Per rer este PL ae 4 ie ce 2 ROAD ÉDES PRES f . gs = ETIENNE na no ue Fi er tt H si Ÿ CI 12 HAE | | î : _s FRONS EU ER UP pee LA 1 j ï [A À h | ( an | MÉMOIRES COURONNÉS ET MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS, PUBLIÉS PAR L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENGES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. Collection in-S°. —'Tome V. Premiere Partie. “BRUXELLES, M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. | 1852. MÉMOIRES COURONNÉS MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS. - is té RC MÉMOIRES COURONNÉS MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS. PUBLIÉS PAR L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. 3-2 — COLLECTION IN-#°, — TOME VW. AT BRUXELLES . M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1852. 4 cétinie pt Fe 0 OR MMA Le 502 SUR TT CU 0 2 tie ve à An ; Le + SAT Mr dix isnt CR. UE UE | d #7 à 8 BIS 108 PLANS FR LEA Ne 7 MÉMOIRE SUR L'ORGANISATION DE L'ASSISTANCE, EN RÉPONSE A LA QUESTION : QUELLE EST DANS L'ORGANISATION DE L'ASSISTANCE A ACCURDER AUX CLASSES SOUFFRANTES DE LA SOCIÉTÉ, LA PART LÉGITIME DE LA CHARITÉ PRIVÉE ET DE LA BIENFAISANCE PUBLIQUE ; par M. Vincexr WERY, Avocat à Mons. (Couronné dans la séance publique du 7 mai 1832.) I doit y avoir une bienfaisance publique comme il y a une bienfaisance privée, car ce n'est pas trop des deux pour soulager la misère, tant par- ticulière que générale, existante inévitablement dans toute société, mème riche et civilisée. (lens, De l'assistance et de la pré- voyance publiques.) Toue V. 1 D LULU PERTE HTALOE 28 DURS? . ETAT PUS AU. Ses us PR y TR ARTE een ri nm Y , MÉMOIRE SUR L'ORGANISATION DE L'ASSISTANCE. CHARITÉ PRIVÉE. — BIENFAISANCE PUBLIQUE. ee INTRODUCTION. Pour répondre à cette question si grave, si controversée, et de la solution de laquelle dépend l'avenir de la société, il importe d'abord de définir ce qu'il faut entendre par la charité privée et par la bienfaisance publique. La bienfaisance publique comprend toutes les institutions de charité légale, c'est-à-diré la charité exercée par voie d'autorité constituée, en vertu de lois ou d'ordonnances légales, telles que les bureaux de bienfaisance, les administrations des hospices, les dépôts de mendicité, les monts-de-piété, les écoles gratuites, les caisses de prévoyance, d'épargnes et de retraite, en un mot les instituts de cha- rité de toute nature fondés par l'État, par la province ou par la commune, où même par des particuliers, mais administrés sous la surveillance immédiate des autorités publiques ou par des personnes préposées par elles. La dénomination de charité privée s'applique à deux catégories bien distinctes d'actes de bienfaisance, selon qu'ils émanent de l'indi- (4) vidu isolé ou de l'individu associant ses efforts à ceux d’autres per- sonnes animées du même désir, voulant atteindre le même but; en un mot, il y a la charité privée individuelle et la charité collective. La charité individuelle, c’est-à-dire la charité libre, c’est le par- ticulier, obéissant à sa conscience, à ses instincts d'humanité ou à une pensée religieuse, qui verse dans le sein du pauvre une aumône dont sa générosité fixe seule le taux, dont la compassion spéciale pour l'individu qui en est l'objet établit la destination et dont l'au- teur n'attend de récompense que de sa conscience et de Dieu. C'est l'œuvre de l'individu qui n'entend se soumettre à aucun contrôle, qui ne souffre aucune impulsion que celle qu'il recherche lui-même pour s'éclairer, et agir ensuite le plus judicieusement possible. C'est à grand'peine, et vraiment par exception, que l'on parvient à la con- naître; il faut, pour que ses actes viennent au jour, le cri de la reconnaissance ou l'indiscrétion d’un tiers. Si l'on demande : Quelle part on pourra jamais assigner à cet élé- ment de la bienfaisance dans l’organisation de l'assistance à accor- der aux classes souffrantes de la société? Examinons sa nature, et reconnaissons que la charité individuelle est la seule source des actes sublimes de dévouement et de charité qui se produisent sur la terre; que, sans elle, il faut renoncer à venir en aide aux maux qui affligent l'humanité : qu’elle peut recevoir des encouragements, ren- contrer des facilités dans l'exécution de ses œuvres, mais qu’elle doit être libre avant tout, et qu'il ne peut être question de l'orga- niser ni de la réglementer. Quelle organisation , en effet, donnerez- vous, quel règlement ferez-vous à cet être qui n'a et qui ne peut avoir, par son essence même, aucune existence régulière; qui, sauf de rares exceptions, laisse même ignorer au public s'il a jamais existé? Gardons-nous bien de vouloir l’atteindre, car il nous échap- pera; et, fuyant cette publicité, qu'il redoute comme son plus grand ennemi, il s'arrêtera dans sa marche plutôt que de se laisser décou- vrir. Le secret d’une bonne action ajoute à la satisfaction qu’en éprouve son auteur ; nous devons donc chercher à couvrir du voile le plus épais celui que son bon cœur et sa générosité portent à venir en aide à ses semblables. Il est certain, d’ailleurs, que le sublime principe de la charité individuelle n’est durable que tant qu'il con- (5) serve ce besoin de garder le secret de ses œuvres. C’est une fleur céleste qui se fane dès que, de son plein gré, elle ne se soustrait plus à la lumière ; elle meurt dès qu'elle est souillée du venin de l'orgueil. Il ne peut donc être question d'organiser la charité individuelle. Tout ce que l’on peut faire à son égard, c'est de souhaiter son exten- sion indéfinie, c'est de désirer la propagation des idées et des vertus qui lui servent de base et de mobile, c'est de s'appliquer à faire pas- ser dans toutes les âmes ces sentiments d'humanité, de sensibilité, de religion qui ne permettent pas à l'homme de voir souffrir son sem- blable sans qu’il se croie obligé d'apporter un soulagement à ses maux. I] y a done un soin essentiel à prendre, c’est de laisser à la charité individuelle toute sa spontanéité, et surtout sa liberté d'action; car si on y porte la moindre atteinte, la société sera nécessairement privée de son appui. Or il faut bien se garder de méconnaître sa puissance el son étendue; et nous ne devons jamais oublier que l'homme au cœur généreux et compatissant est par-dessus tout jaloux de son indépendance. Proclamons done que la charité individuelle est et restera libre, et cette reconnaissance franche lui fera prendre un nouvel et impor- tant essor. Nous donnons la dénomination de charité collective à toute asso- cation, quelle qu'elle soit, dont le but est de venir en aide aux malheureux. C'est une œuvre collective à laquelle viennent concou- rir les actes individuels des associés, mais en cessant d’être leur œuvre en quelque sorte. Ce n’est plus le particulier qui agit, c'est l'association dont il n’est que l'instrument. C’est elle qui agit par l'organe des membres qui la composent , et s’il reste quelque chose d'individuel, ce n’est que le degré de dévouement que chaque mem- bre apporte à s'acquitter de ses fonctions; c'est ce qu'il fait pour l'association en plus de ce que le règlement réclame de lui comme obligation régulière et qu'il s'est imposée en en faisant partie. Il y a, dans la charité collective, dans l'association, une dépendance néces- saire, une subordination obligée de l'individu à l'être moral dont il fait partie; celui-ci efface celui-là; il l'absorbe, de même que, dans les administrations publiques, l'administrateur disparaît vis-à-vis du corps auquel il appartient, et dont il n'est qu'un membre impuis- (6) sant lorsqu'il s'isole ou lorsqu'il se prive du concours de ses collègues. I y à, il faut le reconnaître, un mérite spécial d'abnégation dans ces associations : le particulier y aliène-sa liberté, il renonce volontaire- ment à son indépendance; mais c’est dans le noble but de la fécon- der, de neutraliser les effets d'un isolement trop absolu; et son âme généreuse trouve dans les magnifiques résultats qu'obtient l'union des dévouements, une bien douce récompense du sacrifice qu'elle fait. La différence avec la charité individuelle est fondamentale; elle a sa source dans le principe même de son action. Ici plus de secret possible; l'individu n’est plus libre de ses actes, il ne peut agir spontanément, il est lié vis-à-vis de l'association; il a dû renoncer, en y entrant, à suivre les impulsions de son cœur pour soumettre sa volonté et ses actes aux règles tracées par les statuts de Ja société charitable. 11 y a une loi, c'est le règlement de l'œuvre, qui trace la voie à snivre, qui assigne à chacun le cercle de son action, et dont il est indispensable que nul des associés ne s'écarte , à peine de faillir au but de son institution. Ici le contrôle est naturel; il est même nécessaire, si l'association veut sûrement accomplir sa mission : c'est l'unique moyen pour elle de s'assurer que chacun de ses mem- bres reste digne de fournir sa part de coopération. Mais, il ne faut pas le perdre de vue, cette subordination, cette abnégation de la volonté individuelle ne sont qu'une nécessité de famille en quelque sorte; il y a là un père qui exerce son autorité sur ses enfants : c'est le chef, le président ou le comité directeur de l'association; c'est vis-à-vis d'elle que la volonté individuelle disparaît dans la volonté collective. Mais l'association elle-même, dans son individualité, conserve son caractère d'être privé, de particulier, et, à ce titre, elle a les mêmes droits, elle réclame les mêmes prérogatives de liberté, de spontanéité dans ses actes. De même que la charité individuelle, ces associations ont droit aux encouragements, à l'appui de toutes les personnes qui s'inté- ressent aux malheureux, qui veulent leur venir en aide. La puis- sance qu'elles peuvent acquérir, les ressources considérables dont elles peuvent disposer ne seront qu'autant de moyens de plus d'at- teindre sûrement le but de leur institution, et ils produiront à coup sûr d'immenses résultats. (7) Nous croyons pouvoir le dire sans restriction, la charité n’abusa jamais de la liberté; elle n’en abusera jamais. Toutes lois qui ten- teraient de régler forcément l'action de la charité collective, de la soumettre à des mesures préventives, ne feraient que mettre des entraves à l’accomplissement de sa mission. Et quelle grave respon- sabilité n'encourrait pas le pouvoir qui en serait l’auteur! Il aurait ainsi à se reprocher d’avoir arrêté dans leur cours des actes de charité! Sans doute, il y a à distinguer la réalité de l'apparence; il ne faut pas que sous ce manteau on forme dans l'État des affiliations aussi peu charitables qu'elles seraient dangereuses pour l'ordre social. Nous n’avons pas à nous occuper ici des moyens nombreux employés pour donner le change à l'opinion publique; notre siècle en a mal- heureusement fourni de tristes exemples. Mais, pour de rares incon- vénients, faudra-t-il donc reculer devant l'application d'un principe essentiel au développement des institutions de bienfaisance? Fau- dra-t-il renoncer à leur voir produire les beaux résultats obtenus par la réunion d'efforts généreux tendant au même but, et se priver de la noble émulation qui en résultera? Qu'à Dieu ne plaise. Plus les bonnes et vraies associations charitables se propageront et se mul- tiplieront, plus leur véritable caractère sera sagement apprécié ; plus il sera facile de démasquer l'hypocrisie et le mensonge, et on pourra se contenter alors de la surveillance exercée par les autorités pour l'exécution des lois générales de police et de sûreté. Nous disons donc que, dans la charité collective, s'il n'y a plus de liberté, de spontanéité possible pour l'associé pris individuel- lement, ce n’est que pour ce qui le concerne vis-à-vis l'association elle-même; mais que, comme le particulier doit être libre d'en faire partie ou de s’en retirer, n'ayant à suivre en cela que les inspi- rations de son cœur et de son esprit, de même le principe de liberté, de spontanéité doit être respecté dans les actes de la charité collec- tive. C'est son droit, quelles qu’en puissent être les conséquences. Mais ne perdons pas de vue la maxime si vraie du jurisconsulte romain : Summum jus, summa injuria. L'injustice se commet, c’est- à-dire la charité collective est injuste envers l'humanité, elle man- que à son obligation, à son devoir moral, lorsqu'elle néglige on lorsqu'elle refuse d'employer les moyens d'accroître ses ressources, (8) d'obtenir les résultats les plus avantageux, de secourir les infor- tunes en plus grand nombre et de la manière la plus convenable possible. Or, ces moyens, la raison et l'expérience les indiquent : c'est que ces associations agissent au grand jour, et qu'il existe entre elles ces relations de bonne intelligence et d’enchaînement qui en fassent en quelque sorte une digue non interrompue contre la démoralisation et la misère. Pour y parvenir, nous pensons que toute œuvre collective de bien- faisance devrait, de son propre mouvement, soumettre , au moins une fois l'an, le compte de ses opérations à l'examen de l'autorité, non pas pour en recevoir l'impulsion, ni par une sorte de subordi- nation, mais seulement pour donner, dans tous les cas et à tous, la certitude la plus complète que l'appui qu'elle rencontre est justifié et mérité par l'emploi régulier et complet des ressources dont elle dispose. L'autorité locale est particulièrement apte à donner cette assurance. Connaissant les personnes et leurs actes, en examinant les pièces qui lui seraient soumises, elle apprécierait leur sincérité, et la vérification qu’elle en aurait faite serait certes d’un grand poids dans l'opinion publique. Le particulier y trouverait la justification de sa confiance, et celle-ci ne ferait naturellement que s’accroître. Peut-on d'ailleurs méconnaître de quelle utilité sera, pour ces associations, l'appui moral de l'autorité, fût-il séparé de toute aide matérielle quelconque? Ne faut-il pas admettre que celles d'entre elles qui seront recommandées ou patronées par les administrations locales ou supérieures jouiront d'une considération, prendront une extension auxquelles elles eussent pu difficilement arriver si elles eussent été réduites à leurs propres forces. Il ÿ a donc encore infi- niment à gagner sous ce rapport. C'est ce que plusieurs sociétés charitables, établies dans de grandes proportions, ont parfaitement compris; elles ont rendu publics le résultat de leurs travaux, le compte des recettes et des dépenses, et elles ont vu grandir d'une manière prodigieuse la con- fiance qu'elles inspirent à si juste titre. Que d'associations, d’un autre côté, ont perdu toute influence et se sont bientôt trouvées réduites à l'impuissance pour avoir cédé à un futile instinct d'amour-propre qui se refusait à toute publicité, (9) à tout contrôle! Ce sera, l'on n'en peut douter, le sort de toutes celles qui suivront ce funeste exemple. Quels que soient leur but et leur étendue, toutes les associations charitables doivent donc agir au grand jour. Nous ajoutons qu'il serait de la plus haute utilité que leur action püût être coordonnée, et qu'il existât une autorité centrale à laquelle elles reconnussent cet important pouvoir. Là où un but unique est l’objet de tous les efforts, qui ne diffè- rent que par les positions diverses auxquelles ils s'appliquent et par les moyens employés pour l'atteindre, la raison indique que l'unité de pensée dirigeante doit les rendre bien plus efficaces et souvent empêcher qu'ils ne dévient. « C’est le moyen d'éviter les efforts divergents, » dit M. Thiers (1). De même qu'un industriel prudent et expérimenté se garde bien d'employer, dans sa fabrication, des moteurs d’une force supérieure à celle qu'exigent les machines à mouvoir, ainsi, et surtout lorsqu'il s’agit d’un intérêt bien autrement grand que celui d’une économie dans des frais de fabrication, il importe au plus haut degré de prévenir une perte de dévouement et de bienfaisance, perte qui résulterait d’un faux ou d'un double emploi des ressources d’une association charitable. Les résultats à obtenir seraient d'autant plus grands que l’on parviendrait à mieux coordonner et à diriger vers un but unique les généreux efforts des amis de l'humanité. Il s'établirait par ce moyen un appui mutuel, une corrélation bien désirable; et ce pouvoir central connaissant le cercle d'action de chaque association , la charité collective pourrait en recevoir d'utiles conseils, de précieux renseignements. « Le défaut d'intervention immédiate du Gouvernement, dit M. G. de Gérando, qui a été pour la philanthropie anglaise et qui sera toujours en général un bienfait, est cependant un grave incon- vénient dans certaines branches de la bienfaisance publique, telles que les prisons, les hôpitaux, la vaccination, l'éducation des en- fants, la répression de la mendicité où sa puissante intervention pourrait être utile. Trop multipliées, et surtout lorsque plusieurs (1) Rapport sur l'assistance et la prévoyance publiques ; Brux., 1850, p. 6. (10) embrassent le même but, les institutions deviennent quelquefois fu- nestes. Leurs efforts se compliquent et s'embarrassent, les exposent à de doubles emplois, le défaut d'unité s'y fait plus sentir. » Ces réflexions, émises en des termes si énergiques, peuvent, à plus forte raison, s'appliquer aux œuvres de la charité collective pour les engager à se soumettre à un centre commun, puisque, pour ce qui les concerne, tout est spontané, libre, et qu'aucun rè- glement préventif ne détermine leur action. M. le vicomte Alban de Villeneuve, dans son Traité d'économie politique chrétienne, réclame aussi cette intervention de l'État, comme centre commun des efforts de la charité. « L'action du Gou- vernement, dit-il, livre V, chap. IL, $ 2, nous paraît indispensable pour donner à l’organisation des secours publics une forme com- plète et régulière, un centre commun de lumières, d'efforts et de puissance dont les rayons puissent s'étendre jusqu'aux extrémités les plus reculées du royaume. » Et plus loin, $ 5, il ajoute : « Nous pensons que le Gouvernement doit prendre officiellement la haute et noble mission de veiller à l'amélioration du sort des classes indi- gentes , en réunissant, comme en un faisceau, les efforts de la charité individuelle et de la charité publique, en les excitant, en les diri- geant vers un but commun, en faisant servir som autorité et les moyens nombreux dont il dispose, à seconder et favoriser l'esprit de charité, et enfin, en faisant coordonner la législation avec le système des secours publics. » Les avantages incalculables d'une organisation des associations charitables n'avaient pu échapper à la haute intelligence, à la sol- licitude philanthropique du grand roi Charles-Albert, Par ses ordres, des enquêtes furent faites avec le plus grand soin sur la situation des établissements de charité dans toute la Sardaigne, et il fut prouvé que les vices, résultant de Ja diversité administrative de ces institutions, étaient incontestables. C'est pour y remédier que fut. publié l'édit de 1856. Il avait pour but de placer tous les établisse- ments de bienfaisance sous le régime d’une loi générale, de les sou- mettre à un système financier uniforme. L'examen des comptes y a deux objets : maintenir la régularité dans les recettes et les dé- penses, et mettre au grand jour l'administration bonne ou mau- (11) vaise de chaque institution. L'édit n’a pas hésité à soumettre à ses prescriptions même les établissements privés, sil s'y rattache un intérêt public quelconque, « Autre chose serait la charité légale, dit le ministre de l'intérieur, dans son rapport au Roi à l’occasion de cet édit, qui ôterait à la bienfaisance sa spontanéité, la charité légale, qui consacrerait le droit au secours, principe qui apporte la plus déplorable entrave à la prévoyance individuelle, qui détruit les habitudes de l'économie, qui détend le ressort de la responsabilité humaine; autre chose serait un système qui consisterait à réunir dans les mains de l'État tous les revenus des établissements de bien- faisance, qui consistérait à attribuer au Gouvernement le monopole des secours et à renverser ainsi sur ses bases le principe de la cha- rité privée; autre chose enfin serait de détourner les fondations charitables de la destination que leur assignent les bienfaiteurs. Placer l'administration des établissements sous la surveillance de l'État n’a rien de commun avec ces systèmes, à moins que le bon ordre dans la comptabilité, l'économie sans parcimonie ne soient des éléments propres à dénaturer la charité; à moins que le dés- ordre ne soit un des attributs de la spontanéité humaine et que le gaspillage du trésor des pauvres ne soit un stimulant pour les bien- faiteurs et un profit pour les assistés. » L'édit de Charles-Albert fut accusé de centralisation excessive ; cependant le succès en fut général et complet, et les améliorations ont été de jour en jour s'accroissant sous la double influence d'une comptabilité régulière et de la surveillance assidue et organisée du pouvoir central. Nous ne citons cet exemple d'organisation que comme une preuve contemporaine acquise des résultats avantageux d'une sage organi- sation des associations charitables. Nous dirons plus tard comment nous croyons que l'administration chargée de ce soin pourrait être organisée, et les attributions dont elle devrait être investie pour produire tout le bien dont elle est susceptible, en évitant les abus auxquels elle ne pourrait que trop souvent se laisser entrainer, C'est au pouvoir central, par les mesures simples et bienveil- lantes qu'il prendra, par la manière prudente et sage dont il exer- cera l'autorité qui lui sera attribuée, qu'il incombe de tâcher d'ob- (12) tenir la confiance de ces associations, de les amener à reconnaître l'utilité de la publicité de leurs actes et de leur administration, de la réunion des pensées dirigeantes des différents chefs des associa- tions en un centre commun, pour s’y harmoniser et s'entendre mu- tuellement sur le but essentiel de leur action. C'est à ce point de vue qu'il faudrait peut-être reconnaître à la charité collective un caractère mixte. En effet, c'est suivant le plus ou le moins d'activité qu'on attribuera au pouvoir central que la charité collective se rapprochera davantage de la charité constituée par voie d'autorité, ou qu'elle conservera plus d'affinité avec la cha- rité individuelle; mais, on le comprend facilement, ce point de qualification est tout accessoire. Ge qui est essentiel, c’est le prin- cipe que nous avons énoncé de l'indépendance dont les associations charitables doivent jouir comme la charité individuelle, indépen- dance que la loi doit respecter, et même défendre avant tout. On le voit, nous ne nous occuperons guère de la charité indivi- duelle. Nous espérons rencontrer la haute pensée qui a inspiré l’Académie, lorsqu'elle a posé cette question au concours , en essayant d'établir les rapports de la charité collective ou organisée avec la charité publique, en indiquant la route qu'il serait désirable de voir suivie par chacune d'elles pour arriver à la solution du problème le plus important de notre état social, l'amélioration morale et maté- rielle des indigents. Nous ne mentionnerons la charité individuelle que pour indiquer de temps à autre la part d'action qu'elle peut prendre dans l'une ou dans l’autre de ces organisations, pour men- tionner l'appui que celles-ci devraient pouvoir rencontrer chez les particuliers et indiquer les moyens les plus propres à obtenir leur coneours. En un mot, nous tâcherons de concilier les droits de la liberté avec les devoirs de la société. Puissions-nous, c'est notre unique vœu, avoir émis une seule idée capable, par sa mise en pratique, d'apporter quelque soulage- ment aux maux qui affligent de nos jours les classes souffrantes de la société! PREMIÈRE PARTIE. Afin d'exposer d'une manière précise et pratique la part légitime et utile à attribuer à la charité privée et à la bienfaisance publique dans l'organisation de l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société, il est indispensable d'être d'accord sur le mode d'orga- nisation de cette assistance; il faut, d’une part, fixer les limites que l'on ne peut franchir sans s’exposer à tomber dans les folles préten- tions des utopistes; il faut, d'autre part, assigner autant que possible les devoirs que l'homme vivant en société a à remplir envers les autres hommes frappés par le malheur, et la mission qui incombe à la société sous ce rapport. Il est incontestable que les secours publics, s'ils sont sagement organisés, doivent soulager efficacement la misère et concourir puis- sarmment à l'amélioration morale et matérielle de la classe nécessi- teuse. La charité privée, soit individuelle, soit collective, doit s’ef- forcer d'atteindre le même but. Ce principe, admis par tous avec cette unanimité, témoignage infaillible de la vérité, a subi dans la pratique les applications les plus diverses : invoqué par la routine que toute innovation eflraie, il guide l'homme généreux et dévoué, qui remplit la sublime mis- sion de consacrer sa vie au soulagement et à l'amélioration du sort de ses semblables ; enfin, il est inscrit sur le drapeau des plus audacieux utopistes. Tous s'en prévalent; chacun prétend marcher dans la voie qui mène le plus directement à cette organisation qui parait être l'objet de tous les vœux et que tous veulent réaliser. Nous ne tenterons pas de réfuter Loutes les erreurs qui se sont (14) produites à ce sujet; ce serait au-dessus de nos forces. Nous laissons cette tâche aux esprits éminents que leurs études et la supériorité de leur intelligence habituent aux méditations profondes de la phi- losophie. Il leur appartient de relever le drapeau de la vérité, de dissiper les nuages dont on veut l’entourer, dans l'espoir de dérober sa lumière aux regards des hommes. Nous nous sommes spécialement appliqué à étudier le remède qu'il est possible d'apporter au mal dont souffre la société, à recher- cher les moyens les plus prompts et les plus efficaces pour détruire le paupérisme ou du moins pour en arrêter les effrayants ravages. Faut-il, à cet effet, recourir à des théories vagues dont la mise en pratique bouleverserait tout ce qui a existé jusqu'ici? Faut-il se lancer dans des expériences dont les résultats sont plus que douteux et dont le moindre danger serait, en cas d’insuccès, d’avoir posé des principes dont on devrait tôt ou tard subir les désastreuses con- séquences ? Faut-il proclamer le droit au travail, ou s'engager dans une voie qui mène plus ou moins directement au socialisme? Nous croyons que l’on peut éviter ces écueils, en se gardant de la funeste prétention d'innover. Nous rencontrons partout des institutions gé- néreuses et utiles fondées dans le louable but de venir en aïde aux malheureux ; nous voyons fonctionner dans tous les pays des établis- sements aussi nombreux que variés de prévoyance et d'assistance, dus tant à la bienfaisance publique qu'à la charité privée; nous trouvons dans ces essais les éléments de ce que nous croyons devoir être le véritable mode d'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société? Il faut combiner ces essais, les généraliser, les com- pléter; c'est une synthèse à établir, une chaîne à former avec des chaînons déjà fabriqués, et son principal mérite sera, nous eroyons pouvoir le dire, d’opposer une barrière infranchissable au torrent démoralisateur qui menace d'engloutir la société et la civilisation. Le mode actuel le plus généralement en usage pour l'emploi des ressources de la charité, pour la distribution des secours aux in- digents, est le système de distribution des secours à domicile. Des règlements, émanant des autorités publiques, tracent dans la plu- part des villes de notre pays des règles fixes qui doivent présider et président en effet à l'organisation des secours publics. Des atom rtinrids éco innt dde he (15) comités de charité sont établis, et les administrations de bienfai- sance répartissent proportionnellement au nombre des familles pau- vres que chacun d'eux comprend, les secours en pains et en argent qu'elles se trouvent à même d'accorder. Les membres des comités sont chargés des distributions aux familles. La charité individuelle s'empresse de faire des aumônes au mal- heureux qui lui expose ou dont elle apprend les souffrances; elle Jui fait part de son superflu, elle s'impose même des privations pour soulager l'infortune qui la touche. La charité collective organise des distributions d'aliments, de vêtements, de secours pécuniaires qui n'offrent pour la plupart de différence avec la distribution des secours publics que la source d’où elles proviennent et la qualité de ceux qui en sont les dispensateurs. On peut, par ce moyen, venir momentanément en aïde au pau- vre, c'est lui procurer un palliatif passager de ses souffrances; mais, à quelques rares exceptions près, on ne fera rien pour améliorer l'état matériel de l'indigent, pour le faire sortir de son état de gêne, et, il faut le reconnaître, ce système laisse entièrement à l'écart ce qui peut contribuer à son amélioration morale. « On semble perdre de vue que les améliorations matérielles dépendent en grande partie de l'élévation morale des individus (1). » Tout est dans le présent, rien n’est préparé, rien ne restera pour l'avenir. « Et cependant tel devrait être le caractère du secours bien placé, c’est de mettre ceux qui le reçoivent en état de s’en passer bientôt (2). » Le but n’est donc pas atteint, et, s’il ne l’est pas, c’est parce que, selon nous, l’organisation des secours à domicile ne repose pas sur le principe qui est la base de la charité, et dont les distributions de secours ne doivent être que l'application. Il faut done la rejeter, ou du moins, qu’au lieu d'être la règle, elle ne soit plus que l'exception. Ce principe fondamental, c'est dans l’état social qu'il réside. L'homme en naissant fait immédiatement partie de la société : il a, par cela seul, des devoirs à remplir ; mais il acquiert en même temps (1) Théodore Fix, Observations sur l’état des classes ouvrières. Paris, 1846, p. 406. (2) Du paupérisme dans la ville de Paris, par Vée. Journal des Écono- mistes. Bruxelles, 1845, t. 1, p. 179. (16) droit à l'appui de ses semblables, à la protection de la société qui s'exerce par le gouvernement et par les lois. Cette protection, cet appui doivent se faire sentir en toutes cir- constances, et tous y ont également droit. Ainsi, d’une part, l'homme favorisé de la fortune y trouve la sé- curité, la garantie de la conservation de ce qu'il possède. D'autre part, l'ouvrier, celui qui pour vivre dépend de son travail, doit y rencontrer toutes facilités pour mettre à profit son activité et son intelligence. C'est surtout pour ce dernier que la société doit être vigilante et qu'elle ne peut laisser échapper aucune occasion de le protéger et au besoin de le secourir. « Ministres visibles de la Providence, les Gouvernements ont pour but d'assurer à tous les membres de la so- ciété, justice, protection, liberté. Institués uniquement pour le bonheur des peuples, leurs soins doivent s'étendre aux pauvres bien plus qu'aux riches, aux faibles plus encore qu'aux puissants. Les malheureux doivent trouver en eux un appui tutélaire (1). » Le législateur a de ce chef une mission aussi élevée que délicate; pour la remplir, il ne doit pas moins s'éclairer des leçons de l'expé- rience et de l'histoire, que consulter les principes immuables de la science économique. Sous ce rapport, sa tâche est de la plus haute importance, car il ne doit rien négliger de ce qui peut contribuer à accroître la richesse nationale. I] faut donc y comprendre tout ce qui concerne la législation économique du pays, le système des douanes, les impôts de toute nature. On comprend l'influence que la solution de ces questions exerce sur le développement de l'in- dustrie et du commerce, sur la demande du travail, sur le taux des salaires, sur la population. A ce point de vue, les lois de l'économie politique doivent servir de guide au législateur. Cette science seule, dépouillée de tous préjugés, de toutes préventions , peut indiquer au législateur la voie qu'il doit suivre pour rendre son peuple riche et heureux. C'est son devoir d'y marcher résolôment , et il obtiendra les plus beaux résultats. (1) Économie politique chrétienne, par le vicomte Alban de Villeneuve, liv. IV, chap. I. (17) N'est-ce pas, en effet, en favorisant le développement industriel et commercial de la nation que le législateur ouvrira aux indivi- dus une source abondante et perpétuelle de travail ; qu'il leur four- nira les moyens de se proeu rer, au meilleur marché possible, tout ce qui leur est nécessaire pour subsister eux et leur famille; qu'il leur permettra par cela même de faire des économies ; qu'il leur ouvrira enfin la voie qui mène sûrement et directement à la propriété et au bien-être ? L'artisan honnête, moral et laborieux à , lui aussi et tout d’abord besoin de la sécurité et de l’ordre, sources premières et conditions essentielles du travail et du crédit; et c’est à l'organisation sociale à les lui assurer. « Nous sommes arrivés à l'objet principal des lois: le soin de la sûreté, dit Jérémie Bentham (1). Ce bien inestimable, indice distinetif de la civilisation, est entièrement l'ouvrage des lois : Sans lois, point de société; par conséquent, point d'abondance, ni même de subsistance certaine. » « La loi ne dit pas à l’homme, ajoute ce grand jurisconsulte : travaille et je te récompenserai, mais elle lui dit: travaille et les fruits de ton travail, cette récompense naturelle et suffisante, que sans moi tu ne pourrais conserver, Je t'en assurerai la jouissance, en arrêtant la main qui voudrait les ravir, Si l'industrie crée, c’est la loi qui conserve; si au premier mo- ment, on doit tout au travail, au second moment et à tout autre, on est redevable de tout à la loi. » Il faut que l'ouvrier rencontre, en outre, au sein de la société où il vit, des lois protectrices qui lui permettent de donner un libre essor à son amour pour le travail, à son zèle, à son intelligence; qu'il y soit établi des institutions de prévoyance, des caisses d'épargnes, des associations de mutualité qui le mettent à même de joindre l'é- conomie au travail, de faire fruit de ses épargnes et de s'en crécr une ressource pour le malheur ou même un capital pour l'avenir. Le législateur a, de plus, des devoirs qui lui sont imposés par l'humanité et par la morale. Il ne peut laisser le travailleur livré sans défense à la cupidité de son maitre; il doit donc prescrire à ce der- nier des règles qui seront la garantie de la santé, de l'instruc- (1) Principes du Code civil, 1° partie, chap. VIT. Toue V. 2 (18 ) tion, des bonnes mœurs de l'ouvrier, mais compatibles en même temps avec la liberté des transactions. Ainsi, dans plusieurs pays, il existe des lois sur le travail des enfants dans les manufactures. Ces mesures sont dictées par l'humanité; elles ont, en outre, pour but de garantir d’un dommage certain le corps social tout entier, en arrêtant la dégénérescence et l’affaiblissement des générations qui nous suivent. On n’eût pas dû s'arrêter à ce premier pas. On eût dû reconnaître qu'il y avait aussi quelque chose à faire pour les travailleurs adultes, pour les préserver des influences funestes à leur santé et à leur mo- ralité. Nous mentionnerons, par exemple, la surveillance des ate- liers pour qu'ils offrent toutes les garanties désirables de salubrité; les règlements qui prohiberaient le mélange des sexes dans les usines, qui faciliteraient à l’ouvrier l'accès à un degré plus avancé d'instruction, qui fixeraient tout ce qui se rapporte aux livrets, qui établiraient partout la juridiction paternelle et équitable des prud'hommes, en même temps qu'ils leur attribueraient, conjointe- ment avee l'autorité, la surveillance de l'exécution des lois concer- nant le bien-être moral et matériel de la classe ouvrière, sürveil- lance que ces juges bienveillants et éclairés exerceraient mieux que personne, Il faut le reconnaître, des lois sont indispensables pour sauve- garder les droits des travailleurs sous le régime de liberté et d'indé- pendance dont jouit l'industrie de nos jours; car, par suite de la concurrence, que devient l'individu isolé, s'il est abandonné à ses propres forces, si la société ne veille pas sur lui? Évidemment il subit la loi de la nécessité; il doit vivre avant tout, lui et sa fa- mille, et il sera forcé de ne reculer devant aucun sacrifice pour se procurer du pain; il sera à la merci d’un maître dont le seul but est de grossir le plus possible les profits de son industrie, la santé et les mœurs de l'ouvrier dussent-elles en souffrir les plus fâcheuses atteintes. C'est au législateur et à lui seul qu'il incombe de prévenir ces déplorables abus. Il ne peut donc négliger aucun de ces points sans faillir à son devoir, et pour l'accomplir, il doit concilier le principe de liberté, condition essentielle de la prospérité de l'industrie et (19) du commerce, et par suite, de la richesse des nations, avec les lois immuables et suprêmes de la morale et de humanité. « Mais si le Gouvernement doit complétement s'abstenir du plus grand nombre des fabrications, il ne doit pas néanmoins les laisser en dehors de sa surveillance. Il est tenu rigoureusement, au contraire, de veiller attentivement à ce que, dans l'industrie, les grands principes de la civilisation ne reçoivent aucune atteinte, à ce que les lois de l’hu- manité y soient observées, à ce qu'il ne s'y commette aucune infrac- tion aux règles suprêmes introduites depuis un demi-siècle dans le droit public des États. 1} ne lui appartient pas seulement de pré- server la vie des hommes des dangers auxquels elle peut être expo- sée dans les labeurs de la production , il doit être le gardien de la morale non moins que de l'hygiène publique (1). » C'est encore pour l'autorité, comme pouvoir protecteur des classes ouvrières, une mission bien importante que celle de veiller à ce qui concerne la santé et la salubrité publiques. La législation et la ju- risprudence s'accordent pour lui reconnaître le droit de prendre, à cet égard, les mesures réclamées par la science, dussent-elles froisser des intérêts privés. Déjà les lois du 14 décembre 1789, du 16-24 août 1790 et du 19-22 juillet 1791 autorisaient les administrations municipales à prescrire ou réglementer tout ce qui est essentiellement nécessaire au maintien de la salubrité. Des arrêts de la cour de cassation de Belgiquedes 6 et 10 février 1851 (2), ont reconnu que les dispositions de ces loïs sont encore en vigueur en Belgique, et qu'elles n'ont été que confirmées par les articles 78 et 90 de la loi communale da 30 mars 1836. Il appartenait à un gouvernement éclairé d'entrer dans la pra- tique par la voie de dispositions générales à ce sujet. C’est ce qu'a fait le Gouvernement belge pur sa circulaire du 12 décembre 1848. Elle recommande l'institution de comités locaux de salubrité, char- gés de rechercher les causes de toute nature qui agissent sur la santé publique dans leur ressort, et les améliorations à introduire dans (1) Michel Chevalier, Cours d’économie politique, année 1842-1845, 21° leçon. (2) Pasicrisie , 1851, Ir partie, pp. 287 et 150. ( 20 ) les diverses localités, sous le triple rapport de l'assainissement des rues et des habitations, du manque absolu ou de la mauvaise con- struction des égouts et de l'insuffisance des eaux nécessaires aux habitants pour leur usage personnel et pour l'entretien de la pro- preté de la voie publique. Pour obtenir ces améliorations, le Gouvernement fit appel à l'in- tervention simullanée des communes, des établissements de bien- faisance, des provinces et des particuliers, et il s'attacha à répartir le plus équitablement, d'après les rapports qui lui furent soumis, le crédit que les Chambres avaient ouvert au Ministre de l'intérieur par la loi du 18 avril 1848; la circulaire du 18 juin 1849 énumère les bases principales de cette répartition. Le Gouvernement invita ensuite les commissaires voyers à faire part aux députations permanentes, dans des rapports semestriels, des résultats obtenus, de leurs observations et des mesures dont ils croiraient devoir proposer l'adoption par l'administration supé- rieure. La cireulaire du 1* juillet 1850 détermine les points sur lesquels ils doivent particulièrement porter leur attention et leurs investigations. Un arrêté royal du 15 mai 1849 institua à Bruxelles un conseil supérieur d'hygiène publique, à l'effet d'examiner les rapports des comités locaux, de signaler ce qu'ils renferment de plus essentielle- ment utile et salutaire, et de donner son avis sur les mesures dont l'adoption sera proposée dans l'intérêt de la santé publique, ainsi que sur Loutes les questions d'hygiène qui lui seront soumises par le Ministre de l'intérieur. Ce conseil peut, en outre, prendre l'initia- tive de l'examen de toutes questions et faire toutes propositions qui lui sembleraient utiles dans l'intérêt de l'hygiène et de la salubrité publique. Enfin, un autre arrêté royal du 10 septembre 1850 porte nomi- nation d'un inspecteur général pour les affaires du service médical civil, de l'hygiène publique, de la médecine vétérinaire et des éta- blissements insalubres, lui continuant, en outre, les attributions que lui conférait déjà l'arrêté royal du 18 septembre 1845. C'est là, il faut le reconnaître, une organisation aussi sage que complète de ce service si difficile et si compliqué. L'expérience prouve (21) déjà les éminents services qu’elle rendra certainement au pays; et à cet égard, on ne peut assez exprimer le vœu que chacune des per- sonnes dont le concours est réclamé à ce sujet, continue à le prêter d'une manière aussi active et aussi intelligente. Elles pourront se rendre le témoignage d’avoir puissamment contribué à améliorer le sort des classes souffrantes de la société; le Gouvernement, aura de même, en ce qui le concerne, noblement accompli son importante mission. La charité privée, soit individuelle, soit collective, serait impuis- sante à cet égard; car elle n’agit que par la persuasion, et il ne peut plus en être question lorsque l'homme, emporté par un instinet cupide, oublie le respect qu'il doit à ses semblables et foule aux pieds les préceptes du législateur suprême. Il faut alors que la loi humaine intervienne pour proclamer et faire respecter les droits méconnus. Mais, dira-t-on, des associations pourront se former parmi les travailleurs; ceux-ci pourront s'organiser pour apporter quelque remède à ces graves abus. Sans doute; mais que pourront-ils sans l'appui de la loi? ne faut-il pas, s'ils veulent obtenir un résultat utile, qu'ils trouvent dans ses dispositions une base d'organisation, une protection efficace? D'un autre côté, nous aurons à craindre les prétentions exagérées de ces associations, les dangers qu'elles pour- ront, dans bien des cas, présenter pour l'ordre social. Nous verrons plus tard comment nous concevons encore possibles de nos jours les associations ouvrières dans un but de mutualité et les garanties que la société a le droit d'exiger d'elles. Avant la révolution de 1789, la loi n'avait pas à s'occuper des travailleurs, dont les priviléges des corporations garantissaient et protégeaient suffisamment les droits. Sans doute c'était une nécessité de l'époque. « La classe des travailleurs libres, peu nombreuse et peu considérée dans le monde ancien, commençait seulement à se développer dans le rajeunissement de l'Europe, sous l'influence du christianisme, au moyen âge. Mais alors elle était, si je puis parler ainsi, encore dans l'enfance. Elle se sentait faible et toujours me- nacée au milieu de cette société de fer qui paraissait ne reconnaître d'autre principe que la force. Vous représentez-vous la elasse des (2) hommes libres paraissant au milieu des lances de la féodalité, comme des herbes et des fleurs bien tendres et bien jeunes qui poussent au milieu des ronces et des épines! Tels furent ses commencements. Comment, si faible, au milieu de si grands dangers a-t-elle pu se conserver, croître, el enfin couvrir la face de l'Europe civilisée? Par l'association, et pour tout dire en deux mots, par les communes et les corporations des métiers. C'est là l'origine de ces corporations. Elles étaient des associations défensives, un bouclier dont on se couvrait pour ne pas être écrasé par la puissance féodale ou pour résister aux empiétements de la haute bourgeoisie (1). » Leur puis- sance prit bientôt d'immenses accroissements. Les corporations se suffisaient à elles-mêmes; elles pourvoyaient aux besoins de tous leurs affiliés, et leurs statuts leur assuraient à tous une haute et inviolable protection. Bien plus, elles arrivèrent à un degré de richesse et de puissance qui, donnant aux communes une impor- tance supérieure, les fit s'engager insensiblement dans cette lutte mémorable et sanglante contre les seigneurs qui ne finit qu'avec la ruine de la féodalité. L'institution des jurandes et des maîtrises survécut, en France, à la chute des libertés des communes absorbées par le pouvoir royal. En perdant leur influence politique, les corporations de métiers conservèrent leur esprit de mutualité; elles continuèrent à être la sauvegarde des droits de tous ceux qui en faisaient partie; elles furent toujours pour eux un appui formidable, et leurs statuts ne se bornaïent pas à leur octroyer protection et secours, ils étaient pour eux la source des plus importants priviléges. « Dans les villes, la fabrication était partagée en un certain nom- bre de corps de métiers, ayant chacun leurs priviléges et leurs mono- poles. On avait divisé le champ de la production comme la surface d'un damier par des lignes inflexibles; chaque petit carré avait été assigné à telle on à telle profession, à titre de domaine exclusif... Les in- dustriels étaient constitués en corps électifs, étroitement unis, ad- mettant dans leur sein qui leur plaisait et repoussant qui ne leur convenait pas... Les confréries religieuses qui unissaient les mem- (1) Rossi, Cours d'économie politique, I'° partie, 14° leçon. (25) bres d’une même profession , resserraient le lien commun. L'autorité royale reconnut et encouragea ces corporations. Saint Louis donna l'existence légale aux corps des marchands et aux communautés d'arts et métiers. Un édit de Henri HI, de décembre 1581, donna aux concessions particulières qui autorisaient ces corporations la forme et la puissance d'une loi générale. Il désigna l'institution sous le nom de maîtrises et de jurandes, et il y assujettit tous les artisans. Par un édit d'avril 4597, Henri IV appliqua la même mesure à tous les marchands. Enfin, Colbert, dans le but de faire progresser l’in- dustrie , réglementa avec un nouveau degré de généralité les arts et métiers (1). » Loin de nous la pensée de défendre les corporations. Le système des jurandes et des maïtrises, au point de vue économique, trou- blait l'ordre naturel, les lois essentielles du travail; elles introdui- saient le monopole là où n'eût dû régner que la liberté, et, sous ce rapport, dès le moment où l'ordre et la sécurité commencèrent à régner dans nos contrées, lorsque la liberté eût pu, sans danger, prendre son essor, c'est-à-dire après l'abolition de la féodalité, la richesse nationale fit une perte incalculable, privée qu'elle était des immenses progrès que la liberté eût fait faire à l'industrie et au commerce. « La plus grande latitude doit être laissée à l'initiative individuelle, en n'imposant au droit de chacun d'autre servitude que le respect des droits d'autrui ou de la communauté. Quand ces droits sont violés, la loi sévit, et dans cette force pénale se trou- vent à la fois le frein et la sanction de la liberté. Ainsi parlent les principes; voyons maintenant les faits. Les nations les plus glo- rieuses et les plus puissantes sont celles où l'initiative de l'individu s'exerce avec le plus de latitude; la communauté profite alors du jeu accordé à l'activité de chacun de ses membres, » (2). « L'histoire des générations antérieures et l'observation des régi- mes variés sous lesquels vivent tous les peuples actuels, concou- rent, avec les enseignements de l’économie politique, pour établir (1) Michel Chevalier, Cours d'économie politique, 1842-1845, 24: leçon. (2) L. Reybaud, De la liberté économique et des écoles socialistes ; JounnaL pes Écoxomisres, 1844, t. Il, p. 7. (24) que, toutes choses égales d’ailleurs, les sociétés humaines prospè- rent d'autant plus qu’elles jouissent de plus de liberté, que l'action individuelle y est moins gènée, moins restreinte, moins comman- dée par les classes dominantes ou par l'autorité publique. Gette vérité s'appuie maintenant sur des preuves assez nombreuses et assez puissantes pour que l'on soit autorisé à prédire qu'elle sera confirmée par toutes les expériences ultérieures des sociétés , aussi sûrement et aussi constamment que l'ont été les lois de la gravita- tion universelle pour toutes les observations astronomiques faites depuis Newton. Les populations qui la méconnaîtront encore y seront ramenées, tôt ou tard, par les maux que cette erreur fera peser sur elles et par l'exemple de la prospérité des peuples qui auront le mieux su la comprendre et l'appliquer. » La grande loi du progrès social est donc bien véritablement la liberté, et l'instinct qui, depuis dix siècles, a poussé les populations de l'Europe à s'avancer progressivement dans cette voie, ne les a pas trompées ; et les économistes, en combattant dans nos institu- tions tout ce qui restreint la liberté sans une nécessité démontrée, sont assurés de concourir ainsi très-efficacement à mettre les popu- lations en mesure de tirer le meilleur parti possible de tous les moyens mis à la disposition de l'intelligence humaine pour amélio- rer la condition des sociétés. » (1). Citons encore, à l'appui du prin- cipe de la liberté du travail, l'autorité de M. Rossi (2) : « Le travail libre, dit ee savant économiste, est un fait des temps modernes, un résultat de notre civilisation. Servile dans l'antiquité, quasi servile au moyen âge, là où les esclaves ont été remplacés par les serfs, il fut, dans une grande partie de l'Europe, affranchi par l'émancipa- tion des classes laborienses, lors de la formation des communes. La liberté du travail se trouve cependant limitée par le système des règlements et des corporations. » Ces corporations, produit nécessaire, dans leur temps, des circonstances où le travailleur se trouvait placé, seraient-elles com- (1) Le Socialisme et la Liberté, par A. Clément; Jounnar DES ÉcoxomisTes, 1848, t. II, p. 6. (2) Cours d'économie politique , 15: leçon. (25) patibles avec l'état actuel de la société en Europe, et plus particu- lièrement en France? Écartons d'abord la nécessité politique qui leur a donné naissance. Certes, les métiers n’ont pas besoin aujour- d'hui de s'organiser en corporations pour être protégés; la puis- sance publique leur suffit. Dès lors il est évident que la gêne, les frais et les pertes de temps qu'occasionnaient ces corporations, par cela seul qu'elles étaient des corporations, qu’elles avaient une orga- nisation et une administration à elles, seraient aujourd'hui sans but et sans compensation. Qui voudrait s'enfermer dans une cuirasse ou se couvrir d’un lourd bouclier, lorsque tout respire autour de soi la sécurité et la paix ? » Nous ne pouvons traiter plus amplement cette vaste question sans sortir du cadre qui nous est tracé par la question à laquelle nous avons entrepris de répondre. Bornons-nous donc à constater un fait : la protection qui, suivant les opinions diverses des écoles économiques, sera jugée vraie ou fausse, profitable ou inutile, mais, dans tous les cas, réelle et forte, que les institutions de cette épo- que octroyaient au travailleur. On ne parlait pas alors de la position matérielle, des besoins des ouvriers; et, en effet, le monopole in- dustriel qu'exerçaient les maîtres devait nécessairement réagir sur l'aisance des ouvriers; ce privilége exclusif ne pouvait profiter au maître sans sétendre, pour une partie au moins, au compagnon. La question de l'assistance des classes ouvrières par l'État ne se présentait donc pas sous le régime des jurandes et des maîtrises. Quant aux pauvres proprement dits, c'est-à-dire les infirmes, les incapables de travail et les individus ne travaillant pas, ils avaient recours à la mendicité, et les aumônes abondantes ne leur man- quaient pas. Les riches et nombreuses abbayes, les couvents, les châteaux suflisaient à fournir à leur alimentation. La population n'avait pas, d’ailleurs, pris à cette époque les développements con- sidérables qui se firent remarquer plus tard. Il est incontestable que l'émancipation du travail, les progrès des arts et de l'industrie favorisèrent l'accroissement de la population, et son extension de- vint même bientôt effrayante dans les grands centres industriels, où l'imprévoyance et l'immoralité firent les plus tristes ravages. Ces causes n'existant pas, ces effets ne pouvaient se produire. Le pau- ( 26 ) périsme, dans le sens moderne de ce mot, n'existait done pas; il eût été superflu pour les gouvernements de s'en occuper. Nous avons vu plus haut qu'au point de vue économique, le sys- tème des corporations était contraire aux principes. C'est ce que les économistes du XVII siècle reconnurent déjà, et ils le procla- mèrent dans leurs écrits : « Qu'on maintienne, dit Quesnay, dans l'énoncé d'une de ses maximes générales, l'entière liberté du com- meree; car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l'État, con- siste dans la pleine liberté de la concurrence (1). » Et : « En suivant ce système libéral et généreux , dit Adam Smith (2), l'établissement d’une liberté entière, d'une complète sécurité et d'une parfaite jus- tice est le seul et infaillible moyen d'assurer le plus haut degré de prospérité à toutes les classes. » C'est guidé par ces principes aussi justes qu'élevés, que l'illustre Turgot, contrôleur général des finances, rédigea et publia l'édit d'août 1776, par lequel les jurandes et les maîtrises étaient abo- lies; mais les réclamations violentes des intéressés parvinrent à en obtenir la révocation. Elles ne devaient pas longtemps en jouir. Les économistes du XVII siècle, comme nous venons de le voir, avaient proclamé l'injustice et les effets fâcheux des corporations; dès ce moment, la révolution économique était dans les esprits; elle devait nécessairement abattre ce système de privilége. Elle étendit sa puis- sante action sur les provinces de la Belgique, et elle y entraîna également la chute des corporations. L'arrêté des représentants du peuple du 19 brumaire an IV y rendit obligatoires les décrets de l’Assemblée constituante des 2-17 mars et 14-17 juin 1791. Les corporations d'arts et métiers étaient peut-être plus anciennes en Belgique que dans aucune autre partie de l'Europe. Les corps de métiers formaient nne organisation à la fois religieuse et militaire, et ils élevaient l'homme du peuple au niveau des franchises de la cité. Déjà du temps de Charlemagne, il est question des gildes ou corporations des marchands. Dans le XII siècle, les milices bour- (1) Physiocratie, 1e partie, p. 119. (2) Richesse des nations , p. 505. La (27) geoises apparaissent aussi fortes et aussi complètes que dans les âges suivants. A la bataille de Steppes (1213), nous voyons les bouchers de Liége se signaler par leur valeur et obtenir en récompense des prérogatives importantes. En 1252, l'empereur Frédérie II crut déjà, par un édit, devoir abolir les confréries, ou associations de tous les métiers, base de la résistance que rencontrait son autorité. Elles existaient sans doute depuis plus d'un siècle. A Bruges, à Gand, dès le XII° siècle, des séditions , des révoltes armées du peuple ont lieu : ce sont les tisserands, les foulons, les bouchers, les poissonniers, c’est-à-dire les principaux métiers, qui prennent les armes. Ils étaient si fortement organisés, il y avait tant d'union dans les esprits que, levés en masse, ils étaient non moins indomptables qu'indestructibles (1). C'était une nécessité de l'époque, que les corporations ne se bor- nassent pas à réglementer ce qui concernait la profession, mais qu'elles s’ingérassent dans la politique et dans la guerre; ou le bour- geois devait défendre ses priviléges acquis ou il voulait en conquérir de nouveaux. L'organisation des corps de métiers était le moyen in- faillible pour y parvenir. Ils y réussirent au point, qu'au commen- cement du XIV: siècle, les treize échevins de Gand , tous choisis par le peuple, l'étaient exclusivement par les métiers; les tisserands en nommaient cinq, les petits métiers quatre, et les foulons quatre. A Bruges, au XV° siècle, sur les treize conseillers formant le magis- trat municipal, huit étaient choisis parmi les différents corps de métiers. À Anvers, à Bruxelles, les corps de métiers avaient le pri- vilége de faire partie de la magistrature municipale. Dans cette der- nière ville, ils en formaient un des trois membres. Il en était de même à Malines, à Louvain, à Tournay. Cet ordre de choses dura jusqu'aux XVI et XVII siècles. A Louvain, le droit de concourir à l'élection des officiers municipaux, d'obtenir cette dignité, fut même encore conservé aux doyens des métiers, par l'ordonnance de CharlesIf du 17 décembre 1696, et lors de l'homologation de la coutume de Bruxelles, on y maintint le droit qu'avaient les corps de métiers de participer à la magistrature municipale, et celle-ci y reçut de (1) Moke, Mœurs, usages, fêtes et solennités des Belges. (28) nouvelles attributions. A Tournay, les statuts de métiers homologués par Charles VIF en 1424, avaient octroyé le pouvoir municipal aux doyens des métiers, et ce pouvoir ne leur fut retiré que par l'édit de Charles V, en 1521. On trouve dans un mémoire de M. Pycke (1) des détails étendus sur les priviléges politiques dont jouissaient les corporations des arts et métiers dans les Pays-Bas. Nous ne pouvons que renvoyer à ce sujet à ce savant travail. Il nous a suffi de tracer ici un rapide aperçu des prérogatives et des avantages que les corporations ac- cordaient à ceux qui en faisaient partie. Les ouvriers y rencontraient, en outre, de bonnes conditions de travail et des secours assurés. Les statuts réglaient les salaires du maître et de l'ouvrier, nous en avons la preuve dans les anciennes ordonnances. Celles d'Ypres, par exemple, de 1280, répartissent le salaire entre le maître et le valet, dans le métier des tondeurs, dans la proportion de 12 à 8, de 10 à 8, de 6 à 5 ou de 26 à 22, sui- vant les circonstances. À Bruges, les statuts des tisserands preseri- vaient que de 5 deniers, le maître en eût 5, le valet 2, et le maître fournissait, en outre, le métier et le local. L'ouvrier était donc traité de la manière la plus favorable. Dans l'industrie des draps, le valet était associé au maître pour une pé- riode déterminée, pour achever une certaine fabrication. Les fem- mes, les enfants des ouvriers y trouvaient également du travail; les statuts des métiers de Bruges citent les battenses de laine, les pei- gneuses, les fileuses, les rattacheuses, les éplucheuses. L’aisance devait donc être générale. Les statuts protégeaient, en outre, l'indépendance de l'ouvrier vis-à-vis du maître; ils assuraient à l'ouvrier malade les secours de la eaisse commune , à l'enfant