/fc/^ â^so ' tL HARVARD UNIVERSITY, LIBRARY MUSEUM OF COMPARATIVE ZOOLOGY. '^ t)^^. %\V\ I OCT Q ."0 ^S Vkûi fS MÉMOIRES COURONNÉS î ET AUTRES MEMOIRES PUBLIAS PAR L ACADEMIE ROYALE DES SCIEKCES, DES LETTRES ET DES BEAIX-ARTS DE BELGIQIE COLLECTION IM-So. _ TO-lIE LIX :C BRUXELLES IIAYEZ, DIPRIMEUR DE L ACADEMIE ROYALE DES SCIE^'CES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE rue de Louvain, 112 Juin 1899-Juillc( 1900 MÉMOIRES COURONNES ET AUTRES MÉMOIRES, MÉMOIRES COURONINÉS ET AUTRES MEMOIRES Pl'BLlES lAn l'académie royale DES SCIEKCES, DES LETTRES ET DES CEACX-ARTS DE BELGIQUE COLLECTIOM lIV-80, _ TO.IEE LIX. BRUXELLES IIAYEZ, I»IPRI51EUR DE L'ACADÉJIIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE rue de Louvain, 112 Juin 1899-Juillcl 1900 A}. SUR LA FONCTION»^' DE RIEMANN iiiiî iB iiiBEEs nmm \mmm A UiNE LIMITE DONNEE F AU Ch.-J. DE LA VALLEE POUSSIN fnrrfspondarit de l'Acadt^mip roviile de Belgique (Présenté ;j la Cltissc des sciences dans la séance «lu 4 juin 1898.) Tome LIX OCT P 190} INTRODUCTION RELATIVE A L'OBJET DU MÉMOIRE (*) Je me suis occupé à plusieurs reprises, dans les Annales de la Société scientifique de Bruxelles, de la théorie des nombres premiers. La fonction de Ç {s) de Riemann joue dans cette théorie un r(51e fondamental. J'ai démontré, pour la première fois, dans mes Recherches sur la théorie des nombres premiers (**), que la fonction Ç(s) n'a pas de racines de la forme 1 h- ,8i. M. Hada- mard a également, avant d'avoir eu connaissance de mes recherches, trouvé le même théorème par une voie plus simple. L'importance de ce théorème est considérable, par le nombre des conséquences asymptotiques que l'on peut en déduire. (*) Voir le rapport de M. Mansion sur ce Mémoire (Bulletin de V Académie royale de Belgique, juillet 1898). — Depuis que ce Mémoire a été soumis à rappréciation de l'Académie, nous avons refait tous les calculs numé- riques en y apportant plus de précision. Nous avons aussi perfectionné notre travail sur plusieurs points de détail, et nous avons tenu compte des conseils de M. 3Iansion. C'est ce qui explique les légères divergences que l'on remarquera entre le présent Mémoire et l'analyse que M. Mansion en a faite. (**) Annales de la Société scientifique de Bruxelles, 1896. (4 ) Celle qui a peut-être le plus d'intérêt par le nombre considé- rable de travaux auxquels elle a donné lieu, s'exprime par le théorème suivant : Le nombre des no^nbres premiers inférieurs ù \ a pour expres- sion astjmptotique, lorsque x esl (jrand, r'-'du f du 0 l+ï avecnne erreur qui devient infiniment pelite par rapport ù Li (x) quand x tend vers l'infini. La démonstration de ce théorème a été publiée pour la pre- mière fois dans un article de M. von Mangoldt (*). On trouve aussi dans cet article des renseignements histo- riques qu'il est intéressant de reproduire (**). Le pressentiment du théorème précédent a été d'abord exprimé par Dirichlet en 1838 ***), puis par Gauss en 1849 (iv). C'est Tchebychev qui a le premier donné deux limites certaines où Ton peut renfermer le nombre des nombres premiers (v). Mais cet intervalle, quand x croît indéfiniment, n'est pas une fraction infiniment petite de sa limite supérieure, car il reste égal au -^ au moins de cette limite. Sylvester, dans (*) Ueber eine Amvendung der Riemann sche Formel fur dieAnzahl der Primzahlen miter einer gegebenen Grenze. (Journ. f. d. reine u. angew. Math., Bd 119.) (**/ On lira aussi avec intérêt, à ce point de vue, le savant rapport de M. Mansion sui' notre Mémoire. (***/ Lejeune-Dirichlet. Werke, Bd I, 2^ note, p. 372. (IV) Lettre à Encke. Werke, Bd II, pp. 444-447. (v) Journal de matkématigues, t. XVII, 1852, p. 389. ( ^ ) son article sur le travail de Tchebychev (*) n'a pas réussi à pousser plus loin l'approximation. On voyait donc bien que Lî (a:) représentait approximativement le nombre des nombres premiers 0; mais comme ses deux membres représentent des fonctions synec- (*) Meyer, Bestimmte Intégrale, § 52. (Leipzig, 1871), et Limbourg, Théorie de la fonction T. (Mémoire Acad. de Belgique, t. XII.) ( " ) tiques de la variable imaginaire a pourvu que la partie réelle de a soit > 0, l'équation (7) subsiste aussi sous cette seule condition. Soit donc il = u -^ ti, où u et t sont des variables réelles, la première positive; nous allons chercher une limite supérieure de l'intégrale de l'équa- tion (7). On a, pour a; < 0, mod Iog(l — e-''^''") < — log (i — e--' "'}; par conséquent. mod 0 Par la substitution r^"'==:j, cette dernière intégrale devient — / -^ ~dz = / 1 -+-- + - -4-... t/z zuj z "îini,/ \ :2 3 / 1 0 — M * 1 -..,.)=- 3'^ I \'lu Désignons donc par G une quantité de module inférieur à l'unité; pour a = w -+- ^i et w > 0, l'équation (7) pourra se mettre sous la forme r'(a) . I 0 (8) — — == log « H 7. Cette équation va nous servir à trouver une expression approchée de la partie réelle du premier membre. Convenons de désigner la partie réelle d'une quantité com- ( 12 ) plexeen faisant précéder celle-ci de la caractéristique /R. On a, pour a = 1/ -H ti, Si logo = -log(u"- -♦-/')= log I M -+- -log M -t- — j- Si l'on suppose i^- < t^, on aura, en désignant par 6,1 une quantité > 0 et < 1, ^loga=log|«|H-^-. On a ensuite, eu égard à la signification de $, ■'i (ù = =zi=zir = ^ ( \ <^ ^^ <^ \ 3{ 2a 2(i/' -f- l') Donc l'équation (8j donnera, pour r^ > u'^, ^ F'iu -h ti) , , // / 1 u-\ (9). . l r{ii ^ ti) ''' ' "liu'-hl-) \\2u\t\ ^2tV {—\ <ô < 1). § 3. Évaluation de ^ ., , ^•- 8. Considérons de nouveau des sommes étendues à toutes les racines imaginaires p = a -f- j3? de '(^{s). On a identiquement ( rs ) Donc, en ajoutant membre à membre avec ^ I — a = 2 il vient ,V ^-« V * V (l-a)(^2a— 1) ^ 277— TTTT^. =2 -— ^ -*- 2- '(1 —a)-^ P'- ^ a' -^ |3^ ^(^. ^ ^.^^1 _ ^-^ _^ ^2^ D'ailleurs la dernière somme ne devant pas changer par la permutation de a en 1 — a, est aussi égale à 1 (i — «)(2a — D-f- a(l — 2«)_ 1 ^ (Î2a-1)- et l'on trouve, par conséquent, D'ailleurs, puisque (3 est toujours > 12 en valeur absolue et (2a — 1)- < 1, cette dernière somme est inférieure I 1 y 1 _ ' y ^ Cl -7—2 ^ ,/-i . A^ C)«Q ^ 212 '^■' -+- 1^' 288 ^ a- -+- (3- et l'équation (10) donne V. 1 2 ^ a 0,046192 H'). - 2-r-T^< r2^-T^<-^ — r •^ «^ -+- fc- I -" a- -+- 6 1 ^ I ^ 1 288 288 en vertu de l'équation {b). ( 14 ) § 4. Évalualion de S jj^n^ii^y 9. Nous désignons dans ce qui suit par \i une quantité réelle et positive > 1. On a, p étant égal à a -t- pi, 2 (^ _ ^)^1 _ -) 2 [^„ _ ^^. ^. ^.J[, _ «). ^ p.] Dans cette dernière somme, on a identiquement i \ (2a — u)u et par conséquent, en substituant cette valeur, (U — a)(w — 2a -4- 1) ^ (w — a)(w — 2a -4- 1) ^ (m — a)(2a — z/)(^ — 2a H- n -^ '' 2 [(^ __ «). ^ p^][,. ^ p^] [(1 _ ^y ^ ^^] Si 2 a est < w, on a, au dernier numérateur, 0 > (m — a)(2a — U){u _ 2a -+- 1) > — 1/'(m -4- 1). Si 2 a > w et a < M, on a 1 u 0 <(m -a).(2« — u)[1 _(2a — (/)] 1 , puisque [^2 > 444, (m — a)(M — 2a -+- 1) ^ (1/ — a)(i< — ^g-^-i) (13) ( -+-^2 (a^-i-p-'KI-a -4-p^) tl^(î/ H- 1) 1 varie dans le voisinage de l'unité. C'est à ce point de vue que nous allons l'utiliser. Si l'on remarque que, dans la formule (14), on a par (11) -2- -772 ^ n' <— >-^^< 1 0,046192 2 f 16 ) cette formule pourra aussi s'écrire C =\U- — - -t- T > — — -— 0,046192 i , u \ il ^1 } (1S). r) iU - § o. Évaluation approcliée de H-') "^l.'-) 11. Nous allons encore indiquer la manière de faire ce cal- cul quand u est réel > 1 et voisin de l'unité. On a, par la formule de Gauss, l'équation T{a)'^ ' J \ —X dx. J \—x J 1— a' 7 ^ ^ „é, „é, \2w-Hw 2;iH-l/ •=_2(m — n\ „^i(2n -f- 1)^-+-(2?î -+- 1)(m — 1 (2w"-t- 1)^ 2(?( — 1)^ -H 2(m — l/"^ , ,^.(2/1 -f-1 ( n ) On a d'ailleurs (') 23570 05S01 2 J^^f = (' - 5)2 r - ' = «'0^17» 97905 2 (2/î H- i)* -*^(2w -H If 8/— // --!-.-' =0.0 .01467 8051G 1 — -!- W -- — 1 = 0,00452 37628 32/ '•^ /r 1 =—1^ - — 1 =0,00144 707GC 64/-^ n*' ^ (2w -4- 1)« 2-^ = ( ^ (2» -4- If \ 2,^ ' ,.- (i -4rJ2 -.-1 =0,00005 13452 ^ (2w -I- if \ o12/-^ n^ -7^)2,7-^=0,00047 15487 — 4t)5 -8— ' -0,00015 51790 En substituant ces valeurs dans la formule précédente, on obtient la formule propre au calcul que nous voulions établir. § 6. Évaluation approchée de %'u 12. Nous avons besoin d'évaluer approximativement — pour u réel et voisin de l'unité par excès. Ce calcul est devenu facile, moyennant les résultats qui précèdent. Changeons s en w, puis 5 en 1 dans l'équation (2) et sous- (*) Les sommes lii~- = s^, Iii'^ = 53,... ont été calculées parLegendre. (Voir Lacroix, Traité du calcul différentiel et du calcul intégral, t. III, seconde édition, p. 449.) 2 18) trayons membre à membre les deux équations ainsi obtenues nous trouverons 1 -=C— - ^u w — 1 2 \-(h') ^•(i)l i u — p){\ —p) =0,57721 5GC5 0,18750 915 (M — i; Donc, par la formule (15) et par celle du paragraphe précé- dent, il viendra K'u 1 lu u — ^ -4-0,05I79 979(«—l;'^— 0,01467 803(«-1)' (16) ( +0,00452 57C(«- 1)^-0,00144 708(t/— 4)» j -+-0,00047 155(w — l/ -0,00015 518(M—1)' f -H0,00005d35(M— 1)«— — (W— l)cr, en posant, pour abréger, comme au n® 10, (i7) . . ''=(«'-5 + -)2 ^=r, Nous allons faire deux applications de cette formule. 13. Première application. Posons d'abord m — 1 l'équation (16) donnera, en changeant les signes, '3^ i\ 1 'S 2 =. — 0,57721 5G6 -t- 0 09575 456 — 0,01294 995 -+- 0,00185 475 — 0,00028 279 -h 0,00004 522 — 0,00000 757 -+- 0,00000 121 — 0,00000 020 -f. ... . ( 19 ) On trouve une limite inférieure du second membre en bor- nant la sërie, qui a ses termes alternativement positifs et négatifs, aux termes écrits ci-dessus, dont le dernier est négatif, et en négligeant le terme complémentaire -^_-, qui est positif. On obtient ainsi (18) -^ > 1,50517 98 (:-) 14. Seconde application. Nous allons supposer que w — 1, encore positif, est < j^* Dans ce cas, comme le montre la formule (15), le dernier terme (w — 1) cr de la formule (16) est inférieur en valeur absolue à 1 0,046192 / u \ r< 0,00001 78, 12 143,5 \ 2 cette valeur s'obtenant en remplaçant l"- — ^-^'^] par la quantité supérieure 5- On a donc par la formule (16), pour u — 1 < ^, en arrêtant la série à son quatrième terme qui est négatif, 0,18751 0,05179 0,01468 12 "*" (12)'^ (12)' K'v -4- 1 ^ 0 H7791 ^fi Ku U — 0,00001 78 > 0,56192 29 §7. La partie réelle ol des racines a -4- jiii ne peut différer de i que si \ ^ \ est > 28 (*). 15. Reprenons la formule (3), qui peut s'écrire ni... ' -^s—ç, s-\ 2 2 /s \ ^z?"" (*) Dans le manuscrit soumis à l'examen des commissaires, nous avions ( 20 ) la dernière somme s'étendant à toute les puissances ^t;* des nombres premiers. Nous aurons, dans ce paragraphe, à considérer une série d'inégalités. Pour en simplifier l'écriture, nous conviendrons que lorsque nous écrirons des inégalités entre quantités imagi- naires, ces inégalités se rapporteront toujours aux parties réelles des deuxj membres. Soit, comme dans les paragraphes précédents, s = u -*- ti, où u et t sont réels ; on aura d'abord Ip car cette inégalité revient, par la convention qui précède, à cos(intlp)] > 0, qui est évidente, tous les termes de la somme étant positifs. Changeons s en u dans la formule (19) et ajoutons membre a membre; on aura, en vertu de l'inégalité précédente. (20). 2 < s — p — lyr-k- il '■'î M— 1 "i- ) WJ-) 16. C'est sur cette inégalité (20) que nous allons raisonner pour trouver une limite inférieure de P quand a diffère de i. Pour cela nous supposerons que a h- pi est une racine de ^s où a diffère de i et où p > 0, et nous poserons, dans la for- déduit la limite inférieure de p d'une formule que nous établirons plus loin. (Voir le Rapport de M. Mansion.) La méthode nouvelle exposée dans ce paragraphe fournit une limite un peu plus élevée. ' 21 ) mule (20), ?/ = 2 et / = [i, donc .ç = 2 -+- âî, Nous allons (rans- former, dans celte hypothèse, les diftérents termes qui s'y trouvent. Nous avons d'abord à étudier la somme I ^ • Tous les termes de cette somme ont leur partie réelle positive, car celle de s est > 1 et celle d a < 1. Nous diminuerons donc la partie réelle de la somme, en limitant celle-ci à un certain nombre de ses termes. Nous bornerons cette somme aux deux racines a -»- pi et 1 — a -♦- ^i qui existent toujours et sont différentes, a étant supposé différent de i (n° 3, 3°). On obtient ainsi, pour i- = 2 -f. 3i, V. 1 1 1 3 4 (2i) y — > — -^ — = > I, ce minimum ayant lieu pour a= ^. Passons à l'évaluation du second terme de la formule (20 . On peut l'écrire comme suit : et, par les formules (lo) et (14), 0,046192 c < 145 r < 192/, « ,5 l ^i 4.144 Dans le cas actuel, u = 2 et il vient ^ 1 ^ , v_ g 0,046192 ( 22 ) Ce dernier terme négatif est inférieur à 0,000968 en valeur absolue; le précédent se calcule par la formule (5). Il vient ainsi (22) 2 > 0,068319. Nous arrivons maintenant au dernier terme de la for- mule (20). Pour u == 2, on a par la formule de Gauss, déjà utilisée au n^ 11, (25) (i n^- r(2) Substituons les valeurs (21), (22) et (23) dans l'inégalité (20), où l'on a M = 2, s = 2 -»- Si; il viendra a fortiori, à cause du sens des inégalités 21 et 22, i 1 - -+- 0,068319 < ■ 3 1 . S' I —h na + Li Ki') -+- 1 On en tire, en muiti pliant par 2 et en effectuant les calculs numériques, F' 2 2,66998 < (-3 1 -+- p'- Remplaçons encore f : F par son expression tirée de la formule (9) ; nous aurons encore a fortiori, S étant positif, 2,66998 < log ^ I2S i' 16 -H 3' 1 -+- 3* ( 23 ) d'où, en observant que j^r^ > j^ ~ * % ®l ÎT3^ < jv (24). . ,„g|>2.669«8__--(6-.-). Comme on sait déjà que p est > 12, la dernière parenthèse est inférieure à 6,5 ; donc log ^ > 2,66998 — 7^ > ^i,6 1 7 (3 ^ 7,5 - > 2,66998 — & > :27,38. On peut donc supposer maintenant ^ > 27,38 dans la for- mule (24). Dans ce cas, la parenthèse de cette formule est inférieure à 6,1 et l'on a S 100.08 lo- - > 2,66998 — > 2,65879 ^2 12(27,38)'' p> 28,558; de là le théorème suivant : 17. Théorème. La fonction Ç {s) n'a pas de racine imaginaire a -+- ,Qi où a diffère de ^, à moins que ^ ne soit plus grand que 28,558 en valeur absolue. CHAPITRE H. Recherche d'une limite supérieure de la partie réelle DES RACINES p. § l«f. Démonstration d'une inégalité fondamentale. 18. Posons s => u -*- H. Nous supposerons, dans tout ce chapitre, que u est une quantité réelle, voisine de l'unité par excès, et que t est réel, positif et > 12. ( 24) L'équation (3), eu ëgard à l'identité ^■'^^2 '" =0. t(s) ^f-\ peut évidemment s'écrire ,., V ^ _ * '.o~..''''^"^'' -2 Ip Ip 1 '(^'u p"- i ' f — \\ ^u On a 2lp ^ Ip X^ ^P r où la première somme s'étend à tous les nombres premiers successifs et les deux suivantes à toutes les puissances p'" des nombres premiers. On aura donc ^ l\JL^^Jp^^slL(^^,osmap) et la somme du second membre s'étend à toutes les puis- sances p'" des nombres premiers. Remarquons maintenant qu'on a l'équation 1 , , ^ , 1 — cos 2m//p - (1 — cos mtlp) (1 -♦- cos mtlp) = ; 2 4 ii viendra, en multipliant respectivement les termes de la der- nière somme (qui sont tous positifs) par l^^^^î^î^, qui est >Oet <1, ^ 2 I -r^ ■*- -7^1 > 7 5 — (^ — cos 2mf/p). Afin d'abréger l'écriture, nous allons convenir une fois pour toutes que, lorsque nous écrirons des inégalités entre quantités ( 25 ) imaginaires, ces inégalités se rapporteront aux parties réelles des deux membres seulement. Moyennant cette convention, l'équation (2o^ nous donnera par l'inégalité précédente (2(ii \ \ \ 2 < -,Io,r-. -^ .s c S 1 ^ JL (i _ cos '2 milp) Posons maintenant s' = u -t- ^ti. On peut écrire une équation analogue à (25) en changeant le signe des deux termes en u qui se détruisent et en changeant s en . 1, tous les termes du premier membre ont leur partie réelle positive, puisque p a la sienne < 1. L'inégalité (27) subsistera donc a fortiori si l'on borne le premier membre au seul terme de la première somme relatif à la racine particulière p = a -4- pi. Si l'on fait alors f = |3, ce terme unique se réduit à \ Faisons maintenant tendre u vers l'unité; il n'y a qu'un seul terme au second membre de (27) qui puisse croître indéfini- ment, c'est le premier de la seconde ligne, qui devient infini comme 5 1 4 w — 1 Donc a est < 1, sans quoi le premier membre de (27) finirait par surpasser le second. Mais on voit facilement que l'on peut obtenir une limite inférieure de la différence 1 — a. Nous ne nous contenterons pas de la démonstration générale qui résulte de la formule (27), parce qu'il y a moyen d'abaisser davantage la limite supérieure de a, comme on le verra au § 4. Nous allons cependant exposer en détail cette démonstration, parce qu'elle est plus simple que celle que nous exposerons ensuite et rendra l'intelligence de celle-ci plus facile. D'ailleurs, les calculs que nous allons faire ne nous seront pas inutiles. ( 27) 20. Substituons au second membre de la formule (27) les valeurs suivantes, tirées de la formule (9) : Si i \ 2 '-) i l -2 / 8 iu-h'2ti r r, -2(u4-2) / 1 (ii-^2)'\ L ^ {u-i-2f-^U' V6(w-H2)f St' I la formule (27) deviendra (W28) y H - > < - 0'' -+- ^(uj) ^ ' ^s — p l,^s' - . S "" r 2 i tu ^^ où o {u, t) désigne l'expression, évanouissante avec l : ty i u — 1 1 u — 1 M -♦- 2 f = (29). . (m — 1 )^ -^ r^ 4 (m - 1)* -+- At^ [u -t- 2f -«- (' I w -+- 2 r 5 i7/w + 2\n 4(M -+- 2f -+- 47^"*" ^^ L^^" -*--)' "*" C4\ f / J' Dans cette formule, 0 est compris entre — t et -+- 1. On peut aussi mettre cp (u, 0 sous la forme ?(w,') = — 5 (30). /*—(« — 1)(w -H 2) [[U — \Y^ l-][[u -t- -2)- -H /T 3 4/--Î — («_ i)(i.Y -f- 2) 4 [(u — 1)- -+- 4/^] [[u -+- -2)- -+- 4^*] 3 1 17/uf-2^* 1(3 (m -♦- 2)« G4 \ f Comme t est > 12, les deux premiers termes du second membre qui sont négatifs l'emportent certainement de beau- (28) coup sur le second des termes entre crochets si m — 1 est petit; et l'on a, si f est positif, 5 i i (31) ?{nJ)< < . car, u étant > 1, m -4- 2 sera > 3. 21. Nous allons utiliser immédiatement ce résultat. La formule (28) peut s'écrire, en abrégé, (32) 2 -^7 2-^ <7^ -f.-logf~m, ^ s — 0 4^5 0 4 M — 1 8 en posant 5 1-2 5 /t'u \ \ = -10StH 1 -4- • ». 8 " 2 4\Cm w — 1/ ^ On a mamtenant, pour m — 1 ^j^' -logT > 0,71545 o /2 -> 0,34657 ) = 1,48346..., 4 \Çm w — 1; la dernière inégalité se déduisant de .la formule finale du n? 44. Donc m > 1,4834 -:j^^. 22. Soit maintenant p == a -+- |3i une racine de Ç(5); bornons le premier membre de la formule (32) au seul terme de la pre- mière somme relatif à cette racine et faisons f = (3; il viendra a fortiori ^ 3 1 (33). . . . < 7 -+- h log p — m, u — a 4 « — 1 ( 29 ) en posant, en abrégé, 5 1 (34) /, = - et m=l,i834 ^ ' 8 163 On lire alors de la formule (33) I w — 5 1 (/M0g6 — m) 4m— I et, comme 1 — a = u — a — (m — I), (u— 1)(/ilogS — m) 4 i - a > ,,— ô \ H (/i log 3 — w) 4 M — I Posons, pour simplifier, x pouvant être choisi arbitraire- ment avec u, X (35) {u — \)(h\osô—vi) = x, d'où u—\=^— — ;; ; ^ /\ c r /ilogp — m il viendra i X — ix* i —a > /i log p — J« 5 -«- 4x Le maximum de cette fraction en a; a lieu pour 21/T— 5 X — 4x' 7 , /- X = ' d'où = »/ 0. 4 5 -+- 4x 4 On en conclut, par conséquent, comme 1/3 = 1,73205, n ,/^\ 1 0,01795 (36). . l-a> 7 — 1/3^ (37). . M — 1 = 4 /A log S — m h log p — 1)} 21/5 — 5 0,11602 4(/i log p — m) /i log 8 — ( 30 ) 23. Si l'on remplace dans ces expressions A et m par leurs valeurs (34), il vient 0,0-2872 (38) . . . 1 - a > '- logp — 2,5734-4- — O.J8o63 (39) . . . u-\^ -■ logp- 2,5734 H- — La formule (38) donne la limite inférieure de 1 — a que nous voulions obtenir. Mais, pour qu'on puisse l'appliquer, il faut, comme nous l'avons supposé, que u — 1 soit < ^« Cela aura lieu, d'après la formule (39), si logp - 2,5734 > 12.0,18o63= 2,2275 log S > 4,6009, et, par conséquent, p > 99,56. Remarque — Si l'on substitue cette valeur limite de p et de son logarithme dans la formule (38), il vient 0.0287 I _ a > > 0.0128. 2,228 ' Si ,3 est < 99, o6 ou 100 environ, on ne peut plus appliquer la formule (38), mais la valeur de i — a sera au moins égale à celte limite 0,0128 que fournit la formule pour p= 100. En etfet, on peut toujours supposer m — 1 = ^ dans la formule (33); alors, S étant < 100, il est clair que cette formule donne pour u — a et, par suite, pour 1 — a une limite au moins égale à celle que l'on obtient pour 5 = 100, savoir 0,0128. ( 31 ) § 3. Transformation de l'inégalité fondamentale (27). 24. Ohjet de et paragraphe. Dans la démonstration faite au paragraphe précédent, on a négligé complètement les sommes qui figurent au premier membre de la formule (26), sauf un seulement de leurs termes. Nous allons reprendre la démonstration en nous proposant de tenir compte autant que possible de ces termes. A cet eÏÏei, nous distinguerons deux espèces de sommes 1 étendues aux racines p. Nous désignerons par 1' des sommes étendues à toutes les racines dont la partie réelle a est ^^ et par ^" des sommes étendues à toutes les racines dont la partie réelle est > ^. 25. Recherche d'une inégalité relative aux sommes Z'. Nous allons d'abord chercher une limite inférieure des sommes il' que nous venons de détinir. A cet effet, soit u' une quantité réelle > u\ on a in étant lui-même > 1) // — a u — y u' — a (M - a)*-f-(/ — PY u' — a ' u — xY -^ (t — p)^ ' Mais -^7^' où u' > N > a, diminue quand a augmente et acquiert sa plus petite valeur ,-,""4 > ^-)/—i Q"^^"^ ^- ''ilteint le maximum ^ qui lui est assigné. Il vient donc, en se rappelant que les inégalités se rapportent aux parties réelles des deux membres seulement, (40. > > \ On a ensuite, pour O^a^^, u' — 1 -4- a lu' — a)- -+- (/ — 3)- u' — y. u' '. ^ 'J. 1 l ^» 1 l P 23 59" 26. Recherche d'une inégalité relative aux sommes i)". Les sommes il se composent des sommes ^' et S" (n" 24); on aura donc en vertu de l'inégalité précédente ny i ^ 1 y 1 1 -i3 Remplaçons au second membre la première quantité entre crochets par le second membre de l'inégalité (28) et la seconde Tome LIX. 3 (34) quantité entre crochets par le même second membre de (28), où l'on change seulement ii en u'. Je dis que l'on aura a for- tiori 59 -^ s — f 4^ s' — r- 16\4 ^^Jr / ôi> 4 tji 5 K'u ^ , , , -^ fin , 0- Comme nous avons remplacé les deux crochets par des quantités plus grandes en vertu de l'inégalité (28), nous devons encore justifier que leur différence a été augmentée en même temps. Pour cela, il suffira de montrer que la différence des deux membres de l'inégalité (28) diminue quand ii augmente et est, par suite, moindre pour u' que pour m. La différence entre les deux membres de (28) est la même que celle des deux membres de (27) ou de (26). Celle-ci, d'après la manière dont la formule a été établie au n^ (18), a pour valeur 2 -^ (I -f- cos mllp) — 1 2 -4: ( ' — ^os ^mtlp) et, en la mettant sous la forme ^2^0 os mtlpY, on reconnaît immédiatement qu'elle diminue quand u aug- mente. L'inégalité (44) est donc justifiée. Reportons-nous encore au raisonnement que l'on a fait au n" 20 pour passer de la formule (30) à la formule (31). On peut reproduire sur la différence des termes correspondants de Z'{ti,t) et de n o{ii\t) le raisonnement que Ton a fait sur chacun des termes de 'f(M, /). Il vient ainsi t III o((i, t) — f'ti', n < 1 ( 35 ) La formule (44) peut donc se mettre sous la forme suivante, analogue à celle de la formule (32), ^,. 1 1 ^„ 1 5 1 55, (45) 2 -^7 2 7' <7 i -^ 77 '«g ' - ^^'' ^ s — p 4 -" s — p 4 u — 1 ()4 en posant, pour abréger, ) 4\w — 1 Çw/ 16 \4 / (46). . ] 3 Vu 25 9 I On a dans cette expression u — 1 < -^ et ?/' = 7,. § 4. Limite inférieure de (1 — a) ^î/i résulte (le la formule (45). 27. La valeur de m donnée par (46) se calcule au moyen des résultats obtenus aux numéros 13 et 14. On a, u — l^étant < 4 ^* ^^' ^S^^ ^ i' 3 / i <:'u' - -+-— > 0,42144 22 4 \u 1 tu 5 Jl'î/' — — > 0,141 M 06 52 tu' ^ — i-lr-^ /2 I = 0,92927 fiO- 16 \4 / On peut donc faire 9 i (47) m = 2,08157 23 ^ ^ ' 8 16f ( 36 ) 28. Limitons maintenant le premier membre de la for- mule (45) à une seule racine a -\- <^i et posons t = ^. Il viendra a fortiori I i 3 1 <; H /i log p — m (48). y — a 4 î/ — 1 55 m= 2,08157 23 128p 29. Cette formule a exactement la même forme que la for- mule (33) sur laquelle on a raisonné au n'' 22; il n'y a de changé que les valeurs de h et de m. Cette formule se transforme donc exactement comme celle du no 22 et l'on trouve les formules correspondant à (36) et (37) : n \ 1 0,01794 92 m ^-^>U-^^^]7;iogp-m==/riogp-m 2V/3 — 3 0,11602 54 ^'^^) « — '^ = ^(^1^^-pII^) "" fi log p - m* En remplaçant maintenant h et m par leurs valeurs écrites plus haut, ces formules peuvent aussi prendre la forme p (51) 1-«> ,^^ logp-- en posant, en abrégé, / y; = 0,03282 14 ( 37 ) 30. Pour que ces formules soient applicables, il faut, comme le suppose la démonstration, que la valeur de {u — 1) donnée par (50) soit inférieure à j-,- (1 faut donc que l'on ait /Hog(3— />/> 12.0,116025= 1,5925. Cela aura lieu, m étant < 2,08157 23 (form. 48), si h log p > 5,475877, log (5 > 0,35223 et, a fortiori, si |3 > 574. Dans ce cas, on a 9 : 70 p < 0,000224; la formule (52) donne ^ > 5,806079 n et, en substituant cette valeur dans la formule (51), on obtient le théorème suivant : 31. Théorème. A partir de ^ > 574, on a, entre les parties réelles et imagitiaires d'une racine a -4- pi de Ç (s), la relation 0,03282 14 (53 1 — a > — . ^ ' -^ log |3 — 3,806 Si (3 est < 574, la valeur de i — a sera au moins égale à celle que fournit cette relation pour p = 574. La dernière partie du théorème reste seule à démontrer, mais il suffit pour cela de reproduire la remarque qui termine le n« 23. 32. La formule (53) peut encore s'écrire sous une autre forme, qui est plus avantageuse au point de vue des démons- trations ultérieures. (38) Comme 3,806079 est le logarithme naturel de 44,9737, la formule s'écrira aussi sous la forme plus condensée (54) 1 — a > , —In où l'on a j ;, = 0,03282 14 ( ?i = 44,9737 C'est cette formule (o4) que nous allons appliquer main- tenant dans la seconde partie du mémoire (*). (') En établissant la formule (54), nous n'avons pas encore tiré tout le parti possible de l'artifice utilisé au § 3. Nous indiquerons dans une note à la fin du Mémoire le moyen d'augmenter légèrement les valeurs de /; et de n. Ces nouvelles valeurs seront applicables également dans la seconde partie du Mémoire. DEUXIEME PARTIE. Lois asymptotlques relatives aux nombres premiers. CHAPITRE m. ÉVALUATION DE QUELQUES SOMMES OU FIGURENT LES KACINES p. § 1. Évaluation de la somme ^ ^^37~ ' 33. La somme indiquée dans le titre de ce paragraphe est supposée s'étendre à toutes les racines p = a -+- Si pour les- quelles p est positif et > b. Nous supposerons que b est assez grand pour que l'on puisse appliquer l'inégalité (54) du n« 32 dans tous les termes de cette somme. 34. Rappelons d'abord un théorème établi par M. von Man- (joldt et que nous aurons à appliquer (*) : Si het \i sont deux nombres réels vérifiant la condition tg 1 = l,o54l ^k^h —4, le nombre des racines a -+- ;3i, pour lesquelles ,3 est compris entre h — k e< h -+- k, est inférieur d klh. 35. Pour utiliser ce théorème, écrivons la somme à évaluer sous la forme suivante : Z gi + 6 • pl-£ OÙO < £ < 1. (•) Zu Riemanns Abhandlung : Ueber die AnzahL der Primzahlen unter einer gegebenen Grosse. Journ. f. die r. u. a. Math., B. CXIV, p. 265. ( 40 ) On a, par la formule (54) de la première partie, La dérivée par rapport à ^ de la fonction qui est au second membre est, à un facteur positif près, n cette fonction deviendra donc maximum pour 3 % / plu ^^ (1). . /L-=\/-L^, d'où p==«e '-^ H ▼ I — e et ce maximum sera ii^" 2V(i-e),./.v, On a donc j.a * g-2V(T-£)p/i, , 36. Tout revient donc maintenant à l'évaluation de cette dernière somme. A cet effet, désignons par 2* une somme étendue aux valeurs de P comprises entre r ets; on aura I b-i-ik 6 4 4* ,j,6k b 6 f 2* i+U et, par le théorème de M. von Mangoldt (n'' 34), 7(6 -+- k) l[b ■\- U) (5) ^ iF.<'[' 6'+' (b -t- 2/t)«+^ Mais on a d'abord, par la formule l{a -h x) -+-xV/x l{b^m I /"•xl{b-^x)dx xdx 0 n 1 r ** x(h ~ ¥ij {b-hx Si donc b est assez grand pour qu'on ait / ^'xl(b -^ x)(lx /'«* xdx 2A;' 0 0 ce qui aura certainement lieu si //? > 2 (*) et ce que nous supposons (n» 33), il viendra l{b -+- U) I /'^* Hb -H x)f/x - o/Q I /•'" l{b -^- x)d. (6 -4- ^-Iky^' "^kj (h 0 Comme cette relation s'applique aussi aux termes suivants de la formule (3), il viendra, le premier terme seul au second membre n'étant pas transformé dans cette formule, ^ I kljb -4- k) \/'^lxdx b On trouve, en effectuant l'intégration, /^Ixdx _^ I Ib I y^'«rfx 1 r E O On déduit, en effet, de Ib y i +1 /" xl{b -+- œyix / 2* j;rfa; / «* 0 0 0 /*" xdœ 2/t* c/ (6-+-^)*+- "^ ("mÂ)^' icrfa; (6 H- 1^^)* + ^ (42 ) et, en substituant dans (4), ^ i A-/(6-4-A-) 1 r n 37. Si l'on porte cette valeur dans (2j, il vient Cette formule, où l'on donnera à k sa plus plus petite valeur k = l,5o41 (n° 34), renferme encore un paramètre arbitraire e > 0 et < 1 , que l'on peut particulariser de différentes manières. C'est ce que nous allons faire au paragraphe suivant. § 2. Cas particuliers de la formule (6) qui précède, 38. Premier cas particulier. Si l'on désire obtenir la for- mule la plus avantageuse au point de vue asymptotique, c'est- à-dire pour les valeurs indéfiniment croissantes de y, il faut poser i ce qui rend minimum la valeur principale du second membre de (6). Si l'on observe alors que l'on a i/ri-- ^ ^ 2/ ^2 d'où [/[[-s)plyy[Xpl^^ .,. ^ 21/7^ la formule (6) prendra la forme (1) 2^6 P (43 ) où A est une quantité qui reste tlnie. On peut faire, h étant > n, .+ * ^^n L \/pLxj ^/^h J Comme la valeur de A n'est pas très petite, la formule (1) ne devient avantai^euse que pour de très i^randes valeurs de y. On peut obtenir d'autres formules également utiles, en donnant à e une valeur fixe. En voici un exemple. 39. Deuxième cas purlictilier. On obtient une formule simple en donnant à £ la valeur |. Si, en outre, pour déterminer com- plètement la formule (6), nous y posons b = o^ = 62o, nous obtiendrons (3) ^ — < 0,01611 e-^'^- Car on trouve, tous calculs faits, \^^.1:>5L 6-25 3 9j Rappelons, ù ce propos, les valeurs de p et de n {iv 32) p = 0,03282, n = 44,9757. § 3. Évaluation de la somme ^-.r — ,.. ou cr'-. 40. Nous supposerons dans le paragraphe actuel que cette somme s'étend à toutes les racines a -h [ti sans distinction. Nous pouvons déjà la partager en deux parties, la première 1' étendue aux racines a -+- 3i où a^^, la seconde 1" étendue aux racines où a > ^. On a donc j.X-t ,.2-1 ..X i ( M) 41. La somme 1' a comme limite supérieure la valeur obtenue en supposant que a = :| pour toutes les racines. On a donc « -^ ^ \/y '^ -^f^ \/y par la formule (S) du n" 5 de la première partie du mémoire. 42. Passons à la somme 2". Nous pouvons aussi la par- tager en deux parties On a identiquement C2 (3' -< a"'' -+- p' ^ ( 1 _ a)^ -^ |3' La différence écrite en seconde ligne est négative, puisque 1 — a < a; ensuite la somme écrite en première ligne ne peut surpasser la somme non accentuée !> ^^^- il vient donc y —L_<^_^L_< 0,0231. Enfin, comme, pour [:j < b, on a a — 1 < — 7x37-' ^^ ^^^^^ «.of^<6 a -H p Considérons maintenant la seconde partie Ib-ln p'y yU-i ( 45 ) Celle-ci est inférieure à Les formules des deux paragraphes précédents nous donnent une limite supérieure de cette somme. Elles nous donnent, en effet, une limite de Dans cette dernière somme, on ne tient pas compte d'une moitié des racines qui correspondent aux valeurs négatives de p; mais, dans la somme précédente, il y a aussi la moitié au moins des racines qui ne figurent pas, celles où a^^. Les racines négligées dans les deux cas se correspondent deux à deux pour les mêmes valeurs de fi^^ nous pouvons donc faire usage des mêmes limites. 43. En substituant ces valeurs, on trouve, suivant celles des deux formules (1) ou (3) du paragraphe précédent que l'on utilise, (4) y -^ < ' S + 0,0231 e '*-'" -+- A»/we-'^'"^ OU bien -^ ?;«-* 0,0462 0,0251 ,,_ car dans cette dernière formule h = 025, Ib = 6/*377o. On a d'ailleurs dans les deux formules p = 0,03282, n = 44,9757 In = 3,806079 et l'expression de A se trouve au n^ 38. (46 ) 44. L'examen de la formule (4) permet d'écrire aussi immé- diatement la formule, commode au point de vue des con- séquences asymptotiques, (6) y^4^,<'^phe-'''^'^ a' -f- p où B est une quantité qui reste finie quand y tend vers l'infini et dont l'expression complète, assez longue, s'obtient en rem- plaçant A par sa valeur (2) au n^ 38 dans la formule .^+iv^j 0,0462 ..j-. \^ Les formules (4), (o) et (6) montrent que la somme que nous étudions tend vers zéro quand y tend vers l'infini. Mais, à cause de la petitesse de /?, cette décroissance est extrêmement lente et ne devient considérable qu'à partir des valeurs de y ayant au moins une centaine de chiff'res. C'est, en tout cas, tout ce que l'on peut conclure de ces formules. 45. La somme que nous étudions ici reviendra souvent dans la suite. Pour abréger l'écriture, nous représenterons sa racine carrée par cr, ou, en d'autres termes, nous poserons (7) -^ = ^J^ ^' La quantité <7 est donc une quantité qui tend vers zéro quand y tend vers l'infini, et les différentes formules de ce paragraphe permettent d'en déterminer approximativement la valeur quand y est donné. En particulier, la formule (6) donnera (8) (7 < V/Bl//%e-^'^' où B est une quantité qui reste inférieure à une limite fixe que l'on pourrait facilement assigner. (47 ) De là découle le théorème suivant : 46. L'expression désignée par a est infiniment petite en même temps que 1 : y ef elle est d'vn ordre de petitesse au moins égal à celui de l'expression où p = 0,03282.. CHAPITRE IV. FORMULES ASYMPTOTIQUES. § 1. Evaluation de Llp. 47. J'ai établi, dans la première partie de mon Mémoire sur la théorie des nomtires premiers (Annales de la Société scienti- fique DE Bruxelles, t. XX), n» 52, la formule (i) P"< - x-^'" — 1 Mais on a par (1) De cette équation soustrayons la précédente; il vient 49. Remplaçons dans cette équation x par (1 -f- A:) a;, où k est une constante positive quelconque, et soustrayons membre à membre; nous trouvons, en divisant par A', 1 /'(*+*'^dv ^ , /(i -+- k)-c'o (I -^ A:)P— -1 xP (2) 2 2 50. La somme qui est sous le signe d'intégration au premier membre étant constante ou croissante, on a A" '■^x ./ oc kj x^ kp,,^^k)x J X ( 49 c'est-à-dire (5) (4) La première de ces inégalités donne par (2) 7 — 2 h'<^ 1 — 7- ^ A- "J ~" 2 7~ 4m' Changeons dans (2) et (3) x en j~, nous aurons de même, par la deuxième inégalité (3), (5) J " p>n \-hk l{\-\-k)to k 'xô Ces inégalités (4) et (o) peuvent aussi s'écrire a fortiori k. to 2 ^v•)-* 2A: -f- it- on a Opérons comme au n« 52 ; faisons la substitution a^-H (5^ remplaçons {^k -*- k^) : 2 (1 -+- k)l{i -+- /r) par sa valeur 1 h- m;; on aura (1^-) 2 (1 -^ A:f _(1 -♦- ky ïïîJTT) < (1 ^- wy. Considérons maintenant la quantité iv qui est donnée par la formule (7) ; elle est positive et l'on a, par (7), W' k' k^ A: H 1- d.2 2.3 i = k' k^ k' k k' 1 -t- i.2 2.3 don» I — - -t- — k' 2 10 A-^ ^ 6 k k' 6 ^ 1 H 2 6 et, k étant égal à 2(t, (15) 5 ( 53 La dernière somme (I -^ ^)*"' — (i -+- /,)-»"• X «m ^- Sm- 1 tend avec une grande rapidité vers zéro quand x augmente, En effet, elle est inférieure à k y 2/(1 -♦-^) X -^ 4mM, X I 2/(1 -+- /t) kx \ X I 24 Mais on a /: = 2(7 et, en remplaçant g- par sa valeur, on en tire ^ -^ a^ -^ (S* ▼ — ' a'' -«- jS-* par la formule (11) de la première partie du Mémoire. La somme en question sera donc encore inférieure à I / 1 -t- ky -Ti' (1 -+- /^f \ et l'on aura, en définitive, ^ ^ • • ^ 2/(1 -.A) 4m^ ^^.V/; En substituant ces diff'érentes valeurs 11, 14 et 10 dans 13, on trouve o'' \ 1 mod e < u? -H ( 1 -t- u?) 2^ -+- a^ -+- 1 < 10 -4- (1 -4- i<;)(2(7 H- (7*) -+- (T^ H ; xA/i puis, par (15), il vient a fortiori 5 , 8 (17) mod f < 2 a -+- - a' -+- (7^ -4- - (7* S S ..«t/ vi 1/ j: ( S4 ) L'évaluation de e se ramène donc enfin à celle de la somme 2L ^" , = a-- que nous avons faite au chapitre précédent. 55. En rapprochant la formule (17) de l'énoncé du théorème du n« 46 du chapitre précédent et en observant que y est rem- placé ici par x, on obtient le théorème suivant : Si l'on pose - 2 /p = I -^ >?, la quantité r^ tendra vers zéro quand x tendra vers Vinfini, et celle quantité sera un infiniment petit d'un ordre de petitesse au au moins égal à celui de V expression o//. p = 0,03282... 56. Si l'on remarque que l'on a p'" ^, et, dans ce cas, ^ étant > 28, ils sont inférieurs < 1,00064 K-r)\/>-^ «' + f* ( ^6) Il vient donc >.o-l .od2- ■1) < 1 ,00004 c\ Nous sommes donc ramenés encore une fois aux évaluations du § 4 du chapitre III. On déduit de là et du théorème du n" 46 le théorème suivant : 59. Si Von pose la quantité r,3 tendra vers zéro quand x tendra vers t'infmi et elle sera iin infiniment petit d'un ordre au moins aussi élevé que celui de l'expression o//p = 0,03282. 60. On peut établir un théorème analogue relativement à la somme qui s'étend aux nombres premiers < x. En effet, les deux sommes Ip pTrP — ont une différence égale à ^^' Ip '4' ip '^' Ip p>xi l' p>x3 r p>x^ y et par suite inférieure à '42.^-*- 2,^>+ 2.^. Ln>iî'* »i>r3 " n>ri '*' ( ol ) où n est maintenanl un entier quelconque. Le premier des ternies entre crochets est le plus grand et le nombre de ces termes est égal au degré de la plus grande puissance de 2 con- tenue dans X, et ne surpassera pas ^4- I^^ somme ci -dessus sera donc évidemment inférieure i\ (i^ \ _L < .^1:^ et tendra vers zéro plus rapidement que la limite assignée à n dans le théorème précédent. Donc la première des sommes (4) véritie ce théorème comme la seconde. D'où le théorème : 61. Si Von pose r équation la quantité t,3 tendra vers zéro avec - et elle sera d'un ordre de petitesse au )noins égal à celui de la fonction y/pUe-'"' o/^p = 0,0328l>.. CHAPITHE V. NOMBRE DES NOMBRES PREMIERS INFÉRIEURS A UNE LIMITE DONNÉE. 62. Pour simplitier l'écriture, nous désignerons par F [x) la fonction qui exprime combien il y a de nombres premiers < x et nous définirons une autre fonction f (x) par l'équation (1). . . . /^x) = F(aO-^ilV)-^F(J)-^... ( o8 i 63. Nous allons utiliser une formule que j'ai démontrée dans mes Recherches sur la théorie des nombres premiers au n° 28 de la première partie, et que voici : :"„,r^, X" Co Cu \l - // / (2) m*+^x*-"— 1 , -+- lim / +- / H / — du. Le terme écrit en dernière ligne est nul ; celui qui est écrit sur la ligne précédente a pour valeur — [loiT {u - I )luf, - [\o^lu'\f= lo- (— ?o) = — H, car la relation (voir mon [Mémoire déjà cité n« 4) donne, pour s = 1, Sx cos 1 ^2 1 -yjf — mil - — A=J TT S — 1 vient donc 9 /♦«/or*- l'aX r'-' f^^x'-du Mais, en faisant le changement de variables ( 60 ) on trouve J 1— M "J U J I— M ~~J Tl l+£ Par suite, Liïa) = lim / -+-/—• ^^J J il i+s Passons aux intégrales suivantes de la formule (4). On a, par décomposition puis intégration par parties, r^uxP-^dx 1 /** . , r'^xP-'^du J P{P—^) pJ J /= — w 0 0 0 _ xP xP \ r^^ a;'-*-" (^) N ^ "** pix "^ /ary (p — uf 0 ^ ïij [p-uf 0 De même /* Mx-'"-"f/u I y^* x-'^'^-'^du 2m(2m -*- «) ^TxJ ("Im h- uf* 0 0 Substituons les valeurs (5), (6) et (7) dans (4); il vient \ 0 CI (8) (61 ) Cette équation est celle qui paraît donner l'expression la plus commode de la fonction flx). 65. Si l'on remplace dans (8) le premier crochet par sa valeur déduite de la formule (12) du chapitre précédent, il vient /'(x) = Li{x) — h2 (9) Ix La valeur de e est donnée par la formule (13), et la for- mule (17) du chapitre précédent en donne une limite supé- rieure propre au calcul. Comme s tend vers zéro avec -, la la formule précédente montre déjà que Li [x) est la valeur principale de F [x). Il reste encore à évaluer les deux autres sommes qui figurent dans la formule (9). On a, par intégration par parties, /■^ xf'-^du xP 2 /' (,o Uf p'ix ixj xP-"dti (P - ^/ 0 0 ensuite . ** x^'-''du mod J "{p^-uf V (5^ ^^ 1 /a^ -4- ^n X« Jx \ ¥ / a^ -+- S^ il vient donc J {p-u]'^llx {lxr\\:> (12)Vj^ a'- -t- Enfin, on a '"* i.ri^^ -H r -i , Ix où Ton a L'évaluation de t est donc encore nne fois ramenée à celle de la somme \j: = 0" qui a tait l'objet du § 4 du chapitre 3. 66. Reportons-nous à la formule \fi) de ce même para- graphe; comme le premier terme de la valeur de t dans [VS) donne aussi la valeur principale de t, on a le théorème suivant : 5/ l'on pose la ijuantité t sera iu/iniment petite avec -, et elle sera d'un ordre de petitesse au moins égal à celui de rexpression y/pFye-^'^'' où p = 0,0328:2. 67. Observons maintenant que la relation f{x) = F[x) ^ l F^x^) -H - F^x') H- ... 3 0 ( ^:-{ ) donne f{x)-(\x^) = F(.t) - ^ F(x^) ^t- i F(x^') - ... < F{x); on nura les inégalités f{x)y F(x)>/(a:)-/(^-), et, comme / (l^) est < l/I", on voit que le théorème précédent s'applique aussi à la fonction F (x), qui exprime combien il y a de nombres premiers inférieurs c» x. Nous énoncerons ce théorème comme il suit : Si l'on (lésicjne par F (x) la fonction ffui exprime combien il y a de nombres premiers < x, F (x) aura pour valeur asymptotique Li (x) quand x tendra vers rinfîni. De plus, la différence entre ces deux fonctions ne pourra pas être d'un ordre de grandeur supérieur à celui de lu fonction Ix où p = 0,03282. Ce théorème est celui auquel nous avons fait allusion dans l'introduction en insistant sur son importance. CHAPITRE VI. SUR LA CONVERGENCE DE LA SÉRIE X ^^ 68. Définissons, avec M. Merlens (*), la fonction numé- rique \L [k) d'un paramètre entier k de la manière suivante : u. {k) = 1 pour fc = 1, = 0 si A' a un facteur carré autre que 1, = 1 si A; est formé d'un nombre impair et = -+- 1 si A; est formé d'un nombre pair de facteurs premiers différents. (*) Ueber einige asymtolische Geselze der Zahlentheorie,ioi]KSkL F. d. r. u. A. Math. B. 77, 1874, p. 289. ( 64 ) D'après cette définition, on a, s étant une variable réelle ou imaginaire dont la partie réelle est supérieure à l'unité, }f-^{-îh 1 m Si la série, qui est au premier membre, converge pour .s = 1, il résulte de cette relation que sa valeur sera 0, mais le point délicat est de prouver la convergence. 69. Euler paraît être le premier qui ait considéré cette série, et il a affirmé le résultat auquel nous venons de faire allusion, mais sans l'établir rigoureusement (*). Quoique de nombreux mathématiciens, Mertens, Stieltjes, Gram, etc., se soient occupés de cette fonction, la démonstration du théorème énoncé par Euler n'a été établie que dans ces tout derniers temps par M. von Mangolàt (**). La démonstration de M. von Mangoldt est assez détournée et d'ailleurs elle se borne strictement à établir la convergence de la série, sans fournir aucune approximation de la rapidité de la convergence. Nous pensons donc qu'il y a quelque intérêt à revenir sur cette question, d'abord pour présenter une démonstration plus directe et plus simple, ensuite pour donner une limite supérieure du reste de cette série, ce qui n'a pas encore été fait jusqu'à présent. 70. Difiérentions l'équation. où dR [S] > 'l ; il vient, en changeant les signes, (*) Introductio in analijsis infinitonun, t. I. Lausanne, 1748, Cap. XV, n- 277. -(**) Sitzungsberichte der K. P. Akademie der \Yiss. zu Berlin, 22 Juli 1897. (Voir aussi cet article pour les renseignements bibliogra- phiques.) (65) Faisons les substitutions Ç'(«) y '" = \ '" et ' = = 2 4,; il viendra 2 j. 2p». 2 4- Si l'on effectue les multiplications au premier membre et réduit les termes semblables, on devra trouver les mêmes termes dans les deux membres, parce que des exponentielles différentes ne sont pas du même ordre de grandeur pour 5 infini. Supposons implicitement ces multiplications effectuées, et égalons la somme des termes des deux membres dans lesquels la base de l'exponentielle est < x. Ce résultat peut s'écrire : L(k)lk et, pour s = 1 1 (1) . . . . ^ fi{k) ^ Ip y. f^{k)lk La somme relative à /?" a été étudiée au § 2 du chapitre IV, et l'on peut poser, par le théorème du n»(59) de ce paragraphe, Substituons cette valeur dans l'équation précédente et sup- primons les termes qui se détruisent; il restera simplement « . . . >"-M?*j;^'.(i)=«. Tome LIX. o ( 66 ) Telle est l'équation fondamentale dont nous allons déduire les conséquences que nous avons en vue. A cet effet, nous allons utiliser les formules que nous avons établies pour l'ap- proximation de jf. 71. 11 résulte immédiatement du théorème du n° (o9) que l'on peut poser modJÏJ < be-'^^'h où a ei b désignent deux nombres positifs fixes, indépendants de X et de fe, et auxquels les résultats que nous avons obtenus dans les chapitres antérieurs permettent d'attribuer des valeurs précises. En particulier, on peut donner à a toute valeur < l^p = 0,03282 et la valeur de b en résultera. Cela fait, la seconde somme de l'équation (2) sera certaine- ment inférieure en valeur absolue à 6 2^-^î' et nous allons montrer qu'elle ne peut surpasser un nombre que nous allons assigner. Si l'on remarque que la fonction à sonmier, ayant pour dérivée, à un facteur positif près a-V'l est d'abord décroissante, pour devenir ensuite constamment croissante quand /• tend vers a*, il est clair que l'on peut poser, le premier terme étant < 1 , et le dernier < - , S* A J k X ( 07 ) Par If^s changements de viiriables k = -, puis It =^ z^, on a ] _e-'>^Wa\//^-4- 1) Î2 et, par conséquent Le dernier membre de cotte inégalité est un nombre fixe h auquel nous sommes en état d'ae^signcr une valeur précise et qui est aussi la limite supérieure de la seconde somme de l'équation (2). Cette équation nous donne donc immédiatement 1110(1 2 -7 im Ix — C De là le théorème suivant : Théorème. La somme tend vers zéro quand x tend vers l'infini, et sa valeur absolue reste inférieure à une expression de la forme h Ix où h est un nombre fixe, auquel nos calculs antérieurs permet- tent d'assigner une valeur précise. Ce théorème résout la question que nous nous étions proposée. (68 ) NOTE COMPLÉMENTAIRE DE LA PREMIÈRE PARTIE. 73. Objet de celte note. Nous nous proposons, dans cette note, d'apporter un léger perfectionnement aux calculs numé- riques de la première partie. L'analyse des paragraphes 3 et 4 du chapitre II, qui conduit à la relation 1 — a> /p — In a son point de départ dans les inégalités du n^ (25). Nous avons remarqué qu'on peut les remplacer par d'autres un peu plus avantageuses. Nous allons les établir, et nous reproduirons sur elles tous nos raisonnements antérieurs; les calculs numé- riques seuls seront changés et nous trouverons pour p et n des valeurs un peu plus élevées que celles du n" (31). 74. Inégalité relative aux sommes l!'(voir n" 2o). En suppo- sant II' > u > 1, nous avons trouvé au n" 2o : u — et II' — a > u — X {u - a)^ -H {t -(3f u' — \ -\- a. « {u — olY + (t— Pf r. < ~7- a i^,,' _ \ _H af -V- (? — pf (u' — a)^ -+-(/— Bf u' - \ -+- On tire de la seconde de ces inégalités u' — I H-a u' — a 2î/' — I u' — a puis, par la première, Il — a u — au' — l-vaf w'— a u' — l-f-a 1 ( 69 ) Je dis que si a est compris entre 0 et ^, w et u' entre 1 et 2, on aura u — %u' — 1 -+- a li' — 1 (2) . . . . > , ce minimum étant atteint pour (w ^ 1, ce. = 0). En eflet, la différence des deux membres de (2) a le signe de la quantité v'{u — a)(w' _ 1 -4- a) — {u — a.){u' — 1 ), qui peut s'écrire aussi n'{H'—\){y — 1) -^ a[u'iu—a) —{u —])']. Comme n et u' sont > 1, le premier terme est positif; le second l'est aussi, car a étant ^ ^, donc u — a > s» ce terme surpasse qui est positif pour u' compris entre 1 et 2. Choisissons maintenant ii' de manière à rendre maximum le second membre de la formule (2). En annulant sa dérivée, on trouve 1 ^i' ^ (3) î/ = I -+- , d'où = 0— 2l/i. Cette valeur de m' étant comprise entre 1 et 2, peut se mettre dans (2), et il vient par (1) w' — 1 -+- a "j ( 70 ) On peut sommer toutes les inégalités analogues pour toutes les racines a -+- ^i où a^^; soient L' une somme étendue à ces racines particulières et S une somme étendue à toutes les racines sans distinction; on aura a fortiori (l'inégalité ayant lieu entre les parties réelles des deux membres) y _L > (5 _ 21/2) y ^-J- — Ajoutons à cette inégalité celle qui s'en déduit par le change- ment de / en 2/ et, par suite (n° 18), de s en s'\ il vient y_L_ 'Ç' — + -'^'-^>(3-2l/2) 2- M -*- "Hi Comme on supposera dorénavant que s a la même partie imaginaire ti = [3/ que l'une des racines p, on peut encore ajouter au second membre la différence des deux membres de (4) pour cette racine, savoir __L. _ (3- 21/^4-1-. -J^-1. Cette différence, oiiz('=i -*- -^etoùnous ferons m — 1 <" ^ , surpasse la quantité — — 2(3 — 2l/2). Nous trouvons donc, sous ces conditions, l'inégalité 1 I — - I 2' 4- X3-2V/2) [2 ^-|— (5) . . *l2^--h-n- ^2(5-2^/2), [ 4 -^ w H-2/«— pj iù qui correspond à la relation (42) du n® 2o. ( 71 ) 75. Inégalité relative aux sommes S" (voir n» 26). Désignons par S'' une somme étendue aux racines p, où a > ^. On aura S" =s S — 1'; par suite, en vertu de la relation (5), - (5— 21/^) f 5 — — - ^ 1 2 -r^— 1 -+- ^2(5—^21/2) Comme on l'a expliqué au n° 26, on peut remplacer respec- tivement ces deux crochets par leurs limites supérieures tirées de la relation (28) au n'' 19. Ceci donne la formule (r.é 'y'— <(V/5=r)|^logl-;2)-I^" (6). s—p 4 — s —p -4-^(u,0-+-(3— :il/5 ôK'u . 1 1 -— -P(w',«)^2 -- 4 Çm J ^ 2 — I 3 qui correspond à la relation (44) au n° 26. On voit, par le raisonnement de ce même numéro, que l'on a ,(«,<) - (3 - 2i^!,;u',o < ' - '^ - ^^•^> < -li^ , I G( 8< de telle sorte qu'on a la formule, analogue à (45), 3 1 (7). .T-^\T^ ^, , ^ s — p 4-^ s — p 4u— I en posant, en abrégé, Mogf — m. [8) . . /i=-(\/2 — 1) = 0,51776 69... m ( 72) 3 /ç'u 1 \ , ^ /5 . /- lôt'u \ \'2 2 — 1/ — (5— i2l/2) -+- 2 -*- Uty I 13 8« 76. Évaluatio)/ de m. Dans cette valeur de m, nous suppo- serons w — 1 ^ jîi, par conséquent (n° 14) (Vu I \ _ __ ^_ > 0,42144 22. A \'Cu On a ensuite 5 lu' ^— > 0,71090 44 4 Cm' car, u' - \ étant égal à ^A = liflf?!^^, la formule (16) du n« 12 donne — -4- 1/2 < 0,57721 566 — 0,09575 456 l/2 -I- 0,02589 989 — 0,00366 951 l/T -»- 0,001 1 5 094 — 0,000 1 8 088 VJ -*- 0,00005 894 — 0,00000 969 l/? -♦-0,00000 321 < 0,60430 864 — 0,09761 464 1/7 d'où--^ > 0,94795 28... Enfin, comme on a -/;r-»- /2 = 2,12405 953..., 4 on voit, par la substitution de ces diverses valeurs dans (9), que l'on peut poser a fortiori dans (7) 2 — 1/2 (10) m = 2,00516 98 f 73 ) 77. Limite inférieure de 1 — a. On peut maintenant donner à /i et à m les valeurs (8) et (10) ci-dessus dans les formules (49) et (oO) du no 29, savoir 7 - 41/5* , til/I - 3 I — a > -_ et M — 1 = 4(/i logS — m) 47i log |5 — m) Celles-ci donnent ainsi les relations (II) I — a > et f/ — i = ' ^ m m log 3-- log S-- 01 1 l'on a 7 _ 41/5" ^ = ___ = 0,034666 . . 5(1/ 1^ — I) 2»/ 5 — 3 q= :: =0,!224088... 3(1/2— I) m 0,024264 _ = 3,86886 45 — h ' S Pour que la formule (11) soit applicable, il faut que ,3 soit assez grand pour que u — 1 soit > p- On voit que cette condition aura lieu, si m logp> — -+-12^ ou > 6,5379..., et, a fortiori, si ^ > 705. On a, dans ce cas, m > 3,868829 = log (47,886 .. et l'on peut énoncer le théorème suivant, que l'on peut substi- tuer à celui du n" 31 : ( 74 ) 78. Théorème. A partir de ^ ^ 70o, on a, entre les parties réelles et imaginaires dune racine a. -i- fi de Ç(s), la relation («2) i-a> /p —In où i^ et n ont les valeurs déterminées * p = 0,034666..., n = 47,886... Pour (3 < 705, la valeur de \ — a sera supérieure à la limite 0,0128 que donne cette formule pour p = 705. 79. Remarque. Les valeurs précédentes de p et de n sont aussi applicables dans toutes les formules et dans tous les théorèmes de la seconde partie du Mémoire. Il n'y a d'exception que pour les formules du n** 39 (parce que l'on n'y suppose pas p > 705). * Cette valeur de p (sauf une erreur de calcul sur la 5® décimale) se trouvait déjà dans le manuscrit soumis à l'examen de M. Mansion, et on la trouvera dans son rapport, mais avec une valeur beaucoup moins élevée de n. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ÉLECTRICITÉ NERVEUSE PAR Casimir RADZIKOWSKI ASSISTANT A l'INSTITUT SOLVAY (Présenté à la Classe des sciences, dans la séance du 4 février i899.) Tome LIX. I CONTRIBUTION A l'étude de L'ÉLECTRICITÉ NERVEUSE Si l'on interroge un nerf en plaçant des électrodes impolari- sables en contact avec sa surface, on constate, au galvanomètre, des ditlérences de potentiel qui ont été précédemment signa- lées ^ et dont les rapports avec les autres phénomènes électro- physiologiques connus n'ont pas encore été définis. Ces dirtérences de potentiel sont d'un ordre tel qu'il faut, pour les observer, se servir de galvanomètres très sensibles; dans les expériences que nous allons rapporter, nous nous sommes servi des galvanomètres suivants : \° Grand galvanomètre apériodique à miroir de Hartmann et Braun (Francfort-sur-Mein), protégé par une armature en fer doux (anneau). Sensibilité : 1 millimètre de déviation à 1 mètre de distance de l'échelle = 0,000.000.08 amp. ; 2" Galvanomètre asiatique et apériodique à miroir de Hart- mann et Braun. Sensibilité : 1 millimètre do déviation à 1 mè- tre de distance de l'échelle = 0,000.000. 002. o amp. ; 3" Galvanomètre à circuit mobile (système Deprez d'Arson- val) de Rowland, très apériodique. Sensibilité : intermédiaire entre les deux précédents. * E. SoLVAY, P. Hegeii et Léon Gérard, Communication préalable au sujet de différences de potentiel existant en divers points des nerfs pendant le fonctionnement vital. (Bull, de l'Acad. roy. de Belgique, 1891.) ( i ) Sous le nom (rélectricité nerveuse, on comprend générale- ment trois ordres de phénomènes : 1" Courant nerveux : a) Courant du nerf au repos in situ; b) Courant de lésion (d'altération). 2" Électrotonus : a) Changements de l'excitabilité nerveuse sous l'influence d'un courant polarisant; b) Modifications électriques que présente le nerf dont une petite portion est traversée par le courant de la pile. 3" Variation négative ou courant d'action. Nous exposerons en premier lieu les recherches que nous avons faites sur les manifestations électriques de Télectrotonus (ce qu'on appelle quelquefois l'électrotonus physique), puis ce qui se rapporte à la variation négative ou courant d'action. I. — L'ELECTROTONUS. Depuis les travaux de iMatteucci, de Valentin, de Schifl^, de Hermann, de Boruttau et de beaucoup d'autres, on sait que les manifestations électriques de l'électrotonus peuvent être obser- vées, non seulement dans le nerf vivant, mais aussi dans les nerfs artificiels, c'est-à-diro dans des conducteurs construits de manière à reproduire avec plus ou moins d'évidence les phé- nomènes caractéristiques observés dans les nerfs. L'explication purement physique de l'électrotonus, telle que la proposa Hermann, repose sur le fait de la polarisation qui a lieu entre le cylindre-axe et la myéline ; la plupart des physio- logistes se sont peu h peu rangés h cette opinion. Nous avons répété les expériences faites ou apportées par Hermann sur les nerfs artificiels en variant le noyau (jouant le rôle du cylindre-axe) et l'éleclrolyte qui imbibe la gaine de coton, représentant ici la myéline. { 5) Nous avons constaté une fois de plus le bien- fondé de la théorie de Hermann. Pour que les phénomènes de Télectrolonus puissent avoir lieu dans un nerf artificiel, les conditions suivantes sont néces- saires : \° Le noyau doit être conducteur (métal, graphite, charbon); 2'' La gaine doit être électrolysable; S° Le lioyau doit être meilleur conducteur que la gaine. Nous avons constaté que la déviation électrotonique atteint son niaa:imum lorsque le noyau est très bon conducteur et la çiaine très électrolysable. Il faut que la gaine électrolysable soit en communication avec le noyau conducteur dans des conditions telles qu'elle puisse influencer électriquement ce dernier : si l'on prend comme noyau une tige non conductrice quelconque (fils de verre réunis en faisceau et imbibés de solution physiologique, filaments de substance organique, nerf desséché et humecté ensuite), le noyau n'étant pas suffisamment conducteur, même si le liquide iniprégnant la gaine est très électrolysable, les phénomènes de l'électrotonus ne se manifestent pas. D'autre part, si, autour du noyau métallique conducteur, on place une gaine de colon imbibé d'huile d'olive, de paraffine liquide, d'huile de vaseline, dexylol,de térébenthine, de pétrole ou de chloroforme, ces liquides n'étant pas électrolysables, l'électrotonus ne s'obtient pas davantage. Enfin, si l'on prend comme noyau des fils métalliques et sJ on les enduit de gomme laque ou qu'on les entoure de verre, dès qu'ils ne peuvent plus être influencés par la gaine, quel que soit le liquide dont on imbibe celle-ci, le résultat de l'ex- périence est toujours négatif. Au contraire, si le métal formant le noyau est i^i nu et que la gaine qui l'entoure est mouillée de chlorure de sodium ou d'une substance saline dissoute, on obtient nettement, comme nous l'avons constaté après beaucoup d'autres, les phénomènes de l'électrotonus. ( 6 ) Ces constatations faites, nous nous sommes proposé d'aller plus loin et de chercher quel rôle joue le noyau métalli(|ue dans tous ces phénomènes. Prenons un nerf normal vivant, mettons-le sur trois paires d'électrodes impolarisables de Du Bois-Reymond ; la paire médiane servira ù amener le courant polarisant ; les deux paires distales, réunies avec deux galvanomètres, servent à l'explora- tion de l'état électrique du nerf. Au moment de la fermeture du courant polarisant, on observe une déviation plus ou moins forte dans les deux galva- nomètres. On constate facilement qu'à proximité du pôle positif de la pile naît le pôle positif du courant clectrotonique et, à côté du pôle négatif de la pile, le pôle négatif du courant électrotonique. Le dispositif et le résultat de l'expérience sont indiqués dans le schéma suivant: Gahy. GuLy En admettant que dans l'intérieur du nerf le courant va du pôle négatif au pôle positif (comme dans une pile), on dit que sous l'influence d'un courant polarisant le nerf devient le siège d'un courant électrotonique qui a le même sens que le courant polarisant. Mais à la rigueur, dans tous ces cas, nous n'explorons que la surface du nerf et nous pouvons considérer le courant électro- tonique comme un courant dérivé de la gaine ; cela changerait entièrement la proposition, et nous devrions dire que dans la gaine ou plutôt à la surface du nerf, nous constatons la pré- sence d'un courant qui a une direction opposée à la direction du courant polarisant, comme le montre la figure 2. (7) Personne n'a jamais pu explorer l'état électrique du cylin- dre-axe. 11 en est autrement avec un nerf artificiel. Octlir PUe Fis. 2. Gulc Pour arriver à ce but, nous avons commencé par construire le nerf artificiel suivant. Nous avons soudé les deux électrodes exploratrices avec le noyau métallique, nous avons isolé toute cette partie et même eu ._./... """ï 1 p L .... P' 1 i '----^ y Fig. 3. les petites portions de la région extra-polaire avec une mince lame de caoutchouc et une forte couche de gomme laque («, h). En appliquant les électrodes du courant polarisant sur la partie non isolée du nerf (PP') et en réunissant avec le galva- nomètre les deux fils explorateurs (GC), nous n'avons observé aucune dérivation. Ce résultat négatif ne prouve pas pourtant que le noyau est entièrement indifférent au point de vue électrique. En effet, si nous comparons les résistances respectives du galvanomètre et du trajet intrapolaire GG', nous voyons que la première est infiniment plus grande que la seconde; on est donc en droit de supposer que presque la totalité du courant, si un courant (8 ) existe, a dû passer dans le noyau métallique, et que seulement une portion minime de ce courant a pu influencer le galvano- mètre; on peut admettre que, dans de telles conditions, le résultat de l'expérience doit être négatif, môme lorsque le gal- vanomètre est très sensible. Pour obvier à cette cause d'erreur, il fallait augmenter la résistance du trajet entre les électrodes exploratrices. Voici comment nous y sommes parvenu. Nous avons coupé le nerf artificiel entre les deux fils soudés (GC) et nous avons intercale un morceau de graphite long de 8 centimètres. Le graphite a été introduit dans un tube de verre, les points de la réunion du graphite avec le métal ont été entourés de minces bandes en caoutchouc et couverts d'une forte couche de gomme laque très isolante, qui s'étendait sur les électrodes exploratrices et sur le tube de verre. Cah^ Fig. 4. a = graphite ; 6 = lube de verre; c=: fermeture isolante (caoutchouc, gomme laque); d= noyau métallique ; c = gaine de colon imbibé duii électrolyte; BB' = électrodes exploratrices profondes. En appliquant les électrodes de la pile (PP') sur la partie non isolée du nerf, nous avons constaté, en explorant la gaine (e) au moyen de deux électrodes (GG'), qu'elle présentait un courant électrotonique analogue à celui qu'on observe dans un nerf vivant : du coté du pôle positif de la pile apparaît le pôle positif du courant électrotonique. I ( 9 ) En réunissant les deux (ils (BB') avec un galvanomètre, nous avons constaté la présence du courant dans le noyau; il était de sens inverse: le pôle voisin du pôle positif de la pile était négatif. Nous pouvons donc conclure que sous l'influence d'un cou- rant polarisant apparaît dans le nerf artiticiel un autre cou- rant (courant dit électrotonique) circulaire, qui a dans la gaine la direction opposée à la direction du courant polarisant, tandis qu'il a dans le noyau la même direction que le courant pola- risant. La théorie de la polarisation explique très bien celte forme du courant et elle se trouve confirmée une fois de plus par l'expérience que nous venons de rapporter. Dans ce qui précède, on ne trouvera rien qui ne soit con- forme aux résultats d'expériences déjà connues ; le seul point qui puisse être considéré comme neuf est cette particularité que la disposition optima, permettant d'obtenir les phéno- mènes d'électrolonus en se servant d'un nerf artificiel, est, comme nous l'avons dit tout à l'heure, l'existence d'un axe bon conducteur entouré d'une gaine contenant une substance élec- trolysable ; en second lieu, celte autre particularité que dans ces conditions on obtient la preuve de l'existence d'un courant de sens inverse parcourant le noyau conducteur. Jl. — LA VARIATION NEGATIVE. L'étude de la variation négative offre beaucoup plus d'inté- rêt pour nous que celle de l'électrotonus, parce qu'elle est plus neuve, en ce sens que l'on s'accorde encore aujourd'hui à con- sidérer le phénomène de la variation négative comme particu- lier au nerf vivant, tandis qu'il est reconnu depuis longtemps que l'électrotonus dans les nerfs vivants est analogue à l'élec- trotonus dans les nerfs artificiels. Si l'on pouvait réduire la variation négative, elle aussi, à un phénomène physique reproductible dans un conducteur métal- ( 10 ) lique, il semble qu'un pas de plus aurait été fait dans nos connaissances relativement aux rapports entre la conduction nerveuse et la conduction électrique. C'est un fiut connu que lorsqu'on excite un tronçon du nerf frais et vivant par un courant induit, on observe une diminu- tion brusque de la déviation du galvanomètre produite par le courant de lésion. Celte diminution de la déviation s'explique par l'adjonction d'un nouveau courant, dit courant d'action, et qui a un sens inverse à celui du courant de lésion. Puisque nous ne savons pas en quel état, au point de vue électrique, se trouve le cylindre-axe, parce que nous n'explo- rons que la surface extérieure du nerf, disons pour le moment que durant la variation négative il se produit dans la gaine nerveuse un courant qui court vers le point irrité. On suppose que dans le cylindre-axe il a la direction oppo- sée, c'est-à-dire qu'il s'éloigne du point de l'irritation; il est évident qu'il ne peut pas être démontré expérimentalement, car nous ne pouvons pas explorer directement le cylindre-axe. Mais que se passe-t-il dans un nerf artificiel soumis à une irritation par les courants induits? On observe deux sortes de phénomènes; en premier lieu, lorsque le courant tétanisant est très fort, on voit une dévia- tion électrotonique, preuve que les courants induits, tels qu'ils sont fournis par la bobine de Du Bois-Reymond, produisent une polarisation. Par une série de recherches, nous nous sommes persuadé que cette polarisation est assez forte; nous ne voulons pas insister sur ces expériences, vu qu'elles n'ont pas un rapport direct avec le sujet de la présente communication. Si l'on se sert de courants faibles ou de force moyenne, on observe une déviation constante. Nous pouvons la définir de la façon suivante : sous l'influence d'un courant tétanisant, il naît dans un nerf artificiel un autre courant qui, dans la gaine, s'éloigne du point irrité. Nous voyons donc que sous l'influence de l'irritation élec- ( 11 ) trique (faradisation), un nerf vivant et un nerf artificiel mon- trent tous deux dans la partie extra-polaire une manifestation électri((ue décelée par le galvanomètre. Mais pendant que dans un nerf normal apparaît un courant qui dans la gaine va vers le point irrité, dans le nerf artificiel il s'en éloigne; donc ces deux oscillations électriques sont de sens diamétralement opposé. Pour éviter autant que possible la polarisation, nous nous sommes servi toujours d'électrodes impolarisables de Du Bois- Reymond, et, pour éviter la déviation éleclrotonique (laquelle peut être produite par les courants induits), nous avons inter- calé deux commutateurs : l'un entre la pile et la bobine pri- maire; l'autre entre la bobine secondaire et le nerf. Le dispositif de cette expérience est représenté dans le schéma suivant : rrrrcrrrC^ Fia. 5. P = pile (Leclanché); ce = commutateurs (Je Pohl) ; BB' = bobines primaire et secondaire du chariot de Du Bois-Reymond; EE'=: électrodes impolarisables de Du liois-lîeymond. Pendant la durée de chaque expérience, nous changions à plusieurs reprises la direction du courant en nous servant tan- tôt du commutateur C, tantôt du commutateur C. Malgré ces précautions, un nerf normal donne toujours une variation négative (c'est-à-dire que l'électrode exploratrice la plus rapprochée du point irrité est toujours négative pendant ( 12 ) que l'autre plus éloignée est positive) et, un nerf. artificiel, une variation entièrement opposée (c'est-à-dire que l'électrode exploratrice la plus rapprochée du point irrité est toujours positive et la seconde, plus éloignée, négative); disons, pour être bref, que le nerf artificiel irrité par un courant induit montre une variation positive. En recherchant les meilleures conditions pour la production de la variation positive dans un nerf artificiel, nous avons trouvé qu'elles sont les mêmes que pour l'électrotonus, à savoir : un noyau très bon conducteur et une gaine très électrolysable. Toutes ces oscillations électriques observées dans les nerfs vivants et dans les nerfs artificiels ne nous montraient que l'état électrique de la gaine; il fallait définir mieux le rôle du noyau en cherchant dans quel état il se trouve pendant tout le temps de l'irritation. Pour cela nous avons eu recours au même nerf artificiel qui nous avait servi dans les études sur l'électrotonus. En irritant la gaine dans la partie non isolée et en reliant les deux fils métalliques soudés au noyau avec un galvanomètre, nous avons constaté que le noyau a été parcouru par un courant de sens opposé à celui de la gaine. En résumant toutes ces observations, nous pouvons les exprimer sous la forme suivante : un nerf artificiel, irrité par le courant induit, montre dans ses deux parties extrapolaires un courant circulaire qui, dans le noyau, court vers le point irrité et qui, dans la gaine, s'éloigne de ce point. Nous supposons qu'un nerf normal, sous l'influence d'une irritation, présente, lui aussi, un courant circulaire, mais de sens inverse, c'est-à-dire qu'il court vers le point irrité dans la gaine et s'en éloigne dans le cylindre-axe. Partant de là, nous nous sommes demandé quelle est la cause de cette différence constatée entre un nerf normal et un nerf artificiel ; pourquoi l'un montre toujours une variation négative pendant que l'autre donne une variation positive? Cette différence dépend-elle de conditions physico-chimiques connues, alors il faut que nous essayions de les réaliser et de ( 13 ) construire un nerf artificiel dans des conditions telles, qu'au lieu de la variation positive, il donne, lui aussi, une variation négative. Ou bien cette diflërence dépend d'une autre cause indéfinie, elle se rattache à cette inconnue qu'on appelle la vie; dans ce dernier cas, la tentative de construire un nerf artificiel semblable à un nerf vivant, en ce sens qu'il donnerait lieu au phénomène de la variation négative, serait irréalisable. Après des essais multiples qui n'offrent pas assez d'inlérét pour être rapportés ici 't, nous nous sommes arrêté à l'hypothèse sui- vante pour expliquer la variation négative dans les nerfs nor- maux et la variation positive dans les nerfs artificiels. Examinons d'abord un nerf artificiel construit au moyen d'une tige métallique quelconque et d'une gaine de coton imprégnée de chlorure de sodium à G °/oo. Bob Crciiucuxoji\ètr-e Fig. 6. La partie comprise entre les deux électrodes EE' est par- courue par le courant induit provenant d'une bobine de Du Bois-Reymond; or, que se passe-t-il dans celte portion du nerf? La gaine éicctroiysable est le siège d'un changement physico- chimique intense. Les courants induits décomposent la solu- * Ces essais avaient été inspirés par le fait que nous avons d'abord pensé à la polarisation, mais l'inti-oduclion des deux commutateurs per- met d'éviter cette erreur ou cette confusion. Ensuite nous avons pensé aux courants lliermo-électriqucs; l'apparition et surtout la disparition très brusque de la variation positive nous a fait abandonner cette interprétation; une déviation produite par un courant thermo-électrique devrait disparaître beaucoup plus lentement. ( H) tion saline et mettent en liberté les ions correspondants. Ces ions ou se combinent entre eux ou décomposent le milieu ambiant; en un mot, la partie intrapolaire de la gaine est en état d'activité chimique. Le noyau métallique reste relativement indifférent à toutes ces réactions qui ont lieu dans la gaine, réactions de la décom- position et de la recomposition. Or, nous savons que chaque changement matériel, et notamment les changements chi- miques, donne naissance à une différence du potentiel élec- trique et que la partie la plus attaquée est électro-négative par rapport à l'autre non attaquée ou moins attaquée (par exemple, zinc par rapport au cuivre ou au charbon plongés dans l'acide sulfuriquc dilué). Nous supposons donc que la partie intrapolaire de la gaine (partie pour ainsi dire lésée) est électro-négative par rapport aux deux bouts de la même gaine. A ce point de vue, la gaine peut être comparée à une pile ouverte. Les pôles de cotte pile se réunissent par l'intermé- diaire du noyau métallique, qui joue ici le rôle du circuit externe, et donnent naissance à un courant électrique. Puisque dans toute pile le courant va du pôle négitif au pôle positif, nous aurons dans la gaine (qui représente la source de la force électromotrice) un courant qui fuit le point irrité. En sortant de la pile, le courant va du pôle positif au pôle négatif; dans le cas en question, les pôles de la pile, que nous considérons comme formés par les points extrêmes du poten- tiel dilférent, se réunissent par le noyau métallique. Ce courant qui parcourt le noyau doit avoir un sens opposé à celui du courant dans la gaine, c'est-à-dire qu'il va vers le point irrité. Or, c'est précisément ce qu'on observe dans le nerf artificiel, tel que nous l'avons construit, pendant son irritation par les courants induits : il se produit un courant circulaire de même sens que colui que nous venons de décrire. Appliquons le même raisonnement à un nerf normal. ( 15 ) Dans ce cas, nous irritons aussi la gaine et le noyau, autre- ment dit la myéline et le cylindre-axe; seulement, ce n'est plus la gaine qui est le siège d'un changement matériel maxi- mum, c'est le noyau ou cylindre-axe. En efl'et, dans un nerf myélinique, la gaine joue un rôle secondaire; la parlie principale, au point de vue fonctionnel, est le cylindre-axe. C'est lui qui présente la plus grande vul- nérabilité chimique; c'est lui qui transmet l'irritation vers les organes terminaux; c'est lui, nous pouvons tout au moins le supposer, qui est le siège du potenliel électro-négalif dans la partie irritée, pendant que ses deux bouts seront respective- ment électro-positifs. Les deux potentiels de nom contraire, électro-positif et élec- tro-négatif, se réunissent par la gaine myélinique qui sert comme un conducteur relativement neutre. Si ces données sont conformes à la réalité, nous devons observer dans un nerf vivant, soumis à l'irritation faradique, un courant circulaire qui, dans le cylindre-axe, s'éloigne du point irrité et qui, dans la gaine, s'en rapproche; or, c'est ce qu'on observe en réalité, en tant qu'il s'agit de la gaine (car le cylindre-axe est inaccessible). Nous ne voulons pas affirmer que, dans un nerf artificiel, ce soit la gaine qui est uniquement influencée par l'irrilation faradique ni que, dans un nerf normal, ce soit le noyau qui est attaqué uniquement. En efl'et, les changements matériels physico-chimiques peuvcnt^^se produire dans l'enveloppe aussi bien que dans le noyau; mais on comprend que la composition chimique du noyau ou du cylindre-axe d'une part, de la gaine d'autre part, ( 16 ) exerceront ici la plus grande influence; la moindre différence dans la « labililé » des substances qui se trouvent ici action- nées par l'électricité, déterminera les différences dans la direc- tion et dans la valeur des courants observés; dans tous ces cas, ce que nous observons au galvanomètre doit être considéré comme la somme algébrique ou la résultante des deux cou- rants de sens opposé; c'est une différence que nous constatons, rien de plus; il ne s'agit que d'une simple prédominance d'un courant sur l'autre ; cette supposition ne modifie en rien notre hypothèse. Celle-ci paraît pouvoir expliquer le pourquoi de la différence entre un nerf artificiel et un nerf normal. Peut-on apporter d'autres preuves expérimentales en faveur de cette suppo- sition? On y arriverait si l'on pouvait construire un nerf artificiel qui montrât la variation négative aussi bien qu'un nerf vivant. D'après ce qui précède, la première condition à réaliser dans ce but serait de trouver, pour construire le noyau, un métal plus influençable que la gaine électrolytique dont on l'en- toure. En consultant les données de thermo-chimie, nous avons choisi le magnésium et le mercure. Voici les faits qui nous ont guidé dans ce choix : Les courants induits, en traversant la gaine imbibée de la solution physiologique de sel marin, mettent en liberté les ions suivants : H, 0, Na, Cl. Ces ions peuvent, ou bien se com- biner entre eux, ou bien se combiner avec le noyau métallique (qui fait partie du milieu ambiant). Nous avons choisi le magnésium, parce que la chaleur de combinaison de ces ions avec le magnésium est plus grande que la chaleur de combinaison des ions entre eux. H -t- 0 = 34,0 Ca; Mg -^ 0 -♦- HO = 74,9 Ca ; Mg -+- Cl = 93,o Ca. D'après la loi du travail maximum, nous pourrions espérer ( 47 > obtenir le maximum de changement dans le noyau métallique, comme c'est le cas dans le cylindre-axe d'un nerf normal. Si l'excitabilité du nerf à magnésium est, dans une certaine mesure, semblable ù celle du nerf vivant, nous devons observer une variation négative dans le nerfartiliciel ainsi réalisé. L'expérience a pleinement confirmé nos prévisions : nous avons observé une variation négative de toute évidence et même beaucoup plus forte que dans un nerf vivant. Nous avons construit un second nerf à noyau mercurique; pour cela, nous avons amalgamé fortement un til de cuivre qui nous servait de noyau; la gaine se composait d'une couche de coton imbibé de la solution physiologique de NaCl, à 6*^/00. La théorie nous faisait prévoir la possibilité de la variation négative, mais bien faible, car il ne fallait compter que sur la combinaison de Na avec Hg et sur la combinaison Hgg -♦- Cl = 40,9 Ca. Le fait a été d'accord avec la théorie. La variation négative, quand elle se montrait dans ce nerf à noyau de mer- cure, était très faible, mais chaque fois qu'on la voyait elle était indiscutable. Si notre explication de la variation négative produite par les courants induits dans le nerf artificiel à noyau de magnésium est vraie ou au moins probable; c'est-à-dire si cette variation dépend de l'activité chimique de la combinaison des ions avec le noyau, nous devrions observer la variation négative dans le nerf artificiel soumis aux irritations chimiques, lesquelles, en laissant la gaine relativement intacte, s'attaqueraient surtout au noyau métallique. Pour arriver à ce but, nous avons procédé de la manière suivante : comme noyau, nous avons pris un fil de cuivre ou de constantan à 0,1 de millimètre de diamètre. Pour attaquer ces métaux, il fallait se servir d'acides miné- raux ; nous avons essayé l'acide chlorhydrique, l'acide nitrique, l'acide sulfurique et, enfin, l'eau régale. En dernier lieu, nous devions choisir une gaine qui ne fût pas du tout ou qui ne fût que faiblement attaquée par les acides énumérés ci -dessus. Dans nos expériences avec l'acide Tome LIX. 2 ( 18 ) chlorhydrique, la gaine était en coton imbibé d'eau salée; dans les expériences avec tous les autres acides, la gaine organique a été remplacée par une gaine inorganique faite avec du caolin. Nous n'allons pas décrire en détail la partie technique de ces expériences, car nous n'avons pas encore terminé cette série, mais nous pouvons indiquer dôy^ les premiers résultats obte- nus. Ces résultats ont pour nous un double intérêt : d'un côté ils confirment notre hypothèse; de l'autre côté, ils montrent que les nerfs artificiels peuvent être irrités non seulement électri- quement, mais aussi chimiquement. Un nerf artificiel préparé de la façon indiquée est placé par une de ses extrémités sur les deux électrodes impolarisables de Du Bois-Reymond; l'autre extrémité repose sur un support en verre. Fi?. 8. Quand le galvanomètre devient tranquille, on verse sur le point I une goutte d'acide. Immédiatement l'échelle du galva- nomètre dévie dans le sens de la variation négative, c'est-à-dire que l'électrode la plus proche du point irrité est négative. Pour nous assurer que cette déviation n'a pas été provoquée par la difl'usion ou la propagation lente de l'acide jusqu'à l'électrode E, nous avons, après avoir obtenu la déviation, coupé le nerf entre la partie irritée par l'acide et les électrodes, par exemple au point A. Après cette section, l'échelle du galvanomètre revient rapi- dement à son point de départ. ( 19 ) Nous n'avions donc pas affaire à une diffusion de l*acide donnant une action chimique locale qui se serait propagée de place en place, mais à une action électrique analogue à la variation négative telle qu'on l'observe dans le nerf vivant. Ces preuves expérimentales, cette possibilité de réaliser dans un nerf artificiel les conditions qui déterminent la variation négative, paraissent parler en faveur de notre hypothèse ; mais cil même temps elles nous forcent à poser la question suivante : La variation négative vraie, observée dans un nerf vivant, est- elle identique à celle que nous avons observée dans un nerf artificiel ? Presque tous les physiologistes sont d'accord pour admettre que le courant d'action ^d'ailleurs comme son nom l'indique) est une expression objective du fonctionnement du nerf, une manifestation vitale par excellence. En effet, un nerf, tant qu'il vit, montre la variation négative; cette dernière disparaît avec la vie du nerf. Pour nous, la cause de la variation négative gît, non pas dans la vitalité du nerf, mais dans une excitabilité électrique particulière du cylindre-axe, liée à son altérabilité chimique. C'est cette excitabilité plus forte du cylindre-axe comparati- vement à celle de la gaine myélinique qui serait, d'après nous, la cause des phénomènes électriques observés dans un nerf normal pendant son irritation, parce qu'elle favorise la pro- duction du potentiel électro-négatif dans le point irrité. Il faut donc prouver que cette excitabilité électrique particu- lière, cause de la variation négative, et l'excitabilité physiolo- gique ou ce qu'on appelle la vie du nerf, sont indissolublement liées entre elles. Pour élucider cette question, nous nous sommes adressé aux nerfs de mammifères (chien, lapin) et aux nerfs de gre- nouilles. Nous commencerons par rendre compte des expériences sur les nerfs de mammifères, mais auparavant nous voulons dire quelques mots de Toutillage dont nous nous sommes servi dans toutes nos recherches. ( 20) Un tronçon du nerf sciatique était mis sur quatre électrodes impolarisables de Du Bois-Reymond, renfermées dans une chambre humide, chambre qui se fermait à Peau de façon que nous pouvions avoir sous la cloche de l'air presque saturé d'hu- midité et empêcher autant que possible la dessiccation du nerf. Deux électrodes servent à irriter le nerf au moyen d'un cou- rant induit, venant de la bobine de Du Bois-Reymond; dans ce circuit sont intercalés deux commutateurs (un entre la pile et la bobine primaire, l'autre entre la bobine secondaire et le nerf). L'autre paire d'électrodes (électrodes exploratrices) va vers un commutateur à trois voies qui nous permet de relier le nerf avec un des trois galvanomètres toujours prêts à fonctionner. De cette façon, nous pouvions choisir chaque fois le galvano- mètre de la sensibilité voulue sans aucune perte de temps. Nous avons expérimenté sur un grand nombre d'animaux, sacrifiés à l'Institut pour d'autres expériences et qui nous arri- vaient tantôt immédiatement, tantôt un quart, une demi, et même trois quarts d'heure après la mort. Nous préparions soigneusement un morceau du sciatique, i ^ l e r-T-v.\H/ \ '^H cî^"\J ' " ^ -3 ''"■"''^""* ) Kig. 0. nous le déposions sur les quatre électrodes de la chambre ( 21 ) humide. Pour avoir do l'air très saturé d'humidité, nous humections les parois intérieures de la cloche, nous y mettions une petite éponge imbibée d'eau, et, enfin, nous fermions la cloche en remplissant d'eau la rigole circulaire dans laquelle plongent les bords de la cloche. Dans les nerfs conservés de cette façon, nous avons pu obser- ver la variation négative pendant vingt-quatre heures. Elle devenait de plus en plus faible, et enfin disparaissait entière- ment. Si nous prolongions nos expériences, nous pouvions voir quelquefois que la variation négative avait été remplacée par une déviation électrotoni({ue. C'est un fait important, car il nous prouve que la première déviation n'était pas électroto- nique, mais bien réellement une variation négative. Ce fait nous montre de plus que dans toutes les expériences délicates, les courants induits doivent passer par un commutateur. Dans le cas en question, nous aurions pu, par hasard, réunir la bobine de telle façon que la variation négative et la déviation électrotonique eussent le même sens, et nous aurions pu prendre l'une pour l'autre. Un nerf qui ne donne plus la variation négative montre encore la déviation électrotonique; ces deux phénomènes ne disparaissent pas simultanément. Or, les nerfs de mammifères donnaient la variation négative pendant vingt-quatre heures; nous n'en concluons pas qu'ils étaient restés vivants pendant tout ce temps; on sait, en effet, qu'au bout d'un temps qui n'excède pas une heure environ, un nerf isolé de mammifère perd son excitabilité. Mais admettons que ces nerfs fussent morts depuis long- temps, que l'excitabilité physiologique ait disparu; si nous y trouvons encore la faculté de présenter la variation négative, c'est qu'évidemment les deux phénomènes (excitabilité nor- male et production de la variation négative) peuvent être dis- sociés et que, par conséquent, les propriétés physiologiques du nerf vivant ne sont pas indissolublement liées à cette exci- tabilité électrique, qui, dans nos expériences, donnait nais- sance à la variation négative. ( 22 ) La vie avait abandonné ces nerfs où la variation négative persistait encore. Passons maintenant h nos expériences sur les nerfs de gre- nouilles. Voici comment nous procédions : après avoir tué plusieurs grenouilles par la destruction du système nerveux central, nous les abandonnions pendant des heures, tout en surveillant de très près la disparition de l'excitabilité ner- veuse. On sait, depuis les travaux de Ritter et de Valli, que les nerfs moteurs perdent leur excitabilité du centre vers la périphérie. Nous cherchions donc à surprendre le nerf au moment où la partie centrale n'était plus excitable ni par les courants induits, ni par les courants constants. Très souvent, nous avons réussi à saisir le moment où les nerfs, qui n'étaient plus excitables dans leur partie centrale, étaient encore excitables dans leur partie périphérique près du muscle par l'ouverture du courant ascendant ; on sait que cet état est avant-coureur de la mort. Acemoment, lenerf a été transporté dans la chambre humide et mis sur quatre électrodes impolarisables. Souvent, pour mieux observer la variation négative, nous enlevions le muscle en sectionnant le nerf tout près du genou. En irritant la partie reconnue (par expérience préalable) non excitable dans ce nerf, nous avons vu la variation négative apparaître dans la partie excitable. Après avoir fait plusieurs constatations successives pendant un quart d'heure environ, nous changions la position du nerf, c'est-à-dire que nous irritions la partie restée excitable et que nous explorions la partie inexcitable du nerf; dans ces condi- tions, le courant d'action se montrait toujours. En nous basant sur ces deux séries de faits, nous croyons pouvoir affirmer que le phénomène de la variation négative, considéré jusqu'ici comme indissolublement lié à la vie des nerfs, n'est pas autre chose qu'un phénomène d'ordre physico- chimique pouvant être observé soit dans les nerfs vivants, soit dans les nerfs morts, soit enfin dans les nerfs artificiels; dans ( 23 ) ces derniers, on les constate avec d'autant plus de netteté que la portion correspondante au cylindre-axe présente, comparative- ment à la portion correspondante à la gaine myélinique, une plus grande susceptibilité à être directement ou indirectement influencée par les courants électriques. Le phénomène de la variation négative n'apparaît donc plus comme une fonction \itale, ni comme une manifestation objec- tive de la transmission nerveuse, mais comme une particularité caractérisant à la fois les conducteurs nerveux et les conduc- teurs inertes construits comme le nerfartiticiel que nous avons décrit. En résumé, nous disons que le nerf vivant présente trois ordres de phénomènes caractéristiques; le premier est l'exci- tabilité ou capacité de transmettre vers ses extrémités le mou- vement moléculaire produit par une cause quelconque dans une portion quelconque de son étendue ; le deuxième com- prend le phénomène de l'électrotonus ou, pour mieux dire, la série des phénomènes étudiés par Du Bois-Reymond sous cette dénomination ; le troisième est l'oscillation ou la varia- tion négative. Le premier phénomène disparaît peu de temps après la mort, non pas subitement, mais progressivement; il paraît lié à la mobilité moléculaire qui caractérise le protoplasme vivant; on ne peut pas plus le reproduire dans un nerf artificiel que l'on ne reproduit artificiellement le protoplasma. Le deuxième et le troisième, au contraire, ne cessent pas en même temps que la vie et peuvent être reproduits artificiellement dans un nerf artificiel ; nous avons obtenu la variation négative dans des nerfs de mammifères vingt-quatre heures après la mort, et nous l'avons obtenue également dans des nerfs de grenouilles devenus inexcitables ; quant aux phénomènes de l'électro- tonus, ils disparaissent plus lentement encoreet s'observent alors que l'excitabilité d'abord, et la variation négative ensuite, ont à leur tour disparu. Pouvons-nous pénétrer davantage ces phénomènes en pré- cisant les conditions qui les déterminent? ( 24 ) Quant à l'électrotonus, il nous paraît reposer uniquement sur une structure morphologique, caractérisée par l'hétérogé- néité physico-chimique des conducteurs; la gaine étant polari- sable et le cylindre-axe meilleur conducteur que la gaine, l'électrotonus s'obtient; ces conditions suffisent soit dans les nerfs vivants, soit dans les nerfs morts, soit enfin dans les nerfs artificiels. Pour la variation négative, il faut quelque chose de plus ; aux conditions qui précèdent doit s'ajouter une sensibilité très grande du cylindre-axe vis-à-vis des courants induits. Enfin, pour ce qui concerne l'excitabilité physiologique, il estclair que la définition qui y correspond équivaudrait presque à la définition de la vie elle-même. Remarquons, en terminant, que les expériences dont nous venons de rendre compte nous paraissent appliquables aux nerfs amyéliniques aussi bien qu'aux nerfs myéliniques ; la gaine électrolysable existe en effet dans les uns et dans les autres, car nous ne supposons pas du tout qu'elle soit unique- ment représentée par la myéline; le liquide sous-myélinique, dans les nerfs à myéline, forme une gaine analogue à celle qui existe autour de toute partie du cylindre-axe, dans les conduc- teurs nerveux quels qu'ils soient; les expériences de Valentin et de Schiff ont démontré qu'il suffit que le fil métallique soit humide pour obtenir des phénomènes analogues à ceux de l'électrotonus ^. * Nous reviendrons dans un autre travail sur des expériences où nous avons, entre autres, réussi à produire sur des nerfs normaux la variation négative, sans qu'il y ait activité fonctionnelle. LA DIGESTION DANS LES URNES DE NEPENTHES PAR Georges GLAUTRIAU ASSISTANT A l'institut BOTANIQUE DE BRUXELLES L'activité des plantes carni- vores est, en dernière analyse, une question d'azote. Ed. Morren. (Mémoire couronné dans la séance de la Classe des sciences du do décembre 1898.) Tome LIX. j LA DIGESTION DANS LES URNES DE NEPENTHES PREMIÈRE PARTIE. Considérations générales sur la digestion. Dans son sens le plus étendu, on peut définir la digestion comme étant l'ensemble des modifications, physiques ou chi- miques, que l'organisme fait subir aux aliments pour les rendre assimilables. Ces modifications peuvent être plus ou moins profondes et dépendent à la fois de l'être vivant et de la constitution chi- mique de la substance alimentaire. La nourriture propre aux divers organismes varie beaucoup et peut aller depuis l'azote atmosphérique ou les composés minéraux très simples, comme fanhydride carbonique et les nitrates, sulfates, phosphates alcalins, de calcium, de magnésium et de fer, qui suflisent à la nutrition de la plupart des végétaux, jusqu'aux substances complexes de la chimie organicjue telles que les graisses, les { 4 . hydrates de carbone, les matières protéiques, indispensables au développement des animaux supérieurs. Ces aliments organiques, dont ceux-ci ont besoin, doivent généralement subir, avant d'être assimilés, des dédoublements plus ou moins profonds. Leurs molécules, souvent très grosses, se scindent en un nombre variable d'autres molécules plus petites qui f)euvent alors pénétrer dans les tissus et servir an métabolisme de l'individu. Pour produire ces changements moléculaires, l'organisnie sécrète des substances chimiques particulières. Mais en outre, à mesure que, dans la série ani- male, l'alimentation se spécialise ou se complique, un appareil, destiné à cette élaboration des aliments, s'orgauise et se diffé- rencie de plus en plus, pour atteindre un très haut degré de perfectionnement dans le tube ou canal digestif des Mammi- fères supérieurs. Quelques auteurs semblent vouloir subordonner la digestion à l'existence d'un appareil différencié et, pour eux, elle serait l'apanage exclusif du règne animal. Mais si l'on considère la structure des animaux inférieurs, on voit la cavité digestive devenir de plus en plus rudimentaire; et, au bas de l'échelle animale, elle n'existe même plus. Ailleurs, chez les Amibes, la masse protoplasmique sans membrane limitante qui constitue le corps tout entier, englobe la proie, l'enferme en une sorte de vacuole où elle est baignée dans un suc digestif qui la dis- sout peu à peu. Ici, il n'y a encore aucune trace d'organe spécial ; et cependant un phénomène de digestion se manifeste déjà, avec sécrétion d'acide, ainsi que l'a montré Le Dantec i, avec sécrétion de zrmase, d'après les travaux de Kruken- berg. Dès que l'organisme inférieur s'entoure d'une membrane continue, il n'est plus capable que d'absorber des sub- stances dissoutes. Souvent, celles-ci ne sont pas directement assimilables; et de même ifoe chez les Myxomycètes il y a * Le I>a5TEC, Recherches sur la digestion intracellulaire chez les Pro- tozoaires, (AS5. Pasteth, 1890, p. 776, et 1891, p. 163.; (o) une digestion de la proie solide, de même, chez les Levures de bière, {)ar exemple, il y aura une digestion préalable, par l'invertase, de la saccharose ou de la maltose qui pénètre par diffusion. Ce phénomène peut aussi se produire en dehors de l'organisme, par sécrétion de la substance dédoublante. UAiper- giiius niger sécrète son amylase; nombre de Bactéries dis- solvent Talbumine coagulée ou dédoublent la cellulose. Nous pouvons ainsi retrouver, chez les OT^nismes infé- rieurs, tous les stades dans Tébauche de la digestion ; et, par suite, la caractéristique de celle-ci n'est jms dans l'existence d'un appareil plus ou moins différencié, mais dans la sécrétion de substances digestives, composés chimiques définis, capables de rendre les aliments assimilables. Ces substances digestives sont très diverses. Le plus souvent elles appartiennent à la classe des ferments solubles ou zymases, mais elles peuvent aussi être de constitution chimique plus simple : acides, bases, etc. La plupart des plantes vertes empruntent à l'atmosphère, sous forme d'anhydride carbonique directement assimilable, tout le carbone qui entre dans la constitution de leurs tissus. Aucun phénomène digestif ne se manifeste dans ce cas, pas plus que dans l'absorption par les racines des sels minéraux qui se trouvent en dissolution dans l'eau du sol. Mais ces racines peuvent aussi prendre à des composés insolubles dans l'eau le potassium, le calcium, le phosphore, etc., nécessaires à la plante; et cette digestion des calcaires, des feldsp^aths, des phosphates, se fait sous l'influence d'une sécrétion acide qu'il est aisé de mettre en évidence. Il suffit, en effet, de faire croître les racines de beaucoup de plantes sur des plaques de marbre polies, pour observer une corrosion très nette de la surface, partout où la radne a été en contact avec la plaque. De même aussi, certaines plantules que l'on fait pousser sur du papier de tournesol bleu font virer au rouge ce papier sur tout le parcours des racines. Il y a dans ce cas une vraie ébauche de la digestion, sous sa forme la plus simple : la solubilisation. Cest la seule qui (6) se manifeste, en somme, chez le plus grand nombre des plantes vertes, chez les nombreuses plantes holophytes ou auto- trophes'i, dont toute l'assimilation se fait aux dépens de maté- riaux inorganiques. Mais, ù côté de ces plantes, il en existe un certain nombre d'autres pour lesquelles une alimentation aussi simple ne suffit plus et qui ont besoin, pour vivre, d'absorber, en partie ou en totalité, leur carbone et peut-être leur azote, leur soufre, etc., sous forme de composés organiques. Ce sont les plantes saprophytes et parasites, à nutrition hété- rotrophe ou allotrophe. Entre ces diverses catégories, on peut trouver tous les stades transitoires, depuis la nutrition pure- ment holophyte jusqu'à la nutrition exclusivement saprophyte. Malheureusement, au sujet de cette dernière forme, nos con- naissances sont encore peu étendues et nous ne savons guère comment les matières nutritives sont absorbées par les racines de ces plantes. Faut-il attribuer le principal rôle digestif aux nombreux filaments mycéliens, les mycorhizes, vivant en symbiose avec les racines des saprophytes? N'y a-t-il pas lieu de supposer cependant, surtout lorsque les mycorhizes manquent, que ces racines doivent pouvoir agir directement sur le milieu organique ambiant, y amener des dédouble- ments préalables, et cela le plus souvent par la sécrétion de zymases, comme le font beaucoup de Bactéries et de moisissures? D'ailleurs, même chez toutes les Phanérogames pourvues de chlorophylle, lors de la germination de la graine, une véri- table digestion des matériaux de réserve se produit, et pendant tout un temps le jeune embryon vil d'une façon purement saprophyte, hétérotrophe. Dès que les premières feuilles apparaissent, dès que la chlo- rophylle qu'elles renferment reçoit les radiations lumineuses, la plante verte devient autotrophe, le plus souvent. Mais, chez quelques-unes, on pourra voir apparaître un nouveau saprophytisme, très spécialisé, destiné à procurer un surcroît 1 Pfeffer, Pflanzenphysiologie. Leipzig, 1897, 2. Auflage. ( 7 ) d'aliments. Comme la plante est capable d'assimiler abondam- ment l'anhydride carbonique de l'air qui ne lui fait jamais défaut, ce ne sera donc pas du carbone qu'elle cherchera à prendre sous une autre forme, mais bien un autre aliment moins copieusement fourni : l'aliment azoté. Souvent les com- binaisons azotées directement assimilables n'existent qu'en minimes proportions dans le sol et l'on comprend aisément l'avantage que tirera la plante de toute disposition pouvant augmenter son alimentation azotée. C'est cette disposition, c'est ce recours à un saprophytisme partiel, qui se présente d'une façon si remarquable chez les plantes carnivores ou insectivores, chez lesquelles les feuilles se ditlérencient et se transforment, partiellement ou en totalité, en appareils destinés à attirer, à capturer et à digérer de petits animaux. Il y a là une sorte de nutrition animale, c'est-à-dire une nutrition essentiellement azotée. En même temps, les cadavres des animaux capturés peuvent aussi céder d'autres substances à la plante, et il n'est pas impossible que celle-ci bénéficie également, dans une certaine mesure, du phosphore, du soufre, des alcalis provenant des tissus de ces animaux. La digestion des plantes carnivores a déjà fait l'objet de nombreuses recherches qui, pour la plupart, ont établi que leur dénomination est pleinement justifiée. Le présent travail confirme cette idée. Je me suis appliqué à suivre, d'aussi près que possible, la marche du phénomène chez l'un des genres les plus caractéristiques, chez les iVé"7?e?zfte, dont j'ai eu l'occasion d'observer à loisir, dans son habitat naturel, une espèce très répandue à Java, et dont j'ai pu étudier ensuite diverses espèces, cultivées dans les serres du Jardin botanique de Bruxelles. Mais avant d'exposer le détail de mes recherches et de donner les conclusions qui en découlent, je désire rappeler brièvement les principales particularités des plantes carnivores. (8) II. Généralités sur les plantes carnivores. Les plantes carnivores sont toutes des Phanérogames dicoty- lédones et appartiennent à cinq familles végétales : les Drosé- racées, les Sarracéniacées, les Népenthacées, les Céphalotacées et les Lentibulariacées. Chacune de ces familles ne comprend qu'un petit nombre de genres; mais elles présentent cette particularité remar- quable, qu'un même caractère biologique, la faculté insecti- vore, se retrouve à un degré plus ou moins marqué dans toutes leurs espèces, au nombre d'environ trois cent cin- quante. Une autre particularité de ces plantes est leur vaste disper- sion. On en trouve pour ainsi dire sur toute la surface du globe, à part les régions polaires, les déserts africains et les pampas de l'Argentine. Ce sont les Droséracées qui ont l'aire de dispersion la plus considérable. Le genre Drosera se rencontre aussi bien dans l'ancien que dans le nouveau continent, tandis que les autres genres ont un habitat plus spécialisé. Le Dionaea est spécial à l'Amérique du Nord, le Roridiila est propre à l'Afrique aus- trale, le Byblis existe en Australie avec le genre Aldrovanda, qui croît aussi en Europe. Le Drosophyllum est originaire du Portugal et du Maroc. De même que les Droséracées, les Lentibulariacées pos- sèdent un genre, Utriculaiia, répandu presque partout. Les Pinguicula habitent tout l'hémisphère nord et même, en Amé- rique, le long de la chaîne des Andes, ils s'étendent jusqu'aux régions antarctiques. Les Genlisea sont des carnivores des régions tropicales américaines et africaines, tandis que le Polypompholix est australien. (9) Les autres familles ont une aire de dispersion plus limitée. Les Sarracëniacées sont américaines, les Cëphalotacées sont originaires d'une petite région de l'Australie, et enfin les Népenthacées sont propres aux îles de l'océan Indien, depuis la Nouvelle-Guinée jusqu'à Madagascar. Les plantes carnivores habitent en général les endroits humides ou marécageux. Toutefois, le DrosophyUum provient de régions arides et sèches. Elles sont généralement de dimen- sions assez restreintes, à part les Nepenthes, dont certaines espèces vivent en épiphytes et ont des tiges pouvant atteindre une longueur considérable. Le dispositif mis en œuvre par ces plantes pour attirer, capturer et digérer les petits animaux, est très variable; mais dans tous les cas, il représente une feuille transformée. Tantôt, comme chez le Dionaea, la feuille constitue un véritable piège qui se referme et emprisonne l'insecte; d'autres fois, elle se recouvre de glandes plus ou moins longuement pédicellées, sécrétant un mucilage brillant au soleil dans lequel l'insecte vient s'engluer [Dr oser a, DrosophyUum). Les Utricuîaria sont pourvus de petites poches dans lesquelles les petits crustacés surtout sont attirés, emprisonnés et finalement digérés. Enfin, les Nepenthes, Sarracenia, Cephalotus, présentent une modifi- cation très curieuse de la feuille ou d'une partie de celle-ci, qui se change en une sorte de réservoir où s'accumule un liquide sécrété par la plante et dans lequel les insectes viennent tomber, se noient et sont ensuite digérés. Quant au mode de digestion, il est nettement établi main- tenant que, chez la plupart de ces plantes, il y a sécrétion de substances capables de dissoudre les tissus des animaux qui ont été pris. Chez quelques-unes, cependant, elles semblent faire défaut, et Goebel i classe comme insectivores ne sécrétant pas de zymases, les Sarracenia et les Cephalotus, * Goebel, Pflanzenbiologische Scfiilderungen, Insectivoren, ^. Theil, S. 52. ( 10 ) Déjà au siècle dernier, les propriétés curieuses de quelques- unes de ces plantes avaient été signalées; et néanmoins, ce n'est que depuis peu de temps, surtout depuis la publication du livre de Darwin i sur ce sujet, que cette fonction Carnivore de certains végétaux fut définitivement acceptée dans la science. Il avait donc fallu plus de cent ans pour que le phénomène observé et signalé par J. Ellis en 1765 ne soulevât plus de protestations! 11 n'est pas nécessaire de mentionner ici toute la bibliogra- phie concernant les plantes carnivores. Elle se trouve très com- plètement renseignée dans les articles de Drude -, de Goebel et dans l'ouvrage de Darwin ; et je m'en tiendrai uniquement à l'exposé des travaux publiés sur les Nepentfies. m. Caractères des Nepenthes. En général, les Nepenthes possèdent un rhizome rampant sur le sol ou s'étendant horizontalement dans la terre, qui donne naissance à des tiges feuillées, parfois aussi à des rosettes de feuilles. Celles-ci sont alternes et présentent une forme caractéristique bien connue. On peut y distinguer plusieurs parties : une portion basilaire subsessile ayant la forme et la structure d'une feuille entière, lancéolée, dont la nervure médiane se continue en un prolongement filiforme, arrondi, plus ou moins étendu, qui souvent est sensible au contact et joue le rôle de vrille. Ce prolongement est terminé par l'urne munie d'un couvercle que surmonte en arrière un petit éperon et garnie de deux ailes barbelées. D'après l'étude du développement, Goebel admet que l'urne avec son couvercle * Darwin, Insectivorous plants, 1873. 2 Drude, 0., Die inseklenfressenden Pfl.anzen, in Schenk, Handbuchder Botanik, Bd I, S. 113. ( n ) doit êlre considérée comme une modification du limbe de la feuille, dont l'extrémité est représentée par le petit éperon. La lame assimilatrice et la partie amincie, irritable, représen- teraient le pétiole. L'urne, qui est la partie la plus caractéristique de cette feuille, peut varier beaucoup de dimensions et de forme. Par- fois ovoïde, parfois allongée, suivant les espèces, elle peut aussi être diversement colorée, les teintes allant du vert au rouge foncé. Sa structure est très particulière. Déjà, à un examen sommaire, on peut aisément constater qu'elle présente deux régions distinctes. L'une, supérieure, d'une teinte plus pâle, qui est la zone lisse avec un revêtement cireux à l'intérieur; l'autre, inférieure, d'une teinte plus foncée, où s'accumule le liquide sécrété. Cette portion inférieure est marquée d'une infinité de petits points plus foncés qui sont des glandes pluricellulaires. Elles ont la forme de coussinets ronds, insérés dans une légère dépression des cellules épidermiques qui, au pourtour, deviennent de plus en plus saillantes, principale- ment vers la partie supérieure de la glande, qu'elles finissent de cette façon par recouvrir d'une sorte d'auvent. Ces glandes sécrètent le liquide digestif et ce sont elles, ainsi que nous le verrons plus loin, qui absorbent ultérieurement les produits de la digestion. La portion supérieure de l'urne, très lisse, est dépourvue de glandes. Au microscope, on y observe des cellules spéciales en forme de croissant, légèrement saillantes, dont la convexité est dirigée vers le haut. Le rebord de l'urne affecte une disposition particulière, il se replie en deux saillies qui se rabattent l'une vers l'intérieur, l'autre vers l'extérieur. Elles sont marquées de stries transver- sales à surface glissante, qui vers l'intérieur se continuent par une pointe acérée. Entre chaque pointe se trouve une glande nectarifère. Il en existe également au pourtour du rebord exté- rieur, ainsi que vers le haut de la partie externe de l'urne et à la surface du couvercle. Les insectes sont attirés par ces glandes nectarifères. Ils par- ( 12 ) viennent ainsi au rebord glissant de l'urne et, tentés surtout, d'après Macfarlane i, par les glandes de la saillie intérieure, ils tâchent d'y atteindre, glissent inévitablement et tombent dans le liquide digestif. Tous les Nepenthes sont originaires des îles de Tocéan Indien et sont surtout répandus dans la grande île de Bornéo. En géné- ral, ils habitent les forêts humides de ces régions et croissent fréquemment alors en épiphytes vrais, avec le rhizome attaché au tronc des arbres pendant que les tiges s'accrochent aux branches par la portion irritable de leurs feuilles. On les trouve aussi poussant sur le sol ; et selon les espèces, on peut les ren- contrer depuis le niveau de la mer jusqu'à une altitude d'au moins :2,200 mètres pour le yepenîhes melamphora, et même 3,000 mètres pour le yepenthes Rajah. L'action digestive du liquide des urnes a fait l'objet de recherches nombreuses. Toutes cependant ont été entreprises sur des spécimens cultivés dans nos serres; et ces plantes, dans leur habitat naturel, ont simplement été l'objet d'obser- vations superticielles de la part des voyageurs, qui confirment les résultats obtenus en Europe. C'est ainsi que Mohnicke, cité par Goebel, signale que les urnes qu'il a observées étaient remplies d'insectes en pleine désagrégation, et que cependant le liquide n'avait aucune odeur de putréfaction. De même Wallace, dans son voyage en Malaisie, pressé un jour par la soif, dut, pour se désaltérer, boire le liquide d'urnes contenant des insectes, et ce liquide n'avait aucune saveur désagréable. Les urnes observées par ces deux explorateurs renfermaient beaucoup d'insectes. Au contraire, celles rencontrées par Haberlandt - et par Massart 3 étaient très pauvres en débris de ces animaux. Je reviendrai plus loin sur ce dernier point. • Mâcfârlane. Pitchered insectivorous planL<. (Phârmaceuticâl Jour- nal, vol. XVL Voir Bot. Jahresbericht, 1886. S. 1-21. j - Haberlandt, Eine botankche Tropenreise. Leipzig, 1893 S. 2-27. 3 Massart, (Jn botaniste en Malaisie. (Bcll. de la Soc. roy. de Bota- nique de Belgiqlt:, 1893, t. XXXIV, l^e part., p. 253.) (13 ) En Europe, des recherches méthodiques furent entreprises sur ces plantes. A la suite des observations de Darwin et d'autres auteurs sur le IJrosera et sur le Dionaea, Hooker songea à examiner le Wqmàa (\q^ Nepenthes ^ et fut le premier à constater que de petits cubes de blanc d'œuf, des fragments de viande, de fibrine, de cartilage, tels que ceux employés par Darwin, étaient attaqués et transformés en gelée après vingt- quatre heures. En deux ou trois jours, des fragments de fibrine pesant plusieurs grains avaient disparu. Avec le cartilage, l'action est beaucoup plus accentuée. Mais si la digestion dans l'urne est très rapide, elle devient beaucoup plus lente, d'après lui, dans le même liquide en dehors de celle-ci. En six jours, des fragments de cartilage étaient à peine attaqués dans le liquide placé in vitro, alors que ces fragments retirés et remis ensuite dans une urne étaient promptement digérés. Toutefois le liquide de l'urne in vitro a une action différente de celle de l'eau distillée seule, et il estime qu'il est trois fois plus actif. Hooker reconnut que l'absorption se produit intégralement lorsqu'on ne met que peu de substances protéiques, mais qu'une partie se putréfie quand on force la dose. Il admet que le liquide est antiseptique, quoiqu'il ajoute, plus loin, que du cartilage placé dans du liquide d'urne in vitro devient putride, mais moins rapidement que dans l'eau. 11 considère, en résumé, la sécrétion de pepsine comme évidente, et il ajoute qu'elle est plus abondante après addition de petits insectes. En même temps, il a observé dans les glandes un phénomène d'agrégation. Ces observations de Hooker firent grand bruit et eurent pour résultat la publication d'un certain nombre de travaux sur le même sujet. L'année suivante, en 1875, Lawson-Tait2 annonça la préparation d'une substance analogue à la pepsine, provenant 1 Hooker, Carnivorous jAants. British Association. Belfast, 1874. (Nature, t. X, p. 366.) 2 Lawson-Tait, hisectivorous plants. (Nature, 1875, t. XII, p. 'J51.) ( 14 ) du liquide des urnes. Il admet une différence entre le contenu des urnes ouvertes ou fermées. Les premières sont toujours acides, riches en ferments, et il en conclut que l'excitation pro- voque non seulement la sécrétion de Tacide, mais encore de la zymase. La même année, à l'Académie royale des sciences de liel- gique, Edouard Morren i lut son mémoire sur les plantes carnivores, dans lequel il admet complètement les idées de Darwin et de Hooker, qu'il avait combattues auparavant. Comme ses recherches n'ont pas porté sur le Nepenthes, il n'est pas nécessaire de s'y attarder. En 1876 parut le travail de Gorup-Besanez - dont la lecture ne peut laisser aucun doute quant à une action protéolytique du liquide des urnes. Celui-ci, pris dans des urnes ouvertes et fermées, provenait de deux espèces : les Nepenthes phyllamphora et gracilis. Les liquides étudiés par Gorup-Besanez devaient être d'une activité remarquable, car la digestion artificielle dans ceux-ci marchait avec une surprenante rapidité. C'est ainsi qu'en pré- sence d'acide chlorhydrique, la fibrine était dissoute en un quart d'heure. Après deux heures, à 40'*, toute la fibrine était peptonifiée : le liquide ne précipitait plus ni par les acides, ni par le ferrocyanure acétique, mais bien par le bichlorurede mercure, le tannin, l'acide phosphotungstique, et donnait une intense réaction de biuret. Le contenu des urnes non irritées était neutre et sans action. Mais si l'on ajoutait un acide, il semblait aussi actif que celui des urnes excitées. En présence d'un peu d'acide formique à 20"-30'\ Gorup-Besanez a obtenu une solution presque immédiate de la fibrine et, en peu de temps, on ne pouvait déceler que de la peptone dans le liquide par la réaction du biuret. Les autres acides organiques étaient aussi très eftlcaces. * Morren, La théorie des plantes carnivores et irritables. Bruxelles, 1876, 2e édition. 2 Gorup-Besanez, Sitzungsber. derphys.-med. Soc. zu Erlangen, 1875- 1876, S. 152. ( 13 ) D'après ces expériences, les liquides devaient être plus actifs que la pepsine même, car je ne pense pas qu'on puisse avec celle-ci obtenir à 20'*-30" une peptonification complète en deux heures. Aucun auteur, après Gorup-Besanez, ne signale une activité pareille de ces liquides de Nejienthes. Cependant, au point de vue chimique, les expériences semblent avoir été très méthodiques et dépassent en précision toutes celles faites antérieurement ou postérieurement. En tous cas, Gorup- Besanez conclut de ses expériences que les urnes non irritées sont neutres; que le liquide des urnes, irritées ou non, ren- ferme un ferment qui n'agit qu'en milieu acide et par suite est analogue à la pepsine. Il n'existe aucun ferment diastasique dans l'urne. Pfetfer ^, l'année suivante, publia son mémoire sur les plantes insectivores dans lequel il confirme les idées deHooker et de Gorup-Besanez. En même temps, Vines ^ annonçait qu'il était possible d'obtenir un extrait glycérique des urnes doué d'une action digestive très manifeste sur la fibrine, mais moins intense que celle du liquide même. Il en tira la conclusion que les tissus renfermaient un zymogène semblable à celui qui était supposé exister dans les glandes de l'estomac. Mais il y a lieu de faire de grandes réserves quant à l'existence réelle des zymogènes ou prozymases ; car ces substances sont encore purement hypo- thétiques et on les a surtout admises afin de rendre compte de certaines influences inhibitrices qui se manifestent parfois dans les recherches sur les zymases. D'ailleurs, Vines lui- même, dans un travail ultérieur, dit qu'il n'a pu caractériser un zymogène dans l'urne. Après ces travaux, il y eut un temps d'arrêt dans l'étude de la digestion des JSepenthes; et quoique à cette époque les Bactéries jouassent un rôle prédominant dans les recherches scientifiques, ce ne fut que beaucoup plus tard, en 1890, qu'on chercha à leur attribuer la principale action dans cette diges- > Pfeffer, Ueber fleischfres,sende Pflanzen, etc. Xand^virthsch. Jâiir- BiJCHER, 1877.) 2 ViiNES, Journ. Linn. Soc, 1877, t. XV, p. 427. ( 10) tion. Dans une note très peu documentée, R. Dubois contredit l'opinion de Hooker et attribue encore, à cette époque, à Morren, l'opinion que celui-ci avait déjà abandonnée quinze ans auparavant. Les expériences de Dubois ^ ne sont pas à l'abri de la critique. Il semble ignorer le travail de Gorup-Besanez, signalant le liquide d'urnes fermées comme légèrement acide, et il ne vérifie pas si l'absence de digestion dans ce cas n'est pas due à l'insuflisance de l'acide. D'autre part, il n'indique pas la réaction du liquide des urnes ouvertes. Il constate que celui-ci, mis à l'étuve, est rapidement envahi parles Bactéries, et il en déduit, sans faire aucune expérience de contrôle, que les phénomènes digestifs qui se passent dans cet essai, sont uniquement le fait des micro-organismes. Néanmoins, R. Dubois conclut qu'il n'y a pas de suc digestif, que les Nepenîhes ne sont pas des plantes carnivores, et que c( les phénomènes de désagrégation ou de fausse digestion » observés par M. Hooker étaient dus sans aucun doute à l'acti- » vite des micro-organismes venus du dehors et non à une » sécrétion de la plante ». Tischutkin 2 reprit la même idée. Il dit qu'il n'existe pas de zymase; mais comme son travail est écrit en russe, les détails de ses recherches me sont inconnus; et il n'est pas possible de déterminer, par le court résumé en allemand qui a été publié, les causes d'erreur auxquelles ses résultats doivent être attribués. Les recherches de Goebel 3 vinrent bientôt mettre de nou- veau en évidence l'action d'une zymase. Avec raison, il attire immédiatement l'attention sur ce fait que la digestion des Nepenthes présente de grandes différences suivant l'état de santé de la plante. Les urnes ne réagissent pas toujours forte- * Dubois, R., Sur le prétendu pouvoir digestif du liquide de ruine des Nepenthes. (Comptes rendus, 111, 1890, pp. 315-317.) 2 Tischutkin, Ueber die Rolle der Mikroorganismen hei der Ernàhrung der insektfressenden Pflaiizen. (Bot. Centrbl., 50, 1892, S. 304.) 