au Japon, par une loi expresse, de la vendre pour de véri- table gin-seng ou Misi. Cet auteur s’est trompé en croyant que c’est le vrai gin-seng transplanté au Japon, où il a, dit-il, dégénéré de sa vertu. Les Japonais n’ont du véritable gin-seng que les racines qu’ils achètent des Chinois avec qui ils font commerce. Ma conjecture sur cela est fondée sur celle de M. Breynius. Cei auteur ayant observé une différence assez considérable entre les racines venues de Ja Chine et d’autres qui avaient été envoyées du Japon, établit deux espèces de gin-seng ou de Nisi. Il appelle Pun Nisi de Corée ou de la Chine, et l’autre Nisi du Japon: il prononce ensuite sur celui du Japon en ces termes: Je soupçonne que la plante de la racine Nisi qui croît au Japon, est de tout un autre genre que celui de la Chine, quoique je ne puisse dire quel il est. Cet auteur ajoute que celui du Japon a bien moins de vertu que celui qui vient de la Chine. Ce qui aura encore pu contribuer à l’erreur de M. Kæmpfer et de quelques autres auteurs, c’est qu’on donne probablement au Ja le nom de Nisi à des plantes de différent genre, mais dont les raci- nes ont quelque rapport avec la signification du mot. Je suppose ici que le mot Nisi qui est le nom japonais, a la même signification que les mots gin-seng et garent-oguen, qui veulent dire la ressem- blance de l’homme. Monsieur Kæmpfer, dit lui-même, qu’on donne dans le Japon le même nom de Nindsin aux panais des jardins et aux panais sauva- ges, comme on le donne à la plante qu’il croit être le vrai a1r-seng transplanté au Japon. Guillaume Pison dit la même chose, c’est peut-être pour cela qu’il donne sur la foi d’autrui, une figure du gin-seng qui approche de celle des panais. Mais il dit en même temps qu’aucun des Hol- Jlandais n’a vu la plante, qui ne +e trouve que dans le Katay et dans la Péninsule de Corée, dans la profondeur des terres, et à plus de deux cent lieues de la mer. $,Un auteur de bonne foi pourrait tomber dans le même inconvé- nient en Canada par rapport à cette plante-là même, si quelqu’un qui ne connut pas le gin-seng, allait le demander à un Iroquois sous le nom de garent-oguen, que nos sauvages lui donnent, on pourrait lui présenter une autre plante qui a le même nom de garent-oguen, et dont la racine ressemble encore plus parfaitement au corps de Phomme J’y ai distingué communément les bras et les cuisses, ce qui n’est pas si ordinaire aux racines du gin-seng. Cet homme, dis-je, ainsi trompé, se croirait bien autorisé à nous donner cette plante pour le vrai gin-seng, cependant il y a une différence entière. Celle-là n’a qu’une seule feuille dentelée, épaisse, longue d’environ sept ou huit pouces, large par sa base à proportion, et terminée en LED — pointe ; elle n’a point de tige. Les sauvages disent qu’elle ne pousse ni fleur ni fruit; et c’est peut-être la raison pour quoi ils ajoutent au nom de yarent-oguen celui de Tsiohontati qui signifie qui n’a qu’ure feuille. Les sauvages mangent la racine de cette plante au printemps, aussi bien que d’autres racines et des pommes _ de terre, ils s’en servent aussi comme d’un remède topique, pour les genoux et les autres parties du corps, lorsqu’elles sont enflées. J’ai appris à Paris que M. de Sarrazin, conseiller au conseil supé- rieur de Québec, médecin et botaniste du roi, correspondant de l’Académie Royale des Sciences, qui certainement est très-habile dans son art, dont il parle avec beaucoup de grâce, et qui l’exerce avec beaucoup de capacité et de succès, avait autrefois envoyé du Canada entre plusieurs plantesde ce pays-là , celle que j’ai décou- vert pour être le vrai gin-seng, et qu’il l’avait envoyé sous le nom dAratia. Il ne pouvait pas alors la connaître pour ce qu’elle est, la fettre du Père Jartoux n’ayant pas encore paru dans ce temps-là. Il en avait aussi envoyé une autre espèce beaucoup plus petite sous le même nom d’Aralia, je l’ai vue dans l’herbier du célèbre M. Vaillant. Tous les auteurs qui parlent du gin-seng, s’accordent à lui don- ner de très grandes vertus. Les Chinois et les Japonais, dit M. Kæmpfer, rapportent diverses propriétés de ces racines. Les principales sont, qu’elles fortifient, qu’elles engraissent, qu’elles sont utiles pour les maux de reins. 1l n’est presque point de médecines et il n’est point de cordiaux où ils ne les fassent entrer après les avoir réduites en poudre. Elle augmente les esprits vitaux, dit le Père Martini, quoi qu’on “’en prenne que la douzième partie d’une once. Quand on aug- mente la dose elle sert à rétablir les forces perdues, et à fortifier les faibles et Les débiles. Elle échauffe agréablement et doucement le corps, lorsqu’on la fait bouillir au bain-marie. Quand elle est cuite elle exhale une odeur aromatique ; ceux qui sont d’un tempérament fort et robuste, et qui ont une grande chaleur naturelle, courent ris- que de perdre la vie s’ils en mangent, parce qu’elle augmente trop leurs esprits et leur chaleur. Il n’en est pas ainsi des malades ou des personnes affaiblies par une longue maladie, elle fait sur eux des espèces de miracles. Les mourants même trouvent quelquefois du soulagement a en user, par là leurs forces s’augmentent, et ils se trouvent en état de prendre les remèdes qui leur sont nécessaires pour le recouvrement de leur santé. Les Chinois racontent mille autres merveilles de cette racine, aussi la vend-on très cher, et l’on en donne trois fois autant d’argent qu’elle pèse. Nous pouvons dire avec assurance, ajoute le Père Kirker, que sette herbe est merveilleuse, qu’elle a le pouvoir de rétablir la cha- leur naturelle et les forces perdues, c’est ce que l’expérience nous en a appris. Les plus habiles médecins de !a Chine, écrit le Père Jartoux, ont fait des volumes entiers sur les propriétés du gin-seng. Ils le font entrer dans presque tous les remèdes qu’ils vendent aux grands sei- eurs, car il est d’un trop grand prix pour le peuple. Ils préten- ent que c’est un remède souverain pour les épuisements causés par des travaux excessifs du corps ou de esprit, qu’il dissout les phlegmes, qu’il guérit la faiblesse du poumon et la pleurésie, qui arrête les vomissements, qu’il fortifie l’estomac et ouvre appétit, qu’il dissipe les vapeurs, qu’il remédie à la respiration faiblezet précipitée en fortifiant la poitrine, qu’il augmente les esprits vitaux et produit de la Iymphe dans le sang ; enfin qu’il est bon pour les vertiges et les éblouissements, et qu’il prolonge la vie aux vieillards. En lisant dans la lettre du Père Jartoux tous ces admirables effets, je doutais presque si ce n’était point là un de ces panacécs univer- sels, et de ces remèdes à tous maux, que l’on vante au delà de leur mérite. Quoiqu’il assure en avoir fait expérience dans une occa- sion où il était si fatigué et epuisé, qu’il ne pouvait se tenir à che- val, je