le droit d'entrer dans la corporation de son père, à la veuve le privilége de continuer l’état de son mari, en mettant à sa place un valet. Les documents historiques nous au- torisent à croire que le salaire d’un simple compagnon , vers la fin du XHE° siècle, était d’une valeur de fr. 2 50 ç$ à 3 francs par jour. (1) Sur les corporations connues sous le nom de métiers; MÉmoiREs cou- RONNÉS DE L'ACADÉMWIE ROYALE DE BRUXELLES, 1826 et 1827, t. VI. (29 ) Les compagnons etles maîtres s'entendaient pour régler tout ce qui concernait la fabrication et les droits de chacun. A Ypres, par exem- ple, le règlement de 1280 admettait les valets à partager la surveil- lance du travail; elle formait deux inspections, composées chacune de six maîtres et trois valets. Chaque gilde ou confrérie, dans le Brabant et dans les Flandres, avait son tribunal du métier, le membre de la gilde y était jugé par ses pairs pour tout ce qui concernait sa pro- fession. À Gand, Jacques Artevelde avait été, en 1343, jusqu’à con- férer aux doyens des métiers une juridiction très-étendue : ils absorbaïent la magistrature locale, et ce ne fut qu'en 1540 que Charles V, dans sa Caroline, abolit cette juridiction, et porta par cela même un coup sensible à la puissance politique des doyens de métiers. Telle est en peu de mots la protection dont les lois cou- vraient l'ouvrier à cette époque si glorieuse de notre histoire. Elles ne se bornaient pas à lui assurer l'existence la plus honorable dans le travail, des secours considérables s'il ne pouvait travailler , elles lui permettaient même, s'il était assez riche pour quitter son premier état, de se faire recevoir dans la gilde comme maître, et il y deve- nait l'égal des francs marchands, pouvant arriver aux mêmes di- gnités, jouissant des mêmes priviléges. L'Assemblée constituante, voulant faire régner partout la liberté dont l'ère venait enfin de s'ouvrir, s'empressa de proclamer la li- berté la plus absolue de l'industrie. Par ses décrets des 2-17 mars et 14-17 juin 1791, elle supprima les corporations, les maïtrises et les jurandes. Elle inscrivit le principe de la liberté du travail en tête de la Constitution de 1791, parmi les droits du citoyen, et les prohibitions qu'elle établit n'eurent qu'un but, de prévenir tout acte qui pût, à l'avenir, ressusciter au sein de l'industrie, les priviléges et les corporations. « En haine des anciennes corpora- tions, dit Michel Chevalier (1), elle mit le principe d'association à l'index. » C'était l'excès contraire au régime antérieur, et de graves incon- vénients en résultèrent bientôt. (1) Discours d'ouverture du cours d'économie politique au Collège de France, en 1849. (30) « La liberté eut jadis trop d'entraves, disait un orateur du Gou- vernement daus une discussion à ce sujet ; depuis, la licence a été sans bornes. » « La révolution de 1789 ayant brisé le viuil attirail de la réglementation , qui ne pouvait s'adapter qu'à l'enfance de l'in- dustrie, la liberté seule est appelée à guider l'humanité vers de plus hautes destinées. Ce principe sacré à déjà réalisé des merveilles de- puis un demi-siècle ; il forme désormais la base de nos institutions el saura résister aussi bien aux vaines tentatives d’un retour vers le passé qu'aux décevantes inspirations d'esprits généreux qui s'égarent à la poursuite de la formule ambitieuse de l'organisation du travail. » « Mais la liberté industrielle demande , comme la liberté civile, tout un ensemble de lois qui en garantissent le maintien et qui en régularisent la marche. Quand le vieux moule du travail a été brisé, on n'a point imaginé de lui substituer le néant. Depuis lors, les efforts plus ou moins heureux du législateur, quand celui-ci est de- meuré fidèle à la pensée de la révolution, ont essayé de remplir le cadre si énergiquement ébauché en 1791. Sous l'ancien régime, les rapports entre entrepreneurs et ouvriers, les complications du com- merce, les conflits de l'atelier et de la fabrique demeuraient soumis à l'empire des règlements locaux ; l'autorité souveraine aurait eru s'abaisser en s'oceupant de ces intérêts d'un ordre inférieur. Mainte- nant que l'importance de ces questions est mieux comprise, la né- cessité d’un code industriel devient évidente pour tout le monde (4). » On sentit done en France, après la révolution, la nécessité d'étu- dier et de tracer les limites raisonnables dans lesquelles on devait restreindre la liberté, dans l'intérêt même des travailleurs, et, par le système actuellement en vigueur, on crut prendre un juste milieu entre le régime de 1791, qui ne leur imposait aucun frein, et le régime antérieur, qui les chargeait d'entraves. C'est le but que se proposèrent les lois sur le travail des enfants dans les manufac- tures, sur l'apprentissage, sur la police des livrets, sur la juridiction des prud'hommes, et il faudrait être injuste pour ne pas reconnaître les services éminents que cette législation a déjà rendus à la elasse (1) Wolowski, Loi sur les modèles et dessins de fabrique ; JounNaL DES ÉCo- NOMISTES , 1846, t. [, p. 261. (51) ouvrière el à la société tout entière, par une amélioration dans l'état moral et matériel des travailleurs, et par une prospérité sin- gulièrement plus grande de l'industrie. Ces modifications au régime de liberté absolue sont admises en principe par les économistes. « Tout en repoussant le système des juraudes et des maîtrises, dit M. Rossi (1), ainsi que tout système analogue, voulons-nous affirmer qu'aucune exception légitime ne puisse être apportée au système de liberté? voulons-nous ériger en principe absolu qu'il ne faille prendre aucun soin de la capacité et de la moralité des travailleurs? L'une et l'autre conséquence dépas- seralent notre pensée. » C'est donc à l'étude des mesures indispensables pour atteindre ce but, mais en se gardant bien d’aller au delà, que tout gouvernement intelligent et sage doit s'appliquer avant tout. C'est le premier pas que le législateur doit faire pour remplir cette partie si importante de sa mission à l'égard des classes souffrantes de la société, I doit la compléter en continuant à marcher dans la même voie, pour pres- crire et faire passer dans les mœurs les restrictions à la liberté que réclament l’ordre, la morale et l'humanité, et surtout en veillant rigoureusement à la mise en pratique exacte et générale de ses dis- positions bienveillantes et protectrices. Nous le disons avec une profonde conviction, et, dussions -nous paraître rétrécir le cadre de la question proposée en nous occupant plus spécialement de notre belle patrie, nous ne pouvons résister au désir de proclamer que, du moins en Belgique, au sein de nos populations, qui, dans des circonstances encore récentes et cepen- dant si difficiles, ont montré une noblesse de sentiments et un dévouement à nos institutions si justement admirés de tout l'uni- vers, malgré les excitations de tout genre, malgré l'exemple si dan- gereux d’une nation voisine et amie, renversant l'autorité légale et se lançant dans la carrière des révolutions (2), il est certain, quoi (1) Cours d'économie politique , 15° leçon. (2) Ces lignes étaient écrites lorsque le coup d'État du 2 décembre 1851 a mis un terme aux justes craintes que 1852 inspirait à la France et à l’Europe en- tière, par les menées et par les mouvements anarchiques que la Constitution de 1848 semblait lui promettre. Le principe de l'autorité a vaincu; il règne en (32) qu'en aient dit quelques écrivains, que l'immense majorité des tra- vailleurs est disposée à céder aux bons conseils, à marcher dans la voie de l’ordre et de l'honneur. Un grand nombre d’entre eux savent vivre honorablement sous l'empire des institutions actuelles. Comme le disait en termes éloquents, M. T'Kint de Naeyer à la Chambre des Représentants, dans la discussion sur le projet de loi concernant les sociétés de secours mutuels : « On ne saurait assez le répéter, il y a en Belgique un nombre très-considérable d'ouvriers qui mettent leur honneur et leur gloire à secouer de leurs propres mains le joug de la misère. » Peut-on douter qu'en voyant toutes les classes de la société, l'autorité elle-même, seconder leurs nobles efforts, ils ne pren- nent à cœur de répondre à l'appel qui leur sera fait pour continuer leur carrière? L'ignorance ou les préjugés sont les seuls obstacles qui s'opposent au développement des bons instincts des autres; ne nous rebutons pas; plus nous montrerons de dévouement et de zèle à fonder et à soutenir les établissements qui doivent contribuer à améliorer leur sort, et qui auront pour résultat leur élévation morale et matérielle, plus nous serons près de vaincre ces résistances et de les entrainer dans cette voie qui les mène à l’aisance et au bonheur. Le premier pas qu’ils y feront aura pour eux et pour la société d’im- menses conséquences. Elles sont développées en ces termes dans un travail de M. Rapet, inspecteur de l'instruction primaire à Paris (1) : « Le premier effet de la possession du bien-être, ou du moins d’un léger commencement de bien-être, est de relever l'être humain à ses propres yeux : c’est de lui apprendre à connaître sa dignité d'homme. » Quelle idée voulez-vous qu’il ait de la noblesse de son être, le malheureux condamné à vivre dans un bouge infect, couvert de vête- ments et quelquefois de haillons sordides, et réduit à une nourri- ture grossière que les ardeurs de la faim peuvent seuls décider à dévorer ? France. Soyons fiers, à juste titre, que le caractère sage et calme de nos popula- tions ait résisté, en 1848, à l'entrainement des idées révolutionnaires, et quels quesoient les événements que l'avenir nous prépare, il sera toujours glorieux, pour la Belgique, d'avoir traversé ces années d'orage sans secousse et sans émeule. (1) Du bien-être des classes laborieuses ; Jounvar pes Économisres, 1850, t. I], p. 297. (35) » Dans cet odieux état où , à la honte de l'humanité, nous rencon- trons encore beaucoup de malheureux dans nos villes et dans nos campagnes , l'homme a une existence matérielle inférieure à celle de quelques animaux. Rejeté au rang des brutes, il en a tous les instincts; il se vautre dans la boue des plaisirs les plus grossiers : il ne connaît que les jouissances des sens et ne les goûte même que dans ce qu'elles ont de plus abject. Dégradé physiquement et morale- ment , il n'a presque plus les sentiments de son espèce : sa pensée, dans le cercle restreint d'idées où elle se meut, est aussi immonde que son extérieur. Les miasmes délétères, nés de la malpropreté où il croupit, infectent même son esprit; son intelligence s’affaisse et s'éteint dans la pesante atmosphère du vice et de la débauche. Des passions brutales sont seules capables de le tirer de cet engourdis- sement où, comme l'animal, il ne songe qu’à entretenir sa vie. » Pour lui, la femme n'est qu'une femelle destinée à assouvir ses ardeurs bestiales; les enfants ne sont que des petits, pour lesquels il n'a pas même les sentiments que montre l'animal, car, plus dénaturé que celui-ci, il les repousse souvent loin de lui, et il s'en débarrasse comme d'un fardeau trop lourd. Aussi, pour lui, point de vie de famille, point de ces doux sentiments qui répandent tant d’attraits sur cette vie, et font que l'homme aime son intérieur, s'y plaît et recherche avant tout les joies que l’on goûte autour du foyer domes- tique. » Et comment s'y plairait-il? Tout y peint la misère et le dénù- ment; tout y exprime la souffrance; les yeux y sont sans cesse aflligés d'un douloureux spectacle ! Comment ne se hâterait-il pas de le fuir, pour aller au dehors respirer plus librement? Comment n'éprou- verait-il pas le besoin de s’étourdir sur une situation qu’il voit sans remède, et de chercher dans la perte de sa raison l'oubli des maux qu'il endure ? » Maïs qu'un rayon de bien-être vienne à luire sur la demeure auparavant désolée du malheureux ouvrier, dès lors tout change. Avec une habitation moins malsaine, moins fétide, moins nue, de nouvelles pensées s'éveillent en lui. Un mobilier moins délabré, moins dépourvu de ce qui rend la vie supportable, des vêtements moins usés, moins souillés par un long usage et par l'effet d'une Toue V. 3 (34) funeste indolence , font naître chez lui l'idée d'une propreté qui lui était inconnue. Autrefois, il lui eût été impossible de la faire régner sur lui et autour de lui; maintenant, il entrevoit la possibilité de l'entretenir , et il fait des efforts auxquels il n'aurait pas songé. Dès ce moment , il fuit la malpropreté, il a honte de l’état dans lequel il se montrait, il eraint tout ce qui pourrait porter atteinte à cette propreté dont il commence enfin à sentir le prix. » A mesure qu'il évite ce qui pourrait le souiller au physique, il commence à avoir horreur de ce qui souille et dégrade l'âme. Il rougirait de se laisser aller à des plaisirs orduriers, les seuls qu'il connût autrefois, et dans lesqnels on ne pent se plonger sans que le corps en conserve de honteuses traces. Ce qui n'était d'abord que la crainte d’une dégradation publique finit par devenir un dégoût pour la dégradation morale. La propreté du corps devient ainsi pour lui le premier pas vers l'épuration de Fâme. » Il commence à acquérir quelques notions de la dignité de l'être humain : ce n’est d'abord qu'un désir de ne plus tomber dans cet: état d’avilissement où l'homme se distingue à peine de la brute; mais peu à peu, à mesure qu'il sabandonne moins aux honteux penchants qui le dépravèrent, à mesure que l'être moral se sous- trait à l'empire de passions abjectes, il s'élève à des idées plus no- bles; il comprend ce qu'il n'entrevoyait pas autrefois ; il commence à goûter des plaisirs et à sentir des besoins dont auparavant il ne soupçonnait pas même l'existence. Ces nouveaux besoins deviennent à leur tour un nouveau stimulant qui le pousse dans la voie nou- velle où il est entré. ». Ainsi, avec les habitudes de propreté se développent aussi les habitudes d'ordre, si intimement liées aux premières; car la propreté se maintient rarement sans l'ordre. On veut conserver l'aspect agréa- ble d’un logement dont la vue commence à flatter les yeux et où l’on a appris à se plaire. Pour cela, on ménage, on économise, afin d'ajouter aux agréments d’une habitation où le bonheur a fait sa première apparition avec un peu de bien-être. On se retranche quel- ques-uns de ces plaisirs, dont on avait besoin autrefois pour sup- porter une position sans espoir d'amélioration, On se prive surtout de ces plaisirs qui, par la dépense qu'ils occasionnent et par l'oisi- PR ( 55 ) veté qui en est la suite, mettent dans l'impossibilité d'arriver jamais à une condition meilleure. On se retranche ainsi des joies bruyantes d'un moment, afin de se procurer le contentement plus calme, mais plus réel et surtout plus durable, que procure un intérieur agréable et commode. On s'impose des privations dans le présent, mais c'est afin d'assurer la continuité d'une existence devenue satisfaisante et de se ménager pour l'avenir un bien-être plus complet. Ainsi, l'ordre qui à été enfanté par la propreté donne à son tour naissance à l'éco- nomie. La pensée salutaire de l'avenir s'introduit là où l'on ne sa- vait que vivre au jour le jour. Or, sait-on bien ce qu'est pour l'ou- vrier la pensée de l'avenir? C'est l'ordre, l'économie, la prévoyance, Vactivité; c’est la réunion d'une partie des qualités qui contribuent le plus à la moralisation de l'individu. » Avec ce changement apporté par un peu de bien-être dans la vie matérielle, en surviennent aussi de non moins importants dans la vie du cœur et de l'âme. En rentrant, après le travail, dans un logis où sont à peu près réunies les choses qui rendent la vie agréa- ble, le mari et la femme se retrouvent avec plaisir ensemble. Aupa- ravant , la passion seule les rapprochaït : maintenant, ils sont unis par le sentiment d’un bien-être qu'ils partagent en commun, et dont la possession répand un nouveau charme sur Funion de leurs cœurs. Les enfants, qui étaient une charge, un fardeau, ajoutent un nouvel attrait au foyer domestique; on se laisse aller au plaisir de _ goûter leurs caresses ; parce que ce plaisir n'est pas empoisonné par li crainte de ne pouvoir les nourrir. Le cœur s'ouvre aux joies de la famille, à ces joies si douces, si pures, et devant lesquelles, une fois qu'on les a connues, palissent toutes les autres. » On s'attache à son foyer parce qu’on y trouve tout ce que l'on aime; on le quitte à regret, on y revient presque toujours avec un nouveau plaisir : c'est autour de lui que se concentrent toutes les pensées. On cherche à l'embellir, à y réunir ce qui plaît à l'un et à l'autre. Précédemment on regrettait la légère partie qu'on abandon- nait sur le fruit de son travail poar l'entretien du ménage; actuelle- ment on craindrait d'en distraire une faible partie pour des plaisirs que l'on prendrait seul. On regrettait presque la bouchée de pain qu'on jetait en pâture à des enfants affamés, et rien maintenant ne (56) coûte pour eux. C’est la pensée de ces êtres chéris qui soutient dans le travail; elle donne de nouvelles forces, elle fait redoubler d’ar- deur. Dès lors plus d'oisiveté, plus de chômages volontaires : tous les jours, tous les instants sont mis à profit, afin de maintenir et d'accroître le bien-être d'une famille aimée. » Pour l'accroitre encore plus, on ne cherche pas seulement à faire plus de travail, on veut le faire mieux. On sent le besoin de cultiver son esprit, de développer son intelligence : on veut lire, étudier, acquérir de nouvelles connaissances qui puissent se tra- duire en une nouvelle amélioration de sa condition. On profite de ces moyens d'acquérir de l'instruction que la société multiplie pour les pauvres, et qu'on avait dédaignés jusqu'alors. On s'élève ainsi dans la sphère sociale, par son activité, par son industrie, et chaque pas qu'on fait, en rendant la condition meilleure, engage à en faire de nouveaux. Mais à mesure qu'on acquiert de l'instruction, que l'intelligence se développe, de nouveaux plaisirs commencent à pa- raître : ce sont les plaisirs de l'esprit. Et à mesure qu'on commence à les goûter, on est d'autant moins disposé à s'adonner à ceux qui abrutissent. L'esprit s'ouvre à des pensées qui lui étaient étrangères; il comprend des choses dont il n'avait pas l'idée. » Moins déshérité de la nature, l'ouvrier apprend à en connaître les beautés; les merveilles de la création apparaissent à ses yeux qui y étaient restés fermés jusque-là. Son cœur reconnaissant ap- prend à s'élever vers le Dieu de toute bonté : il le remercie des bienfaits que sa main généreuse ne cesse de verser sur le monde, et dont il trouve qu'il a aussi sa part. Moins étranger aux bienfaits que la civilisation répand dans sa marche, il ne sent plus bouillonner dans son cœur la haine contre des riches qui jouissent abondam- ment des commodités qu'un travail pénible ne lui procure que dans une modique mesure. » Comme il participe aux avantages que la société procure à tous les citoyens, il comprend mieux la nécessité du gouvernement et le principe de son organisation : il obéit plus volontiers aux lois qui le protégent: il respecte mieux les magistrats qui font exécuter les lois à l'ombre desquelles il goûte en paix la douceur de son exis- tence actuelle. Il s'attache à un état de choses dont il est satisfait, et (37) bien loin de prendre part à ce qui pourrait le détruire, il redoute les troubles, les agitations, dont le premier effet est de suspendre le travail d'où découlent les avantages dont il jouit. » C'est ainsi que le bien-être pénétrant parmi ces classes labo- rieuses y devient un élément d'ordre et un gage de sécurité pour les États. » Nous n'avons pu résister au désir de retracer ici en entier, quelle que soit son étendue , ce tableau si touchant et tout à la fois si vrai, si admirablement exact de la situation d'une grande partie de la classe ouvrière. Il est tracé de main de maître, et nous n’eussions pu retrancher quelque partie sans porter atteinte à son haut mérite en le rendant incomplet. Il nous eût été impossible d'apporter une meilleure preuve à l'appui de nos principes, rien ne pourrait mieux faire comprendre les immenses avantages à résulter du développement des idées d'ordre et de prévoyanee parmi les travailleurs. Or, c'est heureusement encore une vérité, c’est qu'il n’est pas pos- sible que l'intelligence humaine, quelle qu’elle soit, résiste au désir du bien-être, au sentiment de légitime orgueil qu'inspire une hono- rable indépendance. Elle finira par céder, soyons en convaincus. « Ce qui nuit aux populations agglomérées des fabriques, dit M. Hippolyte Passy (1), et nous ajoutons à tont ouvrier en général, ce n'est pas tant l'insuffisance des salaires que le défaut de pré- voyance et de sagesse dans l'usage qu’elles en font. » Nous trouvons la conséquence de cette vérité dans un mémoire de M. Théodore Fix, sur la situation des classes ouvrières (2). « Élevez tous les ou- vriers au même niveau moral, dit cet économiste, donnez-leur à tous l'amour du travail avec des habitudes d'ordre et d'économie, et alors vous serez déjà parvenus à les faire vivre de leur salaire. » Il importe donc au plus haut point de s'occuper de ces graves questions. Il faut organiser, multiplier et faire prospérer dans chaque commune, dans tout le pays, ces établissements qui, à la portée de l'ouvrier, lui facilitent la conservation et l'administration (1) Rapport sur le prix quinquennal de L'Institut en 1845; JounNaL DES ÉconomisTEs, 1845, t. II, p. 146. (2) Jouexar pes Économisres, 1845, t. 1, p. 19. (38) du produit de son travail et lui inspirent l'amour du travail par le désir d'atteindre une noble indépendance ; leur prospérité sera la plus éclatante démonstration de leur utilité, et nous ne devons jamais l'oublier, comme l'a si bien dit M. de Cormenin, dans ses Entre- tiens de village : « L'épargne est, avec la religion, le plus grand mo- ralisateur du peuple. » C'est done dans les établissements de prévoyance de toute na- ture que consiste le second degré de l'assistance que l'on doit aux classes souffrantes de la société. Quelle doit être la part de la charité publique ou de l'État dans la création et dans le soutien de.ces établissements ? Deux positions essentiellement distinctes peuvent être prises par l'État : l'une de surveillance, de contrôle, d'encouragement, de direction toute bienveillante; l’autre de participation et d'action. Dans le premier cas, l'autorité administrative (peu importe qu'elle s'appelle gouvernement, si elle s'exerce par l'autorité directe du Roi et de ses ministres, ou administration provinciale, si c'est par le gouverneur et la députation permanente ou par le conseil provin- cial, ou, enfin, administration communale, si c’est par le collége des bourgmestre et échevins ou par le conseil communal), l'autorité administrative, disons-nous, examine avec la plus scrupuleuse at- tention la nature, le but et les ressources des établissements projetés ou déjà existants. Elle propose à la législature d'inscrire dans ses lois les principes de justice et d'ordre publie qui doivent présider à toute organisation de cette nature pour être sage et utile, et-elle veille, avec la sévérité la plus implacable, à l'exécution des prescrip- tions législatives. Il'appartient donc au législateur de fixer les conditions que ces insti- tutions doivent réunir pour ponvoir se former sous sa protection et pour jouir des faveurs qu'il leur accorde; la loi tracera à cet effet le cercle dans lequel elles devront cireonscrire leur action ; la marche à suivre pour qu'en toutes circonstances, l'autorité puisse exercer son contrôle et acquérir la certitude qu'elles ne négligent ancun des devoirs que leur imposent leur caractère et le but qu’elles doi- vent atteindre; enfin, elle exige des personnes et elle s'assure, sur les biens des administrateurs, les garanties réclamées par l'importance | (39) des intérêts dont ils prennent la gestion. L'épargne de l’ouvrier est un bien sacré: e'est le fruit d'un travail pénible, c'est la part que l'indigent sage et éclairé retranche à ses plaisirs en vue de s'assu- rer l'avenir, c'est, certes, le dépôt le plus précieux; dès lors toute atteinte portée à son intégrité est ua crime que les lois doivent s'effor- cer de prévenir et qu'elles doivent, le cas échéant, punir avec sé- vérité, Lorsque ces institutions seraient fondées ou administrées par des chefs d'atelier , l'autorité doit veiller, en outre, à ce que les éco- nomies de l'ouvrier rencontrent des garanties solides d'un emploi utile qui les mette à l'abri des catastrophes financières qui peuvent se présenter. Il faut que, si le maître vient à faillir, il ne puisse, en aucun cas, entraîner dans sa perte le péeule de celui qui travaillait sous ses ordres; il faut, en outre, que la caisse de prévoyance ne puisse jamais devenir une chaine qui lie l'ouvrier à son maitre : le travailleur doit rester libre de louer son bras à qui il juge bon; s'il éprouvait des entraves à ce sujet, sil avait besoin de protection, il doit la trouver dans la loi et dans la vigilance paternelle des pou- voirs publics. L'État peut favoriser la création de ces établissements à la portée du pauvre, soit en accordant des locaux nécessaires, soit, s'il le faut, en leur vetroyant une somme indispensable pour leur institution première; il pourra même, par un subside extraordinaire, venir en aide à celui que des circonstances fortuites mettraient dans une position précaire. [l encouragera de cette manière les efforts géné- reux faits pour soulager la misère, mais qu'un défaut de ressources empêcherait d’être fructueux. Sous ce rapport, il faut bien se garder de perdre de vue le principe que l'intervention de l'autorité est toute volontaire. Il n’y a dans ce concours rien d'obligatoire : aussi est-il nécessaire que l'État soit amplement renseigné sur la marche dé chacun de ceux qu'il voudra secourir, pour aider surtout ceux qui le méritent le plus par leur activité et par leur dévouement. Ce sera là le meilleur des encouragements, la juste appréciation, la récompense éelairée des services rendus. Enfin, pour tous les établissements de prévoyance, l'autorité doit être au besoin uné source de bons conseils : elle doit posséder tous (40) les renseignements utiles à leur fondation et à leur marche, pour les mettre à même de profiter des leçons de l'expérience. Comme nous le dirons plus tard avec plus de détails, c'est d'abord au sein de chaque commune, puis aux chefs-lieux de province, et en troisième lieu, au siége du gouvernement que doit s'exercer cette surveillance, que doivent se rencontrer ces encouragements, ces précieuses indications. L'unité de vues, l'impulsion générale et uni- forme, si profitables, nécessaires même pour faire le bien, rendent donc extrêmement utile l'organisation d'une administration centrale de prévoyance et de bienfaisance, se trouvant en rapports directs avec des administrations de même nature, établies dans chaque province et dans chaque commune. Cest le seul moyen de faire régner entre les établissements de prévoyance et d'assistance d’un même pays, l'égalité la plus grande possible. Nous voyons, dans nos gouvernements, la centralisation réunir sous une même direction des branches très-diverses de l’adminis- tration, et ce, tant de l'administration proprement dite que de l’ad- ministration des finances ou de celle des travaux publics. Il semble que la centralisation des services publics contribue à leur donner une unité d'action nécessaire et utile. Notre siècle, en particulier, a paru tenir fortement à rattacher à ce principe tous les services publics; on a cru y trouver un moyen d'établir l'égalité par tout un pays, d'effacer les différences si sensibles qui résultent nécessaire- ment des natures si diverses des personnes et des choses. On l'a installée au nom de la justice nationale, qui ne doit voir partout que des citoyens égaux devant la loi. Nous ne discuterons pas son mérite pour ce qui est étranger à la bienfaisance. Nous passerons sous silence les entraves qu'elle apporte aux nobles élans de la liberté et de l'intelligence individuelles, aux développements de l'énergie publique qu’elle énerve, en gardant toute l’action administrative, les étreintes dans lesquelles elle étouffe les principaux ressorts de l'activité et de la dignité humaines, les nombreuses injustices qu’elle commet en voulant être juste, enfin, les souffrances, les dommages qu’elle occasionne presqu'en toute circonstance, par la lenteur désespérante de son action, souvent même par son ignorance des besoins ou par l'impuissance où elle se (4) trouve d'y faire face. « Croit-on, demande M. Amédée de Cesena (1), qu'en Angleterre plus qu'en France, les volontés individuelles auraient pu agir avec cet élan et cette puissance qui ont réalisé tant de progrès, si, au lieu de s'épanouir dans une atmosphère d'indépendance locale, où elles contractent de bonne heure l'habi- tude de l'initiative et de l’activité, elles avaient été accoutumées à être dirigées à la lisière par l'administration ? Non, certes. Alors il serait arrivé en Angleterre ce qui existe en France, où l'État, en se réservant le monopole de la conduite des affaires, et en substituant dans toutes les sphères son action collective à l’action individuelle, a graduellement habitué la société à se reposer sur le gouverne- ment du soin de tout entreprendre et de tout faire. Si l’on veut que le mal disparaisse, c'est dans sa cause qu'il faut l’attaquer, c’est la centralisation administrative qu'il faut détruire. » Ce mot de centralisation, telle que l’a mise en pratique la bureau- eralie administrative, effraie tout homme doué d'activité et d’intel- ligence ; il effraie surtout, à juste titre, croyons-nous, lorsqu'il est prononcé là où il s'agit de la charité, lorsqu'il semble devoir s'appli- quer d'abord à la bienfaisance publique, mais même à la charité privée. Non-seulement une administration générale et permanente semble en ce cas inutile, mais elle paraît être de nature à entraîner de grands dangers. Elle cherchera à prouver qu'elle n’est pas inutile; elle se donnera un mouvement souvent factice, qui deviendra bien des fois un embarras si pas un obstacle. Elle voudra se mêler de tout, dire son mot dans toutes les discussions, mettre la main dans toutes les affaires : les prétextes ne feront jamais défaut. L'action indépendante de la charité privée sera bien vite menacée et compro- mise. Quelle serait d'ailleurs, peut-on ajouter, l'utilité d’une sem- blable administration, spécialement dans notre pays, en Belgique, où nous avons su conserver si vigoureuses ces institutions provin- ciales et communales que l'étranger nous envie? Le but d'unité et d'harmonie qu'on poursuit n'est-il pas atteint aujourd’hui ? Nous reconnaissons, sans doute, qu'il existe dans notre pays des (1) De l’organisation communale, cantonale et départementale; Jounar pes Écoxomisres, 1849, t. 1, p. 182. (4) lois spéciales, régissant les établissements de bienfaisance. Les lois provinciale et communale fixent l’organisation, les attributions, la limite des pouvoirs des administrations de bienfaisance; elles déterminent le contrôle que le conseil communal et la députation permanente ont le droit d'exercer sur les actes de ces administra- tions, ceux de ces actes qui ne peuvent être posés qu'avec leur au- torisation préalable; nous rencontrons dans l'un de nos départe- ments ministériels une division spéciale, ne s'occupant que de l'exécution des lois en matière de bienfaisance. Enfin, lorsque quelque point important est à régler législativement ou adtministra- tivement, des commissions lemporaires, composées d'hommes spé- ciaux, apportent avec émpressemen£ le tribut de leurs lumières et de leur dévouement. Mais nonobstant cette organisation, il ne nous sera pas difficile d'établir que de nombreuses lacunes se font sentir, qu'il existe une foule d'imperfections et même de vices, auxquels le système actuel est impuissant de remédier, et qu'il est cependant urgent de faire disparaître. Si nous examinons la législation concernant la bienfaisance pu- blique, nous nous trouvons en présence des lois spéciales, il est vrai, mais tellement nombreuses, tellement difficiles à concilier que, de l'aveu même des fonctionnaires les plus studieux et les plus érudits, il faut une longue pratique pour les connaître toutes, et que le plus souvent le caractère de l'époque où ces lois ont été pro- mulguées, forme le contraste le plus étrange avec nos mœurs et nos institutions. {l faut remonter jusqu'à la révolution de 1789, pour être sûr de ne laisser échapper aucune loi dont l’une ou l’autre dis- position pourrait, par une loi postérieure, avoir été maintenue en vigueur. Aucune idée générale ne préside à cette législation. Nous ne trôuvons aucune trace de ces dispositions législatives qui exigeraient d'une manière complète et dans tout le pays, la fonda- tion et l'entretien des établissements que nous croyons être indis- pensables à une sage organisation de l'assistance publique. La loi du 7 frimaire an V, à l'occasion d’une perception, ordonnée par la légisiature pendant six mois, au profit des indigents, d'un dé- cime par franc en sus du prix des billets d'entrée dans tous les speëta- ( 45) cles, a prescrit, par son art. 3, la formation, dans chaque commune, d'un bureau de bienfaisance, chargé de diriger les travaux prescrits par les administrations municipales et de faire la répartition des secours à domicile. La loi communale , art. 92, enjoint aux bourg- mesire et échevins de veiller à ce que, dans chaque commune, il soit établi un bureau de bienfaisance. Malgré cette disposition législa- tive, il est de fait qu'en Belgique, dans beaucoup de communes, les bureaux de bienfaisance n'existent que sur le papier. C'est sans doute parce qu'aucun patrimoine des pauvres ne se trouve dans ces com- munes; mais cette absence de biens spéciaux légitime-t-elle l'aban- don où se trouvent alors les classes pauvres dans ces localités ? l'action de la bienfaisance publique ne s’y fait nullement sentir. N'y a-t-il done de soins à donner aux indigents que ceux qui consistent à leur distribuer, par routine, quelques pains par semaine, quelque ar- gent par mois? C'est certes le côté le moins important de l'assistance publique, comme nous espéronsle prouver, que ces secours distribués en nature, et cependant il est devenu presque partout le but, peut-on dire, unique de l'institution des administrations de charité. Nous l'avons déjà fait pressentir et nous le dirons dans le cours de ce travail , il faut, pour prévenir la misère et y apporter un remède efficace, un ensemble complet d'institutions de prévoyance et d’as- sistance fonctionnant partout. 1] faut que l'administration chari- table de chaque commune étende sa sollicitude à tous ces étahlisse- ments et qu'elle travaille activement à leur faire produire les résultats dont ils sont susceptibles. - Ce que nous réclamons donc au lieu des lois qui régissent actuel- lement nos bureaux de bienfaisance, c'est une législation fondant ces administrations de prévoyance et d'assistance qui doivent les remplacer et qui aboutiraient, au moyen des ressources considéra- bles, dont les premiers disposent le plus souvent sans aucun avan- tage, à des résultats aussi élevés qu'utiles. le qu'il faut, c'est éviter la diffusion des ressonrces de la bienfai- sance publique. Or cette diffusion résulte, dans bien des cas, de la lé: gislation spéciale à des établissements de bienfaisance, qui devraient n'avoir qu'une direction unique. Pour ne citer qu'un exemyile, à quoi bon la distinction existante entre les bureaux de bienfaisance et les (44) hospices? Pourquoi deux administrations distinctes entraînant des frais doubles de bureau et de recette? Chacune d'elles tient avant tout à son indépendance, et, grâce à ce principe, souvent l'idée émise par l’une n’a aucune chance d’être admise par l'autre. On di- rait qu’elles n'ont pas le même but, le soulagement des misères; et souvent la plus haute preuve que l’on, croie pouvoir donner de sa bonne administration, étant un fort excédant que l’on parvient à obtenir des revenus sur les dépenses, on ne poursuit que ce résultat et, chacune des administrations marchant dans la même voie, on arrive à ce point que des sommes considérables vont chaque année grossir les capitaux, au lieu d'être, comme cela serait si facile, em- ployées à des œuvres de la plus haute utilité. La réunion de par la loi de ces administrations en une seule est donc encore une réforme réclamée par l'expérience et par la véritable intelligence de l'orga- nisation de la bienfaisance publique. Nos lois provinciale et communale s'occupent avec sollicitude des administrations de bienfaisance , et elles les mettent sous le pa- tronage et sous la tutelle de l'autorité de la commune et de la pro- vince. Il existe un contrôle sans doute; mais si nous examinons les effets de cette organisation dans la pratique, nous reconnaîtrons qu'elle aboutit à faire considérer la bienfaisance comme un service administratif semblable à tous autres; qu'elle devient l’objet du tra- vail des bureaux et que la routine finit également par s’en emparer. Que peuvent, en effet, les administrations communale et provinciale pour contrôler et pour résoudre les questions si graves el si déli- cates de la bienfaisance? Ne faut-il pas reconnaître que, par la force des ehoses, les approbations qu’elles doivent donner aux actes des administrations de bienfaisance dégénèrent en un simple enregis- trement, et que, si certaines mesures, certains chiffres des budgets soulèvent des objections, celles-ci ne peuvent guère être accompa- gnés de l'indication des remèdes qu'il serait utile d'apporter au mal? Que si certaines améliorations de détail sont proposées, ne formant pas un ensemble de mesures, un système complet, on n'obtient guère de résultats dans la pratique. Nous disons done que nos lois provinciale et communale ont trop accordé, par le mode même de contrôle qu'elles ont établi, à (45) la centralisation bureauecratique, dans le sens pratique et ordinaire de ce mot; mais qu'elles ont négligé et passé sous silence l'organi- sation, cependant si désirable et si utile, qui établirait entre toutes les administrations de charité une parfaite entente, une corrélation uniforme, obligatoire pour les établissements publics, volontaire pour les institutions de la charité privée. Nous ne parlons pas des établissements de prévoyance, pour lesquels rien n’est statué; il n'en est pas même fait mention. Nous l'avons déjà dit, nous voulons aussi une organisation com- munale et provinciale en matière de bienfaisance et de prévoyance; mais nous croyons cette branche du service administratif telle- ment importante et si essentielle à une bonne organisation de la société, qu'elle devrait former l'objet d’une administration tout à fait spéciale, qui, dans ses différents degrés, ne serait occupée que des questions qu’elle soulève. Ce serait, suivant nous, le moyen de remédier à cet envahissement de la bureaucratie, qui fait naître de si justes plaintes. De graves inconvénients se font aussi remarquer dans la direc- tion ministérielle qui existe aujourd'hui. 11 y a au ministère de la justice une division intitulée : De la bienfaisance et des cultes. Elle a dans ses attributions tout ce qui concerne les établissements de bienfaisance et le temporel des cultes. C’est dans l’un des bureaux de cette division que sont traitées toutes les questions qui se pré- sentent en matière de bienfaisance et qui doivent être soumises à l'approbation royale. Il en résulte que toutes les autorisations à accorder aux actes des administrations de bienfaisance ou des hos- pices, le sont d'abord par les administrations communales, en second lieu par la députation permanente, qui adresse les pièces au ministère de la justice. Elles y sont remises dans les bureaux. Un commis traite la question , fait un projet qui passe au chef de bureau; le chef de division, le secrétaire général, le ministre enfin, l'examinent, font des observations, s'il y a lieu, ce qui exige un nouvel examen successif, et si de trop graves difficultés ne sont pas soulevées, si, à propos d’une fondation, il n'est pas survenu des influences hostiles aux personnes ou aux institutions, après que les documents auront séjourné dans chacun de ces bureaux pendant ( 46 ) un temps voulu par le tour de rôle, ce qui forme ensemble une période considérable, on obtiendra enfin une solution depuis bien longtemps désirée par les intéressés, et qui aura déjà laissé les pau- vres privés d'une assistance qne la fondation leur assurait immé- diatement. Si malheureusement un désaccord arrive sur l'application du droit, sur l'interprétation d'une des lois spéciales à la matière, le renvoi à la section de législation est ordonné, et cette mesure, amenant une nouvelle étude de la question, donnant naissance à de nouvelles interprétations présentées par les surnuméraires et- par les commis de différentes classes attachés à ces bureaux, retarde infailliblement et de beaucoup, complique souvent, et ajourne même quelquefois indéfiniment la solution de l'affaire. L'acte de bienfaisance ne reçoit, pendant tout ce temps, aucune exécution. Tel est le rouage actuel des bureaux de la direction du ministère de la justice à laquelle ressortit la bienfaisance publique. Sans doate, on y veille à l'exécution des lois; mais, sans parler des lenteurs qui s'y font remarquer, n'est-on pas obligé de recon- naître que celte administration est insuffisante et incomplète? Elle devrait d'abord comprendre une division pour les établissements de prévoyance et une autre pour les établissements de bienfaisance, chacun d'eux formant une branche distincte et essentielle de las- sistance, et donnant lieu à des questions spéciales. En second lieu, l'uniformité de vues dans la législation et dans l'administration de la bienfaisance est indispensable pour prodaire le bien, et cette uniformité doit être durable pour réaliser, dans la pratique, les améliorations , les réformes reconnues possibles ou nécessaires. On ne peut done, à ce sujet, s'en reposer sur une composition de bu- reaux toujours variable, et dont l'impulsion est toute personnelle au chef de l'administration. N'avons-nous pas l'exemple récent d'un changement complet de système sur les fondations charitables, à la suite d’une succession de ministère ? Or, nous le demandons, peut-on admettre que les principes de la bienfaisance, en quelque partie que ce soit, puissent subir de pareilles modifications, même à la suite d’un changement de mi- nistère? Cette organisation renferme des complications inutiles; tout y est individuel et successif, par conséquent variable par les (47) changements dans le personnel, outre qu'on y subit les revirements auxquels est accessible l'opinion d’un seul homme. On n'y observe guère la maxime que du choc des opinions jaillit la luriière, prin- cipe que justifient si bien les avantages d’une discussion contradic- toire. N'y eût-il d'ailleurs que le seul inconvénient de l'instabilité, par les changements de personnes, depuis le surnuméraire jusqu’au ministre lui-même, cela suflirait, nous semble-t-il; pour nécessiter un nouveau mode d'organisation dans l'administration supérieure, qui sera chargée d'apprécier, de contrôler, de diriger les commissions communales et provinciales de prévoyance et d'assistance. Ce nou- veau mode, nous essaierons plus tard d'en exposer les bases, nous dé- finirons les attributions dont devrait être investie cette commission centrale pour être à même de remplir convenablement cette mission. Nous sommes loin de méconnaitre les services que les hommes éminents et dévoués rendent à l'humanité, en répondant toujours à l'appel qui leur est fait pour s'occuper des grandes mesures propo- sées par la législature ou par l'administration, nous eraindrions plu- tôt de blesser leur modestie en affaiblissant par nos éloges la recon- naissance publique qui leur est acquise et qui est leur juste et seule digne récompense; mais c'est précisément l'importance des services qu'ils rendent ainsi de temps à autre qui nous fait désirer que leur institution devienne permanente, Nous croirions leur faire injure en doutant qu'ils acceptassent. Quels heureux résultats leur réunion perpétuelle ne produirait-elle pas! Combien elle serait utile pour suivre une série d'idées d'amélioration morale et matérielle des indi- gents, pour en étudier la marche et en noter les résultats dans la pratique, pour établir le système complet d'institutions nécessaires pour combattre la misère et en arrêter les progrès! Nous ne ver- rions plus alors réaliser en premier lieu ce qui n’eût dû venir qu'en seconde ligne et, pour ne citer qu'un exemple, nous n'eussions pas vu instituer dans notre pays les caisses de retraite avant les sociétés de secours mutuels ou avant l'organisation définitive des caisses d'épargne. En agir ainsi, c'est sacrifier un bon principe, c’est ruiner une institution utile, parce qu'elle devient intempestive dans son application. C'est, comme nous le verrons lorsque nous nous occu- perons spécialement des sociétés de prévoyance et des caisses de r'e- ( 48 ) traite, commencer par où l’on eût dù finir; c'est appliquer à un malade un remède qui n'eût dû venir qu'après un autre : on paralyse l'effet de tous deux et aucune amélioration ne se fait sentir. Trop heureux si la maladie ne fait ainsi des progrès qu'il deviendra bientôt impos- sible d'arrêter! Si nous examinons au même point de vue l'état de la charité privée, il faut reconnaître que la charité individuelle ne rencontre guère de guide sûr, ni même d'indications suffisantes pour s'é- clairer et pour faire produire à ses instincts généreux les résultats les plus utiles. Elle est forcée d'agir en aveugle, si nous pouvons nous servir de cette expression, et ses efforts isolés tombent comme un grain jeté au hasard sur un terrain inculte, fertile mais aban- donné; les produits en sont aussi médiocres que rares. La charité collective semble jusqu'ici vouloir conserver ce carac- tère d'individualisme qui paralyse ses forces. Les obstacles qu'elle rencontre résistent souvent à ses efforts les plus nobles et les plus persévérants. Devant aborder au même port, en suivant toutefois des directions différentes, les diverses associations charitables ne voient nulle part briller devant elles ce phare qui devrait les diriger pour les y faire entrer toutes saines et sauves; elles sont donc ré- duites à lutter séparément contre les mauvaises passions qui s’agi- tent de toutes parts pour les arrêter dans leur marche, souvent aussi contre l'envie de leurs rivales, quelquefois même contre des dissensions intesti#®s, et perdant ainsi une partie notable de leurs forces , elles vont échouer de la manière la plus déplorable pour ne plus se relever. Les administrations publiques semblent jalouses de leur prospérité, et elles se gardent bien, en tous cas, de les encoura- ger, de les protéger, si même elles ne mettent pas à leur marche de nombreuses entraves. Nous sommes heureux de pouvoir, enfin, signaler une disposition législative destinée à encourager et à consa- crer les nobles efforts de la charité collective, nous voulons parler de la loi du 5 avril 1851, sur les sociétés de secours mutuels. Es- pérons que celte loi, par ses heureux effets, fera naître, enfin, la lumière et démontrera à tous les immenses résultats auxquels peut atteindre l'union de la charité privée et de la bienfaisance publique. En un mot, tout marche, peut-on dire, au hasard dans l'assistance (49) ” que nous accordons aux classes souffrantes de nos jours. Il y a partout défaut d'ensemble, absence de tout point de ralliement, de lumière. Reconnaissons encore que l'état d'organisation de nos institutions charitables laisse subsister l'inégalité la plus déplorable, les con- trastes les plus choquants entre les différentes villes. Si des villes nous passons aux campagnes, c'est, d’une part, l'abandon le plus complet de l'individu à ses propres forces, sauf le recours à la men- dicité, qui y est toléré généralement, tandis que d'autre part nous rencontrons des essais nombreux d'institutions de bienfaisance de toute espèce, mais sans accord entre elles, sans même souvent que ce soit là où les besoins sont le plus urgents que ces institutions sont le plus prospères et le mieux administrées. C'est une fàcheuse inégalité, et cependant le niveau de la misère devrait détruire toute inégalité d'assistance. « L'harmonie, dit M. de Gérando (1), constitue le mérite de l'administration des secours publics, comme de toute ad- ministration. Elle doit, non pas confondre, mais unir dans un sage concert, soit les différentes branches d'assistance, pour en former un système bien ordonné, soit les diverses localités qui se partagent le territoire de l'État, pour y appliquer ce système d’une manière sem- blable. » L'institution d’une administration officielle et centrale de pré- voyance et d'assistance publiques apporterait, croyons-nous, en peu de temps une notable amélioration à cette situation anormale. Définissons brièvement ses attributions : Pour les établissements publics, elle en aurait la direction générale ou plutôt la surveillance immédiate; ce ne serait pas une de ces administrations de bureau où l'absence de besogne utile excite les imaginations pour en faire sortir des idées souvent impraticables. Ce serait un véritable conseil d'État de la bienfaisance mettant sa haute intelligence et son expé- rience au service des commissions actives existantes dans les pro- vinces et dans les communes, pour tracer la bonne route à celles qui hésiteraient dans leur marche, pour y faire rentrer celles qui en dévieraient. S'occupant d'une manière permanente des questions de bienfaisance et de prévoyance, voyant fonctionner sous ses yeux les (1) De la bienfaisance publique, 4° partie, liv. 11, chap. If, art. 1er, À 2er, Touc V. 4 (50) institutions les plus diverses, pouvant comparer chaque jour la variété de leurs résultats, elle aurait l'attention continuellement fixée sur leur action, elle en verrait les lacunes, elle en signalerait les inconvénients ou les bienfaits, et elle pourrait bientôt faire jouir le pays d’une manière générale et complète des moyens préventifs et répressifs de la misère les moins dispendieux et les plus efficaces. Rien ne se ferait qu'après müûr examen, et l’on s'attacherait à respecter la liberté individuelle des administrations locales. Elle serait l'organe et le conseil du Gouvernement pour tout ce qui se rapporte à cette branche si essentielle de l'administration publique. Elle s'appliquerait principalement à coordonner les insti- tutions publiques pour que les établissements de prévoyance et d’as- sistance qui, nous le verrons plus tard, doivent former une suite non interrompue pour avoir toute leur efficacité, fussent fondés partout, en réunissant les conditions essentielles à leur prospérité et à leur durée; recueillant toutes les observations, elle signalerait les la- cunes de la législation, les améliorations dont elle est susceptible. C'est par son intermédiaire que seraient répartis les fonds alloués par le budget pour aïder les administrations analogues des pro- vinces et des communes dans la mission qu'elles auraient d'encou- rager, de fonder, de soutenir au besoin les associations de pré- voyance et d'assistance; elle veillerait à ce que toutes les autorités qui lui seraient subordonnées ne laissassent rien à désirer pour l'exactitude et le dévouement dans la part d'action qui leur est échue. Même vis-à-vis des administrations publiques, elle n'aurait pas de pouvoir direct; le Gouvernement conserverait toutes les attributions que lui donnent les lois, mais l'administration centrale serait tou- jours consultée, et le Gouvernement apprécierait alors bien plus équitablement les mesures qu'il aurait à prendre. A l'égard de la charité privée, il est presque oiseux de dire que son action serait tout officieuse; elle donnerait sans doute son avis sur toutes demandes faites par les particuliers ou par les associa- tions de charité pour obtenir l'appui du Gouvernement; mais sa mission serait surlout statistique, c'est-à-dire, qu'elle constaterait et enregistrerait avec de minutieux détails tout ce qui serait établi d'œuvres de bienfaisance dans le royaume et même ce qu'elle pour- (51) rait recueillir de l'étranger. Chacun pourrait les y connaître, les comparer entre elles, et l'on rendrait ainsi générales, en les publiant et en les recommandant, les heureuses innovations, les améliora- tions que le génie de la charité introduit chaque jour dans les in- stitutions de bienfaisance dans les villes et dans les campagnes. Peut-on douter de l'utile influence que ses conseils exerceraient sur la direction de la charité privée? Nous pensons qu'elle suffirait pour faire prendre un nouvel essor à la charité, quelle qu’en soit la source. L'administration centrale serait, de plus, véritablement à même d'apprécier le mérite de la gestion de chacune des associations de charité et des établissements publics; et lorsqu'il s'agirait de dé- cerner une récompense publique aux soins les plus intelligents et les plus dévoués, à ces généreux athlètes qui luttent avec un noble courage pour combattre la misère, elle aurait de suite, par son expérience , les renseignements les plus sûrs à fournir. Enfin, elle exercerait la plus heureuse influence sur l'esprit des populations ouvrières pour les attacher à nos institutions et à l'ordre, Par son intermédiaire, l'État deviendrait pour l'artisan un père veillant avec une sollicitude constante sur l'avenir de ses en- fants, prêt à leur faciliter, à leur suggérer les moyens de faire pros- pérer le fruit de leurs travaux et de leurs épargnes; faisant régner partout cette égalité d'assistance réclamée par la justice et par l'hu- manité; usant de son autorité pour protéger l'artisan et, au besoin, pour le défendre. Que faudrait-il de plus pour inspirer au peuple un amour sincère de l'ordre, un attachement profond pour nos institu- tions politiques? Quel meilleur rempart pourrait-on opposer aux excilations de troubles que l'on cherche sans cesse à faire naître parmi les classes ouvrières? M. de Gérando décrit admirablement les avantages de l'existence d'une autorité centrale en matière de bienfaisance : « Aspirant à une individualité absolue, dit-il (1), les établissements locaux ré- sistent à tout contrôle, perpétuent dans leur sein les faveurs, les abus, souvent sans le savoir, oublient ou dépassent les conditions sous lesquelles ils furent fondés, sacrifient le présent à l'avenir. (1) Tome II, p. 551. (52) Que, pour leur propre avantage, l'administration suprême ‘appa- raisse : qu'elle les défende contre leurs propres erreurs; qu'elle les guide dans la voie des améliorations; qu'elle fasse triompher l'in- térêt social sur un égoisme étroit, exclüsif, sur les préjugés con- firmés par l'habitude ; qu'elle les soumette à une tutelle paternelle, mais vigilante et ferme; qu'elle les gouverne par des règlements généraux; qu'elle détermine les classifications essentielles, les attri- butions de l'autorité, les mesures disciplinaires; qu'elle garantisse le fidèle accomplissement des fondations; qu'elle éclaire, alors même qu'elle ne croit pas devoir prescrire; qu'elle se fasse exactement rendre compte et qu’elle rende compte elle-même par la publicité. Voilà ses titres non moins positifs; sa vocation plus large encore, non moins sacrée, non moins bienfaisante. » Il est une institution privée que le zèle infatigable et la charité inépuisable de ses membres seuls ont élevée à un haut degré d'utilité sociale, c'est la société charitable de Saint-Vincent de Paule. Ses fondateurs, hommes éminents par leur piété éclairée, par leur position et par leurs talents, ont compris l'utilité de cette centrali- sation tout amiable en quelque sorte. Cette société est centralisée pour répandre partout les avantages des admirables découvertes que la charité fait chaque jour, pour stimuler par la publicité des résultats obtenus par chacune des conférences le zèle des autres, en excitant ainsi la plus louable émulation. C’est certes un bel exemple donné par notre siècle, et nous ne pourrions désirer qu'une chose, c'est la mise en pratique de ce système dans toutes les associations, dans toutes les institutions charitables; nous sommes convaincu que la même prospérité en résulterait nécessairement. Le Gouvernement, en Belgique, s'occupant des mesures propres à améliorer le sort des travailleurs, a porté son attention sur l'assai- nissement des quartiers et des habitations occupés par la classe ouvrière. Dans ce but, nous l'avons vu plus haut, il a prescrit la création des comités de salubrité dans les communes, il a institué un conseil supérieur d'hygiène publique attaché au Département de l'intérieur et siégeant à Bruxelles; il a délégué aux commissaires voyers le soin de diriger et de surveiller les travaux d’assainisse- ment, de provoquer au besoin les améliorations reconnues néces- (55 ) saives dans l'intérêt de la santé publique et de faire, sur leurs opé- rations, un rapport semestriel à la députation permanente; enfin, il a nommé un inspecteur général ayant dans ses attributions tout ce qui concerne l'hygiène et la salubrité publiques. C'est la consécra- tion du principe que nous venons d'émettre : qu'il faut un pouvoir central spécial pour surveiller et pour stimuler au besoin les comités _ locaux. C'est le seul moyen d'atteindre sûrement le but que l'on se propose. Pour que la commission centrale de prévoyance et d'assistance accomplisse sûrement et complétement sa haute et importante mission, il fant qu'elle acquière une influence réelle et méritée ; il faut que l’on puisse recourir à son appui, à ses lumières avec une entière confiance; il faut, avant tout, qu'elle soit exempte de toute accusation, de tout soupçon même de partialité; il faut, en outre, qu'elle soit nationale. Par conséquent, son organisation doit être en rapport avec les institutions constitutionnelles qui nous ré- gissent. C'est dans sa formation qu'elle puisera une indépendance réelle et inattaquable. Elle aura sans doute ce caractère, si les membres qui la composent ont les lumières et le zèle nécessaires à une charge si importante et si délicate; si en toute occasion ils se sont montrés, surtout comme hommes pratiques, dévoués aux intérêts des classes souffrantes de la société; mais il faut, de plus, la garantie légale de cette indépendance, par les pouvoirs qui seront . appelés à choisir les membres de cette commission. Elle doit donc émaner des différents éléments des grands pouvoirs de l'État et être composée de membres délégués par les deux chambres législatives, lesquels formeraient la majorité, et de fonctionnaires désignés par le Gouvernement. Cette commission serait nommée pour un terme de quatre ans, et se renouvellerait par partie à une époque fixée. Cette commission, on le comprend, ne peut être isolée; elle doit se multiplier en quelque sorte. Des commissions provinciales et communales doivent former les degrés successifs de sa hiérarchie. Fondées sur la même base, c'est-à-dire comprenant en majorité les délégués des élus de la province et de la commune, unis à des fonctionnaires de l'ordre administratif, ces commissions agiront, chacune dans le cerele de sa juridiction, pour exercer les mêmes ( 