5 Goebel, loc. cit. ( 17) ment dans nos serres; leur activité est très variable et il est nécessaire d'opérer sur des individus en pleine croissance. Il cite le cas d'une plante de N. paradisiaca, dont deux des trois urnes donnèrent un liquide digérant la fibrine très rapidement^ mais moins vite que dans les recherches de Gorup-Besanez. En trois heures, il ne peut plus constater que des peptones. Malheureusement, l'auteur ne dit pas comment il s'est assuré de ce fait. De nombreux essais de cultures lui permettent d'affirmer Tabsence de bactéries dans le liquide. Quant à l'acide sécrété dans les urnes, Goebel semble admettre, à cause de son pou- voir antiseptique, que c'est de l'acide formique, mais il n'appuie cette déduction sur aucune autre preuve. La réaction du liquide des urnes non ouvertes varie avec les espèces, l^e N. paradisiaca est neutre. Le N. Mastersiana est fortement acide, et ce liquide dissolvait la fibrine en trois jours. Goebel semble souvent considérer la dissolution de la fibrine comme le critérium d'une digestion. Il essaie d'expliquer les résultats de Gorup-Besanez en les attribuant à l'emploi d'une plus grande quantité de liquide provenant de la réunion de plusieurs urnes. Mais, dans la vitesse de digestion, c'est bien plus la concentration de la zymase qui agit, que la quantité de liquide d'urne mis en présence. Et dans toutes ces expériences, un facteur n'est jamais défini : on n'indique pas la quantité de fibrine ajoutée, proportionnellement au volume du liquide. Quoi qu'il en soit de ces critiques, il ressort bien de tous ces travaux que l'urne normale digère en l'absence de micro- organismes. Goebel démontre en outre qu'elle absorbe les produits de la digestion et qu'une solution de peptones ajoutée dans l'urne est absorbée rapidement. Vines ^, l'année dernière, a repris l'étude de la zymase. Dans son nouveau travail, il s'applique surtout à réfuter les vues de 1 ViNES, The proteolytic enzyme of Nepent lies . {A^^XLs OF Botany, 1897, vol. XI, p. 563.) Tome LIX. 2 (18) Dubois et de Tischutkin, et à mettre en évidence l'action d'un ferment soluble. Par l'alcool, il précipite du liquide des urnes une substance douée d'une très faible activité. Tous ses essais de digestion sont faits en présence d'acide chlorhydrique et certains aussi en présence d'antiseptiques, ce qui lui permet d'exclure toute idée d'intervention bactérienne. Il obtient dans ses liquides la réaction du biuret. Il a fait aussi des extraits glycériques des urnes qui sont actifs, surtout si l'urne est jeune. Comme action protéolytique de ces enzymes, il ne considère que la dissolution de la fibrine. Dans un chapitre spécial, Vines étudie les produits de la digestion et ses résultats diffèrent beaucoup de ceux de Gorup- Besanez. Il n'a pu déceler de véritable peptone et croit que son albuminoïde était surtout transformé en albumose. Quant au produit ultime de la digestion, il ne semble pas éloigné d'admettre qu'il pourrait se former de la leucine, d'après une réaction très douteuse qu'il obtient et quoique la digestion ne semble pas avoir dépassé le stade albumose. Tel est, en résumé, l'état de nos connaissances sur l'action du liquide des urnes de Nepenthes. Son pouvoir protéolytique est évident et il semble bien qu'il soit dû à une sorte de pepsine. Mais pour caractériser cette zymase, il est nécessaire de suivre la marche de son action sur les substances albuminoïdes; et je crois utile, dans ces conditions, d'exposer rapidement, comme introduction à mes recherches personnelles, les données actuel- lement admises sur les ferments protéolytiques et les produits de leur action. (19) IV. Considérations sur les zymases protéolytiques et lelrs produits de dédoublement. Les substances albuminoïdes, pour être assimilées, doivent subir des modifications plus ou moins profondes. Quelques- unes de ces modifications peuvent être produites par des acides à faible concentration, même par des solutions salines d'après les recherches de Dastre, mais la phase caractéristique dans la digestion de ces substances est, sans contredit, leur transforma- tion en peptones, sous l'influence de zymases particulières. Ces zymases, ou ferments protéolytiques, sont encore peu connues actuellement. Leur composition chimique n'est pas déterminée et aucune n'a été préparée dans un état de pureté suffisant pour en étudier les divers caractères. Seule, la fonc- tion protéolytique permet de déceler leur présence dans un liquide ou dans un tissu organique; et, suivant que l'action se manifeste en milieu acide ou en milieu alcalin, on les classe en deux groupes principaux : les pepsines et les trypsines ou pancréatines. Ces deux sortes de ferments solubles sont parti- culièrement répandus dans le règne animal ; mais le rôle prin- cipal dans la digestion est surtout dévolu à la trypsine, qui souvent même existe seule chez les Invertébrés, d'après les recherches de Fredericq. Dans les plantes on les retrouve également. Le mieux étudié de ces ferments végétaux est la papayotine ou papaïne, qui agit principalement en milieu alcalin et en milieu neutre, mais ([ui, en solution légèrement acide, est encore capable d'une certaine action. A coté de cette papaïne que l'on trouve dans les laticifères du Carica Papaya, on connaît quelques autres substances analogues retirées de divers latex (Ficus, Cucumis) ou du suc de certaines plantes comme les Ananas, etc. De (20) même dans les graines en germination, il en existe également. Leur séparation n'a été faite qu'incomplètement, et leur pré- sence, le plus souvent, n'a été établie que par les produits de dédoublement, par l'existence de petites quantités de peptones ou par les acides amidés qui apparaissent généralement, et par- fois en abondance, lors du développement du jeune embryon. Toutefois, il n'est pas démontré que dans ces graines en ger- mination les acides amidés et les autres substances azotées que l'on y rencontre soient bien le résultat de raction d'une vraie zymase. L'étude de ces ferments protéolytiques est d'autant plus com- plexe que nous ne connaissons que très imparfaitement la constitution des substances albuminoïdes. Cette question a fait un certain pas en avant dans ces dernières années, et désor- mais les essais des diverses zymases pourront s'entreprendre sur des substances protéiques pures, à molécules mieux con- nues. Déjà, dans cet ordre d'idées, on peut citer les recherches de Kossel sur l'action de la trypsine sur la protamine, qui montrent nettement la supériorité du pouvoir protéolytique de la trypsine sur celui de la pepsine. Mais à part ces très récents travaux, l'action des ferments digestifs a surtout été étudiée sur de la fibrine, du blanc d'œuf, de la viande, etc., c'est-à-dire sur des mélanges de divers albuminoïdes. Dans ces conditions, il est bien difficile de déterminer si tous les produits de dédoublement que l'on a observés dérivent réellement les uns des autres, ou, s'ils n'ont pas des origines diverses, s'ils ne dérivent pas d'albuminoïdes différents. De même que dans la saccharification de l'amidon par l'amy- lase, l'hydrate de carbone passe par divers états avant d'être transformé en maltose, de même aussi, le blanc d'œuf, par exemple, n'est pas directement changé en peptones sous l'in- fluence de la pepsine, et il se produit également des corps transitoires. En outre, le terme ultime de l'action peut varier suivant le ferment en présence. L'amylase ne modifie plus la maltose, mais ce disaccharide est dédoublé en hexoses par la ( 21 ) maltase. Le stade hexose est le terme ultime de l'action de ces diastases, tandis que Tenzymede Buchner attaque i'hexose et produit de l'alcool et de l'anhydride carbonique. Jusqu'où peuvent aller les ferments protéolytiqucs dans leur action? Tout ce que nous savons à ce sujet, c'est que la trypsine pousse la décomposition de la molécule albuminoïde beaucoup plus loin que la pepsine et qu'une partie tout au moins de cette molécule est transformée en leucine, tyrosine, acides amidés, à côte de peplones qui ne se modifient plus. La recher- che de ces produits ultimes de la digestion présente donc une grande importance, car elle permet de distinguer le ferment agissant; et elle pourrait aussi permettre de déterminer s'il existe plusieurs pepsines et trypsines. Il serait surtout intéres- sant de s'assurer si ces dernières ont parfois une action plus profonde encore que la pancréatine; et ce serait dans le règne végétal qu'il faudrait les chercher, dans les graines en germi- nation où apparaissent en quantité les acides amidés, l'aspara- gine, etc., ou dans les sécrétions des Bactéries et des moisis- sures capables de transformer l'azote des matières protéiques en azote ammoniacal. Quelle est la marche de la peptonification sous l'influence des zymases i ? Ditiérentes opinions ont été émises à ce sujet, mais je m'arrêterai uniquement ici aux idées deKùhne et de ses élèves, qui sont le plus généralement adoptées actuellement. Par l'action de la pepsine en présence d'acide (2 %o acide chlorhydrique), il se produit une solubilisation des albumi- noïdes non dissous, ou coagulés. La fibrine, le blanc d'œuf cuit, se gonflent, deviennent transparents et se dissolvent en se transformant en syntonines ou addalbumwes (propeptone de certains auteurs). Cette modification peut se faire indé- pendamment de la pepsine, sous l'action des acides seuls ; mais toutefois la présence de la pepsine semble l'accélérer. Ensuite les syntonines sont modifiées par la zymase et trans- formées en albumoses ou matières albuminoïdes solubles dans ^ Voir .Neumeister, Pfiysiol. C/iemie, 1893, t. I. ( 22 ) l'eau et non coagulables par la chaleur. Suivant les auteurs, ces albumoses portent différents noms : hémialbumines, pro- peptones, para- ou métapeptones. Nous n'avons pas à entrer ici clans la discussion des caractères de ces diverses substances, qui représentent bien plutôt des noms donnés à des mélanges que de véritables entités chimiques. iMais leurs caractères essentiels sont leur solubilité dans l'eau, leur non-coagulation par la chaleur et surtout leur précipitation par le sulfate ammo- nique ii saturation. D'après cela, nous pouvons donc définir les albumoses comme des matières protéiques dédoublées, encore colloïdes, et qui ne sont plus modifiées par la chaleur. Si on laisse l'action de la pepsine se continuer, les albumoses disparaissent à leur tour, mais plus lentement, et sont changées en j^eptones, que le sulfate d'ammoniaque à saturation ne pré- cipite plus et qui présentent une véritable solubilité dans l'eau. De même que les albumoses, les peptones des divers auteurs ont des caractères différents, qui s'appliquent dans certains cas à des mélanges de peptones et d'albumoses. Existe-t-il aussi plusieurs peptones, suivant les albuminoïdes digérés? Les peptones sont très mal connues encore actuellement. Pour les uns, elles conservent sensiblement la composition centési- male des albumines dont elles dérivent; pour les autres, le soufre diminuerait ou disparaîtrait même de leur molécule. Que devient-il? Est-il minéralisé en totalité ou en partie, comme dans la germination des graines? Il serait très intéres- sant d'élucider cette question. Dans ce travail, je n'avais à envisager que la digestion en pré- sence d'acide, que la digestion peptique, et il est donc inutile de mentionner ici les modifications successives que la trypsine en milieu alcalin fait subir aux matières protéiques. Mais comme j'aurai à examiner l'action digestive des divers liquides acides des urnes deNepenthes, j'ai tenu à exposer avec quelques détails la marche de la digestion par la pepsine. Le critérium de celle-ci est la présence de peptones, et voici, d'après mes recherches, les caractères que j'attribue à ces peptones. ( 23 ) Elles sont solubles dans l'eau, et la chaleur n'a pas d'action sur leur solution. Elles ne sont précipitées ni par les sels à saturation, même le sulfate ammonique à chaud ou à froid, ni par les acides, ni par le ferrocyanure de potassium en pré- sence d'acide acétique. Elles sont précipitées par un certain nombre de réactifs, et surtout, en présence d'acide, par l'acide phosphotungstique, l'acide phosphomolybdique et le tannin. Les peptones que j'ai préparées, séparées aussi complètement que possible des albumoses, ne précipitaient plus en solu- tions assez diluées par l'iodure de potassium iodé, par l'iodure double de mercure et de potassium, ni par l'acide picrique. En présence de soude caustique et d'une trace de sulfate de cuivre, elles donnent, en solution même très diluée, une colo- ration rose : réaction du biuret. Dans la suite de ce travail, je considère comme peptones uniquement les substances qui présentent ces propriétés. (24) SECOXDE PARTIE. RECHERCHES PERSOXXELLES. I. Substances employées dans ces recherches. La plupart des auteurs qui ont étudié la digestion chez les plantes carnivores et, en particulier, chez les yepeuthe^, ont toujours eu recours soit à la fibrine, soit au blanc d'œuf coagulé découpé en petits fragments; et l'intensité de la digestion se déterminait d'après la rapidité avec laquelle dispiiraissaient les substances ajoutées. Mes expériences ont été commencées sur des plantes se trouvant dans leur état naturel, sur le yepenthes melamphoray pendant un séjour dans la forêt de Tjibodas, sur le mont Gedeh, un des volcans de Tîle de Java. Cette espèce très répan- due croît à une altitude variant de i,oOO à 2,200 mètres, c'est- à-dire dans une zone où la température est très modérée et ne dépasse guère 18 à 28° au milieu de la journée. Dans ces con- ditions, les actions protéolytiques sont très ralenties et je m'en suis rapidement aperçu. J'avais employé pour mes premières recherches du blanc d'œuf cuit que je coupais en tranches très minces à l'aide d'un rasoir. A cet endroit, je n'avais pas de fibrine à ma disposition. Sur les tranches même très minces de blanc d'œuf, je pus constater bientôt avec quelle len- teur se produisaient les modirications les plus légères. Au bout de deux jours, dans des urnes de belle dimension, les fragments commençaient à devenir transparents et ne mon- ( ^io) traient qu'une corrosion insignifiante des bords. Puis, au bout d'un certain temps, on pouvait voir, au microscope, que quelques Bactéries et des tilaments mycéliens finissaient par se développer à la surface de certains de cesmorceaux d'albumine, provenant sans doute du rasoir ou des pinces employés lors de la préparation des tranches, ou bien aussi des poussières atmosphériques. [1 y avait donc là une cause d'erreur qu'il fallait empêcher, en même temps qu'il était nécessaire d'em- ployer une méthode qui permît une digestion plus rapide. J'ai alors pensé à donner le blanc d'œuf, la seule substance albuminoïde convenable que j'avais à ma disposition, sous une autre forme, sous forme liquide, sous forme de blanc d'œuf dilué, rendu incoagulable par la chaleur. Un certain nombre de substances ont la propriété d'empê- cher la coagulation par la chaleur des albuminoïdes ^. Je citerai, entre autres, le nitrate d'urée et le sulfate de fer. Pour le but proposé, ce dernier sel convenait surtout; car la propor- tion à ajouter à l'albumine est réellement insignifiante et ne doit avoir aucune action modificatrice sur l'activité du liquide digestif à expérimenter. Il sutîit, en effet, d'ajouter un mil- lionième de sulfate ferreux cristallisé à du blanc d'œuf dilué de neuf fois son volume d'eau pour empêcher complètement sa coagulation par la chaleur. Mon liquide était donc préparé de la façon suivante : à 10 c. c. d'albumine d'œuf, j'ajoutais 90 c. c. d'eau. Le mélange était fortement agité à plusieurs reprises pour briser les mem- branes du blanc d'œuf et dissoudre toute l'albumine. Après l'avoir filtré, j'y mettais la quantité indiquée de sulfate fer- reux, c'est-à-dire un dixième de milligramme. N'étant pas h même de peser avec une telle précision à cet endroit, j'opérais à l'aide d'un liquide titré et je laissais tomber par 100 c. c. de liquide albuminé deux gouttes d'une solution tle sulfate fer- reux à 0.10 °/j. préparée au moment même de l'emploi, car à * G. Clautriau, Sur la variation du point de coagulation de-^ albunii- noides. (Bulletin de la Société belge de microscopie, t. XVIII, p. 157.) ( 26 ) celle dilulion ce sel est rapidement dissocié dans l'eau pure. Lorsque l'œuf n'est pas absolument frais, il est bon d'augmen- ter un peu la quantité de fer, mais sans dépasser toutefois un cent-millième ou 1 milligramme par 100 c c. On peut alors portt^r le liquide h l'ébullition : il reste limpide et acquiert seulement parfois une très faible opalescence. Ce liquide albumineux incoagulable présente de grands avantages, surtout dans le cas présent. Pouvant être bouilli à volonté, il est d'une stérilisation très aisée, ce qui- permet d'opérer avec lui d'une façon absolument aseptique et avec la plus grande facilité. Cette précaution était nécessaire pour montrer l'inexactitude des conclusions de Dubois et de Tischut- kin. Ce liquide pouvait être introduit d'une façon tout h fait aseptique dans des urnes encore fermées, au moyen de pipettes très eflllées, stérilisées et llambées, dont la pointe était enfoncée dans la paroi, préalablement stérilisée, de la portion supérieure de Turne. L'ouverture presque imperceptible produite par la mince pipette était ensuite fermée au moyen d'un peu de vaseline. Un autre avantage que présente l'albumine incoagulable, est la facilité avec laquelle on peut déterminer les quantités d'albu- mine que l'on donne aux urnes et faire sans peine des essais comparatifs très précis. Mon installation dans la forêt vierge était des plus sommaires : quelques tubes à réactifs, quelques éprouvettes, quelques ballons, quelques tubes de verre pour faire des pipettes, une lampe à alcool et quelques réactifs. Muni de ces accessoires, je pouvais sans peine préparer des dilutions connues de mon liquide albumineux et juger facile- ment, par comparaison, de la disparition plus ou moins complète de l'albumine ajoutée dans les urnes. Enfin, pour certaines expériences, il est très utile de pou- voir se servir toujours d'un même liquide, de façon à se trou- ver chaque fois dans des conditions aussi identiques que possible. Or, cette albumine liquide se conserve indéfiniment, si l'on prend la précaution de la chauffera l'ébullition chaque fois que le ballon qui la renferme a été ouvert. ( il ) A l'oxamen chimique, cette albumine incoagulable se com- porle comme les autres liquides albumineux. Pour la rendre de nouveau coaguiable par la chaleur, il sutiit d'y ajouter un peu d'un sel alcalin et d'acidifier très légèrement. L'albumine se coagule alors par la chaleur. De même, les zymases agissent sur elle tout aussi bien que sur un autre liquide de blanc d'œuf, et j'ai pu me convaincre, par des expériences compara- tives faites ultérieurement en Europe, que les diverses phases de la digestion par la pepsine n'étaient en rien iniluencées par la minime proportion de fer ajoutée. En outre, par les expé- riences faites dans les urnes, j'ai constaté qu'elle n'exerçait aucune action nuisible ni sur le liquide, ni sur les tissus des urnes qui sont cependant d'une extrême sensibilité à la plu- part des substances toxiques ou anesthcsiques, mêmeemployées en très minimes quantités, ainsi que j'ai pu m'en assurer à maintes reprises. IL Observations biologiques et recherches physiologiques SUR LE Nepenthes melamphora. Cette espèce est très répandue à Java et se retrouve dans presque toutes les forêts de l'ouest de cette île, à partir de l'alti- tude de 1 ,400 à 1 ,oOO mètres. Suivant les conditions locales, elle peut s'élever plus ou moins haut. Sur le mont Gedeh, j'ai pu en voir des spécimens à 1,900 mètres; et, sur le sommet du Salak, non loin du point culminant de ce volcan, à une hauteur d'environ 2,200 mètres, j'en ai observé quelques magnifiques exemplaires épiphytes possédant des urnes de très grande dimension, et certainement les plus grandes que j'aie vues à Java. Dans les forêts du mont Malabar (île de Java), aux environs des plantations de Quinquina, la plante se retrouve à une altitude moyenne de 1,600 à 1,900 mètres. Enfin, je l'ai rencontrée encore sur les sommets qui avoisinent Garout et surtout, en un habitat très spécial, sur le volcan Gountour, près de cette ville. ( 28 ) Dans la forêt de Tjibodas, sur le Gedeh, où j'ai surtout eu Toccasion de l'observer longuement et en très nombreux exemplaires, ce Nepenthes peut vivre inditiéremment, soit comme un véritable épiphyte, soit comme une plante terrestre grimpante; mais son véritable mode de vie est certainement de croître en s'accrochant aux troncs d'arbres. Fhi beaucoup d'endroits, on le rencontre au milieu des autres épiphytes dont il présente d'ailleurs les caractères. C'est ainsi que ses graines sont très petites, très légères ; et son urne, si particulière, peut et doit s'interpréter en même temps comme un réservoir d'eau, car cette eau n'est pas perdue pour la plante; elle est résorbée, mêm.e si elle n'a pu jouer le rôle de liquide digestif. Dans la forêt, il se montre toujours dans la zone riche en épiphytes, dans la zone humide, et l'on pourrait croire, d'après cela, que l'arbre, comme support et comme ombrage, lui soit nécessaire; mais sur le Gountour, dont j'ai parlé plus haut, on le trouve en abondance et en plein soleil, à partir de son altitude ordinaire. Et cependant, il n'y a pas là de forêt, il n'y a même plus d'arbre. Le volcan est sujet à des érup- tions formidables dont la dernière, qui date -h peine du milieu de ce siècle, a complètement recouvert le cône volcanique d'une épaisse couche de cendres et de pierres, comme le font la plupart des volcans javanais. Il n'y a qu'une étroite bande de lave, d'un côté, vers le bas, aux environs de laquelle, en dessous de 1,000 mètres, se rencontre une flore nettement xérophiie. Dans ce sol, l'eau ne séjourne pas, l'humidité y est très faible pendant les heures chaudes de la journée et, par suite, dès que la pente de la montagne commence à s'accentuer, vers 700 ù 800 mètres, la végétation ligneuse disparaît : de loin en loin, un arbrisseau s'abrite et végète dans un endroit raviné et, vers le sommet, se rencontrent seules quelques touffes d'un Rubns. Mais les plantes herbacées ne manquent nulle part : une flore assez nombreuse a envahi la montagne jusqu'à son sommet et, chose curieuse, la plupart des espèces qui la con- stituent ne sont pas des plantes terrestres : ce sont des épi- ( 29 ) phyles. Et c'est un spectacle étrange pour le botaniste que cette flore du Gountour à partir de l,oOO mètres : c'est avec une véritable stupéfaction que l'on contemple, poussant à terre, dans la cendre et entre Jes pierres calcinées, toute la végétation que l'on n'avait vue jusqu'alors que dans la forêt vierge, accro- chée aux branches d'arbres, fuyant la terre et ne s'exposant pas au soleil. On n'y trouve pour ainsi dire que des épiphytes : Foui;ères délicates aux rhizomes charnus, Orchidacées diverses avec leurs multiples adaptations à la vie arboricole. Et, entre elles, croissent nombreux les JSepenthes, dressant leurs urnes sur le sol rocailleux ou bien les accrochant aux maigres rameaux de quelque misérable arbuste, à moitié desséché, envahi par les Lichens, à coté de pauvres touffes de Gramina- cées, jaunies, brûlées parle soleil. C'est le vent qui a amené là tous ces épiphytes aux graines légères, aux réservoirs d'eau qui leur permettent de vivre accrochés à l'écorce sèche des arbres de la forêt, ou implantés dans la cendre à peine humide, du moment où leur feuille baigne dans une atmosphère suftisamment chargée d'humidité. Dans leur végétation, les Nepenthes débutent par une rosette radicale de feuilles munies toutes d'une urne très développée; et généralement, dans ces rosettes, la partie assimilatrice de la feuille ou portion élargie du pétiole est relativement réduite, de même que la partie intermédiaire filiforme et irritable. De cette rosette radicale s'élève ensuite une tige arrondie, verte, munie de feuilles alternes présentant l'aspect typique des feuilles de JS'epeni lies. Cette tige prend un développement plus ou moins considérable et s'élève entre les branches des arbres, gracieusement soutenue par les vrilles foliaires. Goebel cite une dizaine de mètres comme une longueur très grande atteinte par ces tiges; mais il en existe qui sont trois ou quatre fois plus longues, d'après un exemplaire que j'ai vu k Tertasari et qui provenait de la forêt qui recouvre le mont Malabar. Jl y a un certain dimorphisme entre les urnes appartenant à la rosette foliaire et celles portées par les feuilles de la tige. Les premières sont beaucoup plus colorées, parfois presque (30 ) entièrement rougeâtres et ont une forme plus trapue, renflée à la base, dans le genre des urnes de N. Rafflesiaiia, tandis que les secondes n'ont généralement pas une couleur aussi voyante, sont même très souvent tout à fait vertes, plus élancées de formes, amincies vers la partie inférieure, comme les urnes de A'. Mastersiana. Mais ce dimorphisme n'est pas absolu, et sur- tout chez les individus vivant en épiphytes, l'aspect des urnes se rapproche souvent de celui des rosettes foliaires dont elles présentent aussi la coloration. Il n'est pas exact que les rameaux grimpants soient privés d'urnes. Dans les conditions normales, chaque feuille, accro- chée ou non, en porte, et ce n'est qu'au moment de la florai- son, que les feuilles voisines de l'inflorescence se réduisent à la lame assimilatrice avec une vrille rudimentaire, ainsi que le signale Goebel. D'après Haberlandt et Massart, qui, à quelques années d'in- tervalle, ont observé ces N, melamphora dans la forêt de Tjibodas, les urnes ne renfermeraient que de rares débris d'insectes et ces auteurs les considèrent un peu comme une adaptation de luxe, très coûteuse pour les services rendus à la plante. Je ne puis partager complètement cette opinion, car les urnes, à l'endroit même où Haberlandt et Massart les ont observées, ne sont généralement pas si pauvres en restes d'insectes. Surtout celles des rosettes foliaires en contiennent toujours et en certaine quantité. Les fortes accumulations de débris, telles qu'on en voit parfois dans les plantes cultivées en serre, sont rares. Mais il faut tenir compte de ce que dans les forêts de Java, et surtout à Tjibodas, les insectes, par- ticulièrement les fourmis, ne sont pas très abondants. De cette pauvreté actuelle en petits animaux résulte peut-être l'absence de grandies masses de cadavres dans les urnes. Ne peut-on pas se demander si cette adaptation de la plante, qui lui est main- tenant d'une utilité restreinte, ne lui a jamais été plus profita- ble? Par cette consommation incessante d'insectes que fait le NepeiitJieSj ne peut-il arriver à dépeupler lentement la région qu'il habite? A ce dernier point de vue, voici une observation ( 31 ) faite [i Tjibodas. Parmi les espèces de fourmis qui vivaient au voisinage de l'endroit où les JS'epoithes étaient très répandus, il y en avait une qui était assez abondante, tandis que les autres étaient peu nombreuses. C'était une espèce assez grande, déambulant en file ininterrompue sur les Graminacées, les branches des arbustes et même les tiges de i^'e/;e//îAt^s', en détours innombrables. Ces fourmis étaient très sociables, et jamais elles ne m'ont incommodé. Les nectaires des urnes les lais- saient totalement inditiérentes; et malgré leur grand nombre, ces fourmis, qui ne cessaient de passer à proximité des urnes, n'étaient presque jamais représentées parmi les animaux noyés au fond des urnes. Le plus grand nombre des cadavres appar- tenait au contraire à une autre espèce, plus petite, dont les individus vivants ne se voyaient que rarement et isolés. Mais même h Tjibodas, cette pauvreté en restes d'animaux est loin d'être générale. Par endroits, et surtout si l'on s'enfonce dans la forêt en dehors des sentiers tracés, on peut trouver des touffes de plantes dont les captures sont bien plus importantes. En somme, on peut dire que si à Java cette plante ne capture pas d'énormes quantités d'insectes, c'est que les insectes à capturer sont peu nombreux. Cela s'observe très bien sur les Nepenthes du Gountour. A l'altitude la plus faible, où la végé- tation est le plus fournie et où, partant, les insectes sont plus nombreux, toutes les urnes contiennent des cadavres. Mais à mesure que l'on monte, que la végétation s'appauvrit en espèces, les Nepenthes vesiâut toujours très nombreux, on con- state que les débris diminuent beaucoup, et vers le sommet la plupart des urnes ne renferment plus d'insectes. Quoique fleurissant et fructifiant, ces plantes du sommet n'ont pas une très grande vigueur; ce qui peut être attribué aussi bien à l'aridité du sol qu'à l'absence d'insectes. Le liquide de l'urne est incolore, légèrement visqueux. Il possède une certaine odeur très faible, plus accentuée lorsqu'il renferme des insectes, et rappelant certains miels. Au goût, il est insipide; et j'ai pu m'en assurer pleinement dans (32) l'ascension assez pénible, mais si intéressante, du Gountour. L'un des IMalais qui m'accompagnait, se désaltérait avec le liquide des urnes non ouvertes et je l'ai imité avec grand plai- sir. J'ai ainsi avalé le contenu d'un très grand nombre d'urnes, qui me semblait très rafraîchissant par cette journée de soleil intense. On eût dit une eau un peu mucilagineuse, mais sans la moindre saveur désagréable. La réaction de ce liquide varie suivant qu'il provient des urnes encore fermées ou déjà ouvertes; et, en ce qui concerne le Aepenthes melampliora, on peut dire que les urnes non excitées contiennent un liquide neutre. J'ai fait un grand nombre d'observations à ce sujet et toujours avec le même résultat. Comme réactif, j'employais un papier de tournesol ou une solution de teinture de tournesol très sensible, que j'avais préparée et sensibilisée moi-même. Quelquefois, parmi les urnes non encore ouvertes, on en observe dont la réaction est devenue plus ou moins acide. Ce changement doit être attribué à ce que l'urne a subi un choc ou un froissement quelconque, ou à ce qu'un insecte ou sa. larve a irrité ou lésé la paroi. En effet, expérimentalement, on peut faire apparaître l'acidité dans l'urne fermée. Il suffit de la secouer vivement et de la replacer ensuite dans sa position normale pour constater souvent, le lendemain, que le liquide rougit le tournesol. L'introduction dans l'urne d'un corps étranger quelconque provoque la sécrétion de l'acide. Dans plusieurs urnes, non ouvertes, j'ai laissé tomber en perforant le couvercle le plus délicatement possible, de très minces tubes de verre étiré, longs de 1 à 2 centimètres. L'expérience m'a donné chaque fois le résultat attendu, c'est-à-dire l'apparition de l'acide. Dans d'autres essais, j'ai aussi provoqué la sécrétion par l'addition uniquement de deux ou trois gouttes de teinture de tournesol. Par ce moyen, je m'assurais en même temps de la neutralité du contenu de l'urne au début de l'expérience, et le lendemain je pouvais immédiatement constater la réaction du liquide à sa coloration. Dans ces expériences, les précau- ( 33 ) lions nécessaires étaient prises pour prévenir toutes les causes d'erreur. Pour ces recherches, il est préférable d'expérimenter sur les urnes des rosettes foliaires. Celles-ci, développées sur le sol, ont pu former leurs urnes entre d'autres plantes qui les fixent, qui les calent en quelque sorte, et les maintiennent immo- biles. Les urnes aériennes sont moins favorables, car elles peuvent avoir été agitées soit par le vent, par des oiseaux, etc. Il arrive assez souvent que des urnes à peine entr'ouvertes, ou même encore fermées, soient déjà acides. Par transparence, on ne voit aucun dépôt foncé au fond du liquide; mais si l'on transvase celui-ci dans un tube, on y constatera souvent la présence de larves vivantes. II est très curieux que ce fait n'ait jamais été observé et signalé. Cependant, beaucoup d'urnes renferment de ces larves vivantes. J'en ai observé deux espèces : l'une est la larve d'un moustique. Je m'en suis assuré en les laissant se déve- lopper dans le liquide sous une cloche de verre fermant her- métiquement. Au bout d'une semaine environ, il y avait deux moustiques sous la cloche. L'autre larve est beaucoup plus grande et plus rare. Elle mesure au moins trois fois la lon- gueur de celle du moustique et est plus aplatie. J'ai tenté d'obtenir l'insecte parfait, mais au bout d'une dizaine de jours d'expérience, les larves sont mortes, et le nouvel essai que j'ai ensuite recommencé a dû être abandonné, la fin de mon séjour dans la forêt étant arrivée. Quoi qu'il en soit de cette espèce, il est certain que des larves de moustique et d'un autre insecte peuvent etïectuer tout le cycle de leur développement dans le liquide de Turne. Ce fait, nouveau pour le Nepenthes, a été signalé déjà pour les urnes de Sarracenia. Morren énumère les espèces qui y ont été rencontrées ; et Goebel, rappelant cette particularité, semble l'expliquer par l'absence de zymase chez le Sarracenia. Toutefois, l'existence de larves vivantes dans ces liquides n'exclut pas, à priori, la présence d'une zymase dans ceux-ci. Nombre de parasites vivent dans des liquides autrement actifs Tome LIX. 3 (34) que le contenu des urnes de Nepenthes, sans en paraître incommodés. Ce sont là des contre-adaptations peu expliquées actuellement et qui sont à peu près du même ordre que la non-digestion de la muqueuse stomacale ou intestinale sous l'influence du suc gastrique ou du suc pancréatique. Mais je pense qu'il faut considérer l'existence de ces larves vivantes comme une grande présomption en faveur del'absence de substances toxiques ou anesthésiques dans les urnes. Beau- coup d'auteurs semblent admettre que la mort des animaux capturés est très rapide. Mes expériences ne concordent pas avec cette supposition. Dans des tubes en verre, j'ai mis une certaine quantité de liquide de Nepenthes. D'autres tubes, con- tenant une égale quantité d'eau, servaient de contrôle. J'ai alors laissé tomber des fourmis et quelques petits papillons dans ces tubes. Une grande différence se manifeste entre les deux sortes de liquide. Tandis que, dans l'eau, les insectes sur- nagent, se débattent longtemps et finissent presque toujours par pouvoir grimper le long de la paroi du tube, dans l'autre liquide, au contraire, on les voit, après s'être débattus quelque temps, s'enfoncer peu à peu, être ensuite complètement im- mergés, et enfin, tinir par tomber au fond du récipient en n'exécutant plus que de faibles mouvements. On ne peut mieux représenter cette différence des deux liquides, qu'en disant que l'eau pure ne mouillait pas les four- mis, tandis que le liquide des urnes les mouillait et les faisait s'enfoncer par leur propre poids. En voyant les fourmis tomber ainsi promptement au fond du liquide, on est porté à croire qu'elles sont anesthésiées ou mortes. Cependant il n'en est rien. Laissons-les immergées plus ou moins longtemps : pendant deux ou trois heures, comme dans une expérience, ou même pendant une nuit entière, comme dans une autre expérience, puis lavons-les soigneusement à l'eau pure et séchons-les un peu. Très rapide- ment, on les voit, lorsque l'immersion n'a pas dépassé un demi-jour, recommencer à bouger, puis se remettre sur leurs pattes et finalement se mettre à marcher, cherchant une issua ( 35 ) pour s'échapper. Elles paraissent cependant très malades, lorsque l'inimersion s'est piolongtM; plus de trois ou quatre heures. Avec le liquide préalablement bouilli, peu de fourmis se noient. Deux sur quinze seulement vont au fond du tube. Les autres ne sont pas mouillées et réussissent pour la plupart à s'échapper. D'ïiprès ces expériences, il semble bien que les insectes qui tombent dans les urnes y meurent par asphyxie, et leur mort est peut-être activée par la sécrétion d'acide que leur présence provoque; mais il ne paraît pas y avoir une substance spéciale destinée à amener la mort rapide de l'insecte. L'animal capturé dans l'urne finit par être digéré. Il est aisé de s'en assurer. Un simple examen microscopi(|ue des restes des insectes montre qu'ils ne sont plus constitués que par les revêtements chitineux et que tout le contenu a disparu. Le liquide de l'urne reste néanmoins absolument limpide, sans odeur désagréable, preuve qu'aucune putréfaction n'a dû se manifester, et la recherche microscopique confirme cette déduction. La disparition du contenu albuminoïde de l'insecte n'est donc pas le fait de micro-organismes. J'aurais voulu en faire une démonstration plus complète encore, en ajoutant dans l'urne des substances empêchant le développement des Bac- téries. Malheureusement, l'urne des Nepeulhes est d'une sensi- bilité telle, que l'addition de substances antiseptiques, même en quantité excessivement faible, occasionne sa mort en peu de jours. Les matières que j'ai essayées comme antiseptiques sont le formol, le chloroforme, les essences de menthe et de citron, et le camphre. Déjà deux ou trois gouttes de teinture de tournesol, très faiblement alcoolisée, rendent l'urne malade au bout de quelques jours. La sécrétion acide provoquée d'abord par cette addition s'arrête très rapidement, et aucun phéno- mène digestif ne se manifeste plus sur l'albumine qu'on y ajoute, quoique, en apparence, l'urne continue à présenter un aspect normal. Ce n'est qu'au bout d'un temps assez long, ( 36 ) plusieurs semaines parfois, — ou très rapidement si la sub- stance nuisible est en plus grande quantité, — que l'on voit l'urne se rider et se dessécher extérieurement, tandis qu'à l'intérieur elle reste remplie de liquide. Malgré l'impossibilité de recourir aux antiseptiques pour écarter toute idée d'une intervention microbienne au cours des phénomènes digestifs présentés par les Nepenthes, il est cepen- dant facile de démontrer l'inexactitude des conclusions de Dubois et de Tischutkin en opérant aseptiquement. On y arrive très aisément. Il suffit, comme nous l'avons déjà dit, de se servir d'albumine incoagulable et d'opérer sur des urnes non encore ouvertes, dans lesquelles on suit la marche de la digestion, aussi longtemps qu'elles restent hermétiquement fermées. Avec le blanc d'œuf cuit, je n'ai jamais pu obtenir une asepsie complète. Très souvent, le liquide ne paraissait contenir aucun germe; mais, chaque fois que j'observais, au micro- scope, le fragment d'albumine en voie de digestion, je consta- tais toujours que des Bactéries et des filaments mycéliens s'étaient développés à sa surface. Y avait il peu de blanc d'œuf ajouté, le liquide de l'urne demeurait stérile et le développe- ment microbien sur le morceau d'œuf était très lent. Au con- traire, exagérait-on la quantité d'albumine dans l'urne, le liquide se troublait rapidement, devenait riche en micro-orga- nismes, et finissait parfois par dégager une odeur plus ou moins accentuée. Cette différence s'explique sans peine. A mesure que l'albu- mine se dissout, les glandes de l'urne l'absorbent rapidement et complètement, comme nous le verrons plus loin, et si la proportion de nourriture ajoutée est faible, le liquide du Nej)enthes, constamment débarrassé de tout aliment azoté soluble, est impropre au développement des micro-orga- nismes. Et en outre, sur le fragment d'œuf immergé dans ce liquide toujours en quelque sorte nettoyé, la multiplication des germes sera très lente, parce que les produits de leur activité protéolytique, au lieu de servir entièrement à leur ( 37 ) nutrition, sont accaparés, pour la plus grande partie, p:ir les glandes de l'urne. Quand, au contraire, on met dans l'urne une proportion un peu forte d'albumine cuite, il peut arriver que la digestion soit plus active que l'absorption; et, dans ce cas, le liquide de l'urne devient nutritif pour les microbes, qui l'envahissent sans retard. Dans les expériences qui vont suivre, j'ai eu recours unique- ment à l'emploi du blanc d'œuf incoagulable. Les urnes sup- portaient très bien l'addition d'une quantité même relativement forte de liquide albumineux et elles n'ont montré de signes de putréfaction ou d'envahissement microbien que dans des cas excessivement rares. Le but principal que je visais maintenant était de pouvoir déceler dans l'urne la présence certaine, et en quantité appré- ciable, de peptones. J'ai donc ajouté le liquide albumineux à des urnes ouvertes et fermées, appartenant soit aux rameaux aériens, soit à la rosette basilaire, et toujours avec le même résultat : le liquide ajouté provoque ou exalte la réaction acide du contenu de l'urne. Dans certains cas où l'acidité me parais- sait la plus forte, un dosage de celle-ci, aussi précis qu'il était possible de le faire avec mon installation rudimentaire, m'a donné une acidité correspondant à environ 2 c. c. par litre, de l'acide chlorhydrique que j'avais parmi mes réactifs et qui était à peine fumant. Lorsqu'on ajoute l'albumine au liquide de l'urne, celui-ci prend une certaine opalescence, mais bientôt il s'éclairciî et le lendemain il est devenu tout à fait transparent, prenant d'ordi- naire une légère teinte ambrée. Si on examine le liquide au bout de deux jours, on constate que toute l'albumine a disparu dans les urnes les plus vigoureuses, preuve que la digestion a été très active, et beaucoup plus active qu'avec le blanc d'œuf cuit, car la quantité de matière ajoutée sous forme liquide était infiniment plus considérable. Il me semblait que, dans ces conditions, j'allais pouvoir (38) déceler avec plus de facilité dans le liquide les produits de la digestion, et en plus grande quantité. Mais l'examen chimique n'a pas confirmé cette attente. Ainsi, par exemple, le liquide d'une urne qui avait reçu 5 c. c. d'albumine liquide, ne préci- pitait plus, au bout de deux jours, par la neutralisation, ni par l'ébuUilion en présence de sels ou d'acides. Essayé ensuite par le ferrocyanure acétique, par l'iodure de mercure et de potas- sium et par l'acide phosphomolybdique, il ne donnait que des réactions douteuses qui permettent de conclure qu'il ne restait plus que des traces de l'albumine ajoutée. Des expériences de ce genre ont été répétées un grand nombre de fois et toujours avec ce même résultat, avec l'impos- sibilité d'affirmer la présence certaine de peptones vraies dans le liquide. Suivant que le contenu de l'urne était plus ou moins actif, suivant que l'expérience avait duré plus ou moins long- temps, toute ou une partie de l'albumine disparaissait, mais la proportion d'albumine non modifiée restant dans le liquide, n'influaiten rien sur la quantité des produits dedédoublement. Ceux-ci ne semblaient pas plus abondants, soit que toute l'albu- mine, ou seulement une très faible partie, eût été digérée. De ces recherches, je puis conclure que dans l'urne saine, sans l'intervention de microbes, l'albumine est rapidement modifiée et que les produits qui résultent de cette modification sont résorbés au fur et à mesure de leur production. Par des expériences m vitro, j'ai voulu alors m'assurer si, dans cette digestion, le rôle de la plante consistait seulement à sécréter un acide et une zymase. S'il en était ainsi, le dédou- blement des albumines dans le liquide d'urne devait se pro- duire aussi bien en dehors que dans l'urne. J'ai donc entrepris une série de recherches in vitro avec des liquides d'urnes fer- mées et d'urnes ouvertes, additionnés d'un tiers d'albumine incoagulable. Une partie était laissée telle; une autre recevait quelques gouttes de chloroforme; une troisième était chauffée à 100°, avant ou après l'addition d'albumine. Les tubes bouchés étaient laissés en plein air auprès des plantes mêmes, dont quelques urnes, additionnées d'une quantité équivalente d'al- bumine, servaient de contrôle. (39) Dans ces conditions, aucune modification importante ne st produisit dans les tubes. Il n'y eut pas la moindre peptonifi- cation dans un seul, alors que les urnes témoins avaient tout absorbé rapidement. La plante elle-même joue donc un rôle important dans la digestion ; je n'irai pourtant pas jusqu'à conclure, de ces expé- riences in vitro, à l'absence de toute zymase, car j'opérais à une température relativement basse. Une fois seulement, j'ai pu obtenir in vitro la production de beaucoup d'albumoses, avec un liquide très actif provenant d'une urne fortement nourrie à plusieurs reprises. Le liquide de cette urne, après la troisième addition d'albumine, donnait à l'examen chimique très peu d'albumine et des réactions d'al- bumoses. J'y ajoute alors un tiers d'albumine, quelques gouttes de chloroforme, et je le laisse en tube fermé à l'inté- rieur du laboratoire, pendant trois jours. Au bout de ce temps, l'albumine avait presque complètement disparu; il y avait beaucoup d'albumoses probablement mélangées d'un peu de peptones. Le résultat plus favorable obtenu ici est dû sans doute en partie à ce que la température était plus élevée et à ce que le liquide était très actif; car il semble bien que les urnes forte- ment nourries sécrètent davantage. Comme les expériences in vitro ne m'avaient rien donné et afin de voir si cela n'était pas dû à ce que la transforma- tion des albuminoïdes se fait principalement au contact des glandes, j'ai voulu examiner ce qui se passe lorsqu'on laisse la digestion se produire dans l'urne même, mais en arrêtant la résorption des produits de dédoublement. Pour cela, je sépa- rais simplement l'urne de la plante et la laissais en place. Le résultat fut très remarquable. Plus aucune modification ne se produisit dans les urnes ainsi traitées. Si l'urne était encore fermée, la sécrétion d'acide n'avait pas lieu, et dans les urnes ouvertes on ne constatait que les seuls changements provoqués par l'acide préexistant. J'ai séparé les urnes à différents inter- valles,aprèsradditiond'albumine,lorsquele dédoublement était (40) bien en train, et toujours la séparation de l'urne d'avec la plante provoquait la même action inhibitrice sur la digestion de l'albumine. Il semble donc bien qu'il existe chez ce Ncpenthes melampliora une véritable régulation de la digestion. Celle-ci est provoquée par l'acide sécrété et sans doute aussi par une zymase que je n'ai pu caractériser ici, mais que l'on peut mettre en évidence chez d'autres espèces. Je n'ai pas fait un examen microchimique très approfondi de cette espèce. Les glandes se distinguent surtout en ce qu'elles ont deux couches de cellules sécrétrices. Lorsqu'on les examine après addition d'albumine, on y constate une agré- gation très manifeste. Si l'on étudie comparativement les tissus des urnes adultes non nourries et ceux d'urnes ayant reçu de l'albumine, il sem- ble bien que les cellules des urnes nourries montrent une cer- taine accumulation de matières protéiques. C'est surtout au voisinage des cellules spiralées qui partent des glandes, et des trachéides qui vont de ces cellules aux vaisseaux, que l'accu- mulation se manifeste. Comme réactif des matières protéiciues, j'ai surtout employé la coloration par l'éosine, recommandée par Devvevre ^. IIL Expériences sur divers Nepenthes cultivés en serre '2. A. Méthode employée pour la séparation des produits de la digestion. — Dans mes nombreuses recherches à Java, je n'étais pas arrivé à pouvoir mettre en évidence la présence d'une * Dewevre, a.. Recherches sur la technique microchimique des albumi- ndides. (Bull, delà Soc. belge de Microscopie, t. XX, p. 91.) 2 Les plantes qui ont servi à ces expériences étaient cultivées dans les serres du Jardin botanique de Bruxelles, et elles furent obligeamment mises à ma disposition par M. L. Lubbers, chef des cultures, auquel je tiens à exprimer ici toute ma gratitude ( 41 ) véritable zymase dans le liquide des urnes de Nepenthes melamphora. Cependant, les travaux de Hooker, Gorup-Besanez, Goebel, Vines, etc., que nous avons mentionnés, ne peuvent laisser de doute sur l'existence d'un ferment protéolytique dans les espèces que ces auteurs ont étudiées, et d'après tout ce que l'on sait de son mode d'action, il semble bien qu'il appartienne au groupe des pepsines, c'est-à-dire des ferments agissant en milieu acide. Nous avons déjà indiqué, dans un autre chapitre, quelle était la marche du dédoublement des albuminoïdes sous l'influence de la pepsine et nous avons donné rapidement les caractères des syntonines, albumoses et peptones. Pour séparer ces divers produits de la digestion, nous avons adopté, dans toutes nos nouvelles recherches entreprises en Europe, la marche suivante indiquée par Neumeister. Le liquide, après digestion, est neutralisé par de la soude caustique très faible pour séparer les syntonines. On filtre, ou même sans filtrer, on ajoute un égal volume de chlorure de sodium à saturation et, après addition d'une trace d'acide acétique, on chauffe le tout à l'ébullition; s'il reste des albu- mines, elles se coagulent. On filtre ensuite et on sature à chaud par du sulfate ammo- nique en présence d'acide, puis en présence d'alcali; on laisse reposer quelque temps afin de permettre la réunion des albu- moses devenues insolubles. Dans le liquide filtré, s'il est très peu abondant, on peut faire directement la réaction du biuret qui n'est pas empêchée par la présence du sulfate ammonique, à condition d'ajouter un très grand excès de soude caustique de façon à décomposer tout le sel ammoniacal. Mais pour caractériser davantage les peptones, il faut décomposer le sulfate ammonique par le carbonate de baryum, précipiter l'excès de baryte par l'acide suUurique dilué et concentrer le liquide. On s'assure alors dans celui-ci de l'absence d'albumoses par le ferrocyanure acé- tique et par l'iodure double de mercure et de potassium qui ne doivent pas donner de précipités, tandis que la peptone préci- (42) pilera par les acides phosphotungstique et phosphomolyb- dique, par le tannin, et donnera une intense réaction de biuret. Pour aftirmer la présence de pepsine dans un liquide diges- tif, il est indispensable d'avoir pu caractériser les peptones, et il est nécessaire aussi de ne faire la réaction du biuret qu'après la séparation complète des albumoses. Très souvent, et surtout dans le cas du Nepenthes, la marche de la digestion a été déduite de la rapidité avec laquelle se gonfle et se dissout la fibrine. Ce n'est pas suffisant. Ce phénomène n'est pas caractéristique et peut se manifester sous l'influence des acides seuls, quoique généralement d'une façon moins rapide. L'acide va même plus loin dans son action, et par digestion ^ l'étuve d'albumine d'oeuf en présence de 2 "/oo d'acide chlorhydrique, j'ai observé une transformation partielle en albumoses, qui donnent une réaction du biuret un peu plus violacée. B. Examen du liquide des urnes au point devue de la pi^ésence de zymases. — Une forte plante de Nepenthes Mastersiana, en pleine végétation, possède une urne de grande dimension, la seule que les nombreuses feuilles aient encore développée. Elle renferme une certaine quantité de liquide et beaucoup de cadavres d'insectes, des fourmis, et principalement ici des moustiques, très abondants dans la serre. J'enlève le liquide avec soin et le remplace par un mélange de 42 1/2 centimètres cubes d'eau distillée et de 2 i/i2 centimètres cubes d'albumine incoagulable. Dans tous ces essais, la substance protéique employée sera chaque fois l'albumine incoagulable. Le liquide retiré primitivement de l'urne et tiltré (environ 9 centimètres cubes) est divisé en trois parties. A la première, i4, j'ajoute 20 gouttes d'albumine; à la seconde, B, la même quantité plus une goutte d'acide chlorhydrique dilué, conte- nant 1 centigramme d'acide pur par goutte. La troisième, C, est d'abord chauff'ée vers 100° au bain-marie pendant dix minutes, puis a reçu, comme B, 20 gouttes d'albumine et 1 goutte d'acide ( 43 ) chlorhydrique dilué. Comme antiseptique, j'ajoute dans chaque tube un fragment de camphre, et tous sont ensuite placés à l'étuve à 37". Après trois jours, j'examine le contenu des tubes. A ne renferme ni albumine, ni syntonine, et des traces douteuses d'albumoses. Il y a donc peplonification complète. L'examen de B donne des résultats identiques : tous deux ne contiennent plus que des peptones vraies. Enfin, dans C, l'albumine a disparu, il y a beaucoup de syntonine et une petite quantité d'albumose; pas de peptones. La différence est donc bien nette. Le liquide chauffé ne con- tient pas de peptones, tandis que les deux autres ont toute leur albumine peptonifiée. il est intéressant de constater aussi que l'acidité propre de l'urne a été sutiisante pour provoquer la peptonification com- plète et que par conséquent l'addition d'acide chlorhydrique, comme le font tous les auteurs, est absolument inutile. Je dois dire que ce liquide était d'une activité remarquable. Un certain nombre d'autres liquides que j'ai examinés ensuite ne m'ont plus donné une peptonification aussi complète ni aussi rapide. Mais dans toutes les séries d'expériences analogues à celle que je viens de décrire, la différence entre l'action du liquide bouilli et celle du liquide non bouilli a toujours été des plus nettes : seul le liquide non chauffe était peptonisant. Ainsi donc, la présence d'une zymase protéolytique est manifeste dans le liquide des urnes de SepenUies Mastersiana. Mais la caractérisation des peptones présente assez souvent une certaine difficulté, parce qu'elle peut être la cause d'erreurs profondes si l'on se contente de la réaction du biuret. Chose curieuse, aucun auteur ne signale ce fait que le li(iuide des urnes de beaucoup d'espèces, lorsqu'il a déjà digéré, qu'il est devenu visqueux et a pris la teinte ambrée, renferme une substance qui se colore en rouge vineux par les alcalis. Par addition d'acide, le liquide devient jaune. Si le liquide est assez dilué, comme cela arrive après les divers traitements chi- miques, la teinte rouge peut être assez faible pour ne plus ( 44 ) paraître que rose, et quelqu'un de non prévenu pourrait, parfois prendre cette teinte pour la teinte du biuret. Aussi, quand cette matière colorante existe, faut-il opérer par compa- raison entre deux liquides ayant les mêmes quantités de soude caustique, mais dont un seul reçoit le sulfate de cuivre nécessaire pour produire la réaction du biuret. Pour débarrasser le liquide de cette substance, le meilleur moyen est la clarification par l'albumine même, qui en se coagulant entraîne mécaniquement toute celte matière. Il en résulte que dans les liquides où il reste une certaine quaniilé de syntonine, en séparant celle-ci, on enlève du coup la matière colorante. Les albumoses en se précipitant font de même, et ce fiïit démontre aussi leur nature colloïde. Les digestions artificielles dont je viens de donner les détails ont été faites à l'étuve à 37". Il était intéressant de voir si à une température plus basse le phénomène se produisait encore et avec quelle intensité. J'ai donc entrepris divers essais avec quelques urnes de N. Maslersiana et de N. coccinea. Le contenu de chacune était divisé en deux parties et recevait les mêmes quantités d'albu- mine et d'acide chlorhydrique; puis l'une des parties était mise à l'étuve, l'autre placée dans une armoire du laboratoire à environ 20» en cette saison. L'examen chimique fait au bout de deux et de cinq jours a montré chaque fois une très grande différence. Alors qu'à l'étuve il ne restait plus qu'un peu de syntonine et qu'il y avait beaucoup d'albumoses et de peptones, à la température ordinaire, par contre, l'inverse se constatait. Même après cinq jours la quantité de syntonine restait très forte, il n'y avait qu'un peu d'albumose et en général des traces douteuses de peptones. Ceci montre bien, comme on le savait déjà, que la température exerce une grande influence sur la marche de la protéolyse. A la température ordinaire, elle est très lente in vitro, et cependant à l'intérieur des urnes la disparition des albuminoïdes est très rapide. Si, au point de vue de la présence d'acide dans les urnes non excitées, il y a divergence d'opinions entre les auteurs, (45) ceux-ci semblent cependant être à peu près tous d'accord en ce qui concerne l'existence de zymase déjà dans Turne très jeune. Gorup-Besanez avait montré dans ses expériences que le lifjuide des urnes non ouvertes, après addition d'acide clilor- hydriquo, lui présentait la même étonnante activité que les liquides d'urnes ouvertes; et depuis lors, on admet que dans l'urne ouverte la zymase se trouve déjà et qu'il suffit d'une exci- tation, de la chute d'un insecte, pour provoquer une rapide sécrétion d'acide et rendre le liquide propre à digérer immé- diatement. Je ne pense pas que ce fait soit réellement démontré; car il ne faut pas perdre de vue que Gorup-Besanez n'a pas recueilli lui-même les liquides avec lesquels il a expérimenté. Les essais que j'ai faits jusqu'à présent dans cet ordre d'idées me conduisent à une opinion opposée; mais mes expériences n'ont encore porté que sur le liquide de deux urnes fermées, une de N. cocdnea et une d'un Nepenthes indéterminé de Bor- néo, qui rappelle le N. jjhyUamphora. Ces liquides, additionnés d'albumine et d'acide chlorhydrique, et mis à l'étuve, n'ont donné qu'une digestion insignifiante. Après cinq ou six jours, on obtient encore un très abondant précipité de syntonine, un peu d'albumose et aucune réaction caractéristique de peptones. Mais comme je n'ai à ce sujet que deux expériences, — con- cordantes toutefois, — je ne puis avancer actuellement d'une façon positive que la sécrétion de la zymase est, comme celle de l'acide, le résultat d'une excitation. C. Digestion dans rimie. — Nous savons que l'albumine est rapidement résorbée dans les urnes. J'ai répété à ce sujet, sur les iScpcnlhes des serres, des essais analogues à ceux faits à Java, et cela avec le même résultat. Les yepenthes supportent parfaitement, sans en être incom- modés, des additions successives et abondantes d'albumine. L'urne de N. Masteriana, dont j'avais enlevé le liquide pour servir à la caractérisation de la zymase, avait reçu ensuite ( 46 ) 15 c. c. d'un liquide contenant 2 'i/^ c. c. d'albumine. Quatre jours après, le liquide avait été résorbé en partie, mais le reste avait pris l'aspect visqueux, ambré, normal, et à l'examen chimique, je n'y ai trouvé ni albumine, ni syntonine, ni albu- mose, ni peptones. Toute la substance albuminoïde en avait disparu. Ce liquide renferme de la zymase, car, additionné d'albumine, il y a peptonitication à l'étuve en quelques jours. L'urne qui avait été ainsi vidée pour la seconde fois, reçut alors un mélange de 15 ce. d'eau distillée et 10 c. c. d'albumine. Cette addition est parfaitement supportée. Après trois jours, il y a encore un peu de syntonine. Le septième jour, j'enlève le liquide dont il ne reste plus que 11.5 c. c. que je réserve pour le dosage d'azote dont je parlerai plus loin. Je mets derechef le même mélange d'albumine et je laisse une semaine en repos. Au bout de ce temps, il ne reste que 12 c. c. du liquide primitif qui sont aussi mis de côté pour le dosage de l'azote. Entin, je verse une troisième fois le même mélange dans l'urne. Elle persiste à rester bien portante, malgré les 32.5 c. c. d'albumine incoagulable qu'elle a digérés, et elle continue à sécréter de l'acide et de la zymase, comme le prouve l'examen chimique du liquide restant. Des expériences analogues ont été faites, avec un résultat identique, sur deux autres plantes de la même espèce et sur une petite plante d'un Aepenthes sp. de Bornéo. Avec une plante de A. coccinea, la digestion ne s'est point produite : l'urne en expérience appartenait à un rameau qui avait été étêté. Elle n'a pas sécrété d'acide, car l'albumine s'est précipitée, ce qui se produit lorsque le liquide devient neutre. La même plante a un autre rameau plus réduit et qui n'a pas été sectionné. Je verse dans cette petite urne assez bien d'al- bumine. La digestion s'y manifeste et, au bout de quelques jours, j'y constate la présence de peptones. Dans toutes les urnes où l'albumine finit par disparaître plus ou moins complètement, je ne suis jamais parvenu à obtenir une réaction très nette de peptones, quoique j'aie ( 47 ) multiplié ces expériences. Cette absence de peptones ne doit pas surprendre. Elles sont diffusibles, et il est naturel d'ad- mettre qu'elles sont les premières résorbées. Deux fois seulement, j'ai pu constater la présence évidente de peptones dans les urnes : dans une petite urne de iV. cocci- nea appartenant à une plante d'une faible vitalité et qui avait reçu une quantité considérable (relativement) d'albumine, et dans une urne du Aepenthes sp. Bornéo, plante normale, digérant rapidement. Mais dans cette urne, l'albumine, pour d'autres recherches, avait été fortement colorée par du bleu de méthylène. La digestion s'était produite partiellement dans cette urne, mais l'absorption, par suite de la présence de la matière colorante et pour une cause non définie, avait été fortement ralentie et les peptones pouvaient se déceler dans l'urne, prouvant ainsi qu'il s'y produit, ou peut s'y produire, une peptonification. D. Résorption des produits de la digestion, — Pour montrer que la plante peut tirer un avantage de la digestion qu'elle provoque dans l'urne, il était nécessaire de s'assurer si l'azote des substances albuminoïdes est bien réellement résorbé et ne reste pas dans le liquide de l'urne sous une autre forme. Le moyen le plus simple de résoudre cette question est de doser l'azote restant dans l'urne, après un certain temps de digestion d'une quantité connue d'albumine. C'est ce que j'ai fait avec les liquides provenant de l'urne du A. Mastersiana et dont j'ai parlé plus haut. Les dosages de l'azote ont été faits par la méthode de Kjeldahl. Par cette méthode, 10 c. c. de mon albumine incoa- gulable me donnaient une quantité d'ammoniaque équivalente à 14 c. c. d'acide sulfurique titré décinormal. Deux analyses m'ont donné des résultats concordants. La même quantité d'albumine, après sept jours de digestion dans l'urne et soumise au même traitement, neutralisait seu- lement 2.8 c. c. de la même liqueur décinormale d'acide sulfu- rique; et un second essai, analogue au précédent, neutralisait (48 ) 2.7 c. c. de la liqueur titrée. Ainsi, après une semaine de digestion, la proportion d'azote total tombe de 14 à 2.8 et 2.7, c'est-à-dire qu'il n'en reste donc plus que 20 %. Et encore, dans cet azote restant, faut-il faire entrer en ligne de compte celui de la zymase et celui pouvant provenir de particules chitineuses d'insectes, en suspension dans le liquide. En tous cas, ces dosages démontrent d'une façon évidente la résorption de l'azote organique. E. Étude de la résorplion. Examen microchimique. — Par où se fait cette résorption? Ce sont certainement les glandes qui jouent le rôle actif dans ce phénomène, de même que dans celui de la sécrétion de la zymase et de l'acide; mais il est difficile de mettre ce rôle en évidence. En ce qui con- cerne la sécrétion, par analogie avec ce qui se passe chez le Drosera et le DrosopliyUum, et par suite aussi de la structure anatomique de l'urne, on ne peut douter que les glandes ne soient le siège de la sécrétion chez les Nepenthes, comme elles le sont manifestement chez les deux autres plantes carnivores citées ci -dessus. Mais sont-elles également le siège de la résorption, ou bien tout le tissu épidermique interne de l'urne, que mouille le liquide, est-il capable d'absorber les produits de la digestion? L'étude microchimique n'est pas favorable à cette dernière supposition. Si l'on examine au microscope les tissus des urnes avant et après addition d'albumine, on ne constate pas de changements appréciables dans la structure et le contenu des cellules épidermiques. Par contre, des modifications très profondes se manifestent dans les glandes. Toutes les cellules montrent le phénomène si particulier de l'agrégation. Si l'on place dans de l'eau contenant du bleu de méthylène des fragments d'urne encore vivante, on voit la matière colo- rante pénétrer rapidement et profondément dans les tissus des glandes, tandis que les cellules épidermiques n'absorbent qu'avec une extrême lenteur le liquide coloré. D'autre part, en mettant dans l'urne un liquide coloré au ( 49 ) bleu de méthylène et qui renferme en même temps de l'albu- mine, on remarque au bout d'un jour que seules les glandes se sont colorées. Une forte agrégation existe dans les cellules périphériques des glandes : les globules y sont colorés d'une façon intense et paraissent presque noirs. La coloration pénètre aussi les cellules sous-jaccntes et elle s'étend même dans les premières couches du parenchyme situé sous les glandes, au voisinage des trachéides qui viennent s'accoler à la base de celles- ci. Dans ces urnes, donc, la matière colorante a uniquement pénétré par les glandes et a pu diti'user dans les tissus sous- jacents. Quant aux cellules épidermiq ues, elles n'ont pris aucune coloration et aucune trace du liquide de l'urne n'y a pénétré. Si l'on rend les glandes malades, ou si l'on met en même temps dans l'urne une substance toxique, par exemple du formol, l'aspect microscopique est très différent. Les glandes ne présentent plus d'agrégation; le contenu des cellules est informe et la matière colorante n'a pénétré que dans la couche superficielle de cellules. Dans les couches inférieures, il n'y a pas décoloration, pas plus que dans les cellules épidermiques. D'après l'examen microscopique, il me semble bien acquis que l'absorption des produits de la digestion est également le résultat de l'activité des glandes. Les produits absorbés sont charriés par les cellules qui accompagnent les éléments tra- chéens qui partent de la base des glandes et vont se réunir, en plus ou moins grand nombre, aux faisceaux de l'urne. Dans les urnes bien nourries, les réactions microchimiques des substances albuminoïdes paraissent manifestement plus intenses, surtout au voisinage des glandes et dans les éléments conducteurs. Il semble, d'après cela, que si ces albuminoïdes sont absorbés sous forme de peptones , ils ne séjournent pas comme tels dans les tissus, mais s'eiumagasinent plutôt à l'état de matières albuminoïdes vraies. F. Nature de la zymase coiiteiiue dans luvae. — Il n'y a pas de zymase amylolytique dans l'urne des Nepenllies. Des urnes auxquelles j'avais ajouté de l'e.npois d'a.ni Ion, n'avaient Tome LIX. 4 (80) produit aucune action sur celui-ci au bout de cinq jours. Au microscope, les grains d'amidon gonflés, éclatés, ne montrent aucune altération due à une diastase. Quant au ferment protéolytique, sa présence est bien mani- feste par les produits de son action : d'après l'étude de la digestion, il semble bien qu'elle ne va pas plus loin que la formation de peptones et que ce ferment, qui n'agit qu'en milieu acide, doit être considéré comme une pepsine. Malgré le peu de liquide d'urnes que j'avais à ma disposition, j'ai pu obtenir, par digestion, une petite quantité de peptones vraies. Vines ^ dit n'avoir pu réussir à préparer des peptones et admet que le stade ultime de la digestion est une substance du groupe des albumoses. Il faut croire que ses liquides étaient très peu ou pas actifs et qu'il n'a eu affaire qu'à des digestions chlorhydriques. Néanmoins, à côté de cela, il est porté à admettre qu'il pourrait se former en même temps de la leucine; ce qui devrait faire conclure alors que la zymase des jSepenthes ne serait pas une pepsine, mais une trypsine et, chose étonnante, une trypsine active en liquide acide. Mes essais pour tâcher d'obtenir dans mon liquide contenant les peptones, après concentration à l'état sirupeux, une cristallisation de leucine, de tyrosine ou d'acides amidés, n'ont donné aucun résultat même au bout d'un temps très long; et je puis conclure que la zymase des Nepenthes forme, comme produit ultime de la protéolyse, des peptones vraies. * Dans un récent travail, Vines admet de nouveau la présence d'un zymogène dans les urnes et dit avoir obtenu cette fois une faible quan- tité de peptone en présence de beaucoup d'albumoses. Il n'indique pas les caractères chimiques de sa peptone. De même, il confirme la pré- sence de leucine sans donner aucun détail sur son identification. Quoique n'ayant trouvé ni tyrosine ni acide amidé, Vines conclut que la zymase du Nepenthes est une trypsine agissant en milieu acide. Mes recherches m'ont donné des résultats différents : peptonification complète, absence de toute cristallisation de leucine, tyrosine, etc. (Note ajoutée lors de l'impression.) ( 51 ) CONCLUSIONS. !1 existe, bien certainement, chez les Nepenthes une zymase peptonifiante agissant en milieu acide, sorte de pepsine végé- tale, que Ton peut mettre en évidence par les produits de son action sur les matières albuminoïdes. Comme chez le Drosera, une excitation est nécessaire pour provoquer la sécrétion abondante, non seulement de l'acide sans lequel la peptonification ne pourrait avoir lieu, mais encore du ferment lui-même. Entre ces deux plantes carni- vores l'analogie doit être très grande, car chez le Nepenthes comme chez le Drosera, un mucilage accompagne cette sécré- tion. En eflét, le liquide d'urnes ayant déjà digéré est beau- coup plus visqueux. Très fréquemment, après la digestion, le liquide prend une teinte ambrée, qui doit être due à la substance dont nous avons parlé incidemment et qui se colore en rouge par les alcalis. L'origine de cette substance est inconnue. Je ne pense pas, cependant, qu'elle doive être cherchée dans les produits immédiats de la digestion et que l'on puisse la rapprocher de ce chromogène, du tryptophane, qui apparaît dans la digestion trypsique avec les acides amidés. Ceux-ci manquent chez les Nepenthes, et je suis plutôt porté à admettre que cette matière colorante pourrait dériver des substances tanniques contenues dans les glandes et qui jouent un grand rôle dans le phéno- mène de l'agrégation. Quoique les essais de digestion à l'étuve ne laissent aucun doute sur la présence d'une zymase peptonifiante dans le liquide des urnes excitées, on ne peut mettre son action en évidence dans les urnes saines du Nepenthes melamphora observé dans son habitat naturel ; et la disparition de l'al- bumine se fait si rapidement chez cette plante qui vit à une température à laquelle son liquide d'urne n'a aucune action in vitro^ qu'il me semble admissible que la peptonification ( 82) complète des matières protéiques n'est pas indispensable pour qu'elles soient absorbées. Le fait d'ailleurs n'est pas nouveau ; et si l'on a déjà assimilé la digestion chez le Nepenthes à ce qui se passe dans notre esto- mac, on peut aussi supposer une absorption semblable à celle que fait la muqueuse stomacale qui est capable, admet-on, d'absorber les albuminoïdes des aliments bien avant leur transformation complète en peptones. Il se peut donc que chez le N. melamijJwra surtout, les glandes absorbent les matières protéiques déjà sous forme d'albumoses, bien que celles-ci ne soient pas directement dialy- sables. Nous ne comprenons pas comment, dans ces conditions, l'absorption peut se faire ; mais nous ne comprenons pas plus comment se produit chez le Di'osophyllum, par exemple, la sécrétion du mucilage au travers de l'épaisse cuticule qui recouvre les glandes sécrétrices. Dès que l'albumine se transforme, elle est rapidement absorbée; et c'est certainement surtout à cause de cette absorption rapide des matières organiques solubles par l'urne, qu'on ne constate généralement pas de développement micro- bien dans le liquide. Mais si l'urne est trop remplie d'insectes, une putréfaction se manifeste (comme j'ai pu l'observer à Java) qui est très bien supportée par la plante. Cela peut très bien se comprendre, si l'on songe que la plante est en état d'utiliser l'azote offert sous forme d'ammoniaque ou sous forme d'acides amidés. L'essentiel est qu'il soit absorbé; et à ce point de vue, les analyses données plus haut sont démonstratives. L'azote des albuminoïdes disparaît presque totalement du liquide des urnes et, par suite, la digestion doit constituer un certain appoint d'aliment azoté pour la plante, d'autant plus utile que le Nepenthes vit le plus souvent en épiphyte et doit donc avoir à sa disposition moins d'aliment azoté que les plantes terrestres. 11 serait intéressant de voir si, en même temps que l'azote, le Nepenthes ne prend pas aux insectes une partie de leurs éléments minéraux. BIBLIOGRAPHIE. Beccari, Rivista délie speci del génère Nepenthes. {Malesia, i. III.) BoKORNY, Ueber Aggregation (Nepenthes phyllamphora). {Pringsh.Jahrb., t. XX, s! 445.) BowER, The pitcher oï Nepenlhes. A study in Ihe morphology of Ihe leaf. {Annals ofBotany, t. 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PREMIERE PARTIE. l'ages. I. Considérations générales sur la digestion 3 II. Généralités sur les plantes carnivores 8 III. Caractères des Sepenlhes 10 IV. Considérations sur les zymases protéolyliques et leurs produits de dédoublement . . . • 19 SECONDE PAKÏIE. RECHEUCHES PERSONNELLES. I. Substances employées dans ces recherches . 24 II. Observations biologiques et recherclies physiologiques sur le Nepenthes melamphora -J7 III. Expériences sur divers Nepenthes cultivés en serre : A. Méthodf^ employée pour la séparation des produits de la digestion .... 40 B. Examen du liquide des urnes au point de vue de la pré- sence de zymases Ai C. Digestion dans l'urne . . . 4o D. Résorption des produits de la digestion 47 E. Étude de la résorption. Examen microchimique .... 48 F. Nature de la zymase contenue dans l'urne 49 Conclusions ol Bibliographie . . c 53 LE UmUM DE lÀ POPLLATIOi\ ET SES CONDITIONS ÉCONOilIQUES PAR Hector DENIS MF.JJBHE LE l.'ACADEMlt hu\Al.E DE CELoInlE (Présenté à la Classe des lettres dans la séance du 1" février iS^l. Tome IJX LE MOLVEMENT DE L\ POPULATION ET SES CONDITIONS ÉCONOMIQUES Si l'on rapproche les théories de la population proposées à un siècle d'intervalle, on est frappé du contraste qu'elles pré- sentent. La première édition du livre de iMalthus, auquel M. Bonar a consacré récemment une vaste et savante étude, parut en 1798; c'était un écrit encore anonyme, destiné à ruiner les plans de réforme égalitaire de Godwin ou à montrer leur instabilité. L'instinct de reproduction de l'espèce y était conçu comme une force irrésistible dont la réorganisation sociale égalitaire, rêvée par Godwin, et même jusqu'aux plus modestes ettorts pour améliorer d'une manière durable Fétat social et moral de l'humanité, ne pouvaient qu'accroître l'énergie. L'humanité apparaissait comme l'esclave d'une passion invincible, et seuls, le vice et la misère opposaient à l'instinct leurs obstacles des- tructifs et préventifs. Ce n'est qu'en 1803 que le sombre pes- simisme de Mallhus lléchit, et qu'un obstacle normal et moral vient s'opposer, dans son œuvre, à l'instinct de repro- duction; le moral restreint, le mariage tardif, accompagné de la pureté des mœurs, apparut comme l'artisan suprême et l'artisan volontaire de l'équilibre. xMais des passages décisifs de l'ouvrage de Walthus témoignent qu'à ses yeux l'action régula- trice de cette énergie volontaire était encore si faible chez les peuples civilisés, que la prépondérance de l'instinct s'opposait même à toute amélioration de l'état social des classes pauvres. Transportons-nous ci un siècle de la publication de V Essai sur le principe de populatiou, et dans les théories les plus récentes, nous verrons l'action volontaire conçue comme pré- pondérante et décisive. Non seulement Tinsiinct est considéré comme soumis cette fois à la volonté, mais l'action volontaire, réfléchie et consciente de l'homme sur la propagation de son espèce inspire, à son tour, à des esprits éclairés, les mêmes inquiétudes ou les mêmes terreurs qu'avait fait naître origi- nairement la tendance instinctive. C'est surtout en France que s'élaborent les théories nouvelles de la population ; la décroissance graduelle de la natalité française a dirigé naturellement les recherches des démo- graphes, des économistes, des psychologues et des sociologues vers ce grand objet. Le vaste et bel ouvrage de M. Levasseur sur la population française, l'histoire plus modeste, mais substantielle, de cette même population par M. Schâbe, les travaux du D"" Bertillon, de Gros, Chervin, Maurel, de Cheys- son sur la dépopulation et ses causes, la remarquable étude sociologique de M. Arsène Dumont, l'enquête de Baudrillart sur les populations agricoles, et le dernier volume du Traité d'Économie poliliqiie de M. P. Leroy- Beau lieu, professeur au Collège de France, ont éclairé de vives lumières les aspects biologique, psychologique et sociologique du problème de la population. Les deux derniers travaux que je viens de citer s'appliquent surtout à rattachera l'action de la volonté réfléchie et consciente le ralentissement de la natalité. M. Arsène Dumont a embrassé, dans une œuvre profonde de véritable sociologue, l'étude des dispositions intellectuelles, morales, esthétiques, économiques, politiques, qui déter- minent l'action volontaire sur la natalité française et sont, à ses yeux, les véritables causes de son affaiblissement. Elles se résolvent dans un développement exagéré de l'idéalisme indi- ( s ) viduel, et dans IVfl'ort incessant et sans mesure de l'individu pour se développer en jouissances ou en valeur; et, dans cet effort d'ascension que Dumont assimile à une sorte de ciipill:i- rité sociale, l'individu, pour arriver vite et haut, tend de plus en plus ù se débarrasser des soucis et des charges rpii arrêtent son essor. Loin de considérer cette évidiition comme néces- saire ou comme bienfaisante, M. Dumont voit dans l'opération de ces facteurs complexes psyclji(|U('s et sociaux, la marque d'une véritable déviation de la nation fiancaise, et il recherche dans l'expansion d'un sentiment moral supérieur, celui de la solidarité, le moyen de conjurer les excès de Tindividualisme, et de ramener le mouvement de la population à une norme. L'œuvre de M. Paul Leroy-Hcaiilieu est plus objective; il con- sidère les lois de la population comme variables avec les états sociaux, et, pai" là même, il écarte, lui aussi, l'action uniforme, constante, invariable du principe de la population, telle que Malthus l'a conçue, surtout au début. Les sociétés arrivées à un certain degré de bien-être et de culture réagissent contre la reproduction de l'espèce par le concours d'un ensemble de causes déterminantes de l'action volontaire et rétléchie, et qu'il comprend sous le terme générique de civilisation, (^est un ensemble de causes favorables et défavorables au développe- ment moral de l'homme : le développement de l'instruction, l'ambition personnelle, la concurrence même la plus âpre dans les diverses carrières, les idées démocratiques, les goûts de luxe, le sans-gêne, l'excès de prévoyance, ce sont là tous éléments de la civilisation moderne et qui concourent, dans des proportions d'ailleurs indéterminables, à diminuer les nais- sances. De sorte qu'aux yeux de M. Leroy- Beaulieu, le danger des peuples civilisés est beaucoup moins dans l'excès de popu- lation que dans la tendance à la déci'oissance du taux des naissances. [1 y a dans cette doctrine une sorte de retour des concep- tions harmoniques de Bastiat et de Garey, mais avec une com- plexité de causes que ni Bastiat ni Cai'ey n'ont conçue. ( fi) M. Leroy-Beaulieu est beaucoup moins porté que iM. Dumont à dénoncer dans les faits les perturbations morales de l'indi- vidualisme et à faire appel à une morale altruiste supérieure pour les contenir et les refouler; mais, par là même qu'il considère l'action régulatrice de la population comme inhérente à la civilisation moderne elle-même, telle qu'elle s'offre à nous avec ses grandeurs et ses infirmités, M. Leroy-Beaulieu s'ap- plique à généraliser l'interprétation du mouvement de la popu- lation, qu'il a adoptée d'abord pour la France. En faisant appel à de riches matériaux statistiques, il entre- prend d'expliquer le ralentissement de la natalité par les mêmes causes générales chez tous les peuples avancés en civi- lisation industrielle et particulièrement chez le nôtre. C'est là qu'il importe pour nous de le suivre avec attention; le pro- blème statistique est de savoir si des causes volontaires, sans doute, mais temporaires et variables, ne suffisent pas à expli- quer les phénomènes qu'il rattache à l'ensemble des causes constantes dérivant de notre état de civilisation, ou du moins, si ces deux ordres de causes ne concourent pas à produire les résultats observés, et s'il n'est pas possible de distinguer et de déterminer en quelque mesure leur opération. M. Leroy-Beaulieu a calculé les nombres proportionnels des naissances par mille habitants, en Belgique, par périodes décennales depuis 1831. Il a montré que la moyenne élevée de la première de ces décades, 1831-1840, ne s'est plus reproduite dans aucune décade postérieure; cependant, il reconnaît que la natalité a été plus abondante pendant les périodes de 1861-1870. c( Le très grand essor de l'industrie et du bien-être, dit-il, dans ces deux décades, 1861-1870 et 1871-1880, opérant sur une population encore très fruste et assez primitive, rendit la natalité, non pas, à proprement parler, plus abondante, mais plus régulière que dans les décades 1841-18o0 et I80I-I86O, tout en laissant le taux moyen de cette natalité fort inférieur à celui de la période 1831-1840. Mais, ajoute ce savant, à partir de 1881, et quoique l'on ne puisse dire que la prospérité du pays ( 7 ) se fût atténuée, le taux de la natalité diminue très sensible- ment : c'est à peine si, pour cette décade 1881-1890, il dépasse légèrement 30 "/oo, et dans les années suivantes, 1892 et 1894, il descend au-dessous de 30... » L'auteur insiste en suivant la marche du phénomène de 1881 à 1892, et en montrant que dans l'intervalle le chiffre de la natalité ne s'est relevé qu'une seule fois au-dessus de 30 •:'oo, bien que les années 1889 à 1892 aient été prospères pour la grande industrie; et, interprétant le fléchissement du taux des naissances annuelles, il conclut : «C'est une application de cette loi générale que, dans une population qui a atteint une certaine somme d'instruction, de bien-être, et qui s'est impré- gnée d'idées démocratiques, la prolificité diminue, il est pro- bable qu'il en sera ainsi de plus en plus en Belgique. » Dans un volume publié un an avant le livre de M. P. Leroy- Beaulieu, sur la Dépression économique, j'ai appelé l'attention sur l'allure du mouvement de la natalité en Belgique depuis 1830: en établissant les moyennes quinquennales des naissances par mille habitants, j'ai montré qu'à aucune époque ultérieure les taux de 32,65 «/oo constatés en 1830-1834, de 34,0o°/ooen 183o-1839, n'ont été atteints. Sur ce point, l'accord existe donc. 11 n'existe pas sur l'interprétation des faits récents. L]t d'abord, il n'est pas exact de dire que pendant les décades comprises entre 1860 et 1880 la natalité n'ait pas été, à propre- ment parler, plus abondante que pendant les décades comprises entre 1840 et 1860, qu'elle ait été seulement plus régulière. Elle a été à la fois plus abondante et plus régulière : plus abon- dante, parce que nous avons vu les moyennes quinquennales de 1870-1874, de 187o-1879 se rapprocher très sensiblement de la moyenne de 1830 à 1834; plus régulière, parce que l'amplitude des variations de la natalité est contenue dans des limites plus étroites de 1860 A 1880 que de 1840 ;\ 1860. C'est surtout à l'égard de la dernière partie de l'mterprétation de M. P. Leroy-Beaulieu que le désaccord est décisif entre nous. La thèse qui domine l'esprit de M. Leroy-Beaulieu est ( 8) que les causes générales inhérentes à la civilisation moderne ont révélé leur empire après 1880, puisque, d'après lui, la continuation d'une ère de prospérité coïncide alors avec un affaissement progressif de la natalité. L'erreur de M. Leroy- Beaulieu est indéniable. Il n'est point vrai que la période comprise entre 1880 et 1889-1890 soit prospère : elle est, au contraire, la phase la plus tragique de la longue dépression économique qui suit l'expansion industrielle de 1870-1873 en Belgique. Les traits les plus saisissants de cette période sont : 1" La baisse des prix. Les moyennes des prix de vingt huit produits ou groupes de produits exportés, calculées par moi, ont baissé de 30 % dans l'intervalle compris entre 1880 et 1889 ; 2*» L'importance des exportations s'est abaissée, en 1885 et 1886, de ^/iq relativement à 1883, en valeur nominale, d'après les tableaux du commerce extérieur. Et, si l'on ramène les prix des produits à une moyenne uniforme pour toute la période, la diminution de la quantité des produits exportés peut être portée à 6 ou 7 °/o ; S*' La contraction corrélative de la demande de travail ; elle a été manifeste surtout en 1886, année marquée par des grèves sanglantes ; 4° L'émigration prend, à partir de 1885, un essor qui ne se ralentit qu'en 1889. Il me paraît impossible de séparer l'interprétation du mou- vement des naissances, après 1880, de la crise prolongée dont la baisse des prix a été le signe le plus apparent. Les fluctuations que présentent la matrimonialité et la nata- lité, dans le dernier quart de siècle, ont des connexions si mar- quées avec le grand ébranlement économique qui se révèle successivement par la hausse et la baisse des prix, qu'on peut en rattacher l'explication, au moins en grande partie, à ces évé- nements. Avec la hausse des prix des marchandises, l'esprit d'entreprise se développe, la demande de travail s'accroît, les salaires s'élèvent, la tendance h contracter mariage devient plus géné- rale, le nombre des naissances augmente. Avec la baisse des prix, au contraire, l'esprit d'entreprise faiblit, la demande de travail décroît, les salaires baissent, le chômage devient plus fréquent, la tendance à contracter mariage diminue, le nombre des naissances fléchit. i.es courbes de la matrinionialité et de la natalité suivent sensiblement l'allure des courbes des prix. La table des index numbers belges n'a pu être dressée que de 1850 ^ 1898; mais on est frappé des relations générales entre l'un des phénomènes économiques qui expriment le mieux, par leurs variations, les variations dans les conditions générales de prospérité économique, et les phénomènes moraux et démographiques de la population. On peut se convaincre qu'après les dépressions de la matri- monialité qui ont accompagné la crise de 1846-1847, les mau- vaises récoltes et la cherté du grain de 1851-1853, elle se relève avec le mouvement ascensionnel des prix et l'élan industriel qui ont suivi la çlécouverte des mines de Californie et d'Aus- tralie, elle s'affaisse avec l'abaissement des prix et les crises. Vers l'époque où l'influence de ces découvertes sur les prix semble avoir atteint ses limites, elle subit le retentissement des baisses des prix et des crises économiques; la nuptialité s'accentue avec la courte période de prospérité comprise entre 1870 et 1874, puis la dépression se révèle, accompagnant la baisse des prix : on est frappé de sa diminution en 1876, 1879, 1885, 1886, années marquées par l'abaissement rapide des prix et la contraction de nos exportations. iMais il faut reconnaître qu'après l'année terrible de 1886, la nuptialité se relève lentement, pour accélérer son allure après 1894, au point d'atteindre l'un de ses plus hauts sommets en 1897. Les prix, dans l'intervalle, ont continué de baisser; seulement il y a en 1894 et 1895 un temps d'arrêt dans l'abaissement, et l'impulsion donnée aux exportations révèle la reprise des affaires. 1 to ) La naialito subit la ri'poroussion ilt's ohaiiiitMiionts lians la nuptialité. Il l'st impossible de n'ètiv pas iVappé ilos grandes ondulations quo les naissanees subissent ilans le cours du siècle : la marche aseeiulaute de ce phénomène après les ilures épreuves de ISilMStS, de ISol-185i: sa décroissance graduelle dans la période de dépression contemporaine îles prix et il abaissement de la nuptialité. Un pliénomène moral profondément intéressant à observer et dont la marche contirme celle de la matrinionialilé et lie la natalité générale, ce sont les naissances illégitimes. La courbe qui en a été tracée sur le diagramme, reproduit des ondulations successives de même ordre que celles lie la nuptia- lité, mais d'allure inverse; elles ont atteint, aux époijues redou- tables des crises de l840-18iS, 1851-18^)4, et d'abaissement de la nu[>lialité, des coetiicients i]ui n'ont plus jamais été observés, témoignage (l'une éloquence tragique de la ilésespé- rance d'une reproilnction légitime, des révoltes de la nature, de l'impuissance du ressort moral ^i les contenir; puis, pendant l'ascension des prix et de la malrimonialité, elle a, elle-même, subi une lente décroissance, associant i\ la moralité humaine l'espoir de conditions stables pour l'institution de familles nouvelles; entin, avec la dépression des prix et de la matri- monialité, elle a repris son allure progressive, mais sans atteindre les coetiicients considérables de la première période. De telles observations sutlisent [>our ramener à la mesure île la vérité et de la justice toutes les iléclamations sur le progrès de l'immoralité et de la dissolution ilu mariage; la statistique comparative nous permet de jeter la sonde dans l'intimité île l'àme lie la masse [Populaire et de signaler le retentissement dans Tordre moral des perturbations économiques tempo- raires. Le secret de notre évolution morale est en partie dans les conditions économiques de cette évolution, et l'institution du mariage se fortitiera de toute l'inlluence rt'^gulatrice que nous exercerons sur ces conditions économiques. Cependant, avec l'intluence, certaine d'après moi. d'une crise 1 11 ) j)r()l(Hi^(M;, so coinlnnc, cciJo des causes profniifJes di-rivaril (i. Et, s'il e^t vrai que la reprise marcjuc les années 1889, 1890 et 1891, la baisse des salaires et la diminution du nombre des ouvriers occupés reparaît en 1832. f^'inslabilité du travail et du revenu de la classe ouvrière est certainement pour une part dans la diminution de la natalité. On peut juger par les diagrammes (jue la nuptialité a rettété dans ses variations celle de Iviai économique général. Je ne songe même pas t» donner dans d'aussi courtes pages l'interprétation des dilîerences d'allure de la natalité et de la nuptialité présentées par nos provinces. Des notes ultérieures consigneront le résultat de mes recherches; cependant, il est dès è présent possible d'éclairer un aspect du problème. M. le D' Janssens a dressé des cartogrammes qui repi-oduisent la distribution de la natalité par arrondissement pendant deux périodes voisines de nous, 1873-1884, 1884-1895. La concor- dance des faits est telle qu'il y voit une relation entre la race et la natalité, attribuant aux Flamands une natalité plus abon- dante qu'aux Wallons. Si l'on remonte plus haut le cours de l'histoire de la natalité en Belgique, on constate que ses variations et les inégalités de sa distribution sont indépendantes de la race. J'ai pu, grîice aux matériaux statistiques recueillis par Quetelet, mais, par malheur, réimprimés avec des incorrec- tions visibles, remonter jusqu'à iS^29, et révéler nettement par là que la différenciation des taux de natalité n'affecte la direc- tion qu'on lui assigne que longtemps après 1860. Le péril est à la fois dans les généralisations hâtives et dans la séduction des thèses optimistes offrant aux problèmes les plus graves des solutions spontanées, laissant à l'écart la préoccupation d'une morale supérieure. ( 14 ) INUKX M MliKKS (H. Denise NOMBRi; de naissances pour 1000 habitants Naissances illégitimes pour 100 naissances. Mariagks pour 1000 habiiants. 1841 p ;-<3.i>2 7 26 7 34 18412 )) 32.63 7.30 7.01 1843 » 3185 7 53 6.74 1844 » 31.79 7.56 6 96 1845 » 32.17 7,64 6.09 1840 R 27.83 8.09 5.97 1847 )) 27.23 8.25 5.57 1848 27 75 8.36 6.65 1849 " 30.99 911 7 29 1850 94.4 30.00 9.42 7.71 1851 90.6 30.38 8.50 7 49 1852 92.6 30.04 8.30 6.98 1853 93 4 28.28 8.90 6.78 1854 96.3 28.76 830 6.48 1885 99.3 27 47 7.80 6.52 1856 104.5 29.13 7.90 7.15 1857 107.8 31.64 7.90 8.23 1858 106.7 31.69 7.P0 8.3o 1859 111.4 32.38 7.00 7.99 1860 103.6 30.97 7.90 7.54 1861 98.8 31.12 7.79 7.14 1862 99.9 30.44 7.80 7.14 1863 104.2 32.16 7.12 7.40 1864 116 6 32.06 7.77 7.55 1865 106.9 3164 7.57 7.62 ( 15 ) ! i u ■u z z < InDKX Nl'MltEUS (H. Denis). NO.Ml'.HK (le naissances pour ICOOiiabiiajils. Naissances iilégiiimes pour 100 naissances. MAiUA(ii:s pour 1000 habitants. 18(50 10().9 31.70 7.40 7.58 1867 93.1 32.5il 7.00 7 92 1868 95.8 31.90 7.20 7. il 1869 91.6 3I.P8 7.00 7.48 1870 91.8 3-J.77 7.20 7.02 1871 98.8 31.20 7.00 7.37 i8T2 109.0 32.73 7.10 7.84 1873 108.6 32.99 7.10 7 85 1874 108.3 33.11 7.C0 7.68 1875 113.4 33.90 6.90 7.32 1876 108.3 32.74 7.10 7.07 1877 103.0 32.81 3.10 6.83 1878 98.4 31.91 7.30 6.77 1879 95 8 31.89 7.60 6.10 1880 100.1 31.04 7.70 7.03 1881 97.8 3178 7.85 7.14 1882 85.0 31.57 8.10 7.02 1883 85.7 30.85 8.C0 6.84 1884 82.8 30.89 8 '.8 6.78 1885 791 30.20 8.65 6.t0 1886 77.8 29.91 8.67 6.77 1887 76.2 29.69 8.80 7.19 188S 75.6 29.39 8.74 7.10 1889 71.5 1 9.44 8.79 7.26 1890 70.0 28.98 8.63 7.32 16 ) û Index numbers (H. Denis). Nombre de naissances pour 4000 habitants. Naissances illégitimes pour 100 naissances. Mariages pour 40COhabiiants. 4891 09 9 "29.97 8 80 7.49 1892 66.5 "28 92 8.85 7.69 d89;-{ 64.4 29.53 8.79 7.60 4894 59.0 28.98 8 99 7 52 4893 61.5 ■ 28.53 8.64 7.75 489(i 61.0 29.02 8.76 8 40 4897 56.0 29 00 8.32 8.23 1898 38.0 (4) 28 62 7.88 8.31 (4) En 4897 et 4898, le prix des draps est donné daprès la valeur déclarée; de là une baisse dans les déclarations et les prix moyens. Si ces prix étaient restés fixés comme dans les années précédentes, les index numbers eussent été 60 et 60 au lieu de 56 et 58. V//;vv« / \ , / / 1 1 1 1 Lri/i6aii.-t/ 1 ^ \ \ / fi7,->/f(/7-" \ ./.?A ^\ / .<'- F/.->>>Jr(' ww//,^ \^ Br.^i^ ! 1 \ / \ \ \ — / - Jfn 1/1,1 II r V- 1 \ ^ f \ /,„,r.,J .ylil/i?/'/- x> " "\ 1 SJ (»5A-!r8 ^ 18)11-60 Mëni. iii S". Tome LI.V Lois de ta Population en BeléiQue M M , . , r t M , ^ih.M,L^JjA.L^,m_lillll_Ll.LJJLil "" : m.^^Li±(^.^!i^ii \-AA 1' M ■ r M I M lilIlH! iiHiliHiili!! lh.A llijWiililMillilhhiAil ii'iil'!iïi!|ïi'î |! I I !!î n ij,L^|jlL)_hLu!u:^ t. j^saurc, ^a,-iM« Aaùit. [i:|i|UjJji4.'j.jî[|]^ -Hj. I MM 'Ml Ml I MtiMlM'liîMim. i ; I ^ * * =! -5 s; :* tî ^ ^ i 4 5r s » « ï v.^î 5 I 5, » s s a « îî-ii s. I * tr 5 a « !s » ;: Ig^ft R B. s £. s i^R..-i;§ « :? ç S « ^ !; 5 «^4^^^'^ ^ il! Ii3i L ff/f/o/ji^e/^/e//i^ f^( o//Mf/^çiap i?é-/^jf^oav(>/ii('/>^ r/p/»/jo/jf//C-/ô'o// 5-^S;^^^^S-^^|i5SSS«iS^5 5|^^5î^«'ï5 «|^fc.R,R,»\K«.*^K^|^5;5 5^. «^^^|,*,'!^S.Ï^^'5,t^^ LES QUARANTE-DEUX LEÇONS DE BOUDDHA ou LE ma DES \lll SECTIONS (SZE-SHI-ERH-TCHANG-KING) Texte Chinois avec traduction, introduction et notes l'AK CH. DE HARLEZ MEWBKE DE I/ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE (Présenté à la Classe des lettres, dans la st-ance du 9 janvier 1899. Tome LIX INTRODUCTION Le King < (ou Sûtra) des quarante-deux sections est certaine- ment, malgré son peu d'étendue, un des plus dignes d'atten- tion de la littérature bouddhique dans l'empire chinois. Il est remarquable à divers titres. D'abord il a date certaine, selon toute probabilité; les annales chinoises en assignent la com- position à l'an 67 de notre ère. On peut donc constater par son témoignage, que telle doctrine, telle idée régnait chez les bouddhistes du Nord à cette époque. En outre, c'est une œuvre chinoise originale; du moins on n'a pu jusqu'ici découvrir aucun livre sanscrit dont il pourrait être la traduction. Le titre même n'est point dans le genre indou. Enfin, c'est lui qui a servi à l'introduction du boud- dhisme en Chine et qui a été le premier instructeur, le premier manuel religieux pour la propagation, en Chine, de la religion de Çâkyamûni, si l'on peut appeler « religion » une doctrine qui fait abstraction de toute divinité. Les annales chinoises, très exactes en général quand il s'agit de faits historiques, rapportent que notre King fut composé par le çramana bouddhiste Kaçyâpa Madanga, amené de l'Inde avec * C'est le terme que les Chinois emploient pour rendre le sanscrit Sûtra^ ce qui désigne, comme on le sait, les livres rapportant des discours de Bouddha, des sentences du Maitre enlacées. Nous employons ce terme parce qu'il est peu probable qu'il y eût un Sûtra de l'espèce. ( ^ ) plusieurs autres par les envoyés de l'empereur Ming-ti (61 P. C). C'est-à-dire qu'il aurait été rédigé en chinois sous la dictée de cet ascète bouddhique. Celui-ci s'établit en Chine, travailla à la diffusion des doctrines bouddhiques et mourut à Lo-Yang. Un colopbon placé à la suite d'un des textes de notre livre affirme que les savants indous apportèrent avec eux le livre des quarante-deux sections et d'autres des deux écoles, portés sur un cheval blanc. Mais ce colophon est de composition moderne et ne reflète pas les souvenirs historiques proprement dits, car il reproduit comme faits historiques les légendes qui font remonter le bouddhisme au X^ siècle avant notre ère. Quoi qu'il en soit, le Sze-shi-erh-tchang-Kiug a traversé tous les siècles, conservé soigneusement dans les bonzeries et regardé constamment comme une œuvre de haute importance un pen shou ou livre fondamental. Il n'exista qu'en langue chinoise jusqu'à l'époque de la dynastie mandchoue. Mais l'empereur Kien-Long, dont l'attention avait été attirée sur ce manuel, le fit traduire en mandchou, sous sa direction. Cette faveur lui valut colle d'une version tibétaine que firent deux savants Lhamas aux noms sanscrits de Dhyânâris-Tavyâsa et Subhagaçreya- dhwaja et désignés par le titre inexpliqué de Keb tchou. A celle-ci vint se joindre une troisième en mongolque com- posa un docteur du nom de Prajnodayavyâsa de son autorité privée uniquement. Malheureusement le texte lui-même ne nous est point parvenu dans toute sa pureté originaire. C'est du moins ce qu'en pense le savant tibétisan, M. Léon Feer, et cela avec raison, ce me semble. i 5 ) Il en existe en effet deux recensions distinctes, toutes deux représentées à la Bibliothèque nationale de Paris par deux exemplaires : l'un contenant le texte chinois seul, l'autre le texte avec les trois versions dont nous venons de parler. Il paraîtrait même, selon la remarque de M. Feer, que le sinologue anglais M. Beal en avait eu une troisième différente encore des deux citées, comme cela se montre dans sa traduc- tion de certains passages, si nous devons la considérer comme exacte. « Le King des quarante-deux sections « a été connu en Europe au milieu du XVIII^ siècle, et c'est par lui que les savants occidentaux ont eu les premiers textes bouddhiques authentiques. Mais ces commencements ne furent pas heureux. Comme le rappelle M. L. Feer, ce fut de Guigne qui le premier la signala à l'attention du monde occidental dans un mémoire présenté à l'Académie des inscriptions et Belles- Lettres, le 24 juillet 1753, sous le titre de Recherches sur les philosophes appelés Samanéens i. Plus tard, il donna des principaux passages une traduction dans son histoire des Huns -, mais cette traduction fut ce que pouvait être l'œuvre d'un homme qui, très savant du reste, attribuait l'opuscule bouddhique aux adeptes d'une des pre- mières sectes du christianisme, toute la doctrine de Gôtama étant peu connue à cette époque. « Ceux qui jetteront les yeux sur cet ouvrage, dit-il, n'y trouveront qu'un christianisme tel que les hérésiarques des premiers siècles l'enseignaient après y avoir mêlé les idées de * C'est ainsi qu'il rend et comprend le çramana, « ascète » de l'Inde. ' Voir partie II, pp. 227 et suiv. ( 6 ) Pythagore sur la métempsychose et quelques autres principes puisés dans l'Inde. » (Voir t. II, p. 233.) Voici, du reste, un spécimen de cette traduction : Fo demanda à un Samanéen en quoi consistait la vie? Dans le boire et le manger, répondit le Samanéen. Fo lui dit : Vous n'avez pas encore pénétré la loi. Ensuite, se tournant vers un autre auquel il fit la même demande et qui lui répondit que la vie était dans la respiration : Vous connaissez ma loi, dit Fo. Que le lecteur compare à ceci la traduction de la section, et il sera à même de juger de la chose. Les grands sinologues de la première moitié de ce siècle, Abel Remusat, Klaproth et Stanislas Julien ^, signalèrent cha- cun l'importance de notre Sûtra sans en entreprendre l'inter- prétation. Celle-ci fut essayée en 1848 par les PP. Lazaristes, Hû et Gabet, et parut dans le Journal Asiatique; mais, à les en croire, ce sont le tibétain et le mongol qui en ont fait la base, et leur œuvre est justement caractérisée par L. Feer comme scientifiquement très insuffisante. A ces essais plus ou moins malheureux succédèrent deux traductions du tibétain, l'une en allemand de A. Schiefmer, présentée à l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg le 9 septembre 1851 2, l'autre de L. Feer, publiée dans la collec- tion elzévirienne de M. E. Leroux 3. * Pour ceux de nos lecteurs qui désireraient de plus amples détails sur CCS divers points, ils les trouveront dans l'excellente introduction de L. Feer, dont nous parlerons plus loin. C'est Stanislas Julien qui a intro- duit le texte chinois à la Bibliothèque nationale de Paris. 2 Voir le Bulletiji historique et philosophique, t. IX. col. 66 à 76 (de l'Académie impériale de Russie^ 5 Bibliothèque orientale elzévirienne, t. XXI; E. Leroux, Paris 1878. Le Dhammapada avec introduction et notes par Ferdinand Hû, suivi du ( 7 ) Dans l'entre-temps le sinologue anglais Samuel Beal avait repris le texte chinois et en avait donné, en anglais, deux tra- duction successives : la première dans le Journal of Ihe Royal Asiatic Society of Great Britain and IrelanU {\S6^) et la seconde dans son beau livre intitulé : .1 catena ofbuddhist scriptures i. Pour apprécier la valeur de ce double travail, il suffit de rappeler que le premier était parsemé de points d'interroga- tion indiquant les incertitudes de son auteur et son embarras vis-à-vis des obscurités de son texte. Quant au second, il résout en partie ces doutes si nombreux mais d'une manière qui est loin d'être toujours heureuse. On se prend même à croire par- fois que le savant anglais traduit un texte d'une recension toute spéciale et qu'il était seul à posséder. Voici comme exemple la traduction du § 29 : 29) Un homme religieux, banissant les désirs sensuels, doit se regarder comme un chaume prêt à être brûlé quand le grand feu viendra à la fin du Kalpa. L'homme religieux regardant passions et désirs à cette lumière devra nécessairement les écarter loin de lui. 33) Il y avait un Çraman qui, la nuit, récitait les écritures d'une voix plaintive et rauque, désirant faire pénitence pour la pensée de retourner au péchéc, etc. 2, Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Les termes du texte sont souvent équivoques, et Beal n'avait point pour se guider le Sûtra en quarante-deux articles, traduit du tibétain avec introduction et notes par L. Feer. Inutile de dire que cet ouvrage est digne de la science de son auteur. * A Catena of buddhist scriptures from the Chinese. London, 1871. Trùbner a. Paternoster, pp. 190 et ss. * Voir A Catena of buddhist scriptures, p. 189. ( « ) témoignage des interprètes chinois qui nous est donné par la version mandchoue. Celle-ci, enett'et, n'est point l'œuvre d'un particulier éclairé uniquement par sa science privée, mais d'un corps de lettrés choisis et dirigés par le plus lettré d'entre eux l'empereur Kao-tsong-shun ou K'ien-Long lui-même. Ce fait, nous est attesté par le colophon final dont il a été parlé ci-dessus et qui porte ces mots : Kiji ming. Cette version mérite donc une confiance, une attention toute particulières, et c'est parce que nos études nous permettent d'y recourir que nous avons cru pouvoir présenter au public une traduction appuyée sur une autorité irrécusable. Du reste, je compte mettre les deux textes sous les yeux de mes lecteurs qui pourront ainsi juger en connaissance de cause. Le mandchou, il est vrai, ne suit pas toujours le chinois pas à pas, mot à mot, parce qu'il a ses lois de construction parti- culière; mais celui qui a fréquemment comparé les deux langues n'a pas de peine à deviner ce que doit être en chinois telle ou telle expression d'une tournure idiotique en mandchou et de constater la correspondance. Aussi peut-on considérer la version manchoue comme littérale. Le court historique que nous venons de retracer fera suffi- samment connaître la valeur de ce petit traité que J. Edkins a justement qualifié d'important ouvrage : .4 smallbiiî important work 1 ; il nous reste ii en examiner le texte et son contenu. Ici d'abord se présente la question de l'authenticité qui sera facilement résolue, puisque personne, ni parmi les lettrés chi- nois, ni parmi les plus savants sinologues européens, n'a jamais élevé le moindre doute à cet égard. * Voir Chinese Buddhism, p. 88. (9 ) L. Feer la reconnaît comme nous, mais la qualifie de « relative » parce qu'il n'existe point de livre indou dont ce traite serait la traduction. Singulière chose que la diversité des points de vue auxquels se placent les difl'érents esprits; c'est pour moi un molif de considérer cette authenticité comme absolue, puisque le livre que nous avons en mains est bien l'ouvrage original et n'a point passé par le canal, toujours dangereux, d'une traduction. Que le livre actuel soit en substance celui qui fut répandu en Chine vers l'an 70, c'est ce dont on ne peut douter en pré- sence d'une tradition historique sans défaillance. Ce fait n'admet pas de discussion, dit Beal, car il est rap- porté dans les annales du pays, et un temple a été élevé en souvenir de cet événement dont un récit très étendu se trouve dans un ouvrage bien connu et authentique : L'histoire des Temples de Lo-Yang, Le colophon dont nous avons déjà parlé raconte le fait dans les termes que nous avons rapportés plus haut (voir p. 4). Ce qui suppose un texte sanscrit originaire mais s'explique cependant aussi par cette simple supposition que ce livre, comme d'autres, est formé d'extraits traduits de divers ouvrages. L'authenticité du « King des quarante-deux sections » étant assurée, on se demande si le texte est resté intact depuis sa lointaine origine. La négative est certaine pour certains textes, puisqu'il existe deux ou trois revisions qui présentent des variantes d'une certaine valeur. M. Feer va plus loin encore et juge le tout considérablement altéré et interpolé. La raison de ce jugement est dans le con- ( iO) tenu même du livre qui correspondrai l assez mal ù son titre. En effet, on y retrouve, dit-on, plus que les quarante-deux sections qui figurent au titre; on en compte quarante-quatre et davantage encore. Il est vrai que pour cela il ne faut pas supposer à chaque nouvelle section l'en-tête général : « Boud- dha dit )) ce qui n'est peut-être pas nécessaire. En outre, dans deux ou trois sections, de petits discours de Bouddha sont interrompus par des récits anecdotiques, et dans la seconde on ne trouve point une application directe de la maxime qui les précède. Il en est ainsi de la section XXX ou de l'histoire de la jeune fille au rendez-vous. En outre, la section XXXllI ne commence pas par la formule sacramentelle : a Bouddha dit w. Gela n'indique-t-il pas un désordre provenant d'un remaniement du texte? Il peut en être ainsi, sans doute; mais, à nos yeux, cette hypothèse n'est nullement nécessaire. En réalité, les termes consacrés : But i/uet se présentent quarante et une fois comme annonçant une maxime ou une série de sentences. La sec- tion XXXIII elle-même ne constitue pas une exception véri- table. Elle s'ouvre, en effet, par l'exposé d'un fait qui fournit à Bouddha l'occasion de proférer sa sentence et à l'auteur d'intro- duire la formule générale. En sorte que celle-ci se trouve par- tout en tête des sentences et quarante et une fois conformément au litre de l'ouvrage. Si ces mots se trouvent répétés dans quelques sections, c'est que les auditeurs de Bouddha répliquent ou l'interrogent, en sorte que le But yuet n'annonce à cette place qu'une réponse accessoire et nullement un nouveau sujet. Quant aux faits relatés en deux ou trois endroits, ils ne ( 11 ) sont qu'une application par les faits do la pensco du Maître. II on est ainsi, même i'i la section XXX, puisqu'il s'agit on cet endroit de la suppression des désirs et ({ue roxomple de la jeune fille en indique un motif spécial. Si donc CCS histoires ont pu être ajoutées après coup, celle supposition peut être également écartée. En tout cas elle n'affecte en rien l'authenticité de tout le reste du texte. Elle s'impose, d'ailleurs, d'autant moins que des histoires de ce genre font partie intégrante du texte [)rincipal et commencent mémo plus d'une fois les sections. (Voir section XXXV : La Tentation). A la section XII, c'est une question d'un Bhikshu qui amène le petit discours de Bouddha. Il me semble donc qu'en tout cela il n'y a rien qui implique une altération du texte. Quant à la ditiérence des recensions, elle consiste principa- lement dans le plus ou moins de brièveté et quelques variétés d'expressions. Ce qui indiquerait, ce me semble, chez l'auteur de la plus courte des deux, une rédaction de mémoire et ne prouverait rien contre l'intégrité de la plus étendue. Celte dernière a encore pour elle cette circonstance qu'elle a été regardée par le corps des lettrés, l'empereur K'ien-Long en tête, comme la principale, comme l'authentique, celle qui méritait la consécration officielle et les honneurs de la traduc- tion. C'est elle qui figure dans les manuscrits tétraglottes chi- nois, mandchou, tibétain et mongol. C'est elle aussi, naturel- lement, que nous avons choisie pour on donner l'interpréta- tion à nos lecteurs, préférablement à l'autre, qui n'a que le texte chinois et un texte abrégé. Nous aurons d'autant plus de raison de le faire que pour l'élucidation de ce dernier texte, les ver- sions tartares et surtout la version mandchoue ne nous eussent ( 12 ) servi de rien; c'eût été une source de lumière des plus pré- cieuses entièrement perdue^. Une autre question posée par L. Feer est celle de la prove- nance du titre de notre Sûtra. Ce titre est-il originaire ou ajouté postérieurement après le remaniement du texte? Pour moi, je ne saurais douter de son origine toute primi- tive. Comme je l'ai montré, ce King est divisé en qurante-deux petits discours de Bouddha, et l'on ne saurait trouver une autre base de division. En outre, ce nombre avait quelque chose de traditionnel chez les bouddhistes du Nord. Une légende qui avait couru parmi eux rapporte qu'Indra, le grand dieu des Vedas, vint un jour trouver Bouddha assis sur un rocher et « l'interrogea sur quarante-deux matières. '^ Le sage traça du doigt sur la pierre ses réponses une à une ». ^ Ceci est relaté par le pèlerin bouddhiste Fa-kien, qui visita l'Inde en 399-400 P. C. et nous a laissé de son voyage le mémoire connu sous le nom de But Koue-ki ou « Annales des Royaumes bouddhiques » , bien connu par les traductions qu'en ont données Abel Remusat, Legge et Real. Fa-kien affirme que des traces de ces inscriptions existaient encore de son temps. Sur cet emplacement on avait élevé un monastère dont les ruines se voient encore aujourd'hui. Sans doute, ce n'est point notre King qui avait été écrit sur la pierre, mais la coïncidence du nombre permet de croire que le * 11 est vrai que d'après M. Beal, sa version aurait été composée par un bonze du nom de Chang-Ka, sous K'ien-Long; mais il nous est très difficile d'ajouter foi à cette assertion que rien ne confirme, dont notre colophon implique la fausseté. D'ailleurs le texte de M. Beal diifère du nôtre, comme l'a remarqué L. Feer lui-même. 2 But Koue-ki, chap. XXXIV, init. ( 13) choix du titre de notre livre n'a point été purement arbitraire. Le contenu du Sze-shi-erh-tchang King est loin d'être dans un ordre jtarfait. 11 commence par une mise en scène du genre ordinaire, oii nous voyons Bouddha interrogé par des ascètes et répondant ^ leur demande de résoudre leurs difficultés. Or, cette introduction est plus d'une fois oubliée par la suite pour faire place à d'autres situations. En outre, les sujets sont disposés pêle-mêle et les répétitions sont fréquentes. Ce dernier défaut n'est pas rare dans les livres bouddhiques, mais l'oubli de la mise en scène l'est davantage. L'introduction serait-elle ajoutée à l'ouvrage déjà rédigé? Rien ne nous engage à opiner pour l'affirmative; mais nous sommes sans moyens pour résoudre cette question. Pour terminer, disons quelques mots des conditions maté- rielles de notre texte. C'est un cahier formé de quatre-vingt-deux feuilles carrées, longues et plates, larges de 34 et hautes de 14 centimètres, d'un papier blanc,épais et simple, contrairement aux usages chinois ; le texte est xylographie ou comme autographié sur quatre lignes chacune en une ligne dift'érente : tibétain, mandchou, mongol, chinois. Les caractères chinois et tibétains se suivent sur une ligne horizontale, allant de gauche à droite. Les mots mandchoux et mongols tracés verticalement se succèdent également en allant vers la droite. Cela forme en tout 162 pages, parce que les côtés extérieurs des feuillets 1 et 82 sont couverts d'un carton jaune. Le Sûtra en occupe 148 côtés; les huit derniers avec un fragment du 73* portent le colophon. Cette édition tétraglotte n'est point une œuvre impériale ; elle est due à la générosité d'un riche et zélé bouddhiste du nom de Heng-lin, dont le colophon mentionne ( 14 ) l'acte de piété. Enfin, ia première page est ornée de deux figures de Bouddha placées à droite et ù gauche. Ce texte se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris ainsi (jue l'autre recensionen chinois seulement. Un autre exemplaire est déposé à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg.Ce sont, avec le mien, les trois seuls qui existent en Europe, à ma connais- sance. Je n'entrerai pas dans plus de détails. Ce qui précède suffît amplement au but assigné à ce travail et je dois, hélas! ménager mes forces physiques. Je ne m'occupe point des textes tibétain et mongol; pour le premier, iM. Schiefner et M. L. Feer ont épuisé le sujet et, de plus, ils diffèrent trop du chinois pour servir à son élu- cidation d'une manière sûre. Le mongol n'est qu'une ombre du tibétain et ne demande point d'explication spéciale i. Il en est autrement du mandchou, qui rend avec une géné- rale exactitude le sens du chinois. C'est pourquoi je l'ai suivi aussi fidèlement que possible, et je compte le publier en transcription à la suite de l'original, si l'état de ma santé me le permet. Mais l'homme propose et ne dispose pas. Notons encore que le texte chinois tracé à la main sur le bois est assez imparfait; des caractères tronqués ou en partie effacés font parfois difficulté, mais pas d'une manière insur- montable. Enfin, je dois noter que les titres des sections n'existent point dans les textes, où tout se suit, sans même aucun signe de ponctuation. Je les ai faits et insérés pour la facilité des lecteurs. * Ajoutons que les notes dont M. Feer a enrichi son excellent petit livre n'ont rien de commun avec les miennes; leurs objets sont tout dif- férents. LES QUARANTE-DEUX LEÇONS BOUDDHA ou U Km DES XLII SECTIONS (SZK-SBI-ERB-TCHANG-RIXf.) TEADUCTION LE SUTRA DES QUARANTE-DEUX ARTICLES ÉNONCÉ PAR BOUDDHA. Hommage respectueux à la vénérabilité des trois joyaux suprêmes (1). En ce temps-là l'Honoré du monde avait parfait sa loi et excité en lui cette pensée : se détacher des désirs (2), et la com- templation silencieuse (3) était ce qui l'emportait (en lui) (4). II était parvenu à la grande contemplation (o) ; c'était le moyen d'abattre tous les démons (6). Alors, faisant tourner la roue de la loi, il fit passer tous les êtres vivants au Mergadâva (7). Puis, en faveur de Kâucinaya (8) et des autres disciples (9), il fit tourner la roue des quatre principes authentiques (10) et apporta témoignage à l'efficacité de la loi (11). Alors que les ( 16 ) Bhikslious lui eurent présenté leurs doutes de vive voix deman- dant de les résoudre, l'Honoré du monde (12) leur enseigna autoritativement, promulga chaque point en particulier, les expliquant, en dissertant. Alors ceux-ci, joignant les mains (13), acceptant la doctrine et disant « oui » avec respect, reçurent avec soumission ce sublime enseignement. En ce temps-là, l'Honoré du monde leur expliqua le Sûtra de vérité, les quarante-deux maximes. SECTION I. LE ÇRAMANA ET l'aRHAT. Bouddha dit : « Se séparer de ses parents, sortir de sa maison, pratiquer la loi, étudiant son cœur en pénétrant jusqu'au fond (14), comprendre la loi du non-agir (15), cela est appelé du nom de Çramana (16). » Observer constamment les deux cent cinquante comman- dements et défenses, pratiquer la loi des quatre vérités (17), faire progresser son esprit dans la pureté et le silence, cela fait le parfait Arhat ». SECTION II. LES DEGRÉS DE PERFECTION. Bouddha dit : « L'Arhat sait circuler en volant, aller en prenant différentes formes, prolonger indéfiniment sa vie, remuer ciel et terre. » Après vient VAnâgamî. L'Anâgamî ayant achevé ses années, devient esprit et monte au 19"^ ciel (19) où il obtient la qualité d'Arhat. Vient ensuite le Sakrtâgamî. Celui-ci s'élève une fois, revient en ce monde une fois et obtient alors d'être Arhat. » Puis vient le Çrôtâpanna (20), lequel, mort sept fois et revenu sept fois à la vie, obtient TArhatat; les désirs, les affections coupées (2) sont comme les quatre membres coupés, on ne peut plus en user. » ( 17 ) SECTION III. LA VRAIE DOCTRINE. Bouddha dit : « Uuand les Çramanas ont abandonné leurs familles, coupé leurs désirs, abandonné leurs affections, étudié le fond de leur cœur, approfondissant les profondes maximes de Bouddha, et comprenant bien le non-agir de Bouddha, sont sans plus rien tenir i\ l'intérieur, sans rien chercher à l'exté- rieur, ils n'ont point le cœur attaché à la loi ni lié à aucune affaire; sans pensée, sans action, sans recherches, sans désir d'évidence, ne voulant point occuper un siège, mais s'élevant d'eux-mêmes à un haut degré de perfection, c'est ce qu'on appelle la (vraie) doctrine (22). » SECTION IV. RÉSUMÉ DE LA LOI. Bouddha dit : « Pour celui qui, se rasant, rejetant la cheve- lure et la barbe, se fait Çramana et accepte la loi de Bouddha, renoncer aux biens, aux richesses de ce monde, aller mendier et recevoir la nourriture suffisante pour un repas au milieu du jour, s'endormir une fois sous un arbre et ne le faire une seconde fois en aucun cas, (enfin) tenir les hommes comme ignorants et d'esprit obscurci, c'est là tout (l'objet de) l'atta- chement et le désir ^23;. » SECTION V. LES DIX PÉCHÉS. Bouddha dit : « Tous les êtres vivants considèrent dix choses comme bonnes, que Ton doit estimer mauvaises (24). (Quelles sont ces dix?) Il y en a trois pour le corps, quatre pour la bouche, trois pour l'esprit. Tome LIX 2 ( 18) Les trois du corps sont : le vol, le meurtre, l'inconduite. Les quatre de la bouche sont : semer la discorde en jasant (avoir double langue) (:25), calomnier et injurier, mentir, flatter excessivement (26). Les trois maux de l'esprit sont : l'envie jalouse, la colère et la sottise. Si l'on ne croit pas aux trois joyaux (27), on estime bien et vrai ce qui est mal et faux (28). L'Upàsakha qui accomplit les cinq actes (de la loi) (29) sans négligence, sans recul, parvenu à faire les dix choses prescrites, conquiert ainsi toute la doctrine. » SECTION VL DE LA CORRECTION DES VICES. Bouddha dit : « Si un homme qui a tous les vices ne se corrige pas, établi, accumulé dans son cœur, le mal pénètre tout son corps comme l'eau coulant dans la mer se rend d'elle- même profonde et large sans qu'on puisse l'en écarter, l'en séparer; ainsi on a en soi le mal, on connaît les fautes (30). Mais si, corrigeant ses défauts, on embrasse le bien, les fautes disparaissent de jour en jour et après cela on possède la sainte doctrine. » SECTION Vil. RÉTRIBUER LE MAL PAR LE BIEN. Bouddha dit : « (31) Si un homme ignorant et grossier me tient pour méchant et que, par les quatre actes de la charité venant à son aide, je le sauve (32) et rétribue par le bien le mal qui m'en arrive, alors l'élément du bonheur et de la vertu résidera constamment en moi (33), et celui du mal, les cala- mités graves retomberont sur lui et y resteront. » 11 y eut des (34) gens grossiers qui, entendant la doctrine de ( 19 ) Bouddha qui fait observer (le prércple de) la grand(* charité, de rétribuer le mal éprouvé par le bien (3o), vinrent se moquer de Bouddha. Mais Bouddha garda le silence et ne répondit pas, prenant en pitié celle (conduite) qui provient (36j de l'ignorance, de la folie et de la grossièreté native. Quand la moquerie sarrêta. Bouddha leur demanda : « Maître, quand vous voulez faire une politesse (o7) ;\ des hommes qui ne l'acceptent point, qu'en advient-il vraiment en justice (38)? » Ils répondirent : « (ce personnage) la reçoit en retour ». Bouddha reprit : « Maintenant vous vous moquez de moi, mais cela ne m'affecte point, je n'accepte pas (39) (ne s'attache pas). Vous faites revenir sur vous des calamités pour vos per- sonnes, comme l'écho répond à la voix et l'ombre suit la forme, le corps; à la fin on ne pourra se garder, éviter le malheur. Prenez donc garde de faire le mal. » SECTION VIII. LE MÉCHANT NE PEUT NUIRE AU SAGE. Bouddha dit : « Le méchant qui attaque le sage est comme celui qui, regardant le ciel, lui lance un crachat; il ne souille pas le ciel, mais fait revenir la souillure sur lui-même; il est comme un homme qui, par un vent contraire, soulève la pous- sière contre un autre, ne le souille pas, mais fait retourner la poussière sur lui-même; ainsi le (méchant) ne peut nuire au sage (iO), le malheur le perdra lui-même (et lui seul). » SECTION IX. LA CHARITÉ ET SA RÉCOMPENSE. Bouddha dit : « Que tout homme qui pratique la doctrine s'applique entièrement à (acquérir) une charité très étendue. Qu'il donne largement en témoignant de la compassion. Il n'y ( 20 ) a pas de vertu supérieure à la générosité. S'il tient son esprit en garde et pratique la doctrine, (sa) félicité sera immense. Si, favorisant la doctrine en faisant paraître la loi qui prescrit la générosité pour l'homme, il en est heureux et joyeux, il obtiendra la récompense essentielle (41) de la félicité. » On lui demanda : « celte félicité ne peut pas être diminuée (42), n'est-ce pas ? » Bouddha dit : « Il en est de cela comme du nombre quant au feu d'un flambeau. Si onze cents personnes viennent y prendre chacune du feu et vont cuire des aliments ou dissiper les ténèbres, ce feu reste comme il était auparavant; la félicité est dans le même cas. » SECTION X. MÉRITE DE LA CHARITÉ ESTIMÉ D'aPRÈS SON OBJET. Bouddha dit : « Nourrir cent hommes ordinaires ne vaut pas nourrir un seul homme vertueux (44). Donner de la nourriture à mille vertueux ne vaut pas en donner à un seul qui observe les cinq défenses (45). Donner des aliments à dix mille hommes observant les cinq défenses ne vaut pas en donner à un Çrôtapanna (46). Donner de la nourriture à un million de Çrôtapanna ne vaut pas en donner à un seul Sakritâgamî. Nourrir dix millions (47) de Sakritâgamî ne vaut pas nourrir un seul Anâgamî. Nourrir cent mille (48) Anâgamî ne vaut pas nourrir un seul Arhat; nourrir un million d'Arhat ne vaut pas nourrir un seul Pratyekabouddha (49); enfin, nourrir dix millions de Pratyekabouddhas ne vaut pas nourrir un seul Bouddha. Quand on étudie et cherche Bouddha avec zèle, on désire sauver (oO) tous les êtres vivants. Donner à manger (ol) à un homme de bien, c'est une bonne fortune immense, profonde, importante. Pour tout homme, servir le ciel, la terre et les esprits, ne ( -il ) vaut pas garder la piclé tiliaJc à Téganl de b('> deux parents. Les deux parents sont les esprits supérieurs. » SECTION XL LES DIX CIIOSKS DIFFICILES. Bouddha dit : « Le monde a dix choses ditiiciles : 1° Etre pauvre, en détresse et répandre ses dons (52) ; ^^ Être riche, élevé en rang et étudier la bonne doc- trine (53); î> Couper, détruire ses forces vitales et ne point mou- rir (54) ; 4° Recevoir les Sûtras de Bouddha et les observer; 5" Vivre convenablement dans un temps où paraît Boud- dha (55); 6" Supporter (l'impression de) la beauté extérieure et répri mer (couper) ses désirs; 7° Voir un objet aimé et ne point le rechercher; S^ Posséder la force et ne point y recourir; 9" Ont^lqu'un vous ouirngoant ne point entrer en colère; 10" Etant apte pour une affaire, n'y point mettre son cœur; 11° Après une vaste étude même, avoir largement appro- fondi ; 12« Ne point estimer légèrement ce qu'on n'a point encore étudié; 13" Arrêter, éteindre l'orgueil personnel; 14" Réunir en soi la vertu, la science, l'intelligence (57); 15'' Voyant, connaissant la nature (58), étudier la loi; 16** Correspondre, tendre à sa fin et ne point s'ébranler; 17° Avec un vertueux détachement former un plan sage; 18° Transformer, corriger les hommes en suivant l'ordre naturel du changement; 19° Un cœur agissant selon l'ordre, la mesure, le calme parfait; 20*» Ne point soutenir obstinément le pour et le contre. » C -22 ) SECTION XII. LA CONNAISSANCE DES VIES ANTÊKIEURES. Un gramana ayant un jour demandé à Bouddha comment on peut arriver à posséder la loi (59) et comment on connaît les existences diverses (antérieures), Bouddha répondit : (( La loi est sans forme apparente; la connaître (seulement) est sans utilité; l'essentiel est de la pratiquer en restant maître "de sa volonté. C'est comme quand on frotte un miroir que les taches dispa- raissent, que le brillant demeure. On peut alors voir sa propre forme (de même). Si l'on retranche ses affects et garde le vide (intérieur), on verra la vérité de la doctrine et l'on connaîtra les existences antérieures, w SECTION XIII. l'homme bon ET ÉCLAIRÉ. Bouddha dit : « Quel est celui qui est vraiment bon? C'est celui-là seul qui pratique la loi. — Quel est celui qui est d'une bonté toute supérieure? (C'est celui dont) la volonté est d'accord avec la loi. — Qui est doué d'une grande force? C'est celui qui reste très ferme en supportant la honte (60). En qui la supporte il n'y a point de mal (61); c'est pourquoi il est honoré des hommes. Qui est grandement éclairé? C'est le cœur dont les souillures sont effacées, les mauvaises actions éteintes, intérieurement pur et calme, sans tache aucune, bien qu'il ne soit pas tel que dès avant l'existence du ciel et de la terre jusqu'aujourd'hui il ne soit rien dans les dix régions du monde (62) qu'il n'ait vu (cependant) il en arrive, à ce qu'il n'y ait rien qu'il ne sache, qu'il ne voie, qu'il n'entende. Celui qui en arrive à connaître tout et chaque chose (63) peut bien être qualifié d'éclairé. » ( 23 ) SECTION XIV. LES PASSIONS, LEUR EFFET, LEUIl CORRECTION. Bouddha dit : a Ceux qui chérissent leurs affections, leurs désirs, ne voient pas (la vérité de) la loi, sont comme une eau trouble dans laquelle on a mis les cinq éléments des cinq cou- leurs ; si une force puissante vient les mélanger, tous les hommes réunis s'approchant du bord, ne pourront y voir leur image, leur ombre. (Ainsi) les désirs, les affections se mêlent (à l'intelligence, et la troublent). Au sein du cœur ils pro- duisent (le la boue et l'on ne peut plus voir les principes. Mais si peu ^ peu on s'en débarrasse et se repent, si on revient à la sagesse, à l'intelligence, de même que l'eau devient claire, les immondices sont rejetées, si la pureté, le calme (du rœur) sont (réiablis) sans aucune tache, alors on peut voir sa forme (sa nature) (64). Si l'on place un feu violent sous un vase, que l'eau contenue dans ce réceptacle bouillisse et jaillisse et qu'on le recouvre (alors) d'un linge, tous les êtres vivants qui viendront s'y mirer ne pourront voir leur forme, leur ombre. Au sein du cœur, originairement il y a trois venins (65) qui en jaillissent et le troublent ù l'intérieur et cinq qui le couvrent et l'obscurcissent extérieurement et qui finalement sont cause qu'il ne voit plus (les principes de) la doctrine. Lorsque le mal, qui est la souillure du cœur, en est vidé, alors on sait (66) d'où vient l'esprit, l'intelligence (67), ce qui produit la vie et la mort et (comment c'est) dans toutes les terres des royaumes bouddhiques (68) que se trouvent la vraie doctrine et la vertu. « SECTION XV. LA LOI COMPARÉE A UNE LUMIÈRE. Bouddha dit : « Ceux qui pratiquent la bonne doctrine sont comme des gens qui tiennent en main un ffambeau allumé (69). ( 24) S'ils entrent dans une place obscure, ses ténèbres se dissipent et il (y) fait clair. Si, s'appliquant à étudier la doctrine, on connaît les prin- cipes de justice (70), la grossièreté, l'intelligence se dissipent et il n'est plus rien qui ne soit compris. » SECTION XVI. LA PENSÉE DE BOUDDHA. Bouddha dit : « A quoi pensé-jo? Je pense à la doctrine. Qu'est-ce que je pratique? La doctrine. De quoi parlé-je? De la doctrine. Pensant aux doctrines certaines, je ne les oublie pas un instant. » SECTION XVII. RIEN n'est permanent. Bouddha dit : « Regardant le ciel et la terre, pensez qu'ils ne sont point permanents. Regardant les monts et les tleuves, souvenez-vous qu'ils ne sont pas perpétuels (71). Voyant la florescence, l'éclat des formes (îxtérieures de tous les êtres, songez qu'ils ne sont point durables. Tenant ainsi son esprit occupé, acquérir la doctrine sera chose prompte et facile. » SECTION XVIIl. PRATIQUE DE LA LOI ; SA RÉCOMPENSE. Bouddha dit : « Si en un jour on pratique les principes éternels, on médite la doctrine et la pratique, on acquerra la racine de la foi et le bonheur de cet homme sera sans limite, w ( 25 ) SECTION XIX. LES ÊTRES n'ont PAS o'iNUIVinUALITÉ. Bouddha dit : « Si l'on se considère soi-même et réfléchit aux quatre éléments inclus en notre être (72), (on trouvera que) chacun a bien un nom pour soi, mais qu'ils sont sans égoïté. Le moi subsiste un instant mais ne dure pas; son action est comme magique, comme une apparence fantastique. » SECTION XX. VANITÉ DE LA RENOMMÉE. Bouddha dit : « L'homme qui, suivant ses passions, cherche une renommée brillante, est comme un parfum bridant. Lorsque tous ont senti cette odeur, la plante par la brûlure du parfum (le parfum brûlé) est brûlée et détruite par elle-même. L'insensé qui désire la louange, la renommée près de la classe populaire et ne garde point les vrais principes de la loi, le malheur qui le met en danger par sa renommée même et le repentir lui resteront seuls plus tard (73). » SECTION XXI. DAXCERS DE LA RICHESSE ET DE LA BEAUTÉ. Bouddha dit : « La richesse et la beauté sont pour l'homme ce qu'est pour l'enfant le désir de goûter le miel (resté sur) un couteau tranchant. Il en a à peine goûté une fois la douceur, qu'il ressent la douleur de la langue coupée. SECTION XXII. LE MAL DES AFFECTIONS. Bouddha dit : « Le mal de l'homme attaché à son épouse, à ses enfants, ses richesses, sa maison est plus grand que celui ( 26 ) de la prison, des fers, des menottes, des colliers de fer. Pour la prison il y a parfois une complète amnistie. Pour ce qui est de l'affection, la passion de l'épouse et des enfants comme on s'y livre de plein cœur, bien qu'il y ait là autant de danger que (devant) la gueule d'un tigre, cette faute est sans rémis- sion. » SECTION XXIII. SOURCE 1>R1NC1PALK DKS PASSIONS. Bouddha dit : « La passion, l'affection n'a rien au-dessus de la beauté des formes (74). C'est elle qui forme le désir. Sa plus grande force même est à l'intérieur (7o). Par bonheur il n'y en a pas deux pareilles; s'il y en avait deux, le peuple du monde entier ne pourrait plus pratiquer la loi. » SECTION XXIV. DANGERS DES PASSIONS. Bouddha dit : «La passion est pour l'homme comme de tenir un flambeau allumé en marchant contre le vent. Si cet insensé n'abandonne pas son flambeau, il aura la douleur de se brûler la main. Quand le poison de la luxure, de la colère et de la grossièreté est dans le cœur d'un homme et qu'il n'est point tôt rejeté par l'efficacité de la loi, son malheur est plein de dangers; (il est) comme un insensé qui veut prendre un flam- beau et se brûle la main. » SECTION XXV. TENTATION DE BOUDDHA. En ce temps il y eut un esprit céleste qui présenta une nymphe à Bouddha pour éprouver son esprit et voir (la valeur de) sa doctrine (76) Bouddha lui dit. « Sac de cuir (77) impur ; amas de souillures, pourquoi viens-tu vers moi? Tu peux ( 27 ) séduire le vulgaire, mais lu ébranlerais ditticiiement les six principes (78). Vas-t'en ! je n'use point de loi. » L'espril céleste eut d'autant plus do respect pour Bouddha et lui demanda le sens de sa doctrine. Bouddha lui en donna l'explication et lui fit acquérir le degré de Çrotapanna. SECTION XXVl. COMMENT ON DOIT SI IVUE LKS PRINCIPRS. Bouddha dit : a Celui qui pratique la loi est comme un bois (tloUant) dans l'eau. Si le courant est droit, il n'est porté ni contre les récifs de gauche, ni contre ceux de droite. S'il ne peut être saisi par les hommes ni repoussé par les esprits, ni arrêté par un courant contraire et n'y est point détruit, j'ai l'assurance qu'il ira à la mer. Les hommes doivent se laisser entraîner par la doctrine et non par leurs passions ; ni se laisser tromper par tout genre de mal. S'ils y progressent soigneusement et sans hésitation, sans doute, j'ai la confiance qu'ils acquerront la doctrine (79).» SECTION XXVl. NE POINT s'aTTACIIEH A SA PENSÉE NI A LA BEAUTÉ. Bouddha dit : «Ascètes, prenez garde! Ne vous fiez pas à votre esprit (80). Vous ne pouvez vous y fier en définitive. Prenez garde, ne vous attachez pas à la beauté extérieure; si vous vous y attachez, des maux en proviendront. (C'est seulement) quand vous aurez acquis la condition d'Arhal que vous pourrez vous fier à votre esprit (81). » SECTION xxvni. CONDUITE A TENIR A l'ÉGARD DES FEMMES. Bouddha dit aux ascètes : « Prenez garde, ne regardez pas une femme; si vous en voyez une, faites comme si vous ne la (28) voyiez pas (82). Prenez garde de lui parler. Que celui qui lui parle contienne son cœur et règle bien ses actes. Qu'il se dise : Je suis un ascète résidant dans ce monde corrompu; je dois, comme un lotus, ne point me souiller de la boue. Une vieille femme, regardez-la comme une mère; une femme d'un âge mûr comme une tante; une jeune comme une sœur; à un enfant ^83) même témoignez du respect par votre poli- tesse. Si vous venez à penser d'autres choses, mauvaises, réfléchis- sez bien, considérez-vous, regardez-vous de la tête aux pieds, voyez comment ce corps est intérieurement; ce n'est que tout mal et saleté, dépôt de tous les éléments impurs; ainsi vous délivrerez votre esprit (de ces pensées) (84). » SECTION XXIX. os DOIT REPOUSSER LES ATTRAITS DU PLAISIR. Bouddha dit : « Celui qui pratique la loi et renonce à ses passions doit être comme une herbe qui voit un grand feu qui vient la détruire (85). Ainsi celui qui fait effort pour posséder la doctrine, voyant ses passions surgir, doit les repousser au loin. » SECTION XXX. COMMENT ON DOIT DÉTRUIRE LES PASSIONS. Bouddha dit : « Un homme possédé de l'angoisse provenant de ce que ses mauvaises passions ne s'arrêtent point, se pres- sait sur le tranchant d'une hache pour se couper le membre viril (86). » Bouddha lui dit : « Le couper cela est moins bien que de se couper le cœur. Le cœur est le principe d'action (87) (des passions). Si l'on arrête ce principe, tout ce qui en pro- vient s'arrête et finit. Si le cœur pervers ne cesse pas son (29 ) action, à quoi sert-il de se couper le principe génital? » En cet instant notre homme mourut. Bouddha dit alors : « Les grossiers, pervertis, (renversés) de ce monde sont semblables à cet insensé. » Il y avait une jeune fille corrompue qui était convenue d'un rendez-vous avec un homme. Le moment arrivé, l'homme ne vint point. La jeune fille dit alors : « Désir, je connais fa racine. Tu nais de ce que Tesprit pense et considère (88). Je ne te considérerai plus, ainsi tu ne naîtras plus en moi. » Bouddha, passant par là, l'entendit et, s'adressant aux ascètes, il dit : « Cette sentence est une composition de Kâçyapa Bouddha répandue parmi le vulgaire (89). » SECTIOiN XXXI. SANS AFFECTIO.N POINT DE CRAINTE. Bouddha dit :«0 homme! de la passion, du désir naît l'anxiété et de l'anxiété naît la crainte. Sans affection il n'y a pas de peine et sans peine pas de crainte. » SECTION XXXll. LA LUTTE CONTRE LES PASSIONS. Bouddha dit : « Celui qui pratique la loi est comme l'homme qui seul en combat dix-mille autres. Il ceint sa cuirasse, prend ses armes et sort de sa porte désireux du combat, puis son cœur faiblit, il prend peur, recule précipitamment, ou bien, à mi-chemin, s'en retourne; ou il résiste, combat et meurt; ou enfin il remporte une grande victoire, rentre en son pays et s'élève à un haut rang. » L'homme qui peut, en tenant son cœur ferme, progresser avec soin et ardeur, ne point se laisser ébranler par le langage des gens grossiers, rebelles au bien, sans intelligence, sait ainsi, son désir étant éteint et ses mauvais penchants épuisés, acquérir la vraie doctrine. (30) SECTION XXXIIl. l'ascète qui regrette le monde. Il y avait un ascète qui lisait, la nuit, les Sûtras d'un ton triste et précipité; en son désir regrettant (sa résolution), il pensait à retourner au monde. Bouddha l'appela et lui demanda : Quand vous étiez en votre maison, à quelle pra- tique vous étiez-vous formé? L'ascète répondit : « Je jouais constamment du Kin (9d). » Bouddha reprit : « Quand une corde est détendue, qu'en est-il? Elle ne résonne pas. Quand elle est forcée? Le son est coupé violemment (92). Si la corde détendue ou forcée vient (à être mise) au terme moyen, qu'arrivera-t-il? Tous les sons seront égaux et en harmonie. » Bouddha dit alors à l'ascète : « Il en est ainsi de celui qui étudie la doctrine. S'il contient son cœur, établit l'harmonie et progresse ainsi, il pourra acquérir la loi (92). » SECTION XXXIV. LA PRATIQUE DE LA LOI SEMBLARLE A LA FONTE DU MÉTAL. Bouddha dit : « L'homme qui pratique la loi est comme celui qui fond un métal ; peu à peu en le laissant couler, il en fait tomber les scories et fait un instrument parfait (93). Ainsi celui qui volontiers étudie la loi, peu à peu secoue les impu- retés de son cœur, et, plein de viligance, il avance dans la pratique de la loi. Autrement son corps s'alourdit et, en ce cas, son esprit s'arrête et, de là, il recule moralement en sa conduite. Cela étant, il commet des fautes. » SECTION XXXV. NUL n'est sans peine. Bouddha dit: « Celui qui pratique la loi a des peines; celui qui ne la pratique pas en a également. Depuis la nais- sance jusqu'à la vieillesse, de la vieillesse à la maladie, de la ( 31 ) maladie à la mort, les peines de l'homme sont sans limites. Si, son cœur s'en irritant, il accumule les fautes, en vie ou mourant, il ne cessera de redire ses douleurs et ses peines. » SECTION XXXVI. LES HUIT CHOSES DIFFICILES. Bouddha dit : « Il est difficile à l'homme ayant acquis l'être humain, d'éviter les trois mauvaises voies (94). » Ayant obtenu l'être humain, éviter d'être femme et devenir homme est difficile. Cela obtenu, il est difficile d'avoir ses six sens (95) complets et parfaits. Si même on les a, il est difficile de naître au Royaume du Milieu (96). Habitant même le Royaume du Milieu, il est difficile d'ob- server, de pratiquer la loi de Bouddha. Si même on l'observe, il est difficile d'y rencontrer un prince qui la possède. Si même on a un tel prince, il est difficile, rare de naître dans une famille de Bodhisattiva (97). Y fut-on même né, croire de cœur aux trois Joyaux et vivre en un âge de Bouddha est chose difficile. SECTION XXXVII. DURÉE DE LA VIE HUMAINE. Bouddha demanda à des ascètes : « En quel espace de temps est comprise la vie de l'homme? » Ils répondirent dans l'espace de quelques jours. Bouddha répliqua : « Vous n'êtes pas capables de pratiquer la doctrine. » Puis il posa la même question à l'un d'entre eux. Celui-ci répondit : « En l'espace d'un repas. » Allez, dit Bouddha, vous êtes également incapable. Là-dessus il répéta la même question, et un autre ascète lui (32 ) répondit : « En l'espace d'une aspiration et d'une respiration. » « C'est bien, dit Bouddha, de vous on peut dire que vous savez pratiquer ma doctrine (98j. » SECTION XXXVIII. QUI POSSÈDE VRAIMENT LA LOI. Bouddha dit : « Si mes disciples éloignés de moi de plu- sieurs milliers de lis, méditent mes avertissements, ils acquer- ront la doctrine. Si, restant à mes côtés, leur esprit reste attaché au mal, ils ne la posséderont jamais. La vraie posses- sion est dans la pratique. Être près (du maître) et ne point pratiquer, quel avantage y a-t-il en cela, une fois en mille? » SECTIOiN XXXIX. SUAVITÉ DE LA LOI BOUDDHIQUE. Bouddha dit : « L'homme qui pratique la loi est comme celui qui mange du miel (où) tout est doux au dedans et au dehors. Il en est ainsi de mes Soutras. Leurs principes sont tous d'un goût exquis; qui les pratique acquiert la doctrine. « SECTION XL. MOYEN d'acquérir LA VRAIE DOCTRINE. Bouddha dit : « Celui qui, pratiquant la doctrine, peut extirper la racine des passions, des désirs, ressemble à cet homme qui prendrait et ferait tomber des perles suspendues (99), les jetant ainsi une à une; quand il aura fini et que tous ses vices auront cessé, il acquerra la doctrine. » SECTION XLl. COMPARAISON DU BOEUF CHARGÉ. Bouddha dit : «Tous les ascètes qui pratiquent la loi doivent être comme un bœuf qui, portant un fardeau sur son dos, marche dans un bourbier profond et n'ose point regarder à ( 33) droite ni à gauche, mais va désireux de quitter ce bourbier pour se reposer. Ainsi l'ascète, voyant ses passions infectées de celte boue, ayant afi'ermi son cœur et pensant ii la doctrine, peut se délivrer de tous ces maux. » SECTION XLIl. LA VRAIE NATURE DES BIENS TERRESTRES ET SPIRITUELS. Bouddha dit : « Pour moi, je considère la dignité des rois et des princes comme un atome de poussière ; le précieux de l'or et des joyaux, comme la pierre et la poterie ; les habits de soie, les tissus précieux, comme la toile de chanvre ; (le laps de temps) du grand millénaire, comme un grain de sénevé; l'eau des quatre mers, comme l'huile qui oint les pieds; les artifices habiles, comme un radeau amas de pierreries; Vamit- tarnaydna (100) comme de l'or et de la soie vus en rêve; la loi de Bouddha désirée, comme une fleur (191) aperçue devant moi ; la samadhi recherchée, comme une colonne du Sume- rou 1 102j, celle du Nirvana, comme une veille de jour et de nuit (103); je considère la perversité et la rectitude (104), comme la danse des six nagas (lOo) ; l'égalité d'esprit, le calme, comme une surface plane ; l'élévation et la transformation (106), comme l'arbre des quatre saisons. Tous les ascètes qui avaient entendu ce discours de Bouddha en eurent grande joie, l'acceptèrent et pratiquèrent (sa doc- trine). » Tome LIX NOTES (1) i.e triratna bien connu : Bouddha, la loi et la communauté boud- dhique, les trois objets de la profession de foi des néophytes. L'auteur chinois, pour témoigner plus de respect,emploie ici deux termes différents désignant également les raina : pao ou joyau et tsiin, vénérable; ce qui ne se fait pas en sanscrit. (2) Le système de sa doctrine était achevé et rilluminé en pratiquait les deux actes principaux , la suppression de toute tendance du cœur vers l'extérieur, de tout mouvement passionné et l'application de l'esprit, sans rétlexion ni pensée particulière. Il s'agit ici des affects ordinaires à l'homme et non encore de ce désir de l'existence qui survit à l'homme défunt et devient la cause de nouvelles existences. La suite le prouvera clairement. (3) Le mandchou a diyan transcription de dhyâna « contemplation sans pensée », mais les deux mots chinois correspondants n'indiquent qu'un silence absolu (intérieur). Il y en a quatre degrés : 1° la joie du détachement des sens; 2° le calme exempt de toute rétlexion; 3° satisfac- tion goûtée dans ce vide; 4° exemption de tout sentiment de satisfaction, vide complet conduisant à la samâdhi. (4) Litt. Cela suprêmement était dominant. Mandchou : la dhyâna l'em- portant était extrêmement supérieure, ou : obtenir la dhyâna était, etc. (5) En mandchou : s'élant établi dans la grande Samdi. Ch. la contem- plation fixe Sfianting, ce qui pourrait être aussi un mode de transcription de Samâdhi, choisi à cause du sens. Le Samndhi (la méditation qui concentre les facultés [sam\, est la condition de l'esprit qui s'est dépouillé de toute image, de toute idée ou impression et reste inerte dans le vide en une sorte d'extase inerte. Elle s'acquiert par l'exercice d'un vide tou- jours plus grand en quatre degrés. { 36 ) ((3) On sérail lenie de traduire le chinois : il abattit toutes les doctrines des démons. Mais le mandchou indique autre chose pour tao. — Dahabuc ombi signifie : il devait (pouvait) soumettre. Tao serait donc ici pour les chinois « il était de règle, il devait se faire que... » Ma est bien le mot qui désigne aussi le Mâra, le démon tentateur de la légende; mais, précédé de la marque du pluriel, il signifie « tous les démons. » Le M. a aussi ari démons. (7) Caksra, roue ou disque à rayon, symbole de la puissance. Ici c'est la propagation qui fait pratiquer la loi. (8) « Le jardin du cerf. » De même en mandchou, Ch. « dans le pré désert du cerf ». Lu y ai ynuen. C'est un lieu réel et mythique, un endroit où Gotama, dit on, se retirait fréquemment et que la légende a transformé en une sorte de paradis. Il est situé au nord-est de Bénarès et s'appelle aujourd'hui Sirnatch. On voit ici une couche de légendes qui s'éloigne des idées primitives. Bouddha n'avait certainement pas parlé de cela. (9) Appelé Ajnâta Kâundinya. Nom transcrit. Ce personnage est donné comme prince de Magadha ; il fut l'un des premiers disciples de Gotama et reçut de lui le nom d' Ajnâta « inconnu ». On l'identifie avec Kâliràja qui régna au Magadha plusieurs siècles auparavant et fut célèbre par sa cruauté. Converti par la vue d'un Rishi souffrant des tortures sans faiblir, il reçut l'assurance qu'il renaitrait un jour et serait disciple de Bouddha ; mais ceci est probablement postérieure notre livre. — Le mandchou a Ajiujada Ivunjinaya, transcription. (40) Les principes fondamentaux du bouddhisme : 1° L'inévitabilité de la douleur résultant des conditions, même de l'existence; 2° les désirs, spécialement celui de l'existence, cause de cette douleur et des renais- sances. Ce désir survit à l'homme et réunit les éléments d'un nouvel être; 3» l'extinction des désirs, l'extirpation des désirs, condition de la cessa- tion des maux de l'existence; 4^ la vie ascétique, la noble voie (nrya marga), unique moyen de salut. (H) M. Il pensa : que je certifie l'efficacité de la loi. CH. Litt. le fruit de la loi, le sanscrit dharmaphalan. (12) Lôkajyeshta, Shi-tsun, M. Jalan i wesifmn. (13) Vanjali indou; mains jointes, à plat devant la poitrine (14) Pen, la racine, d'où naissent toutes les tendances et aftéctions. C'est un terme plus chinois que bouddhique et très usité des confuséens. M. « connaissant à fond le cœur fondamental ». ( 37 ) (45) WuWet est exactoiiient le tei'ino laoïquc, rex(trcssion du Tao-king désit;nant la perfection de l'acte humain ; mais le sens n'est pas le même. Chez Lao-tze c'est l'absence d'empressement, de désir d'agir plus que de nécessité. Ici c'est l'absence de tout acte extérieur et inlérieui-, la contem- plation inerte. M« sans action >^. (16) Bouddha énumère ici les divers degrés de veitu et de condition cjue peut atteindre le bouddhiste. C'est d'abord le Çraniana ou l'ascète peinant et pénitent qui est entré dans la voie de la délivrance et de la perfection ; le simple fidèle ne peut y entrer, mais seulement obtenir des existences ultérieures dans d'heureuses conditions. Le chinois transcrit Sfiamcn et le M. Sarman; ce dernier mode prouve que leSaman ou «< prêtre mand- chou » ne tire pas son nom du Çramana avec lecjuel il n'a aucun rapport. (17) ^250 préceptes, avertissements. Le tibétain a 253. Ce sont les condi- tions de la délivrance finale des renaissances, les obligations et défenses faites aux Çramanas. On les trouve au PratimokshaSùtra (Pâli : palimokkha sutta) qui se lit encore fréquemment dans les bonzeries. Il n'est pas besoin de dire que nous ne pouvons énumérer ces nombreuses règles. (18) Suivent ici. en ordre progressif, les quatre stages de la vie du bouddhiste, envisagés au point de vue de la métempsycose. C'est d'abord le plus élevé, VArhat (ou arhan) « le digne, le méritant », délivré de toute renaissance parce (ju'il en a tari en lui la source en étouffant toutes les tendances imparfaites, toute égoïté, il est exempt de tout vice, de toute erreur, et à le cœur plein de compassion pour tous les êtres. Les livres bouddhiques sont pleins des descriptions les plus pompeuses de l'état de gloire et de bonheur de l'Arhat. Il est assez difficile de comprendre ce qu'est l'état de ces parfaits. Ils ont vaincu l'existence, ils sont éteints dans le Nirwàna comme une lampe et cependant ils existent encore D'après notre livre, ils ont une existence céleste et se transforment à volonté. Avant d'être Arhat il faut avoir été anâqanii, c'est-à-dire qui ne revient plus à l'existence mondiale, mais passera à l'état d'Arhat. Avant cela encore il doit être Sakrtâgami. c'est-à-dire assez proche de la perfection pour ne plus revenir qu'une seule fois à l'état d'anâgami (Sakrt = une fois). (19) Ces dix-neuf cieux sont superposés; ils ont chacun leurs régents et les conditions d'existence variant de l'une à l'autre, ainsi que le nombre d'années que l'on y vit et qui se comptent par milliers et millions. —Voir mon Vocabulaire bouddhique. (20) L'existence avec ses successions est représentée comme un cou- rant qui entraine dans ses vagues. Le Çrotâpanna tst celui qui y est entré (38) et entraîné. Mai? ici ce mot a un sens spécial; le courant est celui de la voiedes saints (Slieng hing, en chinois) et dénote une certaine perfection. Le nombre des renaissances est fixé à sept. — Tous ces noms sont simple- ment transcrits en chinois et mandchou. (21) Réflexion, principe général indiquant la source, le moyen de perfectionnement qui conduit à l'arhatat et termine ainsi le sujet. (23) Ou « la loi », tao en chinois. Le mandchou doro « loi, règle » prouve que tao correspond à dfiarma (loi bouddhique^ et non à marga, voie ; c'est bien là le sens qu'y attachaient les Chinois. Après l'exposé des divers degrés de perfection, Bouddha résume en une formule, sa doctrine quant à l'intérieur de l'âme. (23) Ici ce sont les pratiques extérieures principales des ascètes ou Çramanas, ou plutôt des Bhikshous ou ascètes mendiants ne vivant point dans une bonzerie. (24) On serait tenté de traduire : Les hommes estiment dix choses bonnes et dix choses mauvaises; mais il ne s'agit pas ici de bonnes choses, les mauvaises seules sont en question et énumérées. Puis la question : Quelles sont ces dix, exclut une hypothèse de vingt sujets. (25) Le M. oforodome gisurere assure le sens ; ce n'est pas d'avoir deux langages; être fourbe, duplicité. (26) M. miyamime gisurere : parler en ornant. (27) M. akdarakô oci. Si l'on ne croit pas; ce qui prouve que ceci ne se rapporte pas à la sottise, mais forme une sentence à part. Le texte chinois l'implique aussi (28j Ceci corrobore mon interprétation selon la note (24). (29) L'upàsika est le disciple « assidu » qui, sans entrer dans une bonzerie, observe les préceptes delà loi. M. L. Feer remarque ici que les dix préceptes ne concernent que les moines; qu'il y a donc là une con- fusion qui met à nu une interpolation, un remaniement. Il en est ainsi quand on s'en tient au texte tibétain, mais le chinois indique un autre sens que voici : pour posséder complètement la loi, il faut observer les préceptes de la vie ascétique. Donc le Upâsika, qui ne se contente pas des cinq préceptes, mais arrive à suivre fidèlement les cinq derniers, a seul la plénitude de la doctrine. (39) Ces dix préceptes ou défenses sont : l» Ne point tuer 2° Ne point voler; 30 Ne point mentir; 4° Ne point s'enivrer; So Ne point commettre d'adultère; Et pour les ascètes : 6° Le jeune quotidien; 7» Ne porter ni guirlande, ni parfums ; 8" Dormir sur une natte; 9" Abstinence de danse, musique, théâtre, festivités; IO0 Ne point user d'or ni d'argent. Remarquons toutefois que les livres bouddhiques n'ont pas tous des listes identiques. (30) M. Waka be sara. (31) En tibétain ce passage est très difficile, il y a même une expression dans laquelle L. Feer voit justement une contradiction avec ce qui suit. Il y est dit que Bouddha accepte l'injure, tandis qu'au récit suivant il la fait retourner sur l'iiisulteur. Mais on voit qu'il n'y a rien de cela dans le texte chinois. Là nous trouvons une pensée résumée dans la première phrase du récit. C'est cette maxime qui attire les injures au Maître. Rendre le bien pour le mal. C'est trop fort pour des esprits grossiers et passionnés. (32) M. Karmame aitubure. —En rendant le bien pour le mal, Bouddha apprenait à son insulteur à se corriger de ses vices et l'aidait ainsi à con- quérir la délivrance et le salut. Tchong est rendu par Karulambi, récompenser. (33) Litt. en celui-ci... en celui-là. Celui-ci désigne le plus proche dans le discours ; ici c'est l'orateur. (34) Le chinois n'indique pas le nombre; yeoujin et c'est tout, mais le mandchou a ememu niyalma, plusieurs, quelques hommes. Le tibétain a le singulier. Le tibétain met ce récit dans la bouche de Bouddha, c'est une continua- tion de son discours. Il en est autrement en chinois. Ceci ne me semble pas une preuve d'interpolation. Notre King n'est pas la reproduction d'un discours de Bouddha, mais un recueil de maximes choisies et eparses. ( 40) Il n'est pas étonnant que les premiers compilateurs aient ajouté un exemple aux préceptes, surtout aux plus importants et nouveaux, tel que celui-ci. (3,^) Lilt. venu avec le mal s'en va le bien. (36) M. mcnenci banjinaha, né de la sottise. « Né de » rend sze. (37) On voit avec quelle délicatesse B. tire son exemple d'un acte de politesse et non d'une injure, pour ne point blesser ces gens grossiers. Litt. faire suivre par un acte de civilité. (38) Litt. En réalité, en résultat qu'en est-il en droit, en principe? (39) M. Alime gairako. (40) Le 3L a aussi la tournure active qui prouve que « le sage » est le complément. (41) Ce mot n'est pas rendu en mandcliou; l'essence de la récompense. (42) Cette diminution est considérée au point de vue de la quantité indéfinie de gens qui participent à ce bonheur. C'est ainsi qu'on {)eut la comparer à la tlamme d'un flambeau à laquelle on prend du feu des milliers de fois sans la diminuer. (43) Ceci étant une réponse à une observation faite au sujet du précé- dent discours ne forme pas une nouvelle section. On connaît la charité bouddhique qui s'étend jusqu'aux animaux, jusqu'aux vers et va jusqu'au ridicule. Témoin la légende de Bouddha sacrifiant son corps pour nourrir un tigre affamé. Ici il n'est point encore question des animaux. (44) La phrase suivante prouve que l'homme vertueux n'est pas encore le fidèle bouddhiste, mais l'homme de bien d'une foi quelconque qui se distingue du vulgaire, grossier et vicieux, par ses vertus. (45) Celui-ci est bien le bouddhiste laïque qui observe les cinq premiers commandements ou défenses. Voir p. 38 note 29. (46) Ce terme et les suivants ont été expliqués p. 36 note 8. Ici l'ordre est naturellement progressif, puisqu'il s'agit des mérites de ceux auxquels on fait la charité et qui vont toujours grandissant. Ces proportions sont entièrement dans l'esprit du bouddhisme, mais bien opposées aux idées chrétiennes. ( 41 ) (47) I.itt. i,()00 fois 10,(XX) el plus loin, une fois, dix fois, cent fois dix mille (48) On aura reniar(|ué, non sans surprise, riiTécjularité de la progres- sion de ces nombres. C'est d'abord 1(X), 1,00<), 10,000 pour passer à 1 million ou 10 millions, puis retomber ù l(X),0 Kâçyapa est le nom d'un des premiers et des plus célèbres dis- ciples de Bouddha. Brahmane converti, il s'attacha au nouveau maître et lui succéda dans la direction de la communauté. Plus tard, quand on inventa une série de Bouddhas antérieurs à Çâkyamounî, on prit ce nom célèbre pour le donner à l'un d'eux, le sixième, et l'on en fit le maître du Bouddha, le prophète de sa future grandeur. Après cela on lui attribua différents actes, tels que prêcher devant le dieu Indra, etc. La transition fut ménagée en attribuant à Çâkyamouni des récils relatifs aux existences antérieures de son disciple. (90) Les termes de la comparaison sont le combat contre mille ennemis et la lutte contre les passions. Mille désirs assaillent le cœur de l'homme seul contre eux tous, en sa volonté. Les uns commencent à lutter, puis faiblissent et cèdent, les autres succombent à la peine; quelques-uns en triomphent et remportent une entière victoire. Ainsi ils possèdent la loi par l'anéantissement des désirs. (91) Instrument de musique formé de douze cordes étendues sur une planchette avec chevalet. C'est un instrument purement chinois; il sem- blerait que cette historiette ait été fabriquée en Chine. Confucius jouait fréquemment du Kin. Le commencement de cette section a été traduit différemment, dit M. Feer, mais il n'y a qu'une traduction possible, ce qui nous dispense de parler des autres. Le texte porte littéralement : fuit shamen nocte mus- sitando legens sacrum iibrum Ejus vocis-sonus (erat) tristis preproperus ; desiderio illum-pœnitebat cogitabat retroeundum . On ne peut y changer aucun mot. (92) C'est là le terme un peu forcé de toutes ces comparaisons; la réussite en quoi que ce soit, est l'image du succès dans la pratique de la loi. Je traduis conformément au mandchou; la finale peut être au passif. (93) Litt. Le vase achevé est excellent. (94) Nous voyons ici que tao signifie bien « doctrine, loi », aux autres endroits, partout ailleurs le mandchou a doro qui a ce double sens, ici c'est jugôn chemin, voie, qui correspond au sanscrit gâti, voie. Les bouddhistes distinguent six voies ou conditions d'existence, dont trois bonnes ou supérieures sfiang et trois inférieures ou mauvaises fiia, lUU. Les premières sont celles des dieux (deva), des hommes et des Asuras ( il ) (bons génies); les secondes, celles ôesprelas ou larves «espHts des morts abandonnés), des habitants de l'enfer et des animaux. Ceci veut dire qu'il est ditîicile de vivre assez vertueusement pour ne pas renaître dans une de ces conditions d'expiation. Nous avons ici, comme au chapitre XI, une énumération des choses difficiles, pénibles; mais ces deux listes n'ont de commun ({ue la der- nière de celle-ci avec le o" de l'autre : « naître au pays d'un Bouddha ». La nature des choses difficiles est aussi très dill'érente. Ici il ne s'acjit (à part un point i que de condition d'existence indépendante de la volonté humaine. i95) Conception brahmanique. L'esprit {manas) est compté comme un sens. (96) On voit que ce livre a été composé pour les Chinois ; l'Empire du Milieu est ici substitué à l'Inde, le seul pays que les bouddhistes pouvaient alors avoir en vue. On pourrait soutenir qu'il s'agit de Madliyadeça, région centrale de l'Inde, mais ce n'est point le pays de Bouddha. (97) Le Bôdhisattwa (Ch. Posât; M. Fiisa) est celui qui a l'essence de la Bôdhi. C'est la Bôdhi personnifiée et qui n'a plus qu'une existence à traverser pour devenir Bouddha. La Bôdhi est l'illumination de l'esprit qui fait le Bouddha. Notre texte est parfaitement clair, il ne s'agit nullement de la Bôdhi elle même. (98) Bouddha conclut sans le dire de la connaissance à la pratique. Celui-là seul peut arriver à la délivrance qui connaît la vanité de l'existence. (99) Il se peut qu'il s'agisse du chapelet bouddhique, mais les textes chinois-mandchou ne portent que le mot perles; tchu, tana. (100) V Anuttaraijâna n'est pas ce qu'on entend ordinairement par Mahâyâna ou école des grands systèmes métaphysiques. C'est ici la troisième voie, celle qui conduit de l'état de Bôdhisattwa à celui de Bouddha. La première est du Çrâvaka, ou disciple fidèle, au Pratyeka- bouddha; la seconde de ce dernier au Bôdhisattwa. iChinois Wu sliang shing, le véhicule sans supérieur.) Toutefois la comparaison de cette voie avec les objets d'un rêve sem- ble supposer que Bouddha a en vue un système philosophique plus spécieux que bien fondé. (101; Parce qu'elle est belle et attrayante. ( 48 ) (102) Le plus haut pic de l'Asie centrale ou de l'Himalaya transforme en colonne du ciel et demeure de dieux. La Samâdhi (voir plus haut) est le fondement inébranlable de la vie parfaite qui fait le bouddhiste. (d03 C'est-à-dire incessante. C'est l'étal de celui qui, se trouvant au lit, ne dort point un instant. M. Getuliun. Cette comparaison prouve que pour ces compilateurs le nirvana n'était pas l'anéantissement physique ou moral. (104) Les deux mots chinois désignent proprement ce qui se tient droit et ce qui s'incline, tombe sur le côté. (105) Impossible de dire ce que sont les six dragons et leur danse, ni sur quoi porte la comparaison. Sont-ce des dragons chinois ou des nagas indous? Ces derniers sont, comme on le sait, des êtres mythiques : ser- pents à la tête humaine habitant l'intérieur de la terre. Les bouddhistes les ont transportés sur le sol et dans l'air et les font intervenir fréquem- ment dans leurs légendes; ils viennent écouter les leçons de Bouddha, ils disputent ses reliques, etc. Devas et Nagas résument tout l'ensemble des êtres surhumains. (106) Dont les fleurs naissent et périssent successivement. (107) Ceci est la finale obligée de tout recueil de discours de Bouddha (Cp. ma Vajracchedikâ, fin). La parole de Bouddha est toute-puissante et doit produire la conviction. TEXTE CHINOIS, Bouddha en contemplatiou. n m m "^ M m ià ± ; m w M m f& m m m m m ;^ )W ^ 1^ ^ & ^ ^ M ^ m n n m ia m s. ^^ m m ^ ^ p)f m m ^ m m m - - m tfn m w m m K ^i K + - lij ^ ^ ^ fi M m ^ B f> '£. -t ï^ ^ M pjB — -p. ^ ^ i^ m ê t ^ 0 H ^ 4 # m m M fp A m m m Ht =^ ^ J;fe # m it ffl a a m ta: Jir> PI ^ * m ^ )^ wl M m M ^ m. m 'iy m ^ ^ -X % m # w «? 