n’étais pas tout à fait bien convaincu. J’ai trouvé cependant le Père Jartoux bien modéré, quand jai lu dans M. Breynius le détail des proprietés du gin-seng, tel qu’il avait été envoyé du Japon. Ce détail est magnifique. Il paraît outré à la vérité, et M. Breynius en convient ; mais il en rapporte lui- même de belles expériences, qui ont rapport à presque toutes les maladies dont il est fait mention dans les relations du Japon. Il assure que ces épreuves ont été faites à Leyde, et qu’elles ont été recueillies par M. Frédéric Dekkers, recteur et professeur du collége de médecine de cette ville. Sur ces expériences on peut juger qu’on ne saurait trop vanter une racine aussi précieuse et aussi sou- veraine que l’est celle-ci. Ce qu’on pourrait peut-être objecter de plus plausible, en avouant que la plante du Canada est la même que celle de Tartarie, c’est qu’il se pourrait faire qu’elles n’eussent pas les mêmes propriétés ; mais si cette difficulté avait lieu, ce serait infirmer la vertu de toutes les plantes ; aussi voyons-nous que les médecins n’y ont pas beau- coup d’égard, puisqu’ils employent communément les herbes qui se cueillent dans.le pays où ils se trouvent, quelque autre part du monde qu’on ait reconnu en premier lieu leur efficacité. Les plantes sont à peu près partout les mêmes. Celle-ci vient naturellement en Canada comme en Tartarie ; c’est à peu près le même terrain et le l’autre pays, il est donc naturel même climat dans l’un et dans de conclure que le gin-seng qui croit en Canada est aussi semblable par sa vertu à celui qui croît en Tartarie, qu’il lui est semblable par la figure; mais les expériences qu’on en a faites, et celles qu’on en fera dans la suite, décideront plus efficacement cette difficuité. Je demandai d’abord à nos sauvages quel usage ils en faisaient. On en use, me répondirent-ils, pour purger les enfants au berceau. Ils disent qu’elle n’est pas assez forte pour purger des person- nes plus âgées ; c’est là sans doute ce qui la fait appeler par quel- ques-uns Ja médecine des enfants. Les sauvages s’en servent aussi pour réveiller l’appétit, quoique le dégoût soit une maladie peu ordinaire parmi eux. Un Huron et un Abenaqui, tous deux habiles à leur maniere, me dirent qu’ils Pemployaient pour la dissenterie, mais qu’ils le mélaient avec d’autres plantes. Ces réponses et j’expé- rience de la sauvagesse dont j’ai déjà parlé, qui s’était guérie trois fois de la fièvre, était tout ce que j’en savais quand j’envoyai le gin- ? à ? ; + métihots eh: es. +. ps sf ie SR | LEURS seng du Canada à Paris, et que le Père le Blanc (1) eut l’honneur de le présenter, Monseigneur, à V. A. R. J’en avais fait l’épreuve sur moi-même, et je m'étais persuadé que par son usage je m'étais guéri d’un reste de rhumatisme dont j'étais très fatigué, et dont je wai plus rien ressenti. Je m’en suis servi depuis pour un flux de sang commencé que j’emportai d’une seule prise. Je n’envoyai que peu de gin-seng à Paris,'et je n’en envoyai que pour le faire voir. Je ne laissai pas d’en adresser une petite boîte en province, à une personne incommodée pour laquelle je m’inté- ressais, elle était malade depuis dix-neuf mois. Le principe de son mal était un dérangement d’estomac qui avait si fort empiré qu’il s’y était joint une fièvre intermittente, avec une insomnie perpétuelle, et un très grand dégoût. Le quinquina dont elle usait ne lui ôtait la fièvre que pour peu de jours, il lui causait même une grande ar- deur dans le sosier et l’échauffait considérablement. Ceux qui m’é- cñvaient à son sujet m’en parlaient comme d’une personne de qui il n’y avait plus rien à espérer. Dès qu’elle eut reçu ces racines, elle en usa durant sept jours de suite. Dés les premiers jours elle recouvra lappétitet le sommeil : mais la fièvre lui augmenta si considérablement sur la fin, qu’elle en serait morte, dit-elle, si elle eut eu un troisième accès semblable aux deuxäpremiers qu’elle avait eu. Elle crut devoir interrompre lPusage du gin-seng. Son médecin lui fit entendre que cette augmen- tation de fièvre pourait plutôt venir de ce qu’elle avait usé de quel- ues-unes de ces racines moisies, que de la nature même du remède. Île en reprit et guérit. Il y a un mois, écrit-eile, que je n’ai plus de fièvre, et de tout mon mal, il ne me reste plus que de la maigreur. Je n’ai point fait mystère en Canada de ma découverte. A pré- sent tout le monde y connaît le gin-seng, surtout à Montréal, où tout cet été les sauvages le sont venu vendre au marché, et l’ont même vendu assez chèrement. L’abondance qu’on en a eue a donné lieu à plusieurs expériences. Monsieur de Louvigny (2), lieutenant du roi de Québec, et l’un des plus sages et des plus braves ofliciers qu’ait Sa Majesté, en connaît lusage et la bonté. Après avoir terminé heureusement et glornieu- sement, en 1716, la guerre que nous avions contre une nation de sau- vages qu’on nomme les Outagamis ou les Renards, il est remonté à Müissilimakinak, en 1717, pour les obliger à tenir les conditions qu’il les avait forcé d’accepter en leur donnant la paix. Il m’a fait lhonneur de m'écrire de ce pays-là, qu’il y avait trouvé le gin-seng, qu’il l’avait conseillé aux sauvages, chez qui la petite vérole eou- (1) Le Père le Blanc (Augustin) arriva dans ce pays en 1697; en 1698 il fut envoyé à St. François de Sales, avec le P. Bigot ; en 1699 il était Père Spirituel au Collége de Québec ; enfin il repassa en France en 1700 (MS. du R. P. Martin). La Lisie de M. Noiseux fait venir ce Père en 1690, et marque son départ en 1715. (2) M. de la Porte Louvigny fut une des nombreuses victimes qui pé- rirent dans le naufrage du Chameau, le 25 août 1725. Il venait d’être nommé Gouverneur des Trois-Rivières. PC (VE rait pour lors, et que ces sauvages s’en sont servis avec succès. C’est en effet un excellent cordial. Une personne de caractère et de distinction, mais réduite presque toutes les années à l’extrémité par un asthme, résolut de s’en servir. Dès les premières prises elle y reconnut un effet si prompt, qu’elle avouait qu’on lui ôtait, ce semble, le mal avec la main. Des personnes âgées en ayant fait asage pour des fluxions et des rhumatismes, qui les rendaient comme impotentes, depuis quelques années, en ont été délivrées par une espèce de prodige. Cette racine est véritablement amie de lestomac, en remet les levains, dissipe les humeurs froides, pituiteuses et serophuleuses, subtilise le sang, lui Ôte sa grossièreté, et est un spécifique pour y rendre fluide la lymphe. Elle ouvre les conduits des reins et pousse au dehors les sables et les matières glaireuses. Eiïle excite sensi- blement l’appétit, et fortifie véritablement. La chaleur qu’elle ex- cite est douce, proportionnée à la chaleur naturelle, et propre à faire une bonne action et par là à remédier à presque tous