54) attributions que l'administration centrale, et elles agiront sous sa direction, sous sa surveillance; leurs attributions seraient fixées par des règlements généraux : elles auraient pour objet tout ce qui se rapporte à Ja bienfaisance, soit comme prévoyance, soit comme assistance. Elles seraient actives, tant pour ce qui concerne la bien- faisance publique que vis-à-vis de la charité privée; ce serait, en un mot, le comité local de bienfaisance. Il devrait surtout prendre à cœur de ne pas laisser aux bureaux d'administration le soin de rem- plir sa tâche, comme cela se pratique aujourd'hui dans la plupart des administrations de bienfaisance : un secrétaire y fait tout; il voit seul les pièces; il propose les mesures et soumet, le plus souvent pour la forme, les décisions à signer. Ennemi des améliorations qui, par cela seul qu'elles sont des changements, accroissent son travail, il laisse les projets enfouis dans les cartons; il ne voitet ne fait voir aux administrateurs que le côté défavorable de toute innovation; il imagine des inconvénients qui ne sont pas réels, en ayant bien soin de cacher les avantages qui en résulteraient; et la confiance aveugle, nécessaire même, que cet état de choses impose, vient faire échouer les meilleures mesures contre le mauvais vouloir ou l'incapacité d’une seule personne. C’est ainsi que s'engendrent tous les vices de la bu- reaucratie. La routine, ce mode si aisé et en même temps si dange- reux, y fait naître, y multiplie les abus, qu'il devient, après un certain temps, presque impossible de déraciner. Il faudra que des citoyens généreux se dévouent, qu'ils se par- tagent la besogne et qu'ils agissent par eux-mêmes. Les adminis- tralions provinciales et supérieure veilleraient, avec un soin tout particulier, à ce qu'il en füt ainsi. Nous ne dirons pas quelle im- portante amélioration il en résulterait dans le service de la charité, ce serait nous répéter; elle ressort naturellement des vices que nous avons signalés dans le mode suivi de nos jours. Nons ne pouvons non plus considérer comme un obstacle la crainte de ne pas ren- contrer d'hommes capables et dévoués, décidés à remplir conscien- cieusement cette belle mission ; cette crainte serait une injure pour l'humanité; si cette impossibilité se réalisait, ce serait une honte pour elle! Dieu en soit loué, nous n'en sommes pas là. Nous persistons done à penser que les institutions actuelles, (55) telles qu’elles sont organisées, sont incomplètes, qu'elles sont insnf- fisantes pour produire les résultats qu'on est en droit d'attendre des efforts généreux faits par la charité privée et par la bienfaisance publique, pour soulager efficacement la misère, et des ressources considérables des institutions de bienfaisance de toute nature. Nous croyons, en conséquence, qu'une organisation générale et complète est seule capable de réaliser les améliorations, les réformes indis- pensables; que c'est surtout à ce point de vue qu'il faut établir sur des bases solides et sages l'intervention de l'autorité, tant pour ce qui concerne la bienfaisance publique que pour les services qu'elle est appelée à rendre à la charité privée. Il faut pour cela un ensemble d'institutions, fonetionnant partout, reliées entre elles et guidées par l'administration centrale de prévoyance et d'assistance dont nous venons de nous occuper. C’est le seul moyen pour l'État d’ac- complir pleinement les devoirs qui lui incombent envers les classes souffrantes de la société, sans étendre ses prétentions au delà du cerele que nous avons tracé à son action, comme le seul convenable et le seul utile aux graves intérêts qui lui sont confiés. Nous avons vu quel doit être le rôle de l'État, de la charité publique, dans la création et le soutien des établissements de pré- voyance et d'assistance : c’est la surveillance, le contrôle, l'encou- ragement, la direction toute bienveillante. Autant il doit s’efforcer de remplir avec la plus scrupuleuse exac- titude cette haute et sainte mission, autant il doit se garder du rôle de participation et d'action qu'on voudrait lui faire prendre. C'est- à-dire qu'il ne peut être question de mettre en principe à la charge de l'État la fondation et le soutien de ces établissements, que lorsque, par leur nature, ils ne peuvent être laissés à l'initiative des particu- liers; qu'il ne faut pas non plus imposer à l'État la responsabilité, la garantie de toutes ces institutions. Cette doctrine qui rend la société responsable de tout, qui la met en présence du droit à l'as- sistance pour les classes ouvrières et l'oblige, en conséquence, à tout entreprendre, ou du moins à garantir au travailleur l'existence et l'avenir, s'est produite de nos jours comme réalisable, et il n’a pas tenu aux hommes que le flot de la révolution de 1848 avait, en France, portés au pouvoir, qu'elle n'exerçât sur ce pays ses désas- (56) treuses conséquences. L'intervention légitime de la société dans l'assistance à accorder aux elasses souffrantes qu'elle renferme, c’est une tutelle qui doit être exercée avec l'autorité de la loï, et cette au- torité disparaît dès que la question d'intérêt peut être soulevée. Ce que l'État accordera de crédits ou de subsides, il faut que ce soit à titre de bienveillance, sans qu'il puisse être lié, car s'il se lie, il joue son existence, il s'expose aux plus terribles catastrophes. Il brise entre ses mains ce levier si puissant de l'émulation par l'encourage- ment des efforts les plus persévérants et qui parviennent à vaincre le plus de difficultés. On réclamera comme dû ce que l’on eût été trop heureux, dans la première hypothèse, d'obtenir comme un bien- fait. La reconnaissance, et l'attachement qui en résulte, seraient de vains mots; et il ne peut être douteux que peu d'années sufliraient pour amener le Gouvernement assez imprudent pour s'être engagé dans cette voie, par les immenses charges qui pèseraient sur lui, au point de se trouver au bord de l'abime d’une hideuse banqueroute ou d’une révolution sociale. Pour réaliser cette organisation d’action directe de l'État, de responsabilité vis-à-vis des elasses ouvrières, il faudrait, sans aucun doute, recourir à une augmentation énorme d'impôts, car les revenus ordinaires d'un État ne suffiraient certai- nement pas. Ce serait un second budget tout entier qu'il faudrait pour faire face à une telle charge toujours croissante; sait-on où elle s’arrêterait ! Ce serait une véritable taxe des pauvres pour com- bler le gouffre que creuseraient l'imprévoyance et l'incurie des masses, et le principe une fois admis, il deviendrait impossible de s'arrêter. L'État serait responsable, el avec cette garantie qu’aurait-on à craindre? Se lancer dans cette voie, c’est bien pis qu’établir la taxe des pauvres, c'est marcher vers le but que poursuivent les en- nemis de l’ordre social, c’est aller droit au communisme. Or, déjà au point de vue économique, la taxe des pauvres offre de grands dangers pour la fortune publique, car elle trouble l’ordre des lois de la production ; elle bouleverse les rapports naturels entre les producteurs et les consommateurs. Les principes et l'expérience le démontrent; de deux choses l’une : ou le salaire se réduit en pro- portion de la subvention que reçoit l'ouvrier, soit dans le présent, soit dans l'avenir, ou celle-ci ne se récupère pas indirectement sur les (57) salaires par celui qui la paye, et alors elle augmente les frais de production de toutes les marchandises; elle en élève le prix et elle met l'industrie dans la position la plus précaire, si même elle ne lui porte un coup mortel. Telles sont les conséquences nécessaires de la taxe des pauvres. Que l'on juge des suites qu'aurait l’engage- ment pris par l'État de fonder et de garantir tous les établissements de prévoyance et d'assistance nécessaires ou utiles et ce, avec la con- dition d'assurer à tous les travailleurs une existence par le travail, des secours en cas de maladie ou de chômage, une retraite pour la vieillesse ou pour les infirmes! « Au lieu de lever une taxe des pau- vres, dit Horace Say (1), laissez, au contraire, à chacun le prix de son travail, étendez les moyens d'instruction , développez l'esprit de prévoyance, travaillez par tous les moyens à resserrer les liens de la famille, encouragez l'esprit d'association, secondez ensuite la charité privée dans ses efforts, car en voulant aller au delà, vous ne trouverez que déceplion et impuissance. » Le système de l'intervention directe, de la responsabilité de l'État, est donc essentiellement dangereux; il est, croyons-nous, du reste inutile; l'encouragement, la’ protection, la surveillance suftiront pour faire prendre aux établissements nés de l'association les déve- loppements nécessaires à l'état de la société. Parmi les établissements de prévoyance que doit nécessairement comprendre une organisation sage et utile de l'assistance, nous mettons en première ligne les sociétés de secours mutuels. Ces sociétés, connues en Angleterre sous le nom de Friendly socielies, ou sociétés amicales, sy sont multipliées d'une manière prodigieuse. Le rapport fait par le procureur général de la Reine, dans la séance du Parlement, du 5 avril 1849, sur ces associations, en porte le nombre à 35,000 environ, réunissant plus de quatre millions de sociétaires, jouissant d'un revenu annuel de cent mil- lions de franes, et leurs capitaux, déposés dans les caisses publiques, s'élèvent à près de trois cents millions de francs. Le rapport fait à la Chambre des communes, par la commission d'enquête, dans la (1) De l'administration du département de la Seine et de la ville de Paris ; Jounnar pes Économisres, 1845, t.1, p. 104. (58 ) séance du 19 juin 4850, a confirmé l'exactitude de ces chiffres. Or, ils sont une preuve bien évidente de l'utilité et de la bonté de cette institution. Elle ne permet pas, suivant nous, les craintes excessives qu’elle a inspirées aux écrivains français, entre autres à Eug. Buret (1). Cet écrivain a parlé trop exclusivement au point de vue français, et encore nous ne voyons pas pourquoi, en ce qui concerne la France, il n'a pas distingué, avec M. Blanqui, les diverses classes d'ouvriers qui peuplent son territoire. Il est évident que si les sociétés de secours mutuels n'avaient aucune chance de réussite, ou du moins de durée, si, comme il l'affirme d'une manière abso- lue (2), elles se détruisent elles-mêmes, parce que, accordant les mêmes avantages à des individus d'âges différents, elles doivent se trouver bientôt écrasées par la somme des secours qui dépassent leurs recettes, cela ne peut s'appliquer qu'aux grandes villes manu- facturières, où d'immenses populations sont entassées, livrées à une même industrie, laquelle est exposée à des fluctuations fréquentes et prolongées. Là la souffrance est en quelque sorte permanente et générale, et on comprend qu'il soit difhcile, dans ces circonstances, d'obtenir des versements, sans devoir, au même instant, donner des secours qui les dépassent; mais n'oublions pas, comme le dit M. Blan- qui, dans son ouvrage déjà cité, que la démoralisation de ces popu- lations ouvrières et leurs funestes habitudes, sont les causes prin- cipales de leur misère, que ce sont elles qui épuisent leurs ressources, et que remédier à ce déplorable état de choses, c'est à la fois amélio- rer le présent et l'avenir de ces infortunés. Le mal n'est donc pas sans remède. Dans les autres industries, dans les populations moins agglomérées, les chômages, les acci- dents sont heureusement l'exception, et l'ouvrier laborieux et rangé peut facilement prélever une légère somme sur le produit de chaque semaine , afin d'obtenir un secours pour vivre, lorsqu'il lui sera im- possible de travailler ou que le travail lui manquera pendant quel- ques jours. (1) De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France; Brux., 1842, p. 656. (2) Loc. cit. (59) Cette possibilité pour la majeure partie des travailleurs de parti- ciper aux caisses de prévoyance n'est pas admise par tout le monde. On nous objecte qu'avant de venir dire aux populations ouvrières : versez aux caisses de retraite et de secours mutuels, épargnez pour vos vieux jours, pour les chômages, les accidents et les maladies, il faut s'assurer si le salaire que les ouvriers reçoivent pour leurs travaux suffit pour les nécessités mêmes de la vie. Or, dit-on, en Belgique notamment , les documents officiels établissent que le sa- laire des ouvriers varie en moyenne de 60 centimes à 2 francs par jour; peut-on rigoureusement exiger que, sur ce modique produit de la journée, l'ouvrier s'impose des privations pour faire quelques économies et participer aux institutions de prévoyance? Cet argument est spécieux, car pour le produire, il faut prendre ces chiffres isolément; il faut perdre de vue que le taux le plus bas des journées, c'est le salaire gagné par des enfants; que souvent plusieurs enfants d’une même famille le gagnent à la fois et que, à part eneore ce que peut gagner la mère de famille, il faut réunir tous les salaires des différents membres d'une même famille pour se rendre un compte exact de sa position et attendre le chiffre total de ce produit avant de s'aventurer à dire que le salaire de l'ouvrier sufhit à peine pour sa subsistance et ne lui permet pas d'y trouver le plus mince superflu pour l'épargne. Les faits sont heureuse- ment là pour établir le contraire, et si d’ailleurs, nous n'avions pas de nombreux exemples d'ouvriers trouvant dans le produit de leur travail de quoi fournir aux caisses de prévoyance, et devant cette faculté à leurs habitudes d'ordre et de moralité, ne suflirait-il pas d'ouvrir les yeux pour se convaincre que si l'ouvrier trouve moyen de vivre en chômant volontairement le lundi, en faisant des dépenses dans les cabarets, c’est à ces funestes habitudes et à nulle autre cause qu'il faudrait attribuer son impossibilité d'épargner, et que ce qu'il perd en folles dépenses pour satisfaire ses mauvaises pas- sions, joint à ce qu'il gagnerait en travaillant le lundi, excède de beaucoup ce qui paraît lui manquer pour participer aux caisses de prévoyance de toute nature. Les craintes des économistes français font aussi supposer que le taux des secours a été fixé imprudemment d'une manière dispropor- (60) tionnée aux ressources et sans caleul. Nous n'avons pas cette crainte, parce que nous croyons qu'il vaut mieux que les secours soient moindres, pourvu qu'ils soient assurés. La sollicitude des autorités doit particulièrement porter sur cette assurance qui inspirera la confiance à l'ouvrier et la générosité au riche. Deux points principaux sont à régler à ce sujet : le montant des secours et l'emploi des fonds. L'emploi des versements qui dépassent les secours à répartir mérite une attention particulière, pour ne pas compromettre leur existence et pour conserver aux administrations la faculté d'en disposer à chaque instant. L'idée que nous adoptons à cet égard d'une manière générale est que l'État devrait, moyen- nant en servir un intérêt qui pourrait ne pas dépasser quatre pour cent, recevoir dans ses caisses le montant des capitaux excédant les besoins pour faire fructifier ces sommes et les mettre à l'abri de toute éventualité. 11 y aurait un immense avantage à mettre ainsi toute la classe ouvrière dans une sorte de communauté d'intérêt avee l'État, en même temps que ce dernier aurait à sa disposition des sommes considérables à un intérêt modique, et qu'il amortirait ainsi des emprunts faits souvent à un taux très-élevé. L'intérêt annuel, quel- que modique qu'il fût, serait un grand secours pour ces associations. On arriverait au même résultat en autorisant les administrateurs à verser à la caisse d'épargne les sommes disponibles. Ce serait un lien de plus entre deux institutions qui doivent marcher de pair dans notre état social. Et lorsqu'au bout d'une période de prospérité, signe infaillible de l'état heureux des classes ouvrières, la caisse des secours mutuels aurait accumulé des capitaux considérables, la législature lui accor- derait la personnification civile; elle deviendrait propriétaire, et garantirait ainsi à toujours à ses associés l'assistance la plus hono- rable et la plus assurée. Le montant des secours à accorder doit être l'objet de l'étude la plus sérieuse; car de sa fixation dépend le maintien de l'institution. Il faut nécessairement au début les fixer au-dessous de ce que permet la base adoptée, car le service sera dès lors assuré dans tous les cas, et l'œuvre ne pourra que gagner considérablement si les secours peuvent plus tard être majorés. (61) On comprend que chaque industrie, que chaque localité doivent adopter une base différente. À cet égard, on ne pourra jamais trop s'entourer de renseignements sur tout ce qui existe d’analogue, tant dans le pays qu'à l'étranger. C'est au Gouvernement à les réunir à l'administration centrale par l'entremise des diverses administra- tions secondaires pour les communiquer à quiconque voudrait y recourir. Nous croyons, en outre, qu'il serait utile qu'aucune caisse de secours ne fût établie avant que l'autorité eût été mise à même de s'assurer de la possibilité de sa durée en prenant égard aux charges qu'elle s'impose. Quelques esprits craintifs, ayant vu en France des associations de secours mutuels se transformer en sociétés secrètes, ont cru que tôt ou tard ce pourrait être le sort de ces établissements et que, par leur extension, la société se trouverait livrée à une multitude d’as- socialions aspirant à la détruire et puisant une force immense dans leur organisation. Nous pensons qu'une mauvaise organisation de ces associations a seule pu permettre une si déplorable transformation. Qu'on admette pour toute société de secours mutuels les bases immuables établies par la loi et dont la réalisation est surveillée par l'autorité, la divi- sion infinie et la multiplicité de ces associations, ce qui leur enlè- vera leur importance et leur puissance, pour tout but autre que Vaccomplissement de leur mission; mais surtout que les classes riche et aisée en fassent partie, concourent à les soutenir, à les diriger, et que l'on nous dise ensuite si l’on pourra conserver quelque crainte pour l'avenir ? Ce sera bien, au contraire, comme nous l'avons dit, une garantie de plus pour l’ordre social. Ces associations ont pour base le principe de la véritable frater- nité; elles résument trois choses qu'on ne saurait trop encourager et honorer : le travail , la bonne conduite, la mutualité; elles portent en elles ces nobles sentiments de l'honneur, de l'indépendance qui relèvent l'homme et lui inspirent la plus louable émulation pour les bonnes actions. Elles opèrent chez le travailleur cette transformation que nous avons vue exprimée en des termes si remarquables et retracée en traits si frappants dans le tableau que nous en à fait M. Rapet, et (62) que nous avons reproduit en entier plus haut, page 32, transfor- mation merveilleuse, amélioration magique que les cœurs généreux et dévoués devraient poursuivre sans relâche comme le plus beau triomphe de la charité! Nous l'avons vu, le travailleur une fois par- venu à ce degré d'amélioration , sait résister aux passions, aux pen- chants déréglés de l’homme ignorant et abruti; la misère ne l’abat plus, il ne se laisse plus dégrader par les vices qu’elle engendre or- dinairement de nos jours. Les sociétés de secours mutuels sont devenues, en quelque sorte, une nécessité sociale par suite du changement introduit dans la législation du travail par la révolution française de 1789. Corame nous l'avons vu, la liberté la plus absolue, la plus com- plète a succédé à l'organisation des métiers, organisation qui accor- dait au travailleur une protection efficace. Ce qui est résulté de cette révolution dans les lois de la production, c'est que l'individu a été abandonné à ses propres forces, c'est l'état d'isolement de l'ouvrier. Or cet état de choses a évidemment fait naître des devoirs pour les autres classes de la société, devoirs résultant de la solidarité qui lie tous les membres du corps social. Ce principe de solidarité doit au- jourd'hui, plus que jamais, recevoir son application , et cette appli- cation la plus féconde, la plus élevée, c'est dans les sociétés de secours mutuels qu’elle se rencontre. C’est donc cette institution qui doit appeler d’abord notre solli- citude. Suivons, à cet égard, l'exemple que nous donne l'Angleterre. Là, non-seulement le Gouvernement veille activement sur l’organi- sation et sur la marche des sociétés amicales, comme on les y appelle, mais un grand nombre de personnes appartenant aux classes supé- rieures ne dédaignent pas de se faire affilier à quelqu'une de ces sociétés; elles contribuent à les soutenir par leurs dons, qui grossis- sent gratuitement le fonds social, et, ce qui est plus précieux encore, elles leur apportent une bienveillante coopération pour la direetion et l'administration de ces sociétés. Marchons sur les traces glorieuses de nos ancêtres. Nous sentons dans nos âmes un légitime mouvement de fierté, lorsque nous lisons dans notre histoire nationale les actions héroïques de nos anciennes corporations. Leur puissance, leurs richesses étaient sans égales. Elles (65) résistaient aux rois. Ce qui faisait leur puissance et leur force, c'était la sympathie que tous les membres de ces corporations avaient les uns pour les autres, c'était qu'une même pensée les unissait et les dirigeait. Les seigneurs et les riches, les nobles et les bourgeois, non-seu- lement ne dédaignaient pas d'en faire partie, mais ils le recher- chaïent comme un honneur. Presque toutes les grandes familles du pays étaient réparties dans les divers métiers. Déjà au XII' siècle, on trouve des traces de ces affiliations (1). Sanderus rapporte que de son temps, il y avait à Gand vingt-deux chefs de métiers choisis parmi les nobles. Cet exemple est celui que la classe aisée devrait suivre de nos jours dans l’œuvre toute pacifique, à la vérité moins brillante, mais en réalité bien plus utile, des associations de secours mutuels. Elle devrait en faire l'objet de sa plus vive sollicitude, de ses soins les plus actifs. Cette intervention des personnes riches et aisées pour le soutien des sociétés des secours mutuels, et leur concours dans leur admi- nistration , constituent la part d'action de la charité privée. Elle doit agir seule; l'autorité, comme nous l'avons vu, ne pouvant aller ici au delà de la surveillance pour l'observation des lois et des règlements. C'est déjà une tâche suflisante, car ces sociétés doivent , autant que possible, s'appliquer à toutes les professions et se multiplier à infini. C’est surtout dans ces sociétés qu'il importe de laisser à chacune d'elles son cercle particulier et sa liberté d'action ; la charité indivi- duelle s’y attachera d'autant plus facilement ; il y aura plus d'égalité dans les versements, plus de similitude dans les besoins , plus de confiance de la part des membres, toutes garanties de stabilité et de prospérité. Cette intervention, ce soutien de la part de la charité individuelle, auront pour effet de combler la distance qui sépare la partie secourue de la partie charitable; ïls établiront, en outre, entre les diverses classes de la société ces relations de bonne entente et de sympathie qui sont les bases inébranlables de l'ordre social. Voyons ce qui se passe en Angleterre, lorsque l'industrie subit une de ces crises qui doivent, peut-on dire, la frapper périodique- (1) Dierickx, Lois des Gantoïs, t. 1, p. 586. ( 64 ) ment. Les chômages, suites de ces crises, n'y entraînent pas avec eux cette misère universelle qui se produit dans d’autres pays en pa- reille circonstance; l'émeute n'y gronde pas à la porte de l'usine; au milieu de la plus grande liberté pratique, le peuple anglais a su conserver l'esprit d'ordre, un patriotisme sincère et éclairé, un vif attachement à ses institutions. Or, c'est dans ces associations qu'il faut en chercher le secret; il n’est pas ailleurs : l'ouvrier y trouve du pain, des secours, sans recourir à la charité publique ou privée, en attendant l'écoulement des produits fabriqués en trop; l'industriel a fait des sacrifices pendant les temps prospères pour alimenter Ja caisse de secours, les ouvriers le savent, ils l'apprécient et tout reste calme. Que ne ferait-on pas pour atteindre cet heureux résultat? Il y a déjà de nombreuses institutions de caisses de prévoyance, non-seulement en Angleterre, mais en France, en Allemagne, en Suisse. Dans notre pays, le rapport présenté à la Chambre des Re- présentants, par M. T’Kint de Naeyer, sur le projet de loi relatif aux sociétés de secours mutuels, constate, d'après les renseignements fournis par les administrations provinciales, qu'il existe 199 sociétés de secours mutuels, auxquelles 68,297 ouvriers participeraient. « En admettant, dit cet honorable rapporteur, qu'il ait été possible de recueillir ces renseignements avec une rigoureuse exactitude et que l'on puisse, sans exagération, augmenter d’un tiers les chiffres que nous venons de citer, on devrait reconnaître qu'il reste encore im- mensément à faire, car si nous pouvons, en tenant compte de la population, soutenir la comparaison avec la France et l'Allemagne, notre infériorité vis-à-vis de l'Angleterre est vraiment remarquable. » A Liége, une société semblable, patronée par les chefs d'atelier, existe pour les ouvriers armuriers; il y en a une‘autre pour les arts et métiers. Elles promettent toutes deux les plus heureux résultats, et elles méritent de servir de modèle à celles qui devraient se former par tout le pays, pour toutes les industries. Des caisses de prévoyance, entre autres pour les ouvriers mineurs, sont établies depuis quelques années, et elles peuvent à elles seules fournir la preuve la plus con- vaincante de l'utilité de ces institutions. Sur plusieurs points du pays, il existe des sociétés pour l'achat des provisions d'hiver; le" Gouvernement belge, par l'organe du Ministre de l'intérieur, M. Ro- RON hé cp rade ( 69 ) gier, dans sa cireulaire du 27 juillet 1848, empreinte d’une vive sollieitude pour les intérêts des classes ouvrières, en à recommandé et encouragé la fondation. On pratique donc en Belgique les principes des sociétés de se- cours mutuels. On y obtient déjà, dans plusieurs associations de cette nature, le concours des classes aisées et des avantages consi- dérables en résultent pour les affiliés. C’est un exemple à suivre en tâchant de généraliser ces institutions, en en faisant comprendre à tous, au riche comme au pauvre, les avantages et le but élevé. Rendons hommage aux généreux fondateurs de ces œuvres; ils en ont compris l'immense utilité; faisons des vœux et travaillons de toutes nos forces pour que leur exemple soit suivi. Inspirons-nous de la haute et judicieuse appréciation qu'en a faite le Président de la République française, lorsque, passant à Lyon, le 17 août 1850, il résumait éloquemment les principaux caractères des sociétés de secours muluels. « Les sociétés de secours mutuels, telles que je les comprends, disait-il, ont le précieux avantage de réunir les diffé- rentes classes de la société, de faire cesser les jalousies qui peuvent exister entre elles, de neutraliser en grande partie les résultats de la misère, en faisant concourir le riche volontairement par le super- flu de sa fortune, et le travailleur par le produit de ses économies, à une institution où l’ouvrier laborieux trouve conseil et appui. On donne ainsi aux différentes communautés un but d'émulation; on réconcilie les classes et on moralise les individus. À mes yeux, ajoutait-il, ces institutions, une fois établies partout, seraient le meilleur moyen, non de résoudre des problèmes insolubles, mais de secourir les véritables souffrances en stimulant également et la pro- bité dans le travail et la charité dans l'opulence (1). » La loi belge, du 5 avril 1851, a promis la sanction légale aux sociétés de secours mutuels qui réuniraient les conditions fixées par la loi. Le rapport adressé au Roi par le Ministre de l'intérieur, le 15 avril 1849, pour la nomination d'une commission chargée d’é- laborer le projet de cette loi, les rapports faits aux chambres légis- latives et la discussion qui s'est ouverte sur cette loi, ont proclamé à la face du pays le caractère éminemment social de ces institutions. (1) Journal des Débats, 20 août 1850. Tone Y. [LA (66) « Dans chaque ouvrier économe et prévoyant, dit le Ministre dans la notice accompagnant l'envoi aux gouverneurs d'un projet de statuts, la société comptera un défenseur de plus. Aussi le devoir de la société est d'encourager et de soutenir l'ouvrier dans cette tâche difficile. » Cette loi n'a qu'un but, c'est de favoriser leur création et leur prospérité, en fixant quelques points essentiels de la surveillance dont elles devront être l'objet et de la marche qu'elles devront suivre pour continuer à jouir des priviléges de la loi. Elle ne fait qu'as- surer aux caisses de secours mutuels la protection, l'appui que lon est en droit d'attendre de l'État, et elle consacre le principe de la liberté des associations formées pour cet objet. « Les associations de secours mutuels peuvent, sous l'égide de la Constitution belge, s'organiser librement, sans aucun contrôle de l'autorité publique. Celle-ci n'intervient que lorsque son assistance ou sa protection sont réelamées. Il ne s’agit pas de porter la moindre innovation à cet état de choses. Le projet de loi se borne à assurer des avantages aux sociétés de secours mutuels qui voudront se faire reconnaitre, c'est-à-dire qui consentiront à soumettre leur existence, leurs sta- tuts, leur situation financière, leur gestion à la tutelle administra- tive et au contrôle de l'autorité. L'esprit d'association pourra done continuer à se produire sous toutes les formes, suivant les mœurs, les localités et les besoins des différentes professions; mais le Gou- vernement, libre aussi dans son appréciation, ne sera pas tenu de constituer en établissements d'utilité publique des institutions qui ne se soumettraient point au régime de surveillance établi par la loi. Ce système convient à nos mœurs et à nos habitudes (1). » Ajoutons qu'il est la confirmation du système que nous avons déve- loppé pour les rapports de la charité collective avec l'État. Nous avons énuméré les heureux résultats qu'il produirait, et il dépendra de la manière dont le pouvoir exercera son action que ces associa- tions prospèrent et s’accroissent, et qu'elles viennent volontaire- ment, comme nous l'avons dit, se soumettre à son contrôle, Or, cette tâche n’est pas exempte de difficultés. (1) Rapport sur la loi des secours mutuels; ANNALES PARLEMENTAIRES, 1851, p. 561. ( 67) C'est se placer au vrai point de vue sous lequel la question devait être résolue pour attribuer à la charité privée et à la bienfaisance publique la part légitime d'action qui leur appartient. Ces disposi- tions légales sont marquées au coin de la sagesse et de l'expérience. Il devait en être ainsi, lorsque les hommes les plus éminents de nos deux chambres législatives en ont fait l'objet de leurs plus sérieuses méditations. Comme le disait M. Thiers dans son rapport général sur lassis- tance publique, en parlant des sociétés de secours mutuels : « L'État n'a pas fort à s'en méler; toutefois il peut leur rendre un service important qui contribuerait à leur propagation, par la sécurité qu'il leur procurerait, en se faisant à la fois le juge, le gardien de leurs règlements et le dépositaire de leurs fonds. Ces sociétés doivent être serupuleusement respectées dans leur liberté. Elles doivent être libres de se former, de s'administrer, de se dissoudre. » La loi du 5 avril 4851 est un premier pas fait dans la bonne voie. Il doit être suivi sans retard des règlements organiques dont la con- feetion nécessitera les plus profondes études. Espérons qu'ils ne se feront pas désirer jusqu’au terme de trois ans qu'assigne la loi pour leur présentation aux chambres. Dans tous les cas, il est une me- sure à prendre avant tout, c'est de provoquer la formation de ces sociétés sur tous les points du royaume, Car à quoi bon faire des lois qui ne trouveraient guère d'application ? Il faut donc que des comités locaux s'organisent pour s'occuper immédiatement de leur création et pour s'efforcer de les rendre populaires. Ce serait la mission de la commission communale de prévoyance et d'assistance dont nous avons demandé la formation. Elle ferait tous ses efforts pour faire comprendre les avantages de l'institution, pour la rendre générale, pour l'établir pour chaque profession selon son caractère, en tenant compte du nombre des affiliés qu'elle peut espérer et suivant l'inspi- ration qui doit émaner dela commission centrale. Puisse la mise en pratique de notre pensée se trouver devancée dans un grand nombre de localités par le dévouement charitable de nos concitoyens. Ce serait alors, comme nous l'avons dif, la charité privée, soit individuelle, soit collective, qui y exercerait son action, d'autant plus puissante qu’elle sera plus libre, et la bienfaisance pu- ( 68 ) blique n'aura à intervenir que comme auxiliaire pour leur surveil- lance, leur encouragement et leur appui au besoin. Nous arrivons, en second lieu, aux caisses d'épargne. Dans les as- sociations de secours mutuels, les produits sont nécessairement destinés à une consommation immédiate. Ce que l'ouvrier en reçoit vient remplacer un gain nécessaire pour vivre. C'est un soulage- ment, un moyen d'alimentation. La caisse d'épargne doit servir à l'ouvrier à former un capital, à élever sa position sociale; elle doit être le dépôt des économies de ceux qui, au moyen des privations qu'ils s'imposent, ne peuvent encore en faire que de très-faibles. C'est le premier pas que fait ouvrier vers un dégré plus élevé de l'échelle sociale. « Elle est un échelon vers la constitution de la propriété, » disait M. De Lamartine (1). C'est le résultat de ce qu'il y a de plus noble, de plus digne d'être protégé et encouragé. I serait superflu d'énumérer ici les avantages des caisses d’épar- gne, et de l'heureuse influence qu’elles exercent sur les travailleurs qui y prennent part. Bornons-nous à citer l'éloquente appréciation qu'en fait Michel Chevalier : « Dès qu’il est déposant, l'ouvrier ac- quiert une conduite régulière, s'il ne l'avait déjà, et c’est pour cela qu'un livret à la caisse d'épargne, avec un premier dépôt, est une des récompenses les plus heureusement imaginées que puisse ac- corder un manufacturier. L'arrivée à la propriété sous cette forme, comme sous toute autre, est pour l'ouvrier ce qu'était pour le géant de la Fable le contact de la terre; elle lui communique une force extraordinaire. De ce moment, il sait ce que c’est que prévoir; l’a- venir prend à ses yeux une signification, la vie un but. » La tâche qui incombe à la charité publique à l'égard des caisses d'épargne est, suivantnous, beaucoup plus étendue. Les caisses d’é- pargne en eflet, ne peuvent être des entreprises particulières, sur- tout à cause de l'importance de leur objet, et la charité individuelle ne peut rien pour leur bien-être. Les administrations publiques seules sont à même de recevoir des versements aussi considérables que ceux dont se constituent les capitaux des caisses d'épargne, d'en payer l'intérêt et d'en effectuer le remboursement à la première de- (1) Chambre des députés, séance du 12 janvier 1846. ( 69 ) mande. lei le déposant fait tout; il ne peut en quelque sorte recevoir d'aide de personne et il n'en a guère besoin, dès qu'il rencontre un placement sûr, l'intérêt servi à un taux convenable et avec “exactitude, et surtout la certitude du remboursement à son gré. L'administration , quel que soit son nom, est seule à même d'offrir ces conditions. Il serait sans doute désirahle que chaque caisse d’é- pargne n’excédàt pas les limites de la commune, et qu'ainsi la caisse communale fût en même temps dépositaire des épargnes des artisans de la localité. Chacun d’eux trouverait ainsi dans ses concitoyens les dépositaires et les garantis du fruit de son travail; mais si les res- sources de la commune n'y peuvent suflire, la province et au besoin l'État doivent intervenir, surtout pour l'emploi des fonds, pour que nul ne puisse être privé du bienfait de la caisse d'épargne. Ce sera une garantie de plus pour l’ordre et pour Ja stabilité des institutions. Il faudrait donc une loi générale organique des caisses d'épargne, fixant les bases nécessaires de l'institution; l'autorité locale serait alors chargée de l’organisation, aidée s’il le faut à cette fin par l'État, mais en même temps contrôlée par lui; les recettes des caisses d'é- pargne se confondant avec les revenus communaux, les payements avec les dépenses, et se trouvant dès lors soumises aux mêmes règles de comptabilité et de surveillance, La charité individuelle pourra, en pareille circonstance, se trouver stimulée à aider l'ouvrier dans ses dépôts à la caisse. La rémunération d'un service rendu, l'intérêt qu'une personne dans l’aisance porterait à un homme laborieux, à une famille honnête, se traduirait en la délivrance d’un livret de caisse d'épargne, dont le généreux donateur se plairait à accroître le montant. C'est done là le but que l'on doit se proposer d'atteindre, et à celte fin, il faut s’efforcer de généraliser et surtont de populariser les caisses d'épargne. Comme nous l'avons dit plus haut, une bonne organisation rendant toute inquiétude impossible est le meilleur moyen d'y parvenir. L'action du Gouvernement, de l'État, n'offre ici aueun danger, car tout est fixe dans la caisse d'épargne; les cir- constances, les accidents, les chances heureuses ou malheureuses n'y font absolument rien. Les fonds déposés seraient exclusivement destinés à remplacer les capitaux des emprunts, et les administrations (70) publiques y trouveraient encore un avantage pécuniaire considérable. Il faut bien se garder de vouloir imposer à l’ouvrier les dépôts aux caisses d'épargne (et cette observation s'applique générale- ment, dans notre pensée, à toutes les institutions de prévoyance). « Toutes mesures prises dans ce but seraient légitimes sans doute, dit M. De Gérando (1), mais à nos yeux, elles ne seraient pas con- venables. Une semblable obligation ne doit pas naître de la loi, mais des mœurs. On écarterait la confiance en exigeant la contribu- tion et on enlèverait à l’homme laborieux la juste dignité qu'il ressent, lorsqu'il jouit du fruit librement acquis par ses labeurs. » Il 'estun fait bien positif, c'est que le principe de la retenue obligatoire sufhrait pour détruire la prévoyance individuelle, pour anéantir la liberté et la responsabilité humaine, Sa mise en pra- tique promet le même avenir à l’ouvrier indolent et à celui qu'anime l'amour du travail, à l'ouvrier qui mène une vie régulière et sobre et à celui qui cède sans retenue à ses mauvais penchants pour l'ivresse et pour la débauche. Imposez d’ailleurs la retenue sur le salaire et lorsque naîtront nécessairement les plaintes sur l'insufli- sance de ce qui restera pour vivre à l'ouvrier, comment y répon- drez-vous? Ou il faudra suppléer à cette insuffisance, ou fixer un minimum. Ov, ces deux conséquences sont ruineuses pour l'État et incompatibles avec le principe fondamental de la liberté du travail. I suffit, d'ailleurs, de songer aux immenses complications qu'entrai- nerait l'établissement de l'impôt sur le salaire (car la retenue obli- gatoire n'aurait pas d'autre caractère) pour se convaincre qu'il serait impossible, dans la plupart des cas, de le prélever conformément aux principes de l'égalité et d'une rigoureuse justice. Concluons donequ'il faut laisser à l'ouvrier sa liberté sous ce rapport, et avec elle, le mé- rite d'être prévoyant et économe, pour ne devoir qu'à ses sages prin- cipes et à sa bonne conduite les ressources dont il pourra disposer en cas d'accident ou l'épargne qui lui servira à s'élever dans la société. Nous comprenons, en troisième lieu, dans les établissements de prévoyance qui doivent être mis à la portée de la classe ouvrière, les caisses de retraite auxquelles elle peut rendre part. (1) De la bienfaisance publique, t. IN, p. 107. (71) Nous les rencontrons comme faits dans plusieurs pays, et la loi du 8 mai 1850 les consacre en Belgique. A son point de vue, c'est la charité publique, c'est l'État qui ouvre un crédit à celui qui veut courir la chance de l'institution. L'art. 1% de la loi porte : « Il est créé avec la garantie de l'État et sous la direction du Gouvernement une caisse générale de retraite. » La charité individuelle n’y peut rien, sinon qu'elle y rencontrera un moyen de plus d'exercer utilement son action par un versement pour un tiers; la charité collective est exelue de l'organisation, sans doute, comme n’offrant pas assez de garanties de sécurité, d'impar- tialité, voire même de justice. Ces caisses offrent-elles les avantages qu’elles semblent promettre, surtout lorsqu'on les comprend dans l'organisation de l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société ? Pour dire de suite notre pensée, le côté moral de l'institution , dès qu'elle s'applique à l'ouvrier, nous paraît tellement grave qu'il ba- lance fortement, s’il ne renverse entièrement, toute considération d'amélioration matérielle qui pourrait en résulter pour la classe ou- vrière. Nous y voyons, en effet , l'incertitude de l'avenir; le dépo- sant parviendra-t-il à l’âge où la pension lui sera seulement servie ? chance de gain ou de perte, selon qu'il sera favorisé d'une vie longue ou qu'il succombera de bonheur aux fatigues de son travail ou à un accident imprévu, et la base même de l'institution repose sur cette chance, puisque les pensionnés ne peuvent profiter que d'une seule circonstance, du décès de leurs frères moins heureux. Dans tous les cas, c'est un fonds perdu, sur lequel il ne peut être fait aucune res- litution ni au déposant, ni à sa famille; enfin, l'égoisme sera, dans bien des cas, le seul mobile de l'épargne que l’ouvrier versera à la caisse de retraite, privant sa famille des ressources que cette épargne eût pu lui procurer dans bien des circonstances, et cela dans le but aléatoire d'obtenir lui-même, mais aussi lui seul, une pension à un âge avancé; tels sont les reproches fondés que l'on adresse aux caisses de retraite, au moins lorsqu'elles attirent les économies de l'ouvrier. La véritable prévoyance, l'esprit d'ordre et de moralité con- duisent l'ouvrier à la société des secours mutuels, à la caisse d'é- pargne ; ils doivent le détourner de l'établissement qui lui promet, sous le nom de pension, une rente viagère. (2) Cela est si vrai, que, dans la loi de 1850, on a compris l'injus- tice, je dirai même l'inhumanité qu'il y aurait à laisser sans secours l'ouvrier qui, ayant fait des dépôts à la caisse, se trouvera, avant l'âge où la pension doit prendre cours, malheureusement mis dans l'impossibilité de travailler ; et par son art. 9, elle dispose que : « Toute personne assurée dont l'existence dépend de son travail, et qui, avant l’âge fixé par l'assurance, se trouverait, par la perte d'un membre, d'un organe, par une infirmité permanente, résul- tant d'un accident survenu dans l'exercice ou à l’occasion de l'exer- cice de sa profession, incapable de pourvoir à sa subsistance, jouira immédiatement des rentes acquises depuis cinq ans au moins, sans que ces rentes puissent dépasser 360 franes. » Cette dérogation au principe de l'institution en laisse voir tous les in- convénients. Peu d'ouvriers seraient, dans tousles cas, en position d'effectuer les versements nécessaires ; M. le Ministre de l'intérieur a dû lui-même le reconnaître dans la discussion : « La loi qui nous occupe, je le re- connais, disait-il, dans la séance du 13 décembre*1849 , n'a pas exclusivement pour but de venir en aide aux classes ouvrières et notamment à la partie pauvre des classes ouvrières, cette loi s'a- dresse à toutes les classes de la société. » « Si vous descendez jusque dans les classes de la société qui figu- rent sur les registres des bureaux de bienfaisance, je veux bien re- connaître, ajoutait-il, qu'aussi longtemps qu'une grande réforme ne sera pas introduite dans la distribution des secours par les comités de bienfaisance, je veux bien admettre que, pour cette classe, la caisse sera inutile. Mais en dehors de la elasse secourue par les bu- reanx de bienfaisance, il y a les classes laborieuses, qui vivent au- jourd'hui indépendantes des bureaux de bienfaisance et qu'il importe beaucoup de maintenir dans cette position. Beaucoup de familles d'ouvriers, par la rigueur des temps, sont obligés de passer de cet état d'indépendance qu'engendre le travail à cet état de dépendance qu'engendre le bureau de charité. C'est pour garantir les classes la- borieuses contre cette extrémité, c’est pour les maintenir autant que possible à l'état de classe indépendante que nous cherchons à leur assurer une retraite pour l’époque où ils sont contraints au- (75) jourd'hui à recevoir les secours de la bienfaisance publique. » L'institution des caisses de retraite ne peut done être considérée que comme pouvant exceptionnellement seulement profiter aux classes souffrantes de la société. Il est, du reste, un motif bien puissant qui nous fait douter pour l'avenir de la possibilité du maintien des caisses de retraite sur le pied où elles ont été fondées par la loï; c’est, suivant nous, la fausse base qui a servi de point de départ aux calculs des probabilités de survie. On s'est servi, à cet effet, des tables de mortalité dressées pour tout le royaume, comprenant par conséquent toutes les classes de la population. Or, si, comme nous l'avons vu, les classes ou- vrières ne peuvent, que par exception, prendre part aux caisses de retraite, si c'est plutôt la classe des travailleurs déjà aisés qui en réalité en profitera, il faut reconnaître qu'après quelques années, des mécomptes graves pourront en résulter; car ces déposants ne se- ront pas en général exposés à ces fatigues, à ces dangers qui abré- gent la vie des travailleurs proprement dits, la période de vie sera done plus longue que la moyenne acensée par les tables de mortalité; on se trouvera ainsi en présence de charges disproportionnées avec les ressources , et il en résultera on une dépense considérable pour V'État , ou la nécessité de diminuer les pensions, deux circonstances qui porteront au crédit et à la popularité des caisses de retraite un coup terrible dont elles auront bien de la peine à se relever. Peut-être, après mûr examen et en inserivant dans la loi, comme on Va fait, la réglementation par arrêtés royanx des tarifs des an- nuités, ee qui permet une révision facile et fréquente et met l'État à l'abri des charges considérables que les circonstances peuvent lui imposer à l’occasion de cette caisse, croira-t-on ne pas pouvoir re- fuser à l'artisan le moyen de s'assurer pour ses vieux jours une pen- Sion qui lui permette de vivre indépendant sans recourir à l'admis- sion aux hospices. S'il peut faire ces versements sans soumettre sa famille à des privations qui n'ont pour but qu'une chance de se pro- eurer à lui seul un moyen d'existence et ce, dans un temps éloigné qu'il peut ne pas atteindre, nous l'admettrons; mais nous croyons que cette institution ne doit venir qu'en troisième ligne, et que l'ar- tisan ne devrait pouvoir y recourir qu'après avoir, par sa participa- (74) tion aux associations de secours mutnels ou aux caisses de prévoyance, et même par un dépôt à la caisse d'épargne proportionné à son sa- laire, pourvu aux malheurs qui peuvent venir le frapper, et assuré à sa famille les moyens de s'élever à un degré supérieur de l'échelle sociale, en suivant la même voie d'activité et d'épargne qu'il aura parcourue dans sa carrière. Ce n'est malheureusement pas ainsi que l'on a procédé en Belgi- que. On n’y a pas suivi cette gradation , qui est cependant si essen- tielle lorsqu'il s'agit de faire pénétrer dans les masses les idées et les habitudes de prévoyance et d'épargne. Nous le regrettons vive- ment; car nous craignons que le peu de succès qu'obtient la caisse de retraite n’exerce une fâcheuse influence sur la consolidation des institutions de prévoyance que l'on établira plus tard. Les sociétés de secours mutuels, les caisses d'épargne, lorsqu'elles seront bien éta- blies et réglementées , souffriront peut-être de ce qu'au lieu de les fonder d’abord et de leur procurer toutes chances de succès, on a, en quelque sorte, élevé une barrière à leur progrès, en instituant pri- mitivement les caisses de retraite, en les donnant comme un moyen efficace et puissant de secours pour les classes ouvrières, tandis qu'en réalité, celles-ci devraient en profiter bien peu, si tant est qu'elles le puissent même dans la plus petite proportion. Nous le pensons encore, la présentation du projet de loi sur les caisses de refraite en Belgique a été prématurée. Cette loi ne devait venir qu'après la consolidation et l'établissement général des associations de secours mutuels et des caisses d'épargne, et, suivant nous, le ficheux effet qui en résulte ne disparaîtra que lorsque , réunissant dans une seule loi générale les dispositions relatives à ces divers éta- blissements de prévoyance, le législateur les rétablira dans l'ordre naturel à leur caractère, et qui résulte des besoins et des souffrances des classes ouvrières. Quoi qu'il en soit, on comprend l'importance qu'acquièrent de semblables établissements dès qu'ils sont fondés. Il y a là une aceu- mulation de capitaux qui doivent être employés utilement pour … fructifier et fournir aux besoins non-seulement du présent, mais de n l'avenir; et il faut surtout que les déposants aient la garantie que les engagements que contracte la caisse vis-à-vis d'eux, par les ver- (75 ) sements qu'ils y font, seront rigoureusement tenus. Une institution semblable ne peut être convenablement dirigée que par l'État; elle ne peut exister que sous sa garantie, comme l'a dit M. le Ministre des finances dans la discussion : « Il faut que la caisse soit régie, surveillée, protégée, garantie par l'État, pour qu'elle produise les bienfaits qu'on est en droit d'en attendre (1). » Les ressources indi- viduelles n’y pourraient suffire, et les particuliers devraient recourir à des spéculations, à des placements chanceux qui compromettraient, dans bien des cas, le capital versé par les déposants. La charité privée ne pourra donc avoir part dans la fondation ni dans la direction des caisses de retraite ; la charité individuelle pourra seulement encore se substituer , pour les versements, aux artisans qu'elle voudra favo- riser, à qui elle désirera créer une existence assurée pour la vieil- lesse; mais, on le comprend, cette coopération même sera diflicile- ment obtenue là où le bienfait ne peut avoir aucun résultat immédiat et se trouve soumis, quant à son efficacité, à toutes les chances de la vie humaine chez un homme se livrant à des travaux pénibles ou dangereux. L'expérience démontre que la charité collective, les associations, n'offrent pas les garanties convenables de sécurité et de durée pour le service des caisses de retraite. Nous ne parlerons pas de ces nom- breuses sociétés tontinières qui ont fait tant de victimes; il n'y avait pas seulement dans quelques-unes manque de bonne foi et de pro- bité dans les directeur et administrateurs, il y avait dans toutes un fardeau trop lourd pour des associations ; les opérations importantes qu'elles devaient entreprendre pour prospérer les exposaient à trop de chances d'insuccès. Elles ont presque toutes succombé à la peine. Le résultat n'a pas été plus heureux lorsque ces caisses ont été in- stituées comme auxiliaires des sociétés de secours mutuels. Elles ont entraîné la ruine de celles-ci, et ont ainsi privé la société des avan- tages qu'elles pouvaient lui procurer à elles seules. Le premier rap- port adressé à M. le Ministre de l'intérieur par la commission chargée de préparer un projet de loi sur les caisses de prévoyance, en cite des exemples : « En Angleterre, porte ce rapport, la plupart (1) Séance du 14 décembre 1849. (76) des sociétés de secours mutuels sont en méme temps des caisses de retraite; mais les fondateurs imprudents de ces institutions multi- ples ont laissé à leurs successeurs des charges accablantes. En Bel- gique, les mêmes crrements ont été adoptés par quelques sociétés de secours mutuels, qui commencent à en subir les tristes conséquen- ces. » Le rapport déjà cité de M. T'Kint de Naeyer sur le projet de loi des secours mutuels constate le même fait: « Il est de notoriété publique, dit-il, que la plupart des sociétés qui ont entrepris d’as- surer des secours permanents à la vieillesse, aux veuves et aux en- fants, sont hors d'état de remplir leurs promesses, Lorsque la légis- lature est intervenue (il s'agit de l'Angleterre), elle a toujours cherché à remédier au mal, mais jusqu'à présent, ses efforts ne semblent pas avoir atteint le but désiré. On lit, en effet, dans le dernier rapport de la commission d'enquête du parlement ce qui suit: « En re- cueillant depuis quelques années une collection plus étendue et plus complète de matériaux statistiques, on a été mieux renseigné sur les calculs et les principes qui doivent servir de base à ces asso- ciations. L'altention ayant été dirigée sur les défauts inhérents à l'ancien système, plusieurs sociétés se sont établies avec des garan- lies plus solides. Cependant il a été constaté par les grefliers (actua- ries) chargés de vérilier les tarifs que, pour la grande majorité des sociétés d'amis et clubs aujourd'hui existants, un examen sérieux des comptes démontrerait que le taux des cotisations ne suffit pas pour les mettre à même de payer les assurances contractées; que, dans beaucoup de cas, elles ont été obligées de suspendre leurs secours, et que les sociétés qui ont jusqu'à présent tenu leurs enga- gements ont probablement été à même de le faire par l'adjonction continuelle de jeunes membres, de sorte que la défectuosité des tarifs n'a pas été sentie. » Admettons donc que la charité publique, ou les administrations légalement constituées, peuvent seules utilement et convenablement fonder et diriger les caisses de retraite; seules elles peuvent donner aux ouvriers, pour ces placements à longs termes, la sécurité né- cessaire au but et à la prospérité de l'institution, sécurité qu'aucun particulier, qu'aucune association ne pourront jamais offrir au même degré; enfin, elles seront à même, dans tous les cas, d'accorder aux déposants des conditions plus favorables que dans toute autre combinaison. Nous avons énuméré les différentes institutions de prévoyance que nous croyons devoir être la base de l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société; nous avons mis en première ligne les sociétés de secours mutuels qui comprennent dans leur géné- ralité toutes les sociétés de prévoyance ayant pour but de fournir une ressource momentanée à l'ouvrier malade ou sans travail; vien- nent ensuite les caisses d'épargne et en troisième lieu les caisses de retraite. Nous n'entendons nullement borner à cette énumération les institutions de cette nature; nous avons voulu seulement prou- ver leur utilité, leur efficacité lorsqu'elles formeront un ensemble sagement organisé, nous ajouterons, leur nécessité dans toute so- ciété soucieuse de combattre efficacement la misère. Rien ne s'oppose à ce que d’autres institutions analogues se for- ment à côté de celles-là suivant l'esprit, les usages des diverses loca- lités; la charité privée y aura nécessairement la plus grande part d'action; la part contributive de la bienfaisance publique, s'il y a lieu, sera régie par les principes que nous avons émis pour les éta- blissements de prévoyance en général, et pour ceux que nous avons spécialement définis, suivant le degré d’analogie qui s'y rencon- trera. Il faudra, dans tous les cas, encourager , stimuler le zèle de la charité qi voudra fonder de semblables établissements, qui voudra établir des associations pour obtenir, par la réunion des efforts et des sacrifices de tous, le soulagement de la misère de quelques-uns que le malheur vient frapper. Nous ne tenterons pas de faire des citations qui seraient nécessairement incomplètes; nous dirons seu- lement que pour qu'elles atteignent d’une manière profitable et assurée le but qu'elles se proposent, toutes ces associations, quelles qu'elles soient , doivent se conformer aux principes que nous avons énumérés pour les établissements de prévoyance. Il est cependant un établissement qui, par son importance et par son caractère spécial, mérite de fixer notre attention. Ce sont les _ monts-de-piété ou établissements de prêts sur gages. On peut, jusqu'à un certain point, les compter au nombre des institutions propres à venir en aide aux classes souffrantes de la (78) société, quoique ce ne soit pas uniquement leur destination. En l'absence des sociétés de prévoyance, c'était là exclusivement que le malheureux a pu, jusqu'à nos jours, en se dépouillant des objets mobiliers qu'il possédait, se procurer quelques ressources pour parer à des maux imprévus. Si, dans plusieurs circonstances, il en est résulté un allégement de souffrances , que de fois aussi le mont-de- piété n'a-t-il pas été un appât pour les ouvriers imprévoyants dési- reux de se procurer quelques jouissances! Tout en reconnaissant donc aux monts-de-piété le caractère d’éta- blissements d'utilité publique, constamment ouverts à tous ceux qui, sur dépôt d'objets mobiliers, désirent emprunter des fonds, nous voudrions leur voir perdre de plus en plus le caractère d'établisse- ments de bienfaisance qu'ils ont usurpé; car il est difficile d’ad- mettre qu'on vienne efficacement en aide à une famille dans le besoin en lui faisant une avance qui produit un intérêt de 10 à 45 p.