, liq. Ehrlich- Biondi), en certains points, la coloration rouge fait place à une teinte noir-bistre ou noir-verdâtre. Je pourrais multiplier ces ( 25 ) exemples. Faut-il ajouter que ce qui est vrai pour le contenu d'une même hyphe, l'est aussi pour celui des diverses hyphes d'un même objet? Voici qui montre encore la complexité de la constitution chimique du contenu. J'ai insisté plus haut sur l'existence d'un strié transversal chez les hyphes vasculaires de rhizo- morphes d'Armillaria mellea, après traitement par l'alcool au tiers, suivi de la coloration par le liquide Ehrlich-Biondi. Or, sur des fragments du même échantillon, enrobés au préalable dans la paraffine dans le but de les débiter en coupes microsco- piques, le strié, après coloration par la même teinture, a complètement disparu. Si on tient compte de ce que l'enca- stration dans la paraffine a exigé un assez long séjour des pièces dans le chloroforme, et que celles-ci ont passé en outre par la térébenthine pour les débarrasser de la paraffine, il semble tout au moins probable que la substance surtout avide de fuchsine acide et d'orange, et donnant lieu aux stries foncées, a été dissoute à la suite de l'action de ces réactifs. Dans une préparation fraîche de mycélium de Lepiota cepaestipes Sow., j'ai recherché la présence du glycogène, à l'aide du réactif d'Errera. Le résultat a été négatif; les hyphes à contenu homogène conservaient leur réfringence et présen- taient une coloration jaune d'or. Je n'ai nullement la prétention de vouloir tirer des conclu- sions générales des quelques observations qui précèdent. Toutefois, je ne crois pas aller trop loin en me basant sur ces observations, si incomplètes qu'elles soient, pour étendre aux hyphes vasculaires du mycélium la proposition que j'ai for- mulée à propos de celles du carpophore, à savoir que les hyphes vasculaires, autres que les laticifères des Lactario-Russulés, et qui correspondent aux canaux à suc, « Saftgefâsse », de Bonor- den, ne méritent pas, d'une manière générale, le nom de vais- seaux oléifères que leur a donné Fayod (15, p. 235; p. 31 du tirage à part). Signification physiologique. — Après avoir constaté la péné- tration des hyphes vasculaires dans les différentes parties du (26 ) carpophore, et en même temps, il est vrai, la présence du glycogène dans ces éléments, surtout dans le jeune âge, je les ai considérés comme jouant un rôle important dans la distri- bution des matériaux nutritifs (15, p. 235; p. 31 du tirage à part). La présence constante des hyphes vasculaires dans le mycé- lium, leur abondance et leur groupement si caractéristique dans certaines formes mycéliennes, notamment dans la forme cordonnée, donnent un nouvel et puissant appui à cette manière de voir ; ils prouvent en outre que les hyphes vascu- laires remplissent ce rôle distributeur, quelle que soit la nature de leur contenu. Comme je le rappelai en parlant des hyphes vasculaires du carpophore, d'après G. Massée, les laticifères sont incontesta- blement en rapport avec la nutrition, et servent de transport du matériel nutritif, en particulier sous la forme de glycogène (10, p. 207). Dans ses « Études relatives à l'anatomie physiologique des champignons », Gy. D'Istvânffy arrive à de semblables conclu- sions. D'après ce botaniste, les laticifères et les formations analogues constituent, dans le système nutritif, ce qu'il appelle Vappareil conducteur. Après avoir fait remarquer combien ces organes sont répandus, il ajoute : « La disposition de ces organes et leur présence chez toutes les formes que nous avons examinées, répondent au rôle que nous leur attribuons. Car je ne regarde pas comme un mélange de substances éliminées, le suc que la plupart renferment (par exemple dans les laticifères), mais comme des matériaux nécessaires à l'édification du corps et de la fructification » (9, p. 101). Il invoque aussi, et avec raison, comme argument à l'appui de sa thèse, les anasto- moses fréquentes des laticifères (avec les filaments du tissu conjonctif (9, p. 102). Il est généralement admis que les laticifères des Russules et des Lactaires sont destinés au transport des matières plas- tiques, et, plus d'une fois, on a fait un parallèle entre eux et les laticifères des phanérogames. Mais, entre les laticifères et (27 ) les autres hyphes vasculaires des champignons, il n'y a pas de différence fondamentale ; comme les recherches de D'istvànffy et Olsen l'ont prouvé, tous ont une origine identique, tous appa- raissent primitivement dans le mycélium ; s'il existe, d'autre part, certaines différences au point de vue de la forme et de la nature du contenu, on constate qu'une foule d'états intermé- diaires relient toutes ces variétés entre elles. Faut-il, dès lors, refuser aux hyphes vasculaires en général ce que l'on accorde aux laticifères? CONCLUSIONS. 1. Le mycélium des Autobasidiomycètes (Hyménomycètes, Gastéromycètes, Phalloïdes) renferme, d'une façon constante, des hyphes vasculaires. 2. Le nombre, la distribution, les dimensions, la forme de ces éléments varient, notamment d'après les diverses formes mycéliennes où on les observe. 3. Les hyphes vasculaires sont particulièrement nombreuses et groupées sous forme de fascicules axiles, dans les mycéliums spartoïde ou cordonné. 4. A part quelques rares exceptions, leurs dimensions (lon- gueur et épaisseur) l'emportent de beaucoup sur celles des hyphes ordinaires. 5. Elles ont en général une forme cylindrique; mais, indé- pendamment de cette forme qu'on pourrait appeler fondamen- tale, on rencontre les aspects morphologiques les plus divers : dilatations fusiformes ou claviformes, incurvations, unions en H, etc. Fréquemment elles se mettent en communication avec les hyphes ordinaires, par de fines branches anastomotiques. 6. Elles se montrent constituées : à) d'une enveloppe mince, extensible et élastique, et b) d'un contenu, le plus souvent homogène et très réfringent, d'autres fois granuleux. Dans cer- tains cas, on peut constater la présence de noyaux plongés dans une couche pariétale protoplasmique. 7. Les cloisons sont généralement nombreuses, et souvent ( 28 ) très rapprochées, complètes ou unilatérales. Parfois, une sorte de cylindre-axe traverse la partie centrale de la cloison, et Ton rencontre aussi des hyphes vasculaires sur le trajet desquelles deux segments plus ou moins écartés sont réunis par un sem- blable cordon axile. 8. La composition chimique variable et probablement très complexe du contenu ne justifie pas la dénomination d1 hyphes oléifères pour désigner tous ceux de ces éléments autres que les laticifères proprement dits. 9. Chez les Lactario-Russulés, les hyphes vasculaires du mycélium sont l'origine de toutes les hyphes vasculaires que renferme le carpophore. 10. La présence constante des hyphes vasculaires dans le mycélium, leur abondance et leur groupement si caractéris- tique dans certaines formes mycéliennes, notamment dans la forme cordonnée, leurs anastomoses avec les hyphes ordi- naires, leur continuité avec les hyphes vasculaires du carpo- phore, la nature spéciale de leur contenu, permettent de consi- dérer ces éléments en général, comme représentant un appareil conducteur jouant un rôle important dans la distribution des maté- riaux nutritifs. BIBLIOGRAPHIE. 1. Bary (A. de), Vergleichende Morphologie uvd Biologie der Pilze, Mycetozoen und Bactérien. Leipzig, 1884. 2. Bommer (Ch.), Résumé de la communication sur les sclérotes faite à la séance du mois de février 1891 (Bulletin de la Société royale de rotanjque de Belgique, tome XXIX, 2e partie, pp. 446-148; 4891). 3. Bommer (Ch.), Sclérotes et cordons mycéliens (sous presse). 4. Bruns, Beitrag zur Kenntniss der Gattung Polysaccum (Flora ODER ALLG. Bot. Zeitung, 4894, Heft 4). 5. Errera (Léo), Rapport sur un mémoire de M. Ch. Bommer : Sclérotes et cor- dons mycéliens (Bulletin de l'Académie royale de Belgique, 3e série, t. XXVII, mars 4894). 6. Fayod, Prodrome d'une histoire naturelle des Agaricinés. Paris et Gênes, 1889. ( 29 ) 7. FlSCHEK (E\em in K"_ T Ftff I Fig 7. SUR LE SYSTÈME FOCAL PAU Cl. SERVAIS PROFESSEUR A L UNIVERSITE DE GAND, (Présenté à la Classe des sciences dans la séance du 7 avril 1894.) Tome LU. SUR LE SYSTÈME FOCAL Dans notre mémoire : Les Imaginaires en Géométrie, nous avons déterminé les groupes représentatifs des éléments ima- ginaires d'une courbe gauche du troisième ordre, et démontré leurs principales propriétés. Il restait à établir les théorèmes fondamentaux du système focal (*), dont les tangentes à la cubique gauche sont des directrices, indépendamment de la réalité des éléments considérés. Tel est le but de la présente note; elle renferme une méthode particulièrement simple, pour la recherche des relations métriques dans le complexe linéaire. § I- i. Soient X, Y deux points réels ou imaginaires conjugués d'une courbe gauche du troisième ordre; x, y les plans osculateurs à la courbe en ces points. Un plan réel , mené par la droite XY, rencontre la courbe en un point réel M, et la droite (xy) en un point appartenant au plan oscula- (*) Le système focal et ses propriétés les plus importantes ont été découvertes par Môbius (Journal de Crelle, t. X, p. 317). Chasles les retrouva dans l'étude du déplacement d'un solide invariable {Aperça historique. Bruxelles, 1837, p. 674). Enfin, dans un mémoire sur les cubiques gauches {Journal de Liouville, 2e série, t. II', Chasles énonça le théorème suivant : Les points d'une courbe gauche du troisième ordre, étant considérés comme formant une première figure, les plans osculateurs en ces points forment une figure corrélative. Ces deux figures furent étudiées par H. Schroeter (Journal de Crelle, t. LVI, p. 27). ( 4 ) teur au point M ; car les plans oscillateurs à la cubique aux points X, Y, M se coupent en un point du plan (XYM) (*). Donc les plans réels osculateurs à la cubique décrivent sur la droite (xy), une ponctuelle perspective au faisceau de plans, qui projette leurs points de contact de la sécante réelle ou idéale XY. ~ Mais si XY, X,Y, sont deux sécantes, l'une réelle, l'autre idéale, les faisceaux qui projettent de ces droites les points de la cubique, sont projectifs (**) ; par conséquent les plans oscu- lateurs réels décrivent sur les intersections (xy) et (#,t/,), des plans osculateurs aux points X et Y, X, et Y„ deux ponctuelles projectives. Soient M, N, ... des points de la cubique gauche, M' et M", N' et N", ... les points d'intersection des droites (xy) et (xtyt) avec les plans osculateurs aux points M, N, ... Les droites M'M", N'N", ... sont des génératrices d'un hyperboloïde (H), inscrit dans la développable osculatrice à la cubique. Le plan n oscu- lateur à la courbe au point N rencontre la droite M'M" en un point K, par lequel passe un troisième plan osculateur réel nt. Ce plan ?i, est tangent à l'hyperboloïde (H), et ne peut contenir la génératrice M'M" ; il passe donc par la seconde génératrice issue du point K. Cette génératrice est la droite (nnt). Cela étant, soit (ABCD) un groupe représentatif sur la cubique d'un point imaginaire de celte courbe. Les plans osculateurs aux points A, B, C, D déterminent sur les droites (xy) et (nn,) les points A' et A„ B' et B„ C et C„ D' et D, tels que (A'B'C'D ) et (A,B,C,D,), sont deux points imaginaires du plan osculateur à la cubique au point (ABCD) (***). Les droites A'Aj, B'B,, C d, D'D, rencontrent (xiyl) aux points A", B ', C", D" et le point (A"B"C"D") appartient à la droite imaginaire de seconde espèce, déterminée par les deux points (A'B'C'D') et (AjB^D,). (*) Servais, Les imaginaires en géométrie (Mémoires in-8° de l'Aca- démie royale de Belgique, t. XLIX, Éléments imaginaires dans les courbes gauches du troisième ordre, § I, nos 3 et 6). C) Idem, loc. cit., § I, n° 7. (***) Idem, loc. cit., § IV, n° i. ( ï> ) Le point (A"B"C"D") est done situe dans le plan oscillateur au point (ABCD). Par conséquent : Si (ABCD) est un groupe représentatif sur la cubique d'un point imaginaire, les plans oscillateurs à la courbe aux points A, B, C, [) déterminent sur l'intersection de deux plans oscillateurs réels ou imaginaires conjugués, un groupe représentatif d'un point du plan oscillateur au point (ABCD). Corollaire. Les plans osculateurs réels ou imaginaires déter- minent sur les droites (xy) et (xlyi) deux ponctuelles projectives. 2. Les points de contact des plans osculateurs, menés du point 0 à une courbe gauche du troisième ordre, sont dans un plan passant par le point 0 (*). On donne à ce point 0 et au plan les noms de pôle et plan polaire. Tout pôle est situé dans son plan polaire. Soit un plan imaginaire (MNPQ), situé sur l'intersection de deux plans osculateurs, dont les points de contact E et F sont réels ou imaginaires conjugués. Les plans polaires des points M, N, P, Q forment le faisceau EF(MNPQ). Ce groupe sera, par définition, un groupe représentatif du plan polaire du point imaginaire (MNPQ). Si un plan oscillateur imaginaire passe par le point imaginaire (MNPQ), son point de contact est dans le plan polaire EF(MNPQ). Soit (ABCD) un groupe représentatif sur la cubique, du point dont le plan oscu'atcur passe par le point imaginaire (MNPQ). Les plans osculateurs aux points A, B, C, D déterminent sur la droite MN un groupe représentatif du point d'intersection de cette droite, avec le plan osculaleur au point (ABCD), (n° 1). L'hypothèse permet donc de supposer que les plans oscula- teurs aux points A, B, C, D passent respectivement par les points M, N, P, Q. De celte supposition résulte que le plan EFM passe par le point A; mais la droite EF est une sécante réelle ou idéale, donc le plan EF (ABCD) ou EF (MNPQ) passe par le point imaginaire (ABCD) (**). (*) Servais, loc. cit., § IV, n0* 8 et 9. O Idem, loc. cit., § I, n° 8. 1. ( 6.) 3. Soient EF, E,Fj deux sécantes réelles ou idéales, e

sont opposés; ce qui établit le théorème. 3. Faisceau de quatre plans passant par une droite imaginaire de seconde espèce. (Voir fig. 1.) Les supports p, q, r, s de ces quatre plans sont des directrices du système involutif gauche, qui, associé à un certain sens, représente la droite imaginaire considérée. Nous représenterons ces plans par les notations Pu Qh r» sf. Les supports /;, ç, r déterminent un système réglé, dont la droite imaginaire est une directrice. Si la droite s fait partie du système réglé, les quatre plans p{, qh r,-, st forment un groupe neutre; et le rapport anharmonique des quatre rayons p, q, r, s du système réglé est, par définition, le rapport anharmonique du faisceau imaginaire (pfljrflji Si la droite 6' n'appartient pas au système réglé, le plan s, (9) renferme une génératrice imaginaire de ce système, car il passe par une directrice, qui est la droite imaginaire, axe du faisceau de plans (7;//,^,). Celte génératrice a un groupe repré- sentatif («Ac,^), au /?,, Ci, du étant des rayons du système réglé. Le plan imaginaire s, est situé dans le sens /v/(r„ ou dans le sens r$,/?,? selon que les sens pqr et alblcl ou rqp et tfAcj sont concordants. Soient;;, et q{ les rayons conjugués de /; et q, dans le système réglé involutif (^c,, bM. Les deux rapports anharmoniques (PQ?Pi) et {PQrQi) et 'a concordance des sens pqr et a, Vi, ou l'oppo- sition, forment un système géométrique, auquel nous donnons le nom de rapport anharmonique du faisceau de plans (piq^s,). 4. Faisceau de quatre plans passant par une droite imaginaire de première espèce. (Voir fig. 1.) Les supports p, q, r, s de ces quatre plans, passent par le support de la droite imaginaire considérée. Ces plans seront représentés par les notations Vit q» r,i st. Les droites;;, q, r déterminent un cône du second degré, ayant pour génératrice la droite imaginaire, axe du faisceau de plans (;v/,r,-s,.). Si le rayon s est une génératrice de ce cône, les quatre plans /;,, qiy r,, s, forment un groupe neutre, et le rapport anharmonique des quatre génératrices;;, r/, r, s du cône est, par définition, le rapport anharmonique du faisceau imaginaire (piq^Sj). Si la droite s n'est pas située sur le cône, on détermine un groupe représentatif {afi&dj sur cette surface, de la génératrice imaginaire, qui correspond à l'axe du faisceau, dans l'involu- tion ayant pour rayon polaire la droite s. Le plan imagi- naire S{ est situé dans le sens ;;,(frr< ou r,ç,p,-, selon que les sens pqr et a,fc,c, ou rqp et «^c, sont concordants. Soient /^ et qx les génératrices conjugées à;; et r/, dans l'in- volution (a,c,, bidi). Les deux rapports anharmoniques (pqrp,) et (pqrq{), et la concordance des sens pqr et a,^ ou l'op- position, forment un système géométrique, auquel nous donnons le nom de rapport anharmonique du faisceau de plans (jv/.r^). ( 10) 5. Considérons les deux groupes P.Q.RjS, etpfl,r#t. S'ils sont neutres, l'égalité des rapports anharmoniques sera exprimée par (PQRS; = (pqrs). Dans le cas contraire, régalitè des rapports anharmoniques exige que les sens PQR et A^Cj, pqr et a1&ic, soient simulta- nément concordants ou opposés, et que les égalités (PQRP1) = (pWl), (PQRQi) = (/"/"/,) soient satisfaites. Symboliquement, on écrira : (l>,Q,, c,, cU, pl} qv du système réglé pqr, («i&,c,*/t) sera le groupe représentatif de la génératrice imaginaire située dans le plan st, et;;,, i = (PQRPi), *2=(PQRQ,), associés à la concordance des sens PQR et L,M,N,. (20) Le rapport anharmonique (BACD) est défini par les rapports *-=(QPRQ,). ^-(QPRPi), associés à l'opposition des sens QPH et LjM,N,. Ces rapports sont liés entre eux par les relations L'égalité (ABCD) == (BACD) est impossible aussi longtemps que (ABCD) n'est pas un groupe neutre; car les sens PQR et LjMjN,, QPR et LAN, ne peuvent pas être simultanément concordants ou opposés. Il résulte de là que si cette égalité existe, le groupe (ABCD) est neutre, et dans ce cas l'égalité (PQRS) = (QPRS), exprime que le rapport (PQRS) ou (ABCD) est harmonique. Propriété du quadrilatère complet. (Voir fig. 5\) Soient ABA'B' les sommets d'un quadrilatère imaginaire; E, F, D, ceux du triangle diagonal (nous supposons le point D situé sur AB) ; C et C, les points de rencontre des droites AB, A'B' avec la droite EF, on a (ABCD) = (A'B'C'D), (A'B'C'D) = (BACD); donc (ABCD) = (BACD); par conséquent (ABCD) est un groupe harmonique. 4. Relations entre les rapports anharmoniques fondamentaux. Soit R, le conjugué du point R dans l'involution (PP,, QQ,) ; les rapports anharmoniques (ACDB) et (ADBC), respectivement égaux à (CABD) et (BCAD), seront définis par les rapports v, = (RPQBt), * = (RPQP,), Pl = (QRPQ,), p2 = (QBPR,); (*) D'après le n<> 4, § VIII, ces égalités montrent que le produit des modules des rapports anharmoniques (ABCD) et (BACD), est égal à l'unité. ( 21 ) chacun des couples v4v2l p,pa étant associé à la concordance des sens PQR et L.M^,; car les sens PQR, RPQ, QRP sont identiques. Entre les rapports anharmoniques \\,, v,v8, p,p2, qui servent à définir les rapports fondamentaux (ABCD), (ACDB), (ADBC) existent les relations 1 1 p, H-- = I, A, -+- -= I, À2 v.2 I yt + - = I • P2 Ces relations démontrent la propriété. Soient P, Q, R, S, I gwafrtf poin/5 réels et un point imaginaire situés dans un même plan; 2,, 22, 23, /es coniques circonscrites aux triangles PQR, PRS, PQS e/ passant par le point I. Les droites SI, QI, RI rencontrent respectivement les coniques!^ 22, ^3 aM# ;;o/n/s imaginaires I,, (,, [3 f/e'/mîs /;ar /es involutions (PP. Qui), (PP2, RR,\ (PPr„ SS,), associées aux sens L.M.N,, L2M2N2, L3Mr>N3 sur /es coniques 2,, £„ 23; on a I V V " (PRSK2) 1 (PRSPJ-4- = I, ; (PSQS3) 1 ' (PQRQ.) Les sens PQR et LAN,, PRS et L2M2N2, PSQ et L3M3N3 sont simultanément concordants ou opposés. 5. Rapport équianharmonique. L'égalité des rapports fonda- mentaux (ABCD) et (ACDB), exige que l'on ait : A, = v,, A2 = j/.2. La condition relative aux sens est satisfaite (n° 4). ( 22 ) La relation devient alors i \ + -= l, \ Aj -4- - = 1 ; Aj et en la combinant avec les suivantes P on trouve par conséquent : 1 \ -*- - = 1 , vt h — = 1 ; *l === PU *J — P2Î (ABCD) = (ADBC). L'égalité de deux des trois rapports fondamentaux, entraîne celle des trois rapports. Les égalités (PQRP1) = (QRPQ1), (PQRQ.) == (QRPR,), (RPQig = (QRPQ,); montrent que PQR, P1Q1RI sont deux ternes d'une projectivité cyclique; mais les couples PP„ RR,, QQ, sont en involution, par conséquent IS rencontre la conique £4 en un point double de la projectivité cyclique (PQ, QR, RP). Il en résulte que V=-, A2 = 2. Le rapport équianharmonique est donc défini par deux rap- ports anharmoniques, dont les valeurs sont ~ et 2. 6. Supposons que le rapport anharmonique (ARCD) soit purement imaginaire, et que son facteur réel soit (PQRM) (fig. 9) ; (23) le rapport anharmonique (BACD) sera aussi purement imagi- naire et son facteur réel est (QPRM,). Mais (QPRM1) = -(QPRM, = -^); par conséquent : Si les rapports anharmoniques (ABCD) et (BACD) sont pure- ment imaginaires, leurs facteurs réels sont inverses et de signes contraires. Le rapport (BACD) étant égal à (ABDC), ce dernier sera purement imaginaire; par conséquent : Soient P, Q, R, S, I quatre points réels et un point imaginaire situés dans un même plan; 2, et 22, les coniques circonscrites aux triangles PQR et PQS, et passant par le point I. Les droites SI et RI rencontrent respectivement les coniques I{ et 22l en deux points imaginaires I, et I2. Si les points PQ sont conjugués dans Vinvolution qui, sur la conique 2„ définit le point I„ ils seront aussi conjugués dans Vinvolution qui, sur la conique 22, définit le point I2. Le second rapport fondamental (ACDB) ou son égal (CABD), sera défini par les rapports A1 = (RPQR2), A2 = (RPQQ) = 1, si R2 est le conjugué de R dans l'involution (PQ, MM,). Le troisième rapport (ADBC) ou (BCAD) est défini par At = (QRPP) = 1 , x, = (QRPR2). D'après le n° 4, § VIII, on a : (RPQR2) = [module (ACDB)]*, (QRPR2) = [module (ADBC)]2. Mais (QRPR2) = ; VV *} \— (RPQR2)' par conséquent, si (ABCD) est un rapport anharmonique pure- ment imaginaire, les carrés k2 et h2 des modules des rapports (24) anharmoniijues fondamentaux (ACDB) et (ADBC), sont liés entre eux far la relation 1 - k* S IV. Correspondance quadratique. i. La projectivité imaginaire d'un groupe neutre, et de son rapport anharmonique, nous permet d'arriver aisément aux principaux résultats, obtenus par M. Ernst Kôtter, dans son intéressante étude sur la correspondance des supports réels de deux éléments homologues, dans deux formes perspectives imaginaires. Considérons une ponctuelle imaginaire et un faisceau de rayons à centre imaginaire perspectifs. (Voir fig. 8.) Soit S le support de la ponctuelle, a celui du centre (A) du faisceau; (KHK'H'), un groupe représentatif harmonique de ce point; S(KH,K',H',), un groupe représentatif harmonique de la droite imaginaire. Menons par le point K une droite p rencon- trant les droites SH,, SKJ, SH', aux points H,, K',, H',. Les droites HH,, K'K',, H, H', concourent en un point P, qui est le support réel du rayon, correspondant au point de la ponc- tuelle imaginaire situé sur p. Si la droite p tourne autour du point K, les deux faisceaux engendrés par les droites HH, et K'KÎ sont perspectifs, et le point P décrit une droite passant par le point S. Soient K, et (B) les points d'intersection de la droite a, avec le rayon SP et la ponctuelle imaginaire; (A') et (B'), les points imaginaires conjugés de A et B. Les deux quaternes(A)(A')KKj, (B) (B') KK, sont projectifs, car ils sont projetés respectivement des points P et S, sur la droite KH„ suivant le même quaterne. Les six points KK,, (A) (B'), (A') (B) sont donc en involution. Par conséquent : Si le point P décrit un rayon SP, la droite p tourne autour d'un point fixe K de la droite a. Les droites SP (25) et SK décrivent une involution, déterminée par le couple d'élé- ments S (A), S(B'). La ponctuelle et le faisceau décrits par les éléments P et p, sont projectifs. Si les supports P, P4, P*, Pr>, des rayons du faisceau (À) sont sur une droite / ne passant pas par le point S, ou sur une conique 1 passant par le point (A), les supports p, /?,, p.,, p-0, ... des points correspondants de la ponctuelle imaginaire, enve- loppent une conique tangente à la droite imaginaire S(B); car le groupe (A) (PjP.Pjy étant neutre par hypothèse, son cor- respondant sur la ponctuelle imaginaire le sera aussi ; les droites p, ph p», p5, S(B) sont donc tangentes à une même conique 2*|t Les rapports anharmoniques des deux groupes étant égaux, on a (PP,(PQRI) = A'(PQRI) ' . (b) Si ki est une autre sécante imaginaire, on a fc,(PQRl) = /i'(PQRI), d'où //l(PQRI) = A,(PQRI) (c) Si la sécante /, a un point réel E sur la cubique, cette droite est une génératrice imaginaire du cône (E) perspectif à la cubique, et on a (n° 6, § IV) : <,(PQKI)=»EE,(PQRI), donc /,.(PQRI) = /,4(PQR1) ( Archives du conseil privé, carton 466. 1 Art. XXIX et XXXII. a Art. XXXII. ( 13 ) La mort de Charles le Téméraire fut dans les Pays-Bas le signal d'une grande révolution. Les villes, si jalouses de leurs privilèges amoindris ou supprimés par les princes de la maison de Bourgogne, s'insurgèrent contre la faible héritière du dernier duc et firent crouler en un jour le long travail de centralisation poursuivi avec tant d'ardeur par nos princes pendant tout un siècle. Le particularisme reprit le dessus. Toutes les créations unitaires des ducs furent détruites. Quelques-unes à peine échappèrent au désastre; encore ne survécurent-elles à cette tourmente que profondément modi- fiées. La journée du H février 1477 consacra le triomphe, éphémère d'ailleurs, de l'esprit médiéval sur la tendance cen- tralisatrice de la politique moderne *. Que devint le conseil privé dans ce désastre? Nul doute qu'il subsista, mais il dut certainement perdre tout caractère offi- ciel par le grand privilège de 1477 imposé à la duchesse. On ne trouve en tout cas nulle part mention de sa suppres- sion. D'ailleurs, nul ne pouvait empêcher la duchesse d'avoir devers elle et de consulter, quand il lui plaisait, un con- seil composé d'un certain nombre de personnes dévouées. Une preuve, au contraire, de l'existence de ce conseil après le 11 février 1477, se trouve dans ce fait que la duchesse, en tête de documents importants octroyés par elle, dit qu'elle les a fait rédiger après avoir ouï l'avis « des princes du sang et des » membres du conseil » (30 mars 1477), ou bien « de ses » neveux le duc de Clèves et Adolphe, seigneur de Ravenstein, » stadhouder général, et de son grand conseil » (21 avril 1477) 2. Quoi qu'il en soit, ces institutions privées des princes bour- guignons constituaient un acheminement vers l'établissement d'une direction générale dans les affaires des Pays-Bas. Les ducs paraissaient même appelés à la constituer définitivement. Le pouvoir souverain semblait devoir prendre dans leurs mains assez de consistance pour briser les barrières qui s'élevaient 1 Fréderichs, Le grand conseil ambulatoire des ducs de Bourgogne, p. 37. 2 Idem, ibid., p. 39. ( a ) entre les provinces. En fortifiant et en régularisant l'action du pouvoir souverain, et en travaillant à établir l'uniformité dans les institutions, les princes de cette maison ont prouvé qu'ils avaient compris les obstacles qui s'opposaient à une fusion entre les provinces belgiques et le but vers lequel ils devaient diriger tous les efforts. Et si des circonstances malheureuses les empêchèrent de voir se réaliser le vaste plan qu'ils sem blent avoir médité, leurs travaux n'en furent pas moins utiles à la Belgique en préparant les esprits aux changements qui s'opérèrent sous leurs successeurs. Après la mort de Marie de Bourgogne, Maximilien, qui gouverna les Pays-Bas au nom et comme tuteur de son fils Philippe, continua de se servir de l'assistance d'un conseil privé *. Mais ayant été appelé, en 1493, à succéder à l'empe- reur Frédéric III, il quitta la tutelle de son fils qu'il fit inau- gurer souverain des Pays-Bas l'année suivante. Philippe le Beau eut, lui aussi, dès le début de son règne, son conseil privé. Nous en avons comme preuves des lettres écrites à ce corps par l'empereur Maximilien 2. C'est sous le règne de ce jeune prince que devaient être jetées définitivement les bases d'une centralisation qui n'avait été que rêvée jusqu'alors ou timidement essayée. Le gouver- nement, plus assuré du succès de ses efforts, chercha à diriger la marche des idées; il multiplia les institutions qui, préconi- sées comme des mesures d'ordre, furent les liens inextricables dont il se servit pour anéantir la liberté. L'autorité souveraine ne tarda pas à s'étendre, à peser, à grandir et à se constituer en pouvoir absolu. Les progrès de ces tendances s'affirmèrent surtout en 1503. Philippe le Beau ressuscita, le 22 janvier de cette année (v. s.), le parlement de Malines et le divisa en deux classes : l'une, composée du chancelier, de quatre maîtres des requêtes de 1 Wynants, Hist, du ministère collatéral, aux Archives du royaume. 2 Gachard, Lettres inédites de Maximilien, dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, t. II et III. ( lo ) son hôtel et de trois autres personnages, devait le suivre par- tout; elle était employée aux affaires d'État; elle constituait son conseil privé. L'autre fut établie à Malines, sous le nom de grand conseil, pour vaquer aux affaires de justice contentieuse. Celui-ci avait donc une résidence fixe; le premier était ambu- lant. Néanmoins, ces deux conseils ne formaient en réalité qu'un seul collège. Quand les maîtres des requêtes effectifs se trouvaient à Malines, ils avaient voix et séance au grand con- seil 1. Après le trépas de l'archiduc Philippe et pendant la mino- rité de l'archiduc Charles, l'empereur Maximilien confirma, en 4508, l'établissement du conseil privé pour assister l'archi- duchesse Marguerite, sa fille, qu'il avait établie régente des Pays-Bas par acte du 18 mars de la même année. Il ordonna que toutes matières d'importance, telles que bénéfices, offices, grâces et autres, qui ne pouvaient être dépêchées sans le su et le consentement du prince, seraient remises à l'archiduchesse et à ceux de son conseil privé pour « estre par eux appointées et vidées 2 ». Par lettres patentes du 20 décembre lo'15 3, l'archiduc Charles confirma à son tour l'institution faite par Philippe le Beau du grand conseil et du conseil privé, à charge pour l'un et l'autre de ces deux corps de pourvoir aux affaires de leurs offices comme il leur avait été prescrit par Charles le Téméraire et Philippe le Beau. Il fit même défense à ceux du grand conseil de connaître des affaires concernant ses domaines, les aides, les finances et les comptes, à moins d'y être spéciale- ment autorisés par lettres du conseil privé. i Butkens, Trophées de Brabant, suppl., t. II, liv. III, p. 299. — Poullet, Hist. du droit pénal dans le duché de Brabant depuis Charles- Quint, p. 24. — Placards de Brabant, t. IV, p. 328, art. 1 et 2 du règle- ment. — Fréderichs, ouvr. cité, p. 47. — Archives du conseil privé, carton 466. — Art. 14 du règlement de 1503. 2 Archives du conseil privé, carton 466. 3 Archives du conseil privé, carton 466. — Reg. de la chambre des comptes, n° 915. ( 16 ) Ces deux collèges subsistèrent de la sorte jusqu'en 1517 *, quand Charles-Quint apporta à cette organisation gouverne- mentale de notables changements. Avant cette époque, le conseil privé ne constituait pas un conseil formé; il ne s'as- semblait pas régulièrement; il n'avait pas d'instruction spéciale pour la direction des affaires; enfin, il n'avait aucune juridic- tion bien déterminée 2. Lorsque Charles-Quint prit possession des provinces belgi- ques, il se vit entouré des mêmes obstacles qui avaient paralysé les efforts de ses prédécesseurs dans le but de faire de ces provinces un État homogène, régi par les mêmes institutions. Mais la Belgique, formée par l'effet d'un assez grand nombre d'années à l'autorité d'un même maître, se trouvait dans une situation plus propre à seconder l'accomplissement du dessein que nourrissait ce monarque de doter ses États d'un gouverne- ment fort et puissant. D'ailleurs, des intérêts majeurs allaient appeler Charles à être plus souvent à Madrid qu'à Bruxelles et à Gand. Cette situation du pouvoir souverain devait évidem- ment le porter à désirer une certaine concentration, une cer- taine unité dans l'impulsion à donner à nos provinces, liées entre elles par des besoins et des intérêts communs. Aussi, Charles n'hésita pas à reprendre et à continuer par étapes l'œuvre de ses prédécesseurs. Il travailla comme eux à faire un État homogène de ces pays qui, quoique soumis depuis plus d'un siècle à une même famille, se cantonnaient encore avec obstination dans l'isolement et se jalousaient les uns les autres. Un écrivain du XVIe siècle démontre comme suit la nécessité pour un pays tel qu'était alors le nôtre, d'être dirigé et admi- nistré par un conseil adjoint au souverain : « Or, comme la vie » de l'homme, pour jeune qu'il soit, est incertaine et que le 1 Verhoeven, Mém. hist. et polit, sur la constitution brabançonne, p. 39. — Gachard, Analectes belgiques, t. II, p. 539. (Consulte du conseil privé du 2 juin 1766.) 2 MS. 15206, p. 132, de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. ( 17 ) » changement pour ce suject, doit estre toujours appréhendé, » avecq raison, on doit establir en ce pays-cy, qui nécessaire- » ment doit estre toujours éloigné du roy, une forme de gou- » vernement qui soit perpétuelle, je veux dire des consaulx :» composez de personnes ayant connoissance parfaite de » toutes les affaires importantes au service du roy, ou au bien » des Pays-Bas; desquels les gouverneurs pourront tirer leurs » instructions nécessaires et en cas de mort ou de changement, » ils pourront suppléer à leurs défauts. Au moyen de quoy » ce pays sera toujours bien gouverné d'une mesme sorte, » autrement, autant de gouverneurs autant de façons de gou- » verner, l'un ne faisant ce que l'autre aura fait, ce qui ne » peut faire que de mettre le pays en une continuelle confu- » sion... Il faut qu'un pays éloigné du roy soit gouverné par » une façon stable, ordinaire et permanente; et ses fondements » d'Estat et politiques conformes à son naturel et situation et » non aux accidens qui peuvent survenir, qui doivent aussi w faire changer les accidens du gouvernement mais jamais ses » fondemens ; laquelle façon ne peut être maintenue sans les » consaulx lesquels étant astreints à suivre nécessairement les » instructions et règlemens que le roy leur donne, se gouver- » nent selon ses institutions; de sorte que le roy gouverne » estant absent, comme s'il estoit présent; par dessus quoy, » les peuples voyans dans ces consaux ceux de leur pays, » pensent estre gouvernez par leur prince naturel, ny ayant v rien dont ils se dégoustent plus et qui les oblige plus à » penser à des nouveautez que lorsqu'ils se voient gouvernés )> par des estrangers * ». C'est ce qu'avait prévu si prudemmentCharles,lorsqu'enl517 ce monarque résolut d'aller prendre possession des royaumes d'Espagne qui lui étaient échus par la mort de Ferdinand et d'Isabelle. Voulant pourvoir, pendant son absence, à la conduite des affaires et au gouvernement des Pays-Bas, et ne jugeant pas à propos de préposer à ces pays un lieutenant, 1 Mémoires relatifs à Vhist. de Belgique, n° 28, p. 5. Tome LU. 2 ( 18 ) il institua et établit un conseil privé près de la personne de Marguerite, archiduchesse d'Autriche, douairière de Savoie, sa tante. Les lettres patentes de l'établissement de ce conseil furent données à Middelbourg, le 23 juillet 1517 i. Charles nomma l'empereur Maximilien surintendant de ce conseil, ce prince lui ayant promis de prêter, à sa demande, ses secours et son autorité même en personne, s'il arrivait que, pendant le séjour de Charles en Espagne, des affaires survins- sent aux Pays-Bas, de telle importance que les membres du conseil ne pourraient y suffire seuls. Il composa ce conseil des personnages suivants : Claude de Carondelet, Philibert Naturel, le sire d'Arenberg, Robert de la Marck, châtelain de Bruxelles, Antoine de Ligne, Guillaume de Rogendorff, Claude de Bonard, Philippe Dales, Nicaise Hackeney, Christophe de Barouze, le seigneur de Dormans, Louis de Ligne, Louis Quarré, Gérard de Plaine, Louis de Flandre. Venaient ensuite, en qualité de conseillers et maîtres aux requêtes : Jean Caulier, Jean Jonglet, Jean le Sauvage, Dismas de Berghes, Hugues Marmier, Antoine de Metteneye, Louis de Maranches, Liévin de Pottelsberghe, Antoine de Waudripont, Antoine Suquetet Jean aux Truyes. Le conseil avait pour secrétaires : Philippe Haneton, premier secrétaire et audiencier, seul signant en finances; Laurent du Blioul, Jean de Marnix, Charles de la Verte-Rue, Jean de la Saulch, Guillaume des Barres, Remacle d'Ardenne, et un secrétaire « espaignard ». Ces secrétaires et « nuls autres y avoient entrée et pouvoir de dépescher les » lettres, actes, provisions délibérés et conclus audit privé » conseil, selon que par le chef et par l'advis des conseillers » leur étoit ordonné et commandé. » Enfin, il y avait deux huissiers d'armes et plusieurs messagers. Marguerite ne figu- rait dans ce conseil qu'au même titre que les princes du sang et les chevaliers de la Toison d'or. La présidence du conseil était donnée à Claude de Carondelet. 1 Reg. de la chambre des comptes, n° 1325, fol. 9. — Loovens, Manier van proc, t. III, p. 109. ( 19 ) Ce conseil était chargé de pourvoir au gouvernement des Pays-Bas et à la conduite des affaires pendant l'absence et le voyage du roi. Il devait résider en tel lieu que le roi lui ordon- nerait et y siéger tous les jours deux fois, à savoir : depuis 8 heures jusqu'à 10 heures avant midi et de 3 à 5 heures après midi, en toute saison de l'année. Il ressort de l'autorité et des instructions qui lui furent don- nées, que ce conseil fut un conseil de régence et de gouverne- ment, vu qu'il avait la faculté de « traiter, besoigner, terminer » et conclure, à pluralité d'opinions, toutes les matières et » affaires concernantes lesdits pays ; ordonner et faire dépes- » cher toutes matières et provisions tant de justice comme de )) police, grâces, rémissions et pardons, sauf et réservé des cas » énormes, à scavoir des crimes de lèse-majesté, sodomie, » hérésie, mutineries, cas de guet-apense et aultres sem- » blables * ». Pour les offices, le conseil en avait la collation quand ils viendraient à vaquer soit par mort, résignation ou expiration de fermes. Toutefois, pour les offices de certaine importance, comme ceux de gouverneurs, de conseillers, de maîtres aux requêtes, des comptes, des recettes générales, le roi s'en réservait la disposition expresse. Les états étaient aussi soumis à l'autorité du conseil. Celui- ci pouvait les convoquer en assemblées particulières ou géné- rales au lieu de sa résidence ; leur proposer toutes matières ou affaires; demander des secours, des aides et des subsides; enfin, communiquer avec eux comme si c'était le roi lui-même. Quant aux évocations des causes, le conseil avait aussi pou- voir et autorité sur le grand conseil de Malines, comme sur toutes les cours et conseils de justice du pays. Enfin, pour les bénéfices de la collation du roi, le conseil devait les conférer aux personnes inscrites et dénommées au rôle que le roi lui-même avait dressé, « chacun à son tour », et les lettres patentes de collation devaient être dépêchées selon 1 Lettres patentes du 23 juillet 1517. ( 20 ) l'ordre de ce rôle, « sans reculer d'un pour avancer l'autre ni » y faire aucune fraude ou déception ». Le chef du conseil avait la garde des sceaux; il présidait, proposait et mettait les affaires en délibération; demandait et recueillait les opinions; faisait dépêcher les lettres et provi- sions délibérées par le conseil. Celles-ci portaient en vedette : Le roi en son conseil. Si « en la délibération et conclusion des » affaires survenait quelque difficulté notable et chose d'im- » portance », il devait en référer au roi. Les affaires urgentes, ne permettant pas d'attendre la réunion du conseil, pouvaient être expédiées après avoir été examinées par le chef et par Antoine de Lalaing, chef des finances, ou par l'un des deux. En cas de maladie ou d'empêchement de Claude de Caronde- let, Jean Caulier était appelé à le remplacer. La garde du cachet que Charles as se visiteront et marqueront assavoir : celles » de justice par moi, De Palerme et les autres concernant le fait de l'Estat » par moi de Hoghestrate et seront signées de nos secrétaires et cache- » tées du cachet armoyé de voz armes; que, chacun jour, se tiendra » conseil deux fois pour l'expedicion de vosdictz affaires ; que vostre scel » continuera comme paravant, et que, es lettres patentes d'importance, » se mectra, avant le dispositif d'icelles, à la délibération des chiefet gens » de vostre privé conseil, et à la signature se mectront les présens à la » deliberacion d'icelles. Et se tiendra cest ordre tant et jusques à ce qu'il » plaise à vostredicte majesté autrement y pourveoir et ordonner. » (Gachard, Documents inédits, t. I, p. 297.) r> Gachard, Doc. inéd., t. I, p. 301. ( 28) une lettre du 3 janvier, dans laquelle il lui exprimait la con- fiance qu'il avait placée en elle. La reine Marie, après bien des hésitations, se rendit aux vœux de son frère et fut installée dans sa nouvelle dignité le 6 juillet 1531, par l'Empereur lui- même, en présence des grands dignitaires du pays. Cependant ces conseils successifs, établis en 1517, en 1520 et en 1522, ne furent que le prélude de changements plus importants que méditait Charles-Quint et que l'année 1531 vit éclore. Ce prince résolut alors de régulariser et de perfec- tionner une institution qu'il avait essayée depuis quelques années. Il prévoyait qu'il ne lui serait guère possible de faire des Pays-Bas sa continuelle résidence. D'ailleurs, l'expérience lui avait appris que, dans un pays tel que la Belgique, com- posé de parties hétérogènes, où chaque localité avait ses coutumes et ses privilèges particuliers, et où les revenus publics n'avaient pas de base fixe, un seul conseil n'aurait pu suffire à l'administration de toutes les affaires. Il résolut donc de le diviser en plusieurs départements, tout en conservant au gouvernement l'unité qui lui était nécessaire. C'est dans ce but qu'il constitua, par lettres patentes données à Bruxelles le 1er octobre 1531 <, avant de partir pour l'Espagne, les trois conseils, d'État, privé et des finances, qui furent nommés colla- téraux, soit parce qu'ils exerçaient l'un à côté de l'autre une autorité parallèle, ou plutôt, ad latus principis, comme étant les conseils naturels du souverain, attachés à sa cour et à sa personne ou à celle de son délégué. II en fit les ressorts prin- cipaux du pouvoir central, destinés à faire pénétrer sa pensée jusqu'aux extrémités du pays et à faire remonter jusqu'à lui les besoins et les vœux du pays lui-même. Leur résidence fut fixée à Bruxelles, que dès lors on considérait déjà comme le siège du gouvernement et la capitale du pays. Le 7 octobre, les états généraux furent réunis pour recevoir les adieux de Charles-Quint et prendre communication des ordonnances qui 1 Reg. de la chambre des comptes, n° 120, fol. 30 v°. — Loovens, ouvr. cité, t. III, p. 157. ( 29 ) modifiaient et perfectionnaient l'organisation du gouverne- ment. Les trois conseils collatéraux avaient une activité égale ; ils étaient indépendants l'un de l'autre. Mais le conseil d'État était, à beaucoup près, le plus important des trois. Il avait à s'occuper de toutes les hautes questions gouvernementales, de la paix, de la guerre, des traités et des affaires politiques intérieures et extérieures; il était le principal pivot de la poli- tique des Pays-Bas. Nous verrons comment, sous Philippe II et ses successeurs, le conseil d'État perdit de fait cette impor- tance et comment, en 1725, son autorité fut annihilée de droit au profit du conseil privé. Désormais, l'organisation centrale des Pays-Bas est consti- tuée. Le pouvoir central, par ces rouages administratifs, pourra pénétrer dans le détail journalier des affaires; il trouvera dans cette œuvre de puissants leviers d'action gou- vernementale; il sera le moteur de la politique intérieure et, si des entraves viennent encore à gêner la liberté de ses allures, il s'en dégagera adroitement ou violemment. Et les représentants du souverain dans les provinces, en répercutant l'impulsion qu'ils recevront d'en haut, entraîneront dans les idées du courant centralisateur les pays confiés à leurs soins. Plusieurs fois cependant, après Charles-Quint, on voulut introduire des changements à cette constitution; mais l'expé- rience qui obligea bientôt à la rétablir, démontra combien elle était appropriée aux véritables intérêts du pays. Pendant près de trois siècles, elle subsista telle que son auteur l'avait fondée, et il fallut pour l'anéantir un des plus grands événe- ments dont l'histoire fasse mention. ( 30 ) CHAPITRE II. HISTOIRE DU CONSEIL PRIVÉ, DE 1531 A 1702. § 1. Le conseil privé pendant le règne de Charles- Quint. Selon les instructions du 1er octobre 1531, le conseil privé était composé d'un chef, d'un président, de deux conseillers ecclésiastiques, de trois conseillers laïcs et de huit secrétaires. Jean de Carondelet, archevêque de Palerme, fut confirmé dans la place de chef qu'il occupait déjà au conseil précédent, et le président du conseil de Flandre, Pierre Tayspil, fut appelé aux fonctions de président. Les autres membres étaient : Georges de Themsutre, prévôt de Cassel ; messire Claude de Boisset, commendataire de l'abbaye de Fareney et grand archidiacre d'Arras; messire Jean Jonglet, seigneur du Maretz; messire Jean aux Truyes; messire Claude Marinier, seigneur d'Eschou- vannes, en qualité de conseillers et maîtres aux requêtes ; mes- sire Laurent du Blioul, audiencier; messire Jean de laSaulch, Georges d'Espleghem, Jean de Grutere, Philippe Vauchier, Louis de Zoëte, Mathieu Strick et Jean Herdinck, secrétaires. Les membres du conseil des finances avaient aussi entrée au conseil privé, quand il s'y traitait des questions relatives aux domaines et finances, ou toutes autres matières de leur charge, pour autant toutefois qu'ils y fussent appelés par la reine. Il en était de même des conseillers et officiers du grand con- seil et des autres conseils de justice pour ce qui dépendait de leurs charges ou offices. Le conseil privé devait suivre la reine là où elle trouverait bon de séjourner. Le chef ou, en son absence, le président, devait faire rapport à la reine, de jour à autre, de toutes les choses importantes qui se traitaient au conseil et les soumettre à son homologation. Aux termes de ses instructions, le conseil privé était chargé de traiter « les affaires de la suprême hauteur et souveraine ( 31 ) » autorité du prince, choses procédant de grâces tant en civil » qu'en criminel, qui étaient par-dessus les termes, train et » cours ordinaire de la justice ». Ses principales attributions consistaient dans la direction et dans la surveillance de la jus- tice et de la police du pays; dans la confection des projets de lois; dans la promulgation des édits et des statuts; dans l'in- terprétation des lois en vigueur. L'article 8 de l'ordonnance recommandait tout spécialement au conseil de ne pas accorder facilement et sans urgente néces- sité des choses de notable conséquence, qui pourraient direc- tement ou indirectement être pour le présent ou pour l'avenir préjudiciables au souverain, au bien public ou particulier de ses pays ou de ses sujets. L'Empereur voulait que dans ces cas on prît l'avis des gouverneurs, des cours provinciales ou d'autres officiers, et qu'on fît ensuite rapport des délibérations à la reine régente. Le conseil privé avait donc, dans les cas graves, la faculté de recourir aux lumières et à l'expérience de membres extraor- dinaires, à de hauts fonctionnaires dont je comparerais volon- tiers la mission au rôle des conseillers d'Etat en service extra- ordinaire. C'est à ce titre que nous verrons, plus d'une fois, des membres du conseil de Malines et d'autres conseils de justice prendre part aux travaux du conseil privé. Organes du droit, guides sûrs dans la confection et dans l'application des lois, ces jurisconsultes parvinrent à imprimer à la législation ce caractère d'unité dont elle manquait jusqu'alors. Aussi, à partir de 1531, on remarque plus de suite dans le recueil de nos lois, qui n'offrait précédemment qu'une série d'édits consacrés chacun à un objet différent, publiés à des intervalles éloignés et ne contenant en général que des dispositions mal coordon- nées. Les lois destinées à produire des changements radicaux ou à introduire des dispositions nouvelles sont désormais réunies, inspirées par une pensée commune et rédigées d'après les vrais principes de la jurisprudence *. 1 Henné, Hist. de Charles-Quint, t. V, p. 171. ( 32 ) Par le surplus des instructions, il était réglé en quelle forme, sous quel nom et comment devaient être marquées, signées et scellées les dépêches et provisions accordées au conseil. Nous en parlerons plus loin. Le conseil privé de 1531 n'avait plus le caractère de ceux institués précédemment par Charles-Quint; ce n'était plus, comme celui de 1517, entre autres, un conseil de régence, mais un conseil purement consultatif. A l'exception de certains cas dans lesquels il avait, en vertu de ses instructions, le pouvoir de disposer, il devait faire rapport à la gouvernante et attendre sa résolution. Investie à 26 ans du gouvernement des Pays-Bas, Marie de Hongrie s'effrayait de l'immense responsabilité qui allait peser sur elle. Placée entre l'Allemagne et la France, elle était appelée à devenir la sentinelle de Charles-Quint, l'auxiliaire le plus actif de ses vastes desseins, le soutien inébranlable de sa haute fortune. Surveiller le protestantisme, déjouer les intrigues de François Ier, ménager et gagner l'Angleterre, ramener le Nord de l'Europe sous l'influence autrichienne, défendre et soutenir les Pays-Bas : telle était la grande et laborieuse mis- sion que la veuve de Louis II allait remplir. De telles préoccupations extérieures ne pouvaient guère permettre à la régente de donner tous les soins voulus à l'ar- rangement des affaires intérieures et aux intérêts des sujets de l'Empereur, ni d'imprimer au conseil privé une direction qui lui eût permis de se reposer sur lui dans quantité d'affaires qu'elle était obligée de traiter seule. Et cependant, l'adminis- tration de la justice était mauvaise, les états étaient revêches, l'autorité peu respectée *. Il y avait là de quoi stimuler l'ini- tiative et le zèle d'un corps pénétré de ses devoirs; mais le conseil privé n'était pas affectionné au service de la gouver- nante ; l'élévation de Marie de Hongrie avait été blâmée et cri- tiquée à cause de la jeunesse de la reine, parmi les conseillers eux-mêmes. Bien plus, pendant que le pays, dénué de res- 1 Juste, Vie de Marie de Hongrie} p. 41. ( 33 ) sources par suite des nombreuses levées d'aides auxquelles il avait toujours dû consentir pour soutenir les efforts de l'Em- pereur, était lui-même exposé à une invasion, la régente ne trouvait dans son entourage que des discussions de sordides intérêts. L'avidité de ses ministres, mal que nous avons déjà signalé sous le gouvernement de Marguerite d'Autriche, susci- tait, non moins que les justes plaintes des sujets, de cruels embarras à la gouvernante t. Et lorsque, de 1538 à 1540, se produisit à Gand ce ce réveil de l'ancien esprit communal » qui faillit ouvrir une lutte armée entre la commune et le prince, la régente ne rencontra pour soutien dans le président de son conseil, qui était en môme temps président du conseil de Flandre, que lenteur, inertie et tergiversations. On connaît les circonstances qui obligèrent Charles-Quint, en 1540, à reprendre le chemin des Pays-Bas. La narration des troubles de Gand est étrangère à ce travail. La fière cité gantoise, qui avait refusé de laisser trancher par le conseil de Malines le différend qui s'était élevé entre elle et la gouvernante, qui avait résisté aux pressantes sollicitations du conseiller du conseil privé, Van Schore, envoyé vers elle par Marie de Hongrie, dut accepter la Concession Caroline et se soumettre définitivement au régime monarchique. Charles-Quint allait quitter de nouveau les Pays-Bas pour présider à la diète de Ratisbonne. Mais les derniers événements avaient mis à nu les plaies de l'administration. L'Empereur voulut donc, auparavant, rétablir l'ordre dans le gouvernement et l'harmonie dans les conseils de la régente. Il était indispen- sable de couper court aux vaniteuses prétentions, à l'insatiable cupidité qui avaient rempli la cour de Bruxelles de discordes, futiles aux yeux de l'histoire, mais exerçant une influence pernicieuse sur les déterminations du prince. Il importait d'ailleurs d'aplanir les obstacles s'opposant à la centralisation du pouvoir et de donner une impulsion plus énergique à l'œuvre de réorganisation commencée en 1531 8. 1 Henné, Ris t. de Charles-Quint, t. VI, p. 171. 2 Idem, ibid., t. VII, p. 119. Tome LU. 3 ( 34 ) C'est pourquoi des lettres patentes du 12 octobre 1540 * renouvelèrent les instructions réglant les attributions et les prérogatives du conseil privé. Charles-Quint commit d'autres personnages « doctes et experts » à la place de ceux qui étaient morts ou qui, pour des causes personnelles à leur administra- tion, avaient dû se déporter de leur office. Le chef du conseil, Jean de Carondelet, dont la cupidité était de nature à justi- fier les accusations portées contre les ministres de la régente, et le président Tayspil, qui, par sa conduite durant les troubles de Gand, avait provoqué le mécontentement de cette princesse, s'étant démis, forcément peut-être, de leurs fonctions de chef et de président du conseil privé, les deux charges qui, en 1522, avaient été séparées, furent réunies dans la personne de Louis Van Schore, un des membres les plus distingués du conseil. Depuis, elles furent toujours remplies par un seul et même personnage 2. Le conseil fut composé comme suit : chef et président : Louis Van Schore; conseillers et maîtres aux requêtes : Phi- lippe Nigri, doyen de Bruxelles, chevalier de l'ordre; messire Claude Carondelet, prévôt de Bruges; Corneille Schepperus, chevalier de Ecke; messire Hermès de Wyngene; messire Viglius de Zwychem, docteur en droit; messire Jean Scheyft; Éverard Nicolaï ; Gérard Velawyck, et Simon Renard ; secrétaires : Georges d'Espleghem, Louis de Zoëte, Jean de Lange, Jean de Vlierden, Jacques de la Torres et Désiré de Symanders; audiencier : Verreyken. Par décret du 14 octobre, Charles-Quint continua la reine dans ses fonctions de régente en lui donnant les plus amples pouvoirs « selon l'entière confidence qu'il avait d'elle comme 1 Reg. de la chambre des comptes, n° 120. fol. 33. 2 Louis Van Schore était fils de Louis, secrétaire de la ville de Lou- vain, mort le 14 avril 1502. Le 17 novembre 1522, il avait été nommé membre du grand conseil de Malines et était entré, en 1535, au conseil d'État en même temps que Philippe Nigri. Marie de Hongrie les y avait appelés pour se conformer à l'ordre de l'Empereur. ( 35 ) » d'autre lui-même ». Les instructions qu'il donna à cette princesse, tout en lui conférant « plein pouvoir et autorité », lui prescrivirent de se conduire en toutes choses d'après l'avis des conseils collatéraux, à moins de circonstances tout à fait spéciales et extraordinaires. Il lui fut recommandé aussi de veiller à ce que les trois conseils se conformassent à leurs instructions et d'adresser le plus souvent possible à l'Empereur des rapports sur l'état du pays. De grandes réformes législatives et judiciaires signalèrent à cette époque le règne de Charles -Quint. Ce prince avait compris que la mission la plus essentielle de l'autorité souve- raine est la répression des injustices et le souci de voir la force prendre la place du droit. Sous les successeurs de Charle- magne, les lois écrites avaient été mises en oubli, et dans chacune des souverainetés formées des débris de l'empire carlo- vingien, s'établirent une infinité de coutumes fondées sur l'ancienne législation modifiée par le temps, les lieux ou les mœurs des habitants. Cette législation hybride portait l'em- preinte des lois germaniques, du droit romain, des capitulaires des rois francs, du droit canonique et de quelques usages ; elle n'avait pour appui que la tradition et, variant selon les localités, elle n'offrait pas le caractère de certitude envisagé par tous les jurisconsultes comme la première condition du droit véritable. Pour arriver à une réforme salutaire de la législation, il fallait assurer l'unité dans une juste mesure. Il n'est pas douteux que Charles-Quint, qui était possédé de la pensée de l'unité quant à la religion, ait fortement désiré la substitution d'un droit uniforme à ces variétés de coutumes, d'édits, de règlements formant l'ensemble des dispositions juridiques par lesquelles les provinces belges du XVIe siècle étaient régies. L'initiative des mesures les plus importantes en cette matière fut prise par le conseil privé. Ce corps, composé alors de juris- consultes éminents, dont plusieurs, tels que Viglius, Van Schore, Tisnacq sont restés célèbres, étudia les grandes questions avec un soin et un esprit de suite inconnus jusqu'alors; aussi la ( 36 ) rédaction de coutumes et une foule de dispositions législatives attestèrent-elles bientôt les progrès de la science *, Nous ne citerons que les édits d'octobre 1540 2, qui furent, dans la législation des Pays-Bas, le prélude d'importantes modifica- tions et qui valurent à Charles-Quint les éloges de la postérité. Dans la législation criminelle, l'intervention du conseil privé se signala d'une façon non moins remarquable. La situation judiciaire était des plus déplorables. En compulsant les comptes des justiciers du XVIe siècle, on croit être aux plus mauvais temps de cette sombre époque, et l'humanité ne s'afllige pas moins de l'énormitc des crimes quede l'atrocité des supplices-**. La corruption régnait dans tous les degrés de l'ordre judi- ciaire 4 ; le régime des prisons était aussi affreux que le système de justice criminelle 3. La longueur, la chicane, la « rongerie » des procès affligeaient les particuliers et les corporations 6. Dès le commencement de son règne, Charles- Quint avait cependant édicté certaines mesures pour adoucir cette situation, mais elles ne constituaient que des palliatifs bien faibles à un mal trop enraciné et porté à s'étendre. En 1540, les plaintes et les doléances générales décidèrent Charles-Quint à faire dresser par le conseil privé un projet d'édit pour « l'abréviation de la justice )>. Ce projet fut communiqué, avec demande d'avis, à tous les tribunaux du pays; mais les guerres qui survinrent ne permirent pas d'examiner leurs opinions et d'arrêter une bonne ordonnance sur la matière. A peine la paix fut-elle rétablie, que l'Empereur invita le conseil privé à étudier la question à nouveau et bientôt après parurent l'édit du 17 août 1546 et l'ordonnance du 7 octobre suivant qui fixa le salaire des officiers criminels ainsi que le tarif des mesures de justice 7. 1 Henné, Hist. de Charles-Quint, t. VII, p. 146. - Placards de Flandre, t. I, p. 767. :' Henné, ouvr. cité, t. VII, p. 167. * Idem, ibid., p. 196. •'• Idem, ibid., p. 207. '"• Idem, ibid., p. 223. 7 Placards de Flandre, t. I, p. 223. ( W ) Le chef et président du conseil privé, Van Schore, avait adressé à ce sujet un rapport remarquable a la régente. « Pour adver- » tir l'Empereur de ce qui convient au bien de ses Pays-Bas » et lui permettre d'y pourvoir avant son départ, il faut rappeler » en premier lieu que Sa Majesté Impériale a toujours gardé » et conservé ses pays et sujets en bonne justice et police, en » tenant tous les conseils provinciaux en honneur et en révé- » rence, en veillant à ce que leurs sentences fussent exécutées » et observées comme elles l'ont été jusqu'à présent. Afin d'y » continuer, elle a ordonné d'arrêter une bonne ordonnance » tendant à abréviation de la justice; mais il est* à remarquer » que les bonnes ordonnances ne servent de rien, si elles ne » sont gardées, observées et exécutées. En conséquence, Sa » Majesté feroit bien de mander les chefs des conseils des » provinces où elle passera, et d'écrire aux autres pour leur » enjoindre expressément de garder et exactement observer » toutes les ordonnances et placards se dépêchant au nom de )) l'Empereur pour le bien de ses pays; de faire corriger les » transgresseurs, même les officiers, tant ceux de Sa Majesté » que ceux des vassaux qui négligeront d'en surveiller l'exé- » cution. Il convient de soutenir et de favoriser, au contraire, » les bons officiers qui se montrent diligens et affectionnés » pour bien et droiturièrement exercer leurs offices, sans les » laisser fouler ou molester par qui que ce soit. Il est à recom- » mander aussi aux conseils de justice de punir exemplaire- )> ment les procureurs et avocats qui entreprennent causes » notoirement iniques et injustes, et ne font que traîner les )> affaires et délayer la justice au grand préjudice des parties » et au mépris de leur serment, en tant qu'il n'y a cause si » injuste, si inique et si déraisonnable qu'elle ne trouve pro- » cureur et avocat pour la défendre. Que Sa Majesté enjoigne )) également aux conseils de tenir leurs plaids au moins un » jour par semaine par-devant tout le collège; de faire plaider » en leur présence les avocats; de ramener au fait le démené )> de l'affaire; de les obliger à prendre conclusion pertinente )) en bonne éloquence et révérence envers la cour, comme on » le faisait du passé; de réprimander publiquement les avocats ( 38 ) » qui ne sauraient pas bien plaider leurs causes, ce qui don- )> nera occasion de faire et bien instruire les jeunes gens vou- )> lant hanter la pratique et de faire connaître les bons avocats » qui sont doctes et expérimentés. Les conseils doivent être » invités à dépêcher sur-le-champ toutes demandes de délai » des procureurs, autant que la chose se pourra et réserver » les autres en chambre selon que par la nouvelle ordonnance » il leur sera ordonné. Surtout qu'ils aient regard d'abréger » les délais superflus que les procureurs prennent et dont » souvent ils conviennent ensemble, pour avoir beaucoup de » journées et au regret des deux parties *. » Le 25 décembre 1548, Louis Van Schore, dont l'esprit élevé et les lumières contribuèrent puissamment à l'élaboration et à l'exécution des mesures ci-dessus énumérées, mourut à Anvers. Charles-Quint, après en avoir délibéré avec la régente, résolut de séparer les fonctions de chef et président du conseil privé et de président du conseil d'État qu'il avait remplies simul- tanément. 11 nomma donc président du conseil d'État Jean de Saint-Mauris, conseiller et maître aux requêtes de son hôtel et son ambassadeur en France. L'importante dignité de chef et président du conseil privé fut confiée à Viglius, que ses talents, ses mérites, ses connaissances et les services rendus à l'Empire avaient depuis longtemps signalé à l'attention de Charles-Quinte 1 Collection de doc. hist., t. VII, fol. 147. 2 Viglius naquit le 14 octobre 1507 à Barthuse, en Frise. Après avoir puisé à l'Université de Louvain les principes de la jurisprudence, il par- courut les écoles les plus renommées de l'Europe. 11 visita successive- ment les universités de Dôle, d'Avignon, de Valence, de Bourges. L'Italie était alors le centre des beaux-arts. La réputation de ses grands hommes attira Viglius dans cette contrée florissante. Il dirigea sa route par l'Alle- magne : il passa par Fribourg, où il fut reçu avec distinction par le fameux Érasme. En 1531, il arriva à Venise d'où il passa à Padoue. C'est là qu'il interpréta les Institules de Justinien. En 1534, François, évêque de Munster, lui confia la charge de juge de sa cour. En 1535, il fut reçu au nombre des assesseurs de la chambre impériale de Spire. En 1537, il se rendit aux invitations du duc de Bavière qui lui donna une chaire dans l'Uni- versité d'Ingolstad. De là, il entra au grand conseil de Malines et au conseil privé. ( 39 ) Viglius reçut ses patentes le 1er janvier 1549 (n. s.) i, nihil taie cogitans expectansque, dit-il lui-même dans l'histoire de sa vie -. Sans se laisser éblouir par l'éclat de son élévation, le nouveau chef-président s'attacha à considérer toute l'étendue des obli- gations que lui imposait sa charge. S'il est épineux en tout lieu de diriger les opérations du conseil du prince, il l'était particulièrement aux Pays-Bas, où le bras qui faisait valoir son autorité devait en ménager les intérêts avec dextérité sans blesser les droits et les privilèges des peuples, tellement jaloux de leur conservation que la moindre apparence d'y porter atteinte suffisait pour les alarmer. Cette disposition des Belges était particulièrement marquée à l'époque où Viglius arriva sur la scène politique. Fidèle à son prince, ami de ses con- citoyens dont il connaissait le caractère à fond, il savait par quelles voies il fallait les conduire et plusieurs fois annonça d'avance l'impression que feraient sur eux les règlements qu'on portait et souvent quelles en seraient les suites. Ennemi de la vénalité dont malheureusement il ne sut plus tard se défendre lui-même, nous le verrons, Viglius chercha, dès son arrivée à la présidence, à la bannir de la magistrature où elle régnait alors 3. H s'occupa aussi, dans le même ordre i Papiers de Roose, t. LXXX, fol. 96. 2 Hoynck, Analecta Belgica, n° 58. 3 Pour juger de quel œil Viglius envisageait alors les présents qu'on faisait aux hommes en place, on n'a qu'à lire la réponse qu'il fit à un conseiller du conseil de Flandre, nouvellement promu, qui lui avait envoyé un cadeau en argent pour reconnaissance des bons services qu'il en avait reçus : « Clarissime Domine Consiliare, magno me pudere » suffudit epistola tua qua mihi persuadere niteris ut numismata abs te » dono missa aequo animo accipiam. Quanquam enim affectum tuum » non possum non amplecti, non tamen animus ferre potest ut quidquam » aliud te mihi commendet quam tua virtus. Et munera quidem cum » semper abhorruerim, tum abs te tanto minus ea velim accipere, quanto » te digniorem semper judiciari ea conditione pro qua mihi aliquid » deberi velle deberis. Quamobrem quaeso ut et ista recipias et deinceps » existimes nihil mihi tua amicitia fore antiquius, modo eam patiare non » donis, sed illis potius farciri rationibus quibus vera animorum con- » junctio constare débet. » (Hoyxck, Analecta Belgica, LU, ^pavi., p. 381.) ( 40 ) d'idées, à soulager les pauvres en faisant émaner un édit contre les Lombards et les usuriers L Vainqueur en Europe et en Afrique, Charles-Quint avait vu, dès le commencement de son règne, poindre les débuts d'une crise politique et religieuse qui ébranla l'Occident pendant un siècle, démembra le pouvoir que recueillit Philippe II et affaiblit l'autorité souveraine dans tous les royaumes de l'Europe. Il ne nous appartient pas de nous prononcer dans ce travail sur les questions délicates et épineuses que soulève l'examen de la conduite tenue par Charles-Quint à l'égard de l'hérésie. Nous nous contenterons de chercher à établir quels étaient, à ce sujet, les sentiments prédominants dans le con- seil privé. Une lecture attentive du Registre sur le faict des hérésies % qui a appartenu à Viglius, nous a laissé cette impression qu'en général le conseil privé était partisan d'un adoucissement aux rigueurs des lois contre les dissidents. Lors même qu'il pré- voyait que ses avis ne seraient pas goûtés, il exposait fran- chement les suites funestes que la sévérité allait entraîner. Selon lui, ce n'était pas par la violence et l'effusion du sang, mais par la persuasion que la religion devait se maintenir, se propager et combattre l'erreur. Aussi chercha-t-il à diminuer ou à paralyser les mesures inquisitoriales. En 1525, le pape avait délivré au cardinal-évêque de Liège, Erard de la Marck, une bulle datée du 12 février qui lui donnait « charge plénière de l'inquisition générale ». Lorsqu'il fut question de délivrer les lettres de placet, le conseil privé s'opposa à l'exécution de ce bref. Malgré les efforts des partisans de l'évêque, on écrivit au prélat que s'il prétendait user de son bref, il ne pourrait procéder contre aucun accusé sans l'avis du conseil privé ni hors de sa résidence 3. En 1531, le conseiller de Schepperus écrivait à Charles- 1 O'Sullivan, Éloge de Viglius. 2 Aux Archives du royaume. 5 Registre sur le faict des hérésies, fol. 534. ( 41 ) Quint : « Personne, excepté les prêtres, ne peut vous conseiller » de faire la guerre aux protestants > . » La réforme du clergé était, pour le conseil privé, le moyen le plus efticace de ramener les âmes à l'Église. Persuadé que le succès des prédications luthériennes était dû en grande partie au relâchement des mœurs du clergé et à sa science théologique qui laissait à désirer, il était d'avis de n'admettre à la prédication que des prêtres éclairés et de bonnes mœurs. a Trouvant, disait-il, que la principale cause de toutes lesdites » erreurs est l'insuffisance des curés et autres qui ce jour d'hui » ont charge d'âmes; que ung curé, pour bien régir le peuple » qui lui est commis, doibt avoir nécessairement trois qualités )> sans lesquelles est impossible qu'il satisfasse à son état : ï) être de bon âge, afin d'avoir expérience, prudence et dis- » crétion ; être de bonne vie et conservation, afin que le peuple » y prenne exemple; être lettré et docte; et combien que les » curés dussent être qualifiés comme dessus, toutefois peu » de telz s'en trouvent, au grand regret de la dicte Majesté et w confusion du peuple, car pour la plupart ils sont jeunes gens » légers, inexpérimentez et indiscretz; les autres sont lubri- » ques, donnés à ébriété et aultres vices notoires et manifestes, » en qui la commune ne voit que mauvais exemples; les autres » sont si ignorans et si indoctes que, à grand peine savent lire » leurs heures ou chanter messe... tellement que de ce procède » l'erreur des sacramentaires, anabaptistes et autres 2. » Cependant, emporté par un excès de zèle et plus encore par des conseils contre lesquels échoua le crédit du conseil privé, Charles-Quint s'obstina, comme on le sait, à maintenir la vio- lence contre les dissidents. Lorsqu'en 1546, l'Empereur, à la veille de quitter les Pays- Bas pour entreprendre sa campagne contre les protestants d'Allemagne, arrêta à Maestricht, le dernier jour de février, un règlement détaillé, publié en 1550, qui est une sorte de 1 Brief recueil de Corneille Scheppere (MS. de la ville de Bruxelles). 2 Registre sur le faict des hérésies, fol. 513. ( 42 ) code de procédure de l'inquisition, le conseil privé s'en émut. On voit par deux lettres de Viglius, adressées l'une à Granvelle, l'autre au chancelier deBrabant, que tout ce qui avait été résolu sur cette matière par le gouvernement était contre son avis. Severa nimis ac acerba consilia mihi nunquam placuerunt. Qaoad autem potui, mitigavi quae mitiganda videbantur i... Quod si Caesar passus fuisset novi istius edicti formam Conciliis antea examinandam tradere, cum plurimum satisfactions in publicum emitti potuisset, idqite sane ego cumprimis desiderabam 2. Viglius parvint cependant à faire mitiger cet édit, spécialement dans les articles qui regardaient les négociants étrangers que les intérêts du commerce appelaient aux Pays-Bas 3. Si le conseil privé ne fut pas directement mêlé aux pour- suites dirigées contre l'hérésie, il y participa indirectement de par ses fonctions. C'est ainsi qu'il était chargé de rédiger les édits d'après les idées du souverain et qu'il coopéra à la rédac- tion de ceux du 7 octobre 1531, du 22 septembre 1540, du 17 décembre 1544, du 30 juin 1546 et du 28 avril 1550 4; de faire surveiller leur exécution; de prêter aide et assistance aux inquisiteurs S; de promulguer les commissions apostoliques données par le pape aux inquisiteurs ainsi que les mandements faits en exécution de ces commissions; d'examiner, conformé- ment à l'édit de 1546 6, les manuscrits des livres nouveaux à publier; de procéder même à des informations sur la con- duite de quelques hérétiques 7. Viglius s'en excusait en disant : Quod si Caesari in quibusdam aliter visum fuit, non meum est Majestatis suae voluntati obsistere 8. 1 Hoynck, Analecta Belgica, t. II, part. \x p. 350. 2 Idem, ibid., p. 352. :> O'SuLLivAN, Éloge de Viglius, p. 44. 4 Poullet, Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant depuis Charles-Quint, pp. 57 et 58. 5 Archives du royaume, coll. de l'Audience, ordonn. originales, t. I. ,; Placards de Flandre, t. 1, pp. 136 et 137. 7 Mathieu, Hist. du conseil de Flandre, p. 98. 8 Hoykck, ouvr. cité, t. II, partie II, p. 350. ( 43 ) Cependant Chartes -Quint, épuisé des fatigues d'un long règne et las de sa grandeur, avait résolu, en 1555, d'abdiquer la souveraineté des Pays-Bas en faveur de son fils Philippe. Viglius fit à l'Empereur les plus vives représentations afin de l'amener à garder, pendant quelques années encore, ces pro- vinces ainsi que les rênes de l'Empire. Charles ne céda point aux raisons du chef et président; et celui-ci, voyant sans cesse autour du jeune prince Philippe une foule de courtisans espa- gnols qui ne lui inspiraient que des maximes dangereuses, et sentant qu'il ne serait pas capable d'étouffer les factions dont il avait le pressentiment, fatigué lui-même de la vie d'homme d'État, il résolut de suivre l'exemple de son maître en se reti- rant aussi et en résiliant ses fonctions de chef et président du conseil privé et de président du conseil d'État : il avait été appelé, en 1554, à succéder dans ces dernières à Jean de Saint-Mauris *. Mais l'Empereur, la reine Marie et Philippe lui-même le pressent de vouloir continuer l'exercice de ces charges. Viglius cède et nous verrons plus loin quelle fut son attitude dans les terribles épreuves que nos provinces eurent à traverser. § 2. Le conseil privé pendant le règne de Philippe II. Après que Charles-Quint se fut retiré en Espagne avec sa sœur, la reine douairière de Hongrie, le roi Philippe II conféra le gouvernement des Pays-Bas à Philibert, duc de Savoie. Tandis qu'à l'arrivée de ce gouverneur et de tous ses succes- seurs les instructions du conseil d'État furent renouvelées, toujours moulées, il est vrai, sur les anciennes et avec les mêmes attributions, on ne trouve pas que Philippe II en fit de même, ni en 1555 ni dans la suite, pour les instructions du conseil privé qui continuèrent d'exister, jusqu'en 1632, telles que Charles-Quint les avait données en 1540. Cependant la guerre que Philippe II avait dû soutenir contre 1 Papiers de Roose, t. LXXX, fol. 96, aux Archives du royaume. ( 44 ) la France dès son avènement au pouvoir venait de se terminer par le traité de Cateau-Cambrésis (3 avril 1559). Le roi mani- festa alors l'intention de retourner en Espagne. Mais il voulut auparavant organiser d'une manière forte et stable l'adminis- tration du pays. Le duc de Savoie, remis en possession de ses États par le traité précité, se disposait à rentrer dans son duché. Le roi confia le gouvernement général des Pays-Bas à Mar- guerite, duchesse de Parme, fille naturelle de Charles-Quint. Philippe conserva, pour assister la gouvernante, les trois con- seils collatéraux institués par son père. Le conseil privé était composé, à l'avènement du roi, des personnages suivants : chef et président : Viglius; conseillers et maîtres aux requêtes : Philippe Nigri, Charles Perrenot, Hermès de Winghene, Phi- libert de Bruxelles, Simon Benard, Nicolas Micault, Christophe d'Assonleville, Charles Grandjean, Philippe Coebel, Joachim Hopperus *. Par lettres patentes du 27 octobre 155o 2, Philippe avait continué tous ces personnages dans leurs fonctions. Marguerite arriva à Gand le 28 juillet 15o9. Son frère la présenta le 7 août aux états généraux qu'il avait convoqués dans cette ville et leur fit connaître qu'il lui donnait le même pouvoir et la même autorité qu'avaient la reine douairière de Hongrie et le duc de Savoie 3. Cette autorité était grande; elle était même sans limites d'après les patentes qui instituaient la duchesse régente et gouvernante des Pays-Bas : car celles-ci lui conféraient le droit de faire administrer la justice par tous les conseils, jus- ticiers et officiers; d'ouïr les requêtes, plaintes et doléances des sujets et d'y statuer selon qu'elle trouverait convenable; de faire assembler, aussi souvent qu'elle le voudrait, les conseils collatéraux et de soumettre à leurs délibérations les affaires qui lui surviendraient; de prendre, sur ce qui serait proposé 1 Van Loon, Hist. métallique des XVII provinces, p. 40. 2 Archives restituées par l'Autriche en 1856, liasse n° xxv, aux Archives du royaume. 3 Gachard, Coll. de doc. inéd., t. I, p. 318. ( 45 ) par eux, la résolution qu'elle jugerait à propos et de la faire exécuter, etc. i. Mais une instruction secrète apportait à ces prérogatives des restrictions qui les réduisaient considérable- ment. Il y était dit qu'en toutes choses la duchesse aurait à se conduire par l'avis et la délibération des conseils collatéraux, sans en altérer rien « sinon avec bonne, urgente et nécessaire cause » ; que le roi se réservait la collation de toutes les dignités séculières comprises dans l'induit que l'Empereur son père avait obtenu de la cour de Rome; qu'il retenait de même à lui la disposition de tous gouvernements généraux des provinces, ainsi que la nomination des chefs de tous les collèges de justice; enfin, qu'il se réservait encore toutes grâces concernant fait de crime de lèse-majesté « et de bien grande importance » et tous octroie de privilèges perpétuels 2. Une autre instruction contenait différents points relatifs à l'exercice de sa charge. Elle enjoignait notamment à la gouver- nante de faire très étroitement observer les règlements de tous les conseils des Pays-Bas et spécialement ceux des conseils col- latéraux; de s'assurer que les membres de ces conseils remplis- saient leurs fonctions « avec modestie, sans partialité, conten- )> tion, démonstration quelconque de regret les uns à l'égard » des autres et avec due révérence et obéissance envers elle »; de faire observer le secret par les membres des conseils colla- téraux sur les matières qui s'y traiteraient; de ne permettre pas que les conseillers prissent part à des délibérations sur des affaires qui les toucheraient, ou leurs parents ou alliés, ni qu'ils acceptassent des pensions d'un autre prince; d'exiger que les lettres et dépêches présentées a sa signature fussent vues et marquées préalablement par le chef du conseil dont elles procéderaient 3. Les conseils collatéraux conservaient donc les attributions qu'ils avaient sous le règne précédent; mais l'attitude des 1 Gachard, Corresp. de Marguerite d'Autriche, Introd., p. lxvi. - Idem, ibid., p. lxx. 5 Idem, ibid., p. lxxiii. ( 46 ) seigneurs ne tarda pas à mettre en suspicion le conseil d'Etat, qui était composé de membres de la haute noblesse. Aussi, pour paralyser l'influence de ce corps, l'usage s'introduisit de nommer conseillers d'État des membres du conseil privé et du conseil des finances. Malgré donc le maintien du principe de la division du travail entre les trois conseils, des membres des conseils privé et des finances avaient accès aux délibérations du conseil d'État, tandis que les membres du conseil d'État devaient rester étrangers aux délibérations des deux autres corps. D'un autre côté, le cours des événements ne tarda pas à prouver à l'évidence que la puissance gouvernementale était exclusivement entre les mains de la Consulte, comité de trois membres dont les délibérations devaient, d'après des instruc- tions secrètes, guider la régente dans toutes les occasions importantes. Les trois personnages qui composaient ce comité, Viglius, Berlaymont et Granvelle, n'en faisaient en réalité qu'un seul : l'évêque d'Arras était dans chacun d'eux et tous trois ensemble n'étaient que l'évêque d'Arras. On connaît les difficultés avec lesquelles Marguerite se trouva aux prises dans les Pays-Bas avant la première explosion révo- lutionnaire religieuse; nous ne rappellerons que celle qui se lie intimement à notre sujet, c'est-à-dire les sentiments que nourrissait pour la royauté la haute aristocratie. Celle-ci, qui remplissait le conseil d'État, investi alors du principal rôle dans le gouvernement, qui tenait en mains le gouvernement des provinces, qui commandait aux bandes d'ordonnances, qui avait sur les différentes classes de la nation une influence énorme, aurait pu conjurer tout mouvement sérieux en faisant cause commune avec la royauté; elle s'en abstint. Cette aristocratie était hantée par le même esprit qui tra- vaillait alors la haute aristocratie française : la prépondérance du pouvoir souverain lui pesait. Sans que tous ses membres eussent la pleine conscience d'un but dernier bien défini, la haute aristocratie belge aspirait à dominer l'État et le prince au moyen des charges et des influences dont elle disposait. Elle fit des difficultés avec lesquelles le gouvernement royal ( 47 ) avait à lutter, autant d'instruments d'action pour arriver à réaliser ses vues. La majorité de ses membres se groupèrent dans une opposition formidable contre le cardinal Granvellc, qui représentait dans les conseils collatéraux à Bruxelles la prépondérance du pouvoir royal et la réalisation de sa poli- tique *. Ils se plaignaient d'être traités en faquins par le car- dinal; on ne leur communiquait, disaient-ils, que des affaires insignifiantes; on disposait sans eux des abbayes et des affaires du gouvernement; on les desservait près du roi; on cherchait à les éloigner du conseil d'État lorsqu'on y traitait des affaires de grâce, parce que, selon Granvelle, ils étaient tellement endettés que l'on ne pouvait avoir confiance en eux 2. Quand Philippe II, par lassitude et par un faux calcul poli- tique, eut sacrifié Granvelle, commença dans les Pays-Bas ce que Groen 3 appelle « la phase du triomphe des seigneurs ». Les seigneurs victorieux, dit Viglius, bondissaient comme des écoliers qui ont su éloigner leur maître : non aliter exul- taverunt quant pueri abeunte ludi magistro. L'opposition aristo- cratique, dirigée par le prince d'Orange, le comte d'Egmont et le comte de Hornes, prit possession du champ de bataille, le conseil d'État et l'entourage intime de la duchesse; elle fut de fait maîtresse du gouvernement. Thomas Armenteros, secré- taire de Marguerite, qui exerçait sur elle un empire absolu, était à sa dévotion 4. « Armenteros gouverne plus que oncques, » et ne vaque office ni bénéfice qui ne passe par ses mains s. » Marguerite de Parme, après avoir d'abord témoigné une grande déférence au cardinal, s'était jointe à ses ennemis; elle ne s'opposait plus à leurs désirs; elle suivait leur avis jusque dans les choses les plus importantes 6. Quant aux cardinalistes, leur 4 Poullet, Hist. polit, nat., t. II, p. 437. 2 Papiers d'État du cardinal Granvelle, t. VIII, p. 270. 5 Archives de la maison d'Orange, 2e édit., t. I, p. xxxm * Groen, ouvr. cité, t. I, pp. xxxm et xxxiv. 5 Idem, ibid., p. 290. 6 Idem, ibid., pp. xxxm et xxxiv. ( 48 ) résistance était nulle, leur impuissance manifeste. Ils étaient soumis au bon plaisir des vainqueurs. Le comte d'Aremberg était mis de côté; Berlaymont était traité par Marguerite avec le dédain le plus accentué. La gouvernante accablait de dégoût tous les amis de Granvelle, voire même le chef- président Viglius *. Cette victoire qu'elle venait de remporter, la noblesse voulut aussitôt la consolider et la régulariser en se débarrassant des obstacles qui gênaient encore sa marche. Le principal de ceux-ci était le conseil privé. Malgré le départ de Granvelle, ce corps continuait à suivre, en quelque sorte par un mouve- ment spontané, l'impulsion que lui avait imprimée la main du cardinal. Son influence avait jeté des racines trop profondes pour qu'elle fût anéantie par le seul fait de l'éloignement de l'ancien évêque d'Arras. Pour la paralyser, la noblesse demanda une modification dans l'organisation des conseils collatéraux qui subordonnât le conseil privé et le conseil des finances au conseil d'État. Ce fut le prince d'Orange qui se fit le porte-voix de ce désir de la noblesse dans une réunion des conseils. Il proposa « d'augmenter le nombre de ceux du conseil d'estat mectant » en iceluy aultres dix ou douze chevaliers et seigneurs prin- » cipaux, révérez et respectez par le peuple, en leur donnant » semblablement auctorité sur tous les consaux tant de justice, » des finances que d'autres 2. » Il présenta cette proposition sous le jour le plus favorable et il en développa avec adresse les principaux motifs dont il cacha peut-être le véritable. Il insinuait que la division des matières entraînait souvent des longueurs et des difficultés interminables; que les contra- dictions qui se rencontraient dans les décisions des diffé- rents conseils nuisaient au bien général; qu'il convenait que le conseil d'Etat, ayant par la nature de son institution une prééminence de rang sur les deux autres, eût également 1 Groen, ouvr. cité, t. I, p. xxxvn. 2 Mémorial d'Hopperus dans les Analecta Belgica, t. IV, p. 41. ( 49 ) une supériorité de juridiction qui, par l'étendue de son ressort, correspondît à la dignité de son rang ; que par le moyen de la réunion des trois conseils en un seul qui aurait la connaissance des affaires les plus importantes, les opérations du gouvernement seraient débarrassées des entraves et des lenteurs qui résultent nécessairement de la division des pou- voirs i . Les vues qui dirigeaient le prince d'Orange et ses amis n'étaient pas sans fondement. Le conseil d'Etat devait, d'après les anciennes traditions, avoir une sorte de suprématie sur les autres conseils 2. Or, le prince d'Orange aurait voulu rendre cette suprématie effective et assurer en même temps la prépon- dérance de son parti en s'adjoignant de nouveaux collègues, tels que le marquis de Berghes et le baron de Montigny, et en exerçant une sorte de contrôle sur les décisions du conseil privé et du conseil des finances. C'était, à ses yeux, le moyen le plus sûr de mettre un terme à l'opposition que faisait aux seigneurs le chef et président Viglius. Il se proposait aussi, après avoir consolidé l'autorité du parti national, d'introduire dans les lois répressives de l'hérésie les adoucissements récla- més par les catholiques modérés aussi bien que par les luthé- riens et les calvinistes. Il entrait également dans le plan des seigneurs ligués d'ôter à Viglius la présidence du conseil privé en lui laissant son siège au conseil d'État, où son influence était moins à craindre, sur- tout si le marquis de Berghes et le baron de Montigny deve- naient ses collègues. Le comte d'Egmont, alléguant l'âge avancé de Viglius, lui proposa même de résigner la présidence du conseil privé en faveur d'Hopperus. Hopperus était un cardi- * Dewez, Hist. gén. de la Belgique, t. V, p. 329. - On lit dans un ancien document : « Conseil d'État : A ce conseil sont rapportés tous les plus difficiles négoces des autres conseils. Bref, il a charge et superintendance de tout ce qui touche au gouvernement et protection du pays tant du dedans que du dehors. » (MS. de la Biblio- thèque royale, n° 123011.) Tome LU. 4 ( 50 ) naliste, mais il n'avait point l'autorité de son compatriote '. Ce mouvement de l'aristocratie belge s'explique parfaite- ment; il résultait de la situation même. Le souverain était éloigné ; son autorité, déléguée à une femme que son alliance avec un prince italien avait rendue étrangère au pays, n'avait plus de racines suffisantes dans le sol pour trouver obéissance absolue, aide et appui dans les populations de nos contrées. Les seigneurs, au contraire, toujours présents sur le sol natal, entourés d'une nombreuse clientèle, propriétaires d'immenses et de riches domaines, gouverneurs des provinces et des villes principales du pays, unis entre eux par des liens étroitement serrés, acquéraient chaque jour une influence plus grande et voyaient leur puissance s'accroître en raison de l'affaiblisse- ment du pouvoir royal. Dans une situation pareille, il était presque impossible que l'aristocratie belge ne cherchât pas à affermir et à faire consacrer par le droit le pouvoir de fait dont elle était en possession 2. Cependant cette proposition du prince d'Orange fut loin de recueillir l'assentiment unanime du conseil. Viglius, qui avait pénétré le but de ces innovations, les combattit avec une énergie et une sagacité remarquables. Il représenta que cette nouvelle forme dans le gouvernement, qui devait nécessaire- ment jeter de la confusion dans les affaires en les accumulant dans une seule compagnie, était bien plus propre à augmenter les embarras et les lenteurs des opérations qu'à leur donner cet ordre et cette célérité résultant des discussions particulières dans les différents conseils où elles ressortissaient; que l'expé- rience d'ailleurs avait démontré si manifestement les avantages de cette division, qu'un changement de forme ne pourrait qu'entraîner les plus grands inconvénients. 1 On lit à ce sujet clans une lettre de Granvelle à Viglius : « ... Si M. d'Egmont vous a mis en avant, ce que vous m'écrivez, de soi-même, comme il est franc et à mon avis sincère, je crois que, a bon escient, il vouldroit poulser tout ouitre pour M. Hopperus... » (Papiers d'État, t. VIII, p. 259.) 2 Mémoires de Viglius, pp. 78 et 79. Note de M. Wauters. ( M ) Après avoir développé les considérations générales qui con- cernaient le fond de 'la proposition, Viglius rechercha le but de son auteur; c'était le point le plus délicat. Il dévoila donc les motifs qui pouvaient avoir suggéré ce projet au prince : il voulait, dit le chef-président, concentrer par ce moyen toute l'autorité dans un conseil unique, qu'il dominerait à son gré, pour détruire toute l'influence et toute l'autorité de la gouver- nante et du roi, en maniant les esprits et en dirigeant les affaires selon ses intérêts et ses vues ambitieuses. Nous ajoute- rons que la soumission au conseil d'État des deux autres con- seils collatéraux faisait les grands seigneurs à jamais maîtres du gouvernement général ou indépendants dans leurs gouver- nements provinciaux, puisqu'ils ne seraient plus contrôlés que par eux-mêmes. Berlaymont, de son côté, appuya les observations de Viglius; mais le prince d'Orange insistant, la duchesse acquiesça à ses vues et bientôt toutes les affaires importantes et délicates, reli- gion, inquisition, placards contre l'hérésie, nouveaux évêchés, furent attirées directement au conseil d'État, à l'exclusion du conseil privé, qui fut de fait traité comme un corps tout à fait subalterne *. La chute de Granvelle fut une défaite pour le roi. Il est presque superflu de dire que Philippe II désirait et voulait maintenir intactes l'autorité et les prérogatives du pouvoir princier. Or, la prépondérance de fait des seigneurs dans les conseils collatéraux et dans le système provincial, l'éloigne- ment de Granvelle, cet oiseau fin et rusé 2, dont la clairvoyance 1 « ... Icy l'on commence encheminer les affaires selon la nouvelle forme que l'on tient sera bientost auctorisée par le Roy, et disent ces seigneurs que, si sa M. ne la trouve bonne, qu'ilz sont d'intention de se retirer de toute la maniance des affaires. L'advis donné sur ce par son Altesse n'est point passé par le chemin ordinaire de noz secrétaires, ni aussi rien n'a esté communiqué à M. de Berlaymont et moings à moy, ains s'est despesché le tout par Armenteros. » (Lettre de Viglius à Gran- velle : Groen, ouvr. cité, t. I, p. 405.) 2 Corresp. de Granvelle, t. I, p. lui. ( 82 ) et l'énergie étaient seules capables de leur tenir tête, la dépen- dance étroite dans laquelle la gouvernante était tombée vis- à-vis d'eux, tendaient à déplacer d'une façon absolue le pivot des affaires et à le transporter de la personne royale à la haute aristocratie militaire des Pays-Bas. Celle-ci était, dès mainte- nant, à même de diriger presque à son gré le mouvement politique et la hiérarchie des officiers et des fonctionnaires. Sa grande préoccupation était désormais d'assurer et de con- solider sa victoire en régularisant la prépondérance du conseil d'État. D'un autre côté, la centralisation des affaires dans le conseil d'État n'avait abouti qu'à entraver et à suspendre le cours de l'administration : la faveur se substitua trop souvent à la loi ; les cours de justice perdirent une partie de leur prestige et ne veillèrent plus avec le même soin, avec la même autorité à l'exécution des ordonnances politiques et des édits concernant la religion. Le témoignage de Grotius i peut être invoqué sur ce point : il blâme fortement le désir trop vif des seigneurs de se faire des créatures et signale l'anarchie qui, par leur connivence, envahit jour à jour les diverses parties du gouver- nement. Groen, de son côté, donne le bilan de l'an 1564 dans les termes suivants : le pouvoir royal était compromis; la duchesse, dans la dépendance des seigneurs; le conseil privé et celui des finances, traités déjà comme collèges subalternes, sans autorité réelle. Tout se décidait par l'influence des grands, de leurs créatures, de leurs ministres. De là de nombreux abus : la dissipation des revenus publics, la vénalité des charges, la partialité de la justice, la violation des lois, ce mélange, en un mot, d'arbitraire et d'anarchie inévitable, dès que le gouvernement, entraîné par les exigences d'un parti, n'est plus respecté par la nation 2. La question religieuse ne tarda pas à compliquer la ques- tion politique et à mettre en complet désaccord les deux 1 Annales, liv. I. 2 Groen, ouvr. cité, 1. 1, p. 334. ( 53 ) principaux conseils du gouvernement. Le concile de Trente venait de terminer ses travaux de réforme. Philippe II s'em- pressa d'en ordonner l'acceptation et la publication dans ses royaumes d'Espagne; des instructions analogues furent expé- diées dans ses provinces des Pays-Bas K Le conseil privé, que la duchesse de Parme consulta d'abord, fut d'avis, à la plura- lité des voix, qu'on devait obéir à l'ordonnance du roi. Mais les seigneurs du conseil d'État manifestèrent leur mécontente- ment de ce qu'on eût pris, en Espagne, une résolution si impor- tante sans la leur communiquer au préalable. Ils insinuaient que l'extrême condescendance du roi serait très mal vue des princes d'Allemagne et les engagerait à se concerter avec les dissidents des Pays-Bas, dont l'irritation était également à craindre. Cette appréciation ayant élé connue du conseil privé, quelques membres de ce collège, pour gagner les bonnes grâces des seigneurs, feignirent de changer d'opinion. Ce fut un prétexte pour amener la gouvernante à réunir, pour cette circonstance, le conseil privé et le conseil d'Etat. Les deux corps délibérèrent sous sa présidence, après qu'elle eut exhorté chacun à exprimer librement son avis. Les opposants s'em- pressèrent naturellement de profiter de cette autorisation. Ils prononcèrent des discours très vifs contre les ecclésiastiques qui prétendaient à dominer les princes séculiers et se plai- gnirent aussi avec amertume du peu d'égards que le roi témoi- gnait aux conseils des Pays-Bas, en statuant sur des affaires d'une telle gravité sans les consulter d'abord. Mais quant aux articles de dogme ou de doctrine, les seigneurs opposants ne cessèrent de protester qu'ils respectaient les décisions du concile. A la suite de cette discussion, Viglius et Hopperus, membres du conseil privé, demeurèrent seuls de l'avis qu'il fallait se conformer à l'ordonnance si expresse du roi. La majorité de l'assemblée émit l'opinion de suspendre la publi- cation du concile jusqu'à ce que le souverain, mieux informé, Papiers d'État du. cardinal Granvelle, t. VIII, p. 177. ( 54 ) eût fait rédiger une nouvelle ordonnance, conforme aux lois fondamentales du pays *. Cependant il s'agissait de faire sanctionner par le roi cette superintendance que s'était arrogée le conseil d'Etat. Comme la question du concile demandait aussi une solution, il fut décidé que la situation serait dévoilée au roi par l'entremise d'un seigneur principal, dépêché auprès de sa personne, et ce seigneur fut le comte d'Egmont 2. A la fin de décembre 1564, il y eut donc une séance du con- seil d'État pour fixer les termes de l'instruction que d'Egmont emporterait en Espagne. Le chef-président, chargé d'en rédi- ger la teneur, crut pouvoir s'exprimer en termes généraux sur les nécessités qui avaient fait l'objet des longues délibéra- tions du conseil. Ce n'était pas ainsi que les seigneurs com- prenaient la mission du comte. Le projet conçu par Viglius rencontra donc une vive opposition au conseil. Quand vint, pour le prince d'Orange, le moment d'exprimer son avis, il dit avec une véhémence extraordinaire que l'envoi d'un ambassa- deur du rang et de l'illustration du comte d'Egmont ne pou- vait avoir d'autre but que de faire connaître au roi toute la vérité; il fallait que Philippe II l'apprît enfin; il fallait l'avertir d'une façon nette que toute cette mise en scène de placards, de décrets, d'inquisiteurs et de délateurs devait une fois pour toutes être renversée. Il insista pour que le roi fût informé de la nécessité de subordonner le conseil privé et le conseil des finances au conseil d'État et de renforcer ce dernier en y intro- duisant dix à douze membres nouveaux, à choisir entre les plus patriotes, les plus purs et les plus capables. Surtout, il fallait franchement déclarer à Sa Majesté que les canons de Trente, répudiés par tout le monde, ne pouvaient absolument pas être mis en vigueur dans les Pays-Bas, et qu'il serait fatal de l'essayer. 1 Juste, Les Pays-Bas sous Philippe H, p. 486. — Mémoires de Viglius, p. xlii. — Hopperus, Mémorial, 2e partie, chap. VI. 2 Groen, ouvr. cité, 1. 1, p. 442. ( 55 ) Après cette harangue, qui avait fait sur les auditeurs une impression profonde, la duchesse de Parme leva la séance et remit au lendemain la résolution à prendre. Viglius était resté interdit devant la parole pleine de force et d'éclat de Guillaume de Nassau. 11 ne se dissimulait point que, à l'exception de Berlaymont, tous les autres membres du conseil approuvaient les opinions émises par le prince d'Orange. Il rentra chez lui très ému et passa la nuit à méditer la réponse qu'il ferait le lendemain et dont le résultat lui inspirait plus de crainte que d'espoir. Cette extrême contention d'esprit lui devint fatale : le matin, tandis qu'on l'habillait, il fut frappé d'apoplexie t. Cet événement rendit indispensable le remplacement de Viglius dans le conseil. Ses fonctions furent momentanément confiées à son ami, le conseiller Joachim Hopperus, comme lui docte Frison, de grande érudition, très versé dans la philo- sophie et la jurisprudence. Pour le surplus, Hopperus était tout simplement un homme de routine. Il était très savant dans les leltres, mais ne s'entendait guère aux affaires. Sa poli- tique ne pouvait donc qu'être stérile. « C'est un homme dévoué » que ce pauvre maître Hopperus, disait Granvelle, mais plus » propre aux spéculations platoniques qu'aux affaires de » l'État 2. » Jamais il ne contredisait la duchesse, de sorte que ses collègues avaient coutume de l'appeler « conseiller oui Madame », et il faisait tous ses efforts pour être l'ami de tout le monde 3. Dès que Viglius fut remis de sa maladie, dégoûté, découragé, affaibli, il demanda à Philippe II d'être déchargé de ses fonc- tions de chef et président. La gouvernante s'empressa d'ap- puyer sa demande et en même temps elle suggéra au roi l'idée de séparer de nouveau la présidence du conseil privé de celle du conseil d'État *. 1 Papiers d'État, t. VIII, p. 536; t. IX, p. 10. 2 Groen, ouvr. cité, t. V, p. 374. 3 Idem, ibid., p. 373. — Levensb. Nederl. Man. en Vromuen, t. IV, pp. 105 à 111. * Corresp. de Philippe //, 1. 1, pp. 335, 350, 351, 353 et 363. ( 56 ) La maladie de Viglius n'entrava pas le voyage du comte d'Egmont. On s'empressa, au conseil d'État, de reviser le tra- vail préparé par le chef-président. Et au départ du comte, le 18 janvier 1565, les seigneurs le chargèrent de recommander au roi la combinaison qu'ils avaient imaginée pour augmenter leur influence * et pour consolider, en la régularisant, la posi- tion que de fait ils avaient déjà à Bruxelles. Le roi aurait aug- menté de quatre membres le conseil d'Etat et il aurait attribué à ce conseil la connaissance de toutes les affaires du gouverne- ment, de manière que le conseil privé lui fût désormais sub- ordonné. Comme le dit Groen, si, selon les seigneurs, il fallait con- centrer l'autorité dans le conseil d'Etat, un pareil changement de rapports eût abouti à leur omnipotence au détriment du souverain 2. Ces plans, d'autre part, effrayaient fort et avec raison les catholiques au point de vue de la religion. Morillon écrivait au mois de mai 1565 : « Si la religion et justice se con- » duysent par le conseil d'Estat, à qui prendrat l'on adresse? » ayant dit Montigny que, quoy qu'il tarde, la nouvelle (répu- » blique) aura par deçà lieu pour estre la meilleure 3. » Viglius, de son côté, mandait à Granvelle, le 14 juin suivant : « L'on » forge icy une nouvelle république et conseil d'Estat, lequel » aura la souveraine superintendance de tous affaires. Je ne » scay comment cela pourra subsister avec le pouvoir et aucto- » rite de Madame la Régente et si S. M. mesme ne sera bridée » par cela 4. » Granvelle lui-même, dès le mois de juillet 1563, avait remontré au roi le danger qu'à ses yeux présenterait la prépondérance des seigneurs dans le gouvernement 5. Et dans ses lettres à Viglius, il ne cessait d'exciter le chef-président contre un tel arrangement : « Puisque vous voyez, disait-il, 1 Gachard, Don Carlos et Philippe II, 1. 1, p. 315. - Groen, ouvr. cité, t. I, pp. xli et xni. 5 Papiers d'État, t. IX, p. 217. '" Groen, ouvr. cité, t. I, p. 377. 3 Papiers d'État, t. VII, lettre n° xvn. ( 57 ) » que ces gens militaires s'arment contre les longues robes, » il faut lutter contre, car, s'ils triomphent, la république » ne saurait se soutenir *. » Cependant la mission du comte d'Egmont ne produisit pas les résultats que les seigneurs s'étaient promis. Philippe II n'avait pas voulu répondre verbalement au comte, à l'égard du changement demandé. Pénétré de la gravité des circonstances que devait entraîner la réorganisation du gouvernement, il avait allégué la nécessité et la convenance de prendre l'avis de la gouvernante. Cet avis, il le demanda par sa lettre du 3 avril -, en faisant part de ses appréhensions. La duchesse de Parme, dans sa réponse du 22 juillet 3, appuya le vœu des seigneurs. Elle ne voyait, pour rétablir l'ordre clans les affaires, d'autre moyen, disait-elle, que de donner au conseil d'Étal la préémi- nence sur les deux autres, en y faisant traiter, sous sa prési- dence, toutes les affaires majeures qui étaient actuellement soumises au conseil privé et au conseil des finances. Et sui- vant les avis de Fray Lorenço de Villavicencio, elle disait haute- ment à Bruxelles qu'elle se retirerait chez elle si Sa Majesté n'y faisait pas droit 4. Le comte d'Egmont, par ses lettres du 28 juillet et du 9 octobre ^ insista de nouveau auprès du roi pour qu'il prît, en ce qui concernait le conseil d'État, une résolution conforme aux avis qui lui étaient adressés par la régente : « Tant que les choses resteront dans l'état où elles » sont, lui disait-il, les affaires ne se feront pas. Il n'y a que » ceux dont l'autorité particulière est intéressée qui ne dési- » rent les changements proposés. » De son côté, Granvelle, le 15 octobre 6, se prononçait contre toute modification. Cependant, au mois de novembre 1565, l'opinion publique « Papiers d'Etat, t. VIII, p. 337. 2 Corresp. de Philippe II, t. I, n° 275. 5 Ibid., n° 302. * Ibid., t. II, p. xli. s Ibid., t. I, nos 298, 316 et 359. * Ibid., n« 319. ( 58 ) était encore dans l'attente sur la grave question qui, pendant toute l'année, avait été débattue entre Bruxelles et Madrid. Philippe II n'avait pas encore fait connaître sa décision ni sur le remplacement de Viglius, ni sur l'augmentation des mem- bres du conseil d'État, ni sur la subordination espérée du conseil privé au conseil d'État. Les seigneurs ne savaient que dire du silence prolongé du roi, bien qu'ils demeurassent, au témoignage de Bave, secrétaire du conseil privé, dans l'opinion que le roi ne pourrait faire « aultrement que passer par leur » advis et leur donner satisfaction et contentement * ». La réponse du roi, consignée dans les célèbres dépêches de Ségovie des 17 et 20 octobre, arriva enfin à Bruxelles le 5 no- vembre, mais elle ne fut communiquée aux conseils, par la duchesse, que quelques jours plus tard 2. Elle était en tous points contraire aux vœux et aux espérances que les seigneurs avaient déjà escomptés. Le roi décidait qu'il y aurait deux présidents, un du conseil d'État et un du conseil privé. Il nommait président du conseil d'État Tisnacq 3, qui devait être remplacé prés de sa personne par Hopperus. Quant à la pré- sidence du conseil privé, Philippe II était disposé à la confier au président d'Utrecht, mais il désirait préalablement savoir de la duchesse si celui-ci réunissait les qualités qu'une telle charge exigeait. L'autorité des deux présidents pourrait être déter- minée selon ce qui se pratiqua lorsque les mêmes charges existaient antérieurement. La duchesse devait ordonner à Viglius de mettre en ordre et de délivrer aux deux présidents, selon leurs attributions respectives, tous les papiers d'État qu'il avait entre les mains *. Le duc d'Arschot, cardinaliste avoué, était fait membre du conseil d'État. La question de savoir si le conseil d'État obtiendrait la prééminence sur le 1 Corresp. de Granvelle, t. I, p. lxxv. - Groen, ouvr. cité, t. I, p. 442. 