2^ M ^ n m n m n m ^ m M m i5£ ^ ff lîÊ n m m lîË va ^ m M ^ m r^ iM ^)f # ^1» # ^ ^ ^ ^ ^ ^^ -^ ^ m n ï> ^ It 'S m T - B m ^ ëE m + n B ^ ^ ^ ^ m r^ ^ 52 ^ * - M ^ ^ -t M -t ^ Ht * ffl :t # ^ * # â !§■ # i^ P>>f * j%^. fflr ^^^ ± Ji HP ^I lîÊ M ^ ai w m i ^ ft w ^ * 51 ^ ^ m ^ '^ m m ~ o m m if m â m m 1 H li^' m M. ^ A pp JSÎi ^ ^ ® ^ n iïîï ^ 53 ^ % % m. m ^i5 ^s ic li % m -^ m m w A ih ^ ^ir> •a? # 1 p 0 m ^ m # w A .ë. ja w M. 1=1 ÏEET ^ A 0 -f- n »j vu*"» ;t ^ Itfc *^ ^ ^ i^ s J0 ^ 1^ 1^ ^ fî li 0 jôi # » il ^B :t ^ ^ ^ ^ ^^ ^ li f- t ^ ^i îi ^ I? fil ^ .ë A M S * A^ A fi A :^^ ^ 4 i ^ S:/ m :^ -S W ^ ^ « fp 1 54 ^ FRj 1^ PÉ 7 'yf ^ Vf a t M m t^ A a r^ •Jf m i» *^ I' w ^ ^> pj m m M. 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PI n i^ ^ ^ M i^ ^ ia B l3i ita H PI ^ ^ pT # ^ )^;f m m jm^ n ^ m ^ M «E M 7 n M: m ^ ^ u m M n û ^ 1^ n fïîï ^ igy r«j ^ *i ^ ^ M}. ^ W i: ^ ^ il m ^ ra ^ îir # 0 # $n 0 ^ M\ iO « ^^ ft # # ^ A ir '^ # * ^ ja ït '^ 62 m # m. n Mi # i ^ m n ^ n ^ A # 0 m IP fi ^ m H :îg A z m ^ W m m /fnr -S- titr. BEI li m PI A 5a - il iâ KP n A 1^ 'fi A A tH: H ^ lE W ^ * A ^ — ^^ A ^ # m ^ M W A « W £!,> '^ Il M f ] 1 ^p # ff ^ n M: PI n m t)i m s % m m A 63 W A ^ê m n ff m z m pT il :)i^ ^ * SU ^- m ^^ # ^ n Ml S n * ^ ^ â -î^^ PI ^ Q\ =f- n a PI jfll ^ # ^B jfll ï m $B 64 f m. m B :i^ tia m ^ m m # « ffîi * ff ® $0 m M tt m ^ ^^ ^ ta m ^ m M m lE ^ $R >^ fi ^ jll ¥ # * ia - M m w. m <^ ^ iio m m ^ m n N.B. P. 51, 1. 15, après le cinquième mot, ajoutez ptj . P. 52, 1. 7, » » deuxième mot la question manque. P. 54, retranchez 1. 9 et 1. 10 premier mot. INDEX DU TEXTE CHINOIS Introduction page 51 ligne 2 ss. Chapitre I —M — 12 _ II - 51 - 16 - m - 52 - 5 - IV - 52 - 11 _ V - 52 - 15 _ VI — 53 — 2 - VII - 53 - 7 - VIII — 54 — 4 - IX - 54 - 8 - X . . . ...... - 54 — 12 - XI - 55 - 6 - XII .... - 55 - 17 - XIII — 56 — 2 - XIV. . . • . . - 56 - U - XV — 57 — 4 - XVI - 57 - 8 - XVII - 57 - 10 - XVIII - 57 - 13 - XIX - 57 - 15 - XX - 57 - 18 - XXI - 58 - 3 - XXII — 58 - 6 - XXIII — 58 - 8 - XXIV — 58 - 10 - XXV - 58 - 20 {^Q ) Chapitre XXVI page 59 ligne 5 ss. - XXVII - 59 - 13 - XXVIII -59 - 17 - XXIX —60 - 5 - XXX - 60 - 9 - XXXI -61 - 1 - XXXII - e\ _ 3 - XXXIII -61 - 10 - XXXIV -61 - 18 - XXXV - 62 - 3 - XXXVI -62 — 7 - XXXVII -62 - 16 - XXXVIII -63 - 3 - XXXIX -63 - 7 - XL - 63 - 9 - XLI .... -63 - 12 - XLII - 63 - 17 TABLE DES MATIÈRES Introduction 3 Tkaduction. . . 15 Section 1. Le Çramana et l'Arhat . 16 — 2. Les degrés. de perfection 16 — 3. La vraie doctrine 17 — 4. Résumé de la loi 17 — 5. Les dix péchés 17 — 6. De la correction des vices 18 — 7. Rétribuer le mal par le bien 18 — 8. Le méchant ne peut nuire au sage 19 — 9. La charité et sa récompense 19 — 10. Mérite de la charité d'après son objet 20 — 11. Les dix choses difficiles 21 — 12. La connaissance des vies antérieures 22 — 13. L'homme bon et éclairé 22 — 14. Les passions, leur effet, leur correction 23 — 15. La loi comparée à une lumière 23 — 16. La pensée de Bouddha 24 — 17. Rien n'est permanent 24 — 18. Pratique de la loi ; sa récompense 24 — 19. Les êtres n'ont pas d'individualité 2o — 20. Vanité de la renommée 25 — 21. Dangers de la richesse et de la beauté 25 — 22. Le mal des affections 25 — 23. Source principale des passions 26 — 24. Dangers des passions 26 ( 68 ) Pages. Section 25. Tentation de Bouddha 26 — 26. Comment on doit suivre les principes 27 — 27. Ne point s'attacher à sa pensée ni à la beauté. . . 27 — 28. Conduite à tenir à l'égard des femmes 27 — 29. On doit repousser les attraits du plaisir 28 — 30. Comment on doit détruire les passions 28 — 31. Sans affection point de crainte 29 — 32. La lutte contre les passions 29 — 33. L'ascète qui regrette le monde 30 — 34. La pratique de la loi semblable à la fonte du métal . 30 — 35. Nul n'est sans peine 30 — 36. Les huit choses difficiles . 31 — 37. Durée de la vie humaine 31 — 38. Qui possède vraiment la loi. 32 — 39. Suavité de la loi bouddhique 32 — 40. Moyen d'acquérir la vraie doctrine 32 — 41. Comparaison du bœuf chargé 32 — 42. La vraie nature des biens terrestres et spirituels . 33 Notes 34 Texte chinois 49 Index du texte chinois 65 LES COJIPTËS DES IPiD^LGËMlËS EN 1488 ET EN 1517-1519 DANS LE DIOCESE D'UTRECHT PAU Paul FREDERICQ MEMBRE DE I.'aCAUÉMIE ROYALE DE BELGlULE (Présenté à la Classe des lettres dans la séance du i décembre 1899 ) TO.MK l.l\ LES COMPTKS DES INDULGENCES EN 1488 ET EN 1517-1519 DANS LE DIOCÈSE D'UTRECHÏ Ma notice sur La question des indulgences dans les Pays-Bas au commencement du XV l^ siècle i a été appréciée avec une grande bienveillance par mon savant collègue de l'Université catholique de Louvain, M. Ch. Moeller "^, qui m'a fourni une rectification précieuse. Comme il le fait très justement observer, j'ai ignoré l'une des deux indulgences émises concurremment dans les Pays- Bas par le pape Léon X, notamment celle que le souverain pon- tife avait décrétée sur les instances du jeune Charles d'Autriche, pour réparer les désastres causés par une inondation calami- teuse de la mer du Nord. * Voir Bulletins de V Académie royale de Belgique, 3^ sér., l. XXXVI, 2e partie, n» 1 (séance de janvier 1899), pp. 27-57. 2 Revue bibliographique belge, Xle année, n» 5 (31 mai 1809), pp. 253 et 254. ( 4 ) Le doyen de Louvain, le futur pape Adrien VI, fut nommé par Léon X commissaire général de ces indulgences, mais il resta étranger à celles qui avaient été données en faveur de la construction de Saint-Pierre à Rome. C'est d'ailleurs aux indulgences de l'inondation maritime qu'Érasme fait évidem- ment allusion dans sa lettre de mars 1531, dont j'ai cité un long passage. D'un autre côté, M. Sam. Muller Fz., archiviste de l'État à Utrecht, a eu l'obligeance d'attirer mon attention sur des docu- ments inédits de la plus haute importance, conservés dans son dépôt; et il m'a permis de les étudier et de les transcrire à loisir aux archives de l'État à Gand. Je ne puis assez l'en remercier. En effet, ces documents nous donnent des comptes très détaillés sur le trafic des indulgences dans le diocèse d'Utrecht à deux époques assez rapprochées l'une de l'autre : en 1488, au moment où la question des indulgences sommeillait encore, et en 1517-1519, c'est-à-dire au plus fort de la tourmente sou- levée contre elles par Luther et ses adhérents. Ces pièces mériteraient une étude approfondie. Je me réserve d'y revenir ; mais je crois utile dès à présent d'appeler sur elles toute l'attention des spécialistes, en les publiant ici avec un mot d'introduction. (S) 1. LES DOCUMENTS DES INDULGENCES DE I i88. Ces documents établissent d'abord qu'on 1488 il y eut, comme en lol5, deux émissions simultanées d'inriulgences dans les Pays-Bas, en vertu de bulles papales. L'une d'elles avait pour objet de fournir les tonds nécessaires à la réfection et à l'agrandissement de la bibliothèque, de l'in- firmerie, du réfectoire, des cellules et de l'église du couvent des Frères mineurs à Paris. Nous ignorons quel fut le succès de cette campagne financière entreprise dans l'évéché d'Utrecht par le Frère Mathieu et huit de ses compagnons. Les autres indulgences étaient celles décrétées par le pape Sixte IV en vue d'une croisade contre les Turcs, et dont l'arche- vêque Raymond Péraudi était l'un des principaux commis- saires apostoliques. C'est sur ces grandes indulgences que nos documents sont vraiment intéressants. Ils nous apportent quelques commis- sions délivrées à des auxiliaires désignés pour faire fructifier l'entreprise dans le diocèse d'Utrecht, mais l'important est qu'on peut suivre en détail les côtés financiers de l'opération dont on a les comptes dressés minutieusement. Avant la création des nouvelles circonscriptions ecclésias- tiques sous Philippe H, le diocèse d'Utrecht était l'un des plus étendus des Pays-Bas. On sait qu'il embrassait presque entiè- rement les comtés de Zélande et de Hollande, le duché de Gueldre, les seigneuries d'Utrecht, d'Over-Yssel, de Frise et de Groningue avec quelques autres petites régions telles que la Flandre zélandaise; ce diocèse d'Utrecht comprenait ainsi plus d'un quart des dix-sept provinces des Pays-Bas. C'est dans (6) cette vaste zone que les comptes des indulgences de 1488 nous montrent les collecteurs à l'œuvre. Ceux-ci sont au nombre de plus de vingt, tous membres du clergé séculier ou régulier. Us vont de ville en ville, parfois même de village en village, pour y encaisser le produit local des indulgences, et ils le versent entre les mains de leur chef, Jacques d'Apelteren, chanoine de la cathédrale d'Utrecht, désigné à cet eti'et par Jean de Boemel, doyen de Nimègue et subdélégué du commissaire apostolique Raymond Péraudi. Quelquefois les comptes mentionnent jusqu'à la nature détaillée des monnaies d'or et d'argent qu'on a trouvées dans les troncs des indulgences , ce qui intéressera certes les numismates. Un quart des fonds recueillis devait être prélevé par le chapitre d'Utrecht. Les principales localités mentionnées dans ces comptes sont Dordrecht, Gorcum, Leide, Oldcnzaal, Harderwijk, Kampen, Amsterdam, La Haye, Schiedam, Woerden, Ulrecht, Delft, Naarden, Alkmaar, Haarlem, Amersfoort, Zierikzee, Brou- wershaven, Middelbourg, Veere, Flessingue, Goes, Enkhui- zen, Hoorn, Leeuwarden, Bolsvvert, Sneek, Franeker, Gro- ningue, etc. On a même collecté dans les pauvres îles de Ameland et Ter Schelling. Quand le chanoine Apelteren a entin encaissé toutes les recettes, il exige que lui et ses auxiliaires reçoivent préalable- ment les gratifications promises, qu'il appelle bona et honesta propina (pourboire) pro laboribiis et soUicitationibiis in negotio sive materia sacratissimarum indidgentim'um. Le produit net des indulgences recueilli par Apelteren s'élevait à la somme de 4,28o florins d'or du Rhin et 4 sous. Le produit brut avait été de 5,699 florins d'or du Rhin et 4 sous. Parmi les nombreux détails pittoresques que contiennent ces documents, il en est un qui nous révèle un fait inconnu et important. Le chanoine Apelteren, dans ses comptes, note une somme de 8 florins d'or du Khin et 4 sous, payée à Dokkum en Frise pro expensis factis contra dominum Ahhodem ibidem, qui obloque- batur certa iujuriosa verba. Cette mention obscure est heureusement expliquée dans l'acte où Apelteren proteste qu'il ne délivrera pas les fonds recueillis par lui, avant qu'on n'ait payé à lui et à ses collabo- rateurs leur part promise des recettes. On y apprend (|ue cet Abbode, qui se disait curé de l'église paroissiale de Wagenin- gen en Gueldre, n'avait pas rougi de prêcher contre les indul- gences, sans respect pour le pape, l'archevêque Raymond Péraudi, protonotaire apostolique, et tous ses subdélégués. Abbode soutenait que « cette affaire des très saintes indul- » gences n'était que pure farce et tromperie pour extorquer )) de l'argent au commun peuple ». Par ses sermons, il avait obtenu à Wageningen et dans les localités voisines ce résultat scandaleux, que personne n'y ouvrait sa bourse pour gagner des indulgences ^. Les subdélégués apostoliques ne pouvaient tolérer de pareils écarts de langage, ils entamèrent naturellement des poursuites contre le curé Abbode, qu'ils semblent avoir relancé à Dok- kum en Frise, puisque c'est là que le chanoine Apelteren dut 1 ... De procurando fieri juridice processuui usque ad brachiuin secu- lare exclusive infra certum tempus jam dudum elapsum contra quemdara Abbodem, asseitum rectorem parochialis ecclesie de Wacheningen, qui non erubuit publiée predicare et dicere in dedecus et scandalum summi pontiticis ac specialiter reverendissimi patris ac domini Rayniondi pro- thonotarii prefati ac omnium commissariorum suorum, quod hoc negotium sacratissimarum indidgentiarum esset nisi mera trufa et deceptio qiiedam ad extorquendum a communi populo pecunias; quibus verbis et aliis similibus populum ita provocaverat in sua parochiali ecclesia et locis circumvicinis, quod ad consequendum hujusmodi indulgencias minime manus porrexerunt. ( 8) débourser une assez forte somme concernant cette affaire. Dans l'acte précité, le même Apelteren déclare du reste qu'il a été amené à délivrer au magistrat de Dokkum des lettres patentes, lui promettant de faire intenter un procès contre le curé Abbode iisque ad hrachium secidare exclusive, endéans un délai déjà écoulé depuis longtemps; et que le magistrat de Dokkum ne voulut consentir à la levée des troncs des indul- gences dans l'église de la ville, que si Apelteren remplissait ses engagements relatifs au curé Abbode. Nous ignorons quel a été le sort de celui-ci devant la juri- diction ecclésiastique. En tout cas, il faut ajouter son nom à la liste de ceux qui, comme Wessel Gansfort de Groningue (mort en 1489), le Frère mineur Jean Vitrier de Tournai (1498) et Érasme (dans son Éloge de la Folie, 1511), attaquèrent ouverte- ment les indulgences avant Luther. LES DOCUMENTS DES INDULGENCES DE d547-d519. Les documents concernant ces indulgences sont, sauf un, exclusivement des pièces de comptabilité : recettes, dépenses, gratifications, etc. ils ne se rapportent pas aux indulgences de l'inondation maritime, dont le futur pape Adrien VI fut le commissaire apostolique; tous sont relatifs aux indulgences émises en faveur de la basilique de Saint-Pierre à Rome. Ces pièces de comptabilité sont encore beaucoup plus détail- lées et plus pittoresques que celles de 1488, mais elles n'em- brassent guère qu'une petite portion de l'évêché d'Utrecht, notamment cette partie de la Gueldre et des régions voisines, dont Arnhem, Wageningen et Tiel forment les points extrêmes. Dans les recettes, on distingue nettement le produit des ( 9) confessionaUa (actes nominatifs d'absolution plénière délivrés aux fidèles après confession avec ou sans faveurs religieuses) de celui des troncs des indulgences déposés dans les églises. Partout le clergé local, qui a reçu en commission plus ou moins d'exemplaires imprimés des confessionaUa pour les placer parmi ses ouailles, rend compte des exemplaires négo- ciés, argent comptant, ou accordés gratuitement ou non encore placés. Une gratification, proportionnelle à l'importance des opérations et convenue h l'avance, récompense les peines qu'on s'est données (quota pro laborihus ex conventione). Quant à la levée des troncs contenant le produit des indul- gences, elle est faite par des commissaires ambulants. Nous avons les annotations très détaillées de l'un d'entre eux, maître Jean de Drolshagen, chanoine de la cathédrale d'Utrecht, qui, accompagné du notaire Thierry de Malsen, a fait des tournées financières dans toutes les églises d'une même zone gueldroise pendant plusieurs mois des années 1517 et I0I8. Presque partout la fabrique d'église prélève une part, tandis que des gratifications plus ou moins importantes et nombreuses sont accordées au clergé local et ù ses auxiliaires (sacristain, organiste, enfants de chœur, etc.). Ces gratifications sont presque toujours en argent; parfois cependant elles consistent en boissons, bière ou vin du Rhin (vas cervisic, una taka vini Renensis). Le produit des indulgences était si abondant que, dans cer- taines localités, les troncs purent être levés jusqu'à trois reprises consécutives. A Abcoude, par contre, le curé Ode de Swart expose, le 5 juin 1518, au chanoine collecteur et à son notaire (qui, dans son compte pittoresque, inscrit soigneu- sement l'aventure), que, l'année précédente, vers le temps de la fête de la Visitation de la Sainte-Vierge, des soudards, battant en retraite, ont envahi l'église paroissiale et y ont forcé tous les troncs et toutes les serrures. Ils y ont naturellement volé le (10 ) produit des indulgences; mais ils ont oublié au fond du tronc 2 florins d'or et 10 sous, qui étaient restés cachés sous une pièce d'étoffe. Cette maigre recette est versée au chanoine col- lecteur, et la véracité du récit du curé est attestée par le desser- vant, maître Hugues, fils de Guillaume, par Marguerite, femme du sacristain, et par une autre Marguerite, tille de Jean. Grâce du reste aux annotations méticuleuses du notaire Thierry de Malsen, on peut suivre pas à pas le ch moine Jean de Drolshagen dans ses pérégrinations à travers le diocèse d'Utrecht. Un domestique les accompagne. En général, Drols- hagen voyage à cheval et les deux autres dans une voiture de louage {pro ciuru pro ij. personis, quia dominiis Drolshagen fuit equester). De temps en temps, on doit traverser la Meuse, le Waal ou le Lek en bateau; le notaire inscrit chaque fois le prix payé au passeur d'eau (/;7'0 navigio). On donne parfois un pourboire à un guide qui montre de mauvais chemins (Ciiidam famulo demonstranti nobis iter versus Dryel et nobiscum rêver- îenti jjr opter iuundationes viarum; Cuidam vira nobis demon- stranti iter a Tyel usque Bosinchem, quia vie erant lutose). On doit même une fois s'arrêter en route, parce qu'on est crotté jusqu'à l'échiné (quia oportebat eum illic remanere, ex quo vestes sue erant lutose). On répare en chemin la selle et le mors du cheval du chanoine collecteur (/;ro reparatione selle et capistri). On ferre les chevaux (fabro ferrario pro subuncula- tione equorum); on boit un verre de bière en route (pro cervisia bibita in itinere); on se fait raser de temps en temps par le bar- bier du village que l'on traverse {barbilonsori, pro rasura). On paie une amende au portier des villes, où l'on arrive le soir après la fermeture des portes. On loge à l'auborge [hospitium) ou chez le curé, apparemment dans les petites localités où il n'y a pas d'hôtellerie, comme c'est encore l'usage dans certaines régions primitives de l'Europe. Si l'auberge est pleine, la maison du curé est un refuge assuré ; c'est ce qui arrive à Tiel, ( 11 ) le 2 juillet 1518, où le chanoine collecteur et son notaire vont passer la nuit au presbytère, après avoir procédé à une troi- sième levée du tronc des indulgences cl avoir soupe et bu largement avec messire Erclens, receveur du duc de Gueldre, sa sœur, son neveu, le bourgmestre et le curé (cena fada ivimus dormilum ad domum pastoris propter multitudinem hominum existentium in hospitio). Aussi donne-t-on un sou de Hollande comme pourboire au domestique et à la servante du curé, comme toujours en pareil c3iS {propina,pro bibaIi,pro bibalibus). On achète du papier; on paie le fourrage et la litière des chevaux {pro havena et feno equoriun, pro gramïnibus equorum); on paie un supplément, si on fait faire du feu dans sa chambre f'/;/'0 i^/iej; on fait quelques acquisitions imprévues en route, tel ce sac acheté pour y empiler les exemplaires des confes- sionalia non placés et restitués par le clergé qui les avait reçus en dépôt [pro sacco empto ad reponendum confessionalia non distributa et nobis î^stituta). Le compte du commissaire apostolique Jean-Ange Arcim- boldi, présenté au chapitre cathédral d'Utrecht, n'est pas moins intéressant. On y voit qu'il a commandé à l'imprimeur un nombre énorme d'exemplaires des confessionalia; pour le seul diocèse d'Utrecht, il en a fait faire 800 sur parchemin, conte- nant la concession de l'autel portatif; plus 2,800 sur francin et 2,800 sur papier, ceux-ci sans la clause de l'autel portatif; plus 1,600 stationes en flamand et 500 en latin ; sans compter 400 déclaration es, plus 200 imprimés contenant la bulle du pape et deux commandes de 300 et de 250 exemplaires impri- més des arma papalia. L'imprimeur semble avoir voulu « tirer une carotte » au commissaire apostolique, si j'ose m'exprimer ainsi ; car il n'est payé qu'îi la suite d'une transaction [concordia], accompagnée d ailleurs d'une buverie et d'un bon dîner, donné par le cha- noine Drolshagen chez son collègue Jean de Zolms, aux frais ( 12 ) de la caisse des indulgences. {Item dedi pro vino bibito in domo domiiii Johannis de Zolmis in convivio, tempore concepte compu- tationis et concordie cum impressore, 38 ^/^ sous de Hollande, ce qui est une somme assez considérable.) On porte aussi en compte les étuis en bois qui renfermaient les confessionalia, ainsi que les fils rouges et la cire employés à sceller ces lettres d'indulgences, qu'on envoyait parfois en masse dans des bar- riques aux ecclésiastiques chargés de les débiter. {De uno vase mittendo tenninario Aldenz-alensi cum coufessionalibus.) C'est le 11 mai 1519 que le chapitre cathédral d'Utrecht, présidé par son doyen Jacques d'Apelteren, qui s'était déjà distingué lors des indulgences de 1488, s'assemble solennelle- ment (capitidariter) pour entendre et approuver le compte du commissaire apostolique Jean-Ange Arcimboldi. Outre le doyen, dix-neuf chanoines assistent à cette séance et touchent de ce chef un jeton de présence, toujours aux frais de la caisse des indulgences. Le doyen Apelteren reçoit 6 tlorins (Tor du Rhin, tandis que les dix-neuf chanoines ne reçoivent chacun que la moitié. Mais plusieurs d'entre eux, qui ont pris une part active à l'émission de ces indulgences, touchent des gra- tifications bien plus importantes. Le tiers du produit net est versé dans la caisse diocésaine du chapitre; les deux tiers res- tants appartiennent au commissaire apostolique Arcimboldi, soit pour ce dernier une somme liquide de 333 florins d'or Rhénans et 20 sous de Hollande. La recette brute des indul- gences s'était élevée à 1,078 florins d'or du Rhin 12 sous et 9 alb. de Hollande pour une portion du duché de Gueldre, soit un petit coin du diocèse d'Utrecht. Peut-être, en cherchant bien, retrouverait- on des docu- ments analogues dans le dépôt si riche et quasi inexploré de l'évéché de Tournai et dans les liasses provenant de l'évêché de Cambrai, conservées aux Archives départementales du Nord, à Lille. Quant 5 la comptabilité des indulgences pour ( 13 ) les diocèses de Liège et de Thërouenne, elle est probablement perdue avec la majeure partie des archives anciennes de ces deux diocèses. Quoi qu'il en soit, une chose nous frappe surtout dans ces curieux documents dX'trecht : c'est la sérénité que respirent tous ces comptes, dressés en pleine tourmente luthérienne. Tous ces chanoines, tous ces notaires, tous ces doyens, curés, vicaires et sacristains placent des lettres d'indulgences, vident des troncs, s'offrent des dîners arrosés de bon vin, touchent des jetons de présence, des frais de route et des gratifications, sans sembler se douter que ce trafic des indul- gences est en train de faire chanceler l'Eglise sur ses fonde- ments. En 1488, on avait eu au moins l'algarade du curé de Wageningen, qu'il avait fallu poursuivre devant la justice ecclésiastique du clief de sermons scandaleux. En 4ol7-lol9, pendant que Luther déchaîne la tempête, qui gagne aussitôt les Pays-Bas, aucun mot des comptes ne trahit encore la moindre opposition dans le public ni la moindre émotion chez les collecteurs des indulgences. Le chanoine Jean de Drolshagen a commencé sa tournée en Gueldre pour procéder aux premières levées des troncs d'indulgences au mois de juillet lol7. C'est en octobre de la même année que Luther prononce ses premiers sermons contre les indulgences; c'est le dernier jour de ce mois d'oc- tobre 1517 qu'il cloue de sa propre main ses fameuses thèses latines aux battants de la porte de l'église de Wittemberg. Les années lol8 et lol9 se passent en polémiques virulentes et en colloques théologiques qui ne font qu'envenimer les choses. Déjà la rupture est complète en mai 1519, lorsque les chanoines d'Utrecht, assis dans leurs stalles de la salle capitu- laire, écoutent placidement la lecture des comptes détaillés d'Arcimboldi. Mais à quelques lieues d'Utrecht, dans le comté de Hollande, à Dordrecht, dès le mois de mars 1518, les Augustins sont déjà entachés de luthéranisme et le magistrat de la ville suspecte leurs paroles, prononcées publiquement en chaire ou dans le secret du confessional. Au moi de mai 1519, quinze jours après la séance financière du chapitre d'Ulrecht, Érasme écrit de Louvain à Luther que le prieur des Augustins d'Anvers, Jacques d'Ypres, y prêche des sermons luthériens t. L'orage commence à gronder dans le ciel serein des collecteurs des indulgences; mais ceux-ci semblent être les derniers à s'en apercevoir, * Voir les pièces du temps dans mon Corpus doc. Inquisitionis Neerlan- dicae, t. IV (sous presse). in PIÈCES JUSTIFICATIVES. PREMIÈRE SÉRIE. — Indulgences de 1488. 'Archive^ de l'État à l'trecht, Dom h» 1362, a-j.) (l'trecht, fo mai 1488.) Commission délivrée par le doyen Jean de Boemel, commissaire apostolique, au chanoine Jacques de Apelteren et au vicaire Antoine Gruter pour publier et faire fructifier les indulgences de la Croisade contre les Turcs dans la ville de Groningue et les localités voisines. Johannes de Boemel, decrelorum doctor, decanus Nouimagonsis, com- missarius apostoliciis per ciuitatem et diocesim Traiectensem deputatus, unacum nonnullis alijs collegis in commissione ad infra et supra seripta datis. Notum facimus, qiiod nos, de deuocione, zelo et leuei'encia, quas venerabilis et circumspectus vir atque honorabilis dominus Jacobus de Apelteren, canonicus, necnon Anlonius Gruter, vicarius maioris ecclesie Traiectensis, ad sedem sanctam apostolicam gerunt, certiores eff"eeti, eosdem dominos Jacobum et Antonium subcommissarios nostros ymmo- uerius aposlolicos et ncgoeiorum infra scriplorum gestores fecimus, creauimus, constituimus, ordinauimus et deputauimus ac presencium lenore facimus, creamus, constituimus, ordinamus et deputamus specia- liter videlicet et expresse ad publicandum publicarique petendum, requirendum et faciendum sacratissimas indulgencias cruciate unacum ( 16 ) nonnullis aliis niagnis facullatibiis nunc tolaliler pro luitione tidei catlio- lice contra jierfidos Turcos concessas. ampliatas et prorogatas, trun- oiimque seu cistam ad elemosinas christifidelium dictas jndulgencias promereri volentium re})onendiim in ecclesia parocliiali de Groningen et locis illi circumiacentibus ponendum et ordinandum, crucemque eri- gendum, confessores apostolica auctoritate lot quot voluerint ordi- nandum confessionaliaque dandum et distribuendum seu darj et distribui faciendum, de facultatibus nobis per bullam reservatis utendiim et viris doctis uti permittendum pecuniasque exinde prouenientes leuandum, recipiendum, numerandum et recolligendum et de receptis, leuatis, numeratis et recollectis quitandum et quitaneias dandum unum quoque vel plures, quatenus opus fuerit, subslituendj, ceteraque omnia alia et singula circa premissa laciendj et gerendj et exercendj, que nos ipsi faceremus, si présentes interessemus : super quibus omnibus et singulis dictis nostris commissariis et ab eisdem deputatis facultates nostras presencium tenore impertimur. In cuius rej testimonium présentes literas signo manuali notarii subscripti signarj sigilloque nostro, quo in talibus utimur, munirj fecimus. Datum Traiectj, die quinta décima mensis Maij. anno Domini millesimo quadringentesimo octuagesimo octauo. M. DE Brouwershauen, notarius subscripsit. II. vL'trochi, 2 juin 14S8.) Commission déliorce par le doyen Jean de Boeme.l au chanoine Jacques de Apelteren pou?' recueillir en Zélande les sommes d'argent provenant des indulgences, en son lieu et place, conformément aux pouvoirs qu'il tient lui-même de V archevêque Raymond Péraudi. Johannes de Boemel, decretorum doctor. decanus Nouimagensis, com- missarius apostolicus per ciuitatem et diocesim Traiectensem deputatus, unacum nonnullis aliis collegis in commissione ad infra et supra scripla datis. ( 17 ) Noliim facimus, cum presentibus infra scriptis ob cerlas qiiibus deline- mur intirinitates intéresse nequimus. sic est quod nos, de deuocione, zelo €l reuerencia, quas venerabilis et circumspeclus vir doininus Jacobus de Apelteren, canonicus Traiectensis, ad sedem sanctam apostolicam gerit, eertlores efFecti,eundem dominum Jacobum nostrum ymmouerius sancte sedis apostolice subcornmissarium et negociorum infi-a s('n|)lorum geslo- rem (in vim et pretextu commissionis nostre specialis nobis i)er reueren- dum patreni et dominum dominum Raymundum Peraudj. arcliiepiscopuiii Misnensem (?', sacre théologie professore, etc. nobis desuper concesse inferius inserende) fecimus, creauimus, constiiuimus, ordinauimus et deputauimus ac presencium tenore facimus, creamus, constituinins, ordinamus et depiitamus specialiter videlicet et expresse ad dicte sancte sedis apostolice nostrique nominibus quascunque pecuniarum summas ex sacrosanclis indulgencijs nouissime*de mense Maij isic proxime prc- terito in partibus Zeelandie ubilibet posilis et ordinatis a chrislifiddibus oblatas et pie datas atque rogatas subleuandum et recipiendum, pei cep- tas quoque atque extradas pecunias per quosuis alios subcommissarios tam nostra quam quacunque alia aucloritate quoquo modo circa nei;o- cium premissum légitime ordinatos ab eisdem petendum, leuandnm, emouendum et subleuandum, de receptis quoque et leuatis quitandum literas(iue quitanciarum dandum, nobisque atque superiorj commissario nostro domino Raymundo prefato alijsque quomodolibet compulum et racionem légales faciendum; ceteraque omnia alia et singula circa i)re- missa faciendj, gerendj et exercendj, que nos ipsi faceremus, si présentes interessemus. Super quibus omnibus et singulis dictis nostro commissa- rio et ab eodem deputatis seu depulandis ab eodem facultates nostras presencium tenore impertimur. In cuius rei testimonium présentes literas signo manualj notarij subscriptj signari sigilloque nostro, quo in talibus utimur, munirj fecimus. Datmr. Traieclj, die secunda mensis Junij, anuo Domini millesimo <|uadringentesimo octuagesimo octauo. Ténor vero dicte commissionis noslrc, de qua supra in hijs nostris Jileris lit mentio, sequitur talis : Raymnmlus. M. DE BUOUWERSHALEN, notarius subserip-it. Tome LIX 2 ( 18 ) III. (Llrecht, 2G février -1489.) Commission délivrée par le frère mineur parisien Bernardin de Rechaneto^ commissaire apostolique, au frère Mathieu pour publier et faire fructi- fier les indulgences de la réparation et de l'agrandissement de leur couvent de Paris dans la ville et le diocèse d'Utrecht, avec pleins pou- voirs pour s'adjoindre des auxiliaires. (Suit une liste de huit frères mineurs désignés à cet effet.) Au dos de la pièce : In factis indulgenciarum diiiersarr.m. B.ernardinus de Rechaiieto, professas et filins conuentus domus fralriim 31inoriim Parisiensiiim, commissariiis apostolicus et procuralor eai'undem generalis totiiis Germanie necnon per ciuitatem et diocesim Traiectensem. ut in original] commissione ad infra scripta a venerabilibus patribus religiosis dominis et doctoribus guardiano, vicario princii)alj ceterisque fratribus et religiosis dicte domus specialiter ordinatus, daius et depu- tatus, ac in predicta ciuitale et diocesi Traiectensi a reuerendissimo domino gratiosissimo et a celeberrimo capitulo eiusdem ciuilatis accep- tatus et fauorabiliter, prout ex literjs eorum patere omnibus potest, admissus. Notum facimus uniuersis bas nostras literas visuris, lecluris seu legi audituris, quod nos, de deuotione, zelo et reuerentia, quas religiosus ac devotus frater Matteus etc. ad structuram, ad reparationem et liedificatio- nem librarie. jnfirmarje, refectorij, camerarum et ecclesie domus et pau- perum studentium collegij fratrum 31inorum in uniuersitate Parisiorum prescriptis uice et nomine nostrj gerit, certior effectus, eum religiosum ac deuotum fralrem Matleum subcommissarium ymouerius aposlolicum ac negotiorum infra scriptorum gestorem fecimus, creauimus, suhstitui- mus, ordinauimus et légitime deputauimus, presentiumque tcnore facimus, crcamus, substiluimus, ordinamus et deputamus specialiter et expresse in oppidis, ciuitatibus et villis circumcirca adiacentibus, si in talj, in talj est et relinquitur spatium pro nominandis ciuitatibus, videlicet ad publican- dum publicarjque faeiendum, petendum, requirendum et cxequendum plenissimas indulgentias a pena et a culpa, unacum nonnullis alijs magnjs ( 19 ) facultalibus apostolicis pro structura et reparatione premissorum per sanetissimum dominum nostrum papam modernum datas et conecssas et ubique jnfra ciuitatem et diocesim Traiectenscm per dominum gratio- sissimum et celcberrimum [rapituhim] admissa? et acceptatas; ronco- dentes ei facultatem deputandi et loco suj generalitcr et specialiter substituendi sccundum opporlunitatem locorum, oppidorum etciuitatum. unum vel plures rommissarium vel commissarios in unoquoque oppido el ciuitate uice nostrj ordinandj, qui similem in omnibus premissis aut limilatam facultatem liabeant vel habere possint; officiumque eis dejm- tatum catholice ordinare et exercere, truncos seu capsas ad helemosinas christilidelium dictas jndulgentias promererj volentium reponendum in ecclesijs illis, que sibi commendatiores iuxta populi deuotionem vide- buntur, aclocis omnibus illis circumadiacentibus ponendum et ordinan- dum, crucemque ante cistam seu capsam erigendum. confessores apos- tolica auctoritate tôt quot voluerint et secimdum exigentiam ydoneos ordinandum, confessionaliaque dandum et di?tribuendum seu daij et distribuj faciendum, omnesque utriusque sexus in confraternitatem sanclorum Francisci et Antonij de Padua deuote recipiendum, ipso- rumque nomina in libro ei ordinato registrandum, et eis literas con- fratcrnitalis perpétue secundum statuta confraternitatis dandum ; pecu- niasque exinde provenientes in truncis seu capsis existentes leuandum, recipiendum, numerandum et reeolligendum, de receptis quoque, leuatis, numeratis et recollectis quitandum ac lileras quitanciarum dandum; ceteraque omnia et singula circa premissa faciendum, gerendum et exercendum omnia, que nos ipsi faceremus, si présentes interessemus ; saluo quod dicto subcommissario nostro prenominato teneatur nobis de tertia claue cuiusque trunci seu ciste respondere, ne aliqua sine ipso et illis, qui alias duas claues pênes se tenucrint, presentibus pecuniarum fiat extraetio. Sub litteris et ceduiis manua- libus nostris, signis et sigillis ac documentis auctenticis munitis, ut pecunie ille a deuotis tidelibus oblatis (sic) sinceriter ad usus premis- sos iuxta formam et mentem noslrj sanctissimj domini nostrj papae applicentur et de receptis per eundem fratrem Matleum nostrum sub- commissarium omnibus tam in truncis existcntibus quam ex literis confraternitatis provenienlibus nobis commissario generalj predicto fidelem rationem et computum reddere teneatur. Super quibus omnibus et singulis dictis nostris subcommissarijs facul- tates nostras et uices presentium tenorc impartimur; in cuius rei testi- i '10 ) nionium lias noslras lileras signo manualj nostri in hac parle notarij subscripti signarj sigilloque nostro, quo in talibus coniniissionilnis orticij nostrj utimur, munirj fecimus. Datnm Traieeti, siib anno a natiuitate Doinini M«. CCCO. L\.\\I\o., die xxvj'" mensis Februarij. Nomina fratrum Minorum, qui commissariatus oftioio funi^i habent in preclarissima diocesi Traiectensi. sunt ista seqiientia : MagisterFranoiscus de Fallerone, ordinis Minorum. Magister Reginaldus de Cetignola. Magister Mattheus de Clierio. Frater Johannes Syoulus, bachalarius. Frater Prothasius de Pottis. bachalarius. Fraler Antonius Cauallj. Frater Johannes Alamanus. Fi-ater Bernardinus de Seclusia. iVondrodi 8 août [1488?].) Acte du chanoine Jacques d'Apelteren concernant ses recettes et ses dépenses dans la besogne des indulgences de la Croisade contre le^^ Turcs, et concernant les poursuites qu'il a entamées contre Abbode, cure de Wageningen, qui avait prêché contre les indulgences et par là tari la source des profits à Wageningen et dans les localités voisines. Il réclame le salaire promis (propina) de ce chef, sous menace de ne pas rendre de comptes. Ego Jaoobus de Apelteren, canonieus Traieetensis, subeomniissarius conslilulus per venerabilem virum dominum Johannem de Boemel, decretorum doctorem, decanum, etc., per ciuitatem et dyocesim Traiec- tensem commissarium apostolicum deputatum jn negotio siue materia sacratissimarum jndulgentiarum, etc. Coram vobis notario et testibus, etc. protester, quod receptam per me peeuniam ex locis, quibus ut commissarius prei'ui et de quibus herj, que fuit dies Jouis vija., et hodie reuerum octaua mensis Augustj, computa- tionem fecj vobis venerabilibus et circumspectis viris dominis Dolensi et ( 21 ) Nouimagensi Coloniensis dyocesis vicarijs decanis lamquam commissa- rijs ad hoc per reurrendiiin patrem dominum Uaymundum sedis aposto- lice prollionotarium depiilatis, videlicet summam oclingentoruni et XV. n. R. current. xx. sluf. monele liuius prouiucie pro 11. computato et vj. stuferis, paratus sim deiiberare aut de illis sufticienter satisfacere eisdem dominis decanis commissarijs deputalis, dummodo michj jnpri- mis de laboribus rneis ac tandem familiaribus niiclij associatis in eodem negolio per dominum decanum Nouimagensem commissarium de eorum laboribus salislial; quibus et^o, ul tideliter sumerent, lidem dedj non deiiberare pecuniam aliquam prouenientem ex liuiusmodj jndulgencijs, antecjuam eis de laboribus eorum salisfieret. Necnon proteslor simililer, quod paratus ut supra requiram eosdem dominos decanos commissarios, ut me ab oblicatione per me fada de mandate prefalj dominj decanj Nouimagensis commissarij jnprimis vene- rabilj et cgregio viro domino vicario reuerendissimi dominj nostri epis- copi Traiectensis pro sigillis literarum transsumptarum ex originalibus lileris apostolicis, etc. releuent jndcrapnem; necnon a quadam alia obli- gatione per me facta de mandate ipsius dominj decanj Nouimagensis honorabilibus dominis Adriano de Nohvick et magistro Malhie deBrowers- hauen, vicarijs erclesie Traiectensis, ac demum ab obligatione per me per patentes meas literas facta senioribus et superioribus viris ac com- munitati oppidj de Dockem, Traiectensis dyocesis, de procurando fierj juridice processum usque ad brachium seculare exclusiue jnfra certum ternpus iam dudum elapsum contra quemdam Abbodem. assertum recto- rem parochialis ecclesie de Waclieningen. quj non erubuit |)ublice predi- carc et diccre jn dedecus et scandalum summj pontiticis ac specialiter reuerendissimj patris ac domini Raymondj prothonolarij prefatj ac omnium commissarioriun suorum, quod hoc negotium sacralissimarum jndulgentiarum essct nisi mera trufa et deceptio quedam ad extorquen- dum a communj populo pecunias, quibus verbis suis et alijs similibus populum jta prouocauerat in sua parochiali ecclesia et locis circumui- cinis, quod ad consecjuendum huiusmodj jndulgencias minime maniis porrexerunt, ex quibus igilur verbis suis oppidum predictum noluitcon- sentire in extractione pecuniarum depositarum ad cistam in ecclesia sua, nisi habita et prestita per me obligatione premissa; ac tandem ex absen- tia ipsius reuerendissimi patris et domini Raymondj prothonolaiij, qui michi jn presentia prefalj domini decanj Nouimagensis et domini Johan- nisNeue Scotj (?>.... ecclesie Nouimagensis ac pastoris ecclesie parochialis ( s2 ) in Grauia, Coloniensis dyocesis, sua fide et legalitate promiserat bonam et honestam propinain pro mais laboribus et sollicitacionibus, quibus cum alijs obtinuj admissionem publicationis earundem sacratissimariim jndulgentiarum a capitulo nostro ecclesie Ti-aiectensis requirere, eosdein dominos commissarios ut michi de huiusmodj propina salisfaciatur, eum nullatenus dubitem eosdem desuper a prefato reuerendissimo paire domino Raymondo commissionem et auctoritatem accepisse et habuisse; ac jnsuper protestor, casu quo de laboribus meis et familiarium meorum associatorum et propina miehi promissa prefatj dominj commissarij satisfacere ac ab obligalione predieta releuare jndempnem non velint, quod tune et sic per me non stet, quominus de pecunia predicla per me recepta recipiant sufficienlem solutionem; et protestor simili modo, qua- tenus ex huiusmodj non solutione, cum in me defectus nuUus sit, non intendam quouis modo in futurum grauarj per quemquam, et si casu aliquo molestationes michi desuper eveniant alique, quod easdem velim deducere ex eisdem pecunijs receptis ac quod omne dampnum et jnter- esse, quod ea de causa michj euenire quouismodo possit per aliquem, velim recuperare et repelere ab eisdem dominis commissarijs deputatis, loco et tempore michi congruis et oportunis, etc. in forma ampliorj, super quibus, etc. omnibus et singulis... et... communiter (?) et diuisim. V. Recette des indulgences à Dordrecht, Leide, Gorcum. Oldenzaal, Harder- wijk, ZuiderwoiLde, Kampen, Amsterdam, La Haye, Schiedam, Woerden, Utrecht, etc., par les commissaires Adrien, Gerlaciis, Jacques de Loenen, le doyen de Nimègue et Jean Strick. fol. 1 r^ Item ex Dordraco per manus domini Adriani, J^^. xxx. fl. R. current. Item extractio iacta in ecclesia sancte Marie Leidensis, facit xxx. tl. R. current. Item ex ecclesia sancti Pancracij jn Leyden, J^. xxxu. fl. R. current.; per manus domini Adriani sacriste et xv. st. Item adhuc ex ecclesia sancti Pétri ibidem per manus eiusdem, ijc. XXIX. fl. R. current. et xj i/^. st. Item secunda extractio jn dicta ecclesia sancti Pancracij, J^'. lxv. tl. R. ( 23 ) Item adliui; extraclio alla jn ecdesia sancti Pétri Leidensis predicta, j«". Lxvj. 11. R. cum quodam prauo annulo. Item in (lûiinchem, xu. 11. R. current. per manus domini Adriani. Item c\ AMcnzaell per manus domini Gerlacj, canonirj ecclesie sancti JoliannisTiMicctcnsis, lxxix. tl. R. current. et vj. st. Item ex IIiTderwijk per manus domini Jacobj de Loenen, j^. lxj. fl. R. current. Item in Zn lerwoude per manus eiusdem domini Jacobj de Loenen, XX. 11. R. cuiront. [Item ex Aomsteledammis per manus domini decanj Nouimagensis.] * t.!. I v Item per manus domini Johannis Strick ex locis i)er ipsum occupatis, saluis (lenaiiis superius solutis per dominum Adrianum, iiiJ<^. lxx. 11. R. curr. xiij ' -2. st. Item c\ C;! npis, u^ et xxvj. 11. R. current. Item ex A"msteldammis, ix*^. xxxii. 11. R. current. Item ex lla^a Comitis, iijc. xviu. 11. R. Item adiiuc jn Haga Strick recepit x. tb. gross. a domino Wilhelmo Ruychrock milite. Item ex Schiedammis, je. xx. 11. R. Item ex Woirden, xviu. 11. R. VI. Détail de la recette des indulgences à Utreckt en monnaie d'or et d'argent. In Traiecto. toi. -1 r Item in |)i'imis in auro unum nobile aur. Ilenricj valoris v. fl. R. xvj. st. Item iiij. 11. aur. domini Dauidis episcopi Traiectensis, quolibet pro xxxvj. st. computato, facit simuU vu. 11. R. nu. st. * Ces mois ont été bitîés clans la suite. loi. ^1 ( 24 ) Item iij. fl. aur. Renen., quolibet pro xl. stuf. computato, facit vj. tl. R. Item VI. fl. aur. postis Hornien., facit simull vj. fl. R. xviu. st. Item iJ. aur. Philippus schilden, quolibet pro xxxiiij. st. computato. facit iij. fl. R. viij. st. Item ij. fl. Arnoldj. quolibet proxxj. st. computato, facit u. fl. R. u. st. Item Vs- il- aur. sancti Andrée, facit xx V2. st. Item Va- GeIresche rider, facit xvjj '/g- st. Item «/s- Philippus schilt, facit xvu. st. Summa in auro simull xxxiiu. fl. R. nu. st. Item in moneta argentea. In primis in denariis van iiij. st., u. st., .r. st. ende V2 stuuers, simull LXvVa- il. H- current. Item in vuerijsers et halff vuerijsers, simull xxviu. fl. R. Item in stoters et halff stoters, xu. fl. R. Item in blancken et Philippus, simull xv. fl. R. Item in denariis de tribus grossis et medijs similibus denarijs, simull vjVs-fl. R. Summa monete argentée, je. xxvu. fl. R. current. Summa omnium in Traiecto receptorum facit je. lxj. fl. R. nu. st. \II. Détail de la recette et des dépenses des indulgences par Jean Strick à Leide,. Schiedani, La Haye etDelft ;par le curéde Grave à Amsterdam, JSaarden, Weesp, Miiiden, Edam, Purmerende, Monnikendanif Abcoiide, Elbiirg, Marken, Epe et Kampen ; par Jean Jiidoci à Schoonhoven et Alkmaar; par Arnold Block à Ter Sc/ielling; par Jacques de Loenen à Harder- wijk et Zuideriuoude; par Nicolas de Medeinblik à Dordrecht; par Jacques de Voir de à Gorcum ; par Vof^cial d'Utrecht à Haarlem; par le prieur Françoys à Beverwijk ; par le doyen de Nimègue à Zalt-Bommel; par Frédéric de Voirde et le curé de Leusden à Amersfoort; par le curé de Leiisden à Woudenberg ; par Gerlacus Brunonis à Oldenzaal; après la pi on galion papale des indulgences par Jacques de Loenen à Zierikzee, Broiiwershaven, WestenSchouiven, Haamstedeel Dreischar {île de Schou- wen); par Arnold Block à Middelbourg, Veere, Flessinguc, West- ( !^^> ) CnpcHe. Arnemuidnu Monsier au pays de ïiorscl et Kortqene (\k de Sud-Beveland) ; par Gerlaeiis linnwnis à Deldert ; par Jean Jiidnci à Goes, Baarlant, Oude-Hijnskerk et Knudorp; par Jean Mndde à Hey- merswale, Nieuwland, Meer, Kruiningen. Jerseke et Wemeldinfjen ; par Jaequea de Apelteren à Enkhnizen, Iloorn, Stavorev, Woudrinheni , Bolswert, Sïwek, Leeuirarden, Uarlinqen, Franeker, Dnkkiim, Steenwijk et Deveren. Dépenses faites par Antoine Grnter et Jean son frère; par Jacques de Apelteren à Amers foort et en Zélandc ; par Antoine Griiter à Steenwijk, Deveren et Groningue. Recettes et dépenses faites par Nicolas de Mednnblik à Sint-Maartensdiji;, Poortvliet et Selierpenisse; à Moer- kerk ; par Apelteren en Frise; par Jacques de Medemblik à Kuinre, Aweland, Sloten, Legeweer, Cnlw, Eyleken; total général. SUMME JNFRA SCRIPTE SUNT RECEPTE f^'l- ^ ^o PER nOMTNUM JOHANNEM StRICK IN LOGIS INFRA SCRIPTIS : In Leyden per Strick. Summa omnium cxtractionum factarum in omnibus ecclesijs Lciden- sibus facit simull vijc. xxiu. fl. R. current. vj^'o- ^^tuf. Schiedam per Strick. Summa extractionis facte jn Schiedam facit F. vigintj fl. R, curront. Haga Comitis per Strick. Summa omnium extractionum factarum jn Hai^a Comitis facit simull iijc. Lxxviij. fl. R. current. cum uno stufero. Summa pecuniarum receptarum ex locis prescriptis facit simull J'". u^ xxj. fl. R. vjjVs- stuf. Item in Dellff. v^. ux. fl. R. current. xu. st. Summa omnium pecunarium ex locis prescriptis per dominum Johan- nem Strick extractarum facit simull J"i. vu''. lxxx. fl. R. current. xviij^/ç,. st. Summa omnium expositorum jn omnibus ecclesijs et locis predictis, vjc. XV. fl. R. xvjV2- st. Qua subtracta a sumina omnium receptorum. remanet J"». je. lxv. fl. R. current. u. stuf. ; quibus additis xxi(.t. fl. R. vnj. st. prouenientibus ex eonfessionalibus per eum receptis, faciunt ( 26 ) simuU J". je. Lxxxviij. fl. R. x. st. ; super quibus omnibus sunt tam per manus proprias quam per manus domini Adrianj, simull xjc. viu. fl. R. uVa- st. Et additis pro laboribus suis et propina xliiij. fl. R., facit simull xje. LU. fl. R. iji/s- st. Qua subtracta a summa omnium receptorum, manet debens xxxvj. fl. R. vu Va- st. fol. i vo Item iste pecume JiNfrascripte SUNT IIECEPTE PER PASTOREM JN GrAUIA L\ LOCIS JNFRASCRIPTIS : In Amsterdammis. Summa extractionis facte jn Aemsterdaramis, simull ix^. xxxix. fl. R. current. vj. stuf. per pastorem de Grauia. Item ex beginagio eiusdem locj, xliiu. fl. R. current. Item adhuc ex loco de Neerden, xvj. fl. R. current. vj. st. Item adhuc ex oppido de Weesp, lxv. fl. R. current. Item adhuc ex Muden, x. fl. R. current. Item adhuc ex Neerden jn secunda extractione, xxxji/a- fl- R- current. Item adhuc in secunda extractione in Weesp, vu. fl. R. current. Item ex loco dicto Edam, xxiiu. fl. R. nu. st. Item ex Purmereynde, xxviu. fl. R. current. Item ex Monickedam, xxxiu. fl. R. current. Item ex Abcouda, xxxiu. fl. R. current. vel circiter. Item ex Elborch, je. xix. fl. R. current. Item ex Marcken, vu Va- A* R- current. Item in Epe fuerunt receptj per predicatorem ibidem, xiiu. fl. R. current. Item ex oppido Campensi, u^. xxvj. fl. R. current. Summa supra pecuniarum receptarum per pastorem in Grauia facit simull jm. vjc. xxu. fl. R. xvj. st. Item summa expositorum jn Haemstede per pastorem prefatum, u^. XXV. fl. R. nu. st. Summa expositorum per prefatum jn Neerden, xviu. fl. R. vu. st. Summa expositorum jn Weesp per eundem, xxvj. fl. R. u. stuf. Summa expositorum jn Muden per eundem, u. fl. R. xu. st. Summa expositorum per eundem jn Edam, xj. fl. R. ix. st. Summa expositorum jn Purmereynde per eundem, xj. fl. R. Summa expositorum per eundem jn Monikedam, viu. fl. R. vu. st. ( 27 ) Summa expositorum jn Abcouda pcr cundein. vj. fl. K. xv. st. Summaexpositorum per eundem jn Klborcli, xxiu. fl. 11. ix. st. Item jn Kpe ut supra rcceptj sunt xiiu. fl. R , (|uos ad se rccepil frater fol. "2 r» JohaiHies Woirde pro certis laboiibus et expensis ibidem et in diuersis aliis locis factis per Ipsum, Summa expositorum per pastorcm Granicnscm |)refaluiu jn Campis, xc. tl. R. nu. st. Item adlmcexposuitjdempastorextraordinarie fratri Johanni Bokelair, ordinis Minorum, pro diuersis laboribus por eum factis, xnu. fl. R. Item adhuc fratri eiusdem pastoi'is i)ro diuersis laboribus por eum factis, VJ. fl. R. current. Item idem pastor retinuit sibj pro laboribus suis, lxx. fl. R. curi-en. Item adhuc cxposuit jdem lU. 11. R ; jn particularibus expensis, nj. st. Summa omnium expositorum jn locis prefalis unacum salario suo, v^. XXX. fl. R. xij. st.; qua abstracta a somma omnium receptorum, que sunt j"'. VJ';. xxij. fl. R.xvj. st.; rémanent J'». xcu. fl. R. nu. st. Peclme huiuSmodi sunt recepte per magistrum johannem jldocj ix schoenhouia. Recepta jn Scliocnkouia. Item ex Schoenhouia lxvj. fl. R. current. Summa expensarum xxiu. fl. R. \^U. st.; rémanent xlu. fl. R. ixVa- st. Recepta jn Alckmaria» Item ex Alckmaria per decanum Nouimagensem, pastorem ibidem, Lxx. fl. R. vu. st. Exposita. Item summa expensarum, lix. [fl. j R. v. st. ; rémanent xj. fl. R. u. st. Recepta jn Schellinck. Item ex Schellinck, prouincie Frisie, per dominum Arnoldum Block, j^. vjV'a- fl- ^ current. Exposita. Summa expensarum illico factarum, xvj. fl. R. vu. st. ; réma- nent xc. fl. R. lu. st. ( 28 fol. "I \o Recepta jn Herderwijck. Item ex Herderwijck per dominum Jacobum de Loenen, j<=. lxj. tl. R. current. Exposita. Summa expensarum, nu. il. R. current. xv. stuf . Iiem adhuc in expensis ordinarijs, lxj. 11. R. vj. st.; facit simull lxvj. fl. R. J. st. ; rémanent xciiij. fl. R. xix. st. Recepta jn Zuderwoude. Item ex Zuderwoude per dominum Jacobum de Loenen, deductis expensis, xx. fl. R. Recepta jn Dordrnco. Item ex Dordraco per dominum ^'icoIaum de Jledemblick, IIJ^ xxx. fl.R. Exposita ordinarie. Summa expensarum, ijc. fl. R.; rémanent J^. xxx. fl.R. Summa expensarum extraordinarium, xiu. fl. R. xvu^'a- st. Summa omnium expositorum, ijc. xiu. fl. R. xvijV/2- st.; supersunt je. xvj. fl. R. ij Vs- st. [Recepta jn Gorinchem. Item ex Gorinchem per dominum Jacobum de Voirde, lx. fl. R. xix. st. Exposita. Summa expensarum, xlviij. fl. R. xix. st. ; rémanent xu. fl. R. libère. Recepta jn Haerlem. Item ex Haerlem per officialem Traiectensem, j^. xxj. fl. R., deductis expensis. fol. 3 ro Recepta ex Beuerwijck. Item ex Beuerwijck per dominum Francoys, priore ordinis Carmr- litarum, deductis expensis, xxv. fl. R. [Respondebit decanus Nouimagen- sis *.] * Ces mots ont été ajoutés plus tard avec une encre de couleur différente. ( 29 Recepla ex Sommeil. Jlem ex Bomniell per manu? doraiiu decanj ÎNouimagensis, deduclis cxpensis, v^/j. tl. R. Ex Amersfordia. liein ex Amersfordia per Fredericum de Voirde et pastorem de Lues- deii, J»-. tl. R. xxvij. [st.] Ex| osiia ibidem. Summa expositorum lvj. 11. R.; rémanent lxx. fl. IX. st. Recepta ex }youdenberch . Item ex Woudenberch per pastorem de Luesden, deductis expensis, vu. tl. R. XIX Va- st. Recepta ex Aldenzeell. Item ex Aldenzeell per dominum Gerlacum Brunonis, canonicum .\idenzalensem, J^. xLViu. tl. Renen. Exposita ibidem. Summa expensarum factarum facit simuU Lxviu. tl. R. xiiij. st.; qua subtracta a suimna receptorum, rémanent lxxix. fl. R. vj. s tuf. PeCUXIE J.NFRASCRIPTE PROUENERUNT EX LnDULGENCIJS PREMISSIS POST PRO- fo|. 3 y» ROGATIONEM EARU.MDEM PER DOMLNLM NOSTRLM PAPAM FACTAM : Item in primis ex Ziericxzee per dominum Jacobum de Loenen ibidem commissarium, etc., iiijc. xiiu. tl. R., viiji 3. fl. R. {sic). Item adhuc ex eodem loco pro secunda extractione ibidem facta, xu. tl.R. Item adhuc per eundem ex Brouwershauen libère, deduclis expensis, xLix. fl. Renen. xv. stuf. Item adhuc per eundem ex Westen-Schouwen, deductis expensis, xxxj 1,2- tl- ^^ Item adhuc per eundem ex Haemstede, xxxu. fl. R. Item adhuc per eundem ex Breysscher, xxxvj. fl. R. iïumma receptorum ex locis prescriptis, vc. lxxy. fl. R. xiu ^'2- st. (30 ) Siimma expensarum jn Ziericxzee ordinarie factarum, j^. xx. fl. R. XIX. st. Summa expensarum extraordinarie factarum, xvj. fl. R. xu Vs- ^^t. Summa summarum omnium expositorum facit je. xxxvu. fl. R. xj 'Z^. st.; qua subtracta a summa omnium receptorum, que sunt v^. lxxv. fl. R. xiij^/s. st., rémanent iiijc. xxxviij. fl. R. ij. st. Recepta jn Middclhorch. Item ex Middelborch per dominum Arnoldum Block pro prima extrac- tione, vc, xxu. fl. R. xvu. st. Item adhuc ibidem per eundem pro secunda extractione, x. fl. R. nu. st.; facit simulJ v^. xxxiij. fl. R. j. st. fol. 4 r" Recepta jn Yeris. Item ex Veris per eundem magistrum Arnoldum Block, j^ ix. fl. R. iij. st. Item per eundem ex Vlissingen, xlvj. fl. R. vj. st. Item per eundem ex Westcappellis, lvj. fl. R. v. st. Item per eundem ex Arnemuden, xlij. fl. R. vj. st. Item per eundem ex villagio de Monster jn Borsalia, lxxx.i. fl. R. vu V2. st. item per eundem ex Cortkeen, xlyiu. fl. R. vj. st. Summa receptorum ex locis proxime suprascriptis per magistrum Arnoldum Block, ix^. xvj. fl. R. xiiu^/a. ^t. Summa expensarum ordinarie in Middelborch factarum, je. lxu. fl. R. xvu Va- st. Summa expensarum in Veris ordinarie factarum, lxu. fl. R. nu. st. Summa expensarum jn Vlissingen ordinarie factarum, xiu. fl. R. viu V2- st. Summa expensarum jn Westcapellis ordinarie factarum, xx. fl. R. Summa expensarum jn Arnemuden ordinarie factarum, vu. fl. R. vj. st. Summa expensarum jn Monster jn Borsalia ordinarie factarum. xxu. fl. R. vVa st. Summa expensarum in Cortkeen ordinarie factarum, xxvj. fl. R. xviu. st. (31 ) Summa summariim omnium cxpcnsanim in locis prcmissis ordinarie factarum facit simull lu^ xiiu. tl. K. xix i/g- stuf. Summa cxpcnsarum extraordinarie, eundo ad prescripla loca succes- siue et redeundo ab eisdem per prefatum magislrum Arnoldum Block factarum, farit simull xxj. fl. R. iiu ^'2. st. Summa summarum omnium expensarum tam ordinarie quam extraor- dinarie, ut premillitur, factarum facit simull lu^ xxxvj. fl. R. iiiJ st.; qua subtracta a summa omnium receptorum, que sunt ixc. xvj. fl. R. xiiij '/2 st., rémanent vc. lxxx. fl. R. x '2. stuf. Recepta jn Delden. fol. 4vo Item ex Delden per manus domini Gerlacj Brunonis, canonicj Alden- zalensis, lxxxiij. fl. R. curren. Exposita. Summa expensarum in loco et negotio premissis tam ordi- narie quam extraordinarie factarum. facit simull lu. fl. R. xiiji/V stuf.; qua subtracta a somma receptorum, rémanent xxx. fl. R. vj ^/j. stuf. Recepta jn opido de Goes. Item ex Goes per magistrum Johannem Judocj, canonicum Dordra- censem, simull iiijc. xliiij. fl. R. Item ex Baerlant, ix. fl. R. xu. st. Item ex Oude-Rijnsskerck, l. fl. R. u. st. Item ex Coudorp, viu. fl. R. vijf st. Summa receptorum ex locis prescriplis facit v^. xj. fl. R. xix. st. . Summa expensarum per magistrum Johannem Judocj eundo ad loca prescripta et redeundo ab eisdem, simull J^. uij. fl. R. ^j^ st.; qua abstracta a summa omnium receptorum, manet debens lu^. lviij. fl. R. viu^/s- st. Recepta in Reymerswale et locis circumiacentibus infrascriptis. (^i^ 5 ^o Item ex Reymersswale per magistrum Johannem Modde, canonicum ecclesie sancti Pétri Traiectensis, commissarium ibidem, ijc. lu. fl. R. current. Item ex Noua Terra, j^. xlv. fl. R. current. Item ex Mera, xc. fl. R, curr. ( 3-2 ) llem ex Cruningen, xlij. tl. K. curren. Item ex Yerseke et Weraelinge, ix. tî. R, Summa receptorum ex locis prescriptis, simuU ve. xxxviu. tl. R. curren. Summa expensamm per magislrum Johaimem Mod, eundo ad loca prescripta et redeundo ab eisdem, factarum simull J'-'. xxxiiij. tl. R. viu. st. IX. alb.; qua subtracta a summa omnium receptorum, manet debens luj^ iij. tl. R. xj. st. iij. alb. Traiectens. ■fol. .^i V" Hecepta per dominum Jacohum de Apelteren, canoniciun Traieclensem, jn locis per eum occupa ti.s. Item in primis in Euchusen, lvj. tl. R. curr. Item ex Iloirn, lxxxix 'V A- R- Item ex Slauria, xxviij. tl. R. ix. st. Item ex Woldrichem prouincie Frisie, Lxxix *>. tl. R. Item ex Bolsswardia, j<=. xxiu. fl. R. Item ex Snekis, u^ xxx. 11. R. Item ex Lewardia, j^'. xxxj. fl. II. Item ex Herlingen, lxxj ^/j. fl. R. Item ex Franeken, j"^. xlij. fl. R. Item ex Dockem. u^'. xiij V-2- A- R- Item ex Steenwijck, lxxj. fl. R. v. st. Item ex'Deueren, xxvu. fl. R. VJ. st. Summa summarum receptorum ex locis premissis, xu^. lxiij. fl. R. Recepta adhuc in Enchusen et jn Hoirn post aperitionem cistarum, xJ. fl. R. vu. st. Summa summarum omnium receptorum ex locis prenominatis, xu^ Lxxiiij. fl. R. vu. st. Exposita per dominum Jacohum in locis proxime supra descriptis. Summa expensarum per dominum Jacobum de Apelteren prefatum in locis prelaiis factarum, et primo in opido de Enchusen, xxxj. fl. R. xj. st. iol. 0 rî Item in Hoirn, xlviij. fl. R. Va- stuf. Item in Stauria, viu. fl. R. xvu. st. Item in AYoldrichem, xxix. fl. R. iiu. st. Item in Bolsswerdia, xliiij. fl. R. J. st. Item in Snekis, lxy. fl. R. j Va- st. ( 33 ) Item in Lewerdia, xlij. tl. R. xvj '/j. st. Item in Herlinsjen, xxiu. tl. R. Item in Franeken, xxix. tl. R. »/i. st. Item in Doekem, xu. 11. R. u. st. Item adhuc in Doekem pro expensis factis contra doniinum .\bbodem ibidem, qui obloquebalur certa iniuriosa verba, viij. tl. R. iiu. st. Item adlme in locis predictis in expensis extraordinarie per dominum Jacobum factis, facit uiu. tl. R. v '/,. st. Item adhuc in expensis factis in locis premissis per dominos .Antonium Gruter et Johannem eius fratrem, simuU lU. fl. R. xv '/s- st. Item adhuc expense facte sunt extraordinarie circa publicationem indulgenciarum in Amersfordia per dominum Jacobum de Apeiteren pre- fatum, facit v. tl. R. xu '/,. st. Item adhuc in expensis factis per dominum Jacobum prefatum in Zee- landia ex commissione capituli illico missum. xiij. fl. R. J. st. Item adhuc jn expensis factis per dominum Antonium Gruter de man- dato Aplelerensis in Steenwijck et Deueren et jn Groningen, ubj non fuit admissus, simull lvij. tl. R. xvu. st. Summa summarum omnium expensarum factarum per dominum Jaco- bum de Apeiteren facit simull vc. v. fl. Pi. ix Vi- stuf. ; qua abstracta a somma omnium receptorum, supersunt nj^. lxviij. fl. R. xvu '/j. st. Recepta in Aggere sanclj Mariinj, Poirtiiiet et Scherpenesse . Item in primis per magistrum Nicolaum de Medemblick, xlv. tl. R., ex Aggere sanctj Martin] . Item ex Scherpenesse, xlviij. fl. Pv. Item ex Poirtvliet, lU. fl. R. Summa recepto mm. xcvj. fl. Renen curren. Summa expensarum factarum ordinarie in Aggere sancti Martin] facit XIX. fl. J. st. Summa expensarum factarum in Scherpenesse, xjj. fl. R. Summa omnium expositorum ordinariorum in locis premissis, xxxj. fl. R. J. st.; qua subtracta a summa omnium receptorum, supersunt LXIIU. fl. R. XIX. st. Summa expensarum extraordinariarum, xv. fl. R. vj '/j- st. Summa omnium expositorum. xlvj. fl. R. vj\/,. st.; quibus subtraclis a summa omnium receptorum, rémanent xi.ix. fl. R. xiiu ' j. st. Tome LIX. 3 ( 34 ) Recepta in Moerkerck. Item recepta in Moerkerck, deductis expensis, v. fl. R. viu. st. f^l .. j.(, Apelteren per Frisiam. Summa summarum omnium receptorum per dominum Jacobum de Apelteren per Frisiam, deductis expensis, vijc lxviij. tl. R. xvu'/a- st.; quibus superadditis de je. u. confessionalibus, xlv. fl. R. vj. st., facit simull viijc. xiiiJ. fl. R. luVa- st.; qua subtracta a summa omnium expo- sitorum, que est iiiF. lxiiij. fl. R. xj. st. iuxta aliam cedulam scriptam de manu i[)sius Apelteren, manet debens iijc. xlix. fl. R. xu '/j. st.; a qua summa subtractis pro laboribus et propinis simul lxxx. fl. R., supersunt ijc. lxix. fl, R. xu 7^. st. Jacobiis de Medenblick. Recepta per dominum Jacobum de Medenblick ex locis per eum occu- patis : Item in primis ex Cuyner, xiu Va- A- R. Item ex Amlandia, deductis expensis, xxiu. st. Item ex Slotis, vj. fl. R. lU. st. Item ex Legemaria, xiu. fl. R. xviu. st. Item ex Colm, xu. fl. R. xu. st. Item ex Eyleken, xu ^J^. fl. R. Summa omnium receptorum, lx. fl. R. vj. st. Summa cxpensarum per ipsum dominum Jacobum factarum, xxxix. fl. R. xiu. st. IX. alb.; qua subtracta a summa omnium receptorum, super- sunt XX. fl. R. xu. st. lU. alb. fol. 7 \o Item ex cista ecclesie Traiectensis, je. lxj. fl. R. nu. st. Summa summarum omnium receptorum v". VJ«. xcix. fl. R. nu st.; a qua substracta summa omnium expensarum et expositorum, que fuit simull xuc. Lxxu. fl. R., supersunt iiu™. uw. xxvu. fl. R. nu. st.; a qua adhuc subtracta summa centum trium florenorum, jn qua obligatur domi- nus Jacobus de Apelteren de recepta sua in Frisia, et adhuc subtractis IX. fl. R., jn quibus obligatur dominus Nicolaus de Medenblik de receptis suis in Aggere sancti Martinj, supersunt hu™. ijc. lxxxv. fl. R. nu. st. ; qua diuisa in quatuor partes competit fabrice ecclesie Traiectensis [pro parte sua] J"'. lxxj. fl. R. vj. st.; quibus superadditis xc. fl. R. et xv. st. (35) pro quarta parle lu^. lxiij. flor. jter aliquos commissarios computatores, quj non fuerunt expositj in expensis communibus indulgenciarum, facit simull pro quarta parte fabrice ecclesie predicte, J'". J^. lxij. fl. R. J. st. VIII. Compte des gratifications accordées à Adrien de Naaldiuijk, Jacques de Loenen, Jean Slrick, Gerlacus et l'officiat d'Utrecht, commissaires des indulgences. EXPOSITA PRO COMMISSARIJS, SUBCOMMISSARIJS ET DIUERSIS ALIJS, QUI SERUITIA SUA DIUERSA ET LABORES IN HOC NEGOTIO IMPENDERUNT. Item domino Adriano de Naildwijck ratione laborumsuorum successiue per eum in présent] negotio factorum, simull xx. fl. R. curren. xvu. stufer. Item domino Jacobo de Loenen pro x. ebdomadis, quibus laborauit in diuersis locis tam pro sallario suo quam propina sibj facta, simull xlv. fl. R. curren. Item domino Johanni Strick pro xj. ebdomadis, qualibet ebdomada iij. fl. R., facit xxxiiJ. fl. R. et xj. fl. R. pro propina, facit simull xliiij. fl. R. Item domino Gerlaco pro VJ. ebdomadis, quibus laborauit, xu. fl. R. Item officiali Traiectensi, xl. fl. R. IX. Récapitulation des comptes de Jacques de Loenen, Jean Strick, Gerlacus, Arnold Block, le curé de Grave, V officiai d'Utrecht, Jean Modde, Jean Judoci, le doyen de JSimègue et Jacques de Medemblik, commissaires des indulgences. Loenen. fol. i r» Summa omnium receptorum per dominum Jacobum de Loenen ex Her- derwijck, Zuderwoude, Ziericszee, etc., vc. liij. fl. R. j. st. Item adhuc ex confessionalibus, lx. fl. R.; facit simull vj^ xiu. fl. R. J. st.; super quibus sunt in numerata pecunia v<=. liij. fl. R. j. st. ( 36 ) Item adhuc, defalcatis sibj pro laboribus et propina sirnuli xlv. tl. R., facit simuU y. xcviu. fl. R.; qua subtracta a somma omnium receptorum, manet debens xv. tl. R., quos soluit in diuersis monetis argenteis, et sic suorum receptorum libère facit v«. lxviij. tl. R. J. st. Strick. Summa omnium receptorum per Strick ex diuersis locis per eum occu- patis, J"'. j". Lxv. fl. R. ij. st. Item adhuc ex confessionalibus, xxiu. fl. R. viiJ. st., facit simuU J'". J' lxxxviij. fl. R. x. st., super quibus sunt tam per manus proprias quam domini Adrianj simull j^. J^ viu. fl. R. ij Va- st. Item adhuc defalcatis sibj pro laboribus suis et propina simull, XLiiij. fl. R.; facit simull J™. J''. lu. fl. R. u Vj. st.; qua subtracta a summa omnium receptorum, manet debens xxxvj. fl. R.; facit libère j"". j*'. xliiij. fl. R. IJ »/,. st. Gerlacus. Summa omnium receptorum per dominum Gerlacum tam jn Aldenzeell quam in Delden ac etiam de J^ confessionalibus, r. xxvj. fl. R. xviu '/s- st. ; a qua summa subtractis xij. fl. R., ratione laborum suorum in vj. ebdomadis per eum illico factorum, rémanent j°. xiiu. fl. R. xvuj '/s- st. Et sic manent libère. Block. Summa omnium receptorum per magistrum Arnoldum Block ex Schel- linck in Frisia, ex Middelburch, Veris eum locis in Wailacria adiacenti- bus, deductis expensis, vj^ lxx. fl. R. xiu Va- st. Item adhuc de viiJ°. lx. confessionalibus, u'^. xxxj. fl. R. nu. st.; facit simul ix^ u. fl.R. xvu Va- st.; a quibus abstractis pro laboribus et propina simull l. fl. R., et pro domino Wilhelmo Francone soUicitatore xu. fl. R., rémanent viu''. xv. fl. R. xvu Va- st. Soluet decanus Nouimagensis. Pastoris in Grauia ; reddebit pro eo decanus Nouimagensis. [Summa omnium receptorum per pastorem in Grauia ex Amsterdammis, Neerden, Weesp, Muden, Edam, ex Campis, etc., J">. vj. fl. R. xvj. st.] *. Item adhuc de vu^. confessionalibus, de quibus computat exposuisse * Ce paragraphe est bitte. (37 ) iiijc. xLiiiJ.; confoppioniilihiis de «[uibus iccopil .i«^. xi.viu. fl. R. nu. st. et jdem paslor in diucrsis locis prediclis dislrihuit t^ratis j^, xxxvn.i.confes- sionalia. Et pastoi* in Weesp habet adimc reddere de xxxu. oonfessiona- libus prêter alia presoripta confessionalia. Et sic summa omnium per eum receptorum*. Summa omnium receplorum per pastorem in Grauia ex Amsterdammis, Neerden, etc., ex Campis et alijs locis in compulatione sua designatis, deductis expensis et salorio laborum suorum, j»». xcu. fl. R. nu. st.; qui- bus superadditis j^ xlvii.i. tl. R. nu. st. de vu. confessionalibus ex quibus gratis distribuit .i'-. xxxvnj. gratis et tradidit domino Jacobo de Loenen J^ XXV. et pastorj in Weesp xxxu, qui de illis adhuc reddebit, manet jn toto debens xu^ xl. fl. R. viu. st. Officialis Traiectensis. Summa omnium receptorum per officialem Traieclensem iaHaerlem, deductis expensis, U'. xxxvj. fl. R.; quibus additis xl. florenis, quos recepii ex centum confessionalibus, facit simull U". lxxvj. fl. R.; de quibus sunt datj domino officiali pro laboribus suis, xl. fl. R., et famulo suo Adriano pro propina, u. tl. R. Supersunt simull u^ xxxnu. tl. R., quos soluit in pecunia numerata. iMOD. Summa omnium receptorum per magistrum Johannem Mod in Rey- merswale et locis circumiacentibus, deductis expensis, iiu''. lu. fl. R. xj. st. iij. alb. Traiectens.; quibus superadditis j<=. xvu. fï. R. xixV/a. st., quos recepit ex iu«. xliiu. confessionalibus, faciunt simull v^ xxj. tl. R. x. st. IX. alb. Tra. A qua somma subtractis xu. fï. R. ratione laborum suorum et vj. pro propina, supersunt v . lu. fl. R. x. st. ix. alb. ; quas pecunias habet decanus Nouimagensis. MAGISTER JOHAiXNES JUDOCJ. Summa omnium receptorum per magistrum Johannem Judocj in Scoenhouia, deductis laboribus et expensis, xlu. fl. R. LxVa- st.; quibus superadditis vj. fl. R. et vj. st. de xxj. confessionalibus, manet debens xi-VHJ. tl. R. XV*:,- st.; quas pecunias habet decanus Nouimagensis. 1 En marge on lit: Decanus Nouimagensis reddebit. 38 ) Magister Johannes Judocj in Goes. Summa omnium receptorum per magistrum Johannem Judocj ex Goes etlocis adiacentibus, deduclis expensis, lu^ lviij. fl. R. viij'/s. st.; quibus superadditis xcviu. fl. R. ix '/a- st., faciunt simull iiu^. lvj. tl. R. xviu. st.; a quibus subtractis pro laboribus suis, xxiiu. fl. R., manet debens iiijc. xxxij. fl. R. XVIU. st.; quas pecunias habet decanus Nouimagensis. Decanus Nouimagensis jn Alckmaria. Summa omnium receptorum per decanum Nouimagensem jn Alck- maria, deductis expensis, XJ. fl. u. st.; quibus superadditis ix Va. A- R- de Lx. confessionaiibus, de quibus ministrauit gratis xxu; manet debens XX. fl. R. xiJ. st., quos soluet jdem decanus. Decanus Nouimagensis jn Bommell. Summa omnmm receptorum in Bommell per decanum Nouimagensem, deductis expensis, v'/a- A- R* et ministrauit xxv. confessionalia gratis. Medenbijck jn Aggere sancti Martinj, poirtvliet et scherpenesse. Summa omnium receptorum, deductis expensis omnibus, rémanent xLix. fl. R. xiuVa- st.; quibus superadditis de xlviij. confessionaiibus xiiij. fl. R. viij. st., facit simul lxiiij. fl. R. J ^/g. st. Medenblick ex Dordraco. Summa omnium receptorum per eundem Medenblick, deductis expensis omnibus, rémanent J^ xvj. fl. R. ij '/g. st.; quibus superadditis lxix. fl. R. de ij^ Lxxvij. confessionaiibus, facit simull J^ lxxxv. fl. R. u S'a- st.; de quibus soluit dominus Adrianus Naildwijck j'-. xxx. fl. R. ; rémanent LV. fl. R. u '/a- st.; quibus superadditis adhuc v. fl. R. viu. st. ex Moer- kercke, restant simull lx. fl. R. x Va» st.; a quibus subtractis xxx Va- fl R- pro laboribus suis et propina, restant simull xxx. fl. R. curren., quos soluit. ( 39 ) Comptes des recettes des confessionalia opérées par les commissaires Jean Strick, Jacques de Loenen, Jacques de Voirdc, Jacques d'Apelteren, Gerbrandus, le prieur et le frère Jean, rofficial d'Utrecht, Jean Mod, Jacques de Voirde, Jean Judoci, Thierry Hagen, le doyen de Niinègue, encore Jacques de Voirdc, yicolas de Medonblik, le curé de Leusden et Guillaume de Hoorn. Recepta confessionalium. Strick. Item in primis dominus Joliannes Strick recepit a magistro Antonio Pott et decano Nouimagensi u^ lxxv. confessionalia, ex quitus restituit Lxxv. et computat se dédisse diuersis personis in diuersis locis J^ xxu., et de LixviiJ. restantibus computat pro quolibet vj. st., facit xxiu. fl. R. VIIJ. st. LOENEN. Item dominus Jacobus de Loenen recepit ii.i^ confessionalia, de quibus prêter gratis distributa soluit lx. fl. R. nu. st. VOIRDE. Item Jacobus de Voirde recepit in Gorinchem lxx. confessionalia, reportauit xj, distribuit xij. eertis personis gratis; sic deliberauit xlvij.. pro quibus soluit xiiu. fl. R u. st ; a quibus abstractis lU. fl. R. lu. st., quos exposuit in Gorinchem, sic manet debens x. fl. R. xix. st. Apelteren. Dominus Jacobus de Apelteren recepit ex confessionalibus magistri Antonii Pott J''. Item adhuc a famulo magistri Antonij iw ix. ( 40 ) Item adluic ab eodem j '//• Item adhuc a pasiore in Graiiia lu^, facil simull viu^. Lix confessionalia, de qiiibus restiluil domino decano Nouimagensi l. Item reslituit adhuc x. Item restiluit adhuc lxvj. Item adhuc lvj. Item adhuc XXXV. Item adhuc J<=. Item adhuc J^ Summa rostitutorum confes- sionalium facit iiu^ xvij. Item jdem Apelteren in xnu. locis gratis donauit ij«. xliij. Item adhuc frater Gerbrandus, supprior jn Snekis, recepit xj., de quibus faciet computationem. Item adhuc v. gratis in Ziericxzee. Item adhuc viij., que recepit dominus Petrus vicecuratus in Dreysscher, de quibus reddet rationem. Item prior et frater Johannes ordinis Crucife- rorum in Goes receperunt simull xxiiu. confessionalia, de quibus adhuc facient rationem; facit simull vir. viu.; qua abstracta a somma omnium receptorum, manet debens j'= u. confessionnalia, que faciunt xlv. fl. R. vj. st. Officialis Traiectensis. Officialis Traiectensis recepit j'-. confessionalia, de quibus reddidit xl. fl. R. curren. Magister Johannes Mod. Item magister Johannes Mod recepit a magistro Arnoldo Block xxx. confessionalia. Item a domino Theodrico Hagen confessionalia ij«^. L Item a quodam nouitio (ministro?) fratrum Minorum j^ lxix. Item a Jacobo famulo vicarij xiu; facit simull iiir. lxij., de quibus ministrauit gratis in diuersis locis xxxviu. Et dominus Jacobus de Voirde recepit ab eo lxxx; et de reliquis UJ". XLiiiJ. fecit rationem in computis suis, scilicet J^ xvij. 11. R. xviu Vg. st. Magister Johannes Judocj. Item magister Johannes Judocj recepit a magistro Arnoldo Block ex Antwerpia w. confessionalia. Item a domino Theodrico Hagen j=. Item adhuc a domino Cornelio Nepotis ex Antwerpia xxhj. confessionalia, que xxHJ. iuerunt gratis ministrata; et de reliquis recejiit xcviu. tl. R. ix'/s- st. ( 41 ) Hagen. Item dominus Theodricus Haiien recepit jn Reymerswalis lx. confes- sionalia a Jacobo organista, de quibus restituit xxxix. et ministrauit gratis IX., et de residuis computat xlv. st., quos soluit. DeCANUS NOLIMAGENSIS. Item jdem decanus recepit xxv. confessionalia, que gratis ministrauit in Bommell. Idem decanus. Item jdem decanus habuit in Alckmaria lx. confessionalia, de quibus xxij. gratis ministrauit, et de residuis computat ix '/a- A* ^• VOIRDE. Item dominus Jacobus de Voirde habuit jn Mare per manus Mod lxxx. confessionalia, de quibus ministrauit gratis xiu. et reportauit x. ; et de reliquis lvij. computat récépissé xvu. fl. R. u. st. Item adhuc jdem recepit amagistroAnthonio Pott in Gorinchem lxx. confessionalia, repor- tauit xj., ministrauit gratis xu., et computat récépissé de alijs xlvij., xiiij. fol. 2 v» 11. R. IJ. st., et sic de omnibus recepit xxxj. 11. R. iiu. st. Item jdem dominus Jacobus exposuit in Mare et Gorinchem ordinarie et extraordinarie juxta computationem suam xxxu. fl. R. vu. st. Sic deficiunt sibj xxij. stuferi, quos recepit cum laboribus. Medenblick. Item Nicolaus de Medenblick recepit ex confessionalibus decanj Noui- magensis j<=. xxv. confessionalia, de quibus dicit se tradidisse Jacobo. Michaelis lv., et sex reportauit et xvj. dédit predicatoribus gratis; réma- nent xLViij., pro quibus computauit xiiij. 11, R. viu. st. Medenblick. Item Nicolaus de Medenblick recepit iiijc. confessionalia, de quibus tradidit famulo Pott lxxix., et xliiij. dédit gratis; rémanent u^. lxxvij. confessionalia, de quibus dicit se récépissé lxix. 11. R. (42) Pastor ln Luesden. Item jdera pastor recepit lv. eonfessionalia, reportauit xxu., dédit gratis xviij.; de reiiquis soluit nu' j. tl. R., de quibus computat se expo- suisse LxiiJ. st.; et sic supersunt xxvu. st. iol. 3 r" WiLHELMUS DE HoiRN. IderaWilhelmus recepit l. eonfessionalia, ex quibus prêter gratis minis- rata computat xv , de quibus recepit nu. tl. R. ix. st. XI. Compte détaillé des monnaies délivrées par les commissaires Jean Strick, Gerlacus Bninonis, Jacques de Voirde, Frédéric de \oirde, le curé de Leusden, Jacques de Loenen, Nicolas de Medemblik, l'official d'Utrecht, Thierry Hagen et Jacques dWpelteren. toi. 1 1^ Infrascriptas pecunias deliberauit Strick. In moneta argent ea. Item in primis jn denarijs de x Vi alb. Traiectensium, xxxvj. fl. R. curren. v. st. Item in denarijs diclis stuferj et medij stuferj, j^. et inj. tl. R. curren. Item in denarijs stoters simplicibus et duplicibus, xxvnj. fl. R. curr. Item in stuferis duplicibus Philippi ducis, quolibet pro u. st. et quartis computato, xlvj. tl. R. curr. u. st. Item in vuerijsers et medijs vuerijsers, quolibet pro vu. grossis Flan- drie computato, simuU l. fl. R. curr. vnj. st. Item in denarijs Dauen. (Danen.?) et medijs eorundem denariorum, quolibet integro denario pro J Vj- st. computato, simuU vu Vi- A. R- curren. (43 ) Item in denarijs Mechliniensibus, quolibet |)ro vu. grossis computato, simull xiJ V,- fl- R- IJ. st. Item in medijs stuferis, simull xviu. fl. R. curren. Item in halff vuerijsers, simull XLiu. tl. R. curren. xv. st. - Item in stuferis, simull xvj. fl. R. Item in stoteris, simull xiiu. fl. Renen. curren. Item in stuferis et medijs et alijs diuersis monelis, simull xxxvj. tl. R. curren. In auro. Item in diuersis pecuni.js aureis, j^ vu. tl. R. curren. xvu. st. In cedulis. In primis jn cedula domini Adrianj Sacriste et Mathie Nôrij, j"=. vj. tl. R., pro jntroductione jndulgenciarum mutuatarum, quos Strick soluit. Item adhuc, ix. tl R. j. st. Item adhuc in una alla cedula Moederloes, lix. fl. R. u. st. Item adhuc in una alla cedula Johannis VuerpijU, xxviu. fl. R. xv. st. Item adhuc in una alia cedula, xxxiu. fl. R. nu. st. Summa omnium predictorum, vu^. xlvj. fl. R. xj. st. Item adhuc soluit Strick per manus domini Adrianj de Naildwijck scilicet jn stuferis et medijs, j^. xxxj. fl. R. curren. Item adhuc soluit jdem Strick per manus eiusdem jn vuerijsers, simull jc. XJ. fl. R. xiu. st. Item adhuc soluit jdem Strick per manus eiusden domini Adrianj jn denarijs Dauen. (Danen.?), simull xu. fl. Renen. Item adhuc soluit jdem per manus eiusdem jn denariis de x */,. alb. Traiectens., simull xxj. fl. R. Item adhuc soluit jdem per manus eiusdem jn denariis Philippi, xxiiu. fl. R. VJ. st. Item adhuc soluit jdem Strick per manus dicti domini Adrianj jn stoteris, simull xxix Va- A- R- Item adhuc soluit jdem per manus eiusdem, xvuj V/^. st. Item adhuc soluit jdem Johannes Strick per manus dicti domini Adrianj in diuersis aureis denarijs, simull xxxj. fl. R. nu. st. fol. (44) Siimma pecuniarum nomine Strick per dominum Adrianum, ut premit- tilur, solutariim, facit simiill iir. i.xj. il. R. xj '/j. st. Summa omnium receptorum, deductis expensis, tam de jndulgencijs quam etiam de centum confessionalibus per dominum Gerlacum Bru- nonis, commissarium jn Aldenzeell et in Delden, simull je. xxvj. fl. R. curren. xviu ^j^. st.; a qua somma subtractis xu. il. R. pro laboribus vj. ebdomadarum, rémanent je. xiiij. fl. R. xviu V^- st. Pecunie infrascripte sunt deliberate nomine domini Jacobi de V'oirde, commissarij in Gorinchem, per manus domini Adrianj : Item in auro et vuerijsers, simull xu. il. R. curren. Pecunie infrascripte sunt deliberate per dominum Adrianum prefatum nomine domini Fredericj de Voirde et pastoris in Luesden, commissa- riorum jn Amersfordia : Item in vuerijsers et medijs, simull xj. fl. R. viu. st. Item adhuc per manus domini Adrianj jn stoters, xu. fl. R. Item adhuc per manus eiusdem in denarijs Dauen. (Danen.?), v. 11. R. V. stuf. Item adhuc per manus eiusdem in diuersis denarijs argenteis, simull IX Va. fl. R. Item in diuersis denarijs aureis per manus eiusdem, simull xxxu. fl, R. viu. st. Summa receptorum ex Amersfordia, simull lxx. fl. R. ix. st. fol. 2 Vf Infrascriptas pecunias deliberauit dominus Jacobus de Loenen (ex HerderAvijck et Zuderwoude, facit simull J^. xvj. fl. R. xviu ^j^. st.) : In primis in diuersis monetis argenteis, xu. fl. R. curren. Item in diuersis aureis denarijs, xx. fl. R. curr. xj Va- st. Item adhuc in vuerijsers et medijs, simull xxxviu '/a- fl. R. curr. Item adhuc jn denarijs Dauen. (Danen. ?), simull xv. fl. R. curren. Item adhuc in stoters et brasper., simull xu. fl. R. Item adhuc in omnibus pecunijs aureis ac stuferis et medijs, simull XVJ. fl. R. xviu Va- 5t. Infrascripte pecunie sunt deliberate ex Ziericxzee et alijs locis circum- jacentibus per eundem dominum Jacobum de Loenen occupatis : Item in primis in diuersis aureis denarijs, ij^. vijff fl. R. curr. seuen st. { il) ) [Item adhuc jn sioters duplicibus et simplicibus ac brasper., simull XXX. il. R. ciirren.] *. Item adhuc in Pliilippus stuiiers, xiiu. tl. R. viu. st. [Item in stuferis duplicibus et simplicibus, xxv. fl. R. curren.] tem in vuerijsers, simull je. xxxiu. fl. R. curren. [Item jn stuferis et medijs, simull viu. fl. R.] [Item in stoters, nu '/a. fl. R.] Item in stuferis duplicibus, simplicibus et medijs, xliij S'^. fl. R. Item adhuc in stoters duplicibus, simplicibus et brasper., simuU XXX VII J Va- ^1- R* Item adhuc in diuersa moneta tam aurea quam ari>entea, lu. fl. R, ij. st. Summa, iiijc. xxxviu. fl. R u. st. Pecunie jnfrascripte sunt deliberate per manus domini Adrianj nomine fol. 3 domini Nicolai de Medenblick, commissarij in Dordraco : In primis in diuersis petijs aureis, jc. x. fl. R curren. ix. st. Item adhuc in vuerijsers et stuferis duplicibus Philippi, simull xiiu. fl. R. Summa, centum xxiiu. fl. R. ix. st. Pecunie infrascripte deliberate sunt per dominum ofticialem Traiecten- sem ex opido de Hairlem : Item in primis in diuersis petijs aureis, j*^. xv. fl. R. curren. Item adhuc in denarijs Philippi duplicibus et simplicibus, simull xviu. fl. Renen. curren. Item adhuc in stuferis duplicibus, simplicibus et medijs, simull lxix. fl.R. Item adhuc in stoteris et medijs, xv. fl. R. xvj. st. Item adhuc jn denarijs de x '/a* ait). Traiectens., xu. fl. R, xij st. Item adhuc in blanckis duplicibus, simplicibus et medijs, simull v. fl. R. xu. st.; de quibus donatj sunt Adriano, famulo domini officialis Traiectensis, ratione laborum suorum de mandato dominorum commis- sariorum, u. fl. R. Sic rémanent je. xix. fl. R. in moneta argentea per dominum officialem Traiectensem traditi. * Les mots placés entre crochets ; ] ont été biffés. foi.;^ v ( 46) Pecunie infrascripte sunt deliberate per dominum Theodricum Hagen in locis et terris adiacentibus Reymerswale : Item in uno tloreno aureo postis Hoirnensis et diuersis denarijs argen- teis, xLviJ. st. Pecunie infrascripte deliberate sunt per Apelteren : Item in primis in auro, xliiij. tl. R. Item in stoteris et brasper., xvj V g. tl. R. Item in stuferis et medijs, xvu. tl. R. Item in viierijsers et medijs, xxxv. fl. R. Item in stoteris et medijs, viu. fl. R. Item in bodd. (?) [et medijs] *, iiij Va- A. R. Item in denarijs de x Vs,. alb., lU. fl. R. Item in denarijs de lU. cromstis (?) et medijs stuferis, u. fl. R. Item in medijs brasper., iiu. fl. R. Item in Engelbertus stuferis, u fl. R. * Ces deux mots sont biffés. ( 47 ) DEUXIÈME SERIE. — iNDii.GENCES de 15i7-i:il9. (Archives de l'Etat à Ltreoht, lioin n" 1363 et n» 1364.) (Sans date. — Imprimé du temps *.) Ênumération détaillée des pouvoirs concédés par le pape Léon X à Jean Ange Arcimboldi, protonotaire apostolique et commissaire des indul' gences dans un grand nombre de circonscriptions ecclésiastiques, entre antres dans les archevêchés de Cologne et de Trêves et dans les évêchés de Cambrai, Tournai, Thérouenne et Arras, c'est-à-dire dans les Pays- Bas tout entiers. ARMES PAPALES DE LÉON X Infrascripte sunt facultates diidum successiue con- cesse ac nouiter reualidate seu innouate et deniio concesse per sanctissimum dominum noslrum domi- num Leonem papam X. reuerendo in Gliristo patri domino Joanni Angelo Arcimboldo, pi'otiionotario, referendario ac commissario apostolico in Coloniensi, Treuerensi, Sallzburgensi, Bremensi, Bisuntinensi et Upsalensi prouincijs illarumque ac in Cameracensi, Tornacensi, Morinensi, Alti-ebatensi, Caminensi et Misnensi ciiiitatibus et diocesibus necnon Daciae et Norwegiae regnis et pro ad illas et illa confluentibus, prout in literis tam concessionttm qiiam innouationis et de nouo concessionis a Sanclitate Sua respectiue emanalis plenius continetur. J Le dossier d'Utrecht en contient neuf exemplaires, pareils entre eux et imprimés au recto sur des feuilles de papier du format grand in-folio. ( 48 ) Prima. Est facullas audiendi et alijs committendi omnes causas ad forum ecclesiasticum quomodolibet pertinentes tam primae instantiae quam quarumcunque appellationum a quocunque et ad quemcunque inter- positarum et interponendarum, etiam in Moguntina et Magdeburgensi prouincijs, et derogandi omnibus quibus cancellaria apostolica derogare consueuit. Secunda. Item relaxandi iuramenta in quibusuis contractibus, instru- mentis vel obligationibus praeterquam in forma camere apposita ad effec- tum dumtaxat agendi. iij. Item conferendi bénéficia quatuor marcharum argenti puri. nu. Item creandi prothonotarios. V. Item creandi comités palatinos cum solitis praerogatiuis et faculta- tibus notario? auctoritate apostolica creandi et spurios legitimandi. VI. Item creandi accolitos pape. vu. Item creandi notarios auctoritate apostolica. viu. Item concedendi, tempore interdicti, quacunque auctoritate appo- siti, quod corpora defunctorum ecclesiasticae sepullurae tradi possint cum pompa funerali vel sine, iuxta personarum conditiones. IX. Item altare portalile pro presbyteris, illustribus, nobilibus, gra- duatis et palricijs, cum clausula : ante diem, etiam tempore interdicti. X. Item absoluendi a quibusuis excommunicationis et alijs sentenlijs, censuris et pénis, quibus per sex duntaxat menses irretiti fuerint ob iniectionem manuum violentarum in personas ecclesiasticas, etiam prela- tos, praeterquam episcopos. XI. Item, cum simoniae in ordinibus vel beneticijs commisse labe pol- lutis et super contracta quomodolibet irregularitate, etiam bénéficia ecclesiastica occupando (praeterquam ratione homicidij voluntarij et bigamie) dispensandi eosque absoluendi, et ut bénéficia ipsa et perceptos indebite ex eis fructus et ut in susceptis ordinibus ministrare possint concedendi. xij. Item quibuscunque ecclesiasticis personis secularibus, ut lioras canonicas et alla diuina officia secundum stilum Romanae curie cum socio dicere possint. xiiJ. Item admittendi quascunque resignationes quorumcunque bene- ficiorum, etiam dignitatum in cathedralibus et metropolitanis ecclesijs, etiam sedi apostolicae ex quacunque causa reseruatorum vel affectorum simpliciter, vel ex causa permutationis, quorum fructus valorem quatuor marcharum argenti puri non excédant. ( *9 ) xiiiJ. Item reseruandi et constiluendi quasciinque pensiones super qui- buscunque siinilibus beneficijs, cliam quae iranseant ad successores, dummodo terliam partem frucluum beneliciorum, super quibus consti- tuuntur. non excédant. XV. Item doclorandi in quacunque facullate. XVI. Item quoscunque illegitimosex quocunque illicito coitu procréâtes, etiam ad successiones, honores et dignitatcs, legitimandi ac cum eis ut duo bénéficia ecclcsiaslica, etiamsi alteri eorum cura immineat anima- rum, ac canonicatus et prébende in collegiatis ecclesijs, non tamen cathe- dralibus et metropolitanis fuerinl, etiam sub eodem tecto cum eorum genitoribus ac cum clausula permutandi, etc. totiens quotiens recipere et retinere possint, dispensandi. xvij. Item cum in aliquibus membris mutilatis, qui tamen sine scan- dalo publico et alias commode in altari ministrare possint, ut ad omnes etiam sacros et presbyteratus ordines promoueri et in susceptis minis- trare possint, dispensandi. xviiJ. Item dispensandi super matrimonio tam contracte quam de fuluro contrahendo inter personas in tertio et quarto coniunclim vel diui- sim consanguinitalis vel aifmilatis simplici aut multiplici gradu coniunc- las ac etiam publiée honestatis iustitia impedilas necnon cognatione spiri- tuali (inter leuatum et leuantem duntaxat excepta) coniunctas, sed quo ad cas solum super matrimonio iam scienter vel ignoranter contracte, et quod tam hi quam quicunque alij temporibus prohibitis matrimonium inter se contrahere ac illud in facie ecclesie solemnizare possint. XIX. Item cum in vicesimo tertio anno conslitutis ut ad presbyteratum promoueri possint, necnon cum quibuscunque ante legilimam etatem sine dispensatione promotis etiam super irregularitate, ut in susceptis ordini- bus ministrare possint, dispensandi. XX. Item cum personis in vicesimo anno et supra constitutis, ut unum bencficium cum cura obtinere possint, dispensandi. XXI. Item cum volentibus bona ecclesiarum permutare vel alias alienare, si tamen in euidentem ipsarum ecclesiarum ccsserintutilitatem, ut illa sic permutare vel alienare, vel si de facto alienata et permutata cxistunt, ut retineri possint, concedendi et dispensandi. xxiJ. Idem dominus commissarius est generalis collecter omnium iuriumet prouenluum camere apostelice, etiam ocasione denarij sancti Pctri debilorum et debenderum. ÏOME LIX. 4 50 II. Acte par lequel Jean Zelecamp, vicaire de Sainte-Marie à Utrecht, recon- naît avoir reçu 41 confessionalia d'Araninus Cibo, trésorier des indul- gences, avec une apostille de ce dernier. {Deux autographes.) Item ego Johannes Zelecamp, vicarius béate Marie virginis, recepi a domino Arrenino Cibo confessionalia triginta absque portatile et cum portalile undecim, de quibus promitto reddere rationem quatenus sui ipse committet, videlicet distribuendo illa cum portatile pro floreno uno de pondère, reliqua scilicet medio floreno aureo de pondère. In fidem fecj presentem cedulam manu propria. Dalum Traiectj, die 2'' Aprilis [1517 ?j. Ita est ut supra. Je. Zelecamp. Domine Johannes, volo quod de suprascriptis confessionalibus reddatis bonum et legalem computum reuerendo capitulo Traiectensi. Araninus Cibo, thesaurarius. m. (1517.) Registre des recettes et des dépenses de la vente des confessionalia en Gueldre, tenu par le notaire Thierry de Malsen. — Les principaux commissaires étaient Jean de Drolshagen, Guillaume, Jean de Leeuwen, HeiiriHuychmanni, le frère Jacques, Jean Heerstraten, Bernard Goswini, Victor, Henri Cratonis, Chrétien, Renier Siietel, Jean de ISimègue et le vicaire de Driel. — Les principales localités citées sont Tiel, Ingen, Zalt-Bommel, Driel, Hemert, Schoonlwven, Arnhem, Elst, Renen, Wageningen et Nieuwerkerk. fol. 1 ro CONFESSIONALIUM. foUd \o Item magister Johannes de Drolshagen recepit a Wilhelmo nostro cen- tum confessionalia sine portatilj et x. cum portalilj, de quibus est respon- surus infra. Item ego Theodricus de Malsen recepi ex commissione Drolshagen a ( ^1 ) Willielrno nostro posl exspiratioiiem iiKiuli^onciarum j ' j*^. coiifessionulia sine portatilj, de quibus fuorant missa in Boemcl terminario b. .onini ibidem l., pastorj inTyel l., vicecurato in Dryel xxv Adliuc fuorunt missa per quendam Henricum nunlium iuralum pastorj in Tyol xxv.; et nobis depost venientibus in Tyel dixit pastor, quod sibj fuerunt presentata xxv. per quendam nuntium iuralum, sed non récé- pissé nec sibj constaret ubj vel cuj essent tradila. De reliquis confcssio- nalibas patebit infra Item depost in mense Decembrj prefatus i)L:stor Tyelensis conlessus fuit illa xxv. confessionalia récépissé et misisse in Ingen, et reddilurus rationem. TijelL fol. 2 r«> Item jn Tyel fuerunt missa pastorj J^ confessionalia sine portatilj videlicet per Wilhelmum nostrum xxx. ; item per Drolshagen xxx ; item per Malsen ex commissione Drolshagen post exspirationem indulgcncia- rum L. Item de predictis fuerunt distributa })er dominum Johannem de Leeuwen, distributorem confessionalium, xx. pro vj. tl aur. xviu st. Hoil. Item fuerunt distributa xxx. pro vj '/a- tlor. aur. Item adhuc vu. quodammodo in forma pauperum quodlibet pro v. st , facit J. tlor. aur. vu. st. HoU. Item de predictis fuerunt distributa, prout patet, de manu distribuloris xj. confessionalia gratis, et pastor restituit nobis xxx. Adliuc recepit Drolshagen u. confessionalia. Item DrolMiagen dédit distributorj v. confessionalia cum portatilj, que fuerunt ibidem distributa gratis, ut patet de manu distributoris. Item de predictis recepit dominus Johannes de Leeuwen, juxta tenorcin cyrogi-aphi, xiiu. tlor. auri xj. st. Holl. Idem exi»osuit in promotione indulgenciariun xxu. st. Holl. el no? lecepimus ab eodem xu. tl. il. aur. xu. st. Holl. Sic restant soluendj per dominum Johannem distributorem xxxiu. st. Holl. Exposita jn Tijell. fol.^v Item soluimus pastori pro quota et laboribus suis xxxiiu. st. Ilem soluimus domino Johanni de Leeuwen, distributorj confessiona- lium, pro laboribus suis xvu. st. Suinma expositorum j. tlor. aur. xxiij. st. Holl.; qua abstracta, super- sunt X. tlor. aur. xvu. st. Holl. Prima grossa x. tlor. aur. xvu. st. Holl. fol. ■] \"> Boemel. Item magister Henricus Huychmannj, distributor ibidem, recepit lxvj. confessionalia cum portatilj. Item de predictis fuerunt dislributa in Bomel, ut patet in cedula distri- hutoris, xxvj. confessionalia gratis. Idem recepit de xvu. confessionalibus xxj. tlor. xviu. st. Holl. Idem misit de predictis vicecurato in Dryel ix. confessionalia. Idem retinuit vj. confessionalia, de quibus est responsurus. Keliqua viu. confessionalia restituit nobis. toi. 3v" Boemel. Item magister Henricus Huychmannj recepit a AVilhelmo nostro con- lessionalia sine portatilj u^. lxxu. De predictis fuerunt distributa in Boemel J'^. lxxxvu. confessionalia, de quibus recepit, ut patet in manualj, lxj. tlor. nu. st. Holl. Idem Huychmannj misit vicecurato in Dryel lj. confessionalia. Idem misit decano in Hemertx. confessionalia. Sic restant, de quibus Huychmannj et decanus Bomelensis sunt responsurj, xxiiu. confessionalia. Item magister Johannes Drolshagen tradidit ad manus decanj Bome- lensis juxta manum decanj, de quibus est responsurus, xx. confessionalia ; et propter absentiam decanj non fuit de predictis factus computus. Super qtiibus omnibus recepit Huychmannj lix. flor. aur. x. st., super quibus recepit Wilhelmus xiu. flor. aur. xvu. st. Holl.; residuum nos recepimus videlicet xlv. flor. aur. xxj. st. ■ol-i-ro Expositain Boemel. Item nuntio jurato Bomelensi misso ad vicarium pro informalione com- missionis, xu. st. Item predicantj Schoonhouiensi cum priore provino, viu. st. Item Egidio nuntio Bomelensi misso adTraiectum pro confessionalibus, nu. st. Item pro cruce in Dryel ad expediendam commissionem cum decano Bomelensi, v. st. ( 53 ) Item ibidem in cymbolo *, xx. ?t. Item Jacobo Simonis baurisatorj 2, xi.i. ?t. Item pro nu. tedis in ccclesia Domclensi, pondérante? viu. libra?, facit ij. flor. viiJ. st. Item adhuc pro u. tedis, xxiiu. st. Item nunlio misso ad Traieclum pro confessionalibus, viu. st. Item adliuc eidem nuntio misso ad Traiectum ipso die sancti Andrée. vj. st. Item solui cantoribus in domo decanj x. si. Item solui pro cymbolo ' in conuentii monialium in presentia vicecurali de Dryel viiu. st. Expositajn Boemel. fol. 4vo Item de mandate commissarij ancille domus, nu. st. Item pransi sumus, magister Joliannes de Drolshagen, Malsen ego et Henricus lluychmannj, in domo officialis, unde solui pro vino vnj. st. Item nuntio, quj attulit peeunias ex Dryel, v. st. Summa expositorum, ix. tlor. u. st. Item soluimus magistro Henrico distributorj confessionalium pi'o laboribus suis vu. flor. xu. st. IIoll. et sororj sue pro laboribus aperiendo et claudendo ostia domus j. flor., facit simul vnj. fl. xu. st. Item soluimus fratri Jacobo terminario ordinis Carmelitarum pro laboribus factis tempore indulgenciarum in Boemel etvillagijs circumia- centibus, iuxta tenorem cyrograplij, vj. flor. xnj. st. Summa expositorum in Boemel, xxnu. fl. vu. st., faciens in auro xvu. fl. aur. xj. st.; qua abstracta, supersunt xxvnj. flor. aur. x. st. 2=" grossa xxvnj. flor. aur. x. st. Arnhem. fol. .Sro Item in Arnhem fuerunt missa per dominum Johannem Heerslraten vicecuralo ibidem Lxxxnu. confessionalia cum portalilj. Item de predictis fuerunt distributa gratis per vicecuratum, ut palet in manualj, xxvu. confessionalia. Item vicecuratus distribuit nu. vicarijs, propter eorum seruitia circa ' Pour aijmbolo (écol) ? •■2 Baurisaior manque dans les glossaires du latiu médiéval. Mon collègue M. H. Pirenne me semble avoir résolu la difficulté en rattachant ce mot à barrizare, de barrire, crier (comme un éléphant). Baurisaior (pour barrizalor) signifierait le crieur (public). ( o4 ) confessionalia, cum porlatilj pro nu. flor. Hoernen.; pro quibus recepi- mus, defalcata quota sua, u. tlor. nu. st. Holl. Idem distribuit de predietis xxiiu. confessionalia cum portatilj, quod- libet fuit distributum i)ro xx. st. Holl., facit xxnu. flor. Holl. Rcliqua xxnu. confessionalia restituit nobis. Idem distribuit de predietis domino Victorj in Elst u. confessionalia; domino Henrico Cratonis, decano Velue, u. confessionalia; locumtenentj in Dockum nomine Perltsteen, unumconfessionale. Predicta quinque confessionalia restant soluenda. !i)l. ON» Arnhem. Item magister Johannes de Drolshagen dédit vicecurato in Arnhem xi. confessionalia sine portatilj et unum dédit sibj gratis; pro quibus x. rece- pemusu. tlor. aur. xxu. st. Holl. Item dominus Bernardus Goswinj, vicecuratus in Arnhem, recepit a capitulo nostro lx. confessionalia sine portatilj. Item (le predietis distribuit domino Victorj in Elst xu. confessionalia; domino Henrico Cratonis, decano Velue, u. confessionalia. De predietis xnu. confessionalibus nichil recepit. Idem distribuit lu. confessionalia gratis, videlicet duobus calcantibus organa et cuidam ministratorj ecclesie. Idem dominus Bernardus, vicecuratus et distributor, dixil amisisse de predietis v. confessionalia; sic propter dampnum passum remisimus sibj unum gratis. Sic restant soluenda xlu. confessionalia, quodlibet fuit dis- tributum pro viu. st. Holl., facit xvj. flor. xvj. st. Holl. Summa receptorum confessionalium per dominum Bernardum in Arnhem, xlvj. fl. xvu. st. Holl., facientes in auro xxxiu. flor. aur. xnj. st. Holl. Summa confessionalium per nos receptorum, xuu. fl. u. st. Holl., facientes jn auro xxx. flor. aur. xxu. st. Sic restant soluendj per dominum Bernardum vicecuratum, iuxta cyro- graphum suum, lu. flor. xv. st. Holl. fol. 6r» Exposita in Arnhem. Item dominus Bernardus distributor soluil baurisatorj J. fl. Hoern. Item dominus Johannes Heerstraten propinauit vicarijs in Arnhem ipso die Pasche post vesperas anno xvu". octo quartas vinj, quas dominus Bernardus soluit, facit xviu. st. Holl. (58) Idem soluit pro u. tedis xxu. st. Holl. Item, lempore quo dominus Johannes Heerstraten fiierat missiis ex parte capituli nostri, videlicet anno xyu*». oirca feslum Pasche, jn factis jndulizenciaium in Arrihom, mansit obliiijatus in liospitio, de expensis per Ipsum consumptis, luuie soluimus liospiti de Zande ibidem u. flor. IIIJ '/*. 5=^t. Holl. Item soluimus vicecuratoet distributorj pro laboribus suis ex conuen- tione pro decimo denario et quota sua de xMiu. tlor. et xiiu. st. Holl , ni.i. tlor. IX st. Holl. Suiiima expositorum, ix. tlor. v'/i- st. Holl.; facit in auro vj. ilor. aur. xvij '2 st. Holl.; (jua abstracta, supersunt xxiiu. 11. aur. iiu V'j. st. Tereia sjrossa xxiiu il. aur. nu '/s- st. Dryel. foi. 0 v» Item in iJi-yel fuerunt missa per magistrum Henricum Huychmannj ex Boemel ix. confessionalia eum portatilj, de quibus vicecuratus in Dryel distribuil u. confessionalia i,^ratis. De reliquis vu. confessionalibus recepimus vj. tlor. viu. st Holl. Item fuerunt missa ex Boemel vicecurato in Dryel u. confessionalia de b. .oribus, de quibus distribuit vicecuratus xlv. confessionalia, de quibus recepimus xiiu. flor. xu. st. Holl. De reliquis vj. confessionalibus vicecuratus in Dryel est responsurus. Renen. Item in Renen fuerunt missa per VVilhelmum xxx. confessionalia sine portatilj, de quibus recepimus, post mortem magistri Christian] distribu- toris, duabus vicibus viu. flor. aur. Item ibidem fuerunt missa per Heerstraten vj. confessionalia cum por- tatilj, que nobis fuerunt restituta. Summa receptorum de Dryel et Renen, xxiu. flor. aur. 4'" grossa xxiu, flor. aur. Wageningen. fol 7 r« Item in Wageningen fuerunt data per magistrum Joliannem Drolshagen domino Reynero Suetel x. confessionalia sine portatilj et unum confessio- nale fuit distributorj gratis datum. Idem Drolshagen distribuit unum pro vu. st. Et sic recepimus sinml lu. flor. aur. J. st. 56 ) Nyerkerck. Item pastor ibidem recepit a Wilhelmo x. confessionalia cum portalilj et X. sine portatilj. Item in Nyerkercii fuerunt data pcr Drolshagen paslorj x. confessionalia sine portatilj et u. cum portatilj, super quibus recepimus ad cuniputum vj. fi. Iloernens., facit u. tl. aur. xvj. st. Summareceptorumde Wageningen et Nyerkerck, v. fîor. aur. xvu. st. Quinta grossa v. flor. aur. xvu. st. fol. TV Boemel, Item de j'/a^. confessionalibus receptis a Wilhelmo nostro ex commis- sione Drolshagen post expirationem jndulgenciarum in quadragesima misi ad manus fratris Johannis de Nouimagio, terminarij ordinis b...orum, L. confessionalia sine portatilj. De predictis distribuit xxviu. confessionalia, videlicet x. pro lU. fl. x. st.; jtem nu. proxxvu. tl. j. blanckn; jtem vj. confessionalia pro xxxvj. st.; jtem iiij. confessionalia pro xx. st.; item j. confessionale pro nu. st. Item J. confessionale pro quodam Pange sacerdote in Herwenen gratis. Item pro dicto fratre Johanne terminario J. gratis. Item pro hospita noslra in Boemel j. gratis, Reliqua xxu. confessionalia restituit nobis. Summa, vu. flor. xvu. st. j. blancka. Item soluimus prefato fratri Johannj propter singularem diligenciam factam pro laboribus suis, quod tempore emissionis litterarum confessio- nalium jndulgentie erant expirate, nu. flor. Supersunt soluendj per nosiu. flor. xvu. st. J. blancka. fol.8r' , Dryell. Item misi vicecurato in Dryel ex commissione Drolshagen de J Va*^» con- fessionalibus receptis per me a Wilhelmo nostro post expirationem jndul- genciarum, XXV. confessionalia sine portatilj. Item de predictis fuerunt iiu. distributa gratis. Reliqua xxj. confessionalia fuerunt distributa pro vu. flor. vu. st. HoU. De dictis pecunijs soluimus vicecurato pro laboribus ex conuentione u. flor. viu. st. Holl. (57) Item exposuit, iuxta cyrographum, ix. st. Holl. Supersunt soluendj iiu. tlor. x. st. II. Summa receptorum de Boemel et Dryel post expirationem, viu. flor. vu. st. J. blanck IIoll., facientes in auro v. flor. aur. xxvu. st. J. blanck Holl. Sexta grossa V. fl. aur. xxvu. st. .1. blanck. Summa summarum omnium confessionalium, deductis expensis, — IV. (i"juillet-6 juillet ioi7; 6 février-9 juillet et 0 décembre io 18.) Journal tenu par le notaire Thierry deMalsen concernant la levée réitérée des troncs des indulgences et les dépenses faites à cette occasion par le commissaire Jean de Drolskagen à Tiel, Zalt-Bommel, Driel, Arnhem, Elst, Renen, Nieuwerkerk, Westbroek, Maarsen, hreukelen^ Vreelant, Abcoude et Ingen. {Nombreux pourboires et frais de voyage, de séjour, etc.). EXTRACTIONUM. fol. 4 r» An no XVIJ°. fol 2r« Anno XVIJo., die prima mensis Julij, hora nona anle meridiem, extractj fuerunt per venerabilem dominum et magislrum Joliannem de Drols- hagen, canonicum Traiectensem, subeommissarium apostolicum, et me Theodricum de Malsen notarium, post prorogationem jn prima extractione ex cista jndulgentiarum ecclesie Tyelensis, nouem flor. II. aur. cum medio; jnde de dictis pecunijs fabrice eiusdem ecclesie, unum flor. R. aur. cum medio, et pastorj, médium flor. aur.; ceteris seruitoribus etofficiatis non fuit eo tempore satisfaclum ; sic restant soluendj septem flor. aur. cum medio. — Aclum in domo habitacionis dominj Ilenricj pastoris, pre- sentibus ibidem pastore reddituario, opidj schulteto et Johanne de Zuer- mont scabino ac Henrico de Tuyl et Gijsberto Johannis, magistris fabrice ecclesie Tyelensis, testibus ad premissa vocalis et rogalis. Die secunda mensis Julij. hora sexta vel quasi ante meridiem, exlracti (S8) fuerunt ex cista jndulfi^enciarum ecclesie Bomelensis vigintj flor. aur. cnm medio ; jnde de dictis pecunijs Fabrice eiusdem ecclesie médium flor. aur. Sic restant soluendj vigintj flor. aur. ; ceteris seruitoribus et officiatis non fuit eo tempore satisfaclum. — Actum in domo habitacionis domini decanj Bomelensis, presentibus ibidem magistris Waltero Gysbertj, decano, Henrico Huychmannj, canonico, et Judoco de Haesten, magistro fabrice et burgimagistro ibidem, testibus ad premissa vocatis et rogatis. fol. 2v' Eadem die, liora duodecima vel quasi post mcridiem, extracli fuerunt ex cista jndulgenciarum ecclesie in Dryell xix. flor. aur. R. ; jnde de dictis pecunijs fuit datus et ordinatus pro ministratoribus j. flor. aur. Sic restant soluendj xviu. flor. aur. — Actum in ecdesia prefata, presen- tibus dominis Miralio de Gesleren, vicecurato, Goeswino de Dryel, Goes- wino de Haenel, magistro Gijsberto de Gent, presbyteris, et Henrico Boijt, schulteto, Cornelio Danckardj et custode, testibus ad premissa vocatis et rogatis. Die tercia Julij, hora tarda, comparuimus in Arnhem pro extractione facienda, sed officialus ibidem existens dissuasit. Die quinta mensis Julij, ante meridiem liora sexta, extractj fuerunt ex cista jndulgenciarum ecclesie in Elst unum flor. aur. cum medio. — Actum in domo pastoris, presentibus ibidem dominis Victore Duyfhuus, Johanne de Zeueren et fratre Dynoldo, terminario Nouimagensi ordinis Carmelitarum, testibus ad premissa vocatis et'rogatis. fol. 3ro Die sexta mensis Julij, hora octaua ante meridiem, extractj fuerunt ex cista jndulgenciarum ecclesie in Renen duodecini flor. aur. et xvu. st. Holl. ; jnde de dictis pecunijs domino commendatorj et duobus sacerdo- libus sui ordinis, quj habuerunt negotium recommendatum et predica- runt, unum flor. aur. cum medio; ceteris seruitoribus non fuit eo tempore satisfactum. Sic restant soluendj xj. flor. aur. et lU. st. — Presentibus ibidem dominis commendatore Gysberto Vander Maet, Henrico Lyster, vicario, et Johanne Theodricj, burgimagistro, ac Waltero Grootvelt, magistro fabrice antedicte ecclesie, et custode, tesii')us ad premissa fol.3vo Anno XVIIJ", Die dominicavij. mensis Februarij, post decantationem summe misse, extractj fuerunt ex cista jndulgentiarum ecclesie in Nyekerck post proro- gationem sex flor. R. aur. et xxu. st. Holl. Inde de dictis pecunijs fabrice ( S9) eiiisdem ecclesie, x. st. Sic restant soluendj sex flor. aur. et xu. st. — Actum in ecclcsia prefata, presentibus ibidem domino Gerardo Egbertj, pastore, et domino Henrico Goeswinj, custode, ac Nicolao Henricj, magis- tro fabrice eiusdem ecclesie, testibus ad premissa vocatis et rogatis. Die nona mensis Februarij, magisler Joliannes de Drolshagen et ego Tlieodricus de Malsen, profectj ex Traiecto versus Renen; non fuit illa die facta extractio; sed altéra die, x" Februarij, hora octaua ante meri- diem, post prorogationem in secundaextraclione extractj fuerunt ex cista jiululgenciarum in Renen lU. tlor. aur. et xxv '/a- st. Inde de dictis pecu- nijs pro commendatore seu pastore, lU. st. Sic restant soluendj lu. flor. aur. et xvu V,'j. st. — Actum in sacrislia prefate ecclesie, presentibus domino commendatore, domino Gysberto Vander Maet, Henrico Mom, bur^imai:,^istro. et custode, testibus ad premissa vocatis et rogatis. AnnoXVUJo. fol. Eadem die xa mensis Februarij, hora tarda, comparuimus jn Ariihem pro extractione facienda ; sed ibidem fuit facta extractio per officialem Nouimagensem. Die xu" mensis Februarij, hora quinta post meridiem, extractj fuerunt post prorogationem in secunda extractione ex cista jndulgentiarum eccle- sie Bomelensis xu. tlor. R. aur. cum medio; jnde de dictis pecunijs fabrice eiusdem ecclesie, u. flor. aur. cum medio; capitule Bomelensi, XXX. st.; organiste, médium fl. aur.; custodj, x. st.; baurisatorj, vj. st.; choralibus et cantanlibus 0 criix aue, simul médium flor. aur.; terminario ordinis b...orum, qui fuit promotor in lU. diuersis locis, unum vas ceruisie de xxiiij. st.; calcanlj organa, unum confessionale. Sic restant soluendj XXXV. flor. aur. et xiiij. st. — Actum in domo habitacionis decanj Bome- lensis, i)resenlibus ibidem decano magistro Henrico Huychmannj. domino Alberto Postliouwer, curato, Judoco de Haesten, magistro fabrice, testibus ad premissa vocatis. Amio XVIIP. fol. Die dominica xiiu. mensis Februarij, tempore prandij, extractj fuerunt ex cista jndulgentiarum ecclesie in Dryel post prorogationem in secunda extractione x. flor. R. aur. et vu '/j. st. ; jnde de dictis pecunijs vicecuralo ( 60 ) ex convenlione, nu. tlor. Uoernens.; custodj et organiste, simul iinum flor. Hoernens.; fabrice ecclesie, xu Vî- st., et domino Ilenrico Stephanj, sex st. Sic restant soliiendj vu. flor. R. aur. et xiu. st. — Actum in domo vicecuratj, pre?cnlibus domino Goeswino de Dryel, domino Theodrioo Mathie et Hermanno de Gesteren, magistro fabrice eiusdem ecclesie. ac custode, testibus ad premissa vocatis et rogalis. Die lune xv. mensis Februarij, liora octaua ante meridiem, extractj fuerunt ex cista jndulgenciarum ecclesie Tyelensis post prorogationem in secunda extractione vj. flor. aur. cum medio; jnde de dictis pecunijs fabrice ecclesie, J ^'j. flor. aur.; baurisatori, vj. st. Sic restant solueniij nu. flor. aur. et xxnj. st. — Actum in sacristia ecclesie predicte, presen- tibus domino pastore, Wilhelmo de Huemen et Jaspero de Brakel, burgi- magistris opidj Tyelensis, ac alijs vicarijs, testibus ad premissa vocatis fol. 5ro A?îno XVlIJo. Die dominica u. mensis Maij, post decantationem summe misse, extractj fuerunt ex cista jndulgentiarum in Westbroeck xu. flor. aur. et vnj. st. ; jnde de dictis pecunijs fabrice ecclesie, nj. flor. aur., quia vicecuratus diclus Bonser promiserat magistris fabrice ibidem quartam parlem de pe- cunijs prouenienlibus ad cistam; item cappellano ibidem, flor. Hoernen., et custodj, flor. Hoernen. Sic restant soluendj viu. flor. aur. et xu. st. — Actum in ecclesia prefata. presenlibus domino Cornelio, vicecurato, et Arnoldo Theodricj ac Theodrico Johannis, magistro fabrice, testibus ad premissa vocatis et rogatis. Eadem die, hora quinta post meridiem, extractj fuerunt ex cista jndul- genciarum in Maersen xxihjV/j. st. — Actum in domo habitacionis vicecu- ratj, presenlibus domino Henrico Wesalie, vicecurato, domino Cornelio Wynter, altarista, et Jolianne Jacobj, testibus ad premissa vocatis et rogatis. Secunda die mensis Junij, hora nona ante meridiem, extractj fuerunt ex cista jndulgenciarum ecclesie in Brokelen u. flor. aur. etix. st. blanck. — Actum in domo habitationis vicecuratj, presentibus ibidem domino Nicolao de Alcmaria, vicecurato, Petro Helye et Symone Nicolaj ac Hen- rico Henricj, custode, testibus ad premissa vocatis et rogatis. ( 61 ) Anno XVIU". fol. 5 t» Eadem die, hora xiJ% companij in Vrelant pro extraclione fatienda, sed eo lempore pastor non erat doinj. Die subscquentj, quintamcnsis Junij. posl decanlationen siimmc misse, comparuj in Abcou i)ro extractione fatienda, et dominus Cornélius Ade de Swart, paslor ibidem, relulil, qiiod anno prelerito circa festum visitacionis beaie Marie vircjinis jn recessu satellitum ex Alcmaria venerunt ad Abcou- dam, jnvadenles ecclesiam et confringentes omnes seras et cistas in ecclesia; et quia in dicta cista jndulgenciarum fuerant vestes linee incluse, sic remansenint cert] denarij sub vestibus ; hinc inde qui exten- debanl ad summam u. flor. aur. et x. st. Et omnia sic fada et acta fore jnfra?criplj testes, videlicet dominus lïugo Wiilielmj, altarista ibidem, et Margareta, uxor custodis, ac Margareta, filia Johannis, asserebant omnia et singula prenarrata sic vidisse et audiuisse. — Actum in domo habi- tacionis Henricj Cuytinck, scultetj ibidem. Eadem die, hora vesperorum, extracti fuerunt ex gazophilatio ecclesie in Vrelant x. st. H. — Actum in ecclesia prefata, presentibus ibidem domino Cornelio, fratre Nicolaj de Weesp et Gijsberto Vandera juniore ac Tymanno Jacobj, magistro fabrice, testibus ad premissa vocatis et rogatis, Anno XVnJ°, fol. 6r<> Item iij. Julij, hora octaua antc meridiem, extractj fuerunt in tercia extractione postprorogationem ex cista jndulgenciarum ecclesie Tyelensis ij. flor. aur. et u Va* st.; jnde de dictis pecunijs fabrice ecclesie, vu '/j. ; custodj ecclesie, iJVa-5 ^^ baurisatori, u '/s- st. Sic restant soluendj J. flor. aur. xviij. st. —Actum in ecclesia Tyelensi, presentibus domino Lieuino, pastore, et Wilhelmo de Huemcn ac Jaspero van Brakel, burgimagistris ibidem, testibus ad premissa vocatis et rogatis. Eadem die, hora 4'''' post meridiem, extracti fuerunt jn 3' extractione post prorogationem ex cista indulgcnciarum ecclesie Bomclensis lU. tlor. aur. et xiiu. st. — Actum in ecclesia Bomclcnsi, presentibus ibidem dominisdecano, Philippo, pastore, et Gijsberto, curato, dominis magistro fabrice ac Theodrico Aurinj, burgimagistro, testibus ad premissa vocatis et rogatis. ( 62 ) Anno XVIJ., xxij. Septembris, fuerat extractum per dominum Lieuinum, f)astoreni in Tyel, ex cisf.a indulgenciarum ecclesie de Incçen, quia per ipsum fuit ibj crux erecta; unde recepimus, secundum tenorem protlio- collj per nolarium subscriptum et nobis tradilj, u. fl. Philippi et vu. st ; cl illos vu. st. retinuit pastor in Tyel pro quadam sera appensa ciste in Hrakel per decanum Bomelensem et, reslituta sera, dictos vu. st. exso- luet; et sic recepimus u. fl. Philipp. — Actum in domo iiabitacionis domini Lieuinj, pastoris Tyelensis, ix. mensis Julij anno XVlIJo. Item dorainus l.ieuinus, pastor Tyelensis, soluel pro voto peregrina- tionis cuiusdam Nicolaj van Cellich u. tlor. Phil.; quos recepimus vj. Decembris anno XVIIJ". Arino XyiïJo. Item anno XVIIJo, die sabbatj, vj. Februarij, venerabilis dominus et magister Johannes de Drolshagen, canonicus Traiectensis et subcommis- sarium jndulgentiarum, et ego Theodricus de Malsen, cum famulo suo, fjrofectj pro extractione fatienda jn Nyekerck, soluimus pro curru ex Traiecto usque Amersfordiam pro u. personis, quia dominus Drolshagen fuit equesler, facit u. st. Holl. In Amersfordia pro cena cura vino et equo in hospitio, xv. st. Holl. Die dominica vu. Februarij profectj ex Amersfordia versus iNyekerck, [>ro prandio et equo Drolshagen in Hoeflaken, quia oportebat eum illic manere, ex quo vestes sue erant lutose, lu. st. Item nunlio misso ad pastorem in îVyekerck, u. st. Item expense facte in Nyekerck in domo pastoris in prandio, videlicet cum pastore, magistro fabrice, rectore scholarium et me Theodrico de Malsen, cum famulo Drolshagen, remisse fuerunt super confessionalibus et non fuit prêter facla corapulacio. lte;n conduximus eodem die u. equos, facit viu. st. Anno XVIIJo. Eadem die, pro cena in Amersfordia pro nobis tribus, uno equo et bibalibus famille, xvu. st. Die lune, viu. Februarij, pro curru ex Amersfordia ad Traiectum, u. st. Die Martis, ix. Februarij, profectj sumus versus Renen pro extractione fatienda, pro curru pro u. personis, vi. st. ( «3) Hem |)rO[)inauimus scholaribus ex Renen, quj claudebant portas opidj pr()|»ter carnis primiim, J. st. iLadem die, pro cena in Renen pro nobis tribus et commendatoir ibidem, pro vino expenso et equo, xxiu. st. Item famille domus pro bibalj, J. st. nie Mereurij, x. Februarij, profecti sumus ex Renen versus Wageningen pro cxtiactione facienda: scd fuit fada per officiaiem Nouimagensem; et ibidem pransi sumus. Pro expensis nostris et equorum, xj. st. licm soluimus pro slipendio IJ. equorum, viij. st. Kadom die. comparuimus in Arnbcm pro extractione fatienda; sed fuit fada per otliciaiem Nouimagensem. Et cenauimus ibidem; pro expensis noslris et equorum et vino, xviij. st. Anna AT//^". fol. Sr» Item pro bibalibus familie, u Vj. st. Item pro reparatione selle, nu. st. Item die Jouis, xj. Februarij, pransi sumus cum pastore et terminario Auguslinensium et vieccurato in Arnhem; pro expensis et vino, xxvj. ?t. Eadem die, prandio fado, profeclj versus Tyel, pernoctauimus in Rekem; pro expensis nostris et equorum, xiu. st. Eadem die, pro stipendio u. equorum. viu. st. Die Veneris, xu. Februarij, profeclj ex Rekem transeundo Renen, pro nauigio, u. st. Eadem die, pransi sumus in Ysendeurn; pro expensis nostris et equo- rum, IX. st. Eadem die, hora quinta, comparuimus in Tyel pro extractione fatienda, sed pastor eo tempore fuitabsens; et ibidem cenauimus; facit pro expen- sis nostris et distributoris ibidem existentis et equorum ac vino simul XXVIIJ st. item pro bibalibus familie, u. st. Anno .