les maux qui sont produits par les défauts de digestion. C’est en particulier un excellent fébrituge : Je connais äu moins trois où quatre personnes qui ont été guéries de-fièvre lentes de deux ans, en très peu de jours. Monsieur Breynius dit que quand on en a pris, la fièvre diminue de moment en moment. La sauvagesse dont J'ai déjà parlé, m’assura qu’elle avait expérimenté la même chose. Cependant quelques personnes en Canada ont éprouvé un effet contraire, et fait les mêmes plaintes que celle à qui je l’avais envoyé en France. Peut-être que ces différences viennent de la variété des tempéraments, de la disposition où l’on se trouve, ou de la manière de le prendre. Sur quoi les épreuves qu’on en fera dans la suite achèveront de nous instruire. Pour moi j’ai de la peine à croire que son usage puisse être nuisible, tant sa chaleur me paraît douce. Il me semble pourtant qu’il est meilieur pour les fièvres chroniques et lentes que pour les fiévres aiguës. Je ne voudrais pas non plus le donner dans lacces de la fièvre. Les personnes même d’un tempérament trop vif doivent en user avec précaution ; mais on le conseille aux personnes âgées et languissantes. (1) La manière de prendre le gin-seng, selon M Kæmpfer, est de le réduire en poudre. La dose est d’une dragme et demie, infusée apparemment dans quelque liqueur. On peut s’en servir de cette manière, selon le Père Jartoux. On (1) On aimera peut être à comparer le passage précédent avee ce que dit ailleurs le P. Lafitau. “ Le gin-seng, dont il est probable que Théophraste a voulu parler, et dont les Tartares, qui sont les véritables Scythes, font un si grand usage, a la vertu de soutenir, de fortifier et de rappeler les forces épuiseés. Ils -a aussi un petit gout de réglisse, ainsi que je l’ai dit dans l’écrit que jai composé au sujet de celui que j'ai découvert en Canada, et qu’il est facile de s’en assurer bar l'essai de la plante même. Théophraste ne donne point d'autre nom a la plante dont il parle, et a laquelle il attribue une si grande vertu, que celui de Scythica.” (Meurs des Sauvages etc. t. 2 p. 141.) —31— coupe la racine par tranches. Il en conseiile aux personnes mala- des la cinquième partie d’une once, et la dixième partie à ceux qui n’en prennent que pour se conserver dans leur embonpoint, encore ne croit-il pas qu’on doive en faire un usage journalier. On met cette dose dans un vaisseau de terre bien bouché, sur un demi septier d’eau qu’on laisse bouillir jusqu’à ce qu’il soit réduit à une bonne tasse. On le prend aussi chaud qu’on peut, et on le mêle avec un peu de sucre pour en corriger le goût, qui paraît d’abord un peu dé- sagréable. Ce goût consiste dans un sentiment de jus de réglisse, mais qui à un peu plus d’amertume. Quand on y est accoutumé il fait plaisir, et on sent en même temps une chaleur douce dans la bouche et dans l’estomac qui déclare sa force et sa vertu. On peut remettre pareille quantité d’eau sur la même dose, et il est bon même la seconde fois. C’est ainsi qu’on en use pour le thé. Je croirais qu’il serait meilleur infusé dans le vin blanc. On en pourrait faire même une eau comme l’eau de genièvre, qui aurait pour le moins autant d'efficacité, et qui aurait les mêmes usages. On peut le prendre à jeun, ou mieux encore, après avoir mangé, car il aide la digestion, et guérit même l’indigestion. Une personne digne de foi m’a assuré en avoir été guérie subitement. Les Chinois ne se servent que de la racine du gin-seng. Le fruit n’est bon à rien. Le Père Jartoux assure que les feuilles prises en ise de thé, sont aussi bonnes ou meilleures que le thé même. pes personnes ont fumé de ces feuilles en Canada, Le goût et l’odeur selon leur rapport en sont agréables, et leur fumée abbat les vapeurs. Personne que je sache n’a encore fait l’analyse du gin-seng. Le frère apotiquaire des Jésuites de Québec, très bon pharmacien, se ropose de travailler l’an prochain à découvrir l’usage qu’on en peut aire par la chimie. J’en ai mis au feu, il n’y brûle point, ce qui me fait juger qu’il a peu de résine; il ne pétille point aussi, ce qui marque qu’il a peu de sels fixes. On peut présumer que sa vertu consiste dans un alcali mêlé de quelques sels volatiles. M. Brey- nius rapporte dans la dissertation les expériences qu’on en a fait et qui ont réussi. Il rapporte aussi les diverses manières dont il a été dosé et mêlé avec d’autre remèdes proportionnés aux maladies pour lesquelles on le donnait. Messieurs de l’Académie Royale des sciences, par les expériences qu’ils seront en état de f-ire quand ils auront une suflisante quantité de ces racines, mieux conditionnées que celles qui viennent de la Chine, poussant plus loin leurs con- naissances, nous mettront en état de profiter encore mieux des ver- tus.de cette plante. Il faut avouer que nous ne la connaissons pas encere assez bien, parceque nous ne la connaissons que par des sau- vages, des Chinois et des Japonais, qui dans le fonds sont de mau- vais médecins, peu instruits des principes de l’anatomie et des rè- gles de Part. Cependant, il faut avouer aussi qu’elle ne serait pas si constamment et si universellement estimée à la Chine et au Japon, si elle n’avait en soi de grandes propriétés. Mais quoique des peuples qui composent des royaumes très vastes, éprouvent tous les jours de bons eflets de cette racine, il se pourra bien faire que lorsqu’on la voudra mettre en usage en France, dif- EU. LD férentes personnes s/y opposeront comme on a fait autrefois au sujet du tartre émétique et du Quinquina. C’est assez le sort des bons re- . méèdes, mais dès qu’ils sont tels, ils s’accréditent bientôt par eux- raêmes et prennent le dessus malgré la prévention. Pour moi qui ne suis pas médecin et qui ne me pique pas d’écrire comme un docteur en médecine, je ne me suis attaché qu’à rappor- ter ce que j’ai appris de mes sauvages, à transcrire ce que m’en ont dit les personnes à qui j’ai communiqué cette racine pour en faire usage contre leurs infirmités. (C’est le zèle pour le bien public qui a engagé le Père Jartoux à nous donner la connaissance de cette plante, et c’est à lui en effet qu’on en a la première obligation. Le même zèle m’a engagé de la chercher en Canada sur conjecture du Père Jartoux. Il a été le principal motif qui ma obligé de rendre un fidèle compte aux savants, aux médecins et au peuple, de tout ce qui regardait la découverte de cette plante et les utilités qu’on en doit espérer. Messieurs les médecins, ainsi que j’ai déjà dit, en tireront des conséquences plus justes que je re pourrais faire, et ils jugeront par le récit que leur feront leurs malades du temps et des précautions qu’il faudra garder lorsqu'on le voudra employer. Le gin-seng ne croît point à la Chine, mais en Tartarie. On l’y trouve entre les 39 et 47 degrés de latitude, boréale, le 10 et le 20 