5 Tisnacq était à Madrid en qualité de garde des sceaux pour les affaires des Pays-Bas. 1 Corresp. de Philippe //, t. I, p. 373. ( 59 ) conseil privé était de nouveau ajournée. Le roi voulait aussi que les placards de Charles-Quint ainsi que tous les autres édits ayant pour but la répression de l'hérésie, fussent exécutés sans aucun changement. L'opposition aristocratique se montra très irritée de cette décision qu'elle imputa à Granvelle, Viglius et Berlaymont 1. Le comte d'Egmont, le prince d'Orange et le comte de Hornes virent avec une indignation mal contenue le roi rejeter leurs conseils. Il fut enfin résolu que les derniers ordres du roi, à cause de leur importance extraordinaire, seraient commu- niqués au conseil privé; celui-ci donnerait son avis, puis le conseil d'État délibérerait 2. Le conseil privé fut donc réuni et consulté sur les dépêches de Ségovie. Il fut d'avis d'obéir aux commandements du roi et de ne rien innover, ni dans les édits de Charles-Quint, ni dans les peines établies contre les hérétiques. Le conseil d'Etat se rangea à cette manière de voir, à l'exception du comte d'Egmont et de ses deux amis. Ceux-ci soutinrent qu'il était à craindre que la publication des ordres relatifs à l'inquisition ne pro- voquât une sédition. Alors Viglius s'efforça de faire prévaloir l'opinion qu'il fallait suspendre l'exécution de ces ordres jus- qu'à ce que le roi eût été mieux informé; il déclara en même temps qu'il prenait sur lui toute la responsabilité du délai. Le conseiller d'Assonleville, se disant forcé par les événe- ments, indiqua comme mesure propre à remédier à la situa- tion, la venue du roi. Finalement, la majorité du conseil déclara que la volonté du roi était si péremptoire qu'il n'y avait pas moyen de s'y soustraire. La régente se rallia à cet avis et le 18 décembre les ordres de Philippe II furent adressés aux gouverneurs et aux conseils de justice 3. Ces ordres achevèrent de soulever les esprits; l'effervescence était devenue générale. Cependant les seigneurs n'avaient pas 1 Groen, ouvr. cité, 1. 1, p. 444. 2 Juste, Le comte d'Egmont et le comte de Homes, p. 127. 3 Mémorial d'Hopperus, § lxviii. — Mémoires de Viglius, § xlii. ( 60 ) renoncé à l'idée d'assurer la prépondérance du conseil d'Etat et d'attribuer à ce corps la direction effective des affaires, même de celles qui, jusqu'alors, ressortissaient au conseil privé et au conseil des finances. Le comte d'Egmont était d'avis que cette amélioration avait une telle importance qu'il fallait la repré- senter plus d'une fois au roi pour obtenir son assentiment. Il importait, selon lui, que le nombre des membres du conseil d'État fût augmenté et que le gouvernement reposât effective- ment sur ce conseil et sur la régente dont l'autorité ne pour- rait que grandir et serait plus respectée *. Au milieu de l'agitation générale, on vit apparaître sur la scène des acteurs qui n'y avaient pas figuré auparavant : c'étaient des nobles qui avaient formé le dessein de présenter une requête à la gouvernante pour obtenir la suppression de l'inquisition et la modération dans les édits de Charles-Quint relatifs à l'hérésie. La duchesse et ses conseillers furent extrê- mement effrayés de cette démonstration. Le conseil privé et le conseil d'État réunis étaient en quelque sorte en permanence depuis l'arrivée à Bruxelles des confédérés (3 avril 4566), à l'effet de préparer les réponses et d'être prêts à parer à toutes les éventualités. La requête, présentée à la gouvernante le 6 avril, n'eut de conséquences que par la suite. L'homme qui se fit le plus remarquer dans ces conjonctures difficiles, qui émettait presque toujours le premier son avis et dont on sui- vait la plupart du temps les opinions, qui rédigeait les projets de réponses et d'instructions, c'était le conseiller d'Assonleville. Et cependant, alors figuraient au conseil privé des hommes de loi distingués, tels que Viglius, Hermès de Winghene, Coebel et Grandjean. Mais d'Assonleville avait le grand désir de « faire service au roi 2 ». Peu de temps avant la présentation de la requête, ce conseiller avait été chargé par Marguerite de rédiger, au nom du conseil 1 Juste, Le comte d'Egmont et le comte de Homes, p. 157. 2 Corresp. de Philippe H, t. I, p. 382. (Lettre à Granvelle du 20 no- vembre 1565.) ( 61 ) privé, un projet de modération des édits prérappelés; il avait pris pour bases de son travail les dispositions portées par les empereurs romains pour l'extirpation du paganisme, ainsi qu'il l'avoue lui-même dans une lettre adressée à Granvelle le 21 avril 1566. Il mit au jour une œuvre indigeste et barbare, en cinquante-trois articles, qui ne valait pas plus que les lois pénales de Charles-Quint et à laquelle le peuple, par dérision, donna le titre de moorderacy, meurderatie au lieu de moderacy *. Ce projet était destiné au cabinet de Madrid, mais Philippe II, naturellement irrésolu, lent d'ailleurs à prendre un parti à cause de son habitude de scruter les moindres détails d'une affaire, cherchait à temporiser dans un moment où la promp- titude de la décision était si nécessaire. Aux dépêches de Mar- guerite qui réclamait si instamment une solution, il répondit en prétextant la nécessité de connaître l'opinion des magistrats du pays sur le projet du conseil privé. Trois mois se passèrent avant que le monarque prît l'avis de ses conseillers. La délibération fut longue; finalement, la décision du conseil fut empreinte d'une certaine modération et le roi s'y conforma. Dans une dépêche à Marguerite, Philippe demanda de la part du gouvernement de Bruxelles, un projet autre que celui qui lui avait été envoyé et promettait de s'y conformer, ce tenant soing que la saincte foy catholique et » l'authorité du roy fust gardée 2 ». Ces concessions n'étaient pas sincères. Dans une séance du conseil d'Etat tenue quelques jours après pour faire face aux nouveaux événements, d'Assonleville, qui était toujours appelé à cette assemblée à cause de ses capacités et de ses services, indiqua comme mesures propres à remédier aux maux la venue du roi entouré de sujets belges, l'abolition de l'inquisition et la convocation soit des états généraux, soit 1 Messager des sciences historiques, année 1865, p. 83. 2 Mémorial d'Hopperus, dans les Analecta Belgica, t. IV, p. 88. — De Reiffenberg, Corresp. de Marguerite d'Autriche, pp. 96 à 105. — Juste, Philippe II et la Belgique, p. 35. ( 62 ) des états provinciaux, à l'effet de recueillir leur opinion sur la réclamation des confédérés et le projet de modération des édits. Son avis prévalut en grande partie et son projet modé- rateur fut soumis à l'examen des conseils provinciaux de justice et des gouverneurs et transmis au roi, contrairement au senti- ment de Viglius. La régente et les conseils voyaient encore un remède aux embarras de la situation dans l'envoi à Madrid de députés pour exposer au roi l'état périlleux de la chose publique. Le marquis de Berghes et le baron de Montigny furent désignés et d'Assonleville chargé de rédiger les instructions dont ils devaient être porteurs 4. Elles furent discutées dans la séance du 26 avril. Cependant, les démonstrations des signataires du compromis devenaient de plus en plus menaçantes et l'anarchie faisait des progrès dans les esprits et dans le gouvernement. Mar- guerite, usant de ménagements, chargea d'Assonleville de communiquer au prince d'Orange et au comte de Hornes, pour avoir leur avis, une lettre qu'elle destinait au roi et qui traitait des assemblées des sectaires ainsi que des prêches qui se faisaient sur tous les points du pays. La conférence eut lieu le 6 juillet. Le rapport qu'en fit d'Assonleville à la régente fut adressé le lendemain au roi avec la lettre de la duchesse 2. A la séance du 9 juillet, le même objet était de nouveau à l'ordre du jour. D'Assonleville, prenant le premier la parole, exprima l'avis que les évêques devaient exhorter le peuple à obéir, à prier, à jeûner; que les magistrats, de leur côté, devaient chercher à contenir le peuple; qu'un membre du conseil devait être délégué pour conférer avec les gentils- hommes et qu'on devait inviter le roi de France et la reine mère à empêcher leurs sujets d'entrer dans les Pays-Bas. Le projet préparé par d'Assonleville fut discuté et adopté dans la séance du lendemain. Des jeûnes, des prières et des 1 Messager des sciences historiques, année 1865, p. 83. 2 De Reiffekberg, Corresp. de Marguerite d'Autriche, p. 71. ( 63 ) distributions d'aumônes turent ordonnés pour détourner du pays la colère du ciel l. De leur coté, les confédérés, las d'attendre une réponse défi- nitive, s'étaient réunis à Saint-Trond le 15 juillet. Après avoir pris des résolutions très graves, qui ne tendaient cette fois à rien moins qu'à une tolérance complète de tous les cultes, ils envoyèrent, le 26 du même mois, à la régente, une députation qui ne fut pas reçue, mais qui fut mise en rapport avec d'Asson- leville pour conférer avec lui. Les confédérés, refusant à leur tour d'entrer en conférence avec ce conseiller, présentèrent leur ultimatum à la régente le 30 juillet. La duchesse, con- sternée, chargea d'Assonleville d'aller leur demander des éclair- cissements sur cette nouvelle requête. Entretemps, la révolution, le mécontentement et les prêches des sectaires allaient en augmentant; les dévastations des églises et des monastères et une scission dans le parti national en furent les suites. Dans une séance très importante du conseil d'Etat du 22 août, d'Assonleville, prenant encore une fois le premier la parole, proposa de rendre une ordonnance pour faire cesser les désordres des iconoclastes et défendre le port des armes. Son avis ayant été partagé, il en rédigea immédiate- ment le projet qui fut discuté dans la séance de l'après-midi du même jour. Les circonstances devenant de plus en plus critiques, la régente s'apprêta à fuir à Mons... Elle resta, céda à la force et accorda, en protestant, aux confédérés les garanties qu'ils avaient réclamées, ainsi que des lettres d'assurance (23 et 25 août). Ceux-ci, de leur côté, prêtèrent serment les 25 et 27 août entre les mains des délégués de la duchesse, dont d'Assonleville faisait partie, de se conduire en bons et loyaux vassaux du roi et de renoncer provisoirement au compromis. Sur ces entrefaites, le prince d'Orange s'était rendu à Anvers. Le 2 septembre, il fit, de concert avec le magistrat de cette ville, un accord avec les sectaires pour tolérer les prêches dans cer- i Messager des sciences historiques, année 1865, p. 84. ( 64 ) tains endroits. Trois jours après, Viglius et d'Assonleville tirent rejeter cet acte au conseil d'Etat. Dans l'intervalle, un grand changement s'était opéré dans Je pays. L'abattement d'un grand nombre de nobles et de con- fédérés et la scission qui avait éclaté entre eux, joints aux vives instances du roi, portèrent bientôt Marguerite à se tourner vers le président Viglius avec lequel elle était, nous l'avons vu, brouillée depuis longtemps. Celui-ci lui conseilla de demander carrément aux principaux personnages de sa cour un serment de fidélité. La régente chargea d'Assonleville de se rendre auprès du prince d'Orange pour recevoir cet acte de soumis- sion. Ce conseiller ne crut pas à l'efficacité de cette démarche, mais il rédigea une lettre pour inviter le prince à suivre l'exemple des autres personnages en prêtant le serment exigé. Guillaume refusa. Cependant à Anvers le courage se soutenait. Le 17 février lo67, de nouveaux députés arrivèrent auprès de la régente pour obtenir au moins quelque satisfaction en faveur des religion- naires et une amnistie générale. Les députés eurent des confé- rences avec Viglius et d'Assonleville, mais ceux-ci estimèrent que tous les prêches devaient cesser et les sectaires être exclus de l'amnistie et forcés de quitter le pays. Le jour de la terrible vengeance était arrivé : il fallait une main de fer, un farouche soldat et non une femme pour exé- cuter les terribles projets du roi d'Espagne. La « belle trajédie» annoncée par le prince d'Orange allait commencer. Nous voici arrivé à l'époque des troubles religieux et poli- tiques qui agitèrent pendant si longtemps les Pays-Bas et qui furent si funestes à leur prospérité. Ce n'est pas ici le lieu de suivre dans leur ordre chronologique les diverses étapes locales de ces guerres de religion dans lesquelles Philippe II, attaqué avec la dernière violence par ses ennemis, frappa à son tour des coups injustifiables. Nous chercherons seulement à établir quelle fut, pendant cette triste époque, l'attitude du conseil privé. ( 05 ) A la nouvelle des excès des iconoclastes, Philippe II avait été saisi d'indignation. Il crut que ces excès ne pouvaient être châtiés avec trop de rigueur et il résolut d'envoyer aux Pays- Bas l'homme qu'il croyait le plus capable de remplir une pareille mission, en lui donnant les moyens nécessaires pour l'accomplir. Cet homme fut le duc d'Albe. Arrivé à Bruxelles le 22 août 1567, le duc convoqua à son hôtel une réunion des membres du conseil d'État et d'autres seigneurs pour leur exposer la mission dont il avait été investi par le roi et leur faire connaître la résolution qu'il avait prise d'instituer un conseil des troubles, chargé de rechercher et de punir les auteurs des désordres passés. Les membres de l'assemblée furent en même temps consultés par le duc sur le choix à faire des juges pour la composition de ce tribunal. Les assistants auraient voulu y voir entrer Viglius, à cause de son grand âge et de sa longue expérience au maniement des affaires *. Le président du conseil privé déclina ce dangereux honneur; il représenta que, selon lui, il fallait un conseil nouveau, formé de personnes intègres, expérimentées, à choisir dans les différentes pro- vinces. Quant au conseil privé, Viglius fit entendre au gouver- neur que le nombre de ses membres était trop restreint et que les conseillers étaient tellement chargés d'affaires qu'il n'y avait pas moyen d'en détacher aucun 2. On a voulu, dit Goethals 3, faire au président un mérite d'avoir pris cette mesure; mais ce sont là des biais dont de vieux courtisans peuvent se glorifier : un homme d'honneur ne consent point à forfaire aux lois constitutionnelles de son pays, ni à l'humanité. Au reste, c'est Viglius lui-même qui veut nous faire croire que, par humanité, il a voulu s'abstenir d'assister aux divers conseils de ces temps terribles. Mais on sait d'ailleurs quelles furent les intrigues des Espagnols pour dominer seuls au conseil d'État et en chasser les Belges. Il en 1 MS. 808, p. 129 v°, aux Archives du royaume. 2 Ibidem. 3 Goethals, Vie de Viglius, p. 61. Tome LU. ( M ) fut de même à ce tribunal de sang. Par leur insupportable arrogance, les conseillers Vargas et Del Rio réglaient toutes les décisions conformément à l'humeur de leur maître; c'est là la cause réelle de l'éloignement de Viglius qui fut, en quelque sorte, relégué dans son cabinet. Que les conseillers espagnols aient fait leur possible pour éloigner Viglius du conseil des troubles, nous le comprenons sans peine; qu'il ait lui-même refusé d'en faire partie, nous l'admettons encore; mais ce que nous ne pouvons admettre, c'est la sincérité des sentiments qu'il étala publiquement. Si Viglius ne fut pas l'inventeur du conseil des troubles, s'il a refusé d'en faire partie, si la définition qu'il en donne dans ses Mémoires * n'est rien moins que louangeuse, il lui reste du moins la honte d'avoir coopéré à son organisation; nous en avons une preuve évidente : dans la lettre du 9 septembre par laquelle il informe le roi des arrestations qu'il venait d'opé- rer, le duc dit : « Viglius me paraît maintenant se conduire » comme il convient : il m'a désigné les personnes entre les- » quelles j'ai choisi les membres dudit tribunal; il m'a dit » qu'il donnerait le moyen d'établir celui-ci sans contrevenir » aux privilèges du Brabant et même de procéder contre les » chevaliers de la Toison d'or 2. » Il est impossible, dit Motley 3, de considérer sans mépris la conduite du Frison distingué dans cette circonstance impor- tante. Uniquement occupé à sauver sa personne, sa propriété et sa réputation, il n'hésita pas à se courber devant le « très illustre duc », comme il l'appelait. Tout en se gardant de plonger ses propres mains dans le sang qui allait bientôt couler à flots, il ne refusa pas de participer aux préparatifs du grand holocauste des Pays-Bas. Son air décent et réservé est plus choquant que la grossière gaieté des meurtriers réels. Le conseiller d'Assonleville, lui aussi, approuva la création * Pages 198 et 199. 2 Corresv. de Philippe II, t. I, p. 573. 3 La révolution des Pays-Bas au XVIe siècle, t. II, p. 254. ( 67 ) du tribunal de sang. Cette institution était d'ailleurs en con- cordance avec ses sentiments. A peine entré au conseil privé, d'Assonleville avait vu avec la plus vive peine les dangers que courait sa patrie et les effets pernicieux que lui présageaient non seulement les doctrines de Luther et de Calvin, mais la corruption, la désunion qui régnaient dans la société. Il croyait trouver un remède à ces mœurs dans un pouvoir fort, absolu, à l'instar de celui de l'Espagne. Le 1er janvier 1556, il adressa donc à Philippe II un mémoire dans lequel il lui proposait cette forme de gouvernement pour les Pays-Bas t. Le souverain ne jugea pas alors à propos de donner suite à ce projet qu'il approuvait cependant. Mais en 1570, un nouveau mémoire sur cet objet, dont la paternité est attribuée à d'Assonleville, fut remis au monarque qui en écrivit secrètement au duc d'Albe le 4 juillet 2. Les complications politiques de l'époque traver- sèrent encore une fois ce projet liberticide. Quoi qu'il en soit, le conseil privé, considéré comme corps, échappa à la flétrissure qui s'est attachée aux noms des douze qui composèrent l'institution illégale et inconstitutionnelle du tribunal de sang. Il convient de dire à son honneur qu'il n'intervint pas directement dans la violation des formes et des privilèges nationaux dont le respect s'imposait pour l'établis- sement de ce tribunal et la nomination de ses membres, et dont l'odieux doit retomber sur le duc d'Albe. Aurait-ildû, au moins, protester contre l'illégalité de la substitution d'une 1 En voici un passage : « Touchant l'érection des Pays-Bas en un » royaulme, soubz une bonne concordance de police et de plusieurs » choses, avecq le tems estant les affaires ung petit plus paisibles, à la » première commodité du roi se pourrait bien faire. » (Archives de Simancas, inventaire des papiers de la secret, provinc. de Flandres, n<> 2604.) 2 « Maintenant, dit Philippe, que les naturels sont soumis, le projet » peut être mis à exécution ; faites en sorte que les naturels le deman- » dent eux-mêmes. » (Corresp. de Philippe II, t. II, p. 143.) — Si donc la révolution des Pays-Bas avait pu être comprimée complètement, un gouvernement despotique nous attendait. ( 68 ) commission à la juridiction des tribunaux dont il avait la garde et à l'empire de la loi dont il était le défenseur? L'honneur du corps eût été complètement sauf; mais on sait de quelle auto- rité despotique pesait sur le gouvernement le duc d'Albe. Les secrétaires du conseil privé, toutefois, firent partie, en la même qualité, du conseil des troubles. Le duc d'Albe les désigna lui-même : c'étaient Jean de Vlierden, Jacques de la Torre, Jean Mesdach et Etienne Prats '. Le 9 septembre 1569 "2, Philippe II mit enfin à exécution le point des dépêches de Ségovie relatif à la présidence du con- seil privé. Charles de Tisnacq fut appelé à remplacer Viglius, à condition, disent les lettres patentes, « que Viglius consen- » tira de servir le roi en la charge de président du conseil » d'État ». Viglius se soumit, quoiqu'à regret, à cette condi- tion 3. Sans abandonner donc la vie politique à laquelle il consacrera, pendant huit années encore, les lumières d'une longue expérience, au point même de devoir de nouveau con- duire intérimairement le char de la présidence à la mort de Tisnacq, Viglius ne jouera plus, dans le gouvernement, ce rôle prépondérant des trente années précédentes. Nous pou- vons donc, dès maintenant, porter un jugement sur lui. L'ancien chef et président a été diversement jugé et apprécié par ses biographes 4. Les uns n'ont vu en lui qu'un homme juste, à l'esprit dégagé de toute affection mal placée, digne 1 Gachard, Le conseil des troubles, p. 53. 2 Archives restituées par l'Autriche en 1866, liasse xxv. — Archives du conseil d'État, carton 31u2. 5 Hoynck, Analecta Belgica, t. II, p. 499. (Lettre 69 à Hopperus.) 1 La biographie de Viglius (Vita Viglii) a été écrite ou dictée par lui- même et publiée dans les Analecta Belgica de Hoynck van Papendrecht. Voir aussi les remarquables travaux de M. Backceyzen van den Brinck dans le Messager des sciences historiques, années 1848 et 1849; de M. Wauters, Introduction aux Mémoires de Viglius; de M. Goethals, dans les Lectures historiques, t. III, p. 26; de M. Raoux, Éloge de Viglius; de O'Sullivan, ibid.; de Lesbroussart, ibid.; de Dewez, ibid.; de de Smet, ibid.; De Thou, Hist. univ., liv. LXIV, année 1577. ( 69 ) des plus grands éloges; les autres ne trouvent dans ses actes que servilité, intolérance, obséquiosité et machiavélisme. Nous ne pouvons nous rallier complètement ni à l'un ni à l'autre de ces jugements. 11 faut tenir compte des circonstances diffi- ciles dans lesquelles s'est trouvé le chef- président. Viglius, quoique sincèrement attaché à la religion de ses pères, n'était pas intolérant et on peut juger comment il pensait en cette matière par un morceau d'une de ses lettres au célèbre Mélanchton i. Les écrivains du parti protestant même-, tels que Ernestus Eremundus-, lui rendent cette justice. Jamais on ne vit Viglius s'évaporer en injures contre ses ennemis; il se montre même généralement timide dans ses rapports avec les seigneurs de l'opposition; il a pour eux tous les égards et le respect dus à leur rang et à leur naissance; jamais sa bouche ne profère de paroles dont ils puissent raisonnablement se blesser; en public comme en particulier, il leur parle avec modération de l'autorité du roi et de ses ordonnances, de la religion et du concile de Trente. Tous ses discours, toutes ses démarches ne tendent qu'à ramener l'union et concilier la puissance de son maître avec les besoins du temps. On a comparé Viglius à Michel de l'Hôpital : le chef-pré- sident a joué en effet le même rôle que le chancelier français, mais c'a été avec moins d'éclat et surtout moins de sincérité. Sa modération nous paraît avoir été dictée moins par convic- tion que par son intérêt, auquel il aurait tout sacrifié. « Il a )> toujours pensé plus à son prouftit qu'à celui de ses amis », disait de lui Morillon qui ajoutait ailleurs : Nihil ei cordi nisi jiropria sains et suorum 3. Son avarice le rendait esclave du 1 Ego vero ea quae ab adolescentia ingressus sum studia adhuc per- sequens, etsi de iis controversiis quae hodie in religione agitantur judi- care nequeam, eam tamen mihi libertatem nullo loco auferri sustinui, ut erga bonos doctosque viros venerationem profiteri non auderem. {Aîialeeta BeLgica, t. II, pars I, p. 287.) 2 Hist. des troubles des Pays-Bas, p. 62, édition d'Amsterdam, 4641. Voir aussi De Thou, lib. LXIV, p. 209, édition de Genève, 1620. 3 Papiers d'État de Granvelle, t. V, p. 248, en note. ( 70 ) pouvoir; aussi rusait-il avec les événements; si quelquefois il reconnaissait la nécessité de plier devant l'orage, il conseillait et contribuait à prendre les mesures les plus rigoureuses dès que les circonstances prenaient une tournure favorable à son parti ou que le roi s'était prononcé contrairement à son senti- ment. Ainsi s'explique sa conduite lors de l'établissement du conseil des troubles : si, après avoir publiquement combattu son érection ou s'y être montré peu favorable, il l'a soutenue secrètement, c'est que sa sagacité habituelle lui a fait alors défaut; et dans l'incertitude où il s'est trouvé sur l'attitude que lui commandait son intérêt, il s'est jeté dans cette duplicité qui fait tache dans sa vie et qui met en doute la sincérité de tous les actes de sa carrière politique. L'institution du conseil des troubles annihila complètement la compétence du conseil privé. Si ce corps continua d'exercer ses fonctions, celles-ci furent réduites à l'examen d'affaires secondaires. C'est à peine s'il s'assemblait; le duc le mandait quelquefois en son hôtel et ne lui communiquait que ce qu'il voulait, sans tenir forme de conseil. Tous les cas d'importance un peu réelle étaient soumis directement à l'examen et à la décision du duc. C'est ainsi que le général espagnol avait retiré au conseil, pour se les réserver, la réglementation des placards sur le fait d'hérésie, l'administration des villes et des lieux dont les privilèges et les franchises avaient été abolis, toutes les grâces autrefois demandées au roi en son conseil, ainsi que tous les pardons concernant les délits qu'il était chargé de punir, comme toutes les concessions de sauf- conduit que le conseil accordait. Dans une lettre au roi, écrite deNimègue le 16 avril 1573 *, le duc d'Albe motive comme suit le retrait de ces prérogatives et de ces pouvoirs au conseil privé : « Le conseil ne donnait » pas à ces affaires l'attention convenable, soit par indifférence, » soit parce qu'il était trop occupé d'autres choses : il se repo- 1 Corresp. de Philippe II, t. H, p. 344. ( 71 ) » sait ordinairement sur les magistrats du soin de les décider » et ne s'informait pas même de la suite qui leur avait été » donnée. Il ne voulait pas que la peine de la confiscation fût » prononcée par les tribunaux, tandis qu'elle est appliquée » aujourd'hui dans toutes les provinces. Il n'avait pas pris les » mesures nécessaires pour que les placards sur la religion » fussent publiés dans les terres des seigneurs particuliers des » Pays-Bas. Enfin, il n'y avait pas de délit si grave et énorme » qu'il fût, que le conseil ne pardonnât après une année, lors- » qu'il existait une partie. On donnait aux délinquants, pour )> s'arranger avec les parties, un ou deux ans de temps, pen-' » dant lesquels ils pouvaient rester chez eux, et, ce terme » expiré, on le prolongeait, au cas que l'accomodement n'eût -» pas eu lieu. » Le conseil privé n'avait donc pas la confiance du duc d'Albe ; on serait même porté à croire que le duc craignait de sa part une velléité d'opposition, en lisant la lettre qu'il écrivit au roi le 15 mai 1573 i. « Du conseil privé et du conseil d'État nais- » sent tout le bien et tout le mal qui se font aux Pays-Bas; « or, l'un est animé d'un aussi mauvais esprit que l'autre. Ils » ne se proposent probablement pour objet, que de tenir le » roi en tutelle, afin qu'il ne puisse rien faire sans la volonté » des indigènes, comme le prétendaient le comte d'Egmont, » le prince d'Orange et consorts. Si le roi veut être seigneur » des Pays-Bas, il faut que cela soit changé et l'on n'y par- » viendra qu'en introduisant des Espagnols dans les deux » conseils, ou des Espagnols et des Italiens avec eux. Il n'a » pas proposé au roi de pourvoir successivement aux vacances » dans le conseil 2 afin que les choses en viennent au point » qu'il puisse nommer tout d'un coup à toutes les places de » ce corps : en faisant ces nominations successivement, ceux » qui restent gâtent ceux qui entrent, comme il arrive, lors- 1 Corresp. de Philippe H, t. II, p. 359. 2 Le conseil privé ne comptait plus que quatre membres : Viglius, Fonck, d'Assonleville et Micault. ( 72 ) » qu'on jette une cruche de bon vin dans un tonneau de » vinaigre, qu'il devient vinaigre lui-même; il a voulu, en un » mot, que cette secte ancienne (il ne saurait l'appeler autre- » ment), cesse d'exister, soit que les dogmatiseurs qui la com- » posent viennent à mourir, soit qu'on les place ailleurs. » Le chef de tous, continue le duc, est Viglius : c'est lui qui » leur fait la leçon, qui leur montre le chemin qu'ils doivent » suivre; et, comme il a son neveu [ près de Votre Majesté, » cela lui donne ici sur eux une très grande autorité. Viglius » venant à manquer, son neveu n'étant pas envoyé ici, et » d'Assonleville étant d'une ou d'autre manière écarté du » conseil, les deux autres conseillers qui resteront ne sont » gens à faire obstacle en rien. Votre Majesté pourra donc » d'un coup organiser ce conseil en y introduisant, comme » je l'ai dit, des Espagnols et des Italiens et en y nommant » des gens de ce pays qui soient d'un caractère facile et sans » capacité. De cette façon, les Espagnols et les Italiens seront » ceux qui y gouverneront le tout. » Charles de Tisnacq, qui remplissait, nous l'avons vu, les fonctions de chef et président du conseil, était mort le 17 avril 1573. Viglius, en annonçant cet événement au duc d'Albe, dit qu'il en était « fort marry pour avoir perdu le Roy et le pays, » en luy, un bon serviteur et ceulx du conseil sa bonne assis- » tence. Je prie à Dieu de lui faire mercy "2. » En même temps, l'ancien chef et président demandait au duc de remettre les sceaux de Sa Majesté entre les mains de quelqu'un du conseil, en attendant que le roi eût pourvu au remplacement de Tisnacq; il le suppliait aussi de ne pas l'en charger, « ny pour peu, ny pour beaulcoup de temps et qu'il )) plaise à icelle (Son Excellence) m'en excuser pour estre tant » débile et pressé de passions causées par mon indisposition, » qu'en vérité je ne m'y sauroye employer ne pouvant mesme » aulcunes fois, sinon à grand peyne, faire ce que dépent de 1 Hopperus, voir pp. 55 et 58. 2 Corresp. de Philippe II, t. II, p. 359. ( 73 ) » la charge que j'ay, tant pour la difficulté que j'ay de parler, » que pour ne sçavoir cheminer, tellement que j'ay assez » à faire de me maintenir en vye *. » Le duc d'Albe répondit à Viglius, le 20 avril, qu'il ne voyait que lui à qui pût être confiée la garde des sceaux, jusqu'à ce que le roi eût donné un successeur à ïisnacq; il le pria de ne pas s'y refuser : « car, dit-il, ce n'est point pour vous en donner » peine et travail, desquelz mon intention est doyez estre » entièrement excusé et deschargé, ains seulement que, ayant » la garde desdits sceaulx, le conseiller Micault d'Indevelde fait » le travail de la Visitation et rapport des pièces et despesches, » pour après estre scellées en votre présence, selon que luy » escrips présentement â. » Viglius se résigna, mais en suppliant le duc que ce fût pour peu de temps, « car, certes, lui écrivit-il le 23 avril, je sentz » évidemment ma décli nation, par l'indisposition qui me tra- » vaille continuellement, n'ayant plus l'esprit si vif, ny tel » usaige de mes membres, comme seroit nécessaire pour les » actions qui sont requis pour satisfaire, d'ores en avant aux » offices qui incombent à mon estât 3. » Dans sa lettre du 23 mai 1573, le duc donna connaissance au roi de la disposition précédente et lui en fit connaître le motif. « Il n'a voulu, disait-il, confier les fonctions de Tisnacq qu'à » Viglius pour ne donner à personne de droit à cette charge. » En même temps, il lui proposait pour la présidence le prési- dent du conseil de Flandre, Jacques Martens, dont il avait eu à se louer dans le conseil des troubles et qui avait d'ailleurs à ses yeux le mérite d'être très avancé en âge. Sous lui, ajou- tait le duc, le roi pourra faire entrer dans le conseil les per- sonnes qu'il jugera convenable, et, comme il n'a pas à vivre longtemps, une de ces personnes pourra le remplacer pro- chainement. Il savait bien d'ailleurs que tout le monde se rira 1 Corresp. de Philippe II, t. II, p. 359. 2 Idem, ibid. 3 Idem, ibid. ( n ) de cette nomination; mais elle convient au service du roi. Le duc était toutefois d'avis que le roi ne fît pas cette nomi- nation immédiatement. On voit quelles précautions prenait leducd'Albe pour consti- tuer un conseil souple et dévoué à sa politique. Abandonnant cependant en partie les idées qu'il émettait dans sa lettre du 15 mai, il adjoignit provisoirement au conseil, par acte du 12 juin, Del Rio et Jean Boisschot, avocat fiscal de Brabant * ; mais le roi n'approuva jamais la nomination de ce dernier, malgré l'appui que ce conseiller avait trouvé dans le conseil lui-même et malgré les pressantes recommandations qui furent faites, nous le verrons, par le successeur du duc d'Albe 2. L'effacement dans lequel le duc d'Albe avait laissé le conseil privé n'avait pas permis à ce corps d'attacher son nom à des mesures générales d'une importance réelle. Nous lui devons cependant, en partie, un des monuments les plus remarqua- bles de la jurisprudence du XVIe siècle : les ordonnances crimi- nelles de 1570. Le duc d'Albe avait été frappé de la détestable administration de la justice criminelle dans nos provinces; de l'abus des grâces et du droit d'asile; de la fréquente impunité des crimes; de l'interdiction de l'appel; de la disproportion entre les peines et les délits. Peut-être aussi la jurisprudence criminelle alors en vigueur le gênait-elle pour l'exécution de ses mesures poli- tiques. Par dépêche du 5 novembre 1569, le duc consulta le conseil de Brabant sur une série de changements à y apporter. Le conseil évita de se prononcer; mais le gouverneur pour- suivit son dessein, et dans le courant de l'année 1569, il chargea conjointement le conseil privé, le conseil d'Etal et le conseil des troubles de préparer un travail destiné, comme il le disait, à mettre la justice criminelle du pays « sur un pied aussi satisfaisant qu'on pût le désirer 3 ». 1 Corresp. de Philippe II, t. II, p. 383. 2 Biographie nationale, verbo Boisschot. 3 Nypels, Les ordonnances criminelles de Philippe II, pp. 7, 8 et 9. — Corresp. de Philippe II, t. II, p. 31. ( 75 ) Il semble, à première vue, qu'une mission de ce genre devait incomber au conseil privé seul. Cependant l'intervention du conseil d'État s'explique parfaitement par la gravité de la ma- tière à régler; dans des cas de cette importance, l'élaboration des projets de loi se faisait généralement par les trois conseils collatéraux réunis. D'ailleurs, le conseil d'État avait dans ses attributions ce qui concernait la politique, et la réforme cri- minelle projetée allait nécessairement soulever des questions de sa compétence. Quant à l'intervention du conseil des trou- bles, elle était motivée d'abord par les préférences person- nelles du gouverneur; ensuite, croyons-nous, par des raisons toutes spéciales que nous développerons tantôt. Dans cette commission de réforme, si nous pouvons l'appe- ler ainsi, deux éléments bien distincts étaient appelés à accom- plir une œuvre commune : l'élément national, composé de jurisconsultes et d'hommes d'État du pays et dominé par le président Viglius; et l'élément étranger, représenté par les membres du conseil des troubles et par Olzignano, conseiller au parlement de Dole, appelé exprès à Bruxelles. L'interven- tion de ces étrangers blessa vivement les nationaux. Viglius s'en plaignit même dans sa correspondance avec Hopperus *. ce Le bruit court ici, dit-il dans sa lettre du 13 juillet 4569 2, » qu'on va nous donner pour collègues des jurisconsultes » espagnols et italiens, parce que, dans la pensée de la plu- » part de ceux qui nous gouvernent aujourd'hui, les hommes » du pays sont profondément incapables (neque ingenio neque » doctrina neque experientia quidquam valere); on révoque » même en doute leur fidélité; mais j'aime à croire que le roi, » qui connaît mieux les hommes du pays, les jugera plus » favorablement que ces Espagnols arrogants qui se per- » mettent de nous censurer. » 1 Poullet, Hist. du droit pénal dans le duché de Brabant depuis Charles-Quint, p. 171. 2 Hoynck, Analecta Belgica, lre partie, p. 529. ( 76 ) Dans une autre lettre du 23 octobre *, Viglius revient sur ce sujet : « Nous attendons toujours, écrit-il, les jurisconsultes » italiens et espagnols qui doivent venir nous aider dans » l'œuvre de réforme de nos lois civiles et criminelles. Pour » nous tous, tant que nous sommes, on nous considère comme » ineptes et inutiles [inepti inutilesque) ; bien plus, on révoque » en doute la bonté des lois et des coutumes sous lesquelles » nous avons vécu jusqu'à présent. Je vous supplie, mon cher » Hopperus, vous qui avez étudié ces lois, qui les avez vues » fonctionner, faites-nous connaître celles que vous avez pu » observer là-bas et indiquez-nous en quoi elles sont meil- » leures que les nôtres. Et comme ici l'opinion du licencié » Vargas prévaut en toutes choses, dites-nous aussi ce qu'on » pense là-bas de ce nouveau Solon, car le peuple d'ici ne » peut se persuader qu'il jouisse à Madrid de la considération » qu'on lui accorde à Bruxelles. » Certainement Viglius était un des plus grands jurisconsultes de son temps. Il n'avait pas besoin, pour faire une œuvre juri- dique remarquable, de s'éclairer de lumières exotiques, en général assez vacillantes dans l'espèce. Certainement l'intro- duction du conseil des troubles et d'Olzignano clans la com- mission de réforme peut être considérée comme une manifes- tation de ce mépris instinctif et absurde que le gouvernement de Madrid et les Espagnols en général ne professaient que trop ouvertement pour les hommes qui n'étaient pas de leur sang. Mais l'histoire doit, pensons-nous, voir dans ce fait autre chose encore. Elle doit prendre les hommes comme ils sont, et non pas comme ils devraient être. Elle ne doit pas se dissimuler qu'il fallait plus que des jurisconsultes, même éminents, pour mettre ordre dans l'administration de la justice criminelle des Pays-Bas. II fallait des hommes qui ne craignissent jamais de trancher dans le vif. Or, les abus dont souffraient les justi- ciables étaient, en grande partie, des abus que nous appelle- rons aristocratiques. C'étaient des abus dont profitaient non 1 Hoynck, Analecta Belgica, lre partie, p. 544. ( 77 ) pas peut-être tous les membres du conseil d'Etat ou du conseil privé, mais au moins leurs parents, leurs proches, leurs amis, leurs subordonnés, leurs créatures. Livrés à eux-mêmes, ces membres du conseil privé et du conseil d'Etat auraient-ils eu toujours le courage de s'avouer le mal et d'y porter remède? Il est permis au moins d'en douter. Quiconque connaît le XVIe siècle sait que la qualité dominante n'était pas précisé- ment le désintéressement. Des étrangers, par là même qu'ils étaient sans racines et sans relations dans le pays, par là même qu'ils n'avaient pas de ménagements à garder, devaient être très utiles dans la commission de réforme pour stimuler le zèle, l'abnégation et le point d'honneur des régnicoles. C'est là, si nous ne nous trompons, dit M. Poullet *, ce que le gouverne- ment avait compris et avait voulu produire. Quoi qu'il en soit, les discussions furent vives. Au témoi- gnage de Vigiius, les grands du pays et les membres du conseil privé s'opposèrent avec force à l'introduction dans les ordon- nances de certains articles proposés par Vargas et ses créa- tures 2, comme dérogeant aux privilèges et aux coutumes de quelques provinces. L'histoire regrette de ne pouvoir signaler avec certitude les articles qui formèrent l'objet du débat. Elle en est réduite à des conjectures et à discuter les systèmes et les opinions des commentateurs des ordonnances, parmi lesquels nous citerons Poullet, Voorda, Van Hall et Nypels 3. C'est le conseil privé qui doit avoir eu la plus grande part à la confection de ces ordonnances. Vigiius le dit en termes assez formels dans une de ses lettres à Hopperus : « Pleraque » quae in supradictis ordinationibus continentur, per secretum » concilium duci fuere suggesta 4. » Dans les six premiers mois de l'année 1570, la commission termina son travail dont 1 Hist. du droit pénal dans le duché de Brabant depuis Charles-Quint, p. 171. 2 Hoynck, ouvr. cité, 1. 1, p. 586. — Nypels, ouvr. cité, p. 15. 3 Poullet,. ouvr. cité, p. 173. * Voorda, De crimineele ordonnantien van Koning Philip, etc. ( 78 ) Viglius, paraît-il, fut en dernière analyse le rédacteur. Elle avait élaboré deux ordonnances qui furent soumises à l'appro- bation du duc d'Albe et ensuite sanctionnées par Philippe II, et, en outre, un règlement sur le régime des prisons *. Les ordonnances furent respectivement publiées à Bruxelles le 5 et le 9 juillet 1570. L'œuvre de Viglius et de ses émules a été étudiée en détail par les auteurs cités plus haut. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer le lecteur à l'analyse qu'ils en ont faite. Cependant le duc d'Albe avait compris que sa situation était devenue intolérable dans les Pays-Bas; ses plans de campagne ne lui avaient pas réussi; partout il ne voyait qu'opposition et ressentiment. Il demanda donc qu'on lui donnât un succes- seur et le roi s'empressa d'accéder à sa demande en désignant pour le remplacer don Louis de Bequesens. Avec le départ du duc d'Albe, la suppression du conseil des troubles était prochaine. Cette réforme fut promise par le nouveau lieutenant; elle se réalisa en partie le 2 mai 1576, lorsqu'un édit ordonna la reprise de l'administration selon les anciennes coutumes 2. Dès son avènement au pouvoir, Bequesens s'occupa de la réorganisation du conseil privé que le duc d'Albe avait laissé dans le plus grand effacement et qui était réduit à un petit nombre de membres et sans chef-président effectif. Dans une lettre au roi du 30 septembre 1573 3, il proposa de dissoudre le conseil des troubles et de faire entrer une partie de ses membres dans les conseils collatéraux. Beprenant l'idée émise précédemment par le duc d'Albe, il demanda à Philippe II de 1 Van Hall, Beschouwing van den verlichten geest ende s trekking der crimineele ordonnancien... op den 5e ende 9e july 4570 uitgevaerdigt ende ingevoerd. 2 Bull, de l'Acad. roy. de Belgique, années 1853 et 1861. 3 Corresp. de Philippe II, t. II, p. 449. ( 79 ) compléter le conseil privé par la nomination de personnages italiens; il soumit donc à la ratification du monarque trois personnes de Milan : le sénateur Porro, Alessandro Panigue- rola, du magistrat ordinaire, et Juan Hurtado deMendoça, du magistrat extraordinaire ; un Espagnol, le docteur Rivera, qu'il avait connu à Milan et dont le cardinal Granvelle lui avait dit beaucoup de bien. Pendant le gouvernement du grand commandeur, le con- seiller d'Assonleville resta le ministre le plus écouté du parti espagnol. Par lettres patentes du 7 avril 1574 (n. s.) *, il fut défi- nitivement nommé conseiller d'État, poste qu'il occupait de fait, comme nous l'avons vu, depuis plusieurs années. Le 10 mars 1574 2, Philippe II avait déjà écrit à Requesens : « Vous pouvez, » si vous le jugez à propos, appeler d'Assonleville à faire partie » du conseil d'État. » Le 9 avril suivant, le gouverneur répon- dait au roi : a Selon les ordres de Votre Majesté, j'ai placé au » conseil d'État le conseiller d'Assonleville. Il y avait déjà » quelques années qu'il y entrait toujours, à cause de l'empê- » chement de Viglius et on lui remettait les lettres, mémoires » et autres papiers communiqués au conseil, pour qu'il ordon- » nât les dépêches qu'il y avait à faire; c'est un des meilleurs » hommes qu'il y ait aux Pays-Bas, mais il est très léger et il a » assez de défauts. » Cependant le président du conseil de Flandre, Martens, que le duc d'Albe avait proposé au roi pour chef-président du con- seil privé, était mort le 6 mars 1574. Requesens fit savoir au roi, le 9 avril suivant 3, qu'il ne savait quelle proposition lui faire pour ce poste éminent. Le roi l'engagea à conférer, à ce sujet, avec le conseiller d'État Roda *. Le 16 septembre s, Requesens proposa enfin comme chef-président, le chancelier i Bull, de la Comm. roy. d'hist., 2e série, 1. 1, p. 131 2 Corresp. de Philippe H, t. III, pp. 38 et 50. 3 Idem, ibid., p. 50. * Idem, ibid., p. 72. 5 Idem, ibid., p. 157. ( 80) de Gueldre, Arnould Sasbout. D'Assonleville pourrait convenir aussi, disait le gouverneur, mais il ferait faute pour les affaires qui passent toutes à présent par ses mains. Dans l'intervalle, des ouvertures avaient été faites entre le gouvernement et les états de Hollande et de Zélande pour le rétablissement de la paix et pour délibérer sur la liberté de religion et du commerce que réclamaient le prince d'Orange et ses adhérents. Requesens institua à cet effet une jointe for- mée des illustrations des Pays-Bas, des membres du conseil privé et du conseil d'État. Dans la séance du 24 novembre 1574, d'Assonleville porta la parole au nom du gouvernement. Il rap- pela d'abord les bienfaits du roi, la suppression du conseil des troubles *, l'octroi du pardon général, etc. Le peuple, conti- nua-t-il, est affoulé et mangé, mal affecté, et interprète tout sinistrement... Le roi ne tolérera jamais que la vraye religion catholique anchienne et romaine -... Il fut donc décidé qu'on enverrait des commissaires à Bréda pour entendre les députés du prince d'Orange et des villes de Hollande et de Zélande. Mais ces conférences n'aboutirent pas; elles ne le pouvaient pas, parce qu'on ne voulait laisser aux protestants que l'alter- native de rentrer dans le giron de l'Église ou de s'expatrier. C'était d'Assonleville qui servait d'intermédiaire entre Reque- sens et le baron de Rassenghien, l'organe des commissaires du prince d'Orange 3. Cependant le conseil privé demeurait réduit à ses trois membres effectifs, d'Assonleville, Fonck et Micault, sans comp- ter Viglius. Hopperus, qui se trouvait toujours à Madrid, consulté le 29 janvier 1575 sur cet état de choses, dit qu'il 1 II ne fut supprimé en réalité qu'à la fin de l'année 1578. 2 Voir ce discours dans la Correspondance de Philippe H, t. III, p. 571. — Requesens, en parlant au roi de ce discours dans une lettre du 11 dé- cembre 1574, dit qu'il a été plus long qu'il ne l'eût voulu, qu'il ne l'avait ordonné et qu'il contenait même plusieurs impertinences : alla algunas imper tinencias. 3 Messager des sciences historiques, année 1865, p. 98. ( 81 ) était nécessaire de pourvoir sans délai aux places vacantes dans ce corps et de composer le conseil de douze conseillers i. Le 1er février, le roi décida qu'une mesure allait être prise dans ce sens, mais auparavant il désirait, disait-il, savoir d'Hopperus quels étaient les sujets qui, selon lui, y seraient le plus propres. Hopperus fut donc invité à les désigner dans un mémoire où il indiquerait aussi les noms et les qualités de ceux qui figuraient déjà au conseil 2. Le 9 septembre, la solution à cette question n'était pas encore trouvée. Dans une lettre de cette date, Requesens fit connaître au roi les instances que Viglius faisait chaque jour pour être déchargé des sceaux. Il lui rappela que lorsque le duc d'Albe lui avait demandé de s'en charger, à la mort de Tisnacq, on lui avait promis que ce serait pour peu de temps, tandis qu'il y a trois mois que cela dure 3. H lui proposait en même temps pour conseiller Charles Rym, fils d'un conseiller de Flandre; c'est, disait-il, un homme très instruit, possédant plusieurs langues et une grande pratique des affaires d'Etat ; il a été employé pendant cinq ans à l'ambassade de Constantinople et a traité les affaires de beaucoup d'autres provinces ; son désir serait, après avoir servi quelques années encore l'empereur, de revenir dans sa patrie et de remplir alors la charge dont le roi l'aurait revêtu 4. Enfin, le 8 septembre s, le roi fit connaître au commandeur ses intentions. S'il a différé, dit-il, de pourvoir à la présidence et aux places vacantes dans le conseil privé, c'était afin de déli- bérer plus mûrement sur un sujet si important, pour la décharge de sa conscience, pour la bonne administration de la justice et le bon gouvernement du pays. Toutes les personnes que le grand commandeur choisira devront être nommées 1 Corresp. de Philippe II, t. III, p. 251. 2 Ibidem, p. 254. 3 Ibidem, p. 361. * Ibidem, p. 363. ^ Ibidem, p. 368. Tome LU. 6 ( 82 ) cou voz de prestado, afin que, si quelques-unes d'entre elles ne marchaient pas bien, ou qu'elles ne montrassent pas la capacité requise, elles pussent être remplacées sans difficulté. Il l'auto- rise à introduire dans ce conseil les personnages qu'il trouvera convenable. Ceux sur lesquels le grand commandeur devra fixer son choix pour les places de conseillers, sont les suivants : Jean Mepsche, lieutenant de Groningue; le docteur Burch, conseiller de Malines; Huysman et Wever, du conseil de Flandre; Wert, du conseil de Gueldre; le conseiller Charles Rym; le docteur Leoninus Longolii, de l'Université de Lou- vain, et le docteur Vinduille, de celle de Douay; il l'autorise à y nommer de plus deux conseillers de Bourgogne. Quant à la présidence du conseil, Philippe H la confiait au chancelier de Gueldre, Arnould Sasbout. Dans deux lettres du 28 et du 29 novembre *, Requesens exprima à Philippe son opinion sur la composition que le roi voulait donner au conseil. La présidence, disait-il, a été con- fiée au meilleur sujet qu'il y eût en ces pays. Le docteur Leoninus est bon jurisconsulte et catholique, mais il est chargé de trop d'affaires pour les personnes principales du pays pour qu'il convienne de le placer au conseil. « Il me semble, conti- » nue-t-il, qu'il seroit bien de furnir ledict conseil privé comme » il estoit du temps de feu l'empereur, père de Vostre Majesté, » que Dieu ait en sa gloire, pour ce qu'on employé volontiers )) es ambassades et commissions ceulx qui ont eu quelque » expérience des affaires. En prenant, entre autres, quelque » ung de la court de parlement à Dôle, Vostre Majesté donnera » grand contentement à ceux de Bourgoigne : car, entre )> aultres choses qu'est venu traicter vers moy messire Loys » Boisset, conseiller de Vostre Majesté en ladite court du » parlement, et envoyé ici de par icelle, a esté requis qu'il y » eust ung audict conseil privé, expérimenté es droictz et » coustumes dudict pays; à quoy, icelluy Boisset sera fort à )) propos, et ji le nomme partant à Vostre Majesté, comme 1 Corresp. de Philippe II, t. III, pp. 401 et 402. ( 83 ) » aussy fay-je le conseiller du grand conseil Kichardot et maistre )) Jehan Vander Burgh, aussy conseiller audict grand conseil. » Il y a aussy maître Josse Huusman, conseiller au conseil de » Flandre, qui a esté entre les nommez à Vostre Majesté pour » président d'icelluy. Aussy y a il maistre Jehan Blaser, con- a seiller dudict grand conseil, lequel l'on me dict estre fort » homme de bien, mais ung peu véhément, si qu'il n'advient » ne s'accorde pas bien avec ses confrères. De y mectre quelque >j ung sachant la langue allemande pour les affaires d'Alle- » maigne, il a samblé bien de besoing, et que l'on pourroit » à ce choisir le conseiller Rym, ayant esté le dernier ambas- » sadeur pour l'impériale Majesté vers le Turcq, selon que luy » fut promis quand on luy persuada d'y aller ayant beaucoup » de bonnes qualitez par-dessus la langue allemande. Et quant » à celluy qui est présentement assesseur pour Vostre Majesté » en la chambre impériale, il y a peu de temps qu'il y est. » Ne pouvant laisser de représenter icy à Vostre Majesté que, » si icelle veult furnir ledict conseil privé de personnes » exquises, comme il est bien requis, seroit aussy bien pour- » veoir qu'ilz eussent bon traictement et convenable et qu'ilz » en fussent bien payez : à quoy y a eu faulte; faisant aussy » ressouvenir à Vostre Majesté qu'il y a trois ans que le docteur » Loys Del Rio et maistre Jehan Boisschot, advocat fiscal au » conseil en Brabant, assistent par emprunt audict conseil a privé, par ordonnance du duc d'Albe, et qu'il est raison- » nable qu'ilz y demeurent, et fera partant Vostre Majesté » bien d'ordonner que leur soyent envoyées leurs commis- a sions. » En février 1576, le conseil n'était pas encore complété. Dans une lettre écrite au roi à cette époque, le grand commandeur lui faisait savoir qu'il n'avait pas encore fait au conseil privé les nominations provisoires qu'il lui avait annoncées : comme il n'y a pas urgence, disait-il, j'ai préféré attendre la résolution définitive de Votre Majesté *. 4 Corresp. de Philippe II, t. III, p. 448. ( 84) Comment expliquer ce retard, cette hésitation, ces tergiver- sations de Requesens pour la composition de son conseil? Commençait-il, lui aussi, à partager la défiance qu'avait témoignée à ce corps le duc d'Albe? On serait porté à le croire. L'accord d'ailleurs entre le gouverneur général et ses conseillers, notamment d'Assonleville, était loin d'exister ; c'est du moins ce qui résulte d'une lettre écrite au roi par le grand comman- deur, le 10 septembre 157o *. Dans cette lettre, Requesens les dénonce comme des gens de mauvaise foi. Jamais, dit-il, il n'a vu en sa vie et n'a jamais pensé qu'il pût exister dans le monde des gens qui en imposassent si audacieusement, car, deux heures à peine après qu'ils sont sortis du conseil, ils nient tout ce qu'ils y ont dit. Et plût à Dieu, ajoute-t-il, qu'ils se conten- tassent de divulguer ce qui se passe dans le conseil et d'in- venter ce qui jamais ne s'y passa! Mais en quelque chose que ce soit qui touche quelqu'un de la nation espagnole, ils lâchent la bride à leurs langues. Dans l'intervalle de ces négociations, Requesens, malgré ses intentions les plus pacifiques, avait dû continuer les hostilités contre les insurgés. Le sort des armes semblait devenir enfin entièrement favorable aux Espagnols, lorsque le gouverneur général mourut, le 5 mars 1576, avant d'avoir pourvu aux places vacantes dans le conseil privé, qui était encore tel que l'avait laissé le duc d'Albe. Successivement remise aux faibles mains du comte de Rer- laymont, puis à celles du comte de Mansfeld, l'administra- tion centrale perdit en vigueur ce que la rébellion gagna en audace. Forcé de prendre les rênes du gouvernement, le conseil d'État, qui ne comptait, lui non plus, que quatre membres, Yiglius, de Rerlaymont, d'Assonleville et le comte d'Arschot, s'adjoignit deux personnages du conseil privé, le chef-prési- dent Sasbout et Del Rio. D'Assonleville fut encore l'âme de ce gouvernement provisoire; c'était lui le promoteur de toutes * Corresp. de Philippe II, t. III, p. 363. ( 8o ) les mesures, le rédacteur des principales dépêches et instruc- tions. Mais l'autorité de ce conseil ne tarda pas à être mécon- nue. Il tomba bientôt dans le discrédit, et un vague mécon- tentement ne présageait que trop sûrement de nouveaux orages. Livré à la merci des partis qu'il ne pouvait ou ne voulait pas satisfaire, le conseil d'État n'était plus que l'ombre d'un pou- voir, mais c'était encore trop pour les meneurs. Les états de Brabant avaient confié le gouvernement de Bruxelles au sei- gneur de Hèse. Celui-ci, à la tête de quatre cents soldats, fit invasion, le 4 septembre 1576, vers 10 heures du matin, dans le palais où siégeait le conseil et déclara ses membres prison- niers. Le chef-président Sasbout et d'Assonleville, qui assis- taient à la séance, furent conduits au Broodhuys avec les autres membres du conseil d'État. Viglius, étant malade, n'était pas venu au conseil ; il fut retenu prisonnier dans sa chambre. En même temps qu'on arrêtait le conseil d'État, les conseil- lers du conseil privé, qui s'étaient aussi assemblés au palais, furent gardés à vue, et, l'après-midi, trois d'entre eux, Fonck, Del Rio et Boisschot, furent retenus prisonniers en différents endroits *. Le chef- président Sasbout fut remis en liberté le 15 septembre, et le conseiller Fonck, le 16 septembre %: D'Assonleville fut retenu jusqu'au 18 janvier 1577; Del Rio et Boisschot, jusqu'au mois de mars 3. Mutilé et avili par cet outrage, le conseil d'État fut forcé à l'inaction. Le conseil privé, sans impulsion, sans organisation sérieuse, sans direction depuis la mort de Requesens, sans autorité depuis que le conseil d'État avait pris en mains la direction du gouvernement, était un corps nul de fait. Aban- donnés à leurs propres forces, les Belges s'efforcèrent de trou- ver dans les bienfaits et les avantages de l'union, le moyen de triompher de l'anarchie et du désordre. 1 Corresp. de Philippe H, t. IV, p. 405. 2 Ibidem, p. 385. — Corresp. de Granvelle, t. VI, p. 421. 3 Biographie nationale. ( 86) Presque aussitôt déchirée que signée par les deux partis qui se disputaient le pouvoir, la Pacification de Gand ne fut qu'une trêve éphémère. Cependant Philippe II avait désigné le successeur de Reque- sens: c'était don Juan d'Autriche. Le nouveau gouverneur souscrivit aux conditions que les états mirent pour son accep- tation, et il fit son entrée à Bruxelles le 1er mai 1577. Mais bientôt il constata que sa situation était en péril, et, pour mettre sa personne en sûreté et être à même de maintenir son pouvoir, il se relira le 24 juillet à Namur où il fixa sa résidence. Là, don Juan s'occupa immédiatement des mesures qui touchaient au gouvernement et à l'état du pays. En janvier 1578, il reconstitua les conseils collatéraux avec de nouveaux éléments, conformément à ses instructions géné- rales 1. La plupart des membres du conseil d'Etat et le chef-prési- dent du conseil privé, entraînés par les idées des états ou cédant par crainte à leur influence, avaient abandonné le parti royal 2. Yiglius, lui, était mort le 8 mai 1577. Don Juan choisit comme membres du conseil privé les personnages les plus capables, ceux qui avaient donné des preuves assurées de leur dévouement et de leur zèle pour la religion catholique, ainsi que de leur fidélité et de leur affection au roi. Il continua dans leurs fonctions les conseillers d'Assonleville, Fonck et Del Rio, et leur adjoignit Antoine Houst, Jean Vendeville, Hugo Boutechou et Wambésius; mais ce dernier préféra les intérêts de l'Université de Loùvain à la vie politique; il ne voulut pas abandonner ses fonctions de professeur de droit, où il s'était acquis une grande réputation de science et de gloire 3. 1 Corresp. de Philippe II, t. IV, p. 453. 2 Gachard, Corresp. de Marguerite d'Autriche avec Philippe II, t. II, p. XLV. 3 Archives de l'ancien cons. privé, liasse n° 39. — Mémoires de Del Rio, t. III, p. 233. — Papiers d'État et de l'Audience, reg. 80o, fol. 6 et suiv. — De Tassis, Commentaires sur les troubles des Pays-Bas, liv. IV, p. 303. ( 87 ) Des lettres patentes données à Elvas, le 20 février 1581, con- férèrent la présidence du conseil à Guillaume Joigny, seigneur de Pamele, président du conseil de Flandre. Louis Vereyken fut nommé audiencier à la place de Doeverloop, et les secré- taires Grismaldy, Berly et Guillaume d'Enghien furent main- tenus dans leur état *. On connaît le désordre qui, vers le milieu de l'année 1578, régnait dans les Pays-Bas. Il n'y avait, à l'intérieur, que dissen- timents, jalousies, animosités et haines, tandis que trois princes étrangers se disputaient le commandement dans notre pays. Le conseiller d'Assonleville écrivait au cardinal Gran- velle : « Tout se tourne de fons en comble, sens dessus dessoubz, » la religion, l'auctorité du roi; en eftect, tout le paiis pend à )> un fille 2. )> On conçoit aisément que le rôle du conseil privé ait été peu considérable pendant cette période d'agita- tions ; son autorité, d'ailleurs, était restreinte au Luxembourg, à une partie de la province de Namur et à quelques places éparses dans le Brabant, les seules parties des Pays-Bas qui obéissent encore à cette époque à la maison espagnole. Une mission importante fut cependant confiée à ce temps à deux de ses membres, les conseillers d'Assonleville et Fonck. Au mois d'août 1579, ils furent chargés de se rendre au congrès de Cologne pour essayer une dernière tentative de conciliation entre le roi et ses sujets des Pays-Bas. Les négo- ciations concernaient l'éloignement des troupes étrangères, la restitution des biens confisqués, la ratification formelle de la Pacification de Gand et de l'édit perpétuel, le libre exercice de la religion réformée, l'admission exclusive des nationaux aux emplois publics, ainsi que le serment de fidélité à prêter au roi et aux états généraux. Il suffit d'énumérer ces sujets en discussion pour comprendre que l'entente entre les députés 1 MS. 15891, fol. 59, de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. — Papiers d'État et de l'Audience, reg. 805, fol. 6 et suiv. — Papiers de Roose, t. LXXX, fol. 96. 2 Groen, Archives de la maison d'Orange, t. VI, p. 341. ( 88 ) de l'archiduc Mathias et ceux du roi était impossible. Aussi le congrès, commencé le 5 août, se sépara-t-il au bout de sept mois sans avoir produit un résultat utile *. Pour reprendre son action ordinaire, le conseil devait attendre le résultat des divisions intestines. Cette attente dura cinq ans. A l'avènement du prince de Parme, successeur de don Juan, l'Union d'Utrecht amena le traité d'Arras qui replaça sous l'autorité du roi le Hainaut, l'Artois, Lille, Douai et Orchies. La prise de Maestricht, en 1579, et celle de Tournai, en 1583, furent suivies, l'année suivante, de la soumission de Gand et de toute la Flandre. Le 10 mars 1585, Bruxelles ouvrit ses portes au gouverneur général, et enfin, le 19 août, la capitulation d'Anvers compléta l'œuvre de la restauration espagnole dans les provinces méridionales. Pendant ce temps, le conseil avait plusieurs fois changé de résidence. Déjà le 9 septembre 1578, il avait dû se séparer et abandonner la ville de Namur, à cause de la maladie qui y régnait 2. A la fin de l'année 1579, nous le trouvons à Maestricht, avec Farnèse; l'année suivante, il est à Mons, où le prince de Parme avait fixé le siège de sa cour. En 1583, il quitta cette ville pour Tournai, où s'était établi le gouverneur 3. Enfin, après la capitulation de Bruxelles, il reçut ordre, le 30 avril 1585 4, de rentrer dans cette ville et d'y reprendre ses séances. C'est pendant le séjour du conseil privé à Tournai qu'eut 1 Messager des sciences historiques, année 1865, p. 107. 2 «Voyant la maladie contagieuse journellement croistre, en cette ville, » et apparente de grasser de plus en plus, principallement en ceste saison » la plus dangereuse de l'année, meismement que, cntour noz logiz de » toutes partz, le mal s'est jà espandu tellement que ce n'est sans évident » péril de demeurer icy plus longuement et moins y tenir conseil, nous » avons advisé, soubz le bon plaisir de Vostre Altèze, de nous retirer pour » quelques jours aux champs icy alentour. » (Gachard, Doc. inéd., t. I, p. 373.) 3 Delewarde, Hist. du Hainaut, t. VI, pp. 566 et 575. 4 Gachard, Analectes belgiques, t. V, p. 571. ( 89 ) lieu l'assassinat du prince d'Orange. Le conseiller d'Assonle- ville prit une certaine part à cet événement. Balthazar Gérard commit le crime le 10 juillet. Le 21 mars précédent, il s'était adressé à Farnèse et lui avait remis un écrit renfermant son projet. Le gouverneur général, le regardant comme impropre à cette entreprise, le congédia. Cependant, sur les observations de quelques-uns de ses conseillers, le duc de Parme consentit à envoyer son conseiller d'Assonleville chez Gérard pour s'informer des détails du plan de ce dernier. Le ministre alla donc voir Gérard et le pria d'exposer par écrit le mode d'exé- cution de son projet, ce qui fut fait le 11 avril. A la vue de cette seconde lettre de Gérard, le duc de Parme autorisa d'Assonleville à donner des encouragements au jeune homme pour mettre son projet à exécution. Dans un dernier entretien avec Gérard, d'Assonleville approuva son plan et même l'emploi frauduleux du sceau de Mansfeld. En le voyant tout à fait résolu, il lui garantit, au nom de Farnèse, les mercedes, récompenses et honneurs qui, selon l'édit de pro- scription, devaient être le prix de l'assassinat. Il lui recom- manda, s'il avait le malheur d'être arrêté, de ne faire aucun aveu de nature à compromettre le duc de Parme. En le congé- diant, d'Assonleville lui dit paternellement : « Allez, mon » enfant, si vous parachevez ce fait, le Roi vous tiendra » compte de ce qu'il a promis et vous serez en outre immor- » talisé. » A la rentrée du conseil privé dans la capitale, la situation du pays était déplorable. Vingt années de troubles intérieurs avaient épuisé les ressources de ces provinces, jadis les plus florissantes de l'Europe. On souffrait, selon l'expression de M. de Gerlache, plus de maux que la verge de Moïse n'en infligea aux Egyptiens. Une lourde tâche pesait sur le gouvernement et sur ses conseils. Les grandes cités du Brabant et de la Flandre avaient vu leur population diminuer dans une proportion effrayante;. L'industrie drapière, naguère si florissante, avait été sup- ( 90 ) plantée sur les marchés de l'Angleterre, de la Hollande et de l'Allemagne, grâce surtout au perfectionnement dont celle de ces pays fut redevable à l'immigration de nos meilleurs ouvriers. Déjà en 1566, le conseil privé s'était ému de cette situation. « Le pays, écrivait le conseiller d'Assonleville à » Granvelle, le 15 janvier, se dépeuple tellement qu'on voit » journellement gens de ce pays aller en Angleterre avec leurs » familles et leurs instruments ; et jà Londres, Sandwich, et » le pays allenviron est si plain, que l'on dit que le nombre » dépasse trente mille têtes. La royne a assigné à ceux qui » viennent journellement une aultre ville maritime nommée » Norwich, pour y faire leurs mestiers, et là pense se refaire » de notre dépouille; et certes elle ne s'abuse pas, car, par » tels moyens, est encommenchié la draperie d'Angleterre à la » destruction de la nostre 4. » Dans l'espoir de mettre fin à cette situation, le gouverne- ment, sur l'avis du conseil privé, renouvela, en 1587, 1592, 1594 et 1595, les placards de Philippe le Bon et de l'archiduc Philippe le Beau qui avaient prohibé l'introduction des draps et des laines filées d'Angleterre. Mais le mal était devenu irré- médiable : cette belle industrie, qui avait fait la force et la prospérité de la Flandre, était destinée à périr. Des mesures analogues furent prises pour le Luxembourg. On ignore généralement qu'il existait aussi, à cette époque, dans ce duché, des fabriques de draps qui, bien qu'elles ne produisissent que des draps communs, n'en avaient pas moins une certaine importance pour cette province. En 1594, les maîtres du métier des draperies dans les villes de Luxembourg, Thionville, Arlon et Vianden, présentèrent au conseil privé une requête pour se plaindre de ce que les étrangers, et nommément les Français, les Lorrains et les Lié- geois, accaparaient et enlevaient clandestinement les laines du pays en les achetant même avant que les troupeaux fussent Corresp. de Philippe II, t. I, p. 392. ( 91 ) tondus, ce qui, de 8 à 9 patards la livre, prix auquel elles se vendaient auparavant, les avait fait hausser jusqu'à 15 et 46 patards. Us se plaignaient encore que, pour prix de ces laines, les acheteurs donnassent des draps de mauvaise qualité et ils demandaient donc que le gouvernement, par des mesures sévères, pourvût à cet abus, ruineux pour le métier des dra- piers, « l'ung des plus principaulx, disaient-ils, et nécessaire » pour le bien et prouffict de la commune. » Le conseil privé, après une ample instruction, fit rendre, le 16 août 1597, une ordonnance interdisant de faire ou vendre draps dans le duché de Luxembourg, « aultre que de bonne et » léale estoffe et marchandise, sans les tirer ni étendre ou » presser à force, ni les falsifier de matières, estoffe, façon, » manufacture, couleur ou aultrement, d'exposer en vente » aucuns draps dans le plat pays, sans qu'ils eussent été » préalablement visités, marqués et scellés par les officiers et » jurés à ce constitués, et entin d'acheter, échanger ou vendre » des laines avant la tonte, celles-ci ne pouvant être vendues » qu'aux foires et marchés publics et seulement à ceux qui les » mettraient en œuvre i. » Le commerce n'avait pas moins souffert que l'industrie. Avant les troubles, Anvers était le centre du mouvement com- mercial de l'Europe. Sa ruine fut consommée par la séparation des provinces septentrionales d'avec celles du midi : les Hol- landais et les Zélandais étant maîtres de l'Escaut, notre métro- pole commerciale ne put dès lors communiquer avec la mer que sous leur bon plaisir. Par représailles, le conseil privé conseilla l'emploi de mesures prohibitives telles que celles de la clôture du Rhin aux Hollandais, mais elles ne produisirent pas le résultat qu'on s'en était promis à Bruxelles ; elles ne servirent, au contraire, qu'à développer la puissance commer- ciale de la république du Nord qui tourna ses vues vers les Indes. Ses entreprises de ce côté furent couronnées de succès 1 Archives du royaume : Papiers d'État et de l'Audience, carton n° 17. ( 92 ) et, au XVIIe siècle, elle devint l'un des premiers États de l'Europe 1. L'organisation administrative avait aussi beaucoup souffert de la période des troubles : les plus grands abus s'étaient introduits dans la justice, la police, les finances et la milice. De ce côté aussi, des améliorations furent introduites par le conseil privé. Un membre de ce corps, d'Assonleville, con- sulté par l'archiduc Ernest dès son arrivée en Belgique, lui traça un tableau de la situation dont nous extrayons le passage suivant : « La milice est en tout et partout tant corrompue, » qu'il n'y a nulle forme, nul règlement ni conduite, y obstant » une licence effrénée de faire ce que chacun veut, sans obéis- » sance, respect, justice ni chastoi, ayant perdu la plupart des » capitaines et soldats l'honneur et volonté de bien faire; ne » servant les gens de guerre qu'à épuiser et consumer les tré- » sors de Sa Majesté, lui faire perdre réputation, manger et » affoler son peuple 2. » Le remède à une telle situation était indiqué : il fallait rendre au pouvoir administratif l'organisation qui faisait sa force et remettre en vigueur tous les anciens règlements. Peut- être aussi conviendrait-il, ajoutait le même conseiller, « de » faire appeler les états des provinces en la forme et manière » accoutumées comme il semble que tous s'y attendent... )> et par ce moyen seront entendues les justes plaintes et » doléances pour y remédier spécialement contre les charges » par trop grièves qui désespèrent tous les sujets. » Ces idées étaient celles de tout le conseil privé, mais ces améliorations ne pouvaient s'improviser. Philippe II ordonna cependant que les conseils collatéraux ainsi que les conseils de justice proposassent les moyens de faire cesser « les désordres, » abuz et faultes que la malice du temps et nonchaloir de ses » propres ministres et officiers avoient peu à peu introduits » aux Pays-Bas, tant au faict de justice, police, finances, que 1 Neny, Mém. hist. et polit., 1. 1, p. 69. 2 Documents historiques, vol. XVI, p. 17, aux Archives du royaume. ( 93 ) » de la discipline militaire i, » Le conseil privé examina avec deux membres du conseil d'État et quelques délégués du grand conseil, des conseils de Brabant, de Flandre, d'Artois et de Hainaut les avis qui avaient été donnés en exécution des ordres de Philippe II. Il consigna, le 25 octobre 1594, dans un mémoire très étendu, le résultat des discussions auxquelles il s'était livré 2. Ce mémoire fut transmis à Philippe II, avec les décisions prises dans une grande jointe d'enquête qui avait été réunie à Bruxelles dans le môme but en 1595, et dont faisaient partie le chef et président du conseil privé, Jean Vander Burch, ainsi que les conseillers d'Assonleville et Bichardot 3. Philippe II accueillit fort bien les vœux qui lui étaient expri- més dans ces travaux. Il prescrivit de mettre à exécution quel- ques-unes des mesures proposées; il demanda relativement à d'autres de nouvelles informations, manifestant d'ailleurs sur toutes les intentions les plus bienveillantes, « ne désirant rien, )> disait-il, que veoir ses pays patrimoniaulx gouvernez et régis » en toute doctrine, justice, bonne police et discipline, comme » de son temps, de feu l'empereur et de le royne d'Hongrie, » ils soloient être 4. » Cependant Philippe II, accablé par l'âge et la mauvaise for- tune, commençait à fléchir sous le poids de la lutte si acharnée qu'il soutenait depuis trente ans. Quoique maître de la plus vaste monarchie du monde, il s'apercevait que le rôle qu'il s'était imposé excédait ses forces. Son inflexible politique devait donc faire place à un système conciliateur. Il se flatta de pou- voir mieux réussir en accordant aux Pays-Bas un régime plus en harmonie avec nos traditions et résolut de déléguer l'exer- cice de son autorité à l'archiduc Albert, qui allait épouser l'in- fante Isabelle. 1 Gachard, Actes des états généraux de 4600, p. lxxvi. 2 Doc. hist., t. XVI, p. 95, aux Archives du royaume. 3 Gachard, Actes des états généraux de 4600, p. 449, en note. * Idem, ibid., pp. 415 à 449. ( 94 ) Le 10 septembre 1597, Philippe II fit connaître ses inten- tions au conseil privé*. Les membres de ce corps, dans l'adresse au roi qu'ils signèrent le 12 décembre suivant, dirent que sa résolution les avait d'abord étonnés, croyant qu'il voulait les abandonner de son vivant et pensant aux grandes vertus du prince qu'ils cesseront de servir et aux bénéfices et faveurs qu'ils en avaient reçus pendant l'espace de quarante-deux ans. Néanmoins, puisqu'il en a décidé autrement, ils se réjouissent de sa détermination en considérant qu'il ne leur donne pas un prince étranger, mais un souverain de son sang, de son nom et de sa maison, dont ils ont pu, depuis deux ans, apprécier le zèle et l'expérience. Ils regrettent toutefois que leurs futurs princes ne trouveront pas le pays dans l'état où Philippe II l'a laissé à son départ, mais ils espèrent qu'avec la grâce de Dieu et l'assistance du roi ils le verront bientôt en voie d'améliora- tion. Ils supplient le roi de vouloir toujours tenir ces pays sous sa royale protection, seul moyen de parvenir à la paix, chose tant désirée et si nécessaire à un État affligé et désolé comme le sont les Pays-Bas. Us terminent en priant le Créateur de conserver au roi une bonne santé, une longue et heureuse vie 2. Le 31 mai 1598 3, Philippe II répondit à cette adresse. Dans sa lettre, il exprime la joie qu'il a éprouvée en apprenant la satisfaction qu'avait causée aux membres du conseil privé la résolution qu'il avait prise ; il apprend au conseil qu'il a cédé à sa fille tous ses pays d'embas et de Bourgogne; qu'il con- tinuera de les assister tant qu'il sera besoin. Il se défend d'avoir voulu les abandonner; il continuera de les secourir comme par le passé, jusqu'à ce qu'ils soient bien assurés soit par la paix, soit autrement. L'acte solennel de cession, signé à Madrid le 6 mai 1598, fut communiqué le 15 août suivant aux états généraux assemblés 1 Gachard, Doc. inéd., t. I, p. 389. 2 Idem, ibid., p. 408. 3 Idem, ibid., p. 425. ( 95 ) dans la grande salle de l'hôtel de ville de Bruxelles. Après avoir pris connaissance de cet acte, les états procédèrent, dans la grande salle du palais de Caudenberg, à l'inauguration de leurs nouveaux souverains en présence des membres du con- seil privé. Ce fut le chef et président ttichardot qui porta, dans cette réunion solennelle, la parole au nom des archiducs i. Le règne de Philippe II en Belgique était terminé. Si la Bel- gique s'appartient encore, c'est de Madrid et plus tard de Vienne que viendra l'impulsion. Pour elle, en réalité, plus de gouvernement national, mais des lieutenants du souverain, tou- jours étrangers au pays et à ses besoins, recevant d'une cour éloignée leurs règles de conduite, renfermés dans les limites étroites de leurs commissions, gênés dans leurs allures, privés de toute spontanéité, forcés parfois d'exécuter des mesures dont ils appréciaient les inconvénients, mais que leur prescri- vait un pouvoir ombrageux 2. Le conseil privé, par une consé- quence naturelle, subira cette influence d'en haut. Le cabinet de Madrid n'y introduira, sauf dans des cas isolés, que des gentilshommes, des magistrats, des seigneurs sur lesquels il pourra espérer avoir une action dominante. Et si l'indépen- dance de ce corps ainsi amoindrie vient à le gêner quelque- fois, il en annulera l'influence au profit de jointes que les gouverneurs généraux créeront arbitrairement et qu'ils auront soin de composer en majeure partie d'étrangers. § 3. Le conseil privé pendant le règne des archiducs. Les archiducs s'appliquèrent avec ardeur à rétablir l'ordre public troublé par une guerre civile de quarante années; à remettre en vigueur les lois promulguées par Charles- Quint, mais bientôt tombées en désuétude; à prendre enfin toutes les dispositions pour assurer aux mesures législatives le respect 1 Gachard, Doc. inéd., t. I, p. 461. 2 Borgnet, Hist. des Belges à la fin du XVIe siècle, p. 20. ( 96 ) qui leur était dû. Malheureusement, la situation extérieure était toujours inquiétante et préoccupait tous les esprits. La trêve de douze ans, conclue enfin à l'intervention du chef-pré- sident Richardot et d'autres plénipotentiaires, permit de mettre sérieusement la main à l'œuvre pacifique. Pour donner une idée des mesures préconisées et exécutées par le conseil privé pendant cette période, il faudrait en quelque sorte reproduire chaque placard, chaque édit, en développer les motifs, en comparer le but avec les moyens et les résultats. Défense de la religion, revenus de l'État, progrès de l'agriculture, soulagement des classes laborieuses et pauvres, importations et exportations, monnaies, police rela- tive aux jeux de hasard , répression des délits , monts-de- piété, etc., toutes les questions publiques et privées sont étu- diées au conseil et résolues avec cette précision qui n'appar- tient qu'à une législation s'inspirant du passé et songeant à l'avenir pour régler le présent. Dans l'espoir de rétablir l'industrie manufacturière du pays, le conseil fit renouveler, le 31 janvier 1610, le 9 février 1618 et le 30 juillet 1619 les défenses d'importation prononcées à plusieurs reprises, dans les siècles précédents, contre les draperies étrangères. Les tribunaux avaient aussi perdu leur autorité à travers les discordes civiles ; les anciennes lois étaient négligées ou mal interprétées. Le projet de réorganisation dont nous avons parlé plus haut et qui avait été préparé par le conseil privé sous le règne de l'archiduc Ernest, fut repris, « revisité », puis enfin promulgué par les archiducs 4. Védit perpétuel du 12 juillet 1611, le plus beau monument de législation de l'ancien droit, a constitué le droit commun de la Belgique jusque dans les derniers temps 2. Protégée tacitement par les archiducs, la mainmorte se développa, au commencement du XVIIe siècle, d'une manière Britz, Ancien droit belgique, t. I, p. 154. Mathieu, Le conseil de Flandre, p. 124. ( 97 ) extraordinaire. Les principales familles épuisaient leur for- tune en legs pieux. Le nombre des propriétés inféodées à la mainmorte sous ce règne est excessif. Jamais, en aucun siècle, autant d'amortissements ne furent autorisés nonobstant les pla- cards et les ordonnances. Cette manie d'instituer et de doter les ordres religieux fut portée si loin par les archiducs, que le conseil privé crut de son devoir de modérer ce zèle de dévo- tion. « Grande partie des villes étant occupées par maisons » amorties », il se demandait « ce qui resterait au peuple sur- » chargé des charges communes et de l'entretènement de tant » de personnes religieuses soit par la mendicité ou autrement, » outre, ajoutait-il, que par cette multiplication les fonds et » héritages s'occupent de plus en plus par gens de main- » morte nonobstant que, jà passées longues années, on s'est » plaint que les gens de l'église en occupaient la plus grande » partie *. » A plusieurs reprises, et notamment le 31 août 1630 2, le con- seil privé insista sur ce point. Ses représentations eurent enfin de l'écho à Madrid, car Philippe IV, dans ses instructions générales à l'infant don Ferdinand, y consacra un article spé- cial et prémunit le gouverneur contre les tendances d'Isa- belle 3. Au commencement du règne des archiducs, le 10 avril 1606, le conseil privé perdit un de ses membres les plus actifs et les plus dévoués au parti espagnol, le conseiller d'Assonleville, qui faisait partie du corps depuis 1554. Sous Philippe II, d'Assonleville eut, nous l'avons vu, une grande influence dans les conseils de la couronne et sur les destinées du pays. Pen- dant cinquante ans, son expérience et ses connaissances furent utilisées dans les affaires les plus épineuses et les plus déli- cates. Ultra-catholique et sans esprit de tolérance, il fut du petit nombre des fonctionnaires belges qui n'ont jamais renié 1 Poïvin, Albert et Isabelle, p. 189. - MS. 15586 de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. 3 Papiers d'État et de l'Audience, n° 1224. Tone LU. ( 98 ) le drapeau espagnol durant le règne de Philippe II. Il ne voyait de remède à la situation de nos provinces que dans un gouver- nement absolu, ou du moins dans l'affermissement de l'au- torité du prince et dans l'exercice exclusif de la religion catho- lique i. Cependant, et ce fut un malheur pour nos provinces, Isa- belle n'avait pas d'enfants. La Belgique devait donc faire retour à l'Espagne, et la perspective d'une réunion prochaine faisait presque oublier l'indépendance actuelle. On jouissait du présent sans espérance dans l'avenir. La trêve venait d'expirer, et pendant que les préparatifs de guerre se poursuivaient des deux côtés, l'archiduc Albert mourut le 13 juillet 1621. § 4. Le conseil privé pendant le règne de Philippe 1 V et de Charles IL Les hostilités, qui recommencèrent immédiatement après la mort d'Albert, furent aussi malheureuses pour nous que pré- cédemment, et les échecs successifs de nos armées ainsi que la perte de Venloo, Ruremonde, puis Maestricht, provoquèrent dans nos provinces une explosion de mécontentement public. C'est que la situation devenait intolérable. Les archiducs n'avaient pu se passer de l'Espagne et celle-ci, contribuant à la défense du territoire, avait dès lors conservé, comme c'était du reste son droit, une part dans le gouvernement du pays. Au commencement, l'influence étrangère ne pesa réellement que sur l'état militaire et la diplomatie; mais après la mort d'Albert, elle envahit sans ménagement toutes les branches de l'administration intérieure. Philippe IV fut solennellement inauguré et le ministère espagnol, laissant à l'écart le conseil privé, se réserva la décision des affaires les plus importantes. 1 Messager des sciences historiques, année 1865, p. 113. — Les papiers de Christophe d'Assonleville ont passé entre les mains de Renom de France, président de l'Artois, père du mari de sa petite-fille, qui les a mis à profit pour faire une histoire de la révolution du XVIe siècle. ( 99 ) Tout en conservant à Isabelle les prérogatives dont elle jouis- sait auparavant, il ne lui laissa en définitive que l'apparence du pouvoir. Depuis longtemps, on était habitué à voir un étranger commander l'armée hispano-belge; il fallut désor- mais se résigner à en voir un aussi à la tête du gouvernement civil. Celui qui ouvrit la série de ces déplorables adminis- trateurs, fut le cardinal Alphonse de la Cueva, marquis de Bedmar; la cour de Madrid l'envoya en Belgique pour assister Isabelle, ou plutôt pour la surveiller. Dès lors, le gouvernement de nos provinces perdit ce qui lui restait de national, l'organisation décrétée par l'intelligence de Charles-Quint étant devenue lettre morte. Comme on se défiait du conseil privé, où il était impossible d'introduire les Espagnols en majorité, et du conseil d'État, où siégeait une noblesse jalouse qui devenait de jour en jour plus hostile, il parut plus simple de cesser de consulter ces corps dans tous les cas où une opposition était à craindre : aussi est-ce avec raison que le conseil privé fut appelé alors un conseil d'apos- tille i. On convoquait à sa place une jointe 2 qu'on chargeait de délibérer sur la question spéciale qui lui était soumise. Les étrangers n'y possédaient pas toujours la majorité numérique, mais parmi les nationaux il s'en trouvait toujours dont le suf- frage était assuré aux propositions du gouvernement, quelque mauvaises qu'elles fussent; et d'ailleurs, le duc d'Albe avait indiqué la marche à suivre, quand, en dépit des précautions, la consulte n'était pas telle qu'on le désirait : le gouverneur général faisait prévaloir sa volonté personnelle sur celle de ses conseillers, en alléguant des ordres supérieurs venus de Madrid ; parfois, il ne se donnait pas la peine de dissimuler ce que sa conduite avait d'arbitraire, tant on avait foi alors dans la longanimité de nos malheureuses populations. Si grande cependant que fût la patience du peuple, elle devait avoir un terme. La prise de Maestricht fut la goutte 1 MS. 16160, p. 172 v°, de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. 2 Potvin, Albert et Isabelle, p. 94. ( 100 ) d'eau qui fit déborder le vase. La situation était d'autant plus grave qu'au mécontentement général vint se joindre la tenta- tive d'une grande partie de la noblesse pour enlever à l'Espagne la souveraineté de nos provinces. Au milieu de ces embarras, Isabelle, assiégée d'instances qui lui arrivaient de lous les points du pays, se décida à convoquer les états généraux à Bruxelles. Les lettres de convocation sont du 28 août 1632, et le 9 du mois suivant, l'assemblée se con- stituait. Il n'est pas de notre travail de rappeler les décisions que prit la nation par ses représentants; nous n'en rappel- lerons que ce qui tient à notre sujet. Dans la séance du 12 octobre, le greffier proposa de supprimer les offices super- flus au conseil privé *. Dans le cahier relatif aux « affaires de la justice », les états consignèrent le but de leurs instances. Ils invitèrent le gouvernement à veiller à ce que les magistrats des villes et autres fussent maintenus dans leur juridiction, « sans qu'aucun des consaulx supérieurs pussent emprendre sur eux » ni s'attribuer la compétence des causes appartenant aux juges subalternes 2. Ces réformes étaient nécessaires et s'appliquaient aussi au conseil privé. Ce corps, guidé plutôt par l'appât des épices que par le désir de rendre bonne justice, s'érigeait souvent en tribunal et empiétait ainsi, contrairement à ses instructions, sur les droits et les devoirs des conseils provinciaux et des cours subalternes. D'autre part, des conlîits très fréquents s'élevaient entre les trois conseils collatéraux au sujet de leurs droits respectifs et des empiétements dans leur domaine réciproque. Déjà en 1618, les archiducs avaient tranché, en ce qui concernait le conseil privé et le conseil des finances, la question des octrois 3, mais bien d'autres affaires demandaient une solution qui mît fin à ces querelles de corps à corps. C'est pourquoi Philippe IV, en 1632, fit examiner les instructions du conseil privé et prendre des informations pour 1 Gachard, Actes des états généraux de 1652, t. II, p. 385. 2 Collection de mémoires relat. à Vhist. de Belgique, t. XXVIII, p. 44. 3 Voir 3e partie, chapitre V, § 7. ( 101 ) s'assurer si tous les articles étaient observés et exécutés *. Le 31 janvier, le conseil envoya à Madrid les instructions données à ce corps en 1540. Le 12 mai suivant, le roi les renvoya à Bruxelles, modifiées en certains points, confirmées pour les autres, avec ordre de les exécuter ponctuellement. A la tête du conseil se trouvait alors Pierre Roose, un des chefs-présidents les plus éminents que compta ce corps pen- dant toute son existence. Né à Anvers en 1586, Roose appar- tenait à ce patriciat urbain qui fournissait aux professions libérales ses représentants les plus distingués. A 22 ans, il avait terminé d'une manière brillante ses études juridiques à l'Université de Louvain; huit ans après (1616), il entrait au conseil de Brabant en qualité d'avocat fiscal. Il en sortit en 1621 pour prendre place au conseil privé, et à ces hautes fonctions, il joignit, en 1630, celles de conseiller d'Etat. Appelé à la fin de cette même année en Espagne, il fut désigné pour faire partie du conseil suprême établi auprès de la personne du monarque et qui portait le titre de conseil d'état aux affaires des Pays-Bas et de Bourg ogne. C'est en cette qualité qu'il présida à la rédaction des instruc- tions du cardinal-infant. Ce jeune prince, frère de Philippe IV, avait déjà été désigné alors pour succéder à Isabelle dans le gouvernement des Pays-Bas. Roose s'appliqua à lui faire pres- crire, comme première règle de conduite, le rétablissement des conseils collatéraux dans leurs anciennes prérogatives, seul moyen, pensait-il avec raison, de mettre fin au désordre et à l'arbitraire. Avec raison aussi il ne cessa de revendiquer sa coopération à cet acte important, comme son principal titre à la reconnaissance de ses compatriotes. Ces instructions 2 étaient à peine rédigées, que parvint à Madrid la nouvelle de la crise soulevée en Belgique par la perte de Maestricht. Roose avait conquis la confiance d'Oli- 1 Archives du conseil privé, carton 166. 2 Instructions générales du 10 octobre 1632 et instructions secrètes du 22 octobre, dans les Papiers d'État et de l'Audience, n° 1224, t. IV. ( 102 ) varès, qui s'empressa de le renvoyer à Bruxelles avec le titre de chef et président du conseil privé, où il succéda à Englebert Maes, le 9 août 1632. Roose nous apprend que le pays était alors sur un volcan, les hauts pouvoirs de l'État méconnus, l'armée désorganisée, la division parmi le peuple, le pays ruiné par la guerre. C'est dans cette situation grave que le chef et président eut à sup- porter le plus grand fardeau des complications politiques qui se produisirent alors, parce qu'il devint l'âme de toute la politique de la cour de Bruxelles i, A son arrivée à Bruxelles, Roose trouva les états généraux réunis et les négociations entamées avec les Provinces-Unies. Des députés nommés de part et d'autre s'étaient abouchés à Maestricht et l'on avait commencé à délibérer sur des articles proposés par le prince d'Orange, Frédéric-Henri ; quoique la chose ne fût pas dite en termes exprès, ils avaient pour base l'union fédérative entre les deux Etats. La politique d'Olivarès consistait à gagner du temps pour faire revenir en Belgique une armée qui pût la défendre et comprimer, au besoin, le mécontentement populaire. Roose, confident de sa pensée, y conforma sa conduite. La négocia- tion transportée à La Haye et suivie pendant plus d'une année sans sincérité de la part de la Hollande et de l'Espagne, fut définitivement rompue à la mort d'Isabelle, qui arriva le 1er dé- cembre 1633. Le gouvernement du marquis d'Aytona, désigné pour prendre la direction des affaires jusqu'à l'arrivée du cardinal- infant, fut aussi bon que le permettaient les circonstances ; on en fut redevable à l'influence que Roose exerçait personnelle- ment sur le gouverneur intérimaire et à la confiance très grande qu'Olivarès ne cessait de lui témoigner. Soit qu'il ne fît en cela que subir la nécessité de sa position officielle, soit qu'il désespérât de la possibilité d'un arrange- ment sérieux avec les Provinces-Unies, soit qu'il se défiât, et il 1 Britz, Ancien droit belgique, t. I, p. 255. ( 103 ) avait raison, des projets de la noblesse, le chef-président fut l'exécuteur rigoureux, si pas même l'instigateur des desseins du cabinet de Madrid à l'égard des états généraux belges. Il voulait un gouvernement monarchique; il le voulait dans la famille de Charles-Quint, mais limité par les lois constitution- nelles du pays : c'est en cela qu'il différait des courtisans ser- viles contre lesquels il récrimine dans son Apologie 4 et aux- quels il reproche de régler leur conduite sur les principes que « les privilèges n'ont de force pour plus de temps qu'il ne » manque au prince pour les révoquer. » Roose, ai-je dit, se prêta à l'exécution du dessein d'Olivarès contre les états généraux de Belgique. Ceux-ci continuaient à siéger à Bruxelles, ne décidant rien, mécontents de la domi- nation espagnole et cependant peu disposés à conclure une fédération avec les Provinces-Unies. Les négociations étaient rompues, la guerre avait recommencé, et ils semblaient ne pas comprendre le rôle ridicule qu'on leur faisait jouer. Dans un tel état de choses, la cour de Madrid aurait eu tort de se gêner; elle n'avait rien à redouter, l'événement le démon- tra, d'une assemblée qui s'était perdue par ses irrésolutions et l'étroitesse de ses vues politiques. Les chefs de la conjuration aristocratique contre l'Espagne furent poursuivis criminelle- ment et quelques-uns arrêtés ; parmi ces derniers figurait le duc d'Arschot, qui n'était, cela paraît assez bien établi, cou- pable que de non-révélation et qui se trouvait alors en Espagne, député vers le roi par les états généraux. En même temps arrivait de Madrid l'ordre de dissoudre cette assemblée (juil- let 1634). Les représentants des provinces cédèrent sans résis- tance à cet ordre ; à peine se permirent-ils une réclamation timide en faveur de leur député arbitrairement et déloyale- ment détenu à Madrid, où il mourut peu d'années après. La position de Roose resta sensiblement la même sous le cardinal-infant, qui vint, au bout d'une année, mettre fin à MS. 16160 de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. ( 104 ) l'intérim du marquis d'Aytona (novembre 1634) t. Olivarès avait d'ailleurs désigné tout particulièrement le chef-président à son attention. La confiance que le nouveau gouverneur témoigna à Roose, dès son arrivée, s'accrut encore à la suite des événements de cette campagne de 1635, où la perte de la bataille d'Avin faillit livrer nos provinces à la France et à la Hollande, liguées pour en faire le partage. En effet, on dut au chef-président le con- seil de défendre Louvain que les chefs militaires se propo- saient d'abandonner, et dont la vigoureuse résistance fit échouer le plan des ennemis. Cette faveur, toutefois, du cardinal-infant pour Roose n'était pas naturelle. L'influence énorme exercée par le chef-prési- dent devait porter ombrage au gouverneur, qui aurait voulu s'affranchir de sa tutelle et de l'intervention du conseil qu'il présidait. Et si de bons rapports ont continué d'exister de part et d'autre, c'est grâce aux efforts d'Olivarès. Le 10 décembre 1635, à propos d'un envoi d'argent pour son armée, le ministre espagnol demande au cardinal deux choses à genoux : la pre- mière, qu'il ne dépense pas un réal sans nécessité ; la seconde, que dans les matières de finances et d'économie, il confère avec Roose, qui est intègre et pur, et qui certainement s'oppo- sera aux prodigalités et aux gaspillages 2. « Le président Roose, » lui écrit-il le 12 janvier 1636, est, à mon avis, la meilleure » et la plus forte tête que Votre Altesse ait là-bas. » Le 14 mars suivant, il lui parle des hommes qui sont appe- lés à le seconder... « En ce qui concerne Roose, je comprends » l'objection de Votre Altesse pour la partie militaire, car il » n'est pas soldat; mais son jugement, son talent sont tels, » qu'on tient ici très à propos son vote en tout, non pas quand » il s'agit de choses techniques, mais lorsqu'il est question des » matières militaires principales. » Je voudrais que Votre Altesse l'eût vu ici avec moi. Dans * Bail, de la Comm. roy. d'hist., 2* série, t. X, p. 385. 2 Ibidem, 3« série, t. VI, p. 191. ( 105 ) » le commencement, nous nous observions l'un l'autre ; mais » depuis, il me satisfit tant, ainsi que le roi, que Sa Majesté » me disait sur toutes choses : Avez-vous parlé avec Boose? Et » Elle ne faisait rien sans avoir pris son avis Je suis servi- » teur fidèle et amoureux de Votre Altesse, et, tant que je » vivrai, Votre Altesse ne me verra manquer en un seul point » à ce que je lui dois. Je la supplie à genoux d'entendre Roose » toujours dans les matières les plus ardues; qu'Elle ne fasse » pas pour cela ce qu'il lui dit, mais qu'Elle y pense mûre- » ment et fasse ensuite ce qu'Elle jugera convenable. Je sais » que Votre Altesse trouvera en lui un grand allégement dans » les embarras les plus graves. » Il revient sur ce chapitre le 10 mai de la même année : « et quant à Roose (me tromperais-je?), jamais je n'ai vu » un homme plus éminent et si Votre Altesse entendait ce qui » se dit à cet égard au conseil d'État, Elle en serait émerveil- » lée. En ce qui touche les affaires militaires, s'il en parlait » seul, je serais de la même opinion que Votre Altesse. Sans » doute qu'en cette matière il se trompe plus d'une fois, mais » souvent aussi, il frappera juste : car, seigneur, le technique, » l'expérience l'enseigne; mais le substantiel, le grand, le plus » difficile, la tête enfin, elle ne le donne pas, et je ne cesserai » de répéter à Votre Altesse ce que, avant son arrivée, le » marquis d'Aytona accomplit avec de la tête seulement. » Roose, d'ailleurs, n'était pas toujours d'humeur facile, et par là, il donnait assez souvent des sujets de plainte au frère du roi. Le 17 juin 1636, Olivarès insiste auprès de l'infant pour qu'il continue sa confiance au chef-président, en tolérant de sa part quelques impertinences. Il lui écrit le 18 septembre suivant : « Roose, Monseigneur, est tout à fait comme vous le » dites, et il semble que Votre Altesse l'ait pratiqué toute sa » vie. C'est un sujet de grand mérite et sur lequel Votre » Altesse peut se reposer. Ainsi, il faut entretenir et animer » son zèle en fermant les yeux sur ses impertinences : car, » Monseigneur, il n'y a pas d'homme...., non, Monseigneur, » il n'y en a pas; on a beau en chercher, on n'en trouve ( 106 ) » point. » Et le 22 octobre 1638 : « Je suis convaincu que » Votre Altesse souffre infiniment de l'humeur de Roose : » Dieu sait la peine que j'en éprouve et ce que je donnerais » pour que nous puissions nous passer de lui! Je le prêche, » mais cela ne suffit pas : maintenant, par le moyen de ce » secrétaire Brecht *, j'y travaillerai davantage si je puis. » L'administration espagnole en Belgique et la situation faite au conseil privé furent donc, sous le cardinal-infant comme sous le marquis d'Aytona, grâce à la fermeté de Roose, aussi satisfaisantes que possible; mais il n'en fut plus de même quand le généreux jeune homme, abreuvé de dégoûts, fut mort de chagrin de n'avoir pu dégager Arras qui tomba définitive- ment alors au pouvoir de la France (novembre 1641). Le premier successeur du cardinal-infant fut encore un intérimaire, dom Franscisco de Mello. Par ses efforts pour empêcher les désordres et les dilapidations au moyen de l'ob- servation rigoureuse des instructions du cardinal-infant, son œuvre, comme je l'ai dit plus haut, Roose s'était fait de nom- breux ennemis. Leurs clameurs trouvèrent meilleur accueil que précédemment, le nouveau gouverneur ne se montrant pas disposé à respecter des instructions qui limitaient son pouvoir. On commença par convoquer moins souvent le con- seil privé et les deux autres conseils collatéraux, en y suppléant comme autrefois par des jointes. Pour expliquer cette déro- gation, on alléguait, surtout en ce qui concernait les affaires militaires, la nécessité d'une prompte décision, ce qui, disait- on, ne pouvait avoir lieu si toutes les formalités prescrites étaient observées. Au fond, le véritable motif du lieutenant du monarque pour agir de la sorte, n'était autre que le désir de secouer un contrôle incommode. Son amour-propre aussi était en jeu, paraît-il, et il trouvait, rapporte Roose dans son Apologie 2, 1 Secrétaire d'État pour les affaires des Pays-Bas à Madrid. 2 « Il dit un jour que S. A. étoit un petit garçon, et que ses instruc- » tions n'étoient pas pour les armées de ses successeurs. » ( 107 ) que ces instructions, convenables pour un jeune homme de l'âge du cardinal -infant, ne l'étaient nullement pour un homme d'un âge mûr. L'administration de Mello, qui avait commencé par un suc- cès, la bataille de Honnecourt (mai 1642), se termina par un véritable désastre, la bataille de Rocroy (mai 1643). On attri- bua aux fautes du gouverneur général et à la présomption que lui avait inspirée la victoire de Honnecourt, la sanglante défaite qui fut le tombeau de la puissance espagnole; elle détermina la chute d'Olivarès, et Mello fut entraîné dans la dis- grâce de son protecteur. Koose en souffrit également, car le marquis de Castel-Rodrigo, qui fut appelé à continuer l'inté- rim (avril 1644), adopta ouvertement, malgré ses réclamations, un système qui n'avait encore été pratiqué que timidement. Toute l'administration fut bouleversée; les affaires ressortis- sant au conseil privé furent soumises au conseil d'État, où intervinrent des personnes sans caractère et le plus souvent intéressées dans les discussions. On avait l'habitude de ne répondre à aucune réclamation ; aussi disait-on que la justice était opprimée. Les choses étaient en cet état lors de l'arrivée de l'archi- duc Léopold- Guillaume, fils de l'empereur Ferdinand II (février 1647). Prince autrichien, dévoué comme tel aux inté- rêts de sa maison, étranger aux rouages compliqués d'une monarchie constitutionnelle, le nouveau gouverneur général entra toujours plus avant dans les pratiques du gouvernement irresponsable dont Castel-Rodrigo lui avait donné l'exemple. Une grave discussion théologico- philosophique, qui s'éleva précisément alors, contribua à rendre la position du chef-pré- sident de plus en plus difficile. On sait que la question de la grâce et du libre arbitre, en d'autres termes la possibilité de concilier la liberté de l'homme avec l'omniscience de Dieu, après avoir été traitée dans un sens contraire par saint Augustin et Pelage, au Ve siècle, fut agitée de nouveau par les réformateurs du XVIe siècle. Les idées de Mélanchton, moins absolues que ( 108) celles de Luther, finirent par prévaloir parmi les protestants de la confession d'Augsbourg, tandis que l'Église de Genève, sous l'influence du caractère dur et altier de Calvin, adopta le dogme de la prédestination et dénia à l'homme sa liberté. Le concile de Trente, appelé à décider les problèmes philo- sophiques soulevés par ses adversaires, maintint la doctrine que saint Augustin avait autrefois défendue, et, pour les catho- liques, la question resta au point où l'avait laissée ce savant Père de l'Église. Mais le concile n'avait posé que des principes, et dans des discussions de cette nature, où parfois se sont égarées de hautes intelligences, de nouveaux dissentiments devaient éclater si la question retombait aux mains des dispu- teurs. Ce n'était pas chose facile que de comprendre la doc- trine de saint Augustin, dans des matières aussi ardues, et ce fut, en effet, sur le sens de ses explications que porta le débat, quand il se renouvela malgré la prudente défense de la cour de Rome. Notre pays fut le berceau de cette querelle qui troubla ensuite si gravement la France. Michel Baius, l'un des Pères du concile de Trente et profes- seur de théologie à l'Université de Louvain, avait déjà, dans sa chaire, tout en affirmant qu'il suivait saint Augustin, défendu des opinions qui se rapprochaient de celle de Calvin; elles furent ( ondamnées par la cour de Rome, et Baius, censuré, se soumit. Toutefois, ses opinions sur ce point délicat conser- vèrent des partisans à Louvain même et furent enseignées sans obstacle par un de ses successeurs, Corneille Jansénius. Les choses en étaient là, lorsque Jansénius crut nécessaire de se concilier la faveur de la cour de Madrid, à qui il paraît avoir été dénoncé comme partisan de l'union fédérative avec la Hollande. Roose, son ami, lui fournit le moyen de se justi- fier en lui communiquant les matériaux dont il composa son Mars gallicus. Cet ouvrage, publié sous le pseudonyme Arma- canus, a pour objet de signaler à l'Europe les projets ambitieux dont bientôt après Louis XIV fit le pivot de sa politique exté- rieure. Le gouvernement espagnol tint compte à Jansénius de sa ( 109 ) démarche, et, grâce aussi sans doute à la protection du chef- président, son collaborateur anonyme, il fut promu, en oc- tobre 1638, à l'évéché d'Ypres. Il occupait ce siège a peine depuis deux ans, quand il mourut (1638), laissant en manuscrit son îAugustinus. Dans cet ouvrage, auquel il avait travaillé pendant plus de vingt ans, étaient renouvelées d'une manière plus précise les opinions autrefois défendues par Baius. U Augustinus , publié en 1640 par les exécuteurs testamen- taires du défunt, fut vivement attaqué par les Jésuites qui, depuis longtemps, étaient en dissentiment avec les théologiens de Louvain sur ce chapitre, qui avaient déjà provoqué la con- damnation de Baius, et qui, du reste, défendaient la cause de la raison. Condamnée d'abord par un décret de l'inquisition romaine (1641), l'œuvre de Jansénius le fut ensuite, plus solen- nellement encore, par la bulle In eminenti d'Urbain VIII (1642). Il s'agissait maintenant de faire admettre cette condamnation en Belgique. La cour pontificale soutenait qu'une bulle, et surtout une bulle traitant d'une question dogmatique, n'avait pas besoin, pour devenir exécutoire, d'une autre publication que de celle même qui avait été faite dans la capitale du monde chrétien. Mais nos jurisconsultes, et Stockmans entre autres, prétendaient que toute décision d'un prince étranger, fût-il le chef de l'Église, devait être, pour avoir force obligatoire dans nos provinces, revêtue d'un paréatis délivré au nom du sou- verain, après un examen préalable au conseil privé. Président du conseil privé et chargé comme tel de veiller à l'exécution des lois constitutionnelles, Roose, dont j'ai dit les relations avec Jansénius, et qui avait, paraît-il, sur les questions agitées la même opinion que l'ancien évêque d'Ypres, s'opposa avec son conseil à la publication de la bulle. Cette résistance attira sur lui la colère des adversaires de Jansénius et surtout des Jésuites, dont il chercha, bien en vain, à calmer le ressentiment. Ils se réunirent à tous les envieux qui le jalousaient, à tous les dilapidateurs que sa présence gênait, à tous les concussionnaires dont il poursuivait impi- toyablement les méfaits, et leurs efforts combinés ne tendirent ( 110 ) plus qu'au renversement de l'homme signalé, pour des raisons diverses, à leur inimitié. Ils trouvèrent dans l'arrivée de l'archi- duc Léopold- Guillaume une occasion favorable d'en venir à leurs tins. Ce fils de l'empereur Ferdinand II, élevé par les Jésuites, laissa ses anciens maîtres exercer une influence prépondérante dans les affaires de l'État. Desservi par eux, Roose, qui déjà déplaisait comme le défenseur des prérogatives du conseil privé et des conseils collatéraux en général, ne tarda pas à être tenu complètement à l'écart; puis le prince, qui le trouvait sans doute incommode encore dans cette position effacée, le fit appeler à Madrid où il arriva à la fin de 1649. Le débat relatif à la publication de la bulle In eminenti ne fut probablement pas étranger à la mesure rigoureuse qui frappa le chef-président. L'archevêque Boonen venait de pu- blier sa protestation i et, malgré les injonctions du gouverneur général, les amis de Jansénius, forts de l'appui du conseil privé et du conseil de Brabant, n'étaient pas encore domptés -. Ils ne le furent même qu'en 1653, époque où l'archevêque de Malines, l'évêque de Gand et l'Université de Louvain furent enfin forcés d'admettre la bulle et de se reconnaître vaincus par les Jésuites. Ainsi brutalement envoyé en Espagne et forcé, tout souffrant qu'il était, d'effectuer ce voyage dans la saison rigoureuse, le chef-président chercha à rester au courant des événements qui 1 Rationes ob quas 111. Dom. Archiepiscopus Mechl. Belgii primas, a promulgatione Bullae, qua proscribitur liber cui titulus : Corn. Jan- senii episc. Iprensis Augustinus, abstinuit. 