\VIIJ°. fol. 8v« Item soluimus pro stipendio equorum viu. st. Item sabbalo, xiiu. Februarij, profeclj ex Tyel versus Boemel, pransi sumus in itinere; pro expensis nostris et equorum, v. st. (64) Item pro nanigio ante Boemel, lU. st. Eadem die, cenauimus in Boemel, presentibus decano, magistro Huychmannj, distributore confessionalium; facit pro expensis x. st. Item soluimus pro xiJ. amphoras vinj xxvu. st. Ilem soluimus pro igné iiu. st. Item fabro ferrario pro subunculatione equorum, vj. st. Item barbitonsorj, J. brasd. Item pro hauena et feno, vu. st. Eadem die, pro stipendio equorum, viu. st. Die dominica, xiiu. Februarij, profectj ex Boemel versus Dryel pro exlractione fatienda, pransi sumus cum pastore et certis vicarijs, magistro fabrice et custode; facit pro expensis xxiiu. st. Item ancille pastoris, J •/,. st. fol. 9ro Anno XVIW. Item pro hauena et feno equorum, nu. st. Item dedimus cuidam famulo demonstrantj nobis iter versus Dryel et nobiscum reuertentj propter inundationes viarum lU. st. Item, eadem die, pro stipendio equorum, viu. st. Eadem die, cenauimus in Boemel, et ibidem comparuerunl decanus Bomelensis, magister Henricus Huychmannj, distributor confessionalium, frater Johannes de Nouimagio, terminarius Bomelensis ordinis b...orum, cum socio nostro, et soluimus pro expensis, vino et equis, u. fl. xiiu. st. Item famille domus, quia fuimus ibj per duas noctes, pro bibalibus, inj. st. Item, die lune, xv. Februarij, pro nauigio ex Boemel per Walam, u %. st. Item pransi sumus in itinere; pro expensis nostris et equorum, simul XJ. st. Eadem die, pro stipendio equorum, viu. st. • Anno XVlIJo. Item, eadem die, cenauimus in Tyel, presentibus pastore et distributore confessionalium ac custode; pro expensis, vino et hauena ac feno equo- rum, facit simul xxxvj. st. (68 ) Item soluimus j)ro ii^ne ibidem nu. st. Item projiinauiinus familie domus, quia fuinius ibi per duas noctes, V. st. Item, die Martis, xvj. Februarij, sumus profectj ex Tyei versus Bueren, et iliuc porte erant clause ; unde propinauimus portario ibidem j. st. Item pransi sumus ibidem; })ro expensis nostris et equorura, simul xjV,. st. Item dedimus cuidam viro nobis demonstrantj iter a Tyel usque Bosiri- chem. (|uia vie erant lutose, u '/a- st. Item pro nauigio in Bosinchem per Leccam, j 7j. st. Eadem die, pro stipendio equorum, viu. st. Aimo XVlIJo. fol. 10 ro Item, anno XVIIJo, die dominica, u. mensisMaij, dominus subcommis- sarius Drolshagen et ego Malsen profectj sumus, cum famulo suo, versus Weslbroeck pro extractione fatienda, et pransi sumus cum vicecurato, presentibus sororibus et certis suis amicis; et soluimus pro expensis xij. st. Holl. Item pro feno et liauena equorum, lu Va- si. Item ex Weslbroeck, prandio facto, versus Maersen ad extrahendum. Item pro stipendio u. equorum, viu. st. Item, u. mensis Junij, ego Theodricus de Malsen ex commissione Drolshagen sum profeclus in Brokelen pro extractione fatienda; pro janetaculo (?) ibidem facto, j Va- st. Ex Brokelen versus Vrelant, ibidem pransus; facil simul nu '/s- st. Item, V. Junij, profectus versus Abcou pro extractione fatienda, pransus sum in domo schultelj cum pastore; facil pro expensis et vino simul vj '/,. st. Item pro feno et hauena in Abcou et Vrelant, u V/,. st. Aiino XyiIJ°, jn tercia extractione. fol. 10 v> Item, die u. mensis Julij, magister Johannes de Drolshagen et ego Theodricus de Malsen, cum famulo suo, profectj sumus versus Tyel, et soluimus pro nauigio in Bosinchem, J ^/g. st. l'em misimus nuntium ad decanum Bomelensem, ut exspeclaret Tome LIX. 5 ( 66 ) aduentum nostrum, sed, nobis venientibus, fuit profectus versus Buscum Ducis; facit nu. st. Item pransi sumus eodem die in Bosinchem ; pro expensis nostris et equorum, x. st. Item cenauimus in Tyel cum reddituario ducis Gelrie Erclens et pro- pinauimus ibidem in vino, presentibus sorore Drak,enborch?) et nepote suo, cum burgimagistro opidj et pastore; facit unacum expensis nostris et pastoris et equorum simul xxxiiu. st. Item familie domus ibidem, lU. st. Item, cena facta, iuimus dormitum ad domum pastoris propter multi- tudinem hominum existentium in liospitio, et propinauimus famulo et ancille domus u. st. Item, sabbato, lU. Julij, profectj ex Tyel versus Boemel, pransi sumus in itinere; facit pro expensis nostris et equorum xJ. st. Item pro nauigio per Mosam versus Boemel, u. st. fol it 1-0 Anno XVIIJ°, in 3" extractionc. Item, eadem die, cenauimus in Boemel cum domino decano, et solui- mus iij. quartas vinj ; facit ix. st. Item pro subunculatione equj in Boemel, u. st. Item barbitonsorj ibidem pro nobis duobus, J. brasd. Item, cena facla, profectj versus Dryel hora sexta et ibidem pernoc- tauimus; facit pro ceruisia bibita et expensis equorum simul viu. st. Item, die dominica, iiu. Julij, profectj ex Dryel versus Buscum Ducis ad communicandum et terminandum negotium confessionalium cum decano Bomelensi, soluimus pro nauigio ter Empel per Walam u '/a- st. Item, eadem die, pransi sumus et cenauimus in Busco Ducis; pro expensis nostris et equorum, ac vino, tam in prandio quam in cena, simul XXXIIIJ. st. Item, die lune, v. Julij, profectj ex Busco Ducis versus Empel, pransi sumus ibidem; facit pro expensis nostris et equorum, ac nauigio, simul xij. st. llem, eadem die, cenauimus in Boemel exspectantes aduentum decanj Uomelensis, quia poUicitus fuit et dixerat se venturum in Boemel eadem die lune, attamen, eo absente, permansimus in domo sua cum fratrc Jolianne, terminario ordinis b...orum et socio suo ac terminario ordinis Carraelitarum. ( 67 ) Anno XVIIJ°. fol. H v- Item pro graminibus cquorum, diuersis vicibus emplis, vj. st. Item in Boerael sacerdotj celebranti missam, '/s st. Item scholaribus in Boemel pro habenda licentia, u. st. Item pro papiro, 'a- st. Item soluimiis pro expensis consumplis et vino bibilo in domo decanj Bomelensi, quia fecimus moram ibidem a die lune in cena usque ad diem Jouis secundo prandio, exspectantes ipsum decanum, presentibus termi- nario ordinis Carmelitarum et magistro HenricoHuychmannj, distributore confessionalium, excepto uno prandio, quo fuimiis apud officialem Bome- lensem; facit simul xlviij. st. Item pro hauena equorum, vu. st. Ilein pro bibalibus familie, vj. st. llem die Jouis, facto prandio, viu. Julij, profectj ex Boemel, pro naui- gio per Mozam. u. st. Item portario opidj Tyelensis, quia hora fuit tarda, "g. st. Item cenauimus in Tyel; pro expensis nostris et equorum, ac vino et bibalibus familie, xvj. st. Aniio XV1IJ'\ fol. 12 1 Item soluimus pro reparatione selle et capislrj, lu. st. Item, die Veneris, ix. Julij, pransi sumus in domo pastoris; facit pro expensis vj. st. Item pro nauigio versus Arnhem, j '/s- st. Item pro sacco emplo ad reponendum confessionalia non distributa et nobis restituta, u. st. Item, eadem die Veneris, cenauimus in Arnhem, et altéra die pransi sumus ibidem;, facit pro expensis nostris et equorum, ac vino bibito, simul xxiiij. st. Item scholaribus ibidem pro obtinenda licentia, u. st. Item pro bibalibus familie, lu. st. Eadem die Veneris, ante prnnriium |)resentia personaliter etc. dominus Bernardus Goeswinj, vicecuratus ecclesie Arnhemensis, asseruit et dixit se non plura confessionalia récépissé qiianiLxxxiiu., que receperat per ( 68 ) manus Heerslratj cuni porlatilj, et hoc medio suo juramento affirmauit. — AcUim anle domum habitationis sue, presentibus ibidem Gerardo — , familiare Drolshagen, et Johanne, filio Johannis, ciue Arnhemense, tes- tibus ad premissa vocatis et rogatis. llein pj-efalo Jolianni testj soluimus j)ro arris, '/a- st. Anno XVIIJo. Item potauimus in itinere versus Wageningen pro cereuisia, Va- st. Item pro rasura in Wageningen, j. st. Eadem die sabbatj, x. Julij, cenauimus in Wageningen cum vicecurato; pro vino et expensis nostris et equorum, xvj. st. Item pro bibalibus famiiie in hospitio, j Va- st. Item die dominica, xj. Julij, pransi sumus in Renen cum distributore confessionalium ibidem; facit pro expensis nostris et equorum, ac vino, simul xij. st. Item pro graminibus equorum in Doern, j. st. Summa expositorum, xlj. tlor. j. st., fatientes in auro xxix. flor. aur. IX. st. V. (4ol7 et lois.) Annotations du notaire Thierry de Malsen sur des acwiptes payés par lui A Guillaume, à Jean de Zolnis et à Jean de Drolsliagen, commissaires des indulgences. Item anno XVIJ». soluimus in domo Drak(enborch?) ad manus Wilhelmj, jn presentia domini Araninj, Lxxu. flor. aur. vu. st. Holl. Item anno XVIIJo. soluimus ad manus domini Johannis de Zolms, magistro fabrice, primj cumptij, lxxxix. fl. aur. vu. st. H. j. blanck. Item soluimus ad manus magistri Johannis de Drolshagen vj. flor. aur. super expensis equj, etc. Item residuum, videlicet xxxix. tl. aur. xx. st. j. blanck., soluimus ad manus magistri fabrice Zolms. ( 69) VI. (Ulrochr, Mai iM9.) Compte général des recettes et des dépenses des indulgences dans une par- lie du diocèse d'Utredit, présenté au chapitre de la cathédrale par le commissaire apostolique Jean Ange Arcimboldi. Frais d'impression, de papier, depardiemin^ de bulles, d'à) mes papales, etc. Levées des troncs des indulgences et produit de la vente des confessionalio, avec ou sans- autorisation de posséder un autel portatif à Ulrecht, Ilarderwijk, Arn- hem, Tiel, Zalt-Bommel, Renen, Driel, Elst, iMmègue, Ilemert, Rossum, Samt-Jacques, Wijk, Oldenzaal, Enschede, Amsterdam, etc. Créances non encore recouvrées. Dépenses faites par les commissaires des indul- gences. Frais d'étuis en bois et en parchemin, de fils rouges, de cire à sceller. Dépenses des messagers porteurs de lettres. Perte sur le change des monnaies. Gratifications aux commissaires et aux auxiliaires. Total. {Ce compte existe en double.) COMPUTATIO DE FACTO COMMISSIONIS GRATIARUM, FACL'LTATUM ET JNDUL- f^l [ ro GENTIARUM JN SLBSIDIUM FABRICE BASILICE SANCTJ PeTRJ DE URBE CONCESSARUM DELEGATE ET FACTE PER REUERENDUM PATREM JOHANNEM ANGELUM ARCIMBOLDUM COMMISSARIIM CAPITULO ECCLESIE TRAIECTENSIS. Recepta et exposita in faclis jndulgenliarum fabrice basilice fol o ro bea ti Pétri de Urbe. In primis impressor deliberaiiil confessionalia impressa in pergameno viijc. cum portatile. Adhuc in franceno sine portatile, xxviijc. Adhiic in papiro sine portatile, xxviijc, Adhuc stationes in teutonico, xvj^. Adhuc in latino stationes, vc. Adhuc declarationes, iiij^. Adhuc bulle, u^. Adhuc arma papalia, lu^. ( 70 ; De quibus reeepit impressor in loto per concordiam, ut infra in expo- sitis patebit. Item Cristina, uxor M. Goswinj de Scoenhouia, deliberauit arma papa- lia IJ Vâ*^-; de quibus reeepit ut infra. foî. 3 N" Recepta in ciuitate Traiectensi. In primis prima extractio hic in ecclesia Traiectensi extendit ad som- mam xvj. ilor Ren. aur. et xx. st. Holl. Item secunda extractio extendit se ad sommam xiiu. tlor. aur. viu. st. *Holl. Item de confessionalibus cum portatile hic ministratis, videlicet lxxij., recepi prout in cedula xliij. tlor. aur. xxj Va- st. Holl. Item ministraui gratis x. Adhuc de quibus nichil recepi, nu. Item de confessionalibus sine portatile, videlicet lxxv., recepi iuxta cedulam xvj. tlor. aur. xiu. st. Holl. Item ministraui gratis u. Adhuc de quibus nichil recepi, lU. Item recepi de diuersis dispensationibus hic expeditis iuxta cedulam xxxviij. flor. aur. xxvu. st. Holl. Somma receplorum in ciuitate Traiectensi in toto, c. xxx. tlor. aur. vVa- st. Holl. Prima grossa. fol. i 1° Recepta ex Herderwijck. In primis extractio jbidem extendit ad sommam xx. flor. aur. Item dominus pastor reeepit ibidem confessionalia cum portatili xxxiiu., de quibus ministrauit gratis ix.; manent exposita xxv. Item reeepit confessionalia sine portatile iijc, lxxix., de quibus minis- trauit gratis xxij.; manent exposita — Item reeepit adhuc confessionalia sine portatile in papiro nu^. xcu., de quibus ministrauit gratis xx.; manent exposita iiijc. lxxij. Recepi de predictis confessionalibus in toto, deductis expensis, c. x. flor. aur. vj. st. Holl. Somma receptorumexHeerderwijck, c. xxx. flor. aur. vj. st. Holl. 2" grossa. (71 ) Recepta ex Ainihem. fol. 4 v» Item vicccuratus jbidem recepit conlessioiialia cum portalile iaxxiiij. Adliue sine i)ortatile, i/x. Rece|)i ad compulum i)er inanus domini Joliannisde Drolshagen x. tlor. aur. Hecepta ex Tijella. Item euralus ibidem recepit confessionalia sine portatile xxx., de quibus recepi iuxta computationem domini Theodricj deMaisen ut infra. Recepi extractionem exTyelia, videlicet vu. flor. aur. Sommarum receptorum ex Airnhem et Tyela, simul xvu. flor. aur. 3^ grossa. Recepta ex Boemell. toi o r» In primis exlractio ibidem extendit se ad sommam xx. tlor. aur. Item ouratus jbidem recepit confessionalia cum portatile xxxix. Adhuc pro domino Luca gratis. J. Item recei)it adimc sine portatile u'^. lxxx. Soluil ad compulum per manus domini Johannis Drolshagen xiu. tlor. aur. xvu. st. Holh Somma l'eceptorum ex Boemel, xxxiu. tlor. aur. xvu. st. Holl. Recepta ex tien en. In primis extractio ibidem extendit ad sommam xj. flor. aur. lu. st. Holl. Item curatus ibidem recepit confessionalia sine portatile xxx. Recepi per manus domini Johannis Drolshagen v. flor. aur. xiiu. st. Holl. Somma receptorum ex Renen, xvj. tlor. aur. xvu. st. Holl. Sommarum receptorum ex Bonimel et Renen, simul l. tlor. aur. vj. st. Holl. • A'' grossa. Recepta ex Driell. foLov"» Item recepi extractionem de Driel, videlicet xviu. tlor. aur. ( 72 ) Recepta ex Elst. Ilem recepi adhuc extractionem de Elst, videlicet J '/j. llor. aur. Item dominus Victor Duyfhiiyss soluit ad computum de confessionali- bus per eum a domino Johanne Drolshagen et ex Airnhem receptis viij. flor. aur. Faciunt simul recepta ex Elst ix. tlor. aur. xnu. st. Holl. Recepta ex Nouimagio. Item officialis jbidem recepit confessionaiia cum portatile c. xv.; adhuc sine portatile, v*'. lxxj. Recepi ad computum in toto lxxxiiij. flor. aur. xxu. st. Holl, Sommarum receptorum ex Driell, Elst et ex Nouimagio, simul c. xu. flor. aur. viu. st. Holl. 5"'' gros sa. fol. 6 ro Recepta ex Hemert. Item decanus jbidem recepit confessionaiia cum portatile viu.; adhuc sine portatile, lvij. Soluit in toto, deductis expensis, xxiiu. flor. aur. vi.j, st. Holl. Recepta ex Rossum, Item decanus jbidem recepit confessionaiia cum portatile vu.; adhuc sine portatile, xu.; ministrauit adhuc gratis cum portatile J. Soluit in toto per concordiam v, flor. aur. u. st. Holl. Recepta a curato sanctj Jacobj. Item dominus Nicolaus, curatus sanctj Jacobj, recepit confessionaiia cum portatile xxix.; adhuc sine portatile, u.; de quibus soluit in toto, deductis expensis, x. flor. aur. nu. st. Holl. Sommarum receptorum ex Hemert, Rossum et a curato sanctj Jacobj, simul XXXIX. flor. aur. xiu. st. Holl. ô'^^grossa. ( 73) Recepta ex Wijck. foUiv* Item recepi extractioncm jbidem, videliccl xxxiiij. tlor. aur. xx. st. Holl. Item vicecuratus jbidem recepit confessionalia cum portalile xxvj., de quibus ministrauit gratis xvu.; manent exposita ix.; adhuc sine porta- tile, MU., de quibus ministrauit gratis v.; manent exposita xlviij.; adhuc in papiro, xcvJ., de quibus ministrauit gratis nu.; manent exposita xci.i. Soluit in toto de omnibus confessionalibus jbidem ministratis, deductis expensis, xxj. tlor. aur. nu. st. Holl. Somma receptorum ex Wijck, lv. tlor. aur. xxiiu. st. Holl. Recepta ab Aranino. Item dominus Araninus Cibo recepit confessionalia cum portalile non sigillata l.; adhuc sine portatile, xxv. Soluit tantummodo pressuram, videlicet xxx. st. Sommarum receptorum ex Wijck et ab Aranino, simul lvj. flor. aur. XXVJ. st. Holl. 7' grossa, Recepla a terniinario Aldenzalensi. fol. Tr» Item frater Theodricus Hengeloe, ordinis predicatorum conuenlus Zutphaniensis, terminarius Aldenzalensis, recepit confessionalia cum por- talile Lxxxiiu., de quibus ministrauit gratis xx.; manent exposita lxiiu.; adhuc sine portatile, IU^ lxxxiu, de quibus ministrauit gratis xix.; manent exposita tu*', lxiiu.; adhuc in papiro xv. xnu, de quibus ministrauit gratis XXXV.; manent exposita xiiu^ lxxix. Soluit in loto de omnibus confessionalibus per eum ministratis, deduc- tis expensis, u^ tlor. aur. x. st. Holl. lu. alb. 8' grossa. Item jdem frater Theodricus recepit adhuc postmodum confessionalia M. sine tempore expirationis indulgentiarum; in papiro sine porta- tile, c. u.; adhuc in franceno, xxvu.; adhuc cum portatile, J.; de quibus habebit medietatem inde prouenientium. ( f4 ) Item recepi extractionem ex Enschede per aiUediclum terminarium, videlicet vj. tlor. aur xxiiu. st. Holl. 9 ' iirossa. fol." V" Item doniinus Theodricus de Malsen recepit confessionalia sine porta- lile jVs"-; detjuibus recepi iuxta computationem suam ut infra patebit. Item viceciiratus in Amsterdammis recepit confessionalia ciim porta- tile nu ; de quibus recepi nichil. Item dominiis Johannes Zeelcamp recepit confessionalia cum porta- tile c. xviiJ.; adlmc sine portatile, iiu"'. xxxix.; adhiic in papiro, v^. lxxxviij. De quibus omnibus recepi, iuxta cedulam computationis pênes domi- num Joliannem de Zolmis existentem, de diuersis extractionibus et con- fessionalibus ministratis simul c. xciiu. flor. aur. x" grossa: fol 81° Item decanus supra Vechtam recepit confessionalia sine portatile xu.; de quibus recepi nichil. Item dominus Adrianus Fijn recepit confessionalia cum portatile x.; adhuc sine portatile. x.; de quibus recepi nichil. Item curatus in Maerssen recepit confessionalia sine portatile xx.; recepi nichil. fol 8 A"^ ItPin vicecuratus in Oedijck recepit confessionalia sine portatile nu.; adhuc in papiro, viu.; recepi nichil. Item dominus Cornélius Bonser recepit confessionalia cum portatile xxxj.; adhuc sine portatile lxvj. Recepi ad computum, juxta cedulam pênes dominum Johannem de Zolmis existentem, de extractionibus et confessionalibus simul xj. tlor. aur. xvu. st. Holl. xj^ grossa. Item pastor in Nijerkercke recepit confessionalia cum portatile x.; adhuc sine portatile, x. ; recepi nichil. Item dominus Johannes Drolshagen recepit confessionalia cum porta- tile X.; adhuc sine portatile, c; de quibus recepi ut infra. fol. 9 1" Item dominus Johannes Drolshagen et Theodricus de 3Ialsen, deputati capituli, soluerunt de extractionibus et confessionalibus post proroga- tionem in secunda extractione, juxta cedulam pênes dominum Johannem de Zolmis existentem, ad computum simul lxxxix. tlor. aur. xvu. st. Holl. IX. alb. Holl. xu" grossa. Item dominus Theodricus de Malsen soluit de omnibus extractionibus ( 70 ) et confessionalibus per eum perceptis in diuersis locis, iuxta conclu- sioncm computationis sue, simul, deduclis expensis, xxxix. flor. aur. xx. st HoU. j. oirt. xiiJ' i,Tossa. Somma sommarum omnium receptorum, mille lxxviu. flor. K. aur. de pondère, xu. st. ix. alb. Holl. EXPOSITA IN EODE.M NEGOCIO JNDILGENTIAHLM. fol.9 V» Item dominus Johannes de Drolshagen recepit super expensis per eum factis in tribus reijsis simul xvj. flor. aur. xiiu. st. Holl. Item dedi pro uno equo ad usum domini Johanms Drolshagen ad pergendum in locis diuersis et reijsis et jbidem extrahendum pecunias indulgentiarum ix. flor. Philippi, facit viu. flor. aur. j. st. Holl. Item dedi domino Johanni Heerstraten, qui seruiuit negocio in Airnhem xvj. diebus, quolibet die vj. st. Holl., facit lU. flor. aur. xu. st. Holl. Item dedi pro vino bibito in domo domini Joliannis de Zolmis m conuiuio tempore concepte computationis et concordie eum impres.-ore xxxviij 7^. st. Holl. Item dedi et solui impressori per concordiam de omnibus et singulis per eum impressis superius specificatis simul lxxij. flor. aur. Item dedi de xxxvij^ capsulis ligneis, pro quolibet centenario x. st. Holl., facit xii.j. flor. aur. vj. st. Holl. Item dedi de xj. libris filis rubeis, pro qualibet libra viij. st. curren., facit ij. flor. aur. xiiij y^. st. Holl. Item dedi pro xxv. libris cere, pro qualibet libra viij. st. curren., facit fol. io r- V. flor. aur. xx. st. Holl. Item dedi pro sigillatione et preparatione xxxvj^. confessionalium eum capsulis in franceno, pro quolibet centenario v. st. Holl., facit vj. flor. aur. xu. st. Holl. Item adiiuc pro sigillatione et jjreparatione xxvnjc. confessionalium in papiro, pro quolibet centenario nu. st. Holl., facit nu. flor. aur. Item dedi Cristine de u '/s^- armis papalibus superius designatis u • o- flor Philii)pi, facit u. flor. aur. vj '„• st. Holl. Item de uno vase mittendo terminario Aldenzalensi eum confessiona- libusu V'j. st. Holl. Item dedi nuncio capituli, qui detulit circiter x<^. confessionalia termi- ( •?6) nario Aldenzalensi, etc.; fuit absens vj. diebus, quolibet die v. st. Holl , facit XXX. st. Holland. Item Quirinus nuncius missus fuit ad ofticialem Nouimagensem cum litteris capituli; dedi eidem, de quinque diebus quibus fuit absens cl veergelt, simul xxu. st. Holl. Item dedi nuncio in Tyela, Driel et Bommell misso cum confessiona.i libus de iiij"r. diebus, quibus fuit absens, xvj. st. Holl. Item perdidi in moneta plus quam vJ. tlor. aur. fol. 10 v Item restitui magistro Bernardo de Hairlem pro certis expensis et reijsis factis in principio indulgentiarum, juxta cedulam pênes dominuin Johannem de Zolmis existentem, xxiiu. flor. aur. vu. st. Holl. Item similiter restitui Theodrico de Drakenborch de certis expositis per eum in principio dictj negocij, juxta cedulas pênes ipsum existentes, simul XLIJ. flor. aur. vj. st. Holl. Item pro decano Traiectensi commissario, x. flor. aur. Item procuratoribus fabrice ecclesie Traiectensis, cuilibet pro eorum laboribus et sigillis v. flor. aur., facit simul x. fl. aur. Item solui domino magistro Bernardo de Hairlem canonico, nostro commissario, v. flor. aur. Item dedi domino Gerardo Beijer, de omnibus scripturis et laboribus ac administratione de dictis jndulgentijs et facultatibus sibj commissis et subscriptione omnium confessionalium atque generaliter de omnibus laboribus per eum impensis ad computum, xxxvj. flor. aur. Item solui Wilhelmo Johannis de Traiecto Superiori similiter de omni- bus scripturis et laboribus circa dictas indulgencias impensis xx. flor. aur. Item dedi dominis capitularibus, qui huiusmodi computo coram capi- tulo facto interfuerunt, simul pro xxj. personis, cuilibet lU. flor. R. aur., facit Lxiij. flor. Ren. aur. fol. 1 1 ro Item solui domino Theodrico de Malsen, pro eius laboribus in diuersis reijsis et extractionibus factis, simul xvj. flor. R. aur. Item solui domino Johanni Drolshagen, pro eius laboribus in diuersis reijsis et extractionibus factis in dicto negocio, iuxta cedulas eius, ultra equum sibj propinatum, adhuc xxu. flor. aur. [Item de expensis equj de injo"". mensibus, injor. flor. aur. ^] Item dedi nuncio Goch, notario Beijer et Wilhelmo subscripto, cuilibet * Plus tard on a ajouté ces mots en encre plus noire. (77 ) unam takain vini Ilenensis, qualibot laka de vj. si., facil nu. lakas, el faciunt lake xxiiu. st. Holl. Item dedi de scripluris istarum compulatiomun J. flor. U. aur. Summa omnium exposilorum, lu^. xcvii.i. llor. Ueii. aur. viu. st. lloll.; qua abslracta a .^^umma omnium reeeploium, que fuit Mille iaxviu. tlor. Ren. aur. xu. st. ix. alb. IloUan., mancl receplum libère v.)c. lxxx. tlor. lien. aur. nu. st. ix. alb. Holl. VII. (Ulrcclit, il iiKH irliO.) Liste des membres du chapitre de la cathédrale d'Utrecht qui ont assisté à la reddition du compte général d'Arcimboldi, avec mention de ce qu'ils ont touché comme jeton de présence. Item JNFRASCRIPTI SUST CAPITULARES, qui COMPUTATIOiM JNTERFUERUNT ET fol. RECEPERUNT SIMUL LXIU. FLOR. ReN. AUR., DE QUIBUS SUPRA JN XXIIU. ARTICULO EXPOSITORUM. Item Jacobus de Alpelteren decanus, vj. tlor. Ren. aur, Abraham de Leuwenbercli Egidius Gobbert Gerardus Zondenbalch Theodrieus de Drakenborch Arnoldus Bokelare Dernardus de Hairlem Johannes de AVterwijek Johannes de Zolmis Albertus de Leuwenberch Johannes de Drolshagen Amelius de Nyevelt Heni-icus Zondenbalch Theodrieus Taets Fridericus de Coninck Marcus de Weeze Gerardus Ilucker Henricus Ben Johannes Reael Gerardus Beijer Summa, uxiu. tlor. Ren. aur 11 vo \ cuilibet lu. tlor. aur. ( T8 ) VIII. (Utrechr, 11 mai 4oI9.) Acte dressé par le notaire Jean de Goch au nom du chapitre de la cathé- drale d'Utrecht, aux fins de donner décharge de leur gestion financière en matière d'indulgences aux délégués du chapitre Gérard Beijer et Guil- laume Johannis de Maastricht. — Le produit net a été de 680 florins d'or pesants du Rhin, 4 sous de Hollande et 9 blancs. Des gratifications sont accordées au trésorier Araninus Gibo, à Jean de Drolshagen, à Thierry de Drakenborch et à Jean de Zolms. fol. dl v^ AnnoDomini M». V^ decimo nono, die \r mensis Maij. de mane hora ^^'" ^ ■ capitiilarj consueta, venerabiles domini decanus et canonicj ecclesie Traiectensis siiperius nominatj, capitulum ecclesie Traiectensis repré- sentantes, capit\ilariter jn domo capilularj minore ecclesie Traiectensis congregatj. ad petitionem domini (ierardj Beijer, canonicj Traiectensis, dudum secretarij eiusdem ecclesie, ac Wilhelnij Johannis de Traiecto Superiorj, eius substitut] notarij, quj dictj negotij jndulgentiarum et facultatum ex parte dictj capituli administrationem habuerunt et huius- modi computationem dudum fecerunt in capitulo, approbaruntet ratifi- carunt présentera computationem et eam gratam habuerunt et habent, et quitauenmt dictos Gerardum Beijer. canonicum, et Willielmum de huius- modi administratione et légitima computatione el solutione omnium denariorum superius nomine capituli tam in receptis quam in exposilis computatorum, solutorum et assignatorum, et recognouerunt totalem summam libère remanenten, videlicet vr. lxxx. tlor. Renen. aurj jn auro de pondère, nu. st. Holl. ix. alb., jn diuersa moneta per manus jnfra- scriplomm magistrorum fabrice récépissé et habuisse jn bona, prompta fol. l!2 i- et numerata pecunia, pronunciantes et déclarantes capitulariier eosdem Geiardum et Wilhelmum omni modi quitos, liberos et perpetuo de dictis administratis et pecunijs solutis absolûtes, regratiando eisdem de bona diligentia, solutione et executione negotij; De qua quidem pecunia assignarunl et soluerunt dicti domini decanus et capitulum dudum ad manus domini Araninj Cibo, thesaurarij aposto- licj, centum tlor. Philippi; et ad manus domini Johannis de Drolshagen, ( 79 ) canonicj Traieelensis, ad usus eiusdem Araninj, quadraginta tlor. aur. de pondère, in defalcationem duarum partium de dicta tolali rémanente surama ipsi domino Aranino tliesaurario aut eius principaij domino Johanni Angelo Arcimboldo, commis^ario apostolico, competentium. Item assignarunt domino Theodrico de Drakenborch, magistro fabrice annj xvij. centum et decem tlor. aur. de pondère, decem st. Holl. Item domino Johanni de Zolmis, magistro fabrice annj XVIIJ. mjc. xl. flor. aur de pondère, xiiu. st. et ix alb. Holl., saluo quod diclj domini Thco- dricus et Johannes de Zolmis tanquam magistri fabrice ecclesie Traiec- tensis huiusmodi recepias pecunias jn computationibus fabrice de dictis annis computabunt récépissé ad usum fabrice eiusdem. Et ego Johannes de Goch, notarius et secretarius capituli ecclesie Traieelensis, premissis interfuj actis de mandato venerabilium domino- rum decanj et capituli eiusdem ecclesie Traiectensis huiusmodi compu- tationem, solutionem et pecuniarum assignationem ac quitanciam supra- scriptam manu mea propria subscripsi ac cetera in proihocollo eiusdem ecclesie signauj in fidem et testimoniura omnium premissorum. Jo. DE Goch, notarius. IX. (Mai loi P.; Trois brèves annotations concernant la répartition du p7-oduit net des indulgences, inscrites sur de petits bouts de papier et annej:ées au grand compte d'Arcimboldi. 1. Summa, vjc. xcv. flor. aur. ix. alb. Facil pro Arcimboldo de duabus tertijs partibus. mjc lxiij. flor. aur. Supersunt x. st. ix. alb. Super quibus recepit Araninus, juxta quitanciam, lxxxk. tlor. aur. vuj. st. Holl., et dominus Johannes Drolshagen jn defaleatione xl. flor. aur.; quibus abstractis a dicta summa. competunt Arcimboldo de jsla computa- tione iijc. xxxiiJ. flor. aur. xx. st. H. '2. Drnkenb[orch], c. x. aur. x. st. H. Zolmis. iiiJ<:. XI. aur. xiiu. st. ix. alb. ( 80 ) [En marge: iiu^. lv. aur. x. st. ix. alb ; adliuc xiiu. aur. xxiiu. st.] Araninus, lxxxix. aur. vii.i. st. Drolshagen, xl. aur. Exposila, iw^. xcviij. aur. viij. st. Summa, x^. xciu. aur. viu. st. ix. alb. 3. Zolms recepit ju toto vc. lxxvij. tl. aur. xiiij st. ix. alb. H.; vjc. j. tl. aur. xxj. st. six alb. Holl.; de istis pecunijs restituit Zolms c. xxxvu. il. aur. c. LXJ. golde gl. vu. st. Manet rcceptum suum iiijc. xl. tlor. aur. xiiu. st. IX. alb. H. ESSAI SUR LE REGNE DU PRINCE-ÉVÊQUE DE LIÈGE MAIUlILIEiVHi^ai Dl BAlHai PAR Michel HUISMAN DOCTEUR EX PHILOSOPHIE ET LETTRES DOCTEUR EX DROIT. (Présenté à la Classe des lettres dans la séance du fi mars 1809. Tome LIX. AVANT-PROPOS. Le règne du prince-ëvêque Maximilien-Henri de Bavière occupe, dans les annales du pays de Liège, presque toute la seconde moitié du XVII« siècle. Règne long et tourmenté, rempli d'événements instructifs tant internes qu'internatio- naux, où l'on voit s'implanter, dans la principauté, d'une façon systématique, les principes de l'État moderne, et qui forme par conséquent dans notre histoire nationale une page spéciale digne d'attention. Qu'il suffise, pour caractériser le régime innové, de signaler deux faits capitaux. Au point de vue des relations étrangères, Maximilien de Bavière est le premier prince-évêque qui fut ouvertement l'al- lié de la France. Au point de vue politique intérieur, ce souverain, imbu des idées absolutistes et centralisatrices de son puissant allié et maître Louis XIV, soumet les traditionnelles institutions com- munales, autonomes et indépendantes, au joug de son auto- rité et de son despotisme. La glorieuse capitale, la Cité par excellence, après deux insurrections populaires, est dépouillée de la plupart de ses privilèges, de ses antiques libertés muni- cipales. (4) L'auteur de cet Essai a voulu esquisser les traits saillants qui ont marqué le système gouvernemental du pays et de la ville de Liège dans la seconde partie du XVII° siècle; il a signalé les innovations radicales apportées à celte époque au régime communal ; il a tâché d'indiquer sous quelles influences ces transformations se sont opérées. Toutefois, le développement des institutions de la princi- pauté épiscopale ne peut se comprendre si l'on fait entière abstraction de son histoire extérieure. Celle-ci est trop profon- dément liée à l'histoire locale elle-même, son action est trop intime, trop continue pour qu'on puisse la négliger. Dans cet ordre d'idées, notre travail a été facilité par les savantes études que M. le professeur Lonchay a publiées sur les rapports de la principauté de Liège avec la France et les Pays-Bas. Elles nous ont servi plus d'une fois de modèle et nous ont fourni de nombreux éléments pour poursuivre nos recherches. Ainsi avons-nous parfois été amené à puiser certains rensei- gnements à des sources déjà exploitées. Le fonds dit Secrélai- rerie d'État espagnole, conservé aux Archives générales du royaume à Bruxelles, les registres des Fonds de Liège et de Colog7ie déposés aux archives du Ministère des Affaires étran- gères à Paris, renferment une telle abondance d'informations et de richesses inconnues, que nous avons cru, après nos devanciers, pouvoir encore les utiliser avec fruit. D'autre part, nos investigations se sont portées sur diverses correspondances officielles que possèdent les dépôts d'archives de La Haye et de Bruxelles, notamment les correspondances des résidents hol- landais et espagnols accrédités près du gouvernement liégeois. Ces documents, tout en donnant la place prépondérante au ( o ) récit (les événements qui ont caractérisé la politique étrangère, contiennent de multiples détails, saisis sur le vif, qui inté- ressent l'histoire intérieure de la principauté. Plus véridiques que la plupart des chroniques proprement dites, plus impar- tiales que les opuscules, pamphlets et écrits de polémique, si nombreux à cette époque, les relations diplomatiques appa- raissent comme autant de mémoires rédigés au jour le jour. Les épisodes y sont narrés par des témoins oculaires, conscien- cieux et réfléchis, généralement en situation d'apprécier les hommes et les choses. En mettant en œuvre ces matériaux qui nous révélaient maints faits ignorés, qui nous dévoilaient notamment les véri- tables mobiles de l'attitude de Maximilien de Bavière, nous avons été conduit à nous occuper plus spécialement de ses conseillers et de son entourage. Déjà, dans ses ouvrages sur les Élats rhénans, l'historien L. Ennen avait fait connaître les personnalités curieuses et marquantes des princes de Fursten- berg et la domination que ces ministres avaient exercée dans le gouvernement du faible archevêque-électeur de Cologne. Nous sommes parvenu, grâce aux documents que nous offraient les archives et les bibliothèques de Dusseldorf, de Cologne, de Donaueschingen et de Strasbourg, à compléter la biographie de François-Egon et de Guillaume-Egon de Fur- stenberg, et à montrer le rôle qu'ils ont joué dans l'histoire du pays de Liège. Sans prétendre exagérer leur influence ni leur talent, on peut affirmer que la part qu'ils ont prise dans les événements de la politique interne et externe de la principauté, fut considérable, prépondérante. Le nom de Guillaume-Egon de Furstenberg est mêlé à tous les incidents de la vie commu- (6) nale de la Cité, aux transformations de son régime municipal consacrées par le fameux règlement de 1684. Sa figure méri- tait d'être remise en pleine lumière. Mais là ne s'est pas arrêté notre travail d'exploration. Dans leurs histoires générales du pays de Liège, les écrivains de Crassier, Hénaux, Daris, pour ne citer que les principaux, ont consacré au règne de Maximilien de Bavière des chapitres du plus vif intérêt. Il y a dans leurs œuvres remplies de faits des pages qui ne sont pas près de vieillir. L'auteur de cet Essai leur a fait de fréquents emprunts. Malheureusement, les récits de ces érudits manquent parfois d'impartialité et ne reflètent que trop souvent les opinions de l'homme politique qui les a rédigés. Le parti pris, l'à-peu-près et la déclamation y tiennent beaucoup de place ^. Pour faire une étude scientifique et documentée, il fallait consulter les sources elles-mêmes, les contrôler avec soin. A cette fin, nous avons compulsé aux Archives de l'Etat, à Liège, toutes les collections qui pouvaient être utiles pour conduire à bien ce travail -. * Voir les judicieuses appréciations de M. Lonchay dans l'introduction de son mémoire : La Principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XYlb et au XYlIl^ siècle. - Ce sont notamment les archives du Conseil privé des princes-évéques (dépêches, protocoles et liasses), celles du Chapitre cathédral de Saint- Lambert (Conclusions capitulaires), sources importantes tant par la variété de leurs détails que par leur impartialité, les registres aux recès de la noble cité de Liège (malheureusement en grande partie perdus ou détruits), les registres des trois États (Journées et États), les recès et reliefs des bons métiers, documents qui nous révèlent l'état des esprits de la population liégeoise. ( 7 ) Enfin, un grand nombre de brochures du temps, certaines chroniques imagées et vivantes, nous ont servi à mieux com- prendre les soulèvements populaires des années 1649 et 1676. Les nombreuses citations qui se trouvent au bas des pages permettront au lecteur de se faire une juste idée de nos recherches. SOURCES ET ABREVIATIONS. A. C. = Archives communales de Cologne. A. D. = Archives de Dusseldorf. A. E. = Archives du Ministère des Affaires étrangères à Paris. A. H. = Archives de La Haye. A. N. = Archives nationales à Paris. Ck)ncl. capit. = Conclusions capitulaires du chapitre cathédral de Saint- Lambert, aux Archives de l'État à Liège. Conseil privé. Dépêches ou Protocoles = Registres aux Dépèches ou aux Protocoles du Conseil privé des princes-évéques, aux Archives de l'État à Liège. État primaire, État noble, État Tiers (Journées ou États) = Registres de l'État primaire, de l'État noble, de l'État tiers (collection des Journées ou des États), aux Archives de l'État à Liège. ( 8) Recès de Liège = Registres aux reccs de la noble cité de Liège, aux Archives de l'État à Liège. S. E. A. «= Registres de la Secrétairerie d'État allemande, aux Archives du royaume à Bruxelles. S. E. E. =-- Registres de la Secrétairerie d'État espagnole, aux Archives du royaume à Bruxelles. Bibl. Briix. = Bibliothèque royale de Bruxelles. B. N. = Bibliothèque nationale à Paris. Bibl. Un. Liège = Bibliothèque de l'Lniversité de Liège. C. R. H. = Commission royale d'histoire. Corr. = Correspondance. Ms. = Manuscrit. ESSAI SUR LE REGNE DU PRINCE-ÉVÈQUE DE LIÈGE MAXIMILIEN-HENRI DE BAVIÈRE CHAPITRE PREMIER. LIÈGE ET LA CONSTITUTION LIÉGEOISE EN 1648. Considération générale : Le traité de Munster et l'Europe catholique. — Situation juridique de la principauté de Liège. — Sa neutralité. — Les institutions cen- trales.— L'évêque, les États, le Cliapitre cathédral. — Place prépondérante de la Cité. — Liège est-elle ville impériale? — Son organisation interne. — Les éche- vins, les maîtres et jurés, les métiers.— Le Régiment de Heinsberg et l'ordonnance électorale de 1608. — Le Conseil de la Cité. — Les commissaires. — L'adminis- tration financière. — Les principaux services publics. — Ferdinand de Bavière et le règlement de 1613. — Origine de la guerre civile. — L'intervention étrangère. — Paix de Tongres. — Nouveaux désordres. Des souverains et des hommes d'État, aidés par la fortune et par Tinstinct qui pousse les peuples à élever des autels, ont donné leur nom à leur siècle. Si quelques hommes ont eu cette gloire, l'histoire préfère retrouver l'esprit d'une époque dans certaines dates synthétiques et marquantes. Aucune peut- être, dans la période moderne, n'est, à cet égard, plus caracté- ristique que celle de la charte diplomatique de 1648, de la paix de Westphalie. (10) La France fait proclamer en sa faveur par le congrès de Munster la théorie de l'équilibre européen. Sa diplomatie rapide et habile, sa vitalité féconde, son admirable armée, un faisceau d'influences morales lui valent l'hégémonie incontes- tée dont les traités de Westphalie et des Pyrénées la revêtent. L'agonie de ses adversaires rend sa prépondérance plus puis- sante encore. L'Allemagne, ravagée de fond en comble par la guerre dévastatrice de Trente ans, réclame un repos répara- teur; mais déjàMazarin prépare pour cette « mosaïque » féodale le protectorat que la ligue du Rhin va consacrer. L'Empire, absorbé par sa lutte contre le Turc envahisseur, n'est plus qu'une entité purement nominale et impuissante : chaque prince est empereur dans son territoire. L'Espagne, en pleine crise de lassitude et d'épuisement, doit renoncer à ses préten- tions à la monarchie universelle; elle s'est ruinée à la défense des Pays-Bas catholiques. Quant à ceux-ci, objet des plus ardentes convoitises, ils n'ont guère à se louer de leur soumis- sion à l'orthodoxe domination espagnole; leur dévouement leur a apporté la détresse morale et matérielle, l'anéantisse- ment des libertés, la perte de tout espoir en un avenir indé- pendant. Il semble que l'activité intellectuelle et commerciale de la nation se soit réfugiée dans les Provinces-Unies, nouvel Etat dont la prospérité rapide va bientôt exciter maintes riva- lités jalouses. Les provinces catholiques manquaient de l'esprit de cohésion nécessaire pour former un État capable de résister aux entreprises et aux abus de souverains trop exigeants. Leur attachement à la cour de Rome, qui avait garanti leur fidélité à la maison d'Espagne, était aussi le lien fictif qui les maintenait réunies sous un même prince. Toute autre influence qui pût combattre ou atténuer leurs instincts particularistes avait disparu : c'est à peine si, au milieu de la désorganisation ger- manique, le cercle de Bourgogne appartenait encore à l'Em- pire. Voisin immédiat des Pays-Bas catholiques, l'État liégeois offre toutefois un caractère bien diff'érent, celui d'une complète unité. Une suite de chartes, de documents constitutionnels ( 11) établis pour le pays entier, un seul corps représentatif, l'insti- tution des trois Etats, organes des intérêts généraux, nous mettent en présence d'une nationalité, presque d'une patrie. Phénomène impressionnant que celui de cette principauté — dont l'organisation politique ferait envie à mainte puissance moderne — émergeant avec ses institutions séculaires de cette Europe pleine de monarchies superbes et faméliques ! L'amour de ses libertés groupa le peuple liégeois ; le courage et la sagesse apportés à la défense de son indépendance avaient inspiré le respect aux plus audacieux. Très tôt sa neutralité fut proclamée; l'accord de la nation et de son prince sut la faire observer. La principauté qui avait triomphé des terribles difficultés du XVI« siècle semblait pouvoir espérer du siècle suivant une ère de durable prospérité. Quelle était la situation juridique de la principauté de Liège? Quelles étaient ses relations avec les États limitrophes? Quelle était enfin la place occupée par la cité de Liège? Après avoir établi ces divers points d'une manière générale, nous serons mieux à même de nous reconnaître au milieu des événements dont le territoire liégeois fut le théâtre au XVIP siècle. Depuis les diètes d'Augsbourg (1505) et de Cologne (1512), qui organisèrent définitivement les cercles d'Empire, le pays de Liège était devenu « un membre insigne » du cercle de VVestphalie. L'évêque relevait en foi et hommage de l'Empe- reur d'Allemagne et recevait de lui « sa rigale », à savoir l'in- vestiture féodale de ses droits régaliens. La principauté était, dans la limite de ses privilèges, soumise à la juridiction suprême des tribunaux impériaux. A la diète germanique, à la diète particulière du cercle de Westphalie dans le collège des princes ecclésiastiques, le vote du souverain représentait ( 12 ) et liait la volonté de la nation ^. Toutefois, on se tromperait étrangement si l'on cherchait dans ces rapports une protection active et sérieuse ou une sujétion obéissante et dévouée. La politique des empereurs Maximilien et Charles-Quint avait toujours ménagé le pays de Liège et lui avait conservé son indépendance politique; sa situation aux limites de l'Empire lui permettait de réduire ses obligations pécuniaires et mili- taires -. Si, contre les prétentions de son haut suzerain, la princi- pauté était en droit de se croire suftisamment protégée, en était-il de même à l'égard des nations limitrophes? La struc- ture bizarrement allongée du pays de Liège le mettait en contact avec trois puissants voisins. Résister à leurs incursions incessantes, c'était obliger le peuple à vivre sous les armes; mieux valait essayer de se concilier l'amitié de tous et faire reconnaître la neutralité du territoire. Dès la fin du XV" siècle, cette inviolabilité trouvait l'appui de Charles VIII de France et de Maximilien d'Autriche : la neutralité belge apparaissait dans l'histoire du droit des gens '^\ Gardons-nous cependant de tout * Au sujet des rapports de la principauté de Liège avec l'Empire, voir K. PouLLET, Histoire politique nationale, t. II, § 78o, Louvain, 4882- 1892. et Les Constitutions nationales belges. (Mém. cour, in-8^ de l'Acad. ROY. DE Belgique, t. XXVI, pp. 23 et suiv.) « Tout ly pays del évesqueit de Liège est et despent del empire, de » laqueil ilh muet principament en fyef et en homaige, et est entire- » ment scitueis en bonnes et en metes de ladite empire. » {Coutumes du Pays de Liège, éd. par Raikem et Polain. Patron de la Temporalité, t. I. cnap. II, p. 268.) - Les préliminaires de Saint-Trond et la paix de Tongres (16-40) n'as- treignent le pays de Liège à aucune obligation ni contribution envers le Saint-Empire, si ce n'est en cas de guerre contre les Turcs; c'était là en réalité un devoir européen, un devoir de la chrétienté contre la barbarie (voir l'article 7 de la paix de Tongres dans le Recueil des Ordonnances de la principauté de Liège, 2^ sér., 3^ vol., p. 132. Bruxelles, 1872). ^ Voir, dans les Mémoires in-8° de VAcadèmie royale de Belgique, t. XLIV, le savant travail de M. Henri Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XVII^ et au XVIII^ siècle, chap. I, pp. 12 ( 13 ) rapprochement hasardé : le caractère fondameiidal de la neu- tralité moderne, la non-participation rigoureuse à la guerre, n'apparaît guère au XVl^ et au XVII^ siècle. Puissances garantes, État neutralisé violent, lorsqu'ils y ont intérêt, pactes et trai- tés. Lors même que les déclarations sont sincères, les qualités de neutres, comme nous les comprenons aujourd'hui, y sont comme masquées et vaincues par la passivité. Le passage inof- fensif (?ra/is?7M5 innoTius) des armées belligérantes était légitimé, en vertu d'un droit de bienséance, par les juristes de l'ancienne école, Grotius, Wolf et Vattel ^ ; cette concession de passage avait comme conséquences naturelles la liberté d'exercer la discipline militaire, la permission d'acheter — voire d'enlever — les choses dont les troupes avaient besoin, l'autorisation d'oc- cuper les places fortes du territoire. Outre le passagiiim inno- cuiirriy l'État neutre tolérait la levée de volontaires. D'ailleurs aucune doctrine scientifique ne déterminait les droits et les devoirs des neutres ; Fambilion, les intérêts politiques, les con- voitises réglaient ces rapports que le droit strict n'a pas môme encore définitivement arrêtés de nos jours. Si imparfaite qu'elle fût, la neutralité permit à l'Etat liégeois, dans des périodes de tourmente, d'adopter une attitude d'expectative et de se mettre momentanément à l'abri des attaques des adversaires. Le pays qui sentait la nécessité et l'importance d'une telle garantie, saisissait toutes les occasions d'atiirmer, par la voix de ses princes et de sa représentation nationale, cette situation juri- dique privilégiée. Lorsqu'on 1640 la ville de Liège signe un pacte de réconciliation avec l'évêque Ferdinand de Bavière, une des clauses préliminaires de la paix est l'assurance fournie par les trois Etats que la neutralité sera « inviolablement » à 18. — Pour plus amples renseignements, consulter A. Rivier, Principes du droit des gens, t. I, pp. 108 et suiv., Bruxelles, 1896, et Sidney Schop- FER, Le principe juridique de la neutralité et son évolution dans i histoire du droit de la guerre, passim. Lausanne, 1894. 1 Grotius, De jure belliet pacis, livre II, chap. II, § 13. — Vattel, Le droit des gens, livre III, chap. VII, §§ 12-2 et 130. ( 14) observée. Le Souverain et la Cité y donnent leur approbation et promettent « de joindre et employer unanimement et con- » joinctement toutes leurs forces pour son maintien, le droict » et deffence du pays ». Nous aurons l'occasion de voir comment l'oubli de cette sage politique apporta à la principauté les malheurs de l'in- vasion. Un peuple qui a le culte de la liberté, en même temps qu'il cherche à se garantir contre l'ennemi extérieur, se précautionne contre toutes les tentatives du despotisme gouvernemental. A cet égard, l'ancienne constitution liégeoise était un modèle de prudence. L'historien qui étudie cette constitution doit distinguer les institutions du pays de celles de la Cité : des tendances diffé- rentes dirigeaient le gouvernement central de la principauté et l'administration de la capitale. Là, les modifications n'appa- raissent guère; ici, les transformations se succèdent sans cesse. L'étranger faisait aisément la confusion, tant était grande l'im- portance de la Cité dans le mouvement général de l'Etat; sa destinée semblait faire corps avec celle de la principauté. Chef-lieu diocésain de l'évêque, chef-lieu politique du prince, Liège était le siège du Gouvernement, des Etats, des tribunaux suprêmes. L'évêque y était élu par le Chapitre cathédral ; l'élection approuvée par le Saint-Siège et confir- mée par l'Empereur, c'était à Liège que son inauguration officielle avait lieu ; il y prêtait serment de fidélité aux lois et à la constitution du pays. La « capitulation » jurée le jour de l'avènement était pour la nation la garantie de ses paix, de ses privilèges, de ses coutumes ; elle consacrait le passé, elle assu- rait l'avenir. L'Élu s'engageait à être fidèle à l'Eglise et à la patrie, à les défendre envers et contre tous, à n'accepter de pension d'aucun souverain étranger, à ne jamais consentir à la translation de l'église cathédrale; enfin, il jurait d'observer la paix de Fexhe qui, en 1316, avait solennellement consacré ( 15 ) l'état politique de la principauté i ; par sa Joyeuse-Entrée, le nouveau souverain adoptait les principes fondamentaux du régime constitutionnel : il allait devoir régner avec les États. Leur consentement unanime était nécessaire pour la levée d'un impôt '^i seul, l'accord des trois ordres pouvait apporter quelque modification aux lois et aux coutumes du pays, l'en- traîner dans une guerre, dans une alliance avec les puissances étrangères. Le prince n'intervenait dans le pouvoir législatif que par son droit de sanctionner et de promulguer les résolu- tions des États 3; l'exercice de son autorité avait ainsi ses limites dans la volonté de la nation. Les hauteurs judiciaires de l'évéque n'étaient pas moins strictement contenues; toute usurpation de droits rendait le refus de service légitime; le chapitre de Saint-Lambert pouvait en appeler au pays entier et suspendre le cours de la justice. Ce rôle de gardien tradi- tionnel de la légalité lui avait été dévolu dès le XIV« siècle. C'est lui qui dressait la formule du serment, ce qui lui permit d'in- troduire dans les capitulations — à la fin du XVII« siècle notamment — des clauses nouvelles destinées à imposer ses vues et i^ augmenter ses attributions politiques'^. Seul, il con- * A. WoHLWiLL, Die An fange der landstàndUchen Verfassung im Bis- thum Lûttich. Leipzig, 1867, pp. 111 et suiv. — Pour le texte de la paix de Fexhe, voir le Recueil des Ordonnances de la principauté de Liège, l'*^ série, t. I, p. 154. 2 On connaît le vieil adage liégeois : un État, deux États, point d'État; trois États, un État. 2 Le prince convoquait les États; leur session portait le nom de « Journée «. Chaque ordre s'assemblait dans un local distinct. Le chan- celier, véritable premier ministre, ouvrait la journée en exposant la « proposition » du souverain dont il donnait lecture au Chapitre cathé- dral. Les résolutions ou rccès étaient pris à la pluralité des suffrages. Les États se communiquaient les votes par l'intermédiaire de leurs députés ou greffiers. L'accord constituait le « sens du pays » (expression qui se trouve déjà dans un acte du 2 avril 12G4). ^ Am. de Ryckel, Le pouvoir civil des princes-évêques de Liège, 1891. (Conférences de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, 4« sér.) — Pouij^ET, Histoire politique nationale, t. II, §§ 983 et suiv. ( 16 ) stituait l'État primaire et représentait le clergé tout entier ^ ; pendant la vacance du siège épiscopal ou en l'absence du prince, la souveraineté lui appartenait; aucune partie du terri- toire ne pouvait être aliénée ou échangée sans son consente- ment préalable; ses privilèges et ses immunités étaient consi- dérables 2; jaloux de les conserver, il n'y souffrait aucune atteinte et savait résister aux envahissements de l'autorité. Des trois ordres dont se composaient les Etats du pays, l'état noble était celui dont l'influence était la moins grande. Tous les possesseurs de fiefs de la principauté et du comté de Looz en avaient fait partie; mais, au commencement du XVII® siècle, l'ordre n'étant plus exclusivement composé de (( gens assez qualifiés », l'évêque Ernest de Bavière imposa deux conditions essentielles à l'admission des membres; il fallut désormais justifier de la possession d'un grand fief ou « noble tènement » et « faire apparoir, sinon de tous points, du moins de la noblesse du costé paternel » 3. De cette façon, en 1601, la liste de ceux (|ui devaient être convoqués aux journées comprit cent dix-huit noms. Les exigences devinrent de plus en plus sévères; néanmoins, jusque vers la fin du siècle, la législation nobiliaire ne subit guère, dans son ensemble, de notable modification. Le troisième « sire » du pays ou tiers-état comprenait la * Le chapitre delà cathédrale, composé de soixante chanoines ou tré- fonciers, exerçait une sorte de juridictioh sur les églises paroissiales et collégiales de la Cité. On comprenait sous la dénomination de « clergé secondaire » tous les ecclésiastiques des abbayes, couvents, éghses, etc., en un mot tout le clergé liégeois séculier et régulier, masculin et fémi- nin. 11 avait des députés qui veillaient à ses intérêts collectifs et défen- daient la prérogative de l'association de n'être imposée que de son consen- tement; d'où de nombreux conflits avec le chapitre cathédral et les États. 2 Sur l'étendue des droits du corps capitulaire et sa participation au gouvernement de la principauté, voir Wohlwill, ouvr. cité, pp. 46 etsuiv. 5 Mandement du 19 avril 1600. {Recueil des Ordon., 2^ sér., 2e vol., p. 238.) — Voir B"n Misson, Notice sur V ancien état noble de la principauté de Liège et du comté de Looz. Liège, 1884, et de Villenfagne, Recherches historiques sur l'ordre équestre de la principauté de Liège, 1792. ( 17 ) oilé de Liège et vingt-deux villes thioiscs et wallonnes ^. Chaque ville, représentée habituelleuient par ses deux bourg- mestres en fonctions, n'avait en principe qu'une voix; les maîtres de Liège, « présidents-nés » de l'ordre des bonnes villes, avaient deux suHrages au lieu d'un. Les résolutions et votes de l'Etat ne liaient la Cité que si elle accordait son consen- tement. Cette situation spéciale de la ville capitale reposait sur d'antiques privilèges, qui lui avaient donné une personnalité politique, administrative, financière, judiciaire. Augmenter sans cesse les attributs de cette personnalité au point de se détacher entièrement de la principauté, s'ériger en république indépendante et souveraine, maîtresse de son gouvernement, telle était l'ambition chimérique de la fière «cité mère ». N'avait-elle pas des privilèges aussi anciens que ses voisines rhénanes, les villes de Cologne et d'Aix-la-Chapelle? Comme elles, n'était-elle pas en droit d'exercer le pouvoir sou- verain, de réclamer les avantages des \i\\es libres de l'Empire? L'inscription du fronton ainsi que l'aigle à deux têtes aux ailes ne se mêle plus de la réparation des portes, murs, fossés et ponts de » la Cité; mais seulement du pavé des rues de la Ville et des chaus- » sées jusques à certaine dislance, et pour fournir à cette dépense, elle » lève encore l'impôt des chaussées et quelques autres revenus que la » ville lui a accordé. » (de Louvrex, Recueil contenant les édits et régle- mens faits pour le pals de Liège, t. I, p. 451. Liège, 1751.)— L'aligne- ment des rues était confié « aux voirjurés du cordeau », émanation des éclievins, et ne fut jamais du ressort du pouvoir communal, (de Borman, ouv. cité, p. 29.) ( 29 ) édiles curules de Rome. Douze membres, renouvelés annuel- lement le jour Saint- Uoubert, la composaient; elle avait son mayeur, son greffier, son receveur ^. La garde de la maison de ville et des maîtres par le temps était confiée i^i la compagnie des dix hommes, ainsi appelée parce que chaque métier contribuait à sa formation par l'envoi de dix compagnons "^. Quatre compagnies sermentées, les vieux et \e^ jeunes arba- létriers, les vieux et \q^ jeunes an/uebusiers y éiiùent à la dispo- sition des bourgmestres pour défendre les franchises de la Cité. Elles constituaient la milice permanente de Liège. Lorsque le pays était envahi ou la ville en danger, on convo- quait l'armée communale, dont l'organisation était calquée sur celle des bons métiers. in. L'organisation de la Cité, telle qu'elle résulte de l'exposé rapide que nous avons fait en nous appuyant sur le règlement de 1603, attribuait aux trente-deux métiers la quasi-souverai- neté. Les bourgmestres n'étaient que les exécuteurs soumis des 1 C'est la paix des clercs de 1287 qui, en réglant la part de contribution du clergé aux charges communes, a établi la commission de la fermeté. Elle comptait six fermeteurs bourgeois, élus par les métiers, auxquels deux chanoines de Saint- Lambert el quatre chanoines des églises secon- daires de Liège furent adjoints. Ses revenus étaient distincts de ceux de la commune. - La création des X Hommes remonte à 1433. Instituée par les grands, à la suite des troubles suscités par les d'Alhin, la compagnie finit par servir à réprimer les tentatives de réaction et à faire respecter les Chartes consti- luiionnelles. EUeobéissait aux bourgmestres et comptait quatrecapitaines ou « maistres des dix hommes », deux porte-enseignes, quatre sergents et des dizainiers. En cas de nécessité, ils se rassemblaient dans la « Halle des Tanneurs », d'oiî le nom de « Compagnie délie Halle ». En 1640, Ferdinand de Bavière les licencia et confisqua leurs revenus. ( 30 ) ordres du conseil, qui lui-même obéissait aveuglément aux volontés de la généralité des métiers '. Dans cet organisme, il ne semblait pas qu'il y eût place pour l'exercice de l'autorité princière. L'évéque allait cependant s'immiscer dans les atïaires d'intérêt communal et susciter par son intervention inopportune des soulèvements populaires. Ernest de Bavière avait publié le règlement de 1603; son suc- cesseur et neveu Ferdinand - inaugura son règne en le modi- fiant de sa seule autorité. Rien ne justifiait cette conduite impolitique dont l'illégalité ressortait à l'évidence de la teneur même de l'édit que le nouveau Souverain prétendait corriger : aucune interprétation, moditication ou correction, stipulait le mandement de 1603 dans son dernier article, ne pourra être apportée « qu'avec l'advis et adveu de nos bour- guemaistres et généralité des mestiers » '■^. Ferdinand de Bavière semble toutefois n'avoir pas osé assu- mer seul la responsabilité de son abus de pouvoir. Il s'adressa à l'empereur Mathias, qui, par un diplôme en date du 8 octo- bre 1613, abrogea le règlement de 1603 et remit en vigueur le régiment de Heinsberg; on rendait aux commissaires de la Cité la nomination des Trente-Deux électeurs des bourgmestres. Pour assurer la ponctuelle observation de ces dispositions et trancher les contestations que les élections pouvaient faire naître, trois surveillants devaient assister comme témoins et arbitres à toutes les opérations ^. * Aucune résolution importante n'était prise par le conseil sans qu'il s'en référât aux ti-ente-deux bons métiers ; chacun d'eux délibérait sépa- rément et le conseil concluait toujours d'après la décision de la majorité. - Ferdinand de Bavière avait été élu coadjuteur de son oncle, avec droit de succession, le '23 février 1601. Il prit possession du siège épiscopal, le 1"2 mars IGliî, après avoir juré d'observer une minutieuse capitulation. '' L'article 9 de la paix d'Angleur portait déjà : « et demorait li i^ouver- neur de la eiteit si com ilh est ordineit, jusqu'à tant que l'on semblerait à la vilhe de l'amendeir ». ^ C'étaient un déléi^ué de l'évéque, un du chapitre et un du conseil de la Cité. ( 31 ) Ce diplôme fut fort mal accueilli par les Liégeois ; sous l'appa- rence de couper court aux brigues et aux intrigues, il décré- tait l'application d'un système électoral attentatoire aux droits des métiers et imposait le contrôle des délégués du prince et du Chapitre. La Cité mit tout en œuvre pour faire révoquer le nouveau règlement et se refusa à Tobserver. Chaque année, un rescrit impérial en prescrivit l'exécution; mais, dès qu'on voulut l'appliquer, des désordres, des troubles éclatèrent. Au cœur de la ville, les dissensions surgirent; deux partis s'étaient formés, baptisés des sobriquets bien connus de C7//- roux et de Grignoux ^. Les premières luttes se livrèrent devant la Chambre impé- riale de Spire et le Conseil aulique de Vienne; on s'y battit à coups de requêtes et de suppliques. Les plaideurs avaient à leur service des juristes éminents qui, dans des mémoires farcis d'arguments copieux et redondants, s'efforçaient d'expo- ser les griefs et de défendre la justice de leurs thèses. L'historien, devant les exagérations que les passions excitées n'avaient fait qu'augmenter, doit suspendre son jugement. Nous avons vu "^ que les tribunaux impériaux avaient préféré commettre un déni de justice que de trancher la difficultueuse controverse dont l'un des jurisconsultes les plus renommés de l'époque soutenait les deux points avec la même apparence de vérité •^. 1 La plupart des auteurs liégeois fixent à l'année 1633 l'origine de ces dénominations. Le parti du prince reçut le surnom de « Chirou » (qui désigne, en wallon de Liège, l'hirondelle), à cause des habits à la mode, mi-partie de noir et de blanc, qui rappelaient le plumage des hirondelles ; les adversaires prirent la dénomination de « Grignoux w. ^ Voir p. 18. ' L'avocat E. Rausin, délégué par le magistrat de la Cité en 1628 pour défendre près du conseil aulique les privilèges communaux, publia un mémoire sous le titre de Ad sacralissimam caesaream Majestatem in- cLytae civilatis Leodiensis Delegatio, in-4° de 225 pages (1629). Plus tard (1639), Rausin le réfuta en un in-4o de 643 pages, intitulé Leodium. Nous ne voulons pa? détailler les trente-deux ai-guments ipii permettent ( 32 ) L'évêque réclamait le droit de réglementer, diriger, voire d'annuler souverainement les élections communales; il se plaignait en outre de l'exercice du droit édictal dont préten- dait jouir le magistrat de la Cité, de la juridiction civile et commerciale qu'il exerçait; il lui déniait le privilège de convo- quer les milices et d'en nommer les officiers sans son consen- tement. A ces griefs, la ville répondait par des prétentions aussi peu justifiées, refusant au prince tout pouvoir de pro- mulguer cdits ou mandements et ne lui accordant dans ses murs qu'une juridiction criminelle. Ferdinand de Bavière, absorbé par l'administration de son archevêché de Cologne et de ses divers diocèses, n'apparaissait dans la capitale liégeoise qu'à de rares intervalles ^ ; son auto- rité y diminuait de jour en jour, son nom y était détesté. La guerre civile allait se déchaîner; l'intervention des États l'em- j)êcha d'éclater "^. Pour une somme de 150,000 rixdalers, l'évêque vendit sa sanction aux statuts de 1603. Le 20 juin 1631, l'ancien règle- ment fut remis en vigueur avec quelques moditications : pour ])rendrc part au vote, il fallut avoir désormais vingt deux ans, ou être marié ou gradué. Le prince s'engageait de nouveau à n'apporter à cette forme d'élection aucun changement sans l'assentiment des maîtres, du conseil et de la généralité des métiers. Pouvait-on compter sur une paix durable? Kien ne le faisait espérer. Les armées étrangères venaient d'envahir le pays et ni les prières ni les exhortations du Chapitre et des États ne a l'auteur de soutenir que Liège est une cité impériale, ni les vingt-neuf chapitres au moyen desquels il démolit dans son Leodium sa première ihèse. 1 Ferdinand de Bavière fut, comme son oncle, archevêque de Cologne, évêque de Munster, de Paderborn, de Hildesheim, abbé de Stavelot, etc. 2 Les Giignoux étaient dirigés par les deux bourgmestres, Guillaume Beckman et Sebastien La Ruelle. — Voir à ce sujet DauiS; Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVIh siècle, 1. 1, pp. 7,') et suivantes, Ués,e, 1877. ( 33 ) parvenaient ù retenir l'évêque dans la principauté. Ballotté entre les sollicitations de l'Espagne et de la France, que ne s'inspirait-il de la politique de son prédécesseur Gérard de Groesbeck? En défendant le territoire, on eût oublié les divi- sions intestines. 11 eût fallu déjouer les intrigues diplomatiques de Kichelieu et de ses agents, conserver vis-à-vis de la maison de Habsbourg une attitude neutre et bienveillante. C'était là un rùle qu'un homme d'État fermement dévoué à son peuple eût rempli glorieusement, mais qu'un prince indécis et impoli- tique devait trouver au-dessus de ses forces i. Ferdinand préféra requérir l'intervention de Jean de Weert et confier à ses bandes croates, dont les ravages désolaient le pays, la répression du soulèvement que sa conduite détiante et maladroite venait de susciter dans la Cité "^. Cette demande de secours fut bientôt suivie d'une autre adressée au cardinal infant, gouverneur des Pays-Bas; double violation flagrante de la constitution liégeoise, car l'évêque ne pouvait conclure d'alliance sans l'assentiment des États <^. Tandis que la cour de Bruxelles, soucieuse de ménager ses intérêts déjà fort compromis dans la ville de Liège, prenait une altitude temporisatrice, la Cité, séduite par la politique adroite du premier ministre de Louis XIII, demandait à la France aide et protection ^. La patrie était livrée à l'étranger, le plat-pays décimé par les bandes armées, pillardes et meurtrières, la capitale en proie aux * Quant au caractère de Ferdinand de Bavière, voir son portrait dans LoNCHAY, mémoire cité, pages 31 et suivantes. Il se donnait à lui-même la qualité de « prince absent ». - En 1636, Ferdinand ayant convoqué les Étals du pays, non à Liège, comme l'usage le voulait, mais k Huy, des désordres éclatèrent dans la Cité. ^ Dans sa capilulalion (article 20), l'évêque en avait renouvelé le ser- ment. Voir le Recueil des Ordonnances, 2e sér., 2« vol., p. 307. * Au sujet de la politique de Richelieu et de l'Espagne vis-à-vis de Liège et de Ferdinand de Bavière, consulter Lo>xhay, ouvr. cité, parti- culièrement le chapitre III. Tome LIX. 3 (34) désordres de la guerre civile. L'assassinat de La Ruelle imprima à la tourmente un caractère nettement révolutionnaire, que 1rs intrigues du gouvernement français exploitèrent habile- ment. Abandonné par l'Espagne — elle-même épuisée, saignée à à blanc, — inquiet des progrès du protestantisme dans son diocèse colonais, l'évéque entra en composition avec ses sujets. La paix fut signée à Tongres le 26 avril 1640 et placée sous l'égide de la neutralité. On y stipulait que les élections magistrales se feraient suivant le règlement de 1603 et l'addition de 1631, et que la religion catholique serait seule désormais tolérée dans la principauté. Cette paix, dont la conclusion déconcertait les agitateurs français et espagnols, est connue dans l'histoire de Liège sous le nom de paix fourrée; les Grignoux n'avaient pas tort de la croire fourrée de perfidies et de malices... A la faveur de l'amnistie, les Chiroux exilés étaient rentrés dans la Cité ; ils s'emparèrent du pouvoir et l'exercèrent avec violence et partialité. Pour échapper aux mesures vexatoires de la réaction, beaucoup de Grignoux se retirèrent à Maestricht, attendant la fin du régime d'oppression et de terreur, ménageant, de concert avec le résident français i, le retour de leurs partisans au Conseil de la Cité. Les événements de la Saini-Grignou^ rétablirent leur autorité, non sans que le sang eût coulé dans les rues. Cette politique de bascule, qui signalait le triomphe des uns par les persécutions et le bannissement des autres, devait finir misérablement dans l'épuisement des deux partis. Chaque victoire était l'occasion de dissensions plus aiguës, de nouveaux abus d'autorité s. La population demandait la tranquillité 4-. * A l'abbé de Mouzon avait succédé à Liège, comme agent français, le président Antoine de Lumbres. 2 Les 25, 26 et 27 juillet 1646. 5 Le conseil communal s'attribua le pouvoir judiciaire de la Cité. Voir, sur ces événements, Hénaux, Histoire du pays de Liège, t. II , p. 43o. Liège, 1874, 3^ édition. * On appelait « poplouroux » les gens paisibles qui ne voulaient de la domination ni des Grignoux, ni des Chiroux. ( 35 ) Ni les Grignoux, ni les Cliiroux n'étaient capables de la lui don- ner. La ville était prête à se soumettre au pouvoir fort. Le prince avait la partie belle : à l'extérieur, les puissances, absorbées par les négociations de Munster et d'Osnabrùck, ne pouvaient s'occuper de la turbulente Cité; à l'intérieur, au sein du parti grignou, la désunion régnait; jaloux d'obtenir les faveurs populaires, les chefs se combattaient avec véhémence. Ferdinand arriva à Visé entouré d'une escorte de Chiroux. Le 10 août 1G48, il s'avança vers Liège. Les métiers étaient sous les armes, les portes de la ville étaient fermées. L'évéque dut reculer. Il transporta le siège du gouvernement à Huy,oii il comptait de nombreux partisans, et y convoqua les tribunaux et les corps administratifs. Puis il quitta le pays, confiant à son neveu Maximilien-Henri de Bavière le soin de rétablir son autorité dans la commune rebelle. La répression fut sanglante. Dès le début de sa vie politique, Maximilien se signalait par des actes de violence et de despotisme; à la veille de sa mort, trente-cinq ans plus tard, ses dernières mesures seront em- preintes des mêmes caractères de tyrannie et d'oppression. ( 36) CHAPITRE ÏI. AVENEMENT DE MAXIMILIEN-HENRI DE BAVIERE. Maximilien-Henri de Bavière et le siège de Liège. - Attitude de Mazariu. — Dissen- sions intestines. — Sortie des Grignoux. — La paix de Saint-Gilles et le règle- ment de i649. — Despotisme du prince. — Maximilien de Bavière est nommé coadjuteur. — Le pays est envahi par les armées étrangères. — La citadelle de Sainte-Walburge. — Élection de Maximilien. — Caractère du nouvel évéque. — Son entourage. — François Egon et Guillaume Egon de Furslenberg. - Dépré- dations financières. — Mécontentement de la Cité. — La répression. — Les Lor- rains et le prince de Condé. — Le traité de Tirlemont. I. Ferdinand de Bavière, accablé par l'âge et dégoûté du pou- voir, avait depuis plusieurs années manifesté le désir d'aban- donner l'administration de ses bénéfices ecclésiastiques. Déjà il avait obtenu du chapitre métropolitain de Cologne, la coad- jutorerie cum successione de l'archevêché pour son neveu Maximilien 1, et lui-même était venu solliciter celle de l'évêché de Liège des chanoines tréfonciers de Saint-Lambert. Cette démarche personnelle paraissait nécessaire, car sa politique antipatriotique, ses absences continuelles de la principauté avaient aliéné à la maison de Wittelsbach les sympathies de nombreux membres du corps cathédral'^, et la candidature du 1 10 février 1642. La contirmation papale est en date du 19 juin de cette année. (A. D., Domstift zu Coin, reg. n*^ 326.) - Plusieurs chanoines désiraient ne plus donner leurs suifrages à un prince bavarois pour ne point perpétuer l'évêché dans la même famille. (A. E., Fonds de Liège, t. II, f» 22. Gorr. du résident A. de Lumbres.) ( 37 ) prince de Conti avait même été proposée par les partisans de la France. La fidélité persévérante de la Maison de Bavière à l'Église romaine assurait à Maximilien l'appui du Saint-Siège; mais, pour gagner les votes des chanoines liégeois, pour avoir raison de leur esprit vénal et besogneux, il fallait recourir k des recommandations plus solides. L'hostilité de la Cité avait obligé l'évêque à différer l'exé- cution de son projet. L'évéché de Liège, un des plus convoités des diocèses alle- mands, était depuis quatre-vingts ans possédé par des princes bavarois. Maximilien-Henri, qui venait de quitter les bancs de l'école de théologie, le considérait déjà comme un des béné- fices dont la titulature lui était réservée en vertu d'un droit presque héréditaire i. Entouré de conseillers qui ignoraient tout autant que lui le caractère de la population liégeoise, il recourut aux armes pour s'emparer de la capitale de l'évéché. Tous les corps constitués du pays ne s'étaient pas transportés à Huy à l'invitation de l'évêque Ferdinand'-^. Soit par dévouement à la cause populaire, soit par fidélité aux traditions nationales qui s'opposaient à la translation de l'église cathédrale et aux réunions des Etats en dehors de la Cité, soit aussi par contrainte et violence, plusieurs chanoines, parmi lesquels le grand-doyen (iilles de Bocholt, restèrent à * C'était la loi domestique de la maison de Wittelsbach que les cadets eussent à entrer dans les ordres et à se contenter d'apanages. La pragma- tique sanction, signée par Albert le Sage en 1506, avait proclamé l'unité et l'indivisibilité de la Bavière et établi la primogéniture comme ordre de succession. Pour la généalogie de Maximilien-Henri, voirCH. Haeutle, Généalogie des erlaucliten Stanunhauses Wittelsbach. Munich, 1870. 2 C'est un mandement du 3 octobre 1648 qui transféra à Huy les corps de justice civils et ecclésiastiques. {Recueil des Ordon., 2^ sér., 3® vol., p. 160.) Une ordonnance du 10 novembre déclara nuls tous les décrets et sen- tences que rendraient les juges qui avaient continué d'exercer leurs fonc- tions dans la Cité. (Receuil. des Ordon., 2^ sér., 3^ vol., p. 161.) (38) Liège • ; il en fut de même de quelques membres du siège des vingt- deux 2. Le Conseil de la Cité, déférant aux avis du résident français, avait imploré l'aide de la Cour de F^aris; mais sa demande n'avait pas été accueillie favorablement 3. Mazarin désirait ne pas blesser la Maison de Bavière qui se rapprochait insensible- ment de la France '*, et il ne se souciait guère d'envoyer des troupes qui eussent occupé la principauté en faveur du prince de Conti, l'un des chefs de la Fronde naissante. La Cité était donc livrée à ses seules forces ; les bonnes villes la jalousaient trop vivement pour la secourir dans une lutte dont elles redoutaient l'issue; déjà les troupes bavaroises, ren- forcées de régiments impériaux, avaient pénétré dans le pays; * Treize chanoines tréfonciers restèrent à Liège et publièrent dos pro- testations contre la translation du siège épiscopal et l'évocation des tribunaux. (Dauis. ouvr. cité, t. I, pp. 262 et suiv.) - Le Tribunal des XXH, créé |)ar la Lettre des Vingt-Deux (6 juin 1343) et organisé par une série de paix, notamment par la Paix des Vingt-Deux (2 décembre 1373), constituait l'institution liégeoise la plus justement célèbre et populaire. Il était chargé de vider les conflits entre le souve- rain et la nation, de recevoir les plaintes contre les officiers du prince; il connaissait de tous les abus d'autorité des agents du pouvoir. Il était composé de vingt-deux membres renouvelés tous les ans le 13 décembre; l'état primaire et l'état noble en élisaient chacun quatre et l'état tiei's, quatorze. On appelait des sentences de ce tribunal aux Réviseurs des XXII, qui étaient également à la nomination des États Le prince ne pouvait être cité devant les XXII, mais on pouvait y traduire le chancelier qui était toujours obligé de signer les actes émanant de l'évêque. 2 Le sieur Denis Perot fut envoyé deux fois à Paris pour représenter à Mazarin l'état du pays et implorer sa protection. L'archevêque de Cologne avait dépêché de son côté le comte de Wagnée poui' prier le premier ministre de ne point secourir la ville de Liège, promettant d'observer une stricte neutralité dès qu'il se serait rendu maître de la Cité. (A. E., Fonds de Liège, t. II. Relation du s^ de Lumbres de ce qui s'est passé à Liège en 1646-1650.) ^ A. E., Fonds de Liège, t. II. Acte du 20 mars 1648. — Chéruel, Miiïo- rité de Louis XIY, t. II, p. 54, cité par Lonchay, mém précité, p. 79. (39) le !25 juillet 1649, elles campaient devant Liège i. Le moment était habilement choisi, à la veille des élections. La ville, divi- sée par les intrigues et les cabales, semblait à la merci d'une surprise. Maximilien pouvait espérer que la présence d'une partie de ses troupes exciterait le zèle de ses partisans. Son attente futdévue; sa première attaque fut repoussée et il se résolut à investir la Cité -. L'imminence du péril ne parvint pas toutefois à apaiser les rivalités et les dissensions. Au lieu de pourvoir à la défense de la place, les magistrats s'entre-déchiraient, se reprochant les uns aux autres les malheurs publics, trouvant dans les moin- dres mesures matière à suspicion et à calomnie. Un des bourgmestres proposait-il d'appeler de nouvelles troupes, aussitôt son collègue criait à la trahison, accusation qui, pen- dant les temps de troubles, a toujours prise sur la crédulité de la multitude '■^^ La discorde s'était même introduite parmi les quelques cha- noines qui étaient demeurés dans la Cité, où le décanat, devenu vacant, était âprement disputé '*. Liège était toute aux factions. * L'Électeur de Cologne avait vainement fait ap})el aux milices rurales ; elles s'étaient refusées à marcher contre la Cité, disant « qu'elles ne voulaient estre contre le Chapitre de Saint-Lamhert et la ville, capitale du pays, ni entrer dans la ligue de Westphalie ». (A. E., Fonds de Liège, t. II. Corr. du résident A. de Lumbres, i° 113.) Le prince-évéque s'était également adressé au gouvernement des Pays-Bas espagnols qui lui avait fait une réponse évasive. (Philippe IV à Léopold, Madrid, 11 juillet 1649. S. E. E., t. LXVIIl, f" 180.) - A. E., Fonds de Liège, t. II, Relation du s»" de Lumbres. •' Le bourgmestre Mathieu Hennet avait voulu lever trois mille fantas- sins et six cents cavaliers; mais son collègue Roland, homme ambitieux et intéressé, s'y était vivement opposé, craignant que ces troupes ne pussent soutenir l'élection du frère de Hennet, candidat à l'office de bourgmestre. Pour le caractère de ce Roland, voir Lo.n'Chay, mém. cité, p. 69. * A la mort du doyen Gilles de Bocholt (7 mai 1649), les chanoines demeurés à Liège firent citer leurs confrères de Huy pour procéder à (40 ) Une sortie, tentée par quelques centaines de Grignoux, avec plus de témérité que de prudence, échoua misérable- ment ^, jetant la panique dans tous les cœurs. Des bourgeois cherchèrent à s'évader dans la crainte d'être comptés au nom- bre des rebelles. La défiance et la terreur augmentèrent encore lorsque l'ancien bourgmestre Roland eut abandonné son com- mandement 2. Les plus intrépides perdaient courage. Il ne restait plus que de composer avec le coadjuteur de Cologne; mais Maximilien ne voulut entendre aucune proposition tant que la porte Sainte-Walburge ne lui eut été livrée. Cependant sous le canon des assiégeants qui abattaient les murailles de l'abbaye de Saint-Laurent, les « citains » n'avaient pas fait trêve à leurs luttes, les uns réclamant une défense héroïque, les autres désirant la paix. Le bourgmestre Bouille était au nombre de ces derniers 3 ; des négociations avaient l'élection d'un doyen. Mais ces derniers, qui prétendaient constituer le corps cathédral légitime, choisirent à Huy Maximilien-Henri. A Liège. deux compétiteurs se disputèrent la dignité : l'archidiacre Ferdinand de Bocholt et le baron A. de Leerodt. Celui-ci fut élu; de Bocholt, mortifié de son échec, quitta aussitôt la ville. (A. E., Fonds de Liège, t. IL Relation du s»- de Lumbres.) * Le bourgmestre J, Hennet périt dans la sortie de Jupille (11 août): la clef magistrale, dont il fut trouvé nanti, fut envoyée à Maximilien-Henri. On trouvera les détails de la prise de Liège dans le Rerum Leodiensium status, anno MDCLIX, dont M. Alexandre a publié en 1885 une reproduc- tion et une traduction dans les Bibliophiles Liégeois et dans le Theatrum eiiropaeum, t. VIL Francfort, 1663, pp. 783 et suiv. - La milice était répandue dans les quartiers les plus menacés et com- mandée par quatre bourgmestres sortis de charge : Bex, Wilmar, Roland et Jamar. Mais Roland, qui commandait le quartier d'Outre-Meuse, s'étant imaginé qu'il y avait danger pour lui de demeurer parmi « un grand nombre d'artisans, gens remuants et de peu de foi », quitta son poste. (A. E., Fonds de Liège, t. IL Relation de A. de Lumbres.) ^ Les historiens liégeois l'ont accusé d'avoir trahi pour un peu d'ar- gent la cause populaire. Les contemporains lui reprochaient déjà d'en- tretenir, pendant le siège, une correspondance secrète avec le prince et d'avoir ménagé l'entrée des troupes bavaroises dans^la Cité. (A. E., Fonds de Liège, t. II. Relation du s"" de Lumbres.) ( 41 ) été entamées par son intermédiaire avec le général impérial Sparr au monastère de Saint-Gilles i. Sur ces entrefaites, les habitants d'Outre-Meuse ouvrirent les portes aux Bavarois, mettant par leur trahison la ville à la discrétion du vainqueur et la privant de l'espoir d'une soumission honorable. Le 31 août 1649, Maximilien, accompagné de son Conseil Privé, pénétra dans Liège; il ratifia le traité de Saint-Gilles '^\ les termes en étaient modérés, mais les actes du jeune prince le? démentirent bientôt. La répression fut sanglante. Tandis qu'un Te Deiim, chanté à Saint-Lambert, célébrait la victoire du despotisme, on livrait au bourreau les princi- paux chefs du mouvement populaire; le bourgmestre W. Hen- net fut le premier décapité 3. La ville était terrorisée; la cavalerie campait sur toutes les places. L'infanterie était logée dans les habitations des bour- geois suspects 4-: toute tentative de résistance était férocement réprimée et les « kaiserlick », aveugles dans leur répression, 1 Sur Otto Ghristof von Sparr, General-Feldzeugmeister et comman- dant des troupes du cercle de Westphalie (environ 5,660 h.), voir Theodor VON MôRNER, Mlirkische Kriegs-Obersten des siebenzelinten Jahrhunderts. Berlin, 1861, pp. 151-203. - Recueil des Ordonnances de la principauté de Liège, 3^ sér., 3« vol., p. 168. ■' Hennet fut pris par Ch. Nouille, qui avait été son ami et qui « man- geait tous les jours à sa table ». Roland fut arrêté par des Allemands pendant qu'il s'enfuyait. Il fut exécuté le :25 septembre. {Chronique inédite sur Liège, Bibl. Goethals, ms. n" 169, p. 383.) * Les milices ayant été supprimées, on avait confié aux Bavarois la police de la ville. Ils en profitèrent pour piller toutes les boutiques, enlever de la Violette les munitions de guerre, abattre la statue de Beckman. Les métiers se réunirent pour la dernière fois « sur leurs cliam- bres » le 6 septembre; ils accordèrent au général Sparr une gratification de 100,000 écus. Chaque bourgeois reçut l'ordre de fournir, outre le loge- ment et la nourriture, 40 patards par jour à chaque soldat. Mais cela ne suffisait pas à la soldatesque qui ruinait et pillait tout ce qu'elle rencon- trait. {Histoire dupays de Liège depuis son origine jusque Van i672, Bibl. Un. Liège, ms. n» 656.) (42) n'épargnaient ni Grignoux ni Chiroux. L'ordre ainsi rétabli, l'évêque Ferdinand annonça son arrivée dans la mutine capi- tale; ses partisans lui firent une réception triomphale; le magistrat humilié lui remit les clefs des portes, symbole de l'autonomie communale ^. Les princes bavarois n'estimaient pas l'expiation suffisante ; de nouveaux soulèvements pouvaient éclater; il fallait en pré- venir le retour. Le meilleur moyen, à leurs yeux, était d'anéan- tir le régime démocratique, de supprimer l'action politique et les privilèges des métiers dont la puissance était une menace journalière à l'autorité épiscopale. La réforme électorale du 23 septembre 1649 cassa le règle- ment de 1603 et priva les Liégeois d'une partie de leurs droits électoraux '^. Le prince intervenait désormais dans les élections des bourgmestres et des jurés, dont le nombre fut réduit à trente. Les candidats à ces fonctions étaient désignés moitié par lui, moitié par les commissaires. Les maîtres et jurés en charge choisissaient leurs successeurs dans les deux listes 3 qui leur étaient ainsi soumises; mais l'un des bourgmestres et quinze conseillers devaient toujours être pris parmi les can- didats de l'évêque. Le conseil n'était plus le représentant de la commune liégeoise : il devenait l'organe de la volonté prin- cière 4. Le despotisme ne connaît ni prudence ni mesure : Ferdi- 1 Le 16 septembre 1649. Le peuple donna à la capitulation le nom de « Maie Saint-Gilles ». - Le texte de l'édit et de la déclaration interprétative du 5 juillet 1650 se trouve dans le Recueil des Ordonnances, 2^ sér., 3^ vol., pp. 169 et 184. Des additions furent faites les 10, 18 et 24 juillet 1652 et le 7 août 166o. •' Sur chacune des listes figuraient les noms de vingt-deux personnes (voir le Mandement additionnel du 27 septembre 1649. Conseil privé, reg. no 136, Guerres civiles, p. 9). ^ Le siège des maitres et jurés fut aboli ; ses attributions judiciaires furent dévolues aux échevins et au Conseil Ordinaire du i)rinee; seule la connaissance des affaires relatives aux deniers publics et aux métiers lui fut laissée, sauf le recours au prince ou à son Conseil privé. ( 43 ) nand de Bavière voulait l'anéantissement des métiers, de ces trente-deux corporations toujours en éveil et fières de leur libre administration. L'édit de 1(349 les dépouilla de toutes leurs attributions poli- tiques et administratives et interdit leurs assemblées publicjues et privées. Il les priva du droit de discuter dans leurs chambres les intérêts de la commune, de voter l'établissement des impôts, d'assister au rendement des comptes du rentier, d'écouler sur la place publique le « remerciement » des bourgmestres, le jour de la Sainte-Marie-Madeleine ^ ; enfin, leurs revenus furent confisqués et leurs biens réunis h la Cité '^. l.'évêque voulait effacer à jamais les souvenirs trop vivants d'un passé trop glorieux; il supprima les quatre compagnies sermentées, les processions -^ qui, chaque année, commémo- raient les victoires de la liberté sur la tyrannie et où les métiers déployaient avec orgueil leurs enseignes symboliques '*. Mais une humiliation plus sensible était réservée aux corps d'arti- sans : l'élection de leurs gouverneurs leur fut enlevée ^ et dévolue au nouveau conseil communal 6. 1 Voir p. 23. « Les comptes des deniers de la cité se rendront chaque année par- » devant douze personnes, savoir six à députer de nostre part, trois de la » ))art du conseil de nostre cité, et trois de la part des commissaires, y » |)résens ou appelles les deux bourguemaistres de l'an précédent. » (Réforme de 1649, art. 7. Recueil des Ordon., 2^ sér., 3« vol., p. 170.) 2 Conseil privé. Dépêches, reg. K. 46. Mandement du 10 septembre 1630. "' La procession des Écoliers et celle du tir de la « papegaye » furent interdites. '' L'enseigne du métier s'appelle « cresset ». '" Depuis 1343, chaque métier nommait librement deux gouverneurs qui le représentaient, veillaient à l'observation des statuts et avaient le droit de l'assembler aussi souvent qu'ils le jugeaient convenable. Pour l'organisation interne des métiers, voir St. Borm.\ns, Le bon métier des drapiers de la cité de Liège. (Bulletin de la Soc. liég. de littér. \yall., t. IX, 1867.) — BoRMANS, Le bon métier des tanneurs de la cité de Liège (même recueil, t. V, 1862). •'■ Voir aussi le mandement du 25 août 16o4. {Conseil privé, Guerres civiles, vm. n» 136.) ( 44 ) La Cité, si longtemps libre et indépendante, était bridée; la réaction avait détruit en un jour des conquêtes séculaires. Ferdinand était le maître; il jugeait que le moment était venu de forcer les chanoines de Saint-Lambert à remettre la coadjutorerie de l'évêché entre les mains de son neveu. Maximilien n'avait plus à craindre de compétiteur : le prince de Conti conspirait contre le gouvernement de Mazarin, en attendant d'être interné à Vincennes; et dans le Chapitre, la plupart des Tréfonciers, gagnés par les promesses de dignités ou intimidés par les menaces, s'étaient ralliés à la candidature du jeune prince bavarois i. Maximilien fut « postulé » '^ ; quelques chanoines, a patriotes sincères», rédigèrent une protestation énergique et l'envoyèrent à Rome 3. Mais le Saint-Siège n'avait rien à refuser à la famille de Wittelsbach : l'élection fut confirmée -K 1 C'est ainsi que dans l'espoir d'obtenir le décanat, l'archidiacre F. de Bocholt alla jusqu'à improuver tout ce qui avait été fait à Liège pendant la révolution. - Le 19 octobre 1649. Tandis que pour l'élection la majorité des voix sufïîsait, la « postulation » exigeait les deux tiers des voix. Le chanoine qui ne réunissait pas toutes les conditions d'éligibilité, soit qu'il possédât un bénéfice incompatible avec la dignité épiscopale, soit qu'il n'eût pas l'âge réglementaire ou qu'il ne réunit pas le nombre de voix requis, était obligé de s'adresser par voix de postulation au Pape, qui pouvait ne pas tenir compte du vote. ^ Avant l'élection, six chanoines se retirèrent et protestèrent contre la nomination d'un coadjuteur; c'étaient l'archidiacre de Chockier et ses deux frères, Conrad de Bourgogne, Bredam et le doyen de Leerodt. ^ Maximilien reçut, le 8 août 1650, les brefs de confirmation. Le lende- main, il prit officiellement possession de la coadjutorerie. (Concl. capit., reg. no 153.) ce Ce ne furent que feux de joie ; mais plusieurs en faisaient plus par » mode d'acquit que poussés par un motif de réjouissance pour ne pas » être reconnus Grignoux extérieurement. Mais quoi? Il fallait dancer à » la cadence. » (Chronique du XYII^ siècle, Bibl. Brux., ms. n» 18672.) ( 45 ) 11. Le pays avait besoin d'un souverain à la fois énergique et bienveillant, ferme dans sa politique extérieure, juste vis-à-vis de ses sujets; il allait subir sous le prince qu'on lui imposait et qui avait révélé, dès ses premières mesures, les tendances politiques de ses ancêtres, des souffrances plus vives et plus cruelles encore. La paix de Westphalie n'avait pas réconcilié la France et l'Espagne; les bandes mercenaires occupaient les loisirs d'une suspension d'hostilités en saccageant les contrées qu'elles par- couraient. La principauté de Liège, par sa position mitoyenne et son renom de prospérité, devait attirer leur convoitise. Déjà Charles de Lorraine avait couvert de ses troupes pillardes la Hesbaye et l'Entre-Sambre-et-Meuse ^ ; la France, par l'organe de son résident à Liège, faisait entendre un langage mena- çant 2 ; l'armée suédoise campait non loin de la Meuse et réclamait avec insistance l'indemnité de guerre qui incombait à la principauté comme membre d'un cercle d'Empire 3. Maximilien, en présence de ces difficultés, recourait aux Etats et faisait voter impôt sur impôt 4. Dans l'appréhension ^ Le comte de Salm et le baron de Clinchamp commandaient les troupes lorraines. Sur leurs ravages dans le pays de Liège, voir la notice que M. Piot a publiée dans le Bulletin de la Commission royale d'his- toire, Les Lorrains au pays de Liège, t. II, 1875, ¥ sér., pp. 361-377. - Voir la lettre que la reine régente écrivait aux États, le 17 décembre 1649, et la proposition verbale que de Lumbres fit au Chapitre le 3 jan- vier 1650. La France menaçait de faire prendre par ses troupes des quar- tiers d'hiver dans la principauté. {État noble, Journées, reg. K. 99.) •' En vain les Liégeois, se fondant sur leur neutralité, refusaient de payer la contribution s'élevant à 99,200 florins. Les troupes suédoises entrèrent dans le pays. * Dans l'espace de dix mois, le coadjuteur convoqua six fois les États pour leur faire voter de nouveaux impôts. (A. H. Corr. de Jacob Vander Burgh aux États Généraux. Liège, % octobre 1649. — Bibl. Brux., ( 46 ) de nouveaux soulèvements, il se refusait à licencier les troupes bavaroises ', et ces milices augmentaient, par leurs exactions et leurs désordres, les misères des populations déjà appauvries et pressurées. Ainsi le pays était ruiné par ceux-là mêmes qui auraient dû le défendre 2. En vain, les trois ordres et le conseil de la Cité émettaient quelques timides protestations ^ ; le coadjuteur n'en avait cure; l'obstination lui tenait lieu d'énergie. Il préparait un nouveau coup de force : l'érection d'une citadelle destinée à dominer la ville de Liège, à la maintenir dans l'obéissance. Chiroux et Grignoux, dans un élan unanime d'indé- pendance, réclamèrent le respect des traditions et des fran- chises, le retour des libres institutions •*. iMais les plaintes et Leodiensis, t. IV. Description du rapport des vitres et bonniers, Liège, 1651. — Historia populi leodiensis, tomus terlius, 1650 et 1653.) 1 Déclaration du 7 janvier 1650. (État noble. Journées, reg. 100 Pro- positions des princes de 1649 à 1661). Maximilien avait conservé à Liège deux mille fantassins et deux cents cavaliers sous le commandement du baron de Pesches, seigneur de Chodre. ' « Plusieurs pauvres bourgeois n'ayant qu'un lit sont obligés d'en » servir le soldat et de se tenir à la paille. L'étranger fait le maître dans » sa maison; il le voit tenir le plus beau du feu avec ses enfants et sa » femme, car pour l'ordinaire l'Allemand conduit tout son attiraille avec » soy. » (Chronique du XVII» siècle. Bihl. Brux., ms. n» 18672.) 3 Voir Daris, ouvr. cité, t. I, pp. 285 et suiv., et particulièrement dans le registre K. 99, Étal noble. Journées, les protestations des 6 décembre 1649 et 2 février 1650; dans le registre 153 des Décrets et Ordonnances, la conclusion capitulaire du 9 février 1650; dans les registres aux recès de la noble cité de Liège, les recès des 3, 11, 16 et 24 décembre 1649, 4 et 30 janvier, 7 février et l^r mars 1650. ^ Le conseil de la Cité, au lendemain du soulèvement de 1649, avait été contraint de se soumettre au nouveau règlement électoral. Les bourg- mestres P. de Wanzoulle et G. Bouille étaient d'ailleurs deux créatures dévouées à i'évêque. Les mesures despotiques du coadjuteur provoquèrent rapidement des protestations, dont la plus énergique, du 31 mars 1650, énumère toutes les innovations introduites au préjudice des libertés et forme un acte d'accusation complet contre le gouvernement de Maximi- lien. {Recès de Liège, 1650.) ( 47 ) les prières ne firent qu'accroître la ténacité de Maximilien. Sa soldatesque s'empara des habitations, rasa jardins, vignobles, houblonnières; puis, à coups de bâton, faubouriens et citains durent eux-mêmes bâtir la forteresse sur l'emplacement que leurs ancêtres avaient eu tant de peine à acquérir *. C'était la servitude militaire imposée à jamais. La Cité, dans ces circonstances difficiles, s'était adressée au roi de France '^. Mazarin jugeait une intervention prématurée : tout en désapprouvant la conduite de Maximilien, il n'osait le contrarier. Il promit la protection royale aux Etats et à la ville de Liège ^, mais poursuivit dans la principauté sa politique de corruptions et d'intrigues. Une Fronde « au petit pied » venait d'éclater dans le pays. Quelques membres de Tétat noble avaient protesté, au nom de la liberté et de la neutralité, contre la construction de la cita- delle et l'établissement de la garnison de Sainte- Walburge ^. Une ligue, soutenue secrètement »> par le résident français de Lumbres, s'organisa dans le but de recouvrer les privilèges et d'abolir les impôts. Mais elle ne rencontra aucun accueil dans * « Pour essuyer leurs larmes, on leur disait « vous serez payés de » tout ; Son Altesse est assez riche pour vous rendre contents ». Je ne » vous diray pas quelle monnoye ils en ont reçu, vu que je n'estais pas » présent quand ils ont été payés. » (Fragment de chronique liégeoise, publié dans le tome II du Bulletin des bibl. liégeois, p. 83.) - A. E., Fonds de Liège, t. II, f° 164. » La pauvre désolée ville de Liège demande le secours de S. M. T. C. » •'• Recès de Liège, 1650, S. M. T. C. aux bourgmestres, jurés et conseil de Liège. Gompiègne, le 19 juin 1650. — État noble. Journées, reg. K. 99, f° 216. Le roi de France aux États du pays de Liège, 19 juin 1650. * La protestation est du 20 août 1650. (Daris, ouvr. cité, t. I, p. 291.) Les États n'osèrent pas s'opposer à l'érection de la citadelle. Le coad- juteur ne les avait toutefois consultés qu'au sujet de la construction d'une caserne destinée à soulager les bourgeois des logements militaires. •' A. E,, Fonds de Liège, t. IL Relation de A. de Lumbres. Quelques compagnies de cavalerie hessoise avaient également pris leurs quartiers dans le pays. ( 48 ) la Cité ni dans le plat-pays et dut, en désespoir de cause, appe- ler à son aide Charles de Lorraine, chevalier errant toujours en quête, pour ses soudards, de pilleries et de ravages. La principauté fut envahie. L'exemple des Lorrains enhardit les Suédois qui franchirent la Meuse et se répandirent dans la Hesbaye. Pendant cette calamité publique, le coadjuteur se retirait à iMontaigu pour y faire un pèlerinage. La mort seule de son oncle lui fit quitter sa retraite ^. Jusque-là l'administration de Maximilien avait été funeste à la principauté qu'il n'avait pas su défendre contre les incur- sions des troupes étrangères, fatale à la Cité à laquelle il avait enlevé ses libertés 2. Comme coadjuteur de Liège, il avait à la fois régné et gouverné pour le malheur du peuple; comme prince-évêque, c'est à peine s'il allait régner, laissant à d'autres le soin de gouverner. Ferdinand avait préparé à son neveu une succession bril- lante : à 30 ans, Maximilien-Henri se voyait titulaire de l'ar- chevêché de Cologne, d'un électoral du Saint-Empire et de multiples bénéfices rhénans et mosans; héritage redoutable pour un homme sans aptitudes politiques ni administratives 3. Le nouvel cvêque de Liège était un dévot sincère, de mœurs ascétiques; on ne lui connaissait qu'une passion, l'alchimie; * Ferdinand de Bavière mourut à son château d'Arnsberg, en West- phalie, le 13 septembre 16d0. - Le dernier acte d'administration de Ferdinand fut l'édit par lequel il commanda à tous les gretliers et rentiers des métiers de remettre au conseil de la Cité les registres, revenus, livres de rentes et autres arcliives des corps de métiers. {Recès de Liège, -4 septembre 1650. — Conseil privé, dépêches^ reg. K. 46. Mandement du 10 septembre 1650.) 5 Les évèchés de Munster et de Paderborn lui échappèrent et échurent à Christoph-Bernard von Galen, le 14 novembre 1650. (Karl Tucking, Gescliichte des Stifts Mïmster unter Christoph Bernard von Galen, 1865.) ( 49 ) il y donnait son temps et ses efforts d'intelligence K Mécon- naissait-on son autorité ou contrariait-on ses manies, il deve- nait entêté et despote; mais sa nature indécise, son apathie instinctive reprenaient vite le dessus, et, retiré dans son ora- toire de Brùhl 2 ou entouré de ses alambics, il ne se souciait plus du tracas des affaires et des ennuis de la politique. Incapable de prendre une résolution, de diriger sa volonté, Maximilien-Henri était le jouet de ses favoris. Rarement on le consultait; ses conseillers régnaient à sa place. Dans son entourage, deux hommes avaient capté sa con- fiance; bien que plus jeunes que lui, les comtes François-Egon et Guillaumc-Egon de Furstenberg 3 étaient parvenus à le dominer entièrement. Enfants, ils avaient été ses compagnons de jeux et d'études •^; à Cologne, assis sur les bancs du collège * Voir Arnaud de Pomponne. Mémoires, édition de Madival, Paris, 4868, p. 211, et le rapport de l'ambassadeur vénitien Francesco Michel. « Non « hà hauuto mai altro pensiere, clie qiiello di dislillare le suo Fortune, et » il suo Ingegno in un Corigiollo d'Alchimia. » (Funlcs rerum aiistria- carum. Die Relalionen der Botschafler Venedigs im 17. Jahrhundert, publ. par J. FiEDLER, II, p. 193.) — Longue est la liste des princes laïques et ecclésiastiques qui s'adonnaient, au Xyil', siècle à l'alchimie (H. Kopp, Die Alchemie in altérer und neuerer Zcit. 1886). * Château de la Prusse rhénane, à 12 kilomètres sud de Cologne. 3 Les historiens orthograpliienl de diverses façons le nom de Fursten- berg. Nous avons suivi l'orthographe de la signature des lettres écrites par l'évêque de Strasbourg. * François-Xavier Trips, chapelain de la cour de Maximilien-Henri, termine en ces termes le portrait, ou mieux le panégyrique qu'il a tracé de son maître : « ....omnium futurus felicissimus, nisi in duos » fratres imperii ab-incunabilis hostes, motuum omnium duces et aucto- » res, liliorum ad foelorem usque mancipia, Franciscum et Guilielmum >» principes Furstenbergicos incidisset, quos in juventute lateris sui » ephoebos, in regimine consiliorum directores et primos aule minis- » tros nactus tam efïîictim deperiit, ut in quodcunque latus hi vellent, » flecli se pateretur, absque illisnihil, suasu iliorum omnia subsignans. » (A.C., Manuscrit de Fr.-X. Trips, De rébus sui temporis, inprimis de electione Josephi démentis et Fuerstenbergicis Gallicisquc aduersus eum conalibus.) Tome LIX. 4 C 50 ) des Trois-Couronnes, à l'âge où les amitiés se nouent, ils avaient conquis un ascendant complet sur le jeune prince bavarois; toute sa vie, Maximilien-Henri allait subir leur puis- sante inlluence. En vain essaya-t-il parfois de s'y soustraire : après des velléilës d'indépendance, il retombait dans une soumission plus aveugle, plus absolue; il leur abandonnait le pouvoir, le gouvernement, la direction des affaires. Ainsi, pendant près d'un demi-siècle, mêlés à toutes les intrigues, à toutes les négociations, leur activité incessante va se déployer. Ils sont aujourd'hui à Cologne, demain à Ver- sailles, un autre jour à Vienne, à Liège ou à Mayence; on les trouve partout, et toujours servant leur ambition, ne consultant que leurs intérêts. Leur habileté devient proverbiale autant que leur cynisme i . La moindre démarche est pour eux une source de bénéfices et de récompenses. La chronique galante s'empare de leur nom. Fourbes autant qu'adroits, moitié guerriers, moitié prélats, par-dessus tout diplomates incomparables, leur personnalité s'impose et captive. Tout y est convoitise ei calcul : en eux revit un siècle, une époque sans scrupules, sans fausses déli- catesses. Les mêmes mobiles guidèrent leur vie; si parfois l'ambition leur faisait prendre des voies dill'érentes, la bonne comme la mauvaise fortune les trouvait toujours unis. Le biographe ne peut les séparer et l'histoire les connaît sous le nom des deux Egons, La famille des Furstenberg était ancienne et illustre, et sa fidélité ù la Maison de Habsbourg immémoriale -. Elle lui avait * On disait en Allemagne que si Mazarin était plus malin que le sultan, les Furstenberg étaient plus dangereux que ses pachas. Le nom « d'Ego- niste )) devint synonyme d'homme antinational et san \atric. 2 Les archives princières de Donaueschingcn ont publié un recueil des sources de l'histoire de la Maison de Furstenberg. Le professeur Riezler, qui dirigeait cette collection, n'ose se prononcer sur le pays d'origine de la famille; elle prétendait remonter authentiqucment aux Agilolfingcrn de Souabe, par Ega, maire de palais sous Dagobert II. Mais il semble qu'elle descende des anciens comtes d'Achalm, qui apparaissent dans l'histoire dès les premières années du IXe siècle. ^Ua comte Unruoch I ( 81 ) fourni ses plus dévoués défenseurs, ses plus vaillants capi- taines 1. Mais l'Empire ébranlé ne donnait plus à ses gloires militaires des récompenses suffisantes. Pauvres et besogneux, les comtes de Furstenberg aspiraient au faste et à la richesse; longtemps ils avaient été désintéressés à la tache; ils voulaient enfin jouir et posséder. Sans avenir à la cour de Vienne, ils avaient quitté l'Empereur et l'Empire qui se soutenaient à peine pour exercer la fonction de « majordome-major w des électeurs de Bavière. La famille de Wittelsbach se les était attachés et allait faciliter les débuts de leur fortune. qui. en 802, aurait vécu à la cour de Charlemagne, passe avec quelque vraisemblance pour être l'ancêlre le plus éloigné dont les sources fassent mention.) Au XI^ siècle, la ligne fut continuée par la branche des comtes d'Urach qui agrandirent leurs domaines en s'emparant des biens des ducs de Zliliringen (1218). Henri 1er ppit^ vers 1250, le titre de seigneur, puis de comte de Furstenberg, d'après la petite bourgade de ce nom, située dans la Forêt-Noire, qu'il avait choisie comme résidence; les bio- graphes le citent comme fondateur de la branche des Egons de Fursten- berg. Ceux-ci portent dans leurs armoiries : d'or à l'aigle de gueules, becquée et membrée d'azur, à la bordure nébulée d'argent sur azur. Parmi les sources, nous signalons le Furstenbergisches Urkiinden- biich, Samnilimg der Quellen zur Geschichte des Hanses Furstenberçi und seiner Lande in Schwaben. Tiibingen, in der H. Laupp'schen Buchhand- lung, bearb. von S. Riezler, 8 Bande in-4o. — Qiœllen zur Geschichte des f. Hanses Furstenberg und seines ehedem reichsunmittelbaren Gebietes, fiilO-IooO, bearb. von Baumann, unter Beihilfe von G. Tumbiilt. Tiibingen, 1894, in-4». — E. Heyck, Geschichte der Herzoge von Zdhrin- gen, Freiburg i/B., 1891. — S. Riezler, Geschichte des furstlichen Hanses Furstenberg und seiner Ahnen bis zum Jahre iù09. Tubingen, 1883. — - E. MuNCH, Geschichte des Hanses und Landes Fiirstenberg , 3 Biinde, Aachen, 1832, continué par Fickler (1847).— Sylvain Balau, Le cardinal de Furstenberg et ses héritiers, seigneurs de Modave, Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, 1894, t. VIII. — A. MuNTZ, Louis XIV et Les Furstenl)erg en Alsace, Revue nouvelle d'Alsace-Lorraine, t. VI et VII. — de Theux, Le Chapitre de Saint- Lambert à Liège, t. IV, pi. 20. ' On cite notamment un Guillaume de Furstenberg, général des troupes impériales sous Maximilien d'Autriche et sous Charles-Quint. {Jahrbiicher der Litteratnr, M VIII, Wien, 1819, S. 237. — S. E. E., Léopold à Philippe IV, 7 décembre 1G48, t. LXVI, fo 244.) (82) Les deux Egons n'avaient pas 10 ans lorsque mourut leur père "J, laissant à sa veuve, Anne de Hohenzollern, la charge de onze enfants. A chacun d'eux il fallait frayer une voie. Fran- çois et Guillaume furent envoyés à Cologne pour être placés à la cour de l'archevêque. Maximilien-Henri, qui faisaitses études dans cette ville, n'eut pas de peine à procurer à ses anciens compagnons dejeux, des prébendes de chanoines, ce qui n'em- pêcha pas les deux frères d'entrer bientôt, selon la coutume du temps, dans la carrière des armes. François prit du service dans la garde impériale, tandis que son cadet s'engageait dans l'armée française dont les brillants succès avaient séduit sa jeune ambition. Mais ils devaient trouver auprès de Maximilien- Henri, dont le caractère timoré avait besoin d'être guidé et conseillé, un champ d'action plus vaste et plus conforme à leurs aptitudes. Appelés à Cologne près de leur ami d'enfance, ils quittèrent l'armée 2, non sans s'être fait octroyer, à titre de dédommage- ment, des bénéfices ecclésiastiques. François devint grand-chambellan, maître d'hôtel, puis chef du Conseil d'État de l'archevêque 3. Comblé d'honneurs et de titres, il exerça son influence au profit des siens et fit entrer ses frères au Conseil privé, puis aux Chapitres de Cologne et de Liège ^K Lui-même se réserva la direction de toutes les * Efiçon VIII, général d'artillerie dans les armées de la ligue catholique, mourut le 24 août d635. François était né le 10 avril 1625 et Guillaume le 2 décembre 1629. Voir la généalogie dans MiiNCH, ouvr. cité, et Saint- Simon, Mémoires, Collection des grands écrivains de la France, t. Vil, p. 87. 2 François était capitaine des gardes impériales; Guillaume avait été nomme colonel d'un régiment français. Cet engagement lui valut d'amers reproches de la part de l'Empereur; il entra dans les ordres, tout en conservant son grade militaire. ^ Il était en outre grand doyen et grand prévôt des chapitres de Cologne et fie Hildesheim, prévôt d'Aix-la-Chapelle, de Minden, de Maestricht, de l'église Saint-Géréon à Cologne, etc. * Ernest-Egon, chanoine de la Métropolitaine de Cologne, entra au chapitre de Saint-Lambert le l^i- octobre 1649. {Coud, cap., reg. 153.) Ferdinand-Frédéric-Egon, colonel de cavalerie, était membre du Conseil piivéde l'électeur de Cologne. (Voir Samuel Pufendorf, De rébus gestis ( 53 ) négociations et représenta l'Électeur dans les cours et les diètes d'Allemagne *. Les événements de la principauté de Liège attirèrent très tôt ses regards : le coadjuteur, impuissant à repousser les inva- sions des Suédois et des Lorrains, recourut ii son habileté pour traiter avec les envahisseurs. Envoyé i\ différentes reprises pour résister aux exigences du général suédois Steinbuck et du con- dottiere anti-français Charles IV de Lorraine, jamais il ne négli- gea de réclamer le prix de ses démarches '^, Chanoine-tréfon- Friderici WiUielini Mayni, Elect. Bnindenbiinjici, iG9i, III, § 2!2. — S. E. E., Léopold à Philippe IV, Bruxelles, 7 décembre 1648, t. LXVI, fo '243.) Giiillaume-Egon fut pourvu à Saint- Lambert de la prébende de Denis de Poitiers et reçu comme chanoine noble le 29 juillet 1660. * Dès 1648, il défendait à Vienne les intérêts de l'archevêché de Cologne. Voir Urkunden iind Aclenstucke zur Gescliichte des Kurfiirsten Friedrick- Wilhelui von Brandenburg, Kleist à l'Électeur, Prague, 14 mars et 22 avril 1648, Bd IV, SS. 819 et 821. — Ibidem, 17 février 1648, Bd XIV, S. 39. — MiJNCH, ouvr. cité, Bd III, S. 70. — S.E. E., Léopold à Philippe IV, Ver- vins, Il août 1630, t. LXXI, f'^ 366. — //;2t/e/», Ferdinand III au marquis de Grana et h Philippe IV, Vienne, 6 juin 16o0, t. LXXI., f«^ 370 et 371. — Ibidem, Philippe IV à Léopold, Madrid, 27 septembre 1630, t. LXXII, fo 71. — En 1633, on le vit à la diète de Ratisbonne, dans la cérémonie du couronnement du roi des Romains, Ferdinand IV, marcher avec l'électeur de Mayence, immédiatement après le nouveau roi, tenant la place de l'archevêque de Cologne. (Grandidier, OEuvres historiques inédites^ Colmar, 1866, t. IV, p. 479.) 2 Touchant les négociations du comte François de Furstenberg, à Bruxelles, consulter Daius, ouvr. cité, t. II, pp. 8 et suiv. — Lonchay, La rivalité de la France et de U Espagne aux Pays-Bas, dans les Mémoires in-S*^ DE l'Académie royale de Belgique, t. LIV, p. 163, et particulièrement Concl. capit., reg. 133, 23 août 1630, 2 janvier et 4 mars 1631. — Recès de Liège, 24 août et 3 décembre 1630. — Conseil privé. Protocoles, reg. K. 100, 27 juillet, l^i- et 3 août 1630. —État noble, Journées, reg. 99, passim. — État noble. États, reg. K. 10, 26 septembre 1630. — État tiers, Joicrnées, reg. K. 81 et 82, passim. — Charles de Lorraine violait les conventions aussi vite qu'il les avait signées. {Concl. capit., reg. 133, 4 janvier et 12 février 1633.) Un de ses biographes contemporains dit de lui : « Il eut un égal mépris pour toutes les nations : Allemands, Fi-ançais et Espagnols, tout lui devint ennemi. » (54) cier de Saint-Lambert ^, membre du Conseil privé de la prin- cipauté, il séjournait à Liège plus souvent que l'évéque. Son nom et celui de son frère Guillaume sont mêlés aux épisodes les plus saillants de l'histoire du pays et de la Cité. IIL Le chapitre cathédral força le nouvel évêquc de venir prêter à Liège leserment inaugural^ et lui imposa une étroite et minu- tieuse capitulation 3; mais l'expérience avait déjà souvent démontré l'inefficacité d'une pareille garantie et l'inutilité de semblables promesses. L'Élu, pendant les cinq jours qu'il passa dans la principauté, fit publier des cdits sévères pour le recouvrement de Vœil du moulin, impôt sur les grains dont Ferdinand de Bavière avait dû toujours ajourner la perception. Immédiatement après, il retourna à Bonn. Une partie de la * Il obtint le canonleat de son frère Ernest. {Concl. capit., 29 juillet 1652, reg. 454.) 2 Maximilien-Henri, le 30 septembre 1650, avait demandé par écrit au prévôt de l'église cathédrale l'autorisation de prendre possession du siège épiscopal par un procureur. Le chapitre lui répondit, le lendemain, que, ce vu les rumeurs malveillantes répandues dans le pays, il était indispensable qu'il prêtât serment en personne ». {Concl. capit., 3 octo- bre 1650, reg. 153, fos 194-195.) Fabio Chigi, nonce à Cologne et depuis pape sous le nom d'Alexandre VII, vint procéder à son sacre le 29 octobre de l'année suivante. •' Le 12 octobre 1650, Maximilien prêta serment. Sa capitulation ne contient pas moins de trente et un articles, plus trente et un pactœ et conventiones additionnels. Le chapitre y introduisit de nouvelles restric- tions aux droits du prince, en stipulant qu'il donnerait son avis sur toutes les mesures importantes à prendre dans l'ordre temporel, et qu'aucun privilège ne pourrait être accordé dorénavant aux villes et aux villages sans son consentement. (Voir le texte dans le Recueil des Ordonnances, 2^ sér.. 3^ vol., p. 185, et comparer la capitulation de Fer- dinand de Bavière, qui ne contient que trente-deux articles, dans le même recueil, 2e sér., 2^ vol., p. 304.) ( 53) garnison allemande profita de son absence pour se mutiner et réclamer le paiement de sa solde. Celte révolte, sans grande importance, pouvait néanmoins susciter à l'évéque de graves difticultés : dans le pays, le mécontentement était général ; à Herstal, s'était rassemblé un groupe de fugitifs et d'exilés tou- jours en éveil ; la petite Fronde des nobles n'avait pas déposé les armes; le clergé refusait de payer les nouveaux impôts; le Pasquin lorrain, sous couleur d'assurer la neutralité, exci- tait les rebelles et soutenait toutes les tentatives de soulève- ment 1. François de Furstenberg comprit le danger de la situation : sur ses pressants avertissements, Maximilien arriva de nuit, ù Timproviste, dans la Cité; les principaux mutins furent arrêtés, menés dans les carrefours et exécutés militaire- ment !2. Puis, pour frapper davantage encore les esprits, l'évéque fit arrêter l'ancien bourgmestre Pierre de Bex. C'était un jurisconsulte distingué, que son intégrité et son mérite avaient fait élire quatre fois maître de la Cité. Il préféra monter sur l'échafaud que de solliciter sa grâce, car, dit un cbroni- queur, il avait encore le cœur d'un vieux Liégeois 3. Bex eut la tête tranchée le 23 février lOol. Liège perdait un patriote à l'âme ferme et stoïque, un démocrate sincère. On fit achever les ouvrages de la citadelle et un nouveau * S. E A., Corr. de l'archiduc Léopold avec l'élecleur de Cologne (1649-16o3), t. II, reg. 513, f'^ 271. - A. H. {Duitschland), Corr. de Jacob Vander Burgh avec les États de Liège, 29 septembre 1630 el 20 septem- bre 1632; Manifeste de Charles de Lorraine du 4 janvier 1634. — En même temps à Cologne, il attisait la mésintelligence qui régnait entre la ville et l'archevêque. (A. C, Kôln und das Reich. Correspon- denzen (1631-1670). Charles de Lorraine aux bourgmestres et conseil, 11 janvier 1634. — Archives de Berlin, repos. 34, n» i%. A. de Staveren à l'électeur Frédéric-Guillaume de Brandebourg. Bru.xelles, 11 novembre et 23 décembre 1633.) * Chronique de Liège, Dibl. Brux. Ms. 18672. * « Erat rerum humanarum expertissimus, summae integritatis, juris- que perilissimus. » {Historia Leodiensis. Continuation de Foullon, t. III. Leodii, 1737, p. 310.) Le 3 novembre 1634. l'évéque rendit une ordon- nance qui absolvait la mémoire de Bex. (S6) règlement militaire confia la surveillance des quartiers de la ville à douze compagnies bourgeoises placées sous le com- mandement du grand mayeur K Défense fut faite aux Liégeois de se réunir ou d'avoir des conciliabules de plus de trois per- sonnes. Maximilien-Henri obtint de l'empereur Ferdinand III l'autorisation de consacrer le produit de la taxe du soixantième à l'entretien de la garnison "^. Les violences et les réquisitions des gens de guerre conti- nuaient à décimer la malheureuse principauté. François de Furstenberg avait été envoyé à Bruxelles pour se plaindre des exactions continuelles commises par les mercenaires lorrains et condéens î^. Mais le gouverneur des Pays-Bas, l'archiduc Léopold 4-, n'avait aucune autorité sur les deux généraux à la solde de l'Espagne; il devait subir les roueries de l'un, les exigences hautaines et la morgue de l'autre ». Condé entendait régenter à sa convenance; il menaçait de résigner le comman- dement et de licencier ses troupes 6. La cour de Madrid avait * Recueil des ordonnances, 2® sér., 3« vol., p. 193. — Tous les drapeaux et enseignes de la Cité furent apportés au Palais; le chapitre avait vaine- ment demandé que la garde en fût confiée au grand doyen. (ConcL capit. 48 janvier 1651, reg. 153.) 2 31 mars 1653. Les Liégeois se servirent de la permission impériale, bien qu'elle s'y opposât, pour prélever le soixantième denier, non seulement sur les marchandises importées ou exportées, mais sur celles déclarées en transit. ' Philippe IV à Léopold, Madrid, 24 mars 1651. Avertissements secrets. (S.E.E.,t. LXXIII, fo 350.) — Acte du 30 janvier 1651. {Ibidem, fo 98.) — Conseil privé. Protocoles, re^. K. 100, 19 février 1651. * Léopold d'Autriche, gouverneur des Pays-Bas espagnols, de 1647 à 1656, frère de l'empereur Ferdinand III. ^ LoNCHAY, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas, pp. 165 et suiv. — Charles IV de Lorraine, mi-condottiere, mi-prince indépendant, fut arrêté le 25 février 1654 par les Espagnols, ses alliés. Conduit en Espagne, il ne fut remis en liberté qu'en 1659, h la paix des Pvrénées. (Manifeste de Léopold sur l'arrestation du duc Charles de Lorraine. S. E. E., t. LXXXI, fo 89.) - 6 Philippe IV à Léopold, 16 juillet 1653. (S. E. E., t. LXXIX, fo 126.) — Léopold au Roi, 13 décembre 1653. {Ibidem, t. LXXX, fo 330.) ( S7 ) trop besoin de ses services pour contrarier ses volontés et ses fantaisies ; aussi Léopold, tout en protestant de son dévouement à l'évéque, laissait-il les soudards ravager le territoire et le traiter en pays ennemi. Ce ne fut qu'en 1653 que Maximilien Henri se décida à repousser les envahisseurs et à leur déclarer la guerre; il invita ses vassaux et les milices bourgeoises à prendre les armes ^ puis essaya d'intéresser à sa défense l'Empereur, le margrave de Brandebourg et les princes du cercle de West- phalie '^. En même temps Furstenberg courut frapper aux portes de Celle, de Munich et du Hanovre 3. La cour de Vienne ne bougea pas ''* : son inaction devait dans la suite lui valoir de cruelles représailles. Les électeurs de Trêves et de Mayence, mieux avisés, envoyèrent un corps d'auxiliaires ^. Mais, de tous les souverains allemands, Frédéric-Guillaume de Brandebourg se montra le plus empressé à porter assistance à l'évéque de Liège 6. Le maître de camp, Otto von Sparr, qui avait déjà, en 1649, prêté main-forte à Maximilien, fut chargé de lever huit cents hommes. Ce régiment survint trop tard pour prendre part aux hostilités '^. Se voyant mal soutenu par ses alliés d'outre-Rhin, l'Électeur, gagné par les intrigues d'un de ses conseillers intimes, le comte de Wagnée, avait accepté * Maximilien-Henri prétendait que le Chapitre et les États s'étaient refusés à lui accorder les subsides nécessaires pour soutenir la lutte. (Concl. capit., reg. 155, 20 janvier 1654.) - Erdmannsdôrffer, Graf GeorgFriedricli von Waldeck. Berlin, 1869, S. 164. — Urkunden und Actenstiicke ziir Geschiclite des Kurfïirsten Prie- dricli-Wilhelm von Brandenburçj . Dd VI, S. 501 und s. w. 5 A. KocHEU, Geschichte von Hannouer und Braunscfiweig, Bd I, 1884, S. 117. * Négociations secrètes touchant la paix de Munster, t. III, in-folio, 1726, Négoc. de M. de Vautorte, pp. 647-660. ^ État noble. Journées. Propositions des Princes, reg. 100, 20 sep- tembre 1653. ^ Erdmannsdôuffer, Deutsche Geschichte, 1892, Bd I, S. 183. ^ Theodor von Môrner, Mârkische Kriegs-Obersten des siebenzehnten Jahrhunderts, 1861, S. 197 u. 349. ( 38) le secours des troupes françaises que lui offrait le maréchal de Fabert, gouverneur de Sedan ^. Tous ces protecteurs escomptaient déjà les profits et les avan- tages de leur intervention. Fabert n'était plus qu'à deux lieues de Liège 2, lorsque l'archiduc Léopold, de concert avec l'Em- pereur, et dans la crainte que l'évêque ne se livrât entièrement à la France 3, moyenna une surséance d'armes. Le prince de Ligne et le comte Navarro Burena, au nom du gouvernement espagnol, François-Egon de Furstcnberg, le chanoine Tabollet et le conseiller de Méan, représentants de Maximilien- Henri, négocièrent la paix qui fut signée à Tirlemont le 17 mars lCo4. La neutralité de la principauté fut à nouveau reconnue, avec la réserve de la clause ordinaire du passage innocent. Les troupes des puissances « protectrices » durent se retirer. L'accommodement de Tirlemont procura au pays de Liège une période de tranquillité et de repos qui lui permit de cicatriser ses plaies et de soulager ses misères. Mais, privé de l'appui et de l'aide du gouvernement, il dut opérer seul sa guérison. Maximilien se désintéressa de plus en plus des affaires de la principauté; il n'y faisait que de rares apparitions et toujours pour demander de nouveaux subsides ou des contin- gents militaires. Dans ces circonstances, le peuple ne prit jamais contact avec son souverain. Liège désirait la paix, la neutralité, se * LoNCHAY, mém. cité, pp. 16o et 186. — Nous aurons à parler plus loin de Jean-Ferdinand de Poitiers, comte de Wagnée, gouverneur de Bouillon. 2 L'armée de Fabert arriva jusqu'au Val-Saint-Lambert. Sur cette cam- pagne, lire J. BouRELLY, Vie du maréchal de Fabert. Paris, 1880, t. II, pp. 17 à 37. 5 Mazarin à Fabert, Saint-Germain, 8 janvier 1654 (Collection de DOCUMENTS INÉDITS SUR l'Histoire DE FRANCE. Lettres du cardinal Mazarin, publiées par Chéruel, t. VI, p. 109). — Le même au même, Paris, 4 février 1654 {Ibidem, p. 120). — Léopold à Philippe IV, 12 mars 1654 (S. E. E., t. LXXXI, f» 117). - Léopold à l'Empereur, 12 mars 1654 {Ibidem, fo 116). ( o9 ) livrer au travail et prospérer. L'évoque, dominé par ses ambi- tieux ministres, était loin de semblables préoccupations; entraîné par ses cupides conseillers dans des intrigues et des menées avecles cours étrangères, Liège n'était pour lui qu'une source de revenus. L'histoire interne de la principauté est suspendue pendant quelques années et l'action de ses gouvernants se porte à l'extérieur. (60) CHAPITRE IIÏ. LES MINISTRES FRANÇOIS-EGON ET GUILLAUME-EGON DE FURSTENRERG. Rivalité de la France et de l'Espagne. — Manœuvres de Mazarin à l'égard des Furstenberg. — Le seigneur de Wagnée. — Hésitations de François-Egon. — Arrestation de Jcan-PauI de Groesbeck, — Projets de Mazarin. — La question de la succession impériale. — Portrait de Guillaume de Furstenberg, — Son rôle dans l'élection de -1058. — La ligue du Rhin. — François de Furstenberg convoite la coadjutorerie de Liège. — La conspiration d'Arnold Marets, — Découverte du complot. — Mobile probable des conjurés. — La répression. — Le chemin neuj. — Activité du prince Guillaume de Furstenberg. — Ses missions à Vienne et à Berlin. — Guerre de Hollande. - Traités de 1671 et de d672. I. La Maison de Habsbourg et celle de Bourbon avaient mis un empressement jaloux à donner leur ratification au traité de Tirlemont, car elles avaient un égal intérêt à ménager l'évêque de Liège, à acquérir ses sympathies, à l'entraîner dans l'orbite de leur politique. Autant par l'illustration de la famille de Wittelsbach que par l'étendue, la richesse et l'admirable posi- tion stratégique de ses multiples domaines, Maximilien-Henri était un voisin puissant. De tous les souverains ecclésiastiques de la vallée du Rhin, il était le plus important, et lorsqu'en 1648 les traités de Westphalie eurent posé le principe de la supériorité territoriale des princes allemands, l'alliance de l'archevêque de Cologne fut aussitôt l'objet des plus ardentes convoitises. L'Espagne et la France, qui poursuivaient « la grande guerre » de l'hégémonie européenne, avaient compris l'utilité (61 ) de se concilier la faveur du prélat bavarois ^. Pour s'assurer son amitié, Mazarin s'était abstenu d'intervenir dans les évé- nements de la Maie Saint-Gilles^; il avait abandonné les citains à leur malheureux sort et ne s'était pas opposé à l'érection de la citadelle liégeoise. Livré à lui-même, Maximilien eût sans doute hésité à trahir la cause de la Maison de Habsbourg; il n'avait ni l'avidité, ni l'ambition de presque tous ses collègues, les électeurs du Saint- Empire ; mais, s'il était indifférent aux spéculations de la poli- tique, il subissait aisément l'influence du dernier conseiller assez habile pour s'emparer de sa volonté! Les deux puissants voisins qui se disputaient son concours n'ignoraient pas que pour faire la conquête de ce prélat timoré, il fallait d'abord gagner les ministres qui le gouvernaient. Les comtes Guillaume et François de Furstenberg connais- saient l'importance de leur situation et étaient gens à faire apprécier la valeur de leur crédit. Pendant une période de dix années, la France et l'Espagne entretinrent leur cupidité, n'épargnant aucune séduction, aucun appât pour avoir raison des scrupules et des résistances qu'ils teignaient d'opposer. Ce fut une joute curieuse, dont Mazarin sortit victorieux. Ce succès diplomatique, emporté à coups de pensions et de subsides, procura à Louis XIV l'alliance féconde en résultats de l'électeur de Cologne. Les deux Egons avaient attiré l'attention des cours et des diplomates par leurs aptitudes et leur talent. François s'était fait remarquer aux négociations de Munster et de Nuremberg 3 ; Guillaume, en présence du méconlente- ^ S. E. E. Punctos que ha dado el embascador de Alcmania sobre cossas de Colonia. Advertimientos secretos. Madrid, 24 mars 1651, l. LXXIII, fo 350. 2 Page 42. s Congrès réuni en avril 1649 pour l'exécution de la paix de West- plialie. Voir, sur son rôle, Samuelis Pufendorfi, Commentariorum de rébus sueclcis Libri XXYÏ, 1686, § 73, 23-26 mai 1649. — J.-G. von Meiern, Acla pacis execulionis publica, 1736, l^e partie, p. 53. — H. Zwiedeneck- SiJDENHORST, DeiUscIie Geschichle. SluUgard, 1890, Bd I, S. 78. ( 62 ) ment et des reproches de l'Empereur, venait de renoncer au service actif qu'il avait pris dans l'armée française; tous deux avaient révélé leur activité et leur finesse, lorsqu'il s'était agi, en 1651, de conclure la première union défensive des États rhénans^. Mazarin, qui travaillait à la désorganisation du corps germanique et à l'aflaiblissement de la Maison d'Autriche, songea aussitôt -k faire entrer les P'urslenberg dans la clientèle de la France. Il avait appris à les connaître à la cour de Maxi- milien, dont il avait été l'hôte au palais de Brùhl '^, et il comptait sur l'habileté de ses agents de Liège et de Cologne '^, sur la puissance de ses ccus pour les attirer au service de son maître Louis XIV. La France avait à Liège un représentant dévoué qui par- tageait avec les Furstenbcrg la confiance de l'évcquc : c'était Jean-Ferdinand de Potliers, comte de Wagnée 4-, Ancien capitaine des gardes du prince Maximilien, quand celui-ci n'était encore que coadjuteur de son oncle, il avait été envoyé à Paris en 1649 pour enlever à la démocratie liégeoise l'appui du Roi Très Chrétien; il s'était laissé facilement séduire par Mazarin, et, lorsqu'en 16ol et en 16o2, le premier ministre dut prendre la route de l'exil, chassé par les événements de la Fronde, il trouva momentanément asile et protection auprès du comte de Wagnée, devenu gouverneur de Bouillon ». * Recès du 21 mars 1651, signé à Francfort. (E. Joachim, Die Erit- wickeliuuj des Rheinbiuides vom Ja/ire 1658. Leipzig, 1886.) ' Mazarin séjourna à Bruhl du (i avril à la fin d'octobre 1631. [Geschichte der Pfarreien des Dekanates Brilhl, von R. Rosellen, 1887, S. 93.) 3 Un Génois du nom de Promontorio servait les intérêts de Mazarin à Cologne. (S. E. E., Advertimientos secretos, t. LXXIII, f" 330.) *■ Sur ce personnage, voir Lonchay, La rivalité de la France et de L'Espagne aux Pays-Bas, p. 186. — Conseil privé. Dépêches, reg 25, p. 38. — Quant à la famille de Poitiers, voir de Theux, Le Chapitre de Si-Lambert à Liège, t. III, et Concl. capit., reg. 133, 134 et 153, passim. ^ BouRELLY, ouv. cité, 1. 1, pp. 362 et 403. — La ville de Bouillon n'of- frait aucune sûreté; le chapitre de Saint-Lambert, ainsi que les États de Liège, avaient refusé à Mazarin tout lieu de refuge et avaient interdit aux gouverneurs des forteresses de le recevoir dans la principauté. (Ozeray, ( 63 ) Jean-Ferdinand ne demandait qu'à mettre le crédit dont il jouissait dans le pays de Liège au service de la politique de Mazarin; il résigna le gouvernement de Bouillon et entra dans la carrière diplomatique i. La France eut dès lors à la cour de Maximilien un agent capable de combattre les intrigues espagnoles et de surmonter les hésitations des conseillers de l'Electeur. François de Furstenberg essayait de ménager les deux puissances qui recherchaient sa protection; la Maison de Habsbourg lui avait alloué une pension de 1,500 écus 2 et lui laissait espérer l'investiture des riches abbayes de Lure et de Murbach ^; le comte de Wagnée était chargé de lui faire des offres non moins brillantes et de lui mettre sous les yeux l'avenir glorieux, que la générosité et la puissance du jeune Louis XIV réservaient à ses alliés et à ses serviteurs. Au commencement de l'année 16o4, Liège était dominée par la politique française : Wagnée avait été assez adroit pour Histoire de la ville et du duché de Bouillon, 18G4, p. 140. — Co7icL capit., 27 mars 1651, reg. 153, et 6 septembre 1652, reg. 15-4.) * Jean-Ferdinand de Poitiers, qui avait hérité du gouvernement de Bouillon de son père Denis de Potliers, seigneur de Fenffe, eut lui-même pour successeur, en 1653, son frère Charles-Maximilien. Grâce à l'inlluence du comte de Wagnée, le père et les quatre frères passèrent au service de Mazarin. (A. E., Fonds de Liège, t. II. Rapports de Wagnée des 9 mars 1652, et 9 et 15 mars 1653. — A. E., Fonds de Cologne, t. II, Maximilien-Henri à Mazarin, 30 octobre 1652. — A. N., K. K. 1073, Talon h Mazarin, 2 janvier 1654.) 2 Léopold à Philippe IV, Vervins, 11 août 1650(S.E.E., t. LXXI, f"366). — Philippe IV à Léopold, Madrid, 27 septembre 1650. [Ibidem, t. LXXII, fo 71.) —Le même au même, 20 juin 1651. (Ibidem, t. LXXIV, fo 198.) 5 Archives de Donaueschingen. L'empereur Ferdinand III à Franz-Egon. Vienne, 13 novembre 1649. — /6iV/c?/^ le même au même. Prague, 1er oc- tobre 1652. — A. Gatrio, Geschichte der Abtei Murbach im Elsass, 2 Biinde in-S®. Strasbourg, Le Roux, 1895. — L'abbaye de Murbach, en Haute-Alsace, fut fusionnée dans la seconde moitié du XVIe siècle avec celle de Lure, située dans la Franche Comté, au sud de Delfort; la guerre de Trente ans avait mis l'anarchie dans ces territoires dont, en décembre 1648, l'arcliiduc Lèopold-Guillaume reprit possession par l'entremise de François-Egon de Furstenbercj. ( 64 ) rendre nécessaire l'intervention du maréchal de Fabert et donner à son expédition les dehors d'un secours protecteur. Furstenberg semblait définitivement conquis; il s'employait à faciliter à l'armée française l'entrée des places fortes et à faire passer au service de Fabert les Lorrains dont le chef, prison- nier de la cour de Bruxelles ^, était détenu au château d'Anvers. L'Électeur se répandait en plaintes contre le gouvernement des Pays-Bas; il l'accusait d'avoir soutenu la révolte des nobles liégeois et d'avoir envoyé secrètement des régiments au secours de ses ennemis ^2; il lui reprochait amèrement de fermer les yeux sur les déprédations des troupes de Condé et de leur per- mettre de prendre des quartiers d'hiver dans la principauté. La conclusion du traité de Tirlemont fut une surprise et une cruelle déception pour le parti français, qui voyait la balance politique incliner du côté de l'Espagne. Maximilien se réconcilia avec le gouverneur des Pays-Bas 3, qui lui offrit les seigneuries de Kerpen ^ et de Lommersum », 20,000 écus et * Erdmannsdôrffer, Graf Georg-Friedrich V071 Waldeck. Berlin, 1869, S. 158. — A. E., Fojids de Cologne, t. IL Mazarin au comte de Furstenberg, Paris, 4 février 1654, f» 267. — A. N., K. K. 1072. Fabert à Mazarin, 21 fé- vrier, 19 mars et 22 avril 1653. — Ibidem, K.K. 1073. Le même au même, l" février, 4 et 6 mars 1654; Fabert à Maximilien, 11 février 1654. — Sur l'arrestation de Charles de Lorraine, voir la relation du résident de Bran- debourg à Bruxelles, 5 mars 1654. {Archives de Berlin, repos. 34, no 12".) ^ A. de Staveren à l'électeur de Brandebourg. Bruxelles, 25 décem- bre 1653 et 22 janvier 1654. [Archives de Berlin, repos. 34, n" 12*.) 5 L'archiduc Léopold eut une entrevue avec l'évêque de Liège, à Montaigu, le 9 avril 1654. (A.E., Fonds de Liège, t. IL Wagnée à Mazarin, 9, 14 et 29 avril 1654.) * La seigneurie de Kerpen, située entre Cologne et Juliers, relevait de la cour féodale de Brabant; elle fut retirée le 26 mars 1654 à Marie de Royan , duchesse de Chevreuse , qui la tenait engagée depuis le 2 juin 1646 pour la somme de 55,000 philippes de 10 réaulx la pièce, « faisant celle de 137,500 livres arthois, de 40 gros de notre monnoye de Flandres la livre ». (A. D.,Doms/ift zu Coin, reg. n» 326. — S. E. E., Léopold à Philippe IV, 25 janvier 1654, t. LXXXI, f'^ 57.— Ibidem, Rapport d'Enne- tières, Bruxelles, 2 juillet 1662, t. XCV, f'' 192.) •^ Prusse occidentale, présidence de Cologne, à 7 kilomètres nord-nord- est d'Euskirchen. sur l'Erft. ( Oo ) la pension que la cour de Bruxelles avait servie à son prédé- cesscur, Ferdinand de Bavière '. Furstenberg ne se fit pas oublier; il re(,'ut, ainsi que ses collègues deMéan^etBuchnian'^ une gnititicalion de 6,000 écus ^K Mais le triomphe de l'archiduc Léopold fut de courte durée; il avait annoncé des subsides et le trésor de Marlrid était incapable de les fournir; il avait promis de protéger la neutralité du pays de Liège et Condé, dénonçant l'accommo- dement de Tirlemont, avait aussitôt repris ses courses et ses spoliations S, Le grand prévôt Jean-Paul de Groesbeck s'était vu arrêter pour avoir réclamé la réduction de la milice; l'évéque l'accusait de projets séditeux et « d'avoir tenu avec le duc de Lorraine une correspondance préjudiciable au pays •' ». ^ Léopold à Philippe IV, -2i mars 1654. (S. E. E., l. LXXXI, î- iili.)- Lc même au même, 57 mars 1654. (Ibidem, f» l'i6.) — Burena à Fursten- berg, 16 mars 1654. {Ibidem, f» 123.) — Le roi à Léopold, 22 avril 1654. {Ibidem, ï 149.) - Charles de Méan (lG04-I6T4j, mcmhre du Conseil |)rivé et du Conseil ordinaire, éminent jurisconsulte, surnommé le « Papinien liégeois ». iRaikem, Charles de Méan, Belgique judiciaire, 1846, p. 106.) ' Buchman, chancelier de Cologne, dévoué à la maison d'Autriche; Furstenberg réussit à lui enlever toute intkience à la cour de iMaximilien- Henri. (F. Wagner, Historia Leupoldi Magni Caesaris Augustin 1719, t. I, p. 284.) ^ A. E , Fonds de Liège, t. II Wagnée à Mazarin, 29 avril 1654. •' Philippe IV recommandait à son gouvernement de ne pas résistera l'ar- rogance du héros de Piocroy. (S. E. E , Léopold à Philippe IV, 19 décem- bre 1654, t. LXXXI, {"" 350. - Le même au même, 18 mars 1655. {Ibidem, t. LXXXII, f" 167.) — Le roi à l'archiduc Léopold, 17 avril 1655. \Ibidem, t. LXXXII, f-^ 220.) — A. E., Fonds de Liège, t. IL Wagnée à Mazarin, 12 no- vembre 1655. — Après les armées de Condé. ce furent celles de don Juan qui ravagèrent le pays de Liège. 0 Concl. capit., 29 mars 1654, reg. 155. — A. E., Fonds de Liège, l. IL Manifeste imprime de Maximilien au sujet de l'arrestation du grand prévôt, 29 mars 165i. - Groesbeck répondit au manifeste de l'évéque par une |)roteslation signifiée aux gretïiers des trois États. ^Coll. Ulysse Capitaine, I^//>/. Un. Liège, w^ ioM.) Tome LIX. 5 ( 66 ) Groesbeck, ancien chancelier de Ferdinand ^, jouissait à Liëge d'une grande popularité, et la Maison de Habsbourg avait en lui un partisan sincère '^. L'intervention du nonce de Cologne '■iy l'attitude énergique du chapitre de Saint-Lambert qui suspendit les ofiices divins, la menace d'un soulèvement communal firent recouvrer la liberté au prélat emprisonné à Kaisersweert ^. Son retour fut joyeusement fêté dans la Cité; mais Groesbeck ne rentra jamais en grâce auprès de l'évêque. L'Espagne perdait ainsi une des rares influences qu'elle comp- tait dans la principauté. Cependant Wagnée poursuivait ses négociations ou plutôt son négoce s. Pour réaliser les projets ambitieux de Mazarin, l'alliance de l'archevêque de Cologne était une nécessité de jour en jour plus pressante. La mort du fils aîné de l'EmpereurG, le prince Ferdinand IV, allait provoquer l'élection d'un nouveau roi des Romains, et le premier ministre français se flattait d'enlever la couronne impériale à la Maison d'Au- triche et de la déposer sur la tête de son jeune souverain. Mais Mazarin n'osait pas officiellement proposer la candidature de Louis XIV; il fit patronner par ses diplomates celle du duc de Bavière, Ferdinand-Marie, qui semblait réunir les plus nombreuses chances de réussite 7. Wagnée se faisait fort 1 Le l^ï- juillet 1652, le baron J.-P. de Groesbeck donna sa démission de chancelier et fut élu grand prévôt. (Concl. capit., re^. 154.) 2 A. E., Fonds de Liège, t. IL Groesbeck à son aiijent en la cour de S. M. Impériale, 27 mars 1654.— /6/dc/», Wagnée h 3Ia'/.nrin, 28 mars 1654. ■' La principauté était dans le ressort de la nonciature de Cologne, créée en 158J par Grégoire XIII, et établie en permanence depuis 1583 dans cette ville. ^ Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVII^ siècle, t. II, pp. 31 et 32. ^ A. E., Fonds de Liège, t. II. Wagnée à Mazarin, 25 avril 1654. « Le 4 juillet 1654. Il avait été proclamé roi des Romains il Augsbourg le 31 mai 1653. ' A. E., Fonds de Liège, t. II. Wagnée à 31azarin, 21 octobre 1654 et 11 janvier 1655, fos 413 et 424. — Le prince Ferdinand-Marie, électeur de Bavière depuis le 27 septembre 1651, était le fils de Maximilien, l'âme de la Ligue Catholique. ( 67 ) d'obtenir l'adhésion de Maximilien- Henri, si toutefois les Furstenberg ne contrecarraient pas ce projet. Mais là étaient la difficulté et l'obstacle K A Versailles, on savait ce que valait chacun des princes de l'Empire, chacun de leurs ministres, chacune de leurs maîtresses. Mais le prix des consciences des deux conseillers de l'évêque de Liège dépassait toutes les estimations. Rien ne satisfaisait leurs appétits. Déjà, ils avaient obtenu la cession de la riche abbaye de Saint-iMichel 2; ils réclamaient en outre la prévôté de Saint-Martin de Lille 3, les évêchés de Metz ^ et de Strasbourg î>, la coadjutorerie de Cologne et un chapeau de cardinal. 'A. E., Fonds de Liège, t. IL Wasçnée à Mazarin, 12 novembre, 10 décembre 16o5 et 8 janvier 1656. 2 Saint-Michel en Thiérache, canton d'Hirson, diocèse de Soissons- Aisne. abbaye de l'ordre de Saint-Benoit. (Voir C. Decamp, Notice sur le village et l'abbaye de Saint-Michel. Laon, 1830.) Le comte de Wagnée céda cette abbaye à François de Furstenberg, qui la transféra à son frère Guillaume, le 6 novembre 1656. (A. E., Fonds de Liège, t. IL Le roi à Wagnée, £6 juillet 1656.) 3 A. E., Fonds de Cologne, t. IL Furstenberg à Mazarin, 25 août 1654, fo 287. * L'évéché de Metz était possédé par des laïques depuis 1612. Le car- dinal Mazarin se l'atlribua en 1632 et l'abandonna en 1658 à François de Furstenberg; mais le pape Alexandre VII lui refusa les bulles. (Histoire de Metz, par dom Jean François et dom Tabouillot. Metz, 1769-1775, t. m, pp. 284 et 291.) ^ Le titulaire de l'évéché de Strasbourg était l'archiduc Léopold- Guillaume d'Autriche, frère de l'empereur Ferdinand III. Ce prince ne visita jamais les ouailles de son diocèse; il prélevait simplement les revenus du siège, un des plus lucratifs de France et d'Allemagne. A sa mort, survenue à Vienne le 20 novembre 1662, François-Egon, chanoine et grand costre du chapitre, lui succéda (19 janvier 1663) ; de là le titre de Monsieur de Strasbourg, qu'on lui donne dans les écrits officiels du XVIle siècle. Avec grande justesse, M. Reuss insiste sur l'importance de cette nomination. « On peut dire que c'est à ce personnage qu'est due )) principalement la reprise en Alsace des querelles religieuses .... ; lui et » son frère sont accusés d'avoir été les instigateurs et les boute-feu de la » guerre terrible qui dévasta bientôt l'Alsace. » (R. Reuss, L'Alsace au XVW siècle, t. I. Paris, 1897, pp. 213 et 214.) ( 68 ) Wagnée s'aperçut qu'il était leur dupe et brisa tout com- merce avec eux. Les deux Egons prodiguaient à la Krance el à l'Autriche les mêmes protestations de dévouement, les mêmes assurances de fidélité i. « (^est une âme basse », écrivait le représentant de iMazarin au sujet de François de P'ursten- berg, «un homme qui ne fint point de difficulté d'envoyer toutes mes lettres aux ennemis et de leur rendre tout le service qu'il peut, dans le même temps que les siennes, et celles de son frère, ne sont remplies que de protestations de fidélité pour celui du Roi '^. » iMais de nouveaux événements politiques allaient définiti- vement inféoder à Louis XIV ceux que les écrits du temps appelaient « les oracles de la France ». L'empereur Ferdinand II[ fut surpris par la mort, le 2 avril 16^7, avant d'avoir pu faire élire son fils, l'archiduc Léopold-Ignace, roi des Romains. Mazarin mit aussitôt en branle ses agents et ses diplomates, hommes de loi et grands seigneurs. Ils devaient disposer les électeurs à écarter de l'Em- pire les princes de la Maison d'Autriche, le roi de Hongrie notamment, et conseiller de porter leurs suffrages sur le remuant palatin de Neubourg 3, ou, à son défaut, sur le pusil- lanime électeur de Bavière. D'autres ont excellemment exposé l'histoire des négociations et des intrigues qui, pendant plus d'un an, se nouèrent autour de la succession impériale, non seulement à la diète de Francfort, mais dans toutes les cours * A. E., Fonds de Cologne, t. II. Corr. disséminée de De Lumbres, Mazarin et Wagnco, notamment, Mazarin à Wagnée, ^i novembre 1056, f^ 4-til, et 23 décembre 1656, f" 426. — Fojids de Liège, t. IL Wagnée à Mazarin, 10 avril 1655, 8 janvier, 4 et 11 mars, 17 et 26 juin, 10 et 25 août, 2, 12 et 25 décembre 1656, 5 janvier 1657. — Ibidem, Mazarin au rhingrave de Maestrieht, 2 avril 1655. — Ibidem, Furslenberg au gou- vernement de Bruxelles, 22 janvier 1656 ; Wagnée à Furstenberg. 22 oc- tobre 1656; G. de Furstenberg à Wagnée, 15 et 28 novembre 1656, 2 jan- vier et 17 février 1657. 2 A. E., Fonds de Liège, t. II. Wagnée à Mazarin, 29 janvier 1657. 3 Philippe-Guillaume, duc de Neubourg, comte palatin du Rhin, duc de Bavière, Juliers, Clèves et Berg. ( C9 ) européennes *. Le nom de Guillaume de Furstenberg est mêlé aux moindres incidents de ce problème diplomatique -. Nul mieux que lui n'ctnit au courant des machinations politiques des petites cours allemandes, des ambitions de ces principi- cules, des rivalités de partis, des secrets des alcôves. Son extérieur n'était pas imposant; il était de petite taille et eut d(! bonne heure, « élant Allemand », beaucoup d'embon- point. Ld physionomie douce et agréable respirait la bonté et rintciligence : des yeux vifs, un front large, le nez assez épais, la bouche grande et sensuelle, au sourire tin et dédaigneux 3. 