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Girod (Victor), président sortant, élu premier vice-président; Faucompré, président élu; Jacques, trésorier réélu; Bavoux, secrétaire honoraire; Faivre, vice-secrétaire réélu; Varaigne, archiviste réélu; Castan, secrétaire décennal; MEMBRES RÉsIDANTS : MM. Alexandre, Androt, Canel, Dela- croix (Alphonse), Delacroix (Emile), Diétrich, Dunod de Char- nage, Fitsch (Christian), Gaudot, Jacob, Lhomme, Marchal, Renaud (François), Renaud (Louis), Rollot. La séance s'ouvre sous la présidence de M. Victor Girod. Les procès-verbaux des séances des 18 et 19 décembre 1867 sont lus et adoptés. Les opérations électorales du 18 décembre se trouvant vali- dées par le fait de cette adoption, M. le président Girod déclare qu'il va procéder à l'installation de son successeur ; mais avant de quitter le fauteuil, il croit devoir remercier ses confrères d'une bienveillance qui lui a rendu facile et agréable l'accom- plissement de son mandat. a L'Assemblée, par l'organe de M. Marchal, assure M. Girod que le souvenir de sa consciencieuse et amicale gestion de- meurera cher à tous les membres. La séance continue sous la présidence de M. Faucompré. M. le président fait part à la Société de deux vides infini- ment sensibles qui viennent de se produire dans ses rangs. M. le duc de Luynes et M. le sénateur Lyautey, morts l’un et l'autre dans le courant de décembre dernier, comptaient parmi les bienfaiteurs de la Compagnie, et c'est un devoir pour celle-ci de se montrer reconnaissante envers leur mémoire. L'Assemblée s'associe unanimement aux regrets que la perte de M. le duc de Luynes a excités dans le monde des sciences, des lettres et des arts, dont il était le généreux Mécène; mais ayant des obligations plus spéciales à M. le sénateur Lyautey, elle décide qu'une notice sur ce Franc-Comtois d'élite sera rédigée par le secrétaire et entrera dans les publications. Par une lettre datée du 8 janvier, M. le sénateur Amédée Thierry, membre honoraire, a répondu en ces termes au pas- sage qui le concerne dans le discours de présidence de M. Victor Girod : « Je vous remercie des paroles honorables que vous avez daigné attacher à mon nom. Croyez que, pour mon compte, J'éprouve un vrai bonheur chaque fois que dans ma présidence de la section d'histoire et de philologie, au Comité des sociétés savantes, je me trouve appelé à proclamer l'éclat des études historiques dans une ville où j'essayai moi-même, il y a quarante ans, d’éveiller le goût de la science parmi des hommes dont les fils sont devenus des maîtres. » Une lettre de la Société Dunoise nous informe que cette Compagnie a inscrit la nôtre parmi celles qui reçoivent ses publications. Le secrétaire expose qu'il résulte de ses relations avec plu- sieurs membres de l’Académie royale de Belgique qu'une demande d'établissement de rapports entre cette illustre Com- pagnie et la nôtre aurait toute chance d'être favorablement accueillie, surtout si la Société d'Emulation du Doubs consen- à een, Dre 77 . m mme tait à offrir à son aînée un exemplaire complet de ses publi- cations. L'Assemblée donne plein pouvoir au conseil d'administra- tion pour conclure une alliance aussi désirable, et elle autorise l'envoi d'une série complète de ses volumes à l’Académie royäle de Belgique. Il est délibéré ensuite que les six lectures faites à la dernière séance publique entreront dans nos Mémoires. M. Marchal annonce qu'il a l'intention de prendre part au concours ouvert par la Société d'encouragement pour l’indus- trie nationale, sur la question de la conservation des viandes à l'état frais; il donne lecture du sommaire d’un mémoire qu'il prépare dans ce but, et demande que la Compagnie accepte le dépôt de cette note qui recevra ainsi une date certaine. Il est fait droit à la requête de M. Marchal. MM. Stehlin et Castan proposent d'admettre comme membre résidant M. Monnier (Paul), correcteur d'imprimerie. MM. Chotard et Ca$tan demandent le titre de membre cor- respondant pour M. Lebrun-Dalbanne, archéologue, à Troyes. MM. Alexandre et Gaudot font une semblable proposition au sujet de M. Mugnier (Henri-Auguste), ingénieur-architecte, rue du Faubourg-Saint-Dénis, 176, à Paris. Un scrutin favorable ayant eu lieu sur les candidatures posées dans la dernière séance, M. le président proclame : ; Membres résidants, MM. pe Bicor, chef d'escadron d'état-major; BRELIN (Félix), sculpteur ; Faucowpré (Philippe), professeur d'agriculture du dé- partement du Doubs ; Gros (Jules), avocat ; Tissor, économe de l'asile départemental ; Membre correspondant, M. Saxpras, inspecteur d'académie, à Poitiers. Le Président, Le Secrétaire, FAUCOMPRÉ. A. CASTAN. — IV — Séance du 8 février 1868. PRÉSIDENCE DE M. Vicror GiRob. Sont présents : Bureau : MM. Girod (Victor), premier vice - président ; Jacques, trésorier; Varaigne, archiviste; Castan, secrétaire ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Androt, Delacroix (Emile), Dra- peyron, Grenier, Lhomme et de Sainte-Agathe. Le procès-verbal de la séarice du 11 janvier est lu et adopté. M. le président annonce à la Compagnie la nouvelle perte qu'elle vient de faire dans la personne de M. Michelin, l’un de ses membres honoraires. Il rappelle les titres qui recom- mandaient ce patriarche de la géologie à l'estime du monde savant; mais il insiste particulièrement sur la distinction et l'aménité dont fit preuve M. Michelin lorsqu'il vint, en 1860, présider la session que la Société géologique de France ouvrit alors à Besancon. L'Assemblée décide que cette cammunication sera inscrite au procès-verbal. Il est communiqué une circulaire ministérielle relative à la réunion prochaine des sociétés savantes à la Sorbonne. Les lectures, qui dureront quatre jours consécutifs, commenceront le mardi 14 avril. Aucun travail d'histoire et d'archéologie n'y sera admis qu'à la condition d’avoir été préalablement entendu par une société savante et proposé par elle pour la lecture publique. Chaque lecture ne pourra pas dépasser vingt minutes. Les manuscrits des mémoires ainsi préparés et approuvés devront être parvenus au ministère le 25 mars au plus tard. Il y aura lieu également de notifier, dans les limites de ce délai, les noms des délégués de la Société, afin que des billets de circulation à prix réduits puissent leur être adressés en temps utile. — V — MM. Drapeyron et Castan se déclarent disposés à aller faire chacun une lecture en Sorbonne, dans les conditions déter- minées par la circulaire. M. Drapeyron irait dans la section d'histoire une étude sur l'Austrasie au point de vue de la création de l'Allemagne. M. Castan communiquerait à la section d'archéologie son travail sur le Capitole de Vesontio, développé dans le sens de ses applications à la généralité des Capitoles provinciaux du monde romain. La Société accepte cette double proposition; puis afin de laisser aux auteurs tout le temps possible pour préparer leurs ouvrages, elle décide que sa prochaine réunion, consacrée à en entendre la lecture, sera reculée jusqu'au lundi 23 mars. Un message de l’Institut des provinces nous informe que le congrès de la rue Bonaparte, à Paris, s'ouvrira le 20 avril prochain. L'Assemblée se montre disposée à y faire entendre un compte-rendu de ses récents travaux, et elle charge le conseil d'administration de trouver un délégué disposé à accepter ce mandat. Une circulaire de la Société de géographie invite les com- pagnies savantes à prêter leur concours à M. Gustave Lambert, organisateur d'une expédition scientifique au Pôle Nord, qui doit se rendre dans les différentes villes de France pour gagner, au moyen de conférences publiques, des adhésions à sa cou- rageuse entreprise. L'Assemblée ne peut que se montrer vivement sympathique au projet de M. Gustave Lambert; elle déclare en conséquence qu'elle usera de tous ses moyens d'action pour contribuer au succès de la conférence que l'honorable voyageur viendra faire dans notre ville. | Par une lettre en date du 16 janvier dernier, M. le duc de Luynes et de Chevreuse remercie la Société de la part qu'elle a prise à la perte de son savant et bienfaisant aïeul. De son côté, la Société d'histoire et d'archéologie de Genève PL témoigne de sa gratitude pour les éloges décernés par notre Compagnie à l'œuvre monumentale du Regeste genevois. Le secrétaire communique, au nom de M. Paul Laurens, membre résidant, une constatation sommaire de l’état actuel de la fabrication horlogère à Besançon. La Compagnie accueille avec intérêt et gratitude ce docu- ment, qui est ainsi COnNCu : « Il y a vingt ans, en 1847, le chiffre de la fabrication à Besancon n'était que de 56,000 pièces, dont 8,900 en or. » Au 31 décembre 1867, nous arrivions à clore notre exer- cice avec le chiffre splendide de 334,649 montres, dont 113,664 en or ! | . » L'horlogerie est désormais fixée sur notre sol; elle fait notre richesse, et on ne saurait assez rendre hommage au mérite des hommes qui ont contribué à ce résultat. » Voulez-vous savoir ce que l’on fabrique en France, à côté de Besancon ? Jetez les veux sur les chiffres officiels recueillis dans les trois seules villes (Paris, Lyon, Bordeaux) où il existe de l'horlogerie : 75 montres en or; 3,497 montres en argent ! » C'est donc un maigre total de 3,572 pièces à mettre en regard de nos 334,649 montres ! » En 1867, l'étranger a envoyé sur le marché français : 33,677 montres en or, et 54,948 montres en argent; soit 88,625 au total. Si on ajoute les 3,572 pièces fabriquées en France et nos 334,649 montres, on trouve qu'il y a eu 426,846 pièces répandues, en 1867, sur le marché français. » Besancon figure dans ce total général pour 78 °/.. » Notre importance est la même sous le rapport des recettes percues par le fisc : ee Le a OP OS NATIONALE. ÉTRANGÈRE. TOTAL. HORLOGERIE | Recettes à Besancon..| 445,322f.04 | -20,169f.36 | 465,491 f. 40 Autres villes. 1,791 56 | 157,411 97 59,209 "50 | Fotal..… 447,113£. 60 | 177,581f.33 | 624,694f.93 | Le secrétaire appelle l'attention de ses confrères sur un tra- vail de M. le docteur Fouquet, président de la Société poly- mathique du Morbihan, intitulé : Réfutation d'une critique archéologique. Cette réplique est dirigée contre un mémoire récemment publié par M. Duplessis, vétérinaire au 1° régi- ment d'artillerie, dans le but d'infirmer systématiquement toutes les preuves récemment fournies de l’usage de la ferrure des chevaux chez les Gaulois. Si l’on a trouvé deux fragments de fers de cheval dans les tombelles alaisiennes, c'a été, suivant M. Duplessis, « pour pouvoir expliquer comment la cavalerie avait pu combattre sur les pentes calcaires du pourtour d’A- laise. » Que M. Quiquerez montre un fer de cheval associé à des tessons celtiques et à des haches de pierre, M. Duplessis n'y verra qu'une « pure hypothèse. » Si, à leur tour, les archéologues bretons rencontrent un fer de cheval, reconnu comme tel par tous les maréchaux du pays, à 30 centimètres au-dessous de la base d’un menhir resté debout, et à { mètre 15 centimètres de profondeur verticale, M. Duplessis essaiera tour à tour soit de contester la qualité de l'objet, soit d'expli- quer comment un cheval, employé à une tentative relativement récente d'extraction du menhir, aurait pu perdre son fer et celui-ci s'être glissé sous la base un instant ébranlée du mo- nument. À ces arguments dictés par le parti-pris et étrangers conséquemment aux règles de la saine critique, M. le docteur Fouquet oppose la simple éloquence de constatations aussi formelles que sérieusement garanties par l’honorabilité et la compétence des personnes qui les ont opérées. Ces découvertes — VIL — out recu d’ailleurs la sanction des maîtres de la science + M. Léon Renier a jugé, en effet, que les résultats dont il s’agit « montrent, d'une manière indubitable, que l'usage de ferrer les chevaux était pratiqué chez les Gaulois, longtemps avant qu'il fût connu des Grecs et des Romains; » et M. Jules Qui- cherat a vu, dans la trouvaille des archéologues bretons, « une nouvelle preuve que les Gaulois ont connu l'usage du fer de cheval. » La Compagnie déclare adhérer à la protestation de M. le docteur Fouquet; elle remercie ce savant d’avoir bien voulu défendre la dignité des archéologues bisontins, dans une question dont le point de départ a été fourni par nos fouilles d'Alaise. Sur la demande de M. Grenier, il est délibéré que deux armoires vitrées, installées à nos frais dans l’un des locaux de la Faculté des sciences, deviendront la propriété de la Société d'horticulture du Doubs. L'ordre du jour appelle, conformément à l’article 18 des statuts, la nomination de trois membres, étrangers au conseil d'administration, pour contrôler la gestion du trésorier pendant l'exercice 1867. L'Assemblée désigne à cet effet MM. Grenier, Lhomme et de Sainte-Agathe. A la suite d’un scrutin secret, portant sur les candidatures annoncées dans la dernière séance, M. le président proclame : Membre résidant, M. Moxnier (Paul), correcteur d'imprimerie ; Membres correspondants, MM. LEBRUN-DALBANNE, archéologue, à Troyes ; MuGxier (Henri-Auguste), ingénieur-architecte, à Paris. Le Vice-Président, Le Secrétaire, Vicror G1RoD. A. CASTAN. Séance du 23 mars 1868. PRÉSIDENCE DE MM. ALPHONSE DELACROIX ET Vicror G1Rob. Au moment de l'ouverture de la séance, les membres pré- sents du conseil d'administration, après constatation de l’ab- sence de MM. les président et vice-présidents, appellent au fauteuil, conformémeut à l’article 7 du règlement, M. Alphonse Delacroix, l’un des fondateurs de la Société. Sont présents : Bureau : MM. Delacroix (Alphonse), chargé de la prési- dence; Jacques, trésorier; Varaigne, archiviste; Faivre, vice- secrétaire; Castan, secrétaire ; MEMBRES xÉSIDANTS : MM. Androi, Delacroix (Emile), Dra- peyron, Ducat, Dunod de Charnage, Lancrenon, Lhomme et Renaud (Louis). Le procès-verbal de la séance du 8 février est lu et adopté. Il est donné lecture d’une dépêche, en date du 21 mars courant, par laquelle l’Acadénae royale de Belgique remercie la Société de l'envoi d’une collection complète des Mémoires, _et annonce l'expédition, à titre d'échange, d’un groupe assez volumineux de Bulletins et d’Annuaires. L'Assemblée accueille cetavis avec une complète satisfaction. . L'ordre du jour appelle l'audition des travaux préparés par MM. Drapeyron et Castan pour la prochaine réunion de la Sorbonne. M. Drapeyron donne lecture d’un mémoire intitulé : Essai sur l’Austrasie au point de vue de la création de l'Allemagne. Il est décidé que ce morceau sera proposé à Son Excellence le Ministre pour être lu publiquement devant la section d’his- toire du Comité impérial des sociétés savantes. M. le premier vice-président Girod, entré dans la salle pen- dant cette lecture, vient, à la prière de M. Alphonse Delacroix, prendre la direction de la séance. BE RS M. Castan communique ensuite une dissertation sur les Capitoles provinciaux du monde romain, qui se relie à l'étude sur le Capitole de Vesontio lue par le même auteur dans la séance publique du mois de décembre dernier. L'Assemblée, portant un jugement d'ensemble sur les deux parties de ce travail et appréeiant également les trois beaux dessins qui y ont été joints par M. Ducat, délibère que le tout sera envoyé sous ses auspices au ministère, avec prière à Son Excellence d'en autoriser la production publique devant la section d'archéologie du Comité des sociétés savantes. Sur la demande de M. l’archiviste Varaigne, la Compagnie est d'avis d'échanger ses publications, volume pour volume, avec celles de l’Académie de Mâcon. | < Sont proposés pour entrer dans la Société comme membres résidants : Par MM. Delacroix ( Alphonse) et Castan, M. Willemin, propriétaire ; Par MM. Saint-Eve (Ch.) et Castan, M. Bourier (Edouard), propriétaire, et M. Grand, greffier de la justice de paix du canton sud. | Sont présentés comme candidats au litre de membre cor- respondant : Par MM. Delacroix (Alphonse) et Castan, M. Mignard, cor- respondant du ministère de l'Instruction publique, à Dijon; Par MM. Percerot et Faivre, M. Pompée, architecte de la ville et. de l'arrondissement de Saint-Julien (Haute-Savoie) ; Par MM. Carlet et Castan, M. Gascon (Edouard), agent voyer à Fontaine-Francaise (Côte-d'Or. Le Vice-Président, Le Secrétaire, VicTOoR GIROD. A. CASTAN. Séance du 25 avril 1868. PRÉSIDENCE DE M. Vicror Giro. Sont présents : Bureau : MM. Girod (Victor), premier vice - président ; Boullet, deuxième vice-président; Castan, secrétaire; Jacques, trésorier ; Varaigne, archiviste; Faivre, vice-secrétaire ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Androt, Arbey, Bial, Blondon, Bouttey, Canel, Dunod de Charnage, Delacroix (Alp.), Delacroix (Emile), Drapeyron, Lhomme, Marchal, Oudet, Renaud (Louis), Saillard, de Sainte-Agathe, Tailleur père, Tailleur fils, Tissot. Le procès-verbal de la séance du 23 mars est lu et adopté. M. le président rappelle à la Société l'heureuse nouvelle qui circulait dans la ville, il y-a huit jours, et qui annonçait à de nombreux amis la nomination de M. Castan au grade de che- valier de la Légion d'honneur. Il félicite M. Castan de la haute distinction qui lui a été accordée sur la proposition de Son Excellence le Ministre de l'Instruction publique, basée elle- même sur une délibération de la section d'histoire du Comité des sociétés savantes que préside M. le sénateur Amédée Thierry, distinction méritée à tant de titres que la Compagnie a pu apprécier si souvent. Le bureau s’est réuni l’avant-veille pour aller, au nom de tous les membres, présenter à notre secrétaire des compliments de congratulation bien sincère : M. le président sait d'avance que cette démarche sera ratifiée par acclamation; le procès- verbal de la séance d'aujourd'hui en perpétuera le souvenir. M. Castan répond qu'il a été profondément touché de cette visite collective à laquelle sa situation modeste ne lui donnait _ pas le droit de prétendre; que c’est, du reste, pour une grande partie, à la Société d'Emulation qu'il doit la récompense dont il a été honoré : car, a-t-on dit en haut lieu, il est bon d’en- courager les efforts persévérants de travail et de recherches AE qui caractérisent certaines sociétés de province, en face d’autres compagnies plus anciennes qui s’endorment dans une stérile indifférence. La Société d'Emulation peut, à bon droit, en jetant un coup d'œil d'ensemble sur ses nombreuses et intéressantes publica- tions, sur les collections si variées dont elle enrichit incessam- ment la ville, dire qu'elle a été distinguée dans la personne d'un de ses membres. M. Castan ajoute que c’est une dette de cœur qu'il a con- tractée envers la Société, dette bien légère qu'il sera heureux de lui payer le plus longtemps possible. I termine en disant que M. Drapeyron, dont le travail, grâce à une bienveillante attention de M. Amédée Thierry, avait été réservé pour être Ju en présence de M. le Ministre, peut revendiquer une bonne part dans l'éclat jeté à la réumion des délégués des sociétés savantes de province par notre Com- pagnie, dignement représentée, en outre, par un de ses vice- présidents, M. le proviseur Boullet, et par M. Chotard, pro- fesseur d'histoire à la Faculté des lettres. Il est donné lecture d’une lettre de M. le président de la Société d'Emulation de Montbéliard, qui annonce, pour le 7 mai, la réunion générale annuelle de cette Société, et invite à cette cérémonie, ainsi qu'au banquet qui doit suivre, notre président et les membres qui voudraient l'accompagner. MM. Victor Girod et Castan annoncent que leur intention est de se rendre à Montbéliard pour le jour fixé. La correspondance comprend, en outre, une lettre de M. le marquis de Marmier, par laquelle il annonce qu'il a présenté un compte-rendu de nos travaux au congrès annuel de l’Ins- titut des provinces. La Société se montre reconnaissante de ce bon office de M. de Marmier, et charge le secrétaire de témoigner sa gratitude à cet honorable confrère. Enfin la Commission départementale des antiquités de la Seine-Inférieure, en nous envoyant le tome second (1849-1866) = de ses procès-verbaux, nous fait une proposition d'échange de publication. Il est décidé que notre dernière série, laquelle en est actuel- lement au tome second, sera adressée à cette Compagnie, et qu'ensuite l'échange continuera. M. le secrétaire fait hommage à la Société, au nom de M. Servaux, chef de bureau au ministère de l’Instruction publique, de trois œufs momifiés provonant du Sérapéum de Memphis. Ce don sera déposé dans les collections d'histoire naturelle, et des remerciments seront adressés à M. Servaux. L'ordre du jour appelle une communication de M. Francois Leclerc, membre correspondant, laquelle consiste dans une note ayant pour objet de proposer le remplacement de l’acétate de soude par l’acétate de chaux dans la préparation du vert- de-gris. Cette substitution est fondée sur la difficulté qu’il y a de séparer du produit cuivreux tout le sulfate de soude résul- tant de la double décomposition de l’acétate de soude et du sulfate de cuivre, et sur la nécessité de trouver le placement du vert-de-gris, qui, exactement lavé, peut être employé dans les verreries. Il explique le mode de fabrication qu’il propose, en faisant remarquer que le vinaigre d'alcool, pour obtenir avec la craie l'acétate de chaux, est préférable à tout autre, car c’est celui qui ne renferme ni acides étrangers, ni matières extrac- tives. MM. Boullet, Emile Delacroix et Marchal font observer que cette préparation semble constituer une opération de labora- toire plutôt qu'un progrès industriel. Le mode actuellement suivi est plus que suffisant au point de vue de l’économie, aussi bien qu’à celui de l'emploi restreint qui se fait du vert-de-gris. La Société décide que M. Leclerc sera remercié de sa com- munication, dont le sommaire restera mentionné au procès- verbal. M. Marchal, membre résidant, lit ensuite un travail sur la fabrication des creusets. Après avoir rappelé les divers modes œ——— XIV — de fabrication actuellement suivis et en avoir signalé quelques inconvénients, il présente à la Société un appareil de son in- vention, appareil auquel il donne le nom de multiplicateur, et dont il se sert, séance tenante, pour produire des échantillons de ses nouveaux creusets . À une question de M. Boullet sur les avantages qu'on peut trouver dans ce nouveau procédé, M. Marchal répond qu'il y a économie dans le transport de la matière brute (l'argile), d’un tarif bien moins élevé que la matière ouvrée (le creuset); économie, en outre, dans la main-d'œuvre, car, avec son appareil, des enfants peuvent produire trois creusets dans le même temps que l’ouvrier le plus habile mettrait, par les autres voies d'exécution, à en donner un. M. Marchal espère, de plus, abaisser considérablement le prix de vente des creusets, car il est sur la trace de nombreux amas d'argile convenable dans la province, soit à Salins, soit aux grottes d'Osselle, soit encore à la forêt de Chaux. Après quelques autres objections de détail qu’il repousse, preuves en main, M. Marchal annonce qu'il est dans l’inten- tion de demander à la Société l'impression d’une note sur cet objet. La communication de M. Marchal est écoutée, et ses opé- rations sont suivies avec un vif intérêt. Sont élus à la suite d’un scrutin secret : Membres résidants, MM. WILLEMIN, propriétaire ; Bourier (Edouard), propriétaire ; GRAND, greffier de la justice de paix du canton sud ; Membres correspondants, MM. MiGarp, correspondant du ministère de l’Instruction publique, à Dijon; Gascon (Edouard), agent voyer, à Fontaine-Française (Côte-d'Or) ; — XV — M. Poupée, architecte de la ville et de l'arrondissement de Saint-Julien (Haute-Savoie). Le Vice-Président, Le Vice-Secrétaire, VicTor G1ROD. D' AD. FAIVRE. Séance du 16 mai 1868. PRÉSIDENCE DE M. GRENIER. En l'absence de MM. les président et vice-présidents, les membres présents du conseil d'administration, se conformant à l’article 7 du règlement, appellent au fauteuil M. Grenier, l’un des fondateurs de la Société. Sont présents : Bureau : MM. Grenier, chargé de la présidence; Jacques, trésorier; Faivre, vice-secrétaire; Varai gne, archiviste; Castan, secrétaire ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Arbey, Delacroix (Alphonse), Drapeyron, Lancrenon, Marchal, Saillard et Willemin. Le procès-verbal de la séance du 25 avril est lu et adopté. A propos de l’article du procès-verbal qui relate sa dernière communication, M. Marchal demande que la Société veuille bien nommer une commission pour examiner son appareil ét en faire l’objet d’un rapport. Faisant droit à cette requête, le bureau confie l'examen de l'appareil dont il s’agit à MM. Belot, Degoumois, Marion et Sire, rapporteur. Le secrétaire rend compte de la part prise par notre Com- pagnie à la récente séance générale de la Société d'Emulation de Montbéliard. Notre délégation se composait de MM. Victor Girod, Alphonse Delacroix, Varaigne et Castan. M. Delacroix a donné lecture d’une intéressante note sur les causes d'insa- lubrité des habitations et les moyens d'y remédier. Au banquet, Cl M. Girod a bu au maintien des relations cordiales de notre Société avec celle de Montbéliard ; puis M. Castan, prenant texte des félicitations personnelles qui lui étaient adressées, a porté la santé de Son Excellence M. Duruy, « dont, a-t-il dit, j'ai été bien fier de recevoir l’accolade au moment où le cou- rageux Ministre, armé de cette confiance que peut seule en- gendrer une conscience droite, venait de prononcer le Dieu le veut! d’une pacifique croisade qui nous compte tous parmi ses soldats! » Sur la proposition de M. Lancrenon, la Société exprime le désir que le morceau lu à Montbéliard par M. Delacroix entre dans nos Mémoires. M. Delacroix communique un travail de M. Charles Toubin, membre correspondant, intitulé : De quelques coutumes, pro- verbes et locutions du pays de Salins. Après audition de l'analyse et d'extraits de ce curieux opus- cule, la Société en vote l'impression. MM. Saint-Eve (Louis) et Castan demandent le titre de membre correspondant pour M. Pernard, négociant à Besançon. Le Président délégué, Le Secrétaire, CH. GRENIER. A. CASTAN. Séance du 6 juin 1868. PRÉSIDENCE DE M. FAUCOMPRÉ. Etaient présents : Bureau : MM. Faucompré, président; Girod (Victor) et Boullet, vice-présidents ; Jacques, trésorier; Faivre, vice-secré- taire; Castan, secrétaire ; MEMBRES HONORAIRES : MM. le sénateur Amédée THIERRY; le PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR IMPÉRIALE ; le RECTEUR DE L'ACADÉMIE; L'INSPECTEUR D'ACADÉMIE ; — XVI — INvité : M. Gilbert Thierry, auditeur de première classe au Conseil d'Etat ; MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Alexandre, Arnal, Besson, Canel, Carlet, Chotard, Coutenot, Delacroix (Alphonse), Dodivers, Drapeyron, Ducat, Dunod de Charnage, Ethis (Edmond), Fau- compré (Philippe), Fitsch (Christian), Gaudot, Hory, le comte de Jouffroy, Lancrenon, Lhomme, Machard, Marchal, Micaud, Michel (Brice), Noiret, Percerot, Renaud (Francois), Renaud (Louis), Saillard, Saint-Eve (Charles), Sire, Tissot, Vivier (Edmond), Willemin. M. le Préfet du Doubs et M. le Maire de Besancon, retenus par d’impérieuses obligations, avaient envoyé leurs excuses. Le procès-verbal de la séance du 16 mai ayant été lu et adopté, M. le président s’est levé et a prononcé l’allocution suivante : « Monsieur le Sénateur, » Permettez à un simple laboureur de la bonne et riche contrée que vous voulez bien favoriser de votre présence, de rappeler aux membres de notre Société les titres qui font de vous un fils adoptif de la Franche-Comté. C'est un honneur dont je devrais savoir gré aux confrères qui m ont mis mo- mentanément à leur tête, si ce n'était pas en même temps un péril pour un homme inexpérimenté dans l'art de la parole ; mais votre bienveillance si connue voudra bien excuser la faiblesse de mes accents. » Messieurs, » Vers la fin du règne de Charles X, en 1828, M. Amédée Thierry fut envoyé à Besancon, sur la recommandation de l'illustre philosophe Jouffroy, pour occuper une chaire muni- cipale d'histoire récemment créée. Représentant de la nouvelle école historique, dont son frère aîné avait si brillamment formulé le programme, il rompit avec la vieille méthode qui consistait à fausser le sens et la couleur des événements du passé pour justifier quand même la conduite du présent. La b AVAL nouvelle école voulait une histoire sincère, dégagée de fout parti pris, dans laquelle les écrits et les monuments contem- porains feraient entendre librement leur langage, et où le metteur en œuvre n'interviendrait, suivant l'expression de Montaigne, que pour introduire de filet destiné à relier ces éléments. Telles furent les attrayantes lecons de M. Amédée Thierry, tel fut le secret de l'immense popularité dont elles jouirent. Mais comme tous les triomphes de ce monde, cette popularité éveilla des susceptibilités adverses : ceux qui, durant la terreur blanche, avaient appris l’histoire dans des livres dictés par un aveugle prosélytisme, s’indignèrent qu'on fit ainsi l'éloge des vertus païennes. » Une fois la question posée dans ces termes, les exagéra- tions se produisirent de part et d'autre. M. Amédée Thierry eut le sage esprit et le bon goût de n'y point tremper. Sachant également se défendre du rôle de tribun et de celui de provo- cateur, il continua courageusement sa tâche, tant dans la chaire municipale qui dura peu, que dans celle de la Faculté des lettres où il monta pour un temps trop court, après avoir conquis en notre ville le grade de docteur. » M. Amédée Thierry a eu mille fois raison de regarder de haut les agitations de circonstance qui essayaient de faire contre-poids à une foule avide de son bel enseignement. L'é- tude qu'il avait faite du passé lui inspirait une mâle et sereine confiance dans la justice de l'avenir, et cette confiance n'a pas été trompée. Aujourd'hui, à quarante années de distance des faits que nous venons de rappeler, la figure du jeune profes- seur de 1828 se dégage pure et radieuse sur le fond toujours un peu mélangé des événements de ce monde, et la ville de Besancon n’a plus qu'une voix pour s’honorer d’avoir acclamé les débuts d’un grand maître. » Qu'il me suffise, pour louer ces débuts, de dire que les lecons qui les composaient sont devenues, sous forme de livres, l'Histoire des Gaulois et l'Histoire de la Gaule à l’époque romaine; immortels ouvrages qu'un éminent écrivain, membre hono- — XIX — raire de cette Compagnie, a proclamés les pierres angulaires de l’histoire de France. » Ce ne sont pas là les seuls titres de M. Amédée Thierry à la gratitude des Franc-Comtois. A peine avait-il quitté cette province comme professeur, qu'il y revenait comme adminis- trateur. Préfet de la Haüte-Saône pendant huit années, son intelligence d'élite dota ce département d'une foule d'idées généreuses et utiles, que son caractère droit et conciliant sut faire accepter. Entré au Conseil d'Etat en 1838, il continua de veiller sur son œuvre comme membre du Conseil général de la Haute-Saône, et, devenu sénateur en 1860, la confiance de l'Empereur l’appela plusieurs années consécutives à la prési- dence de cette assemblée. C’est en grande partie aux institu- tions fondées par M. Amédée Thierry que le département de la Haute-Saône doit d’être toujours au premier rang dans les concours que le gouvernement renouvelle tous les ans pour encourager les progrès de l’agriculture. » Le reste de la carrière de M. Amédée Thierry appartient à l'histoire générale de la France. La Société d'Emulation du Doubs n’a mission d'en retenir que les traits qui se rattachent aux fastes de la province. Notre Société, l’une des gardiennes du patrimoine d'honneur de cette région, devait avoir souci de prouver, en face de l’une des plus glorieuses figures de notre époque, que la Franche-Comté sait se souvenir. » Monsieur le Sénateur, » Recevez nos remerciments sincères pour l'honneur que. vous voulez bien nous faire en venant visiter notre Société. Votre présence au milieu de nous, qui sommes heureux de vous avoir pour collègue, sera un nouvel encouragement de persévérer dans la voie du travail et du progrès, et nous piquera tous d’une noble émulation. RS Maintenant, Monsieur le Sénateur, il ne me reste plus qu'à vous dire combien vous avez su toucher nos cœurs en désignant au choix du Ministre et de l'Empereur, pour une EYE récompense honorifique si bien méritée, notre savant et trop modeste secrétaire. Lorsque le souverain récompense un régi- ment pour sa belle conduite sur le champ de bataille, en décorant son drapeau de la croix de la Légion d'honneur, chaque soldat prend part à la récompense : ici, dans les tour- nois de la science et de la paix, plus féconds que ceux de la guerre, notre drapeau, c'est l’homme infatigable et ardent qui nous donne l'exemple de bien faire. Chacun de nous a pris sa part de la récompense que vous lui avez fait décerner : veuillez en recevoir le témoignage de notre profonde et cordiale recon- naissance. | » À tous ces titres, Monsieur le Sénateur, soyez le bienvenu parmi nous. » Des applaudissements unanimes ayant interrompu et suivi cette harangue, M. le sénateur Amédée Thierry s'est levé à son tour et a répondu qu'il était aussi ému que touché des bonnes et flatteuses paroles qu'il venait d'entendre. C’est un véritable sentiment de piété filiale qui lui a fait désirer de repasser, en face des lieux qui en ont été témoins, les débuts d'une carrière qui n’a cessé d’être le charme de son existence. Il est particulièrement sensible au fidèle souvenir que Besançon a gardé de lui, après une séparation de quarante années. À ce trait, il reconnaît cette cité sérieuse et digne qui ne donne son amitié qu'à bon escient, mais qui ne le retire jamais. Il saisit avec empressement l'occasion de payer un tribut de vénération et de regrets aux Franc-Comtois illustres qui l'ont encouragé de leurs sympathies : à Théodore Joufiroy, ce beau jeune homme si grand par le cœur et le génie; à Joseph Droz, ce type de bienveillance et de sagesse, dont les jugements histo- riques acquièrent de jour en jour plus d'autorité; à Charles Nodier, si brillant dans ses écrits et si affectueux dans son accueil; à Jean-Jacques Ordinaire, moins connu parce qu'il se cachait, mais digne de figurer au premier rang des écrivains et des conteurs; à Charles Weiss, dont la patriotique abné- x gation a procuré à la province un protecteur si tendre et si — XXI — dévoué de ses jeunes talents. Il est fier d'être le fils adoptif d'un pays qui produit de tels hommes, et heureux d’avoir pu semer quelques grains utiles sur une terre aussi généreuse et aussi féconde. C'est non-seulement avec les deux mains, mais surtout avec le cœur, qu'il applaudit aux succès que les Franc- Comtois obtiennent dans les réunions de la Sorbonne, et il aime à constater que la Société d'Emulation du Doubs y fait bien souvent retentir son nom. « Tout à l'heure, a-t-il dit en terminant, je retrouvai sur la facade de votre hôtel de ville la noble devise de Besançon; l'idée que je me rendais près de votre Compagnie me fit y ajouter un mot, et je lus : Deo et Cæsari et ScIENTLE fidelis perpetuo. » Cette réplique, dont notre analyse ne saurait rendre l’exquise élégance de style et de diction, produisit une vive impression sur l'auditoire : aussi fut-elle saluée par les plus chaleureux applaudissements. Le secrétaire eut ensuite la parole pour lire le rapport d’une commission nommée le 18 décembre dernier, à l'effet de reconnaître les monuments druidiques signalés à Ballancourt (Seine-et-Oise) par M. Francis Castan, membre correspondant. MM. Henri Martin et Jules Quicherat, membres honoraires, ont bien voulu remplir cette mission. Le rapport, rédigé par M. Henri Martin, donne une saisissante peinture des enro- chements de Ballancourt, expliquant, au moyen d’analogies, le symbolisme religieux des dispositions que la main des hommes y a introduites. Sur les parois d'une petite grotte, dont le sol a été creusé en forme de bassin-ovale, nos savants délégués ont constaté l'existence de caractères tracés à la pointe qui rappellent les ariciennes écritures d'Irlande et de Galles. M. Boullet a fait ressortir la part immense qui revient à deux de nos compatriotes, d’Auxiron et de Jouffroy, dans les applications de la vapeur à la locomotion. Ce morceau est extrait d’un travail d'ensemble que l'honorable vice-président consacre aux gloires scientifiques de la Franche-Comté. rt OUR M. Alphonse Delacroix a fourni l'historique de sa récente découverte d’un banc de sel gemme, épais de 55 mètres, sur le territoire de Miserey (Doubs). Le sondage, opéré par les soins d'un petit groupe dont presque tous les membres appar- tiennent à la Société d'Emulation du Doubs, paraît être la seule entreprise du genre qui, combinée de propos délibéré, ait réussi au premier Coup et sans secours pécuniaire de l'Etat. M. Drapeyron a tracé un portrait vivant de l'empereur Heraclius, cet homme de génie, égaré dans le milieu dissolvant du septième siècle, qui rêva la résurrection du colosse romain, mais dont les brillantes facultés s’éteignirent une à une sous le boisseau d’un étroit fétichisme. M. Castan a clos la série des lectures par la communication d'une note intitulée : Les origines druidiques de l’église Saint- Etienne de Besançon. En révélant une tradition du culte des pierres affecté à une roche voisine des colonnes du temple gallo-romain qui avait précédé la basilique chrétienne, il a prouvé une fois de plus que les mêmes lieux ont attiré les dévots de tous les temps et de toutes les croyances. À ce propos, M. Gilbert Thierry a fait connaître que la coutume signalée par M. Castan, laquelle consistait à bouler les pieds des nouveaux mariés dans un pertuis naturel de roche, se retrouve également aux environs de Spa (Belgique) : le trou, consacré à cet usage dans la localité belge, s'appelle le Pied de saint Romuald. Ont été présentés pour entrer dans la Société comme mem- bres résidants : Par MM. Girod (Victor) et Noiret, M. Bougeot, employé à l'hôtel de ville, secrétaire du bureau de bienfaisance; Par MM. Canel et Perrier (Just), M. Métin (Georges), agent voyer à Besancon. MM. Jacques et Castan ont demandé le titre de membre correspondant pour M. Chalot, instituteur à la Proiselière, canton de Faucogney (Haute-Saône). muse. 0.011 À la suite d'un vote favorable de l'Assemblée, M. Le président a proclamé Membre résidant, M. PERNARD, négociant, à Besancon. Le Président, Le Secrétaire, FaucomPré. A. CASTAN. Séance du 11 juillet 1868. PRÉSIDENCE DE M. Vicror GrRop. Sont présents î Bureau : MM. Girod (Victor), premier vice-président ; Jacques, trésorier; Varaigne, archiviste; Castan, secrétaire ; MEugres RÉsIDANTS : MM. Arbey, Bial, Drapeyron, Ducat, Lancrenon, Lhomme, Piquet, Renaud (Louis), Rollot, Saillard, Saint-Eve (Charles). Le procès-verbal de la séance du 6 juin est lu et adopté. Une lettre de M. le sénateur Amédée Thierry, communiquée par le secrétaire, renferme la phrase suivante à l'adresse de la Compagnie : « Je vous prie de dire à tous nos collègues de la * Société d'Emulation du Doubs que je conserve dans mon cœur le souvenir de cette journée du 6 juin, si honorable pour moi, et qui me prouve qu'en fait de bienveillance aussi votre belle et noble cité est, comme vous le rappelez, fidelis perpetuo. » Par une dépêche en date du 1° juillet courant, la Société impériale des antiquaires de France déclare accepter notre proposition d'entrer avec elle en relations d'échanges, et se montre disposée à nous adresser une partie de ses savantes publications. Il est décidé qu’un exemplaire de notre troisième série, plus les volumes parus de la quatrième, seront adressés à cette Compagnie, avec prière d’user à notre égard de réciprocité. En réponse à l'envoi de son recueil de 1867 qui nous a été En DONNEES fait par la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, il est arrêté que notre volume correspondant, qui vient de paraître, sera expédié à cette Association et que les échanges continueront avec elle. L'Assemblée retient ensuite pour ses publications les travaux de MM. Henri Martin, Delacroix, Drapeyron et Castan, qui, avec la lecture de M. Boullet, ont rempli la précédente séance. Quant à ce dernier morceau, comme 1l est extrait d'une œuvre plus considérable que M. Boullet destine à la Société, la Com- pagnie croit répondre au désir de l’auteur en ajournant son vote jusqu'au moment où la totalité du travail lui sera offerte. M. Varaigne entretient la Société de la découverte d’un important établissement gallo-romain dans la commune de Saint-Sulpice, près Villersexel (Haute-Saône). Des fouilles, dirigées par la Commission achéologique de ce département, ont déjà mis en évidence quatre chambres qui paraissent avoir été principalement utilisées pour la balnéation. M. Varaigne exhibe des vues stéréoscopiques de ces fouilles, qu'il a prises sur place. Au nombre des objets retrouvés, il signale un de ces instruments appelés hipposandales par la majorité des anti- quaires, et auxquels notre honorable confrère M. Alphonse Delacroix décernait naguère le nom de busandales, mais dont aucun n'a été rencontré dans des circonstances suffisamment caractéristiques pour que la discussion ne demeure pas ouverte au sujet de leur destination. M. le président remercie M. Varaigne de l intéressante Com- munication qui vient d'être résumée. M. Castan donne lecture d’une notice biographique et bibliographique sur feu Charles Weiss, membre honoraire de la Compagnie. Ce morceau prendra place dans le recueil de l'exercice 1868. M. Baal lit une étude intitulée : Les remparts gaulois selon César, à Mursens {Lot). Ce travail, qui résulte en grande partie d’une obligeante communication faite à l'auteur par notre honorable confrère Se AANE M. Cessac, élucide définitivement la description césarienne du système de muraillement en usage chez les Gaulois. La Société vote l'impression de cet opuscule et celle des planches qui doivent l'accompagner. M. le président lit une note déposée sur le bureau par le - secrétaire, et dont l'objet est de réclamer la création d’un con- trôle permanent des dépenses de la Compagnie. « Avec l’état actuel des choses, dit cette note, les crédits votés arrivent à être dépassés dans des proportions énormes, sans que le président, qui souvent exécute des délibérations d'un exercice antérieur, puisse en avoir toujours conscience, sans que le trésorier, couvert par l'ordonnancement, en soit jamais blämable. » ]l est donc indispensable que ces deux fonctionnaires soient éclairés, pour chaque cas spécial, par le service qui est chargé de la tenue des procès-verbaux et qui, à ce titre, connaît plus spécialement les motifs et le texte de chacune des délibérations prises en vue des dépenses. « Mais, ajoute la note, le secrétaire ayant déjà une tâche énormément lourde, la nouvelle charge semblerait devoir être confiée au vice-secrétaire, dont l'emploi, à peu près Jusqu ici exonéré de besogne, deviendrait par le fait extrèmement utile à l’œuvre commune. » La Société, adoptant ces considérations, prend à l'unanimité les résolutions suivantes : 1° Le vice-secrétaire joindra désormais à ses attributions la fonction permanente de contrôleur et d'ordonnateur secondaire des dépenses votées par la Compagnie ; 2° Toutes les factures des fournisseurs seront envoyées préa- lablement au vice-secrétaire, qui aura mission de les confronter avec les délibérations et de les faire régler par qui de droit; 3° Aucune facture ne sera soldée si elle n’est accompagnée d'un mandat tiré d’un registre a souche, délivré par le vice- secrétaire, visé par lui pour contrôle et ordonnancé ensuite par le président. Sont présentés pour entrer dans la Société comme membres correspondants : — XXVI — Par MM. Faucompré et Castan, M. Gilbert Thierry, auditeur de première classe au Conseil d'Etat ; Par MM. Gauthier et Castan, M. l'abbé Chatelet, curé de Cussey-sur-l'Ognon ; | Par MM. Gauthier et Castan, M. Stanislas Balanche, ingé- nieur-chimiste, à Paris. Un scrutin ayant eu lieu sur les candidatures posées dans la précédente séance, M. le président proclame : Membres résidants, MM. BouGeorT, Eugène, employé à l'hôtel de ville et secrétaire du bureau de bienfaisance ; MÉTIN, Georges, agent voyer à Besançon ; Membre correspondant, M. CHaror, instituteur, à la Proiselière, canton de Fauco- gney (Haute-Saône). Le Vice-Président, Le Secrétaire, VicTor GIROD. A. CASTAN. Séance du 8 août 1868. PRÉSIDENCE DE M. Vicror Gi1RoD. Sont présents : Bureau : MM. Girod (Victor), premier vice - président; Jacques, trésorier; Faivre, vice-secrétaire; Varaigne, archiviste; Castan, secrétaire; Mevgres RÉsIDANTS : MM. Canel, Delacroix (Alphonse), Drapeyron, Dunod de Charnage, Grenier, Lancrenon, Métin, Michel (Brice), Sthelin. ; Le procès - verbal de la séance du 11 juillet est lu et adopté. Il est donné communication d’une dépêche de M. le Ministre de l'Instruction publique, en date du 11 juillet dernier, par laquelle Son Excellence nous informe de l'octroi d'une allo- cation de cinq cents francs. à LR ANIE La Société est unanime pour remercier Son Excellence de ce nouvel encouragement. | En nous adressant un exemplaire de son discours de prési- dence à l’Académie de Bordeaux, ayant pour sujet la Légende d'Etichon, duc d'Alsace, M. Ordinaire de Lacolonge, membre correspondant, désirerait que nous vissions dans le choix du thème de sa harangue une preuve de ses sentiments de filiale affection envers la Franche-Comté. Ce fut, en effet, dans notre célèbre abbaye de Baume-les-Dames qu'Odile, la douce et pieuse fille du féroce Etichon, fit l'apprentissage des vertus chrétiennes qui lui permirent de racheter les crimes de son père. M. de Lacolonge a mis très habilement en epposition ces deux figures, faisant ressortir ainsi, par un exemple caracté- ristique, les contrastes étranges qui se rencontraient dans la société mérovingienne. M. de Lacolonge sera remercié de son intéressant et cordial envol. À propos d’une publication offerte par M. Mignard, membre correspondant, le secrétaire s'exprime en ces termes : « Dans une brochure intitulée Observations sur deux inscrip- tions runiques et sur le système de l’äge des métaux, M. Mignard, de Dijon, s'élève contre l'abus qu'on fait généralement d’un ingénieux système créé par l'illustre antiquaire danoïs Thomp- sen, suivant lequel l'humanité aurait débuté par l'usage exclusif des outils en pierre, puis aurait renoncé à ces instruments dès le jour où elle connut le bronze, et aurait enfin remplacé ce dernier métal par le fer. Cette théorie, acceptable comme syn- thèse, est loin de pouvoir être d’une application rigoureuse à tous les cas et à tous les lieux : aussi ne saurait-elle fermer la porte à l'observation. Dans les pays où le minerai de fer se montrait à la surface du sol, il est vraisemblable que ce métal a été employé au moins concurremment avec le bronze dont les éléments se tiraient de fort loin : les établissements sidé- rurgiques, d'une date si reculée, que M. Quiquerez a observés en nombre considérable au pied des collines du Jura, consti- re ——— tueraient déjà une exception à la règle danoise. Et quant à l'absence d'instruments en fer dans les gisements où s'est conservé le bronze, elle s'expliquerait aisément par l’infériorité de résistance à l'oxydation qui caractérise le premier de ces métaux : C'est ainsi que dans certaines de nos tombelles d’A- laise, là où nous trouvions des pièces de bronze à peu près intactes, la présence des objets en fer n'était plus accusée que par des trainées de rouille. Il faut tenir grand compte, quand on touche à la chronologie des vieux âges, de la durée relative des matériaux qui peuvent être appelés comme témoins, et ne pas sacrifier légèrement les présomptions tirées de certaines conditions locales aux exigences d’une doctrine qui tendrait à faire croire que, dans ses plus antiques évolutions, l'humanité a marché tout d'une pièce et d’un pas uniforme. La réflexion et l'observation démontrent au contraire qu'en ces âges reculés, où les grandes routes n’existaient pas et où l’antagonisme entre les peuplades voisines était permarent, les progrès matériels ne purent se propager que d'une manière lente et surtout fort inégale : aussi les indices qui les révèlent ne sauraient-ils avoir partout la même portée chronologique. ; | » Notre Société doit savoir gré à M. Mignard de lui fournir l'occasion d'introduire de légitimes réserves dans une question de critique de premier ordre et qui semble avoir été prématu- rément résolue. » Des remerciments seront transmis à M. Mignard. L'ordre du jour appelle l’audition du rapport de la commis- sion chargée de vérifier les comptes de l'exercice 1867. M. Grenier, rapporteur de cette commission, fait l'exposé suivant : « Messieurs, » Votre budget de 1866 s’est soldé avec un déficit de 60 fr. 35 €; » Les frais d'appropriation de notre local, et ceux résultant d'un surcroit momentané des impressions, ont entrainé, pour 1867, un découvert beaucoup plus considérable. Vous y avez on che: | Giees pourvu en grande partie par un emprunt de 2,000 fr. fait sur le capital inaliénable des cotisations rachetées, subside qui a été touché par anticipation en 1867. » Néanmoins les dépenses de cet exercice, qui se sont élevées . à 7,028 fr. 75 c., ont dépassé de 382 fr. 75 c. les recettes effec- tuées. Il faut dire aussi que vous avez imputé sur 1867 la totalité des frais d’appropriation de la salle des séances, et que la somme inscrite pour cet objet au tableau des dépenses de 1868 entrera dans l'actif de l'exercice courant. » En continuant à pratiquer la stricte économie que vous avez introduite dans vos dépenses, vous ne tarderez pas à retrouver une situation financière des plus satisfaisantes. » La commission a constaté une fois de plus que la compta- bilité de M. le trésorier est irréprochable : aussi vous propose- t-elle de voter des remerciments à ce fonctionnaire. » Cette dernière proposition est adoptée à l'unanimité. M. Alphonse Delacroix entretient la Société d’un travail de philosophie scientifique dont il est l’auteur et qu'il intitule La science des arts. En demandant l'impression de cet ouvrage dans le prochain volume de nos Mémoires, l'honorable membre “estime qu'il y occuperait environ 150 pages. La Compagnie juge que cette production, remplie d’apercus aussi neufs qu ingénieux, est digne de tout son intérêt : elle s'empresse en conséquence d'en voter l'impression. Sont présentés pour entrer dans la Société : Comme membres résidants : Par MM. Lancrenon et Castan, M. Bouvard (Louis), avocat; Par MM. Varaigne et Castan, M. Reddet, surnuméraire des douanes ; Et comme membres correspondants : Par MM. Delacroix (Alphonse) et Castan, M. le marquis d’Andelarre, député de la Haute-Saône au Corps législatif ; Par MM. Renaud (François) et Renaud (Louis), M. Renaud (Edouard', capitaine au régiment des sapeurs-pompiers de Paris. — AA A la suite d’un scrutin secret portant sur les candidatures posées à la dernière séance, M. le président proclame : Membres correspondants, MM. Tarerry (Gilbert), auditeur de première © Système E. — Les deux pôles, triangle, carré, hexagone, ennéagone, polygone de 36 angles. oeil: D kbn anse 26 PS POI TT, He: 5. ? nat » 9 EI, fig. 5) e Rapports. |, . Systeme F, — Les deux pôles, pentagone, décagone, polygone de 40 angles. F-, G: : HA IRDENENOD. S 42 4576 15403 9 8 Rappo LE RE NN Ste (P fig 6: Eh Le 40! MOIS ? APR 5 \ ue Ce Système G. — Heptagone, polygone de 42 angles. Goal; A4: 08% CRE DENERUS 8: 9,10, 65. 497868 —, = (pl Il fig. 7). 45 Rapports. {, 4° 7° 7? 7% 49 7° Système 11. — Pentadécagone, polygone de 45 angles. HAE BENE CDR ARE / Rapports. 1, D eg go D que 95 (Pl: Il f8 8) D'autres séries pourraient succéder sans fin à celles-ci, maïs toujours de moins en moins utiles. Tel est l’artifice des lois harmoniques du fini : subdivision illimitée suivant des règles précises. Mais simultanément avec ce système coexiste celui des relations directes externes. Loi harmonique d'expansion. — Si, par chacun des angles du triangle équilatéral inscrit, on trace les tangentes du cercle, celles-ci décriront à leur tour un triangle équilatéral extérieur autour duquel apparaîtra une circonférence exactement double de la première, et concentrique avec elle. Ce sera la repro- duction de l’image primitive et de tout ce qu'elle a manifesté. Le même genre d'opération, indéfiniment poursuivi, donnera naissance à une série de cercles concentriques, tous doubles les uns des autres suivant une progression géométrique, tous liés par une succession non interrompue de triangles à la fois inscrits et circonscrits. L'application des lois harmoniques est susceptible d’un contrôle immédiat sur les points où les sciences actuelles ont fourni des mesures exactes pour éléments de calcul. Elle ne saura l'être que d'une manière empirique quand cette ressource _— 33 — manquera. Nulle part elle n’a été plus sûrement opérée que pour les phénomènes de l'ouïe, auxquels en conséquence nous allons emprunter les secrets de la formation du tableau des lois harmoniques. Il ne faut pas omettre que la recherche des rapports harmo- niques pourrait être indéfinie dans le sens de la subdivision, et qu'elle devra être bornée ici cependant pour ne point dépasser les limites de l’utile ou du moins du plus utile. I LOIS HARMONIQUES DES SONS. Les différences d'intensité, de durée, de timbre, de gravité ou d'acuité dans les sons, doivent être considérées comme éléments de contraste par rapport à l'ouie. Leur jeu constitue l’art musical lequel a classé et nommé les sons, avant même de connaître le nombre des vibrations qui les produisaient. La gamme. En effet, un corps rendu sonore transmet au sens de l'ouïe, par le moyen d'agents intermédiaires élastiques, principale- ment par l'air, des vibrations continues. Entre le nombre des vibrations d’un son et un nombre double dans le même espace de temps existe ce que l’on appelle une octave. Cet intervalle a été subdivisé, avec le seul secours de l'oreille et du raisonne- ment, entre un certain nombre de notes exactement mesurées d’après la loi naturelle des contrastes. Leur ensemble ou, pour employer l'expression usitée, la gamme, incomplète sur un seul point, est aujourd’hui ainsi conçue : ut, ré, mi, fa, sol, la, si, — uto. Le premier ut est la base fondamentale, la tonique. C'est la note la plus grave de la gamme dont le deuxième uw’, sera le son le plus aigu, l’octave, et servira lui-même ensuite de point de départ à une nouvelle série entièrement semblable, mais 3 L'AR R produite par des nombres doubles de vibrations. Depuis le ton le plus grave que l'oreille puisse percevoir jusqu'au plus aigu, les sons se trouvent ainsi classés dans une suite de gammes superposées, pareilles, et uniformément distantes entre elles d’une octave. Ce sera la loi harmonique d'expansion vers l'infini que nous avons précédemment signalée. On sait généralement qu'un ton de la gamme est la sixième partie du parcours du grave à l’aigu. Un demi-ton n’est que le douzième. Il a été placé deux de ceux-ci dans la gamme, l’un entre mi et fa, l’autre de si à ut aigu. Tous les autres intervalles entre deux notes furent des tons entiers, les uns plus graves, les autres plus aigus, égaux dans l'arène musicale comme tons, mais caractérisés chacun par la valeur de position qui lui était propre. On a mesuré, dans des expériences connues, comment la note fondamentale, ut, étant le produit, par exemple, de 528 vibrations du corps sonore à la seconde, il en résultait la disposition proportionnelle suivante des autres parties de la gamme : | Notes : UE, T6,. NA, fa, 0us0l, IT SC RES Nombre de leurs vibrons: 528 594 660 704 792 880 990 1056 Entre une note, celle qui la précède et celle qui la suit, existent donc des différences que nous calculerons ainsi : De ut (528) à ré (094) différence du nombre des vibr®". 66 Ar MAN DEEE FAT De mi (660) à a (704); A 2 PR EN RRRREE De fa (104):à:s011 (792) 200 M TERRES DHEA MO ES 88 De la (880) à si (990). Re De si (990) à ut: 1056). TE + 2120 PEN RIES Total des différences EE ce à è différence de ul'à Ut aigü OÙ Uf2 . . ..,.1 2 NEA EURE Or, si l’on répartit cette série des différences autour d'un cercle (pl. IL, fig. 1) divisé en 528 parties égales, de telle sorte same que ut, après l’accomplissement du parcours, se superpose à ut, on aura d’abord, au 66° degré la place de ré. A 66 degrés plus loin encore, sur la ligne même d’équateur, la note mi fermera le premier quadrant du cercle. Cette partie se trouve dès lors affectée à deux tons, ut et ré, ayant chacun une portée de 66 degrés ou vibrations. 44 degrés conduiront à fa, ce qui va donner ici un demi- ton; 88 degrés (44 >< 2) à sol qui occupera le pôle nord, en contraste avec le pôle sud. Le deuxième quadrant se trouve à son tour rempli. A 88 degrés de plus paraîtra la. Pour clore le troisième quadrant, il devrait y avoir sur cette limite une note dont l’usage actuel ne tient pas compte, ou du moins qu'il sous- entend. Car, par un expédient rendu nécessaire, il agit comme s’il avait compté ainsi : De la, jusqu à la fin du troisième quadrant, 44 degrés ou l'équivalent de mi-fa, un simple demi-ton de la région nord; Puis, continuant à former un ton entier au lieu des deux demi-tons nécessaires, 1l prend’l'un de ceux-ci sur le quatrième quadrant où ils sont de 66 degrés. Ces deux demi-tons de régions différentes forment néan- moins par leur addition le nombre 110 assigné dans le tableau à l'intervalle la-s1. . Reste à remplir la fin du quatrième quadrant, à laquelle est réservé le demi-ton si-wb, et qui absorbe les 66 degrés néces- saires pour clore le parcours entier de la circonférence du cercle. Ut aigu se superpose enfin à ut grave au pôle sud. On remarquera de suite comment chaque note de la gamme est venue se ranger exactement sur quelqu'un des angles des polygones inscrits dans le cercle harmonique. Cette identité qui a résulté de l'emploi de deux procédés différents, dénote en même temps la nécessité de rétablir dans la gamme le si-bémol dont l'importance est réelle, puisqu'il occupe l’un des angles du carré inscrit. Le rapport qui existera entre le nombre des vibrations d’une — 30 — note quelconque et celui de la tonique (528) devra donc être identique aussi avec la quantité attribuée au point correspon- dant sur le cercle harmonique et l’on aura effectivement : 528 . 594 . 660 . 704 . 792 . 850 990 … 1056 De 2. Ré 2e MU le CD , Ut me Rss Miss Fa Sol Lane Si-bémol, Sig Unrog Me 9 5 ACCES VERRE 7 15 k , £ 8 » DŒ , 3 , 1 ou 2 , 3 ’ ET , 8 , « Un polygone de 24 côtés répondrait à toutes les notes de la gamme de ut. Lorsque nous avons exposé Le tableau des rapports propres aux cercles harmoniques secondaires, il fut réservé que le procédé de cette organisation serait ultérieurement donné. Nous allons le trouver dans celui du tracé des gammes secon- daires sur les cercles. Cercle de RÉ (pl. IX, fig. 2). — Cette note étant le produit de 594 vibrations, le cercle devra être divisé en 594 degrés, quantité nécessaire pour conduire à ré aigu ou ré, lequel correspond au nombre 1188 (594 >< 2). Mi sera inscrit à 66 degrés plus à gauche, fa après un inter- valle nouveau de 44, sol de 88, la de 88, si-bémol de 44, si de 66 ut: de 66, et il restera de cette dernière note à ré 132 degrés, ou le double des 66 de la gamme fondamentale; car il s’agit ici d’un nombre pris sur l’octave où ? ne valent plus que f. Les notes ré, sol et si formeront ensemble le triangle équi- latéral. Ré, mi, sol, si-bémol, si, ut: occuperont des angles de l'ennéa- gone inscrit. Fa et la n’ont de place que sur des angles d’un polygone de 27 côtés. Quant aux rapports de chaque note avec celle de ré prise pour tonique, ils seront calculés de la manière suivante : ré ne i Ne fa . sol ee, la “ si-bémol, si A ul HER réa nn 594” 594 594 594 594 ?° 594 594 594 ou | 2 Éa 1 ou ee D 2 15 ou ei 2 2, j 9 Di 429 EPA TE 9 3 9 A rie Ces rapports sont ceux qui ont servi à établir le système B des cercles harmoniques secondaires. Le polygone commun à toutes les notes du cercle de ré est de 27 côtés. Cerele de Mi (pl. I, fig. 3). — Tonique de 660 vibrations, octave de 1320. De mi à fa 44 degrés; de fu à sol 88; de sol à la 88; de la à si-bémol 44; de si-bémol à si 66; de si à ut: 66; de wts à ré 132; de ré, à mi, 132. Si occupera le pôle nord et sera la dominante de mi. Mi et la seront deux angles du triangle équilatéral. Mi, sol, si-bémol, ut, et ré: décriront ensemble un pentagone. Fa appartient à un angle du pentadécagone. Il faut un polygone de 30 côtés pour toucher toutes.les notes dans le cercle de mi. Les rapports de chaque note avec celle de mi prise pour tonique sont : mi fa fe CRE la ne si-bémol, si cn nes rês mnt Mis ee 660 660° 660 660 *" 660’ 660 ’ 660" 660 16 6 4 71 3 8 9 , ou l mat HE HET 151 Te FT Vo 2. Le cercle de mi répond à celui de € dans les cercles harmo- niques. | Le polygone commun à toutes les notes de la gamme de mi est de 30 côtés. Cercle de Fa (pl. I, fig. 4). — Tonique de 704 vibrations, octave de 1408. De fa à sol 88 degrés, de sol à la 88, de la à si-bémol 44, de si-bémol à si 66, de si à ut: 66, de uts à ré 132, de ré à mio 132, de Mis à [as 88. Ut: occupera le pôle nord et sera la dominante de fa. Fa, la, ut, seront trois angles du carré inscrit. Fa, sol et mi trois angles de l’octogone inscrit, en commun avec la et uta. TE Si-bémol et ré: n'apparaîtront que sur des angles du polygone de 16 côtés. Il faut un polygone de 32 côtés pour toucher toutes les notes du cercle de fa. Si ne trouve place que sur un angle de ce polygone. Les rapports des notes dans le cercle de fa sont : 704 792 , 880 990 1056 . 1188 . 1320 _ 1408 Fe sol TS la — re si-bémol, si — 04 ul; — 104” r'éz ET Y bis ETTÉ Fa: Pr 9 5 21 11 6 27 15 ; , 8 , ZT 16° FE da 716” Le 0 Le polygone commun à toutes les notes de la gamme de L- est de 32 côtés. Cercle de Soz {pl. II, fig. 5). — Tonique de 792 vibrations, octave de 158%. De sol à la 88 degrés, de-la à si-bémol 44, de si-bémol à si 66, de si à ut: 66, de ut: à ré» 132, de rés à miz 132, de mi à faz 88, de faz à sol: 176. Ré occupera le pôle nord et sera la dominante de sol. Sol, ut2, mi2 seront les trois angles du triangle inscrit. Sol, si, ré, trois angles du carré. Sol, si-b., ut2; ré», mi2, cinq angles de l'hexagone. Sol, la et fa les angles de l’ennéagone. Les rapports des notes dans le cercle de sol sont : so 722 In 880 Er 990 , 1056 Le, 1188 _. 1320 1408 L 1584 792 792 792 “79° 799? 2 Jp’ [az 7° S0k = 10 7 5 4 3 5 16 l =) =" 4 e— = == / — + , s 7 9’ 6 3 2 3 9 . Le polygone commun à toutes les notes de la gamme de sol est de 36 côtés. Cercle de LA (pl. IT, fig. 6). — Tonique de 880 vibrations, octave de 1760. De la à si-b. 44 degrés, de si-b. à si 66, de si à ut, 66, de ut2 à ré 132, de ré à mi2 132, de mi à fa: 88, de fa? à sol: 176, de sol2 à la2 176. ou _— 39 — Mi: occupera le pôle nord et sera la dominante de {a. La, wut2, fax sol, seront les angles d’un pentagone inscrit. Si-b., si et réx, trois angles d’un polygone de 40 degrés. Les rapports des notes dans le cercle de Za sont : 880 ., . 990 1050 . 1188 . 1320 1408 1584 1760 La —, si-b., si —, ul: à 880 880 880 ” C2 880 » Mis 880 ’ [as 380” sol: 880” la: Te ou 1 45 6 54 3 8 9 ï 2 , 40 » 40 » 5 , 40 : 9 . 5 . 5 d : Le polygone commun à toutes les notes de la gamme de La est de 40 côtés. Cercle de Si-BémoL (pl. IH, fig. 7). — Le nombre des vibra- tions qui doivent produire le si-b. n'a pas encore été mesuré par la science, mais 1l peut être calculé, d'après la place qu'il occupe dans le cercle, à 924. Son octave sera de 1848. De si-b. à si 66 decrés, de si à ut: 66, de uwtz à ré» 132, de ré à Mis 132, de mis à far 88, de faz à sol: 176, de sol: à la: 176, de las à si-b.2 88. .Si-b., Ul2, ré», Mi: et sol: occuperont 5 angles de l'heptagone inscrit. Si-b., si, fai et la», 4 angles d’un polygone de 42 côtés. Les rapports dans le cercle de si-b. sont : Si-b. LÉ si ss sr "'Éa ee Mi: ie [as ru SOl: RE la: 1760 si-b. à 1848 99400 924 921’ 924” 924" 924 ” 924” 924 7 ‘ 924 45 8 9 10 64 12 80 UT coe 07.. © Le polygone commun à toutes les notes de la gamme de si- bémol est de 42 côtés. Cercle de Si (pl. I, fig. 8). — Tonique de 990 vibrations, octave de 1980. De si à ut: 66 degrés, de uta à ré 132, de ré à mis 132, de Mi à fa: 88, de faz à sol 176, de sol: à la2 176, de sols à la2 176, de laz à si-b.2 88, de si-b.2 à sis 132. Si et mi: occupent deux angles du triangle équilatéral. me. Si, réz et sols, trois angles du eee avec _. mi et ne Si, fa2 et las, trois angles d'un polygone de 45 côtés. Les rapports des notes, dans le cercle de si, sont : 990 1056 1188 . 1320 1408 1584 1760 Si "000" 090” 990’ /4 900 090 ” le “2 900" 990 ù 16. 6 A CEE 8 80 — —- — + _—— — — Ton 15 5 3 35 5 35 Le polygone commun à toutes les notes de la rie + est de 43 côtés. | 2 La série des cercles secondaires musicaux que nous venons de donner pourrait être suivie d’une deuxième, d'une troisià d’une quatrième émission du même genre, indéfiniment co con tinuée. Nous nous en tiendrons à une seule, à celle qui four la disposition et les rapports de la première série des cercles F ; secondaires harmoniques exposés précédemment. . - Chaque tercle a présenté ou des polygônes qui lui é propres, ou des polygones communs à plusieurs, mais ns & dernier cas avec des notes différentes. Il y aura dès lors vari constante dans les accords qui résulieront de la productic >z cr PAT : QJes PES même polygone quel que soit le cercle. S Cette variété sera multipliée, en outre, dans deux ci one É tances : u 1° Lorsque l'on supprimera du groupe d'un accord une es plusieurs notes, ce qui est toujours possible; e à ae 2 Lorsqu'une ou plusieurs notes seront remplacées bre leurs octaves, changement qui n'alière jamais les rapports avec la tonique. "+ Ainsi, dans le cas de l'accord carré, les praticiens ont l'ha-_ bitude d'éliminer le si-b., et même d'appeler parfait Lee "a ut, mi, sol: d he ee Ainsi, dans le même accord, chacune des notes peut être à volonté portée aux octaves inférieures ou supérieures ; Et le nombre des Combinaisons dans lesquelles se présentent ces quatre notes devient dès lors considérable. Sons harmoniques. L'émission simultanée de plusieurs notes peut être produite par une seule attaque opérée sur un corps sonore. Le groupe de ces notes est en pareil cas toujours le même. On les appelle sons harmoniques. Leur jeu est une application des lois que nous avons déjà examinées. Il n’est pas un privilége exclusif de l’acoustique; mais celle-ci va en fournir encore le méca- nisme. Lorsque l'instrument appelé monocorde est disposé pour produire la tonique ut au moyen de 528 vibrations, 1l rend simultanément encore, quoique graduellement affaiblies, les notes suivantes : 1° Ut: résultant de l'addition au nombre des vibrations de la tonique de 528 nouvelles ondes sonores durant le même temps : 2° Sol, produit d'une seconde addition semblable; - 3° Uts, d'une troisième ; 4° Mis, d'une quatrième ; R 5° Sols, d'une cinquième devenue imperceptible, et qui cer- tainement doit être suivie de si-b.s et de ul. Ut a été l'effet de la corde entière, ut: d’une moitié, sols d’un tiers, uwts d’un quart, et mis, dernière note appréciable, d'un cinquième. Appliqué au cercle harmonique, ce mécanisme donne des résultats conformes aux prévisions : De ut placé au pôle sud d’un cercle de 528 degrés, le par- cours de cette mesure conduit d'abord à ut; puis, en conti- nuant, 528 nouveaux degrés, comptés dans l'octave où le nombre des vibrations est doublé, n'atteindront plus que la moitié de la circonférence où est sol; une troisième addition 48,2 mènera sur wls; une quatrième, passant dans la double octave, sur mis seulement, simple quart du cercle. Le monocorde, si l'oreille humaine était plus délicate, lui eût donné ainsi, à des octaves différentes, toutes les notes de la gamme. Elle lui fournit les sons correspondants à la série naturelle des nombres : | ut, Ou 1; ui, Ou 2; sola( X< 2) OU 3; Ulz OÙ 4; mis( X 4 ) ou ». Le ton le plus grave que l'oreille percoive a été apprécié à 33 vibrations par seconde. C'est le point de départ d’une gamme inférieure de quatre octaves à l’ut qui vient d'être pris pour base; c'est l’uts. ‘ Phrase musicale. I y à deux sortes de contrastes, ou d'accords, en musique. Ceux qui résultent de l'émission simultanée de plusieurs tons appartenant au même polygone, et qui constituent plus spé- clalement l'harmonie, puis ceux &e la mélodie ou de l'émission successive des notes. Ce dernier genre de contraste est le seul que l'oreille saisisse aisément entre une note et celle qui la suit ou la précède immédiatement dans l’ordre d'une gamme. L'ouiïie peut admettre alors la subdivision même d’un ton en demi-tons, mais comme moyen transitoire seulement et bien accusé vers un écho prévu. Et, pour que le doute n'existe pas, elle demande que, dans ce cas, la division du ton se fasse en. deux parts légèrement inégales, que le point de section soit au delà du milieu, plus près de l'écho d'un vingt-quatrième de ton. C'est ce qu'expriment les praticiens au moyen des dièzes et des bémols employés accidentellement. Certains peuples ont acquis l'usage de pousser la subdivision, comme des oiseaux, jusqu'à des quarts de tons et obtiennent ainsi le moyen d'opérer des dégradations de teintes d’une extrême délicatesse. BAR 7: EE Les tons de la gamme sont servis à l'oreille par la phrase musicale. Soit qu'elle procède de la mélodie, ou qu’elle doive produire de l'harmonie, la phrase commencée par un petit nombre de notes, librement choisies, poursuit son essor d’'écho en écho sous l'influence des prémisses, et l'achève en revenant à la tonique. On donne à cellc-ci, sous ce rapport, le nom expressif de finale, et l’on désigne alors comme étant la dominante la note placée au pôle nord de la tonique. Dans le système du cercle fondamental, la tonique est tou- jours ut, et la dominante s0o/. L'usage de ce mode musical qui devrait être généralement employé caractérisait néanmoins, dans l'antiquité, le peuple ionien. C’est encore le mode prin- cipalement usité dans l’Europe-occidentale moderne, où règne aussi celui de la. Ce dernier prend le nom de ton mineur par opposition avec le mode ut grave qui recoit alors la désignation de ton majeur. Ces deux modes ont de telles affinités du reste que des populations rurales entières transforment involontairement en mélodies dans le ton mineur, celles qui étaient composées dans le ton majeur. La finale, dans le ton mineur est la note la elle-même. Mais ‘il n'arrive pas pour tous les modes secondaires qu'une finale soit ainsi la première note de leur gamme. Ce privilége n'ap- partient à une tonique que dans le cas où celle-c1, considérée sur le cercle fondamental, y serait un premier écho-de ut. Si elle n’a été qu’un deuxième écho, on aura pour finale la note qui aura servi d'écho intermédiaire. Quel que soit le cercle secondaire dont on fasse usage, l'ut grave, s’il n'a pas été pris pour tonique, est toujours sous- entendu. Le mode ré fut jadis appelé dorien. On nomma phrygien celui de mi, et lydien celui de fa. C’est à l'emploi de ces modes que nous devons en partie le plein-chant de nos églises. Composée sous l'influence de l’un ou de l’autre de ces modes, Ex Ye la phrase musicale reste inachevée. Elle a le caractère d'une simple proposition, d'une exclamation, d'une interrogation ({). La richesse des ressources conduisant à celle de l'œuvre, les praticiens devraient user plus spécialement, dans leurs com- positions, de l'emploi des modes secondaires, dont ils ne font guère usage de nos jours que dans des cas éventuels sous le nom de dissonances. Pour l'usage habituel, il ne serait pas inutile d'intertaler, parmi les cercles DR ve ceux de ut-dièzse, ré-dièze fa-dièze et sol-dièze. Indépendamment des harmonies que produisent les émis- sions simultanées des notes appartenant au même polygone, ou ayant le même dénominateur dans leur rapport avec la tonique, les praticiens accroissent le nombre des effets pos- sibles, en dotant successivement et à leur gré chaque ton des accords propres à cette dernière. II LOIS HARMONIQUES DES COULEURS. La vue distingue les images du monde extérieur par les contrastes d'ombre, de lumière et de couleurs en même temps que par ceux des formes. Des vibrations de lumière analogues à celles du son, déme- surément plus rapides, mais soumises à la même loi, traversent la pupille de l'œil et sont transmises par ce passage à l'appareil du nerf optique qui perçoit la sensation. () Dans la pratique moderne, les notes musicales sont représentées sur un groupe de lignes horizontales dont il a été nécessaire de réduire le nombre pour que l'œil pût le saisir. Chaque ligne est dotée du nom d'une note. Mais cette disposition, toute de convention, peut toujours faire place à une autre. Changer le nom d’une ligne, c’est, dans l’usage reçu, changer de ton. Or, il n’y a pas de rapport entre ce fait et celui de changer un mode musical. = Gamme optique. Un corps lumineux émettant la lumière parfaite dont celle du soleil a été prise pour type, produit, comme le corps sonore, une tonique, ses harmoniques et les éléments d’une gamme. Il émettrait à la fois, d’après la science actuelle, le rouge, l'orangé, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo et le violet, chacune de ces couleurs précédée et suivie de nuances annexes. La lumière pénètre tous les objets éclairés; mais elle est en partie réfléchie par leur surface. Lorsqu'un objet réfléchit également chacune des couleurs, il est blanc. On le dit noir quand il absorbe tout, diaphane quand il se laisse transpercer. Et comme la lumière est destinée principalement, non pas à l'objet éclairé, mais aux mondes moléculaires qui gravitent en lui, il n'y a point de corps absolument blanc ou diaphane. On doit même considérer généralement les objets éclairés comme étant noirs à l'exception d'un faible reflet coloré. La lumière éminemment blanche du soleil, prise pour type, a été décomposée au moyen d'un prisme transparent; puis des expériences précises ont donné aux physiciens le tableau sui- vant des couleurs avec la longueur des ondes de vibration de chacune en millionièmes de millimètres : Couleurs ..| rouge | orangé | jaune! vert | bleu| indigo | violet | violet extréme. Longueur | de l'onde .….| 645 996 911 | 532 | 4921 459 | 439 406 Ce tableau n'exprime pas complètement le faisceau des cou- leurs du spectre solaire. Car celui-ci a été privé notamment, avant d'arriver à nous, de ce bleu pur de toute parenté avec le jaune et le rouge, que l'on appelle l’azur et qu'ont retenu au passage les couches de l'atmosphère terrestre. Néanmoins si, partant des mesures connues, on prend pour unité la lon- gueur de chemin représentée par 10,000 vibrations du rouge; si l’on établit en second lieu le nombre de vibrations employé par chacune des autres couleurs pour accomplir le même par- cours; si l'on calcule enfin les différences successives de ces nombres entre eux, on arrive au tableau suivant : eu ee Couleurs. Rapports. Différences. Rouge. . . . . . Unité 10,000 ORNE IEEE 10, 022 l 2 Jaune... ...... 11296 |) 809 VERT DS ERP UE : 4.004 PR AE D 17928 Fndigo Qt AE ae MERE 640 Violet re. CROIRE 1 192 Violet extrême -. . . . . 15,885 3 Total. "7.405885 Soit appliqué aux couleurs de ce tableau le procédé au moyen duquel ont été tracés les cercles harmoniques des sons. Après avoir divisé la circonférence en 5,885 parties, puis déterminé chaque point correspondant à l’une des différences qui viennent d'être établies, on reconnaît de suite que l’on a sous les yeux un cercle harmonique identique à celui de wt mineur, ou, pour mieux dire, de la, ainsi composé (pl. II, fig. 6) : fa | S0la la: lindigol violet | violet extrême. Mia bleu si orangé ———— rouge june vert La coïncidence des positions est exacte : de la sur rouge, de ré» sur vert, de sol sur violet, de la aigu sur violet extréme. Pour les autres couleurs, l'œil étant moins exercé à l'usage de la gamme optique que l'oreille à celui de la mesure des sons, des nuances annexes ont pris la place du ton normal. Néan- moins aucune incertitude ne subsiste, ni sur l'identité du point si avec l’orangé, ni sur celle de ut avec le jaune qui dès lors se trouve signalé comme la tonique de la gamme des couleurs (pl. I, fig. 1). Mais il reste à remplir une lacune marquée par la note fa», et dont la place sera occupée par l’azur. L'absence de ce ton avait fait naître deux inexactitudes dans son voisinage. L'une consistait à donner le nom de bleu au ton vert d’eau-mis; l’autre à établir inopportunément dans la gamme un fa-dièze qui est représenté 1ci par-l’indigo. t DE) Lime Le violet extrême des physiciens n'est autre que le rouge clair, l'octave du rouge-la. De même que nous avons dû réintégrer dans la gamme des sons le si-bémol, de même aussi, entre le rouge-la et l'orangé-si, nous donnerons place au ton ponceau dont le rôle est néces- saire pour ne pas laisser de vide dans la gamme optique. Nous avons, en effet, pour compléter les documents fournis par les physiciens, et régler avec exactitude la gamme optique, un moyen sûr : La lumière blanche, après avoir été décomposée, peut être reformée par la réunion des couleurs. De même le gris, à défaut de blanc, se produira toutes les fois que deux ou plu- sieurs Couleurs formeront ensemble des accords exacts dans la gamme optique. Ainsi le gris sera produit par le mélange des matières colo- rées de cette sorte : 1° Jaune et violet (accord ut-sol) ; 2° Jaune, azur, rouge (accord ut-fa-la) ; 3° Jaune, vert d’eau, violet, ponceau (ut, fa, la, si-b.). Le même phénomène se reproduira toutes les fois que l’on mélangera les couleurs d’un accord quelconque, sans en omettre une seule, ou simplement celles qui occuperont les deux pôles opposés du cercle optique. Dans ce dernier cas, on donne le nom de couleurs complé- mentaires aux deux tons. Pour que cette expression fût exacte partout, 1l faudrait l'employer également, et à l'égard de deux tons quelconques du triangle équilatéral par rapport au 3°, et à l'égard de trois tons du carré par rapport au 4 Les rapports de l’art des sons avec celui des couleurs sont au fond tellement intimes que les mêmes mots de la langue servent indifféremment pour l’un et pour l’autre. L'identité ne cesse que par la différence des sens chargés de servir à l'esprit les formules harmoniques en caractérisant la prove- _nance de chacune d'elles. = RE On vient de voir par le tableau des couleurs du spectre solaire que le rouge et son octave sont entre eux dans le rap- port de 10,000 à 15,885. Si l’on ap au cube les chiffres de ce rapport, 1l devient celui de 1 à 4 Si l’on agit de même à l'égard üa jaune et du rouge octave, leur rapport sera de 9 à 25. Le rapport du jaune avec sa couleur complémentaire directe qui est Le violet, deviendra de même 4 à 9. En poursuivant ainsi ce moyen de contrôle; en opérant, dans le cercle des couleurs, les réformes nécessitées par l’in- troduction de l'azur et l'élimination de l’indigo; en transfor- mant enfin la gamme de rouge en celle de jaune, on arrive à ce résultat : Couleurs . . .|jaune| vert vert d'eau\bleu ou azur|piolet|rouge| ponceau|orangé| jaunes Cubes des . die 81 25 16 9 25 49 225 4 es couleurs DAA ETS Fan ET ET: FE Met 64 16 9 4 9 16 64 tonique. | lequel est identique à celui que l’on obtiendrait en élevant, non plus à la troisième, mais seulement à la deuxième puis- sance, les rapports de la gamme des sons : Notes. 2207 ut ré | mi fa | sol | la |si-b. | si | ul: Carrés des rapports ke des notes avec la! 1 81 25 16 | 9, |. 2, A ESS tonique 26 22e | 820146 NAT 9 | 16 | 64 Ainsi, pour parler une langue plus mathématique, les rap- ports musicaux sont identiques aux racines carrées des rapports de la gamme chromatique élevés à la troisième puissance. Par le sens auditif, l'esprit percoit la formule acoustique sur le tympan de l'oreille où l'onde sonore vient frapper, surface contre surface, en longueur et en largeur. Par le sens optique, il perçoit une formule sn blabIe, mais assujétie d'une part à s'inscrire sur la surface du fond de l'œil, d'autre part à subir de plus la condition de ce que les physi- ciens appellent la mesure de l’angle visuel, mesure destinée à ES | #0 donner la distance de l’objet éclairant; il veut longueur, lar- geur et hauteur. En d'autres termes, l'esprit perçoit le carré des nombres sur ce qui lui est donné par l’ouie, et leur cube quant à ce que lui transmet la vue. Il mesure en surface l'onde sonore, et par le volume l'onde lumineuse. Mais les formules harmo- niques à percevoir restaient les mêmes dans les deux cas, quoique servies les unes par la racine carrée, les autres par la racine cubique des nombres {{). Des cercles optiques secondaires seront construits comme ceux de l’acoustique avec lesquels on voit qu’ils différeront seulement par la substitution des noms des couleurs à ceux des notes musicales (pl. III, fig. 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8). D'après la gamme optique écrite sur les cercles harmoniques, cinq tons seulement ont, d’une manière normale, la propriété d'être directement chacun le complémentaire d’un autre : le violet sur le jaune, l’orangé sur le vert d’eau, le jaune aigu sur le bleu, le vert aigu sur le violet, le vert d’eau aigu sur le rouge. Phrase optique. Au moyen des tons qui forment entre eux des accords har- moniques, on compose les groupes des couleurs destinées à se faire mutuellement ressortir par leur juxta-position. La mé- lodie optique comporte l'émission de tous les tons de la gamme, ainsi que des demi-tons et des quarts de tons. De cette sorte, toute combinaison de notes, propre à former une phrase musi- cale, peut être reproduite avec des couleurs; et toute combi- naison de couleurs, créée à la manière d’une phrase musicale, donnera comme celle-ci un chant. La phrase optique a pour finale naturelle le jaune qui est la tonique. Elle a, pour mar- () La gamme des couleurs a été déjà soupçonnée ; car un savant physicien, M. Pouillet, a dit : « Le rouge correspond à l’onde la plus longue, le violet à la plus courte; ainsi le rouge et le violet sont, par rapport à l'œil, ce que les sons les plus graves et les plus aigus sont par rapport à l'oreille. » 4 sp: ass quer ce qu'en musique on appelle silence et pose, le blanc, le grès ou le noir. Elle a, pour marquer sa fin, ou son périmètre, . ces mêmes teintes neutres. Elle doit être cernée par l’une d'elles, et c'est sur ce périmètre que la finale prendra sa place comme intermédiaire entre une phrase et la phrase voisine. Quoique l'usage de la gamme des couleuts ne soit pas en- seigné, quelques peuples de l’Asie orientale, à force de répéter les mêmes types; sont arrivés naturellement à produire des phrases d'une extrême pureté, comme il advient si souvent de certains cris de la rue invariablement chantés du matin au soir. Ces phrases peintes plaisent toujours parce qu’elles chantent réellement aussi et qu'elles le font avec justesse. Le bruit optique. — De même que tout n'est pas musical dans la production des sons, de même il y a, dans celle des couleurs, l’analogue du bruit. C'est l'effet qui résulte de la multiplicité et de l’incohérence d'action des tons colorés arri- vant simultanément à l'œil. Leur multiplicité laisse l'esprit indifférent; leur incohérence d'action le détourne. Ils pro- duisent, par leur confusion et pour résultante, une sorte de gris faiblement coloré selon la circonstance, et que les artistes appellent le ton général. Pour qu'une couleur ressorte de ce milieu, il faut alors ou que l'œil l’ait cherchée, ou qu'elle se fasse distinguer, soit par un contraste bien net avec ses voisines, soit par l'intensité de la lumière, soit par l’une et l’autre de ces deux dernières circonstances. C’est ainsi que, sans être même bien éclairée, la fleur rouge brille sur la verdure mêlée des champs; la fleur violette, puis la fleur bleue, sur la mois- son de plus en plus dorée. La fleur jaune ressortira elle-même sur un fond vert, si celui-ci est très foncé, celle-là très claire, quoique le vert-ré et le jaune-ut, loin d’être complémentaires directs l’un de l’autre, appartiennent, dans la gamme optique, à des tons immédiatement voisins. Sr D = Couleurs simples et mixtes, Les praticiens, qui ont jusqu’à ce jour appelé simples les couleurs jaune, azur et rouge, considèrent les verts, les violets et les orangés comme mixtes, c’est-à-dire comme les produits successifs du jaune avec l'azur, de celui-ci avec le rouge, enfin de ce dernier avec le jaune. Il y a une sorte de vérité dans cette assertion qui, au fond, ne se trouve nullement exacte. ‘Chaque couleur éveille une sensation en rapport avec la place qu'elle occupe dans le cercle harmonique; or, le triangle équilatéral, le plus simple des polygones inscrits, jouit de cette propriété que ses trois angles sont à des distances égales entre eux, conséquemment en des points aussi opposés que possible l’un à l’autre. Le ton propre à chacun de ces derniers lui appartiendra donc sans partage. C’est ainsi que le jaune-ut n'aura rien du bleu-fa, ou du rouge-la, et que ni Fun ni l’autre de ceux-ci ne participeront du ton des deux angles qui leur sont opposés. Cette propriété de l’équidistance des angles entre eux tous ne se retrouve ni dans le carré, ni dans les polygones à un plus grand nombre de côtés. Quant à la ligne du pôle ut au pôle sol, elle n’est pas dénuée du privilége de l'équidistance des points en contraste; mais son extrémité so! se trouve être aussi la reproduction mixte de fa () et de la ©) , Où arith- | CHENE métiquernent égale à 3 3 soit. 2, formule de la note sol. F2 Elle participera par égale part du.bleu et du rouge; elle sera violette, et tiendra en face du jaune le rôle double des deux couleurs précédentes. C’est le phénomène du violet qui est mixte dans ce cas et non un mélange supposé de deux tons. Néanmoins, dans la pratique, on a l'habitude de composer des couleurs intermédiaires par des mélanges de matières. Le principe d’après lequel cette opération se pratique est que deux . m0 TT dus matières colorées de tons siégeant, dans le cercle de la gamme optique, à un tiers de circonférence au plus l’une de l’autre, produiront une sorte de moyenne d’où résultera l'effet, quoique très atténué, de la véritable note intermédiaire. On obtient ainsi des gris légèrement colorés, dont l'illusion sera grande . pour les tons vert d’eau-mi, violet-sol et ponceau-mi-b. du carré inscrit, presque nulle quand il s’agira de produire le bleu, le rouge et le jaune. Car le vert (bleu-jaune) et le violet (bleu-rouge), contenant ensemble du jaune, du bleu et du rouge, tendent à se résoudre par un intermédiaire qui est le gris; et il en sera de même du violet avec l'orangé, du ponceau enfin avec le vert. Le coloriste habile évite à la fois ces écueils et corrige la faiblesse des tons qu'il compose alors en leur opposant avec adresse des couleurs complémentaires. Le procédé empirique, aveuglément employé, mais qui jusqu’à ce jour a joui du plus grand succès, est celui-ci : A la couleur que l’on se propose de faire prévaloir on oppose, non pas sa complémentaire directe, mais les deux tons voisins dont le mélange aurait pu produire cette dernière. De la juxta- position de ces trois teintes, il résultera que l'œil allant de la couleur principale à la recherche d'une complémentaire directe qui n'existe pas, rencontrant à sa place successivement l’une et l’autre des voisines, et se reportant enfin sur le point de départ, ne verra plus exactement celui-ci, mais une teinte insaisissable répondant elle-même doublement comme com- plémentaire au couple opposé (1). | En effet, il ne faut pas oublier que le contraste étant la (:) On donne ainsi ce que l’on appelle de la transparence à une couleur en opposant, par petites masses plus claires ou plus foncées : Au jaune de l’indigo et du rose; Au vert du rose-rouge et du ponceau; Au vert d’eau de l’orangé et du jaune ; A l’azur de l’orangé et du vert-pomme ; Au violet du jaune et du vert d’eau; Au rouge du vert et de l’azur; Au ponceau du vert-vert d’eau et de l’indigo ; A l’orangé du bleu et du violet. + VEUT pâture de l'esprit, celui-ci, au moyen des sens, non-seulement le saisit, mais le cherche et va au-devant de lui par besoin. Regardez le soleil lorsqu'au travers de l'atmosphère bleue il a perdu son azur, et qu'il est conséquemment devenu plus jaune et plus rouge, puis refermez les yeux. L'image solaire, par sa vivacité, a blessé la rétine de l'œil et y reste peinte durant quelques instants. Mais cette peinture affectera la couleur bleu-céleste qui est devenue la complémentaire des tons domi- nants apportés jusqu'à nous par la lumière de l’astre. Faites l'expérience lorsque le soleil, vu sous un horizon chargé de brume, a perdu, en outre,. au travers des globules d’eau sus- pendues dans l'atmosphère, une partie de ses teintes vertes, l’image arrive aux yeux toute rougeâtre. Cessez de regarder, et l'impression qui persistera sur la rétine sera celle d’une nuance vert d'eau. L'idée de la couleur complémentaire ne peut donc jamais être séparée du sentiment de la couleur réelle. Clair et sombre. Aux procédés qui viennent d’être décrits pour établir le contrasie des couleurs, s'ajoue naturellement celui de l'emploi du clair et du sombre. Il a pour effet de venir en aide au praticien dans la recherche qu'il poursuit d'un ton par le mélange des matières colorées. L'homme ne peut employer que ce dont il dispose. Il lui arrivera donc le plus souvent d’avoir à se préoccuper des moyens de déguiser l’incorrection ou même la fausseté des notes fournies par les matières colorées. Or, deux notes optiques seront d'autant moins fausses, en réalité comme en apparence, l’une par rapport à l’autre, qu'elles différeront davantage en intensité lumineuse. Clair et sombre, c’est la qualité qui se manifeste par le blanc, le gris et le noir. C'est la cause de modifications importantes dans l'impression laissée par les couleurs. Sous l'influence de ce genre de con- traste les incorrections légères s’effacent; les plus considérables sont atténuées; la puissance des effets s'accroît. En ir L'art de disposer, relativement à ses intensités, la teinte neutre, c’est-à-dire le blanc, le gris et le noir, est soumis à la règle commune des lois harmoniques. Etant admise une certaine quantité de lumière pour tonique, l'octave sera représentée par un éclat plus intense; et une gamme s’éta- blira de l’un à l’autre. Cet art est pratiqué, empiriquement il est vrai, dans plusieurs circonstances. Certains graveurs savent que deux teintes plates, grises, l’une plus claire, l’autre plus sombre, juxta-posées, fournissent une espèce de contraste simplement désagréable par l’exagération naturelle des deux nuances près de la ligne de contact. Q'une troisième teinte grise intervienne et l'impression donnée par le groupe plaira le plus souvent. Le succès de ce genre d'épreuves est acquis à l'œuvre où les teintes se produiront suivant les mesures exactes des cercles harmoniques. Il lui donnera la vie. On doit toujours employer simultanément les effets du con- traste des couleurs avec ceux du jeu des intensités de lumière. Que l’on ait à juxta-poser les couleurs d’un accord optique; bien qu'il doive résulter du choix des tons un équilibre qui satisfasse l'esprit, il n’en est pas moins vrai que l'attention sera dispersée sur un ensemble. Que l’on veuille attirer celle-ci sur un détail, il faudra de suite étendre sur les autres un voile de gris plus ou moins épais suivant la circonstance, et qui laisse ressortir, ou en clair sur du sombre, ou en sombre sur du clair, la couleur préférée. | Lorsque nous avons dit (‘) comment, à la couleur que l’on se proposait de faire prévaloir, il convenait dans certain cas d’opposer les deux tons voisins de sa complémentaire directe, l'indication donnée était encore insuffisante. Elle ne l’est plus, si l'on ajoute que les tons opposés doivent différer de la couleur à mettre en évidence par le jeu d'une lumière plus ou moins atténuée. L'influence qui résulte du clair et du sombre pour deux (:) Page 52. si) A couleurs différentes est tellement puissante qu'elle dissimule, pour des cas ordinaires, toute incorrection. Le marbrier n'a pas d'autre ressource pour faire valoir les uns à côté des autres les matériaux fournis par le sol, et qu'il faut accepter sans en changer les teintes. S'il s’agit d’une seule pièce de marbre à faire ressortir en un lieu, elle doit être beaucoup plus claire ou beaucoup plus sombre que le fond sur lequel on la fixe. Deux marbres de couleurs diverses ne doivent être juxta-posés qu'autant qu'ils sont doués d’intensités lumineuses très dis- tinctes. Pour assortir un plus grand nombre de pierres, on fait alterner les plus claires avec les plus foncées. Enfin, comme jamais les différences de teintes colorées ne sont assez marquées, il faut avoir recours aux marbres blancs ou noirs pour séparer les unes des autres les pièces trop peu dissem- blables. Les marbres, sans ces vulgaires précautions, parai- traient sales et défectueux. C'est également en faisant alterner ce qui est foncé avec ce qui est clair que le marchand fait ses étalages d’étoffes diverses, et le jardinier ses plantations de fleurs. Il y a quelque difficulté à savoir disposer des couleurs; on réussit toujours en faisant alterner des objets sombres avec ceux qui sont lumineux. A celui qui doit prévaloir, on réserve.le contraste du plus noir au plus blanc, laissant l'emploi des gris plus ou moins foncés pour les autres. juxta-position des couleurs. I n’est pas indifférent de donner à une couleur une surface plus ou moins étendue, et à celle-ci une forme quelconque. De là résulte une cause de valeur de la phrase optique. Au moyen de la différence des surfaces et des contours. le jeu des couleurs variera considérablement. Alors il ne faudra jamais oublier : Que la gamme lumineuse alimentée par le soleil, ayant le rouge-la pour tonique, cette dernière couleur, la plus grave de toutes, a aussi La plus grande puissance et conséquemment le moins besoin de surface pour agir ; Lie (HRPES Que dans un jeu de couleurs établi selon le mode fonda- mental jaune-ut, cette dernière couleur devra être protégée contre l'énergie du rouge, du ponceau et de l’orangé par l'étendue de sa surface et la rondeur de son pourtour; Qu'il en sera de même, au besoin, pour toute couleur claire, par rapport à une note optique plus grave. II CONTRASTES DE L'ODORAT, DU GOUT ET DU TOUCHER. Les savants, qui ont fourni des mesures si précises, en ce qui concernait les vibrations des sons et de la lumière, n'ayant rien donné d’'analogue relativement à l'exercice des sens de l'odorat, du goût et du toucher, il ne peut exister sous ces rapports que des arts empiriques. Odorat. Les odeurs se transmettent par le moyen de l'air qui est leur véhicule obligé pour nous. Il leur impose son mouvement propre, les absorbe et les dissipe promptement dans sa porosité. Elles n’ont leur plus grande intensité qu’au point de départ. En raison de sa stature haute et raide, l'homme est mal disposé pour exercer son sens de l’odorat. Celui-ci semble ne lui avoir été donné qu'afin de contrôler ce qui est porté à la bouche, et de la mettre en garde contre les choses pestilentielles. Dans ce dernier cas même, l’homme peut réussir facilement à couvrir une mauvaise odeur par une bonne et à se déguiser ainsi le danger. Il n’a réellement pas le sens de l’odorat développé. Aussi n’existe-t-il pas pour lui de ces fêtes du nez qui caracté- risent certains animaux. Il n'y a aucun art humain fondé sur le contraste dans la production des odeurs. Néanmoins, dans la limite restreinte qui lui est assignée, l’homme peut être vivement affecté par le choix des senteurs, et même prendre plaisir à percevoir une odeur agréable, pourvu que la durée de cette jouissance soit bornée. Il appréciera même une succession d'odeurs choisies, pourvu qu'elles se lé - Saveurs | sucrée| salée|âpre] acide Notes correspon- dantes | ut ré | mil fa i RL cer _ produisent par intervalles bien distincts et sans confusion de l'une avec l’autre. : Gout. Les choses les plus agréables au goût ne sont pas celles que le vulgaire répute les meilleures par elles-mêmes, ou auxquelles est attribué le plus grand prix, mais celles qui sont présentées de manière à former un ordre opportun de contrastes. A défaut de chiffres d’après lesquels pourraient être classées mathéma- tiquement les saveurs, celles-ci seront empiriquement appré- ciées les unes par rapport aux autres, suivant qu'elles auront plus ou moins la propriété de se neutraliser mutuellement. Peut-être trouverait-on ainsi un contraste direct entre les deux saveurs sucrée et fermenteuse ; Un autre accord entre les trois suivantes : Sucrée, acide et amère ; Puis entre les quatre : - Sucrée, aigre, fermenteuse et douce-amère ; Il résulterait de ces données, si elles étaient suffisamment exactes, un cercle harmonique dans lequel les notes se succé- deraient ainsi : sol la | mi-b. si uts Chacune de ces saveurs serait douce, ou forte, ou très forte, selon qu'elle appartiendrait à telle ou telle octave. Du degré de son intensité dépendrait son opportunité pour le sens humain. Mais, il convient de le répéter, ces assertions demeureront tout à fait conjecturales tant que la science n'aura pas apporté des mesures exactes qui les corrigent, les confirment ou peut-être les suppriment en partie. L'abstinenee prépare l'appétit; la variété de la nourriture devra le soutenir. Or, il y a déjà contraste dans le seul fait du passage de l’abstinence au repas, et il faudra de plus qu'il y fermenteuse | amère | douce-amère|félide| alcoolique SG pris ait encore contraste dans la production successive ou simul- tanée, selon le cas, des mets dont le service sera composé. Il n'y a pas de mets si grossier qu'un contraste intelligem- ment établi dans les conditions les plus simples ne lui donne une véritable valeur. Il n'y a pas de cuisine si riche que l'absence des contrastes n’en fasse résulter une satiété anticipée ou le dégoût. Conséquence immédiate de la loi des alternations, la variété des mets est nécessaire, les contrastes dans la variété rendent salutaire un repas dont l'abondance dépasserait même les limites assignées aux forces ordinaires de l’homme. La plupart des mets représentent des accords de saveurs et non une saveur seule. Aux contrastes des saveurs s'ajoutent ceux du froid ou du chaud qui les accompagnent, enfin ceux de leur mode de consistance. Toucher. Les contrastes, relativement au sens du toucher, se mani- festent dans les différences de pression, de frottement, de rugosité, de sec et d'humide, de dur et de mou, enfin de chaud et de froid. De l’exagération des différences naïtra, sous l'em- pire de la même cause, le plaisir ou la douleur. Le toucher est, pour l'enfant, un premier moyen de langage; et 1l reste ensuite l'instrument le plus essentiel de l’activité humaine. L'art de baigner, de frictionner et de masser les membres est susceptible de recevoir une grande extension sous le double rapport de l'utilité et de l'agrément. IV LOIS HARMONIQUES DE LA FORME. Les sens perçoivent la FORME par le toucher non moins que par la vue, ces deux procédés étant destinés, sous ce rapport, à se contrôler et à se compléter l’un l’autre. SU. Re Nous avons vu ces locutions : accord ou harmonie, prévaloir dans le langage pour exprimer les mesures des contrastes, nous aurons à user maintenant de préférence du mot Equilibre pour exprimer la même idée. En traçant les cercles harmoniques, nous avions déjà dessiné d'avance les cycles dans lesquels toute forme parfaite trou- verait écrits les éléments de sa constitution. Les nombres qui correspondront aux subdivisions de la gamme en tons, en demi-tons et même en quarts de tons, vont être ceux des diverses parties d’une forme; et celle-ci deviendra de la sorte un champ composé de mélodies et d'accords. Formes naturelles. Dieu ne fixe pas seulement la forme propre à l'individualité; il trace aussi celle du groupe. Dans ce dernier cas, il fait fléchir la rigueur de la loi en vue d’une utilité plus générale. Un peuple aura plus d'indéterminé qu'un essaim d’abeilles; celui-ci qu’une autre société appelée arbre; l'arbre que le bloc minéral. Mais tout individu, cristal, feuille ou fleur, abeille, homme, toute unité de l’un de ces groupes restent soumis à une impé- rieuse nécessité de structure intime suivant les règles de l’har- monie ou de l'équilibre. Un exemple précisera le sens de ces observations, exemple qui demande préalablement la revue des cercles harmoniques sous une face nouvelle. Les nombres. On n’a pas oublié que nous avons limité à une première série de huit, en raison de leur utilité majeure et pour la commodité du raisonnement, le nombre des cercles harmo- niques. Dans chacun d'eux, les notes de la gamme occupent un certain mode de distances relatives. Elles exigent, pour être toutes casées sur les angles d’un seul polygone, que celui-ci ait : ES : A Dans le cercle de ut....... 24 angles. CLEE Série 27 ES PRE 30 à LE jé de HOME Age 32 de sol. L ER 36 de MEL FAR 40 de si-b.:5 04 42 de :Sk:se ds 4 45 RL 241 27 2 32 | 36 Lee 45 ports (rlor (ar er lente (erlet sont au reste les mêmes que ceux de la gamme : | PÉEERÈRES + 2 | 31418 Ainsi une gamme peut être exprimée par la angle énon- clation des nombres suivants : ut | ré a 0 | a. " si-b.