2 Voici ce qu'on lit dans une lettre du conseiller du conseil privé, P. Weyms, l'un des correspondants de Roose : « Nous sommes présente- » ment occupés avec l'affaire de Jansénius, au regard de la publication » de la bulle et de la forme d'icelle, ensuite de l'ordre de S. M. du 3 août » dernier. Ce fait se démène avec telle ardeur, qu'il est à craindre que » de ce feu ne naisse un incendie capable de mettre l'Église et l'État en » partialité et combustion, s'il n'y est remédié. » — Cette lettre est du 8 février 1650. ( 111 ) se passaient dans sa patrie. II y avait conservé un grand nombre d'amis qui consentirent à veiller à ses intérêts et à lui servir de correspondants *. Cependant Roose fut retenu plus de trois ans à Madrid sans qu'on s'occupât sérieusement de juger entre lui et ses accusa- teurs. Don Louis de Haro, successeur d'Olivarès, ne pouvant blâmer un fonctionnaire dont les services étaient incontesta- bles, flottait entre le désir de ne pas l'humilier et la crainte de mécontenter l'archiduc Léopold. Celui-ci avait été, par son entourage, excité contre le chef-président, au point de dire que si ce dernier rentrait par une porte, lui-même sortirait immédiatement par une autre. Après avoir longtemps tergiversé, le ministre fut enfin, sur les instances de Roose, forcé de lui procurer une audience du roi, à la sortie de laquelle il lui promit de le renvoyer inces- samment en Belgique pour y exercer ses fonctions comme précédemment. « Il me supplia en même temps, dit le prési- » dent dans son Apologie, que, pour l'amour de Dieu, je ne » donnasse au seigneur archiduc occasion de dégoût. A quoi » je répondis que jamais je ne l'avais fait, ni eu la pensée; » mais si, pour avoir suivi et exécuté les commandements de » Dieu et du roi notre sire, aucuns mauvais serviteurs m'en » avoient taxé et rejeté sur moi la cause du dégoût d'un si » bon prince, ce n'en pouvait être ma faute. » Après cet entretien avec don Louis de Haro, Roose quitta Madrid, se croyant raffermi dans sa position. Il ne devait pas tarder à reconnaître la déception dont il était victime. A peine arrivé à Bruxelles (décembre 1653), il sollicita une audience de l'archiduc. Elle ne lui fut accordée qu'au bout de trois jours, et la veille même de celui où elle eut lieu, lui parvint une 1 Parmi ceux-ci se trouvait Stockmans, du conseil de Brabant. M. Bor- gnet, à qui nous empruntons ces détails sur Roose. a publié toutes les lettres adressées par Stockmans au chef-président pendant son séjour forcé en Espagne. — Voir Bull, de la Comm. roy. d'hist., 2e série, t. X, pp. 398 et suiv. ( 112 ) dépêche du prince où on lui mandait qu'il eût à se tenir pour démissionné de ses fonctions, jubilarisé, comme on disait alors : ses infirmités et son grand âge étaient allégués pour motifs. Roose, qui avait en effet atteint sa soixante-huitième année, ce qui ne l'empêcha pas de vivre encore près de vingt ans, eut le lendemain une entrevue avec le prince qui, pressé de s'expliquer et de mettre sa conduite en rapport avec les assurances de Louis de Haro, finit par répondre en latin : ego bene sciam reddere régi rationem de actiunibus meis, et scio ipsias inlentionem. Le fonctionnaire disgracié eut beau réclamer et se plaindre, on ne tint aucun compte de ses doléances, pas plus à Madrid qu'à Bruxelles, et il vit son principal ennemi, le conseiller Charles Hovyne, le remplacer dans son poste de chef-président le 23 décembre 1653 i. C'était l'homme qu'il fallait à l'archiduc, puisqu'il était le chef de cette coterie qui, dans notre pays de liberté, eût voulu introduire la monarchie absolue. « Le chef-président et le conseil privé chercheront toujours » à dominer 2 », telle est la maxine qu'Hovyne, avec ses idées absolues, travailla à mettre en pratique. Zélé partisan de l'autoritarisme espagnol, Hovyne, dans ses écrits 3, s'irrite surtout contre les Brabançons, fiers et jaloux de leurs libertés; il ne voit dans leurs privilèges que des empiétements sur l'autorité royale, et dans leur incompressible esprit d'indépendance qu'un séditieux orgueil : « Les naturels » du Brabant, dit-il, sont hautins et altiers, et sous prétexte )> de privilèges ils ont une inclination de la ville et de se » mocquer en toutes occasions de l'autorité royale; ils veillent » continuellement à les empiéter, usurper ou diminuer, et 1 Gartulaires et manuscrits, n° 417, p. 6, aux Archives du royaume. 2 Hovyne, MS. 12291 de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. 5 Gouvernement politique des Pays-Bas. — Cet ouvrage a été erroné- ment attribué par plusieurs bibliophiles au président Roose. — Voir Comptes rendus de la Comm. roy. d'hist., t. XIV, p. 1-45. — Bull, de VAcad. roy. de Belgique, t. XIV, p. 410. ( 113 ; » pour cela ils affectent de traiter directement avec le prince, » postposant et enjambant le ministre; ils sont mieux gou- » vernés par crainte que par amour; ils se font craindre et » abusent facilement du Privé, et plus ils le voient faible et » abbaissé par le mauvais succès, plus ils s'élèvent. » Ailleurs, c'est aux prérogatives des états et des députés de Brabant que s'attaque le président Hovyne; il soutient longue- ment la supériorité de juridiction du conseil privé sur le con- seil de Brabant, supériorité bien souvent contestée, comme nous le verrons plus loin. Quoi qu'il en soit, il se produisit par ces tendances du chef- président une réaction favorable aux corps nationaux dans l'administration de la justice. La politique d'effacement à laquelle avait été soumis le conseil privé sous les gouverneurs précédents, et contre laquelle Boose avait tant lutté, cette politique avait été suivie à l'égard des cours de justice. Les chefs du gouvernement s'arrogèrent trop souvent le privilège d'évoquer les procès civils et criminels ; ils s'attribuaient le pouvoir d'enlever la connaissance d'un litige aux juges qui en étaient ou en devaient être saisis, et confiaient l'examen de la question à des fonctionnaires plus disposés à favoriser les idées espagnoles qu'à respecter les libertés et les franchises locales. Frappé des abus qu'engendrait un recours fréquent à l'usage de cette mesure illégale, et fort de l'autorité de son président, le conseil privé représenta directement à Philippe IV, le 15 jan- vier 1659, les inconvénients qui résultaient de ces commis- sions, de ces délégations de juges extraordinaires, ajoutant que, suivant le droit des gens et les privilèges des provinces, chacun devait être traduit par-devant les conseils, tribunaux, magistrats et sièges de justice à ce établis. Non seulement le roi approuva i les observations du con- seil privé, mais il voulut aussitôt faire cesser les maux que ce 1 Attendu, dit-il, qu'appartiennent audit conseil la direction, la con- duite et la surveillance de toute la justice et police des provinces des Pays-Bas. Tome LU. 8 ( 114 ) corps lui avait exposés. Il statua donc par sa déclaration du 17 mars 1659 4, qui fut enregistrée dans les cours supérieures de justice, qu'à l'avenir toutes les délégations de juges cesse- raient; que toutes matières de justice et de police seraient traitées, consultées, délibérées, décidées et exécutées par les conseils, tribunaux, magistrats, corps et collèges auxquels elles appartenaient selon les instructions, le style et l'usage suivis d'ancienneté, à moins que les conseils d'État et privé ne fussent d'avis d'en établir pour quelque circonstance particulière, urgente et imprévue. Cependant cette politique inaugurée par Hovyne eut sa réac- tion ; elle alla bien tant que Don Juan conserva le gouverne- ment des Pays-Bas; mais lorsque ce gouverneur fut remplacé par le marquis de Caracena, une formidable opposition, à laquelle Roose ne fut peut-être pas étranger, se souleva contre cet espagnolisé qui avait cherché à fortifier son gouvernement plutôt par la crainte que par l'amour. Sa perte fut dès lors décidée. Le mépris s'était d'ailleurs attaché à son nom par des actes d'usure, des exactions, des dilapidations dont Laurin, célèbre avocat au grand conseil de Malines, l'avait accusé dans un rapport au gouverneur 2. Une enquête fut ouverte et dans un libelle formé de trois cents articles 3, on ramassa en faisceau toutes les accusations lancées contre Hovyne. La base de tous les griefs articulés contre le chef-président était qu'il possé- dait une fortune de douze cent mille florins vaillant; qu'il ne pouvait avoir amassé tant de deniers sans avoir vendu le roi et fraudé la justice ; qu'il fallait donc presser l'éponge pour en faire sortir le sang des pauvres qu'il avait écorchés. La cour de Madrid décida qu'Hovyne serait soumis à la 1 Placards de Brabant, t. IV, p. 153. — De Backer, Organisation admin., polit, et judic. de la Belgique pendant les trois derniers siècles, p. 93. 2 MS. 16163 de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. 3 MS. 12293 ibidem. ( 115 ) visite 4 et, pendant ce temps, relégué à Namur 2. Le chef- président se défendit dans un long mémoire et triompha de ses dénonciateurs. Un décret de la reine-régente du 24 no- vembre 1667 le rétablit dans tous ses états, offices, dignités et honneurs. Dans un gouvernement où la justice n'aurait pas été un vain mot, le successeur de Koose, dit M. Borgnet, au lieu de jouir en paix du fruit de ses intrigues, aurait été, sans pitié, con- damné à subir la peine méritaient que ses malversations 3. Comme si Hovyne ne se fût pas senti assez disculpé par la sentence royale, il publia un opuscule qui exposait à nouveau sa justification 4. Le règne de Philippe IV aux Pays-Bas fut marqué, comme on sait, par des guerres presque continuelles, soit avec les Provinces-Unies, soit avec la France. Le pays était épuisé; les finances étaient tombées dans l'état le plus déplorable; il fallait sans cesse recourir à de nouveaux expédients pour faire rentrer des fonds dans le trésor. Un de ceux dont on abusa singulièrement à cette époque, fut de conférer, moyennant finances et au dernier enchérisseur, des places de surnumé- raires dans les conseils collatéraux, les cours supérieures de justice et les chambres de comptes. C'est ainsi qu'en 1664, le 1 La visite était une certaine forme de justice qui s'exerçait en Espagne contre ceux qui sortaient de charge ou qui se trouvaient investis d'un office remarquable et que l'on accusait de malversations. Cette visite ne pouvait durer que six semaines, pendant lesquelles les accusateurs devaient fournir et prouver leurs plaintes, l'accusé donner ses moyens de décharge et les juges prononcer leur sentence. 2 MS. n° 108, fonds Goethals, de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. 3 Bull, de la Comm. roy. d'hist., 2e série, t. X, p. 397. * Humble remonstrance et briefve déduction de Messire Charles Hovyne du conseil d'Estat et chef -président du conseil privé de Sa Majesté sur le contenu de la lettre de la Reyne escrite de Madrid à Son Excellence le 24 de novembre 1667 touchant son restablissemcnt et réintégration en tous ses estats, offices, dignités et. honneurs pour les deservir comme auparavant ladite visite (1668). ( 116 ) conseil privé comptait un chef-président, dix conseillers et dix secrétaires. Ce moyen procurait, à la vérité, des ressources instantanées, mais il ne faisait qu'élargir la plaie financière, puisque les dépenses annuelles s'augmentaient des sommes qu'on devait payer, à titre de gages, aux pourvus des nouveaux emplois. Après la paix des Pyrénées (1659), le conseil de Madrid et le gouvernement des Pays-Bas songèrent sérieusement à opérer des réformes qui pussent soulager le trésor royal d'une partie des charges qui l'accablaient. Par lettres patentes données à Madrid le 7 juillet 1664 *, le roi diminua le nombre des membres du conseil privé. Ce corps devait être composé désor- mais d'un chef-président, de cinq conseillers et de cinq secré- taires. Comme la réduction devait se faire par le moins ancien, à compter du jour de la prestation de serment, certains membres furent privés de l'exercice de leurs fonctions, mais ils conservèrent le droit de remplir les places qui devien- draient vacantes par décès ou par démission. Ordre fut donné au gouverneur Caracena, qui venait d'être rappelé en Espagne, d'exécuter cette mesure avant son départ. Mais il négligea de le faire, prévoyant les protestations qu'elle allait soulever. Son successeur, Castel-Rodrigo, obligé de la mettre à exécution, envoya à cet effet, le 8 novembre, le projet en question au conseil des finances, avec ordre d'indroduire la réforme con- formément au désir du roi. Il faut néanmoins qu'on ne s'en soit pas tenu à cette disposition, puisque Charles II en rappela l'exécution par ses lettres patentes du 23 janvier 1681 2. Philippe IV mourut le 17 décembre 1665, laissant, ditNeny, toutes les parties de la monarchie espagnole dans un état de faiblesse déplorable. La vie nationale, en effet, semblait éteinte; les villes se renfermaient dans les soins de l'ordre intérieur et des affaires domestiques ; on eût dit que les habi- tants ne cherchaient que l'immobilité, le silence et la mort. * Registres Verds, n° 359, fol. 26, aux Archives du royaume. 2 Idem, no 359, fol. 337. ( H7 ) Celait le résultat de là politique du cabinet espagnol à l'égard de nos provinces, politique sans plan bien concerté, sans système défini, politique procédant sans décision préa- lable avec un conseil national, tel qu'aurait dû être le conseil privé, conseil qui connût les besoins, les intérêts et le carac- tère de nos provinces, qui tînt compte de leurs exigences, de leurs préjugés même. Mais qu'était la Belgique pour ses maîtres éloignés, sinon une possession où ils trouvaient toujours, en l'amoindrissant sans cesse, les moyens d'acheter une paix toujours honteuse pour eux, toujours déplorable pour nous? Philippe IV laissait d'un premier mariage l'infante Marie- Thérèse qui avait épousé Louis XIV, et d'un second mariage un prince âgé de quatre ans qui lui succéda sous le nom de Charles II, sous la tutelle de la reine-douairière et de six con- seillers nommés par le roi. Sous le règne de Charles II, la décadence de la monarchie espagnole fit de nouveaux et effrayants progrès. Cette époque fut, pour notre pays, une des plus désastreuses. Le traité des Pyrénées avait porté de premières atteintes à l'intégrité du territoire de la Belgique. Nos provinces subirent de nouveaux et considérables démembrements par les traités d'Aix-la- Chapelle, de Nimègue, de Ratisbonne et de Ryswick. Ces traités et ces morcellements avaient jeté la consternation dans le pays et provoqué les plus vives, mais les plus inutiles récla- mations. L'orgueil national, plongé depuis si longtemps dans un sommeil de léthargie, se réveilla tout à coup, blessé par les injustes guerres de la France; et l'on vit nos Loyens, nos Zypaeus, nos Christyn, nos de Pape, etc., se prononcer éner- giquement dans leurs écrits, pleins d'accents patriotiques mêlés parfois de dures invectives, contre nos voisins du Midi. Le conseil privé, à la tête duquel se trouvait, depuis le 1er décembre 1671, le célèbre jurisconsulte de Pape, successeur d'Hovyne, ne resta pas non plus insensible à ces coups portés à la patrie. Il comptait alors dans son sein un des plus grands jurisconsultes de l'époque, le conseiller Pierre Stockmans, qui entreprit de venger par la plume l'application du droit de ( "8 ) dévolution, ce crime de lèse-nation que Louis XIV allait com- mettre à l'égard des Pays-Bas. L'infante d'Espagne avait renoncé, par son contrat de mariage, à toute espèce de droits sur les biens de Philippe IV, moyennant une somme de cinq cent mille écus d'or. Mais Louis XIV avait bientôt songé à revenir sur ce contrat et à réclamer nos provinces à titre de dévolution. Il avait obtenu dans ce sens une consultation à Bruxelles, au mois de mai 1664, avant même que la succession d'Espagne fût ouverte. Pour dissiper ces erreurs qui tendaient au démembrement de sa patrie, Stockmans publia, au commencement de 1665, sous le voile de l'anonyme (veridicus Belga), la brochure inti- tulée : Deductio ex qua probatur clarissimis exemplis, non esse jus devolulionis in ducatu Brabantiae, nec in aliis Belgii provin- ciis, ratione principum earum, prout quidam conati sunt asserere. Les nouvelles démarches de Louis XIV en 1666, après la mort de Philippe IV, pour préparer l'opinion publique en sa faveur, engagèrent Stockmans à écrire de nouveau sur la dévo- lution et à publier un traité qui parut au commencement de 1667. Louis XIV, de son côté, fît paraître, au mois de mai 1667, un mémoire à l'appui de ses prétentions, intitulé : Traité des droits de la Reyne très-chrestienne sur divers Eslats de la monar- chie d'Espagne. Dans la même année 1667, parut, en français à Paris et en latin à La Haye, la brochure intitulée : Remarques pour servir de réponse à deux écrits imprimez à Bruxelles contre les droits de la Reyne sur le Brabant. Le danger devenait de plus en plus imminent et la situation de plus en plus grave; Stockmans devait donc rentrer dans l'arène et réfuter les écrits des Français. Il le fit en publiant la seconde partie de son traité et la seconde édition de la pre- mière partie. Vaines paroles, peines inutiles : Louis XIV avait dit son dernier mot dans son Traité et était décidé, au mépris de toutes les lois et sans déclaration de guerre, à envahir notre pays. Pendant que le roi, Turenne et Vauban faisaient valoir l'ar- ( 119 ) gument du plus fort, l'ardeur des publicistes des deux camps ne se ralentit pas. L'auteur des Remarques- répondit de Paris à la seconde partie du traité sur le droit de dévolution, et Stockmans lui-même répliqua par une troisième partie de son ouvrage \. Les invasions des Français dans nos provinces portèrent au comble le désordre qui régnait déjà dans l'administration. Un document authentique, une consulte du conseil d'État du 20 octobre 1678, nous permet de juger de la situation déplo- rable dans laquelle se trouvait l'administration générale et en particulier l'administration de la justice2 : par lettres de cachet des gouverneurs généraux, obtenues par importunité, la justice était relardée et refusée; des affaires de justice on faisait des affaires d'État; le conseil privé donnait des sur- séances aux procédures, aux exécutions de justice; il tirait à lui des causes réservées aux tribunaux ordinaires ; des jointes successivement établies annihilaient l'autorité du conseil privé. Une partie de ces griefs fut redressée sous le gouverne- ment de Maximilien de Bavière 3. C'est que l'électeur pouvait s'attendre à devenir souverain des Pays-Bas; il était donc de son intérêt d'appuyer son système gouvernemental sur les aspirations nationales et de ne plus suivre la politique de ses devanciers depuis l'archiduc Léopold-Guillaume. Ses actes vis- à-vis des conseils collatéraux semblent prouver que telle était son intention 4. D'ailleurs, il ne se trouvait pas vis-à-vis de l'Espagne dans cette situation de subordination qui avait été faite à ses prédécesseurs : Maximilien n'avait pas besoin, comme eux, d'attendre scrupuleusement les ordres de Madrid ; il pouvait, dans la plupart des cas, agir avec spontanéité, con- 1 Tractatus de jure devolutionis in quo novae ineptiae et errores quibus anonymus secundam partent maculare conatus est, reprimuntur et refu- tantur, 1668. 2 Bull, de la Comm. roy. d'hist., 3e série, t. VIII, p. 109. 3 Ibid., I™ série, t. XI, p. 473; 3e série, l. VI, p. 39. * MS. 12294, p. 95, de la Bibliothèque royale, à Bruxelles. ( 120 ) dition souvent indispensable pour le succès. Ce n'était pas, en effet, un simple gouverneur, ce souverain d'un État important en Allemagne et issu d'une famille qui partageait avec celle des Bourbons la prétention à la plus ancienne noblesse parmi les souverains de la chrétienté. Cependant, en 1697, le prince électeur se laissa dominer par le comte de Bergeyck, qui était revenu de l'Espagne où il avait été en qualité de conseiller au conseil de Flandre à Madrid ; et l'on vit alors se reproduire ce gouvernement des- potique qui avait signalé les mauvais jours de la domination espagnole. Tous les ministres qui n'étaient pas attachés aux idées du comte de Bergeyck furent éloignés, et le conseil privé, en particulier, tenu dans le dernier mépris1. Ce corps informa Charles II de la situation qui lui était faite, et par dépêche du 4 décembre 1698 2, le monarque espagnol enjoignit au gou- verneur de rétablir le cours régulier dans l'administration et de laisser au conseil privé la connaissance et la direction de toutes les affaires, selon ses instructions. Mais le comte de Bergeyck, voyant que ce décret allait amoindrir son autorité absolue et despotique dans le gouvernement des Pays-Bas, dissuada l'électeur de le publier et de l'exécuter. Cependant l'heure des Habsbourg d'Espagne avait sonné, et le régime bourbonien allait faire table rase des institutions politiques et administratives des deux siècles précédents. • § 5. Le conseil privé et la Réforme pendant la période espagnole. Pour terminer l'histoire du conseil privé pendant la période espagnole, nous dirons quelques mots de l'attitude de ce corps vis-à-vis de la question religieuse. Nous avons vu que sous Charles-Quint le conseil privé avait fait preuve de modération et de tolérance à l'égard des dissi- 1 Archives du conseil privé, carton n° 465. 2 Registres Verds, n° 360, fol. 45 v°, aux Archives du royaume. ( 121 ) dents. Sous les princes de la maison d'Espagne, il ne s'est pas départi de cet esprit de conciliation qui produisit, comme nous allons le voir, d'heureux fruits. Le règne de Philippe N, aux Pays-Bas, se divise en deux périodes sous le rapport des innovations religieuses du pro- testantisme. La première de ces deux périodes est celle de la tentative pour l'établissement de l'inquisition, qui éprouva la plus grande résistance. La seconde est celle où la connaissance des délits en matière de religion fut laissée à la seule autorité épiscopale au lieu de l'inquisition *. On connaît l'opposition que rencontra dans nos provinces l'établissement de l'inquisition. Le conseil privé lui-même s'y montra hostile. Dans une lettre du 11 avril 1565 2, la gouver- nante se plaignit à Philippe II d'être assez froidement secondée dans ses poursuites contre les hérétiques, principalement par le président et les conseillers. Le conseil privé cherchait d'ailleurs à dissiper la fâcheuse impression qu'avait produite dans nos provinces la nouvelle de l'établissement de l'inqui- sition. « Sa Majesté, disait-il, ne veult aulcune nouvelleté et » moins l'introduction de l'inquisition d'Espaigne, selon que » les mauvais font courir le bruit, mais tant seulement garder » et entretenir ce que par le passé a esté ordonné avec si grande » délibération et solennité 3. » Mais les rigueurs du gouver- nement du duc d'Albe et le désarroi dans lequel se trouva le conseil privé sous Requesens et Don Juan, ne permirent pas à ce corps d'exercer sur la question religieuse une influence conforme aux sentiments de la majorité de ses membres. Ce ne fut que lorsque le prince de Parme, Alexandre Farnèse, eut rétabli l'ordre dans les provinces belgiques avec ce talent et cette adresse qu'on ne peut trop admirer, que les idées du conseil privé commencèrent à se faire jour et à frapper le 1 Marchal, Notice sur la liberté des consultes au gouvernement général des Pays-Bas. 2 Corresp. de Philippe II, t. I, p. 349. 3 Groen, Archives de la maison d'Orange, t. I, p. 290. ( 122 ) monarque espagnol lui-même. En effet, pendant les réconci- liations de Gand, de Bruxelles et le siège d'Anvers, Philippe II adressa au gouverneur général, le 17 août 1585, une lettre en forme d'instruction organique, pour établir, par une tran- sition, un autre système que l'inquisition, en reléguant le protestantisme dans les provinces de Hollande et de Zélande i. Cette instruction organique, et plus encore la franchise et la modération du duc de Parme rendirent au peuple belge la confiance dans le gouvernement de Philippe IL Dès lors, le souvenir de l'inquisition s'oublia et l'autorité ordinaire de l'épiscopat eut seule la connaissance de ce qui concernait la pureté de la foi. Le placard de 1597, dans la dernière année de Philippe II, et ceux de 1599 et de 1600, émanés de l'initiative du conseil privé au commencement du règne d'Isabelle, réglèrent, sans froissements des intérêts privés, le moyen d'empêcher la réin- troduction du protestantisme dans les provinces des Pays-Bas qui étaient soumises à la branche Caroline de la maison d'Au- triche. Enfin, la législation fut fixée avec sagesse par la trêve de 1609. En effet, les protestants qui séjournaient dans les pro- vinces soumises à l'autorité des archiducs, ne pouvaient être forcés de fréquenter les églises, et ceux qui les visitaient devaient s'y conformer aux usages catholiques. Ils avaient chez eux une liberté entière de conscience, en s'abstenant, hors de chez eux, de toute inconvenance religieuse, soit dans les églises, soit sur la voie publique, soit par des assemblées et par le chant des psaumes, ou enfin par la vente des livres mis à l'index. L'au- torité du prince ou de Tévêque ne pénétrait point dans l'inté- rieur des familles pour s'enquérir de ce qui s'y passait. Un placard des archiducs du 31 décembre 1609 avait réglé toutes ces dispositions en exécution de la trêve du mois d'avril précé- dent, et une ordonnance du conseil du 29 janvier 1610 expli- quait les moyens d'exécution de ce placard. Marchal, notice citée. — MS. 12388 de la Bibliothèque royale. ( 123 ) Nous allons montrer, par deux anecdotes, qu'une décision du gouvernement, qui fut prise en conséquence d'une consulte du conseil privé du 17 mars 1043, en faveur des protestants, renouvela cette tolérance sagement consentie. Elle est motivée sur des réclamations du clergé catholique de la mairie de Bois- le-Duc, alors récemment conquise par les Hollandais; on y craignait des représailles sous la nouvelle domination des Provinces-Unies, en devenant un pays soumis à la généralité de ces provinces, et non une partie de leur confédération. En donnant son opinion en faveur de la tolérance dans cette con- sulte, le président Roose eut à vaincre une forte résistance. Loin d'être mal vu du souverain, il reçut du gouverneur, Don Francisco de Mello, les remerciements en apostille de la consulte i. En 1657, il y avait encore dans la ville de Gand quelques protestants, rentrés à la faveur de la trêve de 1609, et qui avaient récupéré leur droit de bourgeoisie; d'autres protestants, venant de quitter Valenciennes et Tournai par crainte des invasions des Français, alors en guerre avec l'Espagne, s'étaient réfugiés dans la juridiction de l'évêché et même jusque dans la ville de Gand. Le gouvernement en fut informé par le vicariat épiscopal ; mais comme tous ces dissidents s'abste- naient de scandale, le gouvernement, partageant l'avis du con- seil privé, recommanda d'user à leur égard de la plus grande modération et de la plus grande retenue 2. Cette tolérance du gouvernement et du conseil privé porta d'heureux fruits : ces familles de Flandre passèrent insensi- blement au catholicisme; leur exemple fut suivi dans les autres provinces, tellement que sous le règne de Marie-Thérèse, il ne restait plus, dans les campagnes, qu'un petit nombre de familles protestantes à Pâturages et à Dour dans le Hainaut, à Rongy près de Tournai, à Hodimont près de Verviers 3. 1 Marchal, notice citée. 2 Idem, ibid. — MS. 18550 de la Bibliothèque royale. 3 Marchal, notice citée. ( 124 ) Cette sage attitude du conseil privé à l'égard des protestants se maintiendra, nous le verrons, pendant le XVIIIe siècle; la tolérance tacite pour les opinions individuelles s'étendra de plus en plus pour devenir définitivement un droit. § 6. Le conseil privé pendant le règne de Philippe V. Le 1er novembre 1700, Charles II mourut à Madrid; par disposition testamentaire, il avait institué le duc d'Anjou son héritier universel. En quittant Versailles le 4 décembre pour aller prendre possession des royaumes d'Espagne, Philippe V remit au roi son aïeul le pouvoir de donner, en son nom, dans les Pays-Bas et de prescrire toutes les mesures qu'il jugerait utiles aux intérêts communs des deux couronnes. On peut dire qu'à dater de ce moment Louis XIV fut le sou- verain de fait de nos provinces. La politique française trouva un instrument dévoué dans le marquis de Bedmar, ancien commandant en chef des armées royales dans les Pays-Bas sous Charles IL L'électeur de Bavière l'avait envoyé à Paris pour complimenter Philippe V en son nom comme gouverneur général des Pays-Bas. Depuis cette mission, Bedmar était entièrement à la dévotion de Louis XIV et de ses ministres qui l'avaient assuré de leur appui dans tout ce qu'il prétendrait pour son avantage personnel et pour celui de sa maison. Un autre personnage, le comte de Bergeyck, dont l'ambition égalait la capacité et dont la centralisation du pouvoir était depuis longtemps le rêve, se mit aussi à la disposition du cabinet de Versailles pour opérer dans les Pays-Bas les réformes qu'on y jugerait utiles. A en juger par les mesures que l'ancien trésorier général de Charles II préconisa, à son retour de Madrid, contre le conseil privé, on peut dire qu'avec son entrée dans la politique française les jours de ce corps étaient comptés. Il était alors composé d'Albert de Coxie, chef et président; Conrard Vander Brugghe, Maximilien Voorspoel, Jacques-François Caverson, conseillers. Et de fait, le conseil privé fut complètement annihilé. ( 125 ) Toutes les affaires concernant nos provinces étaient remises à la connaissance du monarque français qui donnait ses ordres directement à Bedmar. Le 3 octobre 1701, Louis XIV écrivait lui-même de Fontainebleau au marquis : « ... Il est si impor- » tant de tenir les délibérations secrètes, de les exécuter » promptement et d'éviter le retardement que les différentes » opinions peuvent causer, qu'il ne convient nullement de » communiquer toutes choses au conseil privé et au chef et » président. Lorsque les affaires seront changées et que la » paix sera bien affermie, on verra pour lors quelle conduite » le service du roi d'Espagne demandera que l'on tienne à » leur égard : mais ces ménagements pour eux seraient très » contraires à ses intérêts dans l'état présent *. » Les Belges se félicitèrent d'abord de l'avènement de Phi- lippe V, se souvenant des maux qu'avait attirés sur leur pays la longue inimitié de l'Espagne et de la France. Mais leur satisfaction fut de peu de durée. Philippe V s'était à peine fait inaugurer dans nos provinces qu'il apportait au gouvernement du pays des réformes radicales, selon les idées du comte de Bergeyck. Les ministres Boufflers, Bagnols et Puységur, envoyés à Bruxelles par Louis XIV, voulaient bien reconnaître que l'administration belge était irréprochable sous les rapports de la probité et de la droiture, mais ils la taxaient de faiblesse, d'indolence, de lenteur 2. Ce n'étaient pas ses seuls défauts à leurs yeux : leurs vues et celles de Bergeyck, qui étaient les mêmes, rencontraient assez souvent de la contradiction dans les conseils collatéraux. Le maréchal de Boufflers, écrivant de Bruxelles, le 28 septembre 1701, au marquis de Torcy, lui représentait le chef et président de Coxie comme « un homme » très dangereux, très mal intentionné », comme « une créature » de M. de Monterey », comme « un extravagant mal inten- » tionné et insolent », comme « voulant tout gouverner et 1 Gaghard, Hist. de la Belgique au commencement du XVIIIe siècle, p. 26, en note. 2 Idem, ibid., p. 52. ( 126 ) » contredisant le marquis de Bedmar généralement en toutes » choses *. » Ajoutons à cela que le comte de Bergeyck avait un ennemi déclaré dans le comte de Monterey, président du conseil supérieur de Flandre, à Madrid, et que tout ce qui venait de lui était accueilli peu favorablement à la cour. Déterminés par ces motifs, les ministres de France conçurent le dessein d'établir le gouvernement sur de nouvelles bases. Bergeyck se chargea de donner au projet sur lequel il s'était mis d'accord avec eux, la forme convenable selon le style du pays, de manière que Philippe V n'eût qu'à y apposer sa signa- ture et à en prescrire l'exécution. Ce projet fut soigneusement caché aux ministres nationaux; on en fit mystère aussi à l'électeur de Bavière et ce fut seule- ment le 7 novembre 1701 2 que Bergeyck lui en donna con- naissance, sans lui dire la part qu'il y avait prise. Louis XIV fit fortement recommander à son petit-fils le plan de réforme conçu à Bruxelles; mais à Madrid, on ne l'envisagea pas du même œil qu'à la cour de France et les principaux ministres s'y montrèrent opposés. Sur ces entrefaites, le conseil privé eut vent du coup d'Etal qui se préparait; il adressa au roi des remontrances dans lesquelles il ne craignait pas de dire que « l'ambition de » quelque ministre » était la cause des changements qu'on voulait apporter à l'organisation du gouvernement 3. Dans cette conjoncture, il fallait toute l'autorité que Louis XIV avait sur le roi d'Espagne pour que le plan de réforme n'avortât point. Philippe V différa cependant de le sanctionner plus tôt que son aïeul ne l'aurait voulu, et ce ne fut qu'après son arrivée à Naples qu'il y apposa sa signature, le 2 juin 1702 4. Le nouveau règlement supprimait le conseil supérieur de Flandre, remplaçait les conseils d'Etat, privé et 1 Bull, de la Comm. roy. dliist., 3e série, t. VI, p. 90. 2 Ibidem, p. 99. 3 Gachard, ouvr. cité, p. 54. 4 Placards de Bradant, t. VI, p. 1. ( 127 ) des finances par un conseil unique, nommé conseil du roi. La dépêche du roi qui contenait ces dispositions fut apportée au marquis de Bedmar, le 15 juillet 1702, par un courrier d'Espagne. Le cabinet de Madrid désirait que l'exécu- tion en fût différée jusqu'à la fin de la campagne, tout en se remettant à ce que Louis XIV déciderait à cet égard. A Bruxelles, le maréchal de Bouftlers et l'intendant de Bagnols exprimaient l'avis qu'on ne se pressât point, mais Bedmar en jugea autrement ; le 21 juillet, il installa le conseil du roi. Le commandant général ne rendit pas public le contenu de la dépêche royale; il se contenta d'en envoyer aux conseils de justice, aux états des provinces et aux magistrats des villes un extrait en ce qui concernait le remplacement des trois con- seils collatéraux par un conseil unique. Les raisons qui déterminèrent Bedmar et Bergeyck à agir ainsi furent, à ce qu'il semble, que la dépêche du roi était en espagnol, tandis que l'usage voulait que la langue bourgui- gnonne fût employée dans les actes de cette nature et qu'elle n'avait pas le caractère d'un diplôme ou d'une ordonnance, nécessaire cependant alors qu'il s'agissait de changer la consti- tution en vigueur depuis Charles-Quint. Peut-être aussi trou- vèrent-ils qu'il y avait quelques modifications ou quelques additions à y faire. Quoi qu'il en soit, Bergeyck rédigea un nouveau projet dans la forme requise, et ce projet, approuvé par le roi, devint, par antidate, le diplôme du 2 juin 1702, dont la promulgation eut lieu seulement au mois de juillet de l'année suivante *. 1 Gachard, ouvr. cité, p. 55. ( 128 ) CHAPITRE III. SYSTÈMES ADMINISTRATIFS DES PAYS-BAS, DE 1702 A 1725. § 1. De l'administration générale des Pays-Bas, de 1702 à 1718. Le conseil du roi, institué par le diplôme du 2 juin, était composé d'un chef, de quatre ministres de robe, du surinten- dant général «les finances et ministre de la guerre, d'un pro- cureur général du roi et d'un secrétaire. Ce conseil était chargé de délibérer sur toutes les matières et affaires du gouverne- ment, justice, police et finances, qui étaient auparavant du ressort des trois conseils collatéraux. Les alliés, qui eurent pendant quelques années l'administra- tion du pays, après la bataille de Ramillies, modifièrent encore cet état de choses. Ils érigèrent, le 21 juillet 1706 *, en la place du conseil royal, un conseil de gouvernement appelé conseil d'État 2. Deux membres de l'ancien conseil privé en firent partie : c'étaient le chef-président de Coxie et le conseiller de Caverson. L'ordonnance qui établissait le conseil d'État portait que ce conseil aurait et exercerait le gouvernement et ferait toutes les expéditions au nom de Charles III; qu'il connaîtrait des grandes et principales affaires, de celles qui regarderaient la direction, sûreté et défense du pays, sans se mêler des affaires de grâce, de justice et de police, lesquelles devraient être laissées aux conseils, lois, juges et officiers des provinces et des villes; 1 Gachard, Coll. de doc. inédits concernant Vhist. de Belgique, t. III, p. 237. 2 De son côté, l'électeur Maximilien-Emmanuel, mis en possession des provinces de Luxembourg et de Namur, établit a Namur, le 11 juil- let 1709, un conseil d'État et, le 11 août suivant, un conseil des finances pour tout ce qui concernait son service. (Gachard, ouvr. cité, pp. 303. et 305.) ( 129 ) qu'il aurait soin de maintenir d'un côté l'autorité et les préro- gatives du souverain, de l'autre les libertés, lois, privilèges et coutumes de la nation ; qu'il n'admettrait ni ne suivrait aucun ordre d'ailleurs, sans en avoir fait part préalablement aux deux puissances et sans avoir reçu « leur aveu et agréation »; que même « dans les principales et importantes matières » il ne prendrait de résolution que « communicativement et de con- » cert avec les deux puissances *. » Le 30 juillet, les délégués de la Grande-Bretagne et des états généraux rétablirent le conseil des finances sur le pied et con- formément aux instructions faites et observées avant la mort du roi d'Espagne, Charles II, « pour autant qu'elles étaient » applicables au temps présent 2. » Quant à l'ancien conseil privé, il devait rester supprimé, d'après la résolution des états généraux du 19 juin. Il fallait cependant pourvoir à la décision des affaires qui avaient été du ressort de ce corps : les députés des états généraux, au nom des deux puissances maritimes, invitèrent le conseil d'État à se charger, jusqu'à ce qu'il en fût disposé autrement, de l'examen, délibération et expédition de ces affaires 3. Cependant les actes du conseil d'État étaient subordonnés à l'influence d'une commission formée de ministres anglais et hollandais à laquelle on donnait le nom de conférence. Cette réunion de députés étrangers se tenait à Y hôtel de Hoogstraeten et exerçait tous les attributs souverains. Les intérêts divergents de ces deux pouvoirs donnèrent lieu à des mésintelligences et à bien des querelles. Sous prétexte que le conseil d'État n'avait pas tenu compte d'une réquisition du 18 avril 1708, par laquelle les ministres des deux puissances lui auraient interdit de se mêler à l'avenir des affaires qui étaient du ressort du conseil privé, la conférence prit, le 23 janvier 1709, une résolution 1 Gachard, Hist. de la Belgique au commencement du XVIIIe siècle, p. 343. 2 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. II, p. 8. 5 Gachard, ouvr. cité, p. 346. Tome LU. 9 ( 130 ) portant que le conseil d'État cesserait de connaître des affaires qui avaient été ci-devant de la compétence du conseil privé; que ce dernier conseil serait rétabli * ; que les décrets, réso- lutions et autres actes du conseil privé n'auraient de force et d'effet qu'avec l'agrément et l'approbation unanime des ministres des deux puissances à Bruxelles; que toutes les grâces, arrêts et ordres donnés par le conseil d'État, depuis le 10 avril 1708, seraient regardés comme non avenus, à moins qu'ils ne reçussent ou qu'ils n'eussent eu l'approbation des ministres des deux puissances 2. Le conseil d'État protesta contre cette résolution, disant qu'elle contenait des termes attentatoires à l'honneur de ses membres et qu'avant de le condamner on aurait dû l'entendre. Les conseillers affirmaient d'ailleurs que la résolution du 18 avril ne leur avait jamais été communiquée. De ce moment, ils s'abstinrent d'assister au conseil. Cette attitude ne laissa pas d'embarrasser les ministres des puissances alliées, et la conférence prit, le 5 juin, une nouvelle résolution qui atté- nuait notablement la portée de celle du 23 janvier. Il y était exprimé d'abord que par celle-ci on n'avait voulu faire le moindre tort ni à l'honneur ni à la réputation du conseil d'État en général ou de ses membres en particulier. Les états généraux restreignaient ensuite l'approbation de la conférence requise pour les décrets, résolutions, grâces ou autres actes du conseil privé, à ceux auxquels, d'après les anciennes instructions, le gouverneur général devait donner son assentiment. Les grâces, arrêts et ordres émanés du conseil d'État, agissant comme con- seil privé, depuis le 10 avril 1708, ne seraient plus soumis à un nouvel examen que s'ils avaient été donnés contre le senti- ment unanime et l'opposition expresse des ministres des deux puissances 3. Ce n'était là, en réalité, qu'un atermoiement ; les causes du 1 Cette résolution resta sans suite. 2 Gachard, ouvr. cité, p. 362. s Idem, ibid., p. 368. ( 131 ) désaccord entre le conseil d'État et la conférence étaient telles que chaque fois que les prérogatives de l'un ou de l'autre corps étaient en jeu, ce désaccord se reproduisait. Aussi, à l'avènement de Charles VI au gouvernement de la Belgique, en 1716, on n'eut rien de plus pressé que de supprimer ces deux pouvoirs. Le ministre plénipotentiaire, marquis de Prié, créa, le 11 juillet 1717, une jointe provisionnelle qui aurait à délibérer sur toutes les affaires d'État, de police, de justice, de finances et autres relatives à l'administration du pays, jusqu'à ce qu'on se fût décidé, à Vienne, sur la forme à donner au gouverne- ment des Pays-Bas. Ce fut sur ce pied que l'administration générale continua de subsister jusqu'en 1718. L'Empereur, qui sentait vivement le besoin d'organiser le gouvernement, institua à cette époque, le 29 mars, de l'avis du conseil suprême qu'il avait créé près de sa personne, un conseil unique, revêtu de toutes les attributions qui, auparavant, avaient été partagées entre les trois conseils collatéraux *. Le conseil suprême avait combattu le rétablissement des trois conseils collatéraux, tels que Charles-Quint les avait insti- tués, pour les motifs suivants : « On évitera ainsi, dit-il dans » son rapport à l'Empereur, les retards dans l'expédition des » affaires, les confusions et les conflits de juridiction entre les » trois conseils collatéraux dont on a eu l'expérience du passé )> au détriment du service de Votre Majesté et au préjudice de » ses peuples, et en même temps on épargnera des dépenses » superflues à l'avantage des finances de Votre Majesté 2. » On ne peut nier les avantages qui ont résulté pour notre pays de la forme de gouvernement établie par Charles-Quint en 1531. Ce prince, en la constituant, connaissait trop bien ses Pays-Bas, ce qui convenait à son service et au bien de son peuple; et rien ne prouve mieux l'excellence de cette constitu- tion que l'approbation qui y a été donnée par ses successeurs. 1 Placards de Brabant, t. VI, p. 9. 2 Recueil des ordonn. des Pays-Bas, 3e série, t. III, p. xlix. ( 132 ) Mais, comme le disait à l'empereur Charles VI le comte de Daun, dans son rapport du 5 juin 1725 *, « de même que les » meilleurs et les plus robustes tempéraments s'affaiblissent, » que les plus solides bâtiments se détruisent par le temps, il » est arrivé à peu près la même chose à l'ordre établi par le )> plan de 1531. » En effet, les jalousies et les contestations entre les conseils collatéraux, qui ont toujours cherché à empiéter sur leur domaine réciproque, avaient affaibli leur autorité dans le public. Il en était résulté que les états des provinces et les magistrats des villes, professant moins de res- pect pour l'autorité de ces conseils et celle du gouvernement, suscitaient, à toute occasion, des difficultés dans les accords pour les subsides et les autres besoins de l'État, à tel point que le pouvoir ne parvenait à les apaiser que par de longues et pénibles négociations qui, loin de couper le mal, ne fai- saient qu'en autoriser davantage les auteurs. Et puis, comme les gages des membres du conseil privé étaient peu élevés, les conseillers s'en dédommageaient en attirant à eux, au grand détriment des intéressés, mais à leur grand profit personnel, quantité d'affaires de la compétence des tribunaux ordinaires. Les membres du conseil des finances en agissaient de même par des vacations extraordinaires, jointes, etc. Leurs absences étaient à la fin tellement fré- quentes que ceux qui poursuivaient des affaires- en finances ne pouvaient obtenir de décision qu'après plusieurs années de sollicitations, par suite des renvois successifs que devaient subir leurs instances. De là, naturellement, des plaintes générales qui, sans avoir jeté un mépris complet sur la constitution de Charles-Quint, l'avaient cependant discréditée au point de per- mettre, en 1718, de faire l'essai d'une forme nouvelle pour l'administration générale. 1 Archives de la chancellerie, D. 2. g. ( 433 ) § 2. Constitution de 1718. — Rétablissement du conseil privé en 1725. Comme il importe de connaître, au moins superficiellement, tout ce qui a eu quelque rapport à l'administration générale de ce temps, nous allons donner les principaux éléments de la constitution établie en 1718, et tâcher de signaler les causes qui ont justifié, en 1725, son renversement et le rétablissement des conseils collatéraux. L'acte constitutionnel du 29 mars 1718 porte, à l'article 3, que le conseil d'État se composera du gouverneur général, en son absence du ministre plénipotentiaire, et de conseillers de robe et d'épée. Les conseillers prenaient rang selon l'ancien- neté de leur nomination. Ils opinaient dans le même ordre, à commencer par le conseiller de robe le moins âgé. Les membres de ce conseil délibéraient sur les matières qui leur étaient soumises et donnaient leurs opinions motivées. Le gouverneur décidait seul ; en son absence, c'était le ministre plénipotentiaire et, à son défaut, le plus ancien des conseillers. Les attributions du conseil avaient pour objet le gouverne- ment politique et civil, l'administration de la justice, des finances, de la police, des grâces et généralement tout ce qui, auparavant, rentrait dans le domaine des trois conseils colla- téraux. Le gouverneur avait la faculté d'appeler au conseil d'État l'archevêque de Malines, le commandant des troupes, le président du grand conseil et le chancelier de Brabant. Le personnel du conseil consistait en cinq secrétaires dont un audiencier, deux pour les affaires anciennement du res- sort des conseils d'État et privé et deux pour les affaires des finances. Celles-ci étaient dirigées par un conseiller d'Etat nommé directeur général. Ce fonctionnaire avait sous ses ordres trois intendants de résidence à Bruxelles et quatre subdélé- gués répandus dans les provinces. Le produit des finances était versé dans deux caisses, dont l'une était destinée à la recette générale, l'autre à la recette particulière des subsides ( 134 ) de guerre. Celle-ci fournissait les deniers nécessaires à la solde des troupes et aux autres besoins de ce genre. La justice mili- taire était rendue par un auditeur général dont les jugements étaient sujets à revision. Telle est, en substance, l'organisation que prescrivit la loi politique du 29 mars 1718. Cette forme de gouvernement, loin de remédier aux désordres, ne fit que les aggraver. Elle ne renfermait, il est vrai, que des principes conformes au bon ordre et à l'espèce de gouverne- ment qu'on voulait établir. Elle avait pour objet d'ôter tout prétexte de jalousie et de dispute entre les trois conseils colla- téraux ; elle avait aussi pour objet l'établissement d'une bonne et économe administration dans les provinces, les châtellenies et les autres communautés 4. Mais les circonstances étaient trop extraordinaires, le désordre de l'administration et des finances trop grand, pour qu'un gouvernement fondé sur des éléments si simples et mesuré sur un personnel si parcimo- nieux, fût capable d'introduire l'ordre là où tout était anarchie et confusion 2. L'application d'ailleurs, au service de l'Empereur, des membres composant le conseil d'Etat, n'était pas des plus louable 3. Ces conseillers n'étaient pas non plus des hommes 1 Rapport du comte de Daun à l'Empereur du 5 juin 1725. (Archives de la chancellerie, D. 2.) 2 Steurs, État des Pays-Bas sous Charles VI. 3 Dans son rapport à l'Empereur, le comte de Daun s'exprimait comme suit à ce sujet : « Si les membres du conseil d'État ont beaucoup de zèle pour le service de Votre Majesté, je ne puis en dire autant de leur appli- cation, car j'ay reçu beaucoup de plaintes de ce que les affaires dont le conseiller de Grouff est chargé ne finissent pas et je suis bien informé qu'il ne fait presque point de rapports au conseil. J'ay déjà dû même par deux fois luy faire des remontrances sérieuses sur son peu d'appli- cation; le directeur général Fraulx ne vient presque point au conseil, se disant incommodé; et pour ce qui est de la noblesse, elle ne manque pas d'y assister régulièrement, même le duc d'Arenberg et le prince de Ligne qui se tiennent pour cela beaucoup plus à Bruxelles qu'ils ne fai- soient auparavant. Je veux croire aussi que les Ministres des finances ont du zèle, pour le service de Votre Majesté, mais je ne puis que me ( 135 ) d'Etat d'expérience, si nous en croyons Wynants, qui attribue même à cette circonstance la non-réussite du plan de 4718. « Il est de notoriété publique, dit-il, que depuis Charles II on » n'a pas eu le moindre soin de former des élèves ; tout a été » donné à la faveur et à l'argent; on a laissé croupir dans le » néant de très beaux génies qui auraient servi admirablement » le prince et le public, si on s'était donné la moindre peine » de les cultiver et de les mettre en œuvre : Fabricando fabri » fiunt. Qu'on suive cette maxime et qu'on ait soin de chercher » et de choisir des gens de tête et d'esprit; qu'on les élève par » degrez et qu'on s'assure qu'il n'en manquera pas : Sint » Maecenates et Protectores. Que les ministres en place ne » soient pas jaloux ; qu'ils ne craignent pas d'être surpassés » ou supplantés; qu'ils n'écartent pas adroitement les beaux » génies qui se trouvent dans les conseils provinciaux ; que le » gouverneur général ne se laisse pas mettre le bandeau par » ceux qui l'environnent et qu'il mette en activité et dans les » affaires ceux qu'il découvre. Il ne manquera jamais de » sujets et d'hommes habiles d. » D'un autre côté, les négociations relatives au traité de la Barrière avaient été hautement blâmées ; la reconnaissance des anciennes obligations contractées par Charles II, quoique juste, honorable et nécessaire, avait considérablement chargé la dette publique; la police, sans activité, abandonnait le plat pays aux violences des malfaiteurs, tandis que les villes prin- cipales du Brabant étaient le théâtre de fréquentes émeutes plaindre de leur application. Le Directeur général ne me secoure en rien et à son exemple leurs assemblées du conseil sont fréquemment infruc- tueuses parce que nuls autres ne s'y trouvent que les conseillers Suarts et Coppieters, lesquels s'appliquent à leur devoir et à témoigner leur zèle ; le vicomte de Vooght peut être excusé à cause qu'il est, à ce qu'on dit, occupé chez luy à des états que je demande depuis longtemps ; au surplus, je luy dois ce témoignage qu'il paroit être plein de bonne volonté. Je ne dirai rien du conseiller Strozzi, Votre Majesté connoit son zèle et son application. » (Archives de la chancellerie, D. 2. g.) 1 Archives de la chancellerie, D. 2. g. ( 136 ) populaires dont quelques-unes furent d'un caractère assez alarmant pour qu'on jugeât nécessaire d'envoyer dans le pays une armée de vingt-cinq mille hommes 4. Cependant la guerre que l'Empereur faisait contre PhilippeV, pour la succession d'Espagne, n'avait pas discontinué. Des affaires déjà si embrouillées le devenaient bien davantage encore par les difficultés que l'Angleterre et la Hollande ne cessaient de susciter à l'Empereur au sujet de la Compagnie d'Ostende. Est-il étonnant après cela qu'un conseil d'État, composé de quelques membres, n'ait pu suffire à des exigences de cette nature? Le département des finances seul était plus que suffi- sant pour occuper le conseil, si on avait pu songer, à cette époque, à autre chose qu'à rétablir l'administration intérieure et à tenir tête aux prétentions de l'étranger. D'ailleurs, la mésintelligence avait éclaté au sein même du conseil d'Etat relativement à ses instructions : certains membres considéraient le conseil comme un corps délibéralif; les autres, et princi- palement le marquis de Prié, soutenaient qu'il était purement consultatif, comme l'avaient été les anciens conseils collatéraux. Dans un rapport du 16 avril 1725, par lequel il rendait compte à l'Empereur de tout ce qui s'était passé aux Pays-Bas durant son administration, le marquis de Prié, après avoir donné une analyse de l'ancienne forme de gouvernement, la compare comme suit avec celle établie en 1718 : « Votre » Majesté verra, par l'exposition détaillée que je viens de faire » en raccourci des matières qui se traitoient ci-devant dans » lesdits trois conseils collatéraux, sous l'approbation et à la » délibération du gouverneur général, par des ministres » éclairés de la science et de l'usage des différentes fonctions » de leurs départements respectifs, que les affaires du gouver- » nement y pouvoient être examinées, réglées et résolues avec » beaucoup de régularité, de sûreté et de connoissance de » cause; au lieu que, suivant le nouveau plan, toutes les 1 Krafft, Hist. de la maison d'Autriche, t. III, p. 447. ( 137 ) » affaires supérieures d'État, justice, police et finances devroient » être traitées et résolues pêle-mêle au nouveau conseil d'Etat, » composé entièrement de ministres de l'ordre de la noblesse » et de longue robe, à la réserve du directeur général qui est » l'unique financier qui en soit membre. Il est notoire que » lesdits ministres de la noblesse n'ont pas été élevés dans la » connoissance ou la pratique des affaires de justice, police et » finances, et il est également manifeste que les conseillers de » longue robe n'ont jamais eu l'occasion de s'instruire des » affaires des domaines et finances, ni celle d'acquérir les con- » noissances et les lumières nécessaires pour en juger perti- » nemment et avec la promptitude requise dans les occasions » du service de Votre Majesté qui s'en présentent journelle- » ment. » Cependant lesdits ministres, tant de courte que de longue » robe, sont autorisés par le nouveau règlement à prononcer » sur toutes les différentes matières, et leurs voix se comptent, » quoique les premiers n'aient pas été élevés dans les prin- » cipes ou l'usage des unes ou des autres, et que ceux de » longue robe soient dans le même cas par rapport aux affaires » des domaines et finances, ayant été seulement employés » dans les cours de justice, où il s'agit seulement de la con- » noissance et de la pratique de la jurisprudence : de sorte » qu'il n'y a que le directeur général qui, par son expérience et » par sa longue profession de financier, soit en état de con- » duire, comme il faut, les affaires qui étoient du département » de l'ancien conseil des finances, et d'en juger sainement. » Toutes ces raisons et particularités étant pesées et consi- » dérées avec attention, il me semble que l'ancienne forme de ■» gouvernement de ce pays étant confrontée avec celle réglée » par le nouveau plan, l'on trouvera, par une démonstration » qui me paroit manifeste, que la première est préférable à » l'autre pour plusieurs raisons. » La première est qu'elle est plus régulière, plus aisée et » plus naturelle et assure beaucoup mieux la bonne adminis- » tration de la justice et le bon ordre dans la police générale du ( 438 ) » pays ; la seconde, qu'elle est infiniment plus convenable au » bien du service de Votre Majesté, et au maintien et à l'affer- » missement de son autorité; la troisième, qu'elle est beau- » coup plus propre pour la prompte expédition des affaires, » sans confusion et sans désordre; et la quatrième, qu'elle est » beaucoup moins onéreuse aux finances de Votre Majesté, )> dont il est nécessaire de diminuer la dépense et les charges, » autant qu'il est possible : pour preuve de quoi, l'on n'a » qu'à comparer les gages dont les ministres du conseil » suprême à Madrid et ceux des trois conseils collatéraux à » Bruxelles jouissoient du temps du feu roi, avec ceux attri- » bues au conseil suprême à Vienne, au nouveau conseil » d'État et aux intendans des finances, par destination à » l'égard de ces derniers, pour trouver que les gages réglés et » destinés par le nouveau plan, montent à près de cent mille » florins par an plus que ne portoient les appointemens attri- » bues à tous lesdits conseils du tems du feu roi suivant » l'ancienne constitution t. » En changement d'organisation était donc nécessaire. L'Em- pereur, qui en était pénétré, ne le fit pas attendre. Par acte constitutionnel du 19 septembre 1725 2, il rétablit le conseil privé et les deux autres conseils collatéraux, et il eut lieu de s'applaudir d'avoir pris une mesure qui ramena bientôt l'ordre dans l'administration. Dans ses Mémoires historiques et politiques, de Neny s'attache à faire ressortir l'excellence de cette constitution : « Dans le » plan de cette constitution, dit-il, les affaires qui par leur » nature ont des objets divers, sont divisées avec une justesse » admirable en différents départements. Chaque ressort : ce » qui facilite également l'examen, la décision et l'expédition » des affaires. Tous sont subordonnés au gouverneur général » qui exerce l'autorité souveraine et destinés à l'aider par » leurs lumières à supporter le fardeau du gouvernement. * Gachàrd, Doc. inéd. concern. l'hist. de Belgique, t. III, p. 489. 2 Placards de Brabant, t. VI, p. 13. ( 139 ) » Il est universellement reconnu aujourd'hui qu'il n'est pas » possible de faire traiter dans un seul conseil toutes les » affaires qui entrent dans le gouvernement supérieur d'un État. » Mais si cette maxime est vraie dans sa généralité, elle l'est » particulièrement pour les Pays-Bas, où les droits, les usages, » privilèges, les prétentions de chaque province et de chaque » ville se présentent sous un aspect différent et où la variété » des sources des revenus n'admet même pas l'uniformité » dans les principes 1. » CHAPITRE IV. HISTOIRE DU CONSEIL PRIVÉ, DE 1725 A 1794. § 1. Caractères du conseil privé de Charles VI. Le conseil privé institué par Charles VI différait essentielle- ment de celui établi par Charles-Quint. Cette différence tenait à la diversité même des constitutions de 1531 et de 1725. En effet, comme nous le verrons tantôt, malgré le maintien du principe de la division du travail entre les trois conseils colla- téraux et malgré le maintien scrupuleux des titres et des appellations anciennes, la forme du gouvernement, c'est-à-dire la manière dont étaient constitués et organisés les conseils collatéraux en 1725, était séparée par un abîme du système inauguré par Charles-Quint. L'article 5 des instructions du 19 septembre donnait au chef- président et aux conseillers les mêmes fonctions et préroga- tives que celles du 12 octobre 1540. L'article 9 ordonnait au conseil privé de s'abstenir de prendre connaissance d'aucune cause en matière contentieuse, ni d'admettre aucune instruction, contestation ou décision par voie ou ordre judiciaire, l'Empereur voulant que le conseil * Chap. XVI, art. XIII. ( 440 ) envoyât les causes de cette nature aux tribunaux ordinaires de justice. Par l'article 10, Sa Majesté ordonnait que le conseil obser- vât la même chose à l'égard des évocations qui pourraient se demander des causes déjà intentées devant les cours ou tribunaux de justice. L'article 12 portait que le conseil aurait la consulte des pro- visions et collations en matières ecclésiastiques, politiques et civiles, c'est-à-dire que la collation des dignités, emplois et bénéfices passerait par la délibération du conseil privé qui, à cet égard, ne serait que purement consultatif, la collation des emplois et bénéfices étant réservée au souverain ou à son gouverneur général. Ces derniers objets étaient une attribution nouvelle pour le conseil privé, car ils étaient auparavant du ressort du conseil d'État. Le transfert au conseil privé des affaires de politique intérieure était pour le conseil d'Etat une destruction complète de son activité et de son importance. Cette diminution était la conséquence finale de l'attitude trop indépendante et du loya- lisme douteux dont ses membres, tous de la haute aristocratie, avaient fait preuve pendant la seconde moitié du XVIe siècle ; elle était la continuation des coups que lui avait portés le cabinet de Madrid pendant le règne des archiducs et des succes- seurs de Philippe II ; elle devait aller s'accentuant au point de ne plus faire du conseil d'Etat, vers le milieu du XVIIIe siècle, qu'un conseil d'honneur, sans activité pratique, où le gouver- nement faisait entrer des cavaliers de la noblesse et des magis- trats qu'il voulait récompenser par un titre éclatant *. Ce fait, en apparence insignifiant, avait cependant trans- formé complètement les institutions centrales de l'Etat. En effet, en ne réunissant plus le conseil d'Etat, dont les attribu- tions théoriques comprenaient encore la politique extérieure, le pouvoir s'était ménagé une complète liberté d'allures dans 1 Poullet, Const. nat., p. 243. — Neny, Mém. hist., t. II, pp. 94 à 98. Wynants, MS. 12294, eh. II. — Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 141 ) la sphère des rapports internationaux. Il s'était mis en situa- tion de poursuivre, non seulement sans entraves, mais encore sans 'contradictions, ses vues personnelles. En transférant, d'autre part, au conseil privé les attributions de politique intérieure du conseil d'État, il avait agrandi dans une énorme mesure sa force impulsive sur cette politique même. Les magistrats du conseil privé, par la nature de leurs fonctions et par les traditions qui prévalaient dans leur corps, étaient portés à soutenir dans toutes les sphères l'action de l'autorité souveraine et à provoquer ou favoriser les innovations qui tendaient à son extension; tandis que les cavaliers qui sié- geaient encore au conseil d'État étaient, par leur rang aux états et aussi par leurs traditions, les défenseurs naturels des anciens privilèges et du mos majorum 4 . Le conseil d'État ne laissa pas sans protestation porter ce coup à son autorité d'autrefois. Dans un long mémoire, formé en 1726 2, il représenta à l'archiduchesse Elisabeth, gouver- nante générale des Pays-Bas, que a la prééminence, le lustre, le rang et l'autorité » que les rois d'Espagne avaient donnés à leur corps entre les trois conseils collatéraux, se trouveraient notablement diminués si les consultes sur les collations et pro- visions en matières ecclésiastiques, civiles et politiques lui étaient définitivement enlevées pour être attribuées au conseil privé. Il en résulterait aussi, disait le mémoire, que le conseil d'État ne serait plus dans la même considération des peuples comme l'a été l'ancien conseil, que les prédécesseurs de Sa Majesté ont toujours fait tenir en grande estime. En termi- nant, le conseil d'Etat exprimait l'espoir de lui voir rendre ses anciennes attributions. Aucune suite ne paraît avoir été donnée à cette représentation. 1 Poullet, Const. nat., p. 244. — Archives de la chancellerie, D. 108. c. — Gachard, Doc. sur les troubles de la Belgique sous Charles VI, t. I, pp. 140 et 325. - Archives de la chancellerie, D. 2. ( 142 ) § 2. Le conseil privé pendant le règne de Charles VI. D'après le diplôme du 19 septembre 172o, le conseil privé était composé d'un chef-président, de six conseillers de longue robe et de deux secrétaires. Charles VI nomma chef et président le comte Christophe de Baillet, président du grand conseil, et conseillers : Pierre-Ignace Colins, du conseil de Brabant; Augustin Steenhault, du grand conseil; Corneille-Florent Michel, du conseil de Flandre*. Les trois autres conseillers devaient être, selon le diplôme précité, les trois conseillers de longue robe du conseil d'Etat supprimé, c'est-à-dire le baron d'Elissem, De Grouff et Tom- beur. Mais d'Elissem qui, en sa qualité de doyen des conseil- lers d'État de longue robe, d'ancien conseiller au conseil suprême de Flandre à Madrid et d'ancien président du conseil souverain de Hainaut, croyait avoir plus de titres que per- sonne à la charge de chef et président, fut blessé de la préfé- rence donnée sur lui au comte de Baillet; il offrit à l'Empe- reur la démission de ses emplois 2. Par dépêche du 3 octobre, Charles VI manda à l'archiduchesse de ne pas le remplacer au conseil 3. Les secrétaires désignés pour être attachés au conseil privé furent Le Roy et Bollaert 4. Par décret du 13 octobre, l'Empereur accorda au comte de Yisconti, qu'il avait nommé grand maître de la gouvernante, l'archiduchesse Marie-ÉIisabeth, le droit d'assister aux séances 1 Archives de la chancellerie, D. 2. 1; D. 2. 3. 2 Archives de la chancellerie, D. 2. 1. — Au conseil suprême, deux des quatre conseillers, le comte de Çavella et le vicomte Vander Haghen l'avaient proposé en première ligne pour cette charge; mais les deux autres, le baron de Penterrieder et le vicomte de Wynants ne l'avaient proposé qu'en troisième ligne et avaient mis avant lui le comte de Baillet. Wynants était, du reste, lui-même prétendant à la charge. 3 Archives de la chancellerie, D. 2. 4 Calendrier de la cour, ad annum. ( 143 ) du conseil privé quand il le jugerait convenable, avec pré- séance sur tous les membres du corps d . Le 29 septembre, le comte de Daim, lieutenant-gouverneur intérimaire des Pays-Bas, convoqua le conseil privé à son hôtel. Il lui fit part de la détermination qu'avait prise l'Empe- reur de préposer au gouvernement sa sœur Marie-Elisabeth d'Autriche et de rétablir les trois conseils collatéraux. Après avoir fait donner lecture par le secrétaire Bollaert des dépêches relatives à ces deux objets, il remit le grand scel entre les mains du chef-président. En le recevant, le comte de Baillet assura le comte de Daun du zèle et de l'attachement du conseil privé pour le service de l'Empereur et pour les intérêts de ses sujets. Le 2 octobre, le conseil entra dans l'exercice de ses fonctions 2. Par décret du 5 juin 1726, il fut prescrit aux conseils colla- téraux de former, au plus tôt, un projet des instructions qui les concernaient respectivement, eu égard aux anciennes instructions ainsi qu'aux interprétations et changements qui s'en étaient suivis, comme aussi au plan nouveau de 1725. Le conseil privé présenta son projet le 31 janvier 1727, mais il ne reçut aucune sanction et on s'en tint purement et simplement, pour la direction des affaires, aux prescriptions générales du diplôme du 19 septembre 3. Le règne de Charles VI s'écoula tristement pour la Belgique. Ce n'est pas que le patriotisme fît défaut aux membres du conseil privé, mais la politique intérieure dont ce corps avait la direction manquait d'impulsion par la faiblesse du monarque et par son égoïsme politique auquel il sacrifia les intérêts de ses sujets. Si à cela on ajoute les malheurs du temps, l'astuce et la mauvaise foi de nos voisins du Nord et du Midi, on com- 1 Registres Verds, n° 360, fol. 101 v°. — Visconti était conseiller intime d'État de l'Empereur : c'est à ce titre que la préséance sur les membres du conseil privé lui était attribuée. Harrach en jouit au même titre. 2 Registres Verds, n° 360, fol. 97. 3 Archives de la chancellerie, D. 2. ( 144 ) prendra que peu de mesures remarquables ont pu être prises sous ce règne. L'administration de l'archiduchesse Marie-Elisabeth manqua d'ailleurs complètement de vigueur. 11 y avait dans ce gouver- nement trop de langueur dans l'expédition des affaires, de dérangement dans les finances. Il est vrai de dire que ces deux maux existaient déjà avant l'arrivée de cette princesse. Le premier de ces maux procédait de différentes causes : d'abord, à l'arrivée de la gouvernante, les affaires s'étant trouvées fort négligées, il fallut du temps pour que le conseil privé et le conseil des finances pussent se mettre en règle; les nouveaux chefs de ces conseils n'étaient pas trop au fait des affaires qui devaient s'y traiter, et ne connaissaient pas les rétroactes. En second lieu, la princesse, d'une conscience timorée, ne se bornait pas aux sentiments de ses ministres et de ses conseils en bien des affaires : par là, elle tombait dans des irrésolutions qui l'engageaient à demander de nouveaux éclaircissements, des consultes ultérieures qui, à la fin, devenaient si prolixes et si étendues qu'elle ne pouvait plus trouver le temps de les lire ni le conseil privé celui de les former 1. Le comte de Baillet, chef-président du conseil, était mort le 2 juin 1732 2; il avait été remplacé dans ses fonctions par le comte de Coloma, le 7 janvier 1739 3. § 3. Le conseil privé pendant le règne de Marie-Thérèse. Dans les premières années du règne de Marie-Thérèse, cette inaction du règne précédent se continua dans le conseil privé. Ce corps, à la tête duquel se trouvait Steenhault*, était, selon l'expression de Cobenzl, un corps bien faible. Il était formé des conseillers Jamez, de Robiano, Obin, comte de Figuerola, 1 Bull, de la Comm. roy. d'hist., 3e série, t. V, p. 378. - Archives de la chancellerie, A. 1. — Biogr. nat., t. I, p. 643. 3 Archives de la chancellerie, A. i. — Biogr. nat., t. IV, p. 306. i Archives de la chancellerie, D. 6. c. ( 145 ) Saint- Vaast de Denterghem, Pycke et Bossard; des secrétaires Le Koy, Bollaert, Neny et Missoni. De l'aveu de Marie-Thé- rèse, Stcenhault n'était pas même capable de remplir ses fonctions. Ennemi de toute innovation, n'importe d'où elle vînt, il la repoussait de parti pris 2. D'autre part, le conseil privé était déjà retombé dans les anciens errements qui l'avaient discrédité dans le siècle précé- dent. Et d'abord, il s'était de nouveau érigé en tribunal de justice : « Le conseil privé, depuis son rétablissement, et surtout » les successifs chefs-présidents et principalement le moderne, » n'ont pu oublier qu'autrefois ce conseil n'était proprement » qu'un conseil supérieur de justice qui s'attirait la connais- » sance des principaux procès et en évoquait de tous les autres » conseils; et, accoutumés qu'ils étaient dans les conseils de » justice dont ils sont sortis à décider au nom du souverain » en son conseil, ils ne peuvent pas s'en déshabituer; et au lieu » de se borner à être selon le plan de 1725 un conseil consul- » tatif du gouvernement, ils se regardent et agissent en conseil » exerçant le pouvoir royal et ont d'abord commencé par » établir quatre procureurs 3 qui ne servent que pour attirer 1 Archives de la chancellerie, D. 14. g. 2 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VI, p. xix. — Voici le jugement porté sur lui par Marie-Thérèse : « Quoique le chan- celier de Brabant ait jusqu'ici mérité l'approbation des trois derniers gouvernements, il n'en est pas de même du chef et président du conseil privé Steenhault, l'emploi duquel étant le premier de la robe, étoit ci- devant considéré comme de la plus grande confiance. Or à présent, et selon les représentations du comte de Kônigsegg-Erps, il faudrait le con- gédier ou le placer autre part. Feue la sérénissime archiduchesse pensoit tout au contraire et fort avantageusement de lui. Le sentiment du comte de Harrach paroit tenir le milieu. Il croit qu'on peut se servir utilement de Steenhault, pourvu qu'on sache forcer ses entêtements et le brider sur le goût et ambition d'attirer à son conseil privé une infinité d'affaires de judicature. » (Instruction secrète au prince Charles de Lorraine, Archives de la chancellerie, H. 92. A.) 5 Voir 2e partie, chap. III, § 6. Tome LU. 10 ( 146 ) » les plaideurs, puisqu'en autres matières les parties sont ser- » vies par les agents *. » Ensuite, les nombreux conflits qui autrefois s'étaient élevés entre le conseil privé et le conseil des finances, avaient reparu avec non moins d'intensité et de persistance : « Le conseil » privé et le conseil des finances sont tellement en dispute et » compétence, pour la consulte et les dépêches concernant » certains employs qui sont en même temps offices de police » et de finances, comme aussi pour plusieurs espèces d'octroys » et pour plusieurs questions et règlements, qu'il me faut » quelquefois autant de temps pour sçavoir à quel des deux » conseils il faut renvoyer une affaire que pour examiner » l'affaire même. Joint à cela la nécessité d'entendre souvent » sur une même affaire les deux conseils, dont l'un se plainl » que l'autre pense plus à ce qui produit finance qu'à ce qui » est juste, tandis que l'autre se plaint que le conseil privé ne » s'écarte pas des règles du barreau et ne considère pas les » diminutions des revenus des finances et les embarras dans » les subsides -. » Enfin, une lenteur désespérante présidait à l'instruction et à l'examen des affaires soumises au conseil privé : « Ce que ce » conseil n'a pas envie d'exécuter, est tellement traîné par des » délais et des incidents qu'on y fait naître, qu'il n'y a pas » moyen d'en venir à bout. Les conflits de juridiction, au lieu » d'être décidés sommairement, deviennent, au conseil privé, » de longs procès opéreusement parinstruits 3. » Le ministre plénipotentiaire se plaignait aussi du manque de tact chez la plupart des membres du conseil : ce Quelques- » uns, disait-il, sont d'humeur et caractère assez éloignés de » ceux que je leur désirerois pour le bien du royal service, dans » un pays où le génie de la nation en général et des états en * Voir 2e partie, chap. III, §4. — Rapport de Kônigsegg-Erps à Marie- Thérèse, du 7 octobre 1743 : Archives de la chancellerie, D. 14. g. 2 Archives de la chancellerie, D. 14. g. 3 Archives de la chancellerie, D. 14. g. et D. 14. A. ( 147 ) » particulier est tel, qu'il n'y a d'autre moyen d'en obtenir » des efforts que de ne pas agir par hauteur, d'agir avec pru- » dence, de sçavoir les tlatter et leur complaire à propos, et » qu'il n'y a pas lieu d'espérer la faveur du public envers le » conseil, tant que celui-ci ne changera pas la maxime de » vouloir, sous prétexte de la conservation de l'autorité sou- » veraine, maintenir à tout prix les édits, ordonnances et » décrets émanés par lui ou de son avis par le gouvernement, » tels inconvéniens qu'il s'y puisse rencontrer, et tant qu'il ne » sçaura ou ne voudra pas se défaire de la rudesse qu'il affecte » envers les étals, en se prêtant du moins à un semblant de » complaisance, selon les circonstances des temps *. » Il est facile de comprendre les embarras dans lesquels le gouvernement se trouvait parfois en présence d'un pareil corps. Aussi le ministre plénipotentiaire préconisa-t-il, comme remède à la situation, de réunir les conseils collatéraux « de » façon à les rapprocher le plus possible à l'unité ». La dis- corde, disait-il, qui existe entre le conseil privé et le conseil des finances, entre le conseil privé et les cours de justice, et finalement entre le conseil privé et la plupart des états des 1 Archives de la chancellerie, D. 14. g. et D. 14. A. Voici le jugement porté sur chaque membre du conseil privé par le comte de Kônigsegg-Erps dans son rapport à Marie-Thérèse, du 19 août 1743 : De Steenhault : savant jurisconsulte, mais pour Ministre, trop arrêté dans ses sentiments et tellement aux règles du barreau et à l'habi- tude de s'attirer les affaires de justice et d'agir despotiquement que l'on ne voit pas qu'à son âge avancé cela puisse changer; et le publique ne juge pas avantageusement de ce que contre la décence de son caraethère il al continué de rester dans la jointe militaire, dans celle du Mont-de-piété et dans la chambre suprême, apparemment par rapport à l'utilité des épices ou sportules. — Jamez : fort vieux, peu travailleur, assez brouille avec son chef et depuis un accident d'apoplexie qu'il vient d'avoir eut, il n'y at guère d'apparence qu'il se remette en état de fréquenter le con- seil. — Obin : savant jurisconsulte, escrit bien mais fort long et diffus et se pourat former aux affaires d'estat et de gouvernement s'il parvient à se deffaire de l'air et maximes du barreau trop conservez. — Saint-Vaast : infirme de goutte qui luy fait passer au lit ou dans sa chambre six mois ( 148 ) provinces, ne peut être et rester qu'éternelle tant que, par un changement dans la forme du gouvernement, l'autorité de Votre 3fajesté n'en coupera la source jusque dans la racine. Sans êlre cependant très partisan de la réunion des trois conseils collatéraux en un seul, Kônigsegg était d'avis que de prompts remèdes devaient être apportés à l'organisation gou- vernementale, quels qu'ils fussent, « pourvu que la suppres- » sion du conseil privé en soit la base, sans quoi, disait-il, il » n'est pas possible de ramener les choses à l'unité absolument » nécessaire pour la facilité des affaires et pour introduire » une forme convenable 1. » Momentanément, cependant, Marie-Thérèse dut maintenir la situation existante; « sur cela, répondit-elle, le conseil » (suprême) aura à travailler les instructions et informa- » tions % » Son attention était absorbée par les graves événe- ments qu'amena la guerre de la succession d'Autriche et dont nos provinces se ressentirent grandement. Dirigées avec une de l'année; et il est par conséquent de peu de secours dans un conseil et pas grand travailleur. — Pycke : un fort bon sujet et assez bien au fait des affaires de la Flandre. — De Robiano : très bon sujet aiant du savoir sans avoir l'air ni les façons rudes; il est estimé et pouroit se former aux affaires d'Estat. — De Figuerola : at du mérite, du savoir, de la prudence, de la sagesse et de la douceur ; seroit propre à traiter avec des estats, magistrats et ministres estrangers; il at des talans de Ministre. — Bossard : il est résident de Sa Majesté à Cologne, cette place luy aiant été conférez pour l'aider à subsister et pour ne pas luy donner d'évêchez qu'il solliciteroit naturellement s'il se trouveroit fixé à Bruxelles où il luy faudroit d'ailleurs du tems pour se mettre au fait. — Le Roy : il est fort vieux et peu en estât de travailler. — Bollaert : il est fort vieux et peu capable de travailler. — De Neny : jeune homme qui at de l'estude et du savoir avec un esprit viff et brillant; qui paroit pouvoir devenir grand homme de lettres et d'estat ce qui le rend plus propre à un conseil de gouvernement qu'à un conseil de justice. — Misson : secrétaire très bon et assidu dans son travail et judicieux. (Archives de la chancellerie, D. 14. g.) 1 Archives de la chancellerie, D. 14. g. 2 Archives de la chancellerie, reg. n° 114. ( 149 \ inconcevable ardeur par le maréchal de Saxe, les armées de Louis XV s'étaient emparées du Hainaut, de la Flandre, el avaient investi Bruxelles, le 30 janvier 1746. La capitale dut se rendre le 20 février suivant. L'avant-veille de la capitulation, le ministre plénipotentiaire, comte de Kaunitz-Rittberg, con- voqua sous sa présidence une jointe formée du chef et prési- dent, du chancelier de Brabant, Stockaert, et du conseiller Obin, du conseil privé, pour délibérer sur les mesures à prendre relativement au gouvernement et aux différents minis- tères 1. Il fut décidé d'abord que le gouvernement s'établirait à Anvers. Quant au conseil privé et aux autres ministères d'ailleurs, comme les embarras seraient considérablement augmentés si tous leurs membres suivaient le gouvernement, il fut résolu qu'un petit nombre d'entre eux seulement l'accompagneraient. Du conseil privé, il fut fait choix à cet effet du chef et président, des conseillers Obin et Neny, du secré- taire Misson et des otiiciaux ^ Core et Broers. Des lettres-circu- laires leur furent adressées dans ce sens 3. Quant aux conseillers Saint- Vaast, Pycke et de Robiano et aux autres membres attachés au conseil, il leur fut signifié 1 Reg. aux résolutions, dispositions, etc., du conseil privé, n° 313, fol. 326. — Archives de la chancellerie, D. 12. g. 2 Voir 2e partie, chap. III, § 2. 3 « Comme la situation présente des affaires nous oblige de nous retirer de cette ville de Bruxelles, séjour ordinaire du gouvernement, dans une autre, pour y continuer à veiller au plus grand bien et avantage du royal service de Sa Majesté, et qu'il convient que partout où nous nous trou- vons nous y soyons accompagné d'un nombre suffisant de ministres, afin que nous puissions nous prévaloir de leurs sages avis et conseils, pour soutenir le poid du gouvernement dans ces circonstances épineuses au plus grand avantage du service de S. M. et du pays, nous vous faisons cette pour vous faire connaître que nous vous avons choisi pour nous suivre dans cette retraite afin d'y vacquer aux affaires et délibérations du service auquel nous vous employerons, persuadé que par un effet de votre zèle et fidélité vous vous prêterez en tout avec plaisir à concourir et travailler au plus grand avantage de S. M. et du pays. » (Archives de la chancellerie, D. 2. g.) ( 150 ) qu'ils pouvaient rester à Bruxelles jusqu'à nouvel ordre, ou bien se retirer tous et un chacun là où le gouvernement fixe- rait sa résidence ou dans tel autre lieu de la domination autri- chienne qu'ils trouveraient à propos de choisir i. Ces dispositions prises, le ministre plénipotentiaire et les membres du conseil privé désignés pour l'accompagner quit- tèrent Bruxelles, le 25 février, pour se rendre à Anvers, en se faisant suivre des papiers les plus importants. Le secrétaire Le Roy, du conseil privé, fut préposé à la garde des autres archives du conseil qui furent laissées dans la capitale. Les officiaux Deschamps et Du Jardin furent chargés de fréquenter alternativement, de jour à autre, la secrétairerie du conseil et ordre leur fut donné, s'ils étaient forcés de satisfaire à la demande de certains documents qui leur serait faite par les ennemis, d'en tenir note et même copie, si possible 2. Le 1er mars, le ministre plénipotentiaire lit assembler â Anvers, sous sa présidence, le conseil privé. Il eut, dans cette première séance, à décider d'une question gouvernementale importante, relative au Brabant. Cette province, on ne l'ignore pas, était moins étroitement soumise à certains ressorts du gouvernement central que les autres du pays, et nous verrons plus loin que le conseil privé eut maintes fois maille a partir avec ses états et son conseil de justice. C'est ainsi que tous les actes gouvernementaux, relatifs au Brabant et à ses annexes, devaient être scellés d'un sceau spécial que conservait le chan- celier et contresignés par un secrétaire du conseil privé ayant signature en Brabant. Comme le chancelier Stockaert, selon les ordres qu'il avait reçus du ministre, n'avait pu se rendre à Anvers par suite du refus d'un passeport que lui avaient fait les autorités françaises, il s'agissait de savoir quelle mesure provisoire on prendrait pour l'exercice de ses fonctions. Il fut décidé que, pour ne pas retarder le cours des affaires, on 1 Archives de la chancellerie, D. 2. g. 2 Archives du conseil privé, carton ad annum. ( 151 ) commettrait et autoriserait le chef et président pour parapher et pour sceller, avec le grand scel ordinaire aux armes de Sa Majesté et dont on se servait pour les autres provinces, tous les actes qui étaient du ministère du chancelier. Le ministre commit en même temps le secrétaire Misson pour contresigner ces actes et toutes les expéditions concernant le Brabant et le Limbourg. Ordre fut donné aux états de Brabant de déférer à ces actes et expéditions comme s'ils étaient dépêchés dans la forme ordinaire, « le tout néanmoins par provision et jusqu'à » autre ordre et sans préjudice aux usages et privilèges du » Brabant et du Limbourg'1. » Le chancelier ayant rejoint, à la fin du mois suivant, le gouvernement à Anvers, le ministre plénipotentiaire, par acte du 29 de ce mois, mit fin aux fonctions extraordinaires dont il avait chargé le chef- président par son décret du 2 mars. Bientôt le ministère ne se trouva plus en sûreté à Anvers, par suite de l'approche de l'ennemi. Le comte de Kaunitz se transporta avec son conseil à Aix-la-Chapelle, le 17 mai 2. Cependant les conseillers Saint-Vaast, Pycke et de Robiano, qui n'avaient pas été compris parmi ceux qui devaient accom- pagner le gouvernement dans sa retraite, l'avaient suivi de leur propre mouvement, et, arrivés à Anvers, avaient demandé et obtenu la permission d'assister aux séances du conseil. Mais lorsqu'il fallut abandonner cette ville pour Aix-la-Chapelle, le ministre plénipotentiaire, ne voulant pas se charger de trop de membres, fit connaître à ces trois conseillers que, satisfait de la nouvelle preuve qu'ils avaient donnée de leur zèle en se rendant volontairement à Anvers, il regrettait que les circon- stances ne lui permissent pas de les prendre avec lui à Aix-la- Chapelle; il les priait en conséquence de ne pas l'y suivre, mais de se rendre, en attendant que les événements devinssent plus favorables, dans telle ville que leur convenance leur 1 Archives de la chancellerie, D. 12. g. 2 Reg. aux résolutions, distributions, etc., du conseil privé, n° 313, fol. 351. ( 152 ) désignerait. Pycke et de Hobiano retournèrent à Bruxelles, mais Saint-Vaast accompagna le gouvernement à Aix-la- Chapelle, et là, demanda de pouvoir continuer de fréquenter le conseil d. Sur ces entrefaites, Kaunitz avait été, sur sa demande, relevé de ses fonctions et remplacé par le feld-maréchal comte de Batthyany (6 juin 1746), qui devait en même temps prendre le commandement de l'armée en attendant le retour du prince Charles de Lorraine, à qui était confié le gouvernement de nos provinces. Ordre fut donné au conseil privé de suivre le com- mandant général dans ses différents quartiers généraux 2. Dès son arrivée, Batthyany le convoqua à Bréda pour se transporter de là au camp de Ferheyde ; mais l'armée ayant quitté cette position le 17 juillet, avant l'arrivée du conseil, Batthyany lui fit savoir de l'attendre à Eindhoven. C'est pendant la séance tenue dans cette localité, le 19 juillet, que le ministre remit au chef-président ses patentes et que furent rédigées les lettres- circulaires à adresser, suivant l'usage, aux différentes autorités à l'avènement d'un gouverneur ou d'un ministre plénipoten- tiaire nouveau. Le lendemain, 20 juillet, le conseil se trouvait avec l'armée et le ministre à Diessen, où fut tenue, l'après- midi, une séance sous la présidence de Batthyany. La séance terminée, le conseil retourna à Eindhoven; mais le lendemain, Batthyany lui donnait ordre de se transporter à son quartier général à Brée pour être plus à sa portée et pour lui permettre d'aller rendre ses devoirs au prince Charles qui était arrivé le 22 à Verckenswert. Le 24, le conseil avait rejoint le gouverneur général qui reprit ses fonctions dans les Pays- Bas 3. L'armée s'étant dirigée sur Ostin pour chercher à défendre 1 Archives de la chancellerie, D. 21. g. 2 Reg. aux résolutions, distributions, etc>, du conseil privé, n°313, fol. 363 v«. 3 Reg. aux résolutions, distributions, etc., du conseil privé, n° 313, fol. 365. ( 1^)3 ) le passage de la Meuse aux ennemis, le gouverneur général ordonna au conseil privé de se rendre de Brée à Namur où il s'installa dans les premiers jours d'août. Pendant ce temps, les ennemis faisaient des progrès rapides; nos provinces, à celte époque, étaient presque tout entières au pouvoir de la France. Namur même se trouvant menacé, le prince Charles de Lorraine convoqua, le 30 août, le conseil privé à son quartier général à Ohey pour prendre les mesures que commandaient la situation et la sûreté des membres du gouvernement. On songea d'abord à choisir pour lieu de retraite la ville de Luxembourg; mais comme le grand conseil de Matines avait déjà reçu de Kaunitz l'ordre de s'y retirer au premier danger que présenterait son séjour à Namur, et que la ville d'ailleurs, étant déjà occupée par une nombreuse garnison, ne suffirait pas à loger encore tout le personnel du gouvernement, on convint unanimement que le seul parti à prendre était que le conseil suivît l'armée jusqu'à son arrivée à proximité d'une ville où il pût s'établir. A la suite de cette résolution, six chariots furent envoyés à Namur pour le transport des bagages et des archives du conseil, et ce corps, escorté de trente hus- sards, rejoignit, le 1er septembre, l'armée dans sa marche d'Ohey à Ocquier vers le Limbourg K Après avoir passé la Meuse près de Maestricht, l'armée et le conseil se cantonnèrent à Helderen le 18 septembre; mais l'approche des ennemis les obligea de se replier le 22 sur Maestricht où le conseil se fixa provisoirement. Depuis le départ de Kaunitz, le conseiller Saint- Vaast avait toujours suivi le conseil dans ses différentes pérégrinations, sans toutefois assister à ses séances. Il avait, à différentes reprises, représenté en vain au comte de Batthyany et au prince Charles de Lorraine qu'il regardait comme chose pré- judiciable à son honneur de n'avoir pas été choisi par le comte de Kaunitz pour faire partie des membres qui devaient l'accompagner en campagne, parce que, selon l'ancienneté, il 1 Archives de la chancellerie, D. 21. g. ( 154 ) suivait immédiatement le conseiller Obin ; qu'il préférait faire tous les voyages avec ses collègues à ses propres frais, que de se voir ainsi éliminé. Fatigué de ses instances, le gouverneur général promit d'intercéder en sa faveur. Dans sa relation du 3 novembre, il représenta à Marie-Thérèse qu'il considérerait comme trop sensible le refus qu'on ferait à Saint-Vaast de prendre part aux délibérations du conseil, d'autant plus que c'étaient le zèle et une certaine délicatesse de sentiment d'hon- neur qui le faisaient agir, et qu'en réalité on n'avait aucun motif sérieux pour lui refuser la faveur qu'il sollicitait *. L'im- pératrice accéda au désir du prince, et par décision du 18 novembre 8 elle permit au conseiller Saint-Vaast de reprendre sa place au conseil. Le 9 novembre, le prince Charles partit pour Vienne : Bat- thyany se vit de nouveau investi à la fois du commandement des armées autrichiennes et du gouvernement des Pays-Bas. Il fixa ses quartiers d'hiver à Aix-la-Chapelle, où il fit venir le conseil privé le 22 3. Au mois d'avril de l'année suivante, l'armée s'étant mise en marche vers le Limbourg, le conseil reçut l'ordre de se rendre à Eindhoven, où Batthyany avait fixé son quartier général ; il y arriva le 20, mais l'approche des ennemis le força bientôt à se mettre de nouveau à la suite de l'armée et à s'établir successivement dans ses quartiers géné- raux à Weelde (26 avril), à Hoogstraeten (10 mai), à Schooten (18 mai), à Lierre (3 juin), à Hérenthals (9 juin), à Lierre (12 juin), à Gheel (23 juin), à Bilsen (29 juin). Enfin, les ren- forts que le maréchal de Saxe recevait successivement, déter- minèrent Batthyany à se retirer sur Maestricht et à envoyer le conseil à Aix-la-Chapelle où il arriva le 10 juillet 4. Le conseil séjourna dans cette ville jusqu'à la fin de la campagne. Bat- 1 Archives de la chancellerie, D. 21. g. 2 Reg. aux résolutions, distributions, etc., du conseil privé, n°313, fol. 378. 3 Idem, ibid. * Ibidem, fol. 4u26 v°. ( ISS ) thyany ayant établi ses quartiers d'hiver à Verviers, le conseil se transporta le 1er décembre près de cette ville, a Hodimont *. L'année suivante (1748), au premier mouvement des troupes, il se fixa, le 24 mars, de nouveau à Aix-la-Chapelle 2, Cependant les succès toujours croissants des Français, les manœuvres habiles de leur chef, l'abandon même dans lequel l'Autriche laissait nos provinces sous prétexte que la Hollande seule devait les soutenir, avaient obligé les alliés d'entamer des négociations avec la France. Le 30 avril, les plénipoten- tiaires des provinces belligérantes signèrent à Aix-la-Chapelle les préliminaires de paix qui devaient être convertis plus tard en un traité définitif 3. L'archiduc Joseph, fils aîné de Marie-Thérèse, était entré dans sa huitième année; l'impératrice jeta les yeux sur le comte de Batthyany pour les importantes fonctions d'ai/o ou gouverneur du jeune prince 4; et, en attendant le retour dans les Pays-Bas du prince Charles de Lorraine, elle établit, le 8 octobre 8, une jointe à qui elle confia la direction des affaires intérieures du pays. Le chef-président Steenhault en fit partie. La jointe fut installée à Buremonde le 30 octobre par Batthyany, qui se démit entre ses mains du gouvernement général. A peine installée, la jointe manda, le 31, au conseil privé, qui était resté à Aix-la-Chapelle, de se rendre à Buremonde en atten- dant l'évacuation des Pays-Bas par les Français 6. Cette jointe remplaça en quelque sorte les conseils collaté- raux 7. Le conseil d'État, du moins, ne devait pas être con- 1 Reg. aux résolutions, distributions, etc., du conseil privé, n° 314, fol. 1. 2 Ibidem, fol. 32 v°. 3 Gazette d'Utrecht, numéro du 7 mai 1748. * Biogr. nat., t. I, p. 781. 3 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VI, p. 392. 6 Reg. aux résolutions, distributions, etc., du conseil privé, n° 314, fol. 60 v°. — Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VI, p. 398. 7 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VI, p. xxm. ( 156 ) voqué pendant toute la durée de ses fonctions * ; et si, pendant ce temps, le conseil privé tint régulièrement ses séances *\ il ne reprit ses véritables fonctions qu'après le retour du prince Charles de Lorraine (23 avril 1749) 3. Entretemps, les ennemis évacuèrent le pays. Le 11 décembre, la ville d'Anvers étant libre, la jointe s'y transporta avec le conseil privé 4. Le 28 jan- vier 1749 enfin, Bruxelles vit sortir de ses murs les derniers restes des armées étrangères et le gouvernement autrichien y rentra immédiatement. Le conseil privé reprenait ses séances dans la capitale le 1er février 5. Libre des soucis de l'invasion, le gouvernement autrichien s'appliqua activement à faire disparaître les suites funestes des guerres qui, pendant trois ans, avaient mis le trouble dans toutes les administrations et paralysé l'action centralisatrice. Peu confiante dans l'activité de son conseil privé, dont Kônig- segg lui avait fait une peinture si peu favorable, Marie-Thérèse prit elle-même l'initiative des mesures nécessaires en consultant son propre conseil ou des conseillers intimes. Les ordon- nances, au lieu d'émaner de Bruxelles, arrivèrent toutes faites de Vienne où elles étaient rédigées par le conseil suprême attaché au souverain. Le conseil privé n'était plus consulté que pour la forme. Cependant, en 1757 6, Patrice-François de Neny fut adjoint comme président du conseil privé à Steenhault, et, en 1758, il le remplaça définitivement. Irlandais d'origine, de Neny avait conservé tout le feu de cette race passionnée. Successivement secrétaire du conseil privé, membre du même conseil, con- seiller du conseil suprême à Vienne, il se distingua constam- ment par sa science profonde, son application aux affaires et 1 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VI, p. 397. 2 Ibidem. 5 Reg. aux résolutions, distributions, etc., du conseil privé, n° 314, fol. 119 v°. *■ Ibidem, fol. 64 v°. 5 Ibidem, fol. 68 v». 6 Reg. Verds, n° 361, fol. 229. — Archives de la chancellerie, D. 64. g. I 1S7 ) son amour du progrès. Comme président du conseil privé, il se montra gardien vigilant des prérogatives du pouvoir civil; il ne laissa échapper aucune occasion de relever le pouvoir de ses maîtres auxquels il était attaché par ses principes et par la reconnaissance. Jamais il ne permit le moindre empiétement à l'autorité ecclésiastique; ennemi de tous les abus, on le voit tour à tour débrouiller le chaos des finances, réformer l'ensei- gnement de l'Université de Louvain, présider avec le prince de Starhemberg à la réorganisation de l'enseignement secondaire, s'efforcer enfin de propager les lumières. Avec son arrivée à la présidence, un sang pour ainsi dire nouveau fut infusé clans le conseil privé. Si les conseillers Obin, de Figuerola, Saint- Vaast de Denterghem, Pycke, Bossard, de Kobiano, Arnoul- Gauthier de Limpens, Maloteau, Streithagen, Van Volden, de Wavrans, Stassart, de Kulberg, Crumpipen, de Cock, Plubeau, de Grysperre, Le Clerc, De Fierlant, Philippe de Neny, San- chez d'Aguilar, Gaspar-Joseph-Ferdinand de Limpens et de Patyn, qui se succédèrent au conseil sous la présidence de de Neny, de 1758 à 1783, ne furent pas tous du bord du chef et président, ils en subissaient du moins l'iniluence, de manière que de Neny résumait pour ainsi dire en sa personne toutes les idées de son conseil i. Aussi, dès lors, Marie-Thérèse trouva dans ce corps un instrument actif, docile, toujours prêt à la seconder dans la direction de son gouvernement, toujours dis- posé à favoriser ses vues. C'est ici réellement que commence, pour se terminer à l'avènement de Joseph II, l'époque la plus brillante et la plus féconde de l'histoire du conseil privé. Côté matériel, religieux, intellectuel, politique, législatif, judiciaire, tout est étudié avec la plus grande ardeur au conseil et pré- paré avec sagesse et circonspection, conformément aux idées progressistes du pouvoir. Le conseil privé a été certainement un des facteurs principaux de la politique autrichienne aux Pays-Bas pendant la seconde moitié du règne de Marie-Thé- rèse, politique s'inspirant, comme on sait, de l'école philoso- 1 Piot, Le règne de Marie-Thérèse, p. 74. ( 188 ) phique et économique de la France et suivant le courant qui entraînait alors l'Europe monarchique vers l'absolutisme. Bien des obstacles cependant étaient de nature à contrarier les vues du gouvernement autrichien et les tendances du con- seil privé. Dans toutes les branches de l'administration géné- rale, il y avait à lutter contre les traditions du moyen âge; mais le conseil privé s'associa résolument à cette ligue qui s'était formée dans les classes supérieures de la société contre l'immobilité des siècles précédents, et, stimulé par le zèle de Cobenzl et de Starhemberg, il travailla avec ardeur au triomphe de la nouvelle école qui voulait faire servir le despotisme à la régénération des peuples. Nous signalerons les points princi- paux où se déploya dans ce but son activité. Pendant la grande lutte du XVIe siècle, le commerce avait abandonné Anvers pour enrichir Amsterdam et Rotterdam ; les guerres de Louis XIV avaient porté ensuite les derniers coups à notre industrie. Déchue du rang qu'elle occupait sous Charles-Quint et au commencement du règne de Philippe II, la Belgique était devenue une contrée essentiellement agricole. Le nombre des habitants, diminué dans les villes, avait aug- menté dans les campagnes; la population y était devenue plus considérable que dans les anciens temps *. Sans négliger l'agriculture, le conseil privé préconisa quantité de mesures pour faire sortir la Belgique de sa léthargie commerciale : droits d'entrée sur les marchandises provenant de la Hollande, de la France et de l'Angleterre ; création de routes et de canaux pour favoriser le commerce de transit ; diminution du droit de transit; établissement d'entrepôts dans les villes princi- pales, etc. Mais on avait à lutter contre un préjugé fatal, déjà enrayé par le gouvernement espagnol 2 : le commerce, disait- on, dégrade les gens de condition! Quoique la plupart des familles de l'aristocratie sortissent d'un négociant riche, ce 1 Shaw, Essai sur les Pays-Bas autrichiens, sect. vm. 2 O'Kelly, Ordonnances héraldiques, passim. Voir, entre autres, les ordonnances du 1er avril 1694 et du 7 juin 1698. ( 159 ) préjugé faisait d'autant plus de mal que la possibilité d'acheter des titres de noblesse multipliait le nombre des oisifs. Aussi l'édit du 13 juin 173G, dû à l'initiative du conseil privé et per- mettant aux nobles de négocier en gros sans demander uni; permission particulière et sans déroger à leur état, restait-il sans effet ' . Un autre obstacle qui entravait le mouvement industriel, c'était l'immobilisation des immenses capitaux possédés par les abbayes. Elles avaient en coffre des sommes d'argent très considérables qui, augmentant chaque année, diminuaient la masse du numéraire en circulation. De plus, le clergé pos- sédait seul, en fonds de terres, plus de biens que n'en avait le reste des habitants; il possédait les trois quarts des biens territoriaux dont deux tiers au moins appartenaient au clergé régulier 2. Une ordonnance destinée à prévenir l'agglomé- ration des biens de mainmorte fut rendue le 15 sep- tembre 1753 3. Cette ordonnance, due principalement aux conseils du conseiller privé de Stassart, rappelait l'édit perpé- tuel de l'an 1520 7* et déclarait absolument prohibées et nulles les transmissions de propriétés opérées par acte de dernière volonté au profit des établissements de mainmorte ; elle exi- geait en outre le consentement du prince et des chefs-villes pour les mutations entre vifs au profit de ces mêmes établis- sements. L'agglomération toujours croissante des biens de mainmorte était considérée comme désastreuse par le conseil privé comme par les hommes d'État les plus expérimentés. « Il n'en seroit que mieux, disait le conseiller Wynants, si le » consentement du prince ne s'accordoit jamais s. » Au sur- plus, l'édit de 1753 fut complété par de nouvelles dispositions • O'Kelly, Ordonnances héraldiques, p. 26. 2 Lettres sur les Pays-Bas autrichiens, t. IV. — Fromageot, Annales du règne de Marie-Thérèse, p. 274. 3 Coll. impr. des Archives, in-fol., t. XII. * Placards de Brabant, 1. 1, p. 80. 5 Juste, Le comte Mercy d'Argenteau, p. 28. ( 160 ) promulguées en 1754, en 1766, en 1772, en 1773 et en 1775<. La justice criminelle aussi ne répondait plus aux idées du temps. Les supplices atroces introduits dans la législation criminelle depuis des siècles étaient encore religieusement conservés en Belgique. A la suite des idées humanitaires qui avaient surgi, le gouvernement crut devoir introduire des modifications au système existant. Une lettre du prince Charles de Lorraine, adressée au conseil privé le 2 août 1765, attira l'attention de ce corps sur les abus dans l'administration de la justice criminelle 2. Une seconde dépêche du 31 mars 1 766 3, adressée égale- ment au conseil privé, signalait le retard des tribunaux à répondre aux questions qui leur avaient été adressées et ordonna, en les leur rappelant, de provoquer spécialement leurs réponses sur la convenance qu'il pourrait y avoir d'abo- lir la torture et la marque. Mais le conseil privé se heurta contre l'opposition faite au projet par les conseils de justice et toutes les autorités en général. En 1771, la question fut mise de nouveau à l'étude au conseil privé. Le conseiller de Fier- lant rédigea deux mémoires, l'un en faveur de l'abolition de la torture, l'autre en faveur de l'abolition des peines afflictives et leur remplacement par la détention dans des maisons de force; et, par résolution du conseil, ces deux remarquables travaux furent envoyés à tous les conseils provinciaux, le 22 juin 1771, avec ordre de les examiner et d'y répondre. Les efforts du conseil privé allèrent encore se briser contre la résistance obstinée des conseils de justice : dix ans s'écou- 1 Faider, Études sur les constitutions nationales, p. 88. — Discailles, Le règne de Marie-Thérèse, p. 180. 