°, : c'est ce que la nouvelle loi sur les monts-de-piété, du 30 avril 1848, a reconnu implicitement en créant pour ces institutions des admi- nistrations spéciales, communales, séparées des bureaux de bienfai- … sance et des hospices. Ce sont néanmoins ces derniers qui doivent - pourvoir à leur établissement , mais, dans la pratique, les efforts doi- vent tendre à les désintéresser entièrement pour ne pas absorber la moindre partie des ressources destinées aux indigents, et qui peuvent, comme nous le verrons plus tard, recevoir une destination bien plus utile, bien plus profitable aux malheureux. Sans doute, cet intérêt ; pourra être réduit, les efforts les plus louables ont été tentés dans ce but; mais jusqu'ici les exemples de cette possibilité sont restés bien rares. L'autorité publique et les particuliers doivent tâcher de faire dis-* paraître chez le travailleur le besoin de recourir aux prêts sur gages. A cette fin, il faut encore une fois développer l'esprit de prévoyance. Où sera, en effet, la nécessité du mont-de-piété pour la classe ou- vrière, si nous la supposons affiliée aux caisses de prévoyance? S'il est malade , l'ouvrier secouru par la caisse de prévoyance, soigné par le médecin de l'association, recevant de celle-ci les médicaments, ne tombe pas dans la misère; il ne doit pas songer à se créer des. ressources par des moyens désespérés. Ne trouve-t-il pas, d’ailleurs, à, ad AS ( 79 ) la caisse d'épargne, à laquelle nous supposons qu'il prend part, de quoi se soutenir dans un moment de gêne, s'il a eu le bon esprit, la sagesse de faire quelques économies dans la période de prospérité et de travail? c'est une avance qu'il se sera faite à lui-même, et il n’en devra aucun intérêt. Ces mêmes sentiments de sagesse et de pru- dence sufliront pour le porter à restituer à la caisse d'épargne les fonds qu'il aura dû en retirer, et il le fera aussitôt que des jours meilleurs viendront à luire. Nous pensons donc que ni la charité privée, ni la bienfaisance publique n'ont à intervenir dans l'institution des monts-de-piété. Leur importance suflit pour que les administrations publiques aient seules le droit de les établir et de les diriger. Nous admettons même leur nécessité dans les grands centres de population, où il est utile de soustraire le père de famille dans la gêne et auquel le crédit fait momentanément défaut, à la dure né- - cessité d’un recours aux usuriers, s'il veut éviter une chute dont il | ne pourrait plus se relever. Le seul but à poursuivre doit être d'organiser l'administration et À Je taux de l'intérêt de manière à ce que les frais soient couverts par le produit des opérations, en réduisant d'autant plus l'intérêt que des ressources plus considérables seront successivement acquises et qu'elles permettront de faire jouir les emprunteurs de cet avantage. Tel est le but que s’est proposé le législateur belge dans la loi de 1848 qui a réorganisé les monts-de-piété. Elle prévoit et-elle pose les bases de l'acheminement à la réduction du taux de l'intérêt; mais il- nous sera permis d'exprimer la crainte que l’époque où cette réduc- tion sera possible ne soit encore bien éloignée, au moins dans les Nilles de deuxième et de troisième ordre, les frais devant toujours y être élevés, eu égard aux bénéfices réalisables. Nous regrettons aussi, comme nous l'avons déjà dit, d'y voir les administrations publiques de bienfaisance obligées de faire la do- tation de ces établissements. Le travail que nous avons l'honneur de soumettre ici à l'Académie suflira, croyons-nous, pour prouver du moins que les ressources de ces établissements trouveraient de nom- breuses applications bien plus utiles pour le soulagement et l’amé- lioration des classes souffrantes. DE ( 50 ) Le moyen de remédier à ces inconvénients, c'est que celle dotation ne soit qu'un véritable placement de fonds, c'est-à-dire une avance de plus ou moins longue durée et dont les intérêts seraient servis exactement. Mais cela suppose la réalisation de bénéfices suffisants pour couvrir les frais d'administration et subvenir au payement de ces intérêts, bénéfices qui exigeront le maintien d’un intérêt élevé à prélever sur les emprunteurs. Il y à done là deux résultats distinets à atteindre, qui sont en opposition l'un avec l'autre et qui ne pour- raient être obtenus tous deux ensemble que par une prospérité extraordinaire des monts-de-piété, prospérité peu désirable, on le comprend, et que la pratique démontre être peu probable. Nous n'hé- sitons pas, toutefois, à préférer le système de l'intérêt plus élevé s'il est nécessaire, car il offre l'avantage de laisser aux établissements de bienfaisance toutes leurs ressources pour être appliquées suivant leur destination essentielle et pour venir ainsi efficacement en aide aux indigents. SECONDE PARTIE. Tous les établissements, quels qu'ils soient, fondés pour faire ac- quérir à l'ouvrier, à l'indigent, l'esprit de prévoyance, l'habitude de l'épargne, forment en quelque sorte le système préventif de la mi- sère , si nous pouvons nous exprimer ainsi, C'est la barrière à opposer à son envahissement. L'artisan judicieux et prudent doit s'y mettre à l'abri des maux qui sont inséparables de l'humanité, et profiter des circonstances qui peuvent lui faciliter l'avénement à une position plus élevée. C'est le premier devoir qui incombe à la société dans laquelle nous vivons, à l'homme dans notre état social, c'est de fonder , de sur- veiller, de propager, de soutenir toutes les institutions qui ont pour but de prévenir les souffrances et le malheur des autres membres de la société, de ceux dont le travail est l'unique ressource. Ce doit être le premier mode d'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société, et dès qu'on aura pu leur inculquer les idées de pré- voyance et d'économie, qui doivent servir de base à ces institutions, il n'est pas douteux que l’on aura fait disparaitre la principale cause de l'indigence. Ce ne sera plus alors que comme exception qu'il faudra recourir à l'assistance proprement dite, au secours à accorder à l'in- digent et à sa famille. « Offrez aux individus des classes laborieuses les moyens de se ménager des ressources pour les accidents et pour les temps de détresse, dit M. de Gérando (1), éclairez-les sur les avan- (1) De la bienfaisance publique, liv. IH, chap. VIL, art. 2. Tome V. 6 (8&) tages des institutions de prévoyance, guidez-les, aïdez-les dans la pratique de la prudence, alors vous serez moins exposés à les voir chercher dans les aumônes de la charité, leur seul moyen de salut. » Cette exception, il faut le reconnaître franchement, elle se pré- sentera toujours, quoi qu'on fasse. Malgré les efforts les plus géné- reux et les plus persévérants, il y aura toujours des malheurs im- prévus, des positions exceptionnelles pour ceux qui vivent du travail de leurs bras. Les maladies, le manque du travail, et surtout une famille nombreuse, ou les infirmités, seront toujours des causes de privations et de souffrances. C'est un devoir pour la société de venir en aide à l’ouvrier qui se trouve dans cette malheureuse position; elle doit l'aider à en sortir où du moins apporter un soulagement à ses souffrances. C'est alors et alors seulement que la charité doit intervenir, car elle doit ne s'adresser qu'aux vrais nécessiteux; mais quel sera le mode de cette intervention ? C’est la question si délicate et si grave en même temps de l’assistance publique, dans le sens ordinaire du mot. Nous pensons que l'intervention de la charité doit généralement s'exercer d’une manière indirecte, sans agir immédiatement sur le chef de la famille. On arrivera par ce moyen à stimuler le zèle du travailleur; le paresseux sera forcé de sortir de son indolence, tandis que l'homme courageux parviendra à trouver dans le produit de son travail une existence honorable, indépendante et dont il sera fier à juste titre. On coupe court dans ce système aux reproches que l'on fait de nos jours à la charité. L’aumône est dégradante, dit-on; elle avilit celui qui en est l'objet; la charité indirecte, comme nous l'entendons, échappe à cette objection; c’est un aide puissant que la société apporte à l'artisan, au père de famille; c'est l'accomplisse- ment du devoir de tout homme de venir au secours de son sem- blable et ce de la manière la plus utile et la plus conforme à sa dignité. Le vice capital de l’organisation de la bienfaisance par les secours à domicile, c'est que l'aumône, le secours, si l’on veut, passe trop souvent par des mains étrangères avant d'arriver à l'individu qui le mérite, auquel il est destiné. Un exemple expliquera cette pensée : supposons un ouvrier, quelle que soit sa profession , à la tête d'une ( 85 ) famille de cinq enfants en bas âge (cela n'est pas rare), le père est parfaitement capable de travailler, la mère l’est également, cepen- dant, soit par l'absence de travail pendant l'hiver, soit par toute autre cause, cette famille ne peut subvenir à ses besoins. Il faut que des secours lui soient accordés pour qu’elle puisse vivre; le père reçoit ces secours dans le système actuel des distributions de secours à domicile ; or, il est évident que, dans la réalité, ce n'est pas lui qui devrait être secouru; pour ce qui le concerne, quant à la mère en- core, ils peuvent, pendant la période de travail, gagner suffisamment pour leur entretien; c’est leur nombreuse famille qui les surcharge. C'est à cause de l'entretien coûteux de cette famille que l’ouvrier ne peut prélever sur son salaire de quoi contribuer aux sociétés de prévoyance, à la caisse d'épargne; il ne peut même quelquefois suf- fire à sa subsistance. C'est donc la famille qui est la cause de son indigence, c'est elle qui rend les secours nécessaires; la raison in- dique dès lors que c’est à la famille que les secours doivent être donnés directement, sans que le père ou la mère puissent s'arroger une part dans cette subsistance, qui n’est accordée que pour ceux qui sont incapables de travailler. Or, que de fois n’arrive-t-il pas qu'un père, qu'une mère, trou- want dans les secours de toute espèce qu'ils reçoivent pour leurs enfants, de quoi vivre pendant quelques jours, délaissent le travail pour se livrer à une honteuse oisiveté! Ne les voit-on pas, comptant sur ces distributions, renoncer à tout sentiment de prévoyance et d'épargne? Ne voit-on même pas souvent ces parents dénaturés, s'appropriant ces secours, les vendre pour se procurer du superflu ? pour former des réunions de plaisir, quelquefois même de débau- che? et chassant leurs enfants dans la rue, leur apprendre à trouver leur subsistance dans la mendicité? Ne perdons pas de vue les effets désastreux que de pareils faits doivent produire dans l'esprit des enfants. Serait-il possible à ces jeunes infortunés de ne pas concevoir une aversion profonde pour Vordre social, lorsqu'ils se voient abandonnés de la sorte par la société, qui se bornera à donner à leur père quelques pains par semaine, sans s'occuper de leur jeune âge ni de leurs besoins, sans les protéger contre l'égoisme de leurs parents ? (84) Ï faut couper court à celte funeste tendance; il fant détruire celte source d'abus. À cet effet, laissons à l'ouvrier le fruit de son travail, mais obligeons-le, à l'aide de ce produit, à pourvoir à ses besoins ; qu'il soit forcé d'y trouver le moyen de participer aux in- stitutions de prévoyance fondées pour secourir l'ouvrier malade ou sans travail. D'un autre côté, que de fois n'arrive-t-il pas qu'une mère, pouvant gagner sa journée, se voit retenue chez elle par les soins qu'exigent ses enfants ? il en est d’autres pour lesquelles ces soins sont un pré- texte couvrant leur indolence. Ne serait-il pas utile, nous le de- mandons, de donner à celle-là le moyen de se livrer au travail, d'enlever à celle-ci ce qui lui sert à dissimuler ses vices et sa dé- pravation ? Il en est de même des vieillards, des infivmes , qui sont, dans bien des cas, une lourde charge pour leur famille, mais qui ne sont bien souvent encore qu'un moyen de spéculation. Changer tout à coup la face des choses serait à coup sûr impos- sible, le tenter serait plus que téméraire; ce n’est pas en quelques jours que l'on parviendra à inspirer aux classes ouvrières les idées d'ordre ‘et d'économie qui doivent les faire participer aux sociétés de secours mutuels, aux caisses d'épargne; que l'on fera com- prendre combien est honorable l'indépendance acquise par le travail à celui qui s'est habitué à compter sur les secours publics et privés et que n'effraie pas la ressource de la mendicité. 11 faut en conclure que le remède qu'il faut appliquer au mal, c'est pour l'avenir qu'il faut le rechercher; c'est la génération qui nous suit que nous devons former; c'est donc l'enfance et la jeunesse qui doivent être avant tout l'objet des soins de la société. Inculquons de bonne heure à ces jeunes intelligences les principes d'une bonne éducation, montrons pour ces enfants, dès l'âge le plus tendre, la plus vive sollicitude, et ils béniront la société au lieu de la maudire. Un célèbre économiste de nos jours, M. Blanqui, a été frappé des immenses lacunes que présentent encore l'instruction, et surtout l'éducation de la classe M indigente. Il revient à plusieurs reprises sur ce point (1). « Cette (1) Traité des classes ouvrières en France; Paris, Didot, 1848. (85) immense question dé l'éducation physique et morale des enfants d'ouvriers, dit-il, p. 206, renferme tout l'avenir de la société ac- tuelle. » Et il ajoute, p. 77 : « Tant que la sociéténe commencera pas cette réforme (des abus) par la base, c’est-à-dire par une vigilance infatigable sur l'éducation de l'enfance, elle tournera perpétuelle- ment l'affreuse roue d'Ixion, et nos villes manufacturières seront des foyers continuels de désordre, d'immoralité et de sédition. » « Dans l'état présent des choses, dit-il encore, p. 199, les enfants des ouvriers ne reçoivent à l'école qu'une simple instruction élé- mentaire presque partout dépourvue d'enseignement moral et com- plétée d'une manière trop imparfaite par l'enseignement religieux de la paroisse. » Et il en conclut, p. 253, «que, pour remédier à cet état de choses, il faut s'emparer des enfants et ne les point quitier avant qu'ils aient échappé au travail criminel et prévaricateur de l'atelier qui les démoralise et les tue. » M. H. Passy, dans son rapport à l’Institut sur le concours de 1845 (1), voit le mal au même point de vue : « A présent on le sait mieux que jamais, dit-il, c'est dans la faiblesse intellectuelle et morale des populations que réside la cause principale de leurs souf- frances. C'est en travaillant à leur inspirer des idées d'ordre et de prévoyance, des sentiments de sagesse et de dignité qu'on en ré- duira la fatale activité. Toute institution qui n'irait pas à ce but essentiel n'offrirait que des palliatifs insuffisants. » Enfin, M. Droz (2) conclut : « Qu'on est ramené sans cesse à celte vérité, que l'éducation de la classe nombreuse est la base de toute amélioration sociale. » C'est donc sur l'instruction et sur l'éducation des enfants des pauvres que repose d'abord le système d'assistance que nous pro- posons. Nous voulons aider le père en secourant l'enfant : mais ce système doit être complet, il ne peut y avoir d'interruption dans son organi- sation; ce n'est qu'à cette condition qu'il sera efficace. Il se résume dans les termes suivants : (1) Jounx. pes Écoxon., 1845, €. II, p. 155. (2) Traité d'économie politique, liv. WE, chap. VI. ( 86 ) Crèches, salles d'asile ou écoles gardiennes, écoles primaires unies aux écoles d'apprentissage; en un mot, il a pour devise: aide et pro- tection à l'enfant pauvre, depuis sa naissance jusqu'à ce qu'il puisse, par son travail , subvenir à ses besoins. C'est au momentmême de sa naissance que l'enfant doit commen- cer à être l'objet des soins de la société, qu'il doit, tant par lui-même que par la mère qui vient de lui donner le jour, recevoir l'assistance que nécessite son dénûment. Plusieurs de nos villes possèdent des sociétés de charité maternelle, dont les membres zélés se trouvent prêts à aider de leurs conseils et de leurs secours, les femmes pau- vres en couches, leur procurant ce dont elles ont besoin pour elles et pour leurs enfants. C’est une des belles institutions de la charité, et ici la charité individuelle a la plus grande part, puisque, pour les ressources comme pour les visites à domicile, la dame de charité doit payer de sa personne, l’association ne faisant qu'administrer le produit des souscriptions annuelles, des dons des membres hono- raires et des subsides qu'elle peut recevoir de l'autorité. On com- prend d’ailleurs que, dans ses visites, la dame associée, en présence d'une misère profonde, augmente par sa générosité les secours dont elle peut disposer sur le fonds commun. Cette œuvre, si éminemment philanthropique, produit partout où elle existe, les plus heureux résultats. Elle a été patronée successivement en France par Marie-Antoi- nette, par l’impératrice Joséphine et par la reine Marie-Amélie; il ne lui a manqué qu'une organisation complète, et surtout une exten- sion générale. C'est la réunion des dévouements qui lui donne sa puissance, et l'utilité de son action ressort assez d'elle-même. C'est en quelque sorte, l'introduction obligée de l'assistance à donner à l'enfant pau- vre; c'est le premier bienfait qu'il reçoit de la société qui veille sur lui comme une seconde mère, jusqu'à ce que celle qui lui a donné le jour ait repris ses forces pour recommencer son travail. Rien ne serait plus facile que l'établissement de ces sociétés dans toutes les localités. La femme du monde, celle que la fortune a comblée de ses faveurs, est ainsi naturellement amenée dans le lo- gement du pauvre, et l'impression que le tableau de la misère fera (87) sur son cœur ne sera jamais sans résultat. L'expérience prouve que, pour des villes d'une importance déjà notable, quelques milliers de francs suffisent annuellement aux dépenses de la société de charité maternelle. Tout dépend donc du zèle des associés, et nous n’hési- tons pas à dire que la charité collective, aidée de la charité indivi- duelle, qu'il dépend de la première de stimuler et de provoquer , suflira pour venir en aide à ces premiers besoins de l'enfance. Si, en cas de défaut total de ressources, l'autorité venait accorder un se- cours à l’une ou l’autre de ces sociétés, il résulte de la nature même de cette institution, que ce serait le seul mode possible d'interven- tion de la bienfaisance publique; car nous ne parlerons pas de la publicité des comptes, ni des autres conditions de prospérité et de bonne gestion que nous avons énumérées pour les actes des associa- tions charitables; nous nous y référons, nous ne les répéterons pas ici. L'action de la dame de charité cesse, comme nous venons de le voir, dès que les forces sont rendues à la mère de famille après la naissance de son enfant; celle-ci peut alors retourner au travail, mais à une condition , c'est que l'institution des crèches soit ouverte pour recevoir l'enfant pendant toute la journée de travail de la mère. L'œuvre des crèches, une des plus admirables inventions de la charité, n’existe que dans quelques grandes villes et partout encore d'une manière très-incomplète. Il importe d'en bien apprécier l'im- portance et les utiles résultats pour comprendre quelle puissante assistance elle procure aux parents qui peuvent y faire admettre leurs enfants. L'on ne peut, sans avoir visité une crèche, se faire une idée de la sollicitude qu'y rencontrent les nouveau-nés, de l'existence heureuse qu'ils y trouvent : la mère y amène son enfant avant d'aller à son travail; elle peut l'y allaiter dans les heures de repas et le reprendre lorsqu'elle a des instants de loisir. Cette institution supprime cette cause si commune d'absence aux classes des enfants plus âgés, obligés de garder leurs frères en bas âge, et elle laisse à la mère de famille cette partie souvent si consi- dérable du gain de sa journée (ordinairement 30 centimes par jour) qu'elle doit abandonner pour veiller sur son enfant jusqu'à son re- tour, Elle ôte tout prétexte à l'oisiveté et elle permet à la mère de (88 ) famille courageuse de se livrer en toute sécurité et en toute liberté à son travail. C’est aux crèches que les premiers instincts de l’'en- fant se développent, et ils y recoivent la meilleure direction. On peut dire que l'enfant y croît dans une atmosphère qui prépare sa raison lorsqu'elle viendra à éelore, à recevoir doucement et naturel- lement les plus sages inspirations; jusqu'à l'âge de trois ans, l’en- fant y puise ces premiers principes de religion qui doivent servir de base à son éducation; dès qu'il a atteint cet âge, il quitte la crèche, il entre à l'école gardienne. Faisons des vœux pour que nous voyions bientôt s'établir les crèches dans chaque commune où l'existence dans les familles pauvres d’un enfant qui vient de naître serait de nature à les pri- ver du produit du travail de la mère. C'est principalement dans les villes, et surtout dans les cités manufacturières, que l’on en sentira l'heureuse et importante influence. Ce sera aussi dans les campagnes une assistance bien puissante pour la famille de l’ouvrier. Le but de la crèche est uniquement de faciliter à la mère les moyens de vivre par son travail; la crèche ne doit done admettre que les enfants dont les mères ne peuvent vivre sans travailler hors de chez elles, et l'en- fant ne doit y être reçu que tant que dure le travail de la mère. Or, à la campagne comme dans les villes manufacturières, le travail force la femme courageuse à quitter le foyer domestique; là aussi nous devrions donc rencontrer une salle où les enfants seraient, en com- mu, l'objet d'une surveillance et de soins qui les préserveraient des accidents qui les frappent si souvent. Il y a dans l'institution des crèches une haute question d'humanité : que l’on songe seulement combien nous lisons presque chaque jour de récits d'affreuses cata- strophes qu'occasionne l'absence des parents! Que de malheüreuses pelites créatures ont péri par le feu! Combien d'autres succombent au défaut de soins des mercenaires aux mains desquels elles doivent être confiées! Que de fois si, par l'une ou l'autre de ces causes, l'en- fant ne vient à perdre la vie, n'arrive-t-il pas que des coups, des blessures graves occasionnent des accidents, des infirmités qui sou- vent deviennent incurables et condamnent ainsi, dès leur enfance, un grand nombre de malheureux à une existence abreuvée de souf- frances et de privations! (89) Il ne manque pas d'exemples de crèches organisées et dignes de servir de modèle. Nous pourrions citer entre autres celle fondée à Bruxelles par la Société royale de philanthropie. Nous ne pouvons entrer iei dans les détails ; nous dirons seulement que tout luxe doit en être banni; que l'on doit s'y borner au strict nécessaire pour atteindre le but de l'institution. Ainsi fondées, les crèches n'entrai- nent que très-peu de frais. Nous citerons comme exemple du coût de l'entretien des enfants aux crèches, un renseignement certain fourni par l'expérience. M. Marbeau, président de la Société des crèches de Paris, dans une letire qu'il adresse à M. de Cormenin au sujet des erèches, le 21 avril 1849 (1), énonce, et son affirmation repose sur des faits positifs, que la dépense pour la crèche de S'-Louis d'Antin s'est élevée, en 1848, à 6,000 franes pour cent enfants, ou environ 17 centimes par jour par enfant. C'est le coût de l'admission et de Ventretien entièrement gratuits. Or, combien de mères ne $'esti- meraient pas trop heureuses de pouvoir profiter de l'institntion de la erèche, même à la condition de supporter l'intégralité de cette dépense! Rien ne s'oppose done à ce que l'on oblige les parents, comme cela se pratique déjà dans plusieurs localités, à contribuer, au moins pour une part, dans cette dépense. L'admission gratuite serait exclusivement réservée aux enfants dont les parents auraient droit aux secours des établissements de bienfaisance. Comme nous le dirons plus tard, ce sera là l'emploi d'une partie des ressources de ces établissements qui servaient à faire des distributions aux parents. Ceux-là seuls qui eussent participé aux secours jouiraient donc de l'admission gratuite, et vien n'empécherait sans doute d'é- tablir une deuxième catégorie et de permettre à des ouvriers moins mécessiteux l'accès de la crèche, à la condition d'entrer dans une partie des frais d'entretien. Quelques femmes recommandables, incapables de se livrer à un tra- vail assidu , trouveraient dans la crèche un emploi aussi modeste que convenable pour garder et soigner les enfants; elles cesseraient ainsi d'avoir recours pour vivre à la charité privée ou à la bienfaisance pu- blique. Dans les campagnes comme en ville, ceci serait facile à réaliser. (1) Annales de la charité; Paris, 1849, p. 244. ( 90 ) Il résulte évidemment des considérations que nous venons d’é- mettre et des faits que nous avons cités que, dans la plupart des localités, la charité individuelle suffirait à fournir par ses dons à l'entretien des crèches, que l'association qui pourrait se former dans chaque commune pour les patroner pourvoirait aisément à leurs besoins, et que ce ne serait que par exception que les revenus publics leur viendraient en aide. Dans tous les cas, on le comprend, la commission locale de bien- faisance a le devoir de surveiller ces établissements; mais nous ajoutons que dans toutes les villes ou communes dotées d’adminis- trations des hospices, à défaut de crèches fondées et soutenues d'une manière suflisante par la charité collective, ces administra- tions devraient être tenues d'en établir, car ce sont des soins pure- ment corporels que réclame l'enfant à cet âge, et l'institution rentre ainsi par sa nature dans la catégorie des établissements mis à leur. charge. Comme assistance accordée aux indigents dont les enfants y sont reçus, la crèche serait, en l'absence d'administration des hos- pices, à la charge des bureaux de bienfaisance, et, enfin, la com- mune devrait en faire les frais, si l'on ne pouvait trouver ailleurs les fonds nécessaires. Il y aurait à désespérer de l'humanité si, dans chaque localité, on ne parvenait pas à réunir la faible somme nécessaire pour soutenir, et quelques personnes dévouées pour surveiller ces établissements sans que l'autorité ou la bienfaisance publique dussent intervenir autrement que pour la surveillance et pour le contrôle, surtout en ce qui concerne la comptabilité. L'expérience faite jusqu'à ce jour prouve heureusement que bien des dévouements n'attendent que l'occasion qui leur serait offerte de se mettre à l'œuvre au service. d’une classe si digne d'intérêt et qu'il est si utile de diriger dès les premiers pas dans la vie. ‘ La deuxième période de la vie s'ouvre, pour l'enfant pauvre, entre deux et trois ans. 1] commence plus ou moins tôt à cet âge à ne plus avoir besoin de ces soins tout maternels qu'il reçoit à la crèche ; il peut entrer à l'école gardienne ou salle d'asile. | Là de nombreux enfants (ils peuvent être réunis jusqu'à deux ou trois cents) sont admis chaque jour et reçoivent par une méthode (9) des plus ingénieuses et pour ainsi dire, en jouant, les enseignements sur lesquels reposent les bases de leur instruction : leur jugement et leur raison s'ouvrent nécessairement, réveillés en quelque sorte par la perception des sens; les tableaux et le chant sont presque les seuls moyens d'instruction qu'on y emploie. Qui de nous n’a vu dans ces jeunes enfants qui vont à l’école gardienne ou qui en reviennent les heureux effets de ce qui a déjà été fait dans plusieurs villes ? Ils sont presque raisonnables à l'âge de trois on quatre ans, cés pelits infortunés que nous ne rencontrions auparavant que croupissant dans les carrefours, abandonnés à eux-mêmes et dans un état des plus déplorables! Dans un discours prononcé au congrès agricole de Berlin, sur les moyens d'améliorer le sort de la population des campagnes, par M. Auguste Cieszkowski (1), il est fait mention de l'établissement de salles d'asile rurales, comme étant sans contredit le moyen le plus fécond et le plus important de tous ceux indiqués jusqu'ici pour atteindre ce but. « Les institutions de ce genre, ajoutait l’orateur, sont, dès à présent, considérées en tous pays, et particulièrement en Angleterre et en France, comme si utiles, qu'on a été jusqu'à y voir, non sans quelque raison, le germe d'une régénération nationale. Je les regarde comme plus utiles, plus essentielles encore que les écoles _elles-mêmes; car si, dans ces dernières, l'enfant apprend à lire un peu, à écrire et à compter, dans les salles d'asile, il apprend à vivre; il s'ha- bitue pour ainsi dire, dès le berceau, à une vie régulière, sociable, harmonieuse, de telle sorte que les habitudes prises ainsi dans la pre- mière enfance lui restent toute la vie invariables et bienfaisantes, » Ces considérations si justes s'appliquent à l'établissement des _ écoles gardiennes dans les villes comme dans les campagnes; elles sont destinées à y produire les mêmes résultats. Dans l'état actuel des choses, nous ne voyons nulle part les salles d'asile établies dans les campagnes, et, dans les villes, leur organisation est loin d’être générale, nous ajouterons qu'elle est incomplète. Il faut apporter des modifications à ce qui a existé jusqu'ici pour rendre complets les avantages que la classe ouvrière doit en retirer, (1) Jounxaz pes Économisres, 1845, t. IT, p. 247. (9% ) pour que l'admission de l'enfant à la salle d'asile soit une assistance réelle accordée à l'indigent, et Cest surtout sous ce point de vue que nous la considérons ici; car, dans notre système, c'est une par- tie essentielle de l’organisation des secours pour celui que sa nom- breuse famille aceable et réduit à la misère. En premier lieu, l'admission ne devrait pas s'y faire désirer. Tous les enfants pauvres de trois à sept ans devraient pouvoir profiter des bienfaits de cette belle œuvre. Secondement , le soulagement qu'ap- porte aux parents le séjour de leurs enfants à l'école gardienne est imparfait et presque illusoire, si ceux-ci ne quittent pas la maison en mênie temps que la mère, si la classe se ferme avant la fin de sa jour- née, si enfin la mère doit rentrer chez elle ou recourir à d'autres pour préparer le peu de nourriture nécessaire à son enfant et pour la lui faire parvenir. ‘ L'école gardienne doit done, pour atteindre le but réel de son institution, 4° recevoir tous les enfants pauvres, dont les parents pourraient être obligés , pour nourrir leur famille, de recourir à l'as- sistance publique ou privée; ® ouvrir ses salles à l'heure où la mère de famille quitte la maison pour le travail et ne se fermer qu'à l'heure où le travail finit; 5° fournir à l’alimentation des enfants de cette eatésorie pendant leur séjour à l'école. Les locaux n'offriraient guère de difficultés dans les villes et dans les communes importantes; c'est, en tout cas, une dépense qui ne se ferait qû'une fois et que les bureaux de bienfaisance devraient sup- porter. Dans les communes ayant peu de ressources, rien ne s'oppo- serait, d'ailleurs, à ce qu'un même bâtiment réunit la crèche et la salle d'asile. On comprend combien cette fusion réduirait les frais de toute espèce; il en résulterait, en outre, avantage sous le rapport de la surveillance , en même temps qu'elle donnerait encore plus de facilité aux parents. Le seul point qui puisse rencontrer de sérieux obstacles est la nourriture à donner aux enfants. Examinons-le avec attention. D'abord l'ordre intérieur de l’école y gagnerait beaucoup. Tout se passerait régulièrement et selon la volonté des directeurs; l'on ne devrait plus attendre, comme cela arrive trop souvent aujourd'hui, la nourriture de l'un ou de l’autre enfant que les parents négligent (95) ou oublient; l'enfant admis à l'école ne serait plus exposé à s'en voir renvoyer, parce que la pauvreté des parents ne leur permetirait pas de Jui fournir une nourriture sufisante; enfin, ce qui a certes bien aussi son importance, l'égalité régnerait parmi tous les enfants. Celui qui a le malheur d'avoir des parents dénués de tout ne verrait plus son voisin, plus heureux que lui, prendre une nourriture saine et abondante, tandis qu'il est réduit aux plus chétifs aliments. L'im- pression que cause cette inégalité est de nature à s'enraciner forte- ment dans l'esprit de ces enfants, et peut produire pour l'avenir de bien tristes résuliats ; il importe de la détruire en instituant un ré- gime commun. La soupe et le pain seraient les seuls aliments nécessaires; les frais ne s'en élèveraient guère au delà de dix centimes par jour par chaque enfant. Nous trouvons dans le recueil déjà cité des Annales de la charité, un document officiel sur la dépense d’une salle d'asile comprenant tous les soins désirables à donner aux enfants qui la fréquentent. Il résulte d'un rapport adressé par M. Depasse, maire de Lamion (France), aux Ministres de l'intérieur et de l'instruction pu- blique, sur l'expérience qu'il en avait faite pendant deux ans, que la nourriture, l'entretien, l'habillement même des enfants joints aux autres frais de l’école, tels que le traitement de la sœur directrice et de la fille de service, coûtent, pour cent enfants, 2,000 franes par an. Ainsi donc, comme le fait remarquer l’auteur du rapport, moyennant une somme d'environ 20 francs par an, les enfants, à Lamion , sont nourris à discrétion, ils sont vêtus, ils sont blanchis. Sans doute, leur nourriture n’est pas recherchée, mais la meilleure preuve que cette alimentation est suffisante, c'est la bonne santé dont jouissent les enfants, c'est l'amélioration sensible qui se fait remar- quer en eux, après quelques mois de fréquentation dans la salle d'asile. Si on retranche de cette dépense les 206 franes attribués à | l'entretien des vêtements, qui n’est guère nécessaire et qui peut fort bien être laissé aux parents, on arriverait au chiffre bien minime de 18 francs par an par enfant. I nes’agirait donc nullement d'une dépense considérable, comme on pourrait le eroire au premier abord. Du reste, nous ne citons un chiffre, quoique officiel, que pour établir la possibilité de la réalisa- (94) tion pratique de notre système. Nous avons hâte de préciser iei un point très-important : il n'entre pas dans notre pensée d'établir l'en- tretien gratuit de tous les enfants admis à fréquenter les écoles gardiennes. Nous voulons d’abord que tous les enfants reçoivent la nourriture dans l'établissement, pour que parmi eux règne l'égalité la plus parfaite, pour que le service de l'école ne soit pas à tout instant troublé par la négligence ou par la pauvreté des parents; mais les conditions de cette alimentation ne seraient pas les mêmes pour tous. Elle serait gratuite seulement pour les enfants des indi- gents, c’est-à-dire de ceux dont les parents reçoivent des secours du bureau de bienfaisance (et ce serait une partie de ces secours qui re- cevrait cette destination), ou qui auraient des titres à être secourus, si la commune avait des ressources pour distribuer ces secours. Pour les autres, les parents devraient couvrir les frais de l'alimentation, et il faut bien admettre que le sacrifice qui leur serait imposé serait bien minime, si l'on tient compte de l'avantage considérable qu'ils en retireraient, nous n'hésitons même pas à dire qu'ils y trouve- raient une notable économie, une assistance réelle et importante. Voyons quelle sera la part d'action de la charité privée et de la bienfaisance publique. La charité individuelle peut certes beaucoup encore; c'est, en effet, chez elle que l'on rencontrera le dévouement pour contribuer à la surveillance et à la bonne direction des écoles gardiennes ; c'est d'elle que viendront les fondations , les dons généreux pour les sou- tenir. Nous en avons de nombreux exemples dans notre pays. Dans plusieurs de nos villes , il existe, pour venir au secours des enfants pauvres des écoles gardiennes , une association charitable destinée à confectionner et à procurer l'habillement à ces pauvres enfants : c'est l'Association des jeunes économes. Spontanément quelques jeunes personnes dévouées ont su fonder cette institution, éminemment utile, qui a déjà reçu des développements considérables. Tout y est volontaire ; le zèle charitable des associées est digne de tous éloges, et les dons et les cotisations leur fournissent des ressources sufhi- santes. Pourquoi ne pourrait-on pas espérer la formation d'associa- tions analogues pour venir en aide aux autres misères de l’enfance ? Dans les écoles gardiennes, un grand intérêt public est en jeu. Il (95 ) s'agit de soins donnés à l'enfant pauvre au moment où son intel- ligence s'ouvre, lorsqu'elle reçoit ses premiers développements; il s'agit donc de l’enseignement, et à ce titre, la société, représentée par l'autorité publique, a des devoirs qu'elle ne peut se dispenser de remplir. Elle doit intervenir dans la direction de l'instruction pour en surveiller l'organisation sur les bases nécessaires pour atteindre le double but de l'instruction et de l'assistance. Elle doit veiller à ce qu'il existe des institutions de ce genre en rapport avec les besoins de la population , et suppléer à tout ce qu'il peut y avoir de lacunes dans ce qui serait organisé par la charité individuelle ou par la cha- rité collective. La loi du 23 septembre 1842, organique de l'ensei- gnement primaire, a mis en pratique le système de l'organisation obli- gatoire des écoles primaires dans chaque commune, en voulant que la fréquentation en soit gratuite pour les indigents. Le même prin- cipe doit exister pour les écoles gardiennes, au moins aussi utiles, peut-être même plus nécessaires encore pour l'amélioration des classes ouvrières; nous ne pouvons donc hésiter à dire que, de même que l’enseignement primaire, l'enseignement des écoles gardiennes doit être établi aux frais de la commune, de la province et de l'État, sauf les institutions que pourraient avoir établies des associa- tions charitables ou des bureaux de bienfaisance; mais, dans ce cas, nous le répétons, tout ce qui concerne l’enseignement doit pouvoir être contrôlé par l'autorité, du moment où des subsides deviennent nécessaires. Nous considérons, en outre, comme une obligation in- combant à la bienfaisance publique la dépense de la nourriture à donner dans ces écoles aux enfants pauvres. Elle pourra sans doute, se trouver aidée par la charité privée qui, par des souscriptions ou par des fondations, pourvoira à cette dépense pour quelques-uns de ces établissements, mais en principe nous estimons qu'elle ne peut se dispenser d'y pourvoir ; du reste, ce n’est, pour une grande partie au moins, qu'un changement de destination des secours aujourd'hui distribués. C'est, en d’autres termes, l'application que nous croyons que l'on devrait faire d’une partie des secours publics. Or, dans toutes les communes, des secours plus ou moins considérables sont distribués aux indigents ; nous demandons qu’une partie en soit em- ployée à l'entretien des enfants pauvres dans les écoles gardiennes, ( 96 ) élle pourrait, sans inconvénient, être retranchée des secours que te- cevaient les parents. Nous avons déjà dit et nous établirons encore plus tard combien cet emploi serait plus judicieux et plus profi- table. Nous ajouterons qu'en cas d'insuflisance ou à défaut de res- sources pour les secours publics, la commune, la province et l'État ne devraient pas pouvoir laisser une localité privée du bienfait d’un établissement de cette nature, et que des subsides donnés par eux devraient contribuer à la doter d’une école gardienne suffisante et complète. Nous abordons la période la plus difficile de Ja direction de la jeunesse indigente. L'enfant à atteint l'âge de sept ans; sa raison commence à se développer; il peut être dorénavant l'objet d’une instruction plus sérieuse et qui doit décider de son avenir, de la position qu'il sera appelé à occuper dans le monde. Est-il besoin de rappeler que, dans notre pensée, tous les enfants, sans exception, devraient, à cet âge, fréquenter les écoles qui leur sont ouvertes sans pouvoir s'en dispenser, ni en être empêchés? Ne nous faisons pas illusion; ce qui existe de nos jours ne produit que de bien faibles résultats; il faut, pour que les leçons que reçoivent au- jourd'hui les enfants indigents produisent quelque fruit, rencontrer chezles parents une bonne volonté ctune intelligence exceptionnelles, chez les enfants des dispositions extraordinairement rares. Un faux amour de liberté, qui n'est en réalité qu'un funeste penchant à la paresse, fait déserter les écoles, et les années où l'esprit et le cœur devraient être formés sont perdues sans retour et n'y laissent que le germe de l'oisiveté et des mauvaises passions. Ici encore nous rencontrons des essais, des institutions bien diri- gées, mais elles exigent de nombreuses améliorations. L'enfant appartenant à Ka classe aisée, grâce à la position avan- tageuse où il s'est trouvé en naissant, est placé dans des pensionnats pour y faire son éducation ; il y passe la journée entière; chacun de ses actes est dirigé, surveillé; pourquoi, nous sommes-nous sou- vent demandé, n’en serait-il pas de même des enfants indigents ? Pourquoi la société ne ferait-elle pas pour eux gratuitement ce qu'une position fortunée permet aux autres de se procurer à prix d'argent? Loin qu'il y ait là quelque chose de déraisonnable et d'é- (97) trange, nous y voyons pour la société un devoir qu’elle ne peut se dispenser de remplir. Nous dirons même que c’est pour ne l'avoir pas fait jusqu'ici que notre époque a vu tant de bouleversements, que l'ordre social a été tant de fois et si gravement troublé, et qu'il a fallu enfin recourir à la force, prendre les mesures les plus rigoureuses pour empêcher qu'il ne le fût à l'avenir. Il n'en faut pas douter, la cause de ces désordres, c'est le défaut d'instruction des masses, c'est surtout l'absence d'éducation, c’est l'abandon dans lequel on a laissé l'enfant indigent dans les premières années de sa jeunesse. C'était une plante tendre et fertile, qu'il ne s'agissait que de conduire dès sa première croissance; bien dirigée, elle fût devenue un des élé- ments les plus utiles de la société; on l’a laissée végéter et elle ne porte que des fruits amers. Que du moins ce nous soit une leçon pour l'avenir! N'y a-t-il pas dans notre position sociale une déplorable anoma- lie? On crée à grands frais pour l'enfant du riche des colléges que les communes, que l'État subventionnent largement; l'enseignement universitaire, les établissements d'instruction primaire et moyenne absorbent tous les ans des sommes énormes; l'impôt payé par le pauvre lui-même (car il est évident que les droits de douane et d’oc- troi et les impôts de consommation sont payés par le pauvre comme par le riche) est en partie employé à les fonder, à les soutenir, et nous n'avons pour l'enfant du pauvre que des écoles ouvertes pen- dant quelques heures du jour; il n'en est pas qui l'abritent et qui lui donnent la nourriture, quand il ne peut trouver chez lui ni ali- ments ni abri! On l’abandonne entièrement dès qu'il s’agit de lui ouvrir la carrière qui doit lui donner de quoi vivre, au moment où il doit apprendre un métier! L'état actuel des établissements d'instruction primaire pour la jeu- nesse indigente exige donc, sous ces différents rapports, de notables améliorations. Nous ne voulons pas nous occuper ici des méthodes ni des systèmes d'enseignement, nous ne devons envisager la question qu'au point de vue des secours et des soins à donner aux enfants pau- vres, et de l'assistance qui doit en résulter pour leurs parents. Or, les établissements où les enfants pauvres sont admis pour recevoir l'instruction primaire n'ont qu'un but, c'est de donner l'instruction pendant quatre ou cinq heures chaque jour. Tout le Tone V. 7 (98) reste du temps, l'enfant est abandonné à lui-même, ou livré à des compagnons qui le pervertissent et le démoralisent , s'il est encore susceptible de l'être. ù Ces écoles, dirigées généralement par des personnes aussi instruites que dévouées, donnent à la jeunesse qui les fréquente une instrue- tion convenable; mais une réflexion se produit aussitôt : combien d'enfants, par la négligence des parents, par leur mauvais vouloir ou par toute espèce de motifs plus ou moins futiles, sont encore à l'état de la plus complète ignorance! Combien peu, au sortir de l'école, sont à même d'entrer dans une carrière honorable et ces- sent d’être à charge à leurs parents! Jusqu'ici, il faut le dire, c'est une rare exception. L'enfant est, dans cette position, une lourde charge pour ses parents, et lorsqu'il sort de l'école, il doit seulement s'initier aux travaux qui doivent le faire vivre. D'un autre côté, si, forcé par la nécessité ou par le désir bien légitime d'obtenir un soulagement à ce fardeau, le père envoie à cet âge son enfant ap- prendre un métier, il ne sera plus question pour lui d'instruction ni d'éducation; il sera livré au hasard des rencontres des places publiques ou des compagnies d'atelier. M. Blanqui, dans son ouvrage: Des classes ouvrières en France(\), a été frappé de cet étatde choses si déplorable : « Nous avons déjà signalé, dit-il, le principal écueil de l'éducation : c'est l'absence de leçons de morale, trop souvent celle de bons exemples, et surtout l'oubli complet de l'enfant lorsqu'il approche de l'âge d'homme. On dirait qu'un simple apprentissage de métier suflit à toutes les néces- sités de sa carrière. Personne ne lui parle plus de religion, ni de morale, au moment même où la grande voix du devoir devrait exer- cer le plus d'empire sur ses passions naissantes. C'est la période eri- tique de l'existence et peut-être celle où l'intervention bienfaisante et éclairée de la société devrait se faire sentir davantage. L'enfant est abandonné à lui-même à ce moment précis où il avait le plus besoin d’être soutenu : son intelligence, plus accessible aux impressions généreuses, l'est aussi malheureusement aux entrat- nements de l'erreur, et le jeune homme ne succombe trop souvent (1) P. 204. (9) que parce que la main bienveïllante d’un guide s’est retirée de lui. » Ces réflexions sont bien dignes d’un esprit éminent qui a vu les choses de près, d’un philosophe qui a mis le doigt sur Ja plaie de la société. Nous croyons qu'il existe un moyen eflicace de porter remède à ce mal : c'est d'appliquer aux enfants indigents le système praliqué pour la classe aisée; c’est que chaque commune ait ses établissements où l'enfant soit reçu dès le matin, afin que les pa- renis puissent, sans négliger leur travail, s'assurer que l'enfant se rend en classe, qu'il y entre lorsque le père va commencer sa journée et qu'il n’en sorte qu'au moment où la journée finit. Pendant ce laps de temps, l'enfant recevrait l'instruction qu'il doit acquérir pour figurer honorablement dans la société; les amusements, les récréations seraient surveillés comme les études et ne dégénére- raient plus pour lui en leçons d'immoralité; enfin, le local de l'école comprendrait en même temps l'atelier d'apprentissage. Le jeune ouvrier, dès que les forces le lui permettraient, serait, pendant une bonne partie de la journée, exercé et dressé par un bon maître au métier qui doit le faire vivre, et il aurait l'avantage, qui n'est certes pas à dédaigner, de continuer en même temps à recevoir une bonne éducation, basée surtout sur la religion, une instruction solide, et il cesserait de fréquenter l’école au moment où , suffisamment instruit dans son état, il pourrait se faire immé- distement une position. Nous trouvons, dans plusieurs villes du pays et même dans des communes , des écoles de couture, des écoles de dentellières; à suffirait de réunir ces établissements aux écoles primaires, et le sys- tème que nous proposons serait mis en pratique, pour les filles, sauf à accroître le nombre d'ateliers en variant les professions et, comme cest la condition essentielle, à tenir les établissements ouverts pendant la durée entière de la journée de l’ouvrier. Pour les garçons, il faudrait des établissements nouveaux. Mais veut-on un exemple, nous citerons ce qui se passe au pénitencier de S'-Hubert, Là quelques frères suflisent pour diriger trois cents jeunes détenus, âgés de 7 à 20 ans. L'ordre le plus remarquable règne dans cette population composée cependant de caractères déjà difliciles et plus spécialement portés aux mauvaises actions. Ils font ( 100 ) eux-mêmes le service de la maison; ils apprennent des métiers différents, suivant leur aptitude. Nous le demandons, pourquoi les condamnés seraient-ils mieux soignés que ceux qui n'ont jamais mérité de répression ? Pourquoi les mettre plutôt que ces derniers à même de se former un avenir? I y aurait injustice flagrante à laisser subsister cet état de choses. Eh quoi! lorsque, par exemple, à la suite d'un méfait dont il n'aura pas eu la conscience, l'enfant acquitté, aux termes de l’art. 66 du Code pénal, aura des parents offrant peu de garantie pour sa bonne éducation, le tribunal de répression pourra, jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de 20 ans, le placer dans cette maison de S'-Hubert , et le délinquant jouira de tous les soins qu'on y donne aux détenus, en même temps que les parents seront déchargés de son entretien, tandis que l'artisan, père de famille honnête, surveillant autant que possible ses enfants, les aura toujours à sa charge et ne pourra pas même trouver où les placer convenablement pour faire à la fois leur éducation et leur apprentissage ! Cette réflexion est décisive. Nous disons : l'enfant du pauvre a droit à l'éducation et à Fap- prentissage ; la société doit lui en fournir les moyens, et à cette fin que faut-il? Il faut, pour les écoles primaires gratuites des enfants des deux sexes, des établissements dans le genre de ceux que nous avons reconnus nécessaires pour une bonne organisation des écoles gardiennes, où l'enfant soit reçu à l'instant où les parents vont au travail et d’où il ne sorte que quand la journée se termine ; que, dans ces établissements, à l'instruction proprement dite qu'il y reçoit aujourd'hui, soit joint l'enseignement professionnel; qu'il y ait des ateliers pour un nombre convenable de métiers, surtout en rapport avec les habitudes locales; que les récréations fassent prendre au jeune ouvrier, à la jeune ouvrière, des habitudes d'ordre, de tran- quillité dont ils comprennent l'avantage, de telle manière qu'ils les conservent toute leur vie; il faut encore que l'entretien de l'enfant dont les parents sont indigents et en position d'être secourus, ne soit plus à leur charge pendant toute la durée de la classe, la nour- riture lui étant donnée à l’école. Nous le répétons, le pénitencier de S'-Hubert réunit, par son organisation, un modèle complet (sauf naturellement pour ce qui rent ni D (101) concerne le logement, dont il ne-peut être question ici, non plus que de l'habillement, si ce n'est à titre de récompense) des écoles telles qu’elles devraient exister dans tout le pays pour les enfants de sept à quatorze ou quinze ans. Nous avons encore un bel exemple des écoles d'apprentissage jointes aux maisons d'éducation ou aux écoles, dans l’école des arts et métiers de Tournai. Dirigée avec autant de soins que d'habi- leté, cette institution embrasse, dans son programme, tout ce qu'on peut désirer pour mettre les jeunes gens qui y sont reçus à même de se faire une position honorable et indépendante, et elle le réalise de la manière la plus heureuse et la plus complète : par suite de l’adjonction de quelques nouvelles branches d'industrie, les ateliers y sont aujourd'hui répartis en sept sections : la serrurerie-mécani- que, la fonderie, la bonneterie, la tisseranderie, la menuiserie, la rubanerie et le jardinage. Ce précédent remarquable est de nature à faciliter la réalisation des améliorations que nous réclamons, en y puisant ce qui est en rapport avec l’organisation projetée. Nous citerons encore ici le pénitencier de S'-Hubert: parles heu- reuses dispositions qui y sont prises, les divers métiers sont enseignés et surveillés chacun par un seul maître; on y a introduit l'émulation ; des récompenses sont attribuées aux plus intelligents, comme aux plus laborieux , et il est vrai de dire que le mot de paresse, hélas si applicable à tant de nos jeunes apprentis, y a disparu du langage usité, Ne perdons pas de vue que chaque élève, après avis des parents, doit pouvoir choisir un état, car c'est simplement une direction, une surveillance que le maître exerce au nom de la société. Ces écoles d'apprentissage ne seraient-elles pas bien aussi un moyen infaillible d'implanter dans nos villes des industries nouvelles, de faire sortir nos jeunes concitoyens de l'ornière dans laquelleils se trat- nent pour la plupart et qui les mène, après une jeunesse dissipée, à la misère et souvent même au crime? Songer à faire apprendre un nouveau métier à un homme de quarante ans, est, croyons-nons, s'exposer à un échec complet : le physique et le moral de l'ouvrier à cet Âge résistent à une transformation résultant d’un changement ( 102 ) d'oceupations. Rien de semblable n'existe chez le jeune apprenti. Au contraire, il est avide de convaîlre; son intelligence cherche des éléments d'activité; il peut facilement apprendre successivement, s'il le désire, deux professions distinctes, qui lui permettront plus tard de s'oceuper sans relâche. L'on obtiendrait donc par ce moyen et avec la plus grande facilité, l'introduction d'industries nouvelles, et la souffrance d’un genre d'industrie ne réduirait plus l'ouvrier à la misère; il aurait une autre branche qui deviendrait pour lui une précieuse ressource. Pourquoi d’ailleurs se bornerait-on aux industries qui s’exercent exclusivement dans les villes? N'y aurait-il pas un avantage incal- culable à extraire de nos populeuses cités, où les vices et la misère sont si souvent inséparables ; les enfants qui voudraient s’habituer au travail agricole? Rien ne serait plus facile que d'ériger, à peu de distance des villes, des établissements de culture, où l'instruction serait donnée comme dans les ateliers d'apprentissage et où les élèves seraient employés aux travaux des champs. Des terrains incultes où ingrats seraient défrichés, cultivés, améliorés; au bout de peu de temps et avec du soin, ces établissements pourraient non-seulement subvenir à leurs besoins, mais fournir même une bonne partie des aliments nécessaires à la nourriture des élèves dans les écoles. Nous ne parlerons pas comme exemple de la ferme de bienfaisance établie par l'association agricole des bons ouvriers à Renaix, car les adultes y sont reçus également si, en l'absence de travail, ils veulent venir s’y occuper; nous nous bornerons à citer encore ici l'établissement de Saint-Hubert, où ce système a été trouvé si praticable que tous les matins une escouade de jeunes détenus part, la bèche sur l'épaule, pour travailler la terre et que, grâce à leur labeur, les ter- rains les plus arides sont livrés à l'agriculture et deviennent très- fertiles. Dût-on même, dans ces établissements agricoles, donner le logement à ceux qui les fréquenteraient, ou au moins à une partie d'entre eux, nous sommes convaincu que les produits seraient bientôt suffisants pour en couvrir la dépense. L'enseignement professionnel joint à l’enseignement littéraire proprement dit, dans les limites de ce qui est nécessaire à un ouvrier intelligent, tel est donc le dernier degré de l'assistance que la ( 105 ) société doit à l'enfant pauvre. Parvenu à l’âge où il peut travailler, pourvu des connaissances nécessaires pour former un bon ouvrier, il trouvera dans les établissements de prévoyance que nous avons décrits les moyens de s'assurer une existence honorable et indépendante. Sans doute des difficultés sont à vaincre pour établir cette orga- nisation d'une manière convenable et sur une échelle proportionnée aux besoins de la population; mais ces diflicultés ne peuvent faire disparaître le devoir impérieux que la société a sous ce rapport et qu'elle ne peut se dispenser de remplir. « Le Gouvernement doit l'éducation aux enfants du peuple, dit un savant économiste (1), non pas une éducation savante, inutile aux travaux manuels, mais une instruction morale et religieuse, combinée avec les connais- sances élémentaires que tout homme qui veut remplir un rôle dans la société doit avoir. » On reconnait aujourd’hui la vérité de ce principe, mais les conséquences de son application effraient; il s'agit d’avoir le courage de les mettre en pratique. Sous le rapport de l'instruction, nous ne dirons pas combien une semblable organisation des écoles primaires améliorerait l'intelli- gence des classes pauvres, but que tout enseignement doit chercher à atteindre, combien elle serait de nature à leur inspirer des habi- tudes morales, le goût de l'ordre et de l'économie, dont on pourrait enfin leur faire comprendre les avantages. Au point de vue de l’as- sistance qu'elles y rencontreraient, et c’est ce qui nous importe surtout ici, il y aurait pour l'indigent dans cette éducation donnée à ses enfants un des secours les plus efficaces qu'il puisse rencontrer, bien autrement puissant que tous ceux qu'il pourrait obtenir dans le système actuellement suivi. Confiant dans la tutelle que la société exercera sur ses enfants en son absence, se reposant sur les soins intelligents dont ils seront l'objet, le père de famille se livrera sans préoccupation et avec bien plus de liberté au travail de sa profes- sion ; il verra grandir ses enfants avec une bien douce jouissance, témoin qu'il sera chaque jour de leurs progrès et de leurs bons principes. Il rentrera avec bonheur au foyer domestique où il sera entouré de respect et d'amour, et il ne sera plus tenté de céder à ce (1) Théodore Fix, Observations sur l’état des classes ouvrières, déjà cité, 1. I, p. 268. (104) funeste penchant, hélas si commun dans la classe ouvrière! de passer les heures de repos dans les cabarets ou dans les maisons de débauche. Il comprendra, en un mot, le bonheur de la famille, et il n’est guère besoin d'ajouter quelle heureuse influence ce change- ment exercera bientôt sur la société tout entière. Cela se comprend assez, nous l'avons lu, rappelons-le encore, merveilleusement dé- crit par M. l'inspecteur Rapet (p. 32). Le père de famille indigent sera, en outre, déchargé de ces dé- penses qu’entraînent toujours la fréquentation des écoles et l'appren- tissage, et de plus, comme nous l'avons dit, s'il a une nombreuse famille, aux besoins de laquelle le produit de son travail ne puisse suflire, s'il a droit aux secours publics, au lieu de lui continuer ces secours, il en sera fait emploi pour l'entretien gratuit de l'enfant pendant tout son séjour à l'école; celui-ci y recevra la nourriture. Quelle assistance plus efficace pourrait-on donner à l'artisan dans l’in- digence? Évidemment il n’en est aucune qui lui soit comparable. On objectera, sans doute, que cet entretien à donner chaque jour à un nombre infini d'enfants entrainerait une dépense considé- rable; nous ferons observer qu'il résulte de documents officiels que dans des établissements publics actuellement existants, très-conve- nablement dirigés et organisés, la nourriture d'un homme fait ne coûte, en moyenne pour les trois repas, que 25 à 50 centimes par jour, l'entretien de l'enfant à l'école coûterait évidemment beaucoup moins; la dépense ne serait donc pas aussi élevée qu'on pourrait le croire au premier abord. “ Les considérations que nous avons émises en traitant des écoles gardiennes ont la même valeur pour faire admettre un régime uni- forme pour tous les enfants qui fréquentent les écoles primaires dont nous venons de nous occuper. Il faudra donc que ces enfants y re- çcoivent encore la nourriture, mais ce ne serait graluitement que pour ceux dont les parents auraient des titres aux secours des bu- reaux de bienfaisance, secours dont une partie aurait à l'avenir cette destination, tandis que les parents des autres devraient payer le coût des aliments donnés à leurs enfants; ce qui, néanmoins, serait pour ces ouvriers une assistance bien importante, qui ne coûterait cependant rien à la bienfaisance publique. | ci ro CR SE NES Dresde: ( 103 ) Ne doit-on pas raisonnablement espérer que la charité indivi- duelle se montre très- favorable à ces écoles primaires réunissant l'instruction proprement dite et l'apprentissage? Évidemment ce serait un emploi bien plus utile du don de l'homme charitable de le faire ainsi servir à l'amélioration morale et matérielle des en- fants pauvres, que de lui fournir un soulagement momentané ne s'adressant qu'au corps de l’indigent. Une fois établi, ce mode d'as- sistance aurait donc d'immenses avantages, et la charité individuelle serait vivement stimulée à le soutenir. Dans tous les cas, c'est à la bienfaisance publique qu'il incombe d'appliquer ses ressources à l’organisation de ce système général d'éducation, et elle doit, à notre avis, réclamer, s’il est nécessaire, l'appui des autorités publiques pour parvenir à l’établir d'une ma- nière complète dans chaque localité. L'État doit respecter sans doute tout ce qui, en vertu de la liberté de l’enseignement, serait créé par la charité privée pour venir de cette manière en aide aux indigents; il y rencontrera un allégement aux charges que cette organisation fera peser sur lui; mais il a pour devoir de créer un système complet d'éducation et d'instruction de la jeunesse indigente; il doit surveiller tous les éta- blissements de cette espèce fondés ou soutenus par les administra- tions publiques. 