1 II nous siitfira de les résumer d'après les travaux: de Pru^ram, Zur Walil Leopoldl, i6ô4-t6oS. Xi\cm\ fur oesterreichische Geschichte, Bd LXXllI. 1888, SS. S[-'2i± — G. Heide, Die WafU Leopolds I zum rômiscfien Kaùer, in den Forschungen zur deutschen Geschichte, Bd XXV, ISSo, SS. 3-67. — Chéruel, Examen d'un mémoire de Lemon- tey. Compte rendu des séances de l'Académie des sciences morales et POLITIQUES, janvier 1886, pp. 5-^o. — ^y. Arî^dt, Zur Vorge^scliiclite der Wald Leopolds /, IIistorische Aufsatze dem Axdenken an Georg Waitz GEWiDMET. Hannover, 1886, SS. o6T-o84. Nous ne voulons pas entrer ici dans la discussion du problème de la candidature de Louis XIV au trône impérial. Valfrey, Martin, Auerbach, Joachim, Zwiedeneck nient que Mazarin en ait jamais conçu la pensée. Chéruel, Pribram, G. Heide, G. Mentz, H. Vast estiment, au contraire, que le cardinal espéra faire élire son maitre Empereur d'Allemagne et qu'il n'abandonna le projet que lorsque ses ambassadeurs lui en eurent démontré l'impossibilité. Nous nous rallions à cette dernière manière de voir. - Outre les travaux cités, nous recommandons, pour l'étude des rela- tions de la France avec l'archevêché de Cologne, l'ouvrage de L. Ennen, Frankreidi und der yiederrhein. Kôln, I800-I806, 2 Bande. Pour ce qui concerne le rôle des Furstenberg, voir Munch, Geschichte des Hausesund Landes Furstenberg, Bd III. Aachen, 1832; l'étude de Pribram, citée plus haut, et la correspondance de Mazarin, notamment le tome VIII, publié par d'Avenel dans la Collection de documents inédits sur l'Histoire de France. 5 On a force portraits de lui gravés par R. Nanteuil, E. Gantrel, E. Ver- meulen, N. Colombel, A. Van Huile, etc. L'estam|)e la plus belle est celle de Robert Nanteuil; elle se trouve à Paris, à la Bibliothèque Nationale. L'artiste l'exécuta en 1671 pour un certain Zacharie Morel, qui l'offrit à GuiHaume-EîTon, comme tribut de reconnaissance ou d'admiration. ( 70) Saint-Simon, qui ne l'a vu que dans ses dernières années, a tracé de lui, avec sa netteté de peintre, un remarquable por- trait : « C'était un homme de médiocre taille, grosset, mais bien pris, avec le plus beau visage du monde, et qui, à son âge, l'était encore, qui parlait fort mal français, qui, à le voir et à l'entendre à l'ordinaire, paraissait un butor, et qui, approfondi et mis sur la politique et les affaires, à ce que j'ai ouï dire aux ministres et à bien d'autres de tous pays, pas- sait la mesure ordinaire de la capacité, de la finesse et de l'in- dustrie )) ^. Poli et affable, désireux de se faire valoir, magnifique et libéral, s'écoutant volontiers, il avait des échappées libertines communes chez les prélats d'alors. Il écrivait mieux le fran- çais qu'il ne le parlait, et conversait facilement dans six langues étrangères. Homme d'Etat, subtil et éloquent, sournois et soupçonneux, « il tenait du seigneur, il tenait du laquais ». Il montra moins d'hésitation que son frère François k devenir le courtier des intérêts français, et Louis XIV trouva chez lui le dévouement et l'ardeur d'un nouveau converti. Mazarin, pendant les années 1657 et 1658, s'en servit comme émissaire d'avant-garde dans toutes les négociations. Guillaume de Furstenberg avait fixé à Metz, avec le cardinal lui-même, les conditions du marché : il devait recevoir l'abbaye de Saint- Arnould et le premier cardinalat vacant ; son frère, l'évêché de Metz; enfin, Maximilien-Henri obtenait 25,000 thalers comp- tants, ses deux ministres, 3,000 livres de pension ^^. ^ Saint-Simon, Mémoires, Collection des grands écrivains de la France, t. VII, pp. 86-9-2. 2 Mazarin ne cessait d'ailleurs de combler de cadeaux Guillaume-Egon » il lui avait donné une bague de 7-800 écus, deux belles montres atta- chées de chaînes d'or, etc. Le revenu de l'abbaye de Saint-Arnould, à Metz, est difficile h apprécier. H. Vast l'estime à 4,000 écus et évalue à 12,000 écus celui de l'évêché de Metz. [Des tentatives de Louis XIV pour arriver à VEmpire. Uevue HISTORIQUE, 1897, septembre-octobre, p. lli; Clément dit que l'évêché de Metz et l'abbaye rapportaient ensemble 3,000 livres de revenu {Lettres de Colbert, t. I, Appendice XIV); enfin Mazarin, qui en était détenteur, ( Tl ) A ce prix, les Egons promettaient de faire voter l'arche- vêque de Cologne en faveur du candidat français et d'empêcher l'élection de Léopold. Le duc de Neubourg n'avait aucune chance de succès, à cause de l'hostilité du Brandebourg, et, de tous les prétendants ^ au trône d'Allemagne, l'électeur de Bavière, Ferdinand-Marie, était le seul en situation d'être opposé à la Maison de Habsbourg. Mazarin lui avait promis sa protection'^; Tévêque de Liège approuvait la candidature de son cousin germain de Munich 3. Guillaume, puis François de Furstenberg et le maréchal de Grammont allèrent le voir 4. écrit que i'évêché valait en temps de paix 50 à 60,000 éciis de rente et l'abbaye 30,000 livres. { Mazarin à Grammont et à Lionne. Sedan , 21 août 1637, Lettres de Mazarin, collection citée, t. VIII, p. 1^21.) Si ces derniers chiffres sont exacts, le revenu de révèché équivalait, d'après la différence de pouvoir des métaux précieux, à 480,000 francs de nos jours. Mais il faut se souvenir, écrit M. d'Avenel, que par suite des i^uerres, le revenu des terres avait baissé d'une façon considérable. * La France et l'électeur de Mayence avaient songé à la candidature de l'archiduc Léopold-Guillaurne, l'oncle du jeune Léopold qui fut élu empereur. Les Furstenberg appuyaient ce choix, car l'archiduc était titu- laire de I'évêché de Strasbourg et de l'abbaye de Murbach que briguait François-Egon. (G. Heide, Ueber die angebliclie Bewerbung Ludwigs XIV um die deulsche Krone, Histouisch-politische Blatter fur das katho- LiscHE Deutschland. Bd CXÏI, 1893, SS. 865-878.) - Le roi de France avait promis « de l'aller assister en personne à la » teste de quarante mille hommes contre qui que ce soit qui le voulust » empescher dans la paisible possession de l'Empire ». (Mazarin à Gravel. Sedan, 8 août 1657, Lettres de Mazarin, coll. citée, t. VIII, p. 96.) •^ Maximilien-IIenri gardait contre la 3Iaison de Habsbourg une rancune profonde : à la dicte de Piatisbonne, lorsqu'il s'était agi de sacrer Fer- dinand IV comme roi des Romains, l'électeur de Mayence lui avait été préféré; d'autre part, il n'oubliait pas que l'Empereur lui avait refusé tout secours contre les troupes espagnoles et lorraines qui, en 1634, avaient envahi la principauté de Liège. * Nous renvoyons pour cette négociation aux Archives de Diisseldorf, Abtheilung Kur-Kôln, Kaiserwahlacten, n^s 34 et 36; à l'article de G. IIeide. Die WalU Lcopolds 1 zum rôniisrJien Kaiser et aux Mémoires du maréchal de Grammont, collection Petitot, 2e série, t. LVI, pp. 466 et suiv. ( 72 ) LVlecteur de Bavière était un prince faible et irrésolu, qui suivait aveuglément les conseils de sa mère Marie-Anne ^ et de son premier ministre, le comte Maximilien de Kurtz; dès le mois d'août 16S7, il avait assuré le cabinet de Vienne qu'il n'accepterait pas la couronne des Césars et que son vote était acquis au représentant de la Maison de Habsbourg 2. Cepen- dant les agents français, secondés par la brillante et ambitieuse électrice Henriette de Savoie 3 et par Hermann-Egon de Fur- stenberg, grand-maître de la cour 4, se flattaient d'ébranler, par d'alléchantes promesses, le duc bavarois et de le décider à briguer la dignité impériale. François de Furstenberg était revenu de son voyage à Munich fort satisfait; il annonçait que l'Électeur était tout disposé à se laisser porter comme can- didat. Cette nouvelle reçut bientôt un démenti officiel. Ferdi- nand-Marie écrivit une lettre à ses représentants, « par laquelle il désavouait, depuis le premier mot jusqu'au dernier, tout ce que le comte Egon disait ou pourrait dire ». Les illusions des Français durent se dissiper complètement, lorsque le docteur Oexle, l'un des ambassadeurs bavarois, déclara en plein col- lège, a que si tous les électeurs voulaient couronner son maître, il secouerait la tête pour laisser tomber la couronne à ses pieds )) ^. Dès lors, l'élection de Léopold n'était plus douteuse. Mazarin n'avait toutefois pas renoncé à son rêve de faire monter son • Marie-Anne, fille de l'empereur Ferdinand IL 2 B. Erdmansdôrffer, Deutsche Gescfiichte, Bd I, 1892, S. 300. 5 Henriette-Adélaïde de Savoie, fille du duc Victor-Amédée I^r et de Christine de France, petite-fille de Henri IV, renommée pour son esprit et sa beauté, songeait par tous les moyens à devenir impératrice. Heide, Kurfurstin Adel/ieid von Bayern, in der Zeitschrifï fur Allgemeine Geschichte, 1886, SS. 313-334.) * Hermann-Egon, après avoir été chanoine de Cologne et de Ratis- bonne, s'était rallié comme ses frères à la politique française, ftlazarin lui avait promis 30,000 florins si l'éleclion réussissait comme il le souhaitait. 2 Mémoires du maréchal de Grammont, Collection citée, p. 466. ( 73 ) maître sur le trône impérial i ; la diète était réunie à Francfort; il y sema les écus à pleines mains; Grammont grisa les élec- teurs-; Furstenberg mendia de nouveaux subsides 3. Rien n'y fit. Les archevêques de iMayence '^ et de Trêves S, et le mar- grave de Brandebourg ^\ saisis d'un remords patriotique, se déclarèrent officiellement en faveur du roi de Hongrie; il fut élu Empereur, le 18 juillet 1G58 Trois jours auparavant, Léopold avait juré, en présence des princes de TEmpire, de se soumettre à la capitulation onéreuse que lui imposait la diète de Francfort. Les ambassadeurs français Hugues de Lionne et 1 H. Vast, Des tentatives de Louis XIV pour arrivera l'Empire. (Revue HiSTOTUQUE, sept.-ocl. 1897, pp. 11 et suiv.) - On croit, en lisant Grammont, assister à des scènes de Gargantua. « A Francfort, écrit le maréchal, le champ de bataille fut pris chez le » comte Efiçon de Furstembero;, où se trouvèrent les électeurs de Mayence » et de Cologne. Le diner dura depuis midi jusqu'à neuf heures du soir, » au bruit des trompettes et des timbales, qu'on eut toujours dans les » oreilles : on y but bien deux ou trois milles santés; la table fut étayée, » tous les électeurs dansèrent dessus; le maréchal, qui était boiteux, y » menait le branle : tous les convives s'enivrèrent. » {Mémoires, p. 464.) Les deux Egons représentaient à Francfort Maximilien-IIenri, qui arriva toutefois plus tard à la dicte électorale; Hermann de Furstenberg y repré- sentait la Bavière. 5 Dès que François-Egon vit que la candidature du duc de Bavière était écartée (novembre 1637), afin de ne pas se trouver pris au dépourvu, il fit amende honorable et soUicita du roi de Hongrie, « pour services rendus », l'investiture des abbayes de Lure et de xMurbach, la coadju- torerie de Strasbourg et une donation de 100.000 florins. (G. Heide, Die Wahl Leopolds I zum rômischen Kaiser, S. 43, note 2.) * Jean-Philippe de Schônborn. chancelier de l'Empire, chef du collège électoral. Voir sur la politique de ce prélat, célébrée par Leibnitz, et sur celle de son ministre, J.-Ghr. von Boyneburg, les travaux de G. Mentz, Johann Philipp von Schônborn. Jéna, 1896. — Karl Wild, Der Sturz des Mainzer Oberhofmarschalls Johann Christian von Boyneburg im Jahre 4664. (Zeitschr. fur die Gesch. des Oberrheins, Neue Folge, BdXIIIu.XlV, 1898 u. 1899.) ^ Charles-Gaspard de Leyen. « M. Philippson, Der grosse Kurfurst Friedrich Wilhelm von Bran- denburg (JU. 0-1660). Berlin, 1897, SS. 305-3 12. ( 74) le maréchal de Grammonten étaient les inspirateurs. Mazarin, voyant qu'il ne pouvait arracher la dignité impériale à la Maison de Habsbourg, avait aussitôt travaillé à « brider » le futur empe- reur, à le mettre hors d'état de nuire. En vertu du conclusum de 1658, Léopold promettait de ne fournir a aucunes armes, argent, soldats, vivres ou autres commodités, aux Espagnols soit contre les Français, soit contre les Anglais, leurs alliés '• ». Quatre semaines plus tard, la ligue du Khin fut signée 5 • On trouvera le texte de la capitulation dans Du.mont, Corps uni- versel diplomatique du droit des gens, t. VI, 2° partie, p. 220. Penaranda offrit 100,000 écus à Egon de Furslenberi:;, « à ce méchant homme », comme il l'appelle, à condition qu'il consentit à supprimer du conclusum les mots « foederatos Galliae ». (II. Vast, article cité, p. 16.) « Après que l'Empereur fut sacré et couronné, l'électeur de Cologne » lui parla en ces termes ; Vous vous êtes bien ennuyé ici, et avez long- » temps attendu ; mais c'eût été bien pis si Votre Majesté n'eût pas signé » la capitulation dans la même forme que nous lui avons prési niée, car » il est certain que vous n'eussiez jamais été empereur. Ce discours » paraîtra sans doute aussi laconique que significatif : sur quoi Sa » Majesté Impériale, ne trouvant point la répartie assez promplement, » ouvrit seulement sa grande bouche, et ne fit aucune réponse. » [Mémoires de Grammont, collection Petitot, 2^ série, t. LVI, p. 400.) - Voir le texte de cette ligue dans l'édition de II. Vast, Les ç/rands traités du règne de Louis XIV. (Collection de textes pour servir <à l'étude et à l'enseignement de l'histoire. Paris, A. Picard, 189J, 1 vol. in-8''.) Guillaume-Egon fut un des signataires du recès du 15 août. Les états catholiques avaient renouvelé, à Cologne, le 15 décembre 1654, le 11 août 1655 et le 27 septembre 1657 la confédération signée à Francfort le 21 mars 1651 par les trois électeurs ecclésiastiques. Le roi de Suède, en sa qualité de duc de Brème, de Verden et seigneur de Wismar, les ducs de Brûnswick-Lunebourg, de Celle, de Wolfenbûltel et de Hanovre, et le landgrave de Hesse-Cassel avaient conclu à Ilildesheim, la même année 1651, une ligue protectrice analogue. (Joachim, Die Entwickelung des Rlieinbundes vora Jahre 1658. Leipzig. 1886. — Pribram, Beitrag zur Gesckichte des Rheinbundes von 1658 \n Sitzungsberichte der Wiener Akademie der Wissenschaft, Bd CXV, 1887, S. 99. — W. Meier, Zut Vorgeschichte des Rhcinbundes von l6o8, in den Annai.en des Historischen Verelns fur den Niederrhein, 1896. S. 211.) ( 75 ) (15 août). Elle était la fusion des pactes particuliers que les princes allemands, catholiques et protestants, avaient conclus séparément dès l'année I60I. La France accéda à la ligue « en qualité de membre de la paix », par un traité parti- culier. A défaut de l'exercice du pouvoir impérial, Louis XIV obtenait la tutelle de l'Empire; il devenait en réalité « l'arbitre et le protecteur » de l'Allemagne. L'année suivante, iMazarin acheva son œuvre : la ligue du Rhin avait étendu la frontière militaire de la France sur la rive gauche du Rhin, le traité des Pyrénées 1 agrandit le royaume du côté du Midi et confirma l'annexion de l'Alsace et de l'Artois. La paix de Westphalie recevait ainsi son complément naturel. L La conduite cauteleuse et raclivitc incessante des comtes de Furstenberg avaient été richement rémunérées; mendiants et menaçants, ils s'étaient adressés aux grands comme aux petits Etats; chacun avait passé sous leurs fourches caudines. iMazarin les avait dotés des plus lucratifs bénéfices; la principauté de Liège les avait comblés de dons et de gratifications 2. Depuis plusieurs années, le premier ministre colonais convoitait la coarljutorcrie de son souverain. Maximilien- Hcnri avait une santé faible et délicate, et, à entendre son 1 II fut sicfnc le 7 novembre IGoO; six mois auparavant (8 mai) avait eu lieu la cessation des hostilités. Le traité assure à la France la possession du Roussillon avec Perpignan et la Cej-dagne deçà les monts, de presque tout l'Artois et de quelques positions dans le Ilainaut et la Flandre mari- time. — Sur le traité des Pyrénées, voir les travaux de J. Valfrey, Hugues de Lionne, ses ambassades en Espagne et en Allemagne; La paix des Pyrénées, de Legrelle. La diplomatie française et la succes- sion d'Espagne, 1. 1, cliap. l^""^ et rédition de Vast, publiée dans l'ouvrage précité. Les grands traites du règne de Louis XIV. - Concl. capil., reg, 156, 8 mars 1058. — État noble. Journées, res;. 100, 23 février 1G58. ( 76 ) entourage, ses jours étaient comptés i. Il hésitait à provoquer le choix de son successeur, car il lui semblait que la mort épiait ce moment pour le surprendre et l'enlever. I.a France et TEspagne avaient également prévu l'éventualité de la vacance de répiscopal liégeois 2. Mazarin soutenait les prétentions de François-Egon , tandis que la cour de Bruxelles appuyait le cardinal landgrave de Hesse, chanoine de Saint-Lambert 3. C'est à cette compétition et à cette lutte d'influence que nous croyons pouvoir rattacher l'origine de la conspiration qui fut ourdie à Liège en lCo8^. Vers la mi-août 16o8 arrivait à Liège un chanoine originaire d'Aix-la-Chapelle, nommé Arnold Marets, ancien secrétaire du comte Franço's-Egon de Furstenberg. Il avait accompagné son maître à la diète de Francfort et avait été congédié pour un motif futile; c'est du moins ce qu'il prétendait. 11 se plaignait de Toflense reçue et jurait d'en tirer une vengeance éclatante S. La Cité comptait dans ses murs quelques anciens Gri- gnoux, démocrates sincères, que poursuivait le souvenir des antiques privilèges, et auxquels la vue de la citadelle de Sainte-Walburge rappelait sans cesse l'oppression et la perte des libertés. Quelques-uns, comme Pierre Leonardi et Jacob Barasel, dit le Tapissier, avaient fait le coup de feu en 1649. ' A. IL, Corr. de Jacob Vander Burgh. Liège, 20 septembre 16o2. — Mazarin à Grammont et à Lionne, Sedan, 21 août 16o7. Lettres du car- dinal Mazarin, collection citée, t. VIII, p. 121. — A. N., K. K. 1074, Fabert à Mazarin, 27 octobre 16.-)8. ■2 Don Juan à Philippe IV, 28 février 1637. (S.E.E., t. LXXXVI, f'^ 21.) ■^ Don Juan à Philippe IV, 27 septembre 1638. (S.E.E., t. LXXXVIII, f- 68.) * Le mobile n'en a pu jusqu'à présent être découvert. [Historia populi leodiensis, Continuation de J. Foullon, Leodii, 1737, t. III, p. 336. — P. BouiLf.E, Histoire de la ville et du pays de Liège, t. III, p. 330. — Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVII« siècle, t. Il, p. 37. — de Crassier, Recherches et dissertations sur l'his- toire de la principauté de Liège, Liège. 1843, p. 444.) •■' S. E. E., ce Relacion de la Conspiracion que se a descubierto en Lieja V de su oriû;en », l. LXXXVIII, fo 130. ( "•? ) Marels s'aboucha avec eux; il leur communiqua son dessein de s'emparer de la forteresse par surprise et de destituer les principaux membres du Conseil privé; puis, à la faveur des troubles, de supprimer les impôts, de rétablir l'organisation de l'ancienne commune et des trente-deux métiers. Le projet rallia de nombreux adticrents, notamment dans la banlieue, rendez-vous habituel des esprits brouillons et mécontents. Marets n'eut pas de peine à attirer par ses pro- messes tous ceux qui cherchaient à renverser le régime existant ou qui escomptaient les profits ii tirer d'une émeute popu- laire i. Le coup de main avait été fixé au 4 septembre; mais il fut remis au 7, jour de la réunion plénière du chapitre cathédral. On avait disposé hommes et munitions. A deux heures de la nuit, les conjurés devaient, de divers côtés, pénétrer dans la citadelle et surprendre la garnison plongée dans le sommeil. Attendant le signal de l'attaque, les chefs étaient réunis chez le tavernier Libert, derrière l'église Saint-Thomas, lorsque tout à coup la maison fut cernée par une compagnie de cava- liers commandée par le grand mayeur, baron de Lynden. Les troupes allemandes accouraient; on battait le rappel des milices bourgeoises-. Les conspirateurs avaient été dénoncés 3. Marets cependant était parvenu à s'évader; mais, ne pouvant franchir les portes de la ville, il fut arrêté le lendemain dans une cave où il s'était réfugié. Après avoir subi la torture, il fut exécuté le 12 septembre; ses complices, qu'il avait dénoncés, montèrent, quelques jours après, sur l'échafaud. Leonardi opposa une résistance héroïque aux soldats qui venaient * A. H , Lucas Van Hoff à Jean de Witt. Cologne, 13 septembre 16o8. - S. E. E., Relation j3récitée, t. LXXXVIII. i\ 130. — A. E., Fonds de Liège, t. II. Lettre d'un anonyme, 13 septembre 1638, f^ 608. - Conseil privé de Liège, reg. K. 133 (1657- 1658), n» 37, 3 septem- bre 1658. — Chronique de la noble cité de Liège, Bibl. Bnu\, Ms. n '^20810. 3 Le tavernier Libert lit part du dessein des conjurés à l'abbé de Saint- Gilles, qui en avertit le Conseil privé. i T8) l'arrêter; on traîna par les mes son corps criblé de bles- sures, et c'est contre un cada\Te que la cour des échcvins prononça la sentence. Les interrogatoires et les aveux des conjurés furent tenus secrets; l'instruction fut menée avec une étrange rapidité et vainement les chefs populaires voulurent parler à la foule *. Baraset, en mourant, protesta de la pureté de ses intentions et de son dévouement aux franchises commu- nales; mais sa voix fut étouffée par les sonneries des trom- pettes et le roulement des tambours -. Marets périt sans découvrir la personnalité de son maître dont il semble n'avoir été que l'instrument. 11 est probable que Furstenberg était l'âme de cette conjuration aux dehors démocratiques. Son compétiteur, le cardinal de Hesse, était attendu à Liège 3; il avait l'appui du pape, et François-Egon désespérait de se faire élire coadjuteur par le chapitre qu'il s'était aliéné par ses allures de souverain. Bien loin de chercher à démanteler la citadelle, Marets l'aurait fortifiée pour dominer la ville, mater l'opposition des chanoines d'allures trop indépendantes, et se défaire des chefs du Conseil privé ^. Dans son projet de centralisation, tout était prévu : de nouveaux organismes judiciaires et administratifs remplaçaient le siège des échevins et le conseil de la Cité; l'autorité du prince 3 était renforcée et Furstenberg se pro- 1 A. B.. Lucas Van Hoff à Jean de Witt, Cologne. 17 septembre 1658. — Ibidem. Le même au même. Cologne, 1" octobre 1658. - HÉXAUX, Histoire du pays de Liège, t. II, p. 478. 3^ édit., 1874. ^ Il arriva le 17 septembre. (S. E. E., Don Juan à Philippe IV, 27 sep- tembre 1658, t. LXXXVm, f^ 70. - A. H.. Lucas Van Hoff à de Witt, Cologne, 17 septembre 1658. — Archives de Berlin. A. de Staveren à l'électeur de Brandebourg, Bruxelles, 12 décembre 1658. repos. 34, n» 25.) • Oq trouva chez A. Marets la liste des personnes que les conjurés se proposaient de massacrer. ,Â-H., Lucas Van Hoff à J. de Witt, Cologne, 13 septembre 1658. — S. E. E.. relation citée.) * Seize conseillers de justice et seize jurés — à la nomination de l'évêque — devaient concentrer tout le pouvoir; les écheNÏns conser- vaient toutefois la juridiction du plat-pays, mais le projet supprimait les tribunaux inférieurs, laïques et ecclésiastiques. ( T9 ) mettait l'appui de la France et même celui de l'électeur de Mayence, pour faire tourner au profit de son ambition la con- spiration à laquelle il avait su donner un caractère popu- laire ^. Celte tentative de soulèvement senit de prétexte au gouver- nement de Maximilien-Henri pour décréter des mesures de rigueur et d'autorité. A la demande du chapitre, l'évéque se décida à venir visiter sa bonne ville de Li^e. Il y demeura quelques jours, le temps de réclamer les contributions de bienvenue et de se brouiller avec le cardinal de Hesse : une question d'étiquette, une rivalité de préséance hâta le départ du candidat espagnol -. Si François-Egon n'avait pu faire réussir ses propres affaires, du moins il écartait son rival et ménageait un champ libre à ses menées et à ses intrigues 3. Pour obtenir la coadjutorerie convoitée, on le vit reprendre son altitude équivoque, offrir ses services aux ambassadeurs * La France accusa formel] ement la Maison d'AuLricne davoir ourdi le complot « pour perdre M. l'électeur de Coloi^ne et se venger du pré- » judice quelle prétend qu'il lui a fait par sa conduite dans l'assem- » blée de Francfort Jt: mais toutes les circonstances de la conspiration démentent cette version. (A. E.. Fonds de Liège. Wa^ée à Mazarin. U oc- tobre i65S, t. II, i' 610. — S. E. E.. Don Juan à Philippe IV. i5 septem- bre 1658. t. LXXXVUI.f^ liS. — A. H..Corr. citée de Lucas Van Hoâf à Jean de W itt.) - Bouille. Histoire de la ville et du pays de Liège, L TH. pp. Soi. et suiv. — Maximil «en-Henri, accompagné des Furstent)er^. vint encore à Liège le io juillet 1660. Le peuple, déçu dans son espoir de voir abolir les impôts, lui fit un accueil peu enthousiaste. J.-E. Demartelac. La Violette, L^stoire de la maùion de la Cité à Liège, p. 114.) * L'Espagne ne cessa pas toutefois de travailler en faveur de son pro- tégé. Voir Don Juan au roi. iS décembre 1658. iS.E.E..î.LXXXVIILf» £13.^ — Pliilippe IV à Caracena. i5 mars 1659. Ibidem, L LWXIX. f> U.i — Caracena au roi, T mai 1659- {Ibidem, t. LXXXIX, i" 70.) — Le roi à Caracena. 31 mars 1661. {Ibidem, t. XCU, f° 185. — Caracena à Phi- lippe IV, 1^ décembre 1663. (Ibidem, t. XQX, ^ ilO.) — Le roi à Cara- cena. 17 janvier IGdi. {Ibidem, t. C, f» o6.) — A. >'., K. 1385, Fuensal- dana à don Luis de Haro. 3 octobre 1660. ( 80 ) de France et d'Espagne i, tlatter les Liégeois en promettant d'intéresser à leur malheureux sort la cour de Paris et le gou- vernement des Pays-Bas '^. Son frère le soutenait de ses conseils et de son activité; homme d'État plus souple, plus clairvoyant, Guillaume- Egon avait l'art de sauver les apparences et de corriger les écarts de la conduite vacillante de son aîné 3. Au retour de ses courses en Allemagne, oii Louis XIV l'envoyait quêter de nouveaux alliés ou exciter le zèle des anciens 4, il apparaissait souvent < LoNCHAY, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas, p. 188. — A. iN., K. 1388. La Fuente à Philippe IV, Paris, 23 janvier 1664. — S. E. A., Fr.-Egoii de Furstenberg à Scharemberg, Bruhi, 6 septem- bre 1660, reg. S32, f" 278. — On voit par une lettre de Fuensaldana à Philippe IV que Furstenberg sollicitait à cette époque la Toison d'or. (A. N., K. 1383, 24 octobre 1660.) - Au sujet de l'intervention de François-Egon de Furstenberg dans l'échange de l'Entre- Sambre-et Meuse (provincia infcrainjiensis) contre une portion du Limbourg, voir Lonchay La principauté de Liège au ATi/e et au XVIII^ siècle, p. 90. —S. E. E., Philippe IV à Caracena,7 avril 1660, t. XC, f' 116. — A. E., Fonds de Cologne, reg. III, corr. de Fursten- berg. 3 Voir dans Guhrauer, Kur-Mainz in der Epoclie von i672. Ilam- burg, 1839, 2. Theil, S. 339, une lettre du roi de France à Gravel, du 0 août 1662. (c Pour le Comte Egon, étant né fort intéressé, il serait mal )) aisé de lui faire changer de nature, mais comme je veux bien faire de » la dépense aux choses dont je tire de l'avantage, je puis me prévaloir » de son humeur, plus que ne feront les Autrichiens qui n'ont rien à lui » donner : outre que j'ai remarqué qu'encore que led. Comte Egon » prenne parfois des pensées qui peuvent me donner de la peine, je l'ai » toujours fait aisément revenir par le moyen du Comte Guillaume son » Frère. » ^ Philippe IV à Caracena, 28 août 1663. (S. E. E., l. XCVIII, f-^ 290.) Voir dansENNEN, Frankreick undder Siederrhein, Bd I, SS. 182 u. s. w., dans A. Kocher, Gescliiclite von Haiînover iind Braunschweig, Bd I. Leipzig, 1884, SS. 293 u. s. w. et dans G. Mentz, Johann-Phi lipp von Schônborn. léna, 1896, S. 99, le rôle équivoque que jouèrent les Fursten- berg dans le renouvellement de la ligue du Rhin (26 mars 1661 et 23 jan- vier 1663). Françîois-Egon y entra lui-même en qualité d'évêque de Stras- bourg en 1663. (Chéruel, Ligue ou alliance du Rhin. Compte rendu des ( 81 ) à Liège; il ne négligeait aucune occasion d'y soutenir les inté- rêts de la France qu'il associait à ceux de la Maison de Fur- stenberg. L'Evêque avait trop à se plaindre de l'Espagne pour ne pas se plier aux désirs de son favori. Le trésor de Madrid lui devait un arriéré de 150,000 écus ', montant de six années de pension; la seigneurie de Kerpen, cet autre don gracieux du gouvernement de Bruxelles, était chargée de dettes '^\ les plus gros villages de la principauté, Saint-Hubert notamment, restaient occupés par les troupes du marquis de Caracena 3, au mépris des traités de neutralité ^. SÉANCES DE l'Académie des sciences morales et politiques, 1885, p. 42.) On trouvera clans les Vrkunden iind ActenstUcke zur Gescliichte des Kur- fiir^^ten Friedrich Wilhelm von Brandenburg , Bde II und XI, les détails (le la mission de Guillaume de Furstenberg, qui avait pour but de faire entrer le Grand Électeur dans la ligue du Rhin. * Texte des mémoires remis au nom de l'électeur de Cologne par Guillaume de Furstenberg à Fuensaldana, janvier 1661 (S. E. E., t. XCII, f' 167). — Nouvelles réclamations du 13 mai 1661 (Ibidem, t. XCIII, f" ^261). - Elle avait été donnée à Maximilien-Henri, le 27 mars 1654, « en :» considération des frais qu'il a deu supporter tant en la diète tenue à )) Katisbonne pour l'élection du roi des Romains qu'en autres occasions »; mais Furstenberg travaillait à en obtenir la cession — V'oirLéopold à Phi- lippe IV, 25 janvier 1654 (S. E. E., t. LXXXI, fo57). — Le roi à Caracena. 10 septembre 1660 [Ibidem, t. XCI, f" 27). — Le même au même, 15 jan- vier 1661 [Ibidem, t. XCII, f» 17). - Caracena à Piiilippe IV, 23 mars 1661 [Ibidem, t. XCII, f - 163). 5 Don Louis de Benavidès, Carillo y ïoledo, marquis de Fromista y Caracena, comte de Pinto, avait remplacé don Juan comme gouverneur des Pays-Bas. (Lon'Chay, La rivalité de la France et de VEspagne aux Pays-Bas, p. 191.) ^ Vainement Guillaume de Furstenberg et. le chanoine Arnoldi récla- mèrent-ils auprès de Don Louis de Haro les territoires usurpés; l'armée esi)agnole continua d'y commettre une foule d'infractions. — Voir Daris, ouv. cité, t. II, p. 39 — A. D., Kriegsacten, Kur-Koln, reg. 57, Haro à Maximilicn Henri, Fontarabie, 12 novembre 1659. — S. E. A., Corr. de Charles-Gaspard, archevêque de Trêves, 10 septembre 1659, reg. 532. - S. E. E , Philippe IV à Caracena, 27 octobre 1659, t. LXXXIX, f^ 275. — Ibidem, Caracena au roi, 23 mars 1661, t. XCII, f" 163. — Ibidem, Le Tome LIX. 6 ( 82 ) Tenu par Guillaume- Egon au courant des maladresses du cabinet de Madrid, Louis XÏV appuyait toutes les réclamations du prélat liégeois et continuait à combler ses deux ministres des plus hautes faveurs''. D'ailleurs, l'amitié de Maximilien- Henri lui assurait de sérieux avantages : sous le prétexta de faire respecter le traité de Tirlemont, il avait garni les fron- tières de la principauté d'un important corps d'observation. roi à Caracena, 31 octobre 1662, l. XCVl, f» il. — Ibidem, Don Louis de Haro à 3Iazarin, 19 décembre 1659, t. XCII, f° 183. - A. N., K. 1385, Fuensaklaila au roi, 24 octobre 1660 et Mémoire de iMaxiniilien-Henri. — Ibidem, K. 1386, La Fuente au roi, 16 juillet 1662. — Ibidem, K. 1387, Plaintes de l'Électeur remises par Furstenberg à La Fuente, 29 juil- let 1663. 1 On remplirait des pages avec la titulature des deux Egons. Nous avons vu que François avait obtenu les évêcliés de iMetz et de Strasbourg; le 17 septembre 1663. il renonça au premier de ces diocèses; son frère fat postulé le 20 du même mois, mais le F^ape rejeta la postulation et n'accorda jamais à Guillaume la bulle d'investiture. — Voici quelques-uns de leurs bénéfices : abbaye de Saint-Michel en Tliiéraclie, de Saint- Arnould de Metz, de Gorze en Lorraine (J.-B. Nimsgern, Histoire de la ville et du pays de Gorze', de Saint-Remy de Reims, de Barbeaux, de Saint-Vincent de Laon (R, Wyaud, Histoire de l'abbaye de Saint- Vincent de Laon), de Saint-Evroul en Normandie (B. N. Collection des Facïum, n" 12893 Factum pour Messire Guillaume, Prince de Furstenberg», de Saint Pierre-aux-Monts, etc. Résidant loin, ils se bornaient à percevoir les fruits de ses bénétices. En 1667, Louis XIV avait procuré déjà à Guillaume-Egon plus de 25.000 écus de rente {Mignet, Négociations rela- tives à la succession d'Espagne, t. II, p. 324) et, poursuivi par ses créanciers, le prince ne cessait de mendier de nouveaux subsides. — François, dès le 8 août 1660, avait reçu de Maximilien-Henri l'administra- tion de l'abbaye de Stavelot et du comté de Logne ; mais Clément IX ne confirma la résignation que le 10 mai 1669; la prise de possession eut lieu le 25 août 1670. (A. D., Abtheilung Stavelot-Malmédy. Registratur Abtswahl, liasse 6.— Archives de Donaueschingen, B'^, vol. 53, Franz- Egon au Pape, 24 octobre 1668. — Ibidem, vol. 55. Le même au même, Bonn, 20 janvier 1669.) — Quant aux abbayes de Lure et de Murbach, l'empereur Léopold conféra Linvestiture des droits régaliens sécu- liers, le 6 septembre 1664. (A. Gatrio, Die Ablei Murbach in Elsass, Bd II, SS. 409 u. 431.) ( 83) chargé autant de surveiller les provinces belgiques que de protéger le pays de Liège i. En 1664, la construction d'une route publi(iue, qui parlait de Sedan pour aboutir [\ Liège, était commencée. Le chemin-neu(\ comme on l'appelle dans les procès-verbaux du temps, était pour le roi de France d'une utilité ;\ la fois stratégique et économique ; il permettait à ses armées d'atteindre les confins de la Hollande, sans traverser les terres d'Espagne, et donnait aux marchands le moyen de transporter et d'échanger hiurs produits, en évitant les droits élevés et les frais de douanes que l'on percevait i> la frontière des Pays-Iîas -. Louis XIV inaugura immédiatement la nou- velle voie militaire : ce fut pour porter secours aux Pro- vinces-Unies attaquées par Tévèque de Munster 3. Mais bientôt 1 ExNEN, ouvr. cité, t. I, p. 176. - LoNCHAY, La principauté de Liège au XVII^ et au XVIII^ siècle, p. 91. — H. GoFFLNET, Notice su7^ L'ancien chemin-neuf de Sedan à Liège. (Annales de l'Institut archéol. du Luxembourg, t. XIV, pp. 163-198.) — B. ^., Manuscrits du fonds Moreau, n» 428. Mémoire concernant le nouveau chemin pratiqué par les Français. — Conseil privé. Dépêches, reg. 162, p. 17. Commission de S. M. T. G. pour le comte de La Bourlie [)Our l'établissement d'un nouveau chemin entre Liège et Sedan, 16 sep- tembre 1664. 3 Christophe-Bernard de Galen, prince-évéque de 3Iunster, « esprit » remuant de beaucoup d'ambition, qui semble plutôt né pour porter » une épée que pour porter une Crosse ». (Lettres de M»" le Chevalier GuiLL. Temple, La Haye, 1700, 1. 1, p. 5.) — Ce fut en novembre 166o que Maximilien- Henri fit passer en Hollande le corps de troupes françaises commandées par le marquis de Pradel ; l'évêque de Liège — ou plutôt son ministre — espérait profiter de la guerre pour reprendre aux Provinces-Unies la forteresse rhénane de Rinberg, ou, si les Hollandais étaient vainqueurs, devenir, grâce au crédit de la France, successeur de l'évêque de Munster. (W. Ribbeck, Die auswàrtige Politik Christoph Bernhards von Galen in den Jahrcn l66o bis 1678. Zeitschrift fur vater- landische Geschichïe und Alterthumskunde. Bd LU, 1894, S. 41. — A. E., Fonds de Cologne, t. III. Corr de Guillaume de Furstenberg, 16 sep- tembre 1665.) — Le 18 avril 1666, la paix fut signée à Clèves entre l'évêque de Munster et la Hollande; Guillaume de Furstenberg en fut un des médiateurs. \Urkunden und Actenstiicke iur Geschichte des Kur- ( H4 ) il allait s'en servir pour envahir ces mêmes Provinces, dont il entendait abattre la superbe arrogance et « mortifier lorgueil ». m. De toutes les guerres que provoquèrent les visées ambitieuses de Louis XIV, la campagne de Hollande est celle que la diplo- matie française prépara avec le plus de prudence et d'habileté. Au moyen d'un réseau de négociations admirablement ourdies, Hugues de Lionne, de 1668 à 1671, isola les États du nord de leurs anciens alliés i. De la Triple Alliance il ne restait pins rien. Charles II Stuart était aux gages de la France '^ ; la Suède avait promis, moyennant un subside annuel de 600,000 écus, de ne pas intervenir en faveur de la République 3. La plus grande partie des princes allemands avaientconclu avec la cour de Versailles des pactes de neutralité ou d'étroite union. L'Espagne était endormie et l'empereur Léopold, souverain inerte et versatile, lié par la convention secrète de 1668 ^^, fursten Friedrich-Willielm voit Brandenhurg, Bd II, corr. de Colbert à Louis XIV, à Lionne et à d'Estrades, 7 et 16 mars, 8 et 10 avril 1666. — ibidem, Bel XI, SS. 673, 693, 697, 707, 723 u. s. w.) * Consulter les travaux de 3Iignet, JSégociations relatives à la succession d'Espagne, 4 vol., 1835-1842. — Legrelle, La diplomatie française et la succession d'Espagne, 4 vol., 1888. Lonchay, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas. — Lefèvre-Pontalis, Jean de Witt, grand-pensionnaire de Hollande. Paris, 1884, 2 vol. in-8". - Traités de Douvres, l^rjuin 1670 (Mignet, ouvt. cité, t. III, p. 187) et de Whitehall, 10 décembre 1670 (Salnt-Prest, Histoire des traités de paix, t. I, p. 284). ^ 14 avril 1672. (H. Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV. Paris, 1898, t. II, p. 28.) ' Le 20 janvier 1668 avait été signé à Vienne, entre le chevalier .lacques Bréthel de Grémonville et le prince Auersperg, ministre de l'empereur Léopold, un traité secret de partage de la monarchie espa- gnole, subordonné au décès de Charles II sans descendance légitime. ( 85 ) s'était engagé i^ ne pas secourir les ennemis Hc Louis X(V i. Guillaume-Egon avait contribué à la réalisation de cette grande œuvre diplomatique. Dès 1664, il jetait h Vienne les bases du traité pour le partage éventuel de la monarchie espa- gnole 2 et la Maison d'Autriclie récompensait ses démarches en élevant la famille de Furstenberg au principal 3 (12 mai 1664). L'Empereur se flattait-il de regagner encore h sa cause ces dan- gereux diplomates ou ne cherchait-il qu'à les compromettre vis-à-vis de la France? Efforts vains et tardifs. Devenus princes d'Empire, les Furstenberg ne modifièrent en rien leur ligne de conduite ; nous les voyons bientôt organiser, avec une admi- rable mise en scène, les congrès de Cologne* (2 août 1667) et • Convention du 1" novembre IGTl. (II. Vast, oiivr. précité, p. 25.) - Consulter pour ses négociations à Vienne et à Mayence, de 1664 à 1667, Legrelle, ouvr. cité, t. I, pp. 106 et suiv. — Mignet, ouvr. cité, pp. 324 et suiv. — Pribram, Franz-Paul Freihcrr von Lisola, l6iS- 1674, und die Politik seiner Zeit. Leipzig. 1894, SS. 331 u. s. w., 370 u. s w. — J. Gross.mann, Die Gescliàftsordnung in Saclien der àmseren Politik ani Wiener tlofe zii Kaiser Leopolds und Lobkowitz Zeiten, inden FoRSCHUNGEN zuK DEUTSCHEN Geschichte, 1872, Bd XII, SS. 4.i9-474. — Guillaume avait déjà travaillé en 1660 à rétablir les relations entre les cours de France et d'Autriche (R^cî^e// des Instructions données aux ambas- sadeurs et ministres de France. Autriche, publié par Sorel, p. 40). On sait comment les ministres de Vienne refusèrent, en 1667, de se confier à un médiateur que le prince Wenzel Lobkowitz appelait « un esclave traître à sa patrie, à ses parents et à ses amis ». 5 Aux archives de la famille des Furstenberg à Donaueschingen est conservé l'original du diplôme, daté de Straubing. et scellé du sceau d'or impérial, qui confère aux comtes François, Guillaume et Hermann- Egon le titre de princes de l'Empire. Léopold atfecle de vouloir récompen- ser les services rendus à la dynastie par les ancêtres des Furstenberg « qui avaient fait partie du Saint-Empire, depuis 931, comme ducs de Zaehringen, landgraves d'Alsace et ducs d'AUemanie ». La bulle impé- riale rappelle aussi les hauts faits du comte Conrad, « général de l'ordre des Cisterciens, cardinal et légat du pape, qui prêcha en Allemagne et en Espagne la croisade contre les Albigeois ». ^ Auerbach, La diplomatie française et la cour de Saxe {1 641- f 680). Paris, 1887, pp 267, 300, 315. — Urkunden und Actenstiicke zur Geschichte des grossen Kurfursten, Bd XII, SS. 712-717, 806-819, 892, u. s. w. ( 86 ) de Bielefeld ^ (7 avril 1671), dont « le grand dessein » était moins de veiller au repos de l'Empire que de constituer, par c( l'étroite union » des Etats du nord-ouest de l'Allemagne, une nouvelle ligue du Rhin et de soutenir les projets du roi de France contre la Maison d'Autriche. Mais c'était surtout dans les petites cours germaniques que Guillaume-Egon avait déployé son -activité fébrile, nouant dans l'une quelque alliance, discutant dans l'autre quelque pension, travaillant partout à raffermir ceux que les remontrances de Tambassa- deur impérial, François de Lisola, plus clairvoyant que son maître, essayaient d'ébranler. - Véritable incarnation de l'agent diplomatique, qui, selon La Bruyère, doit être « un Caméléon, un Protée )), il faisait, dit un contemporain, tant de différents personnages que le plus souvent on ne savait à qui Ton avait affaire quand on trai- tait avec lui ^. Encore bien qu'il fût dirigé de loin par le cabi- net de Versailles, le prince Guillaume se présentait seulement en qualité de plénipotentiaire de l'électeur de Cologne ^. Alle- * A. KôCHER, Geschichte von Hannover-Braunschweig, 189o, Bd II, SS. 172 u. s. w. — Urkunden und Actenstiïcke ziir Geschichte des grossen Kiirfursten, Bd XIII, Einleitimg, SS. 6 u. 7. — Samuel Plfendorf. De rébus gestis Friderici Wilh. Magni, Electoris Brandenburgici, 1694, liber XI, §§-20 et ^21. - Sur Lisola (-22 août 1613-19 décembre 1674), célèbre diplomate et publiciste franc-comtois, entré au service de l'Empereur, consulter le savant travail précité de Pribram. Le plus connu des pamphlets de Lisola est le Bouclier d'Estat et de Justice contre le dessein manifestement décou- vert de la Monarchie Universelle, sous le vain prétexte des prétentions de la Reijnede France. 1667, in-12 de 338 pages. '" Du MoxT, Mémoires politiques pour servir à la parfaite intelligence de la paix de Ryswick. La Haye, 1699, t. III, p. 74. — Nous le voyons ainsi en 1661, dans une mission à Paris, se mêler du mariage entre Mademoiselle de Montpensier et le duc de Lorraine. {Mémoires de M"^ de Montpensier, collection Petitot, 2^ série, t. XLIII, p. 2.) ^ « Mais comme il falait séduire les Alemans, le Roy avait besoin d'un » oiseau de rapel de leur païs, qui par la resemblance de son chant, atti- )) rerait les autres dans les filets. Ainsi conservant la voix de Jacob, il ( 87 ) mand de nationalité. Français par intérêt, il épargnait aux agents otlîcicls do Louis XIV des négociations parfois difii- ciles 1 et conservait au puissant monarque sa précieuse clien- tèle germanique. Il n'y eut guère que le grand-électeur de Brandebourg qui se montrât rétif à ses propositions et qui sût résister à la séduction des pistoles françaises. Dès 1606, tandis que la guerre sévissait entre Tévêque de iMunster et la Hol- lande, le chancelier de Cologne était allé sonder les intentions de Frédéric-Guillaume P"" ^^ : celui-ci, obligé de subir les con- séqu<^nccs (îe l'indécision de l'Empereur, se tint sur la réserve. Vers la tin de Tannée 1669, Furstenberg parut de nouveau ;'i Ber- lin; il apportait cette fois un plan alléchant, mais chimérique, qui ne tendait à rien moins qu'à partager les Provinces-Unies entre les puissances voisines; le morcellement de la Hollande était, au dire de l'émissaire de Louis XIV, le seul moyen de » empruntait les mains d'Esaii... 11 prennait les Princes par leur faible, » il en connaissait le génie, et les ébranlait par leurs passions régnantes. » {Traité curieux sur l'enlèvement du Prince de Furstenberg. A Viile-Fran- che. 1676, in-4% p. 6.) ' A la mort de l'archevêque Jean Philippe de Schônborn (l^r octo- bre l(36oj, Guillaumc-Egon accourut à Mayence pour faire des ouvertures à son successeur, le baron de Metternich. Ce dernier refusa de soutenir la politique belliqueuse de Louis XIV. Valckenier, l'ambassadeur hollan- dais à la diète de Francfort, nous raconte que pendant ces négociations, se proiluisit un incitlent qui peint bien les sentiments de Furstenberg : les Chartreux de Mayence oifraient un repas aux: personnages de mar- que qui se trouvaient alors dans la résidence électorale. La santé de l'Empereur fut portée. Lorsque vint son tour de se lever, Furstenberg, prenant son verre, en versa le contenu à terre, ce qui provoqua une scène tumultueuse. Le comte de llalzfeld. ambassadeur impérial, s'élança sur Guillaume pour le châtier, et l'intervention de l'Électeur parvint seule à rétablir momentanément l'ordre. Mais au moment où l'on but à la santé du roi de France, le comte de Hatzfeld. s'approchantde Egon. lui arracha le verre et lui en lança le contenu au visage. (Pieter Valckenier. Verwerd Europa, Amsterdam, 1688, t. 1, p. 507.) - Irkunden und Actenstiicke zur Geschiclite des Kurfursten Friedrich- WiUielni von lirandenhurg , Bd 11, Colbert à Louis XIV. 7 et 16 mars 1666; Lionne à Colbert, 26 mars 1666, etc. (88 ) conjurer une guerre inévitable i. L'Electeur ne se laissa ni séduire ni compromettre; sa politique ondoyante, éminem- ment réaliste, déjoua tous les projets du ministre qu'un cour- tisan de Versailles avait appelé, non sans malice, le plus « cher ami » de la France. Si Guillaume-Egon échouait à Berlin, il remportait dans d'autres négociations des succès inespérés : il entraînait les évêques de Munster -, d'Osnabrùck 3 et Jean-Frédéric, duc de Brunswick-Hanovrci à signer avec le roi Très-Clirétien des traités auxquels on donnait volontiers le nom de « neutralité ». A Munich, Furstenberg avait l'appui de son frère Hermann ; sous prétexte d'une visite à rendre à la comtesse de Lôwen- stein, sa sœur, il vint à la cour plaider lui-môme la cause de l'alliance franco-bavaroise; il comptait intluencer les princes encore indécis de l'Allemagne en engageant l'Electeur personnellement dans les hostilités. Ferdinand- Marie, après avoir consulté la « trinité » qui régissait à ce moment son gouvernement, accorda tout ce que le ministre de son cousin de Cologne lui réclamait s, notamment l'envoi d'un 1 Samuel PufExNDOUF, De rébus gestis Friderici WiUi. Magni, Elec- toris Brandenburgici, 1694, XI, §§ 5, 6 et 16. - Gust. Droysen, Ges- chichte der preussischenPolitik, III Theil, SS.2-20 ii. s. w.— H. Peter, Z)é?r Krieg des grossen liurfursten qegen Frankreirk (i61-2- [61 d). Halle, 1870. in-8°, pp. 19 et suiv. — Hans Prutz, Ans des grossen Kurfiïrsten letzten Jahren. Berlin, 1897, SS. 18-iO. — Urkunden iind Actenstiicke zur Ges- chichte des grossen Kurjursten, Bd XII, SS. 89-2, 894; Bd XIV, S. 439. — D'après ce projet, Frédéric-Guillaume devait recevoir la Gueldre et Ziitphen; l'évêque de Munster, l'Over-Yssel; l'archevêque de Cologne. Ulrecht; le palatin de Neubourg, Groningue; le Briinswick-Lunebourg, la Frise occidentale; la France se réservait les pays à l'ouest de la Meuse; le prince d'Orange obtenait la Hollande et la Zélande. ■^ Traité de Bilefeld du ^28 juillet 1671. 3 Traité de Cologne du 23 octobre 1671. *• Traités de Hildesheim (10 juillet 1671) et de Hanovre (10 décem- bre 1672). — Sur ces négociations, voir, outre les travaux précités, 0. von Heinemânn, Gescliichte von Braunscliweig und Hannover, Gotha, 1892, BdlII, S. 134. 3 Traités de Munich des 17 février 1670 et 27 mai 1672. Convention militaire du 25 avril 1672. ( 89 ) corps de troupes auxiliaires^. Maximilien-Henri ne promit pas une simple neutralité passive; il s'engagea à donner à Louis XIV le libre passage des vivres et l'établissement de magasins; il lui laissa construire un pont sur le Khin à telle place qu'il plairait au roi de choisir -. L'armée française pou- vait ainsi envahir la Hollande, sans inquiéter aucun des Etats intermédiaires : deux chemins lui étaient ouverts, le Rhin par l'électorat de Cologne, la Meuse par l'évêché de Liège. En retour, Furstenberg avait obtenu pour son maître de brillants avantages pécuniaires et l'assurance de recouvrer Hinberg •', Maestricht ^, les seigneuries de Lith et de La Kochette ^, dès * Michel Doeberl, Der bayerisclie Hilfskorps iin Kolner Diensten zitr Zeit des z-weileji Raubkrieges, 1898. ■^ Traité de Hildesheim du 11 juillet 1671. (Voir Ennen, loc. cit., Bd 1. S. 233. — C. RoussET, Histoire de Louvois, 1. 1, pp. 336 et suiv. — Griffet, Recueil de lettres pour servir d'éclaircissement à l'histoire militaire du règne de Louis XIV, La Haye, 1760. Mémoire envoyé au Prince Guillaume par Louvois, ^'i août 1671.) — Par une lettre datée du 30 mai 1665, Maximilien s'était déjà engagé à ne donner en aucune façon passage aux troupes impériales qui marcheraient au secours des Pays-Bas (A. E., Fonds de Cologne, t. III, f° 333i. Une convention secrète fut passée à ce sujet à Saint-Germain-en-Laye, le '22 octobre 1666, entre Lionne et Guil- laume-Egon. (Mignet, ouvr. cité, t. Il, p. 28.) 5 La restitution de cette place que les Provinces- Unies avaient enlevée aux Espagnols pendant la guerre de l'indépendance avait déjà été l'objet de fréquentes négociations de Guillaume-Egon à La Haye. « Rhinberg n'a » esté qu'un prétexte avec lequel les Furstenbergues ont porté le pauvre » Électeur à se plonger là où nous le voyons.» (A. H., Duitschland, Grana à Lisola, Cologne, 4 décembre 1671.) — Voir Pribram, Frani- Paul Freilierr von Lisola, SS. 53o u. s, w. — Urkunden und Acte?istiicke zur Geschichte des grossen Kurfiirsten, Bd XIII. SS. 124-152. — S. E. A., reg. 245, Relation de l'abbé de Bellevaux, 12 mai 1672. — Lettres, Mémoires et Ségociations du comte d'Estrades, Londres, 1743, t. VI. — Le pamphlet de Lisola intitulé : Le Dénouement des intrigues du temps, par la réponse au livret intitulé Lettres et autres pièces curieuses sur les affaires du temps, par le S. J. P. P. B. A. Bruxelles, 1672-1673. ^ Maestricht faisait partie de l'évêché de Liège, mais les Hollandais y tenaient garnison depuis 1632. 5 Lith et La Rochelte devaient être restituées au chapitre de Saint- ( 90 ) que ces places seraient enlevées aux Provinces-Unies. En outre, Monsieur de Strasbourg avait signé avec Verjus, comte de Crécy, un accord particulier par lequel « toutes les posses- sions des Hollandais dans les bailliages de Dalem, de Fauque- mont, de Rolduc, situées outre Meuse, appcirliendraient, après avoir été conquises, à la branche de rurstonberg-Heiligen- berg 1 » . Mais de nouveaux événements allaient inféoder plus intime- ment encore à la France Maximilien-Henri de Bavière. Pour défendre ses privilèges de cité impériale et ses droits de juridiction civile et criminelle, Cologne venait de déclarer la guerre à larclievêque '^. Impériaux et Hollandais avaient pris fait et cause pour les bourgeois révoltés. Lisola leur avait envoyé de La Haye un ingénieur pour améliorer leurs fortifica- tions; un officier énergique, le colonel hollandais Bampfield, avait renforcé la garnison au moyen de soldats aguerris 3. L'Electeur faisait alors en Italie un voyage de dévolions et de pèlerinages 4. Los deux Egons tenaient les rênes du gouver- nement; ils réclamèrent l'assistance de Louis XIV, et bientôt quinze mille hommes de troupes françaises s'établissaient dans l'électorat. Tandis que la ville de Cologne, mal appuyée par Lambert; les Provinces -Unies revendiquaient la souveraineté de ces seigneuries. (Daris, ouvr. cité, t. II, pp. 49 et oO. — A. E., Fonds de Liège, t. III. Le chancelier de Liège à Valdor, 4 mai 1CG3. - Ibidem, Mandement de Maximilien-Henri. Liège, 11 juillet 1669. — Concl. capit., reg. 160, 13 juillet 1669. — lbidem,\'eg. 161, 9 octobre 1671. < Marquis de Pomponne, Mémoires, édition J. Madival, p. 213. — MiGNET, ouvr. cité, t. III, p. 292. 2 A. H., Duitschland, Corr. du baron de Lisola et du marquis de Grana. — A. C, Chroniken und Darstellumjen, Ms. von Meiung, Materialien- sammlung zur Geschichtedes Kurfurslen Maximilian-Heinrich, passim. — Ennen, ouvr. cité, Bdl, SS. 196 u. s. w. — A. Kôcher, ouvr. cité, Bd II, S. 173. — Erdmannsdorffer, Deutsche Geschiclite, Bd I, S. 402. ^ A. C, Kôln und das Reich. Corrcspondenzen. Lisola au bourgmestre de Cologne. La Haye, 23 décembre 1670. ' A. D., Domstift Coin, n° 1246. Déclaration de Clément X, du 30 août 1670. ( 91 ) la cour de Vienne i, était obligf'e de se soumettre 2, le prince Guillaume signait à Brûhl un traité d'action et d'alliance offen- sives qui renforçait Tarmée de Louvois d'un puissant corps auxiliaire (fî janvier 1G72) '^. Le 27 mai 1672, TÉlecteur lançait aux États généraux des Provinces-Unies une déclaration de guerre K C'était un nouveau succès pour Furstenberg qui espérait compléter ses victoires diplomatiques, en révélant à la tête de son régiment ses talents jusqu'alors inconnus de chef d'armée 3. Maximilien-Henri allait regretter amèrement d'avoir obéi aux volontés de son premier minisire. Cette guerre, où il s'engageait aveuglément à la suite d'une puissance trop forte et peu scrupuleuse, devait avoir pour le pays de Liège des conséquences désastreuses. • A. C, Kôhî und das Reicfi, Correspondenzen. Bampfield a de AVitt, 4 décembre IGTl. - 7 janvier 167-2. (A. D., A'", Kurfurstenthum Coin, n" 3283.) 5 Voir dans Saint-Prest, Histoire des traités de paix, t. 1, pp. 470 et siiiv., les textes des différents accords signés par les ambassadeurs fran- çais avec l'électeur de Coloçjne. ■* Pour la guerre de Hollande, nous renvoyons aux ouvrages précités, ainsi qu'au travail de Deppixg, Geschichte des Kiieges der Munsterer und Côlner im Bïindnisse mit Frankreich gegen Holland in den Jahren i672, 1673 und 1674. Munster, 1840. l vol. in-8°. » Sur le régiment de Furstenberg, composé surtout d'Allemands, « tous vêtus de drap bleu doublé de jaune », levés dans le comté de Waldeck, voir C. RoussET, ouvr. cité, t. I, p. 186. — Salnt-Simon, Mémoires, Collection des grands écrivains de la France, t. VII, p. 108. — Urkunden und Actc7istHcken zur Geschichte des Kurfïirsten Friedrich-Wilhelm von Brandenburg, Bd XIII, S. 108. Relation de Blaspeil, Hamm, 29 fé- vrier 1672. — A. H., Verschiedene Aduiesen. Keulen, 13 mai 1672. ( 92 ) CHAPITRE IV. LA PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE PENDANT LA GUERRE DE HOLLANDE. Les premières mesures de Louis \IV. — L'opinion publique dans la principauté. — Les pamphlets de Lisola. — Passage des armées françaises. — Misère du pays. — Guillaume de Furslenberg et Maximilien. — La campagne de -1678. — Ligue de La Haye. — Maximilien abandonné par Louvois. — Importance de la citadelle de Liège. — Projets des Impériaux. — Lisola et le comte de Monterey. — Le congrès de Cologne. — Enlèvement de Guillaume de Furstenberg. — Maximilien se récon- cilie avec la Maison de Habsbourg. — François de Furslenberg doit se retirer en France. — Reprise des intrigues de Lisola. — Le cardinal de Baden et Descar- rières. — Prise de Liège par les Français. — Ses conséquences. - Conférences de Marcliienne-au-Ponl. — La citadelle de Sainle-Walburge est démolie. — Révo- lution de Liège I. La nouvelle des préparatifs de guerre de l'Électeur causa dans la principauté de Liège une vive émotion. La nation se relevait à peine des terribles épreuves par lesquelles elle avait passé pendant les premières années du règne de Maximi- lien. Des relations avec les peuples voisins s'étaient renouées; le commerce et l'industrie s'essayaient à retrouver leurs débouchés à l'étranger. Tandis que les efforts des citoyens étaient dirigés vers un avenir de paix et de travail, l'Evêque, aussi aveugle qu'impré- voyant, livrait son pays encore meurtri et souifrant à tous les désastres de l'invasion. Louis XIV considérait la principauté comme un fief de sa couronne et y commandait en souverain ; aux yeux de ses agents, elle était une province conquise; ses armées allaient la traiter en terre ennemie. Dès 1071, les recruteurs français parcouraient le pays pour raccoler des soldats, et le grand roi faisait jeter deux ponts, l'un en aval, l'autre en amont de Liège, ( 93 ) pour le passage des troupes '. Le drapeau \i fleurs de lys flottait sur les rives de la Meuse. Ces agissements mécon- tentaient singulièrement la population qui prévoyait les préju- dices commerciaux d'une rupture ouverte avec les Provinces- l'nies. Des pamphlets — expression de l'opinion publique — avaient signalé à l'Évêque l'impopularité et les dangers de sa politique belliqueuse. Avertissements inutiles! Maximilien n'était plus maître de ses destinées. Le 9 septembre 1G71 2, il lançait un appel ii tous les déser- teurs français, promettant, au nom de Louis XIV, un pardon général à ceux qui s'enrôleraient sous sa bannière 3. Une pro- testation du chapitre cathédral répondit à cet acte de vassalité; les chanoines blâmaient le souverain de vouloir rompre la neutralité du pays et de porter atteinte à son autonomie ^. Pareil reproche, émanant du premier corps de l'État s et noti- fié aux gouvernements voisins 6, blessait tout à la fois l'orgueil 1 Bouille, Histoire de la ville et du pays de Liège, t. III, p. 364. — LoNCHAY, La principauté de Liège au XVI1« et au XVIII^ siècle, pp. 93 et suiv. — Daris, ouv. cité, t. IL, pp. 51 et suiv. — F. Wag.xer, Historia Leopoldi Magni Caesaris Augiisti, 1719, t. I, p. 286. - Lisola à l'empereur Léopold, 1er janvier 1672, cité dans Pribram, l-'ranz Paul Freiherr von Lisola, S. 538. ■' Concl. capit., reg. 161. — Archives du royaume à Bruxelles, Papiers du conseil d'État, carton 302, Atïaires de Gour à Cour, relations avec le pays de Liège. ' 6 octobre 1671. — Maximilien-Kenri, ayant en outre levé à Cologne, auxfrais de la principauté, un petit corps d'armée dont la bannière portait les armes de la Cité, le chapitre lança une nouvelle protestation. [Concl. capit., reg. 161, 15 et 19 février 1672.) •■' Les chanoines de Saint-Lambert profilaient de toutes les occasions }»our intervenir dans les affaires du pays et restreindre l'autorité souve- raine (Conr/. capit., reg. 161, 3 et 6 septembre, 22 octobre 1670, et Il avril 1671). '• Conseil privée Protocoles, reg. 116, 28 novembre 1671 et 7 avril 1672. — Concl. capit., reg. 161, 4 novembre 1671 et 27 mars 1672. — A. H. Kesolutien van de Staten Generaal der Vereenigde Nedcrlanden, gedu- rende het jaar 1672, 3 en 14 a[)ril 1672. — A. E., Fonds de Liège, t. III. Mémoire touchant l'envoi que S. A. a résolu de faire en qualité de prince i 9-i ) de Maximilien i et maintenait en éveil les Liégeois menacés dans leur sécurité. A la faveur des hostilités, chacun espérait satisfaire ses con- voitises ou réaliser ses desseins ambitieux. L'évêque de Stras- bourg croyait arriver à la coadjutorerie - ; la cour de Bruxelles méditait un coup de main sur la citadelle de Sainte- Walburge ■\ Lisola, dont l'infatigable activité et la plume mordante ^ combattaient partout et sans cesse la politique de Versailles, avait répandu à Liège un écrit où il donnait libre cours à son esprit satirique et à sa haine contre la France. Sous le titre de Lettre d'un gentilhomme liégeois à Messieurs de Liège 5, le célèbre diplomate franc-comtois dénonçait les visées de Louis XIV et les mobiles de ses atiîdés liégeois. « La moitié » du Conseil privé, laisse-t-il entendre, est corrompue par » argent, le chancelier Liverloz 6 gagné par des récompenses, » Furstenberg poussé par le désir de régner... » Il mettait en garde ses o compatriotes » contre la « stupidité d'un Prince de Liège, à Paris. Bruxelles et La Haye, octobre 1671. — Ibidem, mars 16T-2. * L'évêque répondit à la protestation du chapitre, du 6 octobre, par un mandement défendant d'imprimer et de placarder aucun écrit ayant le caractère d'ordonnance, sans son autorisation. — Voir le texte dans le Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, îi^ sér., 3^ vol., p. 362. - A. N , K. 1401. La reine régente à Monterey, Madrid, 13 avril et 8 juin 1672. 5 ARCHrvES DU ROYAUME A BRUXELLES, Corr. de Jean Gaene, prévôt de Condé, résident espagnol à Liège ; Papiers du Conseil d'État, carton 302, 23 septembre 1671. ^ Voir dans l'ouvrage précité de Prier Aii, p. 3ol, la liste des pam- phlets, hbelles et mémoires attribués à Lisola; celui-ci avait pris le nom de guerre de ^^'ol|fgang et le pseudonyme de Fr. de ^Varendorp. ^ Lettre d'un gentillwmme Liégeois à }lessieurs de Liège, in-16 de 2o pages, datée de Hambourg, le 24 février 1672. * Au sujet de ce personnage, voir A. E., Fonds de Liège, t. 111, M. de Gomont au prince de Strasbourg, 14 octobre 1667, et Archives du royaume à Bruxelles, Corr. citée du prévôt de Condé, carton 302, 19 sep- tembre 1671. ( 95 ) )) qui est le parricide de ses peuples, lorsqu'il en devrait être » le Père, un Traître à l'Empire, un Monstre à la Maison de j) Bavière ». Mais voici qu'il fait appariiîlre la figure de Furstenberg ; aus.sitùt le pamphlétaire s'enflamme, ne se pos- sède plus, et de mordant devient tielleux. Furstenberg, s'écrie- t-il, qui c< dans sa Prélature n'a de Bréviaire que sa bouteille, » d'Autel que la table de ses excès et de ses débauches, de bon )) sens (jue les fureurs et les emportements de son vin, de Reli- )) gion que celle de l'intérêt qui est la règle de sa piété, de vue )) que la grandeur de votre Etat pour le gagner à l'ambition » de ceux qui le payent, de fin que l'élévation de vos dignités )) les plus saintes pour les sacrifier à son orgueil, après les » avoir achetées par ses simonies. Intrabit ut Vulpes, regnalni » ut Léo i. )) Peu de jours après parut une réponse à ce libelle: elle était intitulée Réponse d'un bourgeois de Liège au gentil- homme liégeois -. On la disait dictée par le prince Guillaume de Furstenberg -"î. Cependant le conseil de la Cité, voulant mettre la ville i. l'abri d'une surprise, rétablissait la compagnie bourgeoise des Dix Hommes ; puis, profitant du départ d'une partie de la gar- nison allemande, levait un corps de huit cents soldats -*. Ces mesures de surveillance épargnèrent à la Cité le sort cruel des bonnes villes de Tongres, de Visé et de Maeseyck -5. Turenne, au mépris des assurances royales 6, avait jeté dans ces places * Lettre d'un gentilhomme liégeois à Messieujs de Liège, p. 19. - Réponse d'un bourgeois de Liège au gentilhomme liégeois^ in-16 de 67 pages, datée de Liège, o mars 167:2. '' J. Haller, Die deutsche Publizistik in den Jahren 1 668- f 67 4. Ein Beitrag zur Geschichle der Raubkriege Lmtivigs XIV (Inaugural Disserta- lion zur Erlangung der Doktorwurdej, Heidelberg, 189:2. ^ Concl. capit., reg. 161, 7 avril 167-2. — Comeil privé. Guerres civiles , reg. n« 136, 7 avril 1672. — Comeil privé , Protocoles, reg. n» 116, 30 mars l67ï>. — Chronique du pays de Liège, Bibl. Un. Liège, Ms., n° 811. ^ Daris. ouvr. cité, t. II, pp. 51 et suiv. — Lonchay. La principauté de Liège au XYIbet auXVIlI' siècle, pp. 9o et suiv. ^ Conseil privé. Protocoles, reg. 116, "20 avril 1672. — A. £., fojids de Liège, t. III, 41 avril 167:2. — Bouille, ouvr. cité, t. III, p. 364. ( 96 ) sa soldatesque pillarde qui ravageait laHesbaye etleCondroz'i. Ce fut une suite d'exactions, de meurtres et d'incendies. Le pays de Liège expiait chèrement son union personnelle avec l'éleclorat de Cologne-. On n'entendait que plaintes et misères; on « mangeait partout l'habitants ». Le chapitre cathédral et les trois États implorèrent la protection de l'Empire 4- ; la Cité menaça de se révolter ». C'était à Brûhl, dans son laboratoire d'alchimie et d'arcanes, que Maximilien apprenait la dévasta- tion de la principauté. Aux demandes incessantes d'interven- tion de ses sujets épiorés 6, il avait lui, le fatal indolent 7, conseillé la résistance 8 alors que c'était de son consentement * A. E., Fonds de Liège, t. III, 13 et 15 mai, 22 septembre 1672. - Ibi- dem, Liverlo à M. de Strasbourg, 31 octobre 1672. — Concl. capil., recf. 161, 14 mai, 12 août et 14 octobre 1672. — Conseil privé. Protocoles, leg. 116, 11, 13, 15, 20 et 25 mai 1672. - Voir dans le registre 116 des Protocoles du Conseil privé, la réponse du comte de Chamilly au Conseil privé, qui insistait sur la distinction entre les États de Liège et de Cologne f3 juillet 1672'. 5 A. E., Fonds de Liège, t. III. Mandements des généraux français, comte de Chamilly et duc de Duras, respectivement des 4 août et 28 sep- tembre 1672, et le rapport du lieutenant-bailli de Hesbaye, de septem- bre 1672. — Concl. capit., reg. 161, 30 septembre 1672. ^ Concl. cnpit., reg 161, 20 septembre et 22 novembre 1672. — Bouille, ouvr. cité, t. III. p. 368. — État noble. Journées, reg. 102. Lettre des trois États réunis à Lisola, 9 octobre 1672. ^ A. H., Corr. de l'agent hollandais, H. de Bilderbeck, Cologne, 18 no- vembre 1672. — A. E., Fonds de Liège, t. III. François-Egon de Fursten- berg à Pomponne, 17 mai 1672, f • 415. ^' A. E., Fonds de Liège, t. III, 28 septembre et 21 octobre 1672. — Conseil privé, Protocoles, reg. 116, 31 mai et 13 juin 1672. — Concl. capit., re^. 161, 14 septembre et 10 octobre 1672. " Le bruit courait que Maximilien voulait résigner son évèché de Liège en faveur d'un prince français. [Conseil privé. Protocoles, reg. 116, 30 mai 1672. — Lisola au chancelier impérial Hocher, La Haye, 27 sep- tembre 1672, lettre publiée par JuL Grossmann, Der kaiser licheGesandte Franz von Lisola im Haag, 4672-1675, dans le 51^ volume de I'Archiv FUR ÔSTERREICHISCHE GeSCHICHTE.) ^ k.^., Fonds de Liège, t. III. Ordonnance du 15 octobre 1672. — Bouille, ouvr. cité, t. ÏV, p. 368. ( 97 ) que les troupes alliées envahissaient ses Etats et occupaient les forteresses ^. Le récit de la campagne de Hollande n'est plus à faire. Les premières opérations furent, selon l'impertinente prédiction de Louis XIV, « un voyage d'agrément ». Les Furstenberg firent les honneurs de l'archevêché de Cologne au puissant monarque et à sa brillante armée 2. Sans un coup de canon, aussitôt qu'elles furent investies, Rinberg 3, Wesel, Buderich et Orsoy tombèrent aux mains des Français. Les Hollandais, surpris de toutes parts, demandèrent la paix. Guillaume-Egon avait fait sortir Maximilien de sa retraite pour lui donner le spectacle de ses exploits guerriers 4. Us furent de courte durée. Les con- ditions humiliantes que voulut imposer le roi de France indi- gnèrent les Provinces-Unies; les vaincus eurent l'héroïsme du désespoir et rompirent les digues. Les troupes françaises, arrêtées par l'inondation et par l'habileté du prince d'Orange, que la révolution venait d'élever au « stadhoudérat », se replièrent sur les terres de Maximilien-Henri 5. ' Le 5 juin 167'ii, Maximilien avait reconnu au roi de France la posses- sion de Tongres et de Maeseyck. Le texte du traité, qui fut négocié entre Guillaume de Furstenberg et Louvois, figure dans le reg. 161 des Concl. capit., f*^ 54S. Le chapitre de Saint-Lambert protesta, le 19 septembre, contre cette violation de neutralité. {Concl. capit., reg. 161, f® 543.) — Voir aussi A. H., Corr. de H. de Bilderbeck, Cologne, 15 novembre 1672. - A. H., Keulen, Verschiedene Adviesen, 3 juin 167-2. — Voir dans Pribram, ouvr. précité, la lettre de Grana à l'Empereur, du 5 juin 1672, p. 550. 2 A. C.,UEmîiG,Materialsa}nmlung zur Gescliichte des Kurfursten Maxi- rnilian-lleinrich. Chroniken und Darstellnngen, Ms. n» 129\ François- Egon au comte d'Estrades, Groningue, 12 août 1672. — Louis XIV avait abandonné à 3Iaximilien-Henri l'administration de la police, de la justice et des affaires spirituelles à Rinberg. * Les provinces de Frise et de Groningue furent envahies par les troupes de Munster et de Cologne. (Voir dans Depping et dans Ennen, ouvr. précités, les récits de la campagne de Hollande, et des démêlés qui surgirent entre les Furstenberg et l'évêque de Munster, Christoi)he-Bernard de Galen.) ^ LoxcHAY, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas, pp. 253 et suiv. ToMR LIX. 7 ( 98 ) La vallée de la Meuse et celle du Rhin furent, l'année sui- vante, le théâtre des hostilités et des intrigues. II. Lorsque, au printemps de 4673, Louis XIV reprit la cam- pagne, l'Europe, menacée du joug de ce monarque, fatiguée de ses hauteurs, commençait à se conjurer contre lui. L'élec- teur de Brandebourg, le premier, avait signé avec les Pro- vinces-Unies un traité d'alliance t; l'Autriche y avait adhéré. Le gouverneur des Pays-Bas, l'énergique comte de Monterey, attendait les ordres de Madrid pour déclarer ouvertement la guerre; Lisola s'etforçait de réveiller de son assoupissement l'empereur Léopold et travaillait, de concert avec Guillaume d'Orange, à former contre la France une ligue armée de tous ses adversaires 2. Partout d'ailleurs, parmi les neutres, parmi les alliés mêmes, à des degrés divers, se manifestaient l'inquié- tude, les ressentiments, l'irritation. L'Angleterre était disposée à se rapprocher des Hollandais; le gouvernement suédois, au lieu d'intervenir en faveur de Louis XIV, se contentait d'otfrir sa médiation; un congrès allait s'ouvrir à Cologne 3. Les pré- lats de Munster et de Cologne, boucs émissaires de la dernière expédition, cherchaient l'occasion de faire leur soumission à l'Empereur. Maximilien-Henri n'était plus retenu dans l'al- liance française que par les instances de Furstenberg ^ ; mais * Voir dans Dumont, Corps universel et diplomatique du droit des gens, t. VII, -li-e partie, p. "lO)., le traité du 23 juin 1672. — Frédéric-Guillaume avait déjà tendu la main à la Hollande, à Cologne-sur-la-Sprée, le 26 avril de la même année. - Pribram, loc cit., SS. 594 u. s. w. •■' Celte ville, qu'occupait le régiment de Grana, fut choisie malgré les objections des Furstenberg, menacés d'arrestation et même de mort. (A. E., Fonds de Liège, t. III. Corr. de Descarrières, 24 mars et 14 avril 1673. — Ennen, loc. cit., Bdl, SS. 11 u. 300.) * Voir dans Saint-Prest, Histoire des traités de paix, t. I, p. 477, le texte du nouveau pacte conclu à Soest entre Verjus et le prince Guil- ( 99 ) le ministre lui-même faisait entendre des cris de détresse et se joignait à son maître pour se plaindre des cruautés et des exi- gences de Turenne, et du dédain dans lequel F.ouvois tenait le sort de ses alliés ^. L'ensemble de la situation obligeait le roi de France à prévenir, par des mesures promptes et décisives, toute attaque de ses adversaires. Le siège de Maestricht fut l'épisode important de la cam- pagne -; la garnison hollandaise n'abandonna la ville qu'après une défense désespérée (2 juillet 1G73). Louis XIV possédait la clef commune des Pays-Bas et des Provinces-Unies. Le 7 juin, Guillaume de Furstenberg avait signé avec le marquis de Pom- ponne un pacte par lequel iMaximilicn-Henri renonçait « à la promesse que le Roi avait faite de lui remettre Maestricht », et consentait à ce « que le Roi en jouît en toute souveraineté ainsi que les Espagnols en avaient joui et que les Hollandais en jouis- saient encore 3 ». L'évêque de Liège continuait son rôle de dupe. Tandis que la France, grâce au génie de Vauban, enlevait à la Hollande une de ses meilleures places fortes, le jeune stad- laume, le 5 avril 1673. — Consulter aussi Ennen, loc, cit., Bd I, S. 294, et les Urkunden und Actenstûcke zitr Gescfiiclite des grossen Kurfùrsten, Bd XIII, SS. r3l2-5l9, Relations de Meinders des 14, 17 et 2o mai 1673. * A. E., Fonds de Liège, t. III. Mémoires pour le marquis de Pomponne, des 4- et o novembre 1673. — L'évêque de Strasbouri!; à Louvois, 14 et 19 février 1673 (Depping, loc. cit., pièce justificative no o4). — Guillaume de Furstenberg à Louvois, 23 septembre 1672 et 7 novembre 1673 (G. RoussET, Histoire de Louvois, t. I, p. 505). - Relation du sièûje de Maestricht, par Louis XIV {OEnvres de Louis XI V, t. III, pp. 326 et suiv.). - Camille Rousset, ouvr. cité, t. I, pp. 458 et suiv. — Bouille, ouvr. cité, p. 372. — Le Roi obliij;ea les paysans de venir travailler au siège. Aux députés qui lui « remontrèrent que cela était contre la neutralité », on répondit « qu'il n'y en avait point (juand il s'ai^issait du service du Roi ». François-Egon de Furstenberg invitait le Conseil privé de Stavelot à faire présent au gouverneur de Maestricht « de deux pièces de bon vin de la Moselle, chaque pièce de quali-e ou cinq aimes». (A. D., Stavelot. Registratur (IV. Abtheilung) Ereiguisse, Farde 2. Cologne, H décembre 1673.) ^ Voir dans Saint-Prest, Histoire des traités de paix, t. I, p. 477, le traité de Neitem. — Voir aussi, Louvois à l'évêque de Strasbourg, 6 et 27 mai 1673 (Rousset, Histoire de Louvois, 1. 1, p. 455). ( 100 ) bouder remportait une victoire diplomatique non moins écla- tante. Le 30 août 1673, s'unissaient à La Haye, dans une (.( Grande Alliance » offensive, les Etats généraux, le roi d'Espagne, l'Empereur et le duc de Lorraine ^. Les négociations de paix entamées à Cologne se trouvaient ainsi dans un complet désarroi 2. Maximilien-Henri fut la première victime des armées de la coalition; Louvois, s'avisant de ce que l'alliance colonaise coûtait plus cher qu'elle ne valait, livra, en dépit des semonces des Furstenberg ^, les États de l'archevêque à la discrétion de l'ennemi. Impériaux et Hollandais, après avoir commis de cruels ravages dans la vallée du Rhin, se rassemblèrent sous les murs de Bonn. Turenne ne vint pas au secours de la place, dont les habitants obligèrent la petite garnison française à capituler (12 novembre). Trois jours après, Brùhl tomba au pouvoir du prince d'Orange. L'Électeur, terrorisé, s'était réfugié avec quelques chimistes à l'abbaye deSaint-Pantaléon^. 1 DuMONT, Corps universel et diplomatique du droit des gens, t. VJI, Ire partie, p. 242. — L'électeur de Brandebourg, mal soutenu par l'Empe- reur, s'était retiré des alliés; Louis XIV acheta sa retraite au village de Vossem, entre Bruxelles et Louvain, 800,000 livres. Le traité fut conclu le 11 avril et ratifié le 6 juin 1673 : l'Électeur s'engageait à ne plus aider, sous aucun prétexte, directement ou indirectement, les ennemis de la France, ni à souffrir aucune garnison hollandaise dans ses villes. (Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne, t. IV, p. 135.) 2 Le congrès de Cologne s'ouvrit le 28 juin, dans le couvent des Carmé- lites. Louis XIV y fut représenté par le duc de Chaulnes, Courtin et Baril- Ion; l'Angleterre, par le comte de Sunderland, les chevaliers Jenkens et \Mlliamson; l'Espagne, i)ar Don Manuel de Lira et von Oudenhofen; la Suède, par le comte Tott, le baron de Sparre et von Ehrenstein. L'Empe- reur envoya le baron de Lisola et le comte de Kônigseck; le Brandebourg, Otto von Schwerin; la Hollande, von Beverningh et von Haren. Les deux Egons représentaient les États de Cologne et de Munster. 5 Voir notamment Guillaume de Furstenberg à Louvois, 7 novembre 1073 (G. RoussET, ouv. cité, t. I, p. 503). — Le même au même, 20 sep- tembre 1673 (Depping, loc. cit., pièce justificative, n" 75'. -i Le savant ^gidius Rômer (ou Romanus) en était l'abbé. Maximilien- Henri y resta cinq ans, et s'y fit construire un laboratoire d'alchimie ; le ( 101 ) Les succès militaires rtMiiportés sur le Kliin assuraient aux alliés la libre coinmunicalioii entre la Hollande et l'Alleniagne; pour faciliter leurs jonctions avec l'armée espagnole, il fallait dominer le cours de la Meuse. Visé, Maeseyck, Tongres, (jrave, Maeslricht étaient aux mains de Louis XIV; restait la citadelle de Liège, merveilleusement située pour influer sur le sort de la guerre. Depuis longtemps, l'ambassadeur impérial à La Haye, François de Lisola, convoitait la capitale de la princi- pauté '. Mettant en œuvre les rivalités qui divisaient le priiice- Evèque, le Chapitre, le Conseil privé et les États ^^, appuyé par le tréfoncier François d'Allamont, évêque de Gand 3, il avait assuré dans la ville même de nombreux partisans à la Maison de Habsbourg '^ 11 comptait sur eux pour fiiciliter un coup de main. Juscju'alors l'incertitude de l'Empereur avait ajourné la mise i\ exécution de l'entreprise. Léopold, qui hésitait encore à se compromettre vis-à-vis de la France, avait même prescrit à son ministre une attitude passive et l'abandon de son « plan liégeois s ». 3Iais, au risque d'un désaveu, le maître diplomate autrichien, par l'entremise de son secrétaire, Claude Ligier, salon du couvent où il se tenait journellement s'apfela « la chambre ba- vai-oise ». (Von Meiung et Reischert, Die Biscliôfe iind Erzbischôfe von Kôln, S. 391.) * A. N., K. 1401. La reine-régente à Monlerey, Madrid, 8 juin, 14 sep- tembre et 9 novembre 1672. — A. H., Resolutiën van de Staten Generaal der Verecnigde Nederlanden gedurende het jaar 1672, Mémoire de Lisola aux États généraux, 8 octobre 1672. — Ibidem, 13 décembre 1672. - Cond. capit., rcg. 161, 16 décembre 1672. — Ibidem, reg. 162, 2 sep- tembre 1673. — Conseil privé, Protocoles, n" 70, K. 118,2 janvier et 28 juin 1673. — État noble. Journées, reg. 101, passim. ^ Sur ce prélat dévoué à l'Kmpire, voir A. E., Fonds de Liège, t. IIL M. de Gomont au prince de Strasbourg, 14 octobre 1667. '' Jii.ius Grossmann, Der kaiserliche Gesandte Franz von Lisola im liaag, 1672-i67o, dans le 51^ volume de I'Archiv fur ôsterreichische Geschichte, 1873. — Lonchây, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XVII« et auXVlll'^ siècle, pp. 99 et suiv. •' Pribram, Franz Paul Freiherr von Lisola und die Politik seiner Zrit, S. 606. ( 102 ) avait continué à négocier l'occupation de la forteresse de Sainte-Walburge ^. Au lendemain de la prise de Bonn, alors que le prestige de Louis X[V semblait décroître en Allemagne, Lisola crut le moment venu de réaliser ses projets. Toutes les circonstances ne favorisaient-elles pas la surprise de la citadelle ? Maximilien- Henri, enfoui dans le monastère de Saint-Pantalëon, y était en quelque sorte le prisonnier du magistrat de Cologne '^. L'évêque de Strasbourg était dans une crise de désespoir et de colère. Ses caves avaient été vidées, pillées; il voulait se réconcilier avec l'Autriche et rompre avec la France, dont les régiments n'étaient pas intervenus pour protéger ses propriétés et les produits de ses vignobles'^. Le prince Guillaume, son frère, tombé sous la domination impérieuse et fascinatrice de la comtesse de la Marck ^, était tout entier aux ardeurs de sa passion nouvelle •">. ' Grossmânn, article précité, pp. 9o, 108 et suiv. - Pribram, loc, cit., S. 650. 5 A. D., Stavelôt. Rrgistratur (IV. Abtheilung) Ereiqnisse, farde 2. François-Efiçon au Conseil privé de Stavelôt, 21 mars 1673. — Deppixg, ouv. cité, p. 212, et pièces justificatives, n"s 84^ 88 et 90. — Pribram, loc. cit., SS. 651 u. s. w. — Courtin à Louvois, 4 novembre 1673. (Griffet, Lettres militaires 'pour servir h V histoire militaire de Louis XIV, t II. p. 175.) * Catherine-Charlotte de Vallenrode avait épousé François-Antoine de la Marck, baron de Lummen et de Seraing-le-Château. Devenue veuve, Guillaume-Egon, son amant, la maria à son propre neveu, le prince Emmanuel de Furstenberg, « pour la voir plus commodément à ce titre ». On prétendait que Louis de la Marck était le fruit des amours adultérins delà « belle comtesse... » — « ..et il est vrai que rien n'étoit si frappant » que la ressemblance, trait pour trait, du comte de la Marck au cardinal » de Furstenberg, qui, s'il n'étoit pas son fils, ne lui étoit rien du tout. » Saint-Simon nous a laissé un portrait de celte « grande et grosse » per- sonne, ce hommasse comme un cent-suisse habillé en femme, hardie, » audacieuse, parlant haut, et toujours avec autorité, polie pourtant et » sachant vivre... C'étoit, au dedans, la femme du monde la plus impé- » rieuse, qui gourmandoit le cardinal, qui n'osoit souffler devant elle, qui >i en étoit gouverné et mené à baguette, qui n'avoit pas chez lui la dispo- » sition delà moindre chose, et qui, avec cette dépendance, ne pouvoit » s'en passer. » (Saint-Simon, Mémoires, Collection des grands écrivains de la France, t. VII, pp. 95 et suiv.) ^ Avant ce temps-là, on avait connu à Guillaume-Egon deux autres mai- tresses. Amelot de la Houssaie raconte le trait suivant ; « Guillaume de ( 103) La tentative des Impériaux ne devait donc rencontrer aucun obstacle de la part de l'archevêque et de ses ministres. Dans la principauté, les violences sauvages des armées de Louis XIV avaient aliéné les sympathies que la population nourrissait pour la France K La soldatesque du comte d'Estrades venait encore de se signaler au sac de Tongres où elle n'avait respecté ni les demeures, ni les propriétés, ni le sanctuaire des lieux saints -. Dans ce moment d'exaspération et de stupeur 3, l'intervention autrichienne, maintes fois solli- citée aux heures d'accablement par les chanoines de Saint- Lambert ^, paraissait devoir être bien accueillie. Monterey avait promis de conduire lui-même, sous les murs de Liège, un corps d'auxiliaires; Tattaque des troupes alliées devait com- mencer le 16 décembre. Subitement, Lisola, qui siégeait à Cologne, au congrès de la paix s, reçut l'invitation de rejoindre en tout hâte le gouverneur des Pays-Bas. Le voyage n'était pas sans danger : Lisola était souffrant et l'hiver glaçait les routes que sillonnaient les maraudeurs ennemis. Louvois » Furstenberg, épris de la beauté de la dame de Calvimont, lui donna un » colierde perles, et de fois à autre des pierreries et des bijoux de prix : » mais il les retira après, par un tour de filou. Car lui ayant emprunté » ces pierreries, pour la cérémonie d'une prétendue véture de Religieuse, » il ne lui en rendit que de fausses, et donna les autres à Madame de » Lionne dont il étoit devenu l'Amant. » (Amelot de la Houssaie, Mé- moires historiques, politiques, critiques et littéraires, Amsterdam, t722, t. II. p. il.) » A. E., Fonds de Liège, t. III, 24 mars et juillet 1673. - A. E., Fonds de Liège, t. III. Information de ce qui s'est passé au siège de Tongres, depuis le 19 jusqu'au '^^ novembre 1673. — Chronique de Liège, Bibl. Un. Liège, Ms. n" 1166. * Descarrières à Louvois, 12 décembre 1673. (Depping, ouv. cité, p. 206.) — Conseil privé. Protocoles, reg. 119, n» 71, 23 novembre 1673. * Page 96. — Voir en outre ConcL Capit., reg. 161, l®»" décembre 1672. — État noble. Journées, reg. 102. Lettres du chapitre et des députés des États à l'Empereur et à Lisola, 23 novembre 1673, f° 126. '■' LoNCHAY, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas, p. 266. — S. E. E., Gorr. d'Emmanuel de Lira avec Spinola, marquis de les Balbases. (Liasse non classée, 1668-1673.) ( 104 ) avait ordonné au comte d'Estrades, gouverneur de Maestricht, de prendre « mort ou vif » l'impertinent ministre i. L'habi- leté du voyageur épargna ce crime h Louis XIV et à la France. Mais lorsque l'infatigable sexagénaire, après une périlleuse chevauchée, arriva au rendez-vous fixé par Monterey, celui-ci s'était déjà replié avec ses troupes sur Namur. Lisola avait dû trop souvent lutter contre la jalousie de la cour de Madrid et contre l'apathie des Impériaux pour désespérer immédiatement du succès. Il entra clandestinement à Liège -, sonda les esprits, et acquit bientôt la certitude que la seule apparition des Espa- gnols aux avenues de la ville sutiirait à jeter le désarroi parmi ses défenseurs. Il en avisa Monterey; mais le gouverneur des Pays-Bas refusa son concours à une entreprise dont l'Espagne ne retirerait aucun avantage direct. L'ambassadeur autrichien, modifiant alors sa ligne de conduite, entreprit par la persua- sion et par la ruse d'amener les Etats liégeois à accepter la protection impériale 3. Les brochures politiques, passionnées et mordantes, circulèrent dans toutes les mains 4, suscitant l'émotion populaire. Au clergé capitulaire, déjà gagné à ses projets, se joignait le peuple qui espérait le retour à l'organisation ancienne des trente-deux bons métiers. Les Français résidant dans la Cité, furent menacés et victimes des outrages de la foule s. Dans cette situation précaire, Dcscar- ♦ Pribram, loc. cit., SS. 654 u. s. w. 2 Lisola se tint, pendant deux jours, caché dans la demeure de l'ancien bourgmestre, Charles D'Ans, personne dévouée à l'Empire. •^ A. E., Fonds de Liège, t. III. Corr. de Descarrières, Liesse, 29 décem- bre 1673. - Ibidem, t. IV. Liverlo à S. A. de Cologne, 2 janvier 1674. ' Remarques sur le discours du commamleur de Gremonville, fait au Con- seil d^ Estât de Sa Majesté Impériale, La Haye, 1673, in-4o de 84 pages. — Mémoire du Roy Très Chrestien à l'abbé de Gravel, envoyé par Sa Majesté, avec la dépesche en date du Camp de Mastricht le 18 juin 1673 avec la Lettre d'un Conseillier d'Estat d'un prince d'empire, Cologne, 1673, 92 pages, et surtout la Sauce au Verjus, Strasbourg, 1674, 83 pages. (Ces trois pamphlets sont attribués à Lisola.) ^ Depping, ouv. cité, p. 246. — C. Rousset, ouv. cité, t. II, p. 3. — Chronique sur l'histoire du pays de Liège (1674-1679), Bibl. Univ, Liège, Jïf5. nMl66 ( lOo ) rières, l'agent de Louis XIV, crut utile d'intervenir; il déplora les cruautés de la dernière guerre, les présenta comme nées de «malentendus» et promit, au nom de son puissant monarque, le respect de la neutralité liégeoise et la confirmation du traité de Tirlemont i. Les pourparlers aux Etats traînèrent en longueur-; la guerre de plume qu'ils provoquèrent en offre l'unique intérêt; chaque jour voyait naître quelque pamphlet, l'un gallophile, Tautre préconisant lalliance impériale 3. Ceux qui, jaloux de leur indépendance, désiraient maintenir la balance égale entre les voisins, étaient traités de brouillons ^! Le parti de la pru- dence l'emporta enfin. L'état tiers et l'état noble refusèrent de sortir de la neutralité et de signer le traité que leur proposait l'ordre primaire 3 : d'après cet acte, le pays eût dû payer dans * Discours prononcé dans le conseil de S. A. M. l'Èvèque et Prince de Liège, le o janvier i674, par M. Descarrières. (Coll. Ulysse Capitaine, BibL Un. Liège, n» 8128.) 2 Concl. capit , reg. 162 (1673-1676), pp. 148 et suiv., et Répertoire chronologique des Conclusions capitulaires , par Michel Huisman. (Ana- LECTESPOUR SERVIR A L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE DE LA BELGIQUE, 2^ sér., t. X, pp. 447 et suiv.) — Conseil privé. Protocoles, reg. K. 119, n» 71,8 jan- vier 1674. ^ Le plus connu de ces libelles. Les sentiments d'un franc et véritable Liégeois sur le discours de M. Descarrières, est dû à la pluine de Lisola. {BibL Univ. Liège, Collection Ulysse Capitaine, n» 812o.) - Citons en outre : Le dialogue tenu à Liège entre deux cavaliers français, les sieurs Du Buisson et de La Haye, et la dame d'un cabaret et un palefrenier. {Ibi- dem, Collection Ulysse Capitaine, n» 8124.) — LettJ^e d'un Bourgeois sin- cère de la ville de Liège pour répondre aux sentiments i)nprimés sous le nom d'un franc et véritable Liégeois (1674). — Responce d'un franc et véritable Liégeois au Bourgeois prétendu de la ville de Liège (1674). — Responce d'un Liégeois à l'auteur de l'imprimé intitulé Sentiments d'un véritable Liégeois (1674). — L'Élégie d'un généreux et zèl^ Liégeois. — Plainte de Liège au Liégeois, en vers, 1674, in-4' de 12 pai^^es. (Ces cinq pamphlets se trouvent réunis dans le Leodiensis, t. M, BibL Brux.) * A. E., Fonds de Liège, t. IV. S. A. de Cologne au chapitre de Saint- Lambert, 5 janvier 1674. — Concl. capit., reg. 102, 17 janvier 1674. 5 Concl. capit., reg. 162. 24 janvier, 11 et 12 février 1674. - État noble. Journées, reg. 102, fo 130. ( 106) les trois semaines 50,000 écus à l'Empereur, et à cette condi- tion les troupes de la coalition exemptaient le territoire de tout logement militaire ^. Les projets de Lisola avaient échoué. Il revint à Cologne où le gouvernement impérial réclamait sa présence et son précieux concours. Les négociations s'y étaient prolongées, impuissantes et stériles : ni les alliés, ni Louis XIV ne dési- raient sérieuî^ement la paix. Les conférences que les plénipo- tentiaires avaient transformées en réunions de chasse, en bals et en festins "^j prirent fin tout à coup par l'audacieux enlè- vement de Guillaume de Furstenberg 3. Le 14 février, tandis que le trop galant prélat sortait de chez la comtesse de la Marck, des soldats autrichiens entourèrent son carrosse; malgré la résistance des gens de sa suite, le ministre colonais fut pris, dirigé sur Miilheim et conduit sous bonne escorte prisonnier à Bonn, puis à Vienne, à Briinn et à Neustadt. La haine longtemps contenue de l'empereur Léopold réservait à son félon vassal une captivité étroitement murée de cinq longues années ^. 1 Pribram, loc. cit., S. 656. — Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XVW et au XVIW siècle, p. 102. 2 A. Fritsche, Zur Gescliichte der Kcimpfe der Deutschen mit Frank- reich in den Jahren 1673-1674. Programm des Gymnasiums zu Plauen, 1877, S. 16. 5 Sur ce coup de main, longuement préparé par Lisola, voir iMunch, ouvr. cité, Bd III. — Ennen, loc. cit., Bd I, SS. 327 u. 363, Bd II, S.493. — MuNTZ, Louis XIV et les Furstenberg en Alsace, Revue nouvelle d'Alsace-Lorkalne, t. VI, p. 553. — Samuel Pufendorf, De rébus gestis Friderici Wilk. Magni, Electoris Brandenburgici, liber. XII, §§ 9 et 33. * Le chancelier Hocher instruisit le procès : reconnu coupable du crime de haute trahison, le prince Guillaume fut condamné à être exécuté « entre quatre murs ». L'intervention du ministre de Lobkowilz et du nonce du Pape, Albergati, le sauva de la mort (Amelot de la Houssaie, Mémoires, t. II, p, 456). Furstenberg tenta vainement de s'évader avec la complicité de sa sœur, la comtesse de Lôwenstein-Wertheim. Il avait imaginé d'écrire ses lettres au moyen de lait et de jus de citron. Le secrétaire de l'électeur de Cologne. Jean-Pierre Bourmann, chanoine de Liège, soupçonné de correspondre avec le prisonnier, fut arrêté à son ( 107 ) L'altentat commis sur Furstenberg, plénipotentiaire de l'Electeur au congrès, était une flagrante violation du droit des gens. Les légistes de Louis XIV, soutenus par Esaias de Pufendorf, le résident suédois ù Vienne, en dénoncèrent le caractère profondément illégal ^. Le roi de France, qui se voyait privé de son serviteur allemand le plus dévoué, réclama une satisfaction éclatante '^. Mais l'Empereur, devenu aussi violent qu'il avait été timoré et hésitant, refusa de relâcher le « criminel » ^. Lisola se chargea même de justifier la conduite tour (A. N., carton 1322, n» 134. — Le cardinal de Furstenberg, frai^ment inédit de Saint-Simon, Collection des grands écrivains de la France, t. Vil, p. 467. — Urkunden und Actenstucke zur Geschichte des grossen Kiniursten, Bd XIII, SS. 624, 705 u. s. w. — A. E., Fonds de Liège, t. IV. Corr. de Descarrières, 16 août 1674. — Relation wegen Printz Williems von Filrstenberg und dessen Secretarii Bourman72s Verhafftung, Wien, den9. Aiigusli 1674.) * S. E. A., Recueil des actes et diètes de VEmpire, reg. 487-, f" 46, 4 mars 1674. — Le roi d'Angleterre avait joint ses protestations à celles de la France, de la Suède, du chapitre métropolitain et du sénat de Co- logne. (Voir dans les Lettres de Louis XIV aux princes de l'Europe, à ses généraux, ministres, etc., recueillies par M. Rose, la lettre CCLIV de Louis XIV au roi de la Grande-Bretagne, 3 août 1673). — A. C, Kôin und das Reich. Correspondenzen (1670 1678), passmi. — Esaias Pufendorf 's Bericht ilber Kaiser Leopold, seinen Hof tind die ôsterreichische Politik, herausg. von Helbig, Leipzig, 1862, S. 36. — Copia memorialis a regio suecico résidente Dno Pulf'endorfio, in causa captivitatis Wilhelmi de Furstenberg , m-A", 8 mars 1674. - Lettre du Roy à ses ambassadeurs et à ses ministres chez les princes étrangers sur ienlèvement du Sérénissime prince Guillaume de Fursten- berg, Paris, 28 février 1674. — Louis XIV à l'électeur de Cologne, Ver- sailles, 22 février 1674 {OEuvres de Louis XIV, t. V, p. 521). 3 S. E. A., reg. 487-, f" 110, Liste des griefs articulés contre Fursten- berg. — Léopold l'accusait, entre autres, d'avoir fomenté les rébellions si éclatantes des magnats hongrois, conduits par Zrinyiet Frangepani. C'est à lui que furent attribués les empoisonnements dans la famille imi)ériale et spécialement ceux des tils de l'impératrice Claudie. (A. E., Fond.^i de Liège, t. IV. Corr. de Descarrières, 23 février 1674.) — A La Haye, on s'opposait à l'élargissement de Guillaume-Egon. (0. Ki,opp, Der Fall des HausesStuart,BdU,S.10.\ ( 108) de son maître dans des écrits tout à la fois graves et ironiques, où s'exhale sa haine ardente contre le prisonnier i. Louis XIV enjoignit à ses ambassadeurs de quitter la ville de Cologne 2; le congrès était mort 3. Maximilien-Henri, las de sa sujétion à la politique de Versailles ^, dégagé de la pesante tutelle de * Lettre d'un gentilhomme flamand à un chevalier anglais de la cham- bre des Communes du Parlement, au sujet de l'emprisonnement de M. le Prince Guillaume de Furstenberg, Strasbourg, 1674. — Tractatus deprin- cipis Fuerstenbergii detentione, Wien, 1674, in-4o, et surtout Guillelmi, Principis Fnrstembergii detentio adCaesaris Authoritatem, ad Tramjuilli- tatem Impejii, ad Pacis Promotionem,justa,perutilis, necessaria (die 14 fe- bruarii), Authore Christophoro Wolfango, in-4o. — « Furstenberg, )) ambassadeur chimérique, ministre arliticiel et artificieux, qui change » en plus de figures que Protée... Car quelquefois on le voyait armé, )) représenter le personnage de Colonel d'un régiment français, faire des » levées et des revues, faire marcher les troupes et occupé à préparer des » combats, et à faire rouler l'artillerie avec son train, à dessein de porter )) la terreur des armes de France partout; tantôt, on le voyait mitre » et sous l'habit de Chanoine, troubler avec insolence les délibérations » paisibles du Chapitre; tantôt, paraissant sous le masque d'un prince » d'Allemagne, il faisait l'Émissaire de France et travaillait à faire tomber » dans les filets de ces étrangers les Princes de l'Empire; tantôt, en )) homme de robe, semant parmi le peuple des écrits et libelles contre » lEmpereur; et tantôt, sous la figure d'Ambassadeur, et sous prétexte de » donner des conseils pacifiques, s'appliquant continuellement à faire )) de nouvelles alliances et à susciter de nouveaux ennemis à l'Empereur )) et à l'Empire; toujours changeant et changé, et néanmoins toujours le » même et toujours sous tant de figures différentes, et dans la variété de » tant de pernicieux desseins, semblable à lui-même. » (B. N., Détention de Guillaume, prince de Furstenberg, 1675, traduit du latin, p. 52.) — Comparer le Traité curieux sur l'enlèvement du Prince d£ Furstenberg, A Ville-Franche, chez Charles de la Vérité, 1676, in-4o de 128 pages. 2 A. N., 1338, no 21, Mémoire pour les sieurs Court in et Barrillon. Paris, 27 mars 1674. ' Le 1er mars, un chariot qui portait 48,000 écus à la garnison française de Neuss fut saisi par les Impériaux à la porte de Cologne ; la ville en fut rendue responsable. (A. C, Kôln und das Reich. Correspondenzen. Mont- morency au conseil de Cologne, 11 octobre 1678.) * Depping, ouvr. cité. Pièces justificatives, n^s 05, 101, 102,107, 111, 115 et 116. ( 109 ) son conseiller, se rapprocha des Provinces-Unies ; il rendit les places qu'il leur avait enlevées, sauf la « bicoque » de Rin- berg ^. Lisola le réconcilia ensuite avec la cour de Vienne 2. Le faible électeur n'avait rien fait pour obtenir la grâce de son favori ; il le sacrifiait « à l'amour qu'il avait pour le repos des peuples ». Léopold poursuivit sa vengeance envers les Furstenberg qu'il dépouilla de toutes leurs charges et dignités; il suspendit Monsieur de Strasbourg de son droit de séance et de suffrage dans les diètes 3, le priva de tous les revenus de son évéché et des autres bénéfices qu'il avait dans l'Empire, telle l'abbaye de Stavelot-Malmédy ^. On confisqua les biens dont il jouissait dans les terres placées sous la souveraineté de l'Espagne. Ne se trouvant plus en sûreté à Cologne, François-Egon se retira en France, à Reims d'abord, dans l'abbaye que possédait son frère, puis à Paris où Louis XIV le combla de pensions et lui donna un appartement au Louvre s. * Traité de paix du 11 mai 1674. (Dumont, Corps universel et diploma- tique du droit des gens, t. VII, l^e partie, p. 262.) 2 A. E., Fonds de Liège, t. IV. Corr. de Descarrières, 7 et 28 juin, 4 octobre 1674. 3 Archives de Donaueschingen, B *9, vol. XXI, Kayserliches Commis- sions-Rescript tuegen des Herrn Bisclioffens zu Strassburg Suspension des- sen Sessionund Voti in dem Reichsfurstenraths. Dictirt den 13. u. 23 No- vember 1674. ■* A. D., Stavelot-Malmédy. Registratur Abstwahl, liasse 6. — L'électeur de Trêves, qui avait obtenu l'administration de l'abbaye pendant la dis- grâce, ne fut pas reconnu par le chapitre. s Louis XIV à Colbert. Dôle, 4 juin 1674; Colbert à Louis XIV. Paris, 11 juin 1674. {Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert, publiés par Clément, t. VI, p. 322, et t. II, p. 247.) — Laguille, Histoire de la pro- vince d'Alsace. Strasbourg, 1727, p. 255. — François-Egon s'était rendu à Liège, d'où il adressa à l'Empereur une demande de sauf-conduit. « Abeat Episcopus in Gallias! » se serait écrié Léopold, lui refusant même une retraite dans la principauté. (A. E., Fonds de Liège, t. IV. Corr. de Descarrières, 7 juin 1674.) ( iiO ) III. La rentrée en grâce de Maximilien-Henri de Bavière auprès du gouvernement de Vienne n'apporta aucun soulagement au pays de Liège, qui devait être encore la victime de sa malheu- reuse situation topographique ^. Durant toute l'année 1674, quatre armées piétinèrent la principauté, rivalisant, malgré les assurances de neutralité 2, d'exigences et d'exactions. Guil- laume d'Orange enleva Grave au marquis de Chamilly3; les Allemands, commandés par de Souches et de Chavagnac (qui suivaient toutes les traditions de la guerre de Trente ans) ^, mirent garnison à Dinantetà Huy, dominant ainsi le cours de la Meuse depuis Liège jusqu'à la frontière de France. Louis XIV ne conserva que Maestricht et Maeseyck. Resserrée entre les forteresses françaises du Nord et les forteresses impériales du Sud, Liège restait toutefois libre et indépendante. Depuis que l'évêque s'était réconcilié avec la Maison de Habsbourg, le parti autrichien, dirigé par les conseils de Lisola^, avait repris, non ^ Pour les détails, voir Daris, ouvr. cité, t. II, pp. 60 et suiv. - Coud, capit., reg. 163. S. M. Très Chrétienne aux Étals de Liège, 4 août 1674. — État noble. Journées, reg. 102, f» 142, 12 juin 1674, Projet pour le rétablissement de la neutralité par Lisola. •■' C. RoussET, ouvr. cité, t. II, pp. 64 et suiv. '' Mémoires de Gaspard, comte de Chavagnac, cités par Lonchay, La principauté de Liège au XV W et au XV IW siècle, p. 112. — A. E., Fonds de Liège, t. IV, Information à S. A. le cardinal de Baden, pour faire voir la manière dont le pays de Liège est surchargé par les trou|tes de S. M. Impériale. — Ibidem, Chavagnac au magistrat de Liège, 15 et 19 décembre 1674 : « Les troupes ne vivent pas de l'air; il faut que je les » fasse subsister; je dois me servir de toutes sortes de moyens pour le » faire. » •' Jusqu'au jour de sa mort, survenue le 19 décembre 1674, Lisola s'in- téressa aux affaires de la principauté. {ConcL capit., reg. 162, passim.) Il laissa un testament politique, tableau fidèle de la situation de l'Europe centrale. (Mittheilungen des Institutes filr Ôsterreichische Gesckichtsfor- scliung, 1887, Bd VIII, S. 314.) ( 111 ) sans succès, son travail d'influence et d'intrigues i; il promet- tait au peuple le rasement de la citadelle et le rëiablisseinent de ses privilèges d'avant la paix de Saint-Gilles 2; aux Etals, il insinuait de licencier la milice et de réduire l'effectif de la gar- nison de Sainte-Walburge 3. Mais c'était sur le concours du haut clergé qu'il fondait le plus d'espoir. Le crédit du chapitre caihédral était considérable, d'autant que, profitant des absences continuelles du prince-évéque soumis par les impé- riaux ù un régime de surveillance et d'espionnage 4-, il avait accaparé ce qui subsistait dans le gouvernement de puissance et de force. Ses sympathies impérialistes s'étaient en maintes occasions nettement accusées; il s'agissait de les utiliser aux fins de provoquer l'élection d'un coadjuteur dévoué aux alliés. Le cardinal de Baden fut choisi pour exécuter ce projet. Pourvu depuis quelques mois d'un canonicat à Saint-Lam- bert 3, il arriva à Liège vers la fin de l'année, sous le prétexte de desservir sa nouvelle prébende et de remplir ses obligations de « résidence » canoniale. Ses dépenses fastueuses, ses car- rosses dorés, son cortège à l'italienne, éblouirent l'impresi-ion- nable population de la Cité 6 ; ses relations avec la faction * LaMaison de Habsbourg comptait parmi ses partisans le grand-prévôt, J.-P. de Groesbeek, le granrl doyen, J.-L. d'Elderen, et le chancelier de Liverloz, qui, naguère encore dévoué à Louis XIV, venait de rompre avec lui. (S. E. E., reg. 416, f^ 110. Le prévôt de Condé à Monlorey, 5 avril 1674. — A. E., Fonds de Liège, t. IV. Corr. de Descarrières, 2, 11 et 19 octobre 1674. — Ibidem, t. VI, 1er et 13 janvier 1675.) 2 A. E,, Fonds de Liège, t. IV. Négociations de Descarrières, 16 et 18 octobre, 30 décembre 1674. '^ La garnison se composait de 1,050 hommes. (A. E., Fonds de Liège, t. IV, 17 juin, 30 sepLembre et 16 octobre 1674.) ■* A. E., Fonds de Liège, t. IV. Négociations de Descarrières, 12 juillet et 26 août 1674. - Au dire de l'agent de Louis XIV. Maxiniiiicn ne pou- vait quitter l'enceinte de la ville de Cologne ni recevoir une lettre, qu'elle ne lût préalablement décachetée. ^ Bernard-Gustave-Adolphe, prince de Baden, fut reçu comme chanoine noble le 27 avril 1674. (De Thëux, Le chapitre de Sainl- Lambert, t. III, p. 337.) « A. E., Fonds de Liège, t. IV. Négociations de Descarrières, 16 dé- cembre 1674. ( 112 ) allemande révélèrent bien vite ses desseins et le rôle que ses partisans lui destinaient. Descarrières, le résident de l.ouisXlV, écrivit i\ Versailles « qu'il tenaitla ville pour perdue ^ ». On sait comment Louvois coupa court aux entreprises de ses ennemis; comment, une patrouille s'étant emparée des bagages du car- dinal de Baden, le comte d'Estrades prétendit avoir surpris, mêlés à des ballots de contrebande, des écrits compromettants et le plan des coalisés 2; comment enfin la vénalité du baron de Vierset-"^, gouverneur de la citadelle, livra Liège à un déta- chement de la garnison française de Maestricht 4. L'or de France avait une fois de plus triomphé des faiblesses, des len- teurs et de la négligence habituelles du gouvernement de Vienne 5. L'occupation de la grande cité wallonne était — nous l'avons vu — d'une importance stratégique considérable; elle appa- * A. E., Fonds de Liège, t. IV. Négociations de Descarrières, 8 décem- bre 1674. - A. E., Fonds de Liège, t. VI. Corr. de Descarrières, 3, 10, 14 et ^23 mars 1675. — Ibidem, Le cardinal de Baden à Louis XIV, 10 mars 1675. — Ibidem, d'Estrades à Descarrières, 12 mars 1675. — Voir aussi le voyage de M. le cardinal de Baden et son séjour à Liège pendant les mois de décembre 1674, janvier, février et mars 1675. Liège, 1675, 103 pages. (Bibl. Brux., Leodiensis, t. VI.) — Le mensonge et le faux en écriture politique étaient des moyens d'action qui ne répugnaient pas à Louvois. (Voir sa lettre du 22 mars 1675, oii il conseille à Descarrières une suppo- sition de document, reproduite par Lonchay, La principauté de Liège au XVW et au XV IW siècle, p. 114, noie 1.) 3 Ferdinand de Billehé, baron de Vierset, avait été capitaine des gardes du corps de Maximilien-Henri. Le 25 mars 1673, il fut nommé gouver- neur de la citadelle. {Concl. capit., reg. 162.) ^ J. IIalkin, Dépêches des officiers au service de la France concernant les opérations militaires des armées de Louis XIV en Belgique {mai, juin et juillet 467 a.) Dépêches concernant V occupation de la citadelle de Liège. (G. R. H., 5<^ sér., t. VI, n» 4.) ^ S'il faut croire le comte de Chavagnac et le bourgmestre Ch. d'Ans, Vierset avait pris l'engagement de livrer la forteresse à l'Empire, moyen- nant 25,000 écus; ne recevant pas assez rapidement la somme promise, il se serait abouché avec Descarrières. {Conseil privé. Protocoles, reg. 121, no 73, 30 mars 1675.) ( 113) raissait, dans la marche générale des hostilités, comme la revanche de l'entrée des Kaiseiiicks dans Strasbourg (24-2o sep- tembre 1674); elle réparait la perte de Grave, couvrait Maes- tricht et fortifiait les positions de Louis XIV sur la Meuse. Mais ses conséquences devaient se prolonger bien au delà, impré- vues et décisives, et faire de cet événement militaire un des tournants de l'histoire politique et constitutionnelle de la ville et du pays de Liège. Sainte-Walburge avait été enlevée « à la lueur des flam- beaux » dans la nuit du 27 au 28 mars 1675. Le lendemain, la Cité consternée apprit qu'elle avait un nouveau maître. Tous les partis se soulevèrent aux cris de Vive Espagne ! Vive France ! ou Vive l'Empereur ! Les uns accusaient François de Furstenberg d'avoir frayé les voies à la trahison ^ ; d'autres, ameutés sur le Marché, conduits par des magistrats et des chanoines en armes, se préparaient à marcher vers la cita- delle pour la reprendre de vive force 2. Cependant Vierset s'était essayé à justifier sa conduite, à la représenter comme une garantie de neutralité 3 : s'il avait reçu les Français, c'était sous forme de secours, « pour protéger le pays et le prince contre les troubles populaires ». Ce langage n'apaisa pas les esprits : d'Estrades donna à la 1 Sur la complicité de l'évêque de Strasbourg, voir les Mémoires du marquis de Pomponne, édition de Madival, p. 216. — Bouille, lac cit., t. III, p. 399. — A. E., Fonds de Liège, t. VII. Mémoire au Roi, août 1675. - J. Halkin, Dépêches des officiers au service de la France concernant les opérations militaires des armées de Louis XIV en Belgique (mai, juin et juillet 1675). Dépèche concernant l'occupation de la citadelle de Liège, 28 mars 167o. (C. K. H., 5^ sér., t. VI, 4'"^ Bulletin.) — A. E., Fonds de Liège, t. VI. Corr. de Descarrières, 29 mars VÇTio.—Bibl. Un. Liège, Ms. n» 1166. — Conseil privé, Protocoles (1674-1673), reg. 121, no 73, passim. 5 Lettre du baron de Vierset à Messieurs les commis et députés de l'État de Liège, 28 mars 167.-). — {Bibl. Un. Liège, Collection Ulysse Capi- taine, no 8127.) — Voir aussi la lettre de Descarrières à Messieurs les Doyens et Chapitre et Gens du Conseil privé de S. A. S. et Bourgmestres de Liège. Maestricht, 31 mars 1675. (Ibidem, Collection Ulysse Capitaine, no 8129.) Tome LIX. 8 ( 114 ) ville deux fois vingt-quatre heures pour se soumettre, sous la menace, en cas de résistance, « de lui faire porter la peine de son aveuglement ». De nouvelles troupes marchaient sur Liège; les clefs des magasins, les munitions étaient entre les mains des vain- queurs. Terrorisés, menacés de la colère de Louvois, les patriotes abandonnèrent la lutte; ils obtenaient, pour unique satisfaction, le départ de l'homme qui les avait trahis. Vierset reçut, à titre de dédommagement, le gouvernement de Pon- toise et une pension de douze mille livres; de Montefranc le remplaça dans le commandement de la Cité. Les exactions reprirent ou plutôt continuèrent, plus irritantes, plus cruelles, plus cyniques que jamais, exaspérant le peuple, entretenant la fermentation, provoquant la sédition ^. Le nouveau gouver- neur, en vue de faciliter la défense de la place, fit raser un grand nombre d'habitations 2, et, comme des rixes avaient éclaté entre des bourgeois et des soldats de la citadelle, il y trouva prétexte à réclamer la proscription des chefs du parti impérial, « gens factieux et ennemis du repos public 3 ». Ce n'était d'ailleurs pas à Liège seulement que le nom fran- çais se faisait détester. Louis XIV, maître de la capitale, — pour ménager une libre communication avec Maestriclit et séparer le théâtre de la guerre de Flandre de celui de la Moselle et du ^ Telle la sédition du 28 août 1675. (A. E., Fonds di Liège, t. VII. Copie de la lettre de Montefranc au conseil et magistrat de Liège, 29 août 1675. — Chronique liégeoise, par A.-J. Gossuart, Bibl. Un. Liège, Ms. n»1717.) 2 A. E., Fonds de Liège, t. VII. Corr. de Descarrières, 8 octobre 1675. — Conseil privé. Protocoles, reg. 122,8 et 26 octobre 1675. — Concl. capit., reg. 162, 17 et 31 octobre 1675. 2 Bouille, p. 402. — Conseil privé, Protocoles, reg. 122, 27 août et 21 septembre 1675. — Les maîtres de la Ci7e d'Ans, Rossius, de Graty, les chanoines Mottet et N. de Plenevaux, étaient au nombre des exilés. (Chronique liégeoise, Bibl. Un. Liège, Ms. no811, f" 354.) ~ Le grand- prévôt de Groesbeck, vieillard octogénaire, avait quitté la ville dès le 21 avril. ( 115 ) Haut-Rhin, — enleva aux Impériaux Dinant et Iluy *, puis il occupa Limbourg, Thuin et Saint-Trond. Partout l'armée royale se signala par une rigueur impitoyable 2. Les procédés barbares des agents de Louvois, les pratiques farouches de ses généraux sont tristement célèbres. Les plus mauvais jours de la guerre de Cent ans et des Grandes Compagnies pâlissent ù la lueur des incendies qu'allumèrent les intendants français. Les Alliés, chassés de leurs positions fortifiées, se replièrent sur le plat-pays qui subit leur courroux et leur cruelle vindicte. Telle fut la campagne de 1675 qui fit du pays de Liège un véritable désert. Vers la fin de l'année, les habitants reprirent quelque espoir : les belligérants, aussi épuisés que les populations qui les fai- saient vivre, avaient consenti à examiner, dans des conférences, les propositions de paix de l'Etat liégeois •^. Le territoire épis- copal, qui, depuis trois ans, avait sans nulle trêve servi de champ d'invasion et de chemin de passage, serait-il enfin éva- cué? Les hostilités suspendues, aboutirait-on à un traité sem- blable à celui qui, en 1654, avait assuré à la principauté sa légitime neutralité? Tongres avait été désignée comme lieu de réunion 4; les séances, après avoir été successivement ajour- nées, s'ouvrirent enfin, et non sans difficulté, àiMarchienne-au- ^ Pour les détails de ces opérations militaires, voir C. Rousset, ouvr. cité, t. II, pp. 147 et suiv., et J. Halkin, Dépêches citées^ C. R. H., 5® sér., t. VI, 4n>e Bulletin. - Daris, ouvr. cité, t. II, pp. 1^2 et suiv. — A. E., Fonds de Liège, t. VII. L'électeur de Cologne à Descarrières, 30 juillet 1673. — Ibidem. Acte du 24 août 167d. — Conseil privé. Protocoles, reg. 122, 14 et 26 août, 9, 16, 23 et 28 septembre, 24 octobre 1673. —Concl. capit., reg. 162, 29 no- vembre, 2 décembre 1673 et février 1676. — En présence de cette situa- tion, le pays avait fait appel à l'intervention de l'évêque de Strasbourg, qui se trouvait à Paris; François-Egon ne put rien obtenir du marquis de Louvois. {Conseil privé. Protocoles, reg. 122, 7 et 9 septembre, 12 et 26 octobre 1673. — Concl. capit., reg. 162, 22 décembre 1673 et 4 jan- vier 1676.) 5 Conseil privé. Protocoles, reg. 122, 18 et 29 se|)tenibre 1673. * Ibidem, reg. 122. 21 et 24 octobre 1675. ( 116 ) Pont. On ne parvint pas à s'entendre. Les Français se plai- gnirent du retard que l'Espagne avait apporté à l'envoi de ses députés; les Espagnols répondirent que le gouvernement de Bouillon, au mépris de la neutralité, avait été confié à Amour de Berlo, créature de la France ^. Ce n'étaient là que prétextes et faux fuyants qui couvraient la défiance et le mauvais vouloir. D'autres raisons d'ailleurs, plus essentiellement liégeoises, devaient faire échouer les conférences de paix : chaque jour grandissait le désaccord qui séparait la nation de son sou- verain. Au lendemain de la surprise de Sainte-Walburge, les États, le Chapitre, le Magistrat, le Conseil privé lui-même avaient insisté auprès de Louis XIV pour qu'il démolît la cita- delle et qu'il rendît ainsi au pays le repos et la tranquillité. La proposition, une première fois écartée par le roi de France, avait été renouvelée par le Chapitre '^; elle devait être discutée de nouveau à Marchienne-au-Pont. Maximilien-Henri s'y opposa. Il était jaloux d'un pouvoir que par tous ses actes il avait rendu méprisable 3; à ses yeux, la forteresse liégeoise symbolisait la soumission du peuple, la révolte bourgeoise de 1649 domptée, le triomphe de l'absolutisme ! Elle devait rester intacte, fût-elle aux mains de l'étranger! Ses remparts abattus, < LoNCHAY, La Principauté de Liège au XVII^ et au X VIll^ siècle, p. 108. — Jean-Libert Vaes et Dickvelt, députés respectifs des gouvernements de Bruxelles et de La Haye, n'arrivèrent à 3Iarehienne que le 18 avril 1676. - Concl. capit., reg. 162, 18 septembre, 31 octobre et 20 novembre 1673. — S.E.E., reg. 417. Le chapitre de Liège à Maximiiien, 21 septem- bre 1675, f° 20o. — Ibidem. Le même au même, 3 octobre 167S, f» 207. — Le Chapitre, dans cette dernière lettre, que nous publions comme annexe au mémoire, prouve, par des considérations financières, politiques et militaires, les dangers du maintien de la citadelle. Écrit avec patrio- tisme et indépendance, ce document donne un aperçu curieux de la situation du pays de Liège et prédit les événements dont il va devenir le théâtre. 3 « Les déclarations de Son Altesse, écrivait Descarrières, sont si » vagues que celles que donnaient les oracles anciens pour se défaire )) ou éluder les demandes proposées. » (A. E., Fonds de Liège, t. VII. Corr. de Descarrières, septembre 1675.) ( 117 ) c'était l'autorité du prince à nouveau méconnue. Bien des symptômes le lui faisaient prévoir. Les chanoines de Saint- Lambert s'érigeaient en souverains : Ces cinquante Messieurs, écrivait Descarrières, veulent faire autant de « lestes couron- nées 1 » ! Le conseil de la Cité réclamait ses anciennes pré- rogatives -; le peuple attendait l'occasion de recouvrer ses droits. Un mouvement vers la liberté entraînait tous les cœurs. Le brusque retour du souverain eût, peut-être, étouffé ces fer- ments d'indépendance. Mais Maximilien n'osa pas quitter Cologne : ses ministres, les Furstenberg n'étaient plus à ses côtés pour le faire agir. Il se borna à écrire à Louis XIV et lui demanda le maintien des fortifications. Le roi de France en avait décidé autrement : il concentrait en ce moment des troupes sur les Pays-Bas espagnols dont l'annexion restait toujours son rêve et son principal objectif. Les places fortes de la vallée de la Meuse étaient trop éloignées pour être facile- ment défendues; Louvois avait résolu de les abandonner, après les avoir démantelées dans la crainte qu'elles ne tom- bassent au pouvoir des Autrichiens 3. Le 16 mars 1676, Louis XIV en informa les Liégeois : habile politique, il cou- vrait sa retraite du prétexte de déférer aux désirs des popula- tions et de respecter leur neutralité. En réalité, il n'était pas mécontent de tirer vengeance de la conduite de l'électeur de Cologne, de le punir de sa réconciliation avec l'Empire et de son inertie à revendiquer la liberté de Guillaume de * Comme le fait remarquer M. Lonchay, le résident français n'aime guère les « superbes » tréfonciers dont nous avons eu l'occasion de signa- ler l'attitude patriotique. Les absences continuelles du prince-évéque ne rendraient-elles pas excusables leurs empiétements d'autorité? - A. E., Fonds de Liège, t. VII. Corr. de Descarrières, 5 septembre et 27 octobre 1675. 5 Le prince d'Orange voulait assiéger Liège, et les Alliés essayaient de faire recevoir dans la Cité une garnison impériale. (A. E., Fonds de Liège, t. VIL Corr. de Descarrières, 2-2 septembre 1673. — Ibidem, t. VIII, 27 février et 12 mars 1676. — Conseil prive. Protocoles, reg. 122, 22 et 26 février 1676.) ( 118 ) Furstenberg. Quinze jours après, les derniers remparts et les bastions de la citadelle de Sainte-Walburge sautaient, et les Français, au bruit des acclamations, évacuaient la ville. Liège était de nouveau libre et maîtresse de ses destinées. Ses premiers regards furent pour son passé, tout de gloire et d'indépendance. Le peuple compara les réalités du présent à ses désirs et à ses aspirations ; il en comprit toute la différence, et, le goût de l'autonomie, l'esprit de mutinerie aidant, il res- saisit, en un élan d'enthousiasme, ses droits et ses anciens privilèges. Le pouvoir oppresseur fut abattu : une révolution commen- çait; elle allait se prolonger pendant huit années, passer par les phases habituelles des tourmentes populaires, mettre en lumière de nobles énergies, de glorieux dévouements, mais aussi révéler de méprisables ambitions et de fatals entêtements. Et tandis que la guerre étrangère se poursuivait à ses portes, achevant de ruiner la malheureuse principauté, Liège évoquait une dernière fois toutes les traditions de sa vie communale et se donnait l'illusion, en plein XV1I« siècle, de revivre l'âge d'or de ses antiques franchises ! ( 119 ) CHAPITRE V. LA RÉVOLUTION LIÉGEOISE DE I(i7()-1G84. La Cité rétablit la démocratie. — Union du chapitre cathédral et des bons métiers. — Faiblesse du prince-évèque. — Les élections du !2o juillet i676 ; Charles d'Ans et Nicohis de Phncvaux. — La réorganisation militaire. — Insolence des Français. — Premiers murmures. — Reprise de la guerre civile. — Traités de Nimègue. — Guillmine de Furstenberg recouvre la liberté. — Découragement à Liège. — Pamph'els et libelles. — Mangeurs de tartes et mangeurs de boudins. — Le Mauvais Lundi — L'évoque refuse les offres de réconciliation. — Les dernières anné.'S de François de Furstenberg. — Maximilien de Bavière et la Cité. — Le conflit juii lique. — La question des élections magistrales. — Altitude du haut clergé liégeoi>. — L'évèque ordonne le prélèvement du soixantième. — Réunion des États. — Les bonnes villes refusent de s'unir à la capitale. — La sortie de Visé. — Guillaume de Furstenberg renoue l'alliance franco-colonaise. — II se rend à Liège. — Fuite de Plenevaux et de d'Ans. — L'anarchie. — Détresse finannère. — Députation à Cologne. — Échec des négociations. — L'émeute du !27 juin 1GS3. — Remouchamps et Gaen sont élus bourgmestres. Vingt-cinq années d'affaiblissement moral et de souffrances matérielles, sous un régime incapable et despotique, n'avaient pu faire perdre aux Liégeois le souvenir des traditions com- munales. Ils trouvaient dans leur passé les leçons de l'expé- rience, le viatique de l'espérance, la confiance et l'énergie. Ils imiteraient le glorieux exemple des ancêtres qui, lorsqu'il s'était agi de secouer le joug bourguignon, de résister à la domination des Habsbourg, et plus récemment de dicter la loi à la Maison de Bavière, n'avaient ménagé ni sang, ni efforts. Comme eux, ils sauveraient leur indépendance et disputeraient leurs franchises au triste souverain qui, pour servir l'ambition de favoris, avait sacrifié son peuple à la rapacité étrangère. La Cité semblait unie et elle se croyait forte ; ce fut avec calme, sans effusion de sang, qu'elle recouvra le gouvernement de ses années de démocratie. ( 120 ) Elle se chargea elle-même de maintenir Tordre et confia à la bourgeoisie le service de la sûreté publique et la garde des portes '. C'était se prémunir contre les menées et les soulève- ments des esprits remuants et séditieux -. Les anciens bourg- mestres d'Ans et Rossius organisèrent l'administration provi- soire, tandis que les bons métiers, reconstitués, reprenaient leurs séances « sur les chambres » respectives !^ ; le 28 avril, portant leurs bannières et les insignes du travail, ils escor- tèrent le chapitre cathédral à la procession de la translation de Saint-Lambert; le haut clergé liégeois consacrait ainsi solen- nellement le renouveau de vie politique des trente-deux cor- porations ■'*. Les rues s'illuminèrent de feux de joie et, sur les places publiques, violons et hautbois invitèrent la population à la danse et à la gaieté s. Le grand doyen remit aux bourgmestres les clefs de la ville; la plupart des impôts de consommation furentabolis ; la collecte du soixantième denier fut suspendue^, et, d'un accord unanime, tréfonciers, commissaires de la Cité "', conseillers et artisans réclamèrent près du Conseil privé le réta- blissement des règlements de 1603 et de 1631, la suppression < A. E., Fonds de Liège, t. VIII. Corr. de Descarrières, Maestricht, 2, 9, 10, M et 12 avril 1676. — Conseil privé. Protocoles, reg. 122, 6 avril 1676. - « Les capitaines de quelques quartiers les plus soulevés ayant envoyé » à ceux qui sont à ces assemblées quelques tonnes de bière pour les » apaiser, ceux-ci n'en ont point voulu, et disent qu'il faut partager à » présent les biens et en faire part à ceux qui n'en ont pas. )>(A. E., Fonds de Liège, t. VIII. Corr. de Descarrières, Maestricht, 5 avril 1676.) "' Voir aux Archives de l'État à Liège, les Registres aux recès des BONS MÉTIERS. * Concl. napit., reg. 162, 22 avril 1676, f» 617. — A. E., Fonds de Liège, t. VIII. Corr. de Descarrières, 28 avril 1676. •' Voir les chroniques liégeoises, notamment à la Bibliotfièqite de l'Uni- versité de Liège, les manuscrits n^s 816, 1166 et 1717. ^ Conseil privé. Protocoles, reg. 122, 9 avril 1676. — État primaire. État, même date. " Nous devons rappeler ici que d'après le règlement de 1649, les com- missaires avaient le droit de présenter la moitié des candidats au Magis- trat. ( 121 ) de la réforme de 1649, « introduite par force et violence «, au mépris des privilèges communaux '. En attendant l'élection magistrale du 2o juillet, un comité composé des délégués du Chapitre, des métiers, des mar- chands et des jurés en fonctions, — véritable représentation des intérêts, — s'empara de la direction des affaires -. Ce qui assurait le triomphe et fortifiait la victoire du parti populaire, c'était l'union étroite du Chapitre et des bons métiers. Il était malaisé de paralyser cette entente. Les agents du prince n'avaient pas de moyens d'action ; les pamphlets qu'ils avaient répandus avaient été reconnus diffamatoires 3; le chancelier Lambert de Liverlo, homme indécis et versatile^, attendait de Cologne des ordres qui n'arrivaient pas. Le Conseil privé pria l'évéque de revenir à Liège 5; Maximilien-Henri resta dans sa retraite abbatiale de Saint-Pantaléon. Trop faible pour défen- dre lui-même son pouvoir fant»'>me, il invoqua l'intervention de la cour de Vienne. * Concl. capit., reg. 162, 3 juin 1676, f-^ 636. — Recès de Liège, 6 juin 1676. — Recès des commissaires, même date. ^Leodiensis, t. W.) — A. E., Fonds de Liège, t. VIIL Corr. de Descarrières, 7 et 10 juin 1676. - A. E., Fonds de Liège, t. VIIL Corr. de Descarrières, 6, 11 et 15 mai 1676. — Concl. capit., reg. 162, 6 mai 1676, f« 6-23. — Voir aussi aux À rchives de l'État à Liège, les Registres des >iétiers ; notamment le regis- tre n<» 33, Drapiers, recès du 3 mai: le registre n^ 34. Retoxdeurs. recès duo mai; le registre n» 8, Tisseurs, recès du 6 mai, et celui du 7 mai 1676, du métier des Vieux Warriers. 5 Daris, ouvr. cité, t. II, pp. 79 et suiv. — Concl. capit., reg. 162, 2o avril et ii juin 1676. — Reg. n^ 33, Drapiers, recès du 7 juin 1676. — Parmi ces pamphlets, citons : le Masque levé; le Sentiment d'un bon et fidèle Liégeois ; la Vérité reconnue contre la médisance. Ce dernier écrit est l'œuvre du commissaire Ant. Rolandi. ^^BibL Un. Liège, Collection Ulysse Capitaine, n® 1567.) * Voir p. 111, note 1. — « Le chancelier Liverlo est comme une poule » mouillée; il n'a pas voulu consentir à faire entrer 4 à 50<) Franchimon- » tois que les bourgmestres voulaient faire venir pour tenir la petite » populace dans le devoir. » (A. E., Fonds de Liège, t. VIII. Corr. de Des- carrières, 2 a\Til 1676.) 5 Conseil privé. Protocoles, reg. 122, 16 mars 1676. — Ibidem, reg. 123, 22 juin, 3 septembre et 29 octobre 1676. ( 122 ) L'Empereur invita les Liégeois à se conformer au règlement électoral de 1649. Le mandement impérial ne découragea personne dans la Cité, déjà livrée aux formalités et aux céré- monies préparatoires à la rénovation magistrale. Huit jours avant la Saint-Jacques, les listes électorales furent clôturées i : y figuraient, à peu d'exceptions près ^2, tous ceux qui avaient fait le relief d'un bon métier. On voulait témoigner de l'adhé- sion générale, et, « pour reconnaître les fidèles patriotes », le vote fut déclaré obligatoire ^. Rien ne fut négligé pour donner à l'élection une grande solennité. La procession des Écoliers parcourut la ville, « im- plorant le secours de Dieu et les lumières du Saint-Esprit ■* »; le 2d juillet, selon l'ancienne coutume, les Trente-Deux nom- mèrent bourgmestres Charles d'Ans et Nicolas-François de Ple- nevaux. Ce choix paraissait heureux. Les deux élus, dévoués à la cause populaire, n'étaient pas des hommes nouveaux ^. D'Ans, jurisconsulte de valeur, ancien président du Conseil ordinaire, avait été deux fois déjà élevé à la première dignité magistrale; il ne cachait pas ses sympathies pour la Maison d'Autriche 6 * Reg. no 33, Drapiers, recès du 22 juin. — Reg. n° 34, Retondeurs, recès du 7 juin 1676. — Voir aussi St. Bormans, Le bon métier des dra- piers de la cité de Liège. (Bull, de la Soc. liég. de littér. v^all., 1867, t. IX.) 2 La plupart des piiblicains eX fermiers d'impôts, accusés d'avoir oppressé le peuple, furent privés du droit de hanter les métiers pendant trois ans. (Reg. n" 33, Drapiers, recès du 22 juin 1676. — Reg. n° 34, Reto.ndeurs, recès du 19 juillet 1676.) ■' Règlement pour le jour de la Saint-Jacques (Métier des Retondeurs, reg. n» 18, recès du 19 juillet 1676.) ^ ConcL capit.. reg. 162, 3 juillet 1676, f« 654. •■' Recès de Liège, 2o juillet 1676. — « Nous n'avons rien de plus cher, » dit une remontrance du temps, ni de plus considérable, que de les choi- » sir pour nos bourgmestres, pères de la patrie, et immoler nos vies à » leur service, comme ils ont hasardé la leur pour la nôtre. » ^ Cf. pp. 104 et 114. — Sur ce personnage, consulter le Recueil héral- dique des membres du Conseil ordinaire de la principauté de Liège, par Louis et Simon Abry, publié par E. Poswick. ( 1i23 ) dont il espérait obtenir la protection et la puissante médiation. Quant ù son collègue, plus jeune que lui, il venait de quitter l'état ecclésiastique, où il s'était élevé jusqu'au sous-diaconat, pour embrasser la carrière politique ^ ; la famille de Ple- nevaux avait fourni ù la Cité une lignée de loyaux magistrats. La première préoccupation des nouveaux maîfres fut de mettre la capitale en état de défense, de relever les remparts que les mines et les fourneaux français avaient entraînés dans la des- truction (le la ciiadelle. En face d^'s armées étrangères qui ne cessaient de couvrir le pays, Liège ne pouvait demeurer ville ouvcrle. Le haut clergé fit les avances nécessaires pour réparer les murailles, et son exemple patriotique entraîna toute la population-. Les milices bourgeoises furent réorganisées^: on invita les habitants à se tenir prêts à prendre les armes ^. Enfin, la compagnie des Vieux Arbalétriers, l'ancienne garde d'honneur des princes-évéques, qui depuis longtemps n'avait plus eu, et pour cause, de service actif, plaça à sa tète le bourg- mestre d'Ans lui-même s. Ces mesures n'étaient que trop nécessaires : Hollandais, Espagnols, Français, Brandebourgeois mettaient de nouveau, au mépris de la neutralité, la principauté à contributions 6. Louis XIV, dans le dessein de « prévenir ses ennemis », venait de se faire livrer le château de Bouillon par son gouverneur, le comte de Poitiers : cette « grosse et vieille gentilhommière » * Les hommes illustres de la nation liégeoise, par Abry, édités par Hel- DiG Pt BoRMANS. —A. E., Fonds de Liège, t. VIIL Corr. de Descarrières, 20 mai 1676. 2 Concl. capit., reg. 162, ter et 2 avril, 6 mai et 8 juillet 1676. — Recès de Liège, 28 et 30 juillet, 11, 24, 29 et 30 août 1676. — Reg. n'' 33, Dra- piers, recès du 29 juin. — Reg. 18*'*, Retondeurs, rcccs du 2d avril. 3 Conseil privé. Protocoles, reg. 123, 31 juillet 1676. — Recès de Liège, 30 juillet et 14 novembre 1676. ' Recès de Liège, 23, 27 et 28 août 1676, 22 février 1677. •"' Recès de Liège, 11 janvier 1677. — Conseil privé. Protocoles, reg. 123, 2o janvier 1677. — Avant 1649, c'était le prince-évêque lui-même qui s'attribuait cette nomination. *' Daris, ouvr. cité, t. il, pp. 77, 78, 83 et suiv. ( m ) ne devait plus retourner à l'Église de Liège <. Calvo occupait Maestricht d'où il lançait sa soldatesque sur tous les alentours -. On connaît la froide et implacable barbarie de ce brutal soldat, digne personnage de la galerie de Jacques Callot, que ses rigueurs et son inhumanité avaient désigné à la faveur de Louvois 3. Le sire de Paillerolles, le résident français qui avait succédé à Descarrières -i, finit lui-même par s'émou- voir d'une conduite aussi cruelle qu'impolitique 3. Mais à Paris, on n'écoutait guère ses doléances et ses justes repré- sentations. Cependant que Calvo poussait ses ravages jusque dans les faubourgs de la Cité 6, l'ambassadeur de Versailles recevait l'ordre de travailler les populations dans l'intérêt de la France! Mission ingrate ' et d'autant plus ditiicile que les * Cojid. capit., reg. 163, 30 septembre 1676. — C. Rousset, ouvr. cité, t.n, pp. iîTO-271. - Sur la défense opiniâtre de cet officier catalan assiéiïé dans Maes- tricht par le prince d'Orange, voir H. Martin, Histoire de France^ i^ édi- tion, t. Xin, pp. -493 et suiv., et EuG. Fieffé, Histoire des troupes étran- gères au service de la France. 5 Pour les détails, voir Lo>'CH-\y. La principauté de Liège au XVII^ et au XMIIe siècle, pp. 110 et suiv. ^ n arriva à Liège le 14 décembre 1676. (Concl. capit., reg. 163.) ■'• Paillerolles. craignant pour sa vie, demanda même à pouvoir quitter le poste de Liège. « La loi du plus fort est une loi suffisante », lui répon- dit son gouvernement. (A. E., Fonds de Liège, t. IX. Paillerolles à Pom- ponne, 30 janvier 1677. — Ibidem, t. X. Le même au même. l:i août et 23 septembre 1677. ^ A. E., Fonds de Liège, t. IX. Paillerolles à Pomponne, 18 mars et 3 juin 1677. — Ibidem, t. X. Le même au même, 3 août 1677. " Voici un spécimen des vers que l'on publiait à Liège contre l'agent de Louis XTS" : Des Carrières a joué son rolle; Des Consuls et des Conseillers Il en a fait des Écoliers Et les a duppés comme un drôle. Mais si tous ne voulez périr. Pauvres Liégeois, sur ma parole, Efforcez-vous de divertir Les pratiques de Paillerolle. (A. E., Fonds de Liège, t. IX. î ( 125 ) dirigeants populaires « cherchaient leur asile entre les bras de l'Empereur i ». Quelle excuse donner aux iniques procédés, aux incendies, aux pillages féroces de ses compatriotes? Mais Paillerolies allait pouvoir profiler des ferments de la discorde qui se dessinait déjà dans le corps communal. L'état de siège permanent et forcé fatiguait les habitants, sans cesse sur le qui-vive, toujours sous la menace d'une attaque imprévue. Le magistrat, de son autorité souveraine, avait frappé un impôt sur le braz qui faisait murmurer-; la généralité des métiers lui avaient refusé la levée d'un nouveau corps de troupes que nécessitait la défense de la place 3. Les esprits timorés accusèrent les bourgmestres de s'opposer à toute voie de réconciliation avec le prince-évêque, alors que Maximilien-Henri, par ses exigences, ses hauteurs et ses ater- moiements, empêchait les négociations entamées d'aboutir *. * On appelait les Français « traîtres et boutefeux ». L\. E., Fonds de Liège, t. IX. Paillerolies à Pomponne, 31 décembre 1676. — Ibidem, t. X. Le même au même, 2 et iîl septembre 1677.) - BonLLE. p. 415. — Le conseil de la Cité proclama son droit de lever de nouveaux impôts sans l'approbation du prince. {Recès de Liège, :28 sep- tembre, -23 octobre et 18 novembre 1676. — Conseil privé, Protocoles, reg. 1-2.3, 20 novembre 1676.) 5 Bouille, p. 420. — Il semble que Tintervention du résident français et de ses affidés, qui redoutaient de mettre de nouvelles milices à la dis- position des bourgmestres, ennemis déclarés de Louis XIV, n'ait pas été étrangère à celte résolution. (A. E., Fonds de Liège, t. IX. Paillerolies à Pomponne, 23 février 1677. —Ibidem, t. X. Le même au même, 21 octo- bre 1677. — S. E. A., reg. 168. Corr. de Jean Gaen, prévôt de l'église collégiale de Notre-Dame à Condé, chanoine de Saint-Jean, résident des Pays-Bas à Liège, 30 octobre 1677.) ^ Parmi les ambassades envoyées au prince-évêque, citons celles de Schell.de Visconti et Uanus. de Jean-Barthélemy de Plenevaux, du boui^- mestre de Graty. — Le Rapport que ce dernier publia de sa légation vers Son Altesse, renferme les deux instructions détaillées que la ville donna à son député et indique les dispositions des partis. « Le gros de l'affaire », écrivait le 20 juin 1677 de Graty aux bourgmestres de Liège, « consiste à ce qu'on pût s'entendre sur la forme de l'élection magistrale ». Mais la Cité se défia de la conduite de son député, qu'elle soupçonnait, avec rai- ( 1^6 ) Spectacle affligeant ! Au moment où les circonstances exigeaient l'union des volontés et le groupement de toutes les énergies, les jalousies de corps, les anciens conflits de juri- diction s'accusèrent plus violents que jamais. Le chapitre cathédral reprit sa lutte de préséance et son attitude autoritaire vis-à-vis des ecclésiastiques inférieurs; le siège des échevins fut excommunié par l'abbé de Saint-Laurent, « conservateur des privilèges du clergé secondaire^»; les commissaires de la Cité, ces antiques gardiens des franchises liégeoises, se séparèrent violemment du conseil communal, qui avait ordonné l'arrestation illégale, sinon nécessaire, d'un officier du prince, le sous-maycur Goffin 2. C'étaient la confusion, l'incertitude dans le gouvernement, l'anarchie administrative, situation favorable aux défenseurs de l'autorité, aux partisans du prince-évôque. Le péril était d'au- tant plus grand que la Cité venait d'être momentanément privée des services d'un homme capable, modéré et clairvoyant : Nico- las de Plenevaux fut atteint, à plusieurs reprises, d'accès de son, de conniver avec Maximilien; elle révoqua précipitamment sa com- mission. De Graty continua néanmoins à négocier malgré ses commettants. {Bibl. Un. Liège. Collection Ulysse Capitaine, n» 8130. — Recès dj Liège, 28 juillet, 14 septembre et 29 décembre 1676, 21 avril, 4 et 28 mai, 8 juin et 1er décembre 1677. — Conseil privé. Protocoles, reg 123, 7 et 18 septem- bre 1676. —Ibidem, reg. 124, 28 mai 1677. — A. E., Fonds de Liège, t. IX. Paillerolles à Pomponne, 31 décembre 1676, 3 janvier, 9 mai et 8 juin iQll. — Ibidem, t. X. Le même au même, 4 juillet et 9 décembre 1677. — Registre aux recès du métier des Vieux Warriers, 29 décembre 1676 et 4 mai 1677.) 