2 Procès-verbaux des séances de la Connu, roy. pour la publication des anciennes lois, t. I, pp. 223 à 225. — Visschers, La jurisprudence crimi- nelle en Belgique avant 1789 (Revue belge, année 1835). — Galesloot, La jurisprudence criminelle en Belgique avant 1789 (Ann. de la Soc. d'archéol., t. XV, p. 306). 3 Procès-verbaux des séances de la Comm. roy. pour la publication des anciennes lois, t. I, pp. 223 à 225. ( ICI ) lèrent avant qu'on eût reçu toutes les réponses qui furent peu favorables â ces « spéculations nouvelles ». Il fallut attendre l'avènement de Joseph II pour voir la torture abolie dans les Pays-Bas. Le conseil privé prit aussi une grande part à la réorganisa- tion de l'Université de Louvain. Cet établissement célèbre, investi du monopole de l'enseignement supérieur, avait con- servé la bizarre organisation dérivant des nombreux privilèges dont il jouissait. 11 avait subi, avec le temps, l'influence d'un grand nombre d'abus. Cet institut ne répondait plus à sa des- tination : l'enseignement était déplorable; en philosophie, dans les sciences exactes, dans le droit, on était en arrière d'un siècle. Sur les avis du conseil privé, le prince Charles de Lorraine institua une commission royale chargée d'assurer l'exécution des édits et décrets qui seraient émanés pour la bonne direction et la discipline de l'Université. Le besoin se faisait sentir aussi d'un homme dévoué et intelligent qui sur- veillât sérieusement l'enseignement, qui lui imprimât une direction plus conforme aux idées et aux progrès du temps. Ces soins furent confiés au chef-président de Neny *. Nul mieux que ce haut fonctionnaire ne convenait, au point de vue autrichien , à la direction de l'Université dont il était l'élève et qui se montrait en même temps le plus zélé partisan des doctrines nouvelles. Constamment préoccupé de l'instruc- tion des étudiants, il prit plusieurs dispositions de police très utiles et môme nécessaires pour extirper certains abus. Les professeurs, régents et sous-régents des pédagogies ne pou- vaient plus battre ou maltraiter leurs élèves : les amendes, les arrêts et la prison étaient les seules punitions qui pussent leur être infligées 2. Un certain nombre déjeunes gens, soumis à l'influence des Jésuites, allaient faire leurs études dans l'éta- 1 Décret du 10 juillet 1754. — Archives du conseil privé, reg. 370, fol. 50. — Raingo, Mémoire sur l'instruction publique, p. 12. 2 Décret du 17 juillet 1760. — Archives du conseil privé, reg. 370, fol. 26. Tome LU. H ( 162 ) blissement que les Pères dirigeaient à Douai : un décret du 22 décembre 1755 * défendit à tous les Belges, sous les peines les plus sévères , d'aller faire des cours de philosophie, publics ou privés, ailleurs que dans l'Université de Louvain ou dans d'autres universités des Etats autrichiens. Des méthodes nouvelles furent aussi introduites dans l'enseignement; les dépenses superflues, autorisées par l'avidité de quelques pro- fesseurs, furent sévèrement proscrites 2; des règlements nou- veaux pour la durée des études furent imposés; des tarifs généraux furent fixés pour tous les droits des examens et des promotions publiques 3. A ces dispositions, à ces mesures capitales, il en faut joindre d'autres qui, tout accessoires qu'elles étaient, n'en produi- sirent pas moins de bons résultats. En 1759 fut établie une imprimerie académique « qui serait, disait de Neny, d'une » grande utilité et produirait un revenu notable à l'Université. » On construisit également un amphithéâtre anatomique et un laboratoire de chimie. En 1766, on proscrivit le costume cynique des étudiants en philosophie *. Toutes ces améliorations étaient dues à l'initiative du chef et président, admirablement servi dans sa tâche par les lumières du corps qu'il présidait. Mais le commissaire royal rencontrait parfois des obstacles auprès de Kaunitz, qui dirigeait de Vienne les affaires des Pays-Bas. C'est ainsi qu'il se heurta, en 1759, contre le mauvais vouloir du chancelier lorsqu'il voulut réorga- niser à l'Université les cours de physique expérimentale 3. La réorganisation de l'enseignement moyen suivit celle de l'enseignement supérieur. L'enseignement donné dans les col- lèges des Pays-Bas, dont un tiers était dirigé par les Jésuites, était au niveau de celui de l'Université de Louvain; les études 1 Placards de Brabant, t. VIII, p. 69. 2 de Neny, Mém. hist., chap. XXVII. — Juste, Hist. de Vinstr. publ., p. 242. 3 Discailles, Le règne de Marie-Thérèse, p. 200. * Idem, ibid., p. 201. 5 Discailles, Le règne de Marie- Thérèse, p. 202. ( 463 ) y étaient tombées dans une décadence qui différait peu d'une barbarie complète. Selon de Neny, l'instruction et l'éducation données par les Jésuites étaient si peu soignées que la plupart des parents envoyaient leurs enfants à l'étranger pour y suivre les cours des humanités i. En présence de cette situation, la pensée du gouvernement fut de vouloir diriger par lui-même l'ensei- gnement secondaire. La suppression des Jésuites servit les desseins des ministres de Marie-Thérèse. Une commission royale des études, chargée de mettre à exécution les vues du gouver- nement, fut établie à Bruxelles. De Neny en fut nommé le président. De nouveaux établissements s'élevèrent pour rem- placer les collèges abandonnés par les Jésuites; un plan d'études, en harmonie avec le progrès et les besoins du siècle, fut imposé aux collèges Ihérésiens ; de nouveaux ouvrages clas- siques furent composés; enfin, la sécularisation de l'enseigne- ment fut décrétée. Cette réforme rencontra une forte opposition et, malgré tous ses efforts, le gouvernement ne parvint pas à relever l'instruction. De Neny fait connaître le motif de cet avorte- ment : il voulait un enseignement régalien. Cette prétention et surtout la mauvaise direction dans les études firent que la désertion des élèves devint générale. C'est surtout sur le terrain ecclésiastique que se concentra, pendant le règne de Marie-Thérèse, toute l'activité du conseil privé dans le but de faire prévaloir l'absolutisme du pouvoir civil. Le chef-président de Neny dirigeait pour ainsi dire seul toutes ces affaires. De Neny ne voyait que l'action du gouver- nement central à fortifier; tout ce qui tendait à embarrasser cette action lui était odieux. Aussi, une simple question reli- gieuse prenait immédiatement entre ses mains les proportions d'une grosse affaire politique à laquelle il associait la dignité de la couronne et le pouvoir de l'Impératrice. A ses yeux, 1 Archives du royaume, pièce intitulée : Sentiments de M. Nenv 11 juillet 1775. ( -164 ) toute question religieuse touchait aux prérogatives de l'auto- rité civile. Pour de Neny, à l'exception de la prédication de l'Evangile, du soin du culte, de l'administration des sacre- ments en tant qu'ils sont purement spirituels et du soin de la discipline interne de l'Église, il n'y avait aucune sorte d'autorité, aucune prérogative, aucun privilège, aucun droit quelconque que le clergé ne tînt uniquement de la volonté libre des princes de la terre. En conséquence, tout ce que ceux-ci avaient établi ou accordé, et qu'il dépendait de leur bon plaisir d'accorder ou de refuser, pouvait être changé et même révoqué tout à fait par eux, lorsque le bien général l'exigeait et qu'aucune loi fondamentale de l'Église n'y mettait obstacle. L'autorité du sacerdoce n'était pas même arbitraire et entièrement indépendante quant au dogme, au culte et à la discipline, le maintien de l'ancienne pureté du dogme ainsi que la discipline et le culte étant des objets qui intéressent si essentiellement la société et la tranquillité publique, que le prince, en sa qualité de souverain chef de l'État et de protec- teur de l'Église, ne pouvait permettre à qui que ce fût de statuer sans sa participation sur des matières d'une aussi grave importance. On comprend par là combien devait être grande la jalousie du pouvoir dans le conseil privé. Aussi ce corps était-il parfois, dit M. Piot 4, dans des transes indicibles, tantôt à propos de l'abbesse de ïen Roose, qui, à ce autorisée par le nonce, por- tait une croix pectorale; tantôt au sujet d'un évêque s'intitu- lant tel par la grâce de Dieu, ou lorsqu'il nommait ses diocésains ses subordonnés, ou si dans ses mandements il qualifiait son habitation de palais. Dans tous ces faits, le con- seil privé voyait des atteintes portées au pouvoir souverain, des velléités de s'emparer du gouvernement. On peut, dit encore de Neny dans une note, discuter des questions. Telles sont celles concernant l'infaillibilité du pape 1 Le règne de Marie-Thérèse, p. 311. — MS. 18227, p. 573, de la Biblio- thèque royale. ( 165 ) et sa supériorité sur le concile; mais il faut qu'on se soumette aux lois du pays et aux édits du prince, qui, chargé de main- tenir la paix et l'union dans ses États, a le droit, non seulement d'en bannir les doctrines suspectes, mais encore de défendre d'y enseigner celles qu'il croit préjudiciables à son autorité dès qu'elles ne sont pas autorisées par le consentement de l'Eglise, qu'il importe toujours de ne pas confondre avec le pape... La puissance séculière peut fixer pour la discipline les points indécis, en défendant qu'on les enseigne *. Ces doctrines professées par le chef-président amenèrent le conseil privé à se mêler de toutes les affaires de religion. Il est impossible, il serait même difficile d'indiquer sommaire- ment, sans fatigue pour le lecteur, le grand nombre de déci- sions prises par le conseil en matière ecclésiastique ; nous reprendrons d'ailleurs ce point plus tard ; qu'il nous suffise de dire que ses nombreuses consultes à ce sujet et ses rapports souvent remarquables constituent, pour ainsi dire, un cours complet de l'histoire ecclésiastique au XVIIIe siècle. Des efforts constants furent aussi faits et des innovations heureuses furent préconisées par le conseil privé pour amé- liorer et régulariser la gestion des administrations municipales, des établissements et des fondations charitables ; pour encou- rager à l'étude des lettres, des sciences, des beaux-arts; pour sauvegarder enfin en tout l'intérêt général et particulier, tout en faisant prévaloir le principe de l'autorité souveraine. Aussi la Belgique se réveillait sous une administration aussi éclairée, et peut-être eût-elle continué à suivre paisiblement la voie progressive tracée par les ministres de Marie-Thérèse, si les coups de hache de Joseph II dans les racines mêmes de la constitution n'avaient déterminé une réaction violente. 1 Piot, Le règne de Marie-Thérèse, p. 309. ( 166 ) § 4. Le conseil privé et la Réforme pendant les règnes de Charles VI et de Marie-Thérèse. Pendant le XVIIIe siècle, la question religieuse ne revêtait plus le caractère aigu d'autrefois. Charles VI et Marie-Thérèse n'auraient cependant pas demandé mieux que d'extirper l'hérésie dont la foi robuste avait survécu aux persécutions des siècles précédents; dans l'esprit public même, les progrès de la tolérance étaient encore bien faibles. Quoi qu'il en soit, la condition des dissidents s'améliora; ils finirent par obtenir en fait, presque partout, l'exercice public de leur culte. Le conseil privé apporta, durant cette époque, à l'égard de la Réforme, la modération et la prudence dont il avait déjà donné des preuves clans les siècles précédents ; et généralement le gouvernement accueillit ses avis, quoiqu'ils fussent souvent en contradiction avec ses opinions. Ce n'était point par oppo- sition aux lois de l'Église que ces avis favorables au protestan- tisme étaient donnés, car le conseil privé n'approuvait pas complètement la tolérance, mais c'était en conséquence des expressions qui se trouvent aux lettres patentes du 11 juillet 1565, de Marguerite de Parme, à l'époque de la réception de la partie dogmatique du concile de Trente, avec un grand nombre de restrictions concernant les droits du prince. « C'était non » point, y est-il dit, en intention de contrevenir audit concile, » mais pour tant mieux l'effectuer et le mettre en due exécu- » tion, selon la qualité et nature de chacun des pays et pro- » vinces *. » Nous citerons quelques exemples pour prouver que le conseil privé se montrait très tolérant à l'égard des hérétiques qui se conformaient aux lois et n'outrepassaient pas les limites de la discrétion. En 17o8, le prince Charles de Lorraine, voulant connaître la situation du protestantisme à Anvers, avait demandé des expli- 1 Placards de Brabant, t. IV, p. 1365. — Loovens, ouvr. cité, t. I, p. 309. ( 167 ) cations précises sur la présence dans cette ville des ministres réformés. Par consulte du 10 mai de cette année *, le conseil privé représenta que depuis l'origine de la Réforme, il y avait eu constamment à Anvers des ministres protestants; qu'ils pouvaient y exercer leur religion avec une entière liberté. « La » meilleure conduite à suivre, disait le conseiller rapporteur, » est de fermer les yeux sur ce qui se passe à Anvers. » La même année, deux catholiques de la Flandre avaient contracté mariage par-devant l'aumônier calviniste de la gar- nison de Tournai. Le clergé s'adressa immédiatement au gou- verneur général pour faire annuler ce « prétendu mariage ». Le conseil privé fut d'avis d'engager le clergé à user de persua- sion pour amener ses deux paroissiens à quitter leurs erreurs et à renouveler leur mariage dans l'église catholique. Cette démarche ayant été vaine, la question de la nullité du mariage revint devant le conseil privé. Celui-ci décida, le 2 août 1759, de ne plus s'en occuper 2. En 1762, les vicaires généraux d'Ypres avaient adressé, pendant le siège vacant, un mandement, en date du 31 juillet, aux curés du diocèse pour les prier de dresser la liste de leurs paroissiens suspects d'hérésie. Averti de ce fait, le conseil privé blâma l'excès de zèle des deux prélats et les invita à s'abstenir à l'avenir de toute démarche inconsidérée 3. En 1768, le ministre des Provinces-Unies s'étant plaint de ce que, dans un procès plaidé à Tournai, l'avocat fiscal Mailliet, du souverain bailliage, se fût servi d'expressions outrageantes pour le protestantisme, le conseil privé infligea à ce magistrat un blâme sévère 4. Vers la môme époque, un marchand allemand, du nom de Hencke, de religion protestante, demandait à pouvoir s'établir dans la ville de Luxembourg. Les « treize maîtres de la ville » 1 Archives du conseil privé, carton 1292. 2 Ibidem. 5 Alexandre, Histoire des officiers fiscaux, p. 127. 4 Idem, ibid. ( 168 ) supplièrent Marie-Thérèse de rejeter la demande du pétition- naire et de défendre d'une manière officielle et absolue l'éta- blissement des acatholiques dans la ville et la province de Luxembourg. Ils furent soutenus dans leurs réclamations par les états de la province. A les entendre, « l'admission de ce » protestant est d'une extrême gravité. Jamais l'erreur et l'hé- » résie n'ont souillé la province de Luxembourg. Celle-ci, » toujours fidèle, a constamment allié les devoirs envers Dieu » avec la soumission due aux souverains. Pendant les temps » de trouble et de révolte, elle s'est épuisée à secourir ses » princes et n'a cessé de veiller à se garantir de la contagion » de l'hérésie... Si le religionnaire Hencke obtient l'autorisa- » tion qu'il sollicite, sa femme et ses enfants devront natu- » Tellement jouir de la même indulgence; il y aura dans le » Luxembourg une famille qui pourra se multiplier; et si » l'on joint à cette éventualité fâcheuse l'arrivée probable » d'autres protestants étrangers désireux de jouir de la même » liberté, on arrivera à cette désastreuse conséquence que » l'unité de la foi aura disparu sans retour. » Cette requête avait été envoyée à Vienne et revint au conseil privé avec une apostille favorable de Kaunitz. Néanmoins, le conseil privé passa outre, et, ne voyant dans les réclamations des Luxembourgeois que des vues d'intérêt et de jalousie mer- cantile, il accorda à Hencke l'autorisation qu'il sollicitait l. En 1771, le magistrat de Rongy, dans le Tournaisis, se plai- gnit du scandale que les réformés causaient dans le village par l'exercice public de leur culte. La dénonciation les accusait de s'assembler régulièrement dans une maison proche de l'église paroissiale et d'y chanter des psaumes pendant l'office catho- lique; lorsqu'un des leurs était à l'article de la mort, ils ne souffraient pas que des membres du clergé l'approchassent; enfin, ils étaient ordinairement visités, vers la Pentecôte, par un missionnaire étranger. Le bailliage conclut de ces faits que les protestants de Rongy 1 Hubert, Étude sur la condition des protestants en Belgique, p. 84. ( 169 ) professaient leur religion publiquement et pria l'Impératrice d'ordonner contre eux les poursuites édictées par les anciens placards. Le conseil privé adressa au gouverneur général un rapport détaille sur cette affaire. Le zèle immodéré du bailliage était mis en évidence et blâmé vigoureusement. S'il est vrai, dit le rapporteur, qu'a la rigueur on ne puisse souffrir dans les Pays- Bas aucun hérétique, excepté ceux des garnisons hollandaises, l'intention du gouvernement est de laisser les dissidents en paix sur ce qui concerne leur croyance, tant qu'ils seront tran- quilles eux-mêmes et qu'ils ne troubleront pas l'ordre public. Or, la situation à Rongy ne motive en rien les rigueurs qu'on réclame du gouvernement : les assemblées particulières que les réformés tiennent dans leurs maisons ne sortent pas des bornes du culte privé; le scandale qui résulte de leur pré- sence n'est qu'un « scandale théologique » dont le gouverne- ment n'a pas à se préoccuper. A la suite de ce rapport, un décret impérial défendit d'in- quiéter les protestants au sujet de leurs assemblées ■«. Nous ne multiplierons pas davantage ces citations : nous pouvons dire qu'au moment où Marie -Thérèse laissa le trône à son fils Joseph II, le conseil privé est largement partisan d'une tolérance tacite pour les opinions individuelles. On pourrait en conclure qu'il adoptera sans hésitations les idées de Joseph II sur la « liberté de croire » ; nous verrons qu'il n'en fut pas tout à fait ainsi. § 5. Le conseil privé pendant le règne de Joseph II. En faisant connaître aux états de nos provinces la mort de sa mère (29 novembre 1780) et son propre avènement, Joseph II leur donnait l'assurance que non seulement il aurait un soin particulier de les maintenir dans la jouissance de leurs 1 Hubert, ouvr. cité, p. 90. — Archives du conseil privé, carton 129l2. — Archives de la chancellerie, reg. 152, fol. 185. ( 170 ) droits et privilèges, mais qu'il voulait s'occuper constamment aussi de tout ce qui pouvait en général contribuer au soulage- ment, à l'avantage et au bonheur de ses sujets des Pays-Bas *. Dans cette lettre, qui est datée du 30 novembre, il annonçait aussi l'arrivée prochaine de l'archiduchesse Marie-Christine et du duc Albert de Saxe-Teschen, son mari, nommés gouver- neurs le 20 août 2; le prince de Starhemberg devait les rem- placer provisoirement. Dans une lettre de même date, adressée à ce dernier, Joseph II disait qu'il avait résolu de maintenir et de conserver le conseil privé sur le pied où il était du vivant de feu l'Impératrice 3. Cependant l'Empereur avait résolu de voir ses Etats aux Pays-Bas. Arrivé à Luxembourg le 31 mai 1781, il se trouva à Bruxelles le 21 juin, après avoir visité plusieurs villes du pays. Le 23 juin, le conseil privé fut appelé en corps au palais pour lui présenter ses hommages. Dans cette audience, l'Empereur s'entretint assez longtemps avec le conseil sur dif- férentes matières ressortissant à son administration. Le 2 juillet, Joseph II se rendit, vers 10 heures du matin, à l'hôtel du conseil, où, après avoir visité la secrétairerie, il assista pendant trois heures aux délibérations du conseil. Ce corps était alors composé de de Neny, chef- président; de Kùl- berg, Plubeau, de Grysperre, Le Clerc, Sanchez de Aguilar, Limpens, conseillers; De Buel, secrétaire. L'Empereur refusa de prendre place dans le fauteuil présidentiel ; il s'assit à la droite du chef-président tandis que le prince de Starhemberg prenait place à la gauche de ce ministre. La séance se passa sans incident; le chef-président semonça comme à l'ordinaire les différents membres du conseil de dire leur opinion sur chaque objet à l'ordre du jour 4. L'Empereur écouta avec la plus grande attention les différents rapports dont il fut donné 1 Registres Verds, n° 366, fol. 1". 2 Ibidem, fol. 7 v°. 3 Ibidem, fol. 12. — Archives de la chancellerie, D. 105. g. * Registres Verds, n° 366, fol. 27 v° et 28. ( 171 ) lecture, faisant des remarques et demandant des explications qui prouvaient toute la pénétration de son esprit i. Dans la suite, Joseph II assista à plusieurs autres séances du conseil privé, et l'on conserve aux Archives du royaume un volumineux registre des matières qui furent traitées en sa pré- sence 2. C'est là que, pour la première fois, l'on agita d'une manière officielle la question de la tolérance à l'égard des protestants. Le conseil, du reste, n'y arrêta pas longtemps son attention et le procès-verbal ne mentionne que ces quelques lignes : « S. M. parla de la convenance à accorder aux protestants l'exercice libre de leur religion. » On convint de la sagesse de ces vues; on pensa pourtant qu'on ne devait pas aller jusqu'à permettre le culte public, et l'on remarqua qu'il n'était pas conseillable de permettre au consul anglais, à Ostende, l'exercice du culte, même privé, dans sa maison, ainsi qu'il l'avait demandé. » La dernière résolution émanée au sujet de la tolérance doit faire accorder la permission aux protestants qui s'établi- rent à Ostende ou ailleurs en assez grand nombre, d'avoir des oratoires privés pour pouvoir y exercer leur religion sans troubles 3. » L'Empereur était cependant bien décidé à introduire la tolé- rance aux Pays-Bas. Il communiqua ses vues et ses projets à ce sujet aux gouverneurs généraux, et le conseil privé reçut ordre de préparer ses observations sur les mesures qu'il y aurait à prendre pour en assurer l'exécution 4. De retour à Vienne, et avant même que l'avis du conseil fût donné sur cette question, Joseph II fit connaître au prince de Starhemberg sa résolution définitive d'introduire la tolérance dans nos pays. Cette résolution, communiquée au conseil 1 Revue de Bruxelles, année 1839. 2 Archives de la chancellerie, reg. xlviii. s Ibidem, D. 106. J. * Ibidem, D. 106. R. ( 172 ) privé, donna immédiatement lieu à une consulte *. Dans la pre- mière partie de ce travail, le conseil s'expliqua sur la convenance d'étendre, mais sans émaner pour cela de loi en forme, la tolé- rance adoptée déjà aux Pays-Bas et de permettre môme aux protestants d'Ostende de bâtir un oratoire dans cette ville. Dans la seconde partie, il suggéra les dispositions à faire pour adapter à ces provinces le système général de tolérance que Joseph II voulait y introduire, système qu'en partie il avait proposé lui-même en présence de l'Empereur, en s'expliquant sur les vues qui lui avaient été annoncées à cet égard. Après avoir pris l'avis du chef-président, les gouverneurs généraux envoyèrent, le 12 novembre 1781, sous forme de cir- culaire au nom de l'Empereur, aux évêques, aux tribunaux de justice, aux fiscaux et à l'Université de Louvain, le décret connu sous le nom de décret de tolérance 2. Au décret étaient joints ces quelques mots du chef-prési- dent : « En vous remettant la dépêche ci-jointe, LL. AA. RR. » me chargent de vous informer par cette lettre particulière, » que c'est l'intention de l'Empereur qu'il ne soit fait aucune » publication à cet égard 3. » Le décret de tolérance provoqua, comme on sait, des protes- tations virulentes chez les corps constitués et les évêques qui avaient reçu communication des volontés impériales. Le con- seil privé fut appelé à consulter sur leur valeur (17 décem- bre 1781). Il fit remarquer qu'en général les remontrants avaient mal compris le terme de tolérance et l'avaient con- fondu avec la liberté indéfinie de la religion protestante; que cette erreur et un zèle outré avaient fait naître chez quelques- uns des appréhensions déplacées ; que cependant presque tous s'étaient conformés à la résolution de l'Empereur et avaient donné l'exemple de la soumission à la loi d'une tolérance civile qui, de fait, était déjà établie aux Pays-Bas; sauf que les états i Archives de la chancellerie, D. 106. R. 2 Archives du conseil privé, carton 1292. 3 Hubert, ouvr. cité, p. 113. ( 173 ) du Brabant et de Namur terminaient en demandant la révo- cation ou la suppression totale de cette disposition *. On peut réduire à deux chefs les points qui avaient alarmé les corps hostiles au décret : c'est, d'une part, la crainte de l'irréligion, du scandale, de la séduction et de l'apostasie; de l'autre, les inconvénients qui pouvaient résulter de l'admis- sion des acatholiques aux emplois publics. Quant au premier point, qui touchait proprement à ce qui avait trait à la religion, le conseil privé fit observer qu'en cir- conscrivant la tolérance dans des limites formelles, comme on l'avait fait, les protestants ne pourraient jamais dogmatiser, faire des prosélytes, ni insulter aux mystères ou aux lois de la religion dominante, sans encourir les peines infligées de tout temps aux délinquants de cette espèce. Quant aux apostats soit de la religion catholique, soit de la vie religieuse, ils ne trou- veraient pas non plus dans cette loi de tolérance aucun appui pour se soustraire à la punition de leurs désordres que cette loi autorisait d'autant moins qu'elle ne dérogeait ni à l'auto- rité ni aux règles établies. Les évêques, les états et les corps municipaux ayant rappelé à ce sujet les troubles des Pays-Bas au XVIe siècle, troubles auxquels le mélange de religion, entre autres motifs, avait donné lieu, le conseil privé se borna à faire remarquer qu'à cette époque, c'était l'autorité souveraine qui était attaquée, au lieu que, aujourd'hui, c'était elle qui opérait de son propre mouvement et que, pour faire jouir les protestants de la tolé- rance et maintenir cependant la religion dominante, elle ne souffrirait rien qui pût troubler cette religion, ni l'ordre ou le repos public. Cependant, tout persuadé qu'était le conseil privé du peu de fondement de ces appréhensions, il n'en fut pas moins d'avis que, comme elles paraissaient faire impression sur ceux qui se montraient d'ailleurs résolus à seconder les intentions de l'Empereur, ce serait éclaircir ces intentions et en assurer une 1 Archives de la chancellerie, D. 106. R. ( 174 ) meilleure exécution, si par une lettre circulaire il était dit « que les dispositions énoncées ne dérogent point à ce qui a » été observé jusqu'icy soit à l'égard des apostats, soit à » l'égard de la séduction ou du scandale en matière de reli- » gion *. » Sur le second point des réclamations, qui avait trait à l'ad- mission des acatholiques aux emplois civils, voici en quelques mots l'opinion du conseil privé. II fit observer d'abord que cet article était la pierre d'achoppement où les états et les administrations municipales s'étaient principalement arrêtés, le trouvant, disaient-ils, incompatible avec la religion dominante, avec le bien-être des provinces belgiques et avec leurs privi- lèges, leurs droits, leurs usages les plus importants et les plus précieux, surtout s'il s'agissait des emplois du gouvernement ou de ceux auxquels était attachée quelque autorité publique. Sur ce point, le conseil privé partagea l'opinion des remon- trants et adopta les motifs sur lesquels ils la fondaient, témoi- gnant qu'il n'était pas étonnant de rencontrer partout la remarque qu'une tolérance ordinaire ne s'étendait pas jusque- là; que l'exemple assez universel de n'admettre à ces sortes de places que ceux de la religion dominante semblait justifier la crainte qu'on avait que des protestants ne favoriseraient guère les règles et les prérogatives de la religion catholique contre celle qu'ils professaient eux-mêmes; qu'ils ne seraient guère portés à proposer ni à maintenir des lois qui auraient ces pré- rogatives pour objet, et surtout qu'ils seraient peu propres à surveiller ceux de leur secte pour les empêcher d'empiéter sur la religion dominante, et qu'en outre, la différente façon de penser qu'entraîne nécessairement la différence de religion dans les corps troublerait cette harmonie et cette tendance unanime vers le bien du service, à tous égards si désirables. D'après ces considérations, le conseil privé envisageait lui- même l'admission des protestants aux emplois publics comme * Archives de la chancellerie, D. 106. R. ( 175 ) une chose capable d'entraîner les plus grands inconvénients. Et, pour tranquilliser du moins les esprits sur cet objet, sans toutefois qu'on se rétractât, il suggéra l'idée de déclarer, dans la circulaire proposée ci-dessus, « que l'on doit s'en rapporter » avec une pleine et entière confiance à la sagesse de S. M. » et à son attachement à la religion catholique; et que l'on » doit se tenir assuré, en conséquence, qu'il en serait usé sur » ce point de manière à ne préjudicier ni à la religion domi- » nante, ni à la tranquillité et au bien-être du public *. » Le gouverneur général et le ministre plénipotentiaire adop- tèrent cette manière de voir du conseil privé. Le chancelier Kaunitz, de son côté, convint qu'il fallait donner sur ces deux points un apaisement à la nation « flamande », sans cependant se lier les mains. « Du reste, disait-il dans son rapport à l'Em- » pereur^, dans une nation où, par suite de la constitution, » une province n'admet pas aux emplois municipaux et de jus- » tice les sujets d'une autre province, dans une nation pareille, » dis-je, il n'est pas étonnant qu'on s'attache surtout à exclure » de tout emploi des protestants qui, du moins actuellement, » ne peuvent guère être que des étrangers pour tout le pays. » Mais lorsque le nouveau système de tolérance aura pris une » certaine consistance et qu'aux Pays-Bas mêmes il se formera » des sujets protestants propres aux emplois soit municipaux, » soit du gouvernement, leur nomination ne fera plus la » même sensation que dans ce moment-ci. » Cependant, cet apaisement à donner à la nation, Kaunitz ne l'entendait pas à la façon du conseil privé, c'est-à-dire en déclarant simplement que les dispositions faites sur la matière ne dérogeaient pas à ce qui avait été prescrit jusqu'alors, soit à l'égard des apostats, soit à l'égard de la séduction ni du scan- dale en fait de religion; « mais comme les anciennes lois sur » ces sortes de crimes sont, disait-il, en général et partout » trop sévères, et qu'il s'agit d'introduire une nouvelle juris- 1 Archives de la chancellerie, D. 106. R. 2 Rapport du 30 janvier 1782 (Archives de la chancellerie, D. 106. R.). ( no ) » prudence à ce sujet, » il proposa de libeller comme suit la déclaration à faire : « S. M. se propose de pourvoir d'une » manière convenable à ce que les remontrans paraissent » craindre à l'égard des apostasies, de la séduction et du scan- » dale en matière de religion; et qu'en attendant, on se » tiendra à ce qui a été déjà prescrit là-dessus *. » L'Empereur se rangea à l'avis de son chancelier et la circu- laire fut rédigée dans les termes précités. Le décret de tolérance, malgré ces assurances, rencontra encore, dans son application, de l'opposition dans certains conseils de justice, mais le conseil privé sut le faire observer. « Je dois rendre cette justice au conseil privé, disait Kaunitz » dans un rapport à l'Empereur, c'est qu'il est entré, avec tout » le zèle possible, dans l'esprit de l'édit qui, d'après les ordres » de Votre Majesté, a été publié aux Pays-Bas à l'égard de la » tolérance en matière de religion 2. » Le 9 avril 1783, de Neny obtenait d'être déchargé de ses fonctions de chef et président qu'il avait remplies avec tant de distinction pendant vingt-six ans 3. Nous avons suffisamment fait connaître, dans les pages précédentes, les tendances et les idées de cet éminent fonctionnaire qui prit la plus grande part à la direction des affaires pendant le règne de Marie- Thérèse et qui, dans les différentes questions gouvernemen- tales, fit preuve d'une grande érudition, d'une intelligence aussi brillante qu'active. La retraite de de Neny, bientôt suivie de sa mort (1er janvier 1784), allait priver Joseph II d'un homme dont l'expérience lui aurait été si nécessaire et si utile. De Neny ne fut pas remplacé dans ses fonctions de chef et président; De Kulberg, le plus ancien des conseillers4, fut 1 Archives de la chancellerie, D. 106. R. 2 Ibidem, D. 106. g. 5 Ibidem, D. 108. c. * 11 faisait partie du corps depuis le 21 novembre 1763 (Archives de la chancellerie, H. 337). ( 177 ) chargé de remplir cette charge. C'est que, alors déjà, Joseph II songeait à introduire des changements radicaux dans l'admi- nistration générale des Pays-Bas. L'Empereur avait conservé de son voyage dans nos provinces une fâcheuse impression du rouage administratif : partout il avait vu complications, double emploi, dépenses inutiles, choses auxquelles, dès son retour à Vienne, il voulut remédier. Joseph II songea d'abord à fondre en un seul corps le con- seil privé et la secrétairerie d'État et de guerre. Le ministre plénipotentiaire Starhemberg, appuyé d'ailleurs par Kaunitz, se montra défavorable à cette combinaison et il fit valoir ses raisons dans un long mémoire * : selon lui, la nature et la besogne de ces deux départements, leur manière d'opérer, le degré de confiance qu'on pouvait donner à l'un et à l'autre différaient tellement que leur réunion, loin de contribuer à simplifier la marche des affaires, ne ferait que la compliquer, et, dans des occasions essentielles, serait fort préjudiciable au service royal. L'Empereur conçut alors le projet de réunir le conseil privé et le conseil des finances : cette mesure, disait-il, amènerait une grande économie de travail et d'argent ; elle donnerait plus de célérité, de précision et d'ordre dans les expéditions, par suite de la suppression de la correspondance qui existe entre ces deux départements, correspondance très suivie à cause des affaires qui leur sont communes ou de celles qui, tout en étant du ressort plus direct du conseil des finances pour la délibé- ration, doivent passer pour l'expédition par le canal du conseil privé; enfin, cette réunion ferait disparaître les embarras produits sans cesse par la rivalité des deux corps. Le chancelier Kaunitz approuva cette combinaison, et en deman- dant au ministre plénipotentiaire un projet pour son organisa- tion, il lui fit connaître qu'elle était décidée. Le conseil privé ne fut en aucune façon consulté sur le changement à introduire dans l'administration. Les gouver- 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. Tome LU. 12 ( 178) neurs généraux, le ministre plénipotentiaire et le secrétaire d'État et de guerre Crumpipen prirent seuls part à son élabo- ration avec l'Empereur et son chancelier. Dans un rapport à ce sujet au prince de Starhemberg, en date du 26 avril 1783, Kaunitz disait « qu'il était inutile de consulter là-dessus les » conseils collatéraux, vu qu'on pouvait être sûr d'avance que » ces corps, jaloux de leur manière d'être actuelle, loin de » s'attacher à lever les inconvénients que la réunion de 1718 » pouvait avoir produits, augmenteront ou grossiront encore » les difficultés que devait, par sa nature, rencontrer un chan- » gement de cette espèce. L'affaire ne peut être discutée, disait- » il, qu'entre Leurs Altesses Royales, le ministre et le secrétaire » d'État i. » Starhemberg partagea l'avis du chancelier. « Les corps du » gouvernement et ses membres, disait-il dans sa réponse du » 28 juin suivant, s'ils étaient entendus, insisteraient probable- » ment avec la plus grande chaleur sur le maintien de la » forme telle qu'elle subsiste ; car je n'ai cessé de remarquer » le préjugé invétéré et enraciné ici contre toute idée de nou- » veauté; et outre cela, la forme actuelle du gouvernement » dont le chef et président a toujours plaidé la cause comme » il l'a fait encore dans son grand ouvrage 2, a toujours été w regardée ici dans l'opinion générale comme un chef- » d'œuvre, d'autant plus essentiel et comme d'autant plus » important à maintenir inviolablement, qu'on a cru trouver » dans le retour à cette forme opérée en 172o une preuve » nouvelle et irréfragable de l'impossibilité de faire autrement, » ni même si bien; ainsi on peut prévoir quelle opposition on » aurait à essuyer, s'il fallait se munir de l'opinion des corps » existants ou des membres qui les composent 3. » Quant à la réunion des deux conseils, le ministre s'y montra favorable. « Je ne trouve point, disait-il, d'inconvénient à la » réunion des deux conseils collatéraux; il y a là de bons 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 de Neny, Mém. hist. et 'polit. 5 Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 179 ) » changements à faire . . . L'existence séparée de ces trois » corps ne me paraît pas tellement nécessaire et indispensable » pour la sûreté et le bien des affaires qu'il y aurait des risques » à craindre pour le service en les réunissant. Je dis des trois » corps, parce que le diplôme de 1725 porte la conservation » d'un conseil d'Etat; mais ce conseil d'État, qu'on a cru si » nécessaire ci-devant, n'existe plus que de nom; ainsi, par le » fait, il existe déjà une enfreinte considérable au plan de 1725. » Et si on a pu et peut encore se passer du conseil d'État qui a » cependant fait corps et même le premier corps du gouver- » nement, on peut sans doute altérer aussi l'existence des deux » corps restants et les réunir *. » Cependant l'expérience que l'on avait faite en 1718 d'un conseil unique et la nécessité dans laquelle on s'était trouvé de le supprimer en 1725, semblaient être un préjugé contre la réunion analogue qu'on allait faire maintenant. A cela Starhemberg répond : « Toute révocation de système présup- » pose à la vérité que le système révoqué n'a pas été trouvé » bon; mais de la manière dont était arrangé celui qu'on a fait » cesser en 1725, il coûtait plus que ne coûtaient les trois » conseils; et sans parler de la composition du seul corps qui » subsistait alors, son influence et sa direction portaient sur » un mélange général d'affaires qui comprenait aussi les » affaires militaires, et en un mot, de la manière dont l'édifice )) était construit, il n'est pas étonnant qu'il n'ait pu se sou- » tenir tel qu'il était. » Il est même possible que si on s'était attaché à appro- » fondir les inconvénients qu'on peut avoir reconnus à l'exis- » tence de ce département supérieur unique, ainsi que les » moyens qu'il y aurait eu de les lever, on aurait pu y pourvoir )) autrement que par le rétablissement des trois corps "1. » C'était aussi l'avis de Kaunitz : « Il se peut, disait-il, qu'on » ait mal organisé en 1718 un système établi dans un moment 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Ibidem. ( 180 ) » où on n'était pas encore bien au fait du gouvernement de » ces provinces, et qu'au lieu de s'attacher à rectifier ce qu'il y » avait peut-être de défectueux, on aura trouvé plus court et » moins difficile de revenir à l'ancien système t. » La réunion des deux corps devait toutefois, selon le ministre plénipotentiaire, se faire sans précipitation quant aux détails et aux dispositions particulières qu'elle nécessiterait. A son avis, l'idée seule de la réunion frapperait déjà assez les opinions généralement prévenues sans qu'on augmentât les embarras par la détermination immédiate des formes, des détails, du nombre des employés , etc. Il ne fallait décréter l'organisation finale qu'après des essais, des tâtonnements. « Un tel édifice, » disait-il, pour être bon, solide et fructueux, sans inconvé- » nient et avec avantage, ne peut être construit que par grada- » tion et par parties qui, rapprochées successivement, com- » poseront l'ensemble. Toute autre manière de procéder ne » produirait qu'un résultat incertain, équivoque, dangereux, » nuisible peut-être, et je ne saurais assez répéter la nécessité » de cette marche gradative, à défaut de laquelle je ne balance » pas de dire qu'il vaudrait mieux laisser la constitution telle » qu'elle est, et se borner à améliorer successivement dans » chaque corps ce qui dans les occasions pourrait être retranché, » changé ou perfectionné 2. » Ces conseils de Starhemberg ne furent pas suivis par son successeur Belgioioso, que l'ambition du secrétaire d'Etat de Crumpipen entraîna dans des fautes et des embarras sans nombre. Le diplôme du 1er janvier 1787 3 changea, sans pré- paration aucune, l'état gouvernemental. Il supprima les con- seils collatéraux pour les remplacer par un seul conseil, appelé le Conseil du gouvernement général des Pays-Bas. Le conseil privé était composé, à sa suppression, des membres suivants : de Kùlberg, chargé des fonctions de chef-président, 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Ibidem. 3 Coll. impr. des Archives, in-fol., t. XXII. ( 181 ) de Grysperre, Le Clerc, Sanchez de Aguilar, de Limpens, Reuss, de Le Vielleuze, conseillers; Rcul et Maria, secrétaires *. Ils furent tous attachés à l'un des départements dont se com- posait le conseil général 2. Sanchez de Aguilar et de Le Viel- leuze formèrent celui des affaires de justice 3. S'il s'agissait d'apprécier l'innovation introduite par le diplôme du 1er janvier, on devrait avouer que le nouveau sys- tème administratif était préférable sous plusieurs rapports à l'ancienne organisation; il est même probable que Joseph 11 eût pu, tôt ou tard, ramener à lui l'opinion publique, s'il avait agi avec prudence, comme le lui avait conseillé le prince de Starhemberg. Il ne suffit pas, en effet, qu'une loi soit excel- lente; il faut, avant tout, qu'elle soit sanctionnée par l'opinion. Joseph II eut le tort de vouloir imposer ses réformes. Imitateur de Pierre le Grand, il oublia que les peuples, aussi bien que les individus, ont leur éducation à faire. Le système de réformes si imprudemment introduit en Belgique par Joseph II ne fut donc pas de longue durée. Antipathique aux mœurs autant qu'aux privilèges de la nation, il excita un soulèvement universel et eut pour résultat de faire perdre à la maison d'Autriche un pays d'où, sous le règn:> précédent, elle avait tiré d'immenses avantages. Il n'est pas de notre sujet de rapporter les débuts et les progrès de la révolution brabançonne. En présence de l'agi- tation qui se produisit rapidement dans toutes les provinces et qui bientôt mit en émeute la capitale, les archiducs, le ministre, les hauts fonctionnaires, leurs gens avec leurs bagages se sauvèrent pêle-mêle, dans une confusion générale, le 12 décembre 1789, pour s'établir à Luxembourg, la seule ville de la Belgique qui, bientôt après, restât au pouvoir de l'Em- pereur. L'archiduchesse Marie-Christine et le duc Albert fixèrent 1 Calendrier de la cour. 2 Archives de la chancellerie, D. 109. z. 3 Ibidem, répertoire, n° 54, fol. 404 v°. ( 182 ) provisoirement leur résidence à Bonn. Le gouvernement se trouvant dissous par la force des circonstances, ces princes instituèrent, le 10 janvier 1790 1, une jointe qu'ils chargèrent d'examiner les affaires relatives aux provinces belgiques, qui, avant la réforme de 1787, avaient été du ressort du conseil privé, du conseil des finances et de la chambre des comptes. Ils la composèrent, sous la présidence du commandeur de Crumpipen, du conseiller d'État de Kùlberg, des conseillers de Limpens, baron de Feltz et de Berg, et des secrétaires de Lederer, de Malbeck et Pistrich. Cette jointe tint ses séances à Trêves; elle était autorisée par ses instructions à décider sur certaines affaires; pour les autres, elle devait adresser ses rap- ports et propositions aux gouverneurs généraux. Entretemps, les provinces des Pays-Bas s'étaient unies et confédérées, sous la dénomination d'États belgiques unis, et avaient remis l'exercice de l'autorité souveraine à un congrès formé de députés de chaque province. Joseph II mourut le jour de l'installation de ce congrès, le 20 février 1790. § 6. Le conseil privé pendant le règne de Léopold 11. Joseph II ne laissait pas de postérité; il eut pour successeur son frère Léopold, grand-duc de Toscane. En attendant les dispositions du nouvel empereur concernant le gouvernement de nos provinces, l'archiduchesse et le duc, son époux, suppri- mèrent, le 11 mars, la jointe de Trêves et la remplacèrent par une commission royale qu'ils établirent à Luxembourg 2. Cette commission était composée du président du conseil de Luxem- bourg, du Rieux, en qualité de président; du conseiller de Limpens; du conseiller du conseil de Luxembourg, La Fon- taine; du secrétaire Muller et de l'auditeur de Brady, en qualité de rapporteurs. Cependant la cour de Vienne s'occupait activement des 1 Archives de la chancellerie : Révolution brabançonne, t. XIX. 2 Protocole de la Commission royale, t. I, fol. 1. ( 183 ) moyens de rétablir son autorité dans la Belgique. Léopold II, dès son avènement au trône, s'empressa d'engager les Belges à rentrer sous son obéissance, en leur promettant de tout réta- blir sur l'ancien pied et en leur faisant les propositions les plus favorables. Ces avances furent repoussées. Le souvenir des cruautés exercées par la soldatesque aux ordres du gouver- nement autrichien était trop saignant et ses promesses plusieurs l'ois éludées étaient trop récentes pour qu'une réconciliation s'effectuât. L'Empereur recourut alors à la voie des armes et ordonna que des forces considérables fussent dirigées sur les Pays-Bas. Trahis par les puissances étrangères qui avaient fomenté leur révolution, divisés entre eux par des doctrines politiques, conduits par des chefs incapables, les Belges furent vaincus. L'armée autrichienne rentra dans Bruxelles, le 2 dé- cembre 1790. L'intention de l'Empereur était de faire revivre le système de gouvernement qui avait été en vigueur sous Marie-Thérèse. En attendant que ses vues à cet égard pussent être accomplies, le comte de Mercy-Argenteau, son ministre plénipotentiaire, en l'absence des gouverneurs généraux, résolut, par acte donné à La Haye le 18 décembre, de faire assembler à Bruxelles, sous la présidence du commandeur de Crumpipen, des comités pour suppléer provisoirement le conseil privé, le conseil des finances et la chambre des comptes * . Les conseillers Sanchez de Aguilar, de Limpens et de Le Vielleuze formèrent le comité pour les affaires du département du conseil privé 2. Ce comité entra en fonctions le 24 décembre. Pendant ce temps, l'Empereur travaillait activement à la restauration des anciens pouvoirs. Le duc Albert et l'archidu- chesse Marie-Christine avaient repris l'exercice de leur autorité et s'étaient fait inaugurer dans les différentes provinces. C'est alors que, par lettres patentes du 27 juillet 1791 3 et confor 1 Reg. de la chambre des comptes, n° 193, fol. 1. 2 Archives du conseil privé, reg. aux protocoles, n° 278, fol. 2. 3 Coll. impr. des Archives, in-fol., t. XXV. ( 184 ) mément au traité de La Haye <, Léopold II rétablit les trois conseils collatéraux d'État, privé et des finances. Le conseil privé devait se conformer aux instructions en vigueur avant l'établissement du conseil général du gouverne- ment et jouirait de la même autorité et des mêmes prérogatives que le conseil antérieur. Il devait être composé d'un chef-pré- sident, de neuf conseillers, de deux secrétaires ordinaires et de deux secrétaires surnuméraires. En attendant la disposition définitive de l'Empereur pour la place de chef-président, de Crumpipen fut chargé de présider le corps, qui eut pour conseillers : de Kùlberg, Le Clerc, Sanchez de Aguilar, de Limpens, de Le Vielleuze, de Berg, Vanderfosse, de Muller ; pour secrétaires ordinaires : Beaumoni et Vandeveld, et pour secrétaire surnuméraire : L'Ortye 2. La composition de ce conseil ne reçut pas bon accueil. A la restauration de la dynastie autrichienne, le gouvernement s'était trouvé placé entre deux opinions nettement dessinées : d'un côté, les démocrates (vonckistes), de l'autre, les aristo- crates (vandernootistes). A ne consulter que la reconnaissance et la justice, le choix ne pouvait être douteux. Mais l'intérêt de l'Autriche semblait être, en présence du développement que prenait la Révolution française, de cesser désormais son rôle novateur. Le pouvoir devait se rapprocher du système conser- vateur des états et rattacher à lui la majorité dont ceux-ci disposaient. Ce système ne fut pas adopté; on confirma dans leurs emplois tous les fonctionnaires qui avaient servi pendant 1 Comme il est essentiel, dit le § 10 de l'article 3 de ce traité, que l'on ait confiance dans les formes du gouvernement, S. M. rétablira l'organisation du gouvernement sur le pied qui subsistait sous le règne de feu l'impératrice-reine, nommément en ce qui concerne les conseils d'État, privé et des finances, se réservant néanmoins le droit incontes- table d'y faire des changements que les circonstances pourraient rendre nécessaires; en quoi elle s'appliquera toujours à consulter le vœu public, sans jamais s'écarter du rapport qu'il peut y avoir entre l'organisation du gouvernement et la constitution. 2 Archives de la chancellerie, H. 1152. B et C. ( 185 ) la révolution. La nomination de Oumpipen, qui reçut, le 22 août 1791 *, ses patentes de chef-président du conseil privé, excita surtout un vif mécontentement. L'ancien vice- président du conseil général passait, avec raison, aux yeux des patriotes, pour l'instigateur principal des mesures adoptées sous le règne précédent 2, Cette nomination était donc une protestation vivante contre les assurances de respect aux insti- tutions constitutionnelles qu'il avait voulu renverser. Le comte de Mercy lui adjoignit d'ailleurs au conseil presque tous josé- phites, choix assez significatif et qui prouvait le peu de ména- gements que l'on voulait garder envers les états et l'opinion qu'ils représentaient 3. Le parti national accusait en outre publiquement Crumpipen d'avoir, par ses intrigues et par les fautes qu'il leur avait fait commettre, occasionné la chute des trois derniers ministres plénipotentiaires. Son espoir, ajoutait- * Archives de la chancellerie, H. 1152. J. 2 Portraits des personnes employées au gouvernement des Pays-Bas, extraits de la justification du général d'Alton, p. 5. 5 Voici les portraits qu'a faits des membres de ce conseil privé un auteur de l'époque : Crumpipen a de l'astuce et surtout de l'ambition. Son cabinet est un véritable pigeonnier de famille : aussi, n'est-il pas de secret gardé. — Kulberg a de l'esprit, mais il n'osoit faire un rapport sans congé de sa femme; il coopéra au pernicieux armistice qu'on accorda aux révoltés. — Le Clerc a du génie et de l'esprit; il est passionné mais il se laisse ramener. — Le Vielleuze est aussi passionné que borné. — Limpens est borné mais il jouit de la réputation d'un homme de probité. — Aguilar est un cagot, un minutieux; il ne peut pas avoir moins de facilité. — De Berg fait de l'esprit. — Muller joue le rôle de doucereux, mais fidèlement dévoué à la cabale ou politique de famille qui tend à faire supprimer l'indispensable poste de ministre. Il trahit Trauttsmandorif dont il avait toute la confiance, comme il trahira par les mêmes prin- cipes tous les autres ministres qui auront pour lui quelques bontés. — Vanderfosse est sophistique, patelin, nul, dangereux et servilement attaché aux Crumpipen, aux Limpens et à tous les autres oppresseurs de l'autorité. — Vandeveld, secrétaire, est intéressé et attaché à la même cause; aussi rendit-il de mauvais offices à Trauttsmandorif, son bien- faiteur, au lieu de s'occuper à Vienne de la cause des Belges qui était cependant l'objectif pour lequel le Ministre l'avait envoyé. (Coup a"œil sur la l'évolution des Pays-Bas, p. 36.) ( 186 ) on, était toujours d'amener, de guerre lasse, l'Empereur à se passer d'un ministre plénipotentiaire et à lui confier à lui- même la direction des affaires. On allait jusqu'à lui imputer d'avoir, dans ce but, en 1787 et en 1789, déterminé l'explo- sion du mécontentement populaire en suggérant aux ministres Belgioioso et Trauttsmandorff des mesures intempestives ou impolitiques. Par ses alliances ou ses relations de famille, Crumpipen, dont le frère était chancelier, avait en outre des personnes dévouées dans toutes les branches de l'administra- tion *. Tel était l'homme que le comte de Mercy éleva à la dignité de chef et président du conseil privé. Les avertissements cependant n'avaient pas fait faute au ministre. D'une part, il entendait la voix de la presse, celle des représentants de la nation lui crier de se défier des hommes qui avaient perdu ses prédécesseurs; de l'autre, il trouvait dans la correspondance de Kaunitz lui-même le conseil d'agir dans cette circonstance avec prudence et circonspection 2. Le calme ne devait donc pas être de longue durée; le mécontentement était général ; partout se manifestaient les symptômes avant-coureurs d'une insurrection. L'orage gron- dait dans le lointain; la Belgique allait être entraînée dans le tourbillon où disparut la vieille société française. La Répu- blique française, en effet, convoitait la possession des Pays-Bas catholiques; les premières éruptions du volcan allaient com- mencer quand François II monta sur le trône (1er mars 1792). 1 Portraits des personnes, etc., p. 5. 2 En 1790, tout en approuvant la proposition de Mercy d'établir pro- visoirement et jusqu'au rétablissement des conseils collatéraux, des comités pour administrer le pays, Kaunitz crut devoir lui mander : « Je ne pense pas qu'il convienne de placer les deux frères Crumpipen dans le comité pour les affaires majeures du gouvernement général. Le ci- devant secrétaire d'État est certainement celui qui est le plus propre à présider le comité sous Votre Excellence, mais il semble qu'il ne serait pas à propos d'y employer son frère aîné le chancelier pour ne point réveiller les anciens cris, très mal fondés, à la vérité, que cette famille cherche à s'attirer toute l'influence et toute l'autorité dans les affaires. » (Borgnet, Lettres sur l'histoire de la Belgique pendant les années 1791 à 1795, dans la Revue belge, année 1836.) ( 187 ) § 7. Le conseil privé jjendant le règne de François IL La déclaration de guerre à l'Autriche, votée le 20 avril 1792, fut suivie de près par les hostilités. Le 6 novembre, l'armée autrichienne fut battue à Jemappes par Dumouriez ; de ce moment, la perte de la Belgique devint imminente. Le même jour, le comte de Metternich-Winnebourg, ministre plénipo- tentiaire, donna des instructions aux chefs des conseils pour le cas où le ministère serait forcé de se retirer de Bruxelles. Le 7, dans une réunion des conseils privé et des finances, le ministre annonça son intention de transférer le gouvernement à Rure- monde, d'où, en cas de besoin, il pourrait, en peu de temps, se rendre soit en Hollande, soit en Allemagne. Il déclara en même temps que, sensible aux marques de confiance que les conseils lui avaient toujours témoignées, il se trouverait par- tout avec eux et n'abandonnerait pas son poste. Dans sa séance du 8 novembre, le conseil privé s'occupa de tous les détails du voyage, et de crainte que le départ du gou- vernement ne parût un abandon de sa part de l'administra- tion, il rédigea et expédia des lettres circulaires aux états, aux magistrats et aux tribunaux supérieurs pour leur faire con- naître ses intentions. Le 9, dans la matinée, le ministre plénipotentiaire et les membres du conseil privé se dirigèrent vers Tiriemont et le pays de Liège. L'archiduchesse Marie-Christine s'était mise en route pour Maestricht. Les archives du conseil avaient été chargées sur des bateaux et envoyées en Hollande. Le gouver- nement arriva à Ruremonde le 13, après avoir passé successive- ment par Louvain, Tiriemont, Saint-Trond, Tongres, Reck- heim et Maeseyck t. Cependant l'armée autrichienne ayant dû se replier sur Louvain et Namur, il fut jugé convenable, dans une assemblée des conseils privé et des finances tenue le 14 novembre 2 en i Archives du conseil privé, carton 486. 2 Archives de la chancellerie, re^. 382. ( 188 ) présence du ministre plénipotentiaire, d'abandonner Rurc- monde et de se porter à Dusseldorff. Mais, à la suite de com- binaisons nouvelles, on décida que le séjour à Ruremonde serait prolongé. Ce ne fut que le 30 de ce mois que le gouver- nement, sur la résolution de l'archiduchesse, partit de cette ville pour s'établir àWesel. Le sort des armes, jusque-là favorable aux ennemis, changea quelque temps après. L'armée autrichienne ayant reçu de grands renforts reprit l'offensive avec succès. Elle battit les Français successivement à Aix-la-Chapelle, à Tirlemont, à Neerwinden. A la fin de mars, Bruxelles vit revenir dans ses murs les troupes impériales. Le comte de Metternich les y suivit de près. Mais auparavant il avait, par ordre de l'Empereur, dissous le conseil privé de Wesel par décret du 22 mars 1793 * . La teneur de ce décret était des plus bienveillante pour le con- seil : « Comme il se pourrait, disait-il, que ses membres » conçussent des craintes et des alarmes sur leur état futur, » nous déclarons, au nom de Sa Majesté, que satisfaite du » zèle, de la fidélité et des bons services tant du conseil en » général que de ses membres en particulier, Elle s'occupera » incessamment du sort de chacun d'eux et qu'Elle puisera » dans la justice et dans les sentiments de son cœur généreux » la distribution de ses grâces et de ses bienfaits. » De retour dans les Pays-Bas, le comte de Metternich s'occupa de l'administration générale des provinces. Par dépêche du 13 avril ^, il autorisa le conseiller d'État Le Clerc, en attendant la réorganisation du conseil privé, à convoquer en comité les anciens membres de ce conseil pour délibérer sur les affaires courantes de ce département. Ce comité était formé du con- seiller d'Etat Le Clerc, des anciens conseillers Aguilar, de Le Vielleuze, Limpens et de Berg; des secrétaires Beau mont, Vandeveld et L'Ortye. La composition de ce comité, où dominait toujours le parti 1 Archives de la chancellerie : Restauration autrichienne, t. XXVIII. 2 Archives du conseil privé, carton intitulé : Conseil privé. ( 189 ) joséphite, n'était pas de nature à donner satisfaction aux con- servateurs. Aussi la querelle du maintien dans les grands départements de l'État des fonctionnaires partisans des réformes de Joseph II, querelle déjà soulevée en 1791, se ralluma plus ardente que jamais. Cachées i d'abord sous des expressions vagues, les attaques revêtirent bientôt une forme d'accusation directe, et clans leur première assemblée de 1793, les états de Brabant reçurent deux mémoires où les doyens des neuf nations de Bruxelles, appuyés par le magistrat, invoquaient contre les « agents pervers de l'autorité », comme ce destruc- » teurs et désorganisateurs », l'application de l'article 25 de la Joyeuse Entrée 2. Au fond, ce n'était qu'une paraphrase de ce reproche adressé sans relâche et sous toutes les formes au gouvernement autrichien et qui sert de thème à la plupart des pamphlets de l'époque : vous réclamez la coopération des états et vous soutenez les hommes qui ont contribué à ruiner leur crédit en montrant la possibilité de leur suppression! Vous déclarez la guerre au jacobinisme et vous en tolérez les fauteurs au milieu de vos provinces 3 ! Ce n'était pas aux personnages seuls composant le comité du conseil privé que s'attaquaient les pamphlétaires de l'époque ; ils dénigraient l'institution elle-même du conseil privé. Voici ce qu'en disait de Feller, dans l'extravagance de son langage, dicté peut-être par un ressentiment contre un corps qui avait participé à la suppression des Jésuites : « En général, on peut annoncer comme une vérité de premier ordre en politique qu'il n'y aura jamais dans la Belgique de sécurité 1 Ainsi, lorsque le magistrat de Bruxelles présenta le vin d'honneur à l'archiduc Charles, il lui dit : « Vous saurez choisir pour vos conseils » les personnes qui, par leurs talents et leurs vertus, ont mérité l'estime » publique. » 2 Cet article déclarait que « si quelqu'un des sujets de Sa Majesté » baillait secours aux ennemis de son pays de Brabant, il fourferoit » corps et biens », et il ajoutait que le souverain ne pourrait faire grâce « sans le consentement des trois états d'iceluy pays. » 5 Feller, Journal historique et littéraire, année 1793, t. II, p. 148. ( 190 ) parfaite et durable tandis qu'il y aura un conseil privé tenant des séances régulières et habituelles. Sans entrer dans aucune considération personnelle, en supposant même ce tribunal composé de membres irréprochables, que peut-on attendre d'un travail qui, n'ayant dans la réalité aucun objet perma- nent, ne peut que tourmenter la chose publique? Toutes les matières politiques, guerrières, financières, jurispruden- tielles, etc., se règlent à Vienne ou dans la Belgique par d'autres tribunaux; le conseiller privé ne pouvant hautement afficher son inutilité, doit nécessairement remuer tantôt un objet, tantôt un autre pour prouver qu'il n'est pas lui-même sans mouvement ni hors d'état d'en donner. Chaque membre épousant les intérêts du corps et se sentant aussi quelque louable émulation personnelle, doit imaginer de son côté, accréditer, promouvoir, exécuter divers projets plus ou moins neufs, mais dont ceux qui sentent particulièrement le talent d'invention et de découverte sont toujours les plus charmans. Il faut donc que la nation Belgique, ses loix, ses usages, son sol, son commerce, ses arts et manufactures, sa religion, son clergé, tout ce qui couvre cette plage terrestre depuis les dunes de Blankenberg jusqu'aux fagnes de Néau^, deviennent un tableau mouvant pour le conseil privé; ou bien il faudra con- damner, ce qui ne serait pas raisonnable, ce conseil à une inaction totale. » On dira peut-être qu'il y a toujours eu un conseil privé dans la Belgique. Mais, 1° tandis que les souverains y rési- daient eux-mêmes, cela était indispensable; c'était, pour ainsi dire, le conseil personnel du prince où se traitaient les affaires qui, depuis, ont été transportées à trois cents lieues de là et dont aucune n'est restée dans le pays; 2° avant que les sys- tèmes philosophiques, le prurit funeste de l'innovation et du renversement eût tourné les têtes, le conseil privé veillait à ce que tout restât bien dûment en sa place ; et dans un pays où tout est réglé et constitutionnel, où la machine politique va d'elle- 1 Nom wallon d'Eupen, encore en usage aujourd'hui dans la contrée. ( 191 ) même, comme disait Charles-Quint, où tous les ressorts sont montés par un moteur exact et uniforme, cette tache, quoique peut-être non nécessaire, était néanmoins agréable aux bons habitants de ces provinces. Alors le conseil privé de la Bel- gique imitait le conseil privé des Turiens * et le conseil privé des Perses2; ses séances se passaient toujours sans aucun résultat alarmant pour la tranquillité publique et ne portaient l'empreinte de la sévérité judiciaire que contre des spéculations creuses et dangereuses. Mais lorsque ce bon esprit eut quitté le gouvernement des nations et que les corporations conseil- lères, au lieu de conserver ce qui était, n'ont songé qu'à établir ce qui n'était pas; lorsque les avocats ont pris la place des hommes d'État et qu'un jargon aussi risible que celui des augures rassembla des gens qui, selon la remarque de Cicéron et de l'avocat Danton, ne peuvent se regarder sans rire, on comprend que les choses ont étrangement changé de face. Dès lors, les lois les plus sages, les usages antiques, les persuasions religieuses, les propriétés et les droits les plus sacrés ont éprouvé une commotion funeste. Le pouvoir même dont éma- nait ce pouvoir subalterne et subversif est devenu nul. L'auto- rité du monarque a fléchi devant celle de l'avocatie ; ses vues salutaires et équitables se sont perdues dans l'assemblée des scribes. Des hommes illustres, arrivés avec le bâton de com- mandement, l'ont vu se changer en un hochet de parade : nés 1 Cet ancien peuple de la Grande-Bretagne craignait tellement les nouvelles lois ou l'abrogation des anciennes que, lorsque quelque spé- culateur avait imaginé quelque changement qu'il voulait proposer, le conseil privé s'assemblait incontinent. Le projetteur était appelé à la séance, mais il devait comparaître la corde au cou. Si la proposition était trouvée mauvaise, le faiseur était aussitôt étranglé. (Note du Journal.) i Chez les Perses, on procédait comme suit ; le conseil privé s'assem- blait en présence du roi; on mettait au milieu de la salle un lingot d'or; le projetteur se tenait debout sur ce lingot. S'il proposait une chose évidemment bonne, le lingot d'or était pour lui, sinon, il était fouetté publiquement. (Idem.) ( 192 ) pour répandre la justice et la bienfaisance, ils ont été con- damnés à l'impuissance de la vertu *. » Cédant à ces clameurs, le ministère autrichien, qui songeait à recomposer les conseils collatéraux, montra quelque défé- rence pour les conservateurs. Il donna une honorable retraite dans le conseil d'État à ceux des fonctionnaires joséphites qu'on poursuivait avec le plus d'animosité , qu'on signalait comme les chefs de ce qui s'appelait la cabale'et parmi lesquels se trouvait le chef et président Crumpipen. Celui-ci fut rem- placé, le 1er juin, par de Fierlant, président du grand conseil de Malines 2. Mais en accueillant toutes les réclamations, le gou- vernement eût éloigné de la direction des affaires publiques les hommes les plus capables du pays, des spécialités dont le concours lui était indispensable, et parmi celles-ci, les Lim- pens, les de Berg, les de Le Vielleuze, que les états poursui- vaient aussi avec violence. Sa condescendance ne pouvait aller jusque-là, et les instances de Metternich pour obtenir davan- tage échouèrent. Le conseil privé fut donc composé comme suit : chef-président, de Fierlant ; conseillers, de Limpens, de Le Vielleuze et de Berg, anciens conseillers; du Rieux, ancien conseiller de la chambre des comptes; baron Bartenstein, ancien conseiller du conseil de Brabant et Petit-de Prez, ancien pensionnaire des états de Namur 3. Un décret du gouverneur général l'archiduc Charles, du 29 juin 1793 4, chargea le chef et président de convoquer le conseil pour qu'il reprît ses séances et ses délibérations sur le pied suivi avant l'invasion française du mois de novembre 1792. Les secrétaires, les offi- ciaux et les autres suppôts du conseil reprenaient également leurs anciennes fonctions. Le conseil s'assembla pour la pre- mière fois le 1er juillet. Aux yeux du parti conservateur, il n'y avait là qu'une semi- 1 Feller, Journal historique et littéraire, année 1793, t. II, p. 387. 2 Archives de la chancellerie : Restauration autrichienne, t. XXXI. 3 Registres du conseil privé, n<> 297, fol. 15. * Ibidem, n° 298, fol. 141. ( 193 ) réparation • et il continua de suspecter la sincérité des actes dont on avait espéré se faire un moyen pour regagner sa con- fiance. Le cabinet de Vienne, disait-il, sacrifiait a la nécessité, mais il comptait bien revenir sur ces concessions et regagner le temps perdu, s'il sortait victorieux de sa lutte avec la France. On ne lui devait d'ailleurs aucune gratitude; sa prétendue clémence n'était que justice, et cette justice encore n'était pas complète 2. Dans le système de ces hommes aveuglés par l'es- prit de parti, l'amnistie devenait même un grief: les patriotes qui s'étaient si généreusement dévoués à la défense de la con- stitution n'avaient pas besoin de pardon 3. Bientôt après reparurent ces libelles qu'on distribuait sous le manteau et dont le gouvernement, malgré toutes ses pré- cautions et les récompenses promises aux dénonciateurs, ne parvenait pas à empêcher l'impression. La nomination au poste de chancelier de Brabant ne fit que tendre encore davan- tage la situation. Forcé de retirer le sceau du duché au fonc- tionnaire joséphite Crumpipen, le frère de l'ancien chef et président, qui le tenait depuis le 26 mai 1769, le ministre, sur la consulte du conseil privé, le confia au vice-chancelier Van- velde. C'était un choix malheureux : Vanvelde passait pour être le principal auteur des mesures rigoureuses décrétées à la fin de 1791 contre les députés des états, et le gouvernement n'avait pas même osé le comprendre dans la nouvelle recomposition qui s'était faite du conseil. Aussi, quand il se présenta pour prêter le serment sur la Joyeuse Entrée, les états refusèrent positivement de l'admettre et il fut enfin obligé de donner sa démission. On le remplaça par un membre du conseil privé, de Limpens, qui fut agréé par les étals, quoiqu'il ne possédât assurément pas leurs sympathies 4. Ainsi, malgré ces concessions, la seconde restauration n'avait 1 Feller, Journal historique et littéraire, année 1794, t. I, p. 319. 2 Idem, ibid., année 1793, t. I, p. 638. 5 Idem, ibid., t. II, p. 462. 4 Borgnet, Hist. des Belges à la fin du XVIIIe siècle, t. II. Tcme LU. 13 ( 194 ) guère obtenu de meilleurs résultats que la première et ne pou- vait guère être plus durable. En présence du danger qui mena- çait nos provinces, nos ancêtres ne purent dissimuler l'aversion profonde qu'ils avaient vouée à la domination autrichienne. Par la rigueur de ses exigences et par son hostilité contre quiconque avait partagé les opinions des novateurs, le parti des états, de son côté, diminuait les éléments de la résistance à opposer à une seconde invasion dont il ne voyait pas l'im- minence. Cependant la Convention donnait un gage nouveau d'énergie et de ténacité. Quinze jours après l'évacuation de la Belgique par les troupes françaises, le 17 avril 1793, elle avait décrété qu'elle n'abandonnerait jamais la guerre aux tyrans. Un mois plus tard, le 12 mai, elle prononça la réunion de Liège à la France. L'année suivante vit la défaite des troupes impériales à Fleurus(26juin 1794). Dans ces circonstances, le conseil privé, après s'être con- certé avec le conseil des finances, jugea qu'il était nécessaire que le gouvernement quittât le plus tôt possible Bruxelles pour se transporter dans une localité sûre, à déterminer par le ministre plénipotentiaire. Le 27, le comte de Metternich donna l'ordre au conseil privé de se rendre le lendemain à Malines, où il le suivrait lui-même incessamment. Le conseil tint deux séances dans cette ville, le 30 juin et le 2 juillet *. Dans cette dernière, le chef-président notifia au conseil que l'intention du ministre était que ses membres se transportas- sent à Buremonde. En conséquence, le départ fut fixé au lendemain, 3 juillet, à 4 heures du matin. Le conseil, après avoir passé par Gheel, Lommel et Weert, arriva à Buremonde le 6 juillet, vers 5 heures du soir 2. ]i n'y séjourna pas longtemps. Apprenant les progrès de l'armée française, le comte de Metternich fit assembler le conseil chez lui le 16 juil- let et arrêta les mesures pour le départ immédiat du gouver- 1 Archives du conseil privé, reg. n° 304. 2 Ibidem. ( 195 ) nement sur Dusseldorff'. Le ministre décida que le chef-prési- dent, les conseillers de Le Vielleuze et de Berg se rendraient seuls pour le moment dans cette ville avec le secrétaire Beau- mont pour l'expédition des affaires ressortissant au conseil privé. Les autres membres et les suppôts du conseil devaient se retirer a Keysersweert, où séjourneraient également les mem- bres du gouvernement qui n'accompagneraient pas le ministre à Dusseldorff. Le conseil arriva dans cette dernière ville le 24 juillet. Dans les moments de repos que lui laissaient ces pérégrina- tions, le conseil privé se livrait à ses travaux ordinaires; il vidait les affaires pendantes pour laisser la place nette, comme s'il avait compris que la situation était désespérée pour le gouvernement autrichien. Depuis l'avènement de Joseph II, d'ailleurs, son initiative était paralysée et toute son activité se portait sur de simples questions administratives d'un intérêt secondaire. Cependant les Français, continuant leur marche victorieuse, avaient envahi toutes nos provinces; tout espoir de restaura- tion était perdu pour l'Autriche. L'empereur le comprit : il donna ordre à son ministre plénipotentiaire de dissoudre le gouvernement des Pays-Bas. Le comte de Metternich exécuta cet ordre le 19 août 1794, par décret de Dusseldorff. Le conseil privé se réunit pour la dernière fois le 21 août. Le chef-président lui donna connaissance de l'acte qui met- tait fin à ses fonctions. Il était conçu en ces termes : « Son » Excellence le chancelier de cour, comte de Trauttsmandorfï, » venant de Nous transmettre la résolution positive de Sa » Majesté de dissoudre sans délai le gouvernement avec ces- » sation entière des appointements des employés, Nous en » informons le conseil, afin qu'il cesse d'abord ses fonctions » et le chargeons d'en informer tous ceux de ses sous-ordres » et subalternes qu'il appartient; le prévenant, cependant, » que Sa Majesté a déclaré que ceux des employés qui se » croient spécialement fondés à réclamer sa bienfaisance , » adresseront à Sa Majesté des requêtes dans lesquelles ils ( 196 ) » constateront et prouveront duement l'ancienneté et l'îm- » portance de leurs services, ainsi que les autres motifs parti- » culiers par lesquels ils se croiront autorisés à recourir à sa » générosité, afin que, le tout bien examiné, Elle puisse juger » ce qui pourrait leur être accordé en pension ou gratifica- » tion ou autre secours, en conciliant sa libéralité avec le » malheur des circonstances et la nécessité de ne pas sur- » charger ses autres Etats *. » Lecture faite de ce décret, le chef et président chargea le secrétaire L'Ortye de le mettre aux actes et, vu l'absence des conseillers Bara et Sola qui, d'après les instructions données par le ministre plénipotentiaire lors du départ de Ruremonde, se trouvaient à Keysersweert, le conseil ordonna au même secrétaire de leur envoyer une copie dudit décret et de les requérir d'en donner connaissance aux officiaux et aux autres employés du conseil qui se trouveraient dans la même ville. Il fut résolu, au surplus, qu'une copie de l'acte de dissolution du conseil serait remise à chacun des membres du corps pour information et direction. Le chef et président se chargea d'en- voyer lui-même celle destinée au conseiller baron de Barten- stein, qui venait de partir pour Munster 2. Le conseil privé était alors constitué comme suit : chef et président, De Fierlant; conseillers, de Le Vielleuze, de Berg, Petit-Jean De Prez, Pouppez, Bara, Sola et de Bartenstein ; secrétaires, Beaumont, L'Ortye et Vandeveld 3. Archives du conseil privé, reg. n° 304. Ibidem. Ibidem. m DEUXIEME PARTIE HISTOIRE INTERNE DU CONSEIL PRIVÉ CHAPITRE I. DU CHEF ET PRÉSIDENT. § 1. Origine de la place de chef et président. Longtemps avant l'établissement par Charles-Quint des conseils collatéraux, les souverains des Pays-Bas avaient eu un ministre principal pour les affaires d'État, de justice, de police et de grâce. Ce haut fonctionnaire était qualifié tantôt de chan- celier, tantôt de grand chancelier, de chancelier de Bourgogne, parfois de premier ministre ou de président de leurs conseils L Jean le Sauvage ou Le Sauvaige (Sylvagius), seigneur d'Escam- beeck, de Bierbeeck, etc., fut le dernier grand chancelier 2. Comme Charles-Quint se proposait de mener à sa suite ce dignitaire en Espagne, lors de son premier voyage dans ce pays, pour l'attacher à la direction supérieure des affaires des Pays-Bas, il nomma, par lettres patentes du 3 novembre 1516, Claude de Carondelet, seigneur de Solre-sur-Sambre, chef de son conseil privé, pour remplir, pendant l'absence du chan- celier, les fonctions attachées à cette dignité 3. 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Britz, Ancien droit belgique, t. I, pp. 428 et 430. 5 De Baecker, Organisation polit . de la Belgique, p. 22. ( 198 ) Au titre de grand chancelier de Bourgogne, qui fut sup- primé * en 1518, après la mort du seigneur d'Escambeeck, arrivée à Saragosse le 17 juin, on substitua celui de chef du conseil privé. Jean Caulier, seigneur d'Aigny, succéda à Claude de Caron- delet, le 1er juin 1518. 11 conserva la dignité de chef dans le conseil privé que Charles-Quint établit en 1520, au moment d'aller prendre possession de ses Etats d'Allemagne. Mais lorsque l'empereur, avant son second voyage en Espagne, institua en 1522 un nouveau conseil privé, le seigneur d'Aigny n'obtint dans ce corps que la présidence : la dignité de chef fut confiée à Jean de Carondelet, fils de Claude, seigneur de Champuans. Lorsque, en 1531, Charles-Quint institua les conseils colla- téraux, il établit encore deux ministres principaux à la tête du conseil privé, savoir : un chef et un président. Jean de Caron- 1 Gattinara, qui succéda à Jean le Sauvage, fut chancelier de l'Empe- reur pour les affaires de l'Empire et de tous ses États héréditaires en général, et non pas chancelier de Bourgogne en titre : il n'est en effet nommé ni connu sous cette dénomination dans aucun compte de la recette générale des Pays-Bas ni dans aucun autre acte authentique. Gattinara était donc une sorte de premier ministre de toute la monarchie avec le titre de grand chancelier, ainsi qu'on le voit au premier article d'un mémoire du cardinal de Granvelle, apostille à Augsbourg par l'Empereur le 5 mai 1551. .Nicolas Perrenot de Granvelle, père du cardinal, succéda en 4530 aux fonctions de Gattinara, excepté pour les sceaux de Castille et deNaples *, mais sans autre titre que celui de premier conseiller d'État et garde des sceaux. Son fils, le cardinal, le remplaça en 1551 avec le même titre, et l'on voit par le mémoire indiqué plus haut que l'Empereur lui donna la charge des affaires d'État, tant de l'Empire, d'Italie comme aussi du royaume d'Aragon et de ses dépendances, et la correspondance avec les ministres de l'Empereur à Rome, en France, en Angleterre, à Venise, a Gènes, etc., outre les affaires des Pays-Bas pour lesquelles son avis (Hait souvent demandé. * Dom P. L'Évêque, Mémoires pour servir à l'histoire du cardinal de Granvelte. Paris, 4753, t. f. n. W. ( 199 ) delct, archevêque de Palerme, fut confirmé dans sa place de chef, et Pierre Tayspil, président du conseil de Flandre, fut nommé président. Par cet arrangement et aux termes des lettres patentes qui leur furent expédiées, le chef était subrogé à toutes les fonctions du grand chancelier et le président à celles dont le chef avait été chargé avant la suppression de la dignité de chancelier 4. D'autre part, le président était un ministre substitué aux fonctions du chef pour suppléer à ses absences sur le même pied que le chef avait été substitué auparavant au chancelier de Bourgogne. Dans les actes officiels ou publics, on ne faisait même aucune mention du président, mais seulement des « chef et gens du conseil privé », parce que le président n'était chargé, en particulier, d'aucune fonction supérieure, sinon pendant les absences du chef 2. L'archevêque de Palerme et Pierre Tayspil ayant donné, en 1540, leur démission de chef et de président, l'empereur réunit les deux places dans la personne de Van Schore, con- seiller au grand conseil de Malines3; depuis, elles n'ont plus été séparées. « Et quoique, dit de Pape 4, la charge de chef incluoit celle » de président, elle a néanmoins été conférée dans la suite » sous les deux mots de chef et président pour donner à con- » noître que celle de président persistait dans une autre » personne, et ainsi le plus ancien du conseil suppléait sans » commission particulière le chef-président lorsque celui-ci » était absent ou empêché. » Les lettres patentes du chef et président étaient rédigées dans les mêmes termes que celles des grands chanceliers : elles lui donnaient « plein pouvoir, autorité et mandement spécial 1 Dewez, Histoire de Belgique, t. Vil, p. 333. - Archives de la chancellerie, D. 108. c. 5 Archives de la chancellerie, D. 108. c. — Archives du conseil privé, carton 465. * MS. 16044, p. 10, de la Bibliothèque royale. ( 200 ) » dudit estât doresnavant tenir et exercer, et de convoquer et » assembler ceulx dudit privé conseil, d'y proposer toutes » matières qui occurreront et sur icelles faire les ouvertures » qu'il verra appartenir, et demander les opinions de ceux » qui s'y trouveront, les conclure, arrêter et en faire faire les » dépèches, et de garder notre hauteur et seigneurie, notre » domaine et autres nos droits, de faire administrer justice à » tous ceux et celles qui la requerront, de faire expédier toutes » lettres et expéditions de justice et icelles et toutes aultres » lettres et commissions d'états offices et bénéfices, d'octrois, » de grâces et aultres qui seront délibérées et ordonnées, de » faire sceller du scel que pour ce lui avons donné en garde » et commis, et de au surplus faire tout ce entièrement que » bon et leal chef et président dudit conseil peut et doit faire » et qui y compète et appartienne. » Si l'on considère les termes de ces lettres patentes, si on les compare avec celles des anciens chanceliers de Bourgogne, si on réfléchit sur la succession suivie des chanceliers, des chefs, des présidents et enfin des chefs-présidents, toujours avec les mêmes droits, les mêmes prérogatives et les mêmes attribu- tions, on trouve que les chefs et présidents du conseil privé ont succédé aux anciens chanceliers, aux grands chanceliers de Bourgogne et que c'est toujours la même dignité sous un nom différent. § 2. Le chef et président dans le rouage gouvernemental. La position du chef et président dans le rouage gouverne- mental était aussi délicate qu'importante. Ce haut fonction- naire a toujours été le premier ministre de robe et le personnage choisi dans lequel les souverains des Pays-Bas mettaient la plus grande confiance pour tout ce qui concernait le gouvernement supérieur et politique des provinces. C'était un censeur et un œil veillant * pour noter les abus, pour les i Archives de la chancellerie, D. 2. g. ( 201 ) faire redresser et pour en informer le souverain ou le gouver- neur général, selon les exigences des cas. Vis-à-vis du gouverneur général, le chef cl président était, dit M. Poullet ', un censeur d'en bas, comme le conseil suprême et plus tard la chancellerie de cour et d'état étaient un censeur (Ven haut. Le chef et président devait veiller à ce que le gouverneur général ne dérogeât pas, à moins d'une autorisation expresse, aux lois organiques des institutions des Pays-Bas, ni qu'il se mît au-dessus d'elles, ni qu'il agît sans la participation des ressorts gouvernementaux dans les limites fixées par les instructions de ceux-ci 2. On doit remarquer toutefois que si le chef et président avait le droit absolu de résister au gouver- neur quand celui-ci méconnaissait les lois essentielles de l'Etat, il n'avait pas la faculté de le rappeler à l'observation de ses instructions secrètes. Celles-ci lui étaient étrangères; elles ne regardaient que le prince et son représentant 3. Ce contrôle qu'exerçait le chef et président sur les actes du gouverneur général fit naître bien souvent des querelles entre les représentants de ces deux dignités. « L'emploi de » chef-président pour un homme de conscience, de probité et » de résolution est souvent exposé, dit Wynants 4, à des dis- » grâces des gouverneurs. Ceux-ci les rencontrant en leur » chemin et les envisageant comme leur censeur, tâchent de » les discréditer auprès du prince et de ses ministres. L'exem- » pie du chef-président Roose, le plus grand, le plus habile et » le plus accrédité ministre qu'on ait eu en plus de cent ans » aux Pays-Bas. 11 fut débusqué et jubilé. On mit à sa place le » président Hovyne. » De leur côté, les chefs-présidents outrepassaient parfois les 1 Constitutions nationales, p. 246. 2 De Neny, ouvr. cité, t. II, p. 112. — Wynants, ms. 12294, ehap. V II, VI. — Gachard, Documents inédits, t. III, pp. 35 et suiv. 5 Poullet, Constitutions nationales, p. 237. i MS. 12294, p. 97, de la Bibliothèque royale. ( 202 ) limites assignées à leur autorité et étaient portés à se passer du gouverneur général. Le comte de Kônigsegg-Erps, qui remplit en 1743 les fonctions de gouverneur pendant l'absence du prince Charles de Lorraine, s'en plaignit à Marie-Thérèse. ce II fait, disait-il de Steenhault, nombre d'actes d'authorité de )> son chef de sorte qu'en quelque façon il n'exerce pas moins » de pouvoir que le gouverneur général lui-même, de certaine » façon même avec plus d'indépendance, puisque pour se » faire obéir le gouverneur général doit au moins faire contre- » signer ses ordres et a besoin pour la plupart des affaires de » la paraphe du chef du conseil, pendant que, pour un grand » nombre d'affaires, le chef-président n'a pas besoin ou ne » croit pas avoir besoin des ordres du représentant ni même » de lui rendre compte, et que pour d'autres affaires il envoie » sans consulte des despêches et décrets que de stile le repré- » sentant doit signer *. » § 3. Fonctions du chef et président nu conseil privé. Au chef et président exerçant l'autorité qui revient au chef de corps était attribuée la prééminence sur tous les conseillers et les fonctionnaires subalternes du conseil. Le chef-président personnifiait le conseil et résumait pour ainsi dire en sa personne toutes les idées du corps auquel il était préposé. En dehors des jours et des heures ordinaires d'assemblée, le chef et président pouvait convoquer extraordinairement le conseil à telle heure qu'il le trouvait convenable, chaque fois (ju'il jugeait que le service l'exigeait. Il lui appartenait, suivant ses patentes, « de proposer toutes » matières et affaires qui y surviendront, demander les opi- » nions, les ouïr et recueillir, conclure et arrêter ce qui aura » été mis en délibération, faire expédier les dépêches qui en » résultent ; garder les droits , souveraineté , hauteurs , » domaines et autres prééminences de Sa Majesté; dépêcher 1 Archives de la chancellerie, D. 14. g. ( 203 ) » toutes lettres, provisions, octrois et commissions d'états, » d'offices et de bénéfices et toutes autres sur lesquelles il » aura été délibéré et qui auront été ordonnées, ainsi que de » les faire sceller du scel de Sa Majesté à ce ordonné, dont il » aura la garde. » Suivant les instructions de 1531 et de 1540, le chef devait faire rapport verbal de jour à autre à la reine gouvernante des c< choses d'importance » qui se traiteraient en son absence au conseil « ensemble de l'avis d'iceluy pour par elle en » résoudre. » En 1632, lorsque certaines modifications furent apportées aux instructions de 1540, il fut décidé que ces rapports se feraient par écrit; mais en 1664, le roi enjoi- gnit au gouverneur général d'en revenir au rapport verbal *. Au XVIIIe siècle, cet usage fut de nouveau abandonné. Seul responsable devant le gouverneur général et le souve- rain, le chef-président devait parapher toutes les dépêches des conseils privé et d'État; les actes relatifs aux dignités ecclé- siastiques et séculières, aux bénéfices et aux magistratures; tous les placards dépêchés au nom du roi; les lettres de jus- tice, de rémission ou abolition de quelque crime, de rappel de ban ou autres grâces "2. 11 était défendu à l'audiencier et aux autres secrétaires du conseil de présenter les dépêches à la signature du gouverneur général, à moins qu'elles ne fussent « marquées )>, c'est-à-dire paraphées par le chef-président ou celui qui présidait en son absence 3. 1 « Mon Cousin, comme en l'an 163°2 a été apporté quelque change- ment ou tempérament au regard de l'observance du septième article des instructions du conseil privé ci-joint par copie, touchant les rapports à faire au gouverneur général par le chef ou celui qui présidera audit conseil de toutes choses d'importance qui se traiteront en son absence, j'ai bien voulu vous faire cette, vous ordonnant de faire observer ponc- tuellement le contenu dudit septième article selon sa forme et teneur, sans prendre égard audit tempérament. — Madrid . 23 juillet 1664. » (MS. 16044, p. 19, de la Bibliothèque royale.) 2 Registres Verds, n<> 359, fol. 193. •"> Registres Verds, n° 360, fol. 61 v°. ( 204 ) Il paraît qu'avant le règne de Charles-Quint nul paraphe n'était apposé aux dépêches ou autres expéditions du gouver- nement. L'usage en fut prescrit par les instructions des con- seils privé et d'État en 1531, mais il ne fut mis en pratique qu'à partir du traité d'Arras en 1579. La nécessité de l'emploi du paraphe avait été reconnue par les abus fréquents qui se produisaient en l'absence de tout signe d'authenticité sur les pièces officielles. 11 est à remarquer toutefois que l'usage du paraphe n'était introduit par le traité d'Arras qu'au conseil d'État i. Ce n'est que quelque temps après qu'il s'est pratiqué au conseil privé s. Il ne fut imposé au conseil des finances qu'en 1595, par les instructions données à l'archiduc Albert 3. Le chef-président seul pouvait recevoir les requêtes ou représentations qui s'adressaient au conseil, soit par des parti- culiers ou par les conseils des provinces, les états, les magis- trats et les autres administrations. C'était à lui aussi que se remettaient toutes les dépêches adressées au conseil par le souverain ou son gouverneur général, de même que les avis qui étaient demandés sur les requêtes. Le chef-président seul dirigeait l'instruction de toutes les affaires, à moins qu'il n'y rencontrât quelque difficulté et alors il consultait le conseil. En conséquence, c'était lui qui, 1 Par ce traité, il est stipulé, articles 16 et 17, qu'il y aura un conseil d'État et que par celui-ci seront expédiées toutes les affaires et matières à démêler avec les états des provinces comme il avait été fait au temps de l'empereur Charles-Quint et que « toutes dépesches seront paraphées au long de l'ung d'icelui conseil pour obvier aux inconvénients apper- ceuz. » 2 Archives du conseil privé, reg. n° 41 Ibis, fol. 170. 5 «... que l'ordonnance de tenir l'audience et sceler avec contre-rolle s'observe entre autres précisément et que toutes dépesches qu'aurez à signer provenantes de vostre charge et régence, soient veues et para- phées avant qu'elles vous soyent présentées, à scavoir celles procédans desdits conseils d'Estat et privé, par le chef ou celui qui présidera esdits consaux en son lieu et le premier en ordre d'iceux qui se trouveront estre en cour, » (Archives du conseil privé, registre aux consultes, n<> lllbis, fol. 170.) ( 203 ) sur les requêtes ou sur les affaires du service du souverain, demandait les avis et les éclaircissements convenables, suivant la nature et les circonstances de chaque affaire, soit des conseils de justice, des gouverneurs de province, des magistrats ou d'autres administrations, des évêques, des chapitres, etc. S'il jugeait que les affaires qu'on présentait au conseil n'étaient pas de la compétence du gouvernement, mais de nature à devoir être traitées en justice réglée devant les juges ordinaires, il les y renvoyait par une apostille sur les requêtes. Lorsqu'il jugeait que les affaires étaient instruites et en état de recevoir une décision, il les distribuait à l'un des conseil- lers qui, après les avoir examinées, en faisait rapport au con- seil; mais personne ne pouvait rapporter ni exposer aucune affaire au conseil sans la permission du chef et président. Le chef et président accordait seul les octrois pour disposer des fiefs par testament; les commissions d'arpenteurs, après que les candidats avaient été reconnus capables par des géomètres qu'il constituait en jury; les commissions de notaires qu'il faisait examiner auparavant par un commis- saire du conseil ; les lettres de restitution en entier; les lettres de cession, et enfin les lettres d'induction avec les restrictions prescrites par les articles 42 et 13 de l'édit du 4 juin 1759 '. 1 Placards de Brabant, t. IX, fol. 10. — Art. 12. Pour prévenir que Jes banqueroutes ne soient facilitées à ceux qui obtiennent des lettres d'induction par lesquelles la personne de l'impétrant est affranchie de tout arrêt pendant un mois, il ne sera accordé aucune lettre d'induction à moins que ceux qui les demandent n'aient joint à leur requête un état exact de leurs dettes et de leurs biens, affirmé sous serment par devant un de nos secrétaires, afin qu'on puisse préparatoirement juger par la balance de cet état si les biens sont suffisants pour faire face aux dettes. Art. 13. Nous voulons que dans l'état des dettes on distingue par une note particulière celles qui sont ajugées par sentence passée en force de chose jugée. ( 206 ) § 4. Fonctions du chef et président au conseil d'État. Les chefs-présidents du conseil privé ont toujours eu la pré- sidence et la direction des affaires au conseil d'Etat, à l'exclu- sion des princes et des autres seigneurs qui avaient entrée à cette assemblée. Si l'archevêque de Palerme, chef du conseil privé, et si le chef et président Van Schore n'ont pas reçu des patentes de président du conseil d'État, ils n'en étaient pas moins réputés et qualifiés comme tels. Dans ses patentes de conseiller au conseil privé, en qualité de garde des chartes de Flandre, du 12 octobre 1540, Charles Boisot fut chargé de prêter serment a es mains de Notre aimé et féal chevalier et président de Nos consaulx d'État et privé, messire Louis de Schore. » Le chef et président de Pape dit, dans un de ses mémoires *, qu'il a entre les mains quatre lettres originales de l'empereur Charles-Quint, des années 1541 et 1542, écrites à Schore, tou- chant la provision des bénéfices portés au rôle, dont la sus- cription porte: « A notre très cher et féal chevalier, chef et président de Nos consaulx d'État et privé, en nos pays d'embas, messire Louis Schore. » Il est si vrai que Schore était réellement président d'un con- seil d'Etat, qu'après sa mort, en 1548, l'empereur jugea qu'il fallait nommer quelque personnage à part pour les affaires d'Etat et les détacher du département du chef et président du conseil privé. En conséquence, par lettres patentes du 1er jan- vier 1549 2, Charles-Quint donna la place de président du con- seil d'État à Jean de Saint-Mauris, conseiller au grand conseil de Malines, parce que, dit-il, « il convenoit de nommer quel- )> qu'un pour avoir la principale maniance des affaires d'estat » aux Pays-Bas, et aussi entrevenir aux finances comme faisoit » le feu président Schore. » 1 MS. 16044, p. 9, de la Bibliothèque royale. 2 Papiers de Roose, t. LXXX, fol. 96. ( 207 ) Par lettres patentes de la même date, Viglius fut fait chef et président du conseil privé a la place de Schore, de sorte que celui-ci eut deux successeurs différents qui le remplacèrent simultanément dans les deux départements qu'il avait réunis. Charles-Quint tit en même temps émaner un règlement pour la répartition des fonctions du chef et président Schore entre le président du conseil d'État, Saint-Mauris, et le chef-prési- dent du conseil privé, Viglius. Il résulte de ce règlement que Saint-Mauris eut dans ses attributions, avec le litre de prési- dent du conseil d'État, les affaires d'État et des finances et la garde du scel particulier pour les finances; que les affaires de justice et de chancellerie ainsi que la garde des sceaux ordi- naires furent assignées à Viglius; qu'au conseil d'État, Viglius devait céder le pas a Saint-Mauris, mais qu'il le prenait sur Saint-Mauris quand celui-ci assistait au conseil privé t. En 1554, Saint-Mauris obtint la démission de sa place ; Viglius fut alors aussi chargé de la présidence du conseil d'État, comme l'avait été Schore *. En 4569, Viglius fut déchargé, à sa demande, des fonctions de chef et de président, mais à condition qu'il accepterait de servir le roi en la charge de président d'État : c'est ainsi que s'expriment ses patentes de président du conseil d'État du 9 sep- tembre de cette année. Philippe II lui fit part de cet arrange- ment par une lettre des plus gracieuse et nomma en même temps Charles deTisnacq chef et président 3. Viglius se soumit, quoique avec regret, à la volonté du roi. Voici comment il s'explique dans une lettre du 9 février 1570 au garde des sceaux J. Hopperus 4. « Ni les pieds, ni les mains, ni la langue ne me » permettent plus de remplir convenablement les fonctions qui furent autrefois attribuées à Saint-Mauris lors de la répar- » lition de l'emploi de président : mais puisque Sa Majesté m'écrit 1 De Neny, Mémoire sur le conseil privé. 2 Papiers de Roose, t. LXXX, fol. 94. 5 Archives restituées par l'Autriche en 1856, liasse xxv. 4 Hoynck, Analecta belgica, t. II, p. 469. ( 208 ) » si honorablement et avec tant de bénignité pour m'engager o à m'en charger, et qu'elle m'a donné Tisnacq pour aide, je » ferai ce que je pourrai. » Tout cela prouve bien qu'on regardait la présidence du con- seil d'Etat comme essentiellement attachée à la place de chef et président du conseil privé, et que, lorsque la première était remplie en titre, en vertu de provisions particulières, cet arran- gement était envisagé comme une distraction, un démembre- ment de la place de chef et président. Du reste, il n'y a jamais eu que deux présidents du conseil d'État en titre, en vertu de provisions spéciales, savoir : Saint-Mauris et Viglius; le conseil d'État de ce temps-là était chargé des grandes et importantes affaires. Les instructions données à différentes époques au conseil d'État prouvent d'ailleurs que le chef et président du conseil privé avait au conseil d'État la préséance, c'est-à-dire le pas et le rang sur tous les autres conseillers de ce conseil ainsi que la semonce et la direction des affaires qui s'y traitaient : « Ledit » archevêque de Palerme, chef du conseil privé, proposera les » affaires et demandera les opinions et dira la sienne, remet- » tant la résolution à la reine *. » — « Que lesdites matières » et affaires se proposent par ledit archevêque comme des- » sus 2. » — « Que les matières et affaires se proposent par le » lieutenant gouverneur ou à son commandement par le chef » et président du conseil privé 3. » — Les instructions de 1580, alors que l'état de chef- président était vacant, portent ces mots : « Que lesdites matières et affaires se proposent par ledit » Prince ou à son commandement par celui du conseil d'État » de longue robe que pour maintenant il jugera le plus à » propos 4. » — Celles données en 1595, quand il n'y avait pas non plus de chef et président, disent : « Que les matières 1 Instructions de 1531, art. 1er. 2 Idem, art. 7. 3 Instructions de 1540, 1555 et 1559. 1 Archives du conseil d'État, carton intitulé Consaux. ( 209 ) » se proposeront par l'archiduc ou à son commandement par » celui qui présidera. » Dans les instructions particulières données la même année (1595) à l'archiduc Albert, il est dit : « Que toutes les dépêches » qu'aurez à signer provenant de votre dite charge et régence » soient vues, paraphées et marquées avant qu'elles vous soient » présentées, à scavoir, celles procédant des conseils d'État et » privé par le chef ou celui qui présidera en son lieu. » Cette clause se trouve aussi dans les instructions du comte de Monterey et dans celles de ses successeurs. D'ailleurs Philippe II, en nommant Pamèle chef-président du conseil privé (20 février 1581), fit savoir au prince de Parme, par lettre du 3 avril suivant *, « que la préséance, la » maniance et la direction de toutes les affaires du conseil » d'État appartenaient au chef et président du conseil privé. » Cette déclaration, le roi la confirma par lettre du 27 septembre suivant, adressée au gouverneur général. Cependant, à l'occasion de la nomination de Pamèle, le con- seiller d'Assonleville, qui était le plus ancien conseiller d'État, demanda au roi, par lettre du 3 janvier 1582, le rétablissement de la charge de président du conseil d'État et en même temps il priait Philippe II de l'en pourvoir. Par lettre du 19 mars, le roi lui répondit ce qu'il ne trouvait pas à propos de rétablir » cette charge et que son intention était que les affaires de son » service fussent conduites comme elles l'avaient été du temps » de Viglius lorsqu'il était chef et président du conseil privé » avant l'arrivée de Tisnacq ; que par conséquent il était juste » que Pamèle, succédant dans la même charge, en obtînt tout » ce qui en dépendait, y compris la maniance et la direction » des affaires au conseil d'État. » Cependant, au XVIIe siècle, des conflits s'élevèrent pour la pré- sidence au conseil d'État. Le premier se produisit à l'avènement de Roose à la dignité de chef et président (9 août 1632) : le chancelier Boischot, doyen du conseil d'État, contesta, mais en * Archives du conseil d'État, carton 312. Tome LU. 14 ( 210 ) vain, au chef et président, le droit de présider à ce conseil i. Le second eut lieu lorsque Jean de Pape eut été fait chef-président en décembre 1671 et conseiller d'État par d'autres patentes du même mois. Les conseillers d'État plus anciens que lui refu- sèrent non seulement de lui céder le rang et la préséance dans ce conseil, mais aussi de reconnaître en lui le droit de diriger les affaires, de présider et de semoncer. Ils soutenaient que ces prérogatives appartenaient essentiellement au plus ancien con- seiller, excepté dans les cas où le souverain aurait trouvé bon d'en disposer autrement en dérogeant à cette règle par une- attribution spéciale, expresse et claire. Et c'est au moyen de cette restriction qu'ils prétendaient expliquer les articles des instructions successives des gouverneurs généraux et du con- seil d'État (que nous avons énumérés plus haut) que citait de Pape, et dont il inférait que les prérogatives contestées avaient été attachées constamment et de tout temps à la place de chef et président. La jalousie des conseillers d'État sur la promotion rapide de de Pape paraît aussi avoir eu quelque influence sur leurs pré- tentions et sur la vivacité avec laquelle ils les soutinrent, car ils insinuèrent dans un de leurs mémoires « qu'il serait bien » désagréable aux anciens conseillers d'État de se voir précéder » par M. de Pape, lui qui n'avait été que quinze mois en » Espagne (conseiller au conseil suprême des Pays-Bas), y » compris l'aller et le retour et n'avait été rien auparavant au » service du roi que conseiller fiscal de Brabant pendant qua- » torze ans : car qu'on devait compter pour rien le peu d'an- » nées qu'il avait été substitut du procureur général de Bra- » bant, puisqu'il avait quitté ce poste pour servir la ville de » Bruxelles en qualité de pensionnaire. » Cette contestation fut instruite par des mémoires très volu- mineux de part et d'autre 2; l'affaire ayant été portée à la 1 Papiers de Roose, t. LXXX, fol. 96. 2 Voir, entre autres, les consultes du conseil d'État des 4 mai, 9 juin, 9 août, 1er, 15 et 19 octobre, 20 et 22 novembre 1672, 10 juillet 1673. — MS. 16045, p. 451, de la Bibliothèque royale. — Archives du conseil d'État, carton 312. ( 211 ) connaissance de la reine, mère de Charles II, régente de la monarchie espagnole, cette princesse décida la question en faveur du chef et président par une dépêche en date du 22 novembre 1G73, adressée au comte de Monterey, gouverneur général des Pays-Bas, dans laquelle il est dit que « n'ayant » président au conseil d'Estat avec titre particulier, celuy qui » l'est et sera à l'advenir du conseil privé, estant conseiller en » iceluy d'Estat, ayt la préséance audit conseil d'Estat et la » maniance et direction des affaires qui s'y traitteront 4. » Ces dispositions s'exécutèrent dès lors sans nouvelle contes- tation. Le chef-président prit toujours le pas sur tous les con- seillers d'État plus anciens que lui ; c'est à lui qu'on remettait les dépêches du souverain ou du gouverneur général adressées au conseil ; c'est lui qui distribuait les affaires dans les réunions de ce corps, qui les proposait, les mettait en délibération; qui semonçait et demandait les opinions; qui paraphait les délibé- rations ainsi que les dépêches qui en résultaient 2. En un mot donc, le chef et président du conseil privé rem- plissait toutes les fonctions de président du conseil d'État, quand il n'y avait pas de président en titre. Toutefois, il ne jouissait pas de la prérogative d'avoir un fauteuil dans l'assem- blée du conseil, cette distinction ayant été de tout temps réservée au gouverneur général quand il jugeait à propos d'y assister 3. Pendant le XVIIIe siècle, les chefs et présidents du conseil privé continuèrent de présider au conseil d'État et d'y avoir la direction des affaires en l'absence du gouverneur général. Le diplôme de 172o, rétablissant les conseils collatéraux, ne fait cependant pas mention de cette prérogative; telle était néan- moins la volonté de l'empereur Charles VI, car dans les instructions à l'archiduchesse Marie-Elisabeth du 1er septem- bre 1725 4, il chargea cette princesse « de mettre les lettres, 1 Registres Verds, t. II, fol. 86 v° et 214. 