11 appartient au législateur dans sa sagesse, au Gouvernement dans son esprit judicieux et impartial, de poser les principes de l'éducation des enfants pauvres, de lui imprimer une direction convenable, en rapport avec le but que l'on doit attein- dre. Il ne s'agira donc ici d'assistance, dans le sens matériel du mot, qu'en seconde ligne, et lorsque tout ce qui concerne l'instruction littéraire et professionnelle sera assuré. Comme nous l'avons dit, à la faveur des principes libéraux de notre Constitution, et sous le régime de la liberté de l'enseigne- ment, des établissements libres se formeront pour l'instruetion pri- maire; il en existe déjà : c'est là que s’exercera l'action de la charité privée, soit individuelle, soit collective, et la bienfaisance publi- que ne devra fournir l'assistance et l'instruction qu'à ceux qui n'en profiteraient pas. En second lieu, comme part nécessaire d'action de la charité privée dans l'enseignement primaire, peut-on mécon- ( 106 } naître le dévouement admirable de la plupart des instituteurs char- gés de l'instruction du pauvre? 1] faut leur rendre l'hommage que méritent leur patience et leur abnégation; sans ce sentiment de la bienfaisance qui porte l’homme vers ses semblables, sans une pro- fonde convietion religieuse , il n'y aurait plus de ces hommes aussi modestes que zélés, prêtres ou laïques, qui se voueraient à cette péni- ble mission; que du moins ils rencontrent partout reconnaissance et appui! Qu'ils se trouvent donc placés par les particuliers et, à leur défaut, par les autorités publiques, dans des conditions où ils puissent accomplir dignement leur sublime apostolat ! Nos législateurs ont compris cette obligation , lorsqu'ils ont fait la loi du 25 septembre 1842, sur l'instruction primaire. Mais cette œuvre devrait être complétée par l’adjonction des ateliers d’appren- tissage dont nous avons exposé le plan et démontré l'incontestable utilité. Il faudrait y joindre l'entretien des enfants pauvres dans ces écoles, et ainsi serait complet le mode d'assistance résultant de l'ad- mission des enfants aux écoles. La charité privée pourra intervenir dans la dépense de cet entretien, soit par des dons , soit même par des fondations; mais pour y suppléer et pour y subvenir partout où la charité privée ne se manifesterait point à cet égard, il incombe- rait à la bienfaisance publique d'y pourvoir. Les ressources dispo- nibles des bureaux de bienfaisance devraient donc recevoir cette destination, c'est-à-dire qu'en premier lieu, retranchant les se- cours aux individus secourus pour cause de la famille nombreuse qui est à leur charge, le montant devrait en être appliqué à la création et au soutien de ces écoles; qu'il faudrait y ajouter tout ce qui n'aurait pas une destination aussi remarquablement utile. À ces res- sources serait joint tout ce que coûte l'instruction primaire gra- tuite, telle qu’elle est organisée de nos jours aux frais des communes, des provinces et de l'État, et l'excédant des dépenses figurerait aux mêmes budgets comme dépenses obligatoires. Voilà done, par cette réunion dans un seul et vaste système d’édu- cation et d'instruction, des crèches, des salles d'asile, des écoles pri- maires et d'apprentissage, le père de famille indigent pouvant se reposer avec la plus entière confiance sur la société pour la surveil- lance, pour la direction de ses enfants lorsqu'ils fréquentent l'école; FAO OT I DES ETS de Et Lt à { ( 107 ) la société veille sur eux et leur ouvre la voie d’un avenir honorable: comme secours, il reçoit, de plus, s’il est reconnu y avoir des titres, l'entretien gratuit de ses enfants pendant la durée de la classe. Une nombreuse famille en bas âge ne sera done plus une cause de mi- sère, un voile servant à cacher l’indolence ou la dépravation. Tout ce que l’ouvrier le plus pauvre gagne à la sueur de son front lui reste pour vivre à lui seul presque exclusivement ; il peut y joindre ce que rapporte le travail de sa femme et de ses enfants plus âgés, s'il en a. Supposons-le laborieux, menant une vie régulière et sage, il est évident, l'expérience le prouve, qu'il pourra non-seulement suffire à son existence et à celle de sa famille, mais qu'il y trouvera facilement le moyen de participer aux sociétés de secours mutuels, aux caisses de prévoyance par des versements réguliers et qu'il pourra même s'élever jusqu’à la caisse d'épargne. Il en résultera comme première et bien importante conséquence une contrainte morale en quelque sorte pour l'ouvrier chargé d’une nombreuse famille d'envoyer ses enfants aux écoles, car c’est par ce moyen seul qu'il obtiendra l'assistance que la société lui offre à titre de la position précaire où cette famille le place. Or ce but, aucun autre moyen n’a jusqu'ici pu le faire atteindre. En second lieu, les vrais indigents, c'est-à-dire ceux dont le travail ne peut suffire, par son produit, pour nourrir leur famille, seront seuls secourus et ce, de la manière la plus honorable et la plus efficace; en troisième lieu, enfin, l'organisation des secours à domicile, dont nous avons en quelques mots signalé les abus et les dangers, pourra disparaître presque entièrement. Que restera-1-il à faire pour avoir efficacement soulagé les misères qui frappent nos yeux? pour avoir organisé de la manière la plus rationnelle et la plus profitable, l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société ? Une nombreuse famille est le plus souvent, pour l'ouvrier, la cause de la misère; son travail ne peut suffire à l'entretien de sept ou huit personnes; mais il arrivera aussi que là où nous ne rencontrons pas cette lourde charge, nous trouverons au sein d'une famille des vieil- lards, des infirmes, qu'un fils, qu'un père doivent soutenir, pour l'entretien desquels ils doivent prélever sur le gain de la semaine une part souvent considérable, ( 108 ) La charité privée et la bienfaisance publique doivent évidemment s'occuper de cette cause de souffrance et de misère; l'assistance doit done porter sur ce point. Cette charge doit être allégée pour que l'ouvrier puisse, comme nous l'avons dit, disposer du produit entier de son travail et en appliquer une partie aux institutions de pré- voyance. Il faut donc que les vieillards et les infirmes indigents reçoivent les secours rendus nécessaires par leur position. Pour les premiers, nous reportant aux établissements de prévoyance que nous avons caractérisés et définis, il n'est pas douteux que nous ne voyions diminuer rapidement et considérablement le nombre des vieillards dénués de ressources. C'est à cette époque , en effet, que l'ouvrier recueillera le fruit d'une vie laborieuse et sage. S'il a su travailler avec courage et profiter des moyens qui lui étaient offerts d'accrot- tre ses épargnes, de se créer une réserve, il sera tout à la fois pour sa famille un modèle vénéré, et pour la société, un enfant recon- naissant. Pour ceux que des malheurs imprévus laisseraient sans ressour- ces, pour les infirmes, nous voyons dans beaucoup de villes des refuges, des hospices de vieillards, d'incurables, ete. Il ne faut qu'une chose pour apporter à ces malheureux une assistance eflicace, c'est que ces établissements soient multipliés et mis en rapport avec le nombre de ceux qui, par leur position, dénués de tout, ont des titres à y être admis. L ya, sur ce point, une différence importante entre les villes et les campagnes. En général, dans les communes rurales, les vieil- lards, et quelquefois même les infirmes, sont moins à charge à leurs familles; ils peuvent encore y rendre quelques services ; l'ouvrier des campagnes peut travailler jusqu'à un âge bien plus avancé que l'ouvrier des villes; aussi ne sera-ce que par exception que le pre- mier désirera quitter sa famille, que celle-ci voudra voir son parent entrer dans un hospice, tandis que, pour le second, c'est une res- source qui lui devient indispensable à un certain âge, s'il ne doit mourir de faim ou du moins être exposé aux plus cruelles privations. Sans doute, lorsque l'ouvrier aura à sa disposition les diverses institutions de prévoyance qui doivent lui venir en aide dans Îles. ( 109 } moments de gêne et de misère, la société aura le droit de se mon- trer sévère pour celui qui se sera abandonné à l’imprévoyance et à la dissipation ; elle a, comme une mère dévouée, le droit de réserver ses faveurs pour ceux de ses enfants qui auront compris sa pensée généreuse et bienfaisante, qui auront répondu à sa sollicitude en profitant des institutions de prévoyance qu'elle leur avait ouvertes. Ainsi nous voudrions que l'on admiît de droit dans les hospices, moyennant une somme déterminée, ceux des ouvriers qui, pendant leur carrière de travail, auraient joint l'économie au courage, lors- que, par l'âge ou par les infirmités, ils seraient hors d'état de pour- xoir à leur subsistance, sils ont fait tous leurs efforts pour se mé- nager par l'épargne un avenir indépendant. Ils ne manqueront pas sans doute, s'ils le peuvent, de rester au sein de leurs familles pour y vivre, entourés de leurs enfants, au moyen des ressources qu'ils se seront amassées, mais s'ils sont seuls, à l’âge où ils demanderont plus de soins, l'admission dans un hospice sera, dans bien des cas, une notable amélioration à leur position. S'ils ont mérité cette faveur, la société doit faire en sorte de ne pas la leur refuser. Dans ce système, la charité privée ne manquerait pas de venir encore en aide à ces vieillards, à ces infirmes, soit pour compléter la somme nécessaire à leur entrée à l'hospice, soit pour leur pro- eurer, après leur admission, quelques secours pour adoucir leur existence. La bienfaisance publique organiserait et surveillerait ces établissements, qui seraient, autant que possible, fondés dans chaque commune, ou du moins pour quelques communes voisines réunies, là où la nécessité n’en serait pas si grande. Les administrations des hospices auraient naturellement la gestion de ces maisons de refuge; leurs ressources serviraient à les soutenir, aidées qu'elles seraient, en cas de besoin, par les communes, par les provinces et par l'État. Nous voudrions que ce ne fût que par exception que les admis- sions y fussent gratuites ; la commission locale de bienfaisance est surtout à même d'apprécier ceux de ces individus qui mériteraient ou dont l’état exigerait cette exception , et rien ne s'opposerait cer- tainement à ce qu'une position particulière fût assignée à celui que sa mauvaise conduite, que sa paresse auraient réduit à devoir être recueilli pour ne pas périr misérablement : il serait reçu à l'hospice, (HO) mais non à légal des autres; on ne pourrait certes contester ce droit à la société sans admettre le droit absolu au refuge ou pro- clamer la création de palais des invalides civils, ce qui, avec le droit au travail et le droit à l'assistance, forme, dans le système communiste, le code du prolétaire, mais qui ne serait, aux yeux de la raison et de la justice, que la réalisation des utopies rêvées par la démoralisation et la paresse. Tout en reconnaissant que le mal- heur présent est un titre aux secours, il faut admettre que la société, comme le particulier, en accomplissant le devoir de lui venir en aide, a aussi celui de rechercher le meilleur mode d'accorder ce secours, pour contribuer en même temps à l'amélioration morale de l'individu secouru. Or, nous croyons que, par ce moyen, on obtien- drait de très-bons résultats. Nous l'avons dit en commençant, les secours à domicile octroyés aux familles pauvres qui comptent parmi leurs membres des vieil- lards ou des infirmes entraînent souvent des inconvénients, des abus. Leur présence, occasion de ces secours, peut favoriser l'oi- siveté; leur faiblesse laisse souvent attribuer aux membres valides de la famille une partie de ces secours qui ne reviennent qu'à eux seuls. Le remède à ce mal, c'est de supprimer ces secours à do- micile et de les remplacer par un refuge ouvert au vieillard, à l'in- firme, aux conditions que nous venons d'énumérer; c'est de procu- rer à ceux-ci les soins qu'exige leur état. On ne pourra plus dire alors qu'ils sont à charge à leur famille; celle-ci n'aura plus aucune excuse du mauvais emploi qu'elle pourrait faire du produit de son travail. Nous devons ici exprimer un regret : c’est que bien souvent les ressources très-considérables affectées aux hospices de tous genres ne soient pas appliquées de manière à secourir un plus grand nombre d'indigents.]l est évident que, pour agir avec sagesse, tout luxe, tout ce qui n’est pas rigoureusement nécessaire à l'existence modeste de l'artisan, devrait être écarté de ces établissements; qu'on devrait, tant pour les constructions que pour tout le service intérieur, cher- cher à restreindre, autant que possible, les dépenses , au lieu d'élever des monuments et d'organiser un régime intérieur qui étonne. Nous le répétons, il ne faut considérer que le but que l'on doit AA moe ts malle 2 : (111) atteindre, et, à cette fin, pour secourir le plus de malheureux, il faut être sévère sur l'emploi des ressources. On parviendrait, parce moyen, à rendre moins coûteuse l'admission dans les hospices, et on arri- verait plus facilement à remplir cette obligation qui incombe à la société vis-à-vis de quelques-uns des membres qui la composent. Il est un devoir impérieux pour la bienfaisance publique, pour l'autorité, c'est, dans les limites de la loi, de favoriser, d'encourager dans toutes les circonstances et par tous les moyens à sa disposi- tion, la fondation totale ou partielle de ces asiles de la vieillesse et du malheur, de faciliter leur extension, et de mettre ainsi la plu- part des personnes aisées à même de faire profiter l'un ou l'autre indigent de cette faveur. Elle doit, avant tout, ne jamais oublier que la charité privée veut et doit être libre, et que lui ôter la liberté, c'est lui donner la mort; elle doit donc bien se garder d'ajouter aux lois que le régime politique et l'ordre publie ont fait naître ; elle doit tenir la main à leur exécution, mais sans vexa- tion et surtout sans jalousie des résultats obtenus par la charité libre. C'est principalement au législateur qu'incombe, sous ce rapport, la mission la plus délicate; c’est à lui qu'il appartient d'appliquer ces principes, de faire entrer la charité privée dans cette ère de liberté qui seule peut stimuler sa toute-puissante action, en lais- sant, autant que possible, un libre cours aux volontés généreuses, aux dispositions des cœurs bienfaisants. Il ne doit pas se montrer jaloux de l'intervention de l'autorité en matière de bienfaisance ; mais il doit surtout se garder de prétendre à la direction absolue, à une sorte de monopole dans l'administration des fondations cha- ritables; ce serait un moyen presque infaillible pour en tarir la source, l'histoire est là pour l'attester. Originairement, et il faut remonter pour cela aux premiers temps du christianisme, la charité était entièrement libre; la charité pri- née était la seule ressource des vieillards et des infirmes. L'ardeur des néophytes suffisait, du reste, à leur venir en aide; les principes sublimes de la charité chrétienne y étaient pratiqués dans tout ce qu'ils pouvaient inspirer de plus admirable en abnégation et en dé- vouement, Que de fois ne vit-on pas alors des chrétiens, apparte- (152) nant aux familles les plus illustres, vendre leurs riches patrimoines pour en distribuer le prix aux pauvres et se retirer ensuite dans la solitude, pour y vivre des plus dures privations! La loi n'avait pas à s'occuper de pareils actes de charité. Mais parfois aussi, c'était dans des dispositions de dernière volonté que des âmes généreuses attribuaient aux pauvres toutou partie de leurs biens, pour qu'ils en jouissent à leur mort. À cet égard, l'autorité de l'État pouvait avoir à s'en occuper , lorsque ces libéralités créaient des fondations perpé- tuelles, lorsqu'elles instituaient des personnes civiles. L'empereur Constantin, le premier, en fit l'objet d’une loi (1), et ce fut pour as- surer dans tous les cas la pleine et entière exécution de la volonté du testateur. L'empereur Justinien (2) corrobora ces dispositions bien- veillantes. Il y considérait comme un droit civil la faculté dé créer tous établissements religieux ou charitables qu'il plaisait au fonda- teur, et d'en prescrire, suivant sa volonté, le but et l’administra- tion ; cette volonté devait toujours être respectée. Cette législation eut nécessairement pour conséquence un im- mense développement des personnes civiles, et les biens de main- morte formaient une masse considérable dans les pays chrétiens. Ce fut cette importance même qui fixa l'attention des souverains. Ils trouvaient dans leurs États des communautés religieuses, des insti- tutions de charité qui possédaient d'énormes richesses et qui y pui- saient une puissance formidable. Aussi, sans toutefois encore pouvoir prétendre y porter atteinte, parut-il nécessaire de chercher à en arrêter du moins les développements pour l'avenir. C’est dans cet esprit que les parlements de France et les souverains, dans les pro- vinces belges, essayèrent, à plusieurs reprises, d'interposer leur au- torité dans la création de nouveaux établissements de mainmorte. Charles-Quint, par ses placards des 48 mai 1515, 49 octobre 1520 et 28 février 1528, Philippe Il, par son édit du 21 novembre 1587, les archidues Albert et Isabelle, par leur édit du 25 novembre 1618, et le parlement de Flandres, par ses arrêts des 12 mai 1716 et 10 mai 1750, prescrivirent à cette fin l'autorisation préalable. Mais M (1) L. 1, Cod. de sacrosanctis ecclesiis (I, 2 (627 1 PE 46, Cod. de episcopis et clericis et orphanotrophis etxenodochis (1, 3} et Novelle CXXXI, cap. X et XI. (115) l'opinion publique résistait à ce changement, et la nouvelle législa- tion resta sans exéculion. Ce ne fut que vers le milieu du XVII siècle qu'il fut possible de mettre en pratique les réformes projetées et que déterminèrent, en France, les édits de Louis XV, du mois d'août 1749 et du 20 juil- let 1762, et dans les Pays-Bas, l'édit de Marie-Thérèse, du 15 sep- tembre 1753. Par ce dernier édit, l'autorisation du souverain était prescrite pour toutes dispositions entre vifs ou testamentaires de meubles ou immeubles en faveur d'établissements de mainmorte, à l'exception toutefois de celles ayant pour objets le soulagement des pauvres et l'instruction; les édits de Louis XV les soumettaient à l'homologation des parlements, quelle que fût leur destination, et prohibaient les legs faits aux églises et communautés, lorsqu'ils n’a- aient pas pour but des œuvres de religion ou de charité précisées dans ces dispositions. De plus, l'édit de 1762, art. 3, attribuait aux parle- ments le droit de pourvoir à l'administration des biens destinés à l'exécution desdites fondations et aux comptes qui en étaient rendus. A cette époque, presque toutes les institutions charitables étaient administrées par le clergé; cet état de choses dura jusqu’à la révo- lution de 1789, dont un des premiers effets fut de séculariser les institutions de bienfaisance. Déjà, par le décret du 22 décembre 1789, les administrations départementales étaient chargées , sous l'autorité et l'inspection du Roi, de l'administration relative au soulagement des pauvres, à l'in- spection et à l'amélioration du régime des hôpitaux, hôtels-Dieu, établissements et ateliers de charité, et les administrations des dis- tricls exerçaient cette action dans chaque district, sous l'autorité des administrations du département. L'instruction de l'Assemblée natio- nale des 12-20 août 1790 ordonna aux directoires des départements de dresser et d'envoyer à l'Assemblée la statistique complète des éta- blissements de secours, hospices, etc., existant dans leurs départe- ments, et des ressources de toute nature dont profitaient les indigents. L'Assemblée constituante, par ses décrets des 10-18 février, 26 septembre et 16 octobre 1791, déclara nationaux les biens des com- munautés et fondations religieuses, et en ordonna la vente au profit de l'État. C'était en vertu du principe de la souveraineté nationale, TowE V. 8 (114) proclamé par elle, que cette assemblée agissait ainsi. Par une con- séquence de ce principe, l'État devait organiser comme services pu- blics le culte, l'instruction et la bienfaisance. Grâce au débordement des passions révolutionnaires et aux idées extrêmes qu'elles avaient fait naître, l'entretien du culte ne fut bien- tôt plus une charge pour l'État; les décrets du 48 août 1792 et du 8-10 mars 1795 ordonnèrent la vente, comme biens nationaux, des biens des séminaires, colléges, bourses et fondations, et une partie notable du produit de ces ventes servit à subvenir aux besoins gé- néraux de l'État; ces aliénations ne furent arrêtées que par la loi du 23 messidor an V. Enfin, les lois du 3 ventôse an III et 7 vendé- miaire an IV supprimèrent tous frais d'entretien de culte quelcon-. que. Le décret du 1%-4 mai 1793 n'excepta de la vente ordonnée par le décret du 18 août 1792, que les biens formant la dotation des hôpitaux et maisons de charité; mais il en soumit l’administra- tion à la surveillance des corps administratifs. Le décret du 23 mes- sidor an II les déclara biens nationaux. Le 18-24 mars 1793, la Con- vention décréta qu'il serait porté au budget une somme annuelle attribuée à chaque département, pour être employée en secours en faveur de l’indigence, « et au moyen de ce que l'assistance du pau- vre est une dette nationale, porte l'article 5 de ce décret, les biens des hôpitaux, fondations et dotations en faveur des pauvres seront vendus dans la forme réglée par le comité d’aliénation. » Pour couronner enfin l'œuvre de réforme entreprise par elle, la Convention , par l'article 16 du décret du 24 vendémiaire an IF, com- mina une amende de la valeur de deux journées de travail contre tout citoyen qui sera convaincu d'avoir donné à un mendiant au- cune espèce d'aumône. Ce fut à cette époque de désordre et de violence que la Belgique fut réunie à la République française par le décret du 9 vendémiaire an IV, et les lois républicaines publiées en Belgique durent y rece- voir leur exécution. Nos provinces subirent donc les effets de la ré- volution française, si désastreux pour la charité. Comme en France, ce déplorable état de choses ne reçut d'amé- lioration que par l'institution, dans le but de venir en aide aux pau- vres, des administrations des hospices civils et des bureaux de bienfaisance, (1145) La loi du 2 brumaire an IV avait suspendu l'exécution du décret du 23 messidor an IT, quant aux biens des hôpitaux, maisons de secours, hospices, bureaux des pauvres et autres établissements de bienfaisance, sous quelque dénomination qu'ils fussent connus; la loi du 16 vendémiaire an V ordonna la nomination des commis- sions des hospices civils, rapporta définitivement, en ce qui les concerne, la loi du 23 messidor an IT, et régla le remplacement par d’autres biens nationaux de même valeur des biens des hospices vendus en vertu de cette loi; elle détermina la surveillance des com- missions des hospices civils par les administrations municipales et départementales. La loi du 7 frimaire an V créa des bureaux de bienfaisance dans chaque commune. Ils régissent et administrent les biens des pauvres. Les administrateurs sont nommés par l'admi- nistration municipale, et ils exercent leurs fonetions sous la sur- veillance de cette dernière. Par la loi du 20 ventôse an V, les bureaux de bienfaisance furent appelés à profiter des dispositions de Ja loi du 16 vendémiaire an V pour la restitution et le rempla- cement des biens aliénés. Enfin , la loi du 16 messidor an VII con- fiema aux administrations municipales la surveillance des hospices civils, conformément à celle du 16 vendémuaire an V. L'ordre et la légalité avaient reparu en France et dans les pays incorporés à la République; la législature et le gouvernement s'ap- pliquaient à réparer les ruines amoncelées par la révolution et à exercer, d'une manière utile et sage, l'autorité dont ils étaient in- vestis; ils comprirent qu'il fallait éviter le retour des abus suppri- més et tracer des règles fixes pour l'avenir. C’est ee que l'on fit en prescrivant l'autorisation préalable par un décret impérial, pour que les dispositions entre vifs, ou par testament, au profit des hos- pices, des pauvres d’une commune ou d'établissements d'utilité publique, pussent recevoir leur exécution. Telle est la disposition de l'art. 910 du Code civil. L'arrêté du 4 pluviôse an XII fit une seule exception à ce principe pour les dons et legs aux hospices et hôpitaux , en argent, meubles ou denrées, à titre gratuit et n’ex- cédant pas 300 francs; dans ce cas, l'autorisation des sous-préfets fut déclarée suffisante. Pendant la période révolutionnaire, l'État s'était substitué à toutes les volontés. La raison suprême du bien public avait fait disparat- (116) tre la participation que les fondateurs avaient attribuée à des par- ticuliers, dans l'administration des fondations de bienfaisance. Le premier consul répara cette injustice, par les arrêtés des 28 fructi- dor an X et 16 fructidor an XL. Par ces dispositions, Napoléon restituait aux fondateurs et à leurs représentants, le droit de désigner les indigents qui devaient jouir des fondations existantes, et il maintenait, pour les nouvelles, la né- cessité de l'autorisation préalable. Il conciliait ainsi le respect dû aux anciennes fondations avec les principes de la nouvelle législation. Le décret impérial du 51 juillet 1806 ne fit que confirmer ce principe, en restituant aux fondateurs et aux héritiers des fonda- teurs d'hospices et d’autres établissements de charité, qui se le seraient réservé, le droit d'assister avec voix délibérative aux séances desdites administrations ou à l'examen et à la vérification des comptes. Plus tard, l'Empereur, par plusieurs décrets, homologua des dispositions testamentaires octroyant aux fondateurs et à leurs représentants les mêmes droits d'intervention dans l'administration des fondations. I n'est donc pas douteux que le décret de 1806, ainsi que ceux de l'an X et de l'an XI avaient pour objet, dans la pensée de leur au- teur, non-seulement de rétablir les anciennes fondations avec le mode d'administration spéciale que les fondateurs leur avaient atlri- bué, mais qu'ils élargissaient le cercle d'action de la charité pri- vée, en permettant de fixer encore à l'avenir dans l'acte de fonda- tion, les administrateurs qui seraient appelés à les régir. Les décrets impériaux du 18 février 1809 et du 26 décembre 1810 donnèrent l'existence civile aux maisons hospitalières et aux maisons de refuge. Ces dispositions bienveillantes et éclairées furent un puissant en- couragement pour la charité : elles la protégeaient sans l'entraver. Sous leur influence, de nombreuses associations charitables surgirent dans tout l'Empire; des dons et des legs considérables furent faits aux hospices et aux bureaux de bienfaisance; on vit surgir de nouvelles et importantes fondations destinées à concourir, avee lesadministrations publiques, au soulagement des misères; et les malheureux purent reconnaitre dans Napoléon un protecteur et un père. C'était pour ce (147) grand homme un bien beau titre de gloire; il était un témoignage irrécusable de son génie et des qualités éminentes de son cœur. Le roi des Pays-Bas ne changea rien au système suivi sous l'Em- pire. Les statuts du 19 janvier 1824 pour les villes et du 25 juillet 1825 pour le plat pays formulèrent comme règle, articles 68 et 40, que les administrateurs des établissements publics de charité seraient nommés par les conseils communaux, pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement à cet égard par les actes de fondation. Les anciennes fondations subsistèrent donc avec leurs règlements spéciaux, el les nouvelles pouvaient établir des administrateurs par- ticuliers, mais à la condition que leur création fût préalablement approuvée, Nous nous bornerons à citer, comme preuve de l'essor que les règlements de 1824 et de 1825 firent prendre à la charité, l'autorité de M. Desmanet de Biesme, qui, dans son discours prononcé à la Chambre des Représentants, le 26 novembre 1854, le constata publiquement et ne rencontra sur ce point aucune contradiction. Notre révolution de 1830 et la Constitution de 1831, qui à orga- nisé notre nationalité, n'ont amené aucun changement dans cet ordre de choses. Ce ne fut qu'à l'occasion de la loi communale que l'on s'occupa du régime des administrations de bienfaisance. L'article 14 de cette loi, promulguée le 50 mars 4836, porte : « Le conseil com- munal nomme, 4°.......; 2° les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance. Cette nomination est faite pour le terme fixé par la loi, ete... Il n’est pas dérogé, par les dispo- sitions qui précèdent, aux actes de fondations qui établissent des ad- ministrateurs spéciaux. » Cest au sujet de ce dernier paragraphe qu'a été soulevée, dans notre pays, une question de droit de la plus haute importance, par les fâcheux résultats qu’elle peut produire si sa solution législative se fait attendre, et sur laquelle il est peut- être à craindre de voir les idées exclusives des partis politiques exercer leur fatale influence. On prétend que cette disposition de la loi n’a eu pour but que de maintenir, dans le présent et pour l'avenir, les principes de la législation antérieure dont nous avons énoncé les bases. Il faut le reconnaitre, c'est dans ce sens que l’article 84 à reçu son applica- tion en toutes circonstances, depuis son origine jusqu'à la naissance (118) de la vive controverse dont il est devenu l'objet. Le Ministère du 12 août 1847 vint proclamer une nouvelle interprétation de cette disposition législative, interprétation restrictive de celle qu'il avait reçue jusque-là, et il fut déclaré qu'à l'avenir la création d’adminis- trateurs spéciaux, en dehors des bureaux de bienfaisance et des hos- pices, ne serait plus admise pour les fondations charitables, et que de telles attributions, conférées dans les testaments, seraient répu- tées non écrites (article 900 du Code civil). C'était la doctrine déjà professée par M. Tielemans (1). Ce savant jurisconsulte ajoute qu'il y à à ce sujet deux prétentions contraires et à ses veux inconcilia- bles : « Celle de l'Église, qui prétend toujours à la direction morale de l'humanité, et celle de l'État qui, au nom du progrès, veut mul- tiplier ses devoirs et ses droits pour réaliser, enfin, un mode d’asso- ciation qui mette fin à l'individualisme et à ses luttes. Sous nos institutions constitutionnelles , avec le régime de liberté sous lequel nous avons le bonheur de vivre, ce ne serait pas seulement une erreur, aux yeux de M. Tielemans, mais encore un danger que d’a- bandonner la bienfaisance à la merci des particuliers et par consé- quent du clergé. Car, suivant lui, la bienfaisance , besoin du cœur de l'homme, est de dogme religieux; elle tend toujours à passer sons l'influence du clergé; elle s'exerce dans la direction exclusive qu'il lui imprime ; elle finit par subir son autorité. » N'est-il pas à regretter que des hommes éminents et dont les opi- nions sont empreintes d'un sage libéralisme en soient venus à crain- dre les résultats d’une liberté quelconque? Qu'ils aient surtout pu redouter un instant l'influence de la liberté religieuse sur la charitéet les suites des nobles actions que leur union fait naître ? Que n'ont-ils plutôt suivi les conseils exprimés en termes si éloquents et si justes, par M. Guizot : « Ne disputez pas aigrement à la religion son in- fluence naturelle, disait cet illustre homme d'État, n'ayez pas l'air de l’accepter par simple tolérance dans vos établissements; ne l'y faites pas entrer par une porte dérobée, Puisque vous trouvez qu'elle est utile, permettez-lui d'étendre son utilité non-seulement (1) Répertoire de l'administration ét du droit administratif de la Belgi- que. V° Fondations, titre IL, chap. IF, sect. 5, Ÿ 5, t. VII, p. 495. M ë + (119) sur les maux que veut soulager la bienfaisance laïque, mais encore sur ceux qui échappent à la vigilance et à la sollicitude de celle-ci; permettez donc à la religion de prêter son concours aux personnes pieuses pour les aider à fonder et à perpétuer des œuvres de cha- rité. » Loin donc de vouloir tracer une ligne de démarcation, un cercle hors lequel il sera défendu à la religion d'exercer son action sur la charité, il faut, dans l'intérêt des malheureux, établir autant que possible entre elles l'union la plus parfaite, et le moyen le plus sûr d'y parvenir, c’est de cimenter cette union, qui existe naturelle- ment, par les encouragements donnés à la fondation d'institutions charitables, dont, il faut le reconnaitre, les inspirations religieuses seront presque exclusivement le mobile. A quoi bon dès lors mettre en présence des prétentions que l'on dit inconciliables de l'Église et de l'État, leurs actions devant se confondre, leur but étant unique dès qu'il s’agit de la charité? M. Tielemans se demande : laquelle des deux prétentions a le vent de l'avenir? Cette expression que nous trouvons bien regrettable au sujet d'intérêts si élevés, est la preuve évidente qu'en cette circon- stance la science du profond jurisconsulte a cédé à l'opinion de l'homme politique. Or, la question ainsi envisagée au point de vue politique devait avoir pour conséquence de faire chercher dans l’ar- ticle 84 la sanction de ce que l’on envisigeait comme l'intérêt de l'État. C’est ce que fit M. Tielemans, et après lui ceux qui adoptèrent son système; système nouveau, il faut le reconnaître, et entièrement étranger à la discussion, aux rapports qui furent faits à l'occasion de cette disposition de la loi communale, à l'esprit des auteurs de la loi et aux nombreuses applications qui en furent faites par le Gouvernement pendant plus de dix années, malgré les diverses nuances d'opinions des hommes éminents qui se succédèrent au pouvoir; système contraire au principe général de l’abrogation des lois, qui exige une dérogation expresse aux lois antérieures pour leur abrogation, ou du moins que celle-ci résulte nécessairement de la rédaction on de l'esprit de la loi nouvelle, ce qui n'existe pas dans l'espèce : posteriores leges ad priores pertinent, nisi contrariae sint. L. 28, Dig. de legibus (1. 3); système tendant, enfin, à poser de nouvelles limites à la volonté du testateur ou du donateur, boule- ( 120 ) versant, à cet égard, ce qui était admis jusque-là et pouvant, par conséquent, dans bien des cas, constituer un obstacle à la réalisa- tion d'intentions aussi généreuses que jalouses de leur entière liberté. Au point de vue du droit, nous pensons qu'il fallait, si l'on croyait ce système essentiel au maintien de l'indépendance de l'État, pro- poser un nouvel article de loi, reformer l’article 84 de la loi com- munale, quant à cette disposition. Il nous suffit, pour en fixer le sens, de recourir aux discussions parlementaires, et spécialement aux discours prononcés à la Chambre des Représentants, en 1834, par MM. Gendebien et Du Bus qui, chacun dans le but de donner satis- faction à leur manière de voir, réclamaient, le premier, la suppres- sion des abus que, suivant lui, les règlements de 1824 et de 1825 avaient fait naître en Hollande, et à cette fin, le retranchement de la nouvelle disposition du paragraphe en question de l'article 84, qui devait les continuer dans l'avenir; le second, le maintien de celte disposition légale, comme devant avoir pour résultat le main- tien du droit issu des règlements du roi des Pays-Bas : que les in- tentions des fondateurs seraient respectées. Cette dernière doctrine prévalut, el aueune modification n'y fut apportée lors de la discus- sion qui eut lieu de nouveau à cette occasion en 1836. Cette dispo- silion pouvait donc être changée, mais telle qu'elle est conçue, nous pensons qu'on n'y peut trouver la base du système défendu par M. Tielemans et pratiqué par le Ministère du 12 août 1847. Nous avons attaché une grande importance à exposer tous Îles éléments de cette grave question, si intéressante pour les malheureux qu'il s'agit de secourir avant tout; nous n'avons pas reculé devant la longueur de cet exposé et nous avons énuméré les motifs de l'opi- nion que nous avons émise. Nous l'avons fait consciencieusement , sans aucun esprit de parti, sans nous laisser dominer par aucune idée exclusive. Nous dirons même que nous n'avons pas la prétention de ne pas nous être trompé; on comprend que plusieurs opinions puissent être raisonnées, lorsqu'il s’agit d’une question qui comprend tant d'éléments de décision, suivant l'importance que l'on attache à l'un ou à l'autre d'entre eux. Quoi qu'il en soit, dans l’état actuel des choses, il est à désirer que le conflit d'opinions que ce point a fait naître cesse promptement. Espérons que, frappés des déplorables effets que peut avoir cette controverse si elle se prolonge, que voyant l'élément qu'elle fournit aux susceplibilités des partis, les hommes éclairés et impartiaux for- meront avec nous le vœu sincère que, laissant de côté tout ce qui est passé, l'on s'occupe sérieusement du présent et de l'avenir, que l'on recherche les dispositions les plus propres à favoriser les pro- grès de l'esprit de charité, si nécessaire à notre époque, en même temps qu'elles sauvegarderaient les droits de l'État, du pouvoir civil, et qu’elles assureraient le respect dû aux lois. A ce point de vue, tout homme consciencieux et impartial doit admettre : 1° Que, pour l'État , l'autorisation préalable à l'exécution de toute disposition entre vifs ou testamentaire au profit d'une personne ci- vile donne la garantie la plus solide que rien ne se fera qui soit con- traire aux lois, aux bonnes mœurs ou à l'intérêt général. Le refus d'approbation est le frein aux abus. 2% Qu'il sufhit de mettre le pouvoir civil à même de s'assurer en toute circonstance que la volonté des fondateurs est exécutée, que les ressources sont appliquées d'une manière complète et régulière aux besoins auxquels elles ont pour objet de pourvoir. A cette fin, le contrôle de la commission locale de prévoyance et d'assistance serait prescrit dans tous les cas où elle n'aurait pas elle-même la di- rection de l'institution charitable. Qu'importe, en présence de ces garanties, que des administrateurs particuliers, soit appartenant à une famille soit titulaires d’une fonc- tion civile ou ecclésiastique, soient appelés à gérer les biens mis gé- néreusement au service des pauvres, à diriger en tout ou en partie les établissements fondés on à nommer les titulaires des fondations ? Pourquoi faire du soulagement des misères des questions de pré- rogative ? Ce qu'il importe, c'est qu'il ne puisse s'élever au sein de l'État et à son insu, des personnes civiles capables d'amasser de grands biens, toujours enclins à s'accroître; c’est que l'État puisse reconnaître que la fondation a un but réel de charité. Or, l'autori- sation préalable satisfait à cette condition, la transmission de pro- priété lui étant subordonnée. Ce qui importe, en second lieu , c'est le contrôle, c'est l'assurance que les biens destinés à perpétuité à venir (12 ) en aide aux malheureux recoivent leur pleine et entière destina- tion. À cet égard, l'autorité ne saurait être trop rigoureuse; elle ne pourrait prendre des mesures trop sévères pour y parvenir; or, quel obstacle les administrateurs spéciaux apporteront-ils à l'exercice de ce droit de la part de la société, lorsqu'ils n'agiront que sous la surveillance des comités locaux de bienfaisance, leur rendant compte annuellement, et ayant surtout l'obligation de justifier de l'emploi des ressources conformément aux intentions du donateur où du tes- tateur? Évidemment, ce sera bien là tout cé qu'il faut pour que lés intérêts des malheureux soient suffisamment protégés par la société, pour que les prérogatives du pouvoir civil soient sauves. Aller au delà, c'est proclamer que la charité officielle est seule juste, seule probe; c'est fondre toutes les institutions charitables en la seule ad- ministration publique de bienfaisance de la commune, fusion qui entraînerait bientôt à sa suite, comme conséquence de la multipli- cité des intérêts à gérer, les’nombreux inconvénients de la bureau- cratie; c'est ressusciter l'œuvre de la Convention nationale en France; c’est lier préventivement la volonté des hommes généreux et chari- tables, c’est les forcer à marcher tous dans une seule voie; c'est en un mot restreindre la liberté de la charité, c’est lui porter un coup mortel. Ce qui importe enfin, c’est, au contraire, de développer l'esprit de charité, c’est d'ouvrir et de laisser un libre cours aux volontés générenses des fondateurs, aux personnes charitables qui n'écoutent que leur cœur, mais que leurs convictions diverses peu- vent déterminer à donner à leurs bienfaits une direction particu- lière. 11 faut respecter leurs volontés en tant qu'elles n'ont rien de contraire à l'ordre public ni aux bonnes mœurs, pour ne pas priver les malheureux de leur puissant et généreux appui. C'est déterminé par ces graves considérations que nous faisons les vœux les plus sincères pour que, dans les dispositions législatives qui interviendront à ce sujet, on embrasse ce système de concilia- tion que nous proposons, comprenant l'autorisation préalable et la surveillance par l'autorité, laissant, pour le reste, la liberté la plus entière à la charité, pour qu'elle s'exerce comme elle le veut et par les mains de qui elle le juge convenable. I n'y a, en matière de misère, ni politique, ni opinions, ni partis; (123) il ne doit de même y avoir, en matière de charité, qu'un seul et grand principe proclamé dans les lois, qui devrait même être écrit dans les constitutions et proclamé dans l'administration : c'est l'égalité pour tous dans la plus grande liberté possible; car il n’y a que de bons sentiments qui puissent donner naissance à des actes de charité. C'est ainsi, croyons-nous, que l'on parviendra à attribuer à la bienfaisance publique et à la charité privée la part légitime d’ae- tion que chacune d'elles est appelée à prendre dans ces institutions si essentielles au soulagement efficace et intelligent des maux qui aflligent l'humanité. Telle doit donc être, sur ce point, l'intervention légitime de l'au- torité vis-à-vis de la charité privée. C’est à celle-ci, il faut le recon- naître, c'est à son heureuse vitalité, pendant la suite des siècles, que nous devons , originairement, toutes les institutions d'hospices que nous admirons dans nos provinces. Elle a enfanté des prodiges de générosité, elle peut en faire naître encore de nos jours ; elle enfante tous les jours des prodiges de dévouement. La charité privée vient, en effet, encore se mettre à la disposi- tion de la bienfaisance publique pour soigner les malades, les in- firmes , les vieillards, dans les hospices et dans les hôpitaux; pour les visiter, les consoler et les soigner. Si elle venait à disparaître, il faudrait renoncer à secourir efficacement l’homme placé dans cette affreuse position. Nous avons nommé les sœurs de charité, ces anges du ciel descendus sur la terre pour y subir toutes les priva- tions et, en même temps, y soulager toutes les misères. C'est évi- demment la charité privée dans ce qu'elle a de plus admirable, de plus digne d’être respecté, d'être encouragé el protégé au besoin. Avec sa participation, par la noble émulation que son action exci- tera , il n'est pas douteux que de nombreux actes de bienfaisar ce ne viennent récompenser leur zèle et leur dévouement, et les fonda- tions charitables sorgiront sur tous les points. La part incombant à la bienfaisance publique sera done considé- rablement diminuée, et il n'y aura plus lieu de s’effrayer, comme on pourrait le faire aujourd'hui, des dépenses que cette org'nisa- tion pourrait entrainer pour les pouvoirs publics. Le dévouement, l'intelligence des sœurs hospitalières ont, du reste, (124) dans ces derniers temps, donné naissance à un système des plus économiques, pour ce qui concerne les soins à donner, dans les hos- pices, aux vieillards, aux infirmes, aux orphelins, ete. Elles se chargent non-seulement de veiller sur eux, d'avoir pour ces in- fortunés la plus vive et la plus constante sollicitude, mais encore de fournir à leur entretien complet, de tout ce qui concerne, en un mot, la dépense intérieure de l'hospice, moyennant une indemnité à forfait qui varie de soixante à quatre-vingls centimes par tête et par jour. Elles trouvent même, dans cette faible rémunération, de quoi subvenir à leurs propres besoins ; car la modique somme fixée est la seule qui leur soit allouée pour tous frais. Il faut le reconnaître, le dévouement religieux pouvait seul produire un système à la fois si simple et si économique, en même temps qu'il satisfait aux plus grandes exigences. La visite d'un des établissements ainsi dirigés, et nous pourrions en citer beancoup en Belgique, ne fait que rendre plus diflicile à croire la possibilité de procurer tant de bien-être à de pareilles conditions. Le malheureux n'y perd rien pour les soins dont il est entouré, et un nombre beaucoup plus considérable peut ainsi être admis à en profiter. Nous ne pouvons donc que nous féli- citer de ce nouveau mode d'administration, qui constitue une im- mense amélioration. Espérons qu'il se propagera de plus en plus et qu'il finira par devenir général. Tout y gagnerait. Nous le disions en commençant cette seconde partie : les enfants, les vieillards et les infirmes sont les causes les plus ordinaires de la misère dans les familles de la classe ouvrière. C'est aussi pour ce qui les concerne que nous nous sommes attaché spécialement à rechercher les moyens de soulager les souffrances qui en résultent; c'est à ce point de vue que nous avons exposé le mode d'assistance que nous croyons le plus efficace et le plus digne du travailleur jus- tement jaloux de son indépendance. Les enfants, les vieillards, les infirmes ne seraient done plus une charge accablante pour le père de famille laborieux et sage. Il ne recevrail plus, il est vrai, de secours directs, mais, par l'assistance donnée à ses enfants, par les asiles accordés aux vieillards, aux in- firmes , il recevrait celte assistance indirecte, aussi honorable qu'ef- ficace pour celui qui en est l'objet. (1933 ) Les établissements si nombreux et si remarquables, déjà institués pour soulager les positions exceptionnelles de l'humanité, les hos- pices d'enfants trouvés, d'orphelins, d'insensés, les écolés de sourds- muets et d'aveugles, continueraient à répandre leurs bienfaits, et ils receyraient les accroissements et les améliorations dont ils seraient susceplibles. Enfin, les associations charitables, qui ont ouvert, dans plusieurs villes, des lavoirs et des bains à l'usage des indigents, qui ont établi des ateliers de charité, verraient, une fois l'impulsion donnée, leur bel exemple imité dans les autres villes et même dans les communes. Nous verrions alors, dans les campagnes, s'établir les ouvroirs, si admirablement décrits par M. de Cormenin, dans ses Entretiens «de village, et dont l'influence serait immense pour l'amé- hioration intellectuelle et morale des populations rurales. Nous ne croyons pas nécessaire, en règle générale, d'aller plus loin. Il faudra des circonstances presque fatales, des malheurs tout à fait extraordinaires, pour résister à ce système complet d'assis- tance et pour qu'une telle organisation ne laisse pas à l’ouvrier le moyen de vivre par son travail. I faut cependant tout prévoir. Lorsque donc, malgré tousles efforts, la misère envahirait encore la demeure de l’ouvrier et l'accablerait lui et sa famille, quelques secours à domicile devraient certes être dis- tribués; ils le seraient tant par la charité privée que par la bienfai- sance publique, et ce par une bonne entente et un appui réciproque qui s'établiraient entre elles, d'autant plus facilement que les secours ne devraient être que momentanés et le plus souvent de peu d’im- portance; aussi la charité privée en assumerait-elle la plus grande part, et une faible réserve dans les ressources des établissements publies sufhirait à cette fin. Mais nous voudrions que, dans ce cas, ces secours, toujours distribués en nature, ne fussent pas considérés comme des aumônes, mais comme des avances. L'ouvrier secouru aurait le droit de les rembourser lorsque des jours meilleurs vien- draient à lnire pour lui. Nul doute, grâce au progrès intellectuel et moral des elasses laborieuses, qu'elles ne tinssent bientôt à honneur d'effectuer ce remboursement et nous verrions ainsi peu à peu dis- paraitre du monde civilisé la lèpre du paupérisme. CONCLUSIONS. Nous avons terminé l'exposé de notre système, nous avons dit comment nous entendons l'organisation de l'assistance qui doit être accordée aux classes souffrantes de la société. Il est un danger à éviter dans cette organisation, c'est d'imposer à la charité privée, à la bienfaisance publique des charges qu'elles ne pourraient supporter. Or, il en serait ainsi si l’on perdait de vue ce qu'il faut entendre par ces mots : les classes souffrantes de la société. Dans notre pensée, on ne doit y comprendre que l'individu n'ayant exclusivement pour vivre que le produit de son travail. Dès qu'il a quelque autre ressource, il peut être encore l'objet de la sol- licitude des particuliers et de l'autorité publique; il jouira des heu- reux effets des sages dispositions des lois qui protégeront sa liberté, sa santé, ses mœurs et qui lui permettront de donner un libre cours à son activité et à son intelligence, qui, en favorisant l'ac- croissement de la richesse nationale, lui assureront du travail, une existence honnête et calme, et lui offriront les moyens d'arriver, par l'épargne, à un avenir heureux et même à une position plus élevée; il rencontrera des institutions où il sera pourvu à l'éducation, à l'in- . struction de ses enfants, des établissements où les vieillards et les, infirmes pourront être admis et soignés; mais un tout autre prin- cipe présidera aux conditions requises pour profiter de ces avan- tages. Il ne peut plus être question d'assistance, dans le sens du moins que nous avons donné à ce mot, dès qu'il ne s'agit plus du pauvre; dès lors, il ne peut en résulter une charge quelconque, ni pour la charité privée, ni pour la bienfaisance publique. Tous ceux qui voudront jouir de ces avantages devront nécessairement en » couvrir la dépense. Il faut donc que, préalablement à toute organisation, il soit fait (127) un recensement exact des familles n'ayant pour moyen d'existence que le travail des membres qui les composent, et qu'une révision en soit faite à des époques fixes et assez rapprochées. C'est pour ces familles que doit exister l'assistance sous une dou- ble face : 1° établissements de prévoyance comprenant principale- ment les sociétés de secours mutuels, les caisses d'épargne et les caisses de retraite; 2° et pour ceux des ouvriers seulement dont le travail est insuffisant pour subvenir aux besoins de leur famille, établissements d'assistance, indirecte d’abord dans les soins offerts gratuitement aux enfants, depuis leur naissance jusqu'à ce qu'ils puissent, par leur travail, subvenir à leurs besoins, dans les refuges ouverts aux vieillards et aux infirmes sans ressources; directe enfin, mais par exception seulement, pour secourir des malheurs que pul ne pourrait prévoir, auxquels les moyens employés pour com- battre la misère n'ont pu apporter un remède suffisant ni un adou- cissement convenable. Nous croyons pouvoir le dire, cette organisation changerait en peu de temps l'aspect de la société; elle apporterait aux classes _ ouvrières l'amélioration morale et matérielle qui doit être le but de toute assistance. Que lui reprocherait-on? On nous dira : votre système d'assistance, c'est d'abord la proclamation du droit à l'assistance pour l'indigent; c'est ensuite l'adoption, l'absorption en quelque sorte des enfants pauvres par la société. Nous répondrons que c'est aller plus loin que notre pensée ou que c'est ne pas vouloir la comprendre. Tous admettent que l'indi- gent doit être assisté, que la société doit venir en aide à celui que la misère accable et qui ne rencontre pas chez les particuliers les secours indispensables à sa situation. « Que l'indigent ait des droits et des droits sacrés, c’est heureusement une vérité qui n’a pas he- soin de démonstration, dit M. de Gérando (1). Qui pourrait con- tester, ajoute cet illustre ami de l'humanité, les droits de l'indi- digence, sans méconnaître ceux de l'humanité elle-même? Son malheur, ses souffrances, sa faiblesse, voilà ses titres. En est-il de (1) Ouvrage cité, p. 211. ( 128 ) plus respectables? Membre de la société, enfant de la grande fa- mille, l'indigent invoque justement le contrat tacite qui lui assure protection et assistance. » Cette éloquente proclamation des droits de l'humanité semble admettre le droit à l'assistance. Elle reconnaît, comme engendrant un droit pour l'indigent, le devoir qu'a la société de lui venir en aide. Sans doute, et c’est un des beaux caractères de notre société civilisée, il n’est personne qui ne considère comme une tache pour sa localité la nouvelle qu'un malheureux y serait mort de faim; et cela, parce qu'on comprend que l'assistance est pour la société un devoir qui a sa source dans son essence même, qui repose sur la base de toute société civilisée, sur les principes du christianisme. Elle ne mériterait plus ce nom si les membres qui la composent ne rencontraient pas dans son organisation protection ct assistance. 