| si 24 | 27 42 | 45 dont chacun renferme en M sous la forme de facteurs arithmétiqnes, par la quotité des angles, tous les polygones inscrits que comporte géométriquement le cercle harmonique de la note correspondante. Dans cet ordre de nombres, ut étant 24, 12 exprimera l’oc- tave au-dessous, 48 l’octave au-dessus, et ainsi de suite soit par la tonique, soit pour les autres notes de la gamme, et avec toutes les conséquences qui doivent être déduites de ce mode de langage. Il y a donc des nombres en quelque sorte privilégiés ainsi que leurs multiples et leurs sous-multiples : 24 et ses facteurs.... 12, 8, 6, 3, 2 et 1; DT RME LEE ADR 9, 3et 1; AD RNCS 15, 10, 5, 3, 2 et 1; D ie dut ROUTE 16, 8, 4, 2 et 1; 7 4 AC he Me 18, 12, 9, 6, 4, 3, 2et 1: A ÉNRR NR E 90, 40, 8/59 9"er 1: 7 0 AN AR EE 21, 14, 7, 3, 2 et 1; ee MOV. SOLE 15 9, 5, 3 et 1. ss Qt a D'autres apparaîtront aussi, mais seulement pour exprimer les demi-tons et plus rarement encore les quarts de tons. L'œil fixé sur le tableau des nombres privilégiés et sur leur jeu dans les cercles harmoniques, arrivons à l'exemple annoncé. Ossature humaine. Nous choisissons dans la forme qui nous est la plus familière la chose la plus connue, le squelette humain. Eh bien! la quantité des os, des dents et des ongles de l'homme va repré- senter exactement ce qui se passe, en nombres, dans les trois accords de la gamme fondamentale : 1° L'accord carré, ut, mi, sol, si-b.; 2° L'accord triangle, ut, fa, la; 3° Le même commençant par la grave : la, ut, fa. De plus, chacune des notes de ces accords résumera des nombres représentant eux-mêmes d’autres accords subor- . donnés. Comptons : Premier accord. Noms et nombres des os. Noms et nombres harmoniques. Vertèbres dorsales 12, lombaires 5, cervicales 7, ee se ve QE = Ù cc . 24 Crâne 8, sacrum et coccix 8, face 14. . . . . 30 — mi... 80 Côtes 24, épaules 4, bassin 2, bras etavant-bras 6, 36 — sol 36 >132 Carpe 16, métacarpe 10, les Lres et 2es phalanges des deïigts de chaque main, pouces non com- D AN TION 1, LUAQUE bb unes 49 Deuxième accord. ut déjà compté. Cuisses et jambes 6, rotules 2, tarse AU 7 07. is à oi 12, méta- 32 ss fa CLLELEE] 32 Les 1res et 2es phalanges des doigts des pieds 16, 72 les pouces des mains et des pieds 8, toutes les 3e phalanges 16. . . . . . . . . . . 40 — la .,..... 40 Troisième accord. Ongles des pieds et des mains 20. . . . . . 20 — la grave. 20 Le.) à 1. 0 u coup] 5? OR Total 256 Total 256 Ste Les nombres partiels dont l'addition vient de servir à com- poser successivement les groupes harmoniques du squelette humain, appartiennent tous au tableau des nombres que nous avons appelés privilégiés. Mais, dans près de moitié des cas, leur présence donnera lieu à l'apparition indirecte d’autres nombres auxquels il est donné de ne jouir de la même qualité qu'à un titre conditionnel. Ainsi, par exemple, dans le premier accord, à propos de la note ut 24, le chiffre partiel 12 (vertèbres dorsales) représentait 24 TZ Où ut grave. Il devenait, augmenté de 5 (vertèbres lombaires), 17; Il devenait, additionné avec 7 (vertèbres cervicales), 19. Or, 17et 19 sont ici les notes sol bémol et sol dièze, gravitant en sens inverse sur sol-18, deux chiffres dont la moyenne seule est normale. Mais cette moyenne eût eu pour effet de rompre l'unité du groupe au profit de deux parts égales, tandis qu’une paire de moitiés légèrement inégales, compléments l’une de l’autre, produisent un résultat contraire. La dissonance qui semble devoir être attachée à l'émission de ces deux demi-tons est effacée par leur dualité même. Aussi ce genre de groupe dans lequel peuvent apparaître des nombres comme 11 et 13, 13 et 17, 17 et 19, 19 et 23, 23 et 29, 29 et 31 et ainsi de suite, comporte-t-il toujours l'assemblage de deux chiffres, plus rarement de trois chiffres, les uns ou les autres également inséparables. Nous reviendrons ultérieurement sur cette cir- constance (1). Les observations qui viennent d'être faites ne sont pas les seules à tirer de l'exemple précédent. On a vu les nombres correspondant à trois des principaux accords harmoniques former un total général de 256, et le squelette humain se trouver de même composé de 256 pièces ou de 32 huitaines () Voyez ci-après les RaYTHMES. LEA d'os et d'ongles. Chez les animaux dotés, par exemple, de 27 vertèbres, comme l'ours, le lion et d’autres carnassiers, ou de 31 comme le cheval, la formule serait de 34, de 33 ou de 30 huitaines, selon le cas. Le principe ne varierait pas; les accords servant de base à l’organisation seraient seuls différents. Celui qui opérera ce genre d'investigations devra se rappeler : qu'une note étant représentée harmoniquement par les octaves, tout nombre, dans la nature, pourra être de même remplacé par un autre qui en serait le double ou la moitié. Il y aura donc des squelettes de 8, de 4, de 2 pièces, et même d’une seule. D'une espèce animale, végétale ou minérale, à une autre, la différence consistera souvent dans le simple fait de nombres doublés en certaines circonstances ou réduits de moitié. La règle est alors que l'importance relative de la partie modifiée diminue ou s’accroisse selon que le nombre des sub- divisions sera, au œontraire, plus grand ou plus petit. Parmi les animaux dont il vient d’être parlé, les carnassiers ont, de la tête au sacrum, 27 vertèbres. C’est, paraît-il, leur nombre caractéristique; c'est harmoniquement l’expression de ré. Mais quatre de ces vertèbres, les vertèbres dorsales à côtes flottantes, occupent une place qui, chez le cheval, animal d'une toute autre nature, aurait besoin d’une extension plus grande en raison des nécessités du volume de l'estomac. Dou- blez le nombre 4 et vous aurez 31 vertèbres au lieu de 27, le système vertébral du cheval au lieu de celui du lion et des carnassiers. Seulement 31 n'étant ici qu'une manifestation du nombre 27 doublé dans une de ses parties, les vertèbres du cheval seront moins fortes que celles du lion, proportion- nellement à l'accroissement numérique des ossements. Entre deux carnassiers, le lion et le chien, un caractère distinctif sera dans la différence du nombre des dents mache- lières, 6 à chaque branche de la mâchoire du chien, 3 seule- ment, ou moitié moins, de chaque côté de la mâchoire supé- rieure du lion, lequel est conséquemment doué sur ce point d'armes relativement plus robustes. M ne Le dauphin, autre carnivore, mais dépourvu de deux mem- bres sur quatre, doit à cette réduction de nombre la vigueur de ses deux bras qui lui servent de nageoires. Expression de la loi des contrastes, la rigoureuse exactitude des nombres privilégiés ne se dément jamais ni dans l’ordre de subdivision de l’unité, autrement de la gamme, ni dans la parité des unités ou des gammes, lors même qu'il doit y avoir avortement ou changement de disposition de quelques parties. Aïnsi l'homme a quatre membres qui, deux à deux, sont complètement symétriques. Mais les jambes auront besoin de rotules, pièces inutiles pour les bras, et le carpe de la main devra satisfaire à d’autres nécessités que le tarse du pied. Eh bien, le nombre des os etongles de chacun des quatre membres restera fixé néanmoins à 30, en dehors des épaules et du bassin; et pour que ce résultat soit accompli sans changer la parité numérique des bras et des jambes, le tarse n'aura que 7 os au lieu des 8 du carpe. Quant au huitième, faisant défaut au pied, il se trouvera employé à servir de rotule, et l’inté- gralité des nombres sera sauve. Nous venons de parler des épaules et du bassin. Les pre- mières ont chacune deux os; l’autre n'a qu'un os de chaque côté. C'est encore ici, dans un même individu, la répétition des exemples cités plus haut quant aux nombres doublés ou restreints à moitié, c'est-à-dire représentaut la même note dans deux octaves différentes. Le nombre des os des épaules humaines est double en fait de celui des os du bassin, il est, harmoniquement, le même. Cette circonstance dénote qu'il pourra exister des animaux ayant autant d'os au bassin qu'aux épaules, et effectivement il en est ainsi, sauf, bien entendu, la réserve toujours faite par la nature de tenir compte de cette augmentation de deux os sur un point pour en retrancher d’autres ailleurs, de manière à maintenir dans la proportion normale le chiffre total des ossements de la bête. Il pourrait, par exemple, arriver que chaque épaule ne se composât plus que d’un os au lieu de deux. PA 7 ge Plantes. — Chez les plantes, où les nombres privilégiés ne jouent pas un autre rôle que chez les animaux, les manifes- tations de la loi commune sont plus faciles à saisir quant à ce qui concerne l'individualité soit de la feuille, soit de la fleur, soit du fruit; elles échappent au contraire le plus souvent à l'observation pour tout ce qui tient à l’ensemble. La cause en est que la plante, étant destinée à être pâturée méme partielle- ment, a reçu, par compensation, la propriété de vivre quoique privée d’une grande partie de ses membres. Etre mutilée, c'est son état le plus habituel. Aussi la nature a-t-elle fait de cette circonstance même une loi secondaire donnant naissance à des formes spéciales, la loi des avortements. En revanche, l’individualité, dans la plante, est constituée selon les facteurs les plus simples : 1, 2, 3, 5, et selon ces nombres multipliés une ou plusieurs fois par 2. De là ces dénominations, adoptées par nos botanistes, de systèmes ter- naire ou quinaire et de leurs multiples, ou bien encore de système binaire provenant soit de lui-même ou du facteur 2, soit de ce nombre considéré comme octave de 1. Il y a des plantes qui, en naissant, se manifestent par deux cotylédons: elles se développent ensuite suivant le système quinaire : elles sont constituées conformément à la gamme de la qui renferme les facteurs 2 et 5 à l'exclusion du nombre 2. Il en est d’autres qui se développeront, au contraire, sous le régime de 3; elles seront en ré d'où tout autre facteur est exclu, et ne pourront avoir qu'un seul cotylédon. Quel que soit, du reste, celui des facteurs qui formera l’élé- ment du chant de la plante, le même nombre se manifestera fatalement dans toutes les parties. La feuille à 3 ou à 5 lobes annonce la fleur à 3 ou à 5 subdivisions jusque dans les moindres détails. Pour les plantes comme pour les animaux, le régime des nombres priviléziés subsiste dans la composition chimique elle-même. Cr — e. Re Etat moléculaire. — Les corps simples qui entrent dans la composition des plantes et des animaux, disent les chimistes, sont particulièrement l'hydrogène, le carbone, l'oxigène, l'azote, le soufre, le fer, le calcium, et le phosphore. Or, entre le premier de ces corps, l'hydrogène et les autres, l'équilibre pondéral des molécules ne s'établit pas dans une mesure arbi- traire; il a lieu, à une seule exception près dont la raison nous échappe, suivant les nombres privilégiés que l’on a vus inscrits précédemment chacun en son rang, qui se sont. manifestés jusque dans les détails de l'ossature humaine, et que l'on retrouvera dans ce tableau : Hydrogène -SASAPNENTR ENS 107 a NS = { molécule CAPE ANRT GE ANRT EMEENEE 6 1Oisenst : 5, : 2 4E 2 MEME RS 8 Mybte: IST SL USENET ENT CREER 14 DOUTE C0 3 CHAN RETIRE 16 Per. DL, CR A REC 28 dr CGalcitrée FREE 0 SRE SENTE 28 Phosphore (exception — fa-dièze de la gamme de sol —).....:.......... s) Sept de ces nombres sont à la fois et des multiples des fac- teurs 1, 2, 3, 5 ou 7 et des nombres entiers, c’est-à-dire tous en même temps, par rapport à la molécule d'hydrogène prise pour la tonique, des facteurs simples ou composés, propres à quelqu'une des notes de la gamme dans des octaves différentes. Le phosphore qui vient de faire exception dans le tableau précédent, et tous les corps que la science désigne aujourd’hui sous le nom de corps simples, devraient se trouver de même en rapports harmoniques les uns avec les autres; mais, d'une part, le calcul d’un équivalent chimique, ou poids relatif d’une molécule, est encore sujet à erreur; et, d'autre part, le chimiste ne voit que par des raisonnements et des expériences la nature intime de la matière étudiée. Néanmoins le groupe actuel des corps présumés simples a présenté déjà, au point de vue des ET ge équivalents chimiques, un ensemble considérable de rapports harmoniques. S1, l'état respectif des molécules échappant à l’action directe de nos sens par leur ténuité, nous cherchons au contraire à porter nos investigations sur un monde analogue, celui des astres, ces derniers, d'abord visibles, se dérobent encore à nous, mais par leur extrême grandeur. Comment donc en définitive et à quelles distances relatives les molécules d'un corps gravitent-elles entre elles ? L'un des documents que l'on possède à cet égard est Le rapport numérique qui existe dans notre système planétaire : De Mercure au Soleil d'une part; De Mercure.à chacune des planètes d'autre part. Ce rapport, d’après les données astronomiques, pourrait être . ainsi représenté sommairement : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Cérès...., Jupiter, Saturne, Uranus... 0, 3, BIS - SL 48, 96, 192... Quant à la distance de Mercure au Soleil, elle est, dans cet ordre de choses, représentée par 4. Or, en plaçant l'unité sur Mercure, et sans altérer les rap- ports des distances entre elles, on transformera ainsi cette série : Soleil, Mercure, Vénus, Terre, Mars, Cérès.., Jupiter, Saturne, Uranus... 4 | | - Ë 2, 4, 8, 16, 92, 64, 198... Ce que, dans la langue des sons, il faudrait écrire ainsi : Soleil, Mercure, Vénus, Terre, Mars, Cérès.., Jupiter, Saturne, Uranus... fa—3, ut, us, Se US 0 OI: ul6, ul7, us... Là s'est à peu près bornée l'indication de la série harmonique signalée par les astronomes. La planète Neptune, récemment découverte, est venu rompre cette régularité en se plaçant, par rapport à Uranus, dans la position de ut: du mode mi. Or, si petite que soit dans le monde supérieur la partie occupée par notre système solaire, elle présenterait, au point de vuëé moléculaire, plusieurs incidents de nature à en com- pliquer l'examen dans une analyse chimique, si elle était possible, Ce serait notamment : M ot L'immensité de la molécule Soleil par rapport au volume des planètes qui lui sont liées suivant.des formules harmoniques très simples, et que l'on ne saurait voir coexister sans lui : L'état des planètes dotées de satellites; Celui de fractionnement de la planète à laquelle appartien- drait Cérès ; Les aérolithes ; La différence des poids spécifiques dans ces astres. D'autres circonstances encore rendraient indécise la déter- mination de la base atomique présentée par un pareil système. On pourrait être conduit soit à ne tenir compte que du Soleil seul, à cause de son action prépondérante, soit à le réunir aveuglément à ses planètes avec leurs satellites, ce qui consti- tuerait alors un groupe et non plus l'unité moléculaire, soit enfin à prendre le poids du système entier avec ses bolides et les autres éléments plus ou moins connus qui constituent l’ensemble. L'analyse aurait peine à dégager la molécule de ce milieu essentiellement complexe. Au reste, simples ou non, les corps sont assujétis à se com- porter les uns avec les autres, en toutes circonstances, suivant des règles fixes. Lorsque des gaz se combinent, le volume résultant sera toujours, ou égal à la somme des parties composantes, ou réduit dans une proportion rigoureusement harmonique. | Lorsqu'il est donné à un corps simple de pouvoir s'unir à un autre dans plusieurs proportions, les combinaisons s’opé- reront, du premier au second, suivant les rapports : - 3 Lie l ut, sol =, utr ?, sol? —>, si-b.a —-, uts 4, etc, Un des éxemples les plus complets trüe fournisse actuelle- ment l'état de la science, quant aux accords devant résulter des combinaisons chimiques, se voit dans ceux de l’oxigène et du soufre. 200 molécules d’oxigène avec autant de molécules de soufre, ES : 009 — c'est le rapport exprimé par le nombre { ; c'est, dans la gamme, 9 le caractère de la tonique. Le chiffre T représenterait la même tonique à une octave plus haut, circonstance à laquelle corres- pondrait la combinaison d’une quantité d’oxigène double de celle des 200 molécules de soufre. Le premier de ces composés porte le nom d'acide hyposulfureux, le second celui d'acide sulfureux. Ils sont à l'octave l’un de l’autre. Or, il existe d'autres combinaisons encore de l’oxigène avec le soufre. Les unes et les autres, au nombre de 6, vont être exposées dans le tableau suivant, avec leurs noms actuels, et chacun en regard de la note musicale qui lui est numériquement identique : L ut 1,.... Acide hyposulfurcux (soufre 1, oxigène 1) ET il ce : ere 5 10 CÉCE Id. tétrathionique PSS ARC EP CEe 5 Fe la. .... Id. trithionique (......3,.......5)=.... = 2 - :- Id. sulfureux AUS ARR EEE Ma... Id. dithionique LÉ CUT cer 3 s 3 ‘ sobs——...... Id. sulfurique (ieesrbintinee dE Ajoutons, comme particularité, que l’un des cas de combi- naison de l’oxigène avec le soufre donnant naissance à un composé caractérisé, de même que l'acide hyposulfureux, par le rapport mais qui ne se conserve pas, et auquel a été donné le nom de penta-thionique, celui-ci se transformant de lui-même, reproduit successivement les cinq autres cas de la série. Il agit d’une manière qui rappelle la tonique suivie de ses harmoniques sur le monocorde. Ut, ini, la, dans le ton grave, puis wl:, is, sol2, tels sont donc, du moins jusqu'à ce jour, les accords connus , le chant de l’oxigène et du soufre. La seule vue de ce tableau indique les lacunes à remplir encore. . Va. ON à nr Le La science, fournit enfin, relativement à deux corps, l'azote et l'oxigène, une série de combinaisons présentant des rapports rigoureusement identiques à ceux des sons harmoniques du monocorde : 1 à 12e ul, Fpn Protoxide d'azote {azote 1, oxigène 1) = 20 5 À 3 mis, DT : Acide.azotique (2,511 Si Reise Il LA L — =] 1 UE - 2 us, +: Bioxide d'azote (CR ÉTANNE ATS = =? 3 : 3 sols, © ou — : Acide azoteur ( FL L'estes SE VE 4 - ; 4 ubs, TE Acide hypoazotique ({..... re PA 85 or TR = 4 > 1 Polyèdres. — On sent déjà, par ce qui précède, comment le principe de toute forme est dans l'équilibre parfait des parties qui la composent, et comment cet équilibre est représenté numériquement par des combinaisons variées des facteurs RASE D Met Au simple point de vue de l’abstraction, les formes pourraient se réduire à un petit nombre, à la sphère et aux cinq polyèdres réguliers que celle-ci peut circonserire et qui sont les suivants : Le tétraèdre, où 4 points sont en équilibre entre eux et autour d'un centre. Il a 4 angles solides formés chacun de 3 angles plans, 4 faces terminées de même chacune par ces derniers, enfin 12 angles plans. C’est l'emploi des facteurs 2, 2 et 3. L'hexaèdre, ou cube : 8 angles solides formés chacun par 3 angles plans; 6 faces carrées ; 24 angles plans. C'est l'emploi : des facteurs 2, 2, 2 et 3. L'octaèdre : 6 angles solides formés chacun par 4 angles plans; 8 faces triangulaires; 24 angles plans. C'est l'emploi dans un autre ordre, des facteurs de l’hexaèdre. Le dodécaèdre : 20 angles solides formés chacun par 3 angles plans ; 12 faces pentagonales: 60 angles plans. C’est l'emploi des facteurs 2, 2, 3 et 5. L'icosaèdre : 1? angles solides formés chacun par 5 angles | — T1 — plans ; 20 faces triangulaires; 60 angles plans. C'est l'emploi, daus un autre ordre, des facteurs du dodécaèdre. Mais la nature, pour multiplier indéfiniment le nombre des formes vivantes, ne se borne pas à l'emploi de la sphère et des polyèdres. Angles et courbes. — En principe, la nature affectera aux liquides la forme globulaire et les courbes suivant lesquelles celle-ci peut se développer; aux solides, la forme polyédrique; aux solides imprégnés de liquides en mouvement, des formes d'autant plus arrondies que la proportion du mouvement et du liquide sera plus considérable : la courbe sera l'expression sommaire du mouvement, l'angle celui de la stabilité relative. Symétrie naturelle. — Un autre caractère venant s'ajouter aux deux précédents exprimera la vie dans une forme. C'est la symétrie : deux moitiés d'un même tout en parfait contraste quant à chacune de leurs parties, disposition analogue à ce qui résulte de la vue d’un objet et de son image reproduite dans une glace. En effet, de même que dans l’ordre de filiation des êtres chacun doit naître d'un père et d’une mère, de même aussi chacun portera en soi ce principe de dualité qui répond à la nécessité des deux sexes. Il y aura dans chaque individu deux images et deux pôles opposés. Le cercle, le triangle, le pentagone, les sphéroïdes, les polyèdres, toutes masses ou toutes surfaces, dérivant des uns et des autres, resteront des formes inertes en tant que l’on n'y distinguera pas les carac- tères d’une division symétrique possible. Mais celle-ci peut subsister même lorsque l'extrême fluidité du corps vivant aura nécessité l'enveloppe sphéroïdale en apparence la plus complète, comme pour l'œuf et pour certaines graines. - Ilest des corps en qui la vie ne peut être que soupconnée, comme le globule d'eau; il en est d’autres, comme les cristaux de la glace qui, se formant d'abord en aiguilles par l'addition successive d’une infinité d'éléments dans le même sens, et soumis au régime combiné des facteurs ? et 3, produisent une variété considérable de figures hexagonales où tantôt le péri- DE mètre, tantôt les axes de la figure, avortent, mais où persiste toujours une symétrie irréprochable. Goutte de rosée ou flocon de neige, la matière composante est la même; mais il y a là deux formes différentes et deux êtres distincts ayant chacun ses garanties de conservation. Le flocon de neige vivait au milieu de circonstances de température variables dans certaines limites, mais avec sa chaleur propre et, relativement, cons- tante. Pour qu'il saccombe, ou simplement pour que son eau passe de l’état solide à l’état liquide, il faudra que celle-ci recouvre d'abord 80 degrés de chaleur dont l'absence était nécessaire à la condition intime du cristal de glace et ne se manifestait en rien au dehors. De même, lorsque dans des circonstances thermométriques varïrables de 0 à 100 degrés, un globule d’eau liquide se sera formé, il jouira aussi d’une température propre et de condi- tions particulières de conservation ; il ne succombera plus qu'à un excès de Chaleur ou de froid dépassant de beaucoup les limites auxquelles commencent la vaporisation ou la con- gélation. C'est l'indice de la vie; c’est donc un motif de pré- somption de l’état de symétrie dans le g2lobule. On ne devra plus s'étonner d’y rencontrer la manifestation de deux pôles opposés, et leurs conséquences. Les êtres doués de vie remplissent le monde; la symétrie est donc, proportionnellement, ce qui frappe le plus souvent les yeux. L'esprit la cherche, la voit, la conçoit partout. I] l'a retrouvée dans le corps solide, aux parties intégrantes assujéties à cristalliser suivant des types, et dont la forme est circonscrite par des plans, des lignes droites et des angles. Cet être multiple, privé de la faculté de locomotion, a cependant un mouvement de croissance d’où résulte la formation d'un groupe. Nonobstant les avortements qui interrompent alors à chaque pas le comptage de ses angles et la longueur de ses voies rectilignes, l'accroissement s'opère, au fond, suivant le principe de la symétrie. Corps solide et liquide à la fois. la plante doit à la première M, de ces circonstances la rigidité de ses membres, à la seconde un mouvement de croissance circulaire, le tracé d’une hélice autour d'un axe. De même que la feuille, la fleur et le fruit se développent symétriquement, de même l'élément de la croissance, ce que les botanisles appellent la spire, est com- posé de deux courants contigus et symétriques desquels naîtra le bouton. It y aura ?, ou 3, ou 4, ou 5 boutons également répartis sur un Cycle; peut-être faudra-t-il ? cycles, 3 cycles mêmes pour produire ces nombres ou leurs dupliques; peut- être les courants, après avoir eu lieu vers la droite se conti- nueront-ils dans le même sens, ou seront-ils rejetés sur la gauche par un obstacle naturel, puis de la gauche vers la droite pour recommencer indéfiniment cette succession de changements; peut-être l'axe de la tige sera-t-il fictif et le support réduit à un tube enveloppant les spires. Aucune com- binaison, quelque variée qu'elle soit par ses courbures, ses déviations et ses avortements, ne pourra, dans ses variétés, se produire sans la symétrie, source inévitable de l'enfantement successif des feuilles, des fleurs et des rameaux. Comme le corps de la plante, celui de l'animal affecte les formes les plus arrondies pour ses parties les plus liquides, et un sentiment prononcé de lignes droites pour sa charpente solide. Cette dernière étant destinée elle-même à être inté- rieurement parcourue par des fluides, conserve toujours un extérieur dessiné par des courbures plus ou moins parfaites selon la plus ou moins grande proportion de la liqueur con- tenue. Puis, pour les nécessités de la locomotion, cette char- _ pente est subdivisée en pièces distinctes, quoiqu'ajustées entre elles, et terminées par des têtes arrondies lorsqu'un besoin de mouvement exige cette disposition. Tantôt, comme chez l'homme, la charpente osseuse, à l'exception des ongles, sera intérieure; tantôt, comme chez certains insectes, elle formera une coque extérieure : dans aucune de ces circonstances le principe de la symétrie ne se dément. Il existe dans la vertèbre. laquelle est susceptible d'être considérée comme le résultat de NM Se deux moitiés d’un même os; il existe encore entre l'os d'un membre droit et celui d'un membre gauche, quoique l’un et l’autre soient distincts et séparés. Le même ordre de choses règne dans toutes les autres régions du corps, de telle sorte qu'il n’y ait nulle part, nonobstant les complications de l’or- ganisation, la moindre partie qui soit privée de son complé- ment symétrique. De cette dualité de l'animal ressort la faculté donnée à l'individu, dans certaines espèces, d'être à la fois mâle et femelle, de pouvoir même remplir seul, en vue de nécessités exceptionnelles, le double rôle de père et de mère. Attitude. — Constitué selon le système symétrique, l'animal ue se montre presque jamais néanmoins dans la position qui . répondrait géométriquement à cette forme. Car il faudrait. pour qu'il en fût ainsi, que la droite et la gauche eussent à obéir simultanément à la double sollicitation d'objets extérieurs disposés eux-mêmes symétriquement entre eux par rapport à l'animal. Mais toutes les fois qu'un mouvement doit s’opérer dans l’une des moitiés du Corps, il s’en manifeste un second, dans le même instant, de l’autre côté, ayant pour but de réta- blir l'équilibre de position ou d'effort de la masse. C'est une sorte de symétrie de l’action à laquelle l'ensemble du corps prend part lorsque cela est nécessaire. La droite peut avoir une autre occupation momentanée que la gauche ; alors chaque moitié se dispose pour faire équilibre à l’autre, sans qu'il y ait symétrie de figure, mais sans qu'il cesse d'y avoir contre-poids. L'attitude générale que prend le corps en vue d’une action a recu des statuaires le nom de mouvement. Comme le mouve- ment varie sans cesse dans l'animal, l’ensemble de sa forme se présente constamment aussi sous un aspect différent. Destination. — Dans son attitude la plus habituelle, comme dans ses moindres actions, chaque animal trahit le rôle auquel Dieu l’a destiné, et pour lequel il a recu une organisation spéciale. Il n’est aucun être qui n'ait été plus perfectionné que tous les autres sous un rapport. Depuis l’homme jusqu'au ver de terre et jusqu'à d’autres animaux presque privés de la faculté ed ÿ (5 de locomotion, la complication dans les organes et dans Ja charpente diminue de plus en plus; mais il n'en est pas de même quant à la perfection des instruments propres à l'ac- complissement de la destination première. L'homme, avec sa machine compliquée, n'a pas la perfection de l'oiseau pour voler dans les airs, du poisson pour aller sous l’eau, de la sauterelle pour s’'élancer, du ver pour s'enfoncer sous terre. Autant d'êtres, autant de destinations ; autant de destinations, autant de formes parfaites. Chaque être a son privilége exprimé par des formules qui le font distinguer de son plus proche voisin comme un nombre diffère d'un autre. . Art de la forme. L'art de la forme veut donc de même : Que la destination de l'objet soit fixée ; Et que la constitution de cet objet résulte, dans toutes ses parties, de la destination, afin que celle-ci soit intelligible pour l'esprit. L'esprit reconnait une production, et non un débris, si dans l'attitude, qui peut varier, il voit l’invariable symétrie de la constitution. I] distingue en celle-ci la nature plus ou moins fluide, plus ou moins solide, de chaque partie, aux courbures qui expriment le premier état, aux plans et aux angles qui expriment le second. Ces mêmes dispositions nées de l'élément soit curviligne, soit rectiligne, lui montrent encore ce qui est propre au mou- vement et ce qui est le signe de la stabilité relative. {1 cherche dans les fractionnements d'unité de la ligne, de la surface, de la masse, les nombres qui lui sont le plus fami- liers : { et 3 plus souvent que 5, 5 que 7; ou leurs dupliques lesquels sont 2, 4, 6, 8, 10, 12... et saisit les contrastes des uns avec les autres. | Quant aux diverses parties de l'individu, considérées cha- cune comme unité, l'esprit ne les comprend, et la nature ne Er les lui présente que constituées les unes par rapport aux autres suivant un langage connu, celui de l'harmonie. Le groupe des unités de même nature n'est pas nécessaire- ment constitué selon les accords de l'harmonie; il l’est toujours conformément à ceux de la mélodie. Il ne peut y avoir groupe entre des unités de formes diffé- rentes, comme entre les feuilles, les fleurs et les fruits d'un même arbre, qu'autant que les unes et les autres ont des élé- ments numériques communs. Il y a groupe entre des choses en apparence différentes lorsqu'elles sont reliées par le même principe générateur. L'art pratique, après avoir conçu une forme suivant sa des- tination, en fait ressortir l’ensemble et les diverses parties au moyen des contrastes suivants : Le grand par rapport au petit; La simplicité d'une surface à côté de la multiplicité des détails : Les dispositions angulaires, planes ou rectilignes, par Oppo” sition aux courbures : Les saillants et les rentrants: L'aigu et l'obtus. Il fractionne la partie conformément aux nombres qui servent de facteurs dans les rapports harmoniques ; Il compose l’ensemble de parties constituées, les unes rela- tivement aux autres, selon ces rapports harmoniques dont on a vu que les éléments sont eux-mêmes des formules de contraste. WE. LES RHYTHMES. Un rhythme est la production successive des unités d'une même chose par temps égaux. Il y avait égalité de durée dans chacune des vibrations qui faisaient naître soit un son, soit une couleur; elle subsistera daris toutes les oscillations d'un corps en liberté. Il y aura égalité de durée dans chacun des mouvements successifs d'une masse sidérale; ce sera le rhythme de l'astre. L'animal sentira les pulsations de ses artères se succéder par efforts et par temps égaux. La marche, la course, la nage, le rampement, le vol, la parole, le chant, le rire, le frémisse- ment, toute action de l'animal sera rhythmée. On peut accélérer ou ralentir la vitesse de ses pas. Leur durée de temps sera différente dans chacune de ces deux cir- constances ; mais. dans l’une ou dans l’autre, on marchera en mesure. Si l'on veut faire, exceptionnellement, des pas inégaux en durée, il faudra, pour chaque inégalité, emplover le même effort de volonté que pour changer l'allure générale. Et alors, à moins d’une infirmité qui prive de leur liberté les mouve- ments de l'animal, le changement de vitesse n'occasionnera qu'une modification du même rhythme, conformément à une loi qui nous est déjà connue, la loi générale des nombres privilégiés. En effet, dans la nature, l'unité du rhythme aura pour multiples ou sous-multiples : le plus souvent 2, — c'est le principe des oscillations et de la symétrie, — 3 pluidt que 5, 5 que 7; puis les dupliques de 2 et de3; mais non des nombres quelconques. C'est sur l’irrésistible autorité de ce principe que se trouve fondé l’art du rhythme, particulièrement pour la musique, la danse et la poésie. PR Rhythme dans la musique. L'émission de la phrase musicale se fait pendant une cer- taine durée que le praticien divise en mesures d'égales lon- gueurs. Chaque mesure est divisible elle-même en ce que l’on appelle des temps. Il y a des mesures de ? ou de 3 temps et des dupliques de ces deux nombres. Elles sont alors binaires, tertiaires, quaternaires...…. | Simultanément avec la marche et les cadences du rhythme, les notes musicales se produisent successivement, mais chacune avec sa durée propre, laquelle, loin d’être toujours celle d’une mesure où d'un temps, représente au contraire le plus souvent une somme très variable de fractions prélevées sur un ou sur plusieurs temps. Ce fractionnement des temps ne s'opère pas d’une manière arbitraire. Il est, au contraire, constamment le résultat d'une répartition suivant les nombres 2, 4, 8, 16...., à laquelle se trouve également subordonnée la liberté-des notes. Ainsi, dans le langage des praticiens, l'unité de note aura pour signe une ronde. Der. ‘ Celle-ci vaudra 2 blanches, où 4 noires, où S'eroches, où 16 doubles-croches..……. arr Chacune de ces valeurs peut être remplacée par un repos, ou interruption équivalente en durée de temps. Les contrastes dans le rhythme d’un chant résulteront done, d’une part, de l'uniformité invariable de la cadence, et, d'autre part, de la variété de durée des notes. Is résulteront encore des diversités de longueur de ces notes, Et enfin de l’alternance des notes et des repos. La continuité d'un son rhythmé, sans l'intervention des contrastes, ferait naître l’indifférenée, 1e sommeil ou même la torpeur. Per: en jury LOL Le De, Rhythme de la danse. A tous les animaux il a été donné un besoin d'exercer jour nellement la machine entière de leur corps. Pour le plus grand nombre; dont l'organisation est très simple, les mouvements les plus habituels suffisent. Il n’en est pas de même dès que la complication du corps devient plus grande. L'homme, pour sa part, a reçu la faculté de danser. La provocation à la danse se fait naturellement d'une moitié symétrique du corps à l’autre. Aussi. en toute circonstanee, le rhythme de la danse a-t-1l au fond pour principe le régime du nombre 2. - Quand l’homme danse, tout, en lui, se met au même rhythme. Les appétits de musique s’éveillent et s'accommodent de suite au mouvement qui devient un sous les deux rapports. La musique, en accentuant le rhythme, peut alors dominer l’action, la diriger et la soutenir au delà même des forces ordinaires de l'individu. I y a donc de la musique spécialement propre à la danse et dont la mesure est essentiellement binaire. Elle conserve cette qualité, au point de vue de là danse, quelle que soit la déno- mination que lui donnent les praticiens, et même lorsqu'il s’agit de-la mesure dite à 3 temps, deux mesures successives de ce genre formant toujours par leur accouplement un véritable rhythme à 2 temps. Le point de départ étant le jeu des deux parties symétriques du corps, le chorégraphe a toujours pour objet, dans ses tracés de mouvements, une répartition égale de l’action entre la droite et la gauche. De là cette affectation de symétrie des figures où se produisent les contrastes de la danse. Ces contrastes naissent de la diversité de direction des mou- vements, de leur amplitude plus ou moins grande, plus ou moins vive, de l'intervention des repos et de la variété des figures même qui se succèdent. Dans certaines danses, comme la valse, le rhythme semble Le 2e régner seul. Mais en cette circonstance, par compensation, la plus grande variété pratique subsiste dans le détail même du pas. Celui-ci, divisé en trois mouvements, fournit alternati- vement deux parts, puis une seule, à chaque pied. Conformément à une règle déjà connue (‘), les danses qui devront être composées de parcours limités affecteront la forme rectangulaire et les angles. Au contraire, le cercle et les courbes paraîtront seuls dans les figures de danses continues, ou n’avent qu'une limite facultative. Rhythme dans la poésie. L'art du rhythme, dans la poésie, assigne une longueur au vers, et le règle conformément aux nombres 2, 3, 5, 7, ou à deux dupliques de ? qui sont 4 et 8, à deux dupliques de 3 qui sont 6 et 12, enfin à un duplique de 5 qui est 10. Il peut donc y avoir des vers de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10 et 12 temps. Dans les poésies anciennes, chacun de ces temps était composé ou d'une syllabe appelée longue, ou de deux brèves, ou dans cer- tains cas d’une seule brève. Il ne consiste plus, chez nous, qu'en une syllabe, longue ou brève par elle-même, et qui, dans le vers, est toujours admise comme ayant la valeur d’une unité. Tout poème qui est destiné à être chanté et, disons-le, dansé, prend nécessairement cette dernière allure. Il doit alors se composer de vers rhythmés comme les mou- vements de la danse. Quoiqu'un poème ait rarement cette destination , elle semble avoir motivé le genre de construction de tous nos vers modernes à l'exception de ceux qui sont à D ou à 7 temps. Elle a certainement dicté la forme du vers que nos poètes réservent cependant pour les sujets les plus graves, le vers à 12 syllabes. Il a été divisé en deux hémistiches égaux terminés chacun par un mot entier à la suite duquel on doit marquer un repos. Or, sous le rapport du rhythme, il résulte e———— = Re qe {!) Voir les contrastes de la forme, dt d’abord de cette combinaison que notre grand vers composé de 12 syllabes étant simplement et sans autre préparation opportune, le produit des nombres 2? et 3, demeure, contre l'intention du poète, un guide également acceptable pour les danses soit à 2, soit à 3 temps. Il résulte encore de cette dispo- sition par hémistiches que, dans chacun de nos grands vers, il y en a réellement deux, parfaitement complets l’un et l’autre, et qu'ainsi l'unité manque. Le vers à 12 temps des anciens n'avait pas ces inconvénients; car le point de repos, au lieu d’être marqué entre le 6° et le 7° temps, c'est-à-dire, au milieu de la marche, se trouvait entre le 5° et le 6°. Le vers était ainsi divisé en deux périodes inégales l'une de 5 et l’autre de 7 temps. C’est, nous le rappellerons, le système rationnel de partage de l'unité par rapport au nombre 12. C'était le mode de subdivision des vertèbres dorsales hu- maines :-5 à côtes flottantes, 7 à côtes fixes; c'était de même le rapport des vertèbres lombaires avec celui des cervicales. C’est enfin la loi suivant laquelle est partagée la gamme musicale : 2 tons ut, ré, puis un demi-ton mi, ou cinq demi-tons pour la première partie ; ensuite 3 tons f&, sol, la et un demi-ton, ou sept demi-tons pour la deuxième. En d’autres termes, l’hera- mètre des anciens, composé de 6 couples de temps appelés * mesures, avait son repos au milieu même de la 3°, laquelle ne: pouvant rester inachevée appelait son autre moitié et, par elle, la continuation du vers. L’hexamètre jouissait de la sorte des avantages d’un rhythme très riche, combinaison des facteurs 2, 2 et 3; puis de l’unité résultant de la non-parité de ces deux parties composantes : les nombres 5 et 7. Le même point de partage existait dans un autre vers à 12 {emps composés alter- nativement d’une brève et d’une longue et que l’on appelait iambe. Rien n’empêchait nos poètes modernes d'employer le même procédé pour donner l'unité à leur grand vers, et le dégager, lorsqu'il y avait lieu, d’un caractère de danse trop prononcé ou inopportun. 6 Re Re La règle devrait être alors : c De couper selon 5 et 7 le vers de 12 syllabes; — selon 4 et 6 le vers de 10 — —— selon 3 et 5 le versde 8 — — selon 3 et 4 le vers de 7 — — selon 2 et 3 le vers de 5 — Les repos, dans la diction d’un poème, ne sont pas seulement ceux que comporte la facture du vers; ils se reproduisent encore partout où il y a fin de phrase, partout où il y a un point, une virgule, partout même où il y a quelque chose à marquer. Mais, en allongeant le temps de la diction du vers, le repos ne doit jamais altérer la marche du rhythme. Un repos vaudra soit un temps, soit plus, soit une fraction de temps. Dans le dernier cas, ce sera en agissant sur la syllabe voisine laquelle devra s’allonger ou se raccourcir, de telle sorte que le compte total de l’un et de l’autre n’amène aucune perturbation dans la cadence. En effet, dans toute poésie, et dans la nôtre particulièrement, où les brèves comptent pour un temps comme les longues, l'in- tervention de certains repos serait un obstacle à la marche du rhythme, si la durée assignée par l'usage soit aux brèves, soit aux longues, était géométriquement déterminée. Mais celle-ci n'est que relative, et les syllabes conservent toujours une élasticité qui permet de les accommoder avec l'étendue des repos. | La seule différence de rhythme qui existe dans la diction du vers ou dans le chant, c'est que ce dernier exige un comptage réglé d'avance comme s’il s'agissait d'une condition chorégra- phique, et que le premier cas reste subordonné à l'intérêt du sens du poème. Constitué comme on vient de le voir, l’hexamètre des anciens portait en lui-même son commencement et sa fin, et pouvait se reposer dans son unité sans appeler une continuation du poème. Des lors la nature du sujet traité par le poète appelait seul le vers suivant. On avait imaginé, par l'invention du Te UE distique, de grouper le vers hexamètre et un autre que l'on nomma pentamèlre, mais qui, sinon par son nombre de 5 pieds ou de 10 temps, du moins par le mode de la diction, resta l'équivalent du premier sous le rapport de la mesure générale. En effet, après un premier hémistiche composé de 5 temps, apparaît, dans le vers, un repos obligatoire d'un temps avant que l'on doive poursuivre la diction du second hémistiche. Quant à la terminaison de ce dernier, il était si nécessaire d'y marquer un deuxième repos, que des Latins se firent une règle de clore invariablement la phrase avec le distique. En résumé, le distique est un couple formé de deux vers différents de lon- gueur quant au texte, égaux quant à la durée de la pronon- ciation, et dont le second, en opposition avec le principe d'unité du premier, acquiert, par ses deux hémistiches, le caractère de dualité propre à la danse. Au moyen du jeu de la rime, nos poètes ont accouplé de même leurs vers 1 à 1, puis, par une succession périodique des terminaisons masculines et féminines, ? à 2. Tout poème français devint ainsi quaternaire à peu d’exceptions près. La rime était une nécessité, dans les vers à hémistiches, pour y faire distinguer nettement la fin du milieu. Elle servit, en outre, à empêcher la confusion entre eux des vers les plus courts. Mais elle eut surtout pour résultat d'étendre le senti- ment de l’action rhythmique sur 4 vers à La fois, chacun de ceux-ci appelant les trois autres. Nous avons parlé d’exceptions à ce système. Elles consistent en ce que, notamment pour les besoins du chant, le poème peut être composé de groupes à 5, ou à 6, ou à 7 vers, nombres qui ne sont pas quaternaires. Dans ces divers cas, l’une des deux espèces de rime se reproduira dans 3 vers au lieu de 2 Moyen accessoire dans la poésie, la rime jouit néanmoins parmi nous d'une telle faveur que le public en fait volontiers le caractère spécial du vers. Le rhythme de la poésie n'est pas, en effet, un privilége exclusif pour elle. De même que la phrase du vers, celle de la prose a besoin aussi d'être dite suivant SE RES certaines quantités de temps; elle a ses mesures. Quand une prose est bien faite, elle présente comme une série de vers courts, non rimés, constamment variés dans le nombre et la nature des syllabes. De plus, en raison de l’élasticité de ces dernières et d’une liberté plus grande encore dans la durée des repos, la diction de la prose peut et devra ne jamais s'écarter des règles du rhythme. De tout ce qui précède, il résulte que la seule variété dont soit susceptible l'ensemble rhythmique d'un poème consiste, en premier lieu, dans certains groupements des vers pour les besoins du chant et de la danse; en second lieu, dans le système binaire du distique et le système quaternaire de la rime. Il résulte encore que les éléments du contraste résident dans l'organisation du vers lui-même quant au rhythme. Le vers porte, dans sa composition intime, l'effet simultané de quatre nombres différents combinés différemment deux à deux : Deux d’abord qui, par leur addition, formeront un nombre total égal à celui des temps, — c'est le principe de la césure ou repos — (ainsi dans l'hexamètre, la première partie de 5 temps et la seconde de 7, en tout un total de 12); : Deux autres qui, par leur multiplication mutuelle, donneront le même résultat, — c'est le principe de la mesure — (ainsi dans le même hexamètre, 6 mesures de 2 temps chacune font un produit de 12 temps). Les premiers, comme les derniers, seront exclusivement quelques-uns de ces chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7. Le principe comporte néanmoins deux observations : l’une, que pour les vers ayant moins de 4 temps, le plus petit des quatre nombres nécessaires pourra figurer alternativement et comme facteur et comme partie à additionner; l’autre que dans le cas d’un vers à un nombre de temps impair, les deux facteurs seront et ce même nombre et l’unité : 7et1, 5etf, 3 et 1. Le vers à quatre temps tient de l'une et de l’autre circonstances. Il résulte enfin que le rhythme de la poésie rencontre con- EE tinuellement, comme occasions de contraste, non-seulement les repos de la césure et de la fin du vers, mais encore ceux qu'exige l’accentuation du sens du sujet. VI L'ESPRIT ET LES LOIS HARMONIQUES. Ainsi donc le monde est en mouvement suivant un nombre déterminé d'espèces primitives de rhythmes. Entre les rhythmes divers, et dans la marche elle-même d'un rhythme quelconque, se montrent ou peuvent se montrer des contrastes. Les contrastes se manifestent suivant des apparences essen- tiellement dissemblables, mais conformément à un nombre très limité de rapports fixes, partout les mêmes, qui ont été vus précédemment, et qui sont la langue commune entre les choses, entre celles-ci et l'imagination. C’est le passeport des sensations qui parlent dans cette arène; ce sera celui des actes qu'émettra l'esprit à son tour. Rhythme et uniformité, contraste et attention, en somme : deux modes universels de relations réciproques du dehors et du for intérieur, l’un disposé pour recevoir par les organes communication de tout ce qui l'intéresse, l’autre auquel doit retourner une réaction de tout ce qui a été communiqué; le _monde et l'esprit sont deux moules réciproques se contrôlant et s'affirmant sans cesse l'un l'autre. Lorsque l'homme voudra faire œuvre d'art, il aura pour point de départ son propre esprit, pour but l'imagination ou les imaginations auxquelles il s'’adressera, pour moyen les procédés du rhythme et du contraste. Il agira réellement avec des idées sur des idées. Sa préoccupation principale doit donc être de bien connaître le régime suivant lequel celles-ci naissent les unes des autres, se lient èt se développent. AGGEE Transmission des idées par le rhythme. Ainsi que nous l'avons déjà dit précédemment, toute chose. qui vibre ayant la propriété de propager dans les autres ses vibrations, un rhythme, une fois formé et qui aura pu atteindre un organe propre à le percevoir, arrivera, par ce passage spé- cial, au siége de l'imagination où il renforcera les mouvements oscillatoires antérieurs de même nature et non encore apaisés. S'il n'est pas trahi par des contrastes, il agira dans l’imagi- nation sans éveiller l'esprit. Toutes les idées dans lesquelles l’action du rhythme aura pénétré s’animeront au même mo- ment par cet élément commun, chacune suivant son état de force, et elles réagiront sur le corps, lequel traduira irrésisti- blement par des signes extérieurs l'impression recue. Ces signes étant encore des mouvements vibratoires auront à leur tour la propriété de se propager au dehors. C’est ainsi que l'on verra se transmettre, d'un visage humain à un autre, à mille autres même, les rhythmes du rire, des pleurs, de la peur, de la colère, de la pitié, de l'envie, du regret, de l'enthousiasme. Le chant fera chanter, la danse danser, la fièvre trembler. La vue d'une attaque d’épilepsie rendra peut-être épileptique un homme bien portant du reste. Tant que l'âme n'intervient pas, ou que des circonstances nouvelles ne surviennent pas pour interrompre cette propagation mutuelle des actions rhyth- miques, elles se transmettent. Et cela n'a pas lieu uniquement d'homme à homme, mais entre tous les êtres vivants, même d'une espèce à une autre très différente, sans autre limite que celle du développement des organes propres à chacune. Que le chien s’anime de colère et de joie à la joie ou à la colère de l’homme, qu'il semble ressentir jusqu'à des affections moins expansives de son maître, ce fait est connu; il ne s'arrête pas là. Ces mêmes rhythmes une fois émis envahiront non-seule- ment l'imagination des animaux privés, mais encore celle des bêtes sauvages, si elles ne sont pas détournées de l'entrai- nement par quelque autre passion plus puissante alors. Un Tes rhythme agit toujours autour de lui, avec force là où les cir- constances s’y prêtent, avec moins d'énergie dans un plus grand nombre de-cas, le plus souvent d'une manière inapercue: il ne peut pas ne pas avoir d'action. Néanmoins, quand même l'individu semble soumis irrésis- tiblement à l'empire d’un rhythme, quand même il serait alors ce que la langue populaire appelle charmé; quand de plus il dormirait, un seul contraste opportun rompra l’enchantement, Transmission des idées par le rhythme et le contraste. Avec l'éveil que produisent les contrastes commencent les opérations de l'esprit. Lorsqu'ainsi averti celui-ci aura repèré le sens des contrastes et des rhythmes, lorsqu après ce contrôle il aura statué, lorsqu'il y aura eu un raisonnement formé, la décision prise tendra de suite à s'épancher au dehors de la même manière qu'une simple réaction de l'imagination. Seu- lement cette décision se manifestera, non plus comme une passion, mais comme la combinaison de rhythmes et de con- trastes disposés d'avance en vue d'un effet à obtenir. Avoir un objet, tel est le caractère de toute opération de l'esprit. Mais il ne faut pas oublier qu'elle tiendra simultané- ment, de l’âme ce qui fait la volonté, et de l'inévitable parti- cipation de l'imagination ce qui rétablit la qualité contraire. Vous n'atteindrez sûrement l'objet qu'autant que vous aurez vous-même, pour la circonstance, restreint chez vous la part de l'imagination et développé cette part dans autrui. Si vous voulez capter l'imagination d'un individu avant d'appeler l'attention de son esprit, auquel seul il soit donné d'être défiant, l'émission et l’action inapercue des rhythmes devront précéder ou dominer la production des contrastes. Parfois une urgence, soit réelle, soit apparente, comman- dera la manifestation subite d’un contraste, sans que vous ayez préparé et conquis l'imagination de l'individu auquel vous vous adressez; vous frappez son esprit et conséquemment = dd = provoquez un raisonnement. Mais celui-ci, formé à la parti- cipation de cette imagination dans laquelle vous n’avez pas acquis d'influence, sera lui-même tout à fait en dehors de votre action, et l'esprit d'autrui, libre de ce côté, pourra prendre la résolution la plus contraire à votre attente. Pour qu'il advienne un résultat favorable à la production subite d’un contraste essayé par vous, il faut ou que l’imagi- nation d'autrui ait été préalablement dominée d’une manière certaine, ‘ou que des rhythmes fortement accentués se mani- _festent subitement aussi et agissent simultanément avec le contraste émis. Un cri ne sera jamais celui de la joie ou de la détresse, s'il n'est accompagné de rhythmes exprimant la détresse ou la joie. Les contrastes, pour obtenir un effet utile, ne doivent donc être produits que simultanément avec les rhythmes, ou après eux, et- leur rester toujours subordonnés sous le rapport de l'énergie. Dans les œuvres, dites de raisonnement, où l’auteur doit tendre à restreindre la part, non-seulement de son imagination, mais encore de celle du lecteur, la tâche est d’une extrême difficulté, en raison et en proportion de l'indépendance même dans laquelle est laissé l'esprit de ce dernier. I n'en est pas de même dans les œuvres dites, au contraire, d'imagination où l’auteur s'adresse exclusivement à celle-ci. Il sait les rhythmes qui règnent chez elle, et s'étudie à les ranimer à son gré. Il y fait passer les sensations du bonheur ou de la peine, du courage ou de la faiblesse. Il rend sienne . l'imagination d'autrui. De là découle cette importance qu'il y a de connaître non- seulement le mécanisme au moyen duquel on agit au dehors sur les imaginations, mais surtout le moyen de placer la sienne dans le milieu le plus favorable. La première question vient d'être traitée. Toutes deux vont l'être implicitement dans ces trois principales applications au bien-être des sociétés ms 0 un humaines : l’art des religions, l’art du progrès social, et en définitive l’art de l'architecture, lequel exigeait l'étude préa- lable de l’un et de l'autre. LE OMG LIVRE IN. SOCIÉTÉS HUMAINES. L'ART DES RELIGIONS. L art des religions consiste à tenir en éveil, par des habitudes et le retour de certaines circonstances plus ou moins savam- ment coordonnées, les idées protectrices de la société, de la famille et de l'individu. I] fournit des moyens mnémotech- niques de morale. On a vu que l’homme a été constitué pour distinguer le bien du mal, et pour sentir à chaque instant, par sa propre expérience, dans quelle direction il devrait corriger sa voie. Parvenu à l’âge mûr et parfaitement sain dans son corps et dans son esprit, 1l marchera ainsi, lorsqu'il le voudra, sans aide. Mais, enfant, infirme, ou simplement placé sous l'im- pulsion des passions les plus ordinaires, il peut très rarement, dans toute une vie, se passer d'un régulateur pratique de l'imagination ; 1l a besoin d'être soutenu: Or, ce régulateur cest la religion. Elle est le réservoir des énergies humaines qu'elle répartit ensuite entre tous les faibles. Elle agit sur l'individu avec toute la force que puise en elle-même l'asso- clation d'un grand nombre d’esprits sur un seul. Du perfectionnement d'une religion dépend le bonheur du peuple qui la pratique; de son imperfection surgit la misère. Une religion se ravive et se perfectionne au contact des sciences, parce que l’objet de celles-ci est de rechercher la vérité nue, et qu'il n y a d'accès chez elles pour aucun ordre de choses contraire aux lois régulières de la création. Pour elles, le miracle, compensateur inévitable du bien dans toutes ON les religions, est la négation de Dieu, comme le serait simple- ment de l’arithmétique le pouvoir de dire parfois : deux et deux font cinq. Les procédés mnémotechniques de morale autorisés par l'observation scientifique, ont donc l'avantage de gouverner l'imagination sans habituer l'esprit à suivre de fausses directions. La vigueur d'une société se reconnait à une certaine sobriété de miracles, comme à l’état avancé des sciences en cours chez elle. Sa faiblesse dénoterait, au contraire, une religion sur laquelle pèserait l'ignorance, où l'imagination humaine serait dirigée par des fictions stériles. On ne saurait donc trop répéter que si la volonté divine munit l'homme de tous les éléments nécessaires pour qu'il se fasse et transmette une religion utile, elle a mis, à côté de ce don, les conditions d’un ordre opposé dans l'intérêt plus général de l'équilibre du monde. Aïnsi tout d'abord la part de matière propre à constituer des corps humains se trouvera limitée sur notre globe par la réserve même de ce qui est indispensable pour perpétuer la production des plantes et des animaux des- tinés à notre nourriture. Ainsi, en second lieu, contre l'extrême multiplication de notre espèce existera toujours un obstacle nécessaire et incessant, la résistance naturelle de tout ce qui a été créé pour vivre aussi sur le fonds commun. Ainsi, à leur tour, les religions sauvegardes de l'homme comporteront par elles-mêmes, comme contrepoids à leur perfectibilité, une certaine somme d'inévitables superstitions qui engendrent l'ignorance. Or, où règne celle-ci, la lutte s'accomplit au détriment de la race humaine, et la mort étend sur elle d’am- ples ravages. | Traditions religieuses. Depuis qu'il y a des hommes il y a des religions. Celles-ci, inspirées de tout temps par les mêmes causes aux générations qui se sont succédé, attendent l'enfant à sa naissance et lui — 92 — réservent un sort plus ou moins parfait, selon leur propré mérite. Le principe des religions, reposant sur le maintien d’habi- tudes traditionnelles, ne comporte pas les rénovations radi- cales. Maïs toute religion, nonobstant ses précédents, est sus- ceptible de perfectionnements qui la rendent plus utile. Il suffit d'émonder insensiblement, dans ce but, tout ce qui ne mène pas directement au bien-être général, à celui de la famille, au sien. On doit s’efforcer, en premier lieu, d’atténuer dans les traditions, sinon d’en bannir, la crainte des mons- truosités que l'ignorance a placées involontairement dans l’in- connu, et sous laquelle gémissent les populations. Dans une bonne religion, cette crainte ne doit pas être admise parce qu'elle est elle-même un mal. Lorsque la langue dans laquelle les formules d’une religion nous ont été transmises devient surannée et même inintelli- gible, il n’est pas utile cependant de la changer. La modifica- tion serait une faute contre la tradition des habitudes, et n'in- troduirait dans la pratique aucun avantage sérieux qui balançât celui de laisser dans une sorte de pénombre, puis dans l'oubli, la partie condamnable du bagage des siècles passés. | Ce ‘serait commettre une faute du même genre que de dis- cuter des traditions religieuses. L’art doit s'appliquer à ne mettre en évidence que celles dont la conservation importe au but d’une saine religion. : Les traditions les plus puissantes sur une société sont celles qui lui confirment l'idée de sa longévité, et lui donnent ainsi l'espoir d’une sorte de perpétuité dans l'avenir. Toutes traces de son existence dans les temps anciens lui sont chères. Tout monument auquel se rattachent les souvenirs séculaires du dévouement des ancêtres doit donc être préposé à la vénération publique. Car le monument revivifie les souvenirs, et ceux-ci les idées de dévouement sans lesquels la société périclite. Rien ne surpasse, sous Ce rapport, l'éloquence que peutavoirla tombe. Sur le moindre cimetière doit régner la protection religieuse. — 93 — Le prêtre. _ Chargé à la fois de veiller au maintien des mœurs tradi- tionnelles et à leur perfectionnement, le prêtre est le grand artiste de la religion. Il doit servir de conseil et d'exemple dans toutes les choses de la vie. Il s’écarterait de ses devoirs, si la moindre de ses actions n'avait pas pour résultat d'accroître le bien-être de ceux qui l'entourent. Le courage, la prudence, l'union et la joie naîtront devant lui, s’il est lui-même fort, muni de science, dévoué et allègre. Si, chargé de diriger les imaginations, il se laisse entraîner lui-même au courant, s’il cède aux superstitions dont il devrait savoir détourner la fâcheuse influence, s’il ne se fortifie pas dans les sciences, s’il devient inutile, la peine qui suit inévi- tablement toute faute sera grande pour lui. - On voit des hommes qu’emporte leur imagination se faire ce que l'on appelle religieux. S'ils ont été assez clairvoyants pour choisir une règle dans laquelle ils pourront produire, en sus de ce qu’ils consommeront, de quoi nourrir au moins la moitié d'une famille, leur tâche humaine est remplie, et ils échappent à la peine en proportion de l’heureux fruit de leur labeur. Il en sera de même s'ils accroissent la richesse publique d'une toute autre manière, pourvu que le produit donné à la société soit réel. Le succès le plus complet est pour ceux qui se dévouent au soin de sauver la vie des orphelins, des enfants et de leurs mères, enfin des adultes selon leur degré d'utilité. Au contraire, le religieux qu'ont dirigé les seuls soucis de lui-même, subira immédiatement les peines les plus dures qu'il soit donné de supporter, et qui sont réservées à l'égoisme : des terreurs anticipées de la mort. Souvent, sous l'empire de ces préoccupations , condamné à être son propre bourreau, il s'infligera tous les genres de macération, toutes les souffrances de la réclusion et de la servitude. Rien ne doit moins ressem- bler aux pratiques de ce religieux que les fonctions du prêtre. ER TRES Les actes religieux. Pour être salutaires, les actes religieux devraient accom- pagner toute circonstance dans laquelle l'imagination risque de prendre le dessus. Un sage de l'antiquité prévenait les accès de sa colère en récitant mentalement les lettres de l’alphabet jusqu'à ce qu’il se fût ainsi apaisé. C'était un moyen mné::9- technique de morale, un acte religieux consistant à substituer un rhythme lent et innocent à celui que la passion tendait à émettre en lui. Il eût obtenu le même résultat en récitant un chapelet. Tous les actes religieux ont également pour but de prévenir les éventualités des passions au moyen de rhythmes régula- teurs; mais ils n’atteignent pas toujours le bénéfice de l'op- portunité. Is sont habituellement RSS Les uns, quotidiens, accompagnent les grandes circonstances de la journée : le lever, le travail, les repas, le coucher. Ce sont les actes propres à la famille et à l'individu, et dont il n'est prudent de se départir qu’autant que l’on a su acquérir par l'éducation et l'expérience la force nécessaire pour se con- duire honorablement sans cette aide précieuse, soit dans les moments de faiblesse, soit après la surexcitation donnée au corps par le mouvement. Les autres, se reproduisant à des intervalles réguliers, mais plus longs, comme à la fin de chaque semaine, sont la part faite aux intérêts de la société. Il en est de même de ceux que certains peuples pratiquent à la fin de chaque mois lunaire, ou pour célébrer le commencement de chacun des quartiers de l’année solaire, ou enfin à des intervalles de temps plus considérables encore. On a coutume de se réunir alors en grandes assemblées. Les principales circonstances de la vie, telles que la naïs- sance, le mariage et le décès, sont destinées à être partout l'objet de pratiques religieuses exceptionnelles. 2 Qui Les actes religieux varient suivant les cas. Mais ils consistent principalement en prières, en chants et en cérémonies. Les prières. — La prière est le moyen pratique le plus com- munément usité pour assujétir, pendant une courte durée, l'imagination aux conseils de l'âme. Comme elle a pour objet le bien de celui qui la prononce, elle s'adresse, par une impul- sion involontaire, vers la suprême puissance. Mais Dieu n'ayant des faveurs pour l'individu qu'autant que celui-ci agit lui-même dans l'intérêt de la société, de la famille et seule- ment en troisième lieu de sa propre personne, il est essentiel que celui qui prie n’intervertisse pas l’ordre établi. L'attention que la prière tend à fixer sur la conduite à tenir ne doit donc jamais s’écarter des peines attachées : Aux fautes contre le bien de la société ; A la négligence des devoirs de la famille ; À chaque erreur personnelle. On ne trouve pas toujours dans les prières traditionnelles l'exposition intelligente de l’ordre suivant lequel les devoirs à remplir demeurent respectivement subordonnés. Le plus sou- vent, au contraire, on y reconnaît un sentiment trop direct de l'individualité. Mais cet inconvénient se corrige de lui-même en ce que le rhythme périodique du récit de la prière amortit la valeur des détails, et ne laisse subsister, par son influence modératrice, qu'une intention générale plus justement assise. Par imitation de ce qui se passe chez l’homme comme chez les animaux, lorsque le plus faible veut exciter la générosité du plus fort, la prière revêt habituellement la forme de la supplication. Elle est même parfois accompagnée des proster- nations les plus humbles. Ces moyens ne sont pas inutiles pour fixer davantage une attention rebelle; mais ils dépassent le but dès que le suppliant croit obtenir ainsi de Dieu créateur ce que l’on pourrait attendre d’une créature, une faveur gagnée par influence. Ils deviennent dangereux lorsque, poussant au développe- ment de cette fiction, ils amènent l’homme à se donner un ER EN auditeur de son choix, soit un être vivant avec lequel il puisse composer, soit même simplement une idole bâtie de ses mains et plus incapable encore de rien refuser. Le penchant à la supplication, conduisant trop facilement à des actes supersti- tieux, corrompt ainsi le plus souvent le précieux usage des prières dont le premier but — il ne faut pas l'oublier — était d'obtenir le sentiment de la prudence dans la conduite de la vi”. La prière devrait avoir été composée dans le silence des passions. Pour n’en éveiller aucune, elle doit être dite d'un récit monotone et cadencé, avec le maintien le moins pénible, le moins agité, enfin le plus convenable pour éviter toute dissipation de l'esprit. Aussi, chez l'homme civilisé, l'étude est-elle, quoique sous une forme différente, la plus utile des prières. Les chants religieux. — La prière, en vue d’une action com. mune, doit être faite en commun. Elle acquiert alors une grande puissance par le chant. Solitaire, elle ne mettrait l'in- dividu en communication qu'avec l'âme qui lui a été donnée pour le diriger dans la lutte à soutenir au milieu du concert général de la création. Dite en famille, elle appelle la partici- pation de l'âme de chacun des parents à régler l'imagination de chacun dans l'intérêt du groupe. Le chant eût pu être une cause de déviation dans le premier cas; il cesse de l'être dans le second, à cause de l'appui mutuel que se prêtent tous les membres de la famille, et en raison de la communauté du but. Il est la condition du succès dans une grande assemblée, pour éviter la divergence des idées chez des hommes qui ne se con- naissent pas toujours les uns les autres. Alors le chant religieux n'a de prix qu’autant qu'il est ancien, connu de tous dès l’en- fance, et de nature à être dit par l'assistance entière. Les cérémonies. — Les actes religieux qui réunissent beau- coup d'hommes ne peuvent s’accomplir que suivant un certain ordre réglé d'avance et qui constitue les cérémonies. C'est un mérite pour elles, comme pour les prières et les chants, que d'être anciennes. Il en est dont l’origine a été oubliée, qui BEN FAUS n'ont plus de sens, et qui tirent toute leur valeur du fait même de leur conservation. Mais, quelles qu'elles soient, on doit s'appliquer à leur imprimer un but d'utilité en rapport avec les circonstances de leur production. On doit surtout en écarter ce qui pourrait diriger l'imagination vers une erreur. Les cérémonies qui accueillent l’homme à sa naissance, au mariage, au jour de la mort, sont des moyens puissants de lui inspirer un sentiment de dignité personnelle. La procession solennelle dans les champs soumettra au jugement et à l'amour de toute une population le spectacle de la terre travaillée par le cultivateur. Des visites de ce genre dans les rues d’une ville, dans les grands établissements d’une cité, et Jusque dans les ateliers, seront fécondes en bons résul- tats pour les foules urbaines. Les sources, les bois, et tout ce qui est élément de la richesse publique, peuvent être ainsi l'objet de pérégrinations fructueuses. Mais, chez les peuples ignorants, la cérémonie religieuse n'est habituellement que la cause la plus sérieuse de décadence ou de persévérance dans les superstitions. La foule, que son éducation a laissée trop étrangère à la connaissance des sciences naturelles, ne rêvant autour d’elle que des choses extraordi- naires, cherche à les conjurer par des procédés non moins vains, et souvent empreints de cruauté. Elle attribue à un signe, à un geste, à une évolution convenue, parfois à la simple volonté du prêtre, des vertus imaginaires. Elle-s'incline dans d'horribles misères sous la tyrannie de ses propres fictions. Les grandes cérémonies sont donc les moyens les plus puis- sants de la religion, à cause de la communauté d'âme qu'elles établissent à un moment donné dans la foule, vers un butsoit bon, soit mauvais ou déraisonnable. L'échec de la réunion sera dans son objet même lorsque celui-ci deviendra une prétention à faire fléchir les lois naturelles au profit de quelque circons- tance. Le moyen de réussir sera de surexciter les intelligences en vue seulement d'un but accessible, et d’inspirer ainsi des - mesures praticables dans l'intérêt de chacun et de tous. 7 L= PRES La religion est, dans la société, comme un volant par rapport à une machine. Elle n’exécute pas, mais-elle régularise la marche du travail humain. I L'ART DU PROGRÈS SOCIAL. La population. Le naturel de l’homme l’astreint à vivre en société; de là surgissent donc des devoirs réciproques, et de l'individu envers . la communauté, et de celle-ci envers chacun des siens. On se sent d'autant plus heureux que l’on peut user de plus de liberté sans encourir la peine fatalement imposée à chaque oubli des devoirs envers la société; cette dernière est d'autant plus propice qu'elle prélève une plus faible part sur la liberté de l'individu au profit de la masse. Aïnsi l'important sera de connaître sans erreur la nature des devoirs du citoyen pour ne pas agir de part ou d'autre en commettant des contre-sens. Le devoir capital, celui qui résume véritablement tous les autres, est d'assurer la perpétuité de la société humaine à laquelle on appartient. Toute société se compose : Des hommes qui vivent dans la force de l’âge, qui produisent et qui vieilliront ; Des vieillards qui, décimés par le temps, jouissent, en ro de leur puissance musculaire affaiblie, d’une lucidité d'esprit plus égale et de l'expérience acquise ; | Des enfants destinés à remplacer les uns et les autres. L'objet commun de l'individu et de la société consiste en définitive dans l'éducation des enfants au moyen des hommes et des vieillards. L'être humain, en naissant, n'étant pas organisé pour s'élever seul, périrait abandonné. L'abondance de la population dé- CR D pendra ainsi moins de la facilité de procréer que du nombre des enfants sauvés de la mort par des soins. Des peines inévitables, naturelles, frappent celui qui en- gendre des enfants évidemment destinés à ne pas lui survivre. La récompense accompagne, au contraire, le mérite d'élever avec succès des enfants sans même les avoir mis au jour. Le moyen pratique d'échapper aux écueils consiste dans la bonne organisation du mariage. Le mariage. C'est l'association d'une femme et d’un homme en vue d'engendrer des enfants, de les préserver jeunes de la mort et de les diriger adultes à travers les passions périlleuses du premier âge de la force. Le fait même de contracter mariage est une des plus grandes joies réservées à l’homme. Quand ensuite il devient père, un sentiment de plénitude remplace à l'instant celui du vide qui traversait et viciait toutes les fêtes du célibataire à son insu. La qualité d'aïeul est seule capable de compenser l'état de caducité physique qui précède la mort du vieillard. Pour être dans les conditions les plus parfaites, le mariage doit avoir été formé entre deux adultes exempts d’infirmités transmissibles, et produire des enfants en proportion des res- sources de la famille et des besoins de la société. La polygamie donnerait à un seul homme la charge trop lourde des enfants de plusieurs femmes. Des éventualités de force, de richesse et de vie d’un seul, dépendrait alors le sort de plusieurs familles. Ce serait un danger permanent pour leur avenir. C’est une imprudence coupable et toujours punie. La polyandrie doit être repoussée comme le crime le plus évident contre la conservation des enfants que nul homme, dans ce cas, n’a plus un intérêt assez direct à élever. L'absence de mariage prive l'enfant de l’un de ses protecteurs naturels. Aussi arrive-t-il, même chez les peuples les plus civilisés, que l'être né dans cette condition désavantageuse — 100 — conserve à peine parfois une chance sur vingt de parvenir à l'age d'adulte. Un pays où serait supprimée l'institution du mariage deviendrait un désert. Pour la réussite des enfants, il faut les efforts associés du père et de la mère. Toute mesure qui tendrait à paralyser l'une . de ces forces diminuerait la puissance de l’œuvre. Autant done que le permet la différence des aptitudes et des circonstances, la femme doit vivre de la même vie que l’homme et savoir travailler du même travail que lui, pour accomplir au besoin une tâche double si elle vient à le perdre. Elle a droit à une communauté complète de liberté, de labeur et de biens. Le mariage a pour danger l’égoisme qui, dans la plupart des sociétés, porte l’homme à oublier le but définitif, en s'im- posant à la famille comme son possesseur plutôt que comme l’un de ses deux soutiens également indispensables. La propriété. L'esprit de prévoyance se développe dans le mariage en vue de l'éducation des enfants, et veut l'institution de la propriété. Au fond, toute propriété appartient ainsi aux enfants, les- quels en ont été l’objet. C’est pour eux que le père et la mère ont le droit naturel de l'acquérir et de la régir. La société en règle les conditions dans un intérêt général, et avec d'autant plus de succès qu'elle est meilleure elle-même. L'écueil de la propriété est dans la prétention égoïste à un droit d’user et d'abuser, que repousse l'intérêt des enfants. Le gouvernement. Si l'ensemble d'une société peut se maintemir par les habi- tudes, ou, pour mieux dire, par le fait de la religion, ila, d’un autre côté, besoin de prévoir et d'agir, pour l'avantage commun des familles, contre les incidents qui affluent de toutes parts. Il a besoin d'un gouvernement. — 101 — Le Gouvernement et la Religion n'ayant, quoique en vue de la même sotiété, rien de commun dans leur point de départ et dans leur mode d'action, doivent demeurer distincts et con- férer des fonctions distinctes à leurs représentants respectifs. Ils travailleront à leur perfectionnement mutuel par l'influence seule de leurs actes sur la société elle-même prise pour inter- médiaire. Mais le plus souvent cette influence sera faussée par la tendance subversive et irrésistible des agents à se croire identifiés personnellement avec ce qu'ils représentent, et à n’agir dès lors avec constance que sous l'empire de leur propre intérêt. Le prestige de quelque précédent remarquable suffit pour donner un chef à la peuplade sauvage. Les nations plus per- fectionnées délibèrent et choisissent. Le plus souvent le gou- vernement s’est institué lui-même par l'acquiescement tacite de la masse, et il se maintient ainsi tant qu'il représente, sans - trop d'inexactitude, les sentiments des administrés. Il échoue dès qu'il s'écarte trop de cette base; car alors les forces vives de la nation réagissent pour te:+' 2r de rétablir un état de choses normal. Ces forces sont au nombre de trois, et représentent les trois moyens de la subsistance de l’homme : Le travail manuel ; Le travail intellectuel ; L'hérédité. Chacun de ces intérêts tend à obtenir une autorité qui le protége spécialement; mais, comme ils agissent ensemble, ils ont toujours pour résultat une moyenne variant suivant l'in- - tensité plus ou-moins prépondérante de l’un ou de l’autre. Le premier pousse au tumulte et à la dictature ; . Le second à la confection des lois et au choix d'un pouvoir exécutif ; L'hérédité aux priviléges et à l'aristocratie. Cemme les peuples abondamment fournis de propriétaires et d'hommes instruits sont peu nombreux, c'est le principe — 102 — du pouvoir dictatorial qui est le plus répandu sur la terre; mais il s'y montre partout corrigé, sinon en réalité, du moins en apparence, par les prétentions à l'hérédité inséparables de la formation d'une famille autour du souverain. Les lois ont le mérite d'inspirer la sécurité au gouvernement comme aux administrés. Elles seront d'autant mieux faites que la société sera plus instruite. Il n’y a pas de civilisation sans lois. Le gouvernement aristocratique, fondé sur le privilége de la richesse, du savoir et des armes, n'est jamais, par cela même, l'expression complète de l'intérêt général. Il n’existerait nulle part s’il n'affectait pas de se montrer au dehors comme un gage puissant de conservation de la propriété héréditaire, si chère aux plus pauvres familles comme aux plus opulentes. Il périt dès qu'il n’appelle pas à lui quiconque est parvenu à obtenir la noblesse du mérite aux yeux de la foule. Le point de perfection vers lequel la société doit-tendre est celui où chaque famille deviendrait, par ses propres efforts, ouvrière, savante et propriétaire. Alors s’apaiseraient d’elles- mêmes les luttes du manouvrier, du savant et de l’aristocrate, ainsi que les oscillations du pouvoir pour trouver un centre d'équilibre entre ces trois forces rivales. Le devoir suprême de tout gouvernement est de procurer à la famille la faculté de remplir les siens. Il lui incombe de provoquer des mesures générales que les forces individuelles ne sauraient accomplir seules concernant le maintien des frontières naturelles du pays, la perpétuité de la commune, la sécurité des personnes, l'enseignement, la salubrité, les voies publiques, les marchés, les terres commu- nales et les fêtes. La commune. En principe, la commune est un groupe de parents, une association de familles issues des mêmes ancêtres, et vivant dans une circonscription assez restreinte pour que chaque — 103 — individu et chaque chose puissent y être connus des hommes pourvus d’une certaine mémoire. Elle existe par elle-même chez tous les peuples. Elle prospère par la stabilité du groupe. Son principe est la seule sauvegarde des tribus errantes. Etablie sur d’autres bases, elle reste impropre à satisfaire aux besoins de la société. L'étranger sera un élément de trouble dans la commune jusqu'à ce qu'il s'incorpore en elle par une alliance, ou par un acte de propriété, ou par quelque autre résolution capitale qui soit un gage d'identification. En effet, c'est dans le groupe des parents ainsi constitué que la famille en souffrance trou- vera une aide assurée, et l'orphelin pauvre la possibilité de devenir homme. Pour la plus grande prospérité de la commune, il faut que la propriété, récompense naturelle du travail, y soit accessible à tous, afin que le nombre des propriétaires devienne consi- dérable. I faut, d’un autre côté, dans l'intérêt de la véritable richesse qui est le travailleur, n'entraver en rien son essor et son ardeur à posséder. Les pe’:ples civilisés ont obtenu ce double résultat. Par la répartition des patrimoines entre les enfants, les propriétés se subdivisent de manière à augmenter sans cesse le nombre des parts, tandis que l'émulation recons- titue de nouveaux domaines. On arrive ainsi à une espèce d'égalité des fortunes, mobile, intelligente et féconde. Dans les civilisations de second ordre, il n'existe que de grandes propriétés incommutables, à l'exploitation desquelles les popu- lations sont appelées à coopérer. Le sort de celles-ci dépend alors de la sagesse ‘éventuelle du possesseur, lequel ordonne en maitre s’il a des esclaves, ou fait un appel aux mains d'autrui s’il vit en pays libre. Un partage des terres par égales parts a été quelquefois | l'expédient employé dans des pays à constituer. Mais l'inégalité reparaît dès le lendemain, si l'émulation du travail existe chez les citoyens. Que si elle n'existait point, les parts seraient sans. à fruit, parce que ce n’est pas la propriété elle-mêmequi fait la — 104 — richesse, mais le grand nombre des travailleurs parmi les copartageants. Un groupe communal a des propriétés publiques, et des propriétés particulières de familles. Les propriétés publiques consistent en bâtiments, en routes, en fontaines, en égouts, en terres communales, et en objets divers d'intérêt général, appropriés tous en vue du développe- ment des familles vers le plus grand bien-être. La sécurité. La commune doit être défendue au dedans et au dehors. Les juges. — Il faut, pour le premier cas, au-dessus d’une police active, la sagesse de juges choisis parmi les hommes les plus savants. Néanmoins, comme un peu d'impéritie expose- rait encore le magistrat à être naïvement injuste, il lui faudra, dans chaque circonstance, l'assistance des hommes spéciaux dont les connaissances puissent l'éclairer. Les juges ont mission de forcer à la paix les citoyens, et de punir les fautes contre la société par des peines. Celles-ci, chez les peuples civilisés, sont déterminées d'avance et connues de tous. L'application en est publique. Les souffrances corporelles imposées comme châtiments sont le moyen le plus efficace de correction relativement au coupable; mais elles ont pour effet d'inspirer, par la transmission d’un : rhythme violent, aux bons la crainte, aux mauvais des mœurs cruelles et anti-sociales. Les peines ne doivent jamais rendre à la société, qui en aurait ensuite la charge, des êtres diminués de valeur physique ou morale. Elles frapperont le coupable, mais devront ne pas atteindre du même coup l'intérêt général qu'il faut toujours protéger. Les amendes, les tortures, les détentions prolongées, étant des institutions directement nuisibles au bien-être de la famille, doivent disparaître d’une société bien entendue. La réprimande, la prison cellulaire à brève durée, enfin la ART pee suppression de l'individu sont les procédés de répression les moins contraires à l'intérêt public. L'emploi de la prison cellulaire exige des précautions exces- sives; car 1l doit varier suivant le temps de la détention, pour ne pas occasionner la mort ou la folie. En principe, la prison cellulaire isole absolument le détenu d'un autre détenu, afin qu'ils restent étrangers l'un à l'autre à l'expiration de leurs peines, afin qu'ils ne deviennent pas alors des associés pour le crime. Elle l'isole de toute cause de distraction extérieure à lui-même. Elle prive son imagination de nourriture. Point de bruits du dehors, point de variété de lumière, point d'autre aspect que celui des parois de la loge uniformes de couleur ; rien qui appelle l'œil, rien qui réveille l’ouïe, point de travail: pour tout incident, l’inévitable mais silencieuse distribution des choses de première nécessité. Les natures les plus rebelles sont complètement vaincues en moins de trois jours par ce régime, et n'y résisteraient pas s’il ne lui était alors apporté des tempéraments. Sa durée ne se mesurera done point par années, mais par heures: Le détenu qui ne porte pas en lui le don si rare de pouvoir se réfugier sans aide dans les travaux de l'esprit, recoit comme un bienfait des moyens d'étude ou de travail qui le soulageront pour achever le temps de sa peine. Ce temps ne doit jamais dépasser quelques mois, maximum de durée tolérable pour l'énergie humaine, pour que l'individu puisse conserver, au sortir de la prison, l'usage de sa raison et de ses forces, et retrouver encore ses moyens de travail. On verra des hommes auxquels manque une parfaite orga- msation de l'esprit s'exposer à l’aggeravation des peines qu'il convient d'attacher aux récidives. Toute médicamentation sur eux serait vaine. Devenus inutiles à leurs familles en même temps que dangereux, ils doivent être irrévocablement séparés des leurs. Is doivent être supprimés sans que cet acte soit de nature à exciter dans les imaginations ni pitié, ni terreur, ni aucun autre sentiment que celui d’une nécessité accomplie. La direction d’une prison cellulaire, seul mode utile d'in- — 106 — carcération, exige la science du médecin, et non la vigueur d'un simple garde. Rien de bon ne pouvant être entrepris sans la chance con- traire, le vice le plus habituel des prisons sera d'y engendrer, par l’imprudent mélange des individus et la durée de la déten- tion, des associations d'hommes pervers, rendus infirmes, et devenant ainsi les pensionnaires de l'Etat jusqu’au dernier jour de leur existence. L'armée. — Contre les dangers du dehors, il faut la protec- tion des armes. Plus un peuple.est sauvage, plus il guerroye. Impuissant contre les nations civilisées qui veillent à leur sécurité, il est une menace permanente d'invasion contre celles qui négligeraient leurs moyens de défense. La loi d'équilibre sénéral le veut ainsi. Mais tandis que la barbarie affecte tont son avoir à la guerre, le civilisation s'étudie à restreindre le sacrifice au moyen de procédés moins coûteux. Par l'association, sous un même gouvernement, de toutes les communes d’une vaste contrée que délimitent des défenses naturelles, elle obtient, avec l’em- ploi d’un nombre relativement réduit de soldats, une puissance militaire considérable. Elle met entre les mains de ses défen- seurs des instruments de destruction d'autant plus perfection- nés qu'elle est plus avancée elle-même en savoir et en industrie. Elle veut que les guerriers acquièrent une supériorité spéeiale dans tous les exercices gymnastiques qui touchent au manie- ment des armes. Elle établit une discipline sous laquelle cha- cun, selon le cas, obéisse ou commande résolument en vue du résultat final. Elle institue des chefs instruits à diriger les mouvements des troupes, et à conduire celles-ci à l'ennemi pourvues de munitions assurées, saines de corps, et surtout l'esprit animé de l'amour de la patrie; car l'enthousiasme de la masse inspire à l'individu une suprême énergie. Un chef que n'a pu corrompre l'usage dangereux du com- maudement, ou que n'ont point affaibli des infirmités, acquiert par l’âge le mérite précieux de l'expérience. — 107 — L'armée d'une nation civilisée étant pourvue d'artisans pour tous les besoins et d'hommes experts pour la plupart des inci- dents, un chef habile y saura, dans chaque cas spécial, faire jaillir un avis opportun de la bouche des plus humbles soldats. Pour le choix d’un campement, l'avis du médecin est aussi important à la guerre que celui du stratégiste; car un seul repos dans une localité insalubre peut être plus meurtrier que la perte d’une bataille. Il faut que l’armée soit entretenue d'une manière irrépro- chable, et qu'au sortir du service militaire le soldat ait son avenir assuré, soit en rentrant jeune encore, mais plus fort et plus instruit, dans sa commune, soit en recevant, pour prix de sa persistance ou de ses blessures, une pension qui le mette à l’abri des mauvais conseils de la misère. Le soldat doit être marié tard. Pour ne plus le séparer alors de sa famille, on devra l’employer plutôt à défendre une place qu'à faire des siéges, plutôt dans une commune à laquelle il doive rester attaché qu’en un poste précaire. La société doit veiller à ce que, dans le soldat, le sentiment de la discipline n'étouffe pas celui de l’émulation, à ce que, dans le chef, l’orgueil d’un commandement arbitraire ne res- treisne pas peu à peu l'étendue de l'intelligence, et enfin à ce que, pour éviter ces inconvénients, l’un et l’autre travaillent sans cesse. L'armée, dont les chefs et Les soldats sont inoccu- pés, peut ne rendre à la société que des êtres moralement infirmes et conséquemment nuisibles, au lieu d'hommes propres à rentrer dans la vie de famille. Comme l’armée, machine improductive par elle-même, n'existe que dans l'intérêt de conservation de la société, et n'a de force que par la différence de supériorité acquise dans l’art militaire, elle trahirait directement les intérêts des siens en enseignant ses procédés à des peuples étrangers. Elle se neu- traliserait et préparerait ainsi des chances de retour à la sau- vagerie sur la civilisation. — 108 — L'enseignement. L'homme, en vertu de sa destination sur la terre, invente et travaille sans cesse sous peine de périr. Les aptitudes qu'il a recues dans ce but devant donc être exercées pour le salut commun de la société, celle-ci est tenue d'organiser dans son sein les plus puissants moyens d'enseignement. Il importe avant tout à l’homme de savoir ce qu'il est au milieu des êtres de la création, doués chacun, comme lui, d'aptitudes spéciales, ce qu'il peut entreprendre sur eux, ce qu'il en doit redouter, quels seront ses amis et ses ennemis dans la lutte. La société prospérera d'autant plus qu'elle aura mieux enseigué l'histoire naturelle, l'histoire de ces myriades d'espèces d'êtres à côté desquels on ne saurait faire un pas sans commettre, par ignorance, des fautes capitales. Elle fera donc enseigner le rôle et les mœurs des minéraux, des plantes et des animaux, la puissance et la faiblesse relatives de chacun. | Mais elle rencontrera dans cette entreprise une résistance perpétuelle. Car, par la raison dominante de l'équilibre général à maintenir, Dieu a laissé l'étude des sciences naturelles diffi- cile, et n’en accorde la connaissance que dans une propor!ion restreinte. Il en fait le prix du travail de l'intelligence et la refuse à qui ne l’a pas méritée par des efforts obstinés. La société doit donc encourager les savants spéciaux à produire des livres d'histoire naturelle assez brefs pour servir à l’ensei- gnement, assez complets pour que l’homme puisse, du moins dans la contrée qu'il habite, savoir DE ses récoltes, ses produits et sa famille. L'enseignement de l’histoire naturelle rencontre un second genre de résistance issu, comme le premier, du motif de l'équilibre général; la propension donnée à l’homme de se livrer aveuglément à la destruction des êtres qui sont destinés à agir le plus utilement pour lui en même temps que pour eux-mêmes. Cette invincible répugnance contre quelques-uns — 109 — détourne l'individu encore ignorant d'une étude réfléchie où chaque chose aurait nécessairsment sa place. Pour se développer, l’enseignement de l'histoire naturelle ne doit pas être donné seul. Celui.du langage, des sciences exactes et du dessin multpliera les forces intellectuelles de l'élève. L'étude de la géographie et de l'histoire des peuples sera le complément le plus utile. L'âge des études étant essentiellement celui de la jeunesse durant lequel l'individu est nourri par sa famille, on dispen- sera, en même temps qu à l'esprit, l'enseignement autcorps, afin que celui-ci devienne alerte, robuste et patient, au moyen d'exercices gymnastiques et d’une certaine durée d’un travail de force continu et journalier. Si l'heure la plus fructueuse pour l'étude des sciences est celle qui suit un sommeil donné à satiété ef qui précède le premier repas, celle où les passions n'ont pas encore été réveillées par la nouiiture, le moment le plus opportun pour les exercices du corps sera la fin du jour. On ne doit enseigner à la première jeunesse que les choses dont le contrôle pourra être immédiat. La poésie et les beaux- arts seront donc réservés pour un âge où les écarts momentanés de l'imagination risqueront moins d’altérer l'habitude du raisonnement. L'enfant, quelle que soit son aptitude musicale, doit chanter plusieurs fois par jour dans un but de santé et d’encourage- ment. Il recevra donc de bonne heure l’enseignement de la musique dans la proportion nécessaire pour obtenir ce résultat. Des chants simples, courts et généralement connus seront l'accompagnement indispensable du travail de force, celui-ci ne pouvant se soutenir que par la production monotone d'un rhythme continu. Objet de foi traditionnelle, et non de contrôle, la religion doit être, non pas enseignée, mais pratiquée dans les écoles de la jeunesse. Elle y fera précéder par les chants anciens les — 110 — actes auxquels s’éveille principalement la passion, tels que les repas et les jeux. L'écueil de l’enseignement est dans le zèle inconsidéré qu'il développe le plus souvent-chez les hommes chargés d’instruire, chacun d'eux tendant à accaparer, au profit de sa spécialité, par des lenteurs et des punitions stériles, le temps toujours précieux de l'élève. Il est encore dans sa durée. L’ensei2n°- ment, seul, finirait par exercer simplement la faculté d'ap- prendre, en éteignant d'un autre côté celle d'inventer. Il faut ‘pour cette dernière qui, en définitive, est la principale, et dont l’autre n’est que l’aide indispensable, un temps de liberté absolue, donnée sans aucun cas d'exception et chaque jour à l'enfant, un temps dont il n’ait à rendre compte qu'à la sur- veillance et non à la direction de ses maîtres. Il faut, en somme, que l'enfant dispose aussi librement que possible de la moitié du temps où il est éveillé, et passe l’autre sous l’en- seignement. Le temps de liberté n'aura jamais été vainement dépensé, si l'élève a été mis én présence des champs, des bois, et de toutes les phases diverses sous lesquelles apparaît succes- sivement la nature. L'enseignement doit être réparti avec une grande libéralité aux hommes et aux femmes, à celles-ci de préférence parce qu'elles auront la charge la plus directe dans l'éducation des enfants. À l’homme appartiendront les plus hautes études, nécessaires au progrès lui-même de l’enseignement, mais dont la poursuite expose une partie de l'esprit à défaillir au profit d'une spécialité. Or, il vaut mieux dévoyer l'avenir d'un homme que celui d’une femme. Celui qui n’a pas de famille rachète ce tort en enseignant, ou en répandant l'instruction. La salubrité. Les premières conditions de salubrité locale, pour la race humaine, sont : l'isolement des groupes et des individus, — 111 — l'éloignement des matières en putréfaction, la siccité des lieux, la pureté de l’eau potable, l'apprêt des vivres. L’isolement. — La nature combat le trop grand développe- ment des masses d'hommes par la contagion. Un seul individu affecté de certains maux peut les communiquer au groupe par le toucher ou l'entremise des choses touchées, par l’odorat, et, même par l’ouie, le regard, ou par la simple perception des rhythmes émis. L'homme qui vivra dans une société compactè devra donc rechercher les occasions de s’isoler, celles de respirer les couches les moins basses de l’atmosphère, et les moins viciées par d’autres respirations où par des gaz insalubres, celles de se vêtir d'habits souvent assainis dans l’eau ou dans un cou- rant d'air pur, celles d’avoir un gite impénétrable à l'accès des émanations voisines, enfin celles de préserver toutes les parties du logis contre la présence des choses insalubres. Les précautions qui conviennent à l'individu sont indis- pensables pour le groupe entier. Le renouvellement de l'at- mosphère y devra être plus actif, le soin d'écarter les maladies contagieuses plus vigilant. On en bannira toute circonstance de nature à faire naître les rhythmes de la peur non moins dangereuse que l’insalubrité locale. Au milieu d'une contagion, les hommes utiles et courageux sont moins exposés que les autres. Eloiïgnement des matières en putréfaction. — De même que le feu fait naître le feu, la putréfaction engendre la putréfaction. Un corps qui se trouve en cet état le transmet surtout à ses homogènes. L'homme a donc à redouter en premier lieu les putréfactions humaines et celles des êtres le plus semblables à lui par leur nature matérielle. Il puise l'infection par le toucher, la respiration, le goût, la nourriture. Il y est d'autant plus exposé que la population à laquelle il appartient est plus dense. Mais comme l’action délétère de la putréfaction a pour objet principal de restreindre, dans l'intérêt de l'équilibre général, Le développement extrême de la population, l'homme — 112 — a été pourvu à la fois d’un instinct conservateur de répulsion contre le fléau, et d'une indulgence aveugle envers le mal provenant de son fait. Les mesures de préservation à prendre dans ce Cas doivent donc être imposées à chacun par tous, par la police communale. | La science a des moyens faciles d’atténuer, sinon de détruire entièrement, l’insalubrité des matières en putréfaction. €! ez un peuple civilisé, la commune prescrit donc les mesures nécessaires’ pour séparer de l’homme les matières elles-mêmes. Elle veut ensuite que celles-ci soient toutes désinfectées par des ingrédients, si elles doivent être conservées pour engrais. Dans ce cas, il reste encore pour l’homme deux buts à pour- suivre quant à l'emploi des drogues : l’une qui est de conserver dans l’engrais les matières fertilisantes, toutes essentiellement fugitives, mais de nature cependant à être suffisamment fixées; l'autre de préserver l'engrais contre une foule d'insectes des- tinés à le dévorer entièrement, et qui abondent par ce motif autour des habitations et des cultures humaines, sans que le cultivateur ignorant en soupconne l'action puissante. La commune prescrira également des mesures pour tenir les masses d'eaux voisines en état de propreté, pour faire donner une grande profondeur à celles qui, renfermant des animaux aquatiques, fournissent ainsi un aliment considérable à la putréfaction, enfin pour ne pas appeler des groupes d'ha- bitations sous le vent habituel des lieux dont la désinfection ne peut pas être opérée. Siccité des lieux. — Dans la répartition qui est faite par Dieu d'un genre de séjour pour chaque race des habitants du globe, il a été donné à l'homme de ne reposer impunément qu'en lieu sec. Le moyen d'atteindre ce but consiste à orga- niser des abris. Les uns seront mobiles en vue de pérégrina- tions, les autres fixes. Dans la commune parfaite, on édifie des maisons. Le danger, dont la présence est partout inévitable, est ici que l'homme séjourne et que sa maison soit dans un air à la — 113 — fois STAGNANT, HUMIDE ET FRals. Les peines attachées à ce vice de l'habitation varieront selon l'intensité de l’une ou de l’autre de ces qualités malfaisantes. Elles seront le triste apanage de certaines vallées et de la partie basse de toutes les villes, de ces lieux où l'homme trouve souvent le mieux ses convenances pour la culture ou pour des industries. On voit ainsi des populations entières atteintes de fièvres périodiques, ou d’af- fections scrofuleuses qu'elles pourraient du moins atténuer par les mesures les plus simples. L'air frais, plus pesant que l'air chaud, tend toujours à s'établir par couches horizontales au-dessous de ce dernier, . comme le ferait l’eau. Le soir, lorsque le soleil cesse d’échauffer la surface du sol, il se forme immédiatement dans tous les lieux bas de véritables lacs d’air frais, à moins que le vent ne souffle. On reconnait la présence de ces lacs, en descendant de-points plus élevés, dans ces bas-fonds où la rosée commence de bonne heure, où elle est très abondante, où des plantes souffrent quelquefois d’une gelée matinale pendant les saisons chaudes. Les plus petites vallées, comme les plus grandes, sont sujettes à cet inconvénient. Il suffit, pour cela, que la surface du sol affecte la forme d’un bassin, sa profondeur fût- elle seulement de deux ou trois statures humaines. La vallée est rarement fermée à ses deux extrémités comme dans le cas exceptionnel d’une combe. Elle consiste habituel- lement en deux flancs de montagne, qui se regardent. Le fond est en pente rapide parfois, mais le plus souvent il reste presque horizontal. La vallée la plus insalubre est celle qui est fermée. Ses conditions seront pernicieuses lorsqu'il y aura présence d'eau, cette condition venant s'ajouter à celles d’un air stagnant et frais. La vallée La plus saine est celle dont le fond est fortement incliné et dont l'issue est largement ouverte, nonobstant les inconvénients d’un autre genre que l’on peut éprouver en se trouvant alors dans le vif courant d'air frais qui, le soir, descend à la manière d’un fleuve vers les contrées basses. 