2 De Neny, Mémoire sur le conseil privé. 3 Archives de la chancellerie, D. 108. c. * Chap. II, art. 12. ( 212 ) » requêtes et autres papiers es mains du président du conseil » privé, qui, dit l'Empereur, l'est de celui d'État, pour en faire » rapport, les distribuer et les envoyer où il appartiendra, et » avoir la direction et faire relation es dits conseils ». § 5. Autorité du chef et président au conseil des finances. On peut voir dans les anciennes instructions des finances, et spécialement dans celles de 1447, 1457 et 1467, quelle était, dans cette partie, l'autorité du chancelier de Bourgogne, représenté plus tard, après la suppression de cette dignité, par le chef et président. Le chef-président avait toujours entrée au conseil des finances dans tous les cas qui pouvaient concerner son minis- tère. Ceux des tinances devaient même requérir sa présence au conseil pour vider les affaires importantes ou difficiles K Il résulte de l'article 21 des instructions des finances du 1er octobre 1531, que le premier chambellan intervenait au conseil des finances pour les sommes que l'Empereur tirait des caisses des receveurs de ses finances « pour être employées en » ses affaires secrètes et menus plaisirs » ; mais le premier chambellan fut omis dans les instructions données au même conseil le 12 octobre 1540 2, où il est dit, article 3 : « En la » chambre des finances auront entrée, outre les membres » ordinaires, le chef et président et nuls autres. » Le grand chambellan remplissait autrefois de pareilles fonctions en France : il se mêlait du maniement des finances, donnait les récompenses annuelles aux soldats, faisait les présents aux ambassadeurs, et c'était à lui de porter l'argent du roi pour ses libéralités journalières et les autres dépenses 1 Instructions du conseil des finances de 1531, art. 3 et 23; de 1540, art. 22; de 1545, art. 52. 2 Registre de la chambre des comptes, n° 138, fol. 315 v°. ( 213 ) nécessaires l. Au XVIIIe siècle, ces dépenses étaient du ressort des quatre premiers gentilshommes de la chambre, chacun dans son année d'exercice 2. D'après l'article 4 des instructions de 1531 et de 1540, l'ar- ticle 6 de celles de 1545 et l'article 8 de celles de 1733, ceux des finances étaient autorisés de connaître, avec le chef-pré- sident, des tonlieux et parties du domaine royal, sommaire- ment et sans figure de procès ordinaire. Toutes les affaires de finances où pouvaient se rencontrer des considérations d'État ou des matières de justice et de police, devaient être communiquées au chef-président par le trésorier général 3. Le chef-président avait le droit de voir et de visiter tous les comptes rendus comme toutes les lettres adressées à la chambre des comptes 4. Si des plaintes pour malversations étaient faites à charge d'un officier des comptes et des recettes, le chef-président avait le devoir de l'entendre, soit à part ou en conseil, et au besoin de le punir, soit pécuniairement, soit à la poursuite du procureur général, selon l'exigence du cas». Il était statué par l'article 61 des instructions de la chambre des comptes de Flandre du 5 octobre 1541, ainsi que par l'ar- ticle 55 de celles de la chambre des comptes de Brabant du 28 mai delà même année, que dans le cas où un officier de la chambre des comptes aurait, dans l'audition des comptes, de propos délibéré et par malice, fait une faute « tellement, dit » l'Empereur, que la punition dût appartenir à nous ou à notre » chancelier ou chef du conseil, lesdits gens de comptes le » feront savoir secrètement, de bouche ou par lettres à nous * État de ta France par tes Bénédictins, éd. de 4749, t. I, p. 223. 2 Idem, p. 237. s Édit de 1725, art. 19. 1 Instructions de la chambre des comptes de Brabant de 1541, art. 42. — Id. de la chambre des comptes de Flandre, art. 58. 5 Instructions du conseil des finances de 1541, art. 49; de 1540, art. 51; de 1545, art. 84. ( 214 ) » ou à notre dit chancelier ou chef du conseil pour y être » pourvu à notre bon plaisir *. » Suivant le règlement des archiducs de 1618 sur la concession et l'expédition des octrois, il y avait nombre d'octrois du département du conseil des finances à l'égard desquels ceux des finances devaient en communiquer avec le chef et président du conseil privé 2. Le chef et président avait seul un fauteuil au conseil des finances; les membres du conseil, sans en excepter le tréso- rier général qui en était le président, étaient assis sur des chaises. Tous étaient placés aux deux côtés d'une table longue, sans que personne occupât le haut bout, pas même le chef- président. Lorsqu'il y avait des chefs des finances, ils avaient aussi droit à un fauteuil au conseil ; mais cette dignité de chef ayant été supprimée à la mort du comte d'Isenbourg, premier chef des finances, décédé le 29 mai 1661, il n'y eut plus, dans la salle du conseil, qu'un seul fauteuil tourné contre la muraille et qu'on plaçait à la table pour le chef et président lorsqu'il assistait à la séance. De Neny nous apprend qu'au XVIIIe siècle le chef-président ne se rendait guère en finances que lorsqu'il s'agissait de délibérer, avec les conseillers d'État de robe, sur le consente- ment des aides et subsides accordés par les états des provinces. Dans ces assemblées, c'était le chet et président qui demandait les opinions, les recueillait et concluait. En un mot, il y prési- dait comme aux conseils privé et d'Etat. Bien plus, quoiqu'il fût dit (article 18 des instructions du conseil des finances du 28 janvier 1733) que « lorsqu'il s'agira de traiter en finances » des subsides, le trésorier général fera avertir en la forme 1 II avait déjà été statué, par une constitution de Philippe le Bon du 9 février 1432, que la connaissance judiciaire, correction et punition sur le corps de la chambre des comptes de Lille, appartiendrait au duc ou à son chancelier, chef de sa justice. 2 Voir aussi les instructions du conseil des finances de 1733, art. 46, 47, 49 et 50. ( 218 ) » accoutumée les conseillers d'État de robe à l'effet de s'y » rendre », cependant la chose ne se pratiquait pas ainsi, mais conformément à ce qui était statué pour des cas de la même nature par l'article 23 des instructions du conseil des finances de 1531, l'article 22 de celles de 1540 et l'article 52 de celles de 1545 : le trésorier général envoyait au chef-président un greffier du conseil des finances pour le prier de faire convo- quer, pour tel jour indiqué et pour telle affaire qu'il désignait, les conseillers d'État en finances t. § 6. Le chef et président, garde des sceaux. L'anneau ou scel royal a toujours été regardé chez la plupart des nations comme un attribut essentiel de la royauté, et la garde et l'apposition de ce scel comme une fonction des plus importantes. Aux Pays-Bas, la garde des sceaux appartenait autrefois aux chanceliers de Bourgogne. Après leur suppression, elle a été attachée à la dignité de chef et président. Cette prérogative, tous les chefs et présidents l'ont tenue, comme les chanceliers d'ailleurs, de par leurs patentes et non par provisions parti- culières. Dans les lettres patentes du 19 octobre 1520 portant l'éta- blissement d'un conseil privé, on voit la disposition suivante par rapport aux sceaux : « Notre dite Dame gardera nos sceaux » lesquels elle fera délivrer au seigneur d'Aigny comme chef » pour sceller les lettres et provisions, après quoi, les sceaux » seront rendus à notre dite Dame et Tante. » Mais c'était un arrangement particulier pour ce moment où la place de chan- celier de Bourgogne n'était vacante que depuis peu de temps. Peut-être l'Empereur ne setait-il pas encore décidé sur la suppression absolue de cette place ni sur l'exercice des fonc- tions qui en dépendaient. Les sceaux des Pays Bas consistaient dans le grand sceau et 1 De Neny, Mémoire sur le conseil privé. ( 216) dans le contrescel qui s'appliquait derrière le premier. Le grand sceau représentait le souverain assis sur un trône. A la droite se trouvaient les armes de la monarchie et à la gauche les armoiries pleines du souverain. Le contrescel représentait encore les armoiries pleines du souverain. Le chef et président, en sa qualité de garde des sceaux, pouvait porter derrière ses armes la représentation des sceaux, par deux masses couronnées passées en sautoir *. Toutes les expéditions sur parchemin qui avaient la forme de lettres patentes, devaient être scellées des sceaux dont le chef et président avait la garde, soit qu'elles fussent du département du conseil d'État, de celui du conseil privé ou de celui des finances. Aucun de ces conseils, en effet, n'avait un sceau, mais seule- ment un cachet portant l'empreinte des armes du souverain. On s'en servait pour cacheter les lettres et souvent on imprimait ces cachets sur du pain à chanter au bas des décrets couchés sur les requêtes ou expédiés en forme d'actes ouverts. Au conseil des finances, il y avait de plus un cachet particulier en or, nommé le signet des finances, qui devait être appliqué en pain à chanter sur les lettres de décharge, c'est-à-dire sur les quittances vérifiées, expédiées en parchemin, que donnait le receveur général des finances soit aux receveurs particuliers qui versaient des fonds dans la caisse, soit aux états des pro- vinces qui payaient leurs subsides, ou à d'autres qui remettaient des fonds au bureau de la recette générale. On voit par les anciennes instructions du conseil des finances, nommément celles données par Charles-Quint, ainsi que par les instruc- tions des gouverneurs généraux, qu'autrefois le souverain tenait lui-même le signet ou en confiait la garde à celui qui, pendant son absence, exerçait son autorité suprême. Mais plus tard, la garde du signet appartint au trésorier général. Les gouverneurs généraux étaient autorisés par leurs instructions à le lui confier. 4 Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 217 ) Selon les instructions de 1531 et de 1540, l'apposition des sceaux devait se faire ordinairement deux fois la semaine. De Neny nous apprend qu'il tenait toujours les sceaux le samedi *. Assistaient à l'apposition des sceaux, les officiers du sceau, c'est-à-dire l'audiencier, le receveur, le contrôleur et le chauffe-cire. Par un usage ancien, le secrétaire du chef-prési- dent, qui présentait à son paraphe les expéditions à revêtir du sceau, était aussi réputé officier du sceau et jouissait, en vertu d'un tarif décrété par le gouvernement, des mêmes émolu- ments que les officiers ordinaires. 11 y avait de plus un mes- sager du souverain, portant la livrée de Bourgogne, qui était particulièrement attaché au service du sceau. Le chef et président était en droit de faire intervenir à la sigillature deux conseillers du conseil privé; mais on voit par les observations du conseil du 1er mai 1632, sur les instructions de 1540, que cela ne se pratiquait plus dès lors; et le roi Philippe IV déclara par sa résolution datée de Barcelone, le 12 mai de la même année, « qu'il se contentait que la sigillature » se fît, comme de toute mémoire d'homme, par le chef et » président, sans intervention de maîtres des requêtes ; que » si néanmoins le président trouvait convenir au service de Sa » Majesté de sceller en présence de conseillers ou maîtres des » requêtes, ou de faire visiter les dépêches par lesdits con- » seillers ou aucun d'iceux auparavant de les sceller, il y sera » obéi. » La garde du sceau était un emploi inhérent à la personne de celui que le souverain en avait revêtu et dont les fonctions ne pouvaient être transmises à un autre sans une permission spéciale du souverain. Dans les temps anciens, lorsqu'il y avait à la fois un chan- celier de Bourgogne et un chef du conseil, celui-ci, qui pen- dant les absences du chancelier en remplissait toutes les fonc- tions, n'avait pas, par ses patentes, l'attribution particulière de la garde des sceaux pendant ces absences. Il y eut, à cet 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 218 ) égard, une disposition différente dans la constitution du gou- vernement de 1531. Jean de Carondelet fut établi chef du con- seil privé et Pierre Tayspil, président, avec pouvoir de remplir toutes les fonctions du chef pendant ses absences, et nommé- ment de « garder et tenir le scel de l'Empereur et en sceller » les dépêches. » Mais c'était là un arrangement particulier qui vint à cesser en 1540, par la réunion des places de chef et de président dans la personne de Louis Schore. Il est si certain que la garde des sceaux était essentiellement inhérente à la dignité de chef et président, sans pouvoir être transmise à un autre, que Viglius se plaint plusieurs fois dans ses lettres à Hopperus, et principalement dans celles où il insiste sur sa démission i, que la garde des sceaux l'attachait absolument à la cour sans lui permettre de s'absenter. C'est pourquoi il proposa à Hopperus, dans une lettre du 26 mai 1568, que si le roi ne voulait pas lui accorder la démission de sa place de chef et président, il plût au moins à S. M. de nommer un vice-président à qui il pût remettre les sceaux pendant son absence. Le chef et président Tisnacq étant mort en 1573, la garde des sceaux ne passa pas au doyen du conseil, comme une attri- bution particulière, mais le duc d'Albe obligea Viglius, alors président du conseil d'Etat, à s'en charger provisionnellement. Viglius accepta cette commission « pour ne pas s'exposer à » l'implacable indignation de ce gouverneur 2 », et il dut la garder jusqu'à ce que Sasbout eût été nommé chef-président, en décembre 1575. Tout cela prouve bien que le chef et président ne pouvait pas, pendant ses absences, remettre les sceaux soit au doyen du conseil privé, soit à un autre, et qu'à la mort d'un chef- président les sceaux ne passaient pas nécessairement au doyen du conseil. 1 Hoynck, Analecta belgica, t. II, pp. 375 et 477. — Lettres du 15 sep- tembre 1566 et du 26 mai 1568. 2 Hoynck, Analecta belgica, t. II, p. 740. — Lettre à Hopperus du 8 mai 1573. ( 219 ) Cependant, au XVIIIe siècle, il était d'usage que les sceaux fussent remis au doyen du conseil privé, dans les cas d'absence ou de mort du chef et président, sans qu'il fallût pour cela une commission particulière. Cet usage s'était déjà introduit en 1632, car le conseil privé dit, dans ses observations de cette année sur ses instructions, que l'article 2 s'observait, sauf que la sigillature se faisait par le chef-président ou par le premier conseiller en son absence. Mais il est à remarquer que le roi déclara simplement, par sa décision sur ces observations, « qu'il se contentait que la sigillature se fît par le chef-pré- » sident », sans ajouter que pendant les absences du chef cette fonction pouvait être remplie par le premier conseiller. En général , les ministres chargés de la garde des sceaux ne pouvaient être trop attentifs à n'en pas faire un mauvais usage. Leur fidélité, leur réputation, leur gloire y étaient intéressées, et l'histoire présente nombre d'exemples où des ministres ont cru donner une preuve éclatante de leur fidélité, de leur zèle et de leur attachement en s'excusant d'obéir à leur souverain même dans des cas où leur volonté paraissait ne pas s'accorder avec l'intérêt de l'État i. Nous dirons à la louange de nos chefs- présidents que la garde des sceaux fut toujours, entre leurs mains, un dépôt sacré. Lorsque les intrigues des seigneurs eurent obligé Philippe II à éloigner des Pays-Bas le cardinal de Granvelle, toutes les grâces devinrent vénales et on accorda une quantité de lote- ries, de tables de prêt, de sauf-conduits, de sûretés de corps et d'autres diplômes de cette espèce. Armenteros, secrétaire par- ticulier de la duchesse de Parme, eut la réputation d'avoir tiré beaucoup d'argent de ces sortes de grâces que le chef et prési- dent Viglius refusa souvent de sceller, ce qui fit qu'on imagina plusieurs artifices pour éluder l'autorité du sceau °2. 1 Voir, entre autres exemples, Anonymi sed veteris et fidi chronicon ducum Brabantiae, p. 175 (Leyde, 1707). — De Thou, Histoire univers., année 1561. —Mémoires de Commines, t. IV, p. 99, éd. de Bruxelles, 1723. 2 Hoynck, Analecta belgica, 1. 1, p. 38, art. 84; t. II, p. 375. ( 220 ) Le chef et président devait veiller attentivement à ce que les pièces présentées au sceau fussent dans les conditions voulues par les lois, les institutions, les règlements, etc. Nous voyons qu'il est arrivé plusieurs fois à de Neny de ne sceller des patentes qu'après y avoir introduit des modifica- tions 4. Il en a même maintes fois renvoyé au conseil des finances, soit parce qu'elles n'étaient pas du département de ce conseil, soit parce qu'il y trouvait des vices de forme. Suivant les instructions du conseil des finances, il était nombre d'objets dont nos souverains avaient réservé la dispo- sition à leurs personnes. Pour ne parler que de ce qui se trouve à cet égard dans les instructions de 1733, nous ferons observer que, par l'article34, l'Empereur réservait à sa personne la concession des privilèges perpétuels aux états, villes, com- munautés, seigneurs des lieux et autres particuliers, de même les rémissions du crime de lèse- majesté et d'autres d'égale importance; par l'article 168, il interdisait toute aliénation, vente et engagement de ses domaines, comme aussi l'augmen- tation des engagères des parties domaniales, même si elles se trouvaient engagées à un prix nullement proportionné à leur valeur, Sa Majesté réservant tous ces objets à sa disposition ; par l'article 170, il se réservait de permettre « la rédemption des petits droits censaux irrédimibles », faisant partie des domaines ; par l'article 177, il déclarait la même chose par rapport aux coupes extraordinaires des bois qui, disait-il, doivent être tenues pour aliénation. 1 Ainsi, ayant remarqué dans les patentes de capitaine et prévôt de Virton, expédiées au conseil des finances en faveur du comte de l'Épine de la Claireau, que cet officier était chargé de prêter son serment entre les mains du baron de Gemmingen, commandant de Luxembourg, et non du gouverneur de la province, de Neny fit coucher sur le pli des patentes la note suivante : « Ces lettres patentes ont été par Nous paraphées et scellées, au jour des sceaux tenu extraordinairement le vendredi 1er août 1760; bien entendu néanmoins que le comte de l'Épine, au lieu du ser- ment qu'il est chargé de prêter entre les mains du commandant de Luxembourg, le prêtera entre celles du président du conseil de la pro- vince. » — Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 221 ) En général, le chef et président ne pouvait sceller aucune expédition réservée à la disposition du souverain, car comme le mandement qui se trouve a la fin des instructions était nom- mément adressé au chef et président, « avec ordre de les » observer et les faire observer en tous leurs points et articles, » sans y contrevenir en manière quelconque », il s'ensuit que dans tout ce qui regardait son ministère, particulièrement en sa qualité de garde des sceaux, il ne lui était pas permis de concourir à la moindre contravention ou dérogation aux mêmes instructions, à moins d'un ordre exprès du souverain envers lequel il aurait été responsable d'avoir abusé de sa place i . C'est conformément à ces principes que, par les instructions de 1725 de l'archiduchesse Marie-Elisabeth en qualité de gou- vernante générale, l'Empereur avertit cette princesse - « que » le succès des opérations dépendra beaucoup de l'usage et » bonne direction des sceaux que le chef-président du conseil » privé a entre les mains, et à cette fin, ajoute l'Empereur, )) vous ordonnerez et disposerez les affaires de telle manière » que toutes celles qui seront de quelque considération, soient » expédiées sur le pied des instructions et de l'usage ancien » sous lesdits sceaux, afin que mon dit président en soit aussi » informé et qu'il puisse vous avertir des dépêches qui pourraient » être contraires à mes ordres et audit usage ou en quelque » manière préjudiciables à mon service. » Les sceaux dont le chef-président avait la garde servaient pour toutes les provinces des Pays-Bas, excepté celles de Brabant et de Limbourg, pour lesquelles, en conséquence de l'article 4 de la Joyeuse Entrée, il y avait un sceau particulier dont le chancelier de Brabant avait la garde. Le duc d'Albe, irrité du recours que la comtesse d'Egmont avait pris au conseil de Bra- bant à l'occasion du procès de son mari, qui s'instruisait devant le conseil des troubles, ordonna que dans le cas de lèse- 1 Opinion de de Neny (Archives de la chancellerie, D. 108. c). 2 Chap. II, art. 13. ( 222 ) majesté on se servît des sceaux qui étaient à la garde du chef- président, et cela sur le fondement « que dans les crimes de )> lèse-majesté tout privilège cessait *. » A l'avènement au trône d'un nouveau souverain, on faisait graver de nouveaux sceaux. Ceux du souverain défunt appar- tenaient au chef-président qui les faisait briser 2. § 7. Serments prêtés et reçus par les chefs et présidents. Jean le Sauvage prêta son serment en 1515, en qualité de chancelier de Bourgogne, entre les mains de l'archiduc Charles, son souverain. Claude de Carondelet le prêta en qualité de chef du conseil privé entre les mains du chancelier de Bour- gogne. Pierre Tayspil, nommé président du conseil privé en 1531, prêta son serment le 24 novembre de la même année entre les mains du chef, l'archevêque de Palerme, en présence de l'Empereur. Louis de Schore, ayant été fait chef et prési- dent, fut chargé par ses lettres patentes du 10 octobre 15i0 de faire son serment entre les mains de l'Empereur; il le prêta en effet le lendemain, 11 octobre. Enfin, Viglius fut chargé par ses lettres patentes du 1er janvier 1549 de faire son serment entre les mains de Marie de Hongrie, gouvernante des Pays- Bas; mais il est à remarquer que l'Empereur se trouvait alors en Allemagne. Depuis lors, il n'y a pas eu de chef et président établi pen- dant la résidence de nos souverains dans les Pays-Bas, excepté Englebert Maes, sous le règne des archiducs, en 1614. On n'a pas ses patentes, mais il n'est pas douteux, dit de Neny3, qu'il ait prêté le serment à titre de cette dignité entre les mains des archiducs mêmes. Mais dans la suite, les chefs et présidents 1 Hoynck, Analecta belgica, t. II, p. 400 (Lettre de Viglius à Hopperus du 3 février 1567 (v. st.). — Idem, ibid., p. 410. 2 En France, on donnait au chauffe-cire les sceaux rompus du roi défunt. 5 Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 223 ) ont toujours prêté leur serment entre les mains du gouver- neur général * . En France, tous les magistrats et les officiers principaux du roi, nommément les gouverneurs particuliers de toutes les villes du royaume, prêtaient leur serment entre les mains de celui qui avait la garde des sceaux. Il n'en était pas ainsi dans les Pays-Bas. Le gouverneur général ou le ministre plénipoten- tiaire recevait le serment des principaux officiers. Le chef et président ne recevait le serment des membres du conseil privé qu'avec l'autorisation du gouverneur général ou du ministre plénipotentiaire 2. Les membres des conseils de justice satis- faisaient à cette obligation entre les mains de leur chef respec- tif. Le prévôt de l'hôtel 3, les présidents des conseils de justice, excepté le président de grand conseil et le chancelier du con- seil de Brabant, prêtaient leur serment entre les mains du chef et président. § 8. Offices et bénéfices à la collation du chef et président. En France et en Angleterre, le chancelier ou celui qui tenait les sceaux avait la collation de plusieurs offices ou bénéfices. Les provisions de quelques-uns s'expédiaient au nom du roi, d'autres au nom du collateur, sous sa signature et son sceau. Aux Pays-Bas, il appartenait aussi au chef et président du conseil privé de disposer de plusieurs offices et bénéfices dont les provisions s'expédiaient sous le nom du souverain. Avant la mort de Charles II, le chef et président disposait du bénéfice des chapelles «castrâtes», tel que celui du château Samson, au comté de Namur, et des chapelles royales fondées dans la ville de Mons; et l'on voit dans les archives 4 que les 1 Registres Verds, n° 361, fol. 171. 2 Registres Verds, n° 361, fol. 171. — Archives de la chancellerie, D. 14. s. 3 Archives de la chancellerie, H. 411. * Archives de la chancellerie, D. 108. c. — MS. 16044, p. 162, de la Bibliothèque royale. ( 224 ) expéditions pour ces bénéfices étaient faites sur un simple ordre du chef et président, sans qu'il y fût fait mention de la délibération du gouverneur général. Il disposait également de plusieurs bénéfices de patronage royal, ainsi que de ceux dont la collation était dévolue au souverain pendant la guerre, à titre de confiscation du droit de patronage appartenant aux ennemis K II avait aussi la nomination des commissaires pour la vérification des comptes de la ville de Bruxelles 2. Mais ces prérogatives n'ont pas été conservées dans la suite; la révolution qui suivit la mort de Charles II y porta une grande atteinte. Il n'est pas étonnant que pendant les vingt- trois ans que dura la suppression du conseil privé et qu'il ne fut plus question de chef et président, une partie des préro- gatives attachées à cette dignité ait été perdue, surtout en ce qui concerne la collation des offices et bénéfices. Il en est resté cependant quelques-uns dont le chef et président a disposé sans contestation pendant le XVIIIe siècle 3. 1° Il a toujours conféré la place de chapelain du conseil privé ; 2° Celle de chauffe-cire des sceaux dont le chef et président avait la garde ; 3° Celle de fourrier des conseils privé, d'État et des finances; 4° Celles d'avocats et de procureurs au conseil privé ; 5° Celles d'agents, seuls qualifiés à signer les requêtes qui se présentaient au gouverneur général, aux conseils collaté- raux ou à la chambre des comptes; à solliciter les affaires et à lever les dépêches dans les différents départements ; 6° Celles d'huissier ordinaire et d'huissier porte-masse du conseil privé *; x Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 MS. 16044, fol. 45, de la Bibliothèque royale. 3 Archives du conseil privé, carton 466. — Archives de la chancellerie, 1). 108. c. * Nous verrons cependant plus loin, chap. III, § 8, 2e partie, qu'il y avait contestation à ce sujet, malgré l'assertion de de Neny. ( 225 ) 7° Celles d'huissiers ordinaires du conseil privé et du grand conseil, qui étaient au nombre de douze; 8° Celle de messager ordinaire du grand conseil; 9° Celles d'huissiers ordinaires et extraordinaires du conseil de Luxembourg 1 ; 10° Les places d'huissiers et de messager du conseil de Flandre ; 11° Celles de Prinselycken officier ou officiers du prince2; 12° Les places de notaire et d'arpenteur, après examen préa- lable subi par les candidats à ces places. 13° Le chef et président disposait aussi des huit places d'huissiers d'armes du conseil de Namur; mais sept de ces places furent rendues héréditaires et données en fief par lettres patentes du 1er juillet 1738 3, chacune pour une somme de mille florins. Quant à la huitième, elle était conférée, je pense, par le gouverneur de la province de Namur, le comte de Lannoy-Clairvaux, administrateur de la province, s'étant emparé de cette collation après l'évacuation de Namur par les troupes du duc d'Anjou en conséquence de la paix d'Utrecht. 14° Le chef et président de Neny s'attribuait aussi la nomi- nation du gouverneur du grand béguinage de Sainte-Elisa- beth, à Gand. Le 16 avril 1783, il donna l'apostille suivante sur la requête de la grande maîtresse et des béguines qui pro- posaient le comte de Drack pour succéder en cette qualité au comte de Lichtervelde : « J'agrée la nomination présentée par » cette requête, et soient en conséquence expédiées les provi- » sions ordinaires sous le nom de Sa Majesté. » Il se fondait sur ce que des provisions précédentes ne renfermaient pas la 1 II y avait six places d'huissiers ordinaires; les titulaires résidaient dans la ville de Luxembourg. La résidence des dix huissiers extraordi- naires était iixée dans autant de localités de la province. 2 C'étaient des espèces de sergents établis dans plusieurs magistrats de la Flandre et en particulier à Gand et à Alost. 11 est question de ces otiieiers dans la coutume de Gand, dans celle d'Alost et dans la concession Caroline du 30 avril 1540. 3 Archives de la chancellerie, D. 108. c. Tome LU. 15 ( 226 ) clause : « à la délibération du gouverneur général », et il en inférait que le gouverneur général n'avait pas de part à cette collation et que celle-ci concernait uniquement le chef et pré- sident. Cependant, nous trouvons que le comte de Lichtervelde s'étant adressé en 1731 à l'archiduchesse pour obtenir cette place, Son Altesse envoya par décret sa requête au conseil privé en le prévenant qu'Elle avait gratifié Lichtervelde de cette place et qu'en conséquence les patentes fussent expédiées *. lo° Le chef et président avait aussi la collation de deux bourses au séminaire épiscopal de Malines, en faveur des habi- tants de cette ville 2. 16° Enfin, les chefs et présidents avaient la nomination de toutes les places de la Maison-Dieu ou hôpital de Saint-Jacques, à.Gand 3. Dans la concession Caroline, Charles-Quint avait réservé, par l'article oo, « à sa seule et entière disposition » la maison dite de Saint-Jacques, avec les provendes de cette mai- son, et il en établit directeurs le grand bailli, le premier échevin de la keure et le premier échevin des parchons. Antérieurement a 1758, je n'ai rien trouvé de relatif à la collation de ces places. Le comte deNeny dit simplement, dans une note, que cet article 4 Archives du conseil privé, carton 466. '2 Décret du 26 mai 1774. — Ces bourses, de 144 florins chacune, avaient été fondées sur le revenu d'un capital de 7,200 florins qu'une certaine dame de Blaewelt avait laissé en 1666 aux Jésuites de Malines à l'effet d'enseigner la théologie au séminaire de celte ville. Lors de la suppression des Jésuites, cette fondation passa au pouvoir du souverain. — Archives du conseil privé, carton 466. 3 Les places étaient au nombre de trente-deux. Elles étaient remplies par des hommes ou des femmes; on les donnait ordinairement à des personnes d'âge; la seule condition exigée était de ne pas être marié. Chaque pourvu avait dans l'enceinte de l'hôpital une petite maison com- posée d'une chambre et d'un grenier. La distribution consistait en 2 sols par jour et quelquefois un pain, selon les anniversaires. Les revenus de l'hôpital, déduction faite des rétributions aux pourvus, pouvaient s'élever à environ 700 florins par an. (Archives du conseil privé, carton 466.) — Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 227 ) de la Caroline forme le titre en vertu duquel cet hôpital et la collation de ces places appartiennent au souverain, et que depuis lors la disposition des provendes a été abandonnée aux chefs et présidents. 11 résulte d'actes non interrompus que de Neny et ses successeurs ont conféré ces places. Les provisions s'expédiaient au nom du souverain, sous le grand sceau, avec exemption des droits, par la raison qu'elles concernaient des pauvres. Elles étaient adressées pour exécution au grand bailli ou au lieutenant bailli, et elles portaient que Sa Majesté « pour Dieu et en aumône donnait et conférait à N... le pain » et la provende de la Maison-Dieu de Saint-Jacques en la ville » de Gand, avec tous les droits, profits, etc., bien entendu que » ledit pain et provende viendra autrefois à vaquer au cas que » ledit N... vienne à se marier. » 17° Le chef et président conférait aussi autrefois les quatre places de messager du conseil de Flandre. Mais en 1673 ces places furent données en engagère, chacune pour la somme de C00 florins, pour le terme de cinquante ans. 18° Les six places d'huissiers du lieutenant civil de Ylnda- ginge i de la ville de Gand, qui étaient aussi à la disposition du chef- président, furent également données en engagère en 1673. 19° Le chef-président conférait encore la place de premier huissier du conseil de Flandre et toutes les autres places d'huis- siers de ce tribunal qui étaient répartis dans différentes villes de la province, y compris celui qui résidait à Tournai, ressort de la Flandre. Toutes ces places ont été, dans la suite, rendues héréditaires et érigées en fief et relevèrent dès lors des cours féodales des cantons de la résidence de chaque huissier. Je n'ai pu découvrir 1 époque précise à laquelle remonte cette inféodation, mais elle subsistait déjà en 1626, sauf à l'égard des huissiers résidant à Tournai et à Douai, comme on le voit par des lettres du gouvernement de cette année, réclamées dans un règlement du 11 septembre 1627 2. 1 Placards de Flandre, t. II, p. 283. « Idem, t. III, p. 168. ( 228 ) J'ajouterai, pour terminer, qu'autrefois il était d'usage que le souverain remît, pendant ses absences, au gouverneur général des Pays-Bas, une liste ou rôle des personnes à qui il voulait qu'on donnât, suivant l'ordre indiqué, les bénéfices ecclésiastiques qui viendraient à vaquer. Or, on voit par l'ex- trait du rôle de l'an 1545 *, que l'empereur Charles-Quint, en vue de pourvoir le pays de bons curés, n'avait compris dans ce rôle aucune cure de sa collation, mais avait laissé au chef- président Schore et au doyen de Louvain le soin de désigner à la reine de Hongrie trois sujets aptes à desservir celle qui deviendrait vacante. Dans le rôle des bénéfices de l'an 1589 2, le roi Philippe II prit une mesure analogue. Il chargea le chef-président d'alors et ses successeurs de désigner au gouverneur général, avec l'avis de deux des principaux théologiens des universités de Douai et de Louvain, un, deux ou trois personnages propres à remplir les cures qui deviendraient vacantes. § 9. Prérogative du chef et président de se faire précéder d'un huissier portant la masse royale. Comme marque extérieure de la supériorité et de la dignité de sa charge, le chef et président allant en robe de sa maison au palais et du palais à sa maison, était précédé d'un huissier du conseil privé portant la masse royale. Il en était de même quand, aux fêtes principales de l'année, il se rendait à l'église. Quand il se rendait à l'audience du souverain ou du gouverneur général, il était conduit avec le même cérémonial jusqu'à l'an- tichambre. A la pompe funèbre de l'archiduc Albert, le conseil privé suivait immédiatement les chevaliers de Tordre, et le chef et président Maes était précédé de deux huissiers portant la masse royale. 1 MS. de Pape, aux Archives du royaume. 2 Idem. ( 229 ) Le chef et président Hovyne étant mort en 1071, son corps fut porté publiquement dans les rues de Bruxelles pour être enterré dans l'église de la Chapelle et précédé depuis sa maison de deux huissiers portant la masse *. Cette prérogative attachée à la charge de chef et président n'annonçait pas une juridiction territoriale : c'était une simple marque de dignité 2, De Neny rapporte que le chef et président Steenhault ne manquait jamais de faire précéder son carrosse d'un huissier portant la masse, lorsqu'il allait au conseil ou qu'il en reve- nait; que pour lui, il le faisait rarement : sa demeure ayant toujours été assez éloignée de l'hôtel du conseil, il n'aimait pas de perdre du temps par la lenteur de la marche. Il ajoute qu'il a cependant toujours été précédé des deux huissiers du conseil quand il assistait aux processions solennelles ou aux Te Deum à l'église Sainte-Gudule 3. Le conseil de Brabant, qui ne laissait échapper aucune occa- sion de s'opposer au conseil privé, contestait au chef et prési- dent le droit de parcourir les rues de Bruxelles précédé des huissiers avec la masse : il voyait dans cette prérogative le signe d'une juridiction territoriale. Pour faire reconnaître le droit de ce privilège, le conseil privé avait fait rendre un décret réglant Tordre et la marche de la procession du Saint-Sacrement de Miracle. Le conseil privé devait être précédé de ses huissiers munis de la masse royale au lieu de (lambeaux. Cette nou- veauté ne fut pas du goût du chancelier qui obtint en toute hâte une ordonnance révoquant le décret; les huissiers du conseil privé parurent dans le cortège, de modestes cierges à la main, ainsi qu'à l'ordinaire 4. Cependant en 1758, de Neny, après en avoir conféré avec le comte de Cobenzl, ministre plé- nipotentiaire, trouva à propos de changer cet usage et ordonna 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Registres Verds, t. II, fol. 192 v°. 3 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 1 Registres aux consultes du conseil de Brabant, t. III, p. 501. ( 230 ) que désormais les huissiers porteraient, aux processions, une masse au lieu d'un cierge. Il nous apprend lui-môme qu'à cette occasion, il lit faire deux nouvelles masses d'une forme plus élégante que celles dont on se servait autrefois *. Un incident assez grave se produisit en 1678 au sujet de cette prérogative. Le conseil privé s'était rendu, le 29 décembre, sous la conduite de son huissier porte-masse, à l'église Sainte- Gudule pour assister à un Te Deam à l'occasion de la paix conclue à Nimègue. Le conseil de Brabant, informé de la chose, prit sur-le-champ une décision hardie. A l'issue de la cérémonie, sur le parvis du temple, en présence du gouver- neur et des grands corps de l'État, un de ses huissiers vint notifier au chef du conseil privé ainsi qu'au porteur de la masse un exploit leur défendant de se parer de cet insigne. Le chef et président fut môme invectivé par une personne qui, plus tard, fut reconnue être le fils du chancelier. Le conseil privé s'émut de cette atteinte portée à la dignité de son chef et à celle du corps. Dans une longue consulte °2, il établit d'une façon péremptoire le droit de l'usage du privilège que lui déniait le conseil de Brabant et il conclut à ce que l'huissier instrumentant fût frappé d'une amende de cent florins au profit de l'hôpital. Un décret fut rendu dans ce sens le 24 avril 1679 3. Le conseil de Brabant, de son côté, fut requis de casser sa déci- sion et de la rayer de ses registres, de supprimer son exploit et d'envoyer au palais, dans les trois jours, à peine de suspen- sion de ses gages, un acte dont on lui traçait la formule et qui constatait son entière soumission. « Casser notre décision, répliquèrent les conseillers, c'est » casser la souveraineté du Roi qui repose en nos mains, nos » serments nous le défendent. » L'ordre renouvelé, ils refusè- rent d'obéir; la suppression de leurs gages, qui fut alors décidée, ne put vaincre leur résistance; privés de leurs salaires 1 De Neny, Mémoire sur le conseil privé. 2 Registres Verds, n° 359, fol. 192 v». s Idem, fol. 198. ( 231 ) pendant plus d'une année, ils ne firent aucune concession. Un décret censurant leur conduite et les rétablissant dans la jouis- sance de leurs appointements mit fin au différend i. § 10. Les privilèges qui affranchissaient les habitants de la Flandre des confiscations, n'opéraient pas à l'égard des crimes commis contre le chef et président. Les chefs-villes de la Flandre et le quartier du Franc de Bruges jouissaient d'anciens privilèges en vertu desquels on ne pouvait décerner la confiscation de biens contre leurs habi- tants convaincus de crimes 2. Mais ces privilèges ne tenaient pas dans les cas de crime de lèse-majesté, de quelque espèce qu'ils fussent. Lorsque Charles- Quint, par le fameux arrêt du 30 avril 1 5 iO , eut privé les Gantois de tous leurs privilèges, il y substitua le même jour une nouvelle concession connue sous le nom de Caroline, portant article 61, « que les bourgeois de Gand es ». crimes d'hérésie, de lèse-majesté en lous ses chefs et espèces, » si comme de rébellion ou de commotion contre les droits et » hauteurs du souverain, ou de fait commis sur aucun de son » conseil juré, ou sur son bailli, sous-bailli, amman et ser- » gent, à l'occasion de leurs offices, aussi en cas d'infraction de » sauvegarde donnée par le souverain ou son conseil, fourfai- » ront corps et biens, et en tous autres crimes où ils seront punis » capitalement, seront francs et exempts de la confiscation de » biens, fiefs et héritages 3. » 1 Registres aux considtes du conseil de Brabant, t. IV, p. 344 ; Travaux de la Comm. pour la public, des anc. lois, t. I, p. 82. 8 Voir dans les Placards de Flandre, t. I, p. 796, la déclaration de la reine de Hongrie du 13 mars 1549. — Meyer, Annales Flandr., liv. XXV, rappelle le privilège accordé au Franc de Bruges en 1414. — Marchant, dans sa Description de la Flandre, liv. I, p. 125, fait mention du privilège accordé à la ville d'Ypres. 3 Steur, Insurrection des Gantois, pp. 167-186; Placards de Flandre, t. III, p. 235. ( 232 ) Ces exceptions à l'ancien privilège des Gantois que l'Empe- reur venait de supprimer, ou plutôt cette nouvelle constitution de police qu'il donna, sans égard aux privilèges, était fondée, en tant qu'elle concernait les officiers publics, sur la sauvegarde dont ils devaient jouir dans X exercice de leurs fonctions et était conforme à l'ordonnance émanée déjà pour la Flandre le 6 avril lo43 ». Mais ce qui n'était statué à l'égard des officiers publics que pour les cas où ils étaient insultés en exerçant les fonctions de leurs charges, avait lieu à l'égard de tous crimes, sans exception, qui auraient été entrepris contre le chancelier de Bourgogne, sa femme et ses enfants, les souverains des Pays-Bas ayant trouvé bon d'accorder cette prééminence au chef de la justice et de l'élever au-dessus de leurs autres sujets par une distinc- tion éclatante qui, relativement à la sûreté de sa personne, le mît pour ainsi dire au même rang que le souverain lui- même. Voici comment le conseil de Flandre s'expliqua sur ce point dans un mémoire présenté au conseil d'État le 9 janvier 1676 : « D'où se reconnoit comme les princes souverains de ces pays » ont toujours eu attention de conserver les prééminences de » leurs ministres; si avant qu'au regard du chef et président du » conseil privé de Sa Majesté, représentant sa personne en qualité » de grand chancelier, les princes souverains de ces pays, tels » que les ducs de Bourgogne, et auparavant les comtes de » Flandre, ont déclaré que les confiscations des chefs-villes de » Flandre seroient maintenues, sauf et à la réserve du crime de » lèse-majesté contre sa personne (du souverain), madame sa » compagne et messieurs ses enfants, comme de même au regard » du chancelier, sa compagne et ses enfants 2. » 1 Placards de Flandre, t. I, p. 215. * Archives de la chancellerie, D. 108. c. ( 233 ) § 11. Considération dont jouissait le chef et président. Les souverains des Pays-Bas ont toujours eu à cœur de maintenir la considération de leurs ministres, surtout du chef et président. Nombre de dépêches et d'instructions recueillies par le chef et président de Pape, pendant qu'il était conseiller suprême à Madrid, le prouvent suffisamment 1. Philippe II, en faisant connaître au duc de Parme, par une dépêche datée de Lisbonne, le 27 septembre 1581, ses intentions sur le traitement et les honneurs dont il voulait que jouît, à l'instar des chefs-présidents précédents, Guillaume de Pamèle, qui venait d'être revêtu de cette dignité, ajoute : « Estant chose » bien convenable et grandement importante que les chefs- » ministres soient soutenus et maintenus en crédit et autho- » rite, et m'asseurant que vous le ferez ainsi n'en diray » davantage envoiant pareillement mes lettres de chevalier » pour ledit président Pamèle afin le honorer de plus. » Par l'article 5o des instructions secrètes du cardinal-infant comme gouverneur général, datées de Madrid, le 14 octobre 1632, le roi charge ce prince « de conserver au chef-président » toutes prérogatives quelconques appartenant à son emploi. » Les instructions que l'empereur Charles VI donna, le 1er sep- tembre 1725, à l'archiduchesse Marie-Elisabeth, sa sœur, prou- vent également combien ce monarque désirait qu'on conservât au chef-président les prérogatives de sa place. Voici comment il s'explique au chapitre II de ces instructions : « Vous lui ferez » garder ponctuellement toutes prérogatives concernantes sa » charge. » Admis de plein droit dans la noblesse avec le titre de cheva- lier qu'il transmettait à ses descendants, le chef et président était qualifié « d'illustrissime » par les membres du con- seil 2. * MS. 16044 de la Bibliothèque royale. * Registres Verds, n° 359, fol. 80." ( 234 ) Le chef et président accompagnait le souverain ou son repré- sentant à l'armée et dans ses voyages *. Cet usage existait déjà du temps des grands chanceliers ; nous avons vu que Jean le Sauvage accompagna Charles-Quint dans le premier voyage que ce prince fit en Espagne. Il continua de subsister dans la suite, lorsqu'après la suppression de la dignité de chancelier on eut établi un chef, et à la place du chef un président, et enfin un chef-président. On voit par les patentes du chef-prési- dent Schore, du 10 octobre 1540, que l'archevêque de Païenne, chef du conseil privé, en suppliant l'Empereur de lui accor- der sa démission, avait fondé cette demande sur ses longs services, son grand âge et le faible état de sa santé qui ne lui permettait plus de a suivre la reine de Hongrie comme il est » requis et nécessaire ». Lorsque le prince Philippe arriva d'Espagne à Bruxelles, au mois d'avril 1549, l'Empereur chargea le chef-président Viglius de l'instruire de l'état des provinces, de répondre pour lui aux harangues qui lui seraient adressées. Pendant le mois d'août de la même année, Philippe allant visiter les provinces, Viglius eut l'honneur de l'accompagner dans ce voyage. Il fut même recommandé à l'archiduchesse Marie-Elisabeth, par ses instructions du 1er septembre 1725, que lorsqu'elle s'absenterait de la résidence ordinaire de la cour, elle se fît accompagner et assister par le chef et président. Mandataire spécial du souverain pour les actes de l'admi- nistration générale, le chef et président voyait son autorité s'étendre à toutes les provinces. C'est lui qui notifiait directe- ment aux états et aux conseils de justice le décès du souverain, l'avènement au trône de son successeur. Le cas échéant, c'était à lui de prendre les dispositions pour la réglementation d'un deuil national ou des réjouissances publiques ainsi que des cérémonies religieuses qui les accompagnaient. Le chef et président était nommé, en particulier, dans les actes publics, même avant le conseil d'État. On peut voir la 1 MS. 16044 de la Bibliothèque royale. ( 235 ) preuve de ce fait clans la déclaration de l'empereur Charles- Quint du 15 décembre 1540, sur l'article 36 de la concession Caroline » ; dans l'ordonnance du 16 février 1541 (v. s.), concer- nant les monnaies 2 ; dans l'ordonnance du 14 février 1541 (v. s.), concernant l'institution et les fonctions de lieutenant civil de YIndaginge de la ville de Gand^; dans la pragma- tique sanction de 1549 4; dans le préambule de l'édit du 20 novembre 1549 sur les confiscations 3; etc., etc. Les man- dements qui se trouvent a la fin des lettres patentes des gou- verneurs généraux des Pays-Bas le prouvent également ; ils sont conçus en ces termes : « Si donnons en mandement aux » chevaliers de Notre ordre, chef et gens de nos consaux d'État, » privé, etc. » Telle était d'ailleurs la considération entourant le chef et président qu'il n'y a pas, pour ainsi dire, un événement de notre histoire où le nom de ce haut fonctionnaire ne soit mêlé. Les négociations de nos princes avec les voisins trouvent en lui leur agent le plus actif: Viglius accompagne Charles-Quint à la diète de Spire et l'Empereur lui confie successivement les négo- ciations avec le Danemark, avec les princes catholiques de l'Empire et avec l'Angleterre. Ce même Viglius fut un des négociateurs du traité de Catcau-Cambrésis; et la pragmatique sanction, cette loi à laquelle les Pays-Bas durent leur indivi- sibilité, est aussi l'œuvre de ce chef et président. Les noms de Richardot, de Roose, de de Neny ont été mêlés à toutes les questions diplomatiques de leur temps. C'est Richardot que les archiducs députent à Vervins pour y traiter delà paix avec la France; c'est lui qui représente en 1600 (mars) les archiducs au congrès de Boulogne, tenu entre les députés de Philippe III et la reine d'Angleterre. Roose, nous l'avons vu, a été l'âme 1 Placards de Flandre, t. I, p. 246. 2 Idem, p. 505. 5 Idem, t. II, p. 283. * Placards de Brabant, t. IV, pp. 427 et 429. 3 Placards de Flandre, 1. 1, p. 153. ( 236 ) du gouvernement politique espagnol au XVIIe siècle comme de Neny le fut au XVIIIe. Aux grandes assises des états généraux, en 1531 et en 1538, ce fut le chef Jean Carondelet qui porta la parole au nom du souverain. En 1543, cet honneur est dévolu au chef et prési- dent Van Schore; en 1598 et en 1600, au chef et président Richardot. Et cette considération, cette autorité, que la dignité seule de leurs éminentes fonctions suffisait à leur donner, les chefs et présidents la soutenaient par leurs mérites personnels. Du XVIe au XVIIIe siècle, les lettres et les sciences se sont enrichies de leurs travaux: le chef et président Van Schore élabore les prin- cipales dispositions législatives et politiques de Charles-Quint, tandis que Viglius, par l'étude des sources, par les lumières de l'histoire, ramenait peu à peu la jurisprudence à l'unité de ces principes judiciaires qui s'étaient conservés au fond des coutumes les plus variées et les plus incohérentes ; les mé- moires inédits d'Hovyne et de de Pape jettent un grand jour sur l'organisation politique du XVIIe siècle; de Neny, par la sagesse des appréciations et des jugements qu'il a émis dans ses mémoires historiques et politiques, s'est placé au premier rang des historiens de son siècle. Grande enfin a été leur place à presque tous dans les fastes du pays. § 12. Le chef et président dans les lois somptuaires. Charles-Quint fit émaner aux Pays-Bas les lois somptuaires du 7 octobre 1531 *, du 30 janvier 1545 (v. s.) 2 et du 27 mai 1550 :\ où l'on voit que la couleur n'entrait pour rien dans les vêtements de cérémonie, ni dans les vêtements ordinaires de personne, excepté toutefois la couleur cramoisie. Il y est dit que personne, de quelque état ou condition que ce soit, ne 1 Placards de Flandre, t. I, p. 113. * Idem, p. 782. 3 Idem, p. 695. ( 237 ) pourra s'habiller en soie ou velours cramoisi, à l'exception seulement des seigneurs de la plus haute noblesse, des cheva- liers de l'ordre de la Toison d'or, des chefs du conseil privé et de leurs enfants, des grands ofïiciers de la maison de l'Empe- reur et de ceux de la reine, sa sœur, régente des Pays-Bas. Les édits de 1545 et de 1550 déclarent aussi que les conseil- lers du conseil privé pourront s'habiller en velours, satin ou damas de quelque couleur que ce soit, excepté le cramoisi. Aussi le conseil de Flandre rapporte-t-il, dans un mémoire adressé au conseil d'État en 1676 4, qu'il existait des tableaux de familles entières de chefs et présidents du conseil privé où les membres sont représentés en velours cramoisi, avec des « carreaux de la même couleur. » § 14. Honneurs rendus à la dépouille mortelle du chef et président. A la mort du chef et président, on sonnait à l'église Sainte- Gudule la grosse cloche, appelée le Salvator. Comme la femme du chef et président jouissait des honneurs et prérogatives dus à son mari, elle avait droit aussi, à sa mort, à la sonnerie du Salvator 2. Pour obtenir cette sonnerie, les héritiers du défunt présen- taient une requête au gouverneur général qui notifiait au cha- pitre de Sainte-Gudule l'ordre de sonner la cloche. Il avait été statué par un décret de l'archiduc Léopold, du 20 juin 1652 3, que les héritiers de ceux pour qui on sonnerait le Salvator seraient tenus de donner caution pour la répara- tion des dégradations qui se produiraient à la cloche par le fait de la sonnerie 4. On reconnut plus tard que ce décret était 4 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Registres Verds, n° 362, fol. 183. 3 Messager des sciences historiques, année 1864, p. 231. ■""■■* Cette caution était illimitée; elle se donnait par un simple billet ou obligation des héritiers conçu dans les termes suivants et comprenant non seulement la grosse cloche mais aussi toutes les autres : « Nous . . . » promettons et obligeons d'être caution pour la restauration et répara- ( 238 ; peu compatible avec les règles de l'équité et de la justice. Il n'était pas raisonnable, en effet, qu'une cloche venant à se rompre, les héritiers de celui pour qui elle sonnait au moment de sa rupture dussent supporter toute la dépense de la refonte. C'est pourquoi le prince Charles de Lorraine déclara au cha- pitre de Sainte-Gudule, par dépêche du 30 juin 1766 *, que son intention était que la caution cessât ainsi que la disposi- tion faite à ce sujet parle décret du 20 juin 1652. Pour avoir droit à cette sonnerie, il n'était pas nécessaire que le défunt fût enterré à Bruxelles. Les funérailles du chef et président étaient célébrées en pompeux appareil. Un catafalque, décoré de ses armoiries et entouré de cierges et de flambeaux, se dressait dans le chœur de l'église dont l'autel couvert de velours et le pourtour tout tendu de deuil étincelaient de l'éclat de multiples lumières. Une oraison funèbre, prononcée par quelque prédicateur en renom, disait aux assistants les mérites et les vertus du défunt 2. CHAPITRE II. DES CONSEILLERS. § 1. Des conseillers en général. Auxiliaires de leur chef auquel ils étaient généralement dévoués, les conseillers du conseil privé partageaient en partie les honneurs dus à la présidence du conseil. Le conseil privé a toujours servi de pépinière pour former des hommes d'État remarquables. Les magistrats qui y étaient admis avaient l'oc- casion de se perfectionner dans la connaissance des matières » tion des cloches de la collégiale de Sainte-Gudule en cas de rupture » des dites cloches qui pourrait survenir en sonnant pour le service » de feu ... » 1 Messager des sciences historiques, année 1864, p. 232. » MS. 16160. ( 239 ) supérieures du gouvernement l; aussi ne quittaient-ils géné- ralement le corps qu'en qualité d'ambassadeur ou pour occuper la présidence du conseil de Malines ou d'un autre conseil de justice 2. Etudier les questions qui leur étaient assignées par le chef- président, en faire rapport au conseil, rédiger les consultes et donner audience aux particuliers, tels étaient les devoirs essen- tiels des conseillers. En outre, ils faisaient généralement tous partie de quelque commission fixe ou extraordinaire, telle que jointe, chambre suprême, tribunal aulique, etc., etc. Si nous ajoutons que les affaires soumises à l'examen du conseil étaient très nombreuses, souvent hérissées de difficultés, exi- geant parfois beaucoup de temps, des recherches laborieuses et de longues discussions, on comprendra aisément que les con- seillers, vu leur petit nombre, avaient peu de loisirs. « Maîtres aux requêtes », telle était la dénomination donnée dans leurs patentes aux conseillers du conseil privé. Cette appellation vient, selon Butkens, de ce que c'est au conseil privé qu'il appartenait d'accorder les privilèges, les octrois et permissions du prince, les rémissions et les grâces. Avant d'entrer en charge, les conseillers devaient prêter le serment de tenir et d'exercer leur état en toute fidélité; de travaillera toutes les affaires qui leur seraient soumises, sincè- rement et loyalement, sans aucun égard particulier et confor- mément aux intérêts du service royal ; de garder le secret sur toutes les matières qui seraient traitées au conseil et dans les jointes ou commissions dont ils feraient partie; d'observer enfin toutes les instructions relatives à l'établissement du con- seil. Us juraient en outre que, pour obtenir leur état, ils n'avaient offert, ni promis, ni donné, ni fait offrir a qui que ce fût aucune somme, soit directement, soit indirectement, sauf celle qu'il était d'usage de donner pour les dépêches 3. 4 Archives de la chancellerie, C. D. g. * Ibidem, H. 610. e. 3 Registres Verds, n° 361, fol. 172. ( 240 ) Antérieurement à 1743, il n'y avait pas de formule de serment, les conseillers juraient sur le pied de leurs lettres patentes *. Les patentes instituant les conseillers dans leurs fonctions étaient primitivement données de Bruxelles, au nom du sou- verain. Par acte du 11 août 1743, elles furent dépêchées à Vienne sous la signature de l'impératrice 2. Avant d'être admis à la prestation de serment qui précédait leur installation, les membres du conseil devaient se conformer à une prescription que le pouvoir avait introduite pour sub- venir à la pénurie des finances. Ils devaient verser entre les mains du receveur de la recette certaine somme dont le mon- tant était fixé par édit du prince. En 1651, Philippe IV, par décret du 13 juin, introduisit l'emploi des médianates, c'est-à- dire une somme versée dans le trésor de l'État par le fonction- naire et qu'il récupérait lorsque son emploi cessait, les com- missions ne pouvant être dépêchées, ni les titulaires admis au serment, ni les appointements passés en compte qu'après l'acquittement de l'impôt. Le taux de la médianate était pour le chef et président, de 2,400 florins; pour les conseillers, de 1,323 florins; pour les conseillers commis aux causes fiscales, de 600 florins; pour les secrétaires, de 500 florins; pour le premier huissier, de 200 florins et pour le second huissier, de 150 florins 3. Après la guerre de la succession, l'empereur Charles VI trouva en Belgique le trésor vide, le domaine ruiné, le pays appauvri ; il se vit donc contraint de maintenir les ressources créées par l'Espagne. Toutefois, pour les membres du conseil privé, le taux de la médianate fut diminué et fixé, par décret du 31 janvier 1726 4, à 1,720 florins pour le chef et président et à 943 florins pour les conseillers. 1 Archives de la chancellerie, D. 14. s. 2 Reg. Verds, n° 361, fol. 171. — Archives de la chancellerie D. 14. s. 5 Déclaration du taux médianate (Bibl. des Archives, n° 2989). 4 Registres Verds, n° 360, fol. 111 et 112 v°. ( 241 ) § 2. Dm conseiller commis aux causes fiscales. L'un des conseillers du conseil privé portait le titre de « conseiller commis aux causes fiscales ». Outre la surveil- lance des officiers fiscaux, qui constituait, comme nous le ver- rons plus loin, sa fonction principale, le commis aux causes fiscales avait dans ses attributions la conservation et la défense des revenus royaux et publics ; c'est à lui qu'incombait l'exa- men des affaires de cette nature adressées au conseil privé. Il remplissait aussi les devoirs d'officier accusateur dans les affaires criminelles des personnes ressortissant au tribunal aulique *. De par ses attributions spéciales, le conseiller commis aux causes fiscales avait toujours l'entrée libre au conseil des finances ; il pouvait y demander communication de toutes les pièces qui concernaient son office et y faire telle proposition qu'il jugeait convenable touchant le service royal. Obligation même lui était faite de se rendre au conseil quand il y était requis par celui-ci, soit pour avoir de lui des éclaircissements ou des informations sur le service du roi, soit pour assister à une délibération où son intervention était jugée nécessaire ou convenable. Quand le conseiller commis aux causes fiscales prenait séance au conseil des finances, il avait la préséance sur ses collègues de ce corps qui n'étaient pas revêtus du caractère de conseiller d'État 2. On choisissait d'ordinaire pour conseiller commis aux causes fiscales le sujet le plus instruit dans la jurisprudence belgique et en même temps assez actif et laborieux pour que sa charge spéciale, du chef de laquelle il était salarié 3, ne l'empêchât pas de travailler de niveau avec ses collègues dans les diffé- Archives de la chancellerie, D. 108. c. Décret du 19 novembre 1737. Il recevait 1,843 florins. Tome LU. 16 ( 242 ) rentes affaires de la compétence du conseil *. C'était le plus souvent l'officier fiscal, avocat ou procureur général d'un con- seil de justice, comme étant déjà au courant du maniement des affaires qu'était appelé à traiter le commis aux causes fis- cales 2. La place de conseiller commis aux causes fiscales n'était pas conférée par patentes sous le grand scel, mais seulement par commission du gouverneur général. § 3. Nomination des conseillers. La nomination et la révocation des membres du conseil privé appartenaient exclusivement au souverain. L'autorité de celui-ci, sous ce rapport, était illimitée ; elle n'était pas entra- vée par les usages, les coutumes, la législation même qui, dans les Pays-Bas, apportaient des limites à la plénitude du pouvoir central dans le choix à faire pour la nomination aux diffé- rentes fonctions publiques. Charles-Quint prit soin de n'appeler à son conseil que des a indigènes des plus principaux et signalés personnages, parce » que les subjects aimoient mieux être gouvernés desdits natu- » rels que d'autres qui ne pouvoient être si bien informés des » caractère, mœurs et conditions d'iceux que gens élevés au- » dict pays et affectionnés au bien et repos de leur patrie 3 ». Ces « principaux et signalés personnages » étaient surtout des chevaliers de la Toison d'or. C'était, de la part de Charles- Quint, de la bonne politique: il substituait ainsi à une noblesse dont l'indépendance l'avait quelquefois offusqué, une noblesse de cour plus soumise à ses volontés 4. Philippe II, au con- traire, les éloigna de ses conseils : comment, en effet, aurait-il 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Ibidem, H. 411. 3 Collection de documents sur les anciennes assemblées de la Belgique, 1. 1, p. 440. * Henné, Hist. de Charles-Quint, t. V, p. 172. ( 243 ) pu faire exécuter les arrêts sanguinaires de ses lieutenants, s'il avait admis que pour les rendre légitimes il eût fallu le con- cours de toute la haute noblesse? Pendant le règne des archiducs, le cabinet de Madrid suivit à cet égard la politique inaugurée par Philippe II. Il ne vou- lut, sauf dans des cas isolés, introduire dans le conseil privé que des gentilshommes, des magistrats, des seigneurs sur les- quels il pouvait espérer avoir une action dominante. Le souverain n'était pas non plus astreint à choisir ses con- seillers parmi les régnicoles, et en fait, au XVIe et au XVIIe siècle, il prit assez d'étrangers. Au XVIe siècle cependant, on soutenait que le prince devait toujours choisir des régnicoles. Les ar- ticles 16 et 18 du traité d'Arras s'occupent de ce point et ils admettaient l'introduction d'étrangers dans le conseil privé, pourvu que ces étrangers fussent agréables aux états. La grande jointe, au contraire, établie en 1595 à l'effet de rechercher les mesures à prendre pour le rétablissement des affaires du pays, combattit l'introduction dans les conseils collatéraux de per- sonnages étrangers au pays1. Mais le gouvernement s'affranchit toujours de ces entraves que n'établissait d'ailleurs aucune 1 « Lesquels consaulx ont toujours estez composez de naturelz du » pays, des plus principaulz et signalez personaiges, pour le regard de » leurs charges que les princes povoyent recouvrer et par advis et mains » desquelz toutes choses se manioyent, conduisoyent et traitoyent en » la langue du pays, au grand contentement de tous les subjectz qui )> aymoyent mieulx d'estre gouvernez desdits naturelz, que d'aultres quy » ne peuvent estre sy bien informez de la nature, mœurs et conditions » d'iceulz, que sont les naturelz, eslevez et nouris audict pays, quy sont » plus naturellement affectionnez au bien et repos de leur pays. Il samble » doncques que Son Altèze, pour bien faire, et soy maintenir tant plus » agréable, mieux obéy, aussy acerter de temps à aultre les moyens de » remèdes, en doibt user, comme on a faict du temps de ladicte Royne » (reine de Hongrie) et que par le traicté de la réconciliation des pro- » vinces wallonnes, a esté rafreischy et promis par S. M., estimant que » sy l'on eût tousjours suivy ce chemin, l'ennemy, ou par beau, ou par » force fut esté de piécha réduict et ramené k l'obéissance. » (Gachard, Actes des états généraux de 4600, p. 440.) ( 244 ) disposition constitutionnelle, mais qu'on considérait plutôt comme la conséquence analogique du principe qui présidait à la nomination de la plupart des fonctionnaires publics. Sous Charles-Quint, Philippe II et les princes de la maison d'Espagne, un ecclésiastique fit toujours partie du conseil privé. Cet usage ne fut plus suivi après le rétablissement du conseil en 1725. Les états de Brabant s'en plaignirent dans une représentation à l'archiduchesse, gouvernante générale. Celle-ci, dans son rapport à l'Empereur du 9 novembre *, fit remarquer qu'il serait bien difficile, dans la situation actuelle, de trouver un ecclésiastique qui eût l'indifférence requise pour opiner sur les différends et les contestations des gens d'Église, parce que, disait-elle, ils font tous profession d'être attachés à l'une ou à l'autre des deux parties du clergé dont les senti- ments sont partagés nommément par rapport à la bulle Uni- genitus et à l'étendue de la déférence qui lui est due. Toutefois, en 1743, par lettres patentes du 1G mars 2, Marie- Thérèse nomma conseiller privé Bossard, prévôt de l'église Saint-André, chanoine du noble chapitre de Saint-Géréon à Cologne. Ce fut le seul ecclésiastique admis en cette qualité au conseil pendant le XVIIIe siècle ; et encore, son âge avancé ne lui permit pas d'y siéger. Cette place lui avait d'ailleurs été conférée « plutôt pour l'aider à subsister 3 ». Après la seconde restauration autrichienne, le clergé revint à la charge, mais sans succès, pour obtenir qu'un de ses membres fît partie du conseil privé. Corneille Nélis, évêque d'Anvers, insista fortement sur ce point dans une lettre au comte de Trautsmandorff, du 9 septembre 1793 *, où il expo- 1 Archives de la chancellerie, D. 2. 2 Ibidem, H. 75. 5 Ibidem, D. 14. g. '* Autrefois, il y avait toujours un ecclésiastique de premier mérite dans le conseil privé du prince, je ne dis pas en Espagne, mais aux Pays-Bas. Il servoit principalement pour les affaires ecclésiastiques et ( 245 ) sait au chancelier des Pays-Bas ses vues sur différents objets relatifs au gouvernement de nos provinces. Les conseillers ecclésiastiques, de quelque dignité qu'ils fussent revêtus, n'ont jamais eu d'autre rang au conseil privé que celui de leur ancienneté. Dans les actes de la secrétairerie du conseil d'État concernant l'abbaye de Loo, on trouve une représentation du conseil de Flandre du 9 janvier 1676, ten- dante à établir que le président de ce conseil devait avoir le pas sur les évêques de la province ; voici comment on s'y exprime à l'égard du rang dans les conseils collatéraux : a L'on ne peut encore omettre ce qui s'est pratiqué de tout » temps dans les conseils collatéraux où les ecclésiastiques, » bien que constitués en premières dignités telles que Prévôt » de Liège, d'Utrecht et autres, n'ont jamais eu la préséance » sur les séculiers antérieurs au serment. Il est donc vrai que » les évêques et archevêques, à cause de leur caractère spiri- » tuel, quoique revêtus du caractère royal, n'ont aucune pré- » séance ou prééminence dans les consaux d'État et privé. » Dans le livre intitulé: La Flandre illustrée par l'institution de la Chambre des comptes, on trouve * un état du conseil privé pour recueillir surtout des renseignements et aviser sur les personnes propres aux bénéfices dont le souverain avait le patronage et la nomi- nation. Il seroit bien digne de la piété de notre monarque de rétablir cet usage : car qu'arrive-t-il aujourd'hui pour les bénéfices et postes subal- ternes surtout? un conseiller a-t-il quelque protégé ou ami? d'abord le mérite n'est que là; c'est un homme d'esprit, car nul n'aura de i 'esprit que nous et nos amis, comme dit l'oracle ; c'est la règle. Et lorsqu'on y ajoute mais sans le prouver : il a bien servi son souverain, tout est dit : personne n'ose plus contredire, espérant bien d'avoir son tour plus tard; et par là, celui qui a bien mal ou très gauchement servi son prince, mais fort bien ses propres intérêts, ses haines ou ses inclinations particulières, qui a bien travaillé pour sa fortune, celui-là est préféré au mérite modeste fait pour procurer le mérite du monde : car l'Esprit-Saint l'a dit lui-même : Multitudo savientium sanitas est orbis terrarum. Sans des précautions infinies à cet égard, le monde, loin de se convertir, se pervertira de plus en plus. (Archives de la chancellerie, Restauration autrichienne, t. XLII. «Page 124. ( 246 ) de l'an 1609 où le conseiller ecclésiastique Asseliers est nommé après les conseillers Salinas, Grysperre et Maes. Dans la pompe funèbre de l'archiduc Albert, le conseiller ecclésiastique Corsélius est représenté comme marchant *à la dernière place du conseil privé *. Le prévôt Bossard, le seul conseiller ecclésiastique qui fit partie, comme nous venons de le voir, du conseil privé pendant le XVIIIe siècle, n'eut pas non plus au conseil d'autre rang que celui de son ancienneté. On le trouve mentionné, dans le calen- drier de la cour 2, après les conseillers plus anciens que lui. Il ressort donc de là que, dans les cas d'égalilé de caractère au service du souverain et notamment au conseil privé, les dignités ecclésiastiques, de quelque élévation qu'elles fussent, n'entraient pas en considération pour le rang. Selon les principes admis, les membres du conseil privé devaient être des hommes d'une probité et d'une intégrité à toute épreuve 3, ce qui ne fut pas toujours vrai dans l'applica- tion, témoin les chefs et présidents Viglius et de Neny, pour ne citer que deux noms des plus distingués du corps. Le pre- mier, nous l'avons dit déjà, a été flétri comme un politique intrigant et avide. Sa réputation bien établie d'avarice sordide et sa politique douteuse lui avaient aliéné l'estime de tous les partis; aussi soupçonnait-on son patriotisme, doutait-on de son attachement à la cause royale. Il fut même suspect d'hérésie 4. « Planche, éd. de Bruxelles, 1729, p. 38. 2 Années 1744 et suivantes. 5 En 1767, le prince Charles de Lorraine s'opposa à la nomination au conseil privé de l'auditeur Le Clerc, « parce que ses affaires domestiques sont extrêmement délabrées et qu'il a des dettes ». (Archives de la chan- cellerie, H. 411.) 4 Viglius ayant été secrètement dénoncé au roi par les émissaires que ce prince entretenait dans les Pays-Bas, la duchesse de Parme reçut, en 1564, l'ordre de prendre des informations sur la conduite du président dans les matières de religion et de justice. Ne se contentant point des dénonciations des espions espagnols et de l'inquisiteur de Flandre, la gouvernante invita dans le plus grand secret et sous serment un ecclé- ( 247 ) Quant à de Neny, son indélicatesse extrême * et sa haine impla- cable contre le clergé ont quelque peu terni l'éclat d'une siastique et un lettré à lui dire ce qu'ils savaient là-dessus, et elle envoya leur relation à Philippe IL Bien qu'elle ne pût certifier, disait-elle, l'exac- titude des renseignements de la sorte, elle croyait cependant que, par une information plus franche, on pourrait découvrir contre le président des choses de beaucoup de gravité. Dans le mémoire remis au roi, on reprochait à Viglius d'avoir été, dans sa jeunesse, grandement suspect d'hérésie, d'avoir été réputé pour tel non seulement aux Pays-Bas, mais en France, en Italie, en Allemagne et de l'être encore; de n'avoir hanté que des hérétiques ; d'avoir richement pourvu d'offices et bénéfices ses frères, parents et amis en Frise, tous entachés ou suspects d'hérésie; de ne s'être, à la fin de sa vie, fait prêtre et homme d'Église que pour happer la prévôté de Saint-Bavon, quoique ses infirmités ne lui permissent pas de célébrer la messe ni même de rester debout à l'autel. Passant à l'ava- rice de Viglius, les auteurs du mémoire l'accusaient d'avoir non seule- ment pillé les bagues, joyaux, vaisselles, linges, lits, tapisseries et autres meubles de Saint-Bavon et de les avoir envoyés en Frise, mais aussi de s'être emparé de l'argent comptant laissé par le dernier abbé et qui s'élevait bien à cent mille florins. Quant a la justice, il a rempli tous les conseils des Pays-Bas de ses neveux, cousins et alliés : par où l'adminis- tration de la justice est à sa discrétion. Il avait fait de même dans la collation des bénéfices. Lorsque Damp Jacques Lequien fut nommé par l'Empereur à l'abbaye de Saint-Martin à Tournai, Viglius reçut de lui une tapisserie de mille florins. IJamp Jean Duquesne, qui succéda à Damp Jacques Lequien, lui donna de même une tapisserie de six cents florins. Outre cela, Viglius recevait de lui, chaque année, quatre pièces de vin de France. {Corresp. de Philippe H, t. I, pp. 319 à 321.) 1 En voici une preuve tirée de sa propre correspondance. Dans une lettre adressée à Cobenzl le 29 mai 1767, il disait : « M. V... m'a prié de le recommander à V. E. pour la place de surintendant de la bibliothèque des Bollandistes. Pour donner du poids à la supplication, il veut voler de cette bibliothèque et se propose de présenter à V. E. le plus beau Pline de l'univers... Il y a aussi quelque prix pour ma recommandation : c'est je ne sçais quel livre grec extrêmement rare. » — Le 30 mai, Cobenzl répondait à Neny : « Quoique la demande de M. V... soit une corruption pour vous et pour moi, j'accepte la proposition. » (Piot, Le règne de Marie-Thérèse, p. 71.) ( 248 ) brillante vie politique et un moment même effrayé ses chefs *. Les membres du conseil étaient généralement appelés à faire rapport sur la valeur des candidats aux places qui devenaient vacantes dans le sein de cette assemblée. Ils veillaient toujours avec soin à ce que leur corps fût composé de personnes qui avaient déjà, dans d'autres emplois, non seulement acquis la connaissance et l'expérience des affaires, mais aussi gagné l'estime et la confiance du public 2. Pour bien remplir les devoirs de sa charge, disait Kaunitz dans un rapport à Marie-Thérèse du 6 février 1767 3, un con- seiller privé a besoin d'une connaissance profonde du droit commun et municipal ainsi que du droit public et de l'ordre judiciaire de nos provinces. 11 doit être parfaitement instruit des saints canons de l'Église, de l'autorité du prince, de celle- qu'il a attribuée à l'Église ou qui lui compète de droit; il ne doit pas ignorer la nature, les effets et l'objet des bulles et autres provisions apostoliques, non plus que nos maximes d'État à leur égard. Il doit savoir l'étendue de la juridiction attribuée à chaque tribunal, connaître à fond l'esprit et le sens naturel de nos édits et ordonnances pour répondre avec 1 M. de Neny, chef-président, me paroit vouloir absolument signaler son ministère. Cela est bien; mais le choix des objets dans lesquels il semble vouloir briller n'est pas fort heureux. Il paroit vouloir essaïer ses talents et son savoir contre le clergé. Il a décelé ses vues en mainte occasion. Il a pris de l'humeur contre ce corps et il n'a pas sçu la sup- primer dans son rapport sur le choix d'un évêque d'Anvers. Il sera peut- être plus habile, plus adroit, plus souple dans les autres occasions, mais il n'en seroit que plus à craindre. La nouvelle loy peut bien être une de ses batteries, et il en prépare sans doute bien d'autres qu'il masque encore. Je lui fais grâce du motif; je ne veux point l'approfondir, mais j'ai cru devoir vous garantir de l'effet. M. de Neny est dans les mains d'un habile homme un excellent instrument passif. Actif, il est dange- reux. — Lettre de Kaunitz au comte de Cobenzl (23 décembre 1758) à propos du projet du placard concernant les mariages. (Archives de la chancellerie, D. 69. m.) 2 Archives du conseil privé, carton 465. 5 Archives de la chancellerie, H. 411. ( 249 ) justesse aux doutes que les états ou les juges forment là- dessus; il doit avoir une connaissance également profonde des traités de paix, des pactes et autres conventions des princes voisins, des droits, hauteurs et prétentions de son souverain et de la valeur et des conséquences des objets sur lesquels nous avons des contestations avec des puissances étrangères. Il doit enfin avoir une idée des charges publiques, de leur qualité, de leur objet et de la forme de les asseoir sur les contribuables. C'est en s'inspirant de ces considérations que les membres du conseil privé choisissaient toujours de préférence pour collègues des pensionnaires du gouvernement qui avaient fait preuve de mérite ou de talents ; des pensionnaires des états ou des villes qui avaient, par leur travail, gagné l'estime de leurs concitoyens ; enfin et surtout, au XVIIIe siècle, des membres de cours supérieures de justice qui se distinguaient dans l'exer- cice de leurs fonctions. Sans regarder comme une nécessité absolue de composer le conseil privé entièrement déjuges, on était cependant porté, au XVIIIe siècle, à ne choisir les candidats que dans cette caté- gorie de personnes. « Il n'y a, disait Kaunitz, aucune carrière » où, par l'analogie du travail et des objets, on puisse mieux » se former pour le poste de conseiller privé que dans nos » tribunaux supérieurs de justice et surtout dans les places de » fiscaux, qui, par état, défendent les intérêts du souverain. » Aussi a-t-on regardé de tout temps ces tribunaux comme la » vraie pépinière du conseil privé; et de fait, tous les grands » sujets que nous y avons eus en ont été tirés *. » Un principe aussi qui paraît avoir toujours présidé au choix des titulaires nouveaux, c'était de ne pas trop multiplier dans le conseil des sujets d'une même province, mais de faire en sorte d'y rassembler, autant que possible, des hommes de chacune des provinces principales ou des membres des tribu- I naux principaux : on réunissait ainsi dans ce corps, dont l'autorité s'étendait à tout le pays, les connaissances appro- 1 Archives de la chancellerie, H. 411. ( 250 ) fondies des lois de chaque canton qui étaient souvent si différentes entre elles. Enfin, on veillait aussi à ce que quelques membres du conseil connussent parfaitement la langue flamande, certaines affaires et spécialement les affaires en doléances des châtel- lenies de la Flandre se traitant en flamand au conseil. Dans une dépêche du 26 avril 1777, le prince de Starhemberg déclarait, à propos de la nomination d'un conseiller, qu'il convenait de savoir le flamand sans que cette connaissance fût absolument nécessaire *. Pour fixer son choix et le signaler au souverain, le conseil ne se bornait pas uniquement à l'examen de ceux qui avaient présenté requête. Ses recherches s'étendaient à tous ceux dont le mérite, les capacités et les talents les rendaient, à son avis, dignes de la confiance du souverain et que souvent la crainte seule de voir diminuer leur considération à la suite d'une demande non accueillie empêchait de briguer les hon- neurs et les dignités 2. Le choix pour le souverain n'était pas toujours des plus faciles, non pas qu'il y eût pénurie de candidats, mais de sujets absolument convenables : la modicité du traitement d'un conseiller privé, dans une ville comme Bruxelles où la vie matérielle était extrêmement chère, n'était pas de nature, au dire de Neny, à y inviter les membres distingués des conseils supérieurs de justice qui étaient mieux traités dans leurs départements et moins chargés de besogne 3. § 4. Du nombre des conseillers. Le nombre des membres du conseil privé a varié avec les époques et les circonstances; généralement il a été restreint. Ce nombre était fixé par les ordonnances qui instituaient ou 1 Archives de la chancellerie, H. W. 695. * Archives du conseil privé, carton 465. 3 Archives de la chancellerie, H. 411. ( 251 ) renouvelaient le conseil ; mais le souverain, d'après ces mêmes ordonnances, pouvait toujours augmenter ou diminuer le nombre de ses conseillers. A son origine, en 1531, le conseil privé comprenait un chef, un président et cinq conseillers. Les instructions de 15 10 éta- blissaient un chef et président et neuf conseillers : la réunion des dix-sept provinces justifiait ce nombre. Dans les temps postérieurs, sous les règnes de Philippe II et des archiducs, il y en eut tantôt neuf, tantôt huit, quelquefois sept, et jamais moins de six, excepté sous les gouvernements du duc d'Albe et de Requesens où le conseil fut assez longtemps réduit à trois membres ; mais on était alors dans une période anormale. Aux funérailles de l'archiduc Albert, il y avait sept conseillers; en 1635, nous en comptons neuf. Dans l'extrême détresse où se trouvaient en 1664 les finances de Philippe IV, ce monarque jugea à propos de faire une réduction générale dans le nombre des officiers de ses con- seils et de ses chambres de comptes. Par lettres patentes du 7 juillet de cette année, il statua que le conseil privé ne serait composé désormais que du chef et président, de cinq conseil- lers et de quatre secrétaires *. Il faut croire cependant qu'on ne s'en est pas tenu à cette disposition, puisque le roi Charles II, en fixant de nouveau le nombre des conseillers à cinq par ses lettres patentes du 23 janvier 1681, ordonna que les places au- dessus de ce nombre seraient supprimées lorsqu'elles devien- draient vacantes 2. En rétablissant les conseils collatéraux par le diplôme du 19 septembre 1725, Charles VI composa le conseil privé du chef et président, de six conseillers et de deux secrétaires. Ce nombre subsista jusqu'en 1750 ; il fut alors réduit à quatre par la mon de deux membres du conseil. Sur la proposition du conseil suprême, Marie-Thérèse, par dépêche du 30 septembre de cette année, chargea le prince Charles de Lorraine de lui » Registres Verds, n« 359, fol. 26. 2 Ibidem, fol. 337. ( 252 ) présenter des ternes pour les deux places vacantes. Le gouver- neur général, par relation du 10 octobre suivant, représenta à l'impératrice que jamais le conseil privé n'avait expédié plus promptement les affaires de son ressort que depuis que le nombre des membres était réduit à quatre ; qu'un plus grand nombre de conseillers faisait perdre beaucoup de temps par la façon dont on opinait; que ceci se vérifiait à ce point qu'il n'y avait alors presque pas d'affaires arriérées au conseil privé et qu'ainsi il n'était pas nécessaire d'augmenter le nombre des conseillers dans ce département. Par dépêche du 28 octobre, Marie-Thérèse fit savoir au gouverneur général qu'elle se con- formait à son sentiment. Cependant le conseil suprême, persuadé que le gouverne- ment faisait erreur en trouvant suffisant le nombre de quatre conseillers, représenta de nouveau de son chef à Marie-Thérèse, dans une consulte du 1er septembre 1752, qu'il était essentiel qu'elle recommandât au gouverneur général de proposer un ou deux candidats pour être nommés au conseil qui venait d'ailleurs d'être réduit à trois membres, sans compter le chef et président. Par dépêche du 9 du même mois, Marie-Thérèse chargea le prince gouverneur de pourvoir aux places vacantes. Mais le gouverneur persista dans son opinion précédente et se borna à proposer la nomination d'un seul conseiller nouveau. Le conseil privé, de son côté, ne présenta qu'un terne. Le conseil suprême hésita alors dans la détermination à prendre ; cependant le grand nombre d'affaires importantes qui se trai- taient au conseil privé, les accidents qui pouvaient survenir au peu de membres qui le composaient et la nécessité de trouver toujours dans ce corps un nombre suffisant de sujets distin- gués pour les employer dans certaines occasions, le décidèrent à proposer la nomination de deux conseillers. Marie-Thérèse jugea néanmoins à propos de n'en nommer qu'un seul et le conseil privé resta réduit à quatre membres jusqu'au commencement de Tannée 1765. Le 22 janvier, le chef et président de Neny présenta au ministre plénipotentiaire comte de Cobenzl un mémoire tendant à démontrer la néces- ( 253 ) site de renforcer le conseil d'un cinquième membre. En por- tant ce document à la connaissance de l'impératrice, le ministre lui représenta que, quoi que le gouvernement eût dit ci-devant de la suttisance de quatre conseillers au conseil privé, les affaires, surtout celles d'une certaine étendue, étaient fort arriérées, malgré l'activité du chef-président. Par dépêche du 14 mars, Marie-Thérèse conféra une place au conseil au pro- cureur général du conseil de Namur i. Enfin, en 1771, à la suite d'un nouveau mémoire adressé par de Neny le 8 novembre 176G4, le nombre des conseillers fut porté à six par décret du 18 mai 3. Au dire du chef et pré- sident, l'activité du conseil était menacée d'un engourdisse- ment complet s'il ne lui survenait pas du renfort : le corps actif était en effet réduit à trois membres par suite de la mala- die grave des deux autres. Ce nombre de six conseillers, porté momentanément à sept en 1774 *, a été maintenu jusqu'à la suppression du conseil en 1787. Lors de son rétablissement, le 27 juillet 1791, le nombre des conseillers fut fixé à neuf 5. CHAPITRE III. DES SUPPÔTS DU CONSEIL. § 1. De l'audiencier et des secrétaires. Avant l'établissement des conseils collatéraux, en 1531, il n'y avait, comme nous l'avons vu, qu'un seul conseil, un con- seil privé, formant à lui seul le ministère ayant la connaissance et la délibération sur toutes les matières du gouvernement, 1 Archives de la chancellerie, H. 368; H. 411. 2 Ibidem, H. 411. 3 Registres Verds, n° 363, fol. 285. — Archives de la chancellerie, reg. 151, fol. 171. * Archives de la chancellerie, reg. 153, fol. 66. 5 Coll. impr. des Archives, in-fol., t. XXV. ( 254 ) État, police, justice, grâces, etc. Huit secrétaires étaient atta- chés à ce conseil ; l'un d'eux était l'audiencier, seul signant en finances. C'était le premier secrétaire du roi aux Pays-Bas. Il assistait ordinairement aux audiences que donnait le gouver- neur général, pour entendre taxer et revoir le droit de scel et remettre en place les requêtes adressées à ce haut fonction- naire. On expédiait dans son office toutes les patentes qui devaient être soumises au grand scel ; tous les actes pour les subsides des provinces, les octrois, le changement et le renou- vellement des magistratures ; toutes les affaires du gouverne- ment général; les patentes des officiers de l'armée; les ordres pour la marche des troupes; les sauvegardes en temps de guerre ; les passeports de guerre. Il était en même temps rece- veur du grand et du petit scel dont une partie du revenu s'appliquait à ses appointements et à ceux de ses commis. Il devait donc assister à toutes les appositions du scel pour tenir compte du droit à faire payer aux intéressés. Les autres secrétaires étaient chargés de l'expédition des dépêches de moindre importance et relatives à la besogne cou- rante du conseil. Après la division en 1531 de ce conseil privé en trois dépar- tements, le conseil d'État, le conseil privé et le conseil des finances, un seul secrétaire fut attaché au conseil d'État et huit au conseil privé, dont l'un était l'audiencier. Il s'éleva alors fréquemment des différends entre l'audiencier, le secré- taire d'État et les secrétaires du conseil privé touchant l'expé- dition des dépêches, chacun d'eux cherchant son avantage, les droits d'expédition revenant aux secrétaires dépêchants. Avant 1531, ces différends ne se produisaient pas; le produit résultant de l'expédition des dépêches constituait une bourse commune qui était partagée également entre tous les secré- taires. Cette bourse commune fut supprimée en 1531. On avait reconnu que son institution présentait divers inconvé- nients et, entre autres, que tous les secrétaires recevaient une quote-part égale quoique ne concourant pas tous également au service. ( 255 ) Le conseil privé, pour prévenir ces inconvénients, fit une disposition par forme de règlement en partageant les dépar- tements des secrétaires selon les matières attribuées à chaque conseil. Malgré cela, les conflits continuèrent et apportèrent une grande confusion dans les expéditions. Le prince de Parme résolut d'y mettre bon ordre et, par un règlement du 5 mai 1583 *, il sépara les départements et attribua à chacun d'eux ses dépêches. Les secrétaires du conseil privé furent dès lors chargés de l'expédition des dépêches résultant des matières de la compétence donnée au conseil en 1531. Cette fois, ce fut entre les secrétaires du conseil privé eux- mêmes que surgirent des différends. Le prince de Parme, par ordonnance du 19 septembre 4593, chercha à les aplanir en répartissant les provinces entre les secrétaires, mais ce règle- ment ne produisit pas le résultat espéré, et il fut alors décidé entre les secrétaires que chacun d'eux, à son tour, aurait la direction du registre aux résolutions et qu'il distribuerait les dépêches entre ses confrères en observant l'égalité. Voici, en outre, d'après les instructions données au conseil privé aux différentes époques, les devoirs des secrétaires. L'audiencier seul, ou en son absence le plus ancien secrétaire, avait entrée au conseil sans pouvoir y donner son avis, mais pour tenir note des résolutions et conclusions et des absences non justifiées des conseillers. Aucun secrétaire ne pouvait assister à la délibération concernant immédiatement ou média- tement soit lui-même, soit un de ses parents ou alliés. Il était défendu aux secrétaires d'adresser au gouverneur général une requête non signée du président; de recevoir ou de tenir gages ou pensions d'autres que du souverain, sous peine de pri- vation d'office et d'amende arbitraire. L'audiencier et les secré- taires étaient obligés de se tenir à la disposition du président pour faire toutes les dépêches qui leur seraient commandées; ils devaient conserver toutes les minutes des pièces qu'ils expé- diaient, pour y recourir au besoin; former un registre de • MS. 15330 de la Bibliothèque royale. ( 236.) toutes les matières traitées au conseil et le remettre aux mains des huissiers auprès desquels les intéressés pouvaient en prendre connaissance pour ce qui les concernait. Ces instructions ne furent pas toujours observées, surtout au XVIIe siècle; différents décrets durent même être émanés pour rappeler les secrétaires à l'exacte observation de leurs devoirs. Nous citerons, entre autres, celui du 6 avril 1632 4, qui défendit aux secrétaires d'apostiller des requêtes à l'insu du conseil ; ceux du 3 avril 1659 2, du 17 octobre 1698 3 et du 19 mai 1701 4, qui défendirent à l'audiencier de dépêcher de son chef aucunes lettres en matières de justice, de police et de grâces; il devait les remettre au président pour en ordonner l'exécution par le conseil lui-même. Les différends qui avaient surgi au XVIe siècle entre les secré- taires des conseils privé et d'État, au sujet de l'expédition des dépêches, reparurent après le rétablissement des conseils col- latéraux en 172o. D'après le plan de la réorganisation des conseils, les consultes touchant la nomination aux offices, dignités et bénéfices ecclésiastiques avaient été enlevées au con- seil d'État et attribuées au conseil privé. Des contestations s'élevèrent entre les secrétaires des deux départements, tou- chant l'expédition des patentes relatives à ces objets. Les secré- taires du conseil privé soutinrent qu'elle leur appartenait, puisque c'était en vertu du décret mis sur la consulte, laquelle restait à leur office, que les patentes se dépêchaient, et qu'on ne pouvait séparer la dépêche de la consulte et du décret. Les secrétaires du conseil d'État prétendaient le contraire : selon eux, il n'y avait aucun inconvénient à faire cette séparation, dont l'exemple journalier se voyait dans l'audiencier qui dépê- chait, sur le mandat qu'on lui faisait, la plupart des patentes des offices passés autrefois par consulte du conseil d'État et 1 Registres Verds, n° 359, fol. 237 v°. 2 Ibidem, n° 360, fol. 61 v°. 5 Ibidem, fol. 45 v°. * Ibidem, fol. 61 v°. ( 257 ) passant présentement par celle du conseil privé. D'ailleurs, puisque, disaient-ils, le plan nouveau ne leur enlevait pas le droit de la dépêche, les choses, à cet égard, devaient rester sur le pied ancien par rapport aux dépêches et patentes des digni- tés et bénéfices ecclésiastiques. Les raisons de part et d'autre étaient plausibles. Celles invoquées par le conseil privé étaient naturelles et conformes au train régulier; mais l'exemple de l'audiencicr faisait voir qu'il n'y avait aucun inconvénient dans la séparation de la con- sulte et de la dépêche. Le différend ayant été porté à la con- naissance et à la décision de l'Empereur par consulte du conseil suprême, Charles VI laissa par provision les dépêches de cette nature aux secrétaires du conseil d'État *. Cette question reçut une solution définitive en 1731. Par décret du 11 janvier2, Charles VI décida que les dépêches des mandats pour lesquelles on ne payerait que quatre florins se feraient par la voie de l'audience; celles des patentes des évêchés, abbayes et dignités ecclésiastiques, par la secrétairerie du conseil d'État; celles des agréations, permutations, rési- gnations de bénéfices et canonicats, des collations de cures et chapelles de fondation royale, par les secrétaires du conseil privé. Tous les secrétaires du conseil privé n'avaient pas indistincte- ment capacité constitutionnelle pour intervenir aux actes con- cernant le duché de Brabant. D'après l'article 7 de la Joyeuse Entrée, les édits, provisions, ordres, dépêches émanés du gou- vernement et destinés à devenir exécutoires en Brabant et dans le Limbourg, devaient être contresignés par un secrétaire ayant signature en Brabant, c'est-à-dire né dans le duché, patenté au sceau du Brabant et assermenté entre les mains du chancelier du duché. Le conseil et les états de Brabant, en dépit de furieuses querelles, renvoyaient et refusaient de reconnaître les « MS. 12294, p. 18, de la Bibliothèque royale. 2 Registres Verds, n° 360, fol. 233 v°; Archives de la chancellerie, D. 2. 13. Tome LU. 17 ( 258 ) documents signés par de simples secrétaires du conseil privé *. Ne pouvant vaincre la résistance du duché, le conseil privé s'avisa d'un biais. On avait eu coutume de reconnaître l'audiencier comme étant secrétaire en Brabant à titre presque exclusif. Le conseil privé demanda au souverain des patentes brabançonnes pour un de ses propres secrétaires. Il obtint gain de cause; et, dit Wynants, « comme on ne peut obliger » le roi à se contenter d'un secrétaire et qu'il lui est libre d'en » créer plusieurs, attachés à sa personne et à ses ordres, ni le » conseil ni les états de Brabant n'ont eu bouche à parler et » l'audiencier a dû se taire comme eux. » Le principe constitutionnel était d'ailleurs sauf, dit M. Poul- let 2. En 1728, il fut cependant méconnu. L'Empereur, sur consulte du conseil suprême et contrairement aux soutènements des états de Brabant, statua qu'un audiencier né en Hainaut pouvait signer en Brabant. Mais à la fin de l'ancien régime, il était d'usage de donner à un des secrétaires du conseil privé, au moins, des patentes brabançonnes en due forme. Le nombre des secrétaires attachés au conseil privé a varié, comme celui des conseillers, suivant les époques et les circon- stances. En 1531, il y en avait huit, y compris l'audiencier; en 1540, le nombre fut fixé à six par les instructions du 12 octobre. Au commencement du règne de Philippe IV, nous en trouvons dix : c'est que, alors, à cause de la triste situation du trésor, on donnait, moyennant finances, des places de secré- taires surnuméraires à tous ceux qui voulaient les acheter. En 1664, par lettres patentes du 7 juillet 3, le nombre des secrétaires fut réduit à quatre. En rétablissant le conseil privé en 1725, Charles VI fixa à deux le nombre de ses secrétaires. Enfin, par décret du 10 mars 1738, deux secrétaires surnumé- raires furent adjoints a la secrétairerie avec droit de succession '*. 1 Pcullet, Constitutions nationales, p. 241. 2 Idem, ibid. 5 Registres Verds, n° 359, fol. 26. 1 Archives du conseil privé, carton 465. ( 259 ) En 1744, une réforme importante fut apportée dans la secré- tairerie des eonseils collatéraux; je veux parler de la suppres- sion de l'audiencier. Dès le 5 octobre 4717, lorsqu'il fut ques- tion d'organiser un nouveau gouvernement aux Pays-Bas, l'uti- lité des fonctions de l'audiencier avait fait l'objet d'un examen spécial à Vienne. Persuadé que ce fonctionnaire exerçait une grande influence sur les affaires des Pays-Bas, le baron de Penteridder pensa qu'il fallait le conserver. La question fut de nouveau examinée en 1727; finalement, l'audiencier fut main- tenu. En 1744, elle fut derechef l'objet d'un examen sérieux. Cette fois, la suppression en fut décidée le 20 juin *, pour les raisons suivantes : 1° Cet emploi n'était que celui d'un premier secrétaire et d'un receveur du droit de scel, par conséquent superflu, les attributions de l'audiencier pouvant être réparties entre les secrétaires du gouvernement. 2° La collation de cet emploi avait donné lieu à de fréquentes oppositions et à des plaintes de la part des états de Brabant, parce que, selon leur manière de voir, le titulaire devait être Brabançon. En supprimant l'emploi, l'on mettait à néant toutes ces plaintes. 3° Par la suppression de l'emploi, l'État réalisait, au surplus, une économie de 7,000 florins par an, somme à laquelle il fal- lait ajouter une nouvelle augmentation de 3,000 florins que le dernier audiencier avait obtenue. Le décret portant suppression de l'audiencier détermina la façon dont serait faite, entre les secrétaires des différents dépar- tements, l'expédition des dépêches résultant de cet office. § 2. Des officiaux. Quoique fonctionnaires d'un ordre inférieur et préposés à une besogne d'un caractère plutôt matériel, les officiaux n'étaient pas sans importance. Le conseil privé a toujours con- 1 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VI, p. 38. ( 260 ) sidéré comme chose essentielle, pour avoir une secrétairerie bien montée, de s'assurer d'un bon choix d'officiaux, d'en limiter le nombre à la quantité que le service exigeait et d'at- tacher chacun d'eux au travail auquel il était le plus propre. Probité, discrétion, exactitude, activité et talents relatifs à la besogne qui devait leur être confiée, voilà les qualités qu'on exigeait de ces fonctionnaires subalternes. Le nombre des officiaux attachés à la secrétairerie a toujours augmenté avec le travail de cette administration. De quatre à six qu'il était au XVIe et au XVIIe siècle, il s'élève, en 1763, à neuf. Avant 1791, il n'avait jamais été réglementé. Par décret du 7 juillet de cette année, il fut fixé à vingt officiaux ordi- naires et à dix surnuméraires. De plus, ce décret prescrivit que les surnuméraires ne seraient pas remplacés et que leurs places s'éteindraient à mesure que les titulaires parviendraient aux fonctions d'officiaux ordinaires. Voici comment étaient classés les différents officiaux : 1° Il y avait d'abord un premier officiai; il était chargé de distribuer la besogne à ses collègues, de fermer les dépêches, d'y mettre les adresses, de les envoyer ponctuellement à la poste, de remettre aux agents ou aux particuliers celles qui leur étaient destinées, de correspondre avec eux pour en rece- voir les droits d'expédition ou d'exploits et de rendre compte de cette recette à qui de droit. On exigeait de cet officiai beau- coup de probité, d'assiduité et d'attention; il était d'usage de confier cet emploi au plus ancien des officiaux. 2° Venait ensuite l'official archiviste, fonctionnaire essentiel de qui dépendaient presque toutes les opérations de la secré- tairerie. L'official archiviste devait avoir une connaissance générale de toutes les affaires qui se traitaient au conseil pour fournir au besoin toutes les pièces nécessaires et compléter tous les dossiers avant de les mettre au dépôt. 3° Une troisième catégorie comprenait les officiaux chargés de tenir le registre aux distributions et le registre aux décrets. Ces officiaux étaient en même temps chargés, sous l'inspection des conseillers rapporteurs, de la rédaction des minutes des dépêches, patentes, octrois, etc. ( 201 ) 4° La quatrième catégorie était celle des ofliciaux attachés à la rédaction du registre protocole du conseil. Cette tâche était considérée comme assez pénible; elle demandait une assiduité constante et surtout une grande exactitude dans la formation des index. 5° Venaient ensuite les ofliciaux préposés au dépouillement des affaires, travail dont les conseillers ne pouvaient souvent pas se charger à cause de la multiplicité de leurs occupations. Ces ofliciaux devaient joindre à beaucoup d'intelligence la connaissance des objets qui pouvaient leur être confiés, pour pouvoir rendre avec précision et clarté les affaires, sans omettre aucune des circonstances de nature à déterminer la justice et la bienfaisance du gouvernement. 6° Enfin, il y avait des ofliciaux copistes, chargés du registre verd, de la mise au net de toutes les consultes, extraits du protocole et autres dépêches courantes. On exigeait du copiste une belle écriture et de l'orthographe. « On le dispensait d'avoir de l'esprit. » Les ofliciaux étaient nommés par les secrétaires. En 1749, le gouverneur général demanda aux secrétaires de lui proposer quelques sujets pour remplir une place d'otticial surnuméraire créée récemment. Par lettre du 3 juillet, les secrétaires repré- sentèrent au conseil que les places d'officiaux avaient été de tout temps de leur collation; qu'ils en avaient toujours eu la libre disposition, sans qu'on ait jamais songé à leur contester ce droit ni encore moins à le leur enlever. Cet usage, selon eux, était fondé sur le motif que personne n'était plus à même que les secrétaires de connaître les qualités des candidats à ces places et qu'ayant, en quelque sorte, à répondre de la pro- bité et des capacités des employés de leurs bureaux, il conve- nait qu'ils les connussent assez eux-mêmes pour pouvoir compter entièrement sur eux. Au surplus, ils étaient disposés à déférer avec soumission à tout ce qu'il plairait à Son Altesse Royale de déterminer à cet égard i. Par décision de l'impéra- 1 Archives du conseil privé, carton 465. ( 262 ) trice du 7 juin 1750 *, la nomination des officiaux fut retirée aux secrétaires et donnée au gouverneur général. Par ordonnance du 4 septembre 1769 2, il fut défendu aux officiaux, sous peine de destitution, de se marier sans le con- sentement et la permission écrite du conseil privé. On voulait sans doute maintenir une certaine dignité dans ce corps dont les membres étaient mal rétribués. Les gages des officiaux variaient, en 1780, de 400 à 1,400 florins. Les secrétaires firent remarquer, dans un rapport adressé le 21 mai 1784 au prési- dent du conseil 3, que les appointements des officiaux n'étaient pas suffisants pour les attacher à leur emploi ou du moins pour les payer de leur travail. Quelle exactitude, quelle fidélité, disait le rapport, peut-on attendre d'un homme qui, au moment où il travaille pour le gouvernement, doit songer a des moyens subsidiaires pour venir en aide à sa femme et à ses enfants? Aucune; et s'il devenait négligent ou coupable, il ne faudrait peut-être s'en prendre qu'à la modicité des moyens qu'il a pour vivre. Quant aux officiaux surnuméraires, ils n'avaient pas de gages fixes; on leur distribuait chaque année des gratifications de loO à 200 florins. Aux jours ordinaires, tous les officiaux indistinctement devaient se trouver à la secrétairerie de 9 heures et demie à 1 heure; les après-midi, quatre d'entre eux, et par tour de rôle, devaient s'y rendre de 3 heures et demie à 5 heures et demie. Les dimanches et jours de fêtes, la présence de deux officiaux seulement était exigée les après-midi à la secrétai- rerie, mais le matin, ils devaient tous s'y trouver de 10 heures à 1 heure. L'official secrétaire du chef et président était seul dispensé de fréquenter la secrétairerie les après-midi. Les secrétaires pouvaient toujours mander à la secrétairerie les offi- 1 Archives de la chancellerie, D. 33. s. * Registres Verds, n° 363, fol. 108. 