11 faut done admettre ce devoir, de même qu'au point de vue moral, tous admettent le devoir de la charité pour les individus. Ce devoir bien compris, c'est l'union la plus cordiale des particuliers et des pouvoirs publics, c’est l'abondante et fraternelle coopération de tous au soulagement des misères; c'est le seul moyen de venir efli- cacement en aide aux malheureux. Cette distinction du droit à l'assistance pour le travailleur avec le devoir de l’assistance pour la société, n'est pas une simple ques- tion de mots; elle est, suivant nous, d'une haute importance. En effet, admettez le droit à l'assistance, et vous ouvrez la porte à toutes les exigences, vous donnez naissance à une foule d'abus; vous dé- truisez l'aiguillon du besoin; certain d’être secouru s'il tombe dans le dénûment, sa misère même lui donnant un titre au secours, le prolétaire cessera de compter sur son travail pour subsister lui et sa famille; il se gardera bien de retrancher quelque chose à ses plaisirs pour amasser quelques épargnes; fort de son droit dont il n'aura qu'à réclamer la reconnaissance, il se livrera à l'oisiveté et à tous les vices. Cet exemple ne sera pas seulement funeste, il sera contagieux, et cet état de la paresse alimentée par la société flattant les penchants des masses, les charges publiques pour subvenir à ces besoins s’accroitront bientôt dans d’effrayantes proportions. Le droit à l'assistance entraîne la charité légale, la charité im- (129) posée, c'est la taxe des pauvres, dans le sens anglais de ce mot, érigée en loi générale et complète, s'appliquant à toutes les posi- tions, devant faire face à tous les besoins. Le droit à l'assistance est un obstacle qui détruit le libre cours de la charité privée. Pourquoi le particulier ferait-il des efforts pour secourir son semblable, lorsque celui-ci n’a qu'à user de son droit pour réclamer de la société l'assistance la plus complète ? Évidemment, pour ne pas dire plus, ce serait un excès de bonté de sa part, s'il prenait à lui seul une charge que la communauté doit légalement supporter. Il se substituerait volontairement à son ac- tion, et il ne rencontrerait même pas pour récompense la reconnais- sance du malheureux secouru, car, il faut le reconnaître, ce dernier n'en devrait aucune; il n'aurait reçu que son dû; la main qui le lui transmet aurait seule changé; dans ce système que lui importe ? En proclamant, au contraire, le devoir de l'assistance de la part de la société, nous attribuons à son action le caractère de complé- ment de la charité privée, le seul vrai rôle qui lui convienne ; nous laissons à celle-ci toute sa puissance, nous élargissons le cercle de son action, nous accroissons sa liberté, et par cela même nous lui faisons prendre un nouvel et important développement, réservant à la société le soulagement des misères qu'elle est incapable de com- battre efficacement. La société conserve alors le choix des moyens de secours, la libre appréciation des infortunes et des besoins. Elle peut suivre la cha- rité privée dans la voie où elle marche; elle associe ses efforts aux siens, et elle parvient ainsi à organiser de la manière la plus écono- mique et la plus utile l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société. Le devoir de l'assistance est une conséquence de notre état social, du principe de solidarité qui en résulte; il a sa source dans le chris- tianisme. « Le christianisme, disait Michel Chevalier (1), se distin- gue de toutes les religions par le ressort qu’il donne à la conscience ét par l'assistance que, de cette manière, il prête à la liberté... Il (1) Discours d'ouverture du. cours d'économie politique au Collège de France. Jounnar pes Désars, du 12 décembre 1851. Tour V. 9 (130) a reculé singulièrement les bornes de la responsabilité humaine... Le christianisme sanctionne plus explicitement encore le progrès dans les rapports de l'homme avec son prochain; il peut en reven- diquer l'initiative. La charité chrétienne est l'expression la plus éle- vée et la plus étendue de la sociabilité; elle embrasse toutes les autres. Pour qu'une modification des institutions sociales soit digne du nom de progrès, il faut qu’elle soit de nature à accroître la liberté effective des populations et à éveiller ou à fortifier en elles le sentiment de la responsabilité... La sanction de la liberté gît , d’une manière générale, dans la responsabilité. Dans l'ordre économique, celle-ci se traduit par cette règle que chacun ait à pourvoir à son existence et à celle de sa famille par son travail et par le produit légitime du capital qui est sa propriété... Avec la notion de la responsabilité, vous élaguez tout ce qui, de près ou de loin, est de nature à mettre systématiquement l'existence et le bien-être d'une classe à la charge de la communauté, et vous restreignez les subsides que les individus peuvent recevoir à une assistance mo- mentanée, prêtée comme un bienfait et acceptée au même titre avec reconnaissance et soumission. Vous vous imposez même le devoir de ne fournir, autant que possible, cette assistance que dans les formes les plus propres à réveiller le sentiment de la responsabilité, à l'exclusion de celles qui pourraient l'assoupir. » Tels sont les véritables principes d'où dérive le devoir de l'assis- | tance et qui doivent, en outre, présider à son organisation. Ce devoir de l'assistance a, du reste, été consacré en Belgique dans une circonstance récente et bien douloureuse, mais qui aura du moins eu pour résultat de prouver, une fois de plus, s’il le fal- lait, comment notre pays sait, en toute circonstance, comprendre et pratiquer les maximes et les préceptes de la religion et de lhuma- nité. Pourrions-nous ne pas citer, avec un noble orgueil, l'empres- sement que mit la Belgique entière à venir en aide aux Flandres, lorsqu'en 1847 et 1848, la ruine de l'industrie de ces provinces” réduisit une partie de nos concitoyens à la plus profonde misère, et, si on ne les eût pas secourus, les condamnait à la mort par la faim? Particuliers et Gouvernement rivalisèrent pour leur venir en aide; on ne recula devant aucun sacrifice, et, lorsque des mesures pro ( 131 ) pres à soulager ces infortunés furent proposées à la Législature, ce fut avec une admirable unanimité que l’on mit à la disposition du Gouvernement les ressources nécessaires pour y faire face; aucune charge nouvelle n’eût paru trop lourde pour remplir ce devoir sacré d'assistance envers nos malheureux concitoyens. Nous ne craignons pas d'être démenti en disant que c'était le principe du devoir de l'assistance qui présidait à cette noble conduite, et, en n’hésitant pas à le mettre en pratique, la Belgique acquit un nouveau titre à l’ad- miration de tous les peuples. C'est, en outre, un gage certain qu’elle ne reculera jamais, lorsqu'il s'agira de contribuer à l'amélioration morale et matérielle des indigents, ce qui n’est que l'application gé- nérale et complète de ce devoir que l’état social impose aux parti- culiers et à la société. Or, pour accomplir ce devoir, la société doit employer tous les moyens à sa disposition pour combattre la misère : moyens préven- tifs, consistant plus spécialement dans les établissements de pré- Voyance; moyens répressifs, comprenant les secours de toute nature accordés à l'indigent. Ce qui est, pour la société, de la plus haute importance, c'est, d'abord, que l'assistance ne soit accordée qu'à l'indigent; c’est, en- suite, que l'assistance, par la manière dont elle est exercée, réunisse à la plus grande eflicacité le caractère le plus honorable pour celui qui en est l’objet. Nous avons, à ce sujet, exposé le système que nous croyons le plus propre à atteindre ce double but, système qui consiste principalement à accorder les secours directement à ceux qui ne peuvent travailler pour vivre, et qui constitue, eu égard à ce qui se passe de nos jours, l'assistance indirecte pour le chef de fa- mille. Or, ainsi comprise, l'assistance indirecte est, à nos yeux, la seule convenable; elle sera même souvent la seule profitable. Il n'y a donc, reconnaissons-le, dans notre système qu’une application indirecte des secours distribués aujourd'hui directement aux chefs de famille, à celui qui, individuellement, n’a aucun droit aux secours, et qui n'y vient participer que par suite de la lourde charge d'une nombreuse famille en bas âge, aux besoins de laquelle le produit de son travail personnel ne peut point suffire. La base de notre système d'assistance à cet égard, est que l’ouvrier à qui le produit de son (132) travail suffit pour vivre, soit mis à même de l'appliquer à son entre- tien et d'y trouver de quoi se créer des ressources pour l'avenir. Il faut pour cela que, s'il a une famille, celle-ci ne soit pas un obstacle à ce qu'il puisse travailler librement et jouir du produit de ses journées au moyen des établissements de prévoyance qui lui seront ouverts. Il va de soi que, sous la qualification d'ouvrier, nous comprenons la mère aussi bien que le père de famille. Or, pour atteindre ce ré- sultat, il faut que l'enfant de l'ouvrier indigent, qu'il soit à la crèche, à la salle d'asile ou à l’école primaire, cesse d’être à charge à ses parents; que, du moins, si ceux-ci doivent supporter une partie des frais (ce qui, nous l'avons vu, sera toujours peu considérable), ils soient , à cette condition, sublevés des entraves que le soin des en- fants apporte constamment au libre exercice de leurs professions, et qu'ils rencontrent dans les établissements créés pour leur venir en aide dans l'éducation de leurs enfants, une direction qui leur inspire toute confiance et une entière sécurité. C'est certes bien là le secours indirect, mais honorable; ce n’est plus l’aumône, c’est l'assistance de la société tout à la fois la plus utile et la plus digne de la société qui la donne et la plus profitable à l'indigent qui la reçoit. A cette fin, il faut que, comme chaque commune a maintenant de par la loi son école primaire, elle ait aussi sa société maternelle, sa crèche, son école gardienne et son école d'apprentissage, qu'il y soit ouvert un refuge aux vieillards et aux infirmes; en un mot, il faut la mise en pratique complète des principes admis, et ce à peine de n’obtenir que les résultats les plus imparfaits. Objectera-t-on la dépense à résulter de cette organisation? Voici notre réponse : Nous avons exposé à chaque pas, à chaque institution proposée, comment il pourrait être fait face aux dépenses; nous avons parfois cité des chiffres pour dissiper des craintes exagérées, et nous avons montré tout ce que la charité individuelle et la charité collective avaient fait jusqu'ici, la part considérable qu’elles avaient prise dans la fondation et pour le soutien d'institutions analogues ou semblables. C'est à la société, à la bienfaisance publique à encou- rager, à faire se multiplier et à couronner ces efforts généreux pour obtenir les résultats désirés. EEE (133 ) Y aura-t-il donc de si lourdes charges à supporter de ce chef ? Sans doute, le commencement, l'organisation première sera coù- teuse; l'établissement, l'appropriation des locaux entraîneront des dépenses assez considérables ; mais outre que, dans les villes et dans beaucoup de communes, il existe des locaux disponibles dans les bâtiments communaux, il est à remarquer que les localités de peu d'importance et ayant peu de ressources n'auront besoin que de con- structions peu étendues. Il y aura dans la pratique bien des moyens d'alléger cette charge; ainsi, par exemple, lorsque deux communes rapprochées ne pourraient suflire à avoir chacune les établissements nécessaires, qu'y a-t-il qui s’opposerait à ce que leurs faibles ressources fussent réunies, et qu’elles profitassent en même temps d'un même établissement qui leur serait commun? Il y aurait une économie notable dans les frais de locaux, de personnel, d’ad- ministration, etc. Il pourrait en être ainsi pour les crèches et pour les salles d'asile; quant aux écoles primaires, elles existent dès à présent, les ateliers d'apprentissage pourraient facilement y être joints; enfin, pour les hospices, le chef-lieu de canton pourrait, dans bien des cas, réunir en un seul ceux des communes rurales de sa circonscription. Demandera-t-on quel sera le chiffre total de la dépense ? Il serait sans doute fort difficile de l’évaluer approximativement; nous ne nous dissimulons pas qu'il sera considérable, surtout dans les pre- miers temps; mais ne perdons pas de vue que si, déjà dans l'état actuel des choses, beaucoup de parents, même n'ayant pour vivre que le produit de leur travail, s'estimeraient trop heureux et trou- veraient le moyen de contribuer pour une part assez forte aux frais d'entretien de leurs enfants pour pouvoir travailler librement, ce qui serait pour eux une puissante assistance , leur nombre s’'accroi- tra rapidement par une bonne organisation des institutions de pré- voyance et d'assistance, l'amélioration morale entraînant à sa suite Vamélioration matérielle, et leur créant des ressources inconnues jusque-là, les charges de la bienfaisance iront donc, par cela même, toujours en diminuant. Ne faut-il pas considérer aussi qu'une des suites bien importantes de l'amélioration morale et matérielle de la classe ouvrière sera de (134) lui inspirer de la circonspection, de la prévoyance pour le mariage, prudence et circonspection qu'il a été impossible de lui inculquer jusqu'ici? Les économistes sont d'accord à ce sujet; ce défaut de prévoyance est une des causes les plus actives de l'extension du pau- périsme ; y porter remède, c’est couper le mal dans sa racine. Or, ce moyen salutaire nous le rencontrons dans l'élévation morale, dans l'amélioration matérielle des indigents. Raisonnant mieux, com- prenant les devoirs qu'il s'impose par le mariage pour élever conve- nablement et honorablement sa famille, craignant de ne pas la maintenir au rang auquel il aura su s'élever par son travail et par son économie, l'ouvrier sera plus circonspect et moins enclin à contrac- ter, au sortir de l’adolescence, une union prématurée qui doit être pour lui une source de souffrances et de privations. Les conséquen- ces de ce changement seront immenses pour la société tout entière. Par une suite nécessaire de ces diverses améliorations, les éta- blissements de prévoyance deviendront bientôt un aide suffisant pour beaucoup d'indigents auxquels l'assistance était nécessaire; le nombre des pauvres diminuera insensiblement, et la part contribu- tive de l'ouvrier dans l'alimentation de son enfant pourra s’accroître sans gêner en rien son aisance, les charges de la bienfaisance dimi- nuant d'autant plus par cela même. L'assistance accordée de cette manière remplace, ne l’oublions pas, le système défectueux des secours à domicile; les sommes con- sidérables que ce dernier absorbe pourront donc être employées plus utilement, et ce, nous l'avons vu, en presque totalité. Enfin, s'il reste une dépense considérable à couvrir nonobstant ces ressources, et après que la charité privée aura fait sa part, peut- on dire qu'il y ait une dépense trop élevée alors qu'il s’agit d'assurer l'existence de la société? d'apporter un remède infaillible aux maux de toute espèce qui affligent l'humanité, en assurant l'amélioration morale et matérielle des indigents? ce serait certes bien le budget le plus utile d'un État; ce ne serait que le moyen pour lui de rem- plir son devoir d'assistance envers les malheureux. Si l'on appelle taxe des pauvres les ressources extraordinaires auxquelles il faudra, sans doute, avoir recours pour subvenir aux frais de la pratique, nous l’avouerons, ce mot ne nous effraie pas. ( 155 ) La taxe des pauvres, dans le sens naturel de cette expression, elle existe par la nature même des choses, par cela même que la charité est un devoir de conscience imposé à l'homme par son créateur, commandé par la religion. Les sacrifices inspirés par la charité sont à nos yeux la taxe des pauvres, les ressources dont dispose la société pour remplir son devoir d'assistance peuvent encore prendre ce nom, mais ces secours s'organisent avec intelligence et d’une manière hono- rable et digne pour tous. Mais nous repoussons avec toute l'énergie de notre âme cette qualification dans le sens odieux du mot, c’est- à-dire si elle doit signifier l'impôt prélevé sur la fortune pour jeter au mendiant quelque nourriture chétive et insuffisante, pour l'en- tretenir matériellement et s'épargner l'affreux spectacle d’un homme dont la mort n'aurait d'autre cause que la faim. Nous eussions pu nous abstenir d'entrer dans ces considérations de dépenses, le cadre de la question à résoudre n'embrassant, croyons-nous, que l'exposé des principes de l’action simultanée de Ja bienfaisance publique et de la charité privée dans l’assistance. Si l'assistance est un devoir, il importe peu ce qu’il doit en coûter pour accomplir. Mais nous avons tellement foi dans les résultats émi- nents qui résulteront de cette organisation, nous sommes animé d'un si vif désir de la voir mettre en pratique, que nous avons cru utile de soumettre les moyens nombreux de faire face aux dépenses, de démontrer autant que possible qu'il n’y avait pas lieu de s’en ef- frayer, que, dès lors, elles ne devaient pas faire reculer les hommes qui comprennent l'importance du problème à résoudre. - On objectera enfin que notre système d'éducation établit, en faveur du Gouvernement, une tutelle légale et universelle sur toute la jeu- nesse indigente; ce serait par une sorte de patronage officiel que État se chargerait de la diriger. Nous ne savons si, après les efforts que nous avons faits dans ce but , notre idée aura été exposée avec assez de clarté pour être comprise; mais pour ne laisser aucun doute sur le principe qui nous guide, nous déclarerons ici que les enfants pauvres pas plus que les autres n’appartiennent à l'État, qu'il serait tout à la fois contraire à une bonne organisation sociale et surtout aux principes de liberté, qui sont la base des institutions qui nous ré- gissent, de reconnaître au Gouvernement le droit d'absorber, en (136) quelque sorte, la jeunesse indigente et de vouloir lui imprimer une direction exclusive et obligatoire. Non, nous ne voulons pas de ce système; il a toujours été étranger à notre pensée; mais comme il ne serait pas vrai de dire que, de notre temps, l'État absorbe la jeunesse en ouvrant dans chaque commune une école primaire, dans quelques autres, des athénées où tous peuvent être admis, surtout lorsque ces établissements se trouvent en présence d'établissements libres fondés dans le même but; de même qu’on ne pourrait pré- tendre que les vieillards, que les infirmes appartiennent à la com- mune ou à l'État, parce que ceux-ci ouvrent à cette classe d'infor- tunés des refuges où leur misère est secourue; de même, lorsque, dans chaque commune, il y aura une crèche, une salle d'asile, une école primaire, une école d'apprentissage, où tout enfant pauvre pourra recevoir les soins qui conviennent à son âge et à son degré de développement intellectuel, où les parents auront la faculté de les placer lorsqu'ils se rendront à leurs travaux et de les reprendre à la fin de la journée, temps que l’on mettra à profit pour leur former et l'esprit et le cœur, de même, dirons-nous, il ne serait pas exact de prétendre que la jeunesse indigente appartiendra pour cela à l'État. La liberté d'enseignement n’en subsistera pas moins : des écoles particu- lières, des établissements élevés par la charité privée pourront remplir la même mission; des crèches, des hospices fondés et soutenus par la charité individuelle ou par la charité collective subsisteront encore pour prendre, comme cela se voit de nos jours dans plusieurs locali- tés, le soin de soulager les malheureux qui y sont admis; nous avons même répété plusieurs fois que ce n’est qu’en cas de défaut ou d’in- suffisance des institutions libres que l'État interviendra, qu'il devra protéger, aider celles-ci avant d’en instituer de nouvelles; tel est le patronage officiel que nous attribuons à l'État : nous nous refusons à lui en reconnaître un autre. Nous n’avons fait que déduire les con- séquences pratiques du principe qui a été admis pour l'enseignement primaire; nous l'avons appliqué aux autres institutions de secours. Nous avons, il est vrai, compliqué la question en y joignant celle de l'assistance, mais c'est accessoire ; et ce point ne peut suffire pour” faire peser sur notre pensée une si grave accusation. Si elle la méri- tait, nous la répudierions, Mais examinons les choses de plus près; (137) nous l'avons dit, nous désirons la suppression des secours à domi- cile attribués au chef de famille que l'entretien deses enfants plonge dans la misère, la journée d’un homme ne pouvant régulièrement subvenir à l'entretien de cinq, six ou huit personnes, la mère en outre se voyant presque toujours forcée de rester au logis pour soi- gner les enfants, ou de s'imposer un lourd prélèvement sur son sa- laire, si elle veut faire veiller sur eux, et nous demandons que la presque totalité des secours serve à l'alimentation des enfants dans les écoles, dans les salles d'asile, dans les crèches. Si, de cette manière, il y a une contrainte morale exercée sur les parents pour les forcer à envoyer leurs enfants à l'école, pour obliger ceux-ci à la fréquenter, nous nous en féliciterons, et ce sera le moyen que l’on a vainement cherché jusqu'ici pour atteindre ce résultat. Il n’y aura entre ce qui existe actuellement et ce que nous de- mandons qu'une différence de plus, c'est qu’au lieu d’être l’objet du plus déplorable abandon, ou au lieu d'être livré à des mains merce- naires toujours insouciantes, souvent même inhumaines, l'enfant pauvre, pendant tout le temps où ses parents se livreront au travail, sera recueilli dans des établissements que la société lui ouvrira pour y recevoir, pour le moral comme pour le physique, les soins les plus tendres et les plus intelligents. - On dira peut-être que notre système d'éducation détruit l'esprit de famille, qu'il porte atteinte à ces liens qu'il importe au plus baut degré de conserver dans les classes pauvres où ils ne tendent que trop à se relàcher. Il nous suffirait, sans doute, de faire observer que l'enfant de la classe aisée, placé dans un pensionnat à plusieurs lieues de distance, pendant de longues années, n’est pas censé per- dre cet esprit de famille, d’attachement pour ses parents, quoi qu'il neles revoie souvent que durant quelques jours de chaque année ; comment se ferait-il donc qu'il en fût autrement de l'enfant pauvre qui revoit tous les jours ses parents, qui loge avec eux, qui ne les quitte pas les jours de fêtes et les dimanches? L'ignorance et la mi- sère, les vices et l'abrutissement sont-ils done une sauvegarde pour Vesprit de famille? Bien au contraire, l'éducation et l'instruction en sont les bases les plus solides et les plus sûres, et elles en resserre- ront en peu de temps les liens d’une manière indissoluble. ( 158 }. Telles sont les principales objections que l'on peut faire au sys- ième d'organisation que nous avons exposé, et que nous croyons seul honorable et efficace pour l'assistance à accorder aux classes souffrantes de la société. Nous ne nous flattons pas de les avoir réfutées victorieusement, nous avons seulement voulu énumérer les motifs puissants pour lesquels nous ne croyons pas que lon doive s'y arrêter. Il nous reste à nous demander, en terminant, quels doivent être en général les rapports de la charité privée avec la bienfaisance publique, de quel esprit elles doivent être animées l’une envers l'autre? Question de la plus haute importance, eu égard à la con- nexité en quelque sorte continuelle de leur action. D'illustres écrivains y répondent : « Il doit y avoir une bienfaisance publique, comme il y a une bienfaisance privée, dit M. Thiers (1); car ce n’est pas trop des deux pour soulager la misère, tant particu- lière que générale, existante inévitablement dans toute société, même riche et civilisée.» « Et il est indispensable, ajoute M. de Gérando (2), d'établir une plus étroite alliance entre la bienfaisance publique et la charité privée, de sorte que chacune d'elles s'exerçant dans la sphère qui lui est propre, elles se prêtent une assistance mutuelle, géné- rale et continue. » La bienfaisance publique a d’abord pour mission de donner la destination la plus intelligente et la plus utile aux res- sources dont elle dispose, aux revenus de tous les établissements publics de bienfaisance, ainsi qu'aux subsides mis à sa disposition par les communes, par les provinces ou par l'État. Elle doit établir et sou- « tenir certains établissements de prévoyance qui, nous l'avons vu, ne peuvent être abandonnés aux soins des particuliers, soit seuls, soit réunis en associations; elle devra venir en aïde par des subsides aux institutions dénuées de ressources ; mais, comme nous l'avons dit en commençant, la part essentiellement utile d'action de la bienfai- sance publique, de l'autorité, c’est la direction bienveillante et tout officieuse, la surveillance, le contrôle des actes de la charité collec-" tive, lorsque celle-ci voudra s’y soumettre. Cette mission sera con- (1) De la prévoyance et de l'assistance publiques. (2) De la bienfaisance publique, 1. 1}, p. 541. (139 ) fiée à l'administration centrale de prévoyance et d'assistance que nous avons réclamée et définie dans le cours de ce travail. Nous avons exposé, dansles différents degrés de l'assistance, jusqu'où pou- vait aller son action, jusqu'où elle pouvait étendre son influence, ce qui, nous l'avons vu, dépend du caractère, de la nature et du but de chaque institution destinée à combattre la misère ou à porter se- cours aux souffrances qu'elle fait naître; nous avons tracé les limites qu'elle devait bien se garder de dépasser; nous n'y reviendrons pas. Il nous suffit de constater ici d’une manière générale la nécessité de . son action comme aide et comme complément de la charité privée. La charité individuelle, c’est-à-dire l’homme charitable, au cœur généreux et dévoué, sera partout et toujours la base de toute assis- tance à accorder aux classes souffrantes de la société. Elle en est Vélément le plus essentiel. Sans le dévouement personnel, sans la main charitable qui s'ouvrira à la vue du malheur ou au premier appel qui lui sera fait au nom des malheureux, il faut renoncer à donner aux classes pauvres l'assistance qui leur est due et qui doit contribuer à leur amélioration, à leur régénération morale et ma- térielle. « Après tout, dit M. Gustave de Beaumont, l'assistance privée et le zèle religieux seront toujours la première source de l’as- sistance publique. » Maïs la volonté humaine est variable; par cela même que la cha- rité privée est et doit rester libre, elle est exercée d’une manière trop inégale par ceux qui sont appelés à lui servir de ministres (1). Elle peut se laïsser induire en erreur; c’est une source inépuisable , mais les eaux abondantes qui en découlent doivent rencontrer des Noïes tracées , afin d'acquérir, en Îes parcourant, une direction régu- lière, pour y être sagement ménagées, et servir à fertiliser le vaste désert des misères humaines. C’est dans l'association, c’est dans la participation des pouvoirs publics qu’on trouvera cet appui, ces inspirations. L'association, par le faisceau qu’elle forme des efforts et des sacrifices individuels, leur donne une puissance et une effi- cacité à laquelle, sans cette union, ils n’eussent jamais pu parvenir. Elle offre aussi le grand avantage de la permanence et de la régula- (1) De Gérando, ouv. cité, €. IT, p. 225. ( 140) rité, moyens infaillibles d'atteindre les résultats désirés, précieux surtout lorsqu'il s'agit de réformer les habitudes de la classe ou- vrière, de préparer, d'élever les générations qui nous suivent. « La bienfaisance publique continue, elle simplifie, elle aide la charité privée , elle la supplée au besoin (1). » La charité privée et la bienfaisance publique doivent donc agir de commun accord. Elles ont sans doute leurs règles particulières d'action; il est des limites qu’elles ne doivent pas franchir, nous les avons énumérées à l’occasion ; mais la même pensée les a fait naître ; elles ont le même but à atteindre; elles sont sœurs; elles doivent donc s’entr'aider, rivaliser de zèle, d'intelligence et de dévouement, et par les immenses résultats que leur bonne entente produira né- cessairement, elles prouveront une fois de plus au monde la vérité immuable de notre belle devise nationale : l'Union fait la force. (1) De Gérando, méme ouvr., t. Il, p. 229. - REPAS FR À en s LA EE Q Annuaire de l’Académie, 1°° à 18€ année. 1855-52. Bulletins de l'Académie royale des sciences et belles-lettres de ! Bruxelles, tome 1 à XII. -— Bulletius de l’Académie royale des | sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XIE à à 4 XVIIT, in-80. — Prix : l’année, 2 volumes , 8 francs. 4 Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des sciences et belles- # lettres de Bruxelles , tome I à XIX. — Mémoires de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XX à XXVI; in-4°. — Prix : 8 francs, à partir du tome X. Mémoires couronnés par l’Académie royale des sciences et belles. lettres de Bruxelles, tome I à XV. — Mémoires couronnés et Mé- moires des savants étrangers. publiés par l’Académie PA) des sciences et belles-lettres de Bruxelles, tome XVI à X] Mémoires couronnés et Mémoires des savants ‘étranger par l’Académie royale des sciences , des lettres et des de Belgique, tome XIX à XXIV, in-4°.— Prix : 8 francs p à partir du tome XII. Mémoires couronnés, collection in-8 : Tour L. — Des moyens de soustraire l'exploitation jee atited houille aux chances d’explosion; 1 vol. in-8v, 1840. Prix : 4 francs. Tower II. — Mémoire sur la fertilisation des landes de la Cam ps el des dunes; par M. Eenens , 1 vol. in-8°, 1849; 9 francs. « Loue III. — 1r° partie. Exposé général de l'sgriculiéé luxem- | bourgeoise , ou dissertation raisonnée sur les meilleurs moyens de” fertiliser les landes des Ardennes, sous le point de vue de la créa- tion de forêts, d'enclos, de rideaux d'arbres, de prairies et de 4 terres arables , ainsi que sous le rapport de li irrigation ; par Henr Le Docte, 1 vol. in-8°, 1849 ; fr. 1 60 c*. Tous II. — 2° partie. Méiuire sur la chimie el la physiolopi vépélales et sur D A VS par le même; 1 vol. in-8°, 1849 2 francs. Towe IV. — Mémoire sur le paupérisme dans les Flandres } Ed. Ducpetiaux; 1 vol. in-8°, 1850. RE Commission royale d'histoire. — Recueil de documents hist ques relatifs à la Belgique, 14 vol. in-4°. ARTS. Compte rendu des séances de la Commission royale d'hislo r ou Recueil de ses Bulletins, 16 vol. in-8 (1857-1849). — - Nouvel série, tome Ie, in-8" (1852). ET MOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS. PUBLIÉS PAR L'ACADÉMIE ROYALE Û DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. Collection in-S°. — TOME V. Seconde Partie. BRUXELLES, HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1853. MEMOIRE SUR LES POLDERS DE LA RIVE GAUCHE DE L'ESCAUT ET DU LITTORAL BELGE, en réponse à la question : FAIRE CONNAÎTRE LA NATURE, LA FORMATION ET LA TOPOGRAPHIR ACTUELLE DES POLDERS DE LA RIVE GAUCHE DE L'ESCAUT ET DU LITTORAL BELGE; DONNER UN COUP D’OEIL SUR LES DIFFÉRENTES PÉRIODES DE LEUR FORMATION ET DE LEURS ACCROISSEMENTS , EN S'APPUYANT SUR DES DOCUMENTS HISTORIQUES ; EN DÉCRIRE LA MISE EN CULTURE , LES ENDIGUEMENTS ET LES TRAVAUX D'ART, ET EXPOSER LE SYSTÈME D'ÉCONOMIE RURALE QUI Y EST ACTUELLEMENT EN USAGE > LES CONSTRUC- TIONS ; LES INSTRUMENTS ARATOIRES, LES RACES D'ANIMAUX DOMESTIQUES, LES CAUSES DE LA FERTILITÉ ; ENFIN . ÉTUDIER LES DIFFÉRENTS MOYENS D'AUGMENTER LES RESSOURCES AGRICOLES DE CETTE CONTRÉE ; par A. DE HOON, Ingénieur de la wateringue du Nord de Furnes, sous-ingénieur honoraire des Ponts et Chaussées. (Couronné dans La séance du 15 décembre 1851.) Toue V. 1 CLIN AG AHOULN AVE A1 HE Ado : A L CRPELE [2121] F TÆn ue “RAIOMEM n4 i DR NTI VAUT IN tt ANA y 12%4 A9 AGIR Fran t DPLLLIS ES) 1L7 TRTEL (CIE 4 1 1 ï L 74 MAT PL. 10 ñn * AE TT in tro savent 100 HG .A haterr Ms el Nous ne nous étions guère attendu à l'honneur de voir admettre notre travail parmi les savants mémoires de l'Académie royale. Nous apprécions comme nous le devons toute la bienveillance de MM. les rapporteurs, et surtout du savant professeur de Liége, dont l’érudition et les profondes connaissances dans toutes les branches des sciences physiques et naturelles seraient seules en état de combler toutes les lacunes que nous ne pouvons prétendre à remplir. Qu'il nous suffise d’avoir accepté ses bienveillants con- seils avec toute la gratitude dont nous sommes capable; d’autres viendront, peut-être, ajouter à ce qu'il y a d'incomplet dans un cadre trop large pour nous, el nous serons heureux si, mettant à profit nos loisirs, nous pouvons aussi un jour faire quelques pas de plus dans la route que nos honorables guides ont bien voulu indiquer. x ittue 100 8 ur La hi DR 20018) AOC OR anni MS or eE nidimenRtmne 21 cuves Tri vit db satiné 1 600 cos lang on PHP (1 au ôrd sh nus #loid Hirrux booba be ,#s0)104ÿe1. 608 M ubastos avcr 2asmaieanons entame 2! 1 codjbutÿf Wrob nu alune, unèdée solace uma so crrioe 30h andoaieul PART AN NETT AUTO. DO ÉMOU MNT na El" st uo) + [dinoa alr FA NT on aelboenent 20e Mrqsios. Lori aille soon L'uQ Alquass à pull sobres aomeator AuG )a0b ohne ct Hu) sous 2lise ai sat Jolpidenth ee upon dagiregs 115-1104 citerhnôte fenetre 2e eo laure ur sir l:qott she ae unit tint nai vu Meevé 200pog hou , _ lp té D, © ns. da. (45) variables. Toute la surface , à peu près unie et qui s'étend de la mer jusqu'à Dixmude, Gand et Termonde, est composée de même. Les rares hauteurs que l’on y trouve, à Wyngene, à Ursele, à Cleyt, etc. offrent des terres d'une autre nature, beaucoup plus argileuses et plus compactes, dues, eroyons-nous, aux soulèvements d’un ter- rain de formation sous-marine. Sur tout ce pays sont superposées des crêtes d’un sable léger et grossier, restes d'anciennes dunes et des bancs qui leur avaient donné naissance. Les parties les plus basses, réceptacle ordinaire des eaux de l'intérieur, ont formé des marais qui ont donné lieu à la formation de la tourbe. Insensible- ment exhaussées; elles ont fini par acquérir assez d'humus pour devenir terre arable ou prairies, tandis que les bas-fonds situés le long des rivières et du littoral où les marées amenaient du limon, en ont reçu une couche plus où moins épaisse d'un sol argilo-sablonneux, mêlé de détritus, de mollusques de mer ou d'eau douce et de toutes espèce de sels fertilisants : ce sont les bons polders, nos bonnes terres du Furnes-Ambacht et du nord de Bruges, nos excellentes prairies des bords de l'Escaut et du littoral. Différentes espèces de terrains. — C'est sur cet aperçu que nous croyons devoir fonder nos considérations sur la nature de ces diffé- rents terrains. Nous croyons, d'un autre côté, qu'en nous appuyant sur leurs caractères physiques, nous répondrons mieux à l'intention de la savante Compagnie; elle a eu pour but, pensons-nous, d'ob- tenir un travail intelligible et utile à la classe nombreuse des pro- priétaires et des eultivateurs, plutôt qu'un mémoire qui ne serait compris que par un petit nombre de savants, œuvre pour laquelle d'ailleurs, nos études sont loin de nous avoir fourni les connais- sances spéciales nécessaires. Distribution des différents terruins.— Littoral.— Les trois espèces de térrains que nous venons d'indiquer se retrouvent dans les pol- ders comme sur le littoral. Depuis la frontière de France jusqu'au Zwin, nous avons une bande de dunes dont la largeur plus ou moins considérable commu hique sa nature sablonneuse aux terres voisines de Wulpen, pour se rétrécir vis-à-vis de Nieuport. S'élargissant ensuite, cette bande ( 44) comprend les villages de Westende, Lombaertzyde, Middelkerke, Mariekerke. Étroite de nouveau à Ostende, elle s'avance au delà jusque près de Breedene, et va, par Wenduyne, Blankenberghe et Heyst, à Knocke, situé au milieu des sables. Nous trouvons ensuite des terres argileuses, aigres et humides, telles que les moeres, situées de côté et d'autre de la frontière, et dont la partie belge, nommée les mille mesures, offre un terrain marécageux; c'est le reste d’une vaste crique ou golfe communiquant jadis avec la mer, et qui, assé- ché très-incomplétement par des machines hydrauliques imparfaites, souffre beaucoup des eaux intérieures. A cette classe appartiennent encore les mauvaises prairies du littoral ou l'on a extrait de la tourbe et qui sont sujettes à des inondations pluviales. On en trouve surtout dans le Furnes-Ambacht et aux environs de Wenduyne, Uytkerke et Blankenberghe. Ces prairies ont peu de valeur et sont d’un faible produit. Près de Blankenberghe, il existe aussi des terres peu fertiles et dont l'argile blanche et compacte, dite blikkaert, se trouve à une très-faible profondeur. Le littoral possède d'excellentes terres à l’est de Furnes, aux en- virons de Aven-Capelle, Zoutenay, Pervyse; leur principal élément est une argile noirâtre très-riche. A l’ouest et au nord de Dixmude, on a de très-bonnes prairies, dont le fond est argileux et qu'on amende avec de la chaux. Des terres et des prairies de première qua- lité, formées par le dépôt d’une épaisse couche de limon superposée à la tourbe, et dont l'ingénieur Belpaire (4) à si bien décrit l'histoire, se trouvent dans la partie comprise entre Breedene, Wenduyne, Uyt- kerke, Zuyenkerke, Meetkerke et Stalhille, On rencontre aussi de ces bonnes terres aux environs de Blankenberghe, mais là, elles sont entrecoupées par des prairies basses et des terres à blikkaert. Rive de l'Escaut.— Terres sablonneuses. — Dans les polders de la rive gauche de l'Escaut, nous avons des bancs de sable de la même nature que celui des dunes; ils appartiennent à la crête qui règne de Bruges à Hulst. Un de ces banes se montre au Biezen-polder, entre St-Laurent et Aardenburg, où il est traversé par le courant de Eecloosche watergung; il se relève ensuite à S'-Croix, au sud de (1) Mémoires couronnés de l’Académie, 1, VI ( 45 ) S'-Marguerite, au nord de Waterland-Oudeman, pour se confondre avec les nouvelles terres d’alluvion au sud d'Yzendyk. Cette bande de sable se trouve coupée par les excellents polders de l'Haentjes-gat et de la Brandkreek, fecondés par les inondations du XVI: siècle. Dans l'arrondissement d’Axel, on trouve les sables aux environs des polders d'Overslag, Moerbeke, Varempee et Karnmelk. Dans celui de Hulst, aux polders Ferdinand, Absdale, S'-Jansteen et Clinge, et ils terminent par un monticule ou promontoire de Couter, l'ancien Hulsterloo. Ces terres, pour n'avoir été jadis que des bruyères ou des bois dans leurs parties les plus fertiles, n’en ont pas moins acquis une certaine valeur; situées non loin des nombreux bourgs de la Flandre, dont la population a paru maintefois fabuleuse au reste de l'Europe, elles sont occupées en partie par des cultivateurs flamands, dont les pratiques agricoles s'y sont propagées. Terres basses ou Houtland. — Nous mettons dans la seconde ca- tégorie les terrains bas et sablonneux l’ancienne terre de Flandre, le Pagus Flandrensis, en y comprenant une bonne partie du pays de Waes; terrains d'inondations maritimes fréquentes mais de peu de durée, de pâturages marécageux abandonnés et de bois impéné- trables. C'est le pays que M. Kervyn, dans ses excellents écrits sur la Flandre, appelle le Houtland, dénomination qu'adopte aussi M. l'in- specteur général de l'agriculture. On ignore assez généralement que ces terres se trouvent aussi bien en deçà qu’au delà des banes de sable sur les bords desquels est assise la digue du comte Jean , ligne de démarcation entre les polders et le reste de la Flandre. Ces terres, à raison de Ja prédominance du sable, de l'argile où d’un humus tourbeux, à raison de la situation plus ou moins basse, à raison de la couche de limon plus ou moins superficielle que quelques-unes d’entre elles ont reçue, varient à l'infini. Nous devons ranger dans celte classe tous les polders qui se trouvent au sud d’une ligne tirée de Lapscheure, par Aardenburg vers S'-Marguerite et qui de là suit la frontière de la Belgique jusqu’au canal de Terneuzen. L'arrondis- sement d'Axel a peu de ces terres, mais celui de Hulst en offre en assez grand nombre, surtout dans sa partie centrale et orientale, où, en 1156, se trouvaient beaucoup de bois, de prairies et de marécages ( 46 ) donnés à l'abbaye de Tronchiennes par Iwan de Gand (1). On n'en trouve pas dans l'arrondissement de Calloo. Les polders de cette espèce sont humides et aigres ; la couche de bonne terre y est peu profonde, si ce n’est dans ceux, en petit nom- bre, qui se trouvent placés sur un fond tourbeux. Le mélange de sable et d'argile est en général compacte et peu perméable. Comme ils n’ont reçu que peu ou point de principes fertilisants, ils ont besoin de beaucoup d'engrais ; encore ne leur profite-t-il guère, si l'on n'a eu soin d'établir un bon écoulement, d’ameublir le sol, de détruire la végétation malfaisante par des moyens convenables, et surtout, de faire les labours et les semailles à des moments op- portuns. : Terres fortes. — Les meilleurs polders sont en général ceux ré- cemment conquis sur la mer, surtout s'ils possèdent, avec un li- mon profond et riche, une juste proportion d'argile, de sable et de détritus calcaires qui en assure la perméabilité. Sauf les terres que nous avons indiquées comme appartenant aux classes précédentes, on peut dire que toute la rive gauche de l'Escaut appartient à cette catégorie; cependant nous devons faire remarquer qu'il est rare que tout un polder se trouve absolument dans la même condition : il n'en est presque pas où l'on ne trouve des stries sablonneuses, ou des parties moins perméables. S IL. ENDIGUEMENTS. — TRAVAUX D'ART. Les dépôts qui se forment à l'embouchure des fleuves changent la direction des courants et en ralentissent la vitesse; croissant en élévation comme en étendue, ils deviennent des banes où le cours des eaux du fleuve se trouve ralenti au point qu’elles y déposent les matières les plus ténues qu’elles tiennent en suspension et re- (1) Corp. chron. F1. 1, p. 108. (41) couvrent le sable d’une couche limoneuse. Ces dépôts gagnant tou- jours en hauteur, il arrive un moment où ils ne sont plus cou- verts qu'aux marées hautes; peu après, ils ne le sont plus qu'aux syzygies : la végétation s’y est établie et le bane est devenu schorre. Concession des schorres à endiquer. — Les schorres ont de tout temps été considérées comme appartenant au domaine public; les terres abandonnées à la mer depuis un certain temps (le decret im- périal du 11 janvier 1811 le fixait à un an) le sont encore. Ces schorres et terres à réendiguer sont concédées, pour un cer- tain nombre d'années, par le Gouvernement, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, et sous la charge de construire sur des plans don- nés , et d'entretenir toutes les digues, écluses, etc., jugées néces- saires. Le polder asséché est exploité d'ordinaire, par la société concession- naire, pendant quelques années, puis les terrains sont mis en lots, la société se dissout et la culture est abandonnée aux efforts particuliers. Mais il n'en reste pas moins subsister une association de tous les pro- priétaires pour la surveillance et l'entretien des ouvrages communs: la digue, l’écluse, l'écoulement des eaux intérieures et les chemins publics. Elle est gérée par un dykgraef, deux jurés et un trésorier, parfois nommés par le Gouvernement, parfois élus à la pluralité des voix des propriélaires possédant une certaine étendue de terres et, pour cette raison, nommés groole gelanden ; réunis en assemblée générale, ceux-ci règlent, en outre, les contributions et les dépenses nécessaires, imposées par arpent ou hectare et qu'on nomme dykge- scholten. Solidarité des polders entre eux. — Dès longtemps on a cherché à établir entre les divers polders une certaine solidarité pour les dégâts causés par la mer aux digues et aux ouvrages d'art qui les défendent, sur le motif bien fondé qu'une digue détruite, un pol- der inondé, amène la mer au pied d’une antre digue, alors tout aussi exposée que l'était la première. C'est ainsi que, sous le duc Jean de Bourgogne, en 1410, une digue de réserve fut construite, à Slependamme, aux dépens de toutes les terres menacées. On avait, dans l’île de Cadsand, la Brievers wateringue, protégée au nord par une digue qui couvrait Oosthurg et Gaternesse, au sud par une autre (48) digue, opposée au bras de l'Eseaut, qui fut l'ancienne Beverna (1). Mais c'est surtout sous l'empire français que cette mesure fut géné- ralisée parmi les polders de la rive gauche de l'Escaut, faisant alors partie du département de ce nom. Les décrets impériaux du 1* ger- minal an XL, l'arrêté du préfet du 19 messidor an VII, approuvé par arrêté des consuls du 13 thermidor même année, et ceux du 41 janvier 1811 en complétèrent l'organisation. Wateringues, leur origine. — Pour une contrée aussi basse que les polders, sur laquelle se déversaient tant de rivières et que la mer couvrait parfois de ses eaux, le premier soin ne devait-il pas être d'assécher la terre et de garantir son champ et sa famille de l'inon- dation. Heureusement les antiques habitants de la Flandre, les Saxons, de la même origine que les Frisons leurs voisins, avaient, à cet égard, des institutions déjà perfectionnées et que les lois de ces derniers nous retracent. Les peuplades, divisées par groupes de cent familles, s'établissaient par cantons, circonserivaient leur territoire d'un ruisseau où d’un rempart de terre, le divisaient dans le sens des points cardinaux, et sur nos rivages, où il s'agissait de refouller la mer, enfermaient le tout d’une digue, établissaient un système général d'écoulement des éaux et exerçaient la surveillance la plus active sur l'entretien de cet ouvrage confié aux soins des riverains (2). Encore aujour- d'hui la plupart de ces villages sont divisés en croix, ont leur oosthoek et westeinde; plusieurs sont enceints d’un banddam (digue frontière), possèdent leur propre système d'écoulement en général savamment établi, et qu'ils ont eu soin de faire reconnaître et ga- rantir par l'autorité souveraine, ou ont fait, à cet égard , des con- ventions avec les communes voisines. Une pièce inédite concernant les communes de Bouchaute, de Ca- prycke et de Lembeke, dont les stipulations sont restées en vigueur jusqu'en 1807, nous fait connaître l'une de ces conventions. De (1) D'apres une ancienne carte, en possession de M. Barthel, receveur de plu- sieurs wateringues de la frontière belge. (2) Moke, Mœurs, usages, fêtes et solennités des Belges, BIBLIOTHÈQUE NATIONALE, t. I, pp. 18 et 51. (5) Voyez l’Æppendice, p. 112. ( 49 ) pareilles associations, entre deux ou plusieurs communes ou pol- ders, constituent des wateringues. Elles sont administrées, comme les polders, par un dykgraef ou directeur assisté de un ou de plusieurs jurés, heemraden ou régis- seurs, et d'un secrétaire-trésorier, qui seul est rétribué. Ces fonc- tionnaires sont nommés , ici, par l'assemblée générale des grands propriétaires intéressés, là , par l'autorité supérieure. Les dépenses et la part contributive par arpent ou hectare sont réglées par l’as- semblée générale, sur la proposition de l'administration de la wate- ringue. Ce sont les watergeschotten. Toutes les réunions dans les polders sont suivies de l'indispensable festin : les nouveaux assis- tants ne sont réputés bien admis qu'après avoir vidé la coupe du polder ou de la Wateringue d'une honnête capacité. Tout le territoire des six arrondissements que nous avons décrits avec une partie de toutes les communes limitrophes, et plus du quart de l'étendue de la Flandre occidentale, sont constitués en wateringues. Cette organisation a de tout temps été sanctionnée par l'autorité publique; la Constitution belge l’a maintenue expressément (art. 115); la Loi Fondamentale des Pays-Bas met les wateringues, comme les administrations des polders, sous la direction suprême du chef de l'État (chap. IX, art. 215 à 295). Travaux d'endiguement. — Quand une schorre a acquis une éten- due suffisamment grande, qu'elle est bien couverte de verdure, qu'elle est arrivée à l’état de maturité, on peut songer à l'endiguer, afin de la soustraire à l'invasion des eaux de la mer les plus élevées et pouvoir la soumettre ensuite à une culture régulière. - Des diques. — Une digue bien construite doit avoir une hauteur supérieure à celle des plus hautes eaux connues; elle doit être com- pacte et homogène, reliée au sol sur lequel elle est établie et pré- senter en tous ses points une résistance suffisante contre la pression et la pénétration des eaux. Une digue se compose essentiellement de trois parties, comme l'indique la figure suivante : une partie centrale À, B, C, D, dont Vélévation doit dépasser de 50 centimètres au moins la hauteur des plus grands flux, et dont l'épaisseur variable est réglée d'après les circonstances locales; un talus extérieur À, C, Æ, dont l'inclinai- Tome V. 4 (50 ) son sur la base est d'autant plus faible que la violence des flots est plus grande; un talus D, B, F, qui est, en quelque sorte, le contre- fort de la digue. Ce sont là les parties principales d'une digue; mais toute bonne digue de mer a, en ouire, un deuxième talus extérieur, A, E, nom- mée berme extérieure, qui prend racine au point Æ, à la hauteur du niveau des hautes eaux ordinaires. Cette berme a une largeur de 10 mètres environ , et s'élève sous une pente de 5 pour cent. Souvent aussi elle est munie d'une berme intérieure, G, F, de 6 à $ mètres de largeur, et qui a la même pente que la première. La berme extérieure prévient le déchaussement du pied de la digue, et préserve les talus en amortissant la violence des flots. L'autre berme soutient le talus intérieur et sert de chemin de cir- culation pour les voitures. Toutes ces parties d’une digue sont intimement reliées, et ne forment qu'un seul et même tout. Établissement des digues. — Jamais une digue de mer, pour autant que faire se peut, ne peut être établie contre la laisse des basses marées. D'abord, parce que l'on doit se ménager une bande de schorre qui puisse fournir la terre nécessaire pour la construction de la digue; en deuxième lieu, parce que cette bande doit, en faisant fonction d'avant-berme, atténuer par sa présence l’action des vagues à marée montante. Aux endroits où les coups de mer sont à craindre, la distance comprise entre la laisse des basses eaux et le pied de la digue ne peut être inférieure à 300 mètres. Ailleurs elle peut être moindre, et les circonstances locales seront consultées pour la déterminer. Les puits d'extraction doivent se trouver à une distance de 2 à 3 mètres du pied de la berme, et à une distance de 15 à 25 mètres de a laisse des basses eaux : ces puits seront séparés de 400 en 100 (51) mètres par des bandes laissées intactes, perpendiculaires à la berme, d'au moins 6 mètres de largeur, et chaque puits sera mis en com- munication avec la mer au moyen de rigoles. Le tracé de la digue doit être fait de telle sorte qu'elle embrasse la . plus grande étendue de terres avec la plus faible longueur possible. Mais dans cette opération, on doit surtout avoir égard à la direction des vents régnants et des courants que l'on tâche de recevoir sur l’ou- vrage sous le moindre angle possible, aux criques et endroits bour- beux à franchir, qui entraînent des dépenses toujours considérables. Les angles, et surtout les angles aigus, doivent être soigneusement évités, car ils résisteraient difficilement à l'action des vagues et des glaçons. On les arrondit en raccordant les alignements droits par des courbes géométriques, parmi lesquelles on préfère l’are de cerele. On peut raccorder au moyen d’une infinité d’arcs de cerele; celui qui a le plus petit rayon fera perdre le moins de terrain, mais par contre, on aura aussi la digue la plus longue. Le choix sera déter- miné par la double considération de la valeur de la terre qu'on endigue et de la dépense de l'endiguement. La hauteur de la digue varie d’après le lieu qu’elle occupe : se trouve-t-elle exposée à un courant violent, fluvial ou maritime, à la marée de pleine mer, ou bien aux tempêtes qui, pour nous, arri- vent du nord-ouest, elle sera plus élevée; elle le sera encore, si elle se trouve au fond étroit d'un golfe dans lequel s’engouffrent et s’ac- eumulent les flots. Au contraire , une digue qui se trouve devant une plage étendue, dont la présence diminue la force des vagues, exigera une élévation moindre que celle qui se trouve près des profondeurs. Il est d'usage, sur nos côtes, de donner aux digues, en chaque localité, une hauteur qui dépasse de one décimètres les plus hautes eaux qui ont été observées. Ce sont les marées du 14 au 15 janvier 1808, qui, à Middel- bourg, à Flessingue, à M ont dépassé les marées hautes ordi- paires de 2,25. | En conséquence, on donne aux digues les moins exposées une hauteur de 50 à 60 centimètres au-dessus de la ligne de cette marée extraordinaire , et à celles qui reçoivent l’action directe des flots, on donne une élévation un peu plus forte. Dans la fixation de la hauteur, on tiendra compte : du tassement des terres, qui dépendra de leur espèce et de leur qualité; de l’affais- sement de la base, qui tient à la nature du sous-sol sur lequel la digue est assise, et des dégradations inévitables du couronnement causées par les vents et les pluies. La ligne de faite d’une digue, qu’elle soit horizontale ou en pente, ne peut présenter aucune sinuosité, aucune solution de continuité. C'est à ces défauts que M. Caland, ingénieur en chef du waterstaat, attribue les sinistres de 1808, 1820 et 1825. Le profil le plus convenable d’une digue est celui qui donne à ses diverses parties une solidité suffisante pour résister à l’action des forces auxquelles chacune de ces parties est soumise. On conçoit que la détermination rigoureuse et à priori de ce profil est très-difhcile sinon impossible; l'action des forces extérieures comme celle des résistances est trop variable, et dépend d’un trop grand nombre d'éléments pour qu’elle puisse se faire d’une manière générale. Sans suivre les auteurs qui ont résolu la question d’une manière théorique, d’après des hypothèses particulières, nous nous borne- rons à dire que ce profil dépend de la nature des terres qui entrent dans la construction de la digue, c’est-à-dire, de leur pesanteur, de leur grain, de leur cohésion, de la hauteur à laquelle les eaux peu- vent s'élever, de l'intensité de l’action des vents et des flots. En supposant que l'eau soit stagnante, il est évident que la digue doit avoir une plus grande épaisseur vers sa base que vers son sommet; d'abord, parce que les terres n’ayant qu’une faible cohésion, les parties inférieures doivent servir d’assiette à celles qui leur sont superposées, et ensuite, parce qu’elles doivent résister à des actions plus violentes de la part des eaux, actions qui vont en diminuant à mesure que l’on approche du sommet. Si la digue était formée de matières compactes et d'une grande cohésion, le profil pourrait être triangulaire, mais il est évident qu'avec les éléments de construction en usage, la partie supérieure ne préviendrait pas les filtrations et ne résisterait pas un instant aux intempéries. De ces considérations , il résulte que le profil doit avoir une forme trapézoïdale. (55) Cette forme est maintenué alors même que l'on tient compte de l'action des vagues, mais dans ce cas, les parties voisines de la crête ayant beaucoup à souffrir devront être plus solides. Le couronnement est toujours convexe, afin de faciliter l’écoule- ment des eaux pluviales. L'inelinaison des talus ne saurait être plus forte que celle des terres coulantes, ces terres étant sèches et désagrégées; mais cette pente est encore trop rapide. ‘En effet, une digue ne saurait se conserver en bon état sans revé- tement; le revêtement, de beaucoup le plus économique, est le gazon- nement; mais l'herbe croît mal sur une pente roiïde, et il a été reconnu qu'elle ne peut dépasser 1 5/4 de base pour 1 de hauteur. Cette inclinai- son peut être adoptée comme un minimum pour les talus intérieurs. La conservation de la digue exige que l'herbe soit plus serrée sur le talus extérieur que sur l'autre; voilà encore pourquoi sa pente doit être plus faible, et l'expérience a prouvé qu'alors même que le talus ne serait que rarement soumis au clapotage des flots, elle ne peut être supérieure à 2 de base pour 1 de hauteur. C’est là encore une limite de pente. Les talus mouillés uniquement par les marées de tempête ne doivent avoir que 4 bases pour 1 de hauteur. La partie supérieure des talus des digues les plus exposées a une base de 8 à 42 sur 1 ; mais la partie inférieure, soumise à l’action éro- sive des vagues de chaque marée, n'admet plus le gazon comme revé- tement, on en emploie un plus solide, et dès lors leur pente peut être d'autant plus rapide que ce moyen de défense offre plus de garantie. On recommande de donner au talus extérieur des digues sujettes aux violents coups de mer une forme convexe, où l'inclinaison dimi- nue à mesure que l'on approche du faîte, parce que l’action des flots ou glaçons est plus destructive là que vers la base qui, d'or- dinaire mieux protégée, se soustrait d'autant plutôt au clapotage que sa pente est plus rapide. Cette pratique, d’ailleurs, amène une notable diminution de terrassements. M. Abraham Caland préconise (1) l'emploi de la formule de Wolt- (1) Æandleiding tot de kennis der dyksbouw en zeeweeringkunde , I: deel, bl, 76. ; (54) man (4), pour la détermination de la convexité des talus extérieurs. En Hollande, on divise les digues en trois classes : A la première appartiennent celles qui sont le plus exposées : le couronnement doit avoir au moins 4 mètres, le talus extérieur doit être convexe et la pente à la crête très-faible, même à son pied; elle ne peut dépasser 6 sur 1; La deuxième comprend celles qui ne sont pas soumises à l’action directe des vagues de mer. Pour elles, le couronnement est de 3 à 3 1/2 mètres ét le talus extérieur de 5 à 6 sur 1. Assez souvent aussi on leur donne la forme convexe. A la troisième appartiennent celles qui sont établies le long des fleuves et auxquelles on ne peut plus guère donner le nom de digues de mer : le couronnement est de 2 1/2 à 2 mètres. L'inclinaison du talus extérieur est de 4 à 3 sur 14, et aux endroits les plus favorables, cette pente peut s'élever à 2 1/2 sur 1. Quoiqu'’on doive éviter, autant que possible, d'établir des chemins de circulation pour voitures sur le couronnement des digues de mer, on peut cependant, dans certains cas, se trouver dans l'obligation de le faire, ou tout au moins de construire sur la digue un chemin qni permette de la franchir, par exemple, quand le nouveau polder est une île. Les montées et les descentes devront alors être appliquées contre les talus, c’est-à-dire être établies de manière à ne pas affaiblir le corps de la construction. Quant à leur pente et à leur largeur, elles de- vront être déterminées dans chaque cas d’après les exigences locales. lei se termine ce que nous avons à dire sur l'emplacement, le plan et le profil de la digue; nous allons passer maintenant au mode d'exécution. Mode de construction des diques. — Supposons qu'il s'agisse de l'endiguement d’une schorre. Les travaux sont entrepris à l'entrée de la bonne saison. Le tracé de la digue étant ‘fait, on élève une diguette nommée verschkade, près de la laisse des marées hautes ordinaires. La verschkade a une hauteur de 1",75 environ au-dessus des hautes eaux, une largeur de 0®,50 au couronnement, un talus extérieur (1) PBeiträge sur hydraulischen Architectur. ( 55 ) gazonné ou paillassonné de 2 de base sur 4 de hauteur et un talus intérieur de 1 sur 1. Cette diguette, qui doit enceindre l'ensemble des puits d'extrae- tion , a pour but de permettre sans entraves l'exécution des travaux: elle se construit avec les mêmes précautions que l'on apporte à l'éta- blissement des grandes digues et que nous exposerons plus loin. A 12,50 à l’intérieur de la verschkade, on creuse un fossé dont le plafond est au moins de 0®,30 au-dessous du fond des puits, pour en écouler les eaux au moyen de rigoles ménagées sous la diguette. Après cette opération préliminaire, on enlève tous les corps étran- gers qui pourraient se trouver sur l'emplacement de la digue; on coupe tout le gazon, dont on peut tirer parti, et on le dispose par tas; on bêche à une profondeur de 15 à 20 centimètres le terrain qui doit porter la construction , afin de l’enraciner en quelque sorte au sol, et l'on ereuse deux rigoles longitudinales dans lesquelles viendront se loger le pied et le talon de la digue. Ces.travaux étant effectués, on commence le transport des terres, de telle sorte que le poids des hommes, des chevaux et de leur charge y opère une espèce de damage. Pour cela, la digue s'élèvera par couches parallèles, d’égale épaisseur et à talus, comme l'indique la figure ci-dessous : La disposition du remblai en talus présente l'avantage de faci- liter le transport, de permettre l'écoulement des eaux pluviales et de prévenir la pénétration des eaux de la mer qui pourrait avoir lieu si elles étaient horizontales et si les couches superposées n'étaient pas intimement reliées. L'extérieur, pour lequel il faut de la terre choisie et homogène, est élevé par assises horizontales, ce qui permet de mieux battre le sol. Les différentes espèces de terre dont on dispose doivent être em- ployées de la manière la plus convenable; celles qui résistent le (56) mieux au délavage des eaux sont employées pour le talus extérieur; la terre arable est réservée pour la surface, parce qu’elle active et entretient mieux qu'une terre vierge la végétation du gazonnement. Nous avons dit que la verschkade sert à prévenir l'inondation des travaux ; quelquefois, pour établir une deuxième barrière contre les eaux de la mer qui, en se jetant sur le remblai nouvellement effec- tué, pourraient y faire des dégâts considérables, on commence par achever une partie du talus Æ, 1, a, comme l'indique la figure pré- cédente. Cette partie de la digue porte le nom de voorversching. Quand les remblais sont exécutés sur une certaine longueur, on doit immédiatement procéder au gazonnement, en ayant la précau- tion de laisser aux gazons le moins d'épaisseur possible et de les bien assujettir (1).. « Les fouilles sont ouvertes simultanément sur tout le dévelop- » pement des travaux, à 20 mètres du pied extérieur des digues, et » les terres sont déposées par couches successives de 0,20 à 0,30 » d'épaisseur, établies sous un profil légèrement convexe, dans le » double but d'offrir peu de prise à l’action des eaux, pendant le » flux et le reflux, et de garantir la surface du remblai dégagée » d’une humidité permanente. » Les couches de terre sont partiellement et soigneusement da- » mées et régalées; les remblais s'effectuent sur tout le développe- » ment de l’endiguement de manière à s'élever aussi uniformément » que possible dans le sens horizontal. » Dès le moment où les remblais atteignent à peu près la hauteur » des marées hautes, on s'oppose à la continuation du déversement » des eaux dans le schorre, en formant le bourrelet e, f, g, comme » l'indique la figure suivante, sur tout le développement des travaux, » ce qui s'effectue avec le déblai provenant des fouilles et les terres (1) Lors de la rédaction de ce mémoire, nous n’avions pas à notre disposition l'excellent ouvrage de M. Kummer, ingénieur en chef du corps des ponts et chaus- sées, Sur les travaux de fascinages et la construction des digues. Comme les travaux d’endiguement , effectués sous la direction de cet ingénieur, différent un peu de ceux dont nous venons de donner la description, nous avons cru opportun d'insérer ici un extrait de cet intéressant travail (chap. II, p. 152). (57) » extraites des schorres voisins, que tous les bateaux disponibles » prennent en charge, et qu'on dépose sur les travaux pendant l’étale » de la marée haute précédant le moment où doit avoir lieu la fer- » meture complète de l'endiguement. tute mer de vive eau. » On choisit ordinairement pour cette opération une époque de » morte eau et un temps calme. » On fait ensuite écouler les eaux que contient le schorre endigué, » soit par l’écluse nouvellement construite, soit par l'éclusette pro- » visoire; immédiatement après leur évacuation, on procède à » l'ouverture du fossé longeant l'endiguement, pour activer la con- » fection des remblais en renforçant le bourrelet e, f, g, de manière » à le maintenir au-dessus des marées. Pour atteindre ce but avec » plus de certitude, on a recours, pendant quelques jours encore, au » transport des terres par bateaux. La digue se continue alors par » couches régulières, comme l'indique la figure. » Les talus extérieur et intérieur sont revêtus en gazons. Le » talus extérieur est, en outre, garanti par un fascinage sur 4 mètres » de hauteur. Ce dernier revêtement n’est que provisoire; dès que » le gazon a parfaitement pris racine, il devient inutile et ne doit » pas être renouvelé. » Cas particuliers. — Si le tracé de la digue est traversé par un fossé peu profond et dont la largeur ne dépasse pas 4 à 5 mètres, on en bèche le fond et les talus et on le comble de bonne glaise bien damée jusqu'à 40 ou 20 centimètres en contre-haut du terrain rive- rain; ce sont, dans ce cas, les seules précautions à prendre. Mais arrive-t-il que le cours d'eau soit plus large et que son fond soit | vaseux, alors il est indispensable de donner un appui au pied et au | talon de la digue, afin d'empêcher qu'elle ne glisse ou ne cède sous | son propre poids. Ces appuis consistent en pakwerks de fascines, que l’on enracine dans les berges, que l’on élève jusqu'au niveau de la superficie du sol, auxquels on donne une largeur de 2 à 3 mètres ( 58 ) et des talus de 1/2 de base sur 4 de hauteur; on remplit alors de bonne glaise l'intervalle compris entre les pakwerks; en commençant le remblai près de ces ouvrages, on refoule vers le milieu l’eau et la vase qu'on enlève alors plus facilement ; on ameublit les berges et le fond, et l'on termine l'opération en ne négligeant aucun soin pour bien damer et consolider le remplissage. Lorsque la digue coupe une crique dans laquelle se manifestent les marées , et dont la largeur est de 300 à 400 mètres, et la profondeur de 9 à 10 mètres au-dessous des hautes eaux, alors les travaux sont beaucoup plus compliqués et peuvent entraîner à de très-grands frais. Que l'opération est importante et difhcile, cela se concevra aisé- ment; car, comme le couronnement de la digue doit dépasser d'au moins 4 mètres le niveau des hautes eaux ordinaires, il en résulte qu'il s'agit d'effectuer un remblai de 13 à 14 mètres de hauteur au milieu d'eaux que les marées ne laissent jamais en repos. Comment empêcher que les terres ne soient entraînées par le courant au fur et à mesure qu'on les décharge ? Comment une fondation formée de terres délayées et établie sur un fond vaseux soutiendra-t-elle la masse qui doit lui être superposée? Comment préviendra-t-on les érosions et les éboulements? Toutes ces difficultés sont vaincues au moyen de constructions en fascinages, dont les principales sont les plates-formes ou zinkstuk- ken et les pakwerks. Nous allons donner une idée des travaux à exécuter en pareil cas. Après avoir bien étudié la partie du fond de la crique sur laquelle la fondation doit être établie, et avoir comblé, autant que possible, les trous et les rigoles profondes qui peuvent y exister, on la re- couvre sur presque toute sa largeur d’une couche de fascines sous forme de zinkstukken, ce qui a pour but de répartir plus uniformé- ment la pression. Sur cette premiere couche de plates-formes on élève deux diguettes, l’une extérieure, l’autre intérieure, formées également de zinkstukken, et qui sont destinées à contenir les terres de l'encaissement que l’on élève chaque jour au niveau des diguettes. Ces plates-formes de soutenement doivent avoir une largeur suffi- sante pour résister à la pression des terres qu'elles contiennent, et és ln intentions sr if cette largeur peut s'élever à plus de 20 mètres à la base. On procède de cette manière jusqu'au-dessus de la ligne des basses eaux. A partir de ce niveau, on élève des pakwerks, qui sont encore des diguettes de soutenement, et les terras- sements sont continués. Ar- rivé à 1 mètre environ des hautes eaux, on construit, pen- dant l'intervalle dé temps qui sépare deux marées hautes con- sécutives, une diguette en terre qui, élevée à une hauteur con- enable et établie sur toute la largeur de la crique, barre complétement le passage des. flots, et dès ce moment, l’exé- cution de l'ouvrage ne présente plus de difficultés. Nous avons craint, en nous étendant sur ces travaux d’une nature toute spéciale, de trop nous écarter de notre sujet. Nous ne sommes pas entré dans les détails du mode d’exé- cution; nous pensons que les quelques mots que nous en avons dits, joints au croquis de la coupe transversale d’une digue établie dans une eau pro- fonde , feront suflisamment comprendre l'ensemble des tra- vaux. Disons toutefois ce que cest qu'une plate-forme, ce que c'est qu'un pakwerk, sinon ( 59 ) "SaLEUTPIQ 1009 S9n8H *20S.4asun.4y 2dn0") -opuojoud nue aun sup 2119012 4oW 0pP enfsœ ( 60 ) les personnes peu familiarisées avec les travaux hydrauliques pour- raient se faire des idées fausses de la construction qui nous oc- cupe (1). Plate-forme. — On appelle plate-forme une construction en fas- cinages d'une longueur et d’une largeur variables, d'une épaisseur de 50 centimètres environ, solide et élastique, destinée à être coulée sous lest, là où une trop grande profondeur ne permet pas d'effectuer un ouvrage à la main. Une plate-forme se compose essentiellement de couches de fascines recroisées, reliées entre elles par deux réseaux de rouleaux de fas- cines, appelés saucissons, attachés fortement l'un à l'autre. Elle se construit toujours sur une plage située de manière qu’elle soit à sec à marée basse et submergée à marée haute; de sorte qu’alors elle peut être mise à flot. On construit d'abord le grillage inférieur. 