8 — 114 — Il peut arriver qu'une vallée, naturellement assez saine, soit rendue insalubre par la faute de l’homme. Qu'ainsi, par exemple, une ligne de grands arbres soit placée en travers d'une vallée; celle-ci, en amont, deviendra un bassin d'où l'air frais du soir ne pourra s’écouler que par dessus le barrage de verdure. Un groupe de maisons, une haute chaussée, des murs, un bois, sont le plus souvent les obstacles par lesquels est fermée une vallée. Le remède le plus ordinaire aux inconvénients d'un fond de vallée peu rapide est l'existence d’une grande rivière sans eaux dormantes. Car celle-ci présente au courant d'air frais une surface unie et libre sur laquelle il peut s’écouler au loin. Il y a, en outre, sur les grandes rivières, plus de vent et, conséquemment, des conditions plus fréquentes de mélange des couches inférieures de l'atmosphère avec la masse aérienne, toujours suffisamment sèche et saine. Dans les vallées fermées et fraiches, des affections de la nature du goître atteindront l’homme, à moins de circonstances préservatrices exceptionnelles. Dans les contrées simplement basses, une enceinte d'arbres et de l’eau stagnante produiront la fièvre. L'un et l’autre fléaux peuvent coexister. Il importe donc que la commune n'’asseye ses habitations ni dans une combe, ni dans le fond d’une vallée peu ouverte, ni même sur un sol en plaine, mais enveloppé complètement d'arbres. Si le mal est fait, on l’atténuera en traçcant, au tra- vers de la contrée, par la suppression des arbres sur l’axe de la pente des eaux, un large courant pour l'écoulement de l'air. Après avoir ainsi obvié à l'inconvénient de la stagnation de la couche inférieure atmosphérique, on placera, en outre, les petits cours d'eau dans des égouts. Enfin, pour parer au développement de la fraîcheur du soir, on devra pourvoir à ce que nulle habitation, par le vice de son emplacement, ne soit privée de soleil durant la majeure partie de la journée. Mais ces mesures ne sont que des palliatifs. Théoriquement, le groupe des habitations doit être assis sur la pente méridio- — 115 — nale d’une éminence meublée d'égouts. souterrains, et à une hauteur telle que l'air frais du soir n’élève pas son niveau jusque-là. ‘ La commune provoque ce résultat en établissant certains édifices très fréquentés, ainsi que les carrefours, sur des lieux convenables par leur siccité, et par leur éloignement de toute putréfaction. Elle l’assure en dotant ces mêmes points d'eaux salubres dont le trop plein est jeté avec soin dans les égouts. Eaux potables. Le corps humain se renouvelle sans cesse dans sa compo- sition intime, et cette opération s’accomplit avec le concours permanent de l'eau. Celle-ci est le véhicule de la nourriture. Par l'acte d’une transpiration plus ou moins active, elle modère la température du corps. Elle le défend contre la destruction qui pourrait survenir par le simple effet des rayons du soleil. C’est elle encore qui, par les différents sels dont elle peut être pourvue, et qu'elle a dissous soit dans son passage au travers de l'air, soit par infiltration dans la terre, apporte au corps le calcaire nécessaire pour la confection des ossements, le fer utile au sang, l’iode qui protége contre les résultats du séjour dans l'air stagnant, humide et frais; c'est elle enfin qui, par sa nature, détermine la complexion dominante de la population d’une contrée. L'eau absolument pure, telle qu’elle proviendrait de la glace fondue ou de la distillation, ne remplissant pas l'ensemble des Conditions profitables au corps, lui répugne. Il n’est donc pas indifférent pour l’homme d’user d’une eau choisie (1). Les eaux les plus dangereuses sont celles qui ont pu s’im- prégner de putréfactions humaines. On devra les proscrire. Les eaux des puits peu profonds et situés sous des groupes d'habitations conserveront souvent, quoique sans goût et sans () Voir Les Eaux, par E. DELACROIX. — 116 — odeur, le même vice originel avec le même poison. Il est rare que les rivières soient exemptes de ce genre de danger. Celui-ci existe au plus haut point dans les mares stagnantes. Enfin, comme les eaux à ciel ouvert sont habitées par des plantes et des animaux qui y laissent leurs dépouilles, elles sont toutes insalubres en proportion de l'infection résultant de ce fait. On n'’évitera pas entièrement ces défauts en employant le mode des citernes alimentées par les eaux des toits. En effet, celles-ci ont dissous, dans leur trajet, ou entraîné une grande quantité de matières putréfiées à l'air. I n’y a pas d’eau potable de bonne qualité qui ne provienne de sources naturelles ou artificielles. Sources artificielles. — Les sources artificielles ont un pro- duit très limité; mais, à défaut d’autres, elles doivent être établies chez tout peuple civilisé. Sur une surface de sol naturellement imperméable, ou à laquelle on donnera cette qualité par un enduit — de mortier, par exemple, — s’étendra une couche d’au moins un doigt d'épaisseur de sable, puis, au-dessus, des couches de remblais calcaires, et des terres propres à la végétation, mais exemptes d'engrais, de gypses et de sels nuisibles. A cette masse filtrante seront mêlées des traces de minerais de fer qui seront connues pour renfermer un peu diode. L'épaisseur du remblai sera d'autant plus considérable que la proportion de terre employée aura été moins grande et que la contrée sera plus chaude. Une hauteur égale à celle de la stature hnmaine sera suffisante dans les cas’les plus désavan- tageux. Il est utile que le remblai, après son nivellement extérieur, ne fasse aucune saillie sur le terrain environnant avec lequel, au contraire, 1l doit se confondre à l'œil, afin de ne pas appeler les animaux et à leur suite des immondices. La surface imperméable aura une pente très faible vers un point unique où sera creusée profondément une citerne. Ce — 117 — réservoir, établi d’après les principes ordinaires, sera recouvert d'une voûte plus basse encore que la partie inférieure du remblai et facilement pénétrable à l’eau. Sur le tout s'étendra un pré, et dans les climats où cela serait impossible, un tapis de plantes courtes, mais de nature à faire naître la rosée durant les nuits claires. Lorsque la pluie tombera sur la masse filtrante, elle la trouvera toujours un peu humectée sous les herbes qu'entre- tenait la rosée, pénétrera lentement la terre, descendra goutte à goutte sur le calcaire, puis dans le sable, et par cette voie dans la citerne. Une faible partie de l’eau tombée sur un sol ainsi constitué retournera par l'évaporation à l'atmosphère. Le reste est acquis au réservoir pour l’approvisionnement de l’homme. Voici ce qui se sera passé : l’eau de pluie aura entraîné avec elle une petite quantité d'acide carbonique. Celle-ci, accrue à l'approche du sol, après s'être unie à quelque peu de calcaire rencontré au travers de la masse filtrante, s'est main- tenue avec lui à l'état de dissoit ion dans l’eau. Le liquide est ainsi muni de calcaire. Or, ayant d'autre part emprunté à l'atmosphère une assez grande quantité d'air, il a pu se charger, ävec ce concours, des traces de fer et d'iode en vue desquelles avaient été déposés des minerais dans la masse filtrante. Le liquide est ainsi complété quant aux matières dont il était convenable de le munir. Il renferme de l’air, du calcaire, du fer et de l'iode. Ces qualités ne se maintiennent dans l’eau qu'au prix d'une température peu élevée et de l'absence d'évaporation. On obtiendra cette dernière condition en tenant la citerne cons- tamment close, et en disposant une issue au travers des terres pour le trop plein, aussi bas que le niveau inférieur de la masse filtrante. Quant à la fraîcheur de l’eau, elle est assurée par la profon- deur de la citerne dans les pays où la température moyenne ne dépasse pas la quotité nécessaire pour que la vigne résiste — 118 — encore au froid. En pareil lieu, le pré de la masse filtrante peut être et doit être, avec avantage, exposé nu à l’aspect con- tinuel du ciel. Dans des contrées extrêmement chaudes, il conviendrait que durant l’action du soleil ses rayons fussent interceptés. L'eau étant menacée de perdre, par les changements de température, les sels dont elle s’est munie dans des circons- tances propices, ne doit être ni chauffée, ni extrêmement refroidie pour la boisson. Dans les pays même peu favorisés par la pluie, une masse filtrante de quinze pas de diamètre peut alimenter abondam- ment une famille ordinaire avec ses animaux. Les sommets les plus arides seraient rendus habitables par l'établissement des sources qu'il est ainsi donné à l'homme de pouvoir créer. Sources. — Le plus souvent on peut faire mieux, quant à l'abondance de l’eau, que de construire des sources artificielles. On peut, dans un intérêt général, dériver des cours d’eau plus élevés que le niveau du groupe des habitations. L'eau, reconnue bonne, doit être prise à la source même avant qu'elle ait été exposée à l'air et au soleil. Elle doit être conduite aux habitations par des canaux assez profonds pour que la température ne soit pas altérée. Lorsque le niveau des sources connues est plus bas que celui des habitations, 1l conviendra de rechercher sur des points plus élevés les cours d’eau souterrains. Si l’eau de pluie tombait sur un sol parfaitement imper- méable, elle s’écoulerait immédiatement en ruisseaux et en rivières jusqu à la mer. Mais la majeure partie des continents est formée de masses filtrantes; il y a-donc partout des eaux souterraines et des sources alimentées par les pluies. Elles varient quant à l'abondance et à la quantité; elles forment sous le sol, avant de parvenir à la mer, aux rivières et aux ruisseaux, un système de courants et en quelque sorte de lacs analogues à ce qui se voit au dehors. Il suffira pour les trouver de savoir faire. abstraction de la masse filtrante qui les recouvre, — 119 — puis, pour apprécier quelle quantité d'eau alimentera chaque noue, d'examiner à son tour la surface, l'épaisseur et la nature plus ou moins spongieuse de la masse filtrante elle-même. Rien ne serait plus facile que de déterminer, après l’examen du sol, l'emplacement et les formes du sol imperméable, le courant, la nature et la quantité des eaux filtrées, le procédé à employer pour les obtenir; mais de pareilles recherches, en raison même de leur utilité, éveillent toujours la plus vive réaction de l'esprit. L'homme, dans l'intérêt de l'équilibre général, tendra donc aveuglément à déraisonner dès qu'il s'agira de sources à découvrir sous terre. Pour échapper à ce danger, la société devra charger du soin de découvrir les sources des hommes exercés à la pratique de la géologie et des travaux de fontainerie, en écartant avec soin les opinions formées en dehors de ces spécialités. Il peut arriver encore, dans les pays de plaines, que l’eau de bonne qualité se trouve à une grande profondeur sous le sol, et que de là elles puissent être élevées soit par leur propre impulsion, soit à l’aide de mac'iines. Apprèts des vivres. L'homme rencontre des mets préparés en quelque sorte pour lui et qu'il peut consommer sans les avoir apprêtés. Cet avantage appartient de même, quoique à des degrés différents, à tous les animaux, et c'est une condition protectrice de chaque race contre la destruction. Mais il ne nous a pas été donné vainement de pouvoir, en outre, manger d'un grand nombre de matières différentes. L'abondance de la population ne s’acquiert qu’au prix de cette variété. Accroître par la science des apprêts le nombre des choses propres à la nourriture est un mérite qui distingue des sauvages les peuples civilisés. Chez ces derniers, le régime habituel sera toujours de produire la denrée, puis d'opérer sur elle un travail préalable avant de la consommer. Le nombre des aliments qui semblent n’exiger ou qui — 120 — n'exigent même aucune préparation se trouve, sous Chaque climat, très restreint. Encore est-il toujours nécessaire de les soumettre à un certain examen pour constater que nulle cause d'insalubrité ne les a entachées. L'incurie de l’homme serait promptement punie, s’il venait à compter seulement sur de pareilles ressources. En effet, des intempéries, des maladies, la concurrence d'animaux souvent microscopiques dont les circonstances auront inopinément développé le nombre, et des milliers d’âutres causes toujours présentes à la lutte d'où ressort l'équilibre général, détruiront peut-être l'aliment sur lequel il semblait le plus naturel de compter. La prudence commande donc d'apporter une variété pré- voyante dans les productions des denrées végétales ou ani- males, de telle sorte qu'une cause qui mettrait en périlcertaines espèces propres à notre alimentation, pût, au contraire, en faire réussir d'autres. | Elle commande ensuite que l’on classe comme nourriture, chez un peuple, tout ce qüi peut être utilement consommé par l'homme. Or, le nombre des choses dont il est possible de se nourrir est partout-plus grand que l’usage habituel ne l’admet. Il arrive même qu'un aliment estimé d’une population soit repoussé par une autre, sans autre raison que celle d’une répugnance malheureusement inspirée dès le bas âge. La prudence commande enfin d'étudier, comme une chose sérieuse, les meilleures manières de préparer les aliments. Les mets les plus précieux ne sont ni les plus rares, ni les -plus chers, mais simplement ceux qui ont été le mieux pré- parés et le plus convenablement présentés à l'appétit. Dans une société civilisée, il n’y a, sous ce rapport, ni riches, ni pauvres; 1l y a des gens qui savent ou ne savent pas faire. _ Les obstacles à la généralisation de l'habileté culinaire sont: la malpropreté qui engendre le dégoût, la paresse qui laisse sans mérite les meilleures choses, l'envie qui fait croire à une supériorité illusoire des objets inaccessibles par leur haut prix au commun des hommes. — 121 — On ne saurait vivre sans tuer d’autres êtres pour en faire ses aliments. Mais le meurtre, particulièrement en ce qui concerne les animaux, devra n'avoir occasionné aucune souf- france, sous peine d’inspirer peut-être au convive, en même temps que les souvenirs de cruauté, des sentiments certains de déplaisir et de répugnance. Le mets doit être exempt de toute association d'idées fâcheuses. On doit donner la nourriture aux enfants dans des condi- tions d'extrême propreté matérielle et idéale. Les voies publiques. Il n'y a pas de commerce sans voies publiques, pas d'in- dustrie sans commerce, pas d'émulation sans industrie. Pour produire le commerce, l'industrie et l'émulation, éléments essentiels de la civilisation chez un peuple, il faut donc par- dessus tout lui donner des chemins. La rue. — Dans un groupe de population qui tend à prendre une extrême densité, la rue est d'abord un moyen de mettre en communication mutuelle les demeures des habitants, les édifices, les places publiques, l'intérieur et l'extérieur de la cité. Elle a, en outre, pour but de distribuer aux maisons la lumière, l'air et la siccité, qui ne tarderaient pas à leur faire défaut si la commune ne secourait, au moyen de mesures générales, l'intérêt particulier. En retour du service rendu, la société limite l'ambition individuelle du riverain pour inter- dire les anticipations de terrain, les exhaussements exagérés de maisons et toute entreprise qui ne serait pas en harmonie avec les conditions complexes de perfection de la rue. Le niveau de la chaussée doit toujours être plus bas que le sol inférieur des habitations riveraines dans l'intérêt de la salubrité de celles-ci. La société ne se dessaisira donc jamais du droit d'exhausser le sol de la maison en même temps que le niveau de la voie publique. Une rue doit avoir la largeur nécessaire pour que le soleil puisse en éclairer les rives durant un temps utile. Mais dans — 122 — une ville ancienne, aux voies étroites, on rendra à celles-ci leur vertu assainissante en multipliant sur leur parcours des places publiques nouvelles, des créations de rues transversales très larges, et des carrefours très ouverts, enfin en abaïssant les maisons trop hautes. La rue est bien faite si, remplissant déjà ces diverses con- ditions, elle jouit, en outre, de pentes et de contours établis d'après les besoins. Elle plaît, si les édifices ou les objets vers lesquels doit être dirigée la chaussée se trouvent sur l’axe de celle-ci et constamment en vue du marcheur. Car les maisons riveraines ne commandent jamais l'attention. Elles ne sont vües que par celui qui les cherche, et reconnues qu'à la variété d'aspect des façades. Les obstacles au perfectionnement de la rue proviendront, d'une part, du zèle de l'individu à rendre sa maison plus distincte en la faisant plus saillante et plus haute que les voisines; d'autre part, d’un sentiment de réaction contre l'in- térêt individuel qui porte l'autorité à prescrire des chaussées en droite ligne, uniformes de largeur, uniformes même quant à l'aspect des facades riveraines, libres de tout obstacle qui, nonobstant la plus heureuse opportunité, contrarierait l'idée absolue du parcours. L'individu, en vue du mieux, aura pu déranger les proportions de la statue; l'autorité annihile celle-ci en réduisant le marbre à un bloc simplement équarri. La route. — Le commerce est d'autant plus actif que les voies de transport des objets sont plus faciles. Dans des contrées privilégiées, les mers, les fleuves et même des chemins naturels sur terre engendrent le mouvement commercial. Chez tous les peuples civilisés, l’industrie humaine crée la route, qui est le complément auquel aboutissent inévitablement les autres sys- tèmes de circulation. La route a ses points de départ et d'arrivée dans les centres de population; mais, quoique subordonnée à ces derniers, elle finit par être la cause dominante de leurs emplacements. Il importe donc que tout tracé de route ait d'abord pour résultat — 123 — d'appeler en lieux élevés, et non dans les vallées moins saines, les nouvelles habitations, d'encourager la formation des groupes sur des points à la fois plus hauts que l'air stagnant des fonds et plus bas que les niveaux des sources propres à être dérivées, de desservir enfin les zones où prospèreront le plus sûrement les qualités de la race humaine. Dans son parcours, la route rencontrera des intérêts à satis- faire, des richesses à faire éclore, des obstacles à tourner. Rien ne doit être négligé de ce qui peut augmenter l'utilité de la voie. È Le tracé parfait d'une route, au point de vue géométrique, est une courbe à double courbure, continue, astreinte à passer par des points déterminés, à s'infléchir pour en atteindre tan- sentiellement d’autres intermédiaires et à rester néanmoins, dans ces conditions, courte et facile de pentes. Les.routes conduisent d’une commune à une autre; mais sur chaque territoire doivent être établis des chemins d’un intérêt plus limité. Ils conduisent aux champs, à la pâture, à la forêt et au habitations séparées du groupe. On doit les traiter, toutes proportions gardées, comme des routes. La place du marché. Il faut, pour le trafic à longues distances, des établissements spéciaux; mais le commerce capital est celui qui se fait par le cultivateur et pour lui : ce sont les foires. La commune doit avoir dans ce but une place publique très vaste, centre-des routes, et entourée de maisons. Des abris, des arbres et des fontaines sur la place, des hôtelleries et les marchands du pays au pourtour sont les accompagnements indispensables du marché. De l’ordre, de la liberté et des jeux en assureront le succès. Les jours de foire sont périodiques et doivent être connus au loin. Leur détermination doit résulter du consentement de toutes les communes d’une contrée. Les marchés destinés à l'approvisionnement journalier d'un — 124 — groupe de population sont en réalité des foires réduites à de minimes proportions. Le même lieu devra les recevoir dans les mêmes conditions de tenue. Les terres communales. S'il arrivait que chaque famille eût sa maison et, groupés autour d'elle, son champ et son bois, la société aurait atteint cet état idéal vers lequel elle doit tendre sans cesse sous peine de déchoir. Cependant ce bien-être, impossible vu le principe de lutte qui régit le monde, peut avoir en partie son équivalent dans la constitution des terres communales. Celles-ci seront une condition essentielle de santé et d'agrément pour l’homme comme pour les animaux domestiques dont il vit. Elles auront, pour ce but général, des emplois divers. Le jardin public. — C'est une arène avec des ombrages et des gazons, où l'enfant Jouisse de toute la liberté de mouve- ments possible à l'abri des dangers qu'il est bon de prévoir. Le pré-bois. — Une pelouse sur le sol le plus sec, mais oarnie de touffes d'arbres et de buissons, sera destinée aux animaux de l'espèce ovine, et à leurs équivalents, tels que la chèvre. Un espace non moins considérable doit être affecté aux ani- maux de la plus haute taille, avec de grands arbres donnant des ombrages. | La forêt. — La forét sera livrée à la pâture des animaux domestiques qui vivent à l'ombre et fouillent la terre, tels que le porc. L'une et l’autre partie des prés-bois, ainsi que la forêt, seront munies de clôtures, afin que les divers groupes d’'ani- maux jouissent, chacun dans sa contrée, de la plus grande liberté sans pouvoir s'échapper pour nuire au dehors, et acquièrent sur le parcours une santé nécessaire à eux comme à l’homme qui doit tirer de leur dépouille une nourriture saine. La commune prendra les mesures nécessaires, selon le climat et les circonstances, pour protéger les plantes au — 125 — moment le plus critique de la végétation, et pour maintenir le sol dans l’état de conservation qu'il comporte. Elle fera planter des arbres fruitiers sur tous les points où ils pourront réussir, eten variant les espèces de manière à donner toujours quelques fruits aux appétits de l’homme et de ses animaux vaguant par les prés-bois ou la forêt. En raison de la variété nécessaire des arbres et de leur diversité de croissance comme de durée, les plantations n'’af- fecteront ni des lignes géométriques, ni une irrégularité capricieuse. Elles occuperont les points les plus convemables relativement à la nature du sous-sol, à l'orientation, aux groupes des buissons protecteurs, à la liberté de la circulation, aux nécessités de la clôture. Distrait plutôt que détourné par ces accidents semés autoür des pelouses et des clairières, l'œil devra pouvoir se promener sur de longs espaces. Les eaux s’y montreront pour la soif et pour le bain. C’est sur les terres communales que la jeunesse viendra, de même que les animaux, revivifier son corps et son intelligence. C'est là que tous les âges trouveront, après le travail, le repos animé et salutaire du grand air au milieu des richesses accu- mulées de la nature. Le jardin public, les prés-bois et la forêt devront, autant que possible et nonobstant les subdivisions accusées par les clôtures, formér un vaste groupe. Etablir celui-ci avec sagesse et le tracer avec art est un problème que rarement les hommes les plus spéciaux eux-mêmes sauront résoudre, mais que toute administration civilisée doit entreprendre avec persévérance. Les obstacles à cette entreprise seront puissants : résistance de l'intérêt privé à coopérer à une œuvre commune; disposi- tions de l'individu à abuser du domaine public, et de l'admi- nistrateur à écarter l'individu ; aveugle tendance de tous vers le partage ou la vente des terres communales. : — 126 — Les fêtes. Une réaction permanente contre les labeurs journaliers du corps et de l'esprit appelle les fêtes. Il faut non pas essayer de supprimer cette irrésistible tendance, mais la régler pour en conjurer les inconvénients. Il faut, dans l'intérêt général, rer parti même d'un temps, d'efforts et de mouvements qi pourraient sembler perdus. Une société civilisée trouvera encore du profit dans les fêtes, si elle a su lutter contre la folie du courant par d’opportunes dérivations d'idées. Plus le corps aura subi longtemps la contrainte d’une même attitude, plus il aura besoin d’un exercice général de tous les membres. SE Plus l'esprit aura été tendu dans une seule EE plus l'imagination aura besoin de s’ébattre. Il y aura donc des fêtes d'ordres différents pour satisfaire à des aspirations différentes elles-mêmes. Fêtes du corps. — Les fêtes ayant toutes pour résultat de dérober momentanément l'individu à la prédominance des conseils de l’âme, doivent être réglées avec d'autant plus de soin qu'elles offrent sous ce rapport un plus grand péril. La société organisera donc, pour tous, des fêtes qui répondent aux aspirations du Corps, sans que les intérêts majeurs de l'humanité en soient compromis; elle instituera des jeux gymnastiques. Ceux-ci seront publics, afin que chacun puisse y prendre part, et variés en raison des fatigues antérieures à réparer. La commune leur affectera un local ouvert à tous les regards, et où nulle faute ne puisse échapper, ni à la surveil- lance générale des citoyens, ni à la vindicte de la morale publique. De tous les jeux, c’est celui de la danse qui a particubère- ment le don de séduire le plus vivement la jeunesse. Il importe donc beaucoup de ne pas laisser au hasard, ou à la fantaisie, le choix des dispositions chorégraphiques. Des mesures, futiles en apparence, mais d'où peuvent résulter les plus graves consé- ; — 127 — quences dans l'avenir, doivent être traitées selon l'importance du but définitif de la société, et non pour elles-mêmes. La détermination du lieu, du jour, de l'heure, des circonstances, du mode, du choix des appelés, pour les fêtes chorégraphiques, le règlement, en un mot, des danses publiques, tout cela constitue un devoir communal. Fêtes de l'esprit. — Les fêtes de l'esprit, autant qu'il est possible de les distinguer de celles du corps, ont pour objet d'appeler une assemblée à jouir en commun d'une série d'idées données en pâture à l'imagination. Comme celle-ci se plaira par dessus tout à des exercices différents de ceux auxquels elle s’'adonne dans le labeur journalier, elle voudra des fictions. De là surgit un danger; car il se pourrait qu'après être sorti de la réalité on eût peine à y rentrer. Il faudra donc écarter de ces fêtes toutes les idées ayant pour résultat d’atténuer dans une population l'amour de la famille, du pays et de la vie que celui-ci comporte. On écartera les fictions dont l'impression trop forte pourrait ensuite embarrasser le travail habituel de l'esprit, ou le dévoyer. Chez les peuples peu avancés en civilisation, les grandes réunions d'hommes font naître les querelles, le jeu et le vol. De ces trois maux, le dernier est le plus simple à réprimer, parce que, attaquant indifféremment chacun au profit d'un seul, il rencontre partout la même animadversion. Quant aux deux autres, il est difficile de rectifier à leur égard l'opinion des assistants en raison de leur complicité plus ou moins directe, mais habituelle dans la faute. On regarde en général comme licite le jeu, lequel consiste à chercher dans le hasard, ou dans les éventualités de l'adresse d’un moment, un certain lucre au détriment d'autrui. Le consentement de celui qui perd semble absoudre celui qui gagne. Il en serait ainsi effec- tivement si la perte n’affectait jamais d’une manière appréciable le bien de la famille. Mais il arrivera souvent le contraire, et comme le droit de propriété appartient en somme à l'avenir des enfants, il convient que la famille soit munie du pouvoir — 128 — de revendiquer ce qui aurait été détourné à son désavantage. Le gagnant devrait se trouver, par rapport à elle, sous le poids d'une restitution à faire et d’une peine à subir. La poésie, la musique, les spectacles, l’éloquence font les frais des fêtes données à l'imagination. En tous pays, les fêtes les plus splendides de l'esprit sont données par la religion. Elles se développent avec la cixi'i- sation, perdent peu à peu par le contact ce caractère de misere féroce qui est le propre de l’état sauvage, et finissent par n’em- prunter leur prestige qu’au luxe des beaux-arts. En raison de la crainte des intempériés et par la nécessité d’espacer régu- hèrement les jours de trève dans le travail, la religion célèbre habituellement les fêtes à date fixe et sous un abri. Le succès de ces fêtes est dans la foule des assistants, le mérite de l'édifice et Le génie artistique employé à faire dominer, durant la cérémonie, un certain ordre d'idées traditionnelles. La commune devra éviter de subdiviser la foule en des lieux saints différents. Ces morcellements amoindriraient la fête, et, s'ils étaient poussés à l'excès, ils n'auraient plus pour effet que de réveiller par l'isolement, chez l'individu, le sentiment de l’égoisme et de l'idolâtrie. Quand une contrée jouit d’un climat exempt des froids de l'hiver, le temple doit associer à ses richesses monumentales celles d'un horizon en harmonie avec lui. De grands arbres et de belles roches peuvent tenir lieu de clôture contre l’action des vents qui seuls resteraient à craindre en pareil cas. Le plus souvent le temple doit protéger les assistants contre le froid, le chaud, les vents, la pluie ou la neige, enfin contre les incidents de la voie publique. De là l'utilité d’un édifice clos de toutes parts, et dans lequel se concentreront les efforts de l'architecture. — 129 — LIVRE IV. L'ARCHITECTURE. I Tout homme a reçu, en don naturel, les aptitudes néces- saires pour concevoir et construire l'abri de sa famille; il est architecte. Mais plus un peuple est civilisé, moins il se con- tente des simples procédés du sauvage. La société forme des hommes spéciaux chez qui l'habileté première soit centuplée par l'éducation. Elle fait de l'exercice de l'architecture une profession qui consiste à diriger la pensée et l'exécution de l'œuvre, à gouverner la chose et ses artisans. Le soin du maître des lieux devra donc être dès lors de savoir se choisir un architecte et d'en traire les conceptions librement formées. Comme contrepoids au perfectionnement de l'architecture intervient toujours l'autorité du possesseur dans l'œuvre, de sorte que la production devient une résultante entre les con- ceptions de l'artiste et la volonté de celui qui paie. L'un et l’autre se trouvent encore le plus souvent dévoyés par la Mope. Cette maladie existe surtout dans les civilisations assez avancées pour faire naître le luxe; elle y résulte de l'inégalité des richesses. Des personnes en position de briller tiennent à se distinguer du vulgaire par des nouveautés que celui-ci ne tarde pas à imiter à son tour. Le mal devient une calamité lorsqu'un souverain et sa cour introduisent dans l'usage les modes dont l’imitation sera nuisible à l'intérêt du plus grand nombre. L'architecte, destiné à créer des œuvres plus durables qu'une mode, doit s'être rendu, par l'étendue de son savoir, complè- tement indépendant de la tyrannie de ce vice. IL imprimera 9 — 130 — lui-même à ses œuvres un caractère d’impérissable nouveauté, lorsqu'il les aura conçues chacune avec les éléments spéciaux qui lui seront propres; car des études logiquement établies d'après des circonstances différentes ne pourraient pas aboutir à des résultats identiques. Elles excluent par elles-mêmes toute pensée d'imitation. La ressemblance d'une œuvre avec une autre peut être le produit fortuit de points de départ peu différents; elle ne sera généralement que l'effet d'un art encore insuffisamment développé. L'architecte. L'architecture ne vaut chez un peuple que par le mérite de l'éducation donnée à l'architecte. Destiné à suppléer par la spécialité de certaines connais- sances à l'inexpérience de ceux qui en sont dépourvus, l’ar- chitecte doit d’abord avoir été muni dès sa jeunesse d’une instruction très variée et qui le place au niveau des classes les plus favorisées sous le rapport de l’enseignement recu. Il doit, en second lieu, dépasser cette limite quant à la connaissance des phénomènes physiques qui intéresseront ses œuvres. Il connaîtra les matériaux à employer, ainsi que les procédés de l’industrie et des beaux-arts, de manière à pouvoir toujours déterminer le degré de perfection des ouvrages. Il aura étudié dans leurs moindres détails les usages de toutes les classes de la population à laquelle il se trouve attaché. Il possédera une telle habitude pratique du dessin que la main, chez lui, rende instantanément la pensée, puis un tel sentiment d'appréciation que celui-ci puisse précéder tous les calculs, en tenir même lieu durant l'étude des projets. Car on a, au fond, besoin de l'expérience acquise par l’ar- chitecte, et de ses conceptions bien plus encore que de sa participation à la conduite des ouvriers et au contrôle des dépenses. — 131 — La stéréotomie. — L'architecte doit posséder, en commun avec les ouvriers, l'art de tracer les lignes suivant lesquelles les matériaux seront préparés et employés. C’est le premier enseignement spécial qui lui incombe. L'art du trait est indis- pensable à celui qui va participer à l'exécution d’un bâtiment, d'un meuble, d'une machine, en un mot de toute chose destinée à recevoir une forme. Plus un peuple est civilisé, plus il pos- sède d'ouvriers exercés dans la pratique de cet art dont dépend la perfection des ouvrages. Quant à l'architecte, il doit être rompu à ce genre de travail et s’en servir à toute heure, sans avoir jamais besoin pour cet objet du moindre effort. IT L'OEUVRE. L'œuvre doit être constituée en vue directe du but. Elle tire son utilité comme son ornementation de sa dispo- sition générale, de la distribution des parties, du choix et de l'emploi des matériaux, de la netteté des effets produits sur les sens. Le vrai. Les diverses parties d’une œuvre n'ont pas besoin d'être mises toutes également en vue. Celles qui éveillent les idées le plus en rapport avec le dehors doivent se produire avec le plus de relief. Les autres, au contraire, doivent rester plus ou moins en retrait; mais, que ni les unes, ni les autres ne mentent. Une œuvre parfaite exprimera nettement, et dans toutes ses parties, sa destination. Elle s’expliquera elle-même aux premiers regards, sans qu'il soit besoin de l’aide d'un interprète. L'obstacle à la production d'œuvres vraies gît dans l'im- puissance habituelle des auteurs, rien n'exigeant plus de savoir et d'étude que de pareilles entreprises, rien, au contraire, n'étant si aisé et si attrayant que d’imiter et de simuler. Cette — 132 — impuissance se dérobe elle-même sous un abus aveugle de la symétrie, laquelle couvre de son mérite les compositions les moins intelligentes. L'architecte, proportionnellement au degré de liberté que comportera l'appropriation de l’œuvre, s’appliquera donc : À faire ressortir de l'ensemble une signification manifeste du but ; À produire en son rang, avec son volume et sa forme carac- téristique, chacune des parties ; A tirer une première ornementation de l’ingénieuse com- binaison des matériaux même dont il aura dû se servir. Le beau. Le beau est l'apparence, non la réalité du bien. Il en est le sentiment sujet à erreur. Mais il émane toujours de lui. Pour atteindre la première de ces qualités, il faut viser droit à la seconde. | | Toute œuvre humaine ayant pour but un succès quelconque dans la lutte permanente à laquelle Dieu nous destine, et, pour moyens, des procédés conformes aux lois naturelles, sera belle par cela même qu’elle est sur la voie du bien. Ainsi, la première condition d'une entreprise devra être son utilité pour la race, pour la famille, pour l'individu. Or, le nombre des circonstances d'où peut surgir l’utile est infini, comme celui des formes qu'il peut revêtir. L'architecte ne cherchera donc point le beau pour le beau, chose impossible, mais l’utile d'où son intelligence fera découler le bien, et le bien d'où naîtra de lui-même le beau. Il obtiendra dans cette voie un succès proportionné à son expérience. Sans pouvoir jamais atteindre cette perfection qui appartient indistinctement à tous les types de la création, il parviendra néanmoins, en concentrant ses efforts d'homme vers un but accessible à l'intelligence humaine, à produire le beau. = A Symétrie artistique. Il n'existe de symétrie absolue que dans la surface de la sphère considérée au point de vue théorique. Dans les formes, toujours parfaites, établies pour les êtres vivants, la symétrie est restreinte quoique nécessaire; elle ne s’y manifeste même . pas toujours aux regards, quoique ne cessant jamais d'exister. Mais on l'y reconnaît dans chaque masse douée d’une direc- tion, ayant en conséquence un avant, un arrière et des flancs, avec une base et une sommité. Le caractère des formes naturelles est de présenter deux moitiés en parfait équilibre, point pour point, l’une avec l’autre, mais indéfiniment variables de l'arrière à l'avant, de la sommité à la base. Habitué à confondre le beau avec le bien des types naturels, l’homme est entrainé à considérer, pour ses propres œuvres, la symétrie comme une cause déterminante, et non plus sim- plement comme un des éléments du beau. Transgressant même alors l'exemple de la na:ure, il abuse ordinairement de l'usage de la symétrie pour l'appliquer, nonobstant les conve- nances les plus manifestes et les destinations les plus opposées, aux flancs et à l'arrière comme à la face d’une même œuvre. L'architecte s'efforcera d'échapper à l'erreur commune. Subordonnant la symétrie aux besoins, il calculera d’abord ceux-ci ; Puis il revétira de la forme symétrique chaque partie de l’œuvre qui comportera cette disposition : Symétrie pour deux choses destinées à demeurer en parfait équilibre de solidité ; Symétrie des centres de gravité apparents, lorsque, sur un côté d’axe par rapport à l'autre, les masses différeront de hauteurs et de largeurs sous le même coup d'œil. Ce qui, dans une œuvre, est un flanc perdra ce caractère chaque fois que la symétrie ne s’y bornera pas à l'équilibre des centres de gravité des masses. — 134 — Variété et rhythme. Le mot seul de variété éveille d'une manière générale l’idée de diversité quelles qu'en soient les circonstances. Mais, dans une œuvre pourvue d'une destination qui est une, la variété consistera nécessairement dans l'application des lois harmo- niques du contraste. Elle n’existera, même en réalité, qu’à la condition d’avoir été calculée avec précision sous le rapport des nombres, de la forme, de la couleur, de tous les éléments enfin dont l'homme dispose pour agir dans le cercle limité de l'unité de l'œuvre. Variété dans la distribution de l’œuvre. — L'architecte que dirigeait le désir d’être vrai dans la distribution d’une œuvre a déjà, par cela même, atteint les causes les plus essentielles de la variété. Car chaque partie concourt à l'unité de l’en- semble par les moyens qui lui sont propres, et qui diffèrent toujours en quelque point les uns des autres. 11 suffira donc de ne pas altérer le type des détails, et l’on verra paraître, comme spontanément, dans la masse, la variété qu'il faudra calculer ensuite. Rhythme architectural. — Sirnultanément avec cette pre- mière opération, il faut relier toutes ces parties diverses par un élément commun qui maintienne le caractère d'ensemble. Ce lien consiste en une sorte d'ornementation contigue, ayant par elle-même une importance secondaire, mais dont le carac- tère soit de se reproduire toujours la même à la manière d'un rhythme, emprunté, selon le cas, à la forme, à la couleur, au son, ou à d’autres procédés auxquels l'imagination soit acces- sible, ou enfin à plusieurs de ces moyens à la fois. Tout rhythme devra être constitué de telle sorte qu’il laisse en relief les éléments de variété propres à l'œuvre. L'ornementation doit ressortir de la nature de l'œuvre et s'y rendre utile. | Variété dans le détail. — Si chaque partie d’une œuvre doit être disposée en vue de l'unité dans l’ensemble, elle doit à — 135 — son tour être étudiée comme formant un tout. La masse se compose ainsi d'œuvres subordonnées les unes aux autres quant à l'importance, comprises hiérarchiquement dans la même Conception, mais qui, considérées isolément, ont toutes une valeur propre. II “ORDRE ARCHITECTONIQUE. Un Ordre, en architecture, est le système des proportions dans lesquelles apparaît la masse. Il se résume communément, pour le praticien, dans certains types des supports, de leurs bases et de leurs couronnements, ou autrement de la Colonne, du Soubassement et de l'Entablement. Ces types varient suivant la nature des matériaux, le climat et les usages de la population ; ils devraient varier aussi souvent que les circonstances dans lesquelles se produit l'édifice. Mais, étant données les dispo:itions sommaires d'un Ordre, toutes ses parties doivent coexister suivant les nombres har- moniques, sous peine de produire des notes fausses dans le chant de l'édifice. L'application de ce principe est compliqué de la nécessité où se trouve l'architecte de tenir compte, dans ses mesures, des réductions ou des augmentations de volumes produites sur l'œil par la perspective des parties rentrantes ou saillantes, par l'intervention des voussures, des frontons, des combles et des étages. Proportions de l'Ordre. — L'architecte doit déterminet les rapports de dimensions : 1° Entre la largeur, quelle qu'elle soit, de l'édifice et sa hauteur ; 2° Entre cette hauteur et celle de la colonne; 3° Entre l'épaisseur de l'entablement et le diamètre de la colonne destinée à le supporter. — 136 — Car telles sont les choses qui atteindront successivement l'esprit du spectateur avant toutes les autres. Dans le cas le plus simple, où la facade se trouvait réduite à un entablement sur des colonnes avec des gradins pour socle, les temples les plus anciens de la Grèce affectaient habituelle- ment Le rapport de 6 à 4, ou du sol de la gamme (6/4), tant pour la largeur comparée à la hauteur quant à la face anté- rieure du monument, que pour la comparaison de la hauteur de la masse avec celle de la colonne. Et comme ces temples étaient surmontés de frontons, la hauteur générale de la masse se mesurait, suivant le cas, soit du sol au centre de gravité du fronton, soit de la même base inférieure jusqu'au sommet de ce triangle traditionnel. Il fallait, pour motiver cette dernière mesure, que l'attention du spectateur fût appelée plus haut que le centre de gravité du fronton par quelque ornementation qui signalât le faîte de l'édifice. Néanmoins, l’art ne se bornait point à la manifestation d'un accord architectonique de ut, sol, pour les édifices sacrés. Au temple dit de Minerve et d'Erectée, le rapport de la hauteur totale de l'édifice à celle de la colonne fut de 5 à 4, ou de m? (5/4); celui de l’entablement au diamètre moyen de la colonne de 5 à 2, ou de mi grave (5/2); celui du chapiteau au même diamètre de 9/8 (ré). Le petit monument rond dit de Lysicrates, à Athènes, est plus compliqué quant à ses dispositions harmoniques. Il con- siste : d’une part, dans un Ordre avec sa base propre et son couronnement, ayant en dessous un soubassement élevé, en dessus des ornements étagés plus haut que la corniche; d'autre part, dans une façade en retrait de la colonnade, concentrique avec celle-ci, et portant elle-même un entablement qui se perd derrière l'architecture extérieure. ; Dans ces détails, le monument présente les proportions suivantes : La masse, mesurée du sol jusqu’au-dessus de la double dentelle de l’entablement, étant 5, la hauteur depuis le sol — 137 — jusque sous le couronnement du nu de la tour intérieure est de 4 : soit le rapport de mi (5/4). L'Ordre, c’est-à-dire la colonne, son entablement et sa base particulière étant 4, la hauteur de la colonne est 3 : soit le rapport de fa (4/3). Le même Ordre, avec les mêmes détails, mesuré jusqu'au- dessus du premier rang de dentelle seulement (le second rang correspondant à la tour intérieure), a une hauteur double de la largeur du monument, soit le rapport d'ut aigu à ut (2/1). Enfin l'Ordre, diminué de son entablement et de la moitié inférieure de son socle conserve la proportion de 6, pour sa hauteur, à 4 pour la largeur correspondante du monument, ou de sol.(6/4). Si l'on ajoute, au contraire, à cette dernière mesure de hauteur celle de l’entablement et du comble, elles représen- teront ensemble les 3/5 de la hauteur totale du monument, lequel sera par rapport à ce groupe de 5 à 3, ou de {a (5/3). Résumant ces rapports, on trouvera dans le petit monument de Lysicrates les deux séries harmoniques : ut, fa, la, ut aigu, Et ut, mi, sol, ut aigu. Les rapports harmoniques à constituer dans la disposition d'une façade sont parfois très nombreux. L'expérience de l'architecte sait les multiplier selon les besoins, non qu'il les calcule toujours géométriquement, mais parce qu'il en possède un sentiment qui tient lieu. de calcul. Néanmoins il ne doit pas dédaigner l'emploi de quelques procédés qui peuvent le garantir contre les erreurs. Emploi de l'Ordre. — La hauteur de la façade ayant été mise en rapport avec sa largeur, l'architecte, à moins d’une préférence motivée, adoptera comme règle de son dessin le principe de la gamme fondamentale, dont le nombre est 24. Ainsi qu'on l'a vu précédemment, celui-ci peut être remplacé par ses dupliques, ou par des sous-multiples binaires qui sont ses équivalents harmoniques, et il satisfait au plus grand — 138 — nombre des cas. Le dessin sera donc divisé dans sa hauteur en 24 parties horizontales, où mesures égales, sauf à recourir aux subdivisions dupliques s'il est nécessaire. Sur ces mesures, ou sur leurs dupliques intercalées, qui constituent le rhythme élémentaire de l'œuvre, viendront s'appliquer les hauteurs des groupes et des subdivisions de groupes, dont l'addition totale est destinée à remplir l'ensemble projeté de 24. Après ces opérations préliminaires, l'architecte revisera et modifiera chaque hauteur de manière à ce qu’elle aboutisse par l’une et l’autre de ses extrémités sur une des lignes tracées. Il se gardera de faire aboutir un groupe sur les lignes du milieu, la césure en ce point devenant une faute contre l'unité. Il excluera de la série des nombres devant exprimer les hauteurs capitales, ceux de 23, 19, 17, 13 et même 11, ceux-ci devant avoir un autre genre d'emploi. Il ne produira les uombres pairs que privés de césure sur leur milieu. Il disposera ses groupes selon leur importance relative, subordonnera la dimension de chacun aux proportions classées dans la gamme, réglera les largeurs d’après les hauteurs ad- mises et répartira sur les ensembles les rapports harmoniques. C'est ainsi que, dans l'Ordre considéré isolément et réduit à l'entablement sur sa colonne, les proportions, selon le cas, seront les suivantes d’après la gamme fondamentale (!) : 1° Hauteur totale 9, hauteur de la colonne 8, rapport de ré (9/8); 20 [d. 5, id. CE mi (5/4) ; 30 Id. 4, id. dd fa (4/3); 40 Id. 3, id. où id. sol (6/4); 50 Id. 5; id. 3, id. la (5/3); 60 Id. “ps id. 4, id. si-bémol (7/4); 70 Id. 5 id. B;° si (15/8). Quant au diamètre moyen de la colonne, il est naturellement subordonné à l'épaisseur de l’entablement; et ce dernier sera en ip (*) Voir les lois harmoniques. — 139 — le plus souvent alors de 5 par rapport à ? ou 5/2 {mi-grave), ou même de 2/1 (uf aigu). Si l'Ordre est exhaussé sur un soubassement; s'il esten même temps surmonté d’une addition à l’entablement, il faudra que ces deux nouvelles parties trouvent place dans l’ensemble au détriment des premières. Les proportions de hauteur de la masse par rapport à celle de la colonne seront alors rangées sous la loi des notes les plus élevées de la gamme, telles que 9/2, 9/3, 7/4 et 15/8. Et comme il faudra faire ensuite le par- tage de tout ce qui n'est pas colonne entre l’entablement, le soubassement et le couronnement, l'architecte aura successi- vement quatre accords harmoniques à établir : De la colonne à l'entablement ; De l’entablement à son couronnement; De ces deux derniers, -ou, selon le cas, de l’entablement seul avec le soubassement. Si chacun de ces groupes de la façade est lui-même ensuite subdivisé en parties diverses, ces subdivisions seront opérées aussi, comme dans les groupes principaux, selon les lois de la gamme. Mais la multiplicité des détails pouvant égarer l'or- donnateur, il aura soin de se rappeler ces règles sommaires qui résultent de l'application des lois harmoniques, savoir : Que l'on subdivise 3 en 2 et 1, 4 en 3 et 1, Dre 3.6b 2 7 en 4 et 3, 8 en » et 3, 10 en 6 et 4, F2-ennt et-5: Mais avant de poursuivre plus loin l'indication des procédés . pratiques par lesquels on doit chercher à établir la variété dans les proportions de l'Ordre architectonique, il est néces- saire d'exposer aussi les moyens habituels du rhythme dans l'œuvre. — 140 — De bas en haut, dans une façade, le premier élément du rhythme est la succession des matériaux de construction en lignes horizontales. Il peut n'être pas constamment apparent; il s’effacera même sur de grandes hauteurs; il ne doit jamais cesser d'exister. Car c'est par lui que le charme se transmet à l'œil, comme à l'oreille l'empire de la mesure dans une œuvre musicale. L'action du rhythme s'exerce de même dans le mesurage horizontal. Il commande alors les séries de colonnes sem- blables, et les reproductions soit de la même fenêtre, soit de la même porte, soit d'un autre même détail d’ornementation. . C'est au sentiment de cette double direction du rhythme que l'on doit l'usage du réseau des lignes horizontales et ver- ticales dessinant une à une des pierres et formant des refends sur les murs des temples grecs. Un détail architectonique peut être rhythmé comme l'en- semble. Les cannelures sur une colonne fournissent un exemple bien connu de ce fait. Il en est de même de tel ornement, minime par lui-même, et qui se reproduit sur de longues lignes de moulures. Ordres superposés. — On superposera impunément trois, cinq et même sept ordres; la difficulté est extrême d'organiser l'un sur l’autre deux étages seulement. En effet, dans ce der- nier cas, il faut, pour conserver le sentiment au moins de l'unité, sacrifier à l'œil soit le rez-de-chaussée en le réduisant au rôle d'un soubassement, soit l'étage en lui donnant l'aspect d'un couronnement. Et dès lors il n'y a plus réellement deux ordres superposés, mais un seul ordre sous un couronnement, ou sur une base élevée. . Trois ou cinq ordres superposées établissent un rhythme, et conséquemment exigent des hauteurs rigoureusement égales entre elles. Mais cette superposition présente à son tour une masse, et, formant ainsi, par rapport à l'ensemble, un seul ordre, devra être traitée comme telle. — 141 — . Ordre multiple. — Dans un même étage, on verra parfois un ordre architectonique appliqué à la décoration d’une porte ou d’une fenêtre, puis un second ordre sur la paroi qui con- tient immédiatement cette ouverture, enfin un troisième affecté plus particulièrement à représenter l’ensemble de l'édifice. Peut-être même les colonnes formeront-elles des lignes qui, rangées les unes en arrière des autres, sur des gradins de hauteurs différentes, appartiendront toutes néanmoins à un seul étage. Quelles que soient les dispositions dans lesquelles ces cas se produiront, le nombre des ordres différents devra être de 3 et non de 2 ou de 4. Il pourrait même être de 5. Les hauteurs respectives de ces ordres seront rigoureusement subordonnées les unes aux autres selon les lois harmoniques. L'Ordre et les voussures. — Une voussure repose sur des supports et constitue réellement avec eux un ordre. La hauteur de celui-ci se mesure du sol au centre de gravité de la vous- sure, quelles que soient les dispositions imaginées pour cette dernière. De cette unité de la voussure et du support doit résulter une forme telle que l'équilibre de l’ensemble soit assuré non- seulement en réalité, mais encore pour l'œil. La partie consti- tuant le support devra donc être caractérisée par une tendance à s'élargir plutôt qu'à s’amincir, et, sous le rapport de la hauteur, rester toujours subordonnée à la voussure. Ce qui a été dit des proportions de l'Ordre architectonique s'applique donc ici avec cette observation : que plus le support aura été réduit de hauteur et accru en largeur, mieux les conditions de la voussure seront satisfaites. Dans ce cas même, les rapports harmoniques rappelés à propos de l'Ordre, peuvent être, non-seulement renversés, mais encore avoir leurs déno- minateurs plus graves d’une octave ou de deux : 9/4 ou 9/2, au lieu de 9/8; 5/2 ou 5/1, au lieu de 5/4, etc. Lorsqu'un édifice est voûté sur une grande surface, il arrive ordinairement que celle-ci est occupée par de nombreuses — 142 — piles sur lesquelles reposent les voussures multipliées de la masse. Il n'en existe aucun cependant qu'une coupole unique sur un support très bas n'eût pu remplacer au point de vue de la capacité. Car la voussure la plus solide, en même temps que la plus spacieuse sous le rapport de la forme, est celle qui repose sur une base circulaire, large et peu élevée. Elle jouit ainsi, sur le plus long développement possible, de la puissance de résistance la plus réelle comme aussi la plus évidente. Le plus souvent les convenances demandent d’autres vous- sures qui peuvent varier de la forme de la sphère à celle du berceau. Celui-ci lui-même se présentera sous de très nom- breuses dispositions. Il sera droit, annulaire, en pente, en spirale; quel que soit le cas, l'architecte devra toujours veiller à ce que l’ensemble présente une masse dotée de proportions normales dans tous les sens. | Pénétrations dans les voussures. — Il arrivera fréquemment aussi que des voussures accessoires devront pénétrer la prin- cipale. Les arêtes de ces pénétrations seront toujours des courbes tracées suivant les lignes les plus caractéristiques de chaque voûte. Elles ne seront donc à double courbure qu'au- tant que les votiSssures elles-mêmes auraient des surfaces de ce genre pour génératrices. Groupement des voussures. — L'habile emploi des voussures n'ayant lieu chez les peuples qu’à la suite d’une longue expé- rience de ce genre de construction, restera par cela même un mérite toujours rare. Il est redouté, en raison des dangers d'une mauvaise combinaison, par toute personne qui n’a pas eu des modèles sous les yeux. Cette répugnance écarte princi- palement l'emploi des voûtes qui sont les meilleures quant à la forme et à la solidité, telles que les dômes élevés sur des pendentifs. Et cependant cette disposition, à laquelle l'archi- tecture monumentale doit ses plus splendides effets, s'applique avec le plus grand succès aux plus modestes bâtiments, le dôme pouvant être réduit à un simple segment horizontal de — 143 — la sphère au lieu d’en être la moitié, et se rapprocher considé- rablement des pendentifs destinés à le supporter. L'avantage du dôme est de présenter à la décoration et à l'œil une grande page centrale. Les ellipsoïides ont, à un degré moindre, ce privilége, qui disparait dans les voussures dites en arc de cloître, et surtout dans les voütes d'arête. Quant à ce dernier cas, on a tiré de son vice même une cause d'ornemen- tation, en garnissant l’arête d'une nervure. Celle-ci, partant du sol où elle est munie d’une base, puis se courbant avec la voûte dont elle est un support, se termine avec ses congénères par une clé pendante qui forme le centre de la travée. Durant une période de temps assez longue, et qui n’a point encore cessé, l'architecte réunissait l'emploi de l’arête à celui de deux berceaux en arc-aigu, se pénétrant mutuellement, et s'appuyant presque toujours sur les quatre angles d'un carré allongé. Les dispositions normales de ce système sont les suivantes : Etablir un rapport harmonique entre les deux dimensions du carré allongé ; D'une pile à la pile diagonalement opposée tracer un arc-aigu dont le sommet dépasse le niveau du plus élévé des deux arcs- aigus ou formerets des berceaux, — les deux diagonales se rencontreront en un sommet central ; Faire mouvoir chacun des’ formerets parallèlement à lui- même, dans la direction du sommet central, en appuyant constamment les branches de ces formerets sur les lignes des arêtes diagonales déjà déterminées. Les sommets des voussures seront ainsi des angles creux tracés en courbe par le mouvement des formerets. Il était d'usage de garnir ces angles de nervures comme celles des arêtes; et parfois, dans uu simple but de décoration, de mar- quer des clés pendantes de second ordre au centre de chacune des huit demi-voussures triangulaires résultant du dessin, puis de relier par de nouvelles nervures ces huit petits centres avec les coins des triangles. De cette dernière combinaison — 144 — résultait un véritable ensemble d’arêtes curvilignes où la clé pendante centrale remplissait le rôle de milieu. Contrairement au système des coupoles où le centre est occupé par la voussure elle-même, cette fonction était donnée ici à l'encadrement dé- veloppé en tous sens. Aussi la clé pendante principale eut-elle souvent et avec raison une très grande importance. Elle résu- mait toute l'attention. On appelait augive (*) la nervure, et le système porte aujourd'hui le nom d'architecture augivale. Les plafonds. — L'un des premiers soins, chez un peuple constructeur, est de couvrir la chambre, sinon d'une voussure, du moins d'un plafond composé de poutres portant une aire. Celles-ci agissent comme voûtes par l'épaisseur de leurs masses, et comme firants (?) par la résistance de leurs faces inférieures contre la poussée. Elles sont le plus souvent dissimulées par le voile uniforme d’une tenture ou d’un enduit. De ce fait résulte alors l'unité d'aspect du plafond. Parfois les poutres sont disposées d'une manière apparente en dessinant un réseau uniforme de cadres soit carrés, soit autres quant au périmètre, et que l’on appelle des caissons. Cette combinaison constitue un rhythme et conséquemment appelle toutes les déductions qui doivent dériver de ce système. Le fond des caissons recoit un ornement tantôt saillant, tantôt peint, et les arêtes des poutres s’enrichissent elles-mêmes de moulures. On tire néanmoins une décoration plus vraie et qui ne doit jamais être dédaignée, de la simple apparence des poutres principales, de leurs proportions, de leurs espacements, et de la combinaison de leurs lignes avec celles de poutrelles de plus petite dimension transversalement placées et destinées à porter l’aire définitive. Il peut y avoir superposition de poutrages successifs disposés pour former ensemble une décoration de grand luxe. Ils produiront ainsi trois et même cinq plans de plafonds. L'æil () De augere, augmenter. (?) Pièce de bois ou de métal agissant à la manière de la corde tendue par un arc. — 145 — se plaît dans la richesse de cette partie des bâtiments qui est toujours en vue et peu sujette à la souillure. Il aime à y ren- contrer des tableaux profondément encadrés dans les combi- naisons des poutrages. Les baies. — Les baies d’un bâtiment affecteront autant de formes variées qu'elles auront de destinations réellement diffé- rentes. Celles qui auront le même objet devront être semblables, et constituer ainsi un rhythme subordonné à celui de l'ensemble architectonique. | Pour être vraie, la baie sera couverte par une plate-bande quand celle-ci comportera l'emploi d’une seule pièce, et ter- minée en forme de cintres ou de polygones quand il faudra usur de plusieurs pièces ou claveaux. Les plate-bandes jetées d'une colonne à l’autre dans les portiques chez les anciens peuples constructeurs, consistaient en monolithes de pierre. L'idée d'imiter ces œuvres sans se conformer ni à leurs pro- portions, ni à leurs dimensions, conduit quelquefois l’archi- tecte, dominé par l'influence d’une mode, à établir des plate- bandes composées de plusieurs claveaux. On peut ainsi tromper l'imagination du spectateur ; on ne la satisfera jamais. Le sentiment des claveaux est lié à celui de la courbe, et non pas à celui de la plate-bande. Les baies sont les parties du bâtiment qui appellent le plus vivement l'attention. C’est pour elles surtout qu'il importe de ne jamais s’écarter des lois harmoniques. Quelquefois les jambages de l'ouverture s’écartent de la verticale soit pour en élargir, soit pour en rétrécir la base : la largeur, comme la hauteur, se mesurent dans tous les cas sur la moyenne. Lorsque la baie n’a d'autre objet que d'amener du dehors de l’air ou .de la lumière, elle peut affecter des formes très diverses, depuis celle du cercle entier jusqu'à la disposition soit verticale, soit horizontale la plus effilée. Mais cette variété se trouvera restreinte par la nécessité d’un seuil sur lequel on doive marcher lorsqu'il s'agira d’une baie destinée à servir de passage. Elle Le sera de plus par les exigences de la construction 10 ET — 146 — des portes et des fenêtres à employer comme moyens de clore habituellement l'ouverture. Le nombre des formes différentes qui auront à se produire simultanément sur la même face d'un édifice sera de un, trois, cinq ou sept... Quelque dissem- blables que soient les ouvertures déterminées par des destina- tions différentes, celles des formes auxquelles il incombera de remplir un rôle moyen devront, sous tous les rapports, accom- plir harmoniquement cette fonction. Lorsque des fenêtres sont destinées à occuper une grande surface, il est d’un usage assez commun de subdiviser celle-ci par des compartiments qui n’altèrent pas la forme générale de l'ouverture. Si ces mêmes éléments de subdivision se repro- duisent ailleurs sur la face de l'édifice, leur rôle s'étend et doit être mis en jeu avec toutes les autres parties similaires du tableau général. Ainsi, dans un même étage où déjà se mon- trerait un ordre architectonique formulé par une colonne, si une seconde colonne, d’une dimension différente, est employée comme élément de subdivision d’une ouverture, le jeu s'établit entre les deux rivales. Dès lors elles ne devraient plus être au nombre de deux seulement, mais de trois, ou de cinq..., ainsi que nous l'avons dit précédemment (1). La plus grande baie praticable dans un étage est celle qui forme le vide entre les colonnes d’un portique. Sa largeur est déterminée par les convenances de solidité de la plate-bande qui couronne l'Ordre. Les moulures. Une moulure se présente rarement seule. Comme les groupes de cette nature ont le privilége d’être les moyens de décoration les plus apparents, il convient de les soumettre au principe de la variété : Elle doit exister, en premier lieu, d’un groupe à l'autre. Chacun d’eux aura son caractère propre sans cesser d'être de (:) Voir Ordre mulliple. — 147 — la même famille que ses congénères de l’œuvre; car les mêmes formes, dans les mêmes dimensions, doivent se reproduire pour les cas identiques, le maintien du rhythme étant surtout nécessaire au milieu des écarts les plus considérables ; On tiendra compte, en deuxième lieu, des cas de variété propres au groupe lui-même, et qui vont être décrits. Variété dans les dimensions. — Le membre de moulure auquel on peut attribuer le rôle le plus utile jouira d’un volume exceptionnel relativement aux pièces les moins impor- tantes. Plus ces dernières auront une dimension réduite, plus elles feront ressortir la principale. Il n’y aura de limite à leur ténuité que dans la nécessité pour elles d’être facilement saisies par l'œil à la distance habituelle du spectateur. De la plus grande à la plus petite moulure il y aura place pour les dimensions intermédiaires. Puis des sous - groupes seront peut-être opportuns, les uns comme supports, les autres comme simples couronnements de la pièce capitale. Chacun des sous-groupes sera traité de la même manière que celle-ci et d'après ce même principe : grand, petit, intermédiaires; contraste partout sous la règle des lois harmoniques. Variété dans les formes. — Il convient d'établir d’abord la forme générale au moyen des sous-groupes. Quant à la diver- sité dans chaque moulure, elle se réduit aux effets du plan, du convexe et du concave. Mais ces derniers, selon la desti- nation du membre de moulure, devront affecter ou plus ou moins de hauteur relativement à leur saillie. Jamais il n'arri- vera qu'ils puissent être traduits par un arc de cercle tracé au compas. Quelquefois ils répondront à un fragment d’ellipse ou de développante de cercle. Le plus souvent la courbe devra être tracée par une main fidèle à une pensée directrice. On atteindra la variété de ce dessin avec d'autant moins de peine que l’on aura mieux su se passer du secours des instruments graphiques. Dans la même œuvre, l'emploi des formes aiguës ne sera libre qu'en dehors du contact de l'homme. Tout ce qui s'ap- plique à un usage manuel doit affecter les contours les plus — 148 — doux au toucher. La variété pour les moulures d’un meuble sera constamment étudiée à ce point de vue. Variété dans la lumière. — Le plus puissant effet de lumière que comporte un groupe de moulures résulte de la coexistence, au grand soleil, d'une partie principale plane et verticale, éclairée, d’un support dans l'ombre, et d’un couronnement en pénombre. La partie plane peut impunément saillir hors de la ligne verticale, dans sa partie inférieure, puisque le résultat sera d'augmenter encore le plus souvent la quantité de la lumière sur ce point. Il n’en serait pas de même d'une pente dans l’autre sens. Entre la face plane et son couronnement, l'architecte place, d'habitude, un filet également plan, mais très étroit, et destiné d'une part à recevoir une ligne de vive lumière, d'autre part à jeter en dessous une ombre courte, ferme et très mince qui, par contraste, fasse ressortir l'éclat de la grande moulure lumineuse. Au-dessus de la partie éclairée du filet commence la masse de la pénombre. On l'obtient le plus fréquemment au moyen d'une courbe très peu prononcée, et qui pourrait être remplacée par un plan incliné, si déjà cette dernière forme n'avait pas été employée plus bas. La courbe doit être penchée de manière à n'être ni éclairée, ni dans l'ombre dans aucune de ses parties, et quelle que soit la disposition adoptée pour elle. Comme par sa nature la pénombre manque de relief et conséquemment de la qualité nécessaire pour former seule un bord qui apparaisse net, il est d'usage d'établir au-dessus de la courbe une facette plane moyennement étroite, mais très éclairée. Nonobstant le nombre plus ou moins considérable de membres de moulures que l’on veuille introduire dans le couronnement de la grande face plane lumineuse, il doit ressortir de tout ce qui la surmonte le sentiment unique d’une moyenne en pénombre. Sous la grande face lumineuse se trouve l'ombre. Elle embrasse l'épaisseur du sous-groupe qui sert de support et à à la face lumineuse et au couronnement de celle-ci. L'appui — 149 — peut être moins épais que la partie supportée; il ne peut jamais être moins considérable que le simple couronnement de cet objet. L'ombre occupera donc dans le groupe plus de place que la pénombre, ce qui accroît d'autant le relief de la lumière. Mais l'obscurité produite par la saillie de la face éclairée sur les moulures du support n'est que relative; des reflets arrivent sur ce point de tous les objets lumineux qu'il perçoit. L'architecte a donc à étudier la variété de l'éclairage des mou- lures dans l'ombre de la même manière que s'il s'agissait d'une partie plus exposée au grand jour. Variété dans l’ornementation. — La partie du groupe de moulures qu’il sera le plus avantageux d'orner, c'est la plus sombre. On a presque toujours employé à cet effet, pour décorer les corniches, des consoles, des modillons, et d’autres inven- tions de ce genre destinées à former au devant de l'ombre une suite de points lumineux qui animent le sous-groupe obscur sans en Changer le caractère. D'autres fois un ornement, en- - fièrement couvert d'ombre, aura, au lieu d’un point lumineux qui le fasse ressortir, des trous soirs disposés pour produire, par une voie différente, un effet analogue. On n'ornerait pas la face plane lumineuse d'une corniche sans en amoindrir la valeur. Cette décoration la réduirait, pour l'œil, de dimension, d'éclat, et du relief d'aspect dont jouit une face unie et claire dans un cadre chargé de petites ombres. L'exception n'est donc possible qu'autant que l’on entendrait subordonner la face plane elle-même à quelque ornement hors ligne, reproduit sur elle à d'assez longs intervalles pour ne pas convertir en pénombre la bande lumineuse à laquelle il se trouve attaché. L'ornementation de la pénombre est soumise à des condi- tions analogues. Elle ne doit pas présenter une quantité de points lumineux assez considérable pour amoindrir l'éclat relatif de la bande lumineuse supérieure, ni une série de noirs assez continue pour effacer le caractère de la pénombre. Indépendamment des effets de lumière et de forme qu'il — 150 — comporte par lui-même, l'ornement architectonique doit tou- jours éveiller une idée. Une série d’ornements sera un livre ouvert. Mais le choix des sujets est l’occasion d'une étude qui dépassera le plus souvent les forces des auteurs de l’œuvre. Aussi voit-on, dans chaque pays et presque à chaque époque, certains détails d'ornementation devenir d’un usage banal, et dispenser ainsi l'architecte d’un travail plus difficile. Il est rare que l’œuvre ne comporte pas un sujet d’orne- mentation capital. Loin de rester subordonnée à la forme des moulures, la pièce qui constitue le sujet doit alors, au contraire, ressortir de leur rhythme par un contraste approprié à l’unité de l’ensemble. Les combles. Tout édifice, en quelque lieu de la terre qu'on l'ait placé, a besoin d’être abrité contre les pluies ou le soleil, souvent contre tous les deux à la fois. Parmi les monstruosités qu'engendrent de faux besoins unis à l'empire de la mode, on voit les combles : cesser d’être uniquement des abris et se transformer tantôt en maisons superposées à des maisons, tantôt en simples terrasses. Or, il convient que, sur les habitations, le comble soit en pente pour donner à l’eau des pluies un écoulement facile, qu'il déborde les façades pour étendre sur celles-ci son abri desséchant. | Afin que la saillie du comble sur la facade laisse parvenir aux fenêtres beaucoup de lumière, il faudra, d’un autre côté, que les versants des toits s'abaissent peu sur elles, et consé- quemment soient peu rapides. L'architecte leur donne alors une pente qui forme avec l'horizon soit un cinquième, soit un quart d'angle droit, soit même moins, soit au contraire davan- tage si la défectuosité des matériaux l'exige, mais dans ce der- nier Cas avec un succès de plus en plus restreint. Si la saillie la plus considérable est par elle-même la plus utile contre les pluies et contre le soleil d'été à midi, dans les pays tels que les nôtres, il est bon de ne rien perdre, au | — 151 — contraire, de la chaleur du soleil durant la saison froide. La disposition du comble en avant d’une fenêtre devra donc être telle qu'elle protége celle-ci contre le soleil d'été, et la laisse entièrement éclairée durant l'hiver. En résumé, le toit saïllira plus ou moins selon le climat et la destination du bâtiment couvert. Quant aux proportions habituelles du comble, quelle que soit la hauteur par rapport à la largeur de celui-ci, et quelque distinct qu'il puisse se montrer par sa forme et par l'aspect de ses matériaux, elles doivent satisfaire encore aux exigences de la facade de l'édifice. Mais il ne faut pas oublier alors que les combles à pentes douces se dérobent en grande partie, et quelquefois entièrement, à l'œil du spectateur, par un simple effet de perspective. Lorsque le comble, sans perdre son rôle d’abri pour l'édifice inférieur, couvre, en outre, une mâture destinée à porter très haut dans les airs quelquetbjet, la pente presque verticale des versants leur donne une importance telle que la toiture doit être considérée entièrement comme une partie intégrante de l'Ordre architectonique, et non plus comme un dérivé. Il en sera de même toutes les fois que, à tort ou à raison, les versants du comble auront une pente rapide. Si le comble est remplacé par une simple terrasse, on accu- sera clairement cette destination soit par un garde-corps, soit par une autre disposition équivalente. La nature de la corniche d’une façade dépend beaucoup de la manière dont l'édifice a été couvert. Elle remplit souvent l'office d'une saillie de comble et doit être traitée de même sous Ce rapport. La nécessité d'armer du haut en bas l'extérieur d’une maison contre les pluies, exige que le caractère de comble soit donné à toutes les parties saillantes d'une facade, que chacune d'elles soit disposée pour déverser l'eau facilement et triompher en quelque sorte de ce péril. Les moyens employés habilement dans ce but contribueront à la décoration générale. — 152 — Echelle de l’œuvre. Toute œuvre devant être exactement appropriée à sa desti- nation, sa mesure est déterminée par celle des êtres qui en feront usage. L'homme prend naturellement pour terme de comparaison la stature dont il est doué. Une œuvre n'aura pour son ima- gination que la mesure accusée à ses yeux par une image humaine, ou par une chose qui soit subordonnée à celle-c1. À la vue d’un édifice, il en jugera invariablement les dimen- sions par celle des objets disposés pour lui. C’est la hauteur d'appui, garde-corps ou balustrade, qui est l'Echelle ordinaire dans la presque généralité des cas. C’est elle que l'architecte doit fixer d’abord. La hauteur d'appui doit être telle que la vue d’un corps humain debout contre elle ne fasse pas naître l’idée d’une chute possible par dessus l’obstaclé. Cette crainte, fondée sur un sentiment d'équilibre, cesse dès que la stature de l'homme dépasse de moitié de sa hauteur celle de l'appui. Comme la commodité de cette pièce, pour s'y accouder, résulte en même temps d’une certaine mesure qui satisfait suffisamment à la condition de sûreté, la pratique donne à l'appui une hauteur égale aux sept douzièmes de la stature humaine. L'Echelle sera donc variable suivant la race de la contrée, et selon qu'elle s’appliquera soit à des maisons où la protection est due avant tout à la mère de famille et à la femme, soit à des circonstances où la crainte s’éveillerait pour l’homme lui-même. En termes de notre pays, la hauteur d'environ quatre-vingt- cinq centimètres donnée à un appui imprimera donc à l'édifice un caractère de grâce féminine; celle de plus d’un mètre n'é- veillera que l’idée d’une nécessité satisfaite. Le choix de l’une ou de l’autre mesure grandira pour l'œil ou réduira les dimensions apparentes de l'édifice. Celui-ci semblera plus petit que la réalité quand ses hauteurs d'appui dépasseront les mesures normales. — 153 — On a souvent introduit l'emploi simultané de trois Echelles différentes dans les proportions d'un édifice : la moyenne, laquelle est conforme à la réalité, une plus grande destinée à produire du gigantesque, enfin la plus pete dont le rôle devient nécessaire alors pour rétablir l'équilibre dans l’en- semble au profit du vrai. Les édifices publics devant répondre à un être ééllectif auquel l’idée première attribue un volume plus considérable qu'à l'individu, seront fréquemment constitués dans le système d'une triple Echelle. On y verra donc des ouvertures soit de portes, soit de fenêtres d’une dimension supérieure à ce qui serait nécessaire pour l'individu. Mais le prestige de cette grandeur ne subsiste que par le maintien des hauteurs d'appui à la mesure vraie. Dans les arcs antiques de l'empire romain, les images avaient un rôle très important. Quelques-unes étaient colos- sales. Conformément à la règle qui vient d'être exposée, il fallut donc employer trois Echelles pour les figures : celle des colosses, celle du vrai, celle du réduit. Le jeu simultané de trois Echelles dans une même œuvre exige l'application exacte des lois harmoniques, et le rôle de tonique (ut) pour la Moyenne. Un monument privé d'Echelle n'aurait pas de mesure pour le spectateur. Quelle que soit alors la dimension réelle d’un colosse isolé, son aspect ne réussira jamais à produire un effet proportionné à sa taille. Le résultat unique d'une pareille création sera de rapetisser, pour l'œil, tout le voisinage. Si la hauteur d'appui, en l'absence d’une statue d'homme, est la partie de l'édifice qui sert le plus directement d’'Echelle, cet office est partagé, non sans un certain succès, par des bancs ou des objets destinés à servir de siéges, et dont la hauteur connue correspond à la moitié de ce qui serait nécessaire pour qu'une femme s’accoudât commodément. Il est partagé encore, quoique à un degré beaucoup moindre, par la vue des marches d'escalier, celles-ci calculées au tiers de l'épaisseur du siége. En” Expression de l'œuvre. D'un ensemble dont tous les détails ont été appropriés vers un but résulte une c2rtaine animation de l'œuvre, son expres- sion. L'édifice, dans son immobilité, imprimera toujours au dehors un même ordre de sentiments; mais, suivant le mode dans lequel il aura été concu , il sera joyeux ou triste, mena- cant ou affable, religieux ou profane. Une maison bien enten- due portera le caractère de famille; elle exprimera le concert de la vie domestique, les coutumes intérieures et leur expansion au dehors. L'architecte obtiendra ces résultats en n'oubliant jamais que chaque disposition, chaque forme, chaque apparition de couleur, chacun des matériaux mis en évidence éveille une idée, et la résultante de ces idées l'expression de l’ensemble. Sculpture. Les procédés de la sculpture ne different de ceux de l’archi- tecture qu'en ce qui concerne l'art d'imitation propre à la première; et, sous ce rapport, ils se réduiraient à un simple moulage s’il arrivait que le sujet se trouvât toujours disposé pour être saisi de la sortie. Or, ce cas exceptionnel est, au con- traire, rarement applicable. En général, l'œuvre de sculpture demande une composition. Tantôt cette composition s'applique à décorer les œuvres architectoniques; tantôt son produit constitue à lui seul le monument. Le plus souvent elle enrichit ce qui sera meuble; elle crée des objets d'art. Les produits de la sculpture diffèrent entre eux selon la nature très diverse des matériaux employés, et surtout selon le genre de perfection que ceux-ci comportent dans la pratique. L'artiste ne doit jamais chercher à obtenir de l'un d'eux ce qui est mieux dans la nature d’un autre. Si l'œuvre se rattache à un édifice, elle doit en subir les lois et ne s'écarter de celle-ci sur aucun point, sous peine d'un — 155 — | échec commun. Le plan architectonique doit gouverner les dimensions, la disposition et le sens de l'objet sculpté. Il en sera de même si l'œuvre est destinée à devenir elle- même un monument. Elle sera traitée tout d'abord comme un travail d'architecture. Une statue, à ce titre, doit être emplantée au milieu des lignes verticales et horizontales de l'architecture. Si cet appui lui manque, elle perd le caractère de monument et n’est plus qu'un meuble prêt à changer de place. Quand une statue doit être isolée d'un édifice, elle peut retrouver le sentiment de l'appui des lignes verticales dans un massif de grands arbres ; mais l'œil devra toujours rencon- trer sous elle un horizon plan, où symétriquement équilibré, et qui domine, par son étendue, l'influence des pentes plus ou moins inégales de la contrée. L'usage s’est assez généralement établi d'élever la statue sur un piédestal, lequel n'est autre chose qu'une hauteur d'appui. Si cette dernière a été taillée suivant les dimensions normales qu'exige la stature humaine, l’image paraitra ou grande ou petite, selon qu'elle aura réellement l'une ou l’autre de ces qualités (‘). Si la hauteur d'appui dépasse les limites que lui impose le vrai, la statue perd le bénéfice des proportions sur- humaines dont l'artiste a voulu la doter. Le même inconvénient se présenterait si le piédestal était uniquement composé soit d’une marche, ou plinthe, quiaurait trop de hauteur, soit d’un objet ayant le caractère d'un siége et qui serait trop élevé. Un piédestal destiné à élever beaucoup une statue devra, autant que possible, se composer : en premier lieu d’une base à laquelle incombe la condition d'être large selon le besoin, et -qui peut être formée de plusieurs éléments variés placés les uns sur les autres de manière à produire un socle; en second lieu, d'une hauteur d'appui de dimension vraie, échelle du = —— ————————— () Voyez Echelle de l'œuvre, L. — 156 — monument, en troisième lieu, d’une triple plinthe ou d’autres détails destinés à exhausser encore le personnage. Il est arrivé que des artistes ayant senti l'influence de l’Echelle sur les dimensions apparentes de la statue, ont poussé plus loin la pratique du procédé, [ls ont rendu la statue colos- sale par elle-même, quelle que fût sa hauteur réelle. L’artifice employé est celui-ci : Dirigée vers une image humaine, l'attention du spectateur se porte tout d'abord sur la tête, puis sur le masque de la figure, la bouche, les yeux, les narines, le front, enfin sur les mains, les pieds et les jointures des grands ossements, d’où se dessinent les mouvements du corps. Le statuaire expérimenté se fera donc une sorte d'Echelle des dimensions de cette tête, laquelle est la chose la plus apparente, mais il les rendra petites autant qu'elles puissent jamais l'avoir été même dans les proportions des hommes doués de la plus haute.taille; on a vu l'artiste excéder encore parfois cette réduction. ge Après cette première opération, dont le résultat aura été d allonger démesurément la stature, celle-ci en subit une seconde qui lui donnera de l'ampleur. Toutes les parties du corps qui viennent d'être rommées seront à leur tour réduites dans leur grosseur, tandis que- les muscles recevront, au, contraire, un accroissement de puissance. Pour peu qu'une troisième fraude diminue, d’un autre côté, l'épaisseur de la hauteur d'appui dans le piédestal, et en même temps celles des plinthes ou des marches, on obtiendra ainsi cet effet que des spectateurs peu initiés à la connaissance de cet artifice ont appelé grandiose, l'analogue, de ce qui, ailleurs, est déclaré sublime et qui provient toujours de ce genre d’exa- gération : réduction de l’un pour enfler l’autre. Le contrepoids à ce défaut se trouve dans le penchant naturel de l'homme à se prendre lui-même pour modèle. Or, comme la beauté humaine propre à chaque race n'existe que dans la moyenne idéale du type, moyenne dont tous les individus s'éloignent quelque peu, il arrivera le plus souvent que le — 157 — statuaire s’efforcera involontairement d'apporter dans les pro- portions de. ses œuvres ce qu'il aura aimé dans sa nature personnelle. De là ces images de nains preduites par la gros- seur trop considérable de la tête, de niais par l'étendue exa- gérée du visage relativement au crâne, de lourdauds par l'épaisseur des articulations. Mais que le statuaire ne l'oublie point. L'homme aime mieux être grand que petit, intelligent que brut, fort que faible ; 1l aimera que ces qualités se retrouvent dans les images mises sous ses yeux et dont les rhythmes doivent agir sur son imagination. Libre de préjugés trompeurs, l'ar- tiste a donc l'obligation de produire ce qui plaît à tous et en tous temps, le beau issu du vrai, le vrai cherché dans la moyenne des types. Quant à la mesure de ce modèle idéal, elle devra ne dévier de la correction absolue que dans le sens demandé par le caractère particulier du sujet. Toute imitation d'un être animal, végétal, ou minéral, doit être traitée avec le même désir de vérité. S1 le sculpteur, poursuivant cette voie, craint de pencher néanmoins de côté dans sa marche, que l'erreur se fasse dans le sens du grandiose toujours sûr de plaire d'abord, plutôt que du côté rebutant d'où l'attention s'éloignerait. Que dans la représentation de l'homme il apporte le fini le plus considérable sur le masque de la figure, les extrémités du corps et les articulations, puisque leur rôle est le plus important. Qu'un soin un peu moindre soit appliqué aux muscles mis en évidence par la nature du sujet. Que les autres soient traités de manière à n'appeler l'attention ni par le négligé de l'œuvre, ni par le fini; qu'ils restent neutres. Le sculpteur doit avoir étudié l'anatomie, afin de savoir comment, sous l'enveloppe extérieure, se comportent, les uns par rapport aux autres, les muscles et les autres parties dont le relief apparaît au dehors; mais, à moins qu'il ne traite un “sujet dont la spécialité l'excuse, il doit effacer avec le plus “grand soin la trace de ses préoccupations de ce genre, celles-ci — 158 — pouvant détourner l'attention du spectateur au détriment du but de l'œuvre. C'est sous l'empire de cette règle indispensable de ri qu'il indiquera : par le genre d'intersection de deux courbes, comment un muscle passe sous un autre; par l'ampleur et même par la sphéricité des chairs la proportion dans laquelle chacune des parties est destinée à renfermer plus 01. 