5 Archives du conseil privé, carton 46 ( 263 ) ciaux en dehors des heures ci-dessus indiquées, quand il sur- venait une besogne imprévue et urgente. Les secrétaires pouvaient autoriser les otticiaux à s'absenter pour un ou deux jours ; une absence plus longue exigeait l'au- torisation du chef et président. Les officiaux devaient se conduire envers les secrétaires avec la déférence due à des supérieurs et entretenir entre eux-mêmes une union parfaite •. § 3. Du receveur des exploits. Le receveur des exploits était un agent spécialement chargé de la recette des amendes imposées par le conseil ; des amendes civiles payées pour l'obtention d'une grâce, d'une dispense, des compositions concédées par le conseil des finances en faveur des bannis qui désiraient rentrer dans leur pays; des sommes auxquelles le conseil taxait les octrois pour franche foire, pour imprimer, pour l'érection d'un bien en fief, pour tenir cabaret, etc., etc. Il était d'autre part chargé de faire face aux charges du conseil. Celles-ci consistaient dans tout ce qui avait rapport aux nécessités de la chambre du conseil et de la secrétairerie, tels que papier, registres, encre, plumes, etc., ainsi que les droits de flambeaux dus aux membres et aux suppôts du conseil. La caisse de la recette des exploits du conseil se soldait presque toujours par un déficit, après le rétablissement du conseil en 1725. La connaissance des affaires contentieuses ayant alors été absolument interdite au conseil privé, la recette se trouva notablement diminuée, parce que les amendes de fol appel, de requêtes civiles et autres n'y rentraient plus. Nous trouvons que pour les années 1743, 1744 et 1745, la recette moyenne n'avait été que de 357 florins, tandis que les dépenses s'élevaient à 1577 florins par an 2. Archives du conseil privé, carton 466. Ibidem, cartons 467 et 467 bis. ( 264 ) Pour faire face à cette situation, le conseil privé proposa en 1750, et le gouverneur décida de taxer certaines dépêches qui s'expédiaient au conseil i. L'établissement de la recette des exploits du conseil privé remonte à l'institution du grand conseil en 1446 2. Toutefois, ce ne fut qu'en 1464 (n. s.), par acte du 4 janvier 3, que Phi- lippe le Bon constitua un receveur spécial comptable. Le pre- mier compte fut rendu à la chambre des comptes à Lille par le titulaire Simon Bolle. Lorsque Charles le Téméraire créa, en 1473, le Parlement de Malines, le receveur des exploits fut attaché à cette cour *, tout en continuant d'exercer ses fonctions près le grand conseil. A la chute du Parlement, en 1477, ce fonctionnaire devint le receveur des exploits du grand conseil ambulant de la duchesse, pour être de nouveau attaché, en 1503, au grand conseil ambulant et au grand conseil de Malines établis par Philippe le Beau. Lors de l'établissement des conseils collatéraux en 1531, le receveur des exploits resta attaché au grand conseil de Malines et au conseil privé, sous le nom de receveur des exploits des privé et grand conseils. La recette des deux conseils était exercée par une même personne en titre, qui a constamment résidé à Malines à la suite du grand conseil; mais ce titulaire avait une personne commise de sa part, sous l'agréation du gouvernement, à la recette des exploits du conseil privé et qui se qualifiait de commis à la recette des exploits du conseil privé. Et de même que le receveur en titre rendait ses comptes à un conseiller du grand conseil, nommé à cet effet par le président, de même le commissionné de sa part rendait les siens à un membre du conseil privé, désigné par le chef et président. 1 Archives du conseil privé, carton 466. 2 Ibidem. 3 Registre de la chambre des comptes, n° 21430, fol. 369. Édit de Thionville, décembre 1473, art. xx. ( 265 ) C'est sur ce pied compliqué que les choses subsistèrent jus- qu'en 1761. Alors, le receveur des exploits résidant à Malines, nommé Crabeels, commit le premier officiai du conseil privé, Broers, à la recette des exploits de ce même conseil; l'arrange- ment entre eux fut que Broers recevrait les gages de 200 florins afférents à cette charge, et que les 5 % de la recette qui y étaient également attachés, reviendraient à Crabeels. En 1763, un changement total fut apporté à cet état de choses. Le gouvernement supprima l'office de receveur des exploits des privé et grand conseil, et attacha à chacun des deux corps un receveur des exploits en titre, par commissions expédiées au conseil des finances, le 28 mars de cette année *. Le grand conseil eut le sien, et Broers fut constitué à l'état de receveur des exploits du conseil privé, aux gages de 200 florins qui, le 6 mai 1764, furent portés à 320 florins, en compensation de la suppression de la perception de 5% de la recette. Depuis lors, le receveur rendit compte de sa gestion au chef et prési- dent, qui recevait de ce chef 25 florins par compte. Par résolution en date du 15 mars 1766 2, le receveur des exploits du conseil privé avait séance avec le conseil, en man- teau et sans épée, immédiatement après les secrétaires, dans toutes les occasions où le conseil se trouvait en corps : funé- railles, processions, Te Deum, etc., et relativement à l'église Sainte-Gudule, aussi longtemps que le conseil ne se trouvait pas assez nombreux pour occuper les neuf places qui lui étaient réservées dans les hautes formes de cette église par le décret du 13 août 1740. § 4. Des agents admis au conseil privé. Les fonctions des agents admis à solliciter auprès du conseil privé étaient assez analogues aux obligations des avoués de notre temps. Ils se chargeaient, au nom des intéressés, de la 1 Archives du conseil privé, carton 466. 2 Registres Verds, n° 362, fol. 135 v°. ( 266 ) poursuite des affaires introduites au conseil ; ils rédigeaient les requêtes, les mémoires; faisaient toutes les écritures, devoirs et vacations nécessités par l'intérêt de la cause qu'ils prenaient en mains. Le concours d'un agent n'était pas cependant obligatoire ; les intéressés pouvaient eux-mêmes solliciter la décision de leurs affaires et en lever les expéditions, comme aussi ils pouvaient signer seuls les requêtes, placets, mémoires qu'ils présentaient, sans autre obligation que l'emploi du papier timbré t. Les agents ne pouvaient présenter aucune requête au conseil sans y joindre la procuration qui leur avait été donnée, soit expresse ou par lettre, soit en original ou en copie certifiée, à peine d'encourir pour la première fois, au profit de la recette des exploits du conseil, une amende de dix florins, de vingt pour la seconde fois, et la suspension pour la troisième fois. Cependant, comme il pouvait se présenter une affaire pres- sante qui ne souffrait aucun délai et dont l'agent, faute de pouvoir produire immédiatement procuration, risquait de manquer le succès, il lui était permis, dans ce cas, de présen- ter la requête en faisant toutefois mention sous sa signature de l'absence de procuration et en Rengageant à la produire avant de pouvoir lever aucune expédition résultant de cette affaire. Défense était faite à toute personne non revêtue de la qua- lité d'agent, excepté aux intéressés, de présenter au conseil aucune requête, aucun mémoire, ni de solliciter aucune affaire ou de lever les expéditions qui en résultaient, sous peine d'une amende de 12 florins 2. Un règlement du 28 juin 17o8 3, confirmatif des décisions du conseil privé du 30 juin 1604, du 10 décembre 1631 4, 1 Ordonnance du 9 juillet 1749; Placards de Flandre, t. V, p. 1112. - Placards de Flandre, t. V, p. 1113. 5 Placards de Brabant, t. IV, p. 162. * Ibidem, p. 163. ( 267 ) du 1er octobre 1635 * et du placard du 9 février 1669 2, déter- minait les devoirs et le prix des vacations des agents admis au conseil privé. La nomination des agents était de la collation du chef et président. De Neny, du moins, conférait ces places. Nous avons pu même constater que des requêtes adressées à cet effet au ministre plénipotentiaire étaient renvoyées à de Neny. C'est ainsi que Cobenzl lui renvoya, le 27 août 1766, celle d'un nommé Reynax, en lui témoignant l'intérêt qu'il portait à ce candidat et en lui exprimant la satisfaction qu'il éprou- verait de le voir admettre à l'emploi qu'il sollicitait. Le chef- président accéda à ce désir. Toutes les demandes de places d'agent auxquelles accédait de Neny étaient appointées de sa main de la manière suivante : « J'accorde au suppliant la place d'agent vacante par la mort » de , et soient en conséquence expédiées les provisions » requises. » Il est à croire cependant que ses prédécesseurs n'en agissaient pas de même. Nous trouvons, en effet, une autre disposition sur une requête présentée au chef-président Steenhault. L'apostille porte la concession à la demande au nom de Sa Majesté, avec le paraphe du chef- président et la signature d'un secrétaire. La marche suivie par de Neny annonce donc une collation propre au chef et président, tan- dis que celle de son prédécesseur indique une collation réser- vée au gouvernement. Il n'y avait pas de médianate réglée pour les places d'agent. Mais nous trouvons que de Neny fixait arbitrairement, dans certains cas, une rétribution à la caisse des exploits du conseil. C'est ainsi qu'en 1767, l'agent Pianchon a dû verser à cette caisse 700 florins; en 1768, l'agent Germain y a versé 800 flo- rins, et en 1773, l'agent Beker également 800, tandis qu'en 1766 l'agent Reynax n'a pas été taxé, par suite, probablement, de l'intérêt que Cobenzl avait porté à sa nomination 3. 1 Placards de Brabant, t. IV, p. 163. - Ibidem. 5 Archives du conseil privé, carton 466. ( 268 ) Le nombre des agents admis au conseil privé a varié. En 4604, il y en avait quatre; en 1784, le nombre était de douze ; la fixation de ce chiffre paraît avoir eu pour époque le règle- ment de 1758. La commission donnée aux agents était dépêchée sous le nom du souverain par la secrétairerie du conseil privé. Elle portait admission à l'exercice de cet état, tant devant le conseil privé que devant celui des finances et à la chambredes comptes, avec la clause de prestation de serment en mains du chef et président * . § o. Du contrôleur du scel. Les fonctions du contrôleur du grand et du petit scel con- sistaient, pour ce fonctionnaire, a assister à la sigillature les jours où le chef et président tenait les sceaux, afin d'annoter, pour le contrôle du receveur des droits y attachés, les lettres patentes qui passaient au sceau. Le contrôleur du scel jouis- sait d'un traitement de 600 florins et recevait, en outre, 25 flo- rins 12 sols pour droits de flambeaux. Le 8 janvier 1783, sur la proposition du ministre plénipo- tentiaire et de l'avis conforme du chancelier Kaunitz, Joseph II supprima, par esprit d'économie, cet emploi qui, dans la suite, fut rempli par l'un quelconque des ofïiciaux 2. Le 23 juillet 1791 3f il fut rétabli par l'empereur Léopold. § 6. Des avocats et des procureurs. Au XVIe et au XVIIe siècle, il y avait au conseil privé deux avocats et quatre procureurs : c'est que, alors, le conseil s'éri- geait souvent en tribunal et prenait connaissance d'affaires contentieuses. Mais depuis le rétablissement du conseil en 1725, il ne fut plus admis d'avocats au conseil ; ils devenaient * Archives du conseil privé, cartons 466 et 467 bis. 2 Archives de la chancellerie, D. 107. s. 5 Registre de la chambre des comptes, reg. 9o3, fol. 224. ( 269 ) en effet inutiles alors, à l'égard d'un corps qui ne pouvait plus s'immiscer dans les affaires de justice ordinaire. Pour la même raison, on aurait pu, depuis 1725, se dispen- ser de conférer des places de procureurs près le conseil privé; mais leurs fonctions tenaient à celles d'agents et étaient con- fondues avec elles. Il y avait cependant un procureur en titre près le conseil privé pour les causes qui s'y traitaient en appel, telles que les affaires en doléances. Il était en même temps attaché, en la même qualité, à la chambre suprême, composée de membres du gouvernement et déléguée pour connaître en dernier res- sort des affaires des domaines, des droits d'entrée et de sortie, jugées en première instance par les juges des domaines et des droits i. § 7. Du chapelain du conseil privé. Un prêtre était attaché en qualité de chapelain au conseil privé. 11 était chargé de dire la messe à 8 heures du matin, dans la chapelle du chef et président, toutes les fois que le conseil s'assemblait. La messe ne pouvait commencer qu'après l'arrivée du chef et président, lorsque celui-ci désirait y assis- ter. En cas de maladie, le chapelain était obligé de commettre en sa place et à ses frais un autre prêtre pour célébrer la messe à l'heure ordinaire. Pour tout autre motif, le chapelain ne pouvait s'absenter sans l'autorisation du chef et président, ni se faire remplacer sans son consentement, sous peine de suspension et à charge pour lui de payer de ses gages 1 florin pour chacune des messes qu'il aurait été en défaut de célébrer. Le chapelain profitait des vacances ordinaires du conseil et, lorsque celui-ci ne s'assemblait pas, il n'était pas tenu à l'ac- complissement des devoirs de sa charge-. Le chapelain était nommé par le chef et président; ses gages 1 Archives de la chancellerie, D. 108. c. 2 Règlement du 3 octobre 1758. ( 270 ) étaient de 245 florins; il recevait en outre, pour droits de flam beaux, 25 florins par an. Il était payé de trois mois en trois mois « à rate du temps qu'il aura servi audit état et dont il » apparera par certification du président du conseil privé » ». § 8. Des huissiers du conseil privé. Les huissiers du conseil privé étaient au nombre de deux. L'un était qualifié d'huissier ordinaire et porte-masse, le second d'huissier ordinaire du conseil privé. L'huissier porte-masse était chargé par ses patentes, comme l'huissier ordinaire d'ailleurs, de « mettre à due exécution tous » ajournements, défauts, actes, appointemens, sentences et » autres provisions et ordonnances émanées des privé et grand » conseils » et de plus, de porter la masse devant le chef et président. Il habitait le palais où siégeait le conseil et y faisait l'office de concierge. En dehors des jours et heures de séances, il se tenait à la disposition de ceux qui se présentaient au palais, recevait leurs désirs et les transmettait à qui de droit. Le second huissier était plus spécialement attaché au service du conseil. Ses patentes présentaient les mêmes clauses que celles du porte-masse relativement aux attributions des huis- siers ordinaires; de plus, il était chargé « de rester dans l'anti- » chambre du conseil privé pendant les séances, de l'accom- » pagner dans les cérémonies publiques et d'avoir soin de la » chambre où le conseil s'assemble ». Les huissiers devaient exécuter promptement les ordres qui leur étaient donnés par les secrétaires ou les offîciaux concer- nant le service. Ils ne pouvaient de leur chef, sous n'importe quel prétexte, introduire quelqu'un d'étranger au conseil dans la salle des séances ni dans aucune des places où se trouvaient des papiers 2. 1 Archives du conseil privé, carton 466. 2 Registres Verds, n° 364-, fol. 101 v°. ( 271 ) Les gages du premier huissier étaient de 600 florins ; ils pou- vaient s'élever, avee les revenus extraordinaires, à 1,000 florins. L'état du second huissier pouvait valoir en tout 600 florins *. Les huissiers étaient nommés par le souverain : une quan- tité de collations faites à la délibération des gouverneurs géné- raux et même sur consulte et proposition du conseil privé ne paraissent pas laisser de doute à ce sujet. Cependant de Neny a cherché maintes fois à établir que la collation des places d'huissiers devait appartenir au chef et président. Il se fondait sur ce que le chef et président comte de Baillet en conféra une en janvier 1726 à Thomas Cheval, en apostillant comme suit la requête qui lui fut présentée : « Soit dépêchée la patente » d'huissier porte-masse, en la forme ordinaire, en faveur du ?) suppliant. » Comme on représentait à de Neny que la nomination que l'archiduchesse fit en 1732 du successeur de Thomas Cheval renversait cette prétention tirée de l'apostille précédente, le chef et président se retrancha sur ce fait qu'au bas du décret au conseil notifiant cette nomination se trouvait l'apostille suivante : « Soit dépêchée la commission comme S. A. R. le )> veut et l'ordonne », apostille qu'il regardait comme une sorte de réclamation du droit ordinaire des chefs et présidents. Il apportait en outre à l'appui de ses prétentions les collations de ce genre que fit le chef et président Coloma. Quant aux places qui furent conférées sous la présidence de Steenhault, de Neny disait que ce chef et président ne soutint jamais aucune de ses prérogatives, et qu'il laissa perdre tran- quillement et sans la moindre représentation celles qu'on voulait lui prendre 2. * Archives du conseil privé, carton A66. 2 Ibidem. ( 272 ) § 9. Du fourrier et du chauffe-cire. Le fourrier, selon les termes de ses patentes, était chargé « d'accomoder les logements des conseils d'État, privé et des » finances toutes et quantes fois le besoin est et que ces con- » seils se transporteront de lieu à autre pour le service de » Sa Majesté ». Ces mêmes patentes lui attribuaient les honneurs, droits, prérogatives, franchises et exemptions dont jouissaient les fourriers de la cour. Le fourrier n'avait pas de gages; les exemptions dont il jouissait en tenaient lieu; il recevait 25 florins pour droits de flambeaux. L'emploi de fourrier n'était pas permanent, l'exercice des fonctions que cet agent était appelé à remplir étant accidentel. Pendant le XVIIIe siècle, le fourrier ne fut appelé à exercer son office qu'en 1746, 1747 et 1748, lorsque les Français occu- pèrent la ville de Bruxelles, ainsi que de 1791 à 1794, par suite des invasions françaises dans les Pays-Bas*. Le chauffe-cire jouissait de 75 florins de gages, payables hors du produit des droits du sceau. Il recevait en outre 25 florins pour droits de flambeaux. Ses fonctions consistaient échauffer la cire et à y appliquer les sceaux 2. CHAPITRE IV. DES SÉANCES DU CONSEIL. § 1. Jours, heures et lieu des séances. Nombreuses et fréquentes étaient les séances du conseil privé. A l'origine, les conseillers devaient tenir deux séances par jour. De la Saint-Michel à Pâques, ils se réunissaient de 1 Archives du conseil privé, carton 466 ; ibid., reg. n° 304, fol. 7 v°; Archives de la chancellerie, D. 21. g. 2 Archives du conseil privé, carton 466. ( 273 ) 8 heures du matin à 11 heures; et de Pâques à la Saint-Michel, de 7 heures à 10 heures. L'après-midi, les séances se tenaient en toute saison de 3 à 5 heures *. Par décret du 12 janvier 1726 2, le conseil put se réunir de S heures et demie du matin à midi, tous les jours, excepté les jours des fêtes du palais 3, et fut dispensé de s'assembler les après-midi. Cette mesure fut prise à la suite d'un rapport adressé par le conseil à la gouvernante, le 4 février 1726 4. Dans ce rapport, le conseil fit remarquer à l'archiduchesse qu'une séance régulière et continue, tenue le matin, fournirait pendant l'année plus d'heures de service que les deux séances du matin et de l'après-midi, le conseil ne se réunissant jamais les après-midi le samedi et les jours de vigiles. D'autre part, disait le rapport, la tenue des séances le matin et l'après-midi était très fatigante pour les membres du conseil; elle ne leur laissait guère le temps de donner des audiences ni d'étudier et de préparer les rapports pour les séances du lendemain. En 1758, un changement fut encore apporté dans les jours de séances. Par disposition du 28 janvier de cette année $, Marie-Thérèse introduisit au conseil privé l'usage suivi et prescrit au conseil des finances par les articles 34 et 35 des instructions du 28 janvier 1733 6, de ne pas tenir de séance les mardis et les vendredis. Mais, par contre, les jours des fêtes du palais furent supprimés. Les instructions de 1531, 1540, 1632 et 1725 ne contenaient aucune disposition relative aux vacances. En fait cependant, le conseil prenait des vacances de quinze jours aux Pâques, à la « Ordonnances de 1531, 1540, 1632 et 1725. 2 Registres Verds, n° 360, fol. 104 v°. 5 Ces jours étaient au nombre de trente-six ; c'était un usage suranné de l'union du conseil privé et du grand conseil. — Archives de la chan- cellerie, D. 66. c. 4 Reg. Verds, n° 360, fol. 103; Archives de la chancellerie, reg. 123, toi. 1 v*; ibid., D. 2. 4. 3 Archives de la chancellerie, reg. 112, fol. 158; ibid., D. 66. c. 6 Registres de la chambre des comptes, nos 212 et 885. . . 'Tome LU. 18 ( 274 ) Pentecôte et à la Noël. En 1782, il fut question de supprimer les vacances de Pâques et de la Noël, mais sur les instances du conseil privé, elles furent maintenues *. Avant l'incendie de la nuit du 3 au 4 février 1731, qui con- suma le palais royal de Bruxelles, le conseil privé s'y réunis- sait ainsi que les conseils d'Etat et des finances. Chaque corps y avait sa salle des délibérations, son secrétariat et le dépôt de ses archives. Depuis, le conseil privé s'assembla dans l'ancien hôtel de Granvelle, rue des Sols â. Il devait toutefois se tenir à la disposition du gouverneur général et se réunir là où celui-ci le jugeait convenable 3. § 2. De la tenue des séances. Dans la salle de réunion du conseil, il y avait deux tables longues, couvertes de drap vert, l'une pour le chef-président et les conseillers, l'autre pour les secrétaires, à quelques pas en arrière de la première. Le chef-président siégeait au haut bout de la table, dans un fauteuil de velours vert; il avait devant lui un pupitre couvert pareillement de velours vert à crépine d'or. Les conseillers étaient assis aux deux côtés sur des chaises de drap vert ou de maroquin. Le bas bout de la table ne pouvait être occupé. Les secrétaires avaient des sièges semblables à ceux des con- seillers; ils étaient tous assis sur la même ligne, faisant face à la table du chef-président et des conseillers. En l'absence du chef, celui qui présidait au conseil ne pou- vait prendre place au fauteuil présidentiel. Un décret du 15 juin 1757 permit à de Neny, nommé président-adjoint à Steenhault, d'occuper le fauteuil tant au conseil privé qu'au conseil des finances, lorsque le chef-président n'assistait pas aux séances. Mais de Neny nous apprend qu'il s'en abstint 1 Archives de la chancellerie, D. 107. c. 2 De Baecker, Organisation adm. et polit, des Pays-Bas, p. 24. 3 Ordonnances de 1531, 1540, 1632 et 1725. ( 27o ) toujours; il se contentait de prendre, à la droite de la table, sur une chaise, la place du premier conseiller *. L'ordre des séances était des plus simples. Le chef, ou en son absenee celui qui présidait, proposait les matières et distribuait les affaires aux conseillers. Le rapporteur faisait un exposé sommaire de l'affaire; après quoi, il lisait les pièces qu'il estimait devoir être lues et, la lecture achevée, le prési- dent le semoncait de dire son opinion ; après lui, il semoneai: pareillement les autres conseillers en commençant par le der- nier en ordre, puis il concluait à la pluralité des voix. S'il arrivait que les voix fussent égales, on exposait les différentes opinions au gouverneur général qui en décidait -. Les affaires qui se traitaient au conseil y parvenaient de deux manières, savoir, ou par des représentations qu'on lui adressait directement, ou par des décrets du gouverneur général. Dans le premier cas, le conseil y disposait lorsqu'il s'agissait de matières dont les souverains lui avaient confié la décision; sinon, il les portait à la connaissance du gouverneur général et attendait sa résolution. Pour ce qui concernait les affaires envoyées au conseil par décret, le plus souvent celui-ci était chargé de consulter, e'est-à-dire de donner sur la matière son sentiment par écrit. Quelquefois le gouverneur général décidait une affaire par lui-même, sans entendre le conseil, et alors son décret ne faisait qu'annoncer sa décision pour être exécutée. Quelque- fois enfin, les affaires étaient laissées par le décret à la disposi- tion du conseil. Tout cela dépendait du bon plaisir et de la direction du gouverneur général. Mais le conseil était en droi; de faire des représentations, lorsqu'il jugeait que les décisions du gouverneur général pourraient nuire au service du sou- verain ou ne s'accorderaient pas avec la justice et les lois du pays. 1 De Neky, Mémoire sur le conseil privé. 2 Mémoire de de Neny sur la forme dans laquelle se traitaient le affaires au conseil privé, 23 septembre 1763. ( 276 ) Pendant la période espagnole comme pendant la période autrichienne, le conseil privé se servait du français dans ses séances et dans ses rapports écrits au gouvernement *. Peu de conseillers, d'ailleurs, nous l'avons déjà dit, connaissaient le flamand. Quant aux correspondances entre le conseil privé et les particuliers d'origine flamande, elles se faisaient tantôt en français, tantôt en flamand. Les octrois concédés par le conseil à des corporations ou à des particuliers étaient rédigés en flamand si les intéressés avaient fait usage de cette langue dans leur requête. Les placards dépêchés aux communes flamandes étaient toujours accompagnés d'une traduction flamande. En général donc, toutes les correspondances du conseil privé avaient lieu en français. Ce système, dû en grande partie au gouvernement espagnol, fut suivi par le gouverne- ment autrichien. Il était d'ailleurs en harmonie parfaite avec les idées autrichiennes et celles des hommes d'Etat du gouver- nement en Belgique. En propageant le français dans le pays, le gouvernement favorisa l'influence des idées nouvelles, influence qui devait devenir si fatale à la maison d'Autriche. Aucun membre du conseil ne pouvait prendre part ni assister à la délibération sur une affaire touchant médiatement ou immédiatement soit lui-même, soit un de ses parents ou alliés 2. Les membres du conseil des finances pouvaient assister aux séances du conseil privé quand il y était question d'affaires concernant les domaines ou les finances, ou toute autre matière de la compétence de ce conseil. 11 en était de même des conseil- lers et officiers des conseils provinciaux de justice pour ce qui dépendait de leurs charges ou offices, sans qu'ils pussent cepen- dant assister à la délibération d'autres questions que celles pour lesquelles ils seraient venus ou auraient été convoqués 3. Des secrétaires, l'audiencier seul, et en son absence le plus 1 Gachard, Actes des états généraux de 1600,^. 440. » Ordonnances de 1531, 1540 et 1632. 3 Idem. ( 277 ) ancien secrétaire, avait entrée au conseil, sans toutefois pou- voir donner son opinion, mais seulement pour entendre les résolutions et conclusions qui se prenaient, dépécher ce qui lui était ordonné et tenir note des absents. Une mesure coer- citive autorisait le président à priver d'une partie de ses gages le conseiller qui s'absentait sans de justes motifs *. Avec le temps, il fut dérogé à cette prescription : plusieurs secrétaires prirent à la fois place à leur banc aux séances du conseil. Il en résulta des abus, des inconvénients et de la con- fusion dans la rédaction des procès-verbaux. Un décret du 27 juillet I608 2 rappela l'exécution des instructions; et pour donner à chaque secrétaire la même somme de besogne, il fut décidé qu'à tour de rôle et pendant huit jours consécutifs, chacun d'eux pourrait entrer dans la chambre du conseil pour y vaquer à l'enregistrement des résolutions. Le secret le plus absolu devait être gardé par les conseillers sur toutes les matières traitées en conseil, ainsi que sur toutes les affaires du gouvernement qui leur étaient confiées ou sur lesquelles ils étaient consultés. La non-observation générale de cette prescription donna lieu à des abus. Le conseil d'État, dans une consulte du 26 oc-' tobre 1678, s'en plaignit au gouvernement 3. « Il convient, » disait le rapporteur, surtout mettre remède à un très grand » désordre qu'il y a dans cest estât, et qui le destruit absolu- » ment : c'est la révélation des secrets des conseils, même des » cabinets des princes et des gouverneurs généraux; et nous » sommes d'avis que, par dessus que cest excès est rigoureu- » sèment deffendu par les instructions des conseils, que néant- » moins l'on pourroit au plus tôt leur faire escrire lettres » closes à ce subject, avec co rumination de grandes peines à » charge des contraventeurs. » « Ordonnances de 1531, 1540 et 1632. 2 Registres Verds, n° 358, fol. 357. 5 Bull, de la Comm. roy. d'hist., 3e série, t. VII, p. \ 18. ( 278 ) § 3. Comptes rendus et procès-verbaux des séances. Suivant les instructions du conseil de 1531 et de 1540, le chef devait faire rapport de jour à autre à la gouvernante des choses d'importance qui se traitaient en son absence au con- seil, et il prenait ses ordres pour leur décision. On voit, par des observations du conseil privé du 1er janvier 1632 sur ses instructions, que dès lors ces rapports verbaux ne se faisaient plus; toutes les affaires importantes étaient portées à la con- naissance des gouverneurs au moyen de consultes : c'était le détail par écrit de l'affaire mise en délibération, le résultat de la délibération, les raisons du pour et du contre, les motifs de la résolution prise. Le travail de rédaction des consultes incombait aux conseillers ; chacun d'eux rédigeait la consulte des affaires qu'il avait rapportées. Vu la diversité, la multi- plicité et l'importance des questions qui étaient du ressort du conseil privé, on conçoit combien multipliées étaient les écri- tures et combien fatigantes elles étaient pour les conseillers, le nombre de ceux-ci étant relativement restreint. A différentes reprises, le prince Charles de Lorraine avait fait entendre que le conseil privé comme les autres conseils collatéraux faisaient trop d'écritures. « Votre Majesté, disait-il » dans une lettre du 23 mai 1749 4, ne saurait s'imaginer le » peu d'arrangement qu'il y a icy dans les finances et conseils » collatéraux. J'avoue qu'ils sont fort chargés d'ouvrages par ». la quantité d'écritures qu'ils font et dont quantités sont très- » inutiles. » Ce système était trop autrichien pour qu'on voulût y renon- cer complètement. Cependant, en 1754 2, Marie-Thérèse accé- léra et abrégea le travail des écritures par l'établissement du protocole des délibérations et expéditions journalières. Cette mesure, dit de Neny 3, diminuait les écritures par la facilité 1 Piot, Le règne de Marie-Thérèse, p. 64. 8 Décret du 2 novembre. 5 Archives du conseil privé, carton 466. ( 279 ) que donnait, pour informer le gouverneur général, la substi- tution des extraits de ce protocole aux consultes qui étaient souvent d'une longueur aussi inutile que fatigante. Il est à remarquer que le protocole ne faisait pas disparaître les consultes. La différence qu'il y avait entre les deux manières d'informer le gouverneur général, c'est que la consulte pré- sentait une délibération plus raisonnée et plus étendue, et qu'elle avait principalement lieu pour les affaires d'importance ou qui devaient être portées à la connaissance du souverain, au lieu que l'extrait du protocole était d'ordinaire plus concis, excepté lorsque l'affaire était compliquée et que les circon- stances exigeaient du détail. La consulte ne dispensait pas non plus de la tenue du protocole : on tenait un protocole exact de toutes les délibérations et résolutions du conseil, tant par rap- port à celles qui avaient été apostillées par le chef et président seul, que par rapport à celles qui avaient été résolues par le conseil en corps, et soit qu'il se fût agi de consulter le gou- verneur général ou de lui présenter simplement l'extrait du protocole. Les affaires sur lesquelles il avait été résolu de consulter n'étaient inscrites au protocole que par précis, et c'était ensuite au rapporteur à les développer dans la consulte ; mais quant a celles qu'on portait à la connaissance du gouverneur général par extrait du protocole, on lui présentait cet extrait sur un registre particulier, mot pour mot et tel qu'il était inséré au protocole. Les consultes et les extraits du protocole qu'on pré- sentait au gouverneur général étaient paraphés par le chef et président, et les consultes étaient de plus signées par l'un des secrétaires. Chaque rapporteur faisait lui-même ses articles de protocole. La résolution du gouverneur général était inscrite à la marge de la première ligne de la consulte ou de l'extrait du protocole. Le registre aux extraits du protocole s'envoyait, dans un grand étui à clef, au ministre plénipotentiaire le samedi soir de chaque semaine; le lundi matin, il était renvoyé à la secré- tairerie. Le ministre était ainsi toujours tenu au courant des ( 280 ) affaires traitées au conseil. « Ce protocole, disait Kaunitz dans » un rapport à l'Impératrice sur l'administration générale des » Pays-Bas pendant l'année 1758, fait les fonctions de censeur » du conseil; on y voit les progrès ou les retardements des » affaires et nous pouvons, moyennant cela, porter tout de » suite l'activité dans la partie relâchée, connaître nos ouvriers » et observer leur marche ou leur inertie. » Malgré cette mesure, l'examen des affaires n'était pas tou- jours poussé avec l'activité désirable. De Neny s'en plaignait amèrement. « 11 résulte, disait-il dans une lettre au ministre » plénipotentiaire, de la difficulté de résoudre toutes les » affaires que pour ne pas paraître négligent, on s'attache » à expédier un grand nombre de celles qui coûtent peu de » peines et qu'on laisse en arrière celles qui exigent un travail » essentiel. Si tous les conseillers faisaient leurs rapports avec » la précision et l'intelligence convenables, il ne serait point » extraordinaire de voir rapporter huit ou dix affaires dans » une séance, et Votre Excellence a pu remarquer par l'examen » du protocole que ce nombre de rapports a eu lieu plus » d'une fois *. » Outre le registre protocole, on tenait encore au conseil privé les registres suivants : 1° Un registre dans lequel s'inscrivaient tous les décrets du gouverneur général ; 2° Un registre contenant toutes les dépêches expédiées par la secrétairerie du conseil, soit sous le nom du souverain ou sous celui du gouverneur général; 3° Un registre nommé d'ancienneté le Registre Verd, dans lequel on insérait toutes les consultes, résolutions et dépêches importantes qui concernaient les droits, les prééminences du souverain, soit relativement aux puissances étrangères, à la cour de Rome ou au gouvernement intérieur du pays; 4° Enfin, deux registres publics qui étaient exposés tous les jours, avant et après la séance, dans l'antichambre, à la vue 1 Archives du conseil privé, carton 466. ( 281 ) de tout le monde : le premier, intitulé Registre aux distribu- tions, contenait simplement le nom des personnes ou des administrations dont les affaires étaient parvenues au conseil, et, à la marge, le nom du rapporteur que le chef et président avait désigné; le second, nommé Registre aux résolutions, con- tenait pareillement le nom des personnes ou des administra- tions dont les affaires avaient été terminées et annonçait qu'il y avait été pris une résolution. On conçoit aisément que, dans ces deux registres publics qui ne servaient que pour la direc- tion des gens qui avaient des affaires soumises au conseil, on n'en insérât aucune qui concernait directement le service du souverain. Tous les dimanches, la secrétairerie remettait au chef et président un cahier contenant les affaires qui étaient parvenues au conseil pendant la semaine et sur lesquelles il n'avait point été délibéré. A mesure qu'elles se décidaient, le chef et prési- dent en tenait note à la marge et, tous les trois mois, il remet- tait les cahiers des douze semaines, ainsi apostilles par lui, au ministre plénipotentiaire. De cette façon, le ministre et le chef-président étaient toujours instruits exactement de l'état des affaires arriérées et à même de prendre des dispositions pour les accélérer suivant qu'elles étaient plus ou moins urgentes. § 4. De l'expédition des affaires. Lorsqu'une affaire était conclue, le chef ou celui qui prési- dait la faisait dépêcher; ce travail incombait aux secrétaires. Les dépêches portaient la mention : Le Roi ou l'Empereur en son conseil privé, et étaient envoyées sous le nom du gouver- neur général. Pour que les dépêches fussent conformes aux résolutions prises, les conseillers rapporteurs devaient se faire produire par les secrétaires les minutes de toutes les affaires, actes, octrois, décrets, règlements, ordonnances, lettres, etc., sur lesquelles le conseil avait disposé, pour y faire les additions, ( 282 ) corrections ou changements qu'ils jugeraient nécessaires, et voir si elles étaient conformes à la délibération. Dans ce cas, ils y apposaient le mot bon ou approuvé *. Aucune consulte, aucune dépêche et en général aucune expédition ne pouvait être présentée au paraphe qu'après avoir été lue et collationnée par un des secrétaires et par I'offi- cial qui l'avait écrite; le secrétaire devait écrire de sa main sur la minute : collationné par moi. Les copies simples des expéditions devaient être collation- nées par deux ofticiaux, et celui qui les avait faites était res- ponsable des fautes qui s'y trouvaient. Lorsque le secrétaire chargé du collationnement trouvait des fautes qui ne pouvaient être corrigées sans présenter une expédition à ratures, à renvois, il la rejetait et la faisait remettre au net -. Les dépêches terminées, l'envoi devait s'en faire le plus tôt possible, après qu'elles avaient été scellées et paraphées par le chef et président. Nous avons vu plus haut les formalités rela- tives à cet acte. La formule du mandement exécutoire des lois, décrets, etc., était ainsi conçue : Si donnons en mandement à nos très chers et féaux les chef et président et gens de nos privé et grand con- seils, etc. Sous le règne de Marie-Thérèse, le conseil privé voulut introduire un changement dans cette formule : son but était de séparer le membre relatif au conseil privé de celui qui se rapportait au grand conseil. Ce dernier fit de vives repré- sentations contre une nouveauté qu'il regardait comme une atteinte à ses privilèges, et les choses, en restèrent sur le pied ancien 3. 1 Registres Verds, n° 361, fol. 532 v°. 2 Ibidem, n° 364, fol. 23 v». 5 Gachârd, Notice sur les dépôts des Archives en Betgique, p. 79. TROISIÈME PARTIE ATTRIBUTIONS, COMPÉTENCE ET PRÉROGATIVES DU CONSEIL PRIVÉ CHAPITRE I. DES ATTRIBUTIONS DU CONSEIL PRIVÉ. § i. Exjwsé des attributions du conseil privé. Nous n'entreprendrons pas d'énumérer spécifiquement toutes les matières qui ressorlissaient au conseil privé. Si étendue que serait cette énumération, elle se trouverait incomplète, vu la variété et la diversité des affaires qui étaient de la compétence de ce corps. Mais pour rendre aussi clair que possible l'exposé que nous ferons dans les chapitres sui- vants des principes généraux de la compétence du conseil, nous déterminerons d'abord son cercle général d'action. Il est à remarquer premièrement, et c'est là un point très essentiel, qu'il y a eu deux périodes de développement des attri- butions du conseil privé, celle de 1531 à 1702 et celle de 1725 à 1794. Pendant la première de ces deux périodes, le conseil privé n'avait la connaissance que des matières concernant la suprême hauteur et souveraine autorité du prince ainsi que de celles relatives à la police et à la justice tant civile que criminelle; tandis qu'au conseil d'État se traitaient les affaires touchant l'État, le gouvernement, la paix, la guerre, la sûreté et la défense du pays, en général, toutes les grandes et prin- cipales affaires de politique intérieure et extérieure. ( 284 ) Les instructions données aux conseils collatéraux en 1531 n'étaient pas précisément caractérisées par un excès de préci- sion. D'autre part, le conseil privé a toujours eu une tendance à attirer à soi la connaissance des matières dont la compé- tence n'était pas explicitement attribuée aux deux autres con- seils; il était souvent porté à faire rentrer quantité d'affaires dans la catégorie de celles de souveraineté, de police ou de jus- tice, a L'envie de dominer sur tout, dit Wynants, a toujours » fait et fera toujours l'objet des soins du chef-président et du » conseil privé; jaloux de l'autorité des autres, ils font tout » leur possible pour les ranger sous leurs lois *. » De là, pen- dant le XVIe et le XVIIe siècle, des empiétements d'un conseil sur les attributions des deux autres, de nombreux et fréquents conflits de compétence entre le conseil privé et le conseil d'Etat, conflits que les instructions plus précises de 1632, émanées dans ce but, furent même impuissantes à empêcher. Pendant la seconde période, c'est-à-dire de 1725 à 1794, le conseil privé conserva ses anciennes attributions auxquelles fut adjointe la consulte des provisions et collations en matières ecclésiastiques, politiques et civiles qui, auparavant, était de la compétence du conseil d'État. Nous avons expliqué précédem- ment - le motif de ce transfert. Après donc que la majeure partie des fonctions qui étaient attribuées au conseil d'État eut passé au conseil privé, c'est-à-dire en 1725, on peut résumer comme suit les objets d'administration dont ce conseil avait le droit et était dans l'usage de s'occuper. Toutes les matières qui constituaient le gouvernement et l'administration générale du pays, les finances seules exceptées, rentraient dans le cercle de ses attributions. Le gouverneur général ne faisait rien sans l'avoir consulté; quels que fussent les lois, les ordonnances ou les décrets qu'il croyait devoir rendre, il ne négligeait pas de demander son avis. C'était, en effet, en s'entourant de ses lumières qu'il pouvait être sûr de ne rien entreprendre qui ne 1 Note 31 sur Hovyne, 165, ms. 12291, p. 56. * Page 140. ( 285 ) lui conforme aux droits et aux intérêts de la nation. C'est ce qu'atteste le savant auteur du traité sur le droit belgique * lorsqu'il dit : « Soient etiam condendis legibus principes » nostri praemittere consultationes cum suisconciliis... quae... » aestimare soient an juri patriae lex non refragetur. » Lorsqu'on remonte aux premières instructions du conseil privé, on est étonné du vague qui règne dans la fixation de ses attributions. On y voit qu'il devait « traiter les matières de la » suprême hauteur et souveraineté de Sa Majesté es choses » procédant de grâces tant en civil qu'en criminel, qui sont »• par-dessus les termes, train et cours ordinaire de justice, » sans soi mêler ni entremettre de la connoissance par voie » de supplication, évocation ou autrement, comme il soit des » matières ou affaires dont notre grand ou autres consaulx, » juges et officiers ordinaires, chacun endroit soi, ont ou doi- » vent avoir la connoissance... si ce irest des affaires, matières » et causes concernant nos haulteur, domaines et droiture et » qu'iceux dudit privé conseil voient convenir pour la con- » servation d'icelui d'en prendre ou évoquer la connoissance, » ou que ce soient autres matières importantes au bien public »• de nosdits paiis et de telle importance qu'il semble à la Reine » nostre sœur, avec l'advis dudit privé conseil, qu'elles s'y » doivent traiter et vuider, qu'en ce cas, ce sera pleinement )> et sans figure de procès -. » Quand on sait tout cela, on ne sait pas grand'chose. Caractérisons donc d'une façon moins générale et plus précise les attributions de ce conseil. En vertu des termes de ces instructions et de celles émanées subséquemment, c'était au conseil privé qu'on disposait sur toutes les matières de grâces, civiles et criminelles. C'est le conseil privé qui avait la supériorité et l'œil sur tous les conseils de justice, souverains, provinciaux et autres, pour corriger les abus qui pouvaient s'y glisser, trancher les conflits qui pou- vaient s'élever entre eux et faire que chaque collège de justice « Zypeus, in Introd. ad notit.jur. belg., n° 5. * Instructions du 1er octobre 1531, art. 6. ( 286 ) et chacun de ses membres observassent les ordonnances et s'acquittassent dignement de leurs devoirs ou fonctions. C'est au conseil privé seul que compétait le droit de faire émaner et de faire observer les placards qui touchaient l'état politique, militaire et ecclésiastique. C'est à lui qu'incombaient la charge et le pouvoir de disposer sur toutes les emprises de la cour de Rome, des évêques et en général de tout l'état ecclé- siastique sur l'autorité souveraine, sur les droits et sur les privilèges de tous les sujets des Pays-Bas. C'est dans le conseil privé que l'on concevait et que l'on faisait tous les règlements pour la police, l'établissement et la conservation du bon ordre et de la tranquillité, non seulement pour les provinces en général, mais pour chaque province en particulier, pour chaque bailliage, châtellenie, ammanie, pour chaque ville, grande ou petite, chaque bourg ou village. L'examen et le rapport pour toutes collations et nominations aux dignités et charges en matière politique, civile et ecclésias- tique étaient aussi du département du conseil privé. C'est là que, après examen, on disposait sur toutes les représentations que les provinces, villes, châtellenies, etc., faisaient sur l'usage et l'interprétation des coutumes, des placards et de toutes les ordonnances publiques. C'est là aussi qu'on examinait les cou- tumes et les statuts des provinces, villes, quartiers, etc; qu'on les interprétait et qu'on les changeait selon les exigences des matières et des temps. C'est dans le conseil privé qu'on traitait toutes les" affaires relatives aux monnaies; qu'on formait les placards qu'elles exigeaient; qu'on donnait les ordres pour les faire exécuter et qu'on y apportait les changements que la nécessité ou le bien public exigeaient de temps à autre. Le maintien des droits et de la hauteur du souverain, non seulement vis-à-vis des sujets, mais vis-à-vis des puissances étrangères, était du ressort du conseil privé. Les matières héraldiques, l'éducation nationale, les arts, les spectacles, les sociétés savantes, l'imprimerie et la librairie, les journaux, la salubrité publique, la mendicité, les établisse- ( 287 ) ments de bienfaisance, les maîtrises, les jurandes étaient de la compétence du conseil privé. S'il s'agissait d'octroyer de nouveaux privilèges, de confirmer, de révoquer, d'interpréter ou de modérer les anciens, le conseil privé en prenait la connaissance pour en informer le souverain ou son gouverneur général. S'il survenait quelque difficulté dans l'accord ou l'exécution des aides et subsides que le souverain demandait aux pro- vinces, et s'il était besoin d'y pourvoir par voie de justice, c'était le conseil privé qui en avait la surintendance. C'était au conseil privé qu'on décidait de toutes les disputes sur les emprises de juridiction, non seulement de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction séculière et réciproquement, mais sur les emprises de juridiction entre séculiers, soit d'une même province, soit de provinces ou ressorts différents, comme aussi de toutes les difficultés qui pouvaient s'élever entre les juridictions ordinaires et les juridictions militaires. En matière de finances, le conseil privé connaissait de toutes les affaires contentieuses relatives aux privilèges. Ainsi, lors- qu'il y avait contestation" entre l'administration et des particu- liers prétendant jouir de quelque exemption d'impôt ou d'un privilège dont on contestait le titre ou la possession, la décision n'était point du ressort du conseil des finances, mais du conseil privé. Toutes les difficultés de ce genre avaient été avant 1682 du ressort des juges ordinaires, mais par décision en date du 12 septembre de cette année, le souverain ordonna que la connaissance de ces causes appartiendrait au conseil privé *. Enfin, les provinces belgiques étant des corps séparés, indé- pendants l'un de l'autre, c'est le conseil privé qui en était comme le régulateur, chargé de les tenir, selon l'exigence des matières, tantôt comme un corps unique, tantôt comme des corps séparés et étrangers les uns aux autres. Placards de Flandre, t. III, p. 1469. ( 288 ) Par ordonnance du 12 janvier 1760 *, il fut prescrit au con- seil privé de dresser, chaque année, un rapport sur les affaires traitées en séance. Le conseil soumit à l'approbation du gou- verneur général un plan d'après lequel serait fait ce rapport, plan qui résumait toutes les matières sur lesquelles il pouvait être appelé à délibérer. Ce plan contenait vingt et un chapitres ; en faire rénumération, c'est résumer en quelques lignes les attributions du conseil privé. La voici : 1° La souveraineté ; 2° Les arrangements avec les puissances étrangères ; 3° La législation ; 4° Les tribunaux; 5° La juridiction; 6° Les états des provinces; 7° Les administrations et les charges publiques; 8° Les militaires; 9° Les ecclésiastiques; 10° La marine; 11° Les terres contestées; 12° Les matières bénéficiais ; 13° Les chapitres nobles et autres ; 14° Les ordres religieux, abbayes et couvents; lo° Les fondations; 16° L'Université de Louvain; 17° Les eaux et la navigation intérieure; 18° La police, les arts et métiers; 19° Les chaussées et les barrières; 20° Les prisons, les maisons de force et de correction ; 21° La mendicité. Le prince de Kaunitz, dans un rapport à l'impératrice du 6 février 1767 2, résumait comme suit les objets principaux qui étaient du ressort du conseil privé : « 1° Il est consulté sur tout ce qui a trait à la législation et » à l'interprétation des lois; 1 Archives du conseil privé, carton 455. 2 Archives de la chancellerie, H. 411. B. ( 289 ) » 2° Sur tout ce qui regarde la religion, pour autant qu'elle » est du ressort de la puissance temporelle. » 3° Il doit s'occuper de la conservation de l'autorité, des » prérogatives et prééminences du souverain , du maintien » des anciennes maximes de l'Etat sur les droits de la puis- » sance temporelle, et du soin d'en faire assurer l'exécution » contre les entreprises, soit du dedans, soit du dehors. » 4° Il a la surveillance, la direction et la conduite de toute » la justice et police supérieures. » 5° 11 délibère sur la collation des dignités et bénéfices » ecclésiastiques et sur une grande partie des emplois civils. )> 6° Il est consulté sur tout ce qui a trait à la constitution » et aux privilèges des provinces, villes et autres administra- » tions, et il doit suggérer les moyens de corriger ce qu'il y a » de défectueux, et d'empêcher que ces différents corps n'em- » piètent point sur les droits de la couronne. » 7° Il donne son avis en matière d'abolition, de rémission » et autres grâces que demandent les criminels. » Il juge de toutes les affaires contentieuses en matière de » charges publiques de la Flandre et du Tournaisis portées » au gouvernement par la voie de doléances qui au fond est » un véritable appel. » 9° Il connaît des conflits de juridiction entre les différents » tribunaux des Pays-Bas. » 10° Le conseiller commis aux causes fiscales, en particu- » lier, a une inspection suivie sur tous les officiers fiscaux des » Pays-Bas, mais c'est toujours sous la direction et la surveil- » lance du conseil en corps. » 11° Enfin, les difficultés et contestations avec nos voisins » sont de son ressort. » Indépendamment de ces objets qui étaient attribués au conseil privé en corps, ses membres étaient employés à diffé- rentes commissions particulières, telles que la jointe des terres contestées; les chambres suprêmes, qui décidaient des diffi- cultés au sujet de la perception des droits domaniaux et dans lesquelles étaient comprises toutes les affaires contentieuses Tome LU. 19 ( 290 ) du lotto; l'alcadie, plus tard tribunal aulique; la jointe mili- taire, celle des monts-de-piété et des invalides; la commis- sion de recueillir les voix des communautés religieuses quand il était question de la nomination d'un abbé ou d'une abbesse, etc. 4. Voilà quelles étaient les attributions du conseil privé. Il en résulte que la presque totalité des fonctions qui constituent l'ensemble d'une administration se trouvait concentrée dans ses mains. C'est grâce à cette variété, à cette diversité et à cette généralité de ses attributions que le conseil privé devint un facteur essentiel de la société politique, et qu'il put prendre une place importante dans l'éclosion et le développement du mouvement national. § 2. De l'autorité du conseil privé dans l'exercice de ses attributions. Nous venons d'énumérer et de résumer les attributions du conseil privé. Il importe maintenant de caractériser la mesure dans laquelle le conseil était appelé à remplir ces attributions. On peut considérer les membres du conseil privé comme de véritables ministres, mais n'ayant d'autre mission que celle d'aider le gouverneur général de leurs lumières et d'exécuter ses ordres. Le conseil privé était un corps purement consultatif; il ne pouvait disposer sur rien et, à moins qu'il n'y eût des affaires communes sur lesquelles on l'autorisait de décider, il devait rendre compte de tout, proposer son avis et attendre des ordres et une résolution. En résumé, Y examen, la conduite et la représentation lui appartenaient de droit dans toutes les affaires de sa compé- tence ; la décision, Y impulsion, la direction étaient réservées au gouverneur général 2. C'était celui-ci seul qui pouvait autoriser 1 Archives du conseil privé, cartons 455 et 466. — Archives de la chancellerie, H. 411. 2 Poullet, Hist. polit, nat., t. II, p. 320. ( 291 ) le conseil privé à faire un acte d'autorité, à donner un ordre, à prescrire une ligne de conduite aux corps constitués ou aux individus. S'il s'agissait de préciser la place que dans l'économie des institutions le conseil privé occupait vis-à-vis du représentant direct du souverain, je dirais, écrit M. Poullet, qu'il était à la fois à ses côtés et au-dessous de lui. Il était à ses côtés, ad latus, en ce sens que, délégué lui-môme, le gouverneur général n'avait pas la faculté discrétionnaire d'agir sans prendre son avis K II était au-dessous de lui en ce sens que seul il avait le pouvoir de soumettre des affaires à sa délibération et de prendre une décision par rapport à ces affaires ou de l'habi- liter à ordonner lui-même et à agir en son nom. Le conseil privé était donc assigné uniquement au gouver neur général et au ministre plénipotentiaire lorsque cette place fut créée en 1716; il n'avait et ne pouvait avoir aucune correspondance directe avec le souverain ni avec le ministre dirigeant les affaires des Pays-Bas à Madrid et plus tard à Vienne. De leur côté, les souverains n'écrivaient que très rarement eux-mêmes au conseil privé. C'était dans des circon- stances extraordinaires, telles que leur avènement au trône, la nomination d'un gouverneur général nouveau. Charles-Quint et Philippe II dérogèrent souvent à cet usage. Les rois d'Espagne, successeurs de Philippe II, se tinrent à cet égard dans une grande réserve dont se départit assez souvent Charles VI, mais à laquelle revint Marie-Thérèse. Si, à la vérité, l'Impératrice s'en écarta quelquefois au commencement de son règne, c'est qu'à cette époque le gouvernement général n'avait pas assez de crédit, une prépondérance assez marquée pour décider par lui-même des questions assez graves. 1 En 1678, le conseil d'État disait au gouvernement général : C'est la loi fondamentale du pays que les affaires d'État, de police, de justice et de finances soient traitées par les conseils collatéraux sans y entre- mettre d'autres ministres ou des jointes. — Bull, de la Comm. roy. d'hist., 2* série, t. VII, pp. 100 et 189; Poullet, Const. nat., p. 245. ( 292 ) Lorsque, quelques années après, sous l'administration du prince Charles, il eut acquis une action plus régulière et plus forte, la cour de Vienne, pour entourer le représentant du souverain à Bruxelles de plus de lustre et de considération, prit pour règle de faire passer toutes les affaires sans excep- tion par son canal. Les résolutions se portaient à Bruxelles sur toutes les affaires qui n'étaient pas de leur nature ou par les instructions réservées au souverain; et pour ces dernières, elles étaient expédiées à Madrid ou à Vienne avec l'avis du gouverneur général. Les décisions parvenaient ou par des dépêches du souverain, ou, ce qui arrivait le plus souvent au XVIIIe siècle, par des réponses du chancelier de cour et d'Etat. Le conseil privé, cependant, ne sut pas toujours résister à cette tendance instinctive qui pousse tous les corps constitués à agrandir leur action et à sortir des limites de leurs attribu- tions. Trop imbu sans doute des idées d'absolutisme qu'il était chargé de propager et de défendre, il fut assez enclin, vers le milieu du XVIIIe siècle, à étendre ses pouvoirs au préjudice de l'autorité du gouverneur général. Le comte de Kônigsegg, le représentant de Marie-Thérèse dans les Pays-Bas, se plaignait à Vienne de ce que le conseil privé expédiât « octroys et ordres sans sa connaissance » ; il reprochait aussi à ce corps de « penser souvent plus au main- » tien de son autorité particulière qu'à ce qui convient au » tems et aux circonstances l ». Marie-Thérèse, par une dépêche du 22 janvier 1744, enjoi- gnit au conseil privé « de se contenir dans les bornes de con- seil consultatif» et, conformément à l'édit qui, en 1725, a réta- bli les trois conseils collatéraux, « de ne pas s'émanciper » de porter, édicter ou interpréter aucune ordonnance ou » règlement, concéder ou renouveler aucuns octrois, grâces » ou privilèges, ni d'accorder aucun état ou surséance, si ce » n'est par ordre et de l'aveu du gouverneur général ou du 1 Archives de la chancellerie, D. 14. g. ( 293 ) » ministre plénipotentiaire l ». La conclusion de cette dépêche a un caractère qui n'était pas habituel à Marie-Thérèse; le conseil privé avait sans doute fortement et plusieurs fois outrepassé ses droits. « Nous attendons, disait-elle, de votre » zèle, application et obéissance qu'il ne sera plus nécessaire » de vous répéter cette notre royale volonté. » § 3. Opposition faite à l'autorité du conseil privé. Il s'en faut toutefois de beaucoup que l'exercice des diffé- rentes attributions qui étaient de la compétence du conseil privé se soit fait d'une façon absolue et sans contradiction dans toute l'étendue des Pays-Bas. Quelque extension qu'ait prise dans la suite des temps l'in- fluence du conseil privé, il était cependant une limite que ce corps n'avait pu franchir même pendant le XVIIIe siècle. Malgré la faveur et l'appui du gouvernement, il n'avait jamais acquis ni pour lui-même, considéré comme exécuteur des ordres du gouverneur général, ni pour son chef et président, garde des sceaux, une influence égale en Brabant et en Limbourg à celle qu'il exerçait sans contradiction dans les autres provinces. La constitution des deux pays les mieux privilégiés s'y opposait. La main sur l'article 5 de la Joyeuse Entrée, les états de Brabant et de Limbourg ainsi que le conseil de Brabant refusaient de se soumettre aux ordres du gouvernement trans- mis par le canal du conseil privé. Ils n'admettaient que les ordres du gouverneur général ou du ministre plénipotentiaire, en son absence, ordres signés par eux et contresignés au besoin par un secrétaire ayant signature en Brabant 2. La main sur l'article 4 de la même charte, ils exigeaient que toutes les ordonnances, édits, statuts, provisions, octrois, com- 1 Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 2e série, t. V, p. 591. 2 Poullet, Const. nat., p. 246; Wynants, Comm. sur les ordonn. du conseil de Brabant (M S. 12294 de la Bibl. roy.); Bull, de la Comm. roy. pour la public, des anc. lois et ordonn., t. I, pp. 99 et suiv. ( 294 ) missions, patentes, concernant le duché et ses appartenances, fussent scellés, non du sceau ordinaire dont le chef et prési- dent était gardien, mais du sceau de Brabant confié au chan- celier, et qu'ils fussent paraphés par ce personnage. Faute d'accomplissement de ces formalités, ils refusaient aux actes de l'espèce toute valeur légale. Aussi, lorsqu'un édit destiné à être publié en Brabant était transmis par le gouverneur général au chancelier, celui-ci, pour lui donner la forme brabançonne, le faisait réimprimer eu supprimant le paraphe du chef et président et la signature du secrétaire du conseil privé. Il en modifiait également le préambule ainsi que la formule exécutoire. Un secrétaire du conseil de Brabant le contresignait ensuite et le chancelier y apposait son propre visa. Muni d'un cachet massif en cire rouge, appendu à une double queue de parchemin, l'acte était alors expédié à tous les officiers du duché chargés de veiller à son exécution. En ce qui concerne les ordonnances et les édits promulgués pour l'ensemble des Pays-Bas, ces principes rigoureux avaient souffert quelques contradictions, nous le verrons plus loin *; mais en ce qui touche les actes de toute autre nature, ils res- tèrent debout jusqu'à la fin de l'ancien régime. On n'y admit jamais que des dérogations d'une nécessité tangible, et pro- bablement consenties par les états du duché. C'est ainsi, par exemple, qu'on scellait du sceau de la monarchie, semblable au sceau du chef et président, toutes les patentes dépêchées à Vienne concernant les offices et les bénéfices brabançons et limbourgeois réservés à la collation du prince, de même que les lettres patentes de noblesse 2. Cette opposition que le conseil de Brabant faisait au conseil privé au sujet du paraphe remonte à la fin de l'année 1630. Elle serait la conséquence d'une dispute pour la présidence au conseil d'État à la mort du chef et président Maes, entre le 1 Voir 3^ partie, chap. V, § 8. 2 Poullet, Const. nat., p. 247. ( 295 ) chancelier Boischot, doyen de ce conseil, et le chef et prési- dent Roose. Il ne nous a pas été possible du moins de consta- ter si, pendant le XVIe siècle, les placards et ordonnances, soit généraux ou particuliers, qui devaient opérer pour le Brabant, étaient expédiés sous le sceau de cette province et la signature d'un secrétaire brabançon. Car, bien que dans la collection des Placards de Brabant il se trouve des placards généraux signés par l'audiencier et dont le mandement est adressé à toutes les provinces, il ne s'ensuit pas nécessairement que ces placards n'ont pas été expédiés aussi en particulier sous la forme bra- bançonne. Nous ne le pensons pas, cependant, car, comme nous l'avons vu *, si l'usage du paraphe a été prescrit par les instructions du conseil privé en 1531, il ne commença à avoir lieu dans les placards et autres ordonnances imprimés que vers la fin du règne de Philippe II. Quoi qu'il en soit, aucun changement n'a été apporté par le conseil de Brabant dans la forme de publication des placards relatifs au duché et à ses dépendances, pendant les trente premières années du XVIIe siècle. Nous avons même constaté que jusqu'en 1648 il y a eu des placards généraux publiés à Anvers sous le paraphe du chef et président; mais à partir de 1630, le nombre en est assez restreint. Cela justifie donc bien ce que le chef et pré- sident de Pape avance dans ses notes sur l'article 5 de la Joyeuse Entrée : que ce ne fut que depuis la mort de l'archiduc Albert que le conseil de Brabant commença à changer la forme des placards généraux en y apposant le paraphe du chancelier et la signature d'un secrétaire du conseil de Brabant. En tout cas, cette forme nouvelle donnée aux édits par le conseil de Brabant et la suppression du paraphe de son chef exaspérèrent le conseil privé. C'était pour lui, au dire de Wynants, un morceau de dure digestion. Aussi n'épargna-t-il aucun effort pour triompher de cet usage. La lutte entre les deux corps commença en 1674. Le conseil privé avait alors à sa tète un magistrat de haut mérite, le chef et président de Pape. i Voir page 204. ( 296 ) Écrivain distingué, profondément versé dans la science des lois constitutionnelles, nourri du texte des Joyeuses Entrées, il apportait autant d'ardeur à combattre les prétentions du con- seil de Brabant qu'il avait mis de feu à les défendre lorsqu'il appartenait à cette cour en qualité d'avocat fiscal. De son côté, le corps rival marchait sous la direction du chancelier Simon de Fierlant, dont le ferme courage et le savoir profond furent à la hauteur de ces temps difficiles. Le conseil de Brabant ayant donné la forme brabançonne à une déclaration du comte de Monterey du 21 avril 1674 *, concernant les sujets du roi servant les états généraux des Provinces-Unies, ce gouverneur général, à la requête de l'au- diencier, défendit au conseil de Brabant, par lettres du 4 mai, de faire aucun changement aux placards, ordonnances, décla- rations, mandements qui lui seraient envoyés signés par lui 2. Le conseil de Brabant fit à ce sujet deux représentations, datées des 20 et 23 juin, que le conseil privé examina dans une consulte du 19 juillet 3 où il dit en substance que les placards généraux ne doivent pas être dépêchés de nouveau, scellés ni paraphés en Brabant; qu'on peut vérifier par les registres des villes de la province que des placards de cette nature, para- phés par le chef-président et signés par faudiencier, ont été publiés par les magistrats sur l'ordre du conseil de Brabant; que cela est conforme aux règles du gouvernement général depuis que toutes les provinces ont été réduites en un corps d'Etat; que le conseil de Brabant ne critique pas dans ses représentations la signature de l'audiencier qui est en droit de signer en Brabant, mais le paraphe du chef et président ; que l'usage est contre la prétention de ce conseil et, comme preuve, le conseil privé joint à sa consulte une liste de trente-trois pla- cards envoyés et publiés à Anvers sans changements; quant à l'article 5 de la Joyeuse Entrée, le conseil privé dit qu'il ne { Registres Verds, t. II, p. 93. 2 MS*. 16044, p. 397, de la Bibliothèque royale. 5 Registres Verds, t. II, p. 97 v°. ( 297 ) concerne que les placards et ordonnances touchant la justice en Brabant et nullement ceux qui regardent la généralité du pays ni la police, et encore ne requiert-il aucun paraphe, mais parle simplement de l'avis du conseil de Brabant; qu'ainsi, pour satisfaire à cet article, il sullit qu'avant la publication des ordonnances, le conseil de Brabant les voie, comme il le fait toujours, et qu'on lui laisse la liberté de faire des repré- sentations s'il y rencontre quelque inconvénient; qu'en outre, ledit article 5 assujettit expressément ceux du conseil de Bra- bant aux ordres du prince ou de son gouverneur général; que le gouverneur général leur écrit tous les jours toutes sortes de lettres sous le paraphe du chef et président; qu'ils n'ont pro- duit aucun titre qui assujettirait le prince au paraphe du chan- celier, ni allégué un seul exemple où le prince ou son gouver- neur général aurait signé un acte qui concerne la généralité du pays, sans autre paraphe que celui du chef et président; que suivant les instructions du conseil privé, les expéditions devaient être paraphées, mais que cette formalité n'est ordon- née nulle part à l'égard du chancelier ou autres chefs des conseils de justice; qu'on n'a pas besoin du paraphe du chan- celier pour que le public sache que les placards ont passé par le conseil de Brabant, puisque le conseil les envoie accompa- gnés de lettres closes signées par le chancelier. Pour ces rai- sons, le conseil privé fut d'avis que le comte de Monterey ordonnât au conseil de Brabant de se conformer au décret du 4 mai rappelé ci-dessus. Le gouverneur général s'étant conformé à cette consulte, manda au conseil de Brabant, le 9 août 1674 4, d'exécuter ponctuellement ses ordres du 4 mai rappelés dans une lettre du 20 juin "2, lui interdisant à nouveau de faire ou permettre, sans ordre exprès de sa part, aucun changement aux placards, ordonnances, etc., qui lui seraient envoyés par le gouverneur général. 4 Registres Verds, fol. 101 v°. 2 MS. 16044, p. 398, de la Bibliothèque royale. ( 298 ) Le conseil de Brabant n'en fit rien, et la querelle entre les deux corps se ralluma en 1679 sous le gouvernement du duc de Villa Hermosa. Le conseil de Brabant fut invité à produire les titres l'autorisant à modifier le texte des édits concernant l'ensemble des provinces *. Dans sa réponse, le conseil invo- qua un usage immémorial, indiscuté jusque-là, et, portant la guerre sur le territoire ennemi, il reprocha au conseil privé ses usurpations perpétuelles et ses attaques incessantes contre une cour souveraine représentant le prince et rendant la justice en son nom 2. En 1681, nouvelles difficultés à ce sujet. Le prince de Parme, alors gouverneur général de nos provinces, avait, sur les instigations du conseil privé, rédigé pour le conseil de Bra- bant de nouvelles instructions destinées à remplacer l'ordon- nance de 1604. Le chancelier reçut l'ordre de les sceller et de les promulguer sans retard. Le conseil, de son côté, fut requis d'observer étroitement chacune de leurs dispositions. Sur ses remontrances, on lui promit de convoquer une jointe pour examiner ses objections, mais l'ordre de publier l'édit sur-le- champ fut rigoureusement maintenu. Le chancelier refusa d'y obtempérer. Mandé au palais avec deux conseillers pour y rendre compte de sa conduite, il s'y voit retenu prisonnier, ainsi que ses deux compagnons. Le conseil proleste et prend hardiment leur défense, en affirmant qu'ils n'ont fait qu'exécuter sa délibération unanime. Le gouverneur s'étonne de son audace : « De quel droit réclame-t-il l'élargissement des coupables? Embrasser leur cause, c'est s'exposer à partager leur châtiment, qu'il justifie sur l'heure de la publication de l'édit dans la forme accoutu- mée. » Le conseil se décide alors à donner au nouveau règlement sa force exécutoire, mais cet acte de soumission » Registres Verds, t. II, fol. 198. 2 Procès -verbaux des séances de la Comm. r on. pour la public, des anc. lois, t. I, pp. 88 et 105. ( 299 ) ne rend pas la liberté à son chef. Ce n'est que dans le courant de l'année suivante que de Fierlant reparaît à la tête du conseil *. Sous le gouvernement du marquis de Grana(1683), nouveaux démêlés. Les deux adversaires, de Pape et de Fierlant, sont toujours face à face. Chargé de procéder à la publication d'un placard, le chancelier en transmet les originaux à l'imprimeur Velpius pour y introduire les changements d'usage; le chef et président intime aussitôt à Velpius la défense d'exécuter ce travail. Courir chez l'imprimeur, retirer un exemplaire du placard, le porter chez un autre et le livrer à l'impression, tout cela, pour le conseil, est l'affaire d'un instant. Quand paraît, contresignée par le secrétaire, l'interdiction de passer outre, l'édit est déjà répandu dans le public sous sa forme traditionnelle, le paraphe du chancelier y occupant la place de celui du chef-président 2. La question resta de nouveau indécise. A un an d'intervalle, le chancelier et le chef-président descendirent dans la tombe sans avoir vu la fin de ce conflit où ils jouèrent tous deux un rôle si actif. Plusieurs fois encore, sous le gouvernement espagnol, les mêmes difficultés se reproduisirent. Les défenses des gou- verneurs généraux, comme leurs vaines sommations, les avis du conseil privé, de même que les mesures de rigueur inspi- rées par ses chefs, ne parvinrent pas à déraciner l'antique usage. La question fut de nouveau et pour une dernière fois agitée sous Marie-Thérèse. Nous la reprendrons plus loin, dans le chapitre relatif à la compétence du conseil privé en matière législative, à laquelle elle se trouve alors plus intimement liée. i Registres aux consultes du conseil de Brabant, t. IV, p. 432. 2 Procès-verbaux des séances de la Comm. roy. pour la public, des anc. lois, t. I, pp. 89, 113 et 114; Van Schoor, Le chancelier de Brabant, passim. ( 300 ) La question du paraphe n'était pas d'ailleurs le seul point qui mît en désaccord le conseil privé et le conseil de Brabant. Ce dernier se prévalait de sa qualité de conseil souverain, des prérogatives que lui donnaient les Joyeuses Entrées, de l'auto- rité souveraine qu'd avait autrefois exercée en l'absence du prince, pour dénier, en bien des cas, au conseil privé le droit de contrôler ses actes, et pour exercer, concurremment avec lui, une foule d'attributions réservées ailleurs au gouverne- ment général des Pays-Bas. En 1656, le 2 juillet, Don Juan d'Autriche, gouverneur général, institua une conférence formée des membres du conseil privé et du conseil de Brabant, sous la présidence de l'ambassadeur Cardenas, pour rechercher les moyens d'arriver à amener, sur les points en litige, l'entente entre les deux corps. La conférence commença ses travaux le 11 septembre suivant et les continua jusqu'au 23 octobre 1657. Le 17 février 1659, Don Juan transmit à Madrid le résultat des délibérations accompagné du règlement provisionnel suivant i : « Le conseil privé et le conseil de Brabant observeront distinc- tement leurs instructions selon les termes et dans les limites qu'elles prescrivent; le chef-président et le chancelier veille- ront à leur exécution et, s'ils ne sont pas en état d'en assurer par eux-mêmes l'observance, ils en référeront immédiatement au gouverneur général ou à Sa Majesté. )) Défense est faite au conseil privé de prendre connaissance d'affaires de justice contentieuse entre parties dont le conseil de Brabant doit ou peut être juge compétent selon le droit, les usages ou les coutumes du pays. » S'il s'agit d'un différend entre la province et une ville, entre le conseil de Brabant et la cour féodale ou toute autre cour de justice, ou enfin d'un différend de nature semblable, la compétence en reviendra au conseil privé. » S'il se présente une affaire contentieuse de telle importance 1 Archives du conseil privé, reç. 135. ( 301 ) que pour le bien public le lieutenant général trouve nécessaire d'en évoquer la connaissance à sa personne, le conseil de Bra- bant sera obligé d'y déférer ; les résolutions qu'en cette matière prendra le lieutenant général, comme les décrets ou les sen- tences qu'il y rendra, comme aussi les mandements et ordres qu'il donnera pour son instruction, seront respectés et exécu- tés par le conseil de Brabant, sans que ce corps puisse prendre pour excuse que les dépêches n'ont pas été faites et signées par un des secrétaires ayant signature en Brabant. » Pour les affaires de police concernant l'économie des villes, des communautés ou l'administration des deniers publics et qui exigeraient un règlement, un édit propre exclusivement à la province de Brabant, le conseil de Brabant, après les avoir instruites et avant d'y statuer, prendra l'ordre du Boi ou de son lieutenant général. » Mais si ce sont des matières de police qui concernent non seulement le Brabant, mais d'autres provinces ou villes de ces provinces, les requêtes qui seraient présentées à ce sujet au conseil de Brabant seront immédiatement renvoyées au lieute- nant général qui les appointera après avoir pris l'avis des inté- ressés. )) Il en sera de même lorsqu'il s'agira d'interpréter, de modé- rer ou de révoquer quelque privilège ou placard. » Les nombreuses occupations du lieutenant général le for- çant à s'absenter souvent de Bruxelles, les dépêches prépara- toires éprouveraient un grand retard si elles devaient chaque fois être signées de sa main : c'est pourquoi le conseil de Brabant respectera les dépêches de ce genre qui lui seraient envoyées au nom du Boi par un de ses secrétaires ayant signa- ture en Brabant, et il répondra et enverra ses réponses à ce secrétaire comme si les dépêches avaient été signées par le lieutenant général. » Pour les affaires qui dépendent uniquement de l'autorité souveraine ou de celle de son lieutenant général, le conseil de Brabant pourra, à l'avenir, accorder et dépêcher les lettres suivantes : octroi de tester pour légitimes, lettres de tutèle, de ( 302 ) curatèle, de bénéfices d'inventaires, d'autorisation de rendre biens de mineurs, de terrier, de dénombrement, de commis- sion de lieutenant de fiefs des terres et seigneuries des vassaux de Brabant, de répit moyennant caution, de rappel de ban, de rémission, abolition et pardon pour crimes simples et non qualifiés. Mais pour parricide, fratricide ou autre homicide de cas vilain, abolition des crimes d'État, lettres de réconciliation pour les ennemis du Roi ou ses sujets rebelles, concession, confirmation ou révocation de privilèges de grande considéra- tion, octroi pour vendre les biens des villes importantes, lettres d'amortissement de biens, sauvegardes pour cloîtres et particu- liers, qui ne sont pas de justice contentieuse, sauf-conduits pour sujets étrangers ou ennemis, défense est faite au conseil de Brabant de les accorder ou de les dépêcher, si ce n'est sur mandement préalable et exprès du Roi ou de son lieutenant général. » Comme l'impression des livres est de grande conséquence ; que cette matière embrasse la généralité du pays, parce que, une fois imprimés dans le Brabant, les écrits se répandent bientôt dans toutes les provinces, il appartient au Roi seul ou à son lieutenant général de délibérer sur l'admission ou le rejet des imprimés : le conseil de Brabant s'abstiendra donc de déci- der en cette matière avant d'avoir pris les ordres de Sa Majesté. » Ce règlement resta lettre morte tant pour le conseil privé que pour le conseil de Brabant qui, toujours fort des privi- lèges que donnaient au duché les Joyeuses Entrées, ne déro- gea en rien, pour l'exécution de ses mesures administratives, aux dispositions de ces pactes fondamentaux. Sans émettre aucune prétention par rapport à un sceau spé- cial en matière de grande chancellerie, le conseil de Hainaut essaya parfois de se soustraire, comme le conseil de Brabant, aux ordres du conseil privé. Sa prétention, après avoir été déjà rejetée en 166o, fut formellement condamnée le 17 juin 1743. Le gouvernement lui ordonna de déférer aux dépêches du conseil privé et d'exécuter les ordres qu'elles contenaient ( 303 ) quand il s'y trouvait la clause : à la délibération de Son Altesse Royale (le gouverneur général) *. Le grand conseil de Malincs aussi prétendait que toutes les dépêches à lui adressées devaient être signées du gouverneur général. En 1677, il en renvoya une par laquelle le conseil privé lui demandait un avis sur un procès. Sur quoi, le duc de Villa Hermosa, gouverneur général, lui écrivit une lettre dans laquelle il dit : « Nous ne saurions prendre que de mau- » vaise part que vous nous avez renvoyé la lettre, ce qui tend » au despect de mon autorité et de celle de mon conseil privé; » partant, nous vous renvoyons ladite lettre close vous ordon- » nant d'y obéira » CHAPITRE II. DES PRÉROGATIVES DU CONSEIL PRIVÉ. § 1. Privilèges et prérogatives. a Très chers et féaux », telle était l'appellation donnée dans les correspondances officielles par les corps constitués aux chef-président et membres du conseil privé. Le grand conseil de Malines se servait des termes : « Messieurs nos bons con- » frères. » Les lettres adressées au conseil privé par le souve- rain ou en son nom portaient la suscription : « A nos très » chers et bien-aimés les chef et président et gens du conseil » privé 3. » Les membres du conseil privé jouissaient des prérogatives de la noblesse héréditaire ; ils appartenaient à la cour et à la maison du prince ; pars corporisprincipis^, ils étaient comptés 1 Liste chronologique des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 1. 1, p. 357. 2 Pièces restituées par l'Autriche en 1867, liasse 88. 3 Registres Verds, n° 358, fol. 235. * Édit somptuaire du 27 mai 1550. — Christyn, Jurisprudentia heroïca, art. 1er, § 94. — Gérard, Législation nobiliaire en Belgique, p. 159. — Archives du conseil privé, carton 466. — Reg. Verds, n° 358, fol. 235. ( 304 ) parmi les escroues. « Établis pour être collatéraux à sa per- w sonne, dit une consulte, ils étaient réputés domestiques » de son hôtel ; en cette qualité ils étaient francs et exempts » de toutes charges, accises, impôts et autres quelconques » impositions ; libres de tous tonlieux, droits de barrières, de » ponts, de bacs, etc., etc., dans toutes les provinces de la » domination du prince; des contributions établies par les » villes et les provinces, pour autant que, par acte exprès, ils » n'aient pas consenti à leur paiement. » Cette immunité était considérée comme une partie de leurs gages ou traitement *. « Cette exception, ils en jouissaient, dit un décret de Phi- lippe IV du 13 octobre 46o9 2, non seulement par prérogative d'honneur et prééminence qui ne compétait aux cours provin- ciales et aux sièges inférieurs de justice, mais comme récom- pense des services assidus et continuels qu'ils étaient obligés de rendre en la qualité susdite, à raison de quoi et comme tels ils avaient toujours été pris en la protection et sauvegarde particulière du souverain, de sorte que personne ne pût leur commander que lui ou son lieutenant, et que quiconque vou- drait attenter au contraire en les chargeant ou aggravant, serait tenu charger et aggraver Sa Majesté. » Les veuves des conseillers du conseil privé jouissaient des mêmes exemptions; leurs enfants étaient censés nés dans toutes les terres et villes de la monarchie, et, en vertu du pri- vilège ubique nains, ils pouvaient posséder partout des charges nonobstant tout privilège contraire. A l'époque des troubles religieux du XVIe siècle, les circon- stances nécessiteuses où se trouvait le Brabant avaient engagé les états du duché à comprendre les membres du conseil privé dans les contributions des aides et des subsides nécessaires pour faire face à la situation. Mais le duc d'Albe déclara « ne 1 Consulte du 20 mars 1728, aux /rchives de la ville de Bruxelles. — Placards de Brabant, t. III, p. 399. 2 Idem. ( 305 ) » pouvoir ni ne vouloir ôter à ces ministres leurs exemptions » sans ordre exprès de Sa Majesté *. » En 1600, les états généraux mirent comme condition de leur accord a l'aide demandée par les archiducs, que le conseil privé ne fût pas exempt d'y contribuer. Les archiducs y consentirent, mais déclarèrent expressément que « cecy sera bon pour ceste » fois et sans le pouvoir tirer en conséquence "2 ». En 1605, les états de Brabant voulurent aussi comprendre les membres du conseil privé dans le payement des impôts, maltôtes qui se levaient sur la bière et le vin; mais deux décrets de l'archiduc Albert, en date du 21 juin et du 4 mars de cette année, le leur défendirent 3. La même tentative fut renouvelée par les états en 1659, sans plus de succès 4. Enfin, les membres du conseil privé et leurs veuves étaient exempts du droit de scel s. Nous avons vu précédemment que le chef-président était, dans certaines circonstances, précédé d'un huissier du conseil portant la masse royale; le même honneur était dû au conseil privé quand il se rendait en corps, soit à la chapelle royale pour assister aux vigiles anniversaires ou à quelque service en mémoire d'un prince ou d'une princesse de sang royal, soit à Sainte-Gudule pour un Te Dewn. Dans cette église, des places lui étaient réservées dans les hautes formes du chœur, du côté de l'Évangile. Dans les solennités, le conseil privé marchait immédiate- ment après les chevaliers de l'ordre. A différentes reprises, le conseil des finances lui contesta ce droit de préséance. Il le fit d'une façon formelle à l'occasion des funérailles de l'archiduc Albert. L'affaire fut soumise à l'examen et à * Registres Verds, n° 358, fol. 242. 2 Gachard, Actes des états généraux de 4600, p. 689. 3 Registres Verds, n° 358, fol. 9 et 235. * Ibidem, n« 358, fol. 242. 5 Décret du 11 août 1590 (Reg. Verds, n* 358, fol. 322). — Ordonnances pour le grand conseil, impr. à Malines en 1669, appendice, p. 45. Tome LU. 20 ( 306 ) l'appréciation du conseil d'État, et, sur le rapport qui en fut fait, l'infante Isabelle déclara, par décret du 9 mars 1622 i# que désormais le conseil privé aurait le pas sur celui des finances. Dans la suite, les membres du conseil privé s'autorisèrent de cette décision pour exercer une sorte de superintendance sur leurs collègues du conseil des finances, dans les réunions, jointes, conférences où ils siégeaient, non pas comme corps, mais comme membres privativement. Sur réclamation du con- seil des finances, un décret du 29 décembre 1791 2 porta que les conseillers du conseil privé alors en fonctions seraient maintenus indistinctement dans la possession où ils étaient de la préséance sur les membres du conseil des finances, mais qu'à l'avenir les membres des deux conseils prendraient rang entre eux et dans les jointes mixtes suivant l'ancienneté de leurs patentes, sans préjudice à la préséance du conseil privé en corps sur celui des finances. Charles-Quint, attribuant à la puissance souveraine le droit de conférer des lettres de légitimation, de répit, d'attermina- tion, de sauf-conduit, de rémission, d'abolition, de rappel de ban, de naturalisation, etc., avait placé, en 1531, cette préro- gative dans les attributions du conseil privé, en le chargeant de proposer la résolution au gouverneur général et de l'expédier ensuite au nom du prince. Cette mesure avait rencontré une vive opposition de la part du conseil de Brabant. Cette cour souveraine prétendait tenir de la constitution du pays la faculté d'accorder toutes espèces d'octrois, au nom du duc de Brabant, en concurrence avec le conseil privé. Mais, loin de la révoquer, l'Empereur en consacra le principe par un édit du 20 octobre 1541 3. De son côté, le conseil de Brabant maintint ses préten- tions. Par sa ténacité et sa persévérance, il soutint longtemps et avec succès sa lutte contre le conseil privé. En effet, jusqu'au 1 Registres Verds, n° 358, fol. 143. - Archives du conseil privé, carton 589. 5 Placards de Flandre, t. I, p. 779. ( 307 ) milieu du XVIIIe siècle, tous les octrois qui, pour les autres provinces, se dépêchaient au conseil privé, étaient expédiés, pour le Brabant, au conseil de ce duché 1. Il succomba enfin en 1764, devant la volonté formelle du pouvoir central, expri- mée avec une sorte de violence. Un décret du 5 avril de cette année, auquel cependant il ne se conforma pas toujours strictement, mais que ni lui ni les états ne parvinrent à faire rapporter, lui enleva le pouvoir d'accorder des octrois 2. Le conseil privé se trouva aussi bien souvent en conflit avec le conseil des finances au sujet de l'expédition de certains octrois; nous examinerons cette question plus loin, dans le chapitre relatif a la compétence du conseil privé en matière administrative. § 2. Traitement des membres du conseil privé. Pendant plus de cent ans, depuis l'établissement du conseil privé, il n'y eut point de traitement fixe attaché à la dignité de chef et président du conseil privé. Le roi Philippe IV le déclare dans ses lettres patentes du 16 mai 1654, où il est dit que a les gages et émolumens n'ont été ordonnés ou réglés » aux prédécesseurs de Messire Charles Hovyne (chef et pré- » sident d'alors) que selon la conjuncture du tems et des » affaires 3 ». Les premiers chefs et présidents percevaient à leur profit particulier tous les droits du sceau, ce qui faisait certainement la partie principale du revenu de leur place. On ignore l'époque précise à laquelle cet usage a cessé; mais il est certain qu'à l'exception des dépêches de Bourgogne, tous les autres droits du sceau ont été levés depuis le commencement du XVIIe siècle au profit des souverains, qui ont fait sur cette branche de leurs finances des emprunts proportionnés à ses produits. 1 Henné, Uist. de Charles-Quint, t. VII, p. 159. - Registres de la chambre des comptes, n° 487, fol. 153. 5 Archives du conseil privé, carton 465. ( 308 ) Ce qui était payé aux chefs et présidents à titre de gages, ne consistait primitivement qu'en 1,200 florins par an; et ils recevaient encore la même somme comme conseillers d'Etat. Mais au-dessus de ces appointements fixes, ils jouissaient tous de différentes pensions, indépendamment des gratifications que le souverain leur accordait de temps en temps. Le président Viglius, qui, en sa qualité de prévôt mitre de Saint-Bavon, jouissait de tous les revenus constituant la mense épiscopale de Gand et qu'il évaluait lui-même à 7,000 florins ', qui était d'ailleurs chancelier de la Toison d'or et trésorier général des Chartres, eut pour sa part plusieurs de ces gratifi- cations extraordinaires, nommément une de 8,000 florins, le 1er janvier 1548 (v. s.)2, et une de 12,000 florins, en 1571 3, sommes très fortes pour ces temps-là. Les gages d;un conseiller au conseil privé, fixés en 1531 à 40 patars ou 2 florins par jour, et ceux d'un secrétaire à 15 patars 4, faisaient alors un traitement convenable. Mais en 1589, le duc de Parme, gouverneur général, représenta à Philippe II que « le tems avait montré par expérience que )> les gages et traitemens des conseillers et des secrétaires » ordinaires au conseil privé ne pouvaient leur suffire pour » honorablement se pouvoir entretenir et avec telle bienséance » que pour la qualité de leur état est requis et convenable, et » que partant il convenoit d'y pourvoir et remédier de manière )> que lesdits conseillers et secrétaires aient moien de con- » tinuer au devoir et service de leur état. » Sur quoi, le roi, dans ses lettres patentes du 8 octobre 1589 s, déclara que « pour que lesdits conseillers et secrétaires se pussent avec » plus grande autorité emploier aux devoirs de leurs charges » et que leurs estats ne viennent à tomber en vilispendance 1 Bull, de la Comm. roy. d'hist., t. XVI, p. 194. 2 Archives restituées par l'Autriche en 1856, liasse xxv. 3 Registres de la chambre des comptes, n° 120, fol. 168 v°. * Registres Verds, n° 358, fol. 12. 5 Ibidem. ( 309 ) » comme advient lorsque les ministres n'ont moien de s'en- » tretenir honorablement, dont pouvoit s'ensuivre chose de » préjudiciable conséquence, il consentoit et ordonnoit que » les gages des conseillers seroient portés à deux écus d'or » par jour, et ceux des secrétaires à un écu d'or * ». Quant au chef et président, le roi lui accorda, par les mêmes lettres patentes, une augmentation de traitement d'un écu d'or par jour, « outre et par-dessus les gaiges, pensions et traitemens » qu'il a présentement, ores — ajoutait Philippe II, — qu'il » soit de Nous bien et raisonnablement traicté; toutefois, afin » qu'il ait meilleur moien de se maintenir plus honorable- » ment. » Jusqu'à la mort de Charles II, les gages des membres du conseil privé restèrent fixés à ce taux, ce qui produisit cepen- dant successivement quelques augmentations par l'élévation de la valeur du numéraire. Les chefs et présidents conti- nuèrent de jouir par-dessus leurs gages, pensions, etc., de tous les droits du sceau des dépêches de Bourgogne, c'est-à-dire de la Franche-Comté. Après la mort du chef et président Richardot, en 1609, sa place demeura vacante pendant cinq ans ; et lorsque les archi- ducs en disposèrent en 1614 en faveur d'Englebert Maes, ils lui déclarèrent que « pour bonnes considérations ils enten- » doient réserver à leur prouffict les droits et émolumens à » procéder de la sigillature des dépêches de Bourgogne dont » ses prédécesseurs chefs-présidens et gardes des sceaux » avaient joui jusques ores 4 ». C'est ainsi qu'ils s'expliquèrent dans les lettres patentes données à Bruxelles le 22 décem- bre 1614, par lesquelles ils lui assignèrent pour équivalent une pension annuelle de 1,000 florins « au lieu et en récom- » pense des droits et émolumens dudit scel de Bourgogne, » qu'avons appliqué, disaient les archiducs, et appliquons » doresenavantà nostre proutiict ». Les revenus de la dignité de chef et président subirent, par cet arrangement, une diminution considérable, car, suivant * Registres Verds, n° 358, fol. 42. ( 310 ) une consulte du conseil des Pays-Bas à Madrid du 14 novem- bre 1624, rappelée dans les notes manuscrites du chef et pré- sident de Pape, le droit du sceau de Bourgogne avait produit, en trois ans, 7,864 florins. Aussi le roi Philippe ÏV, d'après cette consulte et sur les représentations de Maes, lui accorda la jouissance des droits du sceau de Bourgogne comme l'avaient eue ses prédécesseurs, et, par forme de dédom- magement pour le passé, il lui donna un ayuda de costa de 5,000 florins 1. Maes étant mort en 1630, Pierre Boose lui succéda dans la dignité de chef et président par lettres patentes du 11 avril 1632 et, à cette occasion, les émoluments du sceau de Bourgogne furent convertis une seconde fois en une pension de 1,000 florins; mais le chef-président en fut grandement dédom- magé par le traitement que lui lit le roi. Le voici tel qu'on le trouve dans l'état des gages et traitements de l'année 163o % : « A Messire P. Boose, chef-président du conseil m privé de Sa Majesté, en qualité de conseiller » d'État en vertu des lettres patentes du 14 jan- » vier 1630 fl. 1,200 0 0 » Messire P. Boose, chevalier, chef-président » du conseil privé a de gages 1,200 florins; item » pour un écu pistolet de 3 livres, 12 sols, » 6 deniers par jour, 1,323 florins, 2 sols, » 2 deniers de crue augmentation de gages; plus » 800 florins de pension et en lieu du droit de scel » de Bourgogne dont ses prédécesseurs soulloient » jouir, 1,000 livres, faisant ensemble par an . tt. 4,323 2 2 » Et de pension sur la recette de Bruxelles . fl. 300 0 0 Par lettres patentes datées de Madrid, le 6 sep- tembre 1632, le roi lui avait encore accordé « jusques à autre ordre » une pension de 2,500 flo- rins sur la recette générale des finances. . .11. 2,500 0 0 De sorte que son premier traitement fut de. fl. 8,323 2 2 * Archives du conseil privé, carton 465. 2 Ibidem. ( 311 ) Mais il ne tarda pas à être augmenté, car, par lettres patentes du 11 juillet 1632, le roi accorda a Roose « par forme d'accrois- sement », c'est-à-dire d'augmentation de traitement, « les gages et émolumens » dont il avait joui en Espagne en qualité de conseiller au conseil suprême des Pays-Bas et s'élevant ensemble à la somme de 10,877 florins dont il devait être payé par la recette générale des finances a partir du jour de l'entrée en fonctions du cardinal-infant, gouverneur général des Pays-Bas, « au moyen duquel traitement cessera, ajoutait le roi, la » mercède de 1,000 philippes de pension par an », c'est-à-dire 2,500 florins». Si l'on ajoute cette somme de 10,877 florins aux autres gages et pensions dont jouissait déjà Roose, et montant ensemble à 5,823 florins 2 sols 2 deniers (sans y comprendre la pension de 1,000 philippes), il en résulte que son traitement annuel était de 16,700 florins 2 sols 2 deniers. Roose, « jubilé » en 1653, fut remplacé par Hovyne dont le roi fixa les gages à 12,000 florins par an, par lettres patentes du 11 mai 1654; mais cette fixation de traitement ne lui fit pas perdre la pension de 1,000 florins à titre des émoluments du sceau de Bourgogne. En efl'et, après l'instruction dont il fut l'objet en 1662, à cause des prévarications qu'on lui imputa, il fut rétabli, par une dépêche de la reine-régente du 24 no- vembre 1667, en tous ses états, offices, dignités et honneurs. Pendant le temps de sa suspension, il avait été privé de ses gages et émoluments; après sa réhabilitation, le marquis de Castel-Rodrigo déclara, sur sa requête, par une apostille du 26 septembre 1668, que la pension de 1,000 florins dont il avait joui à titre d'équivalent pour les émoluments du sceau de Bourgogne « devait lui être continuée ainsi et en la forme » que auparavant ». Cette pension a donc continué de subsister après que les gages du chef et président eurent été fixés à 12,000 florins, et Un écu d'or ou philippe valait alors 50 sols. ( 312 ) n'a probablement cessé qu'après que la Franche-Comté eut été cédée à la France, en 1678. Les chefs et présidents jouissaient aussi de quelques autres émoluments en argent, à titre de bougies et de bois pour la tenue du sceau ; de grands et petits fruits de carême ; de tapis de table et, finalement, pour flambeaux du conseil d'Etat et de celui des finances. Ils s'élevaient ensemble, selon M. De Pape, à environ 1,754 florins par an. Indépendamment de tous ces avantages, lorsque le chef et président était employé hors de Bruxelles pour le service du roi, il recevait par jour, à titre de vacations, 60 florins, avec la faculté de disposer de trois chariots pour ses bagages; et, après le rehaussement des espèces fait sur la fin du règne de Charles II, cette rétribution fut payée au chef et président Coxie à raison de 70 florins. Après la mort du chef-président Coloma (1739), elle fut réduite à 30 florins. Quant aux vacations des conseillers, elles étaient payées à raison de 3 florins par heure; et celles des secrétaires, à raison de 2 florins *. En résumé, à la suppression du conseil privé en 1702, les gages tixes du chef et président étaient de 12,000 florins; ceux des conseillers, de 2,920, et ceux des secrétaires, de 1,093 à 1,150 florins. Ces traitements étaient convenables; mais cela n'empêchait pas que les dépenses des membres du conseil sur- passassent toujours leurs émoluments, ce qui faisait que bien souvent des fonctionnaires capables refusaient d'entrer au conseil ou donnaient leur démission de conseiller après en avoir accepté les fonctions. Cette considération engagea le conseil suprême des Pays-Bas à Madrid à solliciter une augmentation de gages pour les conseillers. C'est pourquoi Charles VI, en rétablissant le con- seil en 172o, porta le traitement des conseillers à 5,000 florins, indépendamment des anciennes rétributions dont ils conti- nuèrent de jouir. Les gages fixes du chef et président demeu- 1 Steurs, Précis hist. de l'état polit, des Pays-Bas sous Charles VI, p. 398. ( 313 ) rèrent fixés à 12,000 florins, et ceux des secrétaires furent élevés à 1,750 florins. Cette situation matérielle faite aux membres du conseil privé par le diplôme du 19 septembre 1725 se continua jusqu'en 1771, sauf toutefois une diminution assez sensible qu'elle éprouva en 1742 par la déduction du dixième des gages * et, en 1743, par la suppression du chauffage -. En 1765, les chef-président et membres du conseil privé adressèrent à l'Impératrice une demande d'augmentation de gages basée sur renchérissement excessif des vivres, l'augmen- tation considérable des loyers, l'impossibilité pour eux de soutenir décemment leur état et la disproportion qui existait entre leurs appointements et ceux d'autres fonctionnaires ou membres du gouvernement 3. Le chef-président de Neny, à l'appui de cette demande, rappela que le comte de Baillet, chef et président au rétablissement du conseil en 1725, était mort insolvable; que si ses deux successeurs, le comte de Coloma et de Steenhault, avaient pu se soutenir dans leur dignité, c'est grâce à leurs biens patrimoniaux, et que ce dernier, d'ailleurs, avait toujours vécu dans le célibat; quant à lui, disait-il, il faisait depuis longtemps et continuait de faire, au su de Son Excellence le ministre plénipotentiaire, la fâcheuse expérience d'une situation peu convenable. Il ajoutait en outre qu'il était employé à diverses affaires dont ses prédécesseurs ne s'étaient jamais mêlés; qu'il se trouvait chargé seul, depuis douze ans, de tout le département de l'Université de Louvain, commission ' Les traitements des membres des conseils collatéraux, de ceux de la chambre des comptes et de la plupart des employés au service du souverain subirent, à partir de cette époque, sous le nom iïarrha, une réduction assez forte. 2 Archives de la chancellerie, D. 10. f. — Les chefs-présidents avaient droit à 140 huisses de bois, 67 sacs de charbon et 1,350 fagotins; les conseillers, à 67 huisses de bois, 34 sacs de charbon et 670 fagotins ; les secrétaires, à 50 huisses de bois, 35 sacs de charbon et 500 fagotins. — Registres Verds, n<> 358, fol. 324. r* Registres Verds, n<> 363, fol. 201. ( 314 ) difficile, désagréable, d'un travail journalier et dispendieux, et sans profit personnel *. Mais le gouvernement de Marie-Thérèse, avec le caractère fiscal qu'on lui connaît et ses tendances à tirer profit de tout, n'était pas disposé à donner facilement satisfaction sur ce point aux membres du conseil. Cependant, par dépêche du 25 fé- vrier 1771 -, l'Impératrice accorda aux conseillers ordinaires qui n'avaient pas le titre ni le traitement de conseiller d'Etat, une augmentation de 600 florins. Les secrétaires obtinrent un traitement fixe de 3,000 florins, mais leurs émoluments furent supprimés et perçus désormais au profit du trésor royal 3. Primitivement, les membres du conseil privé étaient payés tous les six mois; par ordonnance du 1er juin 1658*, ils le furent tous les trois mois, « en préférence et devant toutes » autres charges sans exception ». Il était interdit à tout membre du conseil, chef-président, conseiller ou secrétaire, sous peine de privation de son office et d'une amende arbitraire, de prendre ou de tenir gages ou pensions, directement ou indirectement, de toute personne autre que le souverain, et de prendre d'autres émoluments que ceux inhérents à son office et permis de droit s. Cette défense ne fut pas toujours observée, surtout au XVIIe siècle. « Ce que s'ils ne font ouvertement ils le font par » équipollence, se répartissant entre eux les provinces et villes » du pays dont ils se disent protecteurs, en sorte que lorsqu'il » leur survient quelque affaire, c'est à eux à qui ils sçavent » qu'ils se doibvent adresser, et s'ils n'en reçoivent des gages ou » pensions, ils en ont des présents si fréquents et ordinaires » qu'ils peuvent estre tenus au rang des gages et pensions 6. » 1 Archives du conseil privé, carton 465. 2 Registres Verds, n° 363, fol. 203 v°; Archives de la chancellerie, rëg. 151, fol. 141 et D. 98. c. 5 Registres Verds, n° 365, fol. 82 v°. ' Ibidem, fol. 358, fol. 369. ;i Ordonnances de 1531, 1540 et 1632. G Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, dans les Mémoires RELATIFS A L'HISTOIRE DE BELGIQUE, t. XXVIII, p. 46. 315 CHAPITRE III. COMPÉTENCE DU CONSEIL PRIVÉ EN MATIÈRE DE JUSTICE. § 1. Considérations générales. « Le conseil privé, dit Guicciardin i, est comme un rempart, un fort et boulevard de la justice. » Selon les instructions qui lui furent données en 1531, 1540, 1632 et 1725, le conseil privé exerçait la haute surveillance sur tout l'ordre judiciaire. A ce corps incombait l'élaboration ou l'examen de toutes les dispositions, ordonnances, placards, édits touchant cette matière. Les questions relatives à l'organisa- tion des différents tribunaux, à la nomination de leurs mem- bres, au règlement de leur compétence, au style de procédure, faisaient l'objet d'une consulte du conseil privé. Vu la multiplicité des tribunaux, le mode souvent vicieux de leur action, l'inutilité même d'un grand nombre d'entre eux et l'absence de précision dans leur juridiction respective, on comprend combien fréquente et laborieuse devait être l'inter- vention du conseil privé dans l'ordre judiciaire. D'autre part, l'action centralisatrice du pouvoir elle-même entraînait souvent ce corps dans des conflits qui dégénéraient quelquefois en luttes ardentes, passionnées même : les princes à leur avène- ment faisant le serment « de traiter chacun par droit et sen- » tence devant les juges ordinaires, » toute entreprise du con- seil privé contre l'ordre de juridiction paraissait une violation de la foi jurée, une atteinte aux garanties qui semblaient atta- chées au maintien des anciennes magistratures. Nous allons examiner en détail les différents points spéciaux dans lesquels s'exerçait, en cette matière, la compétence du conseil privé. 1 Description des Pays-Bas, p. 47. ( 316 ) § 2. Affaires contentieuses. — Juridiction. A l'autorité souveraine appartenait de réprimer les injus- tices, de faire cesser les oppressions et d'empêcher que la force ne tînt lieu de loi. Le souverain remplissait ce devoir par lui- même ou par des juges établis pour administrer la justice. Dans cette sphère d'action, le rôle du conseil privé devait être pure- ment consultatif. Ce corps n'était pas en droit de prendre con- naissance d'aucune sorte de matière contentieuse, d'admettre aucune instruction, contestation ou décision par voie ou ordre judiciaire. On avait senti depuis longtemps, aux Pays-Bas, les grands inconvénients qui sont inséparables de la moindre attribution des affaires contentieuses aux ministres ou aux autres membres du gouvernement. C'est ainsi que se justifie la remarque de Montesquieu d: «C'est grand inconvénient dans la » monarchie que les ministres du prince jugent eux-mêmes » les affaires contentieuses, car il existe par la nature des » choses une espèce de contradiction entre le conseil du prince » et ses tribunaux *. » Déjà en 1527, dans des instructions données au secrétaire d'Espleghem envoyé vers l'Empereur en Espagne, l'archidu- chesse Marguerite émettait l'avis que « actendu que ledict privé » conseil ne réside en lieu arresté et ne soit pourveu de » procureurs et advocatz, l'Empereur fera bien de mander » aux chief et gens dudict privé conseil que d'ores en avant » ils ne reçoivent nulz procès de partie à aultre, ne soit de » matières dépendantes d'estats ou d'offices domestiques » comptez par les escroiz desquelz cognoissance appartient au » privé conseil, et que ils délaissent et renvoyent les procès » d'entre autres parties au grant conseil 2 ». L'Empereur apos- tilla comme suit cet avis : « Nous trouvons bon que ainsi ce » face. » 1 Esprit des lois, liv. VI, chap. V. - Bull de la Comm. roy. d'hist., 3e série, t. I, p. 397. ( 317 ) Le conseil privé ne constituait donc en aucune façon un corps de justice; il ne pouvait exercer ce qu'on appelle pro- prement juridiction, a moins que sous la présidence du prince en personne i. Les matières de cet ordre devaient être ren- voyées aux tribunaux ordinaires, a l'exception de quelques- unes d'un caractère tout a fait spécial et que nous détermine- rons tantôt. Quelquefois les tribunaux consultaient le conseil privé, lors- qu'une affaire soulevait des questions relatives au droit public ou aux grands intérêts du pays; mais sa réponse n'enchaînait pas leur décision, et un jugement rendu en première instance ne laissait pas d'être sujet à l'appel quoiqu'il eût été précédé d'une consulte du conseil privé 2. Le conseil privé ne pouvait non plus se prêter à aucune demande pour évocation des causes intentées devant les cours ou tribunaux de justice. Les instructions à ce sujet étaient for- melles : « sans soy entremettre, disaient-elles, ni mêler » de la connoissance par voie de supplication, évocation ou » autrement, comme il soit des matières ou affaires dont nostre » grand ou autres consaux, juges et officiers ordinaires chacun » endroit soi ont ou doivent avoir le connoissance. Et si » aucunes supplications sont sur ce point présentées en notre » privé conseil, les renvoieront auxdits juges ordinaires pour » y pourvoir et procéder comme de raison 3. » Il s'en faut toutefois que le conseil privé ait toujours fidèlement observé ces instructions. Pendant le XVIe et le XVIIe siècle, on constate de fréquents empiétements de sa part sur les attributions des conseils provinciaux et des cours ordi- naires de justice. « Un des abus, dit un écrivain de cette époque, est que ceux » dudit conseil privé attirent à eux les matières et affaires qui » dépendent de la connoissance des autres consaux, maladie 1 Poullet, Const. nat., p. 393. 