1] se compose de sau- cissons placés à égale distance et croisés par d’autres, également équidistants, qui leur sont perpendiculaires. Leur distance moyenne est de 4 mètre de milieu en milieu. Mais lorsque les plates-formes sont très-longues, on les rapproche dans le sens longitudinal. Aux points de croisement, les saucissons sont fortement reliés les uns aux autres au moyen de cordes et de harts d'osier. Aux quatre coins et sur le pourtour, à des distances de 8 à 10 mètres, on attache aux saucissons d’autres cordes solides, termi- nées par un œillet, pour y passer les cordes à couler, et qui ser- vent à lier la plate-forme aux barques qui la mènent au lieu de son échouage. Le grillage étant fait, on place les couches de fascines, qui sont toujours en nombre impair et recroisées perpendiculairement l’une sur l'autre; c'est dans le sens de la longueur qu'on en place le plus grand nombre. Enfin , on construit le réseau supérieur, et, au moyen deliens, on le rapproche du premier aussi bien que possible. On enlève ensuite les piquets d’amarre, et, pour garantir le lest contre l’action des (1) Pour plus de détails, nous renvoyons à l'ouvrage de M. Kummer, déjà cité. ( 61 ) vagues, on établit sur le pourtour de la pièce des cours de tunages de 8 à 10 clayons. Lorsque la plate-forme est très-longue, on établit des tunages transversaux intermédiaires, pour mieux retenir la terre et les pierres qui composent le lest. La plate-forme étant achevée, les cordes à couler placées dans les œillets et retenues par des bateaux, elle est amenée au lieu de sa des- tination, où l’on effectue le lestage, que l'on commence du côté du courant. Alors, à un signal donné, l’un des bouts de la corde à cou- ler est lâché par tous les bateliers à la fois, et l'ouvrage descend sous les eaux. L'on a des formules pour déterminer la quantité de lest nécessaire pour l’échouage. Pakwerks. — Les pakwerks sont des fascinages de soutenement formés de couches de fascines posées en retrait les unes sur les au- tres, et d'une hauteur et d’une largeur variables, chacune d'elles est fixée au sol ou aux couches inférieures au moyen d’une ou de plusieurs lignes de tunes, dont les intervalles sont remplis avec de la glaise et des gazons. Nous avons déjà dit que les parties des digues qui sont journel- lement mouillées par les flots ne résisteraient pas si elles n'étaient revêtues par des moyens plus solides que le simple gazonnement. Dans ce cas, on a recours au paillassonnage, aux fascinages à plat, au fascinage de soutenement, etc. Mais tous ces moyens de défense sont encore insuffisants, si la digue, sans être précédée d'une plage étendue, est directement exposée aux coups de mer. On construit alors des ouvrages, tels que les s/ykvangers, les épis d’ensablement, les paalhoofden, etc., qui sont établis perpendiculairement à la digue ou suivant une autre direction et qui ont pour but de provoquer des dépôts, de rompre et d’amortir la violence des vagues. Nous ne traiterons que des moyens de défense les plus simples et les plus usités. Paillassonnage. — Le paillassonnage est une opération à l'aide de laquelle on empêche l'enlèvement de la terre au moyen de paille, en gerbes, couchée et fixée au talus qu'il s'agit de dé- fendre, ( 62 ) La paille est posée dans le sens de la pente; la première couche a les éteules tournées vers le haut, la deuxième est couchée en sens inverse, et toutes les autres sont disposées dans le même sens que celles-ci et en retrait les unes sur les autres. Si le paillassonnage consiste en paille et en roseaux, ce sont ces derniers qui recou- vrent la paille. Le lit de paille est fixé au sol au moyen de crampons, qui con- sistent en liens de paille de seigle placés parallèlement à la crête de la digue et enfoncés de 10 en 10 centimètres environ dans une terre ferme et bien battue. Le roseau a le brin trop grossier pour bien préserver le sol contre les affouillements; quand on l'emploie, on doit toujours se servir, en même temps, de paille de froment, d'avoine ou d'orge. Un paillassonnage ne résiste guère pendant plus d’une année. On le construit ordinairement avant l'hiver. Plus il y a de crampons plus le paillassonnage est solide , mais il importe surtout que ceux-ci soient bien fixés, ce qui ne peut avoir lieu que si la couche superficielle de la berme ou du talus est for- mée d’une terre bien compacte et homogène. Fascinages à plat. — Le revêtement en fascinages à plat consiste en lits de fascines fortement tunés et ordinairement lestés. On place en dessous des fascines un lit de paille ou de roseaux en feuille, de 10 à 45 centimètres d'épaisseur, qui a pour but de garantir le sol contre les affouillements, contre les crabes et contre le clapotage quand les fascines commencent à s'user. Les tunages sont commencés par le pied; on les espace de 50 à 60 centimètres et de la moitié seulement aux endroits les plus exposés. Epis. — Les slykvangers, que le long de la côte on appelle aussi hoofdjes, sont des épis saillants qui s'étendent de la digue ou d'une berme longitudinale jusqu'à la laisse des basses mers des vives eaux. | Les figures ci-contre représentent le plan et la coupe transver- sale d’un de ces épis. Ils sont formés de fascinages à plat de 2 à 3 mètres de largeur, engagés dans un encaissement dont le fond est rempli d'une couche de gazons ou de terres de schorre. Leur surface (63) supérieure est arrondie en arc de cercle de 0,25 à 0",30 de flèche. Les fascines sont retenues par des lignes de tunes et les extrémités des slykvangers sont arrondies en musoir. Ouvrages servant à l'évacuation des eaux intérieures. — Les autres travaux indispensables dans les polders sont les canaux d'éva- euation et les écluses de desséchement. (64) Nous ne pensons pas qu'il entre dans l'intention de l'Acadé- mie de voir traiter dans ce travail de la construction des canaux d'écoulement à grande section et des écluses qui se trouvent à leur embouchure. Nous croyons même ne pas pouvoir nous étendre beau- coup sur les watergangen et les éclusettes, les seuls ouvrages aux- quels nous allons consacrer quelques lignes. Cours d'eau ou watergangen. — Les watergangen sont creusés le plus souvent en ligne droite ou suivant les sinuosités d’une kille, ou crique étroite. Leur largeur, leur profondeur et l'inclinaison des talus sont déterminées par la nature du terrain et la quantité d’eau à écouler. Les berges sont protégées d’une manière très-efficace contre l'action du courant en plantant le long des bords du fossé des broussailles, des têtards, des arbres de haute futaie, dont les racines tapissent bientôt les talus, préviennent les éboulements et maintiennent le cours dans son lit primitif. Ce mode de consolida- tion n’est pas général. Éclusettes. — Les éclusettes de nos côtes sont toutes construites en maçonnerie; le bois n’y est employé que pour les fondations, les portes et les vannes. Elles sont établies sous la digue de mer, ont un ou deux passages, dont l'ouverture varie de 4 à 3 mètres, et sont munies au moins d'une paire de portes busquées et d’une vanne. Presque partout elles sont précédées d'un bassin de retenue dont les eaux, lâchées à marée basse, opèrent le curage du chenal qui, sans cette précaution, s'envaserait promptement. ES L LA LED LTT TTL TT LILI LL SD MSA LIEL LL SP LS À RP PE PLEIN N N (65) Toutes les parties d'une pareïlle construction doivent être exécu- tées avec beauconp de soins, mais ce sont surtout les fondations qui réclament des précautions minutieuses, sévères et d’une nature toute particulière. Cela n'étonnera pas quand on se rappellera que le niveau des hautes eaux de la mer peut dépasser de plus de 5 mètres celui des eaux intérieures ; combien grande ne serait pas son action de soulèvement si l’eau extérieure venait à se loger en dessous de la construction? Et si elle parvenait à se frayer une issue, soit à côté, soit en dessous de l'ouvrage, avec quelle rapidité ne serait-il pas arraché et entraîné par le courant? Généralement les fondations consistent en lignes de pilotis con- venablement distancés et bien fichés jusque dans le sable ou dans la terre compacte. Le croquis suivant représente la coupe longitudi- nale d’une éclusette, construite d’après le système hollandais. SSSR Les pilotis sont recouverts de longrines ( pièces longitudinales ); celles-ci portent des traversines (pièces transversales) et reçoivent Tone V. 5 (66) entre elles des madriers qui forment plancher; le tout est solide- ment assemblé et les joints sont calfatés et brayés. Le soulèvement du plancher est, en outre, prévenu au moyen de fortes pièces longitudinales, nommées lambourdes, dont les intervalles sont rem- plis par une bonne maçonnerie hydraulique. Sur celles-ci on pose un dernier plancher, formé de madriers de bois de chêne choisi, bien calfaté et brayé, qui sert de radier et sur lequel on élève les bajoyers ou pieds-droits de l'écluse. Généralement en Belgique, le radier et les buses sont maçonnés en briques et en pierres de taille, et font corps avec la maçonnerie qui se trouve entre les lambourdes. N'oublions pas de dire qu'afin de s'opposer aux infiltrations, on enlève la vase qui se trouve entre les pilotis pour la remplacer par de la bonne glaise bien damée; qu'en outre, on bat toujours une ligne de palplanches (madriers jointifs enfoncés verticalement dans le sol) à chacune des extrémités de l'ouvrage; que souvent ces lignes de palplanches règnent aussi en dessous de la maçon- nerie aux endroits qu'occupent les portes et les vannes; que par- fois la fondation en est entièrement entourée; que, dans les cas les plus difficiles, elle est entourée d’une double ligne de pal- planches, qui la coupe aussi dans le sens transversal de distance en distance, ce qui forme un encoffrement que l'on remplit de béton. * Description de l'éclusette Isabelle. — Afin de faire connaître en même temps, et pour ainsi dire d’un seul coup d'œil, l'ensemble et les détails de l'ouvrage qui nous occupe, nous donnons ci-après les croquis du plan, de la coupe longitudinale et des deux têtes de l'éclusette Zsabelle, située près de Bouchaute et bâtie en 1807, sous la direction de feu M. Dubosch, directeur de wateringue. Elle est analogue à toutes celles qui sont établies le long de la lisière et est considérée, à juste titre, comme un modèle de bonne con- struction. Elle est à deux passages de 3 mètres d'ouverture chacun. L'eau de mer est arrêtée par un double système de portes busquées en bois, placées à l'intérieur. Deux systèmes de vannes, manœuvrées au moyen de treuils, arrêtent, les unes, les eaux intérieures, les autres, les eaux de mer, et ces dernières ne sont baïissées que quand Éclusette Ksabelle. Coupe longitudinale et plan. PQ p de D () Z es ne 4 7 Z LL Basses eaux. | \ NT l RTE Ÿ NAN 7) D) Hautes eaux, : ÈS (| K (il LU PEUT ont RTITELE TI TT | San | ai \ [] NATITILT;] na | (AIRE HET ( 68 ) les portes ne fonctionnent pas, ou quand on veut les garantir contre le choc des marées de tempête. Le radier, l'intérieur des bajoyers, la partie de la voûte comprise entre les portes, les buses, les têtes, les pierres d'angle et de cou- ronnement sont en pierres de taille; le reste est en briques. L’éclu- selte est bâtie sur pilotis ; six lignes de palplanches et trois encof- frements en béton s'opposent aux infiltrations. Les pilotis sont recouverts de longrines; celles-ci, de traversines et d'un plancher que maintiennent des lambourdes et qui porte, en outre,une maçon- nerie d'environ 50 centimètres d'épaisseur. Les poteaux-tourillons des portes tournent dans un chardonnet et reposent, par l'intermé- diaire d'un tourillon en cuivre, sur une crapaudine du même métal. L'arrière-radier est formé d’un fascinage à plat lesté de grosses pierres. Les talus du chenal sont maintenus au moyen de pakwerks de soutenement. Nous terminerons ici le chapitre relatif aux travaux d'art. Si les savants auxquels nous avons l'honneur d'adresser ce mémoire ne le trouvaient pas assez complet, nous croirions pouvoir dire que des études spéciales, des relations avec les ingénieurs hollandais et belges qui surveillent et dirigent les travaux dans cette contrée, nous mettent à même de donner de plus grands développements. $ LIL ÉCONOMIE RURALE. Considéré d’une manière générale, le pays présente partout à peu près la même nature de terrain; cependant, comme nous l'avons déjà dit, les polders comparés entr'eux diffèrent sensiblement l’un de l’autre : ici l'on trouve un endroit sablonneux, là une dépression aigre et humide, ailleurs des terres anciennes et épuisées, plus loin des polders nouvellement conquis sur les eaux. Le système d'économie rurale de cette contrée présente, tout ( 69 ) comme la nature du terrain, quelque chose de général, un système de culture qui domine, mais, en même temps, il est facile d’aperce- voir des variations dans les pratiques agricoles de canton à canton et, pour ainsi dire, de ferme à ferme. Le pays de Cadzand, type de culture. — Nous voulons passer tout en revue, mais, afin de ne pas surcharger notre exposition de redites nombreuses, nous allons d’abord décrire, dans toute son étendue, l'économie rurale d’une partie du pays : nous parcourrons ensuite toute la lisière, en indiquant, à chaque point, en quoi les pratiques qui y sont usitées, diffèrent avec celles que nous aurons fait connaître. Nous commencerons par le pays de Cadzand; nous lui accordons cette préférence parce qu’il offre au plus haut point les caractères spéciaux des polders, parce qu'il y règne des pratiques agricoles généralement adoptées par tous les cultivateurs. Étendue des fermes. — Les fermes y ont une étendue de 100 à 300 arpents (l'arpent y vaut 44 ares, 23 centiares). Les constructions se trouvent en général près des digues ou des chemins dont elles sont séparées par une haïe vive et une barrière en bois; elles sont entou- rées d'un verger, d'un légumier et le plus souvent d’un pré de 2 à 4 arpents planté d'arbres de haute futaie. Constructions. — Les bâtisses consistent en une maison, une buanderie, plusieurs vastes granges , qui renferment la remise et toutes les étables, ou bien une seule grange et quelques autres petits bâtiments. Les maisons sont sans étage, régulièrement bâties en briques et couvertes de tuiles; les portes et les fenêtres en sont peintes à huile, elles sont entourées d’un trottoir en briquettes de Hollande, et d'ordinaire on a ménagé, le long de la façade principale , une plate-bande de fleurs, protégée par un grillage élégant. Outre le grenier et la cave, on trouve à l'intérieur quatre places, dont les deux plus grandes servent en même temps de salon et de chambre à coucher ; des deux autres, l’une est la cuisine, l’autre sert à divers usages. La buanderie renferme le four et sert aussi de cuisine pour les journaliers qui y préparent leur repas. Les anciennes habi- tations ont leurs places revêtues de carreaux de faïence chargés de (70 ) peintures bibliques; les modernes sont ornées avec une sorte de coquetterie, et l'on peut dire que les plus belles ressemblent plutôt à des maisons de campagne qu’à des demeures de fermier. Les granges sont vastes et couvertes en chaume; elles sont con- struites en bois, et les cloisons extérieures sont badigeonnées en rouge ou goudronnées; elles occupent ordinairement deux ou trois côtés d’un rectangle, et comprennent entre elles l'emplacement du fumier, dont elles ne sont séparées que par un trottoir bien entre- tenu et qui se prolonge jusqu'à l'habitation. D'ordinaire la grange principale, munie d’une aire sur toute sa longueur, ou de deux aires transversales, renferme, outre des ger- biers, l'écurie, l’étable, la remise et le grenier, nommé pezel, qui se trouve au-dessus de celle-ci. L'écurie est disposée dans le sens de la longueur ou de la largeur de la grange; les chevaux y sont placés dans des loges deux par deux ou trois par trois, et ont la tête tournée vers une des aires sur laquelle on coupe aussi le fourrage. L'écurie est couverte d’un plan- cher, les crèches sont en bois ou en maçonnerie, le pavé est formé de briques placées de champ. Près d'elle se trouve une espèce de chambre, appelée couvent, qui renferme les lits et les coffres des valets. L'étable est également pavée, mais on y trouve rarement des loges et des crèches convenables, et ce n’est qu'exceptionnellement que l’on recueille le purin. Le pezel est construit avec le plus grand soin pour le garantir contre l'invasion de la poussière et des souris. Baux. — Les fermes sont louées pour un terme de 9 ans, à rai- son de 25 à 50 francs par arpent, les contributions et impositions locales water- et dykgeschotten étant à la charge du fermier, qui doit aussi entretenir en bon état les toits des granges et étables, les haies et les tuyaux d'écoulement assez multipliés; en outre, on lui impose l'obligation de mettre tous les ans, en jachère fumée, d’un sixième à un neuvième de sa ferme; la même fraction de ses terres doit être ensemencée de trèfles ou de féveroles, et il ne peut vendre ni paille ni fumier. Mais ces stipulations sont rarement exécutées à la lettre, et l'on peut dire que les rapports entre propriétaire et fermier sont ; (A) plutôt agréables que vexatoires : le premier visite rarement sa pro- priété, le second paye régulièrement son fermage, fait faire les petites réparations qu'il porte en compte, el quoiqu'on remarque aujourd'hui une élévation générale dans le loyer des terres, la plu- part des fermes sont depuis de longues années exploitées par les mêmes familles. Salaires. — Le cultivateur des polders a su rendre aussi ses rap- ports avec les journaliers et domestiques peu tracassiers : les pre- miers travaillent presque toujours à la tâche et ne reçoivent jamais leur nourriture à la ferme; les seconds , assez nombreux pendant la saison des travaux, reçoivent les ordres du premier valet, qui seul reste, en hiver, avec les servantes et le vacher et qui jouit à la ferme d'une grande confiance. Le 1* valet gagne, outre la nourriture, qui est fort bonne, envi- ron 16 francs par mois. Le 2° valet gagne 11 francs par mois. Le 5° valet gagne 8 francs par mois. Les gages annuels des servantes varient de 75 à 110 francs. La journée moyenne des hommes est de fr. 1 25 ce; celles des femmes de 90 centimes. Instruments aratoires. — Les instruments aratoires sont simples et peu nombreux : outre la bêche, la houe, la faucille, la faux, le fléau, le van , le crible, le trident, la fourche que nous ne faisons qu'énumérer, on y trouve comme véhicules : le chariot, la charrette à trois roues, le traîneau. La famille a pour son usage un cabriolet et un char-à-bancs dit phaéton. Comme instruments de labour et de préparation on a la charrue à avant-train, l’araire, les herses à dents en fer et en bois, le rouleau et le molberd. Nous allons passer ces machines en revue, et nous dirons aussi un mot du hache-paille, de la barate et du tarare. Le chariot, toujours à timon , se compose d’un arrière-train relié par une allonge en bois à l'avant-train ; celui-ci tourne librement au- tour d'un axe vertical qui le traverse, en passant aussi par un œillet pratiqué dans l'extrémité antérieure et amincie de l’allonge. Les trains portent une caisse formée de deux écaliers de dessous, reliés par des traverses, sur lesquelles on couche un plancher, et de deux (72) écaliers de dessus qui leur sont superposés, se relèvent par derrière jusqu’au-dessus des roues et vont en s'écartant vers le devant; ils sont rendus solidaires avec les premiers au moyen de montants et de planches jointives. Ces chariots sont légers, proprement faits et peints à l'huile en rouge et en vert. Pour le transport des gerbes, du foin et de la paille, on place sur la caisse une espèce de cadre, formé d’un soliveau et de deux perches; la charge est serrée au moyen d'un baliveau maintenu par une entaille à un des échelons d’une échelle placée sur le devant de la voiture et fermement atta- chée par derrière au moyen d’une corde. Ce chariot ressemble beau- coup à celui qui est décrit et représenté dans la Maison rustique du XLX° siècle (1). La charrette à trois roues se compose d’un arrière-train, sur lequel s'appuient, perpendiculairement à son essieu, deux pièces reliées par des traverses et qui se rapprochent vers la partie antérieure, où elles sont traversées par un axe en fer qui sert d’essieu pour la troi- sième roue. Sur ce cadre, et au-dessus de l’arrière-train, se trouve une caisse qui bascule autour de deux tourillons. Ce véhicule, qui, un peu modifié, est beaucoup employé dans la région sablonneuse pour le transport du purin, ne l'est que rarement ici ; on ne le trouve même pas dans toutes les fermes. (Voir pl. VII, fig. 4 et 2.) Le traineau sert à transporter aux champs les herses et l’araire; il consiste en deux pièces plus hautes que larges, reliées par deux traverses et surmontées d’un montant à chaque extrémité; ces mon- tants sont reliés deux à deux dans le sens transversal. L'araire, que l’on emploie dans le pays de Cadzand (voir pl. IX, fig. 1 et 2), ne diffère de la charrue flamande ordinaire que par des dimensions un peu plus fortes et par un peu plus de solidité. Le soc et le versoir sont en fer forgé et placés à la droite de l’age. Sa cour- bure se confond avec celle du versoir, qui est maintenu par une des branches du sep et par un étançon en fer qui le relie au corps de l'instrument. Cette araire a beaucoup d'analogie avec la charrue de Brabant (2). Le coutre en fer forgé a la forme d'un couteau; (1) Paris, t. 1, p. 509. (2) Maison rustique, t. 1, p. 184. ( 75 ) mais très-souvent il est remplacé par une plaque circulaire tran- chante, mobile autour d’un axe central. L’entrure est maintenue au moyen d'un sabot ou d'une roulette. Le régulateur a une forme très-simple. L'araire coûte de 90 à 100 francs. La charrue à avant-train, représentée plus bas, est connue sous le nom de charrue gauloise ou wallonne; elle a le soc, le versoir et le sep semblables à ceux de l’araire, mais avec des dimensions plus fortes. Le sep porte antérieurement un étançon et, à sa partie pos- térieure, un montant incliné vers l'arrière; la flèche est fixée sur ces deux pièces, et, à partir de l’endroit qu'occupe le coutre, elle se relève, est arrondie et garnie de plaques en fer percées de trous. Le manche de l'araire est remplacé par deux bras entre lesquels marche le laboureur. L'avant-train se compose de deux roues d’un diamètre inégal, d'un double support qui repose sur l’essieu, d’un timon et d’une chaîne qui le relie à l'arrière-train. La chaîne est fixée au milieu de l’essieu pour les labours ordinaires, mais quand il s’agit de creuser un sillon près d’un fossé, ou près de la petite roue, alors on l’attache à un crochet qui se trouve près de cette roue, et l’age est placé sur le côté gauche du support et maintenu dans cette position à l’aide d'un coin. L’entrure de la charrue sera d'autant plus profonde que le point d'attache de la chaîne sera plus éloigné du versoir. Le coutre à plaque circulaire tranchante n’est jamais adaptée à la charrue à avant-train : sa forme et ses dimensions ne conviennent pas aux labours profonds. Cette charrue coûte environ 150 franes. (74) La herse a la forme rectangulaire; les dents sont en fer ou en bois; les pièces qui les portent sont légèrement courbées et reliées par des traverses. L'instrument est traîné suivant la diagonale et les dents sont placées de manière que les raies ne se confondent pas et soient autant que possible également distancées. On emploie des herses pesantes ou légères suivant la nature du labour à effectuer. Une herse avec dents en fer coûte environ 75 francs, celle avec dents en bois de 15 à 17 francs. (Foir pl. IX, fig. 5 et 4.) Le rouleau est en bois: sa longueur est de 2 mètres environ; son diamètre varie de 50 à 70 centimètres. Il est placé dans un châssis formé de quatre pièces, dont les deux latérales sont courbes et tournent leur convexité vers le sol. Le rouleau coûte de 80 à 410 francs (1). Le molberd est un instrument dont on se sert pour aplanir les guérets. Il est surtout employé pour effectuer le transport de l’excé- dant de terre arable qui, sur les parcelles longues et étroites des polders, toujours labourées dans le même sens, s’accumule aux deux bouts. Il consiste en une grande pelle en bois, longue et large de { mètre environ, garnie à sa partie antérieure d’une plaque de fer qui recouvre son fond pour le préserver de l'usure et qui con- stitue en même temps le tranchant de l'instrument; la chaîne à laquelle sont attelés les chevaux, est fixée près du tranchant, et le manche, solidement attaché à son bord postérieur, est muni d'une corde qui sert, en tirant le manche à soi, à relever l'instrument quand il s'est déchargé. Il est traîné par deux chevaux et manœuvré par le conducteur. Le molberd coûte de 75 à 85 francs (2). La baratte la plus en usage consiste en une cuvelle en forme de poire, d’une contenance variable, dans laquelle on agite le lait au moyen d'un battoir vertical mis en mouvement, soit à la main, soit à l’aide d'un manége, soit encore au moyen d’une roue verticale mue par un chien qui court dans son intérieur. C'est ce dernier système qui est le plus répandu et que nous figurons ci-après. (1) Voir Journal d’agric. pratique, par M. Ch. Morren, t. IIF, p. 1. (2) Voir Van Aelbroeck, Agriculture pratique; Paris, 1850, p. 104 et pl. LXY. À w S SJSSS “210 LDIE F1 . Le hache-paille est une auge longue et étroite portée par trois pieds et légèrement inclinée d’arrière en avant. La paille est coupée au moyen d'un grand et large couteau; sa partie inférieure est fixée à une pièce qui peut se mouvoir autour d'un axe et qui entraîne dans son mouvement une palette inclinée; celle-ci traverse le fond ( 76 ) de l'auge vers son milieu, et son jeu de bas en haut facilite le . mouvement progressif du fourrage à hacher. Cet outil coûte environ 95 francs. Le tarare dont on fait usage est analogue à celui dont parle Dombasle (1); il est aussi, sauf quelques modifications peu impor- ! tantes, généralement employé en Belgique; pour ce motif nous ne le décrirons pas ici. Les animaux domestiques consistent, outre les chevaux, les va- ches, les pores et les moutons, en volaille de toute espèce, telle que des poules, des dindons, des canards, des oies, des pintades, des paons et des pigeons. Le nombre des chevaux varie de 5 à 7 pour 100 arpents. Ils sont « d'une race qui paraît provenir de la race hollandaise croisée avec celle de la Gueldre. Vigoureux, forts, plus beaux et moins ventrus que ceux de la région sablonneuse, on leur reproche d’être un peu « ombrageux. Le plus grand nombre sont des juments servant à la reproduction, mais l'élève des chevaux y est devenu peu avantageux. Ils sont nourris avec de la paille, du trèfle vert, du foin, des carottes et des féveroles. Ë Les carottes occasionnent des coliques; on les donne avec ména- gement et seulement pendant les rudes travaux. On accuse les « féveroles de disposer les chevaux à être blessés par le harnais, mais ceux qui sont habitués à cette nourriture ne paraissent pas en souffrir. La ration maximum s'élève à 8 ou 10 litres par jour et par tête. En hiver et hors de la saison des travaux, ils ne mangent que de la paille et du foin. Les vaches sont de grande taille et appartiennent à la race fla- mande ou croisée avec celle de la Hollande ou de la Frise. Elles sont réputées bonnes laitières, et les cultivateurs belges des environs des grands centres de population se les procurent d'autant plus volon- tiers qu’à l'époque de la stabulation, ils peuvent les acheter à un prix peu élevé. Cependant leur entretien est négligé : en hiver elles ne reçoivent que de la paille et du mauvais foin ; ce n’est qu’exception- nellement, en cas de maladie ou de vêlage, qu'on leur donne un peu (1) Calendrier du bon cultivateur. Paris, 1846, p. 451, fig. 21. (77) de navets et de betteraves; en été, au contraire, les herbages et les regains leur fournissent une nourriture fort abondante. Le croise- ment de la race bovine avec de bons reproducteurs y prend plus de développement. La race porcine est à soïes blanches. Les porcs croisés avec ceux d'Essex, quoique estimés pour l'engraissement , sont peu répandus. Dans les fermes, il ya 2 à 4 truies et quelques jeunes cochons que l'on engraisse pour les besoins du ménage : on en abat annuellement de 3 à 6, suivant les besoins de la famille, de 450 kil. environ chacun. Disons en passant qu'outre les pores, on tue tous les ans une bête à corne , dont la viande est salée et conservée pour la con- sommation. La nourriture des jeunes cochons et des truies avant le part consiste en herbes, en déchet de pommes de terre, etc. Les cochons à l’engrais ne sortent jamais de leur loge et sont nour- ris, pendant 2 à 4 mois, avec une bouillie chaude ou tiède composée de petit-lait, de pommes de terre, d'orge broyée ou de sarrasin. La race ovine est de grande taille, à longue laine grossière. On tient les moutons par troupeaux de 100 à 150; mais on n’en trouve pas dans toutes les fermes. Il n'est pas d'usage ici de les engraisser : certains cultivateurs s’adonnent à l'élève, et vendent annuellement les jeunes béliers et les brebis qui ne reproduisent plus; d’autres n'élèvent pas et augmentent ou diminuent tous les ans le nombre de leurs moutons, suivant les circonstances. En été ces animaux broutent l'herbe; en hiver et pendant les pluies prolongées, on les nourrit avec des gerbes de seigle, de féveroles ou d'avoine. Le fumier des moutons, dont on évalue la quantité à une char- retée par tête et par an, est très-estimé. Maintenant que nous avons passé en revue tout ce que l’on trouve dans l'intérieur d’une ferme, nous allons exposer les assolements, les Jabours, les cultures. _ Assolements. — Les assolements sont variables et dépendent du degré de fertilité du sol, mais ils diffèrent peu : les mêmes plantes sont cultivées par tous les cultivateurs; tous aussi adoptent Ja ja- chère fumée , et alternent presque toujours le chaume noir avec le chaume blanc. Voici quelques assolements qui sont le plus généra- lement suivis : (78 ) N° 1. 1rc année, jachère fumée; N°5. 6° année, trèfles ou féveroles; 2e — escourgeon ou fro- 7° — froment; ment; 8 — avoine, etc. 5 — féveroles; N° 4. 1rc année, jachère; 4 — froment; 2e — colzaouescourgeon; 5e — trèfles; 5° — escourgeon ou orge G° — avoine, pommes de de mars; terre, racines. 4e — féveroles; N°2. 1r° année, jachère; | 5e — froment; 2e — escourgeon; Ge — trèfles; 5° — féveroles; 7e — froment; 4 — froment; 8° — avoine, etc. 5° — trèfles ou ayoine; N°5. 1'e année, jachère; G° — froment ou trèfles; 2 — colza; 7° — avoine ou seigle, etc. 5° — orge; N°5. 1re année, jachère; 4 — linet trefles; 2 — colza; 5e — froment; 5° — escourgeon ou fro- Ge — féveroles et trèfles; men; 7° — froment; 4 — féveroles ou trefles; 8* — avyoine, etc. 5° — froment; Dans toutes ces rotations, la jachère seule est fumée; le trèfle ne revient qu'une fois pendant un cours de récoltes ; le colza et l'orge suivent de très-près la jachère ; le froment succède toujours soit aux féveroles, soit aux trèfles. La garance et l'alpiste, ou graine de canari, qui n’entrent pas dans les assolements ci-dessus, sont les seules plantes qui ne soient pas cultivées dans toutes les fermes. On trouve la première aux envi- rons de Biervliet; la seconde n'est semée que par un très-petit nombre de cultivateurs et seulement par parcelles de deux à quatre arpents. Les racines comprennent les carottes, les betteraves, les navets; jamais on n’en gagne en récolte dérobée. Les premières occupent, dans chaque ferme, une étendue de trois à cinq arpents; les deux autres ne sont cultivées qu’en petit. Labours. — Les labours de préparation sont des plus simples : on n'en connaît d’autres que ceux à la charrue , à la herse, au rou- leau. La charrue sous-sol est à peine connue, et l'on n'emploie la bêche que pour creuser et curer les rigoles d'écoulement. ner” (79) Les labours à la charrue se font toujours en long et à plat; ce système est vicieux, mais la disposition des champs en parcelles longues et étroites le rend nécessaire. La charrue wallonne est tou- jours attelée de trois chevaux menés de front ; elle creuse un sillon de 30 à 55 centimètres de profondeur. L’araire, traînée par deux chevaux, n’est employée que pour le déchaumage et d’autres labours superficiels. . Cultures. — Généralités. — Avant de passer à la description des cultures particulières, remarquons que, dans les polders du pays de Cadzand, on accorde une très-grande importance à la culture des céréales; le chaulage de la semence de froment avec de la chaux.et de l'eau de mer y est généralement pratiqué; on y sème à la volée; tous les sarclages sont faits avec soin. On ne semble faire que peu de cas de la culture des racines fourragères; de là résulte qu'on nourrit peu de bestiaux et qu'on les nourrit mal, surtout à l'éta- ble; par une conséquence nécessaire, le fumier est maigre, long et pailleux, mais dans ces polders, l'engrais est employé plutôt pour ameublir le sol que pour lui donner des principes fertili- sants. Cultures particulières. — Nous allons entrer dans quelques détails et exposer successivement le mode de jachère et la culture des récoltes, dans l’ordre où elles se succèdent dans l’assolement nids PREMIÈRE ANNÉE. — Jachère. — Elle reçoit six ou sept labours à la charrue; ils ont pour but de détruire les mauvaises herbes, d'ameublir et de météoriser le sol. Pour obtenir ces résultats, les labours sont séparés par un intervalle de temps sufhisant pour que la germination des plantes adventices puisse avoir lieu; en outre, ils doivent s'effectuer par un temps favorable, car rien ne nuit plus aux terres fortes et argileuses que d’être piétinées quand elles sont humides. Les quatre premiers labours, que l'on commence au printemps, quand le sol est convenablement ressuyé, se font à la charrue à avant-train , et sont tous suivis d’un hersage énergique. Vers le mois de juin, on répand le fumier, qui consiste en une vingtaine de voitures d'engrais d'étable, que l’on s'empresse de couvrir; quelque { 80 ) temps après, quand le guéret s’est couvert de mauvaises herbes, on les coupe avec l’araire, on donne quelques traits de herse, et enfin, à l'époque des semailles, on trace une dernière raie, nette et profonde. Quelques fermiers ne répandent le fumier que lors du labour qui précède immédiatement la semaille. L'expérience n’a pas encore prononcé sur le mérite relatif de cette pratique. Les frais de façons, engrais compris, sont estimés de 125 à 150 francs par arpent. Deuxième année. — Escourgeon. — On le sème en octobre sur le guéret et on l’enterre au moyen d'un trait de herse. Au printemps, on plombe au rouleau ; on bine ensuite avec la petite houe, et quand la céréale entre en épis, on opère très-souvent un deuxième sar- clage, mais celui-ci se fait à la main, lestement et en se tenant debout ; on l'appelle dans le pays doorgaen (parcourir). La fauchaison se fait, vers la fin de juillet, à la faucille et en lais- sant aux éteules une longueur de 25 à 35 centimètres, dont la pré- sence dans le sol contribue beaucoup à prévenir sa trop forte com- pacité. L’escourgeon, laissé en javelles pendant deux ou trois jours, est lié et rentré immédiatement. Semence, par arpent, 80 litres. Coût du binage, 3 francs environ. Coût du sarclage, 2 francs. Coût de la fauchaison et mise en dizeaux, 8 à 9 francs. Coût du battage au fléau, par hect., 45 centimes. Grain, 20 à 25 hectolitres par arpent ou 45 à 56 hec- Rapport. tolitres par hectare. Paille, 300 bottes, qui valent de 20 à 30 francs. TROISIÈME ANNÉE. — Féveroles. — Les labours de préparation avant l'hiver sont au nombre de trois; les deux premiers sont peu pro- fonds et suivis de hersages. On sème sous raies en février ou en mars : un homme suit la char- rue et dépose la graine dans le sillon qu'elle vient de creuser; les mottes sont réduites au moyen de hersages et, quelque temps après, on plombe au rouleau. Si, à l'époque des semailles, les pluies sont fortes et prolongées, les terres détrempées au point de ne pas ( 81) pouvoir porter les chevaux, on plante alors la féverole, soit à la houe, soit à la bêche; pourtant cette pratique est fort rare dans cet arrondissement. Les façons d'entretien consistent en un ou deux binages et en un sarclage, qui s'effectue quand Ja plante est en fleurs. La fauchaison se fait vers la fin d'août ou au commencement de septembre; les javelles sont placées sur des liens de paille, et après quatre ou cinq jours d'exposition au soleil, on les lie en bottes dont on fait des dizeaux et qui sont rentrées ensuite par un temps favo- rable. Semence, par arpent, 2 hectolitres (1). Coût du binage, 3 francs. Coût du sarclage, 2 à 2 ‘} francs. Coût du battage, par sac (1,073), 54 centimes. Grain, 11 à 32 hectolitres par arpent, ce qui fait Rapport. environ 27 hectolitres par hectare. Paille, sa valeur est évaluée à environ 40 francs. QUATRIÈME ANNÉE, — Froment. — Après avoir déchaumé et hersé, on laboure à la charrue à avant-train, mais en ne donnant au soc qu'une faible entrure, afin de ne pas mettre à une grande pro- fondeur l’engrais provenant de la semence et du feuillage des féveroles. On sème sur le guéret depuis la mi-octobre jusqu'à la mi-no- vembre, et l'on couvre la semence au moyen d’un double hersage. On bine et l'on plombe au printemps; cependant la première de ces fäçons n'est recommandée que pour autant que le champ soit infesté de mauvaises herbes; car la houe entame toujours quelques jeunes plants et en retarde la croissance, inconvénient notable pour le froment que l'on est obligé de rentrer en quelque sorte immédiatement après la fauchaison , afin de prévenir son égrenage. Que l’on pratique ou non le binage, on ne néglige jamais, en été, de parcourir le champ. Les trèfles sont semés au printemps, quelque temps après le plombage. (1) Quand on plante cette légumineuse à la houe, on emploie 1het,4%. Towe V. 6 (8) Quantité de semence, par arpent, 1 hectolitre. Fauchaison et mise en dizeaux, 9 francs. Battage, par hectolitre, 85 centimes. Grain, 12 hectolitres par arpent, ce qui fait en Rapport. nombre rond 27 hectolitres par hectare. Paille, sa valeur est estimée à 55 francs. Cinquième année. — Trèfles. — Cette plante ne reçoit aucune façon d'entretien; il arrive pourtant qu'on la fume légèrement avec un peu de cendres ou avec un compost formé de balles et d’excréments de bétail. | L'arpent de trèfle sur pied est estimé, en moyenne, à 450 francs. Sixième ANNÉE, — Avoine. — On laboure trois fois avant l'hiver et l'on donne de nombreux hersages. On sème en avril, et un trait de charrue couvre la semence. Les facons, pendant l'été, consistent en | un plombage et un hersage. Grain, 26 hectolitres par arpent ou 58 hectolitres Rapport. { par hectare. Paille, elle est évaluée à 40 francs. Le seigle est cultivé à peu près de la même manière que le fro- ment. Son rapport en grain est de 8 à 42 sacs par arpent. Carottes. — Trois labours sont donnés avant l'hiver. En avril un hersage énergique météorise le sol; on plombe, on sème quatre livres de semence (la livre vaut 0“"5,433); on la couvre au moyen d'un double trait de herse et l’on plombe encore une fois. Cette racine exige des binages fréquemment répétés , évalués à 50 francs par arpent. Elle est arrachée en octobre; cette opération coûte de 9 à 10 centimes par verge (300 verges font un arpent). L’arpent de bonnes carottes est estimé de 200 à 250 francs. Les betteraves sont cultivées comme les carottes. Pommes de terre. — Les champs pour tubercules ne reçoivent, comme labours de préparation, que deux ou trois traits de charrue et quelques coups de herse; ils sont loués alors en grande partie, pour une saison, aux pelits cullivateurs et ouvriers de la zone sablonneuse, qui en sont fort avides, et en donnent de 400 à 450 francs l'arpent, quoiqu'ils doivent livrer les tubercules de semence, faire la plantation et tenir la récolte pure de mauvaises ( 85 ) herbes. On plante dans les premiers jours d'avril pour récolter en septembre. Les pommes de terre reçoivent un ou deux binages et un but- tage. Il fut un temps où l'on récoltait 40,000 kilogr. par arpent; aujourd'hui l'arpent n’en fournit que le quart. Cultures irrégulières. — Cultures de récoltes qui ne se trouvent pas dans l'assolement n° 1. Pour l'orge de mars sur chaume d’escourgeon ou de froment, on donne trois labours avant l'hiver, dont les deux premiers sont peu profonds; on sème sur le guéret et l'on donne deux traits de herse. L'arpent rapporte en grains de 17 à 18 hectolitres. La graine de canari, l'alpiste ou phalaris, est cultivée comme l'orge de mars; on en récolte de 6 à 8 hectolitres par arpent. Le prix de cette graine est très-variable, mais, ici, il ne descend jamais au-dessous de 16 francs par hectolitre. La paille du phalaris est très- estimée comme nourriture de bétail. Colza après jachère. — On le sème en juillet sur la raie du cin- quième labour; les semailles sont suivies d’un double coup de herse et d'un plombage au rouleau. Le binage a lieu en septembre et quel- quefois on effectue un sarclage au printemps. Vers la fin de juin, la plante est coupée à la faucille, couchée par terre en rangées, et les rameaux tournés vers le midi ; après quelques jours, on la retourne de bon matin, ou bien par un temps pluvieux, parce qu'alors les siliques étant fermées l'égrenage est moins à craindre. Quand toutes les parties du colza sont bien sèches, on le bat sur une toile placée sur le champ même qui l'a porté. Quantité de semence : 2 litres par arpent. Binage ::3 à 3 1/2 francs. Fauchaison : 8 à 9 francs. Soins pendant le séchage : 2 francs. Battage : 18 à 20 francs. Graine : de 40 à 45 hectolitres par arpent, ou bien Rapport. | de 22 1/2 à 35 1/2 hectolitres par hectare. { Paille : 20 francs. Lin après orge ou froment. — On fait trois labours avant l'hi- ver, dont le dernier à la grande charrue, suivis de quelques traits (84) de herse. Au printemps, on fait des hersages énergiques, et l'on plombe avant comme après les semailles. La quantité de semence est d'un hectolitre par arpent. Cette plante se vend presque toujours sur pied, soit quand elle a acquis son entier développement, soit de la manière suivante : le fermier fait les labours de préparation; le négociant livre la semence, donne les façons d'entretien, et s'engage à payer à la S'-Jean de 80 à 100 florins de Brabant par arpent (de 145 à 180 fr. pour 44*"*°,95), à la condition qu'il lui sera facultatif de laisser le lin à cette époque pour le compte du fermier; celui-ci, par contre, ne devra au mar- chand aucune indemnité ni pour la semence ni pour les frais du sarclage. Le chanvre pour la consommation de la ferme est cultivé dans les jardins ou sur un coin de terre. Les travaux de préparation et d'entretien sont les mêmes que pour le lin. Garance. — Elle succède aux céréales et exige des labours pro- fonds. On la plante au printemps sur des lignes distantes entre elles de $0 centimètres, et par groupes de trois jeunes pousses séparés les uns des autres par un intervalle de 30 centimètres environ. On bine deux fois dans le courant de l'été; à la fin de l'automne la plante est couverte à la bêche avec de la terre prise entre les lignes. L'année suivante, la garance présente une verdure abondante qui étouffe les mauvaises herbes et dispense souvent des sarclages. En octobre, on coupe les fanes, qui sont laissées sur le champ, on arrache les racines à la bêche et on les met en petites meules; quand elles ont été exposées à l'air, pendant une huitaine de jours, on les transporte à la garancière, où l’on complète leur dessiccation et leur nettoyage, pour y être réduites ensuite en poudre fine et mises en tonneaux. Colons partiaires (Halfbaning.) — Mentionnons ici une pratique très-usitée dans le pays de Cadzand et ses environs. Elle consiste dans l'exploitation d’une certaine étendue de terres, de compte à-demi entre propriétaire et fermier : le propriétaire livre son champ, le tenancier fait les labours, les semailles et les cultures d'entretien; les récoltes se vendent publiquement sur pied, et leur rapport est partagé également entre les deux contractants. Si les ( 85 ) terres sont de première qualité, les contributions et les frais de jachère sont à la charge du cultivateur; si elles sont d’une qualité inférieure, les impositions sont payées par le propriétaire, qui con- tribue, en outre, pour une moitié, dans les frais de fumure et de soins pendant la saison de repos. Indépendamment des colons partiaires, les cultivateurs des pol- ders voisins de la frontière belge, vendent sur pied une partie de leurs produits à ceux de la zone sablonneuse, qui s'y approvisionnent de fourrages et de paille que leurs exploitations exiguës ne sau- raient fournir. Mise en culture pour compte commun des concessionnaires. — Pendant un certain nombre d'années après leur endiguement, les terres conquises sur la mer sont, comme nous l'avons dit ailleurs, exploitées par la compagnie concessionnaire; elle vend les récoltes sur pied ou les bat dans des granges provisoires pour les livrer au commerce. La mise en culture est des plus simples. Le nouveau polder se présente comme un champ légèrement ondulé, couvert de verdure, sillonné par des criques et des cours d’eau et coupé par des chemins el des rigoles d'écoulement. En automne, on y met la charrue et l'on fait des labours aussi peu profonds que possible, en suivant toutes les sinuosités et les ondulations du terrain. Rien n’est plus vicieux que d'aplanir et de régulariser les champs de prime abord : ainsi lon enfouit souvent une terre qui abonde en principes fertilisants pour amener du sable à la surface; l'aplanissement doit se faire iusensiblement et à la longue. La première année, le polder est emblavé de colza; la deuxième, sur un labour superficiel un peu plus profond que la première année, on sème de l'escourgeon; la troisième du froment ; la quatrième des féveroles ; la cinquième du froment; la sixième du lin, des féveroles ou du colza; en continuant ainsi d’alterner le chaume noir avec le chaume blanc, on peut obtenir une vingtaine de bonnes récoltes sans jachère ni engrais. Le système de mise en culture que nous venons d'exposer est gé- néralement suivi, mais on en préconise un autre qui a été pratiqué, en 1845, dans le Thomas-polder, près de Biervliet. Le nouveau pol- ( 86) der a été laissé intact pendant une année; l'épaisse verdure qui s'y était établie a été enfouie comme engrais vert. La deuxième année, on a semé du colza, puis du froment avec trèfle et le regain de cette troisième récolte a été de nouveau mis sous la raie. Il paraît que, dans les terres de schorre, l'engrais vert, en préve- nant les efilorescences salines, produit de fort bons effets. La mise en culture des polders, leur végétation initiale et spon- tanée, est sans doute une question du plus haut intérêt. Elle fera, nous en sommes convaincu, l'objet des études de savants de premier ordre. Pour nous, notre position et nos faibles connaissances en sciences naturelles ne nous permettent pas de l'approfondir. En res- tant dans notre rôle de rapporteur, nous nous bornerons à ajouter quelques faits à ceux que nous avons fait connaître. Lors des hostilités avec nos voisins du Nord, en 1851, on inonda, vers la fin de l'été, comme moyen de défense, tout le polder de la Passequeule dans le pays de Cadzand. Les eaux saumâtres ne se reti- rèrent que huit mois après. Au mois de septembre de 1832, le polder était couvert de char- dons qui y croissaient longs, drus et forts, et de part et d'autre des fossés se montrait une lisière de salicorne; au pied des chardons il y avait de l'herbe naissante et des plantes qui viennent spontanément sur les pâtures, mais pas de salicorne. Les chardons furent coupés et enlevés; au printemps de l'année suivante, on répandit sur le sol, mais sans l'ouvrir, de la semence de petits trèfles blancs (steenklaver). Vers le milieu de l'été, on y mit paître les bestiaux, et les vachers s’occupèrent à couper les chardons à la houe. L'année suivante, la pâture fut bonne et s'améliora depuis d'année en année. Tout le polder fut traité de cette manière, mais ses divers pro- priétaires en agirent différemment pour la mise en culture : les uns rompirent les prés pour les emblaver de céréales, après la sixième ou la huitième année de repos; les autres après la dixième ou la douzième. Voici ce qu'on a observé et ce qu'on observe encore aujourd'hui : plus on à retardé les Jabours et meilleures sont les terres; les par- celles rompues après six ou huit ans sont médiocres et il est à Ve es or Lire. 5e droit ut (81) remarquer que, sur ces parcelles, les endroits les plus fertiles avant linondation sont précisément les moins bons maintenant. La mauvaise qualité de cette terre se dénote par un aspect blan- châtre et des mottes déliquescentes en temps humide; on la compare ordinairement à la vase que l’on trouve aux abords des schorres. Nous osons espérer qu'on ne considérera pas ici, comme déplacés, les conseils des cultivateurs de la localité, pour la mise en culture des polders ravagés par l'inondation maritime; toutefois, nous dési- rons qu'on ne nous rende pas responsable de ces conseils : Mettez en pâture aussitôt que possible, mais sans labours; évitez même, les premières années, d'arracher les racines des chardons ; Plus longtemps vous remettrez les labours et plus vous serez cer- tain de réussir ; Si la terre est forte, ne rompez pas avant douze ans; vous pourrez emblaver d'autant plus tôt que l'argile sera plus sableuse; Que les premiers labours soient peu profonds et approfondissez insensiblement ; Si un polder de cette nature est gâté par un labour prématuré ou inconsidéré, les trèfles, les féveroles et l'engrais vert semblent être ce qu'il y a de meilleur pour l'amender; mais, quoi qu'on fasse, il ne reprendra que très-difficilement ses bonnes qualités. Les parties les plus basses d’une schorre endiguée peuvent être assimilées aux terres d’un polder qui sort de l'inondation ; les parties les plus élevées aux polders en pré. De l'avis de quelques personnes pratiques, les nouveaux polders du pays de Cadzand, tels que : le Thomas-polder, le Paulina-polder et le polder Savoyard, auraient pu être beaucoup mieux traités. D'après elles, si les concessionnaires avaient été moins pressés de jouir, il y aurait eu avantage à transfor- mer sans distinction les nouvelles terres en pâtures; elles auraient valu peut-être les vette weiden du littoral, et n'auraient dû être rom- pues qu'après vingt ans de repos. Conclusion. — L'arrondissement de Cadzand est des plus fertiles, mais il est aussi des plus routiniers. Nous n'y avons rencontré que deux cultivateurs qui s'écartassent de la voie généralement suivie: le premier a rayé la jachère de ses assolements et cultive les navets et les betteraves sur une plus grande échelle que ses voisins. L'autre ( 88 ) n’adopte pas non plus la jachère et plante en lignes, au moyen de la houe, les féverolles et le froment; il emploie des composts, de la chaux et du sel; nous avons remarqué parmi ses instruments un hache-paille anglais, analogue à celui de Dombasle, un coupe-racine et une charrue sous-sol consistant en une araire, dont le soc et le versoir sont remplacés par un couteau extirpateur. Nous nous sommes informé du résultat de la suppression de la jachère : cette innovation, quoique introduite depuis des années et soutenue avec persévérance, n'a converti aucun des cultivateurs voisins, et ceux qui la pratiquent n'ont pas obtenu d'avantages assez grands pour mettre hors de doute si, en continuant comme les autres, ils n’au- raient pas eu tout autant de résultat. Commettent-ils des fautes et des négligences qui neutralisent les bons effets de l'essai? ou bien le pays est-il de nature à ne pas s'en accommoder? Tout cela est encore bien obseur, et si nous continuons à en avoir le loisir, nous ne négligerons rien pour dissiper ces doutes. Il existe, à Biervliet, une société d'agriculture qui est abonnée à plusieurs ouvrages agricoles hollandais. Elle pourrait devenir un foyer de lumières, si le public était mis à même de lire ces livres avec fruit. Arrondissement de l'Écluse. — La plus grande partie de cet arrondissement se compose de très-bons polders, qui sont cultivés comme dans le pays de Cadzand : mêmes fermes, mêmes instru- ments, mêmes cultures, sauf qu'on n'y trouve plus la garance et qu'on commence à cultiver le pois, dont les sarclages et lépaisse verdure détruisent les mauvaises herbes et préparent le sol à donner une bonne récolte de froment. Cette légumineuse est plantée en lignes distantes l'une de l’autre de 40 à 50 centimètres; on la bine une ou deux fois dans le courant de l'été; arrachée vers la fin du mois d'août, elle rapporte en graines de 9 à 11 hectolitres par arpent. Quelques hauteurs aux environs de S“-Croix ont des parcelles de bois taillis et sapinières, ou bien elles sont cultivées, par de petits fermiers qui, à force d'engrais et de soins, récoltent du seigle, des pommes de terre et du sarrasin. Les polders sablonneux, aigres et humides, qui longent la fron- tière méridionale, sont divisés en parcelles étroites, par des fossés ( 89 ) larges, profonds et garnis de taillis qui leur donnent l'aspect de l'Houtland. Hs sont labourés à l’aide de l'araire, traînée par un ou deux chevaux, sarclés à la main et cultivés comme les terres de la région sablonneuse des Flandres. Les fermes y sont de 50 à 120 arpents; le bétail y est mieux soigné que dans les polders, sans pourtant l'être aussi bien qu'en Flandre; on y sème des navets en récolte dérobée, dans la propor- tion de dix arpents sur cent de terre arable, et l’on y trouve beau- coup de pâturages artificiels. L'assolement en usage est à peu près le suivant : 4" année. Sarrasin et lin, navets et spergule en