1... les liquides; enfin par des lignes cylindriques le réseau exté- rieur des Canaux sanguins. Autant les ongles offriront de facilité matérielle à l'exécu- tion plastique, autant la représentation des cheveux et de tout ce qui constitue la pilosité du corps rencontrera peu de ressources du même genre. Il est vrai que le rôle de ces choses est habituellement très secondaire, et qu'au moyen de leurs masses mobiles bien étudiées, la po ee et ses Con- génères peuvent non-seulement ne pas nuire à l'œuvre, mais coopérer au sUCCès. Le nu de la statue étant fait, il reste au sculpteur à en revêtir la surface d'une apparence naturelle. Il y parviendra dans une limite très appréciable en distribuant sur le tout un degré de poli ou de rugosité proportionné au caractère de chaque partie. Ce soin dispense de PES de peindre l'œuvre ner ee des draperies et des vêtements sera d'un orand secours pour le statuaire, lorsqu'il s'agira d'appeler fortement les regards sur la face du personnage représenté. Car ces objets peuvent être choisis parmi ceux qui compor- teront une extrême subdivision de plis et de détails plus minces que les parties principales du visage humain. Ces dernières pourront donc prévaloir alors même par l'étendue et l'éclat des surfaces. Par le même procédé de la multiplication des détails dans les choses accessoires, l'artiste fera ressortir toute autre partie du corps de la statue, à la condition que ces détails se neutra- liseront les uns les autres au profit du point à mettre en vue. — 159 — Le statuaire groupera, d'après le même principe, tous les objets qui devront accompagner l'œuvre. L'art pratique de la statuaire distingue deux modes, celui de la ronde-bosse et celui du bas-relief : le premier, où le sujet, franc de toute part, se soutient par lui-même; le second qui consiste en un tableau sculpté sur un fond. Le sujet, en ronde-bosse, est toujours simple dans sa com- position et n admet pas impunément le groupement de plu- sieurs figures. Il n'en est pas de même du bas-relief qui non-seulement recoit autant de personnages que sa page a plus ou moins d'étendue, mais qui peut les distribuer, au oré de l'artiste, soit sur un seul plan, soit sur trois ou cinq. Chacun d'eux est le maximum de saillie réservé aux groupes de premier, de second ou de troisième ordre, le tout confor- mément aux lois de la perspective. De l'un à l'autre plan sont des parties intermédiaires qui se dirigent en décroissant de saillie vers le fond. Celui-ci est le dernier de tous. De simples traits peuvent y dessiner des parties qui sembleront nulles par leur peu de relief, mais qui, par contraste, donneront aux plus grandes saillies une importance impos- sible autrement. Le bord du trait, du côté de l'objet à contourner, sera toujours perpendiculaire au fond, sinon en biais comme pour passer derrière la chose représentée. En effet, il faut que le fond matériel reste distinct du sujet et qu'entre eux l'imagination circule Hbhrement. La saillie apparente d'un bas-relief dépendra donc plus encore des dispositions prises par l'artiste pour isoler son sujet du fond, et proportionner les plans, que de l'épaisseur réelle de la matière. Tout ce qui vient d'être dit de la sculpture la suppose isochrome, la question des couleurs étant absolument réservée pour être examinée à part. — 160 — Peinture. Partout oï pénètre la lumière, le rôle de la couleur com- mence. I n'y a donc pas d'objet qui, sous ce rapport, n’inté- resse l’art de la peinture. On a vu quels sont les rapports harmoniques des couleurs. Il s’agi: 42 déterminer maintenant quel emploi leur sera donné dans les œuvres architectozi ;2 *. Coloration des édifices. — Le blanc ne peut déplaire dans aucun des milieux où les maisons s’en montreront revêtues. Sur un fond perpétuel de verdure fourni par la végétation, le jeu de couleur le plus habituel est celui du blanc avec ou sans parties grises, à côté d'accessoires affectant le jaune foncé ou le brun. Lorsque le feuillage, comme celui des sapins, manque de variété, les accessoires de la maison peuvent avec succès se colorer soit de rouge, soit de violet et de ponceau. Dans les contrées où la neige occupe le sol durant la moitié de l'année, sous un ciel de brouillards et de nuages (!), la maison doit être habillée des plus vives couleurs et notamment de celles qui manquent alors aux regards, telles que l'orangé et l’azur. On pourra même y employer, si la nature et la richesse de l'habitation le comportent, soit les trois tons jaune, azur, rouge, soit le jaune, le vert-bleu, le violet et le ponceau, soit d'autres associations harmoniques. Dans les contrées grecques méridionales où le bleu du ciel semble inaltérable pendant une longue saison, l'artiste aimait autrefois à peindre les murs des temples en ponceau derrière les colonnes de marbre blanc. Rien ne peut égaler, dans un désert sans arbres et sans nuages, l'éclat de la brique rouge, d'un peu de vert, et du blanc. Les pays tempérés, où règne la race humaine blanche à côté de la vigne et du pommier, ne comportent pas des maisons aussi brillantes par leurs couleurs. Là, l'objet de toutes les (4) (L'Islande)... aux maisons peintes de couleurs splendides. (Argonaulique). — 161 — aspirations est la maison dans le jardin, le jardin continuant au dehors la vie de l’intérieur. On y estime les murailles aux tons presque neutres, surtout si les matériaux sont pourvus, dans leurs cassures, comme les. porphyres, les granits et les roches dures, soit calcaires, soit siliceuses, du miroitement propre aux marbres. Puis on y attend, pour peintre et déco- rateur, la famille nombreuse des arbres, des arbustes et des plantes de toute taille, les uns et les autres si variés daus leurs mille couleurs durant l’époque de la végétation, la plupart si beaux par leurs ramures durant le sommeil hibernal. Il n’est pas jusqu'à certains mortiers qui, devenus vieux et moussus, ne réussissent alors à fournir un fond convenable à l'aspect de la végétation. Les matériaux de maçonnerie tendres, et dépourvus du luisant marmoréen, sont ternes dès le début et noircissent en vieillissant. C’est au désir de propreté, et non au sentiment de la décoration, que l’on doit l’usage de les blanchir périodi- quement. ; Lorsqu'une couleur destinée à être appliquée sur des mu- railles doit devenir beaucoup plus foncée à l’état mouillé que dans les moments où elle sera sèche, il y aura toujours à tenir compte de cette circonstance ; or, le blanc et les couleurs très claires changent peu d'intensité de ton sous le vernis de la pluie. Les matières préparées à l'huile, à la cire, à la téré- benthine ou avec d’autres ingrédients impénétrables à l’eau, conservent, au contraire, leurs tons les plus foncés sans grande altération à l’état sec. I1 faudra donc user soit des tons clairs, soit des tons foncés à l'extérieur des édifices, selon les facultés plus ou moins hygrométriques de la matière. Mais il ne suffit pas d'un changement de contrée pour motiver tel ou tel emploi des couleurs dans les édifices. En ceci, comme en tout, le détail doit être subordonné à l’idée qui anime l'œuvre. Il arrivera ainsi que le choix des couleurs sera dicté le plus souvent par le sentiment de richesse attaché à telle ou telle matière comparativement à d’autres. Il arrivera #1 — 162 — encore que l'emploi des couleurs sera uniquement restreint au désir d’étaler tantôt celles des étendards de la nation, tantôt celles de la famille. Dans ces cas particuliers, l'architecte aura soin de corriger la fausseté probable des tons choisis par l’em- ploi d'un ton général convenable pour rétablir l'harmonie. Le plus grand obstacle à la coloration extérieure des maisons consiste dans la difficulté de composer le chant chromatique avec des notes justes, puis dans l'impéritie habituelle des exécutants. Les résultats les plus satisfaisants ont été obtenus cependant avec des marbres dont l'exactitude relative des tons n'était jamais complète, mais que l'on avait soin d'interrompre fréquemment avec des lignes de blanc et de noir, en faisant naitre à la fois les contrastes et de la différence des couleurs et de celle des intensités de lumière. On s’est plus souvent borné à placer, sur le fond isochrome donné aux façades, des panneaux et des parties saillantes en marbres franchement plus foncés ou plus clairs que lui. Enfin, il a été de mode chez certains peuples de revêtir les façades des monuments de bandes horizontales alternatives en marbres blanc et noir. On tirera souvent quelque avantage à faire ainsi succéder les unes aux autres des assises de pierres de couleurs différentes, en ayant soin d'observer pour leurs hauteurs relatives les nombres harmoniques. Coloration des intérieurs d’édifices. — L'intérieur d’un édifice n'étant pas, comme l'extérieur, soumis à la condition de se trouver en harmonie avec les couleurs du ciel et des objets de la terre environnante, devra sa décoration chromatique à une peusée plus libre dans le choix des moyens. L'architecte tiendra compte, dans cette circonstance, de deux observations. La première consiste dans la faculté donnée à l'œil de l'homme d'élargir sa pupille sous l'effet de l'ombre, au point de voir mieux dans une demi-lumière qu à l'éclat du soleil. On peut donc employer dans un intérieur des couleurs très foncées sans y détruire la vue des objets. La seconde, au contraire, a pour base ce principe, que le — 163 — sentiment de la lumière est donné à l'esprit par la vivacité du contraste percu entre ce qui est blanc et ce qui est noir. On parvient ainsi à dissimuler l'obscurité réelle d’un intérieur en opposant des points très foncés à des masses très claires. La décoration des intérieurs comporte donc toutes les cou- leurs et toutes les intensités de tons, pourvu qu'elles soient réparties à propos et conformément à la destination des salles. °° Peinture d'imitation. A côté de la couleur purement décorative vient se ranger la peinture d'imitation dont la puissance sur l'imagination est très considérable en raison de la variété des sujets qu’elle peut traiter et de l'apparence de vérité qu’elle leur imprime. Néan- moins, les procédés dont l'artiste dispose sont tous incomplets, depuis le simple tracé de la ligne profilant un contour jusqu’à l'usage de la peinture à l'huile des temps modernes. Cette ligne présente par elle-même à l'œil une largeur et un état de choses qui n'existent pas dans la réalité; elle est simplement un moyen graphique de rappeler la forme exté- rieure d'un objet toujours doué d’une couleur distinctive. Néanmoins, les lignes de même nature, groupées ensemble et dont aucune n'appellera l'attention, produisent par ce fait des teintes et peuvent dès lors représenter le contour, le relief et l'ombre de l’objet, enfin la valeur en clair et en foncé de chacune de ses diverses couleurs. Le tracé de la ligne de contour devient ainsi presque superflu. | La formation d'une teinte plus ou moins foncée, au moyen d'un groupe de lignes, est le procédé employé particulièrement par la gravure. La manière la plus complète de représenter un objet, lors même que l'on n'aurait à sa disposition qu’une matière mono- chrome, est de figurer les couleurs par une première série de teintes plus ou moins foncées, puis de reproduire les clairs et les ombres par une seconde série de teintes également diverses d'intensité de tons. Mais soit que le procédé doive se borner à — 164 — l'emploi d'une seule teinte, soit que l'artiste doive opérer avec des couleurs, l’entreprise de l'œuvre reste encore subordonnée à la connaissance des voies simultanées par lesquelles les images naturelles destinées à être imitées parviennent à l'œil et à l'esprit. Perspective. — La première de ces voies est celle qui consiste dans la diminution proportionnelle de grandeur des objets par leur distance de l'œil, et la suppression d'aspect des uns derrière les autres. j La ligne de contour d'un objet dessine donc au spectateur le passage de ce qui est vu à ce qui ne l'est point. Pour ne pas laisser échapper le sens d'un profil, l'artiste devrait pro- longer d’abord les lignes de contour jusque dans la région qui n'est pas aperçcue, sauf à effacer ensuite ces dernières de son dessin. Le simple procédé de la diminution de grandeur des objets par l'éloignement est'plus facile à enseigner. L'artiste doit se familiariser avec l'étude de la perspective dès sa première Jeunesse; car le succès de tous ses travaux ultérieurs sera fatalement limité par son impuissance sous ce premier rapport. Ombre. — Le côté par où l'objet recoit la lumière est contigu à celui qui en est privé suivant une espèce de ligne de démar- cation le plus souvent à l’état de pénombre. Le tracé de cette ligne, plus ou moins nette, dessine à l'œil le relief de l'objet; mal opéré, il déforme ce dernier. Sur des courbures continues, la pénombre s'élargit beaucoup et présente ce que l'on appelle une dégradation de tons, c’est- à-dire le passage presque insensible, quoique réel, du clair à l'ombre. Deux faces planes, l’une en pleine lumière, l’autre dans l'obscurité, ne donnent pas lieu à la pénombre ; mais si elles sont contiguës, l'œil cherche entre elles cette ligne, signe de l'unité de l'objet. Ombre portée. — Un objet qui intercepte la lumière projette en quelque sorte derrière lui l'ombre produite par ce phéno- — 165 — mène. La forme de cette ombre portée est toujours la repro- duction exacte du pourtour de la partie éclairée et dessine celle-ci sur les objets qu'elle atteint. Mais en même temps elle trahit le relief de ces derniers et quelquefois l'accuse rigoureusement. Tel est le cas d'un bâton droit adossé à un mur et éclairé un peu de côté. Son ombre portée dessinera exactement la position relative du sol et de la muraille, ainsi que les courbures ou les inégalités de l’un et de l'autre. La manière de représenter et même d'établir des ombres portées est donc pour l'artiste un puissant moyen de produire des reliefs. Sous l’action du soleil, et en raison de la largeur de son image, l'ombre portée à une courte distance aura un bord très net. Celui-ci se transformera, au contraire, en pénombre si la distance devient plus longue, et en pénombre aux angles arrondis par l'effet du disque solaire si l'éloignement s'accroît encore. Cette déformation sera d'autant plus prompte que les corps produisant l'ombre seront moins étendus en diamètre. Par sa hauteur au-dessus du so! et par sa nature diaphane, le nuage porte au loin des ombres dont le bord est insaisissable. L'ombre portée dira donc par ses contours la forme de l'objet dont elle provient, celle de l'objet obscurci, les dispo- sitions relatives et la distance de l’un à l’autre. Reflet. — Lorsqu'un objet est frappé par la lumière, il en renvoie une partie. Les rayons ainsi rejetés vont atteindre tout ce qui se trouve sous leur angle de réflexion. L'effet de cet éclairage secondaire se manifeste principalement sur les parties obscures des corps et les empêche de devenir jamais absolu- ment noires. Il n'existe guère d'ombre sans reflets, parce qu'à une distance plus ou moins grande il y aura toujours quelques points recevant et renvoyant du jour. L'æœil du spectateur reconnaît le poli de la surface d'un corps au luisant du point d'où jaillit le rayon reflété, la rugosité de l'objet à l'étendue et au mat de sa partie la plus éclairée, sa pilosité à la direction de l'éclat, lequel dépend alors, non de — 166 — la forme de la masse vue, mais de l'ensemble des brillants produits par chacun des brins dont celle-ci se trouve hérissée. Il verra le plus fort luisant d'une nappe d’eau entre le soleil et lui, le principal reflet de l'herbe d’un pré du côté exactement opposé. Nonobstant cette dernière observation, il convient néan- moins de ne pas oublier un principe constant, c'est que toute surface, même peu unie, mais qui fuit, reste pour les teintes plus éloignées une sorte de miroir, surtout si elle se trouve dans l'ombre. L'artiste tiendra donc compte à la fois : du reflet direct de l'objet ou de son luisant par rapport à l'œil du spectateur; puis de la lumière projetée par réflexion sur la partie obscure d’un corps. En se conformant à ces règles, il animera, dans le premier cas, les parties lumineuses, dans le second les ombres de son œuvre. Couleur. — L'emploi de la couleur dans la peiñture d'imi- tation semble tout d'abord devoir être rebelle aux lois harmo- niques. Il n’en est point ainsi, en premier lieu parce que les images naturelles à imiter n'offrent jamais des fautes chro- matiques ; en second lieu parce que le devoir de l'artiste est de choisir parmi les sujets à traiter ceux qui comportent des harmonies de couleurs saisissantes, de séparer soigneusement les groupes par des teintes neutres, et de n introduire dans chacun que des notes justes. Vus à la distance où l'œil ne les distingue plus individuel- lement, les détails groupés en grandes masses présentent un ensemble parfaitement gris si les objets sont doués les uns et les autres de couleurs différentes, gris teinté d’un ton parti- culier si une seule de celles-ci domine. En somme, le lointain, abstraction faite de l'interposition de l'air, est d'une teinte neutre; il est ou blanc, ou gris, ou noir. Une masse lointaine ne revêt pas l'apparence grise seule- ment, parce que les couleurs propres à chacun de ses détails diffèrent les unes des autres. Cet effet s'accroît encore et par — 167 — le résultat des reflets mutuels, et par celui des ombres numé- riquement aussi considérables que les points éclairés. L'individualité des couleurs est réservée, dans la nature, aux objets les plus rapprochés de l'œil. Encore est-elle subor- donnée au passage du clair à l'ombre, ainsi qu'à l’action des reflets colorés. Si un objet, sur toutes ses faces, était blanc et que, du côté opposé à la lumière, il n’y eût qu'une seule couleur reflétante, l'ombre de cet objet serait exactement teintée de même. Elle serait ou jaune ou bleue, ou rouge, selon que le voisinage projetterait sur elle l'un ou l’autre de ces tons. L'ombre du jaune restera jaune si les reflets sont de cette couleur. Elle sera grise sous l’action du violet, verdâtre sous le bleu, ponceau sous le rouge. Si l’objet recoit les rayons du soleil, la partie éclairée affec- tera les modifications que doit imprimer à sa couleur propre la lumière de l’astre, modifiée elle-même tantôt en orangé, tantôt en ponceau, selon l'état de l'atmosphère traversée. S'il se trouve en plein air, sous l'az:r du ciel, il empruntera de celui-ci une coloration bleue en dessus, tandis qu'en dessous les reflets viendront du sol. Un objet qui serait exposé sous l'azur céleste sans que la lumière directe du soleil pût l’atteindre ou se refléter sur lui par le voisinage, aurait toutes ses parties claires bleuies. Dans une chambre ou Jaune, ou bleue, ou rouge, les ombres seront reflétées de la couleur de l'intérieur. Dans le même moment, l'objet, du côté de la lumière, sera jauni ou bleui, selon que celle-ci viendra soit directement du soleil, soit indirectement par le seul fait de sa diffusion dans l'atmosphère. Le fond sombre et neutre d'un tableau devra toujours être affecté légèrement du ton dominant dans les Couleurs de la chambre. Habituellement ce ton est brun lorsque les lieux sont enfumés. Le sujet déterminera toujours le choix de la teinte du fond. Corps diaphanes. — De tous les corps diaphanes qui inté- — 168 — ressent la peinture d'imitation, il n’en est aucun dont le rôle soit plus généralement reproduit que celui de l'air. Car l'effet même de tous les autres objets jouissant de diaphanéité n’ar- rive à l'œil qu'après s'être modifié par son passage dans l'at- mosphère. Le corps diaphane n’est jamais tellement achro- matique dans sa nature qu'il n’ajoute pas quelque chose de sa teinte propre aux couleurs transmises par son milieu. Aïnsi l'air pur, sous une vive lumière du soleil, est d’un azur très clair. Puis sa teinte se modifie considérablement par son mélange avec celle des brumes provenant soit de l’eau à l’état de brouillard, soit de la fumée, et qui règnent toujours en plus ou moins grande quantité tant sur le fond des vallées que sur les plaines et les masses d'habitations. Le caractère d’un lointain, lorsque la scène entière se passe sur des faîtes de montagnes, est la netteté des objets vus à de grandes distances, le blanc des parties éclairées et le bleu des ombres, en somme des images très nettes et un ensemble d'un blanc azuré. Le lointain, sur les mers et les plaines, principalement dans les contrées froides, se borne à une distance très courte. Il affecte alors constamment la couleur et les effets du brouillard. Le fond du paysage est gris. Du côté du soleil, il blanchit durant la journée, et se colore de réfractions gris-ponceau vers le soir. Quel que soit le système du fond imposé au peintre par la nature du sujet, si la scène se passe à la lumière du soleil, les lointains devront s'éclaircir en proportion des distances et représenter toujours exactement la quantité d'air interposée entre l'œil du spectateur et l’objet vu. Toute faute contre cette règle serait un contre-sens. Le peintre ne perçoit les effets de la diaphanéité de l'air qu'en se tenant lui-même dans l'intérieur de la masse atmo- sphérique. Il n’en est plus ainsi relativement aux autres corps doués de la même qualité. L’œil voit alors, outre les propriétés lumineuses intrinsèques de l'objet, ses reflets extérieurs. — 169 — Devant une eau tranquille, le peintre tiendra compte succes- sivement et de l'image vue au travers du liquide, et de celle qui vient du dehors se refléter sur la surface. Puis l’une ou l’autre image prévaudra suivant la profondeur obscurcissante du bassin, ou la vivacité de lumière des objets extérieurs. L'intervention des luisants semblera en quelque sorte effacer les deux tableaux lorsqu'un reflet de grande lumière tombera sur quelques points agités du liquide. Les trois effets coexis- teraient, mais deviendraient inextricables dans une onde vio- lemment secouée. La vue de tout corps diaphane, considéré isolément, a donc pour caractère ces deux lumières jumelles : l’une reflet direct du dehors, l’autre réfractée par l'intérieur. Manière de faire. — Quel que soit le procédé employé dans la peinture d'imitation, il est une série d'idées naturellement préconcues, et auxquelles il serait inutile pour l'artiste de ne pas satisfaire. Ainsi, un trait d'un niveau parfait est l'écriture en quelque sorte de l'eau, de l'horizon et par suite du grand liquide atmosphérique. La tige de la plante, quels que soient du reste ses écarts, éveille le sentiment de la verticalité. Toute plante et tout animal bien connus ont laissé dans l'esprit un type caractéristique. Il en est ainsi de la plupart des choses les plus usuelles. C'est là ce qui, plus ou moins heureusement interprété, constitue l'écriture natureïle des peuples sauvages. Tracer une ligne mnémotechnique des objets à la manière des ignorants, cela ne doit certainement pas être le but de l'artiste civilisé ; mais il y aurait contre-sens à laisser apparaître dans l'œuvre les procédés d’une facture contraire à cette méthode primitive. Ainsi, le graveur avec son burin, le peintre moderne avec sa brosse, lors même qu'ils voudraient ne laisser subsister dans leurs œuvres aucune trace de la facture matérielle, devront, quant au coup de main, lui donner comme direction le sens demandé par l'imagination prévenue du public. Ordonnance du tableau. — Munis d'instruments et de maté- — 170 — rlaux toujours imparfaits, l'artiste doit user d'adresse dans le travail de son œuvre. Il établira l'intérêt principal du tableau sur le point-de-vue perspectif, et celui-ci sur la partie la plus basse de l'horizon apparent ou probable; car l'œil est invaria- blement appelé dans la direction du lointain. Sur un fond rendu aussi neutre que possible, il noiera successivement les scènes diverses du tableau, réservant pour l’objet capital placé au point-de-vue les contrastes Les plus puissants soit de couleurs, soit de lumière et d'ombre. IV LA MAISON. L'objet et les moyens assignés à l’homme, en vue du bien- être de la société, de celui de la famille et du sien propre, étant connus, le programme de la Maison d’un ménage devrait se trouver tracé; mais il reste à en faire l'application au milieu des difficultés que présentent : soit la nature des industries privées, soit cette ardeur irréfléchie de suicide qui porte l’homme en voie de civilisation à entasser dans des villes les habitations contre les habitations, les étages sur les étages, et l'infection de tous sur celle de chacun à la recherche des richesses besogneuses de la mode, soit enfin les nécessités de la guerre et la distribution toujours plus ou moins informe du territoire et des voies publiques par la faute de la commune ou de l'Etat. L'application usuelle est malheureusement tenue de faire une part à tous ces éléments; la théorie passera outre, dans la direction du but à aiteindre. La Maison sera peu éloignée du point où l’attacheraient des intérêts, rapprochée du groupe des voisins en raison des rap- ports sociaux à maintenir, isolée de crainte des contagions qui déciment les agglomérations d'hommes, élevée au-dessus des plaines et du fond des vallées, au centre d’un enclos qui assure J'indépendance de l'habitation. — 1 — Ainsi établi, ce domaine de la famille vaudra ensuite ce que des soins prévoyants en auront fait. Il conviendra de le disposer en vue de tous les cas. Quel en sera l'emploi en hiver, au printemps, en été, en automne ? Par le sec ou par la pluie? Le chaud ou lé froid? Le matin, à midi, le soir, la nuit? Dans les diverses circonstances de travail ou de repos, de besoin et d’abondance, de tristesse ou de joie qui tour à tour atteindront la famille ? Tout doit être prévu et étudié par l'architecte. Les résultats les plus précieux seront acquis par une dépense d'esprit plutôt qu'à prix d'argent. La lumière, l'air, la vue de l'horizon, et les jouissances fournies à foison par la nature, tels seront les premiers matériaux à mettre en œuvre. L'’enclos. Avant tout, l'enclos doit être assez vaste pour que la parole n'y soit pas entendue depuis le dehors en toute circonstance. Il sera disposé de telle sorte que rien de ce qui passe chez l’un des voisins ne soit nécessairement vu ou connu de l’autre. Car l’indiscrétion nuit et à celui qui en est l’objet, parce qu'il perd ainsi une partie de son indépendance, et à celui qui en use, parce que toute action occasionnant le mal produit en même temps la peine de la faute commise. Un terrain de soixante pas de diamètre peut suffire dans ce but. Il ne sera pas nécessaire d’avoir une surface plus considé- rable au point de vue de la salubrité, si le local lui-même se trouve au-dessus du niveau de l'air frais du soir. Dans une plaine, il sera indispensable d’avoir recours à des dispositions qui exigeront plus d'espace. Le centre de vie dans l’enclos est une allée parfaitement horizontale, faconnée autant que possible selon les courbures naturelles du sol, prolongée de part et d'autre jusqu'à une dizaine de pas au plus des voisins, élargie en esplanade sur les points marqués pour les stationnements et particulièrement autour de l'habitation dont elle doit former au dehors un — 172 — complément essentiel. Exempte de pentes, elle conduit sans effort le promeneur en face des tableaux de l'horizon et des incidents variés de l'enclos. La disposition la plus désirable est celle qui donne à voir, aux premières lueurs du jour, les cultures du jardin, qui fournit à midi l'ombrage de quelques arbres à ramures basses groupés comme à leur guise sur l'arène élargie, qui conduit, le soir, vers les spectacles du soleil couchant. Privé du bénéfice de cette dernière circons- tance, le jardin le plus remarquable par son ampleur et son luxe serait abandonné pour le plus misérable chemin d’où l'on verrait le ciel d'occident doubler son éclat-en se reflétant sur l'eau. Car il faut constamment à l'homme le sentiment de la lumière. Celle-ci lui affirme la vie; elle l'appelle irrésisti- blement au moment où la nuit s'annonce; elle réveille encore son attention, quand le jour a cessé, en frappant ses regards du brillant microscopique des éloiles. L'allée horizontale aura d'autant plus de charmes qu'elle sera tracée dans un sol plus accidenté et plus élevé au-dessus des plaines, au prix même des difficultés d'exécution présentées par des abrupts. Ses courbures, irréprochables dans leur tracé, seront déter- minées à la fois par la forme naturelle du sol et la disposition des abords de la maison. Elles le seront, en pays de plaine, par le choix des points de stationnement d'où la vue ait à parcourir le plus grand espace avant de se perdre sur les horizons préférés. Le bâtiment. Chez un peuple civilisé, le lozis le plus modeste comporte au moins quatre subdivisions : la principale pour le ménage, puis le lieu de repos du père et de la mère, celui des enfants mâles d’une part, celui des filles de l’autre. Nous ferons abstraction ici des exigences particulières de l’industrie. Une grande salle, de douze pas au moins sur huit, recevra le foyer du côté opposé à la fois à la porte d'entrée et à la — 173 — fenêtre, si même l’une et l’autre ne peuvent pas étre confon- dues en un seul double vantail vitré. Elle sera le vestibule, le lieu de. conversation, la salle à manger, la cuisine, sans qu'aucun de ces services puisse nuire aux autres. Le long des flancs seront des chambrettes ayant chacune sa porte sur la salle, une très petite fenêtre au dehors, et sa surface restreinte, dans les deux sens, à la plus grande dimension que comporte ua lit d'homme. L'aération de la chambrette se trouve assurée par la corres- pondance de la porte avec la fenêtre; l'abri du couchage par sa position en dehors de ce courant d’air; l'isolement des sexes par l’interposition de la salle; la protection envers les enfants durant la nuit et le jour par la facilité de la surveillance; la jouissance de la vie commune par l'existence d'un centre auquel aboutit chaque réduit. Sous cet ensemble régnera une cave destinée à recueillir des approvisionnements et à procurer l'assainissement du logis. Un comble, par des moyens opposés, remplira le même but. La communication entre ces trois étages se fera par un escalier. L’aire du logis se trouvera de trois marches au moins au- dessus du niveau extérieur du sol en pays élevé, — ce qui est le cas normal. — Sa siccité sera augmentée par une saillie très considérable des versants de la toiture. Les auvents. — Chose possible pour un bâtiment aussi simple, il faut que la pluie n'atteigne pas habituellement les murailles extérieures. On aura donc soin d'employer des toitures à pentes très douces et conséquemment propres à procurer sans gêne de grands auvents au pourtour de l’habi- tation. La limite de cette saillie doit être subordonnée au besoin de laisser parvenir la lumière directe du soleil contre es murs durant l'hiver, tout en protégeant les fenêtres contre ette action au milieu des jours d'été. Certains approvisionne- ments et les ustensiles de toute sorte trouveront place sous ces au vents; ils y seront disposés avec un ordre extrême dans le — 174 — but. d'économiser l’espace et de produire une ornementation réelle de la maison par le simple emploi de choses regardées comme viles chez les peuples à demi civilisés. Du côté le mieux abrité contre les vents froids, l’auvent pourra jouir d'une plus grande extension et servir de portique. L'orientation. — I] n’est pas indifférent d'orienter la maison d’une manière convenable. Dans nos contrées, l’expositis à L1 midi vaut mieux que celle du nord, pour la façade principale où se trouveraient l'entrée et la fenêtre. Sur quelques points, une direction plus orientale est préférée en raison de la violence des vents du sud-ouest. Ailleurs, on peut impunément braver ce côté de l'horizon. Dans tous les cas, l’architecte cherchera des yeux, vers l’ensemble du but préféré, la partie de l'horizon la plus lointaine, laquelle est presque toujours aussi la plus abaissée, et il établira exactement l’axe de la maison sur cette direction. La moindre déviation serait une faute constamment désagréable sans être même connue des habitants, et difficile à corriger, quoique l’on y parvienne au moyen de quelques. plantations habilement disposées. Les plantations. — Toute plante étant sujette à croître diffé- remment suivant la nature du sol et à périr avant l’âge, il y a témérité à ranger des arbres suivant un ordre symétrique. Cette disposition prépare toujours des mécomptes et des irré= gularités auxquelles il n'est plus possible de remédier après un certain nombre d'années. Les groupes d'arbres n'offrent pas cet inconvénient, soit qu'ils présentent à l'œil une seule masse compacte, soit qu'ils résultent du concours apparent de trois, de cinq ou d’un plus grand nombre de plants. Si l’un d'eux vient à manquer, on peut impunément et en toute saison corriger le défaut d’une manière satisfaisante. Il en est de même de ce qui constitue le verger. Si l’économie de place conduit à planter en quinconce les arbres fruitiers, cet avantage est bientôt compensé per l'inconvénient des vides que produit la mort tantôt d’un plant, tantôt d’un autre. On se rappellera, en outre, ce principe que le terrain, après avoir — 175 — porté un arbre sur un point, nourrira mal au même endroit un second individu de la même race. La règle sera donc de planter chaque arbre fruitier sur un point à sa convenance, et de varier les espèces suivant la nature de la terre et de l'exposition. Les arbustes et les arbres mis en buissons formeront autour de l’enclos une sorte de haie continue destinée principalement à Ôter la vue des propriétés trop voisines. Pour que les ramures de cette plantation puissent prospérer de rase terre à un niveau peu élevé, on évitera de rapprocher d'elle d’autres arbres qui pourraient la dénuder par leur ombrage. Suivant la loi générale d'équilibre, les arbres qui donneront le plus de feuilles ne sont pas ceux qui fourniront à l’homme le plus de fruits. Néanmoins il en est qui, disposés habilement, produiront des récoltes en même temps qu’une part de branches et de feuilles utile pour la formation de la haie autour de lenclos. | = C’est donc assez près de la Maison que les grands arbres fruitiers trouveront leur place, laissant entre eux et la bordure de la propriété un certain vide pour des groupes de plantes potagères ou d’arbustes auxquels une bonne culture est indis- pensable. Aux grands arbres on ne demandera pas unique- ment des fruits. Ils formeront encore, pour les paysages environnants, les premiers plans et les cadres des tableaux. Chacun, selon la forme en colonne , en dôme, ou horizontale qui lui est propre, servira tout à la fois à masquer un point peu agréable à la vue, et à dessiner le bord de quelqu’une des vallées réelles ou fictives que l'œil trouve en se dirigeant vers les différents abaissements de l'horizon, les lointains ou des choses habituellement remarquables. Avec un très petit nombre d'arbres, Jaromiecte trouvera moyen de satisfaire à ces diverses données. ii Les Re A nm mer dans l’ensemble de Fhorizon devront avoir pour poir è d ê FT : 128 a En premier lieu, la salle de la Maison; — 176 — En second lieu, une salle de verdure sur l'allée horizontale: En dernier lieu seulement les autres places de stationne- ment que peut offrir cette esplanade. Quant à la salle de verdure, établie très près de la Maïson dont elle est en été l'annexe, elle doit consister dans un vaste buisson impénétrable aux yeux du dehors, et d'où l2 vne puisse cependant s'échapper. Elle sera formée soit par le dôme que peut fournir même un seul arbre dont les branches retomberaient à terre, soit par une clôture de charmes, d’ifs ou d’autres plants propres à conserver leur ramure depuis le niveau du sol, soit par une charpente à claire-voie qui s’habillerait de plantes grimpantes, telles que la vigne. Le groupement des plus grands arbres à peu de distance de l'habitation a encore pour résultat de l'’abriter contre la vio- lence des vents et des pluies. Il conviendra d'être assez habile pour profiter de cet avantage par une heureuse disposition, sans se priver inopportunément des rayons du soleil. Les animaux. — Des animaux, grands ou petits, domes- tiques ou sauvages, vivront dans l'enclos avec l'homme. Ses plantations et ses fruits seront dévorés par les uns; d’autres, au contraire, aideront à détruire les destructeutrs. Appeler ceux qui sont utiles, éloigner les bêtes nuisibles, telle est la tâche difficile qu'impose la jouissance du plus modeste chez-soi. Il en est qui seraient utiles sous certains rapports seulement et dont la présence ne convient pas à la porte d’une habitation. Ainsi, la vipère qui détruit les rats par sa morsure venimeuse, plus encore qu'en faisant de leur chair sa nourriture, serait dangereuse près de la Maison. Ainsi l’araignée, dont les toiles sont un filet contre les mouches, deviendrait un obstacle aux soins de la propreté du logis. Ainsi la taupe, grande jardinière du sous-sol.et seul chasseur efficace des ves nourries de la racine des plantes, met le désordre dans les cultures. Tant que l’on n'aura pas trouvé le moyen de diriger les animaux ea Trr — 177 — de cet ordre pour en tirer parti sans en subir les inconvénients, il faudra se priver de leur concours. D'autres animaux sauvages travaillent, sans de trop graves comparaisons, pour le domaine de l'homme. Au premier rang se place la chauve-souris qui vit d'insectes même les plus gros. Il lui suffit d'un abri sombre durant le jour, chaud en hiver, paisible, et dont l'entrée soit quelque peu élevée au-dessus du sol pour la sûreté du passage. Puis viennent les oisillons, surtout ceux qui mangent le moins de fruits ou de graines, tels que les fauvettes et les autres becs-fins. Comme ils craignent peu, en général, le voisinage de l’homme, il est bon de leur préparer des buissons convenables pour la nichée. Les chouettes de petite espèce, presque inoffensives envers les oisillons, chassent sans relâche les souris des champs. Il est utile de leur ménager un gîte. Hors les moments du sommeil, les animaux se tiennent en état de surveillance réciproque; ceux dont il vient d'être parlé observent l'homme et son attitude plus ou moins bienveillante. Celui-ci devra donc, pour les attirer, ne jamais prendre à leur égard un air menaçant, et affecter, au contraire, des habitudes amicales. La même règle devra être suivie envers les animaux domes- tiques. Il conviendra que nul d’entre eux ne souffre, le rhythme de la douleur se communiquant à l'homme comme aux autres habitants de l’enclos. Nul ne devra donc, contre sa nature, être emprisonné de manière à sentir la privation de la liberté. La vache, douée par-dessus tout des instincts casaniers de la mère, dès que sa subsistance est assurée, peut rester attachée à l'étable, pourvu que de là elle voie et entende une société humaine ou animale connue d'elle. La poule, le canard et d’autres oiseaux de la sorte, jouissant de quelque liberté dans l’enclos, paient par leur chasse active aux insectes, par leurs produits et leur propre accroissement, les dégâts qu'ils auront occasionnés. 12 — 178 — Le chien, sociable comme l'homme, jouissant par rapport à celui-ci des qualités spéciales en quelque sorte complémen- taires, sent le besoin de cette aide et, en retour de ses services, se regarde comme une partie essentielle de la famille. L'éducation des uns et des autres est proportionnée à celle des maîtres du logis. Les bêtes les plus antipathiques à la vie sociale, comme celles de l'espèce féline, sont susceptibles d’être élevées d’une manière utile, si l’homme, leur supposant une intelligence analogue à la sienne, sauf la diversité des aptitudes, établit avec eux les rapports d’un être raisonnable à un être également raisonnable. Suivant la nature particulière des lieux et le climat, telle ou telle espèce d'animaux devra être admise dans le domaine. Les dispositions à prendre pour leur gîte varieront donc autant par cette première considération que par l'appréciation exacte à faire du nombre nécessaire des individus à admettre. L'habitation en plaine. Ce qu'un terrain élevé livre naturellement de causes de bien-être pour l'habitation, la famille doit le conquérir par les plus industrieux efforts dans les pays de plaine. Pour éviter autant que possible le séjour dans le lac d'air frais du soir, le bâtiment sera placé à un niveau plus consi- dérable au-dessus du sol. La cave occupera le rez-de-chaussée. Elle sera munie d'une voûte qui la sépare de l'étage. Autour d'elle on amoncellera des terres de manière à lui donner les mêmes qualités de température que si elle avait été obtenue au moyen d'une fouille. On n'y entrera jamais de plain-pied; mais on y des- cendra par un escalier depuis le niveau supérieur, condition que nulle autre combinaison ne peut utilement remplacer. Sur la cave s’élèveront deux tuyaux de cheminée, jusqu’au- dessus du comble du bâtiment, l’un plus haut que l'autre. Ils correspondront chacun à deux points de départ différents. Vers le matin des jours d'été, l’air de la cave, trop échauffé la veille, — 179 — montera par le tuyau le plus élevé et fera place à un dépôt plus frais descendu pendant le même temps de la seconde cheminée. Ainsi se renouvellera la fraîcheur du souterrain durant la saison chaude. On conservera la chaleur, pendant l'hiver, en fermant les tuyaux. L'étage habité se trouvant, par cet exhaussement factice, plus élevé que le niveau des clôtures du domaine, échappera aux dangers de l'air stagnant. Ce remède pourra être rendu plus efficace par le soin que l’on mettrait à employer des clôtures à claire-voie au moins du côté de la voie publique. Le terrassement autour de la cave devra être très large devant l'entrée de la maison, afin d'y former une petite espla- nade. Pour obtenir une si grande quantité de remblais, on se gardera bien de faire des creux dans l’enclos; mais les terres, ensuite d'un règlement à établir au besoin dans la commune, seront extraites du lit des cours d’eau, de manière à les assainir en leur donnant une plus grande profondeur. En effet, 1l ne doit y avoir, dans les plaines, aucune surface d'eau qui ne dépasse en profondeur, dans tous les temps, la hauteur d’un homme. Alors seulement peuvent vivre sur un lit suffisamment abaissé les animaux aquatiques qui mange- ront les autres prêts à périr ou déjà morts. De là peuvent s'élever, sans périr par l'abaissement des eaux, les plantes destinées à absorber pour leur nourriture les détritus de toute sorte. La grande salle du logis, dans une contrée en plaine, ne sera jamais privée du courant d'air qu'appelle, sous le manteau d'une cheminée toujours ouverte, le feu de la cuisine. Car l'usage du foyer est la plus sûre garantie d'assainissement du local, n'y eût-il sous la cheminée que la flamme d'une lampe. Comme en plaine, dans les temps calmes, il convient d'éviter par-dessus tout l’air stagnant et frais du soir, ou du moins de s'abstenir de repos sous cette dangereuse influence, le véritable auvent, pour la famille, sera le comble lui-même, disposé pour donner la vue de l’horizon et du couchant, et mis en — 180 — communication avec la grande salle par un escalier propor- tionné à la modicité et à la simplicité du bâtiment. Une rampe droite et raide peut satisfaire à ce besoin. Une autre semblable, placée en dessous, conduirait pour d’autres services à la cave. Mais ce dernier resterait toujours clos par rapport à la grande salle, tandis que celle-ci recevrait de sa communication avec le comble un renouvellement d’air puisé dans une couche plus élevée de l'atmosphère. Ces précautions suffiront pour écarter du logis les fièvres propres aux plaines presque toujours incomplètement assainies. Il reste à supprimer encore les dangers de la putréfaction dans l'enclos. Toutes les matières destinées à se putréfier et à devenir des engrais seront enfermées sous une voûte recouverte elle-même d'une môle de terre. L'infection sera de plus neutralisée par le jet fréquent des drogues en usage pour ce but (!). On aura soin, enfin, de placer le dépôt à quelque distance de la maison, et jamais du côté des vents les plus habituels. Les habitations dans la ville. Les agglomérations de maisons dans les villes ont besoin d’être habilement réglementées dans l'intérêt de la salubrité et de la sécurité des personnes, non qu'il doive exister pour elles des lois spéciales, mais par cette raison que le défaut de prudence leur serait plus immédiatement préjudiciable qu'aux habitations disséminées. Le principe généralement admis est, au fond, que deux propriétés contiguës ont une partie commune, la rive, mais que celle-ci, géométriquement réduite à une ligne sans épais- seur, consiste réellement dans une bande assez large pour que ni l’une ni l’autre de ses moitiés ne puisse, au besoin, être franchie par un seul effort de l'homme de la plus haute stature. Cette distance est celle sur laquelle s’exercent dans toute leur () La poussière de plâtre, les sulfures de fer, etc. — 181 — ampleur les servitudes naturelles, inévitables, réciproques, de voisin à voisin; cette espèce de communauté d'usage de la rive pratique appelle l'intervention du juge, et un règlement. Si deux maisons doivent être placées face à face sur l’une et l'autre rives, elles ne pourront donc jouir de portes et de fenêtres, sans gêne immédiate pour le voisin, qu'à la distance naturellement infranchissable. Ainsi se trouve assurée, sous un rapport, la sécurité du foyer domestique. Mais la mesure n'est pas suffisante quant à la salubrité des habitations. Elle l’est moins encore en ce qui concerne le danger des personnes et la prévision des crimes. En effet, si, tout en se conformant aux mesures imposées relativement aux distances pour les portes et les fenêtres, les voisins viennent à construire, chacun chez soi, sur la zone des servitudes réciproques, perpétuel champ de guerre entre riverains, des murs très rapprochés les uns des autres et qui laissent entre eux des vides inabordables à l'homme, il arri- vera que dans ces réduits pourront venir se perdre, sans secours possibles, et les enfants et 1:53 animaux de petite taille. Là, dans des poches résultant parfois du défaut de parallélisme des murs, pourront être précipités des objets qui demeureraient indéfiniment cachés à la surveillance publique. Une sage mesure s'est presque généralement établie pour corriger ces divers abus. Elle consiste dans la création de ce que l’on appelle dans nos contrées le mur mitoyen. Cette institution est la plus féconde en bons résultats que la législation des peuples civilisés ait su imaginer pour les agglomérations de maisons dans les villes. Elle devrait être généralisée; car, à un moment imprévu, elle peut être néces- saire en quelque lieu que ce soit. Il conviendrait de la régler sur les bases suivantes : La loi statuerait que, sur la largeur nécessaire pour cons- truire un mur mitoyen d’une épaisseur déterminée au-dessus du sol, avec les accroissements de dimension utiles pour la — 182 — fondation souterraine, la rive deviendrait commune en pré- sence du projet de construction; L'un ou l’autre des riverains, sinon tous deux à la fois, pren- drait, pour élever le mur mitoyen, une égale largeur de chaque côté de la ligne géométrique de séparation des propriétés ; IL exécuterait la construction sous la surveillance du voisin; La hauteur du mur mitoyen serait limitée par la commune dans un intérêt de salubrité ; Celui des riverains qui n'aurait pris aucune part dans les frais de construction, ayant néanmoins fourni le parmi-terre, jouirait du droit d'appuyer des plantes contre le mur mitoyen, sauf à l’entretenir de son côté ; Dès qu'il lui conviendrait de bâtir à son tour contre ce mur, il acquerrait librement la propriété définitive de la mitoyen- neté, en payant la moitié de la valeur qu'auraient conservée les macçonneries au jour de l'achat; Il serait interdit aux riverains de modifier l’usage du mur mitoyen par aucune espèce de conventions. De l'institution du mur mitoyen dérive directement une disposition avantageuse pour la salubrité des maisons agglo- mérées, c'est que, devenues impossibles du côté des voisins, les fenêtres seraient établies le long de la voie publique. Celle-ci, propriété de tous dans l'intérêt de chacun des riverains, doit exister avec des droits imprescriptibles, mais subissant des servitudes directes au profit de chaque maison, n’en concédant aucune chez elle à un voisin sur son voisin, n’accordant jamais ni à l’un ni à l’autre le privilége de s’im- miscer dans l'administration de la rue dont ils auront à se servir. Soit par l’abaissement de la chaussée, soit par un exhausse- ment du sol inférieur des maisons, celui-ci devrait toujours être à trois marches au moins au-dessus des rigoles d’écoule- ment des eaux de pluie dans la rue. I n'y aurait pas de cour fermée par des bâtiments sur ses quatre faces, à moins qu'entre elle et la voie publique il n'eût — 183 — été réservé un Courant d'air permanent au moyen d'un très large passage sans porte, ou muni simplement d'une grille à claire-voie sur la plus grande partie de la hauteur du rez-de- chaussée. Toute fenêtre d’une chambre destinée à l'habitation serait disposée de manière à laisser écouler par le bas l'air le plus pesant, et par le haut les gaz les plus légers. Elle commence- rait presque au niveau du sol de la chambre et dépasserait en hauteur la stature humaine d'au moins moitié. Comme, nonobstant ces précautions, les habitations sur les cours manqueraient de salubrité, surtout dans les rez-de- chaussée, la commune encouragerait par tous les moyens dont elle peut disposer, l'établissement des logis sur la rue. L'habitation, considérée au point de vue du logement le plus simple de la famille, mais le plus convenable dans les conditions si mauvaises de l’agglomération des maisons, aura donc toutes ses fenêtres sur la voie publique, chacune d'elles avec un balcon. Elle sera séparée : des voisins de droite et de gauche par un mur mitoyen ‘ompact et impénétrable au passage des gaz; des appartements du dessous et du dessus par une voûte plate et mince également en maçonnerie, mais qui soit un obstacle insurmontable contre la pénétration des courants d'air parfois infectés provenant des logements con- tigus. L'escalier, commun à tous les étages, sera une espèce de cheminée, ouverte surtout à la hauteur des combles et au rez- de-chaussée, et rendue ainsi autant que possible aux condi- tions de salubrité d'une petite rue. La maison riche. L'habitation prend un caractère de richesse dès qu'elle jouit de choses qui n'étaient pas indispensables à la vie de la famille. Certains peuples anciens n’admettaient pas que la maison des grands différât d'aspect des logis ordinaires. Mais cet usage, en supprimant l’un des objets principaux de l’'émulation chez — 184 — un peuple, empêchait que celui-ci ne se civilisât à un niveau plus élevé. Le privilége de la richesse est de donner d’abord, à qui sait s’en servir pour l'établissement de sa demeure, le choix de l'emplacement. Il donne encore un espace plus grand d'enclos et une extension plus considérable de bâtiments, maïs non sans accompagner ces faveurs du danger des compensations naturellement imposées à tout ce qui cesse de tendre de la manière la plus directe au bien de la famille. L'oubli de ce dernier principe, joint à une extension trop grande de la pro- priété, créeraient pour le possesseur le sentiment du vide au dedans, et une servitude certaine par rapport à l'extérieur, la servitude réciproque, inévitable entre le maître qui commande et les aides qu'il est obligé d'appeler autour de lui. Les développements, en quelque sorte licites, de la maison ont pour objet, soit de réunir à l'habitation maternelle les familles que les enfants ont pu fonder à leur tour, soit de recevoir des hôtes étrangers, soit enfin de donner des fêtes. Mais quel que soit le degré de la richesse qui fondera un domaine, l'architecte devra s'appliquer à sauvegarder les jouissances de la famille contre les influences du régime de la domesticité. Dès qu'il est besoin d'un serviteur dans la maison, le système de la salle unique servant de vestibule, de salon, de salle à manger et de cuisine, s'évanouit. La présence obligée de ce témoin pèserait trop fortement sur l'indépendance de la famille. Il faut donc diviser le groupe des divers services et en détacher, pour leur affecter des chambres spéciales, d'abord la cuisine, puis la salle à manger, en troisième lieu le salon qui est pour la famille l'endroit des causeries, comme celui des entrevues pour les étrangers. Il faut surtout établir le vestibule qui servira d'entrée à toutes ces pièces séparément, et de centre d'action au service domestique. Le vestibule. — C’est dans le vestibule que le serviteur vient reprendre sa place dès qu'il a cessé les travaux qui l'appelaient — 185 — ailleurs. Aussi la pièce doit-elle être assez grande pour que la domesticité y trouve un coin tranquille hors de la circulation et assez éclairée pour que les ouvrages les plus délicats puissent au besoin y être confectionnés. Devant être occupée en toutes saisons, elle comporte nécessairement un foyer. Des armoires nombreuses y seront distribuées pour renfermer avec ordre les objets confiés à la garde du serviteur. Libre en ce lieu sous la réserve des éventualités du service, la domesticité pèsera d'autant moins sur la famille que la séparation de l’une et de l'autre sera ainsi plus complètement établie. La partie de l'enclos qui constitue les abords du vestibule en est une dépen- dance et restera comme lui distinct de la part des maitres. L'importance du vestibule variera comme celle de la maison. Elle sera presque nulle dans le cas d’un seul serviteur dont la sagesse des maîtres aura su accorder les habitudes et les inté- rêts avec ceux du service de la famille. Elle deviendra consi- dérable lorsque le nombre des appartements l'exigera. Si plusieurs branches de la famille sont destinées à demeurer sous le même toit, chacune d'elles aura besoin de jouir par rapport aux autres, à ses heures, de la même somme d'indé- pendance que s'il s'agissait d'étrangers, et, pour son serviteur particulier, elle aura une antichambre. On ne doit pas compter parmi les gens du vestibule les’ serviteurs qu'une fonction spéciale attache à l’une des dépen- dances de la: maison et qui ont dans ces lieux leur demeure. Ce sont des rudiments de familles annexes, destinées le plus souvent à la stérilité quant à la race, mais dont le travail devra toujours être rendu productif, sous peine d’un double dommage et pour le maître et pour ses assujétis. L'emploi de ceux-Ci exige d'intelligentes prévisions et des dispositions archi- tectoniques en rapport avec le but. La cuisine. — On a vu que la variété des mets était un devoir; le nombre des ustensiles doit dès lors être considérable. La cuisine sera donc traitée comme un atelier où doit règner l'ordre le plus parfait, où chaque chose aura sa place invariable, — 186 — afin qu'il ne soit jamais nécessaire de chercher, et où nulle intervention étrangère n'apporte du dérangement. Les murs et les plafonds seront garnis, les premiers de tiroirs et de rayons, les seconds des moyens de suspension les plus divers; car moins la cuisine occupera de place proportionnellemént à la quantité des agrès, et moins il y aura de mouvements à opérer pour s'en servir, moins conséquemment le travail sera long et pénible. Dans le cas même où la maîtresse de la maison se chargerait seule des soins de la cuisine, il importerait de ne pas affecter à cette pièce un espace trop grand et dont le superflu serait toujours plus utile pour l'agrandissement d’une autre salle, telle que celle que l’on destine aux repas. La cuisine doit être munie d’une cheminée toujours ouverte pour l'issue des odeurs en même temps que de la fumée. Elle doit avoir une fenêtre abritée contre le soleil et garnie d'un treillis impénétrable au passage des insectes. Le sol doit être facile à laver. L'eau y sera conduite par un tuyau toujours prêt, et les liquides à rejeter sortiront soit par un orifice disposé en syphon renversé, soit par tout autre moyen propre à con- jurer leur infection. Si, vu l'importance de la maison, la maîtresse du logis est obligée de livrer à un serviteur les soins de la cuisine, l'intérêt à bien faire diminue et la nécessité des réformes commence. A côté de la cuisine, il faudra le lieu des approvisionnements où nul ne puise sans autorisation. Dès que la domesticité se compose de quelques personnes, il faut pour elles une salle à manger, ce que l’on appelle un office, lequel peut être contigu à la cuisine, mais ne doit jamais y donner accès. Si elle est nombreuse, il faut, en outre, d’autres dépendances à chacune desquelles soient affectés des serviteurs responsables, à l'exclusion des autres. La cuisine doit être en communication avec la salle à manger : directement, si le service est fait par la maîtresse; moyennant l'interposition d'une pièce accessoire, si le > soUe vernement du foyer est dévolu à un serviteur. CR: Res La salle à manger. — Toute salle à manger, destinée à rece- voir des convives du dehors, indépendamment de ceux de la famille, doit affecter pour cet objet une forme allongée. Elle ne sera donc carrée, ou même circulaire, que dans le cas exceptionnel où le nombre des assistants se trouverait inva- riablement restreint au personnel de la maison. La hauteur de la salle à manger est le plus souvent égale à sa largeur, proportion de 1/1, tandis que la longueur s'accroît selon les rapports harmoniques 3/2, 5/3, 7/4, 15/8 et même 2/1. Mais l'intérêt de la famille ne comporterait guère au delà de cette limite un accroissement où se perdrait de plus en plus la pré- pondérance de l'administration intime de la maison. L'architecte calculera d’abord la longueur de la salle à manger sur le nombre des personnes pour lesquelles il a été disposé dans la maison des logis même temporaires ; il comp- tera, en outre, la proportion des invitations que les relations extérieures permettront de faire utilement. Puis, d'après ces bases, il établira le rapport harmonique sous lequel il convient de classer les dimensions de la pièce. œ La salle à manger demande de la clarté, laquelle lui sera fournie abondamment : la nuit par des appareils qui con- centrent la lumière sur la table, le jour par d'amples fenêtres. Sa décoration exprimera des idées d’allégresse et d'énergie, à l'exclusion des images de la souffrance dont la place utile est ailleurs. La pièce sera fraiche l'été, chaude sous les pieds durant l'hiver, en tout temps d'une propreté qui puisse sem- bler exagérée. En somme, elle doit au convive le sentiment du bien-être et la gaité sans nulle apparence de cynisme. Car l'objet définitif est d'écarter toute cause de défaillance de l'appétit en présence d'une nourriture qu'une sage économie commande de consommer de la manière la plus avantageuse. Dans la salle seront distribués des meubles qui puissent, sinon dispenser du service de la domesticité, du moins en res- treindre la durée souvent inopportune au milieu des colloques divers de la famille. L’inconvénient qui résulterait de la — 188 — présence constante des serviteurs sera évité par la bonne dis- position d'un office de salle à manger accessible depuis la cuisine, et d'une autre pièce semblable pourvue d’une seule entrée sous l'œil de la maïtresse du logis. Celle-ci aura de la sorte la facilité de faire apporter simultanément, à l'instant voulu, d'une part les choses apprètées d'avance, d'autre part celles qui viennent de l'être, et de limiter ainsi à la plus courte durée le temps des apparitions successives de la domesticité. Comme une extension plus considérable du service de la salle à manger en changerait le caractère et substituerait au régime de la famille et de l'intimité celui de réunions rendues publiques par la présence des témoins, puis à l’industrie res- treinte de la maison de véritables entreprises culinaires, cet état de choses ne saurait être examiné ici à propos du gîte, même le plus splendide, destiné avant tout à la réussite des enfants sous les soins de la mère et du père. Le salon. — Abri facile des maîtres contre la domesticité, le salon sera disposé pour recevoir à la fois et les enfants et les étrangers sans que la conversation des uns gêne la liberté des autres. À moins donc que d'établir trois salons, le premier pour les ébats des enfants, sinon pour leurs études; le second pour les laborieux loisirs et les causeries de la mère; le dernier pour le cérémonial des relations extérieures, il importera, si l’on est heureusement réduit à restreindre le tout dans une seule pièce, que celle-ci forme en quelque sorte trois compar- timents ayant chacun sa fenêtre bien séparée des deux autres, et ses moyens d'isolement sous une certaine unité de sur- veillance. A un moment donné, les salons ou les compartiments du salon deviennent un seul lieu de fête. Ils doivent avoir été disposés d'avance pour présenter en pareil cas l'ensemble le plus complet. La décoration des salons demande une grande blancheur pour les fêtes de nuit, en raison de l’économie que ce procédé procure quant à l'éclairage. Elle réussit mieux à être établie — 189 — suivant un système de tons foncés pour ses effets dans toutes les autres circonstances. Elle acquiert de plus par ce dernier état l'avantage d'une longue durée, qualité précieuse en raison de son influence sur les habitudes, et le mérite de faire valoir avec plus d'éclat les objets d'art dont le luxe appartient aux salons. Dans la pièce destinée aux relations extérieures, le choix de l'imagerie aura pour objet de rappeler à l'esprit les qualités diverses qu’il convient de posséder en pareille circonstance. La variété des sujets traités, éveillant celle des souvenirs, peut fournir aux interlocuteurs, en beaucoup de cas, des guides pour modifier à propos le cours des idées. L'œ1l du maître y puisera, selon le besoin, des sentiments de trève ou de guerre, de résistance ou de charité, ainsi que des exemples de la fierté morale dont l’homme ne doit jamais se départir devant autrui. L'imagerie à mettre dans la salle, ou dans la part de salon consacrée à la jeunesse, sera de nature à soulever de généreuses aspirations d’amour-propre et un dévouement absolu pour le bonheur de la société. Le salon de la mère doit contribuer, par la nature des sujets exposés, à développer daïis la famille le sentiment de l'union, du travail content, de l'espérance et du bonheur qui en découlent. Dans le cas d’une salle unique à trois compartiments, chacun de ceux-ci aura des proportions de forme en rapport et avec l'ensemble ét avec les deux autres subdivisions. Cette disposition peut donner naissance à des accords de mesures d'un effet complexe et puissant. La chambre à coucher. — Toutes les chambres à coucher de - la famille doivent être rangées auprès de celle de ces pièces qui sera occupée par la mère. Elles lui seront subordonnées quant à leurs entrées particulières, de telle sorte que la sur- veillance soit facile, constante et presque réciproque. Cette disposition est une puissante garantie de l'établissement et du maintien des habitudes de prudence dans la maison. — 190 — Par rapport au salon, la chambre à coucher de la mère doit être en quelque sorte la continuation de ce dernier. Elle le complète quand il en est besoin; elle le remplace même, avec l’aide de la salle à manger, s’il fait défaut. Elle sera, comme toutes les autres chambres à coucher du reste, constituée en deux parties distinctes, celle du lit sur laquelle ne doit exister aucun courant d'air, puis celle de Ia circulation où se trouveront la fenêtre et les portes. Enuc ces dernières et Le lit sera placée la cheminée. Il résulte nécessairement de ces données que la chambre à coucher sera toujours beaucoup plus profonde que large, et que pour le service de la Mère la longueur de la pièce atteindra souvent le double de l’autre dimension. Les portraits de famille, des objets de souvenir et les images les plus gracieuses de la religion formeront la principale déco- ration de la chambre de la Mère. La diversité des formes et des dimensions des siéges y rendra le local commode pour tous les âges. Une seule fenêtre très vaste, à balcon, bien exposée, lui conviendra pour appeler la lumière, le renou- vellement de l’air et l’activité des personnes d’un seul côté. L'intérieur de la cheminée aura une hauteur telle qu'un homme debout puisse y recevoir la chaleur du feu de la tête aux pieds, afin que nul ne trouve plus de convenance à se sécher ou à se chauffer ailleurs. Le lit présentera d'excellentes conditions de salubrité si, au lieu d’être enveloppé de draperies pendantes, il prend simplement sa place au fond de la chambre dans celui des angles qui sera le plus éloigné de la cheminée, ayant ainsi une atmosphère libre et tranquille en même temps. Enfin, la fenêtre sera munie, tant au dedans qu'à l'extérieur, de tous les agrès nécessaires pour les besoins des différentes heures de la journée, donnant à la convenance des habitants soit une large vue du dehors, soit une obscurité complète, soit des demi-jours abritant du soleil sans priver de la circulation de l’air durant les saisons chaudes, et se fermant par une triple ou quadruple clôture contre les froids de l'hiver. — 191 — Salles de jeu, atelier, bibliothèque, galeries de collections. — Ces noms éveillent des idées auxquelles il ne peut être donné satisfaction d'une manière vraiment utile que par un ingénieux emploi des diverses salles dont il a été dit que la Maison comportait l'usage. Un trop grand développement de l’un ou de l’autre de ces services le ferait classer soit parmi les choses de l’industrie, soit dans un domaine d'administration publique. Cette étude ne saurait donc trouver place que dans les géné- ralités, et non plus dans l'application de celles-ci à l'organi- sation du logis de la famille. L'ensemble de la maison riche. — En un lieu élevé et salubre la Maison riche consistera dans un rez-de-chaussée muni presque partout de portes-fenêtres, quelquefois avec une por- tion d'étage pour les enfants, avec une autre portion bien distincte pour la domesticité. Elle se composera de ramifica- tions reliées entre elles par les séries les plus longues possible de portes, sur des axes en ligne droite. La multiplicité de ces ramifications produira des saillants et des rentrants ayant pour effet artistique : En premier lieu, de permettre que chaque service se dessine au dehors par les formes de facades, d'ouvertures et d’orne- ments qui le caractériseront ; En second lieu, de fournir une grande quantité d’angles extérieurs de murs dont la verticalité corrigera dans l'esprit du spectateur le sentiment pénible d’une ligne seule debout sur un sol incliné, et qui, statue, colonne ou tour, bien qu'é- tablie d’aplomb, semblerait toujours inclinée par rapport à la pente et prête à tomber en arrière. La pluralité des lignes verticales et horizontales fortement accentuées dissipera l’er- reur qui se fût involontairement formée pour l'œil s’il n’eût eu d'autre terme de comparaison qu’une assise penchée. L'étude de la silhouette générale des combles sera irrépro- chable, vu l'importance des points culminants quant à l'aspect d'un édifice. — 192 — Des portiques remplaceront par endroit les auvents protec- teurs de la maison simple. L'architecture nue du bâtiment sera voilée sur quelques points par des arbres portant peu d'ombre, mais qui, tout en donnant au spectateur l'idée de richesse résultant de ce que l’on appelle, dans les décorations théâtrales, des plans, four- niront un abri précieux auprès de l'habitation. On éloignera de la maison les cultures du jardinier, afin de conserver sur ce point le plus fréquenté dans l’enclos une liberté d'ébats nécessaire aux animaux comme aux hommes. Si ce voisinage était dangereux pour certaines plantes trop frêles que lon voudrait avoir près de soi, il faudrait parquer celles-ci; car elles se complairont derrière une grille tutélaire, tout autant que les races destinées à la locomotion souffriraient à être emprisonnées. Les bâtiments accessoires, propres au service des écuries diverses qui accompagnent le plus souvent l'habitation riche, ont leur place marquée inévitablement du côté de l'entrée du clos. Mais quel que soit leur peu d'importance, il conviendra toujours de les séparer de la maison, leur voisinage trop immédiat ayant pour résultat d’infester de mouches l’habi- tation, de mettre inutilement une partie de la domesticité près des colloques de la famille, et de gêner les jouissances de la circulation sur l'esplanade. Dans un vaste enclos, l'allée horizontale n’est pas moins essentielle que dans une propriété restreinte à la proportion de surface la plus ordinaire, et où la circulation serait moins étendue. Elle se ramifiera autour de la maison pour les besoins d'ombre, de soleil, ou d’abri contre les vents que la saison et l'heure du jour commanderont. Elle se développera, en outre, dans tous les replis où le promeneur peut être appelé par quelque circonstance locale agréable, ou par LARpA d'un point de vue intéressant. On ne doit pas tendre à faire la maison riche belle seulement pour elle-même, chose impossible du reste; mais, à cause de — 193 — son importance, elle a le devoir d'embellir la contrée sur laquelle on la verra régner. L'architecte devra donc éviter de donner à son œuvre ces formes de caisse quadrangulaire dont la masse refuse de se lier au paysage environnant, et aux- quelles conduit tout droit l’économie inintelligente de la dépense dans des entreprises proportionnellement trop ambi- tieuses. Il proscrira toute disposition architectonique ne répon- dant à aucun besoin vrai de la maison, et s’appliquera, au contraire, à ce que la destination précise de chaque chose se dessine au dehors, de manière à faire rayonner au loin, par la vue des détails comme par celui de l’ensemble, le sentiment du bien-être préparé d'abord pour une seule famille. V ÉDIFICES PUBLIES. Le type des édifices publics. — Les édifices publics ne peuvent et ne doivent jamais ressembler aux maisons d'habitation des citoyens ; car ils ont des destinations d'un autre ordre. Ils se manifesteront toujours chacun par un type qui lui sera propre, et qui proclamera aux yeux les moins exercés l'objet du monu- ment. Il y aura donc autant de diversités dans les types qu'il y à de destinations différentes à satisfaire. Temple, hôtel-de- ville, palais de justice, prison, caserne, marché, abattoir, promenoir, théâtre, bâtiment de l'Etat, école d'un ordre quel- conque, chaque édifice doit être lui et ne rien tenir d'un autre. La richesse monumentale. — On aime à revêtir les monu- ments publics d'une certaine richesse dont la vue donne à tous les citoyens le sentiment du bien-être. Mais comme les édifices n'appellent pas cependant de la même manière l'intérêt sur eux, il est nécessaire que cette richesse soit répartie propor- tionnellement à la sympathie méritée. Il conviendra aussi que, dans chaque circonstance où va être construit un édifice public, l'architecte en mesure l'im- 13 — 194 — portance sur les besoins probables d’un avenir peu éloigné, et non sur les nécessités d’un présent naturellement trop égoïste. La richesse monumentale des temples, des hôtels de ville et généralement de tout édifice auquel s’attachent les traditions, consiste d'abord dans le fait même du maintien de ce qui a existé. Aux œuvres anciennes de ce genre, les générations nouvelles ne doivent qu'ajouter sans jamais rien détruire d'essentiel. Il n’est pas de construction, primitivement si res- treinte, qu'elle ne puisse être agrandie, si pauvre qu'un archi- tecte vieilli dans le métier ne soit en état de lui donner, à l’aide des sculpteurs, des peintres et des autres ornemanistes, un degré de décoration qui surpasse les besoins et les désirs les plus ambitieux. En face d'un édifice ancien devenu insuf- fisant, l'architecte devra modérer son propre désir de faire du neuf, et le secret penchant de tout administrateur à fonder. L'emplacement de l'édifice. — KElevé dans l'intérêt de tous, l'édifice public doit être vu de tous, et ne jamais se faire cher- cher. Sa place est donc marquée naturellement sur l'axe des voies principales, surtout dans les villes où 1l n y a pas d'autre moyen d'embellir la perspective des rues. Une cité devient monumentale beaucoup moins par les dépenses affectées aux constructions, que par le choix intelligent du lieu où celles-ci seront établies. Cachées ou simplement perdues dans l'uni- formité de l'alignement des maisons privées, elles n'excitent ni l'intérêt ni le goût, lesquels ne sauraient être éveillés que par la fréquence des apparitions de l'œuvre. Mises, au con- traire, en vue de manière à former des fonds de tableau pour chaque voie publique, elles acquièrent de leur He Le une importance extrême. L'emplacement des plus grands édifices, leurs hauteurs diverses et la forme de chacun déterminent d’une manière caractéristique l'aspect extérieur d’une ville, comme du plus modique village. On ne doit jamais négliger ce moyen de décoration de la contrée. Au temple appartient le privilége du point le plus culminant, parce que c’est à lui qu'il incombe — 195 — de parler encore au loin à l'imagination pour la détourner des écarts dangereux. Il séduit le regard par la splendeur relative de ses formes, produit suprême de l’art local; l’ouïe par des sons que la distance rend plus harmonieux. Il va réveiller jusque dans la solitude des familles éparses les idées morales que l'isolement pourrait affaiblir. A la maison, où se réuniront les citoyens pour l’adminis- tration des affaires publiques, doit être réservé le centre du groupe des habitations. Dans toute commune bien ordonnée, chaque édifice a sa place prudemment choisie en vue des intérêts présents à satis- faire, et du développement ultérieur des constructions sur une vaste étendue de terrains libres. Il péchera souvent par l'exiguité du local, rarement par l'excès contraire. à Pa rs g 4 ris ee à , ” de LT + y L4 r L . u L Lu r À ne x + À “L HER _ HAS EE Nr AIRES SERA s ht ; € S'EA ' RUN #5. L] de CR De 4 J PE le L2 b à ERRATA 1e! 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Cercle de si. Sons harmoniques. Phrase musicale. IT Lois HARMONIQUES PES COULEURS. Gamme optique. Phrase optique. Couleurs simples et mixtes. Clair et sombre. Juxta-position des couleurs. [1] CONTRASTES DE L'ODORAT, DU GOUT ET DU TOUCHER. Odorat. Goût. Toucher. IV LOIS HARMONIQES DE LA FORME. Formes naturelles. Les nombres. Ossature humaine. Plantes. Etat moléculaire. Polyèdres, Angles et courbes. Symétrie naturelle. Attitude. Destination Art de la forme. V LES RHYTHMES. Rhythme dans la musique. Rhythme de la danse. Rhythme dans la poésie. VI L'ESPRIT ET LES LOIS HARMONIQUES. Transmission des idées par le rhythme. Transmission des idées par le rhythme et Le contraste. LIVRE IIL. SOCIÉTÉS HUMAINES. I L'ART DES RELIGIONS. Tradilions religieuses. Le prêtre. Les actes religieux. Les prières. Les chants religieux. Les cérémonies. Il L'ART DU PROGRÈS SOCIAL. La population. Le mariage. La propriété. Le gouvernement. La commune. — 198 — La sécurité, Les juges. L'armée. L'enseignrmen!. La salubrité. L'isolement. Eloignement des matières en putré- faction. Siccité des lieux. Eaux potables. Sources arlificielles. Sources. Apprêéts des vivres. Les voies publiques. La rue. La route. La place du marché. Les terres communales. Le jardin public. Le pré-bois. La forêt. Les fétes. Fêtes du corps. Fêtes de l'esprit. LIVRE IV. L'ARCHITECTURE., I L'archilecte. La stéréotomie. L'ŒUVRE. Le vrai. ‘Le beau. Symétrie artistique. Variété et rhythme. Variété dans la distribution de l'œuvre Rhythme architectural. Variété dans le détail. IIT ORDRE ARCHITECTONIQUE. Proportions de l'Ordre. Emploi de l'Ordre. Ordres superposés. Ordre multiple. L'Ordre et les voussures. Pénétrations dans les voussures. Groupement des voussures. Les plafonds. Les baies. Les moulures. Variété dans les dimensions. Variété dans les formes. Variété dans la lumière. Variété dans l'ornemention. Les combles. Echelle de l'œuvre. Expression de l'œuvre. Srulpture. Peinture. Coloration des édifices. Coloration des intérieurs d'édifices. Peinture d’imilation. Perspective. Ombre. Ombre portée. Reflet. Couleur. Corps diaphanes. Manière de faire. Ordonnance du tableau. IV LA Maison. L'enclos. L’allée horizontale. Le bâtiment. Les auvents. L'orientation. Les plantations. Les animaux. N L'habitation en plaine. Les habitations dans La ville. La maison riche. Le vestibule. La cuisine. La salle à manger. Le salon. La chambre à coucher. Salles de jeu, atelier, bibliothèque, galeries de collections. L'ensemble de la maison riche. V EDIFICES PUBLICS. Le type des édifices publics. La richesse monumentale. L'emplacement de l'édifice. ÊL:. 1ence Doubs, 1868. La Se AE +4 . dt des Arts. # Lith Guyard, Besançon. NIQUE “ts à «” LE HARMO ERC 3 Soc d'Emuil du Doubs, 1866. La Science des Arts. CERCLES HARMONIQUES des Sons. Liû, Evyerd, Brrtngas Cercle de FA (Pol. 32) Cercle de MI (Pol. 30) CERCLE SOL 2 Cercle de SOL (Pol 36) de UM (Pol. 24) rivale LA®# Cercle de LA (Pol. 40) Cercle de SI (Pol 45) en sv... STh SIka2 Cercle de S[b! Pol. 42) Abrevialions : Pol., polygone du nombre d'angles déterminé parle chiffre suivant, et caractérisant chaque wercle. UTs,RE2....ut aigu, re fiqu… V., vibrations, .Systême de 640 vibrahons de UT à UTa; les chiffres suivis de la lettre v indiquent les differences partielles entre deux notes voisines. PL. II . “J Va 4 das ‘ à (FA) Bleu FA2 Bleu £ Cercle du Violet (SOL) (LA) Rouge (LAS) Rouge #8 Vert 2 (RE:Ÿ | & H # - (RE 2) Vert 9 Soc. d'Ernul, duDoubs, 16684. La Science des Arts Fi £. | PL. III 1$- TS Jane © A (M12) Vert d'eau 2 + ( Fig. DRE TS _ #T RE CERCLES HARMONIQUES dh ‘® g Vù «er - pat) Bleu à des Couleurs. À Verts (RE) Ve A AE rs En 11 À \ Ponceau (sis) / . 4 / LE fe ns | à À | \ \ | | | 4 } | | Ne {FA 2) Bleu o « Fig.3. Rouge (LUE à \ \ 7 k / )Bleu Î Al Fig. 7 , s 4} | À f fau \ (SI) Grange | 4 | \\ \e. | | {| ss , s \ < Fr P Stb ent d'en ss A2) Bleu? | Be) HE . Jaune? (UT2)4 SOL. 2) Victet » METRE UT {Jaunes | ‘ #4 £ AE 7 CA XX 4 , ; | / Rouge D | d k , Rouge my LL 4 _ \ sou} D : OUEN Nert d'eau 2 Orengé (st). # 4 A Ï /\ SNS % \, __. D TS0L) Violet IA & ". - 4 f A \ / | V4 \ ETS SEX à (SOL 2) Miolet 2 as SE” | \ / Ponceau (SI 7 YS0L £)Viclet £ | 5 Cercle du Bleu (F4) Cercle du Rouge (LA) | 1 | | GA ASEA Eu ; Fig. 8. | é liolet. (SOL DRE Verte. | Porc CRC S : Lis (SOL) Violet | | E Bleu? 0 4 ÈS re Es _We ; ={s 01 2)Viclet à ; 7} = 1 AN | / \ Ce SA 4R | Mg.1 Se LP, ; / \K | | N à ; N Ve À . =: / É £” / n° Fa en Z SSP; 27 ). x |. X, JauneelUre)a Hé J \ ù Vert d'eau 2 (10% ER 48 | : \ & de \ À TT 7 à | \ D ; LA 2) Rouge 2 À "An A é éÿ M 7 Moket so . SRE ©” 3 té | f | #1 : Bleu (FAN / AO) Bleu (FA Grange (51) à X + (MI) Vert à eau ÿ { UM12) Vert d'esu 2 \ l J il "17 « Cercle du Vert- d'eau (M1) \ | {/ \| ” | Jaune 2 | | a \ | De (UE { de (ua , \s1h) Porceru | / AR | / 7 Vetdem| : CNE | Verte (RE2] v: Bleu (FA N F4 #3 4 \ L WE (Ms. &. ot \ à y Vert (RE. KO TRE) Vert - (RE2) Verts Cercle du Vert (RÉ) à (LA) ie + {SIz) Ponceau ({S1b£) Ponceau # l Cercle du Ponceau (SI:) LE +(LA) Rouge # Pa (a JE / 3 p / / Ÿ 4 \ se 3 h Pa - Val re 5 F0 / % _Asi3) Poncéau 2 / / \ RS. Es ) N e 7 pre WA 4 D + PA A A A Siorenge Jaune 2 LR pe : LADA A (SI) Orangé È PSE , (SL2) Orange s D SR Pr PE à fU Jaune CUT 2) Jaune clair à Cercle de l'Orange (Si) A Vert d'eau \ Lith.Guyard, Besançon LE CAPITOLE DE VESONTIO ET LES CAPITOLES PROVINCIAUX DU MONDE ROMAIN Par M. AUGUSTE CASTAN. Séances des 19 décembre 1887 et 23 mars 186$, I En tête d'un livre qui est un remarquable essai d'alliance entre l’archéolozie et l’histoire, le regrettable Ampère déclare que, s’il a pu présenter sous un jo:r nouveau les annales du peuple romain, e’a été grâce aux notions précises que l'on possède aujourd'hui sur la topographie de l’ancienne Rome. _« Pour moi, dit-il, j avoue que je n'avais jamais eu une vue claire des scènes du Forum avant d’avoir déterminé exactement la disposition respective du Comitium, où se réunissaient les patriciens ; du Forum proprement dit, réservé aux tribus plé- béiennes; de la Curie, lieu des assemblées du sénat, dominant le Comitium; de la tribune, placée entre le Comitium et le Forum. Cette disposition bien comprise, l’histoire de ces débats orageux des deux ordres, qui fut toute l’histoire intérieure de Rome au temps de sa liberté, apparaît comme un drame animé, dont pas un détail n'échappe au spectateur, dont son âme partage toutes les agitations et suit toutes les vicissitudes ({).» Mais cette détermination de la véritable place qu'occupait un monument détruit depuis une quinzaine de siècles est une (*) AmPÈRE, L'Hisloire romaine à Rome, introduction, pp. 111 et 1v. 14 — 202 — opération qui n’est ni simple ni toujours certaine. Les histo- riens, parlant d’édifices encore debout et connus de tous leurs contemporains, n'ont pas supposé que la postérité en perdraïit la trace, et se sont dès lors dispensés de fournir, à leur sujet, des données topographiques. De son côté, la tradition a souvent confondu sous un même vocable des choses originairement distinctes, ou bien encore identifié les produits de périodes essentiellement différentes comme époque et comme caractère. Ces deux genres d'obstacles ont dérouté jusqu'à présent la critique dans ses efforts pour préciser le point de la colline Tarpéienne où s'élevait le temple, fameux entre tous, de Jupiter Capitolin. « Ainsi, dit encore Ampère, nous connaissons la forme, l’histoire de ce temple et jusqu'à ses matériaux; mais il est très difficile de savoir exactement où il était placé. C'est une des questions de topographie romaine les plus importantes êt les plus difficiles à trancher. Il est assez piquant qu'on soit embarrassé à Rome pour dire : Le Capitole était là ({). » Devrons-nous rester dans la même incertitude relativement au Capitole de notre Vesontio, car ce maximum oppidum de l’une des principales peuplades de la Gaule n'avait pu man- quer, en associant ses destinées à celles de Rome, de consacrer un édifice au culte fondamental de la religion que lui imposait la conquête ? Tel est le problème que nous allons essayer de résoudre. II L'un des traits les plus accusés et les plus persistants de la politique de Rome consista dans sa mansuétude envers les nations soumises par ses armes (?)}. Rome n'’oublia jamais () AmPère, L'Histoire romaine à Rome, t. IL, p. 59. (2) « Tu regere imperio populos, Romane memento; Hæ& tibi erunt artes, pacisque imponere morem, Parcere subjectis et debellare superbos. » (VirGiz. Æneid., lib. VI, v. 851-53.) — 203 — qu'elle avait dû ses commencements à un asile, et elle fit de ce souvenir la base d'un système d’'annexion qu'elle eut la merveilleuse fortune d'étendre à l'univers civilisé. Tout peuple conquis devenait immédiatement un membre de la société romaine, et la somme de ses droits politiques devait s'y accroître en proportion des preuves qu'il donnerait de sa fidélité et des progrès quil accomplirait dans la voie de son assimilation avec la métropole (!). « Des hommes de toute race, de toute tribu, de tout rang, dit M. Amédée Thierry, se donnent la main dans un asile; l'association d'individus devient une association de tribus, puis de nations et de races entières (?). » Dès le second siècle de l'existence de Rome, le roi Tarquin avait résumé ce programme dans une « grande pensée monu- mentale (*). » Sur l'un des sommets de la colline où avait régné Saturne, de pacifique mémoire, il « semble avoir voulu faire, pour ainsi dire, un temple de fusion, appartenant égale- ment aux trois races qu'il cherchait à mettre sur un pied d'égalité et à réunir dans une même unité nationale... Ainsi ce temple devait être commun à tous, réunir dans son sein le Jupiter Latin, la Minerve Etrusque, la Junon Sabine, et, par ce triple culte, offrir comme un symbole des trois peuples au milieu desquels 1l fut élevé (‘). » () « Quid aliud exitio Lacedæmoniis et Atheniensibus fuit, quanquam armis pollerent, nisi quod victos pro alienigenis arcebant ? At conditor noster Romulus tantum sapientia valuit, ut plerosque populos eodem die hostes, dein cives, habuerit. Advenæ in nos regnaverunt. Liberti- norum filiis magistratus mandari, non, ut plerique falluntur, repens, sed priori populo factitatum est. » (Tacrrr Annales, 1. XI, c. xxiv.) — « Humanissime factum est ut omnes ad Romanum imperium pertinentes societatem acciperent civitatis et Romani cives essent.» (S. AUGUSTINI De civitate Dei, 1. V, ce. xvu. — Cf. Crceronis Oral. pro Balbo, c. xu; — Auli Gezzu Noct. Attic., 1. XVI, c. x.) _ (?) Amédée Tmiery, Histoire de la Gaule sous l'administration ro- maine, introduction, p. 26. (5) AuPëre, L'Histoire romaine à Rome, t. IL, p. 54. {*) Id. ibid., p. 54 et 55. . — 204 — Le temple de Jupiter Capitolin, destiné à perpétuer dans Rome la tradition d’une généreuse clémence envers les vaincus, dut être spécialement en honneur parmi les nations subjuguées. C'était à leurs yeux le gage permanent de l'acces- sion graduelle à une condition de plus en plus honorable et douce : il n’est pas étonnant dès lors qu’elles aient ambitionné de reproduire chez elles cette arche de leur alliance avec la métropole. II Plus que toute autre ville de la Gaule Chevelue, Vesontio avait des comptes terribles à régler avec Rome. La nation séquanaise, dont elle était la capitale, passait pour l’une des plus anciennes et des plus implacables ennemies du peuple romain {!). Les traditions racontaient que le brenn farouche qui, six mois durant, avait tenu assiégé le mont du Capitole et en avait emporté la rançon, était le gendre d’un roi de Vesontio, et était parti de cette place pour fondre sur l'Italie (?). Depuis lors, les Séquanes n'avaient cessé de pactiser avec les Germains et de favoriser, en leur ouvrant les défilés du Jura, les tentatives d'agression de ces peuplades sauvages contre le (4) Iépav dÈ rod "Apapoc oixodoty oi Enxoavoi, dipopor xai Toïc Pwymatots ëx mood yeyovotes. (STRABONIS Geographica, 1. IV, c. xx, 8 2) (?} « Sede Bisuntinus fuerat tunc rex Seguinus, Cujus erat Sauna fluvius, Rhodanusque marinus, Primaque pars Araris, Allobrogusque sinus. Uxor erat Brenni, Seguini filia regis, Cujus ab auxiliis dux Gallica regna subegit. Defuncto socero, fit regni Brennius hæres, _ Qui modo Romanum regnum confisus habebat, Intrat in Italias, agmina multa ferens. » (GoTrRip. ViteRB. Pantheon. part.1x, apud Germ. scriptor., edit. Pistorio, t. IT, col. 97.) — 205 — territoire romain (!). Fidèles à ce même esprit d’hostilité, ils avaient préféré, dans leurs démêlés avec les Edues, l'inter- vention d'Arioviste à celle de Rome, livrant ainsi à la Germanie un poste avancé qui confinait à la province romaine (?). Lorsque César vint, au profit de son ambition, les délivrer de cet insa- tiable auxiliaire, leurs récits exagérés avaient failli mettre le désarroi dans les légions du proconsul (*). Enfin, durant les sept campagnes de César, leur attitude avait été constamment belligérante, et l’un des plateaux de leurs montagnes était devenu le théâtre de la lutte suprême dont l'issue consomma la perte de l'indépendance des Gaules (*). Si Vesontio avait beaucoup à se faire pardonner par Rome, celle-ci avait les plus sérieux motifs de ménager les habitants (1) "Orr moùc l'epuavobs mooceywpouv mods xaTd Tac ÉpOdoOUS adTV Ta êni tAv Jtaliav, al Énedetxvuvro Ye où Tv TuyoUsav SUvauuv, &AÂG nai XOLVWVODVTES ŒÜTOÏS ÉTOLOUV [LE YLAOUS, HA ALOTÉLEVOL HAKÇOUS. (STRABONIS Geographica, 1. IV, c. 1x, 8 2.) (2) « Paulatim autem Germanos consuescere Rhenum transire, et in Galliam magnam eorum multitudine.i venire, populo Romano pericu- losum videbat [Cæsar] : neque sibi homines feros et barbaros tempera- turos existimabat, quin, quum omnem Galliam occupassent, ut ante Cimbri Teutonique fecissent, in Provinciam exirent, atque inde in Italiam contenderent ; præserlim quum Sequanos a Provincia nostra Rhodanus divideret. » (Bell. Gall. 1. I, c. xxx.) (#) «Dum paucos dies ad Vesontionem, rei frumentariæ commeatusque causa, moratur, ex percontatione nostrorum, vocibusque Gallorum ac * mercatorum, qui ingenti magnitudine corporum Germanos, incredibili virtute atque exercitatione in armis esse prædicabant, sæpenumero sese cum iis congressos ne vultum quidem atque aciem oculorum ferre po- tuisse, tantus subito timor omnem exercitum occupavit, ut non medio- criter omnium mentes animosque perturbaret. » (Bell. Gall. 1. I, c. xxx1x.) (*) Il s'agit du siége d'Alesia, que nous ne cessons de placer à Alaise (Doubs), en nous fondant : 1° sur la direction topographique indiquée par César au début du récit, et qui doit, puisque l'historien n'en donne pas une nouvelle, servir de fil conducteur pour toute cette partie de la septième campagne; 2° sur les témoignages de Dion Cassius et de Plu- tarque, qui confirment formellement cette présomption; 3e sur 30,000 sépultures militaires de l'époque celtique, semées autour d'un plateau naturellement fort, et qui porte un village dont le nom s'écrivait encore Alesia dans les actes de baptème du xvrre siècle. — 206 — d'une place de guerre que César jugeait de première impor- tance. Assis, en effet, sur le versant d’un rocher inexpugnable, qui lui servait de citadelle, défendu en outre par le circuit d'un fleuve {!), le maximum oppidum des Séquanes (?) com- mandait le centre de ce couloir creusé par le Doubs entre les Juras et les Vosges, dans l'axe de la trouée qui servait de porte aux gens du Nord pour gagner des régions meilleures (*). Cette situation désignait Vesontio comme l’un des boulevards que Rome pouvait le plus utilement opposer aux velléités perpétuelles d’incursion qui travaillaient la Germanie. En politique, les associations durables sont celles que garan- tissent des intérêts réciproques : tel fut le cas de celle que la conquête des Gaules établit entre Rome et Vesontio. Le pardon de l’une devait être compensé par les services de l’autre. Immatriculés de vive force dans la société romaine, les Séquanes, avec leur sens droit et réfléchi, ne tardèrent pas à comprendre les avantages de leur nouvelle fortune. Une fois cette notion acquise, ils acceptèrent franchement le fait accom- pli (*), et tâchèrent d'en tirer le meïlleur parti possible. Ils suivirent quelquefois la ligne de l'opposition, mais jamais celle de la révolte. S'ils s'associèrent aux protestations armées de (2) « Omnium rerum quæ ad bellum usui erant summa erat in eo oppido facultas : idque natura loci sic muniebatur, ut magnam ad du- cendum bellum daret facultatem; propterea quod flumen Dubis, ut circino circumductum, pene totum oppidum cingit; reliquum spatium, quod est non amplius pedum pc, qua flumen intermittit, mons continet magna altitudine, ita ut radices ejus montis ex utraque parte ripæ fluminis contingant. Hunc murus circumdatus arcem effcit et cum oppido conjungit. » (Bell. Gall. 1. I, ce. xxxvirr. — Voyez, à la planche I, le plan de Vesontio.) (2) «.... ad occupandum Vesontionem, quod est oppidum maximum Sequanorum. » (Bell. Gall. 1. I, c. xxxvurr.) (5) «.... Neque enim conferendum esse Gallicum cum Germanorum agro, neque hanc consuetudinem victus cum illa comparandam. » (/bid. L'T'e- er) (£) Nuvi 8’ 6md vois ‘Pwpaiors &navr’ ëar. (STRABONIS Geographica, 1. IV, AS 1 ER | — 207 — Sacrovir et de Vindex contre les exactions de Tibère et les folies honteuses de Néron, ce fut avec la volonté de réformer des abus et non de disloquer l'empire (‘). Ils donnèrent bientôt une preuve éclatante de cette disposition, en se chargeant à eux seuls de ruiner l’entreprise du Lingon Sabinus, qui avait pour but de reconstituer un empire des Gaules (?). Cette conduite placa très haut notre ville dans l'estime des bons empereurs; elle lui mérita de parcourir rapidement la carrière des faveurs que Rome n'accordait qu’à bon escient aux populations fidèles. Elevée au rang de municipe, proba- blement par Galba, dont elle avait hâté l’avénement en fermant ses portes à l’armée de Néron (*), elle devint ensuite colonie romaine, vraisemblablement sous Marc-Aurèle, au moment où il fut nécessaire d’échelonner des garnisons permanentes sur la frontière de l'empire qui regardait la Germanie (*). C’est à cette dernière circonstance que Vesontio dut le maintien de son nom individuel, tandis que la plupart des grandes villes de la Gaule échangeaient le leur contre celui de la peuplade dont elles étaient le chef-lieu 5. (4) A. CasrTan, La bataille de Vesontio et ses vestiges, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, t. VII {1862), pp. 477-490. (2) A. DeLacrorx, Epponine et la Baume-Noire, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4° série, t. I (1865), pp. 280-294. (°) Voyez notre mémoire déjà cité sur la balaille de Vesontio. () Voyez nos Considérations sur l'arc antique de Porte-Noire à Be- sançcon, dans les Wémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4e série, t. II (1866), pp. 420-229. (5) Cette règle, dont la découverte appartient à M. Léon Renier, se vérifie, en ce qui concerne Vesontio, par l'inscription suivante, gravée sur bronze et conservée à l'hôpital du Mont-Saint-Bernard : LOVI : POENINO Q-SILVIVS-:PEREN NIS : TABELL +: COLON SEQVANOR VSLM (Th. Momusex, /nscriptiones Helvet., n° 42.) Les mots Colonia Sequanorum ne peuvent s'entendre que de la capitale nu « Les colonies, dit Aulu-Gelle, étaient en quelque sorte des ‘ images réduites du peuple romain (‘), » et « à ce titre, ajoute Ducange, elles renfermaient des théâtres, des thermes et des capitoles (?). » Les renseiznements abondent sur l’amphithéâtre de Veson- tio : ses ruines ont été noyées, il est vrai, dans l’un des bastions construits par Vauban; mais nous en avons des dessins (?), et le nom de notre rue d’Arènes en conserve la mémoire. Les thermes, qui jouaient un si grand rôle dans les habitudes hygiéniques de l’époque romaine, ne manquaient pas à Ve- sontio, et les fouilles de ces derniers temps en ont mis au jour d'importants vestiges (*). Le Capitole äâvait jusqu'à présent échappé à toutes les recherches; mais nous le tenons enfin, et nous allons le faire connaître. IV Tous nos historiens locaux, sans exception, ont indiqué la plus haute des places publiques de Besancon, la place Saint- Quentin, comme ayant été le siége du Capitole de Vesontio (°). du pays en tant que colonie romaine : c'est ainsi qu Aventicum a été fréquemment appelé Colonia Helvetiorum (Mommsex, 0p. cit., nos 142, 164, 181;, que Térouanne a porté le nom de Colonia Morinorum (GeuTter, Corpus inscription., p. LXXX, ne 6), et Faléries celui de Colonia Falis- corum (HExzex, Inscript. collectio, n° 5132.) (1 « Coloniæ quasi effigies parvæ [populi- Romani] simulacraque esse quædam videntur. » (Auli Gezzux Noct. Aitic. 