de longitude, en comptant depuis le méridien de Pékin. Il croît sur le penchant des montagnes, dans d’épaisses forêts, sur le bord des ravines, autour des rochers, au pied des arbres, et au milieu de toutes sortes d’herbes : mais on ne le trouve point dans les plaines, dans les marécages ni dans des lieux découverts. Si le feu court dans les forêts, il ne reparaît que trois ans après lincendie, ce qui prouve, dit le Père Jartoux, qu’il est ennemi Ge ia chaleur. Aussi, ajoute-t-il, il se cache du soleil autau qu’il peut. Je l’ai fait chercher et je j’a' cherché moi-même en Canada. I s’en trouve point à Québec, et moins du côté du nord de la rivière que du côté du sud. On en trouve davantage en avançant vers le midi, comme à Montréal (1), aux Outaouais, et vers le lac Huron. Ii en croît en grande quantité, dit-on au pays des cinq nations iroquei- ses : si cela est, les Flamands de la Nouvelle-York en feront bien leur profit. Quelques-uns qui l’ont vu vendre à Montréal par les sauvages, en auront sans doute envoyé dès cette année en Angle- terre. On n’en recueille pas dans toutes sortes de bois. Je l’ai cherché inutilement dans les forêts touffues et embarrassées de broussailles. Ce n’est proprement que dans les bois de haute futaye, où les arbres droits et hauts sont engagés par le bas et paraissent naturellement allignés comme pour le plaisir de la promenade, qw’on le trouve au milieu d’une variété admirable d’herbes médicinales, qui naissent au pied des arbres, entre les racines et les pierres, d’où 1l est très difficile de l’arracher. Un sauvage me dit que le gin-seng ne croissait que dans de (1) “ Gin-seng has never been found far north of Montreal,” dit Kalm, qui se trouvait en Canada, dans le temps même où l’on cueïllait le gin- seng avec le plus d'empressement. ESS mauvaises terres ; mais il se trompe, car quand ces bois francs sont abbattus on peut dire que ce sont les meilleures terres du Canada. La terre en est noire, le grain un peu sabloneux, et le blé y vient à plaisir. Le gin-seng aime lombre, aussi bien que les plantes dont ces bois sont remplis. Quand les terres sont nouvellement défrichées il y en reparait encore quelques racines qu’on n’avait pas arrachées en défrichant, mais il ne s’y en reproduit jamais d’autres. Je ne le crois pas pour cela ennemi de la chaleur, car cette racine est chaude. D’ailleurs en été, il fait une chaleur encore plus forte et plus étout- fante dans ces bois qu’en plein air. J’aimerais mieux dire que ces plantes à qui l’ombre est si favorable, étant trop agitées par l’action immédiate du soleil et d’un air trop ouvert, y sont renfermées dans la terre comme dans un sein stérile, tandis que d’autres à qui ce grand air et l’action immédiate du soleil sont plus propices, se dé- veloppent et croissent à plaisir ; ce qu’elles ne pourraient faire à Pabri des forêts. J'ai vu moi-même cette expéricnce dans le cours d’une année ; ayant fait abbatre durant l’hiver un ou deux arpents de bois, le printemps suivant au lieu de ces herbes amères qui y étaient il n’y vint que du chiendent, du treffle, du cure, et d’an- tres herbes semblabies qui ne croissent qu’en plein cha::p. Je doutais, Monseigneur, si ces racines transplantées en France, réussiraient et conserveraient leur vertu. J’en ai apporté pour qu’on put s’en assurer. Je les ai levées en mottes, et sans qu’elles aient été séparées de leur propre terre et j’ai eu l’honneur de les présenter à V. A. R. Monsieur de Jussieu à qui £lle a fait la grâce de lui en donner une partie, les a visitées. 1! les a trouvées bien fraîches et eu bon état; 1l ne doute pas qu’elles n2 fassent merveilles cette année au jardin royal, où il les a portées par l’ordre de V. A. R. (1) Je crains que les graines ne réussissent pas si bien. Comme on a eu beau semer la graine, dit le Père Jartoux, sans que jamais on Pait vu pousser, il est probable que c’est ce qui a donné lieu à la fable qui a cours parmi les Tartares. Ils disent qu'un oiseau la menge dès qu'elle est tombée à terre, et que ne pouvant la digérer, il la purifie dans son estomac, et qu’elle pousse ensuite où il la laisse tomber avec la fiente. Ce qu’il y a de certain c’est que cette plante vient avec peine. J’en ai trouvé qui avaient près de cent ans. Ces racines produisent une tige qui tombe et se renouvelle toutes les années. Les plus belles tiges portent jusqu’à 34 fruits, dont la plupart sont doubles, si l’on supputait tous les germes suivant les années de la racine, le nom- bre des nouvelles plantes qui doivent se former à côté, et le nom- bre des germes et des années de celles-ci, le tout irait à l’infini. Cependant il ne s’y trouve jamais plus de sept ou huit racines dans les divers cantons où elles naissent les unes auprès des autres, er (1) On nous assure qu’au séminaire de Nicolet on avait transplanté, avec beaucoup de soin, un pied de gin-seng (le seul qu’on eût pu trouver dans les bois environnants) ; il avait poussé des feuilles et des fleurs et paraissait vigoureux, quand il commença à se faner, et bientôt il fat com- plètement desséché, 3 de.‘ ei ainsi la plante sera bientôt détruite auprès des habitations françaises, et il faudra l’aller chercher au loin dans les bois, ce qui la rendra rare et d’un très-grand prix. | Le temps de la cueillir est celui de la maturité, c’est-à-dire de- puis le mois de septembre jusqu’aux neiges. Ceux qui veulent en faire sècher la feuille doivent la prendre sur la fin d’août, avant qu’elle jaunisse. La racine devient à rien quand on la cueille avant : ce temps-là, ainsi que je l’ai déjà dit. Quand on l’a arrachée de terre il faut la laver soigneusement, couper Ja racine par rouelles en loug pour qu’elle sèche plus aisément. Il vaut mieux la faire sècher à l’ombre qu’au soleil et au feu, et la conserver en lieu sec. La racine vaut mieux étant sèche, que lorsqu'on la tire de la terre, alors elle est imprégnée d’une humeur qui lui ôte de sa bonté, - et qui s’évapore à mesure qu’elle se desseche. On y trouve en effet une différence considérable au goût, qui est bien plus fort quand elle est sèche que quand elle est nouvelle. D’ailleurs elle ne fait point vomir étant nouvelle, ainsi que l'écrit M. Breynius sur le rapport qui lui en a été fait. Cette plante est très délicate et se gâte aisément. Elle moisit d’abord dans un lieu humide, et les vers s’y mettent quand elle vieillit. Celles qu’on apporte de la Chine en passant deux fois la ligne doivent fermenter considérablement, et par conséquent perdre beeucoup de leurs sels volatils, en quoi consiste leur vertu. De là vient qu’ordinairement elles sont toutes vermoulues. (Celles qui viendront du Canada seront incomparablement meilleures, puis- qu’elles seront plus fraîches et mieux conditionnées. Le Père Jartoux dit que ceux qui cueillent le gin-seng n’en con- servent