récolte dérobée; 9me » Seigle et froment avec trèfles; 3me » Trèfles; 4me » Avoine; 5me » Pommes de terre et carottes; 6m » Seigle avec trèfle blanc; 7e, Se et 9e années. Pâture. On sème la spergule sur une terre parfaitement ameublie par un labour et plusieurs traits de herse, et l'on plombe après la semaille. Ce fourrage n'est point sarelé et vaut, en moyenne, de 20 à 25 francs l'arpent. Le navet en récolte dérobée est semé aussi vite que possible; à celte fin, en opère le labour et la mise en terre de la semence im- médiatement après que la céréale à laquelle elle succède est mise en dizeaux, et l'on emblave les planches qui les ont portés après l'engrangement. Le champ ne reçoit d’autres façons de préparation qu'un seul labour en billons et un coup de herse avant comme après les se- mailles. Autrefois le nayet ne recevait jamais de fumure; aujourd'hui un grand nombre de cultivateurs fument cette racine, soit avec du pu- vin, du guano ou du fumier de litière, et l'on s’en trouve si bien, que celle pratique ne manquera pas de devenir générale. Le navet est sarclé deux fois. Ce double sarelage coûte environ upe dizaine de francs par arpent. L'arpent de bons turneps peut valoir de 6Q à 100 francs. (90 ) Le sarrasin ne vient bien que sur les terres sablonneuses peu riches en humus. Sur nos meilleures terres, il croît, il est vrai, avec vigueur, mais il fournit une faible récolte en grains. Cette céréale est rarement fumée à moins que la terre ne soit effritée. Les Inbours sont généralement au nombre de trois. Les deux premiers sont suivis de hersages, et l'on sème pendant le mois de mai sur la raie du troisième. La semence est enterrée au moyen d'un seul trait de herse , et l'on évite de trop briser les mottes, qui abri- tent les jeunes plants contre les gelées et les vents froids. Le sarrasin est sarclé une ou deux fois; cette opération coûte de 5 à 6 francs. On le coupe à la sape, on dresse les javelles, et comme il s'égrène très-facilement, on le bat au fléau sur une toile que on transporte de parcelle en parcelle. La quantité de semence est d'environ un quart d'hectolitre par ar- pent, et le produit de cette récolte est,en moyenne, 10 à 12 heectolitres. Dans ces polders sablonneux on fume beaucoup, mais on n'y connaît d'autre engrais que le fumier d'étable et le purin, que lon se procure en grande abondance et à bon marché, à Aardenburg, à l'Écluse, à Oosthurg et dans d’autres localités; le transport se fait d'une manière toute particulière : un chariot porte sur ses traverses d'avant et d'arrière deux longues perches, auxquelles sont solide- ment fixées les lisières d’une bâche de toile très-forte et d’un tissu tellement serré qu'elle retient le liquide sans perte appréciable; les coins tordus sont attachés aux bouts des perches, qui, séparés pen- dant le chargement, sont réunis pendant le transport. C'est là un véhicule fort léger, qui supporte tous les cahots sans causer du clapotage et les pertes inévitables qui en résulteraient. Arrondissement de Philippine. — 1] présente trois modes de culture différents. Le premier est celui du pays de Cadzand et se trouve pratiqué dans les polders les plus fertiles, situés tous à peu d’exceptions près, au delà de la frontière belge. Le deuxième mode est en usage dans les polders appartenant aux communes de S-Marguerite, de l'Oudeman, de Watervliet et de Bouchaute, Il a de l’analogie avec le premier, mais diffère en ce que les fermes sont moins grandes; on sème moins d'orge et de colza, mais plus de seigle et de racines fourragères; les famures sont (91) plus fréquentes et presque partout on utilise le purin. La jachère entre encore dans l'assolement; mais elle n’est pas toujours absolue et fournit quelquefois une coupe de trèfles ou une récolte de navets; le bétail y est un peu plus nombreux et mieux soigné que dans le pays de Cadzand; les fermiers sont plus actifs et plus vigilants que leurs voisins du nord. Le long de la digue du comte Jean, il existe quelques polders, sablonneux et bas, dont le système agricole se rapproche encore da- vantage de celui des terres de la crête. Les exploitations sont de L à 5 chevaux, et les bâtisses ne se font plus remarquer par cette propreté, celte aisance, ce confortable des fermes des bons polders. lei, pas de jachère, toutes les récoltes principales sont fumées, un quart des terres arables est consacré aux navets en récolte dérobée. Hormis les champs pour lin et trèfles, tous les autres sont disposés en billons d'environ 2 mètres de large; les labours à la charrue sont effectués à l'aide de l'araire, traînée ordinairement par un seul che- val ; les mauvaises herbes sont presque toujours arrachées à la main, et la fauchaison se fait à la sape. Les journaliers prennent leur nourriture à la table du fermier et ne travaillent presque jamais à la tâche. Les assolements sont varia- bles, cependant celui-ci est assez généralement suivi et peut servir à en donner une idée : Aïe année. Avoine; 2% » Lin, carottes, spergule après le lin en récolte dérobée; 3% » Froment ou seigle, navets en récolte dérobée; 4e. » Pommes de terre et betteraves; 5e » Seigle, navets en récolte dérobée; Grenu» -Sarrasin; 7%» Seigle, navets en récolte dérobée; 8e » Sarrasin ou avoine avec trèfles; 9me » - Trèfles; 40% » Pâture. à Ces terres, à raison de la proximité des villages flamands, sont assez recherchées. Elles donneraient des produits plus satisfaisants, si leur situation ne les exposait pas tant à souffrir des saisons plu- vieuses. (92) Arrondissement d'Axel. — Les neuf dixièmes des polders de eet arrondissement sont très-fertiles, et le système agricole, en usage, ne diffère pas sensiblement de celui que nous avons décrit dans tous ses détails. Ici pourtant, on s’adonne un peu plus à la culture de la garance, de la graine de canari, et l'on y a vu quelques essais de culture de la cameline. On rencontre deux ou trois grandes exploi- tations dirigées par des propriétaires instruits et intelligents : l'une d'elles renferme de fort beaux bestiaux, croisés avec les meil- leures races, et les bâtiments peuvent être considérés comme des modèles de confortable et de bonne disposition. Une autre se dis- tingue spécialement par l'emploi de quelques machines aratoires perfectionnées, mais ces essais sont restés jusqu'à présent sans influence. La partie sablonneuse confine aux communes de Wachtebeke et de Moerbeke; elle est cultivée par de petits fermiers et à peu près de la même manière que les polders sablonneux que nous avons déjà rencontrés. L Arrondissement de Hulst. — I] peut, sous le rapport de la nature des terres, être comparé à celui de Philippine. On y trouve des polders riches en limon, des restes d'anciennes dunes et des terres qui n'ont qu'une couche d'argile peu épaisse; ce sont là les plus nombreuses. Les fermes n'ont qu'une étendue de 50 à 150 ar- pents; les polders sont divisés en parcelles plus larges; l'écoulement des eaux est moins parfait; les labours sont à billons faits exclusi- vement à l'araire. Quoiqu'en général, les terres soient peu riches, les bestiaux et les engrais ne sont pas mieux soignés que dans les arrondissements précédents. Les fourrages n'occupent dans la rota- tion qu'environ 15 arpents sur 100, savoir : Les trèfles, 10 arpents; Les carottes, 3 » Les navets, 2 CSSS Les betteraves, 12 » Cet arrondissement fournit plus de garance qu'aucun autre, et les champs qui en sont emblavés, portent en outre, la première année, des fèves blanches, plantées entre les lignes; elles produisent de 4 à 6 hectolitres par arpent. , (95 ) Arrondissement de Calloo. — Celui-ci est entièrement composé de bonnes terres. La partie septentrionale comprend des polders récemment endigués, divisés par grandes fermes; celles-ci sont exploitées comme celles du pays de Cadzand , à cela près, que l'on n'y emploie pas la charrue wallonne, que les champs ne sont pas coupés par tant de rigoles d'écoulement et que tous les labours sont à billons. Dans la partie méridionale, on se rapproche de l'agri- culture flamande. Les fermes y sont de 4 à 10 chevaux; le bétail est bien soigné, et l’on accorde une plus grande place aux racines fourragères; les navets sont cultivés en récolte dérobée, et par- tout on trouve des fosses à purin. On bêche aussi les champs, mais seulement dans la proportion de 3 arpents sur 100; ces terres sont plantées de pommes de terre et quelquefois de pois, sans doute, pour mieux les purger des mauvaises herbes. Cette pratique de bêcher les champs, introduite par mesure générale pendant la disette de 1845-46, et dans le seul but de fournir du travail aux indigents, s’est perpétuée. Il faut espérer qu'elle se propagera et qu'on en obtiendra les mêmes bons résultats que dans le pays de Waes, contigu à cet arrondissement. Nulle part on n’y cultive la garance. Les instruments ne présentent rien de particulier, seulement, nous y avons vu des araires dont les versoirs sont en bois; par leur emploi, le labour est plus meuble et les mottes sont moins volumi- neuses. Agriculture du littoral. — Les fermes de la région argileuse du littoral n’ont pas cet air de propreté, de coquetterie qui distingue celles des polders. L'habitation, toujours assez irrégulièrement bâtie, comprend très-souvent sous le même toit l'étable ou l'écurie; les granges sont plus ou moins délabrées, et aucune plantation ne les protége contre les intempéries et les vents âpres, qui règnent pres- que incessamment le long de la côte. En y comprenant les prairies, ces fermes sont aussi étendues que celles de la rive gauche de l'Escaut, mais elles ont moins de terres arables et n'emploient que 4 à 10 chevaux de labour. Les terres sont louées à raison de 30 à 50 francs l'arpent, et les bonnes prairies vont jusqu'à 80 francs et au delà. Les instruments sont analogues à ceux que nous avons décrits ; (94) la baratte seule diffère d’une manière notable. La figure ci-dessous en donne une idée. | C'est dans cette contrée que l'on trouve les plus beaux bestiaux de la Flandre; les chevaux surtout sont renommés. Les ânes, dont nous avons omis de parler, sont en très-grand nombre aux environs de Nieuport et dans tout l'arrondissement de Furnes. On les élève pour les besoins particuliers; quoiqu'ils soient beaux et forts, il est bien rare que leur prix de vente dépasse 400 francs, et le commerce qu’on en fait est peu étendu. Cet animal rend de grands services aux petits fermiers qui habi- tent les dunes : il est employé aux labours , et transporte aux mar- chés de Furnes, Nieuport et Ostende, les légumes et le poisson. On le trouve aussi dans toutes les grandes exploitations, mais il n’est jamais attelé : c'est la monture du fermier, et surtout de la fermière qui, par des chemins presque toujours boueux, ne pourrait que rarement quitter sa demeure sans ce moyen de transport. L'orge, les féveroles, le froment sont les principales récoltes ; la garance est inconnue; le lin et le colza sont peu cultivés; les four- rages entrent pour une minime part dans Ja rotation, et la jachère y revient plus souvent que partout ailleurs. (95) Les labours se font à l’araire ou à la charrue wallonne, suivant les coutumes locales ou la nature du terrain. On attelle à ces instru- ments jusqu'à 5 chevaux, ce qui ne se fait jamais au delà du Zwin, où un attelage ne se compose guère de plus de trois bêtes de trait. Le sarclage des céréales est très-soigné. Dans chaque ferme les prairies sont divisées en classes suivant leur qualité : les moins bonnes fournissent le foin, et les meilleures, qui sont d'une nature si excellente qu'on leur donne le nom de vette weiden, sont réservées pour le bétail de boucherie. Après ces traits généraux, parcourons rapidement toute la lisière; nous y rencontrerons des terres très-sablonneuses qui vont fixer aussi notre attention. Entre West-Cappelle et Knocke, les fermes ressemblent encore beaucoup à celles des polders, mais les champs sont labourés à billons, même ceux emblavés de trèfles et de pommes de terre; cette pratique est observée partout sur le littoral, et le colza y est généralement planté à la houe ou bien à la charrue. Près de Knocke existe un banc de sable qui se prolonge jusqu'à Heyst et qui, depuis longtemps, est soumis à une culture régulière. On y trouve des lisières boisées qui empêchent le trop prompt desséchement du sol et préviennent le déchaussement des récoltes. Dans les dunes, il y a une dizaine de toutes petites fermes, dont les champs sont entourés de diguettes et dont les huttes délabrées, le bétail chétif, les mauvaises récoltes annoncent la misère de leurs habitants. Entre Heyst, Ramscappelle, Dudzeele, Blankenberghe, les exploi- tations ne sont que de 3 à 8 chevaux. L’assolement est de 4,5 et 6 ans, et l'on n’y cultive en grand que le colza, l'orge, les féveroles et le froment; on sème peu de trèfles et peu ou point de racines. Le bétail auquel on destine un arpent de prairie par tête, trouve une nourriture très-abondante en été, mais il est mal nourri en hiver. On ne se défait des bêtes grasses que quand elles ont atteint l'âge de 4 ans. Les prairies nourrissent aussi les poulains de la ferme, et on y reçoit des chevaux étrangers, jeunes et vieux, à raison de 100 francs pour six mois de pâture. On fait usage du fumier et de l’engrais liquide, mais ils ne sont pas estimés comme ils le (96) méritent: les cendres sont vendues au lieu de les utiliser sur les champs. Aux environs de Blankenberghe, les terres deviennent plus fortes et réclament de puissants attelages pour les labours de la jachère. Ajoutons que leur nature est très-variable, car tandis que l'on rencontre des parcelles qui, depuis plus de quinze années, four- nissent annuellement de belles récoltes sans aucun engrais, il en est d'autres qui ne produisent que des récoltes médiocres, et dont la couche argileuse a si peu d'épaisseur que des labours inconsidérés pourraient les rendre en quelque sorte stériles. Les engrais artifi- ciels ne sont pas employés dans ces localités, mais un cultivateur fort intelligent a amendé ses terres avec de la chaux et des ba- layures de la ville, très-riches en matières azotées; à l’aide de ce pro- cédé , il est parvenu à doubler le produit de ses prairies. Jei déjà on coupe les céréales à la sape, et l’on plante les féveroles en lignes; ces deux pratiques se généralisent à mesure que l'on avance. Outre les quatre récoltes principales, on cultive les trèfles et les vesces comme fourrages verts ; l’avoine et le seigle sont cultivés également, mais cette dernière céréale ne vient bien que sur la bande sablon- neuse qui règne de Wenduyne au sas de Slykens. A droite de la route d'Ostende à Nieuport, on voit les dunes et lés riantes petites fermes qui leur sont adossées. Chacune d'elles est entourée d'une haie vive et de quelques arbres fruitiers et arbris- seaux. Ces gracieuses demeures sont habitées par des maraîchers qui exploitent de 2 à 8 arpents; quoique leurs champs soient arides et qu’ils n’aient, pour les faire valoir, que l'engrais recueilli à l’étable, leur bêche, leur charrue et leur herse traînées par des ânes, ils vivent dans un état prospère, et la plupart deviennent pro- priétaires de leur exploitation. Dans la région argileuse comprise entre Ostende et Furnes , on fait la plupart des labours à la charrue simple. Les fermes y sont de 2 à 8 chevaux; la jachère est pratiquée et l'on ne sème que peu de lin et de colza; on accorde la plus grande place à l'escourgeon, à l'orge de mars et aux féveroles; viennent ensuite le froment, l'avoine, les vesces, les trèfles et la luzerne. Souvent les meilleures parcelles donnent trois récoltes d'escourgeon pendant les six premières années (97) de la rotation, et son rendement est presque aussi bon que dans les meilleurs polders. Au delà de Furnes, on cultive le colza d'été; il est semé en mai pour le récolter en septembre; son produit est moindre que celui du colza d'hiver. Le bétail à l’étable est un peu mieux soigné que dans les contrées que nous avons parcourues ; dans quelques fermes, on lui donne du foin , des féveroles et des buvées farineuses. Partout, les journaliers mangent à la ferme et gagnent, outre la nourriture , de 70 à 90 centimes. De Nieuport à La Panne, les dunes sont habitées exclusivement par de petits fermiers, qui s'occupent aussi de pêche, et qui ne se sont établis là que depuis une cinquantaine d'années ;ils exploitent de 2 à 6 arpents, qu'ils louent à raison de 15 à 20 francs. Leurs champs sont entourés de diguettes et de lisières boisées, et emblavés de seigle, d'avoine, mais surtout de pommes de terre, d’un peu de na- vets, de betteraves et de earottes. Leurs vaches, petites, maigres, qui rappellent celles des bruyères des Ardennes, paissent, en été, sur les dunes; on paye au propriétaire 10 francs par an et par tête de bétail pour la pâture. Cette population de fermiers-pêcheurs est renommée pour sa con- stitution robuste, son bon naturel et son extrême activité. Les terres des moeres sont sablo-argileuses, aigres et humides ; elles sont divisées en parcelles rectangulaires, par des chemins et des fossés plantés d'arbres. Les exploitations ont une étendue variable, mais les plus grandes n'occupent pas plus de six chevaux, et toutes sont louées pour 33 francs l'arpent. On n’emploie que la charrue à avant-train , et l’on cultive le froment, l'orge, l'avoine, les féveroles, le lin, le colza. On y néglige plus qu'ailleurs la culture des racines fourragères, les sarclages, l'entretien du bétail et la con- fection d’un bon fumier. Entre Furnes et Dixmude, le mode de culture est semblable à celui qui se pratique de Furnes à Ostende, avec cette distinction qu'on y fait un assez fréquent usage de la marne. On y rencontre de la terre argileuse si collante, qu'il est im- possible de la Jabourer à la charrue à avant-train ; les roues s'em- bourbent tellement que l'on emploie la charrue simple; on remplace Tous V. 7 ( 98 ) le versoir en fer par un autre en bois, d’où le limon se détache assez facilement. La rotation est de six ans, et, quand la bonne saison n’est pas trop pluvieuse, on obtient dans ces terres de fort belles récoltes de céréales , de féveroles et de colza. N'oublions pas de mentionner l'une des plus grandes fermes du littoral, et qui, à juste titre, peut être citée comme modèle d’une exploitation bien entendue. Elle est située dans la commune de Stuyvekenskerke, non loin de la chaussée de Bruges à Furnes. L'on y trouve un très-grand nombre de bêtes à cornes des meilleures races anglaises et hollandaises; un troupeau de brebis Scheppy; des pores des races d'Essex, du Hampshire et du Berkshire; les . étables sont bien disposées et proprement tenues; les pâtures et les champs sont dans un parfait état d'entretien; le drainage est ap- pliqué en grand; on ne rencontre que des instruments perfec- tionnés ; partout il y a des fossés d'écoulement et de bons chemins. Disons-le en passant, c'est le propriétaire de ce bel établissement qui est le promoteur des chemins ensablés dans le Furnes-Ambacht; ils s'y multiplient avec une grande rapidité. Tant de services rendus en vue de la prospérité agricole ont valu à cet agronome les distinctions les plus honorables. Aux environs de Dixmude, existent deux grandes fermes, exploi- tées par les propriétaires d'usines importantes , dans lesquelles on voit plusieurs instruments aratoires nouveaux, tels que les semoirs dont on fait usage surtout pour les semailles des betteraves. Considérée dans son ensemble, toute la partie de la lisière argi- leuse, comprise entre Blankenberghe et la frontière de France, est bien cultivée; toutefois, on n’y apprécie pas suffisamment l'avan- tage de varier les récoltes et les effets des amendements et des engrais. Nous devons ajouter quelques mots encore à ce que nous avons dit de l'arrondissement de Furnes. On croit assez généralement qu'il renferme les terres les plus fertiles de la région argileuse de la Flandre occidentale, et même de toute la zone que nous avons passée en revue. Qui n’a pas entendu vanter, sous ce rapport, le riche Furnes-Ambacht? Cependant, si l’on fait abstraction de quel- ques parcelles de pâtures grasses rompues, et que l'on a vu affermer (99 ) pour un terme de vingt ans, à raison de 100 francs la mesure, soit à plus de 225 francs l'hectare, les meilleures terres de celte con- trée sont d’un plus faible rapport que celles qui sont situées à l'ouest et au nord de Bruges, ou dans les bons polders de la rive gauche de l'Escaut. Voici ce qu'année commune, y produisent les récoltes : Hectolitres. Froment d'hiver. . . . 24,50 par hectare. » de printemps . 22,50 ” (Peu cultivé.) Seiglé. .. . . . . . 22,50 » (Peu cultivé.) Escourgeon . . : . . 45,50 » Orge de mars : . . . 45,50 ” Avoine.:4 49:07:21: 52,00 » Féyeroles .. 4. .« + 22,50 » Colza d'hiver. . ... . 25,00 Ù RTE AE. . ID; » (Peu cultivé ) Pommes de terre . . . 115,00 ” (Avant la maladie, 245 hect.) HT dmté he, SE 99 50 » (Peu cultivé.) En général, il y a beaucoup d'analogie entre le mode d’exploita- | tion des terres du Furnes-Ambacht et celui en usage plus au nord. Toutefois les bonnes pratiques , telles que l'emploi des amende- ments, le bon entretien des pâtures, l'amélioration des races, sont mieux comprises et mieux accueillies; Ja science agricole y est plus avancée. Aussi ne saurait-on rendre trop justice aux agronomes de cette contrée, qui non-seulement propagent les bonnes innova- tions au moyen de leurs écrits, mais encore prêchent d'exemple, tout en faisant les plus généreux efforts pour les répandre et en faciliter l'adoption. ; (100 ) $ IV. PERFECTIONNEMENTS. / En abordant la dernière partie de notre tâche, l'étude des diffé- rents moyens d'augmenter les ressources agricoles de cette contrée, nous ne nous en dissimulons pas toute la difficulté. Que prendrons- nous pour base? Seront-ce les données spéculatives de la science, encore si contestées, et partant si peu sanctionnées par l'expérience? Sera-ce l’analogie avec ce qui se fait ailleurs? Mais il est évident que, dans des circonstances si différentes de position ou de climat, toute comparaison est nécessairement défectueuse. Sera-ce enfin l'ob- servation, l'expérience et l’expérimentation faite dans le pays même? Nous avons tâché de tout voir et nous avons interrogé beaucoup de gens, mais les innovations sont rares, la persévérance l'est plus encore, et alors même qu'on la rencontre, que d'éléments compli- quent la question! Combien n'est-il pas difficile de les constater, de les débrouiller, d'apprécier , enfin , leur valeur particulière dans le résultat commun ! Toutefois nous allons considérer séparément les divers points qui, dans leur ensemble, constituent l'économie rurale; nous indiquerons leurs imperfections et les améliorations dont ils nous paraissent susceptibles, mais toujours dans l'esprit que nous professons hautement : respect sans préjugé pour tout usage ancien et général; défiance sans prévention pour toute application scien- tifique ; en un mot, impartialité et circonspection, surtout pour une matière qui touche de si près au bien-être du pays et de l'humanité. Communications plus faciles. — L'un des premiers besoins de l'agriculture, toujours reconnu, mais que pourtant on n’a songé à satisfaire que dans les derniers temps, c'est la facilité des commu- nications. Quoique les chemins d'exploitation aient dans cette contrée au moins la même importance que les routes vicinales ou provinciales, ce n’est que depuis peu d'années qu'on a construit quelques chaussées : celle de Breskens, par Schoondyk et Oostburg , à Aardenburg et à Maldegem, et par l'Écluse à Bruges; celle de ( 101 ) Schoondyk à Yzendyk, construite en briquettes. Il serait nécessaire d'y joindre encore une route pavée d'Yzendyk à Cadzand, par Waterlandkerkje, Oostburg et Zuidzande; une autre, d'Yzendyk à Biervliet, où arrivent encore les navires caboteurs; mais la plus importante serait celle qui, reliant Yzendyk à Watervliet, com- pléterait la communication directe entre Breskens et Gand. La chaussée, qui déjà relie Watervliet à Waterland-Oudeman, devrait être continuée, par S“-Marguerite, jusqu'à Aardenburg, ou bien jusqu’à S'-Laurent, qui va être mis en communication avec le réseau des grandes routes de la Flandre ; Watervliet devrait être, en outre, reliée à Bouchaute; Axel réclame des voies pavées vers Wachtebeke, Terneuzen et Hulst; et, cette dernière ville devrait en avoir une vers Ossenisse, par S'-Paul et Hengstdyk. Sur le littoral, il reste beaucoup de communes à relier à leurs centres d’affaires; par exemple, celles qui se trouvent entre Blan- kenberghe, Bruges et Ostende devraient être reliées à ces trois villes; Ramscappelle, dans le Furnes-Ambacht, réclame de bons chemins vers S'-George, Pervyse et le canal de Furnes à Nieuport. On n’a rien fait encore pour les routes vicinales de moindre importance, ni pour les chemins d'exploitation. Çà et là on voit, dans les communes voisines de la mer, des trottoirs, et même des chemins faits du sable du rivage; ailleurs, on en construit avec le sable tiré du fond des fossés. Le sous-sol de nos polders étant composé généralement de sable assez pur, il nous paraît qu'en em- ployant les chevaux, partout oïsifs dans la morte saison, le cultiva- teur pourrait, à l'exemple de ce qui se fait dans le Furnes-Ambacht, se créer à peu de frais des chemins ensablés dont l'entretien est peu coûteux; ils rendraient les transports faciles en tout temps, et permettraient d'aller au champ sans patauger dans la boue, comme cela arrive le plus souvent. Écoulement plus parfait. — Un second point capital, et qui ne fait doute pour personne, est l'amélioration urgente des voies d'écoulement. Le Brakman s'envase; les eaux, qui se déchargent aujourd'hui par l'Écluse-Noire, par l'Écluse-Isabelle et par celle du Capitalen-Dam, devraient pouvoir se rendre directement à la mer par le canal de Heyst, dit de Selzaete. Ce canal à produit le plus (102) grand bien sur toutes les terres voisines de son parcours, mais il ne va que jusqu'à S'-Laurent; et, à partir de là seulement, se verront les plus beaux effets de la construction : l’asséchement d’une contrée couverte de criques et de flaques d'eau stagnante, qui forment la principale cause de l'insalubrité si connue et trop réelle de cette partie du pays. Depuis que le fossé principal d'écoulement, dit de Eecloosche- Watergang, se décharge dans le canal à S'-Laurent, on observe un abaissement de niveau de 0,50 à 1",50. Si ce change- ment s'opérait dans tous les environs, et il n'y a pas d'empêchement absolu, pas même de difliculté sérieuse, il donnerait à l'exploitation des centaines d'hectares, qui, sans cela, resteront à peu près im- productifs; car on ne doit guère compter les roseaux et le peu de poissons que ces mares peuvent nourrir. Le creusement du canal projeté, de Oostbunrg vers Breskens ; la construction d'éclusettes, qui déchargeraient les eaux pluviales des communes de Westcappelle, Ramscappelle, ete., dans le anal de Heyst; une nouvelle voie d'écoulement aux environs de Blanken- berghe; des canaux de décharge plus parfaits pour les moeres ; enfin, un système de voies d'écoulement, indépendant de la navigation intérieure, pour tout le Furnes-Ambacht, seraient des travaux qui produiraient aussi d'excellents résultats. Drainage. — Une plus complète évacuation des eaux pluviales aurait encore pour résultat la possibilité d'établir un bon drainage. Beaucoup de polders, même des meilleurs, ont des parties dont les terres sont plus compactes, moins perméables, moins meubles et qui se sèchent moins vite après l'hiver; pendant l'été au contraire, elles arrivent à un état de desséchement extrême, ce qui nuit au développement des plantes et à toutes les opérations agricoles. D'autres polders sont de qualité inférieure, parce que leur sol aigre reste froid, humide, réfractaire à la décomposition des résidus organiques. Il n’est pas douteux que, dans ces divers cas, le drai- nage serait avantageux. Certaines personnes sont d'avis qu'il faudrait, dès à présent, drai- ner tous les polders au moyen de tuyaux, combler les rigoles d'écou- lement, et gagner ainsi, pour l'agriculture, une grande étendue de bonnes terres, qui ne produisent aujourd'hui que du foin médiocre. ( 105 ) \ Nous ne pouvons pas nous rallier à cette opinion d'une manière absolue, aussi longtemps du moins que le niveau des eaux intérieu- res n'aura pas descendu. Nous nous proposons, toutefois, de faire un essai, et d'examiner avec soin si les bons effets d'un drainage complet nous détermineront à préconiser, dans l'état actuel des choses, une opération toujours très-dispendieuse. On à dit que le drainage complet, au moyen de tuyaux de terre cuite, existe dans les polders de temps immémorial. Voici ce qui en est : Les polders sont, en général, divisés en grandes fermes, dont les terres, presque toujours contiguës, sont séparées par des chemins hordés de fossés d'écoulement. Les champs se composent de parcelles qui n'ont que 20 à 30 mètres de largeur, mais qui sont aussi longues que possible (4). Entre elles se trouvent des rigoles d'une profondeur de 4 1/2 à 2 pieds, aussi étroites que le permet la consistance du terrain, et qui, sauf dans les grandes sécheresses, sont rarement sans eau. Chacune de ces parcelles devrait nécessairement avoir un débou- ché particulier sur la voie publique, sans l'existence d’une bande de terre large de 3 à 4 mètres, perpendiculaire aux parcelles et mé- nagée le long du chemin. C'est sous cette bande que chaque rigole décharge ses eaux dans le fossé d'écoulement, au moyen de tuyaux en terre cuite; ils sont emboîtés les uns dans les autres et placés au niveau du fond de la rigole, assez profondément pour permettre de labourer et d'embla- ver la bande ou le chemin de desserte. Tous ces ouvrages sont entretenus avec le plus grand soin : les rigoles sont fauchées chaque année et recreusées au besoin. En vertu du bail, les tuyaux appartiennent au fermier, sous la charge de les transmettre à son successeur sur estimation. C'est là le drainage des polders, parfaitement approprié à ses champs, qui, en hiver, ont l’eau pluviale à fleur de terre. C'est un drainage à ciel ouvert, avec tuyaux souterrains seulement quand la nécessité du passage en fait une loi. (1) Ceci se remarque particulièrement dans les arrondissements agricoles de l'Écluse, Cadzand, Axel et Philippine, (104) Division des grandes fermes. — Une question de la plus grande importance est celle de l'étendue qu'il convient de donner à nos fermes des polders. On sait que 50 hectares ne sont plus regardés que comme une exploitation médiocre; on va volontiers jusqu'à 100 et même jusqu'à 200 hectares. Le révérend Dresselhuis ab Utrecht, ministre protestant, qui publia, en 1819, une intéressante topographie du 4° district de la Zélande, celui de l'Écluse, com- prenant, avec les environs d’Aardenburg, tout le pays de Cadzand, s'élève vivement contre la tendance à accroître davantage les exploi- tations, et pousse à la division des fermes et à l'accroissement de la population rurale, en même temps qu'il voudrait donner à la classe ouvrière quelque chose de l'organisation industrielle. Nous ne pouvons approuver ce système: d'abord parce que les conditions de l'agriculture et de l'industrie sont bien changées; ensuite parce que nous sommes convaineu que l'insalubrité du pays, qu'il prend à tâche de nier, est malheureusement trop réelle et impose le devoir humanitaire d'en tenir compte; et que, d’ailleurs, tout ne réside pas dans la question économique de savoir comment en gé- néral on peut produire pour le moment la plus grande somme de richesses, mais qu'il faut encore songer à leur répartition et ne pas fermer les veux sur le bonheur ou le malheur d'une population dont, après tout, doit dépendre l'avenir d'un pays. L'habitant des polders, au milieu d’influences énervantes, a besoin de plus de propreté, de plus de chaleur, de plus de nourriture, de plus de stimulants, enfin de plus de bien-être qu'ailleurs. Cela le rend moins apte peut-être aux travaux et aux soins incessants des cam- pagnards d’autres pays : dédaignant le travail des mains, il aime la conversation et même la lecture; le soin des animaux domes- tiques lui sourit peu, il préfère la culture des céréales, dont la vente est facile et assurée. Réduit à cette seule ressource, sa fortune, son avenir dépend des chances du marché : quelques années de bas prix le ruinent, quelques bonnes années l'enrichissent et le mettent à même de se retirer des affaires. Tandis qu'en Flandre , le cultiva- teur retiré est un homme vraiment à plaindre, dans les polders il est fier et considéré : le rustend landman vit dans le confort et se donne tous les agréments de Ja vie. (408 ) Que les fermes, en se multipliant, deviennent moins étendues, et l'on aura plus de bétail, plus d'engrais, plus de produits; mais les frais généraux résultant du plus grand nombre de familles auront augmenté aussi, les petites propriétés passeront aux mains de plus grands propriétaires, il faudra travailler davantage et dépenser moins ; les maladies, dues à l'encombrement, à la misère, presque in- connues à présent, gagneront du terrain, les bureaux de bienfaisance deviendront une charge, la mendicité et le maraudage achèveront de changer la scène. Voilà pour un changement radical du système; ce n'est pas à dire que nous désapprouvions les améliorations introduites avec me- sure, en temps et lieu opportuns. Que des enfants, partageant les propriétés de leur père, soient réduits à une moyenne exploita- tion, que, possédant un capital suffisant, ils voient la convenance ou la nécessité de produire davantage; qu'ils se donnent plus de bétail, surveillent mieux leurs étables et se procurent plus d’en- grais, certes ce sera un bien. Que, dans les endroits plus favorable- ment situés, on encourage l'établissement de quelques familles hon- nêtes, qu'on leur laisse un petit champ pour nourrir une ou deux chèvres et engraisser un pore, et l’on se sera créé une pépinière de bons domestiques et d'ouvriers, qui, acclimatés, vaudront mieux que la population nomade qu'on tire à présent des communes fla- mandes limitrophes. Modifications au système des jachères. — Nous avons déjà dit qu'à peu d’exceptions près, la jachère est généralement usitée dans les polders et dans les communes voisines. Ce point nous a semblé assez important pour mériter toute notre attention , et sans nous flatter de jeter sur la question beaucoup de lumière, nous croyons utile de consigner ici le résultat de nos investigations. Dans les terres fortes des polders, la jachère revient tous les huit ou neuf ans. On remue profondément la terre à plusieurs reprises et l'on donne une forte fumure ; la quatrième ou la cinquième année on à des trèfles; deux ans après, on a des tubercules et des racines, et l'on ne donne point d'engrais pendant tout l'assolement. Tous les cultivateurs, ici, prétendent qu'après quelques années de culture même alterne, le rendement des céréales diminue au point (10%) de rendre la jachère indispensable. On soutient, de plus, que ni le fumier ni aucun autre engrais n'y saurait suppléer. Il est vrai qu'un ou deux dissidents ont renoncé à cette pratique, et prétendent la remplacer par des sarclages plus fréquents et des fumures plus abondantes; mais nous l'avons dit aussi, ni leurs raisonnements, ni leur exemple n'ont trouvé d'imitateurs. La jachère offre-t-elle des avantages? Sans doute : elle purge mieux la terre de toute mauvaise herbe que ne saurait le faire le sarclage ; en ouvrant le sol à toutes les influences de l'atmosphère, de la gelée, des neiges, des pluies , du soleil, elle le rend bien plus meuble et plus riche, et quand même les avantages du repos qu'on veut lui reconnaître en dehors des effets précédents seraient chimériques, en voilà assez, d’après nous, pour ne pas la repousser légèrement. Nous avons lu ce que les savants auteurs de la Maison rustique ont écrit relativement à la jachère. Nous croyons que ce qui se fait dans les polders ne serait pas loin d'obtenir leur entier assentiment. Toutefois si l'on trouvait que la perte d'une année entière qui lui est consacrée est trop grande, nous pensons pouvoir proposer eomme avantageux l’assolement suivant; il donnerait deux fois, pendant la rotation, une première coupe de trèfle, dont la valeur est à celle de la deuxième coupe comme 3 est à 2, tout en météorisant le sol et le purgeant des mauvaises herbes autant et mieux peut-être que par l'ancienne méthode. 1'* Année. Colza; 2%» roment ou escourgeon; 9m » Féveroles; 4% » Froment avec trèfle; Dm» {"e coupe de trèfle et jachère fumée; 6%» Escourgeon ou froment; 7m.» Féveroles, ou lin, ou racines: 8%» Froment ou avoine avec trèfle; 9®e » 1° coupe de trèfle et jachère fumée. Dans les terres plus légères et plus meubles où la météorisation est de moindre importance, nous remplacerions la deuxième jachère par l'enfouissement d'une dernière coupe de trèfle comme engrais vert. (107) Engrais et bestiaux. — La terre argileuse et forte de polders exige impérieusement qu'on travaille à la tenir ouverte. Les fermiers esti- ment en partie une récolte d'après la qualité et la quantité du chaume que la faucille laissera sur pied et qu'ils auront soin d'en- terrer. C'est la raison pour laquelle ils préfèrent le fumier d’éta- ble à tous les autres engrais. Certainement on était allé trop loin dans ce système, et on le reconnaît, pour le purin par exemple, dont l'usage se répand de plus en plus. Nous pensons que la chaux pour- rait rendre de grands services comme amendement dans les sols trop argileux et imperméables , aussi bien que dans les polders humides, tourbeux et aigres, où elle pourrait décomposer les dé- tritus végétaux non assimilables. L'usage des engrais concentrés, de la suie contre certaines maladies des céréales , des cendres pour les trèfles languissants, des phosphates et du guano pour la pomme de terre, les turneps et autres racines fourragères, pourrait aussi être fort utile, en procurant au bétail une nourriture d'hiver plus abon- dante et qui manque trop à présent. L'on obtiendrait ainsi le dou- ble avantage d’avoir un fumier bien supérieur, celui employé étant par trop pailleux, et d'entretenir en bon état les bêtes à cornes, si mal traitées pendant la mauvaise saison que cela fait vraiment tache dans l'économie rurale des polders. Dès lors aussi le fermier, y trou- vant une ressource où un supplément de bénéfices, en augmenterait le nombre, leur accorderait une partie de ses soins et ne les aban- donnerait plus à ceux des domestiques les moins intelligents. L'emploi des bœufs et des vaches comme animaux de trait, n’est guère possible peut-être dans les terres fortes, à mottes volumi- neuses et dures, et dans lesquelles leurs pieds glisseraient ou s'en- fonceraient outre mesure par les temps pluvieux. Mais il n’en est pas de même dans les polders siblonneux, où nous avons connu plus d'un petit fermier qui n'avait pas d'autre attelage. La propaga- tion de cette pratique serait désirable, car elle ne convient pas seulement à celui qui ne saurait entretenir nn cheval, l'économie qui en résulte est assez grande pour que toutes les fermes qui ont des terres légères l'adoptent en partie. Instruments. — Charrue wallonne. — Nous avons décrit les instru- ments aratoires employés dans les polders, et parmi eux la charrue ( 108 ) wallonne ou à avant-train, encore inconnue dans une partie de cette contrée. Quoiqu'il soit incontestable qu'à égalité de profondeur, la force de tirage est plus grande avec cet instrument qu'avec l'araire, il est certain que la charrue à roues est regardée comme indispen- sable dans le pays de Cadzand et les environs, du moins pour les terres fortes et les profonds labours, et que l’on y croit générale- ment que, sans elle, on ne saurait faire un travail régulier. On nous a raconté que, pendant la domination française, les conserits réfrac- taires de cette contrée, réfugiés dans les îles de la Zélande, y ont in- troduit cette pratique. Le laboureur travaille plus facilement avec la charrue wallonne qu'avec l'araire; mais que la première doive être préférée, cela nous paraît contestable, attendu que dans les arron- dissements de Hulst et de Calloo, les mêmes labeurs se font dans les mêmes terres à la charrue simple. Extirpateur, scarificateur , rouleau squelette , rouleau Crosskill, charrue sous-sol, semoir, sarcloir. — Parmi les instruments nou- veaux que l’on recommande, l'extirpateur serait, dans les polders, d'un tirage fort difficile; le scarificateur serait dans le même cas et ne ferait pas mieux, peut-être, que la herse à dents de fer. Le rou- leau squelette et celui de Crosskill pourraient être d'un excellent usage. Une bonne charrue sous-sol serait employée avec avantage dans les polders où la couche de limon n’a que peu d'épaisseur et où, partant , le sous-sol n’est jamais remué ; mais on ne pourrait en faire usage que par un temps sec, pour que le piétinement des 4 ou 5 chevaux, nécessaires à l'attelage, ne nuise pas trop au sol. Dans les bonnes terres, au contraire, les labours de la jachère et autres se font assez profondément pour que l'usage de cet instrument soit superflu. Le semoir aussi paraît peu convenir : ces terres fortes, qui ne sont jamais parfaitement émottées, ne se prêtent pas à un semis régulier; les parties délicates d’une machine assez coûteuse résisteraient mal aux obstacles que cette espèce de terrain lui oppose; d’ailleurs, les dégâts que commettent les limaçons réela- ment presque chaque année des réparations au semis qui, néces- sairement irréguliers, rendraient impossible l'usage du sarcloir, complément de l'ensemencement en lignes, et sans lequel dispa- raît son plus grand avantage. ( 109 ) Machine à battre (4). — Nous avons vu fonctionner une machine à battre de Rainsomes et May: elle fournissait 60 hectolitres de fro- ment par jour. Desservi par quatre chevaux, neuf hommes, deux femmes et deux garçons, ce travail devrait être estimé à fr. 24 96 c‘, soit 25 francs par jour. Admettons qu'une ferme de 300 arpents en ait 400 de froment et 50 d'orge et d'avoine; l’autre moitié étant consacrée à d'autres cultures que les céréales. Le froment à 10 hectolitres par arpent donnera 1,000 hectoli- tres. L’orge et l'avoine à 20 hectolitres en donneront mille autres. Le battage se fera en 33 ‘/5 jours et coûtera fr. 835 33 c‘. Ajoutons l'intérêt de 2,000 francs, coût de la machine, et l'usure qui doit être évaluée à 150 francs au mois, nous aurons pour total des frais de battage fr. 1,083 53 c“. Si l’on objecte que les machines à battre ne coûtent pas toutes 2,000 francs, nous dirons qu’alors elles sont moins parfaites, ou moins solides; et que 150 francs pour réparations et usure d'une machine de 2,000 francs qui, dans notre siècle d'inventions, court les chances d’être bien vite rebutée, n’est pas un chiffre trop élevé. Le battage au fléau fournira 1,500 à 4,800 journées de travail ; mais comme on paye à la mesure, les frais, à 75 centimes par hec- tolitre de froment, et à 50 centimes pour l'avoine et l'orge, s'élè- veront à 1,500 francs. La différence est en faveur de la machine. En fin de compte, nous croyons l'introduction de la machine utile dans les exploitations fort importantes, et là où l'on manque de bras. Partout ailleurs nous dirons qu'il est plus conforme aux véritables intérêts du cultivateur de faire le sacrifice de cette éco- nomie, en employant les ouvriers ses voisins, plutôt que d'en faire des ennemis ou de les imposer à la bienfaisance publique. Une amélioration dont les polders sont encore susceptibles, c’est l'introduction de quelques cultures industrielles; elles donneraient le moyen d'espacer mieux les céréales dans l’assolement, offriraient en même temps des bénéfices meilleurs et plus certains que ceux que procurent actuellement les céréales; celles-ci, soit dit en pas- sant, approchent de la limite où elles ne rendent plus ce qu'elles (1) Voir Journal d'agriculture pratique, par M. Ch. Morren, t. 1, p. 550. (110) coûtent. Ces cultures seraient celles de la betterave à sucre, de la chicorée, du tabac et du chanvre, qui toutes réussiraient vraisem- blablement dans les diverses variétés de terrain que présentent nos polders. Surveillance des engrais. — Propagation des bonnes pratiques. — Nous conclurons en louant le Gouvernement belge des efforts qu'il a faits pour répandre l'instruction agricole; mais ces efforts, pour atteindre leur but, ne sauraient être trop bien dirigés. La population des polders, à de très-rares exceptions près, n'entend pas le français; à plus forte raison ne saurait-elle comprendre les mots scientifiques ou techniques dont cette langue est surehargée, Sa langue maternelle, le hollandais ou le flamand, présente aussi des difficultés; il est vrai qu’elle a l'avantage de pouvoir rendre, par des mots composés de racines essentiellement flamandes, les mots techniques des autres langues, ce qui, sans doute, donne beaucoup de facilité pour leur intelligence; mais ces mots ne sont pas encore assez connus et leur composition et leur application sont trop déli- cates, pour que le premier venu fasse des traductions en flamand à coups de dictionnaire. Il faut done qu'on n'en charge que des hommes compétents et qu'elles soient faites avec soin. Un mauvais livre n’est pas seulement inutile, il dégoûte des autres, et c'est là son plus grand mal. L'école primaire est la pépinière des futurs agriculteurs : e’est elle qu'il s'agit d'y approprier. Les instituteurs doivent être mis en état de bien comprendre, de bien expliquer ce que les bons livres peuvent offrir de trop difficile pour le lecteur vulgaire. On a proposé en France une mesure que, si elle était appropriée aux exigences du pays dont nous nous occupons, nous regarderions comme le complément de tout ce qu'on a fait, de tout ce qu'on peut faire pour l'agriculture. 11 s'agissait des falsifications dont les en- grais concentrés sont souvent l'objet et du charlatanisme dont les cultivateurs, à ce qu'il paraît, sont trop souvent victimes. Ces fraudes auraient été considérées comme falsifications apportées aux substances alimentaires. Le marchand devrait désigner les prin- cipes actifs des engrais en proportions déterminées; dans chaque arrondissement un expert chimiste, salarié par la caisse publique, (1H) serait chargé de vérifier l'échantillon fourni par le vendeur, et de contrôler la bonne qualité de la marchandise livrée. Toutefois, nos populations n'ont pas été dupes des engrais dits concentrés et des merveilles qu'ils promettent. Nous dirons, pour terminer, que nous avons à introduire l'appli- cation en grand des cendres, du guano et des substances amendantes dont il ne serait pas trop difficile de surveiller la vente; que nous avons à conserver la surveillance de l'entretien des digues et de l'écoulement des eaux pluviales, car l'on croirait difficilement com- bien l'écoulement des eaux intérieures est négligé, partout ailleurs que dans les polders où l'institution des wateringues est une vérité. Nous avons enfin à désirer l'inspection de l'agriculture considérée comme art, comme industrie et comme enseignement. Le cultiva- teur, quoi qu'on fasse, lit peu et n'en croit volontiers que ses yeux. Qu'un inspecteur intelligent vienne le voir chez lui; qu'il lui trans- mette des graines d'espèce nouvelle, ou des semences dépaysées ; qu'il lui parle des pratiques qu'il a vues ailleurs, qu'il lui prouve qu'ici aussi elles sont applicables, qu'il sache les mettre en œuvre, et l'on verra que l'homme des champs, trop souvent regardé comme un être stupide et entêté, ira au-devant de toutes les améliorations. Son intérêt répond de lui, car on sait bien qu'il n'a qu'à voir cet in- térêt bien distinetement pour y aller de soi et par la voie la plus directe. APPENDICE. Wy Loys, grave van Vlaenderen, hertoghe van Brabant, van Nevers, van Rethel, ende heere van Mechelen, doen te wetene allen licden, dat wy ghezien hebben debrieven van onzen voorzaten Graven ende Graf- neden van Vlaenderen, ghezeghelt met heur-lieder zeghele inhoudende de voormen hier naer volghende : « Wy Guy, grave van Vlaenderen ende markgrave van Namen, doen te wetene allen lieden dat alzoo een gheschil was tusschen onze lieden van Bochoute tereenderzyde, ende onze lieden van Caprycke, van Lem- beke ende van West-Eckelooter anderzyde, aengaende heurlieder wate- ringhen ende heurlieder sluuzen; ende dat becde partien hemlieden submitterden van denzelven gheschille in ons ende beloft hadden te hou- dene tghuent dat wyre afordonneren ende zegghen zouden van boven ne- dere. Wy, naer tghuent dat wy bevonden hebben van denzelven gheschille, zegghen ende ordonneren in zulker manicre dat al het land dat ligt in de prochie van Caprycke betalen zal alzoo vele ende niet meer voor vyf ghemeten lands in den loop van der wateringhen ende van den sluuzen daen die van Bochoute doen zullen voor een ghemet van heur lieder besten landen. Ende die van Lembeke van ecnen weg die komt van Caprycke ende gaet naer Lembeke, ende beghint te Berenklauwe ende gaet zuudwaert tot Kox, ende van Kox tot den kerkhove van Lembeke, ende van dien kerkhove tot voor thuus van den priestere, ende van den huuze van den priestere zuudwaert tot der lect, ende van daer westwaert tot Haveschotbief, ende van daer zuudwacrt tot den moer voor al ’tland dat ligt tusschen deze voorzeide plaetsen ter zydewaerts van Bochoute , zullen al zoe vele ende niet mecr betalen in de costen van den waterin- ghen ende van den sluuzen voorzeid voor acht ghemeten lands dan die van Bochoute zullen doen voor cen ghemet lands. Ende zegghen nog ende ordonneren dat tallen tyde dat van noode wezen zal cost te doene aen (413 ) _ de wateringhen ende aen de sluuzen in Tambacht van Bochoute, behoo- rent te laten weten die van Caprycke ende van Lembeke, erde die van Caprycke behoorender te zendene eenen man ende die van Lembeke cenen anderen om te verstane ten coste die men doen zal aen de wate- ringhen ende aen de sluuzen met die van Bochoute. Ende indien der gheschil es van den coste ome te stellene ende pointen, wy behoorender te stellene eenen man die van ons tweghe uuten zal ’t gheschil ende ordon- neren tghuent dat elke partie behooren zal te betalene. Ende zegghen oc dat die van Bochoute behooren te doen gravene den watergang twee honderd roeden buuten den Ambachte van Caprycke ten ghemeenen coste van beeden partien, ende behoort den watergang veertien voeten wyd te zyne, ende indien die van Bochaute dat niet doen en willen die van Capryeke meughent doen ende aftrekken den cost van den eersten coste die men doen zal aen den sluuzen ende waterganghen, ende ’t suer- pluus dater blieven zal te gravene van den waterganghe voorzeid die loopt van Caprycke tot den grooten waterganghe dat behooren zy te doen gravene thueren coste die tanderen tyden ghedaen hebben, Ende al zulex zegghen wy dat die van Bochoute behooren te doene van den wa- terganghe die komt van Lembeke, ende indien zy ’t niet en doen willen, die van Lembeke meughent zelve maken ende aftrekken den cost die zyre aendoen zullen van den eersten coste die zy zullen moeten legghen aen de waterganghen ende sluuzen. Ende zegghen nog dat wat huere dat er cost ghedaen werd aen de waterganghen ende aen de sluuzen ende dat ghetermineerd wort hoevele elke partie behooren zal te betalen, dat die van Caprycke ende van Lembeke betalen tghuent dat ze schuldig werden ten daghe diere toe gesteld wert, ende zyt niet en doen wy by onzer heerschappie zonder ander vonnesse behoorenze te bedwinghene te be- talene, in zulker manieren dat die van Bochoute geen scade en hcb- ben by huerlieder ghebreke. Ende zegghen nog dat die van Bochoute behooren te wetene de grootte van den landen van Caprycke ende van Lembeke, dat met hemlieden betalen zal costen aen de waterganghen ende aen de sluuzen alzoo voorzeid is. Ende die van Caprycke ende van Lembeke behooren ooc te wetene de grootte van den landen van Bo- choute met wien zy betalen zullen costen van waterganghen ende van den sluuzen, ghelyck boven ghedeviseerd es. Ende zegghen ooc dat die van West-Eekeloo ende yan Lembeke die land hebben buuten den palen van den weghe bovenghezeid westwaert, behooren te leeden huerlieder wate- ringhe zonder de scade ende den cost van die van Caprycke van Lem- Towe V. 8 (114) beke ende van Bochoute, die huerlieder wateringhen hebben te Bochoute waerts ende mids al deze ordonnantien boven gezeid alle gheschillen die waren om de wateringhen tusschen deze twee partien zyn doot ende te nienten. Ende indiender eenighe zaken te beterne es in alle deze dinghen boven ghezeid wy houdent in ons zegghenschip. Dit was ghedaen ende ghegeven te Wienendale, in tjaer van der Incarnatie ons Heeren duust twee honderd viermael twintig ende ecn syrindags naer Aller Heiligen dag, in de maend van november. » Ende nog eene lettere van de voorzeide grafnede Margriete : « Margriete, grafnede van Vlaenderen ende Henegauwen, de ballius van Brugghen ende van Ghent, saluut. Wy doen te wetene dat wy binnen den acht daghen zullen by Philippot Vanden Poele onzen riddere, ende meestere Jan van Ste-Loysberghe onzen clerc, nerstelike onderzoeken op wateringhen ende op sluuzen aengaende die van Eekeloo ende den Vier Ambachten ende die van Caprycke, ende ombieden U ende willen dat gy de partien geen grief en doet ter causen van den wateringhen ende van den sluuzen tot anderstond dat de querele by ons ghetermi- neerd werd. » Dit was ghegheven swoensdags naer Ste Niclausdag, in tjaer van der Incarnatie duust twee honderd ende zeventig. Ende ter bede ende sup- plicatie van onzen goeden lieden van Caprycke hebben wy hemlieden de zelven geapprobeert ende gheconfineert alzoo verre als tin ons es. By de orcondschepe van dezen letteren, ghezeghelt met onzen zeghele, ghe- gheven te Ghent den zestienden dag van maerte in tjaer van gratien duust drie honderd zes ende zestig, gheteekent op den ploije by mynen hceren in zynen raed : Lame. Ghetranslateert uut den walsche in vlaemsche ende ghecollationneert jeghen doriginale letteren, met den welken dit transumpt bevonden is in substantie accorderende present my M. SNOECKAERT. (Extrait du cartulaire inédit de la commune de Capryk, dans ses archives.) FIX, TABLE DES MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME V. Je Partie. — Mémoire sur l’organisation de l'assistance; par M. Vincent Wery. 11m Partie. — Mémoire sur les polders de la rive gauche de l'Escaut et du littoral belge; par M. 4. de Hoon. tua uen, tr 1e pe CRÉES re Tone a hr, ee ps Mois CARTE. 7. Haine bus acdirn 11.1 0re Doté 4 Ste ir ne a rt ve]: éige bi jui TS 16 “4? | Ho, DT + * «+ aNOT LES 7 . NO) | PER ee « Ra MAX one 3e Lt LS EUIMRE SR A Me Fipherd + Aa CPR 1 ua % Poe 5 9 part. VB TIR ZT (42 4 Collection üt c Meme. cour CARTE HYDROGRAPHIQUE des Parties du Nord-Ouest DE LH EUROPE, jonte au Mémoire de l'Abbé Mann. PR | PA 00 LS Nord >. UMerrdien de farrs , FRANCE « —=Y > 2 = € EN NORD CAP $= S Re. _ = CARTE HYDROGRAPHIQUI ties du Norc [RO c0nD CAP SEAIEDA SORLINGCES ALLEMAGNE ERANICI LA RIVE GAUCHE DE LL ESCAU'T vers l'an 960, «d'après Les documents authc algues et L'étude des Lieux. Ve cour et A Lac Savarts Collection tr OL T1 perte LU. LA RIVE GAUCHE DE 1 ESCAU'T JsvonD n#4 8, | à L À N [=> J \ vers l'an 960, <Érerres | du er documents antlentiques = étude des trerer À DANTWERPEN ; f ° = == LA RIVE GAUCHE DE ZUVYD BEVER, L'ESCAUT Vers in l'an 1500 VAN BORSELEN nn 0 ; AY \X \ Hewvtiet © ne Ysendyk S'Anna ter Muden } É Lo. LSIuy SN 25% / | \ — Rodégburg , Lee Hulst” eos lcerhkhexdæ | ! pericter 5 DiWATERY —— Lo} où Ha ; re \ardenburg +} > ANTWERPEN Hecrlykheyd 4 : (« Fe Damme Ç van Capry ki ro CAPRYK Assenede 4 NRRRRANURN LA RIVE GAUCHE DE L ESCAU'T vers lan 1010 Flessingue rer o QE [7 fzendÿk PA D 1) ÿ l'Ecluse \rdenibouro /r1 Miadelbure € ; 8 A] = TE 22 ANVERS 2 Damme /, 59 PULDERS DE LA RIVE GAUCHE DE I: ESCAUT, divisées en Arrondissements HEREN D Middelbouro VE RDAONKEX An VAN S sf DA y/\ \nat 4 AVC LES y AC — Aardeiiourg « , 4 Ÿ < il lu - s 4 , #7) ANVERS = fre Pis" > ; sontié s Mere corcr: Collection in 82 TV 2° part. PU 1 1 ©-farntoliel ©faschhapel Hull Kreltrecht Ro © Cal NN HANVER,S S'Mcolas © Malines f) BRUXELLES MODERNE DE LA FLANDRE NE,PAR A.HDUMONT. Ostende à Courtrat Flessingur 2] || LENDUE CEOGRAP D LES LIMEPES MARTOIMES DE 1 \ BELGIOUR ANCIENNE, PAR A H DUMO 6 op Zoom BRUXELLES HUE RS LEE CERVEAU EMA C nie à. TON > loo el de Kembeke: 4 Ousi-es ] lee Limites PARTIE DE LA COMMUNE D'OOSTREGLOONAU XNIS SIR CLR, Carte provenant del'Abbaye de Saint-Pierre, a Gand parte, PI, V1. Collection ir S2_ TV. 2° RER ET" Le wi Ca PL 3 Us PARA ARTE ee ” a Au ES Charretle flamande à trois roues \ | VA} / == —— &K\ 172 PC ré Ÿ à 7 : \ (\ Collection ir 82_I TV 2° part, PL, IX. 2.60 ! Pa juat'e à grancha re , 2, dLJOULT 5 24290 01 “U07DaNT TT D Annuaire de l’Académie, 1r° à 19e année. 1855-55. Bulletins de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, tome 1 à XII. — Bulletins de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XIII à XIX, in-8°. — Prix: 4 francs par volume. Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des sciences et belles- lettres de Bruxelles, tome I à XIX. — Mémoires de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XX à XXVI; in-4°. — Prix : 8 francs, à partir du tome X. Mémoires couronnés par l'Académie royale des sciences et belles- lettres de Bruxelles, tome I à XV. — Mémoires couronnés et Mé- moires des savants étrangers, publiés par l’Académie royale des sciences et belles-letitres de Bruxelles, tome XVI à XVIII. — Mémoires couronnés et Mémoires des savants élrangers, publiés par l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, tome XIX à XXV, in-4°.—Prix : 8 francs par volume, à partir du tome XII. Mémoires couronnés, collection in-8° : Tone I. — Des moyens de soustraire l'exploitation des mines de houille aux chances d’explosion; 1 vol. in-8°, 1840. Prix : 4 francs. Tous IL. — Mémoire sur la fertilisation des landes de la Cam-- pine et des dunes; par M. Eenens , 1 vol. in-8°, 1849; 2 francs. Tows HI. — 1" partie. Exposé général de l’agriculture luxem- bourgeoise, ou dissertation raisonnée sur les meilleurs moyens de fertiliser les landes des Ardennes ; par Henri Le Docte, 1 vol. in-8°, 1849; prix : fr. 1 60 c*. — 2 partie. Mémoire sur la chimie et la physiologie végétales et sur l’agriculture, par le même; 1 vol. in-8°, 1849 ; prix : 2 francs. Tone IV. — Mémoire sur le paupérisme dans les Flandres , par Ed. Ducpetiaux; 1 vol. in-8°, 1850. LÉ Tome V.— 1r° partie. Mémoire sur l’organisation de l’assistancé, par M. Wery; 1 vol. in-8°. 1852. — 2° partie. Mémoire sur les polders de la rive gauche de l'Escaut, par M. A. De Hoon; 1 vol. in-8°, 1855. | | Commission royale d'histoire. — Recueil de documents histori- ques relatifs à la Belgique, 14 vol. in-4°, $ ES Compte rendu des séances de la Commission royale d'histoire ou Recueil de ses Bulletins, 16 vol. in-8° (1837-1849). — Nouvelle série, Lomé IV®, in-8° (1852). ù TR CRC ee s die. . ie A A à oo de re OU ME al HAN MATE re nt ele an ve A Ne eat a pr dti, W PTE APATUL wi! x Can 2,104 TT DANS w HAL jt VU H be W4- «tr 1 11 di 1 Wie il NE (l dinjen 4 Aide wyl re CITRON EE TETE De fr lee, Qt tte) , Nine ti de AU A Mullandye ” dildlen le als EAANMARAEN ; Wildu ami d " : n AA L state HIS Lu 4141) 4124 His AUTRE de TES a UU"! ddr d' (CRÉES pad Hp RÉCTEN HP a 1 À MUVY dl) aus ihy (Ii d