1. XVI, c. xx.) (2) Glossar. med. et inf. lat., vo Caprrouun. (*) Prost, Histoire de Besancon, manuscrit de la bibliothèque de cette ville : deux dessins des Arènes entre la page 80 et la page 81. {«) Documents inéd. pour servir à l'histoire de la Franche-Comté, t. I, p. 118. — Ed. Crerc, La Franche-Comté à l'époque romaine, plan qui se trouve en regard de la page 19. (5) J.J. Crurret, Vesonlio, I, p. 66. — Prost, Histoire (manuscrite) de Besancon, pp. 57 et 58. — Duxon, Histoire des Séquanois et du comté de Bourgogne, t. 1, p. 172. — D. Berraon, Dissertation sur les différentes positions de la ville de Besancon, dans les Documents inédits pour servir à l'histoire de la Franche-Comté, t. IL, p. 334. — Ed. Cuerc, La Franche- Comté à l'époque romaine, pp. 22 et 23. — 209 — Cette opinion se fondait sur le passage suivant de la légende de notre évêque saint Maximin : « Il consacra au culte de saint Jean-Baptiste une église dans le forum de la cité, auprès du Capitole (1). » Pour qu'un pareil texte eût de la valeur dans la question qui nous occupe, il faudrait que sa rédaction remontât à une époque assez reculée et qu'il reproduisit, naïvement et sans interprétation, une tradition antique. Tel n'est pas le cas de cette légende. Elle est si peu ancienne, que les Bollandistes lui ont refusé l'accès de leur recueil (?), et ce n'est qu'en 1653 qu elle a pris rang dans la liturgie du diocèse (*). Elle ne peut - d’ailleurs avoir été écrite avant la fin du xv° siècle, car c’est alors seulement que l’on a commencé chez nous à rendre un _ culte spécial au saint Maximin de Besançon, jusque-là con- fondu avec son célèbre homonyme, l'évêque de Trèves (). L'hagiographe chargé de cette résurrection, ayant à raconter la fondation de notre église de Saint-Jean-Baptiste, eut re- cours à ce latin fleuri dans lequel, en vertu du principe d’assi- _ milation de toute chose moderne avec son prétendu analogue de l'antiquité, le mot marché ne pouvait se traduire que par forum (5), et le mot citadelle que par capitolium. Or, l'église Saint-Jean -Baptisie étant située sur la place d'un marché (1) « Videns [Maximinus] basilicam non posse capere christianorum multitudinem tam ingentem, quandam domum in foro civitatis, juxta Capitolium, consecravit in honore S. Joannis Baptistæ. » (Manu$criptus liber citatus a J. J. Currrcer, Vesontio, I, p. 66.) (2) Voyez les motifs de ce refus dans l'Appendice aux Actes de saint Maximin de Trèves (Acta sanclorum, maii t. VI, 29 maii.) (®) L'abbé Sucner, Saint Maximin, évéque de Besançon, protecteur de Foucherans; Besançon, 1865, in-18, pp. 15 et 16. (*) L'abbé Sucuer, Saint Maximin, p. 33. (5) Ainsi avait déjà fait, en 1411, le rédacteur d'un acte par lequel le chapitre métropolitain de Besançon dégrevait de toute servitude les terrains acquis par la commune pour agrandir la place Saint-Quentin, et y rendre plus commode la tenue du marché : «ad commoditatem pleniorem fori publici ab antiquissimis temporibus inibi teneri soliti. » (Archives de la ville de Besançon.) — 210 — encore existant et au pied de la rampe qui conduit à notre cita- delle, les deux expressions latines dont il s’agit se présentaient naturellement au narrateur. La légende de saint Maximin ne fait donc que peindre, avec des couleurs empruntées au voca- bulaire antique, un aspect des lieux qui appartient à la fin du moyen âge. Elle n’a, conséquemment, pas qualité pour éclairer une recherche ayant trait à la période gallo-romaine. Nous avons heureusement, pour nous guider, des textes de meilleur aloi et plus concluants. Ouvrons d’abord le rituel de saint Prothade. Ce doyen d'âge des monuments liturgiques de notre diocèse a été composé entre les années 612 et 625 (!) : il a subi plus d’un remanie- ment dans le cours des siècles, et entre autres une refonte complète sous le glorieux pontificat de Hugues I°, de 1031 à 1066. Mais on peut à coup sûr rapporter à la rédaction primi- tive, c’est-à-dire au début du vrr° siècle, les deux seules notions de topographie gallo-romaine qu'il renferme : le nom de Porte de Mars, donné à notre arc antique, puis le mot Capitolium, appliqué à un terrain dont nous chercherons à préciser l'em- placement. Ce dernier terme vient à propos d'une procession générale qui, le matin du dimanche des Rameaux, partait de l'église métropolitaine Saint-Jean et se rendait à l'abbaye Saint- Paul, où avait lieu la bénédiction des palmes. L’itinéraire du retour de cette procession est décrit de la manière suivante : « Lorsque... la procession sera sortie de l'église [Saint-Paul], le grand chantre commencera l’antienne Cum appropinquaret. Celle-ci se continuera jusqu'à ce que l’on soit arrivé au Capi- TOLE. Le clergé fera processionnellement l'ascension du MoN- TICULE, et s'y rangera honnêtement et dévotement. De son côté, le peuple se tiendra dans le pourtour. Alors un des (4) D. FErroN, Dissertation sur l'ordre chronologique des évêques de Besançon, dans les Documents inédits pour servir à l'histoire de Franche- Comté, t. II, pp. 184-187. — 211 — chantres commencera l'antienne Occurrunt turbæ. Celle-ci étant achevée, un sermon sera fait au peuple; puis, le discours fini, on découvrira la croix qui aura été préparée en ce lieu. » Après l’adoration de la croix, la procession reprenait sa marche et faisait une nouvelle halte devant Porte-Noire ("). De ce texte découlent trois renseignements précieux : {°il y avait à Besançon un lieu qui portait, au vu* siècle, le nom de Capitole, et qui le conservait encore au xr°; 2° en cetendroit était un monticule que l'on employait comme reposoir dans la cérémonie de l’adoration de la croix; 3° enfin ce monticule était approximativement à mi-chemin entre l'abbaye Saint- Paul et Porte-Noire, puisqu'il servait, à la procession des palmes, de station entre ces deux points. Au xui° siècle, la ville est constituée en commune : la popu- lation, entourée désormais de garanties, s'accroît rapidement ; de nouvelles maisons s'élèvent de toutes parts, au Capitole comme ailleurs (?). La procession des palmes est alors obligée de modifier son itinéraire; l’adoration de la croix ne peut plus se faire au Capitole : un rituel de la fin du xrrr° siècle ($) nous (2) « Postquam . . .. processio extra ecclesiam [Sancti Pauli] fuerit, incipiat major cantor antiphonam Cum appropinquaret, etc. Quæ sic protendatur donec ad CaprTozium perveniatur. Clerici cum processione MONTICULUM ascendant et ibi se ordinent honeste et religiose. Turba autem in convalle stet. Tune unus e cantoribus incipiat antiphonam Oceurrunt lurbæ, ete. Qua finita, fiat verbum ad populum. Quo com- pleto, discooperiatur crux quæ ibi fuerat preparata.…. His finitis, ordi- nent se sicut prius et teneant cœptum iter.. Et cum venerint ad Portam Martis, quæ nunc dicitur Vigra, stent pueri super murum civitatis, cantantes laudes Gloria, laus, etc... » (Ordinarium antiquum Ecclesiæ Bisuntinæ : Ordo in die Palmarum; apud Edm. MarTeNNe, Tractlal. de antiqua Ecclesiæ disciplina, e. xx, p. 205. — Id. dans Duo», Histoire des Séquanois et du comté de Bourgogne, t. I, Preuves, p. xxx.) (2) Voyez nos Origines de la commune de Besançon, ch. v, dans les, Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, t. III (1858) pp. 304-306. (®) «..... In reditu cantatur Cum appropinquaret Dominus et que secuntur, et palme et frondes portantur usque ad Sanctum Mauricium et offeruntur ibi... Cum autem venerint ad Sanctum Mauricium, debet — 212 — indique qu'on l'a transportée devant l'église Saint-Maurice (1). De ce fait, nous pouvons conclure que la place Saint-Maurice était le lieu public le plus voisin du Capitole. Mais faudra-t-il chercher ce Capitole plus haut ou plus bas que l'église? Une charte du mois de novembre 1218 va tran- cher le question : c'est un traité d'échange par lequel le prévôt Guy de Liesle abandonne au chapitre de Saint-Jean « tout son droit sur un champ qui s'étend, dit la charte, depuis l’église de Saint-Maurice, en descendant, jusqu'au Capitole (?).» Done, en partant du flanc d'aval de l’église Saint-Maurice et en suivant la descente natureile du sol, dessinée par celle dé la Grande-Rue, on n'avait qu'un seul champ à franchir pour atteindre le Capitole. Si sur ce même flanc d'église, qui bordait le champ cédé par Guy de Liesle, nous élevons une perpendiculaire; si nous en faisons partir une autre du portail de l'église Saint-Paul, crux ibi esse parata ante portam et cooperta quodam panno; et duo canonici debent subtus campanarium cantare Occurrunt turbe ter, et processiones ter respondere similiter Occurrunt turbe.….. Postea veniunt ad Nigram Portam, cantantes antiphonam usque ad Nigram Portam.…» (Ordinarium Ecclesiæ Bisuntinæ, abeunte x sæculo exaratum ; codex membr. biblioth. Bisunt. — Cf. Processionale Ecclesiz metropolitanæ Bisuntinæ, edit. H. H. Callier; Vesontione, 1750, in-So, pp. 75-79.) () La croix qui figurait dans cette cérémonie, la même que l'on plantait jadis sur le monticule du Capitole, se compose de deux rondins de paimier appointés aux quatre bouts. Ce souvenir de quelque glorieux pèlerinage ne se montrait qu'enfermé dans un étui de bois doré, en forme de croix et percé de cinq lunettes, à travers lesquelles on aper- cevait le contenu. Les deux plus anciens sceaux de la commune de Besançon représentent ce vénérable monument, qui aujourd'hui se trouve dans la sacristie de l'église Saint-Maurice. (®) « Iisdem temporibus, scilicet circa diem quartam novembris Mcexvin, initus est tractatus inter ecclesiam Bisuntinam S. Joannis et Guidonem de Lelia, prepositum ejusdem apud Majorram, de terra S. Mauritii Bisuntini, ita ut dictus Guido omne jus quod habebat in campo qui esta dicta S. Mauritii ecclesia inferius usque ad Capitolium.. capitulo cederet.» (D. Berraop, Dissertation sur les différentes positions de la ville de Besancon, dans les Documents inéd. pour servir à l'histoire de Franche-Comté, t. II, p. 335.) — 213 — par où sortait la procession des palmes pour gagner le Capi- tole (‘), ces deux lignes se croiseront sur un massif de ruines gallo-romaines; tranché en deux parties inégales par le creu- sage moderne d’une cour, et dont le principal morceau, qui représente environ 9,000 mètres cubes, s'élève encore de 8 mètres au-dessus du sol antique (?). Il forme, au fond de l'hôtel de MM. Ethis ( Grande-Rue, n° 91), une terrasse plantée de grands marronniers (*). C’est dans l'intérieur de Besançon, sur la plaine uniforme de sa presqu'ile, le seul accident topographique qui ait pu se prêter à la dénomination de monticulum; et comme il occupe une portion de terrain que nos documents appellent Capitolium, nul doute qu'il ne provienne des ruines du Capitole de Vesontio. On nous demandera maintenant ce qu'est devenu ce nom traditionnel de Capitolium, qui servit jusqu'au xrr° siècle à désigner notre monticule et les terrains qui l’avoisinent. Ce lieu-dit a-t-il disparu, ou bien s'est-il transformé de quelque façon en passant dans le langage moderne ? De ces deux for- tunes il a subi la seconde, et c'en est une excellente, au point de vue de notre démonstration. Il se conserve, sous une forme que personne ne comprend plus, dans un nom de rue qui, par une innovation maladroite, a cessé de nos jours de s’ap- pliquer aux maisons adossées à la terrasse, mais qui, au siècle dernier, remplissait encore cette condition (*). Cette rue, la rue du Chateur, ne s’est bâtie que dans la se- conde moitié du x siècle : les chartes de l’abbaye Saint- Paul en font foi (5). Cette circonstance explique tout ensemble () Voyez, à la planche I, le plan de Vesontio. (?) Voyez, à la planche II, le plan du Capitole de Besançon. (5) La plus petite portion de notre massif fait également terrasse au fond de la maison de Mlle Laisné, rue des Granges, no 70. (#) « Rue du Chateur : depuis la place Dauphine [aujourd'hui place de l'Etat-Major] jusqu'à la rue Baron [aujourd'hui rue Moncey.] » (Déno- mination des différentes portes, rues, etc. de Besancon, dans l'A/manach de Besancon pour 1776, p. 37.) (5) A. Casraw, Origines de la commune de Besancon, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, t. III (1858), p. 305. — 214 — comment la procession des palmes accéda librement, jusqu’à cette époque, au monticule du Capitole, et pourquoi plus tard, la ligne des maisons faisant obstacle, il fallut transporter la station devant l'église Saint-Maurice. Antérieurement à ces constructions, les terrains qui les supportent sont appelés, dans les chartes latines, mansi de Capitolio (*}; mais, à partir de 1247, la langue vulgaire ayant fait invasion dans les con- trats, lé mot latin Capitolium se convertit en Chatol, puis eu Chatoyl, pour devenir ensuite Chatoul, Chatour et enfin Cha- teur (?). V Autant une solution erronée a besoin d'artifices de tous genres pour se soutenir, autant, quand on a rencontré le vrai, les arguments viennent s’y caser naturellement et sans efforts : les preuves archéologiques que nous allons fournir en seront un nouvel exemple. @) Charte de 1134 par laquelle Anséric, archevêque de Besançon, abandonne à l'abbaye Saint-Paul diverses redevances, entre autres « solidos duos in manso Lamberti de CaprtTorro. » (Preuve n° vrrr de nos Origines de la commune de Besancon.) Une charte de décembre 1250, + citée dans le même ouvrage, rappelle la mémoire de ce Lambertus de CariTou10, et le désigne sous le nom de Lambertus de Cuartoyz. Voilà certes une garantie irrécusable de la filiation qui rattache les formes Chatol et Chatoyl au type Capitolium. (?) « Simon Dambarbe de CHaroz vendit ecclesie S. Pauli tertiam partem furni de CxaToz, siti in territorio dicte ecclesie. » (1247, mense jan.) — « Humbertus et Johannes de $S. Mauricio dant priori S. Pauli medietatem furni siti en CHarToy, in introitu vici S. Pauli, in territorio dicte ecclesie. » (1250, mense jun.) — « Johannes, abbas S. Pauli, cedit Gerardo presbytero, curato de Buro, furnum de CaaTHoïz et domum dicti furni. » (1260, mense maio.) (Archives du Doubs, fonds Saint-Paul.) — « Bartholomeus de Caarouz » cité dans le testament d'Eudes de Neuchâtel, en décembre 1280. (Archives du Doubs, fonds du chapitre métropolitain.) — « Phelipons de Caarour » est cité parmi les contri- buables de la commune de Besançon en 1291. (Registre municipal, I, fol. 68.) — «Johannes de Arbosio confessus est ortum suum retro domum suam de vico de Caartour Bis. sub dominio eccles. Bis. consistere. » — 1340. (Archives du Doubs, fonds Sainte-Madeleine.) — 215 — Les constructeurs de Besancon savent que toute fouille faite dans le voisinage de notre monticule met invariablement en lumière des vestiges d'architecture du caractère le plus somp- tueux. Ce sont ordinairement des quantités énormes de débris de plaques de marbre vert et de marbre blanc, avec des échan- tillons de moulures de marbre blanc; puis ce sont des fûts de colonnes engagées et monolithes de schiste micacé gris, des . chapiteaux corinthiens de marbre blanc, et les restes d’un entablement en cette précieuse matière. De ces indices, nombre de fois répétés, résulte pour nous la certitude que notre temple capitolin, revêtu à l’intérieur de panneaux de marbre vert encadré par des marbres blancs, montrait à l’ex- térieur de puissantes colonnes lisses engagées, formées de monolithes de schiste micacé gris, terminées par des chapi- teaux corinthiens de marbre blanc, et supportant un entable- ment de pareil marbre du plus grand luxe et du plus bel art {!). Conformément à une disposition commune à tous les grands édifices religieux de l'antiquité, ce temple devait être enfermé dans une cour à portiques. Les fouilles faites en 1840 pour l'ouverture de la rue Moncey ont vérifié de point en point cette présomption. Toute une face de la clôture, plus un mor- ceau du retour, furent mis alors à découvert; et un plan soigné, dû à M. l'architecte Marnotte, en fut publié par l’Aca- démie de Besançon (?). Plus récemment, les fouilles opérées pour la construction des égouts, en 1850 et 1863 (*), amenèrent (2) Voyez la planche d'architecture (pl. IIT) jointe à ce travail. Nous la devons, ainsi que les deux autres (pl. I et IL), à la collaboration aussi distinguée qu'obligeante de MM. les architectes Alphonse DeLacroix et Alfred Ducar. M. Delacroix a fourni la plupart des indications, et M. Ducat a exécuté les dessins. (2) Antiquités trouvées dans la rue Moncey, à Besancon, en 1840, rap- port fait à l'Académie, par M. P. Marnotte, le 20 janvier 1842: dans les Mémoires de l'Académie de Besançon, année 1842, 1re séance, pp. 83- 94, avec un plan des fouilles et une planche d'architecture. (5) A. Deracroix, Fouilles des rues de Besancon en 1863, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3° série, t. VIII (1863), pp. 205-220. — 216 — un utile complément d'indications. Nous savons ainsi, d'une manière positive, que la cour de notre Capitole était, à l’inté- rieur, bordée de portiques (!); que ceux-ci reposaient-sur des colonnes d'ordre corinthien, dont les tambours, de pierre de vergenne, paraissent avoir été revêtus de stuc; l’entablement complet était ézalement en vergenne (?). Dans les entre-colon- nements régnaient des gradins coaduisant à des édicules, alternativement demi-circulaires et carrés, qui s'ouvraie:. sur le portique et formaient saillie en dehors de l'enceinte; les assises extérieures de celle-ci étaient à bossages, comme si cette partie de la construction n’eût pas encore recu la der- nière main (*). Ces édicules, ou cellæ, étaient probablement des chapelles, où les divinités locales, telles que le dieu Ve- sontio, Mars Ségomon, les déesses Mères (‘), pouvaient, à l'ombre de la religion de l'Etat, conserver de modestes autels. Le Capitole semble avoir eu son entrée sur la grande rue romaine, notre Grande-Rue actuelle, vers le point où l'on a rencontré, en 1863, deux torses de jeunes divinités de marbre blanc, qui, jetés sur la voie publique à l’époque de la ruine du temple, y avaient rempli longtemps le rôle de pavés (*). Le derrière du Capitole aurait été, conséquemment, sur le morceau de rue des Granges si malencontreusement distrait de la rue du Chateur; et ce qui le démontrerait, ce sont les amoncellements énormes d'os d'animaux et de débris de pote- ries romaines sigillées qui se trouvèrent de ce côté, en 1840, contre les faces extérieures de la clôture, non loin d'une énorme souche de vigne, d’un creux d'eau avec gradins rus- tiques en bois et d’autres vestiges dénonçant l'existence d'un jardin (°). | (1) Voyez, à la planche II, le plan du Capitole de Besançon. (?) Voyez la planche III. | (5) Voyez le plan de M. MArNOTTE, déjà cité. (*) Ce sont les divinités locales que les inscriptions nous révèlent. (5) Voyez ces deux morceaux de sculpture, à la planche III. (6) Voyez, à la planche II, le plan du Capitole. #4 — 217 — L'ensemble du Capitole avait, en plan, la physionomie d’un rectangle dont les faces latérales mesuraient intérieurement environ 120 mètres, et les deux autres faces à peu près 80 mètres. Le temple occupait le milieu de cet espace. VI De ce que le temple capitolin de Rome avait donné son nom à la colline où il était assis et qui supportait également une citadelle, on en vint, dans les siècles d’ignorance, à ne faire qu'un tout des deux établissements, bien que l'antiquité les eût toujours distingués avec soin (!). Il en est résulté une oblitération du sens réel de Capitolium et une application fréquente de ce mot à des enceintes fortifiées qui n'y avaient aucun droit. « Si l’on s’en rapportait, dit Scipion Maffei, à des légendes peu sincères de martyrs et à des écrits des bas siècles, qui ont confondu les noms des édifices de l'antiquité, on croirait que beaucoup de villes ont eu des Capitoles : il n’est pas de roche qui n’ait été paré de ce vocable, même celui de Babylone, que saint Jérôme appelle forteresse ou Capitole (?).» C'est également de cette fausse doctrine que procède l'erreur locale que nous espérons avoir détruite : il a suffi d’une mal- heureuse application du mot Capitolium à la citadelle de Besancon, pour qu'ensuite nos historiens, ne se rendant pas compte de cette méprise, aient systématiquement négligé les seuls textes capables de les conduire au vrai. Ce genre d'erreur, pour être le principal et le plus fréquent, n'est pas le seul qui ait dévoyé les érudits dans la recherche des temples faits à l’image du Capitole romain : aussi croyons- nous utile de déterminer, par des exemples, le degré de con- fiance qu'il y a lieu d'accorder, à ce point de vue spécial, aux divers ordres de documents que le passé nous a légués. () Voyez les textes justificatifs dans le beau travail de Just Rycquivs : De Capitolio romano commentarius ; Lugd.-Batav., 1669, in-12, c. v. @) Scip. Marre, Verona illustrala, t. I, col. 121. 15 — 218 — Inscriptions. Plaçcons en première ligne les inscriptions romaines : con- temporaines des faits qu'elles énoncent et d’une incomparable précision de langage, elles doivent, quand elles ont été bien lues, satisfaire aux exigences de la plus rigoureuse critique. Six Capitoles provinciaux nous ont été révélés par cette voie. L'inscription de Vérone. est relative au redressement dans le forum d’une statue qui gisait renversée au Capitole de cette même ville (‘). Celle de Faléries, qui date de l’an 140 de notre ère,- constate le percement, à travers le forum, d'une rue nou- velle aboutissant à un arc voisin du Capitole (?). L'inscription de Marruvium Marsorum (San Benedetto, près Pescina) relate (!) HORTANTE BEATITVDINE ; TEMPORVM DDD.NNN GRATIANI VALENTINIANI ET THEODOSI AVGGG STATVAM IN CAPITOLIO DIV IACENTEM IN CEREBERRIMO FORI LOCO/CONSTITYI IVSSIT VAL + PALLADIVS VC-CONS-VENET:ET HIST (ORELu, Inscriptiones Latinæ, n° 68.) (4) IMP . CAESARE TRAIANO HADRIANO AVGVSTOTICOS VIA NOVA STRATA LAPIDE PER MEDIVM FORVM PECVAR A SVMMO VICO LONGO AD ARCVM IVNCTVM CAPITOLIO EX CONLATIONE MANIPRETII POSSESSORVM CIRCA FORVM ET NE GOTIANTIUM, etc. (Morcezur, Opera epigraph., t. III, p. 101. ORELL, Inscript. no 3314.) «l- + GR — 219 — un fait analogue, l’empierrement d’une rue derrière le Capi- tole (:). A Histonium (IL Vasto d'Aimone), il s’agit d'une restauration du Capitole, vers le rr° siècle de notre ère, par un certain Fabius Maximus (?). Les inscriptions de l'Algérie, si savamment éditées par M. Léon Renier, font connaître deux Capitoles dans cette contrée : l’un à Thamugas, dont le por- tique fut reconstruit sous les empereurs Valentinien et Va- lens (*); l’autre à Cirta (Constantine), qui renfermait plusieurs "statues d'argent, entre autres une effigie de Jupiter, la tête ceinte d'une couronne de chêne, tenant de la main droite une (:) . . . OCTAVIVS : LAENA .. .. LS CFCHEN RENE Ps R 1. TILL + VIR + QVINQ: VIAM : POST + CAPITOLIV . . . SILICE :STERNEND-EX-D-D... LOCARVYNT : IDEMQ : PROBA... (Moumsex, /nscript. regni Neapol. Lat. n° 5501.) 2) ARITOLIN... . . ABIVS «+ MAXIM. . W< : + + NSTAVRAV .. (Mowmsex, {nscript. regni Neapol. Lat. no 5242.) (5) Cette inscription étant trop développée dans le sens horizontal pour pouvoir être reproduite ici avec des caractères épigraphiques, nous nous bornerons à donner l'excellente interprétation qu'en a faite M. Léon Renier : « Pro magnificentia sæculi d(ominorum) Valentiniani et Valentis, semper Augustorum, {quat] tuor porticus Capitolii, serie ve- tustatis absumptas et usque ad ima fundamenta c{onlapsas], novo opere perfectas exornatasque dedicavit Publilius Caeionius Caecin{a Albi]nus, vir clarissimus, consularis, curantibus Aelio Iuliano, iterum rei publicae {curatore], Fi(avio) Aquilino, f(lamine) p(er)p(etuo), Antonio Petroniano, f(lamine) p(er)p(etuo), Antonio Ianuiariano, f{(lamine) p(er)p(etuo).» (Inscriptions romaines de l'Aigérie, no 1520; cf. Hexzen, n° 6980.) — 220 — statuette de la Victoire, et de la gauche une haste {*). Ces deux derniers Capitoles occupaient des hauteurs (?). Ecrivains antiques. Jusqu'à l'époque des Antonins, le mot Capitolium affecte un sens précis sous la plume des écrivains romains ou gréco- latins ; il ne désigne jamais autre chose qu'un temple consacré à la trinité supérieure de l’'Olympe antique : Jupiter, Minerve et Junon. Maïs, à partir des grandes discordes qui préparèrent le démembrement de l'empire, la notion des termes officiels du régime qui s’amoindrissait devient de plus en plus confuse. Le mot Capitolium subit la loi commune : les uns, comme ( SYNOPSIS IOVIS . VICTOR . ARGENTEVS INKAPITOLI O : HABENS + INCAPITE - CO RONAM - ARGENTEAM : QVERQVEAM FOLIOR : XXV- INQVA - GLANDES-N-XV-FE RENS + INMANV - DEXTRA - ORBEM - ARGEN TEVM-ETVICTORIA - PALMAM -FERENTEM : LTUS XX - ETCORONAM - FOLIOR - XXXX - CNET ET | SU SINISTRA - HASTAM - ARG - TENENS CRUE ARGENTEVM IN LVM KAPITOLIO KAPITOLIO EX HS CCCII HS CCCII é (Léon RENïIER, /nscriplions romaines de l'Algérie, nos 1890, 1892 et 1893.) () M. Léon RENIER, à la généreuse érudition duquel nous devons la connaissance des cinq inscriptions qui précèdent, a bien voulu nous fournir en outre les renseignements suivants sur les ruines des Capitoles de Thamugas et de Cirta : « J'ai vu les ruines du Capitole de Thamugas. Le portique dont parle l'inscription est renversé; mais les colonnes y sont encore, couchées les unes à côté des autres. Le temple s'élevait sur une colline, à l’ouest de la cour formée par le portique. Sa façade était ornée de quatre colonnes monolithes, qui sont également renversées, et dont les dimensions sont — 221 — saint Jérôme (!) et saint Isidore {?), lui donnent, par une ana- logie mal entendue, le sens erroné de citadelle; d'autres, tels que saint Cyprien (*), saint Zénon (‘) et beaucoup de petits poètes (5), en font le vocable générique de toute église païenne. Il y a donc lieu de distinguer entre les témoignages fournis par les écrivains : chez ceux qui datent d'avant le 1° siècle, le mot Capitolium seul peut être pris à la lettre; mais, de la part de ceux qui sont postérieurs, il faut exiger une caractéri- sation plus minutieuse. Les écrivains du Haut-Empire ne mentionnent que trois Capitoles dans les villes provinciales de l'Italie : celui de Ca- poue , qui fut dédié par l'empereur Tibère (f), et dont Silius Italicus nous dépeint la situation en lieu élevé (T); celui de telles que j'ai pu cheminer, comme en un sentier, dans une des canne- lures de l'une d'elles. « Le Capitole de Cirta (Constantine) était situé dans la partie la plus élevée de la ville, où se trouve aujourd'hui la Casbah. J'en ai vu égale- ment les ruines, qui ne subsistent plus aujourd'hui : elles ont fait place à l'hôpital militaire. Le temple é'ait plus beau et plus grand encore que celui de Thamugas. Sa façade dominait le grand escarpement au pied duquel coule le Rummel, à 200 mètres plus bas. » () « Arx autem, id est Capitolium illius urbis [Babylonis]. » (Hrero- Nymi Comment. in Esaiam, c. xur.) (?) « Arx (id est) Capitolium. » (Isipor. Elymol.) (5) « Quid superest quam ut Ecclesia Capitolio cedat ? » (Cæcil. Cyprranr epist. LV.) | (#) « Judæi fortasse cultius Synagogas ædificant ; Gentiles cultius eri- gunt Capitolia. » (ZEnonis Sermo de ædific. domus Dei.) (5) « Ipsa suis Christum Capitolia Romula mœærent Principibus lucere Deum ..... » (PruDentTir Apotheosis in Judæos.) (5) « Peragrata Campania, quum Capuæ Capitolium, Nolæ templum Augusti, quam causam profectionis prætenderat, Capreas se contulit. » (Sugronur T'iberius c. xz.) — « Tandem Cæsar [Tiberius] in Campaniam, specie dedicandi templa, apud Capum Jovi, apud Nolam Augusto, sed certus procul urbe degere... » (Tacrrr Annales, 1. IV, c. vtr.) (7) « Exin victor ovans sedato pectore tandem Spectandis urbis tectis templisque serenos Lætus circumfert oculos, et singula discit : SO RTS < monstrant Capitolia celsa. » (Si. Iraz. Punicorum, 1. XI.) — 222 — Bénévent, où l’on dressa une statue de marbre au grammaïi- rien Orbilius Pupillus (‘); enfin celui de Pompéi, dont parle Vitruve, à propos des décorations en terre cuite ou en bronze doré qui pouvaient être placées, suivant une mode venue des Etrusques, au faîte des temples aréostyles, c’est-à-dire ayant des colonnes très espacées (?). Personne, à notre connaissance, ne s’est encore occupé de repérer ce Capitole de Pompéi : un coup d'œil nous a cepen- dant suffi pour le reconnaître dans un édifice qui occupe le fond du principal forum de cette ville et dont le péristyle, auquel on accède par deux escaliers, est précédé d’une vaste plate-forme organisée en vue des harangues. Ce monument , d’un caractère mixte, a été successivement appelé, depuis sa découverte en 1816 et 1817, Curia, Ærarium, Senaculum, jus-- qu'à ce que la trouvaille, faite dans son intérieur, d’une tête colossale du maître des dieux, lui ait valu le nom de temple de Jupiter (*}. Les objections n'ont pas manqué contre ce baptême : on lui à particulièrement opposé les trois petites chambres voûtées qui terminent la cella de l'édificé. Mais cette disposition, qui semblait exclure l’idée d’un temple ordi- naire , appelle au contraire l'attribution de Capitole, le carac- tère de genre de monument étant de réunir trois sanctuaires sous un même toit. Les grandes villes de l'Orient, à mesure qu’elles tombèrent sous les coups de la fortune de Rome, durent, en réparant leurs ruines, solliciter ou subir l'honneur de posséder un Ca- pitole. Antiochus Epiphane donna le premier exemple de cette flatterie envers la métropole du monde. « A Antioche, () « Statua ejus [Orbilii Pupilli] Beneventi ostenditur in Capitolio, ad sinistrum latus, marmorea, habitu sedentis ac palliati, appositis duobus scriniis. » (Suzrox. /!lustres grammatici, c. 1x.) (?) « Ornant signis fictilibus aut æreis inauratis earum [ædium aræos- tylium] fastigia, Tuscanico more, uti est ad circum maximum Cereris et Herculis, Pompeiani item Capitolii.» (Virruvn Architectura, 1. II, c. 11.) (5) Mazois et Gau, Ruines de Pompéi, t. III, pp. 48-50, pl. XXX- XXX VI. — 223 — dit Tite-Live, il commenca, sans pouvoir l’achever, un temple magnifique de Jupiter Capitolin, où l'on ne voyait que lames d'or, tant sur les lambris que sur les parois {!). » Corinthe, devenue romaine, eut aussi son temple de Jupiter Capitolin, plus haut que son théâtre (?), mais non dans l’Acrocorinthe ou citadelle. Carthage dut peut-être son Capitole aux libéralités de l’empereur Auguste : nous savons toutefois que cet édifice était devenu, au 1v° siècle, l'&rarium général de la province d'Afrique (*). En reconstruisant Jérusalem, Hadrien ne crut pouvoir mieux remplacer que par un Capitole le fameux temple des Juifs : de cette circonstance la ville tira son nou- veau vocable Ælia Capitolina (*). Byzance avait eu probable- ment un Capitole avant que Constantin y transférât le siége du gouvernement impérial : ce monument, situé vers le centre de la ville et contigu au forum de Théodose, était encadré par des portiques, qui plus tard servirent d'atrium aux auditoires des cours publics (5). Parmi les villes de la Gaule, nous ne trouvons qu’Autun et Narbonne qui aient, sur l'’xistence de leurs Capitoles, des témoignages d'écrivains appartenant à la période romaine. À Augustodunum (nous le savons par le rhéteur Eumène), les fameuses écoles Méniennes s’ouvraient sur la grande voie () « Antiochiæ Jovis Capitolini magnificum templum, non laqueatum auro tantum, sed parietibus totis lamina inauratum, et alia multa in als locis pollicitus, quia perbreve tempus regni ejus fuit, non perfecit.» (Ærrs Liv Histor., 1. XLI, c. xx.) (?) Ynëp dE rù Oéarpôv éoruv iepdv Aid Kametwdiou, owvÿ 17 ‘Pouatwv xata ‘ElAGdx OÈ yAwocav, Kopupaïios dvoudtour” äv. (Pausan. Descript. Graciz, 1. II, c. 1v.) (5) Constitut. Tasovosrr et VALENTINIANI De annona ettribuiis, n° xxxIv. (4) Es GÈ rà ’epocéhuua môkiv adtod avt the xatTacxapelonc oixioavtoc, ñv xai Ailiav Kamrwlivay wvôuacez, xai ès Tov Toù vaoÿ Toù Oeoû Téov, vadv t@ Au Étepoy &vreyelpavtocs, môheuos oÙte puxpôs dut’ dALYOYpÉVLOS éxvñôn. (Dion Cass. 1. LXIX.) (5) Urbis Constantinopolitanæ descriptio, reg. vor, apud Notit. digni- talum, edit. Pancirolo. — Taeoposu jun. leges De studiis liberalibus et De operibus publicis. — Cf. Petri Gvzun Topographia Constantinopoleos, 1. II, c. vi; — DucanGs, Historia Byzantina, t. IL, 1. I, c. xvi. — 224 — impériale, entre le temple d'Apollon et le Capitole, édifices qui brillaient au milieu de la ville et en étaient comme les deux yeux. Eumène se félicite de ce que, en raison de ce voi- sinage, les accents de l’'éloquence puissent directement arriver aux trois divinités capitolines : Jupiter, père des hommes; Minerve, protectrice des sociétés; Junon, déesse de la paix (1). Pour Narbonne, nous avons à faire parler deux poètes, Ausone et Sidoine. Le premier signale dans cette ville un temple en marbre de Paros, dont les proportions grandioses auraient stupéfié le fondateur et les restaurateurs du Capitole romain (?). Le second, énumérant.les délices de Narbonne, dit cette ville célèbre par ses Capitoles (*). Si cet ablatif pluriel était isolé, il pourrait, chez un poète qui parle déjà la langue de la décadence, être considéré comme un synonyme générique de temples; mais le mot delubris qui le précède remplissant déjà cette fonction, il n'y a pas lieu de recourir à une telle hypo- () « Quid autem magis in facie vultuque istius civitatis situm est, quam hæc eadem Meniana, in ipso trahsitu advenientium huc invictis- simorum principum constituta...... quasi inter ipsos oculos civitatis, inter Apollinis templum et Capitolium ?.... Quis enim melior usus elo- quentiæ quam ubi, ante aras quodammodo suas, Jovios Herculiosque audiant prædicari Jupiter pater, et Minerva socia, et Juno placata ? » (Euxmexu Oratio pro restaurandis scholis, habita Augustoduni anno 296, c. ix et x. — Cf. Edme Taomas, Histoire de l'antique cité d'Autun, publ. en 1846 et annotée par la Société Eduenne, pp. 55, 133 et 140.) — Les données archéologiques sont d'accord avec le texte d'Eumène pour dé- terminer l'emplacement central du Capitole d'Augustodunum : je tiens cette assurance de M. G. BuzzioT, qui connait si parfaitement le sous- so] de la capitale des Edues. (?) « Quodque tibi quondam Pario de marmore templum Tantæ molis erat, quantum non sperneret olim Tarquinius, Catulusque iterum, postremus et ille Aurea qui statuit Capitoli culmina Cæsar ? » (Ausoxn Carmen cexcvix, 8 13 : Narbo.) (2) «Salve Narbo, potens salubritate, Delubris, Capitoliis, monetis, Thermis, arcubus . .....» (Sinon APOLLIN. Carmen xxIIL.) — 225 — thèse : Capitoliis devra donc être entendu ici dans le sens restreint de Capitole, et sa désinence plurielle s’expliquera surabondamment par les nécessités de la mesure du vers. Il y a d’ailleurs à Narbonne un lieu que les chartes nomment invariablement , suivant qu'elles sont latines ou romanes, Capitolium et Capdueil (1); et de ce point, qui est le plus élevé de la ville, on a exhumé quantité de magnifiques débris d'architecture en marbre blanc, ce marbre de Paros signalé par Ausone (?). Actes des saints. Si nous avons établi des degrés dans la confiance à accorder aux écrivains de profession, à plus forte raison devrons-nous faire des réserves au sujet de ces légendes, la plupart ano- nymes et de date incertaine, qui relatent les actes des saints. Pour celles qui ont trait aux martyrs de la primitive Eglise, les seules qui doivent nous occuper aujourd'hui, on peut les assimiler à un drame dont le thème fondamental est généra- lement vrai, mais où les détails sont plus ou moins imagi- naires, suivant que l’auteur a vécu plus ou moins loin, comme temps et comme espace , des événements qu'il rapporte et des pays qu'il décrit. Le mot Capitolium , qui y intervient fré- quemment , n'est souvent qu'un lieu commun introduit pour les besoins de la mise en scène , et alors il n’a aucune valeur historique. On ne devra lui accorder créance que s’il se trouve dans une rédaction réellement originale, et s’il y est entouré de circonstances suffisamment caractéristiques pour écarter la _supposition d’une périphrase banale. (2) Carte, Mémoires pour l'histoire du Languedoc.— Méxar», Histoire de la ville de Nismes, t. VII, p. 115. — Gallia christiana, t. VI, pr., col. 21. — Chartes des archives de la ville de Narbonne, de 1275 à 1352, dont le sommaire m'a été obligeamment communiqué par M. TourNar. (2) Un fragment de soffite en marbre blanc, que l'on dit provenir du Capitole, existe au musée de Narbonne : « indication d'une grande con- séquence, veut bien m'écrire mon savant maître M. J. QuicHerAT; car si l'entablement était de marbre, le temple tout entier était en cette matière. » — 226 — k Commencons par les légendes qui nous ont paru remplir cette double condition. Les actes des martyrs Félix et Fortunat nous montrent le préfet impérial Apollinaire arrivant à Aquilée, débutant par un sacrifice dans le temple de Jupiter, puis. envoyant un héraut par la ville pour enjoindre à tous d'apporter des offrandes au Capitole de Jupiter (1). Plus instructif encoré est le récit de la passion de saint Apollinaire, à Ravenne. Le persécuteur lui demande s’il ignore le nom de Jupiter, de ce souverain habitant du Capitole de la cité ; puis il le conduit dans ce grand temple, merveilleuse- ment orné, où il lui fait voir, avec l'assistance des prêtres du Capitole, la statue de l’invincible maître de l'Olympe, en l'invitant à brüler de l’encens devant la majesté de Jupiter tonnant. « Ce Capitole , ajoute la légende, ne renfermait pas moins de trois cents autels. » Une vie plus sommaire du même martyr affirme qu'Apollinaire, après son refus de sacri- fier, fut envoyé, chargé de fers, dans une prison peu éloignée du Capitole de Ravenne (?). La passion des saints Faustin et Jovita offre une peinture analogue. La scène est d'abord à Brescia : l'empereur Hadrien se fait dresser un trône dans le Capitole de cette ville, afin de contraindre les deux confesseurs à brûler de l'encens sur l'autel de Jupiter. La procédure est continuée ensuite à Milan, et là le tribunal est installé, non plus dans un Capitole, mais dans les thermes d'Hercule, où étaient les statues d'Hercule et de Saturne ($). : Le Capitole de Capoue, indiqué déjà par Suétone et Tacite, joue un rôle dans les actes des saints Rufus et Carponius ; il y est dit que ce temple fut détruit par le feu du ciel (#). () Acta sanciorum, juni t. IF, 11 jun. (ChJdrGulit. V,.23 jui, (8) d., februarii t. IF, 15 feb. — Cf. Octav. Rose: Monumenta Brixiana, p. 27, tab. 9, ap. Grævir Thes. antiq. Ilal., t. IV, part. 2. (*) Acta sanciorum, augusti t. VI, 27 aug. — 227 — Entre les Capitoles provinciaux de la Gaule, il n’en est pas dé plus généralement connu que celui de Toulouse ; et ceperi- dant le motif qui l’a rendu populaire, l'appellation Capitoulat affectée au corps municipal de la ville, n'y a trait en aucune sorte : cette désignation nous paraît procéder de ce que , au xu° siècle, les prud'hommes toulousains siégeaient comme en chapitre (in capitulo) dans l’église Saint-Quintin (!). Or, on a de nombreux exemples de la transformation, sous la plume des écrivains du moyen âge, de capitulum en capitolium : témoin cette charte angevine du xr° siècle (?) où figure un capitolium Sancti Mauritii (*). Faut-il cependant douter de l'existence d’un Capitole dans la Tolosa romaine ? Nous ne le pensons pas. Les actes de saint Sernin, qui ont tous les carac- tères d’une version originale, placent le Capitole de Toulouse entre la maison de cet apôtre et la chapelle qu'il avait fondée (*) : rapprochement qui indique bien que, par Capitole, le rédac- teur entendait un temple. Grégoire de Tours (), Sidoine (f) et Fortunat (*) sont d'accord avec cette interprétation , car ils placent au Capitole de Toulouse les scènes de la passion du saint évêque. Le récit du martyre de sainte Afre, qui est tenu pour très- ancien , nous montre le juge Gaïus engageant sa victime à se () « Sciendum est quod Fortil de Moliverneta venit cum multis probis hominibus ante capitulum $S. Quintini, ubi capitularii erant tunc con- gregati. » (Charte de 1175, citée par Carez, Mémoires pour l'histoire du Languedoc, p. 125. — Cf. Raywaz, Histoire de Toulouse, p. 460.) (?) Goparp-FauLrrieR, Constructions gallo-romaines de l’'Anjou, dans le Congrès archéologique de France, 29 session, 1862, p. 32. () Témoin encore ce passage d'une légende monastique de l'Alle- magne : « Fratribus ad capitolium consedentibus, coquinam intravit. » (Vita B. Meinwerci, apud Paderborn, inter Acta sanctorum, junii t. I, o jun.) _(f) Passio S. Salurnini, apud Rurnarr, Acta primor. martyr. sincera, p. 130. (5) Histor. Francor. 1. I, c. xxvnr. — Gloria martyr. 1. I, e. xzvurr. (S) De S. Saturnino. (7) Lib. IT, carm. vin. — 228 — rendre au Capitole d'Augusta Vindelicorum (Augsbourg) pour y sacrifier (!). Mais aucun déterminatif n'accompagnant ce mot Capilolium , nous ne savons encore s’il y a lieu de lui accorder le sens spécial de Capitole. En s'appuyant sur les actes de saint Tyrse et de saint Euchaire, on a voulu chercher à Trèves un Capitole. Mais d'abord ces deux légendes, écrites au x1° siècle, rentrent dans la catégorie de celles dont nous récusons le témoignage quand il s’agit des choses de l'antiquité; puis, lors même qu'on l’accepterait, ce témoignage serait encore loin d'être positif. En effet, le biographe de saint Tyrse constate seulement que Trèves était, par ses édifices et ses magistratures, une seconde Rome (?); et quant à l’auteur de la Vie de saint Euchaire, il se borne à mentionner les intrigues dont son héros fut l'objet de la part des prêtres du Capitole (*), expression qui, dans la langue patrologique , veut dire tout simplement les prêtres de l'Eglise païenne. Nous ne nous arrêterons pas davantage sur une légende écrite à Embrun, d’après la relation rustique d'un abbé espa- gnol, laquelle nous représente un président de la province d'Espagne, sous Dioclétien, venant à Roda, en Catalogne, fonder un Capitole (*). Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de faire plus de cas d'un passage des actes de sainte Macre , écrits vraisemblable- ment à l’époque carolingienne, où il est question d’un Capi- tole , évidemment imaginaire, qui aurait décoré la bourgade de Fismes, près de Reims (5). (1) Passio S. Afræ, apud Ruinarp, Acta primor.martyr. sincera, p.455. (2) Acta sanciorum, octobris t. IT, 4 oct. (®) Zd., januarii t. II, 29 jan. (*) Acta sanctorum Vincentii, Orontii et alior., apud Acta sanctorum, . januarii t. II, 22 jan. (5) Acta sanclorum, januarii t. [, 6 jan. — Cf. G. MarLor, Histoire de Reims, t. I, pp. 505-507. — 229 — Chroniques du moyen âge. Entre les diverses altérations du sens de Capitolium, nées avec le déclin des lettres latines, les chroniqueurs laïques du moyen âge ont opté pour la synonymie erronée de ce terme avec forteresse. Nous en avons un exemple dans le passage de la chronique d’Aymar de Chabannais, où le château fort de Saintes est appelé Capitolium (!). On est parti de là pour chercher à Saintes les vestiges d’un Capitole ; et comme cette ville a joui d’une véritable splendeur à l'époque romaine, on a trouvé dans les débris architectoniques sortis de son sol de quoi reconstituer plusieurs temples. Mais tous les temples n'étaient pas des Capitoles , et aucun de ceux qui ont été ren- contrés à Saintes n'étant ainsi qualifié ni par des textes anti- ques ni par la tradition (?), le propos du chroniqueur précité doit être considéré comme une figure de rhétorique. Lieux-dits. Dans les enquêtes de l’histoire, comme dans celles de la justice, deux catégories de témoins sont particulièrement appréciables : ceux qui ont pleine connaissance de faits qu'ils ont vus, puis ceux qui répètent naïvement et sans parti pris d'aucune sorte ce qu'ils ont entendu dire. Les lieux-dits sont dans ce dernier cas. Ils peuvent être comparés à un écho inconscient, qui transmet à travers les âges des mots se rap- portant à un ordre de choses depuis longtemps disparu. Dans son parcours, la formule de cet écho aura pu subir plus d’une inflexion tenant à la nature des parois qui l’auront recueillie pour la répercuter ; mais l'essentiel sera que la chaîne des vibrations n'ait pas été interrompue, ni même déviée par une immixtion réfléchie. En d’autres termes, le lieu-dit n'aura de (:) Scriptor. rer. francic., edit. Bouquet, t. X, p. 150. (?) La SauvaGÈRE, Recueil d'antiquités dans les Gaules, pp. 16-18. — CHaupruc DE CRAZANNES, Antiquités de la ville de Saintes et du départe- ment de la Charente-Inférieure, pp. 20-28. — 230 — valeur qu'à la condition de procéder entièrement de la tradi- tion populaire et de n'avoir été remanié par aucune phyne ingénieuse ou savante. Quatre Capitoles nous sont connus par cette source d'infor- mations : celui de Besancon dont nous avons longuement traité, ainsi que ceux de Florence, de Cologne et de Nîmes. À Florence, le souvenir du Capitole a fourni le surnom d’une petite église contiguë à la place du Vieux-Marché, qui passe à juste titre pour l’ancien forum de la ville. Cette humble basilique s'appelle Sainte-Marie du Capitole (!). Les mêmes circonstances se retrouvent à Cologne. Cette . seconde Sainte-Marie du Capitole occupe le sommet d’un léger pli de terrain qui va mourir sur les bords du grand fleuve. Les chroniques locales rapportent la fondation de cette église monastique à Plectrude, épouse répudiée de Pepin de Herstal; elles ajoutent que la malheureuse princesse utilisa dans ce but le Capitole ou palais des ducs d’Austrasie (?). Qu'il y ait ou non quelque chose de fondé dans cette histoire, peu importe au but que nous poursuivons : nous n'avons à retenir que le vocable Sainte-Marie du Capitole, qui nous paraît extrêmement significatif. Les chartes de Nîmes désignent sous le nom de Sanctus Stephanus de Capitolio, devenu ensuite Saint-Etienne du Capdeuil, une petite église qui joignait la Maison-Carrée. Les érudits du xvi° siècle en avaient conclu que ce beau temple antique avait été le Capitole de la colonie de Nîmes (*). Cette () Vizzani, Historia universalis, 1. TX, c. xxxvrrr, apud Muratort, Rer. tal. script. t. XIII. — Poceu fistoria Florentina, 1.1, apud Grzæv. Thes.. antiq. Ital.t. VIT, part. 1.— Voyez, dans le même volume de GRæwiuS, le n° 105 d'un plan perspectif de Florence. @) Ægid. Gecexir De magnitudine Coloniæ, p.323.— MaBizLoN, Annales - ordinis Sancti Benedicti, t. 1, p. 689. — Lecomre, Annales ecclesiastici. Francor., t. IV, pp. 213-214. — Gallia christiana, t. III, col. 770.— Cf. Acta sanctorum, septembris t. IV, 14 sept. (°) Porno D'ALBENas, Discours historial de l'antique cilé de Nismes, Lyon, 1560, in-folio, pp. 73-80. — G. Bruix, Civitales orbis terrarum, Colon., 1572, in-folio, art. Nemausus. et” rave t — 231 — attribution nous semble avoir conservé toute sa force, la seule objection qui lui ait été faite consistant à dire qu'un Capitole ne se conçoit qu'en lieu haut et fortifié (1). Ce dernier préjugé , devenu populaire à force d'avoir été reproduit, est sans doute l’origine du nom de Capitole donné . par les habitants du bourg de Caïlly (Seine-Inférieure) à leur château du moyen âge (?) : aussi, malgré la richesse du lieu en antiquités romaines, ne Citerons-nous Ce prétendu Capitole que pour montrer que les lieux-dits comportent aussi des chances d'erreurs. : VII Dans l'examen critique que nous venons de faire des sources à mettre en œuvre pour retrouver les Capitoles pro- vinciaux du monde romain, vingt-quatre de ces édifices nous ont paru suffisamment constatés : onze en Italie, ceux d’Aqui- lée , de Vérone, de Capoue, de Bénévent, de Florence, de Brescia , de Ravenne, de Faléries, d’Histonium, de Marru- vium Marsorum et de Pompéi ; six dans les Gaules , à Nar- bonne , à Nîmes, à Toulouse, à Autun, à Besancon et à Cologne; quatre en Orient, dans les villes d’Antioche, de Corinthe, de Constantinople et de Jérusalem; trois en Afrique, à Carthage, à Cirta et à Thamugas. | Essayons maintenant, au moyen des données ainsi re- cueillies , de déterminer les conditions d’origine, de situation et d'existence de ce genre d'édifices. Dans les provinces, aussi bien qu'à Rome, on entendait par Capitole un temple à trois sanctuaires, dédié aux trois divi- nités principales de la religion officielle : La nef centrale était consacrée à Jupiter, celle de droite à Minerve, celle de gauche à Junon. Accessoirement, d'autres divinités y étaient admises @) Ménar», Histoire de la ville de Nismes, t. VIL, pp. 34 et 115. (?) L'abbé Cocner, La Seine-Inférieure historique et archéologique, 2e édition, pp. 196-197. ARE, ee — 232 — pour faire cortége aux images des maîtres du lieu (!). Trois flamines y présidaient à l'exercice du triple culte (?). Les parois extérieures du temple servaient sans doute , comme à: Rome , à fixer les tables des lois (*) et les étalons des me- sures (‘). Sous les portiques qui encadraient le monument (5), on plaçait les statues et les bustes des hommes célèbres à qui les municipalités provinciales décernaient cet insigne hon- neur (°). Enfin, comme dans certaines circonstances le sénat de Rome s'assemblait au Capitole de la grande ville (7), il est probable que dans la plupart des autres localités pourvues d'un édifice analogue, ce Capitole faisait fonction de Curie. Bien que Vitruve eût posé ce principe que les temples des dieux tutélaires, tels que Jupiter, Junon et Minerve, devaient être placés en lieu aussi éminent que possible , afin d’avoir vue sur la plus grande partie des murailles (f), cette recom- mandation ne fit pas loi pour l'assiette des Capitoles. Dans beaucoup de villes, surtout quand les hauteurs étaient déjà pourvues d'autres sanctuaires, on assigna au Capitole une position centrale, ce qui d’ailleurs le rendait plus accessible, et plus apte aux divers services que nous avons énumérés. Sur douze Capitoles dont nous connaissons les emplacements, six, qui sont ceux de Capoue, de-Cirta, de Thamugas, de Nar- () J. Rycquir De Capitolio romano, c. xxiv et xxv. — Capitoles de Ravenne et de Besançon. @) Voyez l'inscription, citée plus haut, du Capitole de Thamugas. (5) Rycovir 0p. cit, ©. xxx. (#) Grurer, Corpus inscript. p. CCXXIII, no 3. (5) Capitoles de Besançon, de Thamugas, de Pompéi et de Constan- tinople. (5) Capitole de Bénévent. (7) Euvv}Bov oùv oùx cs td cuvn0es ouvédprov &AN cs Toy To Aude veby To Kanetwiov, dv cééouor ‘Pwuaïor v &xpoméhe. (HEroDIANI ist, 1. VIII, 6x 02.) (5) « Ædibus vero sacris, quorum deorum maxime in tutela civitas videtur esse, ut Jovi et Junoni et Minervæ, in excelsissimo loco, unde mœnium maxima pars conspiciatur, areæ distribuantur. » (Virrüvir Architectura, 1. I, c. vir.) PP + 2 a e Vehiffen, fx 2e æ à — 233 — bonne, de Cologne et de Jérusalem, siégeaient sur des émi- nences; tandis qu'un pareil nombre, ceux de Pompéi, de Corinthe , de Florence, de Nîmes, d’Autun et de Besançon, étaient fondés en terrain plan. Les Capitoles provinciaux paraissent résulter de concessions gracieuses du gouvernement impérial, et cette nature de faveurs semblerait avoir été exclusivement le lot des colonies, c'est-à-dire des villes admises à jouir de la plénitude des in- stitutions romaines. En effet, sur les vingt-quatre Capitoles que nous avons reconnus, vingt-trois appartiennent à des localités soumises au droit colonique (‘); et quant à celui de (:) Antioche, métropole de la Syrie, érigée en colonie par Caracalla. (Pauzx lib. IL De censibus. — VaïLLant, Numismala colon., t. II, p. 35.) Autun : la persistance de son nom individuel (Augustodunum) est une preuve de sa condition colonique. Aquilée, qualifiée colonie par Puine (1. III, c. xxr1) et par PTOLÉMÉE DAC x). Bénévent, colonie fondée par Néron sous le vocable Concordia. (FronTint De coloniis. — Pi. 1. IIL, c. xvi.) Besançon : Colonia Sequanorum, dit une inscription que nous avons citée. Brescia était, au dire de Pine (1. III, c. xx), l'une des colonies de la région méditerranéenne. Capoue, colonie fondée par Jules César, avec le surnom de Julia Felix. (Frontint De coloniis. — Sueron. Cæsar, c. LxxxI. — Dion. Cass. 1. XXX VIII.) Carthage, première colonie créée par Rome en dehors de l'Italie, sous le nom de Junonia; rétablie par Jules César avec le vocable Julia Carthago, l'an 710 de Rome. (VeLrerus, lib. II, c. xv. — PLUTARCHI C. Gracchus, c. x et x1; Cæsar, c. Lvir. — Dion. Cass. 1. XLIII.) Cirta, colonie fondée par P. Sittius, sous les auspices de Jules César. (Pzaw. 1. V, c. x. — L. Renier, Inscriptions rom. de l'Algérie, nos 1807 et suiv.) Cologne, colonie fondée par l'impératrice Agrippine, dans le lieu de sa naissance. (Pux. 1. IV, c. xxxr. — Tacrri Annal. 1. XIL, c. xxvur.) Constantinople, auparavant Byzance, ruinée de fond en comble par Septime Sévère, puis reconstruite et repeuplée par ce même empereur et par son fils Caracalla; elle prit alors le nom d'Antonina Byzantiorum Augusta, ce qui indique assez qu'on en avait fait une colonie. (DUCANGE, Constantinopolis, 1. I, c. xvr.) 16 — 234 — Marruvium Marsorum, qui semblerait faire exception, rien ne prouve que l’ancien chef-lieu des Marses n’a pas été, à un moment de son existence, repeuplé par quelque corps de vété- rans des armées romaines. Corinthe, relevée comme colonie par Jules César, en même temps que Carthage. (PLurarcar Cæsar, ©. Lvrr. — Dion. Cass. 1. XLIIL.) Faléries, appelée Colonia Junonia par FRroNTIN, qualifiée colonie par Pine (1. IL, c. vin), et Colonia Faliscorum par une inscription (HENZEN,. no 5132.) Florence, citée comme colonie par FronTIN et par Tacire (Annal. 1. I, GC. LEXIES) Histonium, colonie de la légion du Samnium. (FronrTiNi De colontis.) Jérusalem, relevée comme colonie par Hadrien et surnommée alors Ælia Capitolina. (Diox. Css. 1. LXIX.) Narbonne, la plus ancienne colonie romaine de la Gaule transalpine. (Prin. L'IL G. 7.) Nîmes, colonie fondée par Auguste : les monnaies locales et les ins- criptions abondent pour en témoigner. Pompéi, deux fois érigée en Colonie, d'abord par Sylla, puis par Auguste : une inscription lui donne cette qualité. (Mazois, Ruines de Pompéi,.t. IV, p. 69. — HEenzen, n° 7088.) Ravenne, colonisée en même temps que Rimini. (SrrABoNIS Geog. 1. V, C1, 8419 Thamugas : les inscriptions qualifient cette ville de colonie. (L. RENïER, Inscript. romaines d'Algérie, nos 1479 et suiv.) Toulouse, appelée colonie par PTOLÉMÉE. Vérone, colonisée par Gallien, avec le surnom de Nova Augusta Galliena : l'inscription d'une des portes de cette ville en fait foi. (VAILLANT, Numismata colon., t. II, p. 342.) VIL. — 235 — TABLE TEXTE . De l'emplacement du Capitole de Rome. . Signification de cet édifice. . Rapports de Rome avec la Séquanie. .- Détermination par les textes de la position du Capitole de Vesontio. . Preuves archéologiques du même sentiment. . Critique des documents qui témoignent de l'existence des Capitoles provinciaux, et statistique de ces édifices. Conditions d’origine, de situation et d'existence des Capitoles provinciaux. PLANCHES . Plan de Vesontio. . Plan des ruines du Capitole de Vesontio. II. Fragments d'architecture et de statuaire du Capitole de Ve- sontio. : du Doubs ,1868. PI. I. VE SONTIO. (Besançon.) IN CASTRIS En Châtre SAOIA SAN9OVI £ à | Cimetière | LEP tr ot 4 : CAMPVS MARTIS ë Un buts > Mons Vandalorum #1 Mont Mandeher PORTA|MARTIS # DOM 5 ouBeauregard Porte|Norre * W,Y APR . LE WLY Te Ÿ"DORCATONGE Vexrzihias Imprimerie Impériale v. . 1 I CAPITOLE | AS 5 ot S = à “4 © El a “ 4 a. (@) É el se £ Tr a -SÈ + "eh un + E. [b] a &R F2} | © "3 FOUR L e HT pe) © k de ASE R TS a EN és Z El È ra : D OÉRIS À ane ’ . Ruines souterraines à “CD LE LE £ . à L2 mi : Colonne schiste 4 & micacé Le A s E 5 Li Œ 2 A ha RS Niveau de la grand Imprimerie Impériale. & < : LA em PL I. 4 » me NE ENTRE ES ei rie Le nn. sem PPERA - Tr NE ns cn me MER e schiste micacé & 4 QT on D hi dds - S Le d La ligne AB du plan. _ 1metre Echelle: 1millim | Base d'unecolon SES CR es RNA - ©. É L_1 LL - ——— e | Len" ET — _ : | (al te y 114 il ‘17 r : 7 AN ge Mie TT pet enr AT ut ME (NPA il ii jil MATE LUN (Pierre blanche dite À verêenne.) Architrave de l'un des Sacellum. = PMU à k h œ p\ 4 25 ï KE 1 ' Lmrs se mmmememmmnemnse nesu— ie iteau du Temple Marbre blanc) éenne.) *, : APierre blanche dite ver ESSAI SUR L'ORGANISATION DE L'AUSTRASIE ET LA CRÉATION DE L’ALLEMAGNE PAR M. LUDOVIC DRAPEYRON Professeur d'histoire au Lycée impérial Napoléon Ancien élève de l'Ecole normale. Séance du 23% mars 1868. « Qui voudrait, disait Tacite, quitter l'Italie pour le pays affreux des Germains, leur ciel âpre , leur sol enfin dont la * culture et l'aspect attristent les regards (!)? » Aussi bien Rome, qui s'était consacrée avec un courage et une constance -admirables à l'éducation sociale et politique des Ibères et des Celtes, ne fit rien pour les Allemands. Au delà du Rhin, elle ne songea pas à supprimer la barbarie ; elle se borna à la con- tenir. En vain l'héroïque Germanicus poussa jusqu'à l'Elbe ses légions victorieuses. Il suffit d’une tempête pour qu'on renonçât sans retour à un projet dont s'était effrayée la pru- dence de Tibère. Le nouvel Alexandre, qui ne demandait qu'un an pour achever son œuvre, recut l’ordre formel « d’abandon- () « Quis porro, præter periculum horridi et ignoti maris, Asia aut Africa aut Italia relicta, Germaniam peteret, informem terris, asperam cœlo, tristem cultu aspectuque nisi si patria sit? » (Taorr. De moribus . Germanorum, c. 2.) 17 — 238 — ner à leurs querelles domestiques ces nations rebelles (1). » Certes la Germanie, avec sa mer inexplorée, ses nouvelles colonnes d'Hercule, son immense forêt Hercynienne peuplée de rennes, d'élans et d’aurochs, offrait bien des secrets , bien des mystères à sonder (?). Les Grecs n'auraient pu résister au désir de tout voir et de tout connaître. Mais, on le sait, les Romains n'étaient dominés ni par la curiosité, ni par l'esprit d'aventures , ni par l'amour de la science. « Nul n’a tenté ces recherches, disait le plus éminent peut-être d’entre eux; on a jugé plus discret et plus respectueux de croire aux œuvres des dieux que de les approfondir (#).» Leur génie, essentiellement politique (*), refusait de s'engager dans l’une de ces entre- (2) « Precante Germanico annum efficiendis cœæptis, acrius modestiam ejus aggreditur (Tiberius).. Rediret ad decretum triumphum : satis jam eventuum, satis casuum : prospera illi et magna prælia ; eorum quoque meminisset, quæ venti et fluctus, nulla ducis culpa, gravia tamen et sæva damna intulissent. Se, novies a divo Augusto in Germaniam mis- sum, plura consilio quam vi perfecisse.. Posse et Cheruscos ceterasque rebellium gentes, quando romanæ ultioni consultum esset, internis dis- cordiis relinqui. » (Taerr. Annal. lib. II, c. 26.) @@) Vid. Tacrr. De moribus Gerin., c. 34; Cxæs. Bell. Gall., lib. VI, c. 25 æt 28: (8) « Aram quin etiam Ulixi consecratam, adjecto Laertæ patris no- mine, eodem loco olim repertam; monumentaque, et tumulos quosdam Græcisliteris inscriptos, in confinio Germaniæ Rhætiæque adhuc exstare : quæ neque confirmare argumentis, neque refellere in animo est; ex ingenio suo quisque demat vel addat fidem. » (Tacrt. De moribus Ger- manorum, €. 3.) — « Ipsum quin etiam Oceanum illa tentavimus; et superesse adhuc Herculis columnas fama vulgavit : sive adiit Hercules, seu quidquid ubique magnificum est in claritatem ejus referre consen- simus. Nec defuit audentia Druso Germanico, sed obstitit Oceanus in se simul atque in Herculem inquiri. Mox nemo tentavit; sanctiusque ac reverentius visum de actis deorum credere quam scire. » (Ip., c. 34.) - (*) Les poètes latins eux-mêmes, Virgile surtout, marquent d'une manière nette et précise les tendances du caractère romain : «Excudent alii spirantia mollius æra, Credo equidem, vivos ducent de marmore vultus ; Orabunt causas melius, cœlique meatus Describent radio, et surgentia sidera dicent : Tu regere imperio populos, Romane, memento ; Hæ tibi erunt artes; pacisque imponere morem, Parcere subjectis et debellare superbos. » (Æneid., lib. VI, v. 848-54.) — 239 — prises où les conquérants trouvent leur perte. Ils regardent avec défiance « cette race pure, sans mélange , qui ne res- semble qu'à elle-même, ces tribus nomades qui ne con- naissent pas la propriété territoriale et s'entourent d'immenses solitudes, ces hommes d'une indépendance farouche qui ne bâtissent pas de villes, ne souffrent pas même d'habitations réunies, et, en temps de paix, n'admettent ni chefs ni magis- trats (1). » Certes il aurait été intéressant d'assister à la lutte de l'Etat romain avec l’individualité puissante des Germains ; nul doute que ceux-ci n’eussent opposé une résistance au- trement sérieuse que les Gaulois et les Espagnols. Mais l’expé- rience ne fut pas même tentée. Douée d'un tact souverain, Rome comprit qu’elle ne devait point se mesurer « avec la liberté germaine, plus redoutable que la monarchie d’Ar- sace (2). » Elle leur reconnaissait d'ailleurs, par une étrange méprise, « très peu d'intelligence et de sagacité (#). » Et c'était son excuse quand elle leur refusait les bienfaits de la civilisation. « Que de temps passé à vaincre la Germanie (*)! » disaient () « Ipse eorum opinionibus accedo, qui Germaniæ populos.…. pro- priam et sinceram et tantum sui similem gentem exstitisse arbitrantur...» (Tacrr. De moribus Germanorum, c. 4.) — « Neque quisquam agri modum certum aut fines habet proprios; sed magistratus ac principes in annos singulos gentibus cognationibusque hominum, qui una coierunt, quan- tum, et quo loco visum est, agri attribuunt, atque anno post alio transire cogunt.» (Cæs. Bell. Gall., lib. VI, c. 22.) — « Nullas Germanorum populis urbes habitari, satis notum est; ne pati quidem inter se junctas sedes. Colunt discreti ac diversi, ut fons, ut campus, ut nemus placuit. Vicos locant, non in nostrum morem, connexis et cohærentibus ædificiis : suam quisque domum spatio cireumdat, sive adversus casus ignis remedium, sive inscitia ædificandi.» (Tacrr. De moribus Germanorum, c. 16.)— «In pace nullus est communis magistratus; sed principes regionum atque pagorum inter suos jus dicunt, controversiasque minuunt. » (Bell. Gall., no VI, c. 23.) (?) «Regno Arsacis acrior est Germanorum libertas. » (Tacrr. De moribus Germanorum, c. 37.) (*) « Multum (ut inter Germanos) rationis ac solertiæ, » dit Tacite en parlant des Cattes {De moribus Germanorum, c. 30.) (#) « Tandiu Germania vincitur. » (14., c. 37.) — 9406 =. les Romains avec un sentiment de lassitude intime; et ils pré- voyaient le moment où les peuples d’outre-Rhin, « excités par la soif des voluptés et de l’or,-le désir de changer de séjour et de quitter leurs marais et leurs solitudes, » déborderaient sur l'Empire (‘). Pendant quatre siècles, grâce à une énergie surhumaine , il n'en fut rien. Mais, à la longue, les ressorts d'une domination si exceptionnelle s’usèrent; et la civilisation succomba sous les coups de ces hommes qu'une politique, prudente sans doute, mais égoïste, avait voués à une éternelle barbarie (?). Un élan fébrile, qu'explique une attente aussi prolongée, les eut bien vite portés à l'extrême Occident, en Italie, en Espagne, en Afrique. Ge rapprochement subit, cette irruption violente, n’eurent aucun bon résultat : une cor- ruption singulière s'ensuivit. La honteuse servilité des vaincus, les odieux excès des conquérants, ont laissé dans les annales de l'époque des traces qu'on voudrait effacer pour l'honneur de l'humanité. De plus , toutes ces peuplades , si dispersées, désormais sans lien, ne pouvaient pas, comme autrefois, s'affermir mutuellement, marcher d'une manière régulière et progressive dans une voie nouvelle, acquérir une éducation supérieure en conservant leurs qualités natives. Elles aban- donnaient leurs anciennes croyances avec une facilité qui à surpris bien des historiens, mais elles ne pénétraient pas Fesprit de leurs nouveaux dogmes. Enfin, destinées à se perdre dans la population indigène , elles n'exercaient aucune influence sur la mère patrie. C’étaient comme des fragments : d’un corps céleste, brusquement détachés et flottant dans l’im- imensité. I - () Discours de Cérialis aux Trévires et aux Lingons : « Eadem semper causa Germanistranscendendi in Gallias : libidoatque avaritia etmutandæ. sedis amor, ut, relictis paludibus et solitudinibus suis, fecundissimum hoc solum vosque ipsos possiderent. » (Taarr. Æistor. lib. IV, c. 73.) (2?) « Maneat, quæso, duretque gentibus, si non amor nostri, at certe odiuni sui; quando, urgentibus imperii fatis, nihil jam præstare fortuna majus potest quam hostium discordiam. » (Tacrr. De Moribus Germa- norum, C. 33.) = 9h — Un homme extraordinaire, Théodoric le Grand, essaya de -donner à cette Germanie extérieure la cohésion qui lui man- quait, en unissant entre elles toutes les tribus fixées dans l'empire et en les rattachant fortement à la vraie Germanie. Il allia sa dynastie à celle des Vandales, des Visigoths, des Bür- gondes, des Francs et des Thuringiens. Il amortit autant que possible le choc des barbares qui, à la voix de Clovis, allaient s’exterminer. Il essaya, à l'aide d'Italiens éminents, l'œuvre à laquelle les Césars s'étaient dérobés, la conciliation des deux races. Mais il rencontra mille obstacles. Il avait contre lui les passions, bonnes ou mauvaises, de ses compatriotes et de ses sujets. Autre point essentiel et qui a échappé : ce n'était pas lui, c'était un autre chef germain, aussi ignorant qu'il était lui-même instruit et prévoyant, qui avait la haute main sur Ja Germanie, et pouvait à son gré arrêter ou déchaîner l’inva- sion. Son génie se brisa contre tant d'impossibilités, contre tant de circonstances fâcheuses. On le voit, ce n’est point du fond de l'Italie ou de l’Es- pagne que l'on pouvait prési L:r à l’organisation et à la civili- sation. Il fallait, pour mener à bonne fin une tâche si glo- rieuse , avoir une prise directe sur ce monde transalpin, si obscur, si compliqué, où s agitaient pêle-mêle tant de tribus qui cherchaient à se frayer un passage vers des terres plus fertiles. Or cette condition s'était un instant réalisée dès le rv° siècle. Au delà du Danube , le grand empire goth s'étendait jusqu’à la Baltique. Occupant l’ancienne Dacie, adossé à l'empire grec, placé sous l'influence de Constantinople que vénéraient ses souverains , il eut bien vite adopté la religion chrétienne et les arts byzantins. La bible d'Ulphilas témoignait déjà d’é- tudes sérieuses et fortes. On pouvait espérer que la civilisa- tion, ainsi implantée, pousserait de fortes racines dans toute l'Allemagne et que le grand problême serait résolu. La Grèce aurait eu les honneurs de l’entreprise dédaignée par Rome. | 208 — 242 — | Mais les Mongols, s'ébranlant à leur tour, détruisirent le royaume gothique, et le but, auquel on touchait déjà, fut indé- finiment reculé. Désormais, le Danube inférieur, que possédèrent tour à tour les Huns, les Avares et les Madgyares, ne pouvait plus être ce point de contact si nécessaire que nous cherchons. Ce devait être le Rhin inférieur, par où venaient les Frances, les Saxons, les Alamans. Nous voilà donc ramenés dans cette Gaule, étudiée avec tant de justesse et de supériorité par un illustre historien dont la Franche-Comté garde précieusement le souvenir (!). Il ne s’agit pas ici de la Neustrie, Etat mixte, sans caractère bien déterminé, où les chefs étaient Germains, les populations gallo-romaines, et qui na été que le dernier survivant et peut-être le plus remarquable des Etats nés des invasions : étrange royaume, qui, comme ses rois, est mort, non pas vio- lemment à l'exemple de la Bourgogne, mais peu à peu, faute d'air et de lumière. C'est l'Austrasie que nous avons en vue : c’est elle qui a eu l’impérissable honneur, dénié à tant d’autres Etats, de créer l'Allemagne moderne. Ce fait est d’une telle importance que montrer comment s'est constitué le royaume d’Austrasie, c'est presque traiter une question d'histoire contemporaine. Que faut-il entendre géographiquement par Austrasie ? Les limites de cette contrée ont varié bien souvent. Au moment de sa plus grande extension, elle a compris le bassin du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut, ces grands fleuves si longtemps navigables, qui, d’abord séparés par de puissants contreforts, finissent par se rencontrer et se confondre pour former la Zélande. A ne considérer que cet ensemble, on peut affirmer que @) Voir l'Histoire des Gaulois, et l'Histoire de la Gaule sous la domi- nation romaine. Le premier de ces ouvrages a été publié en 1828, pen- dant que son illustre auteur professait le cours d'histoire à la Faculté des lettres de Besançon. — 243 — l'Austrasie était comme le régulateur des invasions maritimes et continentales : elle ouvrait ou fermait à volonté aux Ger- mains et aux Scandinaves l'Occident tout entier. Mais arrivons aux détails. Le centre de l'Austrasie, il n’y a pas à s'y méprendre, c'est le bassin de la Moselle. C'est là, en effet, la région la mieux délimitée, la plus homogène. Son périmètre est tracé par l'Hundsruck, les Vosges, les Faucilles, l’'Argonne, les Ardennes, l'Eifelgebirge. L'Hundsruck et l'Eifel, courant au-devant l'un de l’autre, viennent expirer au confluent de la Moselle et du Rhin, ne laissant aucun pas- sage, si ce n'est la-rivière elle-même dont Coblentz garde l'embouchure. On a donc un véritable camp retranché, com- parable au ring des Huns et des Avares. En remontant ce long canal, on rencontre deux grandes villes : Trèves, capitale du diocèse des Gaules sous Constantin, arsenal de Rome contre la Germanie; et Metz, qui, sous les Mérovingiens, hérita du rôle de Trèves. Inclinant d'abord au sud-ouest, puis au nord-est, la Moselle décrit un arc tendu vers l'occident, dont le sommet est précisément Thionville, fameuse résidence carolingienne. Au delà de ces solitudes boisées et abruptes, sont les vallées du Rhin et de la Meuse, symétriquement disposées, l’une profondément encaissée et resserrée, l’autre non moins bien définie, mais plus développée. Les deux fleuves, après avoir atteint leur plus grand écart sous le paral- lèle de Mayence, sont déjà sensiblement rapprochés sous le parallèle de Cologne, deux places fortes qui commandent la Belgique et l'Alsace. | * A l'époque de Clovis, les Austrasiens étaient concentrés à * Cologne, sans contredit leur meilleur poste d'observation. Mais la dynastie de Mérovée ayant prévalu, la nécessité de grouper les tribus des Francs les amena dans le voi- sinage de Metz, mieux situé, plus favorable à un établisse- ment définitif, et d'où l'on pouvait en même temps préparer et défier l'attaque. De là une conséquence digne d'être notée. Un royaume franc dut se constituer à Soissons pour défendre — 244 — la trouée des Ardennes, un autre en Bourgogne pour défendre Ja trouée de Belfort. Le royaume d'Orléans n'eut de raison d'être, et n'exista en effet, que tant que les Burgondes con- servérent leur indépendance. Quant au royaume de Paris, il ne fut sérieusement établi que lorsque la Neustrie eut acquis sa physionomie propre. Les défilés de l’Argonne, si justement appelés Les T hétnis pyles de la France {‘), étaient aux mains des Austrasiens qui possédaient le cours de la Marne, tandis que les Neustriens gardaient la vallée de l'Oise. C'est dans cette région que les deux tribus, lasses de leur inaction, en vinrent aux mains. Tout désigne à notre attention le bassin de la Moselle, qui, moins troublé que les autres, dut, le premier, posséder une société allemande vraiment digne de cette dénomination. C'était, dès le principe, un raccourci de la Germanie. On peut admettre que le phénomène signalé d'une manière générale par M. Guizot, la dissolution de la peuplade, ne s’y était point produit (?). Les usages que César et Tacite ont signalés y res- taient en vigueur. C’est dans les campagnes notamment, non dans les villes, que se fixaient les nouveaux venus. Les villes, ils les détruisaient de fond en comble, comme des barricades que leur inexpérience redoutait. Tel fut, entre cent, le sort de Trèves, dont Salvien nous a dépeint les assauts répétés, et les Gesta Francorum la ruine lamentable {*). À Ici les Francs complétaient l’œuvre du Fléau de Dieu. La Gaule eut désormais, elle aussi, ces immenses solitudes qui caractérisaient la Germanie. Telle est du moins l'impression que’ nous laisse le récit des aventures d’Attale dans Grégoire () Par Dumourrez, le vainqueur de Valmy. (2) Voir la Civilisation en France, de M. Guizot. — Son Excie M. Duruy, ministre de l'instruction publique, présent à la Sorbonne quand nous lisions ce travail (séance du 16 avril 1868), a daigné ajouter à nos considérations géographiques sur l'Austrasie des considérations morales qui reposent sur l'existence d'un grand centre civilisateur, la . ville de Trèves, dont l'influence s'était fait sentir au loin en Germanie. (*) Sazviax.-de Gubernatione Dei, lib. VI, c. 15. — 245 — de Tours (:). Un autre indice de la complète transformation de ce pays, c'est la disparition soudaine des épitaphes chré- tiennes dans cette Rome des Gaules, qui, en dépit de son éloignement, rivalisait, grâce à son importance administra- tive, avec Lyon lui-même. Un savant épigraphiste nous apprend qu à une exception près, on ne possède aucune ins- cription des vi° et vrr° siècles (?). On en conclut avec quelque assurance que le christianisme y était ou aboli ou persécuté. À Saint-Germain-du-Plain, dans la première Lyonnaise, on a retrouvé le tombeau d'un évêque de Trèves contraint de s’ex- patrier (*). Les sujets de l’orthodoxe Clovis étaient animés d'un aveugle fanatisme et trempaient volontiers leurs mains dans le sang des martyrs. Si nous franchissions les étroites limites que nous avons fixées, nous verrions en Flandre « les églises remplies de ronces et livrées aux plus vils usages. » A Cologne, « dans un temple richement orné, les Barbares faisaient leurs libations, mangeant et buvant à l'excès. On y adorait des idoles, on y suspendait l'image faite en bois des membres atteints de quelque mal. » « Saint Gallus, nous (:) GreGor. Turox. Aistor. Francor., lib. III, c. 15 et seq. (2) LE BLaNT, /nscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au virre siècle, préface. () Inscription ne 661. — «Il paraîtra sans doute téméraire, dit M. Le BLanr dans sa préface, de voir dans une inscription du v*siècle, retrouvée près de Vienne et appartenant à un enfant de Trèves, la marque possible d'une fuite des chrétiens devant les Ripuaires : je ne saurais toutefois m'en défendre entièrement. On jugera du motif qui me fait hésiter. Dans la première Lyonnaise, à Saint-Germain-du-Plain, on a récemment signalé l'épitaphe d'un évêque étranger au pays. Ce personnage se nomme Jamlychus, et son inscription mutilée présente le type particu- lier à la fin du ve siècle... Saint Cyrille mourut en 458, c'est-à-dire peu de temps avant la prise de Trèves (464). Son successeur, qui fut le témoin de ce désastre, porte précisément le nom gravé sur notre frag- ment, Jamblichus...L'évêque expatrié dont la première Lyonnaise pos- sède l'épitaphe doit être, selon toute apparence, celui qui assista à la ruine de sa ville, à la restauration de l'idolâtrie. Environné de barbares, Jamblichus a sans doute, comme saint Césaire au temps d'Alaric, comme les évèques d'Afrique sous le joug des Vandales, subi l'exil, après de longs efforts, et quitté une terre devenue ennemie, » — 246 — apprend la légende, vient avec un clerc, et, pendant l'absence des païens, brûle le temple. Ceux-ci, voyant la fumée s'élever, cherchent l'incendiaire, le découvrent et le poursuivent l'épée à la main. Le saint diacre se réfugia auprès du roi, qui par. des paroles de paix, calma la fureur des idolâtres et put les désarmer (!). » Il fallut qu'un moine allemand, le Lombard Vulfilaïe, vint amollir ces cœurs farouches. Ayant puisé une foi ardente au tombeau de saint Martin et dans l'entretien du moine Arédius, il s'établit sur une montagne du territoire de Trèves. Là se trouvait la statue d'une divinité, de Diane, peut-être d'Ar- duinna. Il se donna la mission de vaincre le fanatisme paien en lui opposant le fanatisme chrétien : « J'élevai, dit-il, une colonne sur laquelle je me tenais avec de grandes souffrances, sans aucune espèce de chaussure, et lorsque arrivait le temps d hiver, J'étais tellement brûlé des rigueurs de la gelée, que très souvent elles ont fait tomber les ongles de mes pieds, et l'eau glacée pendait à ma barbe en forme de chandelles. Ma nourriture était un peu de pain et d'herbe et une petite quan- tité d'eau. Alors commenca à accourir vers moi un grand nombre de gens des villages voisins : je leur prêchais conti- nuellement que Diane n'existait pas, que les simulacres et autres objets auxquels ils adressaient leur culte n'étaient ab- solument rien. Je leur répétais aussi que ces cantiques qu'ils avaient coutume de chanter en buvant et au milieu de leurs débauches étaient indignes de la divinité, et qu'il valait bien mieux offrir le sacrifice de leurs louanges au Dieu tout puis- sant qui à fait le ciel et la terre. La miséricorde du Seigneur fléchit ces esprits grossiers et les disposa à prêter l'oreille à mes paroles, à quitter leurs idoles et à suivre le Seigneur. J'assemblai quelques-uns d’entre eux, afin de renverser, avec leur secours, ce simulacre immense que je ñe pouvais détruire par ma seule force. J'avais déjà brisé les autres idoles. Ils se () Greco. Turox., Vitæ Patrum, lib. VI, c. 2. SLA rassemblèrent en grand nombre autour de cette statue de Diane ; ils jetèrent les cordes et commencèrent à la tirer. _L'idole tomba à terre, on la brisa ensuite et, avec des maillets de fer, on la réduisit en poudre... Les évêques, qui auraient dû me fortifier, afin que je pusse parfaire l'ouvrage com- mencé, survinrent et me dirent : « La voie que tu as choisie n’est pas la bonne voie; et toi, indigne, tu ne saurais l’égaler à Simon d'Antioche, qui vécut sur sa colonne. Descends plu- tôt et habite avec les frères que tu as rassemblés. » A ces paroles, pour ne pas être accusé de crime de désohéissance envers les évêques, je descendis et j'allai avec eux, et pris aussi avec eux le repas. Un soir l'évêque m'ayant fait venir loin du village, y envoya des ouvriers avec des haches, des ciseaux et des marteaux, et fit renverser la colonne sur la- quelle j'avais coutume de me tenir. Quand je revins le lende- _ main, je trouvai tout détruit : je pleurai amèrement ('). » () « Deinde territorium Trevericæ urbis expetii, et in quo nunc estis monte, habitaculum quod cernitis proprio labore construxi. Reperi tamen hic Dianæ simulacrum, quod populus hic incredulus quasi Deum adorabat. Columnam etiam statui, in qua cum grandi cruciatu sine ullo pedum stabam tegmine. Itaque cum hyemis tempus solite advenisset, ita rigore glaciali urebar, ut unguis pedum meorum sæpius vis rigoris excuteret, et in barbis meis aqua gelu connexa candelarum more depen- deret.…. Potus, cibusque meus erat parum panis et oleris, ac modicum aquæ. Verum ubi ad me multitudo vicinarum villarum confluere cœæpit, prædicabam jugiter nihil esse Dianam, nihil simulacra, nihilque quæ ‘eis videbatur exerceri cultura ; indigna etiam esse ipsa, quæ inter pocula luxuriasque profluas cantica proferebant : sed potius Deo omni- potenti, qui cælum fecit ac terram, dignum sit sacrificium laudis impen- dere. Flexit Domini misericordia mentem rusticam, ut inclinaret aurem suam in verba oris mei, ut scilicet, relictis idolis, Dominum sequeretur. Tunc convocatis quibusdam ex eis, simulacrum hoc immensum, quod elidere propria virtute non poteram, cum eorum adjutorio postea’merui eruere : jam enim reliqua sigillorum quæ faciliora fuerant ipse confre- geram. Convenientibus autem multis ad hanc Dianæ statuam, missis - funibus, trahere cæœperunt.. Egressusque post orationem, ad operarios veni, adprehensumque funem, ut primo ictu trahere cœpimus, protinus simulacrum ruit in terram, confractumque cum malleis ferreis in pul- verem redegi. Et quia semper ipse invidus Deum quærentibus nocere Ro Les évêques dont parle Vulfilaïc ne nous sont pas inconnus. Venantius Fortunatus, l'incomparable improvisateur: italien, dans sa tournée poétique en Austrasie, célèbre ceux de Mayence, de Cologne, de Trèves, de Metz, de Verdun et de Reims. Malgré ses éternelles périphrases, qui dissimulent merveilleusement la vérité, on comprend combien nécessaire était une nouvelle évangélisation. I1 parle de la rage du monde, des loups dévorants qui menacent les bergeries. Il nous repré- sente saint Nicet de Trèves retranché dans une forteresse qui domine la Moselle (1). | Si le christianisme n'avait pas abandonné complètement la : ligne du Rhin et de la Meuse, c'est aux descendants de Clovis qu'il faut en rendre grâce. Ils jetaient un vernis de vraie reli- gion sur le paganisme non douteux de leurs guerriers. Tandis que ceux-ci pillaient les basiliques de l'Auvergne, ils avaient bien soin d'emmener bon gré malgré des prêtres qu'ils con- traignaient à un périlleux apostolat. Quelquefois , ils pillaient et chassaient les évêques; mais, la plupart du temps, ils les comblaient de faveurs. Ils méritaient les éloges d'Agathias (?). conatur, advenientibus episcopis qui me magis ad hoc cohortari debue- rant ut cæptum opus sagaciter explicare deberem, dixerunt mihi : « Non est æqua hæc via quam sequeris, nec tu, ignobilis, Simoni Antiocheno, qui columnæ insedit, poteris comparari; sed nec cruciatum hunc te sustinere patitur loci positio. Descende potius, et cum fratribus, quos adgregasti tecum, inhabita. » Ad quorum verba, quia sacerdotes non obaudire adscribitur crimini, descendebam, fateor, et ambulabam cum eisdem, ac cibum pariter capiebam. Quadam vero die, provocans me episcopus longius ad villam, emisit operarios cum scutis et malleis ac securibus, et eliserunt columnam in qua stare solitus eram. In crastino autem veniens, inveni omnia dissipata, flevique vehementer. » (GREGOR. Turox. Histor., lib. VIII, c. 15.) {) «Te pascente greges, nunquam lupus diripit agnos, Sunt bene securi, quos tua caula tegit, etc. Templa vetusta Dei revocasti in culmine prisco, … Et floret senior te reparante domus. Mons in præcipiti suspensa mole tumescit, Et levat excelsum saxea ripa caput. » (Venant. Forrunar. Carm. ad Nicetium.) () AGATHIAS, Aistor. lib. I, c. 2; — Lib. IL, c. {. - - 2 — 249 — Mais Procope ne s’abuse pas sur le compte des Francs : « Ce peuple est chrétien, dit-il, mais il observe les rits de la vieille idolâtrie, employant pour la divination les victimes humaines et d'horribles sacrifices » (!). Nous avons peu de chose à dire des Austrasiens au vi° siècle. Toute leur histoire est alors dans leurs expéditions au delà du Rhin et des Alpes. En Germanie, où ils détruisent le royaume de Thuringe, ils assurent leur recrutement, c’est-à-dire la perpétuité de leur puissance : ils se rendent maîtres du cours de la Saale, affluent de l'Elbe, et de celui du Meyn, affluent du Rhin ; ils pénètrent ainsi à volonté dans la mère-patrie, soumettent au tribut les Saxons, les Alamans et les Bavarois, dominent partout sans rien organiser. En Italie, leur barbarie éclate encore davantage : ils accablent tour à tour les Grecs et les Ostrogoths, leurs amis et leurs ennemis, et succombent eux-mêmes après des excès inouis. Mais s'il y a de la barbarie chez les Austrasiens, il n'y a pas de dépravation. Tacite les eût reconnus pour de vrais Germains. Chose remarquable, les Mérovingiens dont l'his- toire a gardé le meilleur souvenir ont régné en Austrasie. L'héroïsme qui fait l'admiration de l’auteur des Annales se retrouve dans Théodebert, «illustre par ses exploits et par ses vertus. » C'est un plaisir d'étudier ce type accompli d’une race jeune et vigoureuse. « Il gouvernait ses États avec justice, respectait les prêtres, enrichissait les églises, secourait les pauvres et distribuait des largesses d'une main compatissante et libérale {?). » On dirait que Grégoire de Tours nous a repré- senté, six siècles d'avance, quelque preux chevalier du moyen âge : toutefois, qu'on ne se laisse pas prendre aux apparences. ..{i) Procor. Bell. Goth., lib. I, c. 25. (?) « At ille in regno firmatus, magnum se atque in omni bonitate præcipuum reddidit. Erat enim regnum cum justitia regens, sacerdotes venerans, ecclesias munerans, pauperes relevans, et multa multis bene- ficia pia ac dulcissima accommodans voluntate.» (Grecor. Turon. Histor, BELL: C. 25:) — 250 — Siegebert « est agréable d'esprit et plein d'adresse; » il ne fait point mentir l'éloge si connu: « Chez les Germaïins les ma- riages sont chastes, » car aux amours vulgaires de ses frères, il oppose un mariage royal avec une jeune fille de manières élégantes. Dagobert, tant qu'il séjourne en Austrasie, sait se préserver de la débauche qui le dégrada et l'enleva à la fleur de l’âge. La masse des guerriers était, plus que les rois, à l'alui !» ces brusques déviations. « Ils ne sont m1 flétris par des impôts, ni écrasés par les publicains (t), » disait Tacite en parlant de la tribu des Cattes. Les Austrasiens montrèrent bien qu'ils étaient dans les mêmes idées. D'après Grégoire de Tours, ils avaient une grande haine contre le Romain Parthénius, parce que, sous Théodebert, ses exactions n'avaient épargné per- sonne. Cet émule obscur de Vitellius, « vorace, grossier, voleur, homicide, » se voyant en danger, s'enfuit de la ville, et supplia deux évêques de le conduire à Trèves et de réprimer par leurs exhortations la sédition d’un peuple irrité. Arrivé dans l'antique cité, on le cacha dans le sanctuaire au fond d'un coffre que l'on recouvrit de vêtements à l'usage du culte. Le peuple entra et le chercha partout : il se retirait furieux lorsque l’un d'entre eux s'écria : « Voilà un coffre dans lequel nous n'avons pas cherché notre ennemi. » En vain, les gar- diens protestèrent : les linges furent écartés. Parthémius, tiré de sa cachette, fut aussitôt lié à une colonne et lapidé (?). On pourrait nous objecter les vices d'un Raukhing, si cruel, d'un Boson, si perfide, d’un Ursion, si implacable. Ce ne sont pas de véritables Austrasiens : l'un a erré à l'aventure à travers le monde romain; les autres, établis en Champagne, ont été à l'école de l'évêque Egidius, un Gallo-Romain. Les (t) « Nec tributis contemnuntur, nec publicanus atterit. » (Tacrr. De moribus Germanorum, c. 29.) (8) « Franci vero cum Parthenium in odio magno haberent, pro eo quod eis tributa antedicti regis tempore inflixisset, eum persequi cœ- perunt, etc. » (GReGoR. Turox. Aistor. lib. ILL, c. 36.) - : — 251 — Raukhing sont rares en Austrasie. Les Bertfried, que l'idée seule de la trahison exaspère, sont au contraire très nombreux. « On pend à un arbre les traîtres et les transfuges {t), » lisons- nous dans la Germanie. A la mort de Siegebert commence un travail intérieur qui aura pour conséquence la création d'un État. Les faits nous. sont connus. L’Austrasie, privée de son héroïque souverain, iuquiétée du côté de l'Allemagne par les Avares, contenue du côté de la Gaule par la Neustrie et la Bourgogne, ne songe pas aux expéditions. Childebert le Jeune recoit de l'Empereur son père de l'argent pour faire la guerre, et des Lombards, en- nemis de la religion, un tribut pour ne pas la faire. La reine Brunehaut préside d'abord aux destinées s1 inté- ressantes du royaume qui renfermait le germe de l'Alle- magne. Sa carrière offre ceci de remarquable, que c'est le seul personnage germain appartenant aux tribus établies dans l'Empire qui se soit dévoué à la civilisation de l'Allemagne, et qui, revenu et resté volontairement dans sa première pa- trie, ait tenté de réaliser les vues de Théodoric le Grand. Le but était noble, bien que mêlé à beaucoup d'ambition, d'é- goisme et de violence. Il était encore plus difficile. Certaines paroles de Grégoire le Grand nous montrent combien rétives étaient les populations qu'elle gouvernait : {urbas gentium, _effera corda gentilium. Le christianisme lui-même, qui sem- blait une préparation nécessaire à l'établissement d'un régime politique, n'avait pas pénétré partout : plusieurs lettres du même pape aux chefs francs nous le donnent à entendre ; surtout on n'en saisissait pas encore l'esprit (?). Si la reine s'était consacrée à la construction des chaussées () « Proditores et transfugas arboribus suspendunt; ignavos et im- belles, et corpore infames, cœno ac palude, injecta insuper crate, mer- gunt. » (Tacrr. De moribus Germanorum, c. 12.) (?) Voir notre étude sur Læ reine Brunehilde et la crise sociale au vie siècle sous les Mérovingiens, dans les Mémoires de la Société d'Emu- lation du Doubs, 4e série, t, II, 1866, pp. 390-420, — 252 — de Brunehaut, elle aurait pu, bien que troublant d'une ma- nière grave la majestueuse solitude des Germains, obtenir quelque déférence. Mais elle voulait, avant tout, faire passer les Mérovingiens de la condition de chefs militaires à celle de chefs politiques. C'était bouleverser non seulement l'Austrasie, mais la Germanie tout entière ; la résistance fut aussi décidée que générale. Elle s'appuya sur la seule institution qui fût sortie de la conquête, la propriété. Elle opposa les possess is d'alleux aux possesseurs de fiefs. Elle s’efforça également par le traité d’Andelot de fixer autour du souverain les bénéficiers, seul moyen de fonder l'autorité royale. Plus tard, elle dicta à Chil- debert et aux leudes trois édits (‘) datés d’Andernach, d'Utrecht () « L Ita, Deo propitiante, Antonaco, kalendas Martias anno wvice- simo regni nostri, convenit ut nepotes ex filio vel ex filia ad aviaticas res cum avunculos vel amitas sic venirent in hereditatem, tanquam si pater aut mater vivi fuissent. De ïillos tamen nepotes istud placuit observare, qui de filio vel filia nascuntur, non qui de fratre. » IL. In sequenti hoc convenit una cum leudis nostris, ut nullus de crinosis incestum usuin sibi societ conjugio : hoc est, nec fratris sui uxorem, nec uxoris suæ sororem, nec uxorem patrui sui aut parentis Con- sanguinei. St quis urorem patris acceperit, mortis periculum incurrat. De præteritis vero conjunctionibus, quæ incestæ esse videntur, per prædicationem episcoporum jussimus emendari. Qui vero episcopum suum noluerit audire, et excommunicatus fuerit, perennem condemna- . tionem apud Deum sustineat, et insuper de palatio nostro sit omnino extraneus, et omnes facultates suas parentibus legitimis amittat, qui noluit sacerdotis sui medicamenta sustinere. » III. Similiter Trejecto convenit nobis campo, ut quaslibet res ad unum ducem vel judicem pertinentes per decem annos quicunque in- concusso jure possedit, nullam habeat licentiam intertiandi, nisi tantum causa orphanorum usque ad viginti annos licentiam tribuimus. Quod si quis super hoc judicium præsumpserit intertiare, solid. 15 solvat, et rem quam male intertiavit amittat. De reliquis vero conditionibus omnes omnino causas tricenaria lex excludit, præter id quod in alia regna hucusque detenuit. » IV. Pari conditione convenit kalendas Martias, omnibus nobis adu- natis, ut quicunque admodum raptum facere præsumpserit, unde impiis- simus vitius adcreverat, vitæ periculum feriatur ; et nullus de optimatibus nostris præsumat pro ipso precare, sed unusquisque admodum inimicum Dei persequatur. Qui vero edictum nostrum ausus fuerit contemnere, De — 253 — et. de Cologne, et contresignés par un Romain. En réglant la transmission des propriétés, les alliances matrimoniales, ce n'est rien moins que la famille qu'elle désirait constituer. in cujuslibet judicis pago primitus admissum fuerit, ille judex collecto solatio ipsum raptorem occidat, ét jaceat forbattutus. Et si ad eccle- siam confugium fecerit, reddatur ab episcopo, et sine ulla precatione exinde separentur. Certe si ipsa mulier raptori consenserit, ambo pariter in exilio transmittantur. Et si foras ecclesiam capti fuerint, ambo pariter occidantur, et facultates illorum parentibus legitimis, ef quod fisco nostro debetur, adquiratur. » V. De homicidiis vero ita jussimus observarï, ut quicunque ausu temerario alium sine causa occiderit, vitæ periculum feriatur, et nullo prelio redemptionis se redimat aut componat. Et si forsitan convenerit ut ad solulionem quisque descendat, nullus de parentibus aut amicis ei quicquam adjuvet. Nisi qui præsumpserit ei aliquid adjuvare, suum widrigildum omnino componat; quia justum est ul qui injuste novit occidere, discat juste morire. » VI. De farfaliis ita convenit, ut quicunque in mallo præsumpserit farfalium minare, sine dubio suum widrigildum componat, quia omnino volumus ut farfalius reprimatur. Et si forsitan, ut adsolet, judex hoc consenserit, et fortasse adquiescit istum farfalium custodire, vitæ peri- culum per omnia sustineat. » VII. De furibus et malefactoribus ita decrevimus observare, ut si quinque aut septem bonæ fidei homines absque inimicitia interposita criminosum cum sacramenii interpositione esse dixerint, quomodo sine lege involavit, sine lege moriatur. Et si judex comprehensum latronem convictus fuerit relaxasse, vitam suam amittat et hæc disciplina in populo modis omnibus observetur. » VIII. Similiter kalendas Martias Colonia convenit, etita bannivimus, ut unusquisque judex criminosum latronem ut audierit, ad casam suam ambulet, et ipsum ligare faciat : ita ut si Francus fuerit, ad nostram præsentiam dirigatur ; et si debilior persona fuerit, in loco pendatur. » IX. Si quis centenarium aut quemlibet judicem noluerit super ma- lefactorem ad prindendum adjuvare, sexaginta solidis omnino condem- netur. » X. Et quicunque servum criminosum habuerit, et ei judex rogaverit ipsum præsentare, et noluerit, suum widrigildum omnino componat. » XI. Similiter convenit ut si furtum factum fuerit, capitale de præ- senti centena restituat, et causator centenarium cum centena requirat. » XII. Pari conditione convenit ut si una centena in alia centena ves- tigium secuta fuerit, et invenerit, vel in quibuscunque fidelium nos- trorum terminis vestigium miserit, et ipsum in aliam centenam minime expellere potuerit, aut convictus reddat latronem, aut capitale de præ- senti restituat, et cum duodecim personis se ex hoc sacramento exuat. 