1 Bouille, p. 420. — Concl. capit., reg. 163, 12 et 27 avril, 6 juin 1677. — A. E., Fonds de Liège, t. X. Paillerolles à Pomponne, 30 septem- bre, 21 novembre et 30 décembre 1677. - Goffin était accusé de faire des levées secrètes pour entraver la liberté des élections consulaires — Pour les détails, voir Daris, loc. cit., pp. 89 et suiv. — Bibl. Un. Liège. Collection Ulysse Capitaine, nos 8134 et 8155. — Conseil privé. Protocoles, reg. 124, 23 et 27 juillet 1677. — A. E., Fonds de Liège, t. X. Paillerolles à Pomponne, 22 juillet 1677. — Chronique liégeoise, Bibl. Un. Liège, Ms. n» 816, f» 303. ( 127 ) démence *. La bourgeoisie appela pour le remplacer son frère Jean-Barihélemy 2. La régence de Plenevaux le Jeune ne put ramener Tentente dans la capitale. La scission se glissa dans le magistrat lui-même; les métiers menacèrent de s'assembler sans l'autorisation des bourgmestres. Liège était de nouveau livrée aux factions '^. Le traité de Nimègue, par ses conséquences désastreuses, allait susciter de plus grandes difficultés encore et envenimer la guerre civile en y introduisant les intrigues étrangères. IL Depuis l'échec des conférences de Marchienne-au-Pont, la diplomatie n'avait cessé d'agir, mais sans grand résultat. Par la médiation de Charles II d'Angleterre, un congrès général des puissances s'était ouvert à Nimègue, au mois de juin 1676. Les préliminaires en avaient été longs. Les cours de Vienne et de Madrid désiraient, au fond, continuer la guerre pour recouvrer les territoires qu'elles avaient perdus; et, tandis qu'elles se montraient intraitables dans leurs prétentions, Louis XIV avait poursuivi ses conquêtes aux Pays-Bas et décon- 1 A. E., Fonds de Liège, t. X. Paillerolles à Pomponne, 2, 23 et 27 sep- tembre 1677. ' Nommé bourgmestre en même temps que Jean Le Rond, J.-B. de Plenevaux était avocat, lieutenant des Vieux Arbalétriers et pubiiciste. (Voir son Liégeois plaintif, en fan 4677, dans la Collection Ulysse Capi- taine, Bibl. Un. Liège, n» 813i.) 5 La correspondance du résident français, le sire de Paillerolles, au marquis de Pomponne, relate presque quotidiennement les nouvelles manifestations de l'anarchie qui ré2,nait à ce moment à Liège. C'est ainsi que le clergé secondaire, qui possédait dans ses nombreuses maisons un dépôt considérable de grain, avait refusé de payer l'impôt sur le braz : lorsque les taxateurs se présentèrent pour visiter les greniers et dresser les cotes proporlionnelles, il fit sonner les cloches et fermer les églises. (A. E., Fonds de Liège, t. X. Paillerolles à Pomponne, 31 août, 5 septem- bre, 12 et 21 octobre 1677.) ( 128 ) certé les confédérés par la rapidité de ses succès ^. Guillaume d'Orange était l'objet des reproches de ses compatriotes qui supportaient toutes les charges de la coalition, des récrimina- tions des Alliés qui le rendaient responsable des défaites essuyées. Le roi de France, profitant de la division qui régnait entre ses ennemis, avait expédié un uUimatwn pour la paix générale. Il y réclamait, entre autres conditions préalables, la liberté de Guillaume de Furstenberg et sa réintégration, ainsi que celle de son frère, l'évêque de Strasbourg, « dans tous leurs états, biens, honneurs, dignités et prérogatives ». Mais l'Empereur persistait dans son refus de relâcher son prisonnier : prières, interventions diplomatiques, écrits et pamphlets ne pouvaient vaincre sur ce sujet son opiniâtreté et son entêtement 2. Une véritable pression s'exerça sur les deux Egons : ils furent instamment sollicités de céder à la volonté impériale, de ne pas insister sur la délivrance du prince Guillaume et, moitié de bonne grâce, moitié contraints, ils se sacrifièrent en vue du rétablissement de la paix. L'orgueil de Léopold obtenait satisfaction 3. Ce ne fut qu'au mois d'août 1678 que les premiers traités furent signés. Les Provinces-Unies donnèrent le signal de la réconciliation. La guerre qui, au compte de Louvois, ne devait durer qu'un été, s'était prolongée six années. La Hollande ne perdait ni une province, ni une forteresse : énergique, persé- * Voir MiGNET, Introduction aux négociations relatives à la succession d'Espagne, t. IV, pp. 438 et suiv. — Lonchay, La rivalité de la France et de U Espagne aux Pays-Bas, pp. 277-296. 2 Arc/i. de Donaueschingen , B^^, vol. 57. François-Egon de Fursten- berg au Pape. Paris, 27 septembre 1674. — Ibidem, vol. 58. Le même au même, 25 septembre 1675. — H. von Zwiedeneck-Sudenhorst, Die ôffentliche Meinung in Deutschland ini Zeilalter Ludwigs XIV, 1888, SS. 91 U.92. — Theatriim Europœum, t. XI, pp. 489 et 536. 5 MiJNCH, Geschichte des Hauses und Landes Fiirstenberg, Bd III, SS. 261-303. — Legrelle, Louis XIV et Strasbourg, pp. 176 et suiv. — Laguille, Histoire de la province d'Alsace, liv. XXIII, pp. 256 et suiv. — Samuel Pufendorf, De rébus gestis Friderici Wilfieimi Magni^ Electoris Brandenburgici, liber XIII, §§ 64 et 67. ( 129 ) vërante, elle avait défendu, contre le cabinet de Versailles, les droits de la conscience et de la patrie. Les députés que Maximi- lien-lïonri avait envoyés au Congrès pour défendre les inté- rêts liégeois, avaient été arrêtés en route par Calvo^ ; lorsqu'ils arrivèrent à Nimègue, les États généraux s'étaient déjà fait garantir la restitution de Maestricht et des pays d'Outre- Meuse '-^. Les négociations franco-espagnoles furent plus longues à aboutir. Les plénipotentiaires ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur la cession de certaines places, notamment de Dinant, que Louis XIV prétendait garder aussi longtemps que l'Espagne ne lui accorderait pas Charlemont avec le château d'Agimont 3. Le traité du 17 septembre donna ù la France la Franche-Comté et quatorze villes des Pays-Bas. Dinant ne fut pas rendue au prince de Liège, ce qui amena, comme consé- quence, les Hollandais à retenir Hasselt, Maeseyck et le château de Hornes ^. Restait l'Empire, épuisé, de plus en plus menacé par les insurrections hongroises. L'article 28 de la paix de Nimègue s (o février 1679), malgré les protestations du chapitre de Saint- Lambert 6, maintint Godefroy-Maurice de la Tour d'Auvergne * Conseil privé. Protocoles, reg. 125, 12 juillet et 3 septembre 1678. - Vainement le prince-évêque de Strasbourg insista-t-il, à Paris, en faveur des droits de l'évêché de Liège. (Concl. capit., reg. 163, 14 et 30 juin, 12 juillet et 5 décembre 1678, 7 janvier 1679.) ^ Conseil privé. Protocoles, reg. 124, 25 avril 1678. ' LoNCHAY, La principauté di Liège au XVIl^ et au XVIIl^ siècle, p. 117. — H. Vâst, Les grands traités du règne de Louis XIV, t. II, pp. 37 et suiv. •^ Voir le texte des traités de Nimègue dans H. Vast, Iog. cit., pp. 33-116. '•■ Bouille, p. 431. — Concl. capit., reg. 163, 12 juin et 22 août 1878, 10, 15 et 28 février, 16 juin 1679. — On fit plus tard un procès au con- seiller Laurent de Charneux, chargé de la légation, pour avoir outrepassé son mandat en consentant à la cession du duché. (Voir la Réponse à la défense des envoyés de S. À. Monseigneur VÉvéque et Prince de Liège au congrès de Nimègue au sujet de Bouillon, dans la collection Ulysse Capi- taine, Bibl. Un. Liège, n» 8150, 79 pages.) To.ME LIX. 9 ( 130 ) dans la possession du duché de Bouillon i. L'article 23 de la même paix ouvrit à Guiiiaume-Egon de Furstenbcrg les portes de la prison de Neustadt'^; on le réintégra, ainsi que son frère et son neveu 3, dans tous ses droits, principautés et bénéfices. L'électeur de Cologne n'allait pas tarder à retom- ber sous son impérieuse domination. La principauté était cruellement maltraitée. Les étrangers continuaient à occuper le territoire. Le contre-coup de cette triste situation se fit bientôt sentir à Liège, qui venait d'être gravement frappée dans son prestige et son autorité : en vue de faire reconnaître, par le traité de Nimcguc, sa neutralité et ses privilèges de franche et libre cité d'Empire, elle avait député au Congrès, en son propre nom, Plencvaux le Jeune et le syndic Hanus. Ce droit de légation dont 1 Erasmus de Foullon, Explanatio ulterior et omnimoda assertio excel- sioris et siipremi juris in Ducntum Doulloniensem pro Sereniss. Muximil.- Henr. ejus. Ecdesiaet Capilido Cathcdrali Lcodiensi. 1881. — Lorscjuele maréchal de Créquy prit possession du château de Bouillon, Louis XIV déclara qu'il ne voulait porter aucun préjudice à l'Éiîlisc de Liège. Nonobstant ces assurances, un arrêt du conseil d'ÉLat de S. M. T. C, du 1er ixiai 1678, donna à la Maison de la Tour ce diamant enchâssé dans la crosse de Liège! {Recueil des Ordonnances du duché de Uouilion (1240- 1715, publié par Polain.) — Le chapitre cathédral, soutenu par le Pape, renouvela ses protestations pendant les négociations de Ivvswlt-k, et les évêques de Liège continuèrent à porterie titre de ducs de Bouillon. - Guillaume de Furslenberg ne fut libéré qu'au mois de mai. L'Empe- reur lui donna audience h Laxenburg et lui témoigna « qu'il aurait un » extrême désir de se lier d'une amitié sincère et véritable avec le roi » de France «. Guillaume, accompagné de l'ambassadeur anglais Skelton, qui avait contribué à son élargissement, arriva le 5 juillet à Cologne; il y retrouva son frère François. (Bouille, p. 437. — A. Gatrio, Die Abtei Murbach in Elsass, Bd II, SS. 464 u.s. w. — Der in einen Abt venuandelte eingebildeter frant.zosischer Cfiurfurst,worin enlhalten viel notable Parti- cularildten von den Cardinals von Fïirslenberg Person, Geburtli und gefuhrten Actionen, frantzôsischen Intriguen, weitausschenden unà gefàkrlichen Anschldgen widcr sein Vaterland. 1690, in-i», S. 12.) 3 Antoine-Egon, hls de Ilerman de Furstenberg. La cour de Vienne ne pouvait lui reprocher que le voyage de noces qu'il avait fait en France! (Ennen, Frankreich und der Niederrhein, Bd I, S. 360.) ( 131 ) la capitale réclamait la jouissance était vivement contesté par l'évéque qui n'avait pas eu de peine à faire éconduire les ambassadeurs de ses sujets rebelles '. L'aliront était direct et d'autant plus sensible que les faubourgs de Liège étaient menacés par Calvo d'une violente exécution militaire 2. La fraction modérée de la population, découragée, proposa de négocier un nouvel accommodement avec Maximilien. Les bourgmestres nouvellement élus, Soumagne et Paul 3, défen- dirent, par la parole et par la plume '^ cette politique d'a|)ai- sement. Ils ne furent pas écoutés; la plupart des métiers refusèrent d'abord de traiter ->. L'opinion publique, alarmée de la présence des troupes françaises qui, aux portes des rem- parts, réclamaient le payement immédiat de oO,000 écus, était encore excitée par une multitude de libelles et de brochures * Daris, ouvr. cité, t. II, p 98. — La question du droit de légation était l'une de celles pendantes devant la Chambre de Spire, saisie à nouveau du procès par une citation impériale du 25 août 1677. — Voir A. E., Fonds de Liéye, t. X. Paillerolles à Pomponne, 30 septembre 1677, et dans le Leodiensis, t. VI, la Députation faite par la Cité de Liège vers l'Assemblée des Seigneurs Ambassadeurs traitan'< de la paix en la ville de Nimègue. Liège, 1679, in-4". '2 Conseil privé. Protocoles, reg. 125, 30 juin, 5, 10, 17, 18, 21, 24 et 31 décembre 1678. — Recès de Liège, 12, 16 et 28 septembre 1678. — A. E., Fonds de Liège, t. XI. Calvo à Paillerolles, 19 janvier 1678. — S. E. A., reg. 168. Corr. du prévôt de Condé, 14 décembre 1678 et 7 jan- vier 1679.'— Chronique liégeoise (1674-1679), Btbl. Un. Liège, Ms. no 1166. 5 Arnold de Soumagne, seigneur de Fraineux La Motte Oleye et Lau- i-ent Paul avaient été élus bourgmestres le 25 juillet 1678. * Voir, dans les Recès de Liège, le rapport du bourgmestre Soumagne et les recès des 4, 9 et 27 novembre 1678. — Conseil privé. Protocoles, reg. 125, 15 septembre 1678, et dans la collection Ulysse Capitaine, Bibl. Un. Liège, le n" 8135, intitulé Informations, plaintes et revisions adres- sées à Messieurs les 52 bons métiers et à tous bons et zélés bourgeois atta- chés au bien public par Messieurs les bourgmestres modernes de la Cité de Liège. 5 Métier des Retondeurs, reg. 34 (1676-1684), recès des 25 et 30 no- vembre, 4 et 6 décembre 1678. ( 132 ) politiques. Aux exhortations éloquentes des Éburoris liégeois ^y défenseurs des libertés populaires, répondait la voix delà Vérité attirée'^f évocatrice de conciliation. L'ancien magistrat qui, dans les moments critiques, était appelé à délibérer avec le conseil en fonctions, se montrait le plus ardent à la résistance. Le maître (l'antan Charles d'Ans et ses arbalétriers avaient pris position sur le pont des Arches et dans l'abbaye de Saint-Laurent; abrités derrière une vieille ferraille de canon, ils se faisaient fort de repousser toute attaque ^. Liège était revenue aux plus sinistres jours de ses luttes intestines : divisée en deux camps hostiles, elle était prête, comme naguère, à se laisser conduire au gré des menées étrangères. Les mêmes égarements devaient produire fatalement les mêmes effets. En face les uns des autres, avec leurs haines et leur aveuglement, reparurent Chiroux et Grignoux. Après trente ans, leurs dénominations seules avaient changé; ils se qualitiaient de mangeurs de tartes aux pommes et de mangeurs de boudins. De même qu'en 1G40, les uns témoignaient de leur respect pour l'autorité du prince, les autres protestaient de leur dévouement aux franchises urbaines. Mais si, lors de la guerre civile de la première moitié du siècle, les Grignoux avaient été amenés à rechercher l'appui de la France, les Chiroux, celui de l'Espagne, mainte- nant, au contraire, c'étaient les mangeurs de tartes qui se tournaient vers Louis XIV, tandis que leurs adversaires comptaient sur la protection de la Maison de Habsbourg pour assurer leur victoire 4. Ce renversement des alliances, cette 1 Les Éburons liégeois ou les hauteurs, droits, privilèges, franchises et liber lés de Messieurs les maîtres, jurés et conseil et XXXII métiers de la noble cité de Liège. A Liège, chez Danthez, 1678, 136 pages. — Voir aussi la Suite aux Éburons liégeois. (Collection Ulysse Capitaine, Bibl. Un. Liège, nos 8137 et 8138.) ' La vérité attirée par un libel diffamatoire, séditieux et fabideux, inti- tulé : Les Éburons liégeois, 1679, 232 pages avec table. (Colleclion pré- citée, n<>8141.) 5 A. E., Fonds de Liège, t. XI. Paillerolles à Pomponne, i^" novembre et M décembre 1678. ' A. E., Fonds de Liège, tomes IX et XI. Mémoires de Paillerolles. — S. E. A., reg. 168. Rapport du prévôt de Condé, décembre 1678. ( 133 ) modification dans l'orientation des partis, n'imprima aucune influence sérieuse à la marche des événements. L'immixtion étrangère, d'où qu'elle vînt, ne pouvait que précipiter la défaite des protecteurs de l'autonomie communale. Dans ces moments de trouble et de défiance, les complots sont prompts à s'ourdir et le moindre incident fait éclater l'émeute toujours latente. Témoin le mouvement séditieux connu sous le nom de Mauvais Lundi (16 janvier 1679) : simple épisode, grossi dans la suite, du drame dont la capitale était le théâtre, il reflète la disposition des esprits et emprunte à ses conséquences une importance particulière. En voici le narré d'après le récit succinct que nous en a laissé le Père Bouille^. Les régents Soumagne et Paul avaient à leur dévotion un noyau de bourgeois prêts à seconder leurs desseins; ils leur avaient donné l'ordre de prendre les armes à la première semonce. Un de ces affidés, capitaine de milice, désireux de se signaler, s'était hâté de réunir ses hommes, au moment où le conseil entrait en séance à la Violette. Les jours de réunion du Magistrat, le peuple avait coutume de se rassembler sur la place du Marché, au Détroit, sur les Degrés de Saint-Lambert, voire aux portes de la salle des délibérations -. Là, il attendait anxieux la proclamation des recès que l'on avait votés. Quelle mesure devait-on prendre dans la séance du 16 janvier? Les documents sont muets à cet égard. Toujours est-il que, à la vue de la troupe, la foule n'hésita pas; ses soupçons se confir- mèrent : les bourgmestres que l'on savait disposés à négocier avec le prince-évêque, tentaient d'exercer une pression illégale sur les décisions magistrales. La cloche de la maison de ville sonna l'alarme et les citains coururent aux armes. Il y eut une furieuse mêlée. Soumagne et Paul pensèrent y perdre la vie. Le calme momentanément rétabli, les deux factions se ren- ^ Bouille, p. 433. 2 Conseil privé, Protocoles, reg. 123, 15 et 16 janvier 1679. — Recès de Liège, Ti août 1678. — Sur les emplacements indiqués, consulter J.-E. Demarteau, La Violette, Histoire de la maison de la cité à Liège, 1890, p. 34. ( 134 ) voyèrent l'accusation d'avoir fomenté l'émeute. A en croire le résident espagnol, les intrigues françaises n'y avaient pas été étrangères ^. Les Liégeois semblent en avoir eu aussi la com- préhension; car, à peine eurent-ils ordonné une enquête contre les bourgeois les plus suspects 2, et obtenu d'un des maîtres à temps une retraite honorable 3, que, dans la crainte du retour de semblables orages, ils essayèrent d'un rapprochement avec leur souverain ^. Les métiers firent des offres de soumission, promirent obéissance et fidélité o. Le Mauvais Lundi, chose inattendue, avait été pour la population une salutaire leçon. La réparation ne parut pas suffisante à Maximilien de Bavière : son autorité, ses régaux avaient été méconnus ; il exigeait entière satisfaction 6. A la fois nécessiteux et hautain, iJ ne pouvait supporter les frais de l'envoi de commissaires à Liège"; il déclara qu'il refuserait audience aux députés de la commune qui se présenteraient 8. En vain le grand doyen J.-L. d'Elderen intervint-il en faveur de la Cité. Les * S. A. E., reg. 168. Coït, du prévôt de Condé, 18 janvier 1679. — Bibl. Un. Liège, Chronique liégeoise, n» 816. - Cette enquête, qui devait être dirigée par le magistrat, fut livrée à la guemine de guerre et aboutit à l'arrestation de dix-sept bourgeois. — Pour les détails, voir Daris, ouvr. cité, t. II, p. 107. — Recès de Liège, reg. 745, 6 janvier et 8 mai 1680, et la sieulte du 14 novembre 1679 du métier des Retondeurs^ reg. 20. 5 Paul rendit les clefs magistrales, feignant d'être malade; Le Rond lui succéda. (Chronique liégeoise précitée.) * Daris, pp. 93 et suiv. — Conseil privé. Protocoles, reg. 125, 26 jan- vier 1679. ^ 3Iétier des Retondeurs, reg. 34, 1er et 16 février 1679. ^ L'évêque se plaignait surtout des écrits envoyés à Spire et à Nimègue, de la remise des clefs aux bourgmestres, de l'usurpation du droit des armes, de la nomination des capitaines de la milice, de l'innovation et des corruptions des élections magistrales. {Recès de Liège, reg. 745, 11 et 15 avril 1679.) ^ A. E., Fonds de Liège, t. XII. Paillerolles à Pomponne, 31 jan- vier 1679. ^ Métier des Retondeurs, reg. n^ 20. Maximilien-Henri à J.-L. d'Elde- ren. Cologne, 14 mars 1679. ( 135 ) niallicurs de ses sujets, harcelés sans trêve par dix mille Français pillards et brigands, laiss«'Tent l'ëvêque inflexible ^. Tout espoir de conciliation s'évanouit de nouveau "^. Le retour des Furstenberg ù la cour de l'électeur ne fit que fortifier ses tendances absolutistes. HI. Le traité de Nimègue avait rendu aux deux Egons l'accès dos terres d'Empire; aussitôt, on les vit reprendre leur vie d'intrigues et (rexpédients. Les dures épreuves subies n'avaient diminué ni leur activité politique, ni leur attachement aux * Concl. capiL, reg. 1G3, 22 février, 13 et 21 mars 1679. — Recès de Liège, 22 et 24 mars, 11 avril et 9 mai 1679. — S. E. A., resf. 168. Du Monceau à Canto, 18 mars 1679. — Ibidem, Le conseil de la Cité au mar- quis (l'IIuxc'lles, 25 avril 1679. — « Je vous envoie, Monsieur, des ordres » de M. de Galvo pour... marcher dans les faubourgs de Liège, d'où vous » ne sortirez point, s'il vous plaît, que vous n'ayez été payé comptant des » 45,000 écus que Messieurs de Liège vous doivent, et outre cela, vous » vous ferez payer 5,000 écus pour les courses. Vous savez qu'un géné- » rai ne marche point qu'on lui paye ses peines : ce pourquoy vous » pourrez demander mille louis d'or pour vous, que vous remettrez » toutefois au trésor jusqu'à ce que la Cour ait réglé ce qu'elle voudra » vous en donner. Je vous prie de n'avoir considération pour personne » et d' exécuter tous les faubourgs de Liège jusqu'à ce que vous soyez payé » des sommes marquées ci-dessus. » (Du Monceau au marquis d'Huxelles. Aix, 23 avril 1679, copie insérée dans le reg. n» 20 du métier des Reton- deurs.) — Le conseil de la Cité ordonna de dresser la liste « des plus » opulents rcnliers et marchands pour contribuer de leurs deniers à » l'éloignement des troupes ». - Voici un spécimen des morceaux répandus dans la ville : a C'est lait de toy, perfide bande de canailles, » Nous allons bientost te mettre à la paille, » Après .ivoir un mille saccagé 1) Et tes maisons entièrement pillé, » Nous le rebâtirons une citadelle 1) Qui t'empeschera de n'être plus rebelle! • (A. E., Fonds de Liège, t. XIL) ( 136) intérêts de la France; elles ne leur avaient fait perdre de vue aucune de leurs ambitions, aucune de leurs convoitises. La succession ecclésiastique de Maximilien- Henri restait leur préoccupation maîtresse. Pendant les cinq années de leur exil forcé, l'archevêque était tombé sous la direction de nouveaux conseillers; l'un d'eux, l'intendant des tinances, Wittmann, avait momentanément le principal crédit et régentait l'administration et le gouverne- ment ^. La coadjutorerie de Liège était briguée par le cardinal de Bouillon; le duc de Neubourg "^ ne négligeait rien pour obtenir la même dignité à Cologne en faveur de son second fils, Wolfgang-Georges 3. Le moment n'était guère favorable à la réalisation des projets des Furstenberg. François-Egon essaya néanmoins de miner l'influence de ses rivaux et de recouvrer l'ancienne confiance de son maître. 11 pouvait espérer le con- cours du roi de France, alors à l'apogée de sa puissance. Il ne perdit pas de temps, réussit à écarter la candidature du sous- diacre de Neubourg et partit pour Liège aux fins d'y sonder les esprits. Ses ennemis avaient fait répandre le bruit que c'était lui qui avait inspiré à Louis XIV la cession de Bouillon à la Maison delà Tour, dans le dessein de rendre impopulaire la famille de son compétiteur 4. L'évêque de Strasbourg dut s'arrêter à Visé, car, dans la capitale, il craignait d'être exposé à la vengeance du petit peuple, fort exaspéré contre le prince bavarois qui avait si dédaigneusement repoussé les offres * Mémoires du marquis de Pompoyine, édition de J. Madival, pp. 219 et 372. — Ennen, loc. cit., Bd I, SS. 367 u. s. w. 2 Philippe-Guillaume, duc de Neubourg, comte-palatin du Rhin. 5 A. D., Kur-Kôln, Geheim. geistl. Archiv, Acten 55. — A. E., Fonds de Liège, t. XI. Mémoire de Paillerolles. — Ibidem, Louis XIV à l'électeur de Cologne, 22 avril 1678. — François-Egon de Furstenberg à Louis XIV, 15 juin 1678, lettre publiée dans A. Coste, Réunion de Strasbourg à la France, p. 53. Strasbourg-Heitz, 1841, un volume in-8°. * S. E. A., reg. 168. Corr. du prévôt de Condé, 27 mai 1679. — A. E., Fonds de Liège, t. XII. Paillerolles à Pomponne, 27 mai et 1" juin 1679. ( 137 ) d'accommodement. Sans doute, un grand nombre de tréfon- ciers lui ëtaient dévoués; mais, en présence du déchaînement des passions, des dissensions du Chapitre, il ne pouvait songer à provoquer une élection en sa faveur; il fallait attendre que l'émeule fût domptée. A son retour à Cologne, Furstenberg pressa Télecteur de montrer de la fermeté dans sa conduite, de chàlier incessamment les mutins, de relever la citadelle de Saintiî-Walburge ^ ! Maximilien, que le malheur avait rendu plus déliant, plus irrésolu que jamais, ne suivit pas l'avis intéressé de son ancien favori; il ne se sentait d'ailleurs pas soutenu h Liège, oij son Conseil privé, faute de direction, se laissait aller au découragement -. L'influence et l'autorité de François-Egon sur son souverain étaient définitivement perdues. Ne pouvant se contenter de rem- plir un rôle eflacé là oii il avait gouverné en maître incontesté, lui-même vieilli et podagre, douloureusement frappé par sa dis- grâce, il pria Louis XIV de lui fournir un bénéfice en France qui lui donnât prétexte « d'y revenir de temps en temps faire sa cour â Sa Majesté! » Le grand roi ne fut pas ingrat; il gratifia l'ex-premier ministre de Cologne d'une pension annuelle de 60,000 livres3 ; puis, lorsque le drapeau à fleurs de lys eut été arboré sur le dôme de Strasbourg, il lui donna une large part dans les honneurs du triomphe *. Ce fut le dernier épisode * A. E., Foiids de Liège, t. Xll. L'évêque de Strasbourg h Pailleroiles, 26 juin et 3 juillet 1679. - (c Le Conseil privé n'est plus comme il a esté d'autrefois ; ces Messieurs » là sont trop timides...; il semble qu'ils ne souhaitent pas eux-mêmes » de voir l'Électeur restabli comme il a été avant la démolition de la cita- » délie. Ils ont une maxime : rien faire, laisser aller les affaires comme » elles vont... » (A. E., Fonds de Liège, t. XIII. François-Egon de Fursten- berg à Pailleroiles. Cologne, 3 juillet 1679.) 5 CosTE, ouvr. cité, p. 77. ^ Le 20 octobre 1681, Egon |)énétra en grande pompe dans la ville épiscopale. Trois jours après, Louis XIV fit son entrée solennelle et sanctionna la rétrocession de la cathédrale au culte catholique. — Sur la capitulation de Strasbourg et les intrigues qui la préparèrent, de même que sur le rôle des Furstenberg, consulter R. Reuss, L'Alsace au ( 138 ) important de la vie de François de Furstenberg. L'année sui- vante, il s'éteignit à Cologne « avec une entière résignation » (!«'• avril 1682)1. A la même époque, son frère, le prince Guillaume, qui avait hérité de ses titres et de ses domaines 2, rentrait en scène, reprenait la tutelle de Maximilien-Henri et sa place dans les conseils de Liège et de Cologne. iV. Maximilien-Henri, à quelques mois d'intervalle, avait laissé échapper deux faciles occasions de retrouver sa souveraine autorité dans le pays et dans la ville de Liège. Il pouvait se montrer tour à tour conciliant et généreux, énergique et prudent ; il n'avait su obéir qu'à son naturel mctiant et timoré. Redoutant les suites d'un retour d'influence de son ancien ministre et confident, l'électeur avait cédé à son entourage XVII^ siècle. Paris, 4897, 1. 1, pp. 246 et suiv. — A. Weiss, Le 30 sep- tembre 1681, étude sur la réunion de Strasbourg à la France. Nancy, 1881. — E. VON BoRRiES, Die Anrede des Biscfwfs Franz-Egon von Fur- stenberg a7i Ludwig XIV und Zur Begriissung Ludiuigs XIV durch Bischof Franz-Egon von Fiirstenberg . (Zeitschrift FiiR die Geschichte des Oberrheins, 1898, Bd XIII, SS. 140 u. 339.) — Archives de la Basse- Alsace, à Strasbourg, série G., 198 et 273. Relations de l'enlrée de François-Egon et de celle de Louis XIV. ' Voir à la Bibliothèque nationale à Paris, les textes des oraisons funèbres de François Meyer et de Dom Michel Gourdin, prononcées dans les cathédrales de Cologne et de Strasbourg. « Son corps fut inhumé à » Cologne; mais son cœur, les deux yeux et sa langue furent transpor- » tés à Strasbourg en la maison de l'évesché... » (Archives de la Basse- Alsace, série G,, 198. Description mentionnée par Reuss, ouvr. cité, p. 260, note 3.) - Le Saint-Siège mit longtemps avant de lui accorder l'investiture de l'évêché de Strasbourg et de l'abbaye de Stavelot. (A. D., Kur-Kôln, Geheim.geistl.Archiv, Acten, no9. Guillaume-Egon à l'oificial vonQuentel. Paris, 1er, 18 et 24 août 1682.) ( 139 ) domestique et infligé à FraiH'ois-Egon de Furstenberg une véritable disgrâce morale; puis aussitôt, il avait regagné sa retraite de Saint-Pantaléon, d'où bien inutilement on avait cru nécessaire de le retirer. Les douleurs et les épreuves de sa principauté, les luttes intestines de ses sujets n'odraient pas le même intérêt aux yeux de ce despote en cellule que les recherches des spécifiques et de la pierre philosophale! Le mouvement populaire, tel qu'il s'était dessiné au lende- main de la destruction de la citadelle, avait, de même que les précédentes révolutions liégeoises, sa base juridique et pro- venait de controverses politiques. Le fond du débat restait l'éternelle revendication, la séculaire aspiration de la ville capitale à s'ériger en république autonome, indépendante de la souveraineté temporelle de son évéque. La question de droit était, — nous l'avons signalé, — pendante depuis longtemps devant le Conseil auliqueet devant la Chambre de Spire. Mais le procès semblait sans issue ; les tribunaux impériaux avaient toujours trouvé moyen d'en ajourner la solution. Néanmoins chaque conflit d'autorité amenait de nouvelles citations et les deux parties accumulaient à l'cnvi notes, recès, mémoires et mandements i. L'éloignement prolongé de Maximilien de Bavière, la complète indifférence qu'il témoignait aux choses de l'État, la faiblesse, Timpéritie de ses agents avaient singu- lièrement favorisé les prétentions de la Cité : un à un, elle avait usurpé la plupart des droits régaliens : droits d\'pée, de finances, de justice, de saisie, de légation. Liège entretenait une milice justiciable d'une gucmine ou conseil de guerre; elle levait librement ses impôts, envoyait des ambassadeurs aux nations étrangères. Récemment, — sous prétexte de suppléer à la négligence des officiers du prince, — elle avait renforcé les attributions de police des bourgmestres en leur accordant 1 Voir, dans les registres 20 et 34 du métier des Retoxdeurs. le mémo- rial présenté au Conseil aulique par l'électeur de Cologne, le 10 juin 1679, la réponse du conseil de la Cité du 26 juin et les recès des bons métiers du 21 juillet. ( 140) le pouvoir d'arrêter, d'emprisonner les criminels et les aubains ^. Toutefois, si le différend n'avait porté que sur l'étendue des attributions administratives et judiciaires de l'autorité centrale et de l'autorité locale, une entente amiable eût, peut-être, pu se produire. Restait la question brûlante des élections magis- trales qui frappait davantage la masse de la population. Au règlement de 1649, qui avait anéanti les privilèges poli- tiques des métiers, le peuple avait substitué la réforme de 1603; il imputait au suffrage restreint les maux endu- rés pendant un quart de siècle; le suffrage universel devait ramener la liberté, faire refleurir le commerce et l'indus- trie ! Mais les lois valent moins par elles-mêmes que par la manière dont on les applique. Quatre ans n'étaient pas écoulés depuis la restauration de l'édit de 1603, que les assemblées des métiers qui désignaient les Trente-Deux, c'est-à-dire les élec- teurs des [futurs maîtres à temps, étaient délaissées. Lorsque la majorité de la classe laborieuse se désintéressa du vote, le champ resta libre aux fanatiques et aux désœuvrés! Ce qui retarda l'avènement du règne des démagogues, fut l'attitude patriotique que prit le haut clergé liégeois, dès les premiers événements de l'année 1676. Son interven- tion énergique, mais toujours sage et pondérée, imprima au mouvement un caractère de quasi-légalité. Les tréfon- ciers de Saint-Lambert (du moins ceux qui continuèrent à fréquenter les séances du chapitre) s'employèrent à obtenir l'union des partis, à prévenir les troubles et les désordres. * Douze varlets ou commissaires de nuit furent institués à cette fin. — Sur le conflit de juridiction que cette mesure provoqua, voir Daris, ouvr. cité, t. II. pp. 104 et IOd; les recès des 15 et 19 octobre, 12, 14 et 23 no- vembre 1679, dans le reg. 745 des liecès de Liège; la sieidte da 14 no- vembre 1679, dans le reg. 20 du métier des Retondeurs ; les mandements épiscopaux publiés dans le pamphlet intitulé : Suite ultérieure delà Vérité attirée par la députation faite par la Cité vers l'assemblée des SS. Am- bassadeurs Extraordinaires traitans de la paix dans la ville de Nimègue. 1679, 165 pages. {Bibl. Un. Liège, Collection Ulysse Capitaine, n^ 8142.) ( 141 ) Ils réclamèrent à maintes reprises la présence du souverain, sollicitèrent la convocation des États i; à Nimègue, ils pro- testèrent vivement contre le morcellement et l'occupation du territoire 2. Eux seuls trouvèrent parfois des paroles pour exprimer les sentiments des « vrais Liégeois et neu- traux », et comprirent les besoins et les nécessités du pays, avide de paix et de tranquillité. L'cvèque, au lieu de les jalou- ser, eût dû suivre leurs clairvoyants conseils, revenir dans la principauté, en chasser l'étranger, et signer avec son peuple le pacte de réconciliation si ardemment désiré. 11 aima mieux susciter de nouvelles difficultés à la Cité en ordonnant le prélèvement de l'impôt du soixantième (G juin 1680), droit de douane qui frappait toutes les transactions commerciales et toutes les marchandises importées et expor- tées. Les magistrats de Liège avaient supprimé cet impôt en 1676, dans le dessein de renouer avec les Provinces-Unies les relations commerciales que la guerre avait interrompues; le rétablir dans les circonstances présentes était une mesure vexa- toire, d'autant plus illégale que les trois Etats n'y avaient pas consenti 3. De violentes protestations s'élevèrent. On courut renverser les comptoirs et les bureaux de la taxe; on s'empara * Co?!d. cnf;7?7.,reg. 163, SOaoût 1677, 20 décembre 1679. — Ibidem, i-ftg. 16i, 11 novembre 1G80. — Conseil privé, Protocoles, reg. 125, 20 mai 1679. — A. E., Fonds de Cologne, t. XVIII, Guillaume de Furstenberg à Louis XIV, 0 janvier 1681. - Voir, p. 120. — Concl. capit., reg. 163, Il mai, 3 et 23 juin 1678, 8 février 1680. s Recès de Liège, reg. 745, 15 et 16 juin 1680, f«s 110 et suiv. — ConcL. capit., reg. 164, 11 juin et 2 août 1680. — Métier des Retondeurs, reg. 20, sieulte du l^r se|)lcmbrc 1680 — S. E. A-, reg. 168. Recès de la Cité des 31 août et 8 so|)tembre 1680. — Voir la correspondance échangée à ce sujet entre les États généraux, l'évêque de Liège et le conseil de la Cité. [BM. Un. Liège, Collection Ulysse Capitaine, nos 8147 et 8149.) « La » rivière de Meuse, écrivaient le 27 décembre 1680 les États généraux, » n'appartient pas particulièrement à V. A. Électorale ou au chapitre » calhédral de Liège, mais doit être tenue pour une publique rivière pour » le service du libre commerce et navigation. » ( 142 ) des commis préposés; on bannit les agents du gouvernement qui avaient approuvé la mesure ^. Maximilicn, irrité, jeta sur le pays un corps de troupes bavaroises. Espérait-il que leurs déprédations et leurs pillages intimideraient les esprits? La fermentation ne s'apaisa point. Elle ne fit que grandira la nouvelle que le nouveau chancelier 2, au lieu de réunir les États dans la capitale, comme le voulait l'usage, venait de les convoquera Saint-Trond. Bientôt après, on apprit que les deux bourgmestres de Liège, — présidents traditionnels de l'état tiers, — étaient exclus de la journée. Le gouvernement violait les paix et les statuts; il méconnaissait les lois fondamentales et constitutionnelles de la principauté. Peu lui importait d'ail- leurs; il désirait la mise hors la loi de la Cité, son ifiolemcnt du reste du pays. Les Liégeois virent le péril ; ils l'affrontèrent courageusement en se préparant à la résistance 3. Depuis près d'un demi-siècle, ils n'avaient plus fait appel aux antiques traités d'alliance des bonnes villes thioises et wallonnes. En présence de l'oppression et de la tyrannie qui menaçaient de détruire les libertés publiques, l'union de toutes les forces de la nation s'imposait. Le magistrat lança une pro- clamation énergique à tous les bourgmestres du pays et du comté de Looz -i; le danger était le même pour l'universalité des citoyens; le salut dépendait du groupement de leurs efforts! Mais les bonnes villes n'étaient plus maîtresses chez elles; la plupart — et les plus importantes — étaient au pou- * Chronique liésfcoise, Dibl. Un. Liège, n's 1717 et 816. — S. E. A., reg. 468. Corr. du prévôt de Condé, 4 septembre 1680. — Métier des Retondeurs, reg. 34, sicuUedn 23 octobre 1680. 2 Anloine-Jérôme Oyenbruggc de Duras, baron de la Fosse, avait suc- cédé comme chancelier, leSi octobre 1678, à Lambert de Liverlo. ' Voir, dans le registre 20 du métier des Retondeirs, les sieultes des 23 mars et 28 mai 1681 ; le reecs du conseil de la Cité du 26 mai 1681 ; dans le t. II de la S. E. A., les ordonnances du conseil de la Cité, des 26 mars et 20 mai 1681 , et un placard de Maximilien-Henri du 10 avril 1681. * Bouille, p. 448. ( 143 ) voir de l'étranger; quant aux autres, appauvries et hésitantes, elles n'aspiraient qu'au calme et au repos. L'appel à l'alliance ne trouva guère d'écho K La Cité, restée seule, ne se découra- gea pas. Et comme un détachement bavarois, sous les ordres du colonel Schaden, venait de s'emparer de Visé où il fermait la navigation de la Meuse, la bourgeoisie se mit en marche pour déloger les troupes qui menaçaient son commerce et sa tranquillité. En vain Schaden enjoignit-il aux habitants du plat- pays de le seconder; les paysans se révoltèrent et refu- sèrent de prendre les armes. Après douze heures de résistance, les Allemands capitulèrent 2. Ce succès avait une réelle im- portance; aussi l'évêque en conçut-il un violent dépit. Il s'aper- cevait que ses troupes étaient insuffisantes à enlever la capitale de vive force 3. D'un autre côté, le nerf de la guerre lui man- quait : la journée de Saint-Trond avait été clôturée par le Chapitre avant même d'avoir voté le renouvellement des im- pôts ; cette mesure eût été d'ailleurs sans effet, car même les anciennes taxes ne parvenaient pas à rentrer 4. Pour soumettre les mécontents, il ne restait plus à Maximi- lien-Henri qu'à s'adresser à l'une des puissances voisines. Mais laquelle appeler? L'Espagne, anéantie par la dernière guerre qui s'était liquidée à ses dépens, était hors d'état de fournir le moindre appui sérieux. L'archevêque de Cologne devait choisir * HÉNAUX, Histoire du pays de Liège, t. II, pp. 488 et suiv. 2 S. E. A., reg. 169. Gondé à Voeller, secrétaire du duc de Parme, 28 mai 1681. —Ibidem, Condé au duc de Parme, 4 juin iGSL — Bibl. Un. Liège, Chronique liégeoise, Ms. n^ 816, pp. 340 et suiv. — Ibidem, Chro- nique de J. GossuART, Ms. n° 1717, Capitulation de Visé, du 23 mai 1681. 5 Sur les exactions des troupes allemandes, particulièrement de la garnison de Stockem, voir ConcL capit., reg. 164, 9 avril, o, 9, 12 et 13 juin, 9 août, 2 et 10 septembi-e 1681. — S. E. A., reg. 169. Ordon- nances de 3Iaximilien, des 30 mai et 6 juin 1681, et lettres du prévôt de Condé au duc de Parme, des 2 et 6 août 1681. * Bouille, p. 450. — ConcL capit., reg. 164, 22 mars, 11, lo, 16 et 19 avril, 15 octobre 1681. — S. E. A., reg. 169. Maximilien aux Nobles assemblés à Saint-Trond. Cologne, 11 avril 1681. ( 144 ) entre la cour de Vienne et celle de Versailles; il avait besoin de soldats et d'argent; l'alliance du roi de France pouvait seule les lui procurer. L'Empereur, « cette horloge qu'il fallait sans cesse raccommoder », était bien lourd et bien lent à remuer, et au moment où ses armées essuyaient sur le Danube échecs sur échecs contre les insurgés hongrois, il ne fallait guère espérer son concours. Aussi bien le gouvernement de Léopold répugnait à toute intervention directe en faveur de l'évéque de Liège. Depuis le début de la révolution, il avait montré une grande réserve et essayé de temporiser. Tout en exhortant les Liégeois à suivre le règlement électoral de 1649, il ne cessait de leur envoyer des médiateurs pour chercher des voies d'accommodement avec leur souverain. Tour à tour, l'électeur de Trêves, le Magistrat d'Aix i, le conseiller aulique Jodoci 2 avaient été chargés d'assoupir les ditTicultés. Leurs missions étaient res- tées infructueuses. Le prince ne voulait renoncer à aucune de ses prétentions; la population était prête à tous les sacrifices pour défendre la réforme magistrale de 1603. En réalité, la Maison de Habsbourg ne désirait pas renforcer l'autorité de Maximilien; elle craignait que l'asservissement de la Cité, la perte de ses vieilles libertés n'amènent avec un changement de règne, — que d'aucuns attendaient, — l'avènement d'un évêque dévoué à la France 3. 1 Bouille, p. 440. — Concl. capit., reg. 163, 18 juillet 1679. — Conseil privé. Protocoles, reg. 125, 17 juillet 1679. — Ibidem, n» 78, 11 juil- let 1680. — Reg. 20 du métier des Retondeurs, Translat du mémorial impérial du 3 jaillel 1679, les sieiUtes des 7 et 10 juillet 1680. — S. E. A., reg. 168. Mandement impérial du 15 avril 1680. — Chronique liéi^coise citée, no 816, P 345. 2 S. E. A., reg. 169. Condé au duc de Parme, 4, 14, 22 et 28 juin 1681, 2, 9, 12 et 19 juillet, 26 septembre 1681. ' ... « Si l'évéque de Liège venait à vaquer, écrivait le prévôt de » Condé au gouvernement de Bruxelles, les orgues du Chapitre ne sont » que trop disposées à sonner des airs de France... Pour prévenir cela, » il convient d'empêcher que le conseil de l'Évéque reprenne la même ( 445 ) L'électeur de Cologne, livré à lui-même, eùt-il apprécié la situation avec cette netteté? On peut en douter. Mais dans son entourage, quelqu'un eut, dans ce moment décisif, l'in- tluence nécessaire pour dicter au faible prélat la ligne de con- duite qu'il fallait adopter. L'hommequi devait renouer l'alliance franco-colonaise et qui, pour la seconde fois, livrait Maximi- lien, pieds et poings liés, à la discrétion du cabinet de Ver- sailles, n'est autre que le prince Guillaume de Furstenberg. Dès lors, le souverain liégeois redevient l'instrument inerte, un jouet sans ressorts dans les mains de son ministre d'Etat. Ciuillaume-Egon inspire tous ses actes; seul aussi, il est res- ponsable de l'œuvre de réaction que nous verrons se préparer dans la cité épiscopale. François de Furstenberg n'avait pas retrouvé la confiance de son maître, car il avait voulu, sans transition, rétablir son ancienne domination, autoritaire et absolue. Son frère se montra plus habile politique i. Au sortir de sa longue captivité, Guillaume-Egon s'était empressé de remercier Louis XIV de sa délivrance et de s'attacher de plus près aux intérêts du grand Roi. 11 épiait une occasion favorable d'otfrir à nouveau )) autorité qu'il avait avant la destruction de la citadelle... On pourrait... » leur donner une Léopoldine à l'exemple de la Sigismondine de 1417 » (26 mars), par laquelle Sigismond relevait les Liégeois des oppressions :» et servitudes auxquelles leur Évéque et Princes voisins les avaient » réduits. » (S. E. A., reg. 168. Corr. du prévôt de Condé, décembre 1678, ■23 mars et 2o novembre 1679, juillet et décembre 1680.) * « Richelio eminentior, Masarinio turbulenlior, omnibus quotquol germanieis unquam orbis in lucem protulit principibus deterior..., fratre uti versutior, ita longe disertior, Guilielmus... Serenissimum adeo demen- tare ac conglobatis rationum motivorumque ponderibus suspensum lenere poterat, ut voluntati ejus caplivum se facere cogeretur. » (A. C, F.-X. Tiups, De rébus sui lemporis, in primis de electione Josephi démentis et Furstenhergicis Gallicisque adversum eum conatibus , o mai 1732. Cologne. Ms.) Tome LIX. 10 ( 146 ) à l'électeur de Cologne ses impérieux services, ou plutôt il attendait la venue des événements qui obligeraient Maximilien- Henri à recourir à son industrieuse et fertile activité. Son ascendant reconquis, il songeait à former de nouvelles brigues en vue de la coadjutorerie, le but constant de son ambition. Les personnages qui entouraient l'archevêque étaient gens à se laisser aisément séduire par l'appât des pensions et des subsides. Guillaume-Egon les connaissait. De riches grati- fications attirèrent l'official Thomas von Quentel et l'intendant Ignace VVittmann dans l'orbite de la France 'i. Le souverain suivit bientôt l'exemple de ses serviteurs. Sur les conseils de Furstenberg, Louis XIV abandonna à Maximilien toutes les créances qu'il avait à sa charge et lui assura, en outre, un cadeau annuel de 20,000 livres. C'était peu si l'on songe qu'au même moment, les commissaires royaux, sous prétexte d'interpréter les clauses de la paix de Nimègue, réclamaient d'immenses territoires dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, le Condroz, le mar- quisat de Franchimont, et que la moitié du pays, — Bouillon, Dinant, Huy, le comté de Rochefort, — restait, au mépris des traités, au pouvoir de la Maison de Bourbon ^\ Mais l'évêque de Liège, pour soumettre la Cité rebelle, avait trop grand besoin de l'intervention de Louis XIV, et celui-ci, plus que jamais préoccupé du rêve de l'Empire, s'assurait ainsi à bon compte la voix d'un de ses électeurs 3. Le prince Guillaume négocia la convention : le roi de France promettait de s'employer à rétablir Maximilien de Bavière dans sa souveraine autorité et à relever la citadelle de Liège; il s'engageait en outre à con- firmer la neutralité de la principauté et à obtenir des Hollan- * A. D., A'", Kur-Kôln, n® 3258. — ExNNen, Frankreich iind der Nieder- rhein, lîd I, SS. 372 u. s. w. — Guillaume-Egon fit notamment obtenir à l'official la perception des revenus et une hypothèque de 6,000 rixdalers sur l'avouerie héréditaire de Cologne (23 mai 1682). 2 Concl capit., reg. 164, 18, 20 et 22 septembre, 12 et 29 novembre 1680, 20 mars, 22 novembre, 9 et 29 décembre 1681. — S. E. A., reg. 169. Corr. du prévôt de Condé, 13, 19 et 24 novembre, 16 et 31 décembre 1681. 5 H. Vast, Des tentatives de Louis XIV pour arrivera l'Empire. (Revue HISTORIQUE, septembre-octobre 1897, p. 29.) ( 147 ) dais l'évacuation des places qu'ils occupaient encore. L'évêque laissait son allié tenir garnison dans les villes de Bouillon, Dinant et ïhuin, et donnait l'assurance de ne jamais prendre d'autre coadjuteur que Guillaume de Furstenberg •. Pour que le pacte projeté acquît force de traité, le consen- tement du chapitre cathédral était nécessaire; mais ce consen- tement était ditiicile à obtenir, car les tréfonciers s'étaient, en toute occasion, énergiquement opposés au morcellement du territoire épiscopal '^. Le premier ministre colonais vint en personne solliciter leur adhésion; il essuya un refus catégo- rique et unanime. Le haut clergé liégeois donnait une nouvelle preuve de son indépendance, de son dévouement à la patrie ; il défendait la neutralité de la nation contre et malgré le souverain. Cet échec n'empêcha pas Furstenberg de recevoir la récompense de ses efforts; à la mort de son frère François, Louis XIV le fit élire à l'évêché de Strasbourg. Cependant qu'il essayait d'entraîner ses collègues de la cathédrale liégeoise dans l'alliance française, Guillaume-Egon ne perdait pas de vue les événements qui se déroulaient dans la Cité. Les vieux maîtres Charles d'Ans et Nicolas de Plenevaux avaient retrouvé aux luttes électorales de 1681 la faveur du peuple en accusant les magistrats qui sortaient de charge d'avoir mal administré les finances communales et de n'avoir rien fait pour apaiser la guerre civile 3. Avec eux * LoNCHAY, La principauté de Liège au XVII^ et au XVIIl^ siècle, pp. 117 et suiv. 2 S. E. A., reg. 169. Le prévôt de Condé au duc de Parme, 1" mars, 7 mai et 4 juin 1681. 5 Information pour les trente-deux métiers avec abrégé des comptes, des reçus et débourses extraordinaires pendant les administrations de Messieurs les bourgmestres Plenevaux et Le Rond, Soumagne et Paul. — Apologie de Messieurs les Bourgmestres Ernest de Plenevaux et de Looz contre les sinistres interprétations données à quelques articles par la malignité de quelques auditeurs de leurs comptes. 1682. {Bibl. Un. Liège. Collection Ulysse Capitaine, n»^ 8140, 8131), — Réfutation du sieur Bourgucmaitre de Stembier des points calomnieux contenus dans l'apologie des bourgue- maîtres E. de Plenevaux et de Looz. 1682, {Bibl. Brux., Leodiensis, t, VI ) ( U8 ) revenait aux affaires le parti de l'Empire et de la conciliation, car les deux élus, qui prenaient leur mol d'ordre à Vienne, ne cachaient pas leur intention de parvenir, fût-ce au prix de quelques sacritices, à un accommodement avec Maximilien. Furstenberg comprit que des négociations conduites par de tels hommes, soutenues au surplus par le souverain Pontife, mal disposé pour la politique française i, léseraient les intérêts de Louis XIV et en conséquence les siens propres. Incapable de les arrêter, il se mêla habilement aux pourparlers et sut en prendre la direction. Il se fit décerner par l'évêque un mandat général pour traiter avec le chapitre et le conseil de la Cité. Dès lors, c'est à lui que les députés durent s'adresser; c'est lui qui les reçut ou les éconduisit à sa fantaisie -; il fixa les bases transactionnelles de réconciliation. Pour consacrer officiellement son rôle de médiateur, Guil- laume-Egon revint dans la Cité, entouré d'un cortège mili- taire; il apportait, disait-il, des propositions de paix sincères, entre autres, un nouveau règlement électoral qui donnerait satisfaction à tous les partis 3. De longue date, le représentant 1 Voir S.E. A., reg. 169. Bref papal lu au Chapitre le 2 septembre 1682. — Sur le rôle du nonce Visconti, consulter dans le reg. 169 de la S.E. A., Condé au duc de Parme, 27 août, 20 et 26 septembre, 29 et 31 octobre 4681. — A. E., Fonds de Cologne, t. XVIII. Le prince Guillaume à Louis XIV, 16 août 1681, f» 228. — Métier des Retondeurs, reg. 20, Recès des 21 août et 12 novembre 1681. 2 Sur la manière dont il traita à Cologne les députés liégeois Scheel et Hanus, voir S. E. A., reg. 169, Condé au duc de Parme, 26 et 29 novem- bre, 3, 6 et 10 décembre 1681, 7 janvier, 14 février et 11 mars 1682. 5 « L'évêque ne voulait s'accommoder à moins que les bourgmestres, » jurés et conseil soient créés parmi sa participation, ce qui se pourrait » réduire en pratique, en dénommant trente-deux personnes de la part » de Son Altesse, horsquelles ceux de la ville choisiraient un bourgmes- » tre et la moitié du Conseil, et que les trente-deux métiers dénomme- » raient aussi pareil nombre, horsquel l'autre bourgmestre avec la moitié » du Conseil serait réciproquement choisi par Son Altesse ou ses minis- » très. » (Métier des Retondeurs, reg. 20. Propositions du prince Guil- aume aux députés lui envoyés par le conseil de ville.) ( 149 ) (le Maximilicn était mal vu des patriotes liégeois qui l'avaient Hétri (lu surnom de Ghiiunt il Sloirdeu, le Pressur<_'ur, comme si Guillaume, par les imp(jls, avait pressur(3 les bourses dans un pressoir. Un accommodement arrêtc'î par lui ne pouvait être accueilli qu'avec défiance. Lors(jU(^ la population s'aperçut que ses bourgmestres y prêtaient la main, une violente protestation s'éleva. Mais d'Ans et Plenevaux n'en eurent cure, et, afin d'imposer leur volonté, se formèrent une garde particulière. Eux, les initiateurs du mouvement po[)U- laire, étaient maintenant obligés de se protéger contre ceux- là même qu'ils avaient encouragés et défendus î Confiants dans leur prestige et dans l'autorité acquise au cours de quatre ma- gistratures, les deux chefs se montrèrent obstinés, autori- taires. Ils espéraient qu'une opiniâtre résistance saurait vaincre l'opposition; elle ne fit qu'aggraver les divisions et précipiter la crise. Encouragés par des tribuns éloquents, au premier rang desquels figuraient les avocats Giloton et Kenardi, les bons métiers avaient rejeté les propositions d'arrangement de Furstenberg i. Nicolas de Plenevaux en fut vivement irrité; résolu désormais à tout tenter pour maintenir son pouvoir, il interdit aux gouverneurs des corporations l'entrée des séances du conseil communal '^. Cette mesure de défiance le perdit définitivement. Ce fut aussitijt dans le peuple un déchaînement de colères, une conflagration générale. Sans convocation, les métiers se rassemblèrent en tumulte, clamant la déchéanc(; du dictateur qui pactisait avec le souverain «-5. De toutes parts, amis et enne- 1 Métier des Retondeurs, reg. 20, sieiUles des 10, 14, 15, 20, 23 mai 1682, et mémoire lu au conseil delà Cité le 13 mai 1682. 2 Métier des Retondeurs, reg. 20. Recès du conseil de la Cité du 30 mai 1682. — Ibidem, reg. 34 Recès du 31 mai 1682. 5 Réunis chez l'ancien bourgmestre Le Rond, les députés des métiers essayèrent de s'emparer de l'administration et des pouvoirs du conseil de la Cité. Défense fut faite aux. jurés d'assister aux séances de la maison de ville. (Métier des Retondeurs, reg. 34. Sieultedu 24 mai 1682 — Ibidem, reg. 20. Rapport du 1«'' juillet 1682.) ( loO ) mis du magistrat prirent les armes, prêts à en venir aux mains i. La vérité est qu'on ne pouvait rien reprocher à Plenevaux, sinon d'avoir consacré sa vie à servir le peuple et de vouloir empêcher le règne des démagogues. Mais d'inquiétantes rumeurs s'étaient répandues; ses ennemis, rivaux avides de pouvoir, avaient distribué dans les divers quartiers des billets anonymes, dédai^ations informatoires, annonçant sa sombre trahison! On lui imputait les abus du gouvernement! 11 était l'auteur de tous les attentats aux privilèges de la classe ouvrière! La liberté individuelle n'était plus respectée! Ses violences compromettaient la sûreté de la bourgeoisie ^ ! Crai- gnant pour ses jours, le bourgmestre prit la résolution de se retirer en lieu sûr; il remit les clefs de la ville à Giloton et s'enfuit à Maestricht, accompagné de son collègue Charles d'Ans ^. Il était temps; l'explosion allait se produire; l'arres- tation des deux magistrats était ordonnée. Vingt-neuf métiers prononcèrent leur déchéance, les déclarèrent aubains et pros- ' Métier des Retondeurs, reg. 34. Recès des 20 mai, 24 et 28 juin, 2 et 5 juillet 1682. —Ibidem, reg. lO.SieuUes des 22, 23, 24, 29 juin, 8 et 12 juillet 1682, — En l'assemblée des députés de la pluralité des métiers tenue dans la maison du sieur bourgmestre Le Rond, le 22 juin 1682 et recès du conseil de la Cité du 3 juillet 1682. {Bihl. Un. Liège. Collection Ulysse Capitaine, n-^ 8148.) — Vingt et un bons métiers s'étaient soulevés, à savoir : « les febvres, charliers, meuniers, boulangers, pêcheurs, cuve- liers, brasseurs, drapiers, retondeurs, pelletiers, vieux-ivarriers, soijeurs, mairniers, charpentiers, cor douanier s, corbusiers, tisserands, cureurs et toiliers, fruitiers et harengiers, merciers et orfèvres. » - Déclarations informatoires à tous fidèles Liégeois {Bibl. Un. Liège, Collection Ulysse Capitaine, n» 8133.) — Réponce de quelques bons bourgeois de Liège à la lettre imprimée du Seigneur Nicolas de Plenevaux, jadis bnurguemaitre, du 2 octobre 1682. {Ibidem, collection précitée, no 8153.) —Remontrance à Messieurs les Liégeois. (S. E. A., reg. 169. Corr. du prévôt de Condé, 24 juin et 4 juillet 1682.) — Manifeste de la saisie du nommé Tettart,juin 168 2. {Bibl. Un. Liège.) 5 A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Corr. du résident français la Raudière, 30 juillet 1682. — S. E. A., reg. 169. Le prévôt de Condé à Voeller, secrétaire ( IM ) crits de la Cité (6 juillet 1682) ^. On enleva ensuite le droit électoral à tous ceux qui avaient soutenu leur parti et, à la Saint- Jacques suivante, Le Rond et Ryckman, deux des chefs de l'émeute, furent promus aux fonctions si enviées, mais si redoutables de maîtres à temps. Calmer la révolution avant que Liège fût complètement désorganisée, obtenir du prince-évêque raccommodement que souhaitait une notable fraction de la population, était certes une courageuse et noble entreprise ; mais elle exigeait beaucoup de prudence. D'i\ns et Plenevaux, qui connaissaient le carac- tère liégeois, vif, emporté, passionné, avaient voulu la réaliser en se dégageant du contrôle, de la tutelle des bons métiers. Accusés de connivence avec Maximilien et son ministre, ils avaient été jetés violemment par-dessus bord et chassés de la commune. Les corporations d'artisans, du moins les plus tur- bulentes, avaient aussitôt usurpé toutes les attributions du conseil de l'hôtel de ville, et le gouvernement était ainsi passé aux mains de la foule des rues, des orateurs de carrefour, des désœuvrés -. Mais, par une conséquence naturelle delà situa- tion, le sort qu'avaient subi les bourgmestres exilés était réservé aux chefs de parti qui avaient hérité de leur pouvoir. Soumis à la surveillance tracassière d'un peuple ameuté, ils allaient à leur tour être soupçonnés de modérantisme, sus- pectés de conduire la Cité à l'asservissement, contraints de se défendre contre les accusations et les armes des factieux. du duc de Parme, 11 juillet 1682. — Chronique liégeoise, Bibl. (In. Liège, Ms. n" 816, f° 356. — Voir aussi dans I'Annuaire de la Soc. liég. de lit- TÉR. WALL., 1884, lapasquée entre Houbièt et Piron : « Giloton n'est-ce nin 'n advocât B Qu'a tant plaili cont' Plenevaux j Avou les arme po prinde lès clé! B Et l'jou d'après 'l'ont exilé ! » * Métier des Retondelrs, reg. 20. Rapport et publication de déchéance, 6 juillet 1682. 2 S. E. A., reg. 169. Condé à Voeller. Liège, 22 août 1682. ( 1S2 ) L'anarchie ne faisait que s'aggraver. En même temps, la misère augmentait, car l'état financier n'était rien moins que rassurant. La capitale avait une dette exigible de plus de 100,000 écus et ses charges montaient à environ 120,000 florins par an. Impuissante à dégager le revenu public par le rem- boursement d'une partie des rentes constituées, elle voyait son crédit diminuer de jour en jour. Les impôts ne parvenaient pas à rentrer, et néanmoins de nouvelles taxes de consom- mation frappaient sans cesse les objets de première nécessité, dont les prix devenaient excessifs ^ Pour retrouver le repos et la tranquillité, pour sauver leurs libertés compromises et menacées, il ne restait aux citains qu'un seul remède, un seul expédient : off'rir i\ l'électeur une paix honorable, lui accorder un droit d'intervention dans les élections communales. C'était d'ailleurs, nous l'avons vu, le vœu du Chapitre et de la fraction modérée de la population. L'échec des négociations entamées par Furstenberg avait décidé la cour de Vienne à s'interposer une dernière fois entre l'évêque et ses sujets rebelles. Le commissaire impérial Jodoci conseilla aux deux partis de se faire de mutuelles con- cessions 2; de part et d'autre, on fit la sourde oreille. 11 fallut le langage énergique et menaçant du résident français la Raudière pour ébranler les métiers^. Le 21 novembre 1682, une députation partit pour Cologne. La Cité avait choisi * Métier des Retondeurs, reg. 20. Recès du conseil de la Cité, 26 sep- tembre 1682. '^ A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Lettre de la Raudière, 11 juillet 1682. — Métier des Retondeurs, reg. 20. Recès du conseil de la Cité des 5 et 10 juin, 27 juillet 1682; sieulte du 14 juin d682. — Annexes aux Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du pays et diocèse de Liège, par François Delvaulx, t. I, pièce 13, recès du conseil de la Cité du 13 juin 1682. {Bibl. Un. Liège.) ^ A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Instructions à la Raudière, du 20 août, et rapport du même du 26 décembre 1682, cités par Lonchay, La princi- pauté de Liège au XVIl^' et au XVIII« siècle, p. 120. — S. E. A., reg. 169. Corr. du prévôt de Condé, 4, 8, 12 septembre, 7, 8, 10 octobre — Métier des Retondeurs, reg. 20. Sieulte du 21 décembre 1682. ( 153 ) comme porte-paroles trois de ses anciens magistrats les plus dévoués aux franchises communales: Ernest de Plenevaux, François de Looz, enfin Guillaume Renardi, dont la fière devise « Que faux cœur crève! » indique le caractère droit et le tempérament énergique. Les conférences se prolongèrent pendant trois longs mois. Maximilien-Henri s'y fit représenter par l'inévitable prince Guillaume, assisté de deux de ses acolytes : Tambonneau, — le Louvois du pays de Cologne, — et le comte de Duras, le chancelier-fantôme du Conseil privé de Liège. Toute influence impériale avait été soigneusement écartée. Avec de semblables éléments, il n'était pas difficile de prévoir quelle serait l'issue du conventicule. Les séances se passèrent en reproches et en invectives. Furstenberg requit les rebelles de s'expliquer sur tous les attentats, violations des formes légales, usurpations de pouvoir qui s'étaient commis dans la cité mutine; les ambassadeurs liégeois répondirent qu'ils préféraient « sacrifier leur sang et leur vie que de con- » sentir et de voir tomber la République sous la servitude d'un » Prince irrité, qui voulait leur ôter leurs privilèges et leur )> liberté i. » La discussion s'échaufïa encore lorsqu'on aborda la question épineuse des élections magistrales. L'évêque avait déclaré que seul le règlement de 1649 pouvait le satisfaire. vSon ministre, plus politique, proposa la transaction suivante pour la nomination des bourgmestres : le prince devait dési- gner six personnes parmi lesquelles le peuple élirait son can- didat, et, de même, les bons métiers désigneraient six autres bourgeois dont l'un, choisi par l'évêque, serait le second maître à temps 2. Les députés de la commune repoussèrent ce projet qui, d'après eux, prêtait à la corruption; ils soutinrent que la réforme de 1603 offrait de meilleures garanties contre les * S.E. A., reg. 169. Liste des attentais proposés par les commissaires de l'évêque aux députés de la ville de Liège à Cologne. — Ibidem, Condé à Voeller, 19 et 30 décembre 1682, 13 janvier, 3 et 20 février 1683. — Annexes aux Mémoires cités de Delvaulx, t. III. pièce 17. 2 A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Lettres de la Raudière, 19 novembre et 4 décembre 1682. ( 154 ) irrégularités et les brigues électorales, et demandèrent leurs lettres de rappel pour en référer à leurs mandants, la généralité des métiers ^. Ils se retiraient plus aigris, moins disposés encore à s'entendre que lors de leur arrivée à Cologne. La population liégeoise allait-elle ratifier leur conduite et témoigner d'un égarement pareil à celui de ses représentants otiiciels? Pendant leur absence, le parti des mangeurs de tartes avait recruté, dans toutes les classes, de nombreux adhérents. D'aucuns, fatigués d'une résistance qu'ils estimaient inutile et fatale, se montraient disposés à cesser toute opposition, et l'on citait parmi eux les régents en charge. Le Rond et Ryckman '^. Maximilien, dans l'espoir d'attirer au vote les indifférents et les modérés, avait renouvelé l'antique ordonnance qui prescrivait à tous les habitants de se faire inscrire dans l'un des corps d'artisans et d'assister aux assemblées des métiers sous peine d'être déchus du droit de bourgeoisie 3. Le chapitre cathédral prêchait la paix et la réconciliation. Un souffle d'apaisement semblait planer sur la Cité. Le retour d'Ernest de Plenevaux et de Guillaume Renardi le transforma brusquement en une tempête d'orage. Les débats personnels reprirent plus véhé- ments, plus haineux; les factions se multiplièrent. Et voici que, comme pour aviver davantage encore les troubles de l'anarchie, Furstenberg fit répandre le bruit que son maître, pour peu que l'on rétablît le cours du soixantième denier et la levée de l'impôt sur la bière, consentirait à fermer les yeux sur la question électorale et à signer un accommodement qui amnistierait tout le passé ^. * Métier des Retondeurs, reg. 20, 24 février 4683. 2 Bibl. Un. Liège, Collection tJlysse Capitaine, n® 8146, Recès du conseil de la Cité du 11 décembre 1682 et Rapport des députés pour être soumis aux métiers du 29 janvier 1683. ^ S. E. A., reg. 169. Ordonnance du 12 janvier 1683. * S. E. A., reg. 169. Condé à Voeller, 31 mars, 8, 14, 25 et 28 avril 1683. — Le soixantième donnait un rendement annuel de 50,000 écus; le droit de quatre sous sur la tonne de bière qui se consommait dans le pays rapportait environ 11,000 écus. ( i53) L'effet de celte proposition, insidieuse et habile, ne se fit pas attendre. Les métiers, appelés à se prononcer, se divi- sèrent en deux camps hostiles. Quinze d'entre eux l'approu- vèrent sans réserve; dix-sept refusèrent d'y acquiescer i. Les passions étaient excitées; les fusils s'armèrent et les coups partirent. Par les rues et les places publiques, retentirent les cris de déchéance et de mort aux bourgmestres. Hap- pelons-nous qu'une année auparavant, dans des circonstances identiques, Le Rond et Ryckman avaient soulevé le peuple et dirigé l'émeute avec le même aveuglement. Mais cette fois, si la lutte fut plus sanglante, elle devait amener la perte de ceux qui la provoquaient. Liège se couvrit de barricades; des bandes armées, dans tous les quartiers, en vinrent aux mains; la sédition fut générale. Au premier rang des ultra- révolutionnaires, se faisaient remarquer le fougueux, l'intrai- table Kenardi, puis Houbotte, le rentier de la commune que le conseil venait de destituer, enfin Giloton, nature généreuse, mais volcanique, l'idole du métier des drapiers '^. Le 27 juin, la révolte avait pris un caractère de particulière gravité. « Ceux » de la ville, raconte un témoin oculaire, tiraient sur le pont » des Arches contre ceux d'ouire-Mcuse, toujours dix contre » dix, et en un instant dix autres reprenaient à tirer; et cela )) continua jusqu'à tant qu'on sonna la cloche de Saint-Denis » pour faire cesser. Le pont des Arches paraissait tout en » flammes; plusieurs demeurèrent sur la place et grand nom- M bre blessés, desquels plusieurs sont morts après, et, si l'en- » trée d'outre-JMeuse, du pont des Arches, n'avait été barri- » cadée, ceux des drapiers auraient eu la victoire ! 3 » * A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Lettre do la Raudière, 6 avril 1683. — S. E. A., reg. 16'J. Les bourgmestres et députés des métiers au prince de Furstenberg, 30 avril 1683. — Ibidem, Réponse de celui-ci, 4 mai 1683, et Condé à Voeller, 25 mai 1683. — Métier des Retondeurs, reg. 20. Sieulles des 3, 9 et 12 mai 1683. 2 L'émeute partit de ce métier, un des plus importants de la commune. (S. E. A., reg. 169. Appel des drapiers aux trente et un bons métiers, 16 juin 1683.) 3 Chronique liégeoise. Bibl. Un. Liège, n" 816, i°^ 336 et suiv. ( 456 ) L'émeute était vaincue, comprimée. Le Rond fit chanter une messe de grâce; puis, la répression commença. Les chambres des métiers furent fouillées; les bourgeois suspects maltrai- tés, mis à la question i. Giloton, qui était parvenu à s'enfuir à Hervé avec quelques-uns de ses partisans, fut déclaré banni à jamais de la ville et jugé appréhensible. L'opposition était privée de ses principaux chefs. Le calme allait-il renaître? Les élections du 25 juillet se firent dans un sens conserva- teur 2; les listes électorales avaient été épurées 3. Nicolas Remouchamps et Jean Gaen acceptèrent la charge de bourg- mestre. Charmés d'avoir de tels hommes à opposer au parti révolutionnaire, les mangeurs de tartes les encouragèrent, les poussèrent en avant, les compromirent sans retour. Les Élus essayèrent une fois encore d'opérer une réconciliation. Vain et suprême effort, qui ne put aboutir et qui fut la dernière tentative pour conserver à la Cité, dans une idée de commune et patriotique résistance, ses privilèges et ses chartes de liberté. * Métier des Tisseurs, reg. 8. Recès du i" septembre 1683. — S. E. A., reg. 169. Ordonnance du conseil de la Cité, 16 juillet 1683 — Ibidem, Condé au marquis de Grana, 21 juillet 1683. — Métier des Retondgurs, reg. 20. Sieulte du 20 juillet 1683. — Ibidem, reg. 34, i^-- septembre 1683. 2 Daris, ouvr. cité, t. II, p. 118. ^ S. E. A., reg. 169. Ordonnance du conseil delà Cité, 15 juillet 1683. — Métier des Charuers, recès du 22 juillet 1683. ( 1S7 ) CHAPITRE VI. LE RÈGLEMENT DE 1(384. J*oliiique du nouveau magistrat. — Arrivée à Liège de l'évêque de Strasbourg. — L'accommodement des i2:2 novembre dGSo-S.'^ février 16S4. — Ses principales stipulations. — Situation des partis. — Furstenberg et Louis XIV, — Aggravation des impôts. — Émeute du 9 avril 4684. — H.-P. de Macors. — Ses mesures. — Nouveaux désordres. — Renardi et Giloton sont élus bourgmestres. — Maximilien obtient l'intervention du roi de France contre les Liégeois. — Furstenberg repousse toute négociation. — Soumission de la Cité : la répression. — Exécution de Macors et de Renardi. — Entrée triomphale de .Maximilien. — Règlement du 2S novem- bre 1681. — Son élaboration. — Rôle du Chapitre et ses conséquences. - Esprit de l'ordonnance municipale. — Les seize Chambres. — La réforme électorale. — Les corporations et métiers. — Principales modifications administratives. — Les services publics. — Appréciation du règlement. — Furstenberg organise le nouveau gouvernement. — Ses intrigues à Liège et à Cologne. — Mort de Maximi- lien-Henri. — Sa succession. — Les dernières années de Guillaume-Egon de Furstenberg. I. La superbe capitale liégeoise avait, depuis le renversement de sa citadelle, montré une fière et indomptable énergie. Elle avait combattu pour ses privilèges et sa neutralité. Devant sa mâle résistance, les puissances — Louis XIV lui-même — avaient reculé. Seule, dans la principauté, elle subsistait pour défendre le souvenir d'un passé de franchises et de libertés. Mais cet esprit d'indépendance devait être, faute de discipline et de pondération, fatal à la Cité lorsque, jalouse de ses droits politiques, isolée de tout appui, elle se trouva une dernière fois en conflit avec le prince-évêque. Les événements qui restent à raconter nous montreront Liège à la veille de la victoire, puis, par un funeste retour, opprimée et vaincue. Avec le règlement de 1684, elle cesse en effet d'être la vaillante commune du moyen âge et devient la ville impersonnelle des temps modernes. Les faits révéleront la part des responsabilités. ( 158 ) L'élection de Gaen et de Remouchamps rendait favorables les chances de réconciliation. Les deux nouveaux maîtres à temps étaient des esprits modérés, inféodés à la politique espa- gnole, mais qui avaient l'avantage de ne s'être point compro- mis dans la lutte des partis. Ils désiraient entamer immédia- tement les négociations ; mais, comme Furstenberg seul était capable de les mener à bonne fin, on dut attendre son retour dans la cité épiscopale. Le premier ministre de Cologne était allé prendre à la cour de Versailles des instructions précises sur la ligne de conduite à adopter ^; puis, il avait profité de quelques jours de loisir pour se faire inaugurer solennelle- ment dans ses domaines abbatiaux de Stavelot-Malmédy ''^. II arriva à Liège, le 28 octobre, accompagné d'une suite nom- breuse et brillante; sa réception fut celle d'un souverain. Maximilien l'avait revêtu d'un pouvoir discrétionnaire pour traiter de la paix. Les conférences s'ouvrirent aussitôt 3. L'évêque de Strasbourg était charmant causeur autant que rusé diplomate. Poursuivi du rêve de la coadjutorerie, il tenait à conquérir les sympathies de la haute bourgeoisie liégeoise ; il affecta de se montrer conciliant et libéral. Et tandis qu'à sa table les plénipotentiaires se délectaient aux venaisons les plus exquises et aux vins les plus rares, l'arrangement s'éla- bora. Le 17 novembre, le pacte était conclu. Aucun tréfoncier n'avait été admis aux délibérations. Le Chapitre s'en formalisa, et, pour protester contre cette méconnaissance des usages, il requit l'insertion, dans le traité, d'une clause qui affirmerait le respect et le maintien des droits de l'Église 4. 1 Le marquis de Grana à Charles II, 26 janvier 1684. (S.E.E., t. CX, f«49) 2 Conseil privé, Protocoles, reg. 128, n<» 80, 14 octobre 1683. — A. D., Stavelot-Malmédy. RegistratiLr Abtswahl, liasse n» 7, 14 octobre 1683. 5 Les députés de la Cité étaient les bourgmestres en charge Gaen et Remouchamps, les anciens bourgmestres Le Rond et Stembier, et le grand greffier Du Sart. * Concl. capit., reg. 165, 17, 19 et 23 novembre 1683. ( 159 ) Voici à quelles conditions l'évêque consentait à « accorder » et promettre une amnistie de toutes les fautes et entreprises » faites ou qui pourroient avoir esté faites contre son autorité » et les droits de son église, soit en général ou en particulier i ». La garde de la Cité, le commandement des armes, était partagé entre le grand mayeur, officier du prince, et les deux bourg- mestres. Mais les bourgeois conservaient le droit de présenter et de désigner les capitaines de la milice communale. Quant à l'élection magistrale, — pivot du différend séculaire, — elle était l'objet d'une transaction où se reflètent la finesse et l'in- géniosité de l'évéque de Strasbourg. Tout en maintenant en vigueur les règlements de 1603 et de 1631, Guillaume-Egon trouvait moyen d'introduire, au milieu de leurs multiples for- malités, l'influence du souverain. L'édit de 1603, on se le rappelle, stipulait que les Trente- Deux, c'est-à-dire les électeurs des bourgmestres, seraient tirés au sort, dans chaque métier, parmi trois candidats désignés par les membres de la corporation. L'accommodement pro- jeté supprimait le tirage au sort et réservait à un député du prince le droit de choisir les Trente-Deux parmi les nonante-six élus des bons métiers. Restait la question fiscale, qui avait pour Maximilien-Henri et pour son ministre, toujours courts d'argent, une impor- tance capitale -. Liège devait faire, sur ce point, de réelles concessions. Elle s'engageait à rétablir le cours du soixantième denier et la levée de la taxe sur la bière ; elle promettait de fournir, dans les deux ans, une contribution de 100,000 écus, comme un témoi- gnage de la « soumise reconnoissance, du zèle et de l'afl'ection * On trouvera le texte de l'accommodement dans le Recueil des ordon- nances de la principauté de Liège, publié par Polain et Bormans, 2^ sér., 3e vol., p. 412. 2 A l'occasion du traité, Guillaume-Egon reçut de la commune un don de 14,000 écus. (A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Corr. de la Raudière, 22 novembre 1683.) ( 160 ) » respectueuse de la bourgeoisie pour tout ce qui regarde le » service de Son Altesse i )>. L'évêque enfin exigeait qu'une députation de citains se rendît à Cologne « pour faire à monseigneur l'électeur la sou- » mission convenable à un peuple qui ne respire et ne sou- » haite que de rentrer dans l'honneur des bonnes grâces de » son prince, et de lui donn(ir toutes sortes de marques et » preuves effectives et réelles d'une parfaite reconnoissance et » d'une fidélité et obéissance inviolable». Telles étaient les propositions qui furent soumises à l'appro- bation de Maximilien de Bavière et du peuple de Liège. L'élec- teur n'hésita pas à ratifier l'œuvre de son conseiller intime. Mais du côté des bons métiers, l'adhésion devait être moins aisée à obtenir. A deux reprises, Gaen et Remouchamps con- voquèrent les corporations, dans l'espoir de provoquer un vote d'unanime confiance. Ils ne purent rallier au projet qu'une honnête minorité. Seize métiers protestèrent contre l'innova- tion apportée à la nomination des Trente-Deux ; dix-sept récla- mèrent contre la concession du ckoit des armes au grand mayeur 2. Devant cette résistance plus obstinée que réfléchie, les bourgmestres passèrent outre 3. Us envoyèrent, selon les clauses de la paix, des délégués à Cologne, pour offrir satis- faction, et publièrent, au Pérou du Marché, l'accommodement et l'amnistie. Pris en lui-même, le traité dont nous avons esquissé l'ana- lyse ménageait les susceptibilités des deux partis, conservait à chacun d'eux sa dignité, garantissait les droits dont ils se montraient le plus jaloux. Liège obtenait le pardon sans devoir * Le paiement de cette somme était garanti par tous les biens et reve- nus de la Cité, spécialement par l'impôt sur le braz. 2 Métier des Retondeurs, reg. 49 et 20. Recès des 23, 24, 30 octobre, 8 et 14 novembre 1683. — S^ E. A., reg. 170. Griefs des XXXII bons métiers représentés à S. A. S. le 16 juillet 1684. — A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Corr. de la Raudière, 11 novembre 1683. 5 S. E. A., reg. 170. L'évêque de Strasbourg aux bourgmestres Gaen et Remouchamps, l^r février 1684. ( 161 ) s'humilier. Sa personnalité, son autonomie, son indépendance politique étaient respectées. L'évéque, en promettant d'observer le règlement de 1603, s'inclinait devant la volonté populaire et donnait un démenti à tous les actes de son règne. Si la victoire de la Cité n'était pas complète, du moins elle était honorable. Observé loyalement, l'accommodement assurait à la démocratie liégeoise l'intluence prépondérante sur la direction des atraires, situation exceptionnelle pour l'époque, à la fin du despotique XVll® siècle. II. Un mois à peine était écoulé depuis la conclusion de l'arrangement et la proclamation de l'amnistie que déjà Liège retombait dans les déchirements de la guerre civile. A la faveur de la paix, les chefs de partis, que les dernières émeutes avaient proscrits ou exilés, étaient parvenus à rentrer dans la ville. Giloton, de Looz, Renardi avaient ainsi, un à un, repris leur place à la tête des révolutionnaires; ils s'efforçaient d'exciter le sentiment populaire contre l'accommodement de 1683, le dépeignant comme une œuvre perfide, attentatoire aux libertés publiques. Et en face d'eux, moins éloquents, sinon moins convaincus, d'Ans, Gaen, Plenevaux, Kemou- champs, soutenus par tous les gens modérés, défendaient les avantages de la politique de transaction, seule capable de sau- ver les privilèges, et mettaient la population en garde contre les violences de langage des démagogues. La désunion s'aggravait de jour en jour, minait la Cité tout entière, gagnait le vénérable corps cathédral lui-même. Blessés d'avoir été exclus des négociations, plusieurs tréfonciers protestaient contre la formule de paix qui ne les satisfaisait pas ^. 1 Co72cl. capit., reg. 165, le-- et 8 mars 1084, i» 109. — S. E. A., reg. 170. Le prévôt de Condé à Voeller, 5 février 1684. Tome LIX. H ( 162 ) Entretemps Furstenberg jetait secrètement les bases d'une alliance qui devait permettre à Maximilien-Henri de ren- trer à Liège en triomphateur! La fin de l'année 1683 avait été marquée par la reprise des hostilités entre la France et l'Espagne, poussée à bout par les mesures vexatoires de Louis XIV et les amts de ses Chambres de réunion ^. Il était à craindre que la Hollande ne déclarât la guerre à son tour et ne fît cause commune avec le cabinet de iMadrid. Pour prévenir cette coalition, pour en parer tout au moins les effets, 1 evêque de Strasbourg, qui s'était toujours illusionné sur le mérite de ses conceptions stratégiques, soumit à Louvois un vaste plan de campagne ^^. Ce projet, qui ne semble guère avoir été goûté du ministre français, ne fut pas néanmoins fait en pure perte. En donnant au grand Roi cette marque de bonne volonté, Guillaume-Egon réservait à son maître des droits à la recon- naissance de la cour de Versailles. En même temps, son influence faisait entrer l'archevêque de Cologne (dont les domaines et l'importance politique venaient de s'augmenter encore par l'adjonction de Munster 3) dans la ligue défensive nouée entre la France, le Danemark et le Brandebourg en vue de surveiller les manœuvres de la Suède et des Pro- vinces-Unies 4, La nouvelle s'étant répandue à Liège que le prince-évêque, sans le consentement du Chapitre, songeait à renouveler un pacte d'alliance avec Louis XIV et à se jeter de nouveau dans- la mêlée des puissances, un vif mécontentement se produisit. Il augmenta lorsque l'on vit les officiers français, sous les yeux * LoNCHAY , La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas, pp. 296-304. "^ C. RoussET, Histoire de Louvois, t. III, pp. 244 et suiv. ^ 1er septembre 1863. — Le Saint-Siège refusa de reconnaître sa postu- lation. (A. D., Kur-Kôln. geh. geistl. Arcliiv. lissier à Maximilien-Henri. Rome, 11 mars 1684. — H. Prutz, Die Kôlner Wa/il und Frankreichs Fricdensbrurli, 1688. Historisches Taschenbuch, 1890, SS. 16o-204.) ■* 16 avril 1684. — Ennen, Frankreish und der Niederrhebij Bd I, SS. 884 u. s. w. ( 163 ) mêmes du Conseil privé et avec son approbation, ordonner des levées de troupes jusque dans la capitale ^. Malgré cette audacieuse attitude, le peuple ne se souleva pas; il se con- tenta de se plaindre et de rappeler aux agents du gouverne- ment les principes de la neutralité. Et c'est à ce moment que Maximi lien-Henri, comme si les mesures provocatrices n'étaient pas suffisantes, réunissait les États et réclamait à la Cité de nouveaux subsides 2. Par raccom- modement de 1683, il avait promis de modérer toutes les charges communales, et voici qu'il les aggravait encore, qu'il voulait frapper les habitants d'impôts destinés à entretenir les armées qui marcheraient un jour contre eux, qu'il prétendait les obliger aux contributions de la guerre contre les Turcs '■^. C'en était trop! L'émeute se réveilla. Le 9 avril 168i, les drapiers donnèrent le signal du soulèvement. Au nombre de plus de trois mille, ils s'emparèrent des ponts et des portes de la Cité, et ainsi, maîtres de toutes les avenues, ils se dirigèrent vers les demeures de Giloton et de De Looz, leurs chefs vénérés. Les deux tribuns, au bruit des acclamations, furent conduits en triomphe à la maison de ville ^. Déjà, devant les grés et sur la place du Marché, la plupart des corporations en armes étaient rassemblées. En vain les magis- trats essayèrent-ils de les disperser; après une tumultueuse collision, la victoire resta aux émeutiers 5. * S. E. A., reg. 470. Condé à Voeller, 5 avril 1684. 2 État primaire. Journées, reg. 73, f^ 176. — ConcL capit., reg. 165, 10 mars, 3, 8, 14, 19, 24 avril, 4, 6, 17. 31 mai, 8 et 19 juin 1684. — S. E. A., reg. 170. Propositions faites en l'assemblée des États de la Cité et celle du pays de Liège, le 6 avril [GS^. — Ibidem, Maximilien au Conseil privé, 2-2 avril 1684. ' Le 14 juillet 1683, les Turcs avaient planté leurs tentes devant Vienne; on sait comment Tarrivéc du roi de Pologne, Sobieski, sauva la capitale impériale. -* Chronique liégeoise. Bibl. Un. Liège. Ms. n» 816, f° 366. ^ Conseil privé. Protocoles, reg. 129, 10 et il avril 1684. ( 164 ) La révolution entrait dans sa dernière pliase, phase d'aveu- glement et de désespoir. Les métiers s'étaient emparés de l'autorité souveraine. Pour la conserver, il s'agissait d'épurer le conseil communal, d'y introduire d'ardents patriotes déterminés à la résistance. Remouchamps fut la première victime. Appréhendant des actes de violence, il feignait une maladie et gardait le lit. La foule, peu crédule, cerna sa maison, la pilla et obligea le régent h rendre les clefs magistrales. On le déclara indigne de son office et incompétemment élu, sous le prétexte qu'il n'était ni marié, ni iiatiomié^. Henri-Pompée de Macors, seigneur des Trois-Fontaines, hérita de ses pouvoirs (13 avril 1684). Avocat, receveur de l'état noble, le nouveau bourgmestre avait été peu mêlé aux dissensions civiles; mais sa probité, à laquelle ses plus ardents adversaires rendaient hommage, sa foi dans l'ave- nir, son ardeur à la lutte l'avaient désigné comme l'homme de la situation. Macors était un idéaliste : il avait confiance dans l'esprit d'union qui, au moment suprême, saisit tous les hommes géné- reux et s'imaginait que le roi de France ne permettrait jamais que Liège fût asservie. Double illusion dont il devait être déçu ! En attendant, il ne perdit pas un instant; il requit de tous les fidèles citoyens un serment de fraternité, distribua les armes qui reposaient h la maison de ville, plaça les canons aux endroits les plus exposés et enjoignit aux bons métiers de veiller eux-mêmes à la police et au salut public '^. Ces mesures, dignes d'éloges, furent approuvées par le Conseil privé lui- même 3. Mais l'exécution en était difficile; l'insurrection * Bouille, p. ^59. — Cojiseil privé. Protocoles, re^. 129, 12 avril 1684.— Métier des Retoxdeurs, reg. 34, 13 avril 1684. — Métier des Charliers, même date. — Vieux- Warriers, 12 avril. — A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Corr. de la Raudière, 13 avril 1684. 2 S. E. A., rcg. 170. Recès du conseil de la Cité, 12 avril 1684. — Métier des Retoxdeurs, reg. 34. Recès du 12 avril. ^ Conseil privé. Protocoles, reg. 129, 14 et 21 avril 1684. ( 165 ) traînait derrière elle une tourbe de déclassés, gens sans aveu et sans moralité, et, d'autre part, les mangeurs de tartes, irrités de voir leurs adversaires organiser la résistance, suscitaient des complots ^. Macors, directement menacé, se vit contraint de prendre des mesures de rigueur. On dressa des listes de suspects et les proscriptions commencèrent. Tous les gens soupçonnés de modérantisnie, ceux qui s'étaient opposés à rémeute du 27 juin dernier, qui avaient adhéré à l'accommode- ment ou qui, au mépris des bannissements de 1682, étaient rentrés dans la ville, furent chassés des métiers '^. D'autres, voués ù l'aversion populaire, eurent leurs biens confisqués. Aux exils forcés succédèrent les exils volontaires. Liège perdait cha(|uc jour de vaillants défenseurs. Depuis la déposition de Remouchamps, le bourgmestre Gaen avait refusé d'assister aux séances du conseil communal. Cette absence, attribuée par les uns à la prudence, interprétée par les autres comme une menace, ne fit que mettre ses ennemis plus à l'aise pour multiplier leurs coups. Ils le requirent de se rendre à la Violette ou de restituer les clefs magistrales. Et comme la rumeur s'était répandue qu'il entre- tenait des relations avec l'évêque de Strasbourg ^ et avec un groupe de proscrits réfugiés dans la banlieue, les métiers résolurent de « courir sus aux ennemis de la patrie, aux per- turbateurs du repos public ». Le 26 juin, ils se dirigèrent tumultuairement vers Herstal et Coronmeuse, où les principaux bannis s'étaient retirés. Une mêlée sanglante s'engagea. Les maisons de Plenevaux, de Le Rond et de Remouchamps furent pillées, dévastées. Le peuple ramena de nombreux prison- * Métier des Retondeurs, reg. 34, 16 avril 1684, f» 96. — S. E. A., reg. 170. Recès du conseil communal, 3 et 30 mai 1684. — Ibidem, Pam- phlet anonyme intitulé : Avertissement au peuple de Liéxje mal informé. 2 Bouille, pp. 460 et 461. — Métier des Retondeurs, reg. 20, 16 et 30 avril 1684. — S. E. A., reg. 170. Ordonnance du conseil de la Cité, i et 27 mai, 14 juin 1684. ^ S. E. A., reg. 170. Guillaume-Egon à Gaen, mai 1684. ( 166 ) niers ^. Enhardie par ces exploits, excitée par la nouvelle que l'archevêque se préparait à marcher contre la Cité, la foule pour- suivit ses actes de violence; elle enleva le nonagénaire Charles d'Ans de sa demeure, et ce vénérable magistrat qui, tant de fois, avait eu l'honneur de représenter la commune liégeoise, fut conduit prisonnier à l'hôtel de ville, injurié, vilipendé 2. Cependant Maximilien-Henri avait lancé une ordonnance menaçante, véritable déclaration de guerre. Macors et ses adhérents y étaient taxés de « prétendus magistrats » et jugés appréhensibles 3. Les métiers y répondirent par une déclara- tion plus violente encore, reprenant leurs anciens griefs et répudiant le pacte de 1GS3 ^. On était ù la veille des élections. Renardi et Giloton furent élus bourgmestres. Le même jour une armée bavaroise pénétrait dans la principauté. La république liégeoise était épuisée; sa bourgeoisie, dégoûtée des menées révolutionnaires, lasse de troubles sans cesse renaissants, songea moins à préparer la résistance qu'à invoquer les secours de l'étranger. Mais à quel voisin s'adresser? De l'Espagne, il ne fallait rien attendre. La cour de Madrid était toute au souci d'obtenir de Louis XIV une trêve pas trop onéreuse S; d'ailleurs, depuis le commencement de la révolu- tion, autant par inertie que par épuisement, elle n'avait rien tenté pour tirer profit des embarras de Maximilien. Un appel à * Chronique liégeoise. Bibl. Un. Liège, Ms. n" 816, f» 367. — Cond. capit., reg. 163, '2-2 juillet et 2 août 1684. —S. E. A., reg. 170. Ordon- nances du conseil de la Cité, 21 et 27 juillet 1684. 2 S. E. A., reg. 170. Condé à Grana, 22 juillet 1684. 3 Bouille, p. 463. — A. E.. Fonds de Liège, t. XIV. Corr. de la Rau- dière, 20 juillet 1684. — S. E. A., reg. 170. Mandement du 18 juillet 1684. * Conseil privé. Protocoles, reg. 129, 24 juillet 1684. — S. E. A., reg. 170. Griefs des XXXII bons métiers représentés à Son Altesse Sérénissime. ^ Sur la trêve de Vingt ans, dite de Ratisbonne (15 août 1684), voir LoNCHAY, La rivalité de la France et de V Espagne aux Pays-Bas, p. 304. — Le texte en a été réimprimé par H. Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, t. II, pp. 135 et suiv. ( 107 ) l'empereur Léopold, qui avait besoin de ses ressources dans la guerre de Hongrie, n'avait guère de chance d'être mieux accueilli. Restaient la France et les Provinces- [Jnies. La Cité vint implorer leur médiation. Le gouvernement hollandais, qui ne désirait pas s'entremettre dans cette lutte locale, se tint sur une prudente réserve i. Quant à Louis XIV, on connaît la réponse peu ambiguë qu'il chargea son résident la Raudière de communiquer aux Liégeois-: « Pour terminer pri^nptement un » dittérend qui pourrait troubler le repos que Sa Majesté était » prête à donner à toute l'Europe, il n'y avait pas d'autre » expédient que de se soumettre et de rendre au Prince ce » qu'on lui devait 3» » Les intrigues de Furstcnberg avaient porté leurs fruits ^. Liège était sans appui. La répugnance que le grand Roi ressentait au fond de l'âme pour tous sujets rebelles, devait contribuer à rendre son attitude plus décisive encore. Au moment où les révolutionnaires sollicitaient l'assis- tance de Louis XIV, Maximilien, lui aussi, s'adressait à Versailles et obtenait l'envoi d'un corps de troupes commandé par le comte de Choiseul. La Cité, menacée d'un siège qui inévitablement devait lui être fatal, tenta un suprême effort de réconciliation 5. Guillaume de Furstenberg avec l'armée électorale campait à Ueckheim. Macors, accompagné de quelques magistrats, s'y rendit pour proposer des conférences, voire la confirmation de l'accommo- dement (le 1683. Il était trop tard. L'évêque de Strasbourg, sûr de son triomphe, repoussa toute idée de négociation. Les Bava- rois approchèrent des faubourgs ; aucune mesure de défense * A. H., Regisler der Resolulien van de Staten Generaal der Vereenigde Nederlanden, gedurende het jaar 1684, '^^^ deel, 21 en 22 Auguslus 1684, fos 2-22, 224, 226 en 227. 2 17 août 1684. 3 Bouille, pp. 467468. — A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Louis XIV à la Raudière, 17 août 1684. * S. E. A., reg. 170. Corr. du prévôt de Condé, lo»- et 23 août 1684. — Ibidem, recès du conseil de la Cité, 17 août 1684. ^ Métier des Retondeurs, reg. 34, 20 et 21 août 1684. ( 168 ) n'était prise. Le peuple se faisait illusion et croyait obtenir la paix. Le 26 août, tandis que le Conseil, assemblé à la maison de ville, soumettait aux métiers, assagis par les épreuves, le rapport de la dernière ambassade, on apprit que, par la porte d'Avroy, les gardes allemandes avaient envahi la Cité t. En un tour de main, sans qu'il en coûtât une goutte de sang, Liège fut soumise. Le peuple se retourna contre les chefs qu'il vénérait naguère et reçut Guillaume-Egon comme un sauveur. Les principaux rebelles furent arrêtés. Giloton parvint à s'enfuir. Macors, retenu prisonnier dans sa maison, eût pu facilement s'évader; il s'y refusa, parce que « sa conscience ne lui reprochait rien "^ ». La commune s'était laissée surprendre sans opposer la moindre résistance. iMais le prince Guillaume ne lui tint nul compte de sa lassitude et de son épuisement. La vengeance fut froide et calculée, la répression sanglante et implacable. L'Électeur avait déclaré qu'il ne rentrerait dans sa bonne ville de Liège qu'après un complet apaisement. Aussi, pendant plus d'un mois, sur la place du Marché, les exécutions se suc- cédèrent; Furstenberg se plut à y assister. Puis, comme il devait satisfaire les exigences des troupes qui l'avaient soutenu^, il frappa les habitants de lourdes tailles, leva des contri- butions excessives, requit des banquiers et marchands plus de 100,000 florins ^; le plat-pays même dut fournir une indemnité quotidienne de quatre mille écus. Vainement le chapitre cathédral soumit-il de sages représentations ^ ; nulles ' A.E., Fo72ds de Liège, t. XIV. Corr. de la Raudière, 27 août 1684. ^ Conseil privé. Liasse, Supplique de Tépouse de Macors, du 31 août 1684. ■> S. E. A., reg. 170. Corr. du prévôt de Condé, 9 et 30 septembre 1684. — A. D., Verhandhingen bctreffend Maximilian-Heinrich. * ConcL capit., reg. 165, 26 septembre 1684. — Conseil privé, Protocoles, reg. 129, 19, 20 et 22 septembre. — S. E. A., reg. 170. Mandements des 9 et 26 septembre 1684. s Concl. capit., reg. 165, 31 août, 5 et 6 septembre, 3, 16 et 18 octo- bre 1684. ( 169 ) plaintes, nulles exhortations ne parvinrent à fléchir Tinsolent vainqueur. Ghiame H Stoirdeu, aveuglé par sa facile victoire, confondait clans son ressentiment adversaires et amis. Pecuniae omnia ohediant ' / L'évéque annonça son arrivée; la Cité était abattue. (Cepen- dant Macors et Renardi étaient retenus en prison; il semblait que l'on hésitât à infliger le dernier supplice h ces fiers et stoïques magistrats. Mais Maximilien ordonna d'instruire leur procès : les échevins prononcèrent la peine de mort. Louis XIV fit solliciter leur grâce par son résident : puisque le calme était rétabli, toute nouvelle mesure de rigueur devenait inu- tile '2. Démarche superflue! Le 9 octobre, à dix heures du matin, les deux bourgmestres subirent leur sort en martyrs d'élite 3. Quelques heures plus tard, le cortège épiscopal fit son entrée par la porte Saint-Léonard. La ville avait reçu une décoration imposante. Des théâtres avaient été dressés en plein air et sur les places publiques; violons et hautbois, de concert, invitaient le peuple à la joie. Maximilien, pour mieux jouir de son triomphe, s'était fait escorter d'une suite nombreuse et brillante. Seize mulets, dix carrosses, quatorze chevaux con- duits â la main, couverts de housses brodées d'or et d'argent, précédaient ses gardes. Lui-même s'avançait ayant â ses côtés Guillaume de Furstenberg et le comte de Choiseul. Puis, en ordre, suivaient la cavalerie française, l'infanterie bavaroise, toute l'armée enfin, conquérante et superbe K Liège était frappée dans son orgueil de ville souveraine; * Conseil privé. Protocoles, reg. 129,^26 août, 2, 7 el 14 septembre 1684.— S. E. A., reg. 170. Corr. du prévôt de Condé, 20 septembre 1684 '^ A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Discours de la Raudière à l'électeur de Cologne, à son entrée à Liège, le 9 octobre 1684. 5 LoNCHAY, La principauté de Liège au XVII^ et au XVIIl^ siècle, p. 121 (note). ' Concl. capit., reg. 165, 5 octobre. — Conseil privé. Protocoles, reg. 129, 8 octobre 1684. — S. E. A., reg. 170. Rapports de Condé, 7 et 11 octobre 1684. ( no ) toutes ses ambitions étaient anéanties, son énergie épuisée. Sans protester, elle allait se soumettre à la loi du vainqueur, perdre l'indépendance et la liberté. III. Guillaume de Furstenberg avait résolu de déraciner la démo- cratie liégeoise, de la soumettre au joug de l'autorité, d'anéan- tir toutes les institutions qui, durant des siècles, avaient fait la Cité puissante et fière. Il ne lui sutiisait pas de l'avoir atteinte dans son orgueil; il désirait encore prévenir le retour des écarts d'indépendance que son maître avait eu tant de peine à réprimer. La réforme communale connue dans les annales liégeoises sous le nom de Bèglement de 168S ou Règlement de Maximi- lien-Henri de Bavière, fut sinon l'œuvre personnelle de l'évéque de Strasbourg, du moins le reflet de ses pensées, l'expression de ses désirs. Comme cet acte fameux a ébranlé de fond en comble les assises de la constitution municipale, qu'il a été maintenu en vigueur, sans subir de grands changements, jus- qu'en 1789, et que sur son modèle furent modifiées les admi- nistrations de la plupart des bonnes villes de la principauté, il est important de l'analyser avec soin. Cet examen aura l'avantage de nous donner un tableau presque complet de l'organisation des rouages politiques, administratifs et judi- ciaires locaux à la tin du XVII« et pendant le XVIII^ siècle i. 11 existe peu de documents au sujet de la manière dont l'or- donnance fut élaborée '^. * Comparer le chapitre premier de notre travail, intitulé : « Liège et la » constitution liégeoise en 1648. » 2 Cond. capit., reg. 165, 2 septembre au 24 novembre 1648. — Conseil privé, Protocoles, reg. 129, 28 août au 4 décembre 1684. — Ibidem, liasse n» 374. ( ni ) Au lendemain de son entrée à Liège, le prince Guillaume, investi du pouvoir dictatoi'ial, avait institué un gouvernement provisoire charge'; de Tadministralion des alïaires courantes ^. Cette régence, formée de six magistrats sortis de charge, ne semhie guère avoir pris une part active à la confection du nouveau règlement. Furstenbcrg, pour réaliser ses desseins despotiques, mettait une plus grande contiance dans les membres du Conseil privé, personnages tout ù sa dévotion; il les chargea de la rédaction de IVdit et fit transporter au palais épiscopal les archives de la Cité'-^ et des corporations, — moins d'ailleurs pour les aider dans leur travail que pour enlever des armes à ses adversaires 3. Pendant trois mois, la discussion des articles se prolongea. Le ministre de Maxi- milien savait par expérience combien il était dangereux de froisser les susceptibilités du chapitre cathédral ; aussi crut-il bon de lui soumettre toutes les propositions impor- tantes et d'appeler même aux délibérations plusieurs tréfon- ciers ^. Cette collaboration eut de sérieuses consé(|uences. L'adhésion du corps capilulaire ne fut pas toujours aisée à obtenir; la question de l'élection magistrale suscita même quelque désaccord. Le Conseil privé était décidé à supprimer par tous les moyens la prépondérance de l'élément populaire; les chanoines de Saint-Lambert, tout en demandant la réduc- tion du nombre des métiers, ne voulaient pas annihiler enliè- * Conseil privé. Protocoles, reg. 331. Guerres civiles du XVIIe siècle. Ordonnance du 28 août 1G84. — Ibidem, 19 septembre 1684. '- Les originaux des chartes et privilèges de la Cité étaient déposés dans le coffre Saint-Jacques, à la sacristie de cette abbaye; les procès- verbaux des délibérations communales restaient à la garde du magistrat, à la Violette. En 1751, une partie des archives fut rendue au conseil de la Cité; en 1789, le reste fut rej)orté à l'hôtel de vi'Ie. La lacune que l'on remarque dans les registres aux recès, pendant les années 1680 à 1735, est due sans nul doute à ces transports successifs. 3 Conseil privé , Protocoles, reg. 331. Guerres civiles. Édits des 28 et 30 août. 2 septembre 1684. ^ Concl. capit., reg. 165, 14 septembre 1684, f" 232. ( 172 ) renient leur rôle politique ^. Une transaction s'imposait. L'évêque de Strasbourg était trop habile diplomate pour ne pas en voir la nécessité; elle fut conclue aux dépens des pri- vilèges de la bourgeoisie. Maximilien-Henri, quatre jours avant de signer le règlement du 28 novembre, accorda au chapitre cathédral une intluence directe sur l'administration de la Cité; il lui donna le droit d'opposer son veto à tous les actes importants de la souveraineté, et s'engagea à ne jamais édider sans avoir obtenu son consentement préalable -. Le prince- évêque avait désormais un tuteur légal : le Sénat de la princi- pauté^ qui, dans les derniers événements insurrectionnels, s'était signalé par son intervention sage et pondérée, allait en remplir l'otiice. Ainsi, au moment où le pouvoir du peuple dans la marche des affaires s'éteignait, celui du premier corps ecclésiastique liégeois gagnait en étendue et s'élevait à son plus haut degré 3. Les rédacteurs du mandement de 1084 ont pris soin d'indi- quer eux-mêmes, en termes clairs et précis, l'esprit qui a inspiré leur œuvre de réaction. Leur pensée se reflète dans le préambule dont voici un extrait : « ... désirant d'apporter le » remède nécessaire à tous les abus et désordres passés, pour • Concl. capit., reg. 165, 'îi octobre 1684, 1° 259. 2 Voir le texte de la déclaration du 24 novembre 1684, dans le Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 2^ sér., 3^ vol., p. 422. 5 On trouve une preuve surabondante de cette intluence croissante du Chapitre dans les capitulations des princes-évêques qui furent élus à dater de notre période. Le serment de Jean-Louis d'Elderen contient cinquante- sept articles; celui de Joseph-Clément, soixante-treize! Entre autres clauses nouvelles, il faut citer l'article 32 de la capitulation de J.-L. d'El- deren, qui stipule que toutes les mesures importantes arrêtées sans l'avis et conseil du Chapitre, seraient déclarées nulles et sans valeur. Or, parmi ces décisions, étaient compris l'établissement et l'approbation des impôts communaux, le commandement des armes, la réformation des édits et ordonnances relatifs à l'administration de la Cité et des bonnes villes. La capitulation de Joseph-Clément renferme des stipulations qui restreignent encore plus les droits du prince, notamment dans le domaine des relations de la principauté avec les cours étrangères. ( 173 ) » élal)lir la paix et le repos solide dans notre cité de Liège, » cl par ce moyen y faire refleurir la justice, la police et le » commerce, pour la rendre d'autant plus considërahie en » toutes ses parlies, nous avons bien voulu, ensuite de Irès- » humbles supplications nous faites, modérer et amplifier, de » l'avis de vénérables, nobles, nos très-chers et bien-aimés » confrères, les doyen et chapitre de notre église cathédrale, la » réforme de feu notre trôs-honoré oncle Ferdinand, de haute » mémoire, faite en l'an 1Gi9, par l'établissement du régle- )) ment suivant, pour être les points d'icelui inviolablement » observés. » Étant notoire et public que la trop grande multitude des » personnes, qui ont intervenu aux élections du magistrat de » la ville et h la direction de la police dépendante d'icelui, » joint à l'ambition des prétendants, a été l'origine des confu- » sions et des maux dont cette ville a été accablée et réduite à » un état déplorable : et quoique nous pouiTions retenir à nous » la création annuelle du magisti^at de notre cité, nous avons )) néanmoins bien voulu en accorder révocablemenl à la généra- y> lilé de la bourgeoisie quelque participati07i ^, » C'était la première fois qu'un évéque liégeois osait soutenir de pareilles prétentions et afîirmer audacieusement l'autorité princière. De toutes les modifications apportées par le règlement de Maximilicn de Bavière au régime municipal de la Cité, celles qui se rattachent à la réforine politique, et surtout à la trans- formation (Ju système électoral, sont de loin les plus impor- tantes. A partir de ces innovations, la représentation de la commune passe de l'ensemble des bourgeois répartis dans les trente-deux métiers, à une minorité de personnes, classées en seize Chambres, et cette aristocratie, soigneusement triée, * Uecucil des ordonnances de la principauté de Liège, publié par Polâin, S' sér., vol. I, p. 2. ( 174) partage avec le prince la souveraineté de la ville, la direction des élections et la possession des droits politiques. Chacune des seize chambres fut composée de trente- six membres, appelés composants. On comptait parmi eux : a vingt nobles patriciens, gens des plus anciennes familles, » ayant été dans les charges honorables, eux ou leurs ancêtres, » gradués, mariés ou non, âgés de vingt-cinq ans pour le » moins, lettrés et autres bourgeois vivant de leurs biens et » revenus; dix marchands notables, eisix artisans, tous mariés » ou veufs, âgés de trente ans pour le moins, w Ces trente six personnes devaient être « nées et nation- » nces^, légitimes, catholiques et inscrites au greffe de leur )) chambre, en payant quatre escalins 2 ». L'évéque se réserva le droit de les désigner la première fois. Mais, à l'avenir, lors- qu'un composant venait à mourir ou à donner sa démission, ses compagnons le remplaçaient par une personne « de même qualité et profession )) que lui; seulement, l'élection du nou- veau membre devait être contirmée par le prince 3. Chaque chambre reçut la dénomination particulière d'un saint ou d'une sainte ayant à Liège une église qui lui était dédiée. Elle n'avait le droit de se réunir que dans les cas réglementaire- ment spécifiés ou avec l'autorisation préalable du Conseil privé ^. C'est à cette aristocratie fermée, de 576 bourgeois nommés par le prince, — représentant seule désormais le « corps de la * L'explication de celte expression est donnée par une ordonnance du 16 septembre 1689. (Recueil cité, 3^ sér.. vol. I, p. 149 ) - Était né et nalionné, celui qui était « dorigine et famille de père né dans le pays de Liège ». ^ Sur l'escalin ou huitième de patagon, voir De Chestret de Haneffe, Numismatique de la principauté de Liège, dans le tomeL desMÉM. cour. ET MÉ.M. DES SAVANTS ÉTRANG. publiés par rACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE, 1890, pp. 338 et suiv. 3 ("était là une surrogation. — Voir l'article 21 du règlement de 1684; l'ordonnance du 31 juillet 1687 {Conseil privé. Dépêches, reg. K. S7) et l'ordonnance du 112 novembre 1701 {Recueil des ordonnances, 3^ sér., vol. I, p.300). ^ Voir l'édit du 24 novembre 1691. (Recueil précité, p. 186.) ( 17o ) Cité )), à l'exclusion des bons mclicrs et de tous les anciens organismes municipaux, — que l'édit de lG8i accorda le droit électoral. Ici encore l'intervention directe du souverain dans chacune des opérations anéantit les traditions de la vie politique. Liège fut administrée par un conseil de deux bourgmestres et de vingt conseillers établis pour un an et nommés moitié par l'évéque, moitié par les chambres. Rompant avec un usage séculaire, l'élection magistrale, au lieu de se faire à la Saint- Jacques, fut fixée au dimanche après la Saint-Lambert. A six heures du matin, les seize chambres s'assemblaient de plein droit dans « les maisons de leurs gref- » fiers ou en quelque autre lieu commode »; chacune dési- gnait au sort trois membres; le premier compos;int sortant était électeur des bourgmestres^ le second membre du conseil de ville, le troisième sans charge ni emploi. Les seize électeurs présentaient alors, en dehors de leur sein, mais toujours parmi les chambres, à la pluralité des voix, trois candidats de « capacité et qualité », âgés de trente- cinq ans au moins. Leurs noms étaient mis dans trois boîtes et celles-ci placées dans un panier « dont l'ouverture ne sera pas » plus large que pour y passer la main». Après les avoir mêlées, le doyen des commissaires, avec la main droite gantée, en tirait une; et ainsi était élu le premier bourgmestre. Après quoi, l'évéque présentait à son tour trois candidats parmi les composants, et un tirage au sort décidait lequel des trois serait le second bourgmestre de l'année i. L'investiture de ces deux magistrats ne se faisait plus au nom de la commune, mais au nom du prince'^. Quant aux conseillers, dix étaient à la nomination du sou- » Articles 22 à 26 du règlement de 1684. 2 « Les bourguemaitres élus seront publiés au même temps à l'accoulu- » mée; et arrivés à la maison de ville, prêteront es mains de nosdits dépu- » lés le serment de fidélité pour eux et pour toute la bourgeoisie, à nous et » à l'Église, dans la forme leur prescrite, pour, ce fait, leur être données de » notre autorité, en présence de nosdits députés, les clefs magistrales, par » les bourguemaitres sortis d'état. » (Art. 27.) ( 176 ) verain et le sort désignait les dix autres sur une liste de seize candidats présentés par les chambres '>. Personne n'était rééligible aux fonctions de bourgmestre, d'électeur ou de conseiller, qu'après un intervalle de quatre années. Toutes ces charges étaient rétribuées; les hono- raires des maîtres s'élevaient à 1,000 écus, ceux des électeurs à 100 florins; en outre, l'exemption du payement des impôts leur était garantie pendant l'exercice. Enfin, comme si toutes ces dispositions ne suffisaient pas pour écarter de l'administration communale toute influence populaire, le règlement stipulait en termes exprès qu'en aucun cas les composants artisans n'auraient voix passive dans les élections'^. Pareille exclusion empêchait à jamais les repré- sentants de la classe ouvrière d'occuper un oftice dans la Cité et mettait la démocratie dans l'impossibilité de ressaisir son indépendance. C'était donc là « l'honnête liberté » que Guil- laume de Furstenbérg avait assurée à la bourgeoisie liégeoise 3. En fait, il lui avait enlevé, par un système aussi étrange que compliqué, toute participation eff'ective à une vie politique quelconque ^. * « Les seize pris hors de chaque des seize chambres, avec un nombre >) égal d'autres seize, que nous choisirons ensuite hors de ces mêmes » chambres, seront ballottés séparément, et réduits par le sort au nombre » de vingt, à savoir : dix des nommés par nous, et dix des autres, lesquels » devront aussi nous prêter le serment comme dessus et à l'Église. » (Art. 28.) - Avoir voix active, c'était avoir le droit d'élire, être électeur; avoir yoiic passive, c'était posséder la faculté d'être élu, être éligible. Voir l'article 20 et l'ordonnance interprétative de cet article, datée du 6 décembre 1684, Recueil des Ordonnances, 3« sér., vol. I, p. 11. « Les artisans étant exclus » de toutes voix passives, à la réserve de la charge de gouverneur de leur » art ou métier, ils ne peuvent et ne doivent être admis à tirer boîtes. » ^ Conseil privé, Protocoles, reg. 129, 30 septembre 1684. ^ L'inditférentisme politique fit de tels ravages et le régime nouveau éteignit si bien tout esprit public que personne ne se rendit plus aux chambres; une ordonnance du 23 octobre 1698 arrêta que les compo- sants qui, dûment convoqués, n'assisteraient pas aux réunions des cham- bres, seraient réputés consentir aux résolutions qu'on y prendrait en (177 ) Toutefois le despotisme de l'évêque de Strasbourg ne voulait être ni franc, ni brutal; il cherchait à laisser subsister l'appa- rence, à maintenir les formes extérieures, à laisser aux insti- tutions leurs désignations, à défaut de leurs caractères. Rien n'est plus frappant h cet égard que le mode suivant lequel le règlement de 1084 transforma les corporations liégeoises, les annihilant comme collèges politiques, les con- servant comme communautés marchandes. Les trente-deux bons métiers furent enrôlés deux par deux dans les seize chambres, et chacun reçut un gouverneur chs^r^é de veillera la « bonne et légale fabrique de toutes choses )), à l'observation des statuts, aux intérêts du commerce. Ce gou- verneur, dont les fonctions étaient bisannuelles, fut élu parmi les six composants artisans de la chambre; pour l'aider dans ses fonctions et le surveiller au besoin, on lui adjoignit un surintendant choisi dans le siège des commissaires. Les métiers continuèrent à jouir de leurs privilèges industriels, à observer les coutumes relatives « aux droits d'inscriptions, acquêtes et reliefs )), mais leur administration passa au conseil de la Cité. Les salles où, durant des siècles, ils s'étaient assemblés, furent vendues à l'enchère 'i, leurs biens et revenus confisqués et incorporés aux fonds de la ville 2. On interdit leurs fêtes anniversaires, toutes cérémonies commémoratives 3, et même les processions — sauf celles de la Fête-Dieu et de la Translation de Saint-Lambert. Ainsi disparut la vie corporative qui jusqu'alors avait con- servé à la capitale liégeoise l'aspect d'une commune du moyen âge. A côté des innovations qui viennent d'être esquissées et qui suffiraient à caractériser le nouveau régime politique de la leur absence au sujet des moyens publics. [Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 3® sér., vol. I, p. 259.) ' Article 66. 2 Article 67. 3 Ainsi le métier des febves ne pourra plus «. faire son roi » (art. 15);' Tome LIX. 12 { 178) ville de Liège, il y en a d'autres qu'on ne saurait passer sous silence. Le règlement de 4684 ne fut pas seulement, en effet, une réforme électorale qui priva la majorité des citains de leurs droits politiques; il apporta de notables changements à l'administration des services publics de la Cité, diminua les pouvoirs du conseil communal dont il fit un simple « collège d'administration )>, modifia l'organisation des finances, de la justice, de la milice municipales. De ses attributions administratives, autrefois si étendues, le conseil de la Cité ne conserva que la connaissance des menues aff'aires locales i. Lorsque se présentait une question de moyenne importance, les bourgmestres prenaient Favis des commissaires et des seize électeurs. Quant aux décisions les plus graves, telles que le vote des impôts, des emprunts, des budgets, il fallait l'assentim.ent de l'assemblée générale des 576 composants. Toutes les résolutions du reste, pour être mises à exécution, devaient recevoir l'approbation du souve- rain. Tandis que diminuait la compétence du magistrat, r autorité ])rincipale sans cesse se fortifiait. Les maîtres à temps qui, jusqu'en 1684, avaient seuls la direction de la police, durent la partager avec l'évéque et le chapitre cathédral 2. Leurs fonctions se bornèrent à l'admi- nistration des revenus municipaux et ù l'entretien des édifices publics. 1 Article 29. 2 « Le droit d'édicter étant des régaux nous appartenants et à l'Église, » exclusivement à tous, il ne sera permis à qui que ce soit, de l'enlre- » prendre, à peine d'être traités comme usurpateurs. Nous accordons » néanmoins que dans les édits et mandements publics qui se feront de » notre part, où il s'agira de la police de la ville, les bourguemaitres « puissent y être présents à la publication d'iceux, sans aucune autre )) intervention; leur défendant sérieusement, et à peine d'être recherchés j) en leur propre et privé nom, de faire imprimer chose que ce soit, » sinon les billets requis pour les rendages à faire des impôts de la ville, » à quoi ils devront employer notre imprimeur juré van Milst, et pas » d'autre, sous peine de faux (art. 53). » ( 179 ) Quant aux attributions judiciaires du magistrat municipal, le règlement de 1684, en supprimant le Tribunal des maîtres et jiiréSy abolit la juridiction civile et répressive que le conseil exerçait naguère avec le siège des échevins '. L'intervention de la Franchise '^ ne fut plus requise que dans quelques cas exceptionnels; fait capital, si l'on se rappelle que jusqu'alors nulle poursuite ne pouvait être dirigée contre un bourgeois sans le consentement de ce tribunal communal. L'action criminelle était à la discrétion du grand mayeur 3. Le siège des vingt-deux commissaires, dont nous avons signalé, en passant, le rule de surveillance dans le système électoral de lC8i et dans la nouvelle organisation corpora- tive, fut déchu de ses plus importantes attributions. Gardien officiel des privilèges communaux, il avait justement été con- sidéré comme « la prunelle de l'œil du peuple ». Désormais, il ne fut plus chargé que de procéder aux enquêtes sommaires. Le prince se réserva la nomination de la moitié des membres du siège, tandis que les mambours et tenants des paroisses élirent les onze membres restants ^. De cet organisme naguère si vivant, le nom seul subsista. Pour dessiner les traits saillants du régime municipal de 1684, il reste à marquer les transformations que subirent les 1 Article 64. 2 Elle fut composée des deux bourgmestres et de six conseillers. 5 « Notre grand mayeur pourra agir criminellement par calenge, con- « Ire les bourgeois, par devant noire haute justice, sans intervention » de la Franchise, et le décret d'appréhension, ou tel autre qui se portera » par notre haute justice, sera exécuté sans aucun empêchement, appel- » lalion ni recours, sous quel prétexte que ce puisse être (art. 50). » « Pourront aussi nos olïiciers, après le décret déclaratoire de la suffi- » sance des décharges, poursuivre ouvertement les criminels sur d'autres « circonstances et preuves venues à leur connoissance, sans aucune » intervention de la Franchise, laquelle ne doit avoir lieu, que dans les :» enquêtes générales et secrètes (art. 51). w * Articles'33 à 40. ( 180 ) principaux services publics et la manière dont l'action prin- cière agrandit ici encore son influence. La milice perdit son caractère d'institution communale. Maximilien-Henri créa un régiment permanent, national, à la solde des États. Il maintint toutefois douze gardes bourgeoises, — chacune composée de trois cents factionnaires, — dont les officiers étaient cfioisis par lui. Quant aux anciennes com- pagnies militaires des Dix-Hommes, des vieux et des jeunes arquebusiers, des vieux et des jeunes arbalétriers, elles furent supprimées et leurs « biens, maisons et jardins » réunis aux revenus de la Cité. Le prince déclara que, cfiaque soir, les clefs de la ville lui seraient remises et décréta la reconstruc- tion de la citadelle de Sainte-Walburge i. Au point de vue financier, — sous prétexte de corriger les abus qui s'étaient glissés dans l'administration, — le nouveau règlement priva la bourgeoisie du contrôle qu'elle exerçait sur la gestion des deniers publics. De temps immémorial, les citains n'étaient tenus qu'au payement des impots par eux librement consentis; l'évêque n'avait, en aucune façon, à intervenir dans le rôle et le recou- vrement des taxes communales. L'édit modifia cet état de choses; il constitua le souverain seul juge des moyens extraordinaires à établir et donna aux chambres le droit de frapper les impositions communales ordinaires 2. En réalité, cette faculté était illusoire, car, les recès des chambres, pour recevoir leur exécution, durent être munies d'un octi^oi ou licence délivré par le prince. La con- naissance et l'exécution des moyens publics continuèrent d'appartenir au magistrat « comme chose tenant de la police », sauf « l'appel au conseil privé de l'évêque ^ ». < Articles 41 à 46. 2 Article 60. 3 Ordonnance du 12 mars 1686, article 6. (Recueil des ordonnances, 3^ sér., vol. I, p. 50.) — Conseil privé, Liasse, 31 juillet 1687. ( 181 ) La reddition annuelle des comptes du rentier n'eut plus lieu, comme d'ancienneté, sur la place de la maison de ville, en présence des métiers, mais au palais épiscopal, devant les agents du prince •. Une copie authentique de ces comptes resta déposée dans les archives du Conseil privé. En même temps, Tédit arracha au peuple liégeois Tune de ses essentielles prérogatives, à savoir celle de consentir l'impôt qui frappait le pays entier, et de n'être lié par les résolutions des États qu'après y avoir donné son consentement. Liège perdait ainsi son autonomie financière; elle ne pou- vait plus s'opposer aux décisions du tiers état '^. Toutefois, dans les assemblées de cet ordre, ses bourgmestres conti- nuaient à avoir deux voix, au lieu d'une comme les autres députés des bonnes villes 3. Le régime communal avait subi une transformation com- plète. Le règne de la démocratie liégeoise était expiré. La Cité, dont la vie politique avait brillé d'une si éclatante vigueur, tombait en état de sujétion. Ses institutions étaient faussées, ses privilèges confisqués, son indépendance anéantie. L'auto- rité princière remplaçait la souveraineté populaire. Mais iMaximilien, par son coup d'Etat, ne sapait pas seule- ment les assises fondamentales du gouvernement municipal; il avait déposé, aux sources des libertés publiques, un germe de corruption qui attaquait même les institutions générales de la principauté. Le règlement de 1684 portait atteinte à la liberté indivi- duelle des citoyens, restreignait leurs prérogatives en matière de poursuites criminelles. D'autres conséquences méritent d'être signalées. 1 Article 7o. '2 « Et en tout cas, ne pourra la cité, sous quel prétexte que ce » puisse être, arrêter dans les Journées les résolutions prises par la » pluralité du tiers état, mais devra s'y conformer indispensablement » (art. 62). » 3 Article 61. — Édit du 29 avril 1687. (Reciieil des Ordonnances, 3^ sér., vol. l, p. 105.) ( 182 ) Les innovations apportées à la constitution liégeoise furent étendues à la plupart des bonnes villes du pays. Visé, Tongres, Hasselt, Huy, Thuin, Dinant, etc., reçurent tour à tour des règlements reposant sur les mêmes principes : transférer le pouvoir électif du peuple au chef de l'État, accorder les droits politiques au prince et à une aristocratie éniondée par lui. Pareil système créait un état tiers servile, composé de mem- bres à la dévotion du souverain, avides d'assurer à eux et à leurs proches les faveurs de la Cour. Le contre-poids que la paix de Fexhe avait soigneusement opposé au pouvoir exécutif était anéanti. De plus, quelle confiance pouvait-on encore accorder au tribunal des XXII, émanation directe du tiers état, à cette sauve-garde de la liberté? Quelles garanties allait-il désormais offrir aux citoyens con- tre les abus de pouvoir des officiers du Prince? Tantôt d'une manière directe, tantôt d'une façon habile et détournée, le régime nouveau avait profondément modifié ou faussé la constitution. 11 était despotique et portait atteinte aux traditions communales. Si, pendant cent années, les Liégeois le subirent en silence et sans révolte, la cause en est, sans aucun doute, dans l'indifférence et l'apathie d'un peuple abattu et ruiné par les guerres. Il faut d'ailleurs ajouter que les évêques du XVIII^ siècle n'abusèrent pas de l'autorité que la législation de Maximilien leur attribuait et surent, par une application bienveillante, en adoucir la rigueur. IV. La soumission de Liège et la transformation de son régime politique étaient pour une grande part l'œuvre personnelle de Guillaume de Furstenberg. « Ce ministre sans porte-feuille » de Louis XIV avait contribué à introduire dans la principauté les principes gouvernementaux chers à son puissant protecteur. ( 183 ) Maximilien-Henri, rendu par l'âge et les infirmit(^s plus sombre et plus taciturne que jamais, avait liâte de n'prendre l'existence monacale qu'il menait dans son électorat de Cologne. Il partit de Liège le 1:2 décembre, quelques jours après la publication de la réforme communale. Après treize ans d'ab- sence, le souverain venait de passer deux mois à peine au milieu de son peuple, et ce séjour, — le plus long que durant son règne il ait fait dans la Cité, — devait être le dernier. Le prince Guillaume demeura à Liège pour y organiser l'ad- ministration et veiller h la fidèle observance des mesures édic- tées. Sans retard, ni ménagement, il procéda à l'application du nouveau système électoral. Profonde fut la tristesse du peuple; mais ses souffrances lui avaient rendu le calme et le repos plus enviables que la liberté. Au milieu de l'agonie et de l'affaissement des esprits, une seule voix s'éleva pour dénoncer la tyrannie et l'oppression : d'Ulrecht, où il s'était réfugié après avoir vainement cherché asile dans les Pays-Bas catholiques i, Giloton, l'ancien bourg- mestre, lança une solennelle et patriotique protestation contre l'ordonnance de Maximilien -. Mais ses accents, qu'inspirait le plus ardent amour de l'indépendance, ne trouvèrent aucun écho dans le peuple subitement privé de force et d'énergie. D'ailleurs les Liégeois, l'eussent-ils même souhaité, ne pou- vaient songer à la résistance. Leurs principaux tribuns avaient péri ou. étaient exclus, comme criminels d'État, de l'amnistie que l'évêque venait d'accorder 3. Un régime de suspicion et de terreur fut établi : le moindre propos « injurieux, séditieux ou plein de mépris » conduisait à l'exil ou à la prison. La cita- delle reconstruite imposait la soumission; et, au milieu du * Conseil privé. Protocoles, reg. 129, G septembre 1684. — S. E. A., reg. 543. Le Conseil privé de Liège à Grana, 9 septembre 1684. '^ Giloton fut exécuté en effigie. On trouvera le texte de sa protestation dans HÉNAUx, Histoire du pays de Liège, t. II, pp. 508 et 509. —Voir sur ce sujet l'ordonnance électorale du 31 août 1685. (S. E. A., reg 170 ) ' Mandement du 23 novembre 1684. {Recueil des Ordonnances, 2e sér., 3« vol., p. 421.) ( 184 ) pont des Arches, pour empêcher la communication entre les deux rives, pour isoler le quartier d'Outre-Meuse, foyer des émeutes populaires, le fort des Dardanelles pointait ses canons menaçants. Le moment était venu pour Furstenberg de recueillir la récompense de ses services et de sa féconde activité. Tous les prétextes lui parurent bons pour s'enrichir aux dépens des Liégeois; il fit pleuvoir impôt sur impôt, exigea d'excessives indemnités de guerre, des contributions de tous genres^. Il s'aliénait de gaieté de cœur le peu de sympathie que pouvait avoir encore pour lui le peuple dont il espérait diriger un jour les destinées '^! Ses amis déploraient hautement sa conduite. L'évêque de Strasbourg continuait à entretenir publiquement des relations avec la comtesse Emmanuel, sa nièce 3 par alliance, et personne n'ignorait que c'était pour celte maîtresse, femme insatiable, « qui prenait de toutes mains », que notre amoureux prélat montrait l'odieux esprit de fiscalité, cause de son impopularité ^. * Par décret du 16 novembre 1684, Maximilien assigna à son ministre une rente de 10,000 écus. — Pour les détails des impôts, yoivÉtat Tiers, Journées, reg. n® 85, 12 décembre 1684. — État primaire, Journées, reg. 73, 10 et 11 octobre 1684. — Concl. capit., reg. 165, 16 et 22 décem- bre 1684, 9, 15, 17, 22 janvier, 5 février 1685. — Ibidem, reg. 166, 18 sep- tembre et 11 décembre 1685. — A. E., Fonds de Liège, t. XIV. Corr. de la Raudière, 20 septembre 1685 et 17 janvier 1686. — S. E. A., reg. 170. Corr. de Condé, 3 janvier, 13 et 17 février, 12 mai, 12 septembre, 3 octobre, 14 novembre, 14 décembre 1685. 2 La conduite de Furstenberg causa dans la principauté un vif mécon- tentement et les protestations éclatèrent de toutes parts. (Voir notamment, S. E. A., Condé à Voeller, 3 février, 3, 4, 31 mars, 19 et 29 septembre, 21 novembre 1685.) 5 Catherine-Charlotte, comtesse de Wallenrode, veuve du comte de la Marck, avait épousé secrètement le comte Emmanuel de Furstenberg. Celui-ci ayant été tué, en 1686, devant Belgrade, l'attachement de l'évêque de Strasbourg pour la comtesse dura jusqu'à la mort de ce prélat. -i S. E. A., reg. 170. Condé à Voeller, 16 mai 1685. — Mémoire confi- dentiel de l'abbé de Gravel à M. de Croissy, cité dans l'article de Ch. Gérin, Le pape Innocent XI et l'élection de Cologne, en 1688. (Revue DES QUESTIONS HISTORIQUES, 1883, t. XXXIII, p. 98.) ( 183) Maximilien-Henri approchait rapidement de sa fin; la mort pouvait le surprendre d'un moment à l'autre et sa succession ecclésiastique n'était pas réglée. Louis XIV avait un aussi grand intérêt (jue Guillaume-Egon à enjpécher que les diverses prin- cipautés du siège de Cologne ne passassent dans des mains ennemies. Les circonstances augmentaient encore l'impor- tance de la question. A l'instigation du prince d'Orange, une nouvelle coalition venait de s'organiser sous le nom de ligue d'Augsbourg. L'Electeur avait refusé de s'allier aux autres membres de l'Empire; mais si le présent était garanti, il n'en était pas de même de l'avenir. Le maître et le valet tombèrent d'accord pour tenter l'impossible aux fins d'imposer à AJaximi- lien, comme coadjuteur 6'?. Maximilien, que hantait le spectre de sa mort, se refusa tout d'abord à entendre quoi que ce soit concernant sa succession. Mais, lorsque les Français se furent engagés à le gratifier d'une somme de quatre cent mille livres "^ dont il était débiteur envers eux, il céda et consentit à s'adjoindre un coadjuteur « afin que l'archevêché, dans les orages qui pouvaient éclater, fût préservé du danger ». La question de principe était résolue; restait à obtenir l'assentiment du chapitre métropolitain. La ligue d'Augsbourg opposait à la candidature du confident intime de l'Electeur celle du jeune prince Joseph-Clément de Bavière 2. Dans cette élection simoniaque, les louis de France battirent les florins (7 janvier 1688) 3 ; le cardinal fut élu par dix-sept voix sur vingt-quatre. Le pape, qui cherchait des occasions de prendre sa revanche sur Louis XIV (il suffit de rappeler les affaires de la régale, des franchises et l'entrée à Rome du marquis de Lavardin), ne ratifia pas le choix capitulaire. Quant à la coadjutorerie liégeoise, il ne fallait pas y songer pour le moment : le ressentiment que la population nourrissait à l'égard de Guillaume-Egon avait gagné le Chapitre. Travaillés par le commissaire impérial, comte de Kaunitz, les tréfonciers de Saint-Lambert opposèrent à toutes les sollicitations la plus énergique résistance 4. * Louis XIV à l'électeur de Cologne, 20 et 28 novembre 1687. {OEuvres de Louis XIV, publiées par Grouvelle, t. VI, p. 4.) — Ennen, loc. cit., Bd I, S. 471. — Furslenberg ne devait se dessaisir de la quittance que si l'élection lui était favorable. - Ennen, Der spanische Erbfolgekrieg und der ChurfurstJosepfi-Cleniens von Côbi, léna, 1851, SS. 20 u. s. w. s C. lloussET, Histoire de Louvois, t. IV, p. 65. ^ LoNCHAY, La principauté de Liège au X VW et au XVIII^ siècle, p. 124. C 187 ) Sur ces entrefaites, Maximilien-Henri mourut le 3 juin IGiSS^. Cet événement devait avoir de graves consé(|uences. Louis XIV déclara qu'il faisait de la nomination de son proté'gé une conilition sine qua non du maintien de la paix générale. Nous ne raconterons pas les épisodes si connus de l'élection du nouvel archevêque -; comment le cabinet de Versailles ne négligea aucun sacrifice d'argent, aucune démarclie, aucune promesse, pour acheter les suffrages et les consciences des capitulaires colonais; comment, malgré sa forte brigue, Furstenberg n'obtint que treize voix sur vingt-quatre, tandis que son compétiteur, le prmce Joseph-Clément, en réunit neuf 3; comment le pape Innocent XI, maître de la situation aux termes des concordats germaniques, ne se laissant ('branler ni par les menaces du roi de France ni par les sollicitations de Jacques II d'Angleterre, donna sa préférence à l'élu de la minorité; comment enfin Louis XIV, heureux de l'occasion qui s'offrait, prit l'attitude du Saint-Siège et l'atfront qu'il venait 1 Son testament figure dans les documents publiés par Ennen à la suite du travail Dcr spaimche Erbfolgekrieg précité, pièce 13, pnge 3. — Quel- que temps avant la mort de l'Électeur, son confesseur, le P. Nicol. EIlTen, lui fit modifier ses dernières dispositions : Guillaume de Furstenberg, qui avait été insdtué légataire universel,, fut remplacé par Maximilien- Emmanuel de Bavière et ne reçut que 20.000 écus. - Voiries travaux cités de Munch, Ennen, Rousset. Gérin, Priitz, etc. — Voir en outre Mazitie, Histoire de la révolution de I68S en Angleterre, t. II, pp 11 et 476. — 0. I\LOPP, Der Fall des Hanses Stunrt, Bd IV, passim. — Urkunden und Actenstïicke zur Gesckiclite des Kurfursten Friedrich-Wilhelm von Brandenburg, Bd XIV, SS. 1392, 1397, 1402, 1404. — Consultatio super œntroverso Arcliiepiscopntu et Elecloratu Coloniensi. Authore Zachariâ de Bonâ C.