que la racine, qu’ils enterrent dans un même endroit, ce qu’ils peuvent en amasser durant dix où quinze jours, qu’ils ont soin de la bien laver et de la nettoyer avec des brosses pour en ôter toute la matière étrangère ; qu’ils la trempent ensuite un instant dans de Peau presque bouillante, et qu’ils la fort sècher à la fumée d’un millet jaune, qui lui communique un peu de sa couleur. Le millet renfermé dans un vase avec un peu d’eau se cuit à un petit feu. Les racines couchées sur de petites traverses de bois au-dessus du vase, se sèchent peu à peu sous un jinge, ou sous un autre yase qui les couvre. M. Kæmfer rapporte la chose un peu différemment, Quand les racines sont fraîchement arrachées, dit-il ; ou les fait macérer trois jours dans de l’eau douce, ou ce qui est mieux encore, dans la seconde eau où l’on a fait cuire une espèce de ris où de millet, eton les y met tremper quand cette eau est froide. Ainsi macérées dans un vaisseau d’ajrain et couvert, or les suspend à la vapeur de cette eau sur le feu. Alors étant desséchées depuis le bas jusques vers le milieu, ces racines acquièrent une couleur rousse, résineuse et presque transparente. C’est la marque de leur bonté. Commeje ne crois point que cette couleur et cetie transparence ajoutent rien à leur vertu, je crois cette préparation peu nécessaire. Si on souhai- tait néanmoins qu’elle le fut pour la conservation du gin-seng, et qu’on voulut le porter à la Chine pour le trafiquer, on pourrait y EE . faire la même préparation en Canada avec les mais ou blé-d’inde + dont usent nos sauvages. Quand j’eus découvert le gin-seng, il me vint en pensée que ce pouvait être une espèce de mandragore. J’eus le plaisir de voir que je m’étais rencontré sur cela avec le Père Martini, qui, dans Pendroit que j’ai cité, et qui est rapporté par le Père Kirker, parle en ces termes : Je ne saurais mieux représenter cette racine, qu’en disant qu’elle est presque semblable à notre mandragore, hormis que celle-là est un peu plus petite, quoiqu’elle soit de quelqu’une de ses espèces. Pour moi, ajoute-t-il, je ne doute point du tout qu’elle n’ait les mêmes qualités et une paraille vertu puisqu’elle li ressemble si fort, et qu’elles ont toutes deux la même figure. Si le Père Martini a eu raison de l’appeler une espece de man- dragore à cause de sa figure, il a eu tort de appeler ainsi à cause de ses propriétés. Nos especes de mandragore sont narcotiques, rafraîchissantes et stupéfantes. Ces qualités ne conviennent point du tout au sin-seng. Cependant l’idée du Père Martini, que j’ai vue justifiée ailleurs, m’a donné envie de pousser plus loin ma recher- che. En eñfet, ayant trouvé que notre mandragore d’aujourd’hui, d’un commun sentiment, n’était pas la mandragore des anciens, jai cru qu’en cherchant un peu, et qu’en comparant le gin-seng avec ce que les anciens ont dit de leur mandragore, on pourrait sou- tenir que c’est l’anthropomorphos (1) de Pythagore, et la man- dragore de Théophraste. Ce que j’en dis pourtant est moins pour donner mes conjectures pour des certitudes, que pour les soumettre aux savants et leur donner lieu de pousser plus loin leurs recherches. Voici donc comme je raisonne. Théophraste est le premier des auteurs anciens qui aient écrit des plantes. Théophraste nous fait la description d’une mandragore, qui ne nous est point connue ; il est évident aussi qu’il ne connaissait point celles que nous connais- sous aujourd’hui, du moins sous ce nom-là, de là on pourrait con- clure que celle de Théophraste s’est perdue et qu’on lui en a subs- titué une autre. Il est facile d’expliquer comment la mandragore des anciens a pu s’être perdue. Premièrement. Elle aura êté sans doute d’une grande recherche dans les premiers temps, à cause de ses eflets singuliers, dont on peut voir des exemples dans lantiquité. Secondement. La difficulté que cette plante avait à se multiplier l’aura rendue rare, et il est probable qu’elle ne se trouvait que dans les forêts. Le pays s’étant dans la suite découvert et les racines en ayant été ar- rachées avant ja maturité de leurs fruits, la plante aura été en peu de temps épuisée. On peut conjecturer avant l’évènement, qu’il en sera ainsi du gin-sens. Cette racine étant fort précieuse, pro- duisant peu, et ne croissant qu’à l’ombre des forêts. La mandragore des anciens étant ainsi perdue, on lui en aura substitué une autre à raison de quelque rapport commun à l’une et à Pautre. Nos mandragores ont des racines qui ont quelque ressem- bance avec le corps de l'honme depuis la ceinture en bas, leurs semences sont blanches et ont la figure d’un petit rein, c’est sans (1) De forme humaine. Éd CORG 2 doute ce qu’elles ont de commun avec la maudragore et cela se ‘trouve parfaitement dans le gin-seng ; le fruit du gin-seng a de sur- plus la même figure que les semences ; il reste maintenant à voir ce que la mandagore de Théophraste a de particulier, et à examiner s’il convient au gin-seng, pour cela recueillons tout ce qu’en dit Théophreste. En premier lieu, Théophraste reconnaît une tige à la mandragore, et établit une ressemblance par la tige entre elle et la féruie. Voici ce qu’il dit au chapitre second du livre six : “ Entre les autres ‘ (plantes) il y en a quelques-unes qui approchent plus de celle-ci + (la férule) par leur tige, telles sont la mandragore, la cigüe lel- & lebore, etc.” Cette ressemblance doit être prise de celle qu’il établit lui-même ailleurs, entre les plantes qu’il range en diverses classes, selon la diversité de leurs tiges, c’est au chapitre 8 du livre 7 qu’il parle ainsi: “ Entre toutes les plantes, "il y a une différence établie et re- “ connue de tout le monde, elle se prend de la variété des tiges, “ car il y à des tiges droites, des tiges nerveuses, des tiges qui tom- bent et ne durent qu’une année, des tiges qui Paccrochent, des ‘ tiges qui rampent à terre, il y en a qui n’ont qu’une seule tige, ‘ quelques-unes en ont beaucoup, et quelques autres peu.” Ce que je mets ici en précis, est étendu plus au long dans tont ce chapitre 8 du livre septième. Cette différence générique étant ainsi établie, cherchons en quoi consiste la ressemblance particulière entre la férule et la mandra- gore. C’est ce qu’on peut voir dans la description de la férule, au même chapitre du livre six, il lui donne ces deux qualités : “ Elle ne pro- “ duit qu’une seule tige, et cette tige tombe et renaît toutes les ‘ années ;? or, ce que : *éophraste dit de la mandragore et de la férule, se trouve vrai du gin-seng, qui ne pousse qu’une seule tige, que la même année voit se former et se détruire, et ne peut absolu- ment convenir aux deux espèces de solanuwm furiosum ou lethale qui produisent dix ou douze tiges sur un seul pied, ainsi Popinion de presque tous Îes botanistes, qui croyent que ces espèces de solanum et en particulier celui à qui les Italiens ont donné le nom de Bella- dona, sont la mandragore de Théophraste, se trouve ici renversée par Théophraste même. Il paraît manifestement que cette ressemblance de la féruie et de la mandragore est fondée sur ces deux qualités de leurs tiges, puis- qu'immédiatement après avoir fait cette comparaison il établit une nouvelle ressemblance par les tiges entre d’autres plantes, et comme une nouvelle classe. 