18 — 954 — Elle admettait la preuve par témoin, ce qui était conforme | aux tendances de la nation, mais elle proscrivait la coutume en vertu de laquelle le meurtrier, qui n'avait pas de quoi payer le wehrgeld, cédait ses biens à ses parents, lesquels étaient tenus de payer pour lui. Bien plus, elle abolissait la composition elle-même, substituant à la vengeance par- ticulière, qui naît d'une haine aveugle et qu'une transaction peut satisfaire, la vindicte des lois, que la justice et l’expiation seules apaisent. « Quiconque aura donné la mort téméraire- ment et sans cause, encourra la peine de la vie et ne pourra se racheter à aucun prix. » L'inceste reçut le même châtiment. Les voleurs et les malfaiteurs n’eurent plus de grâce à espé- rer: « Quomodo sine lege involavit, sine lege moriatur. » On enjoignit au juge d'exécuter aussitôt la sentence, malgré l'évêque et malgré l’église. La centaine fut rendue responsable des délits commis dans sa circonscription : le but social de la mesure ne saurait échapper. Mais cette mise hors la loi dépas- sait le but : les procédés draconiens n'ont jamais réussi. Les édits de Brunehaut témoignent de plus de violence chez leur auteur qu'il n'en existait dans le peuple ainsi régenté. Exaspérés, tous les Francs se rejetèrent vers Frédégonde. De grandes batailles furent livrées. L'Austrasie eut presque toujours le dessous et, pendant un siècle, sembla faillir à sa mission. D'ailleurs elle fut délaissée par Brunehaut, qui fit de la Bourgogne le centre de sa domination. Un grand problème historique se pose ici : Quand a été promulguée la loi des Ripuaires ? Suivant nous, on ne peut admettre qu'elle soit antérieure à Brunehaut, n1 postérieure à » XIII. Si servi ecclesiarum aut fiscalini furtum admiserint, similem pœænam sustineant, sicut et reliquorum servi Francorum. » XIV. Die dominico similiter placuit observare, ut si quiscunque ingenuus, excepto quod ad coquendum vel ad manducandum pertinet, alia opera in die dominico facere præsumpserit, si Salicus fuerit, solidos quindecim componat; si Romanus, septem et dimidium : servus vero aut tres solidos reddat, aut dorsum suum componat. » Li Mid: 16 — 255 — Dagobert. En effet, avant Brunehaut, la religion chrétienne existait à peine en Austrasie; après Dagobert, l'autorité royale n'existait plus. Or le trait caractéristique de la loi des Ripuai- res, c'est la suprématie hautement proclamée de l'Église et'de la royauté. Un autre point est hors de doute, à savoir que ce code nest pas de provenance austrasienne. Quelle est donc son origine? Il a été élaboré en Bourgogne, si je ne me trompe, car la Bourgogne avait seule à ce moment les ten- dances que nous signalons. Les rédacteurs étaient peut-être : Claude (maire du Palais), et Chadoin (référendaire), person- nages bourguignons, anciens ministres de Théodoric II, que la préface de la loi salique mentionne parmi les législa- teurs (1). Bornons-nons à une citation qui précise le sens de la législation des Ripuaires : « Si quelqu'un a enlevé par vio- lence un objet quelconque appartenant à un homme du roi ou à un homme attaché à une église, il paiera une composi- tion triple de celle qui aurait dû être payée si le crime eût été commis envers un autre Ripuaire... Si le crime a été commis par un homme attaché à une église ou à un des do- maines du roi, il paiera la moitié de la composition qu'aurait payée un autre Franc... Quiconque se rendra coupable de trahison envers le roi paiera de sa vie cet attentat, et tous ses biens seront confisqués (?). » | Si la loi des Ripuaires incline fréquemment vers la juris- prudence romaine, elle réagit aussi dans le sens des coutumes nationales, notamment en ce qui concerne les cojurants et le combat judiciaire (*). Il est bien difficile, d’ailleurs, de déterminer le sens rigou- () Voir la Préface de la Loi salique et FRÉDÉGAIRE. (?) « Si quis regio aut ecclesiastico homini de quacunquelibet re for- ciam fecerit, et per vim tulerit, in triplum sicut reliquo Ripario com- ponat. » (Lex Ripuar., tit. XI, Z 3.) — « Si homo ecclesiasticus aut regius hoc fecerit, medietate compositionis Francorum.… » (/d., tit. X VIIX, 8 3.) — «Si quis homo regi infidelis extiterit, de vita componat, et omnes res ejus fisco censeantur. ÿ (/d., tit. XIX.) () Voir la Loi des Ripuaires, passim. ER: reux du mot Ripuaires. Etait-il absolument synonyme du mot Austrasiens ? Mais alors pourquoi, dans son décret, Childe- bert IT désigne-t-il ses sujets du nom de Saliens? « Les Francs ont deux lois, dit d’une manière ambiguë l'historien de Char- lemagne : elles diffèrent beaucoup entre elles sur un grand nombre de points (1). » Autre question, te probablement : la loi des Ri- puaires ne serait-elle pas la loi salique amendée par l'omni- potence royale et imposée despotiquement ? S'il en était ainsi, on ne pourrait plus hésiter qu'entre deux dates : Le triomphe de Théodoric Il à Tolbiac (612), et la dictature de Dagobert récemment fixé en Neustrie (630). On sait que, dans l’un et l'autre cas, les Austrasiens se révoltèrent. 1 fallait, pour faire jaïlir la lumière du chaos germain, autre chose que la tradition mornarchique empruntée à la . Rome impériale : il fallait une grande idée mise en valeur par un homme de génie. Cette idée, ce fut le christianisme affranchi de ses entraves, A sans être novateur ; Cet homme, ce fut saint Colomban. Saint Colomban , avec sa rude éloquence, fit ce que Bru- nehaut n'avait pu faire avec sa beauté, ses discours apprêtés, ses ruses et ses violences : il séduisit les Germains. Nous l'avons montré fondant à Luxeuil un immense institut religieux, monastère, séminaire, école incomparable, où accoururent les Austrasiens, attirés les uns par cet apôtre qui avait recu sa mission non de Rome, mais du Ciel lui-même; d’autres par le désir de la vie contemplative dans une soli- tude si propice; d'autres enfin par un grand but à pour- suivre , la conversion de leurs compatriotes. Leurs noms appartiennent pour la plupart aux familles franques les plus illustres. L'impérieuse Brunehaut put bien expulser saint Colomban : () « Franci duas habent leges, in plurimis locis valde diversas. » (Ernnarp: Vita Karoli imp., c. 29.) — 257 — elle n'osa pas détruire Luxeuil qui eut bientôt à sa tête un Franc, saint. Walbert, apportant au fond du cloître toute l'énergie et la fierté du Sicambre, assurant ainsi à son abbaye d'immenses richesses et l’exemption de l'autorité épiscopale. Il dirigea, pendant quarante ans, ses milices religieuses vers la Gaule et l’'Helvétie germaines. On se tromperait toutefois , si on croyait que le royaume d'Austrasie ait ressenti immédiatement les effets du voisinage de Luxeuil. Dans les premiers temps , les Francs qui avaient franchi les Vosges ne les repassaient guère. Le courant se portait ailleurs, principalement vers la Neustrie. Les plus hardis champions du christianisme hésitaient à se commettre avec leurs rudes concitoyens, rétifs, comme autrefois le fon- dateur de la dynastie mérovingienne , à la métaphysique chrétienne , exclusivement adonnés à la chasse et au pillage. Il semblait qu'il fallait prendre à revers cette barbarie plutôt que de l’attaquer directement. Saint Colomban fut plus hardi : rejeté par la tempête sur le rivage de la Gaule, il ï ‘prit son œuvre un instant délaissée ; mais de chef d'abbaye il devint missionnaire, traversa les royaumes francs, préparant le terrain aux moines de Luxeuil (1). Parmi ceux que cette course rapide gagna à l'Eglise, l'histoire cite le fameux saint Ouen. En Austrasie, 1l fut recu avec des honneurs royaux et entouré par ses disciples qui accouraient de leur désert pour le revoir. Mais il comprit bien vite quelle résistance acharnée opposeraient les Francs orientaux sur leur propre sol. Lorsque, par un mouvement de naïveté sublime , il invita le roi à se retirer dans un cloître, un im- mense éclat de rire, parti du milieu de l'assemblée, le ramena à une plus juste appréciation des choses (?). Continuant sa () Vita S. Columbani, auct. Jowa. (?) « Interim vir Dei ad Theodebertum accedit, eumque suadet ut cœptæ arrogantiæ supercilium deponeret, seque clericum faceret, et in Ecclesiæ positus gremio sacræ subderetur religioni, ne simul cum damno præsentis regni, æternæ pateretur vitæ dispendium. Quod et — 258 — route , il visita les bords du Rhin, refusa d'entreprendre la conversion des Slaves, parce qu'il s'était tout entier adonné à celle des Germains , et fonda le monastère de Bobbio qui fut pour l'Italie un autre Luxeuil. , Après cet essor capricieux, mais irrésistible, l'Austrasie demandait une direction régulière sous une dynastie sortie de son sein. Il est facile de voir que les Mérovingiens n'étaient pas cette dynastie nationale dont nous parlons. En effet, les descendants de Clovis « avaient dépouillé à la hâte (on l’a fort bien dit), les mœurs et les préjugés de la vieille Germanie (‘), » et s'étaient trouvés un beau jour étrangers à leur peuple. Ce fait fut encore aggravé par une circonstance toute fortuite : les branches royales d'Austrasie s’éteignirent rapidement. Le royaume oriental dut par trois fois recevoir des souverains de la Neustrie (Théodoric, Siege- bert, Dagobert.) Mais, au milieu des dissensions des Mérovingiens, gran- dissait une famille dont le développement moins précoce était plus en rapport avec celui de l’ensemble de la nation. Arnoul était né près de Nancy, d'une illustre famille. Atta- ché au roi Théodebert IT, il se montra guerrier redoutable et administrateur habile. Marié à une jeune fille noble, ilen eut deux fils (?). C'était le temps où saint Colomban étonnait l’Aus- trasie par ses prédications. Les mieux doués parmi les Francs se prenaient à réfléchir. Personne n'était plus profondément touché que le jeune Arnoul. Il était lié avec le seigneur Romaric, l'un des moines les plus exemplaires de Luxeuil , qui venait de regagner sa sauvage citadelle de Habend, l'âme remplie de pieuses méditations. Dominés tous les deux par regi et omnibus circumadstantibus ridiculum excitavit : aiebant enim numquam se audiisse Merovingum, in regno sublimatum, voluntarium clericum fuisse. » (Jonas, Vita S. Columbani, c. 57.) @) Lexuerou, /nstilutions mérovingiennes. () Vid. Vita S. Arnulfi, ab anonymo coævo. — 259 — les mêmes idées, ils voulurent se rendre ensemble au monas- tère de Lérins. Si ce dessein se fût réalisé, ils auraient privé leur patrie encore barbare d’un secours providentiel. Mais on ne leur permit pas de s'exiler. Romaric fonda alors dans ses domaines l'abbaye de Remiremont, monastère double, où accoururent les hommes et les femmes franques, qui fut comme la forteresse avancée de Luxeuil. Arnoul ne quitta point Metz : il s'astreignit surtout à une pénitence sévère. Un jour qu'il franchissait un pont sur la Moselle, il jeta dans le fleuve l'anneau qu'il avait au doigt : « Je ne me croirai déli- vré des liens.du péché, dit-il, que lorsqu'on me rapportera cet anneau. » L'aventure de Polycrate se renouvela pour lui, mais à sa grande satisfaction (‘). Cet événement frappa le peuple qui aime le merveilleux : on ne tarda pas à l’élire évêque. Ce choix, tout nprovisé qu'il fut, était excellent. Soulager les pauvres , donner asile aux moines et aux voya geurs, se faire le serviteur des plus humbles : tel devint l'unique soin d'Arnoul. Il se traitait lui-même avec une impitoyable dureté. Mais bientôt il se trou. imparfait et voulut imiter son ami, le solitaire Romaric. Il fit quelques retraites dans les Vosges. Séduit par la contemplation et le mysticisme, il de- manda instamment un successeur. Dagobert s'opposa d'abord avec violence à ce projet, menaçant d'immoler les fils du saint évêque. Mais il finit par se jeter aux pieds d’Arnoul, lui demanda pardon, et le laissa s'ensevelir, comme Vulfilaïic, dans un désert ignoré. Arnoul expira entre les bras de Romaric. Tel est le premier ancêtre des Carolingiens. Les Annales de Metz, parlant de son petit-fils, s'expriment ainsi sur son compte : (2) « Contigit ut cum per Mosellæ amnis pontem transiret, cumque subter fluminis alta-nec visui penetrabilia cerneret gurgitis immensitate, annulum quem forte secum habebat accepit, et his verbis in fluvium projecit : Tunc me, inquit, solutum nexibus peccatorum putabo, quando hunc quem projicio annulum accepero. Post aliquantos vero annos, jam sacerdotali $olio adscenso, allatus est sibi a quodam piscatore piscis… Quem suscéptum minister, cum secundum morem exenterasset, eumdem annulum in extis ejusdem reperit piscis.» (Vita S. Arnulf, c.7.) — 260 — « Pour établir solidement son empire, il avait un aïeul plein de vertus, Arnoul, le grand patron des Francs devant Dieu et devant les hommes ({). » Avant d'occuper le trône , sa des- cendance s'installa sur les siéges épiscopaux de l’Austrasie. Mais à cette grandeur morale incomparable, la maison d’Ar- noul devait joindre, pour parvenir au faîte de la puissance, des richesses exceptionnelles. Cet avantage , si essentiel, lui fut assuré par l'alliance de Pépin de Landen. Ce seigneur franc possédait des biens immenses sur le territoire de Liége, contrée alors plus sauvage que l’Austrasie proprement dite, peuplée d'hommes libres, pour qui le roi était un inconnu, et Pépin un de ces chefs dont nous parle Tacite « combattant pour la vicloire, tandis que ses compagnons combattent pour lui (?). » Sa qualité de premier propriétaire l’appelait à la charge de maire du palais, c'est-à-dire de dispensateur des bénéfices. « Dans cette dignité , peu différente de la suprême grandeur des rois, dit son biographe, il gouvernait toutes choses par les ordres les plus sages, et excellait en courage dans la guerre comme en justice durant la paix. » « Il associa à tous ses conseils et à toutes ses affaires le bienheureux. Arnoul, évêque de Metz... S'il arrivait que, par l'ignorance des lettres , il fût moins en état de juger des choses , celui-ci, fidèle interprète de la divine volonté, la lui faisait connaître avec exactitude... Soutenu d'un pareil appui, Pépin imposait au roi lui-même le frein de l'équité , lorsque, négligeant la justice, il voulait abuser de la puissance royale. Après la mort d’Arnoul, il fut attentif à s'adjoindre, dans l’adminis- tration des affaires, le bienheureux Chunibert, évêque de Co- logne, également illustre par la renommée de sa sainteté (*). » () « Ad solidandum quoque ipsius imperii fundamentum, erat ei agnatione avus quidam vir plenus virtutibus, Arnulfus nomine, Mettensis urbis episcopus. Hic omnium Francorum coram Deo et hominibus pa- tronus præcipuus habebatur. » Annales (Metenses, ad ann. 687.) (2) « Principes pro victoria pugnant; comites pro principe. » (Tacrr- g FREE Germanorum, c. 14.) « Qua dignitate modice differente a sublimitate regia, omnia pru- — 261 — C'est grâce à cette alliance des évêques et des seigneurs austrasiens que Pépin, uni à Warnachaire , avait renversé Brunehaut. C'est grâce à elle qu'il triompha de l'éphémère mais terrible énergie de Dagobert, auquel il n’épargna ni les représentations ni les menaces. Retenu un instant dans une dure captivité , il eut la tutelle des Mérovingiens qu'il avait . abaissés, et décréta la séparation définitive de la Neustrie et de l’Austrasie. « L'année accomplie, cet illustre chef, ce véri- table père de la patrie, sortit de ce monde. Sa mort accabla l'Austrasie d’une telle douleur, qu'elle en fit paraître un deuil dont n'approche point le deuil de la mort des rois {!). » Le prestige religieux ne fit pas plus défaut de ce côté que de l’autre aux Carolingiens. Tandis que Clodulf, fils d'Arnoul, était évêque de Metz, Gertrude, fille de Pépin, gouvernait l’abbaye de Nivelles et devenait la patronne du Brabant. Sous la conduite de Clodulf et de son parent Modoald, évèque de Trèves , les différents diocèses de l’Austrasie reçoi- vent des pasteurs de race germanique, formés à Luxeuil et à Remiremont. Il suffit de parcourir le Gallia Christiana pour se convaincre de cette substitution soudaine et presque géné- rale du clergé franc au clergé romain. Le même fait se repro- duit au loin jusqu à Autun et à Poitiers. Les évêques francs envoient dans la région de l'Escaut (Gand), de la Meuse (Maestricht) et du Rhin inférieur (Utrecht) des missionnaires dentissima dispositione ordinabat, præstabatque tam in bello fortitudine, quam justitia in pace.…. Beatum Arnulphum.... omnium consiliorum suorum vel negotiorum socium assumebat.. Si quid enim ipse litterarum ignorantia minus cerneret, ille quasi fidelissimus divinæ voluntalis interpres rectissime enuntiabat..… Hoc adjutore fretus, regem ipsum æquitatis freno cohibebat, si quando, neglecto jure, potestate regia abuti voluisset. Defuncto quoque prædicto viro, beatum Cunibertum, Coloniensium antistitem, pari sanctitatis fama illustrem, curabat in hac negotiorum administratione participem habere. » /Vita Pippini Ducis.) () « Sed eodem anno expleto (639), egregius dux, ac verissimus pater patriæ, rebus humanis excessit. Cujus mors tanto dolore totam Austriam perculit, ut planctui ejus planctus regum nequaquam conferri possit, » (Idem.) — 262 — de leur nation (saint Baron, saint Trudon, saint Lambert), qui rencontrent pour rivaux les moines de Solignac, disciples de saint Eloi (saint Remacle, saint Amand). Hubert, le grand saint des Ardennes et des chasseurs, s'établit à Liége même, pra au milieu des possessions de la maison de Landen. Dans la forêt des Vosges s'élevèrent quatre monastères qui formaient une croix. Les abbayes de Stavelo, de Malmédy et de Prüm, situées plus au nord, n'avaient pas un moindre renom. Ce fut au moment où l'on pouvait croire que tous les moines , tous les évêques , comme tous les seigneurs francs, soutiendraient la cause des Pépins, que Grimoald, malgré les nobles avis de Romaric, osx l'une de ces supercheries qui devinrent si familières aux Héristall et si dommageables aux Mérovingiens. Mais il est parfois dangereux de vouloir ac- complir, même au nom des principes universellement admis, des actes criminels : la conscience publique se révolte, et l'audacieux s’apercoit, mais trop tard, qu'il n’est pas suivi. C'est ce qui arriva à Grimoald. La disparition du jeune Dago- bert, l'exécution du maire, livrèrent de nouveau l’Austrasie à la domination occidentale. Mais Ebroïn , par ses violences, fit oublier le crime de Grimoald et songer aux principes mé- connus. Le maire de Neustrie, en effet, persécutait et expul- sait systématiquement les abhés et les évêques francs comme partisans de la féodalité. Nous avons raconté cette guerre atroce. L aristocratie éprouva bien des revers, parce qu'elle était trop ombrageuse t trop volontaire. Elle ressemblait en cela à l'aristocratie polonaise du dernier siècle, que ses dissensions livrèrent à la Russie, moins homogène , mais mieux disciplinée. Mais elle était pleine de vitalité : son heure devait venir forcément tôt ou tard. C'est dans les Annales de Metz qu'il convient surtout d’étu- dier la révolution qui placa définitivement la maison d’Hé- ristall à la tête des Francs. Les chroniqueurs qui les ont com- posées, dans la capitale même de l’Austrasie, ont été évidem- — 263 — ment les dépositaires de la pensée carolingienne. Ebroïn avait dépouillé les leudes, auteurs de son exil à Luxeuil. Les Neus- triens et les Burgondes se réfugièrent en masse auprès de Pépin d'Héristall, et le supplièrent de les arracher à une cruelle tyrannie (‘). « Touché d'un profond sentiment de pitié, dit l’histoire que nous citons , il les accueillait miséri- cordieusement. » Il n'est point fait mention, cela est bien naturel, de la défaite sanglante des Austrasiens, qui eut pour conséquence le supplice du duc Martin et le martyre de saint Léger. Mais cette lecon sévère ne fut pas inutile pour un chef aussi avisé. Il organisa son armée et attendit sans impa- tience « la fin de cette domination monstrueuse. » Il donna asile à Ermenfried, assassin d'Ebroïn, et continua de grossir son précieux essaim de transfuges. C'est avec une joie pro- fonde qu'il voyait le débile Waraton, le turbulent Gisilmar, l'incapable Bertaire, fantômes de maires, sous un fantôme de roi, s'entre-détruire et dissiper les ressources accumulées par leur illustre prédécesseur. Lorsqu'il jugea l’occasion venue, il sortit brusquement de ce long silence, et somma le roi Théo- doric de rendre aux émigrés leurs biens et leurs honneurs. La réponse, dictée par Bertaire, fut inconsidérée et hautaine. Pépin , au contraire, rassembla autour de lui tous les sei- () «Ea tempestate plurimi nobilium Francorum, ob sævitiam prædicti tyranni, Niwistriam relinquentes, in Austriam ad Pippinum confugiunt, supplices suam clementiam postulantes, ut sese de manibus crudelissimi hostis eriperet. » (Annales Melenses, ad ann. 687.) — Cette émigration fait songer à celle qui eut lieu dans les mêmes régions, onze siècles après, lors de la Révolution française. En 687, Metz, en 1789, Coblentz, furent le rendez-vous d'une aristocratie jalouse de ses priviléges. Ces deux aristocraties n'étaient pas étrangères l'une à l'autre : en effet, l'aristocratie française devait son établissement et son origine à l'aris- tocratie germaine. Mais remarquons que, avant Testry, c'est contre la royauté que la protestation eut lieu; avant Valmy, ce fut contre le peuple. L'issue fut aussi bien différente : Testry ramena l'aristocratie triomphante dans ses foyers, Valmy l'en exclut à jamais, du moins comme puissance. La Gaule fut aux prises avec la Germanie aux vu‘ et virr* sècles ; la France combattit l'Allemagne aux xviu: et xix° siècles. Les noms étaient changés, mais non les rôles, / — 264 — gneurs , leur soumit la question , fit appel à leur honneur, à leur compassion , à leurs espérances comme à leurs craintes. Il résolut de devancer ce roi plein d'obstination et de jactance. Parvenu à la forêt des Ardennes, limite des deux Etats, il adressa à tous ses guerriers une allocution trop dédaignée jus- qu'ici, œuvre de politique, non de rhéteur. « Hommes très- courageux, dit-il, gardez-vous de croire que, par cette expédi- tion , je veuille m'assurer la tyrannie. Le premier motif de la guerre, ce sont les plaintes des prêtres qui sont venus sou- vent à moi pour mengager à leur rendre, par la force des armes, les patrimoines des églises injustement ravis. Un second motif. ce sont les larmes et les gémissements des nobles Francs, si cruellement traités, qui Croient que nous pouvons leur concilier l’assistance divine. Troisièmement, il faut nous soustraire à la sentence d'un tyran et préserver notre patrie de la dévastation. C’est au jugement de Dieu que nous en appelons (!). » Les tendances de l’Austrasie sont marquées d'une facon fort nette dans ce discours. On voit à quel point l'aristocratie, le pouvoir du clergé allemand, la haine du des- potisme , qu'il fût exercé par le roi ou par le maire, étaient ancrés Gans cette société née d'hier. La bataille de Testry est l’une de ces journées qui décident de la destinée d’un peuple, parce qu'elles sont l'expression matérielle d'une grande révolution morale. L'innombrable () « Excitor in primis querelis sacerdotum et servorum Dei, qui me sæpius adierunt, ut pro sublatis injuste patrimoniis ecelesiarum, propter amorem Domini ipsis interpellantibus dimicando subvenirem. Pro qui- bus per internuncios humiliter frequentius Theodericum exoravi; unde nihil præter tumidum et superbia plenum responsum recipere merui. Secunda causa me ad talem provocavit laborem. Nobilium siquidem Francorum ad nostram fidem confugientium lacrimæ et gemitus, qui tot calamitatum angoribus pressi divinum semper nos arbitrantur adi- pisci posse suffragium. Tertia, quia expedit nobis superbissimi regis obviare sententiis, et vastationem patriæ nostræ, quam minatur injuste, in suum potius caput auxiliante Domino convertamus ; nostraque regione adhuc incolumi permanente, ipsum in propriis sedibus arrogantem, ju- dicium Domini subituri, requiramus. » (Annales Metenses, ad ann. 687.) — 265 — multitude de Gallo-Romains qui composait l’armée de Neus- trie joncha le sol ou prit la fuite. Pépin entra dans Paris, et, pour ne pas paraître exercer la tyrannie, laissa la couronne à Théodoric. Mais il se réserva toute l'autorité, les trésors royaux, le commandement des armées. Il continua de résider en Austrasie, au milieu de ses guerriers. Relégué dans une villa de l'Occident, le Mérovingien fut surveillé par le fils même de son vainqueur et de son bienfaiteur. Ce n'était là rien moins que l’avénement de la première dynastie allemande. A partir de ce moment , l'Austrasie. si bien organisée au point de vue militaire, nous étonne par son indomptable vigueur. Elle a porté le poids d'une guerre qui a duré un siècle et demi, et qui a eu pour théâtres la Gaule, la Germanie, l'Espagne et l'Italie. Ni les Alpes, ni les Pyrénées, ni les Car- pathes n'ont arrêté cet essor prodigieux. Les Germains ont montré leur supériorité sur toutes les races nouvelles. Arabes, Mongols et Slaves. A la tête de ces héroïques armées, la maï- son d Héristall à placé quatre grands hommes , issus les uns des autres, et de plus en plus dignes de leur tâche : les deux Pépins et les deux Charles. A la mort de Pépin d'Héristall, on put craindre que l'édifice si laborieusement élevé ne fût détruit. Les Austrasiens se divisèrent en deux partis, entre une femme ambitieuse et un homme de génie. Les Gallo-Romains se réveillèrent. Un Franc qui se souvenait d'Ebroïn, Raginfried, fit sortir de son cloître un moine que le crime de Bodilon y avait jeté. Il s'appelait Daniel et prit le nom de Chilpéric. Les Annales de Metz constatent que son armée présentait une foule confuse de paysans. En vain il tendit la main aux Frisons et aux Aquitains ; en vain il se battit vaillamment. Vincy confirma la sentence de Testry. I lui fallut subir le titre et la condition de roi fainéant. C'était la troisième , l'irrévocable déchéance des Mérovingiens en Austrasie. Le célèbre tableau d'Eginhard se rapporte à cette dernière phase (!). @) Vita Caroii Magni, c. 1. Le pet Les suites de la victoire de Charles Martel n'ont pas été suffisamment appréciées. Les uns en ont saisi la portée éco- nomique, les autres la portée religieuse. Personne, si je ne m'abuse, n'a insisté sur le point de vue social. A le bien prendre, l'Eglise ne fut pas dépouillée, elle fut soudainement livrée aux Germains. A la place du clergé gallo-romain , sys- tématiquement exclu, on établit, com:me prêtres et comme évèques, les compagnons de Charles Martel. Cela eut Li: surtout en Neustrie, car la révolution que nous indiquons était presque terminée en Austrasie. On eut ainsi des clercs séculiers, pour nous servir d'une expression du temps. Ces clercs improvisés n'avaient rien des vertus et de la piété des Arnoul et des Léger. Ils allaient à la guerre, à la chasse. On les voyait revêtus de leurs armes, entourés de meutes de chiens et le faucon au poing. Ils donnaient de copieux festins, qui, comme autrefois, dégénéraient en rixes sanglantes. Leurs mœurs étaient grossières. Mais on ne doit pas conclure de tout cela qu'ils fussent païens. On retrouve, trois siècles après, sous l'empereur Henri IIT, après les troubles de l’an 1000, en plein christianisme, les mêmes scandales. Ils reconnaissaient, ils proclamaient tous la divinité de Jésus-Christ. Cependant, à côté de ce christianisme, un peu superficiel il est vrai, mais incontestable, subsistaient des usages qui rappelaïent la reli- gion d'Odin. A certains traits, on reconnaissait dans ces pré- tres les descendants de ceux que nous a dépeints Tacite : « Le prêlre de la cité, dit-il, coupe une baguette à un arbre fruitier, Ja divise en plusieurs morceaux qu'il marque de différents signes, et les jette ensuite pêle-mêle sur une étoffe blanche. Puis il invoque les dieux, et, regardant le ciel, il lève trois fois chaque morceau et fait son pronostic... Il sait interroger le chant et le vol des oiseaux. Il demande même aux chevaux des présages et des révélations (t). » Ce sont précisément ces @) « Virgam, frugiferæ arbori decisam, in surculos amputant, eosque, - notis quibusdam discretos, super candidam vestem temere ac fortuito spargunt : mox, si publice consulatur, sacerdos civitatis, sin privatim, — 267 — sacrifices, ces augures, ces sortiléges, ces incantations qui s'accomplissaient, non plus dans les anciens sanctuaires, mais près des églises et comme sous l’invocation des confesseurs et des martyrs. À cela ajoutons les croix dressées par le fanatique Adalbert sur l'emplacement des temples païens récemment détruits, les prédications d'évêques et de prêtres sans mandat, qui erraient à l'aventure et s'abandonnaient à tous les caprices d'une imagination exaltée. Telle était la situation religieuse sous Charles Martel : on chercherait inutilement l'intention sacrilége de relever le pa- ganisme; on ne trouve que le parti pris d'abolir le clergé romain. Pour exprimer toute notre pensée, le maire d'Austra- sie, Charles Martel, commit contre le clergé romain les mêmes violences que le maire de Neustrie, Ébroin, avait exercées contre le clergé franc. Tant qu'il vécut, personne n'osa se plaindre, et je ne sache pas qu'aucune sentence ecclésiastique l'ait frappé. Mais Trèves, qui fut comme prise d'assaut et gardée pendant quarante ans par l'évêque guerrier Milon, a consigné dans ses annales les souffrances qu'elle eut à endurer. Au siècle suivant, Hincmar, trouvant à Reims les traces sanglantes de ce pontife étrange, a interprété à sa manière ces événements. Mais, après avoir dit que les évêchés furent donnés aux séculiers, il est bien forcé de reconnaître que Milon, « laïque par les mœurs, l'habit et l’impiété, » portait la tonsure et était vraiment clerc. Il invoque ensuite les idoles relevées principalement en Austrasie, et nous savons dans quelle mesure il est exact (1). Plus tard encore, ce n'est pas à Milon, mais à Charles Martel lui-même que s'adressèrent les imprécations. Saint Eucher ipse paterfamiliæ, precatus deos cœlumque suspiciens, ter singulos tollit, sublatos secundum impressam ante notam interpretatur... Et illud quidem etiam hic notum, avium voces volatusque interrogare. Proprium gentis equorum quoque præsagia ac monitus experiri. » (Tacir. De mo- ribus Germanorum, c. 10.) @) Gallia christiana. LOL — 268 — " prétendit l'avoir vu distinctement « tourmenté dans l'enfer, par l'ordre des saints, pour avoir dépouillé les églises de leurs biens et s'être par là rendu coupable des péchés de tous ceux qui les avaient dotées (!)..» Mais l'évêque d'Orléans pouvait bien s'inspirer des ressentiments des Gallo-Romains. Une grande circonspection est nécessaire dans l'examen de ces légendes. Ébroïn, béni par saint Ouen,- n':5‘-il pas précipité par l’anonyme d'Autun, d'ailleurs très sincère, « dans une double mort ? » Un autre hagiographe n'’a-t-il pas apercu « les noirs esprits de l’abîme entraînant à travers les flots le roi Dagobert, lié sur une barque, et le frappant de coups pour le précipiter dans l'empire de Vulcain, tandis que les bienheureux martyrs saint Denis, saint Maurice et le saint confesseur Martin réclamaient à grands cris la délivrance de ce roi (2)? » Je soupçonne fort les noirs esprits de l’abime d'avoir été tout simplement les amis un peu trop zélés de Pépin l'Ancien. Charles Martel eut le même bonheur et la même infortune que Dagobert : le Gallo-Romain Eucher le maudit; mais le Saxon Winfried reconnaît que « sans Jui. il ne pourrait ni di- riger le peuple, ni défendre les prêtres, ni interdire les super- stitions des païens et le culte sacrilége des idoles (#). » L'un de nos plus grands historiens a retracé l’héroïque carrière du moine Winfried (‘). Il nous l'a montré parcou- rant en tous sens l'Allemagne. Nous ne voulons le consi- dérer ici que comme l'un des bienfaiteurs de l'Austrasie. Colomban avait frappé au cœur le paganisme. Winfried con- stitua le christianisme. Le succès de sa mission ne s'explique @) Voir la Vie de saint Eucher. évéque d'Orléans. () Voir la Vie de Dagobert. (*) « Sine patrocinio principis Francorum nec populum regere, nec presbyteros vel diaconos, monachos vel ancillas Dei defendere possum, nec ipsos paganorum ritus et sacrilegia idolorum in Germania sine illius mandato ac timore prohibere valeo. » (Epist. S. Boxtracu, XIL) (*) M. Miexer, dans le célèbre mémoire intitulé : La Germanie aux huitième et neuvième siècles, sa conversion au christianisme et son intro- duction dans la société civilisée de l'Europe occidentale. — 269 — pas uniquement par son génie et ses vertus. Pour convertir entièrement les Germains, il fallait un Germain. Le maire du palais, qui aurait refusé sa confiance et sa protection à un étranger, les accorda sans mesure à un compatriote que la Pro- vidence lui envoyait d'une contrée lointaine. Mais c’est surtout sous Carloman que l'influence de Win- fried fut à son comble. Le fils aîné de Charles Martel, que l'histoire nomme à peine, rappelait par plus d’un trait son aieul Arnoul. Il donna toute son attention à la question reli- gieuse. Le rude Gewillieb, qui avait versé le sang pour venger la mort de son père, dut céder le siége de Mayence à l'irré- préhensible saint Boniface. Celui-ci, qui était comme le trait- d'union entre Rome et la Germanie, devenu, de l’aveu du saint-siége , le primat d’une nation immense, mais incohé- rente, vit bien qu'au lieu de disperser cà et là ses efforts, 1l fallait les concentrer sur l’Austrasie. Il emprunta à la Gaule romaine une institution que les évêques francs avaient laissé dépérir. Il réunit le concile de Leptines, et pansa les plaies d'une Eglise si meurtrie depuis l'invasion arabe et la ruine de Luxeuil. Il obtint une réforme aussi radicale que celle que réalisa plus tard Hildebrand. Il mit à la raison tous les évêé- ques usurpateurs où simoniaques, sauf toutefois le sauvage Milon, l'insaisissable sanglier des Ardennes. Il fit prévaloir dans tous les monastères l'ordre de Saint-Benoît, domptant ainsi ces Alamans et ces Bavaroïs et ces Francs, qu'il traitait lui-même de charnels et de bornés. Cela fait, Carloman fran- chit les Alpes et se retira au mont Cassin ; Winfried passa le Rhin et subit le martyre. Sous leurs auspices, l’Austrasie, et conséquemment l'Allemagne, avaient pris la physionomie qu'elles conservèrent durant tout le moyen âge : le caractère sacerdotal allait s'accentuant. Pépin le Bref, qui recueillait leur précieux héritage, eut toujours les yeux fixés sur la Neustrie, parce que là se trou- vait la tradition de la royauté. C’est à Saint-Denis qu'il saisit 19 — 270 — la couronne que lui conférait le pape, à la demande des évé- ques austrasiens. Le progrès des Mérovingiens aux Carolingiens est incon- testable. La première de ces dynasties, née de l'invasion, avait une origine toute barbare ; la seconde sortait d’un peuple déjà en grande partie fixé au sol. L'Eglise consacrait plutôt qu'elle ne créait sa légitimité. | L'œuvre principale de Pépin fut d'accomplir pour la société laïque ce que Carloman avait fait pour l'Eglise. S'appuyant sur les décrets des conciles auxquels il assistait, il renouvela, mais avec succès, la tentative de Brunehaut. La famille ger- manique se trouvait encore à l’état rudimentaire ; il n’y avait dans les mariages et dans les successions point d'ordre établi: témoin la maison d'Héristall elle-même, à l’avènement de Charles Martel. C'est désormais sous forme de commande- ments de l'Eglise et non d'articles de loi que le prince énonce ses arrêts et ses exhortations ; car il exhorte souvent, et il n’a pas toujours sur les lèvres la menace qui provoque quelque- fois et souvent indique la résistance (‘). Nous ne faisons que signaler cet intéressant point de vue. , Pour parfaire l'Austrasie et pour commencer sérieusement l'Allemagne, il fallait ou une longue succession de princes intelligents, ou un grand homme qui mît en œuvre tous ces éléments de civilisation accumulés depuis deux cent cinquante ans par les Colomban, les Arnoul, les Pépin et les Winfried. Cet homme se rencontra, il y a cette année même onze siècles, en Austrasie et dans la famille d'Héristall (24 septem- bre 768). Deux grandes nations se disputent Charlemagne et ont sur lui des droits, à notre avis, fort inégaux. Le Charlemagne de la légende est bien français; le Charlemagne de l'histoire est surtout allemand. Il était scrupuleusement fidèle aux mœurs () Voir-les Capitulaires de Pépin, peu étudiés jusqu'ici, mais que Charlemagne lui-même rappelle avec de vifs éloges. — 271 — austrasiennes. L'équitation, la chasse, les plaisirs de ses an- cêtres, étaient aussi les siens. Il revêtait le costume national et n’en portait point d'autre, gaulois ou romain. Il ne se dis- tinguait extérieurement des Germains de Tacite que par son extrême sobriété (t). Ce guerrier, qui était obligé de parcourir sans cesse l’ancien monde, ne se plaisait qu'aux rives du Rhin et de la Meuse. Des considérations supérieures le conduisirent quatre fois à Rome. Cette éloquence « abondante et inépui- sable (?), » c’est en tudesque qu'elle s’exprimait avec le plus d'éclat. S'il avait appris le latin, c'est que le latin était la langue de l'Eglise et de la civilisation. I1 convient de nous le représenter, non pas tel que l'imagination des peuples se l'est figuré, sous des traits qui n’ont rien à faire avec l’histoire, mais tel que nous l’a montré un ami et un témoin de tous les instants, « avec un air de grandeur et de dignité, une dé- marche ferme, des dehors mâles, une physionomie riante et agréable (%). Il était véritablement né pour les liaisons d’a- mitié ;. facile à les contracter, il les entretenait avec la plus grande constance, avec une espèce de religion (‘). » Voilà bien, enr effet, le Germain, ainsi qu'il devait être au moment où ses (4) Pour la légende de Charlemagne, voir le livre récent de M. Gaston Paris. — « Exercebatur assidue equitando ac venando, quod illi genti- licium erat.. Vestitu patrio, id est francisco, utebatur... Peregrina vero indumenta, quamvis pulcherrima, respuebat, nec unquam eis indui patiebatur. In cibo et potu temperans, sed in potu temperantior, quippe qui ebrietatem in qualicumque homine, nedum in se ac suis, plurimum abominabatur. » (Ernxarpr Vila Karoli Magni, c. 23-24.) (2) « Erat eloquentia copiosus et exuberans.. Nec patrio tantum ser- mone contentus. » (/d., c. 25.) (#) « Corpore fuit amplo atque robusto, statura eminenti, quæ tamen justam non excederet, apice capitis rotundo, oculis prægrandibus ac vegetis, naso paululum mediocritatem excedenti, canitie pulchra, facie læta et hilari. Unde formæ auctoritas ac dignitas tam stanti quam sedenti plurima adquirebatur.….. Incessu firmo, totoque corporis habitu virili. » (1d., c. 22.) (*) « Erat enim in amicitiis optime temperatus, ut eas et facile admit- teret et constantissime retineret, colebatque sanctissime quoscumque hac affinitate sibi conjunxerat. » (Id., c. 19.) — 272 — passions, enfin réglées, se subordonnaïent à ses nobles ins- tincts et à sa puissante réflexion. | Par une coïncidence singulière, lorsque Charlemagne était proclamé roi des Francs, les Etats qui avaient formé ce que nous avons appelé la Germanie extérieure étaient anéan- tis : les Visigoths, qui avaient donné à l’Austrasiè la reine Brnnehaut, venaient de périr sous les coups des Arabes; la Neustrie venait de s'éteindre; la main de Charlemagne s’ap- pesantissait déjà sur les Lombards, les derniers survivants ; les cloîtres étaient remplis de ces rois étiolés, privés de leur chevelure et de leurs honneurs. L'Austrasie et la maison d'Héristall restaient seules debout, parce que seules elles étaient viables et utiles. Elles justifièrent bien vite cette domi- nation qu'elles avaient conquise. L'œuvre principale du roi franc fut, comme on l'a montré, la soumission, la conversion et la civilisation des Saxons, ces Germains du nord, en qui devaient briller plus tard les qua- lités d’une grande race. Tel est le but : en dehors, nous ne voyons que des moyens appropriés à la fin. Ses auxiliaires furent les guerriers austrasiens et les évêques austrasiens. Pour se donner une .armée digne de sa mission, il fit des règlements simples et précis. Il n’y eut plus de déplacements inutiles. Les comtes furent chargés de fournir les armes né- cessaires. Chaque homme libre, propriétaire de quatre manses, dut être prêt à marcher et à s’approvisionner pour trois mois (!). Telle était l’ardeur guerrière de la nation, que Char- lemagne dut dépasser de beaucoup le cercle, déjà si vaste, tracé par ses aïeux dans leurs incessantes expéditions. Pépin d'Hé- ristall avait atteint Paris; Charles Martel, Narbonne; Pépin le Bref, Ravenne ; Charlemagne atteignit l'Oder, le Danube, le Tibre et l'Ebre. I disposait aussi de la milice des moines et des évêques () Voir les Capitulaires de Charlemagne. — 273 — formés dans les abbayes de Prüm, de Corbie et de Remire- mont, et il les entraîna à la suite de ses armées jusqu’au fond de la Germanie. Ces missionnaires avaient un caractère pro- fondément germanique. Ils différaient tout à fait des Grecs, ces maîtres dans l’art de la parole, qui affrontaient, comme Irénée, toutes les subtilités de la controverse; des Romains, tels que les sept qui conquirent la Gaule, stratégistes religieux consommés, formés à l’école de l’immortel sénat; des Celtes enfin (saint Colomban entre autres), qui procédaient par sail- lies et par bonds, et faisaient des brèches de tous les côtés. Ils avaient, avouons-le, la dureté austrasienne. Ils recouraient sans scrupule aux glaives des guerriers, qui projetaient sur les croix leurs terribles clartés. Mais, on ne saurait le nier, seuls ils pouvaient triompher de leurs anciens coréligionnaires. Ils fondèrent huit évêchés, huit places fortes dont la plus éloi- gnée était Hildesheim, entre l'Elbe et le Wéser, et contre les- quelles vint se briser le paganisme national des Saxons. C'est ainsi que Charlemagne mena à bonne fin ce qu'avait essayé le généreux fils de Dr':sus ; il rattacha la Germanie à la civilisation romaine, en triomphant d'un autre Hermann, l'héroïque Witikind. Mais combien furent changées les destinées de l'Allemagne! Si elle eût été disciplinée par la Rome impériale, elle eût perdu en grande partie ses qualités propres, elle eût traversé bien des phases qui les auraient compromises. Civilisée par les siens, elle conservait sa physionomie, ses allures, son esprit tout entier. Elle passait immédiatement au christianis- me, à un.christianisme sévère, exempt des réminiscences de la Grèce et de la Rome païennes. Les limites de l'Allemagne, une fois déterminées par la réu- nion de tous les peuples d'origine germanique sous le même sceptre, et par l'établissement de marches redoutables, Char- lemagne voulut faire de l’Austrasie un foyer lumineux, d'où la civilisation rayonnerait en tous sens. Pour atteindre ce but, il ne recourut point à la simple action — 274 — administrative. En cela, il comprit admirablement le génie de son peuple. La grande institution utilisée et transformée par lui, c'est celle des champs de Mars. Pour nous rendre compte de ce qu'elle était autrefois et de ce qu'elle devint alors, citons le grand historien romain et un illustre évêque du 1x° siècle. Tacite dit : « Les petites affaires sont soumises à la délibé- ration des chefs, les grandes à celle de tous. Et cependant, celles mêmes dont la décision est réservée. au peuple sont au- paravant discutées par les chefs. On se rassemble, à moins d'un événement subit etimprévu, à des jours marqués, quand la lune est nouvelle ou quand elle est dans son plein; ils croient qu on ne saurait traiter les affaires sous une influence plus heureuse... Un abus naît de leur indépendance, c'est qu'au lieu de se rassembler tous à la fois, comme s'ils obéis- saient à un ordre, ils perdent deux ou trois jours à se réunir. Quand l'assemblée paraît assez nombreuse, ils prennent séance tout armés. Les prêtres, à qui est remis le pouvoir d'empêcher le désordre, commandent le silence. Ensuite le roi, ou celui ‘des chefs que distingue le plus son âge, ou sa noblesse, ou ses exploits, ou son éloquence, prend la parole et se fait écouter par l’ascendant de la persuasion, plutôt que par l’autorité du commandement. Si l'avis déplait, on le repousse par des mur- ‘mures; s’il est approuvé, on agite les framées. Ce suffrage des armes est le signe le plus honorable de leur assentiment. On peut aussi accuser devant le conseil public et y poursuivre des affaires capitales... On choisit dans ces mêmes assem- blées des chefs qui rendent la justice dans les cantons et les villages (!). » () « De minoribus rebus principes consultant, de majoribus omnes; ita tamen ut ea quoque, quorum penes plebem arbitrium est, apud principes pertractentur. Coeunt, nisi quid fortuitum et subitum inci- derit, certis diebus, quum aut inchoatur luna aut impletur : nam agen- dis rebus hoc auspicatissimum initium credunt..…. Ilud ex libertate vitium, quod, nos simul, nec ut jussi, conveniunt, sed et alter et tertius r Lie — 27 — Hinemar s'exprime ainsi : « C'était l'usage de ce temps de tenir chaque année deux assemblées... On soumettait à l'exa- men et à la délibération des grands les articles de loi que le roi lui-même avait rédigés par l'inspiration de Dieu, ou dont la nécessité lui avait été manifestée dans l'intervalle des réu- nioris.. Après avoir recu ces communications, ils en délibé- raient un, deux ou trois jours, ou plus, selon l'importance des affaires. Des messagers du palais, allant et venant, recevaient leurs questions et rapportaient leurs réponses. Les seigneurs laïques et ecclésiastiques siégeaient ensemble où séparément, selon la nature des affaires qu'ils avaient à traiter, ecclésias- tiques, séculières ou mixtes. Pendant que les affaires se traitaient de la sorte, hors de la présence du roi, le prince lui- même, au milieu de la multitude venue à l'assemblée générale, était occupé à recevoir les présents, saluant les hommes les plus considérables, s'entretenant avec ceux qu'il voyait rare- ment, témoignant aux plus âgés un intérêt affectueux, s'é- gayant avec les plus jeunes... Sa seconde occupation était de demander à chacun ce qu'i avait à lui rapporter ou à lui apprendre sur la partie du royaume dont il venait. Non seu- lement cela leur était permis à tous, mais il leur était étroite- ment recommandé de s'enquérir dans l'intervalle des assem- blées de ce qui se passait au dedans ou au dehors du royaume. Si ceux qui délibéraient sur les matières soumises à leur examen en manifestaient le désir, le roi se rendait auprès d'eux, y restait aussi longtemps qu'ils le voulaient, et là ils dies cunctatione coeuntium absumitur. Ut turba placuit, considunt armati. Silentium per sacerdotes, quibus tum et coercendi jus est, imperatur. Mox rex, vel princeps, prout ætas cuique, prout nobilitas, prout decus bellorum, prout facundia est, audiuntur, auctoritate sua- dendi magis quam jubendi potestate. Si displicuit sententia, fremitu adspernantur : sin placuit, frameas concutiunt. Honoratissimum assen- sus genus est, armis laudare... Licet apud concilium accusare quoque et discrimen capitis intendere.. Eliguntur in üisdem conciliis et prin- cipes, qui jura per pagos vicosque reddant. » (Tacrr. De moribus Ger- manorum, c. 11 et 12.) . . — 276 — lui rapportaient, avec une entière familiarité, ce qu'ils pensaient de toutes choses, et quelles étaient les discussions amicales qui s'étaient élevées entre eux (1). » On voit par là ce qui sépare une assemblée civilisée d'une assemblée barbare. Plus de superstition, plus de désordre. La x “ délibération et la décision étaient attribuées à ceux qui en étaient dignes et qui formaient un. véritable sénat. Mais tous les hommes libres avaient une légitime part d'influence. Charlemagne appelant à lui les plus humbles, et leur de- mandant des avis, est à coup sûr un grand spectacle dans ce premier et naïf élan de la civilisation germanique. Il centra- lisait par cette méthode, non pas l'administration , ce qui est parfois un défaut, mais les idées, ce qui est toujours excellent. C'est en interrogeant la multitude, dont son génie dégageait () « Consuetudo autem tune temporis talis erat, ut non sæpius, sed bis in anno, placita duo tenerentur. Proceres vero prædicti.... mox auctoritate regia per denominata et ordinata capitula, quæ vel ab ipso per inspirationem Dei inventa, vel undique sibi nuntiata post eorum abscessum præcipue fuerant, eis ad conferendum vel ad considerandum patefacta sunt. Quibus susceptis, interdum die uno, interdum biduo, interdum etiam triduo, vel amplius, prout rerum pondus expetebat accepto, ex prædictis domesticis palatii missis intercurrentibus, quæque sibi videbantur interrogantes responsumque accipientes... Interim vero, quo hæc in regis absentia agebantur, ipse princeps reliquæ multitudini, in suscipiendis muneribus, salutandis proceribus, confabulando rarius visis, compatiendo senioribus, congaudendo junioribus..…, ita tamen, ut quotiescunque segregatorum voluntas esset, ad eos veniret, similiter quoque quanto spatio voluissent cum eis consisteret, et cum ommi familiaritate, qualiter singula reperta habuissent referebant, quantaque mutua hinc et inde altercatione vel disputatione, seu amica contentione decertassent, apertius recitabant...…. Qui cum separati (clerici et laïci) a ceteris essent, in eorum manebat potestate, quando simul vel quando separati residerent, prout eos tractandæ causæ qualitas docebat sive de spiritualibus, sive de sæcularibus, seu etiam commixtis.. Secunda au- tem ratio regis erat, interrogatio quid unusquisque, ex illa parte regni qua veniebat, dignum relatu vel retractatu secum adferret, quia et hoc eis non solum permissum, verum etiam arctius commissum erat, ut hoc unusquisque studiosissime, usque dum reverteretur, tam infra quam extra regnum perquireret.» (Hincmuarus Remensis Ad proceres regni, pro institulione Carolomanni regis, et de ordine palatii ex Adalardo.) — 271 — lés pensées obscures, que Charlemagne concevait ses Capitu- laires ; c'est en les faisant sanctionner par les évêques et par les comtes dépositaires de l'autorité, qu'il en assurait l’exécu- tion. Ces Capitulaires ont été l'objet de bien des études. On est frappé de la mulüplicité et du désordre des matières ; mais cette multiplicité montre l'étendue de la pensée du souverain, et ce désordre n'accuse ni confusion ni incohérence. Ce n'est pas à dire qu'une législation véritable soit sortie de ces tra- vaux à chaque instant laissés et repris. « Il concut le dessein, dit Eginhard , d'ajouter aux lois des Francs ce qui leur man- quait , d'en retrancher les contradictions et d'en corriger les vices et les mauvaises applications. Mais ce projet n'aboutit qu à les augmenter d’un petit nombre de capitulaires qui sont * demeurés imparfaits. Cependant il ordonna que toutes les lois non écrites des peuples vivant sous sa domination fussent re- cueillies et rédigées (1). » La Germanie avait moins besoin de codes que de juges instruits et s'inspirant de la haute et large équité du prince. A la justice irrégulière des plaids barbares, il substitua des tri- . bunaux composés d'échevins, qui siégeaient sous la présidence des comtes. A vrai dire, toute cette administration, y compris les missi, avait pour but supérieur d'établir le règne des lois dans la nouvelle société. À Mais pour prendre du grand roi austrasien une haute idée, il convient d'étudier ce que M. Guizot appelle sa législation morale (*). C'était une grande nouveauté qu'un prince ger- main se fit linitiateur bienveillant de ses peuples et songeût à les gouverner, non plus par la terreur, mais par la persua- sion. (1) « Cogitavit quæ deerant addere et discrepantia unire, prava quoque ac perperam prolata corrigere; sed de his nihil aliud ab eo factum est, nisi quod pauca capitula, et ea imperfecta, legibus addidit... Item barbara et antiquissima carmina, quibus veterum regum actus et bella cane- bantur, scripsit memoriæque mandavit. » (Ernaarpt Vila Aaroli Magni, G: 291) , (@) Histoire de la civilisation en France, leçon 21°, — 278 — La nation qui se montre digne d'une législation si douce- ment impérative n’est pas loin de parvenir à la vie intellec- tuelle. Ici, comme en toutes choses , le souverain devanca ses sujets. Doué d'une mémoire prodigieuse , il apprit, sans le secours de l'écriture , la grammaire, la rhétorique, la dialec- tique , le calcul et l'astronomie. « Passionné pour les arts libéraux, rappelle son historien , il eut toujours en grande vénération et combla de toutes sortes d’honneurs ceux qui les enseignaient {‘). Un hasard heureux lui fit rencontrer, et sa pénétration ne laissa pas échapper, celui qui devait être « son premier ministre intellectuel (?). » Alcuin, formé à l'école d'York, la plus florissante de la chrétienté, dont il fut le chef, possédait une érudition étonnante pour l'époque. Il était, comme professeur, animé d'un zèle incomparable. Mais c’est sa naissance qui le désignait, comme Winfried, à un grand rôle en Austrasie et en Allemagne. Saxon, il parlait la langue des Germains. Leur sympathie lui était acquise : 1l les convia à l'étude. La famille impériale fut le noyau d’une classe tous les jours agrandie, et dont le premier élève était Charlemagne lui-même, qui, à soixante ans, ne dédaignait pas d'apprendre à écrire. Alcuin rédigeait pour son enseignement des catéchismes où les définitions n'avaient rien de précis ni de méthodique, mais qui piquaient l'attention par une certaine originalité : Qu'est-ce que la parole ? L'interprète de l’âme ; — Qu est-ce que la langue ? Le fouet de l'air; — Qu'est-ce que le jour ? Une provocation au travail (f). Quand l'école du palais eut fait ses preuves, Alcuin et Charlemagne n hésitèrent plus. Ils avouèrent hautement leur @) « Artes liberales studiosissime coluit, earumque doctores plurimum veneratus, magnis afficiebat honoribus. » (Ernxarpr Vita Karoli Magni, c. 25.) (2) Expression de M. Guizor : Histoire de la civilisation en France, leçon 21. £ (8) Cité par M. GuizoT, même leçon. — 279 — intention de « relever la culture des lettres, qui avaient presque entièrement péri par l'inertie de leurs ancêtres, » et « d’exciter, par leur exemple même, à l'étude des arts libéraux tous ceux qu'ils y pourraient attirer (!)}. » Enfin parut le fameux capitulaire de 789, qui établit des écoles auprès des monastères, et qui est comme l’acte de naissance de la civili- sation allemande (?). Les plus célèbres établissements furent ceux de Tours pour la Gaule, d'Aix-la-Chapelle pour l'Aus- trasie, et de Fulde pour l'Allemagne proprement dite. @) « Igitur quia curæ nobis est, ut nostrarum ecclesiarum ad meliora semper proficiat status, obliteratam pene majorum nostrorum desidia reparare vigilante studio litterarum satagimus officinam, et ad pernos- cenda studia liberalium artium nostro etiam.quos possumus invitamus exemplo. » (Encyclica de emendatione librorum et officiorum ecclesias- ticoruin, anno 782.) (2) Nous avons un précieux exposé des motifs, sous le titre d'Ency- clique sur la culture des lettres (l'an 787) : « Notum igitur sit Deo pla- citæ devotioni vestræ, quia nos, una cum fidelibus nostris, consideravimus utile esse ut episcopia et monasteria..…. etiam in litterarum meditatio- nibus, eis qui donante Domino discere possunt, secundum uniuscujus- que capacitatem, docendi studium debeant impendere... Quamvis enim melius sit bene facere quam nosse, prius tamen est nosse quam facere.….. Tales vero ad hoc opus viri eligantur, qui et voluntatem et possibili- tatem discendi et desiderium habeant alios instruendi.. » — Voici le texte du Capitulaire (2 71) : « Sed et hoc flagitamus vestram almitatem, ut ministri altaris Dei suum ministerium bonis moribus ornent, seu alii canonici observantiæ ordines, vel monachici propositi congregationes obsecramus, ut bonam et probabilem habeant conversationem, sicut ipse Dominus in Evangelio præcipit : «Sic luceat lux vestra coram homi- nibus, ut videant opera vestra bona, et glorificent Patrem vestrum qui in cœlis est; » uteorum bona conversatione multi protrahantur ad servi- tium Dei. Et non solum servilis conditionis infantes, sed etiam inge- nuorum filios adgregant sibique sociant. Et ut scolæ legentium puerorum fiant. Psalmos, notas, cantus, compotum, grammaticam per singula monasteria vel episéopia, et libros catholicos bene emendatos; quia sæpe dum bene aliqui Deum rogare cupiunt, sed per inemendatos libros male rogant. Et pueros vestros non sinite eos vel legendo vel scribendo corrumpere. Et si opus est evangelium, psalterium et missale scribere, perfectæ ætatis homines scribant cum omni diligentia. » — L'article 71 est adressé à tous les prêtres. Le Capitulaire lui-même est appelé Capi- tulaire ecclésiastique. Il est daté d'Aix-la-Chapelle (23 mars 789). — 280 — Alors se produisit un mouvement intellectuel vraiment admirable, si on l'envisage, non pas comme une renaissance, mais comme l'élan spontané d’un, peuple qui s'ébranle et se met en marche. Si les considérations que nous avons présentées ne sont pas vaines, c'est l'Austrasie qui a dû fournir les savants les plus remarquables et les plus nombreux. Dans ce pays, où l'on avait défini la parole « la gardienne de l'histoire , » et où la maison d'Héristall avait accompli de si grandes actions, s'éle- vèrent trois historiens qui méritent nos éloges et notre respect. Eginhard raconta la vie de Charlemagne; Thégan, le règne de son fils; Nithard, les dissensions de ses petits-fils. Adalhard, Wala, Amalaire, surtout Raban Maur, abbé de Fulde et archevêque de Mayence, jetèrent un vif éclat. L'Austrasie fut le rendez-vous de tous les Germains appar- tenant aux différents royaumes dont elle avait recueilli les débris : Agobard, archevêque de Lyon, venait d'Espagne ; Théodulf, évêque d'Orléans, d'Italie ; Anségise, auteur d'un recueil des Capitulaires, de Bourgogne ; Angilbert, surnommé l'Homère, de Neustrie. Les nouvelles provinces participaient à cet éveil universel : témoins Leidrade, l'un des missi domi- nici; Walfried, abbé de Reichenau. Parmi ceux que nous venons de nommer, quelques-uns écrivirent des poésies, mais la plu- part firent profession de théologiens. Cette tendance est curieuse à noter. Presque au lendemain de la mort de Char- lemagne, parut le Saxon Gottschalk, compatriote et précurseur lointain de Luther, qui mit en avant la fameuse théorie de la prédestination. Tous ces Germains écrivaient en latin , car le tudesque ne s'était pas encore élevé à la dignité de langue littéraire. Mais Charlemagne portait déjà plus haut et plus loin ses espérances. Il ordonna d'écrire, pour les transmettre à la postérité, les poèmes antiques et barbares dans lesquels les actions et les guerres des anciens rois étaient célébrées. Il fit encore com- mencer une grammaire de sa langue nationale, et donna des — 281 — noms tirés de cet idiome à tous les mois de l’année. C'est en Austrasie, à Strasbourg, que fut rédigé le fameux serment, premier monument de la langue allemande. Si l’on songe que le rôle des Gallo-Romains à cette époque (Benoît d’Aniane toutefois excepté) est presque nul, on avouera que Charles le Grand fut pour l'Allemagne le père des lettres. Quand on raconte l'histoire de Charlemagne, on songe trop à l'empereur d'Occident, pas assez au roi d'Austrasie. Nous ne voulons pas lui dénier l'honneur d’avoir jeté les fonde- ments des grands Etats modernes ; mais ce n’est ni la France, ni l'Italie, ni l'Espagne, qu'il avait en vue, lorsqu'il accumu- lait ses campagnes et ses travaux. Son dessein était de créer l'Allemagne à l’aide des Francs austrasiens. Ses descendants, comme ses ancêtres, ont eu la même manière de voir. La dynastie carolingienne, Augustin Thierry l’a démontré, n’a pas pu devenir française. L’Austrasie a péri à son tour. La disparition de l’Austrasie explique la dissolution de l'empire carolingien, etil est inutile de chercher d'autres causes à ce grand événement. Or, ce sont les guerres incessantes soutenues par les deux Pépin et les deux Charles qui ont provoqué l’affaiblissement et la chute de l’Austrasie. La bataille de Fontanet fut pour elle le coup de grâce. Il n’est pas besoin de prouver que l’Austrasie ne pouvait pas conserver longtemps sa prépondérance en Allemagne et en Europe. Les Gallo-Romains, appelés à de nouvelles mais toujours glorieuses destinées, réagirent avec énergie. Alors l'Austrasie, pour me servir d'une expression de Montesquieu, devint frontière. De plus , la Germanie se civilisant , le centre n'était plus à Aïx-la-Chapelle., il était en Saxe. La Saxe se . substitua à l’Austrasie, comme celle-ci s'était substituée à la Neustrie. Mais la Franconie, d'où les Austrasiens étaient sortis, Conserva toujours un grand prestige. Ce n'est pas seulement notre nom de Français qui nous unit à l'Allemagne. Nous croyons avoir montré que c'est au ont le plus contribué à son avènement, nb. Winfried, Charlemagne, Alcuin, ont séjourné parm: _rendu à notre patrie d'éclatants services. SRE DE QUELQUES COUTUMES, PROVERBES ET LOCUTIONS DU PAYS DE SALINS Par M. CHARLES TOUBIN Professeur d'histoire au Collége arabe d'Alger. Séance du 16 mai 1868. Grâce aux patients et habiles travaux de MM. Dartois, Tissot et autres honorables écrivains comtois, nous possédons des glossaires locaux déjà fort riches et qui, sous le rapport de l'exécution philologique , me paraissent ne laisser que peu de chose à désirer. Ne pourrait-on pas étendre ces mêmes recherches à d’autres objets encore ? Il me semble qu'à côté de ces utiles recueils, il y en aurait un autre à faire, recueil qui, à mon avis, devrait comprendre : 1° Certains mots traités cette fois non plus seulement philo- logiquement, mais en quelque sorte archéologiquement, c’est- à-dire au point de vue des faits auxquels ils doivent leur origine ; 2° Les dictons et proverbes de notre pays ayant de même trait à des événements historiques ; 3° Ce qui reste dans notre province des anciennes pratiques et coutumes. : Si on me le permet, j'essaierai dès aujourd’hui d'apporter à cette œuvre mon faible tribut, qui se bornera à un certain nombre de faits recueillis à Salins et dans les environs de cette ville. — 284 — Eloigné du pays et ne pouvant faire appel qu'à ma mémoire, je serai nécessairement incomplet dans ce premier travail ; mais j'espère pouvoir y revenir bientôt et combler les lacunes. L Mots anciers. A MA MALEMPTION. — Ce mot est d'Ivory {canton de Salins ; il signifie à mes dépens {mala emptio). À Cernans, les villageois disent de même mésemption. Ce vocable n’a rien d'historique, non plus que quelques autres qui suivent; mais ne l'ayant trouvé dans aucun lexique comtois, j'ai cru devoir le men- tionner ici à cause de sa haute antiquité. : Gour-DE-CoNcHES. — Près de Salins est une jolie cascade que les habitants de cette ville nomment Gou-de-Conches, et ceux de la banlieue Gour-de-Conches, en faisant sonner forte- ment la liquide. Cette dernière forme me paraît la bonne, et je remarque qu'à Rennes ( Doubs) le gouffre d'eau que les Salinois désignent sous le nom de Gou-d’Anteny, est également appelé par les paysans Gour-d'Anteny. On sait qu'en général les campagnards adoucissent la prononciation des noms des lieux auxquels les citadins laissent au contraire toute leur rudesse native : Arc (Doubs), syncope probable d’Ariarica, en patois A; Charnay, patois Tsend, etc. Dans le cas qui nous occcupe, il y a non seulement dérogation à la règle, mais encore interversion des rôles. Que signifie le latin concha? coquille, grand vase, bassin par extension; or notre cascade se compose précisément de trois bassins superposés et s’épan- chant l’un dans l'autre. Gour-de-Conches n'est donc autre chose que gurges concharum , et jamais étymologie d'un nom de lieu n'a été mieux justifiée par la forme même de ce lieu. A Molain, une fontaine, dont le bassin en forts blocs de pierre est très ancien, s'appelle la Coinche, autre dérivé de concha. Un mot en passant à propos de gour. En Franche-Comté, une #nare d'eau se nomme, Comme on sait, gouille, mot qui — 285 — _ se retrouve dans la Suisse romande, en Savoie et en Dauphiné; et de même une simple flaque d'eau est appelée à Salins et dans le Berry un gouillat (ll mouillées). D'où vient ce mot de gouille? M. l'abbé Dartois, dont la sagacité habituelle me paraît ici en défaut, le rattache au bas breton poull, poulled; c'est aller chercher bien loin. Gouille est tout simplement le diminutif de gour ou de gou, diminutif qui à son tour a formé celui de gouillat. Gour, gouille, gouillat, gouffre d’eau, mare d'eau, flaque d’eau. : Baume au SoLIER. — Baume au Solier n'a pas été aussi heureux que gurges concharum. De tous les noms de lieux de la province, aucun n'a été défiguré d'une manière aussi ridi- cule. Cette Baume au Solier est une grotte située près de Salins et ornée d'un balcon naturel (solarium) donnant sur le vallon de la Furieuse. Nos vignerons, pour qui ce nom était de l’hébreu , commencèrent par le changer en celui de Bombe au Soulier; puis, la grotte se trouvant sur le tracé de l'embran- chement Dole-Salins, vint un ingénieur qui la dénomma, dans les papiers administratifs de la Compagnie, Rocher de la Savate. Pauvre grotie au balcon, où il faisait si bon humer à l'abri de la bise les premiers chauds rayons de février et de mars ! Non seulement l'accès en est barré aujourd’hui par le chemin de fer, mais on conviendra qu'il est triste, après avoir porté un nom presque poétique, d'en venir à s appeler Rocher de la Savate. Nous ne manquons pas à Alger d'exemples de méprises administratives de ce genre. C'est ainsi qu’une rue _ appelée avant 1830 par les Arabes Et Akhdar (la rue verte) est aujourd'hui la rue du Locdor, et qu’une autre nommée Ain Es-Sabath (fontaine de la voûte) s’est transformée en rue du Sabbat. Félicitons ces messieurs de l'administration ! DécomEer. — Une loi importante du langage populaire peut se formuler ainsi : Tout mot dont le peuple a perdu le sens est bientôt et inévitablement absorbé par le vocable qui s'en rapproche le plus par le son et la forme. C’est ainsi que ridi- cule (sac à ouvrage pour les femmes) a pris en intrus la place 20 — 286 — de réticule; qu'au risque de gâter affreusement son pied si mignon, Cendrillon s’est trouvée un beau jour chaussée de pantoufles de verre, au lieu des pantoufles de vair qu’elle avait coquettement portées jusque-là; qu'une personne qui est en sueur dit, avec l'approbation de l'Académie, qu’elle est en nage, tandis qu'en réalité elle n’est qu’en age (aqua), c'est- à-dire en eau; qu'en Franche-Comté, à fret qui, d’après M. Max Buchon, signifie fromage dans le canton de Fribourg, s'est substitué fruit pour engendrer malencontreusement fruitier (fromager); qu'Alsaciens et Lorrains, ayant perdw le sens du pur allemand vielliebchen (bien-aimé et bien-aimée), sont arrivés à dire, dans les salutations des jeunes couples fiancés de par les amandes jumelles : Bonjour, Philippe, au lieu de Bonjour, bien-aimé ou bien-aimée (!); que l’architec- ture gottique (Gott, Dieu), ainsi nommée parce qu'elle fut d'abord exclusivement religieuse, est devenue, pour la grande torture de nos chercheurs d'étymologies, l'architecture des Goths qui n'en ont jamais eu; que nous traduisons par royaume de l'Ouest le nom de Neustrie, qui probablement n’a jamais signifié que Pays-bas (?), etc., etc. Arrivons à notre mot décomer (*) ; nous aurons à enregistrer un quiproquo philologique de plus. () On connaît cet usage. Le jeune homme qui, dans un repas, trouve dans une amande deux noyaux, en offre un à la jeune fille de la com- paznie à laquelle il s'intéresse le plus, et dès ce moment ils ne s’abordent plus qu'en se disant, en Allemagne : Bonjour, bien-aimé, et en France : Bonjour, Philippe. (2) La Neustrie possédait l'embouchure de la plupart des rivières du pays franc. Pour arriver à pouvoir traduire ce mot par royaume de l'ouest, on est obligé de le décomposer en Me-oster Reich (royaume non de l’est), ce qui me paraît bien forcé. Neustrie vient, à mon avis de Neu, forme francisée du tudesque nieder (en bas), qui se retrouve dans Néerlande (Pays-Bas), et de Strich, étendue de pays. (8) On me pardonnera de revenir sur ce mot, ainsi que sur deux ou trois autres dont j'ai déjà traité ailleurs d'une façon plus ou moins détaillée; je ne pouvais les omettre dans ce recueil de nos locutions curieuses. — 287 — Qui ne connaît’ les locutions populaires : Pierre était un mauvais employé, on vient de le dégommer; Jean paraît ma- lade, il se dégomme tous les jours. Un seul mot et deux signi- fications. D'où vient ce terme, que la plupart des dictionnaires passent sous silence et que quelques-uns ne mentionnent qu'en le flétrissant comme populacier ? La gomme aurait-elle par hasard quelque chose à voir ici? Autant vaudrait rattacher * à colle le verbe décoller dans le sens de décapiter. « Comme il y a des hommes déchus, dit Génin dans ses Récréations philologiques (!), il y a aussi des mots déchus de leur ancienne fortune. On voit des gentilshommes conduire la charrue et l’on voit des mots qui, après avoir été longtemps de bon français, sont aujourd'hui devenus patois, les uns. et les autres relégués obscurément au fond d'une chaumière, méconnus , oubliés du monde entier, si ce n’est peut-être de quelque généalogiste ou fureteur d'étymologies. » À Ornans, décomer est encore employé par quelques vieilles personnes dans le sens de tondre, et on y appelle décomé l'in- dividu qui a perdu ses cheveux par une cause quelconque. L'étymologie frappe les yeux : xéun, chevelure, coma, même sens en latin. D’après M. Dartois, como signifie encore cri- nière, à Pontarlier ; enfin les Romains appelaient la Gaule chevelue Gallia comata. Remarquons qu'à Ornans l’o de déco- mer sonne bref absolument comme celui de xéun et de coma. Rien de plus fréquent d'autre part que l’adoucissement du c en g : cicoma, Cigogne ; secare, segment; second, qui se pro- nonce généralement segond, etc. Dégommer et décomer ne forment donc au point de vue du son qu'un seul et même mot. Cette question réglée, reste celle du sens, qui n'offre pas plus de difficultés. La perte des cheveux étant un signe constant d'affaiblissement physique , on a dit tout naturellement d'un individu dont les forces baissaient, qu’il se décomait, puis par abus qu'il se dégommait. La synonymie de décomer et destituer (4) Tome I, page 322. — 288 — n'a rien non plus qui doive nous surprendre, puisque aux époques mérovingienne et carolingienne, on commençait par décomer ou tondre les rois et chefs déposés avant de les enfer- mer dans des monastères. Citons encore ces paroles de Génin : « Combien d’autres mots qu'il serait aussi utile de connaître sont disséminés au hasard dans les anciennes provinces de la France où ils périssent obscurs et méprisés ! Ne serait-ce pas à l'Académie française à les rechercher et à leur donner place dans ce dictionnaire historique de la langue auquel on dit qu'elle travaille {‘). » Hélas ! L'Académie française a bien autre chose à faire et la conservation de la langue est bien le moindre de ses soucis ! S'ÉMAYER. — Encore un bon vieux mot ayant sa marque de fabrique et qui ne se retrouve plus, je crois, qu’à Salins et dans quelques parties de la Franche-Comté. Le sens est : s'effrayer d’une chose à faire. — Je dois une visite à M. X.; je m'émaie beaucoup pour la faire. C’est le s’esmoyer du xvi° siècle, qui, banni de Paris, s’est réfugié dans nos montagnes en com- pagnie de plus d’une autre bonne vieille locution, telle par exemple que le quand moi des Salinois. Pour exprimer la simultanéité de deux actions, l’ancien français disait quand et quand, ou d'une manière plus expéditive quand et. Salins a conservé cet archaïsme en l’abrégeant encore : Il est arrivé quand moi; je suis arrivé quand lui. Ellipse pour ellipse, il me semble que quand moi vaut bien notre en même temps que moi; il y a économie de trois mots, et c'est beaucoup pour la rapidité du discours, surtout quand il s'agit d'exprimer des faits simultanés. PROGER , VAIRIR , etc. — Nous avons à Salins bon nombre de mots sans équivalents dans le françaisofficiel : proger, déjà signalé par M. Dartois; vairir (en parlant du raisin, rac. vair), qui me paraît bien préférable à varier; jicler (jaculare) plus expressif que jaillir et lancer qui lui correspondent à peu (4) Récréations philologiques, t. I, p. 411. NT SRE — 289 — près en français; avanter, saisir un objet en portant la main en avant; dégotter, faire sortir laborieusement un objet de l'endroit où il est retenu, etc. La racine de ce dernier verbe se retrouve à Darnay (Haute-Marne), où un trou s'appelle un got. Vorre. — Les Salinois font un grand usage de cet explétif (dites voire, écoutez voire, voyons voire), à la grande surprise des étrangers qui prennent ce terme pour l'infinitif voir, tan- qu'il nest autre chose que l'adverbe ancien voire (vere), employé non plus toutefois dans le sens de méme (voire même), mais dans celui de vraiment et de mais : mais écoutez, mais voyons, dites vraiment. Il y a archaïsme, mais non solé- cisme. IL ÉLUDE. — Ce mot signifie à Salins : 1l fait des éclairs. Y aurait-il eu dans sa formation substitution d’eludere à elucere (faire des éclairs) ? Je ne le pense pas , car elucet eût donné il éluit, comme lucet il luit. Comment expliquer dès lors ce mot singulier ? Ne l'a-ton employé dans le principe qu'en pré- sence d'éclairs non suivis d'explosion de la foudre, et n'est-ce que plus tard et par ignorance de l'étymologie qu'il s’est trouvé appliqué à tous les phénomènes de fulguration ? Dans ce cas éluder aurait signifié d'abord : manquer son effet, et, comme diraient nos vignerons d'aujourd'hui, rater, faire long feu. Le sens du latin eludere ne répugnerait pas à cette inter- prétation. ARBORISTE. — Encore un mot très ancien et parfaitement français, qui s'est vu exclure du dictionnaire de l'Académie française par un affreux barbarisme qui s'y pavane ARE d'hui à sa place ! Tu veux faire ici l'arboriste Et ne fus jamais que boucher, ; avait dit cependant La Fontaine, et avant lui Rabelais : « Au lieu d'arboriser, ils visitaient les boutiques des drogueurs, herbiers et apothicaires. » Dans son Glossaire genevois, Hum- bert s'exprime ainsi : « Arboriser appartient au français popu- — 290 — laire.. Il se dit encore dans le Midi. » A Salins, le peuple ne connaît que la forme arboriste. Donc nul doute, nous avons bien ici l’ancienne forme. Le néologisme herboriste, qui a usurpé la place, est-il au moins un mot bien fait ? J'ouvre le premier dictionnaire venu, et je lis : « Herboriste, celui qui vend des simples, des herbes médi- cinales. » Des herbes médicinales! mais alors votre industriel doit s'appeler herbiste , et non herboriste. Où prenez-vous cet or que je trouve bien dans arbor, mais non dans herba ? Depuis quand le français a-t-il l'habitude de farcir de lettres parasites l'intérieur des mots pour le seul plaisir de les allon- ger ? Il fait précisément le contraire et ne se plaît qu’à con- tracter, syncoper, désosser les mots, et, comme dit Génin, à les éviscérer. Chacun sait que les anciens rendaient un culte particulier à certains arbres qu'ils tenaient pour sacrés. A Dodone, un de ces arbres paraît avoir eu des prètresses spéciales , dont les Héllènes, trompés par le double sens du mot ré: ont fait des colombes; c'est Strabon qui le donne à entendre. Deux pas- sages de Juvénal sont ici d’une haute importance. Dans l’un le satyrique nous montre une bande de Juifs locataires de la forêt sainte d'Aricie, et dont l’industrie consistait dans la vente d'herbes médicinales, car il me paraît impossible de traduire autrement le mot fœnum employé par le poëte : Judæis, quorum cophinus fænumque supellex (1). Dans le second passage, le même écrivain nous fait voir à Rome une magicienne également juive et égalément munie d'un cofjin rempli de simples : VAE Quum dedit ille locum, cophino fænoque relicto, Arcanam Judæa-etc. (2) Or quel nom Juvénal donne-t-il à cette marchande de dic- tames qui, selon toute apparence était à la tête de la bande de (1) Sat. III, v. 14. (3) Sat. VI, v. 542 et suivants. — 291 — Juifs que nous avons vus tout à l'heure exploitant les herbes de la forêt d'Aricie ? I] l'appelle grande prêtresse de l'arbre: Magna sacerdos Arboris ac summi fida internuntia cœæli. La Gaule avait comme Rome des arbres sacrés. Pourquoi ces arbres n'auraient-ils pas possédé aussi des prêtresses, marchandes de simples comme la juive de Juvénal? S'il n'y en avait pas avant la conquête, il dut y en avoir après, car les Gaulois empruntèrent à leurs vainqueurs une foule de cou- tumes. Enfin le mot arboriste (arborista), qui est tout latin, a très bien pu naître à Rome, et de là, comme tant d'autres, passer en Gaule. MAL DES FÉES, ARIE, AH! MALHEUREUX ! — Les Jurassiens ont trois exclamations populaires qui paraissent fort anciennes. Mal des fées (en patois mau des fa), Arie et Ah! malheureux ! Les deux premières appartiennent plus particulièrement à la ‘plaine et la troisième à la montagne. Mal des fées n'exprime plus aujourd'hui, à Salins et autour de Salins, que la simple sur; se et souvent même une surprise mêlée d'ironie : Jacques est bien pauvre — Mal des fées! c’est un paresseux; il n'a jamais voulu travailler. — Les gens du peuple ne comprennent plus depuis longtemps cette locution, et dès lors il n'est pas étonnant qu'ils l’'emploient hors de propos. Arie exprime aussi l'étonnement, mais un étonnement dou- loureux et accompagné de pitié : Nicolas vient de mourir — Arie! voilà sa femme et ses enfants dans de beaux draps! — M. Désiré Monnier cherche à expliquer ce terme par une invocation à une fée qu'il nomme tante Arie; j'y verrais plus simplement le mot aria, qui à Paris signifie encore contrariété ( Bescherelle et Lorédan Larchey), et à Salins embarras, malheur. Parlent-ils d'une chose heureuse à un titre quelconque, soit pour eux-mêmes, soit pour autrui, nos montagnards s’in- terrompent presque à chaque mot pour s’écrier : 4h! malheu- — 292 — reux ! interjection qui, dans le principe, a dù avoir pour but de neutraliser le mauvais œil et les influences jalouses des génies. C'est ainsi que dans la Grèce actuelle l'individu qu'on vient de louer, ou en faveur duquel des souhaits ont été exprimés, se hâte de se frotter d'ail pour échapper au cacodaimôn, et qu'en Corse la mère qui entend vanter son enfant s'empresse de lui cracher au visage pour détourner de lui l’action ma- ligne des Stryges. , II Dictons et proverbes. Des mots passons maintenant aux dictons et proverbes, en commençant par les plus modernes pour remonter ensuite aux. plus anciens. CE N’EST PAS LA MORT DE TURENNE. — Ce mot populaire, si flatteur pour la mémoire de l'éminent capitaine et du grand honnête homme , n’a pas dû naître dans notre province qui, au moment de sa mort, n'était pas encore définitivement française ; mais, venu du dehors, il s’est fortement implanté parmi nos populations qui le citent fort souvent : Allons, remettez-vous , c’est un malheur, mais ce n’est pas la mort de Turenne ! DIEU NOUS GARDE DE LA FAMINE ET DE LA GARNISON DE GRA- VELINES. — Qu'était-ce que cette garnison de Gravelines qui a laissé à Salins un si mauvais souvenir ? Sans doute quelque troupe flamande , brabançconne ou espagnole qui, venue de Gravelines en Franche-Comté, se sera conduite dans cette province comme en pays ennemi. Je me borne à consigner ce dicton, en regrettant de n'avoir point ici les moyens d'en rechercher l'origine. INSOLENT COMME LA CAPITULATION. — D'où vient encore cette étrange locution ? Contient-elle une allusion à quelque fait militaire particulier, ou n’a-t-elle trait qu'à la dureté des conditions que les lois de la guerre permettaient d'imposer, dans le bon vieux temps, à l'assiégé réduit à battre la chamade ? ab — 293 — | Capitulation n'aurait-il pas pris ici le nom de capilalion, par une de ces substitutions dont nous avons déjà rencontré tant d'exemples ? Questions que je me borne à poser sans avoir la prétention de les résoudre. ON NE VoIT PAS SAINTE EspranCE (Salins), c'est-à-dire il fait noire nuit, on ne voit pas à deux pas de soi. — Cette sainte Espiance n'était probablement que la police secrète de l'Inquisition. ENTRE LES DEUX NOTRE-DAME JAMAIS SERPENT N'A OSÉ SE MONTRER. — Ces deux Notre-Dame sont l’Assomption et la Nativité de la Vierge. Le serpent, qui est la prudence même, se garderait bien de paraître aux époques consacrées à celle qui a reçu mission de l’écraser sous son pied. Ce dicton est rare à Salins où je ne l'ai entendu qu'une ou deux fois. DoNNER UN COUP DE CHARRUE. — Cette locution est encore employée, dans certaines localités du Jura, avec le sens de delimiter. On sait qu'autrefois toute détermination de limites se faisait au moyen d'un sillon, pratique qui n'est aban- donnée peut-être que depuis longtemps. LE MOIS DE MAI FAIT DU BIEN A TOUTES LES FILLES. — Cet adage à je ne sais quel air païen qui me fait hésiter à le rap- porter au christianisme; mais en le supposant d'origine latine, comment le concilier avec ce vers d'Ovide ({) : Mense malas maio nubere vulgus ait. Rien de plus simple, si l'intention du poète eût été de dire que le mois de mai était entre tous favorable aux mariages et qu'à cette époque de l’année toutes les filles , jusqu'aux mau- vaises, trouvaient des épouseurs; mais j'ai peur que le texte ne répugne à cette interprétation. En Espagne, le mois de mai est regardé comme favorable pour les mariages. ÊTRE LE BOŒUr. — Ce dicton n’est probablement pas parti- culier à notre pays; cependant je ne le trouve dans aucun glossaire. Etre le bœuf signifie à Salins payer pour les autres, Q) Fastes, liv. V. ar es être le dindon de la farce, le bouc émissaire : souvenir mani- feste des sacrifices paiens à la suite d'une victoire ou de quelque autre événement heureux. Tout le monde était dans la joie, à l'exception du pauvre animal envoyé à la mort. N'AvOIR POINT D ÈME (Salins). Etre mou, n'avoir point de sang dans les veines. — Ëme n'étant pas et n'ayant jamais été à Salins le patois d'âme , je ne vois d'autre moyen de l'expli- quer qu'en le rattachant à alux, sang. Génin a posé la règle, selon moi beaucoup trop absolue, qu'en dehors des mots de formation savante, nul vocable grec ne s'est introduit dans le français qu'en passant par le latin. Je trouve à Salins ème, et près de Salins, à Valempoulières et à Montrond, poire dans le sens de chemin (xépos, chemin). Comment ces deux mots sont- ils venus là? Par la Phocéenne Marseille, par la colonie grecque de Lyon, ou par les compagnons plus ou moins fabu- leux d'Hercule, fondateur d’Alesia? Je ne sais et me borne à constater leur existence dans le langage populaire de notre province , existence à laquelle le latin paraît entièrement étranger. AVOIR DES PAROLES GRECQUES. — Je n'ai entendu cette lo- cution qu'une fois et de la bouche d'une femme de Champa- gnole, qui disait avec beaucoup d'animation : « Défiez-vous de la Jeanne-Claude ; elle a des paroles grecques, et aussi vrai qu'il y a un Dieu, elle vous mettra dedans. » Ce dicton nous vient probablement des Romains, qui se vengeaient de la supériorité intellectuelle de leurs maîtres en civilisation, en les accusant de toutes sortes de défauts et de vices. Aïnsi fai- saient-ils de græculus le synonyme de vain, frivole, léger, et donnaïient-ils à græcari le sens de s’enivrer. Vraisemblable- ment verba græca signifiait chez eux mensonge et tromperie ; qui sait même si le mot de grec dans le sens de tricheur au jeu, ne remonte pas jusque-là ? Je suis de ceux qui pensent que tel mot, qu'on croit né d'hier, n’est le plus souvent qu'un très vieux vocable qui, après avoir dormi pendant des siècles dans — 295 — les bas-fonds populaires, a été un beau jour tiré de son sommeil par un hasard heureux et de nouveau mis en circulation. LES BELLES NUÉES SONT EN ROUTE. — En voyant une troupe de jeunes garçons et de jeunes filles partir gaiement pour la campagne, les Salinois ne manquent guère de dire: Il ne pleuvra pas aujourd’hui ; les belles nuées sont en route. Il y a ici un jeu de mots et un jeu de mots tout latin, s'il vous plait, portant sur la ressemblance de nubes (nuée) et nubiles (jeunes gens). — Un jeu de mots romain ayant encore cours aujourd'hui ! On n'en citerait pas beaucoup. ÊTRE TOUJOURS EN RADE. — On dit à Salins d'un individu qui ne fait que passer et repasser dans les rues, qu'il est tou- jours en rade, locution dans laquelle rade, port de mer, est tout à fait désintéressé; car en rade les bâtiments sont à l'ancre et immobiles, tandis que l'homme en rade est au con- traire toujours en mouvement. Je rattache ce mot au même radical que l'anglais road, chemin , et le français rôder, être par les chemins, et je traduis être toujours en rade par étre toujours en roule. Voici LA BÈTE QUI ARRIVE. — Ce mot est de Villette (canton d'Arbois), où il est dans la bouche de tous les paysans pour désigner l'approche de la mauvaise saison. La bête, dont il est ici question, est, je pense, le loup, symbole de l'hiver, que les légendes grecques et l'Edda nous montrent en mortel anta- gonisme avec les divinités bienfaisantes, telles qu'Apollon Avxoxrôvos (tueur du loup), Thor, Vidar et Odin. Un dicton salinois me paraît confirmer cette interprétation. Jamais, dit-on à Salins, loup n’a mangé l'été, — ce qui évidemment, nos vignerons et paysans étant trop bons observateurs, n'a Jamais pu signifier que cet animal se prive à cette époque de nourriture. « Tu ne seras pas si audacieux, dit dans le Lokasenna (*) Loki à Thor, quand tu devras combattre le loup, qui engloutira le père des victoires. » Et dans le Vafthru- sn (") Vers 235. — 296 — dismal (1) : « Le loup engloutira le père du monde qui sera vengé par Vidar. » C'est à cet ordre de faits que je rattache le dicton salinois, dont le sens me paraît être que le principe du bien personnifié par l’Été, heure d'expansion de toutes les choses bonnes à l'homme, n'a jamais été et ne sera jamais vaincu par la puissance ténébreuse et malfaisante que la lé- gende revêt symboliquement de la peau du loup. s II Coutumes anciennes. Mentionnons maintenant quelques coutumes anciennes. Elles sont nombreuses dans la province, mais je n’en citerai aujourd'hui que quelques-unes à titre d'échantillons. LES PLEUREUSES. — Les Romains les nommaient Præficæ. On les retrouve dans la Grèce moderne, en Algérie, dans l'Italie méridionale sous le nom de Ripetitrici, et en Corse sous celui de Buceratrici ou crieuses. Pontarlier en possède encore à l'heure présente; le tarif est d'un franc par pleureuse et par enterrement, et de deux francs pour celle qui fait fonc- tions de coryphée et donne le signal des gémissements et des sanglots. Citons un mot plaisant d'une de ces femmes à qui on demandait d'assister à un enterrement : — Excusez-moi, répondit-elle, mon mari vient de mourir; je ne pourrais pas pleurer aujourd'hui. JEUX SALINOIS. — Dans son petit poème du Noyer, Ovide décrit dans les termes suivants un jeu des enfants romains : Has (nuces) puer aut rectus certo dilaminat ictu... Quattuor in nucibus, non amplius, alea tota est, Quum sibi suppositis additur una tribus. Le traducteur de la collection Nisard regrette que les divertis- sements des Romains ne nous soient pas assez bien connus pour pouvoir traduire ce passage avec certitude. Son embarras (5) Vers 212, — 297 — eût cessé bien vite s’il eût vu les enfants de Salins jouer à la ranche (rangée), jeu qui ne diffère de celui qu'a décrit le poète latin qu'en ce qu'il se joue avec des noyaux de pêche au lieu de noix; le groupe de trois noyaux surmonté d’un quatrième se nomme catelot. Ovide dit encore : Per tabulæ clivum labi jubet alter; et optat Tangat ut e multis quamlibet una suam. C'est le jeu salinois du pilier ; il se joue avec des billes. Le jeu du bouchon est appelé à Salins la galline, c’est-à-dire la poule. J ai vu encore à l’île d'Elbe ce jeu de la poule tel qu'il devait se jouer jadis : les joueurs étaient armés de boules et cher- chaïent à atteindre à de grandes distances l'oiseau attaché, qui devenait la récompense du plus adroit. La galline salinoise est évidemment un souvenir de ce jeu-là. Enfin la chasse aux gluaux et au filet devait déjà se pratiquer dans la Gaule ro- maine à peu près dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, c'est-à-dire avec des oiseaux appelants et d'autres en corset. La moquette se nomme en effet à Salins la mute, et mute, c'est incontestablement muta avis par opposition aux appelants. Je termine ici cette première série. Comme on a pu le voir, les latinismes abondent dans le pays de Salins, et sans parler des locutions mentionnées ci-dessus, Labienus ou Brutus, s'ils revenaient chez nous, y reconnaîtraient du premier coup une foule de mots : sétie (sécheresse, sitis), nau (bassin de fontaine , navis), cenise {cinis), lagreme (lacryma) , reneuille (rana), sarre ( serra), naïlles (natalia), meset {mus), rorte (brioche ronde, rota), courti (hortus), hique (equus), jicler (ja- culare ), airer (arare), écuter ( acutare), tsidre ( cadere ), etc. Est-ce à dire que Salins ait été, comme on l’a prétendu , une grande et populeuse cité gallo-romaine dès les premiers temps de la conquête ? Je crois avoir démontré, dans un de mes mé- moires archéologiques, l'impossibilité de cette thèse; mais il n'est pas besoin que cette ville ait eu dès lors tant d’impor- tance pour expliquer le caractère de latinité si bien marqué — 298 — encore dans son lanbage et ses coutumes. Plus voisine de Rome et de l'Italie que la plupart des autres provinces gau- loises, et faisant en quelque sorte face aux Alpes graies et pennines qui en étaient le grand chemin, la Séquanie en général dut être pénétrée de bonne heure et profondément par les armes, l'administration et le commerce de Rome. Suétone raconte qu'Auguste transporta en I':lie vingt-huit colonies étrangères, dont une, établie probablement dans le pays des Salasses après l'extermination de ce peuple sous le règne de ce prince, paraît avoir été séquane; car on lit au petit musée du Saint-Bernard l'inscription suivante trouvée sur l'emplacement du temple de Jupiter Pennin : IOVI.POENINO Q . SILVIVS . PEREN NIS . TABEL . COLON SEQVANOR VSLM La Séquanie n'’aurait-elle pas à son tour recu en échange des colonies italiques ? Quant à moi, je n'hésite pas à en placer une à Alaise, dont après tant de siècles les habitants diffèrent encore des autres Franc-Comtois par la couleur toute méri- dionale de leur teint, de leurs yeux et de leurs cheveux ({). Je crois aussi, point que j'ai discuté ailleurs, que les Romains ne manquèrent pas d'établir un cordon de postes de surveil- lance autour du Champ sacré des Séquanes , situé à Molain près de Salins. Enfin, si Salins ne remonte qu'aux dermiers temps de l'empire et s’il n était alors qu'un simple vicus, son existence à l'époque romaine ne peut guère être mise en doute, puisque cette localité se trouve déjà mentionnée dans une donation de Sigismond de Bourgogne. (2) J'ai vu à la fête d'Alaise, en 1859, un jeune homme de Goux (canton de Quingevy), mais d'origine alaisienne. J'affirme que c'était traits pour traits le moissonneur de Léopold Robert. j NOTICE SUR JACQUES PRÉVOST PAR M. LANCRENON Correspondant de l'Institut de France (Académie des Beaux-Arts.) Séance du 14 novembre 1865. A propos d'une récente acquisition faite pour notre musée, il m'a paru intéressant d’esquisser la biographie d’un artiste franc-comtois plus connu, comme il arrive souvent, des étrangers que de ses compatriotes. Pendant le seizième siècle, la Franche-Comté fut constam- ment courue par des bandes armées qui semaient la peste, engendraient la famine, et maintenaient les esprits dans un état de trouble et d'inquiétude essentiellement hostile à toute manifestation calme et réfléchie de la pensée. Aussi notre province ne participa-t-elle que dans une faible mesure à cette ilumination des intelligences qui s'appelle la Renais- sance des lettres et des arts. La faute en est à une situation politique déplorable, et nullement aux hommes qui vécurent à cette époque. Si Ferry Carondelet, si plus tard le cardinal de Granvelle ne réussirent pas, en transportant chez nous des chefs-d'œuvre (‘), à fonder dans leur patrie d'origine des écoles artistiques, ce ne fut point le fait d’un manque d'apti- () Voir : Ed. Crerc, Mémoire sur l'abbaye de Montbenoît et sur les Carondelet (Académie de Besançon, août 1867); — A. Casrax, Monogra- phie du palais Granvelle ( Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4e série, t. IT, 1866.) — 300 — tude des Franc-Comtois à s'initier aux règles du goût. La preuve en est dans les succès obtenus par ceux de nos com- patriotes qui, en un temps où les voyages étaient si périlleux et si difficiles, n'hésitèrent pas à franchir les monts ou à tra- verser les mers pour obéir à la vocation artistique, la plus impérieuse de toutes. De ce nombre fut Jacques Prévost. Né à Gray dans les premières ann ‘cs du seizième siècle (!), Prévost fut emmené fort jeune à Rome et placé comme an- prenti dans les ateliers de maître Claude Duchet. Celui-a était originaire de Salins : associé avec son neveu Antoine Lafréry, il s'était fait éditeur d'estampes, et sa maison fut l'une des premières à entreprendre de divulguer dans l'Europe entière les merveilleuses compositions des artistes de la Re- naissance. Michel-Ange et Raphaël avaient pu s'asseoir dans l'officine de Claude Duchet. Quoi qu'il en soit, la tradition veut que Jacques Prévost ait recu les lecons de ces deux grands maîtres. L'artiste n’était alors considéré que comme un ouvrier dé- licat : appelé la plupart du temps à être à lui-même son propre manœuvre, il ne devait ignorer aucun des métiers dont le concours pouvait être utile à sa profession. Un peintre de cette époque ne croyait pas s’avilir en crépissant de ses mains la muraille qu'il était appelé à illustrer d’une fresque; un graveur, en laminant lui-même la feuille de cuivre où son burin allait s'exercer ; un sculpteur, en dégrossissant la pierre qu'il voulait convertir en statue. C'est par cette mâle et féconde éducation que passa Jacques Prévost : aussi put-il être tour à tour graveur, statuaire et peintre. Il débuta comme graveur d'architecture, et produisit dans ce genre, entre les années 1535 et 1538, une série de planches interrompue seulement, en 1537, par l'exécution du portrait () Jacques Prévost était surnommé de Gray par ses contemporains : cest le chanoine Jean Tabourot, l'un de ceux-ci, qui l'affirme. (Voir la très curieuse étude sur Jacques Prévost, publiée par le Magasin pitto- resque, 25e année, 1857, pp. 315-318.) — 301 — de François I* dans une grande dimension. A partir de 1538, Prévost paraît avoir quitté le burin pour le pinceau, car lors- qu'il reprit, en 1546, l'outil de son premier état, ce fut pour graver quelques figures composées par lui-même : une Vénus, une Cybèle et une Charité romaine. La plus curieuse, sans contredit, est la Vénus : cette déesse est debout, vue de face, parée de sa ceinture; une draperie jetée sur l'une, de ses épaules, retombe derrière elle jusqu'à terre , et cache à demi un serpent; elle élève de ses deux mains une urne dont la panse est ornée d’une guirlande d’amours et d'où tombe un liquide, plein de reptiles, dans un vase dont le socle porte cette inscription : Plus de venin que de miel (). Composition finement railleuse et énergiquement amère d'un homme qui avait eu sans doute à régler quelques comptes cuisants avec la mère du plus malin des dieux! Comme tous les artistes de son temps, Prévost avait dû se préoccuper de trouver un Mécène qui pût ouvrir une large carrière à ses talents, en même temps que l’affranchir des soucis de la vie matérielle. Un cardinal, son compatriote, lui procura ce double avantage. J'ai nommé le cardinal de Givry, né d’un sire de Longwy, près de Dole, et d’une dame de la maison de Bauffremont. Ami des arts et l'un des plus riches prélats de la chrétienté, Claude de Longwy avait succédé à son oncle sur le siége de Mâcon, puis avait échangé ce poste contre celui d'évêque de de Langres, qui donnait à son titulaire la qualité de duc et pair de France. Intermédiaire des relations de François I* avec la cour de Rome, il avait été largement récompensé de ses habiles services : les abbayes les plus fructueuses de la Bourgogne étaient dans ses mains, et il eut, pendant nombre d'années, l'administration fort lucrative du temporel des trois évêchés de Périgueux, Amiens et Poitiers. (1) Voir l'article Jacques Prévost dans le Peintre-graveur français, de M. Roserr-Duwesxiz, et l'article déjà cité du Magasin pittoresque. 