2 Loovens, Manier van proced., t. III, p. 157, s Instructions de 1531, 1540 et 1632, art. 6. ( 318 ) » ordinaire de tous les juges supérieurs qui, ayant plus d'af- » faires qu'ils ne savent démesler, ne sont contents s'ils n'ont » encore toutes celles des autres, à la façon des estomacs caco- » ehysmes qui attirent plus de viande qu'ils n'en peuvent » digérer, et ce par le moyen des évocations, soubs des pré- » textes apparens, mais non solides ni véritables, faisant de » leur conseil une plaidoirie non sans un grand intérest des » parties mesmes, lesquelles n'ayant à la cour des advocatz » nécessaires pour conserver leur droit, sont contraintes d'en » amener à grands frais, ce qui est directement contre le pres- » crit des instructions duclit conseil de l'an 4531, article 6, et » de celles de l'an 1540, article 6, qu'il faut nécessairement » faire garder si on veut que la justice soit bien remédiée *. » Aux états généraux de 1600, les états du Tournaisis, dans les instructions à leurs députés, protestèrent contre cette ingé- rence du conseil privé dans les affaires contenlieuses et deman- dèrent que désormais ce corps ne pût en rien empiéter sur les conseils provinciaux et le grand conseil de Malines, et que les procès qui y étaient pendants fussent renvoyés à ces derniers corps 2. Il est assez difficile d'expliquer cette immixtion du conseil privé dans des matières qui n'étaient pas de sa compétence et dont la connaissance lui était formellement défendue par ses instructions. 11 n'est pas permis cependant de supposer qu'un corps qui avait pour mission de faire respecter la loi et les droits de chaque juridiction, donnât lui-même le premier l'exemple de la désobéissance sans motif du moins apparent. Ce motif, nous croyons le trouver dans le droit qu'avait le conseil privé de connaître de toute atteinte aux prérogatives du souverain ainsi que de toute affaire de grande importance ou de celles concernant le bien public. Or, dans beaucoup d'infractions, le conseil privé pouvait trouver une atteinte à la 1 Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, dans les Mémoires RELATIFS A L'HISTOIRE DE BELGIQUE, t. XXVIII, p. 44. 2 Gachard, Actes des états généraux de 1600, p. 90. ( 319 ) « hauteur» du souverain, un préjudice au bien public général et, par conséquent, s'en réserver la connaissance. «Sous l'énon- » ciation du bien de la justice et bon ordre du gouvernement, » il est fort facile (disait le grand conseil de Malines dans une » protestation contre les empiétements du conseil privé), d'ex- » tendre l'authorité au delà de ses justes limites K » Mais, disons-le avec l'auteur que nous citons plus haut, ce zèle pour le service royal ou public était mû moins par le désir de faire bonne justice que par l'appât des épices qui, a cette époque encore, donnaient lieu à de criants abus. Les sentences rendues au conseil privé à charge de personnes non sujettes à la juridiction de ce corps, comme par exemple à charge d'un bourgeois de Bruxelles, ne pouvaient être exé- cutées que par lettres d'attache - du juge supérieur de la per- sonne condamnée. Comme le conseil privé ne pouvait donner des lettres requisitoriales au conseil de Brabant, ses sentences contre un Brabançon étaient envoyées au conseil du duché par lettre du gouverneur général, pour être mises à exécution par un de ses huissiers, sans que les huissiers du conseil privé pussent s'en mêler. De même, lorsqu'il s'agissait d'une personne ou d'une com- munauté du ressort du conseil de Hainaut, les huissiers du conseil privé ne faisaient pas les exécutions; celles-ci étaient remises aux soins du grand bailli et du conseil de la pro- vince 3. Il était cependant quelques causes pour lesquelles le conseil privé pouvait se constituer en tribunal, à savoir dans des cas extraordinaires et pour des raisons très fortes, mais toujours par délégation expresse du souverain qui était considéré comme le principe de la justice. C'est ainsi que les procès pour les dettes contractées par les états généraux en 1576, 1577 et 1578 1 Registres du grand conseil, XVII, 191. 2 De consentement. Voir Poullet, Bist. polit, nat., t. II, p. 292. 3 Archives du conseil privé, carton 481. ( 320 ) furent déférés au conseil privé K Les instructions de 4531, de 1540, article 6, et de 1725, article 9, prévoyaient d'ailleurs ces cas d'intervention du conseil privé dans l'administration de la justice : c'était dans « les affaires concernant les hauteurs, » domaines et droits de Sa Majesté ou le bien public, et » de si grande importance qu'il semblât à notre gouvernante » générale avec l'avis du conseil privé qu'elles y doivent être » traitées et réglées : ce qui, en ce cas, se fera sommairement » et sans forme ni figure de procès ». On sait qu'il n'y avait de réformation des sentences rendues par les conseils souverains de justice et la cour féodale de Bra- bant que par la grande revision. Lorsque le conseil privé s'ar- rogeait le droit de juger en matières contentieuses, la revision pouvait aussi s'appliquer à ses jugements ; elle s'appliquait môme a ses décisions lorsque ce corps avait été légalement commis par le souverain ou son représentant pour connaître d'une affaire quelconque de justice "2. Si le conseil privé était incompétent pour juger en matière contentieuse ordinaire, il avait le droit incontestable de régler les fréquents conflits nés de l'enchevêtrement des juridictions créées à des époques diverses et de la multiplicité des rap- ports dans lesquels se trouvaient les personnes et les choses 3. Quand ces conflits éclataient entre juges subalternes d'un même ressort, c'était au tribunal supérieur de ce ressort à en connaître et à en décider. Quand, au contraire, ils se produi- saient entre tribunaux supérieurs ou entre tribunaux de diffé- rents ordres, le conseil privé les réglait, de quelque nature ou de quelque état qu'ils fussent. Dans l'un et l'autre cas d'ail- leurs, la décision était ordinairement prise en fait, tous droits des corps de judicature contendants restant saufs. Les règles que je viens d'énumérer avaient déjà été formu- « Gachard, Actes des états généraux de 1600, p. 241. 2 Archives du conseil privé, carton 466. 3 Ibidem, cartons 590 à 619. ( 321 ) lées en 1519 '. En 1570, sous le duc d'AIbe, le gouvernement enjoignit de nouveau aux corps de justice qui se trouvaient en conflit, de se pourvoir devant lui quand ils n'avaient pas de ressort commun 2. Ces règles ne furent guère combattues en théorie que par le conseil de Brabant et celui de Gueldre. Le premier de ces corps était mû, dans cet ordre d'idées, par l'op- position presque toujours systématique qu'il faisait au conseil privé. Quant au conseil de Gueldre, il s'appuyait sur le traité de Venlo du 12 septembre 1543, par lequel la Gueldre recon- naissait la domination de Charles-Quint, traité qui fut con- firmé par chaque souverain à son inauguration. Or, d'après l'article 5 de ce traité, il était institué une chancellerie dans la province pour y administrer la justice, et personne ne pouvait être assujetti à une autre juridiction. Et d'après l'article 6, était confirmé le privilège de non evocanclo accordé de tout temps aux Gueldrois 3. Dans la pratique cependant, ces règles étaient facilement méconnues. Aussi, à chaque instant, voyait-on s'échanger entre les divers ordres de juges, des mandements de justice, des lettres de cassation, des déclarations de nullité. En 1651, le conseil de Brabant décerna même des lettres de cassation contre une sentence rendue en cette forme par le conseil privé. L'archiduc Léopold, dans une lettre très sévère, lui défendit d'en user à l'avenir 4 et, en 1652, il rappela tous les conseils 1 MS. 12324 de la Bibliothèque royale; Poullet, Const. nat., p. 398. 2 Verlooy, Codex brabanticus, verbo Forum, p. 113. 5 Registres Verds, n° 359. 4 Léopold, etc. Très cbers et bien aimés, c'est avec très grand déplaisir que nous recevons des plaintes si fréquentes du peu de respect et de devoir que l'on rend, en la province de Brabant, aux ordres et décrets émanés de nous et résolus à notre délibération par le ministère et advis du conseil privé du roi en matières pour la consultacion desquelles ledict conseil est establi parles prédécesseurs de S. M. comme collatéral, savoir celles ou qui, à raison de leur poids, qualité et conséquence sont par- dessus les termes, train et cours de justice ordinaire, ou qui, étant de la justice ordinaire, requièrent toutefois d'être traitées par nous pour le Tome LU. 21 .( 322 ) de justice à l'observation des prescriptions du duc d'Albe *. D'autre part, il arrivait que le conseil privé, favorisé par les gouverneurs généraux, s'empressait lui-même de connaître des débats de compétence soulevés entre juges subalternes, débat de compétence d'entre deux justices exemptes de ressort commun, ou pour toucher aux droits, privilèges et coutumes de diverses provinces indépendantes l'une de l'autre; et comme celles concernant les États de la province d'Artois et le vicomte de Fruges, député d'iceulx, contre le magistrat de Bruxelles, sont du rang et qualité susdits, sans toutefois que les décrets que nous y avons rendus ayent été reçus avec le respect ni suivis de l'obéissance qu'il convient, nous sommes meu de vous faire la présente afin qu'ayez à appeler incontinent par devant vous ceux du magistrat de Bruxelles et leur ordonner de notre part qu'ils ayent à y obéir et s'y conformer et consigner entre vos mains enseignements suffi- sants de leur obéissance endéans les 24 heures, à peine que les réfrac- taires seront suspendus de leurs fonctions et tenus inhabiles à ieelles pour l'avenir. D'autre part, entendons que vous auriez aussy, à l'instance desdits du magistrat, décerné lettres de cassation contre la sentence rendue en la forme que dessus à l'avantage desdits États d'Artois et du vicomte de Fruges, nous vous ordonnons de consigner endéans ledit terme les- dites lettres en mains de l'audiencier pour en faire ce qu'il appartiendra en raison et justice, le tout sans réplique aucune. Au surplus, afin d'ob- vier aux scandales et troubles de la justice arrivant si souvent par sem- blable procédé, nous déclarons pour loi et règle perpétuelle, au nom et de la part de S. M., qu'il ne vous est loisible de procéder par cassation ou quelconques autres décrets contraires à ceux rendus à notre délibé- ration sur rapport ou consulte de ceux du conseil privé du roi, à peine de privation de deux années de gages au regard de ceux qui auront par leurs opinions coopéré à tels décrets, et de suspension de leurs charges pour un an au regard de celui ou ceux qui les auront paraphés et signés: et afin que cette constitution soit établie et inviolablement gardée, notre volonté est que vous fassiez enregistrer la présente en vos registres et qu'endéans le même temps que dessus consignez es mains dudit audiencier extrait autentique de ladite enregistration, à peine qu'en cas de refus ou délai en ferons la démonstration qu'il appartiendra. (Lettre au conseil de Brabant du 22 juin 4651. [Reg. du conseil privé, 110 bis, fol. 9v°.]) 1 Registre du conseil privé, HObis, fol. 94 v°. — Placards de Brabant, t. IV, p. 207. ( 323 ) sans laisser agir les tribunaux supérieurs *. Ceux-ci, d'ailleurs, précisément a raison de leur qualité de dépositaires de la juri- diction propre du prince, étaient toujours restés, vis-à-vis du conseil privé, dans une dépendance assez étroite. Ni l'inamovi- bilité de leurs membres, ni l'article formel de leurs styles les autorisant d'avance à repousser toute ingérence du conseil privé dans l'exercice de leur mission de judicature, ni la louable énergie qu'ils montrèrent fréquemment, n'avaient suffi à la faire cesser. Pendant la période espagnole, on constate trop souvent la pression exercée par le conseil privé sur la haute magistrature; et, chose plus étonnante peut-être, on voit la haute magistrature prendre elle-même les devants et ne pas hésiter parfois à pressentir le pouvoir par rapport aux sen- tences qu'elle était dans le ras de rendre. Le conseil d'Etat s'était ému lui-même de cette situation, et dans une consulte du 26 octobre 1678 il en tit ressortir les inconvénients 2. Le conseil de Malines surtout avait toujours eu à se plaindre de l'ingérence du conseil privé dans l'administration de la justice ordinaire. Le démembrement, fait en 1503, de l'autorité confiée jadis au conseil lez le prince, devait nécessairement engendrer entre le conseil privé et le grand conseil une foule de rivalités, de compétitions et de conflits. Le grand conseil 1 Poullet, Const. nat., p. 398. 2 L'administration de la justice est le premier et principal fondement de l'Estat, et si l'on en empêche le cours, on le destruit absolument; et on ne l'empêche pas seulement en donnant des surséances des procédures et des exécutions des sentences et en tirant des causes hors les conseils ordinaires pour les soubmettre à des juges choisis et déléguez, mais aussi lorsque d'une cause de justice on en fait une affaire d'Estat, n'y ayant mal plus dangereux, dans le gouvernement politique, que de ne pas donner libre ouverture de justice et ne la pas rendre esgalement à tous ceux qui la demandent... L'on a vu néantmoins pendant ces guerres de grands relaschemens en ce regard. C'est un excès qu'il convient de des- raciner et il faut agir selon les instructions du cardinal-infant : que les affaires de justice ne se décident point par des considérations d'Estat ni celles d'Estat selon les formes de la justice. {Bail, de laComm. roy. d'hist., 3* série, t. VII, p. 441.) ( 324 ) se présentait comme investi directement par le souverain du droit de rendre la justice, comme spécialement chargé par lui de faire respecter les lois et de défendre l'intégrité des préro- gatives du monarque contre tous ceux qui voudraient usurper sur ses droits. Organe des volontés de la cour de Madrid ou de Vienne, tout dévoué au service des intérêts du prince, fort de l'autorité des gouverneurs généraux, le conseil privé s'efforçait d'étendre continuellement le cercle de ses attributions. Par voie d'intervention souvent arbitraire, par des édits de sus- pension d'instance du parlement, il arrêtait à tout instant le cours de la justice et détournait l'attention des conseillers de l'examen des affaires soumises à leur décision. Il serait fastidieux d'énumérer les causes multiples de ces conflits de juridiction. En vain le gouvernement voulut-il prévenir ces luttes intestines ; en vain promulgua-t-il à diffé- rentes reprises des ordonnances attribuant au pouvoir le droit de statuer définitivement sur de pareils débats : jusqu'au der- nier jour de son existence, le grand conseil lutta, sinon avec succès, du moins avec énergie, contre les empiétements de son rival. Sans vouloir entrer dans l'exposé d'inextricables complica- tions, je citerai une remontrance qu'adressa le grand conseil au marquis de Gastanaga, gouverneur général des Pays-Bas. « Il y a quelque temps que ceux de notre corps à ce déléguez » mirent entre les mains de Votre Excellence notre remon- » trance touchant les emprinses que ceux du conseil privé font » sur nous, et La supplièrent d'ordonner qu'une conférence » entre députez des deux conseils pour, en présence de V. Ex. » ou de quelque ministre qu'il plairait à V. Ex. de commettre » moyennant qu'il fut dégagé de toute prévention touchant » notre différent, veoir en vertu de quoy ils peuvent justifier » la supériorité qu'ils prétendent avoir et effectivement exer- » cent sur nous, en nous commandant indifféremment tout ce » que bon leur semble... » (10 mai 1686 *.) Le gouverneur 1 Mathieu, Uist. du grand conseil, p. 119. ( 325 ) se contenta de répondre qu'il « avait jugé convenable de » requérir le grand conseil de lui envoyer une déduction de » ses griefz afin qu'il pût prendre aussitôt la résolution qui se » sera trouvée convenir au service de S. M. et à la bonne » administration de la justice ». Quelque temps après, le grand conseil reçut une dépêcbe lui enjoignant, au nom du roi, d'avoir à suspendre l'examen d'un procès intenté par le comte de Gouppignies; à cet ordre, le parlement répondit par une remontrance énergique, dont voici la conclusion : « Ces raisons nous font espérer que V. Ex. » ne prendra pas de mauvaise part que nous passions outre » à la judicature dudit procès, ainsi que nous tenons y être » obligés par nos instructions. » (3 sept. 1688 i.) Plus tard (11 avril 1692), le grand conseil exprimait ses regrets d'avoir à recommencer ses premières remontrances au sujet des difficultés qu'il avait avec le conseil privé, dans un temps où ces deux corps devraient joindre leurs efforts pour le bien public. « Néantmoins, disait-il, comme à ceste » fin il est convenable que le grand conseil n'ait pas à » craindre de plus grands inconvénients que les précédents, » il se trouve en nécessité, pour la tranquillité publique et » pour sa défense propre, de ne point différer de représenter » à V. A. les points suivants : la création du parlement » en 1473, son rétablissement en 1503, l'ordonnance de 1531 et » celle de 1540 organique du conseil privé, qui détermine en » ces mots la compétence de ce corps : audit conseil privé se » traiteront les matières de notre suprême hauteur et souve- » raine authorité des choses pendantes de grâce, tant au civil » qu'au criminel, et qui seront pardessus les termes train » ordinaire de justice. » En 1771, dans le cours d'une instance soutenue par les conseillers fiscaux contre certains poissonniers de Malines, le grand conseil avait débouté les demandeurs de leur action et ies avait condamnés aux dépens du procès. Cette décision 4 Correspondance du grand conseil, année 1688. ( 326 ) étonna le conseil privé qui prit une disposition pour suspendre l'exécution de l'arrêt; il voulut examiner et improuver les motifs de la sentence. Le grand conseil, à la lettre commina- toire de Charles de Lorraine, répondit par une généreuse pro- testation *. Ce n'était pas seulement au moyen d'édits de surséance que le conseil privé contrariait l'action du grand conseil: sous de plus spécieux prétextes, il pénétrait dans le secret de la chambre des délibérations; il prétendait juger, à son tour, la conduite des juges de cette cour et approuver ou blâmer les motifs de leurs sentences. En 1674, à l'occasion de la condam- nation d'un ouvrage intitulé Notifia juris, il voulut « qu'on » lui envoyât copie des allégations des tiscaux et des aultres » actes de la procédure, et ordonna tiercement de suspendre » le procès de la cause jusques à aultres ordres, sans molester » l'auteur de l'ouvrage incriminé ». Le conseil de Brabant ne fut guère mieux traité que celui de Malines; mais ce corps, ordinairement soutenu par les états du duché, avait eu, moins que le grand conseil, à souffrir des empiétements du conseil privé. Néanmoins, lors de la confé- rence de 1659 tenue devant l'ambassadeur Cardenas, on n'avait pu, nous l'avons vu, se mettre d'accord sur tous les points en litige. Le conseil privé continua à connaître de certaines affaires jusqu'au règlement nouveau qui lui fut donné en 1725 par l'empereur Charles VI. Il fut définitivement statué alors que toutes les personnes qui jusque-là avaient ressorti au conseil privé, seraient traduites désormais devant le grand con- seil de Malines. Et encore, ce règlement ne fut pas strictement observé. Le ministre plénipotentiaire Kônigsegg-Erps, nous l'avons dit 2, s'en plaignit amèrement à Marie-Thérèse en 1743, et, à plusieurs reprises, des lettres closes, conçues dans des termes quelquefois très sévères, furent adressées au conseil privé pour le rappeler à ses instructions 3. Ce ne fut à vrai 1 Correspondance du grand conseil, année 1771. 2 Pages 145 à 148. 3 Archives de la chancellerie, D. 14. g. et D. 16. g. ( 327 ) dire que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que le conseil privé se renferma, pour les affaires contentieuses, dans son rôle de corps purement consultatif. Il lui resta cependant un moyen détourné pour contrarier le cours de la justice, moyen contre lequel le conseil d'État s'était aussi élevé dans sa consulte de 4678 rappelée plus haut.- Le prince, écrit M. Poullet*, avait la faculté incontestable et incontestée d'octroyer à un délinquant, avant toute poursuite, une lettre d'abolition qui arrêtait l'action du justicier; avant ou pendant les poursuites, une lettre de pardon ou de rémission qui éteignait l'action publique et qui dessaisissait les juges. 11 pouvait suspendre, dans un cas spécial, la justice criminelle en accordant un ou plusieurs sauf-conduits à un accusé. En matière civile, le souverain avait le pouvoir de suspendre la revendication des intérêts civils par des octrois de l'ordre gra- cieux, c'est-à-dire en donnant à un débiteur des lettres de répit, d'État, d'atermoiement, de sûreté de corps. Or, c'était le conseil privé qui, en vertu de ses instructions, prenait connais- sance des objets de l'espèce pour en informer ensuite le gou- verneur général. Cette intervention du conseil privé était assez fréquente, malgré ses instructions qui lui recommandaient de « non facilement et sans urgente cause et raison octroyer chose » de notable conséquence et semblablement quant aux grâces, » rémission procédant de crime ou de délit ». Elle excitait quelquefois de violentes réclamations, mais ces doléances n'en demeuraient pas moins inutiles. Cette prérogative du conseil privé était une des principales causes du mépris qu'inspiraient les lois criminelles de l'ancien régime; avec des richesses, on se rachetait d'un crime. Cette distinction affli- geante du pauvre et du riche, indigne de la majesté des lois, faisait d'un objet aussi sacré que la vindicte publique un trafic qui tournait au préjudice des mœurs et de la tranquillité publique. Il a fallu la disparition de l'ancien régime pour donner enfin l'indépendance aux magistrats et la sécurité aux citoyens. 1 Const. nat.y p. 395. ( 328 ) § 3. Nomination des membres des cours supérieures de justice. Lorsqu'une place de conseiller, de fiscal, de procureur géné- ral devenait vacante dans une cour supérieure de justice, le conseil privé était appelé à consulter sur la valeur et les mérites de ceux qu'il jugeait les plus aptes à la remplir, et il exami- nait en même temps si les candidats réunissaient les conditions exigées à cet effet par les usages, les coutumes et la législation. Le conseil privé apportait-il parfois de la négligence ou de la passion dans le choix des candidats qu'il avait à présenter ? On serait porté à le croire à la lecture d'une lettre qui lui fut adressée à ce sujet par Marie-Thérèse 4. Cependant il a été constaté que sous le rapport de la science les membres des cours supérieures de justice laissèrent généralement peu à désirer. A partir du milieu du XVIIIe siècle, tous les conseils, lors- qu'une place devenait vacante dans leur sein, jouirent de la prérogative de présenter au conseil privé un terne, c'est-à-dire trois candidats entre lesquels le prince faisait son choix. Ce droit n'avait d'abord appartenu qu'au grand conseil, au conseil ' ... Quant à la conduite de mon conseil privé dans ses recherches sur les qualités des sujets qu'il propose, quoique je sois persuadée de sa probité et de ses vues désintéressées, V. A. fera cependant connoitre à ce corps qu'il ait à l'avenir à se procurer sur les talens et les services des sujets qu'il s'agira de proposer pour des emplois, des notions sures, pour ne plus se trouver en opposition avec les preuves que mon gouvernement a d'ailleurs de la conduite et du peu de mérites de ceux qu'on lui pro- pose, ainsi qu'il est arrivé à l'égard de l'avocat Gilles-Paul Vandencruyce, au sujet duquel mon conseil privé en appelle aux témoignages de ses supérieurs, comme s'il pouvoit en avoir d'autres que mon gouvernement qui, en communiquant au conseil ma royale dépêche du 28 septembre 1762, lui a fait voir qu'on avait conçu de ce sujet une idée différente de celle que le conseil vouloit en donner. C'est par conséquent avec sur- prise que je l'ai vu préférer encore dans la dernière nomination du con- seil à des sujets plus dignes que lui. 7 février 1763. (Archives du conseil privé, carton 483.) ( 329 ) de Hainaut et a celui d'Artois i . Charles VI retendit aux conseils de Brabant, de Luxembourg, de Flandre et de Namur par un édit du 12 septembre 1736 2; à celui de Gueldre par un édit du 2 octobre de l'année suivante * ; et Marie-Thérèse en fit, en 1773, une des clauses de l'érection du conseil de Tournai 4. Cette prérogative fut supprimée pour les conseils de Flandre, de Luxembourg, de Brabant et de Namur par le diplôme du 12 janvier 1788 S, puis rétablie le 19 mars 4791 (!. Il y avait cependant cette différence dans les prérogatives, quant au mode de présentation, que le grand conseil faisait ses pro- positions proprio motu, au conseil privé, tandis que les autres conseils devaient attendre, pour les faire, les ordres du gou- verneur général. § 4. Surveillance des fiscaux. L'office fiscal constituait un des rouages les plus importants de l'administration des Pays-Bas. Les officiers fiscaux avaient des fonctions multiples ? : ils étaient Y œil et le bras du pou- voir central ; ils devaient veiller aux intérêts du souverain et au maintien de la bonne police; conduire et instruire tous les procès qui intéressaient le souverain et ses domaines ; c'était à eux de poursuivre et de faire punir les officiers de police qui, par négligence ou autrement, manquaient à leur devoir. Ils devaient tout particulièrement veiller à la publication et à l'exécution des édits ; poursuivre les délinquants du res- sort immédiat du tribunal où ils siégeaient. Enfin, c'était à 1 Alexandre, Hist. des officiers fiscaux, p. 31. 2 Placards de Brabant, t. VI, p. 57. 5 Archives du conseil privé, carton 529. i Placards de Flandre, t. IV, pp. 101 et 249. '" Chancellerie des Pays-Bas, reg. 168, fol. 189. ,; Coll. impr. des Archives, in-fol., t. XXV. 7 Voir à ce sujet mon travail et celui de M. Tierenteyn dans les Mémoires couronnés de l'Académie, t. XLV. ( 330 ) eux que le gouvernement s'adressait pour faire exécuter ses ordres dans les provinces et pour avoir les avis et les infor- mations dont il avait besoin sur les affaires tant publiques que particulières. De bonne heure, le gouvernement comprit la nécessité de s'assurer, autant que possible, que ces officiers remplissaient leurs devoirs avec soin et exactitude. Au conseil privé incom- bait cette mission. Un de ses membres, le conseiller commis aux causes fiscales, était spécialement chargé de ce service. C'est par la voie de ce conseiller que les fiscaux devaient entretenir une correspondance régulière avec le gouvernement; c'était lui qu'ils devaient instruire de tout ce qui se produisait dans leur ressort d'essentiel au maintien de la police ou concernant les intérêts du souverain. Pour donner plus d'autorité et d'indépendance au con- seiller commis aux causes fiscales, on avait songé à sous- traire complètement ce fonctionnaire au conseil privé et à lui attribuer une autorité en quelque sorte absolue sur les fiscaux des conseils provinciaux pour les ranger à leurs devoirs, car, comme le disait Kaunitz en 1760, « il n'y a peut-être pas de » pays au monde où les fiscaux des tribunaux provinciaux » soient plus gênés qu'aux Pays-Bas ». Mais le conseil suprême se montra hostile à un tel établissement qui ressemblerait trop, disait-il, à un tribunal particulier, sujet à beaucoup d'embarras, surtout en Brabant. II crut aussi qu'il ne pourrait qu'entraîner de l'irrégularité et souvent de la contradiction dans les ordres et les expéditions relatifs à la direction des affaires fiscales, comme aussi provoquer du mécontentement dans les conseils collatéraux *. Pour être mieux à même de juger de l'activité des fiscaux, le conseil privé fit rendre, le 22 novembre 1733 -, un décret en vertu duquel ces fonctionnaires devaient envoyer tous les trois mois, au conseiller chargé des causes fiscales, une liste con- 1 Archives de la chancellerie, D. 72. c. — Alexandre, ouvr. cité, p. 95. 2 Archives du conseil privé, carton 775. ( 331 ) tenant les noms des personnes contre lesquelles ils soutenaient des procès ; la date de l'institution de l'action ; l'objet de l'ac- tion, son état actuel et, si elle était terminée, la solution qu'elle avait reçue. Ils devaient en même temps énumérer les procès intentés et terminés dans les trois mois et faire con- naître comment ils s'étaient terminés; spécifier les avis qu'ils étaient chargés de rendre soit au gouvernement, soit à la chambre des comptes; dire le motif pour lequel ils n'auraient pas été rendus et déclarer en outre, en spécifiant l'objet, ceux qu'ils avaient rendus pendant les trois mois. Enfin, ils devaient porter à la connaissance du conseiller les informations qu'ils avaient prises et qui n'avaient pas eu de suite, et pour quel motif. D'après ces renseignements, le conseiller commis aux causes fiscales faisait rapport au conseil privé ou au conseil des finances, selon le cas, des négligences ou des abus préjudi- ciables au service, s'il s'en trouvait, et il proposait les moyens d'y remédier. Le gouvernement était ainsi à même de pour- voir, par des dispositions générales ou particulières, aux irré- gularités qui pouvaient se produire dans cette partie de l'ad- ministration. Des registres particuliers devaient être tenus de la corres- pondance du conseiller commis aux causes fiscales avec les fis- caux des provinces, ainsi que des ordres que le gouvernement donnait en matière fiscale. Pour laisser au conseiller fiscal le temps indispensable à ces devoirs et opérations, l'article o du décret précité le dispensait d'être rapporteur des matières de grâces, de changements de magistrats, de collations d'emplois et en général de celles qui regardaient les particuliers, au moins pour autant que les finances et les domaines du souverain n'y fussent pas inté- ressés. Par lettres circulaires en date du 4 janvier 47ôo, l'obser- vance de ces prescriptions fut rappelée aux fiscaux et le con- seil privé fit connaître en même temps à ces magistrats que la volonté de S. M. était que les devoirs et les fonctions de leur ( 332 ) emploi fussent remplis avec toute l'exactitude et la diligence possibles *. Cette première mesure fut bientôt suivie d'une autre : les fiscaux étant tout particulièrement chargés de surveiller la publication des édits, une ordonnance du 28 novembre 1755 leur enjoignit d'envoyer au conseiller fiscal du conseil privé, six semaines après la publication de chaque placard, une liste des endroits où la publication avait été faite et une autre de ceux où l'on aurait négligé de la faire 2. Ici, le conseil privé rencontra de l'opposition. Les fiscaux du Brabant prétendirent qu'ils n'étaient pas subordonnés au conseil privé; et, soit que le gouvernement reconnût le bien fondé de leur représentation, soit qu'il voulût éviter un con* Ait, il leur ordonna de remettre leurs rapports au gouverneur lui-même qui les ferait passer au conseiller préposé aux causes fiscales pour les examiner et lui en faire rapport. Les fiscaux du grand conseil, à leur tour, se récrièrent. Dans un long mémoire adressé au gouverneur général, ils firent remarquer combien leur était pénible la défiance qu'on leur montrait; que les décrets du 22 novembre 1753 et du 28 novembre 1755 les mettaient dans l'impossibilité de s'acquitter des nouveaux devoirs qu'ils leur prescrivaient, sans négliger les fonctions essentielles de leurs charges; que, d'ail- leurs, ces décrets étaient non seulement contraires aux ordon- nances pour le grand conseil et, entre autres, à celle du 15 novembre 1590, laquelle donnait aux fiscaux « surinten- » dance des affaires et causes de Sa Majesté », mais de plus, complètement inutiles, vu que les instructions pour le grand conseil avaient suffisamment pourvu à la surveillance dont les fiscaux devaient être l'objet. Le gouvernement ne paraît pas avoir tenu compte de ces observations, car, par ordonnance du 9 janvier 1759, il rap- ' Alexandre, ouvr. cité, p. 89. 2 Idem. ( 333 ) pela aux différents conseils d'avoir à tenir la main à l'exécu- tion des décrets précités *. Telles étaient les dispositions qui établissaient la correspon- dance entre le gouvernement et les fiscaux. En 1786, on songea à en introduire de nouvelles, mais le conseiller du con- seil privé, De Le Vielleuze, préposé alors aux causes fiscales, jugea la chose inutile. « Nous ne pouvons, disait-il dans son )> rapport au ministre plénipotentiaire, qu'applaudir aux » mesures prises antérieurement pour la surveillance à exercer » sur les fiscaux; nous ne croyons pas même pouvoir rien y » ajouter quant à présent, et nous pensons qu'en exigeant des » fiscaux l'observation rigoureuse de ces règlements et en leur » rappelant en même temps leurs devoirs et en tenant la main » à ce qu'ils les remplissent exactement, on parviendrait à » donner toute l'activité possible à cette partie essentielle de » l'administration -. » § 5. Le conseil privé juge de personnes privilégiées. Le conseil privé avait une juridiction ordinaire, tant crimi- nelle que civile, sur les princes étrangers se trouvant dans les Pays-Bas, sur les grands d'Espagne, les chevaliers et officiers de l'ordre de la Toison d'or, sur les rois et hérauts d'armes, les gouverneurs des provinces, les ambassadeurs et ministres étrangers; en matière civile seulement, sur l'amiral, le général de l'artillerie, les ministres et conseillers composant les trois conseils collatéraux, les officiers qui en dépendaient de même que leurs veuves et enfants n'ayant pas choisi état ou domicile, sur ceux de la chambre des comptes de Flandre, qu'on appelait par excellence celle du roi 3. 1 Recueil des orclonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VIII, p. 270. 2 Archives du conseil privé, carton 477. 5 Rapport du marquis de Prié au roi, du 16 avril 1725, dans Gachard, Documents inédits, t. III, p. 488. — MS. 15206, p. 139, de la Bibliothèque royale. — Registres Verds, n° 358, fol. 25. — Registres du grand conseil de Malines, n° 4, p. 412. — Archives du conseil d'État, carton 272. ( 334 ) Cependant, le conseil privé pouvait déléguer un autre tri- bunal, et c'était généralement le grand conseil de Malines, pour le jugement des causes relatives aux catégories de personnes énumérées ci-dessus. Il le faisait quand il le jugeait conve- nable, soit parce que les causes lui paraissaient allions inda- ginis, soit que, pour empêchement ou autre raison, il ne pouvait ou ne voulait pas les instruire 4. Les causes ainsi renvoyées au grand conseil étaient accompagnées de lettres avec cette clause : « Vous autorisant à ce ». Toutefois, pour exécuter la sentence qu'il avait rendue dans des affaires de cette nature, le grand conseil devait, au préa- lable, demander et obtenir l'autorisation du conseil privé, sinon la sentence pouvait être improuvée et déclarée nulle '-. Les sentences rendues au conseil privé à charge des per- sonnes soumises à sa juridiction ne pouvaient être mises à exécution qu'à la suite de lettres exécutoriales, comme cela se pratiquait dans les autres tribunaux 3. Pendant la suppression du conseil privé, de 1702 à 1725, le grand conseil de Malines voulut s'attribuer la connaissance des causes tant civiles que criminelles des membres du conseil d'État établi par les alliés en 1706. Par décret du 5 décem- bre 1711 4, le roi déclara que les causes de cette nature étaient de la compétence du conseil d'État lui-même, qui ce tenait lieu » du conseil privé ». Cependant, en 1725, lors du rétablissement des conseils col- latéraux, toute juridiction contentieuse fut enlevée au conseil privé; et tous ceux qui, auparavant, étaient attraits en justice devant ce corps le furent devant le grand conseil de Malines 5. 1 Archives du conseil privé, carton 466. — Archives du conseil d'État, carton 272. 2 Archives du conseil privé, carton 466. 5 Idem, carton 481. * Registres du grand conseil, n° 163, fol. 15; n« 165, fol. 229; n° 164, fol. 223. c Art. 9, 10 et 11 du diplôme du 19 septembre 1725. ( 335 ) § G. Le conseil privé dans l'alcadie et le tribunal aulique. II y a eu de tout temps à la cour de Bruxelles, comme dans les autres cours d'ailleurs, des juges particuliers pour les offi- ciers et les domestiques attachés ù son service. On a fait autrefois une distinction à cet égard entre les offi- ciers et les domestiques de cette cour qui étaient aux gages du souverain et ceux qui étaient exclusivement aux gages des princes gouverneurs généraux. Les premiers avaient pour juge un officier qui, d'après les usages espagnols, portait le titre d'alcade de la cour; les autres étaient jugés par le Bureau du grand officier de la cour taisant les fonctions de maréchal. Les attributions de ces deux juridictions auliques n'ayant jamais été bien déterminées, il en résulta de la confusion et du désordre auxquels les archiducs cherchèrent à remédier par l'ordonnance du 9 juillet 1613 *. Cette ordonnance distinguait les cas criminels, débats et que- relles qui survenaient dans l'enclos du palais et ceux qui se produisaient au dehors : la connaissance des premiers était attribuée au Bureau du palais, à l'intervention de l'assesseur à ce commis, et les sentences prononcées étaient sans appel; la judicalure des seconds était donnée au conseil privé, à la poursuite du conseiller commis aux causes fiscales qui faisait à cet effet, dit l'ordonnance, l'office de l'alcade de la cour. Le conseil privé était également le seul juge compétent à l'égard des matières civiles qui touchaient à ceux de la cour. L'in- struction de ces causes se faisait selon les ordonnances et le style de procédure du grand conseil 2. 11 ne paraît pas qu'il y ait eu de changement introduit dans l'exercice de la juridiction de ce tribunal jusqu'au temps du 1 Registres Verds, n« 358, fol. 78. s Ibidem, fol. 85. ( 336 ) gouvernement du cardinal-infant qui, par son décret du 8 no- vembre 1638 *, Fattribua entièrement au conseil privé,. en dé- clarant que l'exercice tant de l'office d'alcade de la cour que d'assesseur du Bureau de son hôtel serait fait par deux con- seillers du conseil privé à ce commis par le chef et président de six mois en six mois. Cette disposition subsista jusqu'au temps de l'archiduc Léo- pold qui, en 1649, le 24 janvier 2, établit fixement le conseil- ler du conseil privé Bereur pour desservir seul l'alcadie et, après lui, le conseiller Mercier. A la mort de ce dernier, le surintendant de la justice mili- taire, Nairaels, brigua sa succession en prenant prétexte du peu de gages qu'il recevait d'Espagne. Don Juan d'Autriche, alors gouverneur général des Pays-Bas, la lui accorda et porta, le 4 juin 16o8 3, un décret en vertu duquel et par ordre exprès du roi le Bureau fut supprimé et ses fonctions attribuées à l'al- cade, le tout néanmoins par provision et sans préjudice de l'attribution qui en avait été faite ci-devant au conseil privé. Lors du retour en Espagne du surintendant Nairaels, quelques temps après le départ des Pays-Bas de don Juan, le conseil privé reprit en partie ses fonctions, tandis que, d'un autre côté, ceux qui exerçaient la surintendance militaire s'ingérèrent aussi dans les affaires de l'alcadie, ce qui ne manqua pas de produire une grande confusion. Cependant il ne fut fait à ce sujet aucune autre disposition jusqu'à ce que le marquis de Castel-Rodrigo conférât cet emploi, le 25 novembre 1667 4, au conseiller de l'amirauté Del Marmol, auquel succédèrent l'un après l'autre, en 1688 et 1693 », Nico- larts père et fils. A la mort de ce dernier, en 1736, l'archiduchesse Marie- 1 Archives du conseil privé, carton 566. 2 Registres de la chambre des comptes, n° 45875, fol. 86. 3 Archives du conseil privé, carton 566. 4 Registres de la chambre des comptes, n° 45878, fol. 201, 3 Ibidem, fol. 228. ( 337 ) Elisabeth, par décret du 28 juillet i, autorisa le conseil privé à faire les fonctions de conseiller alcade, par provision, et jusqu'à ce qu'elle eût disposé de cette charge. Et pour rendre l'administration de cette justice moins onéreuse aux parties, elle résolut, par dépêche du 18 décembre 1745 2, d'en charger un seul membre du conseil privé que désignerait le chef et président. Les choses en restèrent sur ce pied jusqu'en 1750. En éta- blissant le comte de Lannoy grand maréchal de la cour de Son Altesse Royale, Marie-Thérèse, par dépêche du 5 août de cette année 3, réunit provisionnellement au tribunal du grand maréchal de la cour l'ancienne juridiction de l'alcade pour former le tribunal antique. Le nouveau consistoire de justice se composait du maréchal président et de deux assesseurs pris dans le conseil privé. Ces derniers seuls avaient voix délibérative, et s'ils étaient en désaccord, on leur adjoignait un troisième membre du conseil. A la mort du comte de Lannoy, le gouverneur général auto- risa, par acte du 1er septembre 1755, le conseiller du conseil privé Pycke, le plus ancien des assesseurs, à toutes les fonc- tions de la présidence; et cette autorisation fut agréée par l'Im- pératrice par dépêche du 15 octobre suivant ■*. Le 5 mai 1762 5, un règlement définitif maintint et com- pléta les dispositions provisionnelles de 1750. Selon l'article 1er de ce règlement, le tribunal aulique était composé comme le tribunal provisionnel de 1750; en l'absence du grand maré- chal, ou lorsque cette place n'était pas remplie, le plus ancien des assesseurs faisait les fonctions de président. L'article 2 ordonnait de suivre, pour l'instruction des causes devant ce tribunal, le style du grand conseil de Malines. * Registres Verds, n* 361, fol. 99 v°. 2 Ibidem, fol. 178. 5 Archives du conseil privé, carton 566. * Ibidem. 5 Placards de Brabant, t. X, p. 381. Tome LU. ( 338 ) L'article 4 portait que tous les officiers et domestiques de la cour ou qui étaient au service et aux gages des gouverneurs généraux des Pays-Bas, de même que tous les autres officiers qui, quoique aux gages de S. M., étaient néanmoins employés au service particulier des gouverneurs généraux ou de la cour, seraient soumis à ce tribunal, ainsi que ceux des deux compa- gnies des archers et des hallebardiers, à l'exception des capi- taines et des lieutenants de ces compagnies, qui étaient déclarés justiciables du grand conseil. L'article 5 déclarait également assujettis à la juridiction du tribunal aulique les habitants du Borgendael et des Bailles de la cour i. Selon l'article 6, ce tribunal jugeait par arrêt et sans appel les contestations dont l'objet n'excédait pas la somme de 1,500 florins argent courant de Brabant; et au cas que l'objet litigieux excédât cette somme, la partie condamnée pouvait en appeler au conseil privé, en se conformant aux instruc- tions du grand conseil. Par l'article 7, il était statué que toutes les personnes justi- ciables au civil par-devant le tribunal aulique, le seraient éga- lement en matière criminelle ; que le conseiller commis aux causes fiscales du conseil privé prendrait les informations préparatoires et demanderait provision de justice; que si le cas était de nature à être traité au grand criminel, le gou- verneur général établirait une jointe composée de conseillers du conseil privé ou du conseil de Brabant, dans laquelle le conseiller commis aux causes fiscales du conseil privé rempli- rait les fonctions d'acteur. Par décret du 12 décembre 1767 -, le tribunal aulique a été délégué pour connaître, en dernier ressort, des difficultés 1 Cette juridiction est venue a cesser dans la suite par les arrange- ments qui ont été pris pour la construction de la place Royale et des nouveaux bâtiments au Parc, tout le terrain de l'ancien Borgendael et du Parc ayant été soumis, d'après ces arrangements, à la juridiction ordinaire du magistrat de Bruxelles. 2 Registres de la chambre des comptes, n° 187, fol. 235. ( 339 ) qui pourraient s'élever au sujet de la perception des ving- tièmes, à Bruxelles, entre les employés des états de Brabant et des privilégiés non ressortissant à la juridiction du conseil de ce duché. Par l'octroi du spectacle de Bruxelles, les artistes et autres suppôts du théâtre étaient aussi soumis à la juridiction du tribunal aulique en qualité de comédiens de la cour i. Par décret du 16 août 1781 *, les gouverneurs généraux déclarèrent que leurs hussards étant à leur service particulier et à leurs gages, seraient traités sur le môme pied et de la même manière que leurs autres domestiques. Supprimé par le diplôme du 1er janvier 1787, le tribunal aulique fut rétabli le 8 mai de la même année 3. Par décret du 11 mai suivant 4, l'Empereur statua qu'il y aurait appel de ses sentences au conseil royal de Bruxelles et revision au conseil souverain de justice, lorsque les cas en seraient susceptibles. A son rétablissement en 1791, le conseil privé reprit ses anciennes fonctions à l'égard du tribunal aulique. § 7. Le conseil privé tribunal d'appel. Anciennement, les distinctions subtiles entre la compétence du pouvoir judiciaire et celle du pouvoir administratif n'étaient guère connues. Il en résultait que le conseil privé prenait une - part active à l'exercice de la justice en s'érigeant en cour d'appel des sentences portées par certaines commissions ou tribunaux extraordinaires. Nous allons signaler dans quelle mesure et sur quelles institutions s'exerçait la compétence du conseil privé en degré d'appel. i Archives du conseil privé, carton 566. 2 Liste chronologique des édits et ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 2e partie, p. 12. 3 Ibidem, p. 146. 4 Ibidem. ( 340 ) 1° Affaires en doléances. — On sait comment les commissions financières établies dans chaque châtellenie flamande pour régler le transport de Flandre se fixèrent, se développèrent pour constituer des institutions stables, connues sous le nom de chefs-collèges 1 . La compétence des chefs-collèges ne fit que grandir dans la suite des temps et, au commencement du XVIIIe siècle, elle comprenait l'administration supérieure de tous les villages du ressort et la juridiction sur tout ce qui concernait la régie du plat pays. Or, par le règlement du 24 janvier 1720 %, tous ceux qui se croyaient lésés par les décisions des chefs-collèges pouvaient s'adresser au gouvernement. Voilà l'origine des affaires en doléances. La voie de doléance était dans le fond un véritable appel au conseil privé ; et toutes ces affaires étaient traitées devant ce corps suivant les formes de l'ordre judi- ciaire, par jugement et par sentence, à la pluralité des voix, et non par la voie ordinaire de consulte au gouverneur général 3. En 1762 4, la même disposition fut prise à l'égard des états du Tournaisis. Par ordonnance du 2 décembre, l'Impératrice attribua aux députés des états du bailliage toute juridiction en matière de charges publiques et de régie interne des com- munautés, en supprimant la voie d'appel des sentences et dispositions aux officiers du siège royal de ce bailliage et en y substituant celle de doléance au conseil privé. Cette disposition fut maintenue lors de l'érection, en 1773, du siège royal en conseil provincial s. Ces affaires en doléances ont également été introduites pour la province de Luxembourg par le règlement du 21 mars 1771 6. 1 Poullet, Const. nat., p. 337. — Idem, Hist. pol. nat., t. II, pp. 132 et 491. — Gilliodts -Van Severen, Inventaire des archives de Bruges, t. IV, pp. 19, 279, etc. 2 Placards de Flandre, t. IV, p. 278. 3 Archives de la chancellerie, 110. J. 4 Placards de Flandre, t. V, p. 1157. 5 Ibid., t. VI, p. 225. — Registres du conseil privé, t. CCCLXIV, p. 179. 6 Coll. impr. des Archives, in-fol., t. XVII. ( 341 ) Elles n'avaient pas lieu en Brabant, ni en Hainaut, ni dans la province de Namur 4. Lors de la suppression du conseil privé en 1787, comme dans le conseil du gouvernement il n'y avait que deux con- seillers chargés du département de la justice 2, cette forme de tribunal d'appel était devenue impraticable. Le conseiller d'Aguilar préconisa, dans un rapport au conseil général, trois moyens pour remplacer le conseil privé dans l'examen en appel des affaires en doléances : 1° adjoindre aux deux conseil- lers référendaires du département de la justice trois autres conseillers, afin que ces cinq membres jugeassent ces sortes d'affaires comme l'avait fait le conseil privé; 2° attribuer par une loi générale la connaissance de ces affaires au grand conseil, pour la Flandre; au conseil de Hainaut pour le Tournaisis, et au conseil de Luxembourg pour cette pro- vince ; ou enfin, 3° au lieu d'une loi générale, se borner pro- visoirement à des attributions particulières des causes qui se présenteraient clans les provinces respectives aux tribunaux ci-dessus indiqués. Ces trois moyens parurent au conseil général présenter cer- tains inconvénients : le nombre d'affaires à traiter au conseil du gouvernement rendait le premier impossible; l'attribution générale de ces procès aux tribunaux supérieurs était sujette à deux difficultés : d'abord, selon les lois existantes, ces procès devaient être traités et décidés gratuitement, ce que ne pouvaient faire les tribunaux supérieurs de justice, et ensuite, le gouvernement perdait ainsi de vue des affaires qu'il s'était réservées tant au point de vue de la surveillance géné- rale que pour le maintien de l'uniformité des principes en matière de charges publiques. Enfin, l'attribution particulière aux tribunaux des provinces des affaires de cette nature, tout en établissant des délégations contraires aux lois en vigueur, exigerait pour chaque cas une autorisation tant pour le pro- 1 Archives de la chancellerie, 110. J. 2 Voir plus haut, page 181. ( 342 ) nonce du jugement que pour les frais qu'il entraînerait, frais auxquels les parties ne pouvaient être assujetties. Le conseil général du gouvernement proposa donc, pour la connaissance et la décision de toutes les affaires en doléances, de substituer le grand conseil de Malines au conseil privé. A l'appui de cette mesure, il fit remarquer que les conseillers du grand conseil étaient « maîtres aux requêtes du palais » et, comme tels, considérés comme membres du gouvernement; qu'en désignant un seul tribunal pour toutes les affaires de ce genre, on maintiendrait mieux l'uniformité des principes. Par décret du 16 février 1788 *, l'Empereur attribua au grand conseil de Malines toutes les affaires en doléances dont con- naissait autrefois le conseil privé. 2° Alcadie et tribunal aulùfiie. — Nous avons vu plus haut comment le conseil privé intervint dans la composition de Talcadie, plus tard le tribunal aulique. Chose singulière, ce même conseil privé fut de tout temps le tribunal d'appel des sentences rendues par l'un et l'autre de ces tribunaux "2. Au XVIIIe siècle, un doute s'éleva si, malgré les articles 9, 10 et 11 du diplôme du 19 septembre 1725, qui défendaient au conseil privé de s'occuper d'affaires contentieuses, ce corps pouvait encore connaître des causes en appel, ou si ces appels devaient être portés au grand conseil de Malines. Le prince Charles de Lorraine, dans sa relation à l'Impératrice du 18 mai 1753 3, fut d'avis que les causes ressortissant au tribunal aulique n'intéressant d'ordinaire que les gens de sa cour, il serait plus convenable d'autoriser le conseil privé à en connaître en degré d'appel; a ce conseil, disait-il, étant à Bruxelles, ville de » sa cour, il est toujours à la main et ses jugements seront » plus prompts et moins frayeux ». Nous avons vu que par le règlement du 4 mai 1762 il fut statué dans ce sens. 3° Chambres suprêmes des droits d'entrée et de sortie. — 1 Archives de la chancellerie, 110. J. 2 Consulte du conseil privé du 10 février 1679. — Archives de la chan- cellerie, D. 43. g. 3 Archives de la chancellerie, D. 43. g. ( 343 ) L'établissement des douanes avait donné lieu, au XVIIe siècle, à l'institution des juges de droits d'entrée et de sortie des ton- lieux, transits, etc. Ces juges, établis généralement dans les grandes villes, connaissaient en première instance de tous les différends à l'occasion de la perception des droits d'entrée et de sortie ainsi que des fraudes qui se commettaient. Il y avait appel des sentences de ces juges à deux chambres suprêmes établies à Bruxelles : l'une, la chambre suprême du Brabant, pour le duché et les pays d'outre-Meuse, l'autre, la chambre de Flandre, pour les autres provinces. Cette dernière était composée de deux conseillers du conseil privé et d'un con- seiller commis des finances. Les sentences rendues par les chambres suprêmes n'étaient pas sujettes à revision; cependant les intéressés pouvaient s'adresser au conseil privé pour obtenir des surséances. Les juges délégués pour la première instance, non plus que les chambres suprêmes, n'avaient point de juridiction crimi- nelle; cependant ils pouvaient condamner à des amendes soit les percepteurs des droits, soit les marchands ou autres qui cherchaient à frauder les droits. Ces mêmes juges et les chambres suprêmes connaissaient aussi sans difficulté dans toutes les provinces, excepté en Brabant i, des domaines, c'est-à-dire de leurs revenus ainsi que des autres droits domaniaux, y compris les affaires conten- tieuses du lotto "2, et leur perception au profit de l'amodiateur; mais pour toute question touchant le fond ou la propriété, c'est-à-dire ce qu'on appelait le droit radical du domaine, la connaissance en appartenait au conseil provincial du ressort 3. 4° Juges de la vénerie et de la faulconnerie. — En Brabant, en Flandre, en Hainaut et dans la province de Namur, il y avait des conservateurs en titre de la chasse et de la pêche qui portaient le titre de grands veneurs. Dans le Limbourg, un gruyer remplissait le même office. 1 Poullet, Const. nat., p. 431. 2 Archives de la chancellerie, H. 411. 3 Archives du conseil privé, carton 465. — Archives de la chancellerie, D. 18. B. ( 344 ) En Flandre, à côté du grand veneur, il y avait un grand fauconnier. A la première de ces fonctions était attachée une juridiction touchant les deux branches. Il y avait appel au conseil privé des sentences des juges de la vénerie et de la faulconnerie, « à délais briefs et péremptoires par emploi de » procès par écrit * ». Pour la province de Namur, le conseil privé avait aussi été établi, par les ordonnances de 1570 2 et de 1613 3, juge d'appel des sentences du siège de la vénerie de la province. Mais un décret du prince Charles de Lorraine, en date du 11 février 17604, lui retira cette juridiction pour la donner au conseil provin- cial de Namur. 5° Jointe suprême militaire. — Par une ordonnance datée de Vienne, le lo novembre 1732, et insérée dans celle qui a été émanée dans la forme législative des Pays-Bas s concernant l'administration de la justice militaire, l'empereur Charles VI avait divisé les militaires en deux classes. La première com- prenait les officiers, sous-officiers et soldats attachés aux régiments ou dépendant d'un corps militaire quelconque; la seconde, ceux qui appartenaient aux états-majors des places et ne dépendant d'aucun régiment. L'Empereur avait établi, par la même ordonnance, pour les militaires de la seconde classe ressortissant à l'auditoriat général des Pays-Bas, une jointe sous le nom de jointe suprême militaire, composée du général commandant les armées et de deux membres du conseil privé, pour connaître et décider, en degré de revision, des causes jugées en première instance par l'auditoriat, les causes en revision concernant les militaires de la première classe étant portées devant le conseil aulique de guerre. 1 Placards de Brabant, t. II, p. 199. — Defacqz, Ancien droit belgique, t. I, p. 104. 2 3 avril (Placards de Flandre, liv. II, p. 387). 3 31 août (ibid., p. 394). * Recueil des ordonn. des Pays-Bas autrichiens, 3e série, t. VIII, p. 357. ïï Placards de Brabant, t. VII, p. 165. ( 345 ) Cette différence de ressort, pour des personnes de même état, ayant amené des inconvénients, l'Impératrice, par ordonnance du 9 février 1774 ', supprima la jointe suprême militaire et laissa subsister seul, comme tribunal d'appel pour tous les militaires, le conseil aulique de guerre. S 8. Le conseil privé dans le droit de grâce. Le droit de grâce a toujours été un attribut de la souve- raineté; cependant il n'avait pu rester à l'abri d'usurpations bien fréquentes. Le nombre de ceux qui avaient le droit de faire grâce, ou qui prétendaient l'avoir, était encore tellement considérable au XVIe siècle, qu'il menaçait d'anéantir l'action répressive des tribunaux. Presque tous les hauts fonction- naires, presque tous les grands corps de l'État se l'attribuaient. Une foule de justiciers, surtout en Brabant, l'exerçaient en vertu de leurs droits antiques; d'autres l'usurpaient à l'exemple des premiers. Le conseil privé, qui, par les instructions de 1531, avait reçu la consulte des affaires de grâce tant en matière civile qu'en matière criminelle, travailla à la diminution des abus. Les ordon- nances du 20 octobre 1541 2, du 5 juillet 1570, articles 15 et 20; les édits du 22 juin 1589, du 1er juillet 1616 3, du 10 juil- let 1628 4, posaient entre autres, en principe, que le droit de grâce était un attribut exclusif de la souveraineté et défendaient à tout corps ou officier de l'exercer, sous peine de correction arbitraire. Mais malgré les efforts incessants du conseil privé, ces dispositions eurent le sort de toutes celles qui heurtaient des intérêts privés et étaient unies à des traditions antiques. Elles ne furent pas uniformément acceptées. D'un côté, un certain nombre de seigneurs hauts justiciers se maintinrent, 1 Placards de Flandre, t. VI, p. 1498. 2 Ibidem, t. I, p. 778. 3 Ibidem, t. II, p. 180. 4 Loovens, ouvr. cité, t. 111, pp. L2(rl à 269. ( 346 ) avec ou sans l'autorisation du gouvernement, en possession du droit de remettre les peines encourues qu'ils exerçaient jadis; d'un autre côté, le conseil de Brabant continua d'accorder des octrois de grâce et de rémission en concurrence avec le gouverneur général et avec le conseil privé. Cet abus était si enraciné, que le conseil de Brabant ne plia définitivement devant la volonté du gouvernement qu'à la suite d'une dépêche impérieuse, datée de .1764 *. Voici maintenant quelle était la compétence du conseil privé dans l'octroi des grâces. Le délinquant adressait d'abord une supplique qui, aux termes des édits de 1541, 1589, 1616 et 1628, devait contenir un exposé fidèle et exact des faits du délit. Elle ne pouvait passer sous silence aucune circonstance aggravante ni invoquer aucune circonstance atténuante imagi- naire, sous peine d'être tenue pour subreptice (art. 14, 31, 32 de l'édit de 1525; 21, 22 de Pédit de 1541). Le conseil privé, après avoir pris l'avis des conseils de justice et des fiscaux en particulier, et après mûr examen des faits, donnait son avis au gouverneur général. Les lettres de grâce accordées étaient transmises par son intermédiaire au conseil de justice intéressé pour y être entérinées, le cas échéant 2. Nous devons dire un mol des grâces accordées à l'occasion du vendredi saint. Il a toujours été d'usage, dans les anciens Pays-Bas, d'accorder chaque année des grâces « en commémo- » ration de la douloureuse mort et passion que N. S. J. C. a » souffertes sur l'arbre de la croix ». On faisait toujours grâce de la vie à un condamné à mort ; c'est ce qu'on appelait faire an Barrabas. Et, à cette occasion, on faisait remise des peines qu'ils avaient encourues à quelques malfaiteurs dont les fautes n'étaient pas très graves, ou on apportait quelques adoucisse- ments aux punitions auxquelles ils avaient été condamnés. Et non seulement le gouvernement remettait à cette époque des concessions de grâces qu'il ne trouvait pas convenable d'ac- 1 Poullet, Hist. du droit pénal dans le duché de Brabant, p. 405. 2 Archives du conseil privé, cartons 694 à 720. (347 ) corder dans Tannée, mais l'usage des grâces accordées avec plus de facilité le vendredi saint était tel et si bien connu, que les intéressés réservaient souvent leurs demandes pour ne les faire valoir qu'à ce moment. Aussi, dans la quinzaine qui pré- cédait ce jour, le conseil privé en recevait-il en quantité. Le conseil privé y délibérait dans une assemblée extraordi- naire qu'il tenait le jour du vendredi saint et rendait son avis en faisant trois listes : l'une des cas non graciables dont on tirait Barrabas ; l'autre des cas graciables, et la troisième des cas douteux, c'est-à-dire de ceux dont la culpabilité n'était pas évidente. La plupart des cas graciables étaient suivis de la grâce. D'après l'usage, le chef et président avait la prérogative d'aller faire rapport lui-même au gouverneur, sans devoir passer par l'intermédiaire du ministre plénipotentiaire t. CHAPITRE IV. COMPÉTENCE DU CONSEIL PRIVÉ EN MATIÈRE POLITIQUE. § 1. Politique intérieure. De par les instructions données aux conseils collatéraux en 1531, la direction de la politique intérieure appartenait au conseil d'Etat. L'article 5 des instructions de ce conseil est explicite : « Audit conseil se traiteront les grandes et princi- » pales affaires, celles qui concerneront l'Etat, la conduite du » gouvernement, la paix, la sûreté et la défense du pays, » remettant et délaissant les autres négoces et affaires, tant de » grâce que de justice et police ordinaire, es privé, grand et » autres conseils provinciaux, loix, juges et officiers, sans s'en » mêler ni empêcher de la connaissance. » Voici l'énumération générale 2 des matières comprises dans 1 Archives du conseil privé, cartons 721 à 751. — Archives de la chan- cellerie, D. 110. V. 2 Archives du conseil d'État, carton 271. ( 348 ) renonciation de cet article; on verra par là que la direction de la politique intérieure était primitivement aux mains du conseil d'État et que le conseil privé n'avait en réalité que la régie et l'administration de la justice : 1° Les grandes et principales affaires comprenaient le main- tien de la religion catholique, la surintendance sur tous les conseils et tribunaux au fait de l'administration de la justice en général, l'observance de leurs instructions, leur subordi- nation respective, la conservation des droits, hauteurs et souveraineté de Sa Majesté, la conduite des états des provinces, la conservation de l'Université de Louvain. 2° Dans l'état et la conduite du gouvernement étaient rangés le commerce en général, les monnaies, la navigation, la pêche, les différends avec les puissances voisines, la paix et la tran- quillité intérieures, la police supérieure dans les provinces et dans les villes, la conservation des privilèges, lois et usages du pays, les matières héraldiques, la collation des emplois civils, les changements des magistrats et des lois des villes et des châtellenies, la collation des dignités et bénéfices ecclésias- tiques, la conservation des domaines et des revenus royaux dont le conseil des finances n'avait que la régie et l'admi- nistration, les aliénations, les engagères des domaines, l'octroi des pensions, les aides et les subsides, comme toutes les autres négociations au sujet des dépenses avec les provinces et les villes, l'administration des deniers publics. 3° Enfin, pour assurer la paix, la défense et la sûreté du pays, le conseil d'Etat devait veiller au payement des troupes, à leur logement, au maintien de la discipline militaire, à l'entretien de l'artillerie et des fortifications, à l'observation des traités de paix avec les princes voisins; faire en sorte que le gouverne- ment des provinces et des villes fût confié à des personnes capables et attachées au service royal ; qu'on n'accordât des lettres de représailles qu'en des cas inexcusables. Cependant, en vertu des mêmes instructions de 1531, le gouverneur général pouvait appeler à siéger au conseil d'État les membres du conseil privé, selon l'exigence des affaires. ( 349 ) C'est ainsi que dans les graves questions du XVIe siècle, nous avons constaté l'intervention successive ou simultanée du conseil privé et du conseil d'État, intervention que les membres de ce dernier corps, tous de la haute aristocratie, considé- rèrent comme de nature à contrarier leurs vues ambitieuses et qui provoqua entre les deux corps collatéraux cette lutte que nous avons rapportée dans ses détails. 11 s'ensuivit nécessaire- ment des atteintes graves à la compétence des deux conseils, atteintes qui amenèrent pendant la seconde moitié du XVIe siècle et pendant tout le XVIIe, l'annulation de fait, au point de vue politique, des conseils privé et d'État, au profit de coteries ou de jointes de favoris ou de généraux étrangers, entourant les gouverneurs généraux. Le XVIIIe siècle modifia complètement cet état de choses : le diplôme du 19 septembre 1725 conféra au conseil privé les attributions de politique intérieure que les instructions de 1531 avaient données au conseil d'État. Au point de vue de la poli- tique autrichienne, ce changement était nécessaire : les deux siècles précédents avaient suffisamment montré que le conseil d'État, tel qu'il était composé, était un obstacle pour contre- balancer l'influence de la noblesse et du clergé qui, dans les grandes questions, tenaient le parti du tiers-état toujours prêt à défendre ses droits contre la centralisation. Liés par mille liens aux anciennes institutions, membres des ordres équestres dans les corps représentatifs des provinces, attachés de cœur aux privilèges nationaux, les cavaliers du conseil d'État n'auraient pu que faire échec aux idées autrichiennes, que les membres du conseil privé, au contraire, par les traditions qui prévalaient dans leur corps, étaient tout disposés à soutenir et à faire triompher. Le système politique défendu pendant le XVIIIe siècle par le conseil privé fut donc celui de l'Autriche, c'est-à-dire une politique habilement progressive. Quant à sa compétence en cette matière, elle s'étendit atout ce qui touchait à la réalisation de ses tendances, dont voici les principales : maintenir et resserrer les entraves mises dans le cours des derniers siècles à la libre action du clergé et, dès le règne de ( 350 ) Marie-Thérèse elle-même, essayer de faire prévaloir dans certaines sphères la théorie de la suprématie de l'État sur l'Eglise ; agrandir la prérogative princière au point de rendre le souverain l'arbitre des institutions nationales et des privi- lèges les plus formels et les plus antiques ; donner au gouverne- ment général des Pays-Bas seul toute initiative politique, et faire de lui, au détriment des vieux ressorts provinciaux, le centre exclusif et unique auquel devaient aboutir toutes les affaires locales de quelque importance ; écarter peu à peu, mais tout à fait, de la conduite réelle des affaires publiques, même dans le mouvement provincial, les restes de la haute aristo- cratie militaire du pays, parce que, en général, elle liait sa cause à celle des états et des privilèges nationaux; témoigner cepen- dant de la considération à la plupart des grandes maisons et leur donner un rang éminent dans les armées; prendre les instruments du pouvoir dans la noblesse grandie par les charges de robe, quelle que fût son origine, et même parmi les hommes presque nouveaux; soigner avec une habileté réelle et persévérante les intérêts matériels, surtout depuis Marie-Thérèse, en partie par le désir sincère de procurer le bien-être des sujets, en partie pour mettre ceux-ci à même de fournir de gros et fréquents subsides ; éviter enfin les coups d'autorité trop retentissants et ne plus user des procédés du marquis de Prié, qui furent une anomalie dans le système; marcher au but par des voies détournées, lentes, mais sûres ; ne pas heurter de front les constitutions quand elles étaient gênantes, mais les tourner et les subvertir avec adresse *. Un pareil programme était d'une application difficile dans un pays ayant des états et de grandes communes. Le conseil privé eut beau rédiger des consultes, exhumer les chartes, en forcer l'interprétation au point d'en rendre le sens, si pas tou- jours conforme à ses vues, du moins enveloppé d'un grand doute, les états et les communes s'attachaient opiniâtrement à leurs privilèges séculaires. 1 Poullet, Hist. polit, nat., t. II, p. 466. ( 381 ) La puissance des communes était cependant singulièrement déchue, mais des étincelles de ce feu qui avait brillé d'un éclat si vif dans le passé, s'y montraient encore par intervalles. A Bruxelles, par exemple, les nations refusèrent, en 1777, de ratifier le consentement donné par les états de Brabant aux dépenses nouvelles destinées à la construction de la maison de force de Vilvorde • . Dans un rapport adressé à l'Impératrice en 1763, le prince de Kaunitz s'exprimait en ces termes : ce Ces pays-ci sont très » attachés à leurs privilèges et même j'ose dire qu'ils poussent » cela jusqu'à la folie : mais ils sont tous élevés dans ce pré- » jugé et il serait fort dangereux de toucher cette corde, d'au- » tant que tous les souverains les leur ont non seulement con- » firmes, mais jurés; ce qui fait qu'ils envisagent leurs pré- » jugés comme lois fondamentales de l'Etat 2. » La réalisation complète de cette politique n'était donc pas possible, parce qu'elle n'avait rien de national, ou mieux parce qu'elle était dans beaucoup de ses points antinationale. Rési- dant à l'étranger, les souverains autrichiens pouvaient ne connaître ni l'esprit ni les besoins du pays, surtout depuis la substitution, en 1757, de la chancellerie de cour et d'État ou l'esprit autrichien régnait seul, au conseil suprême des Pays- Bas, dans lequel siégeaient au moins quelques Belges et où, par conséquent, les traditions nationales pouvaient se faire par- fois entendre. Leurs agents en Belgique, du moins, et le conseil privé entre autres, auraient dû le comprendre. Mais, trop épris peut-être des nouveautés, marchant servilement suivant l'im- pulsion qui venait de Vienne, le conseil privé satisfit toujours trop volontiers à toutes les idées, bonnes ou mauvaises, du cabinet autrichien. Cette politique, toutefois, poursuivie par l'Autriche et sou- tenue par le conseil privé, fut loin d'être désavantageuse au bien-être matériel de notre pays; elle fut au contraire le mobile i Henné et Wauters, Hist. de Bruxelles, t. II, p. 306. 2 Juste, La révolution brabançonne, p. 56. ( 352 ) d'un grand nombre de mesures inspirées par ce corps dans le but de ramener l'activité commerciale et l'économie dans l'administration des états, des châtellenies, des villes et des villages. A ce titre, nous devons de la reconnaissance à Marie- Thérèse et aux hommes qui l'ont secondée dans sa tâche, et jamais nos ancêtres n'ont manqué de leur en montrer. La mort de l'Impératrice fut même considérée en Belgique comme un événement politique « et, ajoute le baron de Gerlache, il » semblait qu'à cette douleur se mêlait quelque chose de » sinistre i ». Cette politique fut continuée pendant les premières années du règne de Joseph H; mais bientôt ce monarque, professant pour le passé un mépris absolu, dédaigneux des temporisa- tions, des ménagements, des petits moyens de ses prédécesseurs, prétendit réaliser seul, tout d'un coup et dans toute son éten- due, le concept nouveau de société qu'il s'était formé. Il suscita ainsi un orage qui ébranla son trône, abrégea sa vie et enleva les Pays-Bas à sa dynastie. Le conseil privé ne prit aucune part active à toutes ces réformes de Joseph II. L'Empereur le consulta bien sur différents points, nous l'avons vu, mais ne tint pas compte de ses lumières. On sait que le conseil dis- parut en 1787. Lorsqu'il fut rétabli en 1793, il se trouva mêlé, mais sans grande influence, à la politique tortueuse des der- niers Habsbourg, dont les efforts devaient rester stériles. § 2. Défense des prérogatives souveraines. La défense de la « suprême haulteur et souveraine autorité » du prince était une des principales attributions du conseil privé. Ce corps devait veiller à ce que personne n'y portât atteinte d'une manière quelconque. Et certes, cette mission n'était pas exempte de difficultés, car les attaques dont la sou- veraineté pouvait être l'objet devinrent d'autant plus fréquentes que la politique de concentration, inaugurée au XVe siècle et 1 Hist. des Pays-Bas, t. I, p. 291. ( 353 ) poussée avec ardeur au XVIIIe, étendait sans cesse l'action du souverain a une foule de matières nouvelles. De par sa suprême hauteur et son autorité souveraine, le prince avait le pouvoir législatif suprême; il était le gardien de la paix; il possédait le droit de paix et de guerre; il était le suprême justicier de tout son territoire et la source presque unique de la juridiction séculière; il avait la haute administra- tion de l'État; il était la source principale des privilèges et des grâces; il avait la supériorité féodale directe sur les barons, seigneurs, feudataires qui tenaient leur fief de lui, et la supé- riorité féodale médiate sur les vassaux et arrière-vassaux per- sonnels de ces barons, seigneurs, feudataires; il jouissait, comme supérieur territorial, de certaines prérogatives et exemp- tions ; il avait le droit exclusif de battre monnaie et enfin il était le protecteur suprême de l'Église, des établissements publics et le surveillant des corporations religieuses *. Cette énumération générale des droits du prince fait deviner facilement que le conseil privé devait toujours être sur la brèche, prêt à repousser les assaillants que dans sa jalousie pour le pouvoir souverain il croyait rencontrer partout et en tout. C'est ainsi qu'il ne voyait pas de bon œil les corporations des métiers; les communes lui inspiraient la peur; les états excitaient sa défiance; les associations civiles et religieuses lui portaient ombrage. Au XVIIIe siècle, sa susceptibilité était telle, que dans les actes les plus ordinaires posés par les administra- tions, il voyait des atteintes portées au pouvoir souverain, des velléités de s'emparer du gouvernement. Dans l'histoire externe que nous avons faite du conseil privé, nous avons déjà fait suffisamment ressortir la part que prit ce corps à la consolidation et à la défense des prérogatives souve- raines. Nous l'avons vu en lutte à ce sujet avec les seigneurs du conseil d'État, avec la noblesse en général, avec les états géné- raux, avec le clergé, partout enfin où le pouvoir souverain était exposé à recevoir quelque atteinte. Il ressortira encore des 1 Poullet, Hist. polit, nat., pp. 372 et suiv. Tome LU. 23 ( 3S4 ) points qu'il nous reste à traiter, que le conseil privé a été le gardien vigilant et actif des droits du prince. Aussi, pour ne pas tomber dans des redites, nous nous contenterons de rap- porter quelques faits spéciaux qui compléteront l'idée qu'on aura déjà pu se faire de sa compétence en cette matière. Croyait-il découvrir dans quelque mesure de la cour de Rome une disposition susceptible d'être fâcheusement inter- prétée et capable d'entraîner ainsi des conséquences préjudi- ciables à l'autorité du prince, le conseil privé en faisait immé- diatement arrêter l'exécution. Et en général, chaque fois que l'autorité spirituelle faisait mine de s'arroger des prérogatives incompatibles avec les droits du souverain et les lois du pays, le conseil privé apparaissait i. 11 ne se montrait pas moins vigilant à l'égard de tous les corps constitués ou des magistrats qui outrepassaient leur mandat et qui ne se tenaient pas dans les limites de leurs attributions. Il veillait à ce que les états provinciaux n'empiétassent pas, 4 En 1767, l'archevêque de Malines voulant faire naître des obstacles au mariage d'un catholique avec une calviniste, avait porté la cause à la décision de la cour de Rome. Le conseil privé, saisi de l'affaire, repré- senta au ministre plénipotentiaire que la conduite de l'archevêque était contraire à la loi fondamentale du pays et aux privilèges attribués aux sujets de S. M. de ne pouvoir et de ne devoir être évoqués devant aucune juridiction étrangère. Le conseil privé, tout en reconnaissant à l'arche- vêque le pouvoir de faire décider le cas présent par les officiaux et en cas d'appel par les juges synodaux ,fit prendre un décret déclarant nul et abusif le recours qu'il avait pris à Rome et lui interdisant, sous peine de poursuites par les fiscaux, de faire usage de la décision qu'il recevrait à ce sujet. L'Impératrice, instruite de cette affaire, approuva la conduite de son conseil et, dans une lettre au gouverneur général, le félicita en ces termes : « Je sais en même temps gré à mon conseil privé de ce qu'en démontrant » l'irrégularité de la conduite de l'archevêque il s'est occupé dans les » vrais principes à la recherche des moyens les plus propres pour mettre » à couvert mes droits et hauteurs ainsi que les privilèges de mes sujets » contre les entreprises injustes de la puissance ecclésiastique. » (Reg. Verds, n° 362, fol. 183 v°.) ( 355 ) par des règlements, sur le pouvoir législatif ut ne se permis- sent pas de déroger aux lois générales, à la nature ou à la quotité des impôts; qu'ils ne s'arrogeassent pas le pouvoir de créer de nouveaux offices ou d'arrêter les comptes des com- munes sans l'intervention des commissaires royaux. Quelque souverain étranger venait-il contester au prince le droit de porter le titre d'une province cédée ou échangée, le conseil privé étudiait la question et soumettait au gouverneur général un mémoire de l'usage consacré par les traditions héraldiques *. Il agissait de même si un seigneur des Pays-Bas voulait s'arroger le droit de s'attribuer quelque titre éclatant ou de porter des insignes propres à la royauté 2. Jaloux de l'indépendance que la transaction d'Augsbourg avait donnée aux Pays-Bas en les érigeant en cercle du Saint- Empire sous le nom de Cercle de Bourgogne, le conseil privé ne se serait pas prêté, même par déférence pour la cour de Vienne, à une atteinte qu'on aurait voulu y porter. Une conven- tion destinée à mettre fin à des contestations territoriales et de commerce, qui subsistaient depuis des siècles, allait être signée (elle le fut le 26 août 1780) entre les commissaires de l'impéra- trice et ceux du prince-évêque de Liège. A cette occasion, le chancelier de cour et d'État, prince de Kaunitz, exprima le désir que le conseil privé examinât si la convention ne devrait pas être portée à l'Empire pour obtenir sa confirmation et garantie 1 Voir une consulte du conseil privé du 27 novembre 1649 sur l'ordre que l'archiduc Léopold lui avait donné, par suite des réclamations des états généraux des Provinces-Unies, de faire omettre à l'avenir, dans les dépêches expédiées sous le nom du roi, le titre de comte de Hollande, de Zélande, etc. {Bull, de la Comm. roy. iïhist., 3e série, t. XIII, p. 136.) Idem, une consulte du 19 mars 1680 touchant la défense faite par le roi de France à Charles II, de porter le titre de duc de Bourgogne. (Reg. Yerds, n° 2, fol. 215 v°.) 2 Le conseil privé rédigea trois longues consultes, les 16 juillet, 14 et 17 août 1664, sur la question de savoir sj le fils du comte d'Egmont pou- vait porter une couronne au palais et à la chapelle royale lors de son baptême. (Bull, de la Comm. roy. d'hist., 3« série, t. XIII, pp. 139 et suiv " ( 356 ) en même temps que celle de l'Impératrice. La consulte du conseil privé (26 juillet 1780) ayant été communiquée au vice- chancelier de l'Empire, celui-ci ne la trouva pas satisfaisante et soutint que le gouvernement des Pays-Bas était tenu de demander à l'Empereur, comme seigneur suzerain, la confirma- tion du traité conclu avec le pays de Liège. Kaunitz ne voyait pas d'inconvénient notable à accéder à cette prétention, mais le conseil privé, ayant été entendu de nouveau, en démontra l'irrégularité dans ses deux consultes subséquentes (9 octobre et 9 décembre 1780) par des arguments si décisifs que la chan- cellerie de l'Empire fut contrainte d'y renoftceri. Depuis le XVIe siècle, les souverains des Pays-Bas avaient posé en principe que le droit de grâce et de rémission, en matière criminelle, était un attribut essentiel de leur autorité suprême. Peu à peu, ils en avaient retiré l'exercice aux organes inférieurs de la souveraineté pour le réserver au conseil privé %. Celui-ci devait veiller à ce que des usurpations en cette matière ne se produisissent point. A tout corps constitué, à tout seigneur qui lui était renseigné comme usant du droit de grâce, il enjoignait de produire les titres sur lesquels il s'appuyait. Là où il ne trouvait pas de titres formels, une possession immé- moriale, il faisait cesser l'abus.. De tous les attributs de la souveraineté dans les Pays-Bas, l'un des plus importants était le droit que s'était arrogé dans la suite des temps le prince de nommer aux magistratures com- munales et provinciales et à une quantité considérable de charges et d'emplois. C'était grâce à ce droit, comme le disait parfois le conseil privé, que le prince avait réellement en mains le gouvernail de l'État 3. Aussi le conseil privé veillait-il avec soin au maintien et travaillait-il avec activité à l'extension de cette prérogative. Mais que de lu lies il dut soutenir contre les organes provinciaux de la souveraineté par rapport au droit 1 Gachard, Analectes belgigues, t. I, p. 116. 2 Poullet, Const. nat., p. 445. 3 Idem, ibid., p. 447. ( 337 ) que ceux-ci revendiquaient de conférer diverses charges au nom du prince! L'opposition fut surtout opiniâtre de la part du chancelier de Brabant et du grand bailli du Hainaut. Le pre- mier vit ses droits en cette matière définitivement fixés à la suite d'une consulte du conseil privé, par dépêche du 2o juil let 1763 *. Quant au grand bailli du Hainaut, un décret du 3 juin 1751 opéra des retranchements considérables à ses pré- rogatives; ils furent moindres, toutefois, que ceux proposés par le conseil privé 2. Ces détails suffisent, pensons-nous, pour faireneom prendre l'étendue de la compétence du conseil privé dans la défense des droits et des prérogatives du souverain. Cette compétence s'étendait, en un mot, exception faite de quelques rares res- trictions auxquelles le pouvoir central lui-même avait d'ail- leurs consenti, à tout acte de nature à limiter ou à entraver l'autorité souveraine. Et pour l'exercice de cette compétence, le conseil privé se reposait complètement sur les officiers fiscaux attachés aux différents conseils de justice. C'était de la vigi- lance et de l'activité de ces magistrats, qu'on appelait avec raison Yœll et le bras du prince, que partaient les informations sûres, exactes et nécessaires pour l'action du pouvoir central. § 3. Affaires de cour à cour. Depuis l'effacement du conseil d'État, en 1725, c'était le conseil privé qui avait la consulte sur les rapports des régni- coles avec les puissances étrangères, ainsi que sur toutes les questions de cour à cour. Théoriquement cependant, cet objet était demeuré de la compétence du conseil d'État; mais ce corps, pendant le XVIIIe siècle, n'était plus réuni ou du moins il était sans activité pratique. 1 Bull, de la Comm. roy. d'hist., 3e série, t. XIII, p. 169; Bull, de la Comm. pour la public, des anc. lois et ordonn., t. V, p. 293; Poullet, Const. nat., p. 282. 2 Pinchart, Hist. du cons. souv. du Hainaut, p. 97. ( 358 ) Si, antérieurement à 172o, nous avons vu des membres du conseil privé, tels que Viglius, d'Assonleville, Stockmans et d'autres, chargés de missions politiques importantes près des souverains d'Allemagne, de France, d'Angleterre, c'était comme envoyés spéciaux du prince ou du gouverneur général à cause de leurs talents ou de leur réputation, mais non en consé- quence spéciale de leur qualité de membres du conseil privé. Si, d'autre part, nous avons constaté, pendant le XVIe et le XVIIe siècle, l'intervention du conseil privé dans l'examen de certaines questions de politique nationale ou internationale, c'est qu'alors les affaires graves, importantes, étaient générale- ment traitées par les trois conseils collatéraux réunis, mais Pexpédition définitive en appartenait au conseil d'Etat. Les principes dominant l'exercice du droit d'intervention du conseil privé en matière de rapports internationaux n'étant déterminés que par ceux qui réglaient l'exercice de la préroga- tive souveraine en cette matière, et ceux-ci étant d'ailleurs peu nombreux, nous nous contenterons de caractériser par quel- ques faits précis le mode d'action de cette intervention. C'est ainsi que, en vertu de ces principes, le conseil privé faisait prendre les mesures nécessaires pour interdire aux sujets des Pays-Bas, en temps de guerre, toutes relations com- merciales avec les pays ennemis i ; qu'il était appelé a consulter sur les demandes des régnicoles de prendre service militaire à l'étranger; qu'il faisait rendre, en cas d'hostilité, des décrets d'expulsion contre les sujets ennemis résidant sur le territoire ; qu'il intervenait, en tenant compte des restrictions apportées aux prérogatives souveraines 2, dans l'élaboration des traités avec les puissances étrangères. En matière d'administration politique extérieure, c'était au conseil privé à examiner le bien fondé des réclamations et des contestations qui s'élevaient entre régnicoles et étrangers, ou que soulevaient des puissances étrangères; à assurer le main- 1 Ordonnances du 2o avril 1746, du 12 août 1746, du 12 janvier 1747. 2 Poullet, Const. nat., p. 406. ( 359 ) lien des arrangements que le voisinage avait fait conclure avec les puissances limitrophes, au point de vue judiciaire, religieux, commercial, etc., etc., ou à y faire apporter les changements que Tintérêt des populations ou la nécessité des temps et des circonstances appelaient. La délimitation souvent peu précise du territoire des Pays- Bas et des États voisins amenait fréquemment des violations de territoire. Ces attentats étaient de la compétence du conseil privé. Lorsqu'ils se produisaient au préjudice de sujets natio- naux, le conseil privé, après les avoir fait constater par des informations légales, faisait demander une réparation conve- nable à l'Etat en défaut, tant par la voie de l'ambassadeur du souverain à cette cour que par des mémoires remis au ministre accrédité à Bruxelles. Enfin, le conseil privé était chargé d'arrêter les dispositions des conventions avec les souverains étrangers pour la restitu- tion des déserteurs. Nous signalerons, entre autres, celles qu'il prépara en 1725 avec le duc de Lorraine; en 1726, avec l'élec- teur de Trêves; en 1753, avec l'électeur palatin; en 1766, avec la France *. Il devait prendre, en outre, les mesures néces- saires pour la publication de ces conventions et, le cas échéant, pour leur renouvellement à leur expiration. CHAPITRE V. COMPÉTENCE DU CONSEIL PRIVÉ EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE. § 1. Considérations générales. Avant 1725, toutes les affaires concernant le gouvernement du pays, la collation des offices principaux de l'ordre séculier et celle des bénéfices et des dignités ecclésiastiques, l'adminis- tration générale du pays, en un mot, étaient de la compétence du conseil d'État. Seule, l'administration de la justice et de la * Registres Verds, n° 363, fol. 110 et suiv. ( 360 ; police considérée en elle-même et dans ses rapports avec toutes les questions qui pouvaient s'y rattacher, était du ressort du conseil privé. C'est ainsi qu'il appartenait à ce corps de prépa- rer les édits et les ordonnances; de veiller à leur exécution; d'interpréter les édits promulgués ; de faire réformer les irrégu- larités qui lui étaient signalées dans les règlements relatifs à l'administration de la police, des biens communaux, faits par les magistrats municipaux; de prendre les mesures nécessaires pour assurer le maintien et le respect de l'autorité souveraine tant dans l'ordre religieux que dans l'ordre civil. En 172o, par l'annihilation de l'autorité du conseil d'État, la compétence exclusive du conseil privé en matière adminis- trative devint générale et s'étendit, comme en matière poli- tique d'ailleurs, à tous les ressorts comme à tous les détails gouvernementaux. On se demandera peut-être comment un corps, composé d'un nombre très restreint de membres, put suffire à la quantité d'affaires administratives soumises à sa délibération, d'autant plus que toutes ces affaires, le conseil privé les traitait direc- tement, les rapportait toutes lui-même, n'ayant pas à sa dispo- sition, comme les grands corps administratifs de nos temps, des collaborateurs chargés de l'étude préliminaire des diffé- rentes questions. Le gouvernement autrichien comprit lui- même cette impossibilité; aussi créa-t-il, à différentes époques au XVIIIe siècle, selon les besoins du moment, un certain nombre de corps ou collèges appelés jointes, destinés à être les uns de véritables corps administrateurs, les autres des corps purement consultatifs. Parmi ces jointes, nous citerons celle des eaux, des monnaies, des monts-de-piété, des invalides; la jointe militaire; celle des affaires des administrations et des subsides; le comité pour la gestion des anciens biens des jésuites. La création de ces corps ne diminua en rien cependant la com- pétence générale du conseil privé en matière administrative; la plus grande partie des expéditions qui résultaient des propo- sitions des jointes devaient passer par ce conseil *. Archives de la chancellerie, H. 411. ( 361 ) Les commencements de l'administration générale du conseil privé, au XVIIIe siècle, furent pénibles et difficiles. La réalisation de la politique autrichienne devait rencontrer des obstacles partout : sur le terrain communal, dans les grands corps provinciaux, dans les corps constitués, dans les agents eux- mêmes du pouvoir central dans les provinces. Mais, par une tactique habile et lente, le conseil privé parvint à battre en brèche tous les anciens privilèges, toutes les anciennes tradi- tions et à rallier la masse de la nation à la maison d'Autriche; et celle-ci, favorisée par les circonstances et surtout, depuis 1748, par les bienfaits de la paix, put suivre une politique intérieure propre, consolider et achever l'œuvre de la prépon- dérance monarchique. Ces indications concises nous dispenseront d'étudier dans leurs menus détails tous les points secondaires auxquels s'appliquait la compétence du conseil privé dans l'ordre admi- nistratif; nous nous contenterons de passer en revue les grandes lignes qui constituent la base d'une administration. § 2. Nomination des magistrats municipaux. Les magistrats municipaux, dans les provinces belgiques, étaient nommés par le souverain ou en son nom i. Ce pouvoir du souverain remonte à une époque très reculée - et paraît avoir reçu, à tous les temps, la sanction de la nation. Le souverain se déchargeait de ce soin sur le gouvernement général; et l'exercice de cette prérogative n'était pas subordonné, pour ce fonctionnaire, à un recours à Vienne : il y procédait 1 II y avait des exceptions à ce principe, mais elles étaient peu com- munes et ne s'appliquaient qu'à de petites villes. Par exemple, à Hal, le duc d'Arenberg nommait le magistrat comme seigneur de l'endroit; à Thourout, la maison palatine de Bavière, à Dixmude, la maison de Hohenzollern, à Diest, le prince d'Orange le nommaient au même titre. 2 Gachard, Documents inédits, t. III, pp. 26 et suiv. ( 302 ) sans autre obligation, et encore n'était-elle pas absolue, que celle de prendre l'avis du conseil privé. Les membres de ce corps ne négligeaient jamais, pour ces nominations, de con- sulter les tribunaux supérieurs de justice, les états des provinces ou les magistrats des villes, suivant le cas. Aussi ne saurait-on, sans manquer à la justice et à la vérité, méconnaître que le conseil privé prît toujours un soin particulier de faire de bons choix. La faveur et l'intrigue avaient peu d'influence sur ses décisions; aussi, en général, le peuple était content de ses administrateurs, et rarement des plaintes s'élevèrent contre les délibérations du conseil. Voici quelle était la compétence du conseil en cette matière. Quand le renouvellement ou la continuation d'un magistrat dans sa charge était décidée, ce qui dépendait du gouverneur général, là où les magistratures n'étaient pas à vie, le gouver- nement demandait l'avis des personnes compétentes, c'est-à-dire des évêques diocésains, des gouverneurs ou commandants des villes et de l'officier principal de justice du lieu, et les invitait à lui désigner les personnes jugées les plus dignes d'être nommées. Les listes reçues étaient remises au conseil privé avec les avis qui les accompagnaient. Le conseil examinait l'âge, la profession, la conduite et le mérite des candidats; voyait s'ils n'étaient pas déjà revêtus de quelque charge 4 ; s'ils n'étaient pas parents à un degré défendu, entre eux ou avec les magistrats servants ; s'ils étaient bons catholiques romains, affectionnés au service du souverain et zélés pour le bien public. Cet examen terminé, le conseil privé faisait rapport au gouverneur général et celui-ci nommait -. Il était rare que le choix du gouverneur sortît du cercle des présentations faites. Toutefois, le gouverneur n'était pas obligé de ratifier le choix fait par le conseil privé et, dans ce cas, il 1 Les places de magistrats étaient incompatibles avec les offices de justice, de recette ou autres tenus de quelque seigneur, mais non avec ceux conférés par le souverain. 2 Archives du conseil privé, carton 466. ( 363 ) composait lui-même la liste qu'il remettait à ce corps en l'informant que son intention était que le magistrat fût com- posé des personnages qui y étaient dénommés. Bien plus, le gouverneur n'était pas tenu de prendre l'avis du conseil privé pour le changement des magistrats ; il lui était permis de faire ce changement de sa propre autorité et, dans ce cas, il infor- mait le conseil privé que, par décret, il avait résolu de changer le magistrat de telle ville et de le composer des personnes dénommées dans la liste jointe au décret *. Le choix arrêté, le gouverneur général adressait, par l'inter- médiaire du conseil privé, la nomination du magistrat à l'ofti- cier du souverain dans la ville, lequel installait les élus après avoir reçu leur serment. L'autorité du gouverneur général, relativement à la nomi- nation des magistrats, ne s'exercant pas avec la même latitude dans toutes les provinces ni dans toutes les villes d'une même province, la compétence du conseil privé était restreinte dans des limites analogues. C'est ainsi qu'à Louvain, le gouverneur général ne nommait que les sept échevins; à Bruxelles, le premier bourgmestre, les échevins, les deux trésoriers et le surintendant du rivage. En outre, pour la nomination de ces membres, le gouverneur ne demandait pas, comme pour les autres villes, l'avis des officiers, ses représentants. Ces deux villes avaient le droit de proposer, d'autorité propre, les per- sonnages qu'elles jugeaient aptes à ces fonctions. Le choix que le conseil privé avait à proposer au gouverneur était restreint aux candidats présentés; toutefois, si ceux-ci lui déplaisaient, il les écartait en proposant au gouverneur général de continuer dans leurs fonctions les magistrats servants 2. Autre part, c'étaient les gouverneurs de provinces qui limi- taient ou paralysaient l'action du conseil privé par la préro- gative qu'ils avaient toujours eue de conférer les places de 1 Archives du conseil privé, carton 466. Ibidem. ( 364 ) magistrature des principales villes. Il en était ainsi dans le duché de Luxembourg, dans les comtés de Namur et de Hai- naut. Mais au XVIIIe siècle, le conseil privé, s'inspirant de la politique autrichienne, s'efforça d'agrandir les prérogatives souveraines en donnant au gouvernement général des Pays-Bas seul toute initiative et en faisant de lui, au détriment des vieux ressorts provinciaux, le centre exclusif et unique auquel devaient-aboutir toutes les affaires locales de quelque impor- tance. C'est pourquoi, sur son avis, la cour de Vienne retira au gouverneur du Luxembourg, au souverain bailli du comté de Namur et au grand bailli du comté de Hainaut cette préro- gative, et la déclara inséparable de celles du gouverneur général \. Toutefois, l'empereur Charles VI et Marie-Thérèse, voulant donner à la maison d'Arenberg une marque particu- lière de distinction, accordèrent à ses princes, qui remplirent la charge de grand bailli du Hainaut, le pouvoir de nommer le magistrat de Mons -. Si cependant le conseil privé travailla à mettre le gouverne- ment en possession de la nomination des magistrats munici- paux, il est juste de reconnaître qu'il ne chercha jamais à faire toucher aux privilèges municipaux ni à l'organisation inté- rieure des administrations municipales; il s'abstint même d'en faire la proposition alors que des séditions, coupables à ses yeux, semblaient lui en fournir l'occasion. Joseph II, dans son voyage aux Pays-Bas (1781), avait fait la remarque que les corps de magistrature municipale étaient, dans quelques endroits, trop nombreux; il désira que le gou- vernement s'occupât des moyens de les réduire et en même temps de simplifier l'administration. Le conseil privé trouva impraticable l'exécution des vues de l'Empereur. Après avoir fait observer qu'aucune règle ne lui paraissait pouvoir être prescrite touchant les gens de loi du plat pays, parce que l'organisation judiciaire (on travaillait alors à en introduire 1 Gachard, Doc. inéd., t. III, p. 37. 2 Registres du conseil de Hainaut, n° 11, fol. 1 . ( 365 ) une nouvelle) devait influer essentiellement sur la composition et les fonctions de ces corps subalternes, il ajoutait : « Et » quant aux villes, leur étendue, leur population, leurs lois, » leurs privilèges, leur constitution, leur trafic, leur com- » merce, leurs établissements publics et leur manière d'être » diffèrent très souvent trop d'une à l'autre, pour qu'on » puisse imaginer une règle uniforme pour toutes, soit tou- » chant le nombre, soit touchant les fonctions des membres » des magistrats qui sont chargés d'y administrer la police et » la justice, d'y veiller au bon ordre et d'en diriger les intérêts, » et cela jusqu'au point que les mêmes principes généraux du » bien public et d'économie, qui exigent dans un endroit une » réforme, peuvent dans un autre demander un renforce- )> ment * . » L'uniformité dans la sphère des institutions municipales répugnait donc au conseil privé; et d'ailleurs, à supposer que ce corps eût admis la possibilité de rédiger une loi communale applicable à toutes les villes et capable de sauvegarder tous les intérêts dans l'esprit de l'ancien régime, l'exécution de cette loi eût été constitutionnellement bien difficile 2. Le conseil privé n'abandonna pas cependant complètement l'idée préconisée par Joseph IL En 1783, il consulta à ce sujet le président du conseil de Flandre, Diericx. Ce magistrat répondit qu'il dépendait certainement de l'autorité souveraine d'ordonner à cet égard ce qu'elle jugerait à propos, mais il ajouta : « Comme c'est de principe qu'il ne convient point de » changer ce qui a subsisté longtemps, sans une utilité )) évidente, nos princes ont toujours religieusement suivi ce principe lorsqu'on leur a proposé de déroger à nos usages décrétés, surtout lorsqu'il s'est agi de changer la forme con- stitutionnelle de nos magistrats 3. » 1 Gachard, Doc. inéd., t. III, p. 7. 2 Poullet, Const. nat., p. 322. 3 Rescription au conseil privé du 13 février 1783. >) ( 366 ) § 3. Rapports des magistrats municipaux avec le conseil privé. Avant le règne de Marie-Thérèse, les administrations muni- cipales se trouvaient pour ainsi dire abandonnées à elles-mêmes. L'institution des intendants, au moyen de laquelle, en France, le gouvernement royal exerçait sa surveillance et son contrôle sur tous les corps administratifs des provinces, n'avait pu se naturaliser en Belgique. Sur la fin du règne de Charles II, on y avait introduit, par forme d'essai, des intendants et des sub- délégués, chargés spécialement de la surveillance des domaines et autres revenus royaux; et l'empereur Charles VI donna, en 1718 et en 1725, un caractère légal à leur établissement *. Ils ne restèrent toutefois en activité que pendant peu d'années : cette création était antipathique aux mœurs et aux habitudes nationales. Telle était donc l'organisation politique du pays, qu'il n'y avait dans les provinces, pour ce qui concernait les affaires administratives, aucune autorité au-dessus des corps munici- paux, les attributions des gouverneurs de province, des grands baillis et des autres otiiciers supérieurs du souverain n'ayant rien ou presque rien du caractère administratif. De cet ordre de choses, il résultait que les rapports des administrations municipales avec le gouvernement étaient directs. Mais ces rapports n'étaient ni réguliers ni suivis; ils dérivaient ordinairement de cas particuliers qui se présen- taient et qui exigeaient le concours de l'autorité souveraine. Sauf donc dans des cas particuliers, le conseil privé était dans une ignorance quasi complète sur la situation des administra- tions communales; les vices, les abus qui pouvaient s'être glissés dans la gestion de ces corps, échappaient aisément à sa censure. Les seuls renseignements qu'il eût à cet égard étaient ceux que lui fournissaient les commissaires qu'il chargeait 1 Placards de Brabant, t. VI, pp. 9 et 13. ( 367 ) d'ouïr et de clore les comptes des villes; mais il y avait bien des administrations auxquelles cette formalité n'était pas im- posée et, s'il faut ajouter foi à un rapport qui mérite créance d, là où des commissaires étaient envoyés, il arrivait rarement qu'ils sussent ou voulussent approfondir la gestion des admi- nistrateurs : la crainte de voir diminuer ou de perdre leurs honoraires leur faisait mettre, dans leurs opérations, plus d envie de plaire aux coupables que d'attention à éclairer leur conduite -. M. Faider, dans son Coup d'œil sur les institutions provinciales et communales en Belgique, a dépeint avec autant de force que de vérité les suites de cette sorte d'indépendance qui avait été laissée aux administrations municipales : « Le relâchement des » lois d'organisation intérieure, les profusions, les guerres qui, » depuis 1570, avaient désolé la Belgique, avaient, dit-il, mis les » finances provinciales et locales dans un désordre effrayant... » Tous les orages qui fondaient depuis deux siècles environ » sur nos malheureuses provinces, avaient occasionné des » dépenses énormes et des pertes irréparables aux communes... » Le besoin de l'ordre, inévitable condition du gouvernement, » se faisait sentir rigoureusement. » Marie-Thérèse ne fut pas plus tôt délivrée des embarras que lui avait causés la guerre de Sept Ans, qu'elle consacra tous ses soins à améliorer l'administration intérieure des États qui composaient sa monarchie. Les affaires des Pays-Bas étaient à cette époque dirigées à Vienne par un des plus habiles minis- tres que l'Autriche ait jamais eus, le prince de Kaunitz. La lacune qui existait dans les institutions gouvernementales par rapport à la gestion des corps administratifs provinciaux et municipaux n'avait pas échappé à ses lumières : il jugea que pour reconnaître le véritable état de ces administrations, pour éclairer et guider leur marche, il fallait un département unique- * Rapport de Kaunitz à Marie-Thérèse du 21 septembre 1764. * Gachard, Précis du régime municipal de la Belgique, p. 76; Jointe des administrations, vol. 161. ( 368 ) ment occupé de cet objet, le conseil privé étant trop chargé de travaux pour qu'il pût y donner son attention. D'après les ordres de l'Impératrice, un décret du comte de Cobenzl, du 13 octobre 1764, créa un département sous la dénomination de jointe des administrations et des affaires des subsides. Presque partout, les états et les corps municipaux, habitués à l'indépendance, jetèrent les hauts cris contre la plupart des dispositions prises par la jointe. Le conseil privé, qui parta- geait les vues du gouvernement, leur répondit que « les états » ne sont que de simples administrateurs des deniers publics; w leur administration doit être dirigée selon les règles et les » principes qu'il plaît à S. M., comme souveraine et protee- » trice de ses peuples, de leur prescrire. Il dépend de sa seule )> volonté d'autoriser la levée des deniers pour les besoins » internes d'une province, d'en déterminer la hauteur et de » prescrire l'emploi et l'usage à en faire... De ce principe que )) les états ne sont que de simples administrateurs, il résulte » nécessairement que le gouvernement peut les obliger, quand » il veut, à rendre compte à la personne qu'il lui plaît de » commettre, d'en justifier tous les articles, rayer ceux qui ne » sont pas vérifiés, les rendre responsables des deniers qu'ils )> auront divertis, faire recoler et reviser ces mêmes comptes » chaque fois qu'il le trouvera convenir sans que les états qui » ne sont pas maîtres de ces deniers puissent y trouver à » redire *. » Cette théorie, exprimée peut-être avec certaine exagération dans les termes, était irréfutable au point de vue de la consti- tution du pays 2. Elle finit par être appliquée, après des luttes plus ou moins longues, ici un peu plus tôt, là-bas un peu plus tard, dans les différentes provinces. L'établissement de la jointe ne porta aucune atteinte à la compétence du conseil privé en matière administrative. La 1 Bull, de la Comm. ro\j. dliist.y 2e série, t. VII, p. 434. 