4 Quelques-unes ont dit-il, des tiges nerveuses. é Tels sont le fenouil, etc.” En second lieu, Théophraste s'exprime ainsi au même chapitre second du sixième livre. “Le fruit de la mandragore a cela de ‘ particulier, qu’il est noir, qu’il naît en grappe, ete. qu'il a un goût « yineux.” Examinons ces trois qualités. A la vérité le fruit du gin-seng est d’un très beau rouge dans sa maturité, mais en séchant sur pied il devient si noir qu’à peine ap- perçoit-on en quelques-uns qu'il ait été rouge. IÎl-en est de même de quelques autres plantes et en particulier de lApalachine, qui RC a _ nous est venue récemment de la Louisiane, on peut dire que son fruit est noir quoiqu’on assure qu’il y a un temps où il est rouge. Communément le fruit de ces sortes de plantes à successivement différentes couleurs. Ceux qui ont commenté Théophraste et qui ont prétendu avoir trouvé sa mandragore ont expliqué différemment le mot grec ragodès. Quelques-uns l’expliquent d’une grappe et d’autres d’un grain, de quelque manière qu’on l’entende, si l’on considere le fruit du gin-seng ou l’ombelle qui porte les fruits, cela lui convient parfaitement et aussi bien qu’aux fruits des deux espè- ces de solanum, dont l’un, tel que la morelie, produit une ombelle, ou grappe semblable à celle du lierre, et l’autre ne produit qu'un grain qu on appelle faba inversa. La troisième qualité, qui est d’avoir un goût vineux, est propre à plusieurs plantes qui portent des bayes; le gin-seng en est une, Peau qui se répand dans la bouche, quand on presse le fruit du gin- seng, tient du goût de ses racines et de ses feuilles. En troisième lieu, Théophraste au chapitre neuvième du neu- vième livre, décrit les superstitions des anciens en cueillant la mar- dragore : les sauvages qui ne sont pas encore chrétiens, haranguent aussi leurs herbes médicinales et pratiquent autant de vaines céré- monies que faisaient autrefois les payens. Comme je n'ai lu Théo- phraste que depuis mon arrivée à Paris, je ne puis savoir si les sauvages employent les mêmes superstitions que Théophraste rap- porte, 1l serait assez singulier que ce fussent absolument les mêmes, mais quand bien même elles seraient différentes, ce ne serait pas un préjugé contre le gin-seng, depuis un si long intervalle de temps, il s’est pu faire bien des changements qui ne tirent point à consé- quence. En quatrième lieu, Théophraste décrit les propriétés de sa man- dragore, au chapitre dixieme du même livre neuvième —“ La feuille “ de la mandragore, dit-il, pétrie avec de la farine est bonne à ce * qu'on assure pour les ulcères, sa racine raciée et macérée dans le “ vinaigre sert pour l’érésipèle, pour toutes les fluxions de goute, ‘“ pour concilier le sommeil, etc. On la donne dans le vinaigre ou “ dans le vin.” Théophraste dit ensuite que la manière de la conserver est de la couper par tranches, qu'on enfile et qu’on suspend à la fumée. Ces eflets de la mardragore de Théophraste se rapportent mieux à ceux qu’on attribue au gin-seng qu’à ceux des deux espèces de so/anum, dont j’ai déjà parlé, qui sont de véritables poisons qui feraient mou- rx si on ne les dosait avec beaucoup de précaution. Quand Théophraste dit que la mandragore est bonne pour faire dormir, il ne dit rien qui ne soit conforme aux expériences qu’on 2 fait du gin-seng, mais le gin-seng ne produit pas cet effet par une qualité narcotique, froide et stupéfiante, qui serait dangereuse, mais par accident, en ôtant les causes de l’insomnie. Je nai point lu dans Théophraste que la mandragore fit mourir, si on en prenait avec excès. J’ai cependant cherché avec exactitude tout ce qu’en dit cet ancien auteur, et je l’ai rapporté fidèlement. Il est vrai que le Père Martini dit du gin-seng, que si les personnes robustes et vigoureuses en mangent, elles courent risque de perdre On ja vie, parce qu’elle augmente trop leurs esprits vitaux et leur cha- leur naturelle. Je crois pour moi qu’il eu faudrait pour cela un long et indiscret usage, tel qu'on en pourrait faire des meilleures choses, qui ne conviennent pas également à tous les tempéraments. La seconde espèce de garent-oguen tsiohontati dont j’ai déja parlé, et qui selon le rapport des sauvages ne produit qu’une seule feuille sans tige, sans fleur et sans fruit, est une autre espèce de mandragore, je ne sache pas que personne en ait encore parlé: elle peut faire une troisième espèce avec les deux mandragores de Dios- coride qu’il nomme akaulos. Les sauvages se servent d’une autre plante pour rétablir les forces perdues, ils lanomment T'sioterese-sôa, ou la grande longue racine, pour la distinguer de la salsepareille, qu’ils nomment simplement T'sioterese où la longue racine. Les Français la connaissent sous le nom d’anis sauvage. Les sauvages sont les plus grands mangeurs du monde, mais 1ls savent aussi parfaitement supporter la faim ; quand leurs provisions leur manquent ils se ceignent fortement le ventre, et fatiguent doublement à courir pour chercher de quoi vivre et à souffrir leur disette, alors quand leurs genoux chancellent et que leurs yeux commencent à doubler les objets, ils prennent une poi- gnée de la poudre de cette racine qu’ils délayent dans de l’eau qu’ils boivent, et leurs forces sont sur le champ rétablies. Ils font le méme remède avec succès et avec la même prépara- tion pour se guérir du coup de soleil, cette racine est d’ailleurs un des plus excellents vulnéraires qu’on puisse trouver ; jen ai apporté un peu, et il n’est personne qui ne juge de sa vertu par son goût aromatique. Je lai vu dars l’herbier de M. de Jussieu et dans celui de M. Vaillant. Il ne me reste plus qu’à souhaiter que les expériences qu’on fera en France du gin-seng, venu du Canada, puissent répondre à celles qu'on a déjà faites ‘en ce pays là et se trouvent telles qu’on paraît les promettre. M. de Jussieu m'a fait l’honneur de me dire qu’il F’en était déjà servi avec succès, et qu’il avait arrêté un vomisse- ment qui n'avait pu céder au remèdes ordinaires. Mais le comble de mes souhaits serait que l’usage de cette plante servit, Monsei- gueur, à prolonger jusqu’à une extrême vieillesse, des jours aussi nécessaires et aussi précieux que ceux de V. A. R. Ces vœux ardents que je forme pour la conservation de V. A. K. par reconnaissance pour les obligations qui me sont particulières, et par la gratitude qui m’est commune avec la compagnie