21 D M > 0 — 302 — Le cardinal de Givry avait la noble ambition de doter son évêché de Langres de monuments artistiques qui y perpétue- raient son souvenir. Ce fut dans ce but qu'il ramena Prévost CH WW 3 SLI) CN ILLNS 1 Lp, 14 LI LNL SALUT V5 ; ŸY, CARDIN ED EXO NGN. CLAND DE GIVRY EVESOQ/DE LENS MOT I sous le soleil qui avait éclairé son berceau. I] l'établit à Langres, et le remit entre les mains de son vicaire-général, Jean d'A- moncourt, qui lui fit un traitement tel que le pauvre artiste — 303 — eut lieu d'en être émerveillé et même un peu troublé. « Ma couche, écrivait-il à l’un de ses amis, n’est que soie et brodures de toutes parts, jusqu'au coussin dessous ma tête qui est ouvré de soie. Là dedans je ne suis à mon aise, et me prends à regretter ma chambre philosophale, laquelle n'est tendue que de la claire toile que filent les araignées. Ce seigneur a poussé la bienveillance jusqu'à me faire toujours manger avec lui, en sorte que je suis bin rassasié. Et quant à sa besogne, je l'ai achevée et posée à son très grand contentement, et bien au gré du révérendissime cardinal de Givry, lequel l’a visitée par plusieurs fois et me l’a payée, sans difficulté quelconque, le prix raisonnable que j'en demandais. Ainsi, Monsieur, voyez comme Celui qui régit fortune m'a fait obtenir la bienveillance de deux gros personnages, ce qui me rend aussi fier qu'un âne qui a la queue coupée. Voilà, Monsieur, ce que je puis vous écrire de mes hauts et glorieux faits; et, pour le surplus, je vous supplie avoir toujours en recommandation un de vos amis, JACQUES PRÉvosT (1). » La lettre d'où l’on a tiré ce passage est illustrée de deux croquis : l’un représente le cardinal de Givry et Jean d'Amon- court, qui venait d'être promu à l'évêché de Poitiers, soutenant un écusson où se lit le nom de Prévost; l’autre dessin, touché en manière de boutade, figure un homme qui marche la tête en bas, à côté de la boule du monde pirouettant sur sa croix, le tout avec cette ironique conclusion : Ainsi va le monde (?)! () Nous avons rajeuni le style et abrégé les formules de ce fragment de lettre, dont l'original a été publié par le Magasin pittoresque. (?) Ces deux croquis, ainsi que le portrait du cardinal de Givry, ont été gravés sur bois pour illustrer l’article consacré à Jacques Prévost dans le Magasin pittoresque. L'administration de ce bean et intelligent recueil, instruite par un de nos amis quesnous devions publier quelques lignes sur Prévost, a mis gracieusement à notre disposition les trois gravures dont il s'agit. En faisant profiter nos lecteurs de cette bonne fortune, nous sommes heureux de signaler publiquement ce nouvel effet - des dispositions libérales d'hommes éclairés qui poursuivent le noble but de régénérer la morale par la science. TER AN — 304 — D TR om mew \ TS — 306 — On le voit, l'esprit de Jacques Prévost, aiguisé sans doute par un long commerce avec la misère, était disposé aux propos caustiques et joyeux. S'il était, comme peintre, de l'école du divin Raphaël, il était, comme conteur, quelque peu de la famille du désopilant Rabelais : on s'explique ainsi qu'il ait été admis à la table des grands, car, à cette époque où les divertissements n'étaient pas aussi variés que de nos jours, la conversation faisait l’un des principaux charmes de l'existence. En dehors de la décoration des châteaux du cardinal de Givry, Prévost peignit pour la cathédrale de Langres‘ un grand tableau représentant la Mort de la Vierge; puis, voulant contribuer à l’'ornementation du magnifique jubé que son Mécène élevait à l'entrée du chœur de cette basilique, il -s’arma du ciseau et produisit trois statues plus grandes que nature; le Christ entre la Vierge et saint Jean (!) : les conseils de Michel-Ange au jeune graveur d'autrefois n'avaient donc point été perdus! Tous ces travaux ont péri. Plus heureuse à ce point de vue que la cathédrale de Langres, notre modeste église de Pesmes a le seul grand tableau de Prévost qui ait survécu. C'est un retable de chapelle, dont le panneau principal représente une Descente de croix : sur les deux volets sont peints le donateur et sa femme (Catherin Mayrot et Jeanne Lemoyne) ; on y lit, avec la signature, le millésime 1561 (?). Des tableaux analogues, sortis de la main de Prévost, sur- montaient les maïîtres-autels des églises de Dole et de Gray : ces peintures avaient été commandées par Hugues Marmier, président du parlement de Dole. Ce magistrat et Anne de Poligny, sa seconde femme, « étoient peints, dit Dunod, sur les volets du tableau de l'autel de Dole, et l’on voyoit en (1) S. MiexereT, Précis de l'histoire de Langres, p. 306. (2) LaBBey DE BrLiy, Histoire de l'Université du comté de Bourgogne, t. I, p. 277; — Donnier, Voyages pittoresques dans l'arrondissement de Gray, t.I, pp. 73-74; — Sucaaux, Annuaire (1842) et Galerie biographique de la Haute-Saône. — 307 — perspective, derrière leurs portraits, ceux de cinq hommes de lettres de la ville, ses amis, qu'il appeloit ordinairement à sa table (1). » La galerie du palais Granvelle, dont notre savant bibliothé- caire, M. Castan, a publié récemment le curieux inventaire, rehfermait également une peinture de Prévost : la Vierge et l'Enfant Jésus, tableau de petite dimension (?). Le panneau que notre musée vient d'acquérir est en quelque sorte le frère jumeau de ce dernier ouvrage. On y voit les trois personnages de la Sainte Famille se détachant sur un fond d'or. L'arrangement en est gracieux, le sentiment pur ; le dessin rappelle les créations du beau temps de l’école floren- tine. C’est, en somme, un fort bon spécimen de la manière du seul Franc-Comtois qui ait brillé dans la pléiade dont Raphaël fut la sublime étoile. À tous égards il convenait que le musée de Besancon s'emparût de cette œuvre, et la commission de l'établissement a fait preuve d'intelligent pa- triotisme en ajoutant ainsi une page sérieuse aux archives de la gloire artistique de notre Franche-Comté. On ne sait absolument rien des dernières années de Jacques Prévost. Il est probable qu'après la mort du cardinal de Givry, arrivéé le 8 août 1561, notre artiste se sera rattaché à l’évêque de Poitiers, son second Mécène, et qu'il aura transplanté sous le ciel de l’ouest son beau talent et sa joviale humeur. @) Duxo», Histoire du comté de Bourgogne, t. IIX, p. 623. (2) À. Casran, Monographie du palais Granvelle, dans les Mémoires de la Soc. d'Em. du Doubs, 4° série, t. II (1866), p. 123. LES ARTISTES: DE FRANCHE-COMTÉ AU SALON UNIVERSEL DE 1867 Par M. AUGUSTE CASTAN L'un des secrétaires du Comité départemental du Doubs. ee — Séance du 6 juillet 1863. a — Chaque époque à une facon de sentir qui lui est propre, ‘et des moyens de l'exprimer qui sont en rapport avec ce tour général des idées auquel personne n'échappe absolument. De là une parenté d'allures qui permet, malgré les nuances individuelles, de rapporter à un même quart de siècle les ouvrages d'artistes très diversement inspirés. Comme tous les langages, l’art est à la fois immuable dans sa logique et essentiellement mobile quant à l’acception de : ses termes. Il ne faut donc pas, pour apprécier une œuvre d'art, séparer l'artiste du temps où il a vécu, ni lui demander autre chose que l'impression qu'il a voulu produire. Les grandes époques artistiques sont celles où 1l y a eu concordance parfaite entre la nature des sujets en vogue et le mode d’expression le plus convenable pour y parvenir. Cette harmonie a été toujours l'œuvre d'un chef d'école qui, né dans uu milieu propice à la nature de son génie, s’est emparé des meilleures tentatives faites avant lui, et a réussi à fixer pour un temps la langue de son art : tels ont été, dans l'antiquité, Phidias et Apelles ; dans l'ère moderne, Michel- Ange et Raphaël, Véronèse, Rubens, Lebrun, Puget et David, — 309 — L'époque actuelle est trop peu disciplinable pour se prêter à l'établissement d'un règne artistique quelconque. Sceptique, inquiète et surtout curieuse, elle vit plus de recherches que d'inspiration, Elle est plus apte à faire l'inventaire du passé qu'à ouvrir des horizons nouveaux : aussi marquera-t-elle particulièrement sa trace dans le domaine des sciences d’ob- servation, celles qui ont pour objet l'histoire du globe et de ses habitants. Telles sont également les tendances qui se ma- nifestent sur le terrain des arts. Là aussi on imite bien plus qu'on ne crée : l'érudition a supplanté la poésie, et le besoin de précision scientifique a déchiré le voile de la fiction. En Franche-Comté, comme partout ailleurs, les conditions naturelles du sol ont puissamment agi sur le moral des habi- tants. Les caractères y sont généralement extrêmes comme le climat, et les esprits, solides à la facon des roches calcaires, imitent volontiers, dans le champ des hardiesses, ces immenses sapins qui défient les orages sur le bord des abîmes. Passionné pour la logique, le Franc-Comtois prend plaisir à conduire un raisonnement jusqu à ses dernières conséquences et à dé- passer le but dans l'application d'une théorie. L'art n'est pas dans l'ordre de ses aptitudes dominantes; mais, quand il s’en mêle, il est rare qu’il n'y laisse pas une trace marquée au coin de l'originalité. Au Salon universel de 1867, les traits saillants du tempé- rament artistique de la Franche - Comté étaient nettement accusés dans les ouvrages de deux peintres qui sont, l’un relativement à l'autre, deux antipodes, mais qui, par le fait d'une dose égale de volonté, ont atteint, en sens diamétrale- ment opposé, la limite de ce que leurs facultés comportaient : nous voulons parler de M. Gérôme et de M. Courbet. M. Gérôme (de Vesoul) a eu la bonne fortune de naître dans le temps où il avait le plus de chances d'être compris et de réussir, car il est surtout un érudit. L'étude est poussée si loin dans ses productions, que chacune de celles-ci a la valeur d'un document. Aucun détail n’est indifférent dans les toiles — 310 — de cet artiste, parce qu'aucun n'est négligé : chaque touche de son savant pinceau est un acte de conscience. La manière de M. Gérôme est exempte de banalité, elle est essentiellement subordonnée aux exigences du thème qu'il veut traiter. L’au- teur a un souei énorme de la couleur locale; il fréquente longuement le pays et l'époque dont relève son sujet : d’où il suit que si ses toiles sont sœurs par le fini de l'exécution et l'extrême précision des détails, chacune d'elles a bien sa phy- sionomie distincte. Cette laborieuse préparation, cette re- cherche minutieuse de l'exactitude, cette poursuite de la moindre parcelle de vérité, toutes ces préoccupations tiennent une trop grande place dans l'esprit de M. Gérôme pour y laisser libre carrière au sentiment. Ses tableaux intéressent à l'infini, mais ils n'émeuvent pas, car ils sont du récit et non du drame : ils se lisent comme une page d'histoire sérieuse , fortement pensée, élégamment et finement écrite, où le trait à retenir est habilement souligné. Si j'avais à chercher parmi nos historiens modernes l’analogue de M. Gérôme, je rappro- cherais volontiers de son nom celui de M. Mignet. L'exposition de M. Gérôme se composait de treize toiles de dimensions moyennes, reproduisant les sujets les plus divers. Nous nous bornerons à citer": Phryné devant l'Aréopage, au moment où la beauté de son corps excite l'admiration lubrique des juges ; Mort de César, dont le cadavre gît au pied de la statue de Pompée, tandis que meurtriers et sénateurs pren- nent la fuite, à l'exception d'un seul membre de la curie trop hébêté pour avoir eu la force de quitter son siége; Gladiateurs saluant en groupe un César abruti, un instant avant de s'en- tretuer pour son stupide plaisir; Louis XIV faisant souper Mo- lière, en face du dépit mal déguisé des courtisans ; Duel au sortir d'un bal masqué, triste épisode de mœurs contemporaines qui ensanglante la neige du bois de Boulogne par une ma- tinée d'hiver. L'ensemble des ouvrages de M. Gérôme lui a valu {et ce n’a été que justice) l'un des quatre grands prix de peinture accordés aux artistes français. — 311 — Autant il y a de science et d'étude dans les productions de M. Gérôme, autant la recherche de ces deux qualités préoc- cupe peu M. Courbet (d'Ornans, Doubs). Celui-ci a la ferme volonté d'être exclusivement peintre; sur les placards dont il orne la voie publique, il se donne à lui-même parfois le titre de maître-peintre. M. Courbet est un robuste enfant de nos montagnes; son œil a merveilleusement saisi et retenu les teintes que l’action du soleil et celle de l'humidité des ruis- seaux communiquent aux roches qui bordent les hautes vallées calcaires. Avec cette gamme de tons invariablement justes, il s’est composé une palette fort restreinte, dont il tire, en se servant bien plus du couteau que de la brosse, des paysages d’une réalité sommaire et vigoureuse. Plus le coin de nature qu'il envisage est simple dans ses plans et borné dans ses ho- rizons, plus M. Courbet est apte à le bien reproduire. Le Puits noir, qui restera son chef-d'œuvre, n'est qu'un ruisseau lim- pide coulant sur des pierres moussues, entre deux bancs de rochers revêtus d’une patine grisâtre et par dessus lesquels des arbres d’un vert intense forment berceau. Un bout de pré en pente avec trois ou quatre vieux arbres y faisant tache par leur ombre épaisse, une solide assise de rochers blancs se dé- tachant sur une zone de ciel bleu, le tout éclairé par un soleil de pleim midi : voilà encore un thème que M. Courbet traduit excellemment. Au delà, on peut encore attendre de la sûreté de son sens pratique l'illusion du poil sur un dos d'animal, mais à la condition que l’on fermera les yeux sur l’agence- ment anatomique de la bête. — S'il franchit cette limite, il justifiera aussitôt la sagesse de l'adage : Ne forçcons point notre talent. De même que M. Courbet, mais avec une palette beaucoup plus riche et une entente infiniment plus complète des lois de l'harmonie des tons, M. Gigoux (de Besançon) est avant tout un coloriste. Comme tel, tous les sujets ne conviendront pas à son pinceau, et, même quand il aura su bien choisir, les — 312 — diverses parties de ses tableaux seront forcément inégales. Nul ne sait mieux que lui pétrir une tête chaude de couleur et énergique d'expression, comme aussi nul ne rend avec plus de vérité les jeux de l'air et de la lumière sur les dé- tails d'un intérieur. On conçoit dès lors que la vie réelle soit essentiellement le domaine de M. Gigoux et qu'il n'y ait pas avantage pour lui d'en sortir : témoin sa Poésie du Midi, qui a trop spécialement la valeur d’une belle étude de plantu- reuse carnation. Dans sa grande toile intitulée la Veille d’Aus- terlitz, il y a des têtes de grognards si vigoureusement peintes qu'elles s’isolent d'elles-mêmes du reste de la compo- sition. | M. Henri Baron (de Besançon) est un élève de M. Gigoux : il a appris de ce maître à se jouer des difficultés de la couleur, puis il a joint à cette science toutes les ressources d'un esprit fin, délié et facile. Le sujet pour lui n’est qu'un prétexte, une facon de cataloguer ses productions qui ont entre elles une parenté très prochaine. M. Baron est un brillant feuilletoniste en peinture : comme ses analogues de la presse, 1l s’est fait un arsenal de lieux communs qui lui permettent d'improviser prestement, sur n'importe quel thème, une petite toile sémil- lante et toujours du meilleur goût. Les tableaux de M. Baron s'encadrent à merveille dans un coquet ameublement. Deux bonnes toiles de sa manière figuraient au Salon universel : la Fête de Saint Luc à Venise et le Tir à l'arc en Toscane. Un troisième prix a récompensé cet habile artiste. M. Giacomotti (de Quingey) n’est pas un Franc-Comtois pur sang : son nom l'indique assez et son œuvre le dit aussi. Avec elle nous rentrons dans l’ornière de l’école, mais d'une srande école, celle de la villa Médicis. D'une nature plus flexible et moins personnelle que la plupart de ses compa- triotes, M. Giacomotti a studieusement recueilli l'héritage des maîtres dont il a médité les ouvrages ou entendu les lecons : son éducation est extrêmement complète ; sa manière, parfai- tement équilibrée, unit une sage correction de lignes à une — 313 — bonne moyenne de couleur. Cet estimable artiste avait au Champ-de-Mars deux pages de grande peinture : l’Enlèvement d’'Amynomé et Agrippine quittant le camp, plus deux portraits. L'exposition des ouvrages envoyés par les pensionnaires de Rome, qui avait lieu au printemps de 1867, a mis en évidence le précoce et sérieux talent de notre jeune compatriote M. Henri Machard (de Dole). Chez celui-ci la sève est abon- dante et tout indique que les hautes études ne feront que la diriger sans la tarir. Sa toile, bien que peinte dans l’atmo- sphère absorbante de l'Italie, se distinguait par une allure individuelle et toute française : gage précieux d'une disposition de M. Machard à s'inspirer des chefs-d'œuvre, mais à n'abdi- quer devant aucun sa manière propre de sentir. Nous ne prendrons pas congé de la peinture sans rendre un hommage mérité aux deux opulents Vases de fleurs de M": Escallier (de Poligny). Ces deux toiles, d'un charmant effet décoratif, avaient été jugées dignes, par la commission de placement, de faire escorte au plus profond des portraits de notre époque, celui de S. M. l'Empereur par Flandrin. I y a trop de modelé dans la nature franc-comtoise, trop de relief dans les caractères qui s’y développent, pour que cette terre ne soit pas féconde en sculpteurs : le nombre de ces der- niers est, en effet, proportionnellement plus considérable que celui de nos peintres. Mais le ciseau ne traduit pas les écarts de tempérament avec la même docilité que la brosse, et le marbre a des exigences impérieuses que ne connaît pas la toile. De là vient que ceux de nos sculpteurs qui ont voulu rompre avec les traditions de leur art, à la facon de tel ou tel de nos peintres, n'ont recueilli que des succès de circonstance. Revendiquons d'abord l'œuvre de sculpture qui a eu, au Champ-de-Mars, tous les honneurs de la section française : l'Enfance de Bacchus, par M. Joseph {Perraud (de Monay, Jura). Ce groupe oppose d’une façon charmante la grâce ma- licieuse de l'enfance à la bonhomie résignée de la vieillesse ; il est parfait d'élégance et d'harmonie. Les connaisseurs seuls — 314 — peuvent soupconner ce qu'il a coûté d'étude, car les raccords y sont si délicatement effacés qu'on le dirait concu d'un seul jet et exécuté tout d'une haleine. Ce n'est toutefois. qu’un dé- licieux morceau de genre, et les dimensions de la statuette en bronze lui conviennent mieux que les proportions grandioses sous lesquelles il se présente en marbre. M. Perraud a obtenu, pour ce seul ouvrage, l’un des deux gr221s prix décernés aux sculpteurs français. C'est par une spirituelle finesse de touche que brille le ci- seau de M. Iselin (de Clairegoutte, Haute-Saône). Ses trois bustes, de S. M. l'Empereur et de nos compatriotes le prési- dent Boileau et le professeur Bugnet, ne visent pas à l'idéal : ils se contentent d'être habilement fouillés et très vivants. M. Jean Petit (de Besancon), l’un de ceux, parmi nos sta- tuaires, qui fréquentent le plus les hauteurs du grand style, n'était représenté au Champ-de-Mars que par deux exquises statuettes qui ne portent pas sa signature : ce sont les deux génies qui escortent la principale figure du berceau offert par la ville de Paris au Prince impérial. Elles datent de l’époque où M. Petit, collaborateur anonyme de Simard, produisait, pour le compte de ce maître, des œuvres dont la Franche- Comté n'entend pas être frustrée : de ce nombre est le Napo- léon créant la Cour des comptes, le plus remarquable des bas- reliefs qui entourent le tombeau de l'église des Invalides. Depuis longtemps déjà, M. Petit a conquis, par le travail, la liberté de signer ses ouvrages. Son fronton monumental de la facade du nouvel Opéra, qui fut découvert durant l'Exposition universelle, a mis en évidence, une fois de plus, l'aptitude de cet artiste à accorder le caractère d’une sculpture avec celui de l'édifice qu'elle doit décorer. MM. Perraud, Iselin et Petit, tous trois avec une somme considérable de talent, ont chacun une qualité saillante qui ne permet point de confondre leurs ouvrages. M. Perraud se distingue plus spécialement par la grâce de ses compositions, — 315 — M. Iselin par l'accent véridique de son modelé, M. Petit par la savante ordonnance des grandes lignes de ses figures. Dans la catégorie des traducteurs d'œuvres d'art, la Fran- che-Comté n'a pu se prévaloir que d’un seul lithographe, M. Emile Vernier (de Lons-le-Saunier). Le crayon de cet artiste est loin d'être classique, maïs il est chaud et vigoureux; il sait d’ailleurs bien choisir les thèmes à sa convenance, car il s'applique le plus souvent à la reproduction des œuvres de M. Courbet. LE SEL DE MISEREY PAR M. A. DELAGROIX Séance du 6 juin 1868. Entre les gîtes salifères de la Haute-Saône et ceux du Jura, semblait exister une solution de continuité. Les gens du mé- tier, les sauniers de Franche-Comté, depuis certaines recher- ches infructueusement opérées par l'Etat, en avaient pris leur part, et de savants géologues en avaient cherché la raison. Mais cette opinion n'était au fond qu'un préjugé. Le problème restait à résoudre dès qu'une circonstance favorable se pré- senterait. En effet, l’entreprise d’un sondage, coûteuse par elle-même, soulèvera des difficultés accessoires de toute sorte avant que d'atteindre une juste rémunération du succès. Par-dessus tout, comme le sel est une denrée lourde dont la principale valeur, abstraction faite de l'impôt, dépendra du prix des transports, le lieu le plus convenable à choisir, pour découvrir et fabriquer un jour ce produit, sera celui qu'indiqueront les facilités des voies publiques et non la commodité de la re- cherche. Or, le projet d'établir à Miserey une gare de chemin de fer, à laquelle aboutiraient les lignes de Vesoul et de Gray sur Besançon, vint présenter des conditions si exceptionnellement avantageuses qu'il me parut utile d'en profiter. Il était pos- sible de créer une saline sur le palier d’une double voie ferrée et aux portes de la cité principale d’une province autrefois la plus réputée par la richesse de ess sources productrices du sel. — 317 — Le terrain keupérien, auquel appartiennent généralement les oîtes salifères de l’est de la France, passait contre la station projetée sur Miserey. Un seul obstacle se présentait, la pro- fondeur assez considérable à laquelle il faudrait sonder. Quel- ques personnes, presque toutes de la Société d'Emulation du Doubs, voulurent bien se réunir à moi, assurèrent le capital nécessaire et l’entreprise commenca. La sonde, établie sur des affleurements de la base du lias, rencontra les dolomies dures, qui sont considérées comme un horizon géologique dans le terrain keupérien, à la profondeur de 111" 35 ; elle atteignit la petite couche houillère, connue dans nos pays, à 131" 00, les marnes salifères à 160" 00, la masse du sel à 177". Celui-ci, à partir de ce point, ne cessa plus de se montrer sur 55" 60 d'épaisseur ; car à peine fut-il interrompu par une couche de 0" 60 de marnes dans laquelle il existait encore en abondance. Cette puissance de la mine paraît être supérieure à tout ce que l'on sait des exploitations actuelles. I ne m'appartiendrait pas, dans la Société d'Emulation du Doubs qui a produit tant d'œuvres remarquables en géologie, de prendre la place des hommes spéciaux pour décrire en détail les terrains traversés. Ce rôle ne saurait être le mien. Mais, formé par trente-huit ans de cette responsabilité réelle que nos lois font peser sur l'architecte, pour lui dé- fendre, sinon pour l'empêcher, de se tromper jamais, j'ai dû me rompre à l'habitude des praticiens d’user de toutes les sciences, en adaptant à cet usage les procédés que chacun puise dans sa nature. Ayant donc été initié dès ma jeunesse à l'é- tude, jeune alors elle-même, de la géologie, je n'en ai cultivé, dans ma vie d'architecte, que les choses suivantes : 1° La disposition des nombreuses failles suivant lesquelles se trouve découpé le sol de la Franche-Comté ; 2° Le gîte presque toujours caché des belles et des bonnes pierres de construction : r2 — 318 — 3° La direction souterraine des cavernes et celle des sources que j'avais à trouver pour la construction des fontaines. C'était là tout mon bagage géologique en présence de l’idée de créer une saline ; mais il était indispensable. En effet, il ne suffit pas qu'un terrain appartienne à la for- mation keupérienne ou parfois au Muschelkalk de notre région de l'est pour qu'il renferme des gîtes salifères exploitables. Sous le sol de Montmorot, un sondage ayant fait reconnaître 3» mètres d'épaisseur de sel sur un point, l'opération répétée à 900 mètres à l'est, n’accusait plus que 15" 78 (!). A Salins, le gîte est réduit au tiers seulement de cette dernière quantité. À Tourmont, où fut entrepris un sondage dans les conditions les plus favorables en apparence, et sous une très habile di- rection, aucun gite ne fut rencontré. Aussi M. l'ingénieur Levallois, inspecteur général des mines, publiant une précieuse notice sur le parallélisme des gîtes salifères de la Lorraine et de la partie de l'Allemagne la plus voisine de nos contrées, s'est-il abstenu de parler à ce propos de la Franche-Comté, qu'il connaissait cependant très bien pour.y avoir dirigé les plus fécondes recherches. « Sur le Jura, disait-il, la science n'est pas faite. » Ce qui est certain, c'est qu'indépendamment des causes premières auxquelles est due en Franche-Comté la grande différence des épaisseurs de gîtes salifères, différence incon- nue dans le groupe des salines de Lorraine, il convient de tenir compte de l’action des courants d'eau souterrains pro- duits par les failles multipliées du sol, et en même temps du niveau élevé de nos affleurements keupériens relativement à l’ancien lit du grand lac antédiluvien entre Côte-d'Or et Jura. Les profondeurs de ce vaste réservoir n'ont pu être atteintes par un sondage entrepris, sur le territoire de Seurre, à la re- cherche d’un puits artésien ; elles sont considérables. Vers ces 1) N. Bové, Notice sur la géologie des environs de Lons-le-Saunier, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, ?° série, t. T, 1840, p. 2. ] — 319 — lieux bas ont dû s'écouler, durant une suite incalculable de siècles, les sources salées qui épuisaient les parties du sol salifère riverain, mal protégées contre les courants d’eau. Ce grand lessivage n’a pas cessé : il est continué par le travail des sources salées qui surgissent encore actuellement. Il se poursuivra tant que des courants d'eau souterrains rencon- treront du sel à dissoudre. Je viens de citer le sondage de Tourmont. Peut-être l’expli- cation de l’insuccès se trouve-t-elle dans un fait, géologique- ment bien moderne, et que voici : Il y eut autrefois à Tourmont une saline alimentée par une source. Vers la fin du xvi° siècle cette industrie avait dû cesser, le courant d’eau ne fournissant plus de quoi continuer l'exploitation. Mes préoccupations, avant d'indiquer le lieu des recherches de Miserey, avaient donc été de choisir un lieu où le sel eût toujours été à l'abri de la destruction. Cette idée étant partagée par mes coopérateurs, le trou de sonde fut établi en decà d'un repli saillant et continu que formait au nord-ouest le sol marneux du keuper, entre la mine à chercher et le pays bas vers lequel des sources salées auraient pu tenter de s'établir. Cet état de choses existe régulièrement dans les deux direc- tions de droite et de gauche, vers les Rancenières d'une part et Pirey de l'autre. Il était même à remarquer, au profit de nos recherches, que dans les deux sens l’ensemble des couches se relevait un peu. De l'eau introduite, si cela eût été possible, sur le point cher- ché, n'eût donc pu s'en échapper ni au nord-ouest, ni au nord-est, ni au sud-ouest; il n'y avait évidemment rien à craindre du reste dans la direction de Besançon. Nous avions ainsi rencontré un de ces cas assez rares où le terrain keupérien, soffrant dans l'emplacement le plus utile pour l’industrie, affirmait en même temps, par une disposition particulière, la conservation assurée du dépôt salifère. Aussi l'administration des mines, par l'intervention de M. l'ingénieur Résal, appuya-t-elle vivement dès le début une — 320 — recherche établie sur des bases aussi avantageuses. On à par- fois reproché aux explorateurs de n'avoir pas emplanté le trou de sonde sur le haut du repli dont il a déjà été fait mention; car le sel s’y fût sans doute rencontré à une profondeur moin- dre. Je répondrai à cette observation que la prudence com- mandait aux explorateurs de viser droit au plus sûr, et qu'en outre notre but étant sommairement d'entreprendre une ex- ploitation par le système de la dissolution du sel, ce travail devait être par la suite d'autant plus facile qu'il s'opérerait plus bas par rapport à la masse salifère. En somme, l'entreprise du sondage de Miserey paraît être la seule qui, combinée de propos délibéré, ait réussi au pre- mier coup et sans aucun secours pécuniaire de l'Etat. Si j'ai bien compris les intentions de la Société de Miserey, elle ne tardera pas à offrir à la Société d'Emulation du Doubs, dont elle émane en quelque sorte par la composition de son personnel, les échantillons qu'elle a conservés et qui pourront être utilement classés au musée d'histoire naturelle de Be- sancon, sous la savante direction de nos confrères MM. Gre- nier et Vézian. LA MONTRE POPULAIRE PAR M. GEORGES SIRE Docteur és-sciences, directeur de l'Ecole d'horlogerie de Besançon. Séance publique du 13 décembre 186$, L'Exposition universelle de 1867, à Paris, a été un tournoi dans lequel presque toutes les branches des connaissances humaines sont entrées en lice. Mais, de même que dans les expositions précédentes, ce sont les produits de l'industrie proprement dite qui y figuraient en majorité. On avait fait appel à tous les centres producteurs : tous à peu près ont répondu ; et si quelques abs°2ces regrettables se faisaient re- marquer, la cause en était due au manque de place. La fabrique d'horlogerie bisontine ne pouvait rester à l'é- cart. Par une exposition collective splendidement installée, elle a même tenu à prouver sa puissante constitution, sa vita- lité toujours croissante, enfin sa prospérité vraiment remar- quable. Toutefois, si l'importance de cette exposition collective a été méconnue par le jury international, elle a été au con- traire sérieusement appréciée par le public intéressé, et des faits certains ont récemment attesté que l'horlogerie de Be- sancon recueillera bientôt les justes avantages de cette appré- clation. | Ayant été chargé par le Comité départemental du Doubs d'étudier l'horlogerie à l'Exposition universelle, le rapport rédigé à ce sujet sera imprimé sous peu, je l'espère du moins. Je n'ai pas l'intention d'indiquer dans cette solennité les points importants de mon rapport; je désire simplement signaler — 322 — un fait industriel qui me paraît devoir exercer par la suite une certaine influence sur l'industrie de notre ville. Ce fait se rapporte à la fabrication de l'horlogerie portative de petit vo- lume, c'est-à-dire des montres. Trois puissances en Europe possèdent des fabriques réelle- ment sérieuses de ce genre de produits : l'Angleterre, la Suisse et la France. | L'Amérique du Nord, depuis quelques années, s'occupe aussi très activement de cette fabrication, mais le haut prix de la main-d'œuvre en entrave les développements; néan- moins, sous ce rapport, il faut tout attendre de la ténacité, de l’activité et de l'intelligence des habitants de cette contrée. La seule fabrique de montres que possède la France est celle de Besancon, et il n'est personne ici qui ne reconnaisse que c'est à cette industrie, qui grandit chaque année, que notre ville doit ses embellissements et sa prospérité. On sait que l'on construit actuellement ici plus de mille montres par Jour. Les montres exposées par les trois puissances productrices que je viens de citer offraient un Curieux sujet de comparai- son, tant au point de vue technique qu’au point de vue com- mercial, et elles seront envisagées sous ces deux aspects dans le travail précité. Mais, quelle que soit sa provenance, la montre, même la plus simple, est encore un objet de luxe. Suivant l'estimation d'un homme compétent, le nombre des montres existant en France ne dépasserait pas quatre millions, et il serait à peine de vingt-cinq millions pour le monde entier. On voit combien d'individus sont encore privés de ce moyen de savoir l'heure à tout moment. Or, il résulte de la multiplicité des transactions qui carac- térise notre époque, de l'usage de plus en plus fréquent que l'on fait des chemins de fer comme moyen de transport, 1l résulte, dis-je, que chacun de nous a besoin, pour se confor- mer à la ponctualité des départs et des arrivées des convois, — 323 — ou pour satisfaire à l'urgence de ses opérations journalières, de connaître l'heure exacte. D'après ces quelques exigences modernes prises au hasard, on est convaincu que la montre est devenue un objet usuel de première nécessité, et qu'il ap- partenait à l'industrie horlogère de fournir une montre à bas prix, accessible à toutes les bourses, de créer enfin ce que j'ap- pellerai la montre populaire. | Eh bien, Messieurs, le fait industriel dont il m'a été donné de vous entretenir, consiste précisément en ce que les trois puissances productrices des montres se sont, à ce point de vue, rencontrées sur le même terrain à l'Exposition de 1867. | Chacune d'elles a abordé le problème suivant ses moyens de production. L'Angleterre, dont l'horlogerie de précision a une réputation universelle, a attaqué la question pour satisfaire aux besoins de ses colonies. Mais là, comme en Amérique, la cherté de la main-d'œuvre n'a pas permis d'abaisser les prix de revient autant que la solution de la ‘juestion le réclame. Nos voisins de la Suisse ont été plus heureux : ils avaient à l'Exposition des spécimens vraiment remarquables et comme construction et comme prix de vente. Mais, on peut le proclamer avec or- gueil, la solution complète semble avoir été trouvée par un Français, je pourrais dire par un Franc-Comtois; et s’il ressort de cette assertion quelque chose de restrictif, c'est que j'ai la _ conviction que le faible prix de vente actuel fixé par le pro- _ducteur sera encore réduit dans la suite. Pour bien faire saisir la difficulté et l'importance de cette solution, il suffit de mettre en parallèle les conditions à réali- _ ser pour la construction d’une pièce de haute précision et pour celles de la montre à bon marché. Pour le premier cas, je prendrai le chronomètre de bord ou de marine, que l’on peut regarder comme le nec plus ultra de la science chronométrique actuelle, chrononomètre dont j'ai l'honneur de déposer un spécimen sur le bureau. — 324 — Tout ce que les théories rationnelles prescrivent, tout ce que les procédés mécaniques les plus perfectionnés peuvent pro- duire, tout ce que la dextérité de main la plus raffinée peut enfanter, doit être mis à contribution pour la confection des chronomètres de marine, et encore n'’atteint-on qu’approxi- mativement le but désiré. En effet, les moindres variations insolites de ces machines horaires peuvent induire en erreur le marin, le faire s’écarter notablement de sa route et compro- mettre sérieusement la sûreté d@ navire. Aussi, pour se fournir plus sûrement, de même que pour encourager le talent des artistes et stimuler leur zèle, le ser- vice de la marine impériale française ouvre annuellement un concours. Les chronomètres présentés sont observés au dépôt des plans et cartes de la marine durant un intervalle de trois mois, à la température ambiante et à des températures artifi- cielles de 5 à 30° au-dessus de zéro. Chaque chronomètre n’est déclaré admissible qu'autant que le plus grand écart des marches, aux températures artificielles, ne dépasse pas trois secondes, c'est la 555550 partie du temps de l'épreuve. Tous les chronomètres qui réalisent ces conditions de marche sont achetés au prix uniforme de deux mille francs pièce. En outre, parmi les chronomètres recus dans le cours d'une année, celui qui a le mieux marché recoit une prime de 1,200 francs, pourvu que son écart ne dépasse pas deux se- condes et deme. | Mais une telle régularité de marche est très difficile à obte- nir, et pour montrer combien sont grandes les difficultés à surmonter, il me suffira de dire que sur 977 chronomètres présentés au concours dans une période de neuf années, par onze artistes français, 117 chronomètres seulement ont été déclarés admissibles; c'est, comme on le voit, 12 p. °/, des pièces envoyées. La montre populaire se trouve placée à l’autre extrémité de l'échelle chronométrique, non comme précision, mais comme — 325 — G prix de revient. Pour la construction de la montre à bon marché, il faut nécessairement exclure tout ce qui pourrait augmenter sans nécessité ce prix; il faut donc avoir recours aux procédés mécaniques le plus possible, tout en ne perdant pas de vue le but à atteindre : c’est-à-dire construire dans les meilleures conditions économiques un mécanisme sérieux, donnant l'heure avec une régularité et une précision suffi- santes pour l'usage civil. En s'astreignant à ne faire qu'une seule grandeur de montre d'après un calibre unique, et par conséquent en se limitant à la construction d'organes toujours identiques, on peut arriver à une précision et à une modicité de prix de revient excessives. D'un autre côté, l'ensemble de la montre à bon marché doit être établi d'après des principes théoriques et pratiques suffisamment raisonnés pour que la pièce rem- plisse strictement sa mission. j Point de luxe. Un mécanisme d'une grande solidité, mais qui n'exclut pas l'élégance : le tout renfermé dans une boite formée d’un métal usuel de peu de valeur, mais offrant une grande résistance pour mettre le système général à l'abri des pressions ou des chocs; de plus, une fermeture convenable, qui protége les organes essentiels des attouchements mala- droits ou quelque peu rustiques d’une partie de la clientèle à laquelle ce produit s'adresse. Or, telle est la précision et la rapidité des moyens mécani- ques actuels, appliqués au mode de fabrication dont je parle, qu'on est parvenu à construire récemment une montre d'un - aspect agréable, d'une solidité suffisante, offrant tous les caractères d’une bonne marche et donnant l'heure à moins d’une demi-minute d'erreur par jour, montre qui sera livrée au commerce à un prix inférieur à 10 francs. Telles sont les qualités de la montre populaire française que j'ai ici entre les mains. Eh bien ! malgré la modicité du prix de vente, le méca- nisme de cette montre est une petite merveille, car ses divers — 326 — organes exécutent des fonctions avec une promptitude et une précision que n'’atteignent pas les machines les plus perfec- tionnées de l’industrie en général. En effet, le mécanisme de ladite montre consiste essentiellement dans une série de roues dentées d’une grande délicatesse, mises en mouvement par un ressort moteur, et le débit de ces ‘roues est réglé de facon que chacune d'elles exécute un nombre de tours déterminé dans un temps donné, tours rendus apparents par le déplacement graduel des aiguilles. La régularité de la marche est assurée par le jeu des deux petites pièces d'acier trempé (l'échappement) qui agissent al- ternativement sur le rouage et sur le modérateur. Or, ce modérateur est un petit volant ou balancier, comme on dit en horlogerie, qui effectue un nombre de vibrations considérable dans un temps relativement restreint. Pour en être certain, il suffit de savoir que ce balancier exécute cinq vibrations par seconde, 18,000 par heure, soient 432,000 dans un jour; et si l'on suppose la montre régulièrement remontée, on arrive au chiffre énorme de 157,783,680 vibrations dans une année. D'un autre côté, ce n'est pas trop présumer que d'admettre que la montre populaire marchera au moins trois à quatre ans sans réparation, par suite des bonnes conditions de sa fa- brication : dès lors on déduit que, dans ce laps de temps, les deux petites pièces d'acier trempé qui constituent l'échap- pement subisssent plus d’un demi-milliard de frictions. Maintenant, pour justifier mon assertion que la montre populaire est une petite merveille, qu'on me permette de comparer ses fonctions avec une des machines à vapeur : les plus perfectionnées de notre époque , c’est-à-dire la locomotive. Suivant l'estimation d'ingénieurs compétents, on admet que les locomotives des trains mixtes de voyageurs sont radi- calement hors de service après un parcours total de 350 à 400,000 kilomètres ; et à raison d'un parcours annuel moyen de 26,000 kilomètres, c’est une période de quinze à seize ans. LS a Le diamètre des roues motrices étant de 1"20, le parcours total représente 106,356,050 tours de ces roues; et chaque tour complet exigeant quatre coups de piston, l'usure totale de la machine est le résultat de 425,464,200 coups de piston. Eh bien ! Messieurs, le balancier de la montre populaire exécu- tera 200,000,009 de vibrations de plus dans un temps quatre fois moindre. Enfin, pour donner une idée de ce qu'on peut atteindre sous ce rapport, je dirai qu'on possède des montres qui marchent depuis un demi-siècle, sans que les organes es- sentiels aient nécessité aucune réparation, Construite avec conscience, la montre populaire peut faci- lement fonctionner une dizaine d'années; mais, en limitant sa durée moyenne à quatre années, cette petite machine aura néanmoins rendu de très grands services. Dans ces conditions, elle devient un objet usuel, et en l’envisageant comme telle, on prendra l'habitude de la renouveler après un certain temps, exactement comme on le fait pour une partie quelconque de son vêtement. Et, d'après les exigences de la vie moderne, il n'est pas supposable que l'ouvrier, où l’homme des champs, estime payer trop cher la possibilité de connaître l'heure vraie, à tout instant du jour et de la nuit, à raison de 2? francs envi- ron par année. Il appartenait à la savante initiative de M. Adolphe Japy de poser et de résoudre ce problème d'économie industrielle, c'est-à-dire la montre réelle à bon marché; de même qu'il est réservé à la colossale maison Japy frères et C°, de Beaucourt, d'en assurer le succès commercial. ‘ Mais, dira-t-on, ceite production de montres à bon marché n'est-elle pas de nature à causer un certain préjudice à la fa- brique bisontine ? Non, Messieurs. Les horlogers et les fabri- cants sérieux n'ont rien à redouter de l'apparition de la montre populaire, car leurs produits ne s'adressent pas à la même clientèle. La recherche du beau et le goût artistique, qui vont sans cesse grandissant dans les masses, feront toujours apprécier à leur véritable valeur les montres de pré- — 328 — cision, et elles trouveront toujours un écoulement facile. Les montres populaires ne leur nuiront pas plus que les in- diennes n'ont nui aux riches étoffes de soie, ou les draps grossiers aux produits d'Elbeuf et de Sedan. FUN Mais, par contre, la montre populaire est destinée à faire disparaitre ces montres inqualifiables, construites et vendues avec la conscience qu'elles ne pourront jamais marcher : montres dont la fabrication et le commerce ne profitent qu'à quelques-uns et nuisent à un si grand nombre, montres qui procurent un salaire à peine rémunérateur aux malheureux ouvriers réduits à s'occuper de ce genre de produits, montres enfin qui sont une cause permanente de mécontentement pour l'acheteur et qui, en définitive, ont pour désastreuse conséquence d'imprimer un stigmate à leurs lieux de produc- tion. 5 En concourant dans une large mesure à l'abolition d'une fabrication de mauvais aloi, et en facilitant aux plus humbles la possession d’un instrument précieux dont ils ont été privés jusqu à ce jour, l'émission de la montre populaire rendra deux services éminents : c'est pourquoi il y a lieu d'applaudir hau- tement à son apparition. ER LE SIÉGE ET LE BLOCUS DE BESANCON PAR RODOLPHE DE HABSBOURG ET JEAN DE CHALON - ARLAY EN 1289 ET 1290 ÉTUDIÉS DANS LES TEXTES ET SUR LE TERRAIN PAR M. AUGUSTE CASTAN Séances des 17 décembre 1868 et 10 juillet 1869 « Pacis ignara Burgundia. » (Frinentci II, imp., regi Angliæ EPISTOLA, 3 jul. 1241, ap. HurzLarD-BREROLLES, Hisror. prrLOM., t. V, p. 1153.) I Durant les douze siècles qui s’écoulèrent entre l'asservisse- ment des Gaules par Rome et le mouvement populaire qui donna naissance aux communes, l’idée de patrie semble avoir sommeillé dans notre belle France, si bien faite cependant pour inspirer à une race le sentiment de son individualité. La nationalité gauloise, savamment détruite par les com- binaisons perfides des premiers Césars, ne pouvait renaître qu'après une longue et laborieuse fusion des éléments dispa- rates déposés sur le sol par les invasions et les conquêtes. . Mais ce travail, produit fatal de la suprême logique à laquelle obéit notre globe, dut être fréquemment interrompu et consi- dérablement retardé par la tyrannie d'institutions contraires au génie de la race gauloise. — 330 — A la politique centralisatrice et absorbante de la métropole romaine, succéda brusquement le système aristocratique de la Germanie qui, dans les divisions territoriales, n’eut égard ni aux barrières posées par la nature ni aux convenances res- pectives des populations, et qui, ne distinguant pas le mot gouvernement du mot propriété, tailla et retailla notre sol de cent manières étranges. Les règnes de Charlemagne et de Louis le Débonnaire # furent qu'une trève entre deux périodes de cette confusio:, mais une trève féconde qui restaura le prestige de l'unité ad- ministrative, et donna le temps aux diverses races de se re- cueillir et de retrouver quelques rudiments d’instinct collectif. Ces principes ne devaient plus se perdre, et l'anarchie féodale qui suivit essaya vainement de les étouffer. Lorsque les petits-fils de Charlemagne se partagèrent l'Eu- rope civilisée comme un domaine de famille, les morceaux ne furent point découpés d’une facon complètement arbitraire, et chacun des co-héritiers dut être placé à la tête de l’une des trois nationalités gallo-franque, teutonique et italienne. On. sembla craindre toutefois, dans un intérêt d'équilibre, que le possesseur du territoire complet de l’ancienne Gaule n'acquit une trop grande prépondérance : aussi eut-on la malheureuse pensée de distraire de son lot une notable bande de terrain sur toute la longueur de la frontière orientale. Quatre fleuves servirent de ce côté à délimiter l'Etat gallo-franc : le Rhône, la Saône, la Meuse et l'Escaut. C’étaient de bien minces bar- rières contre l'envahissante Germanie, qui sut mettre à profit les circonstances pour se rendre maîtresse de cette zone inter- médiaire, primitivement attribuée au monarque italien. Regagner cette portion de territoire et rendre ainsi à la France ses limites naturelles, les Alpes, le Jura et le Rhin, ” tel fut bientôt le mot d'ordre politique d’une dynastie nouvelle, qui devint nationale en faisant alliance avec l’élément popu- laire pour contraindre les seigneurs à reconnaître la bannière royale comme le drapeau de la patrie. — 331 — Appuyés principalement sur les communes dont ils avaient favorisé l'émancipation , Louis VI, Louis VIT, Philippe-Au- euste et saint Louis étaient parvenus à discipliner leurs vas- saux et à restreindre notablement les enclaves que l'étranger possédait sur la terre française. Tout cela s'était accompli presque uniquement par la force armée , dont les chefs com- posaient alors le conseil du monarque. Mais les gens de lettres ayant pris rang dans cette assemblée, un esprit nouveau s'y fit sentir, et il fut reconnu que les ressources de l'intelligence pouvaient quelquefois opérer plus sûrement les conquêtes que la valeur du bras. Ainsi naquit l'art de la diplomatie, souvent moins loyal que celui de la guerre, mais destiné à réduire aux Cas extrêmes l'emploi de ce dernier. Philippe le Hardi en jeta les premières lignes, Philippe le Bel leur donna corps et tournure, et la Franche-Comté fut le champ d'essai des manœuvres de ces deux princes. el Entre toutes les fractions de cette lisière de terrain dont le traité de Verdun avait frustré la France, il n’en était pas une qui intéressät autant que la Franche-Comté la sécurité de la mère-patrie et la prépondérance de l'Allemagne dans les af- faires d'Occident. C'était de ce pays que le géographe Strabon avait pu dire : « Quand les Germains l'ont pour eux, ils sont forts vis-à-vis de l'Italie; quand il leur manque, ils ne sont rien. » De la Franche-Comté dépend, en effet, de fermer ou d'ouvrir cette porte ménagée par la nature entre le Jura et les Vosges. en decà de laquelle se présentent trois vallées riches et com- modes pour atteindre la grande artère du Rhône. Cet itinéraire a été de tout temps choisi par les envahisseurs. Aucune contrée n'offre d'ailleurs, dans une moindre surface, la réunion de plus nombreuses ressources. Divisée diagonale- ment en trois zones bien distinctes, elle possède une juste — 332 — proportion de plaines, de coteaux et de hautes montagnes. La première de ces régions abonde en prairies et en terres de labour, la seconde a des pentes merveilleusement disposées pour la culture de la vigne, la troisième fournit en quantité les bois de construction et de chauffage. Le sous-sol ne ren- ferme pas des richesses moins importantes, Car on y trouve pour ainsi dire à volonté le fer et le cel. . Ainsi dotée par la nature, la terre franc-comtoise pouvai! se passer de ses voisines et constituer à elle seule une pe.ie nationalité : c’est à ce titre qu'elle figurait au premier rang de la confédération gauloise. Elle avait alors ses frontières natu- relles : les Vosges et les plateaux de Langres au nord, la Saône à l’ouest, le Rhône au sud, et à l’est le Jura; elle avait aussi sa capitale naturelle, Vesontio, un type d'oppidum, assis dans une anse de rivière, adossé au premier gradin du Jura qui lui faisait une imprenable citadelle. Dans l’organisation romaine de la Gaule, la Séquanie eut toute la valeur d’une place d'armes indispensable à la défense de l'Empire, et à mesure que celui-ci fut serré de plus près par les Barbares, notre province monta davantage dans l’ordre des faveurs que dispensait la métropole. Sa capitale reçut une colonie romaine, et plus tard, le péril devenant extrême, son territoire, accru d’un tiers de l'Alsace actuelle et de toute la portion de l'Helvétie qu'enveloppe le Rhin, constitua, sous le nom pompeux de Maxima Sequanorum, un gouvernement militaire d'une importance exceptionnelle. Victime, l’une des premières, des invasions barbares, notre province fut dès lors hachée en une multitude de seigneuries, perpétuellement en guerre les unes contre les autres, rebelles à toute pensée d'intérêt public et ne s’inclinant que devant la loi du plus fort. En dehors des villes où quelques garanties traditionnelles entouraient les habitants, en dehors des terres d'Eglise où les sentiments d'humanité n'étaient pas absolu- ment méconnus, il n’y eut bientôt pour les classes inférieures Lie LS à, dé PS TT — 333 — que servitude et abrutissement. La dépopulation suivit les progrès de la misère. Tel fut, à quelques variantes près, le déplorable état de ce pays pendant la plus grande partie du moyen âge. C'est ainsi que, déchiqueté sans cesse par une aristocratie germaine qui en avait fait sa proie, le comté de Bourgogne appartint, plus souvent de nom que de fait, à divers Etats démembrés du royaume de Clovis, puis catra pour un temps trop court dans l'empire de Charlemagne, fut ensuite disputé par les débiles successeurs de ce grand prince, incorporé dans le second royaume de Bourgogne, légué par le dernier titulaire de ce royaume à la maison impériale de Franconie, ressaisi enfin par la maison de Souabe, dont le chef, Frédéric Barberousse, avait épousé la fille unique de notre comte Rainaud II. Cette domination rendit quelques années de calme à la pro- vince; mais elle fut aussi le point de départ d’une hostilité profonde et persévérante de la branche cadette des anciens comtes de Bourgogne, se prétendant aux droits de Rainaud, contre la postérité de Barberousse et plus tard contre les ducs de Méranie qui, par un mariage, obtinrent le comté. Jean de Chalon l'antique eut l’heureuse pensée de confondre les droits de la branche aînée et ceux de la branche cadette, en unissant Hugues son fils à l’héritière du dernier comte de la maison de Méranie. Mais cette combinaison n’empêcha point la rivalité de poursuivre son cours : Jean de Chalon, oubliant sous l'influence d'une seconde femme ses sentiments paternels , se ligua lui-même avec la noblesse du pays contre le comte Hugues, qui était son fils. Ce malheureux exemple ne devait être que trop bien suivi par les enfants de ses vieux jours, Jean de Chalon-Rochefort et Jean de Chalon-Arlay, à l'égard de leur neveu le comte Othon IV. Rien n'était moins homogène que la portion de l’ancienne Séquanie qui, par le fait des vicissitudes politiques, avait pris rang dans les Etats impériaux ; rien n’était plus mal défini que les droits, sans cesse remis en question par les partages 49 — 334 — de famille, des nombreux seigneurs qui s’arrachaïent les lam- beaux de cet infortuné territoire. Au nord-est était le comté de Montbéliard, relevant direc- tement de l'Empire. Il comprenait jadis la seigneurie monta- gneuse de Ferrette, qu'un règlement de succession en avait isolé, comme aussi le pays de Porrentruy, que revendiquaient également les évêques de Bâle. Borné à la région ouverte entre Vosges et Jura et aux plaines arrosées par le cours supé- rieur du Doubs, il était encore la sentinelle avancée de la défense d'un pays dont il ne reconnaissait point le souverain. Sur les pentes des Vosges, au nord, on rencontrait les terres des abbayes de Lure et de Luxeuil, dont les prélats, qui s'intitulaient princes de l'Empire, n'accordaient pas tou- jours au comte de Bourgogne le droit d'être leur gardien. Plus bas, les gués de la Saône étaient À une rive sous la su- zeraineté de l’évêque de Langres” En descendant le cours de ce mème fleuve, on arrivait au vicomté d'Auxonne, lisière de vingt-cinq lieues de long sur six de large, avec dix bourgades murées, empiétement des ducs de Bourgogne sur la terre franc-comtoise. Presque toute la région vinicole et salifère du sud-ouest appartenait à la maison de Chalon, qui ne laissait au comte de Bourgogne qu'un tiers du puits à muire de Salins, la princi- pale source du commerce d'exportation que faisait la province. La maison de Chalon, comme avouée de l’abbaye prineière de Saint-Claude et du baroïchage de Pontarlier; celles de Montfaucon et de Joux, comme gardiennes de l'abbaye du Mont-Sainte-Marie et du prieuré de Morteau, se partageaient l'imposante barrière des Juras qui délimitait le pays au sud et à l'est. | Au centre était Besancon, le boulevard militaire par excel- lence, dès longtemps isolé du reste de la province. Une com- mune s'y était constituée à la fin du douzième siècle; et, malgré les grondements lointains des foudres impériales, le flot popu- laire, secondé par l'aristocratie laïque, avait fini par restreindre — 335 — aux pourpris des deux cathédrales le pouvoir, autrefois sou verain, de l'archevêque et de ses chapitres. Les prélats s'étaient ruinés en, soutenant cette lutte, et ils n'avaient pu empêcher les comtes de Bourgogne de prendre un pied dans la place, en devenant fréquemment les gardiens de la commune. A l'exception de quelques centres où il était seigneur foncier, le comte de Bourgogne n'exerçait guère qu'un protectorat sur les villes du pays dont il avait les châteaux ; et encore pour plusieurs de ces forteresses, telles que celles de Vesoul et de Gray, était-il tenu à hommage envers l'archevêque de Besançon. Les meilleurs terres du pays échappaient au comte comme biens d'Eglise : c'était ainsi que l'archevêque de Besançon possédait en propre les circonscriptions de Gy et de Mandeure, tandis que les chanoines métropolitains taillaient de grasses prébendes dans les vallées du Doubs et de l'Ognon. Réduit aux revenus de ses seigneuries privées, sur lesquelles encore ses cadets prélevaient de notables apanages; subordonné, quant à l'exercice de ses prérogatives gouvernementales, au bon ou mauvais vouloir d’une égoïste aristocratie qui occupait toutes les frontières du pays et en commandait, par de formi- -dables repaires, tous les passages, le comte de Bourgogne devait nécessairement chercher au dehors le point d'appui d'une autorité que tous méconnaissaient au dedans. Telle fut l’amorce du duel que se livrèrent, pour la posses- sion de notre province, la diplomatie naissante, représentée par Philippe le Bel, et la stratégie des temps barbares dont Rodolphe de Habsbourg était l’une des plus pures incar- nations. I] _ Le 1° octobre 1273, les grands officiers de l'Empire, réunis à Francfort pour élire un chef, portèrent leurs suffrages sur celui des princes allemands qui, durant cette anarchie de dix- neuf années que l’histoire nomme le grand interrègne, avait — 336 — le plus contribué à réprimer le brigandage, à purger les che- mins, à mettre d'accord la loyauté avec les dures nécessités de la guerre. En ces temps calamiteux où les empereurs, ab- sorbés par une lutte deux fois séculaire contre les prétentions rivales de la papauté, avaient abandonné tout souci d'admi- nistration et de police, Rodolphe de Habsbourg s'était donné le métier de redresseur de torts. Passionné pour la vie des camps, il y portait l'intrépidité du soldat, la décision du capi- taine, la bonne foi du chevalier. Ainsi s'était-il fait une immense clientèle de toutes les bourgeoisies de la Suisse et de l'Alsace, dont la liberté récente avait besoin de protection. Il tirait de là d'excellentes milices volontaires , qui eurent tou- jours bon marché de celles que les seigneurs enrôlaient par la contrainte. Cette existence chevaleresque et nomade avait singulièrement trempé le caractère de Rodolphe : aussi les électeurs ne se méprirent-ils pas en le jugeant capable de res- taurer l’ordre légal dans l'Empire (1). En vaillant jouteur, le nouveau monarque débuta par la portion la plus scabreuse de son entreprise, celle qui consis- tait à subordonner Ottocar, roi de Bohême, lequel dominait sur toute l'Allemagne du sud. Deux expéditions vigoureuses, dirigées contre ce redoutable adversaire, mirent aux mains de Rodolphe les provinces autrichiennes, qu'il devait adjuger à deux de ses fils. L'appétit de famille était dans le génie de la race germa- nique, et il n'y avait guère d'empereur qui n’eût profité de sa position de-haut justicier pour confisquer quelque domaine au profit des siens. Rodolphe continua cette tradition. Deux de ses fils allant être apportionnés avec les dépouilles d'Otto- car (?),1l concut le projet de reconstituer en faveur de son () Voyez Ch. Giraup, L'Allemagne en 1273 et l'élection de Rodolphe de Habsbourg, dans les Séances et travaux de l'Académie des sciences mo- rales et politiques, t. LXXXIV (avril 1868), pp. 47-68. (2) 1282, 27 décembre. — GerBerT, Codex epistolaris Rudolfi I, pp. 233- 234. — 331 — enfant chéri, Hartmann, le royaume de Bourgogne, dont quelques bribes étaient dans son patrimoine (!). Il s'agissait, pour ce faire, de réduire à l’obéissance les vassaux insoumis de l'Empire qui se partageaient la Suisse et cette bande de terrain que le traité de Verdun avait retranchée du territoire normal de la France. Régnant déjà, comme protecteur ou comme maître, sur toute la Suisse allemande, Rodolphe devait refouler tout d'a- bord la maison de Savoie, qui, à la faveur des troubles de l'Empire, avait pris une position analogue à la sienne dans ‘la partie romande de l'Helvétie, et dont le chef, Philippe, était devenu l'époux de la comtesse de Bourgogne. Mais la maison de Savoie se défendait par une importante alliance. Placée entre l’enclume de la France et le marteau de l'Em- pire, elle s'était donnée à l'Angleterre (?), dont la politique de chicane commençait à se formuler. Rodolphe acheta l'Angleterre, en sollicitant pour son fils Hartmann la main d'une des filles du roi Edouard IV (?). Il y gagna de pouvoir battre à son aise le comte de Savoie et d'enlever à ce prince toutes les conquêtes que son frère, le Petit Charlemagne, avait faites sur les terres de l'Empire. Mais l'Angleterre, alors inspirée par la France, ne voulut en tolérer davantage : elle avait acquis un droit matériel d'inter- venir dans le débat; car, à l'instigation de Philippe le Hardi et du comte de Savoie, le nouveau comte de Bourgogne, Othon IV, s'était reconnu vassal du roi Edouard pour la suzeraineté des passages par lesquels notre province com- munique avec la Suisse (*). Quelques jours avant cet acte, Hartmann s'était noyé accidentellement dans le Rhin (5) : dès () Engagement pris par Rodolphe (1278, 25 avril) de travailler dans ce sens au profit de son fils Hartmann (Rymer, Fœdera, t. IL, part. 2, p.554.) (2) Rymer, Fœdera, t. II, part. 2, pp. 530, 556, 589, 641, 649, 660 et 661. (8) 1276-1279. — Ryuer, Fœdera, t. II, part. 2, pp. 536-568. (*) 1282, janvier, Lyon. — Rymer, Fœdera, t. II, part. 2, p. 588. (5) 1281, 20 décembre. — Æpistola anonymi ad Eduardum, Angliæ — 338 — lors l'Angleterre, n'ayant plus d'intérêt à ménager Rodolphe, rendit au comte de Savoie la plénitude de son protecto- rat (1). | Le César germanique avait encore trop d'enfants à enrichir pour que la mort d’un fils arrêtât le cours de son ambitieux dessein. Timité d’un côté par l'influence anglaise, il lui serait aisé de trouver prétexte de s’avancer sur un autre point de l’ancien royaume de Bourgogne. L'Etat de Monthéliard venait d'échoir par donation à l'un des frères du comte de Bourgogne, nommé Renaud {?); et ce prince, méconnaissant les traités de ses prédécesseurs avec les évêques de Bâle, avait oceupé militairement le pays de: Porrentruy. L'évêque de Bâle, créature de Rodolphe, invoqua l'assistance de l'Empire et fut immédiatement satisfait. Le comte de Montbéliard, enfermé dans Porrentruy, résista pen- dant six semaines aux troupes impériales, réunies à celles des évêques de Bâle et de Strasbourg (*) ; mais, obligé de se rendre , force lui fut de renoncer à toutes les prétentions territoriales qui avaient motivé son attaque (4). Ce coup, porté à la fortune de son frère, accentua davantage la haine que le comte de Bourgogne Othon IV nourrissait dès longtemps contre la maison de Habsbourg. Ce sentiment, provoqué par Philippe de Savoie, son beau-père, était de longue main attisé et entretenu par la France. Les penchants naturels d'Othon IV le portaient d’ailleurs à incliner vers cette puissance, car il avait en lui toutes les qualités et tous regem, de morte Hartmanni. (Gersert!, Crypta nova San-Blasiana , p. 115.) — Cf. TrouiLzar, Monuments de l'histoire de l'ancien évéché de Bâle, t. II, pp. 316-347. () Voir le traité de paix fait entre Rodolphe et Philippe de Savoie, en 1282, dans TrouILLAT, Monuments, t. IT, p. 359-363. (2) 1282, 15 mai. — Trourzcar, Monuments, t. II, p. 351-354. (8) ? mars-16 avril 1283. — Taouizcar, Monuments, t. II, p. 373. — Cf. Quiquerez, Histoire des comtes de Ferrelte, dans les Mémoires de la Société d'Emulation de Montbéliard, ?° série, t. I, p. 216. (#) 1283, 17 avril. — TrovILLAT, Monuments, t. II, pp. 374-376, — 339 — les défauts de la race française. Brillant d'esprit, mais léger de caractère, d'une vanité égale à sa bravoure, il adorait le faste et aimait à s’étourdir dans les fêtes {!). Le séjour de Paris était pour lui l'idéal de l'existence (?); et, déjà du vivant de la comtesse sa mère, la cour du Palais lui prodiguait toutes ses séductions (*). D'une générosité sans égale, Othon ne crut pouvoir payer ces plaisirs d'un trop large retour. Ce fut ainsi qu'en 1277, la commune de Besançon l'ayant reconnu pour gardien (‘), il ouvrit volontiers cette place aux émissaires du roi Philippe le Hardi, qui parvinrent à y nouer des intrigues dont s'alarma Rodolphe (). A partir de l'échec du comte de Montbéliard, Othon se livra (1) Pièces justificatives, nos III, XVI, XVII et XVIII. (2) Pièces justificatives, nos III, XI et XIV. (8) Acte passé par les frères Othon et Renaud de Bourgogne, à Paris, ‘au cloître Notre-Dame, en l'hôtel de Louis de Savoie, le ? décembre 1271. (Guicuenow, Histoire généalogique de la maison de Savoie, édit. de DAME CE NE D: 99.) (t) « Nos Othes, cuens palatins de Borgoigne et sires de Salins,..... conossons et voirs est que nos n’eimes.. en nostre garde, en la présance dou cominal de Besencon, ou vergier Perrenin Benoit, la quinzene de Penthecoste, l'ant de l'Hticarnacion Nostre Seignor mil dous cenz et septante et sapt (29 mai 1277), la cité de Besençon et les genz de la dite cité...» (Archives de la ville de Besancon.) — Voyez en outre, dans CnevaLiER, ist. de Poligny, t. I, pp. 357-58, le traité d'assistance mu- tuelle conclu entre le comte Othon et la commune, cette dernière s'en- gageant à ne reconnaitre, tant que ce prince vivra, d'autre gardien que lui. Cet acte est forcément postérieur au 8 mars 1279, puisque Othon s'y intitule comte de Bourgogne; c'est donc par erreur que Chevalier l'a rapporté à l'année 1269 : en rétablissant un chiffre x évidemment omis dans la formule de da‘ation, nous obtenons une date qui correspond au 22 mars 1280, suivant le comput actuel, ce qui est d'accord avec les vraisemblances. (5) «Rudolphus, Dei gratia Rom. rex, universis civibus Bisontinis.…. Sane quia, sicut ad culminis nostri pervenit notitiam, rex Francie, fer- mento persuasionis sue, sinceritatem fidei vestre molitur corrumpere, vos a fidei nostre et Imperii debito avertendo, et servitio sui secularis dominii accrescendo, attentione qua possumus vos hortamur quatenus a talibus persuasionibus auditum et animum avertatis..….… Datum in Aldemburg, vr idus aprilis, regni nostri anno quarto. (26 avril 1278.) » — (J. J. Carrrcernr Vesontio, I, pp. 229-230). — 340 — sans réserve à la France et devint un instrument docile de ses volontés. L'amour intervint pour serrer les nœuds de cette alliance : Othon, déjà veuf, rechercha la main de Mahaut d'Artois, la fille du vaillant comte Robert, au moment où ce fidèle vassal de la France entrait en campagne avec Charles d'Anjou, pour aller dans l'Italie méridionale venger l'attentat des Vépres siciliennes (1283). Othon ne crut pouvoir moins faire que de courir avec son futur beau-père les risques de cette expédition (‘). À son retour, le Trésor royal fit les frais de la dot de Mahaut {?). Toujours magnifique, Othon riposta par un nouvel exploit. Il s’enrôla encore (1285) sous les ban- nières fleurdelisées et chevaucha, avec son frère Hugues et des troupes à sa solde, à la suite de Philippe le Hardi qui voulait châtier, dans ses propres Etats, le roi d'Aragon, fau- teur du massacre des Français en Sicile (*). Ce que ces deux prouesses lui coûtèrent de monnaie est incalculable (#) : @) Gurzz. DE Nançraco Gesta Philippi II et Chronicon, ap. Scriptor. rer. francic., t. XX, pp. 522 et 568. — Pièces justificatives, nos IV et IX. — Voyez, quant aux seigneurs qui accompagnèrent le comte de Bour- gogne en Italie : GoLcutr, WMémoires de la république séquanoise, édit. de 1846, livre VII, ch. xxur,; Dunon, Histoire du comté de Bourgogne, t. IT, p: 215. () Par un acte du mois de janvier 1285, Othon reconnaît avoir reçu de Philippe, roi de France, qu'il appelle nostre très chier seignor, la somme de dix mille livres de bons tournois, pour le douaire de Mahaut, son épouse, envers laquelle il hypothèque la restitution de ladite somme, son décès arrivant, sur la moitié des revenus du comté de Bourgogne. (Arch. du Doubs, ancienne Chambre des comptes, B. 761.) — C£ Scriptor. rer. francic., t. XX, p. 528, t. XXI, p. 473. (5) Scriplor. rer. francic., t. XXII, pp. 481, 675 et 683. — A l'allée comme au retour de cette malheureuse expédition, les troupes du cpmte de Bourgogne, ainsi que leurs provisions, furent voiturées par eau : les soldats avaient été embarqués à Dole sur le Doubs, et les vivres à Gray sur la Saône. Parti de Dole vers la fin d'avril 1285, le comte de Bour- gogne était de retour dans cette ville, avec les débris de sa petite armée, . le 28 octobre suivant. {Pièces justificatives, nos V, VIT, VIII, X, XIII et XV.) — Voyez, quant aux événements militaires de cette campagne, Sismonpr, Histoire des Français, t. VIII, pp. 360-374. (#) Pièces justificatives, nos V, VII, VIIL, X, XII, XIII, XV et XIX. En ee dès lors les banquiers juifs et lombards, qui depuis longtemps avaient la main dans ses affaires (!), prirent hypothèque sur son patrimoine (?) ; et la France, qui était sa caution, paya le plus que possible à sa décharge {#), afin de hâter le moment où elle pourrait l'exproprier. Cette opération devait être l'œu- vre de Philippe le Bel (*), ce Sphynx du moyen âge, dont les beaux yeux fascinaient, dont les menées occultes restaient des énigmes, même pour les agents déliés qui en étaient les exé- cuteurs (5). Autant la France avait souci de s'emparer d'Othon IV, autant Rodolphe de Habsbourg s'étudiait à cajoler l'aristocratie franc-comtoise, éternelle ennemie de son chef hiérarchique le comte de Bourgogne. Cette aristocratie avait alors pour principal inspirateur un tout jeune homme, qui était l'oncle d'Othon IV beaucoup plus âgé que lui : c'était Jean de Chalon- Arlay, héritier de la meilleure part des domaines de Jean l'antique, également héritier de la haine traditionnelle de la branche cadette des comtes de Bourgogne contre le représen- tant, quel qu'il fût, de la branche aînée. Jean de Chalon avait épousé une fille de la maison ducale de Bourgogne : cette raison détermina Rodolphe à contracter un second mariage avec une princesse du même sang (5). Ayant ainsi le droit de : (2) Pièces justificatives, nos I et II. (2) Pièces justificatives, nes VI, VIII et XIII. (8) Pièces justificatives, nos XIV et XIX. (4) Voyez notre Notice sur Hugues de Besancon, évèque de Paris, dans les Mémoires de la Soc. d'Emul. du Doubs, 3° série, t. I, 1855. (5) Voyez, sur le caractère et la politique de Philippe le Bel, le remar quable ouvrage de M. Edgar Bourartrc, intitulé: La France sous Philippe le Bel. | (5) Ce mariage fut célébré à Remiremont, le 6 février 1284, alors que Rodolphe était âgé de soixante-quatre ans, tandis que la princesse T:abelle de Bourgogne en avait à peine quatorze. (EzLennarDt (hronicon; Annales Colmarienses majores; Annales Sindelfingenses, ap. Perrz, Monumenta Germaniæ, Scriptor. t. XVII, pp. 127, 211, 303.) — 342 — se traiter de frères (1), ces deux hommes devinrent indispen- sables l'un à l’autre et ne se quittèrent plus. Jean de Chalon aimait autant la vie des camps que son neveu, le comte de Bourgogne, recherchait celle des cours. Esclaves de deux politiques diamétralement opposées , leurs loyers respectifs durent être en sens complètement inverses. La royauté française, dominée par l'intérêt national, ne vit dans le comte de Bourgogne qu'un instrument providentiel à exploiter au profit de l’agrandissemeut de son territoire. Ro- dolphe, au contraire, qui ne poursuivait qu'un rêve d'ambition personnelle, fut libre de faire quelques largesses à celui qui le servait. Tandis que les agioteurs au service de la France creusaient le labyrinthe de dettes dans lequel le comte de Bourgogne marchait gaîment à sa ruine, Rodolphe obligeait le jeune comte de Neuchâtel à reconnaître pour son suzerain Jean de Chalon (?), puis concédait à cet:ami fidèle un droit de police et de péage sur les marchands qui de l'Allemagne passaient par les terres d'Empire pour se rendre en Italie (®). Cependant les agents de la France, ces rusés Italiens dont Philippe le Bel sut tirer un si grand parti, couraient le comté de Bourgogne, et, sous prétexte de négoce, y semaient l'or avec parcimonie et les promesses à profusion. La ville de Be- sançon était le centre de leurs intrigues, et la commune qui régissait celte place attendait beaucoup du puissant prince qui était le patron du comte de Bourgogne, son gardien. () Dans les diplômes qui le concernent, Jean de Chalon est appelé par Rodolphe frater el fidelis noster dilectus. (2) 1288, 13 septembre. — Cnevazter, Histoire de Poligny, t. I, pp. 371- 372; MaTize, Monuments de l'histoire de Neuchâtel, t. 1, pp. 220-222; Boyve, Annales historiques du comté de Neuchälel, t. 1, pp. 245-248. (5) 1288, 17 septembre.— GergerT, Codex epistolari: Rudolphi I, p.250: CuevaLier, Aist. de Poligny, t. I, pp. 372-373. — Trois ans plus tard (29 mai 1291), deux nouvelles gracieusetés impériales achevèrent de récompenser les services de Jean de Chalon : ce fut d'une part l'auto- risation de battre monnaie, puis la concession à titre perpétuel de la fructueuse avouerie de l'abbaye de Saint-Claude (GE£RBERT, Codex, pp. 252-253; CHEVALIER, t. I, pp. 374-376.) DR dE OU à — 343 — Le feu couvait sous cette cendre de menées ténébreuses : il ne fallait qu'un souffle pour allumer l'incendie. Ce souffle vint encore du pays de Montbéliard. Le comte Renaud , pro- fitant d'un changement d'évêque survenu dans l'église de Bâle, envahit une seconde fois le Porrentruy (1287) : aidé du comte de Ferrette, il baîtit les troupes épiscopales et leur enleva une douzaine de notables prisonniers. Le prélat voulut prendre sa revanche (1288) : il appela à son aide le comte de Fribourg, la noblesse du Brisgau, la vaillante bourgeoisie de Bâle, et leva le plus d'hommes que possible dans ses Etats. Son armée, trois fois plus nombreuse que celle de ses adver- saires, entra dans les terres de Monthéliard et y fit de grands ravages. Tout allait au gré de la rancune de l’évêque, lors- qu'au moment de livrer combat, le comte de Fribourg et les siens tournèrent bride à premiere vue de l'ennemi : les Bâlois, restés seuls, furent mis en déroute, et laissèrent le quart des leurs tant sur le champ de bataille qu'aux mains de Renaud et de son allié. Cinquante des plus riches citoyens de Bâle allèrent rejoindre les prisonniers faits dans la précédente expédition. Renaud exigeait pour les rendre des rançons énormes : l'évêque, ne pouvant payer, alla crier vengeance auprès du chef de l’Empire (!). Rodolphe de Habsbourg était alors occupé à dissoudre une ligue de l'évêque de Coire et de l’abbé de Saint-Gall (?). Il se hâta de terminer cette petite affaire, et se rendit à Bâle pour former une armée. Jean de Chalon et les deux frères de Mont- faucon, Jean et Gauthier, furent des premiers à se ranger sous l'étendard impérial : avec eux Rodolphe était maitre des deux versants de la chaîne du Jura, et pouvait tirer des mi- lices d’un grand nombre de seigneuries franc-comtoises (?). @) EzcenaarDt Chronicon, ap. PerTz, Monumenta Germaniæ historica, Scriptorum t. XVII, p. 128. (2) EzcexxarD! Chronicon, ap. PerTz, Monumenta Gerinanizæ, Scriptor. t. XVII, pp. 127-128. (5) F. DE GINGINS-LA-Sarr4a, Recherches historiques sur les sires de — 344 — La haute Alsace, dont Rodolphe était landgrave, fut égale- ment mise à contribution (t). L'évêque et la commune de Bâle, gravement intéresssés dans l'affaire, ne durent pas être les derniers à fournir leur contingent. L'évêque de Strasbourg amena 300 cavaliers et cent chariots de munitions (?). La noblesse de cette ville envoya quarante chevaliers montés et suivis de leurs sergents (#). Enfin les trois cantons libres de la Suisse, qui commencaient à battre monnaie en prétant des soldats, envoyèrent à Rodolphe douze cents de ces vigoureux montagnards dont l’intrépidité, la discipline et la souplesse devaient faire prendre en dédain les parades de la chere féodale (*). Ainsi recrutée, l’armée impériale comprenait, outre un “effectif considérable de gens de pied, 6,000 cavaliers, entre lesquels 2,300 étaient armés de toute pièce (*). Elle s’ébranla le 21 juillet 1289 (5), et employa trois semaines à ravager tout le pays qui s'étend entre Porrentruy et Montbéliard (7). Cependant le comte Renaud et le comte Thiébaud de Fer- rette, enfermés dans le château de Montbéliard, envoyaient courrier sur Courrier au comte de Bourgogne, et celui-ci s’efforçait de démontrer au roi de France que le moment était venu pour lui de se saisir de la province (#). Mas Philippe le Bel était un de ces tempéraments froids, un de ces génies Montfaucon, chap. 1v, dans les Mémoires et documents publiés par la Société d'histoire de la Suisse romande, t. XIV. () Pièce justificative n° XXIV. (2) Pièce justificative n° XX VI. (5) Pièce juslificative n° XXIV. & (#) Pièce justificative n° XX V. (5) Le chiffre de 100,000 fantassins, donné par les chroniqueurs alles . mands, est évidemment exagéré : ceux qui le ramènent à 20,000 hommes nous paraissent être dans le vrai. (Voyez Duvernoy, Ephémé- rides du comté de Montbéliard, p. 265; Quiquerez, Histoire des comtes de’ Ferrelle, dans les Mem. de la Soc. d'Emul. de Montbéliard, T série, 1 ep e18 0) (5) Pièce justificalive n° XXIV. (7) Pièce juslificalive n° XX VI. (8) Pièce justificative n° X XIII. — 345 — taciturnes qui ne précipitent rien et sont moins aptes à diriger les événements qu'à en escompter les suites. Othon ne tira de ce prince qu'une promesse de secours pour le cas où l'in- vasion de Rodolphe dépasserait certaines limites. Plein de cette confiance qui est le propre des natures ima- ginatives et candides, Othon avait déclaré ouvertement la guerre à Rodolphe, s'était allié contre lui avec le comte de Ferrette et avait invité la noblesse franc-comtoise à entrer dans cette ligue (‘). L'un de ses frères, Hugues de Bourgogne, se multiplie pour lui chercher des adhérents (?). Les maisons de Neuchâtel-en-Montagne, de Rougemont et de Faucogney, hostiles à la famille des Chalon, se mettront de la partie (*). Thiébaud de Faucogney, abbé de Luxeuil, amènera ses hommes (‘). Quelques seigneurs allemands, antiques rivaux des Habsbourg, viendront se joindre à la ligue (*). Le corhte d'Artois, père de la comtesse de Bourgogne, accourra du fond de la Sicile pour épauler son gendre (f\. La commune de Besançon fera tête à l'orage (7); les chapitres et abbayes qu'abritent ses murailles prêteront quelque argent aux confé- dérés (). Quant à l'archevêque, ruiné déjà et n'ayant à () Pièce justificative no XX. (2) Le rôle actif de Hugues de Bourgogne est attesté : 19 par l'engage- ment personnel que prit ce seigneur, le 22? juillet 1289, de marcher contre le comte Othon IV, son frère, dans le cas où il manquerait à son traité avec le comte de Ferrette (Arch. de l'Empire, Trésor des chartes, J. 254, n° 12); 2° par la restitution que le même Hugues ordonna, dans une clause de son testament (juin 1312), « pour les draps qu'il prit pour la guerre du roi d'Alemaigne. » (Cnevaurer, Hist. de Poligny, t. I, p. 400.) — Voyez aussi notre Notice sur l'évéque de Paris Hugues de Besancon, . “dans les Mémoires de la Société d Emulation du Doubs, 4e série, t. I, 1865, pp. 250 et suiv. (8) Pièces juslificatives, nos XX, XXI, XXIV et XXIX. (+) Pièce juslificative n° XXII. (5) Pièce justificative n° XXIV. (5) Zd. ibid. (") Pièces justificatives, nos XXIII, XXIV, XXV et XX VII. (8) Quittance donnée par Thiébaud de Rougemont, au nom du comte de Bourgogne, de la somme de deux cents livres accordées à ce prince, pour l'aider contre le roi d'Allemagne, par le chapitre métropolitain de = 346 — attendre de toute part qu’un complément de misère, il ne pourra que gémir et prier. Le rendez-vous de.l’armée franc-comtoise est indiqué dans les prairies de l'abbaye de Bellevaux (!), en arrière du cours de l’Ognon et en face des sommets boisés dont la crête déli- mite au nord le territoire de Besancon. Tandis que le comte de Bourgogne y recoi. les contingents de ses alliés (?)}, et que ces troupes se retranchent, Rodolphe enlève la position de Montbéliard (%), sans parvenir néanmoins à empêcher ses défenseurs, les comtes de Montbéliard et de Ferrette, de gagner la campagne pour se replier sur le camp de Bellevaux. L'armée impériale avait dès lors le chemin libre jusqu'à Besancon : Rodolphe en profita pour venir frapper un grand coup sur cette place, qui était le quartier général des intrigues du roi de France. L'empereur, avec le gros des troupes, suivit la vallée du Doubs, pillant et brûlant tout ce qui se trouvait à sa portée (“). Jean de Montfaucon , à la tête de la cavalerie, marcha paral- lèlement sur le premier gradin de nos montagnes, levant par- tout des contributions de fourrage et d'avoine, et n’épargnant pas même les gens d'Eglise (‘). Les deux corps se rejoignirent en vue de Besançon (22 août). Rodolphe installa son armée à l'est de la ville, au pied d'un Besancon. — 6 août 1289. (Archives du Doubs, Inventaire du chapitre métropolitain.) — Autre quittance relative à un don de cent livres fait, pour le même motif, par l'abbé de Saint-Paul. /Pièce justific. n° XXI, () Pièces justificatives, nos XXII et XXIX. FA (?) Id. ibid. (5) Pièce justificative n° XX VI. (+) Pièces justificatives, nos XXIV, XXVI et XXX. (5) « Item volo et mando quod cuilibet curato de Varasco a quibus injuste habui avenam, tempore quo rex Allemanicus obsedit civitatem Bisuntinam, prout inventum fuerit, fiat satisfactio plenaria.» (Testament de Jean de Montfaucon, 30 mars 1305. — Ricaarv, Histoire de l'abbaye de la Grâce-Dieu, p. 270.) — 347 — contrefort de Bregille, alors couronné par un château des archevêques auquel, de nos jours, a succédé le fortin de Beauregard (1). C'était là déjà qu'au commencement du cin- quième siècle, le farouche roi des Vandales, Crocus, était venu se poster pour menacer la ville. De cette circonstance le ma- melon avait été surnommé mons Wandalorum , locution qui, dans le langage populaire, était devenue mont Mandelier (?). Ce dernier vocable est encore affecté au canton de vignes qui couvre l’un des flancs du monticule. IV La ville de Besancon occupait alors le même espace que celui qu'elle comprend aujourd'hui. Sa citadelle, qui avait peu à redouter des armes de jet du moyen âge, était munie d'un simple mur bastionné, régnant sur l'isthme étranglé de la presqu'île que délimite le grand contour du Doubs. Cette barrière naturelle était elle-même doublée de murailles continues. La partie nord de la ville, étagée sur les pentes dont Charmont est le point culminant, avait pour enveloppe une ligne de fortifications que la commune ne cessait d’ac- croitre (?). (:) Pièce justificative n° XX VII. (2) « (Crocus) urbem denique diutina vallans obsidione, cum nulla posset invicta mœænia civesque animosos calliditatis arte superare, oppi- dum super unum montium, haud longe circumfluentis amnis a margine situm, ad prohibendum ingressum vel secessum civium (qui nunc usque -Wändalorum mons ab incolis nuncupatur), condidit. » (Vila et passio S. Antidi, Bisunt. archiep., ap. Acta SS., junii t. V, p. 46.) — « Murus de monte Mandelier. » (Comple de l'archevéque de Besancon Guillaume IT, en date du 5 avril 1256, dans les Documents inédits sur l'histoire de la Franche-Comté, t. IL, p. 343.) ; (5) Voyez D. Berraon, Dissertation sur les différentes positions de Besançon, dans les Documents inédits sur L'histoire de la Franche-Comté, t. II, pp. 229-343. — Cf. le plan joint à notre étude sur le Capitole de Vesontio, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4e série, t. IV, 1868. — 348 — Douze mille habitants environ peuplaient cette surface (!) qui en loge aujourd'hui plus de quarante mille : aussi de larges morceaux étaient-ils livrés à la culture (?). Depuis que les efforts réunis de l'aristocratie franc-comtoise et de la commune avaient brisé le sceptre temporel des arche- vêques, l'Eglise ne dominait plus que sur quelques terrains attenant à ses basiliques. Tout le reste © {::5sait à un conseil de douze prud'hommes, annuellement élus en plein air par l’universalité des citoyens (*). En cas de péril, la commune déléguait à l’un des siens es fonctions de pardessus ou capi- taine (‘), ce qui portait à treize le nombre des membres du conseil; en outre un puissant seigneur de la province recevait pour un temps limité le titre de gardien de la cité (°). Toutes les montagnes qui font cirque autour de la ville, et G) Cette évaluation est basée sur un rôle des contribuables dressé par la commune en 1291 (Registre municipal I, fol. ru et suiv.) Les chefs de famille seuls sont portés sur cette liste, et leur nombre s'élève, pour les sept bannières, à 2,468. Multipliant ce chiffre par 3 1/2, moyenne du nombre d'individus que comporte un ménage, on arrive à 8,638 habi- tants. A quoi il faut ajouter les ecclésiastiques, alors en très grand nombre, leurs serviteurs, puis la population des quartiers qui, à titre de terre d'Eglise, n'étaient pas dénombrés par la commune : la rue et le clos Saint-Paul, le quartier du Chapitre, les rampes et le plateau de la citadelle, alors passablement garnis de demeures, composaient cette catégorie d'exception. Nous ne croyons pas tenir un compte exagéré de ces suppléments, en leur accordant un chiffre approximatif de 3,500 habitants. () Voyez le plan gravé de Besançon qui forme l'une des planches du Vesontio de J..J. CxiFFLer. (5) « Duodecim ex seipsis, quos probos homines nominant, deputa- PRE € » (Bulla Alexandri IV, papæ, 29 jan. 1259, communitali civit. Bis. contraria, ap. Cartular. archiep. Bisunt.) — Voyez, pour les siècles suivants, notre exposé des Varialions du régime municipal à Besançon, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4e série, t. I, 1866, pp. 151-157. (4) « L'ant qui corroit par M. cc. et rx xx et neuf anz, le mecredi après la Chandelousse (8 février 1290)... fui establiz Amiez de Chois à pardesuis de ces de Besençon..……. » — « Amiet de Chois, capitains de Besençon. » (6 septembre 1290.) — [Archives de la ville de Besancon.) (5) J. J. Cairrer, Vesontio, pp. 219 et seq. — 349 — dominent si malencontreusement le rocher de la citadelle, avaient les bonnes parties de leurs pentes aménagées en vignes; et le produit de cette exploitation était l'objet du seul commerce qui amenât de l'argent dans la cité. Si Rodolphe, en commençant sa campagne, eût prévu qu'il rencontrerait une position militaire de cette importance, son gros matériel de guerre l'aurait suivi. C'eût été pour lui le cas de renouveler l'heureuse expirience qu'il avait faite des ponts de bateaux (!) : portée ainsi sur la rive gauche du Doubs, son infanterie eût aisément pénétré dans la place par escalade. Mais ses équipages étaient dépourvus d'engins. Nos prud’- hommes ne l'ignoraient pas, car ils affectèrent de laisser ouvertes les portes de la ville pendant tout le séjour de l’armée impériale (2). Un coup de main n'étant pas possible, il fallut se rabattre sur un dommage qui püt amener les assiégés à composition : dans ce but, Rodolphe donna l'ordre à ses soldats d'arracher les vignes qui les environnaient (?). Cette opération venait de s’accomplir, lorsque l’armée franc- comtoise, sortie du camp de Bellevaux, tourna le mont de Bregille et vint s'embosser dans la vallée du Doubs, à mille mètres en amont des quartiers de Rodolphe (*). Sur un palier aussi étroit, un engagement offrait mille dangers, celui entre autres, pour le vaincu, d’avoir la plus grande partie des siens jeté dans la rivière. Peu soucieux de s'exposer à ce péril, Rodolphe abandonna la vallée et fit monter ses troupes au sommet de Bregille, poste excellent pour voir tout ce qui se passait dans la place. Les () A Bâle, pour franchir le Rhin, en 1273. (*) Pièce justificative n° XX VII. (5) Pièces justificatives, nos XXIV et XX VII. — La lettre de l'abbé de Citeaux, dont nous donnons le texte dans nos Pièces justificatives (n° XXX), évalue à 30,000 livres tournois le dommage causé par cette dévastation. (#) Pièces justificatives, nos XXIV et XX V. “+ 24 — 350 — alliés conservèrent leurs positions des Prés-de- Vaux et-s'y retranchèrent (1). se Les deux armées s'observaient mutuellement, celle d’en haut méditant une descente sur l'adversaire, celle d'en bas attendant pour manœuvrer le renfort qu'avait promis le roi de France (?). Mais Philippe le Bel n'était pas aussi rapide dans ses décisions que le comte de Bourgogne était prompt à concevoir une espérance. Il n’arriva de ce côté qu'une ambas- sade qui se rendit au mont de Bregille et, de par le roi de France, somma Rodolphe d'avoir à décamper. « Qu'il vienne, répliqua l'empereur, nous l’attendons ici de pied ferme, et nous le recevrons de telle sorte qu'il verra bien que nous sommes ici pour accomplir un devoir militaire et non pour nous livrer aux plaisirs (#) ! » En effet, rien n était moins réjouissant que la situation des ‘soldats de Rodolphe. L'année 1289 était exceptionnellement pluvieuse (*); et, pour des troupes aussi mal équipées, un tel contretemps devait être désastreux. A cela se joignait la pé- nurie des vivres (), d'autant plus inquiétante que le pays environnant n'était, pour ainsi dire, que bois et culture. Dans la portion de banlieue qu'occupait Rodolphe, on ne trouvait alors, en fait d'habitations, que le petit hameau de Bregille, domaine des archevêques, et l’abbaye cistercienne des Dames de Battant : pour une armée comme celle de l'empereur, c'était à peine deux bouchées. Les villages les plus voisins relevaient de la seigneurie de Montfaucon; et leur seigneur, qui était l’un des lieutenants de Rodolphe, eut sans doute le crédit de les faire respecter. Les confédérés gardaient d’ailleurs les () Pièces juslificalives, nos XXIV et XX V. (?) Pièces justificatives, nos XXIII et XX V. (5) Gerardi DE Roo Annales Habspurgicæ (OEniponti, 1592), p. 43. (+) Nous en trouvons la preuve dans ce fait que les vins de 1289 furent abondants, mais de mauvaise qualité. (Chroniques, dans le Recueil des historiens de France, t. XXI, p. 138, t. XXII, p. 85.) | (5) Pièces justificatives, nos XXIV et XXV. — 351 — chemins et empêchaient tout ravitaillement à longue dis- tance (!). Rodolphe avait le don de l'à-propos, et il en usa deux fois dans ces circonstances difficiles. Devant ceux qui lui mon- traient leurs habits en lambeaux, il tira de sa poche une aiguille et du fil, et se mit en devoir de rapiécer lui-même les manches de son pourpoint : ce jour-là toute l'armée s'occupa de couture. Une autre fois, ox vit le monarque arracher une rave et la manger toute crue : les soldats, jaloux d’imiter la sobriété de leur chef, ne laissèrent pas une rave dans les champs de Bregille (?). L'effet moral de ces incidents ne pouvait balancer long- temps les tortures de la faim : toute l'armée murmurait, voulant à n'importe quel prix sortir d’une situation insoute- tenable. Rodolphe venait de décider en conseil de guerre qu'un engagement aurait lieu le lendemain matin; « car, avait-il dit, si nous sommes vainqueurs, les vivres de l’en- nerni seront à nous, et si nous sommes battus, les nobles confédérés auront la générosité de nourrir ceux des nôtres qu'ils feront prisonniers (*). » La nuit tombait, et la résolution impériale volait de bouche en bouche. Les Suisses prirent sur eux de devancer le signal. Profitant à la fois de l'obscurité du ciel et de leur habitude de fréquen- ter les montagnes, ils se cachèrent, à l'insu des deux armées, dans un glissoir naturel, appelé les Chenaux-Saint-Paul (*), qui du sommet de Bregille plonge dans les Prés-de- Vaux. Le quartier du comte de Ferrette, l’un des confédérés, était presque dans l’axe de cette cassure. Les Suisses s'y jetèrent à () Pièce justificative n° XXV. (*) Id. ibid. (5) Id. ibid. (#) Notre manière d'ortographier ce lieu dit est justifiée par le passage suivant d'une charte du mois d'avril 1255 : « Vineam apud Bisuntium, in territorio quod dicitur Canalis Sancti-Pauli. » (Archives du Doubs, fonds Saint-Paul.) — 352 — l'improviste, frappant en aveugles sur les hommes, mais ayant soin de ménager les bagages pour en faire leur proie. Une clameur immense remplit la vallée. Rodolphe n'en connut la cause que quand il vit ses braves Suisses revenir à lui chargés de butin (). Cette sortie nocturne produisit, dans l’armée franc-comtoise, une émotion mêlée de terreur. Les chefs confédérés tinrent immédiatement conseil. Quelques-uns parlaient de fermer, par un ouvrage, le débouché du couloir, afin d'empêcher une nouvelle descente. À quoi un seigneur alsacien, qui avait appris la guerre sous Rodolphe, répondit en ces termes : « Je connais l'opiniâtreté de l'empereur ; quand il devrait marcher à quatre, il nous envahira. » Ce propos acheva de troubler les esprits, et l’on résolut tout d'une voix que, dès le lendemain, on parlementerait avec Rodolphe (?). Ainsi fut-il fait; et l'empereur, qui ne demandait qu'un prétexte honorable pour en finir, accueillit volontiers les ou- vertures de l'ennemi. Jean de Chalon, beau frère de Rodolphe et oncle du comte de Bourgogne, fut naturellement choisi comme entremetteur (%). On convint d’abord que les prison- niers bâlois, qui avaient été l'occasion de la guerre, seraient rendus sans rançon par les comtes de Montbéliard et de Fer- rette (*). Ce préliminaire souscrit, le comte de Bourgogne se rendit au camp de Bregille. Rodolphe, en vrai chevalier, lui donna le choix entre trois moyens de terminer la querelle : ou dissoudre son armée et en renvoyer les soldats dans leurs pays respectifs, ou livrer bataille en rase campagne, ou bien enfin s'en rapporter à la générosité de l’empereur. Ce dernier parti fut adopté (5). Le jour même (29 août), les deux armées décampèrent pour (:) Pièce justificative n° XXV. () Id. ibid. (5) Pièce justificative no XXIV. (*) Pièce justificative no XX V. (5) Pièce justifica'ive no XXIV. — 353 — gagner le gras pays de l’Ognon et s'y rassasier à leur aise (!). Rodolphe partagea le séjour de Bellevaux avec les confédérés, et, le 4 septembre, avant d'en partir (?), il octroya au comte de Bourgogne son pardon en échange d'un hommage (*). Cette soumission devait être renouvelée dans la prochaine diète que l'empereur tiendrait à Bâle (*). V Comme contrôle du récit que l'on vient de lire, il m'a paru intéressant de rechercher, à six siècles de distance des événe- ments, les traces que le sol devait en conserver. Guidé par le fil des témoignages contemporains, j'ai eu la satisfaction de repérer ces vestiges, qui désormais auront un sens. Au débouché du vallon qu'occupe l'abbaye de Bellevaux, dans une situation qui répond exactement au prope cœnobium Bellevallis des chartes, on trouve une pièce de prairie, en forme de trapèze, délimitée sur deux faces par la rivière de l'Ognon _et son affluent le ruissea:: des Granges, et sur les deux autres faces par un fossé creusé de main d'hommes. Cet espace mesure 4,550 mètres carrés, c'est-à-dire ce qu'il fallait pour remiser les chariots et bagages d'une nombreuse armée : à cette époque on s’inquiétait peu du logement des soldats. Les fossés, conservés pour assainir la prairie, sont curés de temps à autre ; et chaque fois que cette opération a lieu, elle met en évidence une quantité de ferraille, consistant princi- palement en fers de chevaux analogues à ceux qui sortent des ruines féodales. Sur les Prés-de-Vaux de Besançon, un peu en aval de la (t) Pièce justificative no XX VII. (2) Trois jours après (7 septembre), l'empereur, en route pour l'Alsace, campait à l'Isle-sur-le-Doubs. (Bœxmer, Regesta Imperii.) (5) Pièce justificative no XX VIII. (+) Gerserr, Codex epistolaris, p. 251. — Cuevauier, Hist. de Poligny, & Ep 373. — 354 — combe inclinée qui se nomme Chenaux-Saint-Paul, existe l'empreinte d'un camp rectangulaire, compris entre le pied du mont de Bregille et la rive du Doubs. Deux des côtés de ce retranchement sont encore très nets : le plus grand, qui longe la rivière, se suit sur une longueur de 150 mètres, et le fond de son fossé est à deux mètres au-dessous de la crête du para- pet; le plus petit côté mesure environ 70 mètres. Nul doute que ce ne soit là le quartier du comte de Ferrette, qui fut bousculé par les Suisses dans la soirée du ?8 août 1289. Sur le mont de Bregille, en arrière des glacis du fort actuel et à l'entrée du bois de la ville de Besancon, c'est-à-dire dans la partie la moins exposée de ce sommet, on rencontre un muraillement carré de 20 mètres de face, dont les talus, sur- montés de quelques assises d'énormes pierres sèches, plongent dans des fossés qui résulient de l’extirpation des blocs. Get ouvrage, que les plus anciens plans de la ville signalent, ne saurait être pris pour un fortin, car, dans les conditions de son assiette, il n'eût absolument rien défendu. Tout indique ‘au contraire qu'il a été la base d'un barraquement; et, l'armée de Rodolphe ayant occupé la hauteur de Bregille, l'idée d'y voir la tente impériale vient aussitôt à l'esprit. A l'usage des promeneurs qui, rencontrant cette bicoque, voudraient évoquer le souvenir du puissant monarque qui pacifia l'Allemagne et arracha les vignes de nos aïeux, j'es- quisserai le portrait physique de Rodolphe de Habsbourg. Quand il vint assiéger notre ville, il avait soixante et onze ans : il était très maigre et haut de près de sept pieds; il avait la tête petite et chauve, le visage long, grave.et pâle, un grand nez aquilin et tordu. Sur son armure, qu'il ne quittait guère, il portait une ample redingote grise, le premier vêtement de cette couleur qui ait été noté dans l'histoire ({). (:) « Comes Rudolfus de Habisburch natus est de progenie ducis Zeringie, anno 1218...., kalendas maii..