\sa Veronensi, Coloniae, 16'J0, in-4o. 3 Un obstacle à l'élection du cardinal consistait en ce que, étant déjà en possession d'un évêché, il ne pouvait qu'être postulé, et ce encore à la condition de réunir les deux tiers, soit seize suffrages au moins A Clé- ment de Bavière, pour être élu, il ne fallait que la majorité des voix, soit treize sur vingt-quatre. Comme ni la postulation de l'un ni l élection de l'autre ne furent canoniques, la décision souveraine revenait au pape. ( 188 ) de subir comme prétextes pour déclarer la guerre à l'Europe coalisée. A Liège, à la mort de Maximilien, le Chapitre, de son autorité privée, prit en main le gouvernement temporel de la principauté et s'attribua la plupart des droits régaliens, jusqu'à la désignation du nouveau souverain i. Furstenberg essuya un échec complet. Jean-Louis d'Elderen, grand doyen de l'église cathédrale, fut élu capitulairement le 17 août 1688 "^. Depuis plus d'un siècle, les Liégeois n'avaient plus eu d'évéque national. En se prononçant pour un gentilhomme du pays, le Chapitre répondait aux vœux de la population, fatiguée de la ruineuse domination étrangère. Guillaume de Furstenberg, déçu dans ses ambitions 3, se retira à Bonn, qu'occupait une garnison française. Mais bientôt, ne s'y croyant plus en sûreté, abandonné par Louvois qui trouvait la résistance « épineuse et pleine d'incommodités », il pria Louis XIV de lui accorder asile et protection 4-, Dès lors sa carrière politique est terminée et son existence paisible forme un contraste curieux avec la vie débordante d'activité qu'il avait menée jusqu'alors. Le grand Roi, pour le 1 Daris, ouvr. cité. t. II, pp. il et 219. — Cond. capit., reg. Sede Vacante, no 268. - Louvois avait proposé d'abandonner le cardinal, auquel il reprochait « de ménager la chèvre et les choux ». (C. Rousset, Histoire de Louvois, t. IV, p. 89.) — On fit circuler à Liège le portrait suivant de Guillaume- gon : (( Cardinal sans chapeau, archevêque sans manteau, » Électeur sans titre, évêque sans mitre, )) Abbé sans crosse, prévôt sans temple. » Doyen sans chanoine, chanoine sans chœur, » Prêtre sans bréviaire, catholique sans rosaire, » Seigneur sans domaine, soldat sansépée! » "' A Munster et à Hildesheim, ses efforts furent surtout déjoués par l'électeur de Brandebourg. (Erdmannsdôrffer, Deutsche Geschichte, Bd I, ■S. 722.) * Ennen, Frankreich und der Niederrhein, Bd I, SS. SOO u. s. w. ( 189 ) récompenser du constant dévouement avec lequel il avait servi ses intérêts, lui donna la riche abbaye de Saint-Germain-des- Prés 1 et le titre de commandeur du Saint-Esprit (2 février 1694). Réintégré par la paix de Ryswick dans ses droits de prince d'Empire-, comblé de pensions et de bénéfices, et néanmoins se débattant toujours contre les poursuites de ses créanciers 3, notre cardinal se désintéressa des événements politiques. Si, à la mort de l'évéque de Liège, Louis d'Elderen, il pose encore une fois sa candidature, c'est par habitude et sans espoir de succès ^. Appelé à Rome pour le conclave de l'élection d'Alexandre VIII, « il fit si peu de figure qu'il s'en retourna » précipitamment sous l'artificieux prétexte que l'Empereur lui » voulait tendre un guet-apens s. » Il passa ses dernières années tantôt retiré en Touraine, à la Bourdaisière, dans une * Cette abbaye à collation royale était atïermée à 78,000 livres. (Voir Emmanuel DE Broglie, Mabillon et la Société de Tabbaye de Saint-Gennain- des-Prés à la fin du XVll^ siècle (1664-1707.). Plon, 1888, t. II, pp. 203 et suiv. - Article 44. — Voir le texte de la paix dans H. Vast, ouvr. cité, pp. 228 el suiv. ^ B. >\, Papiers du cardinal de Bouillon, )ïs., Fonds Clairembault, n" 913. Nouvelles acquisitions françaises, n^ ù089. ^ « Ses dernières années furent étrangement tristes : plus de table, » presque plus de maison ni de domestiques, et ce peu, pas même de quoi » le payer, quoique, outre ses bénéfices, il tirât gros du Roi de temps en » temps » — Outre quarante mille écus de pensions annuelles, deux mille livres de confiscations en Alsace et l'indemnité de commandeur de l'Ordre, le clergé de France lui servait une pension de six mille livres par an. Les contemporains estiment que le produit de ses bénéfices s'élevait à plus de 500,000 livres. Il est vrai qu'il avait cédé Saint-Evroult et Gorze, puis Saint-Géréon, Barbeaux el Saint- Vincent de Laon à ses neveux, « qui vivaient à ses crochets »; mais le 4 juillet 1696 il devint chanoine honoraire de Saint-Martin de Tours. {Le cardinal de Fiirstenberg d'après la relation de la cour de Rome au temps du conclave de 1700, Saint-Simon, Mémoires, Collection des grands écrivains de la France, t. VII, api)endice 7, p. 479. j ■• Saint-Simon, Mémoires, Collection des grands écrivains de la France, t. XII. p. 32. ( 190 ) terro de sa nièce, la comtesse Emmanuel, qui l'aidait à dissiper ses revenus, tantôt dans son palais abbatial de Saint-Germain- des-Prés, dont il restaura les grands bâtiments et embellit les jardins. Il s'éteignit le 10 avril 1704, en sa soixante-quinzième année 'i. c( L'Église et le siècle perdirent en ce même temps les deux » prélats qui fussent alors chacun à l'une et à l'autre avec le » plus (ré<-lat: le fameux Bossuet, évoque de Meaux, pour l'un, » et le célèbre cardinal de Furstenberg, pour l'autre. Tous deux » sont trop connus pour que j'aie à rien dire de ces deux )) hommes si grandement et si diversement illustres, le premier » toujours à regretter, et qui le fut universellement, et dont » les grands travaux faisoient encore honte, dans celte vieil- » lesse si avancée, à l'âge moyen et robuste des évéques, des » docteurs, et des savants les plus instruits et les plus labo- » rieux; Tautre, après avoir si longtemps agité et intéressé » toute l'Europe, étoit devenu depuis longtemps un poids » inutile à la terre "^ ! » * Guillaume-Egon fut enterré dans l'église de Saint-Germain-des Prés, non sous le chœur, mais dans Ja chapelle de Sainte-Marguerite, où repo- saient déjà SCS neveux, le landgrave Ferdinand-Egon et le comte Fr. de. la Marck, sous un superbe mausolée, œuvre de Coysevox. L'oraison funèbre fut prononcée l'année suivante, par l'abbé Pierre-Robert Le Pré- vost, prédicateur du roi. (B. N., Recueil des oraisons funèbres prononcées par M. Le Prévost. Paris, 1703, in-4«.) 2 Saint-Simon, Mémoires, Collection citée, t. XII, p. 52. PIÈCE JUSTIFICATIVE. Lettre des Doyen et Chapistre de l'Esylise Cathédrale de Liège escritte de Son Altesse Sérénissinie leur Lvesijue et Prince K [Secrélairerie d'État espagnole, reg. 417, f"^ 207 et suiv.) Prince Sérénissime, La douleur très sensible qui a poussé au dehors les scnlimens de nos cœurs est devenue extrême, depuis que nous avons appry qu'ils ont eu le malheur de n'avoir point esté agréables à vostre Altesse Sérénissime. Car si la proposition que nous avons avancée par nos deinicrcs, se Ireuve d'abord rebutlée, comme si elle eut esté faite avant le icmps, il ne peut presques plus nous rester aucun espoir de salut, puisque tout autre moyen que l'on voudroit pratiquer arrivera tousiours troj) lard ; les maux qui nous accablent de tous costez, sans que iiersonno en arrcsle le cours, et les derniers malheurs qui nous menacent de Iroj) près, requérans absolument un remède prompt et présent, qui ne doit eslre en aucune façon diiïéré à vouloir balancer troj) scrupuleusement les circonstances d'aucune seureté. Il est hors de doute, que pour un diacun, la démolition de la Citadelle sera de toutes les asseurances la plus grande, la plus facile, et la plus convenable; puisque selon plussieursraports successives de nos Députez, les Puissances confédérées ont souvent lesmoigné delà souhaiter, comme une chose nécessaire pour la tranquillité générale, et «pi'on ne jieut croire que le iloy Très Chrestien qui en a dcsia lait espérer l'évacuation, et dont les sentimens pancheront volontiers en fa\eur de vostre Altesse, y appor- tera aucune difficulté. Car, si Sa Majesté ne doit plus tirer aucun avantage particulier de la Citadelle lorsqu'elle seravuidée de sestrouppes, et qu'elle jouira comme avant la g :erre de sa première neutralité, nous avons grand suiet d'estre persuadez qu'elle ne formera aucun obstacle à la voir démolir. Et si elle prétend encor de s'en prévaloir, la conviction est manifeste que * Pour response à la lettre escrite pnr Sadile Allesse aux susdits Sei.aneurs, en datte du 2G septembre 1673 el Iraduiile de liilhi en lr.mcois. ( 192 ) les asseurances no seront point égales pour les Princes intéressez; quoy qu'il soit impossible d'arrester aucun traité fixe et avantageux pour la restitution d'une neutralité véritable, autrement que par le juste équilibre de cette seureté respective. Et certes, lorsque pour nous acquitter des obligations de nostre Estât, nous avons tasché de pénétrer à fonds la solidité de ces raisons, bien loin d'avoir eu la pensée que nôtre proposition sembleroit à vostre Altesse Sérénissime ou surprenante ou à contretemps, nous avons espéré qu'elle luy seroit des plus agréables, et mesme qu'elle emporteroit infailliblement l'approbation du Roy Très Chrestien, comme contenante en effect toutes les asseurances qu'il pourroit demander; et que l'exécution n'en devroit estre en aucune façon arrestée par la considération de la dépense employée à l'érection de lad. Citadelle, puisqu'il n'y a point de remède n'y trop violent, n'y trop précieux pour qui s'efforce de s'échapper à la mort. Que si toutefois la raison de dépense doit icy estre d'aucun poids, elle servira asseurément à persuader la démolition que l'on souhailte. Car après tout, la Citadelle ne rapportera jamais les sommes qu'elle a coustées, n'y les intérests qui en procèdent. Et au contraire sa démolition ne fera point seulement cesser la nécessité de la continuation des deniers qui y ont esté employez par le passé, mais encor elle nous dispensera de les devoir grossir pour la subsistence d'une garnison plus nombreuse, et proportionnée aux grands ouvrages que l'on y a cumulez par les nouvelles fortifications : ne soit, que demeurant debout dans toute son estendue, comme un obiet propre à irriter la jalousie des Puissances voisines, tout aussy bien qu'à brider le peuple, elle demeure exposée à de périls conti- nuels, ainsi qu'elle le sera très asseurément, puisque tout le pays est si entièrement ruiné, et ses finances tellement épuissées, que les Estats n'ont seulement pas les moyens de fournir des gages retranchez à une poignée de pauvres soldats qui composent les garnisons de Bouillon et de Stockeim, et que par là on donnera aux Gouverneurs le mesme suiet de plaintes, que celuy qui a servy de prétexte au Baron de Vierset pour l'exé- cution de sa perfidie. Que si peut estre la Citadelle a esté autrefois érigée par le conseil mesme de quelque-uns de nos Prédécesseurs (ce que nous ignorons iusques là que de n'en trouver aucun mémoire), les affaires estant main- tenant changées de face, et le salut du public dépendant auiourd'huy de résolutions tout contraires, nous nous sentons obligez de donner aussi des conseils tout opposez, sans que nous craignions de nous bazarder en cela à aucuns reproches n'y de légèreté, n'y d'inconstance, puisque nous ne croyons y estre poussez que par les mouvemens d'une prudence bien balancée, et d'un juste zèle que nous devons au soulagement et à la conservation du pauvre peuple. ( 193 ) 11 est aussi à présumer, que nos vœux prcsens sont très conformes aux intentions de Sa Alaiesté Impériale, puiscjue l'approbation qu'Elle a donnée autrefois à l'érection de cette forteresse a esté si prévoyante, et se trouve tellement limitée, qu'asseurement Elle n'a jamais butté qu'à nostre bien particulier, et à ceiuy de l'Empire, et non pas aux calamitez qui à son occasion nous accablent, n'y à la ruine entière qui menace de si près tout ce grand corps. De plus, les Princes confédérez estant infailliblemcnl informez de ses désirs sur un point si important, ils rendent en quehiue façon très cer- taine la présumption que nous en avons, et dissipent en mesrne temps les ombrages que l'on pourroit concevoir du contraire. Puis donc que nous ne proposons icy qu'un bien commun qui ne peut être négligé n'y par l'Empereur, n'y par ses Alliez, bien loin de former des obstacles à l'avancement d'aucuns traittez, nous nous estudions à en faciliter l'accélération, dez que nous faisons nos efforts pour disposer vostre Altesse Sérénissime à embrasser sans plus de remise le remède le plus prompt, et le plus nécessaire aux maux que nous voyons, et que nous sentons, et à ne point prester l'oreille à des rapports éloignez et à des informations plâtrées, par lesquelles on pourroit peut-être ou l'occu- per, ou l'avoir desia prévenue. Il ne reste plus que la mémoire des désordres passez, et que l'on rafraischit, pour establir avec plus d'apparence de raison la nécessité de cette Citadelle. C'est icy, Prince Sérénissime, que pour nous acquitter pleinement des obligations de nostre devoir, nous supplions très humblement vostre Altesse, qu'elle nous accorde la liberté de ne luy rien dissimuler de nos sentimens les plus intimes, et de luy découvrir avecque confiance les racines abominables de ces dereglemens, afin d'en amortir les produc- tions ultérieures, en y applicquant sérieusement la coignée, et de rendre par ce moyen à nostre républicque abatue une disposition plus belle, plus solide, et plus tranquille, qu'on ne la pourroit jamais espérer du faste de boulevars, n'y de la constrainte odieuse des Citadelles. Il n'y a icy personne qui ignore les abus pernicieux qui, comme un espèce rie galle, se glissent et se communicquent malheureusement parmy les Tribunaux et la pluspart des fonctions publiques. C'est trop, c'est trop visiblement que les vices régnent et triomphent partout sous les apparances de la vertu, et mesme avec tant de succès, qu'il n'y a presque point de crime si énorme, qui ne soit d'abord appuyé de quelque prétexte spécieux, n'y de prétexte, qui ne trouve bientôt un Patron. Voilà, Prince Sérénissime, les semences trop fécondes des discordes civiles, aussy bien que les appels funestes et les tons animans des Tome LIX. 13 ( 194 ) séditions les plus fatales, que la seule viiifilance des bons Chefs, et la prompte administration d'une justice incorruptible réprimeront, et suftbc- queront tousiours plus heureusement, que le feront jamais les forte- resses, les gens de guerre, n'y tous les appareils militaires. Il arrive mesme quelquefois, que par la confiance que l'on prend en une Citadelle, on se relasche aisément des soins assidus de la discipline, et de la bonne conduitte, et qu'alors la fortreesse veillant pour ainsi dire seule, et comme une senti nelle morte, elle fomente les vices, dispose in- sensiblement les esprits à la division, et n'opère plus rien de salutaire, sinon qu'elle empesche au moins que la tempeste ne crève, et que les factions n'éclatent tout à fait. Et comme il n'y a rien en cela qu'un eft'ect très ordinaire, que l'on peut se promettre bien plus commodément d'une milice bien disciplinée et entretenue dans la ville mesme, sans irriter la jalousie de qui que ce soit, nous osons nous flatter que vostre Altesse Sérénissime se rendra favorable à nos instantes prières; et avec autant plus de raison, que l'Empereur ajiprouve ce qu'il demande par ses Alliez ; que le Roy Très Chrestien y panche de luy mesme; que nostre affliction en sollicite vostre bonté; que nos soucis l'en pressent; que la charité le veut; qu'enfin tout le corps de nostre République, couvert d'une cruelle contusion, tout meurtry, et déchiré par lambeaux, implore la compassion paternelle de vostre Altesse; et que nous avons incessament devant les yeux l'image effroyable de la désolation horrible arrivée du temps de Louis XI et de Charles Hardy, dans laquelle nous considérons desià le pauvres peuple comme un monceau de cendres et de poussière, puisqu'il va devenir comme la pasture d'un feu dévorant. Et erit popuius quasi esca ignis. Isaiae, cap. 9, V. 19. Pardon, Prince Sérénissime, si cette lettre excède en quelque façon que ce soit, puisque les calamitez qu'EUe annonce, sont des maux sans mesure. Ce n'est icy en effect qu'une expression languissante de nôtre douleur extrême et d'une affliction inconcevable, et non pas aucun défaut de la vénération n'y des respects, qui nous feront demeurer inviolablement dans l'une et dans l'autre fortune, Prince Sérénissime Monseigneur, De Vostre Altesse Sérénissime les très humbles et très dévots serviteurs. Les Doyen et Chapistre de l'Esglise Cathédrale de Liège. A Liège, ce 3'"e d'octobre 1675. TABLE DES MATIÈRES. AVANT-PKOPOS Chapitre PREMIER. - Liège et la constitution liégeoise en /r, is (^ Considération générale : l.e traité de Munster et l'Europe catholique. — Situa- tion juridique (le la principauté de Liège. — Sa neutralité, — Les insti- tutions centrales. — L'évêque, les États, le Chapitre cathédral. — Place prépondérante de la Cité. — Liège est-elle ville impériale? — Son organi- sation interne. — Les échevins, les maîtres et jurés, les métiers. — Le Kégiment de Heinsberg et l'ordonnance électorale de iG03. — Le Conseil de la Cité — Les commissaires. — L'administration financière. — Les principaux services publics. — Ferdinand de Bnière et le règlement de 16^3. — Origine de la guerre civile. — L'intervention étrangère. — Paix de Tongres. — Nouveaux désordres. CHXPnRE II. — Avènement de Maximilien-Henri de Bavière 36 Maximilien-Heuri de Bavière et le siège de Liège. — Attitude de iMazarin. — Dissensions intestines. — Sortie des Grignoux. — La paix de Samt-Gilles et le règlement de i6i9. — Despotisme du prince. — Maximilien de Bavière est nommé coadjuteur. — Le pays est envahi par les armées étrangères — La citadelle de Sainte- Walburge. — Élection de Maximilien. — Caractère du nouvel évoque. — Son entourage. — François-Egon et Guillaume-Egon de Furslenberg. — Déprédations financières. — Mécon- tentement de la Cité. — La répression. — Les Lorrains et le prince de Condé. — Le traité de Tirlemont. Chapitre III. — Les ministres François-Egon et Gnillaïune-Egon de Furstenberg 60 Rivalité de la France et de l'Espagne. — Manœuvres de Mazarin à l'égard des Furstenberg. — Le seigneur de Wagnée. — Hésitations de François- Egon. — Arrestation de Jean-Paul de Groesbeck. — Projets de Mazarin. — La question de la succession impériale. — Portrait de Guillaume de Fursten- berg. — Son rôle dans l'élection de 4658. — La ligue du Rhin. — François de Furstenberg convoite la coadjutorerie de Liège. — La conspiration d'Arnold Marets. — Découverte du complot. — Mobile probable des con- jurés. — La répression. — Le chemin neuf. — Activité du prince Guillaume de Furslenberg. — Ses missions à Vienne et à Berlin. — Guerre de Hol- lande. - Traités de 1671 et de d672. Chapitre IV. — La principauté de Liège pendant la guerre de Hollande . . ^2 Les premières mesures de Louis XIV. — L'opinion publique dans la princi- pauté. — Les. pamphlets de Lisola. — Passage des armées françaises. — Misère du pays. — Guillaume de Furstenberg et Maximilien. - La cam- pagne de i673. — Ligue de La Haye. — Maximilien abandonné par Louvois. ( 196 ) PHges. — Inipoitauce de la citadelle de Liège. — Projets des Impériaux. — Lisola et le comte de Monterey. — Le congrès de Cologne. — Enlèvement de Guil- laume de Furstenberg. — Maximilien se réconcilie avec la Maison de Habsbourg. — Fiançois de Furstenberg doit se retirer en France. — Reprise des intrigues de Lisola. — Le cardinal de Baden et Descarrières. — Prise de Liège par les Français. — Ses conséquences. — Conférences de Marchienne-au-Pont. — La citadelle de Sainte-Walburge est démolie. — Révolution de Liège. Chapitre \.— La révolution liégeoise de 1676-i684 119 La Cité rétablit la démocratie. — Union du chapitre cathedra! et des bons métiers. - Faiblesse du prince-évéque. - Les élections du iJo juillet 1676 : Charles d'Ans et Nicolas de Plenevaux. — La réorganisation militaire — Insolence des Français. — Premiers murmures. — Reprise de la guerre civile. — Traités de Nimègue. — Guillaume de Furstenberg recouvre la liberté. — Découragement à Liège. — Pamphlets et libelles. — Mangeurs de tartes et mangeurs de boudins. — Le Mauvais Lundi. — L'évéque refuse les offres de réconciliation. — Les dernières années de François de Furstenberg. — Maximilien de Bavière et la Cité. — Le conflit juridique. — La question des élections magistrales. — Attitude du haut clergé liégeois. — L'évéque ordonne le prélèvement du soixantième. — Réunion des États. — Les bonnes villes refusent de s'unir à la capitale. — La sortie de Visé. — Guillaume de Furstenberg renoue l'alliance franco-colonaise. — 11 se rend à Liège. — Fuite de Plenevaux et de d'Ans. — L'anarchie. — Détresse finan- cière. — Députation à Cologne. — Échec des négociations. — L'émeute du 27 juin 1683. — Remouchamps et Gaen sont élus bourgmestres. Ch.\pitre VI. — Le règlement de 1684 lo7 Politique du nouveau magistrat. — Arrivée à Liège de l'évéque de Strasbourg. — L'accommodement des 22 novembre 1683-23 février 1684. — Ses princi- pales stipulations. — Situation des partis. — Furstenberg et Louis XIV. — Aggravation des impôts. — Émeute du 9 avril 1684. — H.-P. de Macors. — Ses mesures. — Nouveaux désordres. — Renardi et Gilolon sont élus bourg- mestres. — Maximilien obtient l'intervention du roi de France contre les Liégeois. — Furstenberg repousse toute négociation. — Soumission de la Cité : la répression. — Exécution de Macors et de Renardi. — Entrée triomphale de Maximilien. — Règlement du 28 novembre 1684. — Son élaboration. — Rôle du Chapitre et ses conséquences. — Esprit de l'ordon- nance municipale. — Les seize Chambres. — La réforme électorale. — Les corporations et métiers. — Principales modifications administratives. — Les services publics. — Appréciation du règlement. — Furstenberg orga- nise le nouveau gouvernement. — Ses intrigues à Liège et à Cologne. — Mort de Maximilien-Henri. — Sa succession. — Les dernières années de Guillaume-Egon de Furstenberg. Pièce justificative .194 LE SYMBOLE KT L ALLÉGORIE l'A II EDGAR BAES Apparence, Réalité, Fiction. (CouroDD*^ par l'Académie dans la séance du 27 octobre -1898.) Tome LIX. Au programme de Concours de la Classe des beaux-arts pour 1898 figurait la question suivante, à laquelle ce Mémoire a pour but do répondre : Quelles sont les analogies qui existent entre l'allégorie et le symbole? Établir et caractériser, par des exemples empruntés à V histoire de la peinture, les éléments qui rapprochent ou distinguent ces deux conceptions esthétiques. IXTRODUCTIOX L'essence du génie humain est métaphysique * : elle remonte vr/rs la notion de Fabsolu. (Test le vague révélé, la vérité si haute pour nos oi^nismes, qu'elle reste encore voilée, sujette à interprétations et à controverses, et ce voile, la vie du savant ne suffit pas à le soulever, car toute affirmation peut être téméraire en présence de révolution scientifique -. La matière concrète de la nature est notre seule base tan- gib!e, la seule preuve sensible de toute affirmation; et qui peut se vanter d'avoir découvert, sans crainte de contradiction, et sa constitution, et ses secrets? L'esprit et la matière, dans le monde et l'humanité, sont intimement liés. Les séparer, c'est amoindrir l'art. L'art est, comme la poésie, comme la philosophie et la science, comme notre vie matérielle même, une attraction vers la création, qui à nos sens bornés manifeste le Créateur. Que sont, en fait, les productions du génie humain depuis rorigine, que sont ses efforts vers la civilisation, vers l'idéal, vers le savoir, vers la beauté, sinon un hymne instinctif entonné '- F. Ch. Barlet. Essai sur révolution de ridée. Paris, 1891, pp. S. 1-. 30- - Max Mûller. Science du langage, édition de 1866, trad. Harris et Perrol, IX* leçon, p. 469. (i) par l'humanité tout entière et dirigé vers la Puissance à jamais cachée, cause probable de notre naissance, de notre vie et de cette mort qui nous fait reparaître sous des formes nouvelles? L'art matérialiste même, si on l'admet, peut-il s'affranchir absolument de l'autorité de la force psychique? Notre science évolue et se fonde, puissante : pouvons-nous jamais espérer modifier (sauf momentanément et par l'aide de la nature) les conditions imposées à la vie? 11 faut donc se résigner à reconnaître soit une entité supé- rieure, indéfinissable, soit tout au moins notre asservissement inéluctable à un état de choses que nous ne comprenons point. S'il est téméraire, dans l'art, de tenter par le rêve de remonter jusqu'à cet indéfini, de le représenter, il est mille fois plus absurde de se confiner dans une simple traduction de la matière, en la privant de son lien nécessaire avec cette Puis- sance créatrice si mystérieuse. La vie. — Ce lien, c'est la vie. Or elle est morale et physique à la fois, et la pensée seule peut vivifier cet être privilégié, presque créateur, qu'est l'artiste! La vie que l'art célèbre n'est point appréciable dans une matière inerte et muette : elle doit y venir du dehors. L'idole n'a-t-elle droit à notre encens que parce qu'elle est belle, étrange, ornée? Et sa signification psychique, les idées qu'elle éveille en nous, les sensations tumultueuses qu'elle peut produire, ne sont-elles pour rien dans l'adoration de ses fidèles? Pourquoi voudrait-on que l'art, dont l'essence est évidem- ment magnétique, ne subisse pas, comme l'Cnivers entier, le joug métaphysique? Si ce mystère qui tourmente tout être ( o ) pensant, peut soulever des objections, bornons-nous à invo- quer le système de l'analogie, qui doit rallier, de gré ou de force, tout artiste de bonne foi. L'univers est un réseau de relations. — Il faudrait être aveugle pour ne point observer jusque dans les choses infimes, le reflet des grandes, un parallélisme i dans l'existence de l'être humain, des animaux, des plantes, comme dans la vie des peuples, du monde même... Si cette analogie n'était pas évidente, les comparaisons du langage, les proverbes des nations, les adages de l'expérience ne seraient que de l'incohé- rence, et les images brillantes et variées de la poésie ne seraient pas admissibles. La jeunesse, printemps de la vie, les glaces de la vieillesse, l'hiver, mort de la nature, toutes ces images artistiques, ces rap- ports des choses entre elles, l'étude des harmonies du monde, les reflets, les répétitions, les relations des éléments avec l'âme humaine, comment saurait se désintéresser de tout cela un rêveur, poète par essence autant qu'artisan par nécessité? L'artiste ne peut forer sa galerie comme la taupe ou se couvrir les yeux d'un bandeau afin de ne point voir, lui, chantre de l'univers physique, qu'il existe un infini, des causes à nos sensations, une raison qui mène l'instinct, et enfin des phénomènes psychiques - ! Il est logique que nous n'ayons de données et que nous ne puissions nous appuyer que sur l'ordre apparent et périodique de la vie de notre monde visible, simple atome dans la vie ' P. Flourens, Ontologie naturelle, Paris, 1861, pp. 185-211. - Papus, Traité élémentaire de science occulte. Paris, 1898, p. 379. (6 ) universelle et dont nous-mêmes ne sommes que des atomes. La destruction apparente de notre univers, désagrégation de ses molécules, analogue à la mort de l'être humain, ne constituerait pas nécessairement une atteinte à l'ordre de la nature. Les étoiles variables, les mondes éteints (comme le soleil s'éteindra peut-être) n'empêchent pas, par leur transformation, le cours du mouvement universel. Relations de l'art avec la 7nétaphysique. — Pour être complet ou seulement grand, ne faut-il pas que Tart tendant à repro- duire un simple fragment de la nature, laisse entrevoir ou supposer les relations de ce fragment avec le cosmos écrasant? Un grand penseur anglais a dit : Le progrès de l'art comme de la société entière dérive des lois physiques et des lois mentales. Les premières s'exercent de la nature sur l'artiste, les autres de l'artiste sur la nature. Jusqu'à nos jours, on s'est borné à accepter l'influence des premières. Il est temps que la métaphysique détermine les secondes. Le véritable caractère de la peinture est symbolique, a écrit Laugel 1. L'art ne dévoile pas seulement la réalité, mais fixe l'œuvre complexe de la vie. Tout est symbole qui couvre des lois éternelles, manteau transparent jeté entre notre esprit et l'absolu. * Laugel, De Vésotérisme dans l'art, pp. 61-74. — Migne, IdéotkétiqtLe (Encyclopédie théologique, t. XXXIV, p. 84). Paris, 1858. LE SYMBOLE ET L'ALLÉGORIE CHAPITRE PREMIER. LHYPOTHÈSE. Expression personnelle de l'artiste. — L'organisation de l'artiste, intermédiaire entre la matière et l'esprit (formes con- trastantes sous lesquelles se montre à nous un principe unique), est douée d'une part d'indépendance, d'une personnalité que tyrannisent inéluctablement des forces nombreuses auxquelles il ne peut se soustraire dans l'état de société : la science, le progrès industriel, le but de son œuvre, les obstacles matériels, la volonté d'un Mécène dénaturent parfois complètement son inspiration première, et le combat de tous ces facteurs dans son esprit, dès le moindre désir de matérialisation, et durant la gestation de l'œuvre, produit en lui un véritable trouble quand il s'efforce de rendre palpable pour d'autres le symbole qu'il a conçu. L'obscurité est immanquable quand cet artiste, insoucieux des sensations de son public, se contente d'exprimer ce que lui fait éprouver la nature, en un moment d'exaltation psychique, ou bien quand il veut rendre par des signes qui lui sont person- nels, une pensée ou une abstraction. Ainsi, la vue de l'océan, l'audition d'un chant de marins peut rappeler à son souvenir une scène tragique qu'il croira indiquer suffisamment en représentant la mer sur sa toile, tandis que le spectateur non initié à ce rapport entre la mer et un drame contemplé par le peintre, trouvera dans l'œuvre, dans sa forme, ses détails ou sa couleur, les éléments d'idées tout autres. Il en est de même de certaines symphonies où de grands compositeurs ont versé leurs sentiments tumultueux, que l'on peut saisir à l'aide d'un libretto ou d'un titre énoncé, mais qui, sans cette initiation préalable, provoqueraient parfois de véri- tables méprises. Un même phénomène : Taurore, l'incendie, le crépuscule produit certainement sur des personnes diflérentes des sensa- tions ou des souvenirs de nature diverse. Signification des objets, — Pourtant, les formes, les nombres, les couleurs, tout a sa signification : l'homme cherche des abstractions derrière ses imprécisions ; les corps multiples don- nent l'idée du nombre ; les mouvements, l'idée de l'espace. Par extension, les impressions deviennent les éléments des idées et celles-ci juges des impressions... Ainsi parle Laugel ^, qui ajoute : « Les œuvres d'art sont comme les objets matériels, des symboles à travers lesquels nous cherchons des idées; ce travail d'esprit s'aiguise par l'expérience, w Or l'expérience, depuis l'origine des siècles, a produit la science, mais aussi la convention, surtout à ses débuts. Insuffisance de la science conventionnelle. — La science ne saurait être infaillible, tant que l'on n'aura pas découvert la vérité pure. Elle est localisée : vérité en deçà, erreur au delà, 1 Laugel, L'optique et les arts. Paris, Alcan, p. 128. (9 ) parce que notre champ d'expérience terrestre est humain et limité, et que nous ne pouvons retendre au point de nous assurer si notre univers est le noyau normal d'un cosmos infini ou bien si nos lois et nos normes ne sont qu'un détail, une anomalie ou un cycle temporaire dans le roulement de cet infini. Mais l'homme est obligé de s'en tenir au témoignage de ses sens, et le retour périodique des phénomènes détermine ses convictions. Science fondée stir la nature. — Ainsi est née de l'observa- tion la science analogique des anciens, qui peut être considérée comme universelle dans ses grandes lignes primitives, mais qui a pris des formes et des aspects parallèles selon les races, les climats et les civilisations. Par la comparaison, on peut se convaincre des rapports certains qui existèrent entre les mythes et les signes, le plus souvent d'origine astronomique, des Chinois, des Hindous, des Egyptiens, des Mexicains, et le motif de cette unité primitive est sans nul doute l'unité de la base des recherches. C'était la voûte céleste, le livre dans lequel cherchèrent à lire tous les peuples, depuis l'origine du monde. Qu'avons-nous pour étayer les calculs de notre science et nos hypothèses les plus hardies? Sur quels éléments devons- nous com|)ter pour imaginer des formes et des couleurs, pour créer par le rêve, si ce n'est ce que nos sens peuvent percevoir? Tout ce qui est au delà de notre univers nous est et nous restera absolument étranger, à moins d'une révélation divine. Si nous découvrons une planète inconnue jusqu'à présent, c'est parce que la construction des lentilles de verre, en progres- sant, a permis à l'œil de l'astronome de reconnaître ce qui autrefois restait dans le brouillard. Nos sens, en intime commerce avec la nature, sont les fournisseurs de nos sensations, de notre science, de nos probabilités. (10) C'est sur la nature aussi que les philosophes anciens ont fondé leurs théories métaphysiques, et à moins de tout nier, jusqu'au témoignage de nos yeux, il nous faut admettre le système analogique qui est basé sur elle ^. Or l'analogie est le fondement de toute science scolastique en fait de symbole. Celui de la science naturiste qui dérive des mêmes sources mais sans en déduire de règles, en associant simplement des idées aux objets, n'a rien de conventionnel et est purement l'application de la réflexion à la contemplation de la nature; il est à la fois libre, expérimental et parfois ana- logique, instinctivement. Art de passion et art de calcul. — De cette essence sont aussi les œuvres poétiques, passionnelles, où certains artistes ont jeté toute leur âme, où des impressions fortement ressenties sont élevées à la hauteur de la métaphysique, de la philosophie, de la théogonie, tels : La Chute d'un ange, Dieu, La Légende des siècles, Le Crépuscule des dieux. En revanche, la musique sacrée des peuples orientaux, de même que la liturgie catho- lique, sont le résultat d'un calcul ésotérique, où la passion ne prend qu'une part infime, mais qui symbolise l'épopée reli- gieuse se déroulant devant le^ peuple. Les danses hindoues, javanaises, celles de l'ancienne Egypte, des Israélites comme des Grecs, appartiennent au même ordre d'idées. Le symbole est donc d'origine métaphysique; la science et l'art de tous les peuples en ont fait un usage continu dans un but d'aristocratie intellectuelle, mais l'art lui-même a dévié de l'hiératisme, et par le sentiment somptuaire, de jouissance, il est devenu capricieux et démotique. De même l'idée est devenue profane et s'est détournée des causes pour se' préoccuper des effets '-^^ du Créateur pour envi- sager la seule création. ^ F.-Ch. Barlet, Essai sur révolution de ridée. Paris, 1891, p. 15. - La logique et Vart de penser (Logioue de Port-Royal, 3^ partie, chap. XVUI, p. 265). Paris, J. Lecoffie, 1863. (11 ) Ainsi sont nés presque à la fois le symbole canonique et le symbole arbUraire issu, comme l'emblème, de la réflexion, de la comparaison et de l'observation. Dt: LA SOURCE DES IDÉES, DES IMAGES ET DE LEUR RAI'PORT AVEC LA NATURE. Vessor de l'idée est l'abstraction. Elle est le doute, l'interro- gation, la curiosité dans Tenfant, dans l'homme primitif, et l'embryon de la pensée est évidemment un vague étonnement à l'aspect des phénomènes de la réalité. Ainsi, l'être inférieur se surexciteen présence de la faim, de la soif, du danger, il s'étonne à l'aspect d'une proie ou d'un ennemi, il cherche, il se souvient, il observe : la sensation fait naître l'idée. Dans le repos, même durant le sommeil, ces images con- fuses persistent ou réapparaissent tumultueuses : les idées s'associent. Recherche des causes. — i.a raison se développe plus tard, et avec elle la préoccupation des causes et des effets. Ceux-ci se présentent autour de la vie de Tétre souvent avec leur cause immédiate, mais, en remontant plus haut, la méditation fait reconnaître des causes plus puissantes. C'est l'origine du sens métaphysique. L'homme est un animal métaphysique, a dit Schopen- hauer ^. De même que le sens de l'art, c'est-à-dire de la représenta- tion de l'image suggérée par la nature, naît dans l'homme par * Arthur Schopenhauer, La vie, V amour, La mort, Paris, Dentu, pp. 109, 201, -204, 249. — A. Dassier, Philosophie positive. Paris, 1870, p. 153. ( 12 ) l'observation et le désir créateur ou producteur, ainsi se déve- loppe en lui la curiosité de connaître la cause, l'auteur, l'ori- gine de tout ce qui l'émotionne. Dès que la raison s'éveille en l'enfant, il brise ses jouets mécaniques pour en retrouver le moteur. Ce problème une fois posé devient une obsession et fait naître l'idée de la puis- sance créatrice, de la Divinité ^. Pensée élémentaire. — L'idée de Dieu est donc pour ainsi dire aussi ancienne que le monde, et si la seule matière tangible, concrète est à notre portée pour la formation de nos idées, de leurs images (et de la pratique de l'art qui est d'imita- tion), c'est la notion de Dieu, d'une vague révélation ou tout ail moins d'un doute à éclaircir qui est la source du raisonne- ment humain élémentaire. Les points de repère de la périodicité, de l'expérimentation, de l'analogie déterminent tout l'échafaudage de la pensée humaine '2. De cette base qui est en nous, autour de nous, elle se développe vers l'infiniment grand ou l'intiniment petit, à l'aide des moyens donnés par notre éducation. La période la plus accomplie est celle de l'association des idées et des images, puis de leur évocation par un travail psychique que l'on nomme mémoire et invention, dans le but de produire en sens inverse la matérialisation d'une idée, au lieu de la recher- che de son origine. Concrétion de ridée. — C'est l'involution après l'évolution qui produit V idéographie. La première période de l'art est Ymitatïon. L'idée naît de l'existence des objets. Plus tard l'idée se for- mant en image cérébrale ne saurait être traduite que par des objets. 1 MiGNE, Essai sur révolution de l'intelligence (Encyclopédie théolo- gique, p. 90). Paris 1858. 2 P. Flourens, Ontologie naturelle. Paris, 1861, pp. 11 et 185-211. ( 13 ) Le génie surhumain seul pourrait traduire une idée de façon surnaturelle. Mais Théodore Kaufmann ^ dit que la perception physique seule n'est point capable de fournir à l'homme les notions dont la somme constitue la connaissance. Celle-ci ne devient possible "^ que lorsque l'action de l'intel- ligence et de l'âme se joint à celle de la perception physique. Pensée moderne. — En notre état de progrès, cette liaison se fait déjà dès les premières années de la vie; et à l'encontre des temps prmitifs oii il a fallu une secousse extraordinaire, c'est- à-dire la notion d'une puissance arbitraire attribuée à Dieu pour affranchir l'intelligence, aujourd'hui cette préoccupation est sans importance en bien des cas. L'impulsion que l'intelli- gence reçoit de la perception physique se manifeste d'abord dans l'homme moderne, comme le sentiment d'un rapport existant entre l'objet perçu par les sens, el la forée qui en a été la cause. Anciennement, comme les enfants, l'homme n'avait que le soupçon vague d'une cause déterminée. Aujourd'hui, il a presque simultanément l'idée générale de la cause et de l'effet. S'il est disposé à remonter à la cause première, il arrivera à l'idée de Dieu ou une autre analogue. S'il est plutôt disposé à s'en tenir à l'effet et aux rapports qu'il peut avoir avec cet effet, il sera matérialiste ou positiviste. Sens critique. — Le monde extérieur actuel exerce sur tout homme une influence dominante dès la naissance, et le sens critique ou le doute se développe de très bonne heure en nos contemporains. ' Développement de Vidée de Dieu. Dusseldorf, J. Henri Schiilz, 1850. Préface, p. 5. '^ F.-G. Bergmann, Résumé d'études d'ontologie générale. Paris, 1869, pp. 12-U. ( 14) Les actions d'un individu sont l'expression fidèle du degré de développement de ses notions intellectuelles. L'art d'un savant devrait donc se ressentir de l'intelligence de son auteur; le fait n'existe pas toujours, parce que pour lui l'art n'est souvent qu'un délassement un peu puéril; mais, même à l'état informe, un art dépend toujours d'une science ^. La cause unique des écarts en toute époque est de tracer les règles de l'art avant d'avoir complètement démêlé les vérités de la science sur laquelle il est fondé 2. C'est donc le tâtonnement, car tout art complet comporte des règles. Symbole de doctrine et symbole individuel. — Ceci peut faire comprendre comment il y a deux sortes de symbole : le sym- bole scientifique, et le symbole ou l'emblème individueL Celui-ci n'existe que parce que la science symbolique est trop peu connue et souvent indéchiffrable pour l'artiste. Le premier seul a une consécration. Mais Farliste doit por- ter perpétuellement le double fardeau du signe et de l'idée •'^. L'art entier n'est-il pas là? Bacon n'a-t-il pas dit en somme "^ : ce Toutes nos connaissances ne consistent et ne peuvent consister que dans la connaissance de ce qui est, de la nature, de l'ordre des choses; par conséquent, leurs premiers éléments doivent être puisés dans la nature même. Mais la nature ne nous présente que des faits, des impressions, que nous recevons et dont ensuite nous tirons les conséquences. Les prétendus principes premiers, maximes, axiomes, etc., sont donc déjà des produits de l'art humain, des créations de notre intelligence... On ne fait autre chose en ce monde que voir des faits et en tirer des conséquences, recevoir des impres- 1 De Stutt de Tracy, Éléments d'idéologie. Bruxelles, 18"26, p. 3. - Idem, ibidern. 5 Maine-Biran, Grammaire, chap. VI. ■i De Stutt de Tracy, Éléments d'idéologie, Préface, p. 43. Instauratio magna. ( 1o ) sions et y remarquer, en un mol, que sentir et déduire, ce qui est encore sentir... L'observation et l'expérience pour amasser des matériaux, la déduction pour les élaborer : voilà les seules bonnes machines intellectuelles ». Toutes nos idées simples, dit De Stult de Tracy 'i, sont absolument inaccessibles à l'erreur, et nos idées composées n'y sont exposées qu'eu égard aux jugements par lesquels elles sont composées. Ce sont là les perceptions simples des impressions que nous recevons. Idées conclûtes et abstraites. — Nous avons de plus des idées concrètes et composées des êtres qui nous font ces impressions. Et des idées abstraites et surcomposées des modes et qualités de ces êtres et des combinaisons de toutes ces idées ensemble. Or les idées des primitifs observateurs furent simples; les signes qui les représentèrent furent justes et précis, et ce n'est que par la faiblesse des sens que l'erreur a pu naître dans les choses concrètes, ou bien par l'incertitude sur les modes et qualités. Un objet qui se présente à nous produit une multitude d'im- pressions différentes agissant sur nos sens de façon variée; et de la combinaison de ces impressions par des jugements plus ou moins rapides se forme pour nous la perception ou l'idée individuelle de Tobjet. Jugement. — Juger 2, c'est sentir distinctement une partie de ce qu'on avait senti d'abord confusément. Sentir est la même chose que penser. Chacune des idées qui sont dans nos têtes est comme un petit groupe d'idées élémentaires, réunies ensemble par des premiers jugements, et de ce groupe, au moyen de tous les De Stutt de Tracy, Éléments d'idéologie, p. 261. Idem, ibidem. Bruxelles, 18%, pp. 117, 301, 306. ( 16 ) jugements postérieurs que nous en portons, il sort continuel- lement, dans tous les sens, des irradiations pareilles à des tuyaux qui s'allongent. Il n'y a qu'un premier jugement qui puisse être absolu ; tous les autres ne sont jamais que conditionnels et relatifs à celui-là. Source unique de la vérité et par suite du symbole. — Condil- lac a dit que toutes les vérités sont une, et qu'elles sont toutes renfermées dans une première. On comprend ainsi le petit nombre de signes ou symboles primitifs. L'idée, le souvenir réel d'une simple et pure sensation n'est qu'une espèce d'image, transmissible parce qu'elle est attachée à la sensation d'un signe. Sans signes quelconques, nous n'aurions sans doute pas de mémoire : c'est une notion. Mais l'idée philosophique est aussi l'objet même dont l'esprit acquiert la notion, un objet intérieur produit par l'image d'un autre en nous. Ainsi, nous avons en nous l'idée d'un événement, du soleil, etc., qui n'est ni le souvenir de cet événement que nous n'avons point vu, ni du soleil même (si nous songeons à sa grandeur), mais une sorte de reflet, d'ombre façonnée à notre entendement. Les signes artificiels sont nécessaires à la formation de la plupart de nos idées et ainsi contribuent puissamment au perfectionnement de l'individu : nous ne pensons jamais que par leur moyen. Les signes de nos idées étant transitoires comme elles, il a fallu les rendre permanents : les hommes ne peuvent faire de grands progrès sans signes durables et transportables. Langage. — Tous les langages qui dérivent du langage d'ac- tion peuvent être représentés d'une manière permanente par d'autres langages composés de figures hiéroglyphiques ou symboliques qui expriment les mêmes idées qu'eux. Mais il y a là une véritable traduction. ( n ) On a pensé que tous les hommes avaient dû commencer par des peintures hiéroglyphi(iucs ; qu'un génie lieureux avait inventé de les conveitir en caractères syliabiques et ainsi de suite. L'examen altenlif des monuments qui restent de ces procé- dés, à diverses époques et dans divers pays, montre qu'une telle marche n'a pu avoir lieu, et que l'idée de noter au moins grossièrement les tons du chant a dû se présenter dès la plus haute antiquité, peut-être en même temps que ce chaut. Transmission de la pensée. — Le signe et la chose signifiée sont deux choses distinctes : l'un est la traduction de l'autre. Le mot ne traduit pas toujours exactement l'idée. Or ces signes, qui sont les outils de notre pensée, sont des instruments très puissants, nécessaires, et de nature même à faire dévier la pensée à transmettre. Il est tout naturel qu'ils soient devenus une langue hiératique et scientifique. Signes de l'idée. — Les mots ^ sont les signes et les étiquettes des idées, leurs symboles en somme. Or ce sont les mots que traduit le symbole plastique ; les propositions, réunion de mots que traduit l'allégorie principalement. Les actions des êtres animés primitifs sont les signes néces- saires de leurs idées. Leurs semblables, sans que les premiers le veuillent, jugent de ce qu'ils sentent par ce qu'ils font. L'être agissant s'en aperçoit et refait pour manifester ses volontés ce qu'il a fait pour les exécuter : ses actions deviennent alors signes volontaires de ses idées. L'homme parvient à attacher un signe distinct à chacune des idées dont il fait un usage fré- quent; il tente de les préciser. Ces signes fondamentaux, les mots, sont des notes perma- nentes et restent attachés aux idées qu'ils représentent. i De Stutt de Tracy, Éléments d'idéologie. Bruxelles, 18^26, p. 247. Tome LIX. 2 (18) Les symboles sont les mots de la langue peinte ou figurée. Symbole, emblème, allégorie, tout est donc une traduction simple ou composée, directe ou indirecte de l'idée. La préci- sion dans l'idée humaine n'est que l'harmonie de la raison avec la vie de l'univers physique. DE l'idéographie. Les sages de Memphis, selon Marmontel, exprimaient leurs mystères par des symboles, ce que les Grecs appelaient hiéro- glyphes ou écritures symboliques; c'étaient des gravures sacrées, espèces d'allégories qui parlaient aux yeux et qui, avant l'écriture alphabétique, donnaient une forme visible, un corps aux doctrines des prêtres. Hiéroglij}ihes. — On nommait hiéroglyphes, dit Champol- lion-Figeac i, les signes écrits employés dans un sens mysté- rieux ou inconnu, les caractères d'écriture n'ayant qu'une valeur de pure convention, et enfin, plus simplement, les carac- tères des écritures égyptienne, chinoise, mexicaine, etc. C'est là le vrai symbole. L'hiéroglyphe réel est un signe d'une écriture sculpturale, dont les caractères étaient l'imitation d'objets du monde maté- riel, produisant à la fois des tableaux animés, des scènes variées, sans cesser d'être représentatifs de la pensée. Ceci est un mélange de symbole, d'emblème et d'allégorie. Figuration. — La figuration primitive des idées a été un tracé, un dessin représentant l'objet directement et non l'idée indirecte qui peut s'y attacher. C'était le portrait de l'objet, c'est l'écriture primordiale des Océaniens. • Encyclopédie moderne, t. Xlll, p. 36. Bruxelles, 1831, M. Courtin, 2* édition. ( 19 ) Mais 011 sentit lo besoin de caractériser, de distinguer les individus, les objets l'un de l'autre. Ainsi un rectangle figuraiit grossièrement l'enceinte d'une ville, et telle ville étant sous la protection ou le signe du lion ou du serpent, on ajouta au signe rectangle ce signe distinctif, figuratif et symbolique à la fois. C'est l'écriture mexicaine. De la représentation des objets physiques à l'expression des objets métaphysiques il y avait un pas immense à faire. Signes coiiventionnels. — Les peuples de l'ancien continent pensèrent i» tracer par des signes arbitraires, conventionnels, les idées de Dieu, d'ame, etc., et celles des passions de l'homme. Les prêtres qui en eurent la pensée recherchèrent des analogies entre le monde physique et le monde moral pour étayer cette écriture (ainsi le lion fut équivalent de force, etc.-. Ces signes furent spéciaux à chaque science, à chaque peuple : ainsi surgirent les signes énigmatiques ou conventionnels que les Égyptiens et les Chinois combinèrent avec les deux autres sortes de caractères. Jusqu'ici, avec ces trois signes, l'écriture est purement idéo- graphique, exprimant immédiatement les idées par des images-poiiraits ou des images-symboles. Elle n'a pas pour but les sons parlés. Alphabet. — Une fois les relations avec l'étranger établies, cette langue fut insuffisante. Les noms du pays étant significa- tifs par leur nature, étaient exprimables, mais ceux de l'étran- ger n'avaient plus aucun sens. Tandis qu'un Égyptien pouvait se nommer lie (soleil), ce qui pouvait être dessiné par un disque, un cercle, on imagina, les langues primitives étant monosyllabiques, de représenter (pour un nom étranger seule- ment) la syllabe Re phonétique par un disque. Les Chinois aussi appliquent ce système aux noms propres étrangers. Ainsi ce peuple nous avertit de la valeur en sons de ces noms en les accompagnant d'une barre verticale. (20) Mais l'écriture phonétique ou alphabet est, dit-on, de source égyptienne. Pour arriver de l'idéographie aux signes phonétiques, on convint d'abord que la figure d'un objet dont le nom commen- çait par A serait la lettre A, etc. L'aigle Ahom devint un A, la cassolette Berbe un B, une main Tôt, un T et un D, une hache Kelebin K et C, le lion couché Lobo un L, la chouette Mou- ladj le M, une bouche Ko, R. Mais plusieurs objets commen- çaient par la même lettre. On choisit quelques noms autorisés, conventionnels, seuls, pour faire l'alphabet, mais il y eut ainsi plusieurs signes homophones de même valeur dans l'alphabet écrit, mais ne s'élevant pas au-dessus de cent. Ils forment les deux tiers des textes hiéroglyphiques. C'est ainsi que l'A fut aussi le casque, l'E le sein de la femme, etc. Le môme système fut employé plus tard par les kabbalistes hébreux, mais sur des mots écrits dont ils prenaient l'initiale pour former ainsi de nouveaux mots, sortes de chrono- grammes. Dans la langue parlée est le signe oral direct de l'idée. Dans l'écriture, le signe graphique et direct du mot parlé. Ce n'est plus que le signe indirect de l'idée. Écriture hiéroglyphique. — 11 faut considérer dans le système hiéroglyphique la forme et la valeur : 1*^ La forme matérielle des signes qui compose trois écri- tures : Hiéroglyphique : signes représentatifs du monde physique, animaux, plantes, arbres, figures de géométrie, etc., au nombre d'environ huit cents ; Hiératique : une tachygraphie de la précédente, signes con- cis tirés des autres, mais plus faciles à tracer, abréviation des mêmes huit cents signes ; Démotique ou populaire ou épistolographique, encore abré- viation des mêmes signes, mais en nombre moindre. [ 21 ) La première employée officiellement pour les monuments publics, quoique les ouvriers pussent aussi s'en servir. La deuxième sacerdotale. La troisième était apprise d'abord, ensuite la deuxième, puis la première. 2" La valeur, l'expression des trois sortes de signes. Les signes figuratifs expriment simplement l'idée de l'objet, cheval, lion, etc. i. Les signes symboliques ou tropiques ou énigmatiques expriment une id<';e métaphysique par l'image d'un objet physique dont les qualités avaient une analogie vraie selon les Égyptiens, directe ou indirecte, prochaine ou éloignée avec l'idée ù exprimer. On les employait surtout pour les idées abstraites relatives à la religion et à l'autorité : l'abeille (idée : roi), — deux bras élevés, offrir et offrande, — un vase d'où l'eau s'épand, libation 2. Les signes phonétiques exprimant les sons étaient analogues à notre alphabet. On employait simultanément les trois espèces de signes. Exemple : Dieu a créé rhumanilé. Dieu (caractère symbolique) a créé (phonétique) l'homme (signe figuratif suivi de trois points, pluriel). Les symboles étaient donc une simple nomenclature à retenir. Champollion le Jeune a prouvé qu'au temps de la domina- tion grecque et romaine en Egypte, le système graphique com- prenait quelques figures phonétiques, et que les noms des souverains étrangers sont figurés par ces signes. Signification des ligures. — Les signes figuratifs ou portraits ont évidemment un rapport direct avec l'idée de l'objet. iMais ils peuvent éveiller une idée analogue, relative i\ cet objet, < J. DE GouLiANOF, Avchéologîe égyptienne, t. I^r, pp. 124, 125. Leipsick, 1839. 2 E. Bosc, Isif, dévoilée. Chamuel. Paris, p. 19. ( i2-2 ) une idée énigmatique, ce qui fait que le même signe peut être emblématique ou simplement figuratif : un crocodile a toujours éveillé une idée de mort, mais en même temps de cruauté, d'avidité. Il était l'emblème de la cruauté, il devint le symbole de la mort violente. Cela était aussi physique et palpable que le portrait d'un crocodile. (Mais cette tigure ne pouvait signi- fier la tin de la vie naturelle et paisible, évidemment.) Le dessin d'après nature ne donne que l'aspect de la chose copiée. 11 fallait accoler à cette chose une signitication plus profonde, par la raison ou la convention, pour en faire la traduction plastique de telle idée. On y parvint par l'analogie, donc par une allégorie simple. 11 fallait transposer l'idée non figurative en une autre idée plus aisée à emblématiser, plus proche de la réalité, mais ayant une association d'idées avec la j)remière. 11 y eut ainsi aussitôt un double rapport : entre la première ot la seconde, entre celle-ci et sa figuration emblé- matique. Mais une foule de circonstances pouvaient faire dévier cette traduction. La forme changeante des objets, le dialecte qui faisait prononcer diversement le mot qui s'y rapportait, la déduction des idées qui modifiaient peu à peu le symbole ou lui donnaient plusieurs traductions équivalentes. Ainsi l'âne, symbole de la vie, était, d'après Horus Apollon, le symbole d'un ignorant dans la ville d'Alexandrie, tandis que les hiérogrammates de Memphis et de Thèbes le révéraient et mettaient un âne lié sur leurs pains azymes. Ainsi Typhon, qui caractérise les vents mauvais et malsains du sud et de l'ouest, avait pour symbole une ânesse peinte en rouge, ces vents étant brûlants et l'ânesse très sensible au vent. Le chat qui, par ses miaulements, imite les noms purs de la divinité dans la langue sacrée, devint le symbole de cette langue sacrée elle-même. Sur la principale inscription de la table isiaque. M, qui peint l'idée de force, est suivi de I (e) AOU, nom de la puissante nature, et le chat était employé comme saint dans les conjurations. ( 23 ) Les graines de trèfle, (rhéliolrope et de bleuet, une stntuette (le Thélys tenant dans ses bras le soleil et la lune (comme enfants ù la mamelle), la lune écartant ses cheveux, la croix du dos de l'Ane, tout cela était symbole de vie. Inlerprclaliun du symbole. — 11 y a une infinité d'interpréta- lions des symboles fondamentaux. La science du symbole n'est donc pas rigoureuse, elle fait surgir la rétlexion, Tetfort de pensée. Mais des symboles primitifs sortent tous les autres : tous ont [)Our point d'appui et de contact la raison humaine, la tension vers la vérité. 11 y a des modalités modernes dans l'application bonne ou mauvaise des principes éternels; tous les jours, les symboles trouvent des applications nouvelles i. Ce que tel élément (couleur, ligne, note ou mot) ne parvient pas à exprimer peut trouver son expression par combinaison (harmonie), par le nombre. Une disposition voulue et savante dans une œuvre lui donne une éloquence appropriée au but de l'œuvre C est une mise en œuvre nouvelle, un moyen nouveau: le vrai symbolisme scientifique. Exemple : Même pour le sensitif illettré, Adam et Eve expriment plus complètement le mystère de leur différencia- tion devant un fleuve séparé en deux bras, des rameaux bifides, etc., que devant un joli fond fantaisiste. Wagner a appliqué sciemment ces principes. Devant une œuvre complète d'un grand maître initié, d'une harmonie parfaite, on ne saurait exiger la suppression ou la modification d'une brindille, d'un détail. L'œuvre est com- prise de façon à ne pouvoir être autrement et se dirige vers la forme absolue, définitive. Or l'œuvre est un signe de l'inspiration de l'auteur. Ces détails, même explicatifs, concordent au symbole ou sont des symboles eux-mêmes. ' VuRGEY, Note manuscrite sur Vésotérisme. ( 24 ) Influence de la figuration sur les sens. — Ce n'est donc pas seulement par la tradition, la science acquise que le symbole peut produire de l'impression, mais aussi par une action instinc- tive, hypnotique, élective surtout sur les sensitifs. Exemple : Devant un sujet endormi, un magnétiseur a tenu un pentagramme suspendu les trois pointes en haut : le sujet s'est déclaré satisfait. On a retourné le pentagramme, deux pointes seulement en haut, le sujet a pleuré abondamment. Cette expérience occultiste peut trouver des sceptiques ou ne pas réussir toujours, mais tout le monde admettra que les femmes, les enfants sont impressionnés par le tonnerre : il symbolise pour eux la puissance divine, le danger; la vue delà mer au vaste horizon donne l'idée de l'immensité, de l'éloi- gnement, etc. Les éléments du symbolisme d'art sont donc traditionnels, et instinctifs aussi. Le penseur peut en enrichir le nombre par la méditation. Il n'y a pas une chose, pas une idée qui ne relève d'un nombre ou d'une forme. Il n'y a pas un nombre, pas une forme qui n'ait un sens précis et réel. Il s'agit de le démêler. L'art qui se réclame de cette loi universelle, que l'œuvre n'ayant pas de sens, ou un sens incomplet, ne répond pas à la mission de conscience de l'artiste, doit inspirer de l'intérêt à un public intelligent. LART ET LA PENSÉE. Ceux qui envisagent tout du point de vue esthétique con- damnent la dégradation de la forme jusqu'à servir d'esclave à la pensée. D'autres, esthètes indépendants, n'admettent pas plus que l'art (même informe ou ignorant) ait pour but autre chose que l'illusion ou la figuration, la pensée étant pour eux simple- ment philosophique. ( 25 Caractère scientili(iue du siimbole. — Il est certain que le sijmbolisme est profondément scientifique. La preuve en est par exemple dans le langage des (leurs en Orient, au Japon, où l'on apprend dans une école à former les bouquets selon le sens de la beauté des lleurs et non selon l'impression de la couleur et l'agrément de l'aspect. Les plus célèbres artistes y consacrent leur vie à l'étude du sentiment et de l'esprit des plantes (ainsi fin^nt aussi les artistes mystiques du moyen ûge, surtout les moines) : « Si quelqu'un t'interroge sur l'âme des Japonais, » a écrit leur poète Motoori, a montre-lui la fleur du cerisier sauvage brillant aux rayons du soleil. » Les vases, les peintures ne sont exposés au Japon qu'isolément, d'après cer- taines règles d'observation de la couleur du ciel, du ton de la lumière, de la saison, même de l'état d'âmt'. du maître de la maison. S'il neige, par exemple, il choisit un kakémono aux couleurs sombres, un bronze simple, en harmonie avec la tristesse du paysage, etc. Il est certain que les fleurs, les couleurs ont un sens moral que l'on a essayé même de trans- poser en musique. Cette science étant encore embryonnaire, les anciens, peu coloristes, ne l'ayant pas codifiée, nous devons encore nous borner à celle des formes. Depuis les auteurs de la simple figuration de la clef, du poisson, de la brebis et des figures sur champ d'or jusqu'au maître de Raphaël, l'art n'a été pour le grand nombre qu'un hiéroglyphe d'ordre supérieur. Les formes n'étaient que des caractères symboliques destinés à manifester une idée à l'âme de l'homme, conséquence néces- saire ^ de cet esprit du christianisme qui prenait à la lettre les panjles de la Bible : Tu ne feras ni idoles ni images. Ce fut donc bien de Vidéograpfiie jusqu'à la naissance du naturalisme. * Th. Kaufmann, Développement de l'idée de Dieu, Préface pp. 5 et sui vantes. Dusseldorf, J.-H. Schulz. ( 26 ) Subordination de l'art à la pensée. — Pourtant chez les païens et môme parmi les chrétiens, il y eut toujours à côté de l'hiératisme une tendance instinctive à un art de décor ou d'agrément, sans but intellectuel, presque analogue à celui des temps préhistoriques, qui se traduisit par des images de renne, d'ours, etc. C'est l'art des enfants de tout temps et de tout pays, né d'un esprit d'observation combiné à l'imitation, ou bien du désir de noter un souvenir d'une impression vivement reçue. Cet art naturaliste a peu de connexité originaire avec le symbole, mais fut le moyen primitif du langage hiéroglyphique; les esclaves chrétiens qui retraçaient les types des catacombes n'avaient peut-être pour but que d'imiter non la nature ou une impres- sion reçue, mais un modèle païen choisi, et ces types qui dataient de fort loin se transmirent jusqu'au XVI^ siècle. Les cénotaphes romains et gallo-romains nous les présentent adjoints à de vrais symboles du paganisme : Eole, le phallus, des monstres, etc. Plusieurs d'entre eux proviennent directe- ment de la Pliénicie ou de l'Egypte et nous ramènent à d'autres théogonies. Ils sont frustes dans les temps de barbarie et res- tent parfois ainsi par tradition : telle la pierre d'Astarté. Classement des symboles. — L'Eglise se refusait absolument à l'adoration des images plastiques. Elle arrêta un cycle de types invariables et constants, parce que l'on croyait, en remon- tant jusqu'aux tableaux primitifs, posséder pur et intégral le type du personnage; donc l'image subséquente répondait à un idéal et devenait un vrai signe conventionnel qui s'est per- pétué dans l'Eglise grecque. Orphée entre autres fut ainsi adopté par l'allégorie chré- tienne, ainsi que des emblèmes décoratifs, des tleuves sur les sarcophages, des personnifications de villes sur les monnaies, le labarum et une Victoire réunis, etc. Le Bon Pasteur, Jonas, Daniel furent exécutés à nouveau par des artistes, mais dans un but de poncif, pour être reproduits ( 27 ) ♦'t non pour représenter la nature i. Us devinrent des signes, des symboles neufs, de même que le mouton, le cerf altéré, la colombe et le rameau d'olivier. Les conciles préférant la peinture à la plastique, la figure idéale du Christ est due sur- tout aux efforts des peintres K. Rochette ^, après Rumohr, dit qu'après les essais, l'idéal de certains types se forma de bonne heure sous l'in- lluence de l'art antique. iMais que les sujets étrangers à l'anti- quité, les martyres par exemple, ne s'introduisirent dans le monde artistique que dans le VII^ ou le Vlll*^ siècle. Ces sujets furent tantôt des souvenirs de faits, tantôt des compositions retraçant un dogme, la théologie fixant de plus en plus les points de controverse. L'art était là au service des penseurs. Plus tard l'artiste apprit à penser par lui-même. Mais il est des signes graphiques, des formes, des nombres, des rythmes auditifs dont la signification ne peut être déter- minée que par la science^ et les anciens se sont intéressés depuis les temps reculés à cette étude occulte. Us ont remarqué les ressemblances qui existaient non seulement entre l'idée et les objets de la Création, mais aussi entre les formes et les figures que la métaphysique, le calcul, les scien- ces mathématiques leur révélaient, et leur idée générale ou théogonique; et ces travaux, perfectionnés par la méditation, donnèrent lieu à des signes mystiques, mythiques, à la fois religieux et astronomiques surtout, car dans le ciel était la science durable. Ces formes vinrent prendre la première place au milieu de celles que l'habitude de l'analogie faisait naître dans la poésie, les arts et la glorification publique du culte. Car la simple l)ersonnification d'une divinité ou d'une idée importante, ' MuNTER, Siimbilder itnd Kunslvorstellungen der allen Chrislen, 1825. — Rumohr, Italicnische Forscliungen. - R. Rochette, Discours sur l'origine, le développement et le caractère des types imitatifs qui constituent l'art du christianisme. Paris, 1834, pp. 27 et suivantes. ( 28 ) l'apothéose d'un souverain, la perfection matérielle d'une figure importèrent sans doute bien plus aux artistes que l'expression de l'idée philosophique; mais, dominés comme le peuple entier par la théocratie, ils se plièrent au joug de l'idée et finirent par s'unir aux poètes qui leur fournissaient par l'allégorie un moyen ingénieux d'allier les grands problèmes abstraits aux charmes de la réalité et de fillusion. Difficulté d'expression de l'artiste. — La compréhension d'un symbole conçu par un artiste, dès qu'il n'est pas la reproduc- tion d'un signe déterminé par tradition, est sujette à fluctua- tions suivant l'effort de pensée du spectateur et sa culture intellectuelle, ou bien suivant la peine prise par l'auteur pour rendre l'idée claire et assimilable. En voici un exemple : Etant donné un homme entièrement nu, sans aspect spécial de nature h prévenir l'esprit, comment arriver à lui faire exprimer le crime? Certes, dans ces conditions, il faut un eftbrt d'art pour faire comprendre, sans aucun élément accessoire, le fait ou l'inten- tion criminelle. Cependant, on peut s'aider de la mimique rappelant un acte féroce ou cruel : le poing fermé, l'attitude du meurtrier, les mains étreignant une gorge imaginaire, l'ac- tion de frapper un ennemi terrassé. Tout cela, nous le verrons, n'est pas purement symbolique, mais emblématique. Cette mimique est complétée, concentrée, synthétisée par l'expression des traits, h tel point que, en détachant la tête seule du tronc de la statue, il doit être possible, sinon de reconstituer l'action, du moins de comprendre les motifs de l'œuvre : on a fait ce travail sur plus d'un marbre antique brisé que des archéologues et des artistes ont reconstitué. L'agitation, l'inquiétude, la férocité, le remords anticipé peuvent s'unir pour former un signe destiné aux penseurs. Ceci devient symbolique. Kappelons-nous les têtes parlantes du Christ et de Judas, dans le Baiser du Traître, par Giotto. ( 29) Mais ce problème doit être facilité à un public peu réfléchi, peu sentimental ou savant. Il suffirait certes d'armer la main du criminel d'un poignard ou d'une massue, ou de figurer une victime, pour que l'acte fût bien caractérisé, surtout si celle-ci est faible et impuissante. Ces accessoires explicatifs ne sont plus des signes directs du crime, mais seulement utiles à la clarté. Ajoutez à l'homme un tigre comme compagnon, l'expres- sion se renforce, se double, parce que le tigre est, lui, un pur symbole très certain de la férocité. Par extension, l'homme monstrueusement transformé en tigre, comme le centaure en cheval, synthétiserait encore l'idée, mais avec une métaphore en plus. Tout le monde admettra qu'il serait, en ce cas, utile à l'artiste d'employer certains mots ou nombres mystiques se rattachant à des légendes presque universelles , Gain par exemple, ou bien des figures, sorte de schémas, condensation graphique d'une attitude typique du crime. Mais ces nombres et ces schémas ne seraient compris que par des initiés. C'est une langue, un alphabet qu'ils déchiffrent couramment, mais qui ne sont point du domaine d'un public profane : il faut l'étude et la conviction. Ainsi les artistes primitifs, dans leur naïf désir d'être com- pris, peignaient des sentences sur des banderoles, parce qu'ils ne saisissaient peut-être pas eux-mêmes le sens des types de convention qu'ils employaient et qui n'avaient de signification que pour les théologiens. Ces derniers mêmes différaient parfois dans leur exégèse. Association des idées latérales et accessoires. — Ce qui pré- cède a pour objet une idée simple : le crime. Mais celle-ci peut se compliquer d'autres idées voisines, telles que lâcheté, violence, rapacité, dont chacune peut ame- ner ses signes et ses attributs. Une faible victime, la rage du meurtrier, une bourse arrachée par lui sont des compléments ( 30 ) naturels, mais qui s'écartent du symbole pur, parce qu'il y a une action, une passion en jeu, et non plus seulement l'idée sereine. iMais ce qui pourrait passer pour un symbole du crime serait, par exemple, un poignard teint de sang, tenu dans une main crispée. Selon la tournure d'esprit de l'artiste, les symboles ou les attributs peuvent se réclamer de motifs accessoires. Ainsi l'attitude rampante du lâche peut compléter le forfait commis sur un enfant. Son acharnement sur un cadavre indique la férocité; une bourse dans la main gauche, un poi- gnard dans la droite montrent la rapacité, qu'un vautour explique largement. Une idée est rarement simple de nos jours. L'image se compliquant d'autres images, un symbole est d'ordinaire assez obscur pour exiger un effort qui plaît à certains esprits, mais en rebute d'autres. Ce symbole d'ailleurs est très variable dans sa figuration. Ainsi un bras armé d'un poignard ou d'une torche, ajouté à un autre bras dont la main crochue semble saisir la victime peut caractériser le crime, mais aussi le châtiment, comme dans l'œuvre de Prudhon : La Justice poursuivant le Crime. Le nombre XIII rappelant le crime de Judas est un signe numérique éloquent; seul il constitue un symbole de trahison envers Dieu dans la tradition catholique. Le mot Judas y ajouterait l'idée de perfidie, de vénalité et d'ingratitude. Car les noms, les mots sont des symboles qui représentent les images des idées, et les anciens ont dû en user avec prodigalité. Idéalisme. — Il existe une école spiritualiste qui n'est ni théologique ni kabbaliste, mais qui réunit les notions de nombreuses sciences en vue de reconstituer en art le culte de la beauté. Les idéalistes cherchent dans le modèle la signification ( 31 ) idéale qui ivlie tout h l'aljsolue perfection. C'est en somme la continuation de la grande science occulte des anciens, qui jadis régit tout l'Orient et fut transmise par une migration de sym- boles et de dogmes scientifiques, de mythes, depuis le berceau probable des races humaines jusqu'à la Grèce i\ l'apogée de sa civilisation et dans la Gaule druidique. L'idéalisme d'art ne se borne pas à la perfection apparent»' de la forme. Pour lui, toute objectivité a son sens caché, dont il établit la révélation par la chaîne de Dieu, de l'idéal et de la vie, la beauté se confondant pour lui avec la lumière totale de l'absolu. De même que l'être est l'incarnation d'un mystère, l'œuvre créatrice artistique est un signe représentatif d'une parcelle du mystère immortel. Le motif d'une œuvre, découvert dans la nature, contient un mystère. L'œuvre ne peut le dévoiler (ce serait au-dessus des forces humaines), mais elle doit être le signe qui attire les adeptes vers la compréhension du mystère. Le peintre, est selon L. de Vinci, l'interprète entre la nature et l'art, et doit rechercher les causes et les lois des manifesta- tions naturelles. Diversité des tendances symbolistes. — Cette école idéaliste s'est aussitôt partagée en plusieurs branches, dont l'une, s'em- parant des formes symboliques sans se soucier beaucoup de leur importance, semble faire la caricature du symbolisme. Une autre refait l'allégorie des anciens, ni plus ni moins. Une troisième enfin se prétend mystique et l'est peut-être, mais semble abuser souvent du droit d'être obscure et énigma- tique. Ces tendances existent plus nettement encore en littéra- ture. En somme, notre époque a le droit de reproduire dans son art ses préoccupations littéraires, scientifiques et morales, et de les caractériser par des signes matériels qui répondent le mieux à son état d'âme, mais il est juste de considérer comme la plus autorisée, quant à la justesse des symboles, l'école éso- térique fondée sur des sciences exhumées par le Sar Péladan, S. de Guaita, Papus, etc. ( 32 ) Au même titre pourrait s'élever une école d'art chrétien, mais jusqu'ici elle en reste au poncif, quoique la symbolique soit pour elle d'une richesse extrême. Il est encore un groupe, surtout littéraire, dont la rêverie et le trouble semblent être le caractère distinctif, et qui est abusivement appelé symboliste. Un afflux d'idées ou plutôt d'impressions et de sensations non coordonnées, une inspiration où l'artiste ou le poète semble se laisser ballotter par une sorte d'hallucination, n'a de commun avec le symbole que la technique instinctive de noter, de cris- talliser chaque sensation éprouvée. C'est un art encore, mais égoïste et peu communicatif. Les concepts d'Ibsen et des Scan- dinaves sont plus intéressants à cet égard, mais il faut faire ses réserves sur la portée psychique de toutes leurs élucubrations. L'engouement de la mode s'en est emparé à tel point que l'on trouve dans le moindre mot, dans une exclamation insigni- fiante d'Ibsen un motif social ou philosophique. Il est évident que les innombrables efforts en sens divers qu'a produits notre siècle doivent constituer, par la complexité des idées, des tentatives d'art indéterminées, mêlant la psycho- logie, le mysticisme, la réalité et même l'allégorie, à un essai de symbole libre. 11 est souvent scabreux d'essayer d'en dégager de la science et du sérieux. Tout dégénère : pour retrouver le symbole pur, il faut remonter à Pythagore, à Platon, à l'Egypte et à la Chine, en un mot à l'astronomie et à la science analogique. Il faut tenir compte, de plus, des dissemblances de l'organisme humain. En théosophie bouddhiste orientale, par exemple, les signes sont plus obscènes : la copulation, le lingham (çiva), etc. ''.Il en était d'ailleurs de même en Perse et dans tout l'Orient, Le Zend Avesta en fait foi. A. HovELACQUE ct ViNSON, Ètudes de linguistique. Paris, 1898, p. 302. CHAPITRE II. DE l'analogie et DE l'aSTROLOGIE. L'expérience a produit le doute, l'essai de jugement, mais aussi la comparaison. Unie à la logique, elle permet de déterminer les rapports entre les causes et les effets, elle donne une sorte d'intuition pour discerner l'exactitude ou la probabilité de ces rapports, et ainsi naît le symbole, simple et primitif, qui est le germe de l'emblème et de l'allégorie, mais qui devient de plus en plus ardu et profond à mesure que l'on s'avance dans son étude. Source de l'analogie dans les causes et les effets. — La science que les anciens nous ont transmise et qu'ils ont nommée analogie est basée sur le principe des causes. Toute cause de ce qui est, dépend d'une autre, celle-là d'une antérieure ^ et ainsi de suite en remontant jusqu'à la plus générale, jusqu'à la cause première de tout . car il ne peut rien s'opérer sans une cause quelconque. Il est des effets contingents dont nous voyons la cause sans voir l'enchaînement de celles qui sont antérieures; d'autres fortuits, dont nous ne voyons même pas la cause immédiate, et nous appelons hasard cette cause inconnue. Mais si tout dans Tordre des choses est absolument nécessaire, il n'y a rien dans l'ordre de nos connaissances qui ne soit plus ou moins contingent. Seulement, il y a un pourquoi qui nous échappe < De Stutt de Tracy, Éléments d'idéologie. Bruxelles, i8"26, p. 263. Tome LIX. 3 ( 34) et dont tout semble dériver. La science des lignes, des formes, des nombres a été poussée au plus haut degré par les philo- sophes de l'antiquité. Leur ésotérisme, qui domina toutes les religions, s'introduisit dans les théologies, fut conservé dans les sociétés secrètes, et ses schémas servent encore aujourd'hui de démonstrations dans plusieurs sciences ^. Formes. — La ligne est la base fondamentale de toute œuvre; elle est comme embryonnaire; c'est la synthèse sym- bolique et son impression doit persister. De même que la ligne serpentine est celle de la grâce, la verticale celle de la puis- sance, l'horizontale celle du silence, la forme carrée rappelle la force, la triangulaire la durée, le cercle l'éternité, l'ovale la beauté. Les confréries maçonniques n'ignoraient pas que la colonne élancée élevait l'âme vers le ciel, l'art romano-byzan- tin et lombard savait que les piliers épais et ramassés ajou- taient à la mystérieuse anxiété des cryptes. En un mot, la forme seule, la ligne géométrique, la silhouette peuvent faire naître le souvenir, la pensée, l'illusion. Caractère. — Aussi le caractérisme a-t-il mené directement à l'analogie. Un peintre ignorant du moyen âge n'eût jamais consenti à représenter des Juifs sans leur donner tout au moins un détail de coiffure, de costume ou de barbe, qui, joint au type, dénotait pour lui l'enfant d'Israël. Or tout ce qui distingue un homme d'un autre est un signe, et le caractère individuel même se rattache ainsi au symbo- lisme général. Ce que l'on fit pour l'Israélite s'était fait depuis l'origine de l'art et de la science, car le caractérisme est une recherche analytique et synthétique à la fois. Un ensemble, une silhouette, * Boulanger, Vantiquité dévoilée, t. III, p. 412. — De S*", Résumé de V histoire des traditions morales, etc. Paris, 1825, p. 120. Collection de résumés historiques. ( 35 ) une simple tache ou un trait schématique peut donner parfai- tement le souvenir d'un être ou d'une chose. On se souvient de la poire qui représentait Louis-Philippe, du rayon entre deux saules pleureurs qui figurait l'hôte de Sainte Hélène, puis de ces mille vulgaires et banales comparaisons du peuple qui ne sont que du caractérisme : 22, les canards! 13, Judas; un tonneau pour un homme gros, une arête pour un maigre. Toutes ces plaisanteries ne proviennent que de comparaisons si simples, qu'elles sont pratiquées par des enfants en bas âge. Mais qui dit comparaison dit analogie K Ressemblance. — Le caractère d'un objet a semblé analo- gue à tel autre, ce qui a permis des métaphores; l'analyse de cet objet avait démontré son caractère ainsi qu'un aspect synthétique le présentait dans les grandes lignes. Ce sentiment comparatif du caractère une fois éveillé, la critique s'est exercée à la fois sur le physique et le moral. On a pu constater le rapport de certaines formes pareilles avec une même idée, de tel objet physique avec telle qualité ou tel défaut moral. Le souvenir d'un objet, évoqué par un simple contour graphique, une tache sur un vieux mur, une apparence de nuage, de vapeur ou de reflet est une analogie qui amène une idée. Les premiers philosophes qui furent surtout observateurs se fondèrent sur ces apparences et en déduisirent une ressem- blance morale. Analogie scientifique. — La nécessité même de conserver par le dessin certaines formes caractéristiques et d'en fixer le souvenir les induisit à Vanalogie. On trouva au ciel le signe de la Grue, du Cocher, de l'Ourse, du Dragon, etc., et ces dessins devenant sacrés donnèrent lieu à des gloses et des * Papus, Traité élémentaire de science ocailte. Paris, 1898, p. 8. { 36 ; explications mythiques et aussi à des personnifications de divinités ou de mystères théologiques. L'analogie fut aussi le facteur des caractères primitifs de l'alphabet. Telle foi me était analogue à telle idée que repré- sentait tel mot. Celte forme fut adoptée pour la première lettre du mot et vice versa. Nous avons indiqué déjà que l'A fut un casque, l'E un sein de femme, etc.. Mais Moreau de Dammartin ^ a prouvé par près de six mille dessins que les éléments originaires de l'alpliabet furent tirés par les diffé- rents peuples de la forme de groupes d'étoiles. En outre, on peut constater pour une même clef ou lettre des types souvent dégénérés; comme aussi, certaines lettres eurent plusieurs caractères différents à cause des mots divers pris comme élé- ments de nomenclature. Nous reviendrons à ces symboles graphiques si compli- qués; il nous suffit d'indiquer ici le rôle de l'analogie. Dans les spéculations philosophiques elle était maîtresse, comme rattachant l'esprit aux choses palpables de la nature, et toute forme pouvant servir de jalon, de souvenir au penseur et lui rappeler une hypothèse, un problème, devint aussitôt de grande importance dans la science, absolument comme un dessin schématique est nécessaire à certains professeurs pour faire comprendre au tableau leurs théories. Dans cette période scientifique des premiers symboles, il n'y a aucun souci d'art, mais seulement celui de noter par une forme relativement juste, caractéristique, une idée utile et nécessaire. Nolation des idées par des signes. — Mais cette aridité mathé- matique ne put être conservée fort longtemps. Ainsi, les lettres et les chiffres sont le produit d'idées générales, d'utilité primitive ou d'intérêt incessant que l'on a voulu traduire par des signes, pour les conserver et les communiquer. • Moreau de Dammartlx, Origine de la forme de.s caractères alphabé- tiques de toutes les nations. Paris, 1839, p. 1. Institut historique. ( :^7 ) Les éléments dont se composent les alphabets employés à la représentation de la parole ont reçu leurs formes diverses des constellations vues par les peuples voisins du tropique du Cancer. Ces groupes ont été circonscrits par des lignes et d'une infinité de manières. En un mot ^, l'homme primitif lisait au ciel : c'était le livre commun de l'humanité. Mais il prit aussi ses exemples graphiques sur la terre. Les traditions antiques, les monuments mythologiques, allégoriques furent subordonnés au système social universel des anciens, même en Amérique, ce que prouve la pierre de Taunston, et l'obligation où ils furent de ramener à la nature les formes qu'ils voulaient remémorer a produit le symbole figuratif. Le Jeu des tarots est analogique dans ses vingt-deux atouts aux types des vingt-deux caractères alphabétiques orientaux. L'examen de certains groupes d'étoiles et du schéma produit par la réunion linéaire de ces constellations a produit aussitôt des souvenirs d'attitudes d'animaux, d'êtres ou de choses. Prenons pour exemple la Grue, le Chameau, le Bélier, le Bouvier, le Lion, etc. 2... L'idée dans l'art primitif. — Chez les primitifs, chez les prêtres anciens, ces formes ne pouvaient être inutilement retracées : les lettres divines de Taunston, les inscriptions du Sinaï, etc., le prouvent; si nous trouvons représentés sur des silex, sur la corne, un renne, un oiseau, un homme, ce n'était point par fantaisie préhistorique, pour faire de l'art pour l'art que ces premiers artistes se livraient à ce travail. Toute décoration (luxe de chef ou de puissant) se rapportait à une circonstance de sa vie ou de sa gloire; chaque sauvage, Peau-Rouge, Picte ou Noukahivien choisit des motifs de tatouage qui sont ses * Boulanger, L antiquité dévoilée, t. III, p. 3. Amsterdam, 1746. * MoREAU DE Dammartin, Origine de la forme, etc. Paris, 1839, pi. 3 et suivantes. ( 38 ) titres d'orgueil, ou bien l'œuvre est religieuse, destinée à servir d'amulette, d'idole, de talisman, ou à perpétuer le souve- nir de la puissance divine. L'art fut ainsi d'abord une industrie honorée ou lucrative. (II en fut de même dans la figuration de la parole.) Si c'était au ciel que les artistes trouvaient les équivalents de formes natu- relles d'animaux, etc., ils y ajoutaient aussitôt une idée, un sou- venir. Les Peaux-Rouges s'intitulent le Grand, le Petit ours, la Pluie qui marche, etc.. Ces noms dénotent pour eux des circonstances spéciales, qu'ils essayent de fixer par l'appella- tion d'objets sensibles, de symboles faciles à retenir. De même, les Chinois, les Égyptiens, retrouvant la forme d'une grue, d'un bœuf au ciel, se rappelaient les propriétés particulières à ces animaux, ce qui venait en aide à leur ima- gination poétique pour constituer des mythes, d'abord astro- nomiques, puis religieux, qui furent le fond de leurs langues sacrées. Formathm double de l'écriture. — Ce qui est surprenant, c'est que ces symboles se sont si bien unifiés avec une origine tout autre des lettres alphabétiques. Il faut voir dans ce fait l'action des scribes de tous pays, des modifications de l'écriture cursive, la diversité des formes du même objet dans les pays différents. Toujours est-il que l'analogie existe à peu près partout et que les deux sources symboliques ont fini par se confondre, de même que les heures chinoises correspondent aux lettres orientales et hiéro- glyphiques. Ces formes astronomiques si aisément susceptibles de modi- fications se fondirent donc dans les lettres. Les voyelles AEIOU, tirées des idées de l'homme, de la femme, de Dieu, du soleil et de la lune, furent produites par le casque, les seins, le phallus ou colonne, le disque et le croissant. Les tableaux paléographiques des langues hébraïque, sacerdotale, astrolo- gique, celtique, étrusque, latine comparées en montrent la ( 39 ) filiation évidente. C'est le mc»t lEOUA de la religion panlhéis- tique. Mais le langage, dès l'enfance, se compose de syllabes exi- geant l'emploi de consonnes : il est insuftisanl, trop long pour être purement onomatopique ou d'imitation vocale, la panto- mime même ne sutlit pas. Dès lors, la représentation gra- phique, sur le sable ou la pierre, vient en aifle au geste et à la parole, et récriture est trouvée, iconofjrapfiiijue d'abord. Cet usage ne devint général pourtant qu'à une époque de civilisation avancée déjà, et surtout dans un but de science, de morale et de loi religieuse. Équivalence des formes anatomiques et astrologiques. — C'est donc plus haut, au ciel même que les recherches ^ se por- tèrent comme confirmation et sanction des formes usuelles. La première carte du Tarot égyptien, le Bateleur, prend ses formes de la constellation de Persée, origine de Mithra et du Bonnet phrygien '^. Les hiéroglyphes des sièges d'Isis et des enceintes sacrées tirés du groupe de Cassiopée se retrouvent en équivalent en Chine, de même (jue le het (Hj, etc.. L'A tseu, aleph, représente par variantes l'homme ou l'en- fant, l'osiris, la grue ou le casque. Ces variantes étaient dues au mystère des allégories sacrées et de la transposition des mots, sorte d'énigme pour le vulgaire, qui constituait la science des initiés. Le B rappelle à la fois, dans les alphabets les plus divers, le bélier, la cassolette, en forme d'animal, la jambe percée de Bootès. Le G est le bœuf ou le chameau, la patère hiérographique, car la forme elle-même a dévié, s'est condensée au point de permettre de nouvelles idées et acceptions. Les symboles ne sont donc jamais de forme unique, sine qua non. * Papus, Traité élémentaire de science occulte. Paris, 1898, pp. 141-208. - MoREAU DE Dammartin, Origine de la forme, etc. Paris, 1839, pi. 3. (40) Dé(jénéralion de la forme écrite. — En voici une preuve : YAnk, mot initial des inscriptions du mont Sinaï, comparé à la tablette et au style égyptiens, donne lieu à des modifications insensibles de forme dégénérée ou négligée qui atteignent les caractères phéniciens équivalents au bœuf. Le dessin géomé- trique finit par devenir à l'usage, une écriture arrondie, cursive comme les lettres arabes. Ces exemples peuvent être donnés sur l'alphabet entier. Astrologie. — Certains signes du zodiaque sont tracés de façon différente, jusque dans nos calendriers; par exemple le Capricorne, le Lion, la Balance. Un même caractère écrit se transforme aisément, mais tous ont été puisés à une double source commune. Le Zodiaque naquit par une division duo- décimale naturelle. Pour qualifier les groupes astronomiques, on leur donna des noms tirés des objets physiques. Chez les Chinois, il y eut d'abord les douze heures du jour ou stations du soleil (doubles des nôtres). Dix autres constellations servi- rent à désigner des jours et dans la suite des chiffres. Une série de lettres servit plus tard de type fi l'arithmétique dénaire des Arabes ' . La sphère étoilée fut donc peuplée pour les Chinois de génies symboliques aux noms monosyllabiques. L'image de ces êtres astronomiques devint la représentation de ces noms monosyllabes. Les vingt-deux groupes d'étoiles, images des vingt-deux pre- miers méridiens de la sphère céleste, ont à la fois donné leurs formes aux vingt-deux caractères des alphabets orientaux, aux hiéroglyphes et à vingt-deux caractères chinois des jours et des heures. Les personnages fabuleux issus de ces figures célestes ser- virent dans chaque contrée pour orner les fictions poétiques et s'enveloppèrent de nuées mythologiques. * Letronne, Observations critiques et archéologiques sur V objet des représentations zodiacales. Paris, pp. 8 et suivantes. (41 ) Les langues sacrées étaient ainsi une science profonde et étendue, dont le Chinois aujourd'hui peut donner une idée assez exacte. Il y eut donc une double source fi la formation des carac- tères : l'astrologie et ranalogie. Tous les philosophes anciens se sont occupés de cette double science, car l'astronomie était encore à l'état d'enfance. Tout en cherchant la vérité, l'exactitude dans le rapport entre l'idée et sa représentation, les auteurs des premiers symboles écrits ou peints, durent donner à leur méditation la priorité sur l'apparence réelle. Le symbole théologique spéculatif eut d'abord force de loi ; le symbole moral suivit et donna naissance au symbole poé- tique et artistique. Variété dans les formes symboliques. — Mais l'histoire d'un symbole doit toujours être étudiée dans son milieu, dans les conventions, les mœurs, le climat où il est né, et de plus, il faut considérer ses dégénérescences, ses mutations, ses migra- tions par suite des tempéraments et de rinterpi'étation des hiérogrammates ^. Quand on y songe, il est même étonnant que l'on puisse s'y retrouver, ce qui prouve cependant la réalité des rapports qui l'ont fait naître. Ainsi, un bloc de glace peut servir de symbole à l'hiver, i\ la mort des êtres. Ce symbole est inerte au point de vue d'un habitant des tropiques, n'ayant jamais fréquenté que des régions torrides. Pourtant il existe et parle k l'esprit du nègre, dès que celui- ci a passé un hiver sous nos latitudes ' Origène admettait trois sens : le sens naturel, rallégorie morale et la cabale ou théologie spéculative. — Voyez Patrologie, |)ar J.-A. Moehler, trad. J. Cohen, l. II, p. 105. Louvain, i8i4. ( 42 ) Invention poétique. — L'analogie est indispensable à l'inven- tion du symbole ou de l'allégorie dès qu'ils sont purement moraux. L'allégorie grecque de la mort, c'est la Parque qui coupe le til de la vie; elle repose sur l'analogie de la vie liée à une destinée, un pouvoir supérieur. Les ciseaux avec le fil ne sont que des attributs de la Parque, et le souvenir de celle-ci seul en fait pour nous des signes de mort. Le sablier, la faux (indiquant que le temps est arrivé), la tête de mort avec deux tibias croisés ne parlent point univer- sellement peut-être, sauf le crâne, parce qu'il est un emblème instinctif tiré de la nature, plus clair que les signes métaphy- siques ou astronomiques et que ceux déduits d'un simple raisonnement. Soit un flambeau orné de quatre rayons (les rayons sont analogues à des ailes). Supposons deux ailes de libellule lumi- neuses et rayonnantes, les ailes de Psyché en un mot. C'est bien là le signe de la lumière par les rayons, de l'élan vers le ciel par les ailes, double analogie qui, à la réflexion, devient : (lumière, esprit, science, ciel, idéal, divinité). Il est aisé de la transposer en phrase allégorique : l'esprit est de nature divine. « Le flambeau rayonnant a des ailes » signifie donc : l'esprit mène à Dieu ou l'esprit va oîi il veut ! Tel est à peu près le procédé employé par un poète pour constituer une allégorie. Il y a au Musée des Offices un cippe funèbre portant un enfant nu ailé et couché. Il tient deux pavots et la corne des songes. C'est une idée charmante qui dit en somme : Notre amour n'est pas mort, mais endormi au pays des Rêves. S' éveiller a-t-il encore 1 En revanche, un autre monument où l'on voit un enfant mourant, nu, couché sur un manteau et exprimant exactement par l'abandon général du corps, l'expression des traits, le moment terrible où l'homme sent la vie qui lui échappe, n'a ( 43 ) rien d'allégorique. Il parle par Vaspect, l'illusion, le choc sym- pathique de la nature. Dans la matière qui nous occupe, il y a un certain nombre de distinctions très délicates à faire, et qui nécessiteront des exemples nombreux. DU SYMBOLE PRIMITIF. Dans la composition picturale, il faut se défier de l'ingénio- sité des érudits ou des mystiques, explicateurs de symboles, ou bien admettre ceux-ci sans examen. Sinon l'œuvre doit en souffrir. Le symbole de l'artiste. — L'aridité d'une discussion philoso- phique, le peu de créance qu'obtient une analogie cherchée péniblement au loin (tandis que la nature est là, prête à fournir au penseur sincère des tableaux vivants, une image pour chaque idée), doivent engager les artistes à repousser l'hiéroglyphe, ou bien à le prendre tel quel, tout fait, et se borner à le représenter adroitement et avec talent. Or, ceci n'est pas le but d'un art intellectuel. Pourtant, un peintre même ignorant, ne fait-il pas mieux de brosser habile- ment un lys ou un sphinx (s'il veut absolument faire autre chose qu'une étude d'accessoires), que de s'évertuer à figurer par exemple un prélat mondain, par le nerprun (parce que Sandoeus, dans sa Théologie symbolique, fait une allusion aux épines que les évêques enfoncent parfois dans le front du moine humble, de même que les Juifs ceignirent la tête du Christ, des épines de cet arbuste)? N'est-ce pas s'égarer dans un domaine dangereux ? Tous les grands maîtres, même dans leurs œuvres les plus mystiques, se sont bien gardés de cette exagération d'analogies et de déductions, et de cette culture spéciale qui se pratique dans le silence du cloître ou de l'occultisme. ( U } L'art doit être humain, c'est-à-dire palpable, émotionnel et spirituel à la fois, et ne doit pas dégénérer en un étalage de figures scientifiques. Diflérentes sortes d'expressions de Vidée. — Or, dans la repré- sentation de l'idée, nous distinguons nettement : 1° le symbole du savant; 2'* celui du penseur libre ou de l'artiste; ?>° l'em- blème; 4*^ l'allégorie. Ces quatre classifications ont des sub. — Voyez J.-A. de Goulianof, Archéologie égxjptienne, t. III, p. 120. Leipsick, 1839. * Papus, Traité élémentaire de science occulte. Paris, 1898, p. 103. — Grimoire. ( 69 ) En langue française, une pareille cryptographie donnerait des puérilités comme les suivantes : Im Mer est étendue. La Mère est étendue (à terre). Allégorie : la Mère des humains (la terre) est étendue morte (en hiver). Le vert est la couleur de l'ancre (espérance). Le verre est la couleur de l'encre. Le feuillage est la couleur du (navire) à l'ancre. En somme, ce système est une sorte de langue chiffrée sujette à interprétation. Secret théologique. — Or le langage secret était aussi celui des théologiens chrétiens, comme celui des rabbins, des sociétés occultes. Exemples : Le ciment est composé de chaux (charité ardente), qui se marie par l'eau (qui est l'esprit) aux choses de la terre, au sable, et lie la foule des fidèles. Les vitres sont : les Ecritures qui reçoivent la clarté et repoussent les intempéries des fausses doctrines. Le calice est un signe de splendeur et aussi d'ignominie (à rapprocher de la corbeille égyptienne). Ce n'est donc pas la nuance de qualité prise dans un sens pervers, comme le croit J.-K. Huysmans, qui établissait des acceptions inverses, mais ces traditions provenaient de sciences antérieures, d'une migration de symboles. L'art n'a jamais fait que suivre de loin ces complications, quand il ne devait pas les traduire mot à mot, mais elles for- maient le fond des idées. Composition de signes à l'aide d'autres signes. — Les hiéro- grammates enlevaient une partie d'une image pour la placer sur une autre image. Ainsi du serpent barbu à pieds humains (Kneph), de l'épervier avec un fouet sur le dos. C'était là faire une nouvelle allégorie partielle, mais ce signe nouveau une fois adopté, il devenait pour tous un symbole autoritaire, quelle que fût l'association d'idées qui l'eût fait naître. Ce ( 70 ) procédé, dit saint Clément, était employé selon les conve- nances des choses i. Dans l'allégorie peinte, même chez les modernes, on va d'ailleurs jusqu'à détourner le sens des actions : Le temps fait passer l'amour. (Un vieux nautonnier qui fait passer Cupidon sur l'autre rive.) Langue secrète chez les Grecs. — Les Grecs mirent aussi une grande élasticité de signification dans les figures. Le mot Sphragis, bague qui servait de cachet, se rapporte à un mot égyptien qui signifie : obturo, occludo, but de l'allégorie, cacher le contenu de la missive. La figure de Mars avec un anneau à une jambe (à la manière des Grecs qui, selon Pausanias, cité par Winckelmann dans son Essai sur l'allégorie, le représentaient les pieds enchaînés) n'est pas par un simple rapport, comme on le croirait, un symbole. L'anneau ou la chaîne répondait à l'idée égyptienne. La jambe ou le pied, par un jeu de mots relatif à Scala et con- tentio, signifiait le siège d'un fort, et le tout était le dieu de la guerre, de la violence. Dans VApollon saurochtone du Louvre, le jeune dieu est accompagné d'un lézard qu'il vient d'agacer avec sa flèche pour le faire sortir de sa torpeur. Les Grecs en faisaient le symbole du soleil. Cet emblème du lézard donne : Le rayon de soleil réveille le dormeur, c'est le soleil levant. Les anciens avaient la conviction que l'art expressif est celui qui, vraiment, élève Tâme vers les choses sublimes; ils ont créé une langue secrète par le rapport des signes aux idées interprétées ; ces idées étaient toujours autres que la significa- tion brutale de l'objet représenté. Elles comprenaient un rapport entre la loi, le fait et le prin- cipe d'un phénomène observé; et saint Maxime, quand il défi- nissait, au sujet de saint Denis l'Aréopagite, la nature du ' J.-A. DE GouLiANOF, Archéûlogle égyptienne, 1. 1, p. 75. Leipsick, 1839. (71 ) symbole, l'appelait : un objet sensible pris pour une chose intellectuelle, c'est-à-dire le signe physique d'une notion métaphysique. Le symbole n'est qxCune tentative d'emblème. — Mais l'image abstraite n'est produite en nous que par un travail de recher- che cérébrale ou de synthèse et d'épuration. Le premier choc sensationnel n'est qu'un signe plus ou moins vague i, formant l'image positive dans le cerveau, et si nos notions métaphy- siques pouvaient être nettes, leurs signes physiques seraient des emblèmes ; il ne sont symboles que par l'impuissance de nos facultés qui ne sauraient s'assimiler une fiction, résultat d'images. Et même les phénomènes matériels qjie nous font connaître nos sens ne nous représentent pas la nature réelle des objets. Ils ne sont que les symboles de la réalité 2. C'est donc par une gradation de nuances que s'établit la différence entre les rapports de l'idée à la figure. L'un indique les idées théoriques qui nous semblent hyper- physiques; l'autre, celles qui peuvent se traduire en faits et être prouvées par la vie pratique. Un troisième peint à nos sens, en même temps qu'à notre esprit, ces faits et ces preuves vivantes. Enfin, le dernier substitue les images l'une à l'autre et forme un rapport nouveau parallèle au premier. Le langage allégorique fut toujours une autre langue, cal- quée sur les expressions tacites du mystère. Et partout où il y a symbole, il y a langage indirect 3. * Taine, De l'intelligence, l. I, lit. III, chap. I et II. ' Spencer, Principes de physiologie, t. I, partie II, chap I. * J.-A. DE GouLiANOF, Archéologie égyptienne, t. III, p. o67. Leipsick, 1839. ( 72 ) ou SYMBOLE RATIONNEL ET MYSTIQUE. Impression complexe. — Si l'on perçoit par la vue, le tou- cher, l'ouïe, l'existence d'un livre, d'un cheval, d'un nuage, celte perception, qui est simple et brutale chez des êtres domi- nés par la sensation physique, s'adjoint aussitôt chez ceux qui sont intelligents (et par une sorte de parallélisme), des notions produites par la raison, l'imagination, le sentiment, la sensua- lité, l'expérience. L'homme raffiné reçoit un multiple choc. L'impression morale est complexe. Au livre s'ajoutent science, pièce de vers, idée d'un roman intéressant, d'une liseuse aimée, du prix en librairie. L'analogie y ajoute : Bible. Au cheval : recul prudent, cavalcade, souvenir d'un cavalier, d'un accident de voiture, hippophagie. Par analogie : Pégase, vélocipède. Au nuage: ciel, éclair perçant la vue, ombre, couleurs de palette, chan- gement de temps, mélancolie. Analogie : bouffée de tabac, vapeur. Tous d'ailleurs occasionnent des rapports, de nouveaux groupements d'idées. Imprimeur, journaux, bibliothèque; armée, sport, courses; orage, naufrage, etc. Ces rapports sont du domaine de l'imagination et se présentent en foule durant le sommeil, mais sans coordination. Dans tout cela il y a des éléments de symbole et d'allégo- rie. En condensant les idées, la raison nous donne : livre = science; cheval = course ; nuage = adversité. La maison, par une transposition, allégorise la famille; le pain, la charité; l'oiseau, la liberté. Détermination d'un symbole. — 11 entre donc dans la déter- mination d'un symbole 1 une extrême conscience et une rigueur d'examen. Les poètes n'ont eu garde de négliger cette forme ^ A. ScHOPENHAUER, Lu vte, Viimour, la mort. Paris, Dentu, p. 168, ( 73 ) spirituelle, mystique et étonnante à la fois pour le vulgaire. Ils l'ont élevée, rendue plusardue, mémeaux intellectuels. Déplus, les notions d'histoire, de philosophie, etc., venant augmenter la connaissance primitive, les natures concrètes furent bientôt reléguées dans la brutale perception de l'image et le sens allé- gorique exigea une vraie initiation. Pourtant le sentiment populaire s'en est emparé insensiblement, par une observation générale de la vérité, et les proverbes semblent souvent res- pectables. Mais le symbole individuel s'est produit par la con- viction de rexadilude du rapport entre une figure et des lois naturelles. L'auteur se substitua de son plein gré aux savants hiérophantes; mais il fut parfois obscur comme eux et le scru- pule lui manqua parfois autant que la science. L'herméneutique i, tant pratiquée par des poètes (ce qui en fit un jeu d'esprit), se base souvent sur des ressemblances cherchées à plaisir, des accords d'idées réunies à grand'peine. Des évêques même ont laissé des gloses païennes, tandis que le symbole religieux, exécuté par des artistes inspirés par tel livre, ne concorde pas avec tel autre La conscience de chaque penseur est donc la seule autorité, ce qui produit la netteté pour l'un, l'obscurité pour l'autre, la confusion entre les termes. 11 arrive que tel intellectuel est puissamment impres- sionné par une image qui lui semble invinciblement attachée à un sens mystique, surnaturel, et que le profane ne saisit pas au même degré. Convention ou interprétation. — Peut-on inférer de là que la science symbolique soit vaine et arbitraire? Non certes, mais dès que l'on s'écarte des lois et des conventions établies, on doit se perdre dans l'interprétation. N'en est-il pas de même dans notre art contemporain? Les dessins humoristiques et enfiévrés de nos caricaturistes prou- vent-ils que le goût de la forme soit fantaisiste et arbitraire? * J -K. HuYSMANS, La Cathédrale. Paris, Stock, 1898, p. 198. ( 74 ) Les canons des artistes grecs ne produiraient-ils pas encore aujourd'hui la même beauté que jadis? Il y a des rapports indirects entre les choses, des rapports latéraux, outre celui du principe delà création avec la chose créée. Ces rapports surgissent à l'esprit des uns et non des autres, parce que les organismes diffèrent de subtilité, de savoir, de mémoire, de puissance déductrice. Symbole par analogie spirituelle. — Donc, après le symbole autoiHtaire, conventionnel, visant les notions métaphysiques, il y a un symbole qui se fonde sur des ressemblances d'idées ou de formes, des analogies qui permettent à l'esprit de flotter, de deviner, mais ne lui imposent pas une signification nette. Seu- lement il s'agit toujours des choses spirituelles. Un est d'abord l'unité antérieure. Il devient latéralement, indirectement ou en synonyme (si l'on préfère ce mot), priorité, solitude, célibat; le symbole est arbitraire. Un tel rapport repose souvent sur un changement d'idées, une allégorie, mais si l'objet est simple, si l'idée est exprimée par un mot, c'est encore un symbole. Si l'objet est complexe et l'idée rendue par une phrase, c'est allégorique. Ce rapport latéral que Lafaye attribue à tort à l'emblème, ne peut être confondu avec le rapport sensitif qui manifeste à nos sens l'idée par tout son aspect physique, artis- tique et vital, et qui est emblématique. La fourmi (immobile), dans sa forme générale, est le symbole du travail. En mouvement seulement, elle en est l'emblème; de même qu'un ouvrier en action, qui, même au repos, mais en costume de travail, en redevient aussi le symbole. Liberté poétique. — C'est sur cette liberté de raisonnement et de sentiment qu'est fondé tout le symbolisme d'art et de poésie. Sans elle on ne saurait plus qualilier ni admettre les inspi- rations d'Albert Durer par exemple, de Michel-Ange et de nom- ( 75 ) breux puissanls symbolistes qui n'ont point fait de hi subtilité de mots et de phrases, mais ont traduit par des signes à eux propres leurs élans de pensée, qui fort souvent nous écrasent sans être élucidés. Symbole mystique et individuel. — Un exemple de l'obscurité qui peut naître du caprice individuel en fait de représentation de l'idée, c'est le symbole mystique. Le mystique renonce d'habitude à trouver des formes équi- valentes à son sentiment hyperesthésic. Quand il doit le com- muniquer par des signes extérieurs, ceux-ci sont le plus souvent bizarres, monstrueux et peu compréhensibles. En revanche, une religion ayant un complet organisme théologique, et surtout un culte comme celui des Grecs, où l'homme, la divinité et la nature se confondaient en la vie, se sert de signes clairs, harmonieux et morphiques. D'un côté, c'est le rêve; de l'autre, la doctrine philosophique. Cependant il serait antiartistiijue d'exiger que ces signes fussent toujours absolument positifs, typiques, car l'essence même du symbole est spirituelle, animique, c'est-à-dire divine, intînie, indéfinie. Le symbole repose ^ sur l'alliance hardie des idées qu'on se fait de l'Être divin avec les sujets extérieurs. Symbole artistique. — L'impression du sublime est produite souvent par les seules grandes lignes d'une peinture symbo- lique. Comme révélation divine, le symbole devrait être unique, invariable, sans nuances. Mais comme application humaine, il est général ou indivi- duel; conventionnel ou arbitraire. L'épi de blé, la charrue, la bêche, la gerbe ne sont-ils pas 0. MùLLEU, Archéologie, t. 1, p. 21. Paris, 1841, trad. Nicard. ( 76 ) tous des indices de l'agriculture, mais aussi d'abondance, de santé, de richesse, de travail, de fécondité? Pour celui qui médite profondément, une de ces idées prime en exactitude toutes les autres : ce sera son symbole choisi. Albert Durer. — Albert Durer, esprit réfléchi, creusant tout, a fait des œuvres obscures de symbolisme. Qu'il représente trois amours dont deux sonnent de la trompette de renommée et le troisième tient le casque d'un chevalier, ou un seigneur élégant devisant gaiement avec une châtelaine, tandis que der- rière un hêtre se dissimule un squelette avec un sablier, ceci est emblème de jouissance et symbole de mort, avec l'allégorie de l'embûche. Qu'il écrive en rébus (ce qu'il aimait autant que de composer des monogrammes), il est toujours penseur original, et ses sym- boles personnels, quoique parfois inexplicables, portent aune rêverie qui prouve leur rapport avec le monde psychique le plus mystérieux. Le chevalier à la tête de papillon, avec des ailes aux pieds, arrêté dans des ruines, signifie pour lui le caprice. Les armoi- ries à la tête de mort, avec un groupe amoureux au-dessus, emblème d'amour et symbole de mort. Dans sa superbe Mélancolie, couronnée de fiel de terre et tristement accoudée, tout est symbole jusqu'au soleil à un rayon, au compas, à l'enfant (kobold germanique sommeillant), au sablier, à la scie, au tableau d'école, jusqu'à la chauve-souris qui plane derrière cette femme lugubre. C'est de plus un vrai tableau emblématique de l'ennui. Son Samson, jusque dans un détail de nuage, de plante dressée, de forteresse, respire la force et la vigueur : tout symbole, indication de l'idée. Ses Fiançailles de la Vierge ont la forme typique AxiSposalizio de Raphaël, et si les arabesques d'orfèvrerie du portique sont fantaisistes, la chouette du fronton y symbolise la prudence et la sagesse. ( 77 ) Sa série de gravures sur bois de l'Apocalypse ^ déborde de symboles personnels issus de la vision de Pathmos qu'il a sentie plutôt que comprise, certes. Dans la Uei^truction du monde par les anges de l'Kuphrate, il y ajoute une satire allé- gorique contre la papauté et le catholicisme fauché. F. Mantegna. — A la National Gallery de Londres, Francesco Mantegna a symbolisé i\ son gré et aussi allégorisé le Noli me tangere : Une vigne en fruit sur un arbre mort (La Vie de la Foi), un oiseau défendant son nid contre un serpent sorti de l'arbre mort {L'Église se défend contre r Impiété, allégorie). Impressions causées par une figure. — Le symbole est le signe spirituel des choses, on l'oublie trop aisément. Le dessin d'un lion en général, type de la race léonine, est un signe distinclif (!omme une marque de fabrique, un costume, un insigne. On l'appelle emblème parce qu'il est un aspect déco- ratif, graphique, rien de plus. Un lion particulier dessiné avec ses caractères individuels, portrait différant de tel autre, n'est encore qu'une figuration esthétique ou caractéristique, sans aucune tendance spirituelle. Mais cette figure du lion en général exprime pour le penseur l'idée des qualités de la race, sa distinction morale à l'égard d'une autre espèce, ses habitudes, son usage. C'est un symbole qui, par son rapport avec le monde spirituel, donne une ana- logie avec l'être courageux. Une figure de lion posée dans une attitude spéciale, griffant, par exemple, ajoute à cette analogie l'idée de lutte, de combat ; symbole spécifiant le courage guer- rier et, par associations d'idées, le lutteur courageux, la force guerrière, etc. Le symbole reste toujours, surtout si ce lion est un signe, schématique, sans souci réel de la vérité artis- tique. Ce dessin stylisé, de convention, ne tend pas à exprimer * A» Musée de Colmar, etc. ( 78) une action au naturel, mais à écrire le mot : force guerrière. Le lion au repos indique ainsi le courage calme de la force, de la puissance. Dès qu'il est figuré dans le but de caractériser la façon dont il griffe, son mode de combattre ou de dormir, enfin un but plastique ou naturaliste, le sens de la figure s'eftace devant l'esthétique, l'aspect de vérité ou le talent de l'artiste. Il n'est plus là question de symbole, c'est de nouveau un portrait, une étude d'après nature. Mais en littérature comme en art, un lion quelconque peut être choisi comme signe spirituel de royauté dans la liberté, en même temps que de courage. C'est là un sens arbitraire, cherché indirectement, un rapport latéral, tiré de particularités de sa vie au désert, d'analogie avec un roi. C'est un symbole librey personnel à l'artiste. Un exemple encore : Le lion peut encore être représenté non en figure conven- tionnelle ou stylisée, mais artistiquement, en action ou en passion. Alors c'est le fait. Faction qui éveille l'idée, non le lion ou ses qualités morales. S'il se bat les thincs de sa queue, cette action qui est celle de la rage ou de l'inquiétude et que peut faire un cheval aussi ou un boeuf pour chasser les insectes importuns, devient le but intellectuel de l'image, parce qu'elle a un sens : rage ou inquiétude. Cette image devient donc l'évocation de cette action de rage impuissante, c'est-à-dire un tableau, un emblème de vivante passion. Symbolisme par impression. — Ln tableau peut être symbo- lique sans avoir en apparence aucun sujet ni signification. Ainsi deux objets placés en croix sutîisent pour lui donner le caractère de l'absolu, du principe de la vie selon les Égyptiens, de la mort par migration des symboles ou loi des contraires *. Sept figures donnent le signe de triomphe, de perfection. De là, le choix de sept princesses dans l'œuvre de Maeterlinck. De même dans Burne Jones, Rossetti, P. de Chavannes, on voit * J.-K. HuYSMANS, La Cathédrale. Paris, Stock, 1898, pp. 191-196. ( 79 ) (les groupes souvent peu clairs mais imposant le respect par le nombre, la disposition, la ligne, la synthèse et devenant inconsciemment pour le public les facteurs d'une idée impres- sive, d'une obsession qui ramène le symbole. Ainsi l'on exprime des choses inetlables, des sensaliims indéteî'miiiées. Le symbole parle donc à l'âme et à l'organisme intellectuel, parfois par une sorte de contre-coup révélateur. On songe à réternité devant un cercle sans fin, à la Trinité devant le nom- bre trois, et cela inconsciemment. L'œuvre d'art symbolique produit une impression double, à la fois naturelle et surnaturelle, dont la liaison est intime, mais dont les facteurs n'agissent également que dans quelques orga- nismes. Il y a prédominance soit de la beauté ou de la vie, soit de l'idée, et celle-ci mène aussitôt à l'allégorie, tandis que la sensation d'art conduit à l'emblème. Une jeune fille fraîche, vive et radieuse est un symbole qui fait songer au printemps; elle est un spécimen-em/^/ème de la jeunesse, de la fraîcheur. Un bouton de rose est le symbole de la jeunesse ; le bourgeon, emblème de saison printanière. Symbole issu d'un rapport. — Le symbole n'est pas vague- ment, comme on l'a dit déjà, une figure de choses, leur expres- sion primordiale, le rappel de deux émois s'accordant pour une seule expression, mais clairement : l'indication réelle la plus exacte d'une idée, l'équivalent figuré d'une idée abstraite^ compréhensible ou non. Hésychius ^, lexicographe d'Alexan- drie au 1V« siècle, explique au propre le mot symbolon de même que ieras par semeion, signe, marque, similitude. Il est donc permis d'étendre ce nom au rapport latéral de l'associa- tion d'idées, qui rend synonymes deux termes issus d'une idée primordiale. Uiiité de source des expressions du génie humain. — Mais * J.-A. DE GouLiANOF, Avchéologie égyptienne, 1. 1, p. 46. Leipsick, 1839. (80 ) comment expliquer que l'on puisse à titre égal considérer comme symboles : 1° un terme ou une figure déterminée par la raison, la science, par une discussion philosophique ardue, et 2° un vague aspect d'une œuvre d'art indéfinissable, qui produit certes une impression, mais sans pouvoir donner prise •^ Texamen raisonné, à l'explication savante? Comment mettre ^ sur la même ligne le Saint-Graal, YOrphée, de Gliick, Faust de Goethe, Promcthée de Shelley, Béatrix, le Hollandais du Vaisseau fantôme avec le Jupiter Olympien, VAddha-Nahri des Hindous, avec VAgnus Dei? Toute perception provient de l'absolu ; si on le préfère, disons que tout converge vers cet inconnu. La source est commune des arts, des lettres, de la science, de la raison, de la philosophie. Chacun de ces rayons du génie humain est dardé d'un foyer unique et est doué d'une égale valeur psychique. L'art symbo- lique est celui de la pensée, il a d'autres facteurs, d'autres élé- ments que la science, il fait vibrer d'autres cordes, mais le point initial et le but final sont les mêmes. Pour celui qui sent et comprend, qui s'émeut à la vue d'une composition de Fra Angelico, à l'audition d'une symphonie de Beethoven, il y a autant de signification et d'élan vers l'idée immortelle dans la confuse Chute des damnés deL. Signorelli que dans la terrible figure de Typhon ou dans celle du Tétramorphe. Le symbole mystique de l'artiste ne peut donc être méconnu, même s'il est personnel, vague comme ceux de Diirer ou du Dante. Le génie a ses mystères et ses révélations. Idée symbolique personnelle à l'artiste. — Le groupe de Laocoon est évidemment un emblème de désespoir, d'agonie réelle au milieu des replis des serpents. Son auteur s'est-il borné à exprimer la passion et l'effort par son admirable technique, ou n'a-t-il pas eu en même temps présente à l'esprit * E. MiCHELET, De l'ésotérisme dans l'art. Paris, 1890, p. 11. ( 81 ) la pensée plus haute de la révolte sensuelle du pontife contre l'art divin et son châtiment? C'est un symbole païen. Dans son Maral au bain, L. David a inconsciemment créé un symbole de la Terreur, par emblème, synthèse et allégorie à la fois. Ce tableau est bien simple pourtant. Mais c'est Vidée mère qu'évoque cette scène qui nous émeut plus que la fac- ture assez banale. Rien de symbolique là non plus. La figure est bien un emblème de bassesse, le bain semble une allégorie du bain de sang révolutionnaire, mais la synthèse de tous ces éléments réunis forme un symbole saisissant. Ainsi l'on s'explique comment, dans l'école symboliste moderne, littéraire surtout, l'appât à la rêverie, à la naissance de pensées variées que provoque le choc des images employées, peut produire une harmonie persistante, berceuse qui répond à cette phrase de Montesquieu, dans son Esprit des lois : a Quand vous traitez un sujet, il n'est pas nécessaire de l'épuiser, il sutiit de faire penser. » Or, le symbole fait penser. Après la belle description du Couronnement de la Vierge d'Angelico, par J.-K Huysmans t, il reste peu de chose à en dire. 11 suffit de ces remarques : l'œuvre est l'hymne de la chasteté chanté autour du groupe emblématique de l'amour filial et de la pureté ; les marches du trône, au nombre de neuf comme les chœurs et les anges, les saints échelonnés, le blanc, symbole de la vérité absolue, le bleu de l'innocence, le rouge de charité, le rose de sagesse, le vert d'humilité, sont canoniques, mais le tableau est surtout mystique, c'est une vision personnelle, angélique, une adoration. Son ordonnance évoque symboliquement l'attitude des arbres de Jessé par les rameaux qui s'ouvrent autour du trône où éclate la gloire virginale. En eff^et, ne suffit-il pas d'une tendance générale souvent? Qu'est-ce qui produit l'impression religieuse ou patriotique d'une figure toute simple qui représente soit un personnage typique, soit une idée : un Christ, un Viala^ Ce n'est pas l'idéalisation, la beauté des formes, les attributs. C'est * J.-K. Huysmans, La Cathédrale, Paris, Stock, 1898, p. 178. Tome LIX. 6 (82) qu'ils sont les signes d'une grande idée. Un cadavre n'amène que la pensée de la mort. Celui du Christ, c'est la Rédemption et tous les grands mystères sacrés! La statue du jeune y^iala par David d'Angers, c'est la Révolu- tion, le dévouement pour la patrie. Voilà des symboles. Une statue peut faire naître par un simple défaut de pro- portions ou le rire ou le respect (ce qui prouve en faveur des principes de la beauté, évidemment). Ainsi, dans la cathédrale d'inspruck, les grands chevaliers du monument de Maximilien impressionnent, font naître une secrète terreur. Un photo- graphe maladroit en a reproduit d'autres à un niveau trop bas et leurs têtes trop grosses paraissent grotesques. Le symbole est manqué uniquement par les proportions. Ces figures ne rendent pas, malgré leur accoutrement, ce qu'avait rêvé l'artiste; il y a déformation y plus d'indication. Teinte allégorique du symbole. — La signification artiste ne se contente donc pas de ce qui semblerait suffisant à un égyptologue ou un théologien formaliste. Très souvent, le symbole élaboré par un penseur à l'aide de rapports indirects a une teinte allégorique. Comme banal exemple, voici une allumette; aussitôt naissent les idées : feu, phosphore, bois, incendie, etc. Mais dans le chaos des idées surgies, après l'épuration par le raisonnement, reste la plus caractéristique, la plus sympathique au penseur, celle qui s'impose comme se rapprochant le plus purement de l'absolu. Ici le feu est une allégorie ; on demande du feu à un fumeur, il comprend et donne une allumette. De même du phosphore. L'idée mère est la production du feu, sa naissance. Voilà le symbole. Si l'on dit d'une fille passionnée pour l'amour : C'est une allumette! voilà une allégorie, un objet d'une autre nature qui évoque des idées analogues aux premières. Le léopard, dit Bossuet, est naturellement le symbole de l'inconstance par la variété des couleurs de sa peau. Cette ( 83 ) variété remonte en effet à la Création et devient de l'inconstance par analogie d'idée, tandis que Vemblèmc de l'inconstance serait un amant fuyant son amante éplorée. Les signes du Zodiaque sont les symboles des saisons, dit justement Marmontel. Ce sont des marques nettement con- venues. Sumbole raisimué. — Peintres ou poètes peuvent suppléer par la raison ci l'absence désignes pour une idée, par exemple pour l'électricité : une flèche entourée de la foudre. Mais on voit clairement qu'il y a là déjà une allusion à la rapidité, à l'essence de la force électrique. Le symbole, quand il n'est pas la traduction directe, brutale d'un mot, ce qui est fort rare, naît toujours d'un rapport d'analogie ou d'une transposition qui touche à la métaphore. Purement il est le lien entre l'idée abstraite et une forme sensible, il laisse deviner l'idée par une forme ou une forme par l'idée. L'emblème, c'est la forme sensible de l'idée elle-même, vivante. L'allégorie est le l'apport caché entre deux idées diffé- rentes, ou entre l'idée et une forme hétérogène, ou entre deux formes, car Vallégorie est artistique aussi bien que littéraire, quoi qu'en disent les grammairiens. Les théologiens ont pris pour symbole de la foi, la corde d'une lyre, en abusant du mot Idiùn fides. C'est une tromperie, un jeu de mots, qui pour les initiés est devenu autorisé et légitime, mais ce symbole est né d'une allégorie comme une foule d'autres signes cano- niques. Diversité d'interprétation des figures. — Le simple triangle (signe de la Trinité) n'est-il pas plus loyal et plus vrai? Aussi l'artiste peut-il devenir inintelligible sans en avoir conscience. Chaque peuple a d'ailleurs ses formes, ses coutumes, ses signes et ses termes, comme aussi ses proverbes spéciaux. En Belgique, un lion, un drapeau tricolore, un chien attelé, un moulin à vent, une étroite bêche des polders, une marchande ( 84 ) d'œufs auront des significations inconnues aux populations du Midi, de l'Angleterre ou de l'Amérique. De même le Gambrinus allemand ne s'est introduit en Flandre et en France qu'à la suite des bières étrangères, et le renne, les castagnettes, le tambourin, le taureau de combat, la tarentule éveillent des idées très variées dans des pays différents. Devrait-on se borner aux symboles traditionnels généralement connus? Évidemment non, mais il faut épurer sa pensée et ne pas se contenter de signes confus, comme il faut dégager des doutes le terme précis de chaque chose. Figures qui se rajriwochent du symbole. — De la nature du symbole sont : le présage, conjecture d'avenir, qui annonce, rapproche l'idée et s'adresse aux savants, aux voyants ; un prélude grave annonce une musique sérieuse. ]Jindice aussi, qui est un signe apparent et probable de l'existence d'une chose. Le pressentiment, qui s adresse aux natures sensitives comme le signe du futur. Le présage ou Vaugure est une ébauche du symbole. Un point noir est un présage de pluie, de mauvais temps. La peinture d'un ciel sombre avec pluie en est un 6m/^/ème frappant. Le primitif degré de jyro/)/?é/ie a été la communication avec Dieu par le moyen des signes sensibles ^ : un buisson ardent» une colonne de lumière ou de nuée, tels étaient des symboles de Dieu. C'était surtout, comme les éclairs et la foudre, des avant-coureurs de l'intervention divine. La tendance naturelle de chercher à deviner l'avenir dans les astres, le vol des oiseaux, le sein des victimes, le fond des tombeaux, les combinaisons des nombres et des jours, dans les cartes et le marc de café, quoique ayant une relation assez éloignée avec les pronostics du médecin, les calculs de l'astro- * M. CouRTiN, Encyclopédie moderne, t. XIX, p. i22. Bruxelles. Lejeune, 4830. ( 85 ) nome, les conjectures du législateur, doit être prise comme de même nature cependant. Les écrivains ecclésiastiques, entre autres ceux de Port-Koyal, ont développé le sens de prophéties indirectes (|ui turent exprimées chez les Juifs par des symboles ou des événements. Le sens apocalyptique était une prophétie. Exemples de symboles personnels aux artistes. — Comme exemple typique, dans la décoration moderne, du symbole compris de façon personnelle par l'artiste, malgré son évidente préoccupation des Sibylles de iMichel-Ange, nous citerons les Neuf Muses de P. Baudry, à l'Opéra de Paris. Il a su — à part ce rappel peut-être respectueux de la chapelle Sixtine — éviter à la fois l'aspect traditionnel et l'allégorie, et donner à chacune des idées représentées une forme dont le rapport harmonique est incontestable. Puvis de Chavannes a eu de profondes inspirations dans sa Solitude : un prêtre, seul, est affaissé au bord de la mer devant rimmensité; dans VEspérance, jeune fille aux traits animés et tenant un bouquet d'aubépine en bourgeons; et dans le Recueillement, jeune femme en pleine forêt, dans une attitude de pensée grave. Cet art diffère déjà sensiblement de la tendance symboliste de l'école anglaise, qui semble se plaire à une impression vague, indéfinie, dont l'idée se dégage à peine. Tel est le groupe de femmes intitulé : Elles étaient assises en rond, les dévideuses (Shaw a symbolisé ainsi la vie féminine). Amor Sacramentum, par S. Salomon (malgré des attributs caractéris- tiques), L'Amour et le Temps, par Granville-Feel, Hylas et les Nymphes, de Waterhouse, et bien d'autres toiles (auxquelles nous pourrions bien adjoindre les Sphinyes et l'Ange guerrier avec la Bestialité, de F. Khnopffjne tendent évidemment pas à la précision, et les dessins d'un autre artiste anglais, Herbert Mac-Nair, qui ne sont qu'un pastiche des hiéroglyphes égyp- tiens, n'atteignent pas davantage le vrai but du symbole, qui (86 ) est de suggérer l'idée la plus élevée qui s'attache à la figura- tion. Certes Gustave Moreau, le profond artiste que l'art français vient de perdre, a plusieurs fois donné en apparence un caractère simplement archéologique à ses compositions. La Péri, par exemple, semble tirée d'une miniature persane, mais elle est symbolique non seulement par les idées mytho- logiques de V/ran, mais par son aspect qui exprime l'Imagina- tion chevauchant au-dessus des hauts sommets, vers les étoiles. On a dit que le caractère de l'art de Puvis de Chavannes tend à se simplifier dans ses visions, à devenir élémentaire. C'est en effet sa synthèse spéciale, car il ne chercha pas à con- denser l'âme moderne et tout ce qui l'entoure, mais à épurer et à généraliser son impression psychique. Gustave Moreau, lui, se laissait dominer par l'érudition et ses symboles étaient de nature savante et composite plutôt que sentimentale (voir V Hydre deLerne, OEdipe, etc.). Puvis chercha la formule immuable, humaine et rétléchie. Son œuvre récente, au Panthéon : Sainte Geneviève veillant sur la ville, est purement un souvenir de la terrasse de San Martino, à Naples, qui est venu s'adapter à l'idée hiératique d'une pieuse veillée. C'est ainsi que chez le symboliste se cristallise la forme typique sous l'influence combinée de la nature et de l'idée. CHAPITRE ni. DE LA PERSONNIFICATION SYMBOLIQUE ET DE LA SYNTHÈSE. Symboles divins. — Tous les prêtres égyptiens, selon Dio- dore, devaient être initiés aux mystères du dieu Pan ou plutôt de Mendès, symbole de la puissance créatrice de tous les êtres. Selon une convention mystérieuse, on avait attribué à cette entité métaphysique une forme sensible, un corps ou un aspect rappelant à tous son existence et ses qualités, une sorte d'incarnation supposée qui se présentait à première vue comme le signe de la puissance du dieu, non comme le dieu lui- même. C'était son symbole. Toute idole est ainsi un symbole divin i et, seuls, les êtres inférieurs se laissent saisir devant elles de la terreur superstitieuse qui devient le fétichisme. C'est ce que le peintre G. Bock! in a figuré dans son Dieu Pan efjraie un berger, une âme simple. De même Mijthos ou le Génie des mythes se trouve person- nifié, sur le bas-relief de V Apothéose d'Homère, par un jeune prêtre dépositaire des secrets. Mais ces symbolisations n'exigeaient pas forcément la figure humaine -, car l'homme lui-même peut être rappelé à l'esprit, par un trait sommaire : il suffisait de trouver le dessin qui 1 E. Bosc, 751.9 dévoilée. Avant-propos, Ghamuel, pp. m. Paris. — 0. MiJLLER, Nouveau manuel d'archéologie, t. I, p. 57 et 81. Paris, trad. Nicard. 2 Creuzer, Symbolik und Mythologie der altcn Volker, t. II, p. 67. Darmstadt, 1834, in-S®. — Boeïtiger, Ideen zur Kunst Mythologie, t. 1, pp. 308, 313, 330. Dresden, 1838. (88) évoquait l'idée de création ou de secret pour avoir le symbole voulu. Si le Jupiter Olympien et la Vénus de Praxitèle remplacèrent la pierre informe ou la colonne, symbole de divinité pour les primitifs, ce fut par développement esthétique, par la science du beau. Le symbole restait le même (agalma). La pierre de Jupiter Casius est encore figurée sur une médaille du temps de ïrajan; celle de Vénus de Paphos sur une médaille cypriote ^. Personnilication. — Dans son discours sur la nature des dieux, Cicéron dit que le culte des anciens a commencé par le respect des choses naturelles : ciel, air, eau, etc., que l'on a personnifiées, rendues tangibles, humaines. Le peuple a toujours désiré voir et toucher les objets puis- sants qu'il doit craindre ou adorer. L'apôtre en bronze romain, ancienne statue de Néron, à Rome, a les pieds usés par les baisers des pèlerins. Banier, dans sa Mythologie, croit que les fables sont l'ampli- ficaiion d'aventures réelles et de vérités très anciennes rela- tives à des êtres primitifs. Cette théorie n'est pas à rejeter, mais ces fables se sont liées à des idées, absolument comme les figures astronomiques ont passé à l'état de mythologie. Les objets ont été divinisés en effet, puisque Silène est l'outre au gros ventre attachée sur un âne et conduite par les vendangeurs qui étaient obligés de la soutenir sur le dos de l'animal, et puisque les rustiques au costume en peau de bouc devinrent les satyres, pans et aegypans "^. Aussi saint Augustin explique que les philosophes employè- rent l'allégorie pour expliquer les dieux que le peuple croyait * MiONNET, Description des médailles antiques, t. III, p. 670, et t. V. p. 277. Paris, 1806-1832. * René Ménard, Les emblèmes et attributs des Grecs et des Romains. Paris, J. Rouam, 1844, p. 14. ( 89 ) réels; de là des interprétations nombreuses; mais avant celte erreur populaire, les prêtres, d'accord avec la puissance guer- rière, s'eflbrcèrent de diviniser Taulorilé pour imposer l'obéis- sance, et le système hiéro-astronomique leur permit d'allier dans des traditions moiti(î héroïques, moitié morales, leur science à l'organisation politique et religieuse. Créations astronomiques. ■— Dupuis, dans V Origine des cultes ou la Religion universelle, admet que la théorie des levers et couchers d'étoiles représentés dans les planisphères sous l'aspect d'hommes et d'animaux, fut la base des mythologies, ce qui est conforme à l'opinion de iMacrobe dans ses Satur- nales. Objets divinisés. — Rabaud de Saint-Etienne dit que les lieux, les astres, les montagnes (tout ce qui impressionne l'homme) furent changés en princes et princesses ^. Le but était d'imprimer profondément le respect de l'auto- rité '^, et cette opinion est partagée par le père Bru net {Paral- lèles des religions), l'abbé Bergier {Origine des dieux du paga- nisme), Court de Gebelin {Monde primitif). Seulement, il est avéré que chacune de ces figures finit par correspondre à des idées qu'elle incarnait. Silène fut l'ivresse, le Soleil ou Apollon fut l'inspiration, la prophétie, la vie; les dryades et hama- dryades, la sève vivante et l'humidité des arbres ; Nérée, mer bienfaisante, Thésée, l'héroïsme, Orphée, la poésie musicale ; Narcisse, l'égoïsme, Charybde et Scylla, les excès contraires. Personnification avec attributs. — Les objets divinisés vin- rent donc prendre place dans les mythes au même titre que les passions, Némésis, Cupidon, ou que les vertus et vices, Astrée, la Concorde, la Calomnie, la Vénus impudique, etc., * J.-B. DuBREUiL, Histoire des francs-maçons, t. !«', p. 26. * F. DE Lanoye, Rhamsès le Cwrand. Paris, Hachette, 1866, p. 68. ( 90 ) et ces figures, qui prêtaient à l'idéalisme d'art, devinrent aussi des symboles aux yeux de tous, malgré leur origine plus ou moins allégorique : mais il fallut souvent leur adjoindre des attributs pour rendre compréhensible la création de l'artiste. Ainsi, quand celui-ci choisit une idée abstraite et la laisse deviner par une figure humaine qui lui semble justifier cette idée, il fait un symbole. Si cette figure doit porter un costume, une arme, un signe distinctif pour être reconnaissable, ce signe est son attribut ou son emblème, distinction que nous déter- minerons plus loin. Aucun ne manquera, s'il doit représenter sainte Catherine, de lui adjoindre une roue; au roi David, une couronne, un manteau et une harpe; à saint Christophe, un enfant sur les épaules. Comment les distinguer autrement? De tout temps, l'artiste a senti la nécessité d'expliquer à son public ce qu'il voulait figurer. L'enfant mettra sous un croquis informe : « Ceci est un âne ou un cheval », ou bien le nom de celui qu'il a caricaturé. Les primitifs usaient de bande- roles et d'exergues, et les Égyptiens de petites légendes i en langue phonétique à côté des images et des scènes dessinées, spécifiant ou nommant les individus ou objets représentés. Divinisation de la forme humaine. — Ces additions explica- tives rentrent dans la catégorie des emblèmes et des devises. On a dit que la personnalité est le symbole suprême. Au point de vue humain, l'homme rapportant tout à soi comme Nar- cisse, n'a rien trouvé de plus parfait que sa forme pour traduire la divinité ''■^. La tentative de personnification est donc une tendance artistique supérieure à la figuration par l'objet. Mais elle est moins autorisée, moins nette, elle est une expression * J.-A. DE GouLiANOF, Avchéologie égyptienne, vol. II, p. 178. Leipsick, 1839. * 0. MuLLER, Nouveau manuel d'archéologie, 1. 