dont j’ai l’honneur d’être, regardent e::core le public qui est intéressé à la vie d’un prince, dont les proje: : tendent tous à la félicité des peuples, d’un prince dont les premie:< soins ont été d’envoyer des ordres jusques aux extrémités de la serre, pour attirer de par tout dans le cœur de la France, tout ce qui peut contribuer à la rendre floris- sante, d’un prince qui n’a approuvé les soins que je me suis donné pour découvrir cette plante, et n’a paru content de ma découverte qu’autant qu’il a été flatté que puisqu’elle est d’une très grande utilité pour la guérison de plusieurs maladies chez des nations très reculées, elle peut aussi devenir utile à un peuple qui l’aime, et dont par reconnaissance, il doit être les délices. EURE. ,. En Ce n’est pas assez, Monseigneur, que le public fasse des vœux pour la conservation de V. À. R., tous les arts qu’elle honore si particulièrement de sa protection, doivent travailler à immortaliser son nom et sa gloire. Ce n’est pas seulement l’histoire ou la poésie, le pinceau ou le burin qui transmettent les souvenirs des grands hommes à la postérité, de tous temps, les botanistes ont prétendu avoir ce droit et ont célébré la mémoire des princes qui ont favorisé cette science en leur consacrant de nouvelles plantes. Ces plantes portent encore leurs noms, ils ont passé jusqu’à nous et nous les conservons avec respect. En conséquence de cette possession où sont les botanistes, puisque V. A. KR, a eu la bonté de me permettre de lui présenter ce mémoire et de lui offrir cette plante, je me flatte qu’Elle ne désaprouvera pas que je prenne encore la liberté de li donner le nom de Votre Altesse Royale, et de ja nommer Aureliana Canadensis, Sinensibus-(rin-seng, Irogœis Garent-oguen(1). On ia verra fleurir cette année pour la première fois en France, et 1l n’est personne qui ne la voye croître volontiers et qui ne se fasse un plai- sir de la connaître sous un nom si auguste. Quoique j’aie découvert cette plante en Canada, et que par cette raison je puisse la regarder comme un bien qui m’appartient, ce serait cependant aux maîtres de l’art qu’il conviendrait de donner ce nom avec autorité plutôt qu’à moi, mais ce que V. À. R. a fait depuis peu avec une magnificence royale en faveur de la botanique, envoyant des personnes intelligentes dans les Indes, dans PAméri- que et dans les royaumes voisins, pour y faire de nouvelles décou- vertes, les intéresse à approuver ma hardiesse, et à conserver un nom qui est pour eux une marque de la protection dont V. A. R. les honore, et qui en est une pour moi du profond respect avec lequel je suis, Monseigneur, De Votre Altesse Royale. Le très humble, très obéissant, Et très soumis serviteur, JOSEPH-FRANÇOIS LAFITAU, De la Compagnie de Jésus, Missionnaire des froquois du Sault St. Louis dans la Nlle. France. (1) Les botanistes aujourd'hui ne désignent le gin-seng que sous le nom de panax-quinque-folium. ûl ÀE s «s , é J É (a; QU ? © PRE, NE, *, | PRE, 4 Prin fee n . F0 0 Lac Agir £ PEUX LEE: Le SANTE » » , " Lib !h 4 LL + * + n * d À 2 - lue AA ti . y , & ca # A 7 0 LFal pt : Ye . At E Le HOT 3 | , L : 1 b,.27! | LE L ee 71 rh 6 C4 ad 11e PACE TP ) Ai d'a d, ! 4 ’ (LAC Rite, : + F: { % Love VE ‘# L ur, él der s ; | r! L 72 » Û | Pb LR ” | à #4 Ca , d Fri * 1 Ki m0 de y . j , v ‘ ( { €: : AS \e k me E . 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On voudra bien nous permettre de les citer ici tels que nous les avons, sans aucune transition : Une lettre que le marquis de Beauharnais (1) écivait le 13 octobre 727, au ministre de la marine, le comte de Maurepas, nous parle de cer- tains mémoires, que le Père Lafitau aurait composés sur une question poli- tique des plus importantes et des plus délicates. “J'ai l'honneur, dit M. de Beauharnais, de vous envoyer ci-joint, un mémoire que m'a donné ie révére:d Père Lafitau, au sujet des différends entre les deux couronnes, sur les prétentions des uns et des autres. Comme ce mémoire peut servir, Mgr., à celui auquel il me dit avoir travaillé avec M. Begon, j'ai cru devoir vous l'envoyer.” Ces écrits sont probablement encore conservés aux archives du gou- xernement français ; leur publication ne pourrait qu'ajouter à la gloire du savant Père, car nous ne doutons pas qu’il n’ait traité cette ques- tion des frontières avec toute la supériorité dont il a fait preuve dans ses autres ouvrages, et il nous semble qu’il serait assez curieux de rappro- cher ses preuves et ses arguments de ceux des hommes d'état et du diplomates de cette époque. On nous a obligeamment communiqué le passage suivant de Kalm, dont l'ouvrage est très rare. Ce savant Suédois, se trouvait en Canada en 1749, au moment où le commerce du gin-seng était en grande activité. Voici ce qu’il dit : “ During my stay in Canada, all the merchants at Quebec and Mon- treal, received orders from their correspondents in France, to send over a quantity of gin-seng, there being an uncommon demand for it in this summer. The roots were accordingly coilected in Canada with all pos- sible diligence ; the Indians especially travelled about the country, in order to collect as much as they could together, and to sell it to the merchants at Montreal. The Indians in the neighbourhood of this Town were likewise so much taken up with this business, that the French farmers were not able, during that time, to hire a single Indian, as they commonly do to help them in the harvest. Many people feared lest by coutinuing, for several successive years, to collect these plants without leavins one or two in each place, to propagate their species, there would soon be very few of them left, which I think is very likely to happen, for by all accounts they formerly grew in abundance round Montreal ; but, at present, there is not a single plant of it to be found, so effectually have they been rooted out. This obliged the Indians, this summer, to go far within the English boundaries, to collect these roots. After 1he Indians have sold the fresh roots to the merchants, the latter must take a great deal of pains with them. They are spread on the floor to dry, which commonly requires two months and upwards, according as the season is wet or dry. During that time, they must be turned over once or twice every day, lest they should putrify or moulder. The superior of the clergy here and several other people, assured me that the Chinese value the Canada gin-seng as much as the Tartarian, and that no one bas ever been entirely acquainted with the Chinese method of preparing Ii. L2 D .. .. (1) Charles de Beauharnais fut gouverneur du Canada de 1726 à 1747. Sa famille, originaire de la Bretagne, a produit Alexandre, vicomte de Beauharnais, qui épouse Joséphine, depuis impératrice. COHMIOTI "6 md _. Voici ce que Mgr. Verroles, vicaire aspostolique de la Mant- chourie, disait du gin-seng en 1843.