…. Erat hic vir longus corpore, habens in longitudine pedes var, minus duobus digitis, gracilis, parvum habens caput, pallidam faciem atque longum nasum, paucos habebat En. D Den me. ee ee Re D ne CE CR — 399.— NA _ Les confédérés étaient soumis, mais non la ville de Besan- con qui, à l'abri de ses solides murailles, allait continuer, s'il n'y était mis bon ordre, à servir en Franche-Comté les pro- jets d’annexion de Philippe-le-Bel. Cette place de guerre restant à la discrétion de la France, le but de l'expédition de Rodolphe n'était pas atteint ; car une perte matérielle, comme celle qui résultait de l'arrachement de leurs vignes, ne pouvait qu'exaspérer les Bisontins, sans leur retirer aucun moyen de contrecarrer la suzeraineté germanique. L'armée impériale aurait-elle supporté pour si peu les fatigues d’un siége ? Rodolphe jugea qu'il y avait mieux à obtenir. La commune de Besancon, maîtresse de la place de guerre, existait de fait et nullement de droit : les empereurs et les papes l'avaient à l'envi frappé d'anathème (!), et ses allures insurrectionnelles tenaient essentiellement à cette singulière situation. Moins imbu ‘° préjugés que ses prédécesseurs, parce qu'il avait plus respiré la poussière des camps que les miasmes des cours, Rodolphe n'était pas ennemi des libertés municipales ; il s'en déclarait même volontiers le protecteur, à la condition que ceux qui en usaient lui rendraient à l'occa- sion des services. Telles étaient également ses vues à l’en- crines, extremitates vero habebat parvulas atque longas.... » (Chronicon Colmariense, ap. Pertz, Monumenta Germaniæ, Scriptor. t. XVII.) — « Hic (Rudolfus) fuit..... proceræ staturæ, torto naso, vultum habens gravem, cujus gravitas virtutem animi prædesignabat. » ( WoLcMart Gesta, ap. OEreL, Boic. scripl., t. IT, p. 529.) — « Tunc rex (Rudolfus) dixit : Rex Bohemiæ griseam vestem meam sæpius dirisit, nunc autem ipsum mea vestis grisea ridebit. » (Chronic. Colmar.) () Sententiæ Friderici IL, imp., et Henrici, Roman. regis, contra cives Bisunt., 1224-1225, ap. Hurzzarp-BRÉHOLLES, /istoria diplom. Frederici IT, t. II, pp. 487-489, 817-819, 855-856. — Bulla Alexandri LIT contra cives Bisunt., Anagniæ, 29 jan. 1259, ap. Cartular. archiep. Bis.; traduction dans Edouard Czerc, Essai sur l'hist. de la Franche-Comté, t. I, pp. 444 et 445, | — 356 — droit de notre commune : il ne désirait la soumettre que pour lui accorder une existence légale et en faire de la sorte son obligée. Mais l'influence française s'opposait à ce que cette transaction fût conclue à l'amiable; il devint évident qu’elle ne pourrait être obtenue qu'avec l'assistance des armes. Rodolphe laissa toutefois à la commune le temps de réflé- chir : il avait d’ailleurs besoin de ses troupes, tant pour se- conder les bourgeois de Colmar contre les sires de Girsberg, que pour purger de brigands les forêts de la Thuringe. Cette dernière tâche réclamant sa présence au cœur de l'Allemagne, il délibéra de passer l'hiver à Erfurth (‘); mais auparavant il avait confié des forces à son lieutenant Jean de Chalon, avec mandat de venir faire une nouvelle expédition autour de notre ville. - L'expérience ayant démontré l'énorme difficulté de sur- monter par un siége les obstacles que présentait l'assiette naturelle de Besançon, le lieutenant impérial essaya d'un blocus qui eût chance de réduire les habitants par la famine. Il avait beau faire pour tenir campagne sur le pourtour de Besançon, ne devant être gêné par aucun des châteaux qui commandaient les abords de cette place : Montfaucon appar- tenait à son oncle Jean, l’un des fidèles de Rodolphe; Arguel, à des ennemis jurés de la commune; Châtillon, au comte de Bourgogne, le vaincu du dernier siége. Par surcroît de for- tune, l'hiver se montrait d'une bénignité qui tenait du pro- dige : les arbres avaient eu feuilles et fleurs avant Noël, les nichées des oiseaux étaient écloses depuis les premiers jours de janvier, et à la même époque on avait vu les enfants se baigner en eau courante (?). La commune n'avait pas cette fois une armée féodale à () EzcexarDt Chronicon; Annales Colmar. major., ap. Perrz, Monu- menta Germaniæ, t. XVII, pp. 132, 133 et 217. — Chronicon S. Petri Erfordiens., ap. Gersert, Codex epistolaris Rudolph I, pp. czvur-cuix. — Bœuxmer, Regesta Imperii, ad ann. 1289 et 1290. (?) « 1289-1290. — Hiems calida : herbe flores, arbores flores et folia ante Nativitatem Domini produxerunt; venatores tum fraga in Alsacia — 397 — bonne portée pour défendre les approches de ses remparts : aussi renonça-t-elle à la fantaisie de laisser ouvertes les portes de la ville. Non contente de les fermer toutes, elle munit les moins résistantes de barricades et d'échafaudages (‘). Les points faibles ‘des murailles furent couronnés de machines de guerre, par les soins d'un charpentier allemand, nommé Ulrich, que nos prud'hommes allaient retenir à vie comme maître de leurs engins (?). Un seigneur expérimenté dans les choses de la guerre, Ri- chard d'Auxelles (*), fut engagé, avec neuf gentilshommes et quelques arbalétriers, pour renforcer l'action des milices communales (‘) : le commandement de celles-ci revint à - Amiet de Choye, le citoyen que la voix populaire avait pro- clamé capitaine (5). Jean de Chalon adopta pour quartier ce même camp de Bellevaux que les confédérés avaient tracé l'année précédente : il mit son monde en croisière vers le milieu de février 1290. Dès lors, tout individu qui tenta de sortir de Besançon ou d'y entrer, pour raison de commerce, d'approvisionnement ou de culture, dut être impitoyablement détroussé. Une cap- ture importante fut celle des bagages de plusieurs négociants invenerunt, pice cum gallinis pullos ante Trium-Regum protulerunt; arbores folia antiqua retinuerunt usque ex eis recentia prodierunt; vites botros, folia, flores ante Hilarii protulerunt ; pueri in Egesheim in aqua fluenti balnabant..... In Purificatione pavones audiebantur, ciconie videbantur. Quedam galline, pice, columbe pullos in januario produxe- runt.» Annales Colmarienses majores, ap. PerTz, Monumenta Germaniz, Scriptor. t. XVII, p. 217. — Voyez aussi Boyve, Annales de Neuchâtel, t. I, p. 249. () Pièce justificative n° XXXIX. (2) Pièce justificative n° XXX V. (8) Auxelles-Bas, en allemand Nieder-Assel, canton de Giromagny (Haut-Rhin). — La conduite de Richard d'Auxelles, dans cette circons- tance, s'explique par le fait qu'il était le gendre de Thiébaud de Rouge- mont, l'un des anciens alliés d'Othon IV contre Rodolphe de Habsbourg. (GuiauME, Hist. des sires de Salins, t. 1, p. 117.) (*) Pièces justificatives, nos XXXI et XXXIX. . (5) Voyez plus haut la note relative à ce personnage et à sa fonction, ainsi que notre Pièce justificative n° XXXIX. HE de la cité, qui s'étaient rendus aux foires de Champagne () et en ramenaient des draps ainsi que beaucoup d’autres mar- chandises (?). La commune n'était forte que par le site exceptionnel de ge ville dont elle régissait les destinées; mais ses soldats, la plu- part improvisés, ne pouvaient, en rase campagne, faire bril- lante figure devant les vieux routiers faconnés à là rude école de Rodolphe. C'est ce qu'apprirent les Bisontins dans une reconnaissance de cavalerie qu'ils parvinrent à pousser jusque près de Bellevaux (*). Cloués ensuite dans la place, ils furent ainsi condamnés à payer des auxiliaires pour voir avec eux, du haut des remparts, leur banlieue dévastée, leurs conci- toyens dépouillés, les vivres qui leur arrivaient tomber aux mains de l'ennemi. A ce jeu, la caisse communale s'épuisait, et l'argent fourni à gros intérêts par un prêteur (*) ne parve- nait pas à se convertir en denrées alimentaires. Les souffran- ces du moment se compliquaient de la perspective d'une disette pour l’année suivante; car la crise actuelle menaçait, en se prolongeant, de priver des réparations de la culture un (5) Les marchands ainsi détroussés revenaient de la foire de Lagny- sur-Marne, celle des foires annuelles de Champagne qui était la première en date : elle s'était ouverte le ? janvier 1290, pour se terminer le 6 mars suivant. Or, le blocus de Jean de Chalon ayant commencé vers le milieu de février, on s'explique comment les négociants bisontins, alors à Lagny, ne soupçonnèrent pas le piége qui les attendait à leur retour. (Voyez F. BounqueLor, Etudes sur les foires de Champagne, dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, 2° série, t: V, 1"°partie, p.80.) (®) Pièces justificatives, nos XXX VI et XXX VII. (5) Tout citoyen possédant un cheval avait été requis de le fournir pour cette démonstration : ceux qui n'obéirent pas furent punis d'une amende pécuniaire. Le compte relatif à cette pénalité est précédé de la mention suivante : « Cou sunt cis qui doivent por le défaut des chevas de la chevachie devant Bellevas. » [Registre municipal I, fol. czxxvIr verso.) Ce compte ne porte pas de date, mais on y retrouve l'encre et l'écriture des articles de l'année 1290. (*) Pièce justificative n° XXXIX. — Ce prêteur s'appelait Perrin le corsin, c'est-à-dire le banquier. (Voyez, quant à l'étymologie du mot corsin ou caorsin, BourQueLor, Foires de Champagne, ?e partie, p. 140-154.) — 359 — territoire qui avait subi coup sur coup les ravages de deux armées. La situation ne pouvait cependant être modifiée que par un traité avec l'ennemi, ou par l'arrivée d’un imposant secours. Ignorant la soumission absolue que le comte de Bourgogne avait souscrite à l'égard de l'Empire, la commune espérait encore dans la protection que lui devait son gardien. Elle se croyait en cela d'autant mieux fondée que, lors du précédent siége, l'inconséquent Othon, pour l'encourager à la résis- tance, lui avait fait passer une lettre scellée qui la garantissait contre toutes les conséquences de l'événement. C'était le cas, ou jamais, de faire valoir cette promesse : aussi la commune envoya-t-elle sommer le comte d'avoir à remplir envers elle son office de gardien. Othon avait bien alors d’autres soucis : débiteur de Philippe le Bel, il venait de livrer officiellement à l'Empire un gage sur lequel la France avait une secrète hypothèque. Sa réponse aux Bisontins fut celle d’un homme qui ne sait où donner de la tête. La paix, la paix au plus vite, voilà ce qu'il leur TA ct0 D} III : Joubs. !000. Sanctuaire ce elfique F1 Ill Ÿ= ii 7 7 2 ; , HN D PEROU ELEC IN ANT "E à \S PTE COLE. He nee RCE SA ST Pal" à) N'RER Use - PONT Po A PO PA WAV! 5 Kréat ji = lu }inoouerjeq 3p 31018 e] 3p PTE RO "Pr f ne 4 A K'30b490 . anenpuec | x TK 8981 ‘SNOfT np WAP ‘006 Soc.d'Em. du Doubs.1868 —— Sanctuaire celtique. PI VI. q ALANNENTE NATUREL à Ballancourt. DEUX TRADITIONS CELTIQUES RELATIVES AUX ÉPOUSAILLES DANS LA VILLE DE BESANÇON PAR M. AUGUSTE CASTAN Séances des 6 juin ct 11 juillet 18GS Les origines druidiques de l’église Saint-Etienne de Besançon. S'il est vrai, dans l'ordre physique, que les plus beaux arbres sont ceux qui ont poussé sur de vieilles souches, que les plus solides bâtiments sont ceux qui reposent sur les ruines d’antiques fondations, il est également vrai, dans l’ordre moral, que toute institution nouvelle n’a de chances d’être durable que si elle vient se combiner avec des analogues préexistantes et les reprendre en sous-æuvre par voie de rajeunissement progressif. L'improvisation est la plus brillante, mais non la moins dangereuse, des ressources de l'intelligence humaine : capable de surprendre et de charmer les esprits, elle est im- puissante à les satisfaire. Aïnsi pensait Le pape Grégoire le Grand, lorsqu'il écrivait à ses missionnaires de se garder de détruire les temples païens, leur prescrivant, au contraire, de faire profiter le nouveau — 458 — culte, par une simple substitution d'images, de la dévotion qui accréditait ces monuments (!). Ce procédé avait déjà sans doute pour lui la sanction de l'expérience, et tout porte à croire que le clergé gallo-romain l'avait plus d’une fois employé dans ses campagnes contre la religion des Druides. En effet, depuis que l'archéologie est venue au secours de l'histoire en donnant à l'esprit de recher- ches la clé des champs, on arrive de jour en jour à constater que les plus vénérés de nos sanctuaires actuels ont des origines très reculées, et que les mêmes lieux qui voient aujourd'hui fumer l'encens chrétien, ont bu jadis le sang des victimes, et, à une époque antérieure, ont retenti du chant des Ovates et des imprécations des Druides. Ces constatations, plus ou moins fréquentes dans les lieux agrestes, sont d’une extrême rareté quand il s’agit des villes, car c'est là surtout que le vent de la destruction a déployé ses violences, secondé qu'il a été tantôt par des rigueurs adminis- tratives, tantôt par l'appât d'un riche butin. Mais quand une hypothèse se déduit de la logique de l'histoire, il est rare que des témoignages ne se produisent pas un jour ou l’autre en sa faveur. La révélation du passé se fait par plus d'une voix, entre lesquelles la tradition populaire mérite de ne pas être dédaignée : témoin l'exemple qui va suivre. Chacun sait qu’au centre de la plate-forme rocheuse qui domine la presqu'île de Besançon et servit, en tout temps, d’assiette à la citadelle de cette ville, s'élevait, avant la cons- (:) « Dicite ei (Augustino episcopo) quid diu mecum de causa Anglo- rum cogitans tractavi, videlicet quia fana idolorum destrui in eadem gente minime debeant, sed ipsa, quæ in eis sunt, idola destruantur. Aqua benedicta fiat, in eisdem fanis aspergatur, altaria construantur, reliquiæ ponantur; quia si fana eadem bene constructa sunt, necesse est ut a cultu dæmonum in obsequium veri Dei debeant commutari : ut dum gens ipsa eadem fana non videt destrui, de corde errorem deponat, et Deum verum cognoscens ac adorans, AD LOCA QUÆ CONSUEVIT, FAMILIARIUS CONCURRAT ...... » (Grecorrr Papæ ad Mellitum abbatem in Francia epist.) — 459 — truction stratégique de Vauban, une vénérable basilique dédiée au premier martyr de la foi chrétienne. Cette église, la plus belle des deux Bourgognes, abritait les insignes reliques du diocèse, et son cloître était la sépulture des souverains de la province. A quelques pas en arrière de cet édifice, on rencontrait quatre énormes colonnes corinthiennes à cannelures, que le public considérait comme les anciens piédestaux des idoles (1), mais qui évidemment provenaient du portique d’un temple gallo-romain, sorte de Parthénon situé dans l’acropole de Vesontio. Deux de ces colonnes étaient encore debout au quinzième siècle, et notre commune en associa les images à celle d’une aigle impériale pour composer les armoiries dont nous usons encore aujourd'hui (?). On voit donc qu'animés du même esprit que le pape Gré- goire le Grand, nos premiers évêques avaient voulu assurer à l’une de leurs principales églises le bénéfice de la succession d'un temple gallo-romain. Mais ce temple lui-même n'’avait-il pas déjà remplacé un sanctuaire de la religion des Druides ? Les anfractuosités ro- cheuses de notre citadelle se seraient merveilleusement prêtées aux mystères de ce culte essentiellement naturaliste. Le hasard vient de me révéler un fait qui semblerait confirmer cette présomption. C'est le dire d’un honorable citoyen de Besançon déposant, le 4 mai 1419, devant les commissaires députés par les parlements de Dijon et de Dole pour repérer les limites territoriales de l’asile que le chapitre métropolitain offrait aux criminels, même à ceux que poursuivait la justice de l’arche- vêque. Ce témoin affirme « que, dès quarante ans ença, il a veu et sceu qu à l'Eglise de Besançon a compété et appartenu, et encor appartient et compète, la place estant entre et environ @) CeærrrLetur Vesontio, I, p. 52. (?) Voyez nos Origines et variations des armoiries de la ville de Be- sançon, dans les Mémoires de la Sociélé d'Emulation du Doubs, 4e série, t. III, 1867, pp. 217-218. — 460 — les églises de $S. Jean et de $. Estienne dudit Besançon, ainsy comm elle se comporte dès Porte-Noire en amont, jusques à un trou ou pertuis qui est outre les colonnes de pierre qui sont en la montagne où est assise ladite église de S. Estienne, auquel trou ou pertuis l’on a coustume mener les espousés qui se font audit Besancon, le lendemain de leurs nopces, et illec, en manière d'ébatemens, l’on leur fait bouler leurs pieds en icelluy trou ou pertuis (!). » Cette cérémonie du boulage des pieds des nouveaux époux dans un de ces trous naturels que l’eau du ciel prodigue à nos roches calcaires, cette cérémonie, dis-je, ne pouvait avoir, aux yeux d'un bon bourgeois du quinzième siècle, que la signifi- cation d'un simple ébattement. Maïs, pour nous, instruits par une multitude d'analogies, elle se case d'elle-même dans la catégorie de ces pratiques routinières dérivées en droite ligne d’une religion nationale qui empruntait aux accidents de la nature tous ses symboles. Qui sait si cette coutume tradition- nelle n’ajoute pas un trait au peu que nous savons des céré- monies nuptiales des Gaulois ? Dans tous les cas, c'est un indice que, dès l’époque du culte des pierres, l'emplacement de notre église de Saint-Etienne était affectionné par les dévots. Lorsqu'’au début du douzième siècle, nos deux chapitres de Saint-Jean et de Saint-Etienne se prirent d’une énorme que- relle sur la question de l'antiquité de leurs basiliques respec- tives, les défenseurs de Saint-Etienne, qui furent vaincus, auraient pu faire valoir l'argument que nous venons de mettre en lumière. Mais alors un tel motif n'aurait été compris par personne. (4) Enquête manuscrite, à la Bibliothèque de la ville de Besançon. À a — 461 — II La Chevanne. Une cérémonie, qui se rattache également aux pratiques de la religion des Druides, est encore en vigueur aujourd'hui dans la plupart des villages de l’ancienne Séquanie : c'est Le feu traditionnel de la Chevanne. En deux points différents du pays d'Alaise, nous avons constaté qu'il s’allumait sur d’im- portantes tombelles gauloises, circonstance de nature à préciser l'origine celtique qu'on lui attribue généralement. « Chaque année, avons-nous dit à ce propos, le soir du dimanche qui suit le carnaval, les jeunes gens du village amassent du bois de genévrier, et en forment autant de büchers qu'il y a eu de bénédictions nuptiales depuis la dernière Che- vanne. Les nouveaux couples s'y rendent ensuite, et chacun met le feu au bûcher qui lui est dédié. Pendant que le feu dévore les genévriers, Les époux se mêlent aux jeunes gens et tous dansent en rond. Dès que le feu est éteint, on retourne au village, et les mariés se cotisent pour offrir à boire et à manger aux jeunes gens. Le plat fondamental et essentiel de ce repas consiste en pois grillés : de là les dénominations de dimanche des picrés, dimanche des pois, qui remplacent en Franche-Comté le vocable plus généralement adopté de di- manche des brandons (1). » La ville de Besançon, l'un des principaux centres de la civilisation gauloise, avait dû jouir de la plénitude des insti- tutions religieuses des Druides. Mais dans les villes où la population se renouvelle si vite, où la mode fait constamment d'ailleurs la chasse aux habitudes du passé, les traditions d'une date aussi lointaine ne peuvent persister au même degré () À. Casrax, Les champs de bataille et les monuments du culle drui- dique au pays d'Alaise, dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 3e série, t. VIII, 1863, p. 151. 31 — 462 — que dans nos villages. Depuis longtemps la cérémonie de la Chevanne a disparu des coutumes populaires de notre cité. On n'apprendra pas sans intérêt qu'elle en faisait encore partie dans la première moitié du seizième siècle, et que sa suppres- sion fut alors motivée par un commencement d'incendie dont une délibération municipale a conservé cette mention : « Le dymenche des brandons, xxnr° jour de février (1534), sur les vespres, y avoit une chevanne des nouveaulx mariez près la porte d'Arenne, dois laquelle le feu se print en la rue d'Arennes, et y eust ung très grand danger. » NOTICE SUR CHARLES WEISS PAR M. AUGUSTE CASTAN Secrétaire de la Société d'Emulation du Doubs. Séance du 11 juillet 18685, Warss ( Pierre-Charles ) était né à Besançon le 15 janvier 1779. Son père, simple ouvrier bonnetier, l’envoya au collége dont l’enseignement était gratuit, en attendant l’âge où il pourrait le mettre à son métier. Au collége succéda l’école centrale : Weiss y acheva de bonnes études classiques, ayant pour maîtres le futur académicien Joseph Droz et le futur recteur Jean-Jacques Ordinaire, pour camarades et émules Charles Nodier , Abel Rémusat et Martin (de Gray). A peine sorti des bancs et attaché déjà au labeur paternel, il fut compromis, sans y avoir pour rien trempé, dans une sorte de conspiration, ou plutôt d'escapade, que l'imagination précoce de Nodier avait montée. Mis en prison avec ses pré- tendus complices, sa bonne et belle figure, son humeur douce et enjouée, sa conversation fine et polie, attirèrent sur lui l'attention d'une brave geôlière, et celle-ci le recommanda au maire de la ville qui venait d’être institué par les consuls. Aussitôt son élargissement prononcé par le jury d’acccusation, il entra dans les bureaux de la municipalité comme secrétaire particulier du maire. Il remplit ces fonctions jusqu’en 1812. Dès 1806, il avait été associé aux travaux de l’Académie de Besancon, qui renaissait sous les auspices du savant — 464 — archevêque Claude Lecoz et du préfet Jean Debry, l’ancien plénipotentiaire de Rastadt. Cet habile administrateur voua une véritable tendresse au jeune Weiss, et fut heureux de le nommer, en 1812, bibliothécaire de la ville de Besançon. Deux ans plus tard, des circonstances permirent au modeste bibliographe de reconnaître dignement ce bon office. Le mar- quis de Champagne, son ancien condisciple, arrivait en qualité de commissaire du roi dans les trois départements de l'ancienne Franche-Comté. Jean Debry, qui avait voté la mort de Louis XVI, s'attendait au traitement le moins gracieux : l'interven- tion de Weiss conjura l'orage, et le commissaire proposa le préfet pour une pension de retraite en rapport avec ses services. Ce rôle de conciliateur, qu’il avait rempli si heureusement à l'égard de deux puissances, était dans l'ordre naturel des tendances de Weiss : aussi n’en discontinua-t-il plus l'exercice, au grand profit de toutes les entreprises collectives qui, pen- dant un demi-siècle, ont été l'honneur des lettres comtoises. Cet honneur a été la grande passion, je dirais presque la religion , de Charles Weiss. Au nom de la Franche-Comté, pour l'utilité de ses enfants, on pouvait lui demander tous les genres de services. Il fut, jusqu'à la fin de ses jours, un trait d'union permanent entre tous les membres de la famille com- toise, occupé sans cesse à patronner les jeunes débutants, à relever le moral de ceux qui avaient subi des échecs, à pro- diguer à tous le plus affectueux intérêt et les meilleurs conseils. Cette tâche absorbait chaque jour une large part de ses ins- tants : elle a empêché qu'il sortit autre chose que des miettes de sa plume; mais combien d'excellentes œuvres vivantes ont été Le fruit de sa paternelle sollicitude ! Weiss eut le bon sens de se complaire dans cette situation unique et qui lui valait, de la part d’une province toutentière, la plus noble et la plus unanime des popularités. Dans le salon de Nodier, près duquel il alla longtemps passer les vacances d'automne, 1l s'était fait une réputation de délicieux conteur et de bibliographe consommé : aussi les hôtes de l’Arsenal — 465 — songèrent-ils plus d'une fois aux moyens de le fixer à Paris. Mais, sous ce rapport, il avait résisté à la plus enviable des séductions : Abel Rémusat lui avait inutilement offert, au nom de Louis XVIII, le poste de bibliothécaire à Saint-Cloud, avec l'assurance de remplacer Van-Praet à la bibliothèque royale. Ce culte de la terre natale avait engagé, dès 1811, Charles Weiss à collaborer à la grande entreprise biographique des frères Michaud. Il n'y vit d'abord que l’occasion de faire valoir la part qui revenait à la Franche-Comté dans le domaine des lettres, des sciences et des arts. Mais, peu à peu, il prit goût à ce travail et finit par s’en faire une remarquable spécialité. Alors les éditeurs l’exploitèrent; et comme Weiss était par tempérament taillable et corvéable à merci, il ne sut pas se défendre. Moyennant qu'on lui passait toutes les gloires plus ou moins microscopiques qu'il exhumait de son cher terroir, il trouvait bon de relire gratuitement toutes les épreuves de l'ouvrage et de voir fréquemment une autre signature que la sienne au bas des articles qu'il avait produits. « De tous les articles dont j'ai été frustré, me disait-il, je ne regrette qu'un seul, celui du littérateur Vigée; c'était l’un de mes meilleurs. » Malgré cette contrebande, le nom de Charles Weiss est attaché à 5,425 notices de la Biographie universelle. Weiss eut l'im- mense satisfaction intime d'être parvenu à introduire dans ce recueil 393 physionomies franc-comtoises ; mais la rémunéra- tion matérielle fut loin d'être d'accord avec ce résultat. Comme il était resté trente ans sans faire d’autres appels de fonds que quelques bons modestes lâchés pour obliger des amis en peine, on s'était accoutumé à l’idée qu'avec lui il ne serait jamais question d'argent : il fallut que le jurisconsulte Bugnet lui fît presque violence pour que les choses allassent autrement. Après bien des difficultés, le compte de Weiss fut enfin réglé à la somme d'environ 20,000 francs. Ce fut là pour Weiss le noyau d’une petite fortune. Depuis la mort de sa mère, et grâce aux nombreux amis qui se dispu- — 466 — taient la faveur de l’héberger (!), il put y joindre chaque année un certain pécule. C'est sur ce capital arrondi qu'il a prélevé, dans les derniers temps de sa vie, une somme de 30,000 francs pour contribuer à l'érection, au centre de la cour de notre palais Granvelle, d’une statue en marbre blanc du célèbre cardinal, sous la réserve que cette figure sortirait de l’habile ciseau de M. Jean Petit. Cette disposition avait surtout pour but de glorifier un bien- faiteur de la province de Franche-Comté; mais, dans son for intérieur, Weiss n'était pas sans avoir conscience qu'il lui restait un complément de dette à acquitter envers cette grande figure historique. Chargé, en 1834, de publier, sous les auspices du ministère de l’Instruction publique, les Papiers d'Etat du cardinal, son défaut de connaissances paléographiques l'avait empêché non-seulement d'accomplir lui-même cet énorme travail, mais encore de voir bien clair dans sa direction. Il eut recours à des collaborateurs dont, malheureusement, le prin- cipal souci fut de tirer la publication en longueur, afin de vivre le plus longtemps possible sur les allocations qu'elle procurait. Le ministère arrêta les frais au neuvième volume : le recueil demeure ainsi inachevé, et, si jamais il se termine, les proportions de la fin seront loin d'être en harmonie avec celles du début. La notice préliminaire, rédigée par Weiss, est un maigre portail pour un si vaste édifice. Habitué, comme la plupart des gens instruits de son époque, à ne s'attacher qu'aux côtés anecdotiques et piquants de l’histoire, étranger aux procédés modernes de l’érudition, ayant d’ailleurs un tour d'intelligence auquel répugnait la méthode, Weiss ne sut pas tirer d’un aussi riche trésor le moindre trait nouveau à ajouter à l'image qu'il avait entrepris de raviver : il oublia presque totalement le personnage politique, et n’envisagea guère dans Granvelle que le patron de ses chers Comtois. () Les familles Marquiset, Daclin, de Saint-Juan, Bugnet, Martin (de Gray), etc. — 467 — « On a grand tort, m'a dit souvent Charles Weiss, de s’a- charner à faire de moi un profond érudit : je n’ai aucun droit à une réputation de ce genre, et j'aurais voulu la mériter que je n'y serais pas parvenu; ma vocation aurait été la critique littéraire, fine et bienveillante, à la facon de celle de Suard. » Weiss se jugeait parfaitement. Son intelligence, vive et légère, n'était pas faite pour les aridités de la science. Il butinait comme le papillon, empruntant une goutte de rosée à chaque fleur, mais n'aimant pas à fouiller les replis du calice. Ses connaissances étaient plus variées que profondes : de là le charme de sa conversation et son aptitude à renseigner sur une multitude de choses. Mais si Weiss dédaignait un peu pour lui-même la grave érudition, il en comprenait toute la valeur et aidait de son mieux ceux qui la cultivaient. Il mit un soin particulier à recruter dans ce sens la bibliothèque de Besançon, devenue par ses soins, et grâce aux dons innombrables que son influence lui procura, l’un des plus riches dépôts de nos provinces. I] fit le meilleur emploi des fonds que lui allouait la ville, ayant pour principe que les bibliothèques publiques sont essentiel- lement faites pour les grandes collections, et nullement pour ces livres de lecture courante que les particuliers peuvent se procurer. La mort de Charles Weiss, arrivée le 11 février 1866, révéla chez lui un talent dont bien peu de personnes connaissaient l'existence. Poète à ses heures, il avait su manier l’épigramme comme les maîtres du dix-huitième siècle. C'était pour lui qui avait horreur de la lutte, comme il le confessait volontiers, une facon discrète de réagir contre les importunités des fâcheux. « Les natures profondément bonnes, a dit un grand écrivain ({), sont toujours indécises; parfois même elles sont entraînées à un peu de dissimulation : elles veulent contenter tout le monde; aucune question de principe ne leur paraissant valoir le bien (*) Ernest RENAN, Saint Paul, pp. 84 et 85. — 468 — de la paix, elles se laissent aller avec les différents partis à des paroles et à des engagements contradictoires. » Les poésies de Weiss, qui se montrent peut-être à dix mille pièces, ont été léguées par lui à M. Xavier Marmier, avec prière d'aviser à en tirer la matière d'un volume. De sa corres- pondance, dont il n'avait pas perdu la moindre bribe, il n'a destiné à la bibliothèque de Besancon que les lettres signées de Nodier, d'Abel Rémusat, de Rouget de Lisle et de Théodore Jouffroy. Ses notes, prises à bâtons rompus dans le cours de ses lectures incessantes, et un journal intime, qui embrasse une bonne partie de sa carrière, ont été le lot qu'il a fait à son successeur. Avec une pointe d'énergie de plus dans le caractère, un peu moins de laisser-aller dans l'esprit, une dose plus forte de convictions et de principes, Weiss aurait donné plus de fruits personnels et aurait moins docilement subi les influences qui se disputaient constamment la gouverne de ses déterminations; mais s’il se fût appartenu davantage, il aurait réalisé moins complètement ce programme d'être tout à tous, qui a été l’as- piration capitale de son existence et demeurera le cachet de son originalité. Sous une toilette toujours négligée, Weiss avait des allures de la plus rare distinction. Il les devait autant à sa belle stature qu'à ses nobles traits où des éclairs de la plus fine malice se détachaient sur un fond d'exquise bonté. Telle était aussi la couleur de sa conversation dont mille traits piquants relevaient le ton général de bonhomie. Quand il voulait s'en donner la peine, il vous séduisait du premier coup et pour toujours. La carrière de Charles Weiss a été tout à la fois une bonne fortune pour la Franche-Comté et un excellent exemple à opposer aux velléités d'expatriation qui travaillent la jeunesse des provinces. Elle montre que la terre natale n'est pas aussi ingrate qu'on le dit envers ceux qui la servent, que là aussi bien qu'ailleurs il est possible d'être prophète. Sans sortir, en effet, de son lieu de naissance, Weiss était — 469 — devenu correspondant de l'Institut, membre non résidant du Comité impérial des travaux historiques et officier de la Légion d'honneur. Les Sociétés savantes de Besancon lui avaient conféré leurs plus hautes distinctions : il était président per- pétuel honoraire de notre Académie et membre d'honneur de la Société d'Emulation du Doubs. Sa mort a été considérée par tous comme un deuil public, et ses funérailles, célébrées le 13 février 1866, ont été celles d'un prince. N'ayant jamais flatté l'excellent Weiss durant dix années d'une intimité dont le souvenir me sera toujours précieux, j'ai cru pouvoir conserver la même attitude vis-à-vis de sa mémoire. En lui consacrant les présentes lignes, mon unique souci a été de le peindre ressemblant. S'il ressort de ce portrait que Weiss rachetait les plus inoffensifs défauts par la pratique de toutes les bienfaisantes qualités qui leur correspondent, mon but sera atteint, car raisonnabiement on ne saurait exiger davantage de la nature humaine. PUBLICATIONS :DE CHARLES WEISS : En dehors de ses articles de la Biographie universelle et du recueil des Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle, Weïss a publié : 1° Dans les Essais LITTÉRAIRES PAR UNE SOCIÉTÉ DE JEUNES GENS (Besançon s. d. in-12) : Deux pièces de vers. 2° Dans les MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DE BESANCON : — Considérations sur Perse, traduction en vers de sa 3° satyre (1809); — Notice sur le chancelier Perrenot et le cardinal de Granvelle (1816); — Notice sur l'architecte Lapret (1822); — Notice sur le docteur Thomassin (1829); — Notice sur Béchet, ancien secrétaire perpétuel de l'Académie (1831); — Æloge de Bailly, pharmacien des armées de l'Empire et voyageur (1834); — Notice sur D. Grappin, bénédictin érudit (1836); — Notice sur Hugues I°*, archevêque de Besançon au xr° siècle (1840) ; — Eloge du baron Daclin, ancien maire de Besançon — 470 — (1843); — Discours sur les anciens poètes de la Franche-Comté (1843). 3° Dans les MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS DE LA HAUTE-SAÔNE : — Notices sur les savants et litté- rateurs nés dans le département de la Haute-Saône (1808); — Notice sur Légier, littérateur (1812) ; — Eloge du P. Chrysologue (André), astronome et géographe (1812). 4° Dans les DOCUMENTS INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA FRANCHE-COMTÉ (t. I à III) : — Notices sur l'abbé Bergier, le P Prudent, le chroniqueur Jean Bonnet, les bénédictins Ferron et Berthod, l’érudit Perreciot; plus une Description du quartier du Chapitre à Besançon et de trois maisons historiques de cette ville. | o° Catalogue de la bibliothèque de M. Paris, architecte de Louis XVI, suivi de la description de son cabinet; Besançon, 1829, in-8°. 6° Catalogue des livres imprimés de la bibliothèque de la ville de Besançon : Histoire (1842), Belles-Lettres {1846), 2 vol. in-4°. 7° Biographie universelle, par X. de Feller, édition revue et continuée jusqu'en 1848 sous la direction de Ch. Weiss et de l'abbé Busson; Besançon, 1847-1850, 8 vol. gr. in-8° avec un supplément. La Biographie universelle éditée par la librairie Furne de 1838 à 1841 (6 vol. gr. in-8°), avec le nom de Charles Weiss, nest que la reproduction révisée de l'ouvrage du général Beauvais. Weiss n'y eut aucune part; et s'il consentit à ce que son nom y figurât, ce fut pour obliger une famille d’imprimeurs de Besançon, qui, sans cette condition expressément stipulée par l'éditeur, n'aurait pas eu le bénéfice de ce fructueux labeur. À — 471 — OBJETS DIVERS DONS Faits à la Société en 1868. Par Son Exc. M. LE MINISTRE DE L INTRUCTION OR NO EN Ni Rene. es € 22500 fr. Par le DÉPARTEMENT pu Dous . . . . . . . . 300 PA NiESE ne BESANCON AL... 4. .: 600 Par Sox Exc. M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE : Revue des Sociétés savantes des départements, 4° série, t. VI, novembre-décembre 1867, tom. VII, janvier à juin 1868, tom. VIII, juillet-août 1868 ; | Mémoires lus à la Sorbonne dans les séances extraordinaires du Comité impérial des travaux historiques en 1867, histoire et archéologie, 2 vol. in-8°, imprimerie impériale, 1868 ; Par M. L'INSPECTEUR D'ACADÉMIE A BESANCON, membre honoraire, Bulletin mensuel de l'instruction primaire dans le département du Doubs, janvier à octobre 1868 ; Par LA CHAMBRE DE COMMERCE DE BESANCON, Compte-rendu de ses travaux pendant l'année 1867. Par MM. Emile BLancHArDp, de l’Institut, membre honoraire, son Discours à la réunion des délégués des Sociétés savantes, séance du 27 avril 1867; — AT — Mericcer, membre correspondant, son Etude sur la fabrica- ion des poteries dans l'antiquité, au point de vue technique, 1867, broch. in-8° ; DE RATTIER DE SusvaLoN, membre correspondant, son journal l'Etincelle, du 1° décembre 1867 au 22 mars 1868 ; Paul Laurexs, membre résidant, son Annuaire du Doubs et de la Franche-Comté pour 1868 ; Fouquer, président de la Société polymathique du Mor- bihan, ses 4 brochures intitulées : Réfutation d’une critique archéologique; Trois dges en Pleucadeuc (Morbihan); Petite histoire d'une petite rue de Vannes du xvi° au xix° siècle ; Discours de présidence, prononcé le 6 août 1867, à l'assemblée générale de secours mutuels des médecins du Morbihan ; Camille PERSONNAT, son étude sur le Vers à soie du chêne à l'Exposition universelle de 1867; VIVIEN DE SAINT-MaRTIN, membre correspondant, son Année géographique, 6° année, 1867 ; Bournix (le docteur), Recherches statistiques sur l'instruction primaire dans l’armée française, broch. gr. in-8° ; Micnarp, membre correspondant, ses Observations sur deux inscriptions runiques et sur le système de l’äge des métaux, br. in-8 ; ORDINAIRE DE LACOLONGE, membre correspondant, son Dis- cours de présidence à l’Académie de Bordeaux (Légende d’Etichon, duc d'Alsace), broch. in-8°, 1868 ; : CaroT, membre correspondant, son ouvrage sur les Devoirs de l'homme envers les animaux, 1868, in-12 ; DE CaumoxrT, son étude sur le mur de Landunum (Côte-d'Or), comparé aux murs de l’oppidum découvert à Mursens (Lot) et au mur découvert cette année au mont Beuvray (Saône-et-Loire), in-8° ; Marcel Canar DE Cnizy, ses Observations sur quelques chartes concernant l'Eglise de Lyon, 1868, br. in-8° ; Edmond Vivier, membre résidant, son Rapport à M. le Préfet du Doubs sur l'asile départemental de Bellevaux, 1868, in-4°; — 473 — Rossieneux, sa brochure intitulée Un mot sur trois ou quatre erreurs d'archéologie topographique, 1868, gr. in-8° ; ConTEJEAN, membre correspondant, son étudé sur la Lune rousse dans le pays de Montbéliard, Paris et Montbéliard, 1868, gr. in-8°. SERVAUX, Chef de bureau au ministère de l’Instruction pu- blique, trois œufs momifiés provenant du Sérapéum de Memphis ; Francis Wey, membre correspondant, un bracelet celtique en bronze provenant de Polignac ( Auvergne), et un dolium gallo-romain en terre grise provenant du Jura méridional ; ConsTANTIN, membre résidant, un cochon d'Inde {Cavia cabaia) ; LesLourpy, un busard Saint-Martin (Falco cianeus); Marre (l'abbé), un colin de Californie, mâle (Ortyx califor- nicus) ; Just DÉTREY, membre résidant, un héron grand butor (Ardea stellaris) ; Pgrerin (de Mesmay), un geai de Californie (Garrulus cali- fornicus) ; Doxy (M"° veuve), un perroquet amazone (Psiliacus amazo- nicus) ; BELLAIR, membre résidant, un pic cendré (Picus canus) et un chevalier aboyeur (Totanus glotti\ ; TrouTorT, vétérinaire au 1* régiment de cuirassiers, un squelette de tigre royal et quatorze oiseaux de. Cochinchine ; PELLIER, une alouette blanche (Alauda arvensis). — 474 — : Envois faits, en 1868, par les Sociétés correspondantes. Bulletin de l'Association scientifique de France, n° 47 à 97; Bulletin de la Société algérienne de climatologie, sciences phy- siques et naturelles, 4° année, 1867, n° 7 et 8; 5° année, 1868, n"T 479: Bulletin de la Société impériale d’'horticulture du Rhône, 1867, n° 9 à 12; 1868, n°: 1 à 9; Bulletin de la Société Dunoise, n°° 2, 3, 4, 1866-1868; et Procès-verbaux, 1"° année, 1865 ; Bulletin de la Société de l’industrie de la Mayenne, tom. 3 : Travaux de la section des lettres, sciences et arts pendant l’année 1866 ; Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, 8° année, 1867, n°’ 9 à 12, 9° année, 1868, n°‘ 1 à 9; Bulletin des Sociétés d'agriculture et d'horticulture du Doubs, oct. 1867, janv., fév. 1868 ; Bulletin de la Société d'Emulation de l'Allier, tom. 9, 1865 (3° livraison) ; Bulletin de la Société polymatique du Morbihan, 1867 (2° se- mestre), 1868 (1° semestre), et Histoire naturelle du Morbihan, publiée sous les auspices de la Société polymatique ; Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 2° série, tom. 2, 1867-1868 ; Bulletin de la Société archéologique de l’Orléanais, 1867 æ 3° et 4° trimestre), 1868 (1° trimestre); Bulletin de la Société des sciences naturelles et historiques de l'Ardèche, n° 4, 1867; | Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 1868, n° Î et 2; | Bulletin de la Société des sciences naturelles de Neuchätel, t. 8, 1868, 1° cahier ; Bulletin de la Société d'agriculture de Joigny, oct. 1867-juin 1868 ; — 475 — Bulletin de la Société géologique de France, 2° série, tom 24 (feuilles 46 à 55), tom. 25 (feuilles 1 à 8, feuilles 21 à 41); Bulletin de la Société de médecine de Besançon, ?° série, n° 2, 1867; Bulletin de la Société d'histoire naturelle de la Moselle, tom. 2, 1868 ; Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles, tom. 9, 1868 ; Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, tom. 17, 1867 ; — Registres consulaires de la ville de Limoges, tom. 2, pp. 1 à 320; — Nobiliaire du Limousin, tom. 2, pp. 161 à 200; : Bulletin de la Société des sciences naturelles et historiques de l'Yonne, tom. 21, 1867, 3° et 4° trimestres; tom. 22, 1868, 1°" et 2° trimestres ; Mémoires de la Société littéraire de Lyon, 1867: Mémoires de l’Académie du Gard, 1865-1866-1867; Procès-verbaux de la Commission départementale des anti- quités de la Seine-Inférieure, tom. ?, 1849-1866; Mémoires de la Société d'Emulation du Jura, 1867 ; Mémoires de la Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, 1865 et 1866 ; Société académique des sciences, belles-lettres et arts de Saint- Quentin, 1866, 1867 ; Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux, tom. 5, 2° cahier; Procès-verbaux, 3 cahier ; Leçons sur les lois et les effets du mouvement, par M. Reynaud, publiées par la Société d'Emulation de l'Allier ; Annales de da Société impériale d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres de la Loire, tom. 2, 1867; Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, tom. 21 et 22; | Mémoirees de la Société de linguistique de Paris, t. 1, 1868; Mémoires de la Société académique de l'Aube, 3° série, tom. 4, 1867; — 476 — Mémoires de la Société des sciences naturelles de Cherbourg, 2e série, tom. 3, 1868 ; | Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron : Mémoires, t. 9, 1859-1867; Procès-verbaux, Livr. 5, 7 juillet 1864 - 19 mai 1866; Biographies aveyronnaises, tom. 1; Mémoires de l’Académie impériale de Lyon (classe des lettres), tom. 13; Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orien- tales, tom. 15, 1867, tom. 16, 1868; Annales de la Société d’Emulation des Vosges, t. 12, 3° cahier, 1867 ; Mais de la Société impériale des antiquaires de France, 3° série, tom. 1 à 6 et tom. 8 à 10; Congrés archéologique de France, 34° session ; Société des sciences médicales de l'arrondissement de Gannat, 22° année, 1867-1868 ; Sitzungsberichte der kœnigl. bayer. Akademie der Wissen= schaften zu München, 1866, B. IL, H. 2-4; 1867, B. I, H. 1-4, B. I, H. 1-3; 1868, B. I, H. 4, B. II, H. 1; Annalen der kœnigl. Sternwarte bei München, B. 15 et 16; Helligkeits-Messungen an zweihundert und acht Fixsternen angestellt, in dem Jahren 1852-1860, von Ludwig Seidel und Eugen Leonhard; München, 1867, in-4° ; Ueber die Brauchbarkeit der in verschiedenen europaïischen Staaten veroffenilichen Resultate des Recrutirungs — Geschæftes zur Beurtheilung des Entwicklungs-und Gesundheits Zustandes ihrer Bevælkerungen von D' Th. Bischoff; München, 1867, in-8° ; Jahrbuch der kaïserl.-kœnigl. geologischen Rgichsanstalt zu Wien, 1866, B. XVI, n° 4; 1867, B. XVII, n° 1, B. XVIII, n°2: Abhandiungen herausgegeben vom natur ee: Vereine zu Bremen, B. I, H. 3; Mittheilungen der naturforschenden Gesellschaft in Bern, 1867 ; — TT — Verhandlungen der Schweizerischen naturforschenden Gesell- schaft in Rheinfelden, 9-11 sept. 1867; Verhandlungen der naturforschenden Gesellschaft in Basel, Th. V, Heft 1; Annual report of the Smithsonian Institution, Washington, 1866 ; Proceedings of the Boston. Society of natural history, tom. 2, 1866-1868 ; Memoirs reade before the Boston Society of natural history being a new series of the Boston journal of natural history, t. 1, part. 3; Annual of the Boston Society of natural history, 1, 1868-1869; Condition and doings of the Boston Society of natural history, may 1867 — may 1868. 32 L'iRre MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ Au 135 août 1869. Le millésime placé en regard du nom de chaque membre indique l'année de sa réception dans la Société. Les membres de la Société qui ont racheté leurs cotisations annuelles sont désignés par un astérisque (*) placé devant leur nom, conformément à l'article 21 du règlement. Conseil d'administration pour 1869. Présent. Le CDR ON OP EM OO Premier; Vice-Président =: 1. a 7287 FAUCOMPRÉ ; Deuxième Vice-Président . . .. . ... GRAND (Ch.); Secrétaire écennGl. 2 TEE CASTAN ; Vice-Secrét. et contrôleur des dépenses. . FAIVRE ; TTÉSONERN LED EEE TRE TOR JACQUES ; Archivisté RE te. TERRE VARAIGNE. Secrétaire honoraire . . . : . . « . . . M. Bavoux. Membres honoraires. MM. Le PRÉFET du département du Doubs. L'ARCHEVÈQUE du diocèse de Besançon. LE GÉNÉRAL commandant la 7° division militaire. LE PREMIER PRÉSIDENT de la Cour impériale de Besançon. LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour impériale de Besançon. Le Recteur de l’Académie de Besancon. Le MarrE de la ville de Besancon. L'INSPECTEUR d’Académie à Besançon. BayLe, professeur de paléontologie à l'Ecole des mines ; Paris. — 1851. — 479 — MM. BLancHaRrD, Em., membre de l’Institut (Académie des scienc.), profeseur au Muséum d'histoire naturelle; Paris. — 1867. Coquaxp, Henri, professeur de géologie; Marseille. — 1850. Devicce Henri-Sainte-Claire, membre de l'Institut (Académie des sciences); Paris. — 1847. Devorsins, sous-préfet des Andelys (Eure). — 1842. Dougzenay, Henri, entomologiste; Epping, comté d'Essex (Angleterre). — 1853. Duruy, Victor, sénateur, ancien ministre de l'Instruction publique; Villeneuve-St-Georges (Seine-et-Oise). — 1869. GouGer, docteur en médecine; Dole (Jura). — 1852. Lézur, membre de l'Institut (Académie des sciences morales) ; rue Vanneau. 15, Paris. — 1866. Magice (M£'), évêque de Versailles. — 1858, MARTIN, Henri, historien; Paris-Passy, rue du Ranelagh, 54. — 1865. Paravey, ancien conseiller d'Etat, rue des Petites-Ecuries, 44, Paris. — 1863. QuicHeraT, Jules, professeur à l'Ecole impériale des Chartes ; Paris, rue Casimir-Delavigne, 9. — 1859. Taierry, Amédée, sénateur, membre de l’Institut (Académie des sciences morales); rue de Tournon, 12, Paris. — 1867. Membres résidants (!). ADLER, fabricant d’horlogerie, quai Vauban, 30-32. — 1859. ALEXANDRE, secrétaire du conseil des prud'hommes, rue d'Anvers, 4. — 1866. ALviser, président de chambre à la Cour impériale, rue du Mont-Sainte-Marie, 1. — 1857. (:) Dans cette catégorie figurent plusieurs membres dont le domicile habituel est hors de Besançon, mais qui ont demandé le titre de résidants, afin de payer le maximum de la cotisation et de contribuer ainsi d'une manière plus large aux travaux de la Société. — 480 — MM. - D'ARBAUMONT, Chef d’escadron d'artillerie, sous-inspecteur des forges de l'Est, rue Sainte-Anne, 1. — 1857. ARNAL, économe du lycée impérial. — 1858. Baïrzzy (l'abbé), maître des cérémonies de la cathédrale.— 1865. Barzzy, pharmacien, rue des Granges, 20. — 1867. BarBauD, Auguste, adjoint au maire, rue Saint-Vincent, 43. — 1857. BarpauD, Charles, négociant, rue Neuve-St-Pierre, 15.— 1862. * Bavoux, Vital, contrôleur des douanes, à Valenciennes (Nord). BELLAIR, médecin-vétérinaire, rue de la Bouteille, 7. — 1865. BELoT, essayeur du commerce, rue de l’Arsenal, 9. — 1855. BERTHELIN, Charles, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de Glères, 23. — 1858. BERTIN, négociant, aux Chaprais (banlieue). — 1863. * BERTRAND, docteur en médec., rue des Granges, 9.— 1855. Besson, avoué, place Saint-Pierre, 17. — 1855. Braz, Paul, chef d’escadron d'artillerie, sous-directeur à l'ar- senal. — 1858. DE Bicor, chef d'escadron d'Etat-major, rue de la Préfecture, : 31.— 1868 BzoxpEau, Charles, entrepreneur de menuiserie, juge au tri- bunal de commerce, rue Saint-Paul, 57. — 1854. BLonpEeau, Léon, entrepreneur de charpenterie, rue Saint- Paul, 57. — 1845. BLoxpox, docteur en médecine, rue des Granges, 68.— 1851. Bonrer, Eugène, doct. en médec., Grande-Rue, 53. — 1867. BorTeux, inspecteur honoraire du service des enfants assistés, rue de la Bouteille, 9. — 1867. Bosseux, Louis, professeur de rhétorique au lycée, rue des Granges, 7. — 1869. | Bossy, Xavier, fab. d’horl., rue des Chambrettes, 6. — 1867. BouceoT, Eugène, sous-chef de bureau à l'hôtel de ville, secrét. du bureau de bienfaisance, rue Battant, 20. — 1868. — 481 — MM. BouLzerT, proviseur du lycée impérial. — 1863. BourRCHERIETTE dit POURCHERESSE, entrepreneur de peinture et propriétaire, rue des Chambrettes, 8. — 1859. Bourpy, Pierre, essayeur du comm., rue de la Lue, 9.— 1862. BourGow, président honoraire à la Cour impériale, rue du Chapitre, 4. — 1865. Bourier, Edouard, propriétaire, place Granvelle. — 1868. BourTrey, Paul, fabricant d'horlogerie, juge au tribunal de commerce, rue Moncey, 12. — 1859. Bouvarp, Louis, avocat, Grande-Rue, 95. — 1868. Boysson D EcoLE, trésorier-payeur général du département, rue de la Préfecture, 22. — 1852. BREL, Félix, sculpteur, faubourg Tarragnoz. — 1868. BRETENIER, notaire, rue Saint-Vincent, 22. — 1857. Brertizzor, Eugène, propriétaire, rue des Granges, 46.— 1840. BreTtizLoT, Léon, banquier, ancien maire de la ville, président du tribunal de commerce, rue de la Préfecture, 21. — 1853. BrerTizLor, Maurice, propr., rue de la Préfecture, 21.—1857. BReTILLOT, Paul, propriét., rue de la Préfecture, 21.— 1857. BrucxoN, professeur à l'Ecole de médecine, médecin des hos- pices, rue des Granges, 16. — 1860. | | BRuGNON, ancien notaire, rue de la Préfecture. 12. — 1855. Brunswick, Léon, fabric. d’'horlog., Grande-Rue, 28.—1859. DE BussiERRE, Jules, conseiller à la Cour impériale, président honoraire de la Société d’agricult., rue du Clos, 33.— 1857. Caxez, chef de bureau à la préfecture. — 1862. CarLerT, Joseph, ingénieur des ponts et chaussées, rue Neuve, 13. — 1858. CasTan, Auguste, conservateur de la bibliothèque et des ar- chives de la ville, rue Saint-Paul, 3. — 1856. DE CHARDONNET (le vicomte), ancien élève de l'Ecole polytech- nique, rue du Perron, 28. — 1856. + CHauveLor, professeur d’arboriculture, à la Butte (banlieue). — 1858. — 482 — MM. CHEVILLIET, professeur de mathématiques spéciales au lycée impérial, rue du Clos, 27. — 1857. Caorrar, Paul, géologue, rue des Granges, 21. — 1869. CoTarp, professeur d'histoire à la Faculté des lettres, rue du Chapitre, 19. — 1866. CHRÉTIEN, Auguste, directeur des transmissions tés palais Granvelle. — 1869. DE CONEGLIANO (le marquis), chambellan de l'Empereur, membre du Conseil général du Doubs, rue de Ponthieu, 62, à Paris. — 1857. ConsTANTIN, préparateur d'histoire naturelle à la Faculté des sciences, rue Ronchaux, 22. — 1854. Corprer, Jules-Joseph, employé des douanes, rue de la Pré- fecture, 26. — 1862. CouLox, Henri, avocat, rue de la Lue, 7. — 1856. CourLer, proviseur de lycée en retraite, rue Ronchaux, 11.— 1863. CourRLET DE VREGILLE, Chef d’escadron d'artillerie en retraite, rue Saint-Vincent, 48. — 1844. CourrorT, Théodule, commis-greffier à la Cour imp. — 1866. CouTExoT, professeur à l'Ecole de médecine, médecin en chef des hospices, Grande-Rue, 44. — 1852. CuexiN, Edmond, pharmacien, rue des Granges, 40. — 1863. Daczix (le baron), juge au tribunal de première instance, membre du Conseil général, rue de la Préfecture, 23.— 1865. Davi, notaire, Grande-Rue, 107. — 1858. DeEcoumois, Ch., directeur d'usine; la Butte (banlieue). — 1862. Des, Jules, nié rue de la Préfecture, 18. — 1867. DELacroix, Alphonse, architecte de la ville. — 1840. DeLacroix, Emile, professeur à l'Ecole de médecine, inspec- teur des eaux de Luxeuil, Grande-Rue, 33. — 1840. DENANS, vérificateur des poids et mesures, rue Neuve-Saint- Pierre, 16. — 1866. j — 483 — MM. Dérrey, Just, banquier, Grande-Rue, 96. — 1857. Drérricx, Bernard, négociant, Grande-Rue, 73. — 1859. Ducar, Alfred, architecte, rue Saint-Pierre, 19. — 1855. Duxop pe CHARNAGE, avocat, rue de la Bouteille, 1. — 1863. Durer, géomètre, rue Neuve, 28. — 1858. Ermis, Edmond, propriétaire, Grande-Rue, 91. — 1860. Erams, Ernest, propriétaire, Grande-Rue, 91. — 1855. Ers, Léon, sous-inspecteur des forêts, rue de la Préfecture, 25. — 1862. Favre, Adolphe, professeur à l'Ecole de médecine, Grande- Rue, 76. — 1862. FaucomPré, chef d’escadron d'artillerie en retraite, lauréat de la prime d'honneur au concours régional agricole de Besancon en 1865, rue du Clos, 31. — 1855. FaucouwPré, Philippe, professeur d'agriculture du département du Doubs, rue du Clos, 31. — 1868. Fernier, Louis, fabricant d’horlogerie, président du conseil des prud'hommes, rue Ronchaux, 3. — 1859. Feuvrier (l'abbé), professeur à Saint-Francçois-Xavier, rue des Baïins-du-Pontot, 4. — 1856. Frrsex, Christian, propriétaire et entrepreneur de maçonnerie, rue du Chateur, 12. — 1866. Firscx, Léon, entrepreneur de maçonnerie, rue des Martelots, 8. — 1865. Fox, agent principal d'assurances, place Saint-Pierre, 6. — 1865. Fou, Auguste, mécanicien, rue de l’Arsenal, 9. — 1862. GAFFAREL, prof. d'histoire au lycée, rue de la Préfecture, 10, — 1868. Garner, Victor, conduct. des ponts et chauss., rue Morand, 11. — 1869. ) GassmanN, Emile, rédacteur en chef du Courrier franc-comtois, rue du Mont Sainte-Marie, 8. — 1867. Gaupor, médecin; Saint-Ferjeux (banlieue). — 1861. — 484 — GaurrrE, receveur principal des postes, Grande-Rue, 100. — 1862. GAULTIER DE CLAUBRY, prof. au lycée; aux Fra (banlieue). — 1868. GAUTHEROT, entrepreneur de menuiserie, rue Morand, 9. — 1865. GAUTHIER, Jules, élève de l'Ecole des Chartes, rue Racine, 2, Paris. — 1866. GÉRARD, Edouard, banquier, ancien adjoint au maire de Be- sançon; Genève, quai du Mont-Blanc, 5. — 1854. GÉRaARD, Jules, professeur de philosophie au lycée impérial, rue Neuve, 5. — 1865. GirARDOT, Régis, banquier, rue LV 15. — 1857. Giro», Achille, propriétaire; Saint-Claude (banlieue).— 1856. Girop, avoué, rue Moncey, 5. — 1856. Giro», Victor, adjoint au maire, Grande-Rue, 70. — 1859. GiroLer, Louis, dit ANDROT, peintre-décorateur, rue de l'Ecole, 28-30. — 1866. GLORGET, Pierre, huissier, Grande-Rue, 58. — 1859. GouiLLaup, professeur à la Faculté des Son rue Saint- Vincent, 3. — 1851. Gran», Charles, directeur de l'enregistrement et des domaines, Grande-Rue, 68. — 1852. GRAND, Jean-Antoine, greffier de paix du canton sud de Be- sançon, rue Morand, 12. — 1868. GRANGÉ, pharmacien, rue Morand, 7. — 1859. GRENIER, Charles, doyen de la Faculté des sciences et pro- fesseur à l'Ecole de médecine. — 1840. GRESSET, Félix, chef d’escadron d'artillerie, propriét., Grande- Rue, 53. — 1866. GROSJEAN, bijoutier, rue des Granges, 21. — 1859.- GUERRIN, avocat, rue de la Préfecture, 20. — 1855. GuiBaRpD (l'abbé), aumônier de la citadelle, rue du Chapitre, 7. — 1866. — 485 — * MM. GuicaarD, Albert, pharmacien, rue d'Anvers, 3. — 1853. GUILLEMIN, ingénieur-constructeur; Casamène (banlieue). — 1840. Hazpy, fabricant d'horlogerie, rue Saint-Jean, 3. — 1859. Hory, propriétaire, rue de Glères, 17. — 1854. JAcoB, Alexandre, maire de Pirey, propriétaire, rue Saint- Paul, 54. — 1866. JacquaRD, Albert, banquier, rue des Granges, 21. — 1852. JACQUES, docteur en médecine, rue du Clos, 32. — 1857 JAGQUÉS De FLeurey, chef d'escadron d'artillerie, Grande-Rue, 98. — 1809. JEANNINGROS, pharmacien, place Saint-Pierre, 6. — 1864. DE JOUFFROY (le comte Joseph), propriétaire, au château d’Ab- bans-Dessous et à Besançon, rue du Chapitre, 1. — 1853. Kzein, Auguste, propriét.; aux Chaprais (banlieue). — 1858. LANCRENON, conservateur du Musée et directeur de l'Ecole de dessin, correspondant de l’Institut, rue de la Bouteille, 9. — 1859. LAMBERT, Léon, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite, rue des Granges, 74. — 1852. LaupeT, conducteur des ponts et chaussées, rue Ronchaux, 10. — 1854. | LaurENs, Paul, président de la Société d'agriculture du Doubs, rue Saint-Vincent, 22. — 1854. LeBLanc, Léon, peintre, rue Morand, 8. — 1867. LeBon, Eugène, docteur en médecine, Grande-Rue, 88.— 1855. LEBRETON, directeur de l’usine à gaz, Grande-Rue, 97.— 1866. LEGENDRE, Louis, chef de bureau à l'hôtel de ville, receveur du bureau de bienfaisance, rue du Chateur, 15. — 1866. LÉPAGNEY, Francois, horticulteur; la Butte (banlieue).— 1857. LHommEe, Louis, ancien notaire, rue de la Vieille-Monnaie, 4. — 1864. LierFrRoY, Aimé, propriétaire, rue Neuve, 11. — 1864. DE LONGEVILLE (le comte), propriétaire, rue Neuve, 7.— 1855, — 486 — MM. Louvot, Hub.-Nic., notaire, Grande-Rue, 48. — 1860. LuuiÈre, Antoine, photographe, rue des Granges, 59.— 1865. Macxar», viticulteur, Grande-Rue, 14. — 1858. Maire, ingénieur des ponts et chauss., rue Neuve, 15.— 1851. MarroT, Félix, banquier, ancien président du tribunal de commerce, rue de la Préfecture, 17. — 1857. MarrorT, Edouard, entrepreneur de charpenterie, rue Morand, 2. — 1865. MAISoNNET, négociant, rue Saint-Pierre, 7-9. — 1869. MazniNey, entrepreneur de charpenterie, abbaye Saint-Paul. — 1865. MarcHaz, Georges, essayeur du commerce, Grande-Rue, 14. — 1860. Marion, mécanicien ; Casamène {banlieue). — 1857. Mario, Charles, libraire, place Saint-Pierre, 2. — 1868. MarLeT, Adolphe, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Saône. — 1852. Marque, Hector, propriétaire, ancien élève de l'Ecole poly- technique; Poligny (Jura). — 1851. Maraior, Joseph, avocat, rue du Chateur, 20. — 1851. MazovHie, ancien notaire, rue des Chambrettes, 12. — 1840. MÉTIx, Georges, agent voyer, rue du Chateur, 17. — 1868. Micau», Jules, direct. en retraite de la succurs. de la Banque, juge au tribunal de comm., rue des Granges, 38. — 1855. Micez, Brice, décorateur des promenades de la ville; Fon- taine-Ecu (banlieue). — 1865. Moxxier, Paul, correcteur d'imprimerie, rue de Glères, 15.— 1868. Morez, Ernest, docteur en médecine, rue Moncey, 12.— 1863. MouTriLLe, Alfred, banquier, rue de la Préfecture, 31.—1856. NorreT, voyer de la ville, rue de la Madeleine, 19. — 1855. D'Orivaz, Léon, propriétaire, rue du Clos, 22. — 1854. D'ORrIVAL, Paul, conseiller à la Cour impériale, place Saint- Jean, 6. — 1852. — 487 — MM. Ouper, Gustave, avocat, rue Moncey, 2. — 1855. OUTHENIN-CHALANDRE, fabricant de papier et imprimeur, pré- sident de la Chambre de commerce, rue des Granges, 23. — 1843. OUTHENIN-CHALANDRE, Joseph, ancien juge au tribunal de commerce, Grande-Rue, 68. — 1856. Parzcor, Justin, naturaliste, rue des Chambrettes, 13.— 1857. Pamcxaux, Francisque, architecte, rue du Perron, 28.— 1859. ParçGuez (le baron), docteur en médecine, Grande-Rue, 106. — 1857. PERCEROT, architecte, rue du Chateur, 25. — 1841. PériARD, docteur en médecine, rue du Clos-St-Paul, 6.— 1861. PERNARD, négociant, rue de Chartres, 8. — 1868. Perrier, Just, employé à la préfecture; quai Napoléon, 1. — 1866. Pérey, chirurgien-dentiste, Grande-Rue, 70. — 1842. PerrreuenoT, Paul, avoué près la Cour impér., Grande-Rue, 107. — 1869. PETITHUGUENIN, notaire, rue de la Préfecture, 12. — 1857. Prcarp, Arthur, banquier, Grande-Rue, 48. — 1867. Piquet, Emm., fabricant d’horlogerie, place Saint-Pierre, 9. — 1856. Prquerez, Aristide, fabric. d’horl., rue de Glères, 23.— 1866. PorGxaxp, médecin-vétérinaire, rue Morand, 9. — 1855. PoiGNaND, premier avocat général, rue des Granges, 38. — 1856. , Pourcy pe Lusaxs, docteur en médecine, rue de la Préfecture, 23. — 1840. Proupxox, Camille, conseiller à la Cour impériale, Grande- Rue, 129. — 1856. Proupxon, Léon, maire de la ville, rue de la Préfecture, 25. — 1856. Race, Louis, négociant, ancien adjoint au maire, rue Bat- tant, 7. — 1857. dr MM. | Race, Pierre, négociant, rue Battant, 7. — 1859. Ravier, Franc.-Joseph, ancien avoué; St-Claude (banlieue). — 1858. * RexauD, Alphonse, licencié en droit, surnuméraire de l’en- registrement, abbaye Saint-Paul. — 1869. RexauD, François, négociant, abbaye Saint-Paul. — 1859. Rexaup, Louis, ancien pharmacien, rue d'Anvers, 4.— 1854. Rexaup, Victor, agent comptable de la caisse d'épargne, rue de la Préfecture, 16. — 1865. Reynaup-Ducreux, professeur à l'Ecole d'artillerie, rue Ron- chaux, 22, — 1840. RiaLpo, profess. de dessin au lycée, rue du Clos, 16. — 1869. RoLLOT, contrôleur des contributions indirectes en retraite; aux Chaprais (banlieue). — 1846. SAILLARD, Albin, professeur à l'Ecole de médecine, rue Mo- rand, 8. — 1866. SAINT-Eve, Ch., entrepreneur de serrurerie, place Granvelle. — 1865. SaixT-Eve, Louis, fondeur en métaux, rue de Chartres, 8. — 1852. SAINT-GINEST, Etienne, architecte du département du Doubs, rue de la Préfecture, 18. — 1866. DE SAINTE-AGATHE, Louis, membre et ancien président de la Chambre de commerce, rüe d'Anvers, 1. — 1851. SANCEY, Louis, propr., syndic de faillites, rue du Lycée, 1.— 1855. SARRAZIN, propriétaire de mines; Laissey (Doubs).— 1862. Sicarp, Honoré, négociant, rue de la Préfecture, 4. — 1859. Sivanr, Adolphe, propriétaire, Grande-Rue, 44. — 1860. SIRE, Georges, docteur ès-sciences, directeur de l'Ecole d'hor- logerie, rue Saint-Antoine, 6. — 1847. STEHLIN, professeur de musique à l'Ecole normale, Grande- Rue, 108. — 1867. TAILLEUR, propriétaire, rue d’Arènes, 33. — 1858. — 489 — MM. Taizzeur, Louis, professeur de langue allemande, rue d’A- rènes, 33. — 1867. Tarégaup (l'abbé), chanoine, Grande-Rue, 112. — 1855. Tissor, économe de l’Asile départemental, rue des Granges, 23. — 1868. Tourner, Justin, propriét., rue de la Préfecture, 25.— 1855. Tourner, Paul, professeur à l'Ecole de médecine, rue des Granges, 32. — 1866. TRAVELET, essayeur de la garantie, rue Saint-Vincent, 53. — 1854. Travers, Emile, archiviste du département du Doubs, rue de la Préfecture, 26. — 1869. TRÉMOLIÈRES, Jules, avocat, rue des Martelots, 1. — 1840. VARAIGNE, Charles, premier commis de la direction des con- tributions indirectes, rue Saint-Vincent, 18. — 1856. Verz-Picarp, Adolphe, juge au tribunal de commerce, Grande- Rue, 14. — 1859. DE VEzET (le comte), propriétaire, rue Neuve, 17 ter. — 1859. VÉœAN, professeur à la Faculté des sciences, rue Neuve, 21. — 1860. VIENNET, surveillant général au lycée, rue de la Préfecture, 26. — 18069. Vivier, employé à l’hôtel de ville, rue de Chartres, 22. — 1840. Vivier, Edmond, directeur des prisons du département du Doubs, quai Napoléon, 27. — 1866. Voisin, Claude-François, entrepreneur, membre du conseil des prud'hommes, rue d'Anvers, 4. — 1869. Voisin, Pierre, propriét., directeur de la société d'entreprises Voisin et Ci; Montrapon (banlieue). — 1855. VouzEau, conservateur des forêts, rue des Granges, 38.— 1856. VuiLLERET, Just, juge au tribunal, secrétaire de la commission municipale d'archéologie, rue Saint-Jean, 11. — 1851. WazLox, Henri, professeur au lycée, rue Neuve-Saint-Pierre, 17. — 1868. — 490 — MM. Wipar, prof. à la Faculté des lettres, Grande-Rue, 79.— 1868. WILLEMIN, propriétaire, rue de la Madeleine, 20. — 1868. ZAREMBA, premier commis de la direction de l’enregistrement, place Saint-Pierre, 2. — 1869. Membres correspondants. MM. D'ANDELARRE (le marquis), député de la Haute-Saône ; au châ- teau d'Andelarre, près Vesoul. — 1868. BABINET, Capitaine en premier au 15° régiment d'artillerie; Douai. — 1851. BazaxcxE, Stanisl., ingénieur-chimiste; Thann (Haut-Rhin). — 1868. DE BANcExEL, chef de bataillon du génie en retraite; Liesle (Doubs). — 1851. Barpy, Henri, pharmacien ; Saint-Dié (Vosges). — 1853. BarRaAL, pharmacien, ancien maire de la ville de Morteau (Doubs). — 1864. Barraop, Charles, conducteur des ponts et chaussées; Morteau (Doubs). — 1856. : BaTaiLLaRD, Claude-Joseph, greffier de la justice de paix; Audeux (Doubs). — 1857. BEAUQUIER, économe de lycée en retraite; Montjoux (ban- lieue). — 18435. BELTRÉMIEUX, agent de change; La Rochelle (Charente-Infé- rieure). — 1856. | Bexorr, Claude-Emile, vérificateur des douanes; Paris, rue du Faubourg-Saint-Martin, 188. — 1854. | * BERTHAUD, professeur de physique au lycée de Mâcon (Saône-et-Loire). — 1860. * BERTHOT, ingénieur en chef de canal en retraite ; Fa (Saône-et-Loire). — 1851. BERTRAND, Alexandre, conservateur du musée impérial de Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). — 1866. — 491 — MM. Bessox, gérant des forges d’Audincourt (Doubs). — 1859. Berren», Abel, impr.-lithogr.; Lure (Haute-Saône). — 1862. * BeuquE, triangulateur au service de la topographie algé- rienne; Constantine. — 1853. BEURTHERET, Paul, rédacteur en chef de la France centrale; Blois (Loir-et-Cher). — 1865. Brxio, Maurice, agronome, rue Jacob, 28, Paris. — 1866. BLancxe, naturaliste et étudiant en droit; Dijon (Côte-d'Or). — 1865. * pe BoiscecomTe (le vicomte), général de division, Paris, boulevard Haussmann, 82. — 1854. Borssecer, archéologue; Vesoul (Haute-Saône). — 1866. Borsson, Emile, propriétaire ; Moncley (Doubs). — 1865. Borssox, Joseph, pharmacien; Lure (Haute-Saône). — 1862. * Bourzzer, Appolon, rue de Grenelle-St-Honoré, 18, Paris. _— 1860. Bouvor, chef de bataillon du génie en retraite; Salins (Jura). — 1864. | BranGer, conducteur des ponts et chaussées; Terre - Noire (Loire). — 1852. * Brain, profess. au lycée de Vesoul (Haute-Saône). — 1857. Bucxer, Alexandre, propriét.; Gray (Haute-Saône). — 1859. BurckARDT, Jean-Rodolphe, docteur en droit, conseiller à la Cour d'appel de Bâle (Suisse). — 1866. CarMe, conducteur des travaux du chemin de fer; Chaussin (Jura). — 1856. CaRTEREAU, docteur en médecine; Bar-sur-Seine (Aube). — 1858. Casraw, Francis, capitaine d'artillerie à la poudrerie du Bou- chet {Seine-et-Oise). — 1860. Cessac, archéologue, rue des Feuillantines, 64, Paris. — 1863. CxaLor, institut.; la Proiselière par Faucogney (Haute-Saône). — 1868. CaawriN, sous-préfet de Baume-les-Dames (Doubs). — 1865. — 492 — MM. CHarTezer, curé de Cussey-sur-l'Ognon (Doubs). — 1868. * Cxazaup, archiviste du départ. de l'Allier; Moulins. — 1865. CHERBONNEAU, directeur du collége arabe d'Alger. — 1857. * CLoz, Louis, peintre; Lons-le-Saunier (Jura). — 1863. Cozar», chef d'institution; Ecully (Rhône). — 1857. Cozarp, Charles, architecte; Lure (Haute-Saône). — 1864. Cou, juge de paix; Pontarlier (Doubs). — 1864. * ConTEJEAN, Charles, professeur à la Faculté des sciences de Poitiers (Vienne). — 1851. Coste, docteur en médecine et pharmacien de première classe; Salins (Jura). — 1866. * CoTrEAU, juge au tribunal de première instance; Auxerre (Yonne). — 1860. | * CouTHERUT, Aristide, notaire; Lure (Haute-Saône).— 1862. CRÉBELY, Justin, employé aux forges de Franche-Comté; Fraisans (Jura). — 1865. Cuiner, curé de canton; Amancey (Doubs). — 1844. Curé, docteur en médecine; Pierre (Saône-et-Loire). — 1855. DarLorT, ingénieur-opticien, rue Chapon, 14, Paris. — 1864. DE LA Porte, médecin du Corps législatif; Paris. — 1862. DELAVELLE, inspect. primaire; Montbéliard (Doubs). — 1866. DELEULE, instituteur; Jougne (Doubs). — 1863. DéprerRes, Auguste, avocat, bibliothécaire de la ville de Lure (Haute-Saône). — 1859. * DesseRTINES, directeur des forges; Quingey (Doubs).—1866. DerTzen, ing. des ponts et chauss.; Réthel (Ardennes).— 1851. * Dev, Eugène, banquier; Epernay (Marne). — 1860. DEVARENNE, Ulysse, capitaine de frégate de la marine impé- riale; Toulon (Var). — 1867. Devaux, pharmacien ; Gy (Haute-Saône). — 1860. DevizzeBicaor, Alfred, ancien pharmacien, boulevard de Sé- bastopol, 61, Paris. — 1869. Déy, conservateur des hypothèques; Laon (Aisne). — 1853. Dinier, Jules, pharmacien; Lure (Haute-Saône). — 1864. — 493 — MM. Doxer, chef de service de la compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon; Paris. — 1857. DraPeyrow, Ludovic, professeur d'histoire au lycée Napoléon, rue Clotaire, 3, Paris. — 1866. Dusosr, Jules, maître de forges ; Châtillon-sur-Lizon (Doubs). — 1840. DumorTier, Eugène, négociant, joe de Saxe, 97, Lyon (Rhône). — 1857. Farvre (Pierre), apiculteur; Seurre (Côte-d'Or). — 1865. * FazLor fils, architecte; Montbéliard (Doubs). — 1858. FarGeaup, professeur de Faculté en retraite; Saint-Léonard (Haute-Vienne). — 1842. * Favre, Alphonse, profess. à l’Académie de Genève (Suisse). — 1862. * De Ferry, Henri, maire de Bussières, par Saint-Sorlin, près Mâcon (Saône-et-Loire). — 1860. * Férez, curé de la Rivière (Doubs). — 1854. Fozrèrte, curé de Verne (Doubs). — 1858. * Forruxé, Pierre-Félix, empl. aux forges de Franche-Comté ; Fraisans (Jura). — 1865. * DE FROMENTEL, docteur en médecine; Gray (Haute-Saône). — 1857. GazLzogri, Léon, capitaine, professeur à l'Ecole impériale d’Etat-major, rue du Marché, 16, Passy-Paris. — 1866. GannarD, Tuskina, propriétaire ; Quingey (Doubs). — 1866. GARNIER, Georges, avocat; Bayeux (Calvados). — 1867. Gascon, Edouard, agent voyer; Fontaine-Française (Côte- d'Or).— 1868. GENTILHOMME, pharmac. de l'Empereur; Plombières (Vosges). — 1859. , GEVREY, Alfred, procureur impérial à bostichert {Indes RARE — 1860. : * GIRARDIER, agent voyer d’arrondissem.; Pontarlier (Doubs). — 1856. 33 — 494 — MM. * Girop, Louis, architecte; Pontarlier (Doubs). — 1851. * Goprox, doyen de la Fac. des sciences de Nancy (Meurthe). — 1843. GoGuEL, Charles, manufacturier ; le Logelbach (Haut-Rhin). — 1856. GocueL, pasteur; Sainte-Suzanne, près Montbéliard (Doubs). — 1864. GoGuezy, Jules, archit.; Baume-les-Dames (Doubs). — 1856. * GRANDMOUGIN, architecte de la ville et des bains de Luxeuil (Haute-Saône). — 1858. * GuizzemoT, Antoine, entomologiste; Thiers (Puy-de-Dôme). — 1854. GuyarD, Auguste, littérateur, rue de Vaugirard, 60, Paris. — 1869. Hücow, Charles, littérateur ; Moscou (Russie). — 1866. Hucox, Gustave, maire et suppléant du juge de paix de Nozeroy (Jura). — 1867. Jaccarp, Auguste, professeur de géologie à l'Académie de Neuchäâtel(Suisse). — 1860. JEanneNey, Victor, professeur de dessin au lycée de Vesoul (Haute-Saône). — 1858. DE KAVANAGH-BALLYANE (le baron Henri), à Graz (Styrie). — 1867. | Kzeix, ancien Juge au tribunal de comm. de la Seine, adjoint au maire du 16° arrondiss. de Paris; Passy-Paris. — 1858. . * Koœcauin, Oscar, chimiste; Dornach (Haut-Rhin). — 1858. Koxzer, Xavier, président de la Société jurassienne d'Emu- lation ; Porrentruy, canton de Berne (Suisse). — 1864. * KoxLManN, receveur du timbre; Angers (Maine-et-Loire). — 1861. ; * Kozzer, Charles, constructeur; Tavaux (Jura). — 1856. * LAMoOTTE, directeur de hauts-fourn.; Ottange, par Aumetz (Moselle). — 1859. : * LanGLois, juge de paix; Dole (Jura). — 1854. — 495 — MM. LanTERNIER, Chef du dépôt des forges de Larians ; Lyon, rue Sainte-Hélène, 10. — 1855. Larour-pu-MouLIN , député du Doubs, rue de Suresne, 17, Paris. — 1864. * LaurenT, Ch., ingénieur civil, rue de Chabrol, 39, Paris.— 1860. * pe LAVERNELLE, inspect. des lignes télégraphiques, membre du Conseil général de la Dordogne; rue Saint-Dominique- Saint-Germain, 87, Paris. — 1855. * LeBeau, chef du service commercial de la compagnie des forges de Franche-Comté; Fraisans (Jura). — 1859. LEBRUN-DALBANNE, archéologue; Troyes (Aube). — 1868. Leczerc, François, archéologue et naturaliste; Seurre (Côte- d'Or). — 1866. LENorMAND, avocat; Vire (Calvados). — 1843. * Leras, inspecteur d'Académie; Auxerre ( Yonne). — 1858. Lomme, Victor, directeur des douanes et des contributions indirectes ; Colmar (Haut-Rhin). — 1842. Licrer, Arthur, pharmacien ; Salins (Jura). — 1863. DE Lainiers (le marquis), général commandant la 4° division militaire ; Châlons-sur-Marne. — 1861. Lory, professeur de géologie à la Faculté des sciences de Grenoble (Isère). — 18357. MacxArD, Jules, peintre d'histoire, pensionnaire de l'Aca- démie de France à Rome. — 1866. * MarzcanD, docteur en médecine; Dijon (Côte-d'Or). — 1855. MaisonxerT, curé de Villers-Pater (Haute-Saône). — 1856. * DE MANDROT, lieutenant-colonel à l’Etat-major fédéral suisse ; Neuchâtel. — 1866. Marcou, Jules, géologue, rue Madame, 44, Paris. — 1845. DE Maruier (le duc), député au Corps législatif; Seveux (Haute-Saône). — 1854. | DE MarmiEer (le marquis), membre du Conseil général du Doubs ; rue de l’Université, 11, Paris. — 1867. — 496 — MM. MarQuIsET , Gaston, propriét.; Fontaine-lez-Luxeuil (Haute- Saône). — 1858. Marin, docteur en médecine; Aumessas (Gard). — 1855. * Maruey, Charles, pharmacien ; Ornans (Doubs). — 1856. DE MENTHON, René, botaniste; Menthon (Haute-Savoie). — 1854. MesseLeT, Séb., méd.-vétér.;, Voray (Haute-Saône). — 1841. * Micxer, Auguste, instituteur communal, Mulhouse (Haut- Rhin). — 1842. | | MicxeLoT, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue de la Chaise, 24, Paris. — 1858. MirexaR», correspondant du minist. de l'Instruction publique: Dijon (Côte-d'Or). — 1868. Mizzer, Maurice, caissier, Lure (Haute-Saône). — 1864. Monnier, Eugène, architecte, rue Billault, 19, Paris. — 1866. MoréTin, docteur en médecine, rue de Rivoli, 68, Paris. — 1857. Muenier, Henri-Auguste, ingénieur-architecte, rue du Fau- bourg-Saint-Denis, 176, Paris. — 1868. | Muxier, médecin; Foncine-le-Haut (Jura). — 1847. Musrox, docteur en médecine; rue de Seine, 76, Paris. — 1864. DE Nervaux, Edmond, chef de bureau au ministère de l'Inté- rieur; Paris. — 1856. ORDINAIRE DE LACOLONGE, chef d’escadron d'artillerie en re- traite; Bordeaux (Gironde). — 1856. * PARANDIER, inspecteur général des ponts et chaussées, rue de Berri, 43, Paris. — 1852. Paris, docteur en médecine; Luxeuil (Haute-Saône). — 1866. Parisor, Louis, pharmacien; Belfort (Haut-Rhin). — 1855. PARMENTIER, Jules, membre du Conseil général de la Haute- Saône; Lure. — 1864. Parrraux, Vital, maire de Jougne (Doubs). — 1863. Pare, ancien maire de Quingey (Doubs). — 1866. — 497 — MM. Pécouz, Auguste, archiviste-paléographe, attaché à l'ambas- sade de France à Rome; château de Villiers, à Draveil (Seine-et-Oise). — 1865. PERRET, Paul, littérateur, rue de Moscou, 11, Paris. — 1866. Perrier, Francis, manufacturier; Thervay (Jura). — 1867. * PEerRoON, conservateur du musée de la ville de Gray (Haute- Saône). — 1857. Perron, docteur en médecine; aux Chaprais (banlieue de Besancon). — 1861. * Pessières, architecte; Pontarlier (Doubs). — 1853. Perir, Jean, statuaire, rue d’'Enfer, 89, Paris. — 1866. PeuceorT, Constant, membre du Conseil général ; Audincourt (Doubs). — 1857. Prerrey, docteur en médec.; Luxeuil (Haute-Saône).— 1860. Pizon, Félix, notaire; Pontarlier (Doubs). — 1867. Pinamme, Jules, juge de paix; Pont-de-Roide (Doubs).— 1868. Pompes, architecte de la ville et de l'arrondissement de Saint- Julien (Haute-Savoie). — 1868. PÔône, docteur en médecine, maire de la ville de Pontarlier (Doubs). — 1842. pu Pouey, général en retraite ; Pelousey (Doubs). — 1865. Pourrier, Jules, employé des contributions indirectes; Pon- tarlier (Doubs). — 1866. Prevor, Eugène, avocat; Lure (Haute-Saône). — 1864. Prost, Bernard, élève de l'Ecole des Chartes, rue d'Assas, 72, Paris. — 1867. ProupHoN, Hippolyte, membre du Conseil d'arrondissement ; Ornans (Doubs). — 1854. * Quézer, Lucien, docteur en médec.; Hérimoncourt (Doubs). — 18062. | QuiQuEREz, ancien préfet de Delémont; Bellerive, canton de Berne (Suisse). — 1864. Race, Pierre-Joseph, ancien avoué; Oiselay (Haute-Saône). — 1856. — 498 — MM. DE RATTIER DE SUSVALON, littérateur, rue de la Paix, 10, Bordeaux. — 1867. REBILLARD, pasteur ; Trémoins (Haute-Saône). — 1856. Repper, recev. des douanes; Val-de-Vignes (Savoie). — 1868. * RenauD, Alphonse, officier principal d'administration de l'hôpital militaire de Vincennes. — 1855. | * RexauD, Edouard, capitaine au régiment des sapeurs-pom- piers de Paris, au Louvre, B. Rivoli. — 1868. Rexaup, docteur en médec; Goux-lez-Usiers (Doubs).— 1854. Revox, Pierre, banquier; Gray (Haute-Saône). — 1858. RicxArD, Ch., docteur en médecine; Autrey-lez-Gray (Haute- Saône). — 1861. RoserT, Ulysse, élève de l'Ecole des Chartes; Paris — 1866. . Ron Paul, peintre-paysagiste, rue du Vieux-Colombier, 4, Paris. — 1867. DE Ru D'AIGLUN, Capitaine du génie; Chambéry (Haute- Savoie). — 1866. Roucer, docteur en médecine; Arbois (Jura). — 1856. RouxEL, professeur de physique au lycée de Saint-Quentin (Aisne). — 1864. Roy, Jules, professeur à l'Ecole des Carmes, rue de Vaugi- rard, Paris. — 1867. Rurrey, Jules, docteur en médecine, rue des Mo RES 20, Paris. — 1863. Sanpras, inspecteur d'Académie; Poitiers (Vienne). — 1868. * SARRETTE, Colonel du 34° régiment de ligne; Alger.— 1864. * DE SAUSSURE, Henri, naturaliste; château de la Charnéa, près Bonne-sur-Ménage (Haute-Savoie). — 1854. SAUTIER, Chef de bataillon du génie en retraite; Vesoul (Haute- Saône). — 1848: * THÉNARD (le baron), membre de l’Institut (Académie des sciences); Talmay (Côte-d'Or). — 1851. THierry, Gilbert, auditeur de première classe au Conseil d'Etat, boulevard Malesherbes, 20, Paris. — 1868. — 499 — MM. TaurieT, Charles, juge de paix; Rougemont (Doubs). — 1869. Tissor, correspondant de l’Institut, doyen de la Faculté des lettres de Dijon (Côte-d'Or). — 1859. Tousin, Charles, professeur au collége arabe d'Alger. — 1856. Tourer, Félix, percepteur ; Nans-sous-Sainte-Anne (Doubs). — 1854. * Tournier, Ed., docteur ès-lettres, rue de Vaugirard, 92, Paris. — 1854. TRAvELET , Nicolas, propriétaire ; Bourguignon - lez - Morey (Haute-Saône). — 1857. TrippuiN, Julien, représentant de la fabrique bisontine d'hor- logerie, à Londres, Hart street Bloomsbury, 13. — 1868. TrucezuT, photographe, rue Richelieu, 98, Paris. — 1854. Tuërey, Alexandre, archiviste aux archives de l'Empire, place Wagram, 4, Paris. — 1863. VAzrFREY, Jules, rédacteur en chef du Mémorial diplomatique, rue Treilhard, 3, Paris. — 1860. VENDRELY, pharmacien; Champagney (Haute-Saône).— 1863. VreiLze, Emile, libraire, maison Victor Masson, rue de l’E- cole-de-Médecine, 17, Paris. — 1862. Ville, Eugène, fabricant de meules; La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne). — 1860. VIVIEN DE SAINT-MaARTIN, vice-président de la Société de géo- graphie, quai Bourbon, 15, Paris. — 1863. Wgrzez, architecte de la ville et président de la Société d’E- mulation de Montbéliard (Doubs). — 1864. Wzy, Francis, inspecteur général des archives de France; Paris, rue de Clichy, 14. — 1860. * WILLERME, colonel commandant le régiment des sapeurs- pompiers de Paris. — 1869. — 500 — SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES. Le millésime indique l'année dans laquelle ont commencé les relations. FRANCE Comité impérial des travaux historiques et des sociétés savantes près le Ministère de l’Instruction publique (deux exemplaires des Mémoires) . . . . . : . : ..: . Aisne Société académique des sciences, arts, belles-lettres, agriculture et industrie de Saint-Quentin . . . . .. Allier Société des sciences médicales de l'arrondissement de Gannat: 7, ee Le PNA Société d'Emulation du département de l'Allier; Mou- ns, 1.528000 . SC OUEN RENE ATEN Alpes-Maritimes Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes; Nice. AL RE QU, 0 SGEN CRE Ardèche Société des sciences naturelles et historiques de l’Ar- dèche: ÆFIVAS Er. LE 2 Li ME DURE SEE Aube Société académique de l'Aube; Troyes . . . .. . . .. Bouches-du-Rhône Société de statistique de Marseille . . . . . . . . . .. Académie des sciences, belles-lettres et arts de Mar- SUR, = ONE ET OR RE LC FT EEE 1856 1862 1851 1860 1867 1863 1867 — 501 — Calvados Société Linnéenne de Normandie; Caen. . ...... Société française d'archéologie; Caen . . . ... ... Charentc-Inférieure Société d'agriculture de Rochefort . .......... Côte-d'Or Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. . Société d'agriculture et d'industrie agricole du départe- AU CIE -d Or; Dion: .. .. , . . . ... Commission des antiquités du département de la Côte- a a. Doubs Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon. Société d'agriculture, sciences naturelles et arts du dé- . partement du Doubs; Besançon . . . . . . . . . .. Commission archéologique de Besançon . . . . . . .. Société d'Emulation de Montbéliard . . . . . . . . .. Société de médecine de Besançon . .......... Société de lecture de Besançon. . . . ......... Eure-et-Loir Société Dunoise;- Châteaudun ............. Gard D ménie du Gard: Nimes. 2. 2m . 2. . .. .w .. Gironde Commission des monuments de la Gironde; Bordeaux. Hérault Académie de Montpellier near... | Société archéologique de Montpellier. . . .., .... 1857 1861 1861 1869 — 502 — Isère Société de statistique et d'histoire naturelle du départe- ment-de l'Isère; Grenoble } : 58m" UE CAInITERES Jura Société d'Emulation du département du Jura; Lons- le-Saumier : : 7-24 AR ue AC OR CR RER Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny. . . . Loire Société impériale d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Loire; Saint- Etienne... 25. LOTS VER CCE Loiret Société archéologique de l'Orléanais; Orléans . . . .. Maine-et-Loire Société industrielle d'Angers et du Cr de Maine-et-Loire ; ‘Angers 44 8 AUTRES Société académique de Maine-et-Loire; Angers . . . . Manche Société des sciences naturelles de Cherbourg. . . . .. Marne Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne; Châlons . . . , . . . .. Mayenne Société de l’industrie de la Mayenne; Laval . . . . .. Société d'archéologie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Mayenne; Mayenne . .. ..., Meuse Société philomathique de Verdun . . ......... Morbihan Société polymathique du Morbihan; Vannes . . . .. 1857 1844 1860 1866 1851 1855 1857 1854 — 903 — Moselle Société d'histoire naturelle du département de la Mo- Does Mein. . 2. 4,7! DRM Le eee Oise Société d'agriculture de Compiègne . . . . . . . . .. Pyrénées (Hautces-) Société académique des Hautes-Pyrénées ; Tarbes. . . Pyrénées-Orientalcs Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées- APE MP GTDISMAR SEM AR ENS TE US, Rhin (Bas-) Société des sciences naturelles de Strasbourg . . . .. Rhin (Haut-) SOCiété d'histoire naturelle de Colmar. | . . . . . . .. Rhône Dr Phinnébanede Lyon LA. 2. 0. "in". Société d'agriculture, d'histoire naturelle et arts utiles dada ae ss ere ius A Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon. . Société d’horticulture pratique du département du LTÉE FC OEIL ME RE RE ete Etiéraire Go LYON NN ON Le LUS Saône-et-Loire UM due AA 20, AAA ae |, 4 Ju, Société d'archéologie de Chalon-sur-Saône . . . . . .. Académiede MACON TE ER 4 50, 2. 8. Rédaction des Matériaux d'archéologie et d'histoire ; Chalqn-sur-Saône 5% 0 74... TRS EC PTE Saône (Hautce-) Commission d'archéologie de la Haute-Saône; Vesoul. 1862 1859 1856 1866 1860 1849 1830 1850 1853 1866 — 904 — Sarthe Société d'agriculture, sciences et arts ; le Mans. . . . . 1869 Savoie (Hautc-) Académie impériale de Savoie; Chambéry. . . . . . . 1869 Seine Société géologique de France; Paris . . . . . . . . . . 1847 Société de secours des amis des sciences; Paris . . . . 1863 Société de linguistique; Paris, rue de Lille, 34 . . . . 1865 Association scientifique ; Paris. . . . . . 1866 Société d'encouragement pour Rss ol PAT VERS RC Société impériale de nr ie nee Dé =: 100 Société française de numismatique. et RE) Paris, rue. de l'Université, 58. 4e 4 Te CS Seine-et-Marne Société d'archéologie, sciences, lettres et arts de Seine- et-Marne: Melun: . . . . 2 MS RE Scine-cet-Oise Société des sciences naturelles et médicales de Seine- et-Oise:: Versailles. FACE RIRES Scince-Inférieure Commission départementale des antiquités de la Seine- Infénienté: Ronen 2% 2. LORIE PR Somme Société des antiquaires de Picardie; Amiens. . . . . . 1869 Tarn Société scientifique et littéraire de Castres . . . . . . . 1860 Vicnne (Hautc-) Société archéologique et historique du Limousin; Li- rhoges 102 / ) RAIN UE SEVRES — 005 — Vosges . Société d’'Emulation du département des Vosges; Epinal. Yonne Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne; SR AN A EE PRE ES ALGÉRIE Société de climatologie algérienne; Alger . . . . ... ALLEMAGNE Institut impérial et royal de géologie de l’empire d’Au- triche (Kæserlich-kæniglich geologische Reichsan- SO CN ET MORE TT Académie royale des sciences de Bavière, à Munich (Kænigl. bayer. Akademie der Wissenschaften zu München), représentée par M. Scheuring, libraire, nt cc Me JT Cul ei de Société des sciences naturelles de Brême (Naturwissen- schafthicher Verein zu Bremen)...,.» . . .... . .. Société des sciences naturelles et médicales de la Haute- Hesse (Oberhessische Gesselschaft für Natur und M ronde): Gilessen id LT nr eh Lire Société des sciences naturelles du grand - duché de BemhonreLuxemhonree-% 2", Le. . en. Société royale physico - économique de Kænigsberg (Kænigliche physikalisch-ækonomische Gesellschaft nr rmesbere)r Prusse rer. e ,:, AMÉRIQUE Société d'histoire naturelle de Boston, représentée par MM. Gustave Bossange et C®°, libraires, quai Vol- AR nee + Le in, Institut Smithsonien de Washington, représenté par PAM Gustave Bossainpelet Gi : ,..1,, .. . 1855 1852 1866 1867 1855 1865 1866 1858 1854 1861 — 506 — ANGLETERRE Société littéraire et philosophique de Manchester (Lite- rary and philosophical Society of Manchester) . . . BELGIQUE Académie royale de Belgique; Bruxelles. . . .. . .. SUISSE Société des curieux de la nature de Bâle (Naturfor- schenden Gesellschaft in Basel) . . ..... . . . . …. Société d'histoire naturelle de Berne ( Bernerische Na- turforschenden GesellsChafP)} "er EL ESS Société jurassienne d'Emulation de Porrentruy, canton de Berne: Vs APT OM RIRE ON ARE ERP Société d'histoire et d'archéologie de Genève. . . . . . Tnstitut-nationalide Genève 2, ae MEL RENE Société vaudoise des sciences naturelles; Lausanne . . Société neuchâteloise des sciences naturelles; Neuchâtel. Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel . . . . Société helvétique des sciences naturelles (Allgemeine schweïzerische Gesellschaft für die gesammten Na- turwissenschaften);-Zurich 11460, 0 Société de physique et des sciences naturelles de Zurich (Naturforschenden Gesellschaft in Zurich) . . ... Société des antiquaires de Zurich: . . . . . ... .. .…. 1859 1868 1866 1859 1861 1863 1866 1847 1862 1865 1857 L — 507 — BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES Ayant droit à un exemplaire des Mémoires. Bibliothèque de la ville de Besançon. Id. de l'Ecole impériale d'artillerie de Besançon. Id. de la ville de Montbéliard. Ed. de la ville de Pontarlier. Id. de la ville de Baume-les-Dames. ne de la ville de Vesoul. Id. de la ville de Gray. Id.” de la ville de Lure. Id. de la ville de Lons-le-Saunier. Id. de la ville de Dole. Id. de la ville de Poligny. Id. de la ville de Salins. Id. de la ville d’Arboïs. Id. du musée impérial de Saint-Germain. Id. Mazarine, à Paris. — 909 — TABLE DES MATIÈRES DU VOLUME PROCÈS-VERBAUX. Mort de MM. le duc de Luyxes, le sénateur LyaurTeyx et le con- seiller MicHELIN, membres honoraires............ pp. 11 etiv Promesse de patronage au projet Vite au Pôle Nord de M. Gustave LAMBERT. ces ÉPON Etat de la fabrication de Dodo etie : à FREE ES M. Paul 2. LL SESRNPR ER TN PIN, 3 RAR RE . pp. viet vit Sur l'usage de la ferrure des chevaux chez les Gaulois, par M D Ho0ieur FOUQUET ...:.. made se oo ve «5.0 pp. vit et vil Réunion de la Sorbonne en 1868 : lectures de MM. DRAPEYRON A 5. gun eme de vo « PP: IX, x et xII Nomination de M. Castan, secrétaire de la Société, au grade de chevalier de la Légion d’honneur............ pp. x1 et xir Rapport sur les travaux de la Société, fait au congrès de l'Institut des provinces, par M. le marquis de MARMIER.. P. xiII Remplacement de l’acétate de soude par l’acétate de chaux dans la fabrication du dir né proposé par M. François PHCÉERC.:..: 0. SIENS De AIR Appareil hubiciteus es : on des entil in- venté par M. MarcHaAL. RS TR 7 em rie MOUD: ETUI EIY GE XV Séance générale de la Société d'Emulation de Montbéliard : lecture de M. A. DELacroix; toasts de MM. Victor Girop et MI A A Cadre mag à de pp. xv et XvI Réception de M. le sénateur Amédée Tuaierry en qualité de membre honoraire : allocution de M. le président Faucom- PRÉ; réponse de M. Amédée THIERRY............. PP. XVI-XXI Sur la découverte d’un établissement gallo-romain à Saint- Sulpice (Haute-Saône), communication de M. VARAIGNE. pP. XXIV Création d’un service de contrôle des dépenses, et attribution de cette charge au vice-secrétaire de la Société.,..... . P: XXV 33" — 510 — Critique de l’abus du système de l’âge des métaux en archéo- logie, par M. Micnanp. ...............° 0 DD. XVN EURE Rapport sur la gestion nantes de 1867, par M. GRENIER PP. XXVIII et XXIX Budget de 1869. ENS as Desttétes > PEUR Election de Son Ercellénée M. ss marquis DE sente comme membre honoraire. : m ses 1e CE CRE Bracelet celtique et Gin clio Mas otie ve M. Francis Ware: RE Dix el aéiaués DE Diant d'un PRE de Fertans (pourtour d’Alaise), communiqués par M. J. VUILLERET PP. XXXV et XXXVI Dons faits par la Société au musée d’histoire naturelle de Be- sançon. és. É set DURS Souvenirs nr Cest anciens Ur tn Re Poe (Haute- Saône), par M. N. TRAVELET.. suisses DD. XAXVI CL IEEE Vœu émis pour l'exécution d’un cu en ose du FANS du Doubs par les soins de M. L. CLOZ.............. D. XXXVII Election du conseil d'administration de 1869. A XXXVIII et XXXIX Séance publique du 17 décembre 1868... ......... pp. XXXIX-XLI Banquet de 1868 : toasts de MM. le préfet »’Arnoux, le prési- dent FaucoMPRÉ, Victor Girob, le colonel DE MANDROT, Weïzec, CAsran'et BOoULLEr... 74.25... 4.0 PP. XLI-XLVIII MÉMOIRES. La Société d'Emulation du Doubs en 1868 et le probléme de la vie à bon marché, par M. FaAucoMPRÉ. . . . . p. Î La science des arts, traité d’architectonique, par M. A. Dracaorr (3 planches}: ti BIO ES RAP ARE p. 15 Le Capitole de Vesontio et les Capitoles provinciaux du monde romain, par M. A. Casran (3 planches) . . p. 201 Essai sur l’organisation de l’Austrasie et la création de l'Allemagne, par M. L. DRAPEYRON. . . . . . . .. P: 497 De quelques coutumes, proverbes et locutions du pays de Salins, par’ M.:Ch. TOURIN, 4, 40000. at. p. 283 Notice sur Jacques Prévost, peintre, graveur et sculpteur du xvr° siècle, par M. LANGRENON (3 bois gravés). . p. 299 Le — 511 — Les artistes de Franche-Comté au salon universel de D DD A CASTAN 0 2... . 7 2, Le sel de Miserey, par M. A. DELACROIX. . . . . . . . La montre populaire, par M. G. SIRE. . . . . . . .. Le siège et le blocus de Besançon par Rodolphe de Habs- bourg et Jean de Chalon-Arlay, étudiés dans les textes et sur le terrain, par M. A. CASTAN . . . . La ville antique de Dittation, par M. A. DELACROIX. . Des cartes géographiques, par M. À. DE MANDROT. . . Premier aperçu du monde souterrain, par M. Emile Ne en à es to à Le sanctuaire celtique de Ballancourt, par M. Henri Mr nr (0 péniche CRAN Lo Deux traditions celtiques relatives aux épousailles dans la ville de Besançon, par M. A. CASTAN . . . . .. Notice sur Charles Weiss, par M. A. Casran ere . re Ta. Le OBJETS DJVERS. Dons faitsta la Société en 1868: 4.2... .. ....,..,..:. Envois des Sociétés correspondantes... ................ Membres de la Société au 15 août 1869.................. Bibliothèques recevant les Mémoires. ................... Besançon. — Imp. Dodivers, a — fl QUIL 1} Li a: Extraits des statuts et du règlement de la Société d'Emulation du Doubs, fondée à Besançon le 4“ juillet 1840. Free — d - s — diter les travaux utiles de ses membres. | » Elle encourage principalement les études relatives à la Franche- Comté. » 8 | | us Art. 15 des statuts : « La Société pourvoit à ses dépenses au moyen : | FE PANENTES > 1° D'une cotisation annuelle payable par éhacun de ses membres | résidants. et par chacun de ses membres correspondants ; elle est exigible"dès l’année même de leur admission. LE FE RAR : » 2? De la somme de deux francs payable par les membres rési- | dants et correspondants au moment de la remise du diplôme. ss x" Art. 17 du règlement ; « La cotisation annuelle est fixée à dix francs pour les membres résidants et à six francs pour les membres. À Correspondants. » f F à | EE RU Ari. 25 des statuts : « Les sociétaires onfa latitude de se libérer PRES de leur cotisation annuelle en versant un capital dans la caisse de | la Société. DEEE cor De RTE ee > La somme exigée est de cent francs pour les membres rési- | dants et de soixante francs pour les correspondants... » NP He Art. 45 des statuts : « Tout membre qui aura cessé de payer sa | cotisation pendant plus d’une année, pourra être considéré comme |. démissionnaire par le conseil d'administration. » CE Art. 6 du règlement : « Les séances ordinaires se tiennent le se- cond samedi de chaque mois... » Fe, Art. 9 du règlement : « La Société publie, chaque année, ..….. un bulletin de ses travaux, sous le titre de Mémoires... mi Fe Art. 15 du règlement : « Le bulletin est remis gratuitement : ‘ » .... À Chacun des membres honoraires, résidants et COrres- | pondants de la Société... ». de VAT D Adresse du Trésorier de la Société: M. le docteur JACQUES;, rue du Clos, n° 32, à Besancon. | ee “