1, p. 205; t. III, p. 370. Paris, 1841, trad. Nicard. (91 ) égoïste, individuelle de l'artiste, qui intéresse à peine une élite de penseurs sensitifs. Le rapport par l'objet s'adresse le plus souvent au grand public. La personnification a un caractère autoritaire, divin, qui lui donne cette grandiose importance que nous trouvons dans les œuvres de la statuaire grecque i. On ne peut en effet tout figurer par des objets inanimés. Parmi les sensations, par exemple, il serait peu possible de déterminer par eux l'appré- hension, l'incrédulité, la moquerie, l'embarras ou des nuances analogues. Il faut en arriver aussitôt aux caractères déter- minés : la terreur, l'impiété, le mépris, la honte, etc., et utiliser surtout la mimique et l'expression du visage pour y réussir. On devient emblématique. Sijmbole arbitraire et symbole pur . — En général, tout ce qui n'est pas déduit du cours normal de l'Univers, de cette sérénité de l'étude philosophique, devient un symbole personnel et arbitraire. Le symbole pur est une équation, parce que l'objectif et le subjectif dépendent également de la cause cachée, de l'absolu. Personnification emblématique. — Mais la personnification n'est pas toujours divine et ne s'adresse pas toujours à une abstraction. Alors elle n'est plus symbolique et devient emblé- matique. Elle peut même perdre tout caractère. Un personnage peut être considéré comme historique, comme ayant existé. On ne connaît pas les traits réels d'Ho- mère, ni ceux des apôtres Pierre et Paul ; l'artiste, ainsi que l'a fait Raphaël ou le Poussin, s'efforce de reconstituer ces personnalités, soit en les idéalisant, soit en leur donnant des traits humains probables, sans indiquer en elles l'idée générale qu'elles peuvent représenter : soit la poésie, soit la fondation 1 ZoEGA, Bassi relievi antichi. Roma, 1807, p. 31. — Crozat, Recueil d'estampes avec description. Paris, Mariette, 1729, pp. 1 et 2. ( 92 ) de l'Eglise, soit la conversion ou la casuistique. Ce ne sont là que des portraits plus ou moins admissibles. Ou bien, ainsi que Lebrun et une foule d'Italiens décorateurs, il incarne dans une belle forme sans caractère spécial, Euterpe, Erato, Polym- nie ou Diane ou Cybèle, en se fiant à un attribut pour la désigner. Insuffisance de la forme correcte. — C'est qu'il ne sufiit pas de représenter de belles formes pour personnifier une entité divine ou surhumaine. En elle, comme en un homme ordi- naire, il y a le caractère à observer, l'expression, ces signes qui font reconnaître son identité. C'est ce qui manque très souvent à des peintres idéalistes d'un grand talent d'ailleurs, mais exclusifs dans leur rêve de la forme. De superbes figures d'anges ou de femmes du Spagna, par exemple, du Corrège, de J. Romain, de D. de Volterre, des Carrache, de tant d'autres, n'ont aucune importance signifi- cative, tandis qu'une figure indéterminée, incomplète dans son caractère esthétique, comme parfois on en trouve dans l'œuvre de Puvis de Chavannes, donne une sensation intense de symbolisme. Synthèse. — C'est le principe synthétique surtout qui pro- voque cette sensation, soit par la ligne embryonnaire de l'œuvre, soit par son aspect général. Les premiers hommes qui voulurent exprimer une collecti- vité usèrent du moyen de la répétition (comme l'arithmétique des ouvriers et des joueurs par traits et barres). Ce moyen devenant gênant, on trouva les mots pour caractériser ces groupes numériques, mais ce fut à une époque déjà avancée et après la naissance des noms d'individus. Mais déjà le nom est une fiction, une personnification, soit d'une image con- crète, soit d'une abstraction. La nécessité de condenser, dans la plastique ou la graphique, suivit le même processus. On représenta un être, un objet, puis plusieurs. ( 93 ) Simplilîcation. — Enfin, perplexe devant une armée, une flotte, une foule, l'artiste vit la nécessité absolue de modérer son travail, de simplifier. Il représentait d'abord plusieurs guerriers, plusieurs navires; il se borna à rappeler au lieu de l'aspect, l'idée, c'est-à-dire à laisser au spectateur le travail de pensée en se bornant à lui indiquer le sujet de rétlexion. C'est de l'idéation, du vrai symbole et non point de l'emblème. Le navire devient l'indication de la flotte, de même que chez les Égyptiens trois points étaient le signe du pluriel. Personnification artistique. — Ainsi également, devant repré- senter une divinité douée de passions et d'attitudes humaines (de par les mythes), on lui donna la forme humaine. Ceci était la forme probable du dieu, le signe plastique de sa puissance et de ses qualités. 3Iais quand il s'agit de personnifier en art une ville ou un pays, on fut en proie à une triple influence : le patron ou protecteur de la contrée la remplaça (ceci est allégorique); une figure remplaçait toute la population (symbole synthé- tique), et en même temps l'emblème relatif à la ville, ou un attribut de son génie protecteur venait compliquer les moyens de caractérisation. On conçoit que les artistes optèrent surtout pour la figure la moins savante, le plus à la portée de tous. Jusqu'au moyen âge, on vit un dessin panoramique de tours et de créneaux figurer Jérusalem ou Rome, tandis qu'une simple couronne murale avec la louve ou un autre signe pouvait en tenir lieu. Le symbole n'est souvent qu'intentionnel. — Les sculpteurs et les peintres de figures se rabattirent presque toujours sur un blason ou un attribut pour désigner une figure indécise qui, malgré leur désir, ne représentait pas suffisamment l'idée de la ville ou du pays. Le symbole n'existe souvent qu'à l'état d'intention. ( 94 ) La synthèse est naturelle à l'esprit. — La synthèse est natu- relle à l'homme le moins civilisé. C'est une question de puis- sance cérébrale. Nous avons vu, il y a quelques années, un peintre de marines qui, venant de terminer une petite étude d'un bateau échoué sur la plage, se retournait vers un pêcheur qui regardait attentivement la toile; avec une modestie peut être feinte, il lui dit : « C'est peu de chose, n'est-ce pas ? — Monsieur, s'écria tout à coup l'homme de la nature, moi, je vois là-dedans toute la mer ! )> Et son geste embrassait large- ment tout l'horizon avec un véritable sentiment de grandeur. Cet homme était synthétiste. N'est-ce pas à la période analytique de nos cinquante der- nières années de science, de méthode expérimentale et de réalisme positiviste que l'on peut attribuer la renaissance du symbolisme sous ses aspects modernes? L'analyse ayant fourni une somme effrayante de matériaux épars, on a vu instinctive- ment qu'il fallait les coordonner. Des esprits réfléchis se sont donc voués à synthétiser, comme l'avaient fait, des siècles auparavant, les grands peuples plus artistes que scientifiques. L'art philosophique des Grecs, dirigé surtout vers la statuaire qui exige la condensation des idées et le sacrifice des détails superflus, fut presque toujours symbolique par la synthèse. Ainsi, dans un bas-relief, l'artiste ayant à représenter la flotte des Grecs, se borna à figurer une proue de navire ou une nef avec ses rameurs. S'il voulait montrer un fleuve, il en faisait un nautonnier ou un pêcheur vieux (parce qu'il rassemble ses aftluents), appuyé sur une urne d'où sort une eau abondante et tenant une rame en signe de navigabilité. Le raisonnement seul fait dégénérer la simplification en symbole. Symbolisme monumental. — Or ce travail ingénieux de carac- tériser les qualités d'un sujet, de l'analyser pour condenser ensuite en un ensemble puissant le fruit de ses réflexions, devient aisément un plaisir, un besoin pour l'artiste, dès qu'il ( 95 ) a entrevu l'intérêt qui s'attache à une signification, un motif dëtre, une enseigne d'art. Cette tendance devient impérieuse quand l'œuvre est destinée à la glorification d'un culte, d'une dynastie, d'une grande ten- tative humaine. Alors l'artiste n'est plus seul à penser; il est soumis aux convictions de ceux qui se sont voués au succès de ces efforts, de ces entreprises. C'est ainsi que le clergé du moyen âge fournissait des hiéro- grammes tout faits aux artistes. iMonde peint dans des boules de verre, statuettes, figures grotesques même, chouettes, oiseaux, reptiles, tout cela avait sans doute quelque rapport avec les pensées dominantes , bien que cela nous semble simples caprices ou jeux d'adresse. L'inspiration énigma- tique de l'artiste ne doit-elle pas être en rapport avec les énigmes du grand symbolisme universel? C'est par la concen- tration des idées que surgit le rapport symbolique aussi bien pour l'artiste que pour celui qui veut le comprendre. Synthèse par groupes. — Seulement on a fait remarquer (surtout à propos de l'œuvre de Zola) que la puissance de synthèse ne consiste pas uniquement en condensation par simplification, mais aussi dans le maniement des masses uni- fiées. De même que le stratégiste considère un corps d'armée comme une unité, une armée entière, comme un corps vivant et actif, ainsi l'artiste peut nous donner l'illusion visuelle ou simplement morale d'un être d'ensemble qu'anime ou spiritua- lise une idée. C'est en réalité cette tendance qui dans une œuvre vaste et confuse, peu compréhensible, nous fait recon- naître instinctivement un symbole. Parfois une exubérance de détails, une profusion de formes et de couleurs dont on ne voit pas la nécessité, provoquent par leur masse une impres- sion persistante et unique qui est le sens de l'œuvre. Exemples de symboles peints. — Comme exemples, nous cite- rons l'art de Botticelli et de Pollajuolo, qui a tellement impres- (96) sionné nos contemporains que l'on a tenté de ressusciter ces maîtres. Et parmi les dernières tentatives, on ne saurait trouver de type plus caractéristique (à part un parti pris de rendu peu attrayant) que le polyptyque de la iYa/ure, par Léon Frédéric, qui rappelle par son sujet les symboles de la Dimie d'Ephèse et de la Cybèle aux mamelles fécondes, ou bien encore son tableau intitulé : Tout est mort, et dont se rapproche la com- position de J. Leempoels : L'Humanité tendant les mains vers le Destin impassible. C'est là précisément, par l'inverse, arriver au même résultat que le sculpteur qui représente l'armée par un soldat, l'incendie par une torche, la flotte par une proue. Les peintures du comte de Laiaing à l'hôtel de ville de Bruxelles et au Sénat, offrent un caractère accentué de synthèse symbolique dont il avait donné déjà un indice dans un tableau : L'Age préhistorique. Les trois panneaux du Sénat réunissent en une adaptation restreinte toute l'histoire du pays figurée par des éléments emblématiques (des groupes mimiques) et en même temps par deux figures symboliques [VHistoire et la Destinée) vers lesquelles tout semble converger. Le spectre du duc d'Albe jette là une métaphore et symbolise le désastreux passage de TEspagne. Napoléon est là comme la fin de tout le régime ancien et le symbole de l'ère nouvelle. Cet amalgame savant forme encore dans son tout un résumé de la vie de nos ancêtres. Le décor ;fort ingrat) de l'escalier d'honneur du palais com- munal, présente également un effort intense de pensée unie à la recherche d'un aspect fantastique en rapport avec les souve- nirs du moyen âge. Le sujet principal du plafond est la phrase allégorique : Les forces communales réunies défendent le beffroi, symbole de la cité, contre la peste, la famine et la guerre, signi- fiées par des harpies et une scène emblématique de guerre, mais avec une telle cohésion qu'on n'en perçoit que le symbole. Pro aris et focis, c'est l'emblème du triomphe des communiers foulant aux pieds les seigneurs; aussi emblématique le magis- trat proclamant un édit, de même que le tableau mouvementé de La paix de la cité commerciale. La Ville de Bruxelles ( 97 ) (personnification symbolique et un peu cosmopolite) préside encore au déroulement de ces péripéties. Nous ne saurions allonger démesurément cette étude par lexamen d'œuvres de nombreux symbolistes de notre jeune école. Notre but est seulement de caractériser les nuances diverses qu'affecte l'art uni à la pensée. ('j)ndensation. — La fresque du Jugement dernier du Buo- narroti i, née de la lecture du Dante évidemment (à preuve les croquis d'illustration que, jeune, il a faits sur les marges d'un livre;, mais encore plus des visions plastiques du sculpteur, répondait à la nature de Michel-Ange au même titre que la Chute des réprouves, celte grappe de passions et de violences, répondait à celle de Kubens. Qui oserait entreprendre de les analyser méthodiquement et de déterminer exactement leurs rapports? Dans la gravure en médailles surtout, on voit la nécessité de synthétiser, de représenter une foule par un individu, une armée par quelques lances. A la suite des Grecs, de nombreux sculpteurs ont usé de ce moyen, et de nos jours, n'est-ce pas par la faculté de condensation que Félicien Rops, pjr exemple, crée Tatlrait de son œuvre, que Turner, Puvis de Chavannes, Carriès, Rodin, C Meunier ont pu violemment attirer Tatten- tion du public d'art? Or le but de ces artistes est de caractériser ou d'amasser en un symbole les idées et les sensations mul- tiples que leur fait éprouver parfois une seule et simple figure. Ce travail est l'opposé de l'allégorie qui épand au dehors, à profusion, les tleurs de son écrin, ce qui la rend éminemment décorative. Symbolisme de Jiasard. — Mais beaucoup de contemporains, se fondant sur l'interprétation du spectateur, se bornent à éla- 1 M. -A. Varcoli.ier. Poésies de Micfid-Angc. Paris. Hesse. 18iî6, pp xj 89. 413. Tome LIX. 7 ( 98) borer des silhouettes caractéristiques, sachant qu elles doivent forcément suggérer des idées. Ainsi une campanule a l'appa- rence du calice liturgique, de la cloche. Il est évident que c'est là abuser de la curiosité de pensée du public, mais il n'y a que trop de gâteurs en tout aujourd'hui. On pourrait même souvent considérer avec un égal mépris certaines divagations mystiques vraiment fantaisistes qui n'ont même plus pour elles le travail de la méditation, mais seule- ment un désir d'étonner la foule à tout prix, plutôt que de montrer la solidarité qui lie tout épisode à l'universelle action des forces de la nature. Obscurité de l'intention artistique. — Certes Michel -Ange, par exemple, dans le Songe de la vie humaine (Galerie nationale de Londres), n'a point cherché la clarté dans la philosophie qui lui a inspiré une vague allégorie du spiritualisme, sous la forme d'un homme nu, synthétisant la race humaine, appuyé sur le globe symbolique et se réveillant au son de la trompette angélique. il a autour de lui des visions confuses marquant les vices et les dépravations ; à terre des masques, symbole de la duplicité des hommes. Mais là comme dans les Sibylles, et partout, il y a une instinctive intensité à la fois de pensée et d'expression, qui dépasse la mesure de part et d'autre et nous force à une pénible recherche pour rétablir le rapport conçu par l'extension puissante des facultés de l'artiste! Bnrne Jones. — Certains peintres anglais ont, autant que Gustave Moreau, accaparé l'intérêt que portent nos contempo- rains à l'art symboliste. Parmi eux, Burne Jones occupe une place prépondérante, etquelques-uns de nos artistes, entre autres F. Khnopfif. ont puisé à sa source autant qu'à celle de l'auteur de Si)hinx et OEdi^ie. Leur art se réclame certes du symbole, mais Burne Jones surtout a compté sur une notable part de sentiment dans la sympathie qu'il sollicite du public. Ainsi, dans son célèbre Roi Cop/ietna (le roi épris d'une ( 99 ) pauvre fille, selon le poème de Teniiyson), le sujet seul se sépare du courant moderne, et malgré l'aspect hiératique de l'armure et de la jeune; tille en extase, écoutant des voix aériennes, pressant un bouquet de fleurs des champs et s'ap- puyant sur les coussins, il y a \h une simple vision d'amour, d'avenir et de gloire. Mais l'ensemble nous élève au-dessus du réel, il y a li^ une poésie profonde, et les deux pages qui enton- nent le cantique de l'amour naissant forment un charmant symbole de bonheur prochain. Sa Roue de fortune de même que son Amour dans les ruines tiennent tous deux de ce goût spécial à l'Angleterre, qui fait toujours une part sérieuse à une poésie sentimentale de lan- gueur et à un idéal de formes emprunté à l'Italie, ce qui dimi- nue d'autant l'importance de l'idée dans ce symbolisme sans conviction philosophique. Nous pourrions citer encore Mammon ou le Triomphe de la Force brutale, par G. F. Watts, et sa Fée T/f/ra dont le symbole n'est pas plus intense que celui de Diane et Endymion (préfé- rable dans l'acception antique). Le projet de sa statue équestre colossale : Énergie vitale, avait certes un caractère plus signi- ficatif ^. La fiijure dite allégorique. — En somme, il est souvent nécessaire de décomposer^ une figure pour reconnaître quel est le véritable terme qu'elle comporte. De môme qu'un groupe ou une composition constitue rarement un seul symbole répon- dant à une idée seule, mais bien plutôt une réunion de symboles et d'autres figures, ainsi il est difficile de constituer une allé- gorie par une seule figure (la figure dite allégorique fait partie ordinairement d'une phrase transposée ou à double entente). David et saint Jean-Baptiste, quoique remplaçant le Messie * Voyez aussi Dante Rossetti, son tableau : Beata Beatri.v, synihoie com- pris comme la Décollation de saint Jean-Baptiste, de Puvis de Cliavannes, - Pâpus, Traité élémentaire de science occulte. Paris, 1898, p. 175, ( 100 ) quand on veut leur assigner l'idée de Rédemption, sont des symboles. Maissaint Jean portant une croix ou menant Tagneau est une proposition allégorique : Je suis le précurseur de l'Agneau divin qui périra pour les hommes. C'est donc le plus souvent par les accessoires quese prononce l'allusion : une femme nue avec des ailes de papillon repré- sente l'âme. Dans un tableau récent, elle a été symbolisée par une femme aptère. Enveloppée de bandelettes, elle est l'âme captive et allégorise la phrase de l'âme qui aspire â l'expansion amoureuse. Caractères dusymbole. — En résumé, le symbole esttoujours un signe condensé relatif à l'essence spirituelle d'un être ou d'un fait, à une idée abstraite. Il est le signe d'une chose fictive, de l'idée pure qui synthé- tise d'autres idées vagues. C'est un indice vague ou précis. L'indice d'un objet est purement celui de l'existence, de la nature de cet objet. La marque symbole de Dieu, homme, femme, est celle de pareilles idées. La trace, la signature, les souliers, indices d'un liomme, sont ceux de son identité ou de sa proximité. Un tableau vivant mettant sur la trace d'une idée est symbo- lique. Le signe mnémotechnique qui caractérise une idée abstraite est symbole. Caractères de l' emblème. — L'emblème est la représentation, le tableau chargé ou non, plus ou moins caractéristique d'une chose elfective, d'un être ou d'un fait dans sa réalité d'exis- tence, il est le sens propre d'un aspect et de l'idée liée à cet aspect: le sujet d'un tableau, ce que les Grecs appelaient hypo- tyjwse. Personne ne saurait donner le portrait de l'espace; on peut peindre une scène d'hospitalité. La représentation en tableaux vivants d'un fait est emblématique. Une idée pratique, sensible, devient un fait dès qu'elle doit être représentée. Un signe ornemental ou une marque qui distingue un être ( 101 ) ou un objet, un signe-souvenir (jui renouvelle Pimpression cérébrale d'un lait (comme un cv roUn est un emblème, ainsi que nous le montrerons dans un chapitre prochain. Les exemples déjà donnés ont pu faire entrevoir aussi (jue l'allégorie est un rêve conscient, coordonné, (\u\ transforme une idée et lui en substitue une autre parallèle pour la cacher, ce qui sera développé par des exemples. xMais il est nécessaire auparavant de mettre en parallèle les figures de rhétorique et celles (jui, dans la traduction artis- tique, peuvent leur correspondre. DISTINCTIONS KT DÉriMTlONS DES FIGLHES EXPRESSIVES DES IDÉES, DANS LES AinS ET DANS LE DISCOURS. Toute figure du discours en général est une métaphore. Il y a des figures de pensées et des tigures de mots. Les seules relatives ù notre sujet sont les tropes. C'est une façon de tourner un mot pour lui faire signitier autre chose que dans le sens propre. La liaison entre les idées latérales, accessoires, ayant rap- port les unes aux autres, est la source des sens tigurés. Le symbole le plus pur : le point (figure de Dieu) se fonde encore sur la considération que Dieu est unique, antérieur à tout nombre et que de lui tout dérive, comme du point en géométrie. Tout est donc relatif! Mais les tropes sont de nature diverse : la métonymie, où il reste toujours un sens double par le rapport, est le propre du symbole. La cause pour fefïét : Cérès pour le pain, Bacchus, Kebecca pour les deux nations sorties de ses deux fils, la pâle mort (qui rend pale). Le contenant pour le contenu : la bouteille, le nid, pour le vin, l'oiseau. Le signe pour la chose signifiée abstraite : chapeau pour cardinalat, le croissant pour le mahométisme. ( 102 ) Le nom abstrait pour le concret et vice versa : la paix pour un être pacifique, la tourterelle pour la douceur. La partie du corps pour la qualité : le cœur pour le courage. Ces p^ijures forment toutes des symboles. La synecdoque, espèce de métonymie, est également symbo- lique. Le plus pour le moins ou vice versa : le Germain pour les Germains (synthèse), les femmes pour Eve (généralisation). Le certain pour l'incertain : trois points, pour un pluriel indéfini, chez les Égyptiens. La partie pour le tout et vice versa : le Tibre pour les États romains, cent fusils pour cent soldats. La métalepse, sorte de métonymie : l'antécédent pour le conséquent et vice versa : le nuage pour la tempête, les cen- dres pour la mort. Encore un symbole, comme le présage et le souvenir. Uhyperbole, exagération, flatterie : plus lent qu'une tortue, un foudre de guerre, un dieu pour un prince. Les peintres d'allégories ofticielles ont abusé de cette figure qui se rapporte toujours à une qualité ou un défaut, comme l'allusion. Quand il y a un terme de comparaison : la tortue, celui-ci est un symbole. Quand le sujet est lui-même transformé, c'est une allégorie. L'antonomase, nom propre pour nom commun et vice versa : Le poète (pour Virgile ou Homère), Crésus pour un riche, Hercule pour un fort. C'est un élément jadis très employé d'allégorie. La syllepse oratoire : Galathée plus douce que le thym, la douleur amère comme l'absinthe, donnent lieu à des images poétiques et à Vallégoiie. Vliypotypose, purement une image, un tableau, une pein- ture de l'action, visible comme en réalité. Tous les caractères de r emblème! La métaphore est le transport d'un sens à un autre par com- ( 108 ) paraison : la lumière de l'esprit (parce que l'esprit éclaire les choses). Elle donne rapport équivalent : il est un lion; tandis que la comparaison y ajoute le terme : comme; il est ainsi qu'un lion. La métaphore est donc plus hardie que la compa- raison, qui reste dans l'esprit seulement. Elle joint parfois le mot propre au figuré : le feu de vos yeux, le cœur tendre, les rayons d'une roue. Mais elle peut se borner au sens figuré, la comparaison étant sous-entendue : il est un ours, un loup de mer, un rat d'eau. L'allégorie n'emploie pas le mot propre; tout y est figuré. C'est une phrase pour une autre. Elle doit avoir de la suite, rester dans un ordre d'idées commencé. Enigme littéraire, proverbe, fable, malice, allusion, jeu de mots, elle peut utili- ser d'autres figures dans ses phrases. De même un tableau fait pour un souverain peut contenir son portrait-emblème, des symboles et attributs, et être en résumé la traduction d'une phrase allégorique. L'allusion obscène, fréquente au XVIII* siè- cle, est allégorique autant que les litanies : tour d'ivoire pour Marie, l'intruse pour la mort, etc. La périphi^ase ou circonlocution : l'astre du jour pour le soleil, les trois fileuses pour les Parques, est purement ora- toire. La paraphrase ou commentaire, est un élément puissant d'une allégorie développée ainsi que le sont la plupart des tableaux décoratifs. Elle explique, dévi-Ioppe, ajoute d'autres pensées qui se rattachent au sujet propre ou au figuré, de manière à cacher ou faciliter le sens, selon le but de l'artiste. Car l'allégorie moderne est transparente, mais pourrait recher- cher encore, comme en Egypte, un secret absolu. Tous les auteurs semblent s'être concertés pour jeter le désordre dans les appellations, et les figures, dans l'art, étant parfois mêlées et soumises à des nuances presque indéfinissa- bles, on ne saurait résoudre la question sans l'envisager sous toutes ses faces et opérer un classement rigoureux. Peut-être est-il donc utile d'ajouter ici un répertoire pour les exemples qui provoqueraient des doutes. ( 104 ) Ve/fîgie, portrait d'une chose, image propre, imitation con- crète et matérielle, représentant sans but psychique. C'est le caractère kyriologique imitatif, mais dépourvu d'expression. Le sens seul différencie l'emblème du symbole et de l'allé- gorie. Les siyles, figures d'énigmes, sceaux, lettres, chiffres, signes ou mots à deviner, initiales et monogrammes, ne sont sym- boles qu'en raison de l'idée attachée au mot qu'ils recouvrent. Hiéroglyphes, terme d'art sans plus : mode de sculpture. Mot abusivement employé. Présage, indice, augure ou préfiguration, amenant la pro- phétie. C'est un signe d'un fait futur plutôt que d'une idée future. C'est un symbole anticipatif. Jean le Précurseur ne devient emblématique que s'il est choisi exprès pour remplacer la personnalité du Christ. La jjersonnificalion d'une abstraction ou d'une idée (mot intérieur) est, ou bien un signe convenu ou bien un symbole personnel à l'artiste. Pour lui, ce signe fait reconnaître telle •idée. Telle est l'idole. Le souvenir-symbole se manifeste relatif à la préexistence d'un fait Toute image est un fait de mémoire, de sensation, et laisse une trace pour son retour. Le souvenir- emblème fait revivre le fait, renouvelle l'impres- sion, en est le tableau. Telles deux représentations du même drame. L'ex voto est un souvenir matériel d'un fait réel ou bien d'une idée. Il peut donc être symbole ou emblème selon qu'il est relatif à l'abstraction ou au tableau. L'amulette et le phylactère ne soulèvent point d'idée autre que le but d'éloigner le mal. Comme le pautacle, ils sont des emblèmes qui passent à l'état de symboles vagues d'espoir ou de pouvoir divin, mais qui, selon leur dessin spécial, amènent d'autres idées accessoires Le symbole hiératique, chiffre adopté et classé pour indiquer une idée, est une traduction précise, un signe tenant lieu soit d'une idée, soit d'un être ou d'un fait toujours pris du côté ( 105 ) abstrait. C'est le signe détini et comlensé de Pidée pure, l'ex- pression rationnelle et objective d'une image cérébrale, consi- dérée de la façon la plus absolue possible. Le symbole arbitî'aire, libre, mystique, personnel h chacun, est un signe ou une tîgure qui, rationnellement, semble tra- duire une idée, un fait ou un être moral, dans son acception abstraite, à l'aide de rapports d'analogie et de comparaison. C'est une apparence. Le symbole de foi, formule, recueil résumé de la Foi, signe oral de la croyance, auquel on reconnaît les apôtres et les tidèles. Synthèse doctrinale. L'emblème, portrait d'une idée; l'idée écrite en figure déco- rative; forme sensible de l'idée particulière à un fait ou à un être concret; certitude. C'est aussi Viimyne, la marque orne- menlale, ou un dessin expliquant des paroles, ce qui le rap- procherait de la métaphore s'il n'était passé en usage de nommer emblème cette tigure à deux sens analogues. La devise, maxime seule ou expliquant une figure. Elle est double comme expression dans l'art, donc allégorique, comme ayant deux sens ditiérents. Le simulacre, parodie, mimi(iue, danse, tableau vivant, évoque parla représentation une scène, une idée, un élre, un fait ou une sensation, pour donner Tillusion de la réalité. C'est donc un emblème. Uattribut est un objet attribué à quelqu'un ou à quelque chose, pour explication secondaire, c'est l'accessoire d'un être, une chose qui est dans ses attributions et qui précise. On le joint souvent à l'emblème ainsi que les paroles dans la devise : c'est un outil, une arme, un complément utile d'une ligure. La métaphore d'art, comparaison translatio), extension har- die du langage primitif symbolique, est une figure poéticjue pour remplacer et embellir le mot propre et direct. Courte allégorie, rapport équivalent : un lys est le symbole de la pureté. Ce terme remplaçant celui de jeune fille pure est une métaphore qui peut être traduite en peinture. Une vierge peut ( 106 ) tenir un lys comme attribut. L'emblème de la pureté est une jeune fille innocente ou une scène qui la caractérise : l'éduca- tion de Marie, par exemple, car le lys n'est pas le tableau de la pureté; il y fait songer simplement. Vallégorie, extension du symbole arbitraire qui se fonde sur des analogies. Jeu d'esprit, de fiction et de ruse, métaphore continuée, transposition continue pour embellir ou cacher le sens. C'est une illusion. Métonymie, subtilité avec accessoires artificieux; expression d'une chose permanente et surtout d'une phrase par une autre. La parabole^ comparaison didactique, sorte d'allégorie, fable philosophique élevée. Vapologuej fiction familière à titre d'exemple, fable, allégo- rie morale. Uallusion, phrase claire rappelant un fait, dans un but caché de critique rusée, donc allégorique, malgré la netteté de son expression. Le rébus, écriture phonétique en images, c'est-à-dire non idéographique, simple jeu d'homophonies représentées par leurs équivalents en figures. Employé surtout en Egypte, et plutôt allégorique. Le schéma représente, non la forme, mais les relations et le fonctionnement des objets C'est un signe, un caractère que l'on peut appeler symbolique, des qualités de l'objet et de son usage dans un système scientifique. CHAPITRE IV DE l'emblème, t)E l'attribut ET DE LA DEVISE. Le physique base artistique du moral. — Tout objet peut être considéré à la fois comme emblème et symbole. Toute idée ne peut être emblématisée, mais bien symbolisée. Le penseur seul soupçonne derrière toute forme physique une influence métaphysique. Mais celui qui se laisse impressionner par Tapparence et l'illusion, doit faire un effort de conscience pour résoudre chaque problème de ce genre, car la primitive tendance, en art, est l'imitation pure et simple de la nature. C'est de l'aspect des formes qu'est né le sens qui pouvait leur être attribué, et c'est par un art déjà très raffiné que l'on arrive à caractériser un sujet préconçu par des éléments pris dans la nature. Un artiste n'est pas nécessairement un penseur ni un savant, mais toujours nécessairement un ouvrier ; on fut donc toujours frappé de l'objectivité des choses, et des moyens de les rendre, avant de leur donner le feu sacré de l'idée ou même de la vie. Mais cette figuration simple, qui correspond dans la rhéto- rique au sens propre des mots, acquiert par elle-même une valeur psychique en se communiquant à nous. Chaque signe (lion ou cheval) équivaut au mot lion ou cheval, d'abord ; c'est le symbole de ces animaux, pourrait-on dire, si le mot sym- bole ne désignait une idée abstraite, supraphysique, cherchée, et non pas un objet usuel ou tangible. Uemblème est physique. — Un dessin peut donc être consi- déré selon son aspect physique ou sa signification intellectuelle ( 108) et tout dessin décoratif, ornemental, ou simplement artisti(|ue doit être nommé d'un autre nom que celui de symbole. Mais l'artiste n'est pas toujours rivé à une imitation brutale ou machinale. Même peu savant, il est ému par un sentiment naturel, par l'intérêt qui se dégage d'une scène entrevue ; il comprend qu'il y a plus de charme et d'importance dans une scène vivante, un fait, une ligure en action (jue dans une etligie banale. Figuralion de la vie et iioii de la pensée. — Tandis que le prêtre égyptien ne voyait, lui ^ en dehors de cette ettîgie, qu'un sens moral h y attacher avec les variations de ce sens, l'artiste, dès les temps les plus anciens, songea i^ faire vivre par le pinceau ou l'ébauchoir ces modèles choisis, et à montrer clairement au public, non ce qu'ds pouvaient signitier pour le savant, m;'.is ce qu'ils faisaient en réalité : ce lion est furieux, cet homme accapare de l'or, ce guerrier vient de tuer son ennemi. Ces tableaux évoquaient bien les pensées de scènes de colère, d'avarice, de victoire, mais n'étaient point les signes admis par lesquels on pouvait éti^iueter les mots : colère, avarice, victoire. De plus, ils ne laissaient point deviner ces idées, mais les matérialisaient, tandis que l'ajonc ou le taureau, l'aspic, le trophée ou la victoire ailée en sont vraiment les symboles Une figure est significative ou simplement vivante. — C'est dans la catégorie des tableaux, se rapprochant de l'ornemen- tation, de ce que les Grecs nommaient emblèmes, que rentrent les dessins représentant une action, une passion, une idée pra- tique. Un peintre peut tenter de figurer Jupiter, Minerve, Hercule, sans le moindre désir de faire voir en eux la royauté du ciel, ' Papus, Traité élémentaire de science occidte. Paris, 1898, p. 50. — Fabre d'Olivet, La laiigue hébraïque restituée, 5« vol., p. 7 ( 109 ) la sagesse, la force. Il peut en faire de sinii)Ies sujels décora- lifs : Jupiter sommeillant, Minerve simple (jardienne (C Athènes, Hereule rêvant à ses amours. C<'S personnifications ne sont plus ici des idoles, des symboles d'abstractions, mais des êtres h(^roï(jues, figurant des sc<''nes connues, des acteurs, des simu- laeres. Elles ne s'adressent plus qu'au sens esthétique du s()ec- tateur, à son instinct de la vie, de l'aspect. Ifistinction entre le symbole et remblème. — Le mot emblème est pour ainsi dire synonyme de représentation. Aussi, la dif- ficulté de symboliser certaines idées très vagues, ou la facilité de les rendre au naturel porte-t-elle souvent le peintre à cmblématiser, ce qui fait comprendre la définition de Lafaye. 11 faut souvent en effet se rendre compte du but de l'artiste pour distinguer le symbole personnel de l'emblème. Celui-ci est la simple représentation plastique d'un élément décoratif traduisant un sujet. C'est un or;/e//Z(^/i/ qui détermine exactement l'idée qui a présidé à l'œuvre; et c'est aussi comme ornement du discours que ce mot a été habituellement employé par les Latins. L'emblème n'a pas de signification par lui-même, mais en acquiert une par son intentionnel usage explicatif, de même que l'attribut. Le symbole n'explique pas, il permet de sup- poser. Ainsi l'expression triste ou résignée d'un esclave nu ne peut seule indiquer à tous sa condition servile. Un collier au cou, une chaîne au pied, il est esclave; cependant ce collier ou même la chaîne suffirait à peine pour rappeler la servitude, car on peut songer à une coquetterie de sauvage, à des usten- siles de marine, il peut y avoir doute. Le carcan, la chaîne avec un boulet seraient nettement des symboles de captivité. L'homme qui les porte devient un emblème d'esclavage. Êtymologie. — Le sens originaire du mot emblème est un ouvrage de mosaïque purement déeoratif. On étend cette appel- ( 110 ) lation à une figure (symbolique?) avec légende en forme de sentence, ce qui se rapporte aisément à l'ornement héraldique. En réalité, l'emblème est de nature artistique, objective. II représente ou réalise une idée, mais ne la suggère pas comme le symbole. Tandis que celui-ci est pour ainsi dire en équation avec une idée, qu'il est le numéro de cette idée, l'emblème en est le 'portrait même, le souvenir. C'est-à-dire que l'idée doit en être palpable. Si Voltaire a dit : « Le sphinx est l'emblème d'Octave, il préfère ce symbole du fourbe aux aigles de son père », le sphinx est ici une armoirie préférée par Octave et à la fois un simple symbole de la duplicité énigmatique. Car l'emblème est à la fois un tableau et un ornement, un insigne : les emblèmes de la royauté. Ce sont les objets d'ornement sans lesquels on ne comprend pas la royauté, ou bien (comme les drapeaux pour une armée) non les attributs ou outils, mais les insignes caractéristiques : Regalia. C'est assez vaguement donc que Voltaire, après tant d'autres, a, dans ce vers : « Que nos armes sans faste, emblème des douleurs », emprunté le sens d'emblème héraldique. L'arme simple est un symbole de tristesse, soit, par usage établi. C'est à peine un insigne de deuil. Montaigne dit : « Loin d'attacher à mon livre marqueterie mal jointe, quelque emblème supernuméraire ». Telle est la vraie acception, un ornement accessoire, superflu, qui vient embellir le sujet i. Symbole hiératique et symbole rationnel. - Selon Lafaye, le symbole et l'emblème diffèrent en ce que le premier est con- ^ Otto Vœnius composa de nombreuses gravures pour un livre intitulé : Emhlemata Divini amoris (pour l'Infante), après ses emblèmes tirés d'Horace; puis des devises sous le titre A'Emblemata sive symbola, de tendance ornementale. — Ce mélange intime d'allégories philosophiques et poétiques, d'emblèmes véritables et de symboles admis par les archéo- logues de cette époque, prouve aussi que fort peu d'érudits songeaient comme M. de Montaigne à dégager la véritable acception des termes. {Mémoires couronnés de V Académie royale de Belgique, 1879, t. XXXLX, chap. IV. A. ScHOY, Histoire de V influence italienne, etc.) ( 111 ) stant, primitif, traditionnel, d'une origine divine ou inconnue (c'est ce que nous appelons le symbole hiératique), et le second, du choix ou de rinvention de (|uelqu'un qui l'imagine ou s'en sert à dessein, en se fondant sur une liaison d'idées plus ou moins sensible. Ceci est très insuftîsant; nous avons montré ainsi le symbole rationnel, arbitraire, mais l'emblème est de nature différente, nous allons le démontrer. Pour cet auteur, la religion a des symboles, les artistes des (emblèmes?), le symbole est convenu, général, admis, selon lui, et l'emblème, le résultat d'une certaine œuvre et d'une création particulière. Exemple, dit-il : « Le gouvernail est le symbole de la navigation. Les poètes et les peintres en ont fait (l'emblème) de l'administration de l'État », phrase de xMar- montel. Négligences grammaticales dans les questions d'art. — Ici, cet auteur a fait une distinction nette mais inexacte en art. C'est un symbole arbitraire du peintre ou du sculpteur. Car un gouvernail ajouté à la statue d'un marin serait à sa place comme attribut, mais faux à côté de celle d'un ministre, dès qu'on ne se permet pas une allégorie très risquée : celle de comparer l'Etat à un bateau plutôt qu'à un char. Une table de loi serait un accessoire ornemental irréprochable. Marmontel appelle l'emblème une métaphore qui parle aux yeux : ceci se rapproche de la vérité, mais pour lui, il ne dif- fère de l'apologue qu'en ce qu'il est moins développé; encore erreur de grammairien, car l'apologue est une fable qui représente familièrement une leçon, et Bossuet, de même que l'Académie française l'appellent une allégorie. Tout peut-il être synonyme? L'emblèine, dit encore Marmontel, est un petit tableau qui exprime allégoriquement (c'est-à-dire par transpo- sition) une pensée : la fortune, femme légère touchant un point de sa roue et tenant un voile enllé par le vent, signifie la fortune inconstante tournant à tout vent. Ceci est bien allé- ( m ) gorique, en effet, et la roue est un symbole tiré du Tarot. D'ailleurs le sens nécessite une considération sur les qualités de la fortune et est philosophique. Mais ce n'est pas un emblème, c'est une alléyorie. Emblème ou aUéqorie. — Lafaye croit aussi que l'emblème est comme une allégorie qu'on met sous les yeux, et que le symbole n'est qu'une allégorie concise! Ces auteurs n'ont pas remarqué qu'on n'invente ni ne com- pose un symbole. On le trouve par la méditation, on devine son rapport moral, on ne l'arrange pas. Mais on arrange un emblème pittoresque ou ornemental. Celui-ci est de nature artis- tique picturale, ce n'est pas la marque d'une idée, c'est l'idée même réalisée, vivant devant nous, son portrait, sa scène, sa mimique, et non le signe qui fait reconnaître, évoque ou cache une idée. L'emblème est artistique, le symbole est intellectuel. — L'erreur est provenue de ce que les grammairiens ne se sont point placés au point de vue du peintre et du sculpteur qui envisagent l'aspect et la vie. Jupiter armé de la foudre est remblème vivant de Jupiter en action, non du tonnerre ni du ciel, mais il est le symbole du ciel. Le coq inactif est le symbole de la guerre et de la vigi- lance, non l'emblème, car le coq, la patte levée et l'œil au guet, est l'emblème de la vigilance. La crête droite et les ergots dressés, celui de la guerre ; il représente alors une scène de guerre. Le coq dormant ou au repos n'est ni guerrier ni vigi- lant, quoique symbole. La chapelle Sixtine est le symbole de la puissance de compo- sition picturale de Michel-Ange. L'emblème de cette qualité serait un portrait de l'artiste réfléchissant et peignant à la fois. UUnivers est l'indice, le symbole du Créateur ou de son pouvoir. II est Vemblème non de cette entité invisible, mais de la partie de l'infini qui nous est sensible. ( 143 ) En somme, la représentation de l'idée est accessoire dans un tableau concret, objectif, vital d'une chose sensible où il est peu question d'un rapport d'idée, mais bien d'un aspect. Il parle aux sens. Comment symboliser un homme incertain? On peut le représenter emblématiquement. L'n ouvrier au travail, une ruche bourdonnante, sont les emblèmes non de l'activité, mais de l'ouvrier actif, des abeilles actives. Ce n'est que par licence que l'on dit : de l'activité, de l'incertitude, qu'on ne peut voir ni connaître. L'emblème caractérise l'action, la passion, la vie réelle, se fondant sur l'impression. Le symbole: la pensée, la réflexion, la raison, la vie morale et abstraite. Quoiqu'on dise Lafaye, les religions ont leurs symboles et leurs emblèmes, et les artistes ont les leurs aussi. Pour lui le symbole aurait pour base le rapport déductif; l'emblème, l'analogie. Or, l'analogie a produit aussi le symbole et l'allé- gorie, nous l'avons vu déjà, et l'emblème n'a point pour base seulement des rapports, mais la vérité même. Il ne met pas sur la voie, il montre la réalité. L'artiste parfois choisit un emblème pour symbole de son idée; tout signe lui est permis comme aux mystiques. Et c'est là ce qui a produit l'erreur de Lafaye. Définition de l'emblème. — Les grammairiens ont fort peu la connaissance essentielle des beaux-arts et de leurs tendances. C'est, dans le cas présent, ce qui les a détournés de la véritable définition de l'emblème. Celui-ci est d'essence physique, répé- tons-le. C'est un tableau, un ornement, un aspect sans but souvent, mais qui est senti par nous. Une ligure pale est l'em- blème de la peur. Un homme montrant le poing, celui de la menace. L'attitude, la mimique a son importance! Aussi, quand Lafaye dit que le symbole, la devise, l'emblème et les hiéroglyphes parlent aux yeux et présentent certains objets matériels pour faire concevoir ou rendre sensibles les idées abstraites, il se trompe, car il confond les quatre types aux- ToME LIX. 8 { 114 ) quels il aurait pu encore aisément, comme Huysmans, ajouter l'allégorie. On prend, en effet, une chose pour une autre dans le sym- bole, quelquefois aussi dans l'emblème. Mais dans le symbole, ne vous arrêtez pas à l'objet, il ne figure pas pour lui-même, ce n'est qu'un signe d'une chose insaisissable, il est simple et condensé, tandis que l'emblème est une image sensible de ridée physique, saisissable. Lafaye dit lui-même : l'olivier est le symbole de la paix. Or, un emblème de la paix, ce serait, par exemple, un berger couché sous un arbre ou l'image de la colombe faisant son nid dans un casque, ou celle des abeilles y déposant leur miel. Il y a ici même plus que l'idée de la paix: celle de la mater- nité, de l'industrie s'exerçant sans crainte des armes, ce qui est déjà allégorique. Mais l'idée de paix, de repos, domine, et c'est une scène, un aspect pacifique que cet emblème repré- sente, tandis que l'olivier est un simple chiffre du mot : paix. La nuance est évidemment très délicate et a rebuté bien des écrivains. Mais l'étymologie du mot emblème prouve, comme son emploi en héraldique, qu'il s'agit d'un motif décoratif, objectif, et non d'un raisonnement philosophique, ni de l'indice d'une abstraction. Sa différence avec l'allégorie. — On pourrait même croire que l'emblème étendu devient une allégorie, si l'on ne savait que l'action des personnages dans celle-ci se rapporte à un jeu de la phrase plutôt qu'à l'idée. Le rendu de l'allégorie se base sur un symbolisme que l'on peut nommer latéral, de rapports parallèles, voilés, artificieux. Celui de l'emblème est franc, clair, il peint à tous l'impression subie. Il vient à vous sans efforts d'âme, ni de raison, tandis qu'il faut sentir ou démêler le symbole par la raison ou la science, et qu'il faut deviner par ingéniosité d'esprit, l'allé- gorie. Emblemata, ornements du discours, fleurs de rhétorique, ( 11^ ) provient de emballôj j'insère, j'ajoute. C'est l'embellissement superflu des vases, un ouvrage de mosaïque, donc d'essence décorative avant d'être une figure dont on tire un sens moral. Ces acceptions, tirées du lexique de Forcellini, concordent avec le sens grec (greffe, ornement) et avec celui de Montaigne. Le dictionnaire de Boiste donne : figure symbolique avec des paroles, et ajoute : l'emblème suppose une comparaison; ses paroles ont un sens achevé. « Les paroles de la devise ne s'entendent bien qu'étant jointes à une figure : elle porte sur une métaphore. » Ceci nous ramène à l'héraldique et aux idées de chevalerie qui nous serviront à prouver que la distinction à faire est purement artistique et ornementale d'un côté, logique, morale ou spirituelle de l'autre. Il est étonnant que l'on emploie indifféremment le mot emblème pour allégorie, signe d'idée et attribut, tandis qu'il ne devrait signifier au propre qu'une représentation en relief, et par extension l'image plastique d'un aspect, avec ou sans sentence explicative. Le verbe grec d'où il dérive indique une idée de violence à inculquer, d'insertion. C'est donc une expli- cation à nos sens d'un sujet psychique, et rien de plus. Marques, insignes. — D'ailleurs les figures que l'on prend comme insignes, broderies, etc., n'ont point de but plus pro- fond : les flèches et le bandeau de l'amour, le casque de l'armée, la grenade et le cornet des grenadiers et des chas- seurs, la palette du peintre... Le peuple reconnaît tout cela sans effort, bien que l'on puisse également admettre ces ligures comme symboles. René Ménard traite indiftéremment des emblèmes et attri- buts mythologiques, de même que nombre d'archéologues. 11 y a eu là toujours une certaine paresse, une négligence à dis- tinguer à laquelle personne n'avait jamais songé avant la mise au programme de la question posée par l'Académie de Bel- gique. ( 116 ) Signes distiiictifs et ornements. — Revenons un instant à l'art le plus ancien : quand un chef orgueilleux, un Sésostris, par exemple, voulut faire représenter un de ses faits d'armes sur les parois d'un palais ou d'un tombeau pour perpétuer sa gloire, quand les armées se mirent sous la protection d'un dieu ou prirent des signes distinctifs et les guerriers des armoiries, ce fut directement dans la nature que l'on chercha l'idée que l'on voulait rendre sensible et présente aux soldats et à tout le peuple. (Certains régiments anglais ont encore aujourd'hui des noms d'animaux.) Ces formes rappelant une idée furent peut-être des sym- boles à leur origine, mais le peuple n'y voyait qu'un signe de ralliement, un ornement décoratif. Le deuxième chapitre des Nombres de Moïse établit que les Israélites campaient autour du tabernacle, chacun sous ses drapeaux ou enseignes selon les familles et maisons. Dans les Suppliantes d'Eschyle, Danaiis reconnaît aux enseignes les vaisseaux égyptiens. On ne se préoccupait pas du rapport moral de ces signes, mais bien de leur caractère distinctif, de leur forme, couleur ou aspect. Dans VAntigone de Sophocle, les Thébains arborent un dragon; dans Euripide, les Béotiens ont Cadmus tenant dans sa main une guivre d'or. Les Assyriens eurent la colombe d'Aschera, les Persans un aigle d'or. Ils brodaient peut-être ces figures sur leurs habits, mais comme ornement et non pour rappeler l'idée ou le mythe primitif compris des prêtres seuls. Enée élève un tombeau à Déiphobe et y place son nom et ses armes peintes, dit Servius dans son Comment aire ; Marcus Agrippa, selon Suétone, avait une enseigne d'azur; Massicus un tigre d'airain, etc. Or, le choix même de ces signes distinctifs n'était pas laissé au hasard. Un motif, une circonstance de famille, de nom, de guerre le motivait. Ces signes étaient des souvenirs d'une action, ou des symboles tombés en désuétude. Tels étaient les empreintes de sceaux dans VIliade, le ( Hî ) cachet ^ d'Arias indiqué par Flavius Josèphe (un aigle tenant un serpent dans ses serres); telles furent les figures héral- diques des villes italiennes au moyen âge : la cigogne, Pérouse; l'éléphant, Home; l'oie, Orvieto; le bouc, Grossetto : emblèmes décoratifs et distinctifs. Habituellement 2, lorsque les anciens prenaient un sceau, ils le composaient d'après un événement notable survenu dans leur famille : le corbeau de Corvinus, le poignard de Thésée, etc. Les légions grecques et romaines empruntaient leurs noms soit de la forme de leurs armes, soit du sujet représenté sur le bouclier. Dirait-on aujourd'hui que les bleus, les petites bottes, carac- térisant des corps de garde civique belge sont des symboles? Ce sont des signes, mais pas les signes d'une idée, les signes distinctifs d'une troupe, un aspect, un ornement caractéris- tique. Emblème héraldique, armoiries. — Or, l'initiative privée d'un seigneur, la fantaisie d'un prince, lui lit adopter souvent un ornement personnel qui, selon lui, symbolisait une vertu, une sentence, ou rappelait une aventure, ou même était choisi par hasard : Le cygne de Louis XI, le cerf de Charles Vlll, le porc-épic de Louis Xil , la salamandre de François I^"", la massue d'Henri IV et le soleil de Louis XIV, n'étaient que des mar- ques fantaisistes propres à distinguer ces rois; parfois spiri- tuelles, mais de véritables emblèmes décoratifs, une sorte de griffe royale. Le caprice, le libre arbitre fut souvent donc l'origine de ' DoROW, Morgenlaendische altertkuemer . Wiesbaden, 18:20-1821, ier cahier, pi. 1. - Granier de CassaGxNac, Musée des familles, 9^ vol., p. 18"2, et Caylus, Recueil d^ antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, etc. Paris, 1752-1767, 7 volumes. ( 118 ) figures symboliques. Mais évidemment aussi ce choix était d'ordinaire motivé par un jeu de mots, une parabole, une sorte de proverbe populaire, etc. « Marc d'Amezagga prend possession de la seigneurie d'Ar- chennes * en jetant en l'air un écu d'or et le ramassant pour témoigner qu'il ne la relevait que du ciel et de la terre ». Voilà un fait digne de figurer sur des armoiries. Les cris d'invocation qu'on plaçait sur un listel flottant, la devise, la légende étaient aussi souvent dus à une fantaisie. Dès qu'on ne remonte pas à l'idée génératrice, abstraite et souvent éloignée, dès qu'il y a simple expression d'un fait, d'une particularité, d'une fantaisie d'art ou d'ornement, ou d'une sensation, c'est un emblème. Si la relation avec l'idée n'est qu'un parallélisme, une simple analogie, l'allégorie appa- raît déjà; elle est certaine, s'il y a transposition. Exemples de tableaux emblèmes. — L'enlèvement des SabineSy de N. Poussin (au Louvre) est un emblème de panique univer- selle ; son Eliézer et Rebecca, un emblème de grâce dans l'ex- pression de sentiments variés, les bergers d'ÀJxadie, un emblème philosophique de l'âge d'or, avec le contraste d'une inscription qui symbolise l'idée de la mort. Ce peintre a fait beaucoup de tableaux emblématiques. Son Déluge, emblème de désolation, renferme deux détails symboles : le serpent (péché puni) et l'arche (rédemption). L'emblème de VÉté, c'est la moisson avec Booz et Noémi (groupe allégorique du désir conjugal). Selon Littré, l'emblème héraldique ou la devise chevale- resque complète est la représentation d'une vérité ou d'une idée admise par un signe-symbole accompagné d'une légende qui en exprime le sens. Tel est sans doute le portrait peint par G. Moroni (à Flo- * J. BosMANS, Armoriai ancien et moderne de Belgique. Bruxelles, 1889, Préface, note. ( 119 ) rence), où Ton voit un feu brûlant dans un vase et les mots : « Et quid volo, nisi ut ardeat? ». Devises. — Ce qui distingue, dit-il, l'emblème de la devise, c'est que les paroles du premier ont toutes seules un sens plein et achevé. L'emblème est direct. Celles de la devise ne se comprennent bien que si elles sont jointes ;\ la figure. Exemple : « Lucrèce cherchant à échapper par la mort à Sextus, » avec ces mots : « Plutôt mourir! » La devise chevaleresque est donc un emblème peint ou gravé, mais dont les paroles sont ce qu'il y a de plus essentiel. Aussi, comme les emblèmes d'ordinaire sont sans légende, souvent les devises se passent de figure et se réduisent ù une maxime sur un cartel i. La devise, inventée par la chevalerie, d'abord marque dis- tinctive de l'amun-e, puis ornement des fêtes de Louis XiV, est (dit Lafayei « un (symbole?) particulier à quelqu'un et à son génie ou ses actions; les paroles doivent en être jointes à la figure, au symbole. » Nous nommons cette image : emblème et non symbole, car celui-ci naît d'un rapport déduclif avec une abstraction, non avec un homme ni un fait. Il faut sans cesse se représenter cette distinction, sinon l'on retombe dans la confusion la plus inextricable. Le hibou est l'emblème (l'armoirie) de Minerve; il est aussi un symbole de la prudence, mais un attribut de Minerve. Si l'on voit M. Scœvola tenant sa main sur le brasier (avec sentence : Tout est possible à la volonté), c'est un emblème, une scène emblématique 2. * Lafaye, Dictionnaire des synonymes. Paris, 1858, p. 981. * Voyez les Emblemata (V André Alciati, les Devises d'armes et d'amour de Paul Jove, la Relation de l'entrée du prince d'Orange par J.-B. Hou- WAERT. Anvers, C. Plantin, 1579. Ainsi que les dessins de Rubens et de toute son école de gravure pour la librairie Plantinienne. H. Hymans, Histoire de la gravure dans l'école de Rubens. Bruxelles, Olivier, 1879, pp. 47, 48-57, 303-349 [Mémoires couronnés de l'Académie). ( 120 ) Un aigle portant la foudre avec les mots : Quo jussa Jovis (assez vague exergue), c'est la devise d'un grand maître de l'artillerie. Figure simple ou figure emblématique. — Il existe cette dif- férence entre la figure réelle et la figure emblématique, que la première n'a pour but que l'imitation matérielle, tandis que la seconde donne la sensation physique de l'usage particulier, de l'action ou de la passion qui se rapporte à celte figure. Elle nous la présente incarnée et vivante, tandis que le sym- bole peut évoquer en nous l'origine de l'idée par une figure incompréhensible, un numéro, un chiffre. 11 existe des symboles admis et que nous ne saurions plus expliquer de nos jours. Dans l'héraldique comme dans l'écriture sacrée, on dut con- venir de certaines figures pour représenter les éléments le plus habituellement en usage. Il y eut le chevalier armé, l'ermite, la femme de carnation, la femme sauvage, l'Indien, le sauvage, les animaux, les figures chimériques. Ces types conventionnels ne furent point les signes d'idées abstraites, mais bien un choix d'insignes ou de marques caractéristiques d'un blason, de vrais emblèmes décoratifs. Leur nombre dut s'agrandir par l'art du peintre qui, devant représenter une forme préférée, était obligé de la styliser, d'écrire celte forme afin d'en faire un ornement assez net pour pouvoir être copié et pris comme modèle. Exemple : la salamandre, la langue dardée, la queue levée, est toujours posée de profil, regardante et entourée de flammes. (Ce même procédé avait été mis en usage dans l'écriture hiéroglyphique.) Le choix de l'emblème dérivant d'un symbole — Le choix des couleurs de drapeaux et d'étendards qui avait été autrefois motivé et significatif, donc primitivement symbolique, dégé- néra, le sens de ce choix s'effaçant peu à peu, et il ne resta que l'emblème distinctif. La couleur rouge de l'oriflamme, par ( 121 ) exemple, adoptée pour les bannières dédiées aux martyrs, n'intéressa que les savants, et la foule n'y vit (^ue l'enseigne spéciale et reconnaissable à première vue. Le lion héraldisé est un type graphique d'un mot ou d'un nom de famille ou de pays, d'un souvenir, d'une qualité, d'un fait éclatant (comme l'origine aux croisades des armoiries de Flandre). La couronne royale est un symbole de l'idée morale : Royauté. C'est un altribul du souverain; une figure portant cette couronne est l'emblème de l'exercice de la royauté vivante quand elle trône ou marque de façon quelconque qu'elle agit en souveraine. Cette même ligure personnitiant la notion de royauté, avec sceptre et attributs redevient sym- bolique au même titre que Jupiter ou Vénus, souverains du ciel ou de la beauté. Emblème pour la foule, symbole pour le savant. — L'expres- sion de deux colombes qui se becquettent est l'emblème de l'amour mutuel. Celle d'une colombe qui voltige autour de l'autre ou roucoule, c'est Temblème de l'amour mâle. Deux colombes au repos, attribut de Vénus, c'est le symbole d'amour lié au culte de la déesse Aschera. Tandis que l'instinct du spectateur reconnaît l'action dans les deux premiers exemples, le penseur se souvient du signe attribué par les anciens à ces animaux. Tout enfant peut reconnaître dans l'expression d'une figure d'homme ou d'animal excité, l'emblème de la colère. Les érudits seuls comprendront la devise : Qnos ego! qui est le signe de la colère d'un dieu ! Mais une expression de figure est changeante selon les êtres; de plus un artiste peut inventer une figure expressive qui selon lui indique la colère, par exemple un Jupiter se voilant la tête et allant lancer la foudre. Pour lui c'est un symbole personnel, libre. Un vieil usurier est l'emblème du rapace, le brigand bédouin ( 122 ) également. Shylock est un des symboles de Shakespeare. Un vautour, même inactif, est un symbole traditionnel. Exactement, on devrait donc dire emblème du rapace, sym- bole de rapacité, emblème d'une scène de rapacité. Le vautour inactif ne symbolise l'idée que par la notion de ses mœurs, de sa nature. Le même oiseau enlevant ou dépeçant une proie est un emblème visuel, un tableau. iMais, nous l'avons déjà dit, ce mot s'applique avant tout à une tigure d'art non sujette au doute : à l'ornement décoratif, à la marque commerciale, à l'insigne. Le Cruciliement de M. Grûnewald, à Colmar, porte la phrase : « Oportet illum crescere, me autem minui ! » prononcée par saint Jean-Baptiste qui montre du doigt le Christ. C'est une devise au point de vue du moyen âge. Les quatre Ajiôtres, dernières œuvres d'Albert Durer (au Musée de Munich), qui portent également des sentences appro- priées, sont, par l'aspect et le tempérament seul de chaque personnage, des emblèmes complets d'inspiration, de contem- plation, de zèle, d'autorité. Attribut. — Les êtres i et les choses explicatives que l'on nomme attributs ne se trouvent point en relation intime et directe avec la vie intellectuelle ; les croyances, les mœurs et les besoins de l'art ont créé ces accessoires que l'on confond aussi trop souvent avec l'emblème. L'observation des Grecs trouva d'ailleurs dès les temps primitifs, dans les occupations, les tendances de la vie, des ressources complémentaires multiples pour caractériser davantage l'idée exprimée par la figure humaine. On y joignit souvent les symboles du culte, des emblèmes faisant allusion à des actions, mais l'attribut est distinct de ceux-ci. L'attribut est un accessoire destiné à l'intelligence d'une * 0. MiJLLER, Nouveau manuel d'archéologie, t. II, p. 180. Paris, 1841, trad. Nicard. ( 123 ) image, d'une idée. Il peut être oublié parfois, mais le plus souvent semble nécessaire au sujet, comme un outil, une arme; saint Pierre sans ses clefs, saint Jérôme sans son lion. Hercule sans la massue, semblent insutîisants. La Passion ne se comprend pas sans les clous, l'éponge, la couronne d'épines. Mais Jésus est reconnaissable sans la croix qui ne constitue pas un attribut habituel. L'auréole lui serait plus difiicilement enlevée. C'est ce qui est attaché, ce qui semble propre et particulier à un être et le caractérise. Saint Louis a la couronne, saint Nicolas de Myre le manipule, saint Antoine, le cochon, etc. Le crâne fendu de saint Pierre le dominicain, étant le souvenir de son martyre, est emblématique. Attribut ou emblème. — L'attribut est donc différent de l'emblème en ce qu'il n'est pas un simple ornement ou la représentation d'un fait, d'un être ou d'une idée, mais seule- ment un objet qui se rattache aux fonctions de l'être ou à la personnification de l'idée. Le moyen âge en a fait souvent ce qu'on pouvait nommer une devise : Ainsi le saint Bernardin du Moretto (Galerie de Londres) tient un cercle contenant le monogramme du Christ, et un livre ouvert avec l'inscription : « Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes » ; à ses pieds trois mitres marquent les trois évêchés qu'il refusa, souvenir emblématique d'un fait. Un exemple peut caractériser l'attribut : Quand Michel-Ange fit la statue de Jules II tenant fièrement la main levée pour bénir, il demanda au pontife s'il fallait lui mettre un livre dans la main gauche, a Mets-y une épée, répondit Jules II, je ne suis pas un écolier. » Ce livre ou l'épée indiquait en attribut les habitudes personnelles du pape. La tiare ou le manteau eussent été les insignes de son pontificat, des emblèmes. La ceinture pourpre de la Congrégation du Verbe incarné, rappelant le sang du Christ, est un emblème. Le casque de Minerve, qui n'est pas un symbole de sagesse, mais l'objet défensif nécessaire â la pro- tection d'Athènes, est un de ses attributs utiles, non décoratifs. ( 124) Incertitude de l'usage d'une figure. — Un des grands motifs qui ont perpétué l'incertitude dans les appellations, c'est, on le voit, qu'on nomme emblème à la fois un tableau, un person- nage mimé, un objet d'ornement. On peut fait erreur sur l'usage réel. Mais il faut se rappeler qu'il en est de même d'un personnage comme d'un dessin qui peuvent également être les symboles d'une idée. Simulacres et mimique emblématique. — Les mystères du moyen âge, la procession d'Oberammergau et celle do Furnes sont des parodies de la Passion, une reproduction mimée, simulacre d'un tableau incarné, d'une scène d'histoire. Quelles que soient les rêveries des mystiques devant ces scènes, elles sont emblématiques comme les statues honorifiques, commet un ex voto, une offrande {anatliemata), comme les personnages qui préfigurent le Messie : saint Jean-Baptiste, Joseph, Jésus, Sirach, David. Remarquons cependant que si, dans la Décollalion de saint Jean- Baptiste, Puvis de Chavannes a fait resplendir le saint comme un précurseur, au milieu de deux figures plutôt fâcheuses, il en a fait non l'emblème du Messie, mais un symbole de l'idée de sacrifice pour la Rédemption, ce qui est le signe d'une abstraction. Amulettes. — Mais emblématiques sont les amulettes : VInvidia si redouté des anciens {alias Serapis) ; les abraxa^ "^ d'autant plus etilcaces que l'image était plus effroyable, comme les dragons chinois, l'œil, le pied, la main, ainsi employés; les phallus (symboles originaires de la nature). L'ésotérisme * 0. MuLi-ER, Nouveau manuel d'archéologie, t. I, pp. 84 et 374. Paris, 1841, trad. Nicard. — ûuatremère de Quincy, Jupiter olympien, pp. 14, 36. Paris, 1815; in-folio. - Levezow, Ueber die entwickelung des Gorgonen-ldeals, § 397, 5. Berlin, 1833. ( 125 ) domine sur les pierres-amulettes qui deviennent ainsi des pantacles. Dans une ëglise catholique les deux chœurs de chantres représentent celui des anges et celui des justes. Mais ici, il y a imitation, simulacre ; ce n'est ni un signe ni une allusion. De même les danses ^ des bayadères et des ronguins javanaises, certaines danses anciennes et de caractère sont des reproductions de faits ou de sentinxnts, un renouvel- lement vivant d'une scène. Elles sont emblématiques. Celles qui reproduisent un mystère traditionnel, analogues aux actes du prêtre durant les offices, sont symboliques, comme étant des signes animés d'idées mystiques plutôt que des faits histo- riques du mystère. Tableaux emblématiques ou symboliques. — Parmi les compo- sitions de Puvis de Chavannes, qui sont pour la plupart symbo- liques, il en est cependant qui peuvent servir d'exemple en fait de peinture emblématique : le port île Marseille, avec son acti- vité phocéenne, est un emblème de prospérité coninierciale. Le groupe de femmes intitulé /a Paî.i', est tout aussi emblématique. Il en est de même de V Es clav a g e,tab\e?iu de Max Klingcr, où Ton voit courbé sous le joug d'un soldat altier une foule craintive et se traînant sur la terre. En revanche, le Vii^gile hiératique de Puvis, les deux figures de croisés priant de Burne Jones, quoique représentés avec le même souci de vérité et plus de simplicité encore, sont sym- boliques comme reportant l'esprit du spectateur dans une sphère de réOexions dont les figures tracées ne donnent que la clef, l'indice! Et Tœuvre superbe et profondément attendi issante de Max Klinger (une jeune mère étendue sur son lit funèbre, avec son nouveau-né déposé sur son sein), ne dit-elle pas en un laconique poème : voilà l'orphelin qui entre dans la vie; où retrouvera-t-il une mère, en attendant le ciel? * J. FuEUisoN, De la théorie du drame, pp. \i-^{A7inales des iiniversilcs de Belgique. Bruxelles, Th. Lesigne, 1843). ( 126 ) C'est bien là une idée allégorique qui nous entraîne au delà de l'aspect déjà si poignant du tableau. L'idée générale prédomine bien plus encore dans l'œuvre si complexe, presque confuse, de Walter Crâne : The bridge of life, qui semble inspirée d'une allégorie de Shakespeare sur la vie humaine. C'est un composé d'emblèmes, de figures symbo- liques qui se lient pour développer le sujet choisi, et sous le pont du Rialto (car c'est vraiment à Venise que l'artiste s'est transporté), un vieillard symbolique qui est à la fois Caron et le temps, s'efforce à la façon des gondoliers de mener vers le dernier voyage des passagers enfin désabusés. Ce mélange d'expressions variées de la pensée est très habituel surtout chez les artistes qui apportent à la significa- tion une importance dominante, mais la conception embléma- tique la plus simple est par cela même la plus attrayante pour la majorité des spectateurs. Quelle que soit ainsi l'origine ou la composition des images produites en notre cerveau par l'impression d'un phénomène naturel, quel que soit le but final de l'idéation humaine, il faut donc distinguer clairement deux catégories (qui sont sans doute obscurément liées) dans nos perceptions : Subjectivité et objectivité. L'idée abstraite ou métaphysique dont les images intérieures ne sont semblables à rien de ce que nos sens peuvent saisir. L'idée concrète ou physique dont l'image n'a pour nous rien de douteux, car notre esprit semble tout simplement en con- stater la réalité positive. Les objets ou figures qui évoquent la première sont les symboles fondés soit sur la doctrine, soit sur le raisonnement ou l'émotion. Ceux qui produisent la seconde sont des emblèmes fondés sur la perception, la conscience et le sentiment. CHAPITRE V DE L ALLÉGORIE. Source symbolique de Vint elle dualité. — Le travail des philo- sophes et (les poètes remonte à la naissance du langage primitif. L'homme fut d'abord frappé des objets physiques : le besoin fit naître les termes nécessaires pour les exprimer. Quand les choses intellectuelles se présentèrent à sa pensée, manquant de mots pour les rendre, il leur donna en quelque sorte une forme vivante, et les fixa dans son esprit à l'aide du nom des objets qui faisaient des images à ses yeux. - Ce fut le symbole, figure universelle par laquelle le genre humain tout entier entra dans l'ordre intellectuel. Métaphore. — Mais la métaphore (translatio), comparaison et plus tard changement du sens des mots, n'est qu'une exten- sion du symbole, et aussi du langage qui, primitivement, chez tous les peuples, se formait en signes vivants d'un petit nom- bre de pensées devenues communes. Les chefs éducateurs, n'ayant à leur portée qu'une langue imprécise encore, se ser- vaient de parallèles pour rendre sensibles des idées abstraites qu'il leur était difficile de caractériser nettement. Énigmes. — Les chants mystérieux de l'Edda, des Védas, du Zend Avesta furent mieux compris des primitifs, par une sorte d'intuition, d'instinct, que des peuples subséquents qui perdirent peu à peu le sens des phrases imagées, et il resta aux seuls initiés une science hiératique que les philosophes ( 128 ) voyageurs transportèrent dans leurs contrées. L'initiation forma des dépositaires des énigmes dont l'ensemble n'est que la science de la vérité. Éloquence. — Les premiers rudiments du langage parlé furent des imitations des sons des échos naturels. Les images complexes du toucher et de la vue furent rendues plus encore par la mimique, par le dessin que par les paroles, mais ces images visuelles extériorisées et parlantes ne suffisaient pas aux leçons religieuses, à la narration historique, à la morale rudimentaire. L'art de bien dire, si puissant sur les hommes, nécessita des emprunts, une sorte de report d'idées qui élevait et embellissait un sujet souvent simple par lui-même. Dès qu'un aède tentait de faire parler des héros et des dieux, il lui fallait enfler sa voix, amplifier et son geste et sa termino- logie, faire miroiter devant ses auditeurs primitifs cette supé- riorité des personnages fictifs. Les pt)ètes de la Germanie côtoyaient pour ainsi dire leur sujet au même degré que les Orientaux hyperboliques ^. Parmi les dieux védiques, Agni, le Soleil, qui prend le nom de Surya, paraît le matin tout revêtu d'or, porté sur un char d'or traîné par sept chevaux rouges précédés de cavaliers célestes (nuages), et de V Aurore aux doigts de rose. Le mélange de personnitication astronomique, de comparaison homérique, et de l'héroïque légende se montre ici tout autant que dans le Baal-Adon des Phéniciens, à la course périodique de joie et de deuil, ou le chasseur Adonis, aimé d'Aphrodite selon les Grecs, et tué par la jalousie d'Ares, puis revenant six mois sur la terre. De même YOdin à un œil, qui épouse la Terre et produit le Printemps et ensuite le Tonnerre (qui résulte des rayons du Soleil et des vapeurs de la Terre), ofi're un exemple suffisant de l'observation allégorique des Scandinaves. * Papus, Traité élémentaire de science occulte. Paris, 1898, p. 24. ( 129 ) Dans le langage des rhéteurs, l'allégorie est une figure du discours qu'on peut regarder comme une métaphore pro- longée. Allégorie ancienne. — Les Hébreux, les Grecs, les Romains entendaient dans son sens le plus étendu par allégorie, cette fiction dont l'arlifice consiste à offrir à l'esprit un objet de manière ù lui en représenter un autre avec lequel il a du rapport i. Ce rapport n'existe pas toujoui-s nettement entre les deux objets eux-mêmes, mais plutôt dans la phrase, dans le parallé- lisme que l'on peut établir entre l'idée réelle et sa traduction. Son usage. — L'allégorie est le vrai langage poétique, né de l'insuffisance de mots. Elle fut souvent le moyen pour un infé- rieur de faire entendre à un tyran ou à un peuple passionné la voie de la vérité ou de la morale, mais aussi un moyen de flatterie, surtout dans l'art. Démosthène en fit usage comme les prophètes, comme les chanteurs ambulants de la Grèce ou les bouffons du moyen âge et de la Renaissance "^. Les proverbes populaires en sont une application constante, et, dans la pratique de la vie, il est remarquable qu'une devise allégorique est d'un effet plus saisissant que le discours le mieux conçu. Le chien qui lâche la proie pour l'ombre, saisir l'occasion, pêcher en eau trouble, sont des locutions jour- nalières. Ce jeu d'esprit naît d'un travail de comparaison, donc d'un rapport latéral, ou tout au moins, ne remonte pas, comme le symbole, aux sources de l'idée. Son but. — 11 tend à rendre plus pénible 3, et partant plus importante, la compréhension d'une phrase souvent simple. ' Papus, Traité élémentaire de science occulte. Paris, 4898, p. 104. - Boulanger, L'antiquité dévoilée, t. 111, p. 413. Amsterdam, 1746. ^ F. Lenoumant, Les origines de lliistoire, t. II, p. 151. Paris, 1885. Tome LIX. 9 ( 130) 11 n'y a plus ici d'analyse ni de synthèse, plus de retour vers l'idée mère ou la métaphysique, il n'y a qu'une double impres- sion, un parallélisme. Parallélisme. — L'idée prime est traduite en d'autres termes, en d'autres images, en une autre idée même, mais qui conserve un point de contact, plus ou moins vague avec la première. Symbole ou allégorie. — On a dit erronément que l'allégorie et la métaphore ne présenteraient qu'un seul objet à l'esprit, tandis que le symbole renferme toujours deux objets par une seule expression. Cette définition est incompréhensible. En effet, si le symbole remonte du signe vers son origine, l'allégorie force l'esprit à suivre à la fois deux idées, même hétérogènes, ou plusieurs, car l'une engendre les autres. L'allégorie est une phrase souvent pleine de symboles (le mot déjà en est un), mais une phrase dont le vrai sens est secret, recouvert par un sens différent : c'est une argutie. L'Apocalypse n'est qu'une suite continue d'allégories t. Le Prométhée d'Eschyle, enchaîné par la force, attaché par la violence à son rocher à l'aide de clous de diamant, et foudroyé enfin par Jupiter sans céder jamais, est un symbole de cette constance inflexible et passionnée du génie indomptable des humains; mais la suite de cette idée, les péripéties de détail, l'avertissement qu'elle contient pour la témérité orgueilleuse qui court à sa perte en voulant dépasser sa sphère, en font une profonde allégorie, l'histoire du cycle humain tout entier. Extensions de l'allégorie, amplifications. — L'allégorie ne comporte pas seulement les idées mères d'un sujet, mais des allusions, des extensions qui se rattachent à ce sujet, des idées nouvelles. Telles sont quelques odes d'Horace, la Fête d'Alexan- dre par Dryden, VOde à la Fortune, de Guidi. * J.-B. BossuET, L Apocalypse avec une explication. Préface 12-13 et pp. 221,225, 341. ( 131 ) Une seule proposition allégorique peut mener ainsi à tout un poème. 11 est évident qu'un emploi aussi profond de ce genre de travail intellectuel ne saurait donner à une œuvre cette vie et ce mouvement que l'on retrouve dans une simple impression de nature. Jdée et impression. — L'impression n'est pas spirituelle par elle-même. Certains symboles ne nous semblent fondés que sur une impression, mais, en réalité, ils le sont toujours sur une idée qui se décalque sur l'impression produite ; Taction est double : un joueur en action peut donner l'idée du hasard, de la fortune, mais il n'est qu'un emblème du jeu et en donne ainsi seulement l'impression. Il n'y a point d'impression de fortune dans la personnifica- tion traditionnelle d'une femme aveugle sur une roue. Ce des- sin illustre une phrase allégorique : la fortune est inconsciente comme une aveugle; ses faveurs sont comme la roue qui monte et descend. Eux-mêmes, les nombreux symboles de VApocalypsey consti- tuent non pas une mesure, une perception de rapports harmo- niques, puisqu'ils sont inintelligibles, mais des prophéties nouvelles, des allégories, des mots et des figures employés pour d'autres. Hugues de Saint-Victor pouvait donc omettre le mot : allé- gorique, dans sa phrase : « Le symbole est la représentation (allégorique) d'un principe chrétien sous une forme sensible ». Naturellement, la forme étant mise pour le principe, il y a là usage allégorique; de plus, si ce principe est compliqué, une phrase, cette transposition est une allégorie ; mais s'il n'est que d'un terme, Trinité, par exemple, c'est un symbole : le trèfle. On a pu donc croire que le symbole étendu devenait allé- gorie. 11 n'en est pas ainsi pourtant. Une abstraction peut (mais ditlicilement) servir comme allé- gorie d'une autre abstraction; elle devient un synonyme assez I 132 ) imparfait ou bien devient d'une obscurité fantaisiste. L'indit- férence allégorise la froideur; la paresse, l'inimobilité. Mais l'onde calme, la glace, la ligne horizontale renforcent symbo- liquement ces idées. Allégorie picturale ou littéraire. — Saint Augustin déclare qu'une chose notifiée par allégorie est plus expressive, plus agréable, plus imposante que lorsqu'on l'énonce en termes techniques : En art, cet effet est identique. L'allégorie n'est pas purement littéraire, quoiqu'en pensent des écrivains qui décident que le symbole seul est objectif. Elle n'est pas une figure de mot, un mot mis pour un autre, mais aussi une forme, un aspect mis pour un autre ou pour des mots, et toujours une idée pour une autre. L'art a ses sacrifices de langage comme la poésie, et ses transpositions d'images comme dans les tropes; il a ses pas- sages d'une forme à une autre. Un sujet, par un tour de main d'artiste, peut se métamorphoser, mais l'idée dirige toujours cette conversion. Eûcem2)les. — Dans sa doctrine ^, Éliphas Lévi écrit : « Une couronne de lauriers est trop souvent une couronne de ver- tiges. La sève du laurier contient le plus subtil des poisons », comparaison ingénieuse. Dans V Évangile, Jésus laisse échap- per cet oracle de sagesse éternelle : « Le diable est menteur ainsi que son père ». Or, son père, c'est le Mensonge, et lui, se nomme Légion, car il est la béte, la bêtise des foules. Voilà de complètes allégories. Un peintre peut remplacer un groupe d'amoureux par deux colombes, Polyphème jaloux par un tigre, et son allégorie se transforme. Comme exemple d'une idée claire et simple tra- duite en peinture, la fable de Prodicus de Cèos : Hercule entre le Vice et la Vertu, qui inspira un tableau à G. de Lairesse, nous * Eliphas Levi, Le livre des splendeurs. Paris, Chamuel, 1894, p. 295. (133) montre, à l'aide de trois personniticalions symboliques, la Force humaine ballottée entre le bien elle mal. Les poèmes de Milton fourmillent d'allégories pittoresques quoique tirées de Moïse, d'Homère, d'Eschyle, du Dante et du Tasse. Celle du Dante, au début du premier chant de VEnfev et faisant allusion aux trois bêles : la luxure, l'ambition et l'avarice de la cour romaine, est basée sur ces trois symboles mystiques. Allusion. — C'est surtout d'allusions que se compose l'allé- gorie, et elle devient obscure, parce que nous en ignorons les termes familiers à l'auteur et i^ son milieu. C'est ainsi que tout le Zohai\ recueil gigantesque de mys- ticisme hébraïque, nous présente en similitudes fouillées, pleines d'ù peu près et de détails, des arcanes tels que les treize fontaines entourant le jardin (l'homme), dans la barbe de vérité i. Ces secrets étaient réserves aux rabbins, mois- sonneurs du champ sacré. Langage poétique. — L'allégorie est bien d'essence orien- tale. Cependant, les peuples les plus sauvages l'emploient avec une emphase qui prouve qu'elle se lie en leur esprit au sen- timent du beau. Mais sa complication même a porté les artistes et les poètes à se servir de vrais clichés mythologiques et, dès que l'on entend cette phrase : Le temps fait passer l'amour, on n'est point étonné de voir dans un tableau un vieillard ailé, porteur d'une faux et menant à l'autre rive un t'upidon monté dans sa barque. Tableaux cVallégorie simple. — C'est bien de cette nature que furent la plupart des allégories de peintres, et souvent moins subtiles, car ils se contentent souvent d'un sujet qui leur per- * II. Château, Le Zofiar, traduction française. Paris, Ghamnel, 1895. p. 12. (134 ) met la peinture d'un tableau. Est-il sens plus clair que celui de la Mère de douleurs, par G. Van der Meire (Musée d'Anvers) : debout dans un nimbe d'or, elle montre son cœur percé du glaive! Et la Charité de Cranach, femme voilée (car elle doit être discrète), donnant le sein à un enfant et en protégeant deux autres; un pommier chargé de fruits (emblème d'abon- dance) lui sert d'attribut. Au même Musée il y a de l'allégorie dans la Sainte-Catherine de Van Lint, dans le Miracle de saint Hugues par Quellyn, dans VArc de triomphe de Van Thulden ; aussi dans l'hiératique Ascension de Pennemaekers, mais surtout dans le beau Christ en croix de Van Dyck, où planent deux anges au-dessus de sainte Catherine baisant le pied droit du Sauveur; où un ange avec le flambeau renversé, signe de deuil, et la lampe sépul- crale, attribut funéraire, entourent une inscription poétique d'une allégorie sublime! Cliché allégorique ou symbolique. — Tous mêlent intimement le symbole à la fiction, bien que, surtout dans les sujets reli- gieux, l'habitude de voir certains sujets toujours figurés de même, doive peser sur l'invention d'un artiste. Un Saint- Martin se présente aussitôt à l'esprit selon l'arrangement connu du cavalier et du mendiant, la main tendue. Le Saint- Hubert à genoux devant le cerf miraculeux devient une image familière quoique presque historique, et tout cela augmente le nombre des types légendaires. Aussi l'etfort d'esprit, chez les peintres qui reprennent ces sujets, est-il à peu près nul. Ces silhouettes devenues symboliques, ne restent plus pour le public que des scènes vivantes, tableaux de faits, par consé- quent emblèmes, le rapport symbolique n'intéressant plus. Tous les jours, le groupe familier de saint Michel et le Dragon (emblème de la ville) nous passe devant les yeux sans que nous songions à l'allégorie de l'Esprit céleste terrassant la matière. Selon qu'on la considère, une même œuvre est donc symbole, emblème ou allégorie! Évidemment, puisque c'est sur les objets de la nature que se fonde la figuration de la pensée. ( 135 ) Mîisée d'Anvers. — Le Panorama de Valenciennes, dû à D. Tcniers et Du Cliatel (Anvers), nous montre la personni- fication générale de la ville par licence poétique : synthèse qui devient un symbole. Cet élément d'allégorie, tel qu'un Jupiter, le génie de la Képublique, etc., est de nécessité artistique, f^e génie qui pré- side au destin de la ville ou du pays est un symbole de ce destin, mais une allégorie (une conversion) du nom de Valen- ciennes. En effet, c'est cette figure qui est sous la protection de la Vierge et du Saint-Sacrement (allégorie de la levée du siège, le jour de cette fête), les anges qui l'environnent portent des drapeaux pris sur l'armée française (symboles des victoires remportées). Philippe IV, couronné par deux génies et protégé par Minerve qui écrase la Discorde, et par la Force (figures symboliques) est une allégorie renforcée par l'emblème du Lion Belgique abattant sous sa gritte le coq gaulois! Don Juan et Condé ont pour tenants deux génies, allusion délicate à leur valeur militaire. Le lion et le coq ne sont, quoique embléma- tiques, pas moins tributaires de l'idée principale. Mais Jacques Jordaens, le sensuel réaliste, qu'a-t-il fait dans son Pégase dépassant les génies et chassant les satyres brutaux, sinon une claire parabole? Dans son Commerce avec rindustrie encourageant les arts, il y a symbole arbitraire par la person- nification des déités avec attributs. Sa figure de la Loi humaine basée sur la loi divine, est assise sur un lion dompté (symbole fondé sur une idée allégorique, comme le trône de nuages sur lequel il est couché). Elle reçoit d'un ange le glaive et la balance, ses attributs, et Moïse lui enseigne la loi de Dieu. Tout ce tableau n'est que double entente et fiction poétique. La religion basée sur les quatre évangiles a été allégorisée par F. Francken (Anvers) en un Christ glorieux, s'appuyant sur les attributs des quatre évangélistes. Ici Tallégorie est bien le fait du peintre. Nous établirons par les écoles de France et d'Italie, par Lebrun, P. de Cortone et aussi par P.-P. Kubens, que l'allé- ( 136 ) gorie est la vie même du décor, mais nous avons d'abord ù examiner les divers rapports entre deux idées ou leurs figures. Nous venons de voir que dans cette subtilité de l'esimit, qui peut donner l'intelligence d'un autre sens que l'on n'exprime point, on se sert souvent de symboles comme détails, même dans le discours. Ainsi quand Pythagore dit : N'attisez pas le feu avec répée, il sous-entend par le feu, la colère et la vio- lence; par l'épée, la contradiction, la guerre; et l'action d'atti- ser est le signe d'attaque, de persécution. Caractère de rallégorie. — Dès qu'il y a allusion, finesse ou intention cachée, il y a allégorie, car il y a analogie, double entente, rappel d'une autre idée. Si l'on figure cette phrase : L' ho mine est un ange tombé, par une colombe à l'aile brisée, jetant un regard vers les nues et couchée auprès de la pomme de science ou entortillée par le serpent, il y a allusion, analogie comme situation ou succession d'idées. L'allégorie et l'allusion, dit Lafaye i, ont cette seule différence que, dans l'une tout est dit, écrit (ou peint) en vue du sens caché qui est seul important; dans la seconde, en vue du sens immédiat ou naturel, le sens caché n'étant qu'accessoire. L'allégorie est plutôt une œuvre d'art et a pour but d'embellir, L*allusion, œuvre de critique, a pour objet le blâme ou la louange. Dans l'exemple précédent, elle rappelle la chute de l'homme. Voltairea dit, encore avec quelque négligence : « L'histoire de Daniel et de l'Ange qui enleva Habacuc n'est qu'une allégorie visible, un emblème de l'attention de Dieu. » Cet enlèvement est un emblème, oui, une scène animée, mais non parce que l'allégorie plastique devient emblème. La scène ne nous montre pas l'attention de Dieu matérialisée! Mais quand il dit que l'ambassadeur des Scythes présenta à * Lafaye. Dictionnaire des synonymes. Paris, Hachette, 1858, p. 982. ( rM ) Darius un oiseau, une souris, une grenouille et cinq flèches, cette allégorie signifiait que ce peuple était presque insaisis- sable, comme ces animaux, et c'était une allusion à l'adresse d'archer du Scythe. Dans le (Innt'uiue des aniHijucs, Oolla est mise pour Jéru- salem. L'allégorie, l'allusion, la parabole et l'apologue consistent donc en récils ou discours qui font concevoir aiilre chose que ce qu'ils signifient proprement et qui voilent la vérité. Ils parlent ù l'esprit; ce sont des compositions littéraires, des descriptions. Seulement, l'art s'en est emparé, et les écrit par ses moyens à lui. Dans l'allégorie, ne vous arrêtez pas au sens littéral ; il en recouvre un autre qui est le sens caché de l'auteur même. Son mérite est d'insinuer des vérités parfois déplaisantes ou des flatteries hyperboliques, ce qui fut surtout le cas en fait de peinture. Trois sortes d'alléijorie. — Dans Mars et Vénus surpris par Vulcain (le courage et la beauté impuissants contre l'adresse), il y a un rapport secret entre des figures symboliques et cette idée choisie. Dans l'emploi par un artiste d'un flambeau éteint au lieu d'une tête de mort, se trouve un rapport mystique, ingénieux entre deux formes différentes. Dans le Silence du dernier sommeil, au lieu du calme de la mort, il y a seulement un rapport spirituel entre deux idées différentes aussi. Voilà trois sortes d'allégorie, de tromperie, d'équivoque et de double entente. L'allégorie poétique de la vérité au fond d'un puits est con- nue. Voltaire la renouvelle en disant : .... Il (le Temps) étendait ses deux j)esantes ailes... La vérité qu'on néglige ou qu'on fuit, Kn fifémissant se blottissait sous elles... (138) En idée, comme en figures, il peut y avoir simplicité ou une grande complication. Voici une phrase très complexe dans sa figuration : Le temps fuit quand il appartient à l'amour. Un vieillard (symbole païen) tenant un sablier (attribut et symbole à la fois), agitant ses ailes (emblème) est tenu en laisse (allégo- rie) par un enfant ailé (symbole), les yeux bandés (symbole) avec arc et carquois (attributs). G. Reni. — Comme très simple, plus plastique que philoso- phique, nous citerons : VAurore de Guido Reni, plafond du casino Rospigliosi. Elle chasse la nuit, en jetant des fleurs sur le monde, suivie de l'amour tenant son flambeau, et de Phœbus sur son char entouré des neuf Muses. L'idée est presque banale. N. Poussin, — Celle de la vie humaine, par le Poussin, a un peu plus de profondeur : au son de la lyre du temps, dont un enfant manie le sablier symbolique, devant un autre enfant qui souffle des bulles de savon (symbole de fragilité) au pied de Janus (le présent et l'avenir), dansent un jeune homme et trois filles dont une déjà semble vaciller, incertaine. Ce groupe avait peut-être pour l'artiste une portée plus significative; quant au char glorieux du soleil dominant les nuages orageux, tout le monde peut y voir l'allégorie du succès et de l'adversité qui se partagent la vie humaine. Poussin fut souvent plus superficiel. Michel-Ange. — Le groupe si connu de Michel-Ange, au centre du Jugement dernier : le Christ répudiant le paganisme, et se serrant contre Marie qui repousse un homme portant une échelle (l'ambition) et un bourreau tenant la peau de iMarsyas (l'orgueil et la cruauté), peut nous donner un premier exem- ple, en pleine allégorie, de la tendance trop naturelle aux artistes de faire prédominer le métier, la science anatomique ou l'idéalisme dans une œuvre, même à tendance symbolique. ( 139 ) 1.68 Van Eyck. — Déjà elle est tr(-s sensible chez des peintres comme les Van Kyck, dont la composition de magistrale VAffiicau est cependant bien fournie en symboles canoniques (serpent, lion, colombe;, etc., ainsi que de devises explicatives. Mais il est visible que ces éléments étaient surtout des motifs d(; peinture, et non le développement d'un mystère, malgré la célébration récente de cette œuvre, par des poésies modernes, delà musique classique et des projections photographiques! Sainte Cécile est reconnaissable à son orgue, le Père ou mieux la Papauté à la tiare et à la couronne qui est à ses pieds, mais saint Jean, malgré ses pieds nus, est aussi peu caractérisé que la Heine des viertjes, et la scène principale n'est, à proprement parler, que l'emblème de V Adoration, une solennité religieuse. Depuis les chérubins jusqu'aux ermites et aux guerriers, tous répètent comme les prélats : Hosannah ! Il ne faut point de parti pris absurde. L'art flamand est plus objectif que penseur, et l'on doit se tourner vers l'Orient pour tnjuver les fables profondes, les fictions et les métaphores souvent tourmentées. Synthèse symbolique romaine. — L'art romain déji nous montre parfois une force et une persévérance de pensée qui parviennent, à l'aide des éléments d'une vast».* allégorie, àc«jn- denser un sujet complexe, de façon à en faire un puissant et synthétique symbole. Tel est le grand Sarcophage romain du Musée des Ottices à Florence, qui représente en bas-relief les différentes époques de la vie d'un héros. La naissance est figurée par une mère regardant son enfant posé sur un cratère et soutenu par sa nourrice. Tout nu, il regarde une sphère |)lacée au bout d'une petite colonne sur laquelle Uranie pronostique l'avenir, tandis qu'une femme tenant un livre touche cette sphère qui est l'infini. Ce groupement complexe d'allégories et de symboles n'a trait qu'à une seule idée : V Avenir d'un héros, et en devient vraiment le symbole, le signe figuratif. C'est de la pure syn- thèse antique. (140) Mais le propre de l'allégorie est au contraire de parsemer les idées 1. L'allégorie voile, habille, déguise, se joue de la clarté vul- gaire, et quand, chez les modernes, elle se montre trop transparente, c'est alors qu'elle perd de son intérêt. Flatterie allégorique. — Mais le plus souvent, les artistes ont reculé devant la difficulté d'exprimer clairement, même en parallèle, des idées profondes et compliquées. Ils devaient préférer une sorte d'emblème, ou une réunion de portraits et de figures fantaisistes qui leur donnaient la faculté la plus désirée, celle de la flatterie. La Cour des Muses, d'Isabelle d'Esté, par Lorenzo Costa, est une de ces courtisaneries. Diane, les moutons qu'on couvre de fleurs, les trouvères et les savants orientaux protégés, les jeunes poétesses couronnées par l'amour et par la princesse, sont plus emblématiques qu'artiticieusement traités. Il n'y a là vraiment que l'hydre de l'ignorance, coupée en deux par la hallebarde du seigneur d'Esté, qui mérite d'arrêter pour son sens allégorique. Le Sodona. — Le Saint-Victor de l'hôtel de ville de Sienne a une portée plus grande. Tenant haut l'épée et la palme, il symbolise le triomphe, et son écuyer, le petit génie qui tient le bouclier de liberté, est éloquent dans son attitude qui signifie : Sursum corda! et avec sa branche de myrte. L'autre amour protège le monde. Ce symbole de sérénité heureuse expliqué de plus par la lutte entre le Bien et le Mal, anges placés aux deux côtés du cintre, devient tout un poème allégorique. Transformations d'aspect symbolique. — La même idée se transforme selon l'inspiration de l'artiste. La force gracieuse * P.-A. CoupiN, OEuvres posthumes de Girodet Trioson, allégories, t. I, p. 219. Bruxelles, 1829. I { 141 ) devient un emblème par un jeune tigre se jouant, ou par la Vénus du Capitole, Hercule et Vénus sont deux symboles traditionnels de Force et de Grâce : Ces deux idées peuvent être figurées par un chêne et une campanule ou miroir de Vénus, ou bien par deux emblèmes : un athlète remuant un poids et une fillette dans une pose séduisante. Les deux figures formant groupe deviennent une allégorie, la Force liée à la Grâce, pour peu qu'un simple ruban ou les bras de la fillette marquent cette union. On voit qu'il est fort difticile, dans une composition peinte, de ne pas allier à la fois plusieurs sortes d'éléments significa- tifs. Se borner à un symbole, c'est souvent se condamner à ne peindre qu'un fragment, dès qu'on ne cherche pas une syn- thèse. Or les peintres, surtout dans l'art décoratif, tentent au contraire de développer leur sujet. Chez les modernes d'ailleurs, nous trouvons une exubé- rance de phrases peintes, jusque chez des artistes religieux qui n'ont pas craint d'employer la forme païenne. E. Le Sueur. — Le sérieux E. Le Sueur avait lu, de même que Poussin, Vouet et d'autres, l'ouvrage mystique du domi- nicien F. Colonna, dont les visions nombreuses sont couvertes d'un voile d'amoureuses teintes (le Songe de PoUphile). Tandis que Le Brun peignait à l'hôtel Lambert de Thorigny la grande galerie des travaux d'Hercule, Le Sueur décorait les cabinets des bains, des Muses, de l'Amour. Dans sa Prédication à Ephèse, il représente par une scène vivante le triomphe de la religion sur l'ancienne philosophie païenne dont on brûle les livres. Cette scène n'est pas l'emblème d'un triomphe pourtant; si l'on se reporte à l'idée sous-entendue, elle est allégorique, mais c'est l'emblème d'une destruction. Dans son Histoire de l'amour, les Grâces président â la nais- ( 142 ) sance du dieu dans le vague des airs où l'Espérance vient le couronner; ou bien l'Amour descend sur terre avec la Jeunesse et la Beauté; ou, porté par cette dernière, il émeut les dieux et jusqu'à l'aigle de Jupiter. C'est bien la phrase littéraire tra- duite en allégorie peinte. Mais, au Louvre, V Apparition de sainte Scholastique, accom- pagnée de deux Vertus couronnées de fle urs et portant la palme, a tout autant de simples sous-entendus. Saint Paul y montre le ciel à saint Benoît et saint Pierre lui tend les bras. Dans un autre tableau, les sept étoiles marquant l'arrivée des sept pieux voyageurs sont encore une allusion claire, sans profonde recherche. P.-P. Rubens. — Bubens, encore une fois, se montre un maître dans l'invention de son Triomphe de la foi catholique ^. Deux anges traînent un char d'or, où sont placées, de chaque côté d'une sphère, la Beligion agenouillée tenant la croix (sym- bole) et la Foi montrant le calice de vie (symbole joint à une allégorie). Deux petits anges volent en avant, portant la cou- ronne d'épines et les clous (présage symbolique). Tout cela répond à une allégorie continue : La passion ayant produit la foi. Deux autres amours, répondant à une idée confuse, pous- sent le char. A droite, auprès d'eux, marchent un vieillard qui s'appuie sur un bâton (expérience), un homme tenant un livre et un globe (science), et une femme à six mamelles (nature). Derrière viennent l'Asie et l'Afrique, figurées synthétiquement par un nègre et un mongol. Au-dessus de leurs têtes volent deux anges, dont l'un tient un flambeau (suite de l'allégorie : la lumière jetée sur les peuples aveuglés). Au milieu deux anges soutiennent un cartouche (devise portant les mots : Fides Catholica). Enfin, deux autres anges, en un motif déco- ratif, déroulent une tapisserie devant l'ouverture d'un riche * La Paix d'un État est une œuvre conçue dans le même style allégo- rique. •4 ! ( l-i3 ) portique. Ceci est essentiellement Vemhlème selon son acception primitive : l'ornement. Sur le soubassement on voit un réchaud en or et un cœur dans un creuset au milieu des flammes (allé- gorie de la foi brûlante). De chacjue côté du brasier, un dragon à tête et seins de temme, à griffes de lion et queue de poisson, symbolise le démon tentateur : l'erreur. On voit que notre grand artiste savait allier sa fougue natu- raliste à la science profonde qu'il avait puisée sous la disci- pline des jésuites. D'ailleurs, on comprend à peine la pein- ture décorative sans le jeu de la pensée. Peinture dite allégorique mais simplement académique. — Mais il nous tarde d'arriver à la façon qui fut la plus habi- tuelle aux peintres pour créer des toiles dites allégoriques, mais où l'idée n'a qu'une part bien faible en présence de l'as- pect et de la technique. i.e Poussin, Raphaël, Mantegna, une foule d'autres nous offrent des compositions héroïques , mythologiques ou païennes, qui ne visent qu'à la forme, à l'esthétique et ne sont, comme les sujets d'histoire, souvent que des prétextes à tableaux. Dans les grandes lignes seules on voit parfois un symbole de majesté, de grâce, de terreur. Le Polyphème du Poussin, les figures de Claude Lorrain, celles des paysages historiques de Rubens, de S. Rosa, s'effacent devant une impression géné- rale de grandeur, rien de plus. La Chèvre Amalthée du Poussin n'a pas plus de sens qu'une belle académie. Il y en a davantage dans ses Heures poursui- vant leur cours céleste, dans Vlmage de la vie humaine. Mais son Eden : le premier couple, dans un paysage de printemps, est le symbole assez banal de la naissance de la Nature. Boecklin. — Une idée analogue a été traitée plus allégori- quement par le peintre Boecklin, qui a figuré une femme réveillant les amours au son de sa lyre, et deux petits amou- ( 144 ) reux couronnés de fleurs, dormant enlacés sur l'herbe nou- velle. Allégorie française. — Généralement Tallégorie française est claire et superficielle. L'Apothéose de Louis XIV, par Le Brun, est un modèle d'allégorie transparente. L'emblème du roi (coiffé de sa perruque) reçoit de Minerve la couronne et trône sur le char de l'immortalité. Devant lui la Renommée embouche la trompette et deux femmes parsèment l'abon- dance sur l'univers. N'est-ce pas une traduction littérale en peinture d'une flat- terie de poète de cour, et fallait- il de l'effort pour en saisir le sens? Le but était d'ailleurs d'être compris pour être récompensé; mais, sans mythologie, Ant. Van der Meulen, dans ses Vues de batailles^ se montrait aussi bon courtisan ! 5. Vouet. — Simon Vouet était plus encore asservi au sens propre et positif. Ses scènes de VOdyssée et sa grande œuvre de Rome : V Intelligence, la Mémoire et la Volonté, n'ont rien qui porte à penser. Prudhon. — Mais Prudlion est typique dans l'école française. Il n'a pour ainsi dire produit que des emblèmes et des allé- gories. L'idée était pour lui la base de la composition, tou- jours simple pourtant, comme : l'Amour enchaîné au buste de la Sagesse et qui sera délivré par un caprice de femme! Ou la Vérité descendant des cieux, conduite par la Sagesse! Tout cela parle de façon ingénieuse. Prudhon était de cette époque spirituelle mais vouée à la douce philosophie d'une aimable fiction. L'amour qui caresse la penne de son dard avant que de blesser est encore une idée malicieuse. Mais V Amour de l'or, cet homme qui foule aux pieds femme et enfants pour atteindre la richesse, c'est une scène palpable, purement un emblème malgré le sens figuré. ( m ) L'Amour qui sëduit l'Innocence que le Plaisir entraîne et que suit le Repentir! Sans les majuscules qui personnifient ces substantifs, ne croirait-on pas lire couramment une maxime de morale? Le superbe tableau de la Justice et la vengeance divine pour- suivant le criminel (personnifications emblématiques par leur expression et leur mimique, plutôt encore que symboliques par leurs attributs) est une vaste allégorie dont les éléments sont des emblèmes. Tout cela vit, quoique dans un monde idéal. Le contraste de la force et de la délicatesse (Gain et Abel) est frappant en présence des abstractions si bien person- nifiées des déités implacables. Le pendant de cette œuvre, le sujet non moins célèbre de : La vengeance divine poursuivant le crime devant la Justice humaine, est au moins aussi éloquent. Le groupe où se trouve le criminel est un emblème de honte et d'effroi. L'ange accu- sateur est trai>,ique, un vivant emblème aussi, de même que l'austère sérénité du tribunal. Personne ne saurait se tromper à l'expression palpable des idées, qui forment un ensemble plutôt par l'aspect surhumain des figures. L'allégorie est claire mais admirable. Le portrait du Roi de Rome, né dans les palmes et les lau- riers, n'est qu'une métaphore; mais V Amour riant des pleurs de l'Innocence (griffée par un petit chat) est un véritable emblème de malice enfantine auquel on a simplement substitué le mot amour à celui d'enfant. Raphaël. — Le divin Sanzio lui-même a été rarement pro- fond dans ses sujets qui paraissent historiques, mais que l'on décore de titres philosophiques. Ainsi, à la Segnatura, la Dispute du Saint-Sacrement (science divine discutée par les docteurs de l'ancienne et de la nouvelle loi), V École d'Athènes (les grands systèmes de philosophie), le Parnasse (les diverses poésies) n'ont pas d'intention cachée. Il y en a davantage dans la Chambre d'iléliodore, où tout est allusion aux affaires du Tome LIX. dO ( 146 ) Saint-Siège, dans VIncendie du Borgo (les dangers de l'Ilalie en 1515), et plus encore dans les deux jeunes gens parés de fleurs : jeunesse, amour, printemps, qui font partie d'une composition des Loges. Burne Jones. — Il en est d'ailleurs de même de bien des œuvres de maîtres que l'on se plaît à qualifier de symbolistes, tels que Burne Jones, dans ses dessins de la Nativité et de la Mise au tombeau qui rappellent vaguement comme allure Puvis de Chavannes et de fort loin Jean de Pise. Mais on ne songe pas assez au métier, aux études préparatoires d'une œuvre; les difticultés techniques seules empêchent souvent d'appliquer au modèle l'idée qui surgit à l'artiste en son recueillement. D'ailleurs, l'idéalisme, dans sa recherche exclu- sive de la correction et de la beauté, doit nécessairement négliger souvent la pensée i. Puvis de Chavannes. — On ne saurait que bien rarement faire ce reproche à Puvis de Chavannes, malgré ses dessins que l'on rencontre partout et qui ne sont que préparations techni- ques ; mais, s'il est le type du peintre symboliste moderne par sa tendance synthétique, si Jean Aicard a pu dire : que son Pêcheur misérable^ c'est toute la misère; son Espérance, toute l'espérance; que tout le drame de l'art n'est pour lui que le moyen d'exprimer le sens général de ses sujets '^, il tend aussi à la rêverie humaine, il oscille surtout entre l'emblème et le symbole, précisément par cette double tendance d'exécu- tion pratique et de songerie intellectuelle. Ses compositions du Musée d'Amiens : le Travail, le Bepos, la Paix, sont purement emblématiques. Le Bois sacré, cher aux arts et aux muses ne peut lui-même passer pour une allégorie, que par l'idée 1 P. -A. CoupiN, OEuvres posthumes de Girodet Trioson, dissertation sur la grâce, t. I, p. 467. Bruxelles, 1829. 2 La Plume, n» 138, 7^ année, 15 janvier 1895. ( 147 ) adjointe ù son litre, et développée par les figures parsemées dans son paysage. Quant à riiémicycle de la Sorbonne, c'est une vaste frise qui comporte autant de pensées que de groupes liés harmo- nieusement entre eux. L. Hiotor > a constaté en termes heu- reux le trouble inconscient que propage le maître parmi les « visuels, ceux dont le cerveau transforme en image la plus ténue des sensations, et chez lesquels la vision la plus fugitive provoque une longue suite de panoramas philosophiques ;). La scène italienne : Inter arles et naiuram, du Musée de Rouen, est un exemple curieux encore, de symbole sans allé- gorie aucune, mais exprimé d'une façon étendue qui contraste avec le caractère habituel du symbole : la condensation. Ainsi l'allégorie moderne, malgré un détour du sens, est un peu différente de celle des anciens, qui était imaginée pour cacher. Rébus. — Le rébus, qui eut encore quelque vogue vers 1825, est issu d'une préoccupation analogue à toute la cryptographie égyptienne. Cinq Orangers est une puérilité bien connue ; nous en faisons mention, parce que ce ne serait jamais ni un symbole ni un emblème des cinq arbres en question : Cinq feuilles ou fleurs pour le premier, un oranger avec le chiffre V, pour le second seraient un signe et une image satisfaisants. Il y a des exemples de ce jeu dans les blasons des chambres de rhétorique, tels que celui de Turnhout (la fleur de bruyère) au Musée d'Anvers, dont une banderole donne la solution mais dont l'interprétation fut sans doute l'objet d'un concours au Landjuweel. Nos devanciers se préoccupaient pourtant plus sérieusement que nous de l'utilité morale de l'art. Aussi la philosophie était-elle, plus qu'elle ne le paraît même par les œuvres, dans * La Plume, n" 138, 7« année, 1,^ janvier 1895. ( 148 ) le fond des idées des artistes érudits; peut-être certaines com- positions mythologiques qui nous paraissent banales eurent- elles à leur époque une réelle valeur scientifique. La fin la plus importante de l'histoire de la nature, disait Bacon, est de prêter son ministère à la philosophie et de lui servir de base; et il donnait des exemples du sens des para- boles antiques, relatives aux sciences naturelles, à la politique ou à la morale : l'Univers représenté par la fable de Pan, la Guerre par Persée, la Passion par Bacchus t. Parabole. — La parabole contient, on le sait, une grande leçon, mais des compositions fort simples peuvent atteindre ce but. Dans un tableau d'un inconnu, au Musée de Colmar, Jésus- Christ descend aux enfers, et, selon la phrase de l'Office des morts, renverse les portes de l'enfer qui écrasent un démon, et il tend la main à Adam et Eve pour sortir de la géhenne. Les deux toiles de Wiertz (les Partis jugés par le Christ et les Partis selon le Christ) sont de même nature; des leçons qui, parfois, se changent en satires allégoriques comme dans le tableau de J. Lazergues, à Douai : La Folie fra2)2)ant Jésus d'un fouet, tandis qu'un anarchiste, au deuxième plan, agile la torche incendiaire; l'allégorie n'est ici que dans la phrase initiale. But de la décoration monumetitale. — Il est évident que cette tendance morale et éducatrice est, avec les souvenirs de l'his- toire d'un peuple, le seul but que devraient rechercher les autorités dans la décoration des monuments, et que la recherche de l'esthétique devrait être le moyen et non le but. Si la décoration intime offre un délassement spirituel et aristo- cratique, l'art public devrait être à la fois un moyen d'éduca- tion pour les yeux, fesprit et les mœurs. * Bacon, Instauratio magna, édit. de Londres, 1778, liv. II, chap. III et XIII. Trad. Antoine Lasalle, t. I, pp. 285, 345, 376 et 390. ( ii9 ) Ce ne fut pas toujours le but des peintres d'autrefois, qui la firent servir ii une flatterie vraiment exagérée. Le prince de nos peintres se distingua en ceci tout autant que les artistes de France et d'Italie. DE LA DliCOHATION ALLKGOIUQUE. Liberté allégorique. — Le tableau, quelle que soit sa ten- dance, autorise, nous l'avons vu, l'essor ou le voile de l'idée. Mais si la simple ornementation peinte peut se contenter d'em- blèmes, ou bien prendre çà et là un motif symbolique pour repère, c'est bien dans le tableau décoratif, le plafond, la frise, le panneau, le fronton, que l'allégorie se développe en toute liberté, dans sa paraphrase qui utilise tous les moyens d'art intellectuel comme dans ses commentaires qui ajoutent des pensées nouvelles. Quelques Italiens se sont montrés brillants en ce genre, à l'époque où le goût des puissants se tournait vers le luxe et les cérémonies. P. de Cortone en est un exemple frappant. Mais P. -P. Rubens, malgré la prédominance de sa technique sur sa pensée littéraire, mérite aussi de servir de type. Il tra- duisait de façon plastique ou plutôt charnelle des propositions savantes, mais en se dédoublant : Le travail intellectuel et scientifique une fois déterminé et arrêté, il oubliait tout pour son exécution picturale. Difficulté de lier Vidée à la pratique. — De fait, nos symbo- listes modernes pèchent par un effort plutôt pénible de liaison continue de l'idée à la pratique, ce qui détourne de leur art une notable partie du public. Gustave 3Ioreau n'a-t-il pas cru devoir se confiner durant toute sa vie dans son atelier, ne communiquant à la foule dans quelques expositions que cer- taines œuvres spéciales? Dans le décor, l'allégorie doit retrou- ( 150 ) ver à la fois sa signification et conserver le charme de la simple vision; rien n'est plus écœurant qu'un décor banal sans inten- tion. Songeons à une rosace ou un filet répété par un prati- cien, ou à un vulgaire papier peint nous montrant le même et monotone bouquet de tleurs. Mais une certaine lassitude de pensée semble écarter les modernes de l'étude des images spirituelles, et la métaphore «st aujourd'hui remplacée par le rêve ou par un symbolisme souvent rude et lourd. P. de Cortone. — Le plafond de la grande galerie du Palais Barberini, à Rome, dont l'esquisse est à Colmar, a pour sujet : La Providence dispensatrice du présent et de l'avenir. En chacune de ses encoignures, P. de Cortone a placé l'emblème de la famille Barberini (l'abeille), un médaillon représentant une vertu cardinale par un sujet de l'histoire romaine (allé- .gorie), et, à la naissance de la voûte, un symbole de chacune de ces vertus ; ainsi : La prudence. Fabius Cunetator. Des ours qui se lèchent. La justice. Manlius. Un hippogriffe. La force d'âme. Scœvola. Un lion. La tempérance. Scipion. Une licorne. Au milieu d'une gloire entourée des personnifications des qualités divines : rÉternité, la Vérité, etc., la providence com- mande au présent et à la vie (le Temps et les Parques, per- sonnages symboliques). Des sujets allégoriques ajoutent des particularités relatives aux Barberini : Pallas (la Puissance spirituelle) précipite les Titans. Hercule et l'Abondance (avec les faisceaux consulaires comme attribut) représentent la puis- sance temporelle. Des symboles complètent l'œuvre : La Science portant un livre et des flammes qui s'élèvent vers le ciel. La Piété avec le feu sacré, l'Intempérance symbolisée par Silène, l'Impudicité par Vénus, la Chasteté en blanc et portant un lys, la Prudence ( 1M ) avec le miroir, etc., ajoutent aux pensées développées en cette grande allégorie ^. E. Le Sueur. — Une autre, ingénieuse mais assez simple, est celle de E. Le Sueur (au Louvre) : Phaëton demamlant à son père la conduite du char du Soleil, et qui paraît avoir été une allusion politique. Les Heures retiennent avec peine les chevaux impatients d'Apollon (danger de l'État). L'Aurore, tenant un flambeau et des roses, s'avance avec les Saisons munies de leurs attributs. A droite, les Vents, symboles de tempête, amon- cellent les nuages. A gauche, le Temps semble menacer le ciel et la terre. Allégories toutes faites. — Nous avons observé que, dès que nous rencontrons un peintre de la Renaissance ou plus moderne, nous constatons une allégorie toute faite; on voit se succéder Céphale, Galathée, Pan et Silène des Carrache, le Mercure du Gorrége, une foule de sujets peu creusés, simples prétextes au désir de brosser. Parfois déjà dans l'art antique, cette indolence se remarque. Dans les premiers symboles grecs, on reconnaîtrait à peine l'Amour éphèbe sans ses ailes ou ses flèches, symboles qui lui servent ici d'attributs. Mais sur les pierres gravées antiques, on le voit, par allégorie, monté sur la croupe d'un lion. Bien des peintres n'ont point songé à aller aussi loin. Jeux de mots et d'idées. — Par le nom de Psyché nous voyons un de ces jeux de mots qui faisaient le fond de la science orientale; par ce mot qui veut dire à la fois âme et papillon, et confondait les notions d'âme et de pensée, le sym- * L'esquisse allégorique de Cluysenaar, le Vrai, le Beau et le Bien, est conçue dans le caractère des plafonds décoratifs italiens dont Tiepolo, Ferrari et tant d'autres, après P. de Cortone, o;nt laissé des exemples typiques. ( 452 ) bolc de l'âme humaine est représenté tantôt par une femme ailée, tantôt par un simple papillon. L'esprit du spectateur faisait la transposition parabolique, et on lisait : L'âme est fugitive et céleste. Cette élasticité des significations ne doit point étonner chez des peuples dont l'imagination était vive et le langage imagé. Les trois Grâces, par exemple, signifiaient pour les Grecs à la fois l'élégance, le charme, les bienfaits, la reconnaissance. Les Spartiates les invoquaient avant le combat. Dans un bas-relief du Vatican, on voit un malade remercier Esculape des grâces qu'il lui a accordées; elles se chargeaient de la toilette de la Beauté; leur groupe était pour le peuple le symbole de l'amabilité, des échanges de bons procédés. Peu de modernes manièrent ainsi en tous sens les acceptions d'un mot. Définition de l'allégorie. — Cependant, allégoriser signifie expliquer selon le sens allégorique : Origène passe pour un allégoriste. Allas agorein, c'est proclamer autre chose que V apparence. Faire une allégorie d'un livre à celui de l'Apocalypse, c'est en faire un parallèle, une transposition. Agoreuô c'est la diathèse (diatheô); l'excursion dans d'autres sphères, la course çà et là. Siuibolon, c'est convention; sun hallô, c'esile sy?ithème, le mot d'ordre plus encore que la synthèse qui réunit les idées en une seule image. Les paraboles évangéliques sont des allégories parce qu'elles emploient d'auti'es images pour un but déterminé. Vénigme est un mot, un signe à deviner; elle ne constitue pas une allégorie, mais celle-ci constitue une énigme, car lallé- gorie d'une proposition la rend énigmatique. Désir de liberté dans la composition picturale. — Fort peu de peintres anciens ont produit des compositions purement sym- ( 153 ) boliques. Tous ont remarqué dès l'abord que la foule h laquelle ils soumettaient leurs œuvres ne les aurait pas com- prises, ensuite combien il est ingrat de condenser en peinture ses idées en un signe, au lieu de les développer brillamment par une allégorie où la plus complète liberté s'offrait à eux, pour l'ornemenlation picturale. Ce scrupule existait moins dans la sculpture, de nature plus synthétique, même hiératique en ses origines. Un exemple remarquable, parmi les modernes symbolistes, nous est offert par un artiste flamand : /.. Delbeke. — lia voulu parfois être un modèle d'obscurité analogue au système allégorique des Egyptiens, et dans ses dessins de la Boite de Pandore, mêlant volontiers les mythes religieux avec ceux de la franc-maçonnerie, il a produit des œuvres complètement ésotériques, où tout est symbole mais dont l'ensemble constitue toujours une phrase allégorique. Car son but était de créer des pantacles, symbolisant les grandes idées métaphysiques i. Certaines lignes simples de son Paga- nisme régénéré, du Triomphe de la béte arrivent à ce résultat, mais les autres se développent en idées ingénieuses. Tels : Le Père et le Fils couronnant Vénus et l'Amour (Marie et l'Enfant) aux dépens de Minerve et de Junon; ou bien le génie attei- gnant rinmiortalité après avoir abattu l'Ignorance; encore, Jacob, le pied sur un lion, et entrevoyant, grâce aux anges de la Lutte et de l'Étude, l'échelle de la lumière éternelle que détient la magie. Mais, dans sa fresque des halles d'Ypres, il a aussi senti la nécessité de sacrifier à la paresse de pensée de son public, et sa Glorification de la Commune, aux groupes actifs et expres- sifs, est un emblème, expliqué en outre par d'autres emblèmes, insignes et accessoires, mais dont l'ensemble ne peut préten- dre aucunement au titre de symbole. * J. DU Jardin, LWrt flamand, t. IV, 1. t."). illustrations par J. Midde- leer. Bruxelles, A. Boitte. ( 184 ) J. Stallaert. — L'expression décorative d'un autre artiste bruxellois, J. Stallaert, caractérise par contraste le charme ornemental qui fut en honneur aux époques de magnificence italienne et française. Le vestibule d'entrée du Musée royal nous en otiVe un exemple approprié aux exigences architectu- rales qui devraient toujours faire loi. C'est même à ce point de vue de subordination que la pein- ture exclusivement symboliste, pèche en fait de suite et de liaison. Frappant par chocs brusques d'idées, elle concentre les facultés du spectateur et convient mieux pour le tableau de chevalet; mais l'artiste s'y donne une autorité apparente en s'imposant à part, avec sa préoccupation de la pensée, à l'ex- clusion de l'harmonie monumentale. Tel n'est pas le Cycle de la nature et de ses travaux périodi- ques, qui s'unifie avec l'architecture de la grande cage d'escalier du Musée, déroulant avec une nécessaire symétrie, en une série de sujets adroitements combinés, une idée fondamentale analogue à celle qu'a synthétisée L. Frédéric dans un polyp- tique récent. Le Printemps élevant ses fleurs et son amour naissant au-dessus du cygne et des filets de pêche, l'Eté bran- dissant son flambeau, l'Automne avec sa vendange, trois per- sonnifications symboliques, puis un emblème de l'Hiver par un vieillard blanchi et une femme projetant le givre et la neige, occupent les quatre coins arrondis de l'intérieur du dôme. Au centre de chaque segment, les allégories de l'accueil hivernal donné aux délassements d'art, vraie scène embléma- tique d'hospitalité, la Floraison (symbole), l'abondance estivale (charmant emblème de bonheur familial), enfin, encore un emblème : le Retour de la chasse, toute ces époques typiques sont reliées entre elles par des sujets emblématiques inter- médiaires comme idée : le foyer, les jeux enfantins se mêlant à l'allusion de la renaissance prochaine des bois mystérieux, une pastorale, la moisson, le labour, les préparatifs de chasse, dont le choix judicieux s'enchaîne, circule et tourne s'har- monisant à la sculpture du siècle antérieur et traduisant poétiquement la phrase désirée. ( 155 ) Galerie de Médias. — Mais c'est dans l'àme même de noire école flamande, au moment de son apogée, que nous voulons chercher nos derniers exemples. Toute la série des sujets de la galerie de Médicis, à Paris, mérite un examen attentif, car Kubens était, en science, aussi érudit chercheur de symboles et d'abstractions que fougueux naturiste dans l'art. Dans cette suite de flatteries décoratives, il a parsemé la plus grande variété de ligures et d'allusions. Le Triomphe de la vérité est simple et d'une signification limpide : la Vérité soutenue par le Temps s'élance vers le ciel où la Heine et son fils se réconcilient en méprisant les faux avis. Le prince tient un médaillon à devise représentant un symbole arbitraire : Deux mains entrelacées surmontées d'un cœur. Dans la Destinée de Marie, tandis que les trois Parques tilent, Junon prie Jupiter de lui permettre d'assister à la naissance de la princesse (assez banale allusion h l'influence souveraine de cette hère déesse sur le caractère de la Reine); Lucine tenant symboliquement le flambeau de la vie préside ^ la naissance et remet l'enfant entre les mains de la ville de Florence personnifiée, auprès de laquelle deux amours soutiennent un écusson à une fleur de lys, et le fleuve Arno se repose appuyé sur un lion, encore symbolique. (Les fleuves, incarnations mythologiques, sont d'ailleurs des éléments tra- ditionnels 1. Les Heures répandent des fleurs sur Marie, et un bon génie portant une corne d'abondance d'où s'échappent les symboles de la royauté, vole annoncer cette nouvelle qu'in- dique dans le ciel, le signe déterminé du sagittaire. On voit qu'ici, comme chez Prudhon, la peinture est la traduction lit- térale d'une phrase de flatterie hyperbolique. Rubens mêle ainsi habilement le portrait idéalisé ou iion, la poésie fabu- leuse, l'antique symbolisme, les attributs et les insignes expli- catifs en une très lisible allégorie. • MiONNET, Description des médailles antiques, 3'^ supplément, pi. 15. — MiLLiNGEN, Ancient coins of greek cities and kings, I, 21. Paris, 1831. ( 15G ) VÉciucation de Marie, où la Sagesse, la Musique et l'Élo- quence l'instruisent, où les Grâces la couronnent, au milieu de nombreux attributs des arts, est dans une note semblable que demandait du reste l'esprit français, clair et léger, qui ne s'attarde pas volontiers aux recherches ardues. Dans le Mariage de Henri IV avec Marie, par un jeu de mots fantaisiste, la ville de Lyon, assise sur un char traîné par deux lions, admire les nouveaux époux, figurés sous les traits de Jupiter et de Junon, flatterie passablement métaphorique. L'Hymen leur montre la constellation de Vénus, sous l'in- fluence astrologique de laquelle l'union fut célébrée. Tout est ici allusion et subtilité. Mais le Départ de Henri IV pour la ijuerre, quand il confie à 3Iarie le globe symbolique aux armes de France, est absolu- ment un emblème, c'est la représentation au naturel d'une sorte de séparation digne et oflicielle. Encore moins allégorique est le Couronnement de la Reine, simple cérémonie mais bien solennelle. En revanche, VApotliéose du Boi est une pure allégorie accentuée par les symboles du globe pour l'administration de la France et du gouvernail de l'Etat pour la régence (allégorie de la nef). Mais le Gouvernement de la Reine est plus curieux encore : Jupiter et Junon, symbolisant la Providence, font atteler à ce même globe plusieurs colombes (symboles de douceur) dont ils donnent la conduite à l'Amour; devant eux s'avancent la Paix et la Concorde. L'allégorie est complétée par le dieu des arts, par Mars et la Sagesse qui chassent les monstres de la discorde, de l'envie, de la haine et la fraude. Plus loin, la Reine à cheval et réduisant une émeute. Cet emblème est suivi de la force symbolisée par un lion. Dans la Félicité de la Régence, la Reine, avec le sceptre et la balance, règne et rend la justice, pur emblème avec attributs. D. Teniers. — Cette tendance de Rubens gagna jusqu'à David Teniers, mais bien singulièrement. Celui-ci, comme le ( 157 ) maître, représenta les horreurs de la guerre ou les œuvres de miséricorde, mais au lieu de portraits et d'allégorie mytholo- gique, il en fit des scènes prises sur nature, très vivantes et représentant en un habile assemblage la mise en action de ces sujets. L'emblème semblait d'ailleurs (Convenir mieux à ce peintre que la grandeur fabuleuse. Cependant, n'oublions pas que la galerie Suermondt • pos- sédait de lui un tableau mystique, deux anges portant un ostensoir d'or dans lequel on voit Dieu le Père assis sur un trône et tenant trois hosties. Comme tant d'autres, il a donc aussi sacrifié au symbole. Raphaël. — Raphaël n'a-t-il pas peint La vision d'un chevalier (galerie de Londres), une sorte de Lohengrin dormant sur son bouclier, au pied d'un laurier? A gauche, une femme tient une épée et un livre; à l'opposé, une jeune fille tient une branche de myrte. Le sujet se rapproche d'Hercule entre le Vice et la Vertu, et de scènes des poèmes du Tasse. Bronzino. — Cette allégorie n'est pas d'ailleurs aussi pro- fonde que celle de Bronzino (même Musée) : Vénus, l'Amour, la Folie et le Temps. Vénus tient la pomme de discorde et veut embrasser l'Amour, la Folie leur jette une poignée de roses. La Calomnie, en leur offrant un gâteau de miel, cache son fouet derrière elle, et le Temps se prépare à couvrir le tout d'un voile. Dans un coin, des colombes, dans l'autre, des masques humains et trompeurs. Décollation de boudoirs. — Disons encore quelques mots de la peinture intime, de la décoration de chambres et de bou- • W. BuRGER, Galerie Suermomlt à Aix-la-Chapelle. Bruxelles, Claassen, 1869, p. 88. ( 158 ) doirs, qui doit délasser les yeux et occuper en même temps la pensée de façon agréable. F. Boucher s'y est mépris, comme bien d'autres, en ne s'altachant qu'au charme visuel, à l'attrait d'un aspect volup- tueux. Telles ses Grâces au bain. Il est vrai que les peintures représentant de belles formes, même sans érotisme, et des nudités, agissent sur la pensée du spectateur, tout autant que les symboles les plus purs, et que le but est atteint dès que l'art porte à penser : le symbole ou l'emblème existe, fût-il peu moral ! Quoi qu'il en soit, par des scènes vivantes mais pleines d'afféterie, par des emblèmes d'alcove, l'érotisme devint la tendance principale de Boucher, et ses amours, éléments d'allégories aux sujets peu compliqués : géographie, peinture, saisons, etc., formèrent des tableaux de genre, des scènes plutôt familières et peu psychiques. Sa toile : Les charmes de la vie champêtre, n'est qu'un emblème où les bergères et les bergers à houlette, auprès des fontaines, évoquent les plaisirs de Marly. Son Allégorie de la peinture, au musée de Lille, n'a pas beaucoup plus de portée intellectuelle que les sujets pour ainsi dire clichés par tous les peintres précédents : Amours de Vénus, Surprise par Vulcain, Jugement de Paris (groupe de trois belles femmes qui tenta Baphaël sans but symbolique). L'idée perd évidemment de sa valeur dès qu'elle n'est qu'au service de sensations voluptueuses ou puériles ou quand elle devient un passe-temps de salons comme à l'époque de la Restau- ration. Mais, même à l'époque sensuelle qui précéda 1789, on sut mêler la réflexion au plaisir. La Pompadour. — On sait que la Pompadour grava deux pierres fines dans l'une desquelles on voit la France à genoux, implorant la statue d'Hygie pour la santé du Dauphin. Dans une autre, la France, debout, éteint le feu du sacrifice devenu inutile à cause du rétablissement du prince, tandis que l'Amour entoure la colonne d'une guirlande de fleurs, allusion qui ( 159 ) pourrait bien êlre plutôt grivoise, mais qui est bien dans le style de l'époque. La favorite sacrifia donc aussi à la pensée allégorique •, et, en retour, ce i'ut pour elle-même, durant sa maladie, que Carie Van Loo composa un tableau qui fut décrit en vers par Voltaire, et où les arts suppliants, caractérisés par leurs attributs, tendaient les bras vers les Parques. Le Destin arrêtait l'implacable déité qui allait couper le fil d'une vie précieuse ! Serait-il donc vrai que la littérature en ses transformations soit le principal régulateur des fluctuations de l'art? Quoi qu'il en soit, dans toutes ces métamorphoses succes- sives du génie humain, nous avons trouvé constamment que trois moyens se présentent à l'artiste pour fixer d'une façon sensible ce qui a impressionné son cerveau : 1° Par une apparence, une évocation approximative, il sait faire naître l'intuition d'une image purement psychique ; 2° Par la représentation franche et directe de sa pensée, il la communique vivante à nos sens; S*' Par un mensonge poétique, il transpose, voile ou masque son idée pour la livrer tout ornée à une élite intellec- tuelle. * Charles Blanc, Histoire des peintres de toutes les écoles, p. 6. Paris, J. Renouard. — École française, F. Boucher. CONCLUSION. De nos jours, de même qu'au moyen âge, l'art, malgré son trouble, semble reconnaître plus complètement son expression dans le symbole que dans l'allégorie. Il faut certes trouver comme explication à ce fait un engouement et surtout un changement voulu dans le mode de penser. Mais il n'est pas téméraire d'y voir aussi une tendance, qui se définit peu à peu, vers un art monumental nouveau, et principalement vers le décor sculptural en plein air, dont l'importance, autrefois si grande, doit nécessairement revenir avec la prospérité du travail. Il faut y reconnaître encore l'esprit d'individualisme artis- tique, qui ne consent plus à subir le joug pourtant nécessaire de l'architecture. Il est vrai que celle-ci n'a point su conserver cette autorité ancienne qui, aux grandes époques, lui asser- vissait les maîtres les plus éminents. Dans l'attente d'une rénovation de l'expression plastique, propre à unifier les beaux-arts comme jadis, il est logique d'émettre le vœu d'un retour sérieux de l'art vers l'Idée. Elle seule peut le soustraire à la néfaste vulgarisation qui caractérise notre époque. TABLE METHODIQUE DES MATIÈRES Introdlction. H.iges. Le voile métaphysique et la nature 3 L'art, la vie, l'univers et le symbole 4 CHAPITRE PREMER. L'hypothèse imposée au génie humain ... 7 Personnalité de l'artiste, livrée à la science et à la contempla- tion de la nature. 9, 14 Double nature du symbole 10, 52, 91 L'abstraction, le sens métaphysique, la pensée 11 Formation des idées, leurs signes et leur traduction 16 De l'idéographie et des signes conventionnels. ... . . 20 Caractères divers d'un même signe 22, 49 Expression symbolique 24, 28, 44, 91 Subordination de l'art à la pensée 2o, 149, 153, 159 Diversité des tendances, des rapports et de l'expression symbo- liques 28,31,45,49,83 CHAPITRE IL Analogie et astrologie, leur liaison 33, 89 Analogie scientifique, signes primordiaux 37, 4<5 Naissance de l'écriture, de la fiction poétique 40, 42, 127 Double but des langages figurés ou secrets 47 Liberté de l'artiste en expression symbolique 50, ol, 54 Le symbole dans l'art du XV® siècle . . 55 Symbole religieux ou canonique 57 Symbolisme moderne 03 Tome LIX. 11 ( 162 ) Pages. Signes secrets, cryptographie, langage occulte ... . . 6S, 67 Rapports entre le symbole et l'emblème 71 Rapports des images entre elles 72 Alliance des idées avec les contingences 73, 75 Fondement du symbolisme poétique 74, 127 Symbolisme d'Albert Durer et de F. Mantegna 76, 77 Impression symbolique dans l'art 72, 77, 78, 131 Foyer commun des perceptions du génie humain et leurs rela- tions entre elles . . 80 Le Couronnement de la Vierge, par Fra Angelico 81 Symbolisme personnel de certains artistes . . . . . 80, 81, 83, 85, 91 Puvis de Chavannes, l'art anolais et G. Moreau 85, U6 CHAPITRE m. Personnification divine, origine des fictions mythologiques . 87, 90 Personnification symbolique et emblématique . . 90, 91, 93, 100, 108 Idéalisme, préoccupation de la forme 92, 143, 151 Synthèse, simplification, condensation de l'idée et de l'expres- sion figurée 94, 95, 97, 139 Définition du symbole 43,61,65,71,79,83,87,91 Expression artistique du symbole . . 93, 94, 96, 98, 99 OEuvres de L. Frédéric, Leempoels, G^e de Lalaing 96, 153 Exemples tirés d'œuvres de 3Iichel-Ange, de Burne Jones, de G. Watts * 97,98,138,146 Caractères du symbole 74,79,100,109,111,126 Caractères de l'emblème 100,107,109,112,114,117,126 Comparaison entre les figures du discours et les figures d'art. . 101 CHAPITRE IV. De l'emblème, de l'attribut et de la devise 127 Base physique de l'art intellectuel 107, 127 Caractères de l'allégorie ... 112, 114 Caractères de l'attribut 122,123 Exemples de tableaux-emblèmes ou devises 118,119,125 Figures emblématiques 120, 124 Relations du svmbole avec l'emblème 120,121, 126 ( 163 CHAPITRE V. Pages. De l'allégorie Il-J, 113, h27 Sources de la fiction, dérivant de l'ordre physique par le moyen du symbole 1*27 Langage poétique et allégorique 128. 133 Comparaison du symbole à l'allégorie 112, 114, 130, 136 Influence de l'impression dans l'idée et dans l'art 78. 131 Fiction, allusion, similitude, parabole, apologue . 132, 137 Tableaux allégoriques au Musée d'Anvers . ....... 131. 135 Compositions devenues des types légendaires 134 Exemples d'allégories diverses 137 OEuvres de G Reni. de N. Poussin, de Michel-Ange et des VanEyck 138 Art romain synthétique et allégorique 139 Emploi artistique de la fiction en l'honneur des souverains. . 140, 149 OEuvres symboliques et emblématiques du Sodona, de E. Le Sueur, de P. -P. Rubens, de Boecklin, de Teniers . 141, 143, loi, 137 Insuffisance de l'idée dans certaines compositions réputées allé- goriques ....... 143, loi Maîtres français : Le Brun, S. Vouet, Prudhon 144 Exemples tirés d'œuvres de Raphaël, Burne Jones, Puvis de Chavannes, Wiertz, Lazergues, Bronzino 145, 148, lo7 Rébus, parabole 147 La décoration monumentale ou intérieure et l'ornementation allégorique 148. 149 Décorations de P. de Cortone, d'E. Le Sueur, d'A. Cluysenaar, de L. Delbeke, de J. Stallaert et de L. Frédéric loi. lo3 Jeux de mots et d'idées dans l'art antique loi Lutte de l'idée et de la pratique dans l'art 149, 153. lo9 Définition de l'allégorie et de l'énigme. . ... 132 Galerie de Médicis, peintures de Rubens ... 155 Décoration de boudoirs, F. Boucher, la marquise de Pompa- dour; l'idée voluptueuse et la phrase allégorique 158 Conclusion relative à l'art contemporain 160 TABLE MÉMOIRES CONTENUS DANS LE ÏOAIE LIX SCIENCES. 1. Sur la fonction l 'S) de Riemann et le nombre des nombres premiers inférieur? à une limite donnée i74 pagesj; par Ch.-J. de la Vallék Poussin. 2. Contribution à l'étude de l'électricité nerveuse (24 pages, 9 ligures;; l)ar Casimir Uadzikowski. 3. La digestion dans les urnes de « iNepentlics )>. {Médaille d'or en IS98, 56 pages); par Georges Claitiuau. LETTIIES ET SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 4. Le mouvement de la population et ses conditions économiiiues (10 pages et 3 diagrammes); par Hector Denis. 0. Les quarante-deux leçons de Bouddha ou le King des XLII Sections (Sze-Shi-Erh-Tchang-King) [68 pages et 1 ligure] ; par Ch. de Haulez. 6. Les comptes des indulgences en 1488 et en lon-lolQ dans le diocèse d'Ulrecht ^80 pages); par Paul Fredericq. 7. Essai sur le règne du prince-évêque de Liège Maximilien-Henri de Bavière 196 pagesj; par Michel IIosman. BEAUX-ARTS. 8. Le symbole et rallégoric. iMédadle d'or en 1898, IG3 pages); par Ediïar Baes. 3 2044 093 292 365