—(Ann. de Prop. de la Foi, No. XVI, pages 142, 143.) | # Il en est de même pour le Jensen, cette plante fameuse, ce toxique si excellent, le premier sans contredit de l’univers. Lorsque les forces vitales manquent, totalement épuisées, et que le moribond va trépassef donnez-lui le poids de quelques grains de Jensen, il revient à la vie; continuez chaque jour et sa vigueur renaît aussitôt, et vous pouvez le soutenir encore plusieurs mois. Le prix dn Jensen est exhorbitant, c’est presque incroyable, près de cinquante mille francs la livre ! ” Ii faut avouer que s’il n°y a pas là une erreur de chiffre, un pareil prix est vraiment fabuleux. La seule montagne de Montréal pour- rait fournir du gin-seng pour des millions. Ce qui suit semble moins extraordinaire. “ Le bon, l'excellent Jensen, disent les Chinois, est le plus vieux : il doit être sauvage : aussi celui de Corée qui vient par la culture, est-il extrèmement inférieur en qualité. A la foire annuelle de Corée, on le vend en fraude, au su des mandarins qui ferment les yeux. Bien que fort élevé, le prix du Jensen coréen est pourtant raisonnable : environ deux cents francs la livre. Je vais tâcher de m'en procurer de la graine, et en ce cas, l’Europe pourra posséder cette plante admirable. “ Elle ne croît point dans le nord de la Mantchourie, sans doute à cause de sa température glacée.” Dans la livraison précédente il s'était gli_sé quelques erreurs que nous tenons à corriger. Le mot Kanahwuake ne signifie pas rapides ; mais u rapide. Le véné- rable M. Dufresne du séminaire de St. Sulpice, nous apprend que ce mot se compose de onawa, rapide, et de ké particule qui indique la localité, au : l'usage permettant de changer © initial en ku, on a enfin Kunawaite. (Pron : Kanawaké l'iroquois, n'ayant pas d’e muet.) D'après ce Monsieur, le mot Tsiohontati (page 27) peut se trouver chez quelques peuplades iroquoises avec cette signification ; mais 1l ne semble pas formé régulièrement : les règles de la grammaire demandent -Tsiohonlat : ati placé à la fin de certains substantifs, auxquels il est joint, signifie ordinairement d’un côté, lorsque ces substantifs sont précédés de ska ou de tsi, qui alors deviennent les initiales de ces substantifs, et ne forment qu’un seul mot avec eux, de sorte qu'on ne pourrait pas les re- L . . : trancher, sans changer le sens—ainsi par exemple— Ohonte, vert, tsiohontat une plante verte ; Tsiohontati, d'un côté de la plante, etc. De même pour Tiioterese, (pages 23, 38): Olera, racine; Tsioterat, une racine ; si l’on veut exprimer une longue racine, il faut retrancher les deux dernières lettres de Tsioterat, et mettre à la place es, pour le singulier, et eshons pour le pluriel, qui expriment la longueur: ainsi on dira Tsioteres, ou suivant l'usage de plusieurs, Tsioterese quisiguifie une longue racine. Le mot ési n’a pas par lui même la signification de l’unité, il ne l’a que quand ilest l'initiale de certains substantifs dans lesquels l’usage permet de l'em- ployer ; (hors de là il aurait une signification toute différente), et dan ce cas le substantif dont ‘lest l’initiale doit se terminer par at ou é, suivant que Jl'usage le demande, à moins que ls subtantif ne soit joint à un adjectif, qui ne permettrait pas cette terminaison, comme on le voit dans les exemples précédents. A Page 15, note, lère ligne après fut, lisez nommé. Page 19, note, lère ligne lisez Dufresne. situe. 2.42 ‘Cibé af nie ln ne - ! | 4 4 TÉLÉS: } #40 - Le Pere LAFITAU ET LE GIN-SENG,. ........... rensesssesenere.e 3 Agriculture négligée pour le gin-SEN,.. rose ESPATTO SITE * Américains, leur origine... ... nu, Societe ga dis 26 das se Se PF | Beauharnais, gourverneur du Canada,.....,.................... 41 F Garnier (le P. Julien),.........,................sssssssesssssse 12 Gin-seug—Son prix en Chine, 5, 6; en Mantchourie, 42 ; à Québec, 6, 7. —Il est déprécié et pourquoi, 6, 8.—Il existe encore, 6, 23 (note). —Le commerce s’en fait encore, 6. Lafitau (le P.J. F.)—Sa naissance, son arrivée en Canada, 4.—Il dé- couvre le gin-seng, 5.—Il retourne en France, 9; va à Rome, 12. —$Ses écrits, 9, 11, 12, 13, 41.—Sa mort, 13.—Son portrait, 14. Ru, Lafitau (le P. P. F.) ; note,.................,......ssssssss.use 13 Lafontaine (Sir L. H.),.......................e.sssssssesensses 11 Lovelace, gouverneur de New-York,................... JA dd ee + 10 Marcoux (J.) Prêtre Missionnaire,.........................s...e 13 Martin (le P.);, ........................csoss s RANGS FE ES PT Æ Pierron (le P.),............4.....csssssosesss scores eee PR à À BAISE DONS, .-........:0.00....... uses rose sons . 4, 42 Traite de l'eau-de-vie, ..................esese.sesseensese ML AE Viger (le Commandeur),......................... ES à DE sise VONT MEMOIRE SUR LE GIN-SENG, .......ssssesseseeneesoessssessone RE Begon, intendant,.......................... de Ou DA RE ss PU EE 6).........../220....... Lente 29 con cos note ocone ses sets Meteo 25, 28, 30, 34 D disnard,............:00 4.2.0 ns nn 24 ë nc 28 Mn (eP.),.......::....00...:...0t000. 16, 19, 25, 27, 31 CL EE ES so... 24, 25, 33, 38 SE RO ss ÉLIRE RE)... 20... iogrs RER SR ER | 19, 27 men eo à de nistas se A9 ee 25, 26, 27, 30, 34 nn. on ee co same ss die mille Re ER és CONTES UE), 2 Re . - «50 eu nie Ann oO RE à Mandragore (la),............ D. le T0 AR es Rs LACET 2 Nisi, ou Gin-seng du Japon,................................... . 26 nd en es ee à odle eee 20 ee ES .. 41 Gin-sens —Les PP.JJ le font connaître en Europe,.............. 16 : —Le P. Jartoux le décrit, ............................. 16 —Le P. Lafitau le découvre en Canada,..... ....... 18, 22 —Nom du Gin-seng en Iroquois,............... Taie de 2 RUES : _— — en Tartare, en Mantchoux (note), .... 19 + —Nom que lui donne le P. Lafitau,..................... 39 —Description de la plante,...................... 19, 33, 36 —Différentes espèces, ..................s.se..es..e 23, 38 2: À —Le Gin-seng du Canada est le même que"celui dela Chine 24 4 —Ses propriétés,. ...s.csnnosseesenss CLR RE | | PACE ARS —Manière de le prendre, ..,..,...........s.sss.esssese 89 Le ANT RS KE AE —Analyse de cette plante, ..... AE CRETE MAN SET —Dans quels endroits elle se trouve,............, KV FO —Temys de la cueillir, ..............:...........s ses. SE —Manière de la préparer,.........................4 34, 42 —Sa ressemblance avec la Salsepareille, ...............: 23 "ee _ — Maudragore, ............. +. 35 TA AM, ses, so lens ne RU 26 Re en net e es code doses ve see al 00 US SE PRE M. versie 18 (note), 27 HhéOphrASte,............. 4e course seneees ee 20e 35, 36, 37 Maïllant,:--:...... 4 RARE REX 295 a RS En és coco ce OA Merroles/ Mgr............. senc cesosesnr ess 5 de STORES 7 - RENNES RAT Ur à. ae HA ARMOR «be ide: et" (Tr p