2 Poullet, Const. nat., p. 477. ( 369 ) jointe n'avait pas de relations directes avec les administrations municipales. Elle n'était pas regardée comme un corps consti- tutionnel et son établissement n'avait été notifié ni aux con- seils de justice, ni aux états des provinces, ni aux magistrats des villes : c'était un département purement consultatif. La jointe présentait ses rapports au gouverneur général et soumettait à sa signature les dépêches, décrets ou règlements qu'elle avait préparés. Ceux-ci étaient renvoyés à l'examen du conseil privé par e canal duquel devaient passer toutes les matières de légis- lation *. La surveillance de la jointe sur les administrations s'exer- çait au moyen de commissaires qui vérifiaient et arrêtaient les comptes et s'assuraient de l'exécution régulière des règle- ments. Ces commissaires recevaient des administrations muni- cipales une indemnité dont la valeur variait en raison de l'im- portance des villes. Les commissions les plus lucratives, celles des villes principales, étaient ordinairement confiées à des conseillers du conseil privé. § 4. Affaires ecclésiastiques. Le diplôme du 19 septembre 1725 donna au conseil privé la consulte des affaires ecclésiastiques qui, auparavant, avait été de la compétence du conseil d'État. Le conseil privé, dominé par les doctrines de l'école philosophique française et imbu des idées absolutistes du gouvernement de ses maîtres, chercha à contrarier la libre action du clergé et à faire préva- loir la théorie de la suprématie de l'État sur l'Église. Son atti- tude vis-à-vis du pouvoir ecclésiastique fut des plus fières, en même temps qu'empreinte d'une finesse et d'un tact merveil- leux. S'appuyant sur les institutions mêmes, il défendit avec énergie et persistance les droits et les prérogatives du pouvoir civil; il proscrivit et censura impitoyablement toute manifes- 4 Archives de la chancellerie, H. 411. Tome LU. 24 ( 370 ) tation ultramontaine contraire aux libertés des provinces bel- giques ; et dans son zèle outré, il se livra à des abus d'autorité et tomba dans un excès de minuties qui touchaient souvent à la puérilité. Ces tendances du conseil privé amenèrent fatalement ce corps à s'occuper des questions les plus diverses et les plus complexes de l'état ecclésiastique. L'instigateur principal du conseil privé en cette matière fut Kaunitz. Ce ministre s'était beaucoup occupé de religion en Autriche. Connaissant la ten- dance de de Neny, il lui envoya (1770) copie de tous les actes et de toutes les mesures prises par l'Impératrice en matière de religion dans les États héréditaires de l'Allemagne * . Lui faire l'envoi de ces dispositions, c'était lui indiquer la voie à suivre. De Neny n'y faillit pas. Un manuscrit intitulé : Mémoire et recueil général de toutes les dispositions faites par le gouvernement depuis un certain nombre d'années concernant les ordres religieux aux Pays-Bas d'après les lois et les maximes du paiis, nous révèle l'interven- tion du conseil privé dans quantité de mesures à l'égard du clergé régulier 2. On y voit que le conseil privé se mêlait de toutes les affaires intérieures des établissements religieux : il intervenait dans les différends entre les abbayes au sujet de leurs dépendances; il s'opposait aux payements faits par les abbayes pour l'entretien d'un chef résidant à l'étranger; il prohibait l'emploi dans les Pays-Bas des bréviaires adoptés à l'étranger; il défendait également l'adoption de ceux impri- més en Belgique avant d'avoir été examiné si « on n'aura » rien trouvé dans leur contenu qui soit préjudiciable au » bien de l'État et contraire à l'intérêt de la souveraineté 3 »; il allait même jusqu'à indiquer quel en devait être le con- tenu; il prohibait les dots à fournir par les nouveaux venus dans les établissements religieux, les donations et legs en 1 Archives du conseil privé, carton 1284. 2 Ibidem, carton 1411. 3 Consulte du conseil privé du 1er juin 1750, reg. 494. ( 371 ) faveur de religieux de tous couvents, les quêtes faites dans le pays par des religieux étrangers; prescrivait aux religieux l'abandon de leurs biens et fixait le taux des rentes viagères qui leur étaient accordées. Y avait-il quelque difficulté entre un supérieur de couvent ou d'abbaye et ses subordonnés, ou une querelle entre religieux, le conseil privé intervenait, faisait prendre des informations, décidait des questions d'ordre intérieur et renvoyait parfois les religieux dans d'autres couvents. Constamment préoccupé du maintien de la suprématie de l'autorité civile, le conseil privé voyait celle-ci compromise à propos des choses les plus futiles. A la mort de l'évêque d'Arras (1755), les vicaires généraux avaient adressé un mande- ment aux fidèles du diocèse, les invitant à faire des prières pour obtenir un évêque nouveau doué des vertus de son état. Le conseil privé fit rendre un décret (13 mai) leur prescrivant de retirer cet acte, sous prétexte qu'il était attentatoire à la dignité des ministres de la reine et de ceux que S. M. trouvait convenable de consulter au sujet du choix du nouvel évêque1. Les adoucissements à la loi du jeûne, la dispense du carême, les mandements du carême publiés par les évêques, la réglementation des vêtements ecclésiastiques, des fêtes d'obligation, des mariages, le maintien des règles exactes des couvents, les questions enfin d'un ordre secondaire étaient examinées au conseil privé avec autant de chaleur et de suspi- cion que s'il s'était agi d'une aifaire politique importante. Sous le règne de Marie-Thérèse se passa un événement célèbre dans les annales ecclésiastiques : la suppression de l'ordre des Jésuites. Cette mesure fut particulièrement agréable à de Neny qui ne pouvait souffrir l'opposition que faisaient les pères à l'omnipotence du pouvoir en matière civile. Déjà en 1761 et en 1762 2, le chef et président avait fait 1 Archives de la chancellerie, répertoire n° 42, fol. 115; Piot, Le règne de Marie-Thérèse, p. 113. 2 Décrets du 6 novembre 1761 et du 19 juin 1762. ( 372 ) proscrire les missions ecclésiastiques dans la compagnie de Jésus : « Une raison, très forte, disait-il, résiste à l'établisse- )) ment de missions dans les collèges de la société de Jésus et » mérite de grandes attentions. C'est que, quoiqu'il n'y ait » point de plaintes au sujet des mœurs et de la direction » actuelle des Jésuites, dans les Pays-Bas, il est toujours dan- » gereux d'emploier, sans nécessité, des sujets d'une société » qui se .vante d'union de sentiments et de doctrine, et qui » depuis son existence jusqu'à nos jours publie de l'aveu et » avec l'approbation des supérieurs tant d'enseignements » erronés et scandaleux *. » Après la suppression de la compagnie, une jointe jésuitique fut instituée sous la présidence de de Neny (21 novembre 1773). Lors de la suppression de cette jointe (4 septembre 1776), la surveillance des pères fut continuée au conseil privé. Placés sous l'œil vigilant de ce corps, les Jésuites ne pouvaient changer de résidence sans son autorisation. Le conseil privé leur interdit toute fonction ecclésiastique et, sous prétexte de les empêcher de ressaisir leur ancienne influence, il les fit mettre hors la loi 2. Tous ces détails montrent suffisamment qu'en matière ecclésiastique le conseil privé s'attribuait une compétence universelle. Ni la discipline ecclésiastique ni le dogme ne lui étaient étrangers. Personne, qui que ce fût, ne pouvait, sans sa participation, statuer sur des affaires de cette nature. Quant au culte, nous avons suffisamment indiqué précédemment quelle fut son intervention pour ne pas devoir y revenir ici 3. 1 Piot, Le règne de Marie- Thérèse, p. 310. 2 Ordonnance du 2 septembre 1775 (Placards de Flandre, t. VI, p. 102). 3 Voir pages 40 à 43; 120 à 424; 171 à 176. ( 373 ) § 5. Provisions et collations en matière ecclésiastique. Lorsqu'un évéché devenait vacant, le conseil privé deman- dait par lettres-circulaires, à tous les évêques du pays, leur avis sur le mérite de ceux qu'ils estimaient être les plus aptes à remplir la dignité épiscopale vacante, en tenant compte de la direction du temporel et du spirituel du diocèse. Une lettre analogue était adressée à ceux du vicariat de l'évêché vacant. Une fois en possession des renseignements demandés, le conseil privé faisait choix du titulaire qu'il proposait par consulte à l'approbation du gouverneur général. Celui-ci en donnait notification au souverain et écrivait en même temps au pape pour obtenir la bulle de confirmation en faveur de l'élu. Cette lettre au pape s'expédiait par la secrétairerie du conseil d'État ; elle était envoyée au souverain pour être par lui remise à son ministre à Rome qui la présentait au chef de l'Église i. Les dignités principales des églises cathédrales ou collégiales étant réservées à la collation du souverain 2, les candidats, à la vacance de l'une de celles-ci, adressaient requête au gouver- neur général. Ce haut fonctionnaire en référait au conseil privé qui, par consulte, lui indiquait le choix à faire. La même voie était suivie lorsqu'un canonicat de la collation du souverain venait à être vacant. La compétence du conseil privé s'exerçait aussi dans les élections des abbés et des abbesses. A partir du XVIe siècle, le gouvernement déléguait aux élections trois commissaires (parmi lesquels se trouvait souvent un membre du conseil 1 Les gouverneurs généraux, princes du sang, avaient le pouvoir de nommer directement les évêques; cette prérogative existait déjà pendant la période espagnole; elle ne s'appliquait pas à la nomination des arche- vêques. Si le gouverneur général n'était pas prince du sang, il se conten- tait, à la vacance d'un évêché, d'envoyer au souverain, avec son avis, la consulte du conseil privé. 2 Concordat de 1515 entre Charles, roi d'Espagne, et Léon X. ( 374 ) privé), qui, après avoir pris inspection du temporel de l'établis- sement, indiquaient les candidats. Les avis des commissaires étaient remis, pour la consulte, au conseil privé qui fixait le choix au gouverneur et déterminait en même temps le mon- tant des pains d'abbaye à faire payer1. Lorsque les abbayes étaient pauvres, le conseil privé proposait l'exemption de cette charge et, dans ce cas, l'acte de nomination portait cette restric- tion avec la clause : « Par grâce spéciale et pour cette fois » seulement 2. » Il est à remarquer qu'en Brabant ces pains d'abbaye ne se payaient que dans un seul cas : c'était à l'inau- guration du souverain. Aucune abbaye, aucun monastère n'en était d'ailleurs exempt a cette occasion 3. § 6. Du placet. C'était une maxime incontestable, regardée comme loi fon- damentale des Pays-Bas, qu'on ne pouvait y exécuter aucun rescrit, bref, décret, constitution ou bulle de Rome, sans l'approbation et le consentement du souverain ou de ceux a qui il avait confié l'exercice de cette partie de son autorité. Cette approbation se nommait placet ou lettre de placet. Aux Pays-Bas, le placet était comme un palladium qui, en protégeant la liberté de la nation, maintenait l'ancienne disci- pline de l'Eglise belgique contre les entreprises de la cour de Rome. Les mesures concernant le placet remontent à une 1 Ces pains étaient des pensions que le gouvernement assignait en faveur de certaines personnes à charge des abbayes. Ces pains et les sommes données aux commissaires n'étaient pas toujours étrangers aux nominations définitives présentées au conseil privé. 2 Archives du conseil privé, carton 466. 3 Par ordonnance du 9 juin 1668, réclamée dans une dépêche du 9 février 1726, les pains d'abbaye à l'occasion de l'inauguration du sou- verain étaient fixés à 150 florins par an. Voir le concordat du 30 juil- let 1564 entre le roi et les abbés du Brabant (Placards de Brabant, t. IV, fol. 435). ( 375 ) époque très reculée; elles commencèrent à se fixer sous Philippe le Bon par l'édit du 3 janvier 1477 ; elles furent complétées par la disposition du 12 septembre 1485 des archiducs Maximilien et Philippe, et par le règlement du 20 mai 1495 de l'archiduc Philippe; enfin, elles furent défini- tivement établies par la pragmatique sanction de Philippe II, émanée en 1574. Par cette dernière disposition, « toutes les » bulles, provisions, sentences et autres impétrations de » Rome, ou des légats ou nonces apostoliques » devaient, auparavant, être vues et examinées au conseil privé. Ce corps ne disposait jamais sur le placet des actes de l'espèce qu'en parfaite connaissance de cause. Toute bulle ou constitution de Rome intéressait, en effet, toute une nation, car elle était destinée à devenir, par sa réception, une loi publique de l'Etat. Celles qui avaient pour objet des affaires particulières, telles que la collation de bénéfices, n'étaient pas non plus sans importance, car par elles la cour de Rome pou- vait s'arroger des droits nouveaux au préjudice des lois du pays ou des collateurs ordinaires. Quant à la forme qui s'observait au conseil privé, relative- ment à la concession du placet, voici ce qui était en usage : Une demande de lettres de placet lui étant transmise, il se fai- sait produire la bulle originale et constatait si elle était con- forme à la copie annexée à la requête, si elle ne contenait rien qui fût contraire au bien de l'État, aux privilèges du peuple et à ses coutumes, ou qui pût troubler la tranquillité publique. La bulle avait-elle pour objet l'octroi d'un bénéfice, le con- seil privé s'adressait au chapitre duquel dépendait l'impétrant et, si celui-ci était un religieux, à son supérieur, pour s'en- quérir de sa nationalité, de son domicile, de sa moralité. Il constatait si le bénéfice était réellement vacant, si la vacance s'était produite dans un mois réservé au pape, et si, par con- séquent, la collation en était réservée à l'autorité ecclésias- tique. Enfin, il demandait au fiscal du ressort tous les rensei- gnements pour sauvegarder les droits du souverain, du peuple et des collateurs. ( 376) Si le conseil privé trouvait que la bulle contenait une dis- position contraire au droit public du pays ou à l'autorité par- ticulière du souverain, il la rejetait en refusant tout simple- ment le placet. Si le vice ne résidait pas dans le fond de la disposition, mais seulement dans quelques clauses, il se contentait d'annuler celles-ci, avec défense d'y avoir égard, etplacetait la bulle ainsi modifiée. Dans tous les cas où la bulle ne blessait aucun intérêt, le conseil privé y accordait le placet, sauf les droits des parties dont la décision appartenait aux conseils de justice. La compétence du conseil privé s'étendait aussi sur les bulles dogmatiques, c'est-à-dire sur celles par lesquelles une doctrine était présentée aux fidèles comme règle de foi, ou proscrite comme hérétique ou erronée. Ici, toutefois, le con- seil privé se trouva maintes fois en opposition avec l'autorité ecclésiastique qui prétendait que le placet n'était pas néces- saire pour la publication des bulles de cette nature. L'office fiscal du Brabant, chargé par le conseil privé d'étudier la question, remontra que le souverain ne prétendait pas, par l'usage du placet, se constituer juge de la foi, mais qu'il lui appartenait d'examiner toute constitution avant que d'en per- mettre la publication dans ses États, sous forme de loi; de veiller à ce qu'il n'y fût rien introduit qui pût nuire à la paix publique; d'empêcher enfin que, sous le prétexte de la foi, on ne portât atteinte aux droits et aux privilèges des provinces, qu'on ne jetât le trouble dans l'esprit du peuple ou qu'on ne l'opprimât. Il pourrait aussi, continue le rapport de l'office fiscal, résulter des inconvénients de certaines clauses particulières insérées dans une bulle dogmatique, au préjudice des droits du souverain et de la liberté des peuples; par exemple, si la bulle statuait que ses violateurs seraient attraits en justice hors du pays ou soumis à des juges réprouvés, tels que des inquisi- teurs, ou si l'on y avait prescrit des peines pécuniaires ou autres choses semblables, contraires aux mœurs et aux usages ( 377 ) des provinces. Le conseil privé admit la manière de voir de l'office fiscal *. Le placet, pour ces bulles, s'accordait par un simple visa dont voici la forme : le nonce du pape présentait la bulle au gouvernement; celui-ci la remettait au conseil privé, et si ce corps la trouvait purement dogmatique, elle était renvoyée au nonce pour être remise aux évéques. En cas de doute sur la nature de la bulle, le conseil entendait les évoques et l'office fiscal avant d'en permettre la publication 2. Il y avait cependant une certaine catégorie de bulles qui n'étaient pas soumises au conseil privé, parce qu'elles n'exi- gaient ni placet ni visa : c'étaient celles contenant des indul- gences particulières pour des églises, chapelles ou confréries; celles en matières matrimoniales dans les degrés défendus; celles concernant les dispenses d'âge pour l'entrée dans les ordres; celles sur les rescrils de la pénitencerie, qui étaient envoyées, cachetées, à un confesseur, ou sur d'autres grâces spirituelles semblables que le pape accordait à des particuliers et qui n'intéressaient pas un tiers, qui ne devaient pas être publiées pour tenir force de loi et qui n'avaient pour objet ni les matières bénéficiales ni les matières litigieuses3. Quant aux mandements des évéques émanés ensuite d'une bulle ou d'un bref du pape, ils devaient également être soumis à l'approbation du conseil privé avant d'être publiés 4. En vertu de la pragmatique sanction de Philippe II rap- pelée ci-dessus, le conseil de Brabant avait, dans le duché de ce nom, relativement au placet. le même droit que le conseil privé; mais cette prérogative lui fut enlevée au profit du con- seil privé par l'édit du 5 avril 1764 s. 1 Registres Verds, n° 2, fol. 296 v° et 300 v°. 2 Ibidem, n° 3, fol. 78 v°. 3 Ibidem, fol. 125 v°. 4 Ibidem, n° 4, fol. 192; Archives de la chancellerie, D. 106. 3 Registres de la chambre des comptes, n° 187, fol. 123. ( 378 ) § 7. Des octrois. Les anciennes instructions du conseil privé, et notamment celles du 1er octobre 1531, conféraient à ce corps le pouvoir d'accorder des octrois, sans s'expliquer davantage. Les instructions du conseil des finances, du 18 avril 1517, du 1er octobre 1531, du 12 octobre 1540, autorisaient de même ce conseil à dépêcher octrois d'assis, c'est-à-dire pour la levée d'accises et d'impôts. En vertu de ces dispositions, chacun des deux corps collaté- raux prétendait avoir le droit exclusif d'accorder les octrois dont avaient besoin les administrations des provinces, des châtellenies, des villes et des communes, pour perception d'im- pôts, création de rentes, etc., et il en résulta entre eux de fréquents conflits. Pour y mettre fin, les archiducs portèrent, en 1618, un règlement qui attribua à chaque conseil les octrois qui devaient lui revenir. Pour ce qui concerne le conseil privé, voici la teneur de ce règlement : « Doresnavant audit conseil » privé s'accorderont et dépêcheront les octroys que les bourgs » et bourgades, communautez et villages demanderont, pour, » par moyen de quelques accis et impositions, trouver deniers » à édifier et réparer leurs églises ruinées et endommagées, » et ce qu'en dépend ; item les octroys que les villes et com- » munautés demanderont pour satisfaire aux frais de la mala » die contagieuse et assister les hôpitaux en leurs nécessitez; » les octroys pour bâtir et ériger écoles et salarier les recteurs » et maîtres d'icelles, et ceux que les villes demanderont pour, )) par vendition de rentes héritières ou viagères ou autre- )) ment, trouver argent comptant pour faire provision de » grains en temps de cherté apparente, et, par moyen de » quelques impôts qu'ils proposeront, payer le cours et suc- » cessivement décharger et rembourser le capital desdites » rentes, aussy payer les autres debtes faites et contractées » pour causes cy-dessus spécifiées, ou aucunes d'icelles *. » 1 Gachard, Ancienne législation des octrois, p. 25. ( 379 ) Ce règlement ne fit pas cesser les contestations qu'il avait pour but de prévenir : chacun des deux corps continua de se plaindre des atteintes que recevaient ses attributions, tout en accordant les octrois dont il pouvait s'attirer la connaissance. Lorsque Charles VI donna, le 28 janvier 1733, de nouvelles instructions au conseil des finances, il voulut régler définitive- ment ce point de discussion. Il statua que le conseil privé dépê- cherait a les octrois que les états, villes, châtellenies, corps et » communautés demanderaient pour la réédification et répa- » ration de leurs églises ; ceux qu'ils demanderaient pour » satisfaire aux frais de la maladie contagieuse et assister les » hôpitaux; ceux qu'ils demanderaient pour bâtir et ériger » écoles et salarier les maîtres, et pour faire provision de » grains en temps de cherté apparente; ceux que les villes, » châtellenies et communautés demanderaient pour entretien » et réparation de leurs murailles, tours, portes et ponts; » pour entretien de chaussées, écluses, retenues d'eau, appro- » fondissement des fossés et rivières, nettoiement des canaux; » pour construction et entretien de leurs prisons, maisons » échevinales et édifices publics; ceux enfin dont les admi- » nistrations auraient besoin pour lever de l'argent à rente » afin de payer les dettes contractées pour raison légitime * ». Ces instructions ne mirent pas fin aux conflits entre le con- seil privé et celui des finances. A différentes époques et notamment en 1746, de nouvelles contestations surgirent entre les deux corps relativement à leur interprétation ; elles furent toujours aplanies par des dispositions spéciales du gouvernement basées sur les instructions de 1733. Les octrois accordés par le conseil privé, comme ceux d'ail- leurs concédés par d'autres autorités, devaient être soumis à l'entérinement et à l'enregistrement de la chambre des comptes. Mais le conseil privé, dans les octrois qu'il délivrait, insérait assez rarement, du moins à l'origine, l'obligation de les présenter à la vérification de la chambre des comptes. 1 Gachard, Ancienne législation des octrois, p. 25. ( 380 ) Le 7 juin 1612, la chambre des comptes, qui siégeait alors à Lille, lui en fit la remontrance. Le conseil, par décret du 10 juillet suivant, ordonna à ses secrétaires d'ajouter, dans toutes les dépêches d'octrois, une clause enjoignant aux impé- trants de présenter leurs lettres à la cour pour y être entéri- nées et enregistrées. Les lettres qui ne porteraient pas cette clause seraient renvoyées par la cour pour en être revêtues aux frais du secrétaire qui les aurait signées *. La prérogative qu'avait le conseil privé d'accorder les octrois ci-dessus rappelés fut cependant limitée, jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, par le droit que s'attribuaient les conseils de justice d'exercer aussi cette partie des attributs de la souve- raineté. L'examen qui se fit dans le gouvernement, en 17o0, de la question relative à la concession des octrois en Hainaut, con- cession qui avait suscité des contestations entre le conseil de cette province et le grand bailli, conduisit à rechercher ce qui se pratiquait à cet égard dans les différentes provinces. Par dépêche du 29 juin 1751 2, le prince Charles de Lorraine ordonna au grand conseil de Malines, aux conseils souverains de Hainaut, de Brabant et de Gueldre, aux conseils provinciaux de Luxembourg et de Namur, et au siège royal du bailliage de Tournay-Tournaisis, de lui remettre une liste exacte des octrois qu'ils étaient accoutumés d'accorder et de faire con- naître en même temps les titres sur lesquels ils fondaient la possession qu'ils pourraient avoir à ce sujet. Des réponses que firent les conseils de justice, il résulta, selon le conseil privé, que les octrois accordés par le grand conseil étaient tous relatifs au train de la justice ordinaire et que ce tribunal y était autorisé tant par son institution que par ses instructions; que le conseil de Luxembourg n'était ni autorisé ni en possession d'accorder des octrois, et qu'il 1 Registres Verds, n° 358, fol. 75 v°. 2 Gachard, Ancienne législation des octrois, p. 14. ( 381 ) en était presque de même des conseils de Flandre, de Namur et du bailliage de Tournay-Tournaisis, le peu d'octrois qu'ils concédaient étant d'une nature qui exigeait connaissance de cause, selon le cours ordinaire de la justice à laquelle ils avaient rapport, ou de bien peu de conséquence pour le gou- vernement de l'État i. Mais il n'en était pas de même des conseils de Brabant, de Hainaut et de Gueldre, qui formaient les prétentions les plus étendues, appuyées de raisons tirées de la nature de leurs insti- tutions, de leur origine et de droits acquis et reconnus. Le conseil suprême des Pays-Bas à Vienne jugea, comme le conseil privé et le gouvernement général des Pays-Bas, que les prétentions de ces conseils n'étaient pas fondées et qu'il fallait limiter leur autorité dans la concession des octrois. Un décret du 18 juin 1751 2 détermina les octrois qui devaient demeurer au gouvernement général et ceux qui pourraient être accordés par le grand bailli et le conseil de Hainaut. Par décret du 20 octobre 1752 3? une mesure analogue fut prise à l'égard du conseil de Gueldre. Enfin, un édit du 5 avril 1764 4 fixa les octrois dont la dispensation était interdile au conseil de Brabant. L'exécution de ces mesures ne souffrit pas de difficultés quant au conseil de Gueldre. Mais la chose ne fut pas aussi aisée en Hainaut et surtout en Brabant; cependant, en pré- sence de la volonté bien arrêtée du gouvernement de faire respecter ses décisions, ces deux conseils se soumirent, ce qui ne les empêcha pas, dans plus d'une occasion, d'accorder encore des octrois qui appartenaient à la catégorie de ceux dont la concession leur avait été interdite. 1 Gachard, Ancienne législation des octrois, p. 14. 2 Idem, ibid., p. 6. 3 Idem, ibid., p. 16. 4 Idem, ibid., p. 21. ( 382 ) § 8. Législation. La puissance de faire les lois n'appartenait, dans les Pays- Bas, depuis le XVIe siècle, qu'au souverain seul ou à son gou- verneur général qui exerçait son autorité suprême après avoir pris l'avis ou le conseil des cours supérieures et quelquefois des états des provinces. Le conseiller principal du souverain ou du gouverneur général était avant tout le conseil privé. C'est dans ce conseil que se traitaient les affaires relatives à la législation *.' Le conseil privé, en vertu de ses instructions, avait le droit absolu de délibérer sur les projets d'édits et de soumettre des consultes au gouverneur. Sans doute, celui-ci n'était pas lié par les délibérations du conseil ; il lui appartenait, en tout état de cause, de s'y conformer ou de s'en écarter, soit avec, soit sans recours au prince. Mais toujours est-il que l'intervention con- sultative du principal conseil collatéral constituait, au profit des populations, une véritable garantie contre les surprises et les légèretés en matière législative 2. Lorsque le conseil privé avait délibéré sur la publication d'une loi, d'une ordonnance, d'un placard, etc., sa délibération était portée à la connaissance du gouverneur général qui en décidait par lui-même ou après avoir pris les ordres du sou- verain, suivant les circonstances ou l'importance de la matière. Si l'objet soumis à la délibération du conseil privé était d'un intérêt général et formé d'éléments très disparates, le conseil pouvait, avec l'autorisation du gouverneur, convoquer un cer- tain nombre de personnes versées dans l'administration et pla- cées à la tête des corps, collèges ou communautés des provinces, afin de les consulter sur les intérêts respectifs de leurs com- 1 Archives du conseil privé, cartons 517 à 520. 2 Poullet, Const. nat., p. 374; de Neny, Mém. hist., t. Il, p. 120: Bull, de la Comm. roy. d'hist., 2e série, t. VIII. ( 383 ) mettants. Ces réunions extraordinaires ne pouvaient s'attribuer aucune autorité; leurs délibérations n'ayant pour objet que d'éclairer le conseil, n'étaient ordonnées que pour mettre ce dernier à même de concilier les divers privilèges du peuple et de ne point favoriser les intérêts d'une province au préjudice des autres. Du reste, le conseil privé lui-même ne décidait rien de sa seule autorité : une loi discutée dans son sein n'avait force obligatoire qu'après avoir été acceptée par le gouverneur. Quand les opinions des conseillers étaient partagées, ce n'était pas la majorité des suffrages qui décidait de l'accep- tation ou du rejet de la loi, mais le choix que faisait le gou- verneur. Si celui-ci croyait la matière susceptible de plus d'in- struction, il ordonnait de nouveaux débats, prenait soin de faire intervenir d'autres membres ou appelait des fonction- naires attachés aux corps administratifs des provinces. Si, malgré toutes ces précautions, l'acceptation de la loi souffrait encore quelques difficultés, le gouverneur pouvait alors en référer directement au souverain. L'affaire était, dans ce cas, soumise à la délibération du conseil suprême et Sa Majesté en décidait définitivement. Toutes les ordonnances qui étaient proprement des lois, devaient être publiées au nom du souverain et sous son grand sceau dont le chef et président avait la garde. C'était encore au conseil privé qu'incombait le soin de cette publication. Des copies étaient adressées par son canal soit au gouverneur, soit au procureur général des provinces, soit au chancelier ou au grand bailli, avec ordre d'en donner connaissance à leurs subalternes pour la promulgation. Dans le Brabant, les édits et autres ordonnances ayant carac- tère de loi, devaient être revêtus du sceau du duché dont le chancelier avait la garde et être signés par un secrétaire ayant signature en Brabant : c'est que là, nous l'avons déjà dit, l'au- torité du conseil privé a toujours été méconnue; le conseil de Brabant invoquait sans cesse la Joyeuse Entrée qui défendait au prince de faire aucune loi sans « le conseil et avis du conseil ( 384 ) de Brabant » (art. 5). Aussi, lorsqu'une loi devait opérer en Brabant et dans le pays d'outre-Meuse, le conseil privé envoyait, par la voie de l'audiencier, la minute au conseil de cette pro- vince qui examinait si elle ne renfermait rien de contraire aux lois fondamentales du pays. C'est pourquoi, Anselme voulant prouver qu'en Brabant on ne devait avoir aucun égard à l'or- donnance de Charles-Quint de 1537, donnait pour raison que cette ordonnance n'ayant eu pour rédacteurs que les membres du conseil privé de Sa Majesté, était par cela seul nulle dans le Brabant d'après sa Joyeuse Entrée i. C'est ainsi encore que Stockmans assure qu'on ne tenait pas pour obligatoires en Bra- bant plusieurs déclarations données sous le nom du prince, par le conseil privé, en interprétation de redit perpétuel de 1611 2. De Neny 3 et Sohet 4, tout en admettant volontiers pour la publication des lois en Brabant la forme brabançonne, que le premier appelle une simple formalité 5, déniaient au conseil de Brabant le droit d'apporter aucun changement à la teneur des édits, ordonnances, etc. ; ils ne lui reconnaissaient que la seule voie de représentation qui était permise, d'ailleurs, à tous les conseils et magistrats à qui l'on adressait des édits pour être publiés. Quoi qu'il en soit, l'usage et la jurisprudence, cette grande loi de nos ancêtres que les besoins de l'État ont fait consacrer, avaient érigé en principe qu'aucune ordonnance ne pouvait avoir force de loi dans le ressort du conseil de Brabant avant d'avoir été examinée, approuvée et scellée par le conseil. Cependant, jusqu'au commencement du XVIIe siècle, le conseil souverain n'avait employé la forme brabançonne qu'à l'égard des placards ou édits exclusivement propres à son res- 1 Commentaire sur l'article 11, § 116, de l'édit perpétuel de 1611. 2 Décision 10 a. 5 Mém. hist., chap. XXII, t. II, p. 121. * Tr. prél., 6, 18. s Archives du conseil privé, carton 517. ( 385 ) sort. Mais, depuis cette époque, il avait pris peu à peu l'habi- lude d'en user par rapport aux placards destinés a être appli- qués dans la généralité des provinces des Pays-Bas. Cette innovation fut combattue par le gouvernement au XVIIe siècle à diverses reprises, mais sans succès. En 1752, Marie-Thérèse songea à son tour à la faire cesser. Par acte du 2 décembre de cette année, elle constitua une jointe pour étudier à fond tout ce qui se rattachait à la publication des lois en Brabant. La jointe fut composée de jurisconsultes gouvernementaux sous la présidence de de Neny, et cependant elle ne put s'empêcher de conclure contre les vues de la cour. Tout l'esprit de sa remarquable consulte se trouve dans cette phrase caractéris- tique : « Il eût été à désirer que le pied pratiqué sous le règne » des archiducs, où le conseil de Brabant ne changeait ni le » paraphe ni la signature des placards qui concernaient lagéné- » ralité du pays, eût été soutenu; mais l'usage contraire ayant » prévalu depuis si longtemps, on ne pourrait guère y toucher » aujourd'hui sans inconvénient, d'autant plus qu'il semble » qu'on ne pourrait y faire d'innovation que par rapport au » paraphe qui fait un objet de peu de conséquence. Nous » ajouterons, dit le rapporteur de Neny, que le conseil de » Brabant mérite des égards, attendu que son autorité ne » laisse pas d'avoir des influences dans les affaires du service, » nommément dans celles où il est question des vues poli- » tiques. » Ces conclusions furent adoptées par le ministre plénipoten- tiaire, marquis de Botta Adorno ; quant au conseil supérieur, il refusa de céder aux arguments du gouvernement de Bruxelles, au moins en théorie. Il persista à faire une distinction entre les placards particuliers au Brabant et ceux destinés à la géné- ralité du pays, et à prétendre qu'aux premiers seulement le conseil souverain avait le droit de donner la forme braban- çonne. Cependant, comme il engagea Marie-Thérèse à se con- tenter pour le présent d'avoir « porté une fois les choses au » point de reconnaître clairement ses droits et hauteurs à ce Tome LU. 25 ( 386 ) » sujet », la question demeura dans le statu quo et le conseil de Brabant en possession de sa prérogative *. Investi du droit de faire les lois, le souverain avait égale- ment celui de les modifier, de les interpréter, de les corriger. En règle générale, l'interprétation des lois par voie d'autorité appartenait au conseil privé *. C'est ainsi que dans un édit du 9 mai 1656 3 sur les privilèges et franchises des bandes d'or- donnance, Philippe IV réserve l'interprétation des anciens placards qu'il y rappelle, à lui et à ceux du conseil privé 4. Les recours au conseil privé en matière législative étaient fréquents, non seulement de la part des magistrats chargés d'appliquer la loi, mais même des simples particuliers qui s'adressaient aussi directement à lui pour obtenir une déclara- tion interprétative d'un texte dont l'obscurité ou l'ambiguïté compromettait leurs intérêts. La décision qui intervenait fixait le sens de la loi pour tous. Chargé de l'élaboration des lois et de leur interprétation, le conseil privé avait le devoir de veiller à leur exécution. Ici, il se trouvait souvent en présence de difficultés d'un caractère qui pourra paraître étrange. Dans certains cas, la non-obser- vation de la loi promulguée, sa non-application en oblitérait presque instantanément la vigueur. Il dépendait, en réalité, du mauvais vouloir ou de l'inertie des tribunaux de paralyser le droit édictal du souverain sans que celui-ci trouvât aucun remède sérieux et efficace dans le jeu régulier des institutions. Voici deux exemples à l'appui de cette assertion. Le procu- reur général de Namur, rendant compte au conseil privé de la non-observation de l'édit de 1746 contre la vénalité des offices, 1 Poullet, Const. nat., p. 397; Archives du conseil privé, carton 517; Bull, de la Comm. roy. pour la public, des anc. lois et ordonn., t. II, pp. 166 et suiv. ; ibid., t. I, pp. 73 et suiv. 2 Placards de Flandre, t. III, p. 1098. 3 Ibid., p. 1097. 4 Les coutumes du Hainaut de 1533 déléguaient aux échevins le droit d'interprétation, et celles de 1619 le donnaient au conseil provincial. ( 387 ) disait : « Et pour que personne ne puisse avancer que ledit » placard n'ait point été observé, il me paraît, Monseigneur » (le chef et président), qu'il conviendrait d'en ordonne! la » republication, avec injonction à tous pourvus d'emplois » depuis l'émanation du même placard de s'y conformer aux » peines portées t. » Le prince de Kaunitz, en expliquant à Marie-Thérèse pourquoi dans les Pays-Bas les édits ne pro- duisaient pas tout l'effet qu'on devait en attendre, et après avoir parlé des difficultés relatives à leur publication, ajoutait cette phrase sur la portée de laquelle il est impossible de prendre le change : « Ou qui pis est, on met en question si, » malgré la publication, la loi a été observée ou point, et cette » non-observance équivaut dans les Pays-Bas à une abolition » de la loi °2. » Aussi, à chaque instant, voit-on le conseil privé s'efforcer de faire prévaloir la volonté du pouvoir central et, dans ce but, être obligé de faire émaner des ordonnances pour la repu- blication annuelle ou bisannuelle des édits en souffrance, et cela en dépit de la théorie qui donnait à la loi force obliga- toire jusqu'à son abrogation ou jusqu'à expiration du terme fixé par son texte 3. § 9. Rédaction des coutumes. Ce fut le 7 octobre lo31 ■* que parut l'ordonnance générale de Charles-Quint qui, dans son article 3, prescrivait de réduire et rédiger par écrit les coutumes des Pays-Bas endéans les six mois, « de les lui soumettre ensuite pour les faire visiter et » convenablement examiner ». Avec le secours des hommes de loi, des échevins et des personnes intéressées, on devait 1 Bull, de la Comm. roy. d'hist., 2* série, t. V, p. 355. 2 IHd., 3« série, t. X, p. 374. 5 Poullet, Const. nat., pp. 372 et 373. * Placards de Brabant, t. I, p. 279. ( 388 ) donc se mettre à l'œuvre; les projets de rédaction, après avoir été rédigés par l'autorité locale, devaient passer au conseil de la province pour y être, au besoin, modifiés à volonté; ils étaient de là transmis au conseil privé. L'exécution de l'ordonnance de Charles-Quint rencontra des obstacles qui tinrent à différentes causes, mais qui, en Bra- bant, revêtirent un caractère d'opposition à la marche et à l'extension du pouvoir central. Fier de ses prérogatives et toujours disposé à se prévaloir de ses antiques attributions, le conseil de cette province apporta le plus grand retard dans l'examen et l'homologation des cou- tumes des communes du duché, parce qu'il déniait au conseil privé le droit de vérifier son travail. A différentes reprises, le gouvernement eut beau renouveler l'ordonnance de 1531, le conseil de Brabant n'en fit rien : il ne voulait à aucun prix que le conseil privé contrôlât les observations dont il aurait accom- pagné les coutumes. Le conseil privé ne se contentait pas de vérifier les coutumes qui lui étaient soumises, il intervenait lui-même directement dans leur rédaction en en chargeant l'un ou l'autre de ses membres, conjointement avec des personnages qu'il jugeait convenables. C'est ainsi qu'en 1555 il commit un des siens, le conseiller Hermès de Winghene *, à la revision des coutumes du premier membre de la Flandre, de la ville et de l'échevinage de Gand, de l'Auderburgh, des villes de Courtrai et d'Aude- narde, des cours féodales de ces mêmes villes, des Quatre- Métiers et de Ninove. C'est ainsi aussi que Stockmans aida à revoir et à refondre les coutumes de la cour féodale de Bruges, qui furent homologuées le 9 septembre 1667 2. L'intervention directe du conseil privé dans la rédaction des coutumes apparaissait surtout quand le pouvoir central était en jeu. C'est ce qui arriva en 1624. Le chef-lieu de Mons avait une 1 Britz, Ancien droit belgique, 1. 1, p. 130. 2 Idem, ibid., p. 201, en note. { 389 ) coutume qui restreignait considérablement les droits du prince. Le conseil privé, après examen, députa le conseiller Roosc auprès des états à Mons pour s'entendre sur les réformes à introduire dans cette charte. Uoose se montra dans cette circonstance très dévoué à son souverain ; il défendit ses droits avec tant d'habileté que sa mission fut couronnée de quelque succès, ainsi que le prouve la coutume rédigée en cette occasion et connue sous le nom de charte préavisée 1. § 10. Finances, monnaies, aides, subsides, impôts. Les questions purement de finances étaient du domaine et de la compétence du conseil des finances, mais lorsqu'elles se compliquaient d'une affaire de police, de justice ou de poli- tique, la consulte appartenait au conseil privé. La fabrication, l'évaluation, le débit des monnaies étaient aussi du département des finances pour la consulte; mais lorsqu'il était question d'émaner en cette matière un édit au nom du souverain, cet édit était pris de l'avis des trois conseils collatéraux. Il en était de même pour les aides et les subsides que les provinces accordaient au souverain : les actes d'accord, présentés par les états, étaient renvoyés par le gouverneur général au conseil des finances avec ordre de les examiner à l'intervention des membres des deux autres conseils collatéraux. A cet effet, le chef du conseil des finances faisait connaître aux présidents des autres conseils le jour et l'heure où ces ques- tions, qu'il spécifiait, seraient traitées en finances, et ceux-ci y déléguaient ceux de leur corps qu'ils jugeaient les plus compétents en ces matières 2. Les réclamations au sujet des aides et des subsides, celles par exemple formulées par des contribuables tombés dans l'indi- 4 Britz, Ancien droit belgique, p. 255. 2 Décret du 2 mars 4652 (Archives du conseil privé, carton 466). ( 390 ) gence, devaient être adressées directement au conseil privé, les aides et les subsides étant considérés comme le patrimoine du souverain *. Les impôts qui se levaient par les ecclésiastiques et les trois membres de Flandre, comme les exemptions à accorder pour ces impôts, étaient considérés comme affaires de police supérieure desdits pays, et la consulte en appartenait au conseil privé. Il en était" de même de tout ce qui concernait les revenus propres aux grandes et aux petites villes, même en Brabant; mais lorsqu'il était question des impôts de Brabant, la consulte appartenait exclusivement au conseil des finances, ces impôts étant considérés comme deniers royaux. C'est en conséquence de cette distinction que, lorsqu'il s'agissait d'accorder des fran- chises aux ministres étrangers, l'acte pour l'exemption des accises de la ville de Bruxelles s'expédiait au conseil privé, et celui pour l'exemption des impôts de Brabant, au conseil des finances 2. § H. États généraux et provinciaux. Lus états généraux ne se rassemblaient que sur la convoca- tion du souverain ou de son représentant principal; au XVIe siècle, il était aussi de principe constitutionnel que les états provinciaux dussent attendre, pour se rassembler, une convocation de ce genre. Le conseil privé était toujours consulté sur la nécessité de ces réunions, du moins depuis le XVIIIe siècle. Dans ce cas, c'était lui qui préparait les propositions à faire à l'assemblée, qui traçait la voie à suivre et qui réglait toutes les mesures administratives qu'exigeaient ces réunions. Les demandes que le gouvernement avait à faire aux états leur étaient présentées par des commissaires qu'il accréditait 1 Discailles, Hist. du règne de Marie-Thérèse, p. 70. 2 Archives du conseil privé, carton 466. ( 391 ) chaque fois auprès d'eux. Lorsqu'il s'agissait de demandes extra- ordinaires, par exemple de dons gratuits, d'emprunts au pro- fit du souverain ou d'autres affaires de grand poids, on adjoi- gnait aux commissaires des membres du conseil privé ou d'un autre conseil collatéral. Nous avons parlé de missions de ce genre remplies par Jean Carondelet aux états généraux de 1531 et de 1538, par Van Schore a ceux de 1543, et par Richardot en 1598 et en 1600. Les ministres représentant le souverain ne siégeaient pas dans l'assemblée; après avoir fait les commu- nications dont ils étaient chargés, après avoir cherché à persuader les états de la nécessité des demandes qui leur étaient faites, ils se retiraient et ne rentraient dans la salle qu'après que l'assemblée eût pris une résolution. Comme les états ne s'assemblaient que rarement aux ordres du souverain, surtout depuis le XVIIe siècle, lorsqu'il s'agissait de son service, ils continuaient, leur tâche terminée, leurs séances et mettaient en délibération tout ce qu'ils jugeaient nécessaire d'être représenté au souverain pour l'avantage de ses sujets. Ces représentations étaient soumises pour examen au conseil privé. C'était aussi le conseil privé qui préparait les lettres à envoyer aux états pour leur notifier l'avènement au trône du souverain, la nomination d'un gouverneur général ou celle de tout fonc- tionnaire supérieur avec lequel ils pouvaient être en rapport. Les cérémonies relatives à l'inauguration du souverain dans chaque province étaient aussi déterminées à la délibération du conseil privé. Ce corps arrêtait les formules des serments à prêter aux états et à recevoir de ceux-ci par le délégué du souverain; il se faisait remettre par les états, pour information et examen, une relation circonstanciée et exactement détaillée de toutes les formalités qui avaient précédé et accompagné cet acte solennel; enfin il vérifiait si l'acte d'inauguration était en due forme. Nous dirons enfin que l'organisation intérieure des états provinciaux, les différends qui pouvaient surgir dans leur sein, les questions relatives à l'admission dans ces corps de certaines ( 392 ) catégories de personnes, en un mot tout ce qui avait rapport à la constitution de ces assemblées délibérantes comme aussi les mesures générales ou spéciales à telle ou telle province que le gouvernement croyait devoir prendre, faisaient l'objet d'une consulte du conseil privé l. Il en était de même des incidents que pouvaient soulever les mesures administratives prises par les députations perma- nentes chargées de traiter les affaires dans les intervalles des sessions des états 2. § 12. De la police. C'est aussi au conseil privé que revenait la consulte sur toutes les affaires qui concernaient la police des provinces et des villes; les règlements et les ordonnances qui devaient servir de ton et de règle pour sa bonne observation et pour le maintien de la tranquillité publique dans toute l'étendue du pays. C'est ainsi que tout ce qui regardait le bien public et l'utilité commune des citoyens était de sa compétence : il prenait con- naissance des règlements sur les marchés, la vente des bestiaux, le prix des denrées; il avait l'inspection sur le com- merce pour le faciliter, le permettre, l'interdire; vérifiait les règlements sur les poids et les mesures, Les arts libéraux étaient aussi de sa compétence; il réglait les spectacles, les comédies et les jeux publics. Il avait toute l'intendance des bâtiments et des ouvrages publics, des constructions, répara- tions et entretien des chaussées, routes, chemins et ponts 3. Tous les arts, tous les métiers étaient soumis à sa juridiction administrative. Les règlements sur les auberges, les tavernes, les cabarets, les établissements publics en un mot, étaient de sa 1 Archives du conseil privé, cartons 828 à 932; Gachard, Actes des états généraux de 1600 et de 1652. 2 Registres Verds, n° 4, fol. 181 v°. 3 Archives du conseil privé, cartons 1252 à 1268. ( 393 ) connaissance, de même que ceux touchant les étrangers, les vagabonds, les non-domiciliés, etc., etc. Qu'il nous suffise donc de dire que tous les moyens à employer, que toutes les dispositions a prendre dans l'intérêt de l'État et de la sécurité des citoyens, que tout ce qui concerne, en un mot, la police était de la compétence du conseil privé i. 8 13. L'armée. Tout ce qui concernait la partie matérielle de l'armée, l'artillerie, l'armement, les munitions de guerre, les fortifica- tions, leurs réparations et entretien, comme aussi la collation des places qui en dépendaient, receveurs, munitionnaires, contrôleurs et autres postes de même nature, étaient du res- sort du conseil des finances pour la consulte 2. Mais tout ce qui touchait à la législation, à la juridiction et à la police militaires, était de la compétence du conseil privé. C'est ainsi que ce corps était appelé à délibérer sur les mesures relatives au baptême, au mariage, à la sépulture des militaires; sur celles à prendre concernant les rapports entre civils et militaires; sur les dispositions concernant les changements de garnison et la marche des troupes en temps de guerre; sur les suppressions d'emplois; enfin, sur les rapports du général commandant et relatifs aux affaires ayant trait à l'administra- tion militaire 3. 1 Archives du conseil privé, cartons 782 à 796. 2 Ibidem, carton 466. 5 Ibidem, cartons 1522 à 1536. LISTE CHRONOLOGIQUE DES CHEFS, B8S PRÉSIDENTS ET DES CHEFS-PRÉSIDENTS DU CONSEIL PRIVÉ depuis le 23 juillet 1517 jusqu'au 19 août 1794. NOTICES BIOGRAPHIQUES DE CES MINISTRES. Carondelet, Claude, chevalier, seigneur de Solre-le-Chûteau, était l'ainé des fils du chancelier Carondelet. Il naquit à Dôle en 1467. Après avoir rempli avec distinction certaines missions sous Maximilien, il fut nommé chef du conseil privé, par Charles-Quint, le 23 juillet 4517. 11 mourut dans cette dignité le 31 mai 1518 4. Caulier, Jean, seigneur d'Aigny, chevalier, avait été conseiller et maitre des requêtes au conseil prive de l'archiduc Maximilien, de l'an 1494. Par lettres patentes du 23 juillet 1517, il fut nommé président du conseil privé de Charles-Quint, et par celles du Ier juin 1518, chef du même conseil. Confirmé dans cette dernière charge le 19 octobre 1520, il n'obtint que la présidence dans le conseil institué le 22 mai 1522. Lorsque l'Empereur créa, le 12 mai 1530, le conseil d'Artois, Caulier en fut le président 2. Carondelet, Jean, archevêque de Païenne, naquit à Dôle en 1469. Il était le second fils du chancelier Carondelet. Nommé, en 1497, maitre des requêtes au grand conseil, il laissa cette charge dans laquelle il avait été confirmé le 22 janvier 1503 (v. s.), pour passer au conseil privé 1 Le Glay, Cotrespondance de l'empereur Maximilien et de Marguerite d'Au- triche. — Biographie nationale, \. Ill, lrc partie, p. 340. — Registre n° 1325 de la chambre des comptes, aux Archives du royaume. — Histoire du conseil privé (Ms), ibid. — La Chenaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, t. IV. — Christyn, Tom- beaux des hommes illustres qui ont paru au conseil privé. 2 Ferreoli Locrii Chron. Belg f p. 593. — Idem, Diplom. Belg.. t. IV, p. 657. — Christyn, ouv. cité. — Hist. du cons. pwvé, Ms cité. ( 395 ) en 1508. Il fut appelé a la dignité de chef-président le 15 avril 1522. Le°2"2 mai suivant, les places de chef et de président ayant été séparées, Carondelet conserva celle de chef qu'il remplit jusqu'au 1er octobre 1540. Il mourut le 8 février 1544 (v. s.) '. Tayspil, Pierre, de Gand, avait été promu, dès 1522, le 1°2 décembre, a l'état de conseiller du grand conseil, lui 1527, Charles-Quint le nomma président de son conseil provincial en Flandre. En 1531, par lettres patentes du 1er octobre, l'Empereur l'appela à la dignité de prési- dent de son conseil privé. Il exerça ces dernières fonctions jusqu'au 1er octobre 1540. Il mourut le 30 avril 1541. Il conserva jusqu'à sa mort la présidence du conseil de Flandre 2. De Schore, Louis, de Louvain, remplit successivement les fonctions de professeur à l'Université de Louvain (1520), de conseiller au grand conseil de Malines (7 novembre 1524), de conseiller au conseil privé et au conseil d'État (31 mai 1535). Il fut élevé à la dignité de chef et président le 12 octobre 1540. Il mourut dans cette charge le 25 dé- cembre 1548 3. (Voir ci-dessus, pp. 33 à 38) Aytta de Zuichem (Viglius), entra au conseil privé en qualité de conseiller, le 12 octobre 1540. Il remplit les fonctions de chef et président du 1er janvier 1549 (n. s.) au 9 septembre 1569. A la mort de son succes- seur Tisnacq, le 17 avril 1573, il reprit intérimairement les fonctions de chef-président qu'il exerça jusqu'au 8 septembre 1575. Il mourut le 8 mai 1577 dans la dignité de président du conseil d'État, dont il avait été revêtu en 1554 i. (Voir ci-dessus, pp. 38 et suiv.) J Foppens, Biblioth. Belg., p. 605. — Van Mûris, Nederl. Vorsten, d. Il, bl. 211. — De Chalmot, Biogr. Woordenb. — Du Rieu, De Intrede van Karel V, binneu Dordrecht, 1515, bl. 436, 187 en 138 — Van der Aa, Biogr. IVoord., d. III, bl. 496.— Wielant, Antiquités de Flandre, t. IV. — Biographie Mich a ud. — Foppens, Histoire du grand conseil (Ms). — Biographie nat., t. III, l,e partie, p. 348. — Registres de la chambre des comptes, n° 124, fol. 71. — Christyn, ouv. cité. — Hist. du cous, privé, Ms cité. - Christyn, ouv. cité. — Hist. du cons. privé, Ms cité. — Registres de la chambre des comptes, n° 121, fol. 74. 3 Hoynck van Papendrecht, Analecta Belgica, t. I, pp. 28, 124; t. VI, pp. 321, 328. — Suffridus Petrus, De scnptorum Frisiae, éd. 1699, p. 336. — Divakus, fies Lova»., t. Il, pp. 31, 32. — Val. Andréas, Fast. Acad., pp. 482 à 184. — Registres de la chambre des comptes, n° 424, fol. 73 vf et suiv. — Hist. du cons. privé (Ms, cité). — Christyn, ouv. cité, p. 18. 4 Britz, Ancien droit belgique, p. 77. — Goethals. Vie de Viglius. — Pétris SUFFRIDUS, Scriptorum Frisiae centuria. — HOYNCK van Papendrecht, Vita Viglii. ( 396 ) De Tisnacq, Charles, chevalier, remplit d'abord les fonctions de conseiller avocat fiscal au conseil souverain de Brabant (15 juillet 1545). Nommé en 1549 conseiller au conseil privé et au conseil d'État, il avait suivi Ph. lippe II en Espagne en qualité de garde des sceaux pour les Pays-Bas et, le 3 juin 1562, il était devenu trésorier de l'ordre de la Toison d'or. Il revint dans les Pays-Bas le 28 janvier 1570 en qualité de chef-président du conseil privé, fonctions qui lui avaient été conférées le 9 septembre 1569. Tisnacq mourut subitement à Bruxelles le 17 avril 1573 dans un état voisin de l'indigence, « ayant servi si sincère- ment et si incorruptiblement » !. Sasbout, Arnould, de Delft, après avoir été conseiller du conseil provincial de Hollande et chancelier de Gueldre (1568), fut nommé chef et président du conseil privé le 8 septembre 1575. Pendant les troubles qui agitèrent le pays en 1576, il se retira en Hollande où il mourut en 1583 2. De Pamèle, Guillaume, comte de Joigny, naquit à Bruges le 29 novembre 1528. Après avoir été conseiller pensionnaire de sa ville natale, il fut promu le 14 mai 1561 à l'état de conseiller maitre des requêtes au grand conseil. Il fut depuis, en 1575, président du conseil provincial de Flandre, puis conseiller d'État et chef-président, le 20 février 1581. Il mourut dans ces fonctions le 21 janvier 1592 3. — Spinnael, Revue des revues, 1843. — Levens van Nederl. Mannen en Vrou- wen, à. IV, bl. 73-88. — Chai.mot, Biogr. Woordenb.— Biogr. unir., t. XX. p. 197. — Kok, Vaderl. Woordenb., d. XXIX, bl. 248-2^9. — Van oek Aa, Biogr. Woordenb.. d. I, bl. 464-471. — Registres de la chambre des comptes, n° 424, fol. 77 et suiv. — Voir aussi ci-dessus, p. 68. 1 Hoynck, ouv. cité, t. I, p. 470. — Butkens, Trophées de Brabant, t. IV (supp/, p. 22k — Christyn, ouv. cité. — Recueil des statuts de la Toison d'or, p. 190. — Correspond, de Philippe II, t. I, p. 373; t. II, pp. 416,117, 3j9. — Mémoires dr Viglius et d'Hopperus, pp. 16 et 419. — Bull, de la Comrn. roy. d'hht., 2e série. t. VIII, p. 432. — Cachard, Rapport sur les archives de Lille, p. 416. — Chambre des comptes, reg. 424, fol. 83. — Correspond, de Granvelle, t. I, p. 47. — Hist. du cons. privé, Ms cité. 2 Hall. Resol., 15 febr. 1515, bl. 49, 89. — Boxhorn, Theatr. Holl., p. 160. — Van Leuwen, But. ill., p. 1407. — Groen.van Prinsteher, Archives de la Maison d'Orange, t. VI, pp. 48, 447, 272. - Van DER Aa, Biogr. Woord. — HOYNCK, Anal. Belg., t. Il, pp. 763, 814, 838, 842, 854; t. III, p. 404. 3 Foppens, Hist. du cons. de Flandre (Ms). — Hist. du cons. privé, ouv. cité. — Registres de la chambre des comptes, n° 124, fol. 8i. — Correspondance de Gran- velle, t. IV, V, VIII, IX. — Hoynck, Anal. Belg., t. I. part. II, pp. 744, 7o3, 758; t II, part. I, p. 404. ( 397 ) Van der Burch, Jean, de Bruges, remplit successivement les fonctions de conseiller au conseil de Flandre, au grand conseil, (10 novembre 1569), au conseil privé (1er octobre 1579); de commis aux causes fiscales du conseil privé (4 mai 1583); de président du grand conseil (1583;. Il fut élevé à la dignité de chef-président le 16 juin 1592. Il mourut à Bruxelles le 5 juillet 1595*. Richardot, Jean, chevalier, seigneur de Barly, conseiller au grand conseil le 19 mars 1568, président du conseil d'Artois en 1582, conseiller au conseil privé en 1582, conseiller au conseil d'État le 26 février 1583, fut nommé chef-président le 15 mai 1597. Il mourut a Arras le 3 sep- tembre 1609 2. Richardot se nommait en réalité Jean Grensset. Il prenait encore le nom de Joannes Grensetus Richardotus lorsqu'il donna, en 1560, une édi- tion des observations juridiques de Pierre Peckius le pore. Il était fils d'une sœur de François Richardot. évêque d'Arras, qui mourut en 1574; et comme ce prélat l'avait élevé, il adopta son nom. La sagesse supérieure de Richardot le mit dans la plus haute considé- ration tant auprès de ses souverains que des gouverneurs généraux des Pays-Bas et des cours étrangères. Toutes les places qu'il remplit furent des monuments de sa gloire. En 1583, étant président du conseil d'Artois, il fut envoyé par Alexandre Farnèse en Espagne pour représenter au roi l'état des provinces et demander des secours en hommes et en argent. Il revint au commencement de l'année suivante après avoir réussi dans sa mission. Dans la même année (1584), il fut employé à ramener la ville de Bruges sous l'obéissance du roi, et, après y avoir réussi, il ména- gea la réconciliation de Gand. Au mois de mars 1585, il amena égale- ment la soumission de Bruxelles et, après en avoir arrêté les conditions, il entra dans la ville pour faire le renouvellement du magistrat. Pendant la même année, il fut encore chargé par Farnèse d'écouter les premières propositions de Marnix de Sainte-Aldegonde, bourgmestre et comman- dant à Anvers ; il fut du nombre des commissaires royaux qui conclurent, avec les députés anversois, la réconciliation de cette ville. * Delpierre, Précis des Annales de Bruges, p. 145. — FoprENS, Hisl. du grand conseil (Ms), p. 83. — Chambre des comptes, registre n° 124, fol. 85 v°. * Grotius, Jïfcf.,lib.VllI, p 363; lib. XVII, pp. 534, 54'*. — Wagenaar, Vad.Hist., d. VIII, bl. 31; d. IX, bl. 46, 279, 320, 323, 325, 336, 337, 341, 348, etc. — Reyd, Ned. Hist., b. XVI, bl. 379. — Bor, Ned. Hist., b. XVI, bl. 31, 40, 45 — Dunod de Charnage, Hist . du comté de Bourgogne. — Chambre des comptes, registre n° 124, fol. 87. — Christyn, ouv. cité. — Strada, De Bello Belgico. — Bentivoglio, Délia guerra di Fiandra. — De Thou. Hist. univ., liv. CXX. ( 398 ) En 1598, Richardot fut le premier ambassadeur du roi à la paix de Vervins et, après la conclusion de cette paix, il fut envoyé à la cour de France, en la même qualité, pour être présent au serment du roi pour l'exécution du traité. En 1604. il fut l'un des députés de l'archiduc à la conclusion de la paix avec l'Angleterre, et en 4609, il signa la trêve avec les Provinces-Unies. Maes, Englebert, d'Anvers, après avoir été auditeur général de l'armée que le duc de Parme conduisit en France au secours de la Ligue, fut nommé conseiller au grand conseil (1er mars 1590). Le 20 juillet 1603, il fut promu au conseil privé en qualité de conseiller. Il occupa la charge de chef-président du 8 octobre 1614 au 9 octobre 16301. Roose. Pierre, d'Anvers, chef et président depuis le 11 avril 1632 jusqu'au 23 décembre 1653. Mort à Bruxelles, le 27 février 1673. (Voir ci- dessus, pp. 101 à ,112*.) De Hovyne, Charles, naquit à Tournai en 1596. Après s'être dis- tingué au grand conseil de Malines en qualité de conseiller (9 oct. 1628) et d'avocat fiscal (9 août 1633), il fut admis au conseil privé en juin 1638. et au conseil d'État, le 28 avril 1644. Il arriva par l'intrigue à la dignité de chef-président, le 23 décembre 1653. Il mourut le 13 avril 1671 5. (Voir ci-dessus, pp. 112 à 117.) De Pape, Léon-Jean, de Louvain, remplit successivement les fonc- tions de substitut du procureur général près le conseil de Brabant (juillet 1642) et de conseiller-avocat fiscal près le même conseil (7 octobre 1657). Par lettres patentes du 16 décembre 1665, il fut créé chevalier. Il » Chambre des comptes, registre n° 124, fol. 99. — Christyn. ouv. cité. — Uisi. du conseil privé, Ms cité. •■i Papiers de Roose, aux Archives du Royaume. — Christyn, ouv. cité. — Hist. du cons. privé, Ms ci lé. — Goethals, Lect. hist. — Les sources citées ci-dessus, pp. 101 à 112. 3 André Catulle, Tornacum {1052), p. 168. — Histoire des conseils de Brabani et de Malines, p. Ido (Mss de la Bibl. roy.). — Christyn, ouv cité. — E.-A. Hellin. Bec. gén. et herald, des maisons très nobles des provinces de Narnur, Brabant, etc., p. 385 (Ms de la Bibl. roy.j. — L,ste des chefs -présidents du cons. privé depuis 1461 jusqu'en 1151 (Ms de la Bibl. roy.). — Hist. du cons. privé, Ms cité. — Bull, de l'Acad. roy. de Belij., t. XIV, 2e part., p. 440. — Comptes rendus de In Comm. roy. dliist., t. XIV, p. 145 — Britz, Ane. droit belg., pp. 257, 502. — Biogr. nat., t. IX, p. 5b3. — Chambre des comptes, registre n° 124, fol. 99 v°. — Les Mss d'Hovyne à la Bibl. roy. et aux Archives. ( 399 ) assista comme troisième commissaire du roi, avec le baron de Berg- eyck, conseiller au conseil suprême de Flandre à Madrid, et Laurent Hovyne, conseiller au conseil privé, aux conférences entamées à Lille au mois de novembre 1668, avec les commissaires du roi de France, sur l'exécution du traité de paix d'Aix-la-Chapelle. En 1670, le 6 février, il fut nommé conseiller au conseil suprême des Pays-Bas, à Madrid, et chef-président par lettres patentes datées de Madrid le 1" décembre 1671. Le 28 avril 1672, il prêta serment à Bruxelles, entre les mains du comte de Monterey, gouverneur général des Pays-Bas. Il mourut à Bruxelles, le 8 août 1685 ». Blondel, Pierre-François, de Malines, baron d'Oudenhove, entra dans la magistrature en qualité de conseiller au conseil de Namur en 1655. Il fut promu à l'état de conseiller au grand conseil de Malines, le 6 jan- vier 1661. Le 23 avril 1672, il fut nommé conseiller ordinaire au conseil privé, et le 11 octobre 1678, conseiller commis aux causes fiscales près le même conseil. En 1674, il fut envoyé avec Dom Emmanuel de Lira, en qualité de plé- nipotentiaire du roi catholique aux conférences qui se tinrent à Cologne pour la paix générale et que l'enlèvement du prince Guillaume de Furs- temberg rendit infructueuses. En 1682, il fut nommé conseiller d'État, et peu de temps après, le roi ayant considéré les infirmités du chef et pré- sident de Pape, lui adjoignit, avec droit de succession, le baron d'Ou- denhove, par lettres datées de Madrid, le 1er juillet 1684. Au commence- ment du mois d'août 1694, Blondel étant en campagne avec l'électeur de Bavière, gouverneur général, fut atteint de maladie et obligé de se faire transporter du camp de Cruyshautem à Gand, où il mourut le 22 sep- tembre de la même année 2. De Coxie, Albert, de Malines, remplit d'abord les fonctions de con- seiller au grand conseil de Malines (23 mars 1660). De là, il passa au conseil privé où il fut nommé (3 février 1676) conseiller et maître des 1 Van Loon, Hisl. métallique, l. III. — AitzÉma, Saken van Staat en oorlog, t. VI. — Hollandsche Merkurius, 1669. — Relations véritables de 1685. — Bkitz, ouv. cité. — Hist. du cons. de Brab., Ms cité. — Ilist. du cons. privé, id. — Les Mss de de Pape aux Archives du Royaume et à la Bibl. roy. — Archives du conseil d'État, carton intitulé: Conférence de Lille. — Christyn, Jurispr. hér., p. 394. — Begistres Verds, t. II, p. m parés à ceux de la gravure, sont relativement plus parfaits que les produits de la photographie mis en parallèle avec ceux de la peinture; ensuite parce qu'ils ont plus de similitude : ces deux moyens graphiques ne produisant l'un et l'autre que ( " ) (les traits, des points ou des teintes, ils ne rendent tous deux que le coloris du modèle et ne sauraient s'attaquer aux cou- leurs, avec leurs tons et leurs graduations *. Abandonnons un moment ces considérations artistiques pour nous arrêter à une remarque d'un ordre moins idéal, moins poétique sans doute, mais qui paraîtra cependant en situation ici, parce qu'elle présente plus d'un point de compa- raison avec la question traitée. Que d'inquiétudes n'a-t-on pas exprimées sur le sort de la race chevaline quand la première locomotive fut lancée de Bruxelles a Matines! Que de pamphlets, que de caricatures ne fit pas éclore cette entreprise hardie qui allait réduire à la misère les postillons et leurs montures, dépeupler les haras, ruiner les selliers et mécontenter tout le monde! Cependant la locomotive continuait à rouler, entraînant à elle seule, avec une vitesse vertigineuse, des fardeaux qu'une cavalerie de mille têtes n'aurait même pu mouvoir. Le noble coursier fut employé à d'autres travaux, et sa valeur relative, un moment ébranlée par des craintes puériles, reprit bientôt son cours normal pour monter en prix, en proportion de la demande, autant que les autres marchandises de première nécessité. C'est que la machine à vapeur, comparable en ceci à la machine à lumière, est astreinte à une course uniforme. Deux rails d'acier déterminent sa route, et elle ne saurait s'en écarter sans provoquer un désastre épouvantable. La main du con- ducteur, quoique dominant, par un simple coup de robinet, une des forces les plus considérables de la nature, n'en est pas moins impuissante à prévenir cette catastrophe. 1 La chromolithographie, la chromotypographie et les autres procèdes d'impression en couleur ne sauraient évidemment entrer en ligne de compte dans ces appréciations, pour les raisons qui nous portent à séparer complètement la gravure artistique de la gravure industrielle. (8) De même l'opérateur-photographe domptant, lui aussi, d'autres éléments également grandioses, la lumière et l'électri- cité, n'a pas le pouvoir de les faire agir dans un sens autre que celui que leur indique la nature, et il ne saurait les substituer à la pensée humaine. Aussi longtemps que la gravure a été limitée dans ses moyens d'action et quelle s'est trouvée réduite à la manipu- lation, à la main-d'œuvre, dans le sens réel du mot, elle a dû suffire à tous les besoins, tant industriels qu'artistiques. Cette situation a dû nécessairement la ravaler entre certaines mains et lui faire produire, à côté d'oeuvres exquises, des objets dénués de toute valeur artistique et n'ayant d'ailleurs aucune prétention esthétique. Cependant, grâce aux perfectionnements successifs de la graphique, grâce surtout aux procédés économiques qu'elle mit en œuvre, toutes les commandes ne visant pas une exécu- tion essentiellement artistique affluèrent vers elle. Et elle fit en ce sens une concurrence acharnée aux graveurs; je ne dis pas à la gravure. En effet, là où il s'agissait d'une planche destinée à l'indus- trie, d'une étiquette de commerçant, par exemple, d'une forme pour fabricants de papier ou d'étoffes de tenture, de fleu- rons, de culs-de-lampe ou d'initiales ornées pour typographes, de vignettes et de planches destinées à l'illustration de livres, la graphique obtint le pas sur la gravure, parce que cette der- nière ne saurait livrer dans les mêmes conditions de bon marché et dans un espace de temps aussi restreint ce que four- nit sa concurrente. Mais la graphique, pas plus que la photo- graphie, n'a le pouvoir de traduire une idée, un sentiment, de donner du corps à une conception, de créer. L'art seul en est capable, et dans la partie qui nous occupe, l'art de la peinture et l'art de la gravure. 11 semble d'ailleurs que, quelque rapides qu'aient été les progrès réalisés par la découverte de Daguerre, il faudra bien du temps encore avant que l'influence néfaste qu'on en crai- (9) gntiit ne se fasse sentir à roux qui s'adonnent à la peinture. N'était-il pas à prévoir, en effet, que la photographie ren- dant avec une exactitude mathématique, en apparence, tous les objets de la nature, dans leur entourage, et à la place qu'ils occupent clans ce milieu, écarterait de la famille des peintres tous les inhabiles, tous les impuissants, tous ceux qui ne sai- sissent ni la forme ni le caractère intime des hommes et des choses, tous ceux enfin qui ne savent ni dessiner ni ombrer, cest-à-dire ceux qui sont incapables de copier la nature comme elle se présente à nous, suivant l'impression qu'elle produit sur nos sens, ou telle que nous croyons la voir, avec ses perspectives, ses plans, ses dégradations de teintes et ses couleurs, ses jeux de lumière et ses reflets? Et néanmoins le contraire se produit. De jour en jour le nombre de nos peintres augmente dans des proportions aussi exorbitantes que le nombre des expositions publiques et celui des tableaux qui s'y disputent une place de la rampe à la cimaise. Le nombre, toujours croissant aussi, des écoles de dessin, des écoles de peinture, des académies, n'est pas étranger à cette situation. Par leur intermédiaire, la route qui mène à la carrière de l'art est rendue trop facile. Tout jeune homme qui se sent quelques dispositions se croit né pour l'art et s'imagine être prédestiné dès qu'il parvient à camper plus ou moins habilement un bonhomme sur les deux jambes; et l'en- gouement du public pour tout travail de ce genre l'encourage et multiplie la foule des déclassés. La gravure, qui s'adressa moins au grand public, par cela même que, dénuée du charme de la couleur, elle demande, pour être comprise et pour plaire, un sentiment esthétique plus profond, une éducation artistique plus complète, ressent plus que la peinture les effets de la concurrence que lui font les procédés industriels. Et c'est là, sans doute, la raison pour laquelle la gravure semble momentanément tomber en désu- étude. Momentanément, disons-nous, car la gravure, comme tout art, est éternelle, et elle reprendra son essor quand, après ( 40 ) les épreuves qu'elle traverse, elle se sera défaite des parasites qui se sont attachés à elle : les produits anti-artistiques, et qu'elle ne vivra que pour l'art pur. Et à certain point de vue les procédés mécaniques lui ont, dès à présent, rendu des services inappréciables; car ce sont eux qui séparent nettement les produits industriels d'avec les œuvres de la pensée et de l'intelligence. Cependant certains graveurs, de même que des peintres, et parmi eux des hommes d'un talent incontesté, ont tenté de s'emparer des moyens mécaniques et de les introduire en par- lie dans leur art, oubliant ou ignorant que l'emploi des forces de la matière est du domaine de l'industrie et n'incombe qu'à l'ingénieur. Ils n'ont obtenu que des résultats hybrides et ils n'ont pas tardé à s'apercevoir que cet accouplement mon- strueux devait, comme toute injure aux lois immuables de la nature, engendrer la stérilité et retarder le libre développement de la souche primitive. Si ces tentatives se fussent bornées à quelques essais de curieux, à quelques expériences de cabinet d'étude, elles n'eussent pas eu de conséquences sérieuses. Mais, par mal- heur, elles ont été érigées en système et ce système a pénétré jusque dans l'enseignement. On voit des chefs d'école tolérer chez leurs élèves ces affreux attentats à la pureté de l'art. On voit, dans le temple même de l'Harmonie, les grands prêtres de l'éternelle beauté encou- rager et perpétrer eux-mêmes cette prostitution ! On voit dans les académies le modèle photographié se substituer au dessin de l'artiste. Et cette lèpre, qui s'est attaquée aux forces vives de l'art, en ronge de jour en jour plus profondément les membres. Il faudra une main vigoureuse, maniant le bistouri avec sûreté, pour extirper le venin. En attendant, il appartient aux pouvoirs publics, aux ministres des beaux-arts de mettre des entraves au dévelop- pement de la corruption, en interdisant radicalement, dans les académies, l'emploi des moyens mécaniques quels qu'ils soient. Il appartient aux associations artistiques de proscrire ( 11 ) ces moyens dans l'accomplissement des œuvres qu'elles encou- ragent. Toutes ces mesures peuvent contribuer à redresser Le mau- vais goût du public et à mieux lui faire apprécier les bonnes estampes à leur juste valeur. Et les graveurs, qui sont les premiers à se plaindre des suites funestes de la corruption qu'eux-mêmes ont introduite dans leur art, en ravalant celui-ci au niveau d'une spéculation mer- cantile, verront bientôt poindre à l'horizon un astre nouveau : la gravure moderne. Il n'est pas étonnant que la photographie ait pu, par ses charmes, ses apparences de vérité et de réalisme tenter les graveurs, comme elle a perverti le goût et le sens artistique du public. Elle est trompeuse, parce qu'elle fausse la perspective dans les reproductions d'après nature et que, impressionnée différemment par chaque couleur, elle ne rend pas la valeur relative des tons et amène par là les plus déplorables con- fusions. C'est ainsi que j'ai vu un graveur, homme de talent cepen- dant, pour avoir eu la malencontreuse idée de se servir de la photographie dans la reproduction d'un tableau, se trouver entièrement dérouté par ce perfide collaborateur. Il s'agissait d'un portrait historique. Le personnage repré- senté, vêtu d'un pourpoint rouge, se détachait harmonieuse- ment sur un fond vert. Ce n'est qu'après que la planche fut assez achevée pour qu'il pût en tirer l'épreuve qu'il voulut com- parer avec le tableau, que le graveur s'aperçut de l'interversion de la valeur des tons : le vêtement rouge, d'un brillant très intense, produisait dans le tableau un effet de clarté sur l'œil du spectateur, tandis que la photographie, faisant apparaître le rouge en noir, donnait un effet tout opposé. Le travail du graveur était perdu. Qu'on ne dise pas que ce fait ne prouve que la maladresse ou l'inhabileté du graveur; que s'il avait comparé sa copie primitive à l'original, il se serait aperçu de l'erreur et l'aurait ( 12 ) facilement redressée avant d'entamer le cuivre avec le burin. C'est là un raisonnement sans consistance, que ne tiendra jamais un artiste imbu de la grandeur de son art, et qui d'ail- leurs pèche par la base. Dans l'exemple cité, relaté ici avec intention parce qu'il permet un examen plus approfondi de la question, si le vêtement rouge et le fond vert, qui, pris dans leur ensemble, occupaient une partie importante du panneau, ont pu être rendus inexactement, et si la valeur de leur tonalité a été intervertie, que doit-il arriver de l'infinité de touches en pleine couleur, en teinte et en ton, donnant naissance au coloris, à l'harmonie, et constituant le principal mérite de tant d'œuvres originales. Ce ne sont pas là d'ailleurs les seuls reproches qu'on peut adresser à la photographie et aux procédés qui en dérivent. Ce qui est autrement grave, c'est que plus elle sera perfec- tionnée, plus elle sera instantanée, plus elle sera réaliste pai» conséquent sous le rapport purement matériel, et plus aussi elle s'écartera de la vérité artistique. On a beau dire que la photographie fait découvrir jusque dans leurs moindres détails des attitudes dans le mouvement que l'œil humain ne perçoit même pas; l'on pourra s'extasier devant ce fait, incontestablement merveilleux et plein d'intérêt. Mais il n'en est pas moins certain que si ces attitudes sont vraies au point de vue de la science, — sous le rapport de l'équilibre et de la physiologie, — elles sont mensongères au point de vue de l'art. En effet, si elles sont de si courte durée et de si minime amplitude que l'œil le plus exercé, un œil d'artiste, ne saurait en soupçonner l'existence, il n'y a pas lieu d'en tenir compte dans la plastique, qui doit être la repré- sentation de la nature telle qu'elle nous apparaît, par le fait de l'imperfection relative de nos organes. Aller au delà, c'est tomber dans l'invraisemblance, défaut capital; car l'art ne consiste pas à rendre les choses comme elles sont, mais bien comme elles semblent être. Et le jeu continuel des muscles de la face, les clignements ( 13 ) des paupières, les déplacements du regard, les contractions nerveuses, les vibrations soudaines et passagères de la peau, en un mot cet ensemble de petits mouvements donnant de l'expression à la tète et dont l'artiste saisit la caractéristique grâce à une observation soutenue, grâce à une étude appro- fondie de la nature; qu'il fixe sur la toile, sur le papier ou dans la terre glaise; qu'il exagère s'il le faut pour créer un portrait ressemblant, non seulement de traits, mais aussi de vie, d'expression, de tempérament et de caractère; la psy- chologie étalant dans les portraits d'un Van Dyck, d'un Simon Devos, d'un Rembrandt autre chose que l'être matériel du per- sonnage représenté, cette connaissance intime de l'homme qui fait vibrer dans ces toiles immortelles l'âme et la pensée, que devient tout cela en photographie? Est-on en droit d'attendre tant de raisonnement, tant de sentiment d'une machine? Évidemment non. Aussi n'en tient- elle aucun compte, et c'est pour cette raison qu'un portrait obtenu mécaniquement ne saurait être vivant ni avoir une valeur artistique. Et dès lors son emploi, même comme guide, doit être banni de l'atelier du graveur. Quant aux procédés graphiques dans lesquels la photogra- phie ne joue qu'un rôle secondaire, se bornant à reproduire le plus exactement possible un dessin composé intentionnelle- ment, ils rentrent dans la catégorie de la lithographie au crayon gras ou de f autographie sur papier. Ils ne sauraient donner de résultat sérieux que pour autant que le dessin pri- mitif fût irréprochable en son genre; mais les épreuves sont toujours inférieures à celles que donne la taille-douce parce qu'elles n'ont pas la fermeté de celles-ci, que l'égalité du tirage est moins certaine et que le jeu des demi-teintes que donne l'emploi du chiffon encreur y fait défaut. D'ailleurs, la créa- tion de ce modèle est tout aussi difficile que la gravure elle- même et ce ne seront en aucun cas que des spécialistes, des artistes à leur tour qui parviendront à en tirer parti. Dès lors la manipulation mécanique devient infime et les résultats obtenus ne compensant pas le temps, les soins et les connaissances ( 14 ) que le travail préparatoire réclame, ces procédés ne s'élèveront pas au-dessus de la lithographie. Pourquoi admirons-nous encore aujourd'hui, après les transformations successives des écoles et malgré les raftine- ments des procédés modernes, les eaux-fortes d'un Rembrandt, les bois et les cuivres d'un Albert Durer, d'un Lucas van Leyden, d'un Christophe Jegher, d'un Vorsterman, d'un Golt- zius? Sont-ce la régularité des traits et la symétrie des hachures qui en font le charme? Il suffit d'examiner ces planches pour se convaincre du contraire. Est-ce la fidélité du dessin quand il s'agit de reproductions de tableaux, ou l'imitation minu- tieuse des traits du personnage représenté, dans les portraits d'après nature? Pas davantage. Qui ne sait, en effet, que rare- ment les gravures faites d'après les tableaux de Rubens, par exemple, et de son vivant, sous ses ordres, rendent exactement l'original? Les graveurs qui travaillaient pour le grand peintre changeaient, de son consentement et d'après ses indications, la copie de ses productions premières. Sous l'inspiration du moment, il modifiait parfois sa composition pour la traduire par le burin, parce qu'il se rendait parfaitement compte des effets propres à cet autre moyen d'exprimer sa pensée. Il per- mettait donc l'interprétation de son œuvre ou l'interprétait différemment lui-même, suivant la manière de la rendre ; mais il ne supportait pas une reproduction servile. Et il n'aurait accordé à la photographie et aux autres procédés graphiques, s'ils avaient existé de son temps, que juste l'importance qu'il reconnut aux moulages en plâtre, d'après les médailles ou les statues antiques. Pour ce qui concerne les dessins des portraits gravés, exé- cutés d'après nature par les maîtres de l'art, ils n'ont certaine- ment pas été traités de la même manière que s'ils eussent dû être fixés sur la toile. Ces deux arts, la peinture et la gravure, essentiellement différents, disposent d'autres ressources, abstraction faite de la technique ; et c'est par l'emploi judicieux de ces ressources que les Goltzius et les Vorsterman sont par- ( 1S ) venus à l'exécution des œuvres sublimes qu'ils nous ont lais- sées. Mais ce qui fait le mérite primordial de leurs planches, c'est qu'elles sont une émanation de leur génie; c'est que, dans chaque entaille que creusa le burin dans le cuivre, ils ont laissé une parcelle de leur âme; c'est que leur œuvre est à eux, entièrement à eux, et que par là elle porte jusque dans ses moindres détails la trace de leur personnalité. De même que chaque vers, chaque mot d'un poème doit jaillir du cerveau de son auteur pour être vraiment l'expres- sion de sa pensée et de son sentiment, de même chaque partie d'une gravure doit, dès le dessin et dans son ensemble, dans son unité, constituer l'œuvre de l'artiste pour être la pure émanation de son génie et devenir véritablement une œuvre d'art. La reproduction, au moyen de la gravure, d'une peinture, d'une sculpture ou d'un dessin, a plus d'une fois provoqué la déception, la désillusion du peintre ou du sculpteur, qui ne retrouvait pas dans l'image de son œuvre les qualités aux- quelles il attachait la plus grande importance. Cela provient de ce que le graveur n'était pas à la hauteur de sa tâche, ou bien de ce que le peintre ou le sculpteur ne s'était pas donné la peine de l'initier convenablement aux secrets de son art personnel pour le mettre à même d'inter- préter à leur juste valeur les effets qu'il avait cherché à pro- duire. Si le graveur est suffisamment artiste, il produira une créa- tion nouvelle, tout en traduisant la toile du peintre ou le marbre du sculpteur ; mais il y mettra tant de conception et de sentiment personnels que son travail, encore qu'il s'écarte en certains points de l'original, n'en plaira pas moins à celui qui en conçut l'idée première. Cependant, avant que l'œuvre du graveur ne puisse être transmise au public, la planche est soumise à des manipula- tions successives de la part de l'imprimeur. Et certes, l'in- fluence de ce dernier n'est pas sans importance sur le résultat définitif. ( 16 ) Si son inhabileté peut anéantir partiellement les effets aux- quels s'attendait le graveur, sa science, par contre, peut tirer d'un cuivre de valeur secondaire des épreuves surprenantes. L'intervention de l'imprimeur est donc, dans la production finale d'une estampe, à l'égard du graveur, ce que l'action du graveur est à l'égard du peintre. Les estampes les plus par- faites devraient donc être celles qui sont gravées et imprimées de la main même des peintres, ou tout au moins sous leur sur- veillance immédiate et avec leur collaboration. Et, en réalité, il en est ainsi. Les eaux-fortes des grands maîtres ont toujours sur les tailles-douces, fussent-elles dues à de bons graveurs, l'énorme avantage de rendre avec plus de couleur, plus de caractère, plus d'entrain l'œuvre première. Mais la technique de la gravure proprement dite demandant des études spéciales, une grande habitude et une pratique sou- tenue, peu de peintres s'y adonnent, pas même à l'eau-forte, la moins compliquée cependant. Ce ne sont donc que des spécialistes qui puissent convenablement graver, dans le sens technique du mot, et produire des œuvres d'art s'ils sont, avant tout, artistes eux-mêmes. Pour cela, le graveur doit être placé plus haut que le vul- gaire copiste; il ne doit pas être comparable au praticien qui taille consciencieusement, point pour point, un exemplaire en marbre d'après la terre glaise du maître sculpteur; il ne doit pas davantage remplacer le creuset du fondeur ni la chambre noire du photographe. Pour lui, c'est s'avilir que d'enlrer en lice, sous le rapport de la finesse et de la perfection de l'exécution matérielle, avec des procédés mécaniques ou industriels. Les résultats que donne cette finesse, et dont l'importance n'est pas à mécon- naître à un autre point de vue, ne sont pour lui que d'un ordre secondaire; ce ne sont que les moyens d'arriver à son but essentiel : la création. Il pourra rendre ses coups de burin plus parfaits à mesure qu'il acquerra plus d'adresse; mais leur imperfection relative n'ôtera jamais rien à la grandeur de la conception. Les gravures des hommes célèbres sur lesquels ( 47 ) l'attention a déjà été appelée sont là pour attester que cette assertion n'est pas entachée d'exagération. Il serait difficile «le produire une impression plus forte que celle qui rayonne de leurs planches, d'une exécution parfois aussi naïve que sincère, et péchant en plus d'un point contre les premières règles de la technique, dût-on même employer les moyens les plus per- fectionnés et les expédients les plus raftinés pour y parvenir. Le graveur doit donc, soit qu'il veuille produire un travail original, soit qu'il traduise l'œuvre d'un autre artiste, inter- préter, suivre son inspiration propre et créer par lui-même. Il faut que sa planche porte l'empreinte de sa personnalité et de sa conception. Et si cette conception est grandiose, si cette personnalité est marquante, s'il parvient à un certain degré de finesse dans le rendu et s'il y joint la légèreté et la sûreté de main du praticien consommé, il produira une œuvre par- faite, un chef-d'œuvre. Mais, quoi qu'il fasse, quelle que soit la facilité avec laquelle il manie le burin et la pointe, quels que soient les moyens qu'il mette en œuvre, s'il n'est artiste dans l'âme, il n'exécutera que des planches d'un intérêt secondaire, et les procédés n'au- ront d'autres conséquences, dans ses mains, que d'amener la froideur, la dureté et le manque de vie. Ses estampes ne com- muniqueront jamais cette émotion que l'on éprouve à la vue d'un véritable travail artistique; elles n'auront jamais cette justesse d'expression qui conduit à dire qu'on n'aurait pu faire autrement que l'artiste n'a fait, mais qui, dans sa grande sim- plicité, décourage les compétiteurs impuissants et enthou- siasme les jeunes artistes, pour qui l'espérance teint encore en rose l'horizon de l'avenir. La route est longue du dessin primitif au tirage de l'épreuve finale. Et avant que le cylindre ne fasse sentir son énorme pression au cuivre, pour forcer le papier à aller puiser jusque dans les plus profondes entailles l'encre qu'y déposa le tam- pon, la planche a subi une suite de préparations qui peuvent modifier sensibkment la nature de l'estampe. Tome LU. 2 ( 18 ) Les clichés que donnent les procédés mécaniques sont généralement moins sujets à ces fluctuations. Ils reçoivent parfois au simple toucher du rouleau encreur l'aspect d'un encrage parfait, par le fait même que la photographie repro- duit jusqu'aux moindres effets de teinte et de dégradation, auxquels l'imprimeur en taille-douce n'arrive que par le maniement du chiffon et les caresses de la paume de la main, qu'il prodigue à la planche comme pour la llatter et mériter ses bonnes grâces. Il suit de là que si le graveur veut que l'estampe représente le plus parfaitement possible son idéal, c'est lui qui doit y mettre tous les effets qu'il désire retrouver dans la feuille tirée et pousser son travail aussi loin qu'il est nécessaire, de manière à rendre inutile, de la part de l'imprimeur, une inter- vention exagérée et illicite au fond, une espèce de collaboration faisant que la bonne épreuve est autant l'œuvre de l'impri- meur que du graveur, et n'est plus un estampage de la planche mère, mais une copie dont les noirs sont plus fournis, plus veloutés, les clairs plus brillants et les demi-teintes plus fon- dues, moins crues que dans l'original. Le graveur qui comprend ainsi sa mission n'a rien à craindre de la concurrence des industriels, parce que l'art n'a pas à redouter l'action des procédés mécaniques. Il plane bien loin au-dessus d'eux, dans les sphères éthérées de l'idéal, aux- quelles ne sauraient atteindre ni la chimie, ni la physique, ni la mécanique, nonobstant leurs découvertes surprenantes, les bienfaits dont elles dotèrent l'humanité et les merveilles qu'elles enfanteront encore pour charmer nos sens. Les limites de l'art ne se confondront pas avec celles de la science. Et pas plus que le chimiste ne recueillera en aucun temps au fond de son alambic le vrai parfum de la rose ni le vrai jus du raisin, jamais non plus la science ne produira les fleurs et les fruits de l'imagination. Si la graphique moderne a pu avoir une influence fâcheuse sur les ressources pécuniaires des graveurs, et si, spéculant sur le mauvais goût du public, elle a pu retarder momentané- ( 19 ) prient l'essor de la gravure, elle est incapable de la rem- placer, de la supplanter ou de l'anéantir. Mais elle rendra ce grand service à l'art de la gTavure, d'écarter de son giron les impuissants et les intrus. Elle chassera les marchands du temple; les justes seuls y auront dès lors leur place et, repre- nant les traditions qui ont fait la grandeur de la gravure, y introduisant des éléments plus conformes aux exigences de l'esthétique moderne, ils feront naître une nouvelle école plus magnifique peut-être que ses devancières; car les limites de la gravure ne sont pas plus restreintes que celles des autres arb plastiques. Comme nous l'avons vu plus haut, le rôle que la taille-douce est appelée à jouer dans l'avenir est un rôle purement artis- tique. Quelle est la voie à suivre dans l'accomplissement de cette tâche? Avant tout, le graveur aura à faire un choix judicieux des sujets qu'il traitera ; puis il s'attachera à les reproduire d'une manière digne du modèle. Le choix du graveur se portera tout d'abord sur les chefs- d'œuvre de l'art ancien, qui constitueront le fond de son répertoire, comme les grandes œuvres dramatiques feront toujours la base du répertoire des théâtres du monde entier. Au même titre que les créations de Corneille, de Racine, de Gœthe, de Shakespeare, de Molière, basées sur l'étude approfondie du cœur humain , resteront jeunes tant que l'homme ne changera pas, les tableaux de Van Eyck, de Raphaël, de Rembrandt captiveront, apprendront et seront toujours, comme elles, susceptibles d'une interprétation nouvelle, conforme aux idées contemporaines. En second lieu, le graveur puisera aux grandes œuvres de l'art moderne. Ce sont elles qui agrandissent le trésor artis- tique du monde et qui entretiennent la vigueur, la fraîcheur de la gravure, comme les œuvres dramatiques modernes rajeu- nissent le théâtre d'époque en époque. ( 20 ) Vient ensuite le portrait : la représentation de l'homme pris isolément, l'analyse de son caractère, de son tempérament autant que de ses qualités et de ses particularités physiques, l'image la plus complète de l'individu. Pareille œuvre sera de tous les temps, elle intéressera toujours, parce que, comme le dit Pope, l'homme reste toujours le plus digne sujet d'étude pour l'homme. Mais, si le portrait gravé d'après nature laisse une grande latitude à l'artiste, tout en exigeant de lui toutes les qualités qui distinguent le portraitiste, dans l'interprétation des œuvres picturales, le graveur devra pouvoir faire le sacrifice de son ima- gination et de son interprétation personnelle de la nature, pour s'appliquer à rendre le plus exactement possible le tableau qu'il a devant lui. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait qu'à le copier servilement et machinalement. Ce n'est pas, en effet, tel qu'il est que le graveur est appelé à le rendre, mais bien plus selon l'impression qu'il produit sur lui. Il doit cependant respecter l'idée de l'artiste créateur, s'identifier avec l'œuvre de celui-ci et tenir compte de sa manière, de son coloris, de sa touche, autant que de sa composition et de son dessin. Considérée à ce point de vue, la gravure, tout en occupant une place secondaire dans la grande famille des arts, n'en exige pas moins beaucoup de talent, un grand sentiment artistique, des connaissances et des aptitudes spéciales, capables de lui faire remplir un rôle glorieux. D'ailleurs, les évolutions de la peinture offrent à la gravure un champ toujours nouveau à glaner et l'interprétation du graveur, comme les moyens dont il se servira pour traduire l'œuvre primitive, suivront de très près la marche de la pein- ture dans ses diverses phases. Ainsi, en peinture, les œuvres de l'idée, de l'inspiration, de l'imagination ont fait place aujourd'hui, et jusqu'à un certain point, à des toiles reflétant Timpression subite reçue par l'artiste à la vue d'une scène se passant sous ses yeux, ou d'un aspect attrayant de la nature. La valeur picturale de ces tableaux modernes réside princi- palement dans la fidélité du rendu, dans la vibration de l'air ( 21 ) ambiant, autant que dans le jeu de l'ombre, de la lumière et dans le coloris. Il faut, pour la réalisation de ces qualités, plus d'habileté que d'esprit créateur, plus de technique que d'ima- gination, plus de science matérielle que de sens poétique do composition, de groupement et de dessin. Ces tendances nouvelles en peinture ne sauraient être rendues par le burin au moyen des procédés qui suffirent à d'autres manières, et par ce fait seul déjà le graveur est forcé de modifier ses moyens d'action. Il s'identifiera donc avec l'esprit du peintre tout en y met- tant son esprit propre, et ceci autant pour ce qui concerne la reproduction des maîtres anciens que pour l'interprétation des chefs-d'œuvre modernes. Telle est la marche qu'a suivie la gravure tant qu'elle a fourni des œuvres vraiment remarquables; son histoire nous l'ap- prend. Les estampes primitives avaient l'aspect de simples dessins au trait, dans lesquels l'artiste n'eut d'autre préoccu- pation que de rendre avec précision le contour du dessin primitif, en y indiquant timidement les ombres et les clairs. Quel qu'ait été le procédé mis en usage pour réaliser ces planches, on ne saurait les considérer comme des estampes en taille-douce dans le sens vraiment artistique du mot. Ce n'est qu'à partir du moment où les grands maîtres du pinceau ont exercé une influence immédiate ou même indi- recte sur les graveurs, que la gravure est devenue véritablement un art. En poussant plus loin cet examen, on constatera, par exemple, que dans les estampes de la période gothique on chercherait vainement les effets de ce qu'on est convenu d'ap- peler le clair-obscur. Il serait plus juste peut-être de dire que les graveurs du XVe siècle ne connaissaient que le demi-ton à l'exclusion de l'obscur ou de l'ombre proprement dite. Il a fallu que le clair-obscur fît son apparition dans la pein- ture pour qu'on en retrouve la trace dans l'estampe. Et quand on songe que les tableaux de la Renaissance se distinguent précisément par des dispositions identiques, on sent qu'une ( 22 ) même atmosphère entourait les peintres et les graveurs de cette époque, que la môme conception esthétique faisait vibrer leurs âmes. 11 n'est donc pas étonnant que les estampes les plus remar- quables aient été dans tous les temps et dans tous les pays produites sous la direction immédiate des grands peintres, si pas directement par eux-mêmes. N'est-ce pas, en effet, quand Rubens guidait la main de Lucas Vorsterman, de Schelte à Bolswert, de Paul Pontius, ou de Corneille Galle, que ces artistes exécutèrent les œuvres les plus parfaites? N'est-ce pas l'influence directe de Raphaël qui forma Marc-Antoine Raimondi? N'est-ce pas Léonard de Vinci qui fit surgir l'école de gravure de Milan? Ne peut-on enfin établir les mêmes rapprochements entre Henriquel Dupont et Paul Delaroche et Ingres, et, pour rester dans notre époque et dans notre pays, entre J.-B. Michiels et Dyckmans? H a été dit un mot du choix que doit faire le graveur, des œuvres qu'il veut convertir en estampes. Cette question est assez importante pour y revenir un instant. Le graveur doit, avant tout, être épris de son sujet, le comprendre et le sentir, sous peine de travailler sans chaleur, sans enthousiasme, ou de rester au-dessous de sa tâche. Un exemple, pris tout près de nous, confirmera cette manière de voir. Le chef-d'œuvre de J.-B. Michiels est bien certainement son Aveugle d'après Dyckmans. N'en est-il pas ainsi parce que la manière du peintre était en harmonie avec le tempérament du graveur; parce que celui-ci se rendait parfaitement compte de la finesse d'exécution, de la minutie même du modèle, en un mot, parce qu'il comprenait l'œuvre, qu'il est parvenu à la rendre avec tant de mérite et de vérité? Si l'on compare cette page remarquable avec son Rarlhel de Haze d'après Leys, on constatera au premier coup d'œil l'infériorité relative de cette dernière gravure, quelque belle qu'elle soit d'ailleurs. C'est que Leys était trop robuste, trop vigoureux pour son interprète. Si les teintes fondues du fond, les personnages de ( 23 ) Parrière-plan rappellent le tableau du grand coloriste, la scène principale est loin de produire l'effet qu'on admire dans P 'Aveugle. Et cependant Michiels a été conseillé et guidé par Leys, comme il l'a été par Dyckmans; il a donc, sous ce rapport, travaillé dans les mêmes conditions. A quoi saurait-on alors attribuer cette différence dans le résultat linal, si ce n'est a la cause signalée plus haut : à un choix malheureux? S'il est utile pour le graveur d'apprendre à saisir l'esprit des tableaux modernes sous la direction et en collaboration pour ainsi dire des peintres eux-mêmes autant que par sa propre appréciation, son sentiment artistique personnel, il est indis- pensable qu'il soumette les chefs-d'œuvre anciens à une étude approfondie. Il devra se les approprier, en être tellement pénétré par l'observation et l'étude, qu'ils lui apparaissent comme expliqués par leurs créateurs mêmes. Si les plus belles pages du passé, toujours neuves, grâce à leur jeunesse perpétuelle, ont exercé une grande influence sur la gravure à toutes les époques de l'histoire, elles l'inspire- ront encore bien longtemps dans l'avenir. Au XVIIe siècle, les tableaux d'Eustache Lesueur, de Nie. Poussin etdeCh. Lebrun eurent pour interprète G. Audran. Au XVIIIe siècle, les chefs- d'œuvre de Raphaël, de Léonard de Vinci, du Corrège, du Titien, de Van Dyck, d'André del Sarte inspirèrent Boucher- Desnoyer, Strange, Raphaël Morghen, Toschi, comme au XIXe siècle Raphaël eut pour traducteurs Muller, Jacoby, Biot; Rubens fut interprété par Earton, Green et Corr, et Rembrandt, par Flameng. Et chacune de ces interprétations a son caractère spécial, parce que de véritables chefs-d'œuvre peuvent être envisagés et compris de différentes manières; c'est là ce qui les éternise. En comparant, sous le rapport de l'exécution, les estampes des grands maîtres de l'art, on remarque que chacun d'eux travailla à sa manière et eut, ou plutôt inventa son procédé individuel, le variant à l'infini selon l'effet à produire ou la composition à rendre. ( 24 ) Ni Albert Durer, ni Lucas van Leyden, ni Rubens, ni Van Dyck, ni Rembrandt, ni Ruysdael n'ont gravé ou ne tirent graver d'une manière identique. Aucun d'eux ne fut l'esclave ni même l'élève d'une école quelconque. Tous furent indivi- duels en gravure comme ils le furent en peinture; et dans l'une comme dans l'autre manière d'exprimer leurs idées, leurs impressions ou leurs sentiments, ils se créèrent une école à leur usage personnel, la seule qui pût les servir dans la manifestation de leur génie. Par contre, les graveurs qui attachaient une importance exa- gérée au procédé, ceux qui cherchaient à produire les effets qu'avaient obtenus leurs devanciers, par les mêmes moyens, devinrent maniérés. C'est l'écueil le plus redoutable pour les graveurs qui ne sont pas artistes dans l'âme. Le maniérisme tua les écoles de gravure qui se sont pro- duites successivement, comme il a contribué à l'anéantisse- ment de toute école artistique, plastique, littéraire ou musi- cale, et cela parce qu'il confond le moyen avec le but à atteindre. C'est au maniérisme qu'on doit, par exemple, cette longue suite de graveurs d'après Rubens, parfois corrects et habiles, souvent savants, mais froids et raides toujours, qui se chauf- fent encore de loin aux derniers rayons du brillant soleil, mais n'en projettent aucun eux-mêmes. Il ne serait pas diffi- cile de citer d'autres faits du même genre. Cependant les graveurs vraiment dignes de ce nom sont maîtres en leur art, ils choisissent les œuvres du peintre qu'ils préfèrent, qu'ils comprennent le mieux, et les rendent comme ils les com- prennent. Ils ont toujours leurs moyens à eux, moyens qu'ils ne laissent jamais dégénérer en maniérisme, parce qu'ils les varient à l'infini, qu'ils en inventent à chaque instant de nouveaux et en créent spontanément si les procé- dés de leurs devanciers ne leur donnent pas les résultats qu'ils veulent obtenir. Et ce sera leur triomphe, le brevet d'immor- talité de leur œuvre, que d'exprimer d'une manière person- nelle ce qu'ils admirent. Ils ne s'obstineront pas dans une ( 25 ) originalité exclusivement personnelle; leur originalité éma- nera du maître-peintre et sera en harmonie avec son tem- pérament. Et dans cet ordre d'idées, il serait bien diflicile, pour in- citer qu'un seul graveur moderne, de déterminer à quelle école, à quelle manière appartiennent les ehefs-d'œuvres de Gaillard, un de ces talents qui font époque dans l'histoire de l'art. 11 agit comme les grands maîtres du passé : il a son école et fait usage de sa manière; c'est tout ce qu'on peut en dire. Et s'il ne fallait pas se borner aux planches gravées sur métal, il conviendrait de joindre au même titre à ce nom, celui de Ch. Baude qui, lui aussi, s'est créé un art tout personnel. Le rôle de la gravure en taille-douce depuis les derniers perfectionnements de la photographie et celui qu'elle est appelée à jouer dans l'avenir, est donc de reproduire et de vulgariser les chefs-d'œuvre de la peinture, mais d'exécuter ces reproductions d'une manière vraiment artistique et sans s'inquiéter de la perfection plus apparente que réelle, incon- testablement trompeuse et anti-artistique des procédés méca- niques, qui ne fourniront jamais une œuvre d'art. La taille-douce trouvera de plus son application, comme par le passé, dans l'exécution du portrait d'après nature, et sans passer par l'intermédiaire de la chambre noire. Cette double voie présente à la gravure un champ d'action assez vaste, assez fertile pour qu'elle s'y développe et reste un art, au grand avantage du progrès et de la civilisation. Et en ce qui concerne la Belgique, si ce n'est qu'au prix des plus vigoureux efforts et des plus généreux sacrifices qu'elle conservera la place qui lui revient sur le marché des produits de l'art industriel européen, cela n'étonnera pas si l'on songe que les éditeurs d'estampes d'une grande cité comme Paris, Londres, Vienne ou Berlin s'adressent dans leur centre à une clientèle plus considérable que celle qui se trouve répandue sur notre territoire entier. Mais si un pays petit par son étendue, comme notre patrie, ne saurait, en toute circonstance, entrer en compétition avec Tome LU. 3 ( 26 ) ses puissants voisina, un pays grand par son art, comme la Belgique, a le devoir de soutenir la lutte sur le terrain artis- tique. Que la Belgique élève donc ses aspirations artistiques, qu'elle prépare et facilite le développement des dispositions innées, des aptitudes spéciales de ses enfants, qu'elle les encourage grandement, mais dignement, et elle pourra regarder l'avenir avec confiance, comme elle peut se glorifier de son passé! TABLE DES MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME LU SCIENCES 1. Hyphes vasculaires du mycélium des autobasidiornycèles (50 pages et 4 planches): par Ch. Van Bambekc. 2. Sur le système focal (II pages); par Cl. Servais. 3. La projectivité imaginaire (54 pages et Iplanche); par le même. LETTRES 4. Histoire du conseil privé dans les anciens Pays-Bas (Mémoire couronné, 420 pages); par P. Alexandre. BEAUX -ARTS 5. Le rôle de la gravure en taille-douce depuis les derniers perfectionnements de la photographie (Mémoire couronné, 